L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs

Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le jeudi 7 novembre 2019 - Vol. 45 N° 4

Consultations particulières et auditions publiques sur l’exploitation sexuelle des mineurs


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Mmes Karine Dubois et Catherine Proulx

Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC)

Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme (EILP)

Service de police de la ville de Montréal (SPVM)

Centrale des syndicats du Québec (CSQ)

Centre Cyber-aide

Autres intervenants

M. Ian Lafrenière, président

Mme Christine St-Pierre, vice-présidente

M. Alexandre Leduc

M. Christopher Skeete

M. Frantz Benjamin

Mme Méganne Perry Mélançon

Mme Nancy Guillemette

Mme Kathleen Weil

M. Guy Ouellette

*          Mme Marie-Christine Michaud, CAVAC

*          Mme Jenny Charest, idem

*          Mme Karine Damphousse, idem

*          M. Sylvain Guertin, EILP

*          Mme Brigitte Barabé, idem et SPVM

*          M. Frédéric Martineau, SPVM

*          Mme Sonia Éthier, CSQ

*          Mme Julie Pinel, idem

*          Mme Cathy Tétreault, Centre Cyber-aide

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente-six minutes)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs ouverte. Je vous souhaite la bienvenue. Je demande à toutes les personnes dans cette salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacement.

Auditions (suite)

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Ce matin, nous entendrons Mmes Karine Dubois et Catherine Proulx et le centre d'aide aux victimes d'actes criminels, le CAVAC.

Je souhaite donc la bienvenue à Mmes Karine Dubois et Catherine Proulx. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour votre présentation, et par la suite il y aura une période d'échange avec les membres de la commission pour une durée de 25 minutes. Alors, mesdames, je vous laisse vous présenter et faire votre exposé. Merci d'être là.

Mmes Karine Dubois et Catherine Proulx

Mme Dubois (Karine) : Mon nom est Karine Dubois.

Mme Proulx (Catherine) : Mon nom est Catherine Proulx, je suis la réalisatrice du documentaire.

Mme Dubois (Karine) : Je suis la productrice, mais j'ai également fait la recherche du documentaire. On va faire une présentation qui est un mélange de texte et des petits extraits vidéo. On commence tout de suite.

Depuis quelques années, nous entretenons des liens avec une équipe d'intervenants liés au CIUSSS—Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal. René-André Brisebois, Nathalie Gélinas et Martin Pelletier nous ont souvent aidés à mieux comprendre certaines problématiques liées entre autres aux jeunes contrevenants.

Il y a plus d'un an, au détour d'une conversation, ils nous mentionnent qu'ils travaillent avec un ex-proxénète qui a accepté de leur raconter comment il est devenu pimp et comment fonctionne l'industrie de l'intérieur. Nous leur demandons si nous pouvons avoir accès à l'entrevue filmée. Après avoir réfléchi, ils décident de vérifier avec le principal intéressé, qui accepte. Ce jeune, nous l'appellerons Kevin. Écoutons un extrait de son entrevue.

(Présentation audiovisuelle)

Mme Dubois (Karine) : Cet enregistrement est resté fixé dans nos têtes : Montréal aime ça jeune, mineur, 18, 19 ans. Nous venions d'ouvrir une porte vers le monde de l'exploitation sexuelle.

Pour mieux comprendre cet univers, nous sommes partis du témoignage de Kevin, ex-proxénète, et nous avons avancé de témoignage en témoignage au gré de nos recherches, un peu comme si nous avions tiré sur un fil et que la réalité s'était détricotée sous nos yeux. De cette démarche-là, on a tiré un podcast, des vidéos, un documentaire. Aujourd'hui, on aimerait vous parler de notre démarche de recherche ainsi que des réflexions qui nous sont apparues suite à nos discussions avec différents protagonistes du projet.

• (11 h 40) •

Avant de commencer, on veut préciser qu'on est ici comme documentaristes. Le métier de documentariste permet de fouiller des sujets et de les présenter au public en y posant un regard personnel. Nous ne sommes ni spécialistes ni chercheurs, mais notre travail est de poser une réflexion sur des enjeux de société.

Si nous arrivons à plonger dans ces univers, c'est beaucoup grâce à la générosité de nos alliés qui nous font confiance, grâce à toutes les personnes qui acceptent de partager avec nous leurs vécus, même si ça implique parfois pour eux de s'exposer à un grand risque, et finalement grâce aux experts du sujet qui acceptent de vulgariser leur savoir. Toutes les personnes qui nous ont aidées et dont nous ne pouvons nommer le nom, parce que certaines personnes doivent garder l'anonymat, se retrouvent sur la liste en annexe du mémoire.

Revenons au tout début du projet Trafic. Après que Kevin nous ait dit à quel point Montréal aime ça jeune, nous avons commencé à poser des questions aux gens sur le terrain. Ce qui nous a intéressés d'abord, c'est le triangle que forment le proxénète, la victime et le client. Rapidement, nous avons réalisé que celui sur lequel nous avions le plus de difficultés à récolter de l'information était le client. Si tout le système d'exploitation sexuelle est mis en place, c'est pour répondre à ses besoins. Pourtant, il reste le grand inconnu, celui dont on parle rarement dans les médias. Même dans la littérature scientifique, très peu d'articles sont consacrés à comprendre comment pense le client.

La première question qui nous vient, quand on tire sur le fameux fil pour tenter de comprendre, c'est : C'est qui, lui, le client qui aime ça jeune? Nous avons posé cette question au SPVM, à des intervenants qui travaillent auprès de victimes, à des danseuses, à une ancienne propriétaire d'agence d'escortes : C'est qui, lui? On aurait aimé croire qu'il s'agit de dangereux pédophiles ou encore de personnes aux désirs sexuels déviants. On aurait surtout aimé se faire dire qu'il s'agit d'une minorité isolée.

Nos discussions nous ont fait réaliser que le client, c'est M. Tout-le-monde. Il n'a pas de classe sociale, de métier, d'âge ou d'origine ethnique spécifique. Le client, c'est un collègue, un beau-frère, un père de famille, un époux. Vous connaissez sûrement un client.

Ce que les clients ont en commun, c'est de vouloir avoir des rapports sexuels avec une jeune femme. Dominic Monchamp, lieutenant-détective de l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme au Service de police de la ville de Montréal, nous l'a confirmé. Certains cherchent spécifiquement des mineures. D'autres cherchent une fille jeune et ne poseront pas de question pour vérifier si la fille qui est devant eux est majeure.

La prochaine qui nous a intéressées, c'est : Pourquoi il a besoin de ça?

Elle fait ça pour payer ses études. Elle adore le sexe, je l'ai vue, elle adorait ça. Pendant qu'elle est avec moi, elle n'est pas avec des clients violents. Si elle est assez vieille pour avoir des rapports sexuels avec son chum, pourquoi pas avec un homme? C'est moi qui vais l'initier à la sexualité.

Il y a autant de raisons de consommer des jeunes filles qu'il y a de clients. Celles que je viens de vous nommer sont celles que le client s'invente pour s'assurer de bloquer les mécanismes en lui qui pourraient lui dire que ce qu'il fait est mal. On appelle ça de la distorsion cognitive. Les psychologues que nous avons consultés nous ont expliqué que c'est de cette façon que le client minimise les gestes qu'il pose. Il fait taire sa conscience, ce qui lui permet de pouvoir réaliser ses fantasmes sans culpabilité.

Les raisons qu'il ne mentionnera pas et dont il n'est peut-être même pas conscient sont une faible estime de lui-même, la difficulté à entrer en contact, à créer un rapport intime avec une femme, un besoin de dominer ou d'avilir, un besoin d'avoir du pouvoir, un besoin de réaliser les fantasmes qu'il ne peut pas réaliser avec sa femme, un besoin de récréer dans la réalité ce qu'il voit dans la pornographie.

Ce que le client ne voit pas non plus, c'est que la fille qu'il a devant lui doit rapporter de l'argent. Beaucoup d'argent. Tout est mis en place pour que le client ne se rende pas compte qu'elle est exploitée. Il aura donc devant lui une jeune femme souriante, attentionnée. Il la croira sûrement avide de sexe. Tout ce que la fille fait pour faire croire au client qu'elle apprécie le temps en sa compagnie, elle le fait aussi pour éviter les violences physiques ou psychologiques des trafiquants qui l'exploitent.

Écoutons le témoignage d'une ex-victime pour comprendre mieux la réalité vue de son point de vue à elle.

(Présentation audiovisuelle)

Mme Dubois (Karine) : Une autre façon, pour nous, d'en apprendre plus sur le client, ça a été d'essayer de vérifier la demande en publiant une fausse petite annonce.

Encore une fois, on vous fait écouter un court extrait qui résume l'expérience de la fausse petite annonce.

Le Président (M. Lafrenière) : ...

Mme Dubois (Karine) : ...

(11 h 50)

Le Président (M. Lafrenière) : De consentement, on va pouvoir embarquer sur la période de questions? Consentement? Merci beaucoup.

Mme Dubois (Karine) : O.K., oui, désolée. Combien de temps on a encore?

Une voix : ...

Mme Dubois (Karine) : O.K. On met la fausse petite annonce. C'est une jeune femme qui a déjà eu une agence d'escortes, qui n'a jamais fait travailler de mineurs, qui refusait de faire travailler des mineurs, mais qui est habituée de dealer avec des clients puis de répondre à des messages puis des petites annonces. On avait besoin de quelqu'un qui savait comment s'y prendre. Donc, elle a fait la fausse petite annonce avec nous.

Mme Proulx (Catherine) : Et, même si elle n'avait pas, elle, dans son agence, de mineurs, elle nous confirmait que fréquemment des clients demandaient pour plus jeune, plus jeune.

(Présentation audiovisuelle)

Mme Dubois (Karine) : Je vais vous laisser prendre une petite respiration. Donc, cette expérience-là nous a confirmé que, pour ces clients, que la fille soit majeure ou non importe peu. Ils cherchent un service sexuel, l'idée que ce service soit fourni par une mineure ne freine en rien leurs pulsions.

Comme notre objectif était de parler avec des clients qui auraient pris un pas de recul, nous avons pensé explorer le filon des clients judiciarisés. Nous pensons que des clients qui avaient été trouvés coupables et qui avaient purgé une peine d'incarcération pour leurs délits auraient eu la capacité de poser une réflexion sur leurs comportements ou, à tout le moins, de nous expliquer pourquoi ils avaient franchi la ligne rouge en payant pour avoir des relations sexuelles avec une mineure. Ce que nous avions sous-estimé, c'est à quel point ceux-ci se déresponsabilisaient totalement par rapport aux gestes qu'ils avaient posés. En effet, dès le départ, le fait d'avoir été arrêtés dans le cadre d'opérations policières qui utilisaient des fausses annonces leur donnait l'impression d'avoir été pris dans un guet-apens. Les clients arrêtés se percevaient eux-mêmes comme des victimes.

Les dossiers consultés au plumitif comportaient un nombre étrangement élevé d'hommes pour qui c'était la première fois et qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient ou encore qui ne faisaient que magasiner. Pourtant, ils ont tous clairement accepté le fait que la jeune fille était mineure et se sont tous déplacés vers une chambre d'hôtel, sachant très bien qu'ils rejoignaient, derrière la porte, une adolescente.

• (12 heures) •

Entendons-nous, Catherine et moi, on a traité de sujets de justice depuis 10 ans. On a rencontré toutes sortes de criminels. La majorité d'entre eux assumaient qu'ils avaient fait des mauvais choix et prenaient conscience du tort qu'ils avaient pu causer à leurs victimes. Chez les clients qu'on a contactés, rien de ça. Un client nous a même dit : On culpabilise les clients, mais on ne culpabilise pas les filles.

Cette déresponsabilisation complète nous a frappées. Ces hommes ne s'étaient jamais arrêtés pour réfléchir aux conséquences de leurs gestes. Ils ne voulaient pas voir leur rôle dans tout le système d'exploitation tricoté sur mesure pour répondre à leurs désirs. Ils ne voyaient pas comment une adolescente qui a une douzaine de relations sexuelles non désirées par jour peut rester marquée pour la vie. Ils se construisent une fiction lourde de conséquences, une fiction dans laquelle l'être humain devant eux n'a aucune espèce importance. Ils pensent que payer donne le droit de tout faire, que l'utilisation du corps d'une femme a un prix et qu'il suffit de payer ce prix pour le consommer.

À la lumière des recherches menées dans le cadre du projet et des discussions avec les différents protagonistes, nous aimerions vous soumettre quelques pistes de réflexion.

Permettez-moi d'abord de revenir à la bougie d'allumage de notre projet, Kevin, cet ex-proxénète qui travaille avec Nathalie et René-André, du CIUSSS—Centre-Sud. Si Kevin a accepté de parler, c'est parce qu'il a aujourd'hui une fille et parce qu'il a pris conscience de tout le mal qu'il a fait. Il ne nous demande ni de pardonner ni d'excuser ses gestes. Ce qu'il nous demande de dire publiquement pour lui aujourd'hui, c'est ce qu'il pense de cet univers qu'il a quitté et les ressources auxquelles il aurait aimé avoir accès, enfant et adolescent. Pour lui, une des clés de la prévention serait l'éducation sexuelle. Comme il le disait, on ne t'apprend pas à respecter, on t'apprend à diriger ta colère, mais on ne nous parle pas de sexualité : Je n'ai pas d'amour, je n'ai pas d'affection, je n'ai pas d'amis qui m'apprennent c'est quoi, le sexe. Je ne sais rien, moi. Je sais que pour faire un enfant il faut fourrer une femme, mais ils ne nous parlent pas du respect, on ne m'a rien appris de ça.

Depuis qu'on parle davantage de prostitution juvénile dans les médias, on parle beaucoup de protéger nos filles, de les informer et de les mettre en garde, mais on oublie que nous avons aussi une responsabilité, comme société, d'éduquer nos garçons. Parce que les proxénètes sont aussi nos garçons. Ils sont issus de notre société, et nous devons nous demander, collectivement, comment nous pourrions mieux faire les choses pour que moins de jeunes hommes en viennent à penser que le proxénétisme est une forme de criminalité comme une autre.

Nathalie Gélinas, qui nous a présenté Kevin et qui travaille depuis de nombreuses années auprès des jeunes contrevenants, nous faisait remarquer que les pimps, comme les filles, se font vendre un rêve. Ils se font, eux aussi, recruter par d'autres pimps. Que peut-on faire pour éviter que nos garçons deviennent des proxénètes? Kevin tenait à ce que je vous parle de l'importance de l'éducation sexuelle, de l'éducation sexuelle au plus jeune âge, alors que plusieurs enfants intègrent déjà des comportements qui les suivront toute leur vie.

Aujourd'hui, c'est tellement facile de passer du fantasme à la réalité. Il suffit d'ouvrir un onglet de plus sur notre ordinateur. Sur une fenêtre, on écoute de la porno; sur l'autre, on se commande une fille. S'il n'y a pas d'autre forme d'éducation sexuelle que celle que les jeunes trouvent par eux-mêmes en ligne, ne nous étonnons pas que l'exploitation sexuelle puisse leur sembler une avenue à considérer.

Il faut offrir aux jeunes un espace pour parler du consentement, parler de ce qu'ils voient quand ils regardent de la porno sur Internet, parler de comment se respecter et respecter sa partenaire dans une relation sexuelle. On ne le redira jamais assez, l'éducation sexuelle doit être au coeur de nos priorités, et elle doit être portée par des gens pleinement compétents en la matière, des gens qui ont la capacité de trouver les bons mots pour ouvrir une discussion importante avec nos jeunes.

L'éducation sexuelle doit également trouver sa place dans les endroits où se retrouvent des jeunes qui commencent leur carrière criminelle. Je pense ici, entre autres, aux centres jeunesse. Plusieurs jeunes contrevenants se retrouvent en centre jeunesse après avoir commis un délit grave. Peu de jeunes se retrouvent en centre jeunesse pour proxénétisme. Par contre, un certain nombre de jeunes qui s'y trouvent côtoient ce type d'activité et seront peut-être intéressés à devenir pimps dans un avenir rapproché. Un jeune en centre nous a déjà fait remarquer que c'était particulièrement intéressant de devenir pimp, puisqu'il y avait beaucoup moins de chances de se faire prendre, et que la fille, contrairement à la drogue, est une marchandise qu'on peut revendre plusieurs fois.

Nous pensons donc que les centres jeunesse pourraient se doter d'un programme costaud d'éducation sexuelle destiné aux jeunes contrevenants, et ce, peu importe la nature de leur délit. Je sais que mes collègues du CIUSSS travaillent présentement sur le programme ACTES, spécifiquement conçu pour faire la prévention du proxénétisme auprès des jeunes contrevenants.

En ce qui concerne les clients, on peut faire toutes les activités de répression possibles, on peut faire des opérations d'envergure, il faut agir en amont. Il faut que les générations futures d'hommes changent de mentalité et réalisent que c'est absurde de briser des vies et de laisser se construire tout un système d'exploitation hautement lucratif pour le crime organisé, simplement pour assouvir leurs fantasmes. Et, dans la mesure où nous avons réalisé, dans nos recherches, qu'une majorité de clients appartient davantage au profil M. Tout-le-monde qu'à celui du pédophile déviant pour qui il s'agit d'une maladie, il faut aussi croire que, si on arrive à le rejoindre, on pourra le faire évoluer dans sa réflexion et surtout lui faire porter la responsabilité qui lui revient dans ce grand gâchis de vies humaines.

Déshumaniser ces hommes, les voir comme des monstres ou les classer aux côtés des pires délinquants sexuels en se contentant de les juger ne réglera en rien la situation. Si on veut agir sur la demande, il faut arriver à se mettre à la place du client, comprendre ce qui le motive à franchir la ligne rouge et comprendre comment il arrive à se convaincre que c'est normal et sans conséquence, comprendre aussi quoi dire pour les amener dans une zone où ils accepteront de se responsabiliser et de remettre en question leurs agissements.

Pour y arriver, il faut travailler sur plusieurs fronts. D'abord, une campagne de sensibilisation destinée à un large public pour faire changer les mentalités et diminuer le nombre de clients potentiels. Je pense entre autres à une campagne télévisée de publicité sociétale frappante abordant de front l'exploitation sexuelle pour faire changer les mentalités, un peu comme ça a déjà été fait pour l'alcool au volant ou la violence conjugale.

Je crois aussi que la sensibilisation des hommes passera fort probablement par les hommes. Ce sont dans des conversations entre hommes que les clients actuels ou futurs ont le plus de chance de parler de leurs comportements sexuels. Ramenons-nous à l'alcool au volant. Ça prend quelqu'un pour dire au chauffeur en état d'ébriété de ne pas prendre sa voiture, quelqu'un pour l'affronter et lui enlever ses clés. Qui seront les hommes qui auront le courage d'aborder le sujet dans une conversation avec des amis?

Finalement, dans le cas du client également, il faut réfléchir aux meilleures façons de travailler sur le front de l'éducation sexuelle. Dans le cadre de notre projet, nous nous sommes intéressés au «john school», au travail de centres d'intervention en délinquance sexuelle comme celui de Laval qui offrent des thérapies aux hommes, le plus souvent après imposition d'une sentence de la cour, aux thérapies offertes dans des établissements de détention provinciale. Nous n'avons pas de réponse toute faite à vous donner, mais les intervenants et spécialistes de ces programmes pourraient sans doute grandement contribuer à élaborer d'éventuels programmes. Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, madame, pour votre présentation. On va passer maintenant à la période d'échange. Je vais demander d'être très bref. On a plusieurs, plusieurs questions en peu de temps. Et je vais commencer avec une petite question très rapide pour vous, puis on va essayer d'y répondre rapidement.

Vous vous êtes qualifiées vous-mêmes de néophytes, et on est très heureux de vous avoir aujourd'hui parce que, justement, vous n'étiez pas des spécialistes dans le milieu. Mais je sais que vous avez été particulièrement, j'étais pour vous dire, touchées ou même choquées par certaines choses que vous avez découvertes dans votre travail. Pouvez-vous nous partager ce que vous avez vécu comme personnes qui ne connaissaient pas le milieu?

Mme Proulx (Catherine) : Rapidement, c'était un sentiment d'impuissance. C'est quelque chose qu'on n'a pas envie de voir, mais qu'une fois qu'on a vu on ne peut plus faire comme si on ne l'avait pas vu. C'est vraiment... Puis plus j'avançais dans ma démarche, j'avais besoin de solutions, mais il n'y avait pas beaucoup de monde pour me donner des solutions, à part... Puis c'était ça, c'était de croiser des gens, puis tout le monde faisait le même constat, il y avait des anciens proxénètes qui faisaient le même constat que la police, des gens du milieu et des experts. Tout le monde semblait voir la même chose. Puis plus j'avançais, plus je voyais l'ampleur du problème et plus je me sentais impuissante, dans le fond. Puis ça a été ça.

Je savais qu'avec le documentaire je n'allais pas nécessairement trouver des solutions, mais qu'on allait peut-être pouvoir soulever un peu de poussière sous le tapis pour qu'on puisse... Je ne connaissais pas cet univers-là, puis une fois... après avoir plongé dedans, je me suis dit : Bien, il faudrait que tout le monde puisse voir ça puis qu'on défasse un peu, des fois, des idées toutes faites qu'on a aussi. Je n'avais jamais pris le temps de réfléchir à ça. Quand Ashley m'a dit qu'elle doit faire 2 000 $ par jour, que c'est des... Tu sais, on parle de 10, 20 clients, c'est... On ne se projette pas à ce point-là, comment ça peut être difficile quand les clients appellent pour commander une fille. C'est déstabilisant de voir à quel point on ne parle pas d'un être humain. On commande quelque chose. Et la chose en question a des critères. Si la personne répond aux critères, tout est beau.

Donc, je pense que ça, c'était le... ce manque d'humanité un peu, là-dedans, de dire : Tout ça est construit autour d'un fantasme, mais on oublie que c'est des êtres humains, puis tout le monde oublie ça. Le proxénète, même les filles elles-mêmes, je pense, oublient la valeur qu'elles ont là-dedans. Tout le monde est pris là-dedans. Puis souvent je me suis dit : Et le client, le pimp, la jeune fille, tout le monde aurait besoin du coup de main là-dedans parce que, là, c'est comme si le fantasme sexuel prend toute la place. Il y en a qui y voient une possibilité de faire de l'argent, il y en a qui sont prises là-dedans, puis c'est extrêmement triste, en fait.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

• (12 h 10) •

M. Leduc : M. le Président, moi, je suis profondément marqué par votre travail que vous avez fait. Je l'avais écouté quand on a appris qu'il allait y avoir une commission. C'est ma conjointe qui m'avait suggéré d'écouter ça. On l'écoutait sur la 20 en s'en revenant en famille avec la petite en arrière, puis c'était quelque chose, de conduire, d'écouter ça puis de la voir dans le rétroviseur en train de dormir. Je l'ai d'ailleurs tout de suite recommandé aux collègues dans les premières rencontres. Puis je pense que vous avez fait vraiment une oeuvre utile pour la société. Ça fait que je veux vous remercier fondamentalement.

Moi, il y a deux choses qui me marquent dans l'écoute puis votre témoignage. D'abord, c'est que la demande, elle semble infinie ou tellement grande. Le téléphone ne dérougit pas. L'expérience que vous avez faite, c'est troublant. L'autre chose qui me marque aussi, c'est qu'on... Moi, je pensais qu'il y avait comme une espèce de clientèle particulière pour les mineurs puis une clientèle pour les majeurs. Mais, visiblement, ça a l'air d'être pas mal le même monde qui peut aller butiner de l'un à l'autre sans trop de préoccupation.

Puis finalement j'entends votre appel aussi par rapport aux hommes, puis il reprend ce que Rose Dufour a dit, plus tôt cette semaine, où les hommes disent qu'on a un rôle à jouer dans la fin de ce système-là. Moi, ça me touche particulièrement, puis c'est en fait une... Je cherche des manières de participer à ce rôle-là. C'est une des raisons, en fait, pour laquelle c'est moi qu'on a envoyé, dans ma formation politique, plutôt que ma collègue de condition féminine, parce qu'on se dit que, d'un point de vue féministe, il faut que les hommes prennent plus de place. Est-ce que vous avez d'autres formes de suggestions par rapport à ce que les hommes devraient faire pour casser ce système-là?

Mme Dubois (Karine) : Bien, je pense qu'il faut vraiment créer la conversation. Je pense que le geste le plus courageux serait sans doute de mettre le sujet sur la table, dans un souper de famille élargie où on retrouve toutes sortes de monde avec toutes sortes d'horizons, puis de dire : J'ai appris qu'il y a des clients partout, je me demande même s'il y en a ici, qu'est-ce que vous en pensez? Juste ça, ce serait un geste très, très, très courageux et qui ferait une différence. Donc, il y a ça. Il y a le fait aussi de questionner, c'est-à-dire, tu sais, dans les idées : Est-ce que vous pensez vraiment que les filles qui sont là, elles ont du plaisir pour vrai? Tu sais, il y a toute cette réflexion-là à avoir. Puis c'est la notion aussi d'éduquer nos garçons. Donc, c'est vraiment de dire... On ne peut pas mettre un cadenas sur les filles, puis les barrer, puis les rendre hypervigilantes. Si on ne fait pas un travail d'éducation auprès des garçons, ça ne servira à rien. Si on ne stoppe pas la demande, l'offre va toujours être là pour se structurer. C'est vraiment là où il faut agir.

M. Leduc : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Bonjour. Merci. Je suis, un peu comme mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve... d'Hochelaga, pardon, j'ai un peu le même feeling, où est-ce que je me dis : En tant qu'homme, qu'est-ce que je peux faire? Parce qu'étant un homme je me souviens de nombreuses — surtout plus jeune — conversations avec des gars où est-ce qu'on banalise totalement le sujet, puis celui qui est le plus dégueulasse est le plus drôle. Alors là, je me dis : On part de là et on essaie de faire un virage. Puis, pour faire ce virage-là, il faut se parler de vérités. Là, je me remémore, à ce moment-là, puis je me dis : Si on parle de ça, puis on parle de 10, 15 clients par jour, il me semble que ça, c'est quelque chose que les hommes devraient savoir, là, tu sais. Je parle en termes de pub, là, tu sais, parce que, ça, je pense que ça casse la demande.

Puis vous avez dit quelque chose tantôt qui m'a frappé, et j'aimerais ça vous entendre : Tout est mis en place pour qu'on ne voie pas qu'elle est contrainte. Pouvez-vous me dire un peu plus c'est quoi, les mécanismes pour protéger le fantasme? Parce que, dans le fond, je pense que c'est ça, c'est un mécanisme qui permet de protéger l'idée que tout le monde veut être là puis que tout le monde ait de bonheur dans cette situation-là.

Mme Proulx (Catherine) : Bien, je pense que, dans... Nous, on nous l'a dit rapidement aussi, de dire... Souvent, les hommes ne réfléchissent même pas au fait que la personne qui est devant eux est peut-être exploitée et qu'effectivement tout est mis en place, c'est-à-dire, si la fille se comporte... La fille se comporte de façon à ce que le client revienne, parce que, pour le proxénète, il faut que le client revienne. Donc, si elle est abattue, déprimée... On a croisé des proxénètes qui nous disaient : Bien, tu sais, si c'est comme ça, va-t'en, ou, tu sais, qui les jettent. Donc, la fille n'a pas intérêt à montrer qu'elle n'a pas envie. Autour, tout est contrôlé pour que le client ne sente pas qu'il est dans un système d'exploitation. Le client regarde de la pornographie en se disant que toutes ces filles-là sont là parce qu'elles ont envie, ensuite, clic, passent du fantasme à la réalité très, très rapidement, puis tout est fait justement pour qu'ils oublient.

Puis, quand vous dites : Qu'est-ce qu'on peut faire aussi, en arrêtant de banaliser, ce serait... Vous iriez dans une classe d'école secondaire, puis les gens vous diraient : Oui, il existe des filles qui ont envie, puis, si les filles ont envie d'être là, bien, c'est leur affaire. Donc, je pense que, dans notre idée qu'on se fait aussi, bien, il y a cette idée-là que ces filles-là servent à ça, sont là pour ça, puis c'est une industrie, on paie, donc c'est correct, tu sais, on peut y aller.

Mme Dubois (Karine) : C'est comme si la notion de payer dédouanait pour toutes sortes de choses. C'est comme si, une fois que le client a payé, bien, c'est vraiment un service. Donc, maintenant que j'ai payé, je peux tout faire, je peux même dépasser les limites de l'acceptable, je peux faire des comportements que je n'accepterais jamais de faire à la femme que j'aime, mais là j'ai devant moi un objet, qui va faire tout ce qu'il veut.

Puis vous avez raison que, sur la quantité... Parce que, les clients de la prostitution juvénile, il y a beaucoup la notion de fraîcheur, c'est-à-dire qu'ils veulent des jeunes filles parce qu'ils veulent avoir l'impression d'être le premier et/ou le seul. Mais, si on se dit qu'elle fait 10 clients par jour, bien, après une semaine, elle en a déjà fait 50. Ça fait que, quand bien même, la fille, ça fait juste une semaine qu'elle fait ça, là, tu sais, vous n'avez pas devant vous quelqu'un de pur, et frais, et d'intouché, là, vous avez une fille qui est déjà brisée après deux jours, tu sais.

Puis je pense que c'est ça aussi qu'il faut que les gens réalisent, c'est que... Je ne sais pas comment le client peut penser qu'il passe le matin, puis, s'il y en a neuf autres qui passent après lui... Est-ce qu'on connaît vraiment des filles, là, qui ont une libido à ce point-là, puis vraiment... Puis est-ce que ces gens-là, quand ils regardent leur fille de 16 ans, ils l'imagineraient dans ce genre de situation là? Tu sais, ce n'est pas humainement possible, là. Ça fait que c'est vraiment ça qu'il faut qui passe. Puis c'est pour ça qu'on parlait aussi d'une sensibilisation au grand public, parce que, là, on parle vraiment... quand on parle de la banalisation puis des idées préconçues, on parle de quelque chose qui est vraiment, là, creux et profond puis qui a toutes sortes de ramifications.

Puis je reviens à l'exemple de l'alcool au volant. Tu sais, il n'y a pas si longtemps, c'était correct de chauffer avec une bière entre les deux jambes. Maintenant, il n'y a plus personne qui... Mais il y a eu un travail énorme de sensibilisation, puis c'est encore compliqué aujourd'hui de dire aux gens : Bien, non, tu ne conduis pas. Ça fait qu'il y a un immense travail de fond, pour changer les mentalités, à faire, qui va passer, oui, beaucoup par les hommes, là.

Mme Proulx (Catherine) : Dans le documentaire, on a consulté des psychologues, puis il y a un psychologue qui nous disait que souvent, avec les clients, quand il faisait réfléchir les clients sur le fait que... avez-vous conscience qu'il y a tout un système qui s'organise derrière ces jeunes filles là, ça, c'est quelque chose qui venait toucher les clients parce que, là, tout à coup, ils réalisaient que ce n'était plus juste lui et la fille, qu'il y avait tout un système derrière. Et aussi l'idée de la responsabilité : Avez-vous conscience, justement, que, si vous êtes le huitième dans la journée, vous laissez des traces? Ashley nous l'a dit, le client laisse des traces. Quand il rentre, c'est : Action. Quand il sort, c'est : Coupez. C'est du cinéma.

Puis, je me dis, il faut que les clients, à un moment donné, ils prennent quelques secondes pour réfléchir un peu. Si on prend deux secondes pour y penser, tout ça ne se tient pas, tu sais, prendre le temps de regarder est-ce qu'il y a des gens autour de la fille, est-ce qu'elle est seule, est-ce que c'est vraiment parce que toutes les filles se présentent autonomes, tu sais, qu'elles ont envie de le faire.

Donc, ce qui est vendu, le client l'achète, mais il ne veut pas regarder plus loin. Moi, je l'inviterais à regarder, puis avec des campagnes de sensibilisation, à juste regarder un peu plus loin. Tout ça ne se peut pas, là, tu sais, ça ne tient pas la route.

M. Skeete : C'est une belle piste pour la suite en termes de campagne de pub. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. On va tenter de passer à deux questions rapides. En six minutes. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Donc, merci pour votre documentaire. C'est la deuxième fois, et c'est toujours aussi prenant à chaque fois, que je vois ces images. Merci beaucoup.

Ma première question. Vous avez 10 ans d'expérience à couvrir des questions relatives à la justice, et, dans la prévention de certains actes illicites ou criminels, on utilise parfois des criminels repentants. Est-ce que vous pensez, à la lumière de votre expérience, que les abuseurs ou certains de ces criminels repentants peuvent participer aux travaux, aux actions de prévention? Si oui, comment vous voyez ça?

Mme Dubois (Karine) : Bien, en fait, ça se fait déjà, le projet dont je parlais plus tôt, ACTES, qui est fait par les gens de centres jeunesse et qui utilise vraiment des ex-proxénètes qui racontent, comme le témoignage de Kevin, comment ils procédaient, c'était quoi, la façon. Puis ils partent de ça pour démonter les mécanismes, puis, à partir de ça, ils sont en train de monter le programme de prévention du proxénétisme.

Je ne pense pas que, comme dans certains sujets, c'est le trafiquant repentant qui va aller donner, par exemple, des conférences, parce que ça, tu sais, ce n'est pas toujours heureux, ça dépend des circonstances, mais, je pense, vraiment de partir de leur vécu à eux... Puis même les filles, ça les fait réfléchir. Quand elles entendent ce témoignage-là, elles voient la mécanique aussi de la manipulation psychologique, derrière, puis elles arrivent plus facilement à le déceler. Ça fait que c'est sûr que ça, ça peut aider, là.

Mme Proulx (Catherine) : Moi, je crois vraiment à l'éducation sexuelle auprès des adolescents, puis très rapidement et, je dirais, avec des gens très compétents. Moi, ce que j'ai découvert... Les jeunes en savent sûrement plus que moi, mais je ne pouvais même pas imaginer ça. Ça fait que je me dis : Un prof de géo ou de français qui doit faire de l'éducation sexuelle ne peut même pas aller embarquer sur ce terrain-là. Puis je me dis : Ça prend des gens compétents et ça prend une discussion entre les jeunes. Quand il y a un cours d'éducation sexuelle, tous les jeunes assistent à la même discussion, tous les jeunes entendent la même chose. C'est beaucoup plus difficile ensuite d'aller manipuler ou d'aller essayer de forcer quelqu'un à faire quelque chose si tout le monde a entendu ça.

Moi, ce qui m'a marqué dans le projet, on m'a souvent dit : Toutes les filles sont à risque d'être sollicitées, ce ne sont pas toutes les filles qui sont à risque d'être recrutées, ça va dépendre des failles ou ça va dépendre de ce qu'elles cherchent. Puis l'autre chose aussi que j'ai entendue, et de policiers et de proxénètes, c'est qu'en ce moment l'absence d'éducation sexuelle... Une bonne éducation sexuelle, c'est un outil pour les proxénètes, et ils banalisent. C'est superfacile. On visionne beaucoup de pornographie, on banalise, on dit, la fille : Tu es jeune, tu as un beau corps, tu pourrais faire pareil, on pourrait faire de l'argent. Mais, s'il n'y a pas de contrepoids solide à ça, je pense que... Pour moi, c'était très clair, en faisant ce projet-là, que c'était la meilleure façon pour la prévention, c'est très tôt avec les jeunes, à leur niveau, avec des gens compétents pour les accompagner là-dedans.

• (12 h 20) •

M. Benjamin : ...dernière question, donc, par rapport aux victimes que vous avez rencontrées. Moi, une des choses qui m'intéressent beaucoup, c'est toute l'idée du continuum de services pour aider ces personnes-là, ces jeunes-là à s'en sortir. Quelle est votre perception par rapport aux services?

Mme Dubois (Karine) : Bien, c'est sûr qu'il faut avoir des services sur la durée, parce qu'entre le moment où une fille sort ou se fait sortir d'un réseau, le moment où elle décide de se désister, on sait que c'est des cycles, donc elle va essayer plusieurs fois. Puis vous avez des gens plus compétents que nous qui vous l'ont expliqué, là. Mais, à partir du moment où ça va être complètement final, même après ce moment-là, avant qu'apparaissent les séquelles, ça peut venir jusqu'à cinq à 10 ans plus tard, puis là c'est vraiment des séquelles, on parle de choc post-traumatique, de crises d'anxiété, d'agoraphobie, d'insomnie, c'est des barrières majeures qui vont faire que ces filles-là vont avoir de la difficulté à trouver un emploi régulier, qu'elles vont avoir un C.V. vide, donc on ne peut pas... Tu sais, c'est simple, de dire : Dénoncez, mais, à partir du moment où on dit à ces filles-là de dénoncer, il faut être là, il faut les accompagner, il faut être en arrière, il faut qu'il y ait un après pour elles. Puis il y a vraiment un gros travail à faire là-dessus, là. Ça fait que c'est vraiment... c'est sûr que c'est dans la durée.

Puis souvent ce qu'on nous a dit aussi, c'est que des filles vont être approchées, et c'est tellement rentable, là, une fille, à exploiter sexuellement, qu'un pimp peut patienter pendant deux ans. Il peut recruter une fille de 16 ans, puis tricoter sur deux ans, et attendre qu'elle soit majeure avant de la faire travailler. Comme ça, il court moins de risque d'arrestation. Puis là, il va l'avoir, il va avoir une emprise totale, et ça va être beaucoup plus difficile d'arrêter, à ce moment-là. Et la fille va avoir... ça va être ancré beaucoup plus profondément, que c'est elle qui a décidé de le faire, parce qu'elle n'aura pas vu, elle, la manipulation qui va s'être étalée sur le temps.

Ça fait que c'est pour ça que c'est à tous les âges qu'il faut pouvoir intervenir avec ces filles-là. Puis après, évidemment, les problèmes de consommation de drogue, parce que, veux veux pas, dans ce cycle-là, à un moment donné, on tombe aussi dans de la toxicomanie, parce que c'est presque impossible de survivre à ça à jeun, là.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci à vous pour le partage de toutes vos connaissances acquises dans votre travail, là. C'est assez impressionnant. Et c'est même à se dire... Il me semble que vous avez réussi à accéder à des informations que tout le monde nous dit que c'est difficile de mettre la main dessus. Est-ce que vous avez réussi à aller chercher du contenu que vous n'avez pas pu divulguer? Comment ça fonctionne en termes de confidentialité? Comment vous avez eu accès à cette information-là, alors qu'on se demande comment on pourrait améliorer la loi sur l'accès à l'information?

Et, deuxième question, je vais tout de suite la dire en même temps. Agences d'escortes et tous les autres établissements qui sont liés de près ou de loin au travail du sexe, on va le dire comme ça, est-ce que, pour vous... Parce que la femme avait l'air d'avoir quand même des principes malgré tout là, la femme qui possédait... avait une agence d'escortes. Est-ce qu'on devrait les faire jouer un rôle ou avoir une responsabilité, que ce soit financière, avoir une taxe qui est remise à des organismes qui oeuvrent pour sortir les femmes de ces milieux-là? Est-ce qu'elles devraient être plus parties prenantes de la solution pour ce qui est des femmes mineures victimes d'exploitation sexuelle?

Mme Proulx (Catherine) : Bien, peut-être je vais répondre à la première question. Comment on a fait? Souvent, dans ce projet-là, on a eu l'impression qu'on tirait sur un fil, puis même nous, on était assez impressionnées par les gens qui avaient envie de nous parler. Dans le documentaire, ça arrive souvent qu'on croise des gens qui ont vécu quelque chose puis qui cherchent un peu quoi faire avec ça, qui ne veulent pas nécessairement s'exposer, mais qui ont envie de participer puis qui ont l'impression justement de faire quelque chose de positif avec ce qu'ils ont fait. Puis c'est vraiment ce qui s'est passé dans ce cas-là.

Tout est parti de nos collègues de centres jeunesse. Puis, à partir du moment où... on croisait des gens qui nous mettaient en lien avec d'autres gens, d'autres gens, puis c'est vraiment comme ça. Puis moi, j'étais très dans une approche où j'essayais de comprendre puis je parlais avec ces gens-là à titre d'experts sur le terrain pour m'aider à comprendre, puis, dans cette approche-là, je pense que les gens avaient envie aussi de partager ce qu'ils avaient vécu, puis de nous aider à y voir plus clair aussi, puis de comparer ce que chacun disait. Mais c'était impressionnant, comment tout le monde parlait de la même chose.

Mme Dubois (Karine) : C'est sûr qu'il y a la notion aussi... C'est pour ça qu'on parlait, un peu plus tôt... Des fois, quand on donne l'étiquette ou qu'on juge, les gens ne vont pas nous parler de la même façon. Il y a une partie de l'expertise qu'on est allées chercher, dans Trafic, parce qu'on a accepté d'écouter des ex-proxénètes puis des trafiquants sans les juger, en acceptant que ceux qui nous parlent ont compris qu'ils ont fait du mal et sont prêts à faire quelque chose pour transformer tout le négatif qu'ils ont fait en positif. Ça fait que c'est sûr que, si on leur dit : Vous êtes dégueulasses, on ne veut pas vous entendre, vous êtes des moins que rien, bien, on se prive d'une information précieuse que ces gens-là peuvent nous donner, juste en les... Même chose pour les clients. Je pense que plus on va réussir à faire parler les clients... Tu sais, s'il y avait, par exemple, des chercheurs qui décidaient de faire des études puis de pousser plus loin, bien, plus on se documente, mieux on comprend le phénomène.

Pour ce qui est des agences, malheureusement, moi, je ne répondrai pas, parce qu'on n'est pas rendues là. Puis nous, on n'est pas dans ce débat-là du comment, ça fait qu'on... puis on n'est pas allées là, dans le projet, de : Est-ce qu'il faut qu'il y ait des lieux, pas des lieux, des agences, pas des agences? C'est un débat qui est comme...

Mme Perry Mélançon : ...autre question, rapidement : Est-ce que, votre documentaire, il y a des écoles qui ont été intéressées? Est-ce que c'est un documentaire qui est présenté à des classes de niveau, bon, supérieur, au secondaire, là? Parce que, je trouve, c'est pertinent.

Mme Proulx (Catherine) : Pour l'instant, je pense que c'est... Pour l'instant, excusez-moi, je vous ai coupé la parole, mais c'est du... surtout, ce qu'on a comme échos, c'est des proches qui décident de l'utiliser avec leurs groupes. Mais beaucoup de gens nous on dit que ça serait pertinent de... Tu sais, quand on fait du documentaire, on... Moi, c'est comme je vous ai déjà dit, je n'aime pas penser que je vais régler des problèmes avec mon film, mais j'aime me dire que peut-être que je peux jeter les bases d'une discussion ou d'un débat avec ce qu'on a trouvé. Puis c'est vraiment comme ça que je pense que c'est le plus utile d'utiliser un documentaire.

Mme Dubois (Karine) : Mais, encore une fois, pour que ça soit présenté dans les écoles, il faut que nous, on s'assure c'est quoi, la discussion qui va suivre, comment ça va être récupéré. Parce qu'on ne peut pas juste lancer ça puis... sans trop savoir qu'est-ce qui va être dit après, comment ça va être récupéré. Tu sais, les ados aussi peuvent se faire toutes sortes de conclusions, ça fait qu'on ne veut pas non plus déclencher des vocations de gens qui trouveraient que ça a donc bien l'air intéressant. Ça fait qu'il faut vraiment que ça soit bien travaillé en amont avant de juste garrocher ça, entre guillemets, là, à des jeunes, là.

Mme Proulx (Catherine) : Ceux qui ont fait l'expérience m'ont dit qu'après de courts extraits, des fois, ils étaient partis pour une heure de discussion. Donc, ça prend quelqu'un qui a envie d'avoir cette discussion-là aussi avec les jeunes.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Dernière question. Députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup, M. le Président. Vous avez dit beaucoup de choses. Je retiens vraiment le mot-clé «éducation». Éducation, éducation. Puis vous nous donnez aussi un bon argumentaire. Parce que, moi, dans ma circonscription, il y a beaucoup de résistance aux cours d'éducation sexuelle, j'ai beaucoup de communautés culturelles qui le disent : Bien, ça nous appartient, c'est à nous à faire ça. Alors là, ça me donne, là, depuis le début de la semaine, des arguments pour leur dire : C'est important, l'éducation sexuelle, pour la prévention, prévention auprès des garçons.

Ce matin, je lisais le journal puis je suis tombée sur des annonces. Ici, j'en ai une, là : Reçoit des places, 24 heures sur 24, numéro de téléphone, urgent, hôtesse demandée, dollars, très bonnes conditions. Puis il y en a... Alors, on est en plein dedans. C'est publié puis c'est diffusé à pleines pages, puis les journaux continuent de publier des annonces. Je trouve ça... Franchement, là, il y a quelque chose... il y a une connexion qui ne se fait pas.

Je vais être très courte, je vais vous dire à quel point c'est important d'enseigner à la population aussi les signes, les signaux. Puis je vais vous raconter une anecdote, puis ça... Depuis le début de la semaine, ça me trotte dans la tête, puis je pense que j'ai mis le doigt dessus. Dans mon ancienne job de ministre, là, j'avais à aller me faire coiffer souvent. Je le faisais le dimanche après-midi, au même salon, et je voyais de temps en temps des gars arriver avec des filles qui étaient manifestement de l'extérieur de cette rue branchée de Montréal, avec des belles boutiques, puis ils se tenaient très, très près du coiffeur. Et là je pense que j'ai mis le doigt dessus, je pense que c'est ça que j'ai vu. Je ne dis pas que c'était à pleine porte, mais j'ai vu ça régulièrement.

Alors, je pense qu'il faut aussi qu'on saisisse l'occasion, dans cette commission, de renseigner les gens sur des choses, peut-être, qu'ils vont voir, puis ils ne savent pas que c'est ça qu'ils sont en train de voir. Je ne veux pas dire d'appeler l'escouade antiémeute à chaque fois, mais il y a un signal là, là, il y a quelque chose qu'on voit, puis on ne le sait même pas, puis on s'en rend compte, trois ans plus tard, que c'est ça qu'on a probablement vu.

Mme Dubois (Karine) : Puis, si je peux ajouter, il y avait quelqu'un qui nous avait parlé, pour les policiers, de quelque chose d'assez intéressant, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que ce soient juste les enquêteurs en prostitution juvénile qui soient sensibilisés, et il faut que les patrouilleurs terrain comprennent qu'une fille qui est dans une situation d'exploitation ça se peut que, quand on lui tend la main ou lui dise : Serais-tu exploitée?, ou : Je vais te sauver... ça se peut qu'elle vous crache dans la face. Puis, si elle a passé 12 clients dans une journée, hommes, et qu'un patrouilleur homme dit : Moi, je suis différent, je vais t'aider, ça se peut que la réaction soit très négative. Et il ne faut pas que le patrouilleur se braque. Il faut que le patrouilleur comprenne, puis navigue à travers ça, puis ait vraiment les outils nécessaires pour pouvoir aider une fille qui soit n'est pas pas prête à se faire aider, soit que la menace est trop forte. Mais, tu sais, il y a vraiment quelque chose à faire, parce que, sur le terrain, c'est eux. Ça fait qu'on ne peut pas avoir juste des gens spécialisés qui savent comment faire, il faut que ça se rendre aussi sur le terrain, là.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci beaucoup de votre contribution aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques minutes afin de permettre au prochain groupe de prendre place. Merci infiniment pour votre contribution.

(Suspension de la séance à 12 h 30)

(Reprise à 12 h 34)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue au centre d'aide aux victimes d'actes criminels, le CAVAC. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé, et par la suite on aura une période de 25 minutes pour une période d'échange avec les membres.

Avant de débuter, je vais demander le consentement pour ajouter 18 minutes à notre période d'échange. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix : Consentement.

Le Président (M. Lafrenière) : Consentement. Merci beaucoup. Alors, mesdames, je vous laisse vous présenter et faire votre exposé pour une durée de 20 minutes.

Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC)

Mme Michaud (Marie-Christine) : Bonjour. Marie-Christine Michaud, porte-parole et coordonnatrice du Réseau des CAVAC, donc les centres d'aide aux victimes d'actes criminels. Pour commencer, on veut vous remercier de nous avoir invités ici aujourd'hui.

Donc, en bref, je vais faire un portrait très rapide du Réseau des CAVAC. Ce sont 17 CAVAC, des organismes à but sans lucratif qui sont répartis dans toutes les régions du Québec et qui offrent des services gratuits, confidentiels aux personnes victimes, proches et témoins d'actes criminels et, très important, que la personne porte plainte ou non.

Plus précisément, ça veut dire que c'est environ 185 portes où ces personnes peuvent cogner pour recevoir de l'aide, parce que nous sommes dans tous les palais de justice du Québec, dans des postes de police, des bureaux d'enquêteurs. Nous sommes également à la cour itinérante du Québec et évidemment dans nos sièges sociaux.

Par ailleurs, nous avons une collaboration privilégiée avec les procureurs aux poursuites criminelles et pénales, les policiers, notamment en matière de violence sexuelle. En gros, en 2017‑2018, nous avons offert des services à 67 628 personnes, et ça, ça comprenait... 67 % étaient des femmes et 33 % étaient des hommes.

Nos équipes multidisciplinaires sont composées d'intervenants qui sont membres d'ordres et qui sont, par exemple, des criminologues, des travailleurs sociaux, des psychoéducateurs, des sexologues et qui possèdent notamment une intervention post-traumatique et vraiment une connaissance pointue du système judiciaire.

Aujourd'hui, on va vous présenter nos expériences en exploitation sexuelle visant les victimes de tout âge. Au-delà de certaines particularités reliées à l'âge, l'exploitation sexuelle a des conséquences dramatiques chez les personnes touchées par ce phénomène, que ce soit chez les victimes elles-mêmes, mais également chez leurs proches.

Bien que l'ensemble de nos intervenants pour intervenir auprès des victimes d'agression sexuelle et ainsi, aussi, que tous les CAVAC possèdent... bénéficient, pardon, d'une ALIVS, c'est le terme qu'on va utiliser tout au long, c'est-à-dire une agente de liaison spécialisée en violence sexuelle, ce type d'intervention diffère d'un CAVAC à l'autre, souvent en fonction des particularités, mais aussi des partenariats qui sont établis dans chacune des régions.

Depuis les dernières années, une expertise reconnue en matière d'exploitation sexuelle a été développée par certains CAVAC qui se retrouvaient de plus en plus confrontés à ce phénomène et à des besoins spécifiques. Plusieurs initiatives ont alors émergé afin d'appréhender la problématique de façon plus spécifique et ainsi mieux répondre aux besoins.

Donc, on va commencer par le CAVAC de Montréal, qui est vraiment un précurseur au sein de notre réseau, et je cède la parole à Jenny Charest, directrice du CAVAC de Montréal.

Mme Charest (Jenny) : Bonjour, tout le monde. Merci beaucoup. En fait, je me sens vraiment privilégiée d'être avec vous aujourd'hui. Merci de nous donner justement ce temps de parole pour, oui, parler de notre expérience et de nos préoccupations pour les personnes victimes de ce qu'on... de ce qu'il faut dire, d'un crime majeur, parce que l'exploitation sexuelle, c'est un crime majeur.

Nous disons «personnes victimes» dans presque tout ce qu'on fait. Pourquoi? Parce que, pour nous, avant tout, c'est une personne qu'on voit, quand on la rencontre. C'est une personne qui est devant nous quand on a le privilège d'être là, quand elle a besoin, quand elles veulent de l'aide, et ça, peu importe ce qu'elles veulent faire ou pas. Le fait d'être là, pour nous, c'est un privilège.

L'expertise du CAVAC de Montréal, comme tu l'as dit, en intervention spécifique en exploitation sexuelle, elle date de 2014... 2004 — 2014, mon Dieu! — 2004, justement, dans le cadre du projet Scorpion, où on avait été interpelés par le ministère de la Justice et où une intervenante, en l'occurrence Karine, qui est avec nous aujourd'hui, avait été désignée et assermentée pour offrir le soutien aux personnes qui devaient témoigner. Alors, c'est comme ça que le travail de partenariat avec les policiers et les procureurs dans des dossiers d'exploitation sexuelle, qui étaient beaucoup moins nombreux à l'époque, a commencé et continue depuis 15 ans. Les liens de confiance, justement, avec le SPVM, qui sont en fait les assises de notre succès, se sont consolidés vraiment depuis 2004.

Plusieurs de nos intervenantes, au fil des années, se sont intéressées et ont été touchées par ces personnes victimes. En 2011, on avait une agente de liaison qui travaillait directement avec l'équipe de moralité, alcool et stupéfiants et les policières du programme Les Survivantes, dont vous avez entendu parler probablement.

Alors, en fait, cette proactivité, cette proximité de nos équipes ont fait en sorte que ça a donné une augmentation constante des références et le développement d'une complémentarité basée sur la confiance mutuelle parce qu'on développait ensemble les connaissances face à cette problématique.

La clientèle particulière des personnes victimes d'exploitation sexuelle demandait une réponse particulière, demandait qu'on fasse les choses différemment. Je vous dirais que ça nous a bousculés, mais ça nous a aussi incités à vouloir faire plus et à vouloir faire mieux, vouloir faire aussi en partenariat avec les organismes parce qu'on croit fortement à la collaboration et à la nécessité de travailler en partenariat avec les divers organismes, à partager les expériences, à partager les expertises.

Je suis membre du comité de coordination de la coalition contre la traite de personnes, et nous travaillons fort avec les différents projets, avec les différentes organisations pour mettre en commun nos visions et faire en sorte que nos liens sont beaucoup plus serrés pour faire en sorte qu'on répond à tous les besoins ou le mieux possible.

• (12 h 40) •

Le projet du CAVAC qui s'appelait Femmes victimes d'exploitation sexuelle : développement d'une équipe intersectorielle, qu'on a déposé en 2015 au Secrétariat à la condition féminine, est né, en fait, du constat qu'il serait profitable de dédier une ressource pour cette clientèle particulière pour être en mesure d'offrir une intensité d'intervention qui était nécessaire. À la base, c'est le SPVM qui nous en avait parlé, c'est une réflexion commune qu'on avait faite, et on n'avait pas la possibilité de dédier une personne. Le projet a été accepté, on en était très heureuses et on a rapidement décidé d'en dédier deux, parce que l'ampleur de la problématique nous est apparue assez évidente, et une seule personne n'y arrivait pas, même si elle était totalement dédiée à cette problématique-là. Pour nous, l'impact majeur du fait de pouvoir compter sur des ressources dédiées, disponibles, accessibles de différentes manières et qui peuvent aussi développer une meilleure compréhension des besoins, ça a fait toute la différence.

Le projet pilote qui a débuté en 2016 était pour une année. Rapidement, nos résultats très probants ont fait en sorte qu'on a été reconduits pour cinq ans, ce qui a été une excellente nouvelle pour nous parce que, pour nous, ça permet, avec un comité intersectiorel composé de gens... des procureurs des poursuites criminelles et pénales et du SPVM, ça a mis, en fait... la mise en commun de nos expertises, qui étaient complémentaires, et ça nous a permis de développer un travail d'interdisciplinarité. Donc, on connaît mieux ce que les autres font, et ils connaissent mieux ce que nous, on fait, et on développe une expertise commune fort prometteuse pour nous.

Finalement, intervenir rapidement en complémentarité auprès des personnes victimes d'exploitation sexuelle, quelle différence ça fait? Bien, ça fait en sorte que les personnes victimes reçoivent le soutien nécessaire et sont accompagnées dès le départ et tout au long du processus. Ça veut dire que nous travaillons avec elles dès le début en sachant que c'est normal d'être hésitante ou ambivalente, qu'elles ne savent pas ce que ça implique et que c'est stressant, qu'elles savent aussi dès le début que, pour nous, décider de porter plainte ou pas, c'est un choix qui leur revient. Nous sommes là pour elles et nous les suivrons, peu importe ce qu'elles vont décider. Ça permet d'offrir un soutien à des personnes qui ne porteront jamais plainte, mais au moins de ne pas les laisser toutes seules.

Nous sommes là et nous voulons toujours nous assurer, dans cette démarche, qu'elle soit source d'«empowerment» et non pas de victimisation secondaire, c'est important. Les amener à identifier dans une perspective de décision réfléchie, basée sur leur motivation de porter plainte, fait la différence, particulièrement dans les périodes plus difficiles ou d'ambivalence, parce qu'il y en a, et il va y en avoir, et on le travaille avec elles, on le prévoit même d'avance.

Les résultats, pour nous, de notre projet et du travail qu'on fait depuis 15 ans sont tangibles. Selon nous, les personnes victimes sont mieux accompagnées. Leur expérience lors d'un passage dans le système judiciaire est améliorée, mais, fait qui n'est pas banal non plus, même si ce n'est pas notre objectif premier, leur témoignage porte fruit et aide la justice. En 2018, la très grande majorité des plaintes qui se sont retrouvées à la cour se sont soldées par une condamnation. Ces données nous laissent croire qu'offrir le soutien aux victimes en collaboration avec les acteurs judiciaires fait toute la différence, et nul besoin de dire que ces résultats sont source de fierté et de reprise de pouvoir chez ces personnes victimes.

Oui, elles peuvent être très vulnérables, mais un soutien adéquat permet tellement de leur faire reconnaître aussi toutes les forces qu'elles ont en elles. Vous savez, ces jeunes femmes ou jeunes filles sont une source d'inspiration pour nous. Chaque fois, on les remercie de leur confiance. C'est un privilège qu'elles nous donnent. Le travail de collaboration, pour nous, fait toute la différence, autant pour les organisations qui travaillent de mieux en mieux ensemble, les personnes victimes qui se sentent comprises et accompagnées, et le système de justice lui-même.

Depuis 15 ans, le chemin que nous avons fait, nous en sommes très, très fiers. Je vais laisser maintenant Karine, l'intervenante dédiée, vous parler encore plus de ce que nous avons appris depuis ces dernières années et de l'importance du travail de toute notre équipe.

Mme Damphousse (Karine) : Bonjour. Je prends le temps de commencer en vous remerciant de porter une attention particulière à ce qui se passe sur le terrain.

Au CAVAC de Montréal, on a pu développer une expertise en matière d'exploitation sexuelle parce que ça fait maintenant 15 ans qu'on intervient auprès des victimes qui vivent cette problématique-là. Je vous dirais que c'est à force d'être confrontés, sur le terrain, à certaines particularités qui sont propres à l'exploitation sexuelle qu'on a réalisé que c'était une problématique particulière, à laquelle il fallait donner une réponse particulière. C'est pour ça qu'en 2014 on a estimé pertinent de prendre un recul puis de faire un bilan des interventions qui avaient été effectuées dans tous nos dossiers d'exploitation sexuelle depuis une décennie.

Alors, les constats qui ressortent de notre analyse, c'est que les femmes qu'on rencontre sont souvent prises avec plusieurs problématiques en même temps, ce qui fait que ce n'est pas rare de voir qu'il y a, par exemple, comorbidité avec l'état de stress post-traumatique, le trouble de personnalité limite, des troubles anxieux, une consommation excessive de drogue, d'alcool.

On s'est aussi aperçus que les besoins qui découlent des traumatismes nécessitent souvent une intervention qui est intensive, c'est-à-dire que les victimes ont besoin d'un encadrement qui est soutenu, qui est structuré dans le temps. En fait, c'est des victimes avec lesquelles il faut souvent intervenir... investir, pardon, beaucoup de temps et d'énergie, ce qui amène souvent une charge émotive importante pour les intervenants.

Une autre particularité qui constitue tout un défi dans l'intervention, c'est qu'il y a beaucoup de femmes qui considèrent avoir été proactives dans leur victimisation, c'est-à-dire qu'elles estiment avoir consenti à se prostituer sans avoir été forcées à le faire. Et, parce qu'elles entretiennent cette perception-là, il y en a qui vont refuser qu'on les désigne comme des victimes et qui ne seront pas nécessairement perméables à nos interventions.

Ce qu'on remarque aussi, c'est que ce sont des victimes avec lesquelles on doit intervenir rapidement pour répondre au besoin de sécurité. Donc, le sentiment, en fait, d'urgence fait en sorte que les intervenants doivent agir promptement pour s'assurer que les victimes ne fassent pas l'objet de représailles ou encore pour combler leurs besoins physiologiques, donc manger à sa faim, avoir un toit. Et je vous dirais que des interventions immédiates de ce type-là peuvent souvent être compliquées dû au fait qu'il y a peu d'organismes au Québec qui ont le mandat précis d'intervenir auprès de cette clientèle-là, ce qui oblige plus souvent qu'autrement les intervenants sur le terrain à multiplier les démarches pour être en mesure de trouver les organismes qui vont prendre les références et répondre à tous les besoins.

Donc, ça, c'est les principaux constats qui nous ont poussés, en 2016, à opérer différents changements au niveau de notre manière d'appréhender la problématique, mais aussi dans nos façons de faire sur le terrain. Et je vous dirais que ce qui a vraiment changé la donne dans notre approche, c'est l'arrivée des deux intervenantes dédiées en exploitation sexuelle, donc qui devaient intervenir de façon exclusive auprès de cette clientèle-là, en l'occurrence moi et ma collègue immédiate.

Et, en me basant sur nos récentes statistiques, je peux avancer avec certitude que le fait de travailler physiquement dans les bureaux des enquêteurs de l'équipe de lutte au proxénétisme, ça nous donne accès à beaucoup de femmes avec lesquelles on n'aurait pas eu de contact autrement, soit parce qu'elles ne connaissent pas notre organisme, nos services ou soit parce qu'elles n'auraient pas pris l'initiative d'elles-mêmes de se tourner vers un organisme d'aide formel comme le nôtre. Donc, c'est parce qu'on travaille ensemble, à même leurs bureaux, que les enquêteurs vont systématiquement leur offrir la possibilité de nous rencontrer.

Et, cette référence systématique là, je vous dirais que ça amène des résultats incroyables au niveau du nombre de personnes rejointes. En fait, juste pour vous donner un aperçu qui est assez frappant, quand on s'est penchés sur les statistiques des 10 premières années où on a eu à intervenir en exploitation sexuelle, on a estimé avoir rencontré à peu près 150 femmes, de 2004 à 2013, donc 150 femmes sur 10 ans, alors qu'en 2018 uniquement on en a rencontré 140. Donc, c'est ahurissant comme hausse. C'est des chiffres qui confirment que l'étroite collaboration avec les policiers, ça fait toute la différence, parce que ça nous permet d'établir un premier contact avec plusieurs victimes.

Donc, notre objectif à nous, dès le premier contact, c'est de déployer toutes nos attitudes positives, notre compétence pour la mettre en confiance. Puis ça, c'est vraiment plus facile à dire qu'à faire, parce que la capacité de ces victimes-là à faire confiance aux autres est complètement ébranlée. En fait, on ne sait jamais trop à quoi s'attendre quand on rencontre une victime d'exploitation sexuelle pour la première fois. Comment elle perçoit les intervenants? Comment elle perçoit les policiers? Comment elle se sent par rapport au proxénète? Donc, c'est pour ça qu'on est toujours prudents dans nos premiers contacts, pour éviter qu'elle se referme. Il ne faut vraiment pas présumer de sa réceptivité à recevoir des services d'aide sous prétexte qu'elle a été victimisée, et ça, d'autant plus que ça se peut même qu'elle ne se considère pas encore comme une victime.

• (12 h 50) •

Donc, juste le fait d'entrer en contact avec elles, ce n'est pas une tâche facile, parce que leur confiance doit se mériter. Puis en même temps c'est un réflexe d'autodéfense tout à fait normal, parce que, pour être capables de survivre dans le milieu de la prostitution, les victimes ont dû apprendre à garder le silence, à ne faire confiance à personne. Elles se sont forgé une carapace qui est épaisse, même blindée dans certains cas, pour être en mesure de survivre à cette expérience traumatisante là, ce qui fait qu'elles ne s'ouvriront pas à l'intervenant tant et aussi longtemps qu'elles ne lui feront pas confiance. Puis je vous dirais que, dans la majorité des cas, le lien de confiance prend un certain temps à s'établir.

C'est pour ça que l'intervention doit être particulièrement soutenue auprès de cette clientèle-là. En tant que professionnels, c'est notre savoir-être qui va être garant de la suite. Il faut rester ouverts, non jugeants, empathiques, accessibles et surtout, surtout rester patients. On ne peut pas forcer le soutien formel. C'est pour ça qu'il faut vraiment viser à susciter une motivation à s'engager dans une relation d'aide. En fait, c'est essentiel de respecter leur rythme, parce qu'elles ont été dépossédées de tout contrôle sur leur vie par le proxénète. Et là de leur donner cette latitude-là, c'est-à-dire l'opportunité de décider par elles-mêmes le moment où elles vont s'investir dans une démarche de reprise de pouvoir, c'est nécessairement source d'«empowerment», parce qu'elles deviennent les propres instigatrices de leur autonomisation face aux proxénètes.

Une des particularités de notre partenariat avec les policiers, c'est qu'on travaille en première ligne, ce qui fait qu'on doit intervenir rapidement puis efficacement pour s'assurer de mettre un filet de sécurité autour des femmes qu'on rencontre. C'est pour ça qu'on privilégie une réponse quasi immédiate auprès de ces victimes-là. En fait, une intervention va être effectuée dans les 24, 48 heures suivant la référence. Quand il est question d'exploitation sexuelle, on ne peut pas mettre la personne sur une liste d'attente, la rappeler une, deux, trois semaines plus tard pour fixer un rendez-vous et réalistement penser qu'elle va se présenter. Si on fait ça, on la perd, c'est presque garanti. Dès qu'une victime démontre une ouverture à recevoir un soutien professionnel, il faut saisir la fenêtre d'opportunité qu'on a pour créer le lien de confiance, et cette réponse rapide là, ça marche. Ça favorise à ce que la victime s'engage dans une démarche d'aide. Ça lui montre qu'il y a des professionnels qui sont là pour l'aider puis qu'elle n'aura pas besoin de se battre pour avoir accès aux services de soutien.

Une autre chose qu'on a changée dans notre approche, c'est qu'on privilégie la proactivité puis les déplacements. Plutôt que d'attendre dans nos bureaux un coup du destin puis espérer que la victime se présente, on va lui proposer une rencontre dans un endroit où la confidentialité ne sera pas compromise, mais qui va faire en sorte que ça va être plus facile pour elle d'être là. Donc, tout ça encore dans le but de faciliter le premier contact, mais aussi de maintenir la relation d'aide, parce que ce n'est pas des victimes qui font toujours preuve d'assiduité dans leurs rendez-vous.

Et plus souvent qu'autrement je vous dirais que c'est les policiers qui vont assurer les déplacements. Donc, ils vont nous mener à la victime ou mener la victime à nous, parce qu'ils sont conscients que c'est des victimes qui sont vulnérables et ils vont venir faciliter notre travail pour s'assurer qu'elle soit soutenue par des professionnels.

Donc, une fois que les besoins de base sont comblés, le filet de sécurité est mis en place. Si le contexte d'intervention le permet, l'objectif qu'on va prioriser, c'est d'investiguer différents thèmes pour mieux comprendre l'état psychologique, la situation de la personne qu'on a devant nous. Et d'ailleurs on a développé une grille d'évaluation qui tient compte des particularités qui sont propres à l'exploitation sexuelle, et ça, ça nous permet d'intervenir de façon beaucoup plus spécifique, parce qu'on comprend mieux les différents enjeux auxquels la victime est confrontée.

Donc, dès que les besoins identifiés dépassent notre mandat ou que ce n'est plus dans notre champ d'expertise, on va référer vers les organismes qui sont habilités à y répondre. Ça, c'est une fois qu'on va avoir identifié et priorisé ces besoins-là.

Et je terminerais en mentionnant que les intervenants du CAVAC vont généralement offrir un suivi court, moyen, long terme... non, en fait, excusez-moi, court, moyen terme axé sur l'approche post-traumatique, et ça, c'est en attendant que la victime puisse bénéficier, là, d'un suivi, justement, à plus long terme avec des thérapeutes. Voilà.

Mme Michaud (Marie-Christine) : Merci, Karine. Je poursuivrais... Oui?

Le Président (M. Lafrenière) : C'est vraiment le temps qu'on avait pour votre présentation.

Mme Michaud (Marie-Christine) : C'était tout?

Le Président (M. Lafrenière) : Cependant, pendant la période de questions, on aura l'opportunité de vous entendre.

Alors, merci beaucoup de votre présentation. On va passer à la période d'échange avec les députés en commençant... avec les membres de la commission, pardon, en commençant par le député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci d'être là.

Je comprends que, pour une personne victime, se rendre à un témoignage ou à un procès, ça doit être quelque chose de particulièrement difficile. Moi, je viens du milieu syndical puis je sais que, quand il y avait quelqu'un qui faisait une procédure pour un cas de harcèlement psychologique, c'était superdifficile de revivre son histoire, son drame. Alors, j'ose à peine imaginer ce que ça représente dans un cas de traite ou de prostitution juvénile.

La série Fugueuse avait quelques scènes intéressantes où on voyait qu'il y a des aménagements qui pouvaient être faits, notamment de témoigner devant une caméra ou plutôt avec des gens qui soient assis à côté de soi, puis moi, j'ai appris beaucoup de choses avec cette série-là. Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu qu'est-ce qui a été fait peut-être dans les dernières années ou qu'est-ce qui pourrait être fait pour faciliter le témoignage d'une personne victime comme ça dans un processus de cour? Vous avez parlé un peu, donc, des policiers qui peuvent amener... mais, pour le procès comme tel, qu'est-ce qui est fait ou qu'est-ce qui peut être fait?

Mme Damphousse (Karine) : Bien, c'est sûr qu'il y a des mesures de protection spéciales qui sont prévues par le Code criminel. Ce qu'on voit souvent, c'est qu'il va y avoir... Le procureur de la couronne va faire une requête pour qu'il puisse y avoir des paravents dans la salle de cour. Donc, à ce moment-là, quand la victime rend témoignage dans la même salle de cour que son agresseur, elle ne le voit pas, et lui non plus ne la voit pas.

Il y a toute la question aussi, bon, de l'ordonnance de non-publication pour faire en sorte... parce que plusieurs victimes souhaitent réserver, en fait, un besoin de confidentialité. Ils n'ont pas envie que leur vécu de victimisation soit étalé au grand jour. Souvent, c'est des dossiers qui vont être médiatisés. Avec l'ordonnance de non-publication, ça protège leur identité dans les médias. Il y a aussi le télétémoignage, mais ça, on le voit plus rarement.

Mme Charest (Jenny) : Peut-être pour ajouter... En fait, justement, le fait d'avoir un comité intersectoriel des procureurs, des policiers et nous, ça permet de faire en sorte que les procureurs vont aller chercher toutes les possibilités pour s'assurer que cette personne-là soit bien encadrée, qu'elle ait le soutien dont elle a besoin. Et, en fonction des besoins, on a pu voir et constater différentes situations où la personne avait vécu de très gros traumatismes et que la cour s'est adaptée pour s'assurer que cette personne-là soit en mesure de témoigner avec toutes les mesures légales qui existent, mais aussi une volonté de s'assurer de la faire passer par des endroits différents quand il y avait des questions de sécurité, d'assurer... En fait, je vous dirais qu'à peu près tout le monde essaie de sortir parfois de la boîte pour faciliter les choses, parce qu'il y a certaines situations où c'est particulièrement compliqué.

Mme Michaud (Marie-Christine) : On a également, en ce moment, le programme Enfants témoins qui a été mis sur pied au départ par le CAVAC de l'Outaouais et qui tranquillement est en train d'être un peu partout à l'échelle du Québec. Ça pourrait être aussi un projet pilote, justement, où les personnes victimes d'exploitation sexuelle pourraient avoir ce type de programme où on va les aider, on va les accompagner pour qu'elles puissent témoigner et faire en sorte d'en ressortir... d'avoir un témoignage beaucoup plus adapté et les soutenir aussi dans ce témoignage-là. Je ne sais pas si, Jenny, tu veux en parler un petit peu plus.

Mme Charest (Jenny) : Peut-être juste ajouter, en fait, ce projet-là qui s'adresse justement aux enfants est un programme qui va travailler sur les compétences à témoigner et non pas sur les faits en cause, parce que, dans toutes les préparations aux témoignages qu'on fait avec les personnes victimes, jamais on ne va dans les faits en cause, parce que, justement, comme on connaît bien le processus judiciaire, on s'assure que tout ce qu'on fait ne va pas nuire. Et on travaille beaucoup, justement, les compétences de la personne pour l'amener à être solide quand elle arrive à la cour.

Et, bon, oui, il y a plusieurs mesures qui peuvent être mises en place, mais il y a parfois des victimes, des personnes qui ne veulent pas qu'on mette les mesures parce que, justement, ça fait partie de leur processus de se tenir debout et que le soutien qu'elles ont reçu leur permet de le faire. Et alors le processus judiciaire, c'est difficile. On en est très conscients et on essaie de faire tout ce qui est possible pour les aider. Mais, pour certaines personnes, c'est très positif à la fin. Et, oui, je pense que de mettre en place toutes les mesures possibles, ça fait une grosse différence.

M. Leduc : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présentation. Merci pour le travail aussi que vous faites.

Ma première question, c'est un élément d'information qui apparaît dans votre mémoire, CAVAC de Montréal. Quand on regarde le portrait de la clientèle, 100 % de votre clientèle citoyenne canadienne, ça m'a interpelé. Je me dis, dans la région de Montréal, bien sûr, il y a beaucoup de citoyens canadiens, mais il y a aussi une proportion quand même de résidents permanents, il y a une proportion aussi de personnes à statut précaire. Donc, où sont ces personnes-là dans vos statistiques?

Mme Damphousse (Karine) : Ce que je pourrais dire, c'est que 88,5 % des références qu'on reçoit, ça provient des policiers. Donc, c'est probablement lié aussi à notre source de référence. Est-ce que c'est des gens qui, nécessairement, vont faire appel aux policiers? Peut-être pas.

• (13 heures) •

Mme Charest (Jenny) : Votre question est très, très pertinente, parce qu'en fait, dans toutes les réflexions qu'on fait, on a identifié plusieurs clientèles vulnérables qu'on ne rejoint pas et on continue d'essayer de trouver les façons de faire. On vient de mettre en place une cellule d'intervention et de protection pour les personnes à statut précaire et on veut s'assurer, justement, de faire les liens entre nos différentes équipes parce que c'est une façon qu'on essaie de faire, qu'on va rejoindre ces gens-là. Karine le nommait, le lien de confiance est très difficile à créer. Ces personnes-là ne sont pas des personnes qui vont venir vers nous. Mais, en même temps, il faut trouver la façon de les rassurer pour faire en sorte qu'elles voient qu'il en existe, de l'aide. Alors, c'est vraiment l'orientation qu'on veut prendre et de trouver la façon d'aller vers les gens, d'aller dans des organismes.

Vous parlez de personnes à statut précaire, mais les personnes autochtones... On a, dans le cadre de notre projet, fait en sorte que des gens vont s'installer et passer des soirées dans des organismes où on sait que beaucoup de personnes sont aux prises avec de la prostitution dans leurs têtes, mais on réalise, quand on leur parle, finalement, que c'est de l'exploitation sexuelle.

Il y a plusieurs éléments. Et c'est une problématique qui est vraiment particulière et qui demande de s'y pencher pour trouver des façons différentes de rejoindre les gens et de leur offrir des services qui sont culturellement sécuritaires, quand on parle des autochtones, ou qui répondent aux besoins des personnes à statut précaire, qui ont justement peur d'aller vers les services.

Alors, il faut trouver... Et on travaille fort à faire en sorte que ces gens-là sachent qu'il y a des lieux sécuritaires, confidentiels, qui font que nous, on ne va pas donner l'information à la ville, on ne va pas donner l'information au SPVM, à la limite, parce que la personne parfois ne va pas porter plainte parce que ce n'est pas la bonne solution pour elle, et on va l'accompagner là-dedans.

M. Benjamin : J'aimerais attirer l'attention des membres de la commission sur cet enjeu-là. Donc, il y a des personnes qui sont sur le territoire du Québec et qui ne sont pas des résidents permanents et des citoyens canadiens, et ces personnes-là peuvent être des proies faciles des abuseurs. Donc, j'aimerais aussi qu'on ne les oublie pas, aussi, dans le cadre de ce travail. Une deuxième question, si vous permettez, Mme la Présidente, rapidement.

La Présidente (Mme St-Pierre) : Il y a une question aussi qui va... Oui, allez-y, allez-y, allez-y.

M. Benjamin : Ah! D'accord. Parfait. Rapidement. Alors, je salue le travail que vous faites, notamment à travers l'équipe intégrée. Mais un besoin qui nous a souvent été rapporté, au cours de cette consultation, de ces audiences, c'est la lutte contre la pauvreté. On nous a beaucoup parlé de lutte contre la pauvreté. Comment vous vivez cette expérience-là? Qu'est-ce que vous suggérez? Qu'est-ce qui peut être fait? On nous a parlé, certaines personnes nous ont parlé de plus de résidences, par exemple, plus de maisons d'hébergement. Vous, comment vous voyez ça?

Mme Charest (Jenny) : En fait, c'est directement lié à la vulnérabilité de ces personnes victimes. Parce qu'on parle de personnes qui n'ont souvent pas accès à leur argent, de toute façon, et qui, quand elles décident qu'elles vont aller de l'avant ou vont sortir de la prostitution ou, en fait, de quitter ce milieu, elles se retrouvent dans une extrême pauvreté. Ça rend les choses très, très difficiles. On a même parfois de la difficulté à trouver des façons de répondre aux besoins de base.

On a par ailleurs mis en place un fonds d'urgence, avec Jeunesse au soleil, pour être en mesure d'offrir aux personnes qui sont en grande précarité, au moment où on les rencontre, au moins, des façons de répondre à leurs besoins de base, des façons de les héberger autrement. Parce que, oui, la réalité de l'hébergement est difficile, ça amène toutes sortes de questions, toutes sortes d'enjeux. Est-ce qu'on parle d'une maison spécifique à ça? Il y a d'autres enjeux qui s'ajoutent à ça, les gens ne veulent pas être ensemble. Mais, oui, la problématique de l'hébergement et du soutien à long terme quand une personne décide de s'installer et de recommencer sa vie.

On en parlait, on l'entendait tantôt, un C.V. vide pendant plusieurs années, il y a beaucoup de choses. Quand Karine parlait des différents besoins à combler et du besoin de travailler en collaboration, c'est que les missions des gens doivent être complémentaires. Parce que de reprendre sa vie, de reprendre le pouvoir sur sa vie, pour une personne victime d'exploitation sexuelle, c'est un défi majeur. Et on doit être là, comme organisation et comme société, pour s'assurer qu'on répond à tous ces besoins-là, mais ce n'est pas un organisme qui va faire ça, mais c'est plusieurs ensemble.

La Présidente (Mme St-Pierre) : Je vais vous laisser aller rapidement, parce que Mme la députée de Roberval a des questions pour vous, je voudrais qu'elle ait la possibilité de les poser.

Mme Damphousse (Karine) : Je voulais juste renchérir, dire... Une des particularités de notre travail, au CAVAC, c'est l'intervention de première ligne. Donc, au début de la relation d'aide, les victimes ont besoin d'un suivi qui est intensif, elles ont besoin d'être accompagnées étroitement dans la multitude de démarches, là, qui vont leur permettre de reprendre du contrôle sur leur vie. Vu la complexité puis la multiplicité, là, des problématiques avec lesquelles elles sont aux prises, il y a beaucoup d'organismes qui doivent être impliqués dans ce processus de rétablissement de la victime. C'est pour ça que la pratique concertée, le partenariat étroit avec les organismes du milieu, ça devrait être la priorité sur le terrain.

On parle d'un trauma complexe, chez les victimes d'exploitation sexuelle, ce qui implique un processus de rétablissement qui est assez long. Ça nécessite l'implication d'une multitude de professionnels au fil du temps. Donc, chacun a son rôle, son domaine d'expertise, ce qui fait qu'avec des ententes de collaboration étroite on pourrait entourer la victime d'une équipe d'experts, médecins, infirmières, sexologues, psychologues, intervenants à la DPJ, en toxico, au CAVAC, en maison d'hébergement, etc.

Donc, depuis quelques années, on voit une volonté émerger chez les organismes pour travailler de façon concertée, mais il faut vraiment que cette concertation intégrée là se poursuive parce qu'elle porte fruit, puis c'est ça qui fait toute la différence sur le terrain.

La Présidente (Mme St-Pierre) : Vous êtes vraiment incroyables. Ce que vous nous dites ce matin, c'est absolument extraordinaire. Continuez votre travail. Puis on va continuer les questions parce que Mme la députée de Roberval a des questions à vous poser.

Mme Guillemette : Merci, Mme la Présidente. Bien, en lien avec le nombre d'intervenants, on nous a mentionné également, dans les dernières présentations, qu'il y avait un très grand nombre d'intervenants dans le processus de dénonciation. Est-ce que vous voyez là un frein, vous, quand il y a un processus de dénonciation, au grand nombre d'intervenants qu'il y a dans le... qu'il y a à faire avec la victime? Est-ce qu'il y a un frein, chez la victime, de se raconter, de se raconter et de se raconter encore?

Mme Michaud (Marie-Christine) : ...dire de recommencer l'histoire à chaque fois que la personne rencontre un intervenant d'une organisation différente?

Mme Guillemette : Oui.

Mme Damphousse (Karine) : Bien, c'est sûr que c'est documenté dans plusieurs écrits scientifiques. Avoir à raconter une expérience traumatisante à plusieurs reprises, c'est nécessairement source de victimisation secondaire.

Mme Guillemette : Est-ce qu'il n'y aurait un moyen d'enlever quelques intervenants, de diminuer ce processus-là d'arrestation, de divulgation, l'infirmière, tout le processus qu'on nous a raconté? Est-ce qu'il y aurait moyen de raccourcir, ça? Est-ce que vous avez des pistes de solution pour nous?

Mme Damphousse (Karine) : Bien, moi je vous dirais que c'est dans l'approche. Parce que c'est sûr que, la façon dont notre droit criminel est fait, nécessairement, elle doit raconter toute l'histoire aux policiers une première fois, sur sa déclaration vidéo, va devoir aussi raconter son histoire, là, rendu à... si le dossier va jusqu'à la cour, au niveau de l'enquête préliminaire et au procès. Donc, notre droit criminel prévoit vraiment qu'il y a trois moments où la personne va devoir raconter en détail ce qu'elle a subit.

Outre ça, quand il y a des intervenants qui ont à interagir auprès d'elle, ils n'ont pas besoin de connaître tous les détails de sa victimisation. Moi, à part si elle veut m'en parle... Parce qu'il y a des gens qui ont besoin de se confier, puis ça fait partie, là, de leur processus de rétablissement. À ce moment-là, je vais accueillir ce qu'elle me raconte. Mais, sinon, je vais vraiment me concentrer sur les besoins pour pouvoir, là, l'aider dans son processus. Donc, on l'oriente vraiment dans le futur.

Mme Guillemette : O.K. Parfait. Merci.

Mme Charest (Jenny) : Peut-être juste rajouter, en fait, ça va avec ce qu'on disait quand on parlait de concertation, de liens entre les différentes organisations, de lieux pour les créer, ces liens-là, pour mieux se connaître. Et on vous parle aujourd'hui de notre expérience, de notre expertise, mais, en fait, ce qu'on veut, là, dans le réseau des CAVAC, c'est que, peu importe où la personne va aller, pourvu qu'elle ait du soutien et qu'en fait la personne victime, elle soit au coeur de nos préoccupations communes.

Alors, ce que vous nommez, ça fait partie des freins à aller chercher de l'aide. Ça fait partie des freins aussi qu'on entend parfois, quand on parle du système judiciaire, que ça ne vaut pas la peine, qu'il n'y a pas de service aux victimes, on entend : Il y en a trop, ou : Il n'y en a pas assez, mais tous ces messages-là sont nuisibles pour la personne qui est chez elle ou qui vit des choses et qui hésite à aller chercher de l'aide, parce que le fait de penser qu'il n'y en a pas, ça va éviter... ça va faire en sorte que la personne ne va même pas essayer, alors d'avoir un message positif qui dit : Il y en a, des services, il y en a même, quand même, beaucoup plus qu'on pense, et c'est important de les faire connaître, et que, peu importe où vous allez aller, ces services-là visent à travailler ensemble pour éviter ça, que la personne ait à répéter, répéter. Parce qu'on le sait, on a plusieurs équipes, au CAVAC, dans les différentes régions, on travaille avec d'autres CAVAC régulièrement, on n'a pas eu le temps de le faire, mais il y a plusieurs interventions qui se font dans les autres régions, parce que les personnes victimes, elles sont déplacées d'une région à l'autre. Alors, les liens avec le réseau, les liens avec les différentes organisations, partout, ça fait en sorte qu'on veut éviter que cette personne-là, si elle est dans une autre région, si elle vient d'une autre région, elle ait à tout recommencer, mais qu'on veut qu'elle ait le soutien là où elle veut aller. Parce qu'on en a beaucoup qu'on voit mais qui, finalement, vont recevoir les services ailleurs.

• (13 h 10) •

La Présidente (Mme St-Pierre) : J'aurais moi-même une question ou deux. Tout d'abord, la question des garçons. On en parle un peu, dans la commission, de temps en temps. Je trouve qu'on effleure le sujet. Est-ce que, dans les victimes que vous rencontrez, vous avez des garçons? Et est-ce que la façon de travailler avec eux est différente de la façon avec laquelle vous travaillez avec les femmes?

Mme Charest (Jenny) : En fait, on trouve très, très malheureux de réaliser qu'on a très, très peu de personnes victimes garçons qui viennent...

La Présidente (Mme St-Pierre) : Et pourtant il y en a.

Mme Charest (Jenny) : ...avec qui on travaille, et on sait qu'il y en a. Et justement on entend aussi, un peu comme je disais plut tôt, qu'il n'y a pas de services aux hommes ou il n'y a pas de services aux garçons, alors que le réseau des CAVAC offre des services aux hommes, aux femmes, aux enfants, peu importe le type de crime et peu importe quand c'est arrivé. Alors, c'est aussi un message à faire passer, parce qu'il y a quelque part où on a de la difficulté à les rejoindre, ces personnes victimes là. Et, oui, l'intervention doit être différente parce que ce ne sont pas nécessairement les mêmes enjeux.

Mais la question qu'on a à se poser, c'est : Qu'est-ce qui fait qu'on ne les rejoint pas ou peu? Parce que, quand même, on en a, des personnes, on disait un 30 %, près de 30 % qui sont des hommes ou des garçons, à l'intérieur de nos services, ce qui est quand même un pourcentage assez élevé par rapport à la demande d'aide des hommes. Mais il y a vraiment toutes sortes d'initiatives qui sont mises en place pour essayer d'aller plus vers les hommes dans différentes régions du Québec, des groupes pour hommes, de s'assurer qu'ils vont venir vers nous et qu'on va adapter notre façon de travailler avec eux en fonction de leurs façons de rentrer en relation. Les émotions ne sont pas les mêmes, les façons d'interagir avec les intervenants ne sont pas les mêmes, leurs attentes ne sont pas les mêmes. Un peu comme on a compris des réactions de personnes... de jeunes femmes, jeunes filles victimes d'exploitation sexuelle, qui étaient normales, leur réticence à vouloir de l'aide, alors que nous, on est prêts à le donner, de comprendre le pourquoi de ça, bien, on est aussi à travailler de comprendre le pourquoi ou le comment les hommes interagissent ou vont chercher. Mais l'intervention post-traumatique, elle, elle est la même. On est sur les conséquences et, oui, on peut le faire, mais malheureusement on est tristes de dire qu'on ne le fait pas beaucoup.

La Présidente (Mme St-Pierre) : Parce que vous ne réussissez pas à les rejoindre comme...

Mme Charest (Jenny) : Ou, en tout cas, presque pas.

Mme Damphousse (Karine) : C'est une problématique qui fait encore l'objet d'une condamnation sociale, hein? Ça fait que chez beaucoup de victimes, il y a... La honte, la culpabilité, c'est vécu de façon très prononcée, puis ça, ça va être une résistance, justement, à aller chercher de l'aide, la crainte d'être jugé, la crainte aussi qu'on dévoile leurs activités prostitutionnelles, parce qu'elles vont vouloir préserver une certaine moralité par rapport à leur entourage. Donc, dans bien des cas, l'entourage, ce n'est pas ce qui se passe. Ça fait qu'à partir du moment où la personne, elle est victimisée, elle devient doublement plus vulnérable. Parce qu'il y a en a qui vont justement éviter d'aller chercher de l'aide pour s'assurer, justement, là, de préserver cette moralité-là puis par crainte aussi d'être jugées, parce qu'elles ne savent pas comment elles vont être reçues par les intervenants sociaux mais aussi par les acteurs judiciaires.

La Présidente (Mme St-Pierre) : Est-ce qu'il y a d'autres questions? Parce que j'en aurais une autre. Est-ce que vous auriez une question?

Une voix : ...

La Présidente (Mme St-Pierre) : O.K. Alors, c'est sur la question des femmes autochtones... bien, femmes ou garçons, là, mais, enfin, des victimes, parlons des victimes autochtones. On nous a dit cette semaine qu'il y avait une proportion assez importante de femmes autochtones victimes. Vous êtes probablement à même de nous le confirmer. Est-ce qu'encore là vous réussissez à les rejoindre? Est-ce qu'entrer en contact avec elles c'est plus difficile? Est-ce que le lien de confiance se fait? Est-ce que vous avez des femmes autochtones qui travaillent aussi dans votre groupe pour entrer plus facilement en contact?

Mme Michaud (Marie-Christine) : Ça va dépendre des régions. Je sais qu'à Montréal... Je vais te laisser, Jenny, parler de Montréal, mais ce que je peux vous dire, quand même, c'est que, dans différents CAVAC, oui, il y a des intervenantes qui parlent des langues autochtones, des intervenantes autochtones, je vous dirais que... dans environ cinq régions, je pense, que sont l'Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord, le Saguenay—Lac-Saint-Jean, les CAVAC cris et du Nunavik. Par exemple, le CAVAC du Nunavik ont six intervenantes inuites, donc ça veut dire que nous avons des intervenantes qui parlent en inuktitut, en attikamek, en innu, cri. Ce que je me rappelle, plutôt, par rapport à ces langues-là, il y a vraiment, dépendamment des régions, oui, des interventions qui sont spécifiques aux personnes autochtones.

Maintenant, oui, ce que je crois comprendre, oui, les populations des peuples autochtones et inuit, je pense, sont sous-représentées en termes d'exploitation sexuelle. Maintenant, ce sont quand même des interventions qui sont spécifiques, et, comme on l'a dit, il n'y a pas encore... je n'ai pas eu le temps de le dire, mais il n'y a pas d'intervention nécessairement spécifique partout dans tous les CAVAC, dans tous les CAVAC des régions du Québec. Par contre, il y a une intervention post-traumatique.

Vous avez raison, ce n'est pas toujours facile de rejoindre ces personnes-là. Il y a notamment le lien de confiance. Il y a une façon d'intervenir aussi qui est particulière, qui est spécifique quand on intervient auprès des peuples autochtones. Ils n'ont pas la même façon d'accueillir l'information. Mais je peux vous dire par contre qu'il y a vraiment une préoccupation, et on se penche vraiment... Nous avons même un comité à l'interne qui se penche sur comment mieux intervenir auprès de ces personnes.

Mme Charest (Jenny) : En fait, elles sont réellement surreprésentées. La problématique implique tout le déplacement, les personnes qui viennent du Nord, qui transigent à Montréal, pour toutes sortes de raisons, et qui se retrouvent dans des positions d'extrême vulnérabilité. Ça, on le sait. La façon de faire, c'est d'aller vers eux et non pas attendre qu'elles ou qu'ils viennent vers nous. Et c'est ce qu'on tente de faire, et c'est ce qu'on veut continuer de faire. Parce que les autochtones en milieu urbain sont un peu invisibles. Et, pour nous, ça nous préoccupe vraiment, parce que cette invisibilité-là les rend extrêmement vulnérables. Alors, comment on fait? On est en lien avec les CAVAC cris et, justement, innus du Nunavik pour trouver la façon de s'assurer, quand quelqu'un disparaît, qu'il est à Montréal... comment on travaille ensemble, d'essayer de faire en sorte qu'on peut mieux voir la trajectoire et ne pas perdre des gens.

Et, en fait, comme Karine le disait, on a beaucoup de références de la police. La police commence à avoir un peu plus de liens aussi avec les communautés autochtones. Il y a un agent de liaison autochtone qui fait aussi une différence, avec qui on a travaillé dans le passé. Mais c'est un travail qui est toujours à refaire et qu'on va poursuivre, parce qu'on ne peut pas dire qu'on rejoint bien cette clientèle-là qui devrait finalement être en fort pourcentage parmi ceux qu'on dessert, parmi ceux qu'on accompagne, et ce n'est pas le cas.

Mme Michaud (Marie-Christine) : Mais je peux quand même vraiment vous dire que les CAVAC cris du Nunavik, l'Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, particulièrement Outaouais et Saguenay—Lac-Saint-Jean, ont vraiment des programmes spécifiques, des intervenants et travaillent vraiment très, très fort à cet égard-là.

La Présidente (Mme St-Pierre) : Alors, je vous remercie beaucoup. Vous avez vraiment bien contribué à notre commission parlementaire spéciale. Merci pour ces témoignages puis d'avoir partagé votre expérience. Alors, j'espère que vous allez continuer à suivre nos travaux.

Et puis nous, on va suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures, cet après-midi. Alors, je vous souhaite bon retour à la maison, puis on se revoit, nous, à 15 heures, cet après-midi. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 13 h 18)

(Reprise à 15 h 3)

Le Président (M. Lafrenière) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques, sans cibler personne.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Cet après-midi, nous entendrons l'équipe intégrée de lutte contre l'exploitation sexuelle, l'EILP, le Service de police de la ville de Montréal, la Centrale des syndicats du Québec et le Centre Cyber-aide.

Donc, je souhaite la bienvenue à l'équipe intégrée de lutte à l'exploitation sexuelle, l'EILP. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes de présentation, et, par la suite, il y aura 25 minutes d'échange avec les membres de cette même commission. Je vous demanderais de vous présenter et de faire votre exposé.

Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme (EILP)

M. Guertin (Sylvain) : Merci, M. le Président. Je me présente, Sylvain Guertin, je suis inspecteur à la Direction des enquêtes criminelles de la Sûreté du Québec. Je vais vous présenter les personnes qui m'accompagnent aujourd'hui : à ma droite, Jessica Paradis, de la Direction des enquêtes criminelles; Karolane Simard, du bureau de renseignements stratégiques; ma consoeur du SPVM, l'inspectrice Brigitte Barabé, du Service des enquêtes criminelles; ainsi que Frédéric Martineau, lieutenant-détective à la section d'exploitation sexuelle de la police de Montréal.

Dans un premier temps, j'aimerais prendre quelques instants pour remercier la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs de nous avoir invités, mes collègues et moi, à participer aux consultations particulières et aux auditions publiques sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Au nom de la Sûreté du Québec et du Service de police de la ville de Montréal, nous sommes heureux d'avoir l'opportunité aujourd'hui de vous partager nos connaissances et nos préoccupations au regard de cette problématique. Il faut également mentionner qu'aujourd'hui nous ne sommes pas seulement ici en tant que représentants de la Sûreté du Québec et du Service de police de la ville de Montréal, mais bien aussi en tant que représentants de l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme.

L'exploitation sexuelle est une problématique sérieuse à laquelle l'ensemble de notre société est confrontée et devant laquelle on ne peut rester insensible. Elle englobe un vaste éventail de situations, de contextes et de comportements dont les conséquences sont dévastatrices pour les victimes. L'étendue et l'ampleur que connaît cette problématique aujourd'hui confirment l'importance de la présente commission, et nous sommes heureux de pouvoir contribuer aux travaux de celle-ci.

Pour la période qui nous est allouée aujourd'hui, nous avons divisé le contenu de notre présentation en deux volets. Dans un premier temps, nous allons prendre quelques minutes pour vous exposer ce qui est fait à l'heure actuelle de façon provinciale pour lutter contre le phénomène de l'exploitation sexuelle. On abordera les différentes structures et les mécanismes de concertation qui sont en place au Québec, dont l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme et la structure de coordination provinciale de la Sûreté du Québec.

Dans un deuxième temps, on abordera les principaux enjeux et défis auxquels les organisations policières sont confrontées au niveau de l'exploitation sexuelle des mineurs. Ceci nous amènera à vous soumettre quelques pistes de solution qui seraient susceptibles d'optimiser, de façon provinciale, l'effort policier concerté contre l'exploitation sexuelle des mineurs.

Mais, avant de débuter, permettez-moi simplement de vous rappeler qu'au niveau de la responsabilité des corps policiers au Québec en matière d'enquêtes, de lutte au proxénétisme... on se rappellera que, selon la Loi sur la police, les enquêtes relatives au proxénétisme sont des activités de niveau 3, c'est-à-dire qu'au Québec les seuls corps de police qui sont habilités à mener ce type d'enquête sont ceux offrant des services de niveau 3 et plus. On parle ici de la Sûreté du Québec, le Service de police de la ville de Montréal, le Service de police de la ville de Québec, le Service de police de l'agglomération de Longueuil, le Service de police de Laval et le Service de police de la ville de Gatineau. Lorsqu'il y a des événements qui se produisent sur le territoire desservi par les services de police de niveau 1 et 2, c'est la Sûreté du Québec qui prend la responsabilité, conformément au rôle qui lui est dévolu en vertu de la Loi sur la police en tant que corps de police national au Québec.

Mme Barabé (Brigitte) : Depuis 2017, les corps de police du Québec de niveau 3 et plus travaillent de façon concertée et coordonnée dans le cadre de l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme. Cette équipe s'attaque précisément aux réseaux de proxénétisme et de traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle, qui opèrent au Québec sur une base interrégionale, interprovinciale et internationale.

Cette équipe poursuit son mandat en ciblant d'abord les individus ou les groupes qui permettent aux différentes formes d'exploitation sexuelle de prospérer. De plus, l'équipe a pour mandat de tenter de réduire l'intérêt économique de cette activité illégale.

L'équipe intégrée est sous le commandement du Service de police de la ville de Montréal. La Sûreté assume, quant à elle, la coordination provinciale au sein de l'équipe.

L'équipe intégrée est composée de 23 ressources qui sont issues de différents corps de police de niveau 3 et plus, dont mon collègue a fait mention précédemment, en plus de la Gendarmerie royale du Canada qui participe également. On y compte un commandant, un chef d'équipe, une coordonnatrice provinciale, 15 enquêteurs, deux analystes en renseignements criminels et du personnel de soutien administratif.

Les ressources des services de police de Montréal, de Laval, de Longueuil, de la Sûreté et de la gendarmerie du Canada oeuvrent directement au sein de l'équipe d'enquête située à Montréal, alors que les ressources des services de police de Québec et de Gatineau travaillent quant à elles à partir des postes satellites qui sont déconcentrés dans leurs régions respectives.

• (15 h 10) •

M. Guertin (Sylvain) : Aujourd'hui, avec les technologies de l'information et l'accessibilité grandissante à Internet et aux médias sociaux, l'exploitation sexuelle des mineurs n'est plus une problématique qui est exclusive aux grands centres. Qu'il s'agisse d'une municipalité urbaine à l'image de Montréal ou d'une municipalité en région éloignée, nul n'est à l'abri de l'exploitation sexuelle et des conséquences qui en découlent.

Pour lutter efficacement contre cette problématique qui sévit sur l'ensemble du territoire québécois, il est essentiel que les différents corps de police au Québec se parlent et coordonnent leurs efforts. C'est donc dans cet esprit que la Sûreté du Québec a mis en place, en 2016, une structure de coordination provinciale en matière de proxénétisme et de traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Cette structure est soutenue par trois pôles de coordination régionaux situés à Québec, à Boucherville et à Mascouche afin de faciliter une saine gestion et un partage fluide du renseignement entre les unités de la Sûreté du Québec.

Avec l'arrivée de l'équipe intégrée de lutte au proxénétisme, en 2017, la structure de coordination provinciale qui était en place à la Sûreté du Québec a été intégrée au sein de l'équipe. Le coordonnateur, qui oeuvre maintenant directement au sein de l'équipe intégrée, est donc responsable de coordonner l'ensemble des activités qui sont réalisées au Québec en matière de proxénétisme. Concrètement, il favorise la liaison entre les corps de police municipaux et les pôles de coordination régionaux établis par la Sûreté. Il permet un partage d'information au sein de la communauté policière pour ultimement nous permettre tous d'être en mesure de détecter les situations à risque et d'intervenir de façon uniforme et coordonnée au Québec. Malheureusement, malgré les lois en vigueur et malgré les efforts policiers qui sont menés au quotidien, la problématique de l'exploitation sexuelle des mineurs persiste et continue de faire des ravages auprès des jeunes victimes et de leur famille. Il faut donc continuer dans cet effort collectif et se donner les moyens nécessaires pour faire face à cette problématique sous tous ses angles.

Mme Barabé (Brigitte) : Il est désormais clair que l'exploitation sexuelle touche l'ensemble de la province. À l'heure actuelle, l'équipe intégrée est très opérationnelle sur le territoire du Grand Montréal. Cependant, il devient essentiel d'étendre cette expertise ainsi que la portée des actions de l'équipe intégrée. Dans bien des cas, ce sont les enquêteurs de l'équipe intégrée, situés à Montréal, qui doivent se déplacer pour soutenir la réalisation ailleurs en province. Vous comprendrez que cette façon de faire n'est pas optimale. Les équipes satellites ne bénéficient pas du partage d'expertise autant que l'équipe située à Montréal, ce qui les empêche de devenir autonomes.

Considérant l'étendue actuelle de la problématique de l'exploitation sexuelle des mineurs, il est plus que jamais essentiel d'étendre la portée des interventions de l'équipe intégrée. Cela passe entre autres par une augmentation de sa capacité opérationnelle dans les différentes régions du Québec. La mise en place de pôles d'intervention régionaux de l'équipe intégrée s'avère donc indispensable. Composés d'équipes d'enquête renforcées et basés à Québec, à Montréal et à Gatineau, ces pôles d'intervention permettraient de desservir respectivement l'est, le centre et l'ouest de la province en matière d'exploitation sexuelle.

De plus, il est important de rappeler que l'équipe intégrée a un mandat bien précis au niveau des réseaux de proxénétisme qui opèrent sur une base interrégionale au Québec. Les trois pôles permettraient donc à l'EILP de mieux répondre à cette partie de ce mandat. Ce mandat interrégional n'englobe donc pas l'ensemble de la problématique de l'exploitation sexuelle, et l'équipe intégrée ne peut pas s'attarder à tous les dossiers qui traitent d'exploitation sexuelle, surtout lorsqu'ils révèlent d'une juridiction locale. Il est pertinent de se rappeler que, selon la Loi de police, les différents corps de police ont également des obligations sur leurs territoires respectifs. Il appert donc tout aussi important d'encourager la formation d'équipes locales au sein même des services de police, des équipes dédiées spécifiquement à l'exploitation sexuelle ou, à tout le moins, la désignation d'enquêteurs dans les différents corps de police municipaux pour le traitement des dossiers d'exploitation sexuelle.

En complémentarité aux actions policières en matière de détection et de répression, le travail des analystes en renseignements criminels demeure un aspect incontournable devant une problématique aussi complexe et évolutive que l'exploitation sexuelle des mineurs. En fait, l'analyse en renseignements se situe souvent à la base des enquêtes et permet d'orienter et de guider les actions policières, et ce, autant au plan opérationnel qu'au plan de la prévention. Actuellement, la capacité de l'équipe intégrée en matière d'analyse de renseignements demeure limitée considérant qu'elle n'a que deux ressources à sa disposition. Dans ce contexte, un rehaussement de la capacité opérationnelle en matière d'analyse contribuerait aussi à accroître la capacité et la portée des actions de l'équipe intégrée.

M. Guertin (Sylvain) : D'un côté, on a besoin d'augmenter notre capacité d'action et la portée des interventions au niveau de l'équipe intégrée. Ça veut dire de se donner les moyens nécessaires en termes de ressources humaines et de déploiement des équipes d'enquête locales et régionales.

D'un autre côté, on a aussi l'expertise et la formation des policiers. C'est effectivement pertinent d'avoir une équipe renforcée, mais encore faut-il qu'elle soit autonome et qu'elle travaille de façon uniforme. Les membres de l'équipe intégrée à Montréal ont développé au fil des ans une expertise de pointe dans le domaine de l'exploitation sexuelle, une expertise qui n'est cependant pas étendue sur l'ensemble du territoire.

Pourtant, les dossiers qui ont été enquêtés par les corps de police depuis janvier 2018 démontrent que les activités de prostitution se déroulent à Montréal, dans les municipalités urbaines telles que Québec, Gatineau, Laval et Longueuil, mais aussi dans les municipalités moins populeuses. Ces données nous confirment que le phénomène est présent partout en province, d'où l'importance d'étendre l'expertise et les connaissances sur l'ensemble du territoire québécois. Certes, il existe des modèles de formation à travers la province, mais qui ne sont malheureusement pas uniformes. Dans ce contexte, il est essentiel d'imposer une formation provinciale obligatoire sur l'exploitation sexuelle pour que tous les policiers du Québec aient un niveau de connaissance minimal et uniforme dans ce domaine.

En outre, les intervenants des différents milieux, notamment la justice, les procureurs, les milieux scolaires, les intervenants sociaux, ne sont pas tous bien au fait de l'exploitation sexuelle, et il existe malheureusement encore des préjugés, même dans le réseau. Les ateliers de sensibilisation auprès des différents milieux permettent de rejoindre les victimes d'exploitation sexuelle et constituent un moyen complémentaire à l'intervention policière. Par exemple, la sensibilisation des intervenants en santé fait clairement une différence dans le dépistage des situations d'exploitation. À l'instar des besoins exposés en termes de formation pour les policiers, la sensibilisation des différents intervenants relativement à l'exploitation sexuelle et ses conséquences est tout aussi importante.

Mme Barabé (Brigitte) : Un autre défi auquel les organisations policières sont confrontées dans les dossiers d'exploitation sexuelle se situe face au moment lors duquel nous devons présenter le dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales aux fins de poursuite judiciaire. Il n'est pas rare que les infractions se soient déroulées dans plus d'une juridiction. Parfois, on peut voir des dossiers impliquant jusqu'à cinq juridictions différentes. Quoi qu'il en soit, il est essentiel de mettre la victime au coeur de nos préoccupations en ayant le pouvoir de regrouper les accusations. Cette démarche éviterait que la victime ait à témoigner plusieurs fois, ce qui augmente considérablement son niveau de victimisation.

Nous le savons tous, les victimes d'exploitation sexuelle se distinguent entre autres par leur fragilité et leur vulnérabilité. Elles peuvent donc facilement être déstabilisées par la charge émotionnelle et l'instabilité que peut amener le processus judiciaire. Il devient donc primordial d'assurer un arrimage entre les différentes juridictions afin d'assurer un traitement uniforme et efficace des dossiers d'exploitation sexuelle en province au niveau des poursuites criminelles.

Une solution qui serait facilitante, dans ce contexte, serait, par exemple, l'identification d'un procureur coordonnateur. Celui-ci pourrait faciliter l'harmonisation des façons de faire entre les différentes juridictions, en plus de diminuer les délais des autorisations. Certains dossiers de l'EILP peuvent attendre au-delà de 12 mois avant d'être autorisés, puisque les différentes juridictions viennent complexifier les décisions du DPCP quant au jumelage ou non des dossiers interjuridictions.

De plus, il pourrait être judicieux d'évaluer la possibilité d'identifier des procureurs spécialistes pouvant se concentrer spécifiquement aux dossiers de proxénétisme, comme c'est d'ailleurs le cas en pornographie juvénile. Cette désignation pourrait permettre de développer une expertise spécifique en matière d'exploitation sexuelle et optimiser le traitement de ces dossiers et, par le fait même, le support offert aux victimes qui portent plainte.

Par ailleurs, lorsque les dossiers impliquent un lien avec une autre province du Canada, ce qui malheureusement n'est pas rare, les corps policiers doivent composer avec des différences de nature législative en ce qui a trait à la protection de la jeunesse. Ces différences ont des conséquences importantes, puisque l'application de la loi, les interdits et les pouvoirs qui y sont liés divergent d'une province à l'autre, influençant directement la portée des actions des corps policiers québécois et canadiens.

Il serait donc des plus pertinents d'évaluer dans quelle mesure il pourrait être possible de favoriser un arrimage dans l'application des lois provinciales sur la protection de la jeunesse entre les provinces. Cette action est d'autant plus importante afin de protéger nos jeunes qui se retrouvent en terrain inconnu, loin de leurs points de repère et faisant face à une barrière de langage qui les rend encore plus vulnérables.

• (15 h 20) •

M. Guertin (Sylvain) : L'exploitation sexuelle des mineurs sous toutes ses formes s'avère une problématique pluridimensionnelle. Chaque cas d'exploitation est unique et comporte diverses complexités qui peuvent relever de la compétence de multiples organismes, notamment les services policiers et les centres jeunesse, la justice, le milieu scolaire, les intervenants en toxicomanie, par exemple.

La collaboration étroite entre tous ces intervenants est donc un incontournable pour lutter contre l'exploitation sexuelle de façon optimale et répondre aux multiples besoins des victimes. La mise en place d'un guichet unique pourrait constituer une partie de la solution, un guichet qui constituerait une sorte de plateforme d'échange où les différents ministères et organismes concernés pourraient adresser les problématiques rencontrées et identifier rapidement les ajustements qui sont nécessaires par l'intervenant compétent. Une telle approche permettrait sans doute une meilleure cohésion entre les organismes et une complémentarité dans les initiatives qui sont mises en place à différents niveaux.

De façon complémentaire à l'intervention policière, il faut aussi miser davantage sur le recours aux différents services d'aide afin de soutenir les victimes d'exploitation sexuelle, d'assurer leur sécurité et de leur offrir des services appropriés. Dans près d'un dossier sur deux, selon les témoignages et notre expertise, les victimes reçoivent des menaces directes ou indirectes de leurs proxénètes au cours des procédures judiciaires et leur emprise persiste souvent bien au-delà de la période d'exploitation. La sécurité des victimes doit être une priorité, en particulier lors des témoignages de ces dernières. Bien souvent, les victimes d'exploitation sexuelle sont aux prises avec différentes problématiques, tout aussi importantes, pour lesquelles elles ont besoin de services.

Ceci m'amène à parler de façon plus spécifique de la collaboration avec les différents centres jeunesse au Québec. Annuellement, au Québec, on a plus de 12 500 disparitions qui sont rapportées aux services policiers, pour lesquelles la grande majorité des personnes qui sont disparues sont retrouvées rapidement saines et sauves. Plusieurs de ces disparitions représentent des fugues, dont plusieurs impliquent des jeunes hébergées en centre jeunesse. Les statistiques le démontrent, la période de fugue est très propice au recrutement d'éventuelles victimes d'exploitation sexuelle et ce facteur est d'autant plus important lorsqu'il s'agit de fugues de centres jeunesse.

En effet, les jeunes en centre jeunesse sont souvent une population plus à risque face à cette problématique et y sont souvent surreprésentés. Malheureusement, la collaboration entre les centres jeunesse et les services policiers n'est pas uniforme sur l'ensemble du territoire québécois. De plus, les policiers ne sont pas systématiquement informés de récidives et autres facteurs dans l'environnement d'une fugueuse ou d'un fugueur si d'autres infractions criminelles ne sont pas commises au moment de la fugue, ce qui limite la capacité d'action en termes de prévention. Il serait donc important d'accroître et d'uniformiser la collaboration avec les centres jeunesse du Québec, premièrement, dans un souci de prévention et d'enquête, lorsqu'il y a des disparitions, mais aussi pour être davantage en mesure d'identifier les victimes et les réseaux de proxénètes.

Dans l'ère actuelle, l'Internet et les médias sociaux constituent des outils de formation et de socialisation extraordinaires. Ces technologies sont aujourd'hui présentes dans la majorité des foyers québécois, et leur popularité auprès des jeunes ne cesse de croître. En dépit des nombreux avantages que comportent l'Internet et les technologies de l'information, ceux-ci s'avèrent également des outils de choix pour le recrutement d'éventuelles victimes de proxénétisme. La lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs ne peut faire abstraction des technologies et de la capacité des organisations policières à cet égard. Devant l'évolution rapide des technologies, la capacité des organisations policières à maintenir leurs connaissances et à suivre cette évolution représente un défi de taille. Elles doivent être en mesure d'acquérir les technologies nécessaires, souvent très coûteuses, pour suivre l'évolution de la criminalité et demeurer à l'avant-garde des méthodes employées par les criminels.

À l'heure actuelle, il est difficile pour l'EILP, tout comme pour les autres organisations policières, d'acquérir, en temps opportun, les technologies nécessaires à la réalisation de leurs enquêtes. Dans un contexte où les criminels se dotent d'outils et de moyens de plus en plus sophistiqués pour commettre leurs crimes et assurer leur anonymat, il est essentiel d'offrir aux organisations policières la capacité d'être à la hauteur des avancées technologiques et du raffinement des actes criminels. Une plus grande agilité dans le processus d'acquisition et de dotation permettrait assurément aux autorités de demeurer à l'affût des technologies modernes, tel que l'exige cette forme de criminalité complexe.

Mme Barabé (Brigitte) : L'exploitation sexuelle des mineurs est une problématique d'envergure provinciale, qui touche l'ensemble de la société québécoise. Certes, les organisations policières ont su mettre en place, au fil des ans, différentes structures et divers moyens pour y faire face et en suivre l'évolution. Bien que les initiatives, telles que l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme et la structure de coordination provinciale, aient su démontrer leur efficacité, elles ne représentent, dans leur forme actuelle, qu'une partie de la solution.

Le Président (M. Lafrenière) : Je vais vous demander de conclure, s'il vous plaît. Il reste 30 secondes à votre...

Mme Barabé (Brigitte) : Nous espérons que les constats et les pistes de solutions que nous venons de vous partager aiguilleront la commission dans ses réflexions et permettront ultimement de lutter collectivement contre cette problématique d'envergure provinciale.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci de votre exposé. On va maintenant passer à la période d'échange avec les députés. Le député de Vachon va vous poser une petite question, réflexion en même temps.

Vous avez parlé beaucoup de formation des policiers. Dans les derniers jours, on a entendu des gens nous parler d'éducation de nos jeunes hommes, de nos jeunes femmes. J'aimerais combiner les deux en parlant d'éducation des policiers aussi. Je sais que, dans certaines villes, on peut entendre les survivantes. Ici, nous, on a eu la chance d'entendre deux survivantes depuis le début des travaux. Je peux vous dire que ça a changé notre vision, pour ne pas dire notre vie, un peu. Ça nous a changé notre façon de voir les gens.

Est-ce que cette formation-là, vous avez prévu la donner au niveau provincial? Est-ce qu'il y a une possibilité qu'au niveau provincial nos policiers puissent être sensibilisés par des survivantes, qui puissent parler de leur réalité, afin que nos policiers les voient comme des victimes?

M. Guertin (Sylvain) : Clairement, la formation est au coeur des préoccupations. Pour s'assurer d'avoir un modèle efficace, il faut que nos intervenants, à tous les niveaux, soient sensibilisés pour faire tomber peut-être les mythes et préjugés qui pourraient toujours subsister dans certains cas. Puis je pense que, l'incompréhension, au niveau du support qui peut être fait par rapport à ce type de victime là, qui est particulière, c'est important de travailler à outiller de façon uniforme les policiers.

Il y a des bonnes initiatives qui sont faites à différents niveaux, que ça soit dans les organisations policières qui, selon leurs réalités locales, vont préparer des modèles de formation pour sensibiliser leur personnel, mais il y a également l'École nationale de police depuis la mise en place de l'EILP. L'EILP a contribué, avec l'École nationale de police, de développer un scénario qui est donné aux futurs policiers qui sont en formation de base, à l'école de police, afin de reconnaître ces signes-là et ces façons d'intervenir. Ça fait que ça outille déjà tous les policiers qui passent par l'école de police. C'est une façon proactive de le faire. C'est des policiers en devenir. Ça fait qu'il y a un bloc de formation qui est attribué, avec un scénario qui inclut... avec des comédiens. Ça fait qu'ils peuvent intervenir, déjà là, en mode pratique par rapport à ça.

Le Président (M. Lafrenière) : De façon très précise, est-ce qu'il est prévu, justement, d'avoir des témoignages soit de victimes ou de représentants de groupes de victimes pour s'assurer d'une cohésion entre le communautaire puis la police?

M. Guertin (Sylvain) : Il y a déjà plusieurs initiatives qui sont prises par rapport à ça. Un modèle comme Les Survivantes, c'est essentiel pour avoir de la formation puis de vraiment l'entendre de la bouche des personnes qui ont vécu, qui ont réussi à s'en sortir, pour vraiment comprendre les barrières qui peuvent subsister puis comment qu'elles se sont senties. Ça fait qu'effectivement c'est des choses qui sont envisagées pour trouver un modèle qui pourrait correspondre, à la grandeur de la province, pour pouvoir donner, justement, ces outils-là aux premiers intervenants.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui, bonjour. Merci beaucoup pour votre présentation très, très complète. Vous reprenez beaucoup d'éléments qu'on a entendus ici et là.

Donc, plusieurs questions. Le DPCP, donc, de regrouper les accusations, est-ce que... Donc, pour l'instant, la situation actuelle, c'est que, oui, si le phénomène s'est reproduit, cette fille devra vivre le supplice du témoignage à chaque fois ou est-ce qu'il y a déjà des procureurs qui vont regrouper? C'est quoi, la pratique, actuellement, à cet égard, contre les proxénètes?

M. Guertin (Sylvain) : Bien, premièrement, ce qui est particulier, c'est que, dans certaines régions, c'est un phénomène qui est relativement nouveau. Ça fait que les procureurs, dans des grands centres urbains, ont des équipes qui sont dédiées à faire ce type de dossier là, et tous les services sont disponibles, ce qui est... Malheureusement, ce qu'on se rend compte, avec les statistiques, présentement, dans les dossiers qu'on a analysés... On a pris tous les dossiers qui ont été enquêtés à l'EILP depuis 2018, puis on a fait l'analyse, et on se rend compte qu'il y a beaucoup des chefs d'accusation qui sont portés à l'extérieur de Montréal, où les connaissances ne sont peut-être pas toutes au même niveau. Il faut savoir que c'est des procureurs qui ont un lot quotidien de dossiers et qu'il n'y a pas nécessairement juste des dossiers de cette nature-là. Ça fait qu'ils doivent adapter leur pratique pour s'assurer d'être en mesure d'offrir un service puis de se coordonner avec les autres districts judiciaires, parce que, malheureusement, les infractions... Comme, là, les statistiques nous démontrent que les victimes sont beaucoup transférées ou transportées de ville en ville. Une même victime qui décide de rapporter ce qu'elle a vécu puis d'embarquer dans un processus judiciaire, ça nous met devant le fait qu'il faut aller dans plusieurs districts rencontrer les procureurs, déposer les accusations. C'est sûr que l'idéal serait d'avoir un procureur qui vienne, dans le fond, supporter, trancher, coordonner ces efforts-là pour que la victime n'ait pas à témoigner dans cinq procès différents, dans cinq régions différentes, puis que ça soit un regroupement dans les juridictions, pour que ça soit plus facilitant de vraiment mettre la victime au coeur nos préoccupations dans le système judiciaire, pour s'assurer que, tout au long du processus, on ne la revictimise pas puis qu'on soit capable de bien la soutenir tout au long du processus.

Mme Weil : Et qu'est-ce que vous observez par rapport aux sentences que vous voyez, même dans des cas graves? Est-ce que vous êtes satisfaits que la justice rende justice ou que c'est parfois complaisant, un peu, par rapport à la gravité des accusations?

M. Guertin (Sylvain) : Tous les dossiers, présentement, qu'une victime de proxénétisme... c'est des dossiers, c'est des crimes contre la personne. C'est vraiment les infractions les plus graves au Code criminel.

Mme Weil : Mais les sentences reflètent...

M. Guertin (Sylvain) : Effectivement, on a eu, d'ailleurs, cette semaine, un dossier. à l'EILP. que les sentences ont été très sévères, puis il y a le principe des peines cumulatives qui peuvent entrer en ligne de compte. C'est vraiment pris au sérieux.

De plus en plus, la force des dossiers qu'on est capable de monter puis de déposer devant la cour fait en sorte que les sentences suivent. Effectivement, je pense, c'est une prise de conscience, puis effectivement les derniers dossiers révèlent que cette tendance-là est à la hausse.

• (15 h 30) •

Mme Weil : Donc, ça, c'est le proxénète dont on parle. Dans le cas de mineurs, essentiellement? Ce serait dans le cas de victimes mineures ou autre ou ils ne font pas de distinction? C'est tant qu'il y a un proxénète ou est-ce qu'il y a un accent... On semblait comprendre de certains témoignages que l'accent est mis plus sur les mineurs et moins sur la femme adulte qui serait victime parce qu'il y a comme... je ne sais pas si c'est une course contre la montre pour essayer d'attraper le proxénète, dans le cas de mineures, ou est-ce qu'il n'y a pas de distinction essentiellement, quand on voit la gravité et le comportement de cette personne puis l'état dans lequel la femme se situe, la police considère que c'est une priorité.

M. Guertin (Sylvain) : Au niveau des sentences, là, c'est sûr que...

Mme Weil : Pas les sentences, mais, comment dire, l'arrestation, là, de ces personnes-là, c'est-à-dire, la police qui fait ses enquêtes par rapport... c'est quoi, les priorités? Parce qu'on entendait différentes choses. C'est-à-dire que, bon, premièrement, on va parler du client abuseur, qu'il n'y a pas d'accent mis là-dessus du tout pour aller porter des accusations contre le client abuseur, alors on peut commencer par ça, et que c'est un problème, dans le sens que c'est vraiment ce client abuseur qui est au coeur de ce système d'offre et de la demande. C'est quoi, vos commentaires ou vos observations par rapport... bien, dans votre cas, là, aussi, de corps policier, de votre corps policier ou les corps policiers?

M. Guertin (Sylvain) : O.K. Je veux juste essayer de répondre à la question dans l'ordre.

Mme Weil : Bien, on va commencer avec ça...

M. Guertin (Sylvain) : Oui, parce que ce n'est pas...

Mme Weil : ...le client abuseur, parce que c'est là où il y a un sentiment de... pas de complaisance, mais, oui, dans un sens, et c'est là où on a eu des débats sur : Bon, bien, c'est peut-être parce que l'accent est mis sur les proxénètes qui ont des mineures qui... donc, des mineures sont aux prises d'un proxénète. Alors, juste vos commentaires sur comment vous priorisez avec les ressources que vous avez.

M. Guertin (Sylvain) : C'est sûr que les travaux qu'on vous a exposés aujourd'hui sont relativement à l'équipe intégrée de lutte au proxénétisme, qui est une équipe regroupée qui prend les dossiers les plus complexes. Si on regarde au niveau des différents services de police au Québec, il y a des responsabilités à ce qu'on appelle le niveau de prostitution de rue, qui est de niveau 1, que tous les corps policiers ont dans leurs obligations de faire des enquêtes en matière de prostitution de rue qu'on appelle, et, les clients, il y a des possibilités de faire des arrestations au niveau des clients. Parce que dans chacune des juridictions il y a des priorités qui sont mises en renseignement, en prévention au niveau du travail auprès des personnes victimes qui s'adonnent à la prostitution, pour s'assurer de leur sécurité et autres puis aider celles qui ont manifesté un désir d'avoir un support au niveau des arrestations par rapport à... Les différentes organisations policières font des opérations clients, qu'on appelle. C'est sûr que l'emphase est mise présentement sur les victimes d'âge mineur qui, dans le fond... il y a une sollicitation de services sexuels par rapport à des victimes d'âge mineur.

Mme Weil : Et ce qu'on nous a dit, c'est que les opérations clients sont très intensives. Ça prend beaucoup de ressources. C'est complexe, c'est long. Donc, c'est un des commentaires qu'on a eus.

Juste une dernière question. J'en aurais beaucoup, mais il y a d'autres qui ont des questions.

Le Président (M. Lafrenière) : ...on a encore cinq questions d'enregistrées en 15 minutes.

Mme Weil : C'est sûr.

Le Président (M. Lafrenière) : On va essayer de faire des questions courtes.

Mme Weil : Oui, mais je suis toujours la dernière à poser des questions...

Le Président (M. Lafrenière) : Je le sais.

Mme Weil : ...alors j'en profite. L'éducation...

Le Président (M. Lafrenière) : Vous vous êtes enregistrée tôt aujourd'hui.

Mme Weil : Bien, c'est parce que je pense que je suis la dernière à lever la main. Donc, l'éducation, est-ce que vous avez des occasions, vous, d'aller... Est-ce que vous avez eu l'occasion d'aller dans des écoles et de parler de ces enjeux? Est-ce que vous avez des programmes déjà que vous avez commencés pour échanger avec les jeunes sur ces enjeux-là?

M. Guertin (Sylvain) : Au niveau de la... Vous parlez peut-être moins au niveau de l'EILP, mais, si on parle d'un niveau... Chaque organisation policière a un volet prévention, là, avec les différentes écoles. À titre d'exemple, la Sûreté du Québec, on a 80 policiers qui sont policiers intervenants en milieu scolaire, qui doivent, à leur quotidien, faire des activités de prévention avec les écoles, c'est du rapprochement avec les directions d'école, rencontrer les jeunes. Il y a différents thèmes qui sont abordés dans le cadre de ces rencontres-là. Ça fait que, oui, il y a des programmes qui existent. Chaque organisation policière, la prévention, c'est...

Mme Weil : Mais sur cet enjeu?

M. Guertin (Sylvain) : Sur cet enjeu entre autres, oui, c'est un des aspects, tout dépendant des problématiques qui sont vécues dans les villes ou les écoles où est-ce qu'on est.

Mme Weil : Vous trouvez que l'échange est bien? Vous êtes capables de rejoindre les jeunes?

M. Guertin (Sylvain) : Oui. Dans les écoles, oui.

Mme Weil : Bien, les rejoindre dans le sens de la compréhension de tout ça puis la sensibilisation.

M. Guertin (Sylvain) : Bien, c'est sûr que notre travail, avant tout, on est...

Mme Weil : Non, mais c'est un succès, là, dans le sens que vous réussissez à engager les jeunes? Parce que c'est une des recommandations fortes. Donc, c'est de s'assurer de bien connaître l'expérience, comment ça se vit, puis si les programmes ont besoin d'être renforcés, adaptés, quels sont les enjeux dans ces programmes, quelles sont les faiblesses, les forces. C'était vraiment dans ce sens-là.

Le Président (M. Lafrenière) : ...questions multiples.

Mme Weil : Bien, ça va. Je voulais juste expliquer parce que, oui, il y a des programmes, mais on veut faire des recommandations, donc vous avez peut-être un éclairage.

M. Guertin (Sylvain) : On est ouverts à regarder toutes les options. Si on s'inspire de ce qui fait de mieux ailleurs, on est prêt à regarder les différentes options puis de trouver les meilleures solutions, peu importe la ville ou la région du Québec qui pourrait bénéficier de ces programmes-là, bien entendu.

Mme Weil : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci. Bienvenue. À 15 enquêteurs, on réalise, avec vos commentaires, que, bon, vous ne nous le dites pas, là, parce que vous ne devez pas insécuriser le monde, mais vous n'avez pas assez de monde pour faire juste ce que vous avez mentionné aujourd'hui. Si vous faites juste des enquêtes, vous ne pourrez pas faire de formation, vous ne pourrez pas faire de prévention. Puis juste un dossier d'enquête, vous dites, vous avez 15 enquêteurs, juste un dossier d'enquête, c'est quatre enquêteurs, ça prend un temps de fou. Après ça, on s'en va en cour, on vous neutralise en dedans de six mois, puis on n'en parle plus.

Je comprends que vous avez un mandat de coordination, et ce que ma collègue de Notre-Dame-de-Grâce parle, au niveau des écoles, etc., puis ce que vous nous relatez aujourd'hui, dans un monde idéal, vous devriez être capables de coordonner une formation provinciale pour les patrouilleurs avec l'École nationale de police, vous devriez avoir des outils législatifs pour qu'il y ait un échange d'information pour qu'on ait une efficience plus grande sur le terrain. Je vous dirai... Et je vous admire, à Montréal, l'EILP est à Montréal, est coordonnée à Montréal, on est en milieu urbain, ils sont chanceux. Exactement comme on a dit aux gens de Québec hier, avec la cohérence, avec toute la cohésion qu'il y a des différents services à Québec ils sont chanceux, ils l'ont directement dans leur ville.

Le crime organisé va toujours profiter de la désorganisation du système ou le fait que le système n'est pas là. Dès que le crime organisé va s'en aller sur la Rive-Nord, bien là on s'en va en niveau 2. On a eu les gens de Sherbrooke qui sont venus nous dire hier : On aimerait bien ça, faire du proxénétisme, mais on est juste en niveau 2, il faut avoir un niveau 3. Donc, il faudrait faire traverser le chemin. On a eu un autre directeur de police, de Gatineau, qui est venu nous dire : J'en ai deux à l'EILP, c'est une préoccupation, c'est une priorité, mon monde, chez nous, nous disent que c'est les deux premières priorités qu'il devrait y avoir à Gatineau, mais je n'ai pas assez de volume pour avoir des enquêteurs dédiés. J'en ai deux à l'EILP, mais je n'en ai pas au niveau... localement, dans son service de police, puis il y a quand même 280 000 personnes à Gatineau.

Je vous entends quand vous me parlez des procureurs dédiés, je ne vous ai pas appelé, mais j'ai passé ces genres de commentaires là, là, dans les derniers jours, et je pense que c'est très, très, très important. Je veux dire, le message que vous nous donnez aujourd'hui, vous avez besoin d'aide pour être en mesure de pouvoir nous aider, puis je pense que vous nous sensibilisez à l'aide que vous avez besoin, et on a pris des très bonnes notes. Ce sera un commentaire, M. le Président.

Le Président (M. Lafrenière) : Commentaire enregistré.

M. Ouellette : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci, M. le Président. Alors, moi, j'ai quelques questions, mais je vais vous demander des courtes réponses parce que je pense qu'on a beaucoup de questions à vous poser. Tout d'abord, vous avez parlé de vos effectifs, mais, dans l'idéal, dans vos rêves les plus fous, ce serait... vous auriez besoin, là... puis compte tenu de ce qu'on vit présentement au Québec et de la situation au Québec, vous évaluez à combien d'effectifs pour être capables de faire votre travail correctement? Je parle d'effectifs policiers, puis on pourra peut-être, à un moment donné, parler des autres systèmes, mais, vos effectifs, ce serait combien, idéalement?

Mme Barabé (Brigitte) : Idéalement, nous, c'est trois pôles, comme j'ai mentionné tantôt, donc le pôle à Montréal, qui est déjà là, et un pôle à Québec.

Mme St-Pierre : Oui, mais, quand vous dites : Un pôle, ça ne me dit pas combien de personnes, ça.

Mme Barabé (Brigitte) : Il faut l'évaluer avec le nombre de dossiers aussi qui va arriver de toute la région est et de la région ouest. Donc, il faut faire un portrait provincial qui est en train d'être fait actuellement pour réellement évaluer le besoin, mais il faut minimalement quatre enquêteurs, comme monsieur disait tantôt, parce qu'en bas de quatre on n'est pas capables de faire les dossiers d'enquête. Donc, il faut un minimum de quatre dans chacune des équipes, mais il faut greffer un superviseur aussi parce que la supervision à distance ne fonctionne pas bien pour l'EILP, nous ne sommes pas en mesure de coacher les policiers adéquatement pour les former adéquatement pour les dossiers.

Mme St-Pierre : O.K. Est-ce que l'idée de pôles régionaux, ça nécessiterait des changements législatifs, oui ou non?

Mme Barabé (Brigitte) : Non.

• (15 h 40) •

Mme St-Pierre : Non? O.K. Maintenant, vous avez parlé des proxénètes, vous avez parlé des victimes, mais pas grand-chose sur les clients, puis moi, je suis un peu inquiète, là, de ce que j'entends depuis le début de la semaine, parce que je ne nie pas les efforts des forces policières au Québec, mais hier, là, Gatineau nous ont dit que, depuis 2016, ils ont eu 12 cas, ils ont eu 12 arrestations, puis ça comprenait des proxénètes, peut-être un ou deux clients. Je veux dire, ce n'est pas beaucoup pour le volume de l'activité dans ce domaine-là. Puis je ne blâme pas la police de Gatineau, là, c'est juste... Le client abuseur, j'ai l'impression qu'il nous écoute, puis il est mort de rire. Depuis une semaine, là, c'est le feeling que j'ai. Lui, il est chez eux, là, puis il regarde ça, là, puis il dit : Oh boy! C'est le fun, c'est vraiment mon terrain de jeu, là.

Mme Barabé (Brigitte) : Bien, tel que mentionné plus tôt par mon collègue, le mandat de l'EILP ne vise pas directement les opérations clients, on assiste vraiment les autres services de police pour pouvoir les coacher pour qu'ils puissent effectuer les opérations clients de façon efficace. Plus tard, au nom du SPVM, je pourrai vous expliquer ce qui est fait au SPVM pour vous expliquer que les clients, oui, on s'y attarde.

Mme St-Pierre : O.K. On compte sur vous.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Oui. Merci, M. le Président. Merci d'être, là, c'est très apprécié. Je veux rouler un peu sur cette question-là des opérations clients. Il semblait... Si je me rappelle bien les prédécesseurs qui sont passés avant vous, le Service de police de Laval, si je ne me trompe pas, avait l'air un peu critique de ces genres d'opérations là en disant... pas critique sur la pertinence, mais comme solution, en disant que, si on en fait trop, ça va se savoir dans le milieu, puis ils vont juste aller ailleurs, puis que ça ne serait pas une solution à mettre systématique. Parce que souvent, dans la commission, on cherche à casser la demande, vous avez peut-être entendu les témoignages précédemment, puis, évidemment, spontanément, on pense à ça. Pourquoi on ne systématise pas plus les opérations clients? Est-ce qu'il y a un danger de faire ça, que, dans le fond, ça s'adapte puis qu'on fasse ça dans le vide?

M. Guertin (Sylvain) : C'est sûr que, si les organisations policières, de façon concertée dans différentes villes du Québec, procèdent à des opérations qui visent des clients qui demandent les services rémunérés de jeunes victimes mineures, j'espère que ça va réduire l'attrait puis j'espère que ça va changer un comportement. C'est le but visé par ces opérations-là, puis, en les publicisant, si ça peut en décourager plusieurs, je pense que notre rôle est atteint également.

Il n'y a pas de profil type de client abuseur, là. Les opérations qu'on a faites dernièrement, les dernières opérations, ce n'est pas des personnes avec des dossiers judiciaires, là, ce n'est pas des personnes qui ont des profils particuliers. On a eu des personnes qui travaillaient pour les services des incendies, on a eu des présidents de compagnie, on a eu tous les types de profils qui se sont rendus solliciter ces services-là. De publiciser ces opérations-là à Montréal, après ça aller à Québec, Sherbrooke, à Drummondville, revenir à Laval, c'est juste bon, ça va juste faire peur à plus de monde. Ce qu'il ne faut pas, par exemple, c'est de voir nos jeunes filles exportées dans d'autres provinces canadiennes qui seraient, d'un point de vue législatif, moins efficaces ou moins coordonnées avec nous. Ça prend une intervention qui est concertée avec les différentes organisations pour s'assurer de protéger ces jeunes victimes là, d'où la... L'opération client, c'est travailler la demande, mais il faut travailler aussi en prévention pour éviter que ces jeunes filles là se retrouvent dans ces réseaux de prostitution là.

M. Leduc : Là, vous me dites, si je comprends bien votre propos : Il y a peut-être un danger qu'en effet ça s'adapte et ça se refasse ailleurs, mais il y a quand même un avantage : que ça fasse peur. Et, si je comprends, c'est que l'avantage serait quand même plus grand que le danger?

M. Guertin (Sylvain) : Ça serait à évaluer avec... tout dépendant comment le milieu va s'adapter. C'est sûr qu'on a évalué les dossiers, on a fait le recensement de tous les dossiers depuis janvier 2018 pour essayer de dresser les profils de victimes, pour essayer de s'attarder à des caractéristiques qui sont spécifiques. Il y a beaucoup d'analystes qui ont travaillé dans les derniers mois, là, depuis l'été, à essayer d'isoler des caractéristiques de vulnérabilité, de façons de procéder, de mouvances à travers les réseaux de proxénètes sur comment ils vont déplacer les jeunes filles, lesquelles vont quitter la province. Il y a 333 dossiers qui ont été analysés par plusieurs analystes qui ont travaillé d'arrache-pied à trouver ces caractéristiques-là, puis ça nous permet de prendre des meilleures décisions sur comment être plus efficaces aussi pour prendre des actions policières qui sont concertées à la grandeur de la province en fonction des profils de victime. Parce que, comme je disais tantôt, ce n'est pas une problématique urbaine, là, qui est à Montréal. L'EILP a déposé 73 % de ses arrestations à l'extérieur de l'île de Montréal. En fait, c'est un problème qui touche différentes régions, puis il faut être efficace partout égal avec des personnes formées et qui travaillent de façon uniforme. Parce que les réseaux, eux, ils vont prospérer, ils vont changer de région, ils vont s'adapter, puis, si nous, on ne se coordonne pas, bien, on n'est pas efficaces.

M. Leduc : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Député de Viau, pour conclure.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Votre réputation vous précède. Donc, plusieurs groupes nous ont parlé, depuis que l'escouade existe, du travail extraordinaire qui se fait. À la lumière des recommandations — vous en avez 17 — je veux partager avec vous une petite, une toute petite déception que j'ai eue, notamment quand je me réfère à la page 11 de votre mémoire, où vous abordez notamment la question de la sous-représentation des personnes, des victimes autochtones au niveau de l'exploitation sexuelle. Et il y a deux documents, il y a l'enquête nationale, il y a ce dernier rapport qui en fait partie, mais j'aurais pensé voir, parmi les 17 recommandations, au moins une recommandation sur cet enjeu-là, et je n'y vois rien. Alors, je me vois dans l'obligation de vous demander quelles sont vos actions sur cet enjeu spécifique considérant la sous-représentation des personnes autochtones.

Mme Barabé (Brigitte) : Une partie de la réponse, c'est Les Survivantes du SPVM, qui ont développé un outil cette année, un livre, en fait, qui a été publié et qui sert d'outil pédagogique pour former les différents intervenants du milieu. Cette année, Les Survivantes se sont déplacées à Québec, se sont déplacées dans le Grand Nord pour rencontrer des intervenantes, leur expliquer le phénomène, sensibiliser les gens et faire de la prévention, par exemple, pour les femmes autochtones qui doivent se déplacer à Montréal pour une opération, par exemple. Les intervenantes vont les mettre aux aguets de ce qui les attend à Montréal parce qu'elles arrivent sans ressources, sans points de repère. Donc, les intervenantes sont en mesure d'expliquer aux femmes autochtones qu'est-ce qui va se passer quand elles vont arriver à Montréal, où aller, où aller chercher de l'aide pour ne pas tomber dans le piège du proxénétisme. Ça, c'est une partie de la réponse.

M. Guertin (Sylvain) : J'aimerais peut-être juste porter à votre attention la recommandation n° 10 également du mémoire : «Soutenir la mise en place d'initiatives adaptées aux besoins des victimes d'exploitations sexuelles issues de groupes vulnérables.» Peut-être que ce n'était pas assez clair dans leurs recommandations, mais c'est ce qu'on entend aussi par différents groupes vulnérables. Malheureusement, dans les dossiers qu'on a analysés, les enquêtes qu'on a faites dans les 333 dossiers que je parlais tantôt, les victimes des premières nations inuites sont sous-représentées, hein, c'est un 2 %, là. Il y a peut-être encore une méfiance qui existe au niveau des femmes des Premières Nations par rapport aux organisations policières, puis il faut travailler à amoindrir, à défaire ces barrières-là pour aller les rejoindre puis travailler avec les organismes qui ont la confiance de ces femmes-là pour qu'elles soient enclines à venir porter plainte puis à venir dévoiler ce qui leur a été fait. Et, si c'est sous l'emprise d'un proxénète, bien, il faut le travailler dans ce cadre-là, ou, si c'est d'un point de vue prostitution locale, c'est de le travailler aussi avec les autorités de façon plus locale. Mais effectivement c'est un enjeu qui est très préoccupant dans les statistiques qu'on a vues, la sous-représentation des personnes issues des premières nations inuites, c'est une problématique.

M. Benjamin : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Je vous remercie pour votre contribution aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre aux prochains invités de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 48)

(Reprise à 15 h 51)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue au Service de police de la ville de Montréal. Je pense qu'il connaît très bien la commission. Alors, je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour votre exposé. Je vais vous demander de vous présenter, faire votre exposé, et, par la suite, on aura 25 minutes d'échange ensemble. Bienvenue. Et merci d'être là.

Service de police de la ville de Montréal (SPVM)

Mme Barabé (Brigitte) : Alors, bonjour. Mon nom est Brigitte Barabé, je suis inspecteur au Service de police de la ville de Montréal, sous la Direction des enquêtes criminelles. Et je suis accompagnée de Frédéric Martineau, lieutenant-détective à la section exploitation sexuelle, lutte au proxénétisme du SPVM, bien entendu.

Au SPVM, les débuts de nos interventions en matière d'exploitation sexuelle datant de plus de 20 ans et amenant un changement de paradigme par rapport à la prostitution ont été entrepris par l'unité de la moralité dans l'ouest de notre territoire. Depuis, le SPVM a développé de nombreuses stratégies qui font de lui aujourd'hui un chef de file en matière de gestion de la problématique de l'exploitation sexuelle. Je vous propose de revisiter brièvement quelques jalons des actions qui ont contribué au développement de notre expertise. Nous en viendrons par la suite à vous proposer nos recommandations, illustrées par des exemples concrets et contemporains révélant le travail qui a été effectué au quotidien par les policiers du SPVM pour contrer l'exploitation sexuelle.

À l'aube des années 2000 à Montréal, certaines interventions et enquêtes de moralité menées par le SPVM se font de plus en plus proactives. On commence à viser les suspects et les organisations qui exploitent les personnes prostituées, plutôt que de viser ces dernières, comme cela se faisait jusqu'alors. Apparaissent les premières condamnations d'une criminalité organisée en matière d'exploitation sexuelle. À la même période, la région sud, couvrant le centre-ville de Montréal, fait face à une problématique de jeunes fugueuses se retrouvant dans le milieu de la prostitution. Une première unité d'exploitation sexuelle des juvéniles est mise sur pied en 2002, et le travail, en collaboration avec les unités spécialisées du SPVM, mène à la condamnation d'un agent de la STM qui ciblait les fugueuses et les mineurs qui fréquentaient le métro. Y succède également le Projet Orion, pour lequel des membres de gangs de rue écopent de peines allant jusqu'à sept ans et demi de prison, en lien avec l'exploitation sexuelle des victimes mineures.

Des situations problématiques liées à des fugues et des projets d'enquêtes ciblées appellent la formation d'une équipe d'enquêteurs s'attaquant directement à la prostitution juvénile. Des initiatives de sensibilisation auprès des patrouilleurs et des enquêteurs voient le jour, ce qui permet de démystifier l'exploitation sexuelle. Progressivement, les tabous tombent, et le point de vue des victimes à l'égard de la police commence à changer. Les personnes victimes d'exploitation sexuelle comprennent que les policiers les appuient dans leur parcours de sortie de l'exploitation. Elles leur font davantage confiance. Une augmentation graduelle du nombre de plaintes est alors observée. S'ensuit une décennie au cours de laquelle les dossiers d'exploitation sexuelle des mineurs et des adultes sont traités par les enquêteurs au sein de différentes unités du service. Un programme de sensibilisation à la traite de personnes pour les policiers et acteurs du milieu judiciaire partout au Canada voit le jour. En parallèle, l'intervention du SPVM en matière de pornographie juvénile et de cyberenquête se développe.

En 2010 est créé le programme Les Survivantes, qui vous sera présenté en début 2020 lors de votre passage à Montréal, pour lequel des milliers de policiers et d'intervenants ont été sensibilisés à la dure réalité du milieu de la prostitution. Ce programme a également contribué à supporter des centaines de victimes pour qui la judiciarisation n'était pas une voie qu'elles souhaitaient emprunter. C'est en 2015 que le SPVM prend la décision de centraliser toutes les enquêtes de proxénétisme dans une unité corporative qui regroupe 13 enquêteurs et les agentes du programme Les Survivantes. Comme nous l'avons vu tout à l'heure, le SPVM participe pleinement à l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme, constituée en 2017, et en assure le commandement. À l'aube de 2020, nous avons l'opportunité, grâce à la présente commission, d'optimiser nos façons de faire afin de s'attaquer à l'exploitation sexuelle de façon concertée et uniformisée au plan provincial.

Nous vous avons proposé 15 recommandations. Nous allons maintenant vous expliquer la pertinence de chacune d'entre elles.

M. Martineau (Frédéric) : Notre première recommandation vise à développer et soutenir une expertise de pointe en matière d'utilisation des réseaux sociaux chez les corps policiers par l'acquisition et le maintien des compétences chez les enquêteurs et la présence de personnel spécialisé en soutien technologique.

Notre expérience pointe sur le fait que les enquêteurs sont sollicités pour extraire des données des appareils intelligents et en faire l'analyse, et préparer la divulgation. Toutes ces étapes demandent du temps qui n'est pas consacré à l'enquête. Par exemple, l'analyse des données rattachées à un appareil cellulaire peut facilement doubler le temps d'enquête. De plus, la multitude de logiciels et de plateforme est en évolution constante et demande d'être à la fine pointe des avancées technologiques.

L'acquisition d'outils et de logiciels représente un coût très élevé, ce qui peut avoir pour effet de limiter le pouvoir d'action en enquête lorsque le financement n'est pas disponible. La formation des enquêteurs, sur le plan des technologies, est une avenue intéressante, mais ces derniers ne sont pas des spécialistes, et les technologies évoluent tellement rapidement qu'ils auraient besoin d'être constamment mis à niveau au plan des connaissances en cette matière, comparativement à des spécialistes.

En deuxième lieu, nous souhaitons attirer votre attention sur l'importance de développer un protocole pour l'application efficiente des différentes lois de protection de la jeunesse des provinces canadiennes afin de lutter efficacement contre le déplacement des jeunes exploités sexuellement. Il arrive que l'application des lois en matière de protection de la jeunesse diffère entre les provinces. Le Québec compte une direction de la protection de la jeunesse, ce qui existe sous une forme différente chez nos voisins et qui peut amener une disparité dans l'application de la loi. Ces différences soulèvent l'importance pour les policiers de bien connaître les différentes lois en application ici et ailleurs au Canada. Mme Negri-Corbeil, de la DPJ, a également souligné cet aspect lors de sa présentation devant vous, lundi dernier.

Cette réalité est observée concrètement dans le cadre de nos dossiers d'enquête. Bien que la loi ait changé en Ontario depuis, voici un exemple tiré d'un cas réel pouvant illustrer ces différences. Une jeune de 16 ans a été portée disparue au Québec. Elle est localisée peu après en Ontario. Lorsque les policiers vont la voir, le proxénète est absent. Les policiers sont confrontés au fait que la jeune leur exprime que tout va bien. Ils n'interviennent pas, n'ayant pas les pouvoirs de retirer du milieu une personne se disant en sécurité. Au retour du proxénète, ce dernier prend peur lorsque la jeune lui dit avoir reçu la visite des policiers et il l'abandonne un peu plus tard à la gare d'autobus.

Mme Barabé (Brigitte) : Nous croyons opportun de créer la fonction de procureur coordonnateur au sein du milieu judiciaire afin de permettre un meilleur arrimage lors du dépôt d'accusations dans les dossiers pour lesquels plus d'une juridiction est impliquée. Il n'est pas rare que le dossier d'enquête mené par l'équipe proxénétisme à Montréal implique une autre juridiction.

Montréal bénéficie de la présence d'un procureur dédié, ce qui facilite grandement le dépôt d'accusations dans les dossiers. Malgré cet avantage, il demeure qu'un procureur coordonnateur serait en mesure d'observer ce qui a cours ailleurs et de s'assurer que des peines équivalentes entre les différentes juridictions soient prononcées. Cela viendrait uniformiser le message selon lequel l'exploitation sexuelle des mineurs est inacceptable et sanctionnée.

Nous constatons une augmentation dans le nombre de dossiers d'exploitation sexuelle. Le procureur coordonnateur pourrait également jouer un rôle dans l'identification de mesures visant à ajuster la réponse du milieu judiciaire en conséquence. De plus, une telle coordination éviterait à une même victime de se déplacer dans cinq juridictions différentes pour témoigner contre le même proxénète.

Il nous apparaît important, en quatrième lieu, de développer, avec le soutien de l'Union des municipalités du Québec, une stratégie provinciale visant à uniformiser la réglementation municipale touchant les lieux d'exploitation sexuelle au Québec. La réglementation municipale varie d'un arrondissement à l'autre sur l'île de Montréal. C'est la même chose ailleurs au Québec entre les différentes municipalités.

Lorsqu'une réglementation restreint les paramètres entourant les lieux où il peut y avoir de l'exploitation sexuelle, tels les salons de massage, il devient plus difficile pour ces entreprises d'avoir pignon sur rue. Cependant, nous avons constaté que ce resserrement de la réglementation amène les abuseurs à déplacer les personnes qu'ils exploitent. Il est donc important d'être prudent face aux changements de réglementation. Les municipalités devront travailler étroitement avec différents organismes et les organisations policières pour en venir à déterminer quels changements apporter à leur réglementation afin d'éviter un déplacement de la problématique vers une autre ville.

Afin de compléter le volet de réglementation, nous vous suggérons de réviser la réglementation touchant les lieux de location et de réservation de logements de particuliers au Québec afin d'encadrer les activités pouvant y avoir cours. L'apparition de plateformes permettant la location de logements par les particuliers, telle Airbnb, vient ajouter à la liste des lieux où peuvent se produire les activités d'exploitation sexuelle. Une réflexion concertée et des travaux visant l'adoption de mesures prévenant ce type d'activités pourraient être envisagés auprès des responsables de cesdites plateformes dans l'optique de resserrer la réglementation et mieux encadrer l'utilisation de leurs services.

• (16 heures) •

M. Martineau (Frédéric) : Pour avoir un impact sur cette forme de criminalité, il faudrait instaurer une table de réflexion impliquant les différents acteurs concernés afin de procéder à la révision de diverses lois encadrant le traitement des produits de la criminalité et des biens infractionnels de manière à inclure l'exploitation sexuelle.

L'exploitation sexuelle des personnes génère des profits faramineux pour ceux qui s'y adonnent. Une étude exploratoire menée il y a quelques années avait permis de constater, dans une estimation conservatrice de l'ampleur des profits réalisés par les proxénètes, qu'une seule personne exploitée pouvait facilement rapporter 100 000 $ par année. Cette exploitation est d'autant facilitée par le fait que ce qui est vendu est moins facilement retraçable que pour d'autres crimes, comme les crimes liés aux drogues. La marchandise qui a été échangée se révèle être une personne ainsi que les services sexuels qu'elle peut offrir.

Dans la même optique de traiter l'exploitation sous l'angle de l'économie de marché, nous proposons de développer une stratégie d'action concertée, entre les corps policiers québécois, visant à contrer le marché criminel de l'exploitation sexuelle des mineurs. Le modèle d'action concertée pour contrer les économies souterraines en matière de tabac, d'alcool et de cannabis constitue certainement une voie à suivre dans l'élaboration d'une équipe d'enquête intégrée. Ce changement de centre d'intérêt permettrait une action unifiée des corps policiers et une attaque directe aux profits que génère le marché de l'exploitation. Cette stratégie permettrait de s'attaquer à la problématique sous un angle différent en incluant une action visant les lieux et les entreprises d'exploitation sexuelle. Cette façon de faire, qui serait innovante pour contrer l'exploitation sexuelle, permettrait de s'attaquer à la source même du problème, l'attrait monétaire pour les proxénètes.

En matière de prévention, nous croyons à la pertinence de financer et de promouvoir les initiatives et les programmes de prévention existants, dont le programme Les Survivantes, l'ECAT, ainsi que d'encourager leur déploiement dans les organisations policières à travers la province. Comme d'autres organisations, le SPVM fait face à un renouvellement de ses troupes. Cette réalité amène la nécessité de former en continu les policiers afin qu'ils soient bien au fait de l'exploitation sexuelle et ainsi affaiblir certaines idées préconçues envers les personnes exploitées.

De manière générale, les ateliers de sensibilisation nous permettent de rejoindre autrement qu'uniquement par l'intervention policière les victimes d'exploitation sexuelle. Par exemple, la sensibilisation des étudiants et des intervenants en santé, par le biais des ateliers des Survivantes, fait clairement une différence dans le dépistage de situations d'exploitation. Il demeure que le SPVM fait face à une certaine limite dans sa capacité de multiplier ses ateliers, qui sont en grande demande.

La sensibilisation par le programme Les Survivantes contribue à déstigmatiser les personnes victimes d'exploitation sexuelle. Le modèle des Survivantes s'applique sur tout le territoire de la ville de Montréal mais pourrait être élargi dans les couronnes nord et sud. Laval a son programme en fonction, et ce programme pourrait être proposé à l'intérieur de l'EILP, comme nous vous l'avons mentionné plus tôt.

D'autres initiatives efficaces adoptées par les corps policiers méritent d'être étudiées et reproduites, puisqu'elles permettent de couvrir d'autres volets liés à l'exploitation sexuelle et de rejoindre les personnes touchées. Le recensement de toutes les initiatives de prévention serait un bon point de départ pour nous aider à identifier celles à propager.

Mme Barabé (Brigitte) : Nous proposons de financer les initiatives visant l'intervention et la prévention auprès des personnes issues des minorités culturelles et des personnes appartenant au groupe LGBTQ+, tout en maintenant l'offre de services actuelle en matière de prévention et d'intervention en exploitation sexuelle.

À Montréal, nous observons que les proxénètes et les clients, en plus de profiter du jeune âge de leurs victimes, exploitent aussi les carences amoureuses, les situations familiales difficiles, les personnes qui sont en situation de fugue ou encore les personnes qui appartiennent à une minorité culturelle ou les personnes appartenant au groupe LGBTQ+.

Le SPVM s'est intéressé particulièrement à l'exploitation sexuelle des personnes issues des communautés autochtones. Un comité de travail et de prévention en matière d'exploitation sexuelle pour les personnes autochtones en centres urbains a vu le jour à Montréal. En plus d'y participer, les agentes du programme Les Survivantes ont intégré un volet autochtone au programme, qui compte maintenant trois survivants, survivantes autochtones. Un livre relatant les témoignages de plusieurs personnes issues des communautés autochtones, Mon ami... mon agresseur, est paru au printemps 2019.

Dans une logique de rejoindre les autres groupes, nous croyons nécessaire de développer des outils et de les intégrer à la formation afin de leur offrir un soutien et un accompagnement adaptés à leur situation d'exploitation. Le SPVM souhaite intervenir auprès de ces nouvelles clientèles mais rencontre une limite de capacité entre la perspective de développer des services pour ces groupes et maintenir le suivi et les services offerts jusqu'ici.

Il faut protéger adéquatement les victimes, étudier différents moyens visant à assurer la sécurité tout au long du processus les menant à quitter leur situation d'exploitation sexuelle. D'après notre expérience, dans près d'un dossier sur deux, les victimes reçoivent des menaces ou font l'objet de pressions de la part de l'accusé, et ce, dès qu'elles portent plainte. Les victimes et leurs familles vivent énormément d'insécurité. Il est dès lors nécessaire de trouver divers moyens afin de diminuer ce sentiment d'insécurité.

À l'heure actuelle, le sentiment de sécurité des victimes repose sur les épaules des enquêteurs qui accompagnent les victimes tout au long du processus judiciaire. Il serait judicieux de réfléchir à d'autres moyens de contribuer à renforcer le sentiment de sécurité des victimes par le relais d'autres intervenants à même de poursuivre l'accompagnement vers la sortie du milieu de l'exploitation.

En complément, il faut offrir des services d'hébergement tenant compte des besoins multiples des victimes d'exploitation sexuelle. Par ailleurs, les personnes exploitées sexuellement font parfois face à plus d'une difficulté. Il existe peu de ressources en hébergement pour recevoir ces personnes, et elles ne sont pas toujours adaptées pour accueillir celles qui sont aux prises avec des problèmes graves de dépendance ou de santé mentale.

La recommandation 12 propose de réviser la liste des actes criminels reconnus par l'IVAC pour y ajouter l'exploitation sexuelle. Le programme d'Indemnisation des victimes d'actes criminels ne considère pas les victimes d'exploitation sexuelle. Pourtant, il s'agit d'un crime qui a des répercussions très graves dans la vie des personnes. Les victimes invoquent les crimes dérivant de l'exploitation, comme les voies de fait ou les agressions sexuelles, pour pouvoir correspondre aux critères d'admissibilité de la loi. Qu'il s'agisse d'un besoin de soutien psychologique ou de soins de santé résultant de l'abus, les services couverts par ces crimes dérivés de l'exploitation ne sont pas proportionnels à la gravité de la victimisation subie, puisque l'évaluation de la situation ne tient pas compte de la situation dans son ensemble.

Trop souvent, les lacunes du système d'indemnisation conduisent à une seconde victimisation pour les personnes exploitées sexuellement. Nous vous proposons de créer une campagne de sensibilisation du grand public aux impacts de l'exploitation sexuelle sur les personnes qui en sont victimes, particulièrement les mineurs.

Force est de constater, d'après le nombre élevé de dossiers traités au cours des dernières années, que l'achat de services sexuels ne diminue pas. Les opérations visant les clients de jeunes mineurs exploités sexuellement sont orchestrées par le SPVM. Outre les opérations clients, les victimes transmettent parfois des informations concernant ces derniers lorsqu'elles portent plainte au SPVM, ce qui conduit à porter des accusations envers ces clients abuseurs.

Nous sommes d'avis qu'une intervention visant les clients doit s'accompagner d'une campagne de sensibilisation et de prévention rappelant les conséquences découlant de l'achat de services sexuels de mineurs afin qu'elle ait un impact étendu et complet. Une campagne provinciale de sensibilisation-choc, visant le grand public et mettant à l'avant-scène les impacts de l'exploitation sexuelle, pourrait permettre de lever la banalisation qui prévaut à l'égard de la consommation des services sexuels. Cette campagne pourrait à la fois comprendre des messages à l'égard de la pornographie juvénile comme étant une autre forme d'exploitation des mineurs.

M. Martineau (Frédéric) : En avant-dernière recommandation, nous vous proposons de faire tomber les barrières bureaucratiques entre les différents acteurs concernés par l'exploitation sexuelle des mineurs pour une meilleure collaboration et un meilleur arrimage.

Au plan des services auprès des victimes, il est central de s'assurer que les ministères et organismes, tout comme les corps de police, puissent assurer une offre de service pertinente pour répondre aux multiples besoins des victimes : le ministère du Revenu, de la Santé, de l'Éducation, Travail, Emploi et Solidarité sociale, etc., afin de contrer les obstacles que ces dernières rencontrent. Il s'agit là d'une prémisse de base pour assurer un travail efficace pour contrer la problématique de l'exploitation sexuelle qui touche la société tout entière.

Finalement, nous proposons de former les policiers sur les pouvoirs et devoirs liés à la protection de la jeunesse par le biais de l'ENPQ. La Loi de la protection de la jeunesse est méconnue. Nous observons dans nos dossiers que certaines situations de compromission auraient dû mener à un signalement ou à une intervention différente, mais, faute d'une maîtrise des pouvoirs et devoirs qu'octroie la loi ou une détection appropriée, ces actions n'ont pas été portées. Dans de tels cas, la sécurité de la personne mineure n'est pas assurée, et le cercle de la violence dans lequel elle se trouve s'amplifie.

• (16 h 10) •

Mme Barabé (Brigitte) : En conclusion, l'exploitation sexuelle des mineurs est un crime contre la personne, qui a de lourdes conséquences pour les victimes et leurs proches. Montréal, métropole du Québec, est particulièrement touchée par l'exploitation sexuelle. Cette exploitation doit cesser afin de permettre que les jeunes puissent vivre une vie exempte de situations d'abus et de violence et devenir les adultes de demain, nos adultes de demain qui assureront la relève de notre belle province.

Le SPVM tient à remercier les membres de la commission pour leur écoute et leur ouverture et souhaite avoir été en mesure de répondre aux questionnements de la commission face aux actions à prendre en termes de prévention, de sensibilisation, d'éducation, de dépistage et d'interventions en matière d'exploitation sexuelle des mineurs.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Encore une fois, vous arrivez pile dans les temps. Alors, je vous remercie pour votre exposé. On va maintenant commencer la période d'échange avec les membres de la commission. Je vais lancer le débat avec deux petites questions rapides pour vous.

On a reçu vos collègues de la police d'Edmonton, cette semaine, qui nous ont parlé de deux éléments intéressants. J'aimerais vous entendre là-dessus. Premièrement, au niveau de la réglementation municipale, eux, dans leur cas, dans la ville d'Edmonton et Calgary, il y a une réglementation municipale qui existe, où les gens de l'industrie, que ce soient les centres de massage, même les escortes, ont une réglementation municipale qui leur oblige à avoir un permis, ce qui donne un outil de plus aux policiers pour identifier les victimes qui seraient mineures sur place. Ça, c'est un.

Deuxième élément aussi, qui est fait du côté de l'Alberta, c'est ce qu'on appelle le «john school», donc, c'est de l'éducation qui se fait aux gens qui se font prendre dans des opérations clients. Et, dans ce cas-là, on parle de taux de non-récidive de plus de 80 %. Tantôt, vous avez parlé d'un enjeu avec le DPCP, donc la lourdeur des dossiers, tout ça. Est-ce que c'est une approche qui pourrait être possible ici, au Québec, à Montréal? Et pourquoi? S'il vous plaît.

Mme Barabé (Brigitte) : Toutes les avenues sont possibles en fait. Ce qui serait important, c'est de faire vraiment une évaluation de tous les programmes qui existent, autant au niveau prévention, intervention, pour avoir un portrait complet de tout, tout, tout ce qui a été développé et non pas juste au Québec, mais réellement à la grandeur du Canada et même à travers le monde, pour ensuite pouvoir prendre des décisions éclairées sur les besoins spécifiques que nos victimes ont, sur le portrait qu'on est en train de développer, sur les clients abuseurs, sur les proxénètes, pour enfin faire une intervention qui va être de plus en plus ciblée.

Donc, le «john school» est une bonne alternative, effectivement, mais c'est une 360 qu'il faut faire pour attaquer l'exploitation sexuelle. Si on s'attaque juste avec le «john school», si on s'attaque juste avec des opérations clients, on ne fera pas un tour en 360, ce qui va faire en sorte qu'on va manquer à certains égards, et c'est là que le phénomène de déplacement s'ensuit.

Le Président (M. Lafrenière) : Pour ce qui est de la réglementation municipale, est-ce que c'est une réalité que vous connaissez?

Mme Barabé (Brigitte) : Oui, c'est une réalité qu'on connaît. Il faut travailler avec les municipalités, comme on vous a mentionné tantôt, un, peut-être pour le rendre plus provincial aussi. Parce que la difficulté qu'on a, c'est qu'il y a des différences entre les municipalités. À même Montréal, on le vit avec les arrondissements, ce qui complexifie énormément le travail des policiers parce que, juste quand le policier change d'une place à l'autre, il doit se réadapter aux réglementations municipales. Alors, ça, il faut qu'il y ait un arrimage qui soit fait pour faciliter les interventions effectivement.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Merci. J'ai deux petites questions; les règlements municipaux, ça faisait partie d'une. Si vous réussissez, à vous, d'harmoniser les arrondissements, je pense que ça va être facile d'harmoniser la province après.

Le financement, la ville de Montréal. C'est uniquement la ville de Montréal, dans votre escouade, votre équipe, qui finance les activités, à même le budget de la ville de Montréal, là. Il n'y a pas rien qui vient de l'extérieur, soit par projets ou ailleurs, qui est financé, exemple, par Sécurité publique Canada ou d'autres organismes. Parce que vous parliez de sous-financement tantôt, vous avez besoin de monde.

On met énormément d'argent, exemple, en cybercriminalité. On en a rajouté 11 millions, là, tout dernièrement. C'est-u parce qu'il n'est pas à la bonne place? Ou c'est-u parce qu'il y a bien des besoins? Parce que je vous entends qu'il y a une base, là. Donc, à Montréal, le financement, est-ce que c'est juste la ville ou c'est le budget de la ville, vous êtes à même le budget de la ville?

Mme Barabé (Brigitte) : On est à même le budget de la ville, mais nous avons l'opportunité de faire des demandes de subvention. Par exemple, pour le projet Les Survivantes, avec notre livre qu'on a publié cette année, le MSP est à même de nous donner une subvention annuelle pour nous permettre de continuer à développer cet outil-là et d'en développer de nouveaux. Alors, la subvention va nous permettre d'embaucher une ressource supplémentaire qui va pouvoir aider l'équipe en place qui contient actuellement trois agentes.

M. Ouellette : Donc, c'est de l'argent québécois.

Mme Barabé (Brigitte) : C'est de l'argent québécois.

M. Ouellette : O.K. Deuxième question. Vous avez parlé des produits de la criminalité. C'est très important, parce qu'il y a un programme de partage des produits de la criminalité qui est administré par le MSP et pour lequel à chaque année, selon les demandes de projet, il y a des... je ne dirais pas des subventions, mais il y a de l'aide qui nous arrive là. C-75, parce que Mme Mourani nous en a parlé hier, qui est l'ancien projet de loi qu'elle a déposé, 452, depuis le mois de juin, il y a un renversement de fardeau sur les produits. C'est-u quelque chose qui va vous aider ou ça vous prend plus que ça?

M. Martineau (Frédéric) : Je n'ai pas la connaissance au niveau... En exploitation sexuelle, on peut poser des questions; au niveau des produits de la criminalité, je n'ai pas cette expertise-là. Ce que je peux vous dire, par exemple, c'est que, oui, il y a une avenue intéressante au niveau des produits, des produits de la criminalité, les biens fractionnels. Il y a déjà des lois provinciales à ce niveau-là.

Ça fait que là on parle, oui, du C-75, mais même au niveau des lois provinciales... Pour les citer, je me suis pris des notes, je vais vous les lire : la Loi d'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur la confiscation, l'administration et l'affectation des produits et des instruments des activités illégales, il y a la Loi sur le ministère du Revenu. La Loi sur le ministère du Revenu, c'est tout des avenues intéressantes, c'est des lois provinciales. Oui, on peut parler des lois... du Code criminel. On a l'article 462.37, qui parle de la confiscation des produits de la criminalité. L'article de la traite de personnes est prévu à cet article-là, mais tous les articles de proxénétisme ne sont pas prévus. Ça fait que c'est peut-être des demandes, il y a peut-être, là aussi, quelque chose qu'on peut faire.

M. Ouellette : Il y a un arrimage...

M. Martineau (Frédéric) : Il y a un arrimage, il y a une réflexion à avoir à ce niveau-là.

M. Ouellette : O.K.

Le Président (M. Lafrenière) : Député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Bonjour, bienvenue. Je dois vous dire, j'ai pris quelques secondes, pendant que vous parliez, puis j'ai fait un petit test sur Google pour voir comment c'était facile, puis, ma collègue peut en témoigner, ça a pris 30 secondes pour trouver des annonces.

Je me demande, côté capacité sur l'Internet, est-ce que vous êtes équipés? Est-ce que vous avez... Est-ce que vous savez... Parce qu'on parlait, tantôt... On avait reçu hier des gens qui parlaient de littéracie technologique. Je me demande : Est-ce qu'on est illettrés, technologiquement, pour justement affronter le volume assez fou, là, sur l'Internet? Est-ce qu'on est capables? Est-ce qu'on a la capacité? Est-ce que le recrutement est à la hauteur? Est-ce que c'est difficile de trouver du personnel? Est-ce qu'on est vraiment sur le bon champ de bataille?

Mme Barabé (Brigitte) : ...est limité, effectivement, parce que l'évolution technologique est très, très, très rapide, et les services de police ne suivent pas nécessairement à la vitesse des changements technologiques. On essaie beaucoup, la Sûreté du Québec est réellement dotée d'une équipe de cyber qui est très, très, très efficace, mais c'est exponentiel. Donc, il faut développer cette avenue-là.

C'est pour ça qu'on en parle dans les recommandations. Une équipe qui est dédiée spécifiquement à ça ne perdra pas de temps à chercher, alors qu'un enquêteur qui est moins spécialisé va prendre beaucoup plus de temps à faire des démarches pour trouver les informations qu'il a besoin. Donc, une équipe dédiée à ça devient beaucoup plus efficace, mais le travail est exponentiel.

M. Skeete : Puis j'imagine qu'il faut se sortir un petit peu du modèle traditionnel d'un policier, là. Puis je ne dis pas que j'ai la solution, mais, tu sais, c'est-u des civils qui vont faire ça? Tu sais, je me demande comment qu'on pourrait s'arranger pour occuper ce terrain-là. Parce qu'on dirait que les forces policières ont été créées pour être là, là, tu sais, sur le terrain, mais là on n'est plus du tout dans ça, là. Là, on est... Kim, à Montréal, cherche quelqu'un puis ça, un téléphone puis c'est réglé, là. Ça fait que je me demande : Est-ce que vous avez commencé à penser comment mieux adapter vos façons de travailler pour y aller?

M. Martineau (Frédéric) : Oui. Je me permets juste de rappeler, une enquête en proxénétisme, ça repose sur la victime, tu sais, la victime au centre. Mais la lourdeur, c'est dans la corroboration, c'est dans la preuve qu'on va chercher. On a tous des téléphones cellulaires, mais ça, c'est des bibliothèques, c'est des bibliothèques d'information, ça a été mentionné. C'est cette partie-là qui est lourde, la partie où est-ce que les enquêteurs sont mobilisés à analyser ce qu'on a besoin. Puis là, oui, il y a des avenues qui pourraient être intéressantes d'aller chercher un support. Est-ce que c'est un support policier? Est-ce que c'est un support civil? Peu importe le support, c'est important d'avoir de l'assistance parce que, oui, ça va très vite. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

M. Skeete : Oui. Ce que je décode de votre intervention, d'abord, c'est qu'il y a le travail pour pister, là, le problème, puis après ça il y a toute la recherche et la préparation de la cause, et tout, qui complique. Donc, nécessairement, c'est très intensif en termes de ressources.

• (16 h 20) •

M. Martineau (Frédéric) : À partir du moment où est-ce que j'ai une victime qui vient me dire : Moi, je suis exploitée... Parce que ce n'est pas parce que j'ai des annonces, nécessairement, sur Internet que, derrière ça, j'ai quelqu'un d'exploité, tu sais, il faut faire la différence. Puis nous, oui, on peut faire du dépistage sur Internet par rapport aux annonces, mais, on revient à la base d'une enquête d'exploitation sexuelle, il faut qu'il y ait une dénonciation, il faut qu'il y ait une victime qui vienne me dire : Moi, je le suis. Mais ça, les annonces sur Internet, c'est des moyens de corroboration, ça vient appuyer ce que la victime va venir nous dire en enquête.

Mais c'est d'aller chercher ces annonces-là, de les extraire, d'aller chercher les communications qu'il y a eu entre les clients, entre le proxénète... C'est ça qui est lourd, c'est ça qui est difficile. Il y a différentes applications, c'est là qu'il y a une vitesse exponentielle, c'est une vitesse incroyable où est-ce que... quelles applications sont utilisées. La destruction de la preuve. C'est là qu'on a besoin d'assistance.

M. Skeete : Je prends un moment pour soulever à mes collègues l'importance de qu'est-ce qui vient juste d'être dit parce qu'on a des personnes qui sont considérées systématiquement exploitées puis on a une loi qui dit qu'on n'est pas exploité, alors il va falloir qu'on regarde ça ensemble, oui.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Bonjour. Alors, bon, on vous a entendus aussi prendre la parole pour l'équipe de lutte intégrée. Je voulais savoir. En fait, vous parliez beaucoup des renseignements criminels, il y avait des lacunes au niveau, bon, du travail des analystes pour recueillir toute l'information nécessaire. Je ne sais pas si on l'a effleuré, tout à l'heure, mais je voulais vous entendre là-dessus.

Et aussi par rapport à une stratégie de sensibilisation et de prévention dans... tu sais, oui, la réglementation municipale pourrait améliorer votre capacité, là, d'action, mais est-ce que, dans les bars, les hôtels, les événements, il y a quelque chose qui pourrait être amélioré à ce niveau-là? Est-ce que vous faites déjà de la prévention, de la sensibilisation et des interventions dans ce genre d'établissement là actuellement?

Mme Barabé (Brigitte) : Pour votre première question, sur l'analyse et le renseignement, on a une section qui est dédiée à ça, au SPVM, et il y a des analystes qui sont généralistes, et il y a des analystes qui sont dédiés à chacune de nos sections spécialisées.

Mme Perry Mélançon : Donc, il n'y a pas de manque de ressource, pour vous, à ce niveau-là.

Mme Barabé (Brigitte) : On peut toujours en avoir plus, des ressources, mais pour l'instant, ce qu'on a, c'est opérationnel. Donc, les analystes supportent les enquêteurs dans leur travail pour pouvoir accélérer et faciliter leur travail.

Ce qui pourrait être une avenue intéressante, c'est d'aller vers l'analyse stratégique, ce qui est train d'être mis en place actuellement par le SPVM, c'est-à-dire avoir des gens qui vont aller prévoir qu'est-ce que le service de police devrait faire comme intervention future. Donc, se projeter dans l'avenir pour être à l'avant-garde au lieu d'être toujours en mode réactif. Donc, ça va nous outiller pour cibler nos interventions, pour être meilleurs puis prévoir qu'est-ce que qui va s'en venir dans l'avenir. Ça, c'est pour l'analyse et le renseignement. Ça répond à votre question?

Mme Perry Mélançon : Oui. Oui, merci.

Mme Barabé (Brigitte) : Parfait. Pour ce qui est de la prévention et de l'intervention dans les endroits licenciés, oui, il y en a par différentes unités, par exemple la moralité, par exemple ECLIPSE. C'est certain que, quand on a des événements comme la formule 1, à Montréal, il y a un plan d'intervention qui s'étale sur un an. En fait, les interventions, c'est à l'année longue. On a des événements culturels, on a des événements sportifs. Donc, on focusse beaucoup sur la F1, mais, en fait, il y a plusieurs événements qui font en sorte qu'il faut qu'on soit à l'avant-garde à tous les jours.

Mme Perry Mélançon : Oui, puis en même temps, avec le Grand Prix, on... Je ne sais plus qui mentionnait ça, mais l'année dernière, par exemple, il y avait un événement, aussi... en même temps, là, il y a le G7, pas loin, puis il y avait des corridors, en tout cas, les gens essayaient d'intervenir pour... en tout cas, je ne sais pas si je pourrais faire le parallèle avec ça, mais vous êtes en mesure de déployer des ressources à certains moments plus ponctuels, c'est comme ça que vous fonctionnez toujours.

Mme Barabé (Brigitte) : Oui, surtout que ça revient année après année. Au même titre que Noël revient à chaque année, la F1 revient à chaque année, le festival de jazz revient à chaque année. Donc, on est capables de prévoir à l'avance. On a développé une expertise qui fait en sorte que nos plans d'intervention, on les adapte à chaque année, mais on est en mesure à chaque mois de cibler des interventions pour se préparer à la venue du Grand Prix, par exemple.

Mme Perry Mélançon : O.K. Parce que chaque intervention nécessite quand même une préparation puis un déploiement assez important.

Mme Barabé (Brigitte) : Pour être plus efficaces, il faut être arrimés. Donc, il faut de la préparation.

Mme Perry Mélançon : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Roberval.

Mme Guillemette : Merci, M. le Président. Merci d'être ici pour partager vos connaissances et surtout votre expérience. On parlait du Web, mais qu'est-ce que vous pensez des annonces dans les journaux? On en parlait justement, ce matin, avec ma collègue de l'Acadie, on rouvre le Journal de Québec, puis, peu importe le journal, il y a des petites annonces de salons de massage, et c'est très explicite, là, comme... Est-ce qu'il y a moyen de contrer ça?

M. Martineau (Frédéric) : Si je comprends bien votre question, dans le fond, oui, on voit, comme sur Internet, comme dans les journaux, on voit des annonces, mais il faut revenir... Nous, on ramène notre priorité d'intervention sur les personnes exploitées. Il faut toujours se ramener, se poser la question : Est-ce que j'ai une personne exploitée? Puis ça devient une preuve de corroboration.

Puis, je comprends, j'ai vu, peut-être, dans des témoignages précédents, il y a des questionnements. Peut-être, à l'article de publicité, c'est des services sexuels. Mais ça, c'est des articles qu'on va utiliser contre des proxénètes, des proxénètes qui ont exploité des jeunes filles puis qui vont placer des annonces sur des sites, que ce soit dans les journaux, quoique c'est plus rare, mais sur des sites Internet. Là, on va accuser. C'est un autre article, c'est un autre outil du Code criminel qu'on a, qu'on va utiliser pour accuser. Mais d'intervenir sur les annonces qu'on voit dans le journal, d'intervenir sur les annonces qu'on voit sur Internet, ce n'est pas d'intervenir sur une victime.

Mme Guillemette : Mais de les réglementer, ces annonces-là, de les interdire carrément...

M. Martineau (Frédéric) : Mais la publicité de services sexuels est interdite par le Code criminel. Ça fait qu'il y a peut-être quelque chose à faire dans les journaux effectivement.

Mme Guillemette : O.K. Merci.

Mme Barabé (Brigitte) : Ce qui est très important par contre, pour rajouter, c'est de viser peut-être un changement au niveau de la banalisation qu'on fait du phénomène, parce que s'attaquer aux annonces, c'est très difficile, on n'a pas nécessairement les outils légaux pour le faire, mais travailler, par contre, sur la sensibilisation puis sur le fait qu'il faut cesser de banaliser ces comportements-là, par contre, là, on pourrait avoir un effet.

Mme Guillemette : Bien, au même titre que sur les paquets de cigarettes, maintenant, il y a une photo assez explicite avec un texte qui dit que, si vous fumez... Est-ce qu'on pourrait penser de mettre dans le journal, en haut, une bande, un bandeau expliquant, bon... et puis que les annonces sont en bas? Je ne sais pas, mais ça me questionne beaucoup, là, que c'est interdit et que c'est quand même ouvert, là.

M. Martineau (Frédéric) : Ça pourrait faire partie des campagnes de sensibilisation, des endroits ciblés, comme on le citait précédemment.

Mme Guillemette : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Pour l'information de la commission, les gens d'Edmonton, lorsqu'ils sont venus nous voir, ils lançaient une campagne publicitaire dans les médias sociaux. Lorsque les gens allaient faire des recherches pour escortes, exemple, il y a une publicité qui embarquait en disant que c'était illégal. Ça fait que ça peut être intéressant aussi. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Rapidement. Écoutez, merci beaucoup pour le travail que vous faites. J'aime beaucoup vos recommandations. J'aime toutes vos recommandations, mais particulièrement les 4, 5 et 12, donc, je les aime beaucoup.

Maintenant, j'ai une question à vous poser. En 2018, dans votre bilan, vous parlez de 301 dossiers traités. Quand on dit «dossiers traités», moi, ce que j'aimerais savoir : Dans ces dossiers-là, il y a eu combien, par exemple, d'arrestations de clients abuseurs, dans ce nombre-là? Est-ce que ce sont des données qu'on peut avoir?

M. Martineau (Frédéric) : Si on prend juste l'année 2018... En fait, je peux vous dire, là, depuis 2017, dans le fond, c'est 43 arrestations de clients abuseurs qu'on a. Au total, là, depuis 2017, 2018 et 2019, jusqu'à ce jour, il y a eu 163 arrestations, mais à peu près le quart, 25 % de nos arrestations, 26 % de nos arrestations, c'est des clients abuseurs.

M. Benjamin : C'est des clients abuseurs.

M. Martineau (Frédéric) : Exactement.

M. Benjamin : Et les autres?

M. Martineau (Frédéric) : Les autres, c'est des proxénètes.

M. Benjamin : C'est des proxénètes.

M. Martineau (Frédéric) : Exactement.

M. Benjamin : Bon. Mais maintenant je vous disais que... Si on regarde la recommandation 4 que vous faites, c'est la recommandation qui concerne... Attendez que j'y arrive, deux secondes.

Mme Barabé (Brigitte) : De développer le soutien avec l'Union des municipalités du Québec?

M. Benjamin : Avec l'Union des municipalités du Québec, voilà. Moi, je trouve ça vraiment très, très intéressant. Parlez-nous de votre expérience sur le territoire montréalais. Parce que, lorsqu'on sait, par exemple, le nombre... Et je pense qu'il y a quelque 250, près de 300 lieux de services sexuels, incluant les salons de massage, etc. Parlez-nous de votre expérience là-dessus.

Mme Barabé (Brigitte) : ...juste spécifier votre question, je m'excuse, je ne la comprends pas.

M. Benjamin : Votre expérience, l'expérience du SPVM en lien avec les questions relatives à l'exploitation sexuelle des mineurs dans ces lieux-là. Comment vous vous y prenez? Comment vous vous y attaquez? Est-ce que vous avez des visites systématiques? Est-ce que c'est sur dénonciation? Comment vous travaillez?

M. Martineau (Frédéric) : Si je peux me permettre, il y a des dossiers d'enquête qui sont ouverts. Ce n'est pas sur les 250, mais, aussitôt qu'on a une information qu'il y aurait une victime d'exploitation sexuelle, victime mineure ou même victime adulte, on va faire une enquête sur l'endroit spécifique. C'est traité de façon systématique. Si, des fois, l'information n'est pas assez précise, oui, on va faire différentes enquêtes, on va faire différentes approches. Ça peut être des visites, ça peut être de la surveillance, ça peut être... il y a plein de techniques d'enquête qu'on va faire. Mais ce n'est pas parce que c'est dans un lieu... Ce n'est pas parce qu'ils sont protégés, là. On va s'attaquer à cette problématique-là aussitôt qu'on a une dénonciation.

• (16 h 30) •

Mme Barabé (Brigitte) : S'il n'y a pas de dénonciation, sachez que nous avons des unités comme ECLIPSE, comme la moralité qui visent ces endroits-là, qui visitent ces endroits-là, qui ont été formées par Les Survivantes, en termes de détection. Donc, quand ils se promènent, au-delà du fait qu'ils vont aller vérifier certaines informations, ils vont aller voir également s'il n'y a pas des victimes qui ne pourraient pas être exploitées dans ces lieux-là.

M. Benjamin : En termes de leviers, de moyens, le député de Vachon, le président de la commission vous a soumis l'approche de la ville d'Edmonton. Vous, est-ce que vous avez identifié, en dehors de cette recommandation-là... Parce que je pense que ce qui est clair, c'est qu'on veut s'assurer qu'on ait tous les moyens, qu'on ne néglige aucun moyen pour lutter contre ce phénomène, pour apporter les réponses, pour soutenir les victimes. Est-ce qu'en termes de leviers, de moyens, y a-t-il d'autres leviers que vous avez identifiés à ce niveau-là? Parce qu'on parle de... souvent, on parle des trois branches, dans ce commerce-là, des victimes, des clients abuseurs et des proxénètes, mais il y a aussi un quatrième, les lieux d'exploitation sexuelle, dont les salons de massage, dont les hôtels. Est-ce qu'il y a d'autres leviers que vous, SPVM, vous estimez que vous avez besoin pour mieux faire votre travail?

Mme Barabé (Brigitte) : Je crois qu'avant toute chose, il faut qu'il y ait un arrimage dans les interventions autant au niveau de la police qu'au niveau de toutes les autres organisations, organismes qui travaillent en ce sens pour l'exploitation sexuelle. Dès qu'il va y avoir un meilleur arrimage, probablement qu'on va découvrir des façons de faire ou qu'on va développer des nouvelles façons de faire qui va nous permettre de se surélever sur cette problématique-là pour devenir encore meilleur pour lutter le phénomène.

M. Benjamin : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui. Alors donc, on mentionne souvent que Montréal, c'est la plaque tournante, mais évidemment ce qui est très préoccupant actuellement, c'est l'expansion partout sur le territoire du Québec.

Donc, c'est en 2016 que vous avez commencé à regarder ce phénomène, vous organiser, tout ça. Est-ce que vous sentez que, donc, actuellement, avec la formation... c'est sûr que ça prend plus de formation, mais la coordination se fait quand même bien, vous êtes sur la même page, vous réussissez ou voyez-vous ça comme un défi de taille et de longue haleine pour couvrir ce territoire?

L'autre question que j'aurais, c'est, Toronto... Bon, les grandes villes, hein, on parle des grandes villes comme étant à peu près toutes les plaques tournantes, puis il y a beaucoup d'échanges entre l'Ontario et Montréal. Avez-vous des contacts avec Toronto? Est-ce qu'ils vivent à peu près la même chose que nous ou est-ce que, de vos connaissances, c'est différent? Est-ce qu'on est capable de s'inspirer peut-être de choses qu'ils font ou est-ce qu'eux s'inspirent de nous? Est-ce que vous avez des échanges sur, comment dire, les pratiques?

Mme Barabé (Brigitte) : Pour répondre à votre première question sur la coordination, oui, elle se porte bien. L'EILP est une jeune équipe, donc elle est encore en développement, il y a encore de l'arrimage à faire. Vous comprendrez que différents services de police travaillent de différentes façons. Par contre, la coordination, malgré qu'elle est très jeune, fonctionne très bien et a fait ses preuves, mais il faut poursuivre dans cette veine-là. Il ne faut surtout pas arrêter de travailler de cette façon concertée là. Ce serait une erreur considérant les nombreux déplacements que les proxénètes font avec leurs jeunes victimes. Je laisse mon collègue répondre pour Toronto.

M. Martineau (Frédéric) : On a des liens à chaque semaine avec différents corps de police à la grandeur du Canada. Que ce soit Toronto, que ce soit Victoria, peu importe les grandes villes au Canada, on a des liens à toutes les semaines.

Mme Weil : Mais étant une grande ville métropolitaine, Toronto, est-ce qu'on voit des ressemblances dans la façon de fonctionner ou ce n'est pas tellement pertinent, c'est-à-dire d'échanger avec Toronto? Parce que...

M. Martineau (Frédéric) : Bien, c'est pertinent au niveau des dossiers d'enquête, c'est...

Mme Weil : Particuliers, mais pas des...

M. Martineau (Frédéric) : ...mais je peux vous dire qu'on doit être fiers du modèle qu'on a, de mettre... je parle, à Montréal, on a mis la victime au centre de toutes nos actions, et ce modèle-là se reflète à la cour par le résultat qu'on a dans les condamnations. Mais c'est sûr que ça amène les autres villes à observer ce qu'on fait de bien. Et ça, c'est un exemple, de mettre les victimes au centre de toutes nos enquêtes, mais au centre de nos actions, puis ce n'est pas juste au niveau policier, c'est au niveau intervenants, les différents intervenants, là, qui nous accompagnent là-dedans.

Mme Weil : Juste le profil, de votre expérience, des filles qui sont victimes de cette exploitation, donc, vous en parlez, dans le recrutement, donc, vous dites : Il y a le facteur socioéconomique, on a beaucoup entendu parler de ça. Je vous dirais, beaucoup de groupes qui sont venus hier ont dit que la pauvreté est un facteur énorme, mais pas le seul facteur, et des fragilités. Ils parlaient de fragilité, donc santé mentale, etc. Et il y en a d'autres qui disent : Ça peut être vraiment dans tous les milieux. Votre expérience vous dit : C'est un mélange des deux? Est-ce que vous avez de l'expérience? Qu'est-ce que vous observez par rapport à, peut-être, la majorité des cas?

M. Martineau (Frédéric) : C'est sûr que les proxénètes vont cibler les carences, mais, les carences, peu importe le milieu, il peut y en avoir chez les jeunes filles. Ça fait que, oui, il y a des milieux où est-ce que c'est plus peut-être propice, mais l'émission Fugueuse l'a bien mis en valeur, c'est une famille de banlieue qui peut être représentative de toutes les banlieues du Québec...

Mme Weil : Et c'est ce que vous voyez.

M. Martineau (Frédéric) : ...mais c'est notre réalité et c'est ce que nous, on voit dans nos dossiers d'enquête.

Mme Weil : O.K. C'est important pour la campagne de sensibilisation.

M. Martineau (Frédéric) : Oui, exactement.

Mme Weil : C'est aussi important pour les campagnes dans les écoles. C'est d'être conscient que ça peut se produire n'importe où. Merci.

M. Martineau (Frédéric) : Exactement.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre contribution aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre aux prochains invités de prendre place. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 16 h 36)

(Reprise à 16 h 40)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue à la Centrale des syndicats du Québec. Je vous rappelle que vous disposez de 20 minutes pour faire votre exposé. Par la suite, il y aura une période d'échange de 25 minutes avec les membres de la commission. Donc, je vous demande donc de vous présenter, de faire votre exposé, puis je vous remercie d'être là.

Centrale des syndicats du Québec (CSQ)

Mme Éthier (Sonia) : Bonjour. Bien, d'abord, merci beaucoup pour nous avoir invitées à participer à cette importante commission spéciale. Je me présente : Moi, je suis Sonia Éthier, je suis la présidente de la Centrale des syndicats du Québec. Je suis accompagnée de Mme Julie Pinel, qui est conseillère au dossier de la condition des femmes à la centrale, avec qui on va partager le temps de parole.

Donc, juste pour vous indiquer un peu, là, la Centrale des syndicats du Québec, c'est 200 000 membres, mais dont 125 000 en éducation, d'où l'importance pour nous de participer à cette commission. Et vous allez voir que nos recommandations sont différentes, là, parce qu'elles sont liées beaucoup à la prévention et à l'éducation. Donc, on salue vraiment l'initiative à la suite d'une motion unanime de l'Assemblée nationale, qui avait été adoptée le 14 juin dernier, démontrant l'importance de travailler sur cet enjeu qui est vraiment sociétal et qui, comme vous le dites dans le cahier de consultation, qui peut toucher tout un chacun. Et, comme vous le dites si bien aussi, il faut protéger, il faut accompagner et surtout proposer des mesures concrètes afin d'agir sur ce phénomène.

Donc, on a quand même 19 recommandations puis c'est sûr que ce sont des pistes de réflexion. C'est pour aider la commission, comme les autres intervenants le font, pour trouver des pistes de solution puis faire des recommandations au gouvernement.

Donc, je passe la parole à Mme Pinel qui va faire la première partie. Moi, je ferai la deuxième partie. Puis je veux juste vous indiquer qu'on a deux recommandations puis qu'elles sont d'ordre... qui concernent les peines, mais on n'est pas des spécialistes, là, juridiques. On n'a pas nos procureurs avec nous, ça fait que...

Mme Pinel (Julie) : Bien, bonjour. Je vais commencer tout de suite. Au fond, personne n'est à l'abri de l'exploitation sexuelle des mineurs, comme Mme Éthier vient de le dire. Les victimes sont nombreuses, elles proviennent de divers milieux. Par contre, cette problématique touche majoritairement les jeunes filles avec une surreprésentation des filles autochtones.

Les violences sexuelles et physiques vécues pendant l'enfance ainsi que les fugues sont deux facteurs qui ressortent chez les victimes. Par contre, une simple vulnérabilité est suffisante pour faire de ces jeunes une proie pour les proxénètes. Parmi les proxénètes, on retrouve les gangs de rue, pour qui l'exploitation sexuelle demeure leur activité principale. Ces gangs sont des «boys' club» où le machisme et la misogynie règnent. Les filles ne peuvent y jouer essentiellement que deux rôles : partenaires ou accessoires. On y retrouve une valorisation importante de la violence et de l'usage de la force, les traditions en matière d'initiation le démontrent. Malgré l'impossibilité de chiffrer la fréquence des viols collectifs comme initiation, on sait qu'ils sont présents et que les gangs les utilisent pour avoir un rapport de pouvoir sur les victimes.

Nous croyons, à la CSQ, que l'éducation est un moyen à privilégier pour contrer ce phénomène. Ainsi, une campagne nationale de sensibilisation à la problématique visant l'ensemble de la population est nécessaire. Cette campagne devrait inclure des outils spécifiques à l'intention des jeunes ainsi que des outils visant à conscientiser les parents et à les soutenir dans les interventions à faire auprès de leurs enfants.

Les problématiques vécues par les communautés autochtones sont nombreuses. Les structures sociales et familiales sont affaiblies et une pénurie de logements sévit au sein des communautés. Les jeunes peuvent être victimes d'exploitation sexuelle au sein des communautés ou lorsqu'ils quittent pour la métropole. À leur arrivée, ils se retrouvent en situation de vulnérabilité faisant d'eux des proies faciles pour les proxénètes. Ainsi, il importe de travailler à l'élaboration d'un plan d'action en collaboration avec les communautés autochtones afin d'assurer la sécurité des jeunes vivant au sein de ces communautés ainsi que ceux qui s'exilent.

On constate une hypersexualisation et une pornographisation de la société québécoise qui amènent une vision inégalitaire des relations femmes-hommes. Les messages qui y sont transmis diffèrent selon le genre. On y présente le corps des filles comme un objet qui peut être utilisé, exploité, vendu, agressé. Cette hypersexualisation et pornographisation de la société n'est pas sans effet chez les jeunes, les amenant à avoir une représentation biaisée des relations égalitaires. En 2006, une étude soulignait que, pour 80 % des jeunes participants âgés de 15 à 17 ans, les activités sociales sexualisées, tels les concours de chandail mouillé et les jeux d'imitation de fellations, étaient perçues comme de beaux exemples de relations égalitaires.

Au niveau de la pornographie, on dénote une représentation encore plus inégalitaire pour les minorités ethnoculturelles. Elles sont souvent représentées comme un groupe à exploiter et dominer, encore plus que les femmes blanches. De plus, la pornographie banalise la vision des femmes comme objets sexuels tout en légitimant cette perception dans la société.

Les clients abuseurs et les proxénètes sont en majorité des hommes qui abusent ou exploitent le corps des jeunes filles. Pour les clients abuseurs, le fait de payer pour obtenir des services sexuels amène une certaine distanciation entre eux et les victimes. Ils considèrent qu'en acceptant l'argent les jeunes consentent à la relation. Les clients abuseurs se sentent légitimés dans cet abus.

Il nous apparaît évident que l'image des filles qui est dépeinte dans la société par l'hypersexualisation et la pornographisation contribue au phénomène d'exploitation sexuelle des mineurs. Ainsi, la campagne nationale devrait inclure un volet afin de dénoncer les effets de l'hypersexualisation et de la pornographisation ainsi que l'objectivation et la marchandisation du corps des femmes.

En matière de prévention, les membres des personnels de l'éducation, des services sociaux et de la santé jouent un rôle important. Pour que les jeunes s'ouvrent, qu'ils parlent de ce qu'ils vivent, il importe qu'ils aient développé un lien de confiance avec l'adulte. Cet adulte peut être n'importe quelle personne de son entourage, un membre du personnel de soutien, du personnel enseignant ou du personnel professionnel, par exemple. Pour augmenter les chances — je suis désolée — de dépister et signaler rapidement des situations qui semblent démontrer des signes d'exploitation sexuelle, l'ensemble des personnels oeuvrant dans ces milieux doivent être informés de cette problématique ainsi que des différentes étapes de recrutement. De plus, la thématique de l'exploitation sexuelle devrait être incluse dans les cours de certains programmes afin de sensibiliser les futurs techniciens et techniciennes ainsi que les futurs professionnels et professionnelles de cette problématique. Une consultation incluant le ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur ainsi que les milieux collégial et universitaire serait bénéfique pour déterminer correctement les programmes où cet ajout est nécessaire.

L'exploitation sexuelle ne se fait pas seulement au Québec. Il peut arriver, pour des raisons diverses, que les jeunes victimes soient déplacées à l'extérieur, vers les provinces canadiennes ou vers les États-Unis. Par exemple, on sait que les fugueurs ou fugueuses, lorsqu'ils sont recherchés par leur famille, deviennent dangereux pour le proxénète. Il peut alors être tenté de les échanger ou de les vendre. Le déplacement vers une autre ville ou une autre province amène les jeunes à perdre l'ensemble de leurs repères et parfois même ils se retrouvent à un endroit où ils ne parlent pas la langue. La mise sur pied d'une ligne unique d'aide et de prévention en matière d'exploitation sexuelle, du type Tel-Jeunes, pourrait être un moyen d'offrir des services facilement accessibles aux jeunes qui en ressentent le besoin. Cette ligne pourrait être publicisée par le biais de la campagne nationale.

Les liens dysfonctionnels avec les familles ou les milieux de vie des jeunes sont un des éléments à la base des fugues. Les jeunes doivent avoir un adulte de confiance vers qui se tourner. Les personnels des services publics et des milieux communautaires sont des alliés dans cette lutte à l'exploitation sexuelle. Ils peuvent intervenir à divers niveaux, notamment par la prévention et le soutien à apporter aux jeunes pour éviter une fugue ou encore pour dépister des signes d'exploitation sexuelle. Pour les milieux des services sociaux et de la santé, une attention particulière aux jeunes qui consultent pour une grossesse non désirée ou une infection transmise sexuellement ou par le sang pourrait permettre de voir si des signes d'exploitation sexuelle sont présents. Pour y arriver, il importe d'augmenter le nombre de ressources disponibles dans les milieux de l'éducation, de la santé et des services sociaux afin de leur donner le temps nécessaire pour effectuer les interventions appropriées auprès de ces jeunes.

Une seule période de vulnérabilité pourrait mener les jeunes vers l'exploitation sexuelle. La prévention passe essentiellement par leur éducation. Ils doivent être informés sur cette problématique, sur les rapports sociaux égalitaires, les impacts de l'hypersexualisation et de la pornographisation ainsi que l'objectivation et la marchandisation du corps des femmes. De plus, cette éducation doit se faire en précisant clairement les rôles que les garçons et les filles ont à jouer face aux diverses problématiques.

Il existe de nombreux outils et initiatives locales de prévention et de soutien en matière d'exploitation sexuelle des mineurs. Pour faciliter l'accessibilité, une recension serait nécessaire afin que ces derniers soient répertoriés à un seul et même endroit, permettant ainsi à l'ensemble des acteurs et les régions moins touchées par la problématique de l'exploitation sexuelle des mineurs d'y avoir accès facilement.

Si l'on souhaite intervenir correctement en répondant aux besoins de chacun des profils touchés par la problématique de l'exploitation sexuelle des mineurs, nous devons avoir des données récentes. On constate un manque criant de données pour certains profils de victime, notamment les minorités sexuelles et ethnoculturelles. Il importe d'avoir un portrait des facteurs de risque et de protection pour chacun des groupes touchés par la problématique. Le soutien à la production de recherches incluant l'ensemble des profils des victimes d'exploitation est nécessaire afin de permettre un soutien et des interventions adaptées à chacun des jeunes.

• (16 h 50) •

Mme Éthier (Sonia) : Donc, pour poursuivre... On est rendus à la recommandation 11. À la recommandation 1, on vous a parlé d'une campagne nationale qui viserait à sensibiliser. Donc, il serait, dans cette campagne, important d'inclure un volet d'information sur les conséquences de l'exploitation sexuelle, la responsabilité des clients abuseurs, des proxénètes et des trafiquants mais aussi des peines qu'ils encourent. Donc, on pense que cette partie-là devrait s'ajouter à une possible campagne.

On a aussi un autre élément de réflexion qui... On pense qu'il serait intéressant pour le gouvernement de mettre sur pied une forme de partenariat avec les entreprises et les organismes privés, à l'image de l'ECPAT, qui existe déjà, un code de conduite pour la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle dans le tourisme et l'industrie du voyage. Peut-être qu'on pourrait s'inspirer de ça, on pourrait partir d'une bonne base, là.

Et, dans le mémoire, on a un volet aussi sur la guérison et le rétablissement des victimes. Et je pense qu'on va s'entendre, tout le monde, pour dire que les victimes qui réussissent à s'en sortir ont beaucoup de séquelles physiquement et psychologiquement la plupart du temps, donc... et on sait aussi que leur sortie du réseau, ce n'est pas nécessairement assuré à 100 %. Quand elles réussissent, bien, il faut réunir les conditions qui mènent à cette réussite-là, donc ça prend un soutien de longue durée. Il faut qu'on les accompagne pendant longtemps pour que les personnes puissent réintégrer l'école, la société ou encore le monde du travail, puis, en ce sens-là, on a quand même quelques recommandations.

Donc, pour une victime d'agression sexuelle, le rétablissement, comme je vous disais, peut être long. Et, en plus d'avoir souvent des dépendances aux drogues, il est important pour... trois choses, que les soins soient disponibles sur une longue période, et il faut l'établissement d'un lien de confiance avec l'intervenant ou les intervenants, là, qui vont s'occuper de cette personne-là, et tout ça dans un spectre large, hein, en termes d'hébergement, d'intervention psychosociale, et, ma collègue l'a dit tout à l'heure, il faut s'assurer que les services soient suffisants, ce qui n'est souvent pas le cas, partout sur le territoire du Québec et aussi au-delà de l'âge de la majorité, hein, parce que ça aussi, ça se continue dans le temps.

Donc, il y a aussi la question du décrochage scolaire, qui diminue, hein, pour les jeunes victimes, leurs perspectives d'emploi. Ça, c'est tout à fait évident. Donc, pour leur permettre d'avoir une vision d'avenir à l'extérieur de cette situation, il faut essayer de trouver des façons pour ces jeunes-là de retourner aux études, d'intégrer le marché du travail.

Puis aussi il y a l'accès au logement, hein, qui peut être une problématique. Pas de logement, bien, c'est le retour à la rue. Donc, c'est un ensemble de mesures qui sont importantes.

L'autre élément qu'on trouvait aussi peut-être pertinent, c'est que, les victimes, quand elles doivent raconter souvent ce qu'elles ont vécu puis... c'est très traumatisant. Et ce qu'on se demandait, c'est, avec l'accord des victimes, si le dossier, là, ou les faits que les victimes racontent ne peuvent pas être transférés à l'autre intervenant pour que les victimes n'aient pas à raconter encore et encore tous ces événements traumatiques là, là.

Donc, en même temps aussi, un élément qu'on utilise souvent à la centrale, là, c'est d'utiliser une analyse différenciée selon les sexes pour aider à identifier correctement les besoins des filles mais des garçons aussi, pour connaître qu'est-ce qui se passe puis d'être en mesure de les aider correctement. Et il y a aussi l'intersectionnalité de l'enjeu, compte tenu que les minorités sexuelles, les minorités ethnoculturelles peuvent aussi avoir des besoins différents. Donc, c'est important de faire ces analyses-là.

Tantôt, on en a parlé aussi, les intervenants précédents, de... le soutien aux familles, les familles qui sont démunies, parce que, sur plusieurs aspects, prévoir des mesures de soutien, pour nous, c'est un facteur de réussite important, mais il faut aussi que les familles comprennent par où sont passés leurs enfants pour qu'elles puissent devenir des acteurs dans le rétablissement quand c'est possible.

Donc, deux éléments aussi qui nous semblaient importants, c'était, comme je vous le disais tout à l'heure, là, sur les peines, bien, s'assurer d'apporter la peine appropriée pour les gestes causés. Ça, c'est quand même un élément important. Puis il y a l'autre aspect aussi, s'assurer d'un accompagnement approprié pour qu'il n'y ait pas de récidive. Ça, c'est quelque chose que, parfois, on va négliger, là.

Donc, une dernière recommandation qui vise à revoir les peines imposées aux clients abuseurs, qui devrait être reconnu comme un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de 14 ans avec une peine minimale d'un an. Donc, c'est un élément qu'on soumet à la réflexion.

Et aussi on voulait porter à votre attention que, lorsqu'une entente de cohabitation légitime existe avec la personne qui rend les services sexuels, ça devient possible, pour eux, de vivre des fruits de la prostitution, puis ce qui nous semble un moyen que pourraient utiliser les proxénètes pour exploiter en toute légalité, puis il nous apparaît essentiel de s'assurer que les lois ne prévoient aucune exception dans ce sens-là.

Alors, on a fait le tour des 19 recommandations, mais, pour nous, c'est important, en conclusion, que les mesures répondent aux besoins des victimes, soient mises en place afin de les protéger. La prévention, ma collègue l'a dit tout à l'heure, ça passe par l'éducation. C'est un élément qui est important, parce qu'il faut agir en amont, c'est très important, et les services publics, les organismes communautaires, bien, c'est des alliés dans cette lutte à l'exploitation. Mais il faut aussi, on le répète, c'est un élément important... Ça prend les moyens, hein? On l'a vu tout à l'heure, on a besoin de moyens pour agir, donc, pour soutenir les jeunes, pour soutenir l'ensemble des intervenants aussi qui agissent dans cette question. Et c'est collectivement, hein, qu'il faut trouver les solutions. Ça fait que la commission, elle prend tout son sens, puis c'est vraiment important, parce qu'il y a vraiment un ensemble de pistes de solutions qui vont pouvoir aider la commission à proposer des choses au gouvernement, puis je pense qu'on va avancer dans ce sens-là.

Puis, en terminant, je pourrais dire que c'est un problème collectif, mais il faut trouver des solutions collectives pour permettre à ces jeunes-là puis aussi les gens qui les entourent, hein, de... pour les jeunes en particulier de vivre des relations saines et de mettre un terme à l'exploitation sexuelle qui est grandissante et qui est difficile à cerner. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre exposé. Nous allons maintenant débuter la période d'échange avec les membres de la commission. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : ...M. le Président. Bonjour. Merci d'avoir accepté l'invitation.

Moi, je me questionne aussi par rapport aux écoles. Vous l'avez abordé un peu, mais je veux vous relancer, comme vous êtes une centrale syndicale très présente dans les écoles. On parle beaucoup d'éducation, on parle beaucoup d'élever... bien, de sensibiliser, évidemment, les jeunes filles aux dangers de l'exploitation sexuelle juvénile, mais aussi d'élever des jeunes garçons pour que, plus tard, ils soient des adultes puis qu'ils n'aient pas envie d'acheter des adolescentes.

Mais ça ramène tout le débat de la question de la sexualité dans les écoles, puis ça fait un an maintenant qu'on a le programme, puis je sais que, quand ça a été annoncé, il y avait quelques craintes ou critiques, en fait, de la part du milieu professoral, entre autres de dire que c'était un peu bulldozé puis qu'il manquait de ressources, entre autres de sexologues ou des choses comme ça, dans les écoles. Un an plus tard, où est-ce qu'on en est? Puis est-ce que vous trouvez qu'on aurait besoin de bonifier ce programme-là pour... non seulement sur le fond, mais sur la forme aussi, pour s'outiller comme du monde puis réussir cette campagne-là de changement culturel qui est quand même assez fondamental?

• (17 heures) •

Mme Éthier (Sonia) : Bien, sur la question du programme d'éducation à la sexualité, on est toujours à la même place, là, il n'y a pas plus de ressources qu'il y en avait l'année passée. Et je pense qu'il y a un élément qu'on a abordé tout à l'heure, c'est une campagne, mais aussi de répertorier des outils, hein, pour qu'on puisse... ces outils-là, là, qui pourraient être donnés, fournis au milieu de l'éducation et aux différents intervenants pour être capable de dépister puis de référer aux bons endroits.

Donc, il y a un élément de prévention, mais il y a un élément aussi d'information auprès des intervenants, du corps professoral, auprès des psychoéducateurs, etc., là, qui oeuvrent puis qui ont un rôle important, là, dans les écoles. Et il y avait, bien, c'est ça, là, toute la question des outils. Je pense que de répertorier les outils qui existent, ça a une valeur fondamentale, là, pour aider les gens dans les milieux.

M. Leduc : Je ne pense pas que vous étiez là ce matin ou je ne sais pas si vous l'avez écouté, on a eu des extraits vidéo assez troublants, là, de la balado Trafic, qui va être d'ailleurs à l'antenne de Télé-Québec, je pense, cet hiver. Ça pourrait être un des genres d'outils, je pense, qu'on pourrait présenter dans une salle de classe, qui serait, je pense, très, très capable d'ouvrir beaucoup d'yeux de nos jeunes.

Puis je veux revenir sur un commentaire que vous avez fait, parce qu'on aura beau... On a tendance souvent à mettre des choses sur les épaules de profs, hein? Tous les problèmes de société, là, on met ça sur le dos des profs : Réglez-nous ça. On s'en décharge un peu, des fois, je trouve, de certains enjeux. Je pense qu'on n'aura pas le choix d'arriver avec une approche en termes d'école, mais je trouvais ça intéressant parce que vous avez fait partie d'un... Vous avez développé une critique assez large de la société. Vous avez parlé de la banalisation de la porno, des annonces, on pourrait même parler de plusieurs vidéoclips, parce que c'est sûr que, si on a une superbelle stratégie à l'école, mais que le reste de la société envoie un message complètement différent, bien là ça crée une dissonance qui est difficile à gérer pour le jeune. Est-ce que c'est quelque chose qui vous inquiète? Est-ce que vous pensez qu'on aurait d'autres façons d'intervenir sur le reste de cette société-là, sur le reste des images qu'on consomme à la journée longue?

Mme Éthier (Sonia) : Bien, je pense que la campagne, là, qu'on soumet, là, je pense que ça serait important, parce que je ne pense pas que la population est informée tant que ça de quelle façon ça fonctionne. Puis, dans le mémoire, on ne vous en a pas parlé, Mme Pinel en a parlé un peu tout à l'heure, mais comment les jeunes filles se... comment ça commence, cette approche-là, puis que... tu sais, là, tout le fonctionnement de comment les jeunes entrent dans ce cycle-là, ce n'est pas immédiat.

Donc, il faut absolument que la population, par le biais d'une campagne, soit informée de tous ces éléments-là, puis qu'on le porte collectivement, puis qu'on comprenne que, comme société, bien, la pornographie... tu sais, que les parents soient aussi très... Les parents, ils ont un rôle important. Il faut qu'ils soient sensibilisés puis il faut qu'ils comprennent comment ça fonctionne, cette roue-là. Donc, je pense qu'on peut miser sur l'école, mais, comme vous le dites, l'école n'y arrivera pas seule. C'est beaucoup plus grand que ça, là. Ce sont des enjeux qui sont quand même très, très importants.

M. Leduc : Merci.

Mme Pinel (Julie) : ...

M. Leduc : Ah! Oui, excusez.

Mme Pinel (Julie) : Oui, excusez-moi. Si je peux me permettre, au niveau de l'hypersexualisation puis de la pornographisation, ça fait aussi partie de la compagne nationale qui est demandée, qu'on s'attaque à ça. Je pense que c'est quelque chose qui est nécessaire parce que, comme on l'a dit, ça contribue aux rapports inégalitaires. Et la vision que les jeunes ont des rapports, disons, égalitaires, qui sont inégalitaires, finalement, bien, je pense que, quand on a cette vision-là d'un rapport entre les filles et les garçons, bien, ça explique aussi comment on agit avec ces personnes-là.

Donc, quand on parlait d'intervenir auprès des jeunes garçons, bien, oui, on peut intervenir pour ne pas en faire de futurs clients abuseurs mais aussi de futurs proxénètes, parce qu'ils peuvent être appelés aussi, ces jeunes-là, à être membres d'un gang de rue ou à agir comme proxénète auprès d'une jeune fille de leur entourage ou autre. Donc, je crois sincèrement que l'hypersexualisation, la pornographisation, c'est vraiment un élément sur lequel on doit s'attarder pour mettre fin à ces rapports-là inégalitaires qui sont présents.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Le député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. Donc, je m'attardais à une des recommandations, que je pense n'avoir pas entendue, tout au long de ces audiences, et que je suis très content que vous l'ameniez, donc, c'est la recommandation 5, c'est cette recommandation qui concerne... à savoir l'intégration dans les cours de certains programmes d'éducation postsecondaire. J'aimerais peut-être vous entendre davantage sur cette recommandation-là parce que je trouve que ça vaut la peine de partager les fruits de vos réflexions autour de cette recommandation avec les membres de la commission.

Mme Pinel (Julie) : Bien, au fond, cette recommandation-là vise... Comme on l'a dit, il faut informer les personnels des milieux scolaires, des services sociaux et de la santé, mais c'est la même chose pour les futurs professionnels qui vont arriver dans le système, dans les services publics. Donc, il faut vraiment... Tu sais, chacun des intervenants dans ces milieux-là peut agir à titre de soutien ou d'aide pour les adolescents et les adolescentes. Et c'est un bel outil de prévention parce que, comme on l'expliquait, le lien de confiance est assez important pour que le jeune puisse s'ouvrir face aux problématiques. Même si la situation lui semble très bien et très parfaite, il peut s'ouvrir à n'importe quel membre du personnel qu'il côtoie, n'importe quel adulte autour de lui, d'où l'importance d'aller sensibiliser puis d'informer l'ensemble des membres des personnels des services publics et, justement, ceux qui vont éventuellement faire partie des services publics.

Dans tout ça, il y avait aussi la consultation qui était nécessaire. On n'est pas là pour déterminer exactement à quel métier, à quelle formation tout ça doit s'offrir. Donc, je pense qu'il y a une consultation à faire auprès du ministère concerné et des milieux collégial et universitaire pour voir quels programmes seraient visés, là, par ça.

M. Benjamin : Merci beaucoup. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. C'est le fun, en tout cas, c'est plaisant d'entendre aussi votre réalité puis vos recommandations qui sont vraiment plus axées sur l'éducation parce qu'on voit que c'est quand même une priorité à mettre dans nos recommandations aussi. Justement, par rapport au cours d'éducation à la sexualité, est-ce qu'il devrait y avoir aussi un volet qui touche particulièrement l'utilisation saine des réseaux sociaux, par exemple, chez les jeunes? Parce qu'on en a beaucoup parlé aussi, que c'est une problématique, puis on ne sait comme plus de quelle manière l'aborder, le sujet. Est-ce que c'est les parents qui doivent avoir un meilleur contrôle sur le contenu, bon, qui est regardé par leurs enfants? Est-ce que c'est dans un cours qu'on peut l'intégrer ou est-ce que c'est à nous d'apprendre comment les utiliser puis d'avoir une meilleure surveillance finalement de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, plutôt vers les victimes puis les proxénètes? On dirait que... J'aimerais avoir votre avis là-dessus, sur les réseaux sociaux, quand vous êtes dans l'éducation.

Mme Éthier (Sonia) : On peut se compléter la réponse, mais je pense que c'est une responsabilité qui doit être partagée à l'école, par l'éducation, là, mais aussi par les parents, qui ont un rôle premier parce que souvent la consultation des réseaux sociaux, ça se fait aussi à la maison, ça se fait le soir. Les jeunes sont beaucoup axés sur ça. Donc, je pense qu'il faut que ça soit fait en complémentarité. Je pense que c'est important puis c'est incontournable.

Mme Pinel (Julie) : Puis on ne travaille pas dans une compagnie de pub, mais ça pourrait être un élément qui serait abordé dans une campagne nationale si on y va par une publicité ou quelque chose, mais dans un volet d'aborder cet élément-là puis de mettre de l'avant, par une publication, tout ce qui peut s'ensuivre ou peu importe. Mais je pense que c'est un problème qui est peut-être plus large aussi que l'exploitation sexuelle, là, ce qui peut se passer sur les réseaux sociaux. Je ne veux pas déborder de cette commission-là, mais pensons juste à l'intimidation. Je pense qu'il y a beaucoup de choses qui se passent là. Donc, je pense que c'est quelque chose de collectif. Il faut que ça se fasse à plusieurs niveaux, cette prévention-là au niveau des réseaux sociaux.

Mme Perry Mélançon : Merci. Maintenant, il y a quelque chose qui a attiré mon attention dans vos recommandations. Vous parliez d'un code dans l'industrie du voyage, ça a été mentionné rapidement. Est-ce que vous avez plus d'information à nous donner par rapport à ça?

• (17 h 10) •

Mme Pinel (Julie) : Oui, bien, ce code-là, comme Mme Éthier l'a mentionné, c'est le code de conduite pour la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle dans le tourisme et l'industrie du voyage. Ce qu'il prévoit, c'est six règles de base. Donc, les entreprises qui y adhèrent doivent établir des politiques, des procédures qui visent, justement, là, à enrayer l'exploitation sexuelle ou à dénoncer une exploitation qui pourrait être faite dans leurs lieux, inclure des clauses à leurs contrats, faire des formations auprès de leurs employés face à la problématique, donner de l'information aux voyageurs, supporter, collaborer, engager les parties qui sont prenantes face à la problématique dans leurs milieux et donner un rapport annuel auprès de l'ECPAT par rapport à ce qui s'est passé et ce qui s'est fait, dans les entreprises qui ont adhéré à ce code-là.

Donc, c'est sûr qu'il y a des éléments qui ne se rapportent peut-être pas à la situation ici, au Québec, ou à l'ensemble des entreprises qui peuvent être visées ici, au Québec, mais ça nous semblait être un code de conduite qui pouvait être intéressant à servir de base pour voir qu'est-ce qu'on peut faire ici avec les entreprises, comment est-ce qu'on peut intervenir, comment on peut les amener à avoir un code de conduite, finalement, pour dénoncer ce qui peut se produire au sein de leurs établissements.

Mme Perry Mélançon : Finalement, aussi, une espèce de guide pour tous les établissements qui sont impactés indirectement puis qui n'ont pas la formation pour intervenir nécessairement, mais là il y aurait quand même une espèce de code qui les aiderait, finalement. Je trouve ça intéressant. Je ne savais pas l'existence... je ne connaissais pas l'existence de code-là. C'est par qui que c'est développé? Vous dites...

Mme Pinel (Julie) : ECPAT. Je ne connais pas, là... Je n'ai pas le nom complet, mais c'est E-C-P-A-T, c'est End Children...

Mme Perry Mélançon : En tout cas, je trouve ça intéressant. Oui, peut-être qu'on pourrait regarder ça.

Le Président (M. Lafrenière) : On est déjà là-dessus.

Mme Perry Mélançon : O.K., super.

Mme Pinel (Julie) : Bien, vous devriez avoir la référence aussi dans le mémoire.

Mme Perry Mélançon : O.K., merveilleux. Y avait-u d'autres questions après moi?

Le Président (M. Lafrenière) : Il y en a une autre immédiatement.

Mme Perry Mélançon : Bon, je vais laisser faire. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Dernière question, pour 3 min 30 s, la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui. Merci beaucoup, mesdames, de votre présentation, participation. Très, très étoffé. Beaucoup de recommandations intéressantes.

J'aimerais revenir peut-être sur la section Mesures et cadre, donc les peines minimales et tout, deux questions que j'avais. Donc, vous parlez de... «Il nous apparaît que l'achat de services sexuels d'une personne mineure est un acte qui devrait prévoir des sanctions à tout le moins similaires à celles prévues en cas de contact sexuel ou d'agression sexuelle, puisqu'il est tout aussi grave.» Quelle est la sentence minimale, la sanction minimale dans le cas d'agression et exploitation d'une personne mineure actuellement?

Mme Pinel (Julie) : Présentement, ce que le Code criminel prévoit, c'est une peine minimale de prison de six mois pour une première infraction, d'un an en cas de récidive, s'il est reconnu coupable, et une peine maximale prévue de 10 ans. Donc, en faisant la comparaison avec un contact sexuel sur une personne mineure ou une agression sexuelle, il nous semblait que... les peines minimales, là, qui étaient pour un client abuseur, là, nous semblaient un petit peu incohérentes, face au contact sexuel, exactement.

Mme Weil : Oui. Et l'autre élément que je n'ai pas trop compris, c'était dans ce deuxième paragraphe, vous parlez de lorsqu'une entente de cohabitation existe entre le proxénète et la personne qui rend des services sexuels, bon, et qu'elle vit des fruits de la prostitution, et vous donnez l'exemple des membres de la famille qui exploitent sexuellement des jeunes autochtones, «démontre le non-sens de cette exception». Pouvez-nous nous expliquer ou m'expliquer cette situation dont vous parlez ici?

Mme Pinel (Julie) : Bien, je vais vous l'expliquer avec mes connaissances juridiques, qui ne sont pas énormes, mais, au fond, ce qui est prévu, c'est que, lorsqu'il y a une entente de cohabitation légitime, donc, ça pourrait être deux colocataires, il y en a une qui vit de la prostitution, l'autre ne vit pas de la prostitution, la colocataire paie son loyer des fruits de la prostitution, bien, à ce moment-là, l'autre personne ne peut pas être accusée de proxénétisme ou de... dire qu'elle vit des fruits de la prostitution. Par contre, il y a certaines exceptions qui s'appliquent à cette cohabitation-là légitime, parce qu'on peut voir... tu sais, si on amène l'exemple, de dire : Bien, un proxénète vit avec sa victime, la victime paie le loyer, paie l'auto, paie l'épicerie, paie... donc, et lui, il dit : Bien, on cohabite, et je ne vis pas des fruits, puisqu'on cohabite et que c'est légitime, et ensuite vient qu'à démontrer que cette cohabitation-là n'est pas légitime... ce qui est quand même assez difficile, considérant le rapport... le pouvoir que le proxénète peut avoir sur sa victime. Donc, il y a des exceptions dans la loi qui sont prévues, et, au niveau des exceptions, on parle de violence... C'est sûr que, quand on parle d'exploitation sexuelle, il y a une série d'exceptions ici qui peuvent s'appliquer parce que l'usage de violence est là. Un abus de pouvoir peut être là aussi, mais il faut le démontrer. Mais il n'y a pas d'exception pour les personnes mineures, et ça nous apparaît être quelque chose qui devrait d'emblée être là. Donc, tu sais, sans qu'il y ait de violence, sans qu'il y ait d'abus de pouvoir ou... dès que la personne est mineure, il ne devrait pas y avoir cette possibilité-là dans la loi de pouvoir avoir une entente de cohabitation légitime et de vivre des fruits de la prostitution.

Mme Weil : Bon, oui, c'est très clair. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour votre contribution à l'avancement de nos travaux.

Je suspends les travaux, justement, quelques instants afin de permettre à la prochaine invitée de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 16)

(Reprise à 17 h 19)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite maintenant la bienvenue au Centre Cyber-aide. Je vous rappelle que vous disposez d'une période de 20 minutes pour nous faire votre exposé. Par la suite, nous procéderons à une période d'échange pour une durée de 25 minutes avec les membres de la commission. Alors, s'il vous plaît, je vous demande de vous présenter et de faire votre exposé. Et merci d'être là.

Centre Cyber-aide

Mme Tétreault (Cathy) : Merci beaucoup. Tout d'abord, l'équipe du Centre Cyber-aide tient à remercier M. Ian Lafrenière pour son invitation à cette commission, qui est essentielle à l'atteinte de la sécurité de nos enfants et adolescents dans le monde réel, mais aussi dans le monde virtuel. Je tiens à saluer et remercier toutes les personnes présentes.

Alors, je me présente, Cathy Tétreault. Je suis directrice générale et fondatrice du Centre Cyber-aide. Je suis auteure, conférencière, formatrice, intervenante jeunesse, je suis un peu de tout depuis huit ans maintenant que j'ai ouvert le centre. Et je vais répondre à toutes vos questions concernant les plus petits, concernant la prévention, concernant l'amont. Donc, on est là-dedans depuis huit ans.

Donc, le mémoire que vous avez reçu, je ne vais pas le lire au complet, parce que c'est trop long, mais j'ai fait un résumé des choses essentielles. L'urgence d'agir — Prise II. Pourquoi Prise II? Parce que j'ai déjà été ici en avant pour le retour des cours d'éducation à la sexualité, et c'était le même contexte, et ça fait déjà cinq ans.

• (17 h 20) •

Donc, plusieurs nous connaissent sans doute. Le Centre Cyber-aide est un organisme national à but non lucratif qui a pour objectif de mettre en place des programmes pour prévenir les conséquences négatives d'une utilisation inadéquate des écrans via Internet. Nous sommes très présents dans les écoles, mais notre expertise est aussi sollicitée dans les milieux les plus variés, qu'il s'agisse du réseau de la santé, de l'éducation ou de différents milieux professionnels. Vous aurez donc compris que notre préoccupation s'articule autour du monde virtuel.

Les technologies, via Internet, sont omniprésentes et font désormais partie du quotidien, tant dans les sphères personnelles que professionnelles. Bien que l'on en constate aisément les avantages, force est d'admettre que ces technologies atterrissent dans nos maisons, nos écoles et nos milieux de travail sans qu'elles soient accompagnées d'un mode d'emploi — et c'est ça qui manque depuis huit ans, ce sont des modes d'emploi — en favorisant l'utilisation saine et sécuritaire. Étant particulièrement présent dans les milieux scolaires, le Centre Cyber-aide peut témoigner des besoins criants exprimés, des préoccupations, voire de l'inquiétude qui s'y observe. Partout, ils ont un urgent besoin d'information, d'accompagnement et d'un mode d'emploi en ce qui concerne les comportements sains et sécuritaires à transmettre aux enfants et à notre société. Il est tout à fait possible d'y remédier concrètement.

Par exemple, concernant la sexualité de nos jeunes, lorsque de nombreux besoins d'information ont été exprimés par les milieux scolaires et que nous avons constaté les conséquences néfastes, tel que l'échange de photos osées, nous nous sommes mobilisés pour initier une pétition qui réclamait le retour des cours d'éducation à la sexualité, et la pétition... et ça a été accepté, je dois vous dire, parce que j'ai répondu avec des faits terrain. Ce qui justifie le titre du mémoire que vous avez reçu, L'urgence d'agir — Prise II : nous avons l'impression de recommencer. Toutefois, il y a des outils qui sont faits.

Il était plus que temps d'agir puisque l'on constate un tournant, depuis quelques années, face à la conscientisation, la dénonciation et le dévoilement des conséquences observées dans les cas de «sexting», de sextorsion et de cyberagression sexuelles, qui débutent maintenant dans les écoles primaires. De fait, les technologies et nombreuses applications facilitent l'accès aux jeunes filles et garçons, rendant tout autant facile l'échange d'images, de messages ou de contenu à caractère sexuel. Il est donc urgent d'agir aussi à ce propos, sachant l'existence des phénomènes inquiétants et importants tels que l'exploitation sexuelle des jeunes. Or, à cet égard, les technologies et les milieux scolaires sont deux clés pouvant nous permettre de faire des gains significatifs.

En ce qui a trait à l'hypersexualisation, vous devez, après quelques auditions, en connaître sa définition, ses causes et ses répercussions. Je ne m'attarderai donc pas sur ce sujet. Il me faut toutefois insister sur le fait que la surexposition à l'hypersexualisation dans l'espace public entraîne un phénomène de désensibilisation qui peut amener certains jeunes, et, je dirais, certains adultes, à considérer la pornographie comme étant un reflet de la réalité, comme une norme qu'ils doivent chercher à atteindre. Ce à quoi ils sont exposés maintenant deviendra leur modèle sexuel dans le futur, des modèles où l'égalité des sexes est absente, où les rapports de domination et la violence sont banalisés et où les sentiments liés aux rapports sexuels sont inexistants.

Mais allons plus loin. Au cours des dernières années, le Centre Cyber-aide a visité de nombreuses écoles, organismes et maisons des jeunes du Québec. Lors de nos discussions avec les jeunes et les intervenants, notre attention a été constamment attirée par le fait que les jeunes ont accès, sans supervision, à des applications ou à des jeux non sécurisés, plus particulièrement des jeux en ligne et des applications telles que Snapchat, Instagram, des blogues, ou encore YouTube et TikTok. Cela peut s'expliquer en partie par la croyance populaire qui voudrait que, puisque ces applications sont légales, elles sont sans danger. Or, ces sites, ainsi que d'autres, servent souvent de plateforme facilitant les échanges de photos, de messages ou de vidéos à caractère sexuel. C'est pourquoi il est essentiel d'impliquer les parents et de bien les informer. Le rôle des parents est primordial pour éduquer les jeunes à une utilisation responsable des technologies et du Web et à les aider à développer un esprit critique devant l'hypersexualisation.

Petite parenthèse. Depuis quelques années, les enfants accompagnent les parents dans mes conférences de soir, et ce sont les parents qui obligent les enfants à les accompagner et qui, par la suite, après la conférence... tout le monde part heureux parce qu'il y a de l'information pertinente pour bien intégrer les écrans dans leur vie.

Le nombre grandissant d'applications pour l'échange de photos et de vidéos proposé à nos jeunes, ainsi que leur évolution constante, permet aux cyberprédateurs d'avoir un plus grand accès aux données personnelles des jeunes. Au sein de ces applications et les sites de clavardage, l'auteur d'abus peut prétendre être quelqu'un d'autre et se produire d'où il veut et quand il veut pour piéger sa victime. Malheureusement, une fois que l'image ou la vidéo se retrouve sur le Web, la pérennité de l'information, l'accessibilité et la possibilité de propagation à grande échelle rendent la victime impuissante, autant victime fille... et j'en ai vu plusieurs, garçons, aussi, n'oublions pas nos garçons. Ces caractéristiques font en sorte que certains sites Web ou applications peuvent, même sans le vouloir, favoriser l'exploitation et les abus à caractère sexuel.

Il faut donc apprendre à être conscient de certains risques que comportent bon nombre de sites d'échange. Si je vous demande à quoi vous fait penser l'application Yellow, certains d'entre vous me répondront : C'est un magasin de souliers. Oui, mais, pour les jeunes, c'est plutôt une application qui est un site de rencontre de 13 ans et plus, sous le même format que Tinder pour les adultes. Ce site-là existe depuis plusieurs, plusieurs années, et il y en a énormément d'autres. C'est vers ça que se tournent aussi les prédateurs sexuels, c'est sur ce qu'utilisent les jeunes dans les écoles primaires, secondaires, collégiales et universitaires.

Donc, l'offre de ces sites peut apporter une pression sociale d'être en couple. Si on nous offre, nous, aux jeunes, des applications, si on nous dit de s'inscrire à des applications de rencontre à l'âge de 12, 13 ans, ça veut dire qu'on doit être en couple à 12, 13 ans. Et je vous dis que certaines personnes déviantes ou prédateurs profitent de ces applications-là pour être en couple avec des jeunes, ces derniers sont, nous l'avons vu, faciles à rejoindre, et utilisent dès lors des outils contenant, entre autres, des éléments liés à la popularité de l'individu, augmentant d'autant la pression sur le jeune, qui pourra chercher à former un couple coûte que coûte.

Et j'ai visité ces sites et je dois vous dire que les jeunes reproduisent des comportements adultes pour être choisis, tout simplement. Ils ont besoin de valorisation, mais n'ont pas la maturité pour être en couple, c'est différent. Plusieurs facteurs de risque peuvent amener une jeune fille ou un jeune garçon à être exploité sexuellement, et nous y reviendrons, mais pensez toujours à ce que je viens de vous dire. Le nom d'une application ne vous donne pas automatiquement ses propriétés. Important.

Sur le terrain, à la lumière des différents constats que notre expérience terrain nous a permis d'établir, il nous apparaît encore très urgent de proposer un contre-discours à la pornographie. Il est donc fondamental de sensibiliser les jeunes de même que les parents à ces nouveaux médias pour d'évidentes raisons de respect de soi-même, d'estime de soi et de promotion de comportements sociaux et égalitaires à privilégier. Ne pas réagir de façon adéquate contribuera à la banalisation de la pornographie et de l'hypersexualisation de l'espace public.

Ce que nous observons sur le terrain nous prouve hors de tout doute qu'il existe un sérieux manque d'information quant aux désavantages des écrans et de l'accessibilité à ces applications pouvant causer problème. Il faut donc intervenir et mettre en place des structures qui permettront aux utilisateurs de mieux comprendre l'incidence des technologies sur leur vie quotidienne. Je vous donne un exemple. Je dis aux jeunes adolescents qui font des expériences de ne pas se filmer, et les jeunes se demandent pourquoi, et j'essaie de leur dire pourquoi. Donc, on doit, dès qu'ils sont petits, apprendre aux enfants à bien intégrer dans leur routine... mais à se respecter dans ce qu'ils font et à savoir aussi que tout ce qu'ils font est retraçable.

• (17 h 30) •

De fait, lors des conférences offertes aux parents d'élèves des écoles visitées par le Centre Cyber-aide, et de plus en plus des écoles primaires, troisième, quatrième, cinquième et sixième année, ils affirment, en conséquence, vouloir être outillés afin d'en prévenir les conséquences. Et plusieurs des parents qui viennent à nos conférences font déjà certaines choses, donc ils viennent valider tout simplement. D'autres s'en font pour des raisons... d'autres sont trop permissifs, d'autres sont trop répressifs avec les utilisations des écrans. Il y a besoin, besoin d'information.

Aussi, afin de bien cerner le phénomène et pouvant mettre de l'avant les solutions appropriées, le Centre Cyber-aide a mis en place un projet éducatif visant l'utilisation saine et sécuritaire des écrans via Internet. Le projet, appelé En tant que victime, auteur et témoin de sexting, de cyberagression et de sextorsion, est financé par plusieurs ministères et en est à sa troisième année d'existence. Ce guide était pour répondre à des besoins criants dans les écoles quand il y avait des cas de sexting. Alors, l'exploitation sexuelle, la cyberagression, la sextorsion et les sextos ne sont pas que dans les universités et collégial, il faut aller en amont.

Dans le cadre de ce projet, plusieurs apprentissages des besoins ont été soulevés, et c'est à partir de cette expérience terrain et en collaboration avec plusieurs professionnels qu'un guide lié au projet a été conçu. Encore une fois, notre expérience terrain démontre que les parents sont peu ou pas outillés pour réagir ou prévenir les comportements inappropriés de leurs enfants.

Le portrait est le même si on aborde, par exemple, le sexting. Le sexting, pour vous expliquer, c'est comme un texto, mais c'est un sexto, c'est l'envoi de photos osées, de vidéos ou d'écriture à caractère sexuel, pornographique. C'est extrêmement banalisé chez nos jeunes en ce moment. Il s'agit d'un phénomène qui prend de l'ampleur et qui, bien que relativement connu — maintenant, les parents savent que les jeunes peuvent s'échanger des photos osées, mais ils ne savent pas comment bien encadrer ou prévenir ces gestes — on constate que les milieux se retrouvent souvent fort mal outillés pour y faire face. En revanche, il est possible d'agir dès maintenant pour enrayer ce phénomène grâce à la sensibilisation et l'information offerte à nos jeunes, à leurs parents et à nos milieux.

C'est ici que je désire attirer votre attention. Je n'ai pas assez de temps pour tout lire, mais je tiens à souligner un fait important. Parlons des facteurs de risque. Je suis à la veille d'aller bientôt dans les cours prénataux pour l'utilisation saine et sécuritaire des écrans, parce que les enfants, par exemple, de zéro à deux ans ne doivent pas utiliser des écrans pour leur santé physique, psychologique, motricité, le développement du langage, de l'attention, de la concentration. Donc, les parents doivent savoir, avant d'avoir leurs enfants, qu'est-ce qu'on fait ou pas. J'en suis rendue là. Donc, je tiens à souligner un fait important, les facteurs de risque.

Qu'ils soient personnels, environnementaux ou sociétaux, quand on parle des facteurs de risque, c'est des facteurs de risque de quoi? De devenir victime ou auteur de sexting, d'être une victime de violence sexuelle, de développer des comportements de dépendance, de cyberdépendance, d'être victime de cyberintimidation ou d'intimidation. Quand on parle des facteurs de vulnérabilité, c'est qu'est-ce qui peut accentuer, justement, la possibilité d'être une victime ou auteur. Bien, en ce moment, tous les facteurs personnels, environnementaux ou sociétaux, pour toutes les problématiques, sont pratiquement les mêmes, c'est-à-dire facteurs personnels, pour le risque d'être une victime de pornographie juvénile — pauvre estime de soi, pauvre capacité d'affirmation, un questionnement sur son orientation sexuelle, pauvre gestion des émotions — des facteurs environnementaux de risque — environnement familial complexe, des conflits — des facteurs sociétaux — pression de la beauté et de la performance — on tombe... les facteurs de risque d'être une victime de violence sexuelle — pauvre estime de soi, pauvre capacité d'affirmation, un questionnement sur son orientation sexuelle, victimisation antérieure, la famille, les conflits, les facteurs sociétaux, l'environnement, l'hypersexualisation. Et là vous avez accès à tous ces tableaux-là. Les facteurs de risque et de vulnérabilité d'être auteur aussi, c'est là, hein : faible estime de soi, abus de substances, problèmes de comportement, difficultés dans la famille, violence dans la famille — encore une fois, on continue — cyberintimidation, intimidation.

Et, je vais y arriver, c'est important que vous compreniez ce volet parce que c'est vraiment le plus important de mon intervention aujourd'hui, c'est-à-dire, pour corriger la situation, il est primordial que cesse le travail en silo. Et là je m'explique.

Ça fait huit ans qu'on fait des demandes à différents ministères pour finalement contrer les mêmes vulnérabilités. Donc, quand on veut faire de la prévention à la cyberdépendance, dépendance, on va vers la Santé. Quand on veut faire de la prévention à la criminalité, on va vers la Sécurité publique. Quand on veut faire de la prévention dans les écoles ou de l'intimidation, on va vers le ministère de la Famille. Ce sont toutes les mêmes vulnérabilités. Là, on parle toujours de prévention. Je ne parle pas de thérapies, d'interventions, d'arrestations judiciaires. O.K.? On parle de prévention, avant. Alors, le travail en silo doit cesser maintenant. Donc, on doit se réunir, former un comité avec tous les ministères et réunir tous les outils existants, déjà faits, déjà créés pour ça, pour contrer les facteurs de vulnérabilité.

En ce sens, il est important de sensibiliser et d'informer correctement la population concernant l'utilisation abusive et inadéquate des écrans. Les personnes plus vulnérables à l'utilisation inadéquate des écrans, n'oubliez pas les personnes qui ont le trouble du spectre de l'autisme, déficience intellectuelle, ce sont des victimes aussi d'exploitation sexuelle via le Net. Les facteurs de risque, qui augmentent plusieurs types de comportements inadéquats, des facteurs de protection, encore une fois, ça va servir pour toutes les causes, la réponse faussement efficace que sont les écrans face à la détresse et les besoins de savoir-être et de savoir-faire des parents et des intervenants de tous les milieux.

À notre avis, ces efforts de sensibilisation et d'information doivent s'intéresser tout particulièrement aux parents. Comme je vous dis, je suis à la veille d'aller dans les cours prénataux. Je pense que c'est là où il y a une plus grande ouverture à écouter comment on doit bien gérer les écrans avec notre enfant. Nous savons, expérience terrain et recherches à l'appui, qu'Internet et les technologies sont un facteur important dans la diffusion des contenus contribuant à forger les conceptions de nos jeunes concernant les relations amoureuses, sexuelles ou leurs comportements. Aussi, il devient incontournable de fournir aux parents une information minimale concernant Internet leur permettant de mieux agir pour prévenir ou réagir aux situations problématiques. Et, si les parents ont des difficultés ou un manque d'habiletés parentales, on doit les accompagner à développer des compétences pour ensuite les transférer à leurs enfants. Certes, les enfants ont besoin d'un cadre, de règles de vie et d'arguments pertinents pour comprendre.

Alors, quand j'explique à des petits élèves de troisième année pourquoi ils ont de la difficulté à quitter Fortnite et que je les fais rire pendant une minute pour qu'ils comprennent que Fortnite joue dans le circuit de la récompense, ces petits enfants là comprennent qu'ils doivent quitter le jeu. Ils ont besoin d'arguments, ils ont besoin... À cet âge-là, ils ont accès à un monde, alors ils ont besoin de savoir pourquoi on s'inquiète.

Puisque les parents occupent une place fondamentale dans la vie de leurs adolescents, dans leur éducation, il est conséquemment important de viser prioritairement cette clientèle. Vous aurez compris, pour l'ensemble de ce qui est dit précédemment, que les milieux scolaires sont des acteurs privilégiés et à privilégier. Je le sais qu'on remet beaucoup aux écoles. Je suis constamment dans les écoles. Mais il faut leur donner les moyens de moyenner, par exemple. Alors, si on veut que les écoles offrent des conférences aux parents, que les écoles offrent des ateliers, on leur offre les moyens. En ce moment, le Centre Cyber-aide charge les services aux écoles pour donner de l'information que les écoles auraient dû avoir depuis longtemps gratuitement. On leur a imposé les écrans, on leur a imposé les tableaux, on impose les jeux, mais on ne donne pas de mode d'emploi pour les comportements.

À notre avis, la question de l'accessibilité à Internet et la pornographie est un incontournable dans les choix de thèmes à considérer dans les interventions. Nous sommes déjà actifs sur le terrain à informer et sensibiliser les jeunes à ce propos. Il faut de toute urgence inculquer à nos jeunes les bons comportements, transférer le civisme d'un monde à l'autre, tout ce qu'ils apprennent dans un monde, leur faire penser de le transférer dans l'autre monde : civisme, civisme, respect, respect.

Les jeunes, nos jeunes, valent que nous nous en préoccupions. Ils valent surtout que nous nous en occupions dans délai. Alors, voilà, c'est l'urgence d'agir, prise 2. Merci.

• (17 h 40) •

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour cette prise 2. Alors, je vous remercie de votre exposé. Nous allons maintenant débuter la période d'échange avec les députés, débutant avec la députée de Roberval.

Mme Guillemette : Merci, M. le Président. Donc, merci. C'est choc. Il y a une phrase dans votre mémoire où vous dites : «Les CALAC de Rimouski estiment que les ados, surtout âgés de 13 et 14 ans, représentent environ 30 % des consommateurs de pornographie.»

Mme Tétreault (Cathy) : Tout à fait. Et je vais aller plus loin que ça. Ça fait quand même longtemps, cette étude-là. En ce moment, la moyenne des jeunes qui visitent les sites pornos ont 10 ans. Mais ce n'est pas par besoin, c'est par curiosité. O.K.? Mais les conséquences face à ce qu'ils voient sont quand même... Pour certains jeunes, ça va bien aller; pour d'autres, ça peut être très troublant. Et je demande à ces jeunes-là : Pourquoi vous n'en avez pas parlé à vos parents que vous avez vu ça? Puis ils me disent : Mes parents vont m'enlever l'accès à mes technologies. Voilà. Mais ça commence vers vraiment très tôt, parce qu'on en entend parler, ils en entendent parler à l'école, ils en entendent parler par les grands puis ils voient ça dans des émissions, aussi, un peu accessible aux jeunes, finalement.

Mme Guillemette : Comment on fait, en tant que parents, pour se tenir à jour dans tout ce beau monde virtuel là. Yellow, moi, mon collègue a tapé «Yellow», il m'a montré c'était quoi. Écoute, on fait quoi, en tant que...

Mme Tétreault (Cathy) : Je ne ris pas, O.K., ce n'est pas drôle, là. J'ai vraiment votre attention, je suis contente.

Mme Guillemette : Non, mais on fait quoi, en tant que parents, là? Et quelles mesures on pourrait mettre en place, concrètement, pour soutenir les parents?

Mme Tétreault (Cathy) : Il y en a déjà. Il y en a déjà.

Mme Guillemette : Même en région?

Mme Tétreault (Cathy) : Il y en a déjà, des mesures. Il y a des conférences accessibles. Et ça serait de les offrir gratuitement aux parents. J'ai approché depuis huit ans des ministères pour leur dire que j'ai de l'information pour prévenir. Et je leur ai dit : Une ligne d'information... Moi, je réponds bénévolement à des appels de parents pour les informer. Quand les parents ont de l'information, ça prend 30 à 40 minutes, et après ils vont retrouver leur pouvoir, parce que les valeurs, ce sont les mêmes valeurs d'un monde à l'autre.

Alors, si je réponds à votre question, comment on fait pour savoir ce que notre enfant utilise, c'est la communication, c'est le lien de confiance puis c'est... Quand ils sont petits, déjà, on établit des règles. Donc, c'est très utile, les écrans, c'est très ludique, les jeux, Netflix, et YouTube, et compagnie, c'est très ludique, mais voici ce qu'il faut faire, voici ce qu'il faut prioriser dans ta vie de tous les jours. Et, les parents, quand ils ont les arguments assez forts, je dois vous dire qu'ils repartent puis ils disent : Bien, voyons donc! Finalement, je ne suis pas poche comme mon enfant me dit, je fais bien de m'en faire. Mais oui, c'est tout un monde. Et je dis souvent aux parents : Ce n'est pas confidentiel, ce qui se passe. Il y a 7 milliards de personnes qui ont accès à ce que vos enfants font, et pas vous. Ce n'est aucunement confidentiel. Mais est-ce qu'on va fouiller dans les choses de nos enfants? Ça dépend.

Donc, c'est là tout le contexte, toute l'information puis toute la spécificité. Et nous avons l'information. Et je cogne, et nous cognons... Nous sommes une petite équipe avec des professionnels, des doctorantes en psychologie, je prends les gens que je peux, et nous allons dans les écoles offrir les services. Nous ne fournissons pas. Et je vous dis que ces services-là doivent être offerts gratuitement aux parents et aux écoles. Mais il y a de l'information de base à donner, et, quand je la donne, les gens réalisent à quel point, par exemple, c'est quoi, Internet, c'est quoi, un outil, les écrans, et c'est quoi, une application. Juste en partant, ça, il faut que tout le monde sache ça. Ça fait 60 ans que ça existe, Internet, puis il y a des gens qui ne savent pas qui l'a inventé. Comprenez-vous qu'on part de loin dans l'information? Alors, oui, on veut arrêter l'exploitation sexuelle, vraiment, mais pensons à long terme. Pensons à long terme.

Mme Guillemette : Merci.

Mme Tétreault (Cathy) : Bienvenue.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Qui a inventé Internet?

Mme Tétreault (Cathy) : L'armée américaine.

M. Leduc : Oui. O.K. C'est bon. Tout le monde se posait la question, ici, hein, avouez, avouez. C'est bon.

Mme Tétreault (Cathy) : Mais pourquoi ça a été inventé?

M. Leduc : Ce n'est pas sûr. C'est ça...

Mme Tétreault (Cathy) : C'est ça qui est important. Pourquoi ça a été inventé? Dans le but que la communication ne soit jamais coupée. C'est pour ça qu'on appelle ça une toile et que l'accessibilité à notre information est toujours présente, toujours, et sera toujours présente. Et, quand on sait ça, on en fait moins, de niaiseries, quand on est ado.

M. Leduc : On a abordé légèrement la question de tout ce qui était en ligne, hier, en partie avec une femme qui s'appelle Nellie Brière puis le service de police de Gatineau, si je ne me trompe pas, puis je ne sais pas si vous êtes...

Mme Tétreault (Cathy) : Oui, oui. Ils ont créé un programme, oui.

M. Leduc : Oui, c'est ça. Et là il y avait comme une espèce de flou sur qui devait s'occuper de policer les réseaux sociaux ou l'Internet au sens large, puis le service de police semblait un peu dépassé par l'ampleur de la tâche. Ils nous disent que, déjà, pour faire procéder des dossiers, ça prend beaucoup de temps, ne serait-ce que pour inspecter le contenu d'un téléphone cellulaire qui a été saisi. Alors, pour commencer à dire qu'on va policer les sites Web, les réseaux sociaux pour les mineurs, etc., ils cherchaient des solutions.

Je comprenais qu'ils laissaient une porte ouverte pour, peut-être, des civils ou des groupes communautaires. Est-ce que vous, vous avez une réflexion par rapport à ça? Est-ce qu'il faut nécessairement la police qui fasse le travail sur les réseaux sociaux?

Mme Tétreault (Cathy) : Ce n'est vraiment pas ça qu'on conseille, justement, parce que c'est vraiment trop large, trop grand, c'est trop accessible. Alors, si on commence à prendre le temps de tout, justement, surveiller, et vérifier, et dénoncer, c'est vraiment... Comme c'est un monde qui n'est encore pas trop connu, comme c'est un monde dans lequel les parents puis les gens ne connaissent pas trop ce qui se passe, à part de policiers et enquêteurs spécifiques, bien, on est mieux d'y aller avec les comportements à prioriser. On est mieux d'y aller avec ce que... développer des compétences, développer des habiletés relationnelles, sociales chez nos enfants plus jeunes. Malheureusement, il y a des jeunes qui ne savaient pas que les photos pouvaient être transférées, que les photos restaient, par exemple. Puis on a beaucoup de victimes en ce moment aussi, mais dites-vous qu'à long terme on va rattraper ça par de l'information.

Puis de faire la police des applications... Moi, je pense que la responsabilité vient à ceux qui l'utilisent, la responsabilité vient aussi à ceux qui les entourent, vient aux parents, tu sais. Dans le fond, c'est le même monde que le monde réel, dites-vous ça, c'est le même, même monde. S'il y a des victimes, si quelqu'un est victime dans le monde réel, elle va être victime dans le monde virtuel. C'est le même profil. Alors, si on intervient bien en prévention, en information, ça va aller de soi sur le Net aussi.

Puis on parle toujours dans le monde de prévention, je ne parle pas de judiciaire, là, mais... je ne suis pas pour la répression, je ne suis pas pour tant qu'ils n'ont pas l'information, du moins. On va s'assurer qu'il y ait l'information avant de donner des peines. Il y a plein de gens, il y a plein de jeunes qui ne savent pas que le Code criminel canadien s'applique à partir de 12 ans. Donc, en partant, on peut-u leur donner l'information, on peut-u leur donner de l'information? Puis après ça leur dire : Ah! là, tu le savais, bien, ils ne le savent pas. Tu sais, c'est qu'on part de loin dans ça. Puis je sais que je choque, en ce moment, que je trouble, mais, en même temps, c'est essentiel, là. J'ai une voix, là, qu'on m'entende. Qu'on entendre l'équipe. Puis je parle pour tous les parents que je rencontre, je parle pour toutes les victimes de «sexting», les auteurs, je parle pour tous ces gens-là en même temps.

M. Leduc : Merci beaucoup.

Mme Tétreault (Cathy) : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Merci, M. le Président. Âge moyen pour visiter des sites pornos, 10 ans. Moi, ma fille, elle a 11 ans, donc là je suis après me demander quand est-ce qu'elle y a été. Puis moi, je suis un parent qui... je suis assez zélé sur les appareils électroniques. Ce qui me limite, en fait, c'est qu'on dirait que les programmes pour limiter l'accès des enfants ne sont pas tout à fait à point. On essaie de trouver... Je barre le Windows avec les contrôles parentaux, j'approuve à toutes les heures son comportement, quand elle va sur l'Internet, il faut qu'elle fasse ça dans un lieu public, mais c'est impossible, vraiment...

Mme Tétreault (Cathy) : Bien, c'est très fatigant, là, ce que vous dites là.

M. Skeete : Bien, c'est assez exigeant, effectivement, ça devient une contrainte de temps, effectivement. Mais ce qui m'a frappé, surtout, c'est... puis la phrase que je retiens, c'est d'établir un contre-discours à la pornographie.

Mme Tétreault (Cathy) : Oui, tout à fait.

M. Skeete : J'aimerais vous entendre sur vos idées, là. Là, c'est le temps de rêver : La société qui offre un contre-discours à la pornographie, c'est quoi?

• (17 h 50) •

Mme Tétreault (Cathy) : C'est d'expliquer aux enfants que les relations sont égalitaires, d'expliquer aux enfants ou aux adolescents, quand ça va être le temps, que la sexualité, elle est saine, d'expliquer aussi aux adolescents que les sites pornos, ce sont des acteurs qui, la plupart du temps, souffrent, ce sont des fantasmes qui sont reproduits, et que ce n'est pas la réalité. Un contre-discours à la pornographie ou à l'hypersexualisation, tout ce qu'on voit, c'est de développer leur jugement critique, c'est qu'ils commencent très tôt, maintenant, malheureusement, à se protéger, dans le sens que, quand on était plus petits... Et je vais parler pour moi. Quand j'étais plus petite, on jouait dehors, et il n'y avait aucune préoccupation sur... il n'y en avait pas beaucoup, du moins, sur l'inconnu, par exemple. Mais, quand maintenant on joue à Fortnite et on a 12 ans, c'est qui, l'inconnu? Parce qu'on parle et on s'amuse avec des inconnus. Alors, il y a des parents qui m'ont dit : Mais comment je dis à mon enfant de ne pas dire ses informations à un inconnu? Je dis : Bien, dites à votre enfant qu'un inconnu, même si ça fait six mois que tu joues avec cette personne-là et que tu lui parles, si maman ou papa ne la connaît pas, c'est un inconnu. Si maman ou papa ne connaît pas cette personne-là avec laquelle tu joues, ça demeure un inconnu, tu ne donnes pas d'information.

Vous comprenez qu'il faut s'ajuster dans nos définitions, il faut s'ajuster dans nos transferts d'apprentissages aussi, puis il faut qu'ils développent... Dans le sens que ce que vous faites comme contrôle, c'est bien, mais ça ne lui apprend pas à se protéger, ça ne lui apprend pas à venir vous parler si elle vit des malaises, ça lui dit : Papa va me dire «je le savais», puis papa va peut-être m'enlever l'utilisation des applications. Alors, il faut repenser cette façon, cette approche-là, tu sais, il faut repenser... Oui, il faut vérifier, mais il faut repenser aussi : Est-ce que ma fille a la maturité d'aller sur TikTok, Instagram? J'ai des parents qui me disent : Moi, mon enfant ne touche pas à Facebook, mais je laisse Instagram. Mais je dis : Quelle est la différence? Facebook, c'est eux-mêmes qui ont établi le 13 ans, ça n'a aucun lien. Puis les parents pensent que Facebook... pensent que 13 ans, c'est correct.

Donc, faire un contre-discours à cette fausse information là, c'est de donner la bonne information, c'est comme ça. Alors, tu sais, si on prend un problème, on le regarde et on donne la bonne information, c'est comme ça qu'on va contrer les discours de la pornographie et de l'exploitation, ou des échanges de photos, ou de la banalisation, c'est en donnant la bonne information. Est-ce que ça répond un peu à vos...

M. Skeete : Bien, je me sens inadéquat, mais, oui, merci. Merci.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Tétreault (Cathy) : Écoutez, je fais vraiment cette impression-là.

M. Skeete : Non, mais c'est correct. C'est important qu'on se sente comme ça. Ça va nous forcer à faire plus.

Mme Tétreault (Cathy) : Allez chercher... Mais c'est parce que, si on vous avait dit ça avant que l'écran entre chez vous, vous auriez établi une routine, et un encadrement, et une façon de faire. On ne vous l'a pas dit. Alors, ne jamais vous taper sur la tête, et c'est la première chose que je dis aux parents, ne jamais vous taper sur la tête, si vous avez passé à côté. Vous ne l'aviez pas, l'information. On vous a rentré ça comme ça, Internet, les tablettes, les jeux, les cellulaires, les iPod, mais il n'y a personne qui vous donné un mode d'emploi. Et là on repart, si vous le permettez, à zéro. On donne un mode d'emploi aux parents sur l'utilisation saine, la santé et l'utilisation sécuritaire, les prédateurs, etc., et aussi pour la sexualité.

M. Skeete : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Il y a quelques années, quand j'étais ministre de l'Immigration, on a préparé un plan contre la radicalisation, et il y avait cette dimension utilisation responsable de l'Internet, donc il y avait du financement pour les écoles. Et donc ils ont fait une formation des profs, etc. Puis c'est un peu la même... dans un sens, une force noire inconnue. On ne sait pas qui est à l'autre bout et qui radicalise. Et, dans un sens, c'est un phénomène... il y a un des intervenants qui a comparé un peu ça à la radicalisation, c'est-à-dire le même genre de phénomène.

Et le commentaire qu'on nous faisait, c'est que c'est possible d'apprendre à un jeune. Et c'était ça, l'objectif, parce qu'on ne pourra jamais contrer l'accès à l'Internet, et l'usage de l'Internet, et tout. C'est de l'utilisation responsable par la communication. Donc, vous... Et à quel âge? Comme vous dites, avant deux ans, non, c'est dommageable, mais après ça, petit à petit, toujours responsabiliser, donc beaucoup de communication, et leur... Comme vous dites : Voici, comment dire, les signes de, peut-être, danger, de précaution, etc., puis... Bon. Donc, c'est peut-être par là qu'il faut passer, essentiellement, parce qu'on ne pourra pas empêcher l'usage.

Mme Tétreault (Cathy) : Exactement, vous avez tout compris. On ne peut pas partir d'en haut, il faut partir d'en bas. Il faut repartir la machine en donnant la bonne information, et tranquillement on va enrayer, on va prévenir tous les types de comportements. Dites-vous une chose : Que ce soit la toxicomanie, la sexualité, la violence, l'intimidation, ce sont tous les mêmes facteurs de vulnérabilité ou presque. Et les facteurs de vulnérabilité, on s'entend qu'il y a manque d'information, beaucoup, de la part des parents. Comment on veut intervenir ou protéger notre enfant si on n'a pas l'information pour le faire? Et, quand je termine mes conférences, les parents attendent en file parce que... Ah oui! Mais j'ai compris! Ah oui! Mais c'est vrai! Ah oui! Mais ça, enfin, enfin on a l'information.

Vous avez raison. Que ce soit pour la radicalisation, que ce soit... ce sont des personnes plus vulnérables. Mais, pour M., Mme Tout-le-monde, on a quand même besoin d'avoir cette information, quand même, même si on n'est pas vulnérable, parce que ça fait partie de nos vies, maintenant. Et ça, ce n'est pas là, vous ne l'avez pas, tu sais. Et c'est à petites gouttes qu'on peut la distribuer.

Je suis allée aussi au ministère de la Santé, ça fait longtemps, puis ça, je voulais le donner, je voulais le donner. Et en ce moment, ce livre-là, bien, c'est une maison d'édition qui m'ont offert de l'écrire, parce qu'il y avait trop de demandes des parents. Moi, je leur ai donné l'information.

Mme Weil : Et, pour l'instant, donc, il n'y a pas d'intervenant comme vous, là, dans les écoles? Ils sont...

Mme Tétreault (Cathy) : Non...

Mme Weil : Non, mais ce que je veux dire, ça ne se fait pas, là, c'est vide?

Mme Tétreault (Cathy) : Oui. Je ne fournis pas.

Mme Weil : Essentiellement, ce que vous recommandez, c'est qu'il y ait, justement...

Mme Tétreault (Cathy) : Qu'il y ait de la formation, qu'il y ait une ligne info-parents pour tous les types de comportements à problématique sur le Web, par exemple. On intervient... Dans le fond, ils ont besoin d'avoir une base, ils ont besoin d'avoir des apprentissages, ils ont besoin d'avoir des trucs, puis, comme ça, ils vont voir un peu, évaluer. Puis, si on s'aperçoit que c'est vraiment plus spécifique, comme problématique, on les réfère. Si c'est la cyberdépendance, on les réfère au centre de réadaptation en dépendances. Si c'est la sexualité, on les réfère à des sexologues. Si c'est des victimes, on les réfère à CALACS, CAVAC.

Mais, avant ça, il y a un besoin de services et de savoirs. Et les personnes lesquelles qu'on peut engager au Centre Cyber-aide, c'est nos stagiaires en psychologie qui restent avec nous et qui sont devenues doctorantes mais spécialisées. Mais on ne les a pas tout le temps avec nous. «Doctorantes» veut dire beaucoup occupées. Et les façons qu'on a de financer, aussi, les projets, pour être sûrs d'apporter l'information aux parents, c'est par projets, par appel de projets. Donc, c'est beaucoup, beaucoup de travail pour une petite madame comme moi, vous comprenez?

Et aujourd'hui je me suis dit : Je dois avoir l'écoute parce que je ne sais pas si je vais avoir encore la santé de tenir longtemps pour m'assurer que l'information aille partout. Il faut s'assurer... Je vous le dis, je vous le jure, que cette information-là doit être donnée partout en même temps.

Mme Weil : Merci.

Mme Tétreault (Cathy) : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre contribution à nos travaux. Merci de votre exposé.

La commission suspend ses travaux quelques instants, où elle se réunira en séance de travail. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 17 h 58)

Document(s) associé(s) à la séance