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Version finale

31e législature, 3e session
(21 février 1978 au 20 février 1979)

Le mercredi 22 mars 1978 - Vol. 20 N° 14

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 70 - Loi constituant la Société nationale de l'amiante


Journal des débats

 

Etude du projet de loi no 70

Loi constituant la Société

nationale de l'amiante

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît. Les membres de la commission des richesses naturelles pour la présente séance sont: MM. Bérubé (Matane), Bordeleau (Abitibi-Est), Brochu (Richmond), Forget (Saint-Laurent , Grégoire (Frontenac), Laplante (Bourassa), Ouellette (Beauce-Nord), Rancourt (Saint-François) et Raynauld (Outremont).

Les intervenants sont: MM. Fontaine (Nicolet-Yamaska), Godin (Mercjer), Ciaccia (Mont-Royal) en remplacement de M. Garneau (Jean-Talon), MM. Landry (Fabre), Lalonde (Marguerite-Bourgeoys) en remplacement de M. Larivière (Pontiac-Témiscamingue), MM. Léger (Lafontaine), Lévesque (Kamouraska-Témiscouata), Paquette (Rosemont), Roy (Beauce-Sud), Samson (Rouyn-Noranda).

J'inviterais maintenant le Syndicat des travailleurs de l'amiante "CSN" et son ou ses représentants à venir à la tribune, s'il vous plaît. Les trois autres groupes invités pour cette journée seront successivement le Comité des mines de Thetford Mines, SORES Inc. et l'Association des mines d'amiante du Québec.

Je remercie tous les organismes d'avoir accepté l'invitation de la commission parlementaire, tout en vous indiquant, très brièvement, que nous ne sommes pas dans le cadre d'une commission qui entend des mémoires après la première lecture, mais, au contraire, une commission qui a comme mandat bien précis d'étudier, article par article, le projet de loi no 70. Cependant, compte tenu de ce projet de loi, une motion a été présentée et adoptée unanimement pour entendre six organismes ayant oeuvré dans le domaine de l'amiante. C'est pour cela que des règles très précises ont été fixées, en ce sens qu'on demande d'abord à l'organisme ou à ses représentants de présenter un court exposé au début et, par la suite, il y aura une période de questions de la part des différentes personnes présentes ici, membres de la commission, à nos invités.

En dernier lieu, j'aimerais dire qu'il n'est pas question du tout de reprendre ici le principe du projet de loi qui a été adopté en deuxième lecture. Là-dessus, je demanderais au représentant du syndicat de bien vouloir se présenter et de nous présenter ses collègues, s'il vous plaît.

Syndicat des travailleurs de la société Asbestos Ltée (CSN)

M. Couture (Normand): Merci, M. le Président. Au départ, c'est avec plaisir que le syndicat des travailleurs de la société Asbestos Limitée, affiliée à la CSN, a accepté l'invitation du gouvernement pour être entendu devant cette commission parlementaire.

Mon nom est Normand Couture, vice-président du syndicat. Les personnes qui m'accompagnent sont: M. Jean-Robert Simoneau, Jean-Pierre Gourde, Michel Perron, officier du même syndicat, ainsi que M. André L'Heureux, vice-président de la CSN; Kemal Wassef, directeur du service de recherche et M. Michel Rioux, directeur du service de l'information. Notre président est présentement en congé et notre négociateur de la fédération a été convoqué pour une séance de négociation par le syndicat dont je suis membre, mais pour les employés de bureau. Il est en négociation au moment où on se parle.

C'est la première fois que je me présente devant une commission parlementaire. Je vais essayer de vous faire comprendre ce que peut penser un mineur, plus précisément un opérateur de pelle mécanique à la mine British Canadian de Black Lake, propriété de l'Asbestos Corporation, du projet gouvernemental de nationalisation de l'amiante.

On est heureux d'apprendre qu'un gouvernement a décidé de s'occuper des mines d'amiante. Nous, les travailleurs, sommes d'accord sur la nationalisation des mines d'amiante, mais pas à n'importe quel prix.

Cette position ne date pas d'aujourd'hui et elle n'est pas le fait du comité exécutif seul. C'est en octobre 1975 que les membres de notre syndicat, en assemblée générale, ont voté leur accord pour la nationalisation des mines d'amiante. Depuis de nombreuses années, nos mines sont exploitées par des sociétés étrangères qui en profitent pour transformer cette ressource naturelle à l'extérieur. Nous croyons que cela a assez dure.

Qu'un gouvernement se dise prêt à changer le cours des choses, nous sommes d'accord sur cette intention, mais, encore une fois, pas à n'importe quel prix. Nous savons que les gouvernements ont tendance, quand ils ouvrent leur portefeuille, à le faire très généreusement. Nous ne sommes pas d'accord sur ce fonctionnement.

L'Asbestos Corporation est un exemple frappant d'une compagnie où ce sont les travailleurs qui paient et continueront de payer de leur vie la négligence d'une compagnie. Il ne faut jamais oublier qui est l'Asbestos Corporation, son vrai visage. Il s'agit là d'une société qui connaît fort bien l'état d'abandon de ses mines à Thetford, mais que faire? Quand même investir ailleurs des millions de dollars, entre autres, en Ungava et en Allemagne...

Pendant ce temps, les travailleurs de Thetford continuent de payer de leur vie le droit de travailler dans les mines d'amiante de l'Asbestos Corporation.

La nationalisation de cette compagnie est non seulement nécessaire, elle est essentielle, mais cette nationalisation ne doit pas se faire à n'importe quel prix.

Pour expliquer plus en détail la position de notre syndicat, secteur des mines, la Fédération de la métallurgie de la CSN et de notre centrale, je vais passer la parole à M. André L'Heureux. Après

son intervention, je voudrais, très brièvement, vous exposer l'état des négociations à l'heure actuelle. M. L'Heureux, s'il vous plaît.

M. L'Heureux (André): Merci. M. le Président, dès le 11 novembre, lorsque le gouvernement a annoncé l'intention de nationaliser une partie des mines d'amiante du Québec, la CSN et le secteur amiante de la Fédération de la métallurgie affiliée à la CSN se sont immédiatement prononcés.

Selon nous, le bilan d'une centaine d'années d'exploitation des mines d'amiante du Québec par les compagnies privées est très sombre: aucune transformation locale, dégradation de la santé des mineurs et de la population environnante, pollution de l'environnement, insérurité chronique d'emploi.

C'est en fonction de ce bilan que la CSN et le secteur des mines de la Fédération de la métallurgie ont analysé le projet d'intervention gouvernementale dans l'industrie de l'amiante, à savoir l'achat ou la nationalisation de la compagnie Asbestos Corporation, la création d'une Société nationale de l'amiante, la création d'un centre de recherche et de développement sur l'amiante, la conclusion d'ententes avec d'autres sociétés productrices d'amiante afin de développer des programmes de transformation et de recherche au Québec.

Depuis le début de l'industrie de l'amiante, à la fin du XIXe siècle, pas moins de cent compagnies se sont formées pour exploiter les gisements du Québec et environ cinquante mines ont été exploitées.

Le manque de débouchés locaux, de même que la nécessité de capitaux importants pour assurer une exploitation rentable et un approvisionnement stable ont amené les petites compagnies à se vendre aux plus grosses.

Le mouvement de concentration s'est accéléré à partir de l'entre-deux-guerres, de sorte qu'aujourd'hui, il ne reste que cinq compagnies productrices d'amiante, qui sont toutes des filiales de sociétés étrangères: à Thetford, l'Asbestos Corporation et Bell Asbestos; à East Broughton, Carey Canadian Mines; à Black Lake, Lake Asbestos; à Asbestos, Johns-Manville.

Les effets de la mainmise étrangère. Cette mainmise étrangère sur l'exploitation de nos mines d'amiante a eu pour conséquence que l'industrie de la transformation, de même que la technologie liée à l'exploitation et aux applications de l'amiante se sont développées en dehors du Québec. Ainsi, la Johns-Manville n'emploie que 2700 travailleurs au Québec, pour l'extraction et la phase finale du minerai à la mine Jeffrey d'Asbes-tos, pendant qu'elle en emploie 18 000 aux Etats-Unis pour la production d'isolants, de matériaux de construction, de tuyauterie et d'autres produits industriels. C'est la même situation dans les autres compagnies.

Notons que, pour favoriser un développement industriel en dehors du Québec, le contrôle étranger nous a imposé un prix de l'amiante plus bas que la valeur commerciale de cette ressource, car les sociétés mères achètent la production de leurs filiales québécoises, en ne payant que les coûts de production. Cette pratique équivaut à priver l'économie québécoise d'une partie importante de la valeur de l'amiante, qui, au lieu d'être utilisé ici au développement de la transformation, de la technologie, de la recherche, est utilisé pour les fins des compagnies-mères. Cette pratique nous prive également de l'impôt qui devrait être perçu sur la valeur totale de l'amiante, car on sait qu'elles ne paient pas beaucoup d'impôt.

Au sous-développement économique engendré par l'exploitation privée de nos mines d'amiante, il faut ajouter les coûts sociaux quasi incalculables découlant de la dégradation de la santé des mineurs et de la population environnante, de même que la pollution de l'environnement.

L'avenir de l'amiante. Même si, partout dans le monde, les perspectives de l'industrie de l'amiante ont été assombries par les découvertes des dernières années relativement au danger pour la santé, il est certain que l'humanité en a encore pour un bon nombre d'années à vivre avec ce matériau, considérant la multiplicité de ses usages et la difficulté de lui trouver des substituts. Mais, contrairement à ce qu'il en est pour d'autres matériaux de l'ère industrielle, la connaissance scientifique des dangers de l'amiante est relativement avancée. Cette connaissance est, pour les travailleurs, un point d'appui important dans leur lutte pour obtenir l'élimination des dangers à la source.

Depuis quelques années, le rythme d'augmentation de la consommation mondiale d'amiante diminue. En effet, jusqu'à présent, les seuls usagers de l'amiante étaient les pays fortement industrialisés qui utilisent 70% de l'amiante chrysotile pour la fabrication d'amiante-ciment. Or, il est normal que, dans les régions développées du monde où la construction a déjà atteint un certain niveau, on fasse un usage plus limité d'un tel matériau. Par contre, on prévoit que les pays en voie de développement feront un usage relativement élevé des produits d'amiante-ciment d'ici la fin du siècle. D'ailleurs, l'URSS, qui est le principal fournisseur de l'amiante au monde, le Québec étant le second, a entrepris d'augmenter sa capacité de production, notamment en construisant une nouvelle usine d'une capacité de 500 000 tonnes d'ici 1980.

Un choix stratégique par le gouvernement. Le gouvernement fait un choix stratégique en décidant d'acheter Asbestos Corporation. C'est un bon choix. En effet, cette compagnie possède les droits de propriété et les droits miniers de presque l'ensemble de la région "amiantissère" de Thetford. On estime ses droits à 33 000 acres. Les autres compagnies, soit Lake Asbestos, Bell Asbestos et Carey Canadian Mines, qui ne possèdent pas de tels privilèges, sont obligées de conclure périodiquement des ententes avec Asbestos Corporation et de lui verser des royautés. De plus, Asbestos Corporation possède deux concessions dans l'Ungava, l'une de 37 milles carrés et l'autre de 78 ou 79 milles carrés.

Au 31 décembre 1976, ses réserves de minerai prouvées s'établissaient comme suit — sauf que,

depuis l'annonce de la nationalisation, il semble qu'on découvre d'autres réserves— : la King Beaver, 30 millions de tonnes; la British Canadian, 53 800 000 de tonnes; Normandie, 29 millions; Asbestos Hill, 17,7 millions de tonnes; autres terrains, 13,7 millions pour un total d'environ 145 millions de tonnes.

De telles réserves prouvées classent Asbestos Corporation au premier rang des producteurs québécois de l'amiante. Lors de l'assemblée générale des actionnaires, le 2 mai dernier, le président déclarait que la compagnie avait des réserves prouvées pour encore 15 à 20 ans au rythme actuel de production. Il faut encore ajouter des réserves probables de 120 millions de tonnes et des réserves possibles de 90 millions de tonnes.

Enfin, la qualité et la diversité — cela est très important, je pense — des minerais d'Asbestos Corporation dépassent de loin, de l'avis des travailleurs eux-mêmes, la qualité et la diversité des fibres des autres mines. La compagnie peut extraire l'ensemble des variétés de fibres reconnues par la classification internationale. Cette caractéristique prend plus d'importance dans la perspective de la transformation de l'amiante au Québec, puisqu'elle élargit la gamme des produits possibles.

Le coût d'achat. Je dois dire, au départ, qu'au Conseil fédéral de la CSN, compté tenu des énormes profits qui ont été réalisés par ces compagnies, surtout qu'on sait qu'à une certaine époque on était dans une situation monopolistique dans le monde, nous estimons, évidemment peut-être pas dans le système actuel... mais si on faisait l'analyse et le calcul des profits énormes réalisés à même une ressource naturelle québécoise comme l'amiante, et à vil prix, qu'au fond, on ne devrait même indemniser aucune compagnie. Ce qui est là appartient vraiment aux Québécois. (10 h 30/

Cependant, on sait dans quel contexte on est. L'achat d'Asbestos Corporation ne peut pas se faire à n'importe quel prix, comme on le disait tantôt. Au 31 décembre 1976, le rapport financier établissait la valeur nette de la compagnie à $121 millions, mais, quant à nous, ce montant doit être réduit de ce qu'il en coûte et de ce qu'il en coûtera pour indemniser les mineurs victimes de maladies causées par l'exposition aux poussières d'amiante.

Déjà, 273 travailleurs d'Asbestos Corporation reçoivent une compensation de la Commission des accidents du travail, dont 89 en vertu de la loi 52. On sait que l'enquête du Mont Sinaï demandée par la CSN a révélé que 65% des mineurs ayant 20 ans et plus de service ont des troubles pulmonaires.

Or, il y a 705 travailleurs d'Asbestos Corporation qui ont été exposés à la poussière pendant plus de 20 ans et 345 d'entre eux ont plus de 55 ans. Dans la détermination de la valeur de la compagnie, il est donc nécessaire de prévoir un passif pour compenser les mineurs malades.

En supposant que, pour les 30 prochaines années, un groupe constant de 125 travailleurs reçoive une compensation en vertu de la loi 52 — 90% du salaire net, base actuelle de $10 000 — et que cette compensation soit indexée à raison de 7% par an, il faudrait prévoir un montant de $25 millions, environ, pour payer les prestations, en supposant que l'intérêt réalisé sur cette somme est égal à 10% par année.

Aussi, demandons-nous que le gouvernement entreprenne une étude actuarielle du financement de la compensation présente et future afin d'en déduire le montant de la valeur nette d'Asbestos Corporation.

D'autre part, il faudrait également tenir compte du coût de la pollution de l'environnement. Ceux qui connaissent la région le savent, les montagnes de rebuts, etc., le développement absolument erratique de la ville.

La réorganisation de la production. Les installations d'Asbestos Corporation à Thetford sont désuètes. L'état de l'équipement mobile, des usines de raffinage et des mines elles-mêmes fait penser à une fermeture éventuelle. Asbestos Corporation est donc placée devant la nécessité d'investir, non seulement pour éliminer la poussière, mais aussi pour réorganiser la production et cette nécessité demeurera, même après l'achat par le gouvernement.

Mais la marge d'autofinancement de l'entreprise est suffisamment élevée pour que les Québécois n'aient pas à débourser un dollar d'impôt pour ces investissements. En effet, les profits nets d'Asbestos Corporation en 1976 ont été de $20 millions et on prévoit qu'ils se maintiendront au même niveau en 1977. C'est plus que suffisant pour payer comptant les investissements nécessaires à la salubrité évalués à $17 millions par le rapport Beaudry.

Or, comme les investissements s'amortissent sur un certain nombre d'années, nul doute que les profits actuels permettent de les autofinancer. A cause de la proximité des mines dans la région de Thetford, les compagnies sont pour ainsi dire dépendantes les unes des autres. Par exemple, il serait harsardeux d'entreprendre un programme d'investissement dans une mine sans connaître les intentions des mines voisines. Nous pensons qu'il y aurait avantage à réorganiser l'ensemble de la production de ces mines voisines et, pour cette raison, nous demandons au gouvernement d'étendre la nationalisation aux autres compagnies minières de la région immédiate de Thetford.

Le développement de la région. Pour nous, dans l'immédiat, l'achat d'Asbestos Corporation par le gouvernement doit maintenir le niveau actuel de l'emploi et assurer la salubrité, mais nous réclamons aussi que la priorité soit donnée à la région de Thetford pour la transformation de la fibre. Et dans le cadre de la décentralisation administrative préconisée par le gouvernement du Québec, nous demandons que le Centre de recherche et de développement sur l'amiante, le bureau de l'amiante de même que le siège social de la Société nationale de l'amiante soient situés à Thetford. Il n'est que juste que la région qui a le plus souffert de l'amiante soit la première à bénéficier du développement économique qu'il pourrait engendrer.

En terminant, M. le Président, depuis si longtemps qu'on se fait exploiter sur le plan des ressources naturelles, tout le monde le sait, il y a eu assez d'enquêtes, on pourrait souhaiter que l'Assemblée nationale s'unisse devant le projet de libération et d'acquisition par les Québécois d'une partie de ses ressources naturelles.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. Couture, puis-je me permettre de vous suggérer de ne point parler de l'état des négociations entre votre syndicat et... Non pas que cela ne nous intéresse pas, mais je pense que c'est en dehors du projet de loi no 70.

M. Laplante: Seulement quelques mots là-dessus. Cela nous intéresse aussi de connaître quelles sont les relations patronales-ouvrières, surtout dans une mine comme celle-là, pour nous orienter nous aussi. Quelles seraient nos relations face à un syndicat si on acquérait cette mine?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Est-ce qu'il y a consentement?

M. Laplante: Je pense que cela fait partie du projet de loi.

M. Forget: ... M. le Président, si on embarque là-dedans.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Très brièvement, M. Couture. Allez-y.

M. Couture (Normand): Je n'ai pas l'intention d'entrer dans le détail des négociations comme telles.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): D'accord, très brièvement.

M. Couture (Normand): D'abord, j'aimerais vous dire qu'on n'est pas ici pour négocier; cependant, nous devons vous dire quel est le sentiment des travailleurs de Thetford. Nous ne comprenons rien à la façon que tout cela fonctionne, tant au plan de l'organisation de la production qu'à celui du déroulement des négociations. Plusieurs de nos membres pensent que c'est parce que la nationalisation de l'Asbestos est dans l'air que la compagnie négocie de cette façon. Cela ne doit pas arrêter le gouvernement dans sa volonté de reprendre en main nos ressources naturelles, mais nous pensons que cela devrait faire réfléchir le gouvernement.

Ce n'est pas nous qui l'avons inventé, nous négocions actuellement avec une compagnie qui sera nationalisée d'ici quelques mois. L'intransigeance de la compagnie nous apparaît anormale. Je suis dans les mines depuis treize ans, d'autres ici le sont depuis 1945 et ont participé à de nombreuses séances de négociation avec l'Asbestos Corporation. Cela a toujours été difficile, mais il n'y a aucune comparaison avec celle d'aujourd'hui. On pense déceler aujourd'hui la volonté de la compagnie de nous amener en grève. Le gouvernement et les députés ici présents doivent comprendre qu'on est en face d'une compagnie qui, visiblement, ne veut pas négocier de bonne foi.

Sommes-nous en présence d'une entreprise qui veut contribuer à la "déstabilisation" qu'on reconnaît dans bien des secteurs depuis un an? Nous affirmons que oui. Les travailleurs de I'Asbestos Corporation ne veulent pas être les victimes de ces grands jeux. Nos positions sont claires, nous endossons la volonté de redonner aux Québécois la jouissance de leurs richesses naturelles.

Nous sommes conscients que des décisions à New York ou à Montréal sont prises au-dessus de nos tètes. En tant que travailleurs québécois qui avons laissé nos vies et notre santé au fond des mines d amiante depuis des dizaines d années, nous exigeons justice. Nos positions ne sont pas extrémistes. Nous sommes fort conscients des enjeux qui sont en cause; mais avant que vous terminiez vos délibérations, je voudrais vous rappeler que les premières personnes concernées par toutes les décisions que vous allez prendre, ce sont les travailleurs qui doivent tous les jours, descendre dans le trou ou bien empocher des fibres d'amiante qui s'en vont, soit aux Etats-Unis, soit en Allemagne.

Nous osons croire que vous ne I oublierez pas. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci beaucoup, M. Couture. M. le ministre.

M. Bérubé: Merci M. Couture, merci MM. les représentants du syndicat. Vous avez repris dans votre mémoire un certain nombre d arguments concernant I'achat d Asbestos et en fait, I'attitude générale que devrait prendre lEtat du Québec face a I industrie minière.

Vous avez souligné: pas a n importe quel prix . C est peut-être I'aspect qui m'a vraiment frappé, en ce sens que vous insistez sur le fait que le gouvernement ne doit pas payer trop cher, étant donné qu il y a un certain nombre d inconvénients réels. Je pense qu'on est tous là pour le reconnaître, il n'y a personne qui les met en doute. Mais j aimerais, avec vous, fouiller, gratter un peu plus autour des problèmes de la vétusté, autour de ce que vous, a I intérieur de l'usine, dans la mine, voyez comme problèmes qui, portés a I attention, seraient de nature à être soulignés là où le gouvernement devrait être prudent dans son évaluation. D'abord, quant à la salubrité, vous avez soulevé un point extrêmement important. Vous avez donné le chiffre de 125 mineurs. Combien y a-t-il présentement de mineurs de l'Asbestos Corporation qui sont couverts par la loi 52 et qui reçoivent les prestations de la Commission des accidents du travail pour amiantose? Combien y a-t-il actuellement de mineurs qui seraient...

M. Couture (Normand): Présentement, qui sont compensés par la loi 52, au moment où on se

parle, je pense que c'est environ 89 ou 90 travailleurs.

M. Bérubé: Ils sont compensés à 90% de leur salaire?

M. Couture (Normand): A 90% de leur salaire.

M. Bérubé: Ils sont absolument inaptes au travail. Ce sont des amiantosés qui ont été déclarés comme tels.

M. Couture (Normand): Oui, reconnus par le comité de pneumoconiose de Montréal.

M. Bérubé: Et vous supposez que ce nombre devrait monter à 125, compte tenu que tout n'a pas été dépisté.

M. Wassef (Kemal): Le chiffre de 125 est simplement un exemple de ce que cela pourrait être sur une période de 30 ans. On sait, par exemple, que le bassin des gens qui ont été exposés pendant 20 ans et plus est d'à peu près 705 travailleurs. Combien d'entre eux seront malades? On ne peut pas le savoir aujourd'hui. Mais on pourrait, si on se fie aux chiffres qu'avait fournis le Mont Si-nai... Environ 60% ont été atteints, non pas d'amiantose, mais de troubles pulmonaires, à un moment donné. Cela veut dire qu'ils avaient des traces sur leurs poumons; pas tous étaient reconnus amiantosés, par exemple. Mais il y a un bassin de 705 travailleurs qui ont été, pendant le moment où le taux d'exposition a été très élevé, dans les mines, et ils sont à l'emploi de l'Asbestos Corporation.

M. Bérubé: Vous avez participé de très près aux travaux de la commission Beaudry. Est-ce que vous avez l'impression que les normes qui seront en vigueur à partir de l'année prochaine, par exemple — il y a déjà une nouvelle norme cette année — répondront à la question de la salubrité dans la mesure où vous croyez'que cela va avoir un effet direct sur le nombre de nouveaux cas d'amiantose pour l'avenir?

M. Wassef: Si on se fie aux études qui ont été faites jusqu'à maintenant, en bas de deux fibres par centimètre cube d'air, on suppose que l'incidence de l'amiantose devrait ralentir, mais il y aurait d'autres maladies qui se manifesteraient, entre autres, le cancer. On ne sait pas dans quelle proportion, mais il y aurait encore, à ce niveau, d'autres types de manifestation comme celle-là.

M. Bérubé: Présentement, avec les connaissances que vous avez — et vous avez quand même plusieurs experts médicaux qui travaillent avec vous — croyez-vous que la combinaison de trois facteurs que nous utilisons, soit la teneur en amiante dans la poussière, le niveau total de poussière et le nombre de fibres, croyez-vous qu'on puisse réduire à néant l'amiantose pour les années à venir, chez les nouveaux travailleurs?

M. Wassef: Ce serait difficile... Toutes les mesures que l'on prend aujourd'hui, c'est déjà un grand pas sur ce qui s'est fait dans le passé. De là à pouvoir dire que cela va éliminer le problème complètement, il va falloir voir. On a déjà vu d'autres sociétés qui ont fait de grands changements — j'ai d'autres cas à l'esprit, cela ne se rattache pas à l'amiante, mais à d'autres produits — Quinze ans plus tard, malgré de grands changements et des investissements qui montraient une certaine intention de bien faire, on arrivait à des résultats qui n'étaient quand même pas si grands que cela. J'ai un seul cas à l'esprit, c est le cas de l'Alcan dans les mines de Fluorsfar de Terre-Neuve. Quinze ans plus tard, on a encore des cas de cancer.

M. Rioux (Michel): M. le ministre, simplement un éclaircissement suite à la question que vous avez posée. Je pense que l'enquête du Mont Sinaï a fort bien établi le fait suivant, c'est-à-dire qu'à partir du moment où le temps d'exposition aux poussières d'amiante dépasse 20 ans, les répercussions s'en font sentir d'année en année et de dix ans en dix ans. C'est la raison pour laquelle nous demandons au gouvernement, lorsque le moment sera venu de fixer le coût d'achat ou de nationalisation, selon le cas, de l'Asbestos, de ne pas oublier qu'il y aura certainement, en vertu des lois actuelles qui sont susceptibles d être améliorées sans doute, si la Commission des accidents du travail accouche de nouvelles lois qui sont prévues, des coûts qui vont arriver dans un an, dans deux ans et dans trois ans. Ce qu'on souligne, c'est de ne pas les oublier. Là-dessus, le rapport Beaudry, d'ailleurs, est très clair, sur l'incidence du fait que les problèmes, à la suite de l'exposition à l'amiante, se soulèvent très souvent. (10 h 45)

M. Bérubé: Pour continuer toujours dans la même veine, vous travaillez dans le moulin, vous travaillez dans la mine. Vous savez qu'il y a un débat autour de la possibilité, à partir des installations actuelles, de dépoussiérer et de répondre à certaines normes. Je pense que les travailleurs de votre syndicat qui travaillent dans d'autres mines ont connu l'expérience des autres usines. Avez-vous l'impression que, dans les équipements actuels, tels qu'ils sont, on pourrait installer de l'équipement de dépoussiérage et répondre aux normes auxquelles les autres usines présentement répondent?

M. Couture (Normand): Présentement, on sait qu'à l'Asbestos Corporation — d'ailleurs, je pense que cela vous a déjà été souligné, M. Bérubé — les installations et la machinerie sont très désuètes. Essayer d'améliorer surtout les moulins, dans l'état où ils sont présentement, je pense que c'est assez difficile, parce que cela prendrait plutôt de la rénovation ou peut-être de nouvelles bâtisses pour en arriver à un niveau de salubrité acceptable. Je fais surtout allusion à ce moment-ci au moulin de BC-1. J'aimerais que des gens du groupe aillent voir ce qui se passe dans ce moulin, je pense que cela serait évident.

M. Gourde (Jean-Pierre): Pour faire suite à ce que M. Bérubé disait, la majorité des gars ici sont conscients d'une chose, c est que le gouvernement sera pris à acheter des dégâts qui sont déjà passés, en fin de compte. Ce qui se fait présentement, ce qui est étudié, on en connaît les résultats, d'après ce que le Dr McDonald nous a donné. C est sûr que, s il n y a pas de poussière du tout, c est l'idéal dans nos régions, mais on sait que, si on prend du minerai et si on le travaille, il va sûrement y avoir une poussière; s'il y a un bonhomme là, il s'y expose; si le bonhomme souffre d'emphysème pulmonaire ou de n'importe quoi, il sera beaucoup plus exposé. Mais l'achat de la société comme telle, c'est qu'on achète peut-être, 25 ans en arrière, des dégâts passés. Ce qu'on sait présentement, c'est comment traiter ce problème. On sait comment dépoussiérer. On sait que, si on manufacture de telle ou telle façon, c est possible d'enlever la poussière ou de minimiser les dégâts.

Le problème le plus grave, je pense, à Thet-ford, c est que, si on fait une moyenne de l'air ambiant, cela a du bon sens, mais il y a des secteurs bien précis où les gars doivent travailler tous les jours. C est surtout là-dessus qu'il est très important de travailler. C'est peut-être du chinois pour vous autres. Les mineurs ont à travailler sur des "ball-mills" ou des choses comme cela, des "fi-berizers", où c'est dangereux et où il y a beaucoup de poussière, etc.

Les gars qui doivent travailler là tous les jours s exposent, parce qu'il y a beaucoup de poussière. Il y en a beaucoup parce qu'ils ont à ouvrir les machines, à travailler sur la tuyauterie. Qu'on le veuille ou non, il faut qu'ils fassent de la poussière. Ce sont ces gens qui, à tous les jours, sont exposés. C'est cela qu'il faut essayer de contrôler, les endroits qu'on appelle les réserves de pierre, où il y a énormément de poussière.

Si on fait des moyennes, c'est entendu qu'on arrive peut-être à un chiffre qui est valable, mais c'est dans des secteurs bien précis que ces gars doivent aller travailler, parce que la machinerie est défectueuse, etc. C est une routine qui doit être établie pour une maintenance préventive. C est surtout là-dessus que c'est dangereux. La majorité des gars sont unanimes à dire qu'il faudrait essayer de travailler à dépoussiérer ces endroits. Mais, si on fait la moyenne, comme vous dites, je le disais tout à l'heure, cela peut avoir un certain bon sens, réparti peut-être sur tout le secteur des mines.

M. Bérubé: Vous estimez, d'une part, qu il y a de la machinerie qui est désuète et que si on I achète, il faudrait payer la valeur dépréciée de la machinerie. C'est-à-dire que, dans certains cas, vous estimez qu'elle n'aurait pas grand-valeur, mais d'autre part, vous estimez que dans I ensemble de l'usine, le niveau de poussière est peut-être acceptable, mais qu'il y a des endroits particuliers où c est totalement inacceptable et, ces endroits, vous estimez que c'est possible de dépoussiérer.

M. Gourde: Assurément, c est possible. D'après moi, il n'y a rien d'impossible dans des secteurs bien précis comme ceux-là. Si tu as une chance, que tu fermes toutes les portes et que tu installes un système à poussière, c est sûr que tu vas enlever énormément de poussière. Si tu ouvres les portes et que cela s en va partout, tu pollues la région, il n y a pas d'erreur. C'est ce qui se produit dans la région.

M. Couture (Normand): J'aimerais peut-être souligner aussi, je pense que cela a été adressé assez souvent aux compagnies, que dans les opérations normales — je n ai pas de chiffre, parce que je suis plus familier avec le puits qu'avec I usine — quand une usine est censée prendre tant de tonnage pour fournir et que, selon l'expression des mineurs, elle "monte la swing au bout", à un moment donné, il y a du surplus quelque part; c est là un des gros points qui se vit présentement à I'Asbestos. Elle la monte un peu plus que la normale. Alors, dans les chutes, cela ne fournit pas. Le surplus sort quelque part.

M. Bérubé: On peut laisser de côté ce problème de la salubrité et de la vétusté. En dépit du fait que vous connaissez très bien les problèmes de votre usine, en dépit du fait que vous savez qu'il faut évaluer soigneusement ce qu'on paie, parce qu il faut tenir compte des charges sociales que la compagnie aura à satisfaire à l'avenir, il faut tenir compte de la modernisation du dépoussiérage. Néanmoins, vous dites: C'est une bonne chose d acheter Asbestos Corporation. Non seulement cela, vous allez même plus loin, vous dites: On devrait, en fait, nationaliser l'ensemble de l'industrie. Ce qui me frappe, c'est que lorsque j écoute I Opposition, elle n'a, en fait, qu'un thème: Cela ne crée pas d'emplois. C est à peu près tout ce qu'on entend. Cela ne crée pas d emplois, et vous êtes des socialistes.

J aimerais vous entendre dire ce que vous pensez de cette question qui est continuellement soulevée par I'Opposition, c est-à-dire acheter Asbestos ne crée pas d'emplois. Comment voyez-vous cela? Pourquoi le justifiez-vous?

M. L'Heureux: M. le Président, ayant analysé le programme du Parti québécois — je ne suis pas péquiste — je ne pense pas qu'on puisse dire qu il soit socialiste. N'importe qui, objectivement, qui analyserait I'idéologie de ce parti, ne pourrait pas dire qu'il est socialiste. C'est une réalité, puisque cela se dit; de l'autre côté de la table, je ne pense pas qu on le soit non plus.

La question qui se pose, à la CSN, en tout cas. en général, c'est que, — en occident, on pourrait trouver bien des exemples — il serait tout à fait normal que les ressources naturelles développées par des travailleurs du Québec profitent au maximum aux travailleurs concernés et à l'économie québécoise. Je pense que c'est un principe bien sain. Les Arabes, semble-t-il, l'ont compris, même s'ils sont bien pro-occidentaux et bien proWashington. Il y a bien des pays dans le monde occidental qui ont compris que sur le plan économique, une nation ou un peuple doit contrôler et ne peut pas abandonner, comme on l'a fait au

Québec, depuis si longtemps, l'économie et surtout les ressources naturelles, dans ce cas, comme celle-là, quand on sait tous les avantages qu'on aurait pu en tirer. C'est un peu notre pétrole, au Québec, à un certain moment, surtout dans la situation monopolistique sur le plan mondial dans laquelle on se trouvait. On peut imaginer facilement, si on avait eu des gouvernements qui avaient privilégié d'abord nos ressources et l'intérêt collectif québécois, tout ce qui aurait pu être développé autour de cette ressource. C'est en 1978. Finalement, on attaque ce problème. C'est pourquoi, comme je le disais dans la conclusion, j'espérerais qu'enfin on cesse ces attitudes du XIXe siècle sur le plan du libéralisme économique. Quand je lis certaines déclarations, je vous dis que j'ai honte des fois, des déclarations qui démontrent une servilité à l'endroit des multinationales, par exemple. La question qui se pose, ce n'est pas à savoir si on va sauver General Dynamics ou je ne sais qui, qui contrôle je ne sais quoi. On le sait. La question qui se pose, c'est ce que l'on va faire face à une ressource naturelle comme celle-là, compte tenu du passif très lourd sur le plan humain, sur le plan économique aussi. Comment retirer le maximum, en terme d'emplois, les emplois vous le savez, combien cela crée d'emplois? Est-ce 45 000 emplois que cela crée aux Etats-Unis? 6000 "jobs " ici? 6000 mineurs québécois fournissent 45 000 "jobs" — c'est cela — aux Etats-Unis?

Des Voix: C'est plutôt 90 000.

M. L'Heureux: M. le Président, je pense qu'avec tous les renseignements qu'on a eus à ce jour, qu'on a reçus à ce sujet, que l'on connaît, il est évident que l'intérêt collectif et particulier des travailleurs concernés est de nationaliser cette ressource.

M. Bérubé: Si je comprends bien, ce que vous trouvez bon pour la Finlande, la Suède, le Zaïre, le Chili, le Pérou, la Zambie, etc., cela pourrait être bon pour nous autres. Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Vous avez quinze minutes.

M. Forget: Ma première question s'adresse à M. Couture ou à M. L'Heureux, parce que tous les deux ont insisté à plusieurs reprises sur la question du prix, qu'à leur avis le gouvernement ne devait pas dépasser pour faire l'acquisition de la société Asbestos. Pour être bien sûr que l'on comprend ce qu'ils sont venus nous dire, comme message sur ce point, je vais leur poser la question suivante. M. L'Heureux en particulier, qui a donné plus de détails là-dessus, est parti de la valeur nette, qu'il a affirmée être de $121 millions, je prends sa parole là-dessus, disons $121 millions, et il a dit qu'il fallait déduire de cela trois choses. Il faut déduire la valeur présente des indemnités qui seraient versées. M. L'Heureux a évalué cela à $25 millions. Il a mentionné aussi le coût de la pollution de l'environnement. Il n'a pas donné de chiffres, mais, hier soir, on a entendu la corporation municipale de Thetford Mines, qui nous a dit que c'était peut-être cela que vous visez, au moins pour réaménager certains quartiers pour faire un urbanisme plus approprié dans la région, que cela pourrait coûter à l'avenir dans les projets envisagés, qu'on appelle la phase II, la phase III entre $7 millions et $8 millions. En plus de cela, vous avez parlé de la réorganisation de la production et vous avez été très sévère là-dessus. Vous n'avez pas donné de chiffres, mais les chiffres que l'on entend souvent, même, je pense, du côté gouvernemental, c'est un montant de $75 millions ou de $70 millions. Si, donc, on fait cette opération, qui est très simple, de prendre la valeur nette, dont vous êtes parti vous-même, et que l'on déduit tous ces éléments, soit $25 millions, $75 millions, plus $8 millions, on obtient un total de $108 millions. Ceci voudrait dire, selon la CSN, selon le syndicat, que si le gouvernement payait plus de $13 millions — c'est la différence entre $121 et $108 millions — pour l'acquisition de la société Asbestos, il paierait décidément trop cher. Est-ce que c'est bien votre point de vue?

M. L'Heureux: C'est ce que l'on dit essentiellement, M. le Président. D'abord, je réitère ce que j'ai dit au début. Si l'on faisait le calcul de tous les profits, de tous les investissements faits ailleurs ou transposés ailleurs depuis le début, on en arriverait à zéro cent, quant à moi, à tout coup, en principe, en tout cas, juste en principe. Quant aux chiffres, si vous en arrivez à un calcul définitif, l'esprit de notre démarche, c'est de tenter de démontrer et d'insister auprès du gouvernement qui aura à faire la transaction, et que le public soit conscient de cela, qu'il y a un coût social, humain, qui n'a pas été assumé par la compagnie concernée et qu'elle devra payer au moment de la nationalisation. C'est si vous en arrivez à un calcul définitif, l'esprit de notre démarche, c'est de tenter de démontrer et d insister auprès du gouvernement qui aura à faire la transaction, et que le public soit conscient de cela, qu'il y a un coût social, humain, qui n'a pas été assumé par la compagnie concernée et qu'elle devra payer au moment de la nationalisation. C'est cela essentiellement. Laissons faire les détails et les chiffres. D'accord, cela mène peut-être à ce que vous dites, mais l'esprit, et c'est cela qui est important, c'est que, dans cette nationalisation, on tienne compte, que l'on fasse payer aux propriétaires actuels de ces ressources le coût de leur passif immense sur les deux plans, social et économique. (11 heures)

M. Forget: Je ne nie pas que le passif soit immense, quand on énumère tous ces éléments. Il reste que, lorsque l'on fait l'opération en question, quand on veut appliquer l'esprit auquel vous avez fait allusion, il faut quand même que cela soit concret, à un moment donné, que l'on sache si, oui ou non, l'on se comprend. On arrive à un chiffre qui est très modeste, entre $10 et $20 millions, qui reste comme solde. Vous suggérez que cela pourrait même être zéro, jugez-vous que cette proposition que vous faites au gouvernement est réaliste? Je suis sûr qu'il aimerait bien se confor-

mer à vos voeux là-dessus, mais est-ce réaliste de proposer que, pour une somme entre $10 et $20 millions, on pourrait acquérir la société de lamiante alors qu elle réalise plus que cela de profits annuels? Vous avez même dit au début de votre exposé que si les prix étaient au niveau que vous estimez tout juste, donc beaucoup plus élevés, selon vous, que les prix actuels, les profits seraient plus élevés? Est-ce réaliste? C est un peu comme offrir d acheter une épicerie pour le salaire du livreur pendant trois semaines. Est-ce possible de proposer cela sérieusement au gouvernement?

M. L'Heureux: Je n'ai pas parlé de chiffres jusqu'à ce moment-ci — c'est cela que je voulais dire tantôt — parce qu'on sortira sûrement des chiffres et on va suivre de très près les négociations qui se feront. Vous pouvez être sûrs que le syndicat et la CSN, vont talonner le gouvernement là-dessus, sur le prix qu'il va payer.

Votre exemple ne tient pas debout d'une certaine façon. Vous parlez de $75 millions d'investissements requis pour rénover. On va s'entendre très bien là-dessus. Evidemment — et on le dit dans le mémoire que j'ai lu tantôt — cela s'autofinancera à même les profits réalisés dans l'avenir. Il ne faudrait quand même pas mêler les affaires.

Les $75 millions d'investissements... Vous comprenez?

Une Voix: Non.

M. Bérubé: Vous leur en demandez beaucoup!

M. Forget: Je ne comprends pas, M. L'Heureux. Vous allez m'expliquer comment il va rester des profits une fois qu'on aura payé les intérêts sur les emprunts que le gouvernement devra avoir faits pour acheter l'entreprise. Où seront les profits et de combien seront-ils? Pendant combien d'années faudra-t-il les accumuler pour payer une somme de $75 millions?

M. L'Heureux: On pourra sûrement faire les calculs. Si on vous sortait tout simplement les profits qui ont été réalisés par cette compagnie depuis qu'elle est là, on pourrait vous démontrer facilement les centaines de millions qui ont été réalisés. Or, je ne vois pas pourquoi les Québécois, avec une Société nationale de l'amiante, ne pourraient pas faire la même chose. Nous rendre prisonniers, comme vous tentez de le faire, de notre impuissance à administrer nos ressources naturelles comme l'amiante, mais quelle sorte de question nous posez-vous là?

M. Forget: M. L'Heureux, sans vous inviter à poursuivre votre discours politique sur le sujet, j'aimerais quand même que vous fassiez l'effort d'être un peu plus concret pour ce qui est des avantages que les membres du syndicat pourraient retirer de cette prise en charge, ou peut-être M. Couture prendra-t-il la responsabilité de répondre là-dessus.

Comme syndicat représentant les syndiqués de la société Asbestos, quels sont les avantages concrets qui, selon vous, pourraient résulter de cette prise en charge par le gouvernement de la société en question?

M. Couture (Normand): Sachant si bien depuis de nombreuses années ce qui se vit, ce qui s'est vécu et ce qui se vit présentement avec l'As-bestos Corporation, je crois qu'on n'a pas à y perdre à se faire nationaliser. Je pense que j'ai essayé de vous dire dans mon court exposé tantôt la façon dont fonctionnait l'Asbestos Corporation. On vous a donné quelques détails. Je pense que, lorsque M. Bérubé est venu à Thetford, cela lui a été dit et on le répète aujourd'hui, on n'a sûrement pas à y perdre.

M. Forget: Avez-vous quelque chose à y gagner? Si oui, quoi?

M. Couture (Normand): L'avenir pourra le dire, mais en gros, comment pourrais-je bien vous expliquer cela, on a tout à gagner comparativement avec ce qu'on a eu dans le passé. Je ne sais pas si cela peut traduire assez bien...

M. Forget: Cela traduit peut-être vos sentiments, mais...

M. Couture (Normand): Je ne vois pas de désavantage à la nationalisation de l'amiante, je n'y vois aucun désavantage.

M. Forget: Voyez-vous des avantages et, s'il y en a tellement, pourriez-vous nous en décrire au moins un?

M. Couture (Normand): Sûrement que le gouvernement va s'occuper plus de la salubrité des travailleurs. Je n'aimerais pas avoir de doute dans ce domaine. C'est déjà un des gros avantages.

M. L'Heureux: Le patron sera à Québec, M. le Président.

M. Forget: Est-ce que vous voulez dire par...

M. L'Heureux: II sera plus identifiable que présentement. Aujourd'hui, on ne sait pas où il est. Est-il à New York? Est-il je-ne-sais-où? Quand on voit des sous-chefs un peu partout dans la région au service des multinationales... Le patron sera ici à Québec.

M. Forget: Voulez-vous dire par cela que les entreprises qui ne seront pas nationalisées — parce que, si je comprends bien, elles ne seront pas toutes nationalisées, pour l'instant du moins — devront payer un prix en termes de santé à cause de ce fait-là, puisqu'un des avantages que vous attendez, c'est que les problèmes de santé soient mieux réglés avec l'Etat comme patron, ce qui veut dire que, dans les entreprises — ce n'est peut-être pas le même syndicat, je ne le sais pas, cela l'est peut-être — dans les autres entreprises qui ne seront pas nationalisées, eux seront pénalisés indéfiniment du fait que le gouvernement

n'étant pas propriétaire; on ne s'occupera pas de la santé de façon satisfaisante.

M. Couture (Normand): Je n'aimerais pas faire le procès des autres compagnies.

M. Forget: Pas les autres compagnies.

M. Couture (Normand): On sait que c'est l'Asbestos Corporation qui s'est tout le temps laissé tirer la patte, si vous me passez l'expression, au niveau de la salubrité. Allez voir ce qui se passe dans les autres compagnies et venez voir ce qui se passe à l'Asbestos Corporation, je pense que cela va répondre à votre question, M. Forget.

M. Forget: Oui, pour le passé, peut-être, mais pour l'avenir, ce que vous nous dites, c'est qu'un gouvernement, quel qu'il soit, est incapable de faire appliquer des lois relatives à la salubrité, à la santé. Le seul moyen qu'il a de s'assurer que ces lois-là soient respectées, c'est de prendre le contrôle de toutes les compagnies en question.

M. L'Heureux: Ce n'est pas ce qu'on dit. C'est qu'on s'attend que des lois, justement... Vous savez fort bien, malgré l'adoption de plusieurs lois, même de la loi 52, tous les problèmes qu'on a eus pour son application. D'autres lois existaient auparavant concernant la sécurité au travail. Elles sont bafouées tous les jours. Vous le savez, je pense, surtout avec le ministère que vous avez occupé. On a toujours eu des problèmes d'application. Ce n'est sûrement pas la seule raison pour laquelle — je pense qu'il y en a bien d'autres — il faut reprendre en main nos ressources naturelles, mais on s'attendait, à ce moment-là, sûrement... Le dossier de l'amiante est peut-être particulier. Il y en a d'autres aussi qu'on méconnaît, qui vont peut-être surgir plus tard, selon les recherches qui se feront de plus en plus dans ce domaine, mais on devrait s'attendre, surtout à cause du passif dont je parle, celui des compagnies d'amiante, et de celle-là en particulier, qu'une société d'Etat respecte davantage les lois du pays.

M. Forget: Si je peux résumer très brièvement, parce qu'il me reste seulement une minute ou deux, cela voudrait dire que, généralement, vous vous attendriez que le gouvernement, comme propriétaire de la Société Asbestos, soit meilleur employeur que les autres compagnies, et cela de façon générale.

M. L'Heureux: C'est un principe, à la CSN. Vous le savez, nous, du secteur public — on peut ne pas partager ce point de vue là — estimons, en effet, que le gouvernement du peuple doit donner l'exemple aux entreprises.

M. Forget: Avez-vous, de la part du gouvernement actuel, des indications qui vous permettent de croire que cet espoir que vous avez, de votre côté, c'est-à-dire que le gouvernement, comme propriétaire de la Société Asbestos, soit le meilleur employeur, que ces espoirs sont fondés sur une intention gouvernementale effective d'être le meilleur employeur lorsqu'il prendra le contrôle de la société Asbestos?

M. L'Heureux: Non. Il n'y a aucune espèce d'indication, aucune espèce de "deal" fait avec qui que ce soit du gouvernement là-dessus. On sait fort bien qu'en négociation, que ce soit avec l'Etat ou avec l'entreprise par ailleurs, il faut aussi négocier et établir nos rapports de force, comme on le fait toujours.

M. Forget: Je vois. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci. M. le député de Richmond.

M. Brochu: Merci, M. le Président. J'aimerais revenir sur une donnée qui a été présentée par M. Couture dans son exposé lorsqu'il a mentionné que le syndicat, en ce qui concerne le syndicat local, la section locale de Thetford de la CSN, est d'accord en principe avec la nationalisation, mais pas à n'importe quel prix. Dans votre esprit, le "pas à n'importe quel prix", qu'est-ce que c'est?

M. Couture (Normand): Je pense que M. L'Heureux l'a expliqué tantôt dans son exposé. J'aimerais... — Si tu veux expliciter encore — Quand on dit, premièrement... — si tu aimes mieux donner les détails...

M. L'Heureux: On va laisser parler notre directeur de recherche, si vous voulez, cela va faire changement un peu.

M. Wassef: Le prix que l'on essaie de se fixer... D'abord, il faut dire que l'on a affaire à Asbestos Corporation. Elle n'a pas une grosse propriété à Thetford, mais tout est assez vétuste dans cette région. Dans l'Ungava, cependant, elle a des installations assez récentes et elle possède également un moulin à Nordenham, en Allemagne. En gros, c'est ce qu'on pourrait appeler l'actif de cette société. Nous avons essayé, à partir des rapports financiers de la compagnie d'établir quelle est sa valeur nette, c'est-à-dire en enlevant des actifs, par exemple les $90 millions qui sont en caisse ou des choses comme ça. On part avec ça, il n'y a pas de problème. Mais il y a des actifs et, sur ces actifs, il y a une valeur nette qui reste, qui est d'à peu près $121 millions au 31 décembre 1976, cela a peut-être évolué depuis ce temps-là.

On déduit de ce montant le prix de toute l'indemnisation. On n'a pas ce prix, en réalité, au moment où on se parle, le chiffre de $25 millions n'est qu'un exemple. S'il y avait seulement 125 travailleurs pendant trente ans, ça coûterait $25 millions, par exemple. Alors, on déduit ce montant. Ou on aimerait que le gouvernement, avec les moyens qu'il a — parce qu'il peut faire ces études beaucoup plus facilement — fasse le calcul de ce que ça coûte d'indemniser dans le futur les travailleurs qui vont être là, sans vraiment libérer une société, c'est-à-dire qu'après ça, General Dyna-

mics ne sera plus dans le paquet, elle ne sera plus dans le bain.

Mais, au moment de s'en aller, il faut bien déduire du montant qu'on va payer à cette société ce qu'elle a laissé comme passif dans la région de Thetford. Elle laisse un passif. Vous devez savoir qu'elle laisse d'énormes montagnes de déchets, elle laisse des quartiers à relocaliser, elle laisse des travailleurs dans une santé incertaine, elle laisse un passif, cette société.

Il faut qu'on établisse la valeur de ce passif et qu'on le déduise.

M. Brochu: Je reviens à M. Couture, en ce qui concerne les travailleurs de Thetford même. Si je comprends bien votre situation, ce dont vous avez besoin, d'une part, c'est une certaine garantie pour la salubrité et la santé des travailleurs, et, deuxièmement, avoir de la transformation sur place, le plus possible, donc une source immédiate d'emplois. On a vu hier, avec le conseil de ville, le pourcentage de chômeurs chez vous. En fait, la situation économique est relativement difficile.

Hier soir, on a reçu le Comité des mines du CRDCE, qui avait présenté certains mémoires au ministre et qui indiquait dans ses arguments le risque, pour le gouvernement, de ne se porter acquéreur que d'une entreprise, devenant un des producteurs dans le portrait, ce qui ne lui assurerait autrement dit aucune garantie de marché, aucune garantie de rentabilité réelle. Vous autres, qu'est-ce que vous pensez du fait que le gouvernement s'apprête à acquérir une des entreprises productrices?

M. Couture (Normand): Je pense que l'idéal serait de nationaliser toutes les entreprises. Mais, dans l'éventualité très proche, s'il est impossible pour le gouvernement de le faire, je pense qu'il devrait — je ne sais pas si on peut employer l'expression — prendre arrangement avec les autres compagnies, toujours dans l'éventualité qu'il y ait des usines de transformation, au moins pour que les autres mines transforment une partie de leurs produits à Thetford. Mais on a toujours à l'esprit que l'idéal serait de nationaliser toutes les mines.

M. Gourde: Si vous achetez une propriété et y englobez tout le secteur des mines, vous englobez peut-être quatre ou cinq autres mines. Un bon matin, ces messieurs ont besoin de territoire, que ce soit une société nationale ou n'importe quelle autre compagnie, ils ont besoin de territoire. Si tu achètes une propriété où tu as tous les territoires, logiquement parlant, je ne pense pas que ça prenne un quotient intellectuel très élevé pour comprendre ça, si tu détiens tous les territoires, il va falloir que ces bonshommes viennent te voir.

C'est le cas d'Asbestos Corporation, dont on a parlé tout à l'heure. Elle détient tous les territoires dans la région. La nationale qui veut grandir, améliorer son affaire l'année prochaine ou dans deux ans, il faut qu'elle vienne acheter des lots. Cela va se faire incessamment, l'an prochain. Lake Asbes- tos vient de faire des arrangements encore cette année pour avoir un peu de la propriété de l'As-bestos... Si...

M. Brochu: Le problème est quand même assez sérieux et assez étendu, ce qui me faisait ouvrir une porte l'autre jour en disant que l'appétit du gouvernement ne pourrait pas s'arrêter à une mine. D'accord, vous pensez en fonction de la région de Thetford et des mines qui sont là. Mais n'oubliez pas qu'il y a Johns-Manville qui va être une concurrente demain matin; il y a aussi l'usine de défibrage de l'URSS qui va augmenter son tonnage d'ici 1980 de façon appréciable. (11 h 15)

Le gouvernement du Québec devenant un partenaire à la table de production d'amiante, mais "un des". C'est là un des grands problèmes qui se posent. A cet égard, est-ce que cela vous donnerait une garantie de savoir que le gouvernement du Québec a acheté une mine chez vous?

M. Gourde: Bien sûr. C'est beaucoup plus une garantie d'acheter la société Asbestos que d'acheter la Carey Canadian Mine ou la National Asbestos. Il n'y a pas d'erreur là-dedans, parce que les autres n'ont pas de territoire, pas de terrain. En n'ayant pas de terrain, elles n'ont aucun pouvoir. Si tu achètes la mine, même la plus désuète possible, si tu as tous les terrains, un bon matin, il faut qu'elles viennent te voir.

Si, par les terrains, tu es nécessairement le plus fort, tu peux engager des ententes entre les parties.

M. Brochu: Tout à l'heure, lorsqu'il a été question de la situation possible de grève chez vous, à Asbestos Corporation, vous avez laissé entendre que, possiblement, Asbestos Corporation pourrait se servir du poids de ces négociations en sa faveur, étant donné l'éventuelle acquisition par le gouvernement de ses installations. Il y a peut-être même une volonté — vous pourrez me corriger ou m'indiquer ce qui en est — d'Asbestos Corporation de se départir de ses intérêts dans votre région.

De l'autre côté, comme je viens de le mentionner, on sait que le gouvernement du Québec s'apprête à acheter, du moins, ce qui apparaît immédiatement dans le portrait, une seule des entreprises productrices. Si on regarde le tableau d'ensemble, on sait qu'Asbestos Corporation, la même entreprise qui a ses installations chez vous, que le gouvernement va probablement acheter, va continuer à produire ailleurs, parce qu'elle a ses usines d'Abitibi qui sont modernes, comme monsieur le disait tantôt.

Il y a également l'usine de Nordenham d'Asbestos Corporation en Allemagne qui, éventuellement, pourra s'approvisionner peut-être au marché de l'URSS et profiter des ententes intereuropéennes, puisque l'Europe des Neuf se protège lorsqu'un produit fini, sur un des pays du territoire, l'est dans leur région, les autres pays de la communauté européenne s'engagent à ne pas acheter de l'extérieur. A ce moment-là, Asbestos

Corporation vendant au gouvernement du Québec pourrait devenir, le lendemain matin, une concurrente sérieuse, et sur le plan du marché européen et sur le plan intérieur, compte tenu du fait qu'il y a d'autres producteurs également.

Devant tout ce tableau et la possibilité que vous avez évoquée qu'Asbestos Corporation puisse faire jouer sa volonté de se départir de ses intérêts en sa faveur, les travailleurs de l'amiante d'Asbestos Corporation se trouvent perdants. Vous seriez alors l'enjeu sur lequel on mise actuellement. Cela pourrait même durer longtemps à ce compte-là.

J'aimerais entendre votre point de vue là-dessus, parce que c'est un point important pour les travailleurs de votre région. C'est vous qui devez le vivre. Vous me corrigerez si je me trompe, mais je vous vois un peu pris en sandwich. D'un côté, vous avez Asbestos Corporation qui pourrait utiliser, selon vos propres propos, la grève, pour étirer ces choses-là, pour se départir de son entreprise, et, de l'autre côté, la question que je suis tenté de vous poser à ce stade-ci: Quelle garantie avez-vous que, demain matin, si c'est le gouvernement du Québec qui est votre patron, vous allez être en mesure de négocier beaucoup plus facilement?

Je me bute à un éiément, celui de la santé au travail, et à la question de la loi 52. Il y a un an et demi que le gouvernement est au pouvoir et la loi 52 qui devait être modifiée pour corriger la situation des travailleurs qui sont aux prises avec cela ne l'a pas été encore. Il s'agissait simplement d'une technique législative. Je le sais, j'ai des gars à Asbestos qui sont pris avec cela, j'ai encore des gars qui sont sur le marché du travail, qui n'ont pas de permis de travail, et de ce fait, illégaux, qui sont atteints à 15% et à 18% d'amiantose.

C'est pourquoi je vous demande quelle garantie vous avez. Après un an et demi de pouvoir, le gouvernement n'a pas corrigé, par une simple technique législative, la question de quelques centaines de travailleurs qui sont sur le marché du travail sans permis actuellement. Quelle garantie avez-vous devant cela?

La question que je pose est celle-ci: Est-ce que vous ne seriez pas, d'un côté comme de l'autre, les travailleurs de l'amiante, dans la situation telle qu'elle se présente, un peu les grands perdants, si Asbestos Corporation joue sur votre dos, d'un côté, la négociation de la vente de son entreprise, et de l'autre côté, à quel patron allez-vous faire face demain matin, si c'est le gouvernement du Québec?

M. Gourde: Est-ce que je peux répondre?

M. Brochu: C'est un peu vaste comme vision, mais c'est important pour vous.

M. Gourde: Dans tout ce que vous avez dit, la chose la plus importante, c'est que, quand on touche au secteur de l'Europe — chose que vous n'avez pas touchée, peut-être parce que vous ne le saviez pas — c'est la qualité de la fibre qu'il y a dans la région. C'est la chose la plus importante.

En Russie, on produit beaucoup d'amiante, mais on ne peut pas garantir la qualité de la fibre, c'est-à-dire qu'un client va acheter un tel grade de coton pour produire une chose bien précise. Eux autres, ils produisent du coton. Ils vont faire des tonnes et des tonnes de minerai fini, mais ce n'est jamais garanti, parce que, ce qu'on appelle les "standard tests" varient énormément, tandis que, dans la région ici, de la façon que les installations sont faites on peut contrôler la fibre tous les jours. Les grades sont contrôlés tous les jours, ce qui fait qu'on a une qualité de fibre de beaucoup supérieure et qui est recherchée partout.

La concurrence qu'il y a entre les parties, entre les mines... c'est à celui qui fera la meilleure qualité de fibre pour mettre sur le marché.

Pour répondre à votre dernière question, on serait mal placé, ou mieux placé, quand il s'agirait de négocier, à ce moment-là... En ce qui me concerne, cela ne fait pas assez longtemps que je suis dans le syndicat pour l'expliquer comme tel, mais je pense sincèrement — c'est strictement personnel — qu'on serait mieux placé qu'on l'est présentement avec la société Asbestos pour un point, entre autres, c'est qu'on ne peut jamais rejoindre les personnes concernées, c'est-à-dire les premiers. On est toujours arrêté au surintendant ou, au gérant qui sont des gens bien sympathiques, bien gentils, mais ils nous donnent des réponses qui, en fin de compte, sont plus ou moins valables. C'est strictement personnel ce que je vous dis là, parce que je ne suis pas dans le syndicat depuis des années.

D'après moi, je pense que ce serait beaucoup plus valable de négocier avec des gens qu'on peut rejoindre, comme on le fait aujourd'hui. On ne peut jamais rejoindre les premiers de nos compagnies, comme on le fait ce matin.

M. Brochu: Merci. C'est important. Ce que je veux savoir, c'est votre perception à vous, chez vous, de ce que c'est. Il semble que sur le plan, par exemple, des installations que vous avez mentionnées tout à l'heure, Asbestos Corporation ait tout simplement laissé aller. Elle n'a pas eu la volonté de se mettre au diapason des normes, de ces choses-là.

De ce que vous me dites, ce qui semble déteindre, de même que de l'état des relations entre l'employeur et les employés, c'est que c'est un peu comme cela vient. Pour vous autres, n'importe qui ne serait pas pire que cela. N'importe quel patron ne serait pas pire qu'Asbestos Corporation, si je comprends.

M. Couture (Normand): Jusqu'à maintenant, je pense que, comme je le faisais remarquer tantôt, on n'a rien à perdre. L'Asbestos Corporation a toujours eu, dans n'importe quel genre d'entreprise... Il n'y a pas une entreprise qui est intéressée à produire à perte. Je pense que la notion de profit à l'Asbestos Corporation a été tout le temps supérieure à n'importe quoi d'autre: la priorité, c'était le profit, à n'importe quel prix, au détriment des travailleurs. Cela a été souligné à maintes et maintes occasions. Je pense que ce n'est pas de-

main matin que I'Asbestos Corporation va changer d'attitude, parce que cela a tout le temps été une compagnie dure en négociation et plus spécifiquement cette année. S'il n'y avait pas eu une possibilité de nationalisation, l'attitude de la compagnie n'aurait pas changé. D'ailleurs, elle ne change pas au moment où on se parle.

M. Brochu: J'aurais évidemment plusieurs autres questions à vous poser, mais mon temps de parole est limité. Une dernière question peut-être, si vous me le permettez. Justement au niveau de cette notion de profit. Pourquoi, à votre avis, Asbestos Corporation, avec cette notion de profit, ce qui est normal dans l'entreprise privée, ne s'est-elle pas mise au diapason des autres là-dessus? Pourquoi n'a-t-elle pas reconstruit son usine? Pourquoi n'est-elle pas allée de l'avant, s'il y a de bonnes réserves, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure? Elle aurait fait du profit, à ce moment-là, en se lançant là-dedans.

M. Wassef: Ce qu'a fait I'Asbestos Corporation, c'est qu'au moment où elle aurait pu faire des rénovations importantes à Thetford, elle a exporté ses profits dans l'Ungava. Elle a fait de grosses installations qui lui ont coûté $75 millions. Ensuite, elle a fait cette usine à Nordenham quasiment en même temps, ce qui voulait dire $20 millions additionnels à Nordenham et, pendant ce temps, les gars payaient cela dans la poussière.

M. Brochu: La question qui se pose, c'est: Est-ce que, si elle l'a fait — mettons-nous dans ses souliers — de cette façon, ce n'était pas plus rentable de le faire comme cela, et en prévision des éventuels marchés d'Europe...

M. Wassef: Elle aurait pu le faire d'autre façon aussi. Par exemple, plutôt que de s'endetter comme elle l'a fait, parce qu'elle n'a émis aucune action lorsqu'elle a fait cette grosse expansion, cela a été fait avec les actionnaires du bon vieux temps... Donc, elle s'est tout simplement endettée. Elle aurait pu simplement émettre des nouvelles actions dans le système capitaliste tel qu'on le connaît, et faire de la rénovation à Thetford et faire de l'expansion dans l'Ungava. Elle ne l'a pas fait. Elle a décidé d'entreprendre son expansion à l'extérieur.

M. Brochu: D'accord. Je vous remercie de ces précisions, je m'excuse. Le président me fait signe que mon temps est fini. Peut-être qu'il y aurait une petite réponse supplémentaire à ajouter, monsieur...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Oui.

M. Gourde: II se produit deux phénomènes. Quand il y a eu la fermeture du moulin de la King Beaver par le feu, il n'y a pas eu de problème. Il n'y a plus de moulin, on ferme cela. En même temps, à la Normandie, le minerai, dans une car- rière à ciel ouvert, était restreint et ces gens minaient leurs derniers tonnages. Qu'est-ce qu'ils ont fait? Il s'est posé un point d'interrogation. Est-ce qu'on reconstruit un moulin? Ou est-ce qu'on continue à exploiter un moulin qui est déjà installé, c'est-à-dire qu'on prend du minerai qui est à la King Beaver, on le transporte au moulin de la Normandie et on continue à faire marcher notre moulin, ou si on ferme le moulin de la Normandie, on reconstruit à la King Beaver, on prend du minerai qui est à la King Beaver et on le passe là. C'est cela qui s'est produit. Ces gens ont une possibilité de trois moulins présentement, BC-1, BC-2 et la Normandie. Qu'est-ce qu'ils ont fait? Ils ont reparti la carrière à ciel ouvert de la King Beaver, ils transportent ce minerai et alimentent les autres moulins avec cela. S'ils reconstruisent un autre moulin, naturellement, pour passer un peu plus de fibres par jour, ils délaissent les autres moulins. Les autres moulins en place ne coûtent à peu près plus rien, excepté les améliorations qu'ils apportent à tous les ans. Chaque jour, ils sortent un chiffre d'affaires qui est quand même très respectable. C'est pour cela qu'il y a des points d'interrogation auxquels je ne puis répondre et je pense que personne ici ne peut y répondre, excepté les gars de la compagnie, parce qu'on n'a pas assez de chiffres. Ces points d'interrogation, ce sont eux qui les ont posés.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci au Syndicat des travailleurs de l'amiante "CSN" et merci également aux représentants de la centrale CSN d'avoir accepté l'invitation des membres de la commission. Votre collaboration a été appréciée. J'inviterais maintenant le comité des mines de Thetford Mines et son représentant, M. l'abbé Joseph Tanguay, à se présenter à la table, s'il vous plaît.

Comité des mines de Thetford Mines

M. Tanguay (Joseph): M. le Président, je voudrais d'abord vous présenter mes compagnons qui ont travaillé au sein du comité des mines du CER-SEQ; vous avez, à ma gauche, M. Georges-Henri Cloutier, maire de Blake Lake; ensuite, M. Marc Rouleau, qui est conseiller syndical pour le syndicat des professeurs; à ma droite, M. Paul Va-chon, directeur de la Société nationale des Québécois; enfin, avec nous, M. Nazaire Paquet, vice-président de la CSN et en même temps membre du comité des mines et ancien président du Syndicat des travailleurs de la Carey Mines. Moi-même, je me présente, ancien président du comité du CER-SEQ et du comité des mines et, en même temps, membre de l'exécutif du Conseil de développement de la région de Québec. (11 h 30)

Si vous permettez, nous voudrions d'abord vous dire que nous sommes contents de voir qu'un gouvernement, après les années de promesses et de tâtonnements qui ont précédé, ait décidé de se donner une politique ferme en ce qui

concerne l'amiante. Comme préambule, je voudrais montrer cette nécessité en m'arrêtant au cas type de l'Asbestos. Hier soir, vous avez entendu certaines paroles et, tout à l'heure aussi, de la part des syndicats. Je ne voudrais pas revenir sur ce qu'ils ont dit. Mais quand on parle de l'Asbestos qui représente un cas type de l'exploitation du territoire nous rendant en quelque sorte au même niveau qu'un pays du Tiers-Monde, nous pouvons dire que dans la région de Thetford, cette compagnie possède une concession minière de 33 000 acres. Or, quand on voit ce qu'elle a donné dans la région au point de vue économique, certainement pas des emplois, puisqu'en 1967 elle avait 2256 employés et qu'en 1976 elle en a douze de plus, soit 2268. Quand il s'est agi de déménager son bureau d'achats de Thetford à l'édifice de la Sun Life à Montréal, elle ne s'est pas gênée pour faire perdre plusieurs emplois et faire perdre la taxe de vente à la ville, etc., même après avoir demandé à la ville de payer $4 millions à sa place pour la rénovation de la cité de Thetford Mines.

On voit que cette compagnie a augmenté son chiffre de vente de $39 mil lions de 1967 à $151 millions en 1976, pour un bénéfice net de $4 millions en 1967 et de $20 422 000 en 1976. Ce que nous pourrions reprocher à la compagnie — j'entendais certaines questions tout à l'heure — c'est d'avoir sciemment ralenti les opérations à Thetford, d'avoir négligé la mine Normandie où il fallait percer un deuxième tunnel, d'avoir négligé le développement de la BC pour prendre cet argent et l'investir dans l'Ungava où il y a eu des dépenses de l'ordre de $72 millions pour l'usine qu'il y a là et pour mettre $20 millions à Nordenham en Allemagne. Cela est à part les coûts camouflés de la machinerie qui est montée à la King Beaver et qui est envoyée après cela dans le Nord et dont les coûts sont mis au compte de la King Beaver et non pas de l'usine de l'Ungava. Tout ceci pour sortir de l'amiante d'Asbestos Hill et l'envoyer en Allemagne où il y a eu un chiffre de vente de $25 millions l'année passée. Il n'y a pas un sou de cela qui revient au Québec. Alors, il y a un aspect national, je pense, qui est excessivement pénible. On prend la pierre du Québec, on l'envoie en Allemagne et l'argent reste là. Pour faire marcher cette usine, on prend l'argent du sud et on le monte au nord.

On voit qu'il y a eu certaines complicités aussi quand les administrations précédentes pour favoriser cette compagnie ont mis $2 millions sur le chemin qui va d'Asbestos Hill à Baie Déception. Je ne vous présente pas ce matin de mémoire parce qu'il avait été convenu avec celui qui nous a appelés, M. Jacques Pouliot, que nous venions répondre aux questions de la commission. Cependant, M. le Président, si vous me le permettez, il y a un de nous, le maire de Black Lake, M. Georges-Henri Cloutier, qui a préparé un mémoire qui résume en gros notre position. Nous serons heureux après cela de répondre à la fois aux questions des députés ministériels et de l'Opposition sur ce que nous pouvons connaître du problème.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Allez-y, s'il vous plaît!

M. Cloutier (Goerges-Henri): J'ai su hier après-midi que l'on devait se présenter ici, cela ne m'a pas donné beaucoup de temps pour préparer cela. De toute façon, comme on est dans le problème à Black Lake et à Thetford, j'ai mis sur papier quelques idées qui pourraient être discutées ici à la commission parlementaire.

Avant que la question me soit posée, j'ai fait un petit sondage auprès de mes échevins, parce qu'on pourrait dire que cela ne représente pas l'idée du conseil de ville; pour votre information, j'ai consulté sept échevins. — il y en a un qui est parti — Sept sur sept sont favorables à ce que le gouvernement provincial crée une Société nationale de l'amiante. Il y a cinq conseillers sur sept qui sont favorables à l'achat de la société Asbestos Limitée, soit de gré à gré, ou, s'il n'y a pas d'en-iente valable, qu'on aille jusqu'à la nationalisation de l'entreprise minière. C'est pour donner un indice.

M. le Président, j'ai été invité à participer aux travaux de cette commission par le président du Conseil économique régional du Sud-Est du Québec.

La ville de Blake Lake est membre de cet organisme depuis de nombreuses années. Cet organisme s'occupe principalement de la promotion économique de la région de Thetford.

L'intervention que je fais aujourd'hui devant cette commission, je la fais comme membre du CER-SEQ et non au nom de l'organisme comme tel. Je suis maire de la ville de Blake Lake, ville où la société Asbestos Corporation effectue plus de 50% de ses activités minières.

Je tiens à souligner, en outre, que mes services personnels ont été retenus par le Conseil exécutif de la province comme coordonnateur pour la relance économique de la région de Thetford du 1er mars 1975 au 1er septembre 1976.

J'ai eu l'occasion, grâce à ce mandat, de fréquenter plusieurs hauts fonctionnaires de l'Etat pour discuter de nos problèmes régionaux. J'ai eu à participer à plusieurs colloques interministériels où nous avons discuté amplement du problème de l'amiante.

Nous avions même suggéré au gouvernement du temps de former un comité permanent qui se tiendrait continuellement à jour sur les problèmes de l'amiante, ses utilisations, le recyclage des résidus, les nouvelles technologies d'extraction, de défibrage, etc., ce qui a donné naissance au comité de recherche et de développement au ministère des Richesses naturelles dont font partie le ministère des Richesses naturelles, le Centre de recherche industrielle du Québec, le Centre de recherche minérale, le ministère de l'Industrie et du Commerce, l'OPDQ. Les universités du Québec y sont aussi représentées.

Il ne faut pas être sorcier pour déduire que la politique de l'amiante annoncée par le gouvernement du Québec n'est pas actuellement le produit

du gouvernement actuel, mais le fruit d'un cheminement naturel qui a été amorcé par les gouvernants du temps et qui a été mûri par la fonction publique.

Je dois aussi avouer que j'ai pris connaissance dans les années 1975 et 1976 à l'Assemblée nationale d'interventions provenant de députés ministériels qui déploraient le fait qu'on retire très peu de notre richesse naturelle qu'est l'amiante.

On soutenait dans le temps qu'on ne connaissait rien dans le domaine, la technologie et les marchés, que le Québec était presque sans défense devant l'envahissement des multinationales, qu'on devrait au moins développer un secteur témoin dans l'amiante.

D'ailleurs, le député de Frontenac du temps a réclamé à hauts cris et sur tous les toits que la province de Québec s'implique, que l'on cesse d'être des spectateurs de notre dépouillement collectif, que l'on retire même certains droits miniers de la société Asbestos Corporation pour que l'Etat du Québec exploite lui-même certains gisements, et cela pour créer de nouveaux emplois et surtout pour que l'on sache ce qui se passe dans la grande famille internationale de l'amiante.

On nous disait dans le temps que c'était impossible de prélever des droits miniers de la société Asbestos Corporation parce que ces droits étaient sacrés, que l'on risquait de se perdre dans un labyrinthe constitutionnel.

En fait, on n'a rien fait, si ce n'est amorcer la formation d'un comité recherche-développement.

Cependant, je ne voudrais pas être injuste. On a légiféré pour garantir des pensions aux travailleurs de l'amiante par le truchement de la loi 52. Je dois aussi signaler l'acharnement du député libéral du temps, le Dr Henri Lecours, qui a été appuyé dans le milieu par plus de 3000 à 4000 travailleurs qui ont dû soutenir un siège de plus de six mois pour gagner leur point.

Ici, je voudrais souligner publiquement l'effort des travailleurs de chez nous. Quand les gars croient fermement en quelque chose, ils sont prêts à se battre et à faire des sacrifices pour atteindre leur but.

On n'a qu'à se rappeler les luttes de 1949 pour faire reconnaître au Québec le droit de se syndiquer et de se battre pour des causes justes.

On n'a qu'à se rappeler la lutte de 1975 qui a établi le droit d'être compensé sous forme de pension proportionnelle au salaire pour les ouvriers qui souffrent de maladie industrielle.

Dès l'annonce de la nouvelle politique de l'amiante, l'automne dernier par le premier ministre, on a immédiatement brandi le spectre de la non-productivité, du socialisme grandissant au Québec, de la peur d'acheter un citron, à cause de la vétusté des installations de l'entreprise et du nombre grandissant des amiantosés, de la réfection des quartiers urbains, etc. On a brandi surtout le spectre de la peur d'être incapables, nous, Canadiens français, de rentabiliser l'entreprise. On n'a pas parlé beaucoup de l'aspect positif de l'opération, à savoir que, du fait d'accaparer des droits miniers de la société Asbestos Ltée, on contrôlait, à toutes fins pratiques, les gisements exploités par la Lake Asbestos et la Bell Asbestos. Quelqu'un qui connaît le coin sait que toutes ces compagnies sont dépendantes les unes des autres sur le plan spatial. Contrôler la compagnie Asbestos Ltée, c'est contrôler la vie économique de toute la région de Thetford Mines-Black Lake. Il faudrait penser que l'on peut faire l'acquisition d'une compagnie tout en respectant les droits des deux autres compagnies. Faudrait-il se demander si la société Asbestos Ltée a toujours utilisé à bon escient ses droits miniers? N'aurait-elle pas empêché l'exploitation rationnelle de gisements avoisi-nant ses terrains, sur lesquels elle possédait des droits miniers? On n'a pas trop parlé du gaspillage journalier de fibres d'amiante qui sont déposées à même les résidus et qui polluent l'air et les eaux jusqu'au fleuve Saint-Laurent. Le prétexte de la non-utilisation de cette fibre que l'on dépose sur les résidus, c'est qu'elle n'est pas rentable sur le marché international, qu'on n'a pas de débouchés industriels valables pour ce genre de fibre. Il est bien sûr que, l'entreprise privée vise toujours des opérations rentables immédiatement dans le temps. Il est bien sûr que l'entreprise privée, si elle a à choisir entre une exploitation rentable socialement et une exploitation rentable économiquement, choisira la dernière. On veut généralement faire une piastre vite. Quant à écoper des difficultés indirectes dues à l'exploitation de l'amiante, pourquoi ne pas s'organiser pour avoir voix au chapitre sur la sélection des fibres à développer sur le marché? Pourquoi ne pas organiser et diriger la recherche pure et technologique afin d'utiliser au maximum et la fibre et le résidu d'amiante? L'Université de Sherbrooke a fait beaucoup de travail en ce domaine. Le Centre de recherche industrielle du Québec a fait du bon travail depuis quelques années pour l'utilisation des résidus. Le Centre de recherche minérale a fait un excellent travail avec des compagnies minières en vue de l'extraction possible du ferronickel des résidus d'amiante. Tous ces organismes ont travaillé avec les moyens du bord. Il faut absolument une volonté gouvernementale déterminante pour encourager les travailleurs, les organismes de la recherche scientifique pour rentabiliser au maximum notre richesse naturelle. Il faut arrêter de se contenter de ce que les Américains ou les Anglais veulent nous dire ou nous faire exécuter.

Quand elles développent un produit dans leurs laboratoires, ce n'est pas nécessairement ce qui fait l'affaire des Québécois, c'est ce qui fait premièrement l'affaire de ces compagnies. Il nous faut, au Québec, accentuer nos efforts dans la recherche de façon à trouver de nouvelles technologies d'extraction, de nouvelles technologies de dé-fibrage non polluant et surtout de trouver de nouvelles utilisations à l'amiante et à ses résidus. Le temps est venu de cesser les luttes partisanes. Donnons-nous les moyens collectifs de nous affranchir économiquement. L'amiante est beaucoup plus qu'une richesse ordinaire au Québec. L'amiante est le symbole de notre richesse collective.

Le Centre de technologie de Sherbrooke a travaillé sur tout un éventail de produits possibles que l'on pourrait fabriquer avec des résidus d'amiante. Quand on parle de création d'emplois nouveaux, si on contrôle à l'abord, c'est là qu'il va se créer de nouveaux emplois, pour autant qu'on va contrôler quelque chose. Dans certains "tailings", l'on pourrait récupérer jusqu'à 30% de silicate de magnésium et dans d'autres "tailings " près de 10% de fibres courtes qui ont été jetées sur le tas parce qu'il n'y avait pas de marché. Il s'agirait de mettre de l'argent là-dedans et de trouver des utilisations pratiques de ces sous-produits. L'industrie privée n'investira jamais là-dedans car le pilotage est très dispendieux et on ne voit pas l'utilité immédiate d'investir trop d'argent dans ce domaine alors qu'il y a tellement d'argent à faire avec la fibre elle-même. Le gouvernement, plutôt que d'investir dans l'assurance-chômage, pourrait investir pour trouver de nouveaux débouchés industriels, donc, des emplois nouveaux. (11 h 45)

Je suis venu faire un tour à l'Assemblée nationale pendant le débat et j'ai entendu plusieurs députés parler de la non-productivité. On dit généralement qu'une entreprise étatisée est moins productive. Pour donner de bonnes preuves à l'appui, on cite SIDBEC, la Société générale de financement, Hydro-Québec, etc. Il s'agirait, si on veut être vraiment honnête, d'évaluer et de quantifier ces dires. Ne serait-ce pas plutôt un dicton populaire que d'affirmer ça? Si c'était vrai, il faudrait peut-être se poser la question suivante: Est-ce qu'une entreprise privée aurait pu véritablement investir l'argent nécessaire pour donner les mêmes services en électricité à la province que ceux que donne l'Hydro-Québec?

La productivité se regarde des deux côtés, il y a la productivité des services. Est-ce qu'une entreprise privée investirait actuellement, en pensant à l'avenir économique du Québec, pour les années 2000? Si c'était vrai qu'il n'y a pas de productivité, n'y aurait-il pas eu, de la part de l'employeur, qui est le gouvernement, une négligence à encourager le travailleur et à trouver des mécanismes nouveaux pour l'intéresser vraiment à produire davantage? Dans la question de l'amiante, il faudra trouver des formules pour que le travailleur se sente impliqué dans le processus, qu'on le gratifie pour les services rendus avec générosité, que l'on récompense l'excellence au travail, que l'on prévoie un véritable fonds minier, dans lequel le travailleur participant puisera après un certain nombre d'années de service.

Le travailleur encouragé par son patron, qu'il soit l'Etat ou une compagnie privée, donne beaucoup plus de production; c'est tout simplement une question de motivation, peu importe le patron. On a parlé aussi, dans les interventions, de socialisme grandissant. Quand l'entreprise privée ne répond pas aux normes qu'une société exige d'elle, la société doit mettre l'entreprise au pas ou se substituer à elle. Dans l'amiante, le Québec a le droit d'exiger le maximum de rentabilité à tout point de vue. D'après certaines déclarations minis- térielles, nous ne transformons, au Québec, que 5% de la matière première, alors que ce sont les étrangers qui profitent au maximum de l'industrie secondaire.

Certes, on invoque toutes sortes de raisons, on plaide le fait que ce n'est pas rentable de transformer au Québec. Le refrain dure depuis au-delà de cinquante ans. Alors que l'on est menacé aujourd'hui d'être étatisé, l'Association des mines d'amiante commande une étude spécialisée; SORES va venir ici faire un rapport. Voilà qu'on nous affirme candidement qu'il y aurait trois ou quatre débouchés possibles; actuellement, on pourrait faire quelque chose de potable avec ça.

Il y a quelques années, d'après les leaders des compagnies — je parle des petits leaders de chez nous — il n'y avait pas du tout de débouchés. Il y a du danger; alors, il y a peut-être quelques possibilités. Si le gouvernement embarque là-dedans, peut-être qu'en faisant un peu de recherche, on pourra avoir plus de possibilités, parce qu'on va contrôler.

Enfin, l'entreprise privée craint une intervention sérieuse de l'Etat, parce que les règles du jeu ne seront plus les mêmes. On ne parlera plus le même langage, les priorités ne seront plus les mêmes. Il est arrivé, au Canada, que d'autres entreprises soient étatisées, sans que, pour cela, les gouvernements en question soient taxés de socialisme ou de communisme. On prend comme exemple Canadair, le Canadien National, Air Canada; je ne pense pas que le gouvernement de M. Trudeau passe pour communiste ou que les libéraux passent pour communistes à Ottawa parce qu'ils ont fait certaines nationalisations de service.

Souvent, si l'entreprise étatisée a mal fonctionné, c'est qu'elle avait déjà mal fonctionné avant que l'Etat l'achète. Il ne faut pas se fier là-dessus pour juger ça. La région de Thetford-Black Lake; si nous nous fions à Flintkote qui a fermé ses portes il y a quelques années, nous constatons aujourd'hui des graphies et des trous; je vous avoue que cela n'est pas un spectacle consolant. Si nous ne prenons pas notre sort en main, avec l'aide de l'Etat provincial, toute la région de Thetford-Black Lake offrira un spectacle désolant dans 20 ou 25 ans. Nous sommes bien conscients qu'il faut vivre avec certaines contraintes dans notre environnement, mais il ne faudrait tout de même pas se résigner à se faire vider de nos richesses naturelles et ne pas dire un mot.

La Société nationale de l'amiante devra prendre conscience de son rôle social et devra bâtir, à même ses revenus et ses profits, une structure industrielle parallèle qui assurera la survie économique de notre région. La Société nationale de l'amiante assurera le cycle complet, l'extraction de l'amiante, elle favorisera la transformation de la fibre au maximum, elle recyclera les résidus en multiples produits qui serviront les travailleurs de toute la région de Thetford et ceux du Québec.

Recommandations au gouvernement. Vous allez retrouver à peu près la même chose que dans le mémoire de la CSN, tout à l'heure. Même si nous favorisons une présence réelle du gouvernement du Québec dans le monde de l'amiante en

acquérant les actifs de la Société Asbestos Limitée, il ne faut pas être naïf. Le Québec ne devrait pas payer plus cher que cela vaut. Il faudra tenir compte de la vétusté des installations de cette société. Il faudra tenir compte également de la vétusté prématurée des quartiers domiciliaires situés à proximité des installations minières, tels le quartier Mitchell, à Thetford Mines et tout le vieux quartier, à Black Lake. Vous savez que le vieux quartier, à Black Lake, n'est à peu près bon que pour tourner des films de l'ancien temps. Pour ceux qui on vu le film "Mon oncle Antoine ", vous avez une idée de ce qu'est Black Lake. Cela fait réfléchir. Heureusement qu'il y a le nouveau quartier.

Les gens ont le droit d'être compensés pour ces inconvénients. Il n'est pas normal que les gouvernements, tant fédéral, provincial ou municipal aient à défrayer presque seuls la relocalisation ou la rénovation de ces quartiers. Si le gouvernement provincial ne tient pas compte de ces points dans la transaction avec la Société Asbestos Limitée, il récoltera certains problèmes avec les municipalités concernées, li faudrait souligner aussi que l'Etat devra payer toutes ses redevances municipales et trouver un moyen, dans les règlements de la Société nationale de l'amiante, pour que les municipalités n'aient pas à souffrir de perte de revenus, à cause de l'achat de la société Asbestos Limitée.

Les municipalités sont déjà à court de moyens financiers pour assurer les services que réclament les citoyens. La Société nationale de l'amiante aura à travailler conjointement avec les municipalités de notre région et il faudra que la Société nationale de l'amiante paie des tenants lieu de taxes égaux aux taxes que les compagnies minières qui vont rester dans le secteur privé vont payer aux municipalités.

Nous espérons et nous exigeons même que tout le centre administratif de la société Asbestos Limitée qui est présentement dans l'édifice de la Sun Life à Montréal soit rapatrié dans la région de Thetford Mines-Black Lake. Le fait que ce centre administratif soit présentement à Montréal crée toutes sortes de difficultés d'ordre administratif entre les municipalités, les corps intermédiaires et la compagnie elle-même.

Il est bien entendu que nous souhaitons également que le siège social de la Société nationale de l'amiante soit établi dans la région de Thetford, puisque la majorité de ses installations se trouveront chez nous. Merci beaucoup.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci M. le maire. M. le ministre.

M. Bérubé: Je serai bref, M. le Président, pour donner le temps aux députés de s'exprimer, peut-être, ainsi qu'à notre adjoint parlementaire qui fait une tâche absolument remarquable au cours de ce long débat.

Je vous dirai messieurs. M. Cloutier en particulier, que j'ai profondément apprécié votre mémoire, non seulement parce qu'il va dans le sens de certaines idées que nous avons défendues, mais parce que je devine chez vous quelqu'un qui ne partage pas nécessairement nos idées politiques mais qui partage une certaine vue du Québec, qui aborde le Québec avec un certain souffle, une certaine imagination, quelqu'un qui a un désir de se prendre en main, d'essayer de se relever les manches de temps en temps et d'aborder un problème. Vous avez mis le doigt sur plusieurs points extrêmement importants. Je pense que vous avez souligné qu'une politique de l'amiante, ce n'est peut-être pas à se garrocher en l'air, mais il faudrait peut-être essayer de la mettre le plus réaliste possible, commencer au bas de l'échelle et essayer de bâtir, à partir d'une société, de bâtir à partir de quelque chose et, graduellement, essayer de faire grossir cette entreprise à la mesure de nos moyens et au fur et à mesure qu'on développera la technique et les connaissances.

Je pense que vous avez exprimé là un certain nombre de vérités simples. Vous avez exprimé là un optimisme, face au Québec, que j'apprécie. Je pense que tout cela était totalement absent de par-tisanerie politique. Personnellement, je dois vous dire que je l'apprécie énormément.

Parmi les questions — j'aurai peu de questions — il y en aurait une qui a été soulevée par votre texte, en le lisant avec vous. Vous soulignez que c'est l'aboutissement de quelque chose. Je sais que vous avez joué un rôle extrêmement important, dans les années précédentes, comme animateur du développement économique de votre région et tout le monde connaît votre dynamisme. J'aimerais savoir si l'idée de cette politique de l'amiante, c'est quelque chose que vous avez souvent discuté, par exemple, avec les fonctionnaires, à Québec? Avez-vous l'impression que c'est quelque chose qui a mûri véritablement, tranquillement, dans les esprits des gens qui vous entouraient? Vous avez sans doute discuté assez souvent avec le CRDCE. Pourriez-vous nous faire part un peu de l'évolution des longues discussions que vous avez eues, de la réflexion que vous avez eue sur le sujet? Dans quelle mesure croyez-vous que ce qu'on présente aujourd'hui est peut-être le résultat de vos travaux, beaucoup plus que quelque chose qu'on a imaginé, qu'on a bâti à partir de zéro? J'aimerais que vous me fassiez part un peu de toute cette réflexion.

M. Cloutier: II faut se demander aussi comment il se fait que j'ai été nommé par le gouvernement, dans le temps. Il y a eu l'incendie de la King Beaver, le 8 décembre 1974. Puis il y a eu 800 chômeurs sur le pavé. En fait, c'est comme une mine qui se fermait un peu. On a réalisé, dans la région de Thetford, que s'il fallait que tout cela ferme demain matin, on connaîtrait le même problème, mais à une plus haute échelle encore. On a réalisé qu'on se ramasserait, évidemment, avec des trous. On a dit: Cela n'a pas de maudit bon sens, cette affaire. Les libéraux du temps qui ont requis mes services — on était bien conscients de cela aussi, il faut leur donner tout cela, d'ailleurs, je suis très apparenté à ces gens, je n'ai rien

contre eux-autres — ont dit: Mon Georges, tu es un fruit du milieu. Tu vas venir rencontrer les sous-ministres dans nos ministères et tu vas essayer de rapatrier tout cela, les dossiers. On va essayer d'étudier cela ensemble et on va essayer de trouver des solutions. Pour les solutions, on est loin de Montréal, nous autres, on est loin des grands centres, la meilleure solution, c'est encore d'exploiter ce qu'on a chez nous, parce qu'on nous arrive toujours avec des histoires de transport et ces affaires-là. On a fait des réunions interministérielles, au ministère des Richesses naturelles, au ministère de l'Industrie et du Commerce, aux autres ministères, à l'OPDQ, etc., et on a discuté à tête reposée, de ces problèmes. Tout le monde était d'accord qu'il fallait exploiter au maximum la ressource qu'on a là, mais qu'on n'était pas capables de le faire, parce que nous n'avions aucun contrôle sur cela, actuellement.

Les compagnies minières, je ne leur en veux pas. Ce sont comme des requins dans l'océan. Il y avait passablement de poissons. Ils ne commenceront pas à galvauder les petits poissons tant qu'il y en aura des gros. La fibre d'amiante qu'on exploite actuellement, c'est payant. On ne commencera pas à "gosser " avec des projets qui pourraient créer éventuellement des emplois, peut-être que oui, peut-être que non. Ce qui est important pour eux autres, c'est qu'il faut qu'ils mettent de l'argent. Or, de l'argent, ces industriels ne veulent pas en mettre; ils disent que ce n'est pas assez sûr, cette affaire-là.

On a parlé de cela avec les universitaires, les gars de Sherbrooke surtout, qui ne sont pas des innocents. Je tiens à souligner ici que ce sont des gens qui ont conscience qu'on devrait faire quelque chose avec l'amiante, surtout avec les résidus. On a pensé aux résidus surtout.

Les fonctionnaires disaient: Si tu veux, Georges, c'est bien beau tout cela, mais que veux-tu? Ces dépotoirs ne sont même pas à nous. On va nous accrocher tout de suite et nous dire: Elle ne sont même pas à vous, ces affaires-là. Il faut trouver un mécanisme pour être propriétaire de ces dépotoirs. Les acheter, cela n'a quasiment pas de bon sens. On nous dit que ce n'est pas rentable, quand on ne les achète pas. Imaginez-vous, quand on les achète.

Là, on nous dit: On a formé un comité de recherche. Cela ne s'appelait pas comme cela. M. Cournoyer ne l'a pas baptisé tout de suite. Ce comité était censé s'occuper uniquement de trouver des solutions pour utiliser nos résidus d'amiante et essayer de trouver de nouvelles utilisations pour la fibre. C'est là qu'a pris naissance, avant le 15 novembre, le fameux comité de recherche-développement que, je pense, vous autres, ensuite, vous avez institutionnalisé. Je ne sais pas si c'est fait, mais c'est censé être cela. (12 heures)

Là-dedans, il y a des universitaires, des hauts fonctionnaires, des gens qui sont censés ne pas faire de politique, qui sont censés voir le bien de la province. Je pense bien que c'est venu un peu de cela, la politique de l'amiante. Cela ne m'a jamais été dit, mais j'imagine qu'il ne faut pas être trop brillant pour déduire que cela vient de là. C'est venu des libéraux et c'est venu des péquistes après. Je pense que les deux ont été conscients qu'il fallait faire quelque chose. Le problème est que la loi est présentée par le Parti québécois. Je ne veux pas tellement faire de politique, je ne suis pas péquiste et je ne suis pas entièrement libéral non plus. Je suis pour qu'on avance dans le coin et qu'on cesse de faire de la politicaillerie autour de projets comme cela. Qu'on ait de la détermination et qu'on dise: Qu'on exploite, au moins, au maximum, cette ressource si c'est possible. On a des universitaires pour nous dire: Ecoutez, les gars, c'est du foin qui manque dans la recherche. On pourrait peut-être trouver des choses là-dedans. Cela prendrait du foin pour faire du pilotage. Les compagnies, actuellement, ne veulent pas en faire, parce qu'elles ne sont pas conscientes que cela va rapporter une piastre vite, cette affaire. Quand on administre les richesses naturelles, ce n'est pas nécessaire de faire une piastre vite. C'est de créer des emplois et de donner de la fierté aux gens d'une région en exploitant au maximum ses richesses naturelles; pas en exploitant les gens, en exploitant la richesse. Il y a une distinction entre les deux. Je ne démords pas de cela, même si les libéraux vont me dire que je suis un vendu. Cela ne me fait absolument rien. Je suis vendu à ma région. C'est cela que je veux dire ce matin. Je suis certain que, si le gouvernement investit des millions dans cela, on va finir par faire quelque chose. On n'est pas plus fous que les Américains. Les Américains, ce sont eux qui contrôlent la recherche. Ils vont nous dire ce qu'ils veulent nous dire. C'est en fonction de leurs buts économiques. Je ne sais pas si cela répond à la question de M. le ministre. Je m'exprime peut-être mal, mais, en tout cas, c'est cela.

M. Bérubé: Au contraire, vous vous exprimez trop bien.

M. Forget: ...

M. Bérubé: Tout ce que je pourrais vous dire, M. Cloutier, c'est qu'ensemble, avec le maire également de Thetford, on va essayer de faire quelque chose pour qu'effectivement, cette politique de l'amiante soit en même temps votre politique, parce qu'il faut le reconnaître, elle vient pas mal de vous autres.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci. Je vais essayer, avec votre collaboration, de m'en tenir au temps prévu. J'aimerais poser au maire de Black Lake, essentiellement, les mêmes questions que celles que j'ai posées au maire de Thetford Mines. Il nous a dit, de façon très éloquente, qu'il voulait qu'il y ait des choses qui se fassent dans sa région; c'est tout à fait légitime de sa part. Parmi les choses qui pourraient résulter d'actions gouvernementales, j'ima-

gine qu'il y a des idées précises. J'aimerais savoir, à propos d'idées précises comme, par exemple, la question du siège social, s'il a l'impression que le gouvernement actuel s'est engagé à ce que le siège social soit dans sa région, dans l'une ou l'autre des villes, peu importe. Est-ce que le gouvernement actuel s'est engagé à ce que l'industrie éventuelle de transformation qu'on veut créer, apparemment, soit établie dans la région?

M. Cloutier: A ce que je sache, le gouvernement actuel ne s'est jamais engagé à faire des usines de transformation de l'amiante dans la région de Thetford, parce que, même si c'est le gouvernement qui prend cela, il faut toujours avoir en tête qu'il va falloir qu'il y ait une rentabilité dans cela, tout le temps. Il peut arriver qu'on se ramasse avec quelques usines, c'est bien possible. On l'espère même. Ce serait mieux que comme c'est là, on n'en a pas du tout. Ce qui est important dans cela, c'est que cela rapporte à tout le Québec. C'est ce qui est important. Que l'usine soit à Drummondville... Si c'est plus rentable de la mettre à Drummondville, on la mettra à Drummondville. Si c'est plus rentable de la mettre à Thetford, on la mettra à Thetford. Parce que ce n'est pas parce que c'est le gouvernement qui va avoir cela qu'il va falloir faire de la politique et donner des priorités politiques plutôt que de donner des priorités économiques. Il va falloir que les dossiers soient jugés selon des critères économiques.

M. Forget: Vous avez dit tout à l'heure que vous étiez surtout intéressé à ce qu'il y ait quelque chose qui se produise dans la région.

M. Cloutier: Oui, mais je vais en venir à cela, monsieur...

M. Forget: Mais il faut comprendre — je vous inviterais à répondre un peu plus brièvement, parce qu'il y a d'autres invités après vous — que, si la transformation a lieu ailleurs... Pour votre région, à quoi pensez-vous quand vous dites: II faut qu'il y ait quelque chose qui se passe?

M. Cloutier: Je pense aux milliards de tonnes de résidus d'amiante qu'il y a chez nous. Ces gens ne peuvent pas transporter ce résidu ailleurs, il faut qu'ils le travaillent chez nous. Quand il sera semi-ouvré, on le transportera. Cela va créer énormément d'emplois. Je conseillerais à la commission parlementaire d'inviter des représentants de l'Université de Sherbrooke qui pourraient, peut-être, vous faire un exposé sur les possibilités de rentabiliser les résidus d'amiante. Cela, je suis sûr, va profiter énormément à notre région. Je ne pense à la fibre, à la transformation de la fibre, comme telle, je pense surtout à la transformation des produits métalliques qu'il y a dans les résidus d'amiante.

M. Forget: Je vois.

M. Bérubé: M. le député de Saint-Laurent, si vous me permettez de souligner quelque chose pour marquer effectivement que je suis d'accord avec ce que M. Cloutier dit. J'ai effectivement travaillé pour le ministère des Richesses naturelles à l'extraction du nickel des rejets et je peux confirmer qu'il y a un potentiel extrêmement intéressant dans les rejets d'amiante.

M. Forget: Ce sont des études qui sont connues, il y a une possibilité de produire des engrais également avec cela.

M. Cloutier: Oui.

M. Forget: Alors, c'est votre préoccupation à vous, comme maire de Black Lake, que cette question des résidus trouve une solution dans la politique gouvernementale, même si comme telle, la loi n'en parle pas. Je pense que vous en êtes bien conscient, il n'y a rien dans la loi qui indique que la Société de l'amiante s'intéresserait aux résidus. C'est peut-être une chose qu'il faudrait ajouier dans le projet de loi.

M. Cloutier: Je pense que dans le projet de loi, on prévoit que la Société nationale d'amiante pourra financer, peut-être, les expériences qui vont amener cela.

M. Forget: Non, cela non plus, on ne le prévoit pas.

M. Cloutier: Je ne suis pas si sûr.

M. Forget: Mais, c'est peut-être une chose qu'il faudrait nous indiquer, savoir où dans la loi, mais il n'y a rien qui le prévoit dans le projet de loi. D'ailleurs, le ministre a dit que c'était quelque chose qui était en dehors de ce projet-ci en particulier. Cela viendrait plus tard, à l'automne. Pour ce qui est du siège social, vous avez dit: C'est une exigence; d'un autre côté, le projet de loi est très très vague là-dessus. Il dit que le siège social sera fixé par un décret du lieutenant-gouverneur en conseil. Ne trouvez-vous pas qu'il soit souhaitable que le projet de loi mentionne spécifiquement que le siège social soit dans la région?

M. Cloutier: Ce serait souhaitable, parce que la majorité des opérations de la société Asbestos Limitée va être dans la région de Thetford. Je pense que c'est normal. Il y a assez que c'était à la Sun Life, j'espère, que si le gouvernement embarque là-dedans, il va placer au moins l'exécutif de la compagnie dans la région de Thetford. Au moins qu'il soit près du trou, pour connaître les mêmes difficultés que les travailleurs qui sont dans le trou.

M. Forget: Maintenant, pour ce qui est des taxes, vous recevez probablement une part importante de vos taxes foncières de la société Asbestos. Comme vous savez, quand cela deviendra

propriété du gouvernement, si vous continuez à recevoir ces montants-là, ce sera à titre de cadeau, de la part du gouvernement, mais il ne sera pas tenu du tout de payer des taxes foncières. Ne trouvez-vous pas qu'il devrait y avoir dans la loi une indication spécifique obligeant toute filiale de la Société de l'amiante et la Société de l'amiante elle-même à payer des taxes foncières sur ses propriétés de la même façon si cela continuait d'être une entreprise privée.

M. Cloutier: Si vous me demandez mon opinion là-dessus, si c'est possible de le faire, j'aimerais que cela soit inclus dans la loi. Que l'on soit sûr que l'on va retirer les mêmes taxes, les taxes d'affaires, les taxes spéciales, la possibilité même de faire des taxes spéciales; parce que pour l'autre compagnie, à côté, on peut Jes exiger. Je voudrais que tout simplement la Société nationale d'amiante se comporte exactement comme l'entreprise libre, mais qui prend ses responsabilités sociales. Alors, cela veut tout dire. Cela veut dire que si l'entreprise libre paie des taxes foncières et qu'elle paie une taxe spéciale à l'occasion pour un problème spécial dans la région, que l'entreprise gouvernementale soit tenue de payer la même chose.

M. Forget: Maintenant, une dernière question, M. Cloutier. Vous avez fait plusieurs remarques au sujet de la rentabilité, ou de la non-rentabilité des entreprises publiques. C'est peut-être ma faute, mais je ne suis pas sûr si j'ai bien compris ce que vous disiez. J'ai cru percevoir, vous pouvez me corriger si je me trompe, que vous aviez la conviction que s'il n'y avait pas de développement qui s'était fait par l'entreprise privée dans la région, sur le plan du traitement des résidus ou de la fabrication, c'était parce que la rentabilité n'était pas suffisante ou qu'il n'y avait pas de rentabilité financière prévisible pour les compagnies en question.

Vous jugez donc que la justification d'une intervention gouvernementale est qu'il s'agira d'investissements qui vont fonctionner financièrement à perte, mais des pertes qui seront compensées par des avantages sociaux.

M. Cloutier: Ne me faites pas dire des choses que je n'ai pas dites M. Forget. J'ai dit que les compagnies disaient cela. Cela ne veut pas dire que je partage leur opinion. Si le gouvernement fait faire des études, il peut arriver à des conclusions nettement différentes de celles des compagnies en question, parce que les compagnies ont actuellement des préoccupations financières qui ne sont pas nécessairement les préoccupations d'un gouvernement.

M. Forget: Non, mais des préoccupations financières, ce sont des préoccupations financières! On peut différer d'avis. Autrement dit, ce que vous nous dites, c'est que le gouvernement est mieux placé pour analyser et percevoir des possibilités de rentabilité que l'entreprise privée...

M. Cloutier: Oui.

M. Forget: ... qu'il a un meilleur jugement pour cela que l'entreprise privée.

M. Cloutier: D'après moi. En tout cas, c'est plus libre d'attache, un gouvernement, parce que le gouvernement pensera aux chômeurs, aux travailleurs et à tout cela.

M. Forget: Cela ne s'égalise pas, étant donné ce que vous avez dit tantôt sur la politicaillerie qui se fait autour de cela. Cela risque d'être aussi un jugement un peu plus politique.

M. Cloutier: On devrait arrêter de faire de la politicaillerie, M. Forget.

M. Forget: Pensez-vous qu'on va arrêter?

M. Cloutier: Bien! Cela peut arriver! Il y a un commencement à tout.

M. Forget: Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Richmond, brièvement, s'il vous plaît, pour permettre au député de Frontenac de faire une courte intervention.

M. le député de Richmond.

M. Brochu: Alors, avec le même consentement que le ministre m'a accordé hier soir, on pourrait faire cela.

M. Bérubé: Vous êtes bien gentil.

M. Brochu: Brièvement, j'aimerais toucher la question de la rentabilité avec M. le maire Cloutier. Vous avez souligné cet aspect et je pense qu'il faut le voir, même si, évidemment, on considère l'objectif d'un besoin urgent de transformation, il faut le faire, il faut trouver le moyen de le faire, on est entièrement d'accord. A présent, il faut aussi trouver le moyen le plus rentable de le faire.

Vous avez dit tantôt qu'il est sûr que la rentabilité a été mise en question à différents moments où ces discussions ont eu lieu même au cours des années passées, mais vous avez aussi parlé dans ce sens des entreprises d'Etat qui pourraient être rentables, mais pas nécessairement.

Vous avez fait état de la question de l'Hydro-Québec, par exemple, des investissements du Québec qui ont amené ce grand développement. Maintenant, lorsqu'on situe la question de l'hydroélectricité au Québec, on se situe quand même dans le cadre d'un monopole, et je pense qu'il ne faut pas l'oublier au point de départ, tandis que l'avenue que semble, du moins pour le moment, vouloir emprunter le gouvernement est d'abord celle de la création d'une Société nationale de l'amiante pour ensuite se porter acquéreur d'une des entreprises exploitant l'amiante en sol québécois.

Sur la rentabilité, j'ai posé la question à d'autres intervenants, j'aimerais avoir vos opinions là-dessus, peut-être celle de M. Tanguay aussi.

De quelle façon voyez-vous ou quel degré d'assurance peut-on avoir maintenant en ce qui concerne la rentabilité du projet du gouvernement de n'acquérir qu'une seule des entreprises pour se donner le privilège ou la possibilité de s'asseoir, comme le disait le premier ministre, à la même table que les autres producteurs?

On peut parler en termes de mise en marché. On peut parler en termes de tout cela, mais, dans votre esprit, quelle forme de garantie avez-vous actuellement que la voie que choisit actuellement le gouvernement soit, celle d'acquérir une seule des entreprises exploitant l'amiante au Québec, faisant l'extraction de l'amiante, va nous garantir d'atteindre nos objectifs de créer à long terme de l'emploi, etc?

M. Cloutier: Concernant la rentabilité, pour être bien franc avec vous, dans la région, un peu tout le monde répète ceci. On dit: Le gouvernement s'embarque dans une belle affaire. Où cela prend deux gars, cela va en prendre quatre. C'est un peu le dicton populaire.

M. Brochu: ... gouvernemental, c'est presque reconnu par tout le monde.

M. Cloutier: C'est cela. Je ne crois pas à cela. Si vraiment on dit aux travailleurs: Vous avez un défi à relever... Cela fait 50 ou 75 ans que l'on attend, dans la région, de prendre nos affaires en main. Les travailleurs ne sont pas des imbéciles. Ils sont 3000 ou 4000, environ 2000 à la société Asbestos Ltée. S'ils ont vraiment l'occasion de relever un défi et de se mettre en évidence, si vraiment l'employeur est le moindrement humain avec eux et leur donne un peu de prime d'encouragement pour la production, ils ne sont pas plus fous que les travailleurs qui travaillent à Lake Asbestos ou à Bell Asbestos. D'ailleurs, actuellement, la productivité est pas mal meilleure à la Lake Asbestos et à la Bell Asbestos. Pourquoi? Parce que les patrons sont plus près et qu'ils épaulent leurs travailleurs. Quand on est téléguidé, le coeur... (12 h 15)

C'est entendu que si le gouvernement achète et laisse cela exactement comme cela marche actuellement, ce n'est pas garanti qu'il va avoir plus de productivité. J'espère qu'il va y avoir un "tune up". On s'attend à cela, en tout cas. D'ailleurs, j'en ai parlé au premier minsistre.

M. Brochu: M. Tanguay, peut-être avez-vous quelque chose à ajouter là-dessus?

M. Tanguay: II reste que ce sera aux administrateurs à voir ce qu'il y a là de plus convenable. Cependant, quand on constate que la société Asbestos a fait un revenu net, d'après les derniers rapports que je reçois, le 20 février 1978, de $21 millions, bien qu'elle ait baissé sa dette de près de $7 millions cette année, on voit tout de même qu'il y a là des possibilités de revenus.

Quand on sait comment se fait l'exploitation à l'heure actuelle à l'Asbestos Corporation, simplement en vue de la rentabilité, sans conservation de la fibre... il faut qu'il passe tant de camions à l'heure. Si les camions n'ont pas ie temps à cause de la pluie, la fibre est trop longue, elle est prise dans le broyeur, alors les camions sont tout simplement envoyés au bout du dépotoir.

On se dit qu'il y a peut-être lieu d'envisager qu'une compagnie gouvernementale, si la compagnie est possédée par le gouvernement, regarde davantage les problèmes de conservation de la fibre, s'intéresse ensuite à ce que les profits réalisés soient réinvestis au Québec. Il n'y a aucune loi qui oblige à faire cela présentement.

L'aspect national est absolument absent chez ces compagnies. Ce qui veut dire que le Québec donne sa fibre et ce que je trouve le plus terrible, c'est que la compagnie ne paie rien pour la fibre. Quand elle a broyé la pierre et extrait une partie de la fibre, tout ce qui reste dans ie dépotoir lui appartient.

M. Brochu: II y a un autre point sur lequel j'aimerais avoir votre idée, M. Tanguay. Il y a eu des articles de presse assez abondants autour de la question de l'amiante depuis un bon bout de temps. Dans cette presse, vous avez vous-même émis un certain nombre de commentaires sur la situation. J'ai cru percevoir à un moment donné, dans un article, entre autres, une des réserves que vous émettiez sur le choix des moyens que prend le gouvernement actuellement, en ce qui concerne la nationalisation. Vous établissiez un peu une comparaison avec SIDBEC. A la lumière de l'évolution du dossier, de vos réflexions là-dessus, est-ce que vous pouvez nous dire maintenant quel est votre point de vue à ce sujet?

Je ne sais pas si j'ai bien compris vos interventions, nous, on sait que ce n'est pas une société d'Etat. Ces industriels reçoivent des prestations d'aide sociale du gouvernement ils viennent, à tout bout de champ, chercher des fonds, prétendant que ce n'est pas nécessairement rentable. Je ne sais pas si c'était le sens de votre préoccupation, j'aimerais que vous donniez votre opinion là-dessus.

M. Tanguay: Vous faites allusion à des discussions, soit à Contrechamp ou encore à une émission réalisée à Thetford. Quand on apporte parfois dans la discussion des éléments et qu'on dit à quelqu'un: Fais attention, la marche est haute, ça ne veut pas dire nécessairement qu'on est contre quelque chose. Je crois que le gouvernement lui-même annonçait que son intention était de voir à la création d'emplois ou au relèvement économique de la région, il voulait créer un centre de recherche. A ce moment-là, qu'on pose des questions au ministre dans une soirée et qu'on lui dise: Le processus que vous prenez, de quelle manière et au bout de combien de temps va-t-il créer ces emplois qui sont visés au fond?

Vous-mêmes, MM. les députés et M. le ministre, vous savez encore plus que nous combien le problème est complexe, il y a une multitude d'aspects. C'est peut-être bon justement que, dans des choses comme cela, on fasse ressortir différents aspects pour en venir, après cela, à un consensus.

M. Brochu: Merci. Il y a un dernier éclaircissement que j'aimerais avoir des gens de cette région. Il semble y avoir de nombreux consensus qui se dégagent autour de cette question. Chez vous, il y a de sérieux problèmes de santé qui ont besoin d'être corrigés; pour les travailleurs, cela fait des années que ça dure. Chez nous, à Asbestos, c'est la même chose. Au niveau de la transformation, on veut que quelque chose se fasse, que des actions soient entreprises pour arriver à plus de transformation: je ne parle pas des moyens, je parle de l'objectif.

Il semble y avoir, de la part de différents groupes de la région de Thetford, de votre part, du syndicat qui a été entendu avant vous, de la ville de Thetford, hier soir, une espèce de consensus autour du fait qu'Asbestos Corporation semble avoir une attitude repréhensible à différents points de vue, à bien des égards. Ce que les gens ont dit avant vous que ce sont peut-être les moins bons patrons, soyons gentils: au niveau des citoyens, il semblerait qu'au point de vue civique, les gens qui dirigent Asbestos Corporation ne sont peut-être pas les meilleurs citoyens de la région.

Devant tout cela, devant la volonté que vous exprimez, d'une façon commune, de voir faire quelque chose, est-ce que l'attitude générale des gens de votre région n'est pas que le premier pas, ce soit de sortir des mains d'Asbestos Corporation? Est-ce que ce ne serait pas cela? D'accord vous prenez la nationalisation comme un moyen, c'est comme quelqu'un qui est prisonnier sur une île, il prend le moyen qui passe, l'important est de sortir. Est-ce que ce ne serait pas cela? Ecoutez, mon impression générale est dans ce sens. Je vous pose bien directement et bien candidement la question. Est-ce que ce ne serait pas la volonté des gens de Thetford, du syndicat et des municipalités, de sortir de l'île d'Asbestos Corporation?

M. Tanguay: J'aimerais vous répondre, M. Brochu, et ensuite donner la parole à M. Vachon. Je pense que l'attitude des gens de Thetford, à l'heure actuelle, celle aussi que nous avions eue, autrefois, au comité des mines, c'est de penser que, quand une région fournit d'immenses richesses en matières premières et qu'elle est une source de richesses pour la province et le pays, elle doit s'inquiéter de ne pas être, au bout d'un certain nombre d'années, une ville fantôme et, face aux autorités gouvernementales et face aux compagnies exploitantes, qu'elle réclame, pour qu'on soit capable de créer des industries de transformation ou autres, à même les revenus de ces mines, pour permettre à cette région d'être capable de vivre dans l'avenir et de garder sa place. Jusqu'à maintenant, cette région a été une zone grise dont on a sorti les richesses forestières et on est en train de sortir les richesses de minerai. Il n'y a jamais beaucoup d'investissements qui sont entrés. Est-ce que cela répond à votre question, M. le député?

M. Brochu: Oui, de façon générale. Il y aurait d'autres nuances à apporter là-dessus, mais on pourra y revenir.

M. Vachon (Paul): Moi, j'irais plus loin en disant qu'Asbestos Corporation n'a jamais rempli de devoir social envers la région. On pourrait donner des exemples de salubrité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des usines. Cela a été suffisamment dit, je pense. Il y a également la fermeture de certaines mines d'amiante. Nous sommes restés avec un environnement tout à fait épouvantable, des montagnes de résidus, des trous dans lesquels il y a eu des gens qui se sont noyés, quand ce ne sont pas des glissements de terrains où des enfants risquent d'être ensevelis. On pourrait discuter longtemps du devoir social des compagnies.

On pourra aussi parler de la relocalisation de certains quartiers qui a été payée presque en totalité par les trois paliers de gouvernement: municipal, provincial et fédéral. Il y a également le problème d'un quartier qui existe encore à Thetford et qui n'est pas relocalisé parce que cela ne fait pas l'affaire de l'Asbestos Corporation. C'est le quartier Mitchell. Lorsqu'on fait sauter du minerai, lorsque l'Asbestos Corporation produit dans son ex-moulin de la King Beaver, il y a même des pierres qui vont défoncer le toit de ces maisons. On pourrait encore discuter du devoir social.

Oui, on veut sortir des mains de l'Asbestos Corporation, mais on ne veut pas non plus aller entre les mains de n'importe qui. On veut aller entre les mains du gouvernement, parce qu'on prétend que le gouvernement a une politique de planification à long terme, on prétend que le gouvernement est intéressé par l'investissement au Québec des produits de l'amiante et on prétend également que le gouvernement du Québec aura un devoir social qu'il devra remplir envers les Québécois. A ce moment-là, on saura au moins à qui s'adresser et on aura des moyens de pression. Peu importe les gouvernements, on aura des moyens de pression. En tout cas! On ne se couvrira pas de n'importe quel anonymat. Effectivement on veut sortir des mains de l'Asbestos Corporation pour s'en aller dans les mains du gouvernement du Québec.

Une Voix: Je pense que monsieur avait quelque chose...

M. Rouleau: En fait, pour enchaîner sur ce sujet, c'est vrai que le dossier de l'Asbestos Corporation est, du côté social, un dossier très sombre et même très noir. C'est vrai que les employés souhaiteraient changer de patron, parce que ce serait très facile de trouver un patron meilleur que celui qu'ils ont à l'heure actuelle, du moins un patron plus présent, peut-être plus humain aussi. Je pense que, dépassé ce stade de réflexion, il y a quand même une volonté collective régionale qui semble dépasser les frontières de notre région, une volonté québécoise, et même si vous voulez, si vous me passez le mot, pour qu'en fait le gouvernement du Québec, l'Etat du Québec se donne les moyens pour que l'amiante devienne notre propriété.

Le fait d'acheter de gré à gré ou même, à la limite, de nationaliser l'Asbestos Corporation, cela dépasse l'image, c'est-à-dire le cadre social dont

on parle présentement. A mon avis, et aussi de celui de l'association que je représente, il y a une liste de choses qu'on pourrait faire qui nous permettraient d'être d'accord avec cet achat. Sans doute que cela a été mentionné.

J'ai assisté à la séance tantôt où on a mentionné aussi des objectifs. Que l'Asbestos Corporation détienne les concessions minières de la région, c'est quand même une raison assez importante, M. Brochu. Que les réserves de l'Asbestos Corporation soient très importantes et qu'elles semblent même s'agrandir avec le temps, c'est très important, M. Brochu. Le fait que l'Asbestos Corporation détienne, de la meilleure qualité, une grande variété de fibres d'amiante, c'est assez important aussi. Le fait aussi qu'il faut, quand on veut aller dans la transformation, s'assurer au moins de la source de l'amiante, c'est-à-dire ne pas se faire couper les vivres, c'est un détail, il me semble, assez important. Il y a cette image sociale, mais il y a tous les aspects économiques dont il faut tenir compte aussi.

M. Brochu: Je vous remercie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Frontenac.

M. Grégoire: Je voudrais enchaîner un peu dans ce qui...

M. Brochu: Seulement une petite remarque. J'aimerais beaucoup que M. Paquette puisse...

M. Paquette (Nazaire): Seulement un petit mot à ajouter, si vous voulez, si vous me le permettez, M. le député. On se connaît bien.

M. Grégoire: Oui.

M. Paquette (Nazaire): Je suis représentant du conseil central. Les syndicats ont parlé tout à l'heure, mais un syndicat. Je représente le groupe des syndicats de la CSN de la région. On a pris des positions. On a étudié attentivement les répercussions, etc. On en est venu à une conclusion. Nous ne sommes pas seulement les syndicats des mines, mais les syndicats d'hôpitaux, d'employés d'ateliers, de n'importe quoi, dès que cela couvre le conseil central. On a pris une position bien claire. Elle a été unanime. Il y a des gens qui ne travaillent pas dans les mines, mais qui ont connaissance de ce qui s'y passe, d'autant plus qu'ils ont vécu avec nous autres, moralement, la grève de l'amiante pour la santé. Ils sont un peu conscients de ce qui se passe. Ils voient aussi, lorsqu'ils sortent leur automobile dans la rue, qu'ils partent avec une voiture noire et qu'ils reviennent avec une voiture grise au bout d'une demi-heure. Cela aussi, ils en sont conscients. Ils voient beaucoup de négligence de la part des compagnies de ce côté. Ils voient aussi les cours d'eau qui, aujourd'hui, n'est même plus potable pour les animaux dans les champs. Ils voient cela aussi, même s'ils ne travaillent pas dans les mines. Au niveau du conseil central, on a pris des posi- tions. On croit, par la voie du gouvernement, qu'il serait peut-être possible au moins de connaître notre patron, de savoir à qui parler, quand on voit un cours d'eau polluée, des routes polluées et qu'on voit aussi d'autres choses polluées, c'est la vie des gars.

Connaître ses patrons, c'est beaucoup, et surtout un patron qui, à tous les quatre ans, est obligé de rendre compte à la population de ce qu'il a fait. On a un député dans notre comté qui est assis là. Je suis convaincu que, si le gouvernement prenait les mines, une mine en particulier, ou plusieurs mines, au bout de quatre ans, si le gouvernement n'a pas encore pris les mesures qu'on croit être essentielles de la part du gouvernement, ce député serait mieux de se "watcher ", comme dirait... Il sait que les gens de notre coin ne sont pas trop gênés dans leurs idées. (12 h 30)

II y a une chose qui n'a pas été dite tellement. Qui produit l'amiante dans les mines? Est-ce que ce sont les capitaux américains? Est-ce que ce sont les Américains ou si ce sont les travailleurs de la région? On a des ingénieurs, des techniciens, on a des dessinateurs qui font des plans et tout ce monde parle français dans ce coin. Ce sont tous des Canadiens français, à de rares exceptions près. L'Association des mines est aussi composée de Canadiens français, qui pourraient aussi être dépendants du gouvernement, au lieu de l'être des compagnies minières, de sorte qu'à un moment donné, on pourrait trouver, là aussi, des gens à qui parler et qui ne dépendraient pas d'un appel téléphonique des Etats-Unis.

C'est la deuxième fois que j'ai l'occasion de parler à la commission parlementaire; la première fois, c'est lors du conflit de 1975, sur la loi 52. Cette fois, je me sens beaucoup plus à l'aise, parce qu'on a vécu des expériences qui nous ont enrichis, au point de vue des connaissances.

Je suis, depuis le mois de janvier 1977, handicapé par l'amiante. Je suis reconnu amiantosé seulement dans mes poumons. Mais au point de vue du porte-monnaie, non. M. le député, tout à l'heure, disait qu'à Johns-Manville, il y a des gars qui ont leur permis de mineur. Ces derniers avaient perdu leur permis de mineur, alors qu'ils étaient encore à la mine; mais ils n'ont qu'à sortir et ils vont être payés.

M. Brochu: Le gouvernement a annoncé son intention, il y a quinze mois, de présenter une loi et on n'a rien vu depuis ce temps.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre! M. le député de Richmond.

M. Paquette (Nazaire): Laissez-moi dire une chose. A Carey, il n'y a plus de gars qui travaillent sans permis de mineur. Quand les compagnies, ou la commission ou le gouvernement ne voudront plus les payer, parce qu'ils sont amiantosés, on trouvera des ressources possibles pour les faire payer. Je crois que la lutte de la loi 52 a été une lutte des mineurs, par une autre lutte de mineurs il sera peut-être possible de faire continuer à

compenser nos gars handicapés. Il y a des espoirs qu'on a fondés dans ce gouvernement. Je dois vous dire qu'au conseil central, ce n'est pas un groupe de communistes. J'ai assisté durant deux jours, la semaine dernière aux séances de l'Assemblée nationale, et j'ai vu notre député se faire traiter de communistes; je l'ai appris, je ne savais pas qu'il était communiste.

Je ne crois pas qu'il y ait des communistes et je ne crois même pas que ce soit une mesure socialiste. Je crois que c'est une mesure tout simplement normale. Appelez-la communiste, socialiste ou capitaliste, je crois que l'une ou l'autre, ce n'est pas la réalité. C'est une situation qui n'aurait jamais dû exister autrement. Cela aurait dû être ainsi depuis le début des mines d'amiante.

Les travailleurs qui ont perdu leur vie ou qui sont handicapés, aujourd'hui, à cause de maladies professionnelles qu'ils ont contractées dans les mines d'amiante, voudraient au moins que leur santé, leur vie qu'ils ont perdue profite au moins aux autres Québécois et non pas à des gens qu'ils n'ont jamais vus de leur vie, soit à Tampa, en Floride, ou à New York.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Merci beaucoup. Or, très brièvement, avec le consentement présumé unanime, une minute au député de Frontenac.

M. Bérubé: II commence à apprécier...

M. Grégoire: M. le Président, je ne vous poserai même pas de question, je voudrais tout simplement mentionner que dans la région de l'amiante, Asbestos, Thetford, East Broughton, on a entendu depuis hier des témoignages de plusieurs groupes. L'unanimité semble rétablie.

C'est probablement — et c'est ce que j'ai constaté depuis un an et demi — un cri du coeur qui est sorti de la région de l'amiante. On parle souvent des multinationales. N'oublions pas que dans l'ensemble, les multinationales sont établies ailleurs et viennent opérer au Québec tandis que dans le domaine de l'amiante, la base de la force de la multinationale se trouve dans notre région. Sans notre région, il n'y aurait pas de multinatio- nale de l'amiante comme la Johns-Manville, l'Asbestos Corporation, Turner & Newall, peut-être parce qu'elles ont des mines en Afrique du Sud, ou ASARCO, ou Jim Walker aux Etats-Unis.

La base, des opérations, ce qui contrôle la force de la multinationale se trouve dans notre région, puisque c'est seulement là qu'on trouve de l'amiante qui est transformée en Europe de l'Ouest, aux Etats-Unis ou au Japon. Alors, c'est cela qui donne la fierté aux citoyens de la région de l'amiante.

Ils sont venus devant la commission parlementaire depuis hier soir, que ce soit les syndicats, les maires des municipalités, la Chambre de commerce d'Asbestos, les employés d'Asbestos Corporation du comté de Richmond. Cela a été un cri du coeur pour mentionner que si, après 100 ans, il n'y a rien eu de fait, s'il y a quelque chose qui se fait maintenant, il est plus que temps que cela se fasse.

Il y a la transformation. Tout le monde a dit qu'il était d'accord pour que la transformation se fasse ici. Il y a les recherches. Tout le monde est d'accord. Il reste le point contentieux de l'Asbes-tos Corporation. Comme le disait tout à l'heure Marc Rouleau de Thetford, c'est difficile de se lancer dans la transformation de l'amiante quand l'amiante est rare. Il faut d'abord commencer par s'assurer une source d'approvisionnement. L'As-bestos Corporation est peut-être la plus belle, la meilleure source d'approvisionnement et qui présente le meilleur avenir pour nous garantir une bonne source d'approvisionnement en bonne fibre.

J'espère que tous comprendront que la région s'est exprimée et que le cri du coeur est venu des citoyens de la région et de tous les groupes, des municipalités et des corps intermédiaires. Cela nous donnera un bon projet de loi.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. l'abbé Tanguay, M. le maire et vos collègues, nous vous remercions beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Là-dessus, la commission ajourne ses travaux sine die.

(Suspension de la séance à 12 h 34)

Reprise de la séance à 16 h 53

Le Président (M. Marcoux): A l'ordre, messieurs! La commission parlementaire des richesses naturelles est réunie pour poursuivre l'étude du projet de loi no 70, Loi constituant la Société nationale de l'amiante.

Les membres de la commission sont: M. Bé-rubé (Matane), M. Bordeleau (Abitibi-Est), M. Bro-chu (Richmond), M. Forget (Saint-Laurent), M. Grégoire (Frontenac), M. Laplante (Bourassa) est remplacé par M. Paquette (Rosemont); M. Ouellette (Beauce-Nord), M. Rancourt (Saint-François), M. Raynauld (Outremont).

Les intervenants sont: M. Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Godin (Mercier), M. Garneau (Jean-Talon), M. Landry (Fabre), M. Larivière (Pontiac-Témiscamingue), M. Léger (Lafontaine), M. Lévesque (Kamouraska-Témiscouata), M. Roy (Beauce-Sud), M. Samson (Rouyn-Noranda). M. Garneau (Jean-Talon) est remplacé par M. Ciaccia (Mont-Royal) comme intervenant; M. Larivière (Pontiac-Témiscamingue) est remplacé par M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys).

J'inviterais maintenant les représentants de SORES Inc. à s'approcher pour venir dialoguer avec les membres de la commission. Je vous inviterais à vous présenter et à présenter votre collègue. Ensuite, vous aurez une quinzaine de minutes pour présenter votre mémoire ou vos idées sur le projet de loi. Vous pouvez rester assis. Si vous pouviez vous placer au centre pour que les membres de la commission vous voient tous ou pour que tous les membres de la commission vous voient.

SORES Inc.

M. Legault (Yvon): J'aimerais d'abord remercier les membres de la commission de nous avoir invités cet après-midi. Nous représentons le groupe SORES, une entreprise privée qui a fait l'étude sur les possibilités de fabrication des produits d'amiante au Québec. J'aimerais d'abord présenter la première moitié de l'équipe aujourd'hui présente, soit Mlle Louise Dupuis et moi-même, Yvon Legault. Nous avons été invités par la commission principalement pour répondre aux questions en ce qui a trait surtout aux aspects techniques des possibilités de transformation des produits d'amiante au Québec.

J'aimerais résumer brièvement l'étude que nous avons entreprise pour le compte de l'Association des mines d'amiante du Québec, qui a été divisée en deux phases. La première avait été présentée au mois de septembre 1977 et a été suivie d'une seconde phase présentée et rendue publique au mois de janvier 1978.

Le mandat de l'étude était, si on veut, d'évaluer les possibilités d'accroissement de la fabrication de produits à base d'amiante au Québec. Dans la première phase, nous avons identifié une quinzaine de produits et environ six marchés à l'échelle mondiale, à partir desquels nous avons fait une première sélection.

Cette première sélection a été principalement faite sur la base des coûts de transport des produits, des avantages, de la taille des marchés au niveau de chacun des produits et des régions et surtout des possibilités de pénétrer ces marchés, en tenant compte des perspectives de croissance des marchés. A la suite de cette première phase, nous avons retenu sept produits pour une étude plus approfondie, soit les tuyaux d'amiante-ciment, les plaques finies d'amiante-ciment, les endos à linoléum, les papiers à joints, les papiers à toiture et les recouvrements de tuyaux et garnitures de friction moulées.

A la suite de cela, nous avons identifié cinq projets qui ont été étudiés, pour lesquels on a fait une étude de préfaisabilité au niveau de la deuxième phase. A la suite de l'étude que nous avons faite, chacun des produits a été étudié, et surtout placé dans la perspective d'un investisseur, parce que, d'une part, nous étions commandités par un investisseur, et un investisseur prudent doit tenir compte des conditions actuelles et de celles qu'il pourrait prévoir pour le futur, pour l'investissement dans chacun de ces projets.

A la suite des études que l'on a faites, qui étaient surtout d'analyser effectivement à quelles conditions il serait possible d'augmenter la transformation de l'amiante au Québec, en fonction des perspectives de croissance au niveau de chacun des produits. Nous en sommes arrivés à des 'conclusions au niveau de chacun des produits qui ont été étudiés, entre autres au niveau des tuyaux amiante-ciment; surtout en termes de perspective de marché, éloignement des marchés, etc., il pourrait toujours y avoir certaines possibilités de relocalisation, mais, en fonction de la croissance de marchés, les possibilités étaient très faibles et on devait rejeter ce projet.

Au niveau des plaques finies d'amiante-ciment, nous avons retenu que les possibilités étaient plus intéressantes, surtout au niveau de certains types de produits, mais que cela demanderait un haut niveau de marketing pour arriver à développer ce type de produit au Québec. Nous avons également procédé de la même façon au niveau de chacun de ces produits.

Je voudrais garder le plus de temps possible pour répondre à vos questions, en ce qui regarde les possibilités ou les transformations de produits d'amiante au Québec. (17 heures)

Le Président (M. Marcoux): Je vous remercie de la présentation de votre mémoire. M. le ministre.

M. Bérubé: Ma première question, messieurs, madame, portera essentiellement sur un aspect de pure forme. Je pense que c'est une question qui m'apparaît importante. L'Opposition a souligné que vos travaux, votre étude, en fait, datait de la période du mandat du gouvernement précédent.

Pourriez-vous nous dire à quelle date vous avez entrepris votre étude, à quelle date elle vous a été commandée?

M. Legault: Cette étude a été commandée exactement au mois de mars 1977. Nous avons

commencé, si je me souviens bien, le 15 mars 1977 et elle avait été commandée aux environs du 15 février 1977, au cours de cette période.

M. Bérubé: Donc, en fait, elle vous a été commandée, non pas sous l'ancienne administration, mais bien sous la nouvelle administration gouvernementale?

M. Legault: On doit dire qu'il y avait eu la même étude deux ou trois ans auparavant, il y avait eu des négociations avec l'ancien gouvernement. C'étaient, à ce moment-là, le ministère des Richesses naturelles et l'Association des mines d'amiante du Québec qui avaient, pour commanditer une telle étude, à peu près les mêmes termes de référence. Pour toutes sortes de raisons, l'étude n'a jamais été réajisée.

M. Bérubé: On ne parlera pas de toutes les sortes de raisons. On laisse cela à l'Opposition pour qu'elle s'amuse.

M. Raynauld: On ne pourra pas dire que c'est du patronage, cette fois-là, cela n'a pas été donné.

M. Grégoire: L'inaction. M. Paquette: L'inaction.

M. Bérubé: Vous savez qu'à l'intérieur du projet de loi présenté ici que nous discutons, il y a $250 millions de prévus pour le capital-actions de la Société nationale de l'amiante. A plusieurs reprises, le gouvernement a souligné que l'on envisageait d'investir, de réserver une cinquantaine de millions à des fins de développement d'une industrie de transformation. Estimez-vous, à la lumière de votre rapport, que ces $50 millions sont un chiffre raisonnable?

M. Legault: C'est très difficile, d'où on est placé, de répondre exactement à cette question, c'est-à-dire de quelle manière les $50 millions seront dépensés, s'ils doivent être investis directement ou à part entière pour développer un projet ou s'ils doivent être dépensés sous forme de "joint venture" ou d'association avec des compagnies, et, dans quel type d'opération. Si on veut, on peut donner certains exemples de projets que l'on a étudiés et que l'on a considérés comme ayant les plus grandes possibilités, ou les meilleures perspectives de se développer ou d'être développés. Si on regarde ces projets, je crois que cela représentait un investissement initial de quelque $60 millions.

C'était l'investissement total, comprenant le coût d'investissement, le "working capital" et les dépenses d'opération du début, etc.

M. Bérubé: C'est $60 millions, d'ici 1962, si je comprends bien. Pour une période de cinq à dix ans, estimez-vous que $50 millions seraient raisonnables comme participation gouvernementale, même en imaginant les "joint ventures" ou une capitalisation à 100%?

M. Legault: Je ne crois pas qu'on soit dans la position pour vraiment répondre à cette question. On n'est pas là, en fin de compte, pour juger de ce que le gouvernement veut investir dans ce secteur ou à combien il veut s'engager, au niveau de ce secteur.

Encore une fois, tout dépend lorsqu'on parle de $50 millions, sans se référer spécifiquement à tel genre d'investissements ou à tel type d'investissements, comment ils seront faits, etc. Je pense qu'on ne peut rien dire.

M. Bérubé: Investisseur prudent.

M. Legault: Même un investisseur prudent.

M. Bérubé: Alors, l'autre question, si je comprends bien votre analyse du problème, vous êtes parti de l'hypothèse d'un investisseur prudent, et cet investisseur prudent, pourrait immédiatement trouver des possibilités d'investissements de l'ordre de $60 millions d'ici 1982, et cela sans qu'il n'y ait d'intervention gouvernementale comme telle. Il s'agit d'investissements que vous estimez, d'après votre analyse, des investissements potentiellement rentables.

M. Legault: Oui, c'est cela. M. Bérubé: C'est cela.

M. Legault: C'est-à-dire qu'on n'a pas du tout considéré la question d'intervention gouvernementale. On a uniquement regardé les choses en termes de possibilité, en regardant les perspectives de marché et les perspectives de l'industrie, d'exportation, etc., sans intervention gouvernementale. On a regardé, en se basant sur ces données de marchés, d'industries et les données techniques ce qu'il était possible de faire, en fin de compte, quel projet semblait réaliste dans les conditions actuelles.

M. Bérubé: Maintenant, compte tenu — et on pourrait peut-être y revenir éventuellement, si on a le temps — de la situation du marché, c'est-à-dire la demande en amiante dans le monde, est-ce que cette demande, d'après vous, est appelée à croître? A quel taux estimez-vous qu'elle devrait croître dans les années à venir?

M. Legault: On a fait certaines évaluations de ce côté. Peut-être que Mlle Dupuis pourrait répondre à cette question.

Mme Dupuis: Récemment, on a fait une étude de croissance de marchés pour les produits d'amiante-ciment, qui consomment à peu près 70% de la fibre. Les marchés s'accroîtront à des rythmes d'environ 4% ou 4,5% par année d'ici 1981, 4% après, et cela sera suivi d'un fort ralentissement. La demande pour la fibre d'amiante va continuer de s'accroître, mais dans les zones traditionnelles, c'est-à-dire qu'avant, les marchés intéressants, c'étaient les marchés nord-américains et les marchés européens. Maintenant, les marchés

qui se développent à bonne allure sont les marchés africains, les marchés du Proche-Orient et les marchés d'Amérique du Sud. Je voudrais ajouter un mot à propos de la question que vous posiez, au niveau des investissements de $60 millions. On a identifié trois projets qui pourraient être rentables, dans le sens que les marchés existent, mais les investissements de $60 millions qui pourraient donner lieu à des projets rentables sont quand même avancés sous condition, c'est-à-dire, par exemple, que, dans le cas des plaques finies, il y a une connaissance technologique qui existe chez des firmes européennes et il faudrait trouver le moyen d'aller la chercher. Dans le cas des garnitures de friction, il n'est pas possible de se lancer comme cela dans la.production de garnitures de friction sans avoir des liens étroits avec l'industrie automobile. Alors la condition qu'on donnait, nous, c'est oui; il y a une espèce d'expansion, il y a un marché possible au niveau du marché de remplacement, il va y avoir des possibilités de faire des garnitures de friction. Il faudrait qu'une firme américaine comme Bendic ou Bestos Manhattan vienne ouvrir une succursale au Québec, ou encore qu'on développe une usine comme Asbesto-nos. Dans les cas des endos en linoléum, il ne faut pas oublier qu'il y a quelques clients, quelques consommateurs d'endos en linoléum à travers le monde entier, c'est-à-dire cinq, six, en Europe et je pense qu'il y en a trois ou quatre aux Etats-Unis. Ils ont un pouvoir très fort monopolistique et souvent une intégration verticale. Il faudrait faire des ententes préalables et bien s'assurer qu'ils seraient intéressés à participer aux produits. Alors, ce sont des conditions quand même très sérieuses qu'on pose à la rentabilité des projets.

M. Bérubé: Parfait, c'est intéressant comme réflexion. Croyez-vous qu'à ce moment-là, en prenant le contrôle d'une société productrice de fibres, de manière à prendre le contrôle justement de l'approvisionnement des usines et compte tenu de l'augmentation de la demande, cela serait de nature à établir des conditions plus favorables au développement de ces projets?

Mme Dupuis: Ecoutez, pourquoi pensez-vous que, par exemple, la plupart des compagnies européennes ou américaines cherchent des moyens de remplacer la fibre d'amiante par d'autres fibres ou encore de remplacer les produits d'amiante-ciment par du plastique ou par d'autres types de produits? Pourquoi croyez-vous que c'est ce qui se passe présentement? C'est à cause de la pression, justement. Il y a deux raisons: il y en a une qui est le facteur santé, qui n'est peut-être pas si grave et qui a atteint une espèce de plafonnement en Amérique du Nord, mais qui est en train de s'aggraver en Europe; l'autre raison, c'est que les industries qui fabriquent des produits d'amiante présentement n'aiment pas tellement faire face à des monopoles au niveau de leur approvisionnement en matière première. Alors il y a deux tranchants à cela. Si on contrôle la matière première, il est évident qu'on a un pouvoir de négociation, mais, en même temps, on risque drôlement d'accélérer les recherches dans la substitution.

M. Bérubé: Croyez-vous qu'une garantie d'approvisionnement à long terme est susceptible, par exemple, d'attirer un investisseur?

M. Legault: Nous autres, de ce côté, je pense quand même que, strictement du point de vue économique — et c'est une réponse plutôt personnelle — effectivement, il n'y a pas vraiment de motif économique au niveau de la nationalisation d'une compagnie, à savoir si cela va intéresser ou favoriser davantage la transformation au Québec; c'est-à-dire qu'il pourrait y avoir d'autres moyens qui pourraient être utilisés effectivement pour le faire. On pourrait arriver à garantir, à obliger les compagnies existantes à approvisionner des compagnies de transformation qui seraient localisées au Québec. Il y a certains moyens coercitifs que le gouvernement pourrait utiliser, sans nécessairement être obligé d'aller au niveau de la nationalisation de compagnies.

M. Bérubé: D'après votre collègue, cependant, cela contribuerait à "déstabiliser" le marché.

M. Legault: A "déstabiliser" le marché, dans quel sens?

M. Bérubé: A la recherche de substituts puisque c'est établir des conditions dont elle vient de nous souligner le danger.

Mlle Dupuis: Plus on va mettre des contraintes sur l'offre de la fibre, plus on va encourager la substitution, c'est sûr.

M. Bérubé: Vous ne croyez pas que, présentement... On pourra revenir au problème de la substitution.

Dans votre étude, vous avez mis l'accent sur le marché nord-américain. Vous avez également mis l'accent sur le marché européen potentiel et vous soulignez que les pays en voie de développement représentent le marché pour lequel il y a plus d'expansion.

Pourriez-vous me dire, dans le cas, par exemple, de l'amiante-ciment ou d'autres produits, qui approvisionne les pays en voie de développement, présentement, avec des produits finis? Pour faire face à l'accroissement de la demande prévue, comment vont-ils s'approvisionner?

Avez-vous étudié ce marché?

M. Legault: On l'a étudié partiellement, sans entrer dans tous les détails; mais une chose reste claire. Ceux qui approvisionnent actuellement, il faut dire que dans une grande quantité de pays sous-développés, il y a une multitude d'usines de transformation qui sont en voie de construction ou qui ont été bâties très récemment. Entre autres, au Moyen-Orient, où il y a déjà une vingtaine de machines à tuyau ou de machines à plaques d'amiante-ciment, également, au Nigéria, en Algé-

rie et dans beaucoup de pays d'Amérique du Sud. Une des raisons, c'est que, surtout dans les pays très humides, comme c'est le cas au Nigéria, le tuyau d'amiante-ciment représente un excellent produit. Ces pays ont un énorme besoin de tuyaux à cause de problèmes d'irrigation — on veut favoriser l'agriculture, etc.— mais il reste qu'en même temps, c'est un des types de tuyau des plus faciles à produire et des moins coûteux.

Le coût d'investissement pour installer une machine à fabriquer des tuyaux d'amiante-ciment est de beaucoup inférieur au coût d'investissement pour fabriquer des tuyaux, supposons, de fonte, où la technologie requise pour fabriquer des tuyaux d'amiante-ciment est beaucoup moins compliquée, complexe sur le plan technologique que la technologie pour fabriquer des tuyaux d'amiante-ciment.

C'est une des grandes raisons pour lesquelles les pays en voie de développement se sont orientés vers ce genre de tuyaux.

M. Bérubé: Parmi des produits qu'on pourrait imaginer développer, est-ce que vous avez étudié la possibilité de l'utilisation de l'amiante-ciment pour les tours de refroidissement des centrales thermiques? Est-ce que vous avez étudié l'amiante-asphalte, également l'amiante pressé en panneaux, le lithoflex? Il y a un certain nombre de produits en développement. Est-ce que vous avez étudié ces produits-là et quelle est votre opinion concernant leur développement? (17 h 15)

M. Legault: Si on reprend chacun de ces produits, d'abord les plaques d'amiante-ciment utilisées dans les tours de refroidissement pour les centrales thermiques représentent évidemment... En fait, c'est l'un des seuls marchés qui restent en Amérique du Nord pour les plaques ordinaires d'amiante-ciment. Il s'agit de marchés qui peuvent être importants, mais qui sont reliés à de très grands projets. Evidemment, il y a une très forte concurrence, même d'ailleurs qu'aux Etats-Unis. Il existe une demande de l'importation qui provient de l'Allemagne ou du Japon pour ce type de produit. Il faut voir que le marché global pour ce produit n'est quand même pas très grand; c'est un produit relativement de faible valeur. Une des raisons pour lesquelles il n'avait pas été retenu au niveau de la première phase, c'était principalement à cause des coûts de transport qui sont une contrainte très forte à la fabrication au Québec pour l'exportation vers le marché nord-américain. En ce qui regarde les autres produits, comme les joints d'amiante compressé, on avait également regardé au niveau de la première phase et cela représentait un des produits intéressants. On avait mentionné à l'intérieur du rapport qu'il s'agirait de le considérer. Une des raisons pour lesquelles il n'avait pas été considéré davantage, c'était principalement le fait qu'il était quand même relié à des plans... Cela ne représente pas des investissements majeurs en fait. On parle d'une machine de deux ou trois mélangeurs, au maximum, deux. C'est quand même un investissement relativement mineur. Il y a un marché total au Canada d'à peu près $3 millions pour le produit.

Mme Dupuis: $3,5 millions.

Le Président (M. Laplante): M. le ministre, votre temps est terminé. M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci, M. le Président. J'ai une série de questions. Je vais commencer par une première. On a affirmé à quelques reprises devant cette commission, dans des mémoires également de certains groupes, que le prix actuellement appliqué pour la fibre d'amiante est inférieur à ce qu'il devrait être, que le surplus ou la rente économique que le Québec tire d'une façon ou d'une autre, soit par l'entremise elle-même ou par la fiscalité, est insuffisante. J'aimerais que vous puissiez nous indiquer jusqu'à quel point il est permis de penser qu'une hausse sensible du prix par rapport au niveau qui prévaut actuellement pourrait être envisagée sans une perte correspondante de la part du marché mondial, donc sans une diminution de la production et de l'emploi. Est-ce qu'il est possible d'augmenter significativement les prix, d'après vous, compte tenu des substituts, etc., à des prix présumément supérieurs dans un certain nombre de cas? Est-ce possible de majorer sensiblement les prix encore?

M. Legault: Au niveau de la fibre d'amiante, nous n'avons pas étudié ce problème de façon spécifique. Cependant, à la suite des rencontres qu'on a eues avec les principaux utilisateurs de fibres d'amiante, en Amérique du Nord ou en Europe, il apparaît quand même que le prix de la fibre d'amiante a augmenté de façon assez considérable ces dernières années, c'est-à-dire depuis à peu près 1973 ou 1974.

Ces augmentations sont une des principales raisons motivant la plupart des grands fabricants de produits à base d'amiante à s'orienter vers la recherche de produits substituts. Dans ces conditions, il semble qu'il serait assez difficile, pour les prochaines années — encore une fois en tenant compte de l'augmentation des prix des produits concurrents — d'augmenter de façon sensible celui de la fibre d'amiante, à moins, évidemment, qu'il y ait une inflation désordonnée et que le prix des produits concurrents augmentent de 10%. Dans les conditions actuelles, on ne pourrait pas, en termes de prix relatifs, augmenter beaucoup celui de la fibre d'amiante.

Le Président (M. Laplante): Le député de Richmond.

M. Forget: Je n'ai pas fini, M. le Président, je m'excuse, nous avons un quart d'heure, mais j'aimerais que mon collègue d'Outremont pose la prochaine question.

Le Président (M. Laplante): Vous n'avez pas fini? Je m'excuse. Le député d'Outremont.

M. Raynauld: Merci, M. le Président. Comme première question, j'aimerais que vous nous expliquiez un peu la différence de 15% dans les prix pratiqués au Québec apparemment par rapport aux prix pratiqués à l'étranger. Je n'ai pas très bien compris cette différence. Est-ce que vous êtes au courant?

M. Legault: Je sais que l'Association des mines d'amiante va vous présenter un mémoire, vous pourriez lui poser la question. Ces gens sont probablement plus au courant que nous de ce côté. Disons qu'habituellement, au niveau des compagnies québécoises installées ici, on donne une certaine prime ou un escompte aux firmes qui utilisent de l'amiante et qui sont situées au Québec. Mais j'avoue que je ne pourrais pas vous dire si la prime est de 10%, 15% ou 5%. Peut-être pourriez-vous vérifier tout à l'heure de façon plus exacte?

M. Raynauld: Dans l'estimation que vous avez faite, quelle importance attachez-vous aux variations du taux de change? Est-ce que le fait que le taux de change ait baissé considérablement depuis un an et demi modifie les conditions de coût de vos analyses?

M. Legault: Evidemment, ça modifie les conditions de coût, mais il faut bien voir que la principale raison pour laquelle la plupart des produits ont été considérés comme présentant des perspectives moins intéressantes, n'était pas en fait uniquement une question de coût des produits. C'était, en bonne partie, une question de marchés, de perspectives de marchés et de possibilité de pénétration de ces marchés.

Evidemment, la dévaluation du dollar canadien rend effectivement les produits un peu plus compétitifs, mais pas suffisamment, dans la majorité des cas, pour permettre de les exporter partout à travers le monde.

M. Raynauld: Vous faites donc une distinction entre le prix et la pénétration des marchés. C'est parce que vous aviez une liste — je pense que c'était dans le premier rapport — d'une quinzaine de produits et vous y aviez des différences de coût de production.

Or, ces différences, dans beaucoup de cas, n'étaient pas très considérables, de sorte que si on envisageait un changement dans la politique commerciale américaine ou européenne, par exemple, avec une diminution des tarifs à l'exportation de produits finis ou transformés au Québec, si on tenait compte de la dévaluation, à ce moment-là, ces différences de coûts changeaient complètement et il y avait un plus grand nombre de produits qui devenaient compétitifs, si on s'en tenait au coût de la production.

Vous semblez dire que les coûts de production, c'est une chose. Même s'il était prouvé que c'est moins cher de fabriquer au Québec, il y aurait encore un problème d'accès au marché. J'aimerais que vous m'expliquiez cela.

M. Legault: D'abord, j'aimerais faire une remarque qu'on a faite dans notre rapport et qui est extrêmement importante, qu'on oublie trop souvent. C'est très difficile de parler des produits de l'amiante. Il faut vraiment parler de produits. Ce sont des industries complètement différentes. Quand on parle de l'industrie qui fabrique des tuyaux d'amiante, on s'adresse à un type d'industrie qui est bien identifiée, bien différente de celle qui fabrique des garnitures de friction, bien différente de celle qui fabrique des produits d'isolation, etc.

Dans ce sens-là, il est un peu difficile de répondre à cette question sur une base générale. Il reste quand même un point qui s'applique principalement aux produits de l'amiante-ciment où le coût du transport est très important. Même si le coût de fabrication entre le Québec et la France ou New-York est relativement le même, il reste la question du coût du transport. Dans le cas de certains produits, principalement, de l'amiante-ciment, qui est malgré tout le gros marché en Europe — 70% de l'utilisation de la fibre s'en va dans l'amiante-ciment — le coût du transport est extrêmement élevé. Même s'il y a une petite variation de 10% au niveau du prix du produit, cela ne compense pas le coût de transport du produit qui, dans certains cas, est plus de la moitié de la valeur du produit.

M. Raynauld: Je voulais justement en arriver là, M. le Président. Cela sera peut-être ma dernière question, pour laisser la chance aux autres. Est-ce que vous pourriez nous donner des indications sur le contenu en amiante des produits finis qu'on envisage? Est-ce que c'est bien important ou n'est-ce qu'une petite fraction de rien du tout? Je pense que c'est déterminant dans l'affaire.

M. Legault: Vous parlez de quels produits?

M. Raynauld: Même ceux que vous avez retenus, prenons les usines d'endos à linoléum. Que représente le coût de l'amiante dans le produit fini? Quel est le coût de l'amiante par rapport au prix de vente du produit fini dont on parle, l'endos à linoléum?

Mme Dupuis: Dans le cas de l'endos à linoléum, c'est excessivement élevé. C'est quelque chose comme 50% ou 60%, parce que dans l'endos à linoléum, il y a au moins 80% d'amiante. Par contre, dans le cas des tuyaux, l'amiante va être d'au maximum 15%. Dans le cas des plaques finies, cela va être de 10%. Cela dépend des produits. Dans le cas des endos à linoléum, c'est très important.

M. Raynauld: C'est très important.

Mme Dupuis: Oui, je ne pourrais pas vous le donner exactement. Vous avez, dans le rapport, dans la structure des coûts, le pourcentage exact de la fibre. Je me rappelle que cela représentait

quelque chose comme plus de 60% des coûts d'exploitation.

M. Raynauld: Des coûts d'exploitation. Mme Dupuis: 60%.

Le Président (M. Marcoux): Le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci, M. le Président. Dans les estimations que vous avez présentées sur les coûts d'investissement requis pour la fabrication de trois produits, vous arrivez à un total de $60 millions. Il y a, par exemple, au premier rang, la fabrication de plaques d'amiante-ciment. Dans quelle mesure avez-vous tenu compte, dans ce chiffre d'investissement requis, de la mise en place d'un réseau de distribution pour couvrir le marché que vous avez en vue ou avez-vous supposé que la mise en marché serait faite par la voie d'un accord avec une autre entreprise et qu'il n'y avait aucun investissement requis de ce côté?

M. Legault: Encore une fois, cela varie d'un produit à l'autre, si je me souviens, parce qu'on a toujours considéré cet aspect. Si je me souviens des trois produits en cause, au niveau de celui des plaques finies d'amiante-ciment, à ce moment-là, on tenait compte des coûts de marketing du produit. Au niveau...

M. Forget: Quand vous parlez des coûts de marketing...

M. Legault: Des coûts de distribution et de marketing également...

M. Forget: Mise en marché.

M. Legault: ... c'est-à-dire de mise en marché, si on veut.

M. Forget: Plus spécifiquement, ma question vise ceci: Dans le coût d'investissement, vous n'avez quand même pas prévu la mise en place d'un réseau de distribution? L'achat, par exemple, de distributeurs ou l'installation de distributeurs dans une vingtaine d'Etats américains, cela ne fait pas partie de cela? Vous avez calculé des commissions ou des frais de vente et de publicité, mais non pas un investissement pour mettre en place un réseau de distribution.

M. Legault: Cela dépend. Au niveau des garnitures de friction moulées, vous allez voir, dans le rapport, que c'est un type de produit où la distribution est extrêmement importante. A ce niveau, on peut passer par différents canaux, c'est-à-dire qu'on peut aller vendre notre produit directement au consommateur. A ce moment-là, on va le vendre plus cher, mais le réseau de distribution, il faut le monter; évidemment, cela augmente le coût du capital et les coûts de fonctionnement.

Dans cette perspective, nous avons fait l'hypothèse que le produit était vendu à un distributeur ou à un certain nombre de distributeurs. Nous avons calculé le coût de capital, de l'investissement au niveau de chacun des distributeurs qui se chargent de la vente des produits au niveau des consommateurs.

En supposant qu'on vendait le produit au distributeur, évidemment, notre prix était considérablement réduit. Surtout dans le secteur des garnitures de friction, la valeur ajoutée à la production est extrêmement élevée, c'est-à-dire que la fonction de distribution du produit, la fonction de recherche et de développement est extrêmement importante. Le prix consenti était un prix beaucoup plus faible que le prix de vente du produit fini, mais, à ce moment-là, on n'avait pas besoin de considérer l'aspect de la distribution au consommateur.

Egalement, au niveau des papiers, Louise...

Mme Dupuis: Pour ce qui est des endos à linoléum, quand on a dix clients, cela nous prend quelques vendeurs. On n'a pas besoin d'un réseau de distribution.

Dans les garnitures de friction, en fait, il y a deux types d'options qu'on a développées; une première option serait l'établissement d'une filiale d'une grande compagnie américaine qui a déjà un réseau de distribution établi aux Etats-Unis, au Canada, en Amérique du Nord. C'est par le biais de ce réseau de distribution que les produits pourraient être vendus.

La deuxième option qu'on a choisie serait celle de développer Asbestonos qui a déjà un réseau de distribution bien implanté au Canada.

M. Forget: Dans le cas des produits de construction qui représentent 70% de l'utilisation des fibres...

Mme Dupuis: Dans le cas des plaques finies...

M. Forget: ... il faut passer par un réseau de distribution de matériaux de construction. Il faut s'adresser, là aussi, à une entreprise étrangère, présumément, en diminuant d'autant les bénéfices qu'on peut retirer de la vente du produit fini. (17 h 30)

M. Legault: Oui, effectivement. Dans le cas des plaques polies d'amiante-ciment, cela nécessite, en fin de compte, un type de marketing bien spécial qui doit se faire auprès des architectes. C'est une vente jusqu'à un certain point assez intensive, qui se fait au niveau des architectes, qui se fait au niveau des ingénieurs qui font la spécification des projets, etc. Cela demande beaucoup de relations personnelles. Le genre de marketing en est un très coûteux, mais qui ne demande pas nécessairement un réseau de distribution quand même extrêmement complexe.

M. Forget: Une dernière question, M. le Président. Les gouvernementaux ont allégué très souvent qu'il était impératif de prendre le contrôle d'une société minière, puisqu'on se trouvera — on se trouve peut-être déjà — dans un contexte de pénurie de fibres, et qu'à moins d'avoir une assu-

rance d'approvisionnement, il était illusoire de penser pouvoir développer une industrie de transformation au Québec et que la seule façon de s'assurer d'un approvisionnement, c'était d'être propriétaire d'une mine. Votre analyse de la situation du marché pour les fibres est-elle de nature à confirmer qu'il faut absolument être propriétaire pour pouvoir en acheter, pour être sûr d'en avoir, ou s'il y a effectivement des possibilités de s'adresser au marché pour s'approvisionner en fibres?

M. Legault: Encore une fois, tout simplement, je pense que cela n'implique pas nécessairement, strictement sur une base économique, la prise en charge d'une compagnie. C'est-à-dire qu'il pourrait toujours y avoir possibilité de recourir à des moyens coercitifs pour forcer les compagnies à approvisionner d'abord et avant tout les compagnies, c'est-à-dire les entreprises de transformation localisées ici.

M. Raynauld: Pourquoi faut-il des moyens coercitifs? Est-ce que vous nous dites que les mines ne veulent pas vendre leurs fibres d'amiante?

M. Legault: Pas du tout, jamais de la vie. M. Raynauld: Alors? Pourquoi faut-il...

M. Legault: Sauf que, ce que je dis, c'est que si, à un moment donné, il y avait un problème de ce côté, on pourrait, à la rigueur, utiliser des moyens coercitifs, si c'est cela le problème.

M. Forget: Oui, mais vous dites si. Ma question était justement de savoir si vous croyez, d'après la projection que vous faites de l'offre et de la demande, des réserves disponibles et de la capacité de produire des fibres dans le monde entier, pas seulement au Québec, qu'il y a un problème d'approvisionnement pour l'avenir immédiat. Personne ne peut djre ce qui va se passer dans dix ou vingt ans, mais, pour un avenir prévisible, est-ce qu'il y a un problème d'approvisionnement?

Mme Dupuis: Je pense qu'il y a plusieurs questions dans une question, j'en vois au moins deux, en tout cas. La première: Est-ce que l'achat d'Asbestos Corporation est une raison nécessaire et/ou suffisante pour favoriser la transformation de l'amiante au Québec? Je ne le croirais pas. Cela peut être un atout, par contre. Deuxièmement, effectivement, il y a pénurie de fibre, enfin, une croissance de la demande de la fibre qui va être plus rapide que la croissance de l'offre de la fibre. M va probablement y avoir des pénuries sérieuses après 1982 ou 1983, selon les projections conjoncturelles que les économistes font à propos des récessions et des reprises économiques. De là à savoir si... Enfin, nous pensons que cela peut être un moyen, mais ce n'est ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante pour amener nécessairement plus de transformation au Québec. Cela peut être un moyen de promotion.

M. Forget: A supposer qu'il y ait une pénurie, puisque les projections sont fondées sur l'hypothèse que tout reste inchangé, y compris la technologie, etc., l'effet de la pénurie va être d'augmenter...

Mme Dupuis: Je m'excuse. Pour tout de suite, les projections ne sont pas fondées sur un statu quo, elles ne sont pas fondées là-dessus. Les projections sont faites avec les tendances de substitution, avec les tendances de hausses de prix. Elles comprennent tous ces éléments.

M. Forget: Alors, en supposant qu'il y ait une pénurie, l'effet de la pénurie devra être d'augmenter les prix de vente de la fibre. Est-ce que, par définition, un acheteur qui est prêt à payer les prix du marché, va se voir privé de fibre?

M. Bérubé: Si elle n'est pas disponible.

M. Forget: Elle n'est pas disponible à un prix, cela n'existe pas de la fibre non disponible.

M. Bérubé: Si elle n'est pas disponible, à un moment donné on va passer au substitut.

Le Président (M. Marcoux): Est-ce qu'il y a consentement...

M. Raynauld: Est-ce que...

Le Président (M. Marcoux): Alors...

M. Bérubé: J'aurais aussi une question.

M. Paquette: J'aurais une petite question, M. le Président, s'il y avait consentement.

Le Président (M. Marcoux): Un instant! Pour être dans l'ordre...

M. Paquette: Cela ma paraît important.

Le Président (M. Marcoux): ... peut-être une minute supplémentaire au député de Saint-Laurent, pour terminer. Ensuite je pense que l'Union Nationale devra avoir... s'il reste du temps. Vous vous êtes fixé environ une heure par mémoire, on pourra passer à d'autres députés.

M. Forget: Sur cette question, M. le Président, je vous ferai observer que, ce matin, en particulier et même hier soir, nous avons dépassé assez généreusement la limite de temps.

Le Président (M. Marcoux): Je n'ai aucune objection.

M. Forget: Je ne sais pas si ma question était claire, mais j'aimerais bien savoir s'il y a une réponse à cette question. La question de pénurie, si je comprends bien, n'était pas question de blanc ou de noir. Quand il y a relativement moins de fibre par rapport à la demande, le prix va augmenter. Tous ceux qui sont prêts à payer ce prix-là,

vont en avoir. Est-ce une hypothèse qui est juste ou qui vous apparaît irréaliste?

Mme Dupuis: Tous ceux qui sont prêts à en payer le prix, vont en avoir à condition qu'on veuille bien leur vendre.

M. Forget: Est-ce qu'on a raison de croire que les entreprises qui produisent ne sont pas prêtes à vendre aux prix du marché?

Mme Dupuis: Absolument pas, je ne vois pas du tout...

M. Legault: Moi, je pense, dans les... Justement, on ne se comprend pas.

M. Grégoire: On n'a pas compris le problème. Le Président (M. Marcoux): Un instant! Mme Dupuis: II y a un problème...

Le Président (M. Marcoux): Non, je m'excuse, je vais donner la parole au député de Richmond, non...

M. Grégoire: Est-ce que le député de Richmond a besoin d'une question supplémentaire?

M. Brochu: Vous pourrez revenir après.

M. Grégoire: Ce serait sur le même sujet, on va vous laisser vos 15 minutes quand même.

Le Président (M. Marcoux): Est-ce que le député de Richmond est d'accord?

M. Legault: Quant à la question des prix, disons que le problème actuellement au niveau des prix, au niveau de l'approvisionnement en fibre, ne s'est jamais présenté jusqu'à maintenant, et on ne peut pas prévoir, dans les conditions actuelles, que cela va se passer dans un avenir relativement proche.

M. Raynauld: Est-ce qu'on pourrait permettre une question supplémentaire sur cela? Ce serait pour clarifier.

M. Grégoire: Moi aussi.

M. Raynauld: Je pense que cela vaudrait la peine. Ce serait intéressant.

M. Grégoire: Chacune...

Le Président (M. Marcoux): M. le député d'Outremont.

M. Raynauld: Quand on suppose, généralement, dans des industries, qu'il puisse y avoir un problème d'approvisionnement, c'est parce qu'il y a des sources d'approvisionnement, des entreprises qui fabriquent ces produits primaires qui ont, par exemple, un monopole...

Une Voix: Voilà!

M. Raynauld: ... qui ont, par exemple, des contrats à long terme de dix ans ou de vingt ans. Cela s'est produit pour certains minerais, de sorte qu'un nouvel utilisateur qui arrive pourrait ne pas avoir les approvisionnements disponibles même s'il veut payer le prix. La question qu'on pose est celle-ci: Est-ce que la production de la fibre d'amiante est telle qu'on fait face à ce problème d'un monopole, une seule entreprise qui refuserait de vendre la fibre d'amiante à une entreprise nouvelle qui pourrait être créée par le gouvernement du Québec pour transformer l'amiante ici? C'est là le problème. Y a-t-il une possibilité que les producteurs de fibre d'amiante refusent de vendre au prix courant? C'est cela la question.

M. Legault: Non. Je ne vois pas...

M. Raynauld: D'abord, il n'y a pas de monopole. Y a-t-il des contrats à long terme qui pourraient empêcher, par exemple, une diversification des clients?

Mme Dupuis: II faudrait fouiller un peu.

M. Grégoire: Je voudrais poser une question supplémentaire qui compléterait celle-là. Dans le cas de la Canadian Carey à East Broughton, propriétaire de Philip Carey qui est la propriété de CELOTEX, qui est la propriété de Jim Walter...

Cette mine, cette compagnie a une mine d'amiante. Elle a également quantité d'industries de transformation de la fibre en produits finis. En cas de pénurie, n'est-il pas logique de présumer et d'être convaincu que Jim Walter, par ses firmes Panacon, Célotex et autres, commencera par prendre la fibre pour approvisionner ses industries de transformation aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, au Mexique et s'il en reste, mais en cas de pénurie, il n'en reste pas, pour vendre aux usines de transformation au Québec? N'est-ce pas la logique même?

M. Legault: Disons qu'actuellement...

M. Grégoire: Je ne veux qu'ajouter... Toutes ces mines, justement... Je ne veux qu'ajouter que la comparaison que j'ai faite entre Jim Walter et la mine Canadian Carey, c'est la même chose pour Johns-Manville qui a ses usines de transformation et qui va commencer par se servir pour ASARCO avec la Lake Asbestos qui a ses usines de transformation et qui va commencer par se servir en cas de pénurie.

M. Raynauld: ... du tout.

Le Président (M. Marcoux): A l'ordre! Votre question a été illustrée. M. Legault.

M. Legault: Non. Tout ce que je peux répondre, c'est qu'actuellement le marché captif, c'est-à-dire le marché que les compagnies se ven-

dent à elles-mêmes, la quantité de fibre que les compagnies se vendent à elles-mêmes, est quand même relativement faible. On parle de quelque chose de l'ordre de 15% à 20%, au maximum.

Autrement dit, Johns-Manville vend sa fibre en grande partie, souvent même à ses concurrents.

Il faut comprendre une chose. La fibre d'amiante — on parle encore une fois de la fibre d'amiante et il y a beaucoup de choses...

Comme on le disait tout à l'heure, on parle des produits de l'amiante comme s'il n'y en avait qu'un. On parle de la fibre d'amiante comme s'il n'y en avait qu'une, mais c'est faux.

Les produits de l'amiante, c'est complètement différent. Ce sont des industries complètement différentes. On ne peut pas parler des produits de l'amiante et tout mettre dans le même pot. La même chose au niveau des fibres d'amiante. Concernant la fibre d'amiante, il y a une grande quantité de produits différents, de fibres de nature complètement différente, en termes de longueur, de propriété mécanique, de couleur. De telle sorte que certains acheteurs ont besoin de tel type de fibre et pendant cinq ans peuvent l'acheter de la compagnie. Si la compagnie X, après cinq ans, change de filon dans l'exploitation et a un type de fibre qui a des propriétés mécaniques ou autres différentes, ils seront obligés d'aller s'approvisionner ailleurs.

C'est la raison qui fait que dans certains cas, une compagnie comme ASARCO peut être obligée d'acheter de la fibre de Johns-Manville à cause de la nature même du produit qui est un produit naturel qu'on ne peut pas...

Donc, c'est extrêmement difficile de répondre à une telle question, mais, actuellement, il n'y a pas vraiment de marché captif important dans le secteur de la fibre d'amiante.

M. Grégoire: La fibre de Johns-Manville d'As-bestos est toute envoyée à Denver aux Etats-Unis et c'est de là qu'elle est mise en marché.

M. Legault: Elle n'est pas envoyée directement à Denver. Non, pas du tout. C'est uniquement le centre social qui est à Denver.

M. Grégoire: Elle est mise en marché de là.

M. Legault: C'est-à-dire que c'est formé d'une partie localisée au Canada, le marketing se fait de la Canadian Johns-Manville.

Le Président (M. Marcoux): II y a le député de Richmond dont il ne faudrait pas abuser de la patience. Le député de Richmond.

M. Ciaccia: Non, cela veut dire que la façon dont vous avez décrit, c'est possible...

Le Président (M. Marcoux): Un instant. Il est déjà 17 h 40. Le député de Richmond n'a pas eu encore une minute et normalement on me dit que son parti a droit à une quinzaine de minutes.

M. Brochu: Je vais les prendre aussi.

M. Ciaccia: Selon la façon dont vous avez décrit les différentes fibres, c'est possible que si le gouvernement du Québec achète Asbestos Corporation et qu'il veut se lancer aussi dans la transformation des produits d'amiante, cela ne veut pas dire qu'il va pouvoir s'approvisionner pour les produits qu'il veut transformer seulement d'Asbes-tos. Cela veut dire que possiblement il va être obligé d'aller acheter d'autres fibres chez d'autres compagnies.

M. Legault: A ce moment-là, je ne pense pas que ce soit vraiment un problème. S'il y a déjà des échanges actuellement entre les compagnies, je ne vois pas pourquoi il n'y en aurait pas par la suite. Il faut quand même dire une chose de ce côté-là, pour autant qu'on le sache, l'Asbestos Corporation a quand même une bonne variété de production de fibre. Mais cela pourrait être un problème. Ce n'est pas le genre de question qu'on a étudiée.

M. Ciaccia: Mais ce n'est pas en acquérant seulement une compagnie que cela va garantir que l'on va avoir le produit nécessaire pour la transformation.

Mme Dupuis: Si le gouvernement du Québec achète Asbestos Corporation et décide de fabriquer des textiles, il va acheter sa fibre de Cassiar; s'il décide de faire l'amiante-ciment, il a une bonne source d'approvisionnement avec Asbestos Corporation. Cela dépend du produit en question. J'imagine qu'il peut y avoir des logiques là-dedans.

Le Président (M. Marcoux): Le député de...

M. Brochu: M. le Président, sur la même question. Je vais enchaîner tout de suite, si vous me le permettez. Est-ce que cela voudrait dire également que lorsqu'on parle de création d'emplois, puisqu'il semble que ce soit l'objectif visé par le gouvernement, on n'a pas absolument besoin de passer par l'achat d'une mine au point de départ, mais on pourrait tout simplement s'approvisionner au niveau des compagnies qui font l'extraction actuellement, qui sont spécialisées là-dedans et passer directement au stade opérationnel de la transformation? Si j'enchaîne avec les précédentes questions, est-ce que vous abonderiez dans ce sens-là?

M. Legault: C'est évident que pour faire de la transformation, on n'a pas besoin d'acheter une mine. On peut s'approvisionner chez les mines existantes. Il y en a qui le font déjà. Cela va de soi. (17 h 45)

M. Brochu: Là-dessus, il n'y a pas de problème. D'après les études, les compagnies veulent vendre de la fibre, et il y a des réserves.

Mme Dupuis: Le nombre d'emplois dépend, au niveau de la fibre, du volume annuel de production de fibre. Alors, augmenter le nombre d'emplois veut dire augmenter ou l'affinage de la fibre

ou le défibrage de la production annuelle. Il y a des quotients assez fixes.

M. Brochu: D'accord. Maintenant, on sait que les marchés des Etats-Unis, on sait que les marchés de la Communauté européenne, le Japon aussi, sont en quelque sorte des marchés protégés jusqu'à un certain point. Lorsqu'on parle de transformation en sol québécois de certains produits, quelles seraient les possibilités d'un nouveau concurrent de s'insérer dans tout cela? Vous avez ouvert le volet tout à l'heure de l'Afrique et du Moyen-Orient. Un nouveau concurrent arrive demain matin, le gouvernement du Québec; il a sa min3 et il dit: Je me lance dans tel produit. Compte tenu de tout ce paysage, si on peut m'exprimer ainsi, quelles sont ses chances de pénétrer ces marchés avec succès?

M. Legault: Encore là, je suis obligé de revenir à ce que je disais tout à l'heure. Au niveau... Cela varie et cela dépend de chacun des produits, du marché de chacun des produits que l'on veut pénétrer. Evidemment, il y a certains produits où pénétrer le marché sera beaucoup plus difficile que dans le cas d'autres produits. Si on prend, par exemple, les garnitures de friction, actuellement, c'est un marché hautement contrôlé par les acheteurs, si on veut. Si on regarde les gros acheteurs, GM fabrique ses propres garnitures de friction; il y a ensuite deux compagnies d'automobiles qui fabriquent leurs propres garnitures de friction qu'elles vendent sur le marché de remplacement par l'intermédiaire de distributeurs.

Il y a également de grandes compagnies, comme Bendix et Raybestos Manhattan sur le marché nord-américain, qui sont très bien implantées; il y a très peu de petits fabricants de garnitures de friction. Une des grandes raisons, c'est que c'est un type de produit qui nécessite beaucoup de recherche et de développement, c'est-à-dire qu'il faut faire du développement au niveau de chacun des types de garniture que l'on va sortir sur le marché — il y en a à peu près autant qu'il y a d'automobiles, même si les recettes restent à peu près les mêmes — également, il y a un réseau de distribution extrêmement complexe au niveau des garnitures de friction.

Dans ce cas-là, ce qu'on a recommandé, c'était, d'une part, qu'on pourrait essayer d'intéresser une compagnie comme Bendix ou Raybestos Manhattan ou même GM à établir une usine pour fabriquer des garnitures de friction au Québec. Mais, à ce moment-là, ce qu'on mentionne, c'est que, dans cette perspective, tout ce qu'on aurait, ce serait la fonction de production. Bendix utiliserait son propre réseau de distribution; évidemment, pour le siège social, je ne pense pas qu'il vienne se localiser au Québec à cause de ça. Si oui, ce serait fantastique. La même chose pour Raybestos Manhattan qui est très gros dans le domaine. On serait plutôt limité à la fonction de production.

Il y avait une deuxième possibilité qui était d'acheter une entreprise — acheter ou aider au développement, c'est plus juste comme terme — donc aider au développement d'une entreprise peut-être plus petite, mais qui a déjà un embryon localisé ici, qui a déjà une fonction d'administration avec son siège social, une fonction de distribution et une fonction de production qu'on pourrait aider à développer.

C'est pour ça qu'au niveau des possibilités, une entreprise existante a déjà une pénétration du marché. Vouloir pénétrer complètement à neuf ce marché au niveau nord-américain est à peu près utopique. Dans le cas d'autres produits, les possibilités sont peut-être... Il faut bien voir que, dans la grande majorité des cas, ce sont de vieilles industries, ce sont de vieux produits; jusqu'à un certain point, les cartes ont été passées, il n'est pas facile de pénétrer.

Encore là, il faudrait reprendre chacun de ces produits individuellement et examiner les possibilités au niveau de chacun de ces produits.

M. Brochu: II faut le voir dans ce sens-là, ce qui peut se faire individuellement, projet par projet.

M. Legault: Oui, il faut absolument le voir projet par projet. C'est pour cela qu'on a procédé de cette façon au niveau du rapport, au niveau de chacun des projets. On a examiné chacune de ces conditions.

M. Brochu: Je sais que vous avez fait un certain nombre de propositions sur ce qui est faisable au Québec, vous en avez mentionné quelques-unes tout à l'heure. Mais, dans votre recherche, vous parlez également de compagnies existantes, qui sont déjà implantées depuis de nombreuses années, qui ont des expériences faites dans différents domaines. Est-ce que, dans vos recherches, vous avez effectué un retour en arrière pour voir ce qui s'est déjà fait au Québec en termes de transformation de produits, en termes de fabrication de produits finis? Dans quelle proportion cela s'est-il déjà fait?

M. Legault: De ce côté-là...

Mme Oupuis: II y a eu plusieurs tentatives. Johns-Manville a déjà essayé de produire des endos de linoléum au Québec. Cela n'a pas marché parce que, techniquement elle a utilisé une machine à cylindres au lieu d'une fourdrinier et cela a causé des ennuis. Il y a eu des garnitures de friction qui ont été produites et c'est tombé aussi. Il y a plusieurs produits qui ont été fabriqués au Québec et qu'on a été obligé d'abandonner parce que cela n'était pas rentable.

M. Brochu: La principale raison du fait qu'il y a eu un abandon de ces marchés, c'est que, pour l'entreprise, ce n'était pas rentable?

Mme Dupuis: Cela tourne toujours un peu autour de cela.

M. Brochu: D'accord, j'aime bien le savoir. Même si on est d'accord, au point de départ, pour

la transformation de l'amiante en sol québécois, si on dit oui, mais, par contre, si on dit: Pas à n'importe quel prix, il faut savoir ce qui peut se faire, dans quelle mesure cela peut se faire et de quelle façon cela peut se faire. C'est là que c'est important d'avoir, de la part de gens comme Vous, des données exactes là-dessus. J'étais un peu au courant qu'il s'était fait des choses dans le passé et je pense qu'il s'en est fait pas mal d'ailleurs. On a peut-être avantage, comme leçon d'histoire, à regarder comme il faut de ce côté.

On a parlé, lorsqu'il a été question de ce projet de loi 70 du gouvernement, du nombre d'emplois que cela pourrait créer, du pourcentage de fibres qui pourraient être transformées au Québec. Il y a eu plusieurs chiffres qui ont été lancés de tous les côtés. On a même parlé, à un moment donné, d'un pourcentage de transformation de 20% de la fibre au Québec, avec plusieurs milliers d'emplois créés.

Après l'étude que vous avez faite dans le domaine, sur le plan pratique, avec les suggestions que vous apportez, vous êtes en mesure de nous dire aujourd'hui quel pourcentage de la fibre peut être transformé au Québec. A combien d'emplois cela peut-il équivaloir chez nous? Il reste que, pour la population, c'est cela qui saute aux yeux, au point de départ, dans le projet. C'est le travail, parce que c'est cela qui est le premier besoin.

Mme Dupuis: C'est cela qui saute aux yeux, mais ce n'est vraiment pas évident non plus. Nous, avec trois projets d'ici 1982, on prévoit que la consommation de fibres pourrait augmenter de 40 000 tonnes.

Si, par exemple, on réussit à faire de la recherche, à trouver de nouveaux produits ou à développer de nouveaux marchés, cela' peut être plus élevé. En 1995, peut-être que 20% ne serait pas utopique, mais c'est très loin dans le temps, cela dépend d'un tas de facteurs.

Avec les projets qu'on a identifiés, bn s'est dit que c'est possible avec trois nouvelles usines d'augmenter la consommation de fibres de 40 000 tonnes.

M. Legault: II y a une chose.

M. Brochu: Par rapport aux 3% environ qui sont transformés actuellement?

Mme Dupuis: A peu près 7%.

M. Brochu: A peu près 7%. Cela équivaudrait à peu près à combien d'emplois, grosso;modo, globalement? 400, à peu près?

M. Legeault: Relions cela aux trois projets. Je pense que c'est quand même importait de le spécifier comme il faut. On n'est pas parti d'une hypothèse globale, c'est-à-dire de créer X milliers d'emplois. On est parti, en fin de compte, justement, d'une façon contraire, en examinant chacun des projets. En fonction des caractéristiques de ces projets, des possibilités de ces projets, on a tenté, si on veut, d'identifier des projets qui étaient faisables. Autrement dit, on n'essayait pas de couvrir absolument toutes les possibilités qui pouvaient exister, d'une part. On a essayé de déterminer un certain nombre de projets faisables et surtout à quelle condition ces projets étaient faisables. C'est quand même le mandat qu'on avait. C'est là-dessus qu'on a ancré toute notre étude, si on veut.

C'est sûr qu'à l'intérieur de cela, il peut toujours y avoir des possibilités de relocalisation d'industries. Evidemment, on ne pouvait pas tenir compte de cela pour la bonne raison qu'on ne peut pas décider pour Johns-Manville, pour ASARCO ou pour une autre compagnie qui aura à se relocaliser.

Les projets qui ont été identifiés sont donc en fonction des marchés actuels, des marchés potentiels, des possibilités de pénétrer les réseaux de distribution, de pénétrer cette industrie et en fonction de perspectives de croissance au niveau de chacun de ces marchés. Evidemment, on peut avoir un marché qui demeure stable ou même qui est en régression. Il pourrait y avoir possibilité de faire une certaine relocalisation. Prenons, par exemple, le cas de Amiante-Sherbrooke, à Garlock. Le secteur des textiles d'amiante est un marché en régression. Il y a quand même eu, au cours des dernières années, une localisation à Sherbrooke, pour la bonne raison que, même à l'intérieur d'un marché qui est en régression, où l'industrie est relativement vieille, qu'il y a des problèmes d'environnement, etc., il y a quand même une compagnie qui a décidé de s'implanter. Cela continue. Il existe quand même un marché pour elle, qui est le marché existant. Elle profite des retraits d'anciennes compagnies qui étaient dans ce secteur auparavant et qui se retirent. Dans toutes ces conditions, autrement dit, il y a toujours possibilité pour une relocalisation.

Un autre élément extrêmement important, c'est au niveau de la recherche et du développement. On mentionne, qu'étant donné les conditions actuelles au niveau de l'industrie de l'amiante, les compagnies, pour toutes sortes de raisons, principalement la hausse du prix de l'amiante, également la crainte de ce côté, principalement devant des hausses de prix, et également une crainte au niveau des problèmes reliés à l'environnement, beaucoup des grandes compagnies qui étaient impliquées dans le secteur de la transformation de l'amiante se sont dirigées vers la recherche et le développement de nouveaux produits au niveau des garnitures de friction, des tuyaux d'amiante-ciment, au niveau de chacun des produits que l'on a regardés, où la recherche et le développement se faisaient principalement au niveau des produits concurrents. Alors, on pense qu'il est également important pour le Québec, qui possède la fibre d'amiante et qui veut, effectivement, continuer, premièrement, à produire de l'amiante — c'est quand même bien important — et possiblement en transformer, il est bien important de trouver de nouvelles utilisations à l'amiante. Evidemment, si on trouve de nouvelles utilisations, de nouveaux procédés de fabrication, il y aurait possibilité d'augmenter, si on veut, le nombre de

projets que l'on a considérés ici. Encore là, il faut bien voir que, pour la recherche et le développement, on ne peut pas mettre de chiffres là-dessus; on ne peut pas dire deux ans, trois ans ou dix ans.

M. Brochu: On joue dans un monde d'hypothèses...

M. Legault: Un monde beaucoup plus inconnu, improbable.

M. Brochu: Oui, parce qu'il se fait de la recherche quand même depuis un bout de temps, jusqu'à un certain point. On veut l'activer actuellement, mais cela ne nous donne pas la réponse aux problèmes qu'on doit se poser de ce côté de la table lorsqu'on parle de rentabilité, parce que le gouvernement du Québec nous demande de lui fournir, dans un premier temps, $250 millions pour se doter d'une Société nationale de l'amiante et, dans un deuxième temps, pour acquérir une mine, avant d'avoir procédé à la transformation. Lorsque vous nous dites, en tant que spécialistes au niveau pratique de ces problèmes, qu'on pourra créer 400 emplois, lorsqu'on regarde le montant que cela va nous coûter, on se pose des questions sur la rentabilité du projet. C'est dans ce sens que nous autres, de notre côté... Je comprends votre définition de rôle et de tâche à l'intérieur du mandat que vous aviez. Par contre, à l'intérieur des responsabilités qu'on a, on doit, pour protéger l'ensemble des citoyens du Québec, et aussi le gouvernement du Québec, poser les vraies questions dans ce sens.

Mme Dupuis: Je pense qu'il y a beaucoup de confusion quand on parle du nombre d'emplois reliés à l'industrie de l'amiante. Quand on parle de 300 000 emplois, à une place, de 1200 au Québec, de 90 000 aux Etats-Unis, on ne parle pas de la même chose; quand on parle de 400 emplois, on parle de travailleurs directement attachés aux usines qui transformeraient la fibre d'amiante pour en faire ces produits. On ne parle pas des emplois indirects pour le transport, etc., qui sont créés, y compris aussi l'administration et les vendeurs, enfin tous tous les employés.

Quand on parle des 90 000 emplois aux Etats-Unis, quand on parle des Asbestos workers, on parle même du gars dans la construction qui va prendre un panneau d'amiante dans l'année et qui va en poser un quelque part. On parle de tout, on comprend tout. En fait, aux Etats-Unis, dans les usines qui transforment de l'amiante comme tel, qui prennent la fibre et qui la transforment, qui en font une première transformation, c'est 8000 à 10 000 emplois.

Si on prend après cela les textiles avec lesquels on fabrique toute une gamme de produits, c'est-à-dire aussi bien des rideaux que des mitaines que n'importe quoi, on vient de multiplier les chiffres, et, si on ajoute le transport, on vient encore de les multiplier.

Il faut, bien sûr, qu'on parle toujours des mêmes chiffres et je pense que ce qui est le plus im- portant, c'est de savoir si les emplois directement reliés à la fibre, à la transformation première de la fibre d'amiante pour en faire les produits premiers, et ce sont ceux-là qu'il faut comparer avec les emplois qu'on trouve ailleurs. (18 heures)

II faudrait éviter ce genre de confusion parce que je pense à ce moment qu'il n'y a plus de signification que l'on peut attacher à la création d'emplois. C'est peut-être 400, mais il faut prendre une transformation idéale, car cela fait diluvien. Il y a tellement de choses à ce moment qu'un travailleur américain sur deux revient à l'industrie automobile, mais, entendons-nous, il y aurait beaucoup de gens sur la terre, si on faisait toutes ces additions. Il faut absolument parler toujours de la même chose.

M. Brochu: Cela est important, Mlle Dupuis, je suis content que vous ayez apporté cet élément parce que, dans les discussions, on nous sort souvent des chiffres astronomiques comme cela, en donnant l'impression que la moitié des Etats-Unis travaillent avec nos produits ici.

Bon, maintenant, est-ce que vous avez, disons plus précisément dans ce domaine, des chiffres précis en ce qui concerne les travailleurs impliqués, au niveau des Etats-Unis, directement à la transformation, de sorte qu'on puisse établir une comparaison directe lorsqu'on parle de transformation des produits de l'amiante?

M. Legault: Pour les Etats-Unis, on n'a pas fait de calcul plus détaillé que cela mais disons que, si on regarde le Québec, je pense que c'était 1200 emplois, et que, pour le reste du Canada, au total, cela faisait à peu près 3000 producteurs directement employés dans des entreprises de fabrication de produits d'amiante.

Mme Dupuis: Cette année, chez Johns-Manville, ce chiffre est connu du public. Il y a à peu près 30 000 employés mais il y en a un paquet qui travaillent sur la fibre de verre; il y a énormément de produits.

M. Brochu: Ils sont compris dans les employés de Johns-Manville mais ils ne sont pas au travail sur la fibre d'amiante?

Mme Dupuis: Pas nécessairement.

M. Brochu: Ai-je bien compris qu'au niveau de l'ensemble des Etats-Unis cela pourrait à peu près équivaloir quant aux travailleurs directement reliés à la transformation de l'amiante à la...

Mme Dupuis: A la première transformation de la fibre d'amiante.

M. Brochu: ... première transformation de la fibre d'amiante, aux environs de 9000 à 10 000 emplois?

Mme Dupuis: 10 000 serait un bon ordre de grandeur.

M. Brochu: Cela serait réaliste.

Mme Dupuis: Mais il faudrait vérifier. En d'autres termes, ce n'est pas 100 000.

M. Raynauld: A quelle source de statistique avez-vous pris ce nombre?

Mme Dupuis: Une machine à papier qui produit 40 000 tonnes par année emploie 30 ouvriers plus un personnel. Cela fait 60. Une machine à tuyaux emploie combien d'ouvriers en moyenne?

Une Voix: 150.

Mme Dupuis: 150. Alors, tant de machines à tuyaux, cela fait tant d'employés. C'est de là qu'on part.

M. Grégoire: Ce sont des déductions.

M. Brochu: Ce sont des données techniques.

Mme Dupuis: Ce n'est pas...

M. Grégoire: Quand vous additionnez tout cela...

Mme Dupuis: On a un ordre de grandeur. Cela peut être plus de 5000, moins 5000. C'est un ordre de grandeur.

M. Legault: Disons qu'on part, en fin de compte, de coefficients technico-économiques. En partant, on connaît ce qu'une usine d'amiante-ciment de tuyaux d'amiante-ciment... combien d'amiante elle utilise, combien d'employés y travaillent, donc il est assez facile de faire les transformations en partant du nombre de fibre d'amiante utilisée au nombre d'emplois directs reliés à chacune de ces entreprises.

M. Bérubé: Uniquement là-dessus, pour avoir un détail de plus. Si 3%' de transformation au Québec suscite, grosso modo, 1200 emplois, vous diriez à 100% de transformation autour de 35 000 emplois assumant le même type de fabrication de produits d'amiante dans le reste du monde que ce qu'on observe au Québec... c'est-à-dire qu'au Québec, on ne met pas beaucoup l'accent sur l'amiiante-ciment. Par conséquent, essentiellement, ce qu'on peut dire, c'est qu'on suppose une extrapolation à l'ensemble, mais si on n'a pas exactement la même règle d'extrapolation, cela met beaucoup plus d'accent sur l'amiante-ciment. Dans les pays étrangers, cela pourrait représenter quand même plus d'emplois. Donc, on pourrait se retrouver facilement dans les 60 000, 70 000 emplois directs.

Mme Dupuis: Non, parce que selon nos calculs, c'est en tenant compte des produits spécifiques dans les pays en question.

M. Bérubé: Ce que je vous dis, c'est que 3% de transformation au Québec où il se fait relative- ment peu de transformation de l'amiante en amiante-ciment, occasionne essentiellement 1200 emplois. Si on garde la même structure industrielle et qu'on l'extrapole au monde, cela veut dire que seulement l'amiante du Québec produirait, grosso modo, 35 000 emplois, si on garde la même structure industrielle. Mais si on modifie la structure industrielle et au lieu de la cantonner uniquement dans la transformation en papier d'amiante ou des produits qui utilisent une très forte quantité d'amiante, on va plutôt du côté de la fabrication de l'amiante-ciment où là il y a, proportionnellement, plus d'emplois créés pour une tonne d'amiante transformée, automatiquement, ces 35 000 emplois créés avec la fibre du Québec sont certainement sous-estimés et en fait, on arrive plutôt à l'ordre de 50 000 à 60 000 emplois, quand on tient compte de la différence de structure industrielle.

Mme Dupuis: Etant donné qu'il n'y a pas de rapport entre le nombre d'emplois et le pourcentage de la fibre qui est contenue dans les produits, cela voudrait dire, par exemple, que pour arriver à un nombre aussi élevé d'emplois en produisant de l'amiante-ciment, je pense que cela prendrait des quantités astronomiques d'amiante-ciment.

M. Bérubé: Vous pensez, mais vous n'êtes pas certaine.

Mme Dupuis: Mais il y a une chose que je voudrais ajouter.

M. Bérubé: Par tonne d'amiante transformé en amiante-ciment...

M. Brochu: Laissez-la répondre. Permettez donc à Mme Dupuis de répondre, M. le Président.

Le Président (M. Marcoux): A l'ordre!

Mme Dupuis: Oui. On a calculé, M. Bérubé...

Le Président (M. Marcoux): ... Mme Dupuis...

Mme Dupuis: ... pour l'exercice tout simplement, parce que cela nous intéressait de le faire. On a regardé, par exemple, la production européenne de produits d'amiante et surtout d'amiante-ciment etc., la même chose pour les Etats-Unis. On est arrivé à quelque chose comme 40 000. Mais c'est un exercice préliminaire, je ne vous dis pas que ce sont les chiffres définitifs, mais en faisant cet exercice, on est arrivé à cela.

M. Bérubé: Vous arrivez à des chiffres assez différents de ce que nous fournissent les rapports américains sur le nombre d'employeurs.

Mme Dupuis: Je viens d'expliquer pourquoi. Je vous donne les emplois primaires, c'est-à-dire les gens qui prennent la fibre, qui en font une première transformation. Après, il y a tout un éventail d'autres produits, de services etc., qui se greffent à cela. Ce que je dis, c'est que si on dit

300 000 pour le monde entier, à ce moment-là il faudrait dire 20 000 au Québec. C'est-à-dire qu'il faut qu'on prenne les mêmes barèmes, les mêmes façons de calculer les choses. C'est tout ce que je veux dire.

M. Legault: D'ailleurs, pour donner un exemple, si on considère . les trois projets que nous avons regardés, que l'on a considérés comme étant les plus faisables, pour une consommation totale de fibre d'à peu près 40 000 tonnes, je pense, à peu près ce qu'on consomme actuellement au Québec, actuellement il y a à peu près 1200 emplois, nous parlons de 400. Une des raisons, c'est simple, c'est que les principaux produits là-dedans, il y en a un, entre autres, qui est le papier. On sait que le papier est un type d'industrie qui nécessite très peu de main-d'oeuvre. Alors, cela explique le décalage. Il est assez difficile de faire uniquement des prévisions ou des extrapolations à partir d'un secteur à un autre.

Le Président (M. Marcoux): Est-ce que les gens de la commission permettent une dernière question au ministre?

M. Brochu: Si vous permettez, je vais terminer ma question.

Le Président (M. Marcoux): Vous avez déjà dépassé les quinze minutes, vous êtes rendu à environ 17 ou 18 minutes.

M. Brochu: Moi, j'ai fait cela? M. le Président, j'étais en discussion sereine avec nos invités lorsque j'ai permis une question au ministre. Très brièvement, vous avez mentionné que les garnitures de freins seraient un point important dans la transformation possible à un degré plus élevé en sol québécois, par contre, certaines données sont venues indiquer ce qui suit: Le produit de l'amiante qui, selon SORES, offrait le plus de possibilité en termes d'emploi et d'investissements directs, les garnitures de freins ont déjà été condamnées sans appel par le plus gros fabricant au monde, 16 millions de garnitures par année, la compagnie américaine Bendix.

La question que je vous pose est la suivante: A ce chapitre, qu'est est-il du domaine précis des substitutions possibles, je pense au carbone?

Mme Dupuis: Ecoutez, toute la croissance... Le marché des garnitures de friction comprend deux catégories, le marché de remplacement, qui est 80% du marché et qui ne sera pas affecté par la substitution de l'amiante par le métal fritté ou "intered metal", d'ici au moins cinq ans, à cause de la longueur moyenne de vie des autos et parce qu'on n'applique pas une garniture de métal fritté à une automobile où le système de freins des garnitures de friction est à base d'amiante... Alors, le marché de remplacement ne sera pas affecté d'ici cinq ans.

Maintenant, chez Bendix, quand on dit que l'amiante a été condamnée, ce qu'on veut dire, c'est que l'expansion de la production va se faire avec du métal fritté. Présentement, il y a à peu près 5% du marché américain, des voitures et des camions, etc, qui roulent avec des garnitures de métal fritté, contre 95% d'amiante. Chez Bendix, on prévoit que dans le marché original ou de première montre, en 1980 ou 1981, si les normes de la santé restent à peu près les mêmes, dans le marché de première montre, soit seulement les 20%, il y aurait 30% de métal fritté et 70% d'amiante.

En d'autres termes, la substitution à l'heure actuelle mange toute l'expansion du marché. Cela ne veut pas dire qu'il y a une baisse pour les garnitures de friction à base d'amiante.

M. Brochu: Merci. J'aurais évidemment une foule d'autres questions aussi...

M. Legeault: Cela veut dire qu'il y a plutôt une stabilisation de la demande des garnitures à base d'amiante.

Mme Dupuis: Au bout de cinq ans, la proportion de métal fritté va commencer à rentrer sur le marché de remplacement et à augmenter. Mais les autos qui ont été fabriquées en 1978 et qui ont des garnitures d'amiante... En fait, la longueur moyenne de vie aux Etats-Unis est de dix ans, cela veut dire qu'elles sont encore là pour dix ans. Ce n'est pas en une année que toutes les garnitures de friction vont être en métal fritté, cela va se faire graduellement.

M. Brochu: D'accord. Cependant, il faut prévoir déjà que d'ici un certain nombre d'années, il y aura une nette diminution de la demande dans ce secteur précis, pour ce produit.

Mme Dupuis: Par contre, si ça peut vous encourager, on peut produire le métal fritté avec exactement le même équipement avec lequel on produit les garnitures d'amiante. Si jamais il y a des problèmes de ce côté... Si quelqu'un a de l'équipement pour faire des garnitures à base d'amiante, il lui est possible de passer aux garnitures de métal fritté sans trop d'investissements supplémentaires.

M. Legeault: C'est pour ça qu'on considère même que le projet des garnitures de friction moulées est quand même intéressant. Même si, dans cinq ans, pour suivre les tendances du marché, on est obligé de fabriquer des garnitures de métal fritté, les "intered metal", ou avec d'autres produits, au moins, si on peut avoir une entreprise au Québec qui fabrique des garnitures de friction et qu'elle se développe, c'est tant mieux.

M. Brochu: Je vous remercie. J'aurais eu beaucoup d'autres questions à vous poser. Je vous remercie des données précises que vous nous avez fournies, qui vont nous éclairer pour le reste de nos discussions, d'ailleurs.

Le Président (M. Marcoux): Est-ce qu'il y a consentement pour que le ministre pose une question?

M. Forget: Oui.

Une Voix: On va finir après?

M. Bérubé: Je voudrais revenir à une question sur laquelle je n'ai pas insisté, vu le temps très limité que nous avions, mais que j'aurais voulu approfondir. Si je comprends bien, le député d'Outremont a tenté de vous le faire dire, mais je pense qu'on n'a pas eu la réponse. Il a souligné qu'il existait plusieurs produits pour lesquels les coûts de production, au Québec, compte tenu du taux d'escompte, de l'échange du dollar, étaient souvent avantageux, pour autant que le Québec était concerné. Cela ne justifiait cependant pas l'investissement. Donc, on ne voyait pas pour autant d'investissement, même si les coûts de production québécois et de vente à l'étranger pouvaient être raisonnablement comparables et même plus avantageux. C'était la première réflexion.

Donc, il semblait exister d'autres facteurs qui empêchaient l'implantation d'usines de transformation au Québec, autres que la simple considération des coûts de production, ce sur quoi je suis entièrement d'accord.

Un deuxième point sur lequel vous êtes revenus à quelques reprises, c'est sur le fait qu'on parle quand même d'une certaine pénurie. On ne parle pas d'une abondance. Je pense que dans le cas de la fibre 3, on a peut-être un peu plus de problèmes de pénurie; selon les produits de l'amiante, on a parlé de pénurie.

Cependant, vous êtes revenus, et là, il y avait peut-être désaccord... L'un d'entre vous disait que le contrôle de l'approvisionnement pouvait être un atout, alors qu'au contraire, je crois que c'est Mme Dupuis, quelqu'un d'autre disait que le contrôle d'un approvisionnement pourrait être désavantageux, parce que cela encouragerait la substitution. Essentiellement, elle nous a dit que, dès que l'on voudrait utiliser une offre d'approvisionnement à long terme pour négocier un investissement au Québec, cela pourrait provoquer la substitution plus rapidement.

Mme Dupuis: Cela peut être un atout pour favoriser la transformation au Québec, mais cela peut être un facteur négatif pour la vente de votre fibre sur le marché mondial.

M. Bérubé: D'accord. Si on se remet dans le contexte de la pénurie, c'est justement là où je vais vous amener. Je peux me tromper, mais lorsque je prends un certain nombre de rapports, rapports américains, par exemple, où on fait l'examen des substituts des nouvelles fibres, en général, on dit qu'il y a un grand nombre de nouvelles fibres disponibles sur le marché, mais qu'elles ne causent pas de danger sérieux pour l'amiante présentement. On dit bien présentement, puisqu'on ne peut jamais prévoir.

Lorsque l'on fait appel à une étude du For mery Search Institute — vous me direz que je ne sais pas exactement la valeur objective de cet institut spécialisé dans la recherche de substituts — on découvre certainement des substituts pour à peu près tous les produits de l'amiante, particulièrement dans l'isolation thermique où cela paraît beaucoup plus évident que dans les autres produits.

Généralement, lorsqu'on les examine, on constate que les propriétés mécaniques sont souvent moins bonnes, par exemple, le verre frité a un problème de dissipation thermique, des problèmes de variation de freinage suivant la température. Il y a quand même des problèmes également d'abrasion, d'érosion, des tambours. Il y a quand même des difficultés associées à cela.

On a parlé du frein de carbone, où il y a des problèmes de coûts. On constate donc chaque fois qu'on examine le substitut, qu'il y a des problèmes. Ce n'est pas un produit aussi avantageux que l'amiante, généralement. Je ne dis pas que la recherche ne pourrait pas amener des produits plus avantageux, mais je parle de l'état actuel des connaissances. (18 h 15)

Vous me dites que l'existence de contraintes pourrait amener la substitution. N'est-il pas dangereux, à ce moment-là, que, si un producteur européen choisit un produit substitut qui est moins bon ou plus coûteux, à ce moment-là, il ait des problèmes justement de compétitivité avec un autre producteur qui bénéficierait à la fois de coûts de production qui pourrait être avantageux au Québec, d'une garantie d'approvisionnement à long terme — il n'a donc aucune crainte pour sa fibre — et possiblement même de prix plus avantageux? Est-ce que, à ce moment-là, ce n'est pas de nature à répondre sensiblement à votre question? Cela ne peut-il pas vouloir dire que la substitution dont vous parlez n'est peut-être pas pour demain? On en parle, mais vous n'avez pas quantifié, vous ne nous avez pas dit, par exemple, quelle va être l'incidence de l'association d'une garantie d'approvisionnement sur la recherche de substitution, vous n'avez pas vraiment quantifié cette incidence. Vous l'avez plutôt énoncée comme étant une possibilité, sans vraiment aller plus à fond.

Pourriez-vous gratter et nous dire quel genre d'étude vous avez faite pour voir comment les industriels réagiraient devant un tel choix, le choix, par exemple, de venir au Québec s'établir ici avec une garantie d'approvisionnement? Comment réagiraient-ils à cela? Au contraire, opteraient-ils tout de suite pour la substitution? Et, en optant pour la substitution, quel va être l'impact sur la demande? vous l'avez énoncé comme principe, mais, une fois que vous l'avez énoncé, on n'a peut-être pas quantifié. Vous n'allez pas avoir l'importance... Vous dites que cela va provoquer une course vers le substitut, mais je n'arrive pas à sentir l'importance de cela.

Mme Dupuis: C'est quelque chose qui est déjà bien engagé, la recherche de produits substituts. Il est évident que, dans l'étude qu'on a faite, on n'a pas posé l'hypothèse d'une garantie de l'approvisionnement de la fibre. Elle n'était pas à poser dans les conditions actuelles. Si, par exemple, vous garantissez à un producteur un approvision-

nement de la fibre, il peut évidemment être intéressé à venir s'établir ici, ce qui suppose, par contre, que le prix de la fibre ne devrait pas trop augmenter, parce que, du moment que le prix de la fibre augmente un peu, il y a un tas de marchés qui risquent de disparaître. En Europe, on est déjà prêt à utiliser, au niveau de la construction, le même genre de produit qu'ici pour encaisser la plaque d'amiante-ciment et cela se fait déjà beaucoup. Où? Quand? Comment? Pour qui? Il faut toujours distinguer entre, par exemple, ce qui se passe à l'échelle mondiale, s'il y a une hausse du cours ou du prix de la fibre, et ce qu'on peut faire de façon économique au Québec. C'est bien évident.

M. Bérubé: Vous croyez que si on maintenait un prix raisonnable pour la fibre d'amiante au Québec, même légèrement en bas des cours mondiaux, que si on donnait des garanties d'approvisionnement et si nos coûts de production québécois se maintenaient à un niveau comparable à ceux du reste du monde, sinon inférieurs, cela pourrait servir comme instrument de négociation pour amener...

Mme Dupuis: Jusqu'à quel point pouvez-vous baisser le prix de la fibre d'amiante, sans nuire à la rentabilité, par exemple, de l'entreprise qui extrait la fibre d'amiante?

M. Bérubé: Là, vous introduisez quand même une notion économique et vous mêlez cela avec la politique, parce qu'il y a quand même l'aspect taxation qui joue là-dedans.

Mme Dupuis: Disons que...

M. Bérubé: S'il y a une volonté politique de transformer, il ne fait aucun doute qu'on peut certainement réduire les droits miniers pour une entreprise que l'on possède pour lui permettre d'écouler ses produits à meilleur marché. C'est exactement analogue à ce que vous suggériez tantôt, une contrainte à l'industrie, mais, dans ce cas, c'est votre propre industrie. Donc, vous le faites volontairement.

Mme Dupuis: C'est votre point de vue... Il y a tellement de facettes qu'il faut vraiment arriver avec des choses concrètes, même si, par exemple, vous favorisez une transformation massive ici, où allez-vous vendre votre produit?

M. Bérubé: Non, ce n'est pas la question. Je pense qu'on ne parle pas de transformation massive. Si vous me dites "massive", je suis d'accord. Ma question, c'est uniquement celle-ci...

Mme Dupuis: Si vous prenez l'emploi que...

M. Bérubé: Si vous n'avez pas de produits substituts comparables, aussi économiques, d'aussi bonne qualité...

Mme Dupuis: II y en a!

M. Bérubé: Je vous dis "si". Mme Dupuis: II y en a! M. Ciaccia: Oui, mais si...

M. Grégoire: Vous dites le contraire dans votre rapport à la page 316 de la phase I.

M. Bérubé: Et le Fulmer Research Institute n'est également pas d'accord avec vous et...

M. Grégoire: Vous dites le contraire ici.

Mme Dupuis: II y en a par exemple qui n'ont pas un plus grand marché parce qu'ils sont encore plus dispendieux, comme il y en a qui sont d'un peu moins bonne qualité.

M. Grégoire: Ah!

M. Bérubé: C'est ce que j'essaie d'approfondir avec vous.

Mme Dupuis: Vous parliez des garnitures de friction. Savez-vous que la garniture de métal fritte cause des problèmes de bruit, mais elle dure deux fois plus longtemps que la garniture d'amiante.

M. Grégoire: Si cela fait du bruit, l'environnement va embarquer dans le paquet!

M. Bérubé: Mais est-ce que vous avez vu...?

M. Grégoire: II se dépense des fortunes pour éviter le bruit.

M. Raynauld: M. le Président...

Le Président (M. Marcoux): Est-ce qu'on peut ajourner?

M. Grégoire: C'est parce que je crois...

M. Bérubé: Si je comprends bien, en fait, vous n'avez pas vraiment évalué la situation et vous n'êtes pas vraiment en mesure d'évaluer l'impact de la substitution. Vous dénoncez l'idée, mais sans être capable de vraiment quantifier le problème de la substitution. Si on maintient les conditions comme celles que vous avez...

Mme Dupuis: Absolument pas, mais on n'a peut-être pas la même façon que vous de l'aborder.

M. Legault: II faudrait, encore une fois, qu'on revienne à ce qu'on disait auparavant, c'est-à-dire qu'il faut pratiquement reprendre les produits un à un, à ce moment-là, pour en discuter d'une façon un peu spécifique. Sinon, encore une fois, si on parle des produits d'amiante d'une façon générale, on ne peut pas en parler parce que les conditions changent trop de l'un à l'autre. Par exemple, relativement au tuyau d'amiante-ciment — si on prend ce projet en particulier — dans ce cas même

si, au niveau des coûts de production, ces coûts sont relativement les mêmes ou s'ils baissent seulement de 10% au Québec par rapport à ce que cela coûte en Europe ou ailleurs, même l'incitation, étant donné les coûts de transport qui sont énormes, on donnait dans le premier rapport les coûts de transport par tonne des produits, alors qu'un produit en moyenne de $300 si je me souviens bien... le coût de transport était de l'ordre de près de la moitié.

Même s'il y a un certain avantage, en termes d'incitation, à l'entreprise, cela ne jouera pas vraiment pour inciter les compagnies à venir s'établir ici. Si on reprend d'autres produits, comme celui des garnitures de friction tissées, il y a une chose qu'il faut mentionner. Dans le cas des garnitures de friction tissées, le coût de fabrication du produit — même si on le réduit de 10% ou 20% — dans le total du produit, est relativement faible. On parle, en fin de compte, du coût de fabrication qui est un "mark up" sur le coût de fabrication de l'ordre de 7%. C'est-à-dire le prix aux consommateurs — le prix qu'ils paient — est d'environ sept fois plus élevé que le coût de fabrication de la garniture même. Même s'il y a une certaine variation au niveau de la fabrication, ce n'est pas un gros élément qui va inciter celui qui en fabrique à choisir une région plutôt qu'une autre pour se localiser. Etant donné que c'est principalement la distribution qui compte, à ce moment-là, il faut qu'il soit sur place; autrement dit, s'il veut distribuer en Europe, il faut qu'il soit présent en Europe et il doit y avoir un réseau de distribution important; il doit être installé là-bas.

M. Bérubé: C'est remarquablement logique. J'essaie de l'appliquer à la Canadian Distex qui fabrique à Montréal, à partir de Montréal, des freins pour la Californie qui est son principal marché. Elle n'est pas sur place.

M. Legault: Non, d'accord. Mais on parle, à ce moment-là, d'une compagnie qui est complètement intégrée. Donc, tout ce qu'elle a à Montréal, c'est une fonction de production. D'accord? La fonction de distribution est localisée en Californie. Ce que je dis, c'est que la fonction de production peut toujours être localisée ici, mais il reste quand même que la fonction la plus importante dans l'entreprise est la fonction de distribution qui, elle, doit se localiser dans les marchés, par définition même.

M. Bérubé: D'accord. Nous sommes d'accord là-dessus.

M. Grégoire: Nous sommes d'accord là-dessus.

Le Président (M. Marccux): Je pense que c'est l'heure d'ajourner nos travaux. Je remercie les représentants de SORES Inc. de la présentation de leur mémoire et du temps qu'ils ont consacré à répondre aux questions des membres de la commission. Demain, à...

Une Voix: Nous ne serons pas là demain.

M. Casgrain (Philippe): M. le Président, je me permets de vous souligner très humblement que nous avons été invités pour être ici à 10 heures ce matin, si je comprends bien, à très brève échéance; je ne veux pas insister, mais...

Le Président (M. Marcoux): L'horaire de l'Assemblée nationale est ainsi fait que, le mercredi, nous terminons normalement nos travaux à 18 heures.

M. Grégoire: Est-ce que je pourrais faire une suggestion? Est-ce que je pourrais demander le consentement unanime de l'Opposition — je crois que, de notre côté, nous serions prêts — pour continuer jusqu'à 20 heures, si nous avons le consentement unanime, si c'est possible, étant donné qu'à la demande du dépuié de Saint-Laurent ou je ne sais trop quel député, nous avons fait venir les représentants de l'Association des mines d'amiante et nous voudrions être polis envers eux? Nous avons demandé les représentants de cette association pour ce matin et je crois que ce ne serait pas trop grave pour nous de terminer à 20 heures; pour eux, revenir demain, ce serait plus grave. Je suggérerais le consentement unanime pour que nous les entendions jusqu'à 19 h 30 ce soir, ce qui s'est déjà fait en commission et ce qui peut se faire très facilement. Je crois que ce serait tout simplement normal et raisonnable envers nos invités qui sont venus à la suggestion des partis de l'Opposition. Nous sommes contents de les accueillir, mais vos hôtes devraient...

Le Président (M. Marcoux): Je demanderais l'avis des membres de la commission, rapidement.

M. Forget: Je n'ai certainement pas d'objection quand à la question précise qui est posée, mais j'aimerais obtenir du ministre un exposé de ses intentions quant à nos travaux de demain, puisqu'il semble que ce soit laissé à la discrétion de la commission de terminer soit à 18 heures, soit plus tard. Je pense que, si nous siégeons ce soir un peu plus tard, contrairement aux règlements et par consentement, il serait peut-être normal que nous cessions nos travaux demain à 18 heures.

M. Bérubé: Je pense qu'on pourrait s'entendre pour demain 18 heures, il ne devrait pas y avoir de problème. Mais peut-être que, si l'Opposition est d'accord, nous pourrions continuer encore pendant trois quarts d'heure ou une heure avec l'Association des mines d'amiante, ce qui nous permettrait de terminer vers 19 heures 20 par exemple, et ceci éviterait à l'Association d'avoir à se déplacer de nouveau. Nous pourrions donc dès demain aborder les préliminaires à l'étude article par article de la loi, si vous êtes d'accord.

M. Forget: Je suis d'accord.

Le Président (M. Marcoux): Y a-t-il consentement de l'Union Nationale également?

M. Brochu: D'accord. Cela fait assez longtemps qu'ils attendent.

M. Forget: L'utilité, c'est de se séparer maintenant et de revenir à 20 heures.

M. Raynauld: Revenir à 20 heures?

M. Brochu: On pourrait peut-être continuer tout de suite au lieu de suspendre pour le souper.

Le Président (M. Marcoux): J'invite l'Association des mines d'amiante du Québec à s'approcher pour nous présenter son mémoire. Je m'excuse de nos distractions. M. Filteau, veuillez nous présenter vos collègues et votre mémoire, s'il vous plaît!

Association des mines d'amiante du Québec

M. Filteau (Paul): Je suis Paul Filteau, vice-président exécutif de l'Association des mines d'amiante du Québec. Je suis accompagné de Me Philippe Casgrain, à ma droite, de l'étude Byers, Casgrain et Associés, conseiller juridique de notre association, et de M. Yvon Turcot, conseiller en affaires publiques de notre association.

Je voudrais, tout d'abord, vous transmettre les excuses du président de notre association, M. Michael Messel, qui est malheureusement dans l'impossibilité de participer aujourd'hui à cette réunion, le délai de convocation ne lui ayant pas permis de se libérer d'engagements qu'il avait à l'extérieur du pays. Me Casgrain, M. Turcot et moi-même sommes à votre disposition pour tenter de répondre à vos questions, mais, auparavant, qu'il me soit permis d'évoquer les récents propos du président de l'association à l'occasion de notre 29e assemblée annuelle, au début de mars, pour décrire la situation de l'industrie minière de l'amiante au seuil de 1978 par rapport à l'économie québécoise. Il disait: "En cette période où le taux de chômage au Canada et au Québec atteint des chiffres records et où la production industrielle, de façon générale, connaît une régression qui se répercute sur la santé économique de tout le pays, l'industrie de l'amiante réussit à maintenir un niveau d'emploi stable même si, dans certains cas, il a fallu réduire la semaine de production de six à cinq jours. Ainsi, les salaires et traitements versés en 1977 aux 6600 travailleurs répartis entre les cinq compagnies minières des Cantons de l'Est se sont élevés à plus de $110 millions, sans compter les déboursés des compagnies au titre des divers régimes sociaux qui se chiffrent à quelque $30 millions. (18 h 30)

D'autre part, l'industrie de l'amiante dont plus de 95% des revenus nets sont réinvestis au Québec aura, une fois encore, contribué plus à l'économie québécoise que tous les autres secteurs miniers réunis fournissant à elle seule 60% de la totalité des revenus que tire le trésor québécois de l'ensemble de l'industrie minière de sorte que, si on ajoute la somme des achats de biens et de services effectués auprès de 835 entreprises québécoises dont plus de 200 fournisseurs dans les seules localités minières pour un montant de quelque $150 millions, c'est maintenant près de $350 millions que les compagnies d'amiante injectent annuellement dans l'économie nationale. "Pour ce qui touche plus précisément le développement de l'industrie et la recherche de moyens visant à promouvoir les intérêts économiques du Québec, qu'il s'agisse de capitaliser directement sur les bénéfices économiques potentiels provenant d'une valeur accrue de la fibre d'amiante au Québec, ou qu'il s'agisse d'attirer dans ce but des investissements, l'industrie, comme vous le savez sans doute, a subventionné une importante étude indépendante sur les possibilités d'accroître la transformation de produits finis, mais elle a aussi offert à plusieurs reprises de faire bénéficier les pouvoirs publics de données constamment mises à jour et d'un réseau d'experts dont les connaissances, l'expérience et la compétence en matière d'amiante n'ont peut-être pas, croyons-nous, leur pareil au monde".

Comme le soulignait M. Messel à l'assemblée annuelle de l'association, reprenant en cela la proposition que son prédécesseur, M. Hutchison, formulait en janvier 1977: "La collaboration des producteurs miniers d'amiante est acquise au gouvernement dans la poursuite d'objectifs réalistes et financièrement viables visant à favoriser le développement socio-économique du Québec"

Voilà donc, M. le Président, messieurs, les quelques observations liminaires que nous avons pensé opportun de faire avant d'engager le dialogue cet après-midi. A cet égard, j'aimerais ajouter que l'industrie et plus précisément notre association accueillent toujours très favorablement les occasions qui lui sont offertes d'avoir des échanges constructifs avec les pouvoirs publics. Jusqu'à maintenant, ces occasions ont été très rares. En effet, avant l'annonce de la politique de l'amiante, il n'y a eu que deux rencontres. Une première à la demande de notre président avec le ministre d'Etat au développement économique en février 1977. Une seconde convoquée par le ministre des Richesses naturelles en octobre 1977 pour annoncer aux compagnies que la politique de l'amiante serait rendue publique quelques jours plus tard.

Depuis, si on fait exception de quelques échanges informels d'informations au niveau des fonctionnaires, le dialogue et la consultation que nous souhaitons ne se sont véritablement pas encore concrétisés. C'est tout.

Le Président (M. Marcoux): M. le ministre.

M. Bérubé: M. le Président, permettez-moi de remercier les représentants de l'association de s'adresser à nous ce soir et d'avoir attendu si patiemment leur tour. Malheureusement, vous étiez les derniers, cela a donc été assez long. J'aurais une première question, je n'aurai pas beaucoup de questions, qui est assez directe: Pensez-vous que le gouvernement du Québec sera pour vous un

partenaire tout aussi acceptable que General Dynamics dans votre association?

M. Filteau: General Dynamics n'était pas un partenaire dans notre association. La société Asbestos Corporation Limitée était un partenaire jusqu'au 1er janvier de cette année alors qu'ils ont choisi de se retirer du conseil d'administration et de ne participer qu'à quelques comités de notre association. Si le gouvernement devenait propriétaire d'Asbestos Corporation, comme tout membre de notre association il faudrait qu'il fasse la demande; les administrateurs de l'association seraient en mesure de juger si c'est opportun ou non.

M. Bérubé: J'aurais une autre question, un peu dans le même genre. Je vous demanderais ce que vous pensez de l'avenir de l'amiante dans le monde pour les années à venir. Comment voyez-vous cela comme association des mines d'amiante?

M. Filteau: Vous ouvrez une grande grande porte à laquelle le groupe SORES a tenté de répondre un peu tout à l'heure. M. Bérubé, je vous l'ai dit quand nous étions ensemble à Thetford, il y a quelque temps, lors d'un programme à la télévision, nous n'étions pas tout à fait d'accord sur l'état actuel ou la santé de l'industrie primaire de l'amiante. Nous prétendons qu'il n'y a pas de pénurie d'amiante, à l'heure actuelle, et qu'il n'y en aura pas pendant plusieurs années à venir, pour la bonne raison que l'industrie du Québec, à l'heure actuelle, marche à 85% de sa capacité et a des inventaires d'au-delà de 130 000 tonnes, ce qui ne s'est jamais vu depuis... Je ne me rappelle pas, à ma connaissance d'avoir vu... Pardon?

M. Grégoire: Est-ce parce qu'il y a des grèves qui peuvent venir que vous accumulez de l'inventaire?

M. Filteau: Vous n'accumulez pas 130 000 tonnes d'amiante en inventaire du jour au lendemain.

M. Grégoire: Quand une grève dure six mois comme en 1975?

M. Filteau: Je pourrais répondre un peu à cette question. On s'attendait, après la grève de 1975 à une reprise très forte de la production. La production en 1974 avait été de 1 536 000 tonnes et curieusement, en 1976, après la grève, la production n'était que de 1 377 000 tonnes.

M. Bérubé: Oui, on pourrait peut-être approfondir cela, il y a peut-être un aspect... D'après vous, quelle est l'incidence du ralentissement économique observé particulièrement en Europe et jusqu'à un certain point aux Etats-Unis, même jusqu'à l'année dernière, sur la demande en amiante?

M. Filteau: La demande a baissé de 1974 à 1976 de 1 536 000 à 1 377 000 et de 1976 à 1977, de 1 377 000 à 1 273 000, il y a tout près de 100 000 tonnes de différence entre 1977 et 1976. C'est plutôt 1 277 000 en 1977 et 1 373 000 en 1976. Donc, il y a le fait que la situation économique en général, aux Etats-Unis comme ailleurs d'ailleurs — il y a eu une baisse aux Etats-Unis comme en Europe — et peut-être aussi la question de la publicité au sujet de l'amiante et de la santé ont été des facteurs, évidemment.

M. Bérubé: Quelles ont été les augmentations de prix au cours des dernières années, en 1975, 1976 et 1977, dans la période où vous notez une diminution de la demande? Et d'après vous, quelle a été l'incidence de cette augmentation de prix sur la demande?

M. Filteau: J'ai une situation un peu particulière, M. Bérubé, dans l'association, je n'ai pas le droit de parler de prix et je ne suis pas très au courant des augmentations de prix, parce que vous savez, à cause des règlements du jeu antimonopoles, les règlements aux Etats-Unis sont très sévères, ils me défendent... Moi, je ne peux pas toucher à rien en ce qui a trait au prix et à la concurrence.

M. Casgrain: Je peux peut-être ajouter, M. le ministre, pour le mettre dans un contexte plus exact, c'est qu'effectivement, les objectifs de l'association n'ont rien à faire avec la fixation des prix et, effectivement, ce sont les compagnies, individuellement, qui sont d'ailleurs fort concurrentielles entre elles qui fixent leur propre prix sur le marché européen aussi bien qu'aux Etats-Unis et ici. A cet égard, l'association des mines d'amiante comme telle ne se préoccupe pas et ne parle aucunement de cette question de prix. Ce n'est pas dans leurs attributions.

M. Bérubé: Vous ne connaissez pas en fait les prix?

M. Casgrain: On n'est pas en mesure de vous en parler. Nous connaissons de façon générale le prix comme tout le monde peut le savoir en constatant la liste de prix, mais pas plus que cela.

M. Filteau: C'est certain.

M. Bérubé: Vous n'avez pas étudié, par exemple, l'incidence de cette augmentation de prix sur la variation de la demande?

M. Casgrain: Pour vous répondre plus avant, M. le ministre, si vous le permettez, ce serait uniquement une évaluation et deuxièmement, je ne crois pas que les données que nous vous donnerions seraient exactes. Je ne pense pas que ce serait mieux de répondre à votre question.

M. Turcot: Si je peux ajouter, M. le ministre, vous le savez mieux que moi, dans ce domaine

des produits miniers, notamment, comme dans celui des commodités, il y a les prix affichés et il y a les prix consentis, et cela, bien sûr, nous n'avons aucun moyen de savoir quels sont les prix consentis.

M. Casgrain: Votre ministère d'ailleurs, M. le ministre, je crois, reçoit cette information assez régulièrement via ses propres officiers, information que, moi, je ne possède pas et à laquelle je n'ai pas accès.

M. Bérubé: Oui, et nous avons beaucoup de plaisir à recalculer le prix que la fibre aurait dû se voir imposer sur le marché pour pouvoir calculer l'impôt que les compagnies auraient dû payer.

M. Filteau: Ne calculez-vous pas vos impôts sur le prix de liste?

M. Bérubé: Non. On fait un calcul très savant...

M. Filteau: Non? Moi, j'ai un petit escompte.

M. Bérubé: Je terminerai en soulignant, relativement au problème de la consultation, que le gouvernement s'est donné deux années pour négocier avec vous, pour se consulter mutuellement afin d'en arriver à une sorte de modus vivendi d'entente de développement. C'est peut-être justement l'affirmation de la volonté du gouvernement de consulter qui doit être interprété, pour autant que votre association est concernée. L'impression que j'ai, c'est que vous avez déjà eu des rencontres; il va de soi que ce ne sont pas des rencontres politiques, ce sont des rencontres administratives d'abord. Les rencontres politiques viendront sans doute un jour, mais pour l'instant il s'agit de voir dans quelle mesure on peut, ensemble, trouver une façon d'élaborer une politique de l'amiante au Québec qui soit acceptable à nous tous.

J'aurais une seule question un peu directe: Croyez-vous que l'industrie de la production primaire de l'amiante au Québec accepterait — je pose cela comme hypothèse — par exemple de vendre de l'amiante dans le monde conditionnellement à ce que les acheteurs fassent certains investissements au Québec dans la transformation? Croyez-vous que c'est quelque chose de possible?

M. Filteau: Je me demande si selon les accords GATT c'est permis. D'un autre côté, il y a le danger d'accélérer la recherche et le développement de substituts.

M. Bérubé: Nous avons entendu cela il y a 30 secondes.

M. Casgrain: Je crois que le problème qui se pose, M. le ministre...

M. Bérubé: La dernière question que je voudrais poser c'est: Croyez-vous que les compagnies minières de l'amiante...

M. Turcot (Yvon): Est-ce qu'on peut répondre à cela?

M. Bérubé: Ah! Excusez-moi.

M. Casgrain: Je vous souligne — et je ne le sais pas personnellement mais, d'après ce que j'en sais tout au moins en surface, je peux vous dire ceci — qu'il est bien évident que dans certaines circonstances les mines font des arrangements avec des producteurs et tentent de les amener précisément à s'installer ici. C'est arrivé dans le passé. Evidemment, il ne s'agit pas de coercition, en aucune façon, et non plus peuvent-elles menacer de couper les vivres à cet égard. Je pense que les concurrents des mines d'amiante dans le monde sont à ce point bien organisés maintenant, depuis les trois ou quatre dernières années — vous le savez mieux que moi — que pareilles menaces n'auraient pas pour effet de les attirer, bien au contraire.

M. Bérubé: Accepteriez-vous, dans vos tractations avec l'industrie, de voir dans quelle mesure cette industrie pourrait être intéressée à venir investir au Québec?

M. Casgrain: Sans aucun doute, c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, dans un premier temps, nous avons fait faire l'étude en question pour pouvoir au moins, quant à ces gens, leur démontrer d'une façon objective qu'il y avait ici place pour le produit fini. Nous-mêmes le disant, cela pouvait être le point de vue de quelqu'un qui veut vendre de la fibre à tout prix. Par ailleurs, une attitude objective comme celle de SORES permet de dire à un investisseur éventuel: Voici quelles seraient les conditions du marché et comment, selon les économistes, vous pourrez réussir en venant ici. C'est l'une des premières raisons pour lesquelles, dès 1974, nous avons envisagé cette possibilité.

M. Bérubé: Parlant de la fibre qui est exportée d'un pays à l'autre, lorsque mon distingué collègue de Frontenac a dit que 85% de cette fibre vient du Québec — donc la fibre qui traverse les frontières vient d'ici — croyez-vous que le fait que vous contrôliez, comme industrie, un si fort pourcentage de l'amiante puisse vous donner certains atouts précieux pour implanter rapidement les trois projets qui ont été identifiés par SORES dans son étude?

M. Casgrain: Je crois que M. Filteau pourra répondre. Il a une question aussi.

M. Filteau: Vous dites que puisqu'on a un si gros contrôle de l'amiante on pourrait facilement mettre en valeur ces trois projets?

M. Bérubé: Que vous pourrez relativement facilement trouver des partenaires, des transformateurs de l'amiante qui accepteraient de s'associer avec vous dans la fabrication de produits.

M. Filteau: II s'agit de trouver les partenaires. Il y a toujours un élément de risque dans un investissement de ce genre. Il faudrait des études beaucoup plus spécifiques au point de vue de la rentabilité, au point de vue du marché et du marketing.

M. Bérubé: Vous êtes conscients que vous contrôlez 85% de l'exportation d'amiante dans le monde libre.

M. Filteau: Non, bien moins que cela. M. Bérubé: Pardon? Dans le monde libre. M. Filteau: Dans le monde libre? M. Bérubé: Oui.

M. Filteau: Dans le monde libre, voulez-vous dire incluant les Etats-Unis?

M. Bérubé: Oui, véritablement le commerce d'exportation de la fibre. Quel est le pourcentage que détient l'industrie québécoise de l'amiante dans le monde?

M. Filteau: 49% dans le monde libre. M. Raynauld: 40% de la production.

M. Bérubé: Quel est le pourcentage qui est lié à des entreprises existantes et quel est le pourcentage qui fait partie de ce qu'on appelle le marché libre? C'est toujours cela qui est compliqué.

M. Filteau: Là, on se comprend. Là, je le vois, vous voulez parler de ce que les compagnies elles-mêmes transforment.

M. Bérubé: Si vous séparez le marché dit libre du marché captif des industries... (18 h 45)

M. Filteau: Je l'ai déjà dit, ce chiffre on ne semble pas l'accepter au ministère des Richesses naturelles. Les compagnies elles-mêmes ne transforment que 12,6% de leur production à travers le monde. Dans toutes les succursales réunies, les cinq compagnies extractrices d'amiante au Québec, étant entendu que l'une d'elles,comme vous le savez, n'est nullement engagée dans la transformation, ont transformé un grand maximum de 15% à l'intérieur de leur propre réseau, ce chiffre étant pour 1976; en 1977, cela a été 12,6%. De façon plus détaillée, si vous permettez, la Carey Canadian, que citait tout à l'heure le député de Frontenac, vend 5% de sa production aux entreprises reliées à la Carey Canadian et à Jim Walter Corporation, et vend la différence sur d'autres marchés, à des concurrents et à d'autres manufacturiers aux Etats-Unis et dans le monde.

M. Lalonde: ...

M. Grégoire: Est-ce qu'on pourrait revenir à la Carey Canadian?

M. Filteau: Johns-Manville vend... Vous y reviendrez M. le député, en temps utile, je vous fais confiance. Johns-Manville transforme, vend plutôt aux usines intégrées du groupe Johns-Manville dans le monde, 19,4% de sa production. La Lake Asbestos, du groupe ASARCO, vend, à l'ensemble du groupe ASARCO, 2,2% de sa production. Enfin, Bell Asbestos qui est, comme vous le savez, la plus petite des mines d'amiante du Québec avec une production de l'ordre de 60 000 tonnes par an, vend 22,7% de sa production au groupe Turner Newall, y compris naturellement un pourcentage substantiel à sa filiale Atlas Asbestos qui transforme à Montréal. C'est le tableau des ventes intégrées.

M. Grégoire: Pour rectifier, il y a eu dernièrement un jugement porté par le Federal Board of Trade sur les cartels de Jim Walter. Dans ce document, il est bien mentionné ici, j'ai quelqu'un qui me le confirme du ministère des Richesses naturelles... J'ai vu dernièrement ce tableau et, devant la Cour américaine des causes antimonopoles, il est bien mentionné... Federal Board of Trade...

M. Raynauld: Federal Trade Commission.

M. Grégoire: Federal Trade Commission... II est bien mentionné que la Carey Canadian vend 30% et non 5% de sa fibre à Philip Carey qui est...

M. Casgrain: M. le député de Frontenac, premièrement, j'aimerais voir le jugement pour l'examiner avec soin. Je vous souligne, deuxièmement, que dans cette affaire dont vous parlez il s'agissait d'une plainte logée par le gouvernement fédéral américain, contestée dans tous ses aspects par la compagnie Carey Canadian, qui est actuellement en contestation aux Etats-Unis, aussi bien quant aux chiffres que quant à la nécessité pour Jim Walter de se déposséder. Je ne parle que de ce que j'ai pu demander et voir.

M. Grégoire: Sur quoi il y a déjà deux jugements de rendus, un devant la Commission fédérale du commerce et le deuxième devant la première des cours de premières instances aux Etats-Unis.

M. Casgrain: Je vous prie de me croire que cela prendra au moins cinq ans avant que ce soit résolu de façon certaine.

M. Forget: II y a peut-être possibilité qu'il y ait confusion entre deux choses: ce jugement du Federal Trade Commission portait non pas sur les achats comme tels de fibre, mais sur la part du marché du bardeau d'amiante qui est fabriqué par différentes filiales de l'entreprise en question. Dans ce cas le pourcentage était élevé. C'est la raison pour laquelle le jugement en question a été de se départir d'une partie des entreprises qui fabriquent du bardeau d'amiante. La préoccupation de l'organisme américain n'était pas la quantité d'approvisionnement captif, mais la part du mar-

ché américain de bardeau d'amiante qui était occupée par Jim Walter.

Je me demande dans quelle mesure le député de Frontenac ne mélange pas ces deux chiffres.

M. Bérubé: ... de déposer le document, et on pourra à ce moment-là...

M. Forget: II me fera plaisir de le lire et vérifier...

M. Grégoire: J'ai toutes les opérations.

M. Bérubé: Je n'aurais qu'une dernière question à poser à l'Association. Mme Dupuis, de SORES, a insisté sur l'importance de la recherche pour, peut-être pas développer l'amiante, mais certainement asseoir l'amiante plus solidement sur les marchés mondiaux, étant donné que l'amiante était peut-être pris pour acquis par l'ensemble de l'industrie. On a plutôt regardé du côté de la substitution et l'ensemble des recherches ont été faites de ce côté. Etant donné qu'il y avait déjà amplement de marchés pour l'amiante, il n'y avait peut-être pas de justification de fouiller plus avant. Néanmoins, il semble bien que, si on veut conserver un marché dynamique pour l'amiante, il y aurait lieu de faire de la recherche. Evidemment, c'est peut-être difficile pour vous de vous prononcer, mais croyez-vous que les sociétés participantes à votre association accepteraient de financer un centre de recherche à un prorata de leurs ventes, par exemple? Pensez-vous qu'elles mettraient en commun une taxe volontaire pour constituer un institut de recherche qui travaillerait justement au développement plus précisément de la technologie de transformation de l'amiante et au développement de nouveaux produits?

M. Filteau: Oui, mais je ne peux pas répondre au nom des compagnies et de nos membres individuellement. Nous commanditons de la recherche à l'heure actuelle. Nous le faisons à la suite de soumissions de protocoles ou de projets de recherche. Nos administrateurs jugent si c'est valable ou non.

M. Turcot: M. le ministre, si vous me le permettez, en "foot-note", effectivement, c'est un sujet qui a été fréquemment et qui est constamment discuté et traité à l'association entre les membres. Sans avoir un mandat aussi clair, comme le signale M. Filteau, il se dégage néanmoins un consensus absolument évident. Ce consensus est le suivant: les compagnies extractrices d'amiante ont un intérêt à vendre de la fibre d'amiante. Elles sont parfaitement conscientes que le développement des ventes est tributaire du développement de la recherche de nouveaux produits, de nouvelles applications, sans quoi n'importe quel produit, celui-là comme les autres, est à terme voué à une mort certaine. Dans cette perspective, il n'y a pas l'ombre d'un doute que l'industrie est très favorable au développement de la recherche appliquée. Il n'y a pas l'ombre d'un doute que l'industrie, si vous lui en faites la demande pour des projets sé- rieux et dans lesquels, cependant, elle aura pleinement son mot à dire, serait très disposée à s'engager dans les projets de recherche.

M. Bérubé: Si je comprends bien, un centre de recherche qui serait financé conjointement par les différentes industries du Québec et possiblement par le gouvernement avec une représentation proportionnelle au degré de participation serait, par exemple, une avenue que vous considéreriez dans la mesure où cela vous donne plein droit de parole sur le développement des programmes de recherche.

M. Turcot: Dans le langage administratif, ces choses s'appellent toujours un centre. L'industrie est intéressée à faire de la recherche avec des partenaires qui peuvent être privés et qui peuvent être d'Etat.

M. Filteau: Pourvu qu'on ait un droit de regard valable.

M. Turcot: Nous n'impliquons pas par là que nous voulons participer nécessairement à l'édification d'un building de $4 millions ou $5 millions pour commencer, si vous me suivez.

M. Forget: C'est pour faire de la recherche et pas pour faire de la construction.

M. Bérubé: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Oui, M. le Président. Dans une première question et brièvement, j'aimerais revenir sur la qualité de la collaboration qui devrait exister, à mon avis, entre l'ensemble de l'industrie et le gouvernement. Vous avez dit que vous accueilliez, avec plaisir, la possibilité de venir ici et d'être entendus, puisqu'il n'y avait pas eu beaucoup d'autres possibilités de le faire. Pourtant, est-ce qu'il est exact que c'est votre association qui a financé seule le travail de recherche de la firme SORES ou est-ce que vous avez eu une participation gouvernementale?

M. Filteau: C'est l'association seule qui a financé et commandité la dernière étude SORES. Nous avions déjà soumis au gouvernement antérieur le projet de le faire conjointement.

M. Forget: Est-ce que cette suggestion de le faire conjointement a été présentée au gouvernement actuel?

M. Turcot: Oui.

M. Filteau: C'est-à-dire que nous avons offert, de façon publique, dans une déclaration de notre président, au gouvernement actuel de financer conjointement cette étude.

M. Forget: Cette suggestion n'a pas été reprise par le gouvernement?

M. Filteau: Non. C'était fait par l'entremise des journaux.

M. Casgrain: M. le Président, il faudrait peut-être ajouter ceci. Il y a quand même une histoire dernière de ce rapport SORES. Au début de 1974, faisant suite à d'autres études que l'association avait déjà commanditées et se préoccupant, comme je le disais tout à l'heure, de l'implantation de l'usine de produits finis ici; voulant donner à ces compagnies l'objectif sérieux et indépendant également; conscient également du problème de la nécessité de voir avec beaucoup d'urgence à l'implantation d'usines de produits finis, l'association a fait des démarches auprès du gouvernement du temps, lui proposant qu'une étude indépendante soit faite à ce sujet, lui suggérant, également, le nom de firmes qui pouvaient y être impliquées, dont Little, qui avait déjà une expérience considérable dans le domaine.

A l'époque, on a, dans un premier temps, accueilli favorablement le principe de la chose, ce qui a donné suite, éventuellement, à des réunions avec des membres du ministère des Richesses naturelles, de celui de l'Industrie et du Commerce et même du ministre délégué du ministère de l'Industrie et du Commerce à Ottawa. Il est arrivé ceci, je vous le dis très objectivement: On nous a posé des questions, en disant: On ne comprend pas très bien que vous soyez prêts à faire une étude pareille. Ce doit être, évidemment, en surface. Nous avons dit: Non, nous sommes prêts à faire faire cette étude et à donner toutes les informations. On a insisté. On a même dit: Voulez-vous même ouvrir vos livres? La réponse a été oui, aussi bien nos livres ici qu'ailleurs; à une condition cependant, c'est que la somme totale des renseignements soit digérée pour être ensuite fournie sous forme d'analyses à ceux qui en auraient besoin éventuellement.

Nous nous sommes vu répondre que si nous étions prêts à ouvrir nos livres, c'était peut-être parce qu'il n'y avait rien à voir dedans. Et éventuellement, nous nous sommes fait refuser totalement la possibilité que l'étude se fasse. On avait parlé de refinancer à 100%. On nous a dit: Non, peut-être que 50% seraient mieux. Eventuellement, cela a été non. Nous avions déjà ce projet devant nous. Dans un deuxième temps, nous sommes revenus à la charge pour dire: Nous allons faire cette étude nous-mêmes et nous avons annoncé publiquement une chose que savait déjà le gouvernement, à savoir que nous étions toujours prêts à faire l'étude. C'est dans ces circonstances qu'elle fut entreprise.

M. Forget: Avez-vous accueilli les conclusions de l'étude de façon mitigée ou de façon enthousiaste? J'essaie de trouver une explication à l'absence apparente de dialogue depuis la publication de l'étude entre l'association ou l'ensemble des compagnies et le gouvernement. Est-ce que du côté du gouvernement on a cru que vous n'étiez pas intéressés à poursuivre au-delà de la publication de l'étude?

M. Filteau: Je ne crois pas. A l'heure actuelle, il y a eu des rencontres, je crois, entre des fonctionnaires et certains membres de notre association, individuellement, l'association, comme telle, ne peut pas s'engager au nom des compagnies elle-même, mais viendra certainement un moment où il y aura une réunion de tous les membres de l'association avec les gens du ministère des Richesses naturelles, ou du bureau de l'amiante, en vue d'étudier les possibilités de donner suite au rapport SORES.

M. Turcot: En réponse davantage aux questions de M. Forget, l'association et l'industrie ont effectivement donné un très bon accueil au rapport SORES. En conférence de presse, le président de l'association, au moment de la parution du rapport final, du rapport de la phase deux, donc de la phase finale, a précisé qu'il avait espéré encore un peu mieux. Nous avons peut-être dégagé de SORES des conclusions même plus optimistes que celles que les spécialistes de SORES ont eux-mêmes dégagées.

Par exemple, quand on parle de cinq projets, au fond, SORES en recommande vraiment trois. Nous avons dit: Oui, mais il y en a deux où il y a peut-être quand même moyen; au forçail cela pourrait faire cinq. C'est un accueil très positif.

M. Forget: Dans l'élaboration d'une solution ou d'une approche au problème que constitue le besoin ressenti d'une industrie de transformation, et tenant compte des remarques que vous avez faites au début, relativement à la difficulté dans laquelle votre association se trouve face aux lois contre les pratiques restrictives, l'antitrust américain, etc., de prendre une position au nom de toutes les entreprises, pouvez-vous imaginer un mécanisme quelconque qui permettrait à l'ensemble des sociétés exploitant l'amiante au Québec de participer à des projets de transformation de l'amiante, puisque si chacune essaie de le faire isolément il est probable qu'elle n'atteindra pas au niveau de rentabilité, des économies d'échelle satisfaisantes, étant donné l'étroitesse du marché? Pouvez-vous nous décrire un mécanisme qui permettrait de mettre en oeuvre ces recommandations, mais de façon concertée avec l'ensemble de l'industrie? (19 heures)

M. Casgrain: II faudrait, de toute nécessité, tenir compte justement des lois contre les cartels ou les combines — appelez-les comme vous voulez — dans les pays où on peut en parler, qui existent aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe et qui existent ici également. Quand vous parlez de l'exportation de l'amiante, il n'y a pas de problème, mais lorsque vous parlez, effectivement, de l'implantation ici d'industries de transformation, là vous parlez vraiment de l'établissement d'un monopole. A partir de là, évidemment que cela pose de sérieux problèmes à des compagnies de décider ensemble d'envahir le marché pour en faire une espèce de monopole.

A cet égard, il est évident que pour fonctionner il faudrait que nous soyons dotés d'un méca-

nisme qui, lui, aurait une sanction gouvernementale nous excluant, en quelque sorte, de ces dispositions de la loi pour nous permettre de fonctionner en ce sens.

Vous me posez la question aujourd'hui; nous avons envisagé la chose dans le passé. En 1974, on y a pensé également parce que nous disions que ces données qui seront disponibles devront servir à quelqu'un et, évidemment, qu'il faudra tenter de subventionner et d'aider à le faire. Ce n'est pas mis au point, loin de là. Mais nous croyons, nous, qu'effectivement il y aurait moyen de trouver un mécanisme avec une sanction légale, évidemment, gouvernementale si vous voulez, qui permettrait précisément que des fonds soient mis ensemble — également devant l'input " des compagnies — pour réussir à financer et à faire démarrer ces entreprises qui, une fois lancées, seraient laissées libres de fonctionner. Pour nous, l'industrie, il ne faut pas oublier que les compagnies minières au Québec sont des compagnies à vocation strictement d'exploitation; elles n'ont pas de vocation manufacturière comme telle. Elles-mêmes devraient faire appel, en pareil contexte, à de l'expérience de l'extérieur pour activer ce genre d'activité.

M. Forget: Ce mécanisme — et je terminerai là-dessus, quant à moi, M. le Président — ne suppose d'aucune manière que le gouvernement acquière le contrôle ou la propriété d'une mine. Cela pourrait être un mécanisme qui serait spécifiquement orienté vers la transformation de l'amiante, mais il n'est pas nécessaire que cela passe par la propriété d'une mine, si je comprends bien.

M. Casgrain: En aucune façon, au contraire, cela pourrait même nuire, dans un certain sens, à cause d'une présence trop considérable et qui, vis-à-vis de l'industrie qu'on tente d'attirer, se sentirait peut-être menacée de quelque façon.

M. Forget: Oui, je vous remercie.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Richmond.

M. Brochu: Merci, M. le Président. On sait évidemment que pour l'entreprise privée, quelle qu'elle soit, il faut au bout de la ligne qu'il y ait des profits pour qu'on puisse rester en activité. Le gouvernement du Québec, de son côté, dans l'acheminement qu'il se donne par rapport à l'amiante, a l'intention de se porter acquéreur d'une des entreprises. J'imagine, du moins je l'espère, que c'est aussi pour faire des profits au bout de la ligne, si c'est possible pour une entreprise gouvernementale.

Il y a eu, dans le passé, comme j'en ai discuté tout à l'heure avec les représentants de SORES, des produits qui ont été transformés au Québec, qui ont été abandonnés en cours de route, d'une part. De l'autre côté, il n'a pas semblé y avoir, au cours des dernières années, une recherche en vue de s'impliquer, de la part des entreprises, dans de nouveaux produits transformés ici au Québec.

J'aimerais savoir de vous autres, qui êtes directement impliqués, qui êtes les représentants des mines d'amiante au Québec, pourquoi cela.

M. Filteau: Pourquoi la recherche ne s'est pas faite au Québec?

M. Brochu: Pourquoi, d'une part, on a abandonné la transformation, au Québec, de produits d'amiante et pourquoi on ne s'est pas lancé avant, pourquoi on n'a pas voulu rechercher davantage de transformations, compte tenu de la notion de profits.

M. Filteau: C'est vrai qu'il n'y a pas eu assez de recherche, il aurait pu y en avoir plus, comme vous dites. Il y en a eu un peu mais elle n'a pas été faite ici même; elle a été faite avec d'autres organismes. Cela dépend de l'offre et de la demande, ou des besoins du marché en produits. Vous connaissez, vous, M. Brochu, le développement qui s'est fait entre Johns-Manville et Westinghouse pour les sabots de freins de locomotives ou wagons de chemins de fer, qui est devenu une ligne qui a permis de prendre le marché, grâce à ces nouveaux produits.

Maintenant, il n'y a pas de doute, il pourrait se faire beaucoup plus de recherche encore mais il faut penser que les compagnies ne sont pas essentiellement orientées, comme vient de le dire M. Turcot, vers la fabrication de produits à base d'amiante.

M. Brochu: Au point de départ, ce n'est pas leur objectif comme tel...

M. Filteau: Oui.

M. Brochu: ... ni celui de... Bon, d'accord. Maintenant, quant aux projets qui ont été mis de l'avant comme étant possibles, comme étant faisables, de transformation d'amiante au Québec par SORES, les trois qu'on peut retenir, par exemple, ou les cinq — disons les cinq — est-ce qu'il y a quelques-unes des entreprises, faisant partie de l'Association des mines d'amiante qui ont l'intention de s'engager, dans un délai assez bref, dans la transformation de l'un ou l'autre de ces projets?

M. Filteau: Je ne peux pas répondre pour les entreprises individuellement, mais je crois que les entreprises sont réellement intéressées à discuter avec les représentants du gouvernement à ce sujet.

M. Turcot: Je pense que nous pouvons dire que nous croyons savoir que toutes les entreprises individuellement sont en discussion avec des investisseurs possibles, des manufacturiers possibles, en vue d'attirer des investisseurs pour de l'importation dans le secteur manufacturier.

M. Brochu: Est-ce que votre principal objectif demeure la rentabilité? C'est-à-dire que ce qui est rentable pourrait être fait.

M. Casgrain: Le problème, lorsque vous présentez quelqu'un, c'est qu'il vous pose la question tout de suite: a) Avez-vous des expertises de l'extérieur qui nous permettent de dire que c'est bon? b) Faisons tout de suite une étude de rentabilité. Dans le contexte économique actuel...

M. Brochu: Oui.

M. Casgrain: ...évidemment, les gens sont un peu hésitants à investir et il faut mettre encore plus d'efforts pour les convaincre d'investir.

M. Brochu: C'est un écueil que vous frappez en cours de route. Maintemant, on a parlé beaucoup — et vous avez assisté à plusieurs séances de la commission où on a rencontré différents groupes — de la société Asbestos Corporation. Vous avez remarqué les différentes constatations qui ont été faites, semble-t-il, soit par la ville de Black Lake, la ville de Thetford Mines, le Syndicat de l'amiante. Il semblerait que Asbestos Corporation ne soit vraiment pas au diapason en ce qui concerne la salubrité, la question de la sécurité des travailleurs, etc. Lorsqu'on lit la presse abondante autour de la question de l'amiante, certaines données nous indiquent qu'à l'intérieur de l'association des mines il semblerait peut-être y avoir un petit conflit avec Asbestos Corporation, dû peut-être à son attitude de façon générale.

Il m'a semblé, j'ai dégagé cela un peu aujourd'hui, que la volonté qui s'est manifestée chez les gens de vouloir sauter sur la nationalisation comme une planche de salut est peut-être due à la situation de fait qui prévaudrait là-bas. Pour l'Association des mines d'amiante "étant donné que le gouvernement a manifesté du moins son intention de se porter acquéreur de Asbestos Corporation, c'est quoi Asbestos Corporation? Si je vous demandais de... Je comprends que c'est difficile pour vous de répondre, c'est un de vos membres.

M. Filteau: Au 1er janvier, c'était un de nos membres avec qui nous fonctionnions normalement, mais nous ne sommes pas en mesure de vous répondre sur une question au nom des syndicats de la société Asbestos qui ont leur opinion, leur impression de leur compagnie. Ils parlaient de leur compagnie.

M. Casgrain: Je me permets d'ajouter simplement qu'il est bien possible que sept ou huit autres personnes puissent avoir une opinion différente d'Asbestos Corporation. Sans porter de jugement moi-même sur la qualité des témoignages qui ont été rendus, il n'est pas tout à fait certain que sept ou huit autres personnes n'auraient pas dit autre chose. C'est une affaire.

M. Brochu: Oui, il faut être juste.

M. Casgrain: Quant à nous dans l'association, cela a été un partenaire valable et, évidemment, pour des raisons qui leur sont bien particulières dans le contexte que vous connaissez bien, depuis le 31 décembre ils ne sont plus membres de l'association.

M. Grégoire: Pourquoi?

M. Casgrain: M. Grégoire, vous pouvez tirer vos conclusions comme je peux tirer les miennes. J ai l'impression que peut-être ils voulaient avoir les coudées franches, compte tenu de ce que le gouvernement annonçait qu'il devait engager avec eux; c'est bien possible. Mais je ne peux pas en dire plus que cela. Je sais une chose, c'est qu'ils sont devenus membres de certains comités dont ils ont absolument besoin pour fonctionner. Exemple: les standards, les comités techniques et ce genre de choses. Il ne s'agit, d'aucune façon, d'une dispute; il s'agit uniquement, quant à eux, de la position qu'ils entendaient prendre.

M. Turcot: A cet égard, M. le député de Richmond, à titre d'information additionnelle, cette fois-ci, non plus pour parler de la société Asbestos, per se, mais des compagnies d'amiante par rapport aux témoignages divers qu'on peut entendre à l'occasion de ces commissions, il est intéressant de relever un contraste entre ces témoignages et une mesure plus scientifique de l'opinion publique et de l'opinion de la population de la région par rapport aux compagnies d'amiante.

Nous avons fait réaliser un sondage par la maison CROP. Tout le monde la connaît bien ici, tous les partis politiques l'utilisent et beaucoup d'autres; c'est certainement une des grandes maisons de sondage au Québec qui fait un travail extrêmement sérieux dont la crédibilité ne me paraît pas devoir être mise en doute. C'est un sondage important puisqu'il portait sur 1500 é-chantillonnés dont 500 dans la région de l'amiante. Avec un nombre comme celui-ci au Québec, votre marge d'erreur, votre fourchette d'erreur oscille entre 3% et 4%. Or, en admettant ces 3% et 4%, j'avoue que les résultats ont été assez révélateurs, puisque les compagnies d'amiante sont perçues par 80,8% de la population habitant les localités minières, premièrement, comme d'assez bons à très bons employeurs, deuxièmement, contribuant grandement à la croissance économique du Québec, troisièmement, contribuant grandement au développement économique de la région. C'est intéressant.

M. Grégoire: Cela, je suis le premier à le dire. Elles contribuent au développement économique de la région, c'est évident.

M. Brochu: II est important que vous ayez souligné ce point de vue aussi, parce que notre rôle, ce qu'on veut, c'est faire ressortir le plus de données possible.

M. Grégoire: La question était-elle posée comme cela?

M. Turcot: Non, la réponse était formulée comme cela.

M. Brochu: Maintenant, une question qui m'intéresse, un point que j'ai soulevé à différentes occasions dans le débat sur l'amiante actuellement, c'est la question de la perception de l'amiante sur les marchés européens, d'une part. Je sais que M. Messel a fait certaines déclarations récemment aussi à ce sujet. Je sais qu'il existe une réalité qui s'appelle une espèce de crainte au niveau de l'Europe en ce qui concerne les produits de l'amiante. D'une part, est-ce que vous aviez prévu depuis quelques années cette perception des Européens en ce qui concerne l'amiante, d'une part?

M. Filteau: Est-ce que vous continuez votre question ou si je peux répondre à ce premier volet? Peut-être que les Européens commencent à prendre conscience du problème de l'amiante et de la santé, alors que nous sommes peut-être un peu plus avancés ici au Canada et aux Etats-Unis. Ils ont à rebours les effets de la publicité aux Etats-Unis et au Canada qui ont été exagérés aux tout débuts. Ils sont maintenant au stade où le public craint les effets de l'amiante sur la santé beaucoup plus par la mauvaise publicité qui s'est faite que par les études scientifiques sur lesquelles on se base pour présenter, comme on l'a fait au Parlement européen, des résolutions au sujet de l'utilisation de l'amiante dans les produits.

M. Brochu: C'est exact. Il y a eu la résolution de Strasbourg indiquant la volonté du Parlement européen, une volonté politique, de mettre de côté le plus possible les produits à base d'amiante. Cependant, est-ce que vous avez fait une distinction dans l'analyse de ce phénomène entre cette volonté politique et le fait que la crainte est peut-être surtout au niveau du consommateur, qu'elle soit justifiée ou non, remarquez bien?

M. Filteau: Au niveau du consommateur, elle est peut-être encouragée par les media d'information et aussi peut-être, si vous me permettez d'exprimer cette opinion, par des concurrents de produits substituts.

M. Brochu: Ou différents mouvements.

M. Casgrain: Un des problèmes qui se posent, n'est-ce pas, c'est que nous, ici au Canada et au Québec, en particulier, nous croyons connaître vraiment le produit de l'amiante. Je crois qu'on peut dire, en vérité, que s'il y a un produit au monde qui a été étudié, circonscrit et dont on connaît tous les effets, c'est l'amiante. Je pense que si, demain matin, on devait faire la même chose quant aux produits substituts, on arriverait à des conclusions qui seraient autrement plus dangereuses que celles-ci. Le problème, évidemment, c'est que la mode est à l'écologie et il suffit de lire un article disant: Ceci est très dangereux, pour qu'immédiatement cela fasse de la nouvelle.

Heureusement, ici, le problème est beaucoup diminué parce que, suite au rapport Beaudry, on a constaté un certain nombre de choses. On sait tous aujourd'hui — M. Grégoire le sait très bien — que la totalité des mines pratiquement vit en dedans des normes et quelques-unes même en bas des normes qui sont proposées. C'est assez extraordinaire ce qui s'est fait dans le domaine actuellement. Malheureusement, les retombées de la mauvaise publicité originant des Etats-Unis surtout commencent par l'Europe pour nous revenir ici.

M. Brochu: C'est un fait parce que nous, on peut faire la distinction entre la personne qui est exposée en tant que travailleur qui l'était il y a quelques années, et ce qui s'est fait d'améliorations dans nos entreprises. C'est différent, par exemple, du grille-pain qui contient de l'amiante et dont les gens ont peut-être peur là-bas jusqu'à un certain point. Est-ce que vous avez entrepris, en tant qu'association, de faire le contrepoids à cette mauvaise perception? (19 h 15)

M. Turcot: L'Association des mines d'amiante, d'une part, est membre de l'Asbestos International Association de Londres qui regroupe tous les manufacturiers européens d'amiante. Naturellement, c'est d'abord à cette association — qui est chez elle — d'entreprendre, de faire son travail. Nous essayons d'apporter un appui tangible au niveau de la recherche, au niveau de l'information, des services de soutien. C'est à ce stade que s'est située l'intervention de l'association en Europe. Il n'est pas exclu cependant que nous allions un pas plus loin. Il n'est pas impossible que l'association, à cet égard, soit en mesure de se bouger plus rapidement que la machine administrative pour aller en Europe essayer de contrer les effets de ce type d'information.

M. Brochu: Merci. Maintenant, dans un autre ordre d'idées, on a parlé tout à l'heure...

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Richmond, peut-être une dernière question, pour conclure.

M. Brochu: ... avec SORES, de la possibilité d'intérêt que pourraient revêtir les marchés du Moyen-Orient et de l'Afrique. Mais en termes de garantie de marchés, lorsqu'on pense au transport, lorsqu'on parle des conditions politiques aussi dans ces milieux, qu'est-ce que cela veut dire pour vous autres, en tant que spécialistes ici?

M. Turcot: Cela veut dire des ventes, n'est-ce pas, qui sont dans la plupart des cas garanties par la société pour l'expansion des exportations, naturellement, du Canada. Cela veut dire aussi, au niveau du transport, qu'il n'y a pas à proprement parler de problèmes parce que, naturellement, ce ne sont pas des produits finis qui se vendent dans ces pays et ce ne seront jamais des produits finis qui se vendront dans ces pays. L'industrie de

l'amiante, dans les pays africains, les pays en voie de développement, les pays du Moyen-Orient, les pays du golfe Persique, c'est une industrie d'amiante-ciment. Ces pays s'équipent pour faire de l'amiante-ciment.

Il est bien sûr que, compte tenu de la teneur en amiante des produits d'amiante-ciment, qui n'excède jamais 15% et qui est plutôt de l'ordre de 10% ou de 12%, il n'est pas question de "shipper"— si vous me passez l'expression — des blocs d'amiante-ciment au Koweït ou à Abu Dhabi. C'est de l'exportation de fibre dont il s'agit.

M. Brochu: Merci.

M. Grégoire: Question supplémentaire. Voulez-vous dire que l'Europe n'exportera pas de plaques polies d'amiante-ciment vers ces pays, vers l'Afrique du Nord, vers les pays arabes, ou d'autres matériaux, des enduits à linoléum, des papiers feutres pour les pipe-lines qu'il y a là-bas, des papiers d'amiante-ciment pour les pipe-lines qu'il y a là-bas? Voulez-vous dire que déjà l'Arabie a ses industries pour ces produits?

M. Turcot: Je peux vous dire, en effet, que l'Arabie Saoudite notamment s'équipe considérablement pour la transformation de produits d'amiante-ciment...

M. Grégoire: A l'heure actuelle?

M. Turcot: ... considérablement; que le Koweït est déjà équipé; je peux vous dire qu'Abu Dhabi a confié à SNC, à cet égard, une étude pour réaliser un équipement assez important; je peux vous dire que l'Algérie a, dans son programme quinquennal, l'intention de développer encore davantage ses produits d'amiante-ciment. Et c'est cela qui se passe. Nous parlons à long terme; si nous parlons des six prochains mois, nous parlons d'autre chose.

M. Grégoire: Et des six dernières années.

M. Filteau: Quant aux endos de linoléum qui sont à 90% faits d'amiante, il n'y a pas de problème d'exportation. On l'a toujours dit. Depuis des années, depuis 20 ans on prêche que le Québec peut fabriquer et exporter des produits à haute teneur d'amiante, comme les papiers et les textiles.

M. Turcot: Mais ce n'est pas le gros du marché.

M. Filteau: Ce n'est pas le gros marché.

M. Grégoire: Mais c'est tout de même une partie du marché.

M. Casgrain: A cet égard, quant au marché local — vous êtes de Thetford ou vous connaissez Thetford, M. Grégoire — je me souviens de circonstances, il n'y a pas tellement longtemps, encore il y a trois ou quatre ans, où, pour faire ache- ter des tuyaux d'amiante-ciment par la municipalité de Thetford, il fallait faire des démarches assez considérables allant jusqu'à menacer de ne pas payer les taxes à moins qu'elle n'achète des tuyaux d'amiante-ciment. Je me souviens d'une circonstance où l'entrepreneur lui-même, lorsqu'il installait le tuyau, le laissait par hasard — disait-il — tomber et, quand il cassait, disait: Voyez-vous, ce n'est pas aussi fort que l'autre. Alors si, localement, on ne fait pas d'efforts pour tenter d'en incorporer chez nous... Parlons de l'amiante qui avait été installé sur le pont Pierre-Laporte, il est resté combien de temps et a été remplacé par quoi? Alors qu'effectivement, comme coefficient de friction, l'amiante dans l'asphalte est censé être quelque chose d'assez extraordinaire. A cet égard, on compte bien qu'il va se faire des efforts localement pour que, au moins, on tente d'en acheter un peu ici.

M. Grégoire: Mais vous reconnaîtrez, au moins, que depuis un an, ou depuis le 16 novembre dernier, dans la région immédiate de l'amiante, et M. Filteau le sait, il y a de gros travaux qui se font présentement dans les municipalités: égouts, aqueduc, voirie, et des travaux provinciaux également et que, lorsqu'on m'a parlé d'incorporer l'amiante-ciment, cela n'a pas pris de temps, même pas deux semaines, que la décision s'est prise que c'était en amiante-ciment.

M. Filteau: II s'agit de le dire au réveillon.

M. Grégoire: Ce qui indique qu'on s'intéresse au développement du secteur puisque cela s'est fait très rapidement.

M. Turcot: A cet égard, M. le député de Frontenac...

M. Grégoire: Non, cela n'aurait pas été en béton, cela aurait été plutôt en fonte importée.

M. Turcot: ... M. le Président, si je peux...

M. Grégoire: ... ou de Lotbinière mais qui ne fabriquait pas ces grosseurs. Cela n'aurait même pas été fabriqué là.

M. Turcot: Si je peux ajouter ceci à cet égard, c'est bien sûr que, on en a parlé depuis hier, on parle beaucoup de fabrication de produits d'amiante au Québec — Dieu sait que tout le monde est pour, les compagnies extractrices les premières, ce serait tellement plus simple de vendre cela sur place — mais on n'a pas beaucoup parlé de consommation, effectivement, et on n'a pas beaucoup parlé d'utilisation, et chaque fois qu'on parle de cette transformation, il faut bien se pénétrer de l'idée que la philosophie de la fabrication de l'amiante, jusqu'à maintenant — peut-être bien qu'on va se rendre compte que c'était une erreur, je ne le conteste pas — a toujours été de fabriquer près des marchés, surtout parce qu'il s'est agi, dans la plupart des cas, de produits de l'amiante-ciment, étant entendu qu'il est tout à fait

possible si, au départ, on a un bassin de population, un marché utilisateur et qu'on sert d'abord ce marché et qu'on a un excédent de production de 15% ou de 20%, à ce moment-là, on peut bien l'expédier à 5000 milles plutôt que d'être bloqué avec, et c'est exactement ce qui se produit.

Quand on nous sert parfois l'argument qu'on a la preuve qu'on peut expédier très loin des produits et des tuyaux de l'amiante-ciment, c'est très vrai qu'on le peut, mais il n'y a pas une industrie au monde qui s'est conçue et dont l'investissement initial s'est planifié en fonction d'une exportation ou d'un transport lointain de ces produits. Cela s'est d'abord conçu en fonction d'un marché local et quant aux excédents, évidemment, à ce moment-là, il n'y a pas tellement de problèmes.

M. Grégoire: M. Turcot, sans défoncer de portes ouvertes, évidemment, personne ne parle de transporter des tuyaux de 48 pouces en amiante-ciment vers le Japon, on n'a jamais parlé de cela, non plus, mais des produits qui peuvent se transporter, comme M. Filteau l'a reconnu tout à l'heure, cela, nous croyons tout de même qu'il y a eu un manquement là, dans le passé, et que c'était même notre amiante, et si les Arabes se montent des industries de transformation de l'amiante, ce sera avec notre amiante ou à peu près, et c'est là qu'il y a quelque chose qui cloche.

M. Turcot: Nous sommes tout à fait d'accord.

M. Casgrain: Nous sommes tout à fait d'accord.

M. Grégoire: Alors, à ce moment-là, c'est à nous à trouver des incitations pour que notre amiante, nos produits finis qui peuvent se transporter vers ces pays, comme le papier d'amiante qui peut servir aux pipe-lines utilisés là-bas soit transformé ici, et qu'on ait au moins le même sentiment que les Arabes ont pu avoir vis-à-vis de leur pétrole. Mais je voudrais revenir à un autre...

M. Turcot: Je vous assure que Johns-Manville serait enchanté de repasser de 50% à 100% de sa capacité de production.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Frontenac, vous aviez une question, posez-la tout de suite parce que le député de Marguerite-Bourgeoys...

M. Grégoire: Sur le plan de la salubrité des produits de l'amiante, on dit qu'il peut y avoir une diminution parce que l'amiante a obtenu, à un moment donné, une mauvaise réputation. Avec une Société nationale de l'amiante qui aurait un intérêt premier dans l'exploitation, dans la transformation jusqu'à la vente de produits finis dans tout le secteur de l'amiante, qui pourrait regrouper tous ceux qui sont intéressés au secteur, ne croyez-vous pas que cette Société nationale de l'amiante serait l'élément moteur qui pourrait concentrer tous ces efforts pour redonner à l'amiante la valeur qu'il a comme produit de sécu- rité pour l'individu, que ce soit comme amiante-ciment dans les édifices à hauteur, que ce soit dans les pétroliers, ou que ce soit comme vêtements de ceux qui travaillent dans les salles de cuves? Ne croyez-vous pas que cette Société nationale de l'amiante, avec son centre de recherche, pourrait, par ses recherches, en arriver à pouvoir estampiller des produits sécurisants pour l'individu? Ne croyez-vous que cette Société nationale de l'amiante, c'est le facteur indiqué pour assurer un avenir brillant à l'amiante?

M. Casgrain: Je pense que vous nous demandez d'approuver votre projet de loi 70 de M. Lé-vesque. Si vous me le permettez...

M. Grégoire: Non, je le demande justement parce que vous constatez et vous réalisez où est le défaut, où le bât blesse dans le secteur de l'amiante, aujourd'hui, et je ne vous demande pas d'approuver le projet de loi 70. Je vous demande si une telle société nationale, ayant à coeur les intérêts et l'avenir de l'amiante parce que c'est une richesse chez nous... Est-ce que l'Association des mines serait intéressée à...

M. Casgrain: M. le député de Frontenac...

M. Grégoire: ... collaborer, si cela ne serait pas l'avenir.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Frontenac.

M. Filteau: Nous avons déjà un institut de recherches en médecine du travail des ambiances qui a fait un grand travail dans ce sens-là, en faisant valoir quels sont les dangers de l'amiante et jusqu'à quel point on peut contrôler l'amiante de façon sécuritaire. Je crois que toute organisation, tout institut ou mécanisme dans lesquels les compagnies s'associeraient pour essayer d'améliorer la réputation de l'amiante, surtout au point de vue de l'utilisation de ces produits, cela aurait de la valeur; cela serait valable.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, vous avez indiqué que vous déploriez l'absence de consultation de la part du gouvernement à l'égard de votre association. Vous avez sûrement été, comme nous, rassuré par la promesse du ministre que, maintenant que tout est décidé, ils sont prêts à consulter. Cela me fait penser au Far West; autrefois on pendait les voleurs de chevaux avant et ensuite on faisait leur procès. Le gouvernement a décidé de payer et ensuite il va consulter.

Heureusement que la commission parlementaire n'est pas le gouvernement. D'ailleurs, on le voit bien, le ministre n'est même plus à son siège. J'espère que cela n'est pas une indication — c'est assez symbolique de la consultation jusqu'à maintenant — de ce que cela sera après.

M. Grégoire: C'est l'indication qu'il a confiance en son adjoint parlementaire.

M. Lalonde: La commission parlementaire, heureusement, n'étant pas le gouvernement...

M. Brochu: C'est encore...

M. Grégoire: C'est l'indication qu'il a confiance en son adjoint parlementaire.

M. Brochu: Un adjoint de la commission, c'est cela.

M. Lalonde: Je vous fais remarquer que le gouvernement n'est pas ici actuellement. Nous ne sommes que des députés. Comme membre de la commission parlementaire, j'aimerais vous poser la question suivante: Si vous aviez été consultés, avant la décision du gouvernement d'acquérir une mine d'amiante dans le but, à moyen terme et peut-être à plus long terme, de s'impliquer dans la transformation, quel aurait été votre conseil?

M. Filteau: Naturellement...

M. Lalonde: Autrement dit, est-ce que c'est nécessaire?

M. Filteau: Naturellement, nous n'aurions pas été pour un tel projet. D'ailleurs; nous l'avons souligné, lorsque la politique a été annoncée, dans une déclaration. Nous ne croyons pas que c'est le meilleur moyen de développer l'industrie de l'amiante et de créer des emplois; c'était censé être l'objectif du gouvernement.

M. Lalonde: Vous ne croyez pas que c'est nécessaire d'acquérir une mine, au départ, pour éventuellement investir dans le secteur de la transformation de façon à créer des emplois ici.

M. Filteau: Effectivement, c'est ce que nous croyons.

M. Grégoire: ... concurrence.

Le Président (M. Marcoux): A l'ordre.

M. Filteau: Maintenant, je veux ajouter un mot. Dans ce qui a été discuté en fonction de vo- tre question, il n'y a jamais eu un manque d'approvisionnement d'amiante au Québec ou ailleurs, où que ce soit. Comme on vous le disait tout à l'heure, ces compagnies ne transforment que 12%; cela veut dire qu'elles vendent à des concurrents. Comprenez-vous? Elles vendent 85% de leur production à des concurrents qui pourraient les contrôler. Je vous dirai même que des compagnies productrices d'amiante au Québec ont abandonné la fabrication de produits parce que leurs concurrents réussissent à fabriquer à meilleur prix.

M. Casgrain: Voici un des problèmes majeurs, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, au sujet de cette présence gouvernementale, non pas que ce soit un gouvernement ou un autre. Pour ce qui est de celui à qui on demande de venir ici investir son argent dans une entreprise qu'on lui dit rentable, etc., pour lui — ce n'est pas ma faute s'il raisonne comme cela, mais l'expérience est là dans le domaine des affaires — la présence de quelqu'un qui a déjà acheté une industrie de l'amiante, il se dit que peut-être son tour viendra éventuellement. Cela n'est pas de nature à l'inciter à venir ici dans un contexte où il se dit: Je peux investir à long terme en pensant pouvoir, éventuellement, récupérer mon investissement et faire des profits.

M. Lalonde: En conclusion, M. le Président, le ministre vous a demandé si vous accepteriez la nouvelle société comme membre de votre association. Je voudrais simplement vous dire ceci: Comme député de Marguerite-Bourgeoys et au nom de mes électeurs, je trouve que c'est très cher que devenir membre de votre club.

Le Président (M. Marcoux): Je remercie...

M. Grégoire: Cela coûte cher pour devenir maîtres chez nous.

Le Président (M. Marcoux): ... les responsables de l'Association des mines d'amiante du Québec qui sont venus nous présenter leur mémoire. La commission parlementaire des richesses naturelles ajourne ses travaux à demain, dix heures.

(Fin de la séance à 19 h 30)

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