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Version finale

31e législature, 5e session
(24 octobre 1980 au 24 octobre 1980)

Le jeudi 14 août 1980 - Vol. 22 N° 1

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Examen d'une possibilité de position commune de l'Assemblée nationale du Québec dans le cadre des négociations constitutionnelles en cours


Journal des débats

 

Examen d'une possibilité de position

commune de l'Assemblée nationale du

Québec dans le cadre des négociations

constitutionnelles en cours

(Dix heures quatorze minutes)

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît!

Je déclare ouverts les travaux de cette commission dont les membres sont réunis ici à la suite d'un avis de convocation que le secrétariat des commissions faisait parvenir en date du 3 juillet dernier et qui se lit ainsi: "Avis aux membres et intervenants de la commission permanente de la présidence du conseil et de la constitution.

A la demande du leader du gouvernement, veuillez prendre avis que la commission de la présidence du conseil et de la constitution siégera au salon rouge les 14 et 15 août 1980, à compter de dix heures. Le mandat de cette commission consiste en l'examen d'une possibilité de position commune de l'Assemblée nationale du Québec dans le cadre des négociations constitutionnelles en cours". (10 h 15)

Le mandat de la commission étant précisé dans l'avis qui a été envoyé aux membres, j'avise les membres de la commission que les séances de la commission pour aujourd'hui seront aux heures suivantes, c'est-à-dire de 10 heures à 13 heures, de 15 heures à 18 heures et de 20 heures à 23 heures. Demain, le 15 août, à moins que la commission n'en décide autrement, nous siégerons de 10 heures à 13 heures.

Les membres de la commission pour la présente séance sont: M. Charron (Saint-Jacques) en remplacement de M. Bertrand (Vanier); M. Char-bonneau (Verchères); M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes) en remplacement de M. Dussault (Châteauguay); M. Bédard (Chicoutimi) en remplacement de M. Laberge (Jeanne-Mance); M. Le Moignan (Gaspé), M. Levesque (Bonaventure), M. Morin (Louis-Hébert), M. Paquette (Rosemont), M. Ryan (Argenteuil) et M. Samson (Rouyn-Noranda).

En ce qui concerne les intervenants à cette même commission, il s'agit de M. Fontaine (Nicolet-Yamaska) en remplacement de M. Brochu (Richmond); M. Parizeau (L'Assomption) en remplacement de M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes); M. Dussault (Châteauguay) en remplacement de M. Fallu (Terrebonne); M. Forget (Saint-Laurent), M. Godin (Mercier); M. Morin (Sauvé) en remplacement de M. Guay (Taschereau); Mme LeBlanc-Bantey (Iles-de-la-Madeleine); Mme Chaput-Rolland (Prévost) en remplacement de M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce). Ce sont les membres et intervenants pour la présente séance.

Je pense qu'à ce stade-ci il y aurait lieu que le leader du gouvernement fasse part à la commission d'une entente qui serait intervenue entre les différentes formations politiques.

M. Charron: Oui, M. le Président. Tout à l'heure, le leader parlementaire de l'Opposition officielle me faisait part d'un désir que je partage. Donc, j'aimerais que ce soit le voeu unanime de la commission, si d'autres de nos collègues que ceux que vous avez nommés souhaitent intervenir au cours de ce débat d'importance majeure, que le droit leur soit reconnu de le faire, c'est-à-dire qu'on permette aux formations politiques, au besoin, d'alterner dans la liste d'intervenants que vous avez lue.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): D'accord. Est-ce qu'il y a consentement de tous les membres de la commission?

M. Levesque (Bonaventure): Consentement accordé.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Maintenant, il y aurait lieu de recevoir une proposition pour nommer un rapporteur pour notre commission parlementaire.

M. Charron: Je propose que le député de Verchères soit le rapporteur de la commission.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce que cette motion sera adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Hélas!

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Alors, M. le député de Verchères, vous êtes nommé officiellement rapporteur de cette commission parlementaire. A ce stade-ci, la présidence avait pensé permettre au représentant autorisé de chacun des partis politiques de faire un exposé préliminaire sur l'ensemble du sujet en discussion, ce qui pourrait nous permettre par la suite — et, je pense, beaucoup plus facilement — d'adopter de façon précise l'ordre du jour de nos travaux.

Là-dessus, je cède donc la parole au ministre des Affaires intergouvernementales et, par la suite, au chef de l'Opposition, par la suite, au chef de l'Union Nationale, et probablement que le député de Rouyn-Noranda voudra parler à la suite de ça. Evidemment, comme c'est un exposé préliminaire, il est bien entendu que ces personnes-là pourront toucher à l'ensemble de la révision constitutionnelle. Le sujet est très vague et très large.

M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

Exposés préliminaires M. Claude Morin

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, M. le Président. Nous sommes réunis aujourd'hui pour deux raisons. D'abord, certains membres de l'Assemblée nationale ont souhaité, en juin, être mis au courant de la marche des négociations constitu-

tionnelles actuellement en cours et particulièrement des points de vue exposés par la délégation québécoise. Ensuite, il est opportun, à ce moment-ci des négociations, de voir dans quelle mesure, sur quels sujets et selon quelles priorités il est possible aux partis représentés à l'Assemblée nationale de partager des positions communes.

Sans relater en détail les événements des dernières semaines, je rappellerai qu'immédiatement après le référendum de mai le ministre fédéral chargé des relations fédérales-provinciales (et également ministre de la Justice), a entrepris une tournée éclair de toutes les capitales provinciales pour amorcer sans retard une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles. Parce que le moment qu'il avait choisi ne convenait pas alors et malgré une offre de déplacer sa visite de quelques jours, le ministre fédéral n'est pas venu au Québec.

A la suite de cette tournée, une rencontre des premiers ministres eut lieu à Ottawa, le 9 juin. C'est à ce moment que l'ordre du jour de la présente ronde de négociations fut déterminé et qu'on décida que les ministres responsables du dossier constitutionnel se réuniraient de façon intense pendant le mois de juillet.

Il était clair que, pour le premier ministre fédéral, il fallait aboutir à des résultats à l'intérieur d'un très court délai. Effectivement, le 9 juin même, M. Trudeau s'exprimait en ce sens et annonçait une conférence constitutionnelle des premiers ministres devant s'échelonner du 8 au 12 septembre.

Par la suite, plusieurs ministres provinciaux s'inquiétèrent de constater qu'il serait peut-être humainement et politiquement impossible, en si peu de temps, d'en arriver à des accords véritables. Selon eux, et le Québec partageait ce point de vue, il était peu réaliste d'envisager la conclusion, en deux mois seulement, d'ententes rapides sur des questions complexes qui n'avaient pas jusque-là suscité de consensus, malgré la succession de conférences constitutionnelles au cours des années. Plusieurs représentants de provinces en vinrent à penser que l'absence de résultats suffisants servirait éventuellement de prétexte à des gestes fédéraux unilatéraux.

Le 17 juin, les ministres chargés du dossier constitutionnel se réunirent à Ottawa pour organiser leur travail de l'été. C'est ainsi qu'ils se rencontrèrent en juillet trois semaines de suite, à raison de quatre jours par semaine environ, d'abord à Montréal, puis à Toronto et à Vancouver. Ils abordèrent, les uns après les autres, les douze sujets de l'ordre du jour. Ces réunions ministérielles ne sont pas terminées. Cinq autres jours de réunions sont prévus à Ottawa pour la période du mardi, 26 août, au samedi, 30 août. Entre-temps, la conférence des premiers ministres des provinces se tiendra à Winnipeg dès la semaine prochaine, précédée d'une rencontre d'une journée au niveau ministériel; ensuite, du 8 au 12 septembre, ce sera la conférence constitutionnelle fédérale-provinciale présidée par M. Trudeau.

Voilà donc pour ce qui est de l'horaire de tra- vail. Notre commission d'aujourd'hui survient donc à un moment particulièrement bien indiqué puisque, comme on le constatera dans la suite de mon exposé, le Québec aura des positions vitales à faire valoir d'ici peu.

Je voudrais indiquer que le leader parlementaire du gouvernement, M. Claude Charron, ainsi que le ministre de la Justice, M. Marc-André Bé-dard, ont aussi participé avec moi à une partie des réunions tenues jusqu'ici. Mon adjoint parlementaire, M Pierre de Bellefeuille, a pris part à tous les travaux.

Je rappelle aussi que le Québec avait, dès le départ, fait connaître son intention de tenir le public constamment informé des positions qu'il prendrait en son nom. Cette façon de procéder contribua à transformer le caractère des conférences de juillet. Normalement, celles-ci, puisqu'elles se tenaient à huis clos — et souvent même ne groupant que les ministres — n'auraient pas donné lieu à la diffusion d'une information aussi détaillée que ce fut le cas. En effet, devant la décision du Québec acceptée par tous, Ottawa et parfois même certaines autres provinces durent également fournir des précisions sur leurs propres points de vue.

Toujours dans le but de livrer une information aussi complète que possible, j'ai déjà fait distribuer aux journalistes le Dossier sur les discussions constitutionnelles préparé par mon ministère et que les membres de cette commission ont reçu ces jours-ci. On trouvera, dans ce dossier, un bref historique des efforts de révision constitutionnelle depuis une quinzaine d'années, ainsi qu'un texte sur chacun des sujets de l'ordre du jour de nos négociations. Le tout est accompagné des documents soumis par le Québec au cours de juillet, de même que de ceux d'Ottawa. Quelques documents émanant d'autres provinces sont également inclus dans le dossier, mais il s'agit seulement de ceux qui ont été rendus publics par les gouvernements concernés eux-mêmes. Il serait, en effet, incorrect, vu la règle suivie dans les conférences intergouvernementales, de prendre sur nous de dévoiler les opinions présentées à huis clos par d'autres.

Pour nous assurer que l'information circule bien parmi les participants aux rencontres intergouvernementales et afin qu'il n'y ait pas de malentendus sur les opinions exprimées par les uns et les autres, je fais présentement traduire en anglais les notes que je suis en train de lire et je les transmettrai incessamment à mes collègues des autres provinces. De la sorte, si je fais quelque erreur de fait ou d'interprétation, les mises au point ne tarderont pas.

Il convient de s'arrêter un instant pour expliquer dans quel esprit et dans quelle perspective le gouvernement du Québec abordait la nouvelle ronde de négociations constitutionnelles. Je pense que le mieux est de citer intégralement certains passages de la déclaration d'ouverture que j'ai faite, au début de nos travaux, le 8 juillet à Montréal. J'ai d'abord parlé du sens du référendum québécois: "Lors du référendum du 20 mai

dernier, la population du Québec n'a pas accordé à son gouvernement le mandat de négocier avec le reste du Canada une entente fondée sur la souveraineté-association. Comme nous l'avons dit depuis, ainsi qu'avant et pendant la campagne référendaire, nous avons accepté démocratiquement le résultat de cette consultation populaire et nous agirons en conséquence. Cela signifie donc qu'il n'est pas question pour nous de tenter d'obtenir, par le biais de l'exercice qui commence, la réalisation d'un objectif politique auquel les Québécois n'ont pas souscrit en mai. "En s'exprimant comme ils l'ont fait, les Québécois n'ont cependant en aucune façon, bien au contraire, opté pour le statu quo et encore moins pour une diminution quelconque des compétences du Québec. D'ailleurs, tous les porte-parole du non se sont à l'époque entendus pour affirmer qu'un non signifierait en réalité un oui à une réforme en profondeur du régime politique actuel. Si nous nous trouvons ici réunis aujourd'hui, si tôt après le référendum, la raison en est que tous ressentent — du moins, nous le présumons — qu'il faut maintenant donner une substance convenable à la réponse référendaire. Autrement dit, les Québécois veulent désormais mesurer la dimension réelle, tangible et concrète, des promesses de renouveau que le non était censé contenir".

Cela dit, il était normal que j'esquisse quelles étaient, au-delà des affiliations politiques partisanes, les attentes des Québécois par rapport à l'élaboration d'une nouvelle constitution. Voici ce que je disais, toujours à Montréal, le 8 juillet: "Les négociations que nous entreprenons n'ont, en fait, de sens que si elles mènent vraiment à des changements réels dans le sens désiré par le Québec. Or, la réforme constitutionnelle soulève au Québec des attentes considérables. Depuis maintenant une quinzaine d'années, toutes les tentatives de révision ont avorté et, chaque fois, elles ont déçu les Québécois. Pourquoi? Parce que chaque fois on est passé à côté des véritables problèmes et que l'on a fini par se concentrer sur l'étude de sujets fragmentaires, disparates ou de portée limitée par rapport aux difficultés de fond qu'éprouvait le Québec et qui, pour lui, justifiaient une révision en profondeur de notre cadre politique.

Une nouvelle fois, donc, nous recommençons aujourd'hui un autre exercice constitutionnel. Celui-ci découle directement du référendum québécois, même si, parmi les problèmes à résoudre, plusieurs sont ressentis par d'autres provinces que le Québec. Il s'agit là d'une réalité dont nous sommes tout à fait conscients. "Qu'attendons-nous, comme Québécois, de la reprise des négociations? D'abord qu'elles tiennent résolument, ouvertement et franchement compte de ce qu'on pourrait considérer comme un commun dénominateur chez les Québécois, à savoir qu'il existe chez nous une société distincte, qui veut être reconnue comme telle, qui est libre de décider de son avenir et qui tient à conserver chez elle et pour elle, ainsi qu'à les acquérir lorsqu'ils lui manquent, les instruments culturels, économiques et linguistiques lui permettant de s'affirmer et de se développer selon ses aspirations et ses besoins propres".

Nous attendons ensuite de ces négociations qu'elles conduisent à une clarification du partage des pouvoirs et à une diminution significative des chevauchements fédéraux-provinciaux. Nous attendons enfin que ces nouvelles négociations confirment que, dans le régime fédéral, le gouvernement central considère les provinces non pas comme des entités administratives régionales qu'il lui faut constamment surveiller, mais comme des partenaires majeurs et responsables à qui on peut et à qui on doit faire confiance. "En somme, les Québécois s'attendent, à la suite du référendum et des promesses qu'on leur a faites, qu'il y ait, du côté fédéral, des preuves manifestes d'un déblocage constitutionnel vraiment appréciable. Ils s'attendent à découvrir, du côté fédéral, une approche originale et imaginative à la solution de problèmes déjà si anciens qu'ils font en quelque sorte partie d'un contentieux permanent. Autrement, les Québécois auront l'impression d'avoir été roulés."

Je précisais ensuite notre attitude générale comme délégation et, de nouveau, je cite: "Comme nous n'avons que deux mois devant nous pour tenter de nous entendre sur des sujets dont certains sont discutés sans succès depuis des années, on peut comprendre que la liste des questions retenues pour étude soit plutôt brève. Le Québec n'accepterait toutefois pas que le court délai imposé serve d'excuse commode pour remettre à plus tard des sujets intéressant les provinces, sous prétexte qu'ils seraient complexes, alors qu'on porterait une plus grande attention aux questions jugées prioritaires par Ottawa. La brièveté de la liste nous force aussi à laisser de côté des sujets encore plus importants que ceux qui seront abordés — le Québec pourrait ici en mentionner plusieurs — et qui, souvent, ont une influence directe et immédiate sur les thèmes retenus. En outre, dix des douze points de notre programme n'offrent aucune nouveauté puisqu'ils proviennent intégralement d'ordres du jour de conférences antérieures s'échelonnant de 1968 à 1979. "Ces réserves n'affectent cependant en rien — et je cite toujours — l'esprit positif et ouvert dans lequel nous entreprenons les présentes négociations. Premièrement, nous sommes ici, comme il convient, pour défendre les droits et les intérêts des Québécois sans pour autant ignorer ceux des autres citoyens du Canada. Notre volonté d'affirmation se double donc d'une volonté de compréhension. Deuxièmement, nous sommes également ici pour en arriver à des ententes aussi nombreuses que possible. En somme, nous voulons des résultats. Troisièmement, nous ferons valoir nos points de vue et nous les défendrons en visant toujours à ce que les résultats éventuels des négociations reflètent les attentes concrètes des Québécois. Quatrièmement, notre première préoccupation, comme cela a toujours été le cas pour le

Québec depuis maintenant une quinzaine d'années, demeure le partage fédéral-provincial des pouvoirs. A cet égard, nous nous en tenons au consensus interprovincial unanime dégagé par les premiers ministres des provinces à Regina en août 1978. Cinquièmement, sur chacun des sujets retenus pour étude, nous présenterons pour discussion des propositions précises dont la teneur correspondra, nous le croyons, à la volonté des Québécois dans leur ensemble. Sixièmement, parce que nous tenons absolument à ce que les citoyens soient adéquatement informés, nous nous ferons un devoir de rendre ces propositions publiques dès leur dépôt à la table de négociation. Nous respecterons évidemment la discrétion qui s'impose quant aux vues exprimées par tel ou tel gouvernement. "Septièmement, enfin, nous profiterons d'une commission parlementaire qui aura lieu à Québec les 14 et 15 août — celle d'aujourd'hui, au fond — pour présenter un rapport d'étape sur les négociations qui se seront déroulées d'ici là et pour faire le point avec nos collègues de l'Assemblée nationale du Québec."

Voilà donc ce que je disais, M. le Président, au nom du Québec, le 8 juillet, au début de nos travaux constitutionnels à Montréal. Nous voulions négocier de bonne foi, proposer des choses, écouter les autres participants, répondre à des arguments, en offrir nous-mêmes, demander des explications, en somme nous faire mieux comprendre tout en essayant de mieux voir les points de vue de nos partenaires; tout cela dans l'espoir de rapporter progrès et, si possible, de résoudre enfin des problèmes. (10 h 30)

II ne s'agissait pas de refaire le débat référendaire, mais de défendre et de promouvoir positivement les droits et les intérêts des Québécois dans le présent régime politique, en respectant ceux des autres. Les observateurs de l'intérieur et de l'extérieur ont bien vu que c'était ainsi que nous nous sommes comportés et plusieurs l'ont même dit publiquement.

Sans aucunement renoncer aux revendications traditionnelles du Québec, nous étions prêts à faire un bon bout de chemin avec les provinces et avec Ottawa, pourvu toutefois que cette flexibilité ne conduise pas à une réduction des compétences québécoises.

Au fur et à mesure que les négociations avançaient, j'ai remarqué, chez la plupart des autres provinces, des positions qui, sur bien des points, rejoignaient les nôtres dans la recherche d'une plus grande autonomie. A aucun moment, le Québec n'a été isolé. Les provinces ont acquis une conscience beaucoup plus nette de leurs aspirations, de leurs intérêts et de leurs problèmes. Certaines qui, longtemps, n'avaient qu'assez faiblement formulé des revendications, peut-être faute de temps ou d'intérêt, eurent, pendant les trois semaines de rencontres, le loisir d'aller beaucoup plus avant dans leurs prises de position, et de façon beaucoup plus ferme que par le passé.

Je voudrais maintenant faire un commentaire sur un réflexe que j'ai observé chez quelques représentants fédéraux et provinciaux, ministres ou fonctionnaires, au tout début de nos négociations, mais qui a rapidement disparu. Selon ce réflexe, perçu surtout dans des conversations privées, le résultat référendaire entraînait comme conséquence logique, selon ces personnes, que le Québec devait dorénavant passer à l'arrière-plan des préoccupations constitutionnelles des autres Canadiens, ceux-ci jugeant dorénavant plus pratique, vu que le problème du Québec était à leurs yeux définitivement réglé, de porter une plus grande attention aux questions intéressant les autres provinces et Ottawa.

Comme corollaire de ce réflexe, il s'ensuivait que, vu le résultat référendaire, le Québec ne pouvait plus être demandeur et que, s'il envisageait d'exprimer des réclamations autonomistes, celles-ci seraient automatiquement interprétées comme des reliquats d'aspirations souverainistes. En d'autres termes, selon ce réflexe, le Québec avait perdu sinon le droit de parole, du moins le droit de manifester originalement sa spécificité puisqu'en répondant majoritairement non au référendum il avait du même coup opté pour les vues bien connues de M. Trudeau!

Il y a aussi un autre fait que je veux brièvement relever. Avant les conférences de juillet, je me demandais, comme plusieurs sans doute, comment les autres gouvernements réagiraient à la participation au renouvellement du fédéralisme d'un gouvernement ayant, quelques semaines plus tôt, procédé à un référendum sur un autre régime politique.

Je peux aujourd'hui affirmer, sans crainte d'être contredit que cet aspect des choses n'a eu absolument aucune influence sur le comportement des autres délégations fédérales ou provinciales à l'égard de notre propre délégation. Je n'ai même pas ressenti à ce propos le besoin de faire quelque mise au point que ce soit, même pas lorsque j'ai eu à traiter en détail de la spécificité du Québec et de ses conséquences, par exemple le fait qu'il existe au Québec une société distincte qui veut être reconnue comme telle et que cette société tient à pouvoir déterminer librement son avenir.

J'en viens maintenant à l'ordre du jour lui-même, c'est-à-dire au contenu de nos négociations. Pendant la campagne référendaire, le premier ministre du Canada avait insisté avec force sur l'idée qu'advenant un non majoritaire à la question posée il se fixerait comme priorité immédiate de donner l'impulsion à des discussions devant aboutir sans délai à une nouvelle constitution canadienne. Il prenait, en somme, la responsabilité, advenant un non, de se faire le protagoniste d'une réflexion en profondeur sur notre régime politique actuel et de provoquer des négociations susceptibles de mener à un nouveau type de Canada. C'est pourquoi la liste de sujets de discussion proposée à la fin de la rencontre du 9 juin est extrêmement révélatrice puisque, plus que tout autre geste, elle illustre l'esprit qui animait le gouvernement fédéral après le référendum et à la

veille de pourparlers constitutionnels entrepris dans des circonstances tout à fait particulières.

Cette liste de douze sujets en contient dix qui faisaient déjà partie, comme je l'ai dit tantôt, d'ordres du jour de nombreuses conférences antérieures. Pour ces dix sujets, on reprenait, en somme, les discussions au point où elles étaient en février 1979, la dernière fois que M. Trudeau avait présidé une conférence constitutionnelle avant les élections de mai 1979.

Ne faisait cependant pas partie de cette liste aucune des autres grandes questions alimentant depuis des années le contentieux Québec-Ottawa et dont les têtes de chapitre sont, pour n'en mentionner que quelques-unes: politique sociale, affaires urbaines, culture, environnement, aménagement régional, recherche scientifique, relations internationales, etc. Par contre, et il convient de le mentionner, diverses questions majeures déjà abordées dans le passé et d'importance essentielle pour le Québec et aussi pour les autres provinces n'apparaissaient plus dans la liste: pouvoir fédéral de dépenser, pouvoir fédéral de taxer, pouvoir déclaratoire, etc.

La liste est aussi significative à cause de deux additions: les pouvoirs sur l'économie et la déclaration de principes. Les textes et les exposés des représentants d'Ottawa sur le thème de l'économie ont montré aux ministres provinciaux, au cours de juillet, que le gouvernement fédéral mettait en cause tout le rôle économique des provinces, sous le couvert de la recherche d'un solide marché commun canadien libre de tout obstacle. On sait aujourd'hui que les réactions provinciales n'ont pas tardé et qu'elles furent souvent fort virulentes, certaines provinces allant même jusqu'à dire que, par sa proposition, Ottawa entendait diriger le Canada vers un fédéralisme plus centralisé que jamais. Une seule province s'est déclarée d'emblée d'accord avec l'approche d'Ottawa qui, si elle était appliquée, favoriserait surtout ses intérêts.

Quant à la déclaration de principes, elle a permis de constater qu'Ottawa s'en prenait directement à la conception que les Québécois, globalement, se font du Canada. Cette déclaration dont le premier ministre Trudeau a pris soin de diffuser le texte dès le 9 juin, a soulevé beaucoup de réactions ici et a provoqué, fait inusité, la publication d'une lettre ouverte aux Québécois signée par M. Trudeau lui-même. On a appris, depuis, que le projet de déclaration de principes deviendrait le préambule de la nouvelle constitution dont il influencera le caractère, la portée et le sens.

Une question ici se pose: La liste des sujets retenus n'aurait-elle pas pu être allongée et complétée dès le point de départ? Il faut d'abord se reporter au 9 juin. La balle se trouvait alors dans le camp d'Ottawa. Ce sont les représentants fédéraux qui avaient promis un fédéralisme renouvelé aux Québécois. Il était donc logique et normal d'attendre d'eux des propositions nouvelles correspondant aux aspirations du Québec. Ce sont eux qui avaient, pourrait-on dire, une marchandise à livrer. Pendant le débat référendaire au Québec, et comme je l'ai rappelé tantôt, le premier ministre du Canada avait clairement laissé entendre que la victoire du non, loin de signifier le maintien du statu quo, conduirait à un renouvellement en profondeur de la constitution canadienne. A ce propos — on s'en souviendra — il mit même publiquement en jeu son siège et ceux des députés libéraux fédéraux du Québec.

Personne alors n'apporta de précision, ni ne fournit de garanties sur la nature des changements constitutionnels promis, mais le contexte portait naturellement à croire que ces changements iraient dans le sens des aspirations historiques et courantes des Québécois et aussi qu'ils s'inspireraient d'une approche originale. En somme, les promesses déployées à l'époque du référendum incitaient manifestement les Québécois à penser qu'avec un non majoritaire ils seraient enfin témoins, après des années de rigidité, d'une volonté concrète de déblocage de la part du gouvernement fédéral.

Ces promesses eurent certes un certain effet sur le résultat de la consultation populaire. Dès le 9 juin donc, la volonté de réforme et d'ouverture proclamée si hautement quelques semaines plus tôt aurait dû immédiatement se produire dans le programme de travail esquissé par Ottawa. C'était l'occasion toute désignée pour le faire. Or, ce ne fut pas le cas.

On se souviendra aussi que, le 9 juin, M. Trudeau présentait la semaine du 8 septembre, celle où il y aura une conférence constitutionnelle de premiers ministres, comme le moment où l'on ferait rapport sur les progrès accomplis entretemps et où on aboutirait à des conclusions sur les douze sujets étudiés. Compte tenu du travail normal de mise en branle du processus, cela limitait en fait à environ deux mois d'été la période réservée aux négociations ministérielles proprement dites. Déjà, je l'ai dit, il paraissait difficile, sinon impossible aux yeux de plusieurs, d'en arriver à des accords nombreux à l'intérieur d'un si bref délai. C'est pourquoi il aurait été assez peu réaliste d'espérer que de tels accords puissent se produire non plus sur 12, mais sur 15, 20 ou 30 sujets. De plus, l'addition de nouveaux thèmes de discussion, surtout si c'était le Québec qui l'avait réclamée, aurait pu être perçue comme une manoeuvre destinée à assurer l'échec de la nouvelle ronde de négociations.

Rares, d'ailleurs, étaient ceux qui croyaient vraiment que les négociations se termineraient dans la semaine du 8 septembre. Aux réunions ministérielles, la grande majorité des représentants des provinces, le Québec compris, n'acceptait pas ce genre d'échéance et considérait que cette date établie par M. Trudeau ne pourrait, en pratique, qu'être une étape d'un processus fatalement beaucoup plus long que la période de discussions intensives de l'été. Dans la perspective raisonnable où les négociations se poursuivraient ultérieurement, l'addition de nouveaux sujets pouvait donc sans risque être reportée à plus

tard, d'autant plus que la matière était déjà plus qu'abondante pour l'été et que, de toute façon, il fallait bien commencer quelque part.

Venons-en maintenant, M. le Président, aux enseignements et aux conclusions qu'on peut déduire de nos discussions jusqu'ici. Comme on le verra dans le document remis aux membres de notre commission et auquel je vous réfère, il parut vite évident en juillet que non seulement rien n'avait changé dans l'approche d'Ottawa, mais qu'il y avait davantage de rigidité qu'avant et qu'au surplus le désir de centralisation accompagnée d'une diminution du rôle des provinces demeurait plus vivace et plus entreprenant que jamais.

Selon cette perspective, le problème québécois prend tout au plus place parmi les nombreux régionalismes canadiens dont Ottawa est disposé à tolérer l'existence pourvu qu'ils n'atténuent pas la puissance du pouvoir central. Et, derrière tout cela, se profile une conception du devenir canadien et du rôle prédominant d'Ottawa qui n'a pas évolué depuis des années.

Ainsi donc, si la tendance fédérale actuelle devait prévaloir, le régime politique canadien sera renouvelé, avec cette différence, cependant, que le renouvellement s'effectuera dans le sens contraire de celui auquel les Québécois ont cru qu'Ottawa s'était engagé par ses promesses référendaires.

Cette conclusion que j'énonce ici ne provient pas d'une vision souverainiste des choses, ni d'un dépit postréférendaire, mais d'une analyse objective de gestes, de déclarations et de textes que n'importe qui, ici ou ailleurs, peu importe l'affiliation politique, est en mesure de vérifier. En outre, d'autres éléments confirment la conclusion que je viens de tirer.

Une des règles élémentaires d'une bonne négociation consiste, pour chaque partie, à déceler le cheminement, les objectifs et les méthodes de l'autre partie, ne serait-ce que pour voir venir et agir en conséquence.

Avec un recul de quelques semaines, à la lumière des nombreuses déclarations de représentants fédéraux, particulièrement au moment du congrès libéral de Winnipeg, et en tenant compte du comportement d'Ottawa, ainsi que des échanges de vues de part et d'autre, l'approche fédérale paraît beaucoup plus claire maintenant qu'en juin. Il est de la plus haute importance qu'on comprenne, au Québec, en quoi elle consiste.

En effet, dans la stratégie fédérale, ce qui semble surtout compter pour la semaine du 8 septembre, ce n'est pas une entente sur tous et chacun des sujets de l'ordre du jour, ni même sur la majorité d'entre eux, mais sur certains de ceux-ci, bien choisis, qui font partie d'un groupe tout à fait prioritaire de questions, la solution des autres problèmes pouvant à la rigueur être reportée à plus tard.

Ottawa espère qu'une fois l'entente acquise sur ces questions, et sur d'autres le cas échéant, la procédure de rapatriement pourra immédiatement être mise en branle et la nouvelle constitution canadienne solennellement proclamée au terme des démarches de rapatriement, soit quel- ques mois plus tard. C'est à cette nouvelle constitution qu'on ferait ensuite des modifications, sans urgence particulière, mais au fur et à mesure que des accords pourront être conclus sur les sujets demeurés en suspens ou sur n'importe quel autre. Ces modifications seraient toutefois effectuées conformément au mode d'amendement constitutionnel qui accompagnerait le rapatriement. De la même façon qu'il y a actuellement de temps à autre des conférences fédérales-provinciales de premiers ministres sur l'économie, la fiscalité ou autre chose, il y aura donc désormais, au fil des années et selon les besoins, des conférences de premiers ministres pour mettre au point tel ou tel changement à tel ou tel article de la constitution.

Comme la conclusion de tous les travaux sur les douze points de l'ordre du jour n'est pas forcément recherchée pour le 8 septembre, quoique l'impression contraire a pu s'accréditer, Ottawa pourra donner une impression de flexibilité en déclarant, par exemple, lors des réunions ministérielles de la fin d'août ou à la conférence constitutionnelle de septembre, qu'il ne cherche après tout qu'un accord rapide sur quelques sujets et que, par conséquent, il ne vise pas à régler à la course des questions dont tout le monde sait qu'elles sont complexes.

Voilà pour la façon dont Ottawa paraît, avec les éléments dont nous disposons, envisager le déroulement des événements. Voyons maintenant quels sont, dans l'optique fédérale, les sujets prioritaires et essentiels. Nous saisirons du même coup quelle en est la portée pour le Québec. Le 9 juin, les questions retenues pour négociations étaient groupées en deux catégories qui n'attirèrent alors pas tellement l'attention. D'un côté, il y avait ce qu'on appelait le "people's package" et de l'autre, le "governments' package". Quatre sujets étaient placés sous le premier titre et huit sous le second. La distinction venait d'une image qu'Ottawa voulait publiquement donner et selon laquelle certaines questions intéressent les citoyens et relèvent directement d'eux et non d'abord des gouvernements, tandis que les autres peuvent faire l'objet de discussions intergouvernementales.

Les quatre sujets du "people's package" sont: la déclaration de principes, le rapatriement de la constitution et la formule d'amendement, la charte des droits et la péréquation. Le but de la conférence constitutionnelle du 8 septembre est de formaliser en priorité l'accord sur ces quatre sujets.

Pourquoi l'accent sur ces quatre sujets apparemment disparates? D'abord, ils correspondent aux préférences depuis longtemps exprimées par le premier ministre du Canada lui-même: on y retrouve les questions soi-disant non négociables maintes fois réitérées par M. Trudeau. L'autre raison est que ces sujets gouvernent les huit autres et tous ceux qu'on pourrait ajouter maintenant ou plus tard. Ils déterminent en somme les règles du jeu définitives du régime fédéral. D'une certaine manière, ils engagent l'avenir plus que toute autre disposition constitutionnelle et définissent l'orien-

tation du "fédéralisme renouvelé"; ce sont, en quelque sorte, des "voeux perpétuels" politiques! Une fois insérés dans une constitution, ils deviennent à toutes fins utiles extraordinairement difficiles à modifier. Si ces questions sont réglées, à la satisfaction ou non du Québec, la révision constitutionnelle est en quelque sorte presque conclue.

Examinons de plus près la portée pratique et politique de chacune. D'abord, je parle de la déclaration de principes. Cette déclaration de principes est, on le sait, le projet de préambule de la nouvelle constitution canadienne. Il ne s'agit donc pas d'une simple entrée en matière, mais d'une description générale de cette sorte de contrat qui est censé être une constitution. Ce n'est pas une introduction qu'on rédige une fois l'oeuvre terminée, mais un énoncé de la raison d'être du sens profond de cette oeuvre. A ce titre, appliquée à la nouvelle constitution canadienne, cette déclaration de principes évoque le pays auquel elle doit s'appliquer, ses habitants, leurs objectifs et, en gros, la nature du régime politique qu'ils choisissent ensemble. Elle établit l'importance relative des composantes de la population dont elle annonce la loi fondamentale. (10 h 45)

Plus clairement, une telle déclaration répond une fois pour toutes à de très vieilles questions qui ont nourri bien des débats politiques chez nous. Y a-t-il au Canada une, deux ou plusieurs nations? Quelle est la place de la majorité et de la minorité, celle des autochtones, celle des Néo-Canadiens, celle du Québec, celle des autres provinces? C'est dans une telle déclaration, destinée à être un préambule, qu'on détermine, le cas échéant, le rôle spécifique du Québec. Ou qu'on le masque. Ou qu'on le nie. C'est dans cette déclaration qu'on confirme ou non le droit pour les Québécois de choisir librement leur avenir politique. Ou qu'on le passe sous silence parce qu'on ne tient pas à l'affirmer ou qu'on veut indirectement le nier.

Pour toutes ces raisons, à cause de son influence sur le reste de la constitution et parce qu'un tel préambule servira d'instrument d'interprétation de la loi fondamentale du Canada, il faut accorder la plus haute importance, du point de vue québécois, sur ce qu'il contiendra. Et aussi sur ce qu'il taira. Il ne s'agit pas, comme il devient parfois de bon ton de le laisser entendre, d'une occasion de disputes pour intellectuels, disputes dont la population, plus sage, se désintéresserait éperdument.

Le premier ministre du Canada, en publiant son propre projet de déclaration dès le 9 juin, a lui-même montré combien les Québécois feraient preuve de courte vue s'ils n'y consacraient pas une attention particulièrement vigilante. Cette déclaration décrit du point de vue de M. Trudeau ce que les Québécois et les Canadiens sont et ce qu'ils devraient être.

Elle découle de sa vision inaltérable de l'univers canadien, une vision qui nie à toutes fins utiles la spécificité québécoise et les conséquences politiques de l'existence d'une telle spécificité, ce qu'ont d'ailleurs très bien illustré les multiples commentaires auxquels son texte a donné lieu depuis sa parution.

J'en arrive maintenant au rapatriement de la constitution et à la formule d'amendement. Dans un document émis en juillet, la délégation québécoise a expliqué pourquoi, à l'instar des positions prises par tous les gouvernements du Québec, de celui de M. Lesage à celui de M. Bourassa, elle considérait logique de procéder au rapatriement et à l'élaboration d'une formule d'amendement uniquement après que les négociations en cours auront permis une entente substantielle sur des questions majeures touchant le partage fédéral-provincial des pouvoirs. Pour ne pas allonger indûment ma présentation, je me permets de vous référer à cette prise de position. Je ne retiendrai ici que deux arguments avancés alors. D'abord, le rapatriement de la présente constitution canadienne, actuellement loi britannique, peut difficilement passer pour être, comme on le prétend, un geste destiné à trancher un lien colonial, puisque l'on prend soin de conserver la reine de Grande-Bretagne comme chef d'Etat du Canada. On se rappellera incidemment qu'avant même que ne s'engagent nos discussions de l'été, M. Trudeau se trouvait en Grande-Bretagne pour, soi-disant, y préparer le rapatriement rapide de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

La concrétisation d'une formule d'amendement signifiera aussi, immanquablement, que tout le contentieux constitutionnel Québec-Ottawa accumulé ne se résoudra pas maintenant dans une sorte de "package deal", mais qu'il sera pour l'avenir soumis à la pièce à cette formule d'amendement où, dans le meilleur des cas, le Québec aura certes, comme plusieurs autres provinces, un droit de veto sur des changements qu'il ne désirerait pas, mais où aussi son avenir politique à l'intérieur du fédéralisme dépendra du bon vouloir non seulement des autres provinces, mais aussi d'Ottawa. C'est en bonne partie cet aspect des choses qui avait, on s'en souvient, amené M. Lesage, en 1965, à rejeter la fameuse formule Fulton-Favreau.

On voit dès lors pourquoi une formule d'amendement est au fond une règle essentielle du jeu constitutionnel. Cette formule, une fois établie et acceptée, l'évolution du reste en dépend.

J'en arrive maintenant au troisième sujet du "people's package", c'est-à-dire la charte des droits. Il y a une certaine ironie à constater actuellement que le gouvernement ayant, au Canada, le moins respecté les droits des personnes au cours des dernières années est devenu celui qui a décidé de faire la leçon aux autres. Il y a également beaucoup de confusion à propos de l'insertion dans la constitution d'une charte des droits.

De prime abord, cette insertion a l'allure d'un voeu pieux. Elle semble aller de soi et ceux qui s'y opposent paraissent socialement rétrogrades et réactionnaires. Dans une prise de position publiée en juillet, la délégation du Québec a montré en quoi le projet du premier ministre Trudeau comportait des conséquences dangereuses pour le

Québec, notamment au chapitre de la langue d'enseignement. Car Ottawa se garde bien d'indiquer que le projet fédéral replongerait le Québec dans les difficultés qu'il a connues au moment du bill 63. On n'indique pas non plus que la charte des droits proposée par Ottawa priverait l'Assemblée nationale du Québec de la latitude qu'il lui faut pour assumer les responsabilités du seul gouvernement de langue française en Amérique du Nord, et ce surtout à un moment où les travaux scientifiques les plus récents démontrent, sans l'ombre d'un doute, que c'est seulement au Québec et à cause du Québec que peut et que pourra vraiment, dans l'avenir, s'épanouir et s'affirmer la population francophone du Canada, une population qui, cependant, diminuera relativement par rapport à l'ensemble de la population canadienne d'ici dix ou vingt ans.

Dans ces conditions, on comprendra que, sur la partie de la charte des droits qui traite de la langue, le Québec émet des réserves absolues et qu'il s'oppose formellement à redevenir un territoire officiellement bilingue, alors qu'en pratique les autres provinces, malgré n'importe quelle charte des droits, demeureront anglophones.

Je signale aussi en passant que, selon une des stipulations contenues dans le projet fédéral, la Loi des mesures de guerre serait, somme toute, institutionnalisée et permanente. On aura probablement l'occasion de voir cet article tout à l'heure.

J'en arrive maintenant à la péréquation. A peu près tout le monde est d'accord depuis longtemps pour introduire le principe de la péréquation dans la constitution. Le problème est qu'Ottawa pourrait désirer, en septembre, pousser ce principe plus loin et faire du partage des richesses et de la lutte aux inégalités régionales deux principes constitutionnels commodes qu'il pourrait aisément utiliser ensuite pour intervenir à son gré dans des domaines provinciaux. Sous couvert d'une préoccupation éminemment élevée, il n'est pas du tout exclu qu'à la faveur de la présente révision constitutionnelle Ottawa essaie de se donner de nouveaux moyens d'action conduisant, le cas échéant, à une plus grande centralisation des pouvoirs de décision économique et sociale et à l'affirmation du rôle d'Ottawa comme gouvernement responsable au premier chef de la répartition au Canada des bienfaits de la croissance économique.

Il y a un autre sujet qui ne fait pas partie du groupe de quatre que je viens de relever, mais dont la portée mérite qu'on s'y arrête. Il s'agit du thème: les pouvoirs sur l'économie. A cet égard, les conséquences sur le Québec de la proposition fédérale sont énormes et encore mal connues du grand public. Il s'agit, de l'avis de plusieurs et aussi du mien, de la plus grande offensive centralisatrice sur le plan économique dont nous ayons été témoins depuis, peut-être, la mainmise d'Ottawa sur les droits fiscaux des provinces en 1941. Il est sûr, en tout cas, que l'application de cette proposition réduirait dramatiquement le peu de marge de manoeuvre économique dont dispo- sent le gouvernement québécois et les institutions qui, directement ou indirectement, en dépendent.

Bien loin de découvrir dans la négociation constitutionnelle actuelle une occasion longtemps espérée de voir enfin confirmer ses attributions générales ou augmenter ses compétences, le Québec s'est aperçu qu'il était désormais, comme les provinces dans leur ensemble, menacé de perdre des instruments d'action essentiels. Inutile d'insister pour dire que l'addition de ce sujet à l'ordre du jour n'a rien fait pour hâter des accords.

Je pense avoir dit pourquoi les quatre sujets prioritaires, dans l'optique d'Ottawa, sont beaucoup plus déterminants que tous les autres. Une nouvelle constitution, c'est comme un contrat. Il y a des clauses très lourdes de conséquences, d'autres moins importantes.

Quand on veut se construire une maison, il faut d'abord prendre plusieurs décisions: à quel endroit sera-t-elle située, quelle sera la dimension de la maison, quelle sera sa forme, combien aura-t-elle de pièces, quels matériaux seront utilisés, comment sera-t-elle meublée, comment sera aménagé le terrain, comment le tout sera-t-il financé, etc? Une fois décidés la localisation, la dimension et le financement de la maison, le reste en découle et il n'est plus possible, par la suite, si par exemple on a fait erreur sur la localisation, de corriger cette erreur par le biais de décisions portant, disons, sur l'ameublement.

La stratégie fédérale voudrait donc que, dans la semaine du 8 septembre, les discussions se terminent au moins sur quatre sujets lourds de conséquences et engageant l'avenir. Un fait récent et connu de tous est d'ailleurs venu confirmer, si besoin en était, que la démarche fédérale est fort réfléchie et qu'elle laisse le moins possible au hasard.

On sait qu'Ottawa vient de lancer, en plein été, une gigantesque campagne de publicité de $6 000 000. Pourquoi une telle campagne? Officiellement pour convaincre les Canadiens de la nécessité d'une nouvelle constitution. Mais, alors, pourquoi commencer si tôt, car une constitution, ça ne se règle pas en quelques semaines? Ne serait-ce pas justement parce qu'on tente de créer un conditionnement propice pour le 8 septembre? On aura sans doute remarqué, à cet égard, que les thèmes de la publicité fédérale rejoignent précisément les sujets prioritaires évoqués ici!

Il est curieux aussi que cette campagne survienne alors même que les discussions intergouvernementales sont en cours, comme si ces discussions n'avaient pas vraiment tellement d'importance. Quand on sait que la conception et la réalisation des messages publicitaires exigent au bas mot des semaines de travail et que ces messages sont déjà diffusés au moment où je vous parle, il faut donc nécessairement conclure que la préparation de l'offensive fédérale était en cours avant même que ne commencent les réunions ministérielles de l'été.

Il se peut aussi que l'intensité et la fréquence des rencontres des ministres fassent elles-mêmes, quels qu'en soient le contenu et le résultat, partie

d'une stratégie fédérale destinée à créer, pour septembre et par-dessus la tête des gouvernements concernés, un sentiment selon lequel il faudrait bien, après tant de travail, que des décisions rapides se prennent enfin et que, commodément, elles touchent au moins les sujets prioritaires pour Ottawa.

Tout n'est cependant pas joué. Il reste heureusement plusieurs jours de négociations au niveau ministériel, à la fin d'août. Il reste aussi la conférence fédérale-provinciale des premiers ministres le 8 septembre. Des développements plus positifs demeurent toujours possibles. S'il devait s'en produire dans le sens d'un respect plus grand des aspirations du Québec, je serai heureux, M. le Président, d'en faire aussitôt état.

D'ici là, nous avons, comme Québécois, certaines urgences à affronter. C'est pourquoi je termine ici mes commentaires, dont je m'excuse incidemment de la longueur — mais cette longueur me paraissait nécessaire — en présentant à notre commission une suggestion concrète: Sans essayer artificiellement et à tout prix de susciter des consensus, je suggérerais que nous passions en revue chacun des points de l'ordre du jour des négociations actuelles. Je souhaiterais cependant que nous soyons tous d'accord pour commencer par les questions qui engagent davantage notre avenir, qui ne sont pas encore réglées sur lesquelles il faudra, en priorité, prendre des décisions en septembre.

En conséquence, M. le Président, je propose qu'à la suite des exposés préliminaires des partis politiques cette commission entreprenne l'étude des douze points actuellement en négociation, en abordant prioritairement les points suivants: la déclaration de principes, le rapatriement de la constitution et la formule d'amendement, la charte des droits, la péréquation et les pouvoirs sur l'économie. Il va sans dire que, selon l'évolution de nos échanges, je suis disposé à fournir aux membres de notre commission tous les renseignements supplémentaires qu'ils désireraient obtenir. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. Je rendrai une décision tout à l'heure, après l'exposé des chefs, sur la motion qui est présentée.

Je cède la parole au chef de l'Opposition officielle.

M. Claude Ryan

M. Ryan: M. le Président, nous sommes heureux, à titre d'Opposition officielle, de participer à cet échange de vues sur la présente étape des discussions en vue de la révision de la constitution du pays. Ainsi que je l'ai déjà signalé à la Chambre, il faut se féliciter de ce que si tôt après la tenue du référendum sur l'avenir constitutionnel du Québec on ait entrepris des discussions sérieuses visant à procurer au peuple du Québec et du reste du pays des changements constitutionnels désirés de toute évidence par une majorité croissante des citoyens de ce pays. Nous participerons à ces travaux dans un esprit évidemment constructif, dans un souci de franchise que, je pense, nous avons toujours manifesté.

Je voudrais, au début de nos travaux, soumettre un certain nombre d'observations générales qui traduisent à la fois notre perception de la conjoncture présente et notre vision de l'esprit dans lequel doit s'effectuer l'oeuvre de révision constitutionnelle. Je signale d'abord que nous nous réunissons dans un contexte marqué d'une profonde ambiguïté. Tout d'abord, nous nous en souvenons tous, les résultats du référendum du 20 mai ont favorisé nettement la thèse de ceux qui préconisaient le maintien et le renouvellement du lien fédéral canadien. Mais la responsabilité de défendre cette option majoritaire de la population incombe à un gouvernement dirigé par un parti dont les options fondamentales étaient et demeurent contraires à cette orientation voulue par la majorité de la population. Comme s'il avait été besoin d'une démonstration nouvelle, le conseil national du Parti québécois s'est réuni à la suite du référendum et a renouvelé son adhésion fondamentale au choix qui avait été mis de l'avant par le gouvernement le 20 mai et qui a été rejeté par la population.

Nous sommes en situation d'ambiguïté aussi, étant donné le stade où en est rendu le présent gouvernement dans l'exécution de son mandat. Le présent gouvernement touchera bientôt au terme usuel de son mandat de gouvernement. Cela fera quatre ans au mois de novembre que le gouvernement est en place. Nous savons tous que l'oeuvre de révision constitutionnelle est une oeuvre de longue haleine qui ne peut pas s'effectuer dans un délai précipité de deux mois. J'y reviendrai tantôt. Alors, nous sommes en pleine ambiguïté. Un gouvernement qui, tous les jours, se réunit pour se demander si ça servirait les intérêts du gouvernement de convoquer une élection maintenant ou de la remettre à plus tard et qui, en même temps, est engagé dans une oeuvre qui, par essence, doit se faire dans un climat de détachement ou de souci des intérêts à long terme du peuple québécois qui ne peuvent pas être servis de manière idéale dans le contexte actuel. Cela, je le signale bien franchement, mais avec beaucoup de fermeté, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté à ce sujet.

Deuxième observation — je reprends ici ce que j'ai dit à maintes reprises — il faut aborder la réforme constitutionnelle dans un esprit positif; serein et constructif. Les Québécois ont affirmé clairement, le 20 mai dernier, qu'ils veulent continuer à vivre en fidélité avec eux-mêmes, mais dans un pays commun qu'ils partagent avec d'autres Canadiens au Canada. Leur apport et leur consentement sont absolument indispensables à toute entente nouvelle devant servir de fondement à la rédaction d'un texte constitutionnel adapté aux besoins et aux défis d'aujourd'hui et de demain. Il faut, en conséquence, d'une part, que le Québec, son gouvernement en particulier, lutte fermement pour obtenir toutes les garanties, tous les

pouvoirs raisonnablement requis pour assurer que le Québec pourra se développer suivant son génie propre et il faut, d'autre part, que ce pays qu'on appelle le Canada, auquel les Québécois ont renouvelé leur adhésion le 20 mai dernier, ait une substance. Il faut aussi que les institutions politiques qui l'incarnent aient un contenu et une signification réels. (11 heures)

Si nous devions nous réunir uniquement pour discuter des pouvoirs et des intérêts du Québec, nous pourrions pousser l'exercice jusqu'à sa conclusion logique, très familière à nos amis du gouvernement. Cela conduit directement au séparatisme et à la souveraineté. Si on veut discuter dans un esprit fédéral, il faut absolument regarder les deux volets du problème. Il faut se demander quels sont les intérêts que le Québec doit légitimement défendre. Il faut se demander aussi, et le dire franchement, quelles sont les choses que l'on veut loyalement mettre en commun avec les autres citoyens du pays sous l'autorité d'un gouvernement fédéral démocratiquement élu par les citoyens du pays et souverain dans son ordre de compétences.

Troisième point, il faut aller au fond des choses. Je remarque qu'à cette conférence-ci, sur plusieurs sujets, on semble être allé davantage au fond des choses qu'on ne l'avait fait à des rencontres précédentes. Je m'en réjouis. Les premiers échanges, quand on essaie d'aller au fond des choses, sont toujours plus pénibles. J'entendais le ministre des Affaires intergouvernementales parler tantôt de la plus grande offensive centralisatrice qui ait jamais émané d'Ottawa en ce qui touche, par exemple, le partage des pouvoirs économiques. Je ne grimperais pas tout de suite dans les rideaux. Ils ont présenté leur position dans les premiers textes. On n'a qu'à dire qu'on les accepte ou qu'on les rejette. Si les nouvelles versions de l'article 121 de la constitution sur le commerce des marchandises à travers le Canada, ou encore de l'article 91.2 sur la compétence du Parlement fédéral en matière de commerce, si les nouveaux textes que propose le gouvernement fédéral ne sont pas acceptables, on peut le dire. Nous autres même, nous en parlerons quand nous arriverons à cet article de l'ordre du jour. Je ne pense pas que ce soit le moment de grimper dans les rideaux, de commencer à imputer des motifs et de parler d'épouvantails qui consistent ou qui aboutissent, en tout cas, à créer un climat très peu favorable à des discussions constructives.

Il faudra que chacun dise franchement comment il perçoit la réalité de ce pays. Je pense que si nous voulons travailler constructivement, nous devons accepter de chercher à dépasser des slogans faciles. Il est bien facile de dire: II y a deux nations dans ce pays et, sans cela, rien ne peut se faire. On a entendu cela 5000 fois depuis 50 ans, mais il faut qu'on arrive à dire avec plus de précision en quoi consiste la réalité humaine de ce pays. Nous aurons des idées à mettre sur la table quand arrivera la discussion peut-être sur le projet de préambule, par exemple, plus tard, mais je vous dis simplement que nous ne serons complices d'aucune tentative, d'aucun exercice de propagande visant à faire croire que les choses auraient été réglées parce qu'on aurait adopté un vote à la vapeur sur un slogan dont on n'aurait pas soigneusement défini le contenu.

J'ai moi-même — vous vous en souvenez, M. le Président — à la commission parlementaire qui étudiait les crédits du Conseil exécutif, demandé au chef du gouvernement de préciser quel contenu il était prêt à mettre sur cette égalité des deux peuples dont il parle avec beaucoup d'assurance aussi longtemps qu'on en reste au stade des affirmations générales. Je lui ai demandé de donner un contenu précis. A chacune des questions que je lui posais, il a répondu: Incapable de répondre. A toutes fins utiles, c'était l'essence des réponses que j'ai reçues. En Chambre, lorsque nous avons fait un débat sur les conséquences du référendum, j'ai peut-être posé une centaine de questions au chef du gouvernement. Tout ce que j'ai eu comme réponse, c'est qu'on donnerait des précisions plus tard et que le moment n'était pas venu d'aborder ces questions.

Au moins sur les douze sujets qui ont été inscrits à l'ordre du jour de la présente entreprise constitutionnelle, je pense que le moment est arrivé de formuler des réponses précises et, encore une fois, des réponses qui tiennent compte des deux dimensions du défi qui se pose à nous. Il est bien facile pour le gouvernement fédéral de tenir compte uniquement d'une dimension, comme c'est facile pour les provinces de tenir compte uniquement d'une dimension, mais, si on doit aboutir à des résultats quelque part, il faudra que certains hommes politiques aient le courage, la force de dire: Nous autres, comme province, nous acceptons qu'il y ait un gouvernement fédéral avec des attributions précises et qu'eux disent: Nous autres, comme gouvernement fédéral, nous acceptons qu'il y ait des populations dans ce pays, différentes les unes des autres, et qu'il y en ait une, en particulier, au Québec avec ses caractéristiques propres qui a droit, en conséquence, à une reconnaissance pleine et entière de ce qu'elle est et aussi aux pouvoirs, aux attributions qui doivent accompagner cette reconnaissance.

Quatrième observation: II ne peut pas être question, dans mon esprit, d'opposer rigidement le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral comme s'il s'agissait de deux gouvernements étrangers représentant des populations différentes. Ces deux gouvernements tiennent leur légitimité de la même source, c'est-à-dire des électeurs souverains de ce pays, y compris du Québec. Ils comprennent tous les deux des Québécois, des citoyens de cette province démocratiquement élus et légitimement appelés à exercer des responsabilités de gouvernement, chacun dans un ordre différent de compétences. Ils sont tous les deux, qu'on le veuille ou non, porteurs d'aspirations québécoises légitimes dans leur ordre respectif.

Cinquième observation: Si nous voulons faire une oeuvre sérieuse, nous devons tenir compte de l'évolution récente et de l'état actuel de ce pays.

Nous devons porter un diagnostic loyal, objectif sur l'état véritable du pays. C'est bien facile de laisser croire ou de tenter de ressusciter le vieux spectre de la centralisation, mais la réalité concrète, illustrée d'ailleurs par les chiffres, c'est qu'il s'est produit, de fait, au cours des 20 dernières années, une forte montée du pouvoir provincial dans ce pays, en particulier dans les provinces populeuses et dans les provinces qui disposent du minimum de population et de ressources les habilitant à se doter des services dont elles ont besoin. On n'a qu'à examiner l'évolution des budgets des gouvernements, l'évolution des finances publiques au pays depuis 20 ans pour constater que l'évolution s'est faite en faveur d'une plus grande responsabilité concrète des provinces. Deuxièmement, nous sommes tous conscients, je pense bien, que la situation économique du Canada sur le plan international est loin d'être aussi confortable qu'elle a pu l'être à d'autres époques. Elle est aujourd'hui très fragile à plusieurs égards, beaucoup plus exposée qu'elle ne l'était autrefois; il y a de nouveaux défis qui se dessinent à l'horizon et qui obligeront le pays à des ajustements économiques en profondeur.

Troisièmement, l'émergence de la question énergétique a créé de nouveaux défis pour le Canada, a bouleversé la façon traditionnelle de voir les réalités économiques. Elle nous présente des problèmes auxquels nous ne saurions trouver de réponse en invoquant uniquement les schémas ou les slogans traditionnels. Il est bon de vouloir respecter la ligne traditionnelle et je pense que mon parti, de ce point de vue, peut dire avec fierté qu'il a toujours travaillé dans la ligne de la véritable tradition québécoise, mais de là à dire qu'on se contentera de réciter machinalement et littéralement tous les slogans, tous les extraits de documents passés sans les soumettre au test de la confrontation avec les réalités et les défis d'aujourd'hui, il y a une marge que la rigueur intellectuelle la plus élémentaire nous interdirait de franchir.

De même, certaines questions ont beaucoup évolué tant au Canada que sur la scène internationale au cours des 20 dernières années. Prétendre les aborder avec la même problématique que celle dont on se servait au début des années soixante ou à la fin des années cinquante, ce serait, je pense, se condamner au départ à l'échec ou à la stagnation. Je mentionne à titre d'exemple la question des droits linguistiques. Il s'est produit une évolution considérable à ce sujet au cours des 20 dernières années. Au plan fédéral, on a adopté la Loi sur les langues officielles qui, quoi qu'on en dise, a produit des résultats considérables et est considérée par un grand nombre de pays faisant face au même problème que le nôtre comme un modèle d'équilibre, de clarté et de sagesse. Beaucoup de provinces ont adopté au cours des dernières années des mesures plus libérales en faveur des droits linguistiques de la minorité francophone. Nous-mêmes avons connu, au Québec, une évolution discutable à bien des points de vue, mais dont plusieurs éléments ont fait l'objet d'un accord entre la plupart d'entre nous.

Il faudrait tenir compte de tous ces faits; je pourrais en mentionner beaucoup d'autres. Il me semble qu'il est très important que chacun se présente à des conversations comme celles-ci en mettant franchement sur la table la manière dont il perçoit l'évolution qui s'est produite au cours des dernières années et les défis que les années à venir nous présenteront.

Sixième observation: L'essentiel dans le travail de notre commission, c'est que chaque parti exprime franchement et loyalement ses convictions profondes et que l'on recherche d'abord la vérité de chacun avant de poursuivre à tout prix un consensus qui risquerait d'être artificiel.

Je vous le dis tout de suite, M. le Président, la nature même de notre régime parlementaire postule qu'il y ait, de chaque côté de votre auguste personne, des partis qui soutiennent des thèses différentes, et plus ces thèses sont vigoureusement opposées, mieux c'est, en principe, pour l'équilibre de la démocratie et pour le progrès véritable des idées et de la santé du corps politique. Je veux vous dire que nous n'aurions pas oublié ces fondements absolument essentiels de notre régime pour le seul plaisir de nous retrouver ici, au milieu du mois d'août, en votre très agréable compagnie.

Si, sur certains points, nous sommes de l'avis du gouvernement, nous ne chercherons pas de chicane pour le plaisir de dire que nous ne voudrions sur aucun sujet avoir quoi que ce soit en commun avec le gouvernement. Au contraire, nous dirons: Sur ce point, voici notre position: nous pensons comme l'Union Nationale ou comme le gouvernement. Nous n'avons pas d'objection à ça du tout, mais je vous dis au départ qu'il y a des obstacles considérables, que vous connaissez comme moi, et sur lesquels il faudra que nous nous arrêtions en toute liberté et en toute franchise.

Le chef du gouvernement, dans une déclaration qu'il faisait le 9 juin, lors de la première rencontre de la présente ronde de pourparlers constitutionnels, a souligné trois éléments sur lesquels le gouvernement actuel du Québec entendra insister au cours des pourparlers: d'abord l'inscription, dans la future constitution, du droit du Québec à l'autodétermination; deuxièmement l'égalité des deux nations qui formeraient ce pays suivant la thèse gouvernementale et, troisièmement, la reconnaissance que l'on devra accorder au caractère particulier, distinctif ou spécifique du Québec dans l'ensemble canadien.

Avec votre permission, et pour ne pas prendre trop de temps à ce moment-ci, je réserverai mes observations sur chacun de ces trois points pour le stade de nos discussions où nous aborderons le préambule. Cela fait partie des priorités suggérées tantôt par le ministre des Affaires intergouvernementales. Je m'en tiendrai, par conséquent, à souligner que, sur chacun de ces trois points, nous aurons des choses précises à communiquer à cette Assemblée.

Huitième observation: J'ai lu avec beaucoup d'attention, évidemment, et de respect les textes déposés par le gouvernement du Québec à la table

des présentes conversations. Je félicite le gouvernement et, en particulier, le ministre des Affaires intergouvernementales d'avoir, dans cette ronde-ci, déposé des textes écrits, ce qui ne m'avait pas semblé être le cas au cours de la ronde précédente. En tout cas, si on en avait déposé, on ne les a pas communiqués publiquement. Cette fois-ci, on a déposé peut-être une douzaine de textes, je n'en ai pas fait le compte. Nous en avons eu connaissance. J'aurais aimé qu'ils nous fussent communiqués, à nous de l'Opposition, peut-être à mesure; cela aurait été encore mieux parce que les journalistes nous interrogeaient quand vous sortiez des réunions à Vancouver ou à Toronto. C'était très difficile pour nous d'exprimer des opinions, comme nous n'avions pas les textes qui avaient été déposés sur la table. Ces jours-ci on a corrigé tout ça. Je tiens à souligner cependant que certains textes n'ont été portés à notre connaissance qu'hier, en particulier le texte qui porte sur les droits fondamentaux. Je n'avais pas connaissance qu'il avait été communiqué; il n'était pas parmi ceux qui m'avaient été transmis il y a quelques jours. Mais, de toute manière, j'apprécie l'effort qui a été fait par le gouvernement pour nous tenir informés et je pense que la ligne qui a été suivie de ce côté en est une très défendable.

A lire tous ces textes, cependant, j'ai l'impression qu'en filigrane on retrouve beaucoup d'oppositions fondamentales entre les deux conceptions qui se sont affrontées à l'occasion du référendum. Je ne mets pas en doute les intentions du gouvernement. J'ai évoqué tantôt mon malaise structural qui est évident. Ce n'est pas facile, quand on a comme conviction profonde l'option souverainiste, de changer de chapeau ou de vêtement et de dire: On s'en va à une conférence et là, on participe loyalement à la reconstruction d'un régime fédéral canadien. (11 h 15)

J'ai l'impression qu'en filigrane dans plusieurs documents on retrouve la vision confédéralisante des choses qui a été mise de l'avant, en particulier, par notre distingué secrétaire dans un volume que j'ai lu avec intérêt et qui a été mise de l'avant évidemment par le gouvernement actuel à l'occasion du référendum, qui a été rejetée par la population. Je vous donne seulement un exemple: le texte sur les richesses naturelles. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Je pense qu'un gouvernement qui aurait eu un oui au référendum aurait pu défendre à peu près le même texte à une conférence sur la souveraineté-association, cela n'aurait pas changé grand-chose. Je ne pense pas qu'un pays pourrait fonctionner si on devait marcher sur la base d'un texte aussi rigidement conçu que celui-là. Mais nous en discuterons quand nous arriverons à cet article dont je crois constater que vous ne l'avez pas inscrit dans vos priorités d'ailleurs.

M. Morin (Louis-Hébert): On en reparlera.

M. Ryan: C'est un thème absolument fondamental que nous aimerions beaucoup discuter ici.

De l'autre côté, une vision franchement fédéraliste, dont je vous donnerai les articulations essentielles tantôt en conclusion; je crois qu'on retrouve cela, c'est inévitable. C'est à nous de le déceler, c'est à nous de l'indiquer et c'est à vous, le gouvernement, vu le verdict rendu par le peuple le 20 mai dernier, d'essayer de redresser vos voies de manière que ce soit plus conforme à la volonté populaire.

J'ai entendu souvent, du côté du gouvernement, un argument facile qui dit: Nous sommes bien placés; comme nous voulons le plus, nous sommes mieux placés pour exiger ou obtenir le moins. C'est une perspective très sophiste. C'est un sophisme de mauvais goût qui est agréable à entendre cependant, mais qui ne trompe personne. Ce sont deux conceptions fondamentalement différentes. On n'aurait pas eu de référendum si cela avait été seulement une question de plus ou de moins. Le référendum a porté sur la nature même du régime politique que nous voulons. Ce n'est pas en voulant l'indépendance qu'on est mieux placé pour construire un véritable régime fédéral, surtout suivant les deux volets que j'ai indiqués. J'aime beaucoup la manière humoristique dont le sophisme est présenté. Je vous préviens qu'il n'a aucune espèce d'atteinte sur mon esprit.

Autre point: impression générale sur les travaux qui ont été accomplis en juin et juillet. J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les opinions qui nous ont été communiquées tantôt par le ministre des Affaires intergouvernementales, qui a évidemment sur nous l'avantage d'avoir été présent à toutes les phases des discussions et dont nous devons a priori accepter le témoignage. Je dois rendre au ministre un témoignage. Je l'ai critiqué souvent dans le passé, avec raison, je pense bien...

M. Morin (Louis-Hébert): Cela dépend.

M. Ryan: ... quand il ne voulait pas nous donner les documents. Quand il nous les donne, on le félicite. Je dois dire que j'ai vu le résumé que vous nous avez donné des différentes étapes de la révision constitutionnelle au cours des dernières années et, sauf quelques lignes ici ou là dont je discuterais l'interprétation, dans l'ensemble, je trouve que c'est un résumé honnête et très utile, que je ne remettrai pas en question, à savoir celui que vous avez distribué ces jours derniers. Je crois, sur la base de renseignements qui me sont parvenus d'autres sources — parce que la liberté de communication existe toujours dans ce pays, d'une province à l'autre — que le résumé des faits que vous avez donné à la fois dans les documents que vous nous avez remis que dans ce que vous avez dit ce matin est exact également. Je n'aurai pas de procès d'intention à instituer de ce côté; je m'en félicite d'ailleurs. Je pense que cela forme déjà une base de travail très intéressante.

Quant à mon impression sur les travaux de juin et juillet, de manière générale, en ce qui touche le préambule, je voudrais dire tout de suite ceci, ce que j'ai dit à quelques reprises depuis le

début des pourparlers, que je voudrais exprimer de manière encore plus claire si c'est possible. Ce qui est essentiel, à ce stade-ci du travail, c'est que les gouvernements, appuyés par leur Législature ou Parlement respectif, s'entendent sur les objectifs fondamentaux de la réforme et des principes directeurs dont elle devra s'inspirer. La question du préambule, il me semble, pourrait être abordée plus tard, quand on saura ce qu'on va mettre dans la constitution, si jamais nous devons en avoir une. Quand nous aurons fait des accords précis sur le partage des pouvoirs et la structuration des institutions fédérales, en particulier, il sera beaucoup plus facile de rédiger un préambule d'une ou de deux pages qui résumera tout l'essentiel de l'oeuvre accomplie.

Il me semble qu'à ce stade-ci ce qui serait beaucoup plus important, ce serait que les gouvernements s'entendent sur un certain nombre de principes directeurs, d'objectifs fondamentaux à la lumière desquels on poursuivra le travail. Je veux vous dire que nous sommes intéressés à collaborer à la préparation d'un tel document. Je vous dirai tantôt comment nous le concevons de notre côté. Il me semble qu'il y aurait des possibilités d'accords en ce qui touche les points particuliers, sur des sujets comme la péréquation, le droit de la famille, en ce qui touche mon parti sur les droits fondamentaux et les droits linguistiques. Il y aurait sûrement des possibilités d'accords.

J'ai été étonné de constater tantôt que le ministre des Affaires intergouvernementales n'a pas inscrit la Cour suprême parmi les sujets prioritaires. J'avais cru comprendre que c'est l'un des sujets sur lesquels on aurait fait des progrès importants. J'aimerais suggérer que vous l'ajoutiez à votre liste de sujets prioritaires. Il me semble que ce sont des sujets sur lesquels il y a des possibilités en tout cas d'exploration constructive d'ici la rencontre du 9 septembre.

Les sujets reliés au partage des pouvoirs me semblent beaucoup plus problématiques. Le partage des pouvoirs économiques a été abordé explicitement pour la première fois au cours de la ronde de juillet. Il est évident que les documents déposés à la table par le gouvernement fédéral, y compris au premier chef les projets d'amendements concernant 91.2, la clause constitutionnelle donnant au Parlement fédéral la compétence en matière de commerce, et 121, la clause constitutionnelle régissant la libre circulation des marchandises, ne sont pas acceptables dans leur formulation actuelle. Je ne crois pas qu'il suffise de dire qu'ils ne sont pas acceptables.

Nous autres, de notre côté, nous considérons qu'ils évoquent des problèmes réels attenant au fonctionnement actuel de la fédération canadienne et que le moins que nous pourrions faire ensemble serait d'examiner si des possibilités d'amélioration peuvent être trouvées de ce côté-là. Je vous signale à ce sujet que nous, du Parti libéral du Québec, voyons d'un oeil très sympathique les passages que le rapport de la commission Pepin-Robarts consacrait à cette question. La commission Pepin-Robarts a fait des suggestions qui étaient à mon point de vue, inspirées du bon sens le plus élémentaire. Avant de me lancer dans une guerre de mots contre le gouvernement fédéral, j'aimerais demander au gouvernement actuel du Québec s'il serait intéressé à discuter de cette question à partir des passages contenus dans les pages 64 et 65 du rapport Pepin-Robarts.

En ce qui touche les richesses naturelles, j'ai indiqué tantôt que nous serions très intéressés à des échanges de vues francs et loyaux avec le gouvernement à ce sujet. Il y a le sujet des communications également sur lequel, à mon regret, on ne semble pas avoir fait de progrès véritable. Je pense qu'il y aura lieu d'y revenir pour voir dans quelle mesure il y a certains éléments d'accords qui peuvent être trouvés entre nos partis respectifs. Je ne pense pas que ce soit une question à partir de laquelle nous sommes exactement à zéro.

Dernière observation à caractère général, M. le Président: Je voudrais rappeler, en terminant cette partie de mon exposé, comment nous concevons, pour notre part, les objectifs et les grands principes qui devraient guider le fonctionnement de la fédération canadienne dans l'avenir. Nous avons déjà exposé ces principes et objectifs dans des résolutions adoptées lors du congrès général de notre parti qui traitait de l'orientation constitutionnelle du Parti libéral du Québec et d'un conseil général qui a suivi. Je vais les rappeler brièvement parce que je veux absolument qu'ils fassent partie du dossier explicite de cette rencontre historique que nous avons aujourd'hui et demain. "La réforme constitutionnelle assurera la primauté juridique des droits et libertés fondamentaux de la personne dans le système politique canadien. Ces droits et libertés seront garantis dans la constitution elle-même. "La nouvelle constitution affirmera l'égalité foncière des deux peuples fondateurs et des deux communautés linguistiques qui ont donné et donnent encore à ce pays sa place originale dans la famille des peuples. Cette dualité foncière se réalisera par la proclamation dans la constitution de certains droits linguistiques fondamentaux qui devront être assurés également aux francophones et aux anglophones à travers tout le pays par l'affirmation du caractère bilingue des institutions fédérales et par l'octroi au Québec des garanties propres à faciliter la protection et l'affirmation de sa personnalité distincte. Ces garanties ne devront pas se confiner étroitement au seul champ de la politique culturelle. Elles ne devront pas, par contre, contredire le principe suivant lequel tous les partenaires doivent être fondamentalement égaux au sein de la Confédération. "La constitution reconnaîtra les droits fondamentaux des peuples qui ont été les premiers habitants de ce pays. Elle affirmera la richesse des patrimoines culturels régionaux et la volonté du pays de les préserver et de les développer. Elle affirmera la richesse de l'apport culturel, économique et social fourni par les groupes ethniques. Elle affirmera le droit de ceux-ci à la préservation et à

l'épanouissement de leur héritage propre, ainsi qu'à une pleine participation à la vie et aux institutions publiques. "La constitution visera à assurer l'égalité des chances pour les individus, les provinces et les régions dans l'accès au développement économique et culturel. La constitution maintiendra au Canada un système fédéral de gouvernement dont l'esprit tient à la solidarité, au partage de valeurs communes, à la collaboration, au souci d'assurer la liberté de la personne, au respect de la diversité, à la recherche de l'équilibre, à la volonté de rapprocher les services publics des citoyens et dont les éléments principaux sont, d'abord: a) l'existence de deux ordres de gouvernement, chacun étant souverain dans son ordre de compétences et tous deux tirant leur légitimité et leur autorité du suffrage direct et universel; b) une union économique permettant la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux à travers tout le territoire; c) un système de lois garantissant l'égalité fondamentale des personnes entre elles et devant les corps publics; d) un système d'arbitrage des litiges constitutionnels accepté de tous les partenaires et qui tienne compte de la dualité fondamentale de la population et du caractère particulier du Québec au regard des institutions juridiques; e) la mise en place de mécanismes intergouvernementaux permettant d'aménager la collaboration et la participation des provinces au gouvernement de la fédération; f) l'existence d'éléments symboliques avec lesquels tous les citoyens de toutes les régions et de toute origine ethnique pourront véritablement s'identifier, tels le chef d'Etat, le drapeau, l'hymne national et les noms d'organismes gouvernementaux. "La constitution assurera de plus l'existence de gouvernements provinciaux qui soient, sur leur territoire respectif, les premiers responsables du développement de leurs ressources physiques et humaines. Le Québec aura, en particulier, les attributions nécessaires à la protection et à l'épanouissement de son patrimoine culturel français. Les fonctions majeures de ces gouvernements provinciaux comprendront toutes celles qui ne sont pas incompatibles avec la préservation d'un marché commun canadien et toutes celles qui sont essentielles à la préservation des caractéristiques propres de leur population et de leur territoire; plus particulièrement, les provinces s'occuperont de la prise en charge des ressources naturelles, de l'aménagement du territoire, du commerce local et provincial, du développement économique à l'intérieur de la province, de l'éducation, de la culture, des services sociaux et sanitaires, de l'administration de la justice, des régimes d'assurance sociale y compris le prolongement international de ces compétences sous réserve de certaines compétences fédérales précisées. "La constitution assurera en outre l'existence continue d'un pouvoir central capable de faire face aux défis nouveaux, tant au plan interne qu'au plan externe. Les tâches majeures de ce gouvernement seront celles de gérer l'espace économique commun, d'assurer la bonne marche de politiques nationales dans le domaine de l'industrie et du commerce, d'assurer une redistribution raisonnable de la richesse entre les provinces et entre les individus et d'agir au nom de tout le pays dans les affaires reliées à la poursuite de la paix et à la défense du territoire. "La constitution établira enfin un partage clair et exhaustif des responsabilités législatives et fiscales entre les deux ordres du gouvernement. Elle éliminera la subordination d'un palier de gouvernement à un autre. Elle encadrera les pouvoirs fédéraux généraux qui se prêtent aux interventions dans des matières de compétence provinciale. Le partage des pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement sera fondé sur le double principe de l'égalité et de la souveraineté de chaque ordre de gouvernement dans son champ de compétences."

Avant de terminer, je voudrais faire quelques observations sur le processus de la révision constitutionnelle. Il me semble que cela fera suite à certaines observations que nous avons entendues tout à l'heure de la part du ministre des Affaires intergouvernementales. J'ai cinq ou six observations à faire ici, M. le Président, et je vais les formuler de la manière la plus concise possible.

D'abord, il nous semble qu'il faut aborder la réforme avec un sens certain de l'urgente gravité de l'entreprise, mais sans esprit de précipitation. La réforme sera inévitablement une oeuvre de longue haleine. Je l'ai dit souvent depuis le tout début de cette nouvelle ronde de négociations et j'ai entendu le ministre des Affaires intergouvernementales parler dans le même sens ce matin. Je crois que la réforme ne pourra progresser, quoi qu'il en soit, que dans la mesure où il y aura un consensus véritable entre les gouvernements intéressés. Il n'est pas question, par conséquent, de faire des transactions à la petite semaine ou des concessions pour faire plaisir à qui que ce soit. Pas de progrès possible sans qu'il y ait consensus véritable entre les gouvernements intéressés.

Deuxièmement, nous avons soutenu pendant longtemps au Québec qu'il fallait que tout soit consommé, que tout ait été arrêté et convenu pour qu'il soit question d'opération comme l'adoption d'une formule d'amendement ou encore le rapatriement de la constitution. (11 h 30)

II n'est pas nécessaire, à mon point de vue, de tout geler, de tout immobiliser jusqu'au terme absolu de l'opération; sans quoi, on s'exposerait à des nouvelles frustrations. Moi, j'essaie de comprendre les deux points de vue dans cette discussion. J'ai entendu le point de vue qui a été exprimé également par le gouvernement fédéral et il me semble qu'étant donné la nature de notre régime nous devons accepter un fait. Si des accords surviennent sur un nombre suffisant de sujets, que cela vaille la peine de parler d'accords... Si on s'entend sur une déclaration sur la péréquation, je

pense que cela ne change pas grand-chose à l'ordre qui existe actuellement et ce n'est pas moi qui partirai en peur pour aller faire un pèlerinage où que ce soit seulement pour enchâsser un texte comme celui-là dans une constitution. A supposer que nous pourrions en venir à ua accord sur un nombre intéressant de questions, il me semble que nous devons accepter qu'il y aurait un risque, si nous n'incorporions pas ces accords dans le texte de la constitution, avec tous les changements de gouvernement qui surviennent sans cesse et un fonctionnement concret, quotidien du régime fédéral, que ces accords soient remis en question six mois ou un an après et qu'on soit toujours à recommencer à partir de zéro comme si jamais rien n'avait été fait auparavant. C'est un des éléments qui inspirent la position du gouvernement libéral et moi je suis disposé, je vous le dis franchement, à l'examiner loyalement.

Maintenant, en ce qui touche l'objectif de la réforme globale et en profondeur, notre position demeure exactement la même. Nous pensons que nous n'aurons vraiment un document constitutionnel satisfaisant pour le Québec et le Canada que lorsque nous aurons un document complètement refait. Maintenant, il peut arriver que cela nous prenne trois ans, quatre ans ou cinq ans; il n'y a personne qui peut dire avec certitude que cela peut se faire dans six mois. Il n'y a personne surtout qui devrait avoir assez de culot pour dire que, si ce n'est pas fait dans six mois, ce sera un échec définitif, qu'il faudra fermer la page et passer à autre chose. Ce n'est pas comme cela qu'évoluent les grands pays, qu'évoluent des régimes aussi complexes que celui qui nous gouverne.

En ce qui touche le cheminement proposé par le premier ministre fédéral, c'est-à-dire la distinction qu'a évoquée tantôt le ministre des Affaires intergouvernementales entre ce qu'on appelle le "people's package" et le "package" qui regarderait plutôt les gouvernements, je pense que nous sommes d'accord assez facilement pour considérer que cela procède d'une distinction plutôt artificielle. Il est difficile de dire si ceci regarde uniquement les gouvernements ou si ceci regarde uniquement les citoyens. Les gouvernements existent pour les citoyens par la volonté des citoyens. Les citoyens ne peuvent pas être libres et ne peuvent pas être prospères s'il n'y a pas de gouvernements pour favoriser l'éclosion des libertés et le développement de la prospérité. Je comprendrais que nous ne nous laissions pas emprisonner rigidement dans ces catégories logiques, qui sont attrayantes à première vue, mais dont le contenu, quand on les examine avec un oeil critique, résiste peut-être un peu moins facilement à l'examen. Là-dessus, beaucoup de souplesse de notre part. Il y a douze sujets à l'ordre du jour. Nous les prendrons l'un après l'autre et sur chacun, nous vous donnerons des opinions franches et loyables.

Troisième élément du processus de la révision: il me semble qu'il faudrait qu'une règle de décision soit clairement définie et acceptée au départ des travaux. Là, on est un peu comme un patineur qui s'en va sur la glace sans savoir où il se destine, sans savoir comment cela va finir et quelle sorte d'arbitrage interviendra à un stade d'ailleurs indéfini des procédures. Il me semble que, si on transige entre gouvernements adultes, il faudrait qu'au départ on s'entende sur une règle de décision qui pourrait être l'une ou l'autre des deux suivantes: soit l'unanimité des gouvernements, soit encore une formule d'amendement à laquelle on pourrait consentir moralement et qu'on mettrait à l'essai pour les fins de cet exercice de discussion constitutionnelle sans que cela engage les gouvernements pour la suite. Ce sont des choses qui pourraient être discutées.

Il me semble qu'on ne peut pas s'en aller dans le vague à l'âme comme actuellement avec, suspendu au-dessus de nos têtes, un danger dont je vais parler tout de suite, et j'en viens au quatrième point: la question du rapatriement. Je répète ce matin ce que j'ai affirmé à maintes reprises, qu'il serait peu désirable et même regrettable et inacceptable que le gouvernement fédéral veuille procéder au rapatriement de la constitution de manière unilatérale. D'abord, nous convenons tous qu'il est impossible de rapatrier la constitution sans assortir l'opération d'un mode d'amendement de la constitution.

A ce que nous croyons comprendre d'après des documents qui ont été publiés ces dernières années, il n'y a rien eu de clair de la part du gouvernement fédéral, au cours des dernières semaines, là-dessus. Le dernier projet qu'on avait, c'est celui qui était compris dans le projet de loi sur les référendums. Vous me corrigerez, M. le ministre, si j'erre là-dessus. — J'en reviens à mon point principal: — Si on rapatrie, on serait enclin à définir, du même coup, qu'au moins pour une période temporaire, la règle d'amendement sera la règle de l'unanimité de tout le monde.

Ici, la règle serait imposée unilatéralement par celui qui procéderait au rapatriement. On a cherché, depuis quarante ans, à trouver un accord entre les deux ordres de gouvernement sur une formule d'amendement. On est assez près, je crois, d'en trouver une; je ne pense pas que les différences étaient absolument fondamentales. Il me semble qu'en cherchant encore on est assez proche d'une solution. Ce n'est pas le moment, à mon point de vue, pour un ordre de gouvernement, surtout le gouvernement fédéral qui doit être exemplaire en matière de respect non seulement de la lettre de la constitution, mais de toutes les procédures afférentes à l'esprit fédéral, d'envisager une telle démarche.

Cela dit, notre position serait la suivante: le rapatriement et la formule d'amendement pourraient intervenir au moment et suivant les modalités jugées convenables par les divers gouvernements concernés. Si les gouvernements, voyant que les choses fonctionnent bien et progressent sérieusement, devaient estimer, à un certain stade des procédures, que ça pourrait être une bonne chose de procéder à l'adoption d'une formule d'amendement et, ensuite ou simultanément, au rapatriement de la constitution, je pense que c'est une perspective qu'on ne devrait pas exclure.

J'ose espérer que, de la part du gouvernement actuel, il y aura une certaine ouverture de ce côté, parce qu'encore une fois "la lettre tue et l'esprit vivifie".

Autre observation sur la publicité. On a parlé tantôt du programme de publicité mis de l'avant ou annoncé par le gouvernement fédéral en vue de la conférence ou autour de la conférence constitutionnelle de septembre. Je voudrais rappeler brièvement la philosophie que j'ai exposée à l'Assemblée nationale, à plusieurs reprises, sur cette question, autant à l'intention du gouvernement actuel, qui est loin d'avoir été exempt de tout péché en ce domaine, que des autres gouvernements, mais tout en étant conscient que ma responsabilité première est en tant que législateur faisant partie de l'Assemblée nationale du Québec.

Il me semble que les programmes d'information mis en oeuvre par les gouvernements devraient porter strictement sur des fins d'information objective des citoyens ou sur des fins de caractère utile dans des matières comme le commerce, la santé, la sécurité du public, la conservation de l'énergie — elle peut faire partie de ce genre de fins qu'un gouvernement peut vouloir promouvoir à l'aide de programmes d'information bien faits — la sécurité routière, etc. Je pense que, quand on entre dans les grandes questions de politique constitutionnelle, il appartient à chaque formation politique de faire son lit, d'assumer ses responsabilités et, surtout, d'éviter de donner l'impression qu'elle se sert des fonds publics pour servir ou mettre de l'avant une conception aux dépens de l'autre.

En ce qui touche le programme précis mis de l'avant par le gouvernement fédéral, il me semble que la responsabilité première d'en faire la critique incombe aux partis fédéraux dont c'est la fonction de faire le travail d'opposition, comme nous le faisons dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. Je pense que les principes que j'ai énoncés de ce côté sont parfaitement clairs pour toute personne qui est capable de comprendre l'A B C d'une déclaration simple.

Au sujet de nos travaux — je termine là-dessus, M. le Président — j'ai mentionné tantôt qu'il y a quelques sujets que je voudrais voir ajouter à la liste des sujets prioritaires. J'ai parlé de la Cour suprême, j'ai parlé des richesses naturelles; je crois comprendre que, dans la déclaration des droits, vous incluez les droits linguistiques. Je termine là-dessus et j'espère que les travaux de la commission pourront se poursuivre dans un esprit constructif.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le chef de l'Union Nationale.

M. Michel Le Moignan

M. Le Moignan: Merci, M. le Président. Tout le monde s'en souvient très bien, le 20 mai au soir, le résultat du référendum étant connu, ici même à Québec, face à l'enthousiasme délirant — et je comprends très bien les partians du non qui célé- braient une grande victoire — j'avais dit que le problème constitutionnel n'était pas résolu pour autant, mais que, au contraire, dans les semaines et les mois à venir, non seulement le gouvernement, mais aussi les partis d'Opposition auraient à se rencontrer. J'avais émis le voeu, à ce moment-là, qu'une commission parlementaire puisse se réunir dès cet été. D'ailleurs, je suis revenu à la charge à l'Assemblée nationale et même en commission parlementaire et je suis bien content de voir que nous sommes réunis ce matin, au-delà peut-être de nos divergences, de tout ce qui peut nous séparer sur le terrain politique. Je pense que, des fois, il y a des moments dans la vie où il est peut-être bon d'oublier un peu ces choses-là. Comme le leader de l'Opposition officielle l'a mentionné tout à l'heure, en bonne démocratie, il faut que des thèses différentes s'affrontent, c'est tout à fait normal, c'est tout à fait logique. Mais il reste que parfois, aussi, il faut essayer, dans le moment présent, comme Québécois, de nous réunir autour d'une même table et d'essayer de mettre en commun surtout ce qui peut nous unir.

Je sais qu'au point de vue constitutionnel, puisque c'est un élément qui nous tient tous à coeur — et, d'ailleurs, c'est ce qui va déterminer l'ensemble de tout le processus, les douze points ou les autres points qu'on pourra ajouter — il faut partir du début, il faut partir de la base. On sait très bien que l'Union Nationale a toujours conçu la révision constitutionnelle comme une oeuvre globale et elle a constamment refusé que le Québec engage des discussions en pièces détachées. Autrement dit, on a toujours été contre le rapiéçage; ça remonte à Daniel Johnson qui avait, à ce moment-là, cette vision globale.

Evidemment, c'est bien difficile de ne pas le mentionner étant donné que nous sommes des partis d'Opposition face à un parti qui a une vision tout à fait différente de la nôtre de l'avenir du Québec et de l'avenir du Canada. S'il y a deux conceptions qui se font face dans le moment, s'il y a deux visions du Canada, s'il y a deux méthodes d'administrer ce pays, il reste un point, c'est que, pour nous — et nous l'avons prôné assez longtemps — le fédéralisme demeurait encore, à notre point de vue, le meilleur outil pour réaliser ici l'harmonie et l'entente entre les deux communautés culturelles et linguistiques qui ont contribué à bâtir le Canada.

On sait très bien qu'il y a deux ordres de gouvernement et ce que nous voudrions peut-être dire au départ — j'aurai l'occasion d'ailleurs d'en parler au cours de l'étude des différents points que le ministre nous a soumis — c'est que dans les deux ordres de gouvernement que nous voulons accepter, à condition que chacun aussi soit souverain dans sa sphère de juridiction, nous allons parler du partage des pouvoirs. On a mentionné tout à l'heure la possibilité aussi d'éliminer les chevauchements de juridiction; il reste qu'il va falloir s'entendre sur les pouvoirs résiduai-res, ceux qui sont dévolus strictement au gouvernement fédéral et ceux qui, normalement, devraient revenir aux provinces.

En sommes, je pense qu'il y a beaucoup de points là et si nous pouvons nous entendre avec la proposition du ministre... D'ailleurs, nous avions, nous aussi, une motion que je n'ai pas l'intention de déposer, mais qui rejoignait aussi des priorités sur lesquelles nous aurions aimé nous entendre avec tous les membres qui sont ici. Nous avions, en premier lieu, cette déclaration de principes que je considère comme essentielle si on veut aborder l'aspect global avant d'entrer dans chacun des douze points qui ont chacun leur importance. D'ailleurs, on sait que les douze points ont été soumis par le gouvernement du Canada et j'avais prévenu le ministre, en commission parlementaire, au début du mois de juin, de cette campagne de publicité sur laquelle je voudrais revenir tout à l'heure et aussi peut-être sur les points que le gouvernement fédéral devrait nous soumettre sans tenir compte de la position des provinces.

J'avais aussi demandé au ministre, à l'Assemblée nationale, que le Québec assume son rôle de leadership comme il l'avait fait dans le passé, que le Québec arrive là-bas aussi avec des propositions concrètes. Je sais qu'à ce moment-là on nous disait que la balle était dans le camp du fédéral. Alors, aujourd'hui, peut-être qu'on réalise aussi que la balle est dans le camp des provinces et que, d'ici au 12 septembre, les provinces, et surtout le Québec, auront à oeuvrer de façon ferme si on veut vraiment que le Québec puisse faire entendre sa voix. (11 h 45)

Quand nous avons demandé cette commission parlementaire, quand nous avons parlé d'un consensus, je pense qu'on le trouve dans le mandat de la commission ce matin, c'est pour avoir une position commune sur des points qui nous sont essentiels si on veut vraiment que le Québec se rende à la table des négociations avec cette certitude que le reste du Canada va nous écouter. Si on ne s'entend pas, nous, à cette commission... Je ne parle pas des points de l'Union Natioanle; à Montréal, samedi dernier, à une conférence de presse, j'ai soumis neuf points. Cela pourrait être sept, ça pourrait être douze, ça pourrait être vingt-deux. Le Parti libéral a des points à soumettre. Le gouvernement a peut-être d'autres points également et, évidemment, il ne s'agit pas de faire l'entente. Mais il faudrait que, sur des points essentiels, comme la déclaration de principes, le rapatriement et la formule d'amendement, la charte des droits, les pouvoirs qui touchent l'économie, nous ayons ces quatre points, nous aussi, en priorité. Le ministre ajoutait ce matin la péréquation, mais nous l'avions au no 9. Ce n'est pas tellement grave, parce que nous avions les richesses naturelles en cinquième lieu.

Mais, tout de même, quand nous aurons déblayé le terrain et si nous faisons l'accord au moins sur certains grands principes, j'ai bien l'impression que ceci va prendre une partie de la journée. Ensuite, ayant examiné ces points au départ, en cours de route, j'espère que nous aurons aussi le temps d'aborder les différents points pour que le ministre puisse faire des suggestions à Ottawa qui sont nécessairement d'ordre pratique, car il est tout à fait indispensable que la voix du Québec se fasse entendre dans ce domaine.

C'est le but qui a guidé l'Union Nationale en demandant la commission parlementaire. Nous nous sommes dit: II doit y avoir un moyen, entre parlementaires, de nous entendre sur le genre de Québec et sur le genre de Canada que l'on aimerait bâtir ensemble. C'est pour ça que je disais tout à l'heure qu'il faut avoir un accord sur l'essentiel. Il faut tout de même qu'on s'entende sur cette vision globale du Canada. C'est pour ça que le ministre a mentionné sa maison. On ne parlera pas de tapisserie, des couleurs du tapis, du genre de fenêtres, mais je pense qu'avant de regarder la dimension des appartements il faut regarder l'essentiel qui est la solidité des fondations. On ne peut pas construire, comme on le dit dans l'évangile, une maison sur le sable. Si on construit sur le sable... Mais, si on a des fondations solides, si on s'entend sur des principes de base, je crois que ce sera plus facile et pour nous ici, aujourd'hui et demain, et pour les premiers ministres à Ottawa ou ailleurs, de peut-être s'entendre aussi sur les autres aspects — je ne dis pas qu'ils ne sont pas importants — qui découlent tout de même ou qui se rattachent aux quatre grands principes qui ont été énumérés tout à l'heure.

On a lu tellement d'articles depuis les derniers mois, les dernières semaines. C'est en même temps l'opinion d'un politicologue bien connu, Léon Dion, qui affirme: "II faut admettre que la déclaration de principes montre bien, en effet, qu'avant de s'engager dans des discussions détaillées relatives aux institutions centrales ou à la séparation des pouvoirs il va falloir procéder à de nombreuses clarifications quant aux objectifs fondamentaux de la refonte constitutionnelle et aux concepts de base." Je crois que, si on passe à côté de cela, ce n'est pas beaucoup utile d'aller discuter de la Cour suprême ou des ressources au large des côtes ou encore des droits de la famille, si les premiers points sont escamotés.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, si on conçoit, nous, la révision constitutionnelle comme une oeuvre globale, c'est dans une tradition politique qui remonte déjà à quinze ans. On remonte déjà à Daniel Johnson. Il suffit de relire ses textes et de voir ensuite comment, depuis ce temps-là, les gouvernements ont essayé d'influencer Ottawa. On sait qu'il y a eu beaucoup de déclarations de principes. Mais il n'y a peut-être pas eu assez, par exemple, de suggestions concrètes et de suggestions pratiques. C'est peut-être pour ça qu'on a tellement tourné en rond. Le fédéral n'a jamais tenu tellement compte des suggestions des provinces. Mais le moment est peut-être venu où, pour une fois, le fédéral devrait tenir compte non seulement des suggestions du Québec, mais, comme on l'a vu tout à l'heure dans un résumé, dans le magnifique travail qui nous a été déposé, des positions relatives des autres provinces qui souvent font corps, font l'unanimité avec Québec sur des points qui nous sont chers, des points pour lesquels notre formation politique lutte déjà depuis presque l'époque de Maurice Duplessis.

Je sais très bien que si, aujourd'hui, plusieurs formations politiques sont réunies, c'est que dans nos programmes on a souvent des points en commun. Souvent, il y a la terminologie qui peut différer. Ce qui nous sépare aussi d'Ottawa, c'est quand on parle de nation, de peuple, de collectivité, de communauté et d'ethnie. Ce sont des points qui risquent d'ouvrir la porte souvent à de longues discussions qui, en somme, n'aboutissent pas à grand-chose de concret et qui sont peut-être pour nous une occasion de perte de temps. Mais il y a un point, je pense, sur lequel l'Union Nationale a insisté. Nous parlons de deux peuples fondateurs; d'autres groupes parlent de deux communautés nationales distinctes. En somme, on sait ce qu'on veut. On sait qu'on est d'accord. On sait aussi qu'il y a au Canada deux peuples fondateurs et tout le processus de la révision constitutionnelle doit faire en sorte que le Québec puisse sortir de ces discussions avec cette conviction que nos droits, tout ce qui est sacré chez nous, tout ce qui est fondamental, sont respectés sur toute l'échelle, sur toute la ligne.

Il serait bien important qu'on puisse aller au fond des choses, qu'on essaie de dégager un consensus québécois qui colle un peu à notre peau, à notre façon de vivre en terre d'Amérique. Quand on parle de la possibilité d'une position commune de l'Assemblée nationale du Québec, je pense que ce n'est pas seulement un voeu pieux; c'est le mandat qui nous est confié ce matin et c'est dans ce sens que nous aimerions pouvoir travailler aujourd'hui. Il faut bien appeler les choses par leur nom. Il ne faut pas essayer de les détourner, ces choses-là, et il ne faut pas non plus prendre nos rêves pour des réalités. Il faut se dire que là-bas il y a le Canada qui a sa vision. Il y a M. Trudeau qui a sa propre idée de la constitution. Il y a d'autres provinces également qui ne vibrent pas, qui n'ont pas les mêmes cordes sensibles que nous, qui vont peut-être vouloir placer l'accent sur l'économie, sur l'énergie et sur les transports, mais il reste qu'il y a beaucoup de points où il semble qu'il y ait déjà un accord de principe qui est presque établi. Je comprends très bien qu'on ait mis à la fin de la liste quatre ou cinq points où l'unanimité pourrait se faire de façon beaucoup plus facile que sur les points qui ont été inscrits au début. C'est la raison pour laquelle nous appuyons le gouvernement ici. Ces points-là sont nôtres déjà depuis une quinzaine d'années et nous n'avons pas l'intention de changer d'idée à ce moment-ci.

On a fait état — des journaux en font état, on va peut-être en parler en commission — de la position du gouvernement. Même quand le ministre nous dit que la crédibilité de son gouvernement n'a pas été influencée et n'a pas influencé son comportement avec nos partenaires à la table des négociations, on sait très bien aussi que le gouvernement est dans une situation peut-être un peu cocasse. Le gouvernement le sait. Il est le premier à l'admettre. Personnellement, je n'insisterai pas tellement sur le point de la légitimité. Après le résultat du référendum, alors que 60% des Québécois ont dit non à la souveraineté- association, le gouvernement s'est engagé à livrer le combat pour une nouvelle constitution canadienne. Je me dis alors que nous pouvons très bien dire au gouvernement: Débrouillez-vous, arrangez-vous avec vos problèmes. Vous avez voulu vous placer dans cette situation.

Mais voici que tous les partis politiques sont ici ce matin pour oublier la réponse référendaire, dans le sens que cela ne va pas selon l'option fondamentale et première qui est le programme du Parti québécois. Il reste tout de même que 60% des Québécois ont manifesté leur intention et — le ministre l'a mentionné tout à l'heure — que le non que nous avons demandé aux Québécois, ce n'était pas un oui au statu quo. A l'Union Nationale, le non a été interprété comme un oui à une véritable révision en profondeur de la constitution canadienne. Je l'ai déclaré pendant le référendum et après coup, mais il reste au fédéral à nous faire la preuve, il reste au Québec également à faire la preuve que le non va signifier un oui. Les prochains jours seront déterminants, les prochaines semaines également.

Si déjà il y avait accord sur certains points, je crois que le processus serait passablement bien engagé. De toute façon, la population québécoise attend de voir se concrétiser le verdict populaire qu'elle a rendu le 20 mai. Je n'insisterai pas sur l'idée de la crédibilité du gouvernement, parce que je me dis qu'aujourd'hui ce n'est pas cela qui est à l'ordre du jour, ce n'est pas tellement de cela dont il faut discuter. Mais, suite au référendum, il faudrait démontrer aux autres provinces canadiennes que la révision constitutionnelle intéresse tous et chacun des membres de l'Assemblée nationale et qu'au-delà de nos différences politiques on voudrait qu'il y ait au moins un consensus. Certains ont dit que c'était rêver en couleur, mais je suis convaincu que, s'il y a un consensus sur trois, quatre, cinq ou six points, ce sera déjà l'amorce d'un travail en profondeur qui pourra certainement se continuer à Winnipeg au mois d'août et plus tard lors de la réunion avec le premier ministre du Canada.

A ce moment historique du Québec, alors que les Québécois se sont majoritairement prononcés en faveur d'un nouveau fédéralisme, il nous apparaît à nous, de l'Union Nationale, qu'il est important que nos partenaires canadiens puissent réaliser quelle sorte de fédéralisme nous désirons au Québec. Qu'on ne nous dise pas: Les Québécois arrivent ici divisés, ils ne savent pas ce qu'ils veulent, ils ne sont pas capables de s'entendre chez eux dans leur propre maison. Quand j'ai parlé de peuple fondateur, qu'on l'appelle comme on voudra, si on a un consensus, c'est un point de départ. On n'est pas juste "one Canada, one nation". Il y a deux nations ici, l'histoire est là. Il y a des efforts des Québécois, il y a aussi des francophones des autres provinces qui luttent à nos côtés afin d'avoir une reconnaissance de leur nationalité et de perpétuer le fait français dans tout le Canada.

Quand on regarde les différents programmes politiques, comme je le disais il y a quelques

instants, on peut se rejoindre sur beaucoup de points indépendamment des petites virgules qui semblent parfois nous séparer. Je l'ai dit, la liste que ious avons soumise, sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir cet après-midi, n'est pas exhaustive. Nous avons mis un certain nombre de principes qui nous semblent fondamentaux et, en même temps, ces principes, que j'aurai l'occasion d'énumérer brièvement, rejoignent aussi d'autres principes. Je voudrais que, en premier lieu, on ne s'éloigne pas d'une déclaration de principes que j'ai déjà demandé au ministre des Affaires intergouvernementales de nous déposer. Je compte sur le ministre également pour revenir sur certains points fondamentaux avant que nous passions, un peu comme on le fait pour un projet de loi, à l'étude article par article.

Je voudrais qu'on regarde au moins le grand principe qui doit nous unir.

Quand on parle d'une constitution, c'est la loi première, c'est la loi fondamentale d'un pays. Quand on parlera de Cour suprême, de Cour supérieure, quand on parlera de n'importe quoi, s'il y a trop de droits et trop de pouvoirs qu'on va laisser inscrire ou si on laisse les juges se convertir en législateurs, à ce moment-là ce sera très difficile de modifier la constitution si, au départ — et j'insiste — on ne s'entend pas sur cet énoncé de principes et sur certains grands points qui feront que les juges n'auront pas à se substituer aux législateurs.

Je saute ici certains aspects sur lesquels je voudrais revenir un peu plus tard. D'ailleurs, le premier ministre du Canada, dans certaines de ses déclarations — non seulement dans sa lettre aux Québécois — modifie un peu sa position et revient sur certains points, comme je pourrais le mentionner également. Encore une fois, l'énoncé de principes, j'y tiens énormément. Sur une déclaration... Je vais me retrouver dans ma paperasse, je pense que cela va venir. Je la retrouverai plus tard, mes indications sont imprécises.

Je répéterai que, quand nous voulons faire l'unité, je pense qu'il ne faut pas attendre encore des mois et des mois, mais qu'il faut commencer immédiatement puisqu'il y a des échéanciers, il y a des dates à respecter. Ce que je voulais dire, c'est que le premier ministre du Canada, suite à des positions qui sont acceptées par les Québécois, déclarait ceci, en février 1979: "Sur la philosophie de base nous reconnaissons évidemment que la société canadienne-française est une société distincte culturellement, linguistiquement, de la société anglophone et il est certain que cette dualité dont vous parlez, dont nous avons parlé, dont parle la commission Pepin-Robarts doit être respectée! A partir de là, il y a certains engagements qui ont été contractés, même par le premier ministre du Canada, et sur lesquels il faudra revenir. (12 heures)

On a mentionné tout à l'heure la question des dépenses pour de la publicité de l'ordre de $6 000 000. Les premiers ministres vont se réunir les 21 et 22 août. Je me demande si les premiers ministres ne pourraient pas riposter à cette publicité fédérale. Je pense que l'intention du fédéral est de diviser les provinces. Il est difficile d'avoir une réponse commune, un front commun de toutes les provinces pour répondre à cette publicité qui est orchestrée depuis déjà trois ou quatre mois, mais les premiers ministres — c'est un voeu, un souhait ou une suggestion que j'émets — pourraient peut-être s'entendre aussi et riposter à cette publicité fédérale par une publicité où les premiers ministres pourraient s'entendre. Autrement, si les premiers ministres se divisent, ceci va affaiblir la position des premiers ministres et je crois qu'il y a des points communs où les différentes provinces peuvent s'entendre, tout en comprenant le jeu du fédéral à ce moment-ci qui est de maintenir ses propres positions... Quand on sait que depuis douze ans le fédéral n'a pas tellement évolué dans la révision constitutionnelle, je crois que le fédéral aimerait bien que les provinces ne s'entendent pas entre elles et fassent des déclarations contradictoires. Ceci serait de nature à affaiblir encore la position du Québec lors des réunions de la semaine prochaine.

Pour le moment, M. le Président, je crois que je vais laisser la parole à mon collègue de Rouyn-Noranda pour revenir de façon un peu plus explicite cet après-midi sur les points que nous allons aborder.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Camil Samson

M. Samson: Merci, M. le Président. Je considère qu'avant de pouvoir aborder l'idée de consensus généralisé les divers programmes et options doivent faire l'objet de tests électoraux ou référendaires, car le mandat de l'actuel gouvernement se termine, de façon usuelle en tout cas, dans 90 jours, à moins que le gouvernement ne veuille absolument s'accrocher au pouvoir et étirer le mandat plus longtemps.

De plus, l'actuel gouvernement, dont la raison d'être est surtout l'indépendance ou la souveraineté ou la séparation ou la souveraineté-association, selon les cas et les circonstances, s'est vu dire non au référendum du 20 mai dernier et n'a pas, par le fait même, reçu le mandat de la population de négocier une nouvelle constitution canadienne dans le cadre d'un fédéralisme ou n'a pas reçu, non plus, le mandat de négocier un fédéralisme renouvelé ou appelons-le comme on le voudra.

Ce gouvernement a encore moins reçu le mandat de tenter de négocier indirectement la souveraineté-association, sous le couvert d'une manifestation discutable de négocier de bonne foi une chose à laquelle ni le gouvernement, ni le Parti québécois ne croient. A preuve, le Parti québécois a maintes fois réaffirmé, depuis le référendum, sa volonté de conserver son option indépendantiste ou souverainiste; appelons ça comme on voudra, mais pour moi ça veut dire la même chose. Le Parti québécois, le gouvernement s'est

donc placé lui-même dans une situation de crise de crédibilité qui n'est d'ailleurs pas la première. Nous n'avons qu'à nous rappeler les déclarations du premier ministre aux Etats-Unis, à savoir que l'indépendance du Québec est irréversible et ensuite, ses autres déclarations à Paris, à savoir qu'un nouveau pays apparaîtra bientôt sur la carte géographique.

Pendant la même période, nous avions droit à des exercices de haute voltige laissant plutôt supposer que la souveraineté ne pourrait se concrétiser sans avoir réalisé l'association au préalable et tantôt que la souveraineté était l'ultime objectif, alors que l'association devenait en quelque sorte un voeu pieux dont la décision ne relève pas de nous, mais de partenaires hypothétiques et parfois difficiles à identifier. Il faut bien se rappeler que le référendum du 20 mai dernier ne portait pas sur une constitution nouvelle ou à renouveler, mais bel et bien uniquement sur le projet de séparation du gouvernement et du Parti québécois. La réponse fut catégorique et 60% des électeurs ont dit non, car le peuple du Québec veut demeurer à l'intérieur du Canada en y conservant sa pleine citoyenneté, ainsi que les avantages qui en découlent.

Bien sûr, les intervenants ont presque tous manifesté leur désir de voir s'instaurer une constitution renouvelée qui tienne compte des réalités des années quatre-vingt et également dans le respect des deux peuples fondateurs du Canada, ainsi que de tous ses citoyens. Cependant, une constitution vieille de 107 ans ne peut, à mon avis, se changer à la satisfaction de tous en l'espace de quelques semaines ou de quelques mois. De plus, il faut admettre que, si les provinces ont le mandat de sauvegarder les droits qui leur sont conférés par la constitution actuelle, en revanche, le gouvernement fédéral, qui est élu, lui aussi, au suffrage universel sur l'ensemble du territoire canadien, ce gouvernement fédéral qui est élu depuis le mois de février dernier seulement, qui est un gouvernement majoritaire, au point d'avoir fait élire 74 des 75 députés fédéraux du Québec, je pense, a aussi le mandat de sauvegarder l'unité du Canada. Nous devons admettre que ce gouvernement a encore trois ans et demi à écouler dans son présent mandat.

En conséquence, je considère que le seul gouvernement dont la principale raison d'être est la souveraineté-association, le seul gouvernement existant au Canada, dans de telles circonstances, est le gouvernement du Parti québécois. Ce dernier, à mon avis, n'a plus la légitimité nécessaire pour représenter les Québécois dans des négociations constitutionnelles, compte tenu du maintien par lui de son option séparatiste et surtout du fait que son mandat est terminé, à toutes fins pratiques. On me dira qu'il y a eu d'autres déclarations qui disent que le gouvernement est prêt à mettre son option en veilleuse surtout à la veille d'élections. Je pense qu'il y a une déclaration qui a été faite hier à ce sujet.

Pas plus tard qu'en date du 29 juillet, j'ai une communication qui me parvenait du ministre des

Transports, à titre d'exemple, tout simplement, à la suite de représentations que je lui faisais au sujet d'une demande qui est faite par la population de mon comté pour que soit installé, à l'aéroport de Rouyn-Noranda, un système d'atterrissage aux instruments. J'ai donc demandé au ministre des Transports du Québec d'intervenir dans le dossier. Actuellement, c'est un sujet qui relève du fédéral, mais l'intervention du ministre des Transports du Québec pourrait être utile dans les circonstances.

Il m'a répondu par une très belle lettre en mes disant que c'était son intention de suivre le dossier, etc., la formule habituelle. Là où j'ai sursauté, c'est qu'il a pris la précaution, tout en signant sa lettre, d'écrire lui-même à la main — j'ai l'original s'il y a quelqu'un qui veut la voir — "Evidemment, dans le cadre d'un Québec souverain..." Je me faisais dire cela par le ministre des Transports, dans une lettre datée du 29 juillet dernier. Donc, celui-là n'a sûrement pas renoncé à l'option séparatiste du Parti québécois.

Il m'apparaît donc urgent, important et nécessaire que le gouvernement du Québec demande que soient ajournés les pourparlers constitutionnels jusqu'à ce que des élections générales soient tenues au Québec afin que, compte tenu des programmes alors présentés à la population, les électeurs puissent décider librement et démocratiquement qui ils veulent avoir comme gouvernement pour les représenter à ces importantes négociations. Présentement, compte tenu de son programme et des résultats du dernier référendum, en plus des multiples contradictions auxquelles il nous a habitués, ainsi que de sa partisanerie qui est maintenant devenue légendaire, je dis donc que l'actuel gouvernement se place dans une situation, en quelque sorte, de conflit d'intérêts.

M. le Président, si le gouvernement du Parti québécois se veut aussi respectueux de la démocratie dont il se gargarise depuis longtemps, il tiendra compte plus sérieusement des résultats du dernier référendum du 20 mai 1980 qui a été un désaveu de la politique gouvernementale en matière constitutionnelle. Evidemment, sachant que ce gouvernement a maintenu cette option-là, ce gouvernement, à mon sens, n'a plus des légitimité et, pour ma part, je ne crois pas en sa sincérité d'aller négocier une nouvelle constitution canadienne dans les circonstances.

En conséquence, M. le Président, le minimum que la population du Québec peut exiger de l'actuel gouvernement du Parti québécois est la tenue immédiate d'élections générales, en affichant pour la circonstance et au moins pour une fois ses couleurs réelles. Finalement, laissons la population décider démocratiquement et choisir l'équipe de négociateurs qu'elle jugera la plus apte à faire valoir les objectifs voulus et recherchés par elle.

En terminant, vous comprendrez que je ne suis aucunement disposé, à ce moment-ci, à accorder des consensus sous tous rapports aussi longtemps que les préalables que j'ai mentionnés n'auront pas été acceptés et concrétisés.

M. le Président, ma déclaration est assez brève, mais je pense qu'on comprendra que j'ai

affiché mes couleurs d'une façon assez claire et c'est fondamentalement ce que je pense que le gouvernement devrait faire à ce moment-ci. Ce n'est pas parce qu'un autre gouvernement a fixé un échéancier en septembre qu'il faut se couler les pieds dans le ciment. Je pense qu'après 107 ans cela prendra plus de temps à trouver la solution et à trouver la constitution qui fera l'affaire d'un maximum de citoyens canadiens et québécois. Dans ces circonstances, je considère que, compte tenu que ce gouvernement est à la fin de son mandat et à moins qu'il veuille absolument s'accrocher au pouvoir à l'encontre de toutes les traditions établies, il serait indécent de vouloir continuer dans ce sens-là. M. le Président, je demande au gouvernement de s'adresser au gouvernement fédéral et aux autres provinces et de demander qu'on ajourne ces travaux jusqu'à ce que l'actuel gouvernement s'adresse à la population et fasse un test électoral sur son programme constitutionnel. Je vous remercie, M. le Président.

Discussion de la motion du ministre des Affaires intergouvernementales

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. J'ai une motion devant moi, comme je l'ai dit tout à l'heure, qui a été présentée à la fin de l'intervention du ministre. Alors, je demanderais aux membres de la commission de décider maintenant sur cette motion qui va décider également de l'ordre des priorités ou des points que nous allons discuter et de l'ordre dans lequel nous allons les discuter.

M. le ministre. (12 h 15)

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, M. le Président. Je voudrais parler, dans une seconde, de la motion que j'ai présentée tout à l'heure. Auparavant, je voudrais reconnaître publiquement le ton élevé du débat jusqu'à il y a dix minutes de maintenant et je voudrais aussi dire que c'est exactement dans cet esprit que nous voulons entreprendre l'étude des questions constitutionnelles dont nous devons nous entretenir aujourd'hui.

Je voudrais aussi souligner que nous avons fait — cela a été mentionné plus tôt d'ailleurs et je pense que c'était bien de le faire — un effort particulier pour soumettre tous les documents que nous pouvions aux membres de cette commission. Dans le passé, cela n'a pas toujours pu être fait de la même façon pour une raison que je voudrais mentionner en passant. Jusqu'à cette nouvelle ronde de négociations, nous devions suivre la règle établie dans les conférences constitutionnelles et autres, c'est-à-dire manifester ce qui était à mon avis une beaucoup trop grande discrétion, ce qui nous a empêchés dans bien des cas d'aller aussi loin que nous l'aurions voulu dans l'information du public. J'avais personnellement déploré cet état de choses, mais cette fois-ci, tout le monde a été d'accord, dans l'ensemble du Canada, pour qu'en ce qui nous concerne du moins nous puissions faire état de nos positions et révéler autant que possible, en respectant les autres, tout ce qui s'est passé au cours du mois de juillet.

Je voudrais aussi mentionner une autre chose avant d'aborder l'ordre du jour. On a parlé, à deux reprises, de la question de la légitimité ou des conflits d'intérêts entre gouvernements. Je voudrais simplement dire qu'on aurait très bien pu s'engager dans un long débat — que je ne souhaite pas — sur cette question, mais à cet égard j'ai ici une citation qui pourrait très bien nous permettre de discuter longtemps. Elle est de M. Trudeau lui-même. Le 27 novembre 1979, il disait: "J'en suis venu à la conclusion que je n'étais pas l'homme à négocier un nouveau fédéralisme pendant la prochaine décennie". Il est cité dans un article du Devoir, que j'ai ici.

On pourrait aussi mentionner qu'autour de la table constitutionnelle il y a des gens qui représentent des gouvernements qui appartiennent à toutes les allégeances politiques, qu'ils soient conservateurs, néo-démocrates, créditistes ou du Parti québécois comme nous, ou libéraux, c'est parfaitement normal dans un pays où il y a onze gouvernements. S'il fallait chaque fois poser la question de la légitimité ou se demander à combien de mois sont les élections pour tel gouvernement, on n'en finirait pas, parce qu'au moment où je vous parle il y a au moins l'Ontario où on a non seulement un gouvernement minoritaire, mais où on parle aussi d'élections prochaines, etc. Je ne voudrais pas insister longtemps là-dessus, mais je pense important quand même de remettre les choses dans leur perspective.

J'en viens maintenant à la motion proprement dite. La raison pour laquelle j'ai présenté cette motion — je pense qu'elle s'impose — c'est que vraiment je voudrais que nous passions en revue les douze points. Il y a certains d'entre eux qui risquent de ne pas être très longs et je pense que nous pourrons en faire le tour. Je maintiens quand même la proposition que j'ai faite tout à l'heure; je suis tout à fait d'accord — cela fait d'ailleurs partie de notre liste — pour ajouter ce qui a été suggéré, je pense, par le chef de l'Opposition, à savoir les richesses naturelles et la Cour suprême. Au fond, on peut tout ajouter, sauf que je voudrais, personnellement, être convaincu et assuré que nous regarderons ce qui, à mon avis, fait partie d'une liste de sujets dont, qu'on le veuille ou non, il sera question du 8 au 12 septembre; parce qu'il est possible que les ministres, au cours de leurs négociations éventuelles, concluent, comme cela pourrait être raisonnable, que sur certains sujets on n'est pas suffisamment avancé pour en arriver à des accords.

Je maintiens donc ma proposition, mais je suis tout à fait d'accord pour ajouter ce que j'ai dit, c'est-à-dire les richesses naturelles et la Cour suprême comme sujets auxquels on pourra accorder une attention prioritaire. Au fond, je voudrais qu'on regarde tous les sujets, ce n'est pas plus malin que cela. Il y a peut-être une distinction que je ferais aussi. Certains de mes collègues ne peuvent pas nécessairement être présents pendant les deux jours; peut-être que, de votre côté, c'est la même chose pour certains des participants. On pourrait peut-être ajuster l'ordre des sujets, mais, pour le moment, je le conserverais tel quel, si on

était d'accord. Je renouvelle donc ma proposition avec, en plus, les richesses naturelles et la Cour suprême.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Sur la motion d'amendement, M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: Je suis bien heureux de constater que le ministre accepte qu'on ajoute à la liste les deux sujets qui avaient été proposés tantôt. Il y aurait deux questions sur lesquelles il faudrait obtenir un accord, je pense bien: il y a l'ordre dans lequel les sujets seront abordés et deuxièmement, il y a le temps qu'on prévoit consacrer à chacun de ces sujets. Je ne sais pas si vous envisagez, M. le Président, de proposer un partage du temps pour qu'on soit sûr, dans les deux jours que nous avons, de pouvoir faire le tour des douze sujets. Je suis d'accord avec le ministre qu'il me semble que nous avons même la responsabilité de faire le tour des douze sujets pour que sur chacun on puisse s'exprimer. Maintenant, j'accepte d'aborder en priorité ceux-ci, mais je voudrais avoir des indications quant à l'ordre. Il me semble qu'en ordre logique, même en ordre de développement fonctionnel, ils ne viennent pas nécessairement dans l'ordre qui est indiqué ici, mais, en tout cas, je voudrais avoir vos observations là-dessus.

M. Morin (Louis-Hébert): Je ne pense pas qu'il y ait de difficulté particulière quant à la durée. En ce qui nous concerne, dans ce document-ci, de même que dans ma déclaration tout à l'heure, vous avez au fond ce que le gouvernement a déjà dit là-dessus. Comme je l'ai dit au terme de mon intervention tantôt, il est sûr que, s'il y a des renseignements supplémentaires cela nous fera plaisir de les ajouter. Nous n'avons aucunement l'intention de faire durer, par plaisir ou stratégie ou autrement, la discussion sur tel ou tel point en particulier. S'il y en a qui se règlent en cinq minutes parce qu'on est d'accord ou qu'on n'est pas d'accord, très bien, mais l'important, je pense, c'est de les voir tous, et surtout ceux-là, au cas où on n'aurait pas de temps. Maintenant, je ne réponds pas à votre question directement, je ne sais pas combien de temps on va prendre sur chacun des sujets. On peut quand même se donner comme objectif de ne pas indûment prolonger la discussion. Quant à l'ordre, je garderais celui qui est là. De toute façon, les sujets vont venir au cours des deux jours.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: M. le Président, il me semble que le rapatriement de la constitution devrait venir plus tard dans la discussion. Je ne sais pas, mais à mesure qu'on va regarder les différents sujets, il me semble que celui-ci, on va le voir dans une perspective plus nette. Il me semble que ce n'est pas approprié qu'on aborde cela tout de suite au début, tout de suite après la déclaration de principes.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le leader du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, il y a justement des problèmes un peu techniques qu'invoquait le ministre des Affaires intergouvernementales; c'est que la présence du vice-premier ministre et ministre de l'Education ici est précisément sur ce sujet et la charte des droits. Je pense que le chef de l'Opposition l'avait deviné. En conséquence, le ministre doit s'absenter ce soir pour représenter le gouvernement du Québec aux célébrations en Acadie qui sont déjà en cours, ce qui fait que, pourvu qu'on ait l'assurance qu'il soit dans les cinq premiers à la discrétion de la commission, il serait préférable que ce sujet soit abordé aujourd'hui.

D'autre part, sur le plan de fond de cette question, non seulement je connais, mais je partage l'opinion du chef de l'Opposition sur le fait que dans la discussion proprement dite au niveau fédéral-provincial, s'il y a bien un sujet qui devrait venir en tout dernier lieu ou dans les derniers, c'est celui-là. Il reste que, les trois semaines vécues — et ce n'est même pas un secret de polichinelle — un des points qui seront à l'ordre du jour du 8 septembre est celui-là. Nous en avons eu l'information claire, nette et précise de la part du gouvernement fédéral. Donc, dans les circonstances, il semble bien que notre souhait que cela vienne en dernier lieu ne sera pas respecté, sachant qu'il est à l'ordre du jour des toutes prochaines rencontres. C'est pour cela que nous avons choisi de le mettre parmi les cinq premiers, qu'il soit le cinquième... De toute façon, comme on va être invité à se prononcer là-dessus, veut, veut pas, dans le cours du 8 au 12 septembre parce qu'ils nous l'ont dit, voilà pourquoi nous l'avons choisi comme question prioritaire.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Fontaine: Quant à nous, sur les points en discussion, nous aimerions tout d'abord que la déclaration de principes qui est placée en premier soit discutée de façon très prioritaire parce que nous considérons, comme l'a dit le chef de l'Union Nationale tout à l'heure, que c'est un élément essentiel avant d'aborder toute autre discussion. On a parlé des fondations de la maison; alors, je pense que c'est d'abord là-dessus qu'il faut travailler. Si on réussissait à s'entendre sur ce point, ce serait déjà un pas en avant considérable.

Concernant le temps de la discussion, je pense qu'on ne doit pas, non plus, s'enfarger dans des délais limites. On va essayer de raccourcir le plus possible les discussions sans le faire exprès pour les prolonger, mais je pense qu'on ne devrait pas se limiter, parce qu'il peut arriver qu'un point prenne un peu plus de temps, qu'un autre en prenne moins. Je pense que, dans l'ensemble, on va s'en tirer à assez bon compte.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce qu'il y a consensus, au moins, pour l'ordre des deux ou trois premiers points? On pourrait

commencer comme ça. M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: M. le Président, relativement à la discussion sur l'économie dont on reconnaît, bien sûr, l'intérêt, est-ce qu'on pourrait avoir une indication à savoir si cette discussion pourrait peut-être être placée demain, de manière qu'on sache les sujets à aborder aujourd'hui? Est-ce que la présidence a l'intention d'allouer du temps pour le débat de chacun des sujets? Parce que, l'enthousiasme nous emportant, il ne serait pas impossible qu'on épuise tout le temps sur un ou deux des sujets de la liste.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Effectivement, le président avait songé à suggérer aux parlementaires de prévoir, pour chacun des sujets, une limite de temps, quitte à ce que cette limite soit différente d'un sujet à l'autre compte tenu de son importance. Mais j'ai cru bon de laisser les parlementaires le décider, puisque c'est à la commission de le décider. Si c'est votre désir, ce sera le désir du président également.

M. le leader.

M. Charron: M. le Président, pour répondre à la question du député de Saint-Laurent quant aux pouvoirs sur l'économie qui pourraient enchaîner, comme cela a été souvent le cas dans les discussions proprement dites, avec les richesses naturelles, le ministre des Finances, dont c'est la raison principale de la présence ici aujourd'hui, est disponible ce soir ou demain, comme vient de l'indiquer...

Ce qui m'amène à proposer, de manière peut-être informelle, mais pour qu'on puisse démarrer, que la fin de la séance de ce matin et l'après-midi soient consacrés, en souhaitant qu'on y parvienne, à la déclaration de principes, à la charte des droits et à la question du rapatriement, ce qui nous permettrait, dans les trois heures et demie de discussion de ces sujets, d'avancer. Ce soir, on pourrait discuter de péréquation et de pouvoirs sur l'économie, ce qui nous ferait déjà les cinq principaux points. Demain matin, en tout premier lieu, on pourrait aborder les sujets que le chef de l'Opposition a choisi d'identifier comme prioritaires, Cour suprême et richesses naturelles.

M. Ryan: Là, jusqu'à quand allons-nous siéger?

M. Charron: Jusqu'à 13 heures. Le règlement nous oblige à arrêter à 13 heures, le vendredi. J'indique toutefois tout de suite, pour ne pas en faire un secret, que, si la commission juge qu'elle a besoin d'une autre journée de séance, après consultation avec tout le monde, nous essaierons, dans les plus brefs délais, d'en faire une. Mais nous tentons, en tout cas pour le moment, de discuter des cinq ou six sujets que j'indique à l'instant, pour la journée d'aujourd'hui.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce que ça va?

Si je comprends bien, jusqu'à 18 heures, déclaration de principes, charte des droits et rapatriement de la constitution; ce soir, pouvoirs sur l'économie et richesses naturelles, péréquation; demain matin, on commencerait par la Cour suprême. C'est bien ça?

M. Ryan: Oui. J'aurais peut-être une proposition à faire, M. le Président. Etant donné que nous sommes arrivés ici et que nous ne savions pas dans quel ordre vous entendiez procéder, comment les choses fonctionneraient, est-ce que ce serait possible de suspendre nos travaux maintenant plutôt que d'aborder tout de suite le débat sur la déclaration de fond, quitte à...

M. Charron: D'accord.

M. Ryan: Je pense que, si on commençait, cet après-midi...

M. Charron: A 14 h 30 plutôt qu'à 15 heures.

M. Ryan:... on aurait le temps de se concerter chacun de notre côté.

M. Charron: Volontiers, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce qu'il y a consentement unanime? Les travaux de la commission sont suspendus, de façon unanime, jusqu'à 14 h 30.

Suspension de la séance à 12 h 29

Reprise de la séance à 14 h 42

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre s'il vous plaît!

S'il vous plaît, je demanderais aux membres de la commission de bien vouloir venir prendre place. Les travaux de la commission se poursuivent et, conformément à l'entente qui est intervenue ce matin, les travaux de la commission, cet après-midi, vont commencer par des discussions sur le sujet suivant: la déclaration de principes. J'inviterais, du côté ministériel, celui qui a à prendre la parole à bien vouloir le faire, s'il vous plaît.

La déclaration de principes

M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, c'est moi. Si vous vous reportez au document qu'on vous a fait parvenir, donc, le dossier sur les négociations constitutionnelles en cours, sous l'onglet no 2 ou no 1, en tout cas, au début, vous avez un résumé du problème relatif à la déclaration de principes. C'est un sujet dont j'ai parlé ce matin dans ma présentation, dans mon rapport. On a essayé de le résumer quand même dans ce petit texte bref que vous avez à l'endroit mentionné où, d'une part, on décrit quel est le problème.

On fait aussi état du fait qu'aucune position, bien sûr, n'avait été présentée avant juillet 1980 à ce sujet-là pour la bonne raison que ce n'était dans aucun des ordres du jour antérieurs.

Il y a deux documents qui ont été déposés: un document déposé dès le 9 juin par M. Trudeau, qui est un projet de déclaration et qui a été rendu public à ce moment-là, et, plus tard au cours de l'été, un projet, déposé par l'Ontario, qu'on a joint, mais qui est, au fond, la reprise, par l'Ontario, en 1980, duprojet qu'ils avaient, eux, comme préambule pour la charte de Victoria en 1971 ou 1970. (14 h 45)

Au mois de juillet, donc, on a parlé des déclarations de princips dans la troisième semaine. On en a parlé au début, d'abord, lorsqu'on a fait — chacune des délégations — un tour de table alors que chaque représentant de gouvernement a énoncé des vues sur chacun des sujets. Cela a pris à peu près deux jours et ça a été repris pendant une matinée de 10 heures à 13 heures alors que les ministres étaient seuls. Nous vous faisons part, toujours dans le document auquel je vous ai référé tantôt, du fait que beaucoup de sujets pourraient faire ou ne pas faire partie de la déclaration de principes. Il y a certaines provinces qui, étant d'accord avec l'idée qu'il y ait un préambule, voudraient que le préambule n'ait pas de portée. Il y en a d'autres qui se disent que, s'il y a un préambule, il doit avoir nécessairement une portée. Peut-être un ou deux intervenants ont souligné le fait qu'il serait peut-être mieux qu'il n'y en ait pas du tout. Toujours est-il que, sur onze gouvernements, pour autant que je me souvienne, il y en avait au moins les trois quarts ou même plus qui étaient d'accord sur le fait qu'il faudrait aborder ce sujet-là.

Maintenant, on a confié, avant même de prendre des décisions politiques au niveau des ministres, à un groupe de fonctionnaires le soin d'établir la liste des questions qui se posaient à propos d'un préambule. Non seulement, bien sûr, il y a des questions comme celles que je viens de mentionner: Est-ce que ça doit avoir une portée juridique? Est-ce que ça ne doit pas en avoir? Est-ce que ça doit être long, court ou quoi que ce soit, en vers ou en prose? Mais, surtout, quels sont les sujets qui devraient en faire partie?

Au bas de la page qui porte sur la déclaration de principes dans le document, on voit plusieurs des thèmes qui ont été abordés. On a parlé, par exemple, du fait qu'il fallait affirmer que le Canada est une démocratie. Est-ce que le Canada est une monarchie? Il y a une province qui a insisté très fortement là-dessus. Qu'il y ait un gouvernement responsable. Quels sont les droits des autochtones? Enfin, la liberté et le parlementarisme, l'unité nationale, le bilinguisme, le multiculturalisme, le respect des différences, l'affirmation de l'Etre suprême, etc.

Je relis ce qui est mentionné toujours ici: "Pour sa part, le Québec, sans soumettre de texte pour l'instant, a insisté sur l'insertion dans cette déclaration, préambule de considérations reliées au caractère distinctif de la société québécoi- se, au rôle spécifique du Québec et à la libre adhésion du Québec à la fédération canadienne", ce qui est une allusion au principe de l'autodétermination. Il n'y a pas eu de décision de prise par les ministres et le travail n'est pas terminé sur ce sujet-là, comme d'ailleurs sur tous les autres, ce qui fait qu'il va revenir normalement à la fin de ce mois-ci et normalement aussi, d'après les indications qu'on a, au début de septembre.

Je n'ai pas aujourd'hui à vous présenter en surprise un projet de déclaration que nous aurions préparé et sur lequel nous vous demanderions tout de suite votre assentiment comme ça. Ce sera une chose qui pourra venir plus tard, mais je pense qu'on n'en est pas là et qu'il y a, si on s'en tient à ce que le Québec a émis comme position, deux questions à propos desquelles on a insisté, c'est-à-dire l'idée des deux sociétés, de la dualité et du caractère distinctif du Québec, d'abord et, ensuite, d'autre part, de la libre disposition du Québec en ce qui concerne son avenir.

C'est en gros ce que nous avons dit. Je vous réfère aussi à mon texte de ce matin que j'ai lu. Peut-être peut-on maintenant passer aux commentaires qui viendraient des partis d'Opposition, peut-être en distinguant deux sujets. Je ne veux pas imposer d'ordre du jour. Il y a peut-être autre chose que vous voulez aborder; cela me fera plaisir qu'on en discute. Il y a toute la question de la dualité et il y a la question de la libre disposition des Québécois. J'attends peut-être les commentaires qui viendront sur ces deux questions notamment, encore qu'on pourrait parler, comme on l'a fait ce matin aussi, M. le chef de l'Opposition, du préambule en général.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. Avant de donner la parole au chef de l'Opposition, j'aimerais vous informer que, pour la séance de cet après-midi, M. le député de Saint-Hyacinthe sera intervenant à la place de son collègue, le député de Nicolet-Yamaska. Bienvenue à la commission, M. le député. M. le chef de l'Opposition.

M. Claude Ryan

M. Ryan: M. le Président, les éléments qu'on nous a fournis sont un peu minces. Je pense qu'il faudrait aller au-delà de ce qui a été dit si on veut avancer. Le ministre des Affaires intergouvernementales, dans la mesure où je le comprends bien, nous dit qu'il y a deux points que son gouvernement a signalés d'une manière spéciale dans les échanges de vues qui ont eu lieu autour du projet de préambule, c'est-à-dire le principe de la dualité, incluant, évidemment, la reconnaissance du caractère distinctif du Québec et, deuxièmement, le principe de la libre disposition du Québec ou du droit du Québec à l'autodétermination.

On discute à deux paliers différents, du moins en ce qui me concerne. Ce matin, j'ai indiqué dans la déclaration d'ouverture que j'ai faite que, selon moi, ce n'est pas une bonne chose de s'engager tout de suite dans la rédaction d'un

préambule de la constitution, il y a quelque chose d'autre à faire au préalable.

Il me semble que les gouvernements qui entreprennent une oeuvre aussi importante et aussi engageante que la réforme en profondeur de la constitution peuvent mettre clairement leurs intentions sur la table, doivent expliciter les principes directeurs dont s'inspirera leur démarche. Cela doit être porté à la connaissance de tout le public pour qu'on sache qu'il y a un engagement à l'endroit de ces principes et que plus tard, dans la démarche, quand on aura progressé véritablement, on soit en mesure de vérifier si on peut s'entendre sur une sorte de préambule à une constitution nouvelle et surtout sur le contenu éventuel d'un tel préambule.

En ce qui regarde les principes directeurs dont on devrait s'inspirer, je vous ai signalé qu'en ce qui touche mon parti nous avons énoncé une série de principes dans notre document constitutionnel. Je les ai évoqués ce matin dans leur texte même d'une manière presque complète; j'ai laissé tomber des parties secondaires, mais le texte est à votre disposition dans son intégralité si vous en avez besoin. Je pense qu'en ce qui nous touche nous ne prétendons pas à une formulation définitive encore; nous ne prétendons pas avoir trouvé la fine fleur de la précision sémantique dans les questions qui ont été l'objet de tant de controverses ces dernières années; il y a quand même un fond dont on peut partir.

Je comparais ces principes directeurs que nous avons énoncés à ceux qui étaient formulés par le chef de l'Union Nationale dans sa déclaration rendue publique ces jours derniers et sur laquelle il est revenu ce matin. Je crois qu'à peu près tous les principes énoncés par l'Union Nationale dans sa déclaration sont contenus dans les principes directeurs que nous avions mentionnés dans notre liste, et il y en a d'autres en plus. A notre point de vue, cela forme une liste plus complète; on pourra peut-être les prendre l'un après l'autre tantôt. C'est vous qui déciderez la façon dont nous allons fonctionner, je ne veux pas empiéter là-dessus. Je n'ai pas d'objection à discuter des deux points qui ont été soulevés par le ministre. La dualité, cela fait partie des principes que nous avons évoqués. Le principe de la libre disposition du peuple québécois, cela fait aussi partie des questions que nous avons étudiées. Je peux vous donner nos positions sur ces deux points. Les autres points, je les ai mentionnés ce matin; c'est évident que je n'y reviendrai pas de manière explicite cet après-midi, ils ont été mentionnés pour notre utilité commune.

En ce qui touche un éventuel préambule de la constitution, si jamais la discussion s'orientait vers cela, je souligne que, dans le rapport Pepin-Ro-barts, on avait mentionné six éléments qui devraient faire partie d'une déclaration du type préambule d'une nouvelle constitution. Ces éléments sont contenus à la page 85 du rapport Pepin-Robarts.

Je voudrais vous dire qu'en ce qui me touche je n'ai aucune difficulté spéciale à souscrire à ces six énoncés qui étaient contenus à la page 85 du rapport Pepin-Robarts. Cela pourrait très bien servir de point de départ à une discussion sur un éventuel projet de préambule. Il y aurait peut-être des éléments qu'on trouverait justifié d'ajouter à ceux-là, mais je pense que dans l'ensemble ça irait assez bien.

Je reviens maintenant aux deux éléments qui ont été soulevés. Mon collègue de Prévost, Mme Chaput-Rolland, se réserve d'intervenir là-dessus tantôt pour donner ses opinions également, surtout sous le titre de la dualité. Je voudrais vous dire maintenant où nous en sommes à propos de la dualité, justement. Nous disons que la nouvelle constitution devra affirmer l'égalité fondamentale des deux peuples fondateurs. Nous connaissons les difficultés que soulève l'expression "peuples fondateurs". Je ne pense pas qu'elle pourra rester telle quelle dans une constitution définitive parce qu'aux yeux des populations autochtones ça soulève des difficultés très sérieuses que nous devrons surmonter dans un esprit de respect à leur endroit.

Je pense que nous comprenons l'idée pour tout de suite, des "deux communautés linguistiques qui ont donné et donnent encore à ce pays... etc., etc." Les moyens que nous voudrions tout de suite inscrire à l'état de principe dans une espèce de déclaration d'intention seraient les suivants: nous voulons reconnaître la dualité par trois moyens. D'abord, par la proclamation, dans la constitution, de certains droits linguistiques fondamentaux — on revient là-dessus plus tard — deuxièmement, par l'affirmation du caractère bilingue des institutions fédérales; troisièmement, par l'octroi au Québec de garanties propres à faciliter la protection et l'affirmation de sa personnalité distincte.

A plusieurs reprises, dans le texte dont je vous ai donné lecture ce matin, nous revenons sur ce point-là. Dans notre esprit à nous, il n'y a aucune difficulté au sujet de ce qu'on peut appeler le principe des deux sociétés. Nous avons deux communautés linguistiques et culturelles qui ont donné naissance à deux sociétés dans ce pays, chacune ayant ses caractéristiques propres: la société francophone trouvant son siège principal au Québec, mais comptant également des prolongements importants dans le reste du Canada; la société anglophone se réalisant dans des sociétés particulières diverses qui peuvent être identifiées comme des régions ou des provinces, mais présentant des caractéristiques communes.

Pour les fins de cette partie de la discussion, on peut très bien convenir qu'il y a une société francophone ayant son foyer principal au Québec, mais aussi un prolongement important ailleurs, une société anglophone ayant son implantation principale dans les autres provinces, mais également une implantation importante, à la fois historique, numérique, économique et sociologique au Québec. Ce sont tous ces éléments qu'il faut essayer de réunir, avec, en plus, la reconnaissance des populations autochtones. Nous sommes tous à l'aise pour dire: En principe, nous reconnaissons

les droits des populations autochtones. Il n'y en a pas beaucoup qui osent aller au-delà de cela. Il faudra que nous fassions face à ce problème. Dès le stade de la déclaration d'intention, il faudra que nous reconnaissions que ces populations, étant donné le rôle historique qu'elles ont joué au Canada, ont une place à occuper dans la préparation du futur édifice constitutionnel. Je ne crois pas que nous puissions nous en tirer honnêtement sans reconnaître également la part extraordinaire qu'ont apportée au développement du Canada moderne, y compris le Québec, les membres des nombreuses communautés ethniques qui ont profondément modifié la composition démographique, la figuration culturelle et sociale de ce pays. Ce sont des éléments — je le souligne — dont il est très important de tenir compte dans les travaux que nous ferons à ce sujet.

En ce qui touche le droit à l'autodétermination, je pense que plusieurs ne sont pas au courant d'une chose. Je vais encore être obligé de citer le document sur lequel je m'appuyais ce matin. Plusieurs ne sont pas au courant que le Parti libéral du Québec, à son congrès général d'orientation tenu en février et mars dernier, a adopté une résolution qui se résume ou se formule comme suit: "Le Parti libéral du Québec reconnaît le droit du Québec de déterminer sa constitution interne et d'exprimer librement sa volonté de maintenir l'union fédérale canadienne ou d'y mettre fin." Il reconnaît en bref le droit du peuple québécois à disposer librement de son avenir.

Je vous rappelle cette résolution pour une fin bien simple. Il y en a qui en sont encore au stade du livre beige, qui était un projet issu d'une commission. Ce livre beige a subi le tamisage de discussions démocratiques à l'endroit d'un congrès qui était fréquenté par plus de 3000 délégués, comme vous le savez. Il est sorti de ce congrès, entre autres, la résolution précitée.

Maintenant, autant nous reconnaissons, sur le plan politique, le droit du peuple québécois à décider librement de son sort et de tout le peuple québécois, incluant évidemment toutes ses composantes, autant nous avons des réserves sérieuses lorsqu'on nous parle d'inscrire ce droit de manière explicite dans la future constitution du pays. (15 heures)

Nous avons étudié à ce sujet les constitutions fédérales qui existent dans le monde et nous avons constaté que très peu de constitutions fédérales mentionnent à l'état explicite le droit des peuples qui composent les pays régis par ces constitutions à l'autodétermination. La Russie, c'est-à-dire l'Union des républiques socialistes soviétiques, et la République fédérale yougoslave prévoient un droit de sécession. Je ne sache pas qu'on ait jamais tenté d'utiliser ce droit dans l'Union des républiques socialistes soviétiques et tous les échos que j'ai du peuple ukrainien en particulier indiquent que c'est un droit plutôt théorique. En Yougoslavie, comme vous le savez, on a un régime fédéral de nature extrêmement compliquée. On devait répondre à une réalité formée, je pense, d'au moins quatre nationalités différentes. Alors, c'est un problème extrêmement complexe. Je ne pense pas qu'on puisse envisager une transposition facile à notre problème.

On pourrait faire le tour des constitutions. La constitution australienne, à ma connaissance, interdit formellement le droit à la sécession. La constitution américaine n'en parle point, mais la jurisprudence américaine a réglé ce problème depuis longtemps. On pourrait continuer. Mais, selon nous, c'est une question davantage politique que juridique. Nous avons fait récemment un référendum au Québec. Il n'y avait aucune règle constitutionnelle présidant à la tenue de ce référendum. Quand nous en arrivons à ce stade, c'est beaucoup plus la qualité de la vie démocratique dans un pays, la solidité de ses institutions, et surtout de la liberté qui y existe qui sont le facteur déterminant. Il y a, en somme, une distinction capitale à faire entre un droit juridique et un droit politique. Le droit à l'autodétermination est plutôt un droit politique, lequel s'exercera, le cas échéant, sans que ce soit nécessaire qu'il soit consacré dans la future constitution canadienne. D'ailleurs, tous les termes qu'on emploie dans la discussion de ces choses sont des termes qui se prêtent à de nombreuses définitions dont très peu sont l'objet d'une définition ou d'une interprétation universellement acceptée. Vous savez que même le principe du droit à l'autodétermination, abstraction faite des querelles de sémantique, est complété dans plusieurs documents internationaux par la proclamation du droit de chaque pays à la préservation de son intégrité territoriale. Quand les conflits ont surgi dans des pays à structure fédérale, vous savez ce qui est arrivé: les chartes internationales n'ont pas été d'une grande utilité malgré tout le respect qu'on peut leur accorder en parole.

Notre position à ce sujet est que le Canada est très avancé pratiquement dans l'acceptation concrète du droit du Québec à l'autodétermination; cela ne fait même pas de problème tellement nous sommes avancés là-dedans, même si la définition officielle de ce droit ne figure pas dans nos textes de loi. Le comportement de l'Etat fédéral et des autres Etats canadiens envers la démarche référendaire du Québec en mai dernier en est une illustration très éloquente. Le rapport Pepin-Ro-barts, comme vous le savez, a consacré des passages très importants à ce sujet. Le rapport Pepin-Robarts concluait qu'il acceptait sans aucune difficulté le droit à l'autodétermination, mais qu'il hésitait beaucoup à en préconiser l'insertion dans un texte constitutionnel. J'ai mentionné en plus la politique de mon parti. Il me semble qu'à cause de cela il faut y aller avec beaucoup de sagesse, beaucoup de prudence; il n'est peut-être pas sage de réglementer la vertu et la bonne foi au-delà de ce qui est nécessaire. L'Etat canadien dans son ensemble a eu dans le passé un comportement tout à fait compatible avec le principe du droit à l'autodétermination et nous ne voyons pas la nécessité d'exiger de lui des garanties écrites pour l'avenir, surtout à un moment où nous préparons une nouvelle entente qui reposera explicitement sur le désir des parties contractantes

de vivre ensemble, de continuer à faire leur avenir ensemble.

Le maximum qui pourrait être envisagé, c'est que, dans une éventuelle déclaration d'intention, on réaffirme que c'est librement et en accord avec leur population respective que les gouvernements concernés ont engagé cete procédure de révision constitutionnelle et entendent doter les populations du Canada, les citoyens de ce pays d'un document constitutionnel répondant vraiment à leurs besoins. C'est la position que nous voulons exprimer pour l'instant.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le chef de l'Union Nationale.

M. Michel Le Moignan

M. Le Moignan: Oui, M. le Président. J'aimerais revenir sur les remarques du ministre des Affaires intergouvernementales quand il nous a expliqué, tout à l'heure, le cheminement qui s'est fait, le sommaire des discussions du mois de juillet concernant la déclaration de principes. Le ministre nous a bien dit que les trois quarts des provinces sont favorables à l'insertion d'une déclaration de principes dans la constitution. D'ailleurs, dans l'avant-dernier paragraphe, au bas de la page, on semble découvrir justement la véracité de cette affirmation quand le ministre écrit: "Tous sentent bien, néanmoins, que les notions et concepts éventuellement insérés dans la déclaration ou le préambule risquent fort de servir, le cas échéant, à l'interprétation de la constitution elle-même. En ce sens, la déclaration définira ce que doit être le Canada de l'avenir et c'est pourquoi, selon d'aucuns, on ne peut pas éviter d'en parler dès maintenant."

Evidemment, comme on est réuni ici aujourd'hui, je pense qu'il faudrait bien aborder cela, d'autant plus que j'avais demandé au ministre, le 11 juin, si, lors de la commission parlementaire, il devait nous soumettre l'énoncé de principes qu'il ne nous soumet pas aujourd'hui. Quand on regarde le télégramme envoyé par le premier ministre du Canada en date du 6 juin, on voit l'insistance d'Ottawa à insérer cette déclaration de principes.

Je crois qu'il serait bon pour nous du Québec, avant que notre mission ne quitte pour rencontrer le premier ministre, que nous ayons au moins des propositions très concrètes sur cela parce que nous avons déjà la certitude que le Canada, lui, nous fournira une déclaration de principes en bonne et due forme. Les premières paroles du télégramme du premier ministre du Canada sont: "Le premier ministre propose que, lors de la réunion des premiers ministres, le 9 juin, on discute des principes qui pourraient mettre en évidence les valeurs que nous partageons tous et les buts que nous aimerions poursuivre dans l'élaboration d'une nouvelle constitution. Le gouvernement du Canada s'est penché sur cette question et a préparé un avant-projet d'une déclaration de principes qui pourrait servir de base pour la discussion. Je vous saurais gré d'attirer l'attention de votre premier ministre."

On voit déjà l'insistance que le fédéral met sur cette déclaration et je crois que c'est ce que nous avions demandé, d'ailleurs. Nous avons fait, je pense, l'unanimité aujourd'hui sur la marche à suivre en commençant d'abord par cette déclaration de principes.

Maintenant, il y a un autre point qui est très important. Nous allons voir tout à l'heure les autres points qui nous ont été soumis; nous en avions parlé et je l'ai dit ce matin aussi. On est toujours avec l'idée qu'on fait une négociation globale, toujours en remontant à 1966,1967,1968, lors de ces rencontres fédérales-provinciales. Il y a une conception qui se tient dans tout cela. Il y a un fil conducteur. Le cadre fédéral, d'ailleurs, se maintiendra grâce au choix de la majorité des Québécois et cette nouvelle constitution que nous désirons, nous voulons aussi qu'elle soit adoptée ici, au Canada même. Pour illustrer davantage peut-être, on a parlé tout à l'heure des deux nations, on a parlé de l'autodétermination. Ce sont des choses qui vont revenir aussi un peu plus tard. Je vois bien qu'on est d'accord ici sur l'idée de ces deux sociétés, une société francophone qui a son centre de gravité surtout au Québec, comme M. Trudeau l'admet lui-même. Je pense que tous les autres partis politiques sont d'accord sur cela. Quant au sens à donner au mot autodétermination, j'y reviendrai un peu plus loin.

Maintenant, M. le Président, je voudrais — puisque nous parlons de principe et à la suite des déclarations que je faisais à Montréal en fin de semaine — vous donner la position de l'Union Nationale sur certains principes qui rejoignent celle des autres partis politiques. Comme le chef de l'Opposition officielle vient de le déclarer tout à l'heure, nous avons des points, lui peut avoir d'autres points, le gouvernement peut avoir d'autres points, mais je pense qu'il serait bon de les mettre en commun et de voir ensuite lesquels on devrait retenir.

Si nous avons soumis des points, on sait qu'il peut y en avoir d'autres, mais ce qu'on voudrait, nous, c'est qu'à la fin de cette commission parlementaire au moins il y ait un consensus. C'est cela, je pense, le point central de toutes nos discussions. Ce n'est pas pris dans la Bible, cela peut se modifier, mais il faudrait qu'à la fin il reste quelque chose de commun à tout le monde. Je voudrais bien énumérer, peut-être, pour ceux qui n'en ont pas pris connaissance, en résumé, ces neuf points. Nous allons retrouver là-dedans des choses que nous allons discuter aussi à l'occasion de l'étude des douze points soumis par le gouvernement du Canada.

Le premier grand principe — et, là-dedans, il y a un enchaînement tout à fait logique pour le déroulement de nos travaux — c'est que le Canada n'est ni géographiquement, ni historiquement, ni culturellement un pays homogène; il comprend plusieurs régions qui, tout en étant très différentes les unes des autres par leur situation, leur étendue, leur évolution historique, leurs richesses naturelles et leur vocation économique, demeurent complémentaires entre elles. Il com-

prend aussi deux grandes communautés linguistiques et culturelles, elles-mêmes enrichies par l'apport de nombreux groupes ethniques. Le fédéralisme étant une recherche constante d'un point d'équilibre entre la centralisation et l'autono-misme, entre la concertation des efforts et la sauvegarde des particularismes légitimes, constitue le meilleur mode de gouvernement capable de maintenir l'unité du Canada, tout en permettant à chacune de ses composantes de se développer et de s'épanouir selon ses caractéristiques propres. C'était le premier grand point qui voulait situer en même temps tous les autres.

Deuxièmement, il est devenu urgent de redonner force et vitalité à la fédération canadienne en dotant le pays d'une nouvelle constitution conçue et adaptée au Canada. On ne fait pas, ici, allusion au rapatriement ou à la formule d'amendement.

Troisièmement — ici, on rejoint très bien le rapport Pepin-Robarts; d'ailleurs, ces idées que nous avions publiées en 1978 procèdent du rapport Pepm-Robarts et nous voyons que nous sommes entièrement d'accord là-dessus — cette nouvelle constitution doit reconnaître l'égalité de statut de deux ordres de gouvernement, un gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, chacun étant souverain dans ses sphères de compétence. On peut lire, à la page 91 du rapport Pepin-Robarts: "Nous considérons que les gouvernements provinciaux sont de stature et de maturité égales à celles du gouvernement central et nous recommandons sans aucune hésitation qu'une nouvelle constitution reconnaisse leur égalité de statut." Déjà, à Drummondville, en 1978, nous avions soumis ce principe.

Quatrièmement, la nouvelle constitution que nous aimerions voir établir doit délimiter clairement les compétences de chaque ordre de gouvernement, de manière à diminuer de façon significative les chevauchements de juridictions et reconnaître que les pouvoirs non expressément attribués au gouvernement fédéral sont dévolus aux gouvernements provinciaux; il s'agit évidemment de tous les pouvoirs résiduaires.

Cinquièmement — ici, on s'inspire également du document publié par le gouvernement fédéral — notre nouvelle constitution doit reconnaître que le Canada est le foyer ancestral de nos populations autochtones et que, à ce titre, celles-ci jouissent de certains droits et privilèges.

Sixièmement, cette nouvelle constitution doit reconnaître explicitement que le Canada se compose de deux nations, l'une de langue anglaise et l'autre de langue française, celle-ci ayant son premier foyer et son centre de gravité au Québec, bien qu'elle s'étende dans l'ensemble du territoire canadien. Ces deux nations sont le prolongement dans le temps et dans les faits des deux peuples fondateurs de ce pays qui ont été enrichis par l'apport de plusieurs groupes ethniques venus des quatre coins du monde.

Septièmement, cette nouvelle constitution doit reconnaître que le Québec, premier foyer de la nation canadienne-française est la seule province à majorité de langue française au Canada et que ce caractère distinctif lui confère des responsabilités, notamment dans le domaine socio-culturel, à l'égard de la nation canadienne-française, que les neuf autres gouvernements provinciaux assument ensemble à l'égard de la nation canadienne-anglaise. (15 h 15)

Toutes les provinces auraient accès aux pouvoirs dont le Québec a besoin pour préserver son caractère distinctif, mais elles auraient le choix soit de les exercer, soit d'en confier l'exercice au gouvernement fédéral. En parlant de l'autodétermination, on a dit que c'était un droit politique, mais — et c'est la question que je me pose ici — est-ce qu'il y a quelque chose qui empêche que ce droit ne devienne pas un jour une réalité juridique? Nous avions inscrit au no 8 de notre proposition constitutionnelle: "Cette nouvelle constitution doit reconnaître que le Québec, premier foyer et centre de gravité de la nation canadienne-française, a le droit inaliénable à l'autodétermination et donc à la maîtrise de son destin."

Enfin, 9e: "Cette nouvelle constitution doit reconnaître que la langue française et la langue anglaise sont les langues officielles des institutions politiques fédérales et des organismes relevant de leur compétence."

En conclusion, l'Union Nationale est convaincue qu'un accord de tous les partis politiques sur chacun de ces points s'impose si on veut enfin, suite au référendum québécois, que le reste du Canada comprenne bien que la conception québécoise du renouvellement de la constitution canadienne n'est pas l'apanage d'un seul parti politique, mais fait l'objet d'un consensus social et politique qui ne peut être ignoré. Une constitution qui ferait semblant d'ignorer ce consensus ou, pire encore, qui chercherait délibérément à le supprimer pour fabriquer en série des Canadiens homogénéisés et interchangeables aboutirait fatalement à un échec. Cette constitution deviendrait rapidement un outil d'assimilation et non de liberté, une source de conflits perpétuels plutôt qu'un facteur d'équilibre.

Ce sont des points, M. le Président, que je voulais soumettre aux membres de cette commission, quitte à recevoir de leur part, en temps et lieu, les commentaires qui peuvent s'avérer nécessaires. Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. 'e député de Rouyn-Noranda.

M. Camil Samson

M. Samson: M. le Président, sur ce point, j'ai de la difficulté à concilier les déclarations qu'ont faites les membres du gouvernement avec le point qui suivra, soit la charte des droits, alors qu'on nous a souligné qu'inclure une charte des droits fondamentaux dans une constitution ne plaisait pas particulièrement au gouvernement actuel, en soulignant que ça pourrait donner trop de pouvoirs aux juges et, par ce fait, remplacer les droits des Législatures.

Si on accepte le principe que le gouvernement a énoncé de ce côté, j'ai de la difficulté à comprendre la déclaration de principes que le premier ministre faisait connaître le 9 juin dernier. Il insistait — quand on dit insister, ça paraissait à plusieurs reprises dans sa déclaration — beaucoup pour que le droit à l'autodétermination soit inscrit dans la constitution. Si on nous dit que, d'une part, qu'en inscrivant les droits fondamentaux qui peuvent être des droits comme les libertés individuelles, la libre circulation, la mobilité de main-d'oeuvre, le droit de propriété, des choses comme ça, c'est trop dangereux parce que c'est donner trop de pouvoirs à des juges, à ce moment-là, je comprends mal qu'on insiste beaucoup dans la déclaration de principes en parlant du droit à l'autodétermination comme étant un préalable à toute autre forme de discussion. C'est ce que je vois dans la déclaration du premier ministre, en date du 9 juin. Il y a sûrement une contradiction là. D'une part, c'est valable que l'on inscrive des droits et, d'autre part, ça ne l'est pas. Il faudrait qu'on nous apporte des précisions là-dessus.

Cependant, je suis d'avis que le droit à l'autodétermination est un droit reconnu par tout le monde. Je suis d'avis qu'il ne doit pas être reconnu uniquement pour le Québec, mais pour toutes les autres provinces, parce que toutes les autres provinces ont aussi ou pourraient avoir des idées de vouloir exercer ce droit.

Cependant, je pense qu'un droit comme celui-là qui est universellement reconnu, qui a été, en fait, exercé à l'occasion du référendum... Si la population avait dit oui à ce référendum, le gouvernement aurait eu un mandat pour négocier l'autodétermination. Mais il ne l'a pas eu, ce mandat-là. Je pense qu'il y a des nuances à faire entre le droit universellement reconnu et la capacité d'appliquer ce droit ou encore la volonté d'un peuple de vouloir l'appliquer.

Ce qui s'est passé le 20 mai, c'est que le peuple a manifesté sa volonté de ne pas utiliser ce droit-là et je considère que, compte tenu du fait que c'est universellement reconnu, ce n'est pas absolument nécessaire de retrouver ça dans une déclaration de principes d'une nouvelle constitution. Au contraire, je considère que ça pourrait constituer des enfarges assez sérieuses. Au moment où il y a des discussions d'entamées, au moment où on nous souligne qu'on veut tenter de trouver un moyen, une formule d'entente, au même moment, on voudrait en même temps inscrire dans ce texte-là le droit à l'autodétermination qui serait probablement une des mesures qui seraient la première source de chicanes une fois la constitution adoptée, s'il y avait ça dedans.

Je ne peux pas voir qu'on puisse, d'une part, chercher à s'entendre et qu'en même temps on veuille absolument inscrire dans ce texte-là quelque chose qui pourrait, à courte échéance, devenir une source de désaccord et même qui pourrait être aussi, évidemment, interprété comme une source de provocation ou de chantage. Il faut se reporter au fait que c'est bien plus un droit politi- que qu'un droit juridique. Quand un peuple décide de faire quelque chose, même s'il y a des droits juridiques dans une constitution, c'est assez difficile d'aller contre la volonté d'un peuple, quand le peuple se manifeste majoritairement et quand le peuple fait front commun.

C'est, je pense, de "l'overselling", cette affaire-là, c'est aller trop loin, c'est en mettre trop pour rien. On a déjà tellement de difficulté à trouver les mots qu'il faut inscrire dans une nouvelle constitution pour convenir à tous les partenaires concernés qu'il ne faudrait pas aller chercher des mots qui ne sont pas plus utiles qu'il ne faut pour les inscrire et ainsi se créer des sources de problèmes avant même qu'on arrive à la conclusion.

Evidemment, le gouvernement est très hésitant à voir inscrire des droits fondamentaux que je considère comme devant faire partie d'une constitution. Quand on dit que des droits fondamentaux concernant les citoyens, les individus doivent faire partie d'une constitution, ça ne veut pas dire que les Législatures relèguent leurs pouvoirs aux juges. Cette constitution qui est en discussion, elle ne sera pas adoptée par la magistrature; elle sera adoptée par des pouvoirs politiques et, une fois que ces pouvoirs politiques l'auront adoptée ce seront là les balises que les juges devront respecter. Evidemment, c'est là la protection la meilleure qu'on puisse donner à des citoyens d'un pays quand, dans une constitution, ils savent qu'ils sont protégés spécifiquement pour telle chose, telle chose ou telle chose.

Mais, quand on arrive au droit à l'autodétermination, c'est une question qui n'est pas absolument nécessaire. Je dis que, quand ce n'est pas absolument nécessaire, je ne vois pas pourquoi on s'enfarge là-dedans.

Quand je vois que c'est là, en fait, le coeur de la déclaration gouvernementale de principes, je me dis, au départ, que je ne suis pas sûr s'ils sont sérieux quand ils veulent discuter d'une constitution nouvelle et d'un fédéralisme renouvelé. Pourquoi d'avance aller dire à nos partenaires: On discute d'une nouvelle constitution, mais, attention, on se réserve un article là-dedans qu'on peut utiliser n'importe quand? On peut mettre fin à tout ça, on peut faire chambranler tout l'édifice d'un moment à l'autre et on ne sait pas à quel moment. Cela risquerait sérieusement, en tout cas, de déstabiliser la politique et le régime politique canadien et même le régime politique québécois. Pour moi, c'est du superflu. Je tiens à souligner, cependant, que je ne m'oppose pas au fait que c'est un droit que tout le monde peut exercer, que tous les peuples peuvent exercer. Mais ce n'est pas nécessaire d'aller inscrire ça là-dedans et je m'oppose à ce qu'on inscrive ça dans une constitution.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci.

M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, juste deux mots.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le ministre.

M. Morin (Louis-Hébert): Je pense que mon collègue, le ministre de l'Education, voudra prendre la parole tantôt sur une question. Quand on a commencé la discussion tout à l'heure, j'ai attiré l'attention sur les deux points que la délégation du Québec avait soulevés au moment de la discussion de la déclaration de principes, lors d'une rencontre au mois de juillet. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autre chose qui a été mentionné, mais, comme d'autres provinces ont mentionné d'autres sujets et qu'il n'y a pas, sur ces diverses questions, encore, au moment où nous en sommes, de consensus établi quant à savoir si on insiste ou non sur la monarchie, sur le parlementarisme canadien ou Dieu sait quoi, je n'ai pas insisté là-dessus. Je veux dire qu'on n'a pas seulement parlé des deux questions que nous avons soulevées tout à l'heure.

Le deuxième point, c'est que nous avons voulu aborder cet après-midi la question de la dualité, les deux sociétés, et la question de la libre détermination du Québec. En ce qui concerne la dualité, je voudrais essayer de résumer; si je me trompe, vous me corrigerez. Je pense que ça ne fait pas de problème — j'en étais convaincu avant qu'on commence ce matin — en ce sens que les déclarations et les textes émis par les divers partis politiques sont assez clairs à cet égard. Je pense bien qu'une constitution canadienne future qui ne tiendrait pas compte de l'existence au Canada de deux peuples — je comprends le problème que le chef de l'Opposition a mentionné en ce qui concerne les autochtones; on en est fort conscient, d'ailleurs — serait une constitution qui porterait à faux. Cela explique pourquoi, par exemple, quand le premier ministre du Canada a émis sa formule: "Nous, peuple du Canada" (au singulier), ça a soulevé des questions ici même au Québec et parmi des gens qui sont autour de cette table.

Donc, le problème des deux sociétés ou des deux peuples, je pense, ne présente pas de difficultés inouïes. Je pense que ça devrait faire partie d'une déclaration de principes ou d'un préambule, puisque ça gouverne l'ensemble de la loi fondamentale.

En ce qui concerne l'autodétermination ou la libre disposition, il y a une autre chose qui m'a l'air d'être assez claire, c'est que tout le monde est d'accord que c'est un droit qui existe. C'est reconnu, et le chef de l'Opposition nous a lu tantôt un document émanant de son parti; même chose de la part du chef de l'Union Nationale. Alors, de ce côté-là, il n'y a pas de difficulté. Je pense qu'il n'y en a pas en ce qui nous concerne non plus, évidemment. En conséquence, c'est un droit qui a été exercé et un droit qui demeure. L'exercice de ce droit-là n'a pas à annuler ce droit-là, comme quelqu'un vient de le mentionner. C'est un peu comme si j'ai une automobile à la porte et que je décide de ne pas m'en servir pour faire mes voyages. Je ne la fais pas disparaître; elle est encore là. Par conséquent, il ne faut pas confondre les sujets.

Maintenant, il reste un problème. Peut-être que c'est ça dont le ministre de l'Education veut parler. Il s'agit de savoir si, reconnaissant que le droit existe — tout le monde est d'accord là-dessus — on en parle ou on n'en parle pas. Il restera à savoir en quels termes on en parlera. J'admets qu'il peut y avoir bien des approches. Alors, ça demeure comme problème. Je ne sais pas sur quoi exactement M. le ministre de l'Education voulait intervenir. Je vais peut-être lui laisser la parole, quitte à continuer tantôt.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le ministre de l'Education.

Discussion générale

M. Morin (Sauvé): Effectivement, M. le Président, je voudrais revenir sur un point souligné par le chef de l'Opposition et voir s'il n'y aurait pas moyen de trouver un terrain d'entente au sujet de l'énonciation de ce droit d'autodétermination, par ailleurs reconnu en droit international et dans certaines constitutions.

(15 h 30)

Le chef de l'Opposition nous a rappelé qu'une résolution adoptée lors d'un congrès de son parti avait reconnu clairement le droit de la libre disposition du Québec; mais, a-t-il ajouté dans la foulée du rapport Pepin-Robarts, il n'est peut-être ni essentiel, ni opportun de le dire clairement dans la future constitution canadienne. Je voudrais revenir sur cette idée, parce qu'il me paraît que l'argument vaut la peine d'être examiné.

Le chef de l'Opposition nous a fait observer que très peu de constitutions fédérales mentionnent ce droit de libre disposition. Effectivement, le très petit nombre qui le mentionne n'a pas, dans les faits, respecté ce droit. Ce sont surtout des Etats socialistes, je pense, qui l'ont fait et l'on doit constater que dans le cas de certaines républiques fédérées soviétiques, comme la Géorgie, je pense, dans les années 1920, ce droit n'a pas été appliqué. Je voudrais cependant faire observer que nous avons devant nous un travail qui, dans une très large mesure, va faire appel à du droit nouveau, à un certain esprit d'invention, à une certaine imagination si l'on veut accommoder dans une future constitution fédérale les droits fondamentaux du Québec qui, par ailleurs, sont reconnus, si j'ai bien interprété le chef de l'Opposition, par son parti.

Il me semble que la distinction entre droit politique et droit juridique est un peu spécieuse. Au fond, qu'est-ce qu'un droit juridique? Quand un droit dit politique devient-il juridique? C'est la question que le député de Gaspé, chef de l'Union Nationale, a évoquée il y a un instant, il faut tout de même faire observer que ce droit est consacré par un très important texte international qui constitue du droit: la Charte de l'ONU. Est-ce que le fait que ce droit soit reconnu dans la Charte de l'ONU n'en fait encore qu'un droit simplement politique ou ne peut-on considérer, selon la théorie qui veut que le droit international prime le droit constitutionnel, qu'il s'agit d'ores et déjà d'un droit non seulement politique, mais bien juridique?

De toute façon, la question est de savoir si l'on ne doit pas vouloir transformer un droit dit politique en un droit juridique, c'est-à-dire expressément mentionné dans la constitution du Canada. Le chef de l'Opposition disait: Mais, c'est un droit reconnu — je crois que le député de Rouyn-Noranda a aussi évoqué cet argument — donc, pourquoi le mentionner expressément? Et on ajoutait: On ne légifère pas la vertu. Je veux bien admettre qu'il est difficile d'imposer la vertu, mais on doit bien admettre qu'une bonne partie de nos lois sont tout de même destinées à faire en sorte que les hommes ne s'en éloignent pas trop souvent. C'est ce dont il s'agit, en l'occurrence. Si ce droit n'est pas mentionné expressément dans une future constitution canadienne, ne risque-t-on pas d'être témoin de ce qui s'est passé dans certaines autres fédérations où les tribunaux ont dit: Ce droit n'est pas reconnu dans la constitution, donc, il n'existe pas. On a fait allusion tout à l'heure à une certaine jurisprudence. C'est ce qui s'est passé; la constitution n'était pas claire, on l'a interprétée en faveur d'un gouvernement central pour en conclure que le droit à l'autodétermination n'appartenait pas à tel Etat membre de telle fédération.

J'estime, pour ma part, que certaines choses sont mieux garanties lorsqu'elles sont dites expressément. Dans le cas du Québec, j'invite le chef de l'Opposition à réfléchir à l'idée suivante: L'un des grands obstacles à l'élaboration d'une constitution nouvelle tient à une certaine méfiance historique entre les deux peuples.

Le Québec, étant minoritaire, a toujours été soupçonneux a I'égard des desseins de la majorité. Est-ce que cela ne faciliterait pas tout l'exercice constitutionnel si les Québécois savaient qu'en tout état de cause leur droit de libre disposition ne serait pas remis en question dans la suite du temps, s'ils pouvaient compter une bonne fois sur un énoncé clair et précis de leur droit de libre disposition, lequel, si j'ai bien compris, est reconnu par tout le monde autour de cette table?

Si nous y croyons fermement — même le député de Rouyn-Noranda a dit que ce droit lui paraissait naturel — si nous y croyons tous, pourquoi ne pas demander qu'il soit consacré officiellement et expressément? Je pense que les Québécois, peut-être pour des raisons d'ordre psychologique, se sentiraient plus à l'aise pour s'aventurer dans une nouvelle constitution et dans les compromis qu'elle peut comporter s'ils savaient que ce droit était reconnu au départ par toutes les parties en présence.

Puis-je revenir sur cette idée que ce droit ne serait peut-être pas "juridique ", mais seulement politique? Il faudrait s'entendre sur la portée d'une déclaration comme celle d'Helsinki qui n'est pas très ancienne puisqu'elle date de quelques années à "peine — c'était en 1975, si ma mémoire est bonne — que le Canada a signée et qui reconnaît le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et par laquelle il s'est engagé à rendre ce droit effectif; c'est textuel, si ma mémoire d'enseignant ne me fait pas défaut.

Le Canada s'étant engagé internationalement à rendre ce droit effectif, quelle raison a-t-il de refuser d'inscrire ce droit dans la constitution fédérale, autre que de vouloir se garder une plus grande marge de manoeuvre, qui pourrait éventuellement permettre aux tribunaux de nier ce droit? Si nous le reconnaissons tous, pourquoi ne pas l'affirmer? Trouvons le vocabulaire suffisamment nuancé pour que les textes correspondent aux réalités sous-jacentes.

Le député de Rouyn-Noranda a soutenu que le Québec avait renoncé, le 20 mai, à l'exercice de ce droit. Je pense que ses paroles ont probablement dépassé sa pensée puisque, d'autre part, il nous a dit à la fin de son intervention qu'il reconnaissait le droit du peuple québécois à disposer de lui-même.

M. Samson: Je m'excuse, M. le Président, et je m'excuse auprès du ministre, je n'ai pas dit que le Québec avait renoncé à ce droit, j'ai dit qu'il n'avait pas accepté de l'appliquer. C'est cela que j'ai voulu dire.

M. Morin (Sauvé): Ah! Il n'a pas accepté une proposition qui lui était faite par le gouvernement du Québec quant à un certain régime pour l'avenir, mais c'est un droit inaliénable et aucun peuple digne de ce nom ne peut y renoncer!

Je conclus, M. le Président, que le Québec n'a jamais renoncé à ce droit. La preuve, c'est qu'il l'a exercé, justement, le 20 mai. Il ne doit pas y renoncer et notre intérêt national, celui de tous les partis dans cette Assemblée nationale, si l'on veut favoriser une discussion où chacun se sentirait sans méfiance à l'endroit de l'autre, notre intérêt collectif autour de cette table, c'est que ce droit soit expressément mentionné dans toute future constitution. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Oui, vous pouvez poser une question.

M. Le Moignan: C'est une simple question. Selon la solution proposée par Gérard Bergeron à savoir que les collectivités se sont associées librement au sein de la fédération, je voudrais savoir du ministre si une telle déclaration serait suffisante pour garantir juridiquement une réalité politique que tous reconnaissent.

M. Morin (Sauvé): Je pense, M. le Président, qu'il y aurait lieu d'examiner les mots de très près. Le seul risque que j'y verrais, à première vue — nous pouvons regarder le texte de plus près au cours des heures qui viennent — serait de donner l'impression qu'une fois pour toutes, le Québec a adhéré librement et que, désormais, il ne serait plus libre. Il faut éviter toute idée que l'adhésion du peuple québécois est irrévocable, qu'elle ne peut plus être remise en question.

C'est le sens que revêt le droit de libre disposition. Il peut être exercé dans l'avenir par une génération qui nous suivra, ou, sait-on jamais, plus tôt que cela...

Je dirai simplement au député de Gaspé que, de ce côté-ci de la table, nous serions prêts à examiner toute formule qui n aurait pas pour effet de renoncer directement ou indirectement a I exercice du droit de libre disposition dans I avenir.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: J'ai écouté avec intérêt ce qu'a dit le ministre de l'Education. Je pense que ça ne règle pas le problème. Comme il le concède lui-même, nous sommes sur un terrain où il faut inventer du droit nouveau. C'est extrêmement délicat, il faut mesurer toutes les implications de ce qu'on va faire. Je suis content de cet aveu d'humilité, d'un côté, qui tranche avec une certaine assurance avec laquelle on parlait de ces choses avant ce jour. Je suis content qu'on constate que le terrain est loin d'être aussi clair qu'on le pensait.

Ce qui m'apparaît, en vous écoutant, c'est qu'il y a trois grandes avenues possibles dans cette question-là. Il y en a peut-être quatre. Il y en a une qui consiste à interdire le droit de sécession, ce que font certaines constitutions fédérales. Je pense que personne de nous ne veut d'une clause qui interdirait le droit de sécession au Québec ou même à d'autres parties constituantes de la fédération. Deuxièmement, on peut envisager une clause dans laquelle il est dit que les parties qui entrent dans cette alliance fédérale le font librement et cela aurait, à mon point de vue, suivant la rédaction qu'on trouverait, plus de portée que vous ne sembliez vouloir le reconnaître. Il y aurait des choses à rechercher de ce côté-là. Il y a une troisième avenue qui consiste à veiller soigneusement à ce qu'aucune disposition du texte ne vienne porter obstacle à l'exercice éventuel ou à la reconnaissance implicite de ce droit. Cela aussi est fort. Je me rappelle toujours une parole d'Eugène Forsey qui disait: "Quand la loi ne défend pas une chose, je considère qu'elle est permise." En général, je pense que c'est un principe assez juste. Je l'ai appliqué longtemps dans ce que j'ai fait comme journaliste et ça ne m'a jamais nui.

M. Morin (Louis-Hébert): Donc, on peut se fier à ça.

M. Ryan: Je l'affirme à titre d'hypothèse. Je suis bien heureux, si on veut me contredire, ça me fera plaisir. Je pense que c'est un principe qui est sain en soi. Ce que les lois positives n'interdisent pas, un préjugé veut qu'il soit permis de le faire. Finalement, il y a une quatrième voie...

M. Morin (Sauvé): Les tribunaux ne sont pas toujours de cet avis, cependant.

M. Ryan: Très bien, mais je l'émets à titre de principe de sagesse fondamentale qui me semble intéressant. Quatrièmement, il y a la voie qui consiste à affirmer explicitement ce principe dans un texte constitutionnel. C'est la voie que le gouvernement préconise. Il faut en mesurer toutes les difficultés. Je pense que, si on l'inscrit pour le Québec, il faudra l'inscrire aussi pour les autres partenaires, et...

M. Morin (Sauvé): Ma foi, c'est leur problème; pourquoi pas?

M. Ryan: Cela va venir tout de suite. Il faut être sérieux un peu quand on discute. A ce moment-là, si M. Lougheed vient nous dire, parce qu'il n'est pas satisfait de la manière dont le problème de l'énergie est réglé au Québec: Je veux sortir de cette patente-là demain matin, mon droit est inscrit là; ensuite, ce sera le tour de M. Peck-ford; ensuite, ce sera le tour d'un autre. Si c'est ce que vous voulez faire, une espèce de palais flottant sur l'eau...

M. Morin (Sauvé): Non, ce n'est pas ce que nous entendons.

M. Ryan: ... ce ne sera pas, à ce moment-là, un pays très durable. Il faut mesurer les implications comme il faut. Actuellement, j'affirme une chose. Nous l'avons concrètement, vous reconnaissez vous-mêmes que nous l'avons exercé le 20 mai dernier. Et c'est déjà beaucoup à comparer à ce qui existe dans le monde actuellement. On peut chercher la perfection, mais il n'y a pas beaucoup de pays dans le monde...

M. Morin (Sauvé): Sauf que certains ne refusaient d'avance de reconnaître le résultat.

M. Ryan: Allez dans certains pays que vous fréquentez souvent et vous verrez qu'on n'aurait pas pu exercer ce droit-là de manière aussi libre et inconditionnelle que nous l'avons fait chez nous, au Canada. Si nous pouvons construire l'avenir sur un fondement aussi solide sans s'embarquer dans des voies juridiques inextricables, je pense qu'il y aura de grands avantages à agir ainsi.

Il me semble qu'à ce moment-ci c'est le gouvernement qui a l'initiative du jeu. On va le lui rappeler, d'ailleurs, à propos de tout ce sujet de la déclaration de principes. C'est bien beau, vous nous tirez les vers du nez, c'est agréable, on le fait avec plaisir, cela se fait dans un climat de grande courtoisie, mais on va vous demander, à partir des prochains instants, de nous produire des textes parce que c'est vous qui allez nous représenter là-bas parce que c'est vous qui avez le mandat, jusqu'à nouvel ordre, de le faire. Vous allez nous produire des textes en nous disant sous quelle forme cela pourrait être fait. (15 h 45)

Encore une fois, je vous ai fait part de réserves très sérieuses. Je vous rappelle qu'il y a quatre voies possibles. J'ai écouté avec intérêt ce qui a

été dit. Je me réjouis de constater, sur le fond, au plan politique, que le gouvernement se rend compte qu'il n'y a pas d'opposition fondamentale dans la ligne de conduite des partis représentés autour de la table.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Mme la députée de Prévost.

Mme Chaput-Rolland: Je voudrais d'abord répondre à M. Jacques-Yvan Morin sur le droit à l'autodétermination...

Une Voix: Le ministre de l'Education.

Mme Chaput-Rolland: Je vous demande pardon. J'ai le trac parce que c'est la première fois que je fais partie d'une telle commission. M. le ministre, excusez-moi.

Vous avez cité, tout à l'heure, la Charte des Nations Unies, l'article 4 qui permet aux peuples de disposer d'eux-mêmes. Quelques années plus tard, vous n'êtes pas sans savoir que U Thant avait fait une autre déclaration qui disait que les Nations Unies, pour autant qu'elles reconnaissaient le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ne reconnaissaient pas aux nations qui adhèrent à la charte le droit de laisser une des parties composantes des nations... Oui, c'est une résolution que je connais très bien, et qui a existé; elle a soulevé beaucoup de controverse, mais elle a existé. Si on l'applique à notre société, on pourrait presque dire que ce n'est pas parce que le Québec est une province qu'il a le droit à l'autodétermination; c'est parce qu'il est une société distincte qui a ses composantes dans les autres provinces. Comment allez-vous reconnaître aux Canadiens français des autres provinces le droit à l'autodétermination du peuple québécois? Ces autres branches dans les autres provinces, comment vont-elles... C'est pour cela qu'autant la Commission Pepin-Robarts que la commission de M. Ryan ont reconnu le droit des peuples à s'autodéterminer, autant nous ne voulons pas que cela s'insère dans la constitution, mais que cela soit dans un texte à côté. C'est ma première intervention.

La deuxième intervention voudrait porter sur le dualisme. Il me semble extrêmement important, M. le ministre des Affaires intergouvernementales, d'éviter, comme je l'ai dit, dans un préambule... Qu'est-ce qu'un préambule? C'est ce qui contient la fibre même du pays, c'est ce qui contient l'idéal d'un pays, c'est ce qui fait que des citoyens manifestent une volonté commune de vivre ensemble. C'est pour cela que je m'étais élevée contre l'expression "le peuple", en disant: De grâce, ayons le courage de trouver des mots qui réconcilient plutôt que des mots qui divisent.

La dualité, dans le contexte de la Commission Pepin-Robarts à laquelle j'ai appartenu, telle que le comprend le livre beige — qui devient de plus en plus foncé, si vous me permettez — il me semble bien qu'à partir de ce moment, on peut s'apercevoir que ce n'est pas simplement une dualité d'une société française et anglaise, mais le dualis- me, tel que l'a compris la Commission Pepin-Robarts et tel qu'elle l'a défini, était un dualisme à quatre volets. C'était un dualisme, d'une part, linguistique, d'une part, juridique, confessionnel — parce que, dans l'actuelle constitution, il y a deux systèmes, catholique et protestant au Québec — et culturel. Ce sont ces quatre dualismes, ces quatre versets de la dualité qui donnent au Québec son caractère spécifique ou son caractère distinctif. Voilà pourquoi je dis tout simplement —et c'est le sens de mon intervention, parce que le chef de l'Opposition officielle a tout exprimé sur cette dualité — qu'il me semble très important qu'on aille au-delà de deux sociétés linguistiques pour mettre dans le préambule ce qui donne au Canada tout entier son caractère différent des autres pays et qui donne au Québec son caractère distinctif.

La troisième ou quatrième, je ne sais plus, c'est que lorsque nous sommes arrivés à décrire ce que nous devions mettre dans le préambule —je présume que les commissaires de votre commission ont dû faire la même chose — ce n'est qu'une fois que nous avons terminé le chapitre sur le fédéralisme renouvelé que nous avons conçu ce qui pouvait entrer dans le préambule. Mon collègue, Gérald Beaudoin, est ici, il va confirmer cela. C'est une fois qu'on a eu tout fini ce chapitre, qui était très long, qu'on a bien compris. J'abonde tout à fait dans le sens du chef de l'Opposition officielle pour dire que le préambule est d'une importance capitale, mais à la fin de l'exercice, pas au commencement et que, probablement, les mots que nous cherchons à éviter, comme "les deux peuples"... M. le ministre des Affaires intergouvernementales vient de dire que nous nous accordons sur deux sociétés, et le premier ministre dont je regrette beaucoup l'absence cet après-midi a dit, dans sa déclaration du 8 juin: "Pour nous, l'immense majorité des Québécois, le Canada est composé de deux nations égales entre elles." On est déjà entre nous, entre le premier ministre et son ministre, en présence de définitions différentes. C'est pourquoi je reviens sur cette proposition que je vous ai faite en disant: De grâce, M. le ministre, quand vous serez là... Je l'ai ici, si vous voulez la lire; je ne l'ai pas inventée. Il me semble que c'est encore extrêmement important que l'on trouve des mots qui rallient tout le monde et qu'on ne s'enferme pas dans des sémantiques, c'est pour cela ce qu'il y a...

Une Voix: ...

Mme Chaput-Rolland: Je peux arrêter de parler si je vous dérange, messieurs.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Chaput-Rolland: Je ne veux pas vous déranger trop. Merci.

M. Morin (Louis-Hébert): Non, mais on s'amuse...

Mme Chaput-Rolland: Je veux terminer, M. le ministre. Je n'ai qu'une phrase avant de terminer. Je voudrais simplement revenir sur la notion du dualisme et d'en faire à quatre parties plutôt qu'uniquement se concentrer sur la dualité, soit celle de deux peuples, de deux nations, de deux sociétés, de deux communautés. Mais le dualisme comme tel, c'est la base du préambule, mais une fois simplement que vous aurez trouvé tout ce qu'il y aura dans la prochaine constitution. J'ai l'impression que c'est sur le texte de la constitution que vous avez trouvé les mots exacts qui seront contenus dans le préambule. Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: La première chose, c'est seulement pour reprendre Mme la députée de Prévost au sujet des définitions différentes. Je me suis amusé ces derniers jours à faire...

Mme Chaput-Rolland: ... M. le député.

M. Charbonneau: Non.

Mme Chaput-Rolland: Merci.

M. Charbonneau: Pas exactement vous reciter, mais plutôt voir comment vous avez utilisé les définitions dans la logique de votre dictionnaire, notamment à la commission Pepin-Robarts. J'ai constaté que certains mots, vous les avez complètement omis dans votre rapport, par exemple, le mot "nation", et, dans d'autres cas, vous avez utilisé les mêmes mots pour définir des choses complètement différentes. Si vous voulez, pour votre intérêt personnel, je pourrai vous fournir les pages et d'abondantes citations pour montrer, dans l'usage qu'on a fait des mots, qu'on peut tous être pris en flagrant délit de contradiction: pas seulement le premier ministre du Québec, le chef de l'Opposition encore ce matin...

Mme Chaput-Rolland: J'ai donné cela à titre d'exemple.

M. Charbonneau: ... vous et moi et peut-être tout le monde ici. C'est la première chose.

Une Voix: C'est cela.

M. Charbonneau: La deuxième chose, c'est lorsque le ministre de l'Education parlait de droit nouveau et qu'on faisait appel tantôt à l'existence de pays totalitaires qui, eux, reconnaissent le droit à l'autodétermination. Peut-être que ce serait du droit nouveau d'une façon intéressante au niveau international que des pays dits démocratiques, pour une fois, puissent reconnaître ce droit, surtout lorsqu'on aspire à une constitution qui aurait des élans de générosité, comme le dit souvent le chef de l'Opposition.

Troisièmement, une chose est certaine, c'est que le Québec est probablement la seule province qui peut prétendre être le foyer national d'un peuple, d'une nation, au Canada. C'est dans ce sens-là que le gouvernement est légitimé de faire en sorte que non seulement ici, autour de la table, on reconnaisse ce droit, mais qu'on ait les garanties pour ce peuple et pour son foyer national, pour sa patrie, pour sa mère patrie, comme le disait le livre beige, que ce droit soit explicitement reconnu. Quant aux autres provinces, c'est leur problème, et je n'ai pas l'impression — je reprends la commission Pepin-Robarts — qu'il faudrait que chaque province au Canada nous le démontre. Personne n'a voulu revendiquer ce droit d'être ou cette réalité d'être le foyer national d'un peuple. Aucune des autres provinces n'a jamais prétendu être le foyer national d'un autre peuple. La seule province au Canada qui a toujours parlé de cette manière, c'est le Québec.

Dernièrement, vous avez parlé du problème de l'exercice du droit à l'autodétermination à cause des francophones hors Québec. Pourtant, le peuple canadien-français concentré à 90%, si on exclut les Acadiens, au Québec, a exercé ce droit. Je reprends le professeur Jacques Brossard que vous connaissez sans doute, qui est probablement un des plus grands juristes et le plus grand consti-tutionnaliste du Québec, qui a pondu une brique il y a plusieurs années; il a expliqué comment, finalement, ce peuple, cette société distincte dont vous parlez, pouvait très exactement en droit international exercer son droit à l'autodétermination même si l'ensemble des membres de cette société distincte dont vous parlez, du peuple dont nous parlons, n'a pas nécessairement été appelé à voter. Les citoyens du Québec ont voté. 80% à 90%, selon qu'on exclut ou non les Acadiens, les gens de ce peuple-là se sont exprimés. Trouvez-moi un peuple dans le monde qui n'a pas de diaspora et qui est parfaitement concentré dans un Etat. Il n'y en a pas.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le chef de l'Union Nationale, vous m'aviez demandé la parole, je pense.

M. Le Moignan: Oui, j'aurais deux questions à poser au ministre...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): D'accord. Allez-y.

M. Le Moignan:... à la suite des discussions. Il semble se dégager, d'après moi du moins, un genre de consensus soit sur l'existence de deux sociétés au Canada ou encore de deux peuples fondateurs même si, dans notre document, nous parlons de deux nations. Je voudrais demander au ministre des Affaires intergouvernementales si cette unanimité peut aller jusqu'à exiger la reconnaissance du caractère distinctif du Québec, premier foyer et centre de gravité de l'une de ces deux nations. Est-ce votre intention d'inscrire cela dans le préambule de la déclaration de principes?

M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce que je peux répondre tout de suite, M. le Président?

M. Le Moignan: Oui, j'aimerais mieux que vous répondiez tout de suite et j'aurais une autre question.

M. Morin (Louis-Hébert): Nous n'avons pas encore préparé, sauf des brouillons que nous nous sommes faits, de projet de déclaration de principes; en tout cas, nous n'en avons pas de prêt pour le moment. J'aurais l'intention de proposer que nous utilisions dans ce préambule à peu près les mots que vous venez d'utiliser. Je ne vois pas en quoi ils seraient inacceptables puisqu'ils sont ceux que M. Trudeau lui-même, dans sa lettre ouverte aux Québécois, a mentionnés. La réponse à votre question est oui.

M. Le Moignan: Voici maintenant ma deuxième question. On a parlé tout à l'heure de la libre disposition. Est-ce que le ministre accepterait d'étudier plus en profondeur la possibilité de proposer une formule qui irait dans le sens d'une fédération où les composantes sont associées librement? Ici, je crois rejoindre la position du Parti libéral, si j'ai bien compris l'argumentation de ce côté-là; je pense que cela rejoint les préoccupations et de l'Union Nationale et du Parti libéral. Est-ce que cette solution de compromis serait acceptable? Si j'ai mal interprété...

M. Morin (Louis-Hébert): L'intervention du chef de l'Union Nationale rejoint aussi nos préoccupations pour la bonne raison que, sans savoir qu'il y avait quatre avenues, comme le chef de l'Opposition l'a mentionné tantôt, nous avons déjà, au cours de nos négociations du mois dernier, exploré la troisième. On sait très bien — on n'est quand même pas né de la dernière pluie — qu'il y a des mots qui font sursauter des personnes et qu'on n'est pas obligé de les utiliser si on en a d'autres qui disent la même chose. Cela fait longtemps que j'ai appris cela; par conséquent...

Une Voix: Souveraineté-association.

M. Morin (Louis-Hébert): ... il va de soi que la solution... J'avais une blague à faire tantôt et tout le monde est en train de s'amuser, mais je ne veux pas changer le sujet. Je voulais montrer, à partir d'un vieux journal, un titre au chef de l'Opposition, Je lui montre, seulement à lui.

M. Ryan: Quelle année?

M. Morin (Louis-Hébert): Quelle année? 1970.

M. Ryan: Dix ans sont passés depuis ce temps-là.

M. Morin (Louis-Hébert): Vous parliez des deux nations qui étaient en train de se faire; elles sont peut-être réalisées depuis dix ans. Bon. Cela étant dit, pour revenir à des propos plus sérieux, je voudrais dire au chef de l'Union Nationale qu'effectivement c'est dans cette direction que notre recherche se dirige depuis trois semaines. Je pense qu'à partir de nos échanges aujourd'hui, tenant compte qu'il y a des problèmes de terminologie — Dieu sait s'il y en a — nous pensons pouvoir, avec ce qui s'est dit jusqu'à maintenant — je ne voudrais pas faire un faux résumé d'un faux consensus, on aura les notes de ce qui s'est dit depuis le début et on les consultera. Pour ma part, je pense que, compte tenu de l'obligation dans laquelle on est ou on sera vraisemblablement, comme délégation, de parler de cette question de préambule, même si cela aurait très bien pu venir à la fin — qu'est-ce que vous voulez, ce n'est pas nous qui avons poussé là-dessus, le premier texte qui a été présenté publiquement est celui d'un préambule — comme nous aurons à nous en occuper, comme nous aurons à y insérer de toute façon des choses qui vont être significatives, il ne faudrait pas, à partir de la hâte de certains d'agir de ce côté-là, commettre d'erreurs qui engageraient d'une façon qui ne conviendrait pas à l'avenir des Québécois.

Par conséquent, après ce qui a été dit aujourd'hui et sans aller plus loin, personnellement, j'en ai assez pour voir dans quelle direction nous orienter, d'autant plus que je découvre à la discussion que les orientations en cause sont assez convergentes.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: Je voudrais ajouter quelques notes, si vous me le permettez, M. le Président. D'abord, au sujet de ce qu'a dit le chef de l'Union Nationale plus tôt, à propos des principes qui nous ont été soumis, la plupart des principes qui sont énoncés dans cette déclaration sont acceptables moyennant certaines réserves aux chapitres du vocabulaire et de la sémantique. Evidemment, cela reste une parenthèse qu'il faut mettre, mais sur le fond je pense qu'il n'y a pas trop de difficultés, sauf à propos d'un point. (16 heures)

Le septième principe que vous avez formulé s'énonce ainsi. Cette nouvelle constitution doit reconnaître que le Québec, premier foyer de la nation canadienne-française, est la seule province à majorité de langue française au Canada. Ce caractère distinctif lui confère des responsabilités, notamment dans le domaine socio-culturel à l'égard de la nation canadienne-française, que les neuf autres gouvernements provinciaux assument ensemble à l'égard de la nation canadienne-anglaise. Je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendu dans les esprits. Moi, je ne souscris pas à cette formulation. Je pense que le Québec est le foyer principal de la communauté française au Canada, même en Amérique du Nord. A ce titre, il a des responsabilités majeures à l'endroit de sa population francophone, aussi à l'endroit du fait français en général, en Amérique du Nord. Mais il a également des responsabilités qu'il peut seul assumer à l'endroit de ses minorités linguistiques, en particulier de sa minorité anglophone et de ses

minorités ethniques. De même, il faudra absolument que la future constitution affirme les responsabilités des autres provinces, les responsabilités premières des autres provinces au plan juridique à l'endroit de leurs minorités francophones. C'est peut-être cela que vous seriez prêt à admettre par voie d'extension, mais la formulation qui est là est assez peu claire. Je pense que c'est important que ceci soit très net, je veux l'affirmer avec beaucoup de force. Deuxièmement...

M. Le Moignan: Si le chef de l'Opposition le permet, je pense qu'on rejoint le rapport Pepin-Robarts dans cette affirmation. Je n'ai pas la citation, la référence précise, mais, de toute façon, on pourra fouiller et on pourra s'en reparler.

M. Ryan: Oui, mais même si c'était écrit dans le rapport Pepin-Robarts, cela ne veut pas dire que je l'accepterais comme tel! Excusez, Mme... J'ai trois observations à formuler. Deuxièmement, je pense qu'il est important qu'on aborde l'oeuvre de la révision constitutionnelle avec l'idée de durée. Il me semble que, si on allait faire une enreprise comme celle-là sans nourrir sincèrement et profondément des pensées de durée, il y aurait quelque chose d'absolument faux et artificiel dans l'exercice. C'est pour cela qu'on dit souvent — c'est une comparaison banale dont je ne veux pas abuser — que, lorsqu'on contracte mariage, le premier souci qu'on a, ce n'est pas de dire: Je peux en sortir dans six mois si cela ne marche pas. Qu'il y ait des lois qui prévoient qu'on pourra en sortir, c'est une autre affaire. Mais nous autres, ce que nous disons ici, c'est que c'est bien important que l'idée de durée soit l'un des moteurs de toute l'entreprise qu'on va essayer de mettre sur pied. Autrement, c'est évident qu'on va bâtir un château de cartes fait de légalisme et d'arrangements artificiels et qui menacera de s'effondrer à la première occasion.

J'ajoute un autre point. Dans le projet de déclaration que le chef de l'Union Nationale a soumis, si on avait seulement ceci pour nous guider, je pense qu'on n'aurait pas les éléments capitaux dont on a besoin pour édifier un fédéralisme concret au Canada. C'est très important d'ajouter des éléments qui vont dire ce que sera le rôle d'un pouvoir central dans le régime fédéral de demain; ce que sera la responsabilité des pouvoirs provinciaux également et ce sont des aspects qui ne sont pas traités du tout, sauf de manière très rapide, dans le document en question. Cela étant dit, je ne pense pas que ce soit le lieu aujourd'hui, je ne voudrais pas que le ministre conclue qu'on s'entend sur tout parce qu'il y a des points très importants sur lesquels il y a des difficultés et il appartiendrait au gouvernement de produire des textes que nous jugerons en toute liberté, à la lumière des idées que nous avons énoncées aujourd'hui.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Rosemont et, par la suite, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Paquette: Deux très brèves remarques, M. le Président, pour ne pas allonger les débats. Sur la proposition du chef de l'Union Nationale, à savoir qu'on pourrait peut-être formuler le droit à l'autodétermination du Québec sous la forme: les partenaires adhèrent librement à la fédération canadienne, personnellement, j'aurais quelques réserves parce qu'il faudrait définir quels sont les partenaires dont on parle. S'il s'agit des dix provinces canadiennes, à ce moment, cela démontre que l'on ne reconnaît pas le droit à l'autodétermination du Québec dans les faits puisque c'est en tant que nation, que société distincte que le Québec peut revendiquer et revendique depuis toujours le droit à l'autodétermination. Ce serait en quelque sorte traiter, quant à cette adhésion libre, les dix provinces sur le même pied alors que seul le Québec réclame être le foyer principal d'une nation et, par conséquent, réclame qu'on reconnaisse son droit à l'autodétermination. Il faudra donc faire extrêmement attention à cette formulation.

La deuxième remarque se raccroche à ce que disait le chef de l'Opposition officielle. J'ai cru percevoir que ses réticences à inscrire le droit d'autodétermination du Québec dans la constitution canadienne avaient trait à une impression qu'on pouvait en quelque sorte donner qu'on ne faisait pas une constitution pour durer.

M. le Président, je vous rappelle qu'on peut très bien adhérer à ce droit d'autodétermination en étant souverainiste, en étant fédéraliste. D'ailleurs, l'adhésion unanime à ce principe des partis autour de la table le démontre.

Par conséquent, affirmer le droit à l'autodétermination dans la constitution canadienne a des conséquences importantes qui n'ont pas nécessairement quelque chose à voir avec une éventuelle sécession du Québec ou un éventuel nouveau référendum sur cette question. C'est simplement faire en sorte que soit reconnu par tout le monde qu'aucun régime fédéral ne pourra être établi sans que le peuple québécois n'y adhère librement. Très concrètement, ça pourrait vouloir dire ceci: On ne devra pas, par exemple, dans la formule d'amendement, faire en sorte qu'une nouvelle constitution ou des amendements à une nouvelle constitution puissent être adoptés sans que le Québec n'y ait souscrit librement.

Je pense que le droit à l'autodétermination du Québec a de multiples usages et par conséquent son inscription dans la constitution canadienne ne signifie pas qu'on remet en question la durée du travail de rédaction d'une nouvelle constitution qu'on est en train de faire.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: M. le Président, concernant l'inscription du droit à l'autodétermination dans la future constitution, les arguments que j'ai écoutés avec beaucoup d'intérêt ne m'ont pas convaincu qu'il fallait l'inscrire dans la future constitution. Cependant, j'ai cru comprendre qu'à la lumière

des discussions, le ministre verrait à tenter de trouver une formulation acceptable. Evidemment, en ce qui me concerne, j'attendrai de voir quelle sera cette formulation. Ce que j'aimerais souligner, c'est que cela n'engage pas, au moment présent, la présente commission ou les membres de la présente commission. Si je comprends bien — le ministre me corrigera si j'ai mal compris — vous verrez à préparer quelque chose de différent, et avant de demander un consensus, vous nous le soumettrez, si j'ai bien compris. Est-ce que c'est ça?

M. Morin (Louis-Hébert): C'est-à-dire que l'objectif n'était pas, aujourd'hui, de prendre des bribes de phrases de tous et chacun, d'aligner ça ensemble et de dire que ç'a été prononcé ici, donc tout le monde est d'accord. Là-dessus, je pense que c'est très clair.

Deuxièmement, est-ce qu'on va vous reconsulter sur la terminologie utilisée? Il y a une chose sûre, c'est que quand le gouvernement sera arrivé à une formulation concernant le préambule, d'une façon ou de l'autre — et je ne peux pas vous dire comment ça se produira, parce que je ne connais pas le calendrier, mais je peux vous dire qu'on est extraordinairement pris, je vous ai montré l'horaire ce matin, d'ici le 8 septembre — quand ce sera prêt, ce sera public, comme toutes les choses qu'on a faites. A ce moment, tous les commentaires seront bienvenus, parce que, s'il y a des choses à améliorer dans ce qu'on aura produit, nous le ferons avec plaisir à partir des commentaires qui auront été formulés, que ce soit par vous ou par d'autres.

M. Samson: Ce que je voulais vous entendre dire, c'est que vous ne tenez pas pour acquis qu'il y a un consensus sur la formulation à venir.

M. Morin (Louis-Hébert): Pour la bonne raison qu'on n'a pas soumis de formulation et que personne n'a rien écrit.

M. Samson: Qui est à venir...

M. Morin (Louis-Hébert): Non, ni actuelle ni à venir; ce que j'ai dit c'est qu'il s'est dit beaucoup de choses, alors, consultez les notes. Ce que j'ai entendu, en autant que ma mémoire est fidèle, m'oriente dans la rédaction de ce document que nous allons faire et, à partir de ça, vous jugerez si ce qu'on a dit correspond à ce que vous avez voulu dire. On n'est pas obligé d'être d'accord sur tout, c'est bien évident, mais je pense qu'en ce qui concerne ce sujet, c'est telle proposition que je ferais, mais en ce qui concerne ce sujet, on a assez fait le tour que toute autre continuation de discussion serait peut-être une addition ou des renvois en bas de pages à propos de ce qui s'est déjà dit jusqu'à maintenant. Je proposerais peut-être qu'on change de sujet, M. le Président.

M. Ryan: Est-ce que vous avez une idée du moment où vous allez produire ce document? Est-ce qu'il va circuler avant la réunion d'Ottawa ou...

M. Morin (Louis-Hébert): C'est une bonne question. Ce qui se produit c'est que, normalement, on doit parler de ce sujet dans la dernière semaine du mois d'août, au niveau des ministres. Bon. Si, à ce moment-là, nous avons un texte de prêt, il sera, comme toutes les autres propositions faites par le gouvernement du Québec, immédiatement rendu public. S'il n'est pas rendu public à ce moment-là, vous pourrez tenir pour acquis que c'est parce qu'il ne sera pas fait à ce moment. Parce qu'il peut arriver que l'ordre du jour fédéral soit chambardé. Je ne sais pas, mais pour autant que nous connaissions les événements à venir maintenant et pour autant que nous puissions interpréter de façon réaliste les indications que nous avons, le sujet vient à l'ordre du jour, d'abord dans deux semaines, et ensuite, à la conférence des premiers ministres. C'est ou bien dans deux semaines ou à la conférence des premiers ministres même, mais si c'est dans deux semaines, au moment de la réunion des ministres, il est sûr que la journée même, il va sortir.

Est-ce que cela répond à votre question?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): On change de sujet. M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Avant qu'on change de sujet, j'ai fait un petit résumé, peut-être que le ministre pourrait me dire si c'est exact ou non, ce n'est pas un texte définitif. Est-ce qu'on peut dire qu'on est d'accord sur certains points, par exemple, que le fédéralisme, d'après nous, est le meilleur outil pour assurer l'unité du Canada et le respect des différences de régions, de dualité, et le reste? Deuxièmement, on est d'accord sur le besoin d'une constitution conçue et adoptée au Canada; troisièmement, l'égalité de statut de deux ordres de gouvernement; quatrièmement, chaque ordre est souverain dans ses sphères de compétence; cinquièmement, la délimitation claire des compétences en vue d'éliminer ou de diminuer les chevauchements; sixièmement, les pouvoirs rési-duaires qui ne sont pas nécessairement dévolus au fédéral iraient nécessairement aux provinces; septièmement, deux sociétés au Canada et une à caractère distinctif au Québec et, finalement, l'autodétermination.

M. Morin (Louis-Hébert): Je vais répondre à votre question. Sur les points que vous avez mentionnés, je dirais que 90%, sauf quelques mots ici et là, ne présentent aucune espèce de difficulté comme guide à notre négociation des prochaines semaines. En ce qui concerne, par exemple, votre premier point...

M. Le Moignan: Le premier point, oui.

M. Morin (Louis-Hébert):... parce que c'est ce que vous avez en tête justement, vous aurez peut-être noté ce matin que dans la déclaration que j'ai faite, j'ai dit que notre rôle, actuellement, comme délégation, était — je ne peux pas me citer exactement, parce que je ne retrouve pas mon texte — qu'à l'intérieur du régime actuel, puisqu'il

n'est pas mis en cause présentement, nous essayons de faire en sorte que les droits et les intérêts des Québécois soient les mieux préservés et qu'ils soient l'objet d'une attention particulière, compte tenu des intérêts et des droits des autres. Disons que je vous répondrai de façon pragmatique étant donné que nous nous situons dans un cadre qui est celui qui existe et que nous respectons.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Avant de changer de sujet, j'aimerais informer les membres de la presse parlée surtout, qu'il leur est défendu, en salle de commission parlementaire, de faire des topos, comme on dit dans leur langage.

Là-dessus...

M. Ryan: Juste un petit mot, M. le Président. M. le chef de l'Union Nationale a fait un résumé qui est sa responsabilité. Si vous voulez un résumé de la position de mon parti, vous le trouverez évidemment dans les textes de mon parti que j'ai cités, dans les déclarations que j'ai faites au cours de la journée. Je ne voudrais pas être résumé par un autre à ce moment-ci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Alors...

M. Ryan: Honnêtement...

M. Le Moignan: J'ai demandé si ça rejoignait.

M. Morin (Louis-Hébert): Je ne comprends plus, là. En tout cas... Je ne sais pas de quoi il s'agit.

La charte des droits

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Conformément à l'entente de ce matin, nous abordons maintenant le deuxième point qui est la charte des droits. Je cède la parole au ministre de l'Education. (16 h 15)

M. Jacques-Yvan Morin

M. Morin (Sauvé): M. le Président, je ne sais s'il sera possible de trouver un terrain d'entente à ce sujet, mais nous pouvons tenter, à tout le moins, de circonscrire les points qui demeurent contentieux.

La première chose à constater, lorsque nous abordons ce sujet des droits fondamentaux, c'est l'existence au Québec d'une charte qui est probablement l'une des plus complètes existant sur cette planète. Je pense que tous reconnaissent que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne est l'une des plus élaborées, sinon la plus élaborée et, en même temps, l'une des mieux respectées.

Nous en avons même appliqué les dispositions à diverses reprises, notamment à propos de la Charte de la langue française, à la suite des représentations qui nous ont été faites par la Commission des droits de la personne. Non seulement, donc, cette charte existe-t-elle, mais elle est appliquée, respectée; elle est, pour tout dire, vécue.

Aussi, lorsqu'on aborde cette question des droits fondamentaux, de leur inscription dans une future constitution fédérale, on ne peut manquer d'observer au départ que les Québécois ont pris leurs responsabilités, probablement mieux que toute autre province et sans doute mieux que le gouvernement fédéral lui-même dans ce domaine. Nous n'avons pas à adopter l'attitude de gens qui seraient — comment dire — peu fiers de ce qu'ils ont fait dans ce domaine. Le Québec reconnaît effectivement les droits des personnes et les protège d'une manière étonnamment efficace.

On pourrait penser, comme l'a soutenu dans un certain document libéral, qu'une charte fédérale décrivant les droits fondamentaux, les principes démocratiques, les droits personnels et les droits linguistiques, rendrait les citoyens "plus conscients des consensus et des valeurs qui les rapprochent". Je me permets d'utiliser textuellement les mots que l'on trouve dans le préambule du chapitre 3 de ce qu'il est convenu d'appeler le livre beige. Mais, au contraire, il pourrait y avoir là un certain risque de "déresponsabiliser" le Québec et ses représentants légitimes à l'Assemblée nationale.

Je ne pense pas que nous ayons manqué jusqu'ici à nos responsabilités. Au contraire, j'estime que nous les avons exercées de façon exemplaire. L'un des risques que comporte l'adoption d'une telle charte constitutionnelle, sans pour autant l'exclure a priori, c'est de voir imposer à la minorité, en l'occurrence le Québec, un système de valeurs et peut-être même des intérêts politiques, comme on en trouve entre les lignes dans le projet fédéral, qui sont essentiellement ceux de la majorité. C'est un risque sur lequel je tiens à attirer votre attention. Lorsqu'une collectivité se donne une telle charte, c'est la majorité qui en définit les principes et elle le fait en s'inspirant de ses propres valeurs. On pourrait, en jetant un coup d'oeil sur certaines lois fédérales, depuis une trentaine d'années sinon davantage, trouver de multiples exemples où le système de valeurs qui inspire la législation pénale, par exemple, n'est pas celui du Québec, mais celui de la société majoritaire qu'on pourrait décrire, de façon très générale, comme étant anglophone et s'inspirant de valeurs protestantes.

Cela pourrait aboutir — c'est un risque qu'il faut mesurer, dont il faut tenir compte, en tout cas — à "déresponsabiliser" le Québec et les Québécois et, au pire, à les ligoter, dans la mesure où la charte fédérale pourrait contenir quelques petits pièges dont certains fédéraux ont le secret.

Encore s'il ne s'agissait que de libertés fondamentales, de droits personnels, de principes démocratiques — pour reprendre les principaux titres du projet fédéral — nous pourrions sans doute trouver un terrain d'entente. En tout cas, du côté gouvernemental, nous allons activement rechercher ce terrain d'entente. Mais il faut consta-

ter que le texte fédéral devra être examiné à la loupe avant que nous puissions même le considérer comme une base de discussion sérieuse.

Par exemple, je vais maintenant me pencher rapidement sur ce qu'on appelle les restrictions aux libertés — notamment aux libertés personnelles — que contient le projet fédéral. Si je me réfère aux documents de la commission constitutionnelle du Parti libéral du Québec, j'y trouve une allusion à "plusieurs expériences très présentes à notre esprit" pour justifier l'adoption d'une charte constitutionnelle des droits et libertés. Cela se trouve le préambule du chapitre 3. Pour fonder, donc, la nécessité d'une telle charte, on fait allusion à ces événements que tous ont à l'esprit.

On pourrait, en effet, penser qu'une nouvelle charte offrirait des garanties suffisantes aux citoyens pour les protéger en cas d'événements graves, fussent-ils semblables à ceux de 1970. Votre document — le document libéral — voudrait protéger ces droits de façon inaliénable et sûre. Tous, je pense, peuvent partager cet objectif de protection des droits "de façon inaliénable et sûre", sauf que ce n'est pas ce que fait le projet fédéral devant lequel nous nous trouvons.

Mon propos sera d'attirer l'attention des membres de cette commission et, au-delà de cette commission, l'attention des Québécois sur les textes qu'on nous propose. En effet, au chapitre des droits personnels, portant sur la vie, la sécurité de la personne, les saisies, l'immixtion dans la vie privée, l'emprisonnement, l'habeas corpus, la non-rétroactivité des lois, l'article 6, alinéa 3, du projet fédéral contient des restrictions telles qu'elles aboutissent à nier le caractère inaliénable et sûr de plusieurs droits qu'on prétend enchâsser dans la constitution.

En effet, "dans les situations d'urgence" — je me permets de citer, puisque le vocabulaire a été certainement choisi avec beaucoup de soin par les fédéraux — "menaçant la survivance du Canada" — vous avez remarqué qu'on ne parle pas de sécurité, comme l'a souligné, d'ailleurs, dans un éditorial, Mme Lise Bissonnette — le Parlement canadien peut suspendre la protection accordée aux citoyens par la charte contre les perquisitions. Vous allez peut-être retrouver là l'évocation de certains événements auxquels le document libéral faisait allusion dans son préambule. De même pour les immixtions injustifiées dans la vie privée, l'emprisonnement, la détention, l'habeas corpus. Non seulement l'habeas corpus, peut-il être suspendu par les fédéraux, mais la règle fondamentale de la non-rétroactivité des lois peut également être mise en veilleuse, la non-rétroactivité des crimes et des délits.

Je pense, M. le Président, qu'à y regarder de près, il n'y a pas de parti autour de cette table qui ne puisse avoir la puce à l'oreille. Ces textes ne veulent pas tellement protéger les citoyens que protéger une certaine conception que certains fédéraux se font de l'ordre établi. On voit que cette nouvelle charte, si elle était adoptée telle qu'elle, comme le propose Ottawa, n'empêcherait pas nécessairement la répétition de ce qu'on appelle, dans le document libéral provincial "plusieurs expériences très présentes à notre esprit." En tout cas, nous devons admettre loyalement, pour utiliser un mot dont le chef de l'Opposition se sert volontiers, que la principale justification donnée dans le livre beige ne semble pas se retrouver dans le projet fédéral. Autrement dit, les raisons qu'on donne dans le livre beige pour se donner des garanties inexpugnables ne trouvent pas leur pendant dans les projets fédéraux. C'est la première question que nous devons nous poser à ce sujet.

Il y a également un autre argument important. Ce n'est pas nous qui l'avons souligné les premiers. C'est une autorité qui, je pense, ne sera pas contestée autour de cette table, l'ancien conseiller du gouvernement québécois, ancien juge de la Cour suprême du Canada, M. le juge L.-P. Pigeon, qui disait — je me permets de le citer puisque chaque mot a son poids dans cette déclaration —•. "Ce que je tiens à souligner, c'est que si l'on considère l'effet à prévoir d'une charte des droits indiscutablement intangibles, il faut se rendre compte que cela comporte l'attribution aux tribunaux d'une partie importante du pouvoir législatif. A mon avis, on aurait tort de croire qu'il s'agit d'une fonction comparable à celle que comporte l'interprétation d'une constitution fédérale."

M. le Président, je faisais allusion tout à l'heure au risque de "déresponsabiliser" les Québécois, mais il y a également celui de "déresponsabiliser" les élus du peuple québécois, l'Assemblée nationale, ou, pour utiliser la mauvaise traduction qu'on trouve dans le document fédéral, "le corps législatif". La traduction de ce document laisse fort à désirer. Je pourrais donner de multiples exemples, mais tout le monde aura remarqué l'influence du "legislative body" dans le document fédéral traduit en français qui nous a été distribué. Je pourrais donner d'autres exemples de cette traduction plus que douteuse. Je ne pense pas que ce document soit d'inspiration française, c'est le moins qu'on puisse dire.

J'aborde rapidement, M. le Président, deux questions spécifiques, après cette entrée en matière. Je vais tenter de me résumer car il y aurait beaucoup à dire sur les droits linguistiques scolaires et sur la libre circulation des personnes, qui sera peut-être évoquée dans le contexte économique demain, mais fait également l'objet d'une disposition dans le projet de charte fédéral. Celui-ci nous laisse fort songeurs parce qu'il semble remettre en question tout le droit des professions au Québec et, notamment, la protection des professions telles qu'elles ont été établies par le Code des professions. La "libre circulation des personnes", telle qu'interprétée par les fédéraux, peut entraîner, de fait, l'interdiction faite à l'Assemblée nationale d'établir un certain nombre de conditions à l'exercice des professions au Québec. Je reviendrai là-dessus dans un instant.

Ce qui est plus important, ce sont les droits linguistiques scolaires, ce que le projet de charte

fédéral appelle si joliment, toujours en traduction, "la langue d'instruction". L'article 15, premier alinéa, nous dit que les citoyens canadiens habitant une province et qui font partie de la majorité anglophone ou francophone de la province ont le droit de faire instruire leurs enfants, au niveau primaire et au niveau secondaire, dans la langue de la minorité lorsque le nombre des enfants paraît suffisant.

M. le Président, je voudrais attirer l'attention des membres de cette commission sur le fait que le projet ne précise pas qui fait partie de la minorité. Le contexte, quand on lit l'ensemble du document, montre que cela est laissé au choix de chacun. Aucun critère objectif, comme ceux qu'établit de fait la Charte de la langue française, aucun critère subjectif non plus, comme la langue maternelle d'un certain document constitutionnel. En d'autres termes, à toutes fins pratiques, le document fédéral, tel qu'il est rédigé, signifie que nous reviendrions à la loi 63, qui porte tellement mieux son nom sous l'appellation de "bill 63". Mais ce n'est pas tout.

Au Québec, nous offrons des services à la minorité anglophone sur tout le territoire. Tous les anglophones — le mot étant utilisé entre guillemets, tel que défini dans la Charte de la langue française — ont accès à l'école anglaise. Or, si le projet de charte fédéral est appliqué tel qu'il est rédigé, ce ne sera pas nécessairement le cas pour les francophones résidant dans les provinces anglophones. (16 h 30)

Dans le cas du Québec, comme les droits sont déjà garantis, comme dans les faits les anglophones ont accès à l'école anglaise, cette situation se trouverait "gelée". Ce ne serait pas nécessairement une mauvaise chose, mais cette situation n'aurait pas son pendant dans les autres provinces, puisque le projet de charte fédéral, au second alinéa de l'article 15, ajoute que c'est le corps législatif — pour reprendre le "legislative body" — de chaque province qui pourra adopter les mesures relatives à la façon de déterminer si le nombre d'enfants qui font partie de la minorité dans une région justifie que soient créées des écoles à leur intention.

Autrement dit, le Québec aurait des obligations très strictes, bien définies; les provinces anglophones, en échange, ne nous offriraient que de pieuses intentions. C'est cela qui nous serait "garanti" — il faut mettre le mot "garanti" entre guillemets dans ce contexte — par le projet de charte fédéral.

En réalité, M. le Président, je pense qu'il s'agit moins, si on lit le texte avec attention, pour M. Trudeau et les fédéraux de garantir les droits scolaires des minorités que d'imposer au Québec le retour au libre choix. Ce serait le résultat exact du texte fédéral tel qu'il est rédigé: retour au libre choix et à la loi 63. De fait, le libre choix serait désormais enchâssé dans la constitution fédérale, et bien malin celui qui pourrait par la suite modi- fier révolution linguistique du Québec. Bien malin qui pourrait prédire également que dans les autres provinces, l'évolution se poursuivrait de façon favorable aux minorités francophones.

Il ne faut donc pas s'étonner que nous soyons un peu méfiants, du côté gouvernemental, à l'endroit des projets fédéraux. Il ne faudra pas s'étonner non plus si nous demandons aux autres partis, autour de cette table, de bien examiner ces textes et de nous donner leur appui lorsqu'il s'agira de protéger les droits et les responsabilités linguistiques du Québec dans cette affaire. Il serait tout de même paradoxal que le Québec fasse toutes les concessions, gèle pour l'avenir les droits extrêmement étendus d'une minorité dont feraient partie ceux qui veulent bien en faire partie tandis que, d'autre part, dans les autres provinces, nous serions soumis à la bonne volonté des Législatures provinciales.

Dans ce domaine, M. le Président, les actes valent mieux que les constitutions et les belles phrases. C'est la raison pour laquelle le Québec, sachant bien que les droits linguistiques sont mieux respectés ici que partout ailleurs au Canada, a proposé aux provinces un système fondé sur la réciprocité dans la reconnaissance des droits. Même si cette politique n'a pas conduit les provinces, à St.Andrews ou à Montréal, à s'entendre sur des textes contraignants, on peut tout de même constater que la bonne volonté des provinces, parce qu'on ne les force pas à agir, peu à peu, s'est orientée en faveur d'une reconnaissance très graduelle — trop graduelle — des droits minoritaires. Aucune disposition constitutionnelle n'a été nécessaire pour en arriver au consensus de Montréal; je fais allusion à l'accord des premiers ministres lors de cette réunion.

C'est sûrement cette expérience qui a amené la commission Pepin-Robarts, dont nous devrions, je pense, nous inspirer sur ce point, à conclure que la meilleure façon d'oeuvrer en faveur des droits était d'écarter les garanties constitutionnelles et d'inviter les provinces à mieux protéger les droits des minorités anglophones ou francophones.

Deux mots, avant de terminer, sur la libre circulation des personnes. Cette question prend visiblement une très grande importance dans les desseins fédéraux puisqu'ils y reviennent non seulement dans les pouvoirs en matière économique, mais également dans leur projet de charte. Il ne s'agit pas du droit de circuler sans passeport, lequel ne pose pas de difficulté particulière, mais du droit d'établissement. Les propositions sont couchées en termes tellement généraux, tellement vagues, d'ailleurs, qu'elles peuvent permettre des interprétations extrêmement larges et extensibles par les tribunaux. On peut dire que les mots utilisés par les fédéraux dans les dispositions qui traitent de la libre circulation pourraient être interprétés de façon très étendue par les tribunaux.

Dans le projet sur les droits économiques, sur lequel nous aurons l'occasion de nous pencher

demain, on parle de la liberté de mouvement, du droit d'établissement, quelle que soit la province où précédemment on était domicilié. Il y a également, dans une des annexes, une allusion au fait qu'il est bien regrettable que la réglementation professionnelle dans certaines provinces comporte des restrictions à la circulation de la main-d'oeuvre. On voit que ce qui inspire le texte fédéral, ce sont des préoccupations qui sont liées par exemple à celles qu'évoquait la "Canadian Bar Association" dans une résolution — l'an dernier, je pense — où celle-ci faisait appel à la libre circulation en ce qui concerne les juristes. On voit les risques que cela peut comporter pour le Québec.

Dans la charte des droits, sur laquelle nous nous penchons en ce moment, on fait allusion au droit d'assurer sa subsistance sous réserve des lois qui n'établissent pas de distinction entre les personnes uniquement sur la base de leur province de résidence passée ou actuelle. Cette fois, dans la charte, il est clairement question d'abolir ou de rendre inconstitutionnelles les distinctions qui sont fondées sur le lieu de résidence ou le domicile et c'est, à mon avis — en tout cas je le soumets pour étude à cette commission — une disposition qui remet en cause tout le droit des professions du Québec.

Puis-je rapidement vous mentionner trois hypothèses possibles dans l'interprétation de cette clause. Au minimum, quand on lit le texte du projet fédéral, la clause de mobilité interdit que soit mentionnée la province de résidence ou d'exercice comme condition d'exercice d'une profession; c'est là le minimum. Cela signifie que les tribunaux pourraient déclarer inconstitutionnelles toutes les conditions qui seraient liées à la province de résidence ou d'exercice. Voyez-vous les conséquences en chaîne que cela comporte pour le système professionnel du Québec? N'importe qui pourrait venir exercer au Québec. On ne pourrait plus faire tenir les conditions de résidence ou de domicile.

Deuxième hypothèse possible, qui est à mon avis la plus vraisemblable à la lecture des textes et en les interprétant d'après leur contexte. Sans forcer le sens des mots, on peut penser que seraient désormais inconstitutionnelles les conditions d'admission à l'exercice des professions et les exigences de formation initiale qui sont imposées par chaque profession au Québec. Cela devient beaucoup plus grave puisque c'est le caractère de société distincte du Québec qui est en cause.

Nous avons ici un droit des professions qui n'a pas d'égal ailleurs au Canada. Le Code des professions, adopté, il faut le reconnaître, par le gouvernement antérieur, est l'une de nos grandes réalisations et il a permis, et permet encore à l'heure où on se parle, de revoir en profondeur non seulement les objectifs des professions, mais la protection des citoyens et celle de chaque membre d'une profession. Or, à mon avis — et je vous invite à scruter de très près ces textes — ils vont jusqu'à remettre en cause la formation initiale déterminée par les professions, les universités et par d'autres intervenants. Si ce n'est pas le cas j'aimerais qu'on m'en fasse la démonstration.

A la limite maintenant, si l'on se donne par la pensée le tribunal qui appliquerait des garanties constitutionnelles de cette sorte, tribunal qui pourrait dans la suite des temps vouloir étendre les droits, comme cela s'est vu dans d'autres pays, l'interprétation du projet conduit à l'abolition du contrôle des professions par les gouvernements provinciaux et même par les professions elles-mêmes. La proposition fédérale conduit à l'uniformisation des conditions d'admission aux professions et des conditions d'exercice des professions. Or, est-il besoin d'attirer votre attention sur le fait que le Québec est justement la société où nous avons le système professionnel le plus dis-tinctif, si je puis m'exprimer de la sorte. Notre Code des professions, notre façon de régir les professions n'ont pas d'égal ailleurs au Canada. C'est tout cela qui est remis en cause par le projet fédéral. Encore une fois, si j'ai tort, je ne demande qu'à être contredit, mais qu'on m'en fasse la démonstration. En tout cas, il faudra scruter ces textes de très près. J'invite mes collègues, tant de ce côté-ci de la table que de l'autre, à y réfléchir sérieusement.

Que conclure? Le projet fédéral de charte des droits, si l'on n'y prend garde, pourrait aboutir à des résultats essentiellement "politiques". D'ailleurs, je crois que, dans sa rédaction actuelle, il est avant tout politique. Il ne constitue pas cet énoncé fondamental auquel on aurait pu s'attendre, d'une très grande clarté, comme l'est d'ailleurs la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Ce n'est pas seulement moi qui l'ai constaté, c'est un éditorialiste du Devoir, il n'y a pas longtemps. C'est un projet qui est tout en façade, plein d'arrière-pensées, de restrictions, notamment à l'endroit du Québec. Tout est prévu, écrivait Mme Lise Bissonnette, pour que les tribunaux ne puissent guère plus empêcher les abus des législateurs que ne le fait actuellement la Déclaration canadienne des droits.

M. le Président, du côté gouvernemental, j'ajouterai simplement que nous sommes ouverts à toute discussion. D'ailleurs, les interventions de mon collègue, le ministre des Affaires intergouvernementales, au cours des réunions du mois de juillet, l'ont démontré. Nous sommes ouverts à la discussion d'une déclaration des droits fondamentaux. Il faudrait cependant s'assurer qu'elle n'aille pas à l'encontre des droits fondamentaux du Québec et que le Québec n'est pas le seul à en faire les frais, en définitive, en raison de la méfiance historique que certains fédéraux pourraient entretenir à l'endroit du Québec, de la méfiance qu'un certain premier ministre pourrait avoir conservé à l'endroit d'un certain Québec d'il y a quinze ans, laquelle, à mon avis, explique plusieurs des dispositions du projet actuel. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le chef de l'Opposition.

M. Claude Ryan

M. Ryan: M. le Président, en écoutant le ministre de l'Education, nous avions un nouvel exemple d'une tendance qu'on observe fréquemment chez les membres du gouvernement actuel qui consiste à tirer l'interprétation la plus pessimiste et la plus péjorative possible d'un texte dès qu'il émane du gouvernement fédéral. On peut déceler des faiblesses ou des carences, des éléments inacceptables dans un texte sans nécessairement glisser dans des exercices qui consistent à faire de la psychologie ou de la psychanalyse beaucoup plus que de l'analyse pure et simple.

Ceci étant dit, je voudrais émettre un certain nombre d'observations au sujet des deux grands thèmes que recouvre l'intervention du député de Sauvé, c'est-à-dire la question des droits fondamentaux et, deuxièmement, la question des droits linguistiques. Je vous préviens qu'un peu plus tard, mon collègue, le député de D'Arcy McGee, traitera de manière plus élaborée du projet de charte des droits qui a été soumis à la conférence constitutionnelle par le gouvernement fédéral. (16 h 45)

J'entendais le ministre rappeler tantôt que nous avons une Charte des droits et libertés de la personne au Québec. Nous le savons d'autant mieux, de ce côté-ci de la Chambre, que cette charte fut instituée dans nos lois à l'initiative d'un homme qui a été un grand ministre de la Justice à l'époque et d'un gouvernement dirigé par le Parti libéral du Québec. Oui, je le dis sans aucune hésitation et délibérément.

M. Morin (Sauvé): Rencontrerait-il vos critères?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bédard: C'est un grand ministre, il ne rencontre pas vos critères.

M. Ryan: On vous réserve toutes sortes de surprises. Vous n'avez qu'à déclencher des élections et vous aurez les réponses.

Nous avons une Charte des droits et libertés de la personne au Québec, mais il est évident — je n'ai pas besoin de faire de démonstration là-dessus — que la loi a une portée limitée à cause justement du fait qu'elle est une loi positive et non pas une loi constitutionnelle. C'est une charte dont l'application est régie par une commission spéciale, laquelle n'a pas les pouvoirs réguliers des tribunaux ordinaires. En plus, les dispositions de la charte — vous le savez très bien, pour avoir essayé de le faire au moins une fois ou deux — peuvent être subordonnées à des intentions politiques que pourrait nourrir le gouvernement à l'occasion de certains projets de loi qu'il voudrait faire adopter par la Législature. Vous le savez parce qu'une fois vous avez même eu l'audace d'inscrire, dans un projet de loi tout à fait fondamental, une clause qui disait en toutes lettres que dans le cas de ce projet de loi, qui était le projet de charte de la langue française, la Charte des droits et libertés de la personne ne s'appliquerait pas, qu'elle serait subordonnée à sa majesté la langue française, au droit de sa majesté, la grande abstraction, qui est définie dans votre projet de charte à ce moment-là. Heureusement que le gouvernement est revenu à de meilleurs sentiments par la suite, devant les nombreuses représentations qui lui ont été faites. Je pense que cet exemple démontre quand même que lorsque vous avez une garantie constitutionnelle, c'est plus solide, c'est plus fort et plus difficile à faire oublier ou à reléguer au second plan qu'une garantie émanant d'une loi positive ordinaire.

De notre côté, nous avons examiné longuement tout ce problème de l'insertion des droits fondamentaux dans une charte constitutionnelle. Nous avons pesé le pour et le contre pendant de longs mois et nous en sommes venus aux conclusions qu'évoquait tantôt le ministre de l'Education et que je vais résumer très brièvement.

Nous avons conclu que l'inclusion de certains droits fondamentaux dans une charte constitutionnelle assurerait, de manière certaine et définitive, la primauté des dispositions de la charte sur les lois, les volontés changeantes du Parlement et des Législatures. Pareille charte lierait l'ensemble de la société politique canadienne et ne pourrait plus être modifiée ou annulée par le vote d'une majorité simple soit du Parlement fédéral, soit des Législatures des provinces. Une déclaration constitutionnelle des droits exigerait enfin un engagement précis de tous les Canadiens face à des objectifs qui sont à la base même du contrat social qui lie les citoyens d'un pays.

Il y a deux sortes d'objection qu'on émet à l'endroit d'une charte fondamentale des droits qui serait à caractère constitutionnel. On a dit que cela risquerait de limiter les prérogatives des Législatures ou des Parlements souverains. C'est évident que cela comporterait des limitations. C'est écrit dans la nature même de l'acte qu'on ferait à ce moment-là, mais c'est parce que, justement, on considère que certaines libertés personnelles fondamentales sont antérieures à la volonté changeante des Législatures. Les Législatures, il ne faut pas l'oublier, sont souveraines à condition d'être respectueuses des droits fondamentaux des citoyens. Ce sont les libertés personnelles des citoyens qui sont le fondement de la démocratie et non pas la volonté des Législatures. Les Législatures et les gouvernements sont au service des droits fondamentaux des citoyens. Nous considérons que quand certains droits ont émergé suffisamment à la surface pour être capables de définitions claires et nettes, ce peut être une très bonne

chose de les inscrire dans une charte constitutionnelle. Et, encore une fois, dire que cela limite les droits de la Législature, c'est faire de la tautologie purement et simplement. D'ailleurs, le Parti québécois lui-même reconnaît cela très bien. Si on a invoqué ces arguments depuis quelque temps, c'est seulement parce que les auteurs de ces passages des mémoires gouvernementaux n'avaient peut-être pas relu le programme politique du Parti québécois.

Dans le programme politique du Parti québécois, il est écrit en toutes lettres que dans un Québec souverain, on aurait une charte constitutionnelle garantissant certains droits fondamentaux; par conséquent, nous nous entendons sur le principe et tous ces arguments fumeux, voulant que cela pourrait être une sorte d'entrave inacceptable à la souveraineté de la Législature, ce sont des arguments dont vous avez vous-mêmes disposé dans les congrès de votre parti. Je souscris à la philosophie générale qui avait inspiré cette partie du programme de votre formation politique.

Une autre objection qu'on a formulée, c'est que cela pourrait constituer un danger pour le Québec, cela pourrait constituer un danger d'imposition de la volonté écrasante de la majorité à la pauvre minorité qui est située au Québec.

Nous disons, là-dessus, qu'il y a toujours un risque présent; c'est évident qu'on n'entrera pas dans l'expérience d'un nouveau fédéralisme sans encourir aucun risque. Si on veut calfeutrer toutes les fenêtres, cela va finir par sentir pas mal le moisi dans la maison. Il y a des risques à courir et c'en est un. Nous disons qu'avec les garanties qui seraient inscrites dans le texte fondamental, dans les structures des nouveaux organismes fédéraux qui seraient conçus, en particulier dans le tribunal suprême dont je parlerai tantôt et également dans la possibilité de participation des Québécois au fonctionnement des institutions fédérales qui, encore une fois, ne sont pas des institutions étrangères, mais des institutions qui émanent de chez nous, comme des autres parties du pays, nous avons ce qu'il faut pour pouvoir nous en tirer très bien.

Nous croyons que constituer un fonds de valeurs fondamentales, de libertés essentielles garanties par la constitution partout dans le pays, ce serait un immense actif pour ce pays-ci. De toute manière, nous avons opté dans cette direction et je suis très heureux de constater que le gouvernement ne ferme pas la porte à cette avenue. J'ai lu le document qu'on nous a servi dans le cahier de textes qui a été mis à notre disposition, j'ai écouté attentivement le ministre de l'Education et je crois que là-dessus il y aura des possibilités de rencontre. Avant d'en venir là, cependant, je voudrais me permettre de vous rappeler la position de notre parti; je pense qu'il est important que je vous la rappelle, étant donné surtout les changements qui sont survenus depuis le livre beige.

Nous avons un chapitre II, dans le programme constitutionnel de notre parti, qui est intitulé Charte des droits, et le premier article se lit ainsi: "La constitution canadienne contiendra une charte qui affirme la primauté juridique des libertés et droits fondamentaux. Cette charte reconnaîtra entre autres les droits fondamentaux à la vie, à la liberté, à l'intégrité physique et au respect de la vie privée; elle consacrera les libertés de pensée, de religion, d'opinion, de parole, d'association et de presse, ainsi que les principes fondamentaux de non-discrimination."

Plus loin, on dit que la charte assurera à tout citoyen qu'il peut s'établir partout au Canada et jouir partout de droits identiques à ceux reconnus à tous les résidents de la province où il s'établit. Enfin, la charte assurera également le droit de tout citoyen d'acquérir dans toute province des propriétés immobilières sans discrimination par rapport aux résidents de la province où ces propriétés sont situées. Je laisse de côté ces deux dispositions pour l'instant qui se rattachent à tout le principe de la libre circulation des biens, des capitaux et des services. On en discutera en temps et lieu.

Je rappelle que l'article essentiel de notre programme sur cette question des droits fondamentaux, c'est le premier que j'ai lu et je crois qu'à cet égard nous rejoignons une préoccupation exprimée par le gouvernement à la fois dans le texte que nous avons et dans les propos qu'a tenus le ministre de l'Education. Pour nous, il serait très acceptable qu'une charte des droits se limite à certains droits fondamentaux et à certains droits politiques essentiels. Je crois que l'énumération des droits que nous faisons n'est peut-être pas tellement différente de celle que je retrouve à la page 5 dans le texte, sur feuille bleue, qui est contenue dans le cahier ici et que je vais lire. Vous avez parlé évidemment des inconvénients et tout cela qui seraient largement réduits si la charte ne comportait que l'inscription des libertés et droits les plus fondamentaux dont le sens et la portée sont connus et ont été éprouvés devant les tribunaux. Ces droits et libertés représentent des valeurs auxquelles souscrivent l'ensemble des Canadiens et soulèvent donc moins de difficultés. Il en est ainsi des libertés mentionnées plus haut de religion, d'expression, de pensée, de la presse, les principes fondamentaux de la démocratie auxquels se greffent les droits fondamentaux de la procédure criminelle, présomption d'innocence, droit à un juste procès, droit à un avocat. Il y a donc là une question de dosage à envisager. Alors, il vous incombera de faire votre lit. Je constate, en écoutant le ministre, que le gouvernement est encore hésitant là-dessus, qu'il n'a pas fait son lit. Il ne sait pas de quel côté il va se brancher véritablement. Il vous incombera de faire votre lit et si vous le faites dans la direction, les possibilités entrouvertes à la page 5 de votre document, je pense que vous pourrez assez facilement trouver un sentier convergent par rapport aux objectifs définis dans l'article de notre programme que j'ai cité tantôt.

Nous insistons aussi sur la nécessité d'un accord au sujet de la composition et du rôle du tribunal chargé de l'interprétation ultime des liti-

ges au pays. Il est évident que nous ne consentirions pas à l'inscription d'une charte des droits dans la future constitution du Canada si nous n'étions pas assurés que le tribunal chargé de présider à la solution des litiges juridiques en dernière analyse sera constitué et muni d'attributions compatibles avec la conception que nous nous faisons des institutions fédérales au pays.

Par conséquent, nous mettons cette condition aussi et nous en mettons une troisième. Dans la mesure même où nous limitons les droits fondamentaux à certains droits clairement identifiables, dont le contenu a pu être vérifié de manière suffisante par l'expérience et la jurisprudence, il ne faudrait pas qu'il y ait de clause de dérogation. Si on est pour se donner du mal à écrire une liste de droits pour ensuite conclure, dans un petit article de trois lignes, qu'un gouvernement ou un Parlement pourra déroger à ces droits quand cela fera son affaire, je pense qu'on ne fait pas une oeuvre sérieuse. Je pense que là-dessus il y aura moyen d'arrêter des conclusions fermes. C'est la façon dont nous voyons la question des droits fondamentaux. Mon collègue de D'Arcy McGee pourra traiter de cette question de manière plus élaborée tantôt. Il me semble que j'ai dit l'essentiel en ce qui me touche.

En ce qui a trait aux droits linguistiques, nous ne sommes pas d'accord évidemment avec l'approche fondamentale du gouvernement. Je pense qu'il y a une question assez profonde qui nous sépare du gouvernement là-dessus. Je me permettrai de rappeler, encore une fois, ce que nous disons dans notre programme; je l'expliquerai ensuite pour qu'on essaie de voir la nature exacte des différences ou des divergences qui peuvent nous séparer. D'après nous, la constitution reconnaîtra les langues française et anglaise comme langues officielles des institutions politiques fédérales et des organismes relevant de leur compétence. Je ne pense pas que cette affirmation crée de problème. Je crois l'avoir entendue dans la déclaration de principes du chef de l'Union Nationale et je pense que le gouvernement actuel, dans la mesure où, par la volonté majoritaire de la population, il est obligé de se résigner, essayer de fonctionner dans un contexte fédéral, sera ou devrait être consentant à accepter une disposition comme celle-là.

Maintenant, nous continuons. Cette charte reconnaîtra les droits linguistiques suivants: a) Le droit de toute personne, de langue française ou anglaise, ou de tout autochtone d'être servi dans sa langue par des services des institutions fédérales partout où le nombre le justifie. Il nous semble que cela va de soi que si les institutions fédérales doivent être officiellement bilingues, cela entraîne le droit pour un citoyen, partout où le nombre le justifie, d'être servi par ces institutions fédérales dans sa langue, française, anglaise ou autochtone.

Deuxièmement, le droit de toute personne, de langue française ou anglaise, ou de tout autochtone d'exiger que son enfant reçoive, dans la province où il habite, l'enseignement primaire ou secondaire dans sa langue maternelle. Je ne veux pas ouvrir de débat sur la manière technique dont on peut vérifier si l'enfant a telle ou telle langue maternelle. C'est un débat qui peut se régler, encore une fois, au niveau des critères d'application assez bien, mais nous affirmons que ce principe devrait être inscrit dans la constitution du pays. Je ne sais pas si le ministre de l'Education donnerait à cette clause-ci la même interprétation qu'il a donnée à la clause contenue dans le projet de charte fédérale. Si le ministre de l'Education allait conclure que cette clause-ci est une réédition de la loi 63 ou du principe du libre choix, je lui dirais qu'il est temps qu'il change de verres. (17 heures)

Troisièmement, le droit des collectivités francophones, anglophones et autochtones de gérer des institutions publiques dispensant l'enseignement dans leur langue maternelle partout où ces collectivités sont regroupées en nombre suffisant. C'est une résolution qui fait écho à un voeu maintes fois exprimé par les communautés francophones minoritaires des autres provinces du Canada et nous trouvons que le parti que je dirige est le premier qui ait lu les documents émanant de ces collectivités avec assez d'attention et de respect pour songer à inscrire une recommandation aussi fondamentale dans son programme politique.

Quatrièmement, le droit de toute personne d'avoir accès aux services de santé et aux services sociaux dans sa langue, française, anglaise ou autochtone, partout où le nombre le justifie. Il me semble qu'on ne tue pas de mouche avec ça, il me semble qu'on ne porte pas atteinte aux chances d'avenir de la nation française ou de la collectivité québécoise ou de quelque collectivité que ce soit; on préconise un régime civilisé.

Cinquièmement, le droit de toute personne de langue française ou anglaise ou de tout autochtone d'exiger qu'un procès pénal ou criminel, susceptible de le conduire à une peine d'emprisonnement, soit tenu dans sa langue maternelle. Dans les autres cas de procès pénal ou criminel, le droit aux services d'un interprète et, finalement, le droit de toute personne de langue française ou anglaise d'avoir accès, dans toutes les parties du pays, à la radio et à la télévision dans sa langue maternelle ou dans la langue de son choix, là où le nombre le justifie.

Quatrièmement, la constitution canadienne attribuera aux provinces le droit de légiférer en matière linguistique, sauf le respect que ces lois des provinces devront avoir pour la charte des droits.

La constitution étendra à l'Ontario, au Nou-veau-Brunswick et aux autres provinces, dès que la proportion francophone de leur population atteindra celle qui existe présentement en Ontario, les obligations déjà imposées au Québec et au Manitoba par les articles 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et 23 de la Loi du Manitoba.

Par conséquent, nous concluons, de notre côté, qu'il n'est pas souhaitable que nous nous en

tenions à affirmer que, sauf l'obligation faite au Parlement fédéral et à ses institutions de fonctionner dans les deux langues officielles, tout le reste, en matière de droits linguistiques, soit abandonné purement et simplement à la discrétion et au libre jeu de la conjoncture politique dans chaque province. Nous croyons que certains droits linguistiques sont assez fondamentaux, ont fait l'objet d'assez de luttes politiques, d'assez de luttes intellectuelles et culturelles dans ce pays pour mériter d'être inclus dans une charte des droits ou dans un chapitre éventuel de la future constitution canadienne qui verrait à assurer un pays reposant sur des assises aussi civilisées que possible.

Nous sommes prêts à discuter chacun de ces droits l'un après l'autre, mais nous voyons mal, encore une fois, comment le fait de garantir ces droits constituerait, en quelque manière que ce soit, une diminution de nos chances d'avenir; nous croyons, au contraire, que, pour nos concitoyens de lanque française, qui sont plus d'un million dans les provinces du Canada autres que le Québec, des garanties comme celles-là seraient l'inauguration d'un âge entièrement nouveau dans leur existence, autant comme collectivité que comme citoyen individuel.

C'est la position qui a été adoptée par notre parti et que nous défendons avec beaucoup de conviction, mais je crois qu'ici, il y a une sorte de partage qui se fait. Je comprends qu'on puisse dire que beaucoup de provinces préféreraient que ce ne soit pas inséré dans une charte des droits, je les comprends très bien; c'est bien plus facile de continuer chacune à sa manière, en tenant compte des caprices changeants, des jeux électoraux, des volontés et des intérêts électoraux des gouvernements; c'est bien plus facile de fonctionner à ce niveau, mais la question que nous devons nous poser est: Est-ce que nous croyons que ces droits sont excessifs? Est-ce que nous croyons que ces droits enfreignent en quelque sorte l'ordre fondamental de liberté, de respect réciproque, la dualité aussi que nous voulons inscrire — dont nous avons parlé avec tellement d'éloquence il y a à peine une couple d'heures — dans les structures fondamentales, dans la constitution de ce pays?

Nous concluons que, loin de nuire à l'objectif de la dualité, la reconnaissance de droits comme ceux-là en serait l'affirmation concrète, l'affirmation efficace, l'affirmation pratique et c'est pour ça que, sur ce point, nous ne partageons pas la philosophie du gouvernement. Nous devons le prévenir qu'il nous sera impossible de souscrire à des déclarations comme celles que nous avons entendues tantôt, quoiqu'elles aient été plus nuancées tantôt que celles qu'on a entendues précédemment, soit sous la signature ou sur les lèvres du ministre des Affaires intergouvernementales, soit sur les lèvres du premier ministre lui-même. C'est la position que nous défendons dans cette question des droits fondamentaux et des droits linguistiques, M. le Président.

Le Président (M. Laberge): M. le chef intérimaire de l'Union Nationale.

M. Michel Le Moignan

M. Le Moignan: M. le Président, j'aurais simplement quelques brèves remarques à faire à ce point de nos discussions. Après la lecture des documents soumis par le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral, force nous est de constater que la position adoptée par le gouvernement rejoint, en grande partie, certaines de nos préoccupations et aussi de nos inquiétudes. Et cela dure chez nous depuis déjà une quinzaine d'années.

Je veux bien admettre que le domaine est très complexe et que ça risque également d'affecter ce facteur d'équilibre qui existe entre les deux ordres de gouvernement. Je crois qu'une entente à ce chapitre est essentielle aussi pour le bon fonctionnement des relations qui doivent exister entre le fédéral et aussi chacune des provinces qui constituent la fédération canadienne.

Maintenant, je dois avouer que, traditionnellement, l'Union Nationale, alors qu'elle était au pouvoir et même du côté de l'Opposition, avait toujours considéré que l'insertion des droits dans une charte ne devrait pas venir au début, mais devrait se faire une fois le partage des pouvoirs et toutes ces choses-là définitivement réglés. Etant donné le consensus qui s'est dégagé aujourd'hui sur l'ordre à suivre pour l'étude de ces points, nous n'avons aucune objection à apporter quelques réflexions sur la charte des droits et nous poser certaines petites questions, peut-être inquiétantes un peu, compte tenu du rôle que les tribunaux doivent jouer dans ce domaine, alors qu'on ne connaît pas réellement la composition de la Cour suprême.

Sur ce point, dans un document constitutionnel que nous avions publié antérieurement, nous avions mentionné une réforme de la Cour suprême de façon à créer un tribunal constitutionnel. Si nous avions ce tribunal constitutionnel, il aurait pour rôle de s'intéresser et de se prononcer également sur les différents litiges d'ordre constitutionnel qui peuvent se présenter.

Deuxièmement, on a parlé tout à l'heure des deux sortes de chartes, concernant les droits individuels ou collectifs, pour dégager, encore là, un certain consensus au sein de toutes les provinces où on semble vouloir, dans certains cas, être d'accord pour l'insertion de la charte des droits dans une constitution. Il y a toujours, comme on vient de l'expliquer, la question des droits fondamentaux, des droits démocratiques et je crois qu'on doit agir ici avec énormément de prudence, surtout quand on pense aux droits linguistiques.

Je voudrais citer un petit paragraphe ou deux d'un article de M. Gérald Beaudoin, doyen de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa et en même temps membre de la commission Pepin-Robarts. Je crois que les questions que pose M. Beaudoin... Dommage qu'il ne vienne pas nous les expliquer lui-même! Je pose des questions, parce que je voudrais avoir une réaction du ministre à l'un de ces paragraphes. Je crois que ce que M. Beaudoin nous dit résume cent fois mieux que

nous poumons le faire, dans la variation sur douze thèmes, la position que, comme expert, il a étudiée et qu'il soumet à l'attention des parlementaires qui sont ici présents aujourd'hui, même s'il le fait par le biais du Devoir du 17 juillet.

M. Beaudoin écrit ceci et je cite: "Mais il est exact qu'en enchâssant les droits, on donne le dernier mot aux tribunaux et il faut en être conscient. Ces derniers, dans ce grand pouvoir qui leur est délégué, s'arrêteront là où ils le voudront bien. Aussi faudrait-il ne pas se surprendre si Québec, avec un système de droit différent, insiste pour plus de dualisme au niveau de la Cour suprême, avant d'accepter l'intégration des droits fondamentaux. "Il y a plus d'une façon d'inscrire dans la constitution les droits fondamentaux. On peut faire une déclaration très détaillée ou encore se restreindre aux droits les plus classiques. La seconde apparaît plus acceptable, quitte à enchâsser davantage au besoin. Les Américains ont inscrit un bill des droits dans leur constitution en 1790, à la suggestion de Jefferson. Ils l'ont complété par la suite. Une autre possibilité serait d'enchâsser les droits les plus élémentaires et d'ajouter une liste accompagnée d'une clause dérogatoire qui permettrait au Parlement et à une Législature, pour des raisons majeures, d'y déroger en le prévoyant expressément dans une loi sans avoir besoin de recourir à l'amendement constitutionnel. Si on craint l'enchâssement, c'est une voie à explorer."

Ici, je voudrais poser une question au ministre puisqu'on a parlé tout à l'heure d'une clause dérogatoire. Pourquoi, au cours de la ronde de négociations, le gouvernement fédéral a-t-il laissé tomber la clause de dérogation expresse qui existait dans les projets précédents? Or, l'existence de cette clause avait été souhaitée par la majorité des provinces il y a de ça quelques années. Est-ce qu'il ne s'agit pas là d'une solution de compromis qui pourrait accélérer la possibilité d'une entente peut-être plus facile entre Ottawa et les provinces du fait qu'on l'ait enlevée? Je ne sais pas si le ministre peut répondre à cette question.

M. Morin (Louis-Hébert): Je peux répondre, M. le Président. Je ne commenterai pas l'article de M. Beaudoin. En général, je vais m'en tenir au point particulier que vous venez de soulever.

Dans les textes antérieurs et les positions antérieures du gouvernement fédéral effectivement, il y avait une clause dérogatoire. Je dois dire qu'au cours de juillet — je l'ai mentionné d'ailleurs dans notre rapport que vous avez reçu — la plupart des provinces ont été surprises de voir que cette clause dérogatoire n'était plus là. Je me souviens d'avoir posé aux représentants fédéraux, à ce sujet, la question suivante: Pourquoi votre clause dérogatoire, qui s'y trouvait en février 1979, si je me souviens bien, ou avant, n'y est-elle plus? Je dois dire, pour autant que mon souvenir est exact, que la réponse était assez confuse, mais elle tendait quand même à me faire croire que si la clause dérogatoire n'était plus là — je m'excuse, ça va avoir l'air stupide, la réponse que je vous donne, mais c'est à peu près ça que ça a donné comme impression — c'est que le gouvernement fédéral estimait que c'était mieux qu'elle n'y soit plus. Cela n'a pas été tellement plus loin que ça, mais c'est exact. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise?

M. Rivest: C'est parfait, il faut lui faire confiance au gouvernement fédéral.

M. Le Moignan: J'ai la réponse finale.

M. Morin (Louis-Hébert): Alors, je dois dire que nous allons en reparler, mais il ne faut quand même pas oublier une chose. Je pense que je vais être quand même plus complet. Beaucoup de provinces trouvaient que l'idée d'une clause dérogatoire pourrait être intéressante dans une constitution, dans une charte des droits, parce que ça leur permettrait de ne pas appliquer la charte des droits chez elles. Je pense que c'est une des considérations qui font que le gouvernement fédéral a préféré ne pas la répéter cette fois-ci. Peut-être que dans sa position initiale de négociation il n'y en avait pas, peut-être qu'il y en aura une plus tard, mais au moment où je vous parle, je n'ai en main que le texte fédéral et, en tête, que la réponse qui m'avait été donnée à ce moment-là.

M. Le Moignan: A la suite de la réponse de M. le ministre, je voudrais simplement continuer un petit paragraphe de l'article qui vient tout compléter ce dont on a parlé, des droits linguistiques, des droits fondamentaux. C'est toujours M. Beaudoin qui parle: "Pour ce qui est des droits linguistiques, il faut au départ faire une distinction. Les droits linguistiques peuvent, dans le contexte qui est le nôtre, être aussi importants que les droits fondamentaux, mais ils ne sont pas in se des droits fondamentaux, autrement il y aurait des droits linguistiques en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, ce qui, bien sûr, n'est pas le cas. Alors que les droits fondamentaux sont à peu près les mêmes dans nos grandes démocraties occidentales, on ne peut pas en dire autant des droits linguistiques et pour cause; chez nous, comme en Suisse ou même comme en Belgique, pays unitaires, ils sont capitaux parce que le pays est hétérogène. Qu'il faille enchâsser certains droits linguistiques ne fait pas de doute. La difficulté est de savoir dans quelle mesure. Dans l'ordre fédéral du gouvernement, le principe est accepté au Canada. Il faut donc procéder. L'ordre provincial est autre chose et il n'est pas surprenant que plus d'une fédération distingue entre les deux ordres sur le plan linguistique. Une certaine intégration des droits linguistiques dans l'ordre provincial s'avère nécessaire. Cependant, il faut ici user de prudence. Il faut faire cesser le système de deux poids deux mesures qui fut si néfaste pour les francophones hors Québec et qui est une des causes de l'impasse constitutionnelle actuelle. On pourrait peut-être s'entendre sur la langue législative et la langue judiciaire pour le Québec, l'Ontario, le

Nouveau-Brunswick et le Manitoba, comme certains l'ont déjà suggéré. Les autres provinces procédaient par "opting in". Les procès criminels devront pouvoir se tenir partout dans les deux langues officielles." (17 h 15)

Je termine là mes remarques, M. le Président, sur la charte des droits.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Camill Samson

M. Samson: M. le Président, je suis également favorable à l'insertion dans une nouvelle constitution d'une charte des droits. Evidemment, j'ai devant moi le document qui émane du gouvernement fédéral. Ce n'est pas nécessairement l'évangile. Ce sont des choses qui peuvent sûrement être discutées et qui sont discutables. Mais il reste un fait, c'est que nous, de notre côté, nous en avons discuté à plusieurs reprises et nous serions favorables à l'incorporation dans la nouvelle constitution des libertés et des droits fondamentaux de la personne. Cela recoupe — je n'ai pas à revenir sur ce qui a déjà été dit — pas mal ce qui a déjà été dit en ce qui concerne les droits fondamentaux et les libertés de la personne.

On aimerait aussi voir le droit et la liberté pour chaque citoyen canadien de communiquer dans la langue officielle de son choix, soit le français ou l'anglais, évidemment, avec les instances administratives fédérales. Il serait souhaitable, si ça pouvait être possible — évidemment, tout réside dans les discussions et les négociations qui peuvent avoir lieu — que les citoyens puissent aussi communiquer dans la langue officielle de leur choix avec les instances administratives provinciales, à condition que les provinces l'acceptent, bien entendu.

On aimerait également voir le droit et la liberté pour chaque citoyen canadien d'être jugé dans la langue officielle de son choix, soit le français ou l'anglais, par les différentes instances judiciaires. Evidemment, M. le Président, je conçois que le ministre de l'Education a longuement parlé de la question de la protection des professions. Nous savons qu'au Québec nous avons un Code des professions qui a une valeur indéniable. Cependant, il n'a pas effleuré un autre aspect de la question que je considère comme un droit fondamental aussi, celui du droit à la subsistance d'un citoyen, du droit au travail d'un citoyen.

A ce titre, M. le Président, je pense qu'il y aurait avantage à ce que les citoyens canadiens soient protégés, à savoir qu'il n'y ait pas de loi restrictive ou discriminatoire qui vienne, un jour ou l'autre, empêcher quelqu'un de travailler pour gagner sa vie. Je ne veux pas dire que nous devons ouvrir toute possibilité à quiconque n'aurait pas les compétences. Il y a une différence et, moi, je fais une grande différence entre les permis ou les cartes de compétence pour un ouvrier ou pour un travailleur et l'autre formule que, malheureuse- ment, j'ai toujours dénoncée qui est celle du fameux permis de travail qui fait que, selon certaines normes ou réglementations et au bon plaisir du Conseil des ministres parfois, on empêche des citoyens de travailler et de gagner honnêtement leur vie. Dans certains cas dont j'ai eu connaissance souvent — quand je dis souvent, j'ai des dossiers pour le prouver — on a empêché des honnêtes citoyens, pères de famille, de pouvoir travailler et de gagner librement leur vie dans des fonctions qu'ils avaient la compétence d'occuper. Je fais référence aux fameuses cartes de classification qu'on connaît au Québec. C'est un droit fondamental qui n'est pas.

Quoique le ministre de l'Education ait souligné tantôt l'étonnante efficacité de la Charte des droits et libertés de la personne au Québec, cette étonnante efficacité n'a quand même pas empêché cette injustice flagrante d'exister et elle existe encore. A titre d'exemple, je représente un comté qui longe la frontière d'une autre province, celle de l'Ontario. Je sais que, par ce genre de choses, les travailleurs de l'autre province ne peuvent pas venir travailler dans notre province, mais je sais aussi que des travailleurs de mon comté vont travailler dans l'autre province quand ils ne peuvent pas avoir de carte de classification dans leur propre province et ils sont acceptés de l'autre côté de la frontière. Je sais également que ces mêmes citoyens qui demeurent dans mon comté, qui vont travailler de l'autre côté de la frontière, qui continuent à demeurer dans mon comté et qui ont feu et lieu le 31 décembre de chaque année dans la province de Québec, paient l'impôt provincial au Québec. Il y a là des choses qui sautent aux yeux de tout le monde. On ne leur permet pas de travailler dans leur propre province. Par contre, la province voisine leur permet de travailler pour venir payer leurs impôts dans la province de Québec.

Ce sont là des choses que je donne à titre d'exemple. Je pourrais en donner d'autres. Il y a tellement de droits fondamentaux que nous pourrions en parler pendant longtemps, mais si ce n'est pas spécifié, à un moment donné, dans une constitution, cela risque toujours de se retrouver au bon plaisir de celui qui est en place, qui gouverne et qui parfois doit ou, en tout cas, est tenté — et dans le cas présent, cela a été fait — d'établir des réglementations qui portent fortement préjudice aux citoyens. Si ces droits étaient garantis par la constitution, il y aurait là une garantie constitutionnelle inébranlable et chaque citoyen ne pourrait pas subir de discrimination dans ce domaine.

Evidemment, nous avons une charte des droits au Québec. J'en suis fier. Cette charte pourrait sûrement être améliorée, mais je me demande dans quelle proportion le gouvernement présent voudrait l'améliorer plutôt que la détériorer, parce que, chaque fois qu'on a eu l'occasion d'étudier des lois et que la Commission des droits de la personne nous faisait parvenir des mémoires, le gouvernement était très réticent à accepter le point de vue de la commission. Cela s'est vu à l'occasion de la discussion sur le projet de loi sur le finan-

cement des partis politiques, par exemple. Evidemment, cette charte est une loi que toute autre loi peut, à un moment donné, par dérogation... Ils peuvent passer à côté. C'est fondamental, à mon avis. Il faut que ce soit inscrit dans une constitution pour qu'on ne puisse pas, à tout moment, arriver avec une petite loi qui déroge. Cela a été le cas pour la loi no 2. Il y a eu des discussions qui ont duré bien longtemps et, finalement, l'application de la loi no 2 a été une source de chicane entre les personnes qui ont à l'appliquer. Cela ne s'est pas révélé ce qu'il y avait de mieux. Si on avait suivi les conseils de la commission, à ce moment-là, on aurait probablement évité des choses dans cette loi et on aurait probablement eu une meilleure loi. Mais on ne les a pas suivis. Le gouvernement n'a pas voulu qu'on suive ces conseils. Evidemment, comme cette charte n'est qu'une loi, on pouvait facilement y déroger. C'est arrivé à d'autres reprises également.

C'est pourquoi je pense qu'il faut absolument, quitte, évidemment, à ce qu'on ne se coule pas les pieds dans le ciment immédiatement, quitte à ce qu'il y ait des discussions plus élaborées là-dessus... Comme je vous le dis, je ne suis pas accroché carrément au document fédéral. Pour moi, ce n'est pas l'évangile, le document fédéral. Il y a des choses qui peuvent être valables là-dedans. Il y a des choses qui sont discutables. Il y a des choses que le gouvernement du Québec peut apporter et qui ne sont peut-être pas là-dedans. Il y a des choses qu'on peut demander de retirer. Il y a des droits qu'il nous faut absolument reconnaître et il nous faut aussi faire en sorte que ces droits ne soient pas toujours remis en cause.

Par exemple, quand on parle des droits linguistiques, on considère que les droits linguistiques, s'il y a deux langues officielles au Canada, cela doit permettre aux personnes qui proviennent de l'une ou de l'autre communauté linguistique de se faire entendre et se faire comprendre dans les deux langues officielles à travers le Canada dans les instances gouvernementales.

En ce qui concerne la langue de l'éducation, je pense qu'il faut que nous considérions une réalité; ce n'est pas tout d'avoir de beaux textes, il y a des réalités. M. le ministre de l'Education semble absolument satisfait de sa loi, mais il reste que j'ai eu l'occasion personnellement de lui soumettre des cas précis de Canadiens français qui, pendant un certain nombre d'années, ont dû travailler dans d'autres provinces et demeurer dans d'autres provinces parce qu'il n'y avait pas de travail pour eux au Québec et, après un certain temps, revenir au Québec. J'ai en tête deux cas précis, je les ai d'ailleurs soumis au ministre de l'Education. Ils sont revenus au Québec, mais il ne faut pas oublier qu'aux endroits où ces gens étaient entretemps, l'éducation primaire et secondaire se donnait en langue anglaise parce qu'il n'y avait pas suffisamment de Canadiens français dans ce coin-là. Donc, les jeunes qui arrivent avec les parents et qui sont rendus à l'âge de 13 ou 14 ans, qui ont été à l'école anglaise tout le temps, arrivent au Québec et on les oblige à aller à l'école française.

Cela veut dire qu'on les oblige à perdre une année ou deux. La loi 101 est très rigide là-dessus et il n'y a rien à faire.

Dans les deux cas que j'ai soumis au ministre, ces deux familles, après un certain temps et après avoir revendiqué pour leurs enfants la possibilité de continuer à l'école anglaise jusque, au moins, au niveau collégial, sont retournées dans d'autres provinces. Ce sont des Canadiens français originaires du Québec et ils sont retournés dans d'autres provinces. Je trouve un peu aberrant que nos lois du Québec empêchent les Canadiens français de revenir au Québec pour des raisons comme celle que je viens de mentionner. C'est pourquoi il faut être très prudent dans ces questions de la langue d'enseignement, et il ne faut pas couper cela au couteau. Il faudrait reconnaître la réalité. Evidemment, dans d'autres provinces aussi il faudrait qu'ils reconnaissent la réalité; je ne dis pas qu'ils ont toujours reconnu la réalité ailleurs, au contraire, il y a eu dans le passé certains préjudices à l'endroit de nos compatriotes canadiens-français. Mais on doit admettre également qu'il y a un certain réveil depuis quelques années et que si on veut y aller objectivement, il y a des possibilités d'entente pour faire en sorte que les francophones hors Québec puissent avoir de meilleurs services. Il ne faut pas oublier que ces gens s'appuient beaucoup sur les francophones du Québec pour protéger leur culture, leur langue, leurs droits linguistiques. Si on a quelque chose dans la constitution qui permette telle chose, je pense qu'on rendrait service à tout le monde, incluant les Québécois francophones et les francophones hors Québec.

Evidemment, je suis ouvert à la discussion là-dessus, on n'a pas arrêté notre étude pour se geler ad vitam eaternam, mais il reste que sur le principe même de l'enchâssement d'une charte des droits dans la constitution, il nous semble absolument fondamental qu'on accepte cela.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le ministre des Affaires intergouvernementales. (17 h 30)

M. Claude Morin

M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, j'aurai une brève intervention pour le moment qui tient au fait que tout à l'heure le ministre de l'Education a commencé son exposé avant que j'aie eu le temps de faire le point à partir de nos discussions du dernier mois.

Je voudrais dire d'abord qu'en ce qui concerne la charte des droits, comme vous l'avez vu dans mon rapport, il n'y a pas d'entente interprovinciale ni fédérale-provinciale. Nous en sommes encore à discuter un peu comme on le fait aujourd'hui, de principes et d'application de principes.

Nous sommes encore assez loin, je pense, d'un texte qui rallierait, je ne dirais même pas tout le monde, ça n'arrivera peut-être jamais, mais une majorité même de gouvernements.

Deuxième commentaire que je veux faire, que je fais mien, mais qui vient de ce que d'autres

provinces ont dit: Le projet qui nous est proposé a dix pages de 8 1/2 sur 14. C'est plus long probablement que tout ce qui existe de document du genre dans d'autres constitutions et même, selon l'expression d'un ministre d'une autre province, il a quasiment l'allure d'un texte de loi fiscale tellement il est compliqué par moment. Je dis ça parce que c'est très important qu'on le sache, on est à quelques semaines de la conférence du 8 septembre. Je ne vois pas par quel miracle il serait possible qu'on en arrive à un autre texte plus clair que celui-ci d'ici le 8 septembre. Par contre, si on est obligé de fonctionner avec celui qui nous est proposé par le fédéral maintenant, il a toutes les chances d'être considérablement modifié pour au moins être écourté, non pas parce que les gens veulent à dessein enlever des droits, mais parce que c'est beaucoup trop long et beaucoup trop verbeux.

Le député de Rouyn-Noranda a parlé aussi des francophones hors Québec. Je voulais signaler tout à l'heure, à propos de la charte des droits et des droits linguistiques, que j'ai rencontré les représentants des francophones hors Québec, lundi après-midi, à Ottawa. Ils m'ont exposé leur position quant à ce qui concerne l'insertion de droits linguistiques dans la constitution et j'ai aussi expliqué la position du Québec que nous avions fait valoir au cours de l'été.

L'autre point que je veux mentionner pour terminer, on aura noté que dans nos interventions tout de même, contrairement peut-être à ce qui s'est fait depuis une quinzaine d'années, il y a, en ce qui concerne une charte des droits, je dirais peut-être plus d'ouverture et de latitude de notre part, que ce qui était le cas avant. Cela tient essentiellement à une raison. Au cours des années, comme on l'a mentionné — je pense que c'est le chef de l'Opposition qui a dit ça tout à l'heure — certains droits ont été expérimentés et qui causent moins de problèmes qu'ils paraissaient devoir en poser au début s'ils avaient été insérés dans une constitution.

Peut-être qu'un de nos critères serait justement de regarder du côté des droits qui sont les plus expérimentés pour voir dans quelle mesure ceux-là ne pourraient pas éventuellement être mis dans une constitution. Ce n'est pas une opposition que j'annonce aujourd'hui; je souligne simplement ce que nous avons dit d'ailleurs au cours du mois de juillet, savoir que si le Québec pose des questions et a des réticences par rapport au problème de l'enchâssement des droits, ce n'est pas parce qu'il est contre les droits fondamentaux, c'est parce qu'il y a certains problèmes et on ne voudrait pas qu'ils résultent de l'insertion hâtive d'un texte qui n'est lui-même pas suffisamment mûri.

J'aurai peut-être l'occasion de revenir sur ces questions-là plus tard. Je vais laisser la parole à un autre intervenant. Je retiens quand même de tout le monde — cela me semble assez unanime, ça ne nous avance pas beaucoup mais je le retiens — je ne dis pas qu'on est tous d'accord sur les mêmes principes, mais en même temps qu'on manifeste cette adhésion à certains principes, on manifeste aussi qu'il faut — le député de Rouyn-Noranda vient de le mentionner lui-même — beaucoup de prudence dans les décisions qui seront prises relativement à des textes qui engagent autant l'avenir.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le député de D'Arcy McGee qui intervient à la place du député de Prévost.

M. Herbert Marx

M. Marx: J'ai lu la position du Québec sur la charte des droits et je pense que c'est clair que le gouvernement actuel est contre le fait d'enchâsser une charte des droits de la personne dans la constitution.

Le ministre de l'Education a dit, il y a quelques minutes, que la porte n'est pas fermée. Il faut se demander quelle est la vraie politique du gouvernement, quel est le vrai visage du gouvernement sur cette question. A mon avis, le gouvernement "pays lip service" à la protection des droits de la personne, mais le gouvernement est contre le fait de protéger ces droits une fois pour toutes dans une charte des droits de la personne.

Il ne faut pas oublier le projet de loi no 1 qui était le premier projet de loi que ce gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale. A mon avis, c'est là où on trouve le vrai visage du gouvernement péquiste. Dans ce premier projet de loi sur les droits linguistiques, projet de loi qui, j'imagine, a été lu par tous les ministres, on a voulu donner prépondérance aux droits linguistiques sur les droits de la personne, c'est-à-dire que dans la hiérarchie des droits, dans la hiérarchie des valeurs, le gouvernement a proposé qu'on mette des droits linguistiques avant les droits de la personne, au-dessus des droits de la personne. Je pense que c'était important, parce que c'était la politique du gouvernement, la première politique que le gouvernement a énoncée sur les droits et libertés de la personne. A cette époque, comme vous vous souvenez tous, il y a eu un tollé de protestations surtout de la part des partis de l'Opposition. Le gouvernement a reculé. On ne trouve pas cet article dans la Charte de la langue française qui donnerait prépondérance à la Charte de la langue française sur la Charte des droits de la personne.

J'ai fait une étude, récemment, en droit comparé, en matière de droits linguistiques et en matière de droits de la personne. Je n'ai trouvé nulle part au monde qu'un gouvernement ait voulu mettre des droits linguistiques au-dessus des droits de la personne. C'est la première fois qu'on trouve cela; c'est au Québec qu'on a voulu mettre les droits de la personne en dessous des droits linguistiques ou d'autres droits semblables.

En ce qui a trait à la hiérarchie des droits, le gouvernement n'est pas prêt à donner une place préférentielle aux droits de la personne. Le gouvernement n'est pas prêt à enchâsser les droits de la personne dans la constitution. Le chef de l'Opposition officielle a fait état de notre position

globale sur cette question de charte enchâssée dans la constitution. J'ai seulement deux observations à faire. Premièrement, j'aimerais examiner les raisons données par le gouvernement, à savoir pourquoi ce gouvernement est contre une charte enchâssée. Un certain nombre de ces raisons ont été reprises par le ministre de l'Education.

A la page 2 du document imprimé sur le papier bleu, c'est écrit: "Inconvénients de l'enchâssement constitutionnel: a) Selon l'ampleur et la diversité des droits qui y sont inscrits, l'adoption d'une charte enchâssée limite les compétences législatives des provinces. Il importe alors, pour connaître les conséquences concrètes de l'enchâssement d'une charte, de connaître l'étendue préalable des compétences provinciales et fédérales qui résultera du processus de réforme. L'insertion d'une charte peut donc être un inconvénient si cette insertion survient avant une entente sur la répartition fédérale-provinciale des compétences."

J'ai lu ce paragraphe quelques fois hier et encore aujourd'hui. La logique de ce paragraphe m'échappe. Si on met la liberté de presse dans une charte enchâssée dans la constitution, je ne vois pas de problème. Si on met le droit d'un avocat dans une charte enchâssée dans la constitution tout de suite, je ne vois pas le problème qu'on peut avoir en ce qui concerne le partage des compétences. A mon avis, il faut être pour l'insertion d'une charte des droits de la personne dans la constitution, indépendamment des compétences du fédéral et des provinces.

Le gouvernement, dans sa position sur la charte des droits, a aussi écrit que l'enchâssement peut conduire à "un gouvernement des juges". A mon avis, c'est un peu un "red herring", comme on dit en anglais, parce qu'il faut bien nuancer cette prise de position. Premièrement, en ce qui concerne les libertés publiques au Canada, nous avons déjà un "gouvernement des juges", comme sur le partage des compétences. S'il y a une contestation sur le partage des compétences entre le provincial et le fédéral, c'est, bien sûr, la Cour suprême, la Cour d'appel ou la Cour supérieure du Québec qui tranche. C'est la même chose en matière de libertés publiques. C'est la même chose dans tous ou presque tous les pays fédéraux. Je vais vous donner deux exemples, M. le Président.

Premièrement, en ce qui concerne les témoins de Jéhovah, dans l'arrêt Saumur, la Cour suprême a décidé que la ville de Québec ne peut pas empêcher les témoins de Jéhovah de distribuer des brochures religieuses dans les rues de la ville de Québec. C'est un gouvernement des juges. Ce sont les juges qui ont décidé que les témoins de Jéhovah à Québec ont ce droit.

Un deuxième exemple: La Cour suprême a décidé, dans l'arrêt Dupont, que la ville de Montréal peut empêcher des manifestations dans les rues de la ville. Ce sont les juges qui ont décidé qu'on peut enlever ce droit aux citoyens de la ville de Montréal. C'est un autre exemple d'un gouvernement des juges. Il y a beaucoup d'autres cas où on voit clairement et, à mon avis, heureusement, qu'il y a un gouvernement des juges de temps à autre pour protéger les libertés des citoyens et des autres personnes qui se trouvent soit au Québec, soit ailleurs au Canada.

Aussi le gouvernement parle de la souveraineté du Parlement. Il va de soi que, dans un système fédéral, il n'y a pas un gouvernement qui détient la souveraineté absolue comme le gouvernement du Royaume-Uni, par exemple. Le fédéral est limité dans sa sphère de compétences comme, bien sûr, les provinces sont limitées dans leur sphère de compétence. Je dirais plus que cela. Je dirais qu'en matière de libertés publiques, la souveraineté du Parlement ne joue pas vraiment. Je vais juste vous donner un exemple, M. le Président. C'est-à-dire que ce n'est pas surtout le gouvernement ou l'Assemblée nationale qui voit à ce que les droits des citoyens soient bien respectés. Par exemple, dans les provinces où il y a une régie de censure, où on censure les films, ce n'est pas l'Assemblée nationale qui censure les films et ce n'est pas le gouvernement qui censure les films. C'est à une régie qu'est délégué le pouvoir de censurer les films. Avec une charte enchâssée dans la constitution, on dirait aux citoyens qu'il y a certains films qu'on ne peut pas voir, qu'on peut voir, etc.; ce seraient les juges et non pas les fonctionnaires qui prendraient la décision, le cas échéant.

Aussi, pour étayer sa thèse, le gouvernement nous donne ce que je dois appeler, en toute franchise, des scénarios farfelus. Sur la liberté de circulation, voici ce qu'on retrouve dans le document du gouvernement: "La liberté de mouvement pourrait entraîner l'uniformisation des systèmes d'enseignement au Canada, leur diversité étant interprétée comme un facteur de réduction de la mobilité." Je pense que c'est une interprétation outrancière, un peu farfelue, à mon avis. On peut dire que les cours vont décider n'importe quoi, on peut écrire n'importe quoi sur le papier. Par exemple, aux Etats-Unis, où la liberté de circulation existe, la Cour suprême a dit, par exemple, à l'Etat de la Californie que l'Etat ne peut pas empêcher les citoyens venant de l'Etat de l'Okla-homa — comme on le lit dans les livres de Steinbeck, le problème des citoyens de l'Oklaho-ma dans les années trente — d'entrer dans l'Etat, mais la Cour suprême des Etats-Unis n'est jamais allée plus loin que cela en disant qu'il faut avoir un système uniforme d'éducation aux Etats-Unis pour que, le principe de mobilité des Américains soit respecté. (17 h 45)

II y a d'autres scénarios outranciers, mais j'en passe pour le moment. Le gouvernement a dit aussi, par la voix du ministre de l'Education, qu'une charte va figer les valeurs des Québécois et que nous avons des valeurs qui sont parfois différentes des valeurs des autres Canadiens. Cela va de soi qu'on partage un certain nombre de valeurs avec les autres Canadiens, c'est pourquoi nous sommes dans un système fédéral. Il va de soi aussi que le Québec aura son mot à dire sur la

définition des valeurs qu'on va protéger dans la charte. De toute façon, le Québec peut toujours aller au-delà d'une charte enchâssée dans la constitution pour protéger davantage les droits de la personne. Le Québec peut même, s'il le veut bien, enchâsser une charte des droits et libertés de la personne dans sa constitution interne.

Le gouvernement a aussi dit qu'une charte enchâssée dans la constitution sera inutile, à la page 3 des pages bleues. Le Québec a aussi soutenu que cet enchâssement lui paraissait inutile puisque, dans son cas, il dispose d'une Charte des droits et libertés de la personne d'une ampleur, d'une précision et d'une rigueur d'application plus remarquable. Je conviens que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec est remarquable, mais il ne faut pas oublier non plus qu'elle a été faite et adoptée par le gouvernement libéral précédent. Je ne pense pas qu'il me soit nécessaire ici d'expliquer au ministre des Affaires intergouvernementales et surtout au ministre de la Justice la différence entre une charte comme loi ordinaire, une charte comme la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et une charte enchâssée dans la constitution, il y a une différence évidente. Par exemple, aux Etats-Unis entre "The bill of rights" de la constitution américaine et "The civil rights act" qui est une loi ordinaire, qui protège aussi les droits et les libertés de la personne aux Etats-Unis.

En conclusion, le gouvernement est pour un Etat où le législateur ou le fonctionnaire est souverain en matière des libertés publiques. Le gouvernement est contre le fait d'enchâsser les droits et libertés au-delà de toute autre loi qu'on ne peut pas empiéter sur les droits ou sur ces libertés. Le Parti libéral du Québec, comme le chef de l'Opposition officielle a bien dit, est pour un pays où la charte des droits est suprême, où les législateurs ne sont pas suprêmes sur ces questions, où les fonctionnaires ne sont pas suprêmes, où c'est la charte des droits qui est vraiment suprême.

J'ai un deuxième point qui concerne les bénéfices de la charte des droits enchâssée, bénéfices que cela pourrait avoir pour le Québec. Une charte des droits enchâssée dans la constitution aurait pour effet de mieux protéger le partage des compétences, cela, en faveur des provinces et en faveur de la spécificité du Québec. Une charte des droits enchâssée dans la constitution mettra les provinces et le fédéral sur un pied d'égalité. Je dirais que l'absence d'une charte enchâssée dans la constitution avait pour effet d'accroître le pouvoir fédéral dans certains domaines. J'aimerais vous donner deux exemples, M. le Président. Premièrement, à l'instar des autres juridictions en Amérique du Nord, le Québec, dans les années trente, a adopté une loi anticommuniste. Cette loi québécoise a été jugée invalide, parce que la Cour suprême a dit que le Québec empiétait sur le droit criminel qui est de la compétence exclusive du fédéral. Donc, la loi québécoise a été jugée invalide. Le fédéral, le Parlement fédéral, peut toujours mettre dehors, sans la loi, les communistes et cela a déjà été fait.

Donc, pour protéger les droits des Québécois, c'était nécessaire pour la Cour suprême du Canada d'accroître les compétences fédérales en cette matière, en disant au Québec: Le Québec n'a pas le droit, n'a pas la compétence d'adopter telle loi, parce que cela empiéterait sur le droit criminel du fédéral.

Autre exemple: En matière de la liberté de circuler. C'est déjà arrivé en Colombie-Britannique qu'une ville ait voulu empêcher l'entrée des douk-hobors. Il y a eu un problème de manifestation, un problème reltivement au contrôle des foules à l'époque et on a voulu empêcher l'entrée, dans la ville, de doukhobors. C'était par règlement municipal, mais la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué qu'une ville ne peut pas empêcher l'entrée des personnes et que la province ne peut pas non plus empêcher l'entrée des personnes dans une province, parce que cela empiéterait, a-ton dit, en ce qui concerne le règlement municipal, sur le droit criminel qui est de compétence exclusive fédérale.

Donc, on voit comment l'absence d'une charte enchâssée dans la constitution a eu comme effet d'accroître les compétences fédérales dans certains domaines aux frais, notamment, du Québec.

En conclusion, nous sommes pour une charte des droits enchâssée dans la constitution pour deux raisons. Premièrement, comme le chef de l'Opposition officielle l'a bien dit et comme on le retrouve dans le livre beige, ça donnerait une meilleure protection pour toutes les personnes qui se trouvent soit au Québec, soit au Canada, soit dans les autres provinces et, deuxièmement, une charte enchâssée dans la constitution aurait l'effet de mieux protéger le partage des compétences au Canada, au bénéfice du Québec. Il ne faut pas oublier qu'une charte enchâssée dans la constitution mettrait les provinces et le fédéral sur un pied d'égalité. Cela est très important pour avoir un certain équilibre dans un système fédéral.

Je pense que le Parti libéral du Québec est sur la bonne voie et que le gouvernement est sur la mauvaise voie. Je vous dis ça, M. le Président, parce que j'ai lu récemment, dans un journal, que 88% des Québécois, selon un sondage Gallup, sont favorables à une charte enchâssée dans la constitution. J'espère que le gouvernement changera d'opinion, au moins pour des fins électorales.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Les travaux de la commission — je présume de votre consentement unanime — sont suspendus jusqu'à 20 heures.

Suspension de la séance à 17 h 55

Reprise de la séance à 20 h 15

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre s'il vous plaît!

J'inviterais les membres de la commission et les intervenants à venir prendre place autour de la table. La commission continue ses travaux qui avaient été suspendus à 18 heures et je cède la parole au député de Saint-Laurent. M. le député de Saint-Laurent.

M. Claude Forget

M. Forget: Merci, M. le Président. Je veux faire quelques brèves interventions qui seront peut-être un peu décousues puisqu'on est sur la fin des discussions relatives à la question de la charte des droits. Il ne m'appartient plus de faire un exposé systématique, cela a déjà été fait, mais il y a quelques remarques qui ont été faites, en particulier par le ministre de l'Education, que je ne voudrais pas laisser passer sans les relever de manière que, au moins, notre position là-dessus soit bien claire. Ce sont des points de détail, mais qui, malgré tout, dans le contexte, ont une certaine importance.

Nous avons remarqué en premier lieu que, dans le texte qui nous a été remis et à travers lequel le gouvernement trace un tableau de la position et des négociations relativement à ce sujet, on utilise un langage qui nous paraît curieux. J'essaie de retrouver la référence précise, un instant; c'est à la page trois du texte sur les feuilles blanches, de l'onglet 3, au paragraphe c). A deux reprises, on décrit la position du Québec relativement à la question de la charte enchâssée. Je cite: "Quant au Québec, il a constamment maintenu une attitude suivant laquelle la technique de l'enchâssement d'une charte des droits était pour le moment contre-indiquée, etc." Un peu plus loin, on revient à la charge et on affirme encore une fois que le Québec s'est constamment opposé, etc. Le mot "constamment" laisse croire qu'il s'agit là d'une de ces — entre guillemets — "positions traditionnelles du Québec". Mais il semble que, dans ce cas-ci, on a un peu changé le contexte et, si on parle d'une tradition, on parle d'une tradition qui remonte au plus à 1977 ou 1978.

M. Morin (Louis-Hébert): 1965

M. Forget: N'est-il pas vrai, M. le Président, que dans les discussions qui se sont échelonnées de 1968 à 1971, il y a eu également des discussions relativement à une charte enchâssée et il me semble que, d'après le compte rendu de ces discussions que j'ai eu l'occasion de consulter cet après-midi même, qu'il y ait eu une position de principe du Québec contre le principe de l'enchâssement. Il a pu y avoir des réserves quant à tel ou tel droit, à l'opportunité ou au caractère prématuré que certaines questions soient abordées à un moment ou à un autre, mais le principe de l'enchâssement semble, de 1968 à 1971, ne pas avoir fait l'objet d'une opposition systématique. Il me semble que c'est au moins une des nuances importantes qui devraient être apportées à cette affirmation. J'aurai quelques remarques de ce genre. Peut-être que le ministre, s'il veut intervenir, pourra le faire brièvement par la suite.

Il y a une autre remarque qui, celle-là, est at-tribuable au ministre de l'Education et qui m'a frappé par son manque apparent, au moins, de cohérence. On se souvient que, lorsque nous avons discuté, ce matin, de la question du droit à l'autodétermination du Québec, le ministre de l'Education a dit: II est temps que l'on fasse du droit nouveau, que l'on innove, que, dans un élan créateur, les auteurs d'une nouvelle constitution établissent un principe nouveau. Quand il s'est mis à discuter de la charte des droits, il a soutenu un principe tout à fait différent, que ce n'était pas le temps de faire de l'innovation juridique, que ce qui compte, ce sont les faits, ce sont les réalités, et qu'il n'a pas de temps à perdre, en d'autres termes, avec des déclarations de principes dans des chartes ou dans des déclarations de droits.

Je veux bien qu'on tienne, en principe, une position ou l'autre, mais je me demande comment on peut concilier chez la même personne deux opinions aussi apparemment divergentes. Ce n'est qu'un point de détail, mais je pense que, si on veut se raccrocher à des principes, on aura au moins besoin d'utiliser les mêmes dans tous les cas.

Je n'insisterai pas sur d'autres éléments. Très brièvement, il me semble que la question du principe de l'enchâssement est admise, dans le fond, implicitement au moins, par nos amis de l'autre côté, du Parti québécois, de plusieurs façons dans leurs raisonnements. Il semble que même s'ils font des difficultés quant au principe de l'enchâssement dans une constitution fédérale, ils ne répugneraient pas du tout, si la décision référendaire avait été dans une autre direction, de voir dans une constitution d'un Québec indépendant une charte des droits enchâssée. Il est difficile de s'enlever de la tête la conclusion que ce à quoi on s'oppose relativement à cette question des droits n'est pas autant l'enchâssement lui-même que l'enchâssement dans une constitution fédérale. S'il est bon d'enchâsser les droits dans une constitution, il devrait être bon de l'enchâsser dans une constitution d'un autre type. Ce n'est pas la différence de régime qui enlève quoi que ce soit au principe d'une protection et d'une sécurité quant à la jouissance de ces droits fondamentaux pour les citoyens qui seule peut découler de l'enchâssement.

C'est d'ailleurs aussi ce qu'il faut retenir des inquiétudes qu'a manifestées le ministre de l'Education relativement aux dangers réels, sur lesquels il a eu raison d'insister, des exceptions à l'enchâssement des droits, c'est-à-dire ces exceptions basées sur des motifs de sécurité ou de survivance du pays ou de survivance nationale, de situations d'urgence, etc. S'il est vrai que ces exceptions sont dangereuses, justement parce qu'à ces époques les droits fondamentaux cessent d'être enchâssés, à plus forte raison, s'ils ne le sont jamais, c'est une situation dont on devrait s'inquiéter. Dans le fond, toutes ces exceptions, les exceptions qu'on peut invoquer dans le cas d'états d'urgence ou d'atteintes à la sécurité nationale, ne font que remettre toute la situation juridique et la protection des droits des citoyens là où elles seraient de toute façon s'il n'y avait pas de charte

enchâssée, c'est-à-dire entre les mains des législateurs et des gouvernements. Pourquoi s'en indigner quand ces gouvernements invoquent l'urgence et, d'un autre côté, pourquoi ne pas épouser avec vigueur le principe de l'enchâssement? Si l'exception est terrible, cela doit être que la règle générale est souhaitable.

Au-delà de cela, M. le Président, j'aimerais aller plus spécifiquement à deux séries de propos qu'a tenus le ministre de l'Education. Une série visait à tirer des conséquences très évidemment exagérées du principe de mobilité de l'article 8 de la charte proposée par le gouvernement fédéral. Le ministre de l'Education a prétendu que ceci impliquait, à toutes fins pratiques, l'élimination du Code des professions. Je dois dire que le fardeau de la preuve lui appartient là-dessus parce qu'il serait évidemment inusité qu'une règle de non-discrimination quant à la province d'origine ou même à la province de résidence ait un effet aussi extraordinaire. Ce serait véritablement extraordinaire que par un simple article 8, paragraphe 2,. prévoyant la mobilité des citoyens, on puisse effectivement supprimer, dans le fond, le fédéralisme, on puisse créer d'un Etat fédéral un Etat unitaire. Si on devait abandonner le Code des professions à cause de cela, on devrait aussi présumément abandonner le Code de la route ou n'importe quelle loi provinciale dans la mesure où elle peut différer d'une province à l'autre. Et c'est vrai de toutes les législations provinciales.

C'est donc une affirmation qui n'a pas de sens et qui n'est absolument pas supportable. Ce qu'il faut comprendre par cette règle, encore que son libellé pourrait peut-être être amélioré — je ne sache pas que le gouvernement ait proposé une amélioration précise — c'est que, par exemple, le Code des professions au Québec peut être aussi différent qu'on le voudra et pourrait continuer d'être aussi différent qu'on le voudra des lois professionnelles des autres provinces, ce Code des professions ne pourrait cependant pas intervenir de façon à exclure, pour la seule raison qu'une personne est née ou a fréquenté l'école dans une autre province où elle a eu son domicile à un moment ou l'autre, de la pratique d'une profession, pourvu que les autres exigences du Code des professions soient retenues.

On pourrait même imaginer que les règles de résidence pourraient continuer de s'appliquer avec une très grande rigueur à l'encontre même des résidents des autres provinces en dépit d'une clause de mobilité. Ce que je veux dire, c'est qu'on pourrait imaginer facilement, même avec une clause de mobilité, qu'il soit essentiel de résider au Québec pour pratiquer une profession, parce que le Code des professions prévoit l'exercice par les corporations professionnelles d'une surveillance, par exemple, des cabinets privés de médecins ou d'autres professionnels, vérification de l'état dans lequel ils maintiennent leurs dossiers, etc., et que c'est une condition raisonnable pour l'exercice de cette juridiction que d'exiger que les gens qui en sont l'objet résident dans la province. Cela ne serait pas, a priori, nécessairement une mesure qui serait interdite, même par une clause de mobilité absolue. Ce qui serait interdit, ce serait de dire: Puisqu'une personne est née dans une autre province, puisqu'elle a été diplômée en médecine de l'Université de l'Alberta plutôt que l'Université McGill, elle ne pourra jamais, à moins de recommencer à zéro ses études au Québec, pratiquer la médecine au Québec, par exemple. Ceci serait certainement contraire à la charte.

On voit que cette interprétation, qui est beaucoup plus plausible de la clause en question, ajoutée aux raisons éminemment valables que le député de Rouyn-Noranda et mon collègue de D'Arcy McGee ont apportées, montrent que l'interprétation du ministre de l'Education est fantaisiste, qu'elle crée un épouvantail tout à fait artificiel. Je veux bien que le libellé ne soit pas parfait; à ce moment-là, qu'on nous propose du côté gouvernemental, où on dispose de l'expertise juridique, un nouveau libellé, mais, a priori, il semble qu'on fasse une tempête dans un verre d'eau.

Un dernier sujet, M. le Président, toujours découlant des remarques du ministre de l'Education. Je n'insisterai pas autrement sur l'ensemble de la question des droits linguistiques, mais il me semble que si on veut donner un sens autre que de pure rhétorique à l'expression qui est souvent utilisée de tous les côtés à l'Assemblée nationale, soit que le Québec est le foyer principal de cette société francophone, de l'un de ces deux éléments qui constituent le dualisme du Canada, il faut nécessairement en faire découler un certain nombre de conséquences pratiques. Parmi ces conséquences, il y a, bien sûr, la reconnaissance qu'il y a non seulement au Québec, mais dans d'autres provinces, une majorité et une minorité qui appartiennent respectivement à ces deux groupes et que les relations qu'ils ont eues dans le passé ne sont pas d'une qualité telle que l'on puisse dans tous les cas se fier au jeu de la volonté majoritaire dans chacune des provinces pour assurer la garantie de ces droits linguistiques. L'expérience au moins, sans procès d'intention, nous enseigne qu'il y a là une des règles de base de notre régime fédéral si l'on veut le stabiliser et le rendre acceptable.

Quoiqu'il en soit, c'est la partie relative aux droits en matière scolaire, les droits linguistiques et l'accès à l'école, sur laquelle j'aimerais faire deux brèves remarques. Le ministre de l'Education a eu raison, je pense, de s'inquiéter de la signification qu'il faudrait attacher à une garantie d'accès à l'école minoritaire, par exemple, pour les francophones et particulièrement pour les francophones à l'extérieur du Québec, lorsque cette garantie est assortie de la clause du nombre suffisant, clause qui est laissée à l'interprétation exclusive de chacune des provinces. (20 h 30)

C'est, à notre avis, effectivement une garantie qui est à la fois la promesse d'un droit, mais aussi la possibilité qui est offerte que ce droit soit retiré en quelque sorte ou soit interprété de telle façon qu'il ne signifie rien. C'est dans ce contexte que, dans la position que le Parti libéral du Québec a

adoptée relativement aux droits linguistiques pour les minoritaires, en pensant particulièrement à la situation des minoritaires francophones dans les autres provinces, nous avons prévu un droit absolu et individuel à l'éducation dans la langue minoritaire, dans la langue française dans les autres provinces, ce qui ne laisse aucune place à l'interprétation et ce qui, sur le plan pratique, sur le plan des possibilités pratiques — et ceci après vérification avec les provinces, même les provinces de l'Ouest, par exemple, où le problème se pose avec une incidence comme on sait très faible; ce sont de petites populations francophones très dispersées — ne cause aucune espèce de difficulté. Elles n'ont pas d'objection dans le fond à assurer une garantie individuelle absolue d'accès, ce qui ne veut pas dire des écoles dans toutes les villes et tous les villages, mais ce qui veut dire la prise en charge de façon totale, par l'Etat provincial dans chacun des cas, de cette responsabilité de l'éducation dans la langue minoritaire, y compris tous les frais afférents, même de logement ou de déplacement, que ceci peut impliquer lorsqu'une famille y tient suffisamment.

C'est seulement avec cette garantie, dans les cas d'isolement, dans les cas de mobilité qui amènent une famille dans une localité où elle ne retrouve pas une communauté francophone, mais où elle tient, malgré tout, à s'assurer la continuité, par exemple, dans une expérience d'éducation pour un enfant pour des raisons ou pour une autre, qu'elle pourra en jouir. Toute autre formule lui rend cela inaccessible. Il est bien clair que, les coûts étant entièrement supportés par les provinces, celles-ci trouveront effectivement, dès qu'il y a la moindre concentration, avantageux d'ouvrir une classe ou une école.

D'ailleurs, notre proposition se complète par la reconnaissance d'un droit collectif, seulement, bien sûr, là où le nombre le justifie, à la gestion des écoles minoritaires. Mais là, bien sûr, on ne peut pas gérer une école s'il n'y a qu'une famille. Cela suppose une collectivité. Je pense que c'est une possibilité que le gouvernement peut peut-être examiner. S'il redoute, comme nous l'avons fait, le caractère subjectif de la définition de la clause de nombre suffisant dans les faits, il peut trouver là une solution qui, bien sûr, n'est pas parfaite, mais qui s'approche davantage d'une véritable garantie.

Dernier point, toujours sur la question des droits scolaires en matière linguistique. Le ministre de l'Education a répété une chose qu'on a beaucoup entendue, surtout au cours des premiers mois de l'année, mais qui avait trait aux questions de critères d'admission dans les écoles minoritaires et, en particulier, dans le cas du Québec, dans les écoles anglophones, une distinction qu'il cherchait à établir, une opposition qu'il cherchait et qu'il cherche encore apparemment à établir entre le critère de langue maternelle et le critère administratif, soi-disant, qui est utilisé en vertu de la loi 101.

Je crois que c'est, bien sûr, une façon de regarder les choses, mais nous voulons suggérer qu'il y en a une autre où ces deux critères, loin de s'opposer, se complètent. En effet, il est important, je pense, de distinguer, d'une part, la règle de base qui est utilisée pour déterminer l'accès à l'école minoritaire. Cette règle de base, dans la loi 22, était la connaissance suffisante; dans la loi 101, à notre avis, elle est, d'abord et avant tout, le critère de langue maternelle. Mais il y a, en plus de cette règle de base quant à l'admissibilité, des critères d'application administratifs. Dans le cas de la loi 101, le critère est évidemment bien connu, c'est un critère administratif, c'est la possession d'un diplôme d'une école du Québec. Ce critère administratif n'est pas incompatible, au contraire, avec la règle de la langue maternelle; elle est effectivement, dans le cas de la loi 101, son prolongement direct et on établit une identité entre la règle de base et le critère administratif, mais il est également plausible d'utiliser le même critère administratif en définissant la règle de base différemment de ce qui est fait dans la loi 101.

Il n'y a donc pas, à notre avis — et je terminerai là-dessus, M. le Président — de distinction nécessaire entre les deux concepts et il ne serait pas juste de considérer que l'adoption des propositions du Parti libéral du Québec relativement à cette question et leur utilisation dans le contexte d'une garantie de droits linguistiques relativement à l'école impliquent une révision déchirante des critères et des méthodes d'application qui ont été retenus pour la loi 101; au contraire, il y a une parfaite compatibilité. Il s'agit, d'une part, d'une règle de base et il s'agit, d'autre part, d'un critère administratif d'application et il ne faut pas les confondre. Il ne faut pas non plus les opposer, ils ne s'opposent pas, ils se complètent et, à notre avis, le problème qu'a soulevé le ministre de l'Education relativement à cette question-là est un faux problème.

M. le Président, pour l'instant, je pense que je vais me limiter à ces remarques-là étant donné que nous sommes tous impatients d'aborder le prochain sujet. Je vous remercie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le ministre.

M. Claude Morin

M. Morin (Louis-Hébert): Nous sommes impatients d'aborder l'autre sujet, cependant je vais prendre quelques minutes, parce qu'il y a deux ou trois choses que je veux relever. Je ne veux pas lancer de débat, je vais rétablir des faits.

D'abord, en ce qui concerne ce que Jacques-Yvan Morin a dit cet après-midi et l'interprétation que vous en donnez, comme il n'est pas là — M. le député de Sauvé comme ça tout le monde va être d'accord — je laisse de côté les questions que vous avez soulevées relativement à l'interprétation qu'il a pu donner de ceci ou de cela. Ce n'est pas une question de ne pas le défendre, c'est qu'il n'est pas là, et comme je n'ai pas tout le texte de ce qui s'est dit cet après-midi, je n'entreprends pas ce débat-là maintenant.

Cependant, je voudrais revenir quand même à une chose que le député de Saint-Laurent a dite relativement au texte que nous lui avons soumis, dans le rapport que vous avez reçu, où on dit que le Québec a constamment maintenu une attitude, a constamment dit ceci ou constamment dit cela. Je pense qu'il aurait été plus utile de lire l'ensemble du texte où on dit que nous avons constamment maintenu une attitude suivant laquelle la technique de l'enchâssement d'une charte des droits était pour le moment contre-indiquée et ça, en vertu des raisons que nous avons invoquées dans le texte que j'ai soumis.

Alors, ce que nous voulons dire par là, c'est que suite aux objurgations de prudence qui nous sont émises par divers partis, nous pensons qu'en ce qui concerne la charte des droits, il faut, quant à notre adhésion éventuelle, quand même être sûrs des conséquences pratiques que ça peut avoir. C'est pour ça que l'expression "pour le moment" est là, parce qu'il reste encore beaucoup de questions auxquelles des réponses suffisantes n'ont pas été apportées et à propos desquelles non seulement au Québec, mais dans d'autres provinces des questions demeurent.

Je voudrais aussi dire un mot à propos de l'expérience des années 1968-1971. Cela m'ennuie d'utiliser ce genre d'argument parce que je vais être obligé de dire que j'étais là à cette époque-là. Cela a deux désavantages: le premier, c'est que c'est un argument d'autorité que je n'aime pas utiliser; le deuxième, c'est que ça me fait paraître plus vieux que je suis. Alors, disons que j'ai commencé très jeune dans ce domaine-là; ça doit être l'explication. Il arrive que j'étais là à l'époque, et tant sous M. Johnson que sous M. Bourassa, la position du gouvernement du Québec était très simple et elle est résumée. Cela s'adonne que je l'ai ici dans le rapport que le secrétaire de la révision constitutionnelle de 1968 à 1971 a soumis où on disait que même si la majorité des délégations se montra disposée à approuver le principe de l'insertion dans la constitution des trois droits politiques précités — à l'époque, il s'agissait de trois droits — elle jugea toutefois impossible d'accepter celui-ci de manière définitive sans connaître auparavant les éléments de la formule de modification, c'est-à-dire l'amendement constitutionnel. Très bien. "La souplesse de cette formule déterminerait la facilité avec laquelle on pourrait effectuer des changements et indiquerait dans quelle mesure la responsabilité relative à la protection des droits fondamentaux passerait des assemblées législatives aux tribunaux".

Ce que je veux dire par là, c'est que dans le passé, la position des gouvernements québécois n'a jamais été de refuser de protéger les droits des citoyens, pas plus que c'est le cas du gouvernement actuel, sauf qu'il faut savoir dans quelle condition, dans quel contexte ça se fait. Ici, je me reporte à un commentaire qui a été formulé ce matin, avec grande justesse d'ailleurs, par le chef de l'Opposition et le chef de l'Union Nationale sur lequel il s'agit d'une entreprise qui est d'envergure, celle qui vient d'être commencée et à propos de laquelle on doit conserver une vue d'ensemble. Alors, disons que dans le passé, les gouvernements du Québec, quel que soit le parti au pouvoir, ont toujours tenu comme position qu'en ce qui concerne les droits, il fallait tout d'abord voir quelle était la répartition des pouvoirs dans laquelle on allait éventuellement aboutir; deuxièmement, quelle serait la formule d'amendement constitutionnel, qui n'a jamais été élaborée d'ailleurs et, troisièmement, comment dans l'ensemble l'insertion de droits aurait-elle des effets sur la souveraineté des Parlements des provinces.

Alors, actuellement, le problème est que — on l'a mentionné à plusieurs reprises — par la déclaration des droits — je vais vous donner une citation tantôt — le gouvernement fédéral peut se servir de certains articles de cette déclaration des droits pour atteindre les objectifs qu'il cherche par d'autres moyens.

Plus clairement, je veux dire ceci: Je vous réfère — je ne ferai pas une longue citation, parce que ça va ennuyer tout le monde — au document fédéral: Pouvoirs touchant à l'économie, à la page 26 jaune, sous l'onglet 4, où on dit très bien — c'est M. Chrétien qui a soumis ce document — qu'une des façons de garantir les objectifs qui sont recherchés par le gouvernement fédéral en ce qui a trait aux pouvoirs sur l'économie — on va en parler tantôt avec mon collègue, le ministre des Finances qui est ici présent pour ça — est justement certaines des dispositions qui pourraient se trouver à l'intérieur d'une charte des droits.

Cela veut dire, en termes clairs, qu'on peut se servir d'une charte des droits pour atteindre des objectifs économiques que le gouvernement poursuit par d'autres moyens. C'est dit à la page 26 à i): Garantir dans la constitution la liberté de mouvement et le droit d'établissement des citoyens, ainsi que le droit de gagner leur vie et d'acquérir des biens dans toutes les provinces, quelle que soit la province où ils sont ou étaient précédemment domiciliés, pourvu qu'ils se conforment aux lois d'application générale.

Je ne cite que ce paragraphe pour dire que, dans l'optique fédérale, il y a trois moyens d'atteindre son objectif en ce qui concerne les pouvoirs sur l'économie. Le premier, c'est l'article 121 de la constitution; le deuxième, c'est l'article 91, je ne sais plus quel paragraphe et le troisième, c'est la charte des droits.

Alors, quand on parle de la charte des droits comme ayant des implications sur un certain nombre de domaines, il faut se rappeler que c'est le gouvernement fédéral qui, dans ses textes, lui-même, nous a incités à considérer que ça pouvait être le cas et, par conséquent, qu'on doit prendre un certain nombre de précautions.

L'autre point que je veux mentionner — je ne veux pas prendre plus de temps — c'est de dire qu'en ce qui concerne les pouvoirs sur l'économie, de même qu'en ce qui concerne la charte des droits, et surtout en ce qui concerne les pouvoirs sur l'économie, aux réunions des fonctionnaires, de multiples questions ont été posées par nos

représentants du gouvernement du Québec, de même que par les représentants des autres provinces aux fonctionnaires fédéraux, même chose au niveau des ministres, et il n'y a pas eu de réponses suffisamment étoffées pour nous permettre de conclure que nous voyions tous ensemble, provinces aussi, que le gouvernement fédéral, les implications de leurs propositions tant économiques que celles qui portent sur la charte des droits... Il n'y a pas eu de réponse. Je ne sais pas si on en aura à la fin du mois, mais je pense qu'on était... vous disiez tout à l'heure que le fardeau de la preuve appartenait — je ne sais pas à quel propos — au ministre de l'Education. Il reste que le fardeau de la preuve appartient, dans le cas de ceux qui veulent proposer des changements aussi majeurs que ceux qui découlent de leurs positions en ce qui concerne les pouvoirs sur l'économie autant que sur la charte des droits, au gouvernement fédéral.

Je signale aussi que Pepin-Robarts, dans son rapport en ce qui concerne les droits linguistiques, a fait une proposition à laquelle nous avons adhéré. Je ne sais plus dans quel texte, mais nous l'avons cité. Je vous réfère à ça. Je n'en parie pas davantage.

J'ajoute aussi — c'est mon dernier point, parce que je ne veux pas continuer le débat trop longtemps là-dessus, il faut passer à l'autre sujet — qu'encore une fois, j'ai rencontré les représentants de la Fédération des francophones hors Québec, lundi dernier, tout l'après-midi, d'ailleurs, à Ottawa, et que, d'une part, ils reconnaissent que dans leur province, jamais ils n'auront, à cause de la situation démographique et à cause d'un tas d'autres raisons que vous connaissez très bien, des droits comparables et des avantages comparables à ceux du groupe anglophone et que, d'autre part, la situation du Québec abritant une société distincte et différente de celle d'autres provinces et je pense que ça transparaîtra dans leurs positions des mois ou des semaines à venir, parce que cela fait partie de la réalité. Il y a des faits et, parmi ces faits, il y en a un qui concerne le Québec dont nous sommes tous conscients, la société distincte, et aussi des faits qui concernent les autres provinces où c'est effectivement vrai que les droits des francophones n'ont pas toujours été respectés. (20 h 45)

Je suis en train de faire ce qu'on appelle en bon français, à l'Office de la langue française, un "understatement", mais il reste néanmoins que c'est le cas et nous en sommes tout à fait conscients. Comme gouvernement, nous avons, à propos des francophones hors Québec, pris des attitudes et établi des politiques, je pense, qui leur ont été avantageuses.

Pour le moment, c'est tout ce que je veux dire là-dessus. Je ne voudrais pas entreprendre de débat et je suggérerais, M. le Président, à moins que quelqu'un ne ressente un besoin absolument inouï d'intervenir, que nous passions à l'autre sujet qui est la...

M. Le Moignan: Je me sens ce besoin.

M. Morin (Louis-Hébert): Cela a l'air que le chef de...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II semble que le chef de l'Union Nationale ait ce besoin inouï.

M. Rivest: II y a des endroits pour ça. Une Voix: C'est au premier étage.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Je ressens ce besoin inouï, M. le Président.

M. Morin (Louis-Hébert): D'accord.

M. Le Moignan: C'est seulement une brève question au ministre. En parlant de la charte des droits, on dit qu'il y a un comité de fonctionnaires qui a dressé de nombreuses choses. Finalement, vous en arrivez à une conclusion, je pense, qu'on peut retenir. Je voudrais d'abord savoir si elle est retenue. A la page 4, on dit: "Seule la reconnaissance des droits fondamentaux, des droits démocratiques et des droits personnels en matière légale, à la condition que ces derniers soient restreints au domaine du droit criminel et du droit pénal, pourrait être considérée". Y a-t-il des chances que ce paragraphe soit retenu? Y a-t-il des possibilités qu'il y ait une entente entre ces...

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est... M. Le Moignan: C'est cela qui...

M. Morin (Louis-Hébert): ... une bonne question que vous posez là. Effectivement, nous l'avons mis ici parce qu'il y a eu une réunion de fonctionnaires et les ministres en ont parlé aussi. Il pourrait peut-être y avoir éventuellement une sorte d'accord — je ne sais pas à quel moment— sur ce qui est inclus là. Le Québec n'a pas soulevé la question, mais il y a des provinces qui ont, en ce qui concerne le droit criminel et le droit pénal, de fortes réticences. Il y a une réserve fondamentale — parce qu'il faudrait quand même revoir tout cela — c'est que... Je veux répéter cela encore, il ne faut quand même pas perdre de vue l'ensemble. Il y a beaucoup de provinces, sinon la majorité d'entre elles — je pense que je peux dire cela — qui ont encore d'extraordinaires et profondes réticences à ce que le député de D'Arcy McGee appelait si brillamment cet après-midi le "gouvernement des juges". C'est une objection, d'ailleurs qui n'est pas du tout venue de nous, même si nous l'avons utilisée. C'est une objection qui a été mentionnée très fortement par d'autres provinces. Mais vous avez raison, M. le chef de l'Union Nationale. Ce point-là a été effectivement dégagé de nos conversations au niveau des fonctionnaires, sauf qu'encore une fois il y a cette réserve qui demeure, à savoir quel sera l'effet de l'insertion de

droits fondamentaux dans une constitution si ces droits sont trop abondants, non pas parce qu'on est contre les droits, mais parce qu'il peut y avoir, comme vous le savez et comme le juge Pigeon l'a indiqué, une conséquence extraordinairement importante en ce qui concerne pratiquement la nature du fonctionnement de notre régime parlementaire. Cela demeure et c'est là qu'on en est rendu.

Cela étant dit, compte tenu — et ce sera ma conclusion sur ce sujet — de ce qui a été dit depuis ce matin et cet après-midi sur la question de la charte des droits, je me sens personnellement — et je pense que c'est le cas de mon collègue de la Justice qui participe avec moi à ces négociations, de même que le leader parlementaire du gouvernement et mon adjoint parlementaire — et je pense que nous voyons plus clairement non seulement ce que nous avons comme objectifs nous-mêmes et comme politique — nous savions cela avant de commencer — mais comment les partis d'Opposition raisonnent et voient les choses. Je pense que ce serait utile dans les suites qui restent aux négociations constitutionnelles, encore qu'il faut reconnaître honnêtement qu'en ce qui concerne les droits linguistiques, les divergences demeurent.

M. Le Moignan: Mais vous n'entretenez pas d'espoir à savoir s'il y a des possibilités d'entente jusqu'à maintenant?

M. Morin (Louis-Hébert): Là, je suis obligé de vous répondre quasiment comme j'ai déjà fait une fois à une question. Cela se peut qu'il y ait des possibilités d'entente. C'est un peu comme d'acheter un billet de loterie; il est bon s'il gagne. On le verra au cours des semaines à venir. Nous cherchons à avoir une entente sur le plus de sujets possible. Celui-là en est un. D'un autre côté, il y a une règle fondamentale qu'on a. On ne voudrait pas qu'au cours de l'exercice, par l'entremise de la charte des droits ou n'importe quoi, on en aboutisse à une réduction des pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec, une réduction des pouvoirs qui ferait que, notamment, en matière linguistique, on serait plus démunis qu'avant par rapport à des politiques qui nous paraissent essentielles.

C'est ce que je pourrais vous donner comme réponse, mais je ne peux pas prévoir ce qui va advenir parce que je dois dire en toute honnêteté qu'il y a des provinces qui ont des réticences terriblement marquées en ce qui concerne la charte des droits.

M. Le Moignan: Abstraction faite des droits linguistiques, sur ces trois points, le Québec participe...

M. Morin (Louis-Hébert): Non, ce que je disais s'applique à l'ensemble des droits et il y a des provinces qui ont des réticences sur toute la question. C'est aussi simple que cela.

M. Bédard: D'ailleurs, l'ensemble de la discussion des fonctionnaires auxquels vous référez se poursuit, mais toujours sous réserve du fait qu'il n'y a pas d'orientations fondamentales qui ont été prises par les ministres. La charte des droits a fait l'objet d'une discussion préliminaire au niveau des ministres, mais il n'y avait aucun consensus qui pouvait se dégager, mais plutôt certaines réticences. Il reste, quand même, que le sujet n'a pas été laissé en plan; au contraire, les fonctionnaires ont eu le mandat, sous réserve des orientations fondamentales, d'approfondir le sujet quitte à ce que ce soit resoumis aux ministres à l'occasion de...

M. Le Moignan: Mais les premiers ministres, à Winnipeg, vont se pencher sur cette question.

M. Bédard: Même avant cela.

M. Morin (Louis-Hébert): II y aura trois ou quatre sujets à Winnipeg, mais un de ceux-là est la constitution. Je ne sais pas si on va parler de tout, mais je pense qu'on va parler du déroulement de la négociation constitutionnelle jusqu'à maintenant. Je dois vous dire candidement que je ne sais pas si on va aborder cette question en particulier. Si vous tenez absolument à ce qu'on l'aborde, on va en parler; mais, d'un autre côté, on ne veut pas brusquer les autres. On va voir venir et on avisera en conséquence. La semaine prochaine, je pense que dans les nouvelles, vous pourrez voir quelles ont été les positions prises par les divers gouvernements provinciaux qui sont beaucoup plus préoccupés, je dois dire, par le document fédéral sur les pouvoirs et sur l'économie que par la question qui nous occupe maintenant.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: M. le Président, laissant de côté les spéculations sur ce qui peut se produie ou ne pas se produire et sur la position que pourront adopter ou ne pas adopter les autres provinces, j'ai été intéressé d'entendre... Je peux répéter si le ministre n'a pas suivi. Laissant de côté les spéculations sur ce qui peut arriver ou ne pas arriver, sur la position que peuvent adopter ou ne pas adopter d'autres provinces — c'est une considération qui est importante en son heure, mais on peut laisser cela aux commentateurs politiques pour l'instant — j'écoutais le ministre tout à l'heure dire: Je comprends clairement où on doit s'en aller. Est-ce que ce serait un effet de sa bonté à ce moment-ci, après la discussion entre les différentes formations politiques, de nous dire quelle sera la position de son gouvernement, position qu'il adoptera lui-même à cette conférence, quant aux droits qu'il serait prêt à voir inscrits dans une charte enchâssée dans la constitution? Il dit: II ne faut pas que la liste soit trop longue, etc. Mais, selon lui, quelle devrait être cette liste? Quels sont les droits qui ne posent pas de problème? Au moins cela. Quel est le minimum qu'il serait prêt, d'ores et déjà, d'emblée, à accepter dans une charte enchâssée?

M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, il s'agit d'un ensemble dont je ne commencerai pas

à faire de liste ce soir, mais à propos duquel je peux vous dire que, dès le mois de février 1979, au moment de la conférence constitutionnelle présidée à l'époque par M. Trudeau, M. Lévesque lui-même a dit qu'à cet égard notre attitude — ce ne sont pas ses mots, mais c'est ce qu'il a voulu dire — était quand même ouverte. Il y a des droits qui vont de soi — peut-être que le ministre de la Justice pourra en parler — et dont, je pense, il n'y aurait pas tellement de difficultés à considérer éventuellement l'inclusion dans une charte constitutionnelle. Cependant, encore une fois, demeure tout ce fameux problème soulevé par le juge Pigeon en ce qui a trait à l'effet que peut entraîner cette insertion sur le fonctionnement de notre propre régime parlementaire.

Notre attitude est ouverte et, cet après-midi, je pense que cela a été mentionné: La porte n'est pas fermée, mais je pense que, comme nous sommes en négociation, on comprendra très bien que je ne ferai pas ce soir une liste possible ou impossible de choses qu'on peut accepter ou ne pas accepter. Peut-être qu'il y a une distinction que le ministre de la Justice aimerait apporter ici, que nous avons utilisée à quelques reprises au cours des négociations qui ont eu lieu au mois de juillet.

M. Marc-André Bédard

M. Bédard: Je pense que le chef de l'Opposition a lu d'une façon objective la présentation gouvernementale et il a pu à juste titre voir que le gouvernement, de par la présentation gouvernementale, ne demeurait pas fermé à toute discussion et qu'il y avait des possibilités de discussion concernant certains droits fondamentaux, certains droits démocratiques, mais des droits — d'ailleurs, c'était dans le document gouvernemental — qui sont éprouvés par le temps, l'expérience et les décisions judiciaires.

Dans ce sens-là, je pense qu'il y a quand même une distinction assez fondamentale à faire entre les droits fondamentaux, les droits démocratiques ou d'autres que vous pourriez avoir à l'esprit et les droits linguistiques, parce que, si on prend la base qu'a prise le chef de l'Opposition, je me rappelle son expression, il a dit qu'il y aurait peut-être une direction convergente qui irait dans sa manière de penser, à partir du moment où seraient inscrits des droits éprouvés, des droits qui sont reconnus, qui ne font l'objet d'aucune discussion, que ce soit judiciaire ou autrement.

Je pense que c'est le cas, par exemple, du droit de présomption à l'innocence, du droit à l'avocat, du point de vue démocratique, du droit de vote, je pense que c'est ce à quoi se référait, entre autres, le chef de l'Opposition, mais, lorsqu'il s'agit des droits linguistiques, je prends exactement la même base que celle qu'a prise le chef de l'Opposition, à savoir qu'il faut être prudent, c'est une large entreprise et qu'il n'y faut insérer que des droits qui sont éprouvés par le temps, l'expérience et les décisions judiciaires. Je pense que, dans ce contexte-là, les droits linguistiques n'ont pas la même propriété de certitude, à partir des expériences passées, que celle que peuvent avoir, par exemple, le droit à la présomption de l'innocence, le droit de vote ou encore le droit de l'individu à l'avocat. Au contraire, on le sait, on est à même de le constater, les droits linguistiques, c'est une expérience qu'on vit encore, non seulement au Québec, mais le vécu des expériences linguistiques, c'est encore de l'actualité.

Nous vivons des situations qui sont différentes, que ce soit au Québec ou dans les autres provinces, et je pense que, du point de vue des décisions judiciaires, on ne peut pas parler des droits linguistiques comme étant des décisions qui sont éprouvées par le temps, l'expérience et les décisions judiciaires. Au contraire, et les exemples sont nombreux, il y a encore des décisions judiciaires qui peuvent être très diverses concernant l'interprétation des droits linguistiques, concernant leur application. Dans ce sens-là, je pense qu'il faut faire une distinction fondamentale entre droits fondamentaux, droits démocratiques et droits linguistiques.

D'ailleurs, M. Lévesque, le premier ministre du Québec, a déjà dit, à l'Assemblée nationale, il y a de cela plusieurs mois, qu'il ne fermait pas la porte à la discussion concernant l'insertion de certains droits fondamentaux, mais, concernant, par exemple, les droits linguistiques, c'est une tout autre réalité avec laquelle nous avons encore à vivre et qui n'est pas, dans le sens que je le disais tout à l'heure ou que l'a dit le chef de l'Opposition, éprouvée par le temps, les décisions judiciaires, etc. Dans ce sens-là, ce n'est pas du tout la même chose.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: J'ai deux remarques à faire à propos de ce qui vient d'être dit par le ministre de la Justice. D'abord, en ce qui touche les droits fondamentaux, dans le résumé de la position gouvernementale que j'ai cité cet après-midi, auquel faisait allusion tantôt le ministre de la Justice, on évoquait des exemples concrets de libertés fondamentales qui pourraient être inscrits dans une charte constitutionnelle des droits. On parlait, par exemple, de liberté de religion, liberté d'expression, liberté de pensée, liberté de presse, etc. Je voudrais rappeler au ministre des Affaires intergouvernementales et au ministre de la Justice que la charte de Victoria de 1971 comprenait un chapitre intitulé: Les droits politiques.

On se souvient très bien sans doute du ministre des Affaires intergouvernementales qui avait approuvé le gouvernement du Québec à ce moment-là, auquel il avait donné son accord, et on mentionnait, parmi les droits qu'on voulait protéger dans la constitution, la liberté de penser, de conscience et de religion; la liberté d'opinion et d'expression; la liberté de s'assembler paisiblement et la liberté d'association. Plus loin, on parlait de l'égalité des citoyens en matière de suffrage universel.

Est-ce que ce sont des exemples de droits que vous envisagez de consacrer dans une constitution? Est-ce que ça fait partie des exemples de libertés fondamentales que vous seriez prêts à protéger dans une déclaration constitutionnelle?

M. Morin (Louis-Hébert): Ce que vous venez de mentionner comme droits fait partie de la distinction mentionnée tout à l'heure par mon collègue de la Justice, et il n'y a pas grand monde qui est contre ce que vous venez de mentionner, en tout cas pas nous. (21 heures)

En ce qui concerne la liste... Pardon? Le député de Jean-Talon, qui était à Victoria lui aussi, se souvient très bien qu'à cette époque nous nous trouvions dans une situation qui ressemble un peu peut-être à ce qui peut survenir maintenant où on peut, au terme d'un processus, se trouver face à certaines priorités fédérales dont on veut satisfaction du côté d'Ottawa sans qu'on ait tenu compte...

M. Rivest: Oui ou non, ce soir, êtes-vous pour?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Jean-Talon, vous n'êtes pas membre ni intervenant.

M. de Bellefeuille: L'enfant terrible de Jean-Talon.

M. Morin (Louis-Hébert): Je voudrais simplement dire qu'en ce qui concerne cette question, à cette époque, le problème était beaucoup plus global. Le chef de l'Opposition s'en souvient très bien. Il a publié à l'époque des éditoriaux qui nous confirmaient dans le fait qu'il fallait adopter l'attitude que nous avons adoptée, je pense, en définitive, et que le gouvernement de l'époque a adoptée. Je pense que je peux dire que le député de Jean-Talon y a concouru lui aussi, à l'époque où il n'était pas député. Cela étant dit, donc, la liste des droits que vous venez de mentionner fait partie, je pense, a priori, sans être juriste moi-même, de choses qui vont de soi. Le problème n'est pas de savoir si ces droits sont bons ou pas bons, si on doit les respecter ou non. Le problème vient du fait qu'il faut voir si, à la suite d'une acceptation éventuelle de ces droits, on ne voudra pas en greffer d'autres et qu'on n'en arrivera pas, éventuellement, à une situation qui sera beaucoup plus lourde de conséquences que celle à laquelle conduirait l'acceptation des droits que le chef de l'Opposition vient de mentionner.

J'ai ici un éditorial — je ne commencerai pas à citer cela; c'est un jeu que je ne veux pas jouer aujourd'hui — du 8 février 1971 où on parlait d'un invraisemblable "package deal". Je pense que ce qui était dit à l'époque avait beaucoup de sens de la part du chef de l'Opposition, alors qu'il était éditorialiste et rédacteur en chef de son journal. Je pense que la porte demeure ouverte. Nous sommes disposés à écouter ce que les autres ont à dire. Et contrairement à ce que disait le député de D'Arcy McGee tout à l'heure, nous n'avons pas de ce côté une attitude qui est fermée, sauf qu'on ne peut pas se geler les pieds dans le ciment à un moment où d'autres sujets, qui ont une connotation, une influence directe sur celui-ci, ne sont eux-mêmes pas réglés. Cela a été mentionné tout à l'heure, cet après-midi, plus exactement, par le chef de l'Union Nationale en ce qui concerne, par exemple, la Cour suprême et autres choses. On peut vous dire que nous avons là-dessus une attitude ouverte et qu'à la suite des discussions en ce qui concerne les droits linguistiques, il demeure un problème, cela est bien sûr, et je pense que d'ici quelque temps on verra exactement quelle est l'attitude prise par le gouvernement du Québec. Il demeure que la discussion jusqu'à maintenant a été éclairante, a été utile. Je voudrais remercier, avant qu'on passe à un autre sujet, les députés de l'Opposition de leur collaboration.

M. Rivest: On vous comprend.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II est toujours plus malcommode le soir que l'après-midi.

M. Ryan: M. le Président...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): S'il vous plaît, à l'ordre. M. le député de Jean-Talon, s'il vous plaît...

M. Rivest: Ils n'ont rien à proposer, c'est cela le problème.

M. Ryan: M. le Président, j'avais commencé...

M. Bédard: II ne semble pas savoir que c'est une négociation.

M. Ryan: M. le Président, j'avais commencé à poser une question...

M. Bédard: Vous seriez de pauvres négociateurs.

M. Ryan: En tout cas, au moins on répondra aux questions. M. le Président, j'avais commencé à poser une question au ministre de la Justice, évidemment par voie d'implication au ministre des Affaires intergouvernementales aussi, à propos des droits fondamentaux. Il y avait ensuite la question des droits linguistiques sur laquelle bien des obscurités subsistent dans la position du gouvernement. Vous nous avez dit quelle est votre attitude au sujet de la langue d'enseignement. Disons que nous ne recommençons par le débat là-dessus. Nous avons entendu votre point de vue, nous n'y souscrivons pas, mais nous le comprenons. Vous n'avez pas dit quelle était votre opinion sur les langues officielles, sur beaucoup d'autres propositions qui ont été mises sur la table par l'Opposition officielle cet après-midi. Est-ce que vous accepterez que la constitution recon-

naisse les langues anglaise et française comme langues officielles des institutions politiques fédérales et des organismes relevant de leur compétence?

M. Morin (Louis-Hébert): II n'y a aucun problème.

M. Ryan: Aucun problème là-dessus. Une Voix: Bravo, enfin.

M. Ryan: Très bien. Est-ce que vous acceptez...

M. Bédard: On l'a toujours dit.

M. Rivest: Qui est-ce qui dit le contraire?

M. Ryan: J'aimerais que vous me disiez quelles sont les difficultés, de votre point de vue, à l'insertion dans la constitution d'un droit fondamental de toute personne de langue française ou anglaise ou de tout autochtone à être servi dans sa langue par les services des institutions fédérales partout où le nombre le justifie? Est-ce que vous avez des objections à cela?

M. Morin (Louis-Hébert): Non, je ne pense pas que personne en ait.

M. Ryan: Non. Très bien.

Le droit de toute personne d'avoir accès aux services de santé et aux services sociaux dans sa langue — française, anglaise ou autochtone — partout où le nombre le justifie; est-ce que vous favorisez ça?

M. Morin (Louis-Hébert): Voyez-vous, c'est que, à partir de ce moment, on peut intervenir à propos de la langue d'enseignement et, à cet égard, la position du gouvernement du Québec a été clairement exprimée, en ce qui nous concerne, dans des documents, à multiples reprises déposés. Je pense qu'on est aussi bien de reconnaître — personne ne s'attend à d'autre chose — qu'à ce propos il y a une divergence d'opinions entre nous et vous; nous ne voulons pas que les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec soient, de quelque façon que ce soit, modifiés ou réduits.

M. Ryan: Le droit de toute personne de langue française ou anglaise d'exiger qu'un procès pénal ou criminel, susceptible de le conduire à une peine d'emprisonnement, soit tenu dans sa langue maternelle; est-ce un grand danger pour l'avenir de la nation que de garantir ça dans une constitution?

M. Godin: C'est dans la loi 101.

M. Bédard: Oui, c'est dans la loi 101.

M. Ryan: Mais avec les restrictions que la Cour suprême a été obligée d'effacer; heureuse- ment que ce chapitre est disparu de la loi 101. Avez-vous objection à ce que ce soit dans la constitution canadienne? Est-ce que ça va faire mal à vos soucis de pureté?

M. Morin (Louis-Hébert): Je pense que c'est exactement le même argument que j'ai énoncé tout à l'heure à propos de ce qui concerne les droits linguistiques; en matière d'éducation, il faut, en ce qui concerne la constitution et toute charte des droits éventuelle, que ç'a n'ait pas comme effet, dans ces matières, de réduire de quelque manière que ce soit, les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec; qu'il s'agisse d'éducation ou qu'il s'agisse d'autre chose. Je pense que c'est essentiel, d'autant plus que, depuis quelque temps, nous savons, par un document qui a été publié, un livre écrit par des démographes, que, dans l'avenir — je l'ai mentionné dans ma déclaration de ce matin — malheureusement, l'évolution démographique, je crois que c'est au Québec surtout qu'il y aura une société de langue française et, malheureusement, dans les autres provinces, pour des raisons qui ne relèvent pas de nous, ni de vous, ni de personne, mais qui sont des faits, la population de langue française aura tendance à diminuer; ce qui fait que le Québec est — je pense que je suis d'accord là-dessus avec M. Trudeau — le centre de gravité du Canada français et qu'il doit le demeurer. Une façon pour lui de le demeurer, c'est que son Assemblée nationale ne procède pas, au moyen de charte des droits ou de quelque autre méthode, à une diminution de ses pouvoirs dans des matières qui touchent directement notre langue.

M. Ryan: Vous ne voulez pas non plus que le droit de toute personne de langue française ou anglaise..

M. Morin (Louis-Hébert): Non, je pense que je suis obligé de vous arrêter là...

M. Ryan: C'est important pour moi de le savoir nommément; des déclarations générales, on en a entendu beaucoup, mais on est ici pour avoir des précisions; je vous pose des questions tout à fait pertinentes et chacune est très différente quant à son contenu. M. le Président, le ministre a seulement à me dire non, j'ai le droit de poser ma question...

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, mais justement je pense qu'on ne peut pas dire...

M. Ryan: Je pense que j'ai le droit de poser la question.

M. Morin (Louis-Hébert): Vous avez absolument le droit de poser la question, je ne mets pas ça en cause...

M. Ryan: Mais j'ai été interrompu avant de la terminer. Alors, je me fie à votre décision.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): J'attendais la question et la réponse.

M. Ryan: Le droit de toute personne — c'est la dernière, M. le ministre, il y en a une autre après, mais c'est un autre paragraphe — de langue française ou anglaise d'avoir accès, dans toutes les parties du pays, à la radio et à la télévision, dans sa langue maternelle, là où le nombre le justifie. Voici un cas intéressant, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, parce que ça ne comporte pas une diminution des pouvoirs de l'Assemblée nationale, comme ils sont actuellement, parce que c'est un domaine — comme l'admettait le premier ministre lui-même, en commission parlementaire — qui relève de la compétence fédérale. Auriez-vous objection à ce que ce soit inscrit dans la constitution?

M. Morin (Louis-Hébert): Si, comme vous le dites, ça ne comporte pas une diminution des pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec, compte tenu des décisions qui seront prises en matière de communications, au cours de nos négociations, je confirme ce que j'ai dit depuis le début, ce que nous avons écrit depuis le début de l'été et même avant, ça fait partie de propositions à propos desquelles on est ouvert, mais le problème n'est pas là, le problème est la conséquence que peut avoir sur le fonctionnement de nos institutions une charte des droits à propos de laquelle non seulement le Québec a des questions à poser, mais beaucoup de provinces aussi. Je pense qu'on ne peut pas, dans le cours d'une période aussi brève que celle de l'été, avoir à la fois toutes les questions voulues et toutes les réponses à ces questions. Par conséquent, nous sommes ouverts et, comme je l'ai dit tantôt, la discussion d'aujourd'hui a été très utile à cet égard, on voit mieux où chacun met des priorités, on voit mieux aussi quels sont les enjeux en cause. Je pense que la discussion a été très utile.

M. Ryan: Une dernière question concernant l'extension à l'Ontario, au Nouveau-Brunswick et à toute autre province dont la minorité francophone atteindrait le niveau de celle de la minorité francophone de l'Ontario, des obligations découlant de l'article no 133. Quelle est l'attitude du gouvernement là-dessus?

M. Morin (Louis-Hébert): C'est peut-être de l'attitude des autres gouvernements qu'il faudrait s'informer. Le Nouveau-Brunswick, je pense, a une attitude qui consiste à accepter pour lui les conséquences de l'article no 133. L'Ontario — je ne dévoile pas un secret — a beaucoup d'hésitation et je pense qu'il faut éviter dans cette matière-là de faire des marchés qui seraient l'équivalent d'un cheval, un lapin. Nous avons beaucoup plus à perdre relativement en attributions de notre Assemblée nationale que d'autres pourraient avoir à gagner dans ce genre de marché-là. Il faut mesurer tout ça et, encore une fois, je pense que comme principe fondamental, autant pour la char- te des droits que pour n'importe quoi, on n'a jamais pensé une demi-seconde qu'il fallait que cette négociation constitutionnelle conduise à une diminution quelconque des pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec; ça nous a semblé être une règle fondamentale dont on verra d'ailleurs certaines applications lorsqu'on abordera la question des pouvoirs sur l'économie.

M. Ryan: A propos de l'article no 133, je regrette, je n'ai pas de réponse. Nous avons soutenu, lors du débat qui a suivi le jugement de la Cour suprême, que l'article 133 imposait au Québec, en matière de respect des droits linguistiques des contribuables au plan des tribunaux et de l'assemblée parlementaire, des obligations qui n'étaient pas du tout odieuses, qui le sont parce qu'elles ont été imposées seulement au Québec dans la constitution créant de ce fait un statut particulier qui est inacceptable pas dans son contenu obvie, mais par le fait que d'autres ne l'ont pas alors qu'ils ont des problèmes de même nature. Il me semble que c'est une raison pour le Québec dans les négociations constitutionnelles d'insister pour que ces obligations s'appliquent également aux provinces qui ont le même problème. Vous nous dites: On va attendre de voir ce qu'ils vont dire, ce n'est pas notre problème, allez leur demander ça à eux. Je vous demande à vous quelle est l'attitude de votre gouvernement?

M. Morin (Louis-Hébert): C'est peut-être un cas où un proverbe s'applique: Messieurs les Anglais, tirez les premiers. Il faudrait peut-être tenir compte du fait que la commission Pepin-Robarts fait d'autres recommandations que celles auxquelles vous tenez et je pense qu'à cet égard, la recommandation de la commission Pepin-Robarts a beaucoup de sens et comporte beaucoup d'implications pratiques auxquelles nous adhérons.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Alors, j'appelle maintenant le troisième... M. le chef de l'Union Nationale, un autre besoin inouï? Alors vous avez la parole.

M. Le Moignan: C'est le même besoin, j'ai commencé à poser une question il y a une demi-heure et on m'a coupé, on m'a interrompu, je n'ai pas pu terminer ma question. Si vous me donnez la chance.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Allez-y.

M. Le Moignan: Alors, la suite de la question que j'avais commencé à poser quand le ministre m'a répondu un peu vite, je le comprends, il avait hâte de me répondre. Je voudrais simplement, en dernier lieu, qu'il me dise si son gouvernement veut en arriver à une entente avec tous les partenaires canadiens, qu'ils soient provinciaux ou fédéral, pour que les chartes des droits fondamentaux et des droits démocratiques soient véritablement insérées dans une nouvelle constitution. J'en étais rendu là quand on m'a coupé.

M. Morin (Louis-Hébert): Jusqu'à maintenant, la question est une de celles qui est la moins avancée et nous sommes ouverts à des approches qui n'ont pas été celles de gouvernements antérieurs — du Québec, j'entends — sauf qu'en ce qui concerne toujours les droits linguistiques, une différence majeure demeure ici. Je pense que tout le monde s'en rend compte et ce n'est qu'à la fin du mois qu'on pourra voir davantage, en ce qui concerne les positions des autres, quels sont les ajustements qui pourraient être possibles sauf qu'on ne veut pas être les victimes de marchés qui consisteraient pour nous à accorder des choses que d'autres n'accorderaient au fond qu'en paroles et qui n'auraient pas de conséquences pratiques. Alors, nous allons examiner l'ensemble et voir comment les choses tournent à la fin du mois, encore que sur le grand sujet qu'on appelle la charte des droits, je ne suis pas sûr qu'on en arrive à des conclusions spectaculaires pour la semaine du 8 septembre.

Rapatriement de la constitution et formule d'amendement

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. J'appelle maintenant le troisième sujet à l'ordre du jour qui est le rapatriement de la constitution et la formule d'amendement. Alors, M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, je ne pense pas que ça nécessite, ce sujet-là, une discussion très longue parce que, selon ce qui a été dit ce matin au cours du tour de table que nous avons fait à partir de déclarations générales, à peu près tout le monde est d'accord que le rapatriement et l'élaboration d'une formule d'amendement, c'est un peu comme ce qui a été dit pour le préambule, ce sont des sujets qui peuvent, qui devraient peut-être même venir plus tard, surtout en ce qui concerne le rapatriement de la constitution et la formule d'amendement. (21 h 15)

Je suis d'accord, au fond, avec ce qui a été dit par les deux partis politiques. Mais j'aurais une question peut-être à poser au chef de l'Opposition, dont je lui ai parlé, d'ailleurs, entre les séances, je n'en fais pas mystère. Je lui ai dit que je lui poserais la question. Cela n'est qu'une précision que je voudrais pour être bien sûr qu'officiellement on s'entend sur la nature et la portée du mot qu'il a utilisé.

Ce matin, il a dit, en ce qui concerne le rapatriement et la formule d'amendement: "Si des accords surviennent sur un nombre suffisant de sujets, que cela vaille la peine de parler d'accords..." Là, il y a une incidente: "Si on s'entend sur une déclaration sur la péréquation, je pense que ça ne change pas grand-chose à l'ordre qui existe actuellement et ce n'est pas moi qui partirai en peur pour aller faire un pèlerinage où que ce soit seulement pour enchâsser un texte comme celui-là dans une constitution". Evidemment, comme on conversait, les phrases ne sont pas complè- tes, mais il continuait: "A supposer que nous pourrions en venir à un accord sur un nombre intéressant de questions, il me semble que nous devons accepter qu'il y aurait un risque, si nous n'incorporions pas ces accords dans le texte de la constitution, avec tous les changements de gouvernement qui surviennent sans cesse et un fonctionnement concret et quotidien du régime fédéral, que ces accords soient remis en question à un an après et qu'on soit toujours à recommencer à partir de zéro, comme si jamais rien n'avait été fait auparavant".

Alors, je ne veux pas reprendre tout ça. Il y a un mot... Je sais déjà sa réponse, mais, quand même, j'aimerais qu'on en parle publiquement. Qu'est-ce que ça veut dire un accord sur un nombre suffisant de sujets?

M. Ryan: M. le Président, j'aimerais bien qu'on fasse un état de la question un peu plus complet que ça. Je pense que je serai très heureux de répondre à cette question un peu plus tard dans les discussions. Mais il me semble qu'on doit faire un état de la question plus sérieux que ça au départ de nos discussions.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, je n'ai pas d'objection, mais qu'est-ce que vous voulez dire par un état de la question?

M. Ryan: D'abord, il est question de rapatriement, il est question de formule d'amendement. On aimerait bien connaître la position du gouvernement là-dessus. Je pense qu'il incomberait au ministre de la résumer. Dans le texte qu'on nous a soumis, il y a beaucoup de considérations stratégiques et tactiques, mais il n'y a pas une ligne qui nous indique quelle est la préférence du gouvernement en matière de formule d'amendement. C'est une chose qu'il nous importerait de connaître. Il faudrait qu'on sache un peu ce qui s'est discuté de ce côté-là. Vous nous le résumez un petit peu dans le texte, mais on aurait besoin de plus de détails que ça. Là, par exemple, il semble être question de discussions autour d'une formule mise de l'avant par l'Alberta — vous nous donnez le texte de la formule de l'Alberta — autour d'une formule mise de l'avant par la Colombie-Britannique — on n'a pas de texte là-dessus — autour d'une formule mise de l'avant par une autre province.

M. Morin (Louis-Hébert): D'accord, oui, bien sûr.

M. Ryan: Je pense que c'est bon qu'on soit informé adéquatement sur ces questions avant d'émettre des opinions. Ensuite, on va vous donner des opinions volontiers.

M. Morin (Louis-Hébert): D'abord, vous avez notre prise de position sur le rapatriement et la formule d'amendement. Elle est annexée au document que vous avez. Je ne la lirai pas, c'est bien sûr. Nous avons, en cours de route, trouvé que la

proposition qui avait été faite par l'Alberta — c'est pour ça que, d'ailleurs, elle est inscrite dans la liste des annexes que vous avez; elle a été rendue publique; il n'y a pas de traduction française — était une base de discussion intéressante et disons que, sans que personne — ça vaut pour Québec comme pour n'importe quelle autre province, sauf une couple — ait de formule d'amendement constitutionnel toute prête, en ce qui nous concerne, en tout cas, nous avons été intéressés par la formule de l'Alberta à cause du fait qu'elle introduit une notion que je trouve personnellement, en tout cas, peut-être intéressante quant à ses conséquences. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de l'analyser. C'est qu'au lieu qu'une province puisse exercer un droit de veto sur l'ensemble d'un changement constitutionnel qui pourrait affecter cette province-là et les autres... En d'autres termes, mettons que le Québec n'est pas d'accord avec un amendement constitutionnel et que parce que le Québec n'est pas d'accord, donc, l'amendement ne s'applique nulle part, la formule de l'Alberta fait qu'une province qui n'est pas d'accord avec un changement constitutionnel pourrait le refuser et il ne s'appliquerait pas chez elle, alors qu'il pourrait s'appliquer ailleurs.

On a pensé qu'il y avait une avenue fertile d'exploration de ce côté-là et, au moment où je vous parle, on n'est pas rendu plus loin que ça. Cela a été un sujet sur la table et nous avons été une des provinces qui ont insisté pour qu'on parle de la formule de l'Alberta, ce qui a d'ailleurs incité l'Alberta à la rendre publique parce que plusieurs y étaient intéressés. C'est là que nous en sommes rendus.

La réponse à votre question, c'est: a) Nous avons émis une position générale que vous connaissez; b) — je pensais qu'on l'avait dit, mais en tout cas, si on ne l'a pas dit, je le confirme — nous avons regardé avec beaucoup d'intérêt la formule de l'Alberta. Le problème qui est survenu, techniquement — je ne veux pas être ennuyeux — c'est que le gouvernement fédéral a dit: La formule de l'Alberta conviendrait peut-être, mais il faudrait voir dans le détail s'il n'y a pas des exceptions qui pourraient s'appliquer, de sorte que cela vidait la formule de l'Alberta de sa substance. C'est là qu'on est rendu. Je ne sais pas si cela suffit comme réponse, mais c'est celle que je peux vous donner maintenant.

C'est sur l'amendement, mais je dois dire une chose intéressante, cependant. Vous ne m'avez peut-être pas posé de questions là-dessus, mais je pense que je vais le mentionner. Sur l'idée du rapatriement même, il n'y a pas eu vraiment de discussions. Cela faisait partie, en quelque sorte — et on s'est rendu compte de cela au fur et à mesure — d'une sorte d'idée reçue. Le rapatriement en soi était considéré par à peu près tout le monde... Et cela peut causer un problème, compte tenu de ce que vous avez dit ce matin, M. le chef de l'Opposition, et le chef de l'Union Nationale et nous-mêmes... Pour beaucoup de provinces, pour les autres provinces et pour le gouvernement fédéral, le rapatriement, cela semble être en soi une priorité. Il y en a plusieurs — je dirais la majorité — qui disent: On peut faire le rapatriement, mais à condition qu'il y ait une formule d'amendement, mais j'irais même jusqu'à dire que, s'il n'y avait pas de formule d'amendement, ce serait peut-être possible qu'on en arrive à l'idée où il y aurait un rapatriement de la vieille constitution, point, sans formule d'amendement. Mais ce n'est-pas résolu au moment où je vous parle. Je ne sais pas si cela répond à vos questions.

M. Ryan: La formule de la Colombie-Britannique, qu'est-ce que c'est?

M. Morin (Louis-Hébert): Ils ne l'ont pas rendue publique. Je me demande, cependant, si on ne l'a pas résumée.

M. Ryan: Oui, vous l'avez résumée à la fin, mais ce n'est pas tout à fait clair.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, on l'a résumée à la fin. C'était compliqué en diable, mais on l'a résumée.

M. Ryan: Ce sont cinq régions, je pense.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est cela. La formule de la Colombie-Britannique — c'est cela, le problème; la Colombie-Britannique, il faut bien qu'on en parle — c'est que la Colombie-Britannique peut avoir diverses suggestions, soit sur le sénat, soit sur — mon Dieu, je ne sais pas — aussi bien la Cour suprême que la formule d'amendement, mais la Colombie-Britannique, une de ses demandes, sinon sa demande essentielle, c'est qu'elle soit, comme province, reconnue comme une région du Canada, formellement; tout le monde n'est pas d'accord là-dessus avec le résultat que dans tout, la Colombie-Britannique réclame que sa position comme province devienne une position régionale, qu'elle soit reconnue comme région et que, par conséquent, elle ait un droit de veto. Il n'y a pas d'unanimité — je pense que c'est le moins qu'on puisse dire — sur cette approche.

M. Ryan: Oui.

M. Morin (Louis-Hébert): Non, mais ce que je disais, c'est que la Colombie-Britannique réclame d'être une des cinq régions du Canada et cela n'entraîne pas l'adhésion enthousiaste de l'ensemble des populations concernées aux conférences fédérales-provinciales. C'est une des propositions qui ont été faites. Comme ils ne l'ont pas rendue publique, on a été embêtés. Alors, on a quand même essayé de la résumer. Je pense que vous l'avez à la page 4 de notre petit document ici.

M. Ryan: M. le Président...

M. Morin (Louis-Hébert): ... sauf qu'ils exigent, eux, d'être une... Je l'ai inscrit ici. Je pense que c'est à la sixième ligne, "étant entendu". Sur la question cruciale du partage des pouvoirs, la

formule serait celle du consentement unanime des cinq régions du Canada, mais avec ceci: "Etant entendu que la Colombie-Britannique formerait une de ces régions."

M. Ryan: C'est cela.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est là où est le problème. On a regardé celle de l'Alberta — je dois le dire — et il n'y a rien de réglé au moment où je vous parle.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: Maintenant, je voudrais peut-être vous faire quelques observations à ce sujet, en partant toujours de la position qui a été définie par le parti que je dirige, évidemment. J'ai déjà résumé ce matin — je n'y reviendrai pas — la manière générale dont nous envisageons le déroulement de la révision constitutionnelle, cette révision devant commencer par un geste d'engagement de toutes les Législatures et du Parlement fédéral dont les éléments seront, entre autres, une déclaration explicite de la volonté de ces Législatures de doter le Canada d'une constitution entièrement nouvelle devant remplacer l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, l'adhésion à une déclaration de principes dégageant les articulations majeures et l'esprit de la réforme constitutionnelle, la décision de mener à bien le travail de façon ininterrompue jusqu'à la conclusion d'un accord, etc. Une fois les travaux terminés — je mentionne ceci parce que c'est un élément qui n'est pas très bien connu du public et peut-être même du gouvernement — la nouvelle constitution sera soumise pour leur approbation aux Législatures des provinces et au Parlement central et, finalement, aux citoyens canadiens par la voie d'un référendum dont les modalités seront déterminées par la conférence constitutionnelle. C'est un point...

M. Morin (Louis-Hébert): Qu'est-ce que vous lisez là?

M. Ryan: C'est le texte des résolutions adoptées par le congrès d'orientation...

M. Morin (Louis-Hébert): D'accord, cela va.

M. Ryan: ... de notre parti et, en complément, par le conseil général qui s'est réuni récemment.

M. Bédard: On l'a.

M. Ryan: Mais vous n'avez pas le texte complet, peut-être que vous avez ce que je viens de lire, ça se peut. La semaine prochaine, on aura des copies de ce texte à mettre à votre disposition, si cela vous intéresse. Pour l'instant, il y a encore...

M. Morin (Louis-Hébert): Vous me faites penser... Excusez, continuez, j'aurai une question tantôt.

M. Ryan: II y a un petit point que j'ai mentionné ce matin: La constitution sera rapatriée au moment et suivant les modalités arrêtées avec l'accord des gouvernements concernés. Cela met votre question entre parenthèses, on y reviendra tantôt.

M. Morin (Louis-Hébert): Non, ce n'est pas là-dessus, c'est parce que vous m'avez fait penser à quelque chose.

M. Ryan: Vous pouvez me la poser tout de suite, si vous voulez, il n'y a pas de problème.

M. Morin (Louis-Hébert): Je ne voudrais pas déplacer le sujet, mais vous avez dit, ce matin, et on a peut-être oublié d'en parler, qu'au cours de la négociation actuelle, une des suggestions à laquelle vous aviez pensé — c'est d'ailleurs la règle que nous suivons maintenant — c'est qu'on respecte le principe de l'accord unanime. Vous avez dit cela, en somme.

M. Ryan: Ou qu'on s'entende sur une formule de décisions qui pourrait être la formule éventuelle d'amendement mise à l'essai.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, d'accord, ce qui revient au même, au fond, en ce qui concerne l'adhésion des participants. Je voulais simplement dire que ce serait peut-être une façon de régler le problème de la négociation actuelle.

M. Ryan: Je continue.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui.

M. Ryan: En ce qui touche la formule d'amendement, la constitution reconnaîtra évidemment aux provinces et au Parlement central le droit de modifier les éléments de leurs constitutions internes respectives. Les clauses dites protégées ou enchâssées de la constitution ne pourront cependant être modifiées qu'aux conditions suivantes: a)Que l'initiative de proposer un amendement appartienne à chacun des deux ordres de gouvernement et au conseil fédéral; b) que tout amendement soit adopté par la Chambre des communes; et c)que tout amendement soit approuvé par toutes les provinces ayant compté ou comptant au moins 25% de la population canadienne, par deux des quatre provinces atlantiques dont l'une des deux plus populeuses, et par deux des quatre provinces de l'Ouest comprenant l'une des deux plus populeuses provinces de cette région.

Ensuite, on donne une liste des clauses qui seraient enchâssées. Je pense qu'on peut se dispenser d'insister pour ce soir. Notre préférence reste pour l'instant à cette formule qui nous semble claire, simple et correspondre assez à la réalité canadienne. Le seul élément sur lequel, personnellement, je pense qu'il faudrait être prêt à discuter, c'est les 25%. Ces 25% pourraient peut-être être ramenés à quelque chose comme 15% si on

voulait tenir compte de certaines représentations qui ont été faites. A ce moment-là, cela nous rapproche de ce que vous appelez la formule de Toronto, dans votre document. Je ne pense pas qu'il faudrait l'abandonner sans examen très sérieux, cette formule.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, mais...

M. Ryan: En ce qui touche... oui?

M. Morin (Louis-Hébert): Non, j'aurai...

M. Ryan: En ce qui touche la formule de l'AIberta, nous en avons fait un examen préliminaire, mes conseillers et moi-même. C'est une formule complexe et simple à la fois. Je pense que le ministre n'a pas dit tantôt... si j'ai mal écouté, il me corrigera. Voici comment cela fonctionnerait. Il faudrait l'assentiment des deux tiers des provinces représentant plus de 50% de la population; une province qui ne serait pas d'accord pourrait exiger que l'amendement ne s'applique pas chez elle s'il porte sur certains sujets, pas en général.

M. Morin (Louis-Hébert): Non, c'est justement le problème, s'il porte sur certains sujets. Ce qui est arrivé, c'est qu'au cours de la discussion on a essayé de réduire — du côté fédéral, entre autres, mais peut-être aussi d'autres provinces — la liste des sujets, comment dirais-je, réservés. Là, cela enlève le sens et l'intérêt.

M. Ryan: C'est là qu'est le danger. Même avec la formulation qui est proposée par l'Alberta, je sais que cela traduit une école de pensée dont certains disent qu'elle n'a pas de fondement, mais, quand même, il y en a beaucoup qui l'assument. S'il s'agit d'un pouvoir nouveau qui n'était pas prévu dans la constitution, qu'on fasse un amendement, qu'on le transfère au Parlement fédéral. A ce moment-là, cela n'enlève rien aux pouvoirs et aux privilèges existants des provinces. On pourrait de cette manière accroître les pouvoirs du Parlement central au détriment du Québec. Je pense qu'il y a un trou de ce côté-là qui n'est pas bien couvert par cette formule.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela. Je pense que...

M. Ryan: Voulez-vous me laisser finir? M. Morin (Louis-Hébert): Oui, oui.

M. Ryan: Cela va vous donner la chance, peut-être, de toucher tous les aspects que je veux évoquer. La deuxième possibilité de cette formule, cela nous ramène à "l'opting out" sans compensation financière. Une province qui ne voudrait pas que l'amendement s'applique chez elle n'aurait pas, dans la formulation que nous trouvons dans le dossier que nous avons en notre possession, de garantie de compensation financière. Elle pourrait exiger que l'amendement ne s'applique pas chez elle.

(21 h 30)

Supposez que les provinces décident de transférer le pouvoir sur la police provinciale, par exemple, au Parlement fédéral. Le cas échéant, le Québec pourrait décider qu'il garde sa police, mais il n'aurait aucune garantie de compensation financière avec la manière dont cela est proposé.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est ça, vous avez bien raison là-dessus.

M. Ryan: Troisièmement, il y aurait le danger que cela conduise à une multiplicité de statuts particuliers, éventuellement à un fouillis législatif et administratif qui pourrait devenir une véritable source de confusion et d'embarras pour le bon fonctionnement du pays. Je consens bien à ce qu'on examine cette formule attentivement, mais il me semble, tout compte fait, dans l'état actuel de l'intelligence que je peux avoir du dossier, que l'autre formule, ou une variante s'en rapprochant — et là-dessus, nous ne sommes pas attachés à un chiffre comme une vérité dogmatique — que l'autre famille de formules est plus acceptable, quitte à chercher les pourcentages qui tiendraient compte de la situation vraiment nouvelle et très importante de provinces comme la Colombie-Britannique et l'Alberta. On ne peut pas ramener ces deux provinces à des petites provinces, ce sont des provinces majeures maintenant; elles font partie de la ligue des grosses provinces au Canada. Je pense qu'il vaudrait mieux chercher une formule qui leur donnerait voix au chapitre de manière décisive, plutôt que de chercher dans cette espèce de méthode indirecte extrêmement génératrice de confusion, du moins d'après la première lecture que nous en faisons.

Je n'ai pas parlé du rapatriement, j'aimerais qu'on nettoie ce propos de formule d'amendement pour commencer, si vous permettez. Si on peut voir clair là-dedans, ça va faire au moins un point d'acquis.

M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, sur la formule d'amendement, peut-être que le chef de l'Opposition — et ce n'est pas un reproche que je veux faire — croit, on ne l'a peut-être pas assez expliqué, que les discussions sont rendues plus loin qu'elles le sont en fait. Il y a peut-être, comme vous l'avez mentionné, quelque trois ou quatre écoles de pensée. Il y a la formule de l'Alberta, il y a la formule de la Colombie-Britannique, il y a le consensus de Toronto; mais c'est bizarre, le consensus de Toronto, certaines des provinces qui y avaient adhéré, adhèrent maintenant à un autre en même temps qu'elles adhèrent au consensus de Toronto. Il y a aussi la formule de Victoria, je pense que c'est celle préférée par le gouvernement fédéral. Là, je pense à quatre, et il se peut que j'en oublie une couple.

On n'est pas rendu très loin au moment où je vous parle. Ce que je vous ai dit, c'est que la

formule de l'Alberta, qui n'a peut-être pas été notée avant par la plupart des provinces, a été remarquée comme étant assez intéressante. En ce qui nous concerne, on a dit: On voudrait voir ce que ça donne. On l'a regardée, au niveau des fonctionnaires, plus en détail que cela avait été le cas jusqu'à maintenant, mais aucune décision n'a été prise nulle part et je ne suis pas sûr qu'on va arriver à quoi que ce soit qui va finalement faire l'unanimité.

Donc, vous parlez aussi de la règle des 15%. Je n'ai pas la liste de la population des provinces, mais je ne sais pas combien de droits de veto — si je peux m'exprimer ainsi — ça donnerait à combien de monde.

M. Ryan: Un de plus pour l'instant, et dans quelques années, deux.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est ça, mais on a un petit problème qu'on n'avait pas auparavant. Certaines provinces qui ne s'étaient pas manifestées, soit pour le droit de veto, soit pour leur présence au Sénat, soit pour la Cour suprême, soit pour les communications, soit pour je ne sais plus quoi, aujourd'hui ont des vues précises et arrêtées quant à leurs propres — je ne les blâme pas d'ailleurs — aspirations et revendications, de sorte que je dirais que c'est plus compliqué qu'auparavant.

Je dirais qu'auparavant, il y avait deux écoles de pensée; maintenant, il y en a trois ou quatre, mais on est rendu là après trois semaines de discussions. Il faut dire qu'on n'a pas parlé de la formule d'amendement. Comment pourrais-je vous dire ça? Pour être plus simple, on a surtout parlé... Je dirais que 40% du temps des trois dernières semaines a été consacré au pouvoir sur l'économie et à des choses connexes au pouvoir sur l'économie. Je pense que c'est peut-être la meilleure description que je peux faire. J'irais peut-être jusqu'à 50%; que ce soit dans des réunions à huis clos, mais où il y avait les fonctionnaires, ou que ce soit dans des réunions de ministres ou lors des dîners de travail de ministres, cela a été surtout sur des questions comme celles relatives au pouvoir sur l'économie, de sorte que l'amendement constitutionnel qui était avant le sujet majeur d'intérêt et qui le demeure peut-être pour quelques provinces, a été un peu, à cause de ça, relégué je ne dirais pas dans l'oubli, mais dans une sorte de glacière temporaire et va probablement revenir à la fin du mois, mais je ne peux pas vous dire plus que ça. Il n'y a pas d'accord et nous avons regardé avec intérêt, nous, Québec, — d'autres aussi — j'entends la formule de l'Alberta, parce qu'elle nous semblait avoir une certaine flexibilité et représentait une approche nouvelle. Je ne vous dis pas qu'elle est parfaite. Je ne le sais pas encore, mais elle est examinée maintenant par des fonctionnaires et elle va certainement revenir à la surface.

M. Ryan: Une dernière critique que je me permettrais d'ajouter à propos de la formule de l'Alberta. Cela allait de soi, mais je pense que c'est mieux de l'expliciter. C'est qu'elle enlève au Québec le droit de veto sur des amendements à la constitution qui lui étaient garantis dans les formules antérieures mises de l'avant au cours des dix dernières années. C'est peut-être tentant pour le gouvernement dont vous faites partie, dont la tendance serait de replier vers le Québec le plus de responsabilités possible en laissant l'autre nation, comme vous le dites souvent, se développer à son rythme propre, mais pour nous qui voulons un pays dont nous sommes les partenaires à part entière, nous n'acceptons pas ce genre d'éventualité. Nous préférons que le Québec garde son mot clé dans les grandes décisions susceptibles d'affecter la forme du pays dans son entier au cours des prochaines années.

Ici, je vous mets en garde contre une certaine tendance qui pourrait peut-être vous incliner à faire cause commune avec nos bons amis de l'Alberta. Ils peuvent avoir des raisons actuellement, eux, de chercher des repliements de même nature, mais il me semble que ce n'est pas la voie la meilleure dans laquelle on puisse envisager l'épanouissement du fédéralisme canadien. Je soumets cette observation. C'est une critique qui s'impose en toute loyauté.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, cela s'impose peut-être en théorie, mais je pense qu'en pratique on peut compter sur nous pour voir venir les problèmes de cette nature, d'autant plus qu'une des préoccupations majeures du Québec depuis pas mal longtemps, et à l'époque même où j'ai commencé à faire mes premières armes là-dedans, c'était justement de préserver en ce qui concerne le Québec un droit de veto essentiel sur des choses qui le concernent de près et un pouvoir d'influence sur l'ensemble. Cela demeure comme préoccupation. Si le chef de l'Opposition se fait de cela une préoccupation qui l'empêche de dormir, je veux le rassurer de ce côté, il n'y a pas de crainte à y avoir. Ce que j'ai dit, c'est que nous avons regardé la formule de l'Alberta comme étant intéressante, je n'ai pas dit qu'on avait adhéré à cette formule pas plus qu'à aucune autre et au moment où on en est, cette discussion n'est pas du tout terminée.

Je voudrais revenir quand même, M. le Président, à la question que je posais tantôt. J'aimerais cela savoir — à moins qu'on ne considère que le problème est résolu — à partir de la citation que j'ai reprise tout à l'heure, ce que veut dire une entente sur un nombre suffisant de sujets. C'est le mot "suffisant" que j'aimerais qu'on précise. Remarquez très honnêtement que je connais votre réponse, vous me l'avez donnée en privé, mais je pense qu'elle est intéressante à mentionner. Je crois que de ce côté il n'y a pas de difficulté, de part ou d'autre, mais ce serait bon que ce soit clair parce que cela va être une question qui va, comme je l'ai dit tantôt, vu qu'il n'y a pas accord, revenir à l'ordre du jour; il serait bon de savoir un peu ce que tout le monde en pense.

M. Ryan: II y a deux implications dans la question que nous pose le ministre des Affaires intergouvernementales. D'abord, il suppose que nous avons terminé sur la formule d'amendement. Je ne sais pas s'il y a d'autres personnes ou d'autres membres de la commission qui veulent intervenir sur la formule d'amendement. Je ne veux pas anticiper là-dessus et ensuite je presse parce que, là, cela nous amène au rapatriement.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela.

M. Ryan: Mais là on parlait de la formule d'amendement. On était convenu de diviser en deux.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est parce que j'avais une question que vous...

M. Ryan: On la garde en réserve. On n'est pas pressé.

M. Morin (Louis-Hébert): Là c'est parce que vous raccrochez au rapatriement. Ah bon, d'accord. Je vais y revenir tantôt. Cela n'a pas d'importance. C'est juste que je ne veux pas qu'on l'oublie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Union Nationale, sur la formule d'amenciement.

M. Morin (Louis-Hébert): Moi, cela ne me dérange pas.

M. Le Moignan: Ma première question — je n'ai peut-être pas bien saisi ce que le chef de l'Opposition libérale a dit tout à l'heure. Est-ce que vous avez parlé de rapatriement sans formule d'amendement? Oui, c'est cela que je vous demande là.

M. Ryan: J'ai parlé avec la formule d'amendement.

M. Le Moignan: Vous avez parlé avec formule d'amendement, d'accord.

M. Ryan: Nous allons en parler de nouveau tantôt, c'est un des points de fond de notre cheminement.

M. Le Moignan: Très bien. J'aurais juste quelques remarques, M. le Président, et j'englobe les deux en même temps. On parle beaucoup de la formule de l'Alberta qui semble très bonne, très efficace. On ne parle pas beaucoup de la formule du Québec. Je ne sais pas si elle existe...

M. Rivest: II n'y en a pas.

M. Morin (Louis-Hébert): Les formules qui ont été suggérées jusqu'à maintenant — je réponds brièvement — il y a celle qui était dans Victoria en 1976, la formule de Toronto en 1978 ou 1979, mais à l'époque on n'avait pas participé aux discussions et depuis ce temps il y en a deux qui sont survenues, celle de la Colombie-Britannique pour les raisons que j'ai mentionnées et celle de l'Alberta. Alors, sur dix provinces, sur onze gouvernements, il y en a quatre qui ont formulé des propositions et les gens adhèrent à l'une ou l'autre.

M. Le Moignan: Comme cela, il n'y a pas de consensus dans le moment pour le gouvernement du Québec, à laquelle des deux vous adhérez exactement.

M. Morin (Louis-Hébert): Non. On est en train d'explorer, compte tenu des avantages de l'une ou l'autre pour la préservation des droits du Québec. C'est ça de la négociation.

M. Le Moignan: Alors, dans le document, j'ai mentionné cet après-midi qu'on se prononçait en faveur d'une constitution évidemment conçue et adoptée au Canada. A ce moment, on oubliait l'ancienne constitution. Si on veut une nouvelle constitution, on ne voudrait pas d'un document replâtré, rapiécé, d'un document qui serait simplement une reprise. On voudrait quelque chose d'entièrement nouveau, quelque chose de bâti, de conçu ici par les Canadiens. Et j'ai bien l'impression que cette opinion est partagée par plusieurs des membres de cette commission.

Maintenant, dans notre programme, notre document constitutionnel qui remonte déjà à quelques années — la preuve, c'est que vous avez une très belle photo en face qui l'indique — à l'article 2, on disait ceci: "Un mécanisme permanent de révision constitutionnelle dont la définition implique l'assentiment général des paliers provinciaux de gouvernement et l'assentiment particulier du Québec, parce que foyer principal du prolongement de l'un des deux peuples fondateurs du pays". Il y avait une remarque qui disait ceci — je pense que c'est très important — "Toute tentative de rapatriement de Londres de la constitution canadienne actuelle nous apparaît prématurée, voire même inutile aux fins de la conduction d'une nouvelle constitution canadienne". Comme le disait Me Robert Décary: "II sera de toute façon tellement plus facile de rapatrier la constitution une fois qu'elle aura été refaite". Alors, je pense que c'est bien important qu'on examine ces aspects. Actuellement, l'Union Nationale maintient toujours sa position parce que toute cette question de rapatriement, c'est en somme un faux problème. C'est un gadget que le gouvernement fédéral veut utiliser pour nous faire croire qu'un grand changement s'est opéré ou est en train de S'opérer, alors qu'en réalité nous ne faisons que confirmer le statut quo. Je pense que le gouvernement du Québec devrait être très prudent en acceptant, aujourd'hui, de rapatrier un document dont personne en somme ne veut. C'est bien facile d'en bâtir, c'est plus facile d'en bâtir et d'en composer un nouveau que de l'envoyer chercher par avion ou par bateau. Je ne sais pas quel moyen le gouvernement a prévu...

M. Morin (Louis-Hébert): Par la poste.

M. Le Moignan: ... mais, de toute façon, je pense que c'est plus facile d'en composer une nouvelle. Je pense qu'il faut être vigilant et si on veut une nouvelle constitution il ne faut pas rapatrier l'Acte de l'Amérique du Nord britannique avant qu'une entente sur le partage des pouvoirs soit signée. Je pense que c'est très important, il ne faut tout de même pas tomber dans le panneau et se mettre les pieds dans les plats. Il faudrait avoir une entente sur le partage des pouvoirs et il faudrait qu'une entente soit conclue et signée dans ce sens. Je pense que c'est un minimum que le Québec est en droit d'exiger.

En même temps, il y a un point sur lequel j'aimerais attirer l'attention du ministre, peut-être en lui posant une question. Il a été question que le Québec envisageait la possibilité d'un recul sur votre position initiale en matière de rapatriement et de la formule d'amendement d'ici le 12 septembre. Je voudrais simplement savoir si cette rumeur est vraie, oui ou non.

M. Morin (Louis-Hébert): M. le Président, il s'agit du titre d'un article de journal dont, comme ça arrive souvent, quand vous lisez le contenu, on voit qu'il est moins fondé qu'il n'en a l'air. Je pense que le chef de l'Union Nationale a parfaitement raison de dire que, comme premier soin, le gouvernement fédéral voudrait qu'on rapatrie l'ancienne constitution, alors qu'en fait on doit en faire une nouvelle. Il y a une sorte d'illogisme là-dedans. Je dois dire qu'à cet égard la journée même où cette nouvelle est parue, c'est à peu près cette journée aussi que nous avons émis la déclaration que vous trouvez en annexe. Par conséquent, à cet égard, notre position n'a pas changé, elle n'a jamais changé de tous les gouvernements que j'ai connus, de 1963 ou 1964 à nos jours. C'est que le rapatriement de la constitution doit venir non pas d'abord, mais après qu'il y a eu une entente substantielle sur des changements majeurs et significatifs au partage des pouvoirs.

De ce côté, nous avons maintenu la même position; j'ai l'impression que c'est celle-là qui est maintenue ici encore et c'est pour ça que j'avais posé, tantôt, pour avoir une clarification, au chef de l'Opposition une question sur le mot "suffisant" lorsqu'il parle du nombre suffisant de sujets qui devraient former l'objet d'un accord. Mais je partage votre point de vue, M. le chef de l'Union Nationale et je l'ai dit d'ailleurs aux conférences; c'est que la question du rapatriement est une question qui peut paraître importante symboliquement, mais qui aurait comme conséquence de nous faire commencer la fabrication d'une nouvelle constitution en partant de la vieille, ce qui n'est pas tout à fait logique. (21 h 45)

M. Le Moignan: J'aurais un dernier point. Le ministre a certainement pris connaissance de certaines suggestions de compromis, dans le journal Le Soleil, faites par Marcel Pépin dernièrement, qui a suggéré que le gouvernement pourrait peut-être consentir au rapatriement, mais à condition que la règle de l'unanimité continue d'être la loi jusqu'à une entente sur les points essentiels, soit le partage des pouvoirs ou autre chose. Je pense que c'est ça qui est un peu capital dans tout ce rapatriement de la constitution.

M. Morin (Louis-Hébert): Je suis d'accord avec vous, ce qui empêcherait des gestes fédéraux unilatéraux d'ici ce temps-là.

M. Le Moignan: Mais, qu'est-ce que vous faites à ce moment-là, qu'est-ce que vous voulez faire?

M. Morin (Louis-Hébert): C'est-à-dire que nous présumons qu'au moment où on parle, la coutume continue de s'appliquer, c'est que les changements à la constitution se font à partir de l'unanimité des onze gouvernements. Il n'y a rien qui ait encore modifié ça, mais ce qu'on pourrait craindre, c'est qu'en vertu d'un geste unilatéral fédéral, cette règle soit changée, ce à quoi le Québec et, je pense, la plupart du monde, et je dirais que c'est unanime de la part des provinces, s'opposent de façon absolument tranchée, sauf une — je pense que je peux mentionner son nom — c'est l'Ontario qui a dit que le fédéral pourrait procéder unilatéralement, mais, en ce qui nous concerne, on n'est pas d'accord, absolument pas, et huit autres provinces non plus.

M. Le Moignan: Maintenant, la dernière question. La formule d'amendement proposée par la commission Pépin-Robarts, est-ce que cela a été examiné?

M. Morin (Louis-Hébert): Pas à l'intérieur... Encore une fois, on vient de commencer ce sujet-là. Pas à l'intérieur de ce que j'ai pu constater comme témoin de nos discussions, non.

M. Le Moignan: A l'intérieur du gouvernement du Québec non plus?

M. Morin (Louis-Hébert): Non. Encore une fois, on est parti... Vous savez, la tendance dans ces conférences-là, au fur et à mesure qu'elles se succèdent, c'est de partir là où on était avant. On est parti de formules qui existaient, ça se peut qu'elle survienne. Au moment où je vous parle, sauf erreur, elle a été mentionnée — disons pour mémoire — mais elle n'a pas été vraiment étudiée. Celle qui a été vraiment étudiée, c'est celle de l'Alberta, celle de la Colombie-Britannique; on a fait référence au consensus de Toronto et il y en a eu certains qui ont émis des nostalgies en ce qui concerne Victoria, c'est tout.

M. Le Moignan: Mais, est-ce qu'il y a possibilité de rapatriement sans formule d'amendement? C'est encore une autre rumeur qui circule, un accord possible.

M. Morin (Louis-Hébert): Une majorité de gouvernements provinciaux est opposée à un rapatriement sans formule d'amendement. Le gouver-

nement fédéral souhaite un rapatriement avec formule d'amendement. On pourrait donc dire que tout le monde est d'accord qu'il devrait y avoir une formule d'amendement, sauf qu'il est possible que, s'il n'y a pas entente, le gouvernement fédéral décide, de son côté... Cela a été mentionné déjà en 1975 par M. Trudeau, c'est-à-dire qu'il faudrait procéder unilatéralement s'il n'y avait pas d'accord en ce qui concerne la formule d'amendement de la part des provinces. Alors, il y a toujours ce risque, qui n'a pas été évoqué dernièrement, d'action unilatérale fédérale quant au rapatriement. Mais je ne peux pas dire que cela a été brandi comme une menace récemment, ce n'est pas venu dans la conversation.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: C'est une question que je veux poser au ministre. Si j'ai bien compris, le gouvernement du Québec n'a pas proposé de formule d'amendement comme telle. On s'accroche à des formules qui sont connues et à des formules qui ont été proposées récemment par d'autres. Est-ce qu'il est dans vos intentions d'élaborer une formule d'amendement pour être proposée au cours des négociations qui s'en viennent?

M. Morin (Louis-Hébert): En réponse à votre question, M. le député de Rouyn-Noranda...

M. Samson: ... qui se continuent, c'est-à-dire. M. Morin (Louis-Hébert): Pardon?

M. Samson: J'ai dit au cours des négociations non pas qui s'en viennent, mais qui se continuent.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est ça. La réponse à votre question est la suivante: Comme le gouvernement du Québec — et je pense qu'on est un peu tous d'accord là-dessus — considère que la formule d'amendement de même que le rapatriement est une opération qui doit venir à la fin, nous n'avons pas, pour le moment, accordé de priorité à l'élaboration d'une formule d'amendement constitutionnel, encore que, contrairement à l'attitude que nous avons prise avant, nous ayons été d'accord pour examiner celles qui étaient déjà sur la table. Donc, nous n'en avons pas proposé.

M. Samson: Vous n'en aurez pas à proposer tant...

M. Morin (Louis-Hébert): On n'en a pas proposé parce que, pour nous, c'est une question qui doit venir après des discussions qui nous paraissent plus fondamentales quant au partage des pouvoirs. Alors, on a dit que ça viendrait plus tard. Et comme ça doit venir plus tard, on ne s'est pas empressé de faire une formule d'amendement de notre propre chef, en suivant la logique que nous avions adoptée au point de départ et qui a toujours été, d'ailleurs, la logique de l'ensemble des gouvernements québécois qui se sont succédé.

M. Samson: Cela changerait quoi, à votre avis, que vous attendiez à plus tard pour proposer une formule, si vous aviez une formule valable à proposer, si elle était sur la table présentement, ou la proposer uniquement après coup? Cela changerait quoi comme...

M. Morin (Louis-Hébert): Bien, ça changerait...

M. Samson: Est-ce que ça pourrait déranger votre pouvoir de négociation?

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, justement. Vous avez peut-être noté, dans notre note que nous vous avons transmise dans le document d'appui pour la réunion d'aujourd'hui et de demain, que pour plusieurs provinces, l'amendement de la constitution et le rapatriement sont des éléments majeurs essentiels et quasiment primordiaux de tout l'exercice. Et si, nous-mêmes, nous alimentons cette façon de voir les choses en apportant, nous-mêmes, des formules d'amendement de façon empressée, il va devenir difficile de prétendre, comme je pense que nous devons le faire, que la décision quant à une formule d'amendement et quant au rapatriement doit venir plus tard. On ne veut pas apporter, en somme, de l'eau au moulin à ceux qui considèrent que c'est la grande question prioritaire qui va régler tout le problème constitutionnel. Là-dessus, nous estimons qu'il doit y avoir du temps qui doit s'écouler avant qu'on termine toutes les discussions relatives aux formules d'amendement. Donc, nous aurons le temps de faire valoir des positions. Mais, pour nous, ce n'est pas ce qui doit être l'objet de nos discussions prioritaires maintenant.

M. Samson: Ce n'est peut-être pas l'objet de vos discussions prioritaires maintenant, mais c'est de ça qu'on parle maintenant.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est sûr que c'est de ça qu'on parle, vous avez parfaitement raison. J'ai moi-même, ce matin, dans l'intervention que j'ai faite, dans mon rapport sur les conférences qui se sont passées jusqu'ici, dit que je voulais qu'en priorité nous prenions le temps d'examiner toute cette question du rapatriement et de la formule d'amendement. Même si ce n'est pas une priorité québécoise, du moins, c'est ce que nous avons pris comme position jusqu'à maintenant, il n'en demeure pas moins que pour le gouvernement fédéral, c'en est une. Très franchement, nous croyons que ça doit venir plus tard. Mais, comme ça va venir, on voulait consulter les partis d'opposition, voilà.

M. Samson: Est-ce que vous croyez qu'une fois la rédaction d'une nouvelle constitution faite et acceptée par tout le monde cette nouvelle constitution devrait contenir un mécanisme de révision ou d'amendement inclus dans cette constitution-là?

M. Morin (Louis-Hébert): Certainement.

M. Samson: Vous croyez ça. Si vous le croyez aussi important que ça, je comprends mai que le gouvernement du Québec ne prenne pas l'initiative d'élaborer, avec ses experts, une formule d'amendement qu'il pourrait proposer. Cela ne revient pas aux partis d'opposition de prendre l'initiative. C'est le pouvoir qui doit la prendre.

M. Morin (Louis-Hébert): Je suis absolument d'accord là-dessus. Vous m'avez demandé si on s'entend sur le reste de la constitution, s'il devrait y avoir dans la même constitution une formule d'amendement. Ma réponse a été oui. Sauf qu'il faut compléter cette réponse-là, parce que je vous ai dit avant que, pour nous, la formule d'amendement, ça vient après tout ce qu'on vient de dire, c'est-à-dire après une discussion du partage des pouvoirs. Or, nous n'en sommes pas là. Comme nous n'en sommes pas là, il ne faut pas, je pense, tomber dans la logique de ceux qui considèrent que c'est la question prioritaire. Une façon de le faire, c'est de dire que nous n'avons pas, pour le moment, de propositions à faire de ce côté, étant donné que pour nous, le gouvernement du Québec, et ça a été le cas de tous les gouvernements qui nous ont précédés, nous croyons qu'on doit d'abord faire une réflexion en profondeur sur le régime politique avant même de discuter sur la façon de faire revenir ici au Canada la veille constitution. Il y a une logique dans tout ça.

M. Samson: Compte tenu du fait que vous n'accordez pas d'importance prioritaire à cette question et qu'on est en train de la discuter présentement, ce n'est pas nous qui avons choisi de la mettre à l'ordre du jour. C'est vous qui avez choisi ça.

M. Morin (Louis-Hébert): Mais oui.

M. Samson: Compte tenu de ça, est-ce que je dois supposer que vous seriez disposé à suggérer qu'on suspende cet article et qu'on n'en discute pas?

M. Morin (Louis-Hébert): Non, pas du tout. Je vous ai déjà dit...

M. Samson: Si ce n'est pas prioritaire pour vous et si vous ne voulez pas nous apporter de réponse tout de suite parce qu'il faut passer d'autre chose avant, je trouve curieux qu'on soit à discuter de ça avant d'autre chose.

M. Morin (Louis-Hébert): II ne faudrait pas créer de faux malentendus. Ce n'est pas prioritaire et, à notre avis, ce ne devrait pas être prioritaire pour le Québec. Si nous discutons d'une nouvelle constitution, nous devons d'abord discuter d'une nouvelle constitution avant de discuter de la formule d'amendement de cette nouvelle constitution. C'est notre position, sauf qu'il advient que ces trois ou quatre sujets font partie de priorités fédérales quasiment immédiates. Moi, je vous dis — c'est mon devoir, comme ministre — que nous ne sommes pas d'accord que ce soit réglé à l'instant ou dans les semaines qui viennent, parce qu'il y a bien d'autres choses que ça avant qui doivent être réglées. Cependant, il va en être question. Nous avons déjà pris comme position que ça devrait venir plus tard. C'est écrit là-dedans. Nous allons maintenir cette position, sauf que nous vous en parlons, nous vous en faisons rapport et nous vous disons: Voilà. Nous ne voulons pas que cette question, pour des raisons que je viens de dire, soit réglée à la hâte tout de suite, parce que ça enferme l'avenir du Québec. Il y a bien des choses qui devraient être résolues avant, sauf que, comme on veut en parler de l'autre côté, qu'il y a bien des provinces qui ont l'air de trouver ça important, réfléchissons-y ensemble. Mais notre position est établie. Elle est dans le cahier. Cela n'est pas une question prioritaire pour le Québec, mais comme c'en est une pour les autres, il faut bien que je vous le dise.

M. Samson: II faut bien que vous nous le disiez, oui, mais vous ne nous dites rien.

M. Morin (Louis-Hébert): Si vous assumez que ce n'est rien, c'est peut-être parce que vous n'avez pas suffisamment écouté.

M. Samson: Tout ce que vous nous dites depuis cinq minutes, c'est que vous n'avez rien à dire là-dessus.

M. Morin (Louis-Hébert): Ce que je vous dis depuis cinq minutes — et ce que nous avons dit au Québec depuis 16 ou 17 ans — c'est que la question du rapatriement et de l'amendement constitutionnel est une question qui, bien sûr, est importante, mais qui doit venir après que d'autres questions que nous estimons comme Québécois plus importantes aient été résolues. C'est exactement la même position que nous prenons. Pour autant que je puisse en juger par les interventions des autres partis ici, je pense que, là-dessus, on n'est pas loin d'être d'accord.

M. Samson: Estimez-vous possible d'en arriver à vous entendre sur une nouvelle constitution sans toucher au rapatriement et à la formule d'amendement?

M. Morin (Louis-Hébert): On ne peut pas régler le problème de l'ensemble d'une constitution sans toucher à cette question, mais nous estimons que nous devons toucher à cette question quand nous verrons mieux de quoi aura l'air la nouvelle constitution dans son ensemble quant à d'autres sujets.

M. Samson: Quand vous aurez, si je comprends bien, réussi à vous entendre sur des sujets en nombre suffisant.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela... M. Samson: C'est cela.

M. Morin (Louis-Hébert): ... en nombre suffisant et le plus suffisant possible. C'est là l'objet de ma question au chef de l'Opposition, au début.

M. Samson: Je vous la pose à vous, la question. Que veut dire "suffisant", selon vous?

M. Morin (Louis-Hébert): Cela veut dire suffisant. Je vais vous dire ce que cela veut dire. J'aimerais savoir ce que le chef de l'Opposition en pense, lui, et on va revenir à mon point de départ.

M. Samson: C'est quoi "suffisant" dans votre esprit?

M. Morin (Louis-Hébert): Suffisant, cela veut dire une entente sur un partage des pouvoirs qui convienne à ce que nous avons exprimé comme position de base, c'est-à-dire qui convienne au Québec et qui fasse que le Québec, comme société distincte, dispose pour lui d'instruments et que son Assemblée nationale dispose d'instruments d'ordre économique, social, politique et linguistique qui ont été définis: a) dans les positions traditionnelles du Québec; b) dans les adaptations de ces positions traditionnelles qu'elles ont faites au cours des récentes années; c) que nous avons définies dans les nouvelles positions que nous avons émises depuis le mois de juillet. En d'autres termes, cela signifie un accord substantiel sur un partage des pouvoirs plus adéquat et un partage des pouvoirs qui portera et qui résoudra, peut-être enfin, des questions à propos desquelles il y a, depuis des années, des disputes fédérales-provinciales entre le Québec et Ottawa et aussi peut-être entre d'autres provinces et Ottawa qui font qu'on perd pas mal d'énergie dans ce genre de disputes. Voilà!

M. Samson: Vous êtes sûr que vous n'êtes pas en train d'essayer de négocier la souveraineté-association?

M. Morin (Louis-Hébert): Non, cela n'a jamais été défini ainsi.

M. Samson: Tout ce que vous venez de dire se rapproche de ce qu'on voit dans votre livre blanc.

M. Morin (Louis-Hébert): II faudra peut-être en faire le reproche à M. Daniel Johnson et, à l'époque, à d'autres premiers ministres...

M. Samson: Non, non!

M. Morin (Louis-Hébert): ... qui ont défini à peu près ce que je suis en train de vous dire.

M. Samson: Laissez tranquilles ceux qui ne sont plus là. C'est vous qui êtes là, au pouvoir. C'est à vous qu'on pose des questions.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est cela, mais nous succédons à ceux qui nous ont précédés et on tient compte...

M. Samson: Vous êtes en train de me décourager d'en poser. Vous ne répondez pas.

M. Morin (Louis-Hébert): Je vous réponds.

Le Président (M. Jolivet): M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: Nous terminons sur la formule d'amendement, si j'ai bien compris. Cela fait trois sujets que nous abordons aujourd'hui: La déclaration de principes, ensuite, la question des droits et, maintenant, le rapatriement et la formule d'amendement. Je dois constater honnêtement que sur chacun des trois sujets, vous n'avez pratiquement rien donné. Il faut être honnête. Je comprends très bien la réaction du député de Rouyn-Noranda. Vous posez des questions, c'est très bien, mais je dois dire que comme leadership de la part du gouvernement dans la voie de la création d'un consensus, c'est assez piteux. Il faut le constater en cette fin de journée. Si on voulait construire un consensus autour de ce qui a été déposé comme propositions par le gouvernement, on aurait un joli exercice de gymnastique à faire, M. le député de Rouyn-Noranda, mais nous continuons quand même parce que nous sommes de bonne foi. Nous continuons quand même et nous espérons que les prochains jours et les prochaines semaines nous inspireront des propositions plus substantielles. Cela m'étonne que vous ayez insisté vous-même, ce matin, pour inscrire comme troisième article à l'ordre du jour, rapatriement et amendement, et là, vous nous dites: Ce n'est pas pressé, cette question n'est pas importante et nous n'avons pas grand-chose à dire là-dessus. Cela fait un peu curieux.

M. Morin (Louis-Hébert): Puis-je intervenir là-dessus, parce que vous me semblez trop influencé...

M. Ryan: M. le Président...

M. Morin (Louis-Hébert): ... par le député de Rouyn-Noranda?

M. Ryan: ... est-ce qu'il voudrait me permettre de terminer mon intervention? Cela dit, je voudrais en venir au deuxième volet de ce sujet-ci: le rapatriement. Comme sur le premier, on n'obtiendra pas beaucoup plus d'éclaircissements ce soir; j'en viens au deuxième volet et je résume la position de mon parti sur la question du rapatriement. Elle se résume en trois éléments très simples et très clairs. Le premier, pas de rapatriement sans formule d'amendement pour une raison bien simple, c'est que si nous rapatrions la constitution sans l'assortir d'une formule d'amendement, nous ramenons au Canada un document qui risque de devenir un carcan dont nous ne pourrons plus nous libérer. Si la démarche du rapatriement doit avoir un sens, il faut en conséquence que la décision de rapatrier soit accompagnée d'un accord sur une formule d'amendement. (22 heures)

Deuxième point: pas de rapatriement sans l'accord de tous les gouvernements, et quant au moment et quant à la formule d'amendement. Par conséquent, nous croyons que la manière la plus sage, la plus démocratique et la plus conforme à l'esprit fédéral de procéder en cette matière est celle qui consiste à rechercher activement et patiemment, au besoin, l'accord de tous les gouvernements, et quant au moment où cela doit se faire, et quant à la formule d'amendement qui doit accompagner le rapatriement du document de manière que le document devienne opératoire au Canada dès qu'il aura remis les pieds ici.

Une formule qu'on ne doit pas non plus éliminer, c'est que si jamais nous rédigeons un texte entièrement nouveau ici, il n'y aura peut-être pas de pèlerinage à faire à Londres du tout. Cela, c'est une hypothèse qu'on ne doit pas exclure, ce serait l'hypothèse la plus digne d'une nation adulte.

M. Morin (Louis-Hébert): D'accord.

M. Ryan: Enfin, troisième élément: le rapatriement ne doit pas nécessairement venir après que tout aura été arrêté et consommé, que les gouvernements prennent leurs responsabilités en cours de route. J'ai noté dans le texte qui nous a été remis par le gouvernement que certains passages vont dans ce sens. Le gouvernement nous dit, à la page 3 de son texte — sur les feuilles bleues: "Plusieurs gouvernements croient que le rapatriement ne peut se faire sans être accompagné d'une formule d'amendement. Autrement, la modification constitutionnelle au Canada serait, selon eux, soumise à une rigidité exceptionnelle puisque c'est la règle actuelle de l'unanimité qui continuerait de prévaloir. On peut donc s'attendre à ce que l'un, le rapatriement, n'aille pas sans l'autre, la formule d'amendement. Or, le Québec est d'avis, avant que l'une ou l'autre opération n'intervienne, qu'il importe d'abord d'en arriver à une entente globale susceptible de le satisfaire. Même si cette entente n'était pas complète, la présente ronde de négociations et celles qui pourraient lui succéder donnent une excellente occasion d'en arriver à ce "package deal" dans lequel entreraient en ligne de compte et simultanément plusieurs des aspirations et des demandes traditionnelles des Québécois."

A partir de ce texte qui est passablement sibyllin, je voudrais demander au ministre des Affaires intergouvernementales, en sa qualité de porte-parole principal du gouvernement à cette commission, de nous dire ce qu'il a voulu signifier et de mettre un contenu concret sous ces expressions enveloppées qu'on retrouve à la page 3 de son texte.

M. Morin (Louis-Hébert): Cela va être très bref comme réponse, M. le Président. Ce que cela veut dire, c'est que, premièrement, nous ne voulons pas être bousculés comme Québec dans un rapatriement et même une formule d'amendement qui interviendrait de façon tout à fait prioritaire avant même qu'il y ait des discussions sur des choses qui nous paraissent essentielles pour le Québec depuis des années. Deuxièmement, que nous avons une série de douze sujets, actuellement, à propos desquels, je pense, tout le monde est d'accord pour reconnaître qu'on pourrait en inclure d'autres qui sont eux-mêmes, dans certains cas, plus importants pour nous. Troisièmement, que sur Cette liste actuelle de sujets, et sur d'autres qui pourraient survenir, il y ait, avant qu'on procède au rapatriement et à l'élaboration finale d'une formule d'amendement, une entente — je reprends peut-être vos mots ici — sur un nombre suffisant de sujets. Il y a une question de raison qui entre en ligne de compte ici, on ne peut pas déterminer — je pense que je reprends vos mots de ce matin — le nombre de sujets et le critère parce qu'il peut y avoir une entente sur cinq sujets insignifiants qui ne donnent rien et il peut y avoir entente sur trois sujets majeurs qui, au contraire, nous paraissent substantiels. Cela dépendra de l'évaluation — c'est cela que nous avons voulu dire — que le gouvernement fera, de la valeur, en quelque sorte, à tous égards, des ententes qui seront intervenues avant qu'on puisse finalement être d'accord pour que le rapatriement et la formule d'amendement soient mis en oeuvre. C'est essentiellement cela que je veux dire.

M. Ryan: Est-ce que je dois comprendre que s'il y avait, par une hypothèse hautement improbable, accord sur les douze sujets inscrits à l'ordre du jour de la présente ronde de négociations, même cela serait insuffisant aux yeux du gouvernement actuel pour qu'on envisage très sérieusement le rapatriement accompagné d'une formule d'amendement? Vous avez semblé dire: Cette liste-ci et ensuite une autre.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est une question... excusez!

M. Ryan: Très bien.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est une question intéressante que vous posez, mais fort hypothétique, parce qu'il n'est pas possible qu'il y ait entente — enfin, je ne vois pas comment ça pourrait se produire d'ici trois semaines — sur ces douze sujets. Il faudrait voir la nature de ces ententes. Prenons, par exemple, le sujet sur les pouvoirs concernant l'économie; il est d'une énorme "vastitude", si je peux utiliser un néologisme à cette heure tardive de la soirée. Cela dépend de ce qu'il y aurait dedans. Je pense qu'on doit laisser au gouvernement, quitte à ce que l'Opposition évalue le bien-fondé de cette décision, la latitude d'évaluer qu'à un moment donné ou à un autre moment on peut procéder à un rapatriement. Mais il y a un principe fondamental exprimé ici, qui s'inspire d'ailleurs de l'attitude constante du Québec à cet égard, c'est que rapatriement et amendement, mais rapatriement surtout doit intervenir quand déjà la nouvelle constitution a suffisamment pris forme pour qu'on ait à peu près une idée de ce dont elle aura l'air lorsqu'elle sera entière-

ment terminée. Encore que peut-être je serais davantage d'accord avec le chef de l'Opposition et sa formulation de tout à l'heure, à savoir qu'il n'est peut-être pas nécessaire même d'aller à Londres et qu'on pourrait peut-être faire tout ça ici et en construire une complètement nouvelle sans qu'on soit obligé de faire ce pèlerinage.

M. Ryan: Est-ce que je dois comprendre que l'attitude du gouvernement, telle que définie dans le texte que j'ai cité tantôt, représente un assouplissement par rapport à des positions antérieures?

M. Morin (Louis-Hébert): Dans une certaine mesure, on pourrait peut-être dire que oui, parce que la position qui avait été maintenue par les gouvernements successifs était que l'amendement, à toutes fins utiles, n'arrivait, s'il y avait 40 sujets par exemple, que comme quarante et unième. Tandis que, cette fois-ci, nous reconnaissons — et je pense que tout le monde va» être d'accord là-dessus — qu'il y a des sujets d'importance majeure et d'autres d'importance mineure. Il peut y avoir des sujets d'importance mineure même très nombreux sur lesquels il n'y a pas accord, mais ça peut attendre. Il y a cependant des questions d'importance majeure à propos desquelles on doit avoir un accord avant que le rapatriement se fasse. Quelles sont-elles? C'est la suite des discussions qui va nous l'apprendre parce que pour beaucoup des sujets qui sont même parmi ceux à l'ordre du jour maintenant, pour beaucoup des sujets qui sont discutés, nous n'en voyons pas encore la portée précise puisque les réponses à certaines questions que nous avons posées, notamment sur l'économie, n'ont pas été fournies. Il y a une sorte d'assouplissement, mais l'assouplissement ne va pas jusqu'à prétendre ou même jusqu'à prendre comme position que ça n'importe plus à quel moment le rapatriement se fait. Nous croyons que c'est très important et que ça doit venir à un moment où il y aura un accord substantiel, comme vous l'avez dit vous-même, ou un accord suffisant.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: Je voudrais seulement enchaîner là-dessus. Il me semble que c'est important de signaler qu'entre les deux positions extrêmes qu'on a entendues au cours des années il y a de la place pour une position intermédiaire dont l'application serait laissée au discernement du gouvernement en place et, évidemment, aussi des partis qui sont chargés de faire la critique de son travail.

La position qui consiste à dire: Rapatrions tout de suite, même sans formule d'amendement, est une position que nous avons définie ce matin de notre côté comme inacceptable parce qu'elle ne répond pas aux exigences que j'ai définies tantôt. La position qui consiste à dire: Renvoyons tout ça à la fin ultime de tout le processus est une position qui n'est pas réaliste non plus, qui ne tient pas compte du dynamisme propre à cette opération-là et qui condamne à toutes fins utiles l'opération à la stagnation. Il faut chercher une ligne de conduite intermédiaire entre les deux. Je suis content de constater que le gouvernement assouplit quelque peu ce qu'on pourrait être tenté d'appeler la position traditionnelle du Québec en cette matière.

J'écoutais tantôt le ministre nous dire: II y a la liste des douze, il en faudrait une autre. Il n'a pas dit si ce serait douze ou quinze cette fois-là, mais je serais tenté de dire au ministre, en réponse à la question qu'il m'adressait plus tôt, que si, au cours de la prochaine année et des prochains mois — je pense bien que c'est une question de semaines pour son gouvernement — il y avait un accord sur les douze points inscrits...

M. Godin: Le candidat libéral est tout souriant dans Rouyn-Noranda.

M. Samson: Ce n'est pas quand je vous regarde que ça me fait sourire.

M. Godin: C'est quand vous regardez votre chef.

M. Ryan: Nos secrets ne passent pas de votre côté.

M. Samson: Cela me fait brailler de vous regarder en pleine face.

M. Ryan: S'il y avait accord sur les douze points inscrits au programme de l'ordre du jour, je pense que le gouvernement du Québec devrait envisager très sérieusement la possibilité d'un rapatriement de la constitution parce qu'à ce moment, il y aurait eu un dégel majeur et le dégel majeur suivi d'un rapatriement pourrait entraîner une deuxième phase plus rapide, de manière qu'on ne passe pas encore le prochain quart de siècle à discuter de virgules et de nuances comme on le fait de manière ininterrompue depuis 25 ans, au risque de dégoûter à tout jamais les citoyens des discussions sur les questions constitutionnelles. Moi je vous dis: Ne fermons pas la porte à cette question. Regardons-la avec un esprit ouvert sans perdre de vue le sens des proportions, sans aller jeter le Québec dans des risques inconsidérés, mais sachons réaliser que, finalement, nous sommes sur le terrain de l'action pratique, de l'action concrète et qu'il faudra, à un moment donné, poser un jugement d'opportunité qui doive nous conduire à une étape décisive sur ce plan.

Maintenant, je conviens que ce serait très difficile de le faire dans l'immédiat. Je ne vois pas, avec le bilan que nous sommes en train d'accumuler, qu'il soit possible d'envisager pour la conférence de septembre des progrès assez substantiels pour justifier que le Québec consente à une opération de rapatriement et d'amendement de la constitution tout de suite, mais nous verrons les développements qui se produiront à ce sujet et j'espère que le gouvernement tiendra les partis

d'Opposition informés de tout développement important qui pourrait se produire.

On l'a fait déjà par le truchement des media d'information au cours des dernières semaines et de cette commission au cours des derniers jours, mais, vu l'importance cruciale des derniers développements susceptibles de survenir d'ici le 9 septembre, j'apprécierais, comme chef de l'Opposition officielle, que toute déclaration ou tout document déposé à la table de conférence par le gouvernement du Québec soit communiqué aux chefs des partis de l'Opposition dans les plus brefs délais par les services d'information du gouvernement qui ne manquent pas de personnel, d'après ce qu'on peut constater d'ordinaire. C'est l'opinion que je voulais exprimer sur ces questions.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Avant de partir pour Londres, M. le Président, je voudrais m'assurer de certains points. Si j'ai bien compris, je ne sais pas, ce qui se dégage des opinions du gouvernement, du chef de l'Opposition libérale et ce qu'on a mentionné également, ils ont dit qu'il n'y a pas de rapatriement sans formule d'amendement. Je pense que, sur cela, on s'entend. On dit qu'il n'y a pas de rapatriement non plus sans l'accord de tous les autres gouvernements. C'est un point sur lequel... De toute façon, c'est au moins une idée importante. Ensuite, le gouvernement du Québec non plus ne donne pas son accord sur le rapatriement et la formule d'amendement sans un accord conclu et signé sur le partage des pouvoirs, comme le ministre l'a mentionné tout à l'heure. Un accord signé, ce serait entre les deux ordres de gouvernement, toujours entre le Québec et le fédéral. Je ne sais pas si on peut envisager... Je ne sais pas si vous êtes d'accord sur cela.

M. Ryan: Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce que j'ai dit est beaucoup plus nuancé que cela quant au troisième point.

M. Le Moignan: Le troisième point, je voudrais que vous le repreniez. Il y a un point qui m'embarrasse.

M. Morin (Louis-Hébert): Ce que vous dites, ça va, M. le chef de l'Union Nationale; il y a un mot que je voudrais corriger, c'est le mot "signer". Je ne crois pas qu'il y ait de signature formelle. Je pense que vous voulez dire accord officiel...

M. Le Moignan: Un accord, une entente.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): D'accord. J'appelle maintenant le quatrième sujet à l'ordre du jour, les pouvoirs sur l'économie et, je pense, aussi les richesses naturelles. C'est bien cela?

M. Morin (Louis-Hébert): Non, ce sont les pouvoirs sur l'économie; les richesses naturelles suivent après, si j'ai bien compris.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Les pouvoirs...

M. Morin (Louis-Hébert): Les pouvoirs sur l'économie.

Les pouvoirs économiques

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Les pouvoirs sur l'économie.

M. Morin (Louis-Hébert): Juste un petit rapport avant de donner la parole à mon collègue, M. Parizeau, ministre des Finances. Je pense que j'ai pratiquement tout dit ce que j'avais à dire là-dessus ce matin. L'introduction dans la discussion du sujet qui s'appelle pouvoirs touchant l'économie et la publication ou la distribution par le gouvernement fédéral de trois documents sur ce sujet et par nous de deux documents, et par d'autres provinces, notamment la Saskatchewan, d'un texte qui a quand même eu un certain éclat, démontrent une chose très clairement. C'est que, si le gouvernement fédéral cherchait des accords rapides, il n'a peut-être pas pris le meilleur moyen puisque, pour autant que je me souvienne, c'est une des occasions où l'introduction d'un sujet dans un ordre du jour de conférence et le contenu bien sûr des positions énoncées par un gouvernement, en l'occurrence le gouvernement fédéral, c'est une des occasions où une position d'un gouvernement a suscité des réactions quasi unanimes et négatives, négatives dans le sens où il y avait beaucoup d'opposition de la part des autres gouvernements. Alors, je vous réfère tout simplement, parce que je ne veux pas prendre plus de temps de la commission, à ce que j'ai dit ce matin dans ma propre déclaration, et à ce que vous trouverez à cet égard dans le document que nous avons soumis. (22 h 15)

Au moment où je vous parle, il y a huit provinces fermement contre la position fédérale, une à peu près aussi fermement contre, et une, que vous devinerez facilement, d'emblée pour, parce que ça servirait davantage — ils nous l'ont dit d'ailleurs — certains de leurs intérêts, fort compréhensibles au demeurant, mais néanmoins non nécessairement partagés par les autres.

Si vous le permettez, M. le Président, étant donné que j'ai dit ce que j'avais à dire là-dessus ce matin, je laisserai la parole à mon collègue.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Pour les fins du journal des Débats, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce sera intervenant, de mê-

me que M. le député de Fabre et ministre d'Etat au Développement économique. M. le ministre des Finances.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, j'aurai probablement à demander l'indulgence de la commission pour dépasser un peu les 20 minutes qui, normalement, sont allouées, parce qu'il s'agit d'un sujet qui est complexe, qui a des implications considérables et il ne me sera pas facile, dans le temps qui est normalement alloué, de me comprimer là-dedans. J'aurai cependant, quand j'aurai épuisé mes 20 minutes, à demander les autorisations...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): La présidence n'a pas encore examiné le temps d'aucun député, depuis le début de la commission, et le formalisme n'est pas de rigueur. M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: Je vous remercie, M. le Président.

M. Ryan: Et il ne le sera pas.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II ne le sera pas.

M. Parizeau: Le document présenté par le-gouvernement fédéral aux négociations constitutionnelles et les propositions d'amendements qui l'accompagnent ont été considérés par passablement d'observateurs, depuis quelques semaines, comme une sorte de pavé dans la marre, d'énorme intrusion, de considérations relativement très nouvelles dans le processus constitutionnel, mais susceptibles d'avoir des conséquences économiques majeures. Comme le disait mon collègue de Louis-Hébert, il y a eu une levée de boucliers de la plupart des provinces canadiennes et je pense qu'on peut se rendre compte pourquoi une telle levée de boucliers a eu lieu.

Pour expliquer les implications à la fois du document et des amendements, on me permettra de remonter un peu en arrière. Il est parfaitement connu, et déjà depuis un certain temps, que l'économie du Canada ne va pas très bien. Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que, il y a une vingtaine d'années, parmi les pays industriels du monde, le Canada était, en termes de niveau de vie, au deuxième rang. Il n'est pas nécessaire d'être grand clerc non plus pour se rendre compte que, d'année en année, depuis ce temps, nous tombons graduellement vers le dixième; on n'y est pas tout à fait rendu mais on en n'est pas loin. Cela seulement devrait faire comprendre qu'il y a dans le fonctionnement de l'économie canadienne, par rapport au fonctionnement d'autres économies, quelque chose qui ne va pas. Ce serait un exercice futile pour les provinces de dire: Nous sommes blancs, nous ne portons aucune responsabilité et c'est le gouvernement fédéral qui, seul, est responsable de ce glissement. De la même façon que ce serait tout aussi futile pour le gouvernement fédéral de dire: Nos politiques sont bonnes, ce sont les provinces qui entravent le développement normal de l'économie canadienne. Si c'était aussi simple que ça, ça se saurait.

En fait, bien avant de faire de la politique, M. le Président, j'ai eu l'occasion de dénoncer assez souvent cette espèce de système, par lequel, au Canada, depuis nombre d'années, on a amené les gouvernements à être en mesure de se neutraliser les uns les autres; je me sens donc particulièrement à l'aise pour commenter ce phénomène.

A cause de zones grises dans la constitution, à cause d'habitudes qui se sont prises, à cause d'interprétations qui ont été données à certains pouvoirs, les gouvernements au Canada se sont trouvés placés dans la situation ou bien de s'engager dans des voies absolument discordantes ou bien de se neutraliser les uns les autres. Je ne voudrais leur donner qu'un exemple qui est le plus beau que je n'ai jamais vu — dans le sens que les médecins parlent d'un beau cas de cancer — qui a été la grande querelle des satellites il y a maintenant treize ans, alors que le gouvernement de Québec négociait avec le gouvernement français et par son intermédiaire, avec les Allemands et les Russes, aux mânes de Duplessis, alors que le gouvernement fédéral négociait avec les Américains et par le truchement des Américains avec les Britanniques et les Japonais, les deux gouvernements voulant envoyer des satellites de communications en l'air. Quand ça se passe dans le même pays, des choses pareilles, il y a manifestement quelque chose qui ne va pas.

Il est évident que beaucoup de ces problèmes-là sont des problèmes d'administration de l'économie, d'organisation de l'économie canadienne. Je comprends qu'on veuille à l'occasion d'une révision constitutionnelle vouloir réviser la constitution elle-même, mais il ne faut pas se faire d'illusion. Ce n'est pas par la constitution seulement qu'on va faire en sorte que l'agencement des gouvernements les uns par rapport aux autres, la coordination et l'harmonisation de leurs politiques vont être réalisées.

Pour bien se comprendre ici, nous sommes dans la situation d'une compagnie qui ferait des déficits croissants, dont les administrateurs se battraient entre eux et quelqu'un trouverait la solution: amendons la charte de la compagnie. Je ne dis pas que la charte de la compagnie n'est peut-être pas responsable de certaines choses, mais fondamentalement, ce serait vraiment étonnant qu'un seul changement à la charte puisse régler le problème.

Néanmoins, puisque nous sommes effectivement dans une phase de révision de la constitution, il faut quand même rendre à la constitution ce qu'elle doit donner, l'examiner, voir dans quelle mesure effectivement elle peut être améliorée dans le sens d'une amélioration de la performance de l'économie canadienne.

Or, le document fédéral sur les pouvoirs économiques centre essentiellement ses préoccupations sur le marché canadien. Il nous présente à

cet égard une sorte de contraste, là encore très blanc et noir, entre une situation idyllique qui existerait dans un certain nombre d'autres fédérations et la fédération canadienne qui, elle, serait marquée par toute espèce de fragmentation, de discrimination ou de balkanisation. A cet égard, on se trouve dans une situation un peu ridicule de voir, par exemple, le marché commun des Etats-Unis qui nous est résumé en une page et quart et marqué au sceau d'une admirable circulation des personnes, des capitaux ou des produits, par contraste avec la situation canadienne qui serait très différente.

La situation est encore plus idyllique en Allemagne puisque la description de la situation allemande tient en une demi-page. Il est évident que là, il s'agit d'une opération de conditionnement dont il faut quand même comprendre les conséquences. Venir nous parler de la libre circulation aux Etats-Unis, des personnes... ici, je reviens sur certaines choses qui ont été dites aujourd'hui, M. le Président. Est-ce qu'on sait qu'aux Etats-Unis, dans chaque Etat, il y a un Board of Physicians qui fait passer des examens à tout médecin qui vient d'un autre Etat pour pratiquer dans l'Etat en question? Si vous venez de l'Illinois et que vous voulez pratiquer la médecine dans l'Etat de New York, il faut passer par le Board. On ne nous dit pas ça dans les documents, on dénonce ce qui se passe au Canada en disant: c'est affreux, c'est épouvantable. On ne dit pas qu'aux Etats-Unis c'est la même chose. On ne nous dit pas que, toujours aux Etats-Unis, touchant encore les personnes, la plupart des Etats font passer des examens aux infirmières quand l'une d'elles veut aller travailler d'un Etat à un autre. Cela existe là-bas aussi. Et personne n'a l'air de passer par des affres telles qu'il faille changer ou enlever des pouvoirs à tous les Etats pour éviter des choses pareilles.

J'aurai l'occasion de revenir longuement tout à l'heure sur des choses comme la politique d'achat. Aux Etats-Unis, bien sûr, dans le document fédéral, on ne nous dit pas que ça existe. Je ne voudrais en donner qu'un seul exemple, on pourrait en donner des milliers. Est-ce qu'on sait qu'à l'aéroport Kennedy, par exemple, qui relève de la ville de New York, un entrepreneur du Maryland qui voudrait y travailler doit avoir l'autorisation? Qu'un transporteur, dont le siège social serait dans l'Etat de Maryland, ne peut pas s'y poser?

Comme d'habitude on se livre, à travers ce document fédéral, à l'exercice très canadien qui consiste à se donner à soi-même des coups de pied au derrière, à partir du principe que manifestement nous devons être les pires des pires. J'aurais souhaité qu'on ait une vue un peu plus balancée, d'une part, du Canada, et du reste de l'humanité, d'autre part. Il est évident, cependant, M. le Président, et je reconnais qu'il est difficile de résumer en deux pages et quart le reste de l'humanité.

Il reste, néanmoins, un dernier cas que je tiendrais à souligner, parce qu'il est intéressant. Est-ce qu'on nous a dit à quel point au Québec il était dangereux, dommage, condamnable d'intervenir par voie législative dans le cas du crédit foncier, parce qu'une société de la Nouvelle-Ecosse voulait en prendre le contrôle? Est-ce que je peux rappeler qu'aux Etats-Unis, il y a des Etats qui permettent aux banques d'avoir un nombre illimité de succursales dans l'Etat ou dans les autres, si ça leur plaît? Que d'autres Etats américains limitent l'implantation de succursales à l'Etat seulement? Que d'autres Etats limitent l'implantation de succursales à la ville où le siège social est établi et que certains Etats interdisent aux banques d'avoir des succursales?

Nous, intervenir par voie législative pour empêcher une prise de contrôle par un établissement financier d'une autre province? Nous avons tort. Aux Etats-Unis, ça se fait tous les jours. L'idée fondamentale du document fédéral, c'est une idée qui est au fond une sorte de petit schéma tiré des thèses de Ricardo, qui est un économiste du début du XIXe siècle, un petit modèle charmant, basé sur des échanges de textiles anglais et de portos portugais, ce genre de petit schéma qui enchantait notre jeunesse.

C'est-à-dire que plus le marché est grand, plus le surplus est élevé et ce surplus économique permet à tout le monde de mieux vivre. Cette argumentation n'est pas nouvelle. Encore une fois, c'est basé sur Ricardo, sur ses "Principles of Economics", mais seulement sur la première partie du chapitre. Dans la deuxième partie du chapitre, il change ses hypothèses et donc ses conclusions. Mais, enfin, nous avons tous baigné dans ce genre de raisonnement un peu simple et je n'ai jamais compris, moi, personnellement pourquoi on voulait s'arrêter au Canada. Si plus le marché est grand, plus le surplus est élevé, plus les gens vivent bien, pourquoi le diable ne sommes-nous pas Nord-Américains purement et simplement? Ce serait beaucoup plus grand d'être Américains. Le surplus serait beaucoup plus gros d'être Américains. Nous vivrions tous bien, mieux, d'être Américains. Pourquoi le diable s'arrêter à la frontière canadienne?

Il n'en reste pas moins qu'à partir du moment où on accepte un schéma aussi simple que ça, la conclusion est très claire. Tout ce qui freine la libre circulation des produits, des personnes et des capitaux dans le marché qu'on a défini doit être aboli au complet. Cela s'appelle de la discrimination et la discrimination est une source de pauvreté. La discrimination fractionne le marché. Elle réduit le surplus, donc elle réduit les revenus. Comme logique, à la condition d'accepter le petit modèle qui enchantait notre jeunesse, c'est impeccable. C'est de là qu'on tire ces amendements aux articles 121 et 91, de façon à donner au gouvernement fédéral les pouvoirs nécessaires pour éliminer toutes ces formes dites de discrimination.

Il faut bien comprendre qu'en pratique, les amendements proposés impliquent que toute intervention de nature économique par un gouvernement de province deviendrait condamnable. Je dis à peu près toute parce que, par définition,

quand une province favorise quelque chose sur son territoire, elle ne favorise pas le territoire de la province voisine, comme dirait M. de la Palice. C'est inévitable que si vous êtes Québécois, vous discriminez en faveur de ce qui se fait au Québec par opposition à ce qui se fait en Ontario et vice-versa, d'ailleurs. (22 h 30)

Une subvention donnée par un gouvernement de Québec à une entreprise qui veut se développer ici est, en un certain sens, une discrimination, puisque l'entreprise qui voudrait s'établir à côté, de l'autre côté de la frontière n'aura pas accès à cette subvention, si c'est le gouvernement du Québec qui la donne, cette subvention. Evidemment, si c'est le gouvernement fédéral, c'est autre chose. On disait autrefois, M. le Président, qu'il y avait du mauvais patronage et du bon patronage. Il est clair dans le document fédéral qu'il y a de la mauvaise discrimination et de la bonne discrimination. La mauvaise discrimination, c'est celle faite par les provinces. La bonne discrimination, c'est celle faite par le gouvernement fédéral. Ces subventions seraient présumément disponibles pour les entreprises où qu'elles s'installent au Canada ou où que le gouvernement fédéral veuille les installer. Il est évident qu'un gouvernement provincial qui distribue des subventions aux entreprises qui s'établissent sur son sol, dans cette philosophie, fait de la discrimination à l'égard des autres provinces.

Cela va tellement loin, cette conception des choses, que j'aimerais faire remarquer que le troisième paragraphe de l'article 121 proposé indique que le paragraphe 1, qui abolirait toutes les formes de discrimination, n'invalide pas les principes de développement régional, dit l'amendement, consacrés par le Parlement, c'est-à-dire le Parlement fédéral, et les corps législatifs des provinces. C'est ce que dit l'article 121.3. Cherchez maintenant les notes explicatives de 121.3. Les notes explicatives ne mentionnent que le rôle du Parlement fédéral à cet effet. Dans les notes explicatives, on n'est pas capable de trouver un rôle quelconque aux provinces. Le paragraphe 3 parle des provinces. A l'article 121, les notes explicatives sont forcément muettes.

Il s'agit, évidemment, de quelque chose de très sérieux dans la mesure où ce serait susceptible de remettre en cause toute espèce de fonctions provinciales souvent assumées depuis fort longtemps dans des domaines aussi différents que le travail, l'agriculture, la fiscalité, le développement industriel et commercial. C'est un document qui va fort loin. On comprendra, M. le Président, que ce document nous a laissé un certain choc et que, constatant que le gouvernement fédéral s'embarquait dans une vaste opération de publicité à l'occasion de ces négociations constitutionnelles, nous ayons été amenés à décider de faire la même chose. Il ne faudra donc pas s'étonner de constater dans les jours qui viennent que le gouvernement du Québec, à l'instar d'ailleurs, je crois, du gouvernement de la Colombie-Britannique, va s'engager, lui aussi, dans une campagne publicitaire parce que les enjeux dont on parle à l'heure actuelle sont importants et importants pour des années à venir.

Mais revenons au document fédéral lui-même. Je voudrais essayer ici d'en présenter une critique sur un certain nombre de choses qui me paraissent importantes. D'abord, cette fameuse thèse du surplus. Est-ce aussi clair que cela? Le surplus, c'est vrai qu'il existe sur certaines choses. Construire à notre époque une usine de moteurs, qui ne sort pas un million de moteurs par année sera une usine inefficace qui aura des coûts de production trop élevés et, à supposer qu'elle soit protégée, des prix trop élevés. Il est évident qu'il y a là des économies d'échelle considérables et que, si on imaginait que chaque province canadienne construise son usine de moteurs, tout ce que cela voudrait dire, c'est que le prix des moteurs serait très élevé et que le consommateur paierait inévitablement pour cette espèce de gaspillage.

A l'opposé, cependant, y a-t-il des économies d'échelle de ce genre dans une usine de balais? Mais non! Passé un certain nombre de grosses de balais, on a atteint à peu près les coûts minimums et que l'usine de balais soit à Toronto ou qu'elle soit en Nouvelle-Ecosse, cela ne représente pas un degré d'inefficacité quelconque pour l'économie canadienne. Je comprends que je prends des exemples absolument extrêmes ici, mais il faut comprendre qu'effectivement, dans certains types d'industries, il peut y avoir des gaspillages considérables de ne pas produire à une taille optimale, alors qu'au contraire, dans une foule d'autres industries, ce n'est pas le cas.

On comprend très bien, dans ces conditions, que les provinces préfèrent susciter sur leur territoire des entreprises qui ne sont pas antiéconomiques plutôt que d'avoir sur leur territoire la satisfaction de savoir qu'elles peuvent tirer des montants considérables d'assurance-chômage. C'est un choix, le balai ou l'assurance-chômage. Considérer que les provinces qui choisissent le balai sont nécessairement de mauvais Canadiens, ce n'est pas vrai. Et il n'y a pas une thèse de surplus qu peut défendre cela.

D'autre part, on sait très bien que l'Ontario a développé avec les années une sorte de prépondérance industrielle majeure et on sait très bien que l'industrie a tendance à être attirée vers l'industrie. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner non plus que certaines provinces, constatant cette espèce d'attirance inévitable qui fait cet effet de boule de neige, si on veut, qui fait que l'avance industrielle qu'on a gagnée a tendance à se consolider d'elle-même, cherchent non pas tellement à lutter contre ce phénomène — parce que c'est extrêmement difficile de lutter contre ce phénomène — mais ou bien à en retarder l'effet, ou bien à faire apparaître chez eux d'autres formes d'industries parfois moins liées à cette espèce d'effet de boule de neige, d'une nature différente, en tout cas faisables sur leur territoire dans des conditions à peu près économiques.

Le phénomène de l'Ontario est intéressant; d'ailleurs, sur un autre plan, pas seulement sur le plan industriel, il est intéressant sur le plan fi-

nancier. Qu'est-ce que cela enlève au Canada, M. le Président — je le demande le plus sérieusement du monde — que la Colombie-Britannique ait interdit que le contrôle de MacMillan Bloedel soit transféré à Toronto? Je ne connais pas de thèse économique qui considère qu'il y a quelque économie que ce soit pour un pays à avoir le contrôle de toutes ses grandes entreprises à la même place. S'il y a un modèle économique qui justifie cela, je ne le connais pas.

Je comprends qu'on peut trouver cela choquant sur d'autres plans, mais sûrement pas sur le plan du fonctionnement de l'économie canadienne. Que le gouvernement de la Colombie-Britannique dise: J'ai besoin sur mon territoire d'un certain nombre de grands centres de décision économique, j'en ai un qui s'appelle MacMillan Bloedel, mais le contrôle de MacMillan Bloedel pourrait filer entre les mains de gens ailleurs; je vais faire en sorte que ce contrôle reste chez moi; je dis, M. le Président: Qu'est-ce que cela enlève au Canada? Je ne le vois pas. Je sais ce que cela laisse en Colombie-Britannique, mais je ne sais pas ce que cela enlève au Canada.

Des propositions fédérales, spécifiquement, empêcheraient des choses comme celle-là, des propositions fédérales qui consistent à dire: Si Toronto doit acheter MacMillan Bloedel, que Toronto achète MacMillan Bloedel. Il est évident que, dans la mesure où il y a une concentration financière pareille à Toronto, bien sûr, on comprend que l'Ontario ne s'oppose pas au document fédéral et qu'à peu près toutes les autres provinces s'y opposent.

En somme, M. le Président, le Canada a lutté, pendant le plus clair de son histore, pour ne pas être américain. Mais là, il semble que le Canada ne comprenne plus qu'alors qu'il a lutté tellement longtemps pour ne pas être américain, les Néo-Ecossais luttent pour ne pas être torontois. C'est plus qu'une boutade que je donne là. Je vous rappelle qu'en 1958, à l'occasion de la présentation de la commission d'enquête sur les perspectives économiques du Canada, la commission Gordon, la principale solution énoncée par cette commission pour le chômage dans les Maritimes, c'était de suggérer qu'on finance le déplacement des gens des Maritimes vers Montréal et Toronto où il y avait des "jobs".

On revient de très loin. Remarquez, ce n'est pas un document antédiluvien, cela fait 22 ans. En fait, on ne comprend pas le document fédéral pour toutes les raisons que je viens d'indiquer et pour une autre aussi, que je trouve très frappante. C'est qu'à l'égard de l'économie, le gouvernement fédéral a des pouvoirs très étendus dans la constitution actuelle. Si vraiment le gouvernement trouve abusives des formes de discrimination à l'égard des capitaux ou de la circulation des produits, ou des services, ou des personnes, qu'est-ce qu'il a comme arsenal dans la constitution actuelle? Le droit de désaveu — on le dit désuet, mais il est dans la constitution, il est désuet parce qu'on ne s'en sert pas; c'est comme les batteries d'une lampe de poche, quand on ne s'en sert pas, il est évident que ça coule — le pouvoir déclaratoire et, d'autre part, la clause de paix, ordre et bon gouvernement. Qu'on ne vienne pas dire que ça ne sert pas, cela a été utilisé pour la commission des prix et des revenus il n'y a pas longtemps.

C'est-à-dire que le gouvernement fédéral a des pouvoirs qui sont extraordinaires. Quand on parle du pouvoir déclaratoire, comprenons-nous bien. Quand le gouvernement fédéral soutient, comme il a soutenu souvent dans le passé, que le phénomène des caisses populaires, ou le contrôle des provinces sur des sociétés de fiducie empêche de diriger correctement la politique monétaire par la Banque du Canada, il y a une chose très simple qu'il pouvait faire, c'était de décréter, par son pouvoir déclaratoire, le crédit matière fédérale. Il ne l'a jamais fait. Il a chialé souvent contre le rôle des caisses ou des "near banks", c'était des quasi-banques, comme explication de l'inefficacité de la politique monétaire, mais il n'a jamais décrété le crédit, par exemple, en vertu du pouvoir déclaratoire.

Pourquoi est-ce que le gouvernement fédéral a laissé tomber des pouvoirs pareils en désuétude? Il est important de s'intéresser à la question. Pourquoi est-ce que ces pouvoirs à l'égard de l'économie, qui sont très réels dans la constitution, n'ont presque pas été utilisés?

Je soumets, M. le Président, qu'il y a probablement une explication pour les derniers 20 ou 25 ans. Je ne veux pas remonter trop loin, mais pour le dernier quart de siècle, il y a probablement une explication excellente à ça. C'est que tout n'était pas mauvais dans la politique provinciale. C'est que certaines provinces se sont servi de techniques qu'on appelle aujourd'hui discriminatoires et ont fait du travail pas mauvais. J'en prendrai deux exemples à cet égard: la Saskatchewan et la Nouvelle-Ecosse. Ce que le gouvernement Douglas a fait sur le plan de l'industrialisation de la Saskatchewan après la grande crise et les sécheresses des années 30 qui ont littéralement ruiné cette province-là, ce que le gouvernement Douglas et ses successeurs ensuite ont fait sur le plan industriel est, au Canada, proprement admirable.

Est-ce qu'on s'est suffisamment moqué de la façon dont ce gouvernement a établi une aciérie, là où il n'y avait ni minerai de fer ni charbon, en plein centre du continent: c'était inefficace et ridicule parce que c'était lancé par un gouvernement entre les vaches, d'une part, et le blé, d'autre part. Mais est-ce qu'on sait d'où vont venir les tuyaux pour le pipeline de gaz au Québec? Il y a deux usines au Canada qui peuvent nous les fournir: une en Ontario et celle-là, en Saskatchewan.

Je ne donne ça que comme exemple. Ce que les gouvernements de la Saskatchewan ont fait depuis 20 ou 25 ans est proprement remarquable. Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, que M. Romanow, de la Saskatchewan, ait réagi aussi mal au document fédéral. Littéralement, ce que le fédéral faisait, c'était de gifler la Saskatchewan en disant: Vous avez fait un travail de cochon. Les gens de la Saskatchewan disent: Non, nous ne sommes pas de mauvais Canadiens parce que

nous avons développé notre province, ce n'est pas vrai.

La Nouvelle-Ecosse, avec M. Stanfield, avant qu'il n'entre en politique fédérale, a eu, sur le plan des parcs industriels et sur le plan des incitations industrielles, une action spectaculaire, absolument spectaculaire.

Si, de temps à autre, ces gens-là, qui avaient un taux de chômage bien supérieur à celui du Québec depuis que les chiffres existent, si, depuis quelques années, de temps à autre, il leur arrive d'avoir un taux de chômage inférieur à celui du Québec, c'est à cause des politiques qui sont suivies depuis 20 ans, des politiques tout à fait discriminatoires dans le sens de ce que le fédéral énonce.

Et puis, au Québec, on s'est doté d'un certain nombre d'instruments qui, eux aussi, sont évidemment discriminatoires. Il n'y a rien de plus discriminatoire, dans le sens fédéral par exemple, que l'intervention de SOQUEM dans les mines de sel des Iles-de-la-Madeleine. C'est tout à fait discriminatoire et il est tout à fait évident, en fonction du document fédéral, que compte tenu du fait qu'il y a déjà des mines de sel établies au Canada, qu'elles n'ont pas été financées par les subventions, qu'elles sont dans d'autres provinces, toute intervention du gouvernement du Québec pour financer sur une grande échelle ce projet lui donne un avantage par rapport aux autres mines et donc une mesure discriminatoire. C'est vrai. Est-ce qu'on est disposé à dire que ce projet ne devrait pas se faire aux îles avec ses 20% de chômage? On s'est doté, au Québec, de toute une série d'instruments de cet ordre et il nous en reste encore. On est loin d'avoir fini de s'être doté de tous les instruments. Il est évident que dans le domaine coopératif, on a encore pas mal de chemin à faire. (22 h 45)

II est évident qu'à partir du moment où le gouvernement fédéral littéralement giflait les provinces de cette façon, il allait y avoir une levée de boucliers. C'est ce qui s'est produit, sauf en Ontario, et on comprend bien pourquoi. J'aurai l'occasion d'y revenir tout à l'heure.

Ce que je viens de dire implique que le fédéral n'a raison sur rien. Là, il ne faut pas tomber non plus dans l'autre travers. Ce n'est pas parce que dans leurs documents ils exagèrent que sur le plan constitutionnel on doive simplement considérer qu'il n'y a rien à modifier. Il y a dans la thèse du gouvernement fédéral un certain nombre d'éléments qu'il faut retenir et qu'on retrouve en particulier davantage à l'article 91 qu'à l'article 121. Par exemple, lorsque les clauses qui assurent une bonne circulation des produits au Canada a été rédigée dans la constitution, les services n'étaient commerces, pour ainsi dire, pas du tout. En 1867, les industries de services n'étaient pas très répandues. Il ne faut pas chercher de l'informatique à cette époque. Si bien que les clauses qui assurent une circulation raisonnable des produits à l'intérieur du Canada ont été concentrées sur des produits dans le sens anglais "the hard goods" et il n'est pas du tout certain que le gouvernement fédéral peut être le chien de garde, comme il l'est pour les produits, pour les industries de services.

Qu'il demande une extension des clauses de 1867 qui s'appliquaient aux produits, aux services ne me paraît pas être une demande déraisonnable. De la même façon, il est absurde de penser que nos lois antitrusts au Canada restent essentiellement basées sur le Code pénal. La seule raison pour laquelle c'est basé sur le Code pénal, c'est que le fédéral ne veut pas que les provinces entrent là-dedans. Comme le Code pénal est de juridiction fédérale, on n'a pu asseoir les politiques antitrusts fédérales là-dessus. Mais j'admets que les premières politiques antitrusts sont apparues il y a 82 ans ou 81 ans — je peux me tromper d'une année — j'admets qu'après tout ce temps il serait peut-être temps de régulariser les choses. En ce sens — je pense que c'est 91-2 — les amendements proposés par le fédéral pour mieux assurer l'application des lois antitrusts fédérales, surtout là encore pour faire en sorte que ces lois antitrusts fédérales s'appliquent non pas seulement aux produits, mais aux services, sont raisonnables. Il n'est pas très intelligent de penser qu'à cause de la forme de nos lois et de notre constitution, le gouvernement fédéral est habilité à contrôler la concentration dans les petits pois, mais pas dans les assurances; parce qu'on en est là sur le plan juridique. Que le gouvernement fédéral dise: Donnez-moi au moins les instruments pour être capable de faire correctement ce que j'ai à faire, on ne peut pas être déraisonnable. Au fond, il y a un effort de modernisation ici de la constitution canadienne qui est importante et qui, en tout cas, n'est pas illogique.

Je voudrais dire quelques mots de la politique d'achat, parce que, à travers tout ce système de discrimination que dénonce le gouvernement fédéral, il est évident que les politiques d'achat par les gouvernements semblent être la bête noire; c'est ça qui, clairement, a l'air de créer le plus de sang de punaise. Il s'agit, bien sûr, des politiques d'achat par les corps publics et il est important, avant de les condamner urbi et orbi, comme le fait le gouvernement fédéral, de se rendre compte d'où viennent ces politiques d'achat, pourquoi il y a des politiques d'achat au niveau des gouvernements.

On sait que l'essentiel de l'industrie canadienne s'est développé entre Windsor et Montréal, et, pendant très longtemps, l'essentiel de l'industrie a été là. Il était inévitable que les régions périphériques, les régions excentriques, devant cette énorme concentration qui existait entre Windsor et Montréal, cherchent à favoriser, chez elles, dans ces provinces excentriques, l'apparition d'un certain nombre d'industries, qui n'étaient pas nécessairement moins bonnes canadiennes, parce qu'elles étaient loin — je reviens à mon analogie des balais tout à l'heure — mais qui ne seraient jamais venues dans ces régions excentriques, s'il n'y avait pas eu des moyens de les attirer. Un des moyens les plus évidents, c'était de dire: Nous, gouvernement de telle province maritime, nous allons utiliser l'argent de nos contribuables pour

acheter surtout dans des entreprises qui sont établies chez nous. C'est comme ça que cela a commencé, mais c'était encore très faible.

Le gouvernement de l'Ontario, de son côté, qui déjà, sauf pour la région montréalaise, avait le plus clair de l'industrie, a commencé sa politique d'achat il y a longtemps. En somme, il avait déjà, en pratique, le plus clair de l'industrie, mais il a orienté sa politique d'achat des corps publics pour l'accentuer. Cela a amené une situation extraor-dinairement curieuse où, même si Montréal était un centre industriel relativement développé, Montréal restait très imparfait sur le plan d'industries qui auraient dû être là et qui n'y étaient pas. C'est ça qui a causé l'apparition de la première politique d'achat au Québec, en 1962, par Hydro-Québec. Hydro-Québec est intervenue en 1962 parce que l'Ontario avait une politique d'achat féroce et il y a un tas d'hommes d'affaires, dans notre milieu, qui peuvent témoigner de ça. Je me souviens d'avoir vu, dans une des sociétés de la SGF, une usine qui vendait des isolateurs pour les lignes de transmission, usine établie au Québec, qui soumissionnait à Hydro-Ontario et qui se faisait renvoyer ses soumissions pas décachetées. Ce n'est écrit nulle part, sauf que ça se faisait tout le temps.

Alors, bien sûr, Hydro-Québec a fait la même chose et c'est comme ça que sont nées toute une série d'entreprises au Québec, qui ne sont pas mauvaises canadiennes parce qu'elles sont au Québec, elles fonctionnent aussi efficacement qu'avant, mais dans la mesure où les politiques d'achat de l'Ontario avaient tendance à les concentrer de l'autre côté, la politique d'achat d'Hydro-Québec avait tendance à les ramener ici et, là, ç'a été l'escalade. Il y avait les excentriques ou les périphériques qui avaient commencé, il y avait l'Ontario qui se consolidait et il y avait le Québec qui entrait là-dedans. Contrairement à ce qu'on pense, le Québec a été une des dernières provinces à entrer dans ce système, mais l'escalade s'est faite et, à l'heure actuelle, bien sûr, tout le monde est armé jusqu'aux dents.

C'est là que l'Ontario a décidé de changer d'attitude. Parce que, bien sûr, une fois que tout le monde avait une politique d'achat, qui en pâtissait? La province qui au départ était prépondérante. Alors, là, nous voyons l'Ontario, depuis quelques années, d'une gentillesse prodigieuse, retournant au schéma de Ricardo avec alacrité, la libre circulation. L'Ontario est même rendue au point où il nie en avoir une, politique d'achat. Nous nous trouvons, toutes les autres provinces, dans la situation d'être armées jusqu'aux dents devant quelqu'un qui a été le premier à s'armer jusqu'aux dents et qui dit: Regardez-moi, je suis nu. Il est évident qu'on me dira: II y a dans ces politiques d'achat, dans cette escalade, des abus. Bien sûr qu'il y a des abus, ça va de soi. Mais il est clair aussi qu'on ne peut pas imaginer que le gouvernement fédéral, par un geste constitutionnel, liquide tout ça, à toutes fins pratiques, au profit de l'Ontario. Il ne faudrait pas être naif à ce point-là. Encore une fois, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'abus, ça ne veut pas dire que l'esca- lade n'a pas été trop loin. Cela peut vouloir dire, cependant, que le désarmement doit se négocier. Je ne suis pas prêt à donner ma bénédiction à tout ce qui se passe dans ce domaine-là. On a vu des choses, à certains moments, passablement fofol-les et je ne parle pas du Québec ici. Je veux dire, j'en ai vu suffisamment dans les autres provinces pour savoir que là-dedans, encore une fois, le blanc et le noir, ce sera toujours un petit peu trop facile de raisonner dans ces termes-là. S'il y a désarmement sur le plan des politiques d'achat, il faut que ça soit négocié entre tous et surtout pas entre neuf qui disent: On en a et la dixième qui dit: Moi, je n'en ai pas. Certainement, une question comme celle-là ne peut se trancher par une sorte de geste constitutionnel qui déclare délit toute intervention de ce genre. Parce que même une désescalade maintiendrait le fait que mon usine de balais en Nouvelle-Ecosse peut fort bien être protégée par des mesures comme celles-là et que ça n'affecte d'aucune espèce de façon la capacité de l'économie d'être prospère. Il y a un jugement économique à porter ici.

A cet égard, je dois dire, M. le Président, que le rapport Pepin-Robarts a sur les politiques d'achat, à mon sens, une position plus raisonnable que le document fédéral. Je ne ferai pas le plaisir à ma voisine d'en face de lui dire que j'approuve tout ce qu'il y a là-dedans, mais enfin je reconnais que "the rule of reason" a traversé le rapport Pepin-Robarts davantage que le papier fédéral.

Alors, M. le Président, ça nous amène peut-être à reconnaître... Et je crois qu'il va falloir le faire parce qu'au fond, quelles que soient nos positions partisanes là-dessus, l'avenir dure longtemps. Si on se débarrassait d'un certain nombre d'instruments économiques aujourd'hui, on le paierait tous, quelles que soient nos positions comme partis politiques. Il va falloir reconnaître rapidement et faire reconnaître le rôle essentiel des provinces dans le développement de leur territoire, sans exclure, bien sûr, des interventions fédérales dans ce domaine, sans dire: Le fédéral n'a pas le droit de s'occuper du développement régional, mais dire: Les provinces ont, dans le développement régional, un rôle essentiel à jouer. Dans ce sens, ce qu'on trouve à la page 65 du livre beige me paraît assez raisonnable. Reconnaître...

M. Rivest: Pièce à pièce, on avance! M. Parizeau: Pourquoi pas?

M. Rivest: On a toujours dit que vous aviez un esprit loyal.

M. Parizeau: Reconnaître que le gouvernement fédéral, à côté de ça, et ça me paraît aussi important, dispose des pouvoirs fondamentaux à l'heure actuelle pour assurer le fonctionnement du marché commun; il les a, mais reconnaître aussi que cela a besoin d'être rajeuni. Cela, j'en conviens. Je pense qu'il faut reconnaître que le gouvernement fédéral a des pouvoirs à l'égard de l'économie qui sont largement suffisants pour

faire fonctionner le marché, mais qu'il y a probablement un certain nombre d'ajustements à faire pour rajeunir ça ou moderniser ça.

Troisièmement, je pense qu'il faut reconnaître que l'application des politiques d'achat des pouvoirs publics, la réglementation des organismes professionnels, les pouvoirs relatifs au contrôle des sociétés — je vous donne trois exemples ici, mais qui me paraissent importants — peuvent certainement être mieux harmonisés entre provinces qu'elles ne le sont à l'heure actuelle, mais là, elles vont avoir à l'être par le truchement des négociations.

M. Ryan: ... manqué ces points-là...

M. Parizeau: Je disais que, troisièmement, les politiques d'achat des pouvoirs publics, la réglementation des organismes professionnels et les pouvoirs relatifs au contrôle des sociétés peuvent sûrement être mieux harmonisés au Canada qu'ils ne le sont à i'heure actuelle, mais ils doivent l'être par négociation. On ne peut pas, par une sorte de texte constitutionnel d'interdiction, régler des problèmes à la fois de cette complexité et, d'autre part, des gestes provinciaux qui ont été à ce point utiles dans le passé. On ne peut pas, du revers de la main, simplement enlever ça.

J'aimerais terminer, M. le Président, par une citation que je vais tirer, là encore, du livre beige, mais qui est une citation qui remonte à plus loin que ça. En juin 1965 — je tire cela de la page 15 du livre beige — M. Lesage résumait un certain nombre de principes directeurs dont il entendait s'inspirer. Et le quatrième de ces principes, qui porte sur ce que nous venons de discuter, me paraît toujours autant d'actualité, c'est-à-dire que le Québec d'aujourd'hui doit posséder et contrôler dans toute la mesure du possible les leviers économiques, sociaux, administratifs et politiques grâce auxquels il pourra réaliser ses aspirations légitimes de peuple adulte. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. Il est 23 heures. Les travaux de la commission... A l'ordre, s'il vous plaît! Les travaux de la commission sont ajournés à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 59)

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