L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission permanente de la présidence du Conseil, de la Constitution et des affaires intergouvernementales

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission permanente de la présidence du Conseil, de la Constitution et des affaires intergouvernementales

Version finale

30e législature, 4e session
(16 mars 1976 au 18 octobre 1976)

Le mercredi 19 mai 1976 - Vol. 17 N° 53

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude des crédits du ministère des Affaires intergouvernementales


Journal des débats

 

Commission permanente de la présidence

du conseil, de la constitution et des

affaires intergouvernementales

Etude des crédits du ministère des Affaires intergouvernementales

Séance du mercredi 19 mai 1976 (Dix heures vingt-deux minutes)

M. Gratton (président de la commission de la présidence du conseil, de la constitution et des affaires intergouvernementales): A l'ordre, messieurs!

La commission de la présidence du conseil, de la constitution et des affaires intergouvemementales continue ce matin l'étude des crédits du ministère des Affaires intergouvernementales.

Nous en sommes toujours, je pense, à l'élément 1 du programme 1.

Le chef de l'Opposition officielle.

M. Morin: M. le Président, il serait peut-être opportun de récapituler certains aspects de la question constitutionnelle que nous avons touchés hier et de faire le point avant de reprendre la discussion ce matin.

Le Président (M. Gratton): Je m'excuse auprès du chef de l'Opposition officielle. Pourrais-je demander à la commission de désigner un rapporteur parce que celui que nous avons désigné il y a quelques jours n'est pas présent? Puis-je suggérer le député de Drummond?

M. Malouin: C'est un honneur, M. le Président.

M. Morin: C'est un grand expert constitutionnel! Il fera certainement bien les choses.

Le Président (M. Gratton): M. Malouin. Le chef de l'Opposition officielle.

Négociations constitutionnelles (suite)

M. Morin: Le gouvernement nous fait savoir, dans le discours inaugural prononcé par le lieutenant-gouverneur, le 16 mars, qu'il n'acceptera point de rapatriement unilatéral par Ottawa sans l'accord des provinces, sans mode d'amendement constitutionnel et sans "garanties culturelles", et j'emploie cette expression entre guillemets.

Fort bien, mais qu'est-ce que cela signifie exactement? Je ne pense pas que nous ayons obtenu là-dessus hier un éclairage satisfaisant. Pour le savoir d'ailleurs, il faut se référer aux déclarations faites par le premier ministre hors de la Chambre depuis que le ministre des Affaires intergouvernementales a laissé le chat sortir du sac, le 4 février.

On nous dit que le rapatriement doit être accompagné d'un mode d'amendement, mais nous savons, d'autre part, puisque M. Bourassa l'a dé- claré en toutes lettres au journal La Gazette, que la formule d'amendement élaborée à Victoria, quelquefois appelée Trudeau-Turner, était acceptable au Québec. Je reprends l'expression utilisée dans l'entrevue donnée à la Gazette. La formule de Victoria était "basically acceptable to Quebec".

Si c'est pour un tel objectif que le gouvernement entend se battre, autant capituler tout de suite.

Tout mode d'amendement qui aurait pour effet de soumettre les revendications du Québec à la volonté des autres provinces et en particulier de soumettre le nouveau partage des pouvoirs que souhaite obtenir le Québec dans plusieurs domaines, à la volonté des autres provinces, fût-ce seulement en matière culturelle, doit, à notre avis, être évité coûte que coûte.

Qui peut imaginer, en effet, M. le Président, qu'un tel mode d'amendement aboutisse jamais à autre chose qu'à faire du Québec une province exactement "comme les autres"? Justement, j'entendais le premier ministre, il y a quelques semaines, déclarer à qui voulait l'entendre que le Québec n'était pas "une province comme les autres". Si ce ne sont pas là de vains mots destinés à masquer la faiblesse des attitudes gouvernementales dans ce dossier, on doit en suivre la logique jusqu'au bout. Vouloir faire du Québec une province "pas comme les autres", notamment en ce qui concerne le partage des pouvoirs, et accepter du même souffle la formule de Victoria comme étant satisfaisante, c'est-ce qu'on pourrait appeler la quadrature du cercle.

On nous dit que le gouvernement québécois compte obtenir, avant tout rapatriement, des garanties pour assurer le maintien de son identité culturelle, mais quelle est exactement l'étendue de ces "garanties"? C'est une question sur laquelle je n'ai pu obtenir de réponse hier; je compte y revenir ce matin. S'agit-il de garanties strictement culturelles comme celles que le premier ministre a définies il y a quelque temps et qui ne porteraient que sur la langue, par exemple, ou sur la culture, l'immigration, les communications? Ou s'agit-il des garanties plus larges exigées, par exemple, par le président du Parti libéral du Québec, M. Desrosiers, qui estimait, il y a quelque temps, que l'Etat québécois doit avoir "l'essence du pouvoir décisionnel" en matière de planification et d'orientation économique au Québec? Il faudrait savoir ce qu'on entend par "garantie".

Jusqu'ici, les positions du gouvernement ont été extrêmement vagues.

J'espérais que l'étude des crédits du ministère nous fournisse l'occasion d'étudier de plus près la signification exacte des mots utilisés par le premier ministre, notamment le sens d'expressions aussi riches ou vides de sens — selon ce qu'on y met — que les "garanties culturelles." Les garanties exigées par M. Bourassa sont-elles du style des voeux pieux exprimés dans le projet fédéral? Je me permets de citer l'article 38 dont nous avons parlé quelque peu hier soir: "Ni le Parlement du Canada, ni le gouvernement du Canada n'agiront de manière à compromettre la sauvegarde et

l'épanouissement de la langue française et de la culture dont elle constitue l'assise". Si c'est cela qu'on nous propose, et il semble bien qu'à un certain moment d'après nos entretiens d'hier soir, les fonctionnaires québécois se soient laissés entraîner jusqu'à, peut-être pas donner un assentiment à ce que m'a dit le ministre, mais jusqu'à donner l'impression aux fédéraux que cela était acceptable au Québec, si c'est cela qu'on veut dire, on se paye de mots, ce ne sont là que chiffons de papier.

Ou encore, s'il s'agit d'arrangements administratifs, des arrangements administratifs chers au ministre des Affaires intergouvernementales qui les pratiquait déjà à l'époque où il était à l'immigration, d'arrangements administratifs à la manière de ceux qui existent déjà en matière d'allocations familiales et d'immigration, eh bien, ce n'est pas la peine de partir en guerre, puisque l'essentiel du pouvoir fédéral est maintenu par de tels arrangements et même, dans certains cas, renforcé.

M. le Président, il faut bien dire que le coup des garanties culturelles, on nous l'a déjà fait. On nous a déjà fait ce type de promesse. Point n'est besoin de donner d'autre exemple que celui du Manitoba où nous avions toutes les garanties culturelles possibles en matière linguistique, toutes celles que l'on pouvait souhaiter. Ces garanties que Georges-Etienne Cartier avait obtenues au moment de la création de cette province et qu'il avait fait insérer, non seulement dans le Manitoba Act, mais dans le British North America Act de 1870, elles ont été balayées du revers de la main comme si elles n'avaient pas existé.

S'il fallait donner d'autres exemples, je pourrais encore mentionner celui des garanties culturelles de l'Acadie, de l'Ontario, des territoires du Nord-Ouest. L'histoire de ce pays est faite essentiellement de garanties culturelles bafouées.

C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, nous nous retrouvons tous enfermés dans le Québec sur le plan linguistique.

Le premier ministre, qui se découvre sur le tard des qualités martiales, nous apprend qu'il va déclarer "la guerre totale". Ce n'est pas moi qui ai employé cette expression; ce n'est pas le ministre des Affaires intergouvernementales non plus, je le sais. Il va déclarer la guerre totale au pouvoir fédéral, si celui-ci s'avise de procéder unilatéralement au rapatriement. M. le Président, nous n'en demandions pas tant, depuis 1970. Tout ce que nous souhaitions obtenir, c'était un peu de fermeté, un peu de dignité, devant les tentatives d'empiétements successifs de la part d'Ottawa dans les domaines où le Québec a cédé peu à peu du terrain, j'entends aussi bien les allocations familiales que l'habitation, que les autres domaines où il y a eu des "arrangements" soi-disant administratifs.

Après avoir reculé sur tous les fronts, tout en annonçant, bien sûr, à la manière des généraux vietnamiens de la dernière heure, qu'il maintenait ses positions, le voilà qui déclare la guerre totale! Ce n'est pas avec de telles bravades, M. le Président, que le premier ministre ou le gouvernement augmenteront leur crédibilité auprès des autres provinces, du pouvoir fédéral, ou encore auprès de l'opinion publique québécoise, dans un dossier où sa faiblesse est en passe de devenir proverbiale.

De toute façon, s'il devait effectivement déclarer la "guerre totale" — j'admets que cela peut avoir été utilisé comme image — il lui faudrait encore l'appui de l'opinion publique. Or, cet appui, il ne peut l'obtenir, parce qu'il ne le recherce pas. La façon dont le ministre, hier, a refusé systématiquement de répondre à mes questions sur les détails des attitudes constitutionnelles du Québec, montre que le gouvernement n'a pas l'intention d'informer pleinement la population de ce qui se passe dans ce dossier.

J'ai dit au ministre hier — et je me répète ce matin, brièvement — qu'il était essentiel que le gouvernement mette les Québécois dans le coup, en matière constitutionnelle. Autrement, il risque de se voir, comme le premier ministre Lesage, au lendemain des conférences constitutionnelles de 1964, obligé, après avoir dit oui, de signifier un "non" sous la pression de l'opinion publique.

Il risque encore de se ramasser, comme cela s'est déjà passé, en 1971, à la suite de la conférence de Victoria où, après avoir laissé entendre, à sa manière habituelle, que "peut-être bien que si, peut-être bien que non", il a été obligé de dire, à son tour, "non" au pouvoir fédéral.

La présente attitude de bravade me paraît d'autant plus regrettable et inefficace d'ailleurs, qu'elle ne correspond point aux attitudes antérieures du premier ministre, aux attitudes récentes même du premier ministre qui s'était montré très souple, sinon trop souple, en avril 1975, lors de la rencontre d'Ottawa, à Rideau Gate. Je me permets de citer là-dessus un extrait de la lettre du premier ministre Trudeau à ses "monologues" provinciaux, comme dirait le député de Verdun, en date du 31 mars 1976. Nous allons constater, à la lecture de cet extrait, à quel point le premier ministre Bourassa s'était déjà enferré, à Ottawa, il y a un peu plus d'un an; cela se passait en avril 1975. M. Trudeau décrit, au début de sa lettre, le déroulement des négociations jusqu'à 1976: "Vous vous souvenez — il parle au premier ministre — que nous sommes partis d'un accord de principe sur l'opportunité du rapatriement de la constitution." Donc, il est clair que tout le monde a compris, à Ottawa, que le premier ministre du Québec était d'accord sur l'opportunité du rapatriement de la constitution.

Je continue la citation: "Et par la même occasion, nous étions partis de l'adoption comme loi de la formule d'amendement arrêtée à la conférence constitutionnelle de Victoria, en 1971." Donc, second point sur lequel M. Bourassa semblait bien d'accord, il y a un an, environ: La formule d'amendement de Victoria paraissait acceptable. "Nous étions en outre convenus — c'est M. Trudeau qui continue — qu'au stade actuel, nous n'envisagerions pas de modifications fondamentales de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, car s'engager dans cette voie aurait empêché

toute action immédiate, comme les discussions qui se sont déroulées entre 1968 et 1971, l'ont montré."

Voilà donc une série de points sur lesquels il semblait que tout le monde, y compris M. Bourassa, était d'accord, il y a un an. Premièrement, l'opportunité de rapatrier; deuxièmement, la formule d'amendement Trudeau-Turner, mise au point à Victoria, en 1971, et enfin, troisièmement, qu'il n'y aurait pas de modification fondamentale à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Voilà ce que le premier ministre du Québec avait accepté. Un an plus tard, il part en "guerre totale". Où est la logique? Où est la cohérence dans ces attitudes? C'est la même histoire qu'en 1964 alors que M. Lesage s'était laissé entrainer jusqu'au bord du gouffre et où l'opinion publique, au dernier moment, a dû intervenir. C'est la même histoire qu'en 1971 qui se répète alors que M. Bourassa s'était engagé à Victoria et a dû, sous la pression de l'opinion publique, une fois de retour ici, se démettre, changer d'avis. C'est ce qui risque de se produire une fois de plus. Que le ministre me comprenne bien, c'est ce que je voudrais lui éviter, en particulier, c'est-à-dire de s'aventurer au bord du précipice pour ensuite avoir à faire marche arrière précipitamment au dernier moment. Je sais que cette marche arrière est commencée. Les textes le prouvent. J'aimerais que, désormais, on soit ferme de façon constante et qu'on prenne des attitudes claires. L'absence d'attitudes claires encourage les fédéraux à penser que le Québec va marcher dans leur sens. Aussi je m'explique très bien la colère de M. Trudeau récemment. On lui laisse entendre que tout va se dérouler normalement dans le sens de ses objectifs et des objectifs nationalistes du Canada anglais. Ou bien M. Trudeau se trompe dans sa lettre du 7 avril, et M. Bourassa n'a pas endossé ses attitudes, ou bien il dit la vérité, et M. Bourassa s'était effectivement engagé à respecter ces trois points d'accord; il avait convenu d'accepter le rapatriement, le mode d'amendement et l'absence de modifications fondamentales à la constitution.

Je comprends très bien M. Trudeau de s'être fâché quand, un an plus tard, on vient lui dire: "Je regrette, il me faut ceci, il me faut cela. Je pars en guerre. Il en faudrait moins pour me faire sortir de mes gonds, en ce qui me concerne.

Je voudrais, après avoir fait le point avec le ministre, tenter d'analyser la lettre de M. Trudeau et peut-être aussi le projet de proclamation qu'il a fait parvenir aux provinces dès novembre 1975.

Tout d'abord, M. Trudeau propose trois formules, trois solutions pour sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Premièrement, il propose la formule Fulton-Favreau de 1960, rejetée en 1965, c'est-à-dire un repatriement accompagné d'une formule d'amendement qui requiert l'unanimité des provinces.

Deuxième possibilité: La formule de Victoria, mais conditionnelle. L'entrée en vigueur ne se ferait que lorsque toutes les provinces auraient acquiescé à cette solution. En attendant, on utiliserait la règle de l'unanimité, c'est-à-dire la solution no 1, la formule Fulton-Favreau.

Troisièmement, il propose la formule de Victoria légèrement modifiée, c'est-à-dire la proposition de novembre 1975, le projet de proclamation, qui contient, on le sait, les articles 38 et 40, portant sur les soi-disant "garanties culturelles".

Dans sa réponse du 7 avril, qui est la pièce la plus récente au dossier, la pièce la plus officielle en tout cas, M. Bourassa constate l'impossibilité d'en arriver à un accord sur la proposition de novembre 1975, c'est-à-dire les articles 38 et 40, que, pourtant, il semblait avoir acceptés à un certain moment de la négociation. Il ajoute que les discussions doivent se poursuivre désormais, jusqu'à ce qu'on en arrive à un accord. Cette lettre du 7 avril, je vous le fais observer, ne répond pas directement aux nouvelles propositions faites par M. Trudeau dans sa lettre du 31 mars. Pour M. Trudeau, obtenir la confirmation que le Québec est d'accord sur ces articles 38 et 40 constitue l'objectif qu'il s'est fixé de façon immédiate.

J'aimerais donc demander au ministre, comme première question, s'il peut me confirmer que le Québec a rejeté la possibilité d'accepter la première solution proposée par M. Trudeau, j'entends la formule Fulton-Favreau.

Est-il clair, dans l'esprit du ministre, dans l'esprit du gouvernement, que cette première solution, c'est-à-dire la formule Fulton préparée de 1960 à 1964, doit être écartée par le gouvernement québécois?

M. Cloutier: M. le Président, j'ai la parole? Le Président (M. Gratton): C'est cela.

M. Cloutier: Alors, je vais donc en profiter. Le chef de l'Opposition vient de nous faire un bien beau discours. Malheureusement, il ne nous a strictement rien appris. Il ne fait que répéter les arguments qu'il a utilisés hier. Je ne sais pas s'il s'attend, sérieusement, à ce que je tombe à nouveau dans le piège qu'il me tendait alors.

J'ai établi, clairement, quelles étaient les positions du gouvernement du Québec. Je n'ai pas l'intention d'y revenir, autrement que pour réaffirmer le fait suivant. En ce qui concerne les principes de cette négociation, le gouvernement québécois les a énoncés dans son discours inaugural et dans un certain nombre d'interventions du premier ministre.

En ce qui concerne le détail des nogociations, il y a un cheminement qui a été adopté par toutes les provinces au cours de la conférence des premiers ministres du mois d'août 1975 et qui, à la suite de consultations, doit mener à une nouvelle rencontre en août 1976. C'est au cours de cette rencontre que le problème constitutionnel sera envisagé par les provinces.

Le premier ministre du Québec a bel et bien affirmé que c'est à ce moment qu'il ferait connaître notre position définitive. Il ne peut en être autrement. Cela serait un signe d'irresponsabilité de procéder d'une autre façon. Pourquoi? Parce que nous sommes dans une fédération. Nous avons des partenaires et il y a tout un cheminement qu'il convient de respecter.

Le chef de l'Opposition, je le soulignais hier, tente de faire son travail tel qu'il le conçoit, de son mieux, mais je dois, moi, bien indiquer quelles sont les étapers du processus qui a été entrepris.

Par conséquent, qu'on ne s'attende pas à ce que je discute du détail des propositions. Les documents ont été rendus publics. Le chef de l'Opposition nous a donné son opinion et, pour l'instant, le gouvernement ne peut pas faire autre chose et ne veut pas faire autre chose que ce qu'il a accepté de faire en ce qui concerne le cheminement de la négociation.

Il y a, cependant, deux choses que je tiens à dire à ce moment-ci. La première est que le chef de l'Opposition a tenté de démontrer que le premier ministre Bourassa s'était lié vis-à-vis de M. Trudeau, qu'il s'était mis dans une situation où il serait probablement amené à reculer et aurait, également, donné I'impression à M. Trudeau qu'il était d'accord sur les prises de position fédérales.

Le chef de l'Opposition l'a fait, sans doute, pour essayer de manifester que la position québécoise était une position — je crois même que c'est le mot qu'il a utilisé — illogique.

M. Morin: Incohérente.

M. Cloutier: C'est totalement faux. La preuve est extrêmement facile à faire puisqu'il suffit qu'il lise, attentivement, la lettre de M. Trudeau qu'il a citée pour se rendre compte que M. Trudeau, lui-même, admet à au moins deux ou trois endroits de cette lettre, que j'ai l'intention de citer, que la position du Québec n'a jamais été une position définitive et même, M. Trudeau va plus loin en admettant, également, que le premier ministre du Québec, avait, à plusieurs reprises, affirmé que les propositions fédérales n'allaient pas assez loin pour lui.

Voici le premier message.

Il m'est difficile de donner des références, ne sachant pas si vous avez le même texte — références au point de vue de la pagination — mais vous pourrez facilement retrouver ces quelques phrases: "Les discussions avec le Québec, ont été longues, dit M. Trudeau — n'oubliez pas qu'il écrit à tous les premiers ministres provinciaux — Et je n'ai pu reparler de la question avec M. Bourassa que le 5 mars. J'estimais essentiel de connaître sa position avant d'entreprendre une autre étape". Autre citation: "Je dois souligner que le document — il s'agit du texte de la proclamation — bien que présenté comme projet de proclamation, a été conçu sous cette forme simplement pour montrer, avec le maximum de clarté ce qui adviendrait si toutes les propositions, telles qu'elles ont été élaborées au cours des consultations de M. Robertson, étaient jugées acceptables par tous les gouvernements". Et une autre citation: "M. Bourassa m'a dit, lors de notre conversation du 5 mars que ce qu'il considère, lui, nécessaire pourrait aller bien plus loin que ce que nous considérions, nous, comme nos objectifs pour cette année. A son avis, cela pourrait concerner en partie le partage des pouvoirs".

Alors, je crois que ces textes parlent pour eux-mêmes. Le deuxième point que je voudrais souligner, c'est qu'il ne peut pas y avoir d'accord entre l'Opposition et le gouvernement. J'ai dit à plusieurs reprises hier que ce n'était pas dans cette commission parlementaire que nous allions faire le débat constitutionnel et encore moins la négociation constitutionnelle. Je le répète aujourd'hui, mais j'ajoute qu'il ne peut pas y avoir accord pour une raison très simple, c'est que l'Opposition est séparatiste, même si aujourd'hui il y a, semble-t-il, un certain flottement sur son programme. Par conséquent, elle se situe dans une perspective qui est opposée à celle du gouvernement qui, lui, est fédéraliste. Si l'on se situe dans le contexte d'un ensemble canadien que nous souhaitons maintenir, ce qui n'exclut absolument pas une affirmation très forte des droits du Québec et des aspirations du Québec, il est bien évident que l'approche ne peut être que différente. Le gouvernement doit rechercher, avec ses partenaires de la fédération, un arrangement qui tient compte de ces deux impératifs, c'est-à-dire le maintien de la fédération et l'affirmation des droits du Québec. L'Opposition n'a pas à rechercher une espèce d'accord entre ces deux impératifs puisqu'elle ne souhaite pas le maintien de la fédération et, par conséquent, elle a tout intérêt, dans la thèse qu'elle préconise, sous des dehors de coopération, à tenter d'introduire des éléments qui iraient dans le sens de son objectif fondamental, qui est l'indépendance. C'est la raison d'ailleurs — et vous me permettrez de démontrer le mécanisme de sophismes que nous avons entendus il y a quelques instants — pour laquelle le chef de l'Opposition s'est opposé a la formule d'amendement de Victoria. "La formule d'amendement de Victoria est — et le premier ministre l'a dit, je reprends d'ailleurs cette citation — dans un certain contexte, avec peut-être des modifications à considérer, tout cela reste à voir, nous négocions encore, en gros acceptable." Mais elle ne peut absolument pas l'être pour un parti qui lui ne tient pas au maintien de la fédération. La formule de Victoria ne permet pas au Québec d'obtenir automatiquement satisfaction pour toutes ses revendications. Ce serait la fin de la fédération. Elle permet en revanche au Québec de conserver sa spécificité en s'opposant à tout changement et en supposant, par un véto très clair, à tout changement susceptible d'aller à l'encontre de cette spécificité.

Ce que j'essaie d'expliquer, ce n'est pas que je défende la formule de Victoria à ce stade.

Je n'ai pas l'intention de discuter du détail des négociations, mais je profite de l'occasion pour démontrer le mécanisme que le chef de l'Opposition nous permet de déceler dans ses affirmations.

La formule de Victoria, par conséquent, que ce soit elle ou une autre qui soit considérée, est une formule qui tient compte du fédéralisme, ou tout au moins d'un fédéralisme susceptible d'évoluer, mais d'un fédéralisme tout de même. Combien de fois ai-je dit que le fédéralisme n'était pas autre chose qu'un arrangement. C'est un ar-

rangement administratif et un arrangement politique entre un certain nombre d'unités constitutives. D'ailleurs, en passant, chaque fois que le chef de l'Opposition dit que le Québec n'est pas une province comme les autres, c'est tout à fait exact, le Québec n'est pas une province comme les autres, et j'irais plus loin, je dirais qu'aucune province n'est une province comme les autres. Est-ce que l'Ile-du-Prince-Edouard est une province comme la Colombie-Britannique? Mais c'est précisément ça, l'essence du fédéralisme, de permettre que les disparités, qu'un certain nombre d'unités constitutives différentes puissent se retrouver dans un tout, sinon il n'y aurait pas de sens au fédéralisme.

C'est la raison d'ailleurs pour laquelle il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des provinces tellement différentes de par leur population, de par leur importance numérique; ceci est précisément le point de départ des arrangements administratifs et politiques que constitue le fédéralisme.

Par conséquent, si ce que recherche l'Opposition, c'est une formule d'amendement qui constituerait au fond le premier jalon du séparatisme, une formule d'arrangement qui ouvrirait la porte à l'indépendance, une formule d'amendement qui ouvrirait la porte à l'indépendance, c'est la raison pour laquelle, subtilement, le chef de l'Opposition parlait de l'autodétermination hier et laissait probablement entendre aujourd'hui que cette autodétermination devrait s'insérer dans une formule d'amendement. Vous voyez le danger pour le fédéralisme? Dans la mesure où on se place dans cette perspective, dans la mesure où on l'accepte, si quelqu'un du gouvernement... Vous voyez où le fédéralisme se retrouverait?

Alors, encore une fois, ce que je viens de dire ne vise pas à discuter du détail des négociations en cours, étant donné que le cheminement est connu, étant donné que les principes sont connus. Je ne répondrai donc pas aux questions du chef de l'Opposition s'il désire y revenir constamment. Mais j'ai tenu à commenter son beau discours, pour reprendre mon expression du début, d'une part, pour réfuter les accusations à peine voilées qu'il portait au premier ministre et, d'autre part, pour tenter de souligner quelle était la thèse plus ou moins avouée de l'Opposition lorsqu'elle s'oppose à une formule d'amendement.

M. Morin: M. le Président, le ministre voudrait bien que nous nous désintéressions de ces négociations constitutionnelles puisque, effectivement, nous prônons un changement fondamental dans le statut du Québec qui s'appelle l'indépendance-association. Mais, hélas pour lui, je ne puis me situer dans cette perspective. Si je ne m'intéressais pas au présent, mais seulement à l'avenir et seulement a l'indépendance, je ne ferais pas ce débat depuis hier, j'aurais depuis longtemps pris la position suivante: Laissons les choses se gâter, laissons le gouvernement du Québec capituler clairement devant Ottawa, les choix n'en seront que plus clairs. Un Québec s'en allant à vau-l'eau ou l'indépendance.

Mais ce n'est pas la perspective dans laquelle je me situe. Et je l'ai dit au ministre hier, déjà, que je ne saurais me désintéresser du présent, sous prétexte de faire avancer l'avenir. Je ne puis pas pratiquer cette politique du pire. L'objectif que je vise — je voudrais que ce soit clair — dans l'immédiat, c'est un objectif modeste. Je ne suis pas si ambitieux que de songer que je pourrais ouvrir la porte à l'indépendance avec le gouvernement actuel, comme le laissait entendre le ministre, il y a un instant. Je sais très bien à quoi m'en tenir là-dessus.

Non, mon objectif est beaucoup plus modeste. C'est d'empêcher que ne se dégrade complètement la situation du Québec, sous l'empire du régime actuel, c'est-à-dire sous l'empire du fédéralisme. C'est d'empêcher qu'il ne cède à la facilité, comme le premier ministre est trop enclin à le faire. Voilà la perspective dans laquelle nous nous situons.

Alors, le ministre ne m'en voudra pas si même, sans perdre de vue l'objectif fondamental du parti que je représente, je scrute attentivement, point par point, les négociations en cours. Et je sais que le ministre, depuis hier, fait des enfantillages, en posant des questions du style: Comment voulez-vous que le gouvernement soit clair, quand l'Opposition ne l'est pas?

Je répète au ministre que l'objectif fondamental du Parti québécois demeure l'indépendance.

M. Cloutier: C'est la première fois que vous le dites. Répétez-le pour qu'on l'enregistre bien, que le Parti québécois a pour objectif l'indépendance et que son élection signifie l'indépendance pour le Québec.

M. Morin: Depuis quand? Vous n'avez pas lu, dans les journaux, les développements récents, les derniers congrès, les résolutions que nous avons adoptées? Il ne semble pas...

M. Cloutier: Mais donnez votre position clairement, une fois pour toutes.

M. Morin: Mais je vous l'ai dit. Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Vous connaissez très bien notre position.

M. Cloutier: Le député de Louis-Hébert n'a pas l'air de comprendre non plus, il est comme moi.

M. Desjardins: Donnez votre position.

M. Morin: Le député de Louis-Hébert, que je sache, n'est pas particulièrement intéressé à ce dossier, mais vous l'êtes, M. le ministre. Vous l'êtes et vous n'auriez pas d'excuses à ne pas connaître les positions du parti.

M. Cloutier: Elles ne sont pas claires, vos positions.

M. Morin: M. le Président, ai-je la parole, s'il vous plaît?

Le Président (M. Gratton): Oui, d'accord.

M. Morin: Je voudrais revenir à la lettre de M. Trudeau et tenter, dans la perspective où je me suis placé il y a un instant, d'élucider les positions gouvernementales. Quelles que soient mes options personnelles ou les options de mon parti, l'opinion publique québécoise a le droit de savoir où vous en êtes, a le droit de s'interroger sur la cohérence de vos attitudes, a le droit de savoir dans quel genre de traquenard on peut l'entraîner. Après tout, M. le Président, cela fait deux fois qu'on vient jusqu'au bord du gouffre. Cela fait deux fois que les gouvernements libéraux nous amènent au bord du gouffre pour reculer au dernier moment. Il ne faudrait tout de même pas que cela se produise une troisième fois.

M. Malouin: ...

M. Morin: Ce sont les blagues du Crédit social.

M. Cloutier: Qui a commencé.

M. Malouin: Le Crédit social, pour lui-même...

M. Morin: M. le Président, je tiens à poursuivre cet examen, point par point, parce que j'estime qu'il est du devoir du gouvernement de répondre. Le ministre me répond constamment qu'il ne touchera pas aux points techniques, qu'il ne peut pas lier le débat là-dessus. D'accord, je vais laisser de côté les points techniques. Mais je vais tout de même lui demander un certain nombre de positions de principe, parce que à ce sujet, je crois que nous avons le droit de savoir à quoi nous en tenir.

Je reviens à la lettre de M. Trudeau qui nous explique qu'en ce qui concerne son projet de proclamation, il se compose, en très grande partie, des dispositions de la charte de Victoria. Je vais demander au ministre qui, tout à l'heure encore, nous laissait entendre que la formule d'amendement de la charte de Victoria paraissait, en gros, acceptable au gouvernement québécois.

Je vais demander au ministre d'être clair là-dessus, parce qu'il me semblait qu'en 1965, on avait écarté la formule Fulton-Favreau, qu'on nous ramène sur le tapis sous forme de première possibilité d'action. Il me semblait qu'en 1971, le gouvernement de M. Bourassa avait écarté la charte de Victoria, et donc, la formule d'amendement Trudeau-Turner.

Je voudrais que le ministre soit clair. Dois-je comprendre qu'après avoir écarté la charte de Victoria, le gouvernement est en train d'en venir à la conclusion qu'il peut désormais accepter la formule d'amendement qui y est contenue?

Cela, ce n'est pas une question technique, c'est une question de politique générale.

M. Cloutier: Le chef de l'Opposition se souviendra qu'en 1971, la charte de Victoria a été repoussée, surtout parce qu'il y avait eu un accro- chage, en ce qui concernait les affaires sociales. Ceci doit déjà lui servir d'indication. Là encore, je suis obligé de revenir au principe. Jamais le gouvernement québécois n'a voulu informer l'opinion publique? Bien au contraire. Je vais citer à nouveau, si vous le souhaitez, le discours inaugural où tous les principes de la position gouvernementale québécoise sont bel et bien inscrits. En revanche, je reviens sur le fait...

M. Morin: C'est d'un vague désespérant.

M. Cloutier: ... qu'il ne peut pas être question de faire le débat constitutionnel dans cette commission parlementaire. Je sais que le chef de l'Opposition aimerait bien être un des nouveaux pères de la Confédération, peut-être, mais c'est tout à fait exclus.

M. Morin: Elle a eu trop de pères, voilà son problème.

M. Cloutier: D'ailleurs, ce n'est ni le chef de l'Opposition, ni moi-même qui avons discuté de cette question. C'est un dossier qui relève des premiers ministres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle a été traitée à la réunion des premiers ministres de 1975 et qu'elle le sera à la réunion des premiers ministres de 1976.

Voulez-vous que je relise encore — je crois que je vais le faire — le discours inaugural?

M. Morin: Donnez des détails, parce que vous l'avez déjà lu une ou deux fois et, à vrai dire, ce discours inaugural ne nous apprend rien. C'est d'un vague désespérant.

M. Cloutier: Non, ce n'est pas d'un vague désespérant, c'est d'une clarté fulgurante pour qui sait voir, parce qu'il s'agit, à ce moment-là, de principes. Il n'est pas question — je le répéterai à satiété, avec une patience angélique qui ne me coûte d'ailleurs pas — de transformer la discussion des crédits — remarquez qu'on en est assez loin d'ailleurs, parce qu'on n'a pas encore prononcé un chiffre, depuis le début de cette session — en débat constitutionnel.

Ceci dit, le discours inaugural établissait très clairement quels étaient les principes du gouvernement québécois. Si vous relisez le passage que j'ai cité hier, il en découle que l'option 1 et l'option 2 de la lettre de M. Trudeau sont éliminés.

Par conséquent, la négociation devra se situer dans le cadre de l'option 3. C'est la raison pour laquelle je crois que je vais le relire encore une fois, M. le Président. "Le rapatriement unilatéral serait encore un rapatriement sans mécanisme de révision constitutionnelle, laissant au seul gouvernement fédéral l'initiative et la mise en oeuvre de l'adaptation de la constitution à l'évolution de la réalité politique, économique, sociale et culturelle du Québec. "Au surplus, un rapatriement unilatéral serait, à toutes fins utiles, une fin de non-recevoir aux demandes répétées de tous les gouvernements qué-

bécois pour obtenir préalablement les garanties dont le Québec a besoin pour assurer le maintien de son identité culturelle. "Cette Assemblée comprendra facilement — qu'on ne vienne pas me dire que ce n'est pas clair — que le gouvernement du Québec ne peut accepter le procédé du rapatriement unilatéral — cela élimine par conséquent l'option 1, celle que vous avez décrite comme l'option Fulton — ni un rapatriement sans formule d'amendement — cela élimine l'option 2 — sans mécanisme de révision et sans garantie."

M. Morin: Non, ce n'est pas l'option 2.

M. Cloutier: Ce n'est pas l'option 2. Je vais terminer ma lecture. "Aussi, le gouvernement entend-il poursuivre, suivant l'échéance qui convient et dans le resserrement des liens et des rapports avec les autres gouvernements provinciaux — j'ai souligné, à plusieurs reprises, l'importance de tenir compte de nos partenaires, dans la logique de notre fédéralisme — la définition des exigences qu'il est de son devoir de poser pour rapatrier la constitution. "

Voilà, il ne peut pas y avoir d'autre réponse. Nous pouvons continuer à tourner en rond.

M. Morin: M. le Président, est-ce que le ministre voudrait répondre un peu plus clairement à la question que je posais il y a un instant, à laquelle ce texte n'apporte pas de réponse, mais aucune réponse? Acceptez-vous, oui ou non, la formule d'amendement définie à Victoria? Est-ce que celle-ci n'a pas été rejetée, en 1971?

M. Cloutier: Premièrement...

M. Morin: Commençons par cette première question. Avez-vous, oui ou non, rejeté, en 1971, la formule d'amendement Trudeau-Turner, définie à Victoria?

M. Cloutier: Ce qui s'est passé en 1971, c'est qu'il n'y a pas eu un rejet de parties constitutives de la charte.

On a écarté la charte parce qu'il n'a pas été possible de se mettre d'accord sur la question des arrangements en matière sociale. C'est exactement ce qui s'est passé à Victoria. Maintenant, je n'ai pas l'intention de me prononcer de façon définitive au nom du gouvernement du Québec sur la formule elle-même, parce qu'elle fait partie de la négociation entreprise. C'est un élément parmi d'autres éléments. J'ai simplement, reprenant la citation que vous avez faite du premier ministre, dit qu'en gros, sous toute réserve, elle peut être acceptable dans le cadre qui est le nôtre, c'est-à-dire le cadre fédéral. Je ne vais pas plus loin pour l'instant. Pourquoi? Parce que je ne veux pas préjuger des modifications qui pourraient y être apportées. Je sais pertinemment, par exemple, et je ne vous donnerai pas de détail là-dessus, qu'au moins une ou deux provinces ont quelques réser- ves sur cette formule, souhaiteraient y ajouter quelques garanties. Je sais pertinemment que, pour une autre, il y a également quelques interrogations qui n'ont pas encore reçu de réponse. Ceci a été discuté à la conférence des ministres chargés des dossiers constitutionnels, la conférence de Toronto, dont je parlais hier. Cette conférence, qui sera peut-être suivie d'une autre rencontre, aura justement pour but de faire des recommandations aux premiers ministres pour leur réunion du mois d'août. C'est la logique même. Je pense qu'aucun esprit véritablement sérieux ne peut nier qu'il y a là un cheminement qu'il convient de respecter.

M. Morin: Ce que je tire de cette réponse du ministre, c'est qu'à l'heure actuelle, l'opinion publique québécoise ne sait pas exactement quelle est la position du gouvernement au sujet de la formule d'amendement contenue dans la charte de Victoria.

M. Cloutier: Un processus de négociation suppose que l'on tienne compte de ses interlocuteurs. Nous aurons un renseignement supplémentaire puisque le député du Saguenay vient conseiller le chef de l'Opposition.

M. Malouin: Vous n'apportez pas un changement, toujours?

M. Cloutier: Oui, très bien, nous pouvons même suspendre le débat pour cette consultation.

M. Morin: Non.

M. Cloutier: On peut continuer?

M. Morin: Je m'excuse, il s'agit de quelque chose d'assez grave.

M. Cloutier: Allez.

Le Président (M. Gratton): Le ministre. Programme 2.

M. Cloutier: Oui, j'avais pas mal terminé, M. le Président. On va attendre de voir...

Le Président (M. Gratton): Programme 1, adopté?

M. Morin: M. le Président, j'ai encore quelques questions avant l'adoption du programme 1. Si nous pouvons revenir à certains aspects de la charte de Victoria et aux commentaires du premier ministre du Canada dans sa lettre du mois d'avril dernier, il nous dit, c'est à la page 5, du fac-similé de la lettre qui a été déposée en Chambre, il nous y apprend que la formule d'amendement dont traite la charte de Victoria, applicable aux parties de la constitution qui ne peuvent actuellement être modifiées au Canada, a été insérée dans le titre premier du projet de proclamation.

Mais, ajoute-t-il, les articles 49, 50, 51, 52, 56 et 57, du titre 9 de la charte de Victoria, sont donc inclus, alors que les articles 53, 54 et 55, qui visaient à remplacer les paragraphes 91, premier alinéa et 92, premier alinéa du British North America Act ne sont pas inclus.

Donc, M. le Président, j'attire l'attention du ministre sur le fait qu'il y a déjà une différence considérable entre ce qui avait été convenu à Victoria, dont le ministre nous disait qu'en gros, c'était acceptable, et ce qui paraît dans le projet de proclamation. Pourquoi a-t-on écarté du projet de proclamation les articles 53, 54 et 55 de la charte de Victoria, qui remplaçaient les articles 91, premier alinéa et 92, premier alinéa? L'importance de la question est la suivante. Le ministre sait l'importance de l'alinéa premier de l'article 91, puisque, si je ne m'abuse, c'est par cet alinéa que le pouvoir fédéral a obtenu déjà une forte dose de pouvoir unilatéral de transformer, de modifier la constitution.

J'aimerais lui demander pourquoi on a laissé tomber cet article, pourquoi on n'y touche pas dans le projet qui nous est maintenant soumis. Est-ce que le ministre se souvient de l'attitude du Québec lorsque le gouvernement fédéral avait déjà unilatéralement ajouté l'article 91, premier alinéa?

M. Cloutier: Avant de répondre à la question, je me demande si le chef de l'Opposition a bien compris le sens de l'article 91, l'alinéa qu'il cite. Parce qu'il a permis au gouvernement fédéral de modifier unilatéralement, mais sa propre constitution, pouvoir que les provinces, elles-mêmes, ont utilisé en ce qui concernait leur propre constitution.

M. Morin: Oui, mais ce que le ministre sait, sans doute — il doit le savoir, puisqu'il potasse ces questions depuis quelque temps maintenant — c'est que le Québec s'était opposé à l'époque...

M. Cloutier: C'est exact.

M. Morin: ...à l'adoption unilatérale de ce mode d'amendement unilatéral, parce qu'il permettait au pouvoir fédéral, sous le prétexte de modifier sa propre constitution, en fait, de consolider ses positions centralisatrices.

M. Cloutier: Plusieurs provinces s'y étaient d'ailleurs opposées, mais il s'agit d'une autre question. C'est peut-être mieux de ne pas amener trop de confusion.

Je ne peux que répéter ce que j'ai toujours répété. Le projet de proclamation est un projet. C'est le point de départ d'une discussion. Ce n'est pas le lieu de l'affaire. Elle est commencée. Elle est commencée au sein des différentes rencontres qui ont déjà eu lieu. Elle doit trouver son aboutissement lors de la conférence des premiers ministres au mois d'août. Par conséquent, il serait totalement irresponsable que je me prononce aujourd'hui. Pourrais-je le faire, que je ne le ferais pas, parce que ce serait non seulement irresponsable, ce serait de la très mauvaise stratégie.

M. Morin: Nous sommes toujours de retour à la même impasse, M. le Président. Dès que je tente d'élucider les positions du Québec dans cette négociation, non pas sur tous les détails, mais dès que je tente de trouver un point d'ancrage, quelque chose de solide, qui nous dirait: Bon! Le Québec, par exemple, sur la formule d'amendement, va avoir telle attitude en gros, telle attitude de principe; ou encore: Sur l'article 91, premier alinéa, dont on vient de discuter, l'attitude va être celle-ci, parce que dans le passé, elle a été celle-là. Dès que je touche, le moindrement, à un point d'ancrage, on sent que l'ancre s'en va dans la vase. On ne peut s'accorcher à rien.

Le ministre nous dit: C'est parce que nous sommes en négociation. Mais j'estime, encore une fois, que les Québécois ont le droit de savoir où nous allons dans cette négociation. C'est la raison pour laquelle j'ai posé des questions d'ordre général. Je ne suis même pas entré dans des détails techniques. Je fais attention, depuis ce matin, à la suite des refus systématiques du ministre hier soir, de ne pas entrer dans les détails techniques. Je vous demande des positions de principe.

M. Cloutier: Le chef de l'Opposition a-t-il déjà négocié dans sa vie? Sait-il ce que c'est que d'avoir des partenaires? S'imagine-t-il qu'il agit toujours seul? J'imagine qu'au sein de son parti, il doit être obligé, de temps en temps, de tenir compte de l'opinion des autres?

M. Desjardins: II agit seul.

M. Cloutier: Ah! Evidemment, s'il agit seul, c'est autre chose. Ce que j'essaie de faire comprendre est qu'il y a au Canada onze gouvernements, lesquels ne sont pas des gouvernements subordonnés, qui sont des gouvernements qui ont des juridictions propres. Il y a un gouvernement central. Il y a dix gouvernements provinciaux. Ce sont les partenaires de cet arrangement que j'ai décrit comme un arrangement administratif et politique.

Je sais que l'Opposition n'accepte pas cet arrangement, mais le gouvernement l'accepte et la population québécoise, dans sa majorité, lui en a donné le mandat. C'est donc dans cette perspective qu'il faut négocier. C'est dans cette perspective qu'il faut tenter d'en arriver à un accord.

Or, toutes les provinces, y compris le Québec, ont admis que le rapatriement était souhaitable, mais pas à n'importe quel prix — c'est le Québec qui l'a bien clairement établi — et la formule à trouver est une formule qui tient compte des impératifs d'une fédération, mais également des impératifs très forts des aspirations québécoises.

Je considère, pour ma part, qu'il est parfaitement possible de tenir compte des aspirations québécoises dans le cadre confédéral actuel. Cela a toujours été mon attitude. C'est d'ailleurs l'attitude du gouvernement.

C'est donc dans cette perspective que nous

négocions et nous avons mis en place tout un cheminement. J'en ai parlé à tellement de reprises que je me demande s'il est encore nécessaire d'y revenir, mais c'est dans ce cadre qu'il faut continuer de travailler et continuer de réfléchir.

C'est la raison pour laquelle il serait, premièrement, irresponsable et, deuxièmement, maladroit — et j'ai l'intention de n'être ni l'un, ni l'autre — aujourd'hui, de lier le gouvernement du Québec à un certain nombre d'affirmations portant sur des points de détail d'autant plus que, lorsqu'on parle d'une négociation, on ne parle pas d'un seul élément comme une formule d'amendement.

Le chef de l'Opposition serait ravi que je me lie à une formule donnée aujourd'hui même, mais on parle de tout un ensemble, d'un équilibre et si on veut, de bonne foi, rechercher un arrangement, il ne peut y avoir d'autre attitude.

Alors, voilà, M. le Président, ce que je peux dire à ce stade-ci.

Le Président (M. Gratton): Messieurs, pourrais-je dire quelque chose moi aussi? Nous discutons de ce sujet depuis trois heures et j'admire la patience du chef de l'Opposition officielle autant que celle du ministre. J'admire même celle des membres de la commission.

M. Morin: D'ailleurs, nous n'avons pas quorum, M. le Président.

Le Président (M. Gratton): Voulez-vous...

M. Morin: Je tiens à vous le souligner en passant.

Le Président (M. Gratton): ... qu'on l'obtienne?

M. Morin: Non. Je n'insisterai pas, mais je vois qu'il y a des limites à la patience des membres de la commission.

Le Président (M. Gratton): Oui. Alors...

M. Cloutier: M. le Président, un point de règlement, et c'est vraiment un point de règlement. Il y a eu quelques allusions sur cette question de quorum et je crois qu'il faut quand même souligner que le quorum crée un certain nombre de difficultés et que ces difficultés ne sont pas liées à l'absence de députés libéraux.

Il y a à cette commission toutes les Oppositions qui sont représentées. Il y a, par exemple, le député de Johnson. Il y a le député d'Outremont. Il y a certainement un député créditiste également. Il y a le député de Chicoutimi.

Alors, il y a déjà cinq membres de l'Opposition... et il y en a un seul ici. Je comprends très bien qu'il puisse y en avoir un seul parce qu'il y a d'autres commissions qui siègent, mais qu'on ne vienne pas blâmer les membres du Parti libéral pour des absences qui ne le concernent pas.

En plus de cela, le premier ministre fait partie de cette commission, ce qui également, complique la question du quorum et il y a un ou deux autres ministres.

Ceci dit uniquement pour démontrer que, dans une atmosphère de bonne volonté, nous pouvons nous arranger au point de vue du quorum, mais je ne voudrais pas que l'on fasse porter la responsabilité sur les membres du Parti libéral exclusivement.

Le Président (M. Gratton): Pour finir ma phrase, je suis prêt à rester ici aussi longtemps qu'il le faudra, mais j'attire...

M. Morin: C'est bien. Vous faites votre devoir.

Le Président (M. Gratton): ... l'attention sur le fait que c'est également le devoir de la commission de compléter l'étude des crédits du ministère dans un délai de quelque dix heures et que si nous n'y voyons pas bientôt, nous serons exposés à subir les conséquences de l'article 138 qui ne nous permettra pas de compléter...

Ceci étant dit, je cède la parole au chef de l'Opposition officielle.

M. Morin: Merci, M. le Président. J'allais dire au ministre, en réponse à ce qu'il a déclaré, il y a un instant, que si la population québécoise vous avait effectivement donné le mandat de faire le jeu du nationalisme anglo-canadien comme je crains que vous l'ayez fait au cours des dernières années dans ces négociations constitutionnelles, elle ne vous aurait pas forcés, au dernier moment, à dire non à Fulton-Favreau et à dire non à la charte de Victoria. Encore une fois, c'est ce que je veux éviter au ministre dans l'intérêt du Québec, non pas dans l'intérêt du Parti libéral, mais dans l'intérêt du Québec, éviter que se reproduise une troisième fois le genre de fiasco qu'on a vu en 1964-1965 et en 1971. C'est d'autant plus opportun, M. le Président, que, si vous l'avez remarqué, il y a une sorte de rythme dans les assauts fédéraux contre les positions québécoises. 1964-1965, on a eu le refus du Québec; cinq ans plus tard, 1970-1971, nouvel assaut avec la charte de Victoria, nouveau refus. Nous sommes dus pour un nouvel assaut, puisque cela fait bien cinq ans que la charte de Victoria a été écartée et c'est ce qui est en train de se produire. Tant que le Québec ne se sera pas donné un statut qui convienne à ses aspirations profondes — là-dessus, le ministre a raison, nous divergeons évidemment profondément d'opinion — tant qu'on n'aura pas trouvé ce statut, nous serons l'objet de ces assauts pour nous ramener à merci, nous amener à résipiscence.

M. Cloutier: Quel est ce statut? M. Morin: Que voulez-vous dire? M. Cloutier: Je veux vous entendre... M. Morin: Le statut que vous souhaitez...

M. Cloutier: Non, que vous souhaitez, vous.

M. Morin: ...c'est le statut de province vassale que vous êtes en train d'essayer de nous donner avec ce genre de négociation constitutionnelle.

M. Cloutier: Et le statut que vous cherchez, vous?

M. Morin: Je vous l'ai dit tout à l'heure. Vous le savez aussi bien que moi.

M. Cloutier: Le mot indépendance a l'air vraiment de les fatiguer en ce moment. On n'arrive plus à le leur faire prononcer.

M. Morin: Je l'ai dit tout à l'heure en toutes lettres.

M. Cloutier: Le mot séparatisme.

M. Morin: Nos adversaires ont toujours soin d'utiliser ce mot et je pense d'ailleurs que, de moins en moins, cela influence qui que ce soit. Alors, continuez donc de l'utiliser. D'ailleurs, c'est le premier ministre du Canada qui vous dément, semble-t-il, puisque, selon lui, il n'y a plus de séparatisme.

M. Cloutier: Qu'est-ce que vous pensez de ce jugement-là?

M. Morin: J'ai dit, l'autre jour, par manière de parenthèse, que j'étais d'accord qu'il n'y a plus de séparatisme au Québec...

M. Cloutier: Ah, bon!

M. Morin: ...mais il y a l'indépendance, mais cela, c'est toute la différence au monde. Ce n'est plus quelque chose de négatif, comme ce dont on voudrait nous affubler du côté libéral, mais une attitude positive. J'aimerais bien connaître, puisque le ministre m'a posé la question et que j'ai répondu, son sentiment sur les propos du premier ministre fédéral. Est-ce que vraiment il est d'accord avec cette idée que le séparatisme est mort au Québec?

M. Cloutier: Je n'ai pas l'intention de me prononcer sur des déclarations faites par d'autres hommes politiques. Je n'en vois pas l'intérêt. Je crois que ce n'est pas pertinent.

Le Président (M. Gratton): Vous voyez d'ailleurs le danger qu'il y a à ce que je permette au ministre de poser une question au chef de l'Opposition officielle. Cela nous amène à...

M. Cloutier: Je regrette beaucoup de lui avoir posé cette question-là.

M. Morin: M. le Président, procédons. A la page 6 de la lettre du premier ministre Trudeau, on nous dit, on nous rappelle que le titre deux du pro- jet de proclamation n'est autre que le titre quatre de la charte de Victoria concernant la Cour suprême, ainsi qu'un article final visant à défendre la position des juges en place. J'aimerais demander au ministre s'il est toujours d'avis, comme il l'a laissé entendre dans l'entrevue qu'il donnait au journal Le Soleil, que le projet de structure de la Cour suprême élaborée à Victoria, convient toujours au Québec.

M. Cloutier: Je sais que le chef de l'Opposition a déjà dit beaucoup de mal des juges de la Cour suprême lors du débat sur la loi 22. Je ne sais pas s'il a changé d'opinion, mais je suis obligé de faire la même réponse; je n'ai pas l'intention de me faire coincer par des déclarations portant sur chacun des points de ce projet de déclaration, étant donné le cheminement qui a été adopté.

M. Morin: Ce sont des attitudes de principe que je vous demande.

M. Cloutier: Ce sont des attitudes de principe. Elles sont claires.

M. Morin: Je ne vous demande pas de discuter chaque ligne des passages de Victoria qui portent sur la Cour suprême.

M. Cloutier: Ce que vous me demandez, c'est une prise de position du gouvernement québécois sur chacun des points de ce projet de déclaration. Comment voulez-vous que je puisse véritablement le faire sans être à la fois, comme je disais, irresponsable et maladroit. Il est vrai que vous, dans l'Opposition, n'avez pas à être concerné par cette question d'irresponsabilité ou de maladresse. Vous pouvez vous offrir le luxe de faire les deux.

M. Morin: M. le Président, néanmoins, c'est notre tâche de savoir où le Québec s'en va et où le gouvernement mène le Québec. C'est la raison pour laquelle je voudrais au moins avoir des réponses de principe sur des questions aussi vitales que celles-là.

M. Cloutier: Les réponses de principe en ce qui concerne l'orientation de ces négociations, vous les avez eues dans le discours inaugural et dans les différentes interventions que j'ai citées hier. Pour ce qui est du reste, ce sont des points de détail extrêmement importants, mais des points de détail qui font partie d'un projet actuellement en cours de discussion. Ce serait, je le répète, irresponsable, de lier le gouvernement sur chacun de ces points actuellement et ce serait maladroit, parce qu'il y a un certain nombre de partenaires qui sont impliqués dans ces discussions.

Vous avez cité une entrevue où je donnais une opinion personnelle sur la Cour suprême, j'attachais beaucoup d'importance à l'existence d'institutions fédératives au Canada, c'est probablement ça que vous aviez dans l'esprit. Mais ce n'est pas pertinent au débat actuel. La question que vous

posez porte sur la formule qui avait été mise au point à Victoria concernant la nomination des juges. C'est justement là-dessus que je ne veux pas et que je ne dois pas me prononcer actuellement.

M. Morin: Néanmoins, M. le Président, si le ministre a cru opportun de s'entretenir avec les journalistes de ses opinions personnelles sur l'avenir constitutionnel du Québec, j'imagine qu'il pourrait en faire à peu près autant avec les membres d'une commission parlementaire. S'il a cru bon de s'ouvrir devant les journalistes, il pourrait en faire autant devant la Chambre.

M. Cloutier: Dans notre parti, il n'est pas interdit de penser, M. le chef de l'Opposition, alors, il m'arrive donc de le faire.

M. Morin: Vous ne pourriez pas penser un peu avec nous ce matin?

M. Cloutier: Ce n'est pas le même contexte. Je peux donner une entrevue à un journaliste, cela m'est arrivé des centaines de fois depuis que je suis en politique, et évoquer un certain nombre d'orientations du pays. Au cours...

M. Morin: Et vous refusez ensuite d'en discuter en commission parlementaire.

M. Cloutier: ...d'une commission parlementaire, dans un contexte où on veut lier le gouvernement à un certain nombre de déclarations, je répète qu'il me paraîtrait à la fois irresponsable et maladroit de le faire. Il y a une différence, je crois, dont il faut tenir compte.

M. Morin: M. le Président, j'abandonne la partie pour ce qui est de la Cour suprême, je vois que nous ne saurons pas à quoi nous en tenir davantage là-dessus que sur les autres points majeurs que j'ai évoqués depuis hier. Mais...

M. Cloutier: Est-ce que le chef de l'Opposition pense toujours autant de mal de la Cour suprême?

M. Morin: Mais j'ai toujours pensé, je l'ai écrit et je ne vais pas me mettre à moins que le ministre ne veuille que je dépose mes écrits là-dessus — à redire tout ce que j'en ai dit dans le passé. J'ai toujours pensé qu'une cour payée par Ottawa, nommée par Ottawa, stipendiée par Ottawa, était un bien mauvais juge en matière constitutionnelle entre les provinces et le pouvoir fédéral. Et ce n'est pas moi qui le pense uniquement, un auteur aussi averti que K.C. Weare — Dieu sait l'autorité qu'il peut avoir dans nos écoles de droit, puisque c'est toujours à lui et à ses bouquins qu'on en revient — a dit en toutes lettres qu'on ne peut pas avoir confiance dans une Cour suprême qui est nommée et payée essentiellement par le pouvoir fédéral. Je vois, le député d'Anjou le sait, on s'est entretenu de cela autrefois à maintes reprises. Je suis sûr qu'il partage mon point de vue d'ailleurs là-dessus. C'est la raison pour laquelle j'interrogeais le ministre.

Le Président (M. Gratton): Le député d'Anjou.

M. Tardif: Je ne saurais répondre au nom du gouvernement, je n'ai pas l'autorité pour ce faire, M. le Président. Je pense que le chef de l'Opposition y va peut-être un peu fort lorsqu'il emploie l'expression "stipendier". Je reconnais, et je l'ai déjà déclaré en cette Chambre lors du débat sur le discours inaugural, que, quant à moi, la situation actuelle se rapportant à la Cour suprême est insatisfaisante.

Les juges sont nommés par le gouvernement fédéral, ils sont payés par le gouvernement fédéral et, lors d'une décision à prendre qui implique des matières constitutionnelles, il va de soi que même s'ils ne sont pas de mauvaise foi, ils sont peut-être plus portés, involontairement ou non, à considérer avec bienveillance le point de vue fédéral.

A cet égard, ceci n'est pas une opinion nouvelle, quant à moi, puisque j'avais déjà cette opinion alors que je fréquentais l'université. Pour qu'il n'y ait pas de confusion, je préciserai que le chef de l'Opposition ne m'a pas enseigné le droit constitutionnel, il m'a enseigné le droit international public; alors, les opinions que j'ai pu me forger au cours des années proviennent de différentes sources, des lectures que j'ai pu faire et, à cet égard, je reconnais que la situation actuelle, vis-à-vis de la Cour suprême du Canada, n'est pas satisfaisante et qu'il y aurait un réaménagement à effectuer dans ce domaine.

C'est mon opinion personnelle, c'est l'opinion que j'ai depuis environ cinq ou dix ans et elle n'engage pas le gouvernement, mais, à cet égard, je pense que si on veut vraiment créer un tribunal constitutionnel, il faudra envisager un nouveau mode de nomination des membres de la Cour suprême, qui constitue finalement le tribunal de dernier ressort, depuis la disparition des appels au comité judiciaire du Conseil privé, il y a maintenant un quart de siècle, ou peut-être un petit plus qu'un quart de siècle.

M. Morin: Voilà le genre de réponse que j'attendrais du ministre. Il faut que ce soit le député d'Anjou qui me réponde.

M. Cloutier: Mais pas du tout, là, vous vous abusez. C'est évident que nous ne sommes pas satisfaits, nous non plus, du mode de nomination des juges. J'endosse chaque mot de ce qu'a dit le député d'Anjou. Mais ce que vous voulez me faire dire, ce n'est pas cela du tout. Vous voulez me faire dire si je suis d'accord avec la formule précise qui a été mise au point à Victoria.

M. Morin: Mais...

M. Cloutier: Je vais terminer. Que nous ne soyons pas satisfaits, c'est bien évident. Si on était satisfait, on ne négocierait pas. Nous ne sommes pas satisfaits, je l'ai dit dès mes remarques préliminaires, de certains aspects du fédéralisme. Nous voulons améliorer un certain nombre de points et la question du mode de nomination des juges de la Cour suprême en est un.

Mais ce que je ne veux pas faire, c'est faire une déclaration sur la formule précise, et votre question portait sur une formule précise, celle qui avait été définie à Victoria.

M. Morin: Alors, puisque le ministre ne se sent pas libre, lui, d'en discuter, M. le Président, je me permettrais de demander au député d'Anjou ce qu'il pense de la formule de Victoria, en matière de nomination des juges. C'est de bonne guerre.

Le Président (M. Gratton): C'est assez.

M. Morin: Mais ce n'est pas gentil pour le député d'Anjou. Il avait donné des réponses fort intéressantes.

Le Président (M. Gratton): Je suis sûr qu'il comprend.

M. Morin: Nous allons passer à autre chose, M. le Président...

Le Président (M. Gratton): II comprend très vite.

Garanties culturelles

M. Morin: ... puisque nous n'irons pas beaucoup plus loin sur la Cour suprême. J'aimerais me tourner vers la question des garanties. Il y est fait allusion à plusieurs reprises dans la lettre de M. Trudeau, de même que dans la réponse de M. Bourassa. J'aimerais que le ministre, sans entrer dans les détails techniques, nous décrive en gros le sens, la signification de l'expression "garanties culturelles " que le gouvernement québécois prétend exiger, avant de s'aventurer plus loin dans la négociation constitutionnelle.

Je pense que, là, le ministre serait mal placé pour dire qu'il ne peut rien dire, même pas sur la question de principe, parce que c'est vraiment le fond de l'affaire du moins, c'est le gouvernement qui nous dit que s'il peut obtenir ces garanties culturelles, il sera sans doute prêt à accepter le rapatriement.

J'aimerais que le ministre nous donne en gros le sens, le contenu général de ces garanties culturelles.

M. Cloutier: M. le Président, d'abord, il ne faudrait pas que le chef de l'Opposition s'imagine que l'acceptation de la proclamation, si tant est qu'elle soit envisagée à un moment donné, est liée à l'acceptation d'un article en particulier. Ce que vient de dire le chef de l'Opposition revient à prétendre que, dans le cas où nous aurions tel type de garanties culturelles, nous accepterions le reste.

Un processus de négociation, c'est quelque chose de beaucoup plus complexe. Il s'agit, en fait, de trouver, dans une perspective qui est la perspective d'un fédéralisme où il y a un certain nombre de partenaires, des accommodements qui tiennent compte d'un certain nombre d'impératifs. J'ai parlé des impératifs qui sont ceux du fédéralisme et, également, des impératifs qui sont ceux des aspirations québécoises.

Il est extrêmement important de bien comprendre cela. Ce n'est pas, autrement dit, une espèce de "package deal" que l'on accepte, parce qu'on nous donne telle chose. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas l'intention de me prêter aux pièges que tente de me dresser le chef de l'Opposition, en prenant des positions fermes sur chacun des points.

Libre à lui s'il veut prolonger la discussion, nous aurons moins de temps pour parler d'autres choses, mais que ceci soit bien entendu.

En ce qui concerne cette question de garantie, il faudrait que je relise encore le discours de Saint-Gabriel dont j'ai parlé hier et qui constitue la position de principe du gouvernement du Québec. Vous vous souvenez qu'hier j'ai cité le discours inaugural et le discours du premier ministre à Saint-Gabriel, parce que, là, nous trouvons toutes les positions de principe du gouvernement québécois.

Je me contenterai, cette fois-là, de relire deux ou trois paragraphes: "Evidemment, dans le domaine de la révision constitutionnelle, le Québec...

M. Morin: Vous l'avez déjà lu, M. le ministre. J'aimerais vous en dispenser.

M. Cloutier: Dans ce cas, si vous m'en donnez acte, je ne le relirai pas, mais vous avez là votre réponse.

M. Morin: Mais, ce que je voudrais savoir, puisque nous sommes maintenant devant un texte de proclamation, un projet de proclamation qui a déjà fait l'objet de tractations entre Québec et Ottawa... Ce n'est pas comme si ce texte était une proposition unilatérale, émanant du pouvoir fédéral. Dans sa lettre, M. Trudeau nous dit bien que cela a été négocié avec les fonctionnaires du Québec. Je vous ai cité...

M. Cloutier: Non. ce n'est pas si simple que cela.

M. Morin: Vous m expliquerez...

M. Cloutier: J'ai pris la peine de réfuter cette affirmation par trois citations de la lettre même de M. Trudeau. Voulez-vous que nous y revenions?

M. Morin: Vous m'expliquerez alors le sens du passage suivant: "Je ne m'étendrai pas ici sur toutes les difficultés nombreuses et complexes que cette question des garanties constitutionnelles nous a posées. Les discussions avec les représentants de M. Bourassa ont conduit finalement à une formulation qui a été incluse dans un document adressé au premier ministre du Québec, en novembre 1975." C'est le projet de proclamation. Dois-je vous le répéter encore une fois?

Les discussions avec les représentants de M. Bourassa ont conduit finalement à une formulation qui a été incluse dans le projet. M. le ministre, ce projet de proclamation que nous avons devant nous, ce n'est pas un document élaboré unilatéralement. Il a déjà fait l'objet de discussions pendant de longs mois. Ma question, naturellement, est celle-ci: A la lumière du discours de Saint-Gabriel et à la lumière de ce qui a été dit dans le discours inaugural, qui est d'ailleurs on ne peut plus vague sur cette question des garanties, puisqu'il prononce le mot sans donner son contenu, pourriez-vous nous dire si, oui ou non, les articles 38 et 40 de ce projet de proclamation paraissent constituer, aux yeux du gouvernement du Québec, des garanties culturelles suffisantes? Dois-je vous relire l'article 38, comme je l'ai fait plus tôt, ce matin?

M. Cloutier: Ce n'est pas la peine. M. Morin: Non, je l'espère.

M. Cloutier: Mais, le chef de l'Opposition est encore revenu sur cette interprétation qu'il donne à ce passage de la lettre de M. Trudeau. J'ai pris la peine de réfuter ce point. Il est évident que la formulation même de la lettre peut sembler donner raison au chef de i'Opposition, mais ce que j'ai établi, c'est que c'est l'interprétation fédérale d'une situation qui a permis à un certain nombre de fonctionnaires d'échanger. J'ai bien précisé qu'à ce moment, il n'y avait pas eu de discussions sur le plan politique. Je ne sais pas si c'est nécessaire de revenir sur toute cette argumentation; probablement pas.

En ce qui concerne des prises de position exactes sur deux articles, là encore, il n'en est pas question. Je reviens au principe, en particulier au discours de Saint-Gabriel, en vous citant deux passages: "Cependant, le gouvernement du Québec, pour des raisons évidentes se doit d'exiger des garanties constitutionnelles très claires dans des secteurs naturellement liés à la sécurité culturelle, parmi lesquels les communications et l'immigration ont une signification particulière."

Autre citation: "II me semble, en effet, tout à fait normal que le Québec se voit reconnaître le pouvoir et les moyens de décider finalement des questions majeures qui concernent la protection et le développement de sa langue et de sa culture."

Ce sont là des pétitions de principe. Pour ce qui est des modalités, nous sommes en cours de discussions.

M. Morin: M. le Président, c'est bien difficile dans tout cela d'arriver à se faire la moindre idée de l'attitude du gouvernement dans le dossier constitutionnel. Les positions sont tellement générales, tellement vagues qu'elles permettent au gouvernement de faire à peu près n'importe quoi. C'est toujours, d'ailleurs, ce qui s'est passé dans le passé. C'est la raison pour laquelle je tente cette fois-ci de trouver des points d'ancrage, de trouver un certain nombre de principes solides sur lesquels le gouvernement ne bougerait pas. Je vois que c'est, pour ainsi dire, peine perdue.

Je vais demander au ministre tout de même, par acquit de conscience, si lorsqu'on parle de garanties culturelles, on entend purement les garanties liées à la langue, aux communications, par exemple, ou si on se fait au gouvernement ou dans son ministère une constatation plus globale de ce que sont les garanties culturelles à la manière de l'ex-président du Parti libéral du Québec qui laissait entendre que, par cette expression, on visait non seulement des questions strictement culturelles, mais également le contrôle de la planification économique, tant il est vrai — cette fois, c'est mon commentaire, ce n'est pas celui de l'ancien président du Parti libéra! du Québec — que la culture ne peut être dissociée du contexte économique et social global et que ne sauraient exister de véritables garanties culturelles qui soient strictement culturelles.

M. Cloutier: C'est bien pour cela — pour une fois le chef de l'Opposition me dit quelque chose qui semble se tenir — qu'on ne peut pas considérer uniquement un aspect d'un projet comme celui que nous étudions en ce moment. C'est un ensemble. C'est bien pour cela que dans le discours inaugural, le gouvernement a parlé du pouvoir de dépenser. Le pouvoir de dépenser constitue l'aspect économique de la question. En fait, c'est le coeur du problème. Tout cela est lié. Tout cela se tient. Tout cela doit faire l'objet d'une négociation globale. On ne peut pas, effectivement, se contenter uniquement de garanties culturelles, quelle que soit la forme qu'elles peuvent prendre. Il faut que dans un ensemble, on puisse, à un moment donné, envisager, comme nous l'avons dit, un partage des pouvoirs qui ne sera peut-être pas global d'emblée, parce que ce serait de la naïveté de s'imaginer que des problèmes aussi complexes se règlent rapidement, mais tout au moins, que l'on puisse en amorcer le processus. Nous n'avons jamais dit autre chose. Je m'acharne à le répéter, de la façon la plus claire possible. Pour une fois, je peux donc donner raison au chef de l'Opposition qui, en fait, vient de me donner raison et vient de m'approuver de ne pas me laisser entraîner à des approbations ou à des déclarations sur des points limités.

M. Morin: Je voudrais bien pouvoir approuver ou désapprouver le ministre, mais comme je ne vois pas où le gouvernement s'en va dans ses réponses, je ne peux ni l'approuver, ni le désapprouver. C'est bien cela le problème ce matin.

M. Cloutier: Quelles sont, d'après vous, les garanties constitutionnelles?

M. Morin: Culturelles, vous voulez dire?

M. Cloutier: Culturelles, oui. Les garanties culturelles constitutionnelles.

M. Morin: Je veux bien répondre à votre question, à condition que vous répondiez aux miennes.

M. Cloutier: J'ai répondu.

M. Morin: C'est un dialogue de sourds. Est-ce que, pour être plus précis, vous pourriez nous dire quels sont les autres objets constitutionnels, si je peux m'exprimer de la sorte, auxquels vous avez l'intention de vous intéresser en dehors des questions strictement culturelles comme la langue, les communications? Est-ce que vous pourriez au moins nous dire sur quoi porte cette négociation?

M. Cloutier: Qu'est-ce que vous appelez des objets? Vous hésitez à employer le mot.

M. Morin: Des domaines de compétence.

M. Cloutier: Ils apparaissent tous dans le discours inaugural et les différentes interventions officielles que nous avons faites.

M. Morin: Je vous en prie, il n'y a rien dans le discours inaugural.

M. Cloutier: Ce que vous voudriez, c'est que je fasse une espèce de "shopping list" actuellement du partage des pouvoirs. Cela serait totalement ridicule.

M. Morin: Je voudrais que vous nous disiez où vous en êtes.

M. Cloutier: Je n'ai aucune objection à ce que vous le soyez, mais je n'ai pas l'impression de l'être.

M. Morin: Je voudrais simplement savoir où vous en êtes.

M. Cloutier: Vous voudriez que je fasse sur deux colonnes: fédéral et provincial. Provincial, pour vous, c'est uniquement le Québec. Les dix autres gouvernements, on n'en tient pas compte. C'est une discussion bilatérale. Non, ce n'est pas une discussion bilatérale, d'une part. D'autre part, il serait ridicule de se dire: Tel point, on va partager cela de telle façon. Ce n'est pas ainsi qu'une négociation se fait. Soyons sérieux pour une fois.

M. Morin: M. le Président, pour ce qui est des positions fédérales, elles sont claires. Je suis à même de les connaître.

Il ne m'est pas difficile de consulter des textes clairs émanant des fonctionnaires fédéraux et du gouvernement fédéral. Ce que je ne connais pas de façon certaine, et cela a toujours été comme ça dans le passé, c'est pour ça qu'on a failli se faire jouer des tours pendables, ce que je ne connais pas, à l'heure actuelle, se sont les positions québécoises, et c'est l'objet de ce dialogue depuis hier, dialogue qui, je l'avoue, est de plus en plus un dialogue de sourds, mais je persiste à vouloir connaître les points sur lesquels va porter la négociation constitutionnelle.

Je ne vous demande pas le détail des attitudes québécoises, mais je vous demande: Est-ce que ça va porter sur le pouvoir déclaratoire fédéral? Est-ce que ça va porter sur le pouvoir de dépenser? Est-ce que ça va porter sur le partage fiscal? Est-ce que ça va porter sur les compétences fédérales dans le domaine du maintien de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement?

M. Cloutier: Le chef de l'Opposition s'amuse très certainement, parce qu'il ne peut pas ignorer que beaucoup de ces domaines sont actuellement couverts par un certain nombre de conférences. Nous avons abordé la question des arrangements fiscaux avant de parler du problème constitutionnel. Le chef de l'Opposition ne peut pas nier qu'il y a là une négociation en cours. Il a eu entre les mains le texte de la position québécoise, qui est absolument claire, et il m'a même dit qu'il comptait revenir sur cette question.

En ce qui concerne un autre domaine, qui est l'immigration, là encore, le chef de l'Opposition ne peut pas nier qu'il soit informé. Il y a eu des prises de position très claires des différents ministres des Communications. Ce n'est pas le lieu de commencer ici même la discussion constitutionnelle sur des domaines précis, mais qu'on ne vienne pas me dire que ces domaines n'ont pas été identifiés.

M. Morin: M. le Président, quand, à quelle occasion la population québécoise saura-t-elle exactement à quoi s'en tenir sur tous ces domaines? Jusqu'ici, nous avons eu, effectivement, de temps à autre, des bribes d'information sur tel aspect de la constitution. Mais c'est la tâche du ministère des Affaires intergouvernementales d'assurer la coordination de tous ces points de vue. C'est la tâche du ministère de préparer la négociation constitutionnelle, et ce que je tente de voir, de me donner, avec le ministre, c'est un tableau d'ensemble de cette négociation. Chaque fois que nous abordons cette question, le ministre a toujours fait mille et une pirouettes pour ne pas répondre à mes questions.

M. Cloutier: Oh pardon! Ce ne sont pas des pirouettes...

M. Morin: Ah...

M. Cloutier: II ne faut quand même pas dépasser les bornes. Ce sont des réponses claires...

M. Morin: Ah oui...

M. Cloutier: ...qui se rattachent d'abord à des principes et ensuite à un processus de négociation en cours.

Vous me posez la question: A quel moment? J'ai répondu vingt fois. Au mois d'août, lors de la conférence des premiers ministres, alors que se terminera le processus entamé à Terre-Neuve, en ce qui concerne les provinces. Il y a eu un mandat précis de donné au premier ministre terreneuvien, à cet égard. La réunion de Toronto des ministres chargés du dossier constitutionnel a précisément

pour but — je vous ai dit qu'il y en aurait peut-être une autre — de faire des recommandations aux premiers ministres.

Ecoutez! Est-ce qu'on doit aller à l'encontre de tout cela, uniquement pour satisfaire le chef de l'Opposition?

M. Morin: C'est pour satisfaire l'opinion publique.

M. Cloutier: L'opinion publique a été constamment...

M. Morin: Ce n'est pas seulement pour moi que je pose ces questions.

M. Cloutier: D'abord, je voudrais bien savoir ce qu'est l'opinion publique pour vous. Ce n'est pas seulement la petite cour de flatteurs qui vous entoure.

M. Morin: Allons!

M. Cloutier: L'opinion publique, c'est beaucoup plus vaste que ça.

M. Morin: Allons!

M. Cloutier: Et l'opinion publique a toujours été informée par le gouvernement. Mais il ne peut pas être question, compte tenu d'un processus de négociation, compte tenu du fait que des partenaires qui sont impliqués et que les partenaires, eux aussi, ont des prises de position — un peu de respect pour les autres, voyons! — d'aller révéler, en cours de route, les détails d'une négociation. Je répète, pour la cinquième ou sixième fois, que ce serait à la fois irresponsable et maladroit, l'un valant l'autre.

M. Morin: De sorte que l'opinion publique québécoise, et quand je parle de l'opinion publique, je veux dire l'ensemble des citoyens, ne saura pas à quoi s'en tenir avant que le premier ministre du Québec se trouve à nouveau devant une conférence des premiers ministres.

M. Cloutier: Mais c'est totalement faux! Vous n'avez, je pense, rien compris, ou je me suis mal expliqué. La conférence — je vais aller très lentement — des premiers ministres, du mois d'août, est une conférence de premiers ministres provinciaux. Il n'y aura pas le premier ministre fédéral. Est-ce bien compris? Le processus actuel de négociation est un processus...

M. Morin: C'est une conférence interprovinciale.

M. Cloutier: Exactement! M. Morin: Oui.

M. Cloutier: ...où les provinces doivent tenter d'en arriver, sinon à un accord, du moins à la définition de positions.

Alors, il est impensable que le premier ministre québécois soit coïncé à ce moment puisqu'il n'aura pas encore à discuter dans le cadre de modalités qui ne sont d'ailleurs pas établies. S'agira-t-il d'une conférence constitutionnelle? Nous l'ignorons. Nous verrons, à ce moment, au terme du processus engagé.

M. Morin: Ce qu'il faut craindre est justement que le premier ministre du Québec n'arrive à une telle conférence interprovinciale sans que les positions ne soient connues à l'avance et sans qu'elles n'aient été l'objet d'un débat public au Québec.

Le résultat sera le même qu'à Victoria. Le résultat sera le même qu'aux conférences de 1964 et le premier ministre sera coïncé, non pas parce qu'il aura, devant l'opinion publique québécoise, mis ses cartes sur la table, mais il sera coincé par les autres premiers ministres et il sera coincé, éventuellement, par le pouvoir fédéral pour avoir failli à son obligation de renseigner pleinement l'opinion publique québécoise.

Et je vois qu'on s'achemine, de nouveau, vers des situations du type de celles que nous avons connues à Victoria ou auparavant, des situations où tout se négocie en catimini, entre gouvernements, sans que les opinions publiques ne soient saisies des enjeux qui sont en cause.

Je n'ai pas terminé. Si le ministre peut me donner, ce matin, ma propre petite garantie culturelle, s'il peut me garantir que la commission parlementaire se réunira avant que M. Bourassa n'aille se compromettre avec les premiers ministres des autres provinces, avant que le premier ministre n'aille dévoiler, devant les autres provinces, les positions québécoises, s'il peut me garantir qu'une commission parlementaire débattra pleinement cette question avant ce moment, je dirai, ce matin, que je puis abandonner mes questions, que je puis les remettre à plus tard, mais si je n'ai pas cette garantie, je suis obligé de faire le travail maintenant.

M. Cloutier: La seule garantie que je puisse donner au chef de l'Opposition est qu'il sera dans l'Opposition toute sa vie s'il continue d'argumenter de cette façon.

M. Morin: C'est l'opinion qui s'en chargera. Ce n'est ni vous, ni moi qui allons trancher cela.

M. Cloutier: Je n'ai pas l'intention de lier le gouvernement à une stratégie aujourd'hui. Voyons! Il est tout à fait normal qu'un gouvernement soit maître de la façon dont il entend conduire une négociation.

M. Morin: Comme à Victoria!

M. Cloutier: Le premier ministre lui-même a évoqué la possibilité d'une commission parlementaire. Je l'ai aussi évoquée. C'est très certainement une hypothèse intéressante. C'est une hypothèse qu'il faudra retenir, mais ce n'est pas le lieu pour se lier à l'avance. Cela serait faire le jeu, évidemment, de l'Opposition. Personne ne s'y trompe.

Maintenant, je reviens encore sur cette conférence du mois d'août. Le chef de l'Opposition tente de dramatiser, tente de démontrer que le premier ministre québécois va se trouver coïncé. Il a pris l'exemple de Victoria. Il est revenu aux exemples antérieurs pour la quarantième fois. Mais il n'y a strictement aucun rapport.

La conférence du mois d'août n'est pas la conférence de Victoria. Ce n'est pas une conférence constitutionnelle. C'est une rencontre des premiers ministres provinciaux, une rencontre interprovinciale, une des rencontres régulières d'ailleurs. Ce n'est pas une rencontre spéciale et, à toutes ces rencontres... Tiens, il y en a une au mois de juin et c'est surtout la question des arrangements fiscaux qui sera discutée. Il y en aura une au mois d'août et ce sera la question constitutionnelle.

A ce moment, le premier ministre québécois ne se liera pas. Tout ce qu'il pourra faire est de prendre acte des positions des différentes provinces, de faire part de la position québécoise et il a dit que c'est à ce moment que cette position serait rendue publique, au terme, autrement dit, d'un processus. Alors, je ne voudrais quand même pas qu'on vienne confondre tout.

M. Morin: II est clair que cette simple possibilité d'une commission parlementaire ne saurait rassurer l'Opposition et, puisque je ne peux pas avoir l'assurance du ministre que cette commission parlementaire se réunira avant que le premier ministre ne se rende à cette conférence, je dois continuer à entretenir le ministre, ce matin, de ces questions.

M. Cloutier: Allez. Allez.

M. Morin: II me dit que cela ne sera pas une conférence constitutionnelle. Il va sans doute me dire que c'est une conférence à laquelle il sera question de la constitution, ce qui revient quelque peu au même, il devra l'admettre,

Alors, je vais tenter d'obtenir une clarification de l'expression "garanties culturelles". Je laisse de côté beaucoup de questions techniques que j'avais à poser là-dessus parce que je me rends compte que le ministre n'y répondra pas, mais je veux au moins avoir une ou deux réponses de principe.

Lorsqu'on parle de garanties culturelles, le gouvernement entend-il obtenir ces garanties seulement pour le Québec ou bien entend-il obtenir des garanties dites culturelles pour les francophones qui vivent hors du Québec, par exemple en Acadie, en Ontario ou encore dans l'Ouest canadien?

M. Cloutier: Même réponse, M. le Président, et j'ajoute que la conférence du mois d'août n'est pas une conférence constitutionnelle. Je ne voudrais quand même pas que le chef de l'Opposition apporte cette confusion. Je ne peux croire qu'il le fasse parce qu'il est mal renseigné. Une conférence constitutionnelle, c'est une conférence ana- logue à celle de Victoria où se sont rencontrés les premiers ministres des provinces et le premier ministre du gouvernement central, chacun ayant un mandat de la part de leur gouvernement pour présenter un certain nombre de thèses. Il n'y a pas eu accord. La conférence du mois d'août est une conférence régulière des premiers ministres provinciaux où ceux-ci se sont entendus pour discuter de la constitution, non pas pour régler le problème de la constitution, mais pour en discuter, pour faire connaître leur point de vue respectif. Lors de la conférence antérieure de l'année suivante, août 1975, les premiers ministres avaient confié au premier ministre de Terre-Neuve le mandat d'explorer, avec ses collègues des autres provinces, quelles pourraient être les positions des provinces et ceci a été fait récemment, en particulier à la suite de cette conférence de Toronto où les ministres chargés du dossier se sont rencontrés et feront des recommandations. Ce n'est donc pas la même chose et il est faux de prétendre que la conférence du mois d'août liera le Québec.

M. Morin: M. le Président, la raison pour laquelle j'ai posé cette question, c'est que, depuis hier soir, chaque fois que j'interroge le ministre sur une position du gouvernement du Québec dans ce dossier, il me répond: Vous le saurez au moment de la conférence du mois d'août 1976. Vous serez pleinement renseigné à ce moment-là. Evidemment, il va être question du domaine constitutionnel à cette conférence. Qu'on joue sur les mots, qu'on appelle cela une conférence constitutionnelle ou que cela n'en soit pas une, il y sera question du domaine constitutionnel et les positions provinciales seront débattues. Donc, c'est fort important. Le ministre nous a dit de surcroit qu'à ce moment-là nous serions au courant de ce qui se passe dans ce dossier, nous serions mis au courant des positions québécoises. Bien. C'est la raison pour laquelle, avant même que cette conférence interprovinciale ne se réunisse — et on ne peut pas soutenir que l'avenir du Québec ne sera pas débattu à cette conférence — je demande au ministre de m'assurer qu'il y aura une commission parlementaire au cours de laquelle nous débattrons des positions que le Québec entend défendre à cette conférence interprovinciale.

M. Cloutier: Un gouvernement responsable est un gouvernement qui reste maître de sa stratégie. C'est une possibilité qui a été évoquée. Il est impensable que je dise aujourd'hui qu'il y aura une commission parlementaire. Si nous jugeons à propos de le faire, nous le ferons, c'est là ma réponse.

M. Morin: M. le Président, je n'ai pas d'autre choix, comme je sais très bien que cela signifie qu'à toutes fins pratiques il n'y en aura pas...

M. Cloutier: Pardon. Là, je ne vois pas comment le chef de l'Opposition peut venir à cette conclusion.

M. Morin: Dans les faits...

M. Cloutier: Les deux possibilités existent et seront considérées très sérieusement dans le meilleur intérêt de l'évolution du dossier et des Québécois.

M. Morin: Je ne saurais me satisfaire d'une simple possibilité. C'est trop aléatoire et je me vois contraint, même si je constate que le ministre n'a pas l'intention d'apporter des réponses à mes questions, de lui en poser d'autrres. Je regrette, M. le Président, cela prendra le temps que cela prendra, mais...

M. Cloutier: C'est votre temps. Cela ne nous gène en rien, mais on ne parlera pas d'autre chose, c'est tout.

M. Morin: Nous allons faire le tour du dossier systématiquement.

M. le Président, dans sa lettre, M. Trudeau — toujours la lettre du 31 mars 1976 — nous fait part d'une certaine impasse dans laquelle se trouve les délibérations entre le Québec et le gouvernement fédéral. Il dit ceci: "M. Bourassa m'a dit, lors de notre conversation du 5 mars — c'est la fameuse conversation des hot dogs — que ce qu'il considère, iui, nécessaire pourrait aller bien plus loin que ce que nous considérions, nous, comme nos objectifs pour cette année. "

Je crois que le ministre a lu d'ailleurs ce passage tout à l'heure. Et il continue: "A son avis, cela pourrait concerner en partie le partage des pouvoirs. Je l'ai informé que le gouvernement du Canada, pour sa part, estime qu'il ne peut pas aller pour le moment au-delà des garanties constitutionnelles mentionnées dans le document et qu'il pourrait au demeurant déjà trouver difficiles à accepter." Voilà donc la situation.

Au moment où le projet de proclamation a été élaboré, avant novembre 1975, il semble que le Québec avait, clairement ou non, donné un certain assentiment, c'est ce que la lettre de M. Trudeau laisse entrevoir, au texte des articles 38 et 40. Le 5 mars, à la suite des révélations du ministre, le 4 février, et du débat qui a eu lieu dans la presse, le 5 mars, M. Bourassa a retraité par rapport au projet de proclamation. Il a dit: il faut sans doute qu'on aille plus loin, il y a le partage des pouvoirs, tout ça. Or, il semble bien, d'après ce que dit M. Trudeau dans cette lettre, et qu'il a confirmé d'ailleurs par sa sortie du 6 mars, la fameuse sortie et l'ultimatum qu'elle comportait, il semble bien que nous soyons devant une impasse totale. Ecoutez bien, je répète, ce que dit M. Trudeau: "Je l'ai informé que le gouvernement du Canada, pour sa part, estime qu'il ne peut pas aller pour le moment au-delà des garanties constitutionnelles mentionnées dans le document, c'est-à-dire les articles 38 et 40. '

J'aimerais demander au ministre comment il pense pouvoir sortir les négociations de l'impasse dans laquelle elles se trouvent, au jugement de M. Trudeau.

M. Cloutier: D'abord, je ne vois pas là d'impasse. Il s'agit de deux prises de position. Comment voulez-vous discuter à moins d'avoir comme point de départ des prises de position? Il y a une prise de position fédérale, il y a une prise de position québécoise. Il faudra y ajouter très certainement les prises de position des autres provinces, lesquelles peuvent ne pas s'éloigner beaucoup, pour certaines d'entre elles du moins, des prises de position québécoises.

Voilà la situation et c'est pour ça que nous allons discuter.

M. Morin: Je trouve le vocabulaire du ministre quelque peu flou. Quand deux positions sont irréconciliables, on parle généralement d'une impasse.

M. Cloutier: Qu'est-ce que vous voyez d'irréconciliable là-dedans? Ce sont des prises de position qui peuvent fonder une discussion. Voulez-vous qu'on relise encore? Et je vous fais remarquer que ceci...

M. Morin: Relisons le passage.

M. Cloutier: ... réfute l'accusation que vous aviez portée contre le premier ministre, que j'ai d'ailleurs cité moi-même ce passage de mon argumentation. Vous y revenez, je m'en vois très heureux. Ceci montre bien que M. Bourassa a dit clairement qu'il n'était pas satisfait du texte de la proclamation et qu'il considérait qu'on devait aller plus loin.

M. Morin: Le 5 mars.

M. Cloutier: Alors, vous avez quoi ici? Vous avez deux prises de position qui sont toutes les deux claires, précises. Il ne reste qu'à laisser évoluer la situation. Moi, je ne parle pas d'impasse avant que les discussions aient eu lieu.

M. Morin: Deux positions claires et précises. J'en vois une qui est claire et précise, c'est la position fédérale. La vôtre, je la cherche encore.

M. Cloutier: Bon, alors, je vais vous la lire, puisque vous ne semblez pas comprendre, "qu'il considère, lui, nécessaire pourrait aller bien plus loin que nous le considérions, nous, comme nos objectifs pour cette année. A son avis, cela pourrait...

M. Morin: C'est très très précis, cela, c'est d'une clarté.

M. Cloutier: ... concerner, en partie, le partage des pouvoirs. Je l'ai informé — cela, c'est le point de vue québécois — que le gouvernement du Canada, pour sa part, estime qu'il ne peut pas aller pour le moment au-delà des garanties constitutionnelles mentionnées dans le document et qu'il pourrait, au demeurant, déjà trouver difficiles à accepter." Vous avez donc deux points de vue. C'est de ça dont nous parlons en ce moment.

M. Morin: C'est ce que je constate, c'est ça dont on parle. La position fédérale, c'est rien au-delà des articles 38 et 40. C'est clair. La position québécoise, qui a évolué d'ailleurs, parce que nous parlons bien du 5 mars 1976 et non pas de novembre 1975 ou d'une date antérieure, la position québécoise, pourrait, remarquez bien le conditionnel, aller bien plus loin que ce que nous considérions, nous, comme nos objectifs pour cette année. A l'avis de M. Bourassa, cela pourrait concerner en partie le partage des pouvoirs. Que cela est clair et translucide!

M. Cloutier: Je prends le même ton pour discuter de la position fédérale. Le gouvernement du Canada estime — je ne peux pas imiter le chef de l'Opposition malheureusement — qu'il ne peut pas aller plus loin, il estime qu'il ne peut pas aller plus loin pour le moment.

Alors, il me semble que nous sommes en présence de deux positions — ces positions ne sont pas d'emblée irréconciliables — que toute négociation, dans tous les domaines, se passe de cette façon. Je crois que c'est le manque d'expérience du chef de l'Opposition, en ce qui concerne les négociations, qui doit l'amènera prendre l'attitude qu'il prend actuellement. Je ne vois pas d'autre explication.

M. Morin: M. le Président, la preuve que nous sommes dans une impasse, on pourrait la trouver non seulement dans les attitudes antérieures de M. Trudeau, ce ne serait pas difficile, mais on la trouve dans la lettre même qu'il envoyait à ses "monologues" provinciaux le 31 mars, évoquant la possibilité que l'entente ne pourrait intervenir entre Québec et Ottawa.

Le premier ministre du Canada écrit ceci. Cela se trouve à la page 11 du fac-similé de la lettre confidentielle adressée par M. Trudeau à M. Bourassa, et je cite: "Si l'unanimité ne semble pouvoir se faire, force sera au gouvernement fédéral de décider, s'il doit ou non: recommander au Parlement l'adoption d'une adresse commune, sollicitant le rapatriement l'AANB. Nous devrons alors arrêter ce qu'il faudra ajouter à ce geste". J'imagine que, par cette menace, il entend qu'au rapatriement, il pourrait bien ajouter une formule d'amendement. Ajouter à ce geste, cela ne peut pas vouloir dire autre chose.

Et il continue: "Nous inclinons, quant à nous, à penser qu'il conviendrait à tout le moins, d'adjoindre la formule d'amendement approuvée par l'ensemble des provinces à Victoria". C'est la deuxième option, n'est-ce pas? "Avec ou sans changement en ce qui concerne les provinces de l'Ouest, sous réserve des conditions exposées ci-dessus".

Donc, nous sommes devant une menace très réelle. Elle est suspendue, pour l'instant, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du gouvernement québécois. Si on ne peut se mettre d'accord, si les positions demeurent aussi irréductibles qu'il le laissait entendre plus tôt dans sa lettre, si l'impasse demeure, le gouvernement fédéral agira unilatéralement et c'est la deuxième option, qu'il décrivait également dans sa lettre, qui prévaudra et qui sera imposée au Québec.

J'aimerais demander, si ce n'est pas là une impasse et si ce n'est pas là une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du Québec?

M. Cloutier: Pas à mon avis. Le premier ministre du Canada a fait connaître son point de vue et, soit dit en passant, il n'y a pas eu de rapatriement unilatéral depuis qu'il en a parlé.

Le gouvernement du Québec s'est clairement exprimé en disant qu'il s'opposerait à un rapatriement unilatéral. Vous trouvez une citation dans le discours inaugural. Vous avez deux prises de position. N'oubliez pas qu'il y a un autre facteur qui est extrêmement important, c'est l'attitude des autres provinces.

Vous vous souvenez qu'après cette déclaration du premier ministre du Canada, il y avait eu une espèce de consultation informelle du premier ministre québécois avec ses homologues. De plus, c'est un sujet qui a été discuté lors de la conférence de Toronto, dans ce processus normal de la négociation interprovinciale.

Je pense l'avoir dit, d'ailleurs, que mon impression, c'est que la majorité des provinces, sinon la totalité, s'opposeraient à un rapatriement unilatéral,iI faudrait que je fasse la revue des opinions qui ont été rendues publiques, mais plusieurs des premiers ministres, si je ne me trompe, ont parlé en ce sens.

Vous pouvez bien interpréter ce passage comme vous le voulez, mais, pour moi, je l'interprète uniquement comme une prise de position de quelqu'un qui a un point de vue à défendre et qui a également un objectif. Cela me paraît normal dans le cours d'une négociation; en fait, cela me paraît même nécessaire, de part et d'autre. Au moins, nous savons quelles sont les positions.

Voilà un objectif qui est désirable, le rapatriement. Je crois qu'il faut que les différents partenaires de la fédération fassent l'effort nécessaire pour tenter d'obtenir cet objectif, mais dans les conditions que j'ai décrites à maintes reprises en ce qui concerne le Québec.

M. Morin: M. le Président, j'aimerais, puisque le ministre évoque l'attitude des autres provinces, l'interroger justement sur ces attitudes. Est-ce qu'il serait possible que le ministre nous fasse part, province par province, des attitudes qui ont été rendues publiques? Je ne parle pas de celles qui sont confidentielles, je sais que là-dessus, je ne peux rien attendre du ministre. Il me semble que ces jours derniers, l'une des provinces a modifié son attitude antérieure qui en était une de réserve, pour annoncer qu'elle approuvait les projets fédéraux.

M. Cloutier: Quelle province?

M. Morin: N'est-ce pas la Colombie-Britannique qui vient de faire une déclaration à cet effet?

M. Cloutier: C'est possible, je n'ai pas vu cette déclaration. Je veux bien faire rechercher les déclarations qui ont pu être faites par différentes provinces. Vous comprendrez que, de mémoire, je ne peux pas vous le dire. Je crois que M. Davis s'est prononcé, que M. Lougheed s'est prononcé. Si je retrouve ces déclarations immédiatement, je vous les transmettrai. Sinon, je vous en donnerai l'information plus tard.

M. Morin: Ce que j'aimerais, ce sont des précisions. Je sais bien que, à tour de rôle, il y a eu des prises de position, mais j'aimerais les connaître davantage. Bien sûr, vous pouvez nous dire: Ils se sont opposé à l'unilatéralisme, mais, il semble que, depuis lors, au moins une province soit revenue là-dessus et j'aimerais, si c'était possible, si vous avez la documentation, soit que vous la déposiez devant cette commission, soit que vous nous en fassiez part dans le détail.

M. Cloutier: Non, nous pouvons certainement déposer l'information que nous avons. Il y a même eu des lettres qui ont été envoyées, je crois. Il me semble me souvenir que MM. Hatfield, Davis et Lougheed s'étaient prononcés contre le rapatriement unilatéral. Vous comprendrez que je n'ai pas l'intention de faire part, à une commission parlementaire du gouvernement du Québec, de l'attitude des autres provinces, à moins que ceci n'ait été rendu public dans les journaux.

M. Morin: Dois-je comprendre que vous ne pouvez pas... Vous venez de me dire que vous déposeriez devant la commission la documentation nécessaire.

M. Cloutier: La documentation que j'avais dans l'esprit, c'était soit une lettre du sous-ministre ou soit le texte d'extrait de la déclaration officielle, parce que nous colligeons tout ce qui est déclaré par les autres provinces et le gouvernement central dans ce domaine. C'est tout simplement une information que les journalistes doivent avoir en leur possession. Il ne peut pas être question de déposer des lettres qui viendraient des premiers ministres au premier ministre, à moins d'avoir l'accord de celui qui a écrit... Cela me paraît élémentaire.

M. Morin: Est-ce que le ministre n'aurait pas jugé opportun de tenter d'avoir cet accord avant l'étude de ses crédits? Cela aurait été tout de même utile que nous puissions en débattre.

M. Cloutier: Non, chaque premier ministre de chaque province a parfaitement le droit de rendre publique sa position, s'il le souhaite. Si celle-ci a été rendue publique et a été publiée dans la presse quelque part, nous l'avons et nous vous la produirons, mais il n'est pas question de faire autrement et de lier... Non seulement le chef de l'Opposition cherche-t-il à nous lier, il voudrait également lier les autres provinces alors que nous discutons.

M. Morin: Allons donc. Le ministre sait très bien qu'il n'en est rien. Je ne vais même pas prendre la peine de réfuter cela. Mais, il serait bon que nous sachions exactement quelle est l'attitude de chaque province, parce que, s'opposer à un acte unilatéral, c'est une chose, mais je ne suis pas sûr que cela aille beaucoup plus loin que cela.

M. Cloutier: Là encore, les autres provinces ont le même problème que le Québec. Il y a un processus d'engagé. Ces provinces se retrouveront à la conférence du mois d'août. Je pense bien que les autres provinces réagiront comme le Québec. Elles ne se sentent pas prêtes à faire autre chose que des pétitions de principe et, encore probablement, pas toutes les provinces.

C'est au mois d'août que les provinces se rencontrent, non pas dans une conférence constitutionnelle, parce qu'une conférence constitutionnelle, c'est quasiment un concept juridique. J'ai expliqué dans quel contexte on devait comprendre. Mais une conférence interprovinciale où ce sujet sera abordé, cela me paraîtrait peu probable.

M. Morin: M. le Président, est-ce que je pourrais demander au ministre de bien vouloir déposer la collection qu'il a pu faire établir par son ministère? J'imagine que vous avez colligé toutes ces déclarations publiques.

M. Cloutier: C'est ce que j'ai dit tout à l'heure. Je ne sais pas combien il y en a. Nous allons revoir nos revues de presse. C'est dans la presse. Il n'y a rien de confidentiel là-dedans. S'il y a quelque chose à déposer, nous le déposerons.

M. Morin: Est-ce que le ministre a pu constater, hier soir, que tout n'est pas dans la presse, malheureusement? A preuve, l'Opposition...

M. Cloutier: Soyons sérieux. Est-ce que vous pensez que je peux parler au nom des premiers ministres des autres provinces?

M. Morin: Non, je vous demande...

M. Cloutier: II ne faut quand même pas exagérer.

M. Morin: De là à penser que vous n'êtes pas au courant de ce qu'ils ont dit, constamment, vous excipez de leurs attitudes, comme si c'était le rempart du Québec. Vous nous dites: II faut compter avec les autres provinces. J'essaie de savoir jusqu'à quel point on peut compter avec elles. Là, vous me dites: Ah! Je ne peux pas m'engager pour elles.

M. Cloutier: C'est sûr.

M. Morin: J'aimerais savoir...

M. Cloutier: Soyez sérieux, je vous ai dit à cent reprises...

M. Morin: ...sur quel texte vous vous fondez.

M. Cloutier: Je ne me fonde sur aucun texte. Je vous ai expliqué à cent reprises qu'il y avait un processus de négociation en cours, que les premiers ministres se sont rencontrés en août 1975, qu'un mandat très précis avait été donné à ce moment au premier ministre de Terre-Neuve.

J'ai, sous les yeux, le texte du comité de la seizième conférence annuelle des premiers ministres, celle à laquelle je fais allusion. C'est cette conférence qui est suivie de la conférence du mois d'août. C'est là que les provinces aborderont à nouveau la question.

Le Québec aura une position, le premier ministre l'a dit. Je ne sais pas si les provinces auront une position ferme. Tout ce que je sais, c'est que le texte du communiqué fait état de l'accord des premiers ministres à ce moment, un accord de principe sur la nécessité, sur le fait qu'il serait souhaitable de rapatrier la constitution, que cette question devait être débattue dans le contexte d'une revue générale du partage des pouvoirs, du contrôle des ressources qui intéressent d'autres provinces, du recoupement de certains programmes, et de toute matière analogue. C'est là un communiqué qui a été rendu public. Vous avez là une position interprovinciale.

M. Morin: M. le Président, le ministre a dit il y a un instant qu'il était prêt à déposer les prises de position publiques des provinces.

M. Cloutier: Bien sûr, je vais le faire aussi.

M. Morin: Bien que je puisse de mon côté avoir certains textes, ce que je tente de savoir, c'est sur quels textes vous vous fondez en ce moment pour me dire que vous pouvez compter sur l'appui des autres provinces.

M. Cloutier: Je n'ai jamais dit que nous pouvions compter sur l'appui des autres provinces. J'ai peut-être, à l'occasion de je ne sais plus quel commentaire, signalé à une reprise ou deux qu'il y avait certaines provinces qui seraient susceptibles d'être d'accord avec le point de vue québécois. Je n'ai jamais dit, dans la phrase que vous venez de citer, que nous pouvions compter inconditionnellement sur l'appui des autres provinces.

M. Morin: Alors, quelles assurances avez-vous?

M. Cloutier: Sauf...

M. Morin: Vous invoquez constamment les autres provinces pour essayer de me rassurer.

M. Cloutier: Vous n'êtes pas sérieux.

M. Morin: J'essaie de savoir ce qu'il en est.

M. Cloutier: Vous parliez de discussions intelligentes au début. Je m'aperçois malheureusement qu'il s'agissait là d'un jeu.

M. Morin: Alors, allez-vous déposer le...

M. Cloutier: C'est sûr, je vais déposer toutes les coupures de presse qui font état des prises de position des autres provinces. Je peux répéter ce que j'ai dit, que la majorité des provinces, pour autant que je le sache, s'est opposée à un rapatriement unilatéral.

M. Morin: Justement, je vous signale, et vous ne semblez pas être au courant, que, récemment, il y a eu une prise de position, il y a deux jours à peine. Est-ce que vous pourriez commenter cette prise de position de la Colombie-Britannique?

M. Cloutier: Effectivement, la Colombie-Britannique n'avait pas pris position. Apparemment, elle vient de le faire. M. Bennett était absent au moment de cette consultation impromptue.

M. Morin: Pourriez-vous commenter cette prise de position?

M. Cloutier: Non, je ne commente pas les prises de position d'autres provinces actuellement, précisément, parce qu'il y a un processus qui est en cours, et je crois que ce serait indélicat de le faire.

M. Morin: Est-ce que vous ne croyez pas que la prise de position de M. Bennett est de nature à saper quelque peu l'appui que vous pensez obtenir des autres provinces? Est-ce que vous ne savez pas, de par l'expérience, que les objectifs fondamentaux des provinces à majorité anglophone, que les aspirations de ces provinces sont complètement différentes de celles du Québec et qu'on n'a pas pu compter sur elles au moment de la charte de Victoria, qu'on n'a pas pu compter sur elles au moment de la Fulton-Favreau, et que je ne sache pas qu'on puisse davantage compter sur elles, si jamais le pouvoir fédéral se décide à procéder unilatéralement?

M. Cloutier: Ce serait possible, Nous verrons.

M. Morin: Alors, vous ne le savez vraiment pas.

M. Cloutier: Nous nous rencontrerons probablement à nouveau, les ministres chargés du dossier. Il y a cette conférence du mois d'août, c'est à ce moment que nous verrons. La Colombie-Britannique est parfaitement libre de prendre la position qu'elle veut. Il suffira de décider comment nous nous situons vis-à-vis de l'éventail des opinions.

M. Morin: Oui.

M. Cloutier: Je n'ai jamais dit que nous avions l'appui unanime de toutes les provinces dans toutes nos revendications sur tous les points.

M. Morin: M. le Président, est-ce que je pourrais demander au ministre de déposer les documents auxquels il a fait allusion avant que nous ne levions la séance, à 13 heures?

M. Cloutier: Ce n'est pas possible, uniquement pour des raisons techniques. Il s'agit de "coupures".

M. Morin: Alors, cet après-midi peut-être?

M. Cloutier: J'imagine que oui. J'ai demandé aux fonctionnaires de s'en occuper. On va vous réunir tout cela. Il doit y avoir trois ou quatre déclarations. J'ai cité les prises de position de MM. Davis, Lougheed et Hatfield. Il y en a peut-être d'autres. Nous allons tenter de vous apporter une...

M. Morin: Bon, je pourrais le faire sur la base des documents qui sont en ma possession, mais je préfère partir de la documentation du ministère. Comme cela, nous serons sur du solide pour procéder. Je voudrais vous demander ce que vous pensez...

M. Cloutier: Est-ce à dire que vous mettez en doute votre propre documentation?

M. Morin: Je ne sais pas si elle est complète. J'imagine...

M. Cloutier: Si j'étais vous, j'y verrais.

M. Morin: Vous êtes mieux placé que l'Opposition pour savoir à quoi vous en tenir. Hier encore, sur les questions financières, nous avons découvert que vous n'aviez pas daigné nous envoyer votre exposé.

M. Cloutier: Pardon! Pardon, par exemple! Ce document dont vous parlez a été rendu public au cours d'une conférence de presse du ministre des Finances. Le texte a été donné aux journalistes. Si vous êtes mal informé, n'en accusez pas le gouvernement.

M. Morin: J'en accuse le gouvernement, justement! C'est le genre de texte fondamental qui doit être envoyé, en particulier à l'Opposition, et pas seulement à la presse.

Il est tout de même étrange que le texte fédéral, lui, nous soit parvenu dans les délais les plus courts et que nous attendons toujours le texte du ministre des Finances. D'ailleurs, je croyais que vous alliez le... Vous m'en avez donné des extraits, je crois, hier...

M. Cloutier: Pas du tout! Je vous ai donné le texte complet de la déclaration.

M. Morin: Bon! J'ai l'intention d'y revenir cet après-midi ou par la suite; ça dépend...

M. Cloutier: Avec grand plaisir!

M. Morin:... quand on aura terminé l'étude de l'aspect constitutionnel.

Je voudrais vous demander, toujours dans le contexte des négociations et de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons sur le plan constitutionnel, si vous voudriez commenter l'attitude des autres partis fédéraux. Dans une négociation aussi difficile que celle-là, dans une situation aussi tendue, on aurait pu espérer que tous les partis fédéraux ne soient pas d'accord sur le rapatriement unilatéral, mais il semble bien, d'après les déclarations qui ont été faites aux Communes, que les autres partis soient d'accord. Vous vous trouvez donc devant un Parlement fédéral quasi unanime sur cette question. Est-ce que vous voudriez commenter les prises de position des partis fédéraux? J'imagine que, là aussi, vous avez une collection de textes, puisque votre ministère doit vous tenir parfaitement informé du développement de ces faits. Pourriez-vous les commenter et, au besoin aussi, ajouter cela au dépôt de documents que vous pourriez faire cet après-midi?

M. Cloutier: Quels commentaires voulez-vous que je fasse? Je prends acte de ces prises de position. Il ne peut pas y avoir d'autres commentaires. Il y a des prises de position du gouvernement fédéral. Il y a des prises de position de certains partis fédéraux. Il y a des prises de position de certaines provinces. Nous en prenons acte, c'est tout. Il semble bien, en effet, que les prises de position des partis fédéraux ne soient pas contre un rapatriement unilatéral et il semble bien que les prises de position de la majorité des provinces soient contre un rapatriement unilatéral. Alors, voilà, le jeu est fait, et c'est de ça que nous allons discuter.

M. Morin: C'est de cela que nous devrions discuter, mais que nous ne discutons pas, de fait, parce que tout ce que vous faites, c'est prendre acte. Moi, je vous demande de prendre position, pas de prendre acte. Mais il est impossible de...

M. Cloutier: Quelle position imaginez-vous qu'on puisse prendre vis-à-vis de ça? Les règles du jeu sont définies. Nous savons à quoi nous en tenir. Nous en discutons.

M. Morin: Bon, bien, je vais être clair! Supposons que le gouvernement fédéral décide, avec l'appui de tous les partis politiques fédéraux, de procéder unilatéralement, qu'allez-vous faire à ce moment-là?

M. Cloutier: C'est une hypothèse, et je refuse ce genre de dialectique...

M. Malouin: Les provinces ensemble...

M. Cloutier: Nous verrons en temps et lieu, mais ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est qu'il y a une dynamique dans cette situation. Vous avez, d'une part, des prises de position du gouvernement central et des partis fédéraux, mais vous avez, d'autre part, une immense majorité des provinces qui, semble-t-il, officiellement, s'y sont opposées. Vous l'avez, votre dynamique, là. Nous verrons quelle situation... Mais comment voulez-vous que je vous dise ce que nous allons faire

dans une hypothèse qui est loin d'être sûre de se faire? Qui vous dit, vous, qu'il y aura rapatriement unilatéral? N'y a-t-il pas eu, à un moment donné, lors d'un fameux discours, une allusion au fait que ce rapatriement se ferait après un certain délai? Est-ce qu'il s'est fait? Alors, vous n'avez strictement aucune base autre qua celle de semer de la confusion dans l'opinion publique pour prétendre que ceci va se faire. C'est une hypothèse, et nous sommes contre un acte de cet ordre.

Je refuse de me prêter au jeu qui consisterait à dire ce que nous allons faire si, par hasard, ça se fait. Je négocie de bonne foi et je pense qu'il faut tenir compte de nos partenaires, et il faut tenter de trouver une solution qui serait dans l'intérêt général.

M. Morin: La base sur laquelle je me fonde pour poser ces questions et pour redouter le pire, c'est l'histoire des dernières années et c'est le tempérament et les attitudes de deux hommes que je connais assez bien, dont je connais assez bien le tempérament et les opinions dans ce dossier constitutionnel, et qui sont le premier ministre du Canada et le premier ministre du Québec. Entre les deux, je sais très bien laquelle des volontés risque de prévaloir si les attitudes du Québec ne sont pas claires d'avance. Je sais très bien qui va prévaloir.

Entre le roc, le pot de fer et le pot de terre, en général, ce n'est pas le pot de fer qui brise.

M. Cloutier: Allons. Allons.

M. Morin: Le ministre le sait comme moi.

M. Cloutier: Tout cela me paraît personnaliser singulièrement des problèmes qui ne devraient pas l'être.

M. Morin: Eh bien...

M. Cloutier: Faites donc un peu plus de politique et un peu moins de personnalité...

M. Morin: ... je dois dire...

M. Cloutier: ... et un peu moins de psychologie. Vous n'êtes pas particulièrement doué.

M. Morin: ... que les 5 et 6 avril, le problème était rudement personnalisé.

M. Cloutier: Par des hommes politiques? Peut-être.

M. Morin: C'est de cela que je vous parle. M. Cloutier: Je crois...

M. Morin: Alors, ne venez pas me dire que le problème n'était pas personnalisé.

M. Cloutier: Quant à moi, je n'ai pas l'intention de le faire. C'est tout ce que je veux dire. Faites-le, si vous voulez.

M. Morin: Le ministre, qui pourtant connaît la psychologie...

M. Cloutier: Pour moi, il y a un dossier...

M. Morin: ... veut-il nier que les tempéraments des hommes sont un élément négligeable dans ce dossier et qu'ils n'entrent pas en ligne de compte?

M. Cloutier: Non. C'est précisément parce que je connais la psychologie que je vous écoute avec patience depuis deux jours.

M. Morin: Oui. Je pense que le ministre n'a pas la moitié de la patience dont je fais preuve. Me faire répondre constamment qu'il n'y aura pas de réponse. La seule chose claire est qu'il n'y aura pas de réponse et que ce n'est pas clair.

M. Cloutier: Absolument faux et je ne peux pas laisser passer cela. Voulez-vous que je recommence?

M. Morin: Recommencez, mais tâchez de me répondre cette fois-ci.

M. Cloutier: Je vais vous répondre exactement de la même façon.

M. Morin: Nous sommes devant une série de questions qui sont demeurées sans réponse.

M. Cloutier: Je vais vous répondre qu'il y a eu des principes d'établis, très clairement, dans des déclarations on ne peut plus officielles de la part du gouvernement du Québec, qu'il y a un processus en cours qui implique les provinces, qu'il y a des prises de position tant du côté québécois que du côté fédéral, que par conséquent, nous savons à quoi nous en tenir pour une discussion à venir.

J'ajoute que je n'ai pas du tout l'intention de me prêter au jeu qui consisterait à faire des déclarations au nom du gouvernement sur chaque point précis d'un projet de déclarations. Je ne vois pas ce qu'il vous faudrait de plus.

Je comprends que vous ne puissiez pas être satisfait. Vous ne pouvez l'être satisfait. Vous ne le serez jamais parce que votre objectif est ailleurs. Aucun arrangement constitutionnel ne vous donnera satisfaction, de même qu'aucune loi linguistique ne pouvait vous donner satisfaction.

M. Morin: Je regrette...

M. Cloutier: Pour la même raison, vous êtes contre...

M. Morin: ...mais le ministre...

M. Cloutier: ...de façon systématique parce que vous êtes contre cet arrangement politique et administratif...

M. Tardif: L'étemelle frustration!

M. Cloutier: ...qu'est le fédéralisme. Je ne

vous blâme pas. C'est là une option légitime. Vous êtes d'ailleurs l'Opposition officielle, mais je prends acte du fait que nous nous éloignons, et, par définition, nous ne pouvons pas converger. Aucun arrangement, serait-il le plus favorable pour le Québec, n'est susceptible de vous donner satisfaction.

M. Morin: II est évident que sous l'empire du gouvernement actuel, nous n'obtiendrons jamais satisfaction. Je rappelle au ministre puisqu'il a invoqué le bill 22 que nous avions, effectivement, déposé un projet très précis en réponse à celui du gouvernement.

M. Cloutier: Très critiqué par vos troupes, soit dit en passant.

M. Morin: Je ne vois pas où le ministre prend cela.

M. Cloutier: II y a eu un livre publié par... M. Morin: Ah oui!

M. Cloutier: ...un péquiste notoire... M. Morin: Oui. Est-ce que...

M. Cloutier: ... qui démolissait votre projet, qu'il considérait trop semblable au nôtre.

M. Morin: Est-ce que le ministre s'illusionne au point de croire que cela réflétait vraiment l'opinion des Québécois qui partagent nos aspirations et partagent notre programme? Je pense qu'il s'illusionne.

M. Cloutier: La loi 22 est l'affirmation la plus importante que notre collectivité ait faite.

M. Morin: Oui.

M. Cloutier: J'ai l'impression que le président va m'arrêter avant que je n'aille plus loin parce que cela n'est pas très pertinent au débat actuel.

M. Morin: Oui, en effet, et j'ai l'impression que les faits démentent chaque jour cette affirmation. Mais de toute façon...

M. Cloutier: Au contraire et ne m'obligez pas à dire... Et je sais pertinemment qu'il y a dans votre parti un bon nombre de vos partisans qui se réjouissent, sans le dire officiellement, de ce que le gouvernement a fait. Et d'ailleurs, la façon dont les problèmes se sont réglés ou dont les choses sont tombées en place en est la meilleure démonstration.

M. Morin: Vous nous dites constamment: Ne m'obligez pas à dire ceci ou cela, mais c'est ce que je tente depuis le début.

M. Cloutier: ... conversation personnelle.

M. Morin: Si vous avez des choses à dire, dites-les Seigneur! Surtout dans le domaine constitutionnel, il serait bon que nous sachions où nous allons; mais je vais poser des questions au ministre sur un autre aspect du dossier.

Nous avons appris par une dépêche de la Presse canadienne que le gouvernement britannique se posait des questions sur...

Ecoutez. Si ces messieurs ont des engagements, je n'ai pas d'objection, mais je vais poser une dernière question et le ministre pourra y répondre cet après-midi. Je lui donne avis, en quelque sorte, de la question que j'entends poser.

M. Cloutier: Je peux répondre tout de suite si cela prend trente secondes. Je vais répondre tout de suite pour vous éviter d'attendre.

M. Morin: Cela m'étonnerait que vous me donniez satisfaction en 30 secondes.

M. Cloutier: Moi aussi, cela m'étonnerait beaucoup.

M. Morin: C'est pourquoi je vous pose tout de même la question. Avez-vous pris connaissance de la déclaration du gouvernement britannique ou d'un fonctionnaire britannique, parlant, selon la dépêche de la Presse canadienne, au nom du gouvernement de Sa Majesté, à l'effet que celui-ci ne pourrait procéder à entériner un acte unilatéral du gouvernement fédéral, si les provinces n'étaient pas d'accord.

M. Cloutier: C'est très simple. Ce fonctionnaire ne parlait pas au nom de son gouvernement. Ce sont les informations que j'ai. Un fonctionnaire peut toujours parler.

M. Morin: Le ministre est-il allé aux nouvelles et a-t-il tenté de vérifier l'authenticité de la dépêche?

M. Cloutier: J'ai effectivement eu une conversation avec quelqu'un en autorité dans le gouvernement britannique et on m'a dit que ce fonctionnaire ne parlait pas au nom de son gouvernement. D'ailleurs les fonctionnaires ne parlent pas, en général, au nom du gouvernement, à moins qu'ils aient été mandatés de façon particulière, ce qui n'était pas le cas.

M. Morin: Le ministre ne regrette-t-il pas que cette déclaration n'ait pas eu un caractère officiel? N'était-elle pas de nature à consolider les positions québécoises?

M. Cloutier: Je ne vois pas de difficultés. Le processus est en cause et si nous avons besoin, dans une situation, de faire un certain travail diplomatique, nous le ferons en temps et lieu. Pour moi, ce n'est pas un élément important du dossier.

M. Morin: Non? Pourtant c'est Londres qui va trancher la question en dernier ressort.

M. Cloutier: Londres ne tranchera rien. Vous êtes juriste, vous devriez parfaitement savoir que Londres n'a pas tranché la question. Tout ce que Londres aura a faire c'est d'accepter la demande canadienne.

M. Morin: Ah, bon! Nous entrons dans une discussion intéressante. Je vois que ces messieurs... Pour une fois, le ministre a déclaré quelque chose d'important!

Le Président (M. Gratton): Alors, célébrons cela en ajournant.

M. Morin: Je veux bien ajourner pour que le ministre ait le temps d'y réfléchir.

Le Président (M. Gratton): Alors, messieurs, la commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance: 12 h 33)

Document(s) associé(s) à la séance