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Examen d'une possibilité de position
commune de l'Assemblée nationale du
Québec dans le cadre des
négociations
constitutionnelles en cours
(Dix heures quatorze minutes)
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre, s'il vous plaît!
Je déclare ouverts les travaux de cette commission dont les
membres sont réunis ici à la suite d'un avis de convocation que
le secrétariat des commissions faisait parvenir en date du 3 juillet
dernier et qui se lit ainsi: "Avis aux membres et intervenants de la commission
permanente de la présidence du conseil et de la constitution.
A la demande du leader du gouvernement, veuillez prendre avis que la
commission de la présidence du conseil et de la constitution
siégera au salon rouge les 14 et 15 août 1980, à compter de
dix heures. Le mandat de cette commission consiste en l'examen d'une
possibilité de position commune de l'Assemblée nationale du
Québec dans le cadre des négociations constitutionnelles en
cours". (10 h 15)
Le mandat de la commission étant précisé dans
l'avis qui a été envoyé aux membres, j'avise les membres
de la commission que les séances de la commission pour aujourd'hui
seront aux heures suivantes, c'est-à-dire de 10 heures à 13
heures, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures à 23 heures.
Demain, le 15 août, à moins que la commission n'en décide
autrement, nous siégerons de 10 heures à 13 heures.
Les membres de la commission pour la présente séance sont:
M. Charron (Saint-Jacques) en remplacement de M. Bertrand (Vanier); M.
Char-bonneau (Verchères); M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes) en
remplacement de M. Dussault (Châteauguay); M. Bédard (Chicoutimi)
en remplacement de M. Laberge (Jeanne-Mance); M. Le Moignan (Gaspé), M.
Levesque (Bonaventure), M. Morin (Louis-Hébert), M. Paquette (Rosemont),
M. Ryan (Argenteuil) et M. Samson (Rouyn-Noranda).
En ce qui concerne les intervenants à cette même
commission, il s'agit de M. Fontaine (Nicolet-Yamaska) en remplacement de M.
Brochu (Richmond); M. Parizeau (L'Assomption) en remplacement de M. de
Bellefeuille (Deux-Montagnes); M. Dussault (Châteauguay) en remplacement
de M. Fallu (Terrebonne); M. Forget (Saint-Laurent), M. Godin (Mercier); M.
Morin (Sauvé) en remplacement de M. Guay (Taschereau); Mme
LeBlanc-Bantey (Iles-de-la-Madeleine); Mme Chaput-Rolland (Prévost) en
remplacement de M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce). Ce sont les membres et
intervenants pour la présente séance.
Je pense qu'à ce stade-ci il y aurait lieu que le leader du
gouvernement fasse part à la commission d'une entente qui serait
intervenue entre les différentes formations politiques.
M. Charron: Oui, M. le Président. Tout à l'heure,
le leader parlementaire de l'Opposition officielle me faisait part d'un
désir que je partage. Donc, j'aimerais que ce soit le voeu unanime de la
commission, si d'autres de nos collègues que ceux que vous avez
nommés souhaitent intervenir au cours de ce débat d'importance
majeure, que le droit leur soit reconnu de le faire, c'est-à-dire qu'on
permette aux formations politiques, au besoin, d'alterner dans la liste
d'intervenants que vous avez lue.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
D'accord. Est-ce qu'il y a consentement de tous les membres de la
commission?
M. Levesque (Bonaventure): Consentement accordé.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Maintenant, il y aurait lieu de recevoir une proposition pour nommer un
rapporteur pour notre commission parlementaire.
M. Charron: Je propose que le député de
Verchères soit le rapporteur de la commission.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce
que cette motion sera adoptée?
M. Levesque (Bonaventure): Hélas!
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Alors,
M. le député de Verchères, vous êtes nommé
officiellement rapporteur de cette commission parlementaire. A ce stade-ci, la
présidence avait pensé permettre au représentant
autorisé de chacun des partis politiques de faire un exposé
préliminaire sur l'ensemble du sujet en discussion, ce qui pourrait nous
permettre par la suite et, je pense, beaucoup plus facilement
d'adopter de façon précise l'ordre du jour de nos travaux.
Là-dessus, je cède donc la parole au ministre des Affaires
intergouvernementales et, par la suite, au chef de l'Opposition, par la suite,
au chef de l'Union Nationale, et probablement que le député de
Rouyn-Noranda voudra parler à la suite de ça. Evidemment, comme
c'est un exposé préliminaire, il est bien entendu que ces
personnes-là pourront toucher à l'ensemble de la révision
constitutionnelle. Le sujet est très vague et très large.
M. le ministre des Affaires intergouvernementales.
Exposés préliminaires M. Claude
Morin
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, M. le Président.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour deux raisons. D'abord, certains
membres de l'Assemblée nationale ont souhaité, en juin,
être mis au courant de la marche des négociations constitu-
tionnelles actuellement en cours et particulièrement des points
de vue exposés par la délégation québécoise.
Ensuite, il est opportun, à ce moment-ci des négociations, de
voir dans quelle mesure, sur quels sujets et selon quelles priorités il
est possible aux partis représentés à l'Assemblée
nationale de partager des positions communes.
Sans relater en détail les événements des
dernières semaines, je rappellerai qu'immédiatement après
le référendum de mai le ministre fédéral
chargé des relations fédérales-provinciales (et
également ministre de la Justice), a entrepris une tournée
éclair de toutes les capitales provinciales pour amorcer sans retard une
nouvelle ronde de négociations constitutionnelles. Parce que le moment
qu'il avait choisi ne convenait pas alors et malgré une offre de
déplacer sa visite de quelques jours, le ministre fédéral
n'est pas venu au Québec.
A la suite de cette tournée, une rencontre des premiers ministres
eut lieu à Ottawa, le 9 juin. C'est à ce moment que l'ordre du
jour de la présente ronde de négociations fut
déterminé et qu'on décida que les ministres responsables
du dossier constitutionnel se réuniraient de façon intense
pendant le mois de juillet.
Il était clair que, pour le premier ministre
fédéral, il fallait aboutir à des résultats
à l'intérieur d'un très court délai. Effectivement,
le 9 juin même, M. Trudeau s'exprimait en ce sens et annonçait une
conférence constitutionnelle des premiers ministres devant
s'échelonner du 8 au 12 septembre.
Par la suite, plusieurs ministres provinciaux
s'inquiétèrent de constater qu'il serait peut-être
humainement et politiquement impossible, en si peu de temps, d'en arriver
à des accords véritables. Selon eux, et le Québec
partageait ce point de vue, il était peu réaliste d'envisager la
conclusion, en deux mois seulement, d'ententes rapides sur des questions
complexes qui n'avaient pas jusque-là suscité de consensus,
malgré la succession de conférences constitutionnelles au cours
des années. Plusieurs représentants de provinces en vinrent
à penser que l'absence de résultats suffisants servirait
éventuellement de prétexte à des gestes
fédéraux unilatéraux.
Le 17 juin, les ministres chargés du dossier constitutionnel se
réunirent à Ottawa pour organiser leur travail de
l'été. C'est ainsi qu'ils se rencontrèrent en juillet
trois semaines de suite, à raison de quatre jours par semaine environ,
d'abord à Montréal, puis à Toronto et à Vancouver.
Ils abordèrent, les uns après les autres, les douze sujets de
l'ordre du jour. Ces réunions ministérielles ne sont pas
terminées. Cinq autres jours de réunions sont prévus
à Ottawa pour la période du mardi, 26 août, au samedi, 30
août. Entre-temps, la conférence des premiers ministres des
provinces se tiendra à Winnipeg dès la semaine prochaine,
précédée d'une rencontre d'une journée au niveau
ministériel; ensuite, du 8 au 12 septembre, ce sera la conférence
constitutionnelle fédérale-provinciale présidée par
M. Trudeau.
Voilà donc pour ce qui est de l'horaire de tra- vail. Notre
commission d'aujourd'hui survient donc à un moment
particulièrement bien indiqué puisque, comme on le constatera
dans la suite de mon exposé, le Québec aura des positions vitales
à faire valoir d'ici peu.
Je voudrais indiquer que le leader parlementaire du gouvernement, M.
Claude Charron, ainsi que le ministre de la Justice, M. Marc-André
Bé-dard, ont aussi participé avec moi à une partie des
réunions tenues jusqu'ici. Mon adjoint parlementaire, M Pierre de
Bellefeuille, a pris part à tous les travaux.
Je rappelle aussi que le Québec avait, dès le
départ, fait connaître son intention de tenir le public
constamment informé des positions qu'il prendrait en son nom. Cette
façon de procéder contribua à transformer le
caractère des conférences de juillet. Normalement, celles-ci,
puisqu'elles se tenaient à huis clos et souvent même ne
groupant que les ministres n'auraient pas donné lieu à la
diffusion d'une information aussi détaillée que ce fut le cas. En
effet, devant la décision du Québec acceptée par tous,
Ottawa et parfois même certaines autres provinces durent également
fournir des précisions sur leurs propres points de vue.
Toujours dans le but de livrer une information aussi complète que
possible, j'ai déjà fait distribuer aux journalistes le Dossier
sur les discussions constitutionnelles préparé par mon
ministère et que les membres de cette commission ont reçu ces
jours-ci. On trouvera, dans ce dossier, un bref historique des efforts de
révision constitutionnelle depuis une quinzaine d'années, ainsi
qu'un texte sur chacun des sujets de l'ordre du jour de nos
négociations. Le tout est accompagné des documents soumis par le
Québec au cours de juillet, de même que de ceux d'Ottawa. Quelques
documents émanant d'autres provinces sont également inclus dans
le dossier, mais il s'agit seulement de ceux qui ont été rendus
publics par les gouvernements concernés eux-mêmes. Il serait, en
effet, incorrect, vu la règle suivie dans les conférences
intergouvernementales, de prendre sur nous de dévoiler les opinions
présentées à huis clos par d'autres.
Pour nous assurer que l'information circule bien parmi les participants
aux rencontres intergouvernementales et afin qu'il n'y ait pas de malentendus
sur les opinions exprimées par les uns et les autres, je fais
présentement traduire en anglais les notes que je suis en train de lire
et je les transmettrai incessamment à mes collègues des autres
provinces. De la sorte, si je fais quelque erreur de fait ou
d'interprétation, les mises au point ne tarderont pas.
Il convient de s'arrêter un instant pour expliquer dans quel
esprit et dans quelle perspective le gouvernement du Québec abordait la
nouvelle ronde de négociations constitutionnelles. Je pense que le mieux
est de citer intégralement certains passages de la déclaration
d'ouverture que j'ai faite, au début de nos travaux, le 8 juillet
à Montréal. J'ai d'abord parlé du sens du
référendum québécois: "Lors du
référendum du 20 mai
dernier, la population du Québec n'a pas accordé à
son gouvernement le mandat de négocier avec le reste du Canada une
entente fondée sur la souveraineté-association. Comme nous
l'avons dit depuis, ainsi qu'avant et pendant la campagne
référendaire, nous avons accepté démocratiquement
le résultat de cette consultation populaire et nous agirons en
conséquence. Cela signifie donc qu'il n'est pas question pour nous de
tenter d'obtenir, par le biais de l'exercice qui commence, la
réalisation d'un objectif politique auquel les Québécois
n'ont pas souscrit en mai. "En s'exprimant comme ils l'ont fait, les
Québécois n'ont cependant en aucune façon, bien au
contraire, opté pour le statu quo et encore moins pour une diminution
quelconque des compétences du Québec. D'ailleurs, tous les
porte-parole du non se sont à l'époque entendus pour affirmer
qu'un non signifierait en réalité un oui à une
réforme en profondeur du régime politique actuel. Si nous nous
trouvons ici réunis aujourd'hui, si tôt après le
référendum, la raison en est que tous ressentent du moins,
nous le présumons qu'il faut maintenant donner une substance
convenable à la réponse référendaire. Autrement
dit, les Québécois veulent désormais mesurer la dimension
réelle, tangible et concrète, des promesses de renouveau que le
non était censé contenir".
Cela dit, il était normal que j'esquisse quelles étaient,
au-delà des affiliations politiques partisanes, les attentes des
Québécois par rapport à l'élaboration d'une
nouvelle constitution. Voici ce que je disais, toujours à
Montréal, le 8 juillet: "Les négociations que nous entreprenons
n'ont, en fait, de sens que si elles mènent vraiment à des
changements réels dans le sens désiré par le
Québec. Or, la réforme constitutionnelle soulève au
Québec des attentes considérables. Depuis maintenant une
quinzaine d'années, toutes les tentatives de révision ont
avorté et, chaque fois, elles ont déçu les
Québécois. Pourquoi? Parce que chaque fois on est passé
à côté des véritables problèmes et que l'on a
fini par se concentrer sur l'étude de sujets fragmentaires, disparates
ou de portée limitée par rapport aux difficultés de fond
qu'éprouvait le Québec et qui, pour lui, justifiaient une
révision en profondeur de notre cadre politique.
Une nouvelle fois, donc, nous recommençons aujourd'hui un autre
exercice constitutionnel. Celui-ci découle directement du
référendum québécois, même si, parmi les
problèmes à résoudre, plusieurs sont ressentis par
d'autres provinces que le Québec. Il s'agit là d'une
réalité dont nous sommes tout à fait conscients.
"Qu'attendons-nous, comme Québécois, de la reprise des
négociations? D'abord qu'elles tiennent résolument, ouvertement
et franchement compte de ce qu'on pourrait considérer comme un commun
dénominateur chez les Québécois, à savoir qu'il
existe chez nous une société distincte, qui veut être
reconnue comme telle, qui est libre de décider de son avenir et qui
tient à conserver chez elle et pour elle, ainsi qu'à les
acquérir lorsqu'ils lui manquent, les instruments culturels,
économiques et linguistiques lui permettant de s'affirmer et de se
développer selon ses aspirations et ses besoins propres".
Nous attendons ensuite de ces négociations qu'elles conduisent
à une clarification du partage des pouvoirs et à une diminution
significative des chevauchements fédéraux-provinciaux. Nous
attendons enfin que ces nouvelles négociations confirment que, dans le
régime fédéral, le gouvernement central considère
les provinces non pas comme des entités administratives
régionales qu'il lui faut constamment surveiller, mais comme des
partenaires majeurs et responsables à qui on peut et à qui on
doit faire confiance. "En somme, les Québécois s'attendent,
à la suite du référendum et des promesses qu'on leur a
faites, qu'il y ait, du côté fédéral, des preuves
manifestes d'un déblocage constitutionnel vraiment appréciable.
Ils s'attendent à découvrir, du côté
fédéral, une approche originale et imaginative à la
solution de problèmes déjà si anciens qu'ils font en
quelque sorte partie d'un contentieux permanent. Autrement, les
Québécois auront l'impression d'avoir été
roulés."
Je précisais ensuite notre attitude générale comme
délégation et, de nouveau, je cite: "Comme nous n'avons que deux
mois devant nous pour tenter de nous entendre sur des sujets dont certains sont
discutés sans succès depuis des années, on peut comprendre
que la liste des questions retenues pour étude soit plutôt
brève. Le Québec n'accepterait toutefois pas que le court
délai imposé serve d'excuse commode pour remettre à plus
tard des sujets intéressant les provinces, sous prétexte qu'ils
seraient complexes, alors qu'on porterait une plus grande attention aux
questions jugées prioritaires par Ottawa. La brièveté de
la liste nous force aussi à laisser de côté des sujets
encore plus importants que ceux qui seront abordés le
Québec pourrait ici en mentionner plusieurs et qui, souvent, ont
une influence directe et immédiate sur les thèmes retenus. En
outre, dix des douze points de notre programme n'offrent aucune
nouveauté puisqu'ils proviennent intégralement d'ordres du jour
de conférences antérieures s'échelonnant de 1968 à
1979. "Ces réserves n'affectent cependant en rien et je cite
toujours l'esprit positif et ouvert dans lequel nous entreprenons les
présentes négociations. Premièrement, nous sommes ici,
comme il convient, pour défendre les droits et les intérêts
des Québécois sans pour autant ignorer ceux des autres citoyens
du Canada. Notre volonté d'affirmation se double donc d'une
volonté de compréhension. Deuxièmement, nous sommes
également ici pour en arriver à des ententes aussi nombreuses que
possible. En somme, nous voulons des résultats. Troisièmement,
nous ferons valoir nos points de vue et nous les défendrons en visant
toujours à ce que les résultats éventuels des
négociations reflètent les attentes concrètes des
Québécois. Quatrièmement, notre première
préoccupation, comme cela a toujours été le cas pour
le
Québec depuis maintenant une quinzaine d'années, demeure
le partage fédéral-provincial des pouvoirs. A cet égard,
nous nous en tenons au consensus interprovincial unanime dégagé
par les premiers ministres des provinces à Regina en août 1978.
Cinquièmement, sur chacun des sujets retenus pour étude, nous
présenterons pour discussion des propositions précises dont la
teneur correspondra, nous le croyons, à la volonté des
Québécois dans leur ensemble. Sixièmement, parce que nous
tenons absolument à ce que les citoyens soient adéquatement
informés, nous nous ferons un devoir de rendre ces propositions
publiques dès leur dépôt à la table de
négociation. Nous respecterons évidemment la discrétion
qui s'impose quant aux vues exprimées par tel ou tel gouvernement.
"Septièmement, enfin, nous profiterons d'une commission parlementaire
qui aura lieu à Québec les 14 et 15 août celle
d'aujourd'hui, au fond pour présenter un rapport d'étape
sur les négociations qui se seront déroulées d'ici
là et pour faire le point avec nos collègues de
l'Assemblée nationale du Québec."
Voilà donc ce que je disais, M. le Président, au nom du
Québec, le 8 juillet, au début de nos travaux constitutionnels
à Montréal. Nous voulions négocier de bonne foi, proposer
des choses, écouter les autres participants, répondre à
des arguments, en offrir nous-mêmes, demander des explications, en somme
nous faire mieux comprendre tout en essayant de mieux voir les points de vue de
nos partenaires; tout cela dans l'espoir de rapporter progrès et, si
possible, de résoudre enfin des problèmes. (10 h 30)
II ne s'agissait pas de refaire le débat
référendaire, mais de défendre et de promouvoir
positivement les droits et les intérêts des
Québécois dans le présent régime politique, en
respectant ceux des autres. Les observateurs de l'intérieur et de
l'extérieur ont bien vu que c'était ainsi que nous nous sommes
comportés et plusieurs l'ont même dit publiquement.
Sans aucunement renoncer aux revendications traditionnelles du
Québec, nous étions prêts à faire un bon bout de
chemin avec les provinces et avec Ottawa, pourvu toutefois que cette
flexibilité ne conduise pas à une réduction des
compétences québécoises.
Au fur et à mesure que les négociations avançaient,
j'ai remarqué, chez la plupart des autres provinces, des positions qui,
sur bien des points, rejoignaient les nôtres dans la recherche d'une plus
grande autonomie. A aucun moment, le Québec n'a été
isolé. Les provinces ont acquis une conscience beaucoup plus nette de
leurs aspirations, de leurs intérêts et de leurs problèmes.
Certaines qui, longtemps, n'avaient qu'assez faiblement formulé des
revendications, peut-être faute de temps ou d'intérêt,
eurent, pendant les trois semaines de rencontres, le loisir d'aller beaucoup
plus avant dans leurs prises de position, et de façon beaucoup plus
ferme que par le passé.
Je voudrais maintenant faire un commentaire sur un réflexe que
j'ai observé chez quelques représentants fédéraux
et provinciaux, ministres ou fonctionnaires, au tout début de nos
négociations, mais qui a rapidement disparu. Selon ce réflexe,
perçu surtout dans des conversations privées, le résultat
référendaire entraînait comme conséquence logique,
selon ces personnes, que le Québec devait dorénavant passer
à l'arrière-plan des préoccupations constitutionnelles des
autres Canadiens, ceux-ci jugeant dorénavant plus pratique, vu que le
problème du Québec était à leurs yeux
définitivement réglé, de porter une plus grande attention
aux questions intéressant les autres provinces et Ottawa.
Comme corollaire de ce réflexe, il s'ensuivait que, vu le
résultat référendaire, le Québec ne pouvait plus
être demandeur et que, s'il envisageait d'exprimer des
réclamations autonomistes, celles-ci seraient automatiquement
interprétées comme des reliquats d'aspirations souverainistes. En
d'autres termes, selon ce réflexe, le Québec avait perdu sinon le
droit de parole, du moins le droit de manifester originalement sa
spécificité puisqu'en répondant majoritairement non au
référendum il avait du même coup opté pour les vues
bien connues de M. Trudeau!
Il y a aussi un autre fait que je veux brièvement relever. Avant
les conférences de juillet, je me demandais, comme plusieurs sans doute,
comment les autres gouvernements réagiraient à la participation
au renouvellement du fédéralisme d'un gouvernement ayant,
quelques semaines plus tôt, procédé à un
référendum sur un autre régime politique.
Je peux aujourd'hui affirmer, sans crainte d'être contredit que
cet aspect des choses n'a eu absolument aucune influence sur le comportement
des autres délégations fédérales ou provinciales
à l'égard de notre propre délégation. Je n'ai
même pas ressenti à ce propos le besoin de faire quelque mise au
point que ce soit, même pas lorsque j'ai eu à traiter en
détail de la spécificité du Québec et de ses
conséquences, par exemple le fait qu'il existe au Québec une
société distincte qui veut être reconnue comme telle et que
cette société tient à pouvoir déterminer librement
son avenir.
J'en viens maintenant à l'ordre du jour lui-même,
c'est-à-dire au contenu de nos négociations. Pendant la campagne
référendaire, le premier ministre du Canada avait insisté
avec force sur l'idée qu'advenant un non majoritaire à la
question posée il se fixerait comme priorité immédiate de
donner l'impulsion à des discussions devant aboutir sans délai
à une nouvelle constitution canadienne. Il prenait, en somme, la
responsabilité, advenant un non, de se faire le protagoniste d'une
réflexion en profondeur sur notre régime politique actuel et de
provoquer des négociations susceptibles de mener à un nouveau
type de Canada. C'est pourquoi la liste de sujets de discussion proposée
à la fin de la rencontre du 9 juin est extrêmement
révélatrice puisque, plus que tout autre geste, elle illustre
l'esprit qui animait le gouvernement fédéral après le
référendum et à la
veille de pourparlers constitutionnels entrepris dans des circonstances
tout à fait particulières.
Cette liste de douze sujets en contient dix qui faisaient
déjà partie, comme je l'ai dit tantôt, d'ordres du jour de
nombreuses conférences antérieures. Pour ces dix sujets, on
reprenait, en somme, les discussions au point où elles étaient en
février 1979, la dernière fois que M. Trudeau avait
présidé une conférence constitutionnelle avant les
élections de mai 1979.
Ne faisait cependant pas partie de cette liste aucune des autres grandes
questions alimentant depuis des années le contentieux
Québec-Ottawa et dont les têtes de chapitre sont, pour n'en
mentionner que quelques-unes: politique sociale, affaires urbaines, culture,
environnement, aménagement régional, recherche scientifique,
relations internationales, etc. Par contre, et il convient de le mentionner,
diverses questions majeures déjà abordées dans le
passé et d'importance essentielle pour le Québec et aussi pour
les autres provinces n'apparaissaient plus dans la liste: pouvoir
fédéral de dépenser, pouvoir fédéral de
taxer, pouvoir déclaratoire, etc.
La liste est aussi significative à cause de deux additions: les
pouvoirs sur l'économie et la déclaration de principes. Les
textes et les exposés des représentants d'Ottawa sur le
thème de l'économie ont montré aux ministres provinciaux,
au cours de juillet, que le gouvernement fédéral mettait en cause
tout le rôle économique des provinces, sous le couvert de la
recherche d'un solide marché commun canadien libre de tout obstacle. On
sait aujourd'hui que les réactions provinciales n'ont pas tardé
et qu'elles furent souvent fort virulentes, certaines provinces allant
même jusqu'à dire que, par sa proposition, Ottawa entendait
diriger le Canada vers un fédéralisme plus centralisé que
jamais. Une seule province s'est déclarée d'emblée
d'accord avec l'approche d'Ottawa qui, si elle était appliquée,
favoriserait surtout ses intérêts.
Quant à la déclaration de principes, elle a permis de
constater qu'Ottawa s'en prenait directement à la conception que les
Québécois, globalement, se font du Canada. Cette
déclaration dont le premier ministre Trudeau a pris soin de diffuser le
texte dès le 9 juin, a soulevé beaucoup de réactions ici
et a provoqué, fait inusité, la publication d'une lettre ouverte
aux Québécois signée par M. Trudeau lui-même. On a
appris, depuis, que le projet de déclaration de principes deviendrait le
préambule de la nouvelle constitution dont il influencera le
caractère, la portée et le sens.
Une question ici se pose: La liste des sujets retenus n'aurait-elle pas
pu être allongée et complétée dès le point de
départ? Il faut d'abord se reporter au 9 juin. La balle se trouvait
alors dans le camp d'Ottawa. Ce sont les représentants
fédéraux qui avaient promis un fédéralisme
renouvelé aux Québécois. Il était donc logique et
normal d'attendre d'eux des propositions nouvelles correspondant aux
aspirations du Québec. Ce sont eux qui avaient, pourrait-on dire, une
marchandise à livrer. Pendant le débat référendaire
au Québec, et comme je l'ai rappelé tantôt, le premier
ministre du Canada avait clairement laissé entendre que la victoire du
non, loin de signifier le maintien du statu quo, conduirait à un
renouvellement en profondeur de la constitution canadienne. A ce propos
on s'en souviendra il mit même publiquement en jeu son
siège et ceux des députés libéraux
fédéraux du Québec.
Personne alors n'apporta de précision, ni ne fournit de garanties
sur la nature des changements constitutionnels promis, mais le contexte portait
naturellement à croire que ces changements iraient dans le sens des
aspirations historiques et courantes des Québécois et aussi
qu'ils s'inspireraient d'une approche originale. En somme, les promesses
déployées à l'époque du référendum
incitaient manifestement les Québécois à penser qu'avec un
non majoritaire ils seraient enfin témoins, après des
années de rigidité, d'une volonté concrète de
déblocage de la part du gouvernement fédéral.
Ces promesses eurent certes un certain effet sur le résultat de
la consultation populaire. Dès le 9 juin donc, la volonté de
réforme et d'ouverture proclamée si hautement quelques semaines
plus tôt aurait dû immédiatement se produire dans le
programme de travail esquissé par Ottawa. C'était l'occasion
toute désignée pour le faire. Or, ce ne fut pas le cas.
On se souviendra aussi que, le 9 juin, M. Trudeau présentait la
semaine du 8 septembre, celle où il y aura une conférence
constitutionnelle de premiers ministres, comme le moment où l'on ferait
rapport sur les progrès accomplis entretemps et où on aboutirait
à des conclusions sur les douze sujets étudiés. Compte
tenu du travail normal de mise en branle du processus, cela limitait en fait
à environ deux mois d'été la période
réservée aux négociations ministérielles proprement
dites. Déjà, je l'ai dit, il paraissait difficile, sinon
impossible aux yeux de plusieurs, d'en arriver à des accords nombreux
à l'intérieur d'un si bref délai. C'est pourquoi il aurait
été assez peu réaliste d'espérer que de tels
accords puissent se produire non plus sur 12, mais sur 15, 20 ou 30 sujets. De
plus, l'addition de nouveaux thèmes de discussion, surtout si
c'était le Québec qui l'avait réclamée, aurait pu
être perçue comme une manoeuvre destinée à assurer
l'échec de la nouvelle ronde de négociations.
Rares, d'ailleurs, étaient ceux qui croyaient vraiment que les
négociations se termineraient dans la semaine du 8 septembre. Aux
réunions ministérielles, la grande majorité des
représentants des provinces, le Québec compris, n'acceptait pas
ce genre d'échéance et considérait que cette date
établie par M. Trudeau ne pourrait, en pratique, qu'être une
étape d'un processus fatalement beaucoup plus long que la période
de discussions intensives de l'été. Dans la perspective
raisonnable où les négociations se poursuivraient
ultérieurement, l'addition de nouveaux sujets pouvait donc sans risque
être reportée à plus
tard, d'autant plus que la matière était
déjà plus qu'abondante pour l'été et que, de toute
façon, il fallait bien commencer quelque part.
Venons-en maintenant, M. le Président, aux enseignements et aux
conclusions qu'on peut déduire de nos discussions jusqu'ici. Comme on le
verra dans le document remis aux membres de notre commission et auquel je vous
réfère, il parut vite évident en juillet que non seulement
rien n'avait changé dans l'approche d'Ottawa, mais qu'il y avait
davantage de rigidité qu'avant et qu'au surplus le désir de
centralisation accompagnée d'une diminution du rôle des provinces
demeurait plus vivace et plus entreprenant que jamais.
Selon cette perspective, le problème québécois
prend tout au plus place parmi les nombreux régionalismes canadiens dont
Ottawa est disposé à tolérer l'existence pourvu qu'ils
n'atténuent pas la puissance du pouvoir central. Et, derrière
tout cela, se profile une conception du devenir canadien et du rôle
prédominant d'Ottawa qui n'a pas évolué depuis des
années.
Ainsi donc, si la tendance fédérale actuelle devait
prévaloir, le régime politique canadien sera renouvelé,
avec cette différence, cependant, que le renouvellement s'effectuera
dans le sens contraire de celui auquel les Québécois ont cru
qu'Ottawa s'était engagé par ses promesses
référendaires.
Cette conclusion que j'énonce ici ne provient pas d'une vision
souverainiste des choses, ni d'un dépit postréférendaire,
mais d'une analyse objective de gestes, de déclarations et de textes que
n'importe qui, ici ou ailleurs, peu importe l'affiliation politique, est en
mesure de vérifier. En outre, d'autres éléments confirment
la conclusion que je viens de tirer.
Une des règles élémentaires d'une bonne
négociation consiste, pour chaque partie, à déceler le
cheminement, les objectifs et les méthodes de l'autre partie, ne
serait-ce que pour voir venir et agir en conséquence.
Avec un recul de quelques semaines, à la lumière des
nombreuses déclarations de représentants fédéraux,
particulièrement au moment du congrès libéral de Winnipeg,
et en tenant compte du comportement d'Ottawa, ainsi que des échanges de
vues de part et d'autre, l'approche fédérale paraît
beaucoup plus claire maintenant qu'en juin. Il est de la plus haute importance
qu'on comprenne, au Québec, en quoi elle consiste.
En effet, dans la stratégie fédérale, ce qui semble
surtout compter pour la semaine du 8 septembre, ce n'est pas une entente sur
tous et chacun des sujets de l'ordre du jour, ni même sur la
majorité d'entre eux, mais sur certains de ceux-ci, bien choisis, qui
font partie d'un groupe tout à fait prioritaire de questions, la
solution des autres problèmes pouvant à la rigueur être
reportée à plus tard.
Ottawa espère qu'une fois l'entente acquise sur ces questions, et
sur d'autres le cas échéant, la procédure de rapatriement
pourra immédiatement être mise en branle et la nouvelle
constitution canadienne solennellement proclamée au terme des
démarches de rapatriement, soit quel- ques mois plus tard. C'est
à cette nouvelle constitution qu'on ferait ensuite des modifications,
sans urgence particulière, mais au fur et à mesure que des
accords pourront être conclus sur les sujets demeurés en suspens
ou sur n'importe quel autre. Ces modifications seraient toutefois
effectuées conformément au mode d'amendement constitutionnel qui
accompagnerait le rapatriement. De la même façon qu'il y a
actuellement de temps à autre des conférences
fédérales-provinciales de premiers ministres sur
l'économie, la fiscalité ou autre chose, il y aura donc
désormais, au fil des années et selon les besoins, des
conférences de premiers ministres pour mettre au point tel ou tel
changement à tel ou tel article de la constitution.
Comme la conclusion de tous les travaux sur les douze points de l'ordre
du jour n'est pas forcément recherchée pour le 8 septembre,
quoique l'impression contraire a pu s'accréditer, Ottawa pourra donner
une impression de flexibilité en déclarant, par exemple, lors des
réunions ministérielles de la fin d'août ou à la
conférence constitutionnelle de septembre, qu'il ne cherche après
tout qu'un accord rapide sur quelques sujets et que, par conséquent, il
ne vise pas à régler à la course des questions dont tout
le monde sait qu'elles sont complexes.
Voilà pour la façon dont Ottawa paraît, avec les
éléments dont nous disposons, envisager le déroulement des
événements. Voyons maintenant quels sont, dans l'optique
fédérale, les sujets prioritaires et essentiels. Nous saisirons
du même coup quelle en est la portée pour le Québec. Le 9
juin, les questions retenues pour négociations étaient
groupées en deux catégories qui n'attirèrent alors pas
tellement l'attention. D'un côté, il y avait ce qu'on appelait le
"people's package" et de l'autre, le "governments' package". Quatre sujets
étaient placés sous le premier titre et huit sous le second. La
distinction venait d'une image qu'Ottawa voulait publiquement donner et selon
laquelle certaines questions intéressent les citoyens et relèvent
directement d'eux et non d'abord des gouvernements, tandis que les autres
peuvent faire l'objet de discussions intergouvernementales.
Les quatre sujets du "people's package" sont: la déclaration de
principes, le rapatriement de la constitution et la formule d'amendement, la
charte des droits et la péréquation. Le but de la
conférence constitutionnelle du 8 septembre est de formaliser en
priorité l'accord sur ces quatre sujets.
Pourquoi l'accent sur ces quatre sujets apparemment disparates? D'abord,
ils correspondent aux préférences depuis longtemps
exprimées par le premier ministre du Canada lui-même: on y
retrouve les questions soi-disant non négociables maintes fois
réitérées par M. Trudeau. L'autre raison est que ces
sujets gouvernent les huit autres et tous ceux qu'on pourrait ajouter
maintenant ou plus tard. Ils déterminent en somme les règles du
jeu définitives du régime fédéral. D'une certaine
manière, ils engagent l'avenir plus que toute autre disposition
constitutionnelle et définissent l'orien-
tation du "fédéralisme renouvelé"; ce sont, en
quelque sorte, des "voeux perpétuels" politiques! Une fois
insérés dans une constitution, ils deviennent à toutes
fins utiles extraordinairement difficiles à modifier. Si ces questions
sont réglées, à la satisfaction ou non du Québec,
la révision constitutionnelle est en quelque sorte presque conclue.
Examinons de plus près la portée pratique et politique de
chacune. D'abord, je parle de la déclaration de principes. Cette
déclaration de principes est, on le sait, le projet de préambule
de la nouvelle constitution canadienne. Il ne s'agit donc pas d'une simple
entrée en matière, mais d'une description générale
de cette sorte de contrat qui est censé être une constitution. Ce
n'est pas une introduction qu'on rédige une fois l'oeuvre
terminée, mais un énoncé de la raison d'être du sens
profond de cette oeuvre. A ce titre, appliquée à la nouvelle
constitution canadienne, cette déclaration de principes évoque le
pays auquel elle doit s'appliquer, ses habitants, leurs objectifs et, en gros,
la nature du régime politique qu'ils choisissent ensemble. Elle
établit l'importance relative des composantes de la population dont elle
annonce la loi fondamentale. (10 h 45)
Plus clairement, une telle déclaration répond une fois
pour toutes à de très vieilles questions qui ont nourri bien des
débats politiques chez nous. Y a-t-il au Canada une, deux ou plusieurs
nations? Quelle est la place de la majorité et de la minorité,
celle des autochtones, celle des Néo-Canadiens, celle du Québec,
celle des autres provinces? C'est dans une telle déclaration,
destinée à être un préambule, qu'on
détermine, le cas échéant, le rôle spécifique
du Québec. Ou qu'on le masque. Ou qu'on le nie. C'est dans cette
déclaration qu'on confirme ou non le droit pour les
Québécois de choisir librement leur avenir politique. Ou qu'on le
passe sous silence parce qu'on ne tient pas à l'affirmer ou qu'on veut
indirectement le nier.
Pour toutes ces raisons, à cause de son influence sur le reste de
la constitution et parce qu'un tel préambule servira d'instrument
d'interprétation de la loi fondamentale du Canada, il faut accorder la
plus haute importance, du point de vue québécois, sur ce qu'il
contiendra. Et aussi sur ce qu'il taira. Il ne s'agit pas, comme il devient
parfois de bon ton de le laisser entendre, d'une occasion de disputes pour
intellectuels, disputes dont la population, plus sage, se
désintéresserait éperdument.
Le premier ministre du Canada, en publiant son propre projet de
déclaration dès le 9 juin, a lui-même montré combien
les Québécois feraient preuve de courte vue s'ils n'y
consacraient pas une attention particulièrement vigilante. Cette
déclaration décrit du point de vue de M. Trudeau ce que les
Québécois et les Canadiens sont et ce qu'ils devraient
être.
Elle découle de sa vision inaltérable de l'univers
canadien, une vision qui nie à toutes fins utiles la
spécificité québécoise et les conséquences
politiques de l'existence d'une telle spécificité, ce qu'ont
d'ailleurs très bien illustré les multiples commentaires auxquels
son texte a donné lieu depuis sa parution.
J'en arrive maintenant au rapatriement de la constitution et à la
formule d'amendement. Dans un document émis en juillet, la
délégation québécoise a expliqué pourquoi,
à l'instar des positions prises par tous les gouvernements du
Québec, de celui de M. Lesage à celui de M. Bourassa, elle
considérait logique de procéder au rapatriement et à
l'élaboration d'une formule d'amendement uniquement après que les
négociations en cours auront permis une entente substantielle sur des
questions majeures touchant le partage fédéral-provincial des
pouvoirs. Pour ne pas allonger indûment ma présentation, je me
permets de vous référer à cette prise de position. Je ne
retiendrai ici que deux arguments avancés alors. D'abord, le
rapatriement de la présente constitution canadienne, actuellement loi
britannique, peut difficilement passer pour être, comme on le
prétend, un geste destiné à trancher un lien colonial,
puisque l'on prend soin de conserver la reine de Grande-Bretagne comme chef
d'Etat du Canada. On se rappellera incidemment qu'avant même que ne
s'engagent nos discussions de l'été, M. Trudeau se trouvait en
Grande-Bretagne pour, soi-disant, y préparer le rapatriement rapide de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
La concrétisation d'une formule d'amendement signifiera aussi,
immanquablement, que tout le contentieux constitutionnel Québec-Ottawa
accumulé ne se résoudra pas maintenant dans une sorte de "package
deal", mais qu'il sera pour l'avenir soumis à la pièce à
cette formule d'amendement où, dans le meilleur des cas, le
Québec aura certes, comme plusieurs autres provinces, un droit de veto
sur des changements qu'il ne désirerait pas, mais où aussi son
avenir politique à l'intérieur du fédéralisme
dépendra du bon vouloir non seulement des autres provinces, mais aussi
d'Ottawa. C'est en bonne partie cet aspect des choses qui avait, on s'en
souvient, amené M. Lesage, en 1965, à rejeter la fameuse formule
Fulton-Favreau.
On voit dès lors pourquoi une formule d'amendement est au fond
une règle essentielle du jeu constitutionnel. Cette formule, une fois
établie et acceptée, l'évolution du reste en
dépend.
J'en arrive maintenant au troisième sujet du "people's package",
c'est-à-dire la charte des droits. Il y a une certaine ironie à
constater actuellement que le gouvernement ayant, au Canada, le moins
respecté les droits des personnes au cours des dernières
années est devenu celui qui a décidé de faire la
leçon aux autres. Il y a également beaucoup de confusion à
propos de l'insertion dans la constitution d'une charte des droits.
De prime abord, cette insertion a l'allure d'un voeu pieux. Elle semble
aller de soi et ceux qui s'y opposent paraissent socialement rétrogrades
et réactionnaires. Dans une prise de position publiée en juillet,
la délégation du Québec a montré en quoi le projet
du premier ministre Trudeau comportait des conséquences dangereuses pour
le
Québec, notamment au chapitre de la langue d'enseignement. Car
Ottawa se garde bien d'indiquer que le projet fédéral
replongerait le Québec dans les difficultés qu'il a connues au
moment du bill 63. On n'indique pas non plus que la charte des droits
proposée par Ottawa priverait l'Assemblée nationale du
Québec de la latitude qu'il lui faut pour assumer les
responsabilités du seul gouvernement de langue française en
Amérique du Nord, et ce surtout à un moment où les travaux
scientifiques les plus récents démontrent, sans l'ombre d'un
doute, que c'est seulement au Québec et à cause du Québec
que peut et que pourra vraiment, dans l'avenir, s'épanouir et s'affirmer
la population francophone du Canada, une population qui, cependant, diminuera
relativement par rapport à l'ensemble de la population canadienne d'ici
dix ou vingt ans.
Dans ces conditions, on comprendra que, sur la partie de la charte des
droits qui traite de la langue, le Québec émet des
réserves absolues et qu'il s'oppose formellement à redevenir un
territoire officiellement bilingue, alors qu'en pratique les autres provinces,
malgré n'importe quelle charte des droits, demeureront anglophones.
Je signale aussi en passant que, selon une des stipulations contenues
dans le projet fédéral, la Loi des mesures de guerre serait,
somme toute, institutionnalisée et permanente. On aura probablement
l'occasion de voir cet article tout à l'heure.
J'en arrive maintenant à la péréquation. A peu
près tout le monde est d'accord depuis longtemps pour introduire le
principe de la péréquation dans la constitution. Le
problème est qu'Ottawa pourrait désirer, en septembre, pousser ce
principe plus loin et faire du partage des richesses et de la lutte aux
inégalités régionales deux principes constitutionnels
commodes qu'il pourrait aisément utiliser ensuite pour intervenir
à son gré dans des domaines provinciaux. Sous couvert d'une
préoccupation éminemment élevée, il n'est pas du
tout exclu qu'à la faveur de la présente révision
constitutionnelle Ottawa essaie de se donner de nouveaux moyens d'action
conduisant, le cas échéant, à une plus grande
centralisation des pouvoirs de décision économique et sociale et
à l'affirmation du rôle d'Ottawa comme gouvernement responsable au
premier chef de la répartition au Canada des bienfaits de la croissance
économique.
Il y a un autre sujet qui ne fait pas partie du groupe de quatre que je
viens de relever, mais dont la portée mérite qu'on s'y
arrête. Il s'agit du thème: les pouvoirs sur l'économie. A
cet égard, les conséquences sur le Québec de la
proposition fédérale sont énormes et encore mal connues du
grand public. Il s'agit, de l'avis de plusieurs et aussi du mien, de la plus
grande offensive centralisatrice sur le plan économique dont nous ayons
été témoins depuis, peut-être, la mainmise d'Ottawa
sur les droits fiscaux des provinces en 1941. Il est sûr, en tout cas,
que l'application de cette proposition réduirait dramatiquement le peu
de marge de manoeuvre économique dont dispo- sent le gouvernement
québécois et les institutions qui, directement ou indirectement,
en dépendent.
Bien loin de découvrir dans la négociation
constitutionnelle actuelle une occasion longtemps espérée de voir
enfin confirmer ses attributions générales ou augmenter ses
compétences, le Québec s'est aperçu qu'il était
désormais, comme les provinces dans leur ensemble, menacé de
perdre des instruments d'action essentiels. Inutile d'insister pour dire que
l'addition de ce sujet à l'ordre du jour n'a rien fait pour hâter
des accords.
Je pense avoir dit pourquoi les quatre sujets prioritaires, dans
l'optique d'Ottawa, sont beaucoup plus déterminants que tous les autres.
Une nouvelle constitution, c'est comme un contrat. Il y a des clauses
très lourdes de conséquences, d'autres moins importantes.
Quand on veut se construire une maison, il faut d'abord prendre
plusieurs décisions: à quel endroit sera-t-elle située,
quelle sera la dimension de la maison, quelle sera sa forme, combien
aura-t-elle de pièces, quels matériaux seront utilisés,
comment sera-t-elle meublée, comment sera aménagé le
terrain, comment le tout sera-t-il financé, etc? Une fois
décidés la localisation, la dimension et le financement de la
maison, le reste en découle et il n'est plus possible, par la suite, si
par exemple on a fait erreur sur la localisation, de corriger cette erreur par
le biais de décisions portant, disons, sur l'ameublement.
La stratégie fédérale voudrait donc que, dans la
semaine du 8 septembre, les discussions se terminent au moins sur quatre sujets
lourds de conséquences et engageant l'avenir. Un fait récent et
connu de tous est d'ailleurs venu confirmer, si besoin en était, que la
démarche fédérale est fort réfléchie et
qu'elle laisse le moins possible au hasard.
On sait qu'Ottawa vient de lancer, en plein été, une
gigantesque campagne de publicité de $6 000 000. Pourquoi une telle
campagne? Officiellement pour convaincre les Canadiens de la
nécessité d'une nouvelle constitution. Mais, alors, pourquoi
commencer si tôt, car une constitution, ça ne se règle pas
en quelques semaines? Ne serait-ce pas justement parce qu'on tente de
créer un conditionnement propice pour le 8 septembre? On aura sans doute
remarqué, à cet égard, que les thèmes de la
publicité fédérale rejoignent précisément
les sujets prioritaires évoqués ici!
Il est curieux aussi que cette campagne survienne alors même que
les discussions intergouvernementales sont en cours, comme si ces discussions
n'avaient pas vraiment tellement d'importance. Quand on sait que la conception
et la réalisation des messages publicitaires exigent au bas mot des
semaines de travail et que ces messages sont déjà diffusés
au moment où je vous parle, il faut donc nécessairement conclure
que la préparation de l'offensive fédérale était en
cours avant même que ne commencent les réunions
ministérielles de l'été.
Il se peut aussi que l'intensité et la fréquence des
rencontres des ministres fassent elles-mêmes, quels qu'en soient le
contenu et le résultat, partie
d'une stratégie fédérale destinée à
créer, pour septembre et par-dessus la tête des gouvernements
concernés, un sentiment selon lequel il faudrait bien, après tant
de travail, que des décisions rapides se prennent enfin et que,
commodément, elles touchent au moins les sujets prioritaires pour
Ottawa.
Tout n'est cependant pas joué. Il reste heureusement plusieurs
jours de négociations au niveau ministériel, à la fin
d'août. Il reste aussi la conférence
fédérale-provinciale des premiers ministres le 8 septembre. Des
développements plus positifs demeurent toujours possibles. S'il devait
s'en produire dans le sens d'un respect plus grand des aspirations du
Québec, je serai heureux, M. le Président, d'en faire
aussitôt état.
D'ici là, nous avons, comme Québécois, certaines
urgences à affronter. C'est pourquoi je termine ici mes commentaires,
dont je m'excuse incidemment de la longueur mais cette longueur me
paraissait nécessaire en présentant à notre
commission une suggestion concrète: Sans essayer artificiellement et
à tout prix de susciter des consensus, je suggérerais que nous
passions en revue chacun des points de l'ordre du jour des négociations
actuelles. Je souhaiterais cependant que nous soyons tous d'accord pour
commencer par les questions qui engagent davantage notre avenir, qui ne sont
pas encore réglées sur lesquelles il faudra, en priorité,
prendre des décisions en septembre.
En conséquence, M. le Président, je propose qu'à la
suite des exposés préliminaires des partis politiques cette
commission entreprenne l'étude des douze points actuellement en
négociation, en abordant prioritairement les points suivants: la
déclaration de principes, le rapatriement de la constitution et la
formule d'amendement, la charte des droits, la péréquation et les
pouvoirs sur l'économie. Il va sans dire que, selon l'évolution
de nos échanges, je suis disposé à fournir aux membres de
notre commission tous les renseignements supplémentaires qu'ils
désireraient obtenir. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
Je rendrai une décision tout à l'heure, après
l'exposé des chefs, sur la motion qui est présentée.
Je cède la parole au chef de l'Opposition officielle.
M. Claude Ryan
M. Ryan: M. le Président, nous sommes heureux, à
titre d'Opposition officielle, de participer à cet échange de
vues sur la présente étape des discussions en vue de la
révision de la constitution du pays. Ainsi que je l'ai
déjà signalé à la Chambre, il faut se
féliciter de ce que si tôt après la tenue du
référendum sur l'avenir constitutionnel du Québec on ait
entrepris des discussions sérieuses visant à procurer au peuple
du Québec et du reste du pays des changements constitutionnels
désirés de toute évidence par une majorité
croissante des citoyens de ce pays. Nous participerons à ces travaux
dans un esprit évidemment constructif, dans un souci de franchise que,
je pense, nous avons toujours manifesté.
Je voudrais, au début de nos travaux, soumettre un certain nombre
d'observations générales qui traduisent à la fois notre
perception de la conjoncture présente et notre vision de l'esprit dans
lequel doit s'effectuer l'oeuvre de révision constitutionnelle. Je
signale d'abord que nous nous réunissons dans un contexte marqué
d'une profonde ambiguïté. Tout d'abord, nous nous en souvenons
tous, les résultats du référendum du 20 mai ont
favorisé nettement la thèse de ceux qui préconisaient le
maintien et le renouvellement du lien fédéral canadien. Mais la
responsabilité de défendre cette option majoritaire de la
population incombe à un gouvernement dirigé par un parti dont les
options fondamentales étaient et demeurent contraires à cette
orientation voulue par la majorité de la population. Comme s'il avait
été besoin d'une démonstration nouvelle, le conseil
national du Parti québécois s'est réuni à la suite
du référendum et a renouvelé son adhésion
fondamentale au choix qui avait été mis de l'avant par le
gouvernement le 20 mai et qui a été rejeté par la
population.
Nous sommes en situation d'ambiguïté aussi, étant
donné le stade où en est rendu le présent gouvernement
dans l'exécution de son mandat. Le présent gouvernement touchera
bientôt au terme usuel de son mandat de gouvernement. Cela fera quatre
ans au mois de novembre que le gouvernement est en place. Nous savons tous que
l'oeuvre de révision constitutionnelle est une oeuvre de longue haleine
qui ne peut pas s'effectuer dans un délai précipité de
deux mois. J'y reviendrai tantôt. Alors, nous sommes en pleine
ambiguïté. Un gouvernement qui, tous les jours, se réunit
pour se demander si ça servirait les intérêts du
gouvernement de convoquer une élection maintenant ou de la remettre
à plus tard et qui, en même temps, est engagé dans une
oeuvre qui, par essence, doit se faire dans un climat de détachement ou
de souci des intérêts à long terme du peuple
québécois qui ne peuvent pas être servis de manière
idéale dans le contexte actuel. Cela, je le signale bien franchement,
mais avec beaucoup de fermeté, pour qu'il n'y ait aucune
ambiguïté à ce sujet.
Deuxième observation je reprends ici ce que j'ai dit
à maintes reprises il faut aborder la réforme
constitutionnelle dans un esprit positif; serein et constructif. Les
Québécois ont affirmé clairement, le 20 mai dernier,
qu'ils veulent continuer à vivre en fidélité avec
eux-mêmes, mais dans un pays commun qu'ils partagent avec d'autres
Canadiens au Canada. Leur apport et leur consentement sont absolument
indispensables à toute entente nouvelle devant servir de fondement
à la rédaction d'un texte constitutionnel adapté aux
besoins et aux défis d'aujourd'hui et de demain. Il faut, en
conséquence, d'une part, que le Québec, son gouvernement en
particulier, lutte fermement pour obtenir toutes les garanties, tous les
pouvoirs raisonnablement requis pour assurer que le Québec pourra
se développer suivant son génie propre et il faut, d'autre part,
que ce pays qu'on appelle le Canada, auquel les Québécois ont
renouvelé leur adhésion le 20 mai dernier, ait une substance. Il
faut aussi que les institutions politiques qui l'incarnent aient un contenu et
une signification réels. (11 heures)
Si nous devions nous réunir uniquement pour discuter des pouvoirs
et des intérêts du Québec, nous pourrions pousser
l'exercice jusqu'à sa conclusion logique, très familière
à nos amis du gouvernement. Cela conduit directement au
séparatisme et à la souveraineté. Si on veut discuter dans
un esprit fédéral, il faut absolument regarder les deux volets du
problème. Il faut se demander quels sont les intérêts que
le Québec doit légitimement défendre. Il faut se demander
aussi, et le dire franchement, quelles sont les choses que l'on veut loyalement
mettre en commun avec les autres citoyens du pays sous l'autorité d'un
gouvernement fédéral démocratiquement élu par les
citoyens du pays et souverain dans son ordre de compétences.
Troisième point, il faut aller au fond des choses. Je remarque
qu'à cette conférence-ci, sur plusieurs sujets, on semble
être allé davantage au fond des choses qu'on ne l'avait fait
à des rencontres précédentes. Je m'en réjouis. Les
premiers échanges, quand on essaie d'aller au fond des choses, sont
toujours plus pénibles. J'entendais le ministre des Affaires
intergouvernementales parler tantôt de la plus grande offensive
centralisatrice qui ait jamais émané d'Ottawa en ce qui touche,
par exemple, le partage des pouvoirs économiques. Je ne grimperais pas
tout de suite dans les rideaux. Ils ont présenté leur position
dans les premiers textes. On n'a qu'à dire qu'on les accepte ou qu'on
les rejette. Si les nouvelles versions de l'article 121 de la constitution sur
le commerce des marchandises à travers le Canada, ou encore de l'article
91.2 sur la compétence du Parlement fédéral en
matière de commerce, si les nouveaux textes que propose le gouvernement
fédéral ne sont pas acceptables, on peut le dire. Nous autres
même, nous en parlerons quand nous arriverons à cet article de
l'ordre du jour. Je ne pense pas que ce soit le moment de grimper dans les
rideaux, de commencer à imputer des motifs et de parler
d'épouvantails qui consistent ou qui aboutissent, en tout cas, à
créer un climat très peu favorable à des discussions
constructives.
Il faudra que chacun dise franchement comment il perçoit la
réalité de ce pays. Je pense que si nous voulons travailler
constructivement, nous devons accepter de chercher à dépasser des
slogans faciles. Il est bien facile de dire: II y a deux nations dans ce pays
et, sans cela, rien ne peut se faire. On a entendu cela 5000 fois depuis 50
ans, mais il faut qu'on arrive à dire avec plus de précision en
quoi consiste la réalité humaine de ce pays. Nous aurons des
idées à mettre sur la table quand arrivera la discussion
peut-être sur le projet de préambule, par exemple, plus tard, mais
je vous dis simplement que nous ne serons complices d'aucune tentative, d'aucun
exercice de propagande visant à faire croire que les choses auraient
été réglées parce qu'on aurait adopté un
vote à la vapeur sur un slogan dont on n'aurait pas soigneusement
défini le contenu.
J'ai moi-même vous vous en souvenez, M. le Président
à la commission parlementaire qui étudiait les
crédits du Conseil exécutif, demandé au chef du
gouvernement de préciser quel contenu il était prêt
à mettre sur cette égalité des deux peuples dont il parle
avec beaucoup d'assurance aussi longtemps qu'on en reste au stade des
affirmations générales. Je lui ai demandé de donner un
contenu précis. A chacune des questions que je lui posais, il a
répondu: Incapable de répondre. A toutes fins utiles,
c'était l'essence des réponses que j'ai reçues. En
Chambre, lorsque nous avons fait un débat sur les conséquences du
référendum, j'ai peut-être posé une centaine de
questions au chef du gouvernement. Tout ce que j'ai eu comme réponse,
c'est qu'on donnerait des précisions plus tard et que le moment
n'était pas venu d'aborder ces questions.
Au moins sur les douze sujets qui ont été inscrits
à l'ordre du jour de la présente entreprise constitutionnelle, je
pense que le moment est arrivé de formuler des réponses
précises et, encore une fois, des réponses qui tiennent compte
des deux dimensions du défi qui se pose à nous. Il est bien
facile pour le gouvernement fédéral de tenir compte uniquement
d'une dimension, comme c'est facile pour les provinces de tenir compte
uniquement d'une dimension, mais, si on doit aboutir à des
résultats quelque part, il faudra que certains hommes politiques aient
le courage, la force de dire: Nous autres, comme province, nous acceptons qu'il
y ait un gouvernement fédéral avec des attributions
précises et qu'eux disent: Nous autres, comme gouvernement
fédéral, nous acceptons qu'il y ait des populations dans ce pays,
différentes les unes des autres, et qu'il y en ait une, en particulier,
au Québec avec ses caractéristiques propres qui a droit, en
conséquence, à une reconnaissance pleine et entière de ce
qu'elle est et aussi aux pouvoirs, aux attributions qui doivent accompagner
cette reconnaissance.
Quatrième observation: II ne peut pas être question, dans
mon esprit, d'opposer rigidement le gouvernement du Québec et le
gouvernement fédéral comme s'il s'agissait de deux gouvernements
étrangers représentant des populations différentes. Ces
deux gouvernements tiennent leur légitimité de la même
source, c'est-à-dire des électeurs souverains de ce pays, y
compris du Québec. Ils comprennent tous les deux des
Québécois, des citoyens de cette province démocratiquement
élus et légitimement appelés à exercer des
responsabilités de gouvernement, chacun dans un ordre différent
de compétences. Ils sont tous les deux, qu'on le veuille ou non,
porteurs d'aspirations québécoises légitimes dans leur
ordre respectif.
Cinquième observation: Si nous voulons faire une oeuvre
sérieuse, nous devons tenir compte de l'évolution récente
et de l'état actuel de ce pays.
Nous devons porter un diagnostic loyal, objectif sur l'état
véritable du pays. C'est bien facile de laisser croire ou de tenter de
ressusciter le vieux spectre de la centralisation, mais la
réalité concrète, illustrée d'ailleurs par les
chiffres, c'est qu'il s'est produit, de fait, au cours des 20 dernières
années, une forte montée du pouvoir provincial dans ce pays, en
particulier dans les provinces populeuses et dans les provinces qui disposent
du minimum de population et de ressources les habilitant à se doter des
services dont elles ont besoin. On n'a qu'à examiner l'évolution
des budgets des gouvernements, l'évolution des finances publiques au
pays depuis 20 ans pour constater que l'évolution s'est faite en faveur
d'une plus grande responsabilité concrète des provinces.
Deuxièmement, nous sommes tous conscients, je pense bien, que la
situation économique du Canada sur le plan international est loin
d'être aussi confortable qu'elle a pu l'être à d'autres
époques. Elle est aujourd'hui très fragile à plusieurs
égards, beaucoup plus exposée qu'elle ne l'était
autrefois; il y a de nouveaux défis qui se dessinent à l'horizon
et qui obligeront le pays à des ajustements économiques en
profondeur.
Troisièmement, l'émergence de la question
énergétique a créé de nouveaux défis pour le
Canada, a bouleversé la façon traditionnelle de voir les
réalités économiques. Elle nous présente des
problèmes auxquels nous ne saurions trouver de réponse en
invoquant uniquement les schémas ou les slogans traditionnels. Il est
bon de vouloir respecter la ligne traditionnelle et je pense que mon parti, de
ce point de vue, peut dire avec fierté qu'il a toujours travaillé
dans la ligne de la véritable tradition québécoise, mais
de là à dire qu'on se contentera de réciter machinalement
et littéralement tous les slogans, tous les extraits de documents
passés sans les soumettre au test de la confrontation avec les
réalités et les défis d'aujourd'hui, il y a une marge que
la rigueur intellectuelle la plus élémentaire nous interdirait de
franchir.
De même, certaines questions ont beaucoup évolué
tant au Canada que sur la scène internationale au cours des 20
dernières années. Prétendre les aborder avec la même
problématique que celle dont on se servait au début des
années soixante ou à la fin des années cinquante, ce
serait, je pense, se condamner au départ à l'échec ou
à la stagnation. Je mentionne à titre d'exemple la question des
droits linguistiques. Il s'est produit une évolution considérable
à ce sujet au cours des 20 dernières années. Au plan
fédéral, on a adopté la Loi sur les langues officielles
qui, quoi qu'on en dise, a produit des résultats considérables et
est considérée par un grand nombre de pays faisant face au
même problème que le nôtre comme un modèle
d'équilibre, de clarté et de sagesse. Beaucoup de provinces ont
adopté au cours des dernières années des mesures plus
libérales en faveur des droits linguistiques de la minorité
francophone. Nous-mêmes avons connu, au Québec, une
évolution discutable à bien des points de vue, mais dont
plusieurs éléments ont fait l'objet d'un accord entre la plupart
d'entre nous.
Il faudrait tenir compte de tous ces faits; je pourrais en mentionner
beaucoup d'autres. Il me semble qu'il est très important que chacun se
présente à des conversations comme celles-ci en mettant
franchement sur la table la manière dont il perçoit
l'évolution qui s'est produite au cours des dernières
années et les défis que les années à venir nous
présenteront.
Sixième observation: L'essentiel dans le travail de notre
commission, c'est que chaque parti exprime franchement et loyalement ses
convictions profondes et que l'on recherche d'abord la vérité de
chacun avant de poursuivre à tout prix un consensus qui risquerait
d'être artificiel.
Je vous le dis tout de suite, M. le Président, la nature
même de notre régime parlementaire postule qu'il y ait, de chaque
côté de votre auguste personne, des partis qui soutiennent des
thèses différentes, et plus ces thèses sont vigoureusement
opposées, mieux c'est, en principe, pour l'équilibre de la
démocratie et pour le progrès véritable des idées
et de la santé du corps politique. Je veux vous dire que nous n'aurions
pas oublié ces fondements absolument essentiels de notre régime
pour le seul plaisir de nous retrouver ici, au milieu du mois d'août, en
votre très agréable compagnie.
Si, sur certains points, nous sommes de l'avis du gouvernement, nous ne
chercherons pas de chicane pour le plaisir de dire que nous ne voudrions sur
aucun sujet avoir quoi que ce soit en commun avec le gouvernement. Au
contraire, nous dirons: Sur ce point, voici notre position: nous pensons comme
l'Union Nationale ou comme le gouvernement. Nous n'avons pas d'objection
à ça du tout, mais je vous dis au départ qu'il y a des
obstacles considérables, que vous connaissez comme moi, et sur lesquels
il faudra que nous nous arrêtions en toute liberté et en toute
franchise.
Le chef du gouvernement, dans une déclaration qu'il faisait le 9
juin, lors de la première rencontre de la présente ronde de
pourparlers constitutionnels, a souligné trois éléments
sur lesquels le gouvernement actuel du Québec entendra insister au cours
des pourparlers: d'abord l'inscription, dans la future constitution, du droit
du Québec à l'autodétermination; deuxièmement
l'égalité des deux nations qui formeraient ce pays suivant la
thèse gouvernementale et, troisièmement, la reconnaissance que
l'on devra accorder au caractère particulier, distinctif ou
spécifique du Québec dans l'ensemble canadien.
Avec votre permission, et pour ne pas prendre trop de temps à ce
moment-ci, je réserverai mes observations sur chacun de ces trois points
pour le stade de nos discussions où nous aborderons le préambule.
Cela fait partie des priorités suggérées tantôt par
le ministre des Affaires intergouvernementales. Je m'en tiendrai, par
conséquent, à souligner que, sur chacun de ces trois points, nous
aurons des choses précises à communiquer à cette
Assemblée.
Huitième observation: J'ai lu avec beaucoup d'attention,
évidemment, et de respect les textes déposés par le
gouvernement du Québec à la table
des présentes conversations. Je félicite le gouvernement
et, en particulier, le ministre des Affaires intergouvernementales d'avoir,
dans cette ronde-ci, déposé des textes écrits, ce qui ne
m'avait pas semblé être le cas au cours de la ronde
précédente. En tout cas, si on en avait déposé, on
ne les a pas communiqués publiquement. Cette fois-ci, on a
déposé peut-être une douzaine de textes, je n'en ai pas
fait le compte. Nous en avons eu connaissance. J'aurais aimé qu'ils nous
fussent communiqués, à nous de l'Opposition, peut-être
à mesure; cela aurait été encore mieux parce que les
journalistes nous interrogeaient quand vous sortiez des réunions
à Vancouver ou à Toronto. C'était très difficile
pour nous d'exprimer des opinions, comme nous n'avions pas les textes qui
avaient été déposés sur la table. Ces jours-ci on a
corrigé tout ça. Je tiens à souligner cependant que
certains textes n'ont été portés à notre
connaissance qu'hier, en particulier le texte qui porte sur les droits
fondamentaux. Je n'avais pas connaissance qu'il avait été
communiqué; il n'était pas parmi ceux qui m'avaient
été transmis il y a quelques jours. Mais, de toute
manière, j'apprécie l'effort qui a été fait par le
gouvernement pour nous tenir informés et je pense que la ligne qui a
été suivie de ce côté en est une très
défendable.
A lire tous ces textes, cependant, j'ai l'impression qu'en filigrane on
retrouve beaucoup d'oppositions fondamentales entre les deux conceptions qui se
sont affrontées à l'occasion du référendum. Je ne
mets pas en doute les intentions du gouvernement. J'ai évoqué
tantôt mon malaise structural qui est évident. Ce n'est pas
facile, quand on a comme conviction profonde l'option souverainiste, de changer
de chapeau ou de vêtement et de dire: On s'en va à une
conférence et là, on participe loyalement à la
reconstruction d'un régime fédéral canadien. (11 h 15)
J'ai l'impression qu'en filigrane dans plusieurs documents on retrouve
la vision confédéralisante des choses qui a été
mise de l'avant, en particulier, par notre distingué secrétaire
dans un volume que j'ai lu avec intérêt et qui a été
mise de l'avant évidemment par le gouvernement actuel à
l'occasion du référendum, qui a été rejetée
par la population. Je vous donne seulement un exemple: le texte sur les
richesses naturelles. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Je pense qu'un
gouvernement qui aurait eu un oui au référendum aurait pu
défendre à peu près le même texte à une
conférence sur la souveraineté-association, cela n'aurait pas
changé grand-chose. Je ne pense pas qu'un pays pourrait fonctionner si
on devait marcher sur la base d'un texte aussi rigidement conçu que
celui-là. Mais nous en discuterons quand nous arriverons à cet
article dont je crois constater que vous ne l'avez pas inscrit dans vos
priorités d'ailleurs.
M. Morin (Louis-Hébert): On en reparlera.
M. Ryan: C'est un thème absolument fondamental que nous
aimerions beaucoup discuter ici.
De l'autre côté, une vision franchement
fédéraliste, dont je vous donnerai les articulations essentielles
tantôt en conclusion; je crois qu'on retrouve cela, c'est
inévitable. C'est à nous de le déceler, c'est à
nous de l'indiquer et c'est à vous, le gouvernement, vu le verdict rendu
par le peuple le 20 mai dernier, d'essayer de redresser vos voies de
manière que ce soit plus conforme à la volonté
populaire.
J'ai entendu souvent, du côté du gouvernement, un argument
facile qui dit: Nous sommes bien placés; comme nous voulons le plus,
nous sommes mieux placés pour exiger ou obtenir le moins. C'est une
perspective très sophiste. C'est un sophisme de mauvais goût qui
est agréable à entendre cependant, mais qui ne trompe personne.
Ce sont deux conceptions fondamentalement différentes. On n'aurait pas
eu de référendum si cela avait été seulement une
question de plus ou de moins. Le référendum a porté sur la
nature même du régime politique que nous voulons. Ce n'est pas en
voulant l'indépendance qu'on est mieux placé pour construire un
véritable régime fédéral, surtout suivant les deux
volets que j'ai indiqués. J'aime beaucoup la manière humoristique
dont le sophisme est présenté. Je vous préviens qu'il n'a
aucune espèce d'atteinte sur mon esprit.
Autre point: impression générale sur les travaux qui ont
été accomplis en juin et juillet. J'ai entendu avec beaucoup
d'intérêt les opinions qui nous ont été
communiquées tantôt par le ministre des Affaires
intergouvernementales, qui a évidemment sur nous l'avantage d'avoir
été présent à toutes les phases des discussions et
dont nous devons a priori accepter le témoignage. Je dois rendre au
ministre un témoignage. Je l'ai critiqué souvent dans le
passé, avec raison, je pense bien...
M. Morin (Louis-Hébert): Cela dépend.
M. Ryan: ... quand il ne voulait pas nous donner les documents.
Quand il nous les donne, on le félicite. Je dois dire que j'ai vu le
résumé que vous nous avez donné des différentes
étapes de la révision constitutionnelle au cours des
dernières années et, sauf quelques lignes ici ou là dont
je discuterais l'interprétation, dans l'ensemble, je trouve que c'est un
résumé honnête et très utile, que je ne remettrai
pas en question, à savoir celui que vous avez distribué ces jours
derniers. Je crois, sur la base de renseignements qui me sont parvenus d'autres
sources parce que la liberté de communication existe toujours
dans ce pays, d'une province à l'autre que le
résumé des faits que vous avez donné à la fois dans
les documents que vous nous avez remis que dans ce que vous avez dit ce matin
est exact également. Je n'aurai pas de procès d'intention
à instituer de ce côté; je m'en félicite d'ailleurs.
Je pense que cela forme déjà une base de travail très
intéressante.
Quant à mon impression sur les travaux de juin et juillet, de
manière générale, en ce qui touche le préambule, je
voudrais dire tout de suite ceci, ce que j'ai dit à quelques reprises
depuis le
début des pourparlers, que je voudrais exprimer de manière
encore plus claire si c'est possible. Ce qui est essentiel, à ce
stade-ci du travail, c'est que les gouvernements, appuyés par leur
Législature ou Parlement respectif, s'entendent sur les objectifs
fondamentaux de la réforme et des principes directeurs dont elle devra
s'inspirer. La question du préambule, il me semble, pourrait être
abordée plus tard, quand on saura ce qu'on va mettre dans la
constitution, si jamais nous devons en avoir une. Quand nous aurons fait des
accords précis sur le partage des pouvoirs et la structuration des
institutions fédérales, en particulier, il sera beaucoup plus
facile de rédiger un préambule d'une ou de deux pages qui
résumera tout l'essentiel de l'oeuvre accomplie.
Il me semble qu'à ce stade-ci ce qui serait beaucoup plus
important, ce serait que les gouvernements s'entendent sur un certain nombre de
principes directeurs, d'objectifs fondamentaux à la lumière
desquels on poursuivra le travail. Je veux vous dire que nous sommes
intéressés à collaborer à la préparation
d'un tel document. Je vous dirai tantôt comment nous le concevons de
notre côté. Il me semble qu'il y aurait des possibilités
d'accords en ce qui touche les points particuliers, sur des sujets comme la
péréquation, le droit de la famille, en ce qui touche mon parti
sur les droits fondamentaux et les droits linguistiques. Il y aurait
sûrement des possibilités d'accords.
J'ai été étonné de constater tantôt
que le ministre des Affaires intergouvernementales n'a pas inscrit la Cour
suprême parmi les sujets prioritaires. J'avais cru comprendre que c'est
l'un des sujets sur lesquels on aurait fait des progrès importants.
J'aimerais suggérer que vous l'ajoutiez à votre liste de sujets
prioritaires. Il me semble que ce sont des sujets sur lesquels il y a des
possibilités en tout cas d'exploration constructive d'ici la rencontre
du 9 septembre.
Les sujets reliés au partage des pouvoirs me semblent beaucoup
plus problématiques. Le partage des pouvoirs économiques a
été abordé explicitement pour la première fois au
cours de la ronde de juillet. Il est évident que les documents
déposés à la table par le gouvernement
fédéral, y compris au premier chef les projets d'amendements
concernant 91.2, la clause constitutionnelle donnant au Parlement
fédéral la compétence en matière de commerce, et
121, la clause constitutionnelle régissant la libre circulation des
marchandises, ne sont pas acceptables dans leur formulation actuelle. Je ne
crois pas qu'il suffise de dire qu'ils ne sont pas acceptables.
Nous autres, de notre côté, nous considérons qu'ils
évoquent des problèmes réels attenant au fonctionnement
actuel de la fédération canadienne et que le moins que nous
pourrions faire ensemble serait d'examiner si des possibilités
d'amélioration peuvent être trouvées de ce
côté-là. Je vous signale à ce sujet que nous, du
Parti libéral du Québec, voyons d'un oeil très sympathique
les passages que le rapport de la commission Pepin-Robarts consacrait à
cette question. La commission Pepin-Robarts a fait des suggestions qui
étaient à mon point de vue, inspirées du bon sens le plus
élémentaire. Avant de me lancer dans une guerre de mots contre le
gouvernement fédéral, j'aimerais demander au gouvernement actuel
du Québec s'il serait intéressé à discuter de cette
question à partir des passages contenus dans les pages 64 et 65 du
rapport Pepin-Robarts.
En ce qui touche les richesses naturelles, j'ai indiqué
tantôt que nous serions très intéressés à des
échanges de vues francs et loyaux avec le gouvernement à ce
sujet. Il y a le sujet des communications également sur lequel, à
mon regret, on ne semble pas avoir fait de progrès véritable. Je
pense qu'il y aura lieu d'y revenir pour voir dans quelle mesure il y a
certains éléments d'accords qui peuvent être trouvés
entre nos partis respectifs. Je ne pense pas que ce soit une question à
partir de laquelle nous sommes exactement à zéro.
Dernière observation à caractère
général, M. le Président: Je voudrais rappeler, en
terminant cette partie de mon exposé, comment nous concevons, pour notre
part, les objectifs et les grands principes qui devraient guider le
fonctionnement de la fédération canadienne dans l'avenir. Nous
avons déjà exposé ces principes et objectifs dans des
résolutions adoptées lors du congrès général
de notre parti qui traitait de l'orientation constitutionnelle du Parti
libéral du Québec et d'un conseil général qui a
suivi. Je vais les rappeler brièvement parce que je veux absolument
qu'ils fassent partie du dossier explicite de cette rencontre historique que
nous avons aujourd'hui et demain. "La réforme constitutionnelle assurera
la primauté juridique des droits et libertés fondamentaux de la
personne dans le système politique canadien. Ces droits et
libertés seront garantis dans la constitution elle-même. "La
nouvelle constitution affirmera l'égalité foncière des
deux peuples fondateurs et des deux communautés linguistiques qui ont
donné et donnent encore à ce pays sa place originale dans la
famille des peuples. Cette dualité foncière se réalisera
par la proclamation dans la constitution de certains droits linguistiques
fondamentaux qui devront être assurés également aux
francophones et aux anglophones à travers tout le pays par l'affirmation
du caractère bilingue des institutions fédérales et par
l'octroi au Québec des garanties propres à faciliter la
protection et l'affirmation de sa personnalité distincte. Ces garanties
ne devront pas se confiner étroitement au seul champ de la politique
culturelle. Elles ne devront pas, par contre, contredire le principe suivant
lequel tous les partenaires doivent être fondamentalement égaux au
sein de la Confédération. "La constitution reconnaîtra les
droits fondamentaux des peuples qui ont été les premiers
habitants de ce pays. Elle affirmera la richesse des patrimoines culturels
régionaux et la volonté du pays de les préserver et de les
développer. Elle affirmera la richesse de l'apport culturel,
économique et social fourni par les groupes ethniques. Elle affirmera le
droit de ceux-ci à la préservation et à
l'épanouissement de leur héritage propre, ainsi
qu'à une pleine participation à la vie et aux institutions
publiques. "La constitution visera à assurer l'égalité des
chances pour les individus, les provinces et les régions dans
l'accès au développement économique et culturel. La
constitution maintiendra au Canada un système fédéral de
gouvernement dont l'esprit tient à la solidarité, au partage de
valeurs communes, à la collaboration, au souci d'assurer la
liberté de la personne, au respect de la diversité, à la
recherche de l'équilibre, à la volonté de rapprocher les
services publics des citoyens et dont les éléments principaux
sont, d'abord: a) l'existence de deux ordres de gouvernement, chacun
étant souverain dans son ordre de compétences et tous deux tirant
leur légitimité et leur autorité du suffrage direct et
universel; b) une union économique permettant la libre circulation des
personnes, des biens et des capitaux à travers tout le territoire; c) un
système de lois garantissant l'égalité fondamentale des
personnes entre elles et devant les corps publics; d) un système
d'arbitrage des litiges constitutionnels accepté de tous les partenaires
et qui tienne compte de la dualité fondamentale de la population et du
caractère particulier du Québec au regard des institutions
juridiques; e) la mise en place de mécanismes intergouvernementaux
permettant d'aménager la collaboration et la participation des provinces
au gouvernement de la fédération; f) l'existence
d'éléments symboliques avec lesquels tous les citoyens de toutes
les régions et de toute origine ethnique pourront véritablement
s'identifier, tels le chef d'Etat, le drapeau, l'hymne national et les noms
d'organismes gouvernementaux. "La constitution assurera de plus l'existence de
gouvernements provinciaux qui soient, sur leur territoire respectif, les
premiers responsables du développement de leurs ressources physiques et
humaines. Le Québec aura, en particulier, les attributions
nécessaires à la protection et à l'épanouissement
de son patrimoine culturel français. Les fonctions majeures de ces
gouvernements provinciaux comprendront toutes celles qui ne sont pas
incompatibles avec la préservation d'un marché commun canadien et
toutes celles qui sont essentielles à la préservation des
caractéristiques propres de leur population et de leur territoire; plus
particulièrement, les provinces s'occuperont de la prise en charge des
ressources naturelles, de l'aménagement du territoire, du commerce local
et provincial, du développement économique à
l'intérieur de la province, de l'éducation, de la culture, des
services sociaux et sanitaires, de l'administration de la justice, des
régimes d'assurance sociale y compris le prolongement international de
ces compétences sous réserve de certaines compétences
fédérales précisées. "La constitution assurera en
outre l'existence continue d'un pouvoir central capable de faire face aux
défis nouveaux, tant au plan interne qu'au plan externe. Les
tâches majeures de ce gouvernement seront celles de gérer l'espace
économique commun, d'assurer la bonne marche de politiques nationales
dans le domaine de l'industrie et du commerce, d'assurer une redistribution
raisonnable de la richesse entre les provinces et entre les individus et d'agir
au nom de tout le pays dans les affaires reliées à la poursuite
de la paix et à la défense du territoire. "La constitution
établira enfin un partage clair et exhaustif des responsabilités
législatives et fiscales entre les deux ordres du gouvernement. Elle
éliminera la subordination d'un palier de gouvernement à un
autre. Elle encadrera les pouvoirs fédéraux
généraux qui se prêtent aux interventions dans des
matières de compétence provinciale. Le partage des pouvoirs entre
les deux paliers de gouvernement sera fondé sur le double principe de
l'égalité et de la souveraineté de chaque ordre de
gouvernement dans son champ de compétences."
Avant de terminer, je voudrais faire quelques observations sur le
processus de la révision constitutionnelle. Il me semble que cela fera
suite à certaines observations que nous avons entendues tout à
l'heure de la part du ministre des Affaires intergouvernementales. J'ai cinq ou
six observations à faire ici, M. le Président, et je vais les
formuler de la manière la plus concise possible.
D'abord, il nous semble qu'il faut aborder la réforme avec un
sens certain de l'urgente gravité de l'entreprise, mais sans esprit de
précipitation. La réforme sera inévitablement une oeuvre
de longue haleine. Je l'ai dit souvent depuis le tout début de cette
nouvelle ronde de négociations et j'ai entendu le ministre des Affaires
intergouvernementales parler dans le même sens ce matin. Je crois que la
réforme ne pourra progresser, quoi qu'il en soit, que dans la mesure
où il y aura un consensus véritable entre les gouvernements
intéressés. Il n'est pas question, par conséquent, de
faire des transactions à la petite semaine ou des concessions pour faire
plaisir à qui que ce soit. Pas de progrès possible sans qu'il y
ait consensus véritable entre les gouvernements
intéressés.
Deuxièmement, nous avons soutenu pendant longtemps au
Québec qu'il fallait que tout soit consommé, que tout ait
été arrêté et convenu pour qu'il soit question
d'opération comme l'adoption d'une formule d'amendement ou encore le
rapatriement de la constitution. (11 h 30)
II n'est pas nécessaire, à mon point de vue, de tout
geler, de tout immobiliser jusqu'au terme absolu de l'opération; sans
quoi, on s'exposerait à des nouvelles frustrations. Moi, j'essaie de
comprendre les deux points de vue dans cette discussion. J'ai entendu le point
de vue qui a été exprimé également par le
gouvernement fédéral et il me semble qu'étant donné
la nature de notre régime nous devons accepter un fait. Si des accords
surviennent sur un nombre suffisant de sujets, que cela vaille la peine de
parler d'accords... Si on s'entend sur une déclaration sur la
péréquation, je
pense que cela ne change pas grand-chose à l'ordre qui existe
actuellement et ce n'est pas moi qui partirai en peur pour aller faire un
pèlerinage où que ce soit seulement pour enchâsser un texte
comme celui-là dans une constitution. A supposer que nous pourrions en
venir à ua accord sur un nombre intéressant de questions, il me
semble que nous devons accepter qu'il y aurait un risque, si nous
n'incorporions pas ces accords dans le texte de la constitution, avec tous les
changements de gouvernement qui surviennent sans cesse et un fonctionnement
concret, quotidien du régime fédéral, que ces accords
soient remis en question six mois ou un an après et qu'on soit toujours
à recommencer à partir de zéro comme si jamais rien
n'avait été fait auparavant. C'est un des éléments
qui inspirent la position du gouvernement libéral et moi je suis
disposé, je vous le dis franchement, à l'examiner loyalement.
Maintenant, en ce qui touche l'objectif de la réforme globale et
en profondeur, notre position demeure exactement la même. Nous pensons
que nous n'aurons vraiment un document constitutionnel satisfaisant pour le
Québec et le Canada que lorsque nous aurons un document
complètement refait. Maintenant, il peut arriver que cela nous prenne
trois ans, quatre ans ou cinq ans; il n'y a personne qui peut dire avec
certitude que cela peut se faire dans six mois. Il n'y a personne surtout qui
devrait avoir assez de culot pour dire que, si ce n'est pas fait dans six mois,
ce sera un échec définitif, qu'il faudra fermer la page et passer
à autre chose. Ce n'est pas comme cela qu'évoluent les grands
pays, qu'évoluent des régimes aussi complexes que celui qui nous
gouverne.
En ce qui touche le cheminement proposé par le premier ministre
fédéral, c'est-à-dire la distinction qu'a
évoquée tantôt le ministre des Affaires
intergouvernementales entre ce qu'on appelle le "people's package" et le
"package" qui regarderait plutôt les gouvernements, je pense que nous
sommes d'accord assez facilement pour considérer que cela procède
d'une distinction plutôt artificielle. Il est difficile de dire si ceci
regarde uniquement les gouvernements ou si ceci regarde uniquement les
citoyens. Les gouvernements existent pour les citoyens par la volonté
des citoyens. Les citoyens ne peuvent pas être libres et ne peuvent pas
être prospères s'il n'y a pas de gouvernements pour favoriser
l'éclosion des libertés et le développement de la
prospérité. Je comprendrais que nous ne nous laissions pas
emprisonner rigidement dans ces catégories logiques, qui sont
attrayantes à première vue, mais dont le contenu, quand on les
examine avec un oeil critique, résiste peut-être un peu moins
facilement à l'examen. Là-dessus, beaucoup de souplesse de notre
part. Il y a douze sujets à l'ordre du jour. Nous les prendrons l'un
après l'autre et sur chacun, nous vous donnerons des opinions franches
et loyables.
Troisième élément du processus de la
révision: il me semble qu'il faudrait qu'une règle de
décision soit clairement définie et acceptée au
départ des travaux. Là, on est un peu comme un patineur qui s'en
va sur la glace sans savoir où il se destine, sans savoir comment cela
va finir et quelle sorte d'arbitrage interviendra à un stade d'ailleurs
indéfini des procédures. Il me semble que, si on transige entre
gouvernements adultes, il faudrait qu'au départ on s'entende sur une
règle de décision qui pourrait être l'une ou l'autre des
deux suivantes: soit l'unanimité des gouvernements, soit encore une
formule d'amendement à laquelle on pourrait consentir moralement et
qu'on mettrait à l'essai pour les fins de cet exercice de discussion
constitutionnelle sans que cela engage les gouvernements pour la suite. Ce sont
des choses qui pourraient être discutées.
Il me semble qu'on ne peut pas s'en aller dans le vague à
l'âme comme actuellement avec, suspendu au-dessus de nos têtes, un
danger dont je vais parler tout de suite, et j'en viens au quatrième
point: la question du rapatriement. Je répète ce matin ce que
j'ai affirmé à maintes reprises, qu'il serait peu
désirable et même regrettable et inacceptable que le gouvernement
fédéral veuille procéder au rapatriement de la
constitution de manière unilatérale. D'abord, nous convenons tous
qu'il est impossible de rapatrier la constitution sans assortir
l'opération d'un mode d'amendement de la constitution.
A ce que nous croyons comprendre d'après des documents qui ont
été publiés ces dernières années, il n'y a
rien eu de clair de la part du gouvernement fédéral, au cours des
dernières semaines, là-dessus. Le dernier projet qu'on avait,
c'est celui qui était compris dans le projet de loi sur les
référendums. Vous me corrigerez, M. le ministre, si j'erre
là-dessus. J'en reviens à mon point principal: Si
on rapatrie, on serait enclin à définir, du même coup,
qu'au moins pour une période temporaire, la règle d'amendement
sera la règle de l'unanimité de tout le monde.
Ici, la règle serait imposée unilatéralement par
celui qui procéderait au rapatriement. On a cherché, depuis
quarante ans, à trouver un accord entre les deux ordres de gouvernement
sur une formule d'amendement. On est assez près, je crois, d'en trouver
une; je ne pense pas que les différences étaient absolument
fondamentales. Il me semble qu'en cherchant encore on est assez proche d'une
solution. Ce n'est pas le moment, à mon point de vue, pour un ordre de
gouvernement, surtout le gouvernement fédéral qui doit être
exemplaire en matière de respect non seulement de la lettre de la
constitution, mais de toutes les procédures afférentes à
l'esprit fédéral, d'envisager une telle démarche.
Cela dit, notre position serait la suivante: le rapatriement et la
formule d'amendement pourraient intervenir au moment et suivant les
modalités jugées convenables par les divers gouvernements
concernés. Si les gouvernements, voyant que les choses fonctionnent bien
et progressent sérieusement, devaient estimer, à un certain stade
des procédures, que ça pourrait être une bonne chose de
procéder à l'adoption d'une formule d'amendement et, ensuite ou
simultanément, au rapatriement de la constitution, je pense que c'est
une perspective qu'on ne devrait pas exclure.
J'ose espérer que, de la part du gouvernement actuel, il y aura
une certaine ouverture de ce côté, parce qu'encore une fois "la
lettre tue et l'esprit vivifie".
Autre observation sur la publicité. On a parlé
tantôt du programme de publicité mis de l'avant ou annoncé
par le gouvernement fédéral en vue de la conférence ou
autour de la conférence constitutionnelle de septembre. Je voudrais
rappeler brièvement la philosophie que j'ai exposée à
l'Assemblée nationale, à plusieurs reprises, sur cette question,
autant à l'intention du gouvernement actuel, qui est loin d'avoir
été exempt de tout péché en ce domaine, que des
autres gouvernements, mais tout en étant conscient que ma
responsabilité première est en tant que législateur
faisant partie de l'Assemblée nationale du Québec.
Il me semble que les programmes d'information mis en oeuvre par les
gouvernements devraient porter strictement sur des fins d'information objective
des citoyens ou sur des fins de caractère utile dans des matières
comme le commerce, la santé, la sécurité du public, la
conservation de l'énergie elle peut faire partie de ce genre de
fins qu'un gouvernement peut vouloir promouvoir à l'aide de programmes
d'information bien faits la sécurité routière, etc.
Je pense que, quand on entre dans les grandes questions de politique
constitutionnelle, il appartient à chaque formation politique de faire
son lit, d'assumer ses responsabilités et, surtout, d'éviter de
donner l'impression qu'elle se sert des fonds publics pour servir ou mettre de
l'avant une conception aux dépens de l'autre.
En ce qui touche le programme précis mis de l'avant par le
gouvernement fédéral, il me semble que la responsabilité
première d'en faire la critique incombe aux partis
fédéraux dont c'est la fonction de faire le travail d'opposition,
comme nous le faisons dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. Je pense
que les principes que j'ai énoncés de ce côté sont
parfaitement clairs pour toute personne qui est capable de comprendre l'A B C
d'une déclaration simple.
Au sujet de nos travaux je termine là-dessus, M. le
Président j'ai mentionné tantôt qu'il y a quelques
sujets que je voudrais voir ajouter à la liste des sujets prioritaires.
J'ai parlé de la Cour suprême, j'ai parlé des richesses
naturelles; je crois comprendre que, dans la déclaration des droits,
vous incluez les droits linguistiques. Je termine là-dessus et
j'espère que les travaux de la commission pourront se poursuivre dans un
esprit constructif.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
M. le chef de l'Union Nationale.
M. Michel Le Moignan
M. Le Moignan: Merci, M. le Président. Tout le monde s'en
souvient très bien, le 20 mai au soir, le résultat du
référendum étant connu, ici même à
Québec, face à l'enthousiasme délirant et je
comprends très bien les partians du non qui célé- braient
une grande victoire j'avais dit que le problème constitutionnel
n'était pas résolu pour autant, mais que, au contraire, dans les
semaines et les mois à venir, non seulement le gouvernement, mais aussi
les partis d'Opposition auraient à se rencontrer. J'avais émis le
voeu, à ce moment-là, qu'une commission parlementaire puisse se
réunir dès cet été. D'ailleurs, je suis revenu
à la charge à l'Assemblée nationale et même en
commission parlementaire et je suis bien content de voir que nous sommes
réunis ce matin, au-delà peut-être de nos divergences, de
tout ce qui peut nous séparer sur le terrain politique. Je pense que,
des fois, il y a des moments dans la vie où il est peut-être bon
d'oublier un peu ces choses-là. Comme le leader de l'Opposition
officielle l'a mentionné tout à l'heure, en bonne
démocratie, il faut que des thèses différentes
s'affrontent, c'est tout à fait normal, c'est tout à fait
logique. Mais il reste que parfois, aussi, il faut essayer, dans le moment
présent, comme Québécois, de nous réunir autour
d'une même table et d'essayer de mettre en commun surtout ce qui peut
nous unir.
Je sais qu'au point de vue constitutionnel, puisque c'est un
élément qui nous tient tous à coeur et, d'ailleurs,
c'est ce qui va déterminer l'ensemble de tout le processus, les douze
points ou les autres points qu'on pourra ajouter il faut partir du
début, il faut partir de la base. On sait très bien que l'Union
Nationale a toujours conçu la révision constitutionnelle comme
une oeuvre globale et elle a constamment refusé que le Québec
engage des discussions en pièces détachées. Autrement dit,
on a toujours été contre le rapiéçage; ça
remonte à Daniel Johnson qui avait, à ce moment-là, cette
vision globale.
Evidemment, c'est bien difficile de ne pas le mentionner étant
donné que nous sommes des partis d'Opposition face à un parti qui
a une vision tout à fait différente de la nôtre de l'avenir
du Québec et de l'avenir du Canada. S'il y a deux conceptions qui se
font face dans le moment, s'il y a deux visions du Canada, s'il y a deux
méthodes d'administrer ce pays, il reste un point, c'est que, pour nous
et nous l'avons prôné assez longtemps le
fédéralisme demeurait encore, à notre point de vue, le
meilleur outil pour réaliser ici l'harmonie et l'entente entre les deux
communautés culturelles et linguistiques qui ont contribué
à bâtir le Canada.
On sait très bien qu'il y a deux ordres de gouvernement et ce que
nous voudrions peut-être dire au départ j'aurai l'occasion
d'ailleurs d'en parler au cours de l'étude des différents points
que le ministre nous a soumis c'est que dans les deux ordres de
gouvernement que nous voulons accepter, à condition que chacun aussi
soit souverain dans sa sphère de juridiction, nous allons parler du
partage des pouvoirs. On a mentionné tout à l'heure la
possibilité aussi d'éliminer les chevauchements de juridiction;
il reste qu'il va falloir s'entendre sur les pouvoirs résiduai-res, ceux
qui sont dévolus strictement au gouvernement fédéral et
ceux qui, normalement, devraient revenir aux provinces.
En sommes, je pense qu'il y a beaucoup de points là et si nous
pouvons nous entendre avec la proposition du ministre... D'ailleurs, nous
avions, nous aussi, une motion que je n'ai pas l'intention de déposer,
mais qui rejoignait aussi des priorités sur lesquelles nous aurions
aimé nous entendre avec tous les membres qui sont ici. Nous avions, en
premier lieu, cette déclaration de principes que je considère
comme essentielle si on veut aborder l'aspect global avant d'entrer dans chacun
des douze points qui ont chacun leur importance. D'ailleurs, on sait que les
douze points ont été soumis par le gouvernement du Canada et
j'avais prévenu le ministre, en commission parlementaire, au
début du mois de juin, de cette campagne de publicité sur
laquelle je voudrais revenir tout à l'heure et aussi peut-être sur
les points que le gouvernement fédéral devrait nous soumettre
sans tenir compte de la position des provinces.
J'avais aussi demandé au ministre, à l'Assemblée
nationale, que le Québec assume son rôle de leadership comme il
l'avait fait dans le passé, que le Québec arrive là-bas
aussi avec des propositions concrètes. Je sais qu'à ce
moment-là on nous disait que la balle était dans le camp du
fédéral. Alors, aujourd'hui, peut-être qu'on réalise
aussi que la balle est dans le camp des provinces et que, d'ici au 12
septembre, les provinces, et surtout le Québec, auront à oeuvrer
de façon ferme si on veut vraiment que le Québec puisse faire
entendre sa voix. (11 h 45)
Quand nous avons demandé cette commission parlementaire, quand
nous avons parlé d'un consensus, je pense qu'on le trouve dans le mandat
de la commission ce matin, c'est pour avoir une position commune sur des points
qui nous sont essentiels si on veut vraiment que le Québec se rende
à la table des négociations avec cette certitude que le reste du
Canada va nous écouter. Si on ne s'entend pas, nous, à cette
commission... Je ne parle pas des points de l'Union Natioanle; à
Montréal, samedi dernier, à une conférence de presse, j'ai
soumis neuf points. Cela pourrait être sept, ça pourrait
être douze, ça pourrait être vingt-deux. Le Parti
libéral a des points à soumettre. Le gouvernement a
peut-être d'autres points également et, évidemment, il ne
s'agit pas de faire l'entente. Mais il faudrait que, sur des points essentiels,
comme la déclaration de principes, le rapatriement et la formule
d'amendement, la charte des droits, les pouvoirs qui touchent
l'économie, nous ayons ces quatre points, nous aussi, en
priorité. Le ministre ajoutait ce matin la péréquation,
mais nous l'avions au no 9. Ce n'est pas tellement grave, parce que nous avions
les richesses naturelles en cinquième lieu.
Mais, tout de même, quand nous aurons déblayé le
terrain et si nous faisons l'accord au moins sur certains grands principes,
j'ai bien l'impression que ceci va prendre une partie de la journée.
Ensuite, ayant examiné ces points au départ, en cours de route,
j'espère que nous aurons aussi le temps d'aborder les différents
points pour que le ministre puisse faire des suggestions à Ottawa qui
sont nécessairement d'ordre pratique, car il est tout à fait
indispensable que la voix du Québec se fasse entendre dans ce
domaine.
C'est le but qui a guidé l'Union Nationale en demandant la
commission parlementaire. Nous nous sommes dit: II doit y avoir un moyen, entre
parlementaires, de nous entendre sur le genre de Québec et sur le genre
de Canada que l'on aimerait bâtir ensemble. C'est pour ça que je
disais tout à l'heure qu'il faut avoir un accord sur l'essentiel. Il
faut tout de même qu'on s'entende sur cette vision globale du Canada.
C'est pour ça que le ministre a mentionné sa maison. On ne
parlera pas de tapisserie, des couleurs du tapis, du genre de fenêtres,
mais je pense qu'avant de regarder la dimension des appartements il faut
regarder l'essentiel qui est la solidité des fondations. On ne peut pas
construire, comme on le dit dans l'évangile, une maison sur le sable. Si
on construit sur le sable... Mais, si on a des fondations solides, si on
s'entend sur des principes de base, je crois que ce sera plus facile et pour
nous ici, aujourd'hui et demain, et pour les premiers ministres à Ottawa
ou ailleurs, de peut-être s'entendre aussi sur les autres aspects
je ne dis pas qu'ils ne sont pas importants qui découlent tout de
même ou qui se rattachent aux quatre grands principes qui ont
été énumérés tout à l'heure.
On a lu tellement d'articles depuis les derniers mois, les
dernières semaines. C'est en même temps l'opinion d'un
politicologue bien connu, Léon Dion, qui affirme: "II faut admettre que
la déclaration de principes montre bien, en effet, qu'avant de s'engager
dans des discussions détaillées relatives aux institutions
centrales ou à la séparation des pouvoirs il va falloir
procéder à de nombreuses clarifications quant aux objectifs
fondamentaux de la refonte constitutionnelle et aux concepts de base." Je crois
que, si on passe à côté de cela, ce n'est pas beaucoup
utile d'aller discuter de la Cour suprême ou des ressources au large des
côtes ou encore des droits de la famille, si les premiers points sont
escamotés.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, si on conçoit, nous, la
révision constitutionnelle comme une oeuvre globale, c'est dans une
tradition politique qui remonte déjà à quinze ans. On
remonte déjà à Daniel Johnson. Il suffit de relire ses
textes et de voir ensuite comment, depuis ce temps-là, les gouvernements
ont essayé d'influencer Ottawa. On sait qu'il y a eu beaucoup de
déclarations de principes. Mais il n'y a peut-être pas eu assez,
par exemple, de suggestions concrètes et de suggestions pratiques. C'est
peut-être pour ça qu'on a tellement tourné en rond. Le
fédéral n'a jamais tenu tellement compte des suggestions des
provinces. Mais le moment est peut-être venu où, pour une fois, le
fédéral devrait tenir compte non seulement des suggestions du
Québec, mais, comme on l'a vu tout à l'heure dans un
résumé, dans le magnifique travail qui nous a été
déposé, des positions relatives des autres provinces qui souvent
font corps, font l'unanimité avec Québec sur des points qui nous
sont chers, des points pour lesquels notre formation politique lutte
déjà depuis presque l'époque de Maurice Duplessis.
Je sais très bien que si, aujourd'hui, plusieurs formations
politiques sont réunies, c'est que dans nos programmes on a souvent des
points en commun. Souvent, il y a la terminologie qui peut différer. Ce
qui nous sépare aussi d'Ottawa, c'est quand on parle de nation, de
peuple, de collectivité, de communauté et d'ethnie. Ce sont des
points qui risquent d'ouvrir la porte souvent à de longues discussions
qui, en somme, n'aboutissent pas à grand-chose de concret et qui sont
peut-être pour nous une occasion de perte de temps. Mais il y a un point,
je pense, sur lequel l'Union Nationale a insisté. Nous parlons de deux
peuples fondateurs; d'autres groupes parlent de deux communautés
nationales distinctes. En somme, on sait ce qu'on veut. On sait qu'on est
d'accord. On sait aussi qu'il y a au Canada deux peuples fondateurs et tout le
processus de la révision constitutionnelle doit faire en sorte que le
Québec puisse sortir de ces discussions avec cette conviction que nos
droits, tout ce qui est sacré chez nous, tout ce qui est fondamental,
sont respectés sur toute l'échelle, sur toute la ligne.
Il serait bien important qu'on puisse aller au fond des choses, qu'on
essaie de dégager un consensus québécois qui colle un peu
à notre peau, à notre façon de vivre en terre
d'Amérique. Quand on parle de la possibilité d'une position
commune de l'Assemblée nationale du Québec, je pense que ce n'est
pas seulement un voeu pieux; c'est le mandat qui nous est confié ce
matin et c'est dans ce sens que nous aimerions pouvoir travailler aujourd'hui.
Il faut bien appeler les choses par leur nom. Il ne faut pas essayer de les
détourner, ces choses-là, et il ne faut pas non plus prendre nos
rêves pour des réalités. Il faut se dire que là-bas
il y a le Canada qui a sa vision. Il y a M. Trudeau qui a sa propre idée
de la constitution. Il y a d'autres provinces également qui ne vibrent
pas, qui n'ont pas les mêmes cordes sensibles que nous, qui vont
peut-être vouloir placer l'accent sur l'économie, sur
l'énergie et sur les transports, mais il reste qu'il y a beaucoup de
points où il semble qu'il y ait déjà un accord de principe
qui est presque établi. Je comprends très bien qu'on ait mis
à la fin de la liste quatre ou cinq points où l'unanimité
pourrait se faire de façon beaucoup plus facile que sur les points qui
ont été inscrits au début. C'est la raison pour laquelle
nous appuyons le gouvernement ici. Ces points-là sont nôtres
déjà depuis une quinzaine d'années et nous n'avons pas
l'intention de changer d'idée à ce moment-ci.
On a fait état des journaux en font état, on va
peut-être en parler en commission de la position du gouvernement.
Même quand le ministre nous dit que la crédibilité de son
gouvernement n'a pas été influencée et n'a pas
influencé son comportement avec nos partenaires à la table des
négociations, on sait très bien aussi que le gouvernement est
dans une situation peut-être un peu cocasse. Le gouvernement le sait. Il
est le premier à l'admettre. Personnellement, je n'insisterai pas
tellement sur le point de la légitimité. Après le
résultat du référendum, alors que 60% des
Québécois ont dit non à la souveraineté-
association, le gouvernement s'est engagé à livrer le combat pour
une nouvelle constitution canadienne. Je me dis alors que nous pouvons
très bien dire au gouvernement: Débrouillez-vous, arrangez-vous
avec vos problèmes. Vous avez voulu vous placer dans cette
situation.
Mais voici que tous les partis politiques sont ici ce matin pour oublier
la réponse référendaire, dans le sens que cela ne va pas
selon l'option fondamentale et première qui est le programme du Parti
québécois. Il reste tout de même que 60% des
Québécois ont manifesté leur intention et le
ministre l'a mentionné tout à l'heure que le non que nous
avons demandé aux Québécois, ce n'était pas un oui
au statu quo. A l'Union Nationale, le non a été
interprété comme un oui à une véritable
révision en profondeur de la constitution canadienne. Je l'ai
déclaré pendant le référendum et après coup,
mais il reste au fédéral à nous faire la preuve, il reste
au Québec également à faire la preuve que le non va
signifier un oui. Les prochains jours seront déterminants, les
prochaines semaines également.
Si déjà il y avait accord sur certains points, je crois
que le processus serait passablement bien engagé. De toute façon,
la population québécoise attend de voir se concrétiser le
verdict populaire qu'elle a rendu le 20 mai. Je n'insisterai pas sur
l'idée de la crédibilité du gouvernement, parce que je me
dis qu'aujourd'hui ce n'est pas cela qui est à l'ordre du jour, ce n'est
pas tellement de cela dont il faut discuter. Mais, suite au
référendum, il faudrait démontrer aux autres provinces
canadiennes que la révision constitutionnelle intéresse tous et
chacun des membres de l'Assemblée nationale et qu'au-delà de nos
différences politiques on voudrait qu'il y ait au moins un consensus.
Certains ont dit que c'était rêver en couleur, mais je suis
convaincu que, s'il y a un consensus sur trois, quatre, cinq ou six points, ce
sera déjà l'amorce d'un travail en profondeur qui pourra
certainement se continuer à Winnipeg au mois d'août et plus tard
lors de la réunion avec le premier ministre du Canada.
A ce moment historique du Québec, alors que les
Québécois se sont majoritairement prononcés en faveur d'un
nouveau fédéralisme, il nous apparaît à nous, de
l'Union Nationale, qu'il est important que nos partenaires canadiens puissent
réaliser quelle sorte de fédéralisme nous désirons
au Québec. Qu'on ne nous dise pas: Les Québécois arrivent
ici divisés, ils ne savent pas ce qu'ils veulent, ils ne sont pas
capables de s'entendre chez eux dans leur propre maison. Quand j'ai
parlé de peuple fondateur, qu'on l'appelle comme on voudra, si on a un
consensus, c'est un point de départ. On n'est pas juste "one Canada, one
nation". Il y a deux nations ici, l'histoire est là. Il y a des efforts
des Québécois, il y a aussi des francophones des autres provinces
qui luttent à nos côtés afin d'avoir une reconnaissance de
leur nationalité et de perpétuer le fait français dans
tout le Canada.
Quand on regarde les différents programmes politiques, comme je
le disais il y a quelques
instants, on peut se rejoindre sur beaucoup de points
indépendamment des petites virgules qui semblent parfois nous
séparer. Je l'ai dit, la liste que ious avons soumise, sur laquelle
j'aurai l'occasion de revenir cet après-midi, n'est pas exhaustive. Nous
avons mis un certain nombre de principes qui nous semblent fondamentaux et, en
même temps, ces principes, que j'aurai l'occasion
d'énumérer brièvement, rejoignent aussi d'autres
principes. Je voudrais que, en premier lieu, on ne s'éloigne pas d'une
déclaration de principes que j'ai déjà demandé au
ministre des Affaires intergouvernementales de nous déposer. Je compte
sur le ministre également pour revenir sur certains points fondamentaux
avant que nous passions, un peu comme on le fait pour un projet de loi,
à l'étude article par article.
Je voudrais qu'on regarde au moins le grand principe qui doit nous
unir.
Quand on parle d'une constitution, c'est la loi première, c'est
la loi fondamentale d'un pays. Quand on parlera de Cour suprême, de Cour
supérieure, quand on parlera de n'importe quoi, s'il y a trop de droits
et trop de pouvoirs qu'on va laisser inscrire ou si on laisse les juges se
convertir en législateurs, à ce moment-là ce sera
très difficile de modifier la constitution si, au départ
et j'insiste on ne s'entend pas sur cet énoncé de
principes et sur certains grands points qui feront que les juges n'auront pas
à se substituer aux législateurs.
Je saute ici certains aspects sur lesquels je voudrais revenir un peu
plus tard. D'ailleurs, le premier ministre du Canada, dans certaines de ses
déclarations non seulement dans sa lettre aux
Québécois modifie un peu sa position et revient sur
certains points, comme je pourrais le mentionner également. Encore une
fois, l'énoncé de principes, j'y tiens énormément.
Sur une déclaration... Je vais me retrouver dans ma paperasse, je pense
que cela va venir. Je la retrouverai plus tard, mes indications sont
imprécises.
Je répéterai que, quand nous voulons faire l'unité,
je pense qu'il ne faut pas attendre encore des mois et des mois, mais qu'il
faut commencer immédiatement puisqu'il y a des
échéanciers, il y a des dates à respecter. Ce que je
voulais dire, c'est que le premier ministre du Canada, suite à des
positions qui sont acceptées par les Québécois,
déclarait ceci, en février 1979: "Sur la philosophie de base nous
reconnaissons évidemment que la société
canadienne-française est une société distincte
culturellement, linguistiquement, de la société anglophone et il
est certain que cette dualité dont vous parlez, dont nous avons
parlé, dont parle la commission Pepin-Robarts doit être
respectée! A partir de là, il y a certains engagements qui ont
été contractés, même par le premier ministre du
Canada, et sur lesquels il faudra revenir. (12 heures)
On a mentionné tout à l'heure la question des
dépenses pour de la publicité de l'ordre de $6 000 000. Les
premiers ministres vont se réunir les 21 et 22 août. Je me demande
si les premiers ministres ne pourraient pas riposter à cette
publicité fédérale. Je pense que l'intention du
fédéral est de diviser les provinces. Il est difficile d'avoir
une réponse commune, un front commun de toutes les provinces pour
répondre à cette publicité qui est orchestrée
depuis déjà trois ou quatre mois, mais les premiers ministres
c'est un voeu, un souhait ou une suggestion que j'émets
pourraient peut-être s'entendre aussi et riposter à cette
publicité fédérale par une publicité où les
premiers ministres pourraient s'entendre. Autrement, si les premiers ministres
se divisent, ceci va affaiblir la position des premiers ministres et je crois
qu'il y a des points communs où les différentes provinces peuvent
s'entendre, tout en comprenant le jeu du fédéral à ce
moment-ci qui est de maintenir ses propres positions... Quand on sait que
depuis douze ans le fédéral n'a pas tellement
évolué dans la révision constitutionnelle, je crois que le
fédéral aimerait bien que les provinces ne s'entendent pas entre
elles et fassent des déclarations contradictoires. Ceci serait de nature
à affaiblir encore la position du Québec lors des réunions
de la semaine prochaine.
Pour le moment, M. le Président, je crois que je vais laisser la
parole à mon collègue de Rouyn-Noranda pour revenir de
façon un peu plus explicite cet après-midi sur les points que
nous allons aborder.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
M. le député de Rouyn-Noranda.
M. Camil Samson
M. Samson: Merci, M. le Président. Je considère
qu'avant de pouvoir aborder l'idée de consensus
généralisé les divers programmes et options doivent faire
l'objet de tests électoraux ou référendaires, car le
mandat de l'actuel gouvernement se termine, de façon usuelle en tout
cas, dans 90 jours, à moins que le gouvernement ne veuille absolument
s'accrocher au pouvoir et étirer le mandat plus longtemps.
De plus, l'actuel gouvernement, dont la raison d'être est surtout
l'indépendance ou la souveraineté ou la séparation ou la
souveraineté-association, selon les cas et les circonstances, s'est vu
dire non au référendum du 20 mai dernier et n'a pas, par le fait
même, reçu le mandat de la population de négocier une
nouvelle constitution canadienne dans le cadre d'un fédéralisme
ou n'a pas reçu, non plus, le mandat de négocier un
fédéralisme renouvelé ou appelons-le comme on le
voudra.
Ce gouvernement a encore moins reçu le mandat de tenter de
négocier indirectement la souveraineté-association, sous le
couvert d'une manifestation discutable de négocier de bonne foi une
chose à laquelle ni le gouvernement, ni le Parti québécois
ne croient. A preuve, le Parti québécois a maintes fois
réaffirmé, depuis le référendum, sa volonté
de conserver son option indépendantiste ou souverainiste; appelons
ça comme on voudra, mais pour moi ça veut dire la même
chose. Le Parti québécois, le gouvernement s'est
donc placé lui-même dans une situation de crise de
crédibilité qui n'est d'ailleurs pas la première. Nous
n'avons qu'à nous rappeler les déclarations du premier ministre
aux Etats-Unis, à savoir que l'indépendance du Québec est
irréversible et ensuite, ses autres déclarations à Paris,
à savoir qu'un nouveau pays apparaîtra bientôt sur la carte
géographique.
Pendant la même période, nous avions droit à des
exercices de haute voltige laissant plutôt supposer que la
souveraineté ne pourrait se concrétiser sans avoir
réalisé l'association au préalable et tantôt que la
souveraineté était l'ultime objectif, alors que l'association
devenait en quelque sorte un voeu pieux dont la décision ne
relève pas de nous, mais de partenaires hypothétiques et parfois
difficiles à identifier. Il faut bien se rappeler que le
référendum du 20 mai dernier ne portait pas sur une constitution
nouvelle ou à renouveler, mais bel et bien uniquement sur le projet de
séparation du gouvernement et du Parti québécois. La
réponse fut catégorique et 60% des électeurs ont dit non,
car le peuple du Québec veut demeurer à l'intérieur du
Canada en y conservant sa pleine citoyenneté, ainsi que les avantages
qui en découlent.
Bien sûr, les intervenants ont presque tous manifesté leur
désir de voir s'instaurer une constitution renouvelée qui tienne
compte des réalités des années quatre-vingt et
également dans le respect des deux peuples fondateurs du Canada, ainsi
que de tous ses citoyens. Cependant, une constitution vieille de 107 ans ne
peut, à mon avis, se changer à la satisfaction de tous en
l'espace de quelques semaines ou de quelques mois. De plus, il faut admettre
que, si les provinces ont le mandat de sauvegarder les droits qui leur sont
conférés par la constitution actuelle, en revanche, le
gouvernement fédéral, qui est élu, lui aussi, au suffrage
universel sur l'ensemble du territoire canadien, ce gouvernement
fédéral qui est élu depuis le mois de février
dernier seulement, qui est un gouvernement majoritaire, au point d'avoir fait
élire 74 des 75 députés fédéraux du
Québec, je pense, a aussi le mandat de sauvegarder l'unité du
Canada. Nous devons admettre que ce gouvernement a encore trois ans et demi
à écouler dans son présent mandat.
En conséquence, je considère que le seul gouvernement dont
la principale raison d'être est la souveraineté-association, le
seul gouvernement existant au Canada, dans de telles circonstances, est le
gouvernement du Parti québécois. Ce dernier, à mon avis,
n'a plus la légitimité nécessaire pour représenter
les Québécois dans des négociations constitutionnelles,
compte tenu du maintien par lui de son option séparatiste et surtout du
fait que son mandat est terminé, à toutes fins pratiques. On me
dira qu'il y a eu d'autres déclarations qui disent que le gouvernement
est prêt à mettre son option en veilleuse surtout à la
veille d'élections. Je pense qu'il y a une déclaration qui a
été faite hier à ce sujet.
Pas plus tard qu'en date du 29 juillet, j'ai une communication qui me
parvenait du ministre des
Transports, à titre d'exemple, tout simplement, à la suite
de représentations que je lui faisais au sujet d'une demande qui est
faite par la population de mon comté pour que soit installé,
à l'aéroport de Rouyn-Noranda, un système d'atterrissage
aux instruments. J'ai donc demandé au ministre des Transports du
Québec d'intervenir dans le dossier. Actuellement, c'est un sujet qui
relève du fédéral, mais l'intervention du ministre des
Transports du Québec pourrait être utile dans les
circonstances.
Il m'a répondu par une très belle lettre en mes disant que
c'était son intention de suivre le dossier, etc., la formule habituelle.
Là où j'ai sursauté, c'est qu'il a pris la
précaution, tout en signant sa lettre, d'écrire lui-même
à la main j'ai l'original s'il y a quelqu'un qui veut la voir
"Evidemment, dans le cadre d'un Québec souverain..." Je me
faisais dire cela par le ministre des Transports, dans une lettre datée
du 29 juillet dernier. Donc, celui-là n'a sûrement pas
renoncé à l'option séparatiste du Parti
québécois.
Il m'apparaît donc urgent, important et nécessaire que le
gouvernement du Québec demande que soient ajournés les
pourparlers constitutionnels jusqu'à ce que des élections
générales soient tenues au Québec afin que, compte tenu
des programmes alors présentés à la population, les
électeurs puissent décider librement et démocratiquement
qui ils veulent avoir comme gouvernement pour les représenter à
ces importantes négociations. Présentement, compte tenu de son
programme et des résultats du dernier référendum, en plus
des multiples contradictions auxquelles il nous a habitués, ainsi que de
sa partisanerie qui est maintenant devenue légendaire, je dis donc que
l'actuel gouvernement se place dans une situation, en quelque sorte, de conflit
d'intérêts.
M. le Président, si le gouvernement du Parti
québécois se veut aussi respectueux de la démocratie dont
il se gargarise depuis longtemps, il tiendra compte plus sérieusement
des résultats du dernier référendum du 20 mai 1980 qui a
été un désaveu de la politique gouvernementale en
matière constitutionnelle. Evidemment, sachant que ce gouvernement a
maintenu cette option-là, ce gouvernement, à mon sens, n'a plus
des légitimité et, pour ma part, je ne crois pas en sa
sincérité d'aller négocier une nouvelle constitution
canadienne dans les circonstances.
En conséquence, M. le Président, le minimum que la
population du Québec peut exiger de l'actuel gouvernement du Parti
québécois est la tenue immédiate d'élections
générales, en affichant pour la circonstance et au moins pour une
fois ses couleurs réelles. Finalement, laissons la population
décider démocratiquement et choisir l'équipe de
négociateurs qu'elle jugera la plus apte à faire valoir les
objectifs voulus et recherchés par elle.
En terminant, vous comprendrez que je ne suis aucunement disposé,
à ce moment-ci, à accorder des consensus sous tous rapports aussi
longtemps que les préalables que j'ai mentionnés n'auront pas
été acceptés et concrétisés.
M. le Président, ma déclaration est assez brève,
mais je pense qu'on comprendra que j'ai
affiché mes couleurs d'une façon assez claire et c'est
fondamentalement ce que je pense que le gouvernement devrait faire à ce
moment-ci. Ce n'est pas parce qu'un autre gouvernement a fixé un
échéancier en septembre qu'il faut se couler les pieds dans le
ciment. Je pense qu'après 107 ans cela prendra plus de temps à
trouver la solution et à trouver la constitution qui fera l'affaire d'un
maximum de citoyens canadiens et québécois. Dans ces
circonstances, je considère que, compte tenu que ce gouvernement est
à la fin de son mandat et à moins qu'il veuille absolument
s'accrocher au pouvoir à l'encontre de toutes les traditions
établies, il serait indécent de vouloir continuer dans ce
sens-là. M. le Président, je demande au gouvernement de
s'adresser au gouvernement fédéral et aux autres provinces et de
demander qu'on ajourne ces travaux jusqu'à ce que l'actuel gouvernement
s'adresse à la population et fasse un test électoral sur son
programme constitutionnel. Je vous remercie, M. le Président.
Discussion de la motion du ministre des Affaires
intergouvernementales
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
J'ai une motion devant moi, comme je l'ai dit tout à l'heure, qui a
été présentée à la fin de l'intervention du
ministre. Alors, je demanderais aux membres de la commission de décider
maintenant sur cette motion qui va décider également de l'ordre
des priorités ou des points que nous allons discuter et de l'ordre dans
lequel nous allons les discuter.
M. le ministre. (12 h 15)
M. Morin (Louis-Hébert): Merci, M. le Président. Je
voudrais parler, dans une seconde, de la motion que j'ai
présentée tout à l'heure. Auparavant, je voudrais
reconnaître publiquement le ton élevé du débat
jusqu'à il y a dix minutes de maintenant et je voudrais aussi dire que
c'est exactement dans cet esprit que nous voulons entreprendre l'étude
des questions constitutionnelles dont nous devons nous entretenir
aujourd'hui.
Je voudrais aussi souligner que nous avons fait cela a
été mentionné plus tôt d'ailleurs et je pense que
c'était bien de le faire un effort particulier pour soumettre
tous les documents que nous pouvions aux membres de cette commission. Dans le
passé, cela n'a pas toujours pu être fait de la même
façon pour une raison que je voudrais mentionner en passant.
Jusqu'à cette nouvelle ronde de négociations, nous devions suivre
la règle établie dans les conférences constitutionnelles
et autres, c'est-à-dire manifester ce qui était à mon avis
une beaucoup trop grande discrétion, ce qui nous a empêchés
dans bien des cas d'aller aussi loin que nous l'aurions voulu dans
l'information du public. J'avais personnellement déploré cet
état de choses, mais cette fois-ci, tout le monde a été
d'accord, dans l'ensemble du Canada, pour qu'en ce qui nous concerne du moins
nous puissions faire état de nos positions et révéler
autant que possible, en respectant les autres, tout ce qui s'est passé
au cours du mois de juillet.
Je voudrais aussi mentionner une autre chose avant d'aborder l'ordre du
jour. On a parlé, à deux reprises, de la question de la
légitimité ou des conflits d'intérêts entre
gouvernements. Je voudrais simplement dire qu'on aurait très bien pu
s'engager dans un long débat que je ne souhaite pas sur
cette question, mais à cet égard j'ai ici une citation qui
pourrait très bien nous permettre de discuter longtemps. Elle est de M.
Trudeau lui-même. Le 27 novembre 1979, il disait: "J'en suis venu
à la conclusion que je n'étais pas l'homme à
négocier un nouveau fédéralisme pendant la prochaine
décennie". Il est cité dans un article du Devoir, que j'ai
ici.
On pourrait aussi mentionner qu'autour de la table constitutionnelle il
y a des gens qui représentent des gouvernements qui appartiennent
à toutes les allégeances politiques, qu'ils soient conservateurs,
néo-démocrates, créditistes ou du Parti
québécois comme nous, ou libéraux, c'est parfaitement
normal dans un pays où il y a onze gouvernements. S'il fallait chaque
fois poser la question de la légitimité ou se demander à
combien de mois sont les élections pour tel gouvernement, on n'en
finirait pas, parce qu'au moment où je vous parle il y a au moins
l'Ontario où on a non seulement un gouvernement minoritaire, mais
où on parle aussi d'élections prochaines, etc. Je ne voudrais pas
insister longtemps là-dessus, mais je pense important quand même
de remettre les choses dans leur perspective.
J'en viens maintenant à la motion proprement dite. La raison pour
laquelle j'ai présenté cette motion je pense qu'elle
s'impose c'est que vraiment je voudrais que nous passions en revue les
douze points. Il y a certains d'entre eux qui risquent de ne pas être
très longs et je pense que nous pourrons en faire le tour. Je maintiens
quand même la proposition que j'ai faite tout à l'heure; je suis
tout à fait d'accord cela fait d'ailleurs partie de notre liste
pour ajouter ce qui a été suggéré, je pense,
par le chef de l'Opposition, à savoir les richesses naturelles et la
Cour suprême. Au fond, on peut tout ajouter, sauf que je voudrais,
personnellement, être convaincu et assuré que nous regarderons ce
qui, à mon avis, fait partie d'une liste de sujets dont, qu'on le
veuille ou non, il sera question du 8 au 12 septembre; parce qu'il est possible
que les ministres, au cours de leurs négociations éventuelles,
concluent, comme cela pourrait être raisonnable, que sur certains sujets
on n'est pas suffisamment avancé pour en arriver à des
accords.
Je maintiens donc ma proposition, mais je suis tout à fait
d'accord pour ajouter ce que j'ai dit, c'est-à-dire les richesses
naturelles et la Cour suprême comme sujets auxquels on pourra accorder
une attention prioritaire. Au fond, je voudrais qu'on regarde tous les sujets,
ce n'est pas plus malin que cela. Il y a peut-être une distinction que je
ferais aussi. Certains de mes collègues ne peuvent pas
nécessairement être présents pendant les deux jours;
peut-être que, de votre côté, c'est la même chose pour
certains des participants. On pourrait peut-être ajuster l'ordre des
sujets, mais, pour le moment, je le conserverais tel quel, si on
était d'accord. Je renouvelle donc ma proposition avec, en plus,
les richesses naturelles et la Cour suprême.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Sur la
motion d'amendement, M. le chef de l'Opposition.
M. Ryan: Je suis bien heureux de constater que le ministre
accepte qu'on ajoute à la liste les deux sujets qui avaient
été proposés tantôt. Il y aurait deux questions sur
lesquelles il faudrait obtenir un accord, je pense bien: il y a l'ordre dans
lequel les sujets seront abordés et deuxièmement, il y a le temps
qu'on prévoit consacrer à chacun de ces sujets. Je ne sais pas si
vous envisagez, M. le Président, de proposer un partage du temps pour
qu'on soit sûr, dans les deux jours que nous avons, de pouvoir faire le
tour des douze sujets. Je suis d'accord avec le ministre qu'il me semble que
nous avons même la responsabilité de faire le tour des douze
sujets pour que sur chacun on puisse s'exprimer. Maintenant, j'accepte
d'aborder en priorité ceux-ci, mais je voudrais avoir des indications
quant à l'ordre. Il me semble qu'en ordre logique, même en ordre
de développement fonctionnel, ils ne viennent pas nécessairement
dans l'ordre qui est indiqué ici, mais, en tout cas, je voudrais avoir
vos observations là-dessus.
M. Morin (Louis-Hébert): Je ne pense pas qu'il y ait de
difficulté particulière quant à la durée. En ce qui
nous concerne, dans ce document-ci, de même que dans ma
déclaration tout à l'heure, vous avez au fond ce que le
gouvernement a déjà dit là-dessus. Comme je l'ai dit au
terme de mon intervention tantôt, il est sûr que, s'il y a des
renseignements supplémentaires cela nous fera plaisir de les ajouter.
Nous n'avons aucunement l'intention de faire durer, par plaisir ou
stratégie ou autrement, la discussion sur tel ou tel point en
particulier. S'il y en a qui se règlent en cinq minutes parce qu'on est
d'accord ou qu'on n'est pas d'accord, très bien, mais l'important, je
pense, c'est de les voir tous, et surtout ceux-là, au cas où on
n'aurait pas de temps. Maintenant, je ne réponds pas à votre
question directement, je ne sais pas combien de temps on va prendre sur chacun
des sujets. On peut quand même se donner comme objectif de ne pas
indûment prolonger la discussion. Quant à l'ordre, je garderais
celui qui est là. De toute façon, les sujets vont venir au cours
des deux jours.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Opposition.
M. Ryan: M. le Président, il me semble que le rapatriement
de la constitution devrait venir plus tard dans la discussion. Je ne sais pas,
mais à mesure qu'on va regarder les différents sujets, il me
semble que celui-ci, on va le voir dans une perspective plus nette. Il me
semble que ce n'est pas approprié qu'on aborde cela tout de suite au
début, tout de suite après la déclaration de
principes.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
leader du gouvernement.
M. Charron: M. le Président, il y a justement des
problèmes un peu techniques qu'invoquait le ministre des Affaires
intergouvernementales; c'est que la présence du vice-premier ministre et
ministre de l'Education ici est précisément sur ce sujet et la
charte des droits. Je pense que le chef de l'Opposition l'avait deviné.
En conséquence, le ministre doit s'absenter ce soir pour
représenter le gouvernement du Québec aux
célébrations en Acadie qui sont déjà en cours, ce
qui fait que, pourvu qu'on ait l'assurance qu'il soit dans les cinq premiers
à la discrétion de la commission, il serait
préférable que ce sujet soit abordé aujourd'hui.
D'autre part, sur le plan de fond de cette question, non seulement je
connais, mais je partage l'opinion du chef de l'Opposition sur le fait que dans
la discussion proprement dite au niveau fédéral-provincial, s'il
y a bien un sujet qui devrait venir en tout dernier lieu ou dans les derniers,
c'est celui-là. Il reste que, les trois semaines vécues et
ce n'est même pas un secret de polichinelle un des points qui
seront à l'ordre du jour du 8 septembre est celui-là. Nous en
avons eu l'information claire, nette et précise de la part du
gouvernement fédéral. Donc, dans les circonstances, il semble
bien que notre souhait que cela vienne en dernier lieu ne sera pas
respecté, sachant qu'il est à l'ordre du jour des toutes
prochaines rencontres. C'est pour cela que nous avons choisi de le mettre parmi
les cinq premiers, qu'il soit le cinquième... De toute façon,
comme on va être invité à se prononcer là-dessus,
veut, veut pas, dans le cours du 8 au 12 septembre parce qu'ils nous l'ont dit,
voilà pourquoi nous l'avons choisi comme question prioritaire.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Nicolet-Yamaska.
M. Fontaine: Quant à nous, sur les points en discussion,
nous aimerions tout d'abord que la déclaration de principes qui est
placée en premier soit discutée de façon très
prioritaire parce que nous considérons, comme l'a dit le chef de l'Union
Nationale tout à l'heure, que c'est un élément essentiel
avant d'aborder toute autre discussion. On a parlé des fondations de la
maison; alors, je pense que c'est d'abord là-dessus qu'il faut
travailler. Si on réussissait à s'entendre sur ce point, ce
serait déjà un pas en avant considérable.
Concernant le temps de la discussion, je pense qu'on ne doit pas, non
plus, s'enfarger dans des délais limites. On va essayer de raccourcir le
plus possible les discussions sans le faire exprès pour les prolonger,
mais je pense qu'on ne devrait pas se limiter, parce qu'il peut arriver qu'un
point prenne un peu plus de temps, qu'un autre en prenne moins. Je pense que,
dans l'ensemble, on va s'en tirer à assez bon compte.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce
qu'il y a consensus, au moins, pour l'ordre des deux ou trois premiers points?
On pourrait
commencer comme ça. M. le député de
Saint-Laurent.
M. Forget: M. le Président, relativement à la
discussion sur l'économie dont on reconnaît, bien sûr,
l'intérêt, est-ce qu'on pourrait avoir une indication à
savoir si cette discussion pourrait peut-être être placée
demain, de manière qu'on sache les sujets à aborder aujourd'hui?
Est-ce que la présidence a l'intention d'allouer du temps pour le
débat de chacun des sujets? Parce que, l'enthousiasme nous emportant, il
ne serait pas impossible qu'on épuise tout le temps sur un ou deux des
sujets de la liste.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Effectivement, le président avait songé à
suggérer aux parlementaires de prévoir, pour chacun des sujets,
une limite de temps, quitte à ce que cette limite soit différente
d'un sujet à l'autre compte tenu de son importance. Mais j'ai cru bon de
laisser les parlementaires le décider, puisque c'est à la
commission de le décider. Si c'est votre désir, ce sera le
désir du président également.
M. le leader.
M. Charron: M. le Président, pour répondre à
la question du député de Saint-Laurent quant aux pouvoirs sur
l'économie qui pourraient enchaîner, comme cela a
été souvent le cas dans les discussions proprement dites, avec
les richesses naturelles, le ministre des Finances, dont c'est la raison
principale de la présence ici aujourd'hui, est disponible ce soir ou
demain, comme vient de l'indiquer...
Ce qui m'amène à proposer, de manière
peut-être informelle, mais pour qu'on puisse démarrer, que la fin
de la séance de ce matin et l'après-midi soient consacrés,
en souhaitant qu'on y parvienne, à la déclaration de principes,
à la charte des droits et à la question du rapatriement, ce qui
nous permettrait, dans les trois heures et demie de discussion de ces sujets,
d'avancer. Ce soir, on pourrait discuter de péréquation et de
pouvoirs sur l'économie, ce qui nous ferait déjà les cinq
principaux points. Demain matin, en tout premier lieu, on pourrait aborder les
sujets que le chef de l'Opposition a choisi d'identifier comme prioritaires,
Cour suprême et richesses naturelles.
M. Ryan: Là, jusqu'à quand allons-nous
siéger?
M. Charron: Jusqu'à 13 heures. Le règlement nous
oblige à arrêter à 13 heures, le vendredi. J'indique
toutefois tout de suite, pour ne pas en faire un secret, que, si la commission
juge qu'elle a besoin d'une autre journée de séance, après
consultation avec tout le monde, nous essaierons, dans les plus brefs
délais, d'en faire une. Mais nous tentons, en tout cas pour le moment,
de discuter des cinq ou six sujets que j'indique à l'instant, pour la
journée d'aujourd'hui.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce
que ça va?
Si je comprends bien, jusqu'à 18 heures, déclaration de
principes, charte des droits et rapatriement de la constitution; ce soir,
pouvoirs sur l'économie et richesses naturelles,
péréquation; demain matin, on commencerait par la Cour
suprême. C'est bien ça?
M. Ryan: Oui. J'aurais peut-être une proposition à
faire, M. le Président. Etant donné que nous sommes
arrivés ici et que nous ne savions pas dans quel ordre vous entendiez
procéder, comment les choses fonctionneraient, est-ce que ce serait
possible de suspendre nos travaux maintenant plutôt que d'aborder tout de
suite le débat sur la déclaration de fond, quitte à...
M. Charron: D'accord.
M. Ryan: Je pense que, si on commençait, cet
après-midi...
M. Charron: A 14 h 30 plutôt qu'à 15 heures.
M. Ryan:... on aurait le temps de se concerter chacun de notre
côté.
M. Charron: Volontiers, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce
qu'il y a consentement unanime? Les travaux de la commission sont suspendus, de
façon unanime, jusqu'à 14 h 30.
Suspension de la séance à 12 h 29
Reprise de la séance à 14 h 42
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre s'il vous plaît!
S'il vous plaît, je demanderais aux membres de la commission de
bien vouloir venir prendre place. Les travaux de la commission se poursuivent
et, conformément à l'entente qui est intervenue ce matin, les
travaux de la commission, cet après-midi, vont commencer par des
discussions sur le sujet suivant: la déclaration de principes.
J'inviterais, du côté ministériel, celui qui a à
prendre la parole à bien vouloir le faire, s'il vous plaît.
La déclaration de principes
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, c'est
moi. Si vous vous reportez au document qu'on vous a fait parvenir, donc, le
dossier sur les négociations constitutionnelles en cours, sous l'onglet
no 2 ou no 1, en tout cas, au début, vous avez un résumé
du problème relatif à la déclaration de principes. C'est
un sujet dont j'ai parlé ce matin dans ma présentation, dans mon
rapport. On a essayé de le résumer quand même dans ce petit
texte bref que vous avez à l'endroit mentionné où, d'une
part, on décrit quel est le problème.
On fait aussi état du fait qu'aucune position, bien sûr,
n'avait été présentée avant juillet 1980 à
ce sujet-là pour la bonne raison que ce n'était dans aucun des
ordres du jour antérieurs.
Il y a deux documents qui ont été déposés:
un document déposé dès le 9 juin par M. Trudeau, qui est
un projet de déclaration et qui a été rendu public
à ce moment-là, et, plus tard au cours de l'été, un
projet, déposé par l'Ontario, qu'on a joint, mais qui est, au
fond, la reprise, par l'Ontario, en 1980, duprojet qu'ils avaient, eux, comme
préambule pour la charte de Victoria en 1971 ou 1970. (14 h 45)
Au mois de juillet, donc, on a parlé des déclarations de
princips dans la troisième semaine. On en a parlé au
début, d'abord, lorsqu'on a fait chacune des
délégations un tour de table alors que chaque
représentant de gouvernement a énoncé des vues sur chacun
des sujets. Cela a pris à peu près deux jours et ça a
été repris pendant une matinée de 10 heures à 13
heures alors que les ministres étaient seuls. Nous vous faisons part,
toujours dans le document auquel je vous ai référé
tantôt, du fait que beaucoup de sujets pourraient faire ou ne pas faire
partie de la déclaration de principes. Il y a certaines provinces qui,
étant d'accord avec l'idée qu'il y ait un préambule,
voudraient que le préambule n'ait pas de portée. Il y en a
d'autres qui se disent que, s'il y a un préambule, il doit avoir
nécessairement une portée. Peut-être un ou deux
intervenants ont souligné le fait qu'il serait peut-être mieux
qu'il n'y en ait pas du tout. Toujours est-il que, sur onze gouvernements, pour
autant que je me souvienne, il y en avait au moins les trois quarts ou
même plus qui étaient d'accord sur le fait qu'il faudrait aborder
ce sujet-là.
Maintenant, on a confié, avant même de prendre des
décisions politiques au niveau des ministres, à un groupe de
fonctionnaires le soin d'établir la liste des questions qui se posaient
à propos d'un préambule. Non seulement, bien sûr, il y a
des questions comme celles que je viens de mentionner: Est-ce que ça
doit avoir une portée juridique? Est-ce que ça ne doit pas en
avoir? Est-ce que ça doit être long, court ou quoi que ce soit, en
vers ou en prose? Mais, surtout, quels sont les sujets qui devraient en faire
partie?
Au bas de la page qui porte sur la déclaration de principes dans
le document, on voit plusieurs des thèmes qui ont été
abordés. On a parlé, par exemple, du fait qu'il fallait affirmer
que le Canada est une démocratie. Est-ce que le Canada est une
monarchie? Il y a une province qui a insisté très fortement
là-dessus. Qu'il y ait un gouvernement responsable. Quels sont les
droits des autochtones? Enfin, la liberté et le parlementarisme,
l'unité nationale, le bilinguisme, le multiculturalisme, le respect des
différences, l'affirmation de l'Etre suprême, etc.
Je relis ce qui est mentionné toujours ici: "Pour sa part, le
Québec, sans soumettre de texte pour l'instant, a insisté sur
l'insertion dans cette déclaration, préambule de
considérations reliées au caractère distinctif de la
société québécoi- se, au rôle
spécifique du Québec et à la libre adhésion du
Québec à la fédération canadienne", ce qui est une
allusion au principe de l'autodétermination. Il n'y a pas eu de
décision de prise par les ministres et le travail n'est pas
terminé sur ce sujet-là, comme d'ailleurs sur tous les autres, ce
qui fait qu'il va revenir normalement à la fin de ce mois-ci et
normalement aussi, d'après les indications qu'on a, au début de
septembre.
Je n'ai pas aujourd'hui à vous présenter en surprise un
projet de déclaration que nous aurions préparé et sur
lequel nous vous demanderions tout de suite votre assentiment comme ça.
Ce sera une chose qui pourra venir plus tard, mais je pense qu'on n'en est pas
là et qu'il y a, si on s'en tient à ce que le Québec a
émis comme position, deux questions à propos desquelles on a
insisté, c'est-à-dire l'idée des deux
sociétés, de la dualité et du caractère distinctif
du Québec, d'abord et, ensuite, d'autre part, de la libre disposition du
Québec en ce qui concerne son avenir.
C'est en gros ce que nous avons dit. Je vous réfère aussi
à mon texte de ce matin que j'ai lu. Peut-être peut-on maintenant
passer aux commentaires qui viendraient des partis d'Opposition,
peut-être en distinguant deux sujets. Je ne veux pas imposer d'ordre du
jour. Il y a peut-être autre chose que vous voulez aborder; cela me fera
plaisir qu'on en discute. Il y a toute la question de la dualité et il y
a la question de la libre disposition des Québécois. J'attends
peut-être les commentaires qui viendront sur ces deux questions
notamment, encore qu'on pourrait parler, comme on l'a fait ce matin aussi, M.
le chef de l'Opposition, du préambule en général.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
Avant de donner la parole au chef de l'Opposition, j'aimerais vous informer
que, pour la séance de cet après-midi, M. le député
de Saint-Hyacinthe sera intervenant à la place de son collègue,
le député de Nicolet-Yamaska. Bienvenue à la commission,
M. le député. M. le chef de l'Opposition.
M. Claude Ryan
M. Ryan: M. le Président, les éléments qu'on
nous a fournis sont un peu minces. Je pense qu'il faudrait aller au-delà
de ce qui a été dit si on veut avancer. Le ministre des Affaires
intergouvernementales, dans la mesure où je le comprends bien, nous dit
qu'il y a deux points que son gouvernement a signalés d'une
manière spéciale dans les échanges de vues qui ont eu lieu
autour du projet de préambule, c'est-à-dire le principe de la
dualité, incluant, évidemment, la reconnaissance du
caractère distinctif du Québec et, deuxièmement, le
principe de la libre disposition du Québec ou du droit du Québec
à l'autodétermination.
On discute à deux paliers différents, du moins en ce qui
me concerne. Ce matin, j'ai indiqué dans la déclaration
d'ouverture que j'ai faite que, selon moi, ce n'est pas une bonne chose de
s'engager tout de suite dans la rédaction d'un
préambule de la constitution, il y a quelque chose d'autre
à faire au préalable.
Il me semble que les gouvernements qui entreprennent une oeuvre aussi
importante et aussi engageante que la réforme en profondeur de la
constitution peuvent mettre clairement leurs intentions sur la table, doivent
expliciter les principes directeurs dont s'inspirera leur démarche. Cela
doit être porté à la connaissance de tout le public pour
qu'on sache qu'il y a un engagement à l'endroit de ces principes et que
plus tard, dans la démarche, quand on aura progressé
véritablement, on soit en mesure de vérifier si on peut
s'entendre sur une sorte de préambule à une constitution nouvelle
et surtout sur le contenu éventuel d'un tel préambule.
En ce qui regarde les principes directeurs dont on devrait s'inspirer,
je vous ai signalé qu'en ce qui touche mon parti nous avons
énoncé une série de principes dans notre document
constitutionnel. Je les ai évoqués ce matin dans leur texte
même d'une manière presque complète; j'ai laissé
tomber des parties secondaires, mais le texte est à votre disposition
dans son intégralité si vous en avez besoin. Je pense qu'en ce
qui nous touche nous ne prétendons pas à une formulation
définitive encore; nous ne prétendons pas avoir trouvé la
fine fleur de la précision sémantique dans les questions qui ont
été l'objet de tant de controverses ces dernières
années; il y a quand même un fond dont on peut partir.
Je comparais ces principes directeurs que nous avons
énoncés à ceux qui étaient formulés par le
chef de l'Union Nationale dans sa déclaration rendue publique ces jours
derniers et sur laquelle il est revenu ce matin. Je crois qu'à peu
près tous les principes énoncés par l'Union Nationale dans
sa déclaration sont contenus dans les principes directeurs que nous
avions mentionnés dans notre liste, et il y en a d'autres en plus. A
notre point de vue, cela forme une liste plus complète; on pourra
peut-être les prendre l'un après l'autre tantôt. C'est vous
qui déciderez la façon dont nous allons fonctionner, je ne veux
pas empiéter là-dessus. Je n'ai pas d'objection à discuter
des deux points qui ont été soulevés par le ministre. La
dualité, cela fait partie des principes que nous avons
évoqués. Le principe de la libre disposition du peuple
québécois, cela fait aussi partie des questions que nous avons
étudiées. Je peux vous donner nos positions sur ces deux points.
Les autres points, je les ai mentionnés ce matin; c'est évident
que je n'y reviendrai pas de manière explicite cet après-midi,
ils ont été mentionnés pour notre utilité
commune.
En ce qui touche un éventuel préambule de la constitution,
si jamais la discussion s'orientait vers cela, je souligne que, dans le rapport
Pepin-Ro-barts, on avait mentionné six éléments qui
devraient faire partie d'une déclaration du type préambule d'une
nouvelle constitution. Ces éléments sont contenus à la
page 85 du rapport Pepin-Robarts.
Je voudrais vous dire qu'en ce qui me touche je n'ai aucune
difficulté spéciale à souscrire à ces six
énoncés qui étaient contenus à la page 85 du
rapport Pepin-Robarts. Cela pourrait très bien servir de point de
départ à une discussion sur un éventuel projet de
préambule. Il y aurait peut-être des éléments qu'on
trouverait justifié d'ajouter à ceux-là, mais je pense que
dans l'ensemble ça irait assez bien.
Je reviens maintenant aux deux éléments qui ont
été soulevés. Mon collègue de Prévost, Mme
Chaput-Rolland, se réserve d'intervenir là-dessus tantôt
pour donner ses opinions également, surtout sous le titre de la
dualité. Je voudrais vous dire maintenant où nous en sommes
à propos de la dualité, justement. Nous disons que la nouvelle
constitution devra affirmer l'égalité fondamentale des deux
peuples fondateurs. Nous connaissons les difficultés que soulève
l'expression "peuples fondateurs". Je ne pense pas qu'elle pourra rester telle
quelle dans une constitution définitive parce qu'aux yeux des
populations autochtones ça soulève des difficultés
très sérieuses que nous devrons surmonter dans un esprit de
respect à leur endroit.
Je pense que nous comprenons l'idée pour tout de suite, des "deux
communautés linguistiques qui ont donné et donnent encore
à ce pays... etc., etc." Les moyens que nous voudrions tout de suite
inscrire à l'état de principe dans une espèce de
déclaration d'intention seraient les suivants: nous voulons
reconnaître la dualité par trois moyens. D'abord, par la
proclamation, dans la constitution, de certains droits linguistiques
fondamentaux on revient là-dessus plus tard
deuxièmement, par l'affirmation du caractère bilingue des
institutions fédérales; troisièmement, par l'octroi au
Québec de garanties propres à faciliter la protection et
l'affirmation de sa personnalité distincte.
A plusieurs reprises, dans le texte dont je vous ai donné lecture
ce matin, nous revenons sur ce point-là. Dans notre esprit à
nous, il n'y a aucune difficulté au sujet de ce qu'on peut appeler le
principe des deux sociétés. Nous avons deux communautés
linguistiques et culturelles qui ont donné naissance à deux
sociétés dans ce pays, chacune ayant ses caractéristiques
propres: la société francophone trouvant son siège
principal au Québec, mais comptant également des prolongements
importants dans le reste du Canada; la société anglophone se
réalisant dans des sociétés particulières diverses
qui peuvent être identifiées comme des régions ou des
provinces, mais présentant des caractéristiques communes.
Pour les fins de cette partie de la discussion, on peut très bien
convenir qu'il y a une société francophone ayant son foyer
principal au Québec, mais aussi un prolongement important ailleurs, une
société anglophone ayant son implantation principale dans les
autres provinces, mais également une implantation importante, à
la fois historique, numérique, économique et sociologique au
Québec. Ce sont tous ces éléments qu'il faut essayer de
réunir, avec, en plus, la reconnaissance des populations autochtones.
Nous sommes tous à l'aise pour dire: En principe, nous reconnaissons
les droits des populations autochtones. Il n'y en a pas beaucoup qui
osent aller au-delà de cela. Il faudra que nous fassions face à
ce problème. Dès le stade de la déclaration d'intention,
il faudra que nous reconnaissions que ces populations, étant
donné le rôle historique qu'elles ont joué au Canada, ont
une place à occuper dans la préparation du futur édifice
constitutionnel. Je ne crois pas que nous puissions nous en tirer
honnêtement sans reconnaître également la part
extraordinaire qu'ont apportée au développement du Canada
moderne, y compris le Québec, les membres des nombreuses
communautés ethniques qui ont profondément modifié la
composition démographique, la figuration culturelle et sociale de ce
pays. Ce sont des éléments je le souligne dont il
est très important de tenir compte dans les travaux que nous ferons
à ce sujet.
En ce qui touche le droit à l'autodétermination, je pense
que plusieurs ne sont pas au courant d'une chose. Je vais encore être
obligé de citer le document sur lequel je m'appuyais ce matin. Plusieurs
ne sont pas au courant que le Parti libéral du Québec, à
son congrès général d'orientation tenu en février
et mars dernier, a adopté une résolution qui se résume ou
se formule comme suit: "Le Parti libéral du Québec
reconnaît le droit du Québec de déterminer sa constitution
interne et d'exprimer librement sa volonté de maintenir l'union
fédérale canadienne ou d'y mettre fin." Il reconnaît en
bref le droit du peuple québécois à disposer librement de
son avenir.
Je vous rappelle cette résolution pour une fin bien simple. Il y
en a qui en sont encore au stade du livre beige, qui était un projet
issu d'une commission. Ce livre beige a subi le tamisage de discussions
démocratiques à l'endroit d'un congrès qui était
fréquenté par plus de 3000 délégués, comme
vous le savez. Il est sorti de ce congrès, entre autres, la
résolution précitée.
Maintenant, autant nous reconnaissons, sur le plan politique, le droit
du peuple québécois à décider librement de son sort
et de tout le peuple québécois, incluant évidemment toutes
ses composantes, autant nous avons des réserves sérieuses
lorsqu'on nous parle d'inscrire ce droit de manière explicite dans la
future constitution du pays. (15 heures)
Nous avons étudié à ce sujet les constitutions
fédérales qui existent dans le monde et nous avons
constaté que très peu de constitutions fédérales
mentionnent à l'état explicite le droit des peuples qui composent
les pays régis par ces constitutions à
l'autodétermination. La Russie, c'est-à-dire l'Union des
républiques socialistes soviétiques, et la République
fédérale yougoslave prévoient un droit de
sécession. Je ne sache pas qu'on ait jamais tenté d'utiliser ce
droit dans l'Union des républiques socialistes soviétiques et
tous les échos que j'ai du peuple ukrainien en particulier indiquent que
c'est un droit plutôt théorique. En Yougoslavie, comme vous le
savez, on a un régime fédéral de nature extrêmement
compliquée. On devait répondre à une réalité
formée, je pense, d'au moins quatre nationalités
différentes. Alors, c'est un problème extrêmement complexe.
Je ne pense pas qu'on puisse envisager une transposition facile à notre
problème.
On pourrait faire le tour des constitutions. La constitution
australienne, à ma connaissance, interdit formellement le droit à
la sécession. La constitution américaine n'en parle point, mais
la jurisprudence américaine a réglé ce problème
depuis longtemps. On pourrait continuer. Mais, selon nous, c'est une question
davantage politique que juridique. Nous avons fait récemment un
référendum au Québec. Il n'y avait aucune règle
constitutionnelle présidant à la tenue de ce
référendum. Quand nous en arrivons à ce stade, c'est
beaucoup plus la qualité de la vie démocratique dans un pays, la
solidité de ses institutions, et surtout de la liberté qui y
existe qui sont le facteur déterminant. Il y a, en somme, une
distinction capitale à faire entre un droit juridique et un droit
politique. Le droit à l'autodétermination est plutôt un
droit politique, lequel s'exercera, le cas échéant, sans que ce
soit nécessaire qu'il soit consacré dans la future constitution
canadienne. D'ailleurs, tous les termes qu'on emploie dans la discussion de ces
choses sont des termes qui se prêtent à de nombreuses
définitions dont très peu sont l'objet d'une définition ou
d'une interprétation universellement acceptée. Vous savez que
même le principe du droit à l'autodétermination,
abstraction faite des querelles de sémantique, est
complété dans plusieurs documents internationaux par la
proclamation du droit de chaque pays à la préservation de son
intégrité territoriale. Quand les conflits ont surgi dans des
pays à structure fédérale, vous savez ce qui est
arrivé: les chartes internationales n'ont pas été d'une
grande utilité malgré tout le respect qu'on peut leur accorder en
parole.
Notre position à ce sujet est que le Canada est très
avancé pratiquement dans l'acceptation concrète du droit du
Québec à l'autodétermination; cela ne fait même pas
de problème tellement nous sommes avancés là-dedans,
même si la définition officielle de ce droit ne figure pas dans
nos textes de loi. Le comportement de l'Etat fédéral et des
autres Etats canadiens envers la démarche référendaire du
Québec en mai dernier en est une illustration très
éloquente. Le rapport Pepin-Ro-barts, comme vous le savez, a
consacré des passages très importants à ce sujet. Le
rapport Pepin-Robarts concluait qu'il acceptait sans aucune difficulté
le droit à l'autodétermination, mais qu'il hésitait
beaucoup à en préconiser l'insertion dans un texte
constitutionnel. J'ai mentionné en plus la politique de mon parti. Il me
semble qu'à cause de cela il faut y aller avec beaucoup de sagesse,
beaucoup de prudence; il n'est peut-être pas sage de réglementer
la vertu et la bonne foi au-delà de ce qui est nécessaire. L'Etat
canadien dans son ensemble a eu dans le passé un comportement tout
à fait compatible avec le principe du droit à
l'autodétermination et nous ne voyons pas la nécessité
d'exiger de lui des garanties écrites pour l'avenir, surtout à un
moment où nous préparons une nouvelle entente qui reposera
explicitement sur le désir des parties contractantes
de vivre ensemble, de continuer à faire leur avenir ensemble.
Le maximum qui pourrait être envisagé, c'est que, dans une
éventuelle déclaration d'intention, on réaffirme que c'est
librement et en accord avec leur population respective que les gouvernements
concernés ont engagé cete procédure de révision
constitutionnelle et entendent doter les populations du Canada, les citoyens de
ce pays d'un document constitutionnel répondant vraiment à leurs
besoins. C'est la position que nous voulons exprimer pour l'instant.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
M. le chef de l'Union Nationale.
M. Michel Le Moignan
M. Le Moignan: Oui, M. le Président. J'aimerais revenir
sur les remarques du ministre des Affaires intergouvernementales quand il nous
a expliqué, tout à l'heure, le cheminement qui s'est fait, le
sommaire des discussions du mois de juillet concernant la déclaration de
principes. Le ministre nous a bien dit que les trois quarts des provinces sont
favorables à l'insertion d'une déclaration de principes dans la
constitution. D'ailleurs, dans l'avant-dernier paragraphe, au bas de la page,
on semble découvrir justement la véracité de cette
affirmation quand le ministre écrit: "Tous sentent bien,
néanmoins, que les notions et concepts éventuellement
insérés dans la déclaration ou le préambule
risquent fort de servir, le cas échéant, à
l'interprétation de la constitution elle-même. En ce sens, la
déclaration définira ce que doit être le Canada de l'avenir
et c'est pourquoi, selon d'aucuns, on ne peut pas éviter d'en parler
dès maintenant."
Evidemment, comme on est réuni ici aujourd'hui, je pense qu'il
faudrait bien aborder cela, d'autant plus que j'avais demandé au
ministre, le 11 juin, si, lors de la commission parlementaire, il devait nous
soumettre l'énoncé de principes qu'il ne nous soumet pas
aujourd'hui. Quand on regarde le télégramme envoyé par le
premier ministre du Canada en date du 6 juin, on voit l'insistance d'Ottawa
à insérer cette déclaration de principes.
Je crois qu'il serait bon pour nous du Québec, avant que notre
mission ne quitte pour rencontrer le premier ministre, que nous ayons au moins
des propositions très concrètes sur cela parce que nous avons
déjà la certitude que le Canada, lui, nous fournira une
déclaration de principes en bonne et due forme. Les premières
paroles du télégramme du premier ministre du Canada sont: "Le
premier ministre propose que, lors de la réunion des premiers ministres,
le 9 juin, on discute des principes qui pourraient mettre en évidence
les valeurs que nous partageons tous et les buts que nous aimerions poursuivre
dans l'élaboration d'une nouvelle constitution. Le gouvernement du
Canada s'est penché sur cette question et a préparé un
avant-projet d'une déclaration de principes qui pourrait servir de base
pour la discussion. Je vous saurais gré d'attirer l'attention de votre
premier ministre."
On voit déjà l'insistance que le fédéral met
sur cette déclaration et je crois que c'est ce que nous avions
demandé, d'ailleurs. Nous avons fait, je pense, l'unanimité
aujourd'hui sur la marche à suivre en commençant d'abord par
cette déclaration de principes.
Maintenant, il y a un autre point qui est très important. Nous
allons voir tout à l'heure les autres points qui nous ont
été soumis; nous en avions parlé et je l'ai dit ce matin
aussi. On est toujours avec l'idée qu'on fait une négociation
globale, toujours en remontant à 1966,1967,1968, lors de ces rencontres
fédérales-provinciales. Il y a une conception qui se tient dans
tout cela. Il y a un fil conducteur. Le cadre fédéral,
d'ailleurs, se maintiendra grâce au choix de la majorité des
Québécois et cette nouvelle constitution que nous
désirons, nous voulons aussi qu'elle soit adoptée ici, au Canada
même. Pour illustrer davantage peut-être, on a parlé tout
à l'heure des deux nations, on a parlé de
l'autodétermination. Ce sont des choses qui vont revenir aussi un peu
plus tard. Je vois bien qu'on est d'accord ici sur l'idée de ces deux
sociétés, une société francophone qui a son centre
de gravité surtout au Québec, comme M. Trudeau l'admet
lui-même. Je pense que tous les autres partis politiques sont d'accord
sur cela. Quant au sens à donner au mot autodétermination, j'y
reviendrai un peu plus loin.
Maintenant, M. le Président, je voudrais puisque nous
parlons de principe et à la suite des déclarations que je faisais
à Montréal en fin de semaine vous donner la position de
l'Union Nationale sur certains principes qui rejoignent celle des autres partis
politiques. Comme le chef de l'Opposition officielle vient de le
déclarer tout à l'heure, nous avons des points, lui peut avoir
d'autres points, le gouvernement peut avoir d'autres points, mais je pense
qu'il serait bon de les mettre en commun et de voir ensuite lesquels on devrait
retenir.
Si nous avons soumis des points, on sait qu'il peut y en avoir d'autres,
mais ce qu'on voudrait, nous, c'est qu'à la fin de cette commission
parlementaire au moins il y ait un consensus. C'est cela, je pense, le point
central de toutes nos discussions. Ce n'est pas pris dans la Bible, cela peut
se modifier, mais il faudrait qu'à la fin il reste quelque chose de
commun à tout le monde. Je voudrais bien énumérer,
peut-être, pour ceux qui n'en ont pas pris connaissance, en
résumé, ces neuf points. Nous allons retrouver là-dedans
des choses que nous allons discuter aussi à l'occasion de l'étude
des douze points soumis par le gouvernement du Canada.
Le premier grand principe et, là-dedans, il y a un
enchaînement tout à fait logique pour le déroulement de nos
travaux c'est que le Canada n'est ni géographiquement, ni
historiquement, ni culturellement un pays homogène; il comprend
plusieurs régions qui, tout en étant très
différentes les unes des autres par leur situation, leur étendue,
leur évolution historique, leurs richesses naturelles et leur vocation
économique, demeurent complémentaires entre elles. Il com-
prend aussi deux grandes communautés linguistiques et
culturelles, elles-mêmes enrichies par l'apport de nombreux groupes
ethniques. Le fédéralisme étant une recherche constante
d'un point d'équilibre entre la centralisation et l'autono-misme, entre
la concertation des efforts et la sauvegarde des particularismes
légitimes, constitue le meilleur mode de gouvernement capable de
maintenir l'unité du Canada, tout en permettant à chacune de ses
composantes de se développer et de s'épanouir selon ses
caractéristiques propres. C'était le premier grand point qui
voulait situer en même temps tous les autres.
Deuxièmement, il est devenu urgent de redonner force et
vitalité à la fédération canadienne en dotant le
pays d'une nouvelle constitution conçue et adaptée au Canada. On
ne fait pas, ici, allusion au rapatriement ou à la formule
d'amendement.
Troisièmement ici, on rejoint très bien le rapport
Pepin-Robarts; d'ailleurs, ces idées que nous avions publiées en
1978 procèdent du rapport Pepm-Robarts et nous voyons que nous sommes
entièrement d'accord là-dessus cette nouvelle constitution
doit reconnaître l'égalité de statut de deux ordres de
gouvernement, un gouvernement fédéral et des gouvernements
provinciaux, chacun étant souverain dans ses sphères de
compétence. On peut lire, à la page 91 du rapport Pepin-Robarts:
"Nous considérons que les gouvernements provinciaux sont de stature et
de maturité égales à celles du gouvernement central et
nous recommandons sans aucune hésitation qu'une nouvelle constitution
reconnaisse leur égalité de statut." Déjà, à
Drummondville, en 1978, nous avions soumis ce principe.
Quatrièmement, la nouvelle constitution que nous aimerions voir
établir doit délimiter clairement les compétences de
chaque ordre de gouvernement, de manière à diminuer de
façon significative les chevauchements de juridictions et
reconnaître que les pouvoirs non expressément attribués au
gouvernement fédéral sont dévolus aux gouvernements
provinciaux; il s'agit évidemment de tous les pouvoirs
résiduaires.
Cinquièmement ici, on s'inspire également du
document publié par le gouvernement fédéral notre
nouvelle constitution doit reconnaître que le Canada est le foyer
ancestral de nos populations autochtones et que, à ce titre, celles-ci
jouissent de certains droits et privilèges.
Sixièmement, cette nouvelle constitution doit reconnaître
explicitement que le Canada se compose de deux nations, l'une de langue
anglaise et l'autre de langue française, celle-ci ayant son premier
foyer et son centre de gravité au Québec, bien qu'elle
s'étende dans l'ensemble du territoire canadien. Ces deux nations sont
le prolongement dans le temps et dans les faits des deux peuples fondateurs de
ce pays qui ont été enrichis par l'apport de plusieurs groupes
ethniques venus des quatre coins du monde.
Septièmement, cette nouvelle constitution doit reconnaître
que le Québec, premier foyer de la nation canadienne-française
est la seule province à majorité de langue française au
Canada et que ce caractère distinctif lui confère des
responsabilités, notamment dans le domaine socio-culturel, à
l'égard de la nation canadienne-française, que les neuf autres
gouvernements provinciaux assument ensemble à l'égard de la
nation canadienne-anglaise. (15 h 15)
Toutes les provinces auraient accès aux pouvoirs dont le
Québec a besoin pour préserver son caractère distinctif,
mais elles auraient le choix soit de les exercer, soit d'en confier l'exercice
au gouvernement fédéral. En parlant de
l'autodétermination, on a dit que c'était un droit politique,
mais et c'est la question que je me pose ici est-ce qu'il y a
quelque chose qui empêche que ce droit ne devienne pas un jour une
réalité juridique? Nous avions inscrit au no 8 de notre
proposition constitutionnelle: "Cette nouvelle constitution doit
reconnaître que le Québec, premier foyer et centre de
gravité de la nation canadienne-française, a le droit
inaliénable à l'autodétermination et donc à la
maîtrise de son destin."
Enfin, 9e: "Cette nouvelle constitution doit reconnaître que la
langue française et la langue anglaise sont les langues officielles des
institutions politiques fédérales et des organismes relevant de
leur compétence."
En conclusion, l'Union Nationale est convaincue qu'un accord de tous les
partis politiques sur chacun de ces points s'impose si on veut enfin, suite au
référendum québécois, que le reste du Canada
comprenne bien que la conception québécoise du renouvellement de
la constitution canadienne n'est pas l'apanage d'un seul parti politique, mais
fait l'objet d'un consensus social et politique qui ne peut être
ignoré. Une constitution qui ferait semblant d'ignorer ce consensus ou,
pire encore, qui chercherait délibérément à le
supprimer pour fabriquer en série des Canadiens
homogénéisés et interchangeables aboutirait fatalement
à un échec. Cette constitution deviendrait rapidement un outil
d'assimilation et non de liberté, une source de conflits
perpétuels plutôt qu'un facteur d'équilibre.
Ce sont des points, M. le Président, que je voulais soumettre aux
membres de cette commission, quitte à recevoir de leur part, en temps et
lieu, les commentaires qui peuvent s'avérer nécessaires.
Merci.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. 'e
député de Rouyn-Noranda.
M. Camil Samson
M. Samson: M. le Président, sur ce point, j'ai de la
difficulté à concilier les déclarations qu'ont faites les
membres du gouvernement avec le point qui suivra, soit la charte des droits,
alors qu'on nous a souligné qu'inclure une charte des droits
fondamentaux dans une constitution ne plaisait pas particulièrement au
gouvernement actuel, en soulignant que ça pourrait donner trop de
pouvoirs aux juges et, par ce fait, remplacer les droits des
Législatures.
Si on accepte le principe que le gouvernement a énoncé de
ce côté, j'ai de la difficulté à comprendre la
déclaration de principes que le premier ministre faisait connaître
le 9 juin dernier. Il insistait quand on dit insister, ça
paraissait à plusieurs reprises dans sa déclaration
beaucoup pour que le droit à l'autodétermination soit inscrit
dans la constitution. Si on nous dit que, d'une part, qu'en inscrivant les
droits fondamentaux qui peuvent être des droits comme les libertés
individuelles, la libre circulation, la mobilité de main-d'oeuvre, le
droit de propriété, des choses comme ça, c'est trop
dangereux parce que c'est donner trop de pouvoirs à des juges, à
ce moment-là, je comprends mal qu'on insiste beaucoup dans la
déclaration de principes en parlant du droit à
l'autodétermination comme étant un préalable à
toute autre forme de discussion. C'est ce que je vois dans la
déclaration du premier ministre, en date du 9 juin. Il y a
sûrement une contradiction là. D'une part, c'est valable que l'on
inscrive des droits et, d'autre part, ça ne l'est pas. Il faudrait qu'on
nous apporte des précisions là-dessus.
Cependant, je suis d'avis que le droit à
l'autodétermination est un droit reconnu par tout le monde. Je suis
d'avis qu'il ne doit pas être reconnu uniquement pour le Québec,
mais pour toutes les autres provinces, parce que toutes les autres provinces
ont aussi ou pourraient avoir des idées de vouloir exercer ce droit.
Cependant, je pense qu'un droit comme celui-là qui est
universellement reconnu, qui a été, en fait, exercé
à l'occasion du référendum... Si la population avait dit
oui à ce référendum, le gouvernement aurait eu un mandat
pour négocier l'autodétermination. Mais il ne l'a pas eu, ce
mandat-là. Je pense qu'il y a des nuances à faire entre le droit
universellement reconnu et la capacité d'appliquer ce droit ou encore la
volonté d'un peuple de vouloir l'appliquer.
Ce qui s'est passé le 20 mai, c'est que le peuple a
manifesté sa volonté de ne pas utiliser ce droit-là et je
considère que, compte tenu du fait que c'est universellement reconnu, ce
n'est pas absolument nécessaire de retrouver ça dans une
déclaration de principes d'une nouvelle constitution. Au contraire, je
considère que ça pourrait constituer des enfarges assez
sérieuses. Au moment où il y a des discussions d'entamées,
au moment où on nous souligne qu'on veut tenter de trouver un moyen, une
formule d'entente, au même moment, on voudrait en même temps
inscrire dans ce texte-là le droit à l'autodétermination
qui serait probablement une des mesures qui seraient la première source
de chicanes une fois la constitution adoptée, s'il y avait ça
dedans.
Je ne peux pas voir qu'on puisse, d'une part, chercher à
s'entendre et qu'en même temps on veuille absolument inscrire dans ce
texte-là quelque chose qui pourrait, à courte
échéance, devenir une source de désaccord et même
qui pourrait être aussi, évidemment, interprété
comme une source de provocation ou de chantage. Il faut se reporter au fait que
c'est bien plus un droit politi- que qu'un droit juridique. Quand un peuple
décide de faire quelque chose, même s'il y a des droits juridiques
dans une constitution, c'est assez difficile d'aller contre la volonté
d'un peuple, quand le peuple se manifeste majoritairement et quand le peuple
fait front commun.
C'est, je pense, de "l'overselling", cette affaire-là, c'est
aller trop loin, c'est en mettre trop pour rien. On a déjà
tellement de difficulté à trouver les mots qu'il faut inscrire
dans une nouvelle constitution pour convenir à tous les partenaires
concernés qu'il ne faudrait pas aller chercher des mots qui ne sont pas
plus utiles qu'il ne faut pour les inscrire et ainsi se créer des
sources de problèmes avant même qu'on arrive à la
conclusion.
Evidemment, le gouvernement est très hésitant à
voir inscrire des droits fondamentaux que je considère comme devant
faire partie d'une constitution. Quand on dit que des droits fondamentaux
concernant les citoyens, les individus doivent faire partie d'une constitution,
ça ne veut pas dire que les Législatures relèguent leurs
pouvoirs aux juges. Cette constitution qui est en discussion, elle ne sera pas
adoptée par la magistrature; elle sera adoptée par des pouvoirs
politiques et, une fois que ces pouvoirs politiques l'auront adoptée ce
seront là les balises que les juges devront respecter. Evidemment, c'est
là la protection la meilleure qu'on puisse donner à des citoyens
d'un pays quand, dans une constitution, ils savent qu'ils sont
protégés spécifiquement pour telle chose, telle chose ou
telle chose.
Mais, quand on arrive au droit à l'autodétermination,
c'est une question qui n'est pas absolument nécessaire. Je dis que,
quand ce n'est pas absolument nécessaire, je ne vois pas pourquoi on
s'enfarge là-dedans.
Quand je vois que c'est là, en fait, le coeur de la
déclaration gouvernementale de principes, je me dis, au départ,
que je ne suis pas sûr s'ils sont sérieux quand ils veulent
discuter d'une constitution nouvelle et d'un fédéralisme
renouvelé. Pourquoi d'avance aller dire à nos partenaires: On
discute d'une nouvelle constitution, mais, attention, on se réserve un
article là-dedans qu'on peut utiliser n'importe quand? On peut mettre
fin à tout ça, on peut faire chambranler tout l'édifice
d'un moment à l'autre et on ne sait pas à quel moment. Cela
risquerait sérieusement, en tout cas, de déstabiliser la
politique et le régime politique canadien et même le régime
politique québécois. Pour moi, c'est du superflu. Je tiens
à souligner, cependant, que je ne m'oppose pas au fait que c'est un
droit que tout le monde peut exercer, que tous les peuples peuvent exercer.
Mais ce n'est pas nécessaire d'aller inscrire ça là-dedans
et je m'oppose à ce qu'on inscrive ça dans une constitution.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Merci.
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, juste
deux mots.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
ministre.
M. Morin (Louis-Hébert): Je pense que mon collègue,
le ministre de l'Education, voudra prendre la parole tantôt sur une
question. Quand on a commencé la discussion tout à l'heure, j'ai
attiré l'attention sur les deux points que la délégation
du Québec avait soulevés au moment de la discussion de la
déclaration de principes, lors d'une rencontre au mois de juillet. Cela
ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autre chose qui a été
mentionné, mais, comme d'autres provinces ont mentionné d'autres
sujets et qu'il n'y a pas, sur ces diverses questions, encore, au moment
où nous en sommes, de consensus établi quant à savoir si
on insiste ou non sur la monarchie, sur le parlementarisme canadien ou Dieu
sait quoi, je n'ai pas insisté là-dessus. Je veux dire qu'on n'a
pas seulement parlé des deux questions que nous avons soulevées
tout à l'heure.
Le deuxième point, c'est que nous avons voulu aborder cet
après-midi la question de la dualité, les deux
sociétés, et la question de la libre détermination du
Québec. En ce qui concerne la dualité, je voudrais essayer de
résumer; si je me trompe, vous me corrigerez. Je pense que ça ne
fait pas de problème j'en étais convaincu avant qu'on
commence ce matin en ce sens que les déclarations et les textes
émis par les divers partis politiques sont assez clairs à cet
égard. Je pense bien qu'une constitution canadienne future qui ne
tiendrait pas compte de l'existence au Canada de deux peuples je
comprends le problème que le chef de l'Opposition a mentionné en
ce qui concerne les autochtones; on en est fort conscient, d'ailleurs
serait une constitution qui porterait à faux. Cela explique pourquoi,
par exemple, quand le premier ministre du Canada a émis sa formule:
"Nous, peuple du Canada" (au singulier), ça a soulevé des
questions ici même au Québec et parmi des gens qui sont autour de
cette table.
Donc, le problème des deux sociétés ou des deux
peuples, je pense, ne présente pas de difficultés inouïes.
Je pense que ça devrait faire partie d'une déclaration de
principes ou d'un préambule, puisque ça gouverne l'ensemble de la
loi fondamentale.
En ce qui concerne l'autodétermination ou la libre disposition,
il y a une autre chose qui m'a l'air d'être assez claire, c'est que tout
le monde est d'accord que c'est un droit qui existe. C'est reconnu, et le chef
de l'Opposition nous a lu tantôt un document émanant de son parti;
même chose de la part du chef de l'Union Nationale. Alors, de ce
côté-là, il n'y a pas de difficulté. Je pense qu'il
n'y en a pas en ce qui nous concerne non plus, évidemment. En
conséquence, c'est un droit qui a été exercé et un
droit qui demeure. L'exercice de ce droit-là n'a pas à annuler ce
droit-là, comme quelqu'un vient de le mentionner. C'est un peu comme si
j'ai une automobile à la porte et que je décide de ne pas m'en
servir pour faire mes voyages. Je ne la fais pas disparaître; elle est
encore là. Par conséquent, il ne faut pas confondre les
sujets.
Maintenant, il reste un problème. Peut-être que c'est
ça dont le ministre de l'Education veut parler. Il s'agit de savoir si,
reconnaissant que le droit existe tout le monde est d'accord
là-dessus on en parle ou on n'en parle pas. Il restera à
savoir en quels termes on en parlera. J'admets qu'il peut y avoir bien des
approches. Alors, ça demeure comme problème. Je ne sais pas sur
quoi exactement M. le ministre de l'Education voulait intervenir. Je vais
peut-être lui laisser la parole, quitte à continuer
tantôt.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
ministre de l'Education.
Discussion générale
M. Morin (Sauvé): Effectivement, M. le Président,
je voudrais revenir sur un point souligné par le chef de l'Opposition et
voir s'il n'y aurait pas moyen de trouver un terrain d'entente au sujet de
l'énonciation de ce droit d'autodétermination, par ailleurs
reconnu en droit international et dans certaines constitutions.
(15 h 30)
Le chef de l'Opposition nous a rappelé qu'une résolution
adoptée lors d'un congrès de son parti avait reconnu clairement
le droit de la libre disposition du Québec; mais, a-t-il ajouté
dans la foulée du rapport Pepin-Robarts, il n'est peut-être ni
essentiel, ni opportun de le dire clairement dans la future constitution
canadienne. Je voudrais revenir sur cette idée, parce qu'il me
paraît que l'argument vaut la peine d'être examiné.
Le chef de l'Opposition nous a fait observer que très peu de
constitutions fédérales mentionnent ce droit de libre
disposition. Effectivement, le très petit nombre qui le mentionne n'a
pas, dans les faits, respecté ce droit. Ce sont surtout des Etats
socialistes, je pense, qui l'ont fait et l'on doit constater que dans le cas de
certaines républiques fédérées soviétiques,
comme la Géorgie, je pense, dans les années 1920, ce droit n'a
pas été appliqué. Je voudrais cependant faire observer que
nous avons devant nous un travail qui, dans une très large mesure, va
faire appel à du droit nouveau, à un certain esprit d'invention,
à une certaine imagination si l'on veut accommoder dans une future
constitution fédérale les droits fondamentaux du Québec
qui, par ailleurs, sont reconnus, si j'ai bien interprété le chef
de l'Opposition, par son parti.
Il me semble que la distinction entre droit politique et droit juridique
est un peu spécieuse. Au fond, qu'est-ce qu'un droit juridique? Quand un
droit dit politique devient-il juridique? C'est la question que le
député de Gaspé, chef de l'Union Nationale, a
évoquée il y a un instant, il faut tout de même faire
observer que ce droit est consacré par un très important texte
international qui constitue du droit: la Charte de l'ONU. Est-ce que le fait
que ce droit soit reconnu dans la Charte de l'ONU n'en fait encore qu'un droit
simplement politique ou ne peut-on considérer, selon la théorie
qui veut que le droit international prime le droit constitutionnel, qu'il
s'agit d'ores et déjà d'un droit non seulement politique, mais
bien juridique?
De toute façon, la question est de savoir si l'on ne doit pas
vouloir transformer un droit dit politique en un droit juridique,
c'est-à-dire expressément mentionné dans la constitution
du Canada. Le chef de l'Opposition disait: Mais, c'est un droit reconnu
je crois que le député de Rouyn-Noranda a aussi
évoqué cet argument donc, pourquoi le mentionner
expressément? Et on ajoutait: On ne légifère pas la vertu.
Je veux bien admettre qu'il est difficile d'imposer la vertu, mais on doit bien
admettre qu'une bonne partie de nos lois sont tout de même
destinées à faire en sorte que les hommes ne s'en
éloignent pas trop souvent. C'est ce dont il s'agit, en l'occurrence. Si
ce droit n'est pas mentionné expressément dans une future
constitution canadienne, ne risque-t-on pas d'être témoin de ce
qui s'est passé dans certaines autres fédérations
où les tribunaux ont dit: Ce droit n'est pas reconnu dans la
constitution, donc, il n'existe pas. On a fait allusion tout à l'heure
à une certaine jurisprudence. C'est ce qui s'est passé; la
constitution n'était pas claire, on l'a interprétée en
faveur d'un gouvernement central pour en conclure que le droit à
l'autodétermination n'appartenait pas à tel Etat membre de telle
fédération.
J'estime, pour ma part, que certaines choses sont mieux garanties
lorsqu'elles sont dites expressément. Dans le cas du Québec,
j'invite le chef de l'Opposition à réfléchir à
l'idée suivante: L'un des grands obstacles à l'élaboration
d'une constitution nouvelle tient à une certaine méfiance
historique entre les deux peuples.
Le Québec, étant minoritaire, a toujours été
soupçonneux a I'égard des desseins de la majorité. Est-ce
que cela ne faciliterait pas tout l'exercice constitutionnel si les
Québécois savaient qu'en tout état de cause leur droit de
libre disposition ne serait pas remis en question dans la suite du temps, s'ils
pouvaient compter une bonne fois sur un énoncé clair et
précis de leur droit de libre disposition, lequel, si j'ai bien compris,
est reconnu par tout le monde autour de cette table?
Si nous y croyons fermement même le député de
Rouyn-Noranda a dit que ce droit lui paraissait naturel si nous y
croyons tous, pourquoi ne pas demander qu'il soit consacré
officiellement et expressément? Je pense que les
Québécois, peut-être pour des raisons d'ordre
psychologique, se sentiraient plus à l'aise pour s'aventurer dans une
nouvelle constitution et dans les compromis qu'elle peut comporter s'ils
savaient que ce droit était reconnu au départ par toutes les
parties en présence.
Puis-je revenir sur cette idée que ce droit ne serait
peut-être pas "juridique ", mais seulement politique? Il faudrait
s'entendre sur la portée d'une déclaration comme celle d'Helsinki
qui n'est pas très ancienne puisqu'elle date de quelques années
à "peine c'était en 1975, si ma mémoire est bonne
que le Canada a signée et qui reconnaît le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes, et par laquelle il s'est
engagé à rendre ce droit effectif; c'est textuel, si ma
mémoire d'enseignant ne me fait pas défaut.
Le Canada s'étant engagé internationalement à
rendre ce droit effectif, quelle raison a-t-il de refuser d'inscrire ce droit
dans la constitution fédérale, autre que de vouloir se garder une
plus grande marge de manoeuvre, qui pourrait éventuellement permettre
aux tribunaux de nier ce droit? Si nous le reconnaissons tous, pourquoi ne pas
l'affirmer? Trouvons le vocabulaire suffisamment nuancé pour que les
textes correspondent aux réalités sous-jacentes.
Le député de Rouyn-Noranda a soutenu que le Québec
avait renoncé, le 20 mai, à l'exercice de ce droit. Je pense que
ses paroles ont probablement dépassé sa pensée puisque,
d'autre part, il nous a dit à la fin de son intervention qu'il
reconnaissait le droit du peuple québécois à disposer de
lui-même.
M. Samson: Je m'excuse, M. le Président, et je m'excuse
auprès du ministre, je n'ai pas dit que le Québec avait
renoncé à ce droit, j'ai dit qu'il n'avait pas accepté de
l'appliquer. C'est cela que j'ai voulu dire.
M. Morin (Sauvé): Ah! Il n'a pas accepté une
proposition qui lui était faite par le gouvernement du Québec
quant à un certain régime pour l'avenir, mais c'est un droit
inaliénable et aucun peuple digne de ce nom ne peut y renoncer!
Je conclus, M. le Président, que le Québec n'a jamais
renoncé à ce droit. La preuve, c'est qu'il l'a exercé,
justement, le 20 mai. Il ne doit pas y renoncer et notre intérêt
national, celui de tous les partis dans cette Assemblée nationale, si
l'on veut favoriser une discussion où chacun se sentirait sans
méfiance à l'endroit de l'autre, notre intérêt
collectif autour de cette table, c'est que ce droit soit expressément
mentionné dans toute future constitution. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Oui,
vous pouvez poser une question.
M. Le Moignan: C'est une simple question. Selon la solution
proposée par Gérard Bergeron à savoir que les
collectivités se sont associées librement au sein de la
fédération, je voudrais savoir du ministre si une telle
déclaration serait suffisante pour garantir juridiquement une
réalité politique que tous reconnaissent.
M. Morin (Sauvé): Je pense, M. le Président, qu'il
y aurait lieu d'examiner les mots de très près. Le seul risque
que j'y verrais, à première vue nous pouvons regarder le
texte de plus près au cours des heures qui viennent serait de
donner l'impression qu'une fois pour toutes, le Québec a
adhéré librement et que, désormais, il ne serait plus
libre. Il faut éviter toute idée que l'adhésion du peuple
québécois est irrévocable, qu'elle ne peut plus être
remise en question.
C'est le sens que revêt le droit de libre disposition. Il peut
être exercé dans l'avenir par une génération qui
nous suivra, ou, sait-on jamais, plus tôt que cela...
Je dirai simplement au député de Gaspé que, de ce
côté-ci de la table, nous serions prêts à examiner
toute formule qui n aurait pas pour effet de renoncer directement ou
indirectement a I exercice du droit de libre disposition dans I avenir.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Opposition officielle.
M. Ryan: J'ai écouté avec intérêt ce
qu'a dit le ministre de l'Education. Je pense que ça ne règle pas
le problème. Comme il le concède lui-même, nous sommes sur
un terrain où il faut inventer du droit nouveau. C'est extrêmement
délicat, il faut mesurer toutes les implications de ce qu'on va faire.
Je suis content de cet aveu d'humilité, d'un côté, qui
tranche avec une certaine assurance avec laquelle on parlait de ces choses
avant ce jour. Je suis content qu'on constate que le terrain est loin
d'être aussi clair qu'on le pensait.
Ce qui m'apparaît, en vous écoutant, c'est qu'il y a trois
grandes avenues possibles dans cette question-là. Il y en a
peut-être quatre. Il y en a une qui consiste à interdire le droit
de sécession, ce que font certaines constitutions
fédérales. Je pense que personne de nous ne veut d'une clause qui
interdirait le droit de sécession au Québec ou même
à d'autres parties constituantes de la fédération.
Deuxièmement, on peut envisager une clause dans laquelle il est dit que
les parties qui entrent dans cette alliance fédérale le font
librement et cela aurait, à mon point de vue, suivant la
rédaction qu'on trouverait, plus de portée que vous ne sembliez
vouloir le reconnaître. Il y aurait des choses à rechercher de ce
côté-là. Il y a une troisième avenue qui consiste
à veiller soigneusement à ce qu'aucune disposition du texte ne
vienne porter obstacle à l'exercice éventuel ou à la
reconnaissance implicite de ce droit. Cela aussi est fort. Je me rappelle
toujours une parole d'Eugène Forsey qui disait: "Quand la loi ne
défend pas une chose, je considère qu'elle est permise." En
général, je pense que c'est un principe assez juste. Je l'ai
appliqué longtemps dans ce que j'ai fait comme journaliste et ça
ne m'a jamais nui.
M. Morin (Louis-Hébert): Donc, on peut se fier à
ça.
M. Ryan: Je l'affirme à titre d'hypothèse. Je suis
bien heureux, si on veut me contredire, ça me fera plaisir. Je pense que
c'est un principe qui est sain en soi. Ce que les lois positives n'interdisent
pas, un préjugé veut qu'il soit permis de le faire. Finalement,
il y a une quatrième voie...
M. Morin (Sauvé): Les tribunaux ne sont pas toujours de
cet avis, cependant.
M. Ryan: Très bien, mais je l'émets à titre
de principe de sagesse fondamentale qui me semble intéressant.
Quatrièmement, il y a la voie qui consiste à affirmer
explicitement ce principe dans un texte constitutionnel. C'est la voie que le
gouvernement préconise. Il faut en mesurer toutes les
difficultés. Je pense que, si on l'inscrit pour le Québec, il
faudra l'inscrire aussi pour les autres partenaires, et...
M. Morin (Sauvé): Ma foi, c'est leur problème;
pourquoi pas?
M. Ryan: Cela va venir tout de suite. Il faut être
sérieux un peu quand on discute. A ce moment-là, si M. Lougheed
vient nous dire, parce qu'il n'est pas satisfait de la manière dont le
problème de l'énergie est réglé au Québec:
Je veux sortir de cette patente-là demain matin, mon droit est inscrit
là; ensuite, ce sera le tour de M. Peck-ford; ensuite, ce sera le tour
d'un autre. Si c'est ce que vous voulez faire, une espèce de palais
flottant sur l'eau...
M. Morin (Sauvé): Non, ce n'est pas ce que nous
entendons.
M. Ryan: ... ce ne sera pas, à ce moment-là, un
pays très durable. Il faut mesurer les implications comme il faut.
Actuellement, j'affirme une chose. Nous l'avons concrètement, vous
reconnaissez vous-mêmes que nous l'avons exercé le 20 mai dernier.
Et c'est déjà beaucoup à comparer à ce qui existe
dans le monde actuellement. On peut chercher la perfection, mais il n'y a pas
beaucoup de pays dans le monde...
M. Morin (Sauvé): Sauf que certains ne refusaient d'avance
de reconnaître le résultat.
M. Ryan: Allez dans certains pays que vous fréquentez
souvent et vous verrez qu'on n'aurait pas pu exercer ce droit-là de
manière aussi libre et inconditionnelle que nous l'avons fait chez nous,
au Canada. Si nous pouvons construire l'avenir sur un fondement aussi solide
sans s'embarquer dans des voies juridiques inextricables, je pense qu'il y aura
de grands avantages à agir ainsi.
Il me semble qu'à ce moment-ci c'est le gouvernement qui a
l'initiative du jeu. On va le lui rappeler, d'ailleurs, à propos de tout
ce sujet de la déclaration de principes. C'est bien beau, vous nous
tirez les vers du nez, c'est agréable, on le fait avec plaisir, cela se
fait dans un climat de grande courtoisie, mais on va vous demander, à
partir des prochains instants, de nous produire des textes parce que c'est vous
qui allez nous représenter là-bas parce que c'est vous qui avez
le mandat, jusqu'à nouvel ordre, de le faire. Vous allez nous produire
des textes en nous disant sous quelle forme cela pourrait être fait. (15
h 45)
Encore une fois, je vous ai fait part de réserves très
sérieuses. Je vous rappelle qu'il y a quatre voies possibles. J'ai
écouté avec intérêt ce qui a
été dit. Je me réjouis de constater, sur le fond,
au plan politique, que le gouvernement se rend compte qu'il n'y a pas
d'opposition fondamentale dans la ligne de conduite des partis
représentés autour de la table.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Mme la
députée de Prévost.
Mme Chaput-Rolland: Je voudrais d'abord répondre à
M. Jacques-Yvan Morin sur le droit à l'autodétermination...
Une Voix: Le ministre de l'Education.
Mme Chaput-Rolland: Je vous demande pardon. J'ai le trac parce
que c'est la première fois que je fais partie d'une telle commission. M.
le ministre, excusez-moi.
Vous avez cité, tout à l'heure, la Charte des Nations
Unies, l'article 4 qui permet aux peuples de disposer d'eux-mêmes.
Quelques années plus tard, vous n'êtes pas sans savoir que U Thant
avait fait une autre déclaration qui disait que les Nations Unies, pour
autant qu'elles reconnaissaient le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, ne reconnaissaient pas aux nations qui adhèrent
à la charte le droit de laisser une des parties composantes des
nations... Oui, c'est une résolution que je connais très bien, et
qui a existé; elle a soulevé beaucoup de controverse, mais elle a
existé. Si on l'applique à notre société, on
pourrait presque dire que ce n'est pas parce que le Québec est une
province qu'il a le droit à l'autodétermination; c'est parce
qu'il est une société distincte qui a ses composantes dans les
autres provinces. Comment allez-vous reconnaître aux Canadiens
français des autres provinces le droit à
l'autodétermination du peuple québécois? Ces autres
branches dans les autres provinces, comment vont-elles... C'est pour cela
qu'autant la Commission Pepin-Robarts que la commission de M. Ryan ont reconnu
le droit des peuples à s'autodéterminer, autant nous ne voulons
pas que cela s'insère dans la constitution, mais que cela soit dans un
texte à côté. C'est ma première intervention.
La deuxième intervention voudrait porter sur le dualisme. Il me
semble extrêmement important, M. le ministre des Affaires
intergouvernementales, d'éviter, comme je l'ai dit, dans un
préambule... Qu'est-ce qu'un préambule? C'est ce qui contient la
fibre même du pays, c'est ce qui contient l'idéal d'un pays, c'est
ce qui fait que des citoyens manifestent une volonté commune de vivre
ensemble. C'est pour cela que je m'étais élevée contre
l'expression "le peuple", en disant: De grâce, ayons le courage de
trouver des mots qui réconcilient plutôt que des mots qui
divisent.
La dualité, dans le contexte de la Commission Pepin-Robarts
à laquelle j'ai appartenu, telle que le comprend le livre beige
qui devient de plus en plus foncé, si vous me permettez il me
semble bien qu'à partir de ce moment, on peut s'apercevoir que ce n'est
pas simplement une dualité d'une société française
et anglaise, mais le dualis- me, tel que l'a compris la Commission
Pepin-Robarts et tel qu'elle l'a défini, était un dualisme
à quatre volets. C'était un dualisme, d'une part, linguistique,
d'une part, juridique, confessionnel parce que, dans l'actuelle
constitution, il y a deux systèmes, catholique et protestant au
Québec et culturel. Ce sont ces quatre dualismes, ces quatre
versets de la dualité qui donnent au Québec son caractère
spécifique ou son caractère distinctif. Voilà pourquoi je
dis tout simplement et c'est le sens de mon intervention, parce que le
chef de l'Opposition officielle a tout exprimé sur cette dualité
qu'il me semble très important qu'on aille au-delà de deux
sociétés linguistiques pour mettre dans le préambule ce
qui donne au Canada tout entier son caractère différent des
autres pays et qui donne au Québec son caractère distinctif.
La troisième ou quatrième, je ne sais plus, c'est que
lorsque nous sommes arrivés à décrire ce que nous devions
mettre dans le préambule je présume que les commissaires de
votre commission ont dû faire la même chose ce n'est qu'une
fois que nous avons terminé le chapitre sur le fédéralisme
renouvelé que nous avons conçu ce qui pouvait entrer dans le
préambule. Mon collègue, Gérald Beaudoin, est ici, il va
confirmer cela. C'est une fois qu'on a eu tout fini ce chapitre, qui
était très long, qu'on a bien compris. J'abonde tout à
fait dans le sens du chef de l'Opposition officielle pour dire que le
préambule est d'une importance capitale, mais à la fin de
l'exercice, pas au commencement et que, probablement, les mots que nous
cherchons à éviter, comme "les deux peuples"... M. le ministre
des Affaires intergouvernementales vient de dire que nous nous accordons sur
deux sociétés, et le premier ministre dont je regrette beaucoup
l'absence cet après-midi a dit, dans sa déclaration du 8 juin:
"Pour nous, l'immense majorité des Québécois, le Canada
est composé de deux nations égales entre elles." On est
déjà entre nous, entre le premier ministre et son ministre, en
présence de définitions différentes. C'est pourquoi je
reviens sur cette proposition que je vous ai faite en disant: De grâce,
M. le ministre, quand vous serez là... Je l'ai ici, si vous voulez la
lire; je ne l'ai pas inventée. Il me semble que c'est encore
extrêmement important que l'on trouve des mots qui rallient tout le monde
et qu'on ne s'enferme pas dans des sémantiques, c'est pour cela ce qu'il
y a...
Une Voix: ...
Mme Chaput-Rolland: Je peux arrêter de parler si je vous
dérange, messieurs.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre, s'il vous plaît!
Mme Chaput-Rolland: Je ne veux pas vous déranger trop.
Merci.
M. Morin (Louis-Hébert): Non, mais on s'amuse...
Mme Chaput-Rolland: Je veux terminer, M. le ministre. Je n'ai
qu'une phrase avant de terminer. Je voudrais simplement revenir sur la notion
du dualisme et d'en faire à quatre parties plutôt qu'uniquement se
concentrer sur la dualité, soit celle de deux peuples, de deux nations,
de deux sociétés, de deux communautés. Mais le dualisme
comme tel, c'est la base du préambule, mais une fois simplement que vous
aurez trouvé tout ce qu'il y aura dans la prochaine constitution. J'ai
l'impression que c'est sur le texte de la constitution que vous avez
trouvé les mots exacts qui seront contenus dans le préambule.
Merci.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
M. le député de Verchères.
M. Charbonneau: La première chose, c'est seulement pour
reprendre Mme la députée de Prévost au sujet des
définitions différentes. Je me suis amusé ces derniers
jours à faire...
Mme Chaput-Rolland: ... M. le député.
M. Charbonneau: Non.
Mme Chaput-Rolland: Merci.
M. Charbonneau: Pas exactement vous reciter, mais plutôt
voir comment vous avez utilisé les définitions dans la logique de
votre dictionnaire, notamment à la commission Pepin-Robarts. J'ai
constaté que certains mots, vous les avez complètement omis dans
votre rapport, par exemple, le mot "nation", et, dans d'autres cas, vous avez
utilisé les mêmes mots pour définir des choses
complètement différentes. Si vous voulez, pour votre
intérêt personnel, je pourrai vous fournir les pages et
d'abondantes citations pour montrer, dans l'usage qu'on a fait des mots, qu'on
peut tous être pris en flagrant délit de contradiction: pas
seulement le premier ministre du Québec, le chef de l'Opposition encore
ce matin...
Mme Chaput-Rolland: J'ai donné cela à titre
d'exemple.
M. Charbonneau: ... vous et moi et peut-être tout le monde
ici. C'est la première chose.
Une Voix: C'est cela.
M. Charbonneau: La deuxième chose, c'est lorsque le
ministre de l'Education parlait de droit nouveau et qu'on faisait appel
tantôt à l'existence de pays totalitaires qui, eux, reconnaissent
le droit à l'autodétermination. Peut-être que ce serait du
droit nouveau d'une façon intéressante au niveau international
que des pays dits démocratiques, pour une fois, puissent
reconnaître ce droit, surtout lorsqu'on aspire à une constitution
qui aurait des élans de générosité, comme le dit
souvent le chef de l'Opposition.
Troisièmement, une chose est certaine, c'est que le Québec
est probablement la seule province qui peut prétendre être le
foyer national d'un peuple, d'une nation, au Canada. C'est dans ce
sens-là que le gouvernement est légitimé de faire en sorte
que non seulement ici, autour de la table, on reconnaisse ce droit, mais qu'on
ait les garanties pour ce peuple et pour son foyer national, pour sa patrie,
pour sa mère patrie, comme le disait le livre beige, que ce droit soit
explicitement reconnu. Quant aux autres provinces, c'est leur problème,
et je n'ai pas l'impression je reprends la commission Pepin-Robarts
qu'il faudrait que chaque province au Canada nous le démontre.
Personne n'a voulu revendiquer ce droit d'être ou cette
réalité d'être le foyer national d'un peuple. Aucune des
autres provinces n'a jamais prétendu être le foyer national d'un
autre peuple. La seule province au Canada qui a toujours parlé de cette
manière, c'est le Québec.
Dernièrement, vous avez parlé du problème de
l'exercice du droit à l'autodétermination à cause des
francophones hors Québec. Pourtant, le peuple canadien-français
concentré à 90%, si on exclut les Acadiens, au Québec, a
exercé ce droit. Je reprends le professeur Jacques Brossard que vous
connaissez sans doute, qui est probablement un des plus grands juristes et le
plus grand consti-tutionnaliste du Québec, qui a pondu une brique il y a
plusieurs années; il a expliqué comment, finalement, ce peuple,
cette société distincte dont vous parlez, pouvait très
exactement en droit international exercer son droit à
l'autodétermination même si l'ensemble des membres de cette
société distincte dont vous parlez, du peuple dont nous parlons,
n'a pas nécessairement été appelé à voter.
Les citoyens du Québec ont voté. 80% à 90%, selon qu'on
exclut ou non les Acadiens, les gens de ce peuple-là se sont
exprimés. Trouvez-moi un peuple dans le monde qui n'a pas de diaspora et
qui est parfaitement concentré dans un Etat. Il n'y en a pas.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
M. le chef de l'Union Nationale, vous m'aviez demandé la parole, je
pense.
M. Le Moignan: Oui, j'aurais deux questions à poser au
ministre...
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
D'accord. Allez-y.
M. Le Moignan:... à la suite des discussions. Il semble se
dégager, d'après moi du moins, un genre de consensus soit sur
l'existence de deux sociétés au Canada ou encore de deux peuples
fondateurs même si, dans notre document, nous parlons de deux nations. Je
voudrais demander au ministre des Affaires intergouvernementales si cette
unanimité peut aller jusqu'à exiger la reconnaissance du
caractère distinctif du Québec, premier foyer et centre de
gravité de l'une de ces deux nations. Est-ce votre intention d'inscrire
cela dans le préambule de la déclaration de principes?
M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce que je peux
répondre tout de suite, M. le Président?
M. Le Moignan: Oui, j'aimerais mieux que vous répondiez
tout de suite et j'aurais une autre question.
M. Morin (Louis-Hébert): Nous n'avons pas encore
préparé, sauf des brouillons que nous nous sommes faits, de
projet de déclaration de principes; en tout cas, nous n'en avons pas de
prêt pour le moment. J'aurais l'intention de proposer que nous utilisions
dans ce préambule à peu près les mots que vous venez
d'utiliser. Je ne vois pas en quoi ils seraient inacceptables puisqu'ils sont
ceux que M. Trudeau lui-même, dans sa lettre ouverte aux
Québécois, a mentionnés. La réponse à votre
question est oui.
M. Le Moignan: Voici maintenant ma deuxième question. On a
parlé tout à l'heure de la libre disposition. Est-ce que le
ministre accepterait d'étudier plus en profondeur la possibilité
de proposer une formule qui irait dans le sens d'une fédération
où les composantes sont associées librement? Ici, je crois
rejoindre la position du Parti libéral, si j'ai bien compris
l'argumentation de ce côté-là; je pense que cela rejoint
les préoccupations et de l'Union Nationale et du Parti libéral.
Est-ce que cette solution de compromis serait acceptable? Si j'ai mal
interprété...
M. Morin (Louis-Hébert): L'intervention du chef de l'Union
Nationale rejoint aussi nos préoccupations pour la bonne raison que,
sans savoir qu'il y avait quatre avenues, comme le chef de l'Opposition l'a
mentionné tantôt, nous avons déjà, au cours de nos
négociations du mois dernier, exploré la troisième. On
sait très bien on n'est quand même pas né de la
dernière pluie qu'il y a des mots qui font sursauter des
personnes et qu'on n'est pas obligé de les utiliser si on en a d'autres
qui disent la même chose. Cela fait longtemps que j'ai appris cela; par
conséquent...
Une Voix: Souveraineté-association.
M. Morin (Louis-Hébert): ... il va de soi que la
solution... J'avais une blague à faire tantôt et tout le monde est
en train de s'amuser, mais je ne veux pas changer le sujet. Je voulais montrer,
à partir d'un vieux journal, un titre au chef de l'Opposition, Je lui
montre, seulement à lui.
M. Ryan: Quelle année?
M. Morin (Louis-Hébert): Quelle année? 1970.
M. Ryan: Dix ans sont passés depuis ce
temps-là.
M. Morin (Louis-Hébert): Vous parliez des deux nations qui
étaient en train de se faire; elles sont peut-être
réalisées depuis dix ans. Bon. Cela étant dit, pour
revenir à des propos plus sérieux, je voudrais dire au chef de
l'Union Nationale qu'effectivement c'est dans cette direction que notre
recherche se dirige depuis trois semaines. Je pense qu'à partir de nos
échanges aujourd'hui, tenant compte qu'il y a des problèmes de
terminologie Dieu sait s'il y en a nous pensons pouvoir, avec ce
qui s'est dit jusqu'à maintenant je ne voudrais pas faire un faux
résumé d'un faux consensus, on aura les notes de ce qui s'est dit
depuis le début et on les consultera. Pour ma part, je pense que, compte
tenu de l'obligation dans laquelle on est ou on sera vraisemblablement, comme
délégation, de parler de cette question de préambule,
même si cela aurait très bien pu venir à la fin
qu'est-ce que vous voulez, ce n'est pas nous qui avons poussé
là-dessus, le premier texte qui a été
présenté publiquement est celui d'un préambule
comme nous aurons à nous en occuper, comme nous aurons à y
insérer de toute façon des choses qui vont être
significatives, il ne faudrait pas, à partir de la hâte de
certains d'agir de ce côté-là, commettre d'erreurs qui
engageraient d'une façon qui ne conviendrait pas à l'avenir des
Québécois.
Par conséquent, après ce qui a été dit
aujourd'hui et sans aller plus loin, personnellement, j'en ai assez pour voir
dans quelle direction nous orienter, d'autant plus que je découvre
à la discussion que les orientations en cause sont assez
convergentes.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Opposition.
M. Ryan: Je voudrais ajouter quelques notes, si vous me le
permettez, M. le Président. D'abord, au sujet de ce qu'a dit le chef de
l'Union Nationale plus tôt, à propos des principes qui nous ont
été soumis, la plupart des principes qui sont
énoncés dans cette déclaration sont acceptables moyennant
certaines réserves aux chapitres du vocabulaire et de la
sémantique. Evidemment, cela reste une parenthèse qu'il faut
mettre, mais sur le fond je pense qu'il n'y a pas trop de difficultés,
sauf à propos d'un point. (16 heures)
Le septième principe que vous avez formulé s'énonce
ainsi. Cette nouvelle constitution doit reconnaître que le Québec,
premier foyer de la nation canadienne-française, est la seule province
à majorité de langue française au Canada. Ce
caractère distinctif lui confère des responsabilités,
notamment dans le domaine socio-culturel à l'égard de la nation
canadienne-française, que les neuf autres gouvernements provinciaux
assument ensemble à l'égard de la nation canadienne-anglaise. Je
ne voudrais pas qu'il y ait de malentendu dans les esprits. Moi, je ne souscris
pas à cette formulation. Je pense que le Québec est le foyer
principal de la communauté française au Canada, même en
Amérique du Nord. A ce titre, il a des responsabilités majeures
à l'endroit de sa population francophone, aussi à l'endroit du
fait français en général, en Amérique du Nord. Mais
il a également des responsabilités qu'il peut seul assumer
à l'endroit de ses minorités linguistiques, en particulier de sa
minorité anglophone et de ses
minorités ethniques. De même, il faudra absolument que la
future constitution affirme les responsabilités des autres provinces,
les responsabilités premières des autres provinces au plan
juridique à l'endroit de leurs minorités francophones. C'est
peut-être cela que vous seriez prêt à admettre par voie
d'extension, mais la formulation qui est là est assez peu claire. Je
pense que c'est important que ceci soit très net, je veux l'affirmer
avec beaucoup de force. Deuxièmement...
M. Le Moignan: Si le chef de l'Opposition le permet, je pense
qu'on rejoint le rapport Pepin-Robarts dans cette affirmation. Je n'ai pas la
citation, la référence précise, mais, de toute
façon, on pourra fouiller et on pourra s'en reparler.
M. Ryan: Oui, mais même si c'était écrit dans
le rapport Pepin-Robarts, cela ne veut pas dire que je l'accepterais comme tel!
Excusez, Mme... J'ai trois observations à formuler. Deuxièmement,
je pense qu'il est important qu'on aborde l'oeuvre de la révision
constitutionnelle avec l'idée de durée. Il me semble que, si on
allait faire une enreprise comme celle-là sans nourrir
sincèrement et profondément des pensées de durée,
il y aurait quelque chose d'absolument faux et artificiel dans l'exercice.
C'est pour cela qu'on dit souvent c'est une comparaison banale dont je
ne veux pas abuser que, lorsqu'on contracte mariage, le premier souci
qu'on a, ce n'est pas de dire: Je peux en sortir dans six mois si cela ne
marche pas. Qu'il y ait des lois qui prévoient qu'on pourra en sortir,
c'est une autre affaire. Mais nous autres, ce que nous disons ici, c'est que
c'est bien important que l'idée de durée soit l'un des moteurs de
toute l'entreprise qu'on va essayer de mettre sur pied. Autrement, c'est
évident qu'on va bâtir un château de cartes fait de
légalisme et d'arrangements artificiels et qui menacera de s'effondrer
à la première occasion.
J'ajoute un autre point. Dans le projet de déclaration que le
chef de l'Union Nationale a soumis, si on avait seulement ceci pour nous
guider, je pense qu'on n'aurait pas les éléments capitaux dont on
a besoin pour édifier un fédéralisme concret au Canada.
C'est très important d'ajouter des éléments qui vont dire
ce que sera le rôle d'un pouvoir central dans le régime
fédéral de demain; ce que sera la responsabilité des
pouvoirs provinciaux également et ce sont des aspects qui ne sont pas
traités du tout, sauf de manière très rapide, dans le
document en question. Cela étant dit, je ne pense pas que ce soit le
lieu aujourd'hui, je ne voudrais pas que le ministre conclue qu'on s'entend sur
tout parce qu'il y a des points très importants sur lesquels il y a des
difficultés et il appartiendrait au gouvernement de produire des textes
que nous jugerons en toute liberté, à la lumière des
idées que nous avons énoncées aujourd'hui.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Rosemont et, par la suite, M. le député
de Rouyn-Noranda.
M. Paquette: Deux très brèves remarques, M. le
Président, pour ne pas allonger les débats. Sur la proposition du
chef de l'Union Nationale, à savoir qu'on pourrait peut-être
formuler le droit à l'autodétermination du Québec sous la
forme: les partenaires adhèrent librement à la
fédération canadienne, personnellement, j'aurais quelques
réserves parce qu'il faudrait définir quels sont les partenaires
dont on parle. S'il s'agit des dix provinces canadiennes, à ce moment,
cela démontre que l'on ne reconnaît pas le droit à
l'autodétermination du Québec dans les faits puisque c'est en
tant que nation, que société distincte que le Québec peut
revendiquer et revendique depuis toujours le droit à
l'autodétermination. Ce serait en quelque sorte traiter, quant à
cette adhésion libre, les dix provinces sur le même pied alors que
seul le Québec réclame être le foyer principal d'une nation
et, par conséquent, réclame qu'on reconnaisse son droit à
l'autodétermination. Il faudra donc faire extrêmement attention
à cette formulation.
La deuxième remarque se raccroche à ce que disait le chef
de l'Opposition officielle. J'ai cru percevoir que ses réticences
à inscrire le droit d'autodétermination du Québec dans la
constitution canadienne avaient trait à une impression qu'on pouvait en
quelque sorte donner qu'on ne faisait pas une constitution pour durer.
M. le Président, je vous rappelle qu'on peut très bien
adhérer à ce droit d'autodétermination en étant
souverainiste, en étant fédéraliste. D'ailleurs,
l'adhésion unanime à ce principe des partis autour de la table le
démontre.
Par conséquent, affirmer le droit à
l'autodétermination dans la constitution canadienne a des
conséquences importantes qui n'ont pas nécessairement quelque
chose à voir avec une éventuelle sécession du
Québec ou un éventuel nouveau référendum sur cette
question. C'est simplement faire en sorte que soit reconnu par tout le monde
qu'aucun régime fédéral ne pourra être établi
sans que le peuple québécois n'y adhère librement.
Très concrètement, ça pourrait vouloir dire ceci: On ne
devra pas, par exemple, dans la formule d'amendement, faire en sorte qu'une
nouvelle constitution ou des amendements à une nouvelle constitution
puissent être adoptés sans que le Québec n'y ait souscrit
librement.
Je pense que le droit à l'autodétermination du
Québec a de multiples usages et par conséquent son inscription
dans la constitution canadienne ne signifie pas qu'on remet en question la
durée du travail de rédaction d'une nouvelle constitution qu'on
est en train de faire.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Rouyn-Noranda.
M. Samson: M. le Président, concernant l'inscription du
droit à l'autodétermination dans la future constitution, les
arguments que j'ai écoutés avec beaucoup d'intérêt
ne m'ont pas convaincu qu'il fallait l'inscrire dans la future constitution.
Cependant, j'ai cru comprendre qu'à la lumière
des discussions, le ministre verrait à tenter de trouver une
formulation acceptable. Evidemment, en ce qui me concerne, j'attendrai de voir
quelle sera cette formulation. Ce que j'aimerais souligner, c'est que cela
n'engage pas, au moment présent, la présente commission ou les
membres de la présente commission. Si je comprends bien le
ministre me corrigera si j'ai mal compris vous verrez à
préparer quelque chose de différent, et avant de demander un
consensus, vous nous le soumettrez, si j'ai bien compris. Est-ce que c'est
ça?
M. Morin (Louis-Hébert): C'est-à-dire que
l'objectif n'était pas, aujourd'hui, de prendre des bribes de phrases de
tous et chacun, d'aligner ça ensemble et de dire que ç'a
été prononcé ici, donc tout le monde est d'accord.
Là-dessus, je pense que c'est très clair.
Deuxièmement, est-ce qu'on va vous reconsulter sur la
terminologie utilisée? Il y a une chose sûre, c'est que quand le
gouvernement sera arrivé à une formulation concernant le
préambule, d'une façon ou de l'autre et je ne peux pas
vous dire comment ça se produira, parce que je ne connais pas le
calendrier, mais je peux vous dire qu'on est extraordinairement pris, je vous
ai montré l'horaire ce matin, d'ici le 8 septembre quand ce sera
prêt, ce sera public, comme toutes les choses qu'on a faites. A ce
moment, tous les commentaires seront bienvenus, parce que, s'il y a des choses
à améliorer dans ce qu'on aura produit, nous le ferons avec
plaisir à partir des commentaires qui auront été
formulés, que ce soit par vous ou par d'autres.
M. Samson: Ce que je voulais vous entendre dire, c'est que vous
ne tenez pas pour acquis qu'il y a un consensus sur la formulation à
venir.
M. Morin (Louis-Hébert): Pour la bonne raison qu'on n'a
pas soumis de formulation et que personne n'a rien écrit.
M. Samson: Qui est à venir...
M. Morin (Louis-Hébert): Non, ni actuelle ni à
venir; ce que j'ai dit c'est qu'il s'est dit beaucoup de choses, alors,
consultez les notes. Ce que j'ai entendu, en autant que ma mémoire est
fidèle, m'oriente dans la rédaction de ce document que nous
allons faire et, à partir de ça, vous jugerez si ce qu'on a dit
correspond à ce que vous avez voulu dire. On n'est pas obligé
d'être d'accord sur tout, c'est bien évident, mais je pense qu'en
ce qui concerne ce sujet, c'est telle proposition que je ferais, mais en ce qui
concerne ce sujet, on a assez fait le tour que toute autre continuation de
discussion serait peut-être une addition ou des renvois en bas de pages
à propos de ce qui s'est déjà dit jusqu'à
maintenant. Je proposerais peut-être qu'on change de sujet, M. le
Président.
M. Ryan: Est-ce que vous avez une idée du moment où
vous allez produire ce document? Est-ce qu'il va circuler avant la
réunion d'Ottawa ou...
M. Morin (Louis-Hébert): C'est une bonne question. Ce qui
se produit c'est que, normalement, on doit parler de ce sujet dans la
dernière semaine du mois d'août, au niveau des ministres. Bon. Si,
à ce moment-là, nous avons un texte de prêt, il sera, comme
toutes les autres propositions faites par le gouvernement du Québec,
immédiatement rendu public. S'il n'est pas rendu public à ce
moment-là, vous pourrez tenir pour acquis que c'est parce qu'il ne sera
pas fait à ce moment. Parce qu'il peut arriver que l'ordre du jour
fédéral soit chambardé. Je ne sais pas, mais pour autant
que nous connaissions les événements à venir maintenant et
pour autant que nous puissions interpréter de façon
réaliste les indications que nous avons, le sujet vient à l'ordre
du jour, d'abord dans deux semaines, et ensuite, à la conférence
des premiers ministres. C'est ou bien dans deux semaines ou à la
conférence des premiers ministres même, mais si c'est dans deux
semaines, au moment de la réunion des ministres, il est sûr que la
journée même, il va sortir.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): On
change de sujet. M. le chef de l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Avant qu'on change de sujet, j'ai fait un petit
résumé, peut-être que le ministre pourrait me dire si c'est
exact ou non, ce n'est pas un texte définitif. Est-ce qu'on peut dire
qu'on est d'accord sur certains points, par exemple, que le
fédéralisme, d'après nous, est le meilleur outil pour
assurer l'unité du Canada et le respect des différences de
régions, de dualité, et le reste? Deuxièmement, on est
d'accord sur le besoin d'une constitution conçue et adoptée au
Canada; troisièmement, l'égalité de statut de deux ordres
de gouvernement; quatrièmement, chaque ordre est souverain dans ses
sphères de compétence; cinquièmement, la
délimitation claire des compétences en vue d'éliminer ou
de diminuer les chevauchements; sixièmement, les pouvoirs
rési-duaires qui ne sont pas nécessairement dévolus au
fédéral iraient nécessairement aux provinces;
septièmement, deux sociétés au Canada et une à
caractère distinctif au Québec et, finalement,
l'autodétermination.
M. Morin (Louis-Hébert): Je vais répondre à
votre question. Sur les points que vous avez mentionnés, je dirais que
90%, sauf quelques mots ici et là, ne présentent aucune
espèce de difficulté comme guide à notre
négociation des prochaines semaines. En ce qui concerne, par exemple,
votre premier point...
M. Le Moignan: Le premier point, oui.
M. Morin (Louis-Hébert):... parce que c'est ce que vous
avez en tête justement, vous aurez peut-être noté ce matin
que dans la déclaration que j'ai faite, j'ai dit que notre rôle,
actuellement, comme délégation, était je ne peux
pas me citer exactement, parce que je ne retrouve pas mon texte
qu'à l'intérieur du régime actuel, puisqu'il
n'est pas mis en cause présentement, nous essayons de faire en
sorte que les droits et les intérêts des Québécois
soient les mieux préservés et qu'ils soient l'objet d'une
attention particulière, compte tenu des intérêts et des
droits des autres. Disons que je vous répondrai de façon
pragmatique étant donné que nous nous situons dans un cadre qui
est celui qui existe et que nous respectons.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Avant de
changer de sujet, j'aimerais informer les membres de la presse parlée
surtout, qu'il leur est défendu, en salle de commission parlementaire,
de faire des topos, comme on dit dans leur langage.
Là-dessus...
M. Ryan: Juste un petit mot, M. le Président. M. le chef
de l'Union Nationale a fait un résumé qui est sa
responsabilité. Si vous voulez un résumé de la position de
mon parti, vous le trouverez évidemment dans les textes de mon parti que
j'ai cités, dans les déclarations que j'ai faites au cours de la
journée. Je ne voudrais pas être résumé par un autre
à ce moment-ci.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Alors...
M. Ryan: Honnêtement...
M. Le Moignan: J'ai demandé si ça rejoignait.
M. Morin (Louis-Hébert): Je ne comprends plus, là.
En tout cas... Je ne sais pas de quoi il s'agit.
La charte des droits
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Conformément à l'entente de ce matin, nous abordons maintenant le
deuxième point qui est la charte des droits. Je cède la parole au
ministre de l'Education. (16 h 15)
M. Jacques-Yvan Morin
M. Morin (Sauvé): M. le Président, je ne sais s'il
sera possible de trouver un terrain d'entente à ce sujet, mais nous
pouvons tenter, à tout le moins, de circonscrire les points qui
demeurent contentieux.
La première chose à constater, lorsque nous abordons ce
sujet des droits fondamentaux, c'est l'existence au Québec d'une charte
qui est probablement l'une des plus complètes existant sur cette
planète. Je pense que tous reconnaissent que la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne est l'une
des plus élaborées, sinon la plus élaborée et, en
même temps, l'une des mieux respectées.
Nous en avons même appliqué les dispositions à
diverses reprises, notamment à propos de la Charte de la langue
française, à la suite des représentations qui nous ont
été faites par la Commission des droits de la personne. Non
seulement, donc, cette charte existe-t-elle, mais elle est appliquée,
respectée; elle est, pour tout dire, vécue.
Aussi, lorsqu'on aborde cette question des droits fondamentaux, de leur
inscription dans une future constitution fédérale, on ne peut
manquer d'observer au départ que les Québécois ont pris
leurs responsabilités, probablement mieux que toute autre province et
sans doute mieux que le gouvernement fédéral lui-même dans
ce domaine. Nous n'avons pas à adopter l'attitude de gens qui seraient
comment dire peu fiers de ce qu'ils ont fait dans ce domaine. Le
Québec reconnaît effectivement les droits des personnes et les
protège d'une manière étonnamment efficace.
On pourrait penser, comme l'a soutenu dans un certain document
libéral, qu'une charte fédérale décrivant les
droits fondamentaux, les principes démocratiques, les droits personnels
et les droits linguistiques, rendrait les citoyens "plus conscients des
consensus et des valeurs qui les rapprochent". Je me permets d'utiliser
textuellement les mots que l'on trouve dans le préambule du chapitre 3
de ce qu'il est convenu d'appeler le livre beige. Mais, au contraire, il
pourrait y avoir là un certain risque de "déresponsabiliser" le
Québec et ses représentants légitimes à
l'Assemblée nationale.
Je ne pense pas que nous ayons manqué jusqu'ici à nos
responsabilités. Au contraire, j'estime que nous les avons
exercées de façon exemplaire. L'un des risques que comporte
l'adoption d'une telle charte constitutionnelle, sans pour autant l'exclure a
priori, c'est de voir imposer à la minorité, en l'occurrence le
Québec, un système de valeurs et peut-être même des
intérêts politiques, comme on en trouve entre les lignes dans le
projet fédéral, qui sont essentiellement ceux de la
majorité. C'est un risque sur lequel je tiens à attirer votre
attention. Lorsqu'une collectivité se donne une telle charte, c'est la
majorité qui en définit les principes et elle le fait en
s'inspirant de ses propres valeurs. On pourrait, en jetant un coup d'oeil sur
certaines lois fédérales, depuis une trentaine d'années
sinon davantage, trouver de multiples exemples où le système de
valeurs qui inspire la législation pénale, par exemple, n'est pas
celui du Québec, mais celui de la société majoritaire
qu'on pourrait décrire, de façon très
générale, comme étant anglophone et s'inspirant de valeurs
protestantes.
Cela pourrait aboutir c'est un risque qu'il faut mesurer, dont il
faut tenir compte, en tout cas à "déresponsabiliser" le
Québec et les Québécois et, au pire, à les ligoter,
dans la mesure où la charte fédérale pourrait contenir
quelques petits pièges dont certains fédéraux ont le
secret.
Encore s'il ne s'agissait que de libertés fondamentales, de
droits personnels, de principes démocratiques pour reprendre les
principaux titres du projet fédéral nous pourrions sans
doute trouver un terrain d'entente. En tout cas, du côté
gouvernemental, nous allons activement rechercher ce terrain d'entente. Mais il
faut consta-
ter que le texte fédéral devra être examiné
à la loupe avant que nous puissions même le considérer
comme une base de discussion sérieuse.
Par exemple, je vais maintenant me pencher rapidement sur ce qu'on
appelle les restrictions aux libertés notamment aux
libertés personnelles que contient le projet
fédéral. Si je me réfère aux documents de la
commission constitutionnelle du Parti libéral du Québec, j'y
trouve une allusion à "plusieurs expériences très
présentes à notre esprit" pour justifier l'adoption d'une charte
constitutionnelle des droits et libertés. Cela se trouve le
préambule du chapitre 3. Pour fonder, donc, la nécessité
d'une telle charte, on fait allusion à ces événements que
tous ont à l'esprit.
On pourrait, en effet, penser qu'une nouvelle charte offrirait des
garanties suffisantes aux citoyens pour les protéger en cas
d'événements graves, fussent-ils semblables à ceux de
1970. Votre document le document libéral voudrait
protéger ces droits de façon inaliénable et sûre.
Tous, je pense, peuvent partager cet objectif de protection des droits "de
façon inaliénable et sûre", sauf que ce n'est pas ce que
fait le projet fédéral devant lequel nous nous trouvons.
Mon propos sera d'attirer l'attention des membres de cette commission
et, au-delà de cette commission, l'attention des Québécois
sur les textes qu'on nous propose. En effet, au chapitre des droits personnels,
portant sur la vie, la sécurité de la personne, les saisies,
l'immixtion dans la vie privée, l'emprisonnement, l'habeas corpus, la
non-rétroactivité des lois, l'article 6, alinéa 3, du
projet fédéral contient des restrictions telles qu'elles
aboutissent à nier le caractère inaliénable et sûr
de plusieurs droits qu'on prétend enchâsser dans la
constitution.
En effet, "dans les situations d'urgence" je me permets de citer,
puisque le vocabulaire a été certainement choisi avec beaucoup de
soin par les fédéraux "menaçant la survivance du
Canada" vous avez remarqué qu'on ne parle pas de
sécurité, comme l'a souligné, d'ailleurs, dans un
éditorial, Mme Lise Bissonnette le Parlement canadien peut
suspendre la protection accordée aux citoyens par la charte contre les
perquisitions. Vous allez peut-être retrouver là
l'évocation de certains événements auxquels le document
libéral faisait allusion dans son préambule. De même pour
les immixtions injustifiées dans la vie privée, l'emprisonnement,
la détention, l'habeas corpus. Non seulement l'habeas corpus, peut-il
être suspendu par les fédéraux, mais la règle
fondamentale de la non-rétroactivité des lois peut
également être mise en veilleuse, la
non-rétroactivité des crimes et des délits.
Je pense, M. le Président, qu'à y regarder de près,
il n'y a pas de parti autour de cette table qui ne puisse avoir la puce
à l'oreille. Ces textes ne veulent pas tellement protéger les
citoyens que protéger une certaine conception que certains
fédéraux se font de l'ordre établi. On voit que cette
nouvelle charte, si elle était adoptée telle qu'elle, comme le
propose Ottawa, n'empêcherait pas nécessairement la
répétition de ce qu'on appelle, dans le document libéral
provincial "plusieurs expériences très présentes à
notre esprit." En tout cas, nous devons admettre loyalement, pour utiliser un
mot dont le chef de l'Opposition se sert volontiers, que la principale
justification donnée dans le livre beige ne semble pas se retrouver dans
le projet fédéral. Autrement dit, les raisons qu'on donne dans le
livre beige pour se donner des garanties inexpugnables ne trouvent pas leur
pendant dans les projets fédéraux. C'est la première
question que nous devons nous poser à ce sujet.
Il y a également un autre argument important. Ce n'est pas nous
qui l'avons souligné les premiers. C'est une autorité qui, je
pense, ne sera pas contestée autour de cette table, l'ancien conseiller
du gouvernement québécois, ancien juge de la Cour suprême
du Canada, M. le juge L.-P. Pigeon, qui disait je me permets de le citer
puisque chaque mot a son poids dans cette déclaration . "Ce
que je tiens à souligner, c'est que si l'on considère l'effet
à prévoir d'une charte des droits indiscutablement intangibles,
il faut se rendre compte que cela comporte l'attribution aux tribunaux d'une
partie importante du pouvoir législatif. A mon avis, on aurait tort de
croire qu'il s'agit d'une fonction comparable à celle que comporte
l'interprétation d'une constitution fédérale."
M. le Président, je faisais allusion tout à l'heure au
risque de "déresponsabiliser" les Québécois, mais il y a
également celui de "déresponsabiliser" les élus du peuple
québécois, l'Assemblée nationale, ou, pour utiliser la
mauvaise traduction qu'on trouve dans le document fédéral, "le
corps législatif". La traduction de ce document laisse fort à
désirer. Je pourrais donner de multiples exemples, mais tout le monde
aura remarqué l'influence du "legislative body" dans le document
fédéral traduit en français qui nous a été
distribué. Je pourrais donner d'autres exemples de cette traduction plus
que douteuse. Je ne pense pas que ce document soit d'inspiration
française, c'est le moins qu'on puisse dire.
J'aborde rapidement, M. le Président, deux questions
spécifiques, après cette entrée en matière. Je vais
tenter de me résumer car il y aurait beaucoup à dire sur les
droits linguistiques scolaires et sur la libre circulation des personnes, qui
sera peut-être évoquée dans le contexte économique
demain, mais fait également l'objet d'une disposition dans le projet de
charte fédéral. Celui-ci nous laisse fort songeurs parce qu'il
semble remettre en question tout le droit des professions au Québec et,
notamment, la protection des professions telles qu'elles ont été
établies par le Code des professions. La "libre circulation des
personnes", telle qu'interprétée par les fédéraux,
peut entraîner, de fait, l'interdiction faite à l'Assemblée
nationale d'établir un certain nombre de conditions à l'exercice
des professions au Québec. Je reviendrai là-dessus dans un
instant.
Ce qui est plus important, ce sont les droits linguistiques scolaires,
ce que le projet de charte
fédéral appelle si joliment, toujours en traduction, "la
langue d'instruction". L'article 15, premier alinéa, nous dit que les
citoyens canadiens habitant une province et qui font partie de la
majorité anglophone ou francophone de la province ont le droit de faire
instruire leurs enfants, au niveau primaire et au niveau secondaire, dans la
langue de la minorité lorsque le nombre des enfants paraît
suffisant.
M. le Président, je voudrais attirer l'attention des membres de
cette commission sur le fait que le projet ne précise pas qui fait
partie de la minorité. Le contexte, quand on lit l'ensemble du document,
montre que cela est laissé au choix de chacun. Aucun critère
objectif, comme ceux qu'établit de fait la Charte de la langue
française, aucun critère subjectif non plus, comme la langue
maternelle d'un certain document constitutionnel. En d'autres termes, à
toutes fins pratiques, le document fédéral, tel qu'il est
rédigé, signifie que nous reviendrions à la loi 63, qui
porte tellement mieux son nom sous l'appellation de "bill 63". Mais ce n'est
pas tout.
Au Québec, nous offrons des services à la minorité
anglophone sur tout le territoire. Tous les anglophones le mot
étant utilisé entre guillemets, tel que défini dans la
Charte de la langue française ont accès à
l'école anglaise. Or, si le projet de charte fédéral est
appliqué tel qu'il est rédigé, ce ne sera pas
nécessairement le cas pour les francophones résidant dans les
provinces anglophones. (16 h 30)
Dans le cas du Québec, comme les droits sont déjà
garantis, comme dans les faits les anglophones ont accès à
l'école anglaise, cette situation se trouverait "gelée". Ce ne
serait pas nécessairement une mauvaise chose, mais cette situation
n'aurait pas son pendant dans les autres provinces, puisque le projet de charte
fédéral, au second alinéa de l'article 15, ajoute que
c'est le corps législatif pour reprendre le "legislative body"
de chaque province qui pourra adopter les mesures relatives à la
façon de déterminer si le nombre d'enfants qui font partie de la
minorité dans une région justifie que soient créées
des écoles à leur intention.
Autrement dit, le Québec aurait des obligations très
strictes, bien définies; les provinces anglophones, en échange,
ne nous offriraient que de pieuses intentions. C'est cela qui nous serait
"garanti" il faut mettre le mot "garanti" entre guillemets dans ce
contexte par le projet de charte fédéral.
En réalité, M. le Président, je pense qu'il s'agit
moins, si on lit le texte avec attention, pour M. Trudeau et les
fédéraux de garantir les droits scolaires des minorités
que d'imposer au Québec le retour au libre choix. Ce serait le
résultat exact du texte fédéral tel qu'il est
rédigé: retour au libre choix et à la loi 63. De fait, le
libre choix serait désormais enchâssé dans la constitution
fédérale, et bien malin celui qui pourrait par la suite modi-
fier révolution linguistique du Québec. Bien malin qui pourrait
prédire également que dans les autres provinces,
l'évolution se poursuivrait de façon favorable aux
minorités francophones.
Il ne faut donc pas s'étonner que nous soyons un peu
méfiants, du côté gouvernemental, à l'endroit des
projets fédéraux. Il ne faudra pas s'étonner non plus si
nous demandons aux autres partis, autour de cette table, de bien examiner ces
textes et de nous donner leur appui lorsqu'il s'agira de protéger les
droits et les responsabilités linguistiques du Québec dans cette
affaire. Il serait tout de même paradoxal que le Québec fasse
toutes les concessions, gèle pour l'avenir les droits extrêmement
étendus d'une minorité dont feraient partie ceux qui veulent bien
en faire partie tandis que, d'autre part, dans les autres provinces, nous
serions soumis à la bonne volonté des Législatures
provinciales.
Dans ce domaine, M. le Président, les actes valent mieux que les
constitutions et les belles phrases. C'est la raison pour laquelle le
Québec, sachant bien que les droits linguistiques sont mieux
respectés ici que partout ailleurs au Canada, a proposé aux
provinces un système fondé sur la réciprocité dans
la reconnaissance des droits. Même si cette politique n'a pas conduit les
provinces, à St.Andrews ou à Montréal, à s'entendre
sur des textes contraignants, on peut tout de même constater que la bonne
volonté des provinces, parce qu'on ne les force pas à agir, peu
à peu, s'est orientée en faveur d'une reconnaissance très
graduelle trop graduelle des droits minoritaires. Aucune
disposition constitutionnelle n'a été nécessaire pour en
arriver au consensus de Montréal; je fais allusion à l'accord des
premiers ministres lors de cette réunion.
C'est sûrement cette expérience qui a amené la
commission Pepin-Robarts, dont nous devrions, je pense, nous inspirer sur ce
point, à conclure que la meilleure façon d'oeuvrer en faveur des
droits était d'écarter les garanties constitutionnelles et
d'inviter les provinces à mieux protéger les droits des
minorités anglophones ou francophones.
Deux mots, avant de terminer, sur la libre circulation des personnes.
Cette question prend visiblement une très grande importance dans les
desseins fédéraux puisqu'ils y reviennent non seulement dans les
pouvoirs en matière économique, mais également dans leur
projet de charte. Il ne s'agit pas du droit de circuler sans passeport, lequel
ne pose pas de difficulté particulière, mais du droit
d'établissement. Les propositions sont couchées en termes
tellement généraux, tellement vagues, d'ailleurs, qu'elles
peuvent permettre des interprétations extrêmement larges et
extensibles par les tribunaux. On peut dire que les mots utilisés par
les fédéraux dans les dispositions qui traitent de la libre
circulation pourraient être interprétés de façon
très étendue par les tribunaux.
Dans le projet sur les droits économiques, sur lequel nous aurons
l'occasion de nous pencher
demain, on parle de la liberté de mouvement, du droit
d'établissement, quelle que soit la province où
précédemment on était domicilié. Il y a
également, dans une des annexes, une allusion au fait qu'il est bien
regrettable que la réglementation professionnelle dans certaines
provinces comporte des restrictions à la circulation de la
main-d'oeuvre. On voit que ce qui inspire le texte fédéral, ce
sont des préoccupations qui sont liées par exemple à
celles qu'évoquait la "Canadian Bar Association" dans une
résolution l'an dernier, je pense où celle-ci
faisait appel à la libre circulation en ce qui concerne les juristes. On
voit les risques que cela peut comporter pour le Québec.
Dans la charte des droits, sur laquelle nous nous penchons en ce moment,
on fait allusion au droit d'assurer sa subsistance sous réserve des lois
qui n'établissent pas de distinction entre les personnes uniquement sur
la base de leur province de résidence passée ou actuelle. Cette
fois, dans la charte, il est clairement question d'abolir ou de rendre
inconstitutionnelles les distinctions qui sont fondées sur le lieu de
résidence ou le domicile et c'est, à mon avis en tout cas
je le soumets pour étude à cette commission une
disposition qui remet en cause tout le droit des professions du
Québec.
Puis-je rapidement vous mentionner trois hypothèses possibles
dans l'interprétation de cette clause. Au minimum, quand on lit le texte
du projet fédéral, la clause de mobilité interdit que soit
mentionnée la province de résidence ou d'exercice comme condition
d'exercice d'une profession; c'est là le minimum. Cela signifie que les
tribunaux pourraient déclarer inconstitutionnelles toutes les conditions
qui seraient liées à la province de résidence ou
d'exercice. Voyez-vous les conséquences en chaîne que cela
comporte pour le système professionnel du Québec? N'importe qui
pourrait venir exercer au Québec. On ne pourrait plus faire tenir les
conditions de résidence ou de domicile.
Deuxième hypothèse possible, qui est à mon avis la
plus vraisemblable à la lecture des textes et en les interprétant
d'après leur contexte. Sans forcer le sens des mots, on peut penser que
seraient désormais inconstitutionnelles les conditions d'admission
à l'exercice des professions et les exigences de formation initiale qui
sont imposées par chaque profession au Québec. Cela devient
beaucoup plus grave puisque c'est le caractère de société
distincte du Québec qui est en cause.
Nous avons ici un droit des professions qui n'a pas d'égal
ailleurs au Canada. Le Code des professions, adopté, il faut le
reconnaître, par le gouvernement antérieur, est l'une de nos
grandes réalisations et il a permis, et permet encore à l'heure
où on se parle, de revoir en profondeur non seulement les objectifs des
professions, mais la protection des citoyens et celle de chaque membre d'une
profession. Or, à mon avis et je vous invite à scruter de
très près ces textes ils vont jusqu'à remettre en
cause la formation initiale déterminée par les professions, les
universités et par d'autres intervenants. Si ce n'est pas le cas
j'aimerais qu'on m'en fasse la démonstration.
A la limite maintenant, si l'on se donne par la pensée le
tribunal qui appliquerait des garanties constitutionnelles de cette sorte,
tribunal qui pourrait dans la suite des temps vouloir étendre les
droits, comme cela s'est vu dans d'autres pays, l'interprétation du
projet conduit à l'abolition du contrôle des professions par les
gouvernements provinciaux et même par les professions elles-mêmes.
La proposition fédérale conduit à l'uniformisation des
conditions d'admission aux professions et des conditions d'exercice des
professions. Or, est-il besoin d'attirer votre attention sur le fait que le
Québec est justement la société où nous avons le
système professionnel le plus dis-tinctif, si je puis m'exprimer de la
sorte. Notre Code des professions, notre façon de régir les
professions n'ont pas d'égal ailleurs au Canada. C'est tout cela qui est
remis en cause par le projet fédéral. Encore une fois, si j'ai
tort, je ne demande qu'à être contredit, mais qu'on m'en fasse la
démonstration. En tout cas, il faudra scruter ces textes de très
près. J'invite mes collègues, tant de ce côté-ci de
la table que de l'autre, à y réfléchir
sérieusement.
Que conclure? Le projet fédéral de charte des droits, si
l'on n'y prend garde, pourrait aboutir à des résultats
essentiellement "politiques". D'ailleurs, je crois que, dans sa
rédaction actuelle, il est avant tout politique. Il ne constitue pas cet
énoncé fondamental auquel on aurait pu s'attendre, d'une
très grande clarté, comme l'est d'ailleurs la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne. Ce n'est
pas seulement moi qui l'ai constaté, c'est un éditorialiste du
Devoir, il n'y a pas longtemps. C'est un projet qui est tout en façade,
plein d'arrière-pensées, de restrictions, notamment à
l'endroit du Québec. Tout est prévu, écrivait Mme Lise
Bissonnette, pour que les tribunaux ne puissent guère plus
empêcher les abus des législateurs que ne le fait actuellement la
Déclaration canadienne des droits.
M. le Président, du côté gouvernemental, j'ajouterai
simplement que nous sommes ouverts à toute discussion. D'ailleurs, les
interventions de mon collègue, le ministre des Affaires
intergouvernementales, au cours des réunions du mois de juillet, l'ont
démontré. Nous sommes ouverts à la discussion d'une
déclaration des droits fondamentaux. Il faudrait cependant s'assurer
qu'elle n'aille pas à l'encontre des droits fondamentaux du
Québec et que le Québec n'est pas le seul à en faire les
frais, en définitive, en raison de la méfiance historique que
certains fédéraux pourraient entretenir à l'endroit du
Québec, de la méfiance qu'un certain premier ministre pourrait
avoir conservé à l'endroit d'un certain Québec d'il y a
quinze ans, laquelle, à mon avis, explique plusieurs des dispositions du
projet actuel. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
M. le chef de l'Opposition.
M. Claude Ryan
M. Ryan: M. le Président, en écoutant le ministre
de l'Education, nous avions un nouvel exemple d'une tendance qu'on observe
fréquemment chez les membres du gouvernement actuel qui consiste
à tirer l'interprétation la plus pessimiste et la plus
péjorative possible d'un texte dès qu'il émane du
gouvernement fédéral. On peut déceler des faiblesses ou
des carences, des éléments inacceptables dans un texte sans
nécessairement glisser dans des exercices qui consistent à faire
de la psychologie ou de la psychanalyse beaucoup plus que de l'analyse pure et
simple.
Ceci étant dit, je voudrais émettre un certain nombre
d'observations au sujet des deux grands thèmes que recouvre
l'intervention du député de Sauvé, c'est-à-dire la
question des droits fondamentaux et, deuxièmement, la question des
droits linguistiques. Je vous préviens qu'un peu plus tard, mon
collègue, le député de D'Arcy McGee, traitera de
manière plus élaborée du projet de charte des droits qui a
été soumis à la conférence constitutionnelle par le
gouvernement fédéral. (16 h 45)
J'entendais le ministre rappeler tantôt que nous avons une Charte
des droits et libertés de la personne au Québec. Nous le savons
d'autant mieux, de ce côté-ci de la Chambre, que cette charte fut
instituée dans nos lois à l'initiative d'un homme qui a
été un grand ministre de la Justice à l'époque et
d'un gouvernement dirigé par le Parti libéral du Québec.
Oui, je le dis sans aucune hésitation et
délibérément.
M. Morin (Sauvé): Rencontrerait-il vos
critères?
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre, s'il vous plaît!
M. Bédard: C'est un grand ministre, il ne rencontre pas
vos critères.
M. Ryan: On vous réserve toutes sortes de surprises. Vous
n'avez qu'à déclencher des élections et vous aurez les
réponses.
Nous avons une Charte des droits et libertés de la personne au
Québec, mais il est évident je n'ai pas besoin de faire de
démonstration là-dessus que la loi a une portée
limitée à cause justement du fait qu'elle est une loi positive et
non pas une loi constitutionnelle. C'est une charte dont l'application est
régie par une commission spéciale, laquelle n'a pas les pouvoirs
réguliers des tribunaux ordinaires. En plus, les dispositions de la
charte vous le savez très bien, pour avoir essayé de le
faire au moins une fois ou deux peuvent être subordonnées
à des intentions politiques que pourrait nourrir le gouvernement
à l'occasion de certains projets de loi qu'il voudrait faire adopter par
la Législature. Vous le savez parce qu'une fois vous avez même eu
l'audace d'inscrire, dans un projet de loi tout à fait fondamental, une
clause qui disait en toutes lettres que dans le cas de ce projet de loi, qui
était le projet de charte de la langue française, la Charte des
droits et libertés de la personne ne s'appliquerait pas, qu'elle serait
subordonnée à sa majesté la langue française, au
droit de sa majesté, la grande abstraction, qui est définie dans
votre projet de charte à ce moment-là. Heureusement que le
gouvernement est revenu à de meilleurs sentiments par la suite, devant
les nombreuses représentations qui lui ont été faites. Je
pense que cet exemple démontre quand même que lorsque vous avez
une garantie constitutionnelle, c'est plus solide, c'est plus fort et plus
difficile à faire oublier ou à reléguer au second plan
qu'une garantie émanant d'une loi positive ordinaire.
De notre côté, nous avons examiné longuement tout ce
problème de l'insertion des droits fondamentaux dans une charte
constitutionnelle. Nous avons pesé le pour et le contre pendant de longs
mois et nous en sommes venus aux conclusions qu'évoquait tantôt le
ministre de l'Education et que je vais résumer très
brièvement.
Nous avons conclu que l'inclusion de certains droits fondamentaux dans
une charte constitutionnelle assurerait, de manière certaine et
définitive, la primauté des dispositions de la charte sur les
lois, les volontés changeantes du Parlement et des Législatures.
Pareille charte lierait l'ensemble de la société politique
canadienne et ne pourrait plus être modifiée ou annulée par
le vote d'une majorité simple soit du Parlement fédéral,
soit des Législatures des provinces. Une déclaration
constitutionnelle des droits exigerait enfin un engagement précis de
tous les Canadiens face à des objectifs qui sont à la base
même du contrat social qui lie les citoyens d'un pays.
Il y a deux sortes d'objection qu'on émet à l'endroit
d'une charte fondamentale des droits qui serait à caractère
constitutionnel. On a dit que cela risquerait de limiter les
prérogatives des Législatures ou des Parlements souverains. C'est
évident que cela comporterait des limitations. C'est écrit dans
la nature même de l'acte qu'on ferait à ce moment-là, mais
c'est parce que, justement, on considère que certaines libertés
personnelles fondamentales sont antérieures à la volonté
changeante des Législatures. Les Législatures, il ne faut pas
l'oublier, sont souveraines à condition d'être respectueuses des
droits fondamentaux des citoyens. Ce sont les libertés personnelles des
citoyens qui sont le fondement de la démocratie et non pas la
volonté des Législatures. Les Législatures et les
gouvernements sont au service des droits fondamentaux des citoyens. Nous
considérons que quand certains droits ont émergé
suffisamment à la surface pour être capables de définitions
claires et nettes, ce peut être une très bonne
chose de les inscrire dans une charte constitutionnelle. Et, encore une
fois, dire que cela limite les droits de la Législature, c'est faire de
la tautologie purement et simplement. D'ailleurs, le Parti
québécois lui-même reconnaît cela très bien.
Si on a invoqué ces arguments depuis quelque temps, c'est seulement
parce que les auteurs de ces passages des mémoires gouvernementaux
n'avaient peut-être pas relu le programme politique du Parti
québécois.
Dans le programme politique du Parti québécois, il est
écrit en toutes lettres que dans un Québec souverain, on aurait
une charte constitutionnelle garantissant certains droits fondamentaux; par
conséquent, nous nous entendons sur le principe et tous ces arguments
fumeux, voulant que cela pourrait être une sorte d'entrave inacceptable
à la souveraineté de la Législature, ce sont des arguments
dont vous avez vous-mêmes disposé dans les congrès de votre
parti. Je souscris à la philosophie générale qui avait
inspiré cette partie du programme de votre formation politique.
Une autre objection qu'on a formulée, c'est que cela pourrait
constituer un danger pour le Québec, cela pourrait constituer un danger
d'imposition de la volonté écrasante de la majorité
à la pauvre minorité qui est située au Québec.
Nous disons, là-dessus, qu'il y a toujours un risque
présent; c'est évident qu'on n'entrera pas dans
l'expérience d'un nouveau fédéralisme sans encourir aucun
risque. Si on veut calfeutrer toutes les fenêtres, cela va finir par
sentir pas mal le moisi dans la maison. Il y a des risques à courir et
c'en est un. Nous disons qu'avec les garanties qui seraient inscrites dans le
texte fondamental, dans les structures des nouveaux organismes
fédéraux qui seraient conçus, en particulier dans le
tribunal suprême dont je parlerai tantôt et également dans
la possibilité de participation des Québécois au
fonctionnement des institutions fédérales qui, encore une fois,
ne sont pas des institutions étrangères, mais des institutions
qui émanent de chez nous, comme des autres parties du pays, nous avons
ce qu'il faut pour pouvoir nous en tirer très bien.
Nous croyons que constituer un fonds de valeurs fondamentales, de
libertés essentielles garanties par la constitution partout dans le
pays, ce serait un immense actif pour ce pays-ci. De toute manière, nous
avons opté dans cette direction et je suis très heureux de
constater que le gouvernement ne ferme pas la porte à cette avenue. J'ai
lu le document qu'on nous a servi dans le cahier de textes qui a
été mis à notre disposition, j'ai écouté
attentivement le ministre de l'Education et je crois que là-dessus il y
aura des possibilités de rencontre. Avant d'en venir là,
cependant, je voudrais me permettre de vous rappeler la position de notre
parti; je pense qu'il est important que je vous la rappelle, étant
donné surtout les changements qui sont survenus depuis le livre
beige.
Nous avons un chapitre II, dans le programme constitutionnel de notre
parti, qui est intitulé Charte des droits, et le premier article se lit
ainsi: "La constitution canadienne contiendra une charte qui affirme la
primauté juridique des libertés et droits fondamentaux. Cette
charte reconnaîtra entre autres les droits fondamentaux à la vie,
à la liberté, à l'intégrité physique et au
respect de la vie privée; elle consacrera les libertés de
pensée, de religion, d'opinion, de parole, d'association et de presse,
ainsi que les principes fondamentaux de non-discrimination."
Plus loin, on dit que la charte assurera à tout citoyen qu'il
peut s'établir partout au Canada et jouir partout de droits identiques
à ceux reconnus à tous les résidents de la province
où il s'établit. Enfin, la charte assurera également le
droit de tout citoyen d'acquérir dans toute province des
propriétés immobilières sans discrimination par rapport
aux résidents de la province où ces propriétés sont
situées. Je laisse de côté ces deux dispositions pour
l'instant qui se rattachent à tout le principe de la libre circulation
des biens, des capitaux et des services. On en discutera en temps et lieu.
Je rappelle que l'article essentiel de notre programme sur cette
question des droits fondamentaux, c'est le premier que j'ai lu et je crois
qu'à cet égard nous rejoignons une préoccupation
exprimée par le gouvernement à la fois dans le texte que nous
avons et dans les propos qu'a tenus le ministre de l'Education. Pour nous, il
serait très acceptable qu'une charte des droits se limite à
certains droits fondamentaux et à certains droits politiques essentiels.
Je crois que l'énumération des droits que nous faisons n'est
peut-être pas tellement différente de celle que je retrouve
à la page 5 dans le texte, sur feuille bleue, qui est contenue dans le
cahier ici et que je vais lire. Vous avez parlé évidemment des
inconvénients et tout cela qui seraient largement réduits si la
charte ne comportait que l'inscription des libertés et droits les plus
fondamentaux dont le sens et la portée sont connus et ont
été éprouvés devant les tribunaux. Ces droits et
libertés représentent des valeurs auxquelles souscrivent
l'ensemble des Canadiens et soulèvent donc moins de difficultés.
Il en est ainsi des libertés mentionnées plus haut de religion,
d'expression, de pensée, de la presse, les principes fondamentaux de la
démocratie auxquels se greffent les droits fondamentaux de la
procédure criminelle, présomption d'innocence, droit à un
juste procès, droit à un avocat. Il y a donc là une
question de dosage à envisager. Alors, il vous incombera de faire votre
lit. Je constate, en écoutant le ministre, que le gouvernement est
encore hésitant là-dessus, qu'il n'a pas fait son lit. Il ne sait
pas de quel côté il va se brancher véritablement. Il vous
incombera de faire votre lit et si vous le faites dans la direction, les
possibilités entrouvertes à la page 5 de votre document, je pense
que vous pourrez assez facilement trouver un sentier convergent par rapport aux
objectifs définis dans l'article de notre programme que j'ai cité
tantôt.
Nous insistons aussi sur la nécessité d'un accord au sujet
de la composition et du rôle du tribunal chargé de
l'interprétation ultime des liti-
ges au pays. Il est évident que nous ne consentirions pas
à l'inscription d'une charte des droits dans la future constitution du
Canada si nous n'étions pas assurés que le tribunal chargé
de présider à la solution des litiges juridiques en
dernière analyse sera constitué et muni d'attributions
compatibles avec la conception que nous nous faisons des institutions
fédérales au pays.
Par conséquent, nous mettons cette condition aussi et nous en
mettons une troisième. Dans la mesure même où nous limitons
les droits fondamentaux à certains droits clairement identifiables, dont
le contenu a pu être vérifié de manière suffisante
par l'expérience et la jurisprudence, il ne faudrait pas qu'il y ait de
clause de dérogation. Si on est pour se donner du mal à
écrire une liste de droits pour ensuite conclure, dans un petit article
de trois lignes, qu'un gouvernement ou un Parlement pourra déroger
à ces droits quand cela fera son affaire, je pense qu'on ne fait pas une
oeuvre sérieuse. Je pense que là-dessus il y aura moyen
d'arrêter des conclusions fermes. C'est la façon dont nous voyons
la question des droits fondamentaux. Mon collègue de D'Arcy McGee pourra
traiter de cette question de manière plus élaborée
tantôt. Il me semble que j'ai dit l'essentiel en ce qui me touche.
En ce qui a trait aux droits linguistiques, nous ne sommes pas d'accord
évidemment avec l'approche fondamentale du gouvernement. Je pense qu'il
y a une question assez profonde qui nous sépare du gouvernement
là-dessus. Je me permettrai de rappeler, encore une fois, ce que nous
disons dans notre programme; je l'expliquerai ensuite pour qu'on essaie de voir
la nature exacte des différences ou des divergences qui peuvent nous
séparer. D'après nous, la constitution reconnaîtra les
langues française et anglaise comme langues officielles des institutions
politiques fédérales et des organismes relevant de leur
compétence. Je ne pense pas que cette affirmation crée de
problème. Je crois l'avoir entendue dans la déclaration de
principes du chef de l'Union Nationale et je pense que le gouvernement actuel,
dans la mesure où, par la volonté majoritaire de la population,
il est obligé de se résigner, essayer de fonctionner dans un
contexte fédéral, sera ou devrait être consentant à
accepter une disposition comme celle-là.
Maintenant, nous continuons. Cette charte reconnaîtra les droits
linguistiques suivants: a) Le droit de toute personne, de langue
française ou anglaise, ou de tout autochtone d'être servi dans sa
langue par des services des institutions fédérales partout
où le nombre le justifie. Il nous semble que cela va de soi que si les
institutions fédérales doivent être officiellement
bilingues, cela entraîne le droit pour un citoyen, partout où le
nombre le justifie, d'être servi par ces institutions
fédérales dans sa langue, française, anglaise ou
autochtone.
Deuxièmement, le droit de toute personne, de langue
française ou anglaise, ou de tout autochtone d'exiger que son enfant
reçoive, dans la province où il habite, l'enseignement primaire
ou secondaire dans sa langue maternelle. Je ne veux pas ouvrir de débat
sur la manière technique dont on peut vérifier si l'enfant a
telle ou telle langue maternelle. C'est un débat qui peut se
régler, encore une fois, au niveau des critères d'application
assez bien, mais nous affirmons que ce principe devrait être inscrit dans
la constitution du pays. Je ne sais pas si le ministre de l'Education donnerait
à cette clause-ci la même interprétation qu'il a
donnée à la clause contenue dans le projet de charte
fédérale. Si le ministre de l'Education allait conclure que cette
clause-ci est une réédition de la loi 63 ou du principe du libre
choix, je lui dirais qu'il est temps qu'il change de verres. (17 heures)
Troisièmement, le droit des collectivités francophones,
anglophones et autochtones de gérer des institutions publiques
dispensant l'enseignement dans leur langue maternelle partout où ces
collectivités sont regroupées en nombre suffisant. C'est une
résolution qui fait écho à un voeu maintes fois
exprimé par les communautés francophones minoritaires des autres
provinces du Canada et nous trouvons que le parti que je dirige est le premier
qui ait lu les documents émanant de ces collectivités avec assez
d'attention et de respect pour songer à inscrire une recommandation
aussi fondamentale dans son programme politique.
Quatrièmement, le droit de toute personne d'avoir accès
aux services de santé et aux services sociaux dans sa langue,
française, anglaise ou autochtone, partout où le nombre le
justifie. Il me semble qu'on ne tue pas de mouche avec ça, il me semble
qu'on ne porte pas atteinte aux chances d'avenir de la nation française
ou de la collectivité québécoise ou de quelque
collectivité que ce soit; on préconise un régime
civilisé.
Cinquièmement, le droit de toute personne de langue
française ou anglaise ou de tout autochtone d'exiger qu'un procès
pénal ou criminel, susceptible de le conduire à une peine
d'emprisonnement, soit tenu dans sa langue maternelle. Dans les autres cas de
procès pénal ou criminel, le droit aux services d'un
interprète et, finalement, le droit de toute personne de langue
française ou anglaise d'avoir accès, dans toutes les parties du
pays, à la radio et à la télévision dans sa langue
maternelle ou dans la langue de son choix, là où le nombre le
justifie.
Quatrièmement, la constitution canadienne attribuera aux
provinces le droit de légiférer en matière linguistique,
sauf le respect que ces lois des provinces devront avoir pour la charte des
droits.
La constitution étendra à l'Ontario, au Nou-veau-Brunswick
et aux autres provinces, dès que la proportion francophone de leur
population atteindra celle qui existe présentement en Ontario, les
obligations déjà imposées au Québec et au Manitoba
par les articles 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et 23
de la Loi du Manitoba.
Par conséquent, nous concluons, de notre côté, qu'il
n'est pas souhaitable que nous nous en
tenions à affirmer que, sauf l'obligation faite au Parlement
fédéral et à ses institutions de fonctionner dans les deux
langues officielles, tout le reste, en matière de droits linguistiques,
soit abandonné purement et simplement à la discrétion et
au libre jeu de la conjoncture politique dans chaque province. Nous croyons que
certains droits linguistiques sont assez fondamentaux, ont fait l'objet d'assez
de luttes politiques, d'assez de luttes intellectuelles et culturelles dans ce
pays pour mériter d'être inclus dans une charte des droits ou dans
un chapitre éventuel de la future constitution canadienne qui verrait
à assurer un pays reposant sur des assises aussi civilisées que
possible.
Nous sommes prêts à discuter chacun de ces droits l'un
après l'autre, mais nous voyons mal, encore une fois, comment le fait de
garantir ces droits constituerait, en quelque manière que ce soit, une
diminution de nos chances d'avenir; nous croyons, au contraire, que, pour nos
concitoyens de lanque française, qui sont plus d'un million dans les
provinces du Canada autres que le Québec, des garanties comme
celles-là seraient l'inauguration d'un âge entièrement
nouveau dans leur existence, autant comme collectivité que comme citoyen
individuel.
C'est la position qui a été adoptée par notre parti
et que nous défendons avec beaucoup de conviction, mais je crois qu'ici,
il y a une sorte de partage qui se fait. Je comprends qu'on puisse dire que
beaucoup de provinces préféreraient que ce ne soit pas
inséré dans une charte des droits, je les comprends très
bien; c'est bien plus facile de continuer chacune à sa manière,
en tenant compte des caprices changeants, des jeux électoraux, des
volontés et des intérêts électoraux des
gouvernements; c'est bien plus facile de fonctionner à ce niveau, mais
la question que nous devons nous poser est: Est-ce que nous croyons que ces
droits sont excessifs? Est-ce que nous croyons que ces droits enfreignent en
quelque sorte l'ordre fondamental de liberté, de respect
réciproque, la dualité aussi que nous voulons inscrire
dont nous avons parlé avec tellement d'éloquence il y a à
peine une couple d'heures dans les structures fondamentales, dans la
constitution de ce pays?
Nous concluons que, loin de nuire à l'objectif de la
dualité, la reconnaissance de droits comme ceux-là en serait
l'affirmation concrète, l'affirmation efficace, l'affirmation pratique
et c'est pour ça que, sur ce point, nous ne partageons pas la
philosophie du gouvernement. Nous devons le prévenir qu'il nous sera
impossible de souscrire à des déclarations comme celles que nous
avons entendues tantôt, quoiqu'elles aient été plus
nuancées tantôt que celles qu'on a entendues
précédemment, soit sous la signature ou sur les lèvres du
ministre des Affaires intergouvernementales, soit sur les lèvres du
premier ministre lui-même. C'est la position que nous défendons
dans cette question des droits fondamentaux et des droits linguistiques, M. le
Président.
Le Président (M. Laberge): M. le chef intérimaire
de l'Union Nationale.
M. Michel Le Moignan
M. Le Moignan: M. le Président, j'aurais simplement
quelques brèves remarques à faire à ce point de nos
discussions. Après la lecture des documents soumis par le gouvernement
du Québec et le gouvernement fédéral, force nous est de
constater que la position adoptée par le gouvernement rejoint, en grande
partie, certaines de nos préoccupations et aussi de nos
inquiétudes. Et cela dure chez nous depuis déjà une
quinzaine d'années.
Je veux bien admettre que le domaine est très complexe et que
ça risque également d'affecter ce facteur d'équilibre qui
existe entre les deux ordres de gouvernement. Je crois qu'une entente à
ce chapitre est essentielle aussi pour le bon fonctionnement des relations qui
doivent exister entre le fédéral et aussi chacune des provinces
qui constituent la fédération canadienne.
Maintenant, je dois avouer que, traditionnellement, l'Union Nationale,
alors qu'elle était au pouvoir et même du côté de
l'Opposition, avait toujours considéré que l'insertion des droits
dans une charte ne devrait pas venir au début, mais devrait se faire une
fois le partage des pouvoirs et toutes ces choses-là
définitivement réglés. Etant donné le consensus qui
s'est dégagé aujourd'hui sur l'ordre à suivre pour
l'étude de ces points, nous n'avons aucune objection à apporter
quelques réflexions sur la charte des droits et nous poser certaines
petites questions, peut-être inquiétantes un peu, compte tenu du
rôle que les tribunaux doivent jouer dans ce domaine, alors qu'on ne
connaît pas réellement la composition de la Cour
suprême.
Sur ce point, dans un document constitutionnel que nous avions
publié antérieurement, nous avions mentionné une
réforme de la Cour suprême de façon à créer
un tribunal constitutionnel. Si nous avions ce tribunal constitutionnel, il
aurait pour rôle de s'intéresser et de se prononcer
également sur les différents litiges d'ordre constitutionnel qui
peuvent se présenter.
Deuxièmement, on a parlé tout à l'heure des deux
sortes de chartes, concernant les droits individuels ou collectifs, pour
dégager, encore là, un certain consensus au sein de toutes les
provinces où on semble vouloir, dans certains cas, être d'accord
pour l'insertion de la charte des droits dans une constitution. Il y a
toujours, comme on vient de l'expliquer, la question des droits fondamentaux,
des droits démocratiques et je crois qu'on doit agir ici avec
énormément de prudence, surtout quand on pense aux droits
linguistiques.
Je voudrais citer un petit paragraphe ou deux d'un article de M.
Gérald Beaudoin, doyen de la faculté de droit de
l'Université d'Ottawa et en même temps membre de la commission
Pepin-Robarts. Je crois que les questions que pose M. Beaudoin... Dommage qu'il
ne vienne pas nous les expliquer lui-même! Je pose des questions, parce
que je voudrais avoir une réaction du ministre à l'un de ces
paragraphes. Je crois que ce que M. Beaudoin nous dit résume cent fois
mieux que
nous poumons le faire, dans la variation sur douze thèmes, la
position que, comme expert, il a étudiée et qu'il soumet à
l'attention des parlementaires qui sont ici présents aujourd'hui,
même s'il le fait par le biais du Devoir du 17 juillet.
M. Beaudoin écrit ceci et je cite: "Mais il est exact
qu'en enchâssant les droits, on donne le dernier mot aux tribunaux et il
faut en être conscient. Ces derniers, dans ce grand pouvoir qui leur est
délégué, s'arrêteront là où ils le
voudront bien. Aussi faudrait-il ne pas se surprendre si Québec, avec un
système de droit différent, insiste pour plus de dualisme au
niveau de la Cour suprême, avant d'accepter l'intégration des
droits fondamentaux. "Il y a plus d'une façon d'inscrire dans la
constitution les droits fondamentaux. On peut faire une déclaration
très détaillée ou encore se restreindre aux droits les
plus classiques. La seconde apparaît plus acceptable, quitte à
enchâsser davantage au besoin. Les Américains ont inscrit un bill
des droits dans leur constitution en 1790, à la suggestion de Jefferson.
Ils l'ont complété par la suite. Une autre possibilité
serait d'enchâsser les droits les plus élémentaires et
d'ajouter une liste accompagnée d'une clause dérogatoire qui
permettrait au Parlement et à une Législature, pour des raisons
majeures, d'y déroger en le prévoyant expressément dans
une loi sans avoir besoin de recourir à l'amendement constitutionnel. Si
on craint l'enchâssement, c'est une voie à explorer."
Ici, je voudrais poser une question au ministre puisqu'on a parlé
tout à l'heure d'une clause dérogatoire. Pourquoi, au cours de la
ronde de négociations, le gouvernement fédéral a-t-il
laissé tomber la clause de dérogation expresse qui existait dans
les projets précédents? Or, l'existence de cette clause avait
été souhaitée par la majorité des provinces il y a
de ça quelques années. Est-ce qu'il ne s'agit pas là d'une
solution de compromis qui pourrait accélérer la
possibilité d'une entente peut-être plus facile entre Ottawa et
les provinces du fait qu'on l'ait enlevée? Je ne sais pas si le ministre
peut répondre à cette question.
M. Morin (Louis-Hébert): Je peux répondre, M. le
Président. Je ne commenterai pas l'article de M. Beaudoin. En
général, je vais m'en tenir au point particulier que vous venez
de soulever.
Dans les textes antérieurs et les positions antérieures du
gouvernement fédéral effectivement, il y avait une clause
dérogatoire. Je dois dire qu'au cours de juillet je l'ai
mentionné d'ailleurs dans notre rapport que vous avez reçu
la plupart des provinces ont été surprises de voir que cette
clause dérogatoire n'était plus là. Je me souviens d'avoir
posé aux représentants fédéraux, à ce sujet,
la question suivante: Pourquoi votre clause dérogatoire, qui s'y
trouvait en février 1979, si je me souviens bien, ou avant, n'y est-elle
plus? Je dois dire, pour autant que mon souvenir est exact, que la
réponse était assez confuse, mais elle tendait quand même
à me faire croire que si la clause dérogatoire n'était
plus là je m'excuse, ça va avoir l'air stupide, la
réponse que je vous donne, mais c'est à peu près ça
que ça a donné comme impression c'est que le gouvernement
fédéral estimait que c'était mieux qu'elle n'y soit plus.
Cela n'a pas été tellement plus loin que ça, mais c'est
exact. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise?
M. Rivest: C'est parfait, il faut lui faire confiance au
gouvernement fédéral.
M. Le Moignan: J'ai la réponse finale.
M. Morin (Louis-Hébert): Alors, je dois dire que nous
allons en reparler, mais il ne faut quand même pas oublier une chose. Je
pense que je vais être quand même plus complet. Beaucoup de
provinces trouvaient que l'idée d'une clause dérogatoire pourrait
être intéressante dans une constitution, dans une charte des
droits, parce que ça leur permettrait de ne pas appliquer la charte des
droits chez elles. Je pense que c'est une des considérations qui font
que le gouvernement fédéral a préféré ne pas
la répéter cette fois-ci. Peut-être que dans sa position
initiale de négociation il n'y en avait pas, peut-être qu'il y en
aura une plus tard, mais au moment où je vous parle, je n'ai en main que
le texte fédéral et, en tête, que la réponse qui
m'avait été donnée à ce moment-là.
M. Le Moignan: A la suite de la réponse de M. le ministre,
je voudrais simplement continuer un petit paragraphe de l'article qui vient
tout compléter ce dont on a parlé, des droits linguistiques, des
droits fondamentaux. C'est toujours M. Beaudoin qui parle: "Pour ce qui est des
droits linguistiques, il faut au départ faire une distinction. Les
droits linguistiques peuvent, dans le contexte qui est le nôtre,
être aussi importants que les droits fondamentaux, mais ils ne sont pas
in se des droits fondamentaux, autrement il y aurait des droits linguistiques
en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, ce qui, bien sûr, n'est pas le
cas. Alors que les droits fondamentaux sont à peu près les
mêmes dans nos grandes démocraties occidentales, on ne peut pas en
dire autant des droits linguistiques et pour cause; chez nous, comme en Suisse
ou même comme en Belgique, pays unitaires, ils sont capitaux parce que le
pays est hétérogène. Qu'il faille enchâsser certains
droits linguistiques ne fait pas de doute. La difficulté est de savoir
dans quelle mesure. Dans l'ordre fédéral du gouvernement, le
principe est accepté au Canada. Il faut donc procéder. L'ordre
provincial est autre chose et il n'est pas surprenant que plus d'une
fédération distingue entre les deux ordres sur le plan
linguistique. Une certaine intégration des droits linguistiques dans
l'ordre provincial s'avère nécessaire. Cependant, il faut ici
user de prudence. Il faut faire cesser le système de deux poids deux
mesures qui fut si néfaste pour les francophones hors Québec et
qui est une des causes de l'impasse constitutionnelle actuelle. On pourrait
peut-être s'entendre sur la langue législative et la langue
judiciaire pour le Québec, l'Ontario, le
Nouveau-Brunswick et le Manitoba, comme certains l'ont
déjà suggéré. Les autres provinces
procédaient par "opting in". Les procès criminels devront pouvoir
se tenir partout dans les deux langues officielles." (17 h 15)
Je termine là mes remarques, M. le Président, sur la
charte des droits.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Rouyn-Noranda.
M. Camill Samson
M. Samson: M. le Président, je suis également
favorable à l'insertion dans une nouvelle constitution d'une charte des
droits. Evidemment, j'ai devant moi le document qui émane du
gouvernement fédéral. Ce n'est pas nécessairement
l'évangile. Ce sont des choses qui peuvent sûrement être
discutées et qui sont discutables. Mais il reste un fait, c'est que
nous, de notre côté, nous en avons discuté à
plusieurs reprises et nous serions favorables à l'incorporation dans la
nouvelle constitution des libertés et des droits fondamentaux de la
personne. Cela recoupe je n'ai pas à revenir sur ce qui a
déjà été dit pas mal ce qui a
déjà été dit en ce qui concerne les droits
fondamentaux et les libertés de la personne.
On aimerait aussi voir le droit et la liberté pour chaque citoyen
canadien de communiquer dans la langue officielle de son choix, soit le
français ou l'anglais, évidemment, avec les instances
administratives fédérales. Il serait souhaitable, si ça
pouvait être possible évidemment, tout réside dans
les discussions et les négociations qui peuvent avoir lieu que
les citoyens puissent aussi communiquer dans la langue officielle de leur choix
avec les instances administratives provinciales, à condition que les
provinces l'acceptent, bien entendu.
On aimerait également voir le droit et la liberté pour
chaque citoyen canadien d'être jugé dans la langue officielle de
son choix, soit le français ou l'anglais, par les différentes
instances judiciaires. Evidemment, M. le Président, je conçois
que le ministre de l'Education a longuement parlé de la question de la
protection des professions. Nous savons qu'au Québec nous avons un Code
des professions qui a une valeur indéniable. Cependant, il n'a pas
effleuré un autre aspect de la question que je considère comme un
droit fondamental aussi, celui du droit à la subsistance d'un citoyen,
du droit au travail d'un citoyen.
A ce titre, M. le Président, je pense qu'il y aurait avantage
à ce que les citoyens canadiens soient protégés, à
savoir qu'il n'y ait pas de loi restrictive ou discriminatoire qui vienne, un
jour ou l'autre, empêcher quelqu'un de travailler pour gagner sa vie. Je
ne veux pas dire que nous devons ouvrir toute possibilité à
quiconque n'aurait pas les compétences. Il y a une différence et,
moi, je fais une grande différence entre les permis ou les cartes de
compétence pour un ouvrier ou pour un travailleur et l'autre formule
que, malheureuse- ment, j'ai toujours dénoncée qui est celle du
fameux permis de travail qui fait que, selon certaines normes ou
réglementations et au bon plaisir du Conseil des ministres parfois, on
empêche des citoyens de travailler et de gagner honnêtement leur
vie. Dans certains cas dont j'ai eu connaissance souvent quand je dis
souvent, j'ai des dossiers pour le prouver on a empêché des
honnêtes citoyens, pères de famille, de pouvoir travailler et de
gagner librement leur vie dans des fonctions qu'ils avaient la
compétence d'occuper. Je fais référence aux fameuses
cartes de classification qu'on connaît au Québec. C'est un droit
fondamental qui n'est pas.
Quoique le ministre de l'Education ait souligné tantôt
l'étonnante efficacité de la Charte des droits et libertés
de la personne au Québec, cette étonnante efficacité n'a
quand même pas empêché cette injustice flagrante d'exister
et elle existe encore. A titre d'exemple, je représente un comté
qui longe la frontière d'une autre province, celle de l'Ontario. Je sais
que, par ce genre de choses, les travailleurs de l'autre province ne peuvent
pas venir travailler dans notre province, mais je sais aussi que des
travailleurs de mon comté vont travailler dans l'autre province quand
ils ne peuvent pas avoir de carte de classification dans leur propre province
et ils sont acceptés de l'autre côté de la
frontière. Je sais également que ces mêmes citoyens qui
demeurent dans mon comté, qui vont travailler de l'autre
côté de la frontière, qui continuent à demeurer dans
mon comté et qui ont feu et lieu le 31 décembre de chaque
année dans la province de Québec, paient l'impôt provincial
au Québec. Il y a là des choses qui sautent aux yeux de tout le
monde. On ne leur permet pas de travailler dans leur propre province. Par
contre, la province voisine leur permet de travailler pour venir payer leurs
impôts dans la province de Québec.
Ce sont là des choses que je donne à titre d'exemple. Je
pourrais en donner d'autres. Il y a tellement de droits fondamentaux que nous
pourrions en parler pendant longtemps, mais si ce n'est pas
spécifié, à un moment donné, dans une constitution,
cela risque toujours de se retrouver au bon plaisir de celui qui est en place,
qui gouverne et qui parfois doit ou, en tout cas, est tenté et
dans le cas présent, cela a été fait
d'établir des réglementations qui portent fortement
préjudice aux citoyens. Si ces droits étaient garantis par la
constitution, il y aurait là une garantie constitutionnelle
inébranlable et chaque citoyen ne pourrait pas subir de discrimination
dans ce domaine.
Evidemment, nous avons une charte des droits au Québec. J'en suis
fier. Cette charte pourrait sûrement être améliorée,
mais je me demande dans quelle proportion le gouvernement présent
voudrait l'améliorer plutôt que la détériorer, parce
que, chaque fois qu'on a eu l'occasion d'étudier des lois et que la
Commission des droits de la personne nous faisait parvenir des mémoires,
le gouvernement était très réticent à accepter le
point de vue de la commission. Cela s'est vu à l'occasion de la
discussion sur le projet de loi sur le finan-
cement des partis politiques, par exemple. Evidemment, cette charte est
une loi que toute autre loi peut, à un moment donné, par
dérogation... Ils peuvent passer à côté. C'est
fondamental, à mon avis. Il faut que ce soit inscrit dans une
constitution pour qu'on ne puisse pas, à tout moment, arriver avec une
petite loi qui déroge. Cela a été le cas pour la loi no 2.
Il y a eu des discussions qui ont duré bien longtemps et, finalement,
l'application de la loi no 2 a été une source de chicane entre
les personnes qui ont à l'appliquer. Cela ne s'est pas
révélé ce qu'il y avait de mieux. Si on avait suivi les
conseils de la commission, à ce moment-là, on aurait probablement
évité des choses dans cette loi et on aurait probablement eu une
meilleure loi. Mais on ne les a pas suivis. Le gouvernement n'a pas voulu qu'on
suive ces conseils. Evidemment, comme cette charte n'est qu'une loi, on pouvait
facilement y déroger. C'est arrivé à d'autres reprises
également.
C'est pourquoi je pense qu'il faut absolument, quitte,
évidemment, à ce qu'on ne se coule pas les pieds dans le ciment
immédiatement, quitte à ce qu'il y ait des discussions plus
élaborées là-dessus... Comme je vous le dis, je ne suis
pas accroché carrément au document fédéral. Pour
moi, ce n'est pas l'évangile, le document fédéral. Il y a
des choses qui peuvent être valables là-dedans. Il y a des choses
qui sont discutables. Il y a des choses que le gouvernement du Québec
peut apporter et qui ne sont peut-être pas là-dedans. Il y a des
choses qu'on peut demander de retirer. Il y a des droits qu'il nous faut
absolument reconnaître et il nous faut aussi faire en sorte que ces
droits ne soient pas toujours remis en cause.
Par exemple, quand on parle des droits linguistiques, on
considère que les droits linguistiques, s'il y a deux langues
officielles au Canada, cela doit permettre aux personnes qui proviennent de
l'une ou de l'autre communauté linguistique de se faire entendre et se
faire comprendre dans les deux langues officielles à travers le Canada
dans les instances gouvernementales.
En ce qui concerne la langue de l'éducation, je pense qu'il faut
que nous considérions une réalité; ce n'est pas tout
d'avoir de beaux textes, il y a des réalités. M. le ministre de
l'Education semble absolument satisfait de sa loi, mais il reste que j'ai eu
l'occasion personnellement de lui soumettre des cas précis de Canadiens
français qui, pendant un certain nombre d'années, ont dû
travailler dans d'autres provinces et demeurer dans d'autres provinces parce
qu'il n'y avait pas de travail pour eux au Québec et, après un
certain temps, revenir au Québec. J'ai en tête deux cas
précis, je les ai d'ailleurs soumis au ministre de l'Education. Ils sont
revenus au Québec, mais il ne faut pas oublier qu'aux endroits où
ces gens étaient entretemps, l'éducation primaire et secondaire
se donnait en langue anglaise parce qu'il n'y avait pas suffisamment de
Canadiens français dans ce coin-là. Donc, les jeunes qui arrivent
avec les parents et qui sont rendus à l'âge de 13 ou 14 ans, qui
ont été à l'école anglaise tout le temps, arrivent
au Québec et on les oblige à aller à l'école
française.
Cela veut dire qu'on les oblige à perdre une année ou
deux. La loi 101 est très rigide là-dessus et il n'y a rien
à faire.
Dans les deux cas que j'ai soumis au ministre, ces deux familles,
après un certain temps et après avoir revendiqué pour
leurs enfants la possibilité de continuer à l'école
anglaise jusque, au moins, au niveau collégial, sont retournées
dans d'autres provinces. Ce sont des Canadiens français originaires du
Québec et ils sont retournés dans d'autres provinces. Je trouve
un peu aberrant que nos lois du Québec empêchent les Canadiens
français de revenir au Québec pour des raisons comme celle que je
viens de mentionner. C'est pourquoi il faut être très prudent dans
ces questions de la langue d'enseignement, et il ne faut pas couper cela au
couteau. Il faudrait reconnaître la réalité. Evidemment,
dans d'autres provinces aussi il faudrait qu'ils reconnaissent la
réalité; je ne dis pas qu'ils ont toujours reconnu la
réalité ailleurs, au contraire, il y a eu dans le passé
certains préjudices à l'endroit de nos compatriotes
canadiens-français. Mais on doit admettre également qu'il y a un
certain réveil depuis quelques années et que si on veut y aller
objectivement, il y a des possibilités d'entente pour faire en sorte que
les francophones hors Québec puissent avoir de meilleurs services. Il ne
faut pas oublier que ces gens s'appuient beaucoup sur les francophones du
Québec pour protéger leur culture, leur langue, leurs droits
linguistiques. Si on a quelque chose dans la constitution qui permette telle
chose, je pense qu'on rendrait service à tout le monde, incluant les
Québécois francophones et les francophones hors
Québec.
Evidemment, je suis ouvert à la discussion là-dessus, on
n'a pas arrêté notre étude pour se geler ad vitam eaternam,
mais il reste que sur le principe même de l'enchâssement d'une
charte des droits dans la constitution, il nous semble absolument fondamental
qu'on accepte cela.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
ministre des Affaires intergouvernementales. (17 h 30)
M. Claude Morin
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, j'aurai
une brève intervention pour le moment qui tient au fait que tout
à l'heure le ministre de l'Education a commencé son exposé
avant que j'aie eu le temps de faire le point à partir de nos
discussions du dernier mois.
Je voudrais dire d'abord qu'en ce qui concerne la charte des droits,
comme vous l'avez vu dans mon rapport, il n'y a pas d'entente interprovinciale
ni fédérale-provinciale. Nous en sommes encore à discuter
un peu comme on le fait aujourd'hui, de principes et d'application de
principes.
Nous sommes encore assez loin, je pense, d'un texte qui rallierait, je
ne dirais même pas tout le monde, ça n'arrivera peut-être
jamais, mais une majorité même de gouvernements.
Deuxième commentaire que je veux faire, que je fais mien, mais
qui vient de ce que d'autres
provinces ont dit: Le projet qui nous est proposé a dix pages de
8 1/2 sur 14. C'est plus long probablement que tout ce qui existe de document
du genre dans d'autres constitutions et même, selon l'expression d'un
ministre d'une autre province, il a quasiment l'allure d'un texte de loi
fiscale tellement il est compliqué par moment. Je dis ça parce
que c'est très important qu'on le sache, on est à quelques
semaines de la conférence du 8 septembre. Je ne vois pas par quel
miracle il serait possible qu'on en arrive à un autre texte plus clair
que celui-ci d'ici le 8 septembre. Par contre, si on est obligé de
fonctionner avec celui qui nous est proposé par le fédéral
maintenant, il a toutes les chances d'être considérablement
modifié pour au moins être écourté, non pas parce
que les gens veulent à dessein enlever des droits, mais parce que c'est
beaucoup trop long et beaucoup trop verbeux.
Le député de Rouyn-Noranda a parlé aussi des
francophones hors Québec. Je voulais signaler tout à l'heure,
à propos de la charte des droits et des droits linguistiques, que j'ai
rencontré les représentants des francophones hors Québec,
lundi après-midi, à Ottawa. Ils m'ont exposé leur position
quant à ce qui concerne l'insertion de droits linguistiques dans la
constitution et j'ai aussi expliqué la position du Québec que
nous avions fait valoir au cours de l'été.
L'autre point que je veux mentionner pour terminer, on aura noté
que dans nos interventions tout de même, contrairement peut-être
à ce qui s'est fait depuis une quinzaine d'années, il y a, en ce
qui concerne une charte des droits, je dirais peut-être plus d'ouverture
et de latitude de notre part, que ce qui était le cas avant. Cela tient
essentiellement à une raison. Au cours des années, comme on l'a
mentionné je pense que c'est le chef de l'Opposition qui a dit
ça tout à l'heure certains droits ont été
expérimentés et qui causent moins de problèmes qu'ils
paraissaient devoir en poser au début s'ils avaient été
insérés dans une constitution.
Peut-être qu'un de nos critères serait justement de
regarder du côté des droits qui sont les plus
expérimentés pour voir dans quelle mesure ceux-là ne
pourraient pas éventuellement être mis dans une constitution. Ce
n'est pas une opposition que j'annonce aujourd'hui; je souligne simplement ce
que nous avons dit d'ailleurs au cours du mois de juillet, savoir que si le
Québec pose des questions et a des réticences par rapport au
problème de l'enchâssement des droits, ce n'est pas parce qu'il
est contre les droits fondamentaux, c'est parce qu'il y a certains
problèmes et on ne voudrait pas qu'ils résultent de l'insertion
hâtive d'un texte qui n'est lui-même pas suffisamment
mûri.
J'aurai peut-être l'occasion de revenir sur ces
questions-là plus tard. Je vais laisser la parole à un autre
intervenant. Je retiens quand même de tout le monde cela me semble
assez unanime, ça ne nous avance pas beaucoup mais je le retiens
je ne dis pas qu'on est tous d'accord sur les mêmes principes, mais en
même temps qu'on manifeste cette adhésion à certains
principes, on manifeste aussi qu'il faut le député de
Rouyn-Noranda vient de le mentionner lui-même beaucoup de prudence
dans les décisions qui seront prises relativement à des textes
qui engagent autant l'avenir.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
M. le député de D'Arcy McGee qui intervient à la place du
député de Prévost.
M. Herbert Marx
M. Marx: J'ai lu la position du Québec sur la charte des
droits et je pense que c'est clair que le gouvernement actuel est contre le
fait d'enchâsser une charte des droits de la personne dans la
constitution.
Le ministre de l'Education a dit, il y a quelques minutes, que la porte
n'est pas fermée. Il faut se demander quelle est la vraie politique du
gouvernement, quel est le vrai visage du gouvernement sur cette question. A mon
avis, le gouvernement "pays lip service" à la protection des droits de
la personne, mais le gouvernement est contre le fait de protéger ces
droits une fois pour toutes dans une charte des droits de la personne.
Il ne faut pas oublier le projet de loi no 1 qui était le premier
projet de loi que ce gouvernement a déposé à
l'Assemblée nationale. A mon avis, c'est là où on trouve
le vrai visage du gouvernement péquiste. Dans ce premier projet de loi
sur les droits linguistiques, projet de loi qui, j'imagine, a été
lu par tous les ministres, on a voulu donner prépondérance aux
droits linguistiques sur les droits de la personne, c'est-à-dire que
dans la hiérarchie des droits, dans la hiérarchie des valeurs, le
gouvernement a proposé qu'on mette des droits linguistiques avant les
droits de la personne, au-dessus des droits de la personne. Je pense que
c'était important, parce que c'était la politique du
gouvernement, la première politique que le gouvernement a
énoncée sur les droits et libertés de la personne. A cette
époque, comme vous vous souvenez tous, il y a eu un tollé de
protestations surtout de la part des partis de l'Opposition. Le gouvernement a
reculé. On ne trouve pas cet article dans la Charte de la langue
française qui donnerait prépondérance à la Charte
de la langue française sur la Charte des droits de la personne.
J'ai fait une étude, récemment, en droit comparé,
en matière de droits linguistiques et en matière de droits de la
personne. Je n'ai trouvé nulle part au monde qu'un gouvernement ait
voulu mettre des droits linguistiques au-dessus des droits de la personne.
C'est la première fois qu'on trouve cela; c'est au Québec qu'on a
voulu mettre les droits de la personne en dessous des droits linguistiques ou
d'autres droits semblables.
En ce qui a trait à la hiérarchie des droits, le
gouvernement n'est pas prêt à donner une place
préférentielle aux droits de la personne. Le gouvernement n'est
pas prêt à enchâsser les droits de la personne dans la
constitution. Le chef de l'Opposition officielle a fait état de notre
position
globale sur cette question de charte enchâssée dans la
constitution. J'ai seulement deux observations à faire.
Premièrement, j'aimerais examiner les raisons données par le
gouvernement, à savoir pourquoi ce gouvernement est contre une charte
enchâssée. Un certain nombre de ces raisons ont été
reprises par le ministre de l'Education.
A la page 2 du document imprimé sur le papier bleu, c'est
écrit: "Inconvénients de l'enchâssement constitutionnel: a)
Selon l'ampleur et la diversité des droits qui y sont inscrits,
l'adoption d'une charte enchâssée limite les compétences
législatives des provinces. Il importe alors, pour connaître les
conséquences concrètes de l'enchâssement d'une charte, de
connaître l'étendue préalable des compétences
provinciales et fédérales qui résultera du processus de
réforme. L'insertion d'une charte peut donc être un
inconvénient si cette insertion survient avant une entente sur la
répartition fédérale-provinciale des
compétences."
J'ai lu ce paragraphe quelques fois hier et encore aujourd'hui. La
logique de ce paragraphe m'échappe. Si on met la liberté de
presse dans une charte enchâssée dans la constitution, je ne vois
pas de problème. Si on met le droit d'un avocat dans une charte
enchâssée dans la constitution tout de suite, je ne vois pas le
problème qu'on peut avoir en ce qui concerne le partage des
compétences. A mon avis, il faut être pour l'insertion d'une
charte des droits de la personne dans la constitution, indépendamment
des compétences du fédéral et des provinces.
Le gouvernement, dans sa position sur la charte des droits, a aussi
écrit que l'enchâssement peut conduire à "un gouvernement
des juges". A mon avis, c'est un peu un "red herring", comme on dit en anglais,
parce qu'il faut bien nuancer cette prise de position. Premièrement, en
ce qui concerne les libertés publiques au Canada, nous avons
déjà un "gouvernement des juges", comme sur le partage des
compétences. S'il y a une contestation sur le partage des
compétences entre le provincial et le fédéral, c'est, bien
sûr, la Cour suprême, la Cour d'appel ou la Cour supérieure
du Québec qui tranche. C'est la même chose en matière de
libertés publiques. C'est la même chose dans tous ou presque tous
les pays fédéraux. Je vais vous donner deux exemples, M. le
Président.
Premièrement, en ce qui concerne les témoins de
Jéhovah, dans l'arrêt Saumur, la Cour suprême a
décidé que la ville de Québec ne peut pas empêcher
les témoins de Jéhovah de distribuer des brochures religieuses
dans les rues de la ville de Québec. C'est un gouvernement des juges. Ce
sont les juges qui ont décidé que les témoins de
Jéhovah à Québec ont ce droit.
Un deuxième exemple: La Cour suprême a
décidé, dans l'arrêt Dupont, que la ville de
Montréal peut empêcher des manifestations dans les rues de la
ville. Ce sont les juges qui ont décidé qu'on peut enlever ce
droit aux citoyens de la ville de Montréal. C'est un autre exemple d'un
gouvernement des juges. Il y a beaucoup d'autres cas où on voit
clairement et, à mon avis, heureusement, qu'il y a un gouvernement des
juges de temps à autre pour protéger les libertés des
citoyens et des autres personnes qui se trouvent soit au Québec, soit
ailleurs au Canada.
Aussi le gouvernement parle de la souveraineté du Parlement. Il
va de soi que, dans un système fédéral, il n'y a pas un
gouvernement qui détient la souveraineté absolue comme le
gouvernement du Royaume-Uni, par exemple. Le fédéral est
limité dans sa sphère de compétences comme, bien
sûr, les provinces sont limitées dans leur sphère de
compétence. Je dirais plus que cela. Je dirais qu'en matière de
libertés publiques, la souveraineté du Parlement ne joue pas
vraiment. Je vais juste vous donner un exemple, M. le Président.
C'est-à-dire que ce n'est pas surtout le gouvernement ou
l'Assemblée nationale qui voit à ce que les droits des citoyens
soient bien respectés. Par exemple, dans les provinces où il y a
une régie de censure, où on censure les films, ce n'est pas
l'Assemblée nationale qui censure les films et ce n'est pas le
gouvernement qui censure les films. C'est à une régie qu'est
délégué le pouvoir de censurer les films. Avec une charte
enchâssée dans la constitution, on dirait aux citoyens qu'il y a
certains films qu'on ne peut pas voir, qu'on peut voir, etc.; ce seraient les
juges et non pas les fonctionnaires qui prendraient la décision, le cas
échéant.
Aussi, pour étayer sa thèse, le gouvernement nous donne ce
que je dois appeler, en toute franchise, des scénarios farfelus. Sur la
liberté de circulation, voici ce qu'on retrouve dans le document du
gouvernement: "La liberté de mouvement pourrait entraîner
l'uniformisation des systèmes d'enseignement au Canada, leur
diversité étant interprétée comme un facteur de
réduction de la mobilité." Je pense que c'est une
interprétation outrancière, un peu farfelue, à mon avis.
On peut dire que les cours vont décider n'importe quoi, on peut
écrire n'importe quoi sur le papier. Par exemple, aux Etats-Unis,
où la liberté de circulation existe, la Cour suprême a dit,
par exemple, à l'Etat de la Californie que l'Etat ne peut pas
empêcher les citoyens venant de l'Etat de l'Okla-homa comme on le
lit dans les livres de Steinbeck, le problème des citoyens de
l'Oklaho-ma dans les années trente d'entrer dans l'Etat, mais la
Cour suprême des Etats-Unis n'est jamais allée plus loin que cela
en disant qu'il faut avoir un système uniforme d'éducation aux
Etats-Unis pour que, le principe de mobilité des Américains soit
respecté. (17 h 45)
II y a d'autres scénarios outranciers, mais j'en passe pour le
moment. Le gouvernement a dit aussi, par la voix du ministre de l'Education,
qu'une charte va figer les valeurs des Québécois et que nous
avons des valeurs qui sont parfois différentes des valeurs des autres
Canadiens. Cela va de soi qu'on partage un certain nombre de valeurs avec les
autres Canadiens, c'est pourquoi nous sommes dans un système
fédéral. Il va de soi aussi que le Québec aura son mot
à dire sur la
définition des valeurs qu'on va protéger dans la charte.
De toute façon, le Québec peut toujours aller au-delà
d'une charte enchâssée dans la constitution pour protéger
davantage les droits de la personne. Le Québec peut même, s'il le
veut bien, enchâsser une charte des droits et libertés de la
personne dans sa constitution interne.
Le gouvernement a aussi dit qu'une charte enchâssée dans la
constitution sera inutile, à la page 3 des pages bleues. Le
Québec a aussi soutenu que cet enchâssement lui paraissait inutile
puisque, dans son cas, il dispose d'une Charte des droits et libertés de
la personne d'une ampleur, d'une précision et d'une rigueur
d'application plus remarquable. Je conviens que la Charte des droits et
libertés de la personne du Québec est remarquable, mais il ne
faut pas oublier non plus qu'elle a été faite et adoptée
par le gouvernement libéral précédent. Je ne pense pas
qu'il me soit nécessaire ici d'expliquer au ministre des Affaires
intergouvernementales et surtout au ministre de la Justice la différence
entre une charte comme loi ordinaire, une charte comme la Charte des droits et
libertés de la personne du Québec et une charte
enchâssée dans la constitution, il y a une différence
évidente. Par exemple, aux Etats-Unis entre "The bill of rights" de la
constitution américaine et "The civil rights act" qui est une loi
ordinaire, qui protège aussi les droits et les libertés de la
personne aux Etats-Unis.
En conclusion, le gouvernement est pour un Etat où le
législateur ou le fonctionnaire est souverain en matière des
libertés publiques. Le gouvernement est contre le fait d'enchâsser
les droits et libertés au-delà de toute autre loi qu'on ne peut
pas empiéter sur les droits ou sur ces libertés. Le Parti
libéral du Québec, comme le chef de l'Opposition officielle a
bien dit, est pour un pays où la charte des droits est suprême,
où les législateurs ne sont pas suprêmes sur ces questions,
où les fonctionnaires ne sont pas suprêmes, où c'est la
charte des droits qui est vraiment suprême.
J'ai un deuxième point qui concerne les bénéfices
de la charte des droits enchâssée, bénéfices que
cela pourrait avoir pour le Québec. Une charte des droits
enchâssée dans la constitution aurait pour effet de mieux
protéger le partage des compétences, cela, en faveur des
provinces et en faveur de la spécificité du Québec. Une
charte des droits enchâssée dans la constitution mettra les
provinces et le fédéral sur un pied d'égalité. Je
dirais que l'absence d'une charte enchâssée dans la constitution
avait pour effet d'accroître le pouvoir fédéral dans
certains domaines. J'aimerais vous donner deux exemples, M. le
Président. Premièrement, à l'instar des autres
juridictions en Amérique du Nord, le Québec, dans les
années trente, a adopté une loi anticommuniste. Cette loi
québécoise a été jugée invalide, parce que
la Cour suprême a dit que le Québec empiétait sur le droit
criminel qui est de la compétence exclusive du fédéral.
Donc, la loi québécoise a été jugée
invalide. Le fédéral, le Parlement fédéral, peut
toujours mettre dehors, sans la loi, les communistes et cela a
déjà été fait.
Donc, pour protéger les droits des Québécois,
c'était nécessaire pour la Cour suprême du Canada
d'accroître les compétences fédérales en cette
matière, en disant au Québec: Le Québec n'a pas le droit,
n'a pas la compétence d'adopter telle loi, parce que cela
empiéterait sur le droit criminel du fédéral.
Autre exemple: En matière de la liberté de circuler. C'est
déjà arrivé en Colombie-Britannique qu'une ville ait voulu
empêcher l'entrée des douk-hobors. Il y a eu un problème de
manifestation, un problème reltivement au contrôle des foules
à l'époque et on a voulu empêcher l'entrée, dans la
ville, de doukhobors. C'était par règlement municipal, mais la
Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué qu'une ville ne
peut pas empêcher l'entrée des personnes et que la province ne
peut pas non plus empêcher l'entrée des personnes dans une
province, parce que cela empiéterait, a-ton dit, en ce qui concerne le
règlement municipal, sur le droit criminel qui est de compétence
exclusive fédérale.
Donc, on voit comment l'absence d'une charte enchâssée dans
la constitution a eu comme effet d'accroître les compétences
fédérales dans certains domaines aux frais, notamment, du
Québec.
En conclusion, nous sommes pour une charte des droits
enchâssée dans la constitution pour deux raisons.
Premièrement, comme le chef de l'Opposition officielle l'a bien dit et
comme on le retrouve dans le livre beige, ça donnerait une meilleure
protection pour toutes les personnes qui se trouvent soit au Québec,
soit au Canada, soit dans les autres provinces et, deuxièmement, une
charte enchâssée dans la constitution aurait l'effet de mieux
protéger le partage des compétences au Canada, au
bénéfice du Québec. Il ne faut pas oublier qu'une charte
enchâssée dans la constitution mettrait les provinces et le
fédéral sur un pied d'égalité. Cela est très
important pour avoir un certain équilibre dans un système
fédéral.
Je pense que le Parti libéral du Québec est sur la bonne
voie et que le gouvernement est sur la mauvaise voie. Je vous dis ça, M.
le Président, parce que j'ai lu récemment, dans un journal, que
88% des Québécois, selon un sondage Gallup, sont favorables
à une charte enchâssée dans la constitution.
J'espère que le gouvernement changera d'opinion, au moins pour des fins
électorales.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Les
travaux de la commission je présume de votre consentement unanime
sont suspendus jusqu'à 20 heures.
Suspension de la séance à 17 h 55
Reprise de la séance à 20 h 15
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A
l'ordre s'il vous plaît!
J'inviterais les membres de la commission et les intervenants à
venir prendre place autour de la table. La commission continue ses travaux qui
avaient été suspendus à 18 heures et je cède la
parole au député de Saint-Laurent. M. le député de
Saint-Laurent.
M. Claude Forget
M. Forget: Merci, M. le Président. Je veux faire quelques
brèves interventions qui seront peut-être un peu décousues
puisqu'on est sur la fin des discussions relatives à la question de la
charte des droits. Il ne m'appartient plus de faire un exposé
systématique, cela a déjà été fait, mais il
y a quelques remarques qui ont été faites, en particulier par le
ministre de l'Education, que je ne voudrais pas laisser passer sans les relever
de manière que, au moins, notre position là-dessus soit bien
claire. Ce sont des points de détail, mais qui, malgré tout, dans
le contexte, ont une certaine importance.
Nous avons remarqué en premier lieu que, dans le texte qui nous a
été remis et à travers lequel le gouvernement trace un
tableau de la position et des négociations relativement à ce
sujet, on utilise un langage qui nous paraît curieux. J'essaie de
retrouver la référence précise, un instant; c'est à
la page trois du texte sur les feuilles blanches, de l'onglet 3, au paragraphe
c). A deux reprises, on décrit la position du Québec relativement
à la question de la charte enchâssée. Je cite: "Quant au
Québec, il a constamment maintenu une attitude suivant laquelle la
technique de l'enchâssement d'une charte des droits était pour le
moment contre-indiquée, etc." Un peu plus loin, on revient à la
charge et on affirme encore une fois que le Québec s'est constamment
opposé, etc. Le mot "constamment" laisse croire qu'il s'agit là
d'une de ces entre guillemets "positions traditionnelles du
Québec". Mais il semble que, dans ce cas-ci, on a un peu changé
le contexte et, si on parle d'une tradition, on parle d'une tradition qui
remonte au plus à 1977 ou 1978.
M. Morin (Louis-Hébert): 1965
M. Forget: N'est-il pas vrai, M. le Président, que dans
les discussions qui se sont échelonnées de 1968 à 1971, il
y a eu également des discussions relativement à une charte
enchâssée et il me semble que, d'après le compte rendu de
ces discussions que j'ai eu l'occasion de consulter cet après-midi
même, qu'il y ait eu une position de principe du Québec contre le
principe de l'enchâssement. Il a pu y avoir des réserves quant
à tel ou tel droit, à l'opportunité ou au caractère
prématuré que certaines questions soient abordées à
un moment ou à un autre, mais le principe de l'enchâssement
semble, de 1968 à 1971, ne pas avoir fait l'objet d'une opposition
systématique. Il me semble que c'est au moins une des nuances
importantes qui devraient être apportées à cette
affirmation. J'aurai quelques remarques de ce genre. Peut-être que le
ministre, s'il veut intervenir, pourra le faire brièvement par la
suite.
Il y a une autre remarque qui, celle-là, est at-tribuable au
ministre de l'Education et qui m'a frappé par son manque apparent, au
moins, de cohérence. On se souvient que, lorsque nous avons
discuté, ce matin, de la question du droit à
l'autodétermination du Québec, le ministre de l'Education a dit:
II est temps que l'on fasse du droit nouveau, que l'on innove, que, dans un
élan créateur, les auteurs d'une nouvelle constitution
établissent un principe nouveau. Quand il s'est mis à discuter de
la charte des droits, il a soutenu un principe tout à fait
différent, que ce n'était pas le temps de faire de l'innovation
juridique, que ce qui compte, ce sont les faits, ce sont les
réalités, et qu'il n'a pas de temps à perdre, en d'autres
termes, avec des déclarations de principes dans des chartes ou dans des
déclarations de droits.
Je veux bien qu'on tienne, en principe, une position ou l'autre, mais je
me demande comment on peut concilier chez la même personne deux opinions
aussi apparemment divergentes. Ce n'est qu'un point de détail, mais je
pense que, si on veut se raccrocher à des principes, on aura au moins
besoin d'utiliser les mêmes dans tous les cas.
Je n'insisterai pas sur d'autres éléments. Très
brièvement, il me semble que la question du principe de
l'enchâssement est admise, dans le fond, implicitement au moins, par nos
amis de l'autre côté, du Parti québécois, de
plusieurs façons dans leurs raisonnements. Il semble que même
s'ils font des difficultés quant au principe de l'enchâssement
dans une constitution fédérale, ils ne répugneraient pas
du tout, si la décision référendaire avait
été dans une autre direction, de voir dans une constitution d'un
Québec indépendant une charte des droits enchâssée.
Il est difficile de s'enlever de la tête la conclusion que ce à
quoi on s'oppose relativement à cette question des droits n'est pas
autant l'enchâssement lui-même que l'enchâssement dans une
constitution fédérale. S'il est bon d'enchâsser les droits
dans une constitution, il devrait être bon de l'enchâsser dans une
constitution d'un autre type. Ce n'est pas la différence de
régime qui enlève quoi que ce soit au principe d'une protection
et d'une sécurité quant à la jouissance de ces droits
fondamentaux pour les citoyens qui seule peut découler de
l'enchâssement.
C'est d'ailleurs aussi ce qu'il faut retenir des inquiétudes qu'a
manifestées le ministre de l'Education relativement aux dangers
réels, sur lesquels il a eu raison d'insister, des exceptions à
l'enchâssement des droits, c'est-à-dire ces exceptions
basées sur des motifs de sécurité ou de survivance du pays
ou de survivance nationale, de situations d'urgence, etc. S'il est vrai que ces
exceptions sont dangereuses, justement parce qu'à ces époques les
droits fondamentaux cessent d'être enchâssés, à plus
forte raison, s'ils ne le sont jamais, c'est une situation dont on devrait
s'inquiéter. Dans le fond, toutes ces exceptions, les exceptions qu'on
peut invoquer dans le cas d'états d'urgence ou d'atteintes à la
sécurité nationale, ne font que remettre toute la situation
juridique et la protection des droits des citoyens là où elles
seraient de toute façon s'il n'y avait pas de charte
enchâssée, c'est-à-dire entre les mains des
législateurs et des gouvernements. Pourquoi s'en indigner quand ces
gouvernements invoquent l'urgence et, d'un autre côté, pourquoi ne
pas épouser avec vigueur le principe de l'enchâssement? Si
l'exception est terrible, cela doit être que la règle
générale est souhaitable.
Au-delà de cela, M. le Président, j'aimerais aller plus
spécifiquement à deux séries de propos qu'a tenus le
ministre de l'Education. Une série visait à tirer des
conséquences très évidemment exagérées du
principe de mobilité de l'article 8 de la charte proposée par le
gouvernement fédéral. Le ministre de l'Education a
prétendu que ceci impliquait, à toutes fins pratiques,
l'élimination du Code des professions. Je dois dire que le fardeau de la
preuve lui appartient là-dessus parce qu'il serait évidemment
inusité qu'une règle de non-discrimination quant à la
province d'origine ou même à la province de résidence ait
un effet aussi extraordinaire. Ce serait véritablement extraordinaire
que par un simple article 8, paragraphe 2,. prévoyant la mobilité
des citoyens, on puisse effectivement supprimer, dans le fond, le
fédéralisme, on puisse créer d'un Etat
fédéral un Etat unitaire. Si on devait abandonner le Code des
professions à cause de cela, on devrait aussi présumément
abandonner le Code de la route ou n'importe quelle loi provinciale dans la
mesure où elle peut différer d'une province à l'autre. Et
c'est vrai de toutes les législations provinciales.
C'est donc une affirmation qui n'a pas de sens et qui n'est absolument
pas supportable. Ce qu'il faut comprendre par cette règle, encore que
son libellé pourrait peut-être être amélioré
je ne sache pas que le gouvernement ait proposé une
amélioration précise c'est que, par exemple, le Code des
professions au Québec peut être aussi différent qu'on le
voudra et pourrait continuer d'être aussi différent qu'on le
voudra des lois professionnelles des autres provinces, ce Code des professions
ne pourrait cependant pas intervenir de façon à exclure, pour la
seule raison qu'une personne est née ou a fréquenté
l'école dans une autre province où elle a eu son domicile
à un moment ou l'autre, de la pratique d'une profession, pourvu que les
autres exigences du Code des professions soient retenues.
On pourrait même imaginer que les règles de
résidence pourraient continuer de s'appliquer avec une très
grande rigueur à l'encontre même des résidents des autres
provinces en dépit d'une clause de mobilité. Ce que je veux dire,
c'est qu'on pourrait imaginer facilement, même avec une clause de
mobilité, qu'il soit essentiel de résider au Québec pour
pratiquer une profession, parce que le Code des professions prévoit
l'exercice par les corporations professionnelles d'une surveillance, par
exemple, des cabinets privés de médecins ou d'autres
professionnels, vérification de l'état dans lequel ils
maintiennent leurs dossiers, etc., et que c'est une condition raisonnable pour
l'exercice de cette juridiction que d'exiger que les gens qui en sont l'objet
résident dans la province. Cela ne serait pas, a priori,
nécessairement une mesure qui serait interdite, même par une
clause de mobilité absolue. Ce qui serait interdit, ce serait de dire:
Puisqu'une personne est née dans une autre province, puisqu'elle a
été diplômée en médecine de
l'Université de l'Alberta plutôt que l'Université McGill,
elle ne pourra jamais, à moins de recommencer à zéro ses
études au Québec, pratiquer la médecine au Québec,
par exemple. Ceci serait certainement contraire à la charte.
On voit que cette interprétation, qui est beaucoup plus plausible
de la clause en question, ajoutée aux raisons éminemment valables
que le député de Rouyn-Noranda et mon collègue de D'Arcy
McGee ont apportées, montrent que l'interprétation du ministre de
l'Education est fantaisiste, qu'elle crée un épouvantail tout
à fait artificiel. Je veux bien que le libellé ne soit pas
parfait; à ce moment-là, qu'on nous propose du côté
gouvernemental, où on dispose de l'expertise juridique, un nouveau
libellé, mais, a priori, il semble qu'on fasse une tempête dans un
verre d'eau.
Un dernier sujet, M. le Président, toujours découlant des
remarques du ministre de l'Education. Je n'insisterai pas autrement sur
l'ensemble de la question des droits linguistiques, mais il me semble que si on
veut donner un sens autre que de pure rhétorique à l'expression
qui est souvent utilisée de tous les côtés à
l'Assemblée nationale, soit que le Québec est le foyer principal
de cette société francophone, de l'un de ces deux
éléments qui constituent le dualisme du Canada, il faut
nécessairement en faire découler un certain nombre de
conséquences pratiques. Parmi ces conséquences, il y a, bien
sûr, la reconnaissance qu'il y a non seulement au Québec, mais
dans d'autres provinces, une majorité et une minorité qui
appartiennent respectivement à ces deux groupes et que les relations
qu'ils ont eues dans le passé ne sont pas d'une qualité telle que
l'on puisse dans tous les cas se fier au jeu de la volonté majoritaire
dans chacune des provinces pour assurer la garantie de ces droits
linguistiques. L'expérience au moins, sans procès d'intention,
nous enseigne qu'il y a là une des règles de base de notre
régime fédéral si l'on veut le stabiliser et le rendre
acceptable.
Quoiqu'il en soit, c'est la partie relative aux droits en matière
scolaire, les droits linguistiques et l'accès à l'école,
sur laquelle j'aimerais faire deux brèves remarques. Le ministre de
l'Education a eu raison, je pense, de s'inquiéter de la signification
qu'il faudrait attacher à une garantie d'accès à
l'école minoritaire, par exemple, pour les francophones et
particulièrement pour les francophones à l'extérieur du
Québec, lorsque cette garantie est assortie de la clause du nombre
suffisant, clause qui est laissée à l'interprétation
exclusive de chacune des provinces. (20 h 30)
C'est, à notre avis, effectivement une garantie qui est à
la fois la promesse d'un droit, mais aussi la possibilité qui est
offerte que ce droit soit retiré en quelque sorte ou soit
interprété de telle façon qu'il ne signifie rien. C'est
dans ce contexte que, dans la position que le Parti libéral du
Québec a
adoptée relativement aux droits linguistiques pour les
minoritaires, en pensant particulièrement à la situation des
minoritaires francophones dans les autres provinces, nous avons prévu un
droit absolu et individuel à l'éducation dans la langue
minoritaire, dans la langue française dans les autres provinces, ce qui
ne laisse aucune place à l'interprétation et ce qui, sur le plan
pratique, sur le plan des possibilités pratiques et ceci
après vérification avec les provinces, même les provinces
de l'Ouest, par exemple, où le problème se pose avec une
incidence comme on sait très faible; ce sont de petites populations
francophones très dispersées ne cause aucune espèce
de difficulté. Elles n'ont pas d'objection dans le fond à assurer
une garantie individuelle absolue d'accès, ce qui ne veut pas dire des
écoles dans toutes les villes et tous les villages, mais ce qui veut
dire la prise en charge de façon totale, par l'Etat provincial dans
chacun des cas, de cette responsabilité de l'éducation dans la
langue minoritaire, y compris tous les frais afférents, même de
logement ou de déplacement, que ceci peut impliquer lorsqu'une famille y
tient suffisamment.
C'est seulement avec cette garantie, dans les cas d'isolement, dans les
cas de mobilité qui amènent une famille dans une localité
où elle ne retrouve pas une communauté francophone, mais
où elle tient, malgré tout, à s'assurer la
continuité, par exemple, dans une expérience d'éducation
pour un enfant pour des raisons ou pour une autre, qu'elle pourra en jouir.
Toute autre formule lui rend cela inaccessible. Il est bien clair que, les
coûts étant entièrement supportés par les provinces,
celles-ci trouveront effectivement, dès qu'il y a la moindre
concentration, avantageux d'ouvrir une classe ou une école.
D'ailleurs, notre proposition se complète par la reconnaissance
d'un droit collectif, seulement, bien sûr, là où le nombre
le justifie, à la gestion des écoles minoritaires. Mais
là, bien sûr, on ne peut pas gérer une école s'il
n'y a qu'une famille. Cela suppose une collectivité. Je pense que c'est
une possibilité que le gouvernement peut peut-être examiner. S'il
redoute, comme nous l'avons fait, le caractère subjectif de la
définition de la clause de nombre suffisant dans les faits, il peut
trouver là une solution qui, bien sûr, n'est pas parfaite, mais
qui s'approche davantage d'une véritable garantie.
Dernier point, toujours sur la question des droits scolaires en
matière linguistique. Le ministre de l'Education a
répété une chose qu'on a beaucoup entendue, surtout au
cours des premiers mois de l'année, mais qui avait trait aux questions
de critères d'admission dans les écoles minoritaires et, en
particulier, dans le cas du Québec, dans les écoles anglophones,
une distinction qu'il cherchait à établir, une opposition qu'il
cherchait et qu'il cherche encore apparemment à établir entre le
critère de langue maternelle et le critère administratif,
soi-disant, qui est utilisé en vertu de la loi 101.
Je crois que c'est, bien sûr, une façon de regarder les
choses, mais nous voulons suggérer qu'il y en a une autre où ces
deux critères, loin de s'opposer, se complètent. En effet, il est
important, je pense, de distinguer, d'une part, la règle de base qui est
utilisée pour déterminer l'accès à l'école
minoritaire. Cette règle de base, dans la loi 22, était la
connaissance suffisante; dans la loi 101, à notre avis, elle est,
d'abord et avant tout, le critère de langue maternelle. Mais il y a, en
plus de cette règle de base quant à l'admissibilité, des
critères d'application administratifs. Dans le cas de la loi 101, le
critère est évidemment bien connu, c'est un critère
administratif, c'est la possession d'un diplôme d'une école du
Québec. Ce critère administratif n'est pas incompatible, au
contraire, avec la règle de la langue maternelle; elle est
effectivement, dans le cas de la loi 101, son prolongement direct et on
établit une identité entre la règle de base et le
critère administratif, mais il est également plausible d'utiliser
le même critère administratif en définissant la
règle de base différemment de ce qui est fait dans la loi
101.
Il n'y a donc pas, à notre avis et je terminerai
là-dessus, M. le Président de distinction
nécessaire entre les deux concepts et il ne serait pas juste de
considérer que l'adoption des propositions du Parti libéral du
Québec relativement à cette question et leur utilisation dans le
contexte d'une garantie de droits linguistiques relativement à
l'école impliquent une révision déchirante des
critères et des méthodes d'application qui ont été
retenus pour la loi 101; au contraire, il y a une parfaite
compatibilité. Il s'agit, d'une part, d'une règle de base et il
s'agit, d'autre part, d'un critère administratif d'application et il ne
faut pas les confondre. Il ne faut pas non plus les opposer, ils ne s'opposent
pas, ils se complètent et, à notre avis, le problème qu'a
soulevé le ministre de l'Education relativement à cette
question-là est un faux problème.
M. le Président, pour l'instant, je pense que je vais me limiter
à ces remarques-là étant donné que nous sommes tous
impatients d'aborder le prochain sujet. Je vous remercie.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
ministre.
M. Claude Morin
M. Morin (Louis-Hébert): Nous sommes impatients d'aborder
l'autre sujet, cependant je vais prendre quelques minutes, parce qu'il y a deux
ou trois choses que je veux relever. Je ne veux pas lancer de débat, je
vais rétablir des faits.
D'abord, en ce qui concerne ce que Jacques-Yvan Morin a dit cet
après-midi et l'interprétation que vous en donnez, comme il n'est
pas là M. le député de Sauvé comme ça
tout le monde va être d'accord je laisse de côté les
questions que vous avez soulevées relativement à
l'interprétation qu'il a pu donner de ceci ou de cela. Ce n'est pas une
question de ne pas le défendre, c'est qu'il n'est pas là, et
comme je n'ai pas tout le texte de ce qui s'est dit cet après-midi, je
n'entreprends pas ce débat-là maintenant.
Cependant, je voudrais revenir quand même à une chose que
le député de Saint-Laurent a dite relativement au texte que nous
lui avons soumis, dans le rapport que vous avez reçu, où on dit
que le Québec a constamment maintenu une attitude, a constamment dit
ceci ou constamment dit cela. Je pense qu'il aurait été plus
utile de lire l'ensemble du texte où on dit que nous avons constamment
maintenu une attitude suivant laquelle la technique de l'enchâssement
d'une charte des droits était pour le moment contre-indiquée et
ça, en vertu des raisons que nous avons invoquées dans le texte
que j'ai soumis.
Alors, ce que nous voulons dire par là, c'est que suite aux
objurgations de prudence qui nous sont émises par divers partis, nous
pensons qu'en ce qui concerne la charte des droits, il faut, quant à
notre adhésion éventuelle, quand même être sûrs
des conséquences pratiques que ça peut avoir. C'est pour
ça que l'expression "pour le moment" est là, parce qu'il reste
encore beaucoup de questions auxquelles des réponses suffisantes n'ont
pas été apportées et à propos desquelles non
seulement au Québec, mais dans d'autres provinces des questions
demeurent.
Je voudrais aussi dire un mot à propos de l'expérience des
années 1968-1971. Cela m'ennuie d'utiliser ce genre d'argument parce que
je vais être obligé de dire que j'étais là à
cette époque-là. Cela a deux désavantages: le premier,
c'est que c'est un argument d'autorité que je n'aime pas utiliser; le
deuxième, c'est que ça me fait paraître plus vieux que je
suis. Alors, disons que j'ai commencé très jeune dans ce
domaine-là; ça doit être l'explication. Il arrive que
j'étais là à l'époque, et tant sous M. Johnson que
sous M. Bourassa, la position du gouvernement du Québec était
très simple et elle est résumée. Cela s'adonne que je l'ai
ici dans le rapport que le secrétaire de la révision
constitutionnelle de 1968 à 1971 a soumis où on disait que
même si la majorité des délégations se montra
disposée à approuver le principe de l'insertion dans la
constitution des trois droits politiques précités à
l'époque, il s'agissait de trois droits elle jugea toutefois
impossible d'accepter celui-ci de manière définitive sans
connaître auparavant les éléments de la formule de
modification, c'est-à-dire l'amendement constitutionnel. Très
bien. "La souplesse de cette formule déterminerait la facilité
avec laquelle on pourrait effectuer des changements et indiquerait dans quelle
mesure la responsabilité relative à la protection des droits
fondamentaux passerait des assemblées législatives aux
tribunaux".
Ce que je veux dire par là, c'est que dans le passé, la
position des gouvernements québécois n'a jamais été
de refuser de protéger les droits des citoyens, pas plus que c'est le
cas du gouvernement actuel, sauf qu'il faut savoir dans quelle condition, dans
quel contexte ça se fait. Ici, je me reporte à un commentaire qui
a été formulé ce matin, avec grande justesse d'ailleurs,
par le chef de l'Opposition et le chef de l'Union Nationale sur lequel il
s'agit d'une entreprise qui est d'envergure, celle qui vient d'être
commencée et à propos de laquelle on doit conserver une vue
d'ensemble. Alors, disons que dans le passé, les gouvernements du
Québec, quel que soit le parti au pouvoir, ont toujours tenu comme
position qu'en ce qui concerne les droits, il fallait tout d'abord voir quelle
était la répartition des pouvoirs dans laquelle on allait
éventuellement aboutir; deuxièmement, quelle serait la formule
d'amendement constitutionnel, qui n'a jamais été
élaborée d'ailleurs et, troisièmement, comment dans
l'ensemble l'insertion de droits aurait-elle des effets sur la
souveraineté des Parlements des provinces.
Alors, actuellement, le problème est que on l'a
mentionné à plusieurs reprises par la déclaration
des droits je vais vous donner une citation tantôt le
gouvernement fédéral peut se servir de certains articles de cette
déclaration des droits pour atteindre les objectifs qu'il cherche par
d'autres moyens.
Plus clairement, je veux dire ceci: Je vous réfère
je ne ferai pas une longue citation, parce que ça va ennuyer tout le
monde au document fédéral: Pouvoirs touchant à
l'économie, à la page 26 jaune, sous l'onglet 4, où on dit
très bien c'est M. Chrétien qui a soumis ce document
qu'une des façons de garantir les objectifs qui sont
recherchés par le gouvernement fédéral en ce qui a trait
aux pouvoirs sur l'économie on va en parler tantôt avec mon
collègue, le ministre des Finances qui est ici présent pour
ça est justement certaines des dispositions qui pourraient se
trouver à l'intérieur d'une charte des droits.
Cela veut dire, en termes clairs, qu'on peut se servir d'une charte des
droits pour atteindre des objectifs économiques que le gouvernement
poursuit par d'autres moyens. C'est dit à la page 26 à i):
Garantir dans la constitution la liberté de mouvement et le droit
d'établissement des citoyens, ainsi que le droit de gagner leur vie et
d'acquérir des biens dans toutes les provinces, quelle que soit la
province où ils sont ou étaient précédemment
domiciliés, pourvu qu'ils se conforment aux lois d'application
générale.
Je ne cite que ce paragraphe pour dire que, dans l'optique
fédérale, il y a trois moyens d'atteindre son objectif en ce qui
concerne les pouvoirs sur l'économie. Le premier, c'est l'article 121 de
la constitution; le deuxième, c'est l'article 91, je ne sais plus quel
paragraphe et le troisième, c'est la charte des droits.
Alors, quand on parle de la charte des droits comme ayant des
implications sur un certain nombre de domaines, il faut se rappeler que c'est
le gouvernement fédéral qui, dans ses textes, lui-même,
nous a incités à considérer que ça pouvait
être le cas et, par conséquent, qu'on doit prendre un certain
nombre de précautions.
L'autre point que je veux mentionner je ne veux pas prendre plus
de temps c'est de dire qu'en ce qui concerne les pouvoirs sur
l'économie, de même qu'en ce qui concerne la charte des droits, et
surtout en ce qui concerne les pouvoirs sur l'économie, aux
réunions des fonctionnaires, de multiples questions ont
été posées par nos
représentants du gouvernement du Québec, de même que
par les représentants des autres provinces aux fonctionnaires
fédéraux, même chose au niveau des ministres, et il n'y a
pas eu de réponses suffisamment étoffées pour nous
permettre de conclure que nous voyions tous ensemble, provinces aussi, que le
gouvernement fédéral, les implications de leurs propositions tant
économiques que celles qui portent sur la charte des droits... Il n'y a
pas eu de réponse. Je ne sais pas si on en aura à la fin du mois,
mais je pense qu'on était... vous disiez tout à l'heure que le
fardeau de la preuve appartenait je ne sais pas à quel propos
au ministre de l'Education. Il reste que le fardeau de la preuve
appartient, dans le cas de ceux qui veulent proposer des changements aussi
majeurs que ceux qui découlent de leurs positions en ce qui concerne les
pouvoirs sur l'économie autant que sur la charte des droits, au
gouvernement fédéral.
Je signale aussi que Pepin-Robarts, dans son rapport en ce qui concerne
les droits linguistiques, a fait une proposition à laquelle nous avons
adhéré. Je ne sais plus dans quel texte, mais nous l'avons
cité. Je vous réfère à ça. Je n'en parie pas
davantage.
J'ajoute aussi c'est mon dernier point, parce que je ne veux pas
continuer le débat trop longtemps là-dessus, il faut passer
à l'autre sujet qu'encore une fois, j'ai rencontré les
représentants de la Fédération des francophones hors
Québec, lundi dernier, tout l'après-midi, d'ailleurs, à
Ottawa, et que, d'une part, ils reconnaissent que dans leur province, jamais
ils n'auront, à cause de la situation démographique et à
cause d'un tas d'autres raisons que vous connaissez très bien, des
droits comparables et des avantages comparables à ceux du groupe
anglophone et que, d'autre part, la situation du Québec abritant une
société distincte et différente de celle d'autres
provinces et je pense que ça transparaîtra dans leurs positions
des mois ou des semaines à venir, parce que cela fait partie de la
réalité. Il y a des faits et, parmi ces faits, il y en a un qui
concerne le Québec dont nous sommes tous conscients, la
société distincte, et aussi des faits qui concernent les autres
provinces où c'est effectivement vrai que les droits des francophones
n'ont pas toujours été respectés. (20 h 45)
Je suis en train de faire ce qu'on appelle en bon français,
à l'Office de la langue française, un "understatement", mais il
reste néanmoins que c'est le cas et nous en sommes tout à fait
conscients. Comme gouvernement, nous avons, à propos des francophones
hors Québec, pris des attitudes et établi des politiques, je
pense, qui leur ont été avantageuses.
Pour le moment, c'est tout ce que je veux dire là-dessus. Je ne
voudrais pas entreprendre de débat et je suggérerais, M. le
Président, à moins que quelqu'un ne ressente un besoin absolument
inouï d'intervenir, que nous passions à l'autre sujet qui est
la...
M. Le Moignan: Je me sens ce besoin.
M. Morin (Louis-Hébert): Cela a l'air que le chef
de...
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II
semble que le chef de l'Union Nationale ait ce besoin inouï.
M. Rivest: II y a des endroits pour ça. Une Voix: C'est au
premier étage.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Je ressens ce besoin inouï, M. le
Président.
M. Morin (Louis-Hébert): D'accord.
M. Le Moignan: C'est seulement une brève question au
ministre. En parlant de la charte des droits, on dit qu'il y a un comité
de fonctionnaires qui a dressé de nombreuses choses. Finalement, vous en
arrivez à une conclusion, je pense, qu'on peut retenir. Je voudrais
d'abord savoir si elle est retenue. A la page 4, on dit: "Seule la
reconnaissance des droits fondamentaux, des droits démocratiques et des
droits personnels en matière légale, à la condition que
ces derniers soient restreints au domaine du droit criminel et du droit
pénal, pourrait être considérée". Y a-t-il des
chances que ce paragraphe soit retenu? Y a-t-il des possibilités qu'il y
ait une entente entre ces...
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est... M. Le Moignan:
C'est cela qui...
M. Morin (Louis-Hébert): ... une bonne question que vous
posez là. Effectivement, nous l'avons mis ici parce qu'il y a eu une
réunion de fonctionnaires et les ministres en ont parlé aussi. Il
pourrait peut-être y avoir éventuellement une sorte d'accord
je ne sais pas à quel moment sur ce qui est inclus
là. Le Québec n'a pas soulevé la question, mais il y a des
provinces qui ont, en ce qui concerne le droit criminel et le droit
pénal, de fortes réticences. Il y a une réserve
fondamentale parce qu'il faudrait quand même revoir tout cela
c'est que... Je veux répéter cela encore, il ne faut quand
même pas perdre de vue l'ensemble. Il y a beaucoup de provinces, sinon la
majorité d'entre elles je pense que je peux dire cela qui
ont encore d'extraordinaires et profondes réticences à ce que le
député de D'Arcy McGee appelait si brillamment cet
après-midi le "gouvernement des juges". C'est une objection, d'ailleurs
qui n'est pas du tout venue de nous, même si nous l'avons
utilisée. C'est une objection qui a été mentionnée
très fortement par d'autres provinces. Mais vous avez raison, M. le chef
de l'Union Nationale. Ce point-là a été effectivement
dégagé de nos conversations au niveau des fonctionnaires, sauf
qu'encore une fois il y a cette réserve qui demeure, à savoir
quel sera l'effet de l'insertion de
droits fondamentaux dans une constitution si ces droits sont trop
abondants, non pas parce qu'on est contre les droits, mais parce qu'il peut y
avoir, comme vous le savez et comme le juge Pigeon l'a indiqué, une
conséquence extraordinairement importante en ce qui concerne
pratiquement la nature du fonctionnement de notre régime parlementaire.
Cela demeure et c'est là qu'on en est rendu.
Cela étant dit, compte tenu et ce sera ma conclusion sur
ce sujet de ce qui a été dit depuis ce matin et cet
après-midi sur la question de la charte des droits, je me sens
personnellement et je pense que c'est le cas de mon collègue de
la Justice qui participe avec moi à ces négociations, de
même que le leader parlementaire du gouvernement et mon adjoint
parlementaire et je pense que nous voyons plus clairement non seulement
ce que nous avons comme objectifs nous-mêmes et comme politique
nous savions cela avant de commencer mais comment les partis
d'Opposition raisonnent et voient les choses. Je pense que ce serait utile dans
les suites qui restent aux négociations constitutionnelles, encore qu'il
faut reconnaître honnêtement qu'en ce qui concerne les droits
linguistiques, les divergences demeurent.
M. Le Moignan: Mais vous n'entretenez pas d'espoir à
savoir s'il y a des possibilités d'entente jusqu'à
maintenant?
M. Morin (Louis-Hébert): Là, je suis obligé
de vous répondre quasiment comme j'ai déjà fait une fois
à une question. Cela se peut qu'il y ait des possibilités
d'entente. C'est un peu comme d'acheter un billet de loterie; il est bon s'il
gagne. On le verra au cours des semaines à venir. Nous cherchons
à avoir une entente sur le plus de sujets possible. Celui-là en
est un. D'un autre côté, il y a une règle fondamentale
qu'on a. On ne voudrait pas qu'au cours de l'exercice, par l'entremise de la
charte des droits ou n'importe quoi, on en aboutisse à une
réduction des pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec,
une réduction des pouvoirs qui ferait que, notamment, en matière
linguistique, on serait plus démunis qu'avant par rapport à des
politiques qui nous paraissent essentielles.
C'est ce que je pourrais vous donner comme réponse, mais je ne
peux pas prévoir ce qui va advenir parce que je dois dire en toute
honnêteté qu'il y a des provinces qui ont des réticences
terriblement marquées en ce qui concerne la charte des droits.
M. Le Moignan: Abstraction faite des droits linguistiques, sur
ces trois points, le Québec participe...
M. Morin (Louis-Hébert): Non, ce que je disais s'applique
à l'ensemble des droits et il y a des provinces qui ont des
réticences sur toute la question. C'est aussi simple que cela.
M. Bédard: D'ailleurs, l'ensemble de la discussion des
fonctionnaires auxquels vous référez se poursuit, mais toujours
sous réserve du fait qu'il n'y a pas d'orientations fondamentales qui
ont été prises par les ministres. La charte des droits a fait
l'objet d'une discussion préliminaire au niveau des ministres, mais il
n'y avait aucun consensus qui pouvait se dégager, mais plutôt
certaines réticences. Il reste, quand même, que le sujet n'a pas
été laissé en plan; au contraire, les fonctionnaires ont
eu le mandat, sous réserve des orientations fondamentales, d'approfondir
le sujet quitte à ce que ce soit resoumis aux ministres à
l'occasion de...
M. Le Moignan: Mais les premiers ministres, à Winnipeg,
vont se pencher sur cette question.
M. Bédard: Même avant cela.
M. Morin (Louis-Hébert): II y aura trois ou quatre sujets
à Winnipeg, mais un de ceux-là est la constitution. Je ne sais
pas si on va parler de tout, mais je pense qu'on va parler du
déroulement de la négociation constitutionnelle jusqu'à
maintenant. Je dois vous dire candidement que je ne sais pas si on va aborder
cette question en particulier. Si vous tenez absolument à ce qu'on
l'aborde, on va en parler; mais, d'un autre côté, on ne veut pas
brusquer les autres. On va voir venir et on avisera en conséquence. La
semaine prochaine, je pense que dans les nouvelles, vous pourrez voir quelles
ont été les positions prises par les divers gouvernements
provinciaux qui sont beaucoup plus préoccupés, je dois dire, par
le document fédéral sur les pouvoirs et sur l'économie que
par la question qui nous occupe maintenant.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Saint-Laurent.
M. Forget: M. le Président, laissant de côté
les spéculations sur ce qui peut se produie ou ne pas se produire et sur
la position que pourront adopter ou ne pas adopter les autres provinces, j'ai
été intéressé d'entendre... Je peux
répéter si le ministre n'a pas suivi. Laissant de
côté les spéculations sur ce qui peut arriver ou ne pas
arriver, sur la position que peuvent adopter ou ne pas adopter d'autres
provinces c'est une considération qui est importante en son
heure, mais on peut laisser cela aux commentateurs politiques pour l'instant
j'écoutais le ministre tout à l'heure dire: Je comprends
clairement où on doit s'en aller. Est-ce que ce serait un effet de sa
bonté à ce moment-ci, après la discussion entre les
différentes formations politiques, de nous dire quelle sera la position
de son gouvernement, position qu'il adoptera lui-même à cette
conférence, quant aux droits qu'il serait prêt à voir
inscrits dans une charte enchâssée dans la constitution? Il dit:
II ne faut pas que la liste soit trop longue, etc. Mais, selon lui, quelle
devrait être cette liste? Quels sont les droits qui ne posent pas de
problème? Au moins cela. Quel est le minimum qu'il serait prêt,
d'ores et déjà, d'emblée, à accepter dans une
charte enchâssée?
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, il s'agit
d'un ensemble dont je ne commencerai pas
à faire de liste ce soir, mais à propos duquel je peux
vous dire que, dès le mois de février 1979, au moment de la
conférence constitutionnelle présidée à
l'époque par M. Trudeau, M. Lévesque lui-même a dit
qu'à cet égard notre attitude ce ne sont pas ses mots,
mais c'est ce qu'il a voulu dire était quand même ouverte.
Il y a des droits qui vont de soi peut-être que le ministre de la
Justice pourra en parler et dont, je pense, il n'y aurait pas tellement
de difficultés à considérer éventuellement
l'inclusion dans une charte constitutionnelle. Cependant, encore une fois,
demeure tout ce fameux problème soulevé par le juge Pigeon en ce
qui a trait à l'effet que peut entraîner cette insertion sur le
fonctionnement de notre propre régime parlementaire.
Notre attitude est ouverte et, cet après-midi, je pense que cela
a été mentionné: La porte n'est pas fermée, mais je
pense que, comme nous sommes en négociation, on comprendra très
bien que je ne ferai pas ce soir une liste possible ou impossible de choses
qu'on peut accepter ou ne pas accepter. Peut-être qu'il y a une
distinction que le ministre de la Justice aimerait apporter ici, que nous avons
utilisée à quelques reprises au cours des négociations qui
ont eu lieu au mois de juillet.
M. Marc-André Bédard
M. Bédard: Je pense que le chef de l'Opposition a lu d'une
façon objective la présentation gouvernementale et il a pu
à juste titre voir que le gouvernement, de par la présentation
gouvernementale, ne demeurait pas fermé à toute discussion et
qu'il y avait des possibilités de discussion concernant certains droits
fondamentaux, certains droits démocratiques, mais des droits
d'ailleurs, c'était dans le document gouvernemental qui sont
éprouvés par le temps, l'expérience et les
décisions judiciaires.
Dans ce sens-là, je pense qu'il y a quand même une
distinction assez fondamentale à faire entre les droits fondamentaux,
les droits démocratiques ou d'autres que vous pourriez avoir à
l'esprit et les droits linguistiques, parce que, si on prend la base qu'a prise
le chef de l'Opposition, je me rappelle son expression, il a dit qu'il y aurait
peut-être une direction convergente qui irait dans sa manière de
penser, à partir du moment où seraient inscrits des droits
éprouvés, des droits qui sont reconnus, qui ne font l'objet
d'aucune discussion, que ce soit judiciaire ou autrement.
Je pense que c'est le cas, par exemple, du droit de présomption
à l'innocence, du droit à l'avocat, du point de vue
démocratique, du droit de vote, je pense que c'est ce à quoi se
référait, entre autres, le chef de l'Opposition, mais, lorsqu'il
s'agit des droits linguistiques, je prends exactement la même base que
celle qu'a prise le chef de l'Opposition, à savoir qu'il faut être
prudent, c'est une large entreprise et qu'il n'y faut insérer que des
droits qui sont éprouvés par le temps, l'expérience et les
décisions judiciaires. Je pense que, dans ce contexte-là, les
droits linguistiques n'ont pas la même propriété de
certitude, à partir des expériences passées, que celle que
peuvent avoir, par exemple, le droit à la présomption de
l'innocence, le droit de vote ou encore le droit de l'individu à
l'avocat. Au contraire, on le sait, on est à même de le constater,
les droits linguistiques, c'est une expérience qu'on vit encore, non
seulement au Québec, mais le vécu des expériences
linguistiques, c'est encore de l'actualité.
Nous vivons des situations qui sont différentes, que ce soit au
Québec ou dans les autres provinces, et je pense que, du point de vue
des décisions judiciaires, on ne peut pas parler des droits
linguistiques comme étant des décisions qui sont
éprouvées par le temps, l'expérience et les
décisions judiciaires. Au contraire, et les exemples sont nombreux, il y
a encore des décisions judiciaires qui peuvent être très
diverses concernant l'interprétation des droits linguistiques,
concernant leur application. Dans ce sens-là, je pense qu'il faut faire
une distinction fondamentale entre droits fondamentaux, droits
démocratiques et droits linguistiques.
D'ailleurs, M. Lévesque, le premier ministre du Québec, a
déjà dit, à l'Assemblée nationale, il y a de cela
plusieurs mois, qu'il ne fermait pas la porte à la discussion concernant
l'insertion de certains droits fondamentaux, mais, concernant, par exemple, les
droits linguistiques, c'est une tout autre réalité avec laquelle
nous avons encore à vivre et qui n'est pas, dans le sens que je le
disais tout à l'heure ou que l'a dit le chef de l'Opposition,
éprouvée par le temps, les décisions judiciaires, etc.
Dans ce sens-là, ce n'est pas du tout la même chose.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Opposition.
M. Ryan: J'ai deux remarques à faire à propos de ce
qui vient d'être dit par le ministre de la Justice. D'abord, en ce qui
touche les droits fondamentaux, dans le résumé de la position
gouvernementale que j'ai cité cet après-midi, auquel faisait
allusion tantôt le ministre de la Justice, on évoquait des
exemples concrets de libertés fondamentales qui pourraient être
inscrits dans une charte constitutionnelle des droits. On parlait, par exemple,
de liberté de religion, liberté d'expression, liberté de
pensée, liberté de presse, etc. Je voudrais rappeler au ministre
des Affaires intergouvernementales et au ministre de la Justice que la charte
de Victoria de 1971 comprenait un chapitre intitulé: Les droits
politiques.
On se souvient très bien sans doute du ministre des Affaires
intergouvernementales qui avait approuvé le gouvernement du
Québec à ce moment-là, auquel il avait donné son
accord, et on mentionnait, parmi les droits qu'on voulait protéger dans
la constitution, la liberté de penser, de conscience et de religion; la
liberté d'opinion et d'expression; la liberté de s'assembler
paisiblement et la liberté d'association. Plus loin, on parlait de
l'égalité des citoyens en matière de suffrage
universel.
Est-ce que ce sont des exemples de droits que vous envisagez de
consacrer dans une constitution? Est-ce que ça fait partie des exemples
de libertés fondamentales que vous seriez prêts à
protéger dans une déclaration constitutionnelle?
M. Morin (Louis-Hébert): Ce que vous venez de mentionner
comme droits fait partie de la distinction mentionnée tout à
l'heure par mon collègue de la Justice, et il n'y a pas grand monde qui
est contre ce que vous venez de mentionner, en tout cas pas nous. (21
heures)
En ce qui concerne la liste... Pardon? Le député de
Jean-Talon, qui était à Victoria lui aussi, se souvient
très bien qu'à cette époque nous nous trouvions dans une
situation qui ressemble un peu peut-être à ce qui peut survenir
maintenant où on peut, au terme d'un processus, se trouver face à
certaines priorités fédérales dont on veut satisfaction du
côté d'Ottawa sans qu'on ait tenu compte...
M. Rivest: Oui ou non, ce soir, êtes-vous pour?
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
député de Jean-Talon, vous n'êtes pas membre ni
intervenant.
M. de Bellefeuille: L'enfant terrible de Jean-Talon.
M. Morin (Louis-Hébert): Je voudrais simplement dire qu'en
ce qui concerne cette question, à cette époque, le
problème était beaucoup plus global. Le chef de l'Opposition s'en
souvient très bien. Il a publié à l'époque des
éditoriaux qui nous confirmaient dans le fait qu'il fallait adopter
l'attitude que nous avons adoptée, je pense, en définitive, et
que le gouvernement de l'époque a adoptée. Je pense que je peux
dire que le député de Jean-Talon y a concouru lui aussi, à
l'époque où il n'était pas député. Cela
étant dit, donc, la liste des droits que vous venez de mentionner fait
partie, je pense, a priori, sans être juriste moi-même, de choses
qui vont de soi. Le problème n'est pas de savoir si ces droits sont bons
ou pas bons, si on doit les respecter ou non. Le problème vient du fait
qu'il faut voir si, à la suite d'une acceptation éventuelle de
ces droits, on ne voudra pas en greffer d'autres et qu'on n'en arrivera pas,
éventuellement, à une situation qui sera beaucoup plus lourde de
conséquences que celle à laquelle conduirait l'acceptation des
droits que le chef de l'Opposition vient de mentionner.
J'ai ici un éditorial je ne commencerai pas à citer
cela; c'est un jeu que je ne veux pas jouer aujourd'hui du 8
février 1971 où on parlait d'un invraisemblable "package deal".
Je pense que ce qui était dit à l'époque avait beaucoup de
sens de la part du chef de l'Opposition, alors qu'il était
éditorialiste et rédacteur en chef de son journal. Je pense que
la porte demeure ouverte. Nous sommes disposés à écouter
ce que les autres ont à dire. Et contrairement à ce que disait le
député de D'Arcy McGee tout à l'heure, nous n'avons pas de
ce côté une attitude qui est fermée, sauf qu'on ne peut pas
se geler les pieds dans le ciment à un moment où d'autres sujets,
qui ont une connotation, une influence directe sur celui-ci, ne sont
eux-mêmes pas réglés. Cela a été
mentionné tout à l'heure, cet après-midi, plus exactement,
par le chef de l'Union Nationale en ce qui concerne, par exemple, la Cour
suprême et autres choses. On peut vous dire que nous avons
là-dessus une attitude ouverte et qu'à la suite des discussions
en ce qui concerne les droits linguistiques, il demeure un problème,
cela est bien sûr, et je pense que d'ici quelque temps on verra
exactement quelle est l'attitude prise par le gouvernement du Québec. Il
demeure que la discussion jusqu'à maintenant a été
éclairante, a été utile. Je voudrais remercier, avant
qu'on passe à un autre sujet, les députés de l'Opposition
de leur collaboration.
M. Rivest: On vous comprend.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II est
toujours plus malcommode le soir que l'après-midi.
M. Ryan: M. le Président...
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): S'il
vous plaît, à l'ordre. M. le député de Jean-Talon,
s'il vous plaît...
M. Rivest: Ils n'ont rien à proposer, c'est cela le
problème.
M. Ryan: M. le Président, j'avais commencé...
M. Bédard: II ne semble pas savoir que c'est une
négociation.
M. Ryan: M. le Président, j'avais commencé à
poser une question...
M. Bédard: Vous seriez de pauvres négociateurs.
M. Ryan: En tout cas, au moins on répondra aux questions.
M. le Président, j'avais commencé à poser une question au
ministre de la Justice, évidemment par voie d'implication au ministre
des Affaires intergouvernementales aussi, à propos des droits
fondamentaux. Il y avait ensuite la question des droits linguistiques sur
laquelle bien des obscurités subsistent dans la position du
gouvernement. Vous nous avez dit quelle est votre attitude au sujet de la
langue d'enseignement. Disons que nous ne recommençons par le
débat là-dessus. Nous avons entendu votre point de vue, nous n'y
souscrivons pas, mais nous le comprenons. Vous n'avez pas dit quelle
était votre opinion sur les langues officielles, sur beaucoup d'autres
propositions qui ont été mises sur la table par l'Opposition
officielle cet après-midi. Est-ce que vous accepterez que la
constitution recon-
naisse les langues anglaise et française comme langues
officielles des institutions politiques fédérales et des
organismes relevant de leur compétence?
M. Morin (Louis-Hébert): II n'y a aucun
problème.
M. Ryan: Aucun problème là-dessus. Une Voix:
Bravo, enfin.
M. Ryan: Très bien. Est-ce que vous acceptez...
M. Bédard: On l'a toujours dit.
M. Rivest: Qui est-ce qui dit le contraire?
M. Ryan: J'aimerais que vous me disiez quelles sont les
difficultés, de votre point de vue, à l'insertion dans la
constitution d'un droit fondamental de toute personne de langue
française ou anglaise ou de tout autochtone à être servi
dans sa langue par les services des institutions fédérales
partout où le nombre le justifie? Est-ce que vous avez des objections
à cela?
M. Morin (Louis-Hébert): Non, je ne pense pas que personne
en ait.
M. Ryan: Non. Très bien.
Le droit de toute personne d'avoir accès aux services de
santé et aux services sociaux dans sa langue française,
anglaise ou autochtone partout où le nombre le justifie; est-ce
que vous favorisez ça?
M. Morin (Louis-Hébert): Voyez-vous, c'est que, à
partir de ce moment, on peut intervenir à propos de la langue
d'enseignement et, à cet égard, la position du gouvernement du
Québec a été clairement exprimée, en ce qui nous
concerne, dans des documents, à multiples reprises
déposés. Je pense qu'on est aussi bien de reconnaître
personne ne s'attend à d'autre chose qu'à ce propos
il y a une divergence d'opinions entre nous et vous; nous ne voulons pas que
les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec soient, de
quelque façon que ce soit, modifiés ou réduits.
M. Ryan: Le droit de toute personne de langue française ou
anglaise d'exiger qu'un procès pénal ou criminel, susceptible de
le conduire à une peine d'emprisonnement, soit tenu dans sa langue
maternelle; est-ce un grand danger pour l'avenir de la nation que de garantir
ça dans une constitution?
M. Godin: C'est dans la loi 101.
M. Bédard: Oui, c'est dans la loi 101.
M. Ryan: Mais avec les restrictions que la Cour suprême a
été obligée d'effacer; heureuse- ment que ce chapitre est
disparu de la loi 101. Avez-vous objection à ce que ce soit dans la
constitution canadienne? Est-ce que ça va faire mal à vos soucis
de pureté?
M. Morin (Louis-Hébert): Je pense que c'est exactement le
même argument que j'ai énoncé tout à l'heure
à propos de ce qui concerne les droits linguistiques; en matière
d'éducation, il faut, en ce qui concerne la constitution et toute charte
des droits éventuelle, que ç'a n'ait pas comme effet, dans ces
matières, de réduire de quelque manière que ce soit, les
pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec; qu'il s'agisse
d'éducation ou qu'il s'agisse d'autre chose. Je pense que c'est
essentiel, d'autant plus que, depuis quelque temps, nous savons, par un
document qui a été publié, un livre écrit par des
démographes, que, dans l'avenir je l'ai mentionné dans ma
déclaration de ce matin malheureusement, l'évolution
démographique, je crois que c'est au Québec surtout qu'il y aura
une société de langue française et, malheureusement, dans
les autres provinces, pour des raisons qui ne relèvent pas de nous, ni
de vous, ni de personne, mais qui sont des faits, la population de langue
française aura tendance à diminuer; ce qui fait que le
Québec est je pense que je suis d'accord là-dessus avec M.
Trudeau le centre de gravité du Canada français et qu'il
doit le demeurer. Une façon pour lui de le demeurer, c'est que son
Assemblée nationale ne procède pas, au moyen de charte des droits
ou de quelque autre méthode, à une diminution de ses pouvoirs
dans des matières qui touchent directement notre langue.
M. Ryan: Vous ne voulez pas non plus que le droit de toute
personne de langue française ou anglaise..
M. Morin (Louis-Hébert): Non, je pense que je suis
obligé de vous arrêter là...
M. Ryan: C'est important pour moi de le savoir nommément;
des déclarations générales, on en a entendu beaucoup, mais
on est ici pour avoir des précisions; je vous pose des questions tout
à fait pertinentes et chacune est très différente quant
à son contenu. M. le Président, le ministre a seulement à
me dire non, j'ai le droit de poser ma question...
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, mais justement je pense
qu'on ne peut pas dire...
M. Ryan: Je pense que j'ai le droit de poser la question.
M. Morin (Louis-Hébert): Vous avez absolument le droit de
poser la question, je ne mets pas ça en cause...
M. Ryan: Mais j'ai été interrompu avant de la
terminer. Alors, je me fie à votre décision.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
J'attendais la question et la réponse.
M. Ryan: Le droit de toute personne c'est la
dernière, M. le ministre, il y en a une autre après, mais c'est
un autre paragraphe de langue française ou anglaise d'avoir
accès, dans toutes les parties du pays, à la radio et à la
télévision, dans sa langue maternelle, là où le
nombre le justifie. Voici un cas intéressant, j'aimerais avoir votre
opinion là-dessus, parce que ça ne comporte pas une diminution
des pouvoirs de l'Assemblée nationale, comme ils sont actuellement,
parce que c'est un domaine comme l'admettait le premier ministre
lui-même, en commission parlementaire qui relève de la
compétence fédérale. Auriez-vous objection à ce que
ce soit inscrit dans la constitution?
M. Morin (Louis-Hébert): Si, comme vous le dites,
ça ne comporte pas une diminution des pouvoirs de l'Assemblée
nationale du Québec, compte tenu des décisions qui seront prises
en matière de communications, au cours de nos négociations, je
confirme ce que j'ai dit depuis le début, ce que nous avons écrit
depuis le début de l'été et même avant, ça
fait partie de propositions à propos desquelles on est ouvert, mais le
problème n'est pas là, le problème est la
conséquence que peut avoir sur le fonctionnement de nos institutions une
charte des droits à propos de laquelle non seulement le Québec a
des questions à poser, mais beaucoup de provinces aussi. Je pense qu'on
ne peut pas, dans le cours d'une période aussi brève que celle de
l'été, avoir à la fois toutes les questions voulues et
toutes les réponses à ces questions. Par conséquent, nous
sommes ouverts et, comme je l'ai dit tantôt, la discussion d'aujourd'hui
a été très utile à cet égard, on voit mieux
où chacun met des priorités, on voit mieux aussi quels sont les
enjeux en cause. Je pense que la discussion a été très
utile.
M. Ryan: Une dernière question concernant l'extension
à l'Ontario, au Nouveau-Brunswick et à toute autre province dont
la minorité francophone atteindrait le niveau de celle de la
minorité francophone de l'Ontario, des obligations découlant de
l'article no 133. Quelle est l'attitude du gouvernement là-dessus?
M. Morin (Louis-Hébert): C'est peut-être de
l'attitude des autres gouvernements qu'il faudrait s'informer. Le
Nouveau-Brunswick, je pense, a une attitude qui consiste à accepter pour
lui les conséquences de l'article no 133. L'Ontario je ne
dévoile pas un secret a beaucoup d'hésitation et je pense
qu'il faut éviter dans cette matière-là de faire des
marchés qui seraient l'équivalent d'un cheval, un lapin. Nous
avons beaucoup plus à perdre relativement en attributions de notre
Assemblée nationale que d'autres pourraient avoir à gagner dans
ce genre de marché-là. Il faut mesurer tout ça et, encore
une fois, je pense que comme principe fondamental, autant pour la char- te des
droits que pour n'importe quoi, on n'a jamais pensé une demi-seconde
qu'il fallait que cette négociation constitutionnelle conduise à
une diminution quelconque des pouvoirs de l'Assemblée nationale du
Québec; ça nous a semblé être une règle
fondamentale dont on verra d'ailleurs certaines applications lorsqu'on abordera
la question des pouvoirs sur l'économie.
M. Ryan: A propos de l'article no 133, je regrette, je n'ai pas
de réponse. Nous avons soutenu, lors du débat qui a suivi le
jugement de la Cour suprême, que l'article 133 imposait au Québec,
en matière de respect des droits linguistiques des contribuables au plan
des tribunaux et de l'assemblée parlementaire, des obligations qui
n'étaient pas du tout odieuses, qui le sont parce qu'elles ont
été imposées seulement au Québec dans la
constitution créant de ce fait un statut particulier qui est
inacceptable pas dans son contenu obvie, mais par le fait que d'autres ne l'ont
pas alors qu'ils ont des problèmes de même nature. Il me semble
que c'est une raison pour le Québec dans les négociations
constitutionnelles d'insister pour que ces obligations s'appliquent
également aux provinces qui ont le même problème. Vous nous
dites: On va attendre de voir ce qu'ils vont dire, ce n'est pas notre
problème, allez leur demander ça à eux. Je vous demande
à vous quelle est l'attitude de votre gouvernement?
M. Morin (Louis-Hébert): C'est peut-être un cas
où un proverbe s'applique: Messieurs les Anglais, tirez les premiers. Il
faudrait peut-être tenir compte du fait que la commission Pepin-Robarts
fait d'autres recommandations que celles auxquelles vous tenez et je pense
qu'à cet égard, la recommandation de la commission Pepin-Robarts
a beaucoup de sens et comporte beaucoup d'implications pratiques auxquelles
nous adhérons.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Alors,
j'appelle maintenant le troisième... M. le chef de l'Union Nationale, un
autre besoin inouï? Alors vous avez la parole.
M. Le Moignan: C'est le même besoin, j'ai commencé
à poser une question il y a une demi-heure et on m'a coupé, on
m'a interrompu, je n'ai pas pu terminer ma question. Si vous me donnez la
chance.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
Allez-y.
M. Le Moignan: Alors, la suite de la question que j'avais
commencé à poser quand le ministre m'a répondu un peu
vite, je le comprends, il avait hâte de me répondre. Je voudrais
simplement, en dernier lieu, qu'il me dise si son gouvernement veut en arriver
à une entente avec tous les partenaires canadiens, qu'ils soient
provinciaux ou fédéral, pour que les chartes des droits
fondamentaux et des droits démocratiques soient véritablement
insérées dans une nouvelle constitution. J'en étais rendu
là quand on m'a coupé.
M. Morin (Louis-Hébert): Jusqu'à maintenant, la
question est une de celles qui est la moins avancée et nous sommes
ouverts à des approches qui n'ont pas été celles de
gouvernements antérieurs du Québec, j'entends sauf
qu'en ce qui concerne toujours les droits linguistiques, une différence
majeure demeure ici. Je pense que tout le monde s'en rend compte et ce n'est
qu'à la fin du mois qu'on pourra voir davantage, en ce qui concerne les
positions des autres, quels sont les ajustements qui pourraient être
possibles sauf qu'on ne veut pas être les victimes de marchés qui
consisteraient pour nous à accorder des choses que d'autres
n'accorderaient au fond qu'en paroles et qui n'auraient pas de
conséquences pratiques. Alors, nous allons examiner l'ensemble et voir
comment les choses tournent à la fin du mois, encore que sur le grand
sujet qu'on appelle la charte des droits, je ne suis pas sûr qu'on en
arrive à des conclusions spectaculaires pour la semaine du 8
septembre.
Rapatriement de la constitution et formule
d'amendement
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
J'appelle maintenant le troisième sujet à l'ordre du jour qui est
le rapatriement de la constitution et la formule d'amendement. Alors, M. le
ministre des Affaires intergouvernementales.
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, je ne
pense pas que ça nécessite, ce sujet-là, une discussion
très longue parce que, selon ce qui a été dit ce matin au
cours du tour de table que nous avons fait à partir de
déclarations générales, à peu près tout le
monde est d'accord que le rapatriement et l'élaboration d'une formule
d'amendement, c'est un peu comme ce qui a été dit pour le
préambule, ce sont des sujets qui peuvent, qui devraient peut-être
même venir plus tard, surtout en ce qui concerne le rapatriement de la
constitution et la formule d'amendement. (21 h 15)
Je suis d'accord, au fond, avec ce qui a été dit par les
deux partis politiques. Mais j'aurais une question peut-être à
poser au chef de l'Opposition, dont je lui ai parlé, d'ailleurs, entre
les séances, je n'en fais pas mystère. Je lui ai dit que je lui
poserais la question. Cela n'est qu'une précision que je voudrais pour
être bien sûr qu'officiellement on s'entend sur la nature et la
portée du mot qu'il a utilisé.
Ce matin, il a dit, en ce qui concerne le rapatriement et la formule
d'amendement: "Si des accords surviennent sur un nombre suffisant de sujets,
que cela vaille la peine de parler d'accords..." Là, il y a une
incidente: "Si on s'entend sur une déclaration sur la
péréquation, je pense que ça ne change pas grand-chose
à l'ordre qui existe actuellement et ce n'est pas moi qui partirai en
peur pour aller faire un pèlerinage où que ce soit seulement pour
enchâsser un texte comme celui-là dans une constitution".
Evidemment, comme on conversait, les phrases ne sont pas complè- tes,
mais il continuait: "A supposer que nous pourrions en venir à un accord
sur un nombre intéressant de questions, il me semble que nous devons
accepter qu'il y aurait un risque, si nous n'incorporions pas ces accords dans
le texte de la constitution, avec tous les changements de gouvernement qui
surviennent sans cesse et un fonctionnement concret et quotidien du
régime fédéral, que ces accords soient remis en question
à un an après et qu'on soit toujours à recommencer
à partir de zéro, comme si jamais rien n'avait été
fait auparavant".
Alors, je ne veux pas reprendre tout ça. Il y a un mot... Je sais
déjà sa réponse, mais, quand même, j'aimerais qu'on
en parle publiquement. Qu'est-ce que ça veut dire un accord sur un
nombre suffisant de sujets?
M. Ryan: M. le Président, j'aimerais bien qu'on fasse un
état de la question un peu plus complet que ça. Je pense que je
serai très heureux de répondre à cette question un peu
plus tard dans les discussions. Mais il me semble qu'on doit faire un
état de la question plus sérieux que ça au départ
de nos discussions.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, je n'ai pas d'objection,
mais qu'est-ce que vous voulez dire par un état de la question?
M. Ryan: D'abord, il est question de rapatriement, il est
question de formule d'amendement. On aimerait bien connaître la position
du gouvernement là-dessus. Je pense qu'il incomberait au ministre de la
résumer. Dans le texte qu'on nous a soumis, il y a beaucoup de
considérations stratégiques et tactiques, mais il n'y a pas une
ligne qui nous indique quelle est la préférence du gouvernement
en matière de formule d'amendement. C'est une chose qu'il nous
importerait de connaître. Il faudrait qu'on sache un peu ce qui s'est
discuté de ce côté-là. Vous nous le résumez
un petit peu dans le texte, mais on aurait besoin de plus de détails que
ça. Là, par exemple, il semble être question de discussions
autour d'une formule mise de l'avant par l'Alberta vous nous donnez le
texte de la formule de l'Alberta autour d'une formule mise de l'avant
par la Colombie-Britannique on n'a pas de texte là-dessus
autour d'une formule mise de l'avant par une autre province.
M. Morin (Louis-Hébert): D'accord, oui, bien
sûr.
M. Ryan: Je pense que c'est bon qu'on soit informé
adéquatement sur ces questions avant d'émettre des opinions.
Ensuite, on va vous donner des opinions volontiers.
M. Morin (Louis-Hébert): D'abord, vous avez notre prise de
position sur le rapatriement et la formule d'amendement. Elle est
annexée au document que vous avez. Je ne la lirai pas, c'est bien
sûr. Nous avons, en cours de route, trouvé que la
proposition qui avait été faite par l'Alberta c'est
pour ça que, d'ailleurs, elle est inscrite dans la liste des annexes que
vous avez; elle a été rendue publique; il n'y a pas de traduction
française était une base de discussion intéressante
et disons que, sans que personne ça vaut pour Québec comme
pour n'importe quelle autre province, sauf une couple ait de formule
d'amendement constitutionnel toute prête, en ce qui nous concerne, en
tout cas, nous avons été intéressés par la formule
de l'Alberta à cause du fait qu'elle introduit une notion que je trouve
personnellement, en tout cas, peut-être intéressante quant
à ses conséquences. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de
l'analyser. C'est qu'au lieu qu'une province puisse exercer un droit de veto
sur l'ensemble d'un changement constitutionnel qui pourrait affecter cette
province-là et les autres... En d'autres termes, mettons que le
Québec n'est pas d'accord avec un amendement constitutionnel et que
parce que le Québec n'est pas d'accord, donc, l'amendement ne s'applique
nulle part, la formule de l'Alberta fait qu'une province qui n'est pas d'accord
avec un changement constitutionnel pourrait le refuser et il ne s'appliquerait
pas chez elle, alors qu'il pourrait s'appliquer ailleurs.
On a pensé qu'il y avait une avenue fertile d'exploration de ce
côté-là et, au moment où je vous parle, on n'est pas
rendu plus loin que ça. Cela a été un sujet sur la table
et nous avons été une des provinces qui ont insisté pour
qu'on parle de la formule de l'Alberta, ce qui a d'ailleurs incité
l'Alberta à la rendre publique parce que plusieurs y étaient
intéressés. C'est là que nous en sommes rendus.
La réponse à votre question, c'est: a) Nous avons
émis une position générale que vous connaissez; b)
je pensais qu'on l'avait dit, mais en tout cas, si on ne l'a pas dit, je le
confirme nous avons regardé avec beaucoup d'intérêt
la formule de l'Alberta. Le problème qui est survenu, techniquement
je ne veux pas être ennuyeux c'est que le gouvernement
fédéral a dit: La formule de l'Alberta conviendrait
peut-être, mais il faudrait voir dans le détail s'il n'y a pas des
exceptions qui pourraient s'appliquer, de sorte que cela vidait la formule de
l'Alberta de sa substance. C'est là qu'on est rendu. Je ne sais pas si
cela suffit comme réponse, mais c'est celle que je peux vous donner
maintenant.
C'est sur l'amendement, mais je dois dire une chose intéressante,
cependant. Vous ne m'avez peut-être pas posé de questions
là-dessus, mais je pense que je vais le mentionner. Sur l'idée du
rapatriement même, il n'y a pas eu vraiment de discussions. Cela faisait
partie, en quelque sorte et on s'est rendu compte de cela au fur et
à mesure d'une sorte d'idée reçue. Le rapatriement
en soi était considéré par à peu près tout
le monde... Et cela peut causer un problème, compte tenu de ce que vous
avez dit ce matin, M. le chef de l'Opposition, et le chef de l'Union Nationale
et nous-mêmes... Pour beaucoup de provinces, pour les autres provinces et
pour le gouvernement fédéral, le rapatriement, cela semble
être en soi une priorité. Il y en a plusieurs je dirais la
majorité qui disent: On peut faire le rapatriement, mais à
condition qu'il y ait une formule d'amendement, mais j'irais même
jusqu'à dire que, s'il n'y avait pas de formule d'amendement, ce serait
peut-être possible qu'on en arrive à l'idée où il y
aurait un rapatriement de la vieille constitution, point, sans formule
d'amendement. Mais ce n'est-pas résolu au moment où je vous
parle. Je ne sais pas si cela répond à vos questions.
M. Ryan: La formule de la Colombie-Britannique, qu'est-ce que
c'est?
M. Morin (Louis-Hébert): Ils ne l'ont pas rendue publique.
Je me demande, cependant, si on ne l'a pas résumée.
M. Ryan: Oui, vous l'avez résumée à la fin,
mais ce n'est pas tout à fait clair.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, on l'a résumée
à la fin. C'était compliqué en diable, mais on l'a
résumée.
M. Ryan: Ce sont cinq régions, je pense.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est cela. La formule de la
Colombie-Britannique c'est cela, le problème; la
Colombie-Britannique, il faut bien qu'on en parle c'est que la
Colombie-Britannique peut avoir diverses suggestions, soit sur le sénat,
soit sur mon Dieu, je ne sais pas aussi bien la Cour
suprême que la formule d'amendement, mais la Colombie-Britannique, une de
ses demandes, sinon sa demande essentielle, c'est qu'elle soit, comme province,
reconnue comme une région du Canada, formellement; tout le monde n'est
pas d'accord là-dessus avec le résultat que dans tout, la
Colombie-Britannique réclame que sa position comme province devienne une
position régionale, qu'elle soit reconnue comme région et que,
par conséquent, elle ait un droit de veto. Il n'y a pas
d'unanimité je pense que c'est le moins qu'on puisse dire
sur cette approche.
M. Ryan: Oui.
M. Morin (Louis-Hébert): Non, mais ce que je disais, c'est
que la Colombie-Britannique réclame d'être une des cinq
régions du Canada et cela n'entraîne pas l'adhésion
enthousiaste de l'ensemble des populations concernées aux
conférences fédérales-provinciales. C'est une des
propositions qui ont été faites. Comme ils ne l'ont pas rendue
publique, on a été embêtés. Alors, on a quand
même essayé de la résumer. Je pense que vous l'avez
à la page 4 de notre petit document ici.
M. Ryan: M. le Président...
M. Morin (Louis-Hébert): ... sauf qu'ils exigent, eux,
d'être une... Je l'ai inscrit ici. Je pense que c'est à la
sixième ligne, "étant entendu". Sur la question cruciale du
partage des pouvoirs, la
formule serait celle du consentement unanime des cinq régions du
Canada, mais avec ceci: "Etant entendu que la Colombie-Britannique formerait
une de ces régions."
M. Ryan: C'est cela.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est là où est le
problème. On a regardé celle de l'Alberta je dois le dire
et il n'y a rien de réglé au moment où je vous
parle.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Opposition.
M. Ryan: Maintenant, je voudrais peut-être vous faire
quelques observations à ce sujet, en partant toujours de la position qui
a été définie par le parti que je dirige,
évidemment. J'ai déjà résumé ce matin
je n'y reviendrai pas la manière générale dont nous
envisageons le déroulement de la révision constitutionnelle,
cette révision devant commencer par un geste d'engagement de toutes les
Législatures et du Parlement fédéral dont les
éléments seront, entre autres, une déclaration explicite
de la volonté de ces Législatures de doter le Canada d'une
constitution entièrement nouvelle devant remplacer l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, l'adhésion à une
déclaration de principes dégageant les articulations majeures et
l'esprit de la réforme constitutionnelle, la décision de mener
à bien le travail de façon ininterrompue jusqu'à la
conclusion d'un accord, etc. Une fois les travaux terminés je
mentionne ceci parce que c'est un élément qui n'est pas
très bien connu du public et peut-être même du gouvernement
la nouvelle constitution sera soumise pour leur approbation aux
Législatures des provinces et au Parlement central et, finalement, aux
citoyens canadiens par la voie d'un référendum dont les
modalités seront déterminées par la conférence
constitutionnelle. C'est un point...
M. Morin (Louis-Hébert): Qu'est-ce que vous lisez
là?
M. Ryan: C'est le texte des résolutions adoptées
par le congrès d'orientation...
M. Morin (Louis-Hébert): D'accord, cela va.
M. Ryan: ... de notre parti et, en complément, par le
conseil général qui s'est réuni récemment.
M. Bédard: On l'a.
M. Ryan: Mais vous n'avez pas le texte complet, peut-être
que vous avez ce que je viens de lire, ça se peut. La semaine prochaine,
on aura des copies de ce texte à mettre à votre disposition, si
cela vous intéresse. Pour l'instant, il y a encore...
M. Morin (Louis-Hébert): Vous me faites penser... Excusez,
continuez, j'aurai une question tantôt.
M. Ryan: II y a un petit point que j'ai mentionné ce
matin: La constitution sera rapatriée au moment et suivant les
modalités arrêtées avec l'accord des gouvernements
concernés. Cela met votre question entre parenthèses, on y
reviendra tantôt.
M. Morin (Louis-Hébert): Non, ce n'est pas
là-dessus, c'est parce que vous m'avez fait penser à quelque
chose.
M. Ryan: Vous pouvez me la poser tout de suite, si vous voulez,
il n'y a pas de problème.
M. Morin (Louis-Hébert): Je ne voudrais pas
déplacer le sujet, mais vous avez dit, ce matin, et on a peut-être
oublié d'en parler, qu'au cours de la négociation actuelle, une
des suggestions à laquelle vous aviez pensé c'est
d'ailleurs la règle que nous suivons maintenant c'est qu'on
respecte le principe de l'accord unanime. Vous avez dit cela, en somme.
M. Ryan: Ou qu'on s'entende sur une formule de décisions
qui pourrait être la formule éventuelle d'amendement mise à
l'essai.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, d'accord, ce qui revient au
même, au fond, en ce qui concerne l'adhésion des participants. Je
voulais simplement dire que ce serait peut-être une façon de
régler le problème de la négociation actuelle.
M. Ryan: Je continue.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui.
M. Ryan: En ce qui touche la formule d'amendement, la
constitution reconnaîtra évidemment aux provinces et au Parlement
central le droit de modifier les éléments de leurs constitutions
internes respectives. Les clauses dites protégées ou
enchâssées de la constitution ne pourront cependant être
modifiées qu'aux conditions suivantes: a)Que l'initiative de proposer un
amendement appartienne à chacun des deux ordres de gouvernement et au
conseil fédéral; b) que tout amendement soit adopté par la
Chambre des communes; et c)que tout amendement soit approuvé par toutes
les provinces ayant compté ou comptant au moins 25% de la population
canadienne, par deux des quatre provinces atlantiques dont l'une des deux plus
populeuses, et par deux des quatre provinces de l'Ouest comprenant l'une des
deux plus populeuses provinces de cette région.
Ensuite, on donne une liste des clauses qui seraient
enchâssées. Je pense qu'on peut se dispenser d'insister pour ce
soir. Notre préférence reste pour l'instant à cette
formule qui nous semble claire, simple et correspondre assez à la
réalité canadienne. Le seul élément sur lequel,
personnellement, je pense qu'il faudrait être prêt à
discuter, c'est les 25%. Ces 25% pourraient peut-être être
ramenés à quelque chose comme 15% si on
voulait tenir compte de certaines représentations qui ont
été faites. A ce moment-là, cela nous rapproche de ce que
vous appelez la formule de Toronto, dans votre document. Je ne pense pas qu'il
faudrait l'abandonner sans examen très sérieux, cette
formule.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, mais...
M. Ryan: En ce qui touche... oui?
M. Morin (Louis-Hébert): Non, j'aurai...
M. Ryan: En ce qui touche la formule de l'AIberta, nous en avons
fait un examen préliminaire, mes conseillers et moi-même. C'est
une formule complexe et simple à la fois. Je pense que le ministre n'a
pas dit tantôt... si j'ai mal écouté, il me corrigera.
Voici comment cela fonctionnerait. Il faudrait l'assentiment des deux tiers des
provinces représentant plus de 50% de la population; une province qui ne
serait pas d'accord pourrait exiger que l'amendement ne s'applique pas chez
elle s'il porte sur certains sujets, pas en général.
M. Morin (Louis-Hébert): Non, c'est justement le
problème, s'il porte sur certains sujets. Ce qui est arrivé,
c'est qu'au cours de la discussion on a essayé de réduire
du côté fédéral, entre autres, mais peut-être
aussi d'autres provinces la liste des sujets, comment dirais-je,
réservés. Là, cela enlève le sens et
l'intérêt.
M. Ryan: C'est là qu'est le danger. Même avec la
formulation qui est proposée par l'Alberta, je sais que cela traduit une
école de pensée dont certains disent qu'elle n'a pas de
fondement, mais, quand même, il y en a beaucoup qui l'assument. S'il
s'agit d'un pouvoir nouveau qui n'était pas prévu dans la
constitution, qu'on fasse un amendement, qu'on le transfère au Parlement
fédéral. A ce moment-là, cela n'enlève rien aux
pouvoirs et aux privilèges existants des provinces. On pourrait de cette
manière accroître les pouvoirs du Parlement central au
détriment du Québec. Je pense qu'il y a un trou de ce
côté-là qui n'est pas bien couvert par cette formule.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela. Je pense que...
M. Ryan: Voulez-vous me laisser finir? M. Morin
(Louis-Hébert): Oui, oui.
M. Ryan: Cela va vous donner la chance, peut-être, de
toucher tous les aspects que je veux évoquer. La deuxième
possibilité de cette formule, cela nous ramène à "l'opting
out" sans compensation financière. Une province qui ne voudrait pas que
l'amendement s'applique chez elle n'aurait pas, dans la formulation que nous
trouvons dans le dossier que nous avons en notre possession, de garantie de
compensation financière. Elle pourrait exiger que l'amendement ne
s'applique pas chez elle.
(21 h 30)
Supposez que les provinces décident de transférer le
pouvoir sur la police provinciale, par exemple, au Parlement
fédéral. Le cas échéant, le Québec pourrait
décider qu'il garde sa police, mais il n'aurait aucune garantie de
compensation financière avec la manière dont cela est
proposé.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est ça, vous avez bien
raison là-dessus.
M. Ryan: Troisièmement, il y aurait le danger que cela
conduise à une multiplicité de statuts particuliers,
éventuellement à un fouillis législatif et administratif
qui pourrait devenir une véritable source de confusion et d'embarras
pour le bon fonctionnement du pays. Je consens bien à ce qu'on examine
cette formule attentivement, mais il me semble, tout compte fait, dans
l'état actuel de l'intelligence que je peux avoir du dossier, que
l'autre formule, ou une variante s'en rapprochant et là-dessus,
nous ne sommes pas attachés à un chiffre comme une
vérité dogmatique que l'autre famille de formules est plus
acceptable, quitte à chercher les pourcentages qui tiendraient compte de
la situation vraiment nouvelle et très importante de provinces comme la
Colombie-Britannique et l'Alberta. On ne peut pas ramener ces deux provinces
à des petites provinces, ce sont des provinces majeures maintenant;
elles font partie de la ligue des grosses provinces au Canada. Je pense qu'il
vaudrait mieux chercher une formule qui leur donnerait voix au chapitre de
manière décisive, plutôt que de chercher dans cette
espèce de méthode indirecte extrêmement
génératrice de confusion, du moins d'après la
première lecture que nous en faisons.
Je n'ai pas parlé du rapatriement, j'aimerais qu'on nettoie ce
propos de formule d'amendement pour commencer, si vous permettez. Si on peut
voir clair là-dedans, ça va faire au moins un point d'acquis.
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, sur la
formule d'amendement, peut-être que le chef de l'Opposition et ce
n'est pas un reproche que je veux faire croit, on ne l'a peut-être
pas assez expliqué, que les discussions sont rendues plus loin qu'elles
le sont en fait. Il y a peut-être, comme vous l'avez mentionné,
quelque trois ou quatre écoles de pensée. Il y a la formule de
l'Alberta, il y a la formule de la Colombie-Britannique, il y a le consensus de
Toronto; mais c'est bizarre, le consensus de Toronto, certaines des provinces
qui y avaient adhéré, adhèrent maintenant à un
autre en même temps qu'elles adhèrent au consensus de Toronto. Il
y a aussi la formule de Victoria, je pense que c'est celle
préférée par le gouvernement fédéral.
Là, je pense à quatre, et il se peut que j'en oublie une
couple.
On n'est pas rendu très loin au moment où je vous parle.
Ce que je vous ai dit, c'est que la
formule de l'Alberta, qui n'a peut-être pas été
notée avant par la plupart des provinces, a été
remarquée comme étant assez intéressante. En ce qui nous
concerne, on a dit: On voudrait voir ce que ça donne. On l'a
regardée, au niveau des fonctionnaires, plus en détail que cela
avait été le cas jusqu'à maintenant, mais aucune
décision n'a été prise nulle part et je ne suis pas
sûr qu'on va arriver à quoi que ce soit qui va finalement faire
l'unanimité.
Donc, vous parlez aussi de la règle des 15%. Je n'ai pas la liste
de la population des provinces, mais je ne sais pas combien de droits de veto
si je peux m'exprimer ainsi ça donnerait à combien
de monde.
M. Ryan: Un de plus pour l'instant, et dans quelques
années, deux.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est ça, mais on a un
petit problème qu'on n'avait pas auparavant. Certaines provinces qui ne
s'étaient pas manifestées, soit pour le droit de veto, soit pour
leur présence au Sénat, soit pour la Cour suprême, soit
pour les communications, soit pour je ne sais plus quoi, aujourd'hui ont des
vues précises et arrêtées quant à leurs propres
je ne les blâme pas d'ailleurs aspirations et
revendications, de sorte que je dirais que c'est plus compliqué
qu'auparavant.
Je dirais qu'auparavant, il y avait deux écoles de pensée;
maintenant, il y en a trois ou quatre, mais on est rendu là après
trois semaines de discussions. Il faut dire qu'on n'a pas parlé de la
formule d'amendement. Comment pourrais-je vous dire ça? Pour être
plus simple, on a surtout parlé... Je dirais que 40% du temps des trois
dernières semaines a été consacré au pouvoir sur
l'économie et à des choses connexes au pouvoir sur
l'économie. Je pense que c'est peut-être la meilleure description
que je peux faire. J'irais peut-être jusqu'à 50%; que ce soit dans
des réunions à huis clos, mais où il y avait les
fonctionnaires, ou que ce soit dans des réunions de ministres ou lors
des dîners de travail de ministres, cela a été surtout sur
des questions comme celles relatives au pouvoir sur l'économie, de sorte
que l'amendement constitutionnel qui était avant le sujet majeur
d'intérêt et qui le demeure peut-être pour quelques
provinces, a été un peu, à cause de ça,
relégué je ne dirais pas dans l'oubli, mais dans une sorte de
glacière temporaire et va probablement revenir à la fin du mois,
mais je ne peux pas vous dire plus que ça. Il n'y a pas d'accord et nous
avons regardé avec intérêt, nous, Québec,
d'autres aussi j'entends la formule de l'Alberta, parce qu'elle nous
semblait avoir une certaine flexibilité et représentait une
approche nouvelle. Je ne vous dis pas qu'elle est parfaite. Je ne le sais pas
encore, mais elle est examinée maintenant par des fonctionnaires et elle
va certainement revenir à la surface.
M. Ryan: Une dernière critique que je me permettrais
d'ajouter à propos de la formule de l'Alberta. Cela allait de soi, mais
je pense que c'est mieux de l'expliciter. C'est qu'elle enlève au
Québec le droit de veto sur des amendements à la constitution qui
lui étaient garantis dans les formules antérieures mises de
l'avant au cours des dix dernières années. C'est peut-être
tentant pour le gouvernement dont vous faites partie, dont la tendance serait
de replier vers le Québec le plus de responsabilités possible en
laissant l'autre nation, comme vous le dites souvent, se développer
à son rythme propre, mais pour nous qui voulons un pays dont nous sommes
les partenaires à part entière, nous n'acceptons pas ce genre
d'éventualité. Nous préférons que le Québec
garde son mot clé dans les grandes décisions susceptibles
d'affecter la forme du pays dans son entier au cours des prochaines
années.
Ici, je vous mets en garde contre une certaine tendance qui pourrait
peut-être vous incliner à faire cause commune avec nos bons amis
de l'Alberta. Ils peuvent avoir des raisons actuellement, eux, de chercher des
repliements de même nature, mais il me semble que ce n'est pas la voie la
meilleure dans laquelle on puisse envisager l'épanouissement du
fédéralisme canadien. Je soumets cette observation. C'est une
critique qui s'impose en toute loyauté.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, cela s'impose
peut-être en théorie, mais je pense qu'en pratique on peut compter
sur nous pour voir venir les problèmes de cette nature, d'autant plus
qu'une des préoccupations majeures du Québec depuis pas mal
longtemps, et à l'époque même où j'ai
commencé à faire mes premières armes là-dedans,
c'était justement de préserver en ce qui concerne le
Québec un droit de veto essentiel sur des choses qui le concernent de
près et un pouvoir d'influence sur l'ensemble. Cela demeure comme
préoccupation. Si le chef de l'Opposition se fait de cela une
préoccupation qui l'empêche de dormir, je veux le rassurer de ce
côté, il n'y a pas de crainte à y avoir. Ce que j'ai dit,
c'est que nous avons regardé la formule de l'Alberta comme étant
intéressante, je n'ai pas dit qu'on avait adhéré à
cette formule pas plus qu'à aucune autre et au moment où on en
est, cette discussion n'est pas du tout terminée.
Je voudrais revenir quand même, M. le Président, à
la question que je posais tantôt. J'aimerais cela savoir à
moins qu'on ne considère que le problème est résolu
à partir de la citation que j'ai reprise tout à l'heure, ce que
veut dire une entente sur un nombre suffisant de sujets. C'est le mot
"suffisant" que j'aimerais qu'on précise. Remarquez très
honnêtement que je connais votre réponse, vous me l'avez
donnée en privé, mais je pense qu'elle est intéressante
à mentionner. Je crois que de ce côté il n'y a pas de
difficulté, de part ou d'autre, mais ce serait bon que ce soit clair
parce que cela va être une question qui va, comme je l'ai dit
tantôt, vu qu'il n'y a pas accord, revenir à l'ordre du jour; il
serait bon de savoir un peu ce que tout le monde en pense.
M. Ryan: II y a deux implications dans la question que nous pose
le ministre des Affaires intergouvernementales. D'abord, il suppose que nous
avons terminé sur la formule d'amendement. Je ne sais pas s'il y a
d'autres personnes ou d'autres membres de la commission qui veulent intervenir
sur la formule d'amendement. Je ne veux pas anticiper là-dessus et
ensuite je presse parce que, là, cela nous amène au
rapatriement.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela.
M. Ryan: Mais là on parlait de la formule d'amendement. On
était convenu de diviser en deux.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est parce que j'avais une
question que vous...
M. Ryan: On la garde en réserve. On n'est pas
pressé.
M. Morin (Louis-Hébert): Là c'est parce que vous
raccrochez au rapatriement. Ah bon, d'accord. Je vais y revenir tantôt.
Cela n'a pas d'importance. C'est juste que je ne veux pas qu'on l'oublie.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Union Nationale, sur la formule d'amenciement.
M. Morin (Louis-Hébert): Moi, cela ne me dérange
pas.
M. Le Moignan: Ma première question je n'ai
peut-être pas bien saisi ce que le chef de l'Opposition libérale a
dit tout à l'heure. Est-ce que vous avez parlé de rapatriement
sans formule d'amendement? Oui, c'est cela que je vous demande là.
M. Ryan: J'ai parlé avec la formule d'amendement.
M. Le Moignan: Vous avez parlé avec formule d'amendement,
d'accord.
M. Ryan: Nous allons en parler de nouveau tantôt, c'est un
des points de fond de notre cheminement.
M. Le Moignan: Très bien. J'aurais juste quelques
remarques, M. le Président, et j'englobe les deux en même temps.
On parle beaucoup de la formule de l'Alberta qui semble très bonne,
très efficace. On ne parle pas beaucoup de la formule du Québec.
Je ne sais pas si elle existe...
M. Rivest: II n'y en a pas.
M. Morin (Louis-Hébert): Les formules qui ont
été suggérées jusqu'à maintenant je
réponds brièvement il y a celle qui était dans
Victoria en 1976, la formule de Toronto en 1978 ou 1979, mais à
l'époque on n'avait pas participé aux discussions et depuis ce
temps il y en a deux qui sont survenues, celle de la Colombie-Britannique pour
les raisons que j'ai mentionnées et celle de l'Alberta. Alors, sur dix
provinces, sur onze gouvernements, il y en a quatre qui ont formulé des
propositions et les gens adhèrent à l'une ou l'autre.
M. Le Moignan: Comme cela, il n'y a pas de consensus dans le
moment pour le gouvernement du Québec, à laquelle des deux vous
adhérez exactement.
M. Morin (Louis-Hébert): Non. On est en train d'explorer,
compte tenu des avantages de l'une ou l'autre pour la préservation des
droits du Québec. C'est ça de la négociation.
M. Le Moignan: Alors, dans le document, j'ai mentionné cet
après-midi qu'on se prononçait en faveur d'une constitution
évidemment conçue et adoptée au Canada. A ce moment, on
oubliait l'ancienne constitution. Si on veut une nouvelle constitution, on ne
voudrait pas d'un document replâtré, rapiécé, d'un
document qui serait simplement une reprise. On voudrait quelque chose
d'entièrement nouveau, quelque chose de bâti, de conçu ici
par les Canadiens. Et j'ai bien l'impression que cette opinion est
partagée par plusieurs des membres de cette commission.
Maintenant, dans notre programme, notre document constitutionnel qui
remonte déjà à quelques années la preuve,
c'est que vous avez une très belle photo en face qui l'indique
à l'article 2, on disait ceci: "Un mécanisme permanent de
révision constitutionnelle dont la définition implique
l'assentiment général des paliers provinciaux de gouvernement et
l'assentiment particulier du Québec, parce que foyer principal du
prolongement de l'un des deux peuples fondateurs du pays". Il y avait une
remarque qui disait ceci je pense que c'est très important
"Toute tentative de rapatriement de Londres de la constitution canadienne
actuelle nous apparaît prématurée, voire même inutile
aux fins de la conduction d'une nouvelle constitution canadienne". Comme le
disait Me Robert Décary: "II sera de toute façon tellement plus
facile de rapatrier la constitution une fois qu'elle aura été
refaite". Alors, je pense que c'est bien important qu'on examine ces aspects.
Actuellement, l'Union Nationale maintient toujours sa position parce que toute
cette question de rapatriement, c'est en somme un faux problème. C'est
un gadget que le gouvernement fédéral veut utiliser pour nous
faire croire qu'un grand changement s'est opéré ou est en train
de S'opérer, alors qu'en réalité nous ne faisons que
confirmer le statut quo. Je pense que le gouvernement du Québec devrait
être très prudent en acceptant, aujourd'hui, de rapatrier un
document dont personne en somme ne veut. C'est bien facile d'en bâtir,
c'est plus facile d'en bâtir et d'en composer un nouveau que de l'envoyer
chercher par avion ou par bateau. Je ne sais pas quel moyen le gouvernement a
prévu...
M. Morin (Louis-Hébert): Par la poste.
M. Le Moignan: ... mais, de toute façon, je pense que
c'est plus facile d'en composer une nouvelle. Je pense qu'il faut être
vigilant et si on veut une nouvelle constitution il ne faut pas rapatrier
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique avant qu'une entente sur le
partage des pouvoirs soit signée. Je pense que c'est très
important, il ne faut tout de même pas tomber dans le panneau et se
mettre les pieds dans les plats. Il faudrait avoir une entente sur le partage
des pouvoirs et il faudrait qu'une entente soit conclue et signée dans
ce sens. Je pense que c'est un minimum que le Québec est en droit
d'exiger.
En même temps, il y a un point sur lequel j'aimerais attirer
l'attention du ministre, peut-être en lui posant une question. Il a
été question que le Québec envisageait la
possibilité d'un recul sur votre position initiale en matière de
rapatriement et de la formule d'amendement d'ici le 12 septembre. Je voudrais
simplement savoir si cette rumeur est vraie, oui ou non.
M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, il s'agit
du titre d'un article de journal dont, comme ça arrive souvent, quand
vous lisez le contenu, on voit qu'il est moins fondé qu'il n'en a l'air.
Je pense que le chef de l'Union Nationale a parfaitement raison de dire que,
comme premier soin, le gouvernement fédéral voudrait qu'on
rapatrie l'ancienne constitution, alors qu'en fait on doit en faire une
nouvelle. Il y a une sorte d'illogisme là-dedans. Je dois dire
qu'à cet égard la journée même où cette
nouvelle est parue, c'est à peu près cette journée aussi
que nous avons émis la déclaration que vous trouvez en annexe.
Par conséquent, à cet égard, notre position n'a pas
changé, elle n'a jamais changé de tous les gouvernements que j'ai
connus, de 1963 ou 1964 à nos jours. C'est que le rapatriement de la
constitution doit venir non pas d'abord, mais après qu'il y a eu une
entente substantielle sur des changements majeurs et significatifs au partage
des pouvoirs.
De ce côté, nous avons maintenu la même position;
j'ai l'impression que c'est celle-là qui est maintenue ici encore et
c'est pour ça que j'avais posé, tantôt, pour avoir une
clarification, au chef de l'Opposition une question sur le mot "suffisant"
lorsqu'il parle du nombre suffisant de sujets qui devraient former l'objet d'un
accord. Mais je partage votre point de vue, M. le chef de l'Union Nationale et
je l'ai dit d'ailleurs aux conférences; c'est que la question du
rapatriement est une question qui peut paraître importante
symboliquement, mais qui aurait comme conséquence de nous faire
commencer la fabrication d'une nouvelle constitution en partant de la vieille,
ce qui n'est pas tout à fait logique. (21 h 45)
M. Le Moignan: J'aurais un dernier point. Le ministre a
certainement pris connaissance de certaines suggestions de compromis, dans le
journal Le Soleil, faites par Marcel Pépin dernièrement, qui a
suggéré que le gouvernement pourrait peut-être consentir au
rapatriement, mais à condition que la règle de l'unanimité
continue d'être la loi jusqu'à une entente sur les points
essentiels, soit le partage des pouvoirs ou autre chose. Je pense que c'est
ça qui est un peu capital dans tout ce rapatriement de la
constitution.
M. Morin (Louis-Hébert): Je suis d'accord avec vous, ce
qui empêcherait des gestes fédéraux unilatéraux
d'ici ce temps-là.
M. Le Moignan: Mais, qu'est-ce que vous faites à ce
moment-là, qu'est-ce que vous voulez faire?
M. Morin (Louis-Hébert): C'est-à-dire que nous
présumons qu'au moment où on parle, la coutume continue de
s'appliquer, c'est que les changements à la constitution se font
à partir de l'unanimité des onze gouvernements. Il n'y a rien qui
ait encore modifié ça, mais ce qu'on pourrait craindre, c'est
qu'en vertu d'un geste unilatéral fédéral, cette
règle soit changée, ce à quoi le Québec et, je
pense, la plupart du monde, et je dirais que c'est unanime de la part des
provinces, s'opposent de façon absolument tranchée, sauf une
je pense que je peux mentionner son nom c'est l'Ontario qui a dit
que le fédéral pourrait procéder unilatéralement,
mais, en ce qui nous concerne, on n'est pas d'accord, absolument pas, et huit
autres provinces non plus.
M. Le Moignan: Maintenant, la dernière question. La
formule d'amendement proposée par la commission Pépin-Robarts,
est-ce que cela a été examiné?
M. Morin (Louis-Hébert): Pas à
l'intérieur... Encore une fois, on vient de commencer ce
sujet-là. Pas à l'intérieur de ce que j'ai pu constater
comme témoin de nos discussions, non.
M. Le Moignan: A l'intérieur du gouvernement du
Québec non plus?
M. Morin (Louis-Hébert): Non. Encore une fois, on est
parti... Vous savez, la tendance dans ces conférences-là, au fur
et à mesure qu'elles se succèdent, c'est de partir là
où on était avant. On est parti de formules qui existaient,
ça se peut qu'elle survienne. Au moment où je vous parle, sauf
erreur, elle a été mentionnée disons pour
mémoire mais elle n'a pas été vraiment
étudiée. Celle qui a été vraiment
étudiée, c'est celle de l'Alberta, celle de la
Colombie-Britannique; on a fait référence au consensus de Toronto
et il y en a eu certains qui ont émis des nostalgies en ce qui concerne
Victoria, c'est tout.
M. Le Moignan: Mais, est-ce qu'il y a possibilité de
rapatriement sans formule d'amendement? C'est encore une autre rumeur qui
circule, un accord possible.
M. Morin (Louis-Hébert): Une majorité de
gouvernements provinciaux est opposée à un rapatriement sans
formule d'amendement. Le gouver-
nement fédéral souhaite un rapatriement avec formule
d'amendement. On pourrait donc dire que tout le monde est d'accord qu'il
devrait y avoir une formule d'amendement, sauf qu'il est possible que, s'il n'y
a pas entente, le gouvernement fédéral décide, de son
côté... Cela a été mentionné
déjà en 1975 par M. Trudeau, c'est-à-dire qu'il faudrait
procéder unilatéralement s'il n'y avait pas d'accord en ce qui
concerne la formule d'amendement de la part des provinces. Alors, il y a
toujours ce risque, qui n'a pas été évoqué
dernièrement, d'action unilatérale fédérale quant
au rapatriement. Mais je ne peux pas dire que cela a été brandi
comme une menace récemment, ce n'est pas venu dans la conversation.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Rouyn-Noranda.
M. Samson: C'est une question que je veux poser au ministre. Si
j'ai bien compris, le gouvernement du Québec n'a pas proposé de
formule d'amendement comme telle. On s'accroche à des formules qui sont
connues et à des formules qui ont été proposées
récemment par d'autres. Est-ce qu'il est dans vos intentions
d'élaborer une formule d'amendement pour être proposée au
cours des négociations qui s'en viennent?
M. Morin (Louis-Hébert): En réponse à votre
question, M. le député de Rouyn-Noranda...
M. Samson: ... qui se continuent, c'est-à-dire. M.
Morin (Louis-Hébert): Pardon?
M. Samson: J'ai dit au cours des négociations non pas qui
s'en viennent, mais qui se continuent.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est ça. La
réponse à votre question est la suivante: Comme le gouvernement
du Québec et je pense qu'on est un peu tous d'accord
là-dessus considère que la formule d'amendement de
même que le rapatriement est une opération qui doit venir à
la fin, nous n'avons pas, pour le moment, accordé de priorité
à l'élaboration d'une formule d'amendement constitutionnel,
encore que, contrairement à l'attitude que nous avons prise avant, nous
ayons été d'accord pour examiner celles qui étaient
déjà sur la table. Donc, nous n'en avons pas proposé.
M. Samson: Vous n'en aurez pas à proposer tant...
M. Morin (Louis-Hébert): On n'en a pas proposé
parce que, pour nous, c'est une question qui doit venir après des
discussions qui nous paraissent plus fondamentales quant au partage des
pouvoirs. Alors, on a dit que ça viendrait plus tard. Et comme ça
doit venir plus tard, on ne s'est pas empressé de faire une formule
d'amendement de notre propre chef, en suivant la logique que nous avions
adoptée au point de départ et qui a toujours été,
d'ailleurs, la logique de l'ensemble des gouvernements québécois
qui se sont succédé.
M. Samson: Cela changerait quoi, à votre avis, que vous
attendiez à plus tard pour proposer une formule, si vous aviez une
formule valable à proposer, si elle était sur la table
présentement, ou la proposer uniquement après coup? Cela
changerait quoi comme...
M. Morin (Louis-Hébert): Bien, ça changerait...
M. Samson: Est-ce que ça pourrait déranger votre
pouvoir de négociation?
M. Morin (Louis-Hébert): Oui, justement. Vous avez
peut-être noté, dans notre note que nous vous avons transmise dans
le document d'appui pour la réunion d'aujourd'hui et de demain, que pour
plusieurs provinces, l'amendement de la constitution et le rapatriement sont
des éléments majeurs essentiels et quasiment primordiaux de tout
l'exercice. Et si, nous-mêmes, nous alimentons cette façon de voir
les choses en apportant, nous-mêmes, des formules d'amendement de
façon empressée, il va devenir difficile de prétendre,
comme je pense que nous devons le faire, que la décision quant à
une formule d'amendement et quant au rapatriement doit venir plus tard. On ne
veut pas apporter, en somme, de l'eau au moulin à ceux qui
considèrent que c'est la grande question prioritaire qui va
régler tout le problème constitutionnel. Là-dessus, nous
estimons qu'il doit y avoir du temps qui doit s'écouler avant qu'on
termine toutes les discussions relatives aux formules d'amendement. Donc, nous
aurons le temps de faire valoir des positions. Mais, pour nous, ce n'est pas ce
qui doit être l'objet de nos discussions prioritaires maintenant.
M. Samson: Ce n'est peut-être pas l'objet de vos
discussions prioritaires maintenant, mais c'est de ça qu'on parle
maintenant.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est sûr que c'est de
ça qu'on parle, vous avez parfaitement raison. J'ai moi-même, ce
matin, dans l'intervention que j'ai faite, dans mon rapport sur les
conférences qui se sont passées jusqu'ici, dit que je voulais
qu'en priorité nous prenions le temps d'examiner toute cette question du
rapatriement et de la formule d'amendement. Même si ce n'est pas une
priorité québécoise, du moins, c'est ce que nous avons
pris comme position jusqu'à maintenant, il n'en demeure pas moins que
pour le gouvernement fédéral, c'en est une. Très
franchement, nous croyons que ça doit venir plus tard. Mais, comme
ça va venir, on voulait consulter les partis d'opposition,
voilà.
M. Samson: Est-ce que vous croyez qu'une fois la rédaction
d'une nouvelle constitution faite et acceptée par tout le monde cette
nouvelle constitution devrait contenir un mécanisme de révision
ou d'amendement inclus dans cette constitution-là?
M. Morin (Louis-Hébert): Certainement.
M. Samson: Vous croyez ça. Si vous le croyez aussi
important que ça, je comprends mai que le gouvernement du Québec
ne prenne pas l'initiative d'élaborer, avec ses experts, une formule
d'amendement qu'il pourrait proposer. Cela ne revient pas aux partis
d'opposition de prendre l'initiative. C'est le pouvoir qui doit la prendre.
M. Morin (Louis-Hébert): Je suis absolument d'accord
là-dessus. Vous m'avez demandé si on s'entend sur le reste de la
constitution, s'il devrait y avoir dans la même constitution une formule
d'amendement. Ma réponse a été oui. Sauf qu'il faut
compléter cette réponse-là, parce que je vous ai dit avant
que, pour nous, la formule d'amendement, ça vient après tout ce
qu'on vient de dire, c'est-à-dire après une discussion du partage
des pouvoirs. Or, nous n'en sommes pas là. Comme nous n'en sommes pas
là, il ne faut pas, je pense, tomber dans la logique de ceux qui
considèrent que c'est la question prioritaire. Une façon de le
faire, c'est de dire que nous n'avons pas, pour le moment, de propositions
à faire de ce côté, étant donné que pour
nous, le gouvernement du Québec, et ça a été le cas
de tous les gouvernements qui nous ont précédés, nous
croyons qu'on doit d'abord faire une réflexion en profondeur sur le
régime politique avant même de discuter sur la façon de
faire revenir ici au Canada la veille constitution. Il y a une logique dans
tout ça.
M. Samson: Compte tenu du fait que vous n'accordez pas
d'importance prioritaire à cette question et qu'on est en train de la
discuter présentement, ce n'est pas nous qui avons choisi de la mettre
à l'ordre du jour. C'est vous qui avez choisi ça.
M. Morin (Louis-Hébert): Mais oui.
M. Samson: Compte tenu de ça, est-ce que je dois supposer
que vous seriez disposé à suggérer qu'on suspende cet
article et qu'on n'en discute pas?
M. Morin (Louis-Hébert): Non, pas du tout. Je vous ai
déjà dit...
M. Samson: Si ce n'est pas prioritaire pour vous et si vous ne
voulez pas nous apporter de réponse tout de suite parce qu'il faut
passer d'autre chose avant, je trouve curieux qu'on soit à discuter de
ça avant d'autre chose.
M. Morin (Louis-Hébert): II ne faudrait pas créer
de faux malentendus. Ce n'est pas prioritaire et, à notre avis, ce ne
devrait pas être prioritaire pour le Québec. Si nous discutons
d'une nouvelle constitution, nous devons d'abord discuter d'une nouvelle
constitution avant de discuter de la formule d'amendement de cette nouvelle
constitution. C'est notre position, sauf qu'il advient que ces trois ou quatre
sujets font partie de priorités fédérales quasiment
immédiates. Moi, je vous dis c'est mon devoir, comme ministre
que nous ne sommes pas d'accord que ce soit réglé à
l'instant ou dans les semaines qui viennent, parce qu'il y a bien d'autres
choses que ça avant qui doivent être réglées.
Cependant, il va en être question. Nous avons déjà pris
comme position que ça devrait venir plus tard. C'est écrit
là-dedans. Nous allons maintenir cette position, sauf que nous vous en
parlons, nous vous en faisons rapport et nous vous disons: Voilà. Nous
ne voulons pas que cette question, pour des raisons que je viens de dire, soit
réglée à la hâte tout de suite, parce que ça
enferme l'avenir du Québec. Il y a bien des choses qui devraient
être résolues avant, sauf que, comme on veut en parler de l'autre
côté, qu'il y a bien des provinces qui ont l'air de trouver
ça important, réfléchissons-y ensemble. Mais notre
position est établie. Elle est dans le cahier. Cela n'est pas une
question prioritaire pour le Québec, mais comme c'en est une pour les
autres, il faut bien que je vous le dise.
M. Samson: II faut bien que vous nous le disiez, oui, mais vous
ne nous dites rien.
M. Morin (Louis-Hébert): Si vous assumez que ce n'est
rien, c'est peut-être parce que vous n'avez pas suffisamment
écouté.
M. Samson: Tout ce que vous nous dites depuis cinq minutes, c'est
que vous n'avez rien à dire là-dessus.
M. Morin (Louis-Hébert): Ce que je vous dis depuis cinq
minutes et ce que nous avons dit au Québec depuis 16 ou 17 ans
c'est que la question du rapatriement et de l'amendement constitutionnel
est une question qui, bien sûr, est importante, mais qui doit venir
après que d'autres questions que nous estimons comme
Québécois plus importantes aient été
résolues. C'est exactement la même position que nous prenons. Pour
autant que je puisse en juger par les interventions des autres partis ici, je
pense que, là-dessus, on n'est pas loin d'être d'accord.
M. Samson: Estimez-vous possible d'en arriver à vous
entendre sur une nouvelle constitution sans toucher au rapatriement et à
la formule d'amendement?
M. Morin (Louis-Hébert): On ne peut pas régler le
problème de l'ensemble d'une constitution sans toucher à cette
question, mais nous estimons que nous devons toucher à cette question
quand nous verrons mieux de quoi aura l'air la nouvelle constitution dans son
ensemble quant à d'autres sujets.
M. Samson: Quand vous aurez, si je comprends bien, réussi
à vous entendre sur des sujets en nombre suffisant.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela... M. Samson: C'est
cela.
M. Morin (Louis-Hébert): ... en nombre suffisant et le
plus suffisant possible. C'est là l'objet de ma question au chef de
l'Opposition, au début.
M. Samson: Je vous la pose à vous, la question. Que veut
dire "suffisant", selon vous?
M. Morin (Louis-Hébert): Cela veut dire suffisant. Je vais
vous dire ce que cela veut dire. J'aimerais savoir ce que le chef de
l'Opposition en pense, lui, et on va revenir à mon point de
départ.
M. Samson: C'est quoi "suffisant" dans votre esprit?
M. Morin (Louis-Hébert): Suffisant, cela veut dire une
entente sur un partage des pouvoirs qui convienne à ce que nous avons
exprimé comme position de base, c'est-à-dire qui convienne au
Québec et qui fasse que le Québec, comme société
distincte, dispose pour lui d'instruments et que son Assemblée nationale
dispose d'instruments d'ordre économique, social, politique et
linguistique qui ont été définis: a) dans les positions
traditionnelles du Québec; b) dans les adaptations de ces positions
traditionnelles qu'elles ont faites au cours des récentes années;
c) que nous avons définies dans les nouvelles positions que nous avons
émises depuis le mois de juillet. En d'autres termes, cela signifie un
accord substantiel sur un partage des pouvoirs plus adéquat et un
partage des pouvoirs qui portera et qui résoudra, peut-être enfin,
des questions à propos desquelles il y a, depuis des années, des
disputes fédérales-provinciales entre le Québec et Ottawa
et aussi peut-être entre d'autres provinces et Ottawa qui font qu'on perd
pas mal d'énergie dans ce genre de disputes. Voilà!
M. Samson: Vous êtes sûr que vous n'êtes pas en
train d'essayer de négocier la souveraineté-association?
M. Morin (Louis-Hébert): Non, cela n'a jamais
été défini ainsi.
M. Samson: Tout ce que vous venez de dire se rapproche de ce
qu'on voit dans votre livre blanc.
M. Morin (Louis-Hébert): II faudra peut-être en
faire le reproche à M. Daniel Johnson et, à l'époque,
à d'autres premiers ministres...
M. Samson: Non, non!
M. Morin (Louis-Hébert): ... qui ont défini
à peu près ce que je suis en train de vous dire.
M. Samson: Laissez tranquilles ceux qui ne sont plus là.
C'est vous qui êtes là, au pouvoir. C'est à vous qu'on pose
des questions.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela, mais nous
succédons à ceux qui nous ont précédés et on
tient compte...
M. Samson: Vous êtes en train de me décourager d'en
poser. Vous ne répondez pas.
M. Morin (Louis-Hébert): Je vous réponds.
Le Président (M. Jolivet): M. le chef de l'Opposition.
M. Ryan: Nous terminons sur la formule d'amendement, si j'ai bien
compris. Cela fait trois sujets que nous abordons aujourd'hui: La
déclaration de principes, ensuite, la question des droits et,
maintenant, le rapatriement et la formule d'amendement. Je dois constater
honnêtement que sur chacun des trois sujets, vous n'avez pratiquement
rien donné. Il faut être honnête. Je comprends très
bien la réaction du député de Rouyn-Noranda. Vous posez
des questions, c'est très bien, mais je dois dire que comme leadership
de la part du gouvernement dans la voie de la création d'un consensus,
c'est assez piteux. Il faut le constater en cette fin de journée. Si on
voulait construire un consensus autour de ce qui a été
déposé comme propositions par le gouvernement, on aurait un joli
exercice de gymnastique à faire, M. le député de
Rouyn-Noranda, mais nous continuons quand même parce que nous sommes de
bonne foi. Nous continuons quand même et nous espérons que les
prochains jours et les prochaines semaines nous inspireront des propositions
plus substantielles. Cela m'étonne que vous ayez insisté
vous-même, ce matin, pour inscrire comme troisième article
à l'ordre du jour, rapatriement et amendement, et là, vous nous
dites: Ce n'est pas pressé, cette question n'est pas importante et nous
n'avons pas grand-chose à dire là-dessus. Cela fait un peu
curieux.
M. Morin (Louis-Hébert): Puis-je intervenir
là-dessus, parce que vous me semblez trop influencé...
M. Ryan: M. le Président...
M. Morin (Louis-Hébert): ... par le député
de Rouyn-Noranda?
M. Ryan: ... est-ce qu'il voudrait me permettre de terminer mon
intervention? Cela dit, je voudrais en venir au deuxième volet de ce
sujet-ci: le rapatriement. Comme sur le premier, on n'obtiendra pas beaucoup
plus d'éclaircissements ce soir; j'en viens au deuxième volet et
je résume la position de mon parti sur la question du rapatriement. Elle
se résume en trois éléments très simples et
très clairs. Le premier, pas de rapatriement sans formule d'amendement
pour une raison bien simple, c'est que si nous rapatrions la constitution sans
l'assortir d'une formule d'amendement, nous ramenons au Canada un document qui
risque de devenir un carcan dont nous ne pourrons plus nous libérer. Si
la démarche du rapatriement doit avoir un sens, il faut en
conséquence que la décision de rapatrier soit accompagnée
d'un accord sur une formule d'amendement. (22 heures)
Deuxième point: pas de rapatriement sans l'accord de tous les
gouvernements, et quant au moment et quant à la formule d'amendement.
Par conséquent, nous croyons que la manière la plus sage, la plus
démocratique et la plus conforme à l'esprit fédéral
de procéder en cette matière est celle qui consiste à
rechercher activement et patiemment, au besoin, l'accord de tous les
gouvernements, et quant au moment où cela doit se faire, et quant
à la formule d'amendement qui doit accompagner le rapatriement du
document de manière que le document devienne opératoire au Canada
dès qu'il aura remis les pieds ici.
Une formule qu'on ne doit pas non plus éliminer, c'est que si
jamais nous rédigeons un texte entièrement nouveau ici, il n'y
aura peut-être pas de pèlerinage à faire à Londres
du tout. Cela, c'est une hypothèse qu'on ne doit pas exclure, ce serait
l'hypothèse la plus digne d'une nation adulte.
M. Morin (Louis-Hébert): D'accord.
M. Ryan: Enfin, troisième élément: le
rapatriement ne doit pas nécessairement venir après que tout aura
été arrêté et consommé, que les gouvernements
prennent leurs responsabilités en cours de route. J'ai noté dans
le texte qui nous a été remis par le gouvernement que certains
passages vont dans ce sens. Le gouvernement nous dit, à la page 3 de son
texte sur les feuilles bleues: "Plusieurs gouvernements croient que le
rapatriement ne peut se faire sans être accompagné d'une formule
d'amendement. Autrement, la modification constitutionnelle au Canada serait,
selon eux, soumise à une rigidité exceptionnelle puisque c'est la
règle actuelle de l'unanimité qui continuerait de
prévaloir. On peut donc s'attendre à ce que l'un, le
rapatriement, n'aille pas sans l'autre, la formule d'amendement. Or, le
Québec est d'avis, avant que l'une ou l'autre opération
n'intervienne, qu'il importe d'abord d'en arriver à une entente globale
susceptible de le satisfaire. Même si cette entente n'était pas
complète, la présente ronde de négociations et celles qui
pourraient lui succéder donnent une excellente occasion d'en arriver
à ce "package deal" dans lequel entreraient en ligne de compte et
simultanément plusieurs des aspirations et des demandes traditionnelles
des Québécois."
A partir de ce texte qui est passablement sibyllin, je voudrais demander
au ministre des Affaires intergouvernementales, en sa qualité de
porte-parole principal du gouvernement à cette commission, de nous dire
ce qu'il a voulu signifier et de mettre un contenu concret sous ces expressions
enveloppées qu'on retrouve à la page 3 de son texte.
M. Morin (Louis-Hébert): Cela va être très
bref comme réponse, M. le Président. Ce que cela veut dire, c'est
que, premièrement, nous ne voulons pas être bousculés comme
Québec dans un rapatriement et même une formule d'amendement qui
interviendrait de façon tout à fait prioritaire avant même
qu'il y ait des discussions sur des choses qui nous paraissent essentielles
pour le Québec depuis des années. Deuxièmement, que nous
avons une série de douze sujets, actuellement, à propos desquels,
je pense, tout le monde est d'accord pour reconnaître qu'on pourrait en
inclure d'autres qui sont eux-mêmes, dans certains cas, plus importants
pour nous. Troisièmement, que sur Cette liste actuelle de sujets, et sur
d'autres qui pourraient survenir, il y ait, avant qu'on procède au
rapatriement et à l'élaboration finale d'une formule
d'amendement, une entente je reprends peut-être vos mots ici
sur un nombre suffisant de sujets. Il y a une question de raison qui
entre en ligne de compte ici, on ne peut pas déterminer je pense
que je reprends vos mots de ce matin le nombre de sujets et le
critère parce qu'il peut y avoir une entente sur cinq sujets
insignifiants qui ne donnent rien et il peut y avoir entente sur trois sujets
majeurs qui, au contraire, nous paraissent substantiels. Cela dépendra
de l'évaluation c'est cela que nous avons voulu dire que
le gouvernement fera, de la valeur, en quelque sorte, à tous
égards, des ententes qui seront intervenues avant qu'on puisse
finalement être d'accord pour que le rapatriement et la formule
d'amendement soient mis en oeuvre. C'est essentiellement cela que je veux
dire.
M. Ryan: Est-ce que je dois comprendre que s'il y avait, par une
hypothèse hautement improbable, accord sur les douze sujets inscrits
à l'ordre du jour de la présente ronde de négociations,
même cela serait insuffisant aux yeux du gouvernement actuel pour qu'on
envisage très sérieusement le rapatriement accompagné
d'une formule d'amendement? Vous avez semblé dire: Cette liste-ci et
ensuite une autre.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est une question...
excusez!
M. Ryan: Très bien.
M. Morin (Louis-Hébert): C'est une question
intéressante que vous posez, mais fort hypothétique, parce qu'il
n'est pas possible qu'il y ait entente enfin, je ne vois pas comment
ça pourrait se produire d'ici trois semaines sur ces douze
sujets. Il faudrait voir la nature de ces ententes. Prenons, par exemple, le
sujet sur les pouvoirs concernant l'économie; il est d'une énorme
"vastitude", si je peux utiliser un néologisme à cette heure
tardive de la soirée. Cela dépend de ce qu'il y aurait dedans. Je
pense qu'on doit laisser au gouvernement, quitte à ce que l'Opposition
évalue le bien-fondé de cette décision, la latitude
d'évaluer qu'à un moment donné ou à un autre moment
on peut procéder à un rapatriement. Mais il y a un principe
fondamental exprimé ici, qui s'inspire d'ailleurs de l'attitude
constante du Québec à cet égard, c'est que rapatriement et
amendement, mais rapatriement surtout doit intervenir quand déjà
la nouvelle constitution a suffisamment pris forme pour qu'on ait à peu
près une idée de ce dont elle aura l'air lorsqu'elle sera
entière-
ment terminée. Encore que peut-être je serais davantage
d'accord avec le chef de l'Opposition et sa formulation de tout à
l'heure, à savoir qu'il n'est peut-être pas nécessaire
même d'aller à Londres et qu'on pourrait peut-être faire
tout ça ici et en construire une complètement nouvelle sans qu'on
soit obligé de faire ce pèlerinage.
M. Ryan: Est-ce que je dois comprendre que l'attitude du
gouvernement, telle que définie dans le texte que j'ai cité
tantôt, représente un assouplissement par rapport à des
positions antérieures?
M. Morin (Louis-Hébert): Dans une certaine mesure, on
pourrait peut-être dire que oui, parce que la position qui avait
été maintenue par les gouvernements successifs était que
l'amendement, à toutes fins utiles, n'arrivait, s'il y avait 40 sujets
par exemple, que comme quarante et unième. Tandis que, cette fois-ci,
nous reconnaissons et je pense que tout le monde va» être
d'accord là-dessus qu'il y a des sujets d'importance majeure et
d'autres d'importance mineure. Il peut y avoir des sujets d'importance mineure
même très nombreux sur lesquels il n'y a pas accord, mais
ça peut attendre. Il y a cependant des questions d'importance majeure
à propos desquelles on doit avoir un accord avant que le rapatriement se
fasse. Quelles sont-elles? C'est la suite des discussions qui va nous
l'apprendre parce que pour beaucoup des sujets qui sont même parmi ceux
à l'ordre du jour maintenant, pour beaucoup des sujets qui sont
discutés, nous n'en voyons pas encore la portée précise
puisque les réponses à certaines questions que nous avons
posées, notamment sur l'économie, n'ont pas été
fournies. Il y a une sorte d'assouplissement, mais l'assouplissement ne va pas
jusqu'à prétendre ou même jusqu'à prendre comme
position que ça n'importe plus à quel moment le rapatriement se
fait. Nous croyons que c'est très important et que ça doit venir
à un moment où il y aura un accord substantiel, comme vous l'avez
dit vous-même, ou un accord suffisant.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Opposition.
M. Ryan: Je voudrais seulement enchaîner là-dessus.
Il me semble que c'est important de signaler qu'entre les deux positions
extrêmes qu'on a entendues au cours des années il y a de la place
pour une position intermédiaire dont l'application serait laissée
au discernement du gouvernement en place et, évidemment, aussi des
partis qui sont chargés de faire la critique de son travail.
La position qui consiste à dire: Rapatrions tout de suite,
même sans formule d'amendement, est une position que nous avons
définie ce matin de notre côté comme inacceptable parce
qu'elle ne répond pas aux exigences que j'ai définies
tantôt. La position qui consiste à dire: Renvoyons tout ça
à la fin ultime de tout le processus est une position qui n'est pas
réaliste non plus, qui ne tient pas compte du dynamisme propre à
cette opération-là et qui condamne à toutes fins utiles
l'opération à la stagnation. Il faut chercher une ligne de
conduite intermédiaire entre les deux. Je suis content de constater que
le gouvernement assouplit quelque peu ce qu'on pourrait être tenté
d'appeler la position traditionnelle du Québec en cette
matière.
J'écoutais tantôt le ministre nous dire: II y a la liste
des douze, il en faudrait une autre. Il n'a pas dit si ce serait douze ou
quinze cette fois-là, mais je serais tenté de dire au ministre,
en réponse à la question qu'il m'adressait plus tôt, que
si, au cours de la prochaine année et des prochains mois je pense
bien que c'est une question de semaines pour son gouvernement il y avait
un accord sur les douze points inscrits...
M. Godin: Le candidat libéral est tout souriant dans
Rouyn-Noranda.
M. Samson: Ce n'est pas quand je vous regarde que ça me
fait sourire.
M. Godin: C'est quand vous regardez votre chef.
M. Ryan: Nos secrets ne passent pas de votre
côté.
M. Samson: Cela me fait brailler de vous regarder en pleine
face.
M. Ryan: S'il y avait accord sur les douze points inscrits au
programme de l'ordre du jour, je pense que le gouvernement du Québec
devrait envisager très sérieusement la possibilité d'un
rapatriement de la constitution parce qu'à ce moment, il y aurait eu un
dégel majeur et le dégel majeur suivi d'un rapatriement pourrait
entraîner une deuxième phase plus rapide, de manière qu'on
ne passe pas encore le prochain quart de siècle à discuter de
virgules et de nuances comme on le fait de manière ininterrompue depuis
25 ans, au risque de dégoûter à tout jamais les citoyens
des discussions sur les questions constitutionnelles. Moi je vous dis: Ne
fermons pas la porte à cette question. Regardons-la avec un esprit
ouvert sans perdre de vue le sens des proportions, sans aller jeter le
Québec dans des risques inconsidérés, mais sachons
réaliser que, finalement, nous sommes sur le terrain de l'action
pratique, de l'action concrète et qu'il faudra, à un moment
donné, poser un jugement d'opportunité qui doive nous conduire
à une étape décisive sur ce plan.
Maintenant, je conviens que ce serait très difficile de le faire
dans l'immédiat. Je ne vois pas, avec le bilan que nous sommes en train
d'accumuler, qu'il soit possible d'envisager pour la conférence de
septembre des progrès assez substantiels pour justifier que le
Québec consente à une opération de rapatriement et
d'amendement de la constitution tout de suite, mais nous verrons les
développements qui se produiront à ce sujet et j'espère
que le gouvernement tiendra les partis
d'Opposition informés de tout développement important qui
pourrait se produire.
On l'a fait déjà par le truchement des media d'information
au cours des dernières semaines et de cette commission au cours des
derniers jours, mais, vu l'importance cruciale des derniers
développements susceptibles de survenir d'ici le 9 septembre,
j'apprécierais, comme chef de l'Opposition officielle, que toute
déclaration ou tout document déposé à la table de
conférence par le gouvernement du Québec soit communiqué
aux chefs des partis de l'Opposition dans les plus brefs délais par les
services d'information du gouvernement qui ne manquent pas de personnel,
d'après ce qu'on peut constater d'ordinaire. C'est l'opinion que je
voulais exprimer sur ces questions.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Union Nationale.
M. Le Moignan: Avant de partir pour Londres, M. le
Président, je voudrais m'assurer de certains points. Si j'ai bien
compris, je ne sais pas, ce qui se dégage des opinions du gouvernement,
du chef de l'Opposition libérale et ce qu'on a mentionné
également, ils ont dit qu'il n'y a pas de rapatriement sans formule
d'amendement. Je pense que, sur cela, on s'entend. On dit qu'il n'y a pas de
rapatriement non plus sans l'accord de tous les autres gouvernements. C'est un
point sur lequel... De toute façon, c'est au moins une idée
importante. Ensuite, le gouvernement du Québec non plus ne donne pas son
accord sur le rapatriement et la formule d'amendement sans un accord conclu et
signé sur le partage des pouvoirs, comme le ministre l'a
mentionné tout à l'heure. Un accord signé, ce serait entre
les deux ordres de gouvernement, toujours entre le Québec et le
fédéral. Je ne sais pas si on peut envisager... Je ne sais pas si
vous êtes d'accord sur cela.
M. Ryan: Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce que j'ai dit est
beaucoup plus nuancé que cela quant au troisième point.
M. Le Moignan: Le troisième point, je voudrais que vous le
repreniez. Il y a un point qui m'embarrasse.
M. Morin (Louis-Hébert): Ce que vous dites, ça va,
M. le chef de l'Union Nationale; il y a un mot que je voudrais corriger, c'est
le mot "signer". Je ne crois pas qu'il y ait de signature formelle. Je pense
que vous voulez dire accord officiel...
M. Le Moignan: Un accord, une entente.
M. Morin (Louis-Hébert): Oui.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):
D'accord. J'appelle maintenant le quatrième sujet à l'ordre du
jour, les pouvoirs sur l'économie et, je pense, aussi les richesses
naturelles. C'est bien cela?
M. Morin (Louis-Hébert): Non, ce sont les pouvoirs sur
l'économie; les richesses naturelles suivent après, si j'ai bien
compris.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Les
pouvoirs...
M. Morin (Louis-Hébert): Les pouvoirs sur
l'économie.
Les pouvoirs économiques
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Les
pouvoirs sur l'économie.
M. Morin (Louis-Hébert): Juste un petit rapport avant de
donner la parole à mon collègue, M. Parizeau, ministre des
Finances. Je pense que j'ai pratiquement tout dit ce que j'avais à dire
là-dessus ce matin. L'introduction dans la discussion du sujet qui
s'appelle pouvoirs touchant l'économie et la publication ou la
distribution par le gouvernement fédéral de trois documents sur
ce sujet et par nous de deux documents, et par d'autres provinces, notamment la
Saskatchewan, d'un texte qui a quand même eu un certain éclat,
démontrent une chose très clairement. C'est que, si le
gouvernement fédéral cherchait des accords rapides, il n'a
peut-être pas pris le meilleur moyen puisque, pour autant que je me
souvienne, c'est une des occasions où l'introduction d'un sujet dans un
ordre du jour de conférence et le contenu bien sûr des positions
énoncées par un gouvernement, en l'occurrence le gouvernement
fédéral, c'est une des occasions où une position d'un
gouvernement a suscité des réactions quasi unanimes et
négatives, négatives dans le sens où il y avait beaucoup
d'opposition de la part des autres gouvernements. Alors, je vous
réfère tout simplement, parce que je ne veux pas prendre plus de
temps de la commission, à ce que j'ai dit ce matin dans ma propre
déclaration, et à ce que vous trouverez à cet égard
dans le document que nous avons soumis. (22 h 15)
Au moment où je vous parle, il y a huit provinces fermement
contre la position fédérale, une à peu près aussi
fermement contre, et une, que vous devinerez facilement, d'emblée pour,
parce que ça servirait davantage ils nous l'ont dit d'ailleurs
certains de leurs intérêts, fort compréhensibles au
demeurant, mais néanmoins non nécessairement partagés par
les autres.
Si vous le permettez, M. le Président, étant donné
que j'ai dit ce que j'avais à dire là-dessus ce matin, je
laisserai la parole à mon collègue.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
ministre des Finances.
M. Parizeau: M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Pour les
fins du journal des Débats, M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce sera intervenant, de mê-
me que M. le député de Fabre et ministre d'Etat au
Développement économique. M. le ministre des Finances.
M. Jacques Parizeau
M. Parizeau: M. le Président, j'aurai probablement
à demander l'indulgence de la commission pour dépasser un peu les
20 minutes qui, normalement, sont allouées, parce qu'il s'agit d'un
sujet qui est complexe, qui a des implications considérables et il ne me
sera pas facile, dans le temps qui est normalement alloué, de me
comprimer là-dedans. J'aurai cependant, quand j'aurai
épuisé mes 20 minutes, à demander les autorisations...
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): La
présidence n'a pas encore examiné le temps d'aucun
député, depuis le début de la commission, et le formalisme
n'est pas de rigueur. M. le ministre des Finances.
M. Parizeau: Je vous remercie, M. le Président.
M. Ryan: Et il ne le sera pas.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II ne le
sera pas.
M. Parizeau: Le document présenté par
le-gouvernement fédéral aux négociations
constitutionnelles et les propositions d'amendements qui l'accompagnent ont
été considérés par passablement d'observateurs,
depuis quelques semaines, comme une sorte de pavé dans la marre,
d'énorme intrusion, de considérations relativement très
nouvelles dans le processus constitutionnel, mais susceptibles d'avoir des
conséquences économiques majeures. Comme le disait mon
collègue de Louis-Hébert, il y a eu une levée de boucliers
de la plupart des provinces canadiennes et je pense qu'on peut se rendre compte
pourquoi une telle levée de boucliers a eu lieu.
Pour expliquer les implications à la fois du document et des
amendements, on me permettra de remonter un peu en arrière. Il est
parfaitement connu, et déjà depuis un certain temps, que
l'économie du Canada ne va pas très bien. Il ne faut pas
être grand clerc pour se rendre compte que, il y a une vingtaine
d'années, parmi les pays industriels du monde, le Canada était,
en termes de niveau de vie, au deuxième rang. Il n'est pas
nécessaire d'être grand clerc non plus pour se rendre compte que,
d'année en année, depuis ce temps, nous tombons graduellement
vers le dixième; on n'y est pas tout à fait rendu mais on en
n'est pas loin. Cela seulement devrait faire comprendre qu'il y a dans le
fonctionnement de l'économie canadienne, par rapport au fonctionnement
d'autres économies, quelque chose qui ne va pas. Ce serait un exercice
futile pour les provinces de dire: Nous sommes blancs, nous ne portons aucune
responsabilité et c'est le gouvernement fédéral qui, seul,
est responsable de ce glissement. De la même façon que ce serait
tout aussi futile pour le gouvernement fédéral de dire: Nos
politiques sont bonnes, ce sont les provinces qui entravent le
développement normal de l'économie canadienne. Si c'était
aussi simple que ça, ça se saurait.
En fait, bien avant de faire de la politique, M. le Président,
j'ai eu l'occasion de dénoncer assez souvent cette espèce de
système, par lequel, au Canada, depuis nombre d'années, on a
amené les gouvernements à être en mesure de se neutraliser
les uns les autres; je me sens donc particulièrement à l'aise
pour commenter ce phénomène.
A cause de zones grises dans la constitution, à cause d'habitudes
qui se sont prises, à cause d'interprétations qui ont
été données à certains pouvoirs, les gouvernements
au Canada se sont trouvés placés dans la situation ou bien de
s'engager dans des voies absolument discordantes ou bien de se neutraliser les
uns les autres. Je ne voudrais leur donner qu'un exemple qui est le plus beau
que je n'ai jamais vu dans le sens que les médecins parlent d'un
beau cas de cancer qui a été la grande querelle des
satellites il y a maintenant treize ans, alors que le gouvernement de
Québec négociait avec le gouvernement français et par son
intermédiaire, avec les Allemands et les Russes, aux mânes de
Duplessis, alors que le gouvernement fédéral négociait
avec les Américains et par le truchement des Américains avec les
Britanniques et les Japonais, les deux gouvernements voulant envoyer des
satellites de communications en l'air. Quand ça se passe dans le
même pays, des choses pareilles, il y a manifestement quelque chose qui
ne va pas.
Il est évident que beaucoup de ces problèmes-là
sont des problèmes d'administration de l'économie, d'organisation
de l'économie canadienne. Je comprends qu'on veuille à l'occasion
d'une révision constitutionnelle vouloir réviser la constitution
elle-même, mais il ne faut pas se faire d'illusion. Ce n'est pas par la
constitution seulement qu'on va faire en sorte que l'agencement des
gouvernements les uns par rapport aux autres, la coordination et
l'harmonisation de leurs politiques vont être
réalisées.
Pour bien se comprendre ici, nous sommes dans la situation d'une
compagnie qui ferait des déficits croissants, dont les administrateurs
se battraient entre eux et quelqu'un trouverait la solution: amendons la charte
de la compagnie. Je ne dis pas que la charte de la compagnie n'est
peut-être pas responsable de certaines choses, mais fondamentalement, ce
serait vraiment étonnant qu'un seul changement à la charte puisse
régler le problème.
Néanmoins, puisque nous sommes effectivement dans une phase de
révision de la constitution, il faut quand même rendre à la
constitution ce qu'elle doit donner, l'examiner, voir dans quelle mesure
effectivement elle peut être améliorée dans le sens d'une
amélioration de la performance de l'économie canadienne.
Or, le document fédéral sur les pouvoirs
économiques centre essentiellement ses préoccupations sur le
marché canadien. Il nous présente à
cet égard une sorte de contraste, là encore très
blanc et noir, entre une situation idyllique qui existerait dans un certain
nombre d'autres fédérations et la fédération
canadienne qui, elle, serait marquée par toute espèce de
fragmentation, de discrimination ou de balkanisation. A cet égard, on se
trouve dans une situation un peu ridicule de voir, par exemple, le
marché commun des Etats-Unis qui nous est résumé en une
page et quart et marqué au sceau d'une admirable circulation des
personnes, des capitaux ou des produits, par contraste avec la situation
canadienne qui serait très différente.
La situation est encore plus idyllique en Allemagne puisque la
description de la situation allemande tient en une demi-page. Il est
évident que là, il s'agit d'une opération de
conditionnement dont il faut quand même comprendre les
conséquences. Venir nous parler de la libre circulation aux Etats-Unis,
des personnes... ici, je reviens sur certaines choses qui ont été
dites aujourd'hui, M. le Président. Est-ce qu'on sait qu'aux Etats-Unis,
dans chaque Etat, il y a un Board of Physicians qui fait passer des examens
à tout médecin qui vient d'un autre Etat pour pratiquer dans
l'Etat en question? Si vous venez de l'Illinois et que vous voulez pratiquer la
médecine dans l'Etat de New York, il faut passer par le Board. On ne
nous dit pas ça dans les documents, on dénonce ce qui se passe au
Canada en disant: c'est affreux, c'est épouvantable. On ne dit pas
qu'aux Etats-Unis c'est la même chose. On ne nous dit pas que, toujours
aux Etats-Unis, touchant encore les personnes, la plupart des Etats font passer
des examens aux infirmières quand l'une d'elles veut aller travailler
d'un Etat à un autre. Cela existe là-bas aussi. Et personne n'a
l'air de passer par des affres telles qu'il faille changer ou enlever des
pouvoirs à tous les Etats pour éviter des choses pareilles.
J'aurai l'occasion de revenir longuement tout à l'heure sur des
choses comme la politique d'achat. Aux Etats-Unis, bien sûr, dans le
document fédéral, on ne nous dit pas que ça existe. Je ne
voudrais en donner qu'un seul exemple, on pourrait en donner des milliers.
Est-ce qu'on sait qu'à l'aéroport Kennedy, par exemple, qui
relève de la ville de New York, un entrepreneur du Maryland qui voudrait
y travailler doit avoir l'autorisation? Qu'un transporteur, dont le
siège social serait dans l'Etat de Maryland, ne peut pas s'y poser?
Comme d'habitude on se livre, à travers ce document
fédéral, à l'exercice très canadien qui consiste
à se donner à soi-même des coups de pied au
derrière, à partir du principe que manifestement nous devons
être les pires des pires. J'aurais souhaité qu'on ait une vue un
peu plus balancée, d'une part, du Canada, et du reste de
l'humanité, d'autre part. Il est évident, cependant, M. le
Président, et je reconnais qu'il est difficile de résumer en deux
pages et quart le reste de l'humanité.
Il reste, néanmoins, un dernier cas que je tiendrais à
souligner, parce qu'il est intéressant. Est-ce qu'on nous a dit à
quel point au Québec il était dangereux, dommage, condamnable
d'intervenir par voie législative dans le cas du crédit foncier,
parce qu'une société de la Nouvelle-Ecosse voulait en prendre le
contrôle? Est-ce que je peux rappeler qu'aux Etats-Unis, il y a des Etats
qui permettent aux banques d'avoir un nombre illimité de succursales
dans l'Etat ou dans les autres, si ça leur plaît? Que d'autres
Etats américains limitent l'implantation de succursales à l'Etat
seulement? Que d'autres Etats limitent l'implantation de succursales à
la ville où le siège social est établi et que certains
Etats interdisent aux banques d'avoir des succursales?
Nous, intervenir par voie législative pour empêcher une
prise de contrôle par un établissement financier d'une autre
province? Nous avons tort. Aux Etats-Unis, ça se fait tous les jours.
L'idée fondamentale du document fédéral, c'est une
idée qui est au fond une sorte de petit schéma tiré des
thèses de Ricardo, qui est un économiste du début du XIXe
siècle, un petit modèle charmant, basé sur des
échanges de textiles anglais et de portos portugais, ce genre de petit
schéma qui enchantait notre jeunesse.
C'est-à-dire que plus le marché est grand, plus le surplus
est élevé et ce surplus économique permet à tout le
monde de mieux vivre. Cette argumentation n'est pas nouvelle. Encore une fois,
c'est basé sur Ricardo, sur ses "Principles of Economics", mais
seulement sur la première partie du chapitre. Dans la deuxième
partie du chapitre, il change ses hypothèses et donc ses conclusions.
Mais, enfin, nous avons tous baigné dans ce genre de raisonnement un peu
simple et je n'ai jamais compris, moi, personnellement pourquoi on voulait
s'arrêter au Canada. Si plus le marché est grand, plus le surplus
est élevé, plus les gens vivent bien, pourquoi le diable ne
sommes-nous pas Nord-Américains purement et simplement? Ce serait
beaucoup plus grand d'être Américains. Le surplus serait beaucoup
plus gros d'être Américains. Nous vivrions tous bien, mieux,
d'être Américains. Pourquoi le diable s'arrêter à la
frontière canadienne?
Il n'en reste pas moins qu'à partir du moment où on
accepte un schéma aussi simple que ça, la conclusion est
très claire. Tout ce qui freine la libre circulation des produits, des
personnes et des capitaux dans le marché qu'on a défini doit
être aboli au complet. Cela s'appelle de la discrimination et la
discrimination est une source de pauvreté. La discrimination fractionne
le marché. Elle réduit le surplus, donc elle réduit les
revenus. Comme logique, à la condition d'accepter le petit modèle
qui enchantait notre jeunesse, c'est impeccable. C'est de là qu'on tire
ces amendements aux articles 121 et 91, de façon à donner au
gouvernement fédéral les pouvoirs nécessaires pour
éliminer toutes ces formes dites de discrimination.
Il faut bien comprendre qu'en pratique, les amendements proposés
impliquent que toute intervention de nature économique par un
gouvernement de province deviendrait condamnable. Je dis à peu
près toute parce que, par définition,
quand une province favorise quelque chose sur son territoire, elle ne
favorise pas le territoire de la province voisine, comme dirait M. de la
Palice. C'est inévitable que si vous êtes Québécois,
vous discriminez en faveur de ce qui se fait au Québec par opposition
à ce qui se fait en Ontario et vice-versa, d'ailleurs. (22 h 30)
Une subvention donnée par un gouvernement de Québec
à une entreprise qui veut se développer ici est, en un certain
sens, une discrimination, puisque l'entreprise qui voudrait s'établir
à côté, de l'autre côté de la frontière
n'aura pas accès à cette subvention, si c'est le gouvernement du
Québec qui la donne, cette subvention. Evidemment, si c'est le
gouvernement fédéral, c'est autre chose. On disait autrefois, M.
le Président, qu'il y avait du mauvais patronage et du bon patronage. Il
est clair dans le document fédéral qu'il y a de la mauvaise
discrimination et de la bonne discrimination. La mauvaise discrimination, c'est
celle faite par les provinces. La bonne discrimination, c'est celle faite par
le gouvernement fédéral. Ces subventions seraient
présumément disponibles pour les entreprises où qu'elles
s'installent au Canada ou où que le gouvernement fédéral
veuille les installer. Il est évident qu'un gouvernement provincial qui
distribue des subventions aux entreprises qui s'établissent sur son sol,
dans cette philosophie, fait de la discrimination à l'égard des
autres provinces.
Cela va tellement loin, cette conception des choses, que j'aimerais
faire remarquer que le troisième paragraphe de l'article 121
proposé indique que le paragraphe 1, qui abolirait toutes les formes de
discrimination, n'invalide pas les principes de développement
régional, dit l'amendement, consacrés par le Parlement,
c'est-à-dire le Parlement fédéral, et les corps
législatifs des provinces. C'est ce que dit l'article 121.3. Cherchez
maintenant les notes explicatives de 121.3. Les notes explicatives ne
mentionnent que le rôle du Parlement fédéral à cet
effet. Dans les notes explicatives, on n'est pas capable de trouver un
rôle quelconque aux provinces. Le paragraphe 3 parle des provinces. A
l'article 121, les notes explicatives sont forcément muettes.
Il s'agit, évidemment, de quelque chose de très
sérieux dans la mesure où ce serait susceptible de remettre en
cause toute espèce de fonctions provinciales souvent assumées
depuis fort longtemps dans des domaines aussi différents que le travail,
l'agriculture, la fiscalité, le développement industriel et
commercial. C'est un document qui va fort loin. On comprendra, M. le
Président, que ce document nous a laissé un certain choc et que,
constatant que le gouvernement fédéral s'embarquait dans une
vaste opération de publicité à l'occasion de ces
négociations constitutionnelles, nous ayons été
amenés à décider de faire la même chose. Il ne
faudra donc pas s'étonner de constater dans les jours qui viennent que
le gouvernement du Québec, à l'instar d'ailleurs, je crois, du
gouvernement de la Colombie-Britannique, va s'engager, lui aussi, dans une
campagne publicitaire parce que les enjeux dont on parle à l'heure
actuelle sont importants et importants pour des années à
venir.
Mais revenons au document fédéral lui-même. Je
voudrais essayer ici d'en présenter une critique sur un certain nombre
de choses qui me paraissent importantes. D'abord, cette fameuse thèse du
surplus. Est-ce aussi clair que cela? Le surplus, c'est vrai qu'il existe sur
certaines choses. Construire à notre époque une usine de moteurs,
qui ne sort pas un million de moteurs par année sera une usine
inefficace qui aura des coûts de production trop élevés et,
à supposer qu'elle soit protégée, des prix trop
élevés. Il est évident qu'il y a là des
économies d'échelle considérables et que, si on imaginait
que chaque province canadienne construise son usine de moteurs, tout ce que
cela voudrait dire, c'est que le prix des moteurs serait très
élevé et que le consommateur paierait inévitablement pour
cette espèce de gaspillage.
A l'opposé, cependant, y a-t-il des économies
d'échelle de ce genre dans une usine de balais? Mais non! Passé
un certain nombre de grosses de balais, on a atteint à peu près
les coûts minimums et que l'usine de balais soit à Toronto ou
qu'elle soit en Nouvelle-Ecosse, cela ne représente pas un degré
d'inefficacité quelconque pour l'économie canadienne. Je
comprends que je prends des exemples absolument extrêmes ici, mais il
faut comprendre qu'effectivement, dans certains types d'industries, il peut y
avoir des gaspillages considérables de ne pas produire à une
taille optimale, alors qu'au contraire, dans une foule d'autres industries, ce
n'est pas le cas.
On comprend très bien, dans ces conditions, que les provinces
préfèrent susciter sur leur territoire des entreprises qui ne
sont pas antiéconomiques plutôt que d'avoir sur leur territoire la
satisfaction de savoir qu'elles peuvent tirer des montants considérables
d'assurance-chômage. C'est un choix, le balai ou
l'assurance-chômage. Considérer que les provinces qui choisissent
le balai sont nécessairement de mauvais Canadiens, ce n'est pas vrai. Et
il n'y a pas une thèse de surplus qu peut défendre cela.
D'autre part, on sait très bien que l'Ontario a
développé avec les années une sorte de
prépondérance industrielle majeure et on sait très bien
que l'industrie a tendance à être attirée vers l'industrie.
Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner non plus que certaines
provinces, constatant cette espèce d'attirance inévitable qui
fait cet effet de boule de neige, si on veut, qui fait que l'avance
industrielle qu'on a gagnée a tendance à se consolider
d'elle-même, cherchent non pas tellement à lutter contre ce
phénomène parce que c'est extrêmement difficile de
lutter contre ce phénomène mais ou bien à en
retarder l'effet, ou bien à faire apparaître chez eux d'autres
formes d'industries parfois moins liées à cette espèce
d'effet de boule de neige, d'une nature différente, en tout cas
faisables sur leur territoire dans des conditions à peu près
économiques.
Le phénomène de l'Ontario est intéressant;
d'ailleurs, sur un autre plan, pas seulement sur le plan industriel, il est
intéressant sur le plan fi-
nancier. Qu'est-ce que cela enlève au Canada, M. le
Président je le demande le plus sérieusement du monde
que la Colombie-Britannique ait interdit que le contrôle de
MacMillan Bloedel soit transféré à Toronto? Je ne connais
pas de thèse économique qui considère qu'il y a quelque
économie que ce soit pour un pays à avoir le contrôle de
toutes ses grandes entreprises à la même place. S'il y a un
modèle économique qui justifie cela, je ne le connais pas.
Je comprends qu'on peut trouver cela choquant sur d'autres plans, mais
sûrement pas sur le plan du fonctionnement de l'économie
canadienne. Que le gouvernement de la Colombie-Britannique dise: J'ai besoin
sur mon territoire d'un certain nombre de grands centres de décision
économique, j'en ai un qui s'appelle MacMillan Bloedel, mais le
contrôle de MacMillan Bloedel pourrait filer entre les mains de gens
ailleurs; je vais faire en sorte que ce contrôle reste chez moi; je dis,
M. le Président: Qu'est-ce que cela enlève au Canada? Je ne le
vois pas. Je sais ce que cela laisse en Colombie-Britannique, mais je ne sais
pas ce que cela enlève au Canada.
Des propositions fédérales, spécifiquement,
empêcheraient des choses comme celle-là, des propositions
fédérales qui consistent à dire: Si Toronto doit acheter
MacMillan Bloedel, que Toronto achète MacMillan Bloedel. Il est
évident que, dans la mesure où il y a une concentration
financière pareille à Toronto, bien sûr, on comprend que
l'Ontario ne s'oppose pas au document fédéral et qu'à peu
près toutes les autres provinces s'y opposent.
En somme, M. le Président, le Canada a lutté, pendant le
plus clair de son histore, pour ne pas être américain. Mais
là, il semble que le Canada ne comprenne plus qu'alors qu'il a
lutté tellement longtemps pour ne pas être américain, les
Néo-Ecossais luttent pour ne pas être torontois. C'est plus qu'une
boutade que je donne là. Je vous rappelle qu'en 1958, à
l'occasion de la présentation de la commission d'enquête sur les
perspectives économiques du Canada, la commission Gordon, la principale
solution énoncée par cette commission pour le chômage dans
les Maritimes, c'était de suggérer qu'on finance le
déplacement des gens des Maritimes vers Montréal et Toronto
où il y avait des "jobs".
On revient de très loin. Remarquez, ce n'est pas un document
antédiluvien, cela fait 22 ans. En fait, on ne comprend pas le document
fédéral pour toutes les raisons que je viens d'indiquer et pour
une autre aussi, que je trouve très frappante. C'est qu'à
l'égard de l'économie, le gouvernement fédéral a
des pouvoirs très étendus dans la constitution actuelle. Si
vraiment le gouvernement trouve abusives des formes de discrimination à
l'égard des capitaux ou de la circulation des produits, ou des services,
ou des personnes, qu'est-ce qu'il a comme arsenal dans la constitution
actuelle? Le droit de désaveu on le dit désuet, mais il
est dans la constitution, il est désuet parce qu'on ne s'en sert pas;
c'est comme les batteries d'une lampe de poche, quand on ne s'en sert pas, il
est évident que ça coule le pouvoir déclaratoire
et, d'autre part, la clause de paix, ordre et bon gouvernement. Qu'on ne vienne
pas dire que ça ne sert pas, cela a été utilisé
pour la commission des prix et des revenus il n'y a pas longtemps.
C'est-à-dire que le gouvernement fédéral a des
pouvoirs qui sont extraordinaires. Quand on parle du pouvoir
déclaratoire, comprenons-nous bien. Quand le gouvernement
fédéral soutient, comme il a soutenu souvent dans le
passé, que le phénomène des caisses populaires, ou le
contrôle des provinces sur des sociétés de fiducie
empêche de diriger correctement la politique monétaire par la
Banque du Canada, il y a une chose très simple qu'il pouvait faire,
c'était de décréter, par son pouvoir déclaratoire,
le crédit matière fédérale. Il ne l'a jamais fait.
Il a chialé souvent contre le rôle des caisses ou des "near
banks", c'était des quasi-banques, comme explication de
l'inefficacité de la politique monétaire, mais il n'a jamais
décrété le crédit, par exemple, en vertu du pouvoir
déclaratoire.
Pourquoi est-ce que le gouvernement fédéral a
laissé tomber des pouvoirs pareils en désuétude? Il est
important de s'intéresser à la question. Pourquoi est-ce que ces
pouvoirs à l'égard de l'économie, qui sont très
réels dans la constitution, n'ont presque pas été
utilisés?
Je soumets, M. le Président, qu'il y a probablement une
explication pour les derniers 20 ou 25 ans. Je ne veux pas remonter trop loin,
mais pour le dernier quart de siècle, il y a probablement une
explication excellente à ça. C'est que tout n'était pas
mauvais dans la politique provinciale. C'est que certaines provinces se sont
servi de techniques qu'on appelle aujourd'hui discriminatoires et ont fait du
travail pas mauvais. J'en prendrai deux exemples à cet égard: la
Saskatchewan et la Nouvelle-Ecosse. Ce que le gouvernement Douglas a fait sur
le plan de l'industrialisation de la Saskatchewan après la grande crise
et les sécheresses des années 30 qui ont littéralement
ruiné cette province-là, ce que le gouvernement Douglas et ses
successeurs ensuite ont fait sur le plan industriel est, au Canada, proprement
admirable.
Est-ce qu'on s'est suffisamment moqué de la façon dont ce
gouvernement a établi une aciérie, là où il n'y
avait ni minerai de fer ni charbon, en plein centre du continent:
c'était inefficace et ridicule parce que c'était lancé par
un gouvernement entre les vaches, d'une part, et le blé, d'autre part.
Mais est-ce qu'on sait d'où vont venir les tuyaux pour le pipeline de
gaz au Québec? Il y a deux usines au Canada qui peuvent nous les
fournir: une en Ontario et celle-là, en Saskatchewan.
Je ne donne ça que comme exemple. Ce que les gouvernements de la
Saskatchewan ont fait depuis 20 ou 25 ans est proprement remarquable. Il ne
faut pas s'étonner, dans ces conditions, que M. Romanow, de la
Saskatchewan, ait réagi aussi mal au document fédéral.
Littéralement, ce que le fédéral faisait, c'était
de gifler la Saskatchewan en disant: Vous avez fait un travail de cochon. Les
gens de la Saskatchewan disent: Non, nous ne sommes pas de mauvais Canadiens
parce que
nous avons développé notre province, ce n'est pas
vrai.
La Nouvelle-Ecosse, avec M. Stanfield, avant qu'il n'entre en politique
fédérale, a eu, sur le plan des parcs industriels et sur le plan
des incitations industrielles, une action spectaculaire, absolument
spectaculaire.
Si, de temps à autre, ces gens-là, qui avaient un taux de
chômage bien supérieur à celui du Québec depuis que
les chiffres existent, si, depuis quelques années, de temps à
autre, il leur arrive d'avoir un taux de chômage inférieur
à celui du Québec, c'est à cause des politiques qui sont
suivies depuis 20 ans, des politiques tout à fait discriminatoires dans
le sens de ce que le fédéral énonce.
Et puis, au Québec, on s'est doté d'un certain nombre
d'instruments qui, eux aussi, sont évidemment discriminatoires. Il n'y a
rien de plus discriminatoire, dans le sens fédéral par exemple,
que l'intervention de SOQUEM dans les mines de sel des Iles-de-la-Madeleine.
C'est tout à fait discriminatoire et il est tout à fait
évident, en fonction du document fédéral, que compte tenu
du fait qu'il y a déjà des mines de sel établies au
Canada, qu'elles n'ont pas été financées par les
subventions, qu'elles sont dans d'autres provinces, toute intervention du
gouvernement du Québec pour financer sur une grande échelle ce
projet lui donne un avantage par rapport aux autres mines et donc une mesure
discriminatoire. C'est vrai. Est-ce qu'on est disposé à dire que
ce projet ne devrait pas se faire aux îles avec ses 20% de chômage?
On s'est doté, au Québec, de toute une série d'instruments
de cet ordre et il nous en reste encore. On est loin d'avoir fini de
s'être doté de tous les instruments. Il est évident que
dans le domaine coopératif, on a encore pas mal de chemin à
faire. (22 h 45)
II est évident qu'à partir du moment où le
gouvernement fédéral littéralement giflait les provinces
de cette façon, il allait y avoir une levée de boucliers. C'est
ce qui s'est produit, sauf en Ontario, et on comprend bien pourquoi. J'aurai
l'occasion d'y revenir tout à l'heure.
Ce que je viens de dire implique que le fédéral n'a raison
sur rien. Là, il ne faut pas tomber non plus dans l'autre travers. Ce
n'est pas parce que dans leurs documents ils exagèrent que sur le plan
constitutionnel on doive simplement considérer qu'il n'y a rien à
modifier. Il y a dans la thèse du gouvernement fédéral un
certain nombre d'éléments qu'il faut retenir et qu'on retrouve en
particulier davantage à l'article 91 qu'à l'article 121. Par
exemple, lorsque les clauses qui assurent une bonne circulation des produits au
Canada a été rédigée dans la constitution, les
services n'étaient commerces, pour ainsi dire, pas du tout. En 1867, les
industries de services n'étaient pas très répandues. Il ne
faut pas chercher de l'informatique à cette époque. Si bien que
les clauses qui assurent une circulation raisonnable des produits à
l'intérieur du Canada ont été concentrées sur des
produits dans le sens anglais "the hard goods" et il n'est pas du tout certain
que le gouvernement fédéral peut être le chien de garde,
comme il l'est pour les produits, pour les industries de services.
Qu'il demande une extension des clauses de 1867 qui s'appliquaient aux
produits, aux services ne me paraît pas être une demande
déraisonnable. De la même façon, il est absurde de penser
que nos lois antitrusts au Canada restent essentiellement basées sur le
Code pénal. La seule raison pour laquelle c'est basé sur le Code
pénal, c'est que le fédéral ne veut pas que les provinces
entrent là-dedans. Comme le Code pénal est de juridiction
fédérale, on n'a pu asseoir les politiques antitrusts
fédérales là-dessus. Mais j'admets que les
premières politiques antitrusts sont apparues il y a 82 ans ou 81 ans
je peux me tromper d'une année j'admets qu'après
tout ce temps il serait peut-être temps de régulariser les choses.
En ce sens je pense que c'est 91-2 les amendements
proposés par le fédéral pour mieux assurer l'application
des lois antitrusts fédérales, surtout là encore pour
faire en sorte que ces lois antitrusts fédérales s'appliquent non
pas seulement aux produits, mais aux services, sont raisonnables. Il n'est pas
très intelligent de penser qu'à cause de la forme de nos lois et
de notre constitution, le gouvernement fédéral est
habilité à contrôler la concentration dans les petits pois,
mais pas dans les assurances; parce qu'on en est là sur le plan
juridique. Que le gouvernement fédéral dise: Donnez-moi au moins
les instruments pour être capable de faire correctement ce que j'ai
à faire, on ne peut pas être déraisonnable. Au fond, il y a
un effort de modernisation ici de la constitution canadienne qui est importante
et qui, en tout cas, n'est pas illogique.
Je voudrais dire quelques mots de la politique d'achat, parce que,
à travers tout ce système de discrimination que dénonce le
gouvernement fédéral, il est évident que les politiques
d'achat par les gouvernements semblent être la bête noire; c'est
ça qui, clairement, a l'air de créer le plus de sang de punaise.
Il s'agit, bien sûr, des politiques d'achat par les corps publics et il
est important, avant de les condamner urbi et orbi, comme le fait le
gouvernement fédéral, de se rendre compte d'où viennent
ces politiques d'achat, pourquoi il y a des politiques d'achat au niveau des
gouvernements.
On sait que l'essentiel de l'industrie canadienne s'est
développé entre Windsor et Montréal, et, pendant
très longtemps, l'essentiel de l'industrie a été
là. Il était inévitable que les régions
périphériques, les régions excentriques, devant cette
énorme concentration qui existait entre Windsor et Montréal,
cherchent à favoriser, chez elles, dans ces provinces excentriques,
l'apparition d'un certain nombre d'industries, qui n'étaient pas
nécessairement moins bonnes canadiennes, parce qu'elles étaient
loin je reviens à mon analogie des balais tout à l'heure
mais qui ne seraient jamais venues dans ces régions excentriques,
s'il n'y avait pas eu des moyens de les attirer. Un des moyens les plus
évidents, c'était de dire: Nous, gouvernement de telle province
maritime, nous allons utiliser l'argent de nos contribuables pour
acheter surtout dans des entreprises qui sont établies chez nous.
C'est comme ça que cela a commencé, mais c'était encore
très faible.
Le gouvernement de l'Ontario, de son côté, qui
déjà, sauf pour la région montréalaise, avait le
plus clair de l'industrie, a commencé sa politique d'achat il y a
longtemps. En somme, il avait déjà, en pratique, le plus clair de
l'industrie, mais il a orienté sa politique d'achat des corps publics
pour l'accentuer. Cela a amené une situation extraor-dinairement
curieuse où, même si Montréal était un centre
industriel relativement développé, Montréal restait
très imparfait sur le plan d'industries qui auraient dû être
là et qui n'y étaient pas. C'est ça qui a causé
l'apparition de la première politique d'achat au Québec, en 1962,
par Hydro-Québec. Hydro-Québec est intervenue en 1962 parce que
l'Ontario avait une politique d'achat féroce et il y a un tas d'hommes
d'affaires, dans notre milieu, qui peuvent témoigner de ça. Je me
souviens d'avoir vu, dans une des sociétés de la SGF, une usine
qui vendait des isolateurs pour les lignes de transmission, usine
établie au Québec, qui soumissionnait à Hydro-Ontario et
qui se faisait renvoyer ses soumissions pas décachetées. Ce n'est
écrit nulle part, sauf que ça se faisait tout le temps.
Alors, bien sûr, Hydro-Québec a fait la même chose et
c'est comme ça que sont nées toute une série d'entreprises
au Québec, qui ne sont pas mauvaises canadiennes parce qu'elles sont au
Québec, elles fonctionnent aussi efficacement qu'avant, mais dans la
mesure où les politiques d'achat de l'Ontario avaient tendance à
les concentrer de l'autre côté, la politique d'achat
d'Hydro-Québec avait tendance à les ramener ici et, là,
ç'a été l'escalade. Il y avait les excentriques ou les
périphériques qui avaient commencé, il y avait l'Ontario
qui se consolidait et il y avait le Québec qui entrait là-dedans.
Contrairement à ce qu'on pense, le Québec a été une
des dernières provinces à entrer dans ce système, mais
l'escalade s'est faite et, à l'heure actuelle, bien sûr, tout le
monde est armé jusqu'aux dents.
C'est là que l'Ontario a décidé de changer
d'attitude. Parce que, bien sûr, une fois que tout le monde avait une
politique d'achat, qui en pâtissait? La province qui au départ
était prépondérante. Alors, là, nous voyons
l'Ontario, depuis quelques années, d'une gentillesse prodigieuse,
retournant au schéma de Ricardo avec alacrité, la libre
circulation. L'Ontario est même rendue au point où il nie en avoir
une, politique d'achat. Nous nous trouvons, toutes les autres provinces, dans
la situation d'être armées jusqu'aux dents devant quelqu'un qui a
été le premier à s'armer jusqu'aux dents et qui dit:
Regardez-moi, je suis nu. Il est évident qu'on me dira: II y a dans ces
politiques d'achat, dans cette escalade, des abus. Bien sûr qu'il y a des
abus, ça va de soi. Mais il est clair aussi qu'on ne peut pas imaginer
que le gouvernement fédéral, par un geste constitutionnel,
liquide tout ça, à toutes fins pratiques, au profit de l'Ontario.
Il ne faudrait pas être naif à ce point-là. Encore une
fois, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'abus, ça ne veut pas
dire que l'esca- lade n'a pas été trop loin. Cela peut vouloir
dire, cependant, que le désarmement doit se négocier. Je ne suis
pas prêt à donner ma bénédiction à tout ce
qui se passe dans ce domaine-là. On a vu des choses, à certains
moments, passablement fofol-les et je ne parle pas du Québec ici. Je
veux dire, j'en ai vu suffisamment dans les autres provinces pour savoir que
là-dedans, encore une fois, le blanc et le noir, ce sera toujours un
petit peu trop facile de raisonner dans ces termes-là. S'il y a
désarmement sur le plan des politiques d'achat, il faut que ça
soit négocié entre tous et surtout pas entre neuf qui disent: On
en a et la dixième qui dit: Moi, je n'en ai pas. Certainement, une
question comme celle-là ne peut se trancher par une sorte de geste
constitutionnel qui déclare délit toute intervention de ce genre.
Parce que même une désescalade maintiendrait le fait que mon usine
de balais en Nouvelle-Ecosse peut fort bien être protégée
par des mesures comme celles-là et que ça n'affecte d'aucune
espèce de façon la capacité de l'économie
d'être prospère. Il y a un jugement économique à
porter ici.
A cet égard, je dois dire, M. le Président, que le rapport
Pepin-Robarts a sur les politiques d'achat, à mon sens, une position
plus raisonnable que le document fédéral. Je ne ferai pas le
plaisir à ma voisine d'en face de lui dire que j'approuve tout ce qu'il
y a là-dedans, mais enfin je reconnais que "the rule of reason" a
traversé le rapport Pepin-Robarts davantage que le papier
fédéral.
Alors, M. le Président, ça nous amène
peut-être à reconnaître... Et je crois qu'il va falloir le
faire parce qu'au fond, quelles que soient nos positions partisanes
là-dessus, l'avenir dure longtemps. Si on se débarrassait d'un
certain nombre d'instruments économiques aujourd'hui, on le paierait
tous, quelles que soient nos positions comme partis politiques. Il va falloir
reconnaître rapidement et faire reconnaître le rôle essentiel
des provinces dans le développement de leur territoire, sans exclure,
bien sûr, des interventions fédérales dans ce domaine, sans
dire: Le fédéral n'a pas le droit de s'occuper du
développement régional, mais dire: Les provinces ont, dans le
développement régional, un rôle essentiel à jouer.
Dans ce sens, ce qu'on trouve à la page 65 du livre beige me
paraît assez raisonnable. Reconnaître...
M. Rivest: Pièce à pièce, on avance! M.
Parizeau: Pourquoi pas?
M. Rivest: On a toujours dit que vous aviez un esprit loyal.
M. Parizeau: Reconnaître que le gouvernement
fédéral, à côté de ça, et ça me
paraît aussi important, dispose des pouvoirs fondamentaux à
l'heure actuelle pour assurer le fonctionnement du marché commun; il les
a, mais reconnaître aussi que cela a besoin d'être rajeuni. Cela,
j'en conviens. Je pense qu'il faut reconnaître que le gouvernement
fédéral a des pouvoirs à l'égard de
l'économie qui sont largement suffisants pour
faire fonctionner le marché, mais qu'il y a probablement un
certain nombre d'ajustements à faire pour rajeunir ça ou
moderniser ça.
Troisièmement, je pense qu'il faut reconnaître que
l'application des politiques d'achat des pouvoirs publics, la
réglementation des organismes professionnels, les pouvoirs relatifs au
contrôle des sociétés je vous donne trois exemples
ici, mais qui me paraissent importants peuvent certainement être
mieux harmonisés entre provinces qu'elles ne le sont à l'heure
actuelle, mais là, elles vont avoir à l'être par le
truchement des négociations.
M. Ryan: ... manqué ces points-là...
M. Parizeau: Je disais que, troisièmement, les politiques
d'achat des pouvoirs publics, la réglementation des organismes
professionnels et les pouvoirs relatifs au contrôle des
sociétés peuvent sûrement être mieux
harmonisés au Canada qu'ils ne le sont à i'heure actuelle, mais
ils doivent l'être par négociation. On ne peut pas, par une sorte
de texte constitutionnel d'interdiction, régler des problèmes
à la fois de cette complexité et, d'autre part, des gestes
provinciaux qui ont été à ce point utiles dans le
passé. On ne peut pas, du revers de la main, simplement enlever
ça.
J'aimerais terminer, M. le Président, par une citation que je
vais tirer, là encore, du livre beige, mais qui est une citation qui
remonte à plus loin que ça. En juin 1965 je tire cela de
la page 15 du livre beige M. Lesage résumait un certain nombre de
principes directeurs dont il entendait s'inspirer. Et le quatrième de
ces principes, qui porte sur ce que nous venons de discuter, me paraît
toujours autant d'actualité, c'est-à-dire que le Québec
d'aujourd'hui doit posséder et contrôler dans toute la mesure du
possible les leviers économiques, sociaux, administratifs et politiques
grâce auxquels il pourra réaliser ses aspirations légitimes
de peuple adulte. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.
Il est 23 heures. Les travaux de la commission... A l'ordre, s'il vous
plaît! Les travaux de la commission sont ajournés à demain
matin, 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 59)