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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le mercredi 13 octobre 2010 - Vol. 41 N° 10

Consultation générale et auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-cinq minutes)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Je constate quorum des membres de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, donc je déclare la séance ouverte, en rappelant le mandat de la commission: la commission est réunie afin de procéder à la consultation très générale et des auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Non, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Alors, on va procéder. On a trois témoins pour ce matin -- ça, c'est l'horaire pour Québec, qui va me confondre. Parfait. Alors, sans plus tarder, on va entendre nos premiers témoins, qui sont les médecins de la Division de la gériatrie de l'Université McGill, représentés par Dr José Morais et Dre Nadine Larente. Alors, qui de vous deux va commencer? Dr Morais?

Auditions (suite)

Médecins de la Division de la
gériatrie de l'Université McGill

M. Morais (José A.): Je peux commencer. Mon nom est José Morais. Je suis le directeur de la division.

Le Président (M. Kelley): Vous êtes le bienvenu.

M. Morais (José A.): Merci. Je remercie la commission de donner le droit de parole pour parler d'un sujet aussi sérieux que l'euthanasie. Vous savez, après autant d'auditions, vous avez sans doute déjà entendu beaucoup de points de vue divergents, d'un bord comme de l'autre, puis on vous remercie de nous permettre de le faire à ce stade-ci.

Je voudrais mentionner que vaincre la souffrance est un but que tout médecin recherche, parce qu'on recherche le bien de nos patients. Et puis l'euthanasie, à ce moment-là, nous inquiète, parce que la société nous voit comme étant ceux qui vont pratiquer l'acte causant la mort du patient.

Accorder ce droit-là d'enlever la vie est un bouleversement radical vraiment dans notre pratique, nous qui avons été formés pour soulager et apporter le réconfort. Notre pratique, elle est déjà encadrée par un code de déontologie qui est basé sur le serment d'Hippocrate, même si de nos jours on ne fait pas de serment. Mais ces principes-là ont aidé la médecine, depuis 2 500 ans, à donner aux patients ainsi qu'à la profession toute sa noblesse, et l'introduction de l'euthanasie viendrait changer énormément le contexte de la relation patient-médecin.

Vous savez que le système de santé est présentement et depuis un certain temps d'ailleurs... fonctionne avec des ressources très limitées. Et souvent le médecin devient le défenseur du patient dans ce système qui, malgré qu'il existe pour aider le patient, en même temps c'est un système qui a ses propres buts qui diffèrent des soins des patients comme étant le centre de leurs préoccupations, du moins c'est une observation qu'on vit en milieu hospitalier, où tout est vu en accéléré et avec beaucoup de pression.

Alors, la proposition récente d'inclure l'euthanasie dans les modèles de soins arrive à une époque de l'histoire de la médecine où, plus qu'à tout autre moment, nous possédons les moyens de soulager la souffrance. Alors, on se demande pourquoi introduire l'euthanasie dans notre pratique médicale.

Certains perçoivent que c'est peut-être consécutif à un certain acharnement thérapeutique. Nous, dans la division, on est conscients que tout extrême, qu'il s'agisse de l'acharnement thérapeutique ou de l'euthanasie, doit être évité. On a déjà des principes qui nous guident pour ne pas aller ni dans un sens ni dans l'autre. Par exemple, nous avons des principes telle la proportionnalité des soins, qui implique d'offrir des soins dont l'efficacité est reconnue et dont les bénéfices surpassent les risques encourus pour le patient qu'on est en train de traiter. Nous avons aussi des principes de futilité de traitement où on n'est jamais obligé d'offrir un traitement qu'on juge qu'il n'apporte pas une solution à la maladie ni au patient. Puis on se sert de ces principes déjà dans notre pratique, de même qu'on est très respectueux du principe d'autonomie du patient, qui a le droit de refuser tout traitement.

Pour toutes ces raisons-là, on juge qu'à ce stade-ci, du point de vue éthique, d'introduire l'euthanasie, ce n'est pas justifié. De plus, nous croyons que, si l'euthanasie est acceptée dans notre société, dans notre pratique médicale, il y aura des conséquences néfastes sur les soins de santé.

**(9 h 40)**

En tout premier lieu, j'ai déjà mentionné le fait que la relation patient-médecin, basée sur une confiance que le médecin fera tout son devoir pour aider le patient et ne pas lui causer de tort ni lui enlever la vie, vient à la base d'être fauchée. On ne peut pas empêcher des patients de penser que, si le médecin propose l'euthanasie, est-ce qu'il le fait dans un but d'aider le patient ou parce qu'il veut plutôt suivre le système de santé, les exigences de soin du système de santé? Et puis beaucoup de personnes âgées savent qu'il y a danger de glissement où, des personnes âgées qui n'ont pas les moyens de se défendre, on puisse leur proposer l'euthanasie. Et nous savons tous très bien qu'il existe beaucoup de cas d'abus dans des pays où l'euthanasie est acceptée.

On peut aussi penser que l'euthanasie, parce qu'elle apporte une solution rapide et commode, dans le sens qu'on peut causer la mort sans douleur, alors que le contraire, c'est devoir faire face à des situations très difficiles, cette solution-là de facilité va faire en sorte que, dans notre pratique, ça va être très vite quelque chose d'adapté. Et une des conséquences de ça, c'est qu'il y aura des répercussions directes sur les soins palliatifs.

Et là-dessus j'ai fait référence, dans notre mémoire, sur ce qui... l'impression du vice-premier ministre des Pays-Bas, le Dr Els Borst. Elle-même qui a aidé à introduire la loi sur l'euthanasie aux Pays-Bas s'est rendu compte que, suite à l'introduction de cette loi-là, les soins palliatifs aux Pays-Bas se sont beaucoup détériorés.

Pour toutes ces raisons, je crois qu'il faut s'abstenir d'avoir une loi qui encourage l'euthanasie. Et finalement je crois personnellement... Pour les personnes âgées, j'y ai déjà fait allusion, mais je voudrais répéter le fait que beaucoup de personnes âgées dépendantes vont se sentir, dans une culture où l'euthanasie est acceptée, vont se sentir comme avoir un droit de... de devoir mourir, vous savez, parce que soit elles-mêmes se perçoivent comme un poids, soit parce que les aidants qui les entourent leur font réaliser que leur existence n'a plus de but, puisque c'est dans une situation de dépendance et de souffrance. Et alors ce qui va arriver dans beaucoup de nos personnes âgées, c'est qu'elles vont perdre leur liberté de continuer à vivre.

Enfin, je crois que le gouvernement, ce qu'il devrait faire, c'est créer un environnement où tout malade devrait se sentir vraiment comme le centre de tous les soins, comme la cause de tous les efforts pour les aider. Et, à ce moment-là, l'idée de penser à l'euthanasie devrait être amoindrie.

Vous savez que, dans le système de santé, il y a beaucoup de problèmes. Et j'ai mentionné spécifiquement, pour les personnes âgées, trois catégories de situation: la première, c'est en soins intrahospitaliers, la deuxième, c'est les soins à domicile, et la troisième, les soins prolongés.

En soins hospitaliers de courte durée, soins aigus, beaucoup de nos personnes âgées, qui sont la large majorité de notre clientèle, environ un tiers à 50 % se détériorent parce que le système ne leur est pas propice. Il est orienté d'une façon pour améliorer l'efficacité, où la personne âgée ne cadre pas bien.

Nous faisons des efforts, au niveau de la division de McGill, pour instaurer un hôpital qu'on appelle ami des aînés, et ce genre de programme, ce genre de concept devrait être encouragé par notre gouvernement dans tous les hôpitaux du Québec. Je sais qu'il y a des efforts qui se font là-dessus, mais, nous, nous défendons énormément d'avoir de tels concepts à l'intérieur des hôpitaux dans le but de prévenir la détérioration des personnes âgées.

Aux soins à domicile, je sais pertinemment que le gouvernement a fait beaucoup d'efforts, surtout avec ce programme de virage ambulatoire, mais il y a encore beaucoup de choses à faire pour aider autant les patients que les familles, les aidants naturels qui s'occupent des patients. Il y a beaucoup de patients âgés à domicile qui n'ont pas tous les services requis, qui n'ont même pas un médecin de famille qui puisse s'en occuper, de leurs problèmes. Et présentement il existe des programmes pour les personnes âgées à domicile tels que SIPA à Montréal et PRISMA dans la région de Québec. Ces programmes ont été abandonnés sans cause, sans justification, à ce que je sache. Alors, probablement, il y a question de rediriger des budgets, mais enfin ce sont des programmes qui ont démontré leur efficacité mais pourtant n'ont pas été retenus, tout ça dans le but de venir en aide aux personnes âgées confinées à domicile.

En même temps, beaucoup des aidants naturels, ces personnes-là souffrent beaucoup de pression soit par des pertes financières qu'elles encourent, soit parce qu'elles se sentent dépourvues face aux soins que leurs dépendants, leurs membres de la famille exigent. Et il y a même des réseaux qui se forment au Québec -- et j'ai donné une adresse Internet à cet effet -- pour soutenir les aidants naturels au Québec.

Et finalement, au niveau des soins prolongés, alors il y a un petit nombre de personnes âgées qui vivent en soins prolongés parce que leur état est devenu très dépendant et il très difficile de les garder à domicile dans la communauté. C'est un endroit qui est particulier, dans le sens que les personnes sont à la fin de leur progression de leur maladie et de leur vie, mais on ne s'attend pas à ce qu'elles décèdent rapidement. Néanmoins, il y a toute une philosophie de soins qui demande un changement d'orientation d'une pratique curative à une pratique plus palliative. Malheureusement, il n'y a pas beaucoup de connaissances comment adresser les besoins de ces personnes âgées, parce que plusieurs d'entre elles ne sont pas en mesure d'exprimer leur douleur ou leur désarroi face à ce qui se passe autour d'elles.

Alors, moi, je pense que, pour ce milieu-là, il y a beaucoup d'améliorations à faire, des interventions plus palliatives et même, tout ça, sans créer davantage de coûts au système de santé, parce qu'il y a danger, quand on ne connaît pas un problème, d'intervenir des fois de façon exagérée et il y a lieu à l'acharnement thérapeutique parfois, dans cette situation-là, et en même temps à de l'âgisme, c'est-à-dire qu'on néglige complètement ces personnes-là qui sont placées. Alors, il faudrait encourager une meilleure pratique aux soins de longue durée et avoir une vraie attitude de soins palliatifs, ce qui manque énormément.

Puis je vais conclure sur les notes que j'ai écrites parce que je vois là tout le dilemme. Je vous le fais part maintenant. Alors, c'est que nous avons exposé les différents aspects qui préoccupent les médecins de la Division de gériatrie de McGill si l'euthanasie venait à être légalisée. Étant donné les moyens mis à notre disposition pour soulager la douleur, les principes éthiques pour prévenir l'acharnement thérapeutique et les risques de dérapage associés à la légalisation de l'euthanasie, nous considérons qu'il n'y a pas de justification valable pour changer la loi et y inclure le droit de mourir.

Il y aura toujours une minorité d'individus persuadés qu'ils s'octroient davantage d'autonomie en ayant le droit de décider de se donner la mort pour alléger leurs souffrances, celles-ci davantage morales que physiques, mais cette demande doit être considérée à la lumière du danger existant pour les personnes vulnérables ou sans défense qui pourraient subir un sort qu'elles n'ont pas recherché. Pour ces patients, dont beaucoup de personnes âgées, l'autonomie augmentée de quelques-uns se ferait au détriment de leur liberté. Qui plus est, l'effet néfaste de l'euthanasie sur la qualité des soins, et en particulier sur les soins palliatifs, rend ce changement de législation nocif pour la majorité de nos patients âgés, de sorte que l'euthanasie devient un risque beaucoup plus important que la compassion pour quelques-uns.

C'est notre opinion. On vous remercie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Morais. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Et peut-être, moi, je vais poser la première question, ça fait changement parfois, mais juste pour mettre le travail de la commission un petit peu dans un contexte, parce que, d'une certaine façon, c'est le monde médical qui ont interpellé les élus: le Collège des médecins, la Fédération des médecins omnipraticiens, la Fédération des médecins spécialistes. Alors, je ne dis pas... il y a d'autres considérations, mais on est en train d'assister un petit peu à un débat qui est lancé dans votre métier, qui interpelle notre métier.

Et on regarde vraiment la question de fin de vie. Vous avez évoqué beaucoup de questions sur la question du traitement des personnes aînées dans notre société, qui sont des questions vastes et très importantes. Alors, je ne veux pas négliger l'importance des conditions dans nos CHSLD et toutes ces autres questions annexes, le soutien qui est donné aux proches aidants. Ça, c'est les enjeux qui sont très importants pour notre société. Mais, notre commission, on essaie de limiter ça aux personnes qui sont gravement malades. Alors, c'est ça, notre univers un petit peu, plutôt que dans cette grande question.

**(9 h 50)**

Et un des constats que nous avons, parce que vous avez parlé du changement des relations entre les médecins et les patients, mais, moi, je dis: Presque tous les médecins qui sont issus du monde des soins palliatifs, c'est ça qu'ils réclament, c'est un changement dans cette relation. Parce que, pour le moment, je pense, c'est même un des médecins hier soir qui dit que les soins palliatifs, c'est la médecine d'échec. Et les médecins sont toujours là, vous avez bien évoqué ça. Ils sont là pour soigner, pour les traitements, pour les médicaments, pour une autre solution peut-être. Et peut-être, en toujours cherchant cette solution, on laisse à côté trop tard dans le continuum des soins appropriés les soins palliatifs.

Alors, moi, je pense, entre autres, au Dr Vinay, qui est aux soins palliatifs au CHUM ici, à Montréal, qui a même parlé de beaucoup de traitements inutiles. Et comme nous autres, comme gouvernement ou comme députés de l'opposition qui regardent les budgets à chaque année de notre système de santé, si quelqu'un... c'est grave de dire qu'on a les traitements inutiles quand on a des besoins criants de la petite enfance jusqu'aux personnes âgées dans notre société. On n'est pas... Je pense que tout le monde autour de cette table peut trouver des projets dans leurs comtés, des projets qui tiennent à coeur pour ajout. Alors, ce n'est pas un manque de projets ni d'imagination au niveau gouvernemental, mais il y a une limite à la capacité des contribuables de soutenir tous ces projets.

Alors, quand quelqu'un de votre métier arrive ici en parlant des traitements inutiles et quand on voit que les soins palliatifs sont toujours le cousin pauvre dans toutes les prises de décision... Je suis conscient que c'est un domaine qui est assez nouveau. Et, il y a 30 ans, c'était comme presque inconnu. Le Royal Vic a été parmi les pionniers au Canada pour mettre ça en place. Alors, on a fait des progrès, mais il reste beaucoup à faire au niveau de l'accès aux soins palliatifs. Mais il y a également une certaine suggestion de certains des témoins devant la commission que le problème commence, entre autres, avec les médecins, qui sont peut-être trop prêts à donner un autre médicament, un autre traitement. On va essayer une chimio, on va essayer...

Alors, comment changer cette mentalité? Parce que, je pense, c'est, dans l'univers, quelque chose que nous devrons regarder. Malheureusement, tout le monde va mourir. C'est incontournable. Et est-ce qu'on peut réserver une place plus importante pour les soins palliatifs? Et, dans l'approche dans la gériatrie, est-ce qu'il y a une façon dans le métier médical? Ce n'est pas aux députés. Moi, ma maîtrise est en histoire, alors je suis loin d'être un expert dans la question des traitements appropriés pour les personnes âgées dans notre société. Mais il y a beaucoup de monde de votre métier qui sont venus témoigner ici en disant que, oui, effectivement il faut changer la relation entre le patient et le médecin. Et une des façons, c'est de donner une place beaucoup plus importante aux soins palliatifs dans le continuum des services qui sont offerts aux patients au Québec. Vos réactions?

Mme Larente (Nadine): O.K. Bien, moi, je peux répondre que, nous, en gériatrie, évidemment, la moyenne d'âge de nos patients est de 85 ans. Alors, on est dans la fin de vie. Par définition, là, on est dans la fin de vie. Malheureusement, bien, on n'a pas la même expertise que les gens en soins palliatifs, on ne voit pas les mêmes patients, mais on voit d'autres types de problèmes en fin de vie.

Je voudrais vous souligner que les soins palliatifs sont accessibles à une minorité de gens qui meurent avec cancer, mais c'est exceptionnel que des gens atteints de maladies terminales autres ont accès aux soins palliatifs. Alors, ça, c'est un gros problème.

Quand Dr Morais vous faisait part de nos craintes, elles ne sont pas que théoriques, nos craintes, parce que, dans ma pratique de 15 ans en gériatrie, les demandes d'euthanasie de patients gériatriques ne sont pas dues à la souffrance mais à la sensation d'une perte de valeur de leur vie, une sensation de fardeau. Récemment, avec la commission, j'ai eu trois, quatre commentaires pas de patients maintenant mais d'enfants de patients qui sont épuisés, qui disent: Moi, je ne veux pas faire vivre ça à mes enfants, j'espère que l'euthanasie va passer.

Alors, vous vous rendez compte que, quand, nous, on vous parle de nos craintes par rapport... on ne veut pas... l'euthanasie devrait, si jamais envisagée, devrait être une mesure d'exception. Et ça, ça veut dire que toutes les autres mesures sont en place. Ça veut dire que les soins palliatifs appropriés sont là, que les soins aux aidants... Je sais que vous voyez ça dans une... vous ressentez ça comme quelque chose qui est trop général par rapport à la commission, mais moi non, je ne vois pas ça comme ça du tout, parce que justement, en fin de vie, dans les maladies comme la démence, où il y a l'épuisement des aidants, c'est crucial de pouvoir offrir des soins de fin de vie appropriés, du support aux aidants, etc., parce que c'est de là que viennent les demandes.

Alors, oui, il y a des choses qu'on peut faire en médecine. On travaille beaucoup, beaucoup là-dessus présentement à l'intérieur même d'un hôpital, l'hôpital ami des aînés. L'hôpital ami des aînés, bon, c'est toutes sortes de mesures pour prévenir la détérioration. C'est aussi des mesures pour prévenir l'acharnement thérapeutique, valoriser les soins proportionnés. Bon. Alors, toutes ces mesures-là devraient être là, devraient être la base. Et l'euthanasie, bien, moi, on en reparlera dans 20 ans, quand on aura amélioré notre système de santé puis qu'il restera une vraie exception pour laquelle on voudra changer le cadre légal. Mais, sinon, si on le fait trop tôt, moi, je crains d'avoir justement, comme Dr Morais disait, des demandes de gens qui se sentent inutiles dans notre société, et qui se sentent un fardeau, et qui vont faire la demande, sans compter que les glissements qui ont été démontrés dans la littérature sont aussi par rapport à des gens plus vulnérables, des patients âgés qui étaient inaptes, finalement. C'est l'euthanasie pour des patients qui ne l'ont pas demandée, là. Si vous regardez la littérature, c'est souvent dans ces contextes-là

Alors, nous, comme médecins de la division, comme médecins gériatres, c'est vraiment... c'est une crainte qui n'est pas juste d'ordre théorique. C'est une crainte, je pense, qui est justifiée.

M. Morais (José A.): Qui est vécue. Je voudrais juste ajouter que je comprends que ce ne sont pas toutes les spécialités ni tous les médecins qui sont conscients de tous ces enjeux-là. Nous, parce qu'on voit beaucoup de gens en fin de vie avec des problèmes chroniques pour lesquels il n'y a pas de solution, de cure, on est plus sensibilisés que d'autres. Vous avez fait mention du Dr Vinay. Lui est probablement très sensibilisé et se rend compte qu'il y aurait peut-être eu lieu d'arrêter certains traitements même avant que les patients arrivent comme étant référés à lui. Mais ce dont il s'agit, c'est avoir un peu plus de discernement et de mettre en pratique les principes éthiques qui sont déjà là présents, et je les ai mentionnés, par rapport à l'autonomie, la proportionnalité, la futilité des soins. Malheureusement, certains médecins ont de la difficulté à jongler avec tout ça. Mais, si on les appliquait, moi, je pense qu'il y aurait... l'acharnement thérapeutique serait réduit de façon incroyable.

Et c'est ça qu'on essaie de faire dans notre spécialité, tout en évitant le contraire, qui est l'âgéisme, c'est-à-dire, parce que la personne a un certain âge, on ne fait plus rien, on la laisse à elle-même. Et ça, il y a un danger aux soins prolongés, CHSLD. Mais là même il y a aussi lieu d'avoir une approche plus palliative en réduisant beaucoup de médications, en réduisant des transferts en milieu de soins aigus qui causent du dérangement incroyable aux patients et pour lesquels, en milieu aigu, les décisions sont vite prises, on installe des tubes, on fait ci, fait ça. Puis après ça c'est quoi, le résultat?

Alors, ce n'est pas en ayant une loi sur l'euthanasie, qui permet l'euthanasie, qu'on va arrêter nécessairement l'acharnement thérapeutique. C'est plus d'éducation, plus d'emphase par le Collège des médecins, par nos fédérations d'appliquer ces principes-là. Et je pense qu'on pourrait atteindre des soins beaucoup plus humains, si vous voulez, où est-ce que le patient est vraiment le centre de tout ce qu'il y a autour. Et, à ce moment-là, l'euthanasie devient de moins en moins une nécessité.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.

**(10 heures)**

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, Dr Morais, Dre Larente. Vous me rappelez la présentation des Drs Bergman et Arcand qui sont venus nous voir au parlement pour nous parler de leur clientèle qui était plus spécifiquement des personnes atteintes d'alzheimer. Et, pour moi, ça avait été un grand drapeau rouge qui avait été levé parce que, vous savez, ici, on est en évolution et puis on reçoit beaucoup d'informations. Notre décision est loin d'être prise. Vous comprendrez que chaque commentaire qui est partagé ici a une grande influence sur ce qui va arriver des suites de cette commission. Et je crois que c'est très, très important d'entendre des gens comme vous qui côtoyez la mort.

Il y avait le Dr Arcand qui disait qu'à son CHSLD 30 % de sa clientèle meurt à chaque année. Alors, ils vivent... ils côtoient la mort de façon quotidienne et le vieillissement de la population. Lorsque j'ai lu votre... votre mémoire m'a un peu apeurée par rapport à... Il faudra qu'il y ait une révolution dans notre réseau de la santé, parce qu'on voit que les médecins ne sont pas... ils sont formés déjà depuis 20, 10, 15 ans, mais ils ne sont pas prêts à vivre avec le vieillissement de la population qui est à nos portes. Et je pense qu'on est encore dans un réseau de première ligne et puis de faire les choses rapidement, renvoyer les gens à la maison. Mais, tout ça, vous comprendrez que nous, comme M. le Président le disait tout à l'heure, nous ne sommes pas des experts.

Et j'aimerais vous entendre par rapport à... Dans votre mémoire, il y a plusieurs choses que vous mentionnez par rapport à des programmes comme SIPA, PRISMA que vous avez dit qui étaient des programmes de grande valeur mais qui malheureusement ont été abandonnés. Et aussi vous faites aussi mention d'une recherche sur les médicaments, les opiacés, et tout ça, qui devraient être utilisés avec les personnes âgées, parce que les médecins ne sont pas outillés pour bien prescrire ces médicaments-là. Et je me souviens que Dr Bergman disait que la gériatrie était 30 ans en arrière par rapport à l'avancement des recherches sur le cancer, c'est-à-dire par rapport à l'alzheimer, pardon. C'est qu'on a encore beaucoup de choses à découvrir et puis...

Mais, moi, j'aimerais vous entendre par rapport à où est-ce qu'on commence. Comment est-ce qu'on peut commencer déjà aujourd'hui à jeter les jalons pour demain, parce que, oui, peut-être que l'euthanasie, pour vous, n'est pas une solution à court ou même moyen terme, mais comment est-ce qu'on peut arriver à mieux soigner les aînés dans notre réseau de la santé?

M. Morais (José A.): Peut-être je ferais une petite intervention et ensuite Dre Larente. Moi, je dirais que la gériatrie, qui est une spécialité quand même assez récente, a débuté dans les années quatre-vingt, a reçu sa confirmation dans les années quatre-vingt, fin des années quatre-vingt, on essaie d'avoir de plus en plus d'influence dans nos milieux, on a fait beaucoup de pas dans cette direction-là, incluant le fait que maintenant nous donnons des heures de cours au niveau de la faculté sur qu'est-ce que c'est que le vieillissement et qu'est-ce que c'est que la personne âgée, et puis au niveau des stages en milieu clinique, quand les étudiants en médecine commencent à voir des malades, etc., chez nous, à McGill, de même que dans plusieurs autres facultés de médecine de la province, le stage gériatrie est maintenant obligatoire, et c'est là qu'on essaie de transmettre nos connaissances de même que notre philosophie de traitement, parce que, dans les autres spécialités, ils ne s'attardent pas au fait qu'il y a des décisions éthiques à savoir si je devrais offrir un traitement ou pas. D'emblée, dans beaucoup d'autres spécialités, on doit faire ça, alors que, nous, on tient en considération l'âge, la capacité du patient d'endurer les traitements, etc. Et c'est comme ça que tranquillement les médecins sont formés en vue de donner des bons soins aux personnes âgées, en considérant ces questions éthiques que vous avez fait référence.

Je crois qu'à travers aussi les séances, les programmes de développement professionnel continu qu'on appelle, l'éducation médicale continue, on essaie aussi de former les médecins de première ligne. Ceux qui sont déjà en pratique, ils n'ont pas notre... ils ne passent pas à travers nous. Surtout ceux qui travaillent en soins prolongés à la division de McGill, à toutes les années, nous avons trois jours de congrès pour former les médecins de famille sur la problématique de la gériatrie, des soins aux personnes âgées. Alors, c'est comme ça qu'on essaie de diffuser notre influence pour que les personnes âgées, au bout du compte, en bout de ligne, reçoivent de meilleurs traitements. Et c'est là qu'on essaie de faire passer ces principes éthiques que, nous, on se sert régulièrement, mais dont d'autres spécialités ne font pas autant cas.

Mme Larente (Nadine): Vous posez une question qui est fondamentale, parce que, vous savez, quand la gériatrie a commencé, on pensait qu'il y aurait 120 gériatres au Québec en 2010, on est la moitié de ça. Alors, c'est... Et pourquoi les gens ne veulent pas venir en gériatrie? Moi qui ai toujours voulu faire ça, j'ai de la misère à comprendre pourquoi pas, mais il reste que c'est probablement le reflet de notre société, on ne veut pas se voir vieillir, puis ce n'est pas quelque chose qui est valorisé, c'est... Moi, je dis: Ce n'est pas sexy, la gériatrie, puis on n'a pas des machines compliquées, on n'a pas des... Alors, il n'y a pas...

Mais les gens commencent à voir dans les hôpitaux, commencent à sentir ce qui s'en vient. Le vieillissement, on le ressent, 55 % des lits d'hôpitaux de soins aigus sont occupés par des gens de 65 ans et plus. Ça commence à vouloir dire quelque chose. On commence aussi à se rendre compte qu'on les traite et on... si on les traite comme on a toujours fait la médecine, ça va bloquer en quelque part. Alors, oui, là, il y a un commencement, mais ça passe par un changement de culture, et, vous savez, les changements de culture, bien, il faut investir, il faut investir du temps, du temps humain. Ça passe par l'éducation, ça passe par la valorisation, de ce que les gens qui font ça soient valorisés pour être capables d'avancer. Ça prend un investissement qui n'est pas un investissement important en termes de coûts, je pense, dans un budget même d'hôpital, de province ou... mais une campagne de sensibilisation au vieillissement, une campagne de sensibilisation à la personne vulnérable à l'hôpital, une campagne de... Parce qu'il y a des campagnes de financement pour le cancer du sein, pour les maladies cardiaques. Quand est-ce que vous avez vu une campagne de financement pour aider le vieillissement de la population, pour aider la dégénérescence? Ça ne fait pas partie de notre culture.

Alors, si on peut vous demander quelque chose, c'est de soutenir, de supporter toutes ces initiatives-là qui vont dans ce sens-là. M. Bolduc a fait parvenir aux directeurs d'hôpitaux un document pour améliorer l'approche à la personne vulnérable. Je pense que c'est... Ça semble facile sur papier, mais un changement de culture, ça ne se fait pas comme ça. Ça fait des années qu'on pratique la médecine aiguë de la même... et il faut changer cette mentalité-là. Puis, à chaque fois qu'on en parle, tout le monde dit: Oui, ça fait du sens, mais, quand vient le temps de supporter, bien là, c'est... bien là, il faut changer... il faut enlever à ce groupe-là pour donner à ce groupe-là. Et là, pour l'instant, là, on est encore à se battre pour pouvoir avoir ça dans nos hôpitaux, pour avoir des programmes, et ça se fait peut-être plus facilement dans les plus petits milieux. Dans les gros milieux, c'est difficile. Et puis, quand on regarde ça à Montréal, les soins aux personnes âgées, c'est variable d'un CLSC à l'autre.

Alors, par où on doit commencer? À la base, je pense, à la base, à notre société, dans nos hôpitaux, à l'école, peut-être, je ne sais pas, dans nos programmes. Ça devrait peut-être faire partie de la réforme scolaire, je ne sais... Mais c'est un changement dans notre culture qu'il faut faire, pas juste... à tous les niveaux.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dre Larente. Madame? Monsieur?

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Je peux y aller? Je vais y aller.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Le pont est débloqué, si j'ai bien compris.

**(10 h 10)**

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): C'est ça, oui, le pont est débloqué.

M. Morais, Mme Larente, merci de cette contribution à notre échange. Vous faites, dans votre mémoire, deux affirmations qui m'intriguent. En page 7, vous dites: «...[un effet] néfaste à long terme de l'euthanasie [...] consiste à affecter le libre choix de continuer à vivre.» Et, en page 11, vous dites: «...l'autonomie [...] s'exprime au détriment de [la] liberté.»

Quand une personne est en situation de fin de vie, qu'elle a une maladie incurable, qu'elle connaît les jours et les semaines qui l'attendent, qu'elle ne trouve plus de sens à sa vie, qu'elle a fait ses adieux, qu'elle est prête à faire ses adieux à sa famille, que toutes ses choses sont réglées, à partir du moment où vous reconnaissez le libre choix de continuer à vivre, qu'en est-il du libre choix de pouvoir décider de mourir dans des conditions qu'on peut choisir parce qu'on sait que sa fin de vie approche?

Et, quant à l'autre affirmation qui dit que l'autonomie s'exprime ou l'autonomie augmentée de quelques-uns se fait au détriment de leur liberté, moi, j'ai toujours compris, peut-être j'étais dans l'erreur depuis longtemps, que l'autonomie ça faisait partie de l'expression de la liberté. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Morais (José A.): Vous avez soulevé des points très importants, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais, voyez-vous, c'est que, premièrement, aucun principe n'est absolu dans tous les sens. Notre autonomie, elle a quand même certaines restrictions, et ça, ça se voit dans le quotidien tout le temps. Des fois, je suis pressé, je voudrais aller plus vite dans l'autoroute, mais il y a des lois qui m'empêchent d'aller plus vite parce que c'est mieux pour la société en général, et c'est là qu'il faut doser l'autonomie.

Et, quand je mentionnais ces phrases-là, c'est parce qu'il y a un danger et puis il y a déjà des manifestations de cela dans les pays où l'euthanasie a été acceptée, c'est que, parce que certains individus qui se sont... Une minorité, hein? Il y a tellement de gens qui sont à l'hôpital pour se faire traiter, ce n'est qu'un nombre infime qui vraiment insiste pour avoir l'euthanasie. Alors, considérant tous les effets potentiels néfastes de l'euthanasie, incluant celui-là, quand je faisais référence à la liberté, c'est-à-dire que des personnes vont se sentir obligées de devoir mourir parce qu'elles se perçoivent comme un poids pour la société. Alors, à ce moment-là, leur liberté aussi est restreinte par cet environnement qui favorise l'euthanasie plutôt que des efforts de soutenir la personne.

C'est là qu'est le dilemme, et votre commission aura à un moment donné à informer le gouvernement: Qu'est-ce qui est le mieux pour la société? Est-ce qu'on doit changer la loi pour satisfaire aux exigences d'un nombre restreint de patients qui... Remarquez bien, je ne voudrais pas être dans leurs souliers, c'est-à-dire c'est pénible. Mais, l'effet pour la société en général, quel message on lance? Est-ce que le gouvernement est là pour encourager la vie, etc., ou pour satisfaire les besoins de quelques personnes à cause de leur autonomie? C'est là, le grand dilemme philosophique. Mais notre point de vue, c'est qu'il ne faudrait pas abonder vers l'euthanasie à cause du danger pour le reste de la population, surtout nos personnes âgées.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Je me fais un peu l'avocat du diable. À partir du moment où vous reconnaissez le libre choix pour un individu de continuer à vivre, vous affirmez qu'aucun principe n'est absolu dans tous les sens, mais, quand on parle du libre choix à l'égard de la vie, c'est de continuer ou d'arrêter. Il n'y a pas beaucoup de sens, il y en a deux. Alors, pourquoi vous donnez préséance au libre choix de continuer à vivre, parce que la personne est dans une situation de prendre cette décision-là, et que vous ne lui reconnaissez pas le libre choix de dire: Dans les conditions actuelles de ma vie, je veux faire le choix de mettre fin à ma vie parce que j'ai vécu ce que j'avais à vivre, je ne trouve plus de sens, les choses sont entendues avec ma famille, avec l'équipe médicale qui m'accompagne depuis un certain temps, et je suis prête parce que je n'ai plus de valeur ajoutée dans les jours qui viennent et que la souffrance... et, pour un nombre x de raisons, ma dignité est dans une situation telle que, quand je me regarde, pour moi, c'est le temps de faire le choix?

M. Morais (José A.): Mais, en tout cas, moi, je trouve que, dans un scénario semblable, le danger, ce n'est pas uniquement pour cet individu-là, c'est pour tous les autres cas qui pourraient être forcés de subir l'euthanasie. Parce que c'est inévitable qu'il va y avoir du glissement. C'est comme ça que je le vois.

Et puis cette personne-là, elle n'est pas seule dans la vie, toute seule dans une île. Elle est avec un entourage. Il y a des répercussions. Il y a un message qui est transmis. Et c'est là, le danger que je vois dans la société où, si ces cas-là sont acceptés, il va y avoir une influence de notre culture, madame. Il va y avoir une mentalité euthanasiante qui va faire en sorte que toutes nos personnes âgées vulnérables non seulement vont sentir le droit de mourir comme... les aidants aussi vont comme... Parce que c'est dur de les soutenir, etc.

Mais souvent cette demande, elle provient du fait que la personne... Ce n'est pas tant la douleur physique, c'est comment elle se perçoit dans les yeux des autres, vous savez. Il y a une certaine sensation de ne pas se sentir 100 % compris, aimé, et tout le kit. C'est une minorité, madame. Ce n'est pas la...

Mme Larente (Nadine): Moi, je trouve que c'est un beau débat. Je suis contente qu'on soit ici en train d'en parler. C'est un beau débat philosophique, c'est un beau débat éthique, c'est un beau... Le droit de mourir, le... Bon, tout ça, c'est des beaux principes, là. Mais je reviens sur le fait qu'on n'est pas prêts comme société à avoir ce débat-là. D'abord, parce que c'est... Pas prêts dans le sens qu'on n'est pas prêts, qu'on n'est pas capables d'avoir le débat, ce n'est pas ça que je veux dire, mais je ne pense pas qu'on est prêts à appliquer l'euthanasie pour la simple et bonne raison que l'euthanasie devra toujours rester une mesure d'exception, quand tout le reste aura été offert. Et présentement les choses... tout le reste n'est pas offert à assez de gens pour que le risque ne soit pas que l'euthanasie devienne une solution facile pour le patient, pour sa famille, pour la société. Tant qu'on n'aura pas été capables d'offrir des soins palliatifs, d'offrir... Parce qu'il reste que ça demeure une exception. Il ne faut pas oublier que les gens demandent l'euthanasie... La plupart des gens qui le demandent dans ces situations-là, d'être capables de le demander, c'est une minorité, qui ne peuvent pas se suicider, entre vous et moi, là. Parce que, ça, ça peut... Ce n'est pas facile, mais c'est une décision qu'on doit prendre.

Si on en est rendus là, il y a des patients, je suis d'accord avec vous, il y a des patients qui ne peuvent pas se suicider. Mais il y a des patients qui demandent l'euthanasie de façon répétée, mais le passage à l'acte, eux, ils ne le feraient pas, mais ils demandent à quelqu'un d'autre de le faire. Alors, il faut bien se rendre compte... faire la différence entre les gens qui ont accès... Puis je suis d'accord avec vous qu'il y en a qui physiquement ne peuvent pas avoir accès. Mais, entre vous et moi, c'est probablement la minorité.

Alors, pour des exceptions, qui sont exceptionnelles, on va offrir une solution, alors que, pour la majorité des cas, on n'offrira pas de... on n'a pas de solution à leur offrir pour soulager... leur confort. Bien, qu'est-ce qui risque d'arriver? C'est que la situation exceptionnelle, qui est quelque chose d'extrêmement rare actuellement, va devenir quelque chose de beaucoup plus commun, une demande beaucoup plus commune. Et c'est là où on parle de...

Une voix: De glissement.

Mme Larente (Nadine): ...de glissement, mais aussi de perdre la liberté de... Bien, on ne perd pas le choix, mais on se sent obligé quand... Et ça ne nous inquiète pas par rapport aux gens de 50 ans avec un cancer avancé. Moi, ce qui m'inquiète, c'est la personne de 95 ans qui se sent un fardeau parce qu'elle est dépendante de sa fille de 70 ans qui est épuisée, et elle le sent, et on n'a rien à offrir, et, eh bien, l'euthanasie est disponible et... Il y a une pression sociale qui risque de se poser. En tout cas, moi, c'est ma crainte, parce que les demandes à mourir qui viennent de mes patients âgés ne sont pas pour des patients qui sont souffrants physiquement, ne sont pas pour des patients qui sont... occasionnellement, pour des patients en dépression, bon, ça va, mais très souvent pour des gens qui se sentent un fardeau et qui ne voient pas le...

M. Morais (José A.): Des nonagénaires, on va en avoir beaucoup, hein, des gens de 90 ans et plus, il va y en avoir beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Une voix: On espère tous y arriver.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

**(10 h 20)**

Mme Hivon: Je vais essayer d'être rapide, parce que mon collègue a une question aussi.

Le Président (M. Kelley): Oui. Il reste à peu près cinq minutes.

Mme Hivon: Combien?

Le Président (M. Kelley): Cinq.

Mme Hivon: O.K. Moi, il y a quelque chose qui m'intrigue, c'est... Depuis la réforme du Code civil, évidemment, on sait tous que l'arrêt de traitement, même si ça implique la mort dans l'heure qui suit, débrancher quelqu'un, c'est tout à fait légal, refuser un traitement, même qui pourrait sauver notre vie, c'est tout à fait légal. Et ce qui m'intrigue, c'est quand on parle des personnes âgées qui perdent un peu de sens à leur vie, qui peuvent se sentir un fardeau, ressentir des pressions. Est-ce qu'il y a en ce moment des exemples, des études qui montrent que déjà les personnes âgées refusent des traitements?

Est-ce qu'il y a déjà certaines formes de dérapages? Parce que, moi, je me dis, on peut faire l'analogie avec la situation actuelle aussi. S'il y a tant de pression puis ces personnes-là sont soumises aux influences des tiers, ou du système, ou de se sentir un poids, dans le fond, est-ce qu'elles refusent des traitements, est-ce qu'on voit ça, qu'elles refusent, qu'elles disent: Moi, je veux me laisser mourir, parce qu'il n'y a plus de sens? Et donc quel est un peu l'état des lieux par rapport à ça?

M. Morais (José A.): Je voudrais préciser que refuser un traitement, ce n'est pas l'euthanasie. Refuser le traitement, c'est un droit en fait où est-ce que tu penses que le traitement va te causer plus de tort que de bénéfice et tu n'en veux pas. Alors, oui, c'est... Le respect de l'autonomie est extrêmement important puis... Il y a aussi des médecins qui disent: Dans votre cas, à vous, là, ce n'est pas indiqué, tel traitement, puis ce n'est pas parce que vous l'avez vu dans l'Internet qu'on va vous le mettre disponible.

Il y a toujours une négociation qui se passe entre le médecin et son patient. Et le fait de refuser un traitement, c'est dans nos pratiques, en tout cas dans notre division, là, et même parfois la famille peut demander à passer un scan, etc., puis on leur fait voir. Mais le pourquoi du scan, savoir le résultat... Si le résultat ne va pas nous aider à prendre une décision, alors ce n'est pas nécessaire. Donc, c'est, je dirais même, chose courante dans notre pratique, à nous, comme spécialistes en gériatrie, de refuser des traitements en discutant, avec le consentement du patient, et parfois le patient qui dit: Je ne veux pas me faire opérer. J'ai peur. Je trouve que... Je préfère endurer ma douleur ou ma situation plutôt que subir une telle intervention.

Mme Larente (Nadine): Pour répondre à votre question rapidement, je ne sais pas, je ne connais pas d'études qui ont regardé ça. En pratique, ça peut arriver. Où je vois la différence, c'est dans la cessation de traitement, il y a un... on a un peu plus de temps, je pense. Je ne sais pas. J'ai l'impression que la personne qui, par exemple, décide d'arrêter de boire ou de manger, ça arrive, il y a des gens qui... Et peut-être qu'ils le font parce qu'ils sont découragés aujourd'hui, peut-être parce qu'ils sentent qu'ils sont un fardeau, etc. Mais il se peut que demain ils changent d'idée, hein? Il y a des études qui montrent que... qui ont fait des études longitudinales puis qui voient que 50 % des gens qui demandent l'euthanasie après trois à six mois ont changé d'idée. Alors, pour les patients qui arrêtent de manger ou de boire, ça arrive qu'après, avec les soins appropriés, quand ils arrivent, par exemple, sur l'unité de gériatrie à l'hôpital ou quand ils arrivent dans une résidence pour personnes âgées, quand ils arrivent et qu'ils reçoivent les soins appropriés, bien, ils ont l'occasion de changer, de changer d'idée, je ne sais pas.

Le Président (M. Kelley): Une courte question, M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Dre Larente, Dr Morais, merci pour votre présence, votre contribution. Je vais me limiter à une seule question. Vous disiez que les pratiques en soins palliatifs, oui, avaient certainement évolué, mais en même temps qu'elles n'étaient pas accessibles à tous, et ça, on l'a très, très bien compris. Dans votre pratique, à vous, au niveau de la gériatrie, est-ce qu'il vous arrive d'emprunter tout de même certaines des pratiques reconnues aux soins palliatifs? Et je fais référence particulièrement au concept de sédation terminale, c'est-à-dire lorsqu'une personne est à quelques jours sinon une semaine de décéder de façon naturelle avec un certain nombre de douleurs, on va endormir cette personne sans pour autant lui offrir de possibilité de se réveiller jusqu'à son décès. Donc, est-ce qu'en gériatrie c'est une pratique médicale qui est pratiquée? Sinon, quelles sont les alternatives qui s'offrent à vous s'il y a des souffrances qui demeurent difficilement contrôlables chez le patient?

Mme Larente (Nadine): Bien, d'un point de vue pratique, nous, on pratique dans un hôpital où il y a une unité de soins palliatifs, alors les patients qui auraient ce genre de douleurs absolument difficiles à contrôler auraient accès aux soins palliatifs. Alors, ça ne serait pas nous qui le ferions, ces patients seraient transférés, deviendraient prioritaires pour un transfert sur l'unité de soins palliatifs. Nous, on parle plutôt... Puis, évidemment, les pratiques de soins palliatifs, de contrôle de la douleur usuelles, d'arrêt d'acharnement thérapeutique, et tout ça, on est très confortables avec ça. Ce à quoi on n'a pas accès en gériatrie, pour notre population, c'est le milieu soins palliatifs. Nos patients meurent dans des chambres à quatre, ils n'ont pas accès à des psychologues, ils n'ont pas accès à des infirmières spécialisées pour l'encadrement, ils meurent... Alors, ce n'est pas... Nous, ce à quoi on fait face, ce n'est pas tellement la douleur physique, mais plutôt l'environnement qu'on ne trouve pas adapté à la fin de vie. Mais, non, moi, je n'ai jamais pratiqué la sédation terminale.

M. Morais (José A.): Non. Je n'ai rien à ajouter, c'est effectivement la réalité qu'on vit. Mais je veux juste peut-être dire que beaucoup de nos patients qui sont très âgés, souvent avec des problèmes de mémoire, d'atrophie cérébrale aussi, dès qu'on donne des doses de morphine, des opiacés, peu importe, ils s'endorment très facilement, alors ça cause une sédation, pas voulue nécessairement, là, mais qui fait en sorte que... Le cas très spécifique de douleurs mal contrôlées par nos moyens, on a accès aux soins palliatifs.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire merci beaucoup, Dr Morais, Dre Larente, pour votre contribution à notre réflexion.

Je vais suspendre quelques instants et je vais demander à Brian Mishara de prendre place à la table. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 10 h 27)

 

(Reprise à 10 h 30)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Notre prochain témoin, c'est le retour de Brian Mishara qui, je pense, la dernière fois qu'on s'est vus, c'était à Trois-Rivières, de mémoire. Alors, bienvenue de nouveau devant la Commission spéciale, et la parole est à vous.

M. Brian L. Mishara

M. Mishara (Brian L.): Merci. J'ai déposé un mémoire par écrit. Je ne vais pas lire ou répéter tout ce qu'il y a dans le mémoire. Mais j'apprécie énormément l'occasion de revenir devant la commission, parce que, après avoir entendu une certaine proportion des témoignages, j'ai vu un peu l'emphase des témoignages jusqu'à date, j'ai remarqué qu'il y a probablement quelque chose complémentaire ou supplémentaire que je pourrais contribuer.

La première chose que j'ai faite, j'ai tiré... j'ai fait part de certaines conclusions de mes expériences dans les Pays-Bas. En 1994-1995, j'ai eu la Bourse nationale Bora-Laskin sur les droits de la personne, et j'ai utilisé cette année pour étudier les pratiques d'euthanasie et suicide assisté dans les Pays-Bas, dans une perspective vraiment droits de la personne. Et j'ai tiré quelques conclusions, j'ai eu certaines observations.

La première chose que j'ai déjà mentionnée, c'est le grand taux de refus des demandes. À l'époque, c'était: 65 % de toutes les demandes ont été refusées; maintenant, c'est diminué un peu à environ 55 % des demandes. Et la raison principale pour les refus a toujours été l'obligation, dans des lois, de tout faire pour soulager la souffrance de la personne avant d'avoir recours à la mort pour abréger sa souffrance. Donc, quelqu'un qui disait: Je suis un fardeau pour ma famille, ce n'est pas digne de mourir comme ça, je suis déprimé, j'en ai assez, je souffre, une telle demande peut être refusée dans deux tiers des cas, a été refusée dans deux tiers des cas parce que le médecin juge: On peut traiter la dépression; si la personne se sent un fardeau pour la famille, on peut envoyer une travailleuse sociale, on peut voir pourquoi la personne se sent de même, comment est-ce qu'on peut améliorer la situation; il faut traiter mieux la douleur physique de la personne.

Et ça n'arrivait presque jamais que, dans ces deux tiers des cas, des personnes qui étaient aussi convaincantes que les personnes qui sont venues témoigner devant vous, disant: Il faut qu'on ait accès à l'euthanasie, suicide assisté, tout cela, parce que je souffre, c'est... etc. Quand même, dans un pays où c'est 100 % accepté, les médecins ont généralement refusé la demande parce qu'il y avait une obligation sociale, au préalable, de tout faire pour diminuer sa souffrance, même si c'était une souffrance psychologique ou un isolement, un sentiment d'être un fardeau, ou quoi que ce soit, et ça n'arrivait presque jamais que la personne est revenue plus tard et a répété sa demande après que l'État a assumé ses responsabilités envers la personne.

Une deuxième observation, c'est que le contexte dans les Pays-Bas, le système médical était très différent. Dans une étude à l'époque, 1995, la personne qui a fait une demande à son médecin a connu son médecin une moyenne de 20 ans. Et, moi, je vais à une clinique et je vois le médecin qui est là, donc on n'est pas dans un même contexte où on a une relation intime, à long terme, avec un médecin de famille qui se rend à domicile, souvent à bicyclette. C'est un autre système.

Donc, faire une demande si importante que mettre fin à ma vie à un étranger qui va me rencontrer pour quelques heures peut être très différent de faire une demande à mon médecin qui m'a connu depuis 20 ans et toute ma famille, connaît tout le monde dans ma famille et mon histoire personnelle, et se rend à domicile, aussi.

Troisièmement, les Pays-Bas, c'est une autre culture. On peut acheter de la drogue librement, n'importe où; il y a des bars qui ont la marijuana disponible; il y a la prostitution décriminalisée. Et en général il n'y a pas un âge minimum pour acheter des boissons alcoolisées: quelqu'un de 12 ans peut rentrer, procurer du vin ou demander une bière. C'est une société où l'emphase sur la liberté des peuples est très valorisée, mais en même temps c'est intéressant de constater qu'ils fréquentent l'Église beaucoup plus souvent que les citoyens au Québec. Donc, c'est une liberté dans un contexte où les citoyens sont relativement conservateurs quand même, à certains égards.

La quatrième chose qui m'a impressionné, c'est que les médecins se sentaient beaucoup plus à l'aise et avaient une meilleure formation en contrôle de la douleur physique. Je pense qu'à partir de certains témoignages et observations des médecins ici, il y a un grand sentiment de malaise, on ne sait pas trop qu'est-ce qu'on peut faire ou donner pour contrôler la souffrance. Il y avait moins de connaissances, donc, c'est... mais les médecins savaient comment contrôler la douleur.

Et, cinquièmement, c'est le fait qu'après que je suis allé dans les Pays-Bas ils ont commencé à élargir l'accès à l'euthanasie. Ça a commencé avec un cas de quelqu'un qui n'avait aucune maladie ou handicap physique mais souffrait de la dépression et n'aimait pas prendre des médicaments, et son médecin -- c'était un des rares cas de suicide assisté dans ce pays -- a prescrit des médicaments. Il l'a pris et s'est tué, et le médecin a été amené devant un tribunal, et il a été jugé coupable mais coupable seulement, parce que ça prend deux médecins. Le deuxième médecin n'a pas vu la personne en face à face, il a juste révisé le cas, mais il n'y avait quand même aucune punition. Et maintenant ce n'est pas juste les personnes qui ont une maladie dégénérative ou un handicap physique, mais c'est accessible aux autres personnes. Donc, on a vu un certain changement.

**(10 h 40)**

L'autre chose, sixième chose, c'est qu'il y a certains cas vraiment de dérapage. J'ai mentionné un exemple, c'est un médecin qui, en effet, a tué quelqu'un à cause d'une demande des enfants d'accélérer la mort parce qu'ils partaient en vacances bientôt. Et c'était donné comme exemple, du fait que la morphine n'est pas très efficace pour mettre fin à la vie. Quelqu'un a tenté de faire ça, la personne a bien réagi à l'overdose de morphine, se sentait mieux. J'ai décrit l'histoire dans le mémoire. Mais quand même... Et, quand j'ai vécu cette expérience, chaque fois que j'ai rencontré qui que ce soit, j'ai raconté l'expérience, je demandais: Comment ça se fait que quelque chose de même peut se passer dans votre pays? Et la réponse a toujours été pareille, c'est que: Oui, il y a des petits dérapages, mais je suis certain qu'il y en a plus au Canada parce que ce n'est pas contrôlé, etc.

Aux Pays-Bas, avant de légaliser l'euthanasie et le suicide assisté, il y avait plusieurs étapes. Ça commençait avec un système juridique très différent où il y a une possibilité pour les juges, à cause de force majeure, de ne pas donner de peine de prison ou quoi que ce soit à quelqu'un qui commet un acte criminel. Mais aussi ils ont fait une étude auprès des pratiques de tous les médecins dans le pays, et ils ont commencé avec un comité qui a étudié chaque cas individuellement, et ça a pris presque 10 ans de perfectionnement du système avant de décider comment ça allait fonctionner. Finalement, les soins palliatifs, dans les Pays-Bas, sont accessibles à tout le monde, qui est très différent du chiffre que j'entends ici; c'est de 15 %.

La deuxième chose que j'ai abordée dans le mémoire, c'est mes expériences en prévention du suicide. Les personnes qui travaillent en prévention du suicide sont habituées à entendre les individus qui disent: Je ne peux pas continuer à vivre parce que, et ensuite la personne raconte toute une histoire. Ça peut être parce que je ne peux pas vivre sans ma femme, qui vient de mourir. Ou: Ma blonde m'a quitté, c'est l'amour de ma vie. Ou des choses qui semblent être des histoires tristes et épouvantables: quelqu'un qui souffre d'une maladie dégénérative, qui a perdu ses amis, qui ne voit pas de raison de continuer à vivre.

L'expérience des personnes qui travaillent en prévention du suicide, c'est que, quand on suit la philosophie générale, ça veut dire: si quelqu'un prend contact avec nous, on l'aide à vivre, à trouver l'espoir et trouver une façon de vivre. L'expérience, c'est: malgré les raisons données pour vouloir mourir, c'est très, très rare que la personne se tue après l'aide est offerte. Et en fait...

Donc, la question qu'on peut se poser, c'est: Quand même, est-ce qu'il y a une différence entre le suicide de quelqu'un qui souffre de dépression, ou qui a vécu une perte de relation amoureuse à l'âge de 20 ans, ou un homme qui a perdu son emploi à 50 ans, est différent du suicide et du désir de mourir de quelqu'un qui souffre d'une maladie terminale ou souffre d'une maladie dégénérative? Donc, c'est une question légitime qu'on peut poser. Et l'hypothèse de base de beaucoup de personnes qui sont venues, devant ce comité, témoigner, c'est: C'est très différent, ça n'a rien à faire.

Et c'est maintenant que je mets mon chapeau de chercheur et j'essaie de regarder qu'est-ce que les études scientifiques, des données empiriques indiquent. Est-ce que c'est vrai qu'il y a une différence entre le désir de mourir de quelqu'un qui souffre d'un cancer terminal... est différent du désir de mourir de quelqu'un qui n'a pas une maladie terminale, quelqu'un qui est suicidaire? Et est-ce que l'intervention psychothérapeutique ou pharmacologique dans le cas de dépression est moins efficace avec ces personnes? Et la recherche indique que, simplement, ce n'est pas le cas; quand on intervient pour soulager la souffrance physique des personnes atteintes de cancer, le désir de mourir disparaît. Quand les personnes qui se sentent un fardeau pour la famille, se sentent isolées et seules obtiennent des soins d'un hospice en Angleterre et il y a des interventions familiales, presque toujours la personne ne veut plus mourir. Il y a quelques cas d'exception, mais ils sont plutôt rares. Donc, je ne vois pas de justification empirique dans les recherches pour ne pas tout faire pour soulager la souffrance à qui que ce soit qui veut mourir, au lieu de dire: Ah! c'est une décision rationnelle ou compréhensible.

Le troisième thème que j'ai abordé, c'est essayer de...

Le Président (M. Kelley): ...nous sommes déjà à... comme 17 minutes. Je veux conserver le temps pour une période d'échange.

M. Mishara (Brian L.): O.K. Je vais aller vite.

Le Président (M. Kelley): C'est juste une couple de minutes, mais je veux préserver le temps pour les échanges avec les membres de la commission.

**(10 h 50)**

M. Mishara (Brian L.): O.K. O.K. Troisième chose, j'ai essayé de comprendre comment ça se fait que tant de personnes veulent revendiquer le suicide assisté et l'euthanasie actuellement au Québec, et je conclus simplement, c'est parce que nos expériences avec la mort ne sont pas très bonnes. On a des mauvaises expériences parce que les soins palliatifs ne sont pas l'expérience de la majorité des personnes. On a trop d'histoires d'horreur des personnes qui ont souffert, et on a peur que ça nous arrive, et on veut contrôler ces expériences.

Finalement, j'ai ajouté un document qui porte sur les coûts des soins palliatifs. Vraiment, je suis très bouleversé par les arguments que: On ne peut pas payer pour les soins palliatifs. J'ai cité le ministre Bolduc, dans la conférence de presse, quand il a annoncé qu'on va payer pour l'insémination in vitro. Il a dit... Quelqu'un a dit: Comment est-ce qu'on peut payer ça? On ne peut pas... et tout le monde n'a pas accès aux bons soins palliatifs. Il a dit: «C'est une question d'équilibre au niveau du système de santé. L'équité... Je vais vous le mettre à l'envers.» Et «si on fait des programmes de soins palliatifs, pourquoi on investirait dans les soins palliatifs et on priverait des gens d'avoir des enfants? C'est tout simplement un choix de société.»

Mais, quand on étudie les soins palliatifs en Angleterre et aux États-Unis, et les États-Unis ont un très bon système de soins palliatifs, c'est la seule chose positive que je peux dire par rapport au système de santé en général aux États-Unis: ils l'ont parce que c'est rentable financièrement. L'étude de Abt Associates dans les trois premières années du financement par Medicare des soins palliatifs dans leur système qui est différent de l'emphase au Québec a trouvé que, pour chaque 1 $ investi, le gouvernement a sauvé 1,26 $. Parce que ça coûte cher, mourir à l'hôpital, mais le système de soins palliatifs là-bas, basé sur le système en Angleterre, c'est un système d'hospices. Ce sont des organismes majoritairement, aux États-Unis, à but lucratif. En Angleterre, ils sont à but non lucratif presque toujours, et c'est une unité à part de l'hôpital qui a un nombre limité de lits mais qui offre majoritairement des soins à domicile et aussi des séjours de répit. Pour les familles qui gardent quelqu'un à domicile, la personne peut aller quelques jours à toutes les fins de semaine, ou de temps en temps prendre de vacances, rester là-bas.

Ici, on a des soins palliatifs qui coûtent cher à l'hôpital et on a un système de CLSC qui donne des très bons soins à domicile. Je crois que ce que ça prend au Québec, c'est un changement total. C'est un peu parallèle à ce que Thérèse Lavoie-Roux a fait à l'époque avec des centres de crise. Au lieu de financer, pour les personnes avec des troubles mentaux, des unités spécialisées à l'hôpital ou financer davantage des soins en santé mentale aux CLSC, c'était très difficile et controversé à l'époque, elle a dit: Ça prend des centres de crise qui vont avoir quelques lits d'hébergement, qui vont avoir un accès téléphonique, toutes sortes d'autres soins. Je crois que, si on avait vraiment un système d'hospices qui avaient quelques unités à l'interne, mais aussi qui offre toute la gamme de services, ça ne va pas coûter de l'argent, ça va sauver beaucoup d'argent à notre système de santé. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Mishara. Alors, on va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission, poser les questions les plus concises possible pour faire un certain rattrapage de temps. Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. Mishara. Alors, bienvenue à nouveau, pour être venu nous voir en février, je crois, au Parlement, à Québec, pour nous préparer justement sur cette commission.

Je vais être brève. Je veux vous entendre... À la page 4, vous avez dit... D'abord, je veux vous féliciter parce que ça fait 15 ans que vous étudiez cette question, alors vos propos sont très précieux pour nous. Et vous avez eu une bourse d'ailleurs sur les droits de la personne. Et puis c'est de ça dont on discute depuis le début des travaux, l'autodétermination, les droits de la personne.

Vous avez dit que, suite à vos échanges avec les gens des Pays-Bas, ces gens-là vous avaient expliqué qu'il y avait probablement plus de pratique d'euthanasie avant la légalisation et qu'ils croyaient que justement il y en avait ici, au Canada, qu'il y en a probablement plus aujourd'hui qu'il y en aurait s'il y avait une légalisation.

Alors, vous comprendrez mon étonnement, parce qu'il n'y a pas un médecin qui est venu nous voir ici pour nous dire qu'il se faisait de l'euthanasie dans les hôpitaux au Canada. Je veux savoir comment vous réagissez.

M. Mishara (Brian L.): On n'en sait rien. On a tenté à quelques reprises de faire une étude comparable à l'étude qu'ils ont effectuée dans les Pays-Bas, mais c'est simplement qu'on n'a pas trouvé une façon à faire en sorte que les médecins répondent au questionnaire. Donc, on n'a pas des données sur les pratiques actuelles, c'est juste une hypothèse de la part des gens dans les Pays-Bas, il n'y a pas de preuve qu'ils ont raison.

Mme Gaudreault: D'accord. Vous savez que Dr Barrette, de la Fédération des médecins spécialistes, avait affirmé la même chose. Mais ce que vous nous dites, c'est qu'il n'y a pas de données précises par rapport à cette pratique au Canada.

M. Mishara (Brian L.): Il n'y a pas de données et jusqu'à date je n'ai pas trouvé la façon d'avoir la coopération des médecins pour obtenir ces données.

Mme Gaudreault: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Alors, merci, M. le Président. Bonjour, Dr Mishara. Merci encore d'être avec nous. Votre présentation, vos remarques, je vais vous dire tout de suite, d'emblée, que l'étude comparative que vous faites et la comparaison entre les soins palliatifs tels qu'appliqués au Québec et le système de «hospices» aux États-Unis est très intéressant. Alors, je vous dis ça tout de suite. Et, des fois aussi, des arguments économiques de ce genre-là évidemment sont très importants pour n'importe quel gouvernement qui cherche à faire des changements. Il existe une certaine «bottom line» pour n'importe qui qui est au gouvernement, qui doit respecter, comme plusieurs l'ont mentionné ici, la capacité de payer des contribuables.

Je veux par contre aller sur un autre terrain avec vous parce que nous sommes continuellement mis devant deux opposés qui sont, premièrement, cette vision de l'autonomie de la personne versus cette vision, qui est plus collective, de la vie, si vous voulez, qui sont en opposition. Et je pense que n'importe qui qui vient témoigner devant nous est pour l'un ou pour l'autre, ça se résume à ça.

Et un argument qui est par contre difficile pour moi lorsque j'essaie d'explorer l'avenue de cette autonomie... Veux veux pas, c'est un argument très, très fort, l'autonomie de la personne, de nos jours, c'est très, très importante à plusieurs niveaux. Mais vous avez mentionné quelque chose, et je suis sur la piste avec vous, je veux qu'on fasse la réflexion ensemble. Et j'ai déjà utilisé cet exemple-là de quelqu'un qui vit une période particulièrement difficile de sa vie, qui est sur le pont et qui veut sauter, et qui vient de vivre quelque chose de très difficile... qui est subjectivement difficile; peut-être, selon nous, de notre côté, ça peut paraître banal ou ça peut paraître pas important, on dit: Dans cinq, 10 ans, tu vas avoir oublié toute cette histoire-là. Mais, pour le moment, la personne est dans la tourmente, et je me dis, premièrement, si l'autonomie de la personne est pour l'emporter, je trouve très difficile comment nous pouvons justifier, dans un cas particulier comme ça, une intervention en essayant d'expliquer à la personne que, malgré le fait que tout semble très, très noir aujourd'hui ou pour les prochains mois, tu sais, la vie est intéressante parce qu'il y a d'autres choses qui peuvent arriver par la suite, etc., et un argument où, simplement parce que la personne est malade, on approche la question différemment, on approche déjà la question différemment, on crée des catégories, et on dit: Une personne qui n'a pas de maladie... Parce que la personne qui veut sauter, en quelque part c'est débattable si elle a une maladie ou non, la personne n'est pas bien, évidemment. Mais, dès qu'on ajoute une maladie physique, si vous voulez, là, on se dit: Ah, on approche la question différemment; là, on n'a pas le droit, ou on peut très difficilement amener les arguments qu'on amène à la personne qui veut sauter en bas du pont, et je me demande pourquoi, pourquoi les mêmes arguments ne peuvent pas être utilisés?

Et vous semblez dire que, la recherche, en quelque part il n'y a pas de grande différence, mais ce qui me fait craindre encore plus, c'est cette catégorisation qui pourrait -- et ma formation d'avocat va peut-être ressortir ici -- qui pourrait être en quelque sorte discriminatoire. Je me dis pourquoi qu'on catégoriserait la personne entre ceux qui ont des maladies physiques et qu'on approcherait la personne différemment? Pourquoi on créerait une catégorie où, oui, la vie a une valeur intrinsèque mais un petit peu moins? Je me demande si ce n'est pas une façon de, veux veux pas... Et j'ai peur de ça, de stigmatiser la maladie, disant: Des personnes malades... disant: Vous êtes malades, déjà en partant, votre vie mérite moins d'être vécue, et certains arguments que je vais mettre de côté avec vous, alors qu'avec le jeune qui vient de vivre une rupture, comme vous avez mentionné, et, pour le moment -- et c'est subjectif, c'est tout le temps subjectif -- c'est la fin du monde, les mêmes arguments ne s'appliqueraient pas à une autre personne, ou je n'ai pas le droit de les prendre, ces arguments-là, je dois trouver d'autres arguments. Je ne sais pas si vous saisissez ma question, si vous voulez vous avancer là-dessus avec moi.

**(11 heures)**

M. Mishara (Brian L.): Je suis d'accord avec vous, c'est ça, l'enjeu. Pour moi, il y a différentes façons de l'aborder. En tant que chercheur, je peux juste poser la question: Si on intervient auprès de quelqu'un qui a une maladie terminale et dégénérative, qui dit: Je veux mourir, est-ce qu'au lieu de juste dire: Allez-y, c'est correct, on vous aide avec suicide assisté ou l'euthanasie, est-ce qu'on... La personne change d'avis autant que quelqu'un qui vient de vivre une perte amoureuse à l'âge de 20 ans ou d'autres choses, et les recherches à date indiquent que la réponse, c'est non. Et on a la preuve dans les Pays-Bas où la majorité des demandes... et c'est quelqu'un qui connaît comment ça fonctionne, ça existe depuis longtemps, il va dire au médecin: Je ne peux pas continuer à vivre, et il donne de bonnes explications, mais le médecin dit: Attendez, il faut qu'on fasse d'autre chose. Et ça fonctionne en général.

Mais aussi la même logique que c'est un choix individuel a fait en sorte que, maintenant dans les Pays-Bas et aussi récemment en Belgique, les personnes qui n'étaient pas malades physiques, qui avaient une maladie mentale ont pu revendiquer la mort et mourir. Parce que, dès qu'on dit: C'est simplement un fait de faire la demande, pourquoi est-ce qu'on limiterait l'accès aux personnes qui ont une maladie physique? On souffre autant de maladies mentales. Est-ce que c'est discriminatoire? Et c'est ces arguments qui ont fait en sorte que des pratiques qui ont commencé à être appliquées uniquement dans les cas de quelqu'un avec maladie terminale ou maladie dégénérative profonde, maintenant, dans ces deux pays, sont permises aux personnes qui ont une maladie mentale, parce que c'est vu comme discriminatoire. En prévention du suicide -- et je suis psychologue de formation -- on ne regarde pas la demande de la personne comme étant juste, ah! c'est ça qu'il veut, c'est ça qu'on donne. On essaie de comprendre d'où vient la demande, pourquoi on fait une telle demande.

Et je crois qu'il y a tellement d'intérêt à légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté actuellement, au Québec, parce qu'on a eu des mauvaises expériences à la fin de la vie avec le système de santé actuel. Et, si on fait des changements et on rend l'accès universel aux bons soins palliatifs disponible, je pense que les expériences vont diminuer et les demandes vont diminuer. Une fois que c'est fait, je peux personnellement envisager une possibilité d'avoir accès au suicide assisté pour un petit nombre de personnes. Mais j'abonde dans le sens de plusieurs autres intervenants, on ne peut pas poser cette question avant qu'on change le contexte actuel.

M. Sklavounos: En même temps, si vous me permettez...

Le Président (M. Kelley): Très rapidement.

M. Sklavounos: Ah! il ne reste pas beaucoup de temps? Parce que je sais que mon collègue...

Le Président (M. Kelley): Un petit peu.

M. Sklavounos: Juste... En même temps, le fait que certains ont vécu des mauvaises expériences, je ne peux pas croire que ça deviendrait un argument, là, je veux dire, j'ai beaucoup de difficultés avec ça. Je n'ai pas entendu plusieurs personnes le dire, mais, je veux dire, nous savons des personnes qui veulent sauter, par exemple, du pont, là, mais qui ont vécu vraiment des injustices, et je pense que des fois on pourrait quasiment être convaincu que la personne qui veut sauter a vécu des graves injustices de la vie, hein, ils ont... Moi, je vous parle de mon expérience d'avocat, nous connaissons des personnes qui ont passé des années derrière les barreaux, et finalement on les a innocentées, après des années. Alors, la personne sort, puis on se demande: Mon Dieu! quelle grave injustice. La personne a manqué la moitié de sa vie pour quelque chose qu'il n'avait pas fait, il a toutes les raisons du monde de dire: La vie est injuste, je veux m'enlever la vie. Par contre, on approche la personne et on lui vend cet argument-là de l'espoir du lendemain, dans le sens qu'écoutez, oui, ce qui est en arrière de vous, ce que vous avez subi, c'est fait, on ne peut pas changer ça, c'est passé, les années sont perdues, mais demain vous allez peut-être vivre quelque chose de beau, après demain vous allez peut-être vivre quelque chose de beau, vous allez peut-être rencontrer quelqu'un, vous allez peut-être faire un voyage. Vous allez peut-être, vous allez peut-être, c'est l'espoir.

Pourquoi, dans ma tête, le même argument ne peut pas être fait avec quelqu'un qui est malade? On sait que la personne va mourir, même si c'est quelqu'un qui approche la mort, alors que, dans le cas d'autres personnes, on ne le sait pas, mais, malgré le fait que c'est une personne... La personne peut se faire frapper par un autobus le lendemain ou peut être diagnostiquée avec une maladie, on ne sait jamais, mais on dit aux personnes: Demain, après-demain, il y a peut-être une bonne chose, la vie mérite d'être vécue. Cet argument-là, quant à vous...

M. Mishara (Brian L.): Non, ce n'est pas un argument qui fonctionne. En prévention du suicide, on ne le dit jamais parce que ce qui compte, ce n'est pas l'avenir, c'est la souffrance actuelle de la personne. Dès qu'on diminue la souffrance, le désir de mourir arrête. Souffrance psychique ou souffrance physique. Mais on n'arrête pas de se suicider parce que, dans quelques ans, on va être mieux. On arrête d'être suicidaire parce qu'à ce moment-ci je me sens suffisamment mieux pour pouvoir continuer à vivre. Et ça peut être juste entendre la voix de quelqu'un à l'autre bout du fil qui fait en sorte qu'on se sent mieux. On n'a pas besoin de régler tous les problèmes. Et ça, on ne peut pas... de comment on fait de la prévention du suicide. Mais l'idée que ça va être mieux dans l'avenir, ça ne fonctionne pas. Ça ne va rien faire.

M. Sklavounos: ...quelque chose de plus immédiat, j'imagine que l'immédiat n'est pas aidé par...

Le Président (M. Kelley): En conclusion, s'il vous plaît.

M. Sklavounos: ...ce qu'on dit à l'avenir. O.K. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup pour cette deuxième apparition devant nous, M. Mishara. Vous avez dit quelque chose qui m'a surprise, parce que ce n'est pas l'information qu'on a. Vous avez dit qu'aux Pays-Bas, maintenant, on traitait la maladie mentale sur le même pied que la maladie physique pour accéder aux demandes, alors que, moi, j'ai toujours que, dans les données qui sont dans notre superéquipe...

M. Mishara (Brian L.): Ce n'est pas ce que je viens de dire. Ils acceptent des cas, il y a des cas. Il y a des cas assez... quelques-uns qui sont bien documentés. Ce n'est pas que c'est affiché: si vous souffrez de dépression, vous pouvez mourir, ou quelque chose comme ça. Mais, encore une fois, c'est bien documenté.

Mme Hivon: Parce que, justement, un des critères, c'est d'exclure la dépression puis de s'assurer... Et ce qu'on nous dit aussi... Vous avez évoqué tantôt le chiffre de 55 % des demandes qui sont refusées. Nous, le dernier chiffre qu'on avait, c'était plus autour des deux tiers. Donc, c'est quand même important. Et les raisons qui sont évoquées, c'est notamment qu'il y a beaucoup de demandes qui sont refusées parce qu'il peut y avoir une dépression. On examine comment la personne se sent vraiment, d'où vient la demande, puis tout ça. Donc... Ce que vous parlez comme maladie mentale, ce n'est pas quelque chose directement en lien avec la dépression, parce que ça, ça semble vraiment quelque chose qui est exclu et qu'on investigue.

M. Mishara (Brian L.): Dans la loi, la dépression n'est pas nommément exclue. Mais ce qu'il y a, c'est l'obligation de tout faire pour diminuer toutes les souffrances de la personne avant d'avoir accès à la mort. Et évidemment la dépression, c'est quelque chose qu'on peut généralement bien traiter. Mais combien de personnes qui souffrent d'une maladie terminale et dégénérative ne sont pas déprimées, ne répondent pas aux exigences de la dépression? C'est répandu. Je vais me sentir triste si je vais mourir, peut-être. Ce n'est pas toujours le cas, et je peux me sentir en paix aussi. Mais beaucoup dépend des contextes dans lesquels on meurt, et, à cause de ça, les recherches qui comparent les soins offerts par les hospices et quelqu'un qui reçoit ces soins à la situation... la personne qui ne reçoit pas indiquent clairement qu'il y a des choses comme la dépression nettement moins élevée, et tout cela.

Mme Hivon: En fait, on a reçu une psychiatre spécialisée en oncologie qui, elle, faisait vraiment la distinction entre, en fin de vie, comme vous dites, la tristesse, l'anxiété, qui sont des choses très, très répandues, versus vraiment la dépression diagnostiquée, et qui, ça, est vraiment quelque chose que normalement on s'assure, qu'il n'y a pas, de manière sous-jacente à la demande, une dépression. Et c'est l'impression et c'est l'information qu'on avait aussi des Pays-Bas. Parce qu'une des exigences c'est un consentement libre et éclairé. Et comment peut-on dire qu'il y a un consentement libre et éclairé si la personne n'est pas déprimée mais vraiment en dépression? Et donc il y a quand même des nuances à faire entre la tristesse ou l'anxiété de fin de vie, qui est, dans le cas de plusieurs personnes, évidemment présente, et une dépression profonde qui peut être traitée, même si on est en fin de vie. Est-ce que vous faites cette même...

**(11 h 10)**

M. Mishara (Brian L.): Comment est-ce qu'on peut faire un consentement libre et éclairé si on souffre profondément? Imaginez la dernière fois que ça faisait tellement mal que c'était impossible de tolérer. À ce moment-là, si quelqu'un offre quoi que ce soit pour arrêter la souffrance, est-ce qu'on va peser logiquement, bien réfléchir? Tout ce qu'on veut, que ça arrête, et c'est ça qui m'inquiète. Si on n'a pas accès aux bons soins palliatifs et on dit: La seule... mais on a quelque chose pour abréger la souffrance, c'est suicide assisté ou euthanasie, j'ai tendance à le prendre parce que la souffrance est difficile à vivre, la souffrance émotive autant que la souffrance physique. C'est ça, l'enjeu.

Mme Hivon: Et vous avez dit quelque chose par rapport aux soins palliatifs, aux Pays-Bas, qu'ils étaient pratiquement accessibles à tous parce que... Donc, j'aimerais ça vous entendre davantage là-dessus, parce qu'effectivement on a eu des témoignages à l'effet que le fait de légaliser l'euthanasie avait eu un effet corollaire positif sur les soins palliatifs, c'est ce qu'on a entendu, mais aujourd'hui on a eu un témoignage, juste avant vous, à l'effet inverse, que récemment ils avaient eu quelqu'un, une politicienne qui justement avait permis l'adoption de la loi sur la légalisation de l'euthanasie, qui avait dit que ça avait eu certains effets négatifs sur les soins palliatifs. C'était nouveau pour nous. Vous, vous allez dans le même sens, à dire que les soins palliatifs seraient accessibles à tous. Donc, est-ce que vous pouvez nous expliquer?

M. Mishara (Brian L.): Il y a une différence entre le fait que ce soit accessible et le fait qu'on s'en sert. Avec 1,4 % des décès par euthanasie dans les Pays-Bas, ça semble être un petit chiffre, mais, par rapport à l'État d'Oregon où c'est virgule zéro quelques pour cent des personnes qui demandent suicide assisté, c'est énorme. Mais il faut aussi regarder de près les pratiques de l'euthanasie dans les Pays-Bas. En général, c'est dans les 48 dernières heures de vie, c'est vraiment dans l'agonie finale. Et c'est très différent des témoignages que j'ai entendus -- je n'ai pas tout entendu -- devant ce comité, où ça semble être quelque chose beaucoup plus tôt dans le processus, quelque chose qui demande réflexion: J'en ai assez, je veux arrêter, et tout cela. Mais c'est un autre contexte, et je suis... Il faut...

Si vous voulez légaliser quelque chose, il faut vraiment voir comment est-ce qu'on peut traduire une pratique dans notre système de santé et de soins. Et, comme j'avais dit la première fois, je crois fortement qu'il y a une grande différence par rapport au droit de la personne dans la pratique de suicide assistée, où la personne peut changer d'avis facilement -- et 37 % des personnes en Oregon ont procuré les poisons pour se tuer et ils ne l'ont jamais fait, ils ont changé d'avis -- et la pratique de l'euthanasie, où, quand le médecin arrive, il peut mettre fin à ma vie. Ce n'est pas si facile de demander à tous les deux jours, peut-être dans deux jours, peut-être un peu plus tard, il y a une pression sociale pour compléter l'acte.

Donc, je crois fortement, dans un premier temps, si on légalise quelque chose, on commence avec le suicide assisté, qui respecte plus le droit de la personne, et, si vous jugez après qu'il faut légaliser d'autre chose, vous pouvez considérer l'euthanasie. Mais, en Oregon et à Washington, ça ne semble pas être revendiqué ou même nécessaire.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. M. Mishara, un plaisir de vous entendre de nouveau. Merci pour votre éclairage mais également merci, de façon plus globale, pour vos recherches, pour votre implication au niveau de la prévention du suicide. C'est certainement un engagement qui profite à toute la société.

Moi, je vais vous rappeler certains de vos propos qui ont eu un certain écho, là, au niveau de votre témoignage, c'est-à-dire un certain nombre de personnes qui ont pu demander, oui, de mourir mais qui, avec les traitements appropriés, que ce soit au niveau de la douleur, au niveau même du bien-être psychologique, arrivaient à changer leurs demandes et à ne plus souhaiter cette mort-là.

Je comprends qu'il y a eu ces progrès au niveau de la pharmacologie. Je comprends qu'on peut aider une personne à mieux traiter sa douleur. Mais j'ai encore à l'esprit des cas comme cette dame hier soir pour qui le moral, il est intact, la sérénité, elle est entière, il n'y a pas de douleur physique; on parle d'un corps qui se refuse de... ou qui évolue très, très mal et qui devient la prison de cette personne. On a eu plusieurs témoignages, d'ailleurs assez troublants, de cette nature-là. Donc, il n'y a aucune perception de dépression, il n'y a aucune douleur physique, il n'y a aucun mal de vivre. Il y a un entourage, au contraire, qui est aux côtés de ces personnes-là avec un amour, ma foi, qui est certainement un bel exemple. Je n'ai pas de réponse encore à ces cas-là.

Je comprends que, oui, on ne peut pas légaliser, on ne peut pas décriminaliser sans mettre en place des balises. Mais, pour ces cas bien précis, tous les progrès de la médecine des dernières années n'ont malheureusement apporté aucune, aucune solution. Est-ce qu'il y a possibilité de voir ces cas-là de façon particulière, de les voir avec une lunette différente de la personne qui est dépressive ou de la personne qui aurait, elle, recours à des services différents ou qui seraient plus utiles dans leurs cas?

M. Mishara (Brian L.): C'est très difficile d'analyser une situation spécifique sans vraiment mettre l'énergie à connaître la personne, connaître son contexte, son histoire de vie, et tout cela. Tout ce que je peux dire, quand on regarde les cas dans les Pays-Bas, et on regarde est-ce que la demande vient de ces personnes qui ont une maladie dégénérative importante: Non. Presque tous les cas sont des personnes -- la grande majorité souffraient du cancer -- qui meurent de maladies physiques, d'habitude cancer avec une espérance de vie très limitée. Et la majorité des cas, c'est quand la personne va mourir dans 48 heures. Donc, ces cas sont très dramatiques, très exceptionnels, mais ce n'est pas pour ça que les gens ont légalisé les pratiques d'euthanasie ou suicide assisté, c'est très, très rare que ces personnes utilisent ces pratiques.

Et, encore une fois, oui, il y a des personnes qui ne veulent plus vivre à cause de leurs souffrances, mais, parmi toutes les personnes qui souffrent de maladies dégénératives et incurables et handicaps profonds, c'est une toute petite minorité. Statistiquement, quand on compare le taux de suicide des personnes qui souffrent d'une maladie dégénérative au taux de suicide qui sont en pleine santé, c'est nettement moins élevé. Donc, le portrait type qu'on a des personnes qui ont des maladies dégénératives, c'est qu'elles veulent mourir... Excuse-moi, elles veulent mourir moins souvent, elles veulent vivre leur vie malgré leurs maladies, en général. Donc, pour moi, le fait que ça existe, quelques rares cas, ce n'est pas pour ça que ces pratiques ont été légalisées ailleurs.

Et je pense qu'il y a une obligation primaire de répondre aux besoins de la majorité des personnes dans la société. Tout le monde va mourir un jour, et, quand c'est à mon tour, je veux avoir accès à tous les bons soins palliatifs offerts dans les hospices américains. Et, je sais, ça va coûter moins cher si le Québec le fait que de continuer le système actuel. Je pense que vous avez une obligation d'insister sur le fait que ce soit implanté ici. Je ne vois pas de raison de ne pas le faire. L'explication que ça va coûter plus cher, ça ne tient pas.

**(11 h 20)**

Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire: Merci beaucoup, Pr Mishara, encore une fois, pour votre contribution à notre réflexion.

On a du rattrapage de temps à faire, chers collègues. Alors, si on peut suspendre très brièvement, saluer M. Mishara, et on va passer à M. Hendricks, qui est notre prochain témoin.

(Suspension de la séance à 11 h 21)

 

(Reprise à 11 h 23)

Le Président (M. Kelley): Alors, on va reprendre nos travaux. Notre prochain témoin, c'est M. Michael Hendricks, qui se présente comme citoyen du Québec, résident de la circonscription de Mercier. Alors, sans plus tarder, M. Hendricks, la parole est à vous.

M. Michael Hendricks

M. Hendricks (Michael): Merci, M. le Président. Bonne journée, MM. et Mmes les députés. Bonjour, M. Khadir -- il est notre député, alors il faut noter qu'il est présent. René, mon époux, va lire le document parce que je suis dyslexique et je ne suis pas capable de lire à haute voix. Et nous avons venu accompagnés avec notre entourage, notre meilleure amie, Mme Marie-Claude Charlebois.

Le Président (M. Kelley): Bon, alors, M. LeBoeuf, la parole est à vous.

M. Hendricks (Michael): Ça prend 15 minutes, puis on...

M. LeBoeuf (René): ...noté déjà. C'est en tant que citoyen du Québec que je vous adresse, élus de notre Assemblée nationale, ce plaidoyer. Malgré le privilège de vivre parmi l'une des sociétés les plus progressistes au monde, je dois aujourd'hui plaider en faveur d'un droit que je n'ai pas. Humblement, je demande le droit de mourir à mon domicile, entouré de mes proches, sans agonie et avec dignité, un droit que toute personne devrait avoir. En requérant ce droit, je réitère le droit de la liberté de conscience qu'a chaque personne de définir sa vision de l'existence, de la signification de l'univers et du mystère de la vie.

Il peut paraître curieux en effet qu'une telle demande provienne d'un homme de 68 ans, actif, en parfaite santé et n'ayant aucun désir de mourir. Effectivement, à ce jour, je jouis pleinement de la vie, vie dans laquelle je suis socialement impliqué. Mais ma requête se fonde sur de très bonnes raisons. À l'exception de mon père, aucun de mes proches n'est mort avant que j'atteigne l'âge de 45 ans. En 1986, un premier ami est mort du sida. Ses derniers jours à l'hôpital m'ont marqué à jamais.

Robert était atteint d'une pneumonie grave qui lui a imposé des souffrances énormes. Porteur du VIH, on l'isola dans une chambre d'un hôpital de Montréal avec, à la porte, un avertissement... indiquer qu'il était en quarantaine. Les infirmières et les médecins, toujours masqués, ne le visitaient que très rarement. Alors que le personnel hospitalier craignait d'entrer dans la chambre, nous, ses amis, témoignions de sa longue agonie jusqu'à son dernier souffle. Ironiquement, malgré sa mort prochaine, inévitable, peu de médication antidouleur lui était administrée sous prétexte qu'on désirait éviter une dépendance éventuelle. Littéralement, Robert agonisait. C'était loin de la dignité humaine. Il est mort dans une souffrance inconcevable. De dire comme certains que Robert était, dans les derniers jours de sa vie, «le porteur d'une dignité propre et inaliénable au fait d'être un humain» est aberrant et même ridicule.

Suivant cette regrettable expérience, je me suis fait trois promesses: premièrement, de ne jamais tomber dans le piège de soins terminaux palliatifs offerts à l'hôpital et de la médicalisation des derniers moments de ma vie; deuxièmement, signer un testament incluant un mandat de prévision d'inaptitude demandant à mon compagnon de vie -- aujourd'hui mon mari -- d'éviter tout acharnement thérapeutique; et, troisièmement, apprendre comment mourir dans la dignité, pour ne jamais avoir à vivre l'approche de la mort et la mort comme Robert les a vécues.

Peu de temps passa avant qu'un autre ami devienne gravement malade du sida. Entre 1986 et 1996, plus d'une vingtaine d'amis chers sont morts. Il ne va pas sans dire que j'ai alors témoigné de l'agonie de mes proches lors de morts où la dignité était absente. Au cours de cette époque douloureuse, j'ai appris plusieurs choses.

Lorsque des souffrances physiques dues à l'affaiblissement du système immunitaire devenaient absolument intolérables, mes proches ont fait des choix. Certains d'entre eux ont été hospitalisés. Ils ont vécu l'acharnement thérapeutique dans le vain effort de sauver la vie. Longues et pénibles, ces expériences se sont toutes inévitablement traduites en misère noire pour inévitablement se terminer par la mort.

D'autres ont accédé à des programmes de soins palliatifs. Néanmoins plus paisibles grâce à d'excellents soins, mes proches y ont aussi connu une mort difficile. Selon mon expérience passée à leurs côtés, la surmédication aux opiacés s'est traduite par d'innombrables complications dont la confusion et la constipation aiguë, sources d'extraordinaires souffrances. Malheureusement, pour eux aussi, les derniers moments furent tout sauf plaisants et empreints de dignité.

Sans demander d'aide ou de permission, une poignée d'amis se sont suicidés. Privés de pouvoir saluer leurs familles, leurs amis, ils sont morts seuls et tristement: asphyxie au monoxyde de carbone dans la voiture, pendaison, et j'en passe.

Finalement, quelques-uns ont planifié leur départ en organisant un groupe d'amis pour les aider à se suicider et les accompagner jusqu'à la fin. Pour ces malades confrontés à la mort et pour leurs amis, il s'agissait d'une expérience difficile mais tout à la fois humaine et honnête. S'il est possible de mourir avec sa dignité intacte, à mes yeux, ils ont réussi à le faire.

On entend souvent que le suicide assisté existe au Québec mais qu'il s'agit d'un tabou dont on ne parle pas ouvertement. Je peux vous dire, MM. et Mmes les députés, que c'est vrai. Le suicide assisté existe bel et bien. Il suffit d'un docteur avec la compassion d'un ami qui a accès à des opiacés, pharmaceutiques ou non, disponibles sur le marché noir, et finalement de proches fiables et discrets pour nous accompagner jusqu'à la fin.

Selon les dires, tant pour les proches que pour les malades, les suicides assistés furent des expériences très difficiles de celles vécues en institution et des suicides en catimini. La mort se présente plus paisiblement. Les amis eurent le temps de célébrer, de se remémorer la vie et leurs grands souvenirs, le temps aussi de pardonner les péchés, de prononcer et d'entendre les mots d'amour que tous étaient trop gênés pour dire auparavant. S'il est possible de mourir avec dignité pour le patient, c'est comme ça. Pour l'entourage, c'est une chance de faire la paix avec le destin et de sauver quelqu'un qu'ils ont aimé de l'indignité de l'agonie. Pour eux, ces expériences se sont déroulées dans de bonnes circonstances, sauf pour l'aspect illégal, caché et vaguement honteux de l'acte d'assistance.

Voilà, j'annonce mes intentions. Maintenant, je plaide pour le droit, si la vie me l'impose, de finir mes jours dans un contexte où mon entourage et mon médecin seront libres de m'aider sans être à risque devant la loi.

Nos droits comme citoyens. Je crois fermement que notre droit de mourir dans la dignité est déjà garanti par la charte canadienne et québécoise, tel que l'article 1 et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne au Québec et de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Selon Le nouveau petit Robert, l'euthanasie est la «mort douce et sans souffrance», est l'«usage de procédés qui permettent d'anticiper ou de provoquer la mort, pour abréger l'agonie d'un malade incurable, ou lui épargner des souffrances extrêmes».

Enfin, mis à part l'état de conscience de la personne malade, je ne perçois pas de différence entre le suicide assisté et l'euthanasie, à l'exception de qui administre la dose létale: le médecin ou le patient. Dans le cas de l'euthanasie, lorsque la personne est inconsciente, les procédés devraient respecter la volonté préétablie par celle-ci et celle de son mandataire. Sinon, à mon avis, ici, alors parler d'homicide. Évidemment, l'unique différence réside dans le fait de déterminer la volonté réelle des personnes essentiellement concernées ou finalement celle de son mandataire.

**(11 h 30)**

En rédigeant un mandat d'inaptitude, j'ai tout fait en mon pouvoir pour que mon mari possède les preuves nécessaires au respect de mon désir pour ne pas prolonger ma vie par l'acharnement thérapeutique. Toutefois, un problème majeur persiste: Est-ce que l'État reconnaîtra la validité de ce mandat? Il semble clair que les mandats en cas d'inaptitudes corporelles sont reconnus par l'État. Dans le contexte actuel, ce qui me préoccupe est: Qu'adviendra-t-il dans le cas où je serais atteint de la maladie d'Alzheimer ou de démence, alors que le cerveau dégénère mais le corps reste fonctionnel? Comment l'État réagira-t-il à cette situation? J'en conclus qu'il faut davantage qu'un mandat en prévision d'inaptitude afin de s'assurer de mourir dans la dignité.

Pour moi, la différence entre l'euthanasie et le suicide assisté réside dans la participation de la première personne concernée, c'est-à-dire la personne gravement malade, sans espoir de recouvrer sa santé. Si je suis le malade mais je suis physiquement capable de mettre fin à ma vie, tout ce que j'ai besoin est l'accès à un traitement qui achèvera le fonctionnement de mon corps, me permettant ainsi d'éviter l'agonie. Pour moi, le suicide assisté est une forme d'euthanasie dans laquelle la personne mourante déclenche l'action. Évidemment, si la personne est physiquement incapable, comme ce fut le cas pour Sue Rodriguez, d'autres doivent agir à sa place. Et à l'opposé, si je suis atteint de démence ou de la maladie d'Alzheimer et que mon corps fonctionne toujours, j'aurai besoin d'assistance pour mettre fin à ma vie. Donc, il faut une dose létale de médication légalement prescrite, ce que la loi canadienne ne permet pas à l'heure actuelle.

L'état de la loi au Canada, plus spécifiquement l'article 241b du Code criminel, qui empêche d'aider quelqu'un qui veut se donner la mort, frustre les personnes en quête d'une mort digne. Cette loi restreint le droit des citoyens et citoyennes comme vous et moi qui veulent s'assurer la sécurité de leur personne ainsi que de prendre les décisions qui les concernent et qui n'affectent que leur propre corps. Ainsi, l'État me refuse la dignité en ne respectant pas mon droit à la protection sur la vie privée et de ma sécurité. Mais ironiquement j'ai le droit de me suicider. Le suicide n'est pas condamné par le Code criminel.

Les arguments usuels en faveur de l'article 241b sont que, si on permet le droit d'obtenir de l'aide pour mourir, de se suicider avec assistance ou d'avoir accès à l'euthanasie alors qu'on est complètement inapte, on ouvre par la même occasion la porte à un déluge d'homicides des personnes vulnérables ou handicapées qui ne désirent pas mourir. Où sont les preuves de cette défense? En vertu de quoi affirme-t-on cette conséquence présumée?

Effectivement, le Parlement du Canada nous demande, à moi et à tous ceux et celles qui désirent mourir avec dignité, de porter le poids du risque que des potentiels criminels qui sont inconnus profitent d'une ouverture des lois pour tuer des innocents ou pour les convaincre de se suicider. On nous oblige d'être des souffre-douleur afin d'éviter que les plus vicieux de notre société aient comme proies les plus vulnérables et les handicapés. Donc, par analogie, si ces malheureuses personnes viennent à être assassinées, ce sera à cause de moi et de tous ceux et celles qui ne demandent qu'une mort paisible en vertu du droit à la sécurité et à la dignité.

Pire encore, ce n'est pas l'initiateur du suicide assisté qui sera puni. Ce seront les bons Samaritains, ceux et celles qui nous auront assez aimés pour nous aider à mourir dans la dignité, qui seront face au criminel, à un procès au criminel et à une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement.

Il est vrai que des soins palliatifs peuvent être administrés afin d'atténuer la douleur physique et l'inconfort, mais ces soins n'empêchent pas les douleurs psychologiques et émotionnelles résultant de cette situation de dépendance et de la perte de dignité. Mais enfin ces soins dits palliatifs ne sont qu'une façon de ralentir une mort contiguë plutôt que d'accepter l'état terminal de la vie. Il est encore plus vrai lorsqu'on parle de la sédation palliative. La question se pose: Qu'est-ce que ce traitement offre d'essentiel pour moi? Du temps pour que la mort fasse son travail, prolonger l'agonie? Le choix doit revenir à chacun.

Le caractère sacré de la vie. Lors des discussions concernant l'euthanasie et le suicide assisté, les opposants au droit de choisir de mourir avec dignité parlent sans fin du caractère sacré de la vie. La garantie de liberté de religion leur permet en tout droit d'interpréter comme ils le souhaitent le sens à donner à leur propre vie et à leur propre mort. Cependant, selon moi, la liberté de religion crée deux pierres d'un coup: chaque personne a le droit d'avoir la foi qui lui convient ou tout simplement ne pas en avoir, de ne pratiquer ou d'adhérer à aucune religion. Selon moi, personne n'a le droit d'imposer sur autrui sa croyance que la vie humaine est sacrée. Dans une société libre et démocratique comme la nôtre, c'est à chacun d'en décider.

Nonobstant, peu importe sur quel pied on danse, la mort est inévitable. Alors, lorsque l'on parle d'euthanasie et de suicide assisté, on parle simplement du moment que la mort arrivera et non de magie ou de miracle.

Les résolutions faites au Québec à la question de mourir dans la dignité. Nous savons tous que, tant que le Québec fera partie du Canada, notre société ne pourra légiférer en ce qui a trait au droit criminel. Le droit criminel étant de juridiction fédérale, le Code criminel ne se conformera pas aux voeux et aux besoins des Québécois et Québécoises uniquement. Tout changement exige donc la complicité du reste du Canada. Mais, selon les sondages, en ce qui concerne notamment l'euthanasie et le suicide assisté, la population canadienne hors Québec ne se situe pas sur la même longueur d'onde que notre société.

Donc, pour l'instant, les solutions se trouvent dans l'approche de l'application au Québec de l'article 241b du Code criminel du Canada. Donc, on peut espérer arriver à des solutions mitoyennes, tel qu'en Colombie-Britannique, où, selon les lignes directrices émises par le Procureur général, on évite de poursuivre les personnes qui par compassion aident à mourir, à moins que l'on puisse démontrer clairement que l'intention était autre. Malheureusement, selon ce que je comprends des sondages, le Québec désire et est prêt à plus, mais nous sommes limités par la fédération.

Toutefois, ce petit pas vers l'avant, pour moi et plusieurs autres de ma génération qui sommes davantage confrontés à la médicalisation de la mort, il s'agirait d'une amélioration significative. Beaucoup d'entre nous, la seule chose qui nous importe, est de vivre une fin paisible et sans souffrance, et ce, tant pour nous que pour ceux et celles qui nous sont chers, qui nous accompagneront au cours des derniers jours.

Une dernière requête. Peu importe ce qui adviendra de cette consultation, au moins nous aurons pu discuter librement et ouvertement d'un sujet encore très tabou mais qui assurément concerne les Québécois et les Québécoises de ma génération. Très simplement, je demande si vous, les députés, pouvez proposer à l'Assemblée nationale du Québec qu'à l'avenir la définition d'«inaptitude», dans le mandat en prévention d'inaptitude, comporte une référence spécifique à la maladie d'Alzheimer et de la démence. Pour un nombre considérable de personnes de ma génération et de leurs proches, une clarification de cet ordre serait un soulagement énorme.

Je vous remercie, messieurs mesdames, de l'attention que vous m'avez prêtée. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour la lecture. Merci beaucoup, M. Hendricks, pour vos commentaires. Juste une précision, avant de passer la parole à ma droite. En page 8, dans la section 7, vous avez parlé des sondages que la population canadienne hors Québec ne se situe pas dans la même longueur d'onde que notre société. Avez-vous des références? Parce que les sondages que nous avons vus, comme commission, suggèrent le contraire. Et on a tout récemment vu un sondage, je pense, de la province de l'Alberta, où peut-être un soutien à l'euthanasie est encore plus haut dans l'Alberta qu'au Québec. Alors, je veux juste voir... Parce que vous avez fait le commentaire que la population hors Québec est sur une différente longueur d'onde. C'est basé sur quelles données?

M. Hendricks (Michael): J'ai vu juste des commentaires dans les médias que c'était assez frappant ici, 71 %, que ce n'était pas tout à fait en accord avec le reste du Canada. Je ne savais pas qu'il y a eu un sondage.

Le Président (M. Kelley): Je ne sais pas. Je pose la question parce que les sondages que nous avons vus disent le contraire. Alors, je veux savoir si vous avez des exemples à citer qui disent le contraire que...

M. Hendricks (Michael): Merci pour la correction.

Le Président (M. Kelley): Parfait. Merci beaucoup. Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous. D'entrée de jeu, je dois vous dire qu'on continue à sentir que le débat est très polarisé, puisque vous mentionnez différentes opinions dans votre mémoire. Et je crois que vous étiez là lorsque les gens de la division de gériatrie de l'Université McGill étaient ici ce matin. Alors, ils ont parlé un peu des mêmes clientèles que vous visez, et c'est pour ça que je vais plonger directement dans votre mémoire, à la page 9, à la conclusion, quand vous nous faites une requête très précise, aux membres de l'Assemblée nationale, par rapport à la maladie d'Alzheimer et tout le concept d'aptitude, inaptitude par rapport au sujet que nous traitons ici. Alors, c'est vraiment au coeur du débat de l'euthanasie et du suicide assisté. Il y a beaucoup de médecins spécialistes, je les mentionnais ce matin, Dr Bergman, Dr Arcand et puis les deux... Drs Larente et Morais, qui sont venus ce matin. Pour eux, c'est vraiment... ils ont levé vraiment un drapeau rouge par rapport à cette clientèle très précise qui souffre d'alzheimer. Alors, je veux avoir un peu plus de précisions de votre part, lorsque vous nous faites cette demande pour avoir une référence spécifique par rapport à cette maladie dans les mandats d'inaptitude.

**(11 h 40)**

M. Hendricks (Michael): À ce moment-là, quand on lit le mandat d'inaptitude, il parle d'inaptitude, et on parle en termes physiques: maladie terminale, accident, etc., inconscient, mais il n'y a aucune mention de cet incroyable état qui arrive au monde... à 10 % de la population de mon âge, qui sont physiquement parfaitement bien, mais au contraire ça ne va pas du tout. Certains parmi eux sont très malheureux et mal adaptés, et ils ont des problèmes qui finissent, comme ma tante, de passer des années restreinte, attachée à cause de la violence du caractère qui sort. Il faudrait donner une porte de sortie pour du monde comme moi.

Sur le diagnostic alzheimer, sur les premières incidences, parce que ce n'est pas clair comment diagnostiquer, quand les premières incidences de comportements excessifs apparaissent, ces personnes sont encore conscientes. Ils souffrent terriblement. C'est là, le moment de faire le choix. Mais, le mandat d'inaptitude, ça se peut très bien que cette personne va devenir complètement inconsciente. Qu'est-ce que le mandataire doit faire? Le mandataire, lui, sait très bien que je ne veux pas continuer une vie dans cet état-là. Ça, c'est mon choix. Ce n'est pas le choix de toute la population. Comment lui peut exercer son obligation? Et c'est ça, la raison que je demande clarification sur cette question.

Mme Gaudreault: Alors, vous, vous voudriez clairement pouvoir avoir accès à l'euthanasie si vous étiez avec un diagnostic d'alzheimer puis que vous perdiez vraiment contact avec la réalité. Et puis là vous voudriez que votre mandataire puisse...

M. Hendricks (Michael): Déclencher l'action pour moi.

Mme Gaudreault: Avec votre médecin ou... Comment ça devrait fonctionner?

M. Hendricks (Michael): Contacter le médecin et convaincre que c'est le temps pour Michael de partir. Il ne voulait plus jamais vivre comme ça, c'est sûr. Et là on a besoin d'une injection dans le... C'est exactement la situation de Sue Rodriguez. Elle n'était pas capable de s'injecter. Elle a eu besoin de l'aide. Mais sa volonté était claire. Mentalement claire, physiquement incapable. C'est ça qu'est-ce que je prévois dans ma vie si je tombe victime d'alzheimer.

Mme Gaudreault: Vous savez, notre rôle, c'est un peu de vous mettre en opposition avec les affirmations que vous amenez ici. Puis, moi, j'ai souvenir d'un psychiatre qui était venu nous voir puis qui avait dit: Souvent, on écrit ses mandats d'inaptitude et puis ses testaments de vie lorsqu'on est en pleine santé puis qu'on ne sait pas, au fond, comment on va réagir lorsqu'on va avoir un diagnostic d'une certaine maladie ou une autre. Alors, vous, vous croyez vraiment qu'aujourd'hui, si vous prenez cette décision-là, vous ne changerez pas d'idée.

M. Hendricks (Michael): On sépare... J'ai séparé, ou j'ai essayé de séparer euthanasie quand une personne est inconsciente de suicide assisté. Évidemment, le diagnostic de l'alzheimer, si je suis mobilisé, je vais agir à mon compte. Puis le monde qui me connaît sait très bien que je ne change pas point de vue sur certaines questions. Et ça, c'est une bonne... d'être pleine partie de la société, et de vivre complètement, et de ne pas être une charge sur les autres, oui.

Mme Gaudreault: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Alors, M. Hendricks, M. LeBoeuf, Mme Charlebois, merci de votre présentation, votre participation aux travaux. Vous avez entendu également le professeur Mishara, qui vous a précédés au micro. Et, lorsque j'écoutais le témoignage que vous avez rendu par rapport à Robert, qui est décédé dans les circonstances que vous avez décrites, je me posais la question: Si Robert aurait pu être soulagé de ses douleurs et de ses souffrances, la thèse du professeur Mishara, c'est qu'il n'aurait probablement pas demandé d'abréger sa vie. Vous, qui avez été à son chevet, est-ce que vous pensez que c'est le cas.

M. Hendricks (Michael): Moi aussi, j'ai remarqué que les commentaires étaient très spécifiques à cette situation, qu'étant brûlée par le système de santé la population a peur, puis le monde comme moi cherche une porte de sortie qui est plus convenable. Moi, je trouve... j'entends ce discours régulièrement des employés du système de santé. Et j'ai vu ma mère, qui a cru pendant 10 ans qu'elle va guérir parce que les docteurs ont dit qu'elle va guérir du cancer, mourir une vie misérable.

Mais, pour répondre à votre question, écoutez, Robert, il ne voulait pas être là. Point. S'il a eu un autre choix, il ne serait pas là. Mais il était jeune, hein? Il avait 32 ans. C'est un fait qu'il aurait accepté avec plaisir des opiacés, mais ils ne les ont pas donnés. Qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce qui se passe? Mais il est reparti. Il était en train de littéralement se noyer de l'intérieur. Puis, quand vous avez une pneumonie, comme le PCP, grave, et les médicaments, les antibiotiques ne fonctionnent pas, c'est une souffrance terrible. Tu... han! han! han! comme ça jusqu'à la fin. Et il aura pris la porte rapide parce qu'il y a... c'était intraitable.

M. Ouimet: Les arguments, que vous avez sûrement entendus, par rapport à la question de la pente glissante dans la présentation du professeur Mishara... Il a évoqué la situation qu'il a constatée en 1994, puis par la suite l'évolution et ce qu'il a décrit, à un moment donné, comme exemple, où les membres de la famille demandaient à ce que l'euthanasie soit pratiquée avant qu'ils quittent pour les vacances. Sûrement un cas d'exception et un cas extrême, mais qui semble être documenté. Vous vous présentez devant les membres de la commission et vous demandez un droit. Que faites-vous des arguments que nous avons entendus par rapport à la pente glissante, des risques, d'un point de vue sociétal, de voir des glissements s'opérer, lorsque ce droit, que vous revendiquez à titre individuel, serait accordé?

M. Hendricks (Michael): Nous entendons cet argument de toutes les bases, pas juste ici ce matin. C'est très régulier. Sauf qu'il n'y a aucune preuve. Le fait, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de monde qui demande le suicide assisté en Oregon. C'est assez limité. Puis personne n'a pris l'opportunité de convaincre tous les handicapés, tout le monde fragile de prendre la porte de sortie tout de suite. On allait en... les vacances. C'est extrêmement rare. De toute façon, les nombreuses protections en place dans les États où c'est administré prouvent que ça, ça ne sera pas facile à faire, de convaincre des personnes de... vous devrez se suicider parce qu'ils sont déprimés. Mais ces personnes sont facilement convaincables d'arrêter des niaiseries: Tu veux mourir? Tu es déprimé, c'est tout.

Nous avons beaucoup de balises en place. C'est pour le monde qui est vraiment terminalement malade et ça va inclure alzheimer. Il n'y a pas de revenir, il n'y a pas de traitement pour ça. La démence avancée, c'est la démence avancée. Et ce n'est pas pour les folies ou les blues de fin de semaine, ce traitement, c'est sérieux. Je ne crois pas qu'il y ait une glissade, mais il n'y a aucune preuve, hein? C'est un mythe qui est perpétué par le monde qui croit sérieusement que la vie est sacrée.

M. Ouimet: Merci.

Le Président (M. Kelley): Dernière question. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Oui. Bonjour. Merci pour votre présence. Merci pour votre présentation. Je voulais juste ajouter un élément. Peut-être mon collègue allait vous poser la question, mais il a eu la courtoisie de me laisser passer. J'ai posé la question au Barreau même, parce que certains médecins sont venus nous dire que l'euthanasie est pratiquée aujourd'hui sans que ça soit légal. J'ai posé la question au Barreau en disant: Aujourd'hui, c'est clair que la loi nous dit que c'est illégal. Les médecins viennent nous dire que c'est pratiqué. Alors, les gens viennent nous dire: Légalisez. On va mettre en place des conditions. Évidemment, les conditions, mènent à une certaine... Il y a une certaine interprétation à faire, veux veux pas, là, mais il y a des conditions. Mais est-ce que ça vous fait réfléchir un petit peu, lorsque vous répondez rapidement, à la pente glissante, qu'aujourd'hui, alors que la règle est claire, euthanasie égale meurtre, et les médecins nous disent: Ça se passe quand même? Est-ce que ça vous insécurise, ça, comme fait?

**(11 h 50)**

M. Hendricks (Michael): Pas du tout. Un professionnel qui va prendre un risque d'administrer ou assister un suicide devrait être très convaincu. Il y a eu une pente... Il n'y a pas une pente glissante. Il n'y a eu aucun rapport. Quelques cas de suicide assisté au Québec. C'était du monde très proche. Moi, je n'étais pas sûr, moi-même, en lisant les faits, que c'était clairement... que ça va passer en Hollande ou en Oregon, ces causes. Et, s'il y a un problème, c'est le manque de règlements et le manque de balises et réglementation, de direction pour soutenir la demande et soutenir le professionnel dans la situation. Je sais qu'il y a des professionnels qui aident dans les cas où ils ne voient pas de... Et lui aussi partage l'opinion du patient que ce n'est pas le temps de niaiser, que c'est fini.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup de votre présentation. Vous dites, au début, que vous êtes des citoyens ordinaires, en santé, donc pas atteints de rien de dégénératif, et qui, donc, viennent nous présenter votre point de vue peut-être sans raison immédiate. Mais, moi, je dois vous dire que c'est pour entendre des gens comme vous aussi qu'on a mis en place la commission. C'est pour entendre aussi, je dirais, la majorité silencieuse, donc pas juste les experts ou les gens qui côtoient cette réalité-là à chaque jour ou la maladie à chaque jour, mais savoir ce que les gens qui se projettent dans l'avenir, qui se projettent dans leur fin de vie conçoivent et ce qu'ils souhaitent. Donc, merci d'avoir posé ce geste citoyen et de participer à notre consultation.

C'est très intéressant, parce qu'on a souvent, comme ça, dans notre ordre, qui n'est pas prévu comme ça, mais des oppositions entre des points de vue qui sont assez claires. Donc, vous avez entendu le Pr Mishara. Et, pour poursuivre un petit peu comme mon collègue de Marquette, si on vous dit... Parce qu'hier, là, il y a des médecins en soins palliatifs qui nous ont dit qu'à peu près toutes les douleurs et les souffrances maintenant peuvent être contrôlées puis que dans le pire des cas il y a la sédation terminale, où on endort quelqu'un jusqu'à la fin. Et évidemment les cas que vous nous rapportez sont des cas, je pense, excessivement difficiles, de souffrances atroces, que je qualifierais, et personne ne souhaiterait mourir de cette façon-là. Et vous avez entendu le Pr Mishara qui disait... qui pense... Une de ses hypothèses, c'est que, si les gens sont si en faveur d'une aide active à mourir, c'est parce qu'ils ont eu des expériences traumatisantes avec la mort, mais que, si les expériences étaient meilleures et qu'on entend les médecins de soins palliatifs nous dire qu'à peu près toutes les douleurs et souffrances peuvent être contrôlées en fin de vie... Est-ce que vous pensez que ça pourrait vous rassurer et vous faire changer d'idée si on vous disait: Écoutez, inquiétez-vous pas, M. Hendricks, vos douleurs, vos souffrances en fin de vie, on a va toutes les contrôler, donc ce que vous demandez aujourd'hui, ce n'est probablement pas nécessaire parce que la science est rendue à un point où on peut contrôler vos douleurs?

M. Hendricks (Michael): Comme je dis dans le texte, les soins palliatifs, c'est un choix, puis la population devrait avoir d'excellents soins. Le jour que je suis face à cette situation... À 69 ans, en bonne... 68, 69 en novembre, je suis en bonne santé. C'est difficile de créer la situation hypothétique qui va me mettre à la porte. Alors, j'aimerais les deux choix.

Mais je rappelle très bien que, quand Doris Lussier, si vous êtes assez vieux pour rappeler qui est Doris Lussier, quand il est mort, son fils a écrit une pièce d'opinion sur la mort de Lussier. Puis, ouf! c'est là que j'ai commencé... Puis j'avais, quoi, à l'époque, peut-être 50, 60. J'ai décidé que c'est le temps de commencer à penser: Si ça a pu arriver à un homme aussi incroyablement généreux et avec toutes les puissantes connexions, il était capable de s'organiser, et puis, lui, il a fini comme ça en soins palliatifs, moi, je dois me préparer.

La grosse question que je confrontais, c'était une qui est difficile à résoudre. C'est: avec opiacés administrés en quantité, vous êtes garantis de vivre une constatation majeure qui... Parce que le rythme du corps arrête de fonction, puis c'est terrible, cette douleur-là, en plus qu'on perde les pédales sous l'influence de la drogue. Il y a peut-être du monde qui aime la drogue, mais pas toute population voudrait être droguée comme ça. Non, je ne pense pas, moi-même, d'être dans un demi-état, en attendant la mort. Je ne vois pas l'avantage.

Mme Hivon: Puis un autre des arguments de ceux qui nous disent de ne pas considérer cette option-là, c'est beaucoup le fait qu'on serait en train de laisser toute la place à un discours qui favorise l'autonomie et l'individualisme, et que, dans le fond, si on pousse ça à l'extrême, pourquoi on ne permettrait pas de donner une dose létale à quelqu'un de 35 ans qui a perdu le goût de vivre puis qui estime qu'il n'y a plus de sens à sa vie et qui dit: Au nom de mon autonomie, moi, je ne crois pas, par exemple, à ce qu'on traite ma dépression, je ne crois pas à ce qu'on me donne des antidépresseurs, à suivre une psychothérapie. Donc, dans le fond, au nom de mon autonomie puis de mon droit individuel, je devrais avoir accès à l'euthanasie, par exemple. Comment vous réagissez à ça?

M. Hendricks (Michael): Encore, mettons en place des balises axées sur la santé, santé physique et les «prognosis» de la situation. C'est la solution à l'accès légal du suicide assisté. Évidemment, le suicide personnel n'est pas interdit, mais que Claude Jutra était obligé d'aller sur le pont, de se lancer dans le fleuve avec une note dans sa poche: «Je m'appelle Claude Jutra» -- il avait l'alzheimer -- je trouve aberrant. Et je comprends qu'il y a une différence entre sa situation et quelqu'un qui est déprimé parce que sa blonde l'a laissé tomber ou parce qu'il a perdu tout son argent à la dernière crise de bourse. C'est des situations temporaires et passagères, et on parle ici des situations permanentes et pénibles.

Mme Hivon: Donc, si je vous suis, pour vous, des balises seraient, par exemple, qu'on soit face à une maladie terminale et donc qu'il n'y ait aucun espoir de revenir. Est-ce que les souffrances doivent aussi être un élément clairement identifié?

M. Hendricks (Michael): Diagnostiquées, oui. Exemple, avec la maladie de Lou Gehrig, la douleur n'est pas si grave. C'est la perte de contrôle totale, jusqu'au point que vous ne pouvez plus parler. La sénilité... aux séniles, hein, des personnes qui ne rappellent pas leur nom et ne savent pas comment la toilette fonctionne, encore, mais ils ne sont pas nécessairement en douleur. Ça, évidemment, là, on rentre dans le domaine difficile de l'euthanasie telle quelle. Est-ce que c'est prédemandé? Ça exige énormément de complicité de la part des citoyens d'opérer un tel système, parce que la volonté doit être clairement écrite, sinon on parle d'homicide. Ce n'est pas à un tel docteur de décider qui... Bah! celui-là, fini! Là, on rentre dans le domaine du Dr Mengele. Il faut que, nous autres, les citoyens pavent le chemin pour notre avenir, juste comme on met de côté l'argent dans nos REER, on fait un testament, ta, ta, ta. Pour ceux qui sont désorganisés, ça va être très difficile d'avoir accès à ces services, je crois.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Mercier.

M. Khadir: Bien, merci. Bon, alors, M. Hendricks, bienvenue avec vos accompagnateurs.

M. Hendricks (Michael): ...député.

**(12 heures)**

M. Khadir: Bonjour. D'abord, un bref commentaire. De plus en plus... Pour juste résumer ce que je comprends, finalement, de ce qu'on reçoit ici comme témoignages, il y a une partie de la population qui vient nous dire qu'en vertu de principes qui nous transcendent, souvent des principes religieux, la vie est sacrée. On n'a pas le droit de l'écourter, on doit... pas nécessairement la prolonger, mais la protéger des souffrances, des situations indignes. Puis il faut mettre les moyens qu'il faut pour justement s'assurer que ça se passe comme ça.

D'autres, souvent des gens compétents, qui viennent du domaine médical, qui ont des expertises de différentes natures, souvent médicales, viennent nous dire: Bien, en fait, la solution, c'est les meilleurs traitements palliatifs possible en fin de vie. On n'a pas besoin de suicide assisté ni d'euthanasie. Dans les cas extrêmes, il y a toujours la sédation terminale, mais au-delà de ça il faut de bons soins palliatifs. L'effort collectif doit être mis sur les soins palliatifs et non pas à chercher, pour eux, ce qui constitue, d'après ce que je comprends, des faux-fuyants, hein? Le suicide assisté puis l'euthanasie seraient des faux-fuyants. Il faut mettre l'argent sur...

Puis il y en a d'autres qui viennent dire: Non, dans le fond... Et souvent c'est la population, c'est des gens comme vous, qui viennent nous dire: Bien, écoutez, faites ce que vous avez à faire pour offrir les meilleurs soins. Faites ce que vous avez à faire pour que les soins palliatifs soient parfaits. Faites ce que vous avez à faire -- en s'adressant au monde médical et au pouvoir, bien c'est-à-dire au législateur -- faites ce que vous avez à faire pour que tout le monde ait les meilleurs soins possible les préservant, les protégeant contre la souffrance, mais ultimement on veut avoir le choix -- ça, c'est un peu votre cas -- pour dire: Ultimement, je voudrais quand même avoir le choix. C'est à moi à décider. Je choisirais ça, bien sûr, si ça protège ma dignité dans ma conception, mais sinon je veux avoir une porte de sortie. Vous avez souvent parlé de porte. Bon.

Comme je n'ai pas beaucoup de temps, je vais plutôt en profiter pour vous dire, à propos de l'alzheimer, je ne sais pas où vous vous êtes adressé, mais j'aimerais plus de précisions, parce que, comme médecin, moi, je conçois l'alzheimer comme une maladie physique. Ce n'est pas une maladie mentale. Autrement dit, c'est une dégénérescence de cellules, de neurones dans notre cerveau, qui commence bien sûr par des inaptitudes cognitives qui se manifestent dans les comportements, donc on peut être porté à... Bon. Mais il me semble assez évident que, si vous faites, si vous rédigez un mandat d'inaptitude éventuellement, là, si vous êtes atteint de cette maladie, votre responsable testamentaire n'aura aucun problème ou enfin le responsable, votre... comment on appelle...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Mandataire.

M. Khadir: ...mandataire, excusez-moi, votre mandataire n'aura aucune difficulté à faire reconnaître le problème comme étant un problème physique.

Qu'est-ce qu'on vous a dit là-dessus? Est-ce qu'il y a un avis légal qu'on vous a donné?

M. Hendricks (Michael): Non, c'est mon impression, en lisant le texte lui-même que j'ai signé, qu'on a tous les deux signé. Ça, vraiment, vise les questions physiques. À l'époque, l'alzheimer était mal connu, et l'ampleur de l'épidémie était très mal connue, quand nous avons signé nos mandats. Mais les mandats sont un formulaire, n'est-ce pas? Ce n'est pas spécifié.

Est-ce que je peux spécifier? Est-ce qu'on peut être clair, on peut spécifier, dans le mandat d'inaptitude, que, si j'ai l'alzheimer ou la démence, parce que c'est difficile à diagnostiquer ou différencier entre les deux avant la mort, je peux avoir le droit de termination? Honnêtement, je doute que l'État reconnaît ce genre de demande.

M. Khadir: Je pense que c'est le genre de demande qu'il faut adresser -- je peux, enfin, peut-être vous aider là-dessus -- au Collège des médecins pour faire, je dirais... pour des mises au point qu'on fait régulièrement sur un certain nombre de dossiers qui sont en évolution, pour permettre aux médecins de mieux saisir les différentes nuances de l'approche lorsqu'arrivent des demandes comme ça.

M. Hendricks (Michael): Merci.

M. Khadir: Merci de votre présence.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Sur ce, il me reste à dire merci beaucoup, M. Hendricks et M. LeBoeuf, madame... Charlebois -- pardon, j'ai perdu mon papier -- pour votre présentation.

On va suspendre quelques instants, et je vais demander à Mme Eugenia Rivas de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 12 h 3)

 

(Reprise à 12 h 5)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Le président a légèrement perdu le contrôle du temps, ça arrive parfois. Alors, on a un dernier témoin, qui est une des demandes d'intervention, alors une présentation de 15 minutes, suivie par un échange de 15 minutes avec les membres de la commission. Et nous avons possibilité de quelqu'un qui va prendre le micro pour une courte intervention après. Mais, sans plus tarder, Mme Rivas, la parole est à vous.

Mme Eugenia M. Rivas

Mme Rivas (Eugenia M.): Très bien. Merci beaucoup de m'avoir donné la possibilité d'intervenir à cette commission. Tout d'abord, j'aimerais me présenter. Ça fait 33 ans que je suis au Québec. J'ai vécu dans les villes de Québec et Montréal -- est-ce que ça va, mon accent? Oui? -- deux tiers du temps à Québec et un tiers à Montréal. Pendant toutes ces années, j'ai travaillé comme professeure d'espagnol et dans les ressources humaines dans le domaine de l'hôtellerie. Dans les deux villes, j'ai fait du bénévolat -- et je le fais encore -- dans des associations de femmes et plus concrètement dans des programmes comme conciliation famille-travail, éducation des enfants, jumelage avec les immigrants, leadership, secours humanitaire, etc.

Tout ce travail bénévole m'a permis d'être en contact avec beaucoup de familles, la plupart francophones et d'origine québécoise. Ça, c'est le contexte. J'ai pu constater le rôle que la femme joue en rapport avec les personnes âgées. Je ne suis pas une spécialiste. Je parle comme une citoyenne engagée qui est préoccupée par le débat et la possible légalisation de l'euthanasie. J'aimerais pouvoir apporter mon grain de sel avec quelques idées.

Quand j'ai sollicité faire mon intervention, je disais que je voulais qu'on donne aux personnes âgées qui sont en fin de vie au moins les mêmes soins qu'on donne aux bébés. Ça ne veut pas dire que je considère les personnes âgées comme un bébé. Je vais m'expliquer.

Un bébé est démuni. Il a besoin de l'aide pour se nourrir, s'habiller, se laver, mais surtout il a besoin de beaucoup d'affection. Certaines personnes âgées en fin de vie ont aussi besoin des autres pour se nourrir, s'habiller, se laver mais surtout ont besoin d'affection, d'attention personnelle. Les deux reçoivent des soins mais avec une différence: les bébés n'ont pas cotisé pour les recevoir, les personnes âgées ont contribué avec leurs impôts pendant toute leur vie.

Je parlais tantôt de l'affection dont tous les bébés et les personnes âgées ont besoin. Pour les bébés, c'est facile de leur en donner, toute la famille est autour, c'est de la nouveauté, c'est gratifiant. Pour la personne âgée, c'est différent. Donner de l'affection est moins gratifiant. Et, si elle se trouve dans une institution où le personnel est très occupé, peut-être qu'elle reçoit très peu de visites, me racontait dernièrement une amie à moi dont son mari a dû être... est dans un centre hospitalier maintenant, comment elle va le visiter deux, trois fois par semaine et des fois le dimanche, et les enfants se réunissent dans une salle pour prendre le brunch, et comment le personnel est ébloui, pour ainsi dire, de cette personne, parce qu'il dit: La moyenne des visites dans ce centre, c'est une fois par mois par personne. Et moi que je vais trois ou quatre fois par semaine, j'avais fait monter la moyenne. Alors, c'est quelque chose vraiment de spécial.

Alors, ça me faisait penser, alors c'est une petite remarque. Je me demande si c'est parce que le seuil de tolérance à la souffrance morale est devenu très bas, très bas, dans le sens que les gens ne sont pas capables d'aller visiter, de faire face à la personne vieillissante, etc. On pourrait explorer tout ça, mais je ne vais pas dans ces lignes-là.

Certaines personnes en fin de vie se sentent souvent délaissées, seules et inutiles, comme un poids lourd pour les familles, pour les centres d'hébergement, et c'est comme ça qu'elles arrivent à penser qu'il serait mieux de disparaître. Elles vont dire à leur entourage qu'elles désirent mourir. J'aimerais toucher deux aspects ou faire deux petites suggestions qui pourraient aider les personnes âgées en fin de vie à vivre cette dernière étape avec confiance, sérénité et paix. Alors, ce sont deux suggestions: une, c'est aider les aidants naturels, et une autre, c'est encourager le bénévolat des jeunes auprès des personnes âgées. Alors, il y a des expériences ici et là, et j'aimerais juste faire quelques petites suggestions.

**(12 h 10)**

Le lien... D'abord, tout d'abord, aider les aidants naturels. Le lien le plus naturel pour vivre la condition de la vieillesse reste le cadre dans lequel les personnes âgées se sentent chez elles: parmi les leurs ou parmi leurs connaissances et leurs amis. Selon le reportage Mourir à la maison, diffusé à Télé-Québec au mois... au début de l'année, 80 % des gens manifesteraient le désir de terminer leurs jours à la maison, mais moins de 10 % le réalisent, par manque d'aide ou de soutien dans la famille. Aussi, il y avait un sondage au mois de septembre, quand la commission a commencé, qui disait à peu près que 70 %, 75 % des personnes aimeraient mourir à la maison, mais je n'ai pas... Je l'avais lu dans le journal.

Alors, qui sont ces aidants naturels? S'il y a quelque chose qui ne vous intéresse pas, je peux avancer. Alors, 84 % sont des femmes. La moyenne d'âge, c'est de 62 ans. 24 % des aidants occupent un emploi, et un tiers de ces aidants ont dû réduire le nombre d'heures de travail pour s'occuper de la personne aidée. Ce sont des données de source agence de développement de réseaux, bon, tout ça. J'ai la source ici.

Alors, comment les aider -- excusez, je prends un peu d'eau, parce que je suis moins énervée, mais quand même c'était une première, comme pour beaucoup de monde, hein? Alors, comment les aider? Comment aider les aidants naturels? Alors, j'y ai pensé. Ce sont des choses, comme je vous dis, très simples. Une première chose: alléger le fardeau financier. Un deuxième point: augmenter le budget des CLSC pour aider les aidants naturels. Et un troisième, c'est faciliter le zonage et les subventions pour les maisons bigénérationnelles, etc. Ce sont trois...

Alors, alléger le fardeau financier, j'ai pris toutes les données dans différentes choses. Alors, au point de vue du travail, par exemple, qu'est-ce qu'on a? On a que la Loi sur les normes du travail permet de s'absenter du travail 10 jours par année sans salaire quand il y a des proches malades, etc., et pendant une période de 12 semaines sur une période 12 mois, à condition que ça fasse trois mois qu'ils sont au travail. Aussi, on peut recevoir six semaines de prestations de compassion de l'assurance-emploi. Et aussi... Alors, ça, c'était au point de vue des personnes qui travaillent. Mais quand même ce sont juste six semaines de prestation de compassion de l'assurance-emploi si on doit s'absenter du travail pour donner des soins ou offrir un soutien à un membre de sa famille souffrant d'une maladie grave qui risque son décès dans un délai de 26 semaines, Alors, s'il va mourir dans 26 semaines, il peut avoir ça, ces prestations, mais sinon...

Et donc, dans ce domaine de comment aider les aidants naturels, ma suggestion, ce serait de sensibiliser les employeurs à la cause des aidants, par exemple des horaires flexibles, si des fois ils peuvent travailler à la maison. Enfin, je ne suis pas une experte, comme je vous dis, mais il y aurait des avenues dans cela.

Un autre point, ce serait les allégements fiscaux. Il y en a -- j'ai ici toutes les données -- au point de vue du gouvernement provincial, du gouvernement fédéral. Aussi, les personnes aidées âgées de 70 et plus ont un crédit d'impôt provincial remboursable égal à 30 % des dépenses admissibles qui sont engagées pour obtenir certains services de soutien à domicile, préparation des repas, etc.

Donc, ma suggestion dans ce point, qu'est-ce qu'elle sera? Bon, j'ai pensé si le gouvernement ne peut pas en faire un peu plus, étant donné que peut-être -- je n'ai pas les études, mais je suppose -- que ça coûte moins de rester à la maison que dans un centre hospitalier. Est-ce qu'il y aurait d'autres choses à faire? Je n'ai aucune idée, je ne suis pas une fiscaliste, je ne sais pas, mais explorer ces voies.

Un autre point: augmenter le budget des CLSC -- j'ai de la difficulté à le prononcer -- pour aider les aidants naturels. Alors, il y a des services qui sont offerts, il y a le ménage, le gardiennage, les soins d'hygiène, mais ils sont limités et surtout offerts aux gens qui n'ont pas des aidants naturels. Et dans ça j'avais une idée un peu folle, mais je vais vous l'exprimer.

Comme je vous disais au début, je travaillais dans les ressources humaines dans le domaine de l'hôtellerie. Alors, souvent, j'ai dû engager des gens. Et, comme je suis une immigrante, des fois les immigrants semblent un peu plus solidaires, n'est-ce pas, et enfin ils se sentaient plus en confiance. Il y avait plusieurs personnes qui étaient sur l'aide sociale et qui me disaient: Est-ce qu'on ne pourrait pas s'arranger en dessous de la table? Ce serait bien, parce que l'aide sociale me vont couper, etc. Alors, c'est ça. Alors, moi, ça m'enrage vraiment, personnellement, parce que je me dis: Tu arrives dans un pays, ta vie est beaucoup plus facile dans le cas de beaucoup de personnes -- dans le mien, c'était un peu différent -- et le gouvernement est généreux, et puis tu veux encore profiter du gouvernement. Moi, ça, vraiment, ça me... J'ai dit: Vous pouvez partir tout de suite. Partez tout de suite.

Donc, je me disais: Est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir un moyen -- c'est que c'est une chose très, très, très hypothétique -- que les personnes qui reçoivent de l'aide sociale et qui sont aptes à l'emploi, elles puissent collaborer avec les CLSC en donnant quelques heures de travail, entre guillemets, bénévole? Mais quand même ils reçoivent une allocation sans rien faire dans la vie, juste par le fait qu'ils n'ont pas un travail, qu'ils pourraient avoir un travail. Alors, dans ça, moi, c'est un sujet qui me tient très à coeur, l'aide sociale, les gens qui ne veulent pas travailler, les gens qui profitent du gouvernement. Alors, dans ça, je n'ai pas... c'est une chose très difficile, je le sais. Peut-être c'était vraiment la grande... je ne sais pas, très difficile, mais il faudrait faire quelque chose qui puisse profiter à la population de toutes ces personnes qui sont sur l'aide sociale. Alors, c'est toutes celles qui sont aptes à l'emploi, et ce n'est pas toutes des personnes aptes à l'emploi.

Un troisième point pour aider les aidants naturels que j'ai pensé, c'est justement, on a l'expérience comment les personnes qui peuvent rester à la maison, c'est beaucoup mieux, on le disait tantôt. Mais des fois les maisons ne sont pas bien adaptées, il faut faire des adaptations, des rénovations pour que les maisons deviennent bigénérationnelles ou intergénérationnelles.

Alors, dans ça, après ce que j'ai vu, des fois il peut y avoir des difficultés de zonages, il peut y avoir des difficultés de subventions qui n'arrivent pas, qui tardent à arriver. Alors, dans ça, qu'est-ce qu'on pourrait faire dans ce domaine? J'ai écrit dans mon... j'ai l'ai écrit la fin de semaine de l'Action de grâces, j'ai bien profité pour écrire mon texte. Alors, j'ai mis en vert, vous voyez ici, en vert les suggestions, donc quels sont les points. Alors, c'était qu'est-ce qu'on pourrait faire dans ce domaine. C'est un autre champ à explorer, n'est-ce pas? Peut-être parmi... ici il y a des gens qui travaillent à Rénovation Québec, bon, je ne sais pas, aucune idée.

Donc... Ce n'est pas fini? Non, j'ai le temps. O.K. Alors, ça, c'était mon premier volet. Le deuxième, c'est encourager le bénévolat des jeunes auprès des malades et des personnes âgées. J'ai une formation en lettres, alors j'ai ici une citation pour que cette présentation soit un peu plus élevée, là, du philosophe romain Cicéron, que vous connaissez très bien. Vous n'êtes pas allés à l'école avec lui, mais quand même vous le connaissez par les livres, n'est-ce pas? Alors, il disait une phrase qui est super, vous pouvez la noter si vous voulez, parce que je n'ai pas présenté le mémoire: «Le poids de l'âge est plus léger pour qui se sent respecté et aimé de la jeunesse.» Je trouve que c'est une citation super belle.

Et je vous disais tantôt que j'ai vécu à Québec. Alors, dans les années quatre-vingt, mère Teresa est allée à l'Université Laval parce qu'elle a reçu le doctorat honoris causa. Alors, je suis allée à cette rencontre, c'était dans le PEPS. Alors, elle a dit des choses, et j'ai cherché à l'Internet les mots, mais Internet est trop nouveau pour avoir ça, c'est l'année 1986. Alors, elle nous disait, aux gens qu'on était là-bas rassemblés, comme 3 000 personnes, je ne sais pas, beaucoup de monde, elle disait: Il y a beaucoup de gens de pays comme le Canada qui veulent venir m'aider en Inde, et je leur dis: C'est bien, mais vous avez beaucoup de personnes à aider chez vous, beaucoup de gens qui sont seuls, malades, âgés.

Alors, dans cette même ligne, j'encouragerais les jeunes qui veulent faire des projets humanitaires aux pays du tiers-monde à aider aussi des gens d'ici, au premier monde, dans le premier monde, des personnes malades ou âgées qui, à cause de leur solitude, souffrent peut-être plus que celles du tiers-monde qui sont bien entourées de leur famille.

Alors, dans ça, je connais des gens qui font ce travail, qui font ce bénévolat, des jeunes avec des personnes âgées. J'ai un ami qui est à Québec, concrètement au CHUL, il travaille à l'hôpital. Et, depuis 20 ans, à tous les vendredis soirs après l'école, il y a un programme qu'il y a des jeunes étudiants à la fin du secondaire qui vont visiter, vont faire des visites dans un étage, en gériatrie, et il prépare ces visites, dans le sens qu'il leur parle un petit peu des maladies, il prépare les conversations. Et il prépare tout cela pour qu'ils puissent faire... Et une chose qu'il me disait, il disait que c'était incroyable comment la plupart des jeunes, quand ils arrivent, vu que maintenant, dans les familles, les grands-parents ne sont pas là, ils ont une idée vraiment négative des personnes âgées, des personnes qui ne servent absolument à rien et à peu de choses, mais, au fur et à mesure que l'année passe, découvrent vraiment un nouveau monde.

**(12 h 20)**

Et un fait significatif qui est arrivé l'année passée et qu'on commençait à parler de ce débat de l'euthanasie, il a demandé aux jeunes du secondaire III, IV et V qui font ça parce qu'il y a le bac international, qui font des heures de bénévolat, hein, alors aussi: Qu'est-ce que vous pensez de l'euthanasie et la légalisation? Alors, la plupart étaient pour. Mais, à la fin de l'année scolaire, toutes les filles étaient contre, parce qu'elles ont connu de près les personnes âgées, les personnes malades et elles pensaient, bon, que c'était pour les éliminer. Et même il me racontait d'une fille que ses parents sont médecins et qui sont pour l'euthanasie comment elle s'engueulait avec les parents: Vous ne connaissez pas ça, vous ne connaissez pas... Alors, je dis ça parce que c'est tellement enrichissant de pouvoir faire ça.

Est-ce qu'il y a encore du temps ou alors c'est fini, mon affaire?

Le Président (M. Kelley): Continuez.

Mme Rivas (Eugenia M.): Très bien. Je suis bien contente. Je suis plus à l'aise maintenant qu'au début.

Donc, j'avais sauté quelque chose mais que je trouvais très bien. J'ajoutais quelque chose en disant: Tout ce que les personnes âges peuvent... comment est-ce que les personnes... Attendez un instant. Vous êtes bien compréhensifs vraiment. Ah! C'est ici. Alors, tout ce que les personnes âgées peuvent apporter aux jeunes. Alors, j'avais souligné quelques points, quelques points importants, intéressants, et c'est la mémoire. Les générations les plus jeunes sont en train de perdre le sens de l'histoire et, avec lui, celui de leur identité. Cette perte est due à un système de vie qui a éloigné et isolé les personnes âgées, rendant ainsi plus difficile le dialogue entre les générations. Une autre, c'est l'expérience, que maintenant on tient beaucoup moins compte de l'expérience à cause de la technologie, etc., l'interdépendance, une vision plus complète de la vie. Mais aussi alors ces personnes âgées se sentent, à ce moment-là, quand elles nous transmettent tout ça, et c'est ça que mon ami me disait des jeunes, eux, ils se sentent valorisés. Mon Dieu que vous savez des choses! Mon Dieu que vous connaissez des choses! Ils se sentent aimés, encouragés, aidés à se sentir aussi partie intégrante.

Quelqu'un me racontait l'autre jour, une personne... elle dit comment est-ce que c'est arrivé à elle, une personne qui a commencé au début de l'informatique mais maintenant elle est alitée, pas mal malade, quand les jeunes lui expliquent des choses, iPod, iPhone. Elle n'est pas arrivée à tout ça, mais elle est contente de savoir ça, elle contente de se savoir intégrée dans ce monde. Mais aussi alors c'est ça, il y a un échange entre les deux.

Alors, dans tout ça, quelle suggestion je donnerais ou quelle, c'est ça, quelle idée je donnerais à ce dernier point, c'est que des fois c'est très difficile de faire ce bénévolat, dans le sens que, dans les institutions, ils mettent beaucoup d'entraves ou ils disent, bon: Il faut que vous veniez à toutes les semaines à telle heure, à tel... Il y a les assurances, il y a la sécurité, il y a la méfiance peut-être, etc. Alors, il y aurait des programmes qui pourraient être mis dans les écoles, et qu'ils soient plus ouverts, tous les centres, il faut connaître une vingtaine de personnes pour pouvoir avoir accès. Mais c'est très bon pour les personnes âgées.

Alors, merci de votre attention. Je ne sais pas si c'était trop dur pour mon accent, à cause de mon accent, mais j'ai fait mon possible. Et c'est ça, c'est ça que je devais faire, il me semble. Alors, ne soyez pas trop durs pour les questions, parce que je ne sais pas si je serai capable de vous répondre.

Le Président (M. Kelley):«Gracias, señora Rivas». On va passer maintenant à la période... Merci beaucoup pour votre défense des aidants naturels et le bénévolat en général. Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull pour une couple de courtes questions des deux côtés.

Mme Gaudreault: Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup, Mme Rivas, d'être venue ce matin nous parler de vos réflexions par rapport à l'isolement de nos personnes âgées. Je pense que c'est un peu ce que vous voulez contrer, là, par rapport à toutes les mesures que vous nous suggérez, tant pour les aidants naturels que pour les services offerts par les CLSC, tout ça.

C'est plus un commentaire qu'une question. Vous avez raison quand vous mentionnez que c'est important de créer un pont entre les générations. Les jeunes d'aujourd'hui, on avait des jeunes hier qui sont venus nous témoigner de la richesse de leur bénévolat auprès des personnes handicapées. Il y avait Béatrice qui était là hier soir, qui a dit: Moi, ma famille, ils sont pour l'euthanasie et le suicide assisté, et, quand, moi, j'ai commencé à fréquenter des personnes handicapées, tout ça, j'ai changé mon fusil d'épaule, comme vous l'avez dit tout à l'heure. J'ai changé mon point de vue.

Sur une base très personnelle, j'ai déjà travaillé dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée. Et j'amenais ma fille de sept ans avec moi dans des activités. Puis au début elle avait peur et puis elle me demandait: Est-ce que je vais voir des personnes bizarres? Je lui ai dit: Oui, tu vas voir des personnes très bizarres, mais, toi, tu vas avoir la chance de leur parler, de les aider, de contribuer à changer leur quotidien.

Maintenant, vous avez raison que ce n'est pas facile d'établir des programmes comme ceux-là dans nos écoles. Et puis peut-être que vous pourrez revenir une autre fois avec des propositions par rapport à l'établissement de ces programmes-là. Mais je veux vous remercier d'être venue aujourd'hui nous parler de vos réflexions, partager ça, parce qu'au fond c'est ça, le but de notre commission, permettre à des gens comme vous qui avez des idées bien arrêtées... Mais vous ne nous avez pas dit au fond est-ce que, vous, vous croyez que cette commission est... est propice, oui, c'est ça, à la réflexion. Chez vous, comment vous avez reçu ça, vous, quand vous avez entendu parler de la commission par rapport à l'euthanasie et le suicide assisté?

Mme Rivas (Eugenia M.): Je suis vraiment pour la vie, tout à fait pour la vie. Je suis convaincue, de mon expérience, que, s'il y a un accompagnement -- moi, je parle beaucoup de l'affection -- s'il y a un accompagnement... J'ai beaucoup d'exemples. J'ai dit un petit peu mon travail parce que j'ai beaucoup, beaucoup d'exemples de personnes qui sont accompagnées, aidées personnellement. Alors, ça change tout. Alors, je suis pour la vie et je suis convaincue, convaincue que c'est vraiment le fondamental, c'est l'affection, à part tous les soins palliatifs, tout ça, je ne vais pas me mettre dans ça, là. Mais je voulais aborder ce point. Alors, c'est l'affection, c'est l'accompagnement.

Mais il y a un grave problème dans notre société: l'isolement. Et un grave problème aussi, comme je disais: le seuil de tolérance à la souffrance morale est devenu très, très bas à cause de l'éducation. J'ai travaillé beaucoup dans l'éducation. Alors, un enfant qui est habitué depuis l'âge de 10 ans qu'on ne peut rien lui refuser, qui n'a aucune souffrance, qui est dans la ouate, la souffrance devient beaucoup plus difficile. Ça, c'est clair.

Mais c'est l'accompagnement, c'est l'aide personnelle. C'est ça qu'il faut. Il y en a beaucoup à apprendre des pays du tiers-monde dans ça. Je ne viens pas d'un pays du tiers-monde, mais, même si je venais de là... Mais c'est ça. C'est ma réflexion, ça.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup de votre contribution.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, Mme Rivas, de votre contribution à ce débat.

Vous avez parlé beaucoup de bénévolat, des aidants naturels. Ça a été l'essentiel de votre présentation. On est très conscients que, quand on pose la question de mourir dans la dignité, on parle de personnes en fin de vie, on parle donc de personnes qui ont différents besoins. Bien sûr, la question de l'euthanasie et du suicide assisté se pose, la question des soins palliatifs, la question de l'accompagnement aussi et de mettre fin à la solitude le plus possible des personnes, des personnes âgées.

Et, quand je reviens à toute cette dimension des aidants naturels, vous nous faites bon nombre de suggestions pour alléger le fardeau financier, entre parenthèses, des aidants naturels. Mais, moi, j'ai envie de vous interpeller sur la question de la formation. Souvent, les gens sont venus ici intervenir en disant: On a un besoin très grand de formation pour nos personnes bénévoles, pour nos aidants naturels et même pour les professionnels de la santé à l'égard de la mise en place de soins palliatifs ou de mesures de savoir-être finalement, de mesures d'accompagnement. Est-ce que vous voyez un aspect intéressant à ce volet de formation pour les aidants?

Mme Rivas (Eugenia M.): ...tous les jours j'ai... ça aussi, parce que j'ai pensé à quelques points, j'ai essayé de me documenter. J'ai parlé surtout de mon expérience, mais certainement qu'il y a un besoin. Et, dans tout ce que j'ai parlé des aidants naturels, c'est ça, c'est de les dégager. J'avais une phrase de peut-être représenter ça: Libérons les aidants naturels. C'était comme une idée. Libérons de toutes les entraves pour qu'ils puissent donner cette attention. Mais certainement plus on a de la formation, mieux on est équipé, mieux on peut agir certainement. Je suis bien d'accord avec vous.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci.

Le Président (M. Kelley): Alors, avant de suspendre, merci beaucoup, Mme Rivas, pour votre...

Mme Rivas (Eugenia M.): ...pas trop durs. Mais vous êtes bien fins.

Le Président (M. Kelley): Oh non, non, non. Ce n'est pas notre objectif d'être durs, mais c'était très...

Mme Rivas (Eugenia M.): Non, non, parce que... Non, je me suis trompée. Je suis la même personne que j'étais très fâchée ça fait trois ou quatre semaines, qui a dénoncé le questionnaire, rappelez-vous, dans ces micros ouverts. Alors, c'est là. Vous m'avez reconnue? J'ai dit: Bon, l'accent, ça va, mais c'est la même personne qui est... dans le sens, c'est ça, que je vous appuie dans le travail que vous faites. Et espérons que tout ça va être pour le mieux.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Avant de suspendre, je vais juste attendre quelques...

M. Khadir: Je veux juste dire que je ne pose pas de question pour permettre à une autre personne d'intervenir, mais j'ai pris des notes et, sans votre permission, je vais vous citer à un moment donné dans une intervention à l'Assemblée nationale.** (12 h 30)**

Le Président (M. Kelley): Alors, avant de suspendre, juste, on a une madame ici qui vient de commencer son 90e...

Une voix: 89 ans.

Le Président (M. Kelley): Non, on commence la 90e année sur la planète, alors elle avait 89 ans hier. Alors, elle veut faire une courte présentation, elle ne sera pas ici pour la période de micro ouvert, mais avec votre...

Mme Ghezzi (Angela): ...pour moi, personnellement.

Le Président (M. Kelley): Oui, la parole, c'est Mme Angela Ghezzi, c'est bien ça?

Mme Angela Ghezzi

Mme Ghezzi (Angela): Oui, Angela Ghezzi.

Le Président (M. Kelley): Alors, Mme Ghezzi, la parole est à vous.

Mme Ghezzi (Angela): Je suis Italienne... d'origine italienne. Ça fait 57 ans que je suis au Québec. Alors, je suis Québécoise 100 %. Alors, j'ai écrit cet article ça fait déjà deux ans, parce que je fais du bénévolat à Saint-Charles-Borromée, ça fait 24 ans. Alors, je l'écris; ça sort, le journal, cinq fois par année, alors ça passe aussi sur Internet, alors il y a sûrement du monde qui l'ont lu, et tout. Alors, j'ai écrit: «Je suis une femme qui aura bientôt 87 ans. J'aime beaucoup la vie et je profite -- deux minutes, je mets des lunettes, parce que je vois bien de loin, mais -- de chaque moment. Je me sens encore utile pour beaucoup de monde. Si je prends le temps d'écrire cet article, c'est parce que les gens dans la société et au gouvernement commencent à discuter de l'euthanasie et je pense, moi aussi, que c'est un sujet important sur lequel nous devons nous pencher. Plusieurs pays dont les Pays-Bas, la Belgique et la Suisse l'ont déjà adoptée comme pratique.

«Je ne sais pas ce que la vie me réserve, mais, si j'avais une maladie dégénérative ou incurable comme le cancer ou l'alzheimer, j'aimerais bien, avant de perdre toutes notions, avoir le choix et les moyens de quitter rapidement la vie. Pourquoi aller finir mes jours aux soins palliatifs avec des étrangers et prolonger ma vie de quelques mois, quand on sait qu'il n'y a plus d'espoir et que je pourrais mourir chez moi, avec ma famille, au moment qui me convient? Je ne veux pas être prolongée étant donné mon âge. Si j'étais plus jeune, je pourrais avoir espoir en la recherche, mon corps serait encore davantage en santé pour combattre la maladie, ce serait différent, je me battrais pour continuer à vivre. En ce moment, j'ai toutes mes facultés, j'aimerais pouvoir donner par écrit, dans un document officiel fait chez le notaire, la permission à mes enfants d'exécuter mes dernières volontés. Je sais qu'il y a d'autres personnes qui pensent comme moi. Je pense aussi que ce serait une bonne économie pour le gouvernement, qui se plaint du manque d'argent. Cet argent, il pourrait le mettre dans le budget pour la jeunesse et prévenir le suicide des jeunes dans la vingtaine et qui sont les hommes et les femmes de demain. J'ai espoir que les choses changeront et qu'une loi sera adoptée en ce sens le plus tôt possible.»

Ça, c'est vraiment personnel. Chacun pense comme il veut. S'il n'y a pas, je me suicide moi-même. Ils le savent, mes enfants, je me jette d'un 15e étage. Ça, c'est certain. Alors, faites quelque chose, parce que je préférerais mourir dans mon lit avec mes enfants. Moi, j'aime encore la vie, je fais encore du bénévolat, ils sont contents de me voir, je fais tout, je me fais mon manger, je m'occupe de tout. Je suis très lucide, j'ai passé tous les tests pour l'alzheimer, je n'ai pas d'alzheimer pour le moment, mais je ne sais pas qu'est-ce qui me réserve dans une année ou deux. Alors, que me conseillez-vous?

Le Président (M. Kelley): Pour le moment, moi, c'est de continuer votre bel exemple, le bénévolat, et tout le reste, votre implication dans la communauté, je pense que ça nous garde jeunes. Merci beaucoup. Avant tout, on est ici pour écouter la population, pour écouter les citoyens et les citoyennes. Merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion. Sur ça, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 13 h 30, mais merci beaucoup, un jour après votre anniversaire, de venir ici partager votre sagesse de vos 89 ans ici à...

Mme Ghezzi (Angela): ...ça fait 24 ans que je soigne tout le monde. Il y en a qui ont l'alzheimer, là, ils font pitié, ils leur donnent des pilules pour dormir toute la journée. Moi, je ne voudrais pas finir dans cette façon. Si j'ai encore la santé mais que je ne peux plus bouger, que je ne peux plus faire rien, c'est ça. Il y en a qui ont l'alzheimer, il y en a qui ont la sclérose en plaques. Ça fait 24 ans, je connais, c'est comme une deuxième famille pour moi maintenant. Alors, c'est pour ça, je vois qu'est-ce qui se passe, hein? Après, vous voyez, le soir, il n'y a même pas de place pour placer les personnes âgées. Alors, qu'ils nous donnent la possibilité qu'un jeune médecin... D'ailleurs, mes médecins, ils le savent, ils me disent toujours: Si vous venez avec moi, restez tranquille. Mais, vous savez, nous ne savons pas où nous allons finir, qu'est-ce que nous réserve la vie, hein? Alors...

Le Président (M. Kelley): Ça, je ne peux pas répondre à cette question.

Mais, sur ça, merci beaucoup, je vais suspendre nos travaux à 13 h 30. Merci beaucoup, Mme Ghezzi.

(Suspension de la séance à 12 h 36)

 

(Reprise à 13 h 40)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Je vais rappeler le mandat de la commission. La commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Avant de céder la parole à notre prochain témoin, je veux juste dire un mot de bienvenue à certains étudiants du collège LaSalle, qui sont dans la salle cet après-midi. Leurs enseignants ont un intérêt dans les travaux de la commission. Alors, bienvenue, et merci pour votre intérêt dans nos travaux.

Alors, sans plus tarder, on a une série de citoyens et citoyennes qui ont demandé de prendre l'appel cet après-midi. Alors, le premier, c'est le Dr Réal Major. Alors, sans plus tarder, Dr Major, la parole est à vous.

M. Réal Major

M. Major (Réal): Je vous remercie. Alors, j'ai intitulé «Réflexions appropriées sur l'euthanasie». L'euthanasie est actuellement en étude en vue soit de l'accepter légalement, avec toutefois des réserves et des balises, soit de la refuser. Le moyen légal employé pour permettre à l'euthanasie d'échapper au Code criminel fédéral est de contourner cette loi par le refus de poursuite, qui est de juridiction provinciale.

L'euthanasie, selon la conception actuelle, désigne le sens d'écourter intentionnellement le temps de la vie, soit de la fin de vie, soit d'un état de vie comme le handicap intolérable pour la personne affligée ou pour son entourage immédiat de prise en charge, soit d'un désir d'en finir avec la vie, comme dans le suicide assisté. Les nouveaux termes se cachent sous la formulation suivante: les soins appropriées de fin de vie. Mais la réalité crue, et je m'en excuse, est plus explicite avec le terme de «mise à mort». C'est pourquoi, avant de donner son aval, il est préférable de savoir de quoi on parle et quelles sont les implications et les conséquences d'un tel geste.

L'euthanasie cogne à nos portes et veut s'installer dans nos droits et libertés. Avant de lui permettre d'entrer chez nous, il est important de la connaître. Qui est-elle? Définition, selon Le Robert quotidien: «Usage de procédés qui permettent d'anticiper ou de provoquer la mort, pour abréger l'agonie d'un malade incurable, ou lui épargner des souffrances extrêmes.»

Pour bien la comprendre, il faut la diviser en euthanasie passive, qui a changé de nom récemment, en euthanasie active progressive et en euthanasie active directe. L'euthanasie passive est l'usage de procédés se limitant aux traitements usuels, sans dépasser certaines limites de soins et sans faire d'acharnement thérapeutique -- et j'insiste là-dessus -- lorsque la mort approche de façon irréversible. La nature est aidée mais laissée libre de suivre son cours. En fait, cette euthanasie passive n'est pas de l'euthanasie mais plutôt un accompagnement médical du passage de la vie à la mort. Le nouveau terme est «cessation de traitements», ce qui, à mon avis, ne rend pas justice à cette euthanasie passive.

L'euthanasie active progressive se distingue en accélérant les processus de la mort dans son évolution terminale. Ici, la bioéthique, cette discipline des problèmes moraux soulevés par les actes médicaux, doit s'immiscer dans la marche des processus pour la réglementer ou du moins en suggérer des points de repère. Le grand danger ici ou, si vous préférez, le grand défi, est la perte du contrôle de la vitesse d'accélération et du choix prématuré de la période de l'amorce, de telle sorte que le protocole soit trafiqué pour libérer non seulement le patient de sa souffrance, mais aussi pour libérer un lit rapidement ou abréger avec célérité la période de la fin de vie, ce qui équivaudra à une mise à mort.

L'euthanasie active directe, la deuxième manière de procéder, se caractérise par la mise à mort dans certains états de maladies incurables en soi inacceptables ou pour la personne affligée ou parfois pour son entourage immédiat de prise en charge. En général, ceux qui sont tentés de recourir à ce procédé expéditif mortel direct sont atteints de maladies ligotant le corps en partie ou en presque totalité.

Un sous-groupe de cette catégorie est le suicide assisté consistant à se donner soi-même la mort avec l'aide de quelqu'un d'autre, médecin ou non, qui lui procurerait les moyens de le faire.

Ces cas désespérés et désespérants posent un problème légal et moral, tout en perturbant la conscience personnelle et collective. Doit-on ou non répondre à la demande d'exécution de ces morts-vivants? Jusqu'où vont les exigences humaines et divines de conserver la vie? Jusqu'où la loi humaine ou divine peut-elle imposer sa volonté? Qu'il est difficile de trouver une solution sans tomber soit dans l'intégrisme, soit dans la réponse du libre arbitre!

Si l'on analyse le pourquoi de dépouiller l'être humain de la vie avant le terme naturel, l'on observe que l'exécuté et souvent l'exécutant viennent de baisser les bras devant leur impuissance d'affronter le défi de la vie, soit devant la mort, soit devant le dépérissement graduel du corps, soit devant les épreuves passées ou à venir. La solution envisagée est une mise à mort dénommée l'euthanasie active. Ce qui, à première vue, peut paraître une solution raisonnable, est plutôt une blessure à l'éthique et à la dignité humaine et un choix de privilégier la mort à la vie.

Il est primordial de ne pas ébrécher la dignité humaine, cette dignité qui est dans l'essence de chaque être humain, qu'il soit normal ou handicapé, physiquement ou mentalement, qu'il soit en formation dans le sein de la mère ou en dépérissement intellectuel ou corporel par la maladie ou la vieillesse, qu'il soit une personne en décadence morale ou un saint. Il est fondamental de concéder à tout humain sa dignité et de voir à ce qu'il la conserve en toutes circonstances et en tous lieux.

Si la loi ferme les yeux ou autorise certaines classes à l'enfreindre, il est à craindre une escalade dans de nombreux domaines sous les prétextes les plus divers. L'expérience de la permissivité de la mort de l'embryon ou du foetus en cas de danger à la vie ou à la santé maternelle a dégénéré en tornade de l'avortement sur demande. Ainsi sera fait pour l'euthanasie active directe. Le même sort sera réservé à l'euthanasie active progressive si la médecine ne respecte pas les critères de vitesse d'accélération et du choix du début de l'amorce du traitement terminal.

Avant de s'aventurer dans la permissivité dans le domaine de la vie et de la mort, il faut bien réfléchir aux conséquences funestes. Aujourd'hui, il est presque impossible de revenir en arrière une fois que nous avons permis l'engagement sur une route devenue légale.

**(13 h 50)**

Devant la menace d'invasion de l'euthanasie active, devant l'observation de l'entrée en ambulance des malades en phase terminale ou en préterminale, et d'une sortie un peu trop rapide en corbillard après avoir subi le protocole -- si légalement accepté -- du passage de la vie à la mort; devant la crainte réelle de compression budgétaire dans le domaine de la santé obligeant à la réduction des services et ainsi d'être entraînés à recourir à des solutions expéditives, il faut peser le pour et le contre, s'interroger si ces manoeuvres respectent la dignité de chaque être humain quel qu'il soit, se questionner si la permission donnée à l'un ne sera pas le déclenchement d'une furie d'homicides légaux.

La société a le devoir de protéger la vie de tous ses concitoyens à toutes les étapes de leur vie, spécialement durant la période de décision à prendre devant le spectre de la mort. Elle doit surtout être vigilante et répondre au droit de protection constante contre les dangers susceptibles de précipiter la résolution de raccourcir le temps de leur vie notamment dans les situations suivantes: la tentation de libérer un lit, le besoin de désengorger le département des soins palliatifs, l'obligation urgente de la compression budgétaire, la réduction des tâches par trop grand déficit du personnel hospitalier à bout de souffle, et tous les autres motifs susceptibles de privilégier l'euthanasie active.

Personne, dans le tréfonds de son être, ne veut vraiment mourir, encore moins d'une façon expéditive, surtout si les délais du passage de l'agonie ne sont pas respectés. La préparation à la mort est une priorité que l'on ne doit pas escamoter tant pour la paix de l'âme que pour l'apaisement de l'esprit et du coeur. Le temps des adieux définitifs dans la sérénité est un droit inhérent à toute personne, indépendamment de sa condition, tant qu'il lui reste un souffle de vie.

Tout ce que la dignité humaine exige, c'est de l'aider à parcourir les phases de la vie en lui donnant une main secourable empreinte de compétence, de soins attentifs, de délivrance de la souffrance physique et psychologique, tout en laissant libre cours aux besoins familiaux et religieux.

Le rôle de tout intervenant médical ou autre est de veiller à rendre confortable le départ naturel sans atteinte indue à la durée restante de la vie. La vie n'est pas exigeante. Pour partir, elle ne veut que le temps de l'agonie, temps si précieux pour l'agonisant, pour les membres de la famille et pour l'amitié main dans la main avec les gens aimés. La vie tronquée, handicapée a besoin de l'amitié et de soutien. La vie dépréciée est en recherche d'un sens à sa vie, d'une parcelle de considération et d'une poussière d'étoiles.

Devant les risques de tomber dans les filets d'une mort accélérée, malgré des balises et des critères de sélection, est-il prudent de faire confiance aux aléas souvent trop imprévisibles des circonstances des épreuves de la vie et de la fragilité humaine? C'est ici un péril réel trop hasardeux pour ne pas se lever pour s'opposer à une loi ouvrant la voie au permis restrictif d'abréger le temps de la vie. Donnons à la vie son temps, un temps sans douleur, un temps imprégné du meilleur de notre humanité.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Major. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission, et je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci à vous, Dr Major. Premièrement, j'aimerais savoir: Est-ce que vous avez pratiqué la médecine ici, dans la région de Montréal?

M. Major (Réal): Oui, j'ai été 40 ans au coin de Beaubien et Lacordaire...

Mme Gaudreault: Et vous étiez...

M. Major (Réal): ...comme médecin de médecine générale.

Mme Gaudreault: Médecine générale.

M. Major (Réal): Oui. Dans le temps où il n'y en avait pas beaucoup.

Mme Gaudreault: Non. Et c'est pour ça que vous nous parlez aussi de votre expérience par rapport à la fin de la vie. J'imagine que vous avez accompagné plusieurs de vos patients?

M. Major (Réal): Bien, dans ce temps-là, les gens mouraient la plupart du temps à la maison; il fallait y aller, à la maison, et les suivre. Si on s'apercevait qu'on n'avait pas la compétence, on allait chercher la compétence dans des cours spéciaux, et on revenait, ensuite de ça, avec de la compétence pour être capable de fournir au patient tous les soins appropriés: les soins de l'âme, les soins du corps... Et je n'en ai pas connu beaucoup, de personnes, qui sont mortes en douleur. Nous avions, dans ce temps-là et encore aujourd'hui, les moyens d'accompagner les gens, et ils vont mourir sans aucune douleur si on sait comment puis on sait lesquels médicaments il faut employer. D'autant plus qu'aujourd'hui on a non seulement des moyens... de très bons moyens, nous avons aussi des médicaments qui font qu'au niveau de l'esprit la perception de la douleur est beaucoup moindre, et on a besoin de beaucoup moins de médicaments pour obtenir les mêmes résultats sans être obligé de recourir à des morts rapides. Et je crois, à mon avis, que c'est inutile d'avoir des morts rapides.

On ne parle pas ici des exceptions, il y en a, mais ce sont des exceptions qui sont des exceptions. On ne fait pas de loi pour des exceptions, on prend le cas de l'exception, on l'étudie, et on a une intelligence, on a des amis, on a des confrères, on se réunit, on se demande: Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour aider cette personne-là? Mais on n'a pas besoin de loi, parce que ce sont des cas, en réalité, qui sont des cas rares comparativement à la masse des gens qui meurent.

Et le gros problème aujourd'hui, c'est que beaucoup de personnes ne meurent pas à domicile. Ils ne sont pas accompagnés de leurs parents, de leurs enfants, ou très peu comparativement à ce qu'on avait auparavant. Les gens mouraient la main dans la main avec les enfants, l'épouse et les amis, et puis ils mouraient calmement, sans douleur, avec dignité, sans anxiété. Et je ne vois pas pourquoi, moi, aujourd'hui, là... C'est: il y a un manque quelque part. Il y a certainement un manque quelque part qui fait qu'on n'est plus capable de respecter les phases de la vie.

Mme Gaudreault: D'ailleurs, je voulais vous entendre au sujet de l'acharnement thérapeutique. Vous savez, il y a plusieurs médecins qui sont venus un peu condamner leurs confrères par rapport à l'acharnement thérapeutique de la part des oncologues, là, plus précisément dans les cas de cancers. Et, vous, là, dans votre pratique, est-ce que vous avez eu à...

M. Major (Réal): Bien, l'acharnement thérapeutique, c'est qu'aujourd'hui on a les moyens de prolonger la vie très longtemps. Si on s'aperçoit, à un moment donné, que c'est inutile, il faut arrêter, il faut arrêter l'acharnement thérapeutique. Le but n'est pas d'empêcher les gens de mourir; les gens, c'est de les faire mourir dignement. Ça ne sert à rien de leur donner des moyens qui sont d'abord coûteux, des moyens qui sont douloureux la plupart du temps, et qui ne mènent à rien, qui ne mènent absolument à rien du fait de prolonger une vie qui... pour rien.

Mais il y a toute une différence entre cesser de donner ces moyens-là et de donner directement la mort, c'est deux choses complètement différentes. L'euthanasie, c'est de donner la mort. L'autre, c'est tout simplement de dire: Bien, c'est inutile de prendre des moyens qui, en réalité, ne servent pas à rien, qui ne font qu'embêter tout le monde puis qui font que les gens désirent la mort des autres. Parce qu'on va trop loin avec l'acharnement thérapeutique; il faut cesser, mais il faut avoir quelqu'un capable de dire: Bien, écoute, là il faut arrêter. À un moment donné, il faut arrêter, il faut être capable de le faire.

Mais, pour ça, il faut avoir des cas... il faut d'abord que les gens aient de l'expérience. C'est pour ça que vous avez les statistiques actuellement, là, du 75 %... La plupart des gens qui font de la statistique, ils n'ont jamais vu un mourant de leur vie. Ils ne s'en occupent pas, voyez-vous? Un dermatologue va signer comme quoi il est pour l'acharnement. Mais qu'est-ce que vous voulez qu'un dermatologue fasse? Ça prend les gens qui comprennent les statistiques, des gens qui s'occupent de la mort, et puis là on va voir le vrai pourcentage de ceux qui sont... qu'est-ce qu'on doit exactement... Mais, en dehors de ça, ce sont des fausses statistiques, à mon avis.

Mme Gaudreault: Vous, Dr Major, pendant vos 40 années de pratique, est-ce qu'il y a de vos patients qui vous ont demandé d'abréger leurs jours?

**(14 heures)**

M. Major (Réal): Ça ne se faisait pas dans notre temps. Ça ne se faisait pas parce qu'ils étaient bien accompagnés. Quand les gens nous appelaient... Parce que, dans mon temps, au début toujours, avant que l'assurance santé s'installe, on allait à domicile à toute heure du jour et de la nuit. Je me souviens, moi, que, les 15 premières années, j'ai travaillé 50 semaines sur 52, 24 heures par jour en disponibilité, avec en moyenne 10, 12, 15 visites à domicile par jour. Ça se faisait couramment, on travaillait 80, 90 heures par semaine et on ne se plaignait pas, on était heureux, parce qu'on avait été préparés par des cours classiques, par des gens qui nous avaient donné des valeurs. Et puis on nous avait imprégné que la médecine, ce n'est pas juste un art, c'est une vocation, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille, comme la garde-malade, c'est une vocation. Et, si on fait mourir des gens, prenez les gardes-malades qui sont obligées ou les infirmiers qui sont obligés de donner la dose mortelle, qu'est-ce que vous pensez que ces gens-là font au point de vue... Ils ont des problèmes, des problèmes au point de s'en aller, hein? Ils ne peuvent pas envisager... Ils le savent, eux autres, que c'est une dose mortelle. Ils sont pris moralement. Je parle athées ou pas athées, là, parce qu'on a affaire à un être vivant, un être... Quand on a la conscience de ce qu'est un être humain, bien on a des valeurs qu'on doit respecter. Et, quand on est obligés de faire des choses comme ça...

Et, ensuite de ça, quand vous voyez arriver le médecin puis que vous ne savez pas si c'est pour vous soigner ou pour vous faire mourir: Hou! Hou! Quelle confiance avez-vous? Et d'autant plus que bien souvent, ce n'est pas jamais le même qui vient vous voir ou bien il n'y a pas de relation d'amitié, mais vous avez une peur bleue qui s'installe. Il faut savoir ces choses-là, ça ne se dit pas, mais vous avez une peur bleue, vous n'avez plus de raisons quasiment de vivre, vous aimez mieux mourir, parce que vous n'êtes pas entouré d'amis, là, vous êtes entouré d'un type, là, qui rôde autour de vous pour vous dévorer.

Mme Gaudreault: J'aurais d'autres questions, mais j'ai un collègue qui veut vous questionner, alors allez-y.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Alors, merci, M. le Président. Merci, Dr Major, pour le point de vue que vous exprimez, qui est très clair, qui est très intéressant aussi, parce que vous avez fait un parallèle avec l'avortement dans votre présentation. Et vous nous avez dit que, dans le fond, si l'État permet l'euthanasie, le même sort serait réservé que celui de l'avortement. Mais la question que j'ai envie de vous poser, c'est la suivante: Quel tort croyez-vous que les tribunaux ou la société... les tribunaux ou le législateur a commis envers la société en légalisant l'avortement? Et une deuxième question: Est-ce qu'il serait préférable d'après vous un retour en arrière et de recriminaliser l'avortement?

M. Major (Réal): D'abord, recriminaliser, je crois que, comme je vous ai dit, quand vous avez posé un geste, je crois que la population ne vous le permettrait pas. Il y a trop d'efforts qui ont été mis par différentes associations, les gens sont habitués, vous ne pouvez quasiment pas retirer ce que vous avez donné. Ce n'est peut-être pas bien, mais c'est un fait, c'est un fait, et vous enlever... et celui qui oserait faire une chose telle, je pense qu'il perdrait ses élections, c'est bien évident. Ici, à moins d'avoir un dictateur ou un... Mais c'est un gros tort, parce qu'on est obligés d'avoir une immigration massive parce que l'on tue nos propres enfants. Un enfant sur trois, 33 000 par année au Québec, à peu près la même chose dans les autres provinces, c'est beaucoup. Ce sont nos gens, nos Québécois, on en tue un sur trois. Au point de vue... c'est inconcevable. Si vous aviez des raisons, comme au début, même là, ça pose des questions morales. Mais, si on n'a pas de raison, c'est n'importe qui, n'importe comment. Là, à ce moment-là, c'est un tort irréparable que vous faites à une nation. D'une autre manière, pour le gouvernement du Québec, ils perdent un voteur sur trois.

Et, ensuite de ça, c'est que vous donnez... La vie, la vie, elle commence dès que vous avez l'union du spermatozoïde. Ce n'est pas encore une personne humaine développée, mais elle va se développer. Vous vous trouvez à tuer l'avenir. Ce n'est pas une bonne chose, ça n'a jamais été une bonne chose. Et, si on compare avec les avortements qui se faisaient anciennement sous le tapis, c'étaient certainement peu de cas comparativement à ce qu'on a aujourd'hui.

C'est sûr que c'est toujours mieux d'être fait à l'hôpital, mais on n'est pas obligés d'avorter toutes les femmes. Parce que les femmes se laissent influencer par les médias, se laissent influencer par les amis, se laissent influencer parce que le mari n'a pas suffisamment d'argent, ou ils ont perdu leur travail, ou une épreuve quelconque, ou ils veulent... mais la vérité, la véritable... ils ont peur, ils ont peur d'avoir un enfant puis de prendre leurs responsabilités. C'est normal, la vie, ça fait partie de la vie. Si on tue maintenant les gens au début de la vie, puis on les tue à la fin, bien, les valeurs sont complètement changées. Quelles valeurs démocratiques avons-nous? Si vous enlevez la vie, c'est la chose la plus importante, la vie. La vie passe avant tout, avant toutes les autres valeurs, c'est la valeur première. Il ne faut pas négliger la vie.

Maintenant, refaire ça, je ne dis pas qu'il ne faudrait pas le refaire, mais c'est une grande difficulté, parce que la population aussi ne comprend pas ce que c'est que la vie. Même les docteurs, je vous dirais, un grand nombre ne comprennent pas ce que c'est que le temps du foetus, le temps de l'embryon. Je me souviens, moi, j'ai étudié ça, là, en première année de ma médecine, je n'en ai jamais entendu parler par après, jamais. Pour m'occuper de... quand j'ai eu des cas, il a fallu que je reprenne mes livres et que je reprenne d'autres cours pour savoir ce qui se passait, je ne le savais pas. Si, moi, je ne le savais pas alors que je prenais beaucoup de cours à gauche et à droite, mettez-vous dans la tête qu'il y en a beaucoup qui ne le comprennent pas. Ils vont vous dire des choses, mais ils ne comprennent pas, ne comprennent pas du tout l'évolution d'une vie. Ça commence au début et on lui en coupe les ailes au bout de deux mois, trois mois, maintenant c'est rendu quasiment six mois. Je me souviens qu'on travaillait dans un département, on sauvait... on passait des nuits à sauver des enfants...

Le Président (M. Kelley): En conclusion.

M. Major (Réal): ...et puis un peu plus tard... un petit peu plus haut, vous aviez le département pour les avortements. Ça n'a pas d'allure, même dans les hôpitaux, c'est des choses qui font réfléchir. Mais ne demandez pas ça à la population et ne demandez même pas ça aux médecins en soi. Demandez-leur de suivre des cours pour réapprendre, oui, mais, pour donner leur opinion sur des choses semblables, pour donner son opinion, il faut en connaître les données. On ne les connaît pas, les données, si on ne réétudie pas. La même chose en politique. Si vous n'avez pas les données, vous ne pouvez pas voter pour un, puis voter pour l'autre, il faut d'abord que vous sachiez pourquoi vous votez telle ou telle loi. Si vous n'avez pas les données... mais c'est le fait actuellement dans beaucoup de domaines.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Est-ce qu'il y a... M. le député de Deux-Montagnes.

**(14 h 10)**

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci, M. Major, pour votre éclairage. Au cours des dernières semaines, on a eu le plaisir d'entendre des points de vue très, très variés. Le dossier lui-même ou la réflexion elle-même amène des positions qui sont, elles, très polarisées. Mais, parmi les témoignages entendus, il y a celui du Barreau, il y a quelques jours maintenant, et à la question d'un de nos collègues à savoir si une éventuelle décriminalisation de l'euthanasie marquerait une... c'est-à-dire une révolution ou tout simplement une évolution de la société québécoise, et la réponse du Barreau aura été toute simple, puis, pour eux, c'est une simple évolution dans le parcours que la société a fait au cours des dernières années, des dernières décennies.

Ma question, elle est fort simple. Est-ce qu'une société peut et a la possibilité d'évoluer, selon vous?

M. Major (Réal): Ce n'est pas une évolution, c'est une involution. On perd nos valeurs graduellement. Puis, plus ça va, plus on en perd. On a rejeté de l'école l'enseignement religieux, on aurait pu au moins garder l'enseignement des valeurs de base, de... Les gens sortent et n'ont plus la... ils connaissent les valeurs, mais ils n'ont rien d'attaché autour de cette valeur-là, ils ne savent pas ce que c'est que cette valeur-là, et la perdre, c'est une tragédie, mais ils ne se rendent pas compte, parce qu'on ne leur enseigne pas suffisamment qu'elles sont les valeurs premières dans une vie. Et c'est bien évident que chacun peut avoir son idée là-dessus, c'est bien évident, mais je ne pense pas actuellement que ça peut... Ça peut montrer qu'une société est en train actuellement de perdre ses valeurs en chemin, graduellement.

Parce qu'en réalité qu'est-ce que c'est que de bâtir un être humain? C'est lui donner des valeurs pour qu'il soit capable de se prendre en main, et puis de prendre ses propres décisions, et puis selon des critères qui peuvent varier d'une civilisation à l'autre, mais c'est quand même des... Si on perd graduellement ces valeurs-là, soit parce qu'on les perd, soit parce qu'on n'y attache plus d'importance, bien, la civilisation se dégrade, que vous le vouliez ou non. Et ça va amener quoi? Ça va amener que les gens vont faire n'importe quoi, avec n'importe qui, n'importe comment. Alors, ce n'est plus une civilisation. Dans la vie, on n'a pas le droit de faire ce qu'on veut, on ne vit pas tout seul. On a des valeurs, on doit respecter l'autre. Si on vit tout seul sur une île, on n'a pas besoin de respecter le prochain, mais, si vous vivez avec une personne sur une île, déjà vous commencez à limiter vos propres libertés.

Je crois qu'on est en train de perdre nos valeurs, soit réellement, soit dans la qualité de nos valeurs. Nos valeurs sont ébréchées graduellement. Et on va se réveiller avec des civilisations, on ne sera pas là pour le savoir, mais certainement des civilisations où il va y avoir des problèmes parce qu'il n'y aura plus de respect envers l'autre. L'être humain va être un instrument, un peu comme dans certains pays totalitaires où là l'être humain n'est plus un être humain, mais il est vu comme un être qui rend des services ou non, et puis, quand il n'en rend plus, on passe à côté.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, Dr Major, merci beaucoup pour votre contribution à nos réflexions.

Je vais suspendre quelques instants. Et on a une courte demande d'intervention de M. Robert Greig. Alors, if he could come forward, please. And then after that, on va demander à Mme Jacqueline Hébert de prendre place à la table des témoins, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 14 h 14)

 

(Reprise à 14 h 15)

Le Président (M. Kelley): So, as you know, we usually organize things to have statements from people from the public who want to participate at the end of the afternoon, but Mr. Robert Greig is with us this afternoon, and he would like to share his comments with us. So, for a short statement, please, Mr Greig, if you could... it's your turn.

M. Robert Greig

M. Greig (Robert): O.K. I've lived in the Montréal Chest Institute for 10 years, I've been around a lot of people who have died, quite a few, and they all died with dignity. I'm a disability rights activist. I stand up above the stuff as euthanasia, the right-to-die movement around the world. The latest statistics from the Netherlands came in a few weeks ago for 2005 and to this day, consistent with the track records of the right-to-die movement, in the Netherlands approximately half the executions are without consent.

The Oregon Law, now the Washington State Law... There is widespread elder abuse. I was involved in the Terri Schiavo case, State of Florida, and it was common, I learned, for people who wanted to get rid of their parents, get their inheritance early, just to invent medical problems and declare their parents incompetent, and up they go.

We do not need a law. A law only guarantees that people can accidently or conveniently bump people off, you do not want to be bumped off. They get protected and the victims... the victims' families usually cannot afford to go to court. So I'm totally against this law in this country. We do need a better system, palliative care, and I know it's being a work done.

We do need a disability to rights in Canada there is a lot better than it is, so disabled people can live their lives instead of waiting for when they go downhill and then are conveniently or accidently bumped off. I'm glad to be around a lot of good people, good doctors in the Montréal Chest... McGill University Health Center, but I would hate to see a law for the right-to-die movement change things.

I've noticed, over the more propaganda continuously going on now in Canada and other countries, that the attitudes of health care workers has shifted. And it hasn't shifted in a positive direction. What this country needs is to get back at being a leader, not a follower. I watched The Suicide Tourist documentary and I wrote the producer, at that movie, I wrote W5. They did not care to respond.

We need a quality of life. We do need a quality of end-of-life care for people who are at end of life, but we do not need a law. We are not children anymore. We're not a society where everybody is uneducated. We're a society where people are advanced, grown up, mature, and we don't need laws for things like this. It's between doctors and patients. I'd like to see an end to this constant propaganda in this country: TV shows, comedies. It's just non-stop propaganda. End of speech.

**(14 h 20)**

Le Président (M. Kelley): Mr. Greig, thank you very much for coming and sharing with us your experience because what we're looking for is to understand the realities of all sorts of citizens in different places. We're looking at not just the question of euthanasia and assisted suicide but looking at end-of-life issues more generally. So your comments about palliative care, palliative cares as they relate to the disabled... I know, at the Montréal Chest Hospital, there's some palliative care that is available. A good friend of our family passed away there last week, so I know quite a bit about that. So thank you very much for coming and sharing your experience with us this afternoon. Thank you very much.

And I will maintenant demander à Mme Jacqueline Hébert de prendre place à la table des témoins. Mme Hébert, c'était d'ailleurs prévu dans mes notes que M. Jean-Nil Dolbec va être avec vous. Alors, je j'excuse. Alors, vous êtes la prochaine. Vous avez un temps de parole d'une quinzaine de minutes suivi par une période d'échange avec les membres de la commission.

Mme Jacqueline Hébert

Mme Hébert (Jacqueline): Merci. Moi, je veux vous dire premièrement que je suis contre ça et que vous parlez d'évolution. Donc, je ne crois pas que c'est de l'évolution, mais je vais continuer. Moi, je veux des soins pour vivre et non pour mourir. J'ai 74 ans, en passant. Souffrir, ça ne veut pas dire mourir, puis il y a des miracles. La vie, c'est un miracle. Et je vais essayer de mourir dignement. Moi, je pense que, si... quand viendra mon heure, pas d'acharnement thérapeutique, pas toutes sortes de choses. Et j'ai fait du cancer du sein et j'ai été malade beaucoup, méningite, etc., et je suis en vie. Et je pense qu'avec la radiothérapie qui coûte trop cher on a voulu m'enlever un sein, et j'ai réussi à conserver mon sein, et ça va bien. Donc, je continue. Les malades qui prennent de la morphine ne peuvent pas s'exprimer malheureusement, et la tête encaisse, je pense. Ils sont inconscients, mais ils ne sont pas fous, et ils peuvent souffrir moralement même s'ils sont inertes et comme des momies. Et, moi, je dis qu'il faut laisser vivre nos vieux. Nos ancêtres ont connu ça, ils sont morts. Je pense qu'ils sont morts dignement, nos ancêtres. On n'a rien à dire là-dessus. Et ils sont morts avec respect.

On devrait payer pour la recherche, investir dans... Dernièrement, on a dépensé 1,5 milliard de dollars pour des routes et des autoroutes. On investit beaucoup là-dedans. Et je pense que maintenant on veut investir pour des seringues et des poisons, et c'est contre... ça ne respecte pas la vie. Et il y a des ressources, il manque des ressources peut-être. Les gens âgés ont peur de ça. Et c'est surtout... Je ne sais pas qui a écrit, qui a dit que c'était de l'évolution, si, parmi le groupe qui a dit que mourir comme ça, là, c'est évoluer, il y avait des personnes âgées, des personnes très âgées puis très lucides. Parce que c'est une expérience, la mort. Moi, je veux la connaître, cette expérience-là. Je vais essayer de la vivre comme tous les gens de mon âge qui sont peut-être un peu plus conscientisés, peut-être un peu plus croyants aussi, et c'est ça.

Je pense qu'on a travaillé toute notre vie et on voudrait... On a des opérations d'un jour, ce n'est pas vraiment... On n'est pas gâtés. Et on ne nous fait pas de cadeau. Donc, on se sent de trop, les personnes âgées. On fait du bénévolat, on est des aidants naturels. Il faut penser à nos parents, à nos aïeux, penser au film On achève bien les chevaux. Puis, s'il y a un petit vieux qui dérange à un moment donné, qui ne sourit plus puis qui est malade, on va l'euthanasier parce qu'il est de trop dans la société. C'est une tentation, mais ça se fait déjà depuis longtemps. L'euthanasie, ça se pratique dans les hôpitaux. J'ai vécu cette expérience-là avec mon mari en fin de vie et j'ai vécu ça. Ça a été très pénible. Tous les jeunes vont vieillir. Et, moi, je vous remercie de me laisser m'exprimer. Je m'excuse si ma voix est tremblotante. On devrait donner des allocations à la famille pour aider, pour que les gens âgés demeurent à la maison, en résidence, et qu'ils soient avec leurs enfants -- les enfants ne sont pas tellement nombreux de nos jours -- mais on devrait leur aider parce qu'ils pourraient mourir à la maison. Moi, j'ai connu beaucoup de personnes âgées qui demandaient de revenir à la maison pour mourir chez eux, et ça ne se fait pas. On n'a pas assez d'argent, on veut les garder.

Puis continuer la recherche. Si on n'investit pas... Si on investit dans la mort, on va peut-être diminuer les montants pour la recherche en fin de vie. Mes valeurs traditionnelles ne me permettent pas d'être pour une mort par euthanasie. Comme peuple distinct, bon, on est nationalistes, les Québécois, on va s'euthanasier, on va mourir plus vite. Mais malheureusement ça va être des personnes âgées, des personnes qui ont des handicaps, qui souffrent un peu qui vont demander le suicide assisté.

Moi, je connais des gens, je suis avec une personne qui a voulu se suicider deux fois et qui malheureusement n'avait pas eu de soins. Il a 78 ans maintenant. Il veut vivre jusqu'à 90 ans, donc... Puis il est très en santé. Donc, si on lui avait donné une seringue, à cette époque-là, il serait probablement mort. Et c'est...

Ma question est: Pourquoi passer une loi au Québec quand il y en a tellement, de lois? On en passe tous les jours. Ça va devenir qu'on va mourir si vous le voulez. Le traitement... Le serment d'Hippocrate que les médecins ont fait, qu'est-ce que vous en faites si vous êtes médecin? C'est un manque de respect envers votre serment, je pense, et c'est tout.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Hébert. On va passer à une période d'échange avec les membres de la commission. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup, madame, pour votre présentation et votre présence aujourd'hui. D'ailleurs, vous amenez certains points concernant le rôle des médecins qui nous a été mentionné par certains médecins qui voient dans cette possible ouverture une menace à la relation entre eux et leurs patients. Ça a été mentionné par des médecins.

Vous mentionnez également que vous avez peur qu'il y ait une concurrence pour les investissements entre cette nouvelle ouverture et les ressources nécessaires pour la mettre en pratique. Et les soins palliatifs, c'est quelque chose qui a été mentionné par d'autres. C'est certains points... Je vous le dis, pas pour autre chose, mais pour vous dire que c'est confirmé par certains autres. C'est des arguments qui ont été faits par d'autres.

Le point que je veux par contre soulever avec vous, et c'est un point que je soulève des fois et je l'ai déjà soulevé par le passé, en ce moment, notre loi ou la loi qui s'applique sur l'euthanasie est claire à l'effet que l'euthanasie est un meurtre. Dans notre loi, c'est illégal en ce moment. Nous avons des médecins qui sont venus nous dire ou qui nous disent que ça se pratique. Je dois vous dire que j'ai un énorme problème avec ça personnellement, simplement parce que je pense qu'on fait un débat pour faire un débat puis nous positionner et qu'en même temps on nous dévoile des faits qui nous font dire que nous sommes devant une espèce de fait accompli. Et, plus dangereusement, nous sommes devant une situation où quelque chose qui est clairement interdit par la loi se fait, et par la suite, on a des gens qui viennent nous dire: Pouvez-vous faire une ouverture officielle avec telle ou telle condition, alors qu'en ce moment il n'y a aucune ouverture puis il y a des euthanasies qui se pratiquent? Et, sur ce point-là, j'ai beaucoup de difficultés. Et j'ai déjà posé cette question à d'autres intervenants, au Barreau du Québec.

Vous, vous avez mentionné que vous avez vécu une situation... Je sais, la question est peut-être un petit peu personnelle, vous pouvez refuser d'y répondre, si vous voulez, mais je suis très curieux. Vous avez amené des points que j'ai déjà entendus et je vous les ai confirmés. Mais le point qui m'intéresse, c'est lorsque vous avez parlé de la situation de votre mari, votre conjoint. Et ça, vous m'avez renforcé ce point-là que j'entends depuis quelques jours et depuis quelques semaines, qui est venu me chercher. Alors, si vous voulez partager un petit peu ce qui s'est passé, parce que je suis curieux de savoir de quoi vous parliez lorsque vous dites que vous avez vécu ça, l'euthanasie, avec votre conjoint. Moi, en ce que je sache, c'est illégal. Dites-nous, si vous voulez, si vous êtes prête à nous parler de ça, nous parler un petit peu de la situation. J'aimerais comprendre.

**(14 h 30)**

Mme Hébert (Jacqueline): ...moi, j'ai vécu ça en 1993. Mon conjoint était malade depuis... Ça faisait sept ans qu'il était malade. Il avait 66 ans. Et donc il était hospitalisé mais il a été oublié. On m'a dit... Le médecin qui le soignait à l'hôpital, à l'Hôtel-Dieu, il me l'a dit franchement: On l'a oublié dans la nuit. On l'avait attaché parce qu'il était malade. Il faisait du cancer, mais il avait été guéri. Mais il était bien, là.

Donc, il a été hospitalisé pour des faiblesses, et ça a continué, continué. Et, à la suite, il a fait des ACV. Il dit: On ne sait pas comment il va se rétablir de ça. Il était dans le coma, il était aux soins intensifs. Donc, je suis allée avec mon fils le matin, ils l'avaient branché de partout. Et il y avait deux jeunes médecins qui m'ont dit: Mme Hébert, on ne sait pas dans quelles conditions il est, on ne sait pas comment il va s'en sortir. Étant donné qu'il prenait beaucoup de médicaments, et tout ça. Donc, ils m'ont demandé s'ils pouvaient mettre fin à ses jours, dans des termes assez... Donc, moi, j'ai dit: Je ne peux pas, je suis contre ça, ce n'est pas dans mes principes. Parce que j'avais été le voir et je lui avait dit: Lorenzo. J'ai dit: Il réagit à ma voix, donc il n'est pas... il a encore sa tête. Tout de suite, il a réagi quand je lui ai parlé. J'ai dit: Il n'est pas... sa tête est encore bonne.

Donc, le médecin a dit: Bon, ça va. Et, moi, je me suis éloignée. Mon fils avait 27 ans, Walter. Pendant que je suis allée aux toilettes -- j'avais envie de vomir parce que... je me suis dit: Ça ne se peut pas -- on a demandé a mon fils, et mon fils aurait dit oui. Et, pendant des années... Moi, je ne savais pas, je suis revenue et j'ai vu les seringues, j'ai vu mon mari réagir, les jambes dans les airs, et là j'ai dit: Comment se fait-il qu'ils font ça sans ma permission? Qu'est-ce qu'ils font? Donc, j'ai demandé des autopsies. On m'a dit: Ne demandez pas d'autopsie. Je ne savais rien. Et, pendant des années, mon fils est resté avec un problème. C'est juste... Ça fait trois ans ou quatre ans qu'il m'a dit: Maman, j'ai tué mon père. Puis, moi, j'ai dit: Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant? Parce que, là, moi, j'ai fait des recherches, je me suis demandée pourquoi on avait agi ainsi sans ma permission. Donc, ça s'est fait.

Puis ça se faisait vraiment. Parce que c'est un monsieur qui coûtait cher à l'assurance maladie, il prenait des médicaments. Donc, c'était pour... Ça se faisait vraiment. Parce qu'il est mort des suites de ça. Sur l'autopsie, il y avait plein de choses, ça n'avait pas d'allure, il était malade de partout. Évidemment, il avait été euthanasié, et je ne le savais pas. Et mon fils a encore ce problème-là.

M. Sklavounos: Mais, si je peux comprendre, il était maintenu en vie en ce moment, et on l'a...

Mme Hébert (Jacqueline): ...il y a eu une erreur médicale à l'Hôtel-Dieu, c'est dans la nuit, on l'avait oublié -- il y avait encore un manque de personnel en 1993, ce n'est pas nouveau. On l'avait attaché après sa chaise pour ne pas qu'il tombe, mais là on l'a oublié, et il a fait un arrêt cardiaque. Et, quand ils l'ont retrouvé le matin, il dit: Il a fait un ACV, on ne sait pas combien sa tête... combien sa tête pourrait être endommagée, il est aux soins intensifs. On m'a téléphoné à 5 heures: Venez le voir vite parce qu'il n'en a pas pour longtemps. C'est ça. Mais, moi, j'ai dit: Je ne suis pas pour le faire... bien, c'était euthanasier dans le temps, parce qu'il y avait les seringues. Ils étaient deux médecins puis ils l'ont tenu. Et ça, mon fils -- mon fils qui est quand même... gros, gros poste, là, je ne peux pas en parler -- il est resté avec ce problème-là -- malgré qu'il ne fait pas de dépression, rien, là, qu'il s'en est sorti. On est restés des années et des années -- je lui posais les questions: Comment se fait-il que papa a été... Qu'est-ce qui s'est passé? Comment se fait-il qu'ils ne m'ont pas demandé... Ils m'ont demandé la permission, j'ai dit non. Puis on l'a fait. Avant qu'il me dise: Bien, maman, on me l'a demandé, puis c'est moi qui ai accepté. Donc, c'est cette expérience-là que j'ai vécue.

Et ce qui me fait peur, c'est ça. Et même ça me fait peur parce que, moi, je voudrais vivre... La mort, c'est quelque chose qui fait partie de la vie. Donc, on devrait laisser vivre les gens puis... Je ne sais pas, si quelqu'un décide pour toi puis si la personne est vraiment... Si la femme décide, d'accord. Mais, si l'enfant arrive puis décide, puis un autre mononcle, une matante, tout le monde décide pour un... Et je suis flexible, mais je ne veux pas que les gens souffrent... Je pense qu'il y en a beaucoup, de gens âgés, qui sont morts et puis qu'il y a eu des souffrances. Comme le médecin a parlé tout à l'heure, on finit par arrêter de souffrir. Je ne sais pas si c'est tellement, tellement douloureux cette seringue-là, mais ça ne doit pas faire de bien non plus.

M. Sklavounos: Est-ce que je peux demander... Dernière question là-dessus. Je vais céder la parole à mon collègue. D'abord, je pense que c'est un cauchemar ce que vous avez vécu et je trouve ça difficile même à entendre. Est-ce que vous savez, dans le dossier, officiellement, ce qui a été marqué comme cause de décès, dans le dossier de votre mari? Parce que, de ce que je comprends, on a administré une dose de médicament ou quelque chose qui a fait en sorte qu'il est mort. Est-ce que vous avez...

Mme Hébert (Jacqueline): ...rapport à l'autopsie que j'ai chez moi, je pense qu'on a marqué toutes sortes de maladies, la rate a éclaté, tout a éclaté. C'était vraiment, là... J'ai dit: Comment se fait-il qu'il avait tant de maladies que ça que je ne connaissais pas? C'est sûr, il avait eu... En tout cas, de toute façon, mon fils pourrait témoigner, il s'appelle Walter Hébert, et il pourrait témoigner en tout temps. Il est très, très volubile. Et puis c'est lui qui a... Il ne savait pas, là, que cette chose-là pouvait se faire, puis, étant donné qu'on lui a dit qu'il n'y avait aucun espoir, qu'il pourrait être mentalement déficient, il pourrait avoir tel, tel problème... On ne peut pas savoir, mais, si la personne réagit quand on lui parle, je pense que c'est quelque chose, ça.

M. Sklavounos: Mais en même temps...

Mme Hébert (Jacqueline): Et on m'a dit: Mais il s'habitue, il aime ça, il va vouloir rester branché. Parce qu'on ne pourra plus le débrancher, là, il s'habitue. Il tenait son chose, il avait un tube, là, il voulait vivre. C'est grave, ça, là. Moi, je pense que, si la personne est intubée puis elle veut rester intubée, elle veut vivre.

M. Sklavounos: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Oui. Merci, M. le Président. Alors, merci, Mme Hébert, pour votre témoignage et l'opinion que vous exprimez, qui est une opinion tout à fait légitime, que nous avons beaucoup entendue dans le cadre des travaux de la commission. Vous avez votre conception de la mort dans la dignité et dans le respect, et vous dites que vous ne souhaitez pas que quelqu'un d'autre puisse décider à votre place. Et ce qui est curieux, c'est que les mêmes arguments peuvent être invoqués pour des gens qui souhaiteraient que le gouvernement puisse ouvrir au niveau de l'euthanasie.

On avait, ce matin, une dame de 89 ans très vive d'esprit, très dynamique, qui allait faire du bénévolat, je pense, après avoir été entendue ici, et elle, elle avait un point de vue tout à fait... les mêmes arguments que vous, mais le point de vue tout à fait différent. Je vais me permettre de citer quelques lignes de son texte. Elle nous disait, ce matin: «Je ne sais pas ce que la vie me réserve, mais, si j'avais une maladie dégénérative ou incurable comme le cancer ou l'alzheimer, j'aimerais bien, avant de perdre toutes notions, avoir le choix et les moyens de quitter rapidement la vie.» Et elle, j'imagine, elle ne souhaiterait pas que quelqu'un d'autre prenne une décision à sa place, en d'autres termes que des médecins prolongent sa vie si elle atteint cet état où elle souffre d'un cancer ou de la maladie d'Alzheimer.

Vous comprenez la difficulté avec laquelle nous sommes confrontés, souvent les mêmes arguments, les mêmes principes, mais qui se heurtent par rapport à la solution qui est demandée par les gens qui sont devant nous. Vous comprenez que, pour cette dame-là, mourir dans la dignité et avec respect voudrait dire, dans son esprit à elle, de pouvoir abréger ses jours si elle atteint cette maladie-là.

Mme Hébert (Jacqueline): Moi, je ne pense pas que, mourir dans la dignité, avec respect, on peut le faire à l'hôpital entouré d'étrangers. Je pense que, si on le faisait à la maison, avec sa famille, on ne serait pas si pressé de recevoir une injection puis de dire: On veut en finir.

On manque de ressources, on manque de personnel, on manque de gens conscientisés. Avant ça, il y avait les religieuses, les religieuses qui prenaient soin des malades. Bien sûr, il y avait des médecins, mais qui voulaient prolonger notre vie. Maintenant, si vous calculez le nombre de médicaments qu'une personne âgée prend, ça coûte cher à la société, ça coûte... Moi, j'ai été malade à 74 ans pour la première fois, je suis en très bonne santé encore, mais, je calcule, si on compte tout ça, ça va-tu faire du bien à la société? On va-tu pouvoir faire autre chose ailleurs? On va-tu pouvoir investir de l'argent autrement que dans nos vieux qui sont malades un peu partout?

Mais je sais qu'il y en a qui veulent mourir. Ces personnes-là, s'ils veulent mourir, c'est parce que les enfants les ont abandonnés, c'est parce que peut-être aussi qu'ils n'ont plus d'amour, ils sont tous seuls. Pensez-vous qu'une personne sur un lit d'hôpital, qui n'a pas de visite, qui n'a personne ne va pas vous dire: Bien, moi, j'en ai assez, je veux mourir? La madame de 89 ans, je la comprends, parce que peut-être que, quand je vais avoir 89 ans, si je n'ai pas de famille, je n'ai pas personne, mais je suis entourée d'amour...

M. Ouimet: Remarquez, ce n'est pas ce qu'elle disait -- je me permets de vous interrompre -- parce que, si je cite un peu plus loin son texte, elle dit: «...je pourrais mourir chez moi, avec ma famille, au moment qui me convient?» Voyez-vous?

Mme Hébert (Jacqueline): Ah, ça, c'est bien.

M. Ouimet: Alors, elle, c'était tout à fait la même conception que vous, mais elle souhaiterait pouvoir mettre un terme à ses jours.

**(14 h 40)**

Mme Hébert (Jacqueline): Est-ce qu'il y a un âge limite pour recevoir les injections? Est-ce que ça va aller... Si la personne a 50 ans puis elle veut mourir, bon, bien là, c'est ça... On déclare... On a fait des erreurs médicales sur les maladies dégénératives. À un moment donné, on n'opère pas pour une bonne chose, on ampute un mauvais membre, là, on va se tromper. On dit: Tu es atteint de cancer, tu vas mourir dans peu de temps, puis on s'est trompé, là. Ça arrive souvent qu'il y a des erreurs médicales, c'est très fréquent. Mais, si on fait une erreur médicale, y avez-vous pensé à ça, puis la personne demande pour être euthanasiée, là? Ça va être quoi?

M. Ouimet: On a les arguments de part et d'autre, et notre rôle, c'est un peu de confronter les points de vue, là, qui s'expriment.

Mme Hébert (Jacqueline): Mais je pense que tous les médecins ici pensent que l'euthanasie est nécessaire. C'est votre rôle... Mourir dans la dignité, est-ce que c'est juste... Si c'est juste ça, on n'a plus rien à dire, nous autres, les gens âgés, ça va passer. Je pense que ça va passer même s'il y a une commission qui s'appelle mourir dans la dignité, terme que je n'aime pas. Mourir, on meurt, je ne pense pas qu'on soit digne quand on meurt, parce qu'on part, là, la tête n'est plus là, on n'est plus présent, on n'est plus digne. Mais si tous les médecins sont d'accord -- il n'y en a pas beaucoup qui vont être contre ça -- la loi va passer. Est-ce que vous tenez compte de l'enquête qui se fait ici? Est-ce qu'il y a beaucoup de gens qui... la majorité? Question que je pose. Ce n'est peut-être pas là...

Le Président (M. Kelley): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Si je prends juste la parole. D'abord, juste pour clarifier quelque chose. Il n'y a pas, madame, de projet de loi, il n'y a pas de projet de loi. Et, le titre, peut-être, je ne sais pas -- il y a d'autres personnes qui ont commenté -- on voulait que ce soit un titre, un nom d'une commission qui était neutre, dans la mesure du possible. On n'a pas de parti pris. Et je pense que la plupart...

Tous les parlementaires vont vous dire qu'on est ici pour écouter, et votre opinion est aussi valable que l'opinion d'un médecin. La majorité de la population du Québec, ce n'est pas des médecins, c'est la population du Québec. On a entendu toutes sortes de personnes. Il y a des gens qui viennent avec des positions qui sont basées sur la religion, d'autres personnes qui viennent avec des positions personnelles, d'autres personnes qui sont malades qui viennent nous parler vraiment, strictement, personnellement, de leur situation et qui veulent qu'on extrapole, etc. Il y a des médecins qui se sont prononcés pour une ouverture, il y a des médecins qui sont contre. Et votre opinion est aussi bonne.

Et d'ailleurs -- et je ne sais pas si vous le savez -- nous avons reçu plus que 6 000 réponses à un questionnaire qui a été fait en ligne, qui a été lancé en ligne, qui veut dire que c'est un grand débat. Les gens s'expriment. Les dés ne sont pas pipés. Une décision n'est pas prise. Et ça ne veut pas dire que nous allons prendre une décision. Ça se peut qu'après tout ça on fait des recommandations qui ne vont pas dans cette direction-là, on regarde d'autres aspects.

Et la mort, lorsqu'on parle de la mort, c'est tout aussi pertinent de parler des soins palliatifs, comme plusieurs personnes sont venues nous parler des conditions des personnes qui approchent la fin de leur vie, qui nous ont demandé de regarder plus ça. Alors, je voulais juste que vous ne partiez pas d'ici... J'ai regardé le président lorsque vous avez fait ce commentaire-là. Il n'y a aucune décision prise. Votre opinion est valable, et nous allons, bien sûr, considérer votre opinion et considérer les opinions des autres lorsque ce sera le temps de formuler des recommandations, qui seront effectivement des recommandations que nous allons faire.

Le Président (M. Kelley): Merci pour la précision. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonjour. Merci beaucoup. Je pense que mon collègue exprime aussi ce que je voulais vous exprimer, c'est-à-dire qu'on souhaite avoir des témoignages comme le vôtre, comme des citoyens qui ne sont pas des médecins ou des experts mais qui nous donnent leurs points de vue. C'est pour ça qu'on a fait le choix d'une commission itinérante et qu'on va se promener à travers le Québec, c'est pour favoriser la consultation la plus large possible. Alors, merci d'avoir posé ce geste citoyen, d'avoir pris le temps de demander d'intervenir.

Moi, j'étais curieuse juste de vous entendre. Il y a un grand débat à savoir la différence entre, par exemple, un arrêt de traitement -- sans revenir, là, vraiment aux cas personnels -- mais, par exemple, débrancher quelqu'un versus lui donner une aide active à mourir, par exemple versus une injection létale, O.K.? Et, quand mon collègue, tout à l'heure, parlait que le Barreau avait dit que c'était une évolution et pas une révolution, ce n'était pas dans le sens positif ou négatif, de ce que j'ai compris du Barreau, c'est que le Barreau s'est fait poser la question. On sait tout ce qui est déjà permis, mettons, dans le Code civil. On peut refuser un traitement même si on va mourir demain. On peut débrancher quelqu'un, la personne peut le demander, mais ça peut être -- puis malheureusement vous nous faites part d'un cas assez éloquent à cet égard-là -- un proche aussi qui dit: Je me mets à la place de la personne, en vertu de nos règles, je donne un consentement substitué. Est-ce que, pour vous, il y a une différence entre, par exemple, débrancher quelqu'un d'un respirateur, qui va entraîner sa mort dans l'heure qui vient, versus donner une injection à la personne?

Mme Hébert (Jacqueline): Je pense que oui, parce que débrancher quelqu'un, c'est un acharnement thérapeutique. Donc, s'il est branché longtemps, longtemps et puis si la personne... Je pense, quand on parle d'acharnement thérapeutique, il ne faut pas laisser quelqu'un branché. Si la personne est pour mourir... Moi, dans mon cas, à moi, je ne voudrais pas être branchée, donc... Mais je ne voudrais pas recevoir une injection. Je ne peux pas parler pour les autres, mais il y a une différence, parce qu'une injection... Je pense que, si je fais euthanasier mon chien, là, moi, je suis certaine qu'il ne reviendra pas. Mais tu branches quelqu'un, peut-être qu'il y a un peu d'espoir que la personne revienne.

Parce qu'on ne fait pas d'acharnement thérapeutique tout le temps, on en sauve, des gens. Donc, ces gens-là qui ont failli mourir, qui reviennent à la vie, bien, c'est de toute beauté, parce que, par la suite, ils peuvent accomplir beaucoup... ils accomplissent beaucoup de choses puis ils sont heureux de vivre. Parce que vous ne branchez pas quelqu'un pour l'euthanasier normalement, donc... Moi, je ne vois pas... La question, elle est bonne, mais, moi, la réponse, je pense que... Je ne le sais pas vraiment. Pour être honnête, là, je ne le sais pas.

Mme Hivon: Non, mais... En fait, les médecins voient une grande différence. Donc, vous êtes un peu dans l'ordre des...

Mme Hébert (Jacqueline): ...

Mme Hivon: C'est pour ça que je voulais vous poser la question, parce qu'on est intéressés aussi par l'opinion des gens. Et, tantôt, dans votre présentation, vous avez beaucoup mis l'accent sur le fait qu'on pourrait mettre fin à la vie des gens, qu'il pourrait y avoir des abus, qu'on pourrait décider: Cette personne-là, en fait, qu'est-ce qu'elle apporte? Puis on décide donc de mettre fin à sa vie, là. Puis mon collègue y a un petit peu fait référence. Mais est-ce que vous voyez une différence si, par exemple, cette ouverture-là serait balisée avec beaucoup, mettons, de balises et que ça devrait absolument venir de la personne elle-même?

C'est un peu ce qu'il vous disait, tantôt on a eu effectivement un témoignage d'une dame de 89 ans qui a dit: Moi, jamais je ne voudrais que quelqu'un prenne la décision pour moi, jamais, ça, c'est clair. Mais, moi, je voudrais... J'ai 89 ans, j'ai une vie extraordinaire, j'aime ma vie beaucoup, beaucoup. Mais, si je devais avoir une maladie incurable, souffrir, tout ça, j'aimerais ça justement -- un peu dans le même sens que vous -- plutôt que d'aller à l'hôpital, puis de perdre le contrôle, puis de ne pas savoir ce que me réservent les dernières semaines de ma vie puis les médicaments qu'on va être obligés de me donner, et tout ça, décider, par exemple: Moi, je veux mourir à la maison, entourée de mes proches. Je sais qu'il n'y a plus d'espoir, il m'en reste peut-être pour un mois, trois semaines, et je voudrais donc arrêter ça maintenant. Vous, faites-vous une différence avec un cas comme ça?

Mme Hébert (Jacqueline): Bien sûr, bien sûr, parce que c'est des personnes... Rendue à 89 ans, je pense que la personne, en toute conscience, peut dire: Moi, je souffre depuis tant d'années et d'accord je vais mourir. Mais la personne va mourir à 89 ans, et beaucoup... Tu ne vis pas jusqu'à 100 ans, là. Mais on parle de centenaires, et tout ça, on n'en aura plus, de centenaires, au Québec. Je fais une différence. Si la personne veut mourir, d'accord, c'est son choix, je respecte le choix d'autrui, je respecte le choix des gens. Mais je parle en mon nom personnel. Moi, je dis que je suis contre ça, je n'aimerais pas ça mourir... Je vais essayer de vivre l'expérience de la mort, voir la mort comme une fin de vie, mais ce n'est pas toujours...

La mort, ce n'est pas toujours si horrible. On a vu des gens mourir. Moi, j'ai vu beaucoup de gens mourir. Je suis la seule personne âgée de ma famille, tout le monde est mort jeune, donc je n'ai pas connu de vieux. Dans ma famille, c'est moi qui suis la vieille. Et ils sont partis, ils sont morts, ça n'a pas fait de gros drame, c'est mort doucement, mais c'est mort.

Je pense que, si on laisse les gens... À la limite, s'ils sont jeunes, ils vont dire: Bien, moi, je veux mourir, bien, peut-être qu'on va perdre notre jeunesse aussi, pas juste les vieux, là. Parce que tout le monde... les gens ne veulent plus vivre.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): S'il n'y a pas d'autres questions, il me reste...

Mme Hébert (Jacqueline): ...mon ami Dolbec qui aurait peut-être beaucoup de choses à dire.

M. Dolbec (Jean-Nil): ...en même temps que madame?

Le Président (M. Kelley): Oui, si vous avez une remarque de la fin, un mot de la fin, on va donner ça à vous, M. Dolbec.

**(14 h 50)**

M. Dolbec (Jean-Nil): En 1995, j'ai participé à la commission sénatoriale d'Ottawa sur l'euthanasie. Quand on lit ce document-là, le document final -- je pensais de l'avoir perdu, mais heureusement je suis conservateur, je l'ai gardé -- c'est très mitigé, la question d'euthanasier, de... en fin de compte, tout ce qu'on voudra, là, pour enlever la vie à quelqu'un. Et, si la personne décide, dans le document, ça va avec de la surveillance puis les personnes voulues. Mais, moi, depuis sept ans, ça va faire la huitième ou neuvième personne que je connais et que j'aide, dans un certain point, à partir dans la dignité, accepter une certaine médicamentation pour soulager la souffrance, mais pouvoir... c'est terminé, pour avoir une certaine chance de voir puis de parler avec son monde.

Alors, je fais un petit aparté. À Sherbrooke, il existe trois centres où est-ce que les personnes peuvent partir de cette façon-là, avec de la médicamentation régularisée. Ils peuvent recevoir leurs familles, et ainsi de suite.

Alors, moi, que je n'aimerais pas qu'on se presse trop, trop pour légaliser certaines choses plutôt que d'aller vers des choses qui sont plus douces puis que la personne ait la joie de quitter sa famille quand même. J'ai un cousin propre qui savait qu'il était fini. Mais il a fini ça à l'Hôpital juif, on pourrait dire, dans la béatitude, parce qu'il a eu de la morphine qui lui a enlevé, bien, sa douleur. Il a pu jouir de la vie du milieu qu'on lui donnait -- je n'expliquerai pas tout -- plus de sa famille, qui venait le voir, parce qu'à la maison... Il ne pouvait pas rester à la maison. Mais il est parti tout de même.

Puis -- pour faire plus court pour donner la chance à d'autres de parler -- j'ai une bonne copine qui, à l'heure actuelle, se meurt. Elle se meurt chez elle mais dans la dignité, on peut dire, même, dans la joie. Parce qu'elle sait que c'est fini, sauf un miracle. Je crois aux miracles, mais le miracle ne se distribue pas à tous et chacun, puis ce n'est pas une affaire: Bien, je le demande, je l'ai, là. Si ça arrive, ça arrive. Mais en tout cas... Et puis elle vit heureuse, elle peut voir ses proches, elle peut voir ses amis. Dans un temps voulu, ça serait ça. Puis on sait qu'elle va mourir, c'est une question de semaines, puis c'est ça, mais...

Alors, moi, j'aimerais que vous vous penchiez sur une chose semblable. Quand un rapport canadien comme ça ne vient pas à un consensus de dire: Oui, il faut légaliser l'euthanasie, il faut euthanasier... le suicide, il faut... En fin de compte, c'est ça, il y a tellement de choses qui peuvent intervenir dans une maladie, dans une souffrance. Si on enlève la souffrance, la maladie peut se vivre. Mais, si on a la souffrance qui ne peut pas être guérie, puis qu'on a la maladie, puis qu'on sait qu'on est fini, bien là, là, il reste quoi à la personne, là, là? C'est de demander au plus vite une injection, puis laisse-moi partir. Mais, je crois, après ce que j'ai vécu avec des amis, de la parenté, ou quoi que ce soit, si on a la chance d'avoir quelque chose qui enlève le mal, mais qu'on a une certaine vie, mais qu'on sait qu'elle va être courte -- ce n'est pas une vie de six mois, là, c'est une vie de quelques semaines ou peut-être un mois ou deux, là, maximum, dans les cas que j'ai connus -- bien, c'est partir dans la dignité, dans les grandes valeurs de sa vie, quelle qu'elle soit, qu'elle soit catholique, protestante ou autre, là, là, mais elle vit jusqu'au bout mais soulagée, puis à l'hôpital, ou à domicile, ou dans des centres comme ça.

J'ai une vieille dame chez moi, là -- je ne donne pas l'adresse, rien, là -- qui a le cancer. C'est une dame de 81 ans, bien portante à venir jusqu'à à peu près trois semaines. Mais il y avait quelque chose qui n'allait pas bien, puis ça, c'est ses filles qui me l'ont dit. C'était le cancer, mais le cancer tellement avancé qu'elle ne s'en était pas aperçue que... Il n'y avait plus rien à faire avec elle. Donc, ses enfants, ses trois filles, s'en occupent avec elle. Elles demeurent dans le même bloc que moi, s'en occupent. Puis, moi, je me suis offert que, quand il y en avait une qui retarderait et qui ne pourrait pas arriver, bien celle qui devait partir, de me le dire, que je descendrais avec madame -- que je connais bien. Puis elle a accepté. Alors, moi, c'est ça que j'aimerais qu'on encourage au Québec, là, que ça se fasse de plus en plus, encadrer dans une certaine façon, mais une certaine liberté aussi. Alors, moi, ça, c'est mon plus grand voeu, là, que...

Mais ouvrir la porte -- comme Dr Major a dit, comme ma compagne et d'autres, ils vont peut-être dire -- ouvrir la porte, là, là, à l'euthanasie ou bien donc au suicide, là, non. Une personne qui est désespérée peut vouloir n'importe quoi. Mais, si tu la rassures par un médicament qui lui enlève... Comme j'ai connu un prêtre dans les douleurs terribles. Mais on lui a dit, médicalement, qu'ils pouvaient lui faire une petite opération puis couper un nerf, puis il n'aurait plus de mal. Il a dit: Oui, faites-le. Mais il savait qu'il ne reviendrait pas. Ils lui ont fait ça, puis il n'a plus eu de souffrance. Alors là, il l'ont envoyé à Aube-Lumière à Sherbrooke. Il a fini ses jours deux mois ou trois mois après, mais dans la quiétude, sa parenté qui venait, ses amis, en fin de compte, tout ce qu'il voulait. Puis il a parti pareil. Il savait qu'il était fini, mais il voulait vivre encore un peu puis avoir la chance de peut-être dire des choses qu'il n'aurait jamais pensé dire dans sa vie, mais, sur la fin de sa vie... Une personne qui arrive sur la fin de sa vie, il n'a pas tout pensé à qu'est-ce qu'il pourrait dire à ses proches face à ça. Mais, quand il est rendu que -- il sait, là -- il reste deux semaines, trois semaines à vivre, là, ah! j'aimerais bien ça avoir le temps de dire telle affaire. Tu sais, là, c'est humain.

Alors, laissez la mort agir d'une façon humaine, pas une façon drastique, là, O.K.? Mais, si la personne qui est impliquée dit: Moi, je veux en finir, j'ai fini, ah! bien là, c'est elle qui le veut, mais sous la supervision -- peut-être pas de l'exemple de Mme Hébert -- mais de membres de la famille. Puis je ne veux plus vivre, je suis tanné, parce que, disons, la douleur, ils ne peuvent pas lui enlever, je veux plus, je veux mourir. Bien là, la famille s'entend, puis: Qu'est-ce que vous avez qui est le moins douloureux, ou qui est le plus vite, ou d'autre affaire de... puis il ne veut plus, puis il ne veut plus, puis... Tu sais, là, mais que ça ne soit, là, pas... En tout cas, je laisse la chance à d'autres.

Le Président (M. Kelley): Je vous remercie beaucoup, M. Dolbec, madame...

Mme Hébert (Jacqueline): ...laisser la mort vivre.

M. Dolbec (Jean-Nil): Laisser la mort vivre. C'est un peu bizarre de dire: laisser la mort vivre, mais la mort n'est pas là, là. Ce n'est pas un mort qu'on a entre les mains, là, puis qu'on espère, en le regardant, qu'il va vivre. Là, c'est un être bien vivant, pensant, aimant, aime sa famille, ses amis, et tout. Bien, qu'on le préserve un petit peu encore. Mais, d'une façon ou d'une autre, là, tu sais, là, là, c'est quoi, l'affaire, là? Si on ne peut pas se permettre ça comme société, de prolonger un petit peu mais humainement une personne qui veut partir, bien là, on est mal foutus, là. Alors, je termine avec ça.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Hébert, Merci beaucoup, M. Dolbec. Je pense, la société québécoise est le reflet du rapport que vous avez cité, où le monde est divisé. Il y a beaucoup d'opinions, et nous sommes ici pour ramasser les opinions de l'ensemble de la population.

Sur ça, je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander à Dre Aline Mamo de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 14 h 58)

(Reprise à 15 h 1)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Nos prochains témoins sont Dre Aline Mamo, que je pense qu'elle est de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, accompagnée par Dre Silvia Selleri, de l'Hôpital Sainte-Justine, et Dr Luca Cavallone, de The Lady Davis Institute, si j'ai bien compris. Alors, Dre Mamo, la parole est à vous.

Mme Aline Mamo

Mme Mamo (Aline): Merci. M. le Président, Mme la vice-présidente et membres du comité, comme introduction, je dirai: Nous sommes un groupe de chercheurs dans le domaine de la santé et, comme vous vous en rendrez compte, de nouveaux citoyens du Québec ayant choisi Montréal afin de poursuivre nos travaux de recherche. Donc, en fait, nous tenons à coeur le bien du Québec et celui des Québécois. Pour ceci, merci, pour l'opportunité accordée afin d'exprimer notre opinion sur la question de mourir dans la dignité.

Pour commencer, nous voulons souligner un point important. Durant ces mois, nous avons eu l'opportunité d'entendre plusieurs récits émotionnels, dires dramatiques sur la question d'euthanasie, suicide assisté. Sans rien leur enlever, il nous semble essentiel d'affronter ces questions avec un jugement critique. Ainsi, comme il nous est requis d'affronter les problématiques de notre travail avec une pensée rigoureuse, nous voulons aujourd'hui aborder le problème de l'euthanasie avec une sensibilité humaine et un jugement critique.

Je commencerai, pour ma part... Pour ma part, en fait, j'ai travaillé dans deux domaines: celui qui touche au cancer du sein et, le deuxième, sur les maladies neurodégénératives, où actuellement je travaille sur l'alzheimer. Il est clair que les efforts que je déploie sont de trouver un remède afin de traiter le patient et de lui assurer une meilleure qualité de vie. Donc, il va sans dire que j'ai une grande part de responsabilité dans l'élaboration des traitements donnés aux patients.

En quoi consiste ce travail? En fait, dans le quotidien, ce que je fais, c'est que j'étudie des mécanismes biologiques, que ce soient des mécanismes moléculaires, génétiques ou cellulaires, afin de traiter une problématique médicale. Ce qui me fascine le plus en sciences, c'est que tout, dans le corps humain, même au niveau d'une cellule ou d'une molécule, trouve toujours un moyen de se protéger ou de protéger les cellules avoisinantes de la mort. Je donne comme exemple: la cellule essaie par divers mécanismes de se protéger d'une mort qu'on dit programmée. L'ADN possède des mécanismes de surveillance et de réparation qui font en sorte de sauvegarder la transmission de l'information génétique aux cellules.

Donc, en fait, tout dans le corps humain affirme la vie et non la mort. En effet, je réalise que, sans cette réalité... ou mettre fin à cette réalité équivaut à vouloir arrêter le désir de découvrir, de risquer et de vivre. La personne à qui on annonce un diagnostic d'une maladie incurable se trouve à premier abord désarmée. Pourquoi? Parce qu'elle affronte une chose inconnue. Et le premier sentiment est un sentiment de peur face à une souffrance et à la possibilité d'isolement. Et je dirais que ceci est tout à fait normal parce que nous tous craignons, d'une façon ou d'une autre, ce que nous ne contrôlons pas. Par la suite, quand cette personne comprend mieux les étapes du traitement proposé, elle y consent.

Si je prends l'exemple d'une recherche clinique, un nombre important de patients qui ne répondent plus aux traitements reconnus acceptent d'être recrutés pour un protocole expérimental, quand ils sont accompagnés et éclairés par leurs médecins traitants, disponibles à leur expliquer le pour et le contre de chaque étape proposée. Pourquoi ces gens acceptent et pourquoi le médecin propose? Parce qu'ultimement chacun de nous veut affirmer la vie. Et donc j'ai été très frappée par une citation d'une femme médecin, Sylvie Ménard, de l'Institut des tumeurs à Milan, qui disait: Ce n'est pas en fait la maladie qui n'est pas incurable, c'est la vie elle-même qui qui est incurable.

Comment y parvenir? Je pourrais dire que, pour les patients à qui on donne un diagnostic d'une maladie incurable, pour les chercheurs, c'est toujours le désir d'améliorer le pourcentage de survie des personnes atteintes de ces maladies, que ce soit cancer ou maladie neurodégénérative. En effet, en but de cela, une nouvelle avenue de recherche vient de naître, qu'on appelle la recherche translationnelle, où les essais cliniques sont améliorés pour raffiner les diagnostics médicaux et aider à la prévention des maladies incurables en les détectant à un stade précoce. Si je donne un exemple, c'est celui du cancer du sein, où à l'heure actuelle le taux de survie relatif à cinq ans, pour le cancer du sein chez la femme au Canada, est de 87 %.

Cependant, pour les patients qui ont très peu de temps à vivre, que faire, on dirait? C'est vrai que ces patients sont souffrants, sont confus et se sentent un fardeau. Cependant, j'ai été très frappée en entendant hier l'intervention des différents directeurs des centres palliatifs, l'obtention d'une amélioration concernant ce secteur. Il est clair, d'après leurs interventions, que ces services ne traitent plus la maladie. Cependant, ils traitent la personne dans ses besoins les plus fondamentaux, où les patients en phase terminale vivent dignement le temps qui leur est accordé, entourés de leurs proches, d'où la nécessité de miser fortement sur ces services.

En conclusion, je dirais qu'avec l'euthanasie ou... l'euthanasie, suicide assisté je fais face à une question qui va à l'encontre de l'idéal, qui est d'affirmer la vie et l'espoir dans la vie. En effet, ceci pourrait freiner la recherche sur l'amélioration des soins palliatifs et affecter l'obtention de nouvelles avenues thérapeutiques impliquées dans le soulagement des symptômes. C'est pour toutes ces raisons que je m'oppose à cette avenue. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Vous voulez continuer ou...

Mme Selleri (Silvia): Je crois. Comme vous voulez. On peut parler, oui.

Le Président (M. Kelley): O.K. Parfait. Je ne sais pas à qui céder la parole...

Mme Selleri (Silvia): Oui, c'est bon.

Le Président (M. Kelley): ...c'est tout. Alors, c'est Dr Selleri?

Mme Selleri (Silvia): Oui.

Le Président (M. Kelley): La parole est à vous.

Mme Selleri (Silvia): Oui. Aujourd'hui, je vais vous parler en anglais. J'espère que ce n'est pas un problème. Je suis en train de travailler en ça, mais je ne suis pas encore à l'aise, et je préfère que...

Le Président (M. Kelley): Your choice.

Mme Selleri (Silvia): Vous comprenez ce que veut... C'est mieux...

Le Président (M. Kelley): Allow me to practice my English.

**(15 h 10)**

Mme Selleri (Silvia): Oui. Merci. Je ne sais pas, avec moi, si vous pratiquez... Oui, oui. O.K.

So, dear madams and sirs, my name is Silvia Selleri. And I work at the Sainte-Justine... as you said, Sainte-Justine Hospital as a postdoc in pediatrics, and in particular my work concerns immunology and the development of new cellular therapies for the prevention and cure of rejection after bone-marrow transplantation.

In science, I've been educated to face many different problems according to a very simple and logical approach. First of all, when we need to investigate an aspect of reality, we need to clarify the question we have to answer. In the present case, we are dealing with one of the most delicate and important moments of human life, that is death. Already, in reading the document, as has been said before also, the document that has been prepared for the present... presenting the discussion of this possibility of decriminalization of euthanasia, I was surprised. I read the title: Dying with dignity. This presupposes, first, that dying with euthanasia has a dignity and, second, that this death could have more dignity than others, at least in some cases.

I personally do not agree. By hearing different pro-euthanasia talks and different issues raised by the commission, I often heard about the possibly of a man that is unable to move, to speak, to live independent life, maybe alone, angry with life, that asks his doctor to stop his suffering with a lethal injection. Since the doctor loves him and cares for his quality of life, he accepts, and, let's say, one week later, I don't know, the patient dies.

But let's hypothesize that the same patient with the same hatred for life finds a different doctor which tries to comfort him, that guarantees a physical and psychological support, that is able to offer valid and competent palliative care, that, at the end, decides to personally accompany his patient in this difficult moment, and let's hypothesize that the patient actually changes his mind and decides not to die from euthanasia. Well, he will probably die all the same, maybe soon, but aware that his life has a value, that there is someone caring for him, that his life is worthy and invaluable up to the end.

Which of the two deaths has more dignity? In such a case, I would prefer to risk on the positive hypothesis. That's so important. This thing in science is mandatory for any experimental design: risk on the positive hypothesis. Moreover, this is not only an opposite hypothesis, since a study performed on the United States found out that 50.7% of the people asking for euthanasia change mind in a few weeks. And here, if you want, I have a printed copy of the article. I don't know if... Afterward, I can leave it to you.

I would like to see a Québec that is more willing to invest money, time, energy in helping doctors like the one in the example but also like the many I heard speaking in front of this committee, more ready to invest in palliative care, in support of families with a terminally ill relative, in psychological support, in all of this, than in guaranteeing immunity for doctors that intentionally provoke the death of their patients. As a person working in medical research, to me, it's evident, and I would like... obvious that euthanasia is not a medical care, and, if allowed, it will not render our society better. Merci pour votre attention.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Dr Cavallone.

M. Cavallone (Luca): Yes. Mr. Chair, members of the commission, I also will present my report in English, and I apologize if I am not able yet to express in current French.

I am an associate researcher in human cancer genetics at McGill University. I consider it a privilege to be able to practice such a profession, so much so that I decided to leave my own country in order to pursue my carrier here, in Montréal, in 2005. Why do I use the word «privilege?» With all due respect for the other professions, to me, it's obvious that university level research is like a laboratory, but a critical judgment is... challenge, and therefore it is constantly in use. In order to be able to come out with scientific hypotheses, reason is always at play and needs to be trained to fulfill its duty to consider all the factors involved in any given case.

At this point, what does my professional experience have anything to do with the examination of the commission? The issues that you are called to examine require that we identify the components that constitute dying with dignity. It is important to come up with the right and reasonable tools in order to define what dying with dignity really means. When... think about these issues, there are two experiences that come to my mind: the recent death of my grandmother, due to brain cancer, and my father's passing away, due to mesothelioma, a malign lung cancer caused by asbestos. My father found out about his tumor in 2004. The survival rate for this specific type of cancer is around 3% to 5% after five years. We all know that we will eventually die but nonetheless keep this in mind in our daily lives. And yet, from one day to another, everything can crumble. Everything crumbled for my father, as well as for me, from one day to another. And this seems meaningless.

My father used to write some of his thoughts in a diary. We found a passage from November 9th of 2004: The day of the truth has come, the day in which one must come to some conclusions and, hopefully, something beyond. Today, after the doctors announced my verdict, I would have wanted to destroy whatever was in front of my eyes. Anger, pain, consternation and disbelief, yes, disbelief. Is this really happening to me? Why me?

These are the new questions that arise when your life turns upside down. As time went by, the pain increased, and the therapies became less effective. However, during this time, I had the privilege to witness the amazing event of seeing friends, relatives, colleagues and even health professionals caring for my father. These relationships sustained my father, strengthened him physically and morally.

A few days before his death, we found him asking the same questions that he had written on that day, the very... that day, 9th of November 2004. Why me? But the tone of his voice had changed. It was not the question of a matter who disdain his reality. It had become the question of someone who was surprised for having received such a beautiful experience, right at the end of his life. Why me? How can all of this have happened to me?

So, at this point, what happened between the day of his diagnosis with cancer and the end of his life? What happened? This time was the moment in which he experienced the growth of friendships and relationships, even at the hospital. These events accompanied and encouraged my father throughout this difficult period.

To conclude, as I was saying early on, we must use reason to define the best possible solution for the person to live his last moments with dignity. In this period, the commission will have the opportunity to hear the dramatic and tragic stories that will be presented to its members and will find itself in an ideal position to identify the best working hypothesis from those who have had to face these situations. This working hypothesis stands for doctors, nurses as well as other members of the scientific community who truly care about their profession in order to accompany the human person until his or her final moments.

I would like to give a rational and concrete contribution to Quebec culture and society. I truly hope that this place I chose for my life would be one of humanity and solidarity, where there is a major interest to improve the quality of life. I think that this place deserves the protection of the weakest, as I see danger in introducing the possibly of euthanasia. Thank you. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. We'll pass a period of questions and answers with the members of the committee. Alors, M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Alors, merci, M. le Président. Alors, j'aimerais d'abord vous remercier pour votre présence ici, aujourd'hui, votre présentation. Thank you for your presence and your presentations.

Mme Selleri (Silvia): ...comprend le français.

M. Sklavounos: Oui. Et monsieur...

M. Cavallone (Luca): Je comprends...

**(15 h 20)**

M. Sklavounos: ...Dr Cavallone également? Oui. J'allais dire à quel point nous sommes chanceux aussi de vous avoir. Je ne sais pas si ça a été un recrutement actif qui a été fait dans votre cas pour aller vous chercher et vous faire venir à Montréal, mais à quel point on est heureux d'ajouter des professionnels, des chercheurs de votre calibre ici, à Montréal. Je pense qu'on est trop souvent à l'autre bout de l'exercice, où les gens partent, quittent d'ici pour aller ailleurs. Alors, j'aimerais le mentionner, le souligner, lorsqu'on est du côté gagnant et nous avons des personnes de votre expertise qui décident de faire votre contribution et votre recherche à Montréal, je nous considère chanceux d'avoir des gens de votre calibre qui ont décidé de venir s'établir ici.

J'aimerais juste dire quelque chose, juste pour clarifier, suite au commentaire de la Dre Selleri, parce qu'il y a d'autres personnes qui sont venues nous parler du titre Mourir dans la dignité. Vous avez simplement ajouté un élément dans le sens que, lorsque vous lisez que l'euthanasie ou le suicide assisté permettraient de mourir dans la dignité... D'ailleurs, c'est pour cette raison-là qu'on ne mentionne nulle part l'euthanasie et le suicide assisté. On parle de la mort, peu importe comment qu'elle arrive, et on parle dans la dignité, dans le sens qu'on pose la question: Lorsque la personne meurt, quelle est cette dignité? Quelles sont les circonstances que les gens qui viennent témoigner devant nous aimeraient voir, que ce soient des personnes qui sont des professionnels de la santé, que ce soient des psychologues, que ce soient des philosophes, que ce soient des êtres humains qui ont vécu des situations?

On ne lit pas là-dedans et on ne dit pas là-dedans: L'euthanasie permet de mourir dans la dignité. Êtes-vous pour ou contre? Le suicide assisté permet de mourir dans la... Êtes-vous pour ou contre? On ne le fait pas, ça. On parle de la mort, et la mort vient pour tout le monde. Je pense qu'on peut être sûr de ça. C'est une chose certaine. Alors, en disant que la mort vient pour tout le monde, on a posé la question.

Évidemment, il y a une «backdrop», si vous voulez, il y a une trame de fait. Il y a des personnes qui se posent des questions, eh oui, sur les soins palliatifs, et sur l'euthanasie, et sur le suicide assisté, et on voit des liens qui partent d'ici et qui parlent de l'avortement, la peine capitale. Il y a des gens qui font des liens entre différentes choses.

Alors, la commission, juste pour vous rassurer, n'a pas de parti pris, n'avait pas à l'idée de confronter... Évidemment, c'est une question qui se pose, par exemple, parlant de cette question-là. L'euthanasie et le suicide assisté sont à l'avant-plan. Mais le titre est... Il n'y a pas de position. Et il faut que ce soit très clair. Et votre contribution doit être reçue et est reçue de cette façon-là.

J'ai une question à vous poser. Je ne sais pas, peut-être je... Vous avez parlé évidemment... C'est la Dre Mamo qui a parlé un petit peu du fait que le corps est fait pour combattre la maladie, se réparer. C'est d'ailleurs quelque chose que j'ai entendu souvent, et c'est vraiment un mystère, hein, c'est magnifique, et je pense que je... Le corps se répare. La peau se répare. On combat l'infection tout seul. C'est vraiment quelque chose de magnifique.

Et vous prenez de là et partez en disant: Le corps est fait pour survivre, et de là vous dégagez... Vous, vous êtes là. Vous travaillez pour essayer d'aider à survivre. Et nous avons entendu des médecins qui sont venus témoigner qu'ils sont formés pour ça. Ils veulent faire ça puis ils ne veulent pas l'autre rôle qui serait d'aider des gens à partir, à quitter la vie alors qu'ils sont «mindés» et formés pour fonctionner de cette façon-là.

J'ai une question que je veux vous lancer. Je ne sais pas, c'est peut-être une question qui irait à des psychiatres ou des psychologues plus qu'à des chercheurs, mais je vous la lance comme ça. J'ai cru comprendre, j'ai lu à quelque part ou que j'ai entendu différents exemples où on parle de ce qu'on appelle un instinct de survie. Normally, human individuals have a survival instinct that will cause them to do what they have to do to stay alive in extraordinary circumstances. Puis je pense que l'exemple que j'ai en tête, c'est quelqu'un qui m'avait dit qu'il... J'ai lu une histoire de quelqu'un qui était tombé puis a tenu quelque chose pendant une demi-heure en supportant tout son corps, le poids de son corps sur sa main jusqu'à temps que quelqu'un est venu le chercher. Et les gens se demandaient: Écoutez, c'est presque scientifiquement difficile à croire. Sauf que la personne ne voulait pas lâcher prise, voulait rester vivante, ne voulait pas tomber parce que la personne comprenait qu'en tombant la mort était sûre de suivre.

La question que je me pose dans toute cette histoire-là... Parce que les gens qui viennent nous parlent de l'autonomie -- et j'aurai d'autres questions pour vous si le temps nous reste après -- l'autonomie de la personne, et, comme base de l'autonomie, on parle d'une personne qui est bien, qui est apte, qui est capable de décider, qui possède un discernement et qui n'est pas influencée par des médicaments, des pressions, de la dépression, etc. La question que je me pose est évidente. Vous la savez déjà. Est-ce que c'est normal, si c'était... D'abord, est-ce que cet instinct de survie existe? Est-ce que c'est vrai? Est-ce que c'est documenté? Et est-ce que par définition une personne qui veut mourir n'est pas bien, à quelque part, au niveau de sa santé mentale -- je me pose la question -- santé psychologique? Je pose la question. C'est une question qui peut paraître évidente. J'ai l'air peut-être imbécile de la poser, mais c'est une question qui me tracasse depuis longtemps. Si on nous dit que les êtres humains veulent survivre, décider qu'on veut partir, est-ce que c'est une personne qui est, par définition, pas bien? Comment vous voyez cette question-là? C'est juste pour commencer.

Mme Mamo (Aline): Je commencerais par répondre, si vous me permettez. Je voudrais juste... probablement juste souligner une petite nuance. Survie, c'est sûr que le corps vit. Survivre, pour moi, c'est s'acharner à vivre. Ce n'est pas ce dont je parle, cette petite nuance.

Je répondrai à une deuxième question. J'ai eu la chance, durant mes études, de faire un stage avec le Dr Sylvie Ménard. Il faut savoir que cette femme est une oncologue très forte de caractère, qui est complètement proeuthanasie, jusqu'au moment où elle a elle-même eu le cancer. À ce moment, quand elle a eu le cancer, il y a quelque chose qui est changé, et elle est complètement à ce... Si on lui parle maintenant, elle est complètement contre ceci.

Elle disait une chose qui est très, très, très fameuse. Elle disait: Ce principe de décider que, quand, moi, je tombe malade, je veux qu'on me tue, elle disait toujours, ça, je relie cette phrase à l'orgueil de la personne en santé. Parce que, moi, je l'ai vu dans ma famille, j'ai eu aussi un cas personnel, quand on annonce un diagnostic d'une maladie incurable à une personne, la première chose, même avant de penser à la mort, on a peur. On a peur parce qu'on ne sait pas si on va souffrir. On a peur parce qu'on ne sait pas si on va être traité. Est-ce qu'il y a un remède? Donc, c'est sûr qu'on est dans un état de confusion. Et donc, pour moi, il se peut que la personne change. Parce que, moi, j'ai vu cette femme changer d'avis.

M. Sklavounos: Si je peux poser une autre question, une personne malade... et on dit à la personne... Et je comprends qu'il y a toute une incertitude dans la science. Quand on vous dit six mois, ça peut devenir deux ans. Quand on vous dit trois mois, ça peut devenir neuf mois. Je comprends tout ça. Mais nous avons entendu des personnes qui sont venues témoigner devant nous, qui sont affligées de certaines maladies. Et il y a des maladies de ce type qui font en sorte que, tranquillement pas vite, notre corps commence à nous abandonner, ou le fonctionnement normal du corps commence à nous abandonner.

Et certaines de ces personnes-là n'étaient pas dans... Et nous entendons aussi les arguments de l'isolement, du manque de soins, etc. Nous avons entendu... Puis je comprends, puis c'est des arguments valables. Il y a certaines de ces personnes-là qui semblaient dans des situations où autour d'eux ils avaient de l'attention, de l'affection, beaucoup, d'ailleurs, accompagnées de leurs enfants, mais qui savaient que de toute façon... Et la science... Ils avaient consulté, ils s'étaient renseignés, ils avaient posé des questions, ils avaient vu les meilleurs médecins. Et les médecins sont venus à la conclusion: Écoutez, c'est dans trois mois, dans deux mois. Tranquillement, le corps va cesser ses fonctions. Il va y avoir une certaine capacité mentale, mais le corps, à l'extérieur, va devenir inutile, à toutes fins pratiques. Et il y a une espèce de prison, hein, c'est une espèce de prison du corps, où on est dedans, mais on ne peut pas vivre normalement. Et par la suite, éventuellement, la mort, elle s'en vient.

Et même, je pense, les personnes qui sont par nature ou instinctivement contre cette question, qui ont peut-être peur des dérapages, qui ont peut-être peur de tout ça, elles se demandent... Une personne qui approche ça et qui dit: Écoute, moi, je vois ça venir, tout le monde est d'accord, c'est ça qui s'en vient, je ne veux pas arriver à ça... On ne parle pas de tuer une personne qui a des années de vie, là. On parle d'une personne qui va bientôt, de toute façon, mourir mais qui veut éviter cette ultime souffrance. On veut vous dire: Je vais faire mon «check-out» un petit peu avant ce point-là, je m'en vais vers le «check-out» de toute façon.

Je comprends tout ce que vous avez dit et je veux simplement vous confronter à la même question que je me confronte, que je suis confronté moi-même. Je trouve quand même difficile de dire à cette personne-là: Reste avec nous, malgré le fait que je peux lui vanter tous les magnifiques aspects de la vie, d'insister trop pour leur demander de vivre ce moment particulièrement difficile qui... de toute façon, la mort est inévitable, imminente, inévitable. Qu'est-ce que vous répondez à quelqu'un qui vous dirait ça, qui serait dans cette situation-là?

**(15 h 30)**

M. Cavallone (Luca): Can I answer in English?

M. Sklavounos: Sure, of course.

M. Cavallone (Luca): Thanks. Different points, sorry. First, to go back very quickly, without taking a lot of time. Why we stress the worse with euthanasia and assisted suicide, because... O.K., I agree with the title, but the question I would add... I don't know, maybe there are 14 questions and there are 14 out of 14 that talk about euthanasia. This is the reason we stress... just why we stress that.

Second, survival. We talk about science or biomedical science, we talk about survival rate as a default because science has the goal to increase that rate, has the goal to increase that.

Third, I agree we all have to die and there are people that have fear to die, people that have less fear to die. But, in this moment, when you say for you it's difficult to say to someone: You have to die, I agree with you. But yesterday -- and also in the previous commission -- I heard on the radio... I heard that there are people that give their life... professional people that give their life in order to accompany them and that they know how to say: You have to die, and not only because out of their experience they know how to say: You have to die. But also they have a passion, as I saw, for their life, so they don't have any problem to tell them, and I am -- «invidioso» -- envious because I'm not able, like you, I'm not able to say to someone: Guys, you have to die. Not able yet, but there are people. And this, for me, are... positive. When they talk about a working hypothesis, it is like, out of all the examples that we are doing, we have to see also the examples as a starting point, some positive examples to say: This is the point where we can start. From this, we can start to face this problem. Otherwise, I mean, every day... every day, we'd say... O.K., I mean, it's a drama. Even today, I can go home and something can happen, it's a drama. So what happened? I have to find someone that... this positive hypothesis, otherwise... and it's not... as I heard here, it's not something that doesn't exist.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte intervention, Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Oui. Alors, merci beaucoup, M. le Président. Nous n'avons pas beaucoup de temps malheureusement. À titre de chercheur -- je vais aller directement dans le vif du sujet -- vous, essentiellement, vous cherchez des façons pour prolonger la vie, pour combattre les maladies et avoir des protocoles expérimentaux pour permettre justement à faire avancer la science. Mais il y a des médecins qui sont venus nous voir, qui travaillent en soins palliatifs et qui condamnaient un peu certaines pratiques, certains traitements inutiles en fin de vie qui oubliaient le patient dans toute cette fin de fin, et ils souhaitaient que les soins palliatifs soient amenés beaucoup plus tôt lors d'un diagnostic de cancer, par exemple. Alors, il y avait comme un débat entre l'avancement de la science et vraiment la promotion des soins palliatifs, parce que c'est deux contrastes, là, les médecins en soins palliatifs sont là pour prendre soin en fin de vie, tandis que les spécialistes, les oncologues, et tout ça, eux, ce sont des guerriers qui veulent vraiment combattre et vraiment prolonger la vie. Alors, comment vous sentez-vous par rapport à ce paradoxe avec un patient qui est devant vous qui est en phase terminale?

Mme Mamo (Aline): Alors, je réponds, je commencerai à répondre et je dirai juste ce que je comprends des soins palliatifs, c'est vraiment le moment où aucun autre traitement reconnu n'est valide. Alors là, on s'occupe de la personne qui a quelque temps encore à vivre. Ce que, nous autres... Ce qui m'a toujours fascinée dans notre travail, c'est que, suite à une problématique médicale, notre objectif est de comprendre comment les choses fonctionnent pour essayer de remédier à un défaut qui survient. Donc, à mon avis, étudier ces choses, pour moi, n'est pas un acharnement. Donc, à mon avis, on parle un peu de deux choses différentes. Moi, je ne suis pas médecin, je ne vais pas commencer à m'acharner sur un patient parce que je n'ai pas la même relation entre médecin et patient. Moi, je suis dans mon laboratoire, j'étudie un mécanisme qui va aider le médecin à arriver devant un patient, de lui proposer un traitement qui pourra l'aider dans sa maladie. C'est ce que, moi, je crois profondément.

Mme Selleri (Silvia): Well, if I personally can add something, when you talk about, for example, clinical try-out that are completely unuseful for the patient, just more suffering, or even maybe not more suffering but just unuseful, well, I totally agree. There's not the sense that... For example, when you enter a clinical try-out, it is because you need to test something and you can do it when there is... it is known there is nothing that can be done for this person. You cannot go worse than that. So, first, I would like not to put this in opposition with the palliative care because, if the patient can be relieved of his pain while undergoing some other treatment trying to rescue him or to give information useful for other patients... Because he always has to give informed consent. If he doesn't want, we cannot do anything. And for example I work since a while on pediatric patients. If I wanted to study a mechanism on their bloodcells and I asked for a blood donor, how many times they tell me: No. No, because the kid, now, is not in a hospital. We are not calling him because you need the cells, no?, or: Now, he is a bit anemic, so it's not the moment, we cannot; or they will be uncomfortable. You want, I don't know, to use the bone marrow, of course, one thing is to take something that is left over from another clinical analysis, and one thing is to ask for, I mean, taking his bone marrow, there is a suffering in that. And they tell you very... I mean, they tell you: No, we cannot. Because the patient, I mean, that's my experience, always comes first.

But on another side, I think that, I mean, when you are in a situation in which the doctor said: Look, there's nothing you can do, nothing I can do more... I mean, my... all my weapons are without bullet, I know nothing... anything to offer to you, there is this possibility. Nobody knows, because nobody knows about this possibility, this particular drug that has not been tested yet in a very, I mean, official way, but there is this clinical trial; if you want, we can try. I mean, if I am sick, I mean, I attach myself to this last hope or I don't, so I don't sign, and that's it. I mean, and there go my... you know. But I don't think this brings you necessarily to more suffering or to denying palliative care to the patient. Why does he have to suffer more? If he has to suffer more, I wouldn't do it, I mean. As a doctor, as I scientist, I have common sense. So... I would actually think the two things together because the patient, the person is always at the center. Otherwise... That's it.

Mme Gaudreault: Thank you.

**(15 h 40)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois. Ce fut un plaisir de vous entendre, et, un petit peu à l'image de mon collègue de Laurier-Dorion, je vous exprime notre grande chance d'avoir su comme société vous recruter, là, d'où vous venez. Et ma question a rapport à justement votre parcours de recherche. On peut deviner peut-être à travers les accents, mais pouvez-vous nous indiquer vos pays de provenance et nous indiquer -- et la question est très, très générale -- nous indiquer si, dans vos pays d'origine, si ce débat-là a cours, à savoir est-ce qu'on doit décriminaliser l'euthanasie? Est-ce que le suicide assisté a fait l'objet de réflexions? Dans vos pays d'origine, est-ce que ces questions-là ont suscité des débats de société? Est-ce que le débat est clos? Bref, question générale pour nous permettre de voir un petit peu la nature de la réflexion sur ces enjeux-là à travers différentes expériences, les vôtres dans les faits.

Mme Mamo (Aline): Moi, je commence. Moi, je viens du Liban. Ça fait 20 ans que je suis ici, donc je ne suis pas tout à fait nouvelle, mais quand même je suis une nouvelle citoyenne. Et, non, il n'y a pas de débat sur cette question-là. La question ne se pose pas, en fait. La question ne se pose pas.

M. Charette: D'accord, d'accord. Parfait. Merci.

Mme Selleri (Silvia): I come from Italy and, as you can... I think you understood already. I studied in Italy, where I did all my university studies, etc. I did a first postdoc in the United States, then I went back to Italy. And I'm looking for... risking on a positive hypothesis. I came here and actually, now, I'm very happy to do my research here.

And in Italy, actually, euthanasia is not allowed. I mean, there are cases that, in the past, brought the question on the newspapers, and so people talk about the possibility but, for what I know -- maybe I'm wrong -- but, from what I know, there is no, like, commission for example try to understand what is the sense of the population about a possibility of decriminalization, for example. This is what... But, yes, people discuss a lot about this, because the problem of suffering, of death, I mean, each one of us has to deal with it, no? I don't know if that answers...

M. Cavallone (Luca): I'm from Italy too. We talk about euthanasia as... O.K., Silvia already told the points. And the other points that... As my father had to pass through the case, I just realized that in Italy the idea to educate to send to a palliative center is quite stressed, this idea, and we went through a palliative center and other palliative centers.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette. Non, ça va. Moi, peut-être juste une dernière question, la différence entre une cessation ou un arrêt de traitement et une euthanasie. Parce qu'on a des personnes qui ont témoigné ici d'une mort digne entourée des familles, alors ça répond à beaucoup des critères que nous avons vus comme une mort paisible, et tout le reste, mais sans les personnes qui étaient soit branchées sur un respirateur ou avaient un tube dans le cou pour aider la respiration. Et, dans ces circonstances, on dit que l'intention, c'est une cessation de traitement, mais l'intention ultime, c'est de mettre fin aux jours du patient quand même. Et, je trouve, on bâtit beaucoup de confort derrière l'idée qu'une cessation ou un arrêt de traitement est très différent d'une euthanasie, mais il n'y a pas la même crainte des dérives ou des dérapages quant à une cessation de traitement aussi? J'essaie de distinguer ou nuancer entre les deux, parce qu'on accepte l'un comme quelque chose qui est monnaie courante dans notre système, mais, l'autre, on le traite comme une grande possibilité de dérive, et j'essaie de voir pratico-pratique, dans le quotidien de votre travail, c'est quoi, la différence entre les deux.

Mme Mamo (Aline): Je peux commencer. Dans le quotidien de mon travail, il n'en est pas question parce que je ne suis pas médecin. Je peux dire une chose. D'après ce que j'ai lu, d'après ce que j'ai entendu, d'après les différents témoignages, l'euthanasie, c'est causer la mort intentionnellement par une injection létale. Ça, c'est l'euthanasie pour moi. La définition, je crois qu'elle est claire et qu'on s'entend.

Pour cesser un traitement, c'est sûr que... aussi, je collabore avec beaucoup de médecins où ils se trouvent devant un patient où, à un moment donné, le patient est en train de mourir. Ça, ce n'est pas l'euthanasie, parce qu'il y a des médecins qui le font tous les jours. Et donc c'est vraiment dans l'intention. Si l'intention du médecin est vraiment d'aider le patient, ça, c'est différent que l'intention du médecin de tuer le patient. À mon avis, c'est ça, la différence.

Le Président (M. Kelley): C'est parfait. Merci beaucoup. C'est juste une question qu'on essaie de trouver une nuance entre les deux. Sur ça, merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion. Thank you very much for your contribution.

Je vais suspendre quelques instants et je vais demander à Mme Véronique Angers de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 15 h 46)

 

(Reprise à 15 h 50)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Avant de continuer, I'd like to welcome another class from LaSalle College that is here this afternoon. Most of the testimony may be in French, but I hope you can follow along. Welcome and thank you for your interest in the subject that we have here and good luck with your class assignment.

Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à Mme Véronique Angers.

Mme Véronique Angers

Mme Angers (Véronique): Bonjour, M. le Président et membres de la commission. Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de votre invitation. Mon nom est Véronique Angers, j'étudie au doctorat en psychologie à l'Université Laval à Québec. Je me spécialise en psychogérontologie et plus particulièrement au niveau des aspects sociaux entourant la maladie d'Alzheimer. Aussi, j'ai travaillé comme préposée aux bénéficiaires pour le CSSS Pierre-Boucher, la Maison au Campanile de la Société Alzheimer Rive-Sud et pour une des résidences des Soeurs de la Providence. Dans mon exposé, je vais vous présenter brièvement la recherche qui m'a conduite à écrire le mémoire que j'ai envoyé à la commission, et par la suite j'ai l'intention de vous exposer mon point de vue sur la question de l'euthanasie et du suicide assisté chez les personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer.

Le mémoire que j'ai soumis à la commission, qui s'intitule Les attitudes des proches aidants, qui s'occupent de leur conjoint atteint de la maladie d'Alzheimer, concernant l'acceptabilité de l'euthanasie et du suicide assisté, s'est fait dans le cadre d'une thèse «honors», lors de ma troisième année de baccalauréat à l'Université du Québec à Montréal, soit en 2009-2010, et ce, sous la supervision de M. Brian Mishara. Pour cette étude, j'ai réalisé des entrevues avec des proches aidants, conjoints de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, et des personnes non proches aidantes. Tous devaient être âgés de 65 ans et plus. Au total, quatre proches aidants et cinq non proches aidants ont été recrutés, ils habitaient tous la Rive-Sud de Montréal. Les objectifs étaient de vérifier quelles étaient leurs attitudes concernant l'acceptabilité de l'euthanasie et du suicide assisté, mais aussi de vérifier si les attitudes des proches aidants différaient de celles des personnes non proches aidantes. Quatre grandes constatations ressortent de cette étude. Cependant, je dois vous avertir que le petit échantillon recueilli ne me permet pas de généraliser ces résultats à l'ensemble des personnes âgées du Québec. Il faudrait d'autres études à ce sujet avec de plus grands échantillons et avec une meilleure représentativité de la population.

En première constatation, il en ressort qu'il y a une confusion entre la définition de l'euthanasie et celle du suicide assisté. En général, les sujets des deux groupes pouvaient me donner les éléments principaux de la définition de l'euthanasie, telle que définie par Brian Mishara, c'est-à-dire que l'euthanasie est un moyen pour abréger les souffrances causées par une maladie terminale ou dégénérative et que c'est une personne qui inflige la mort à la demande du malade. Toutefois, trois sujets ont mentionné les soins palliatifs comme étant inclus dans l'euthanasie, ce qui n'est pas le cas. Mais c'est à la définition du suicide assisté que les gens devenaient confus. En fait, le mot «assisté» embêtait les participants. Et donc ils ne saisissaient pas par ce mot que, dans le suicide assisté, c'est la personne elle-même qui se suicide et que ce n'est pas une autre personne qui inflige la mort.

Deuxième constatation. La majorité des sujets, soit huit sur neuf, étaient en faveur de la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté dans la mesure où le gouvernement instaurerait des modalités d'application pour éviter les risques d'abus. Comme par exemple, certains craignaient que ça devienne une solution facile, l'euthanasie et le suicide assisté, pour libérer des lits dans le système public, ou que l'euthanasie soit faite sans le consentement de la personne malade. Au niveau des modalités, ces personnes mentionnaient que le malade doit être conscient lors de la demande ou sinon qu'il ait signé une décharge à l'époque où il était conscient et que ces méthodes soient utilisées uniquement dans le but de soulager les souffrances. Pour le suicide assisté, les gens demandaient que seul un professionnel de la santé puisse donner la marche à suivre pour se suicider. Aussi, c'est intéressant de mentionner que huit personnes sur neuf ont dit que, dans le futur, elles pourraient désirer avoir recours à l'une de ces méthodes à cause d'une maladie dégénérative ou incurable ou qui entraîne de fortes souffrances physiologiques ou psychologiques. Ils ont même rapporté être prêts à supporter une autre personne malade dans cette démarche d'euthanasie ou de suicide assisté afin de respecter ses volontés.

En troisième constatation, les proches aidants des personnes alzheimer et les non proches aidants n'ont pas la même perception de la maladie d'Alzheimer, surtout en ce qui a trait à la souffrance. Les non proches aidants considéraient la personne alzheimer comme étant inconsciente et qui ne souffre pas compte tenu qu'elle est dans son monde. Bref, une vision qui peut se rapporter au stade avancé de la maladie. Pour les proches aidants, la maladie d'Alzheimer était perçue sur un continuum de dégradation de l'état de conscience où il pouvait y avoir souffrance psychologique au stade léger et même intermédiaire de la maladie.

En quatrième constatation, il semble que les attitudes des proches aidants et des non proches aidants découlent davantage de leurs trajectoires de vie que de la présence d'une personne alzheimer dans leur entourage. Bref, mis à part des perceptions différentes quant à la maladie d'Alzheimer, il n'y avait que des différences minimes quant aux attitudes entre les proches aidants et les non proches aidants.

Maintenant, mon opinion à la lumière de ces résultats. D'entrée de jeu, je dois dire que je me positionne en faveur de la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté au Canada, en ayant comme argument principal que l'humain est libre de décider de la manière dont il veut terminer ses jours dans la mesure où il souffre d'une maladie terminale et/ou dégénérative. Selon moi, ces moyens pourraient faire partie d'un traitement pour mourir dans la dignité. Par contre, j'aimerais dire que, pour le suicide assisté et l'euthanasie, les moyens ou les informations devraient provenir uniquement d'un professionnel de la santé. Toutefois, si ces pratiques sont observées, je recommande que des campagnes d'information soient données au public ou que des comités soient formés dans les établissements de santé afin que les gens fassent la différence entre l'euthanasie, le suicide assisté, les soins palliatifs et l'acharnement thérapeutique.

La présente section s'intéresse davantage maintenant à la clientèle qui est atteinte de démence, particulièrement de la maladie d'Alzheimer, une population qui peut présenter à certains stades de la maladie une souffrance psychologique intense mais qui est trop souvent sous-évaluée. Cette sous-évaluation peut venir soit d'un manque de connaissances du personnel médical ou d'une mauvaise évaluation causée par des échelles inadéquates, surtout lorsque la personne malade perd ses facultés langagières. Plusieurs intervenants ont parlé que le consentement libre et éclairé doit être un des critères d'admissibilité pour l'euthanasie et le suicide assisté. Le problème avec la maladie d'Alzheimer, c'est qu'il est difficile de déterminer à quel moment de la maladie la détérioration affecte les fonctions cognitives, dont le jugement, puisque l'alzheimer affecte de manière et de vitesse différente chaque personne. Allant dans cet ordre d'idées, le patient ne pourrait pas avoir droit à l'euthanasie ou au suicide assisté. Pourtant, dans la littérature, il existe des cas où des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ont eu droit à l'euthanasie, dont l'écrivain belge Hugo Claus en 2008. Dans ce cas-ci, la demande a été acceptée puisque l'auteur était apte à exprimer sa volonté au moment de la demande et au moment de l'acte. De plus, sa demande était répétée, il se souvenait de sa demande et du pourquoi de cette dernière.

Ce qui m'amène à dire qu'une personne qui se situe dans les stades légers, voire même intermédiaires de la maladie, qui est capable de faire une demande parce qu'elle souffre, de l'argumenter et de s'en souvenir, pourrait bénéficier d'une de ces pratiques. Après tout, un patient, peu importent les limites qu'il présente, a le droit de participer à ses soins puisqu'il reste humain. Il est certain qu'un client au stade avancé de la maladie qui ne peut s'exprimer ne pourrait avoir droit à l'euthanasie ou au suicide assisté, même si la famille dit que c'est ce que la personne désire.

Parlant des familles, la famille et les proches aidants accompagnent la personne démente pendant de nombreuses années, et les tâches associées s'alourdissent à mesure que la maladie progresse. Mon étude voulait savoir si les proches aidants étaient davantage pour la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté que les autres personnes âgées non aidantes, considérant qu'ils prennent soin de leurs conjoints alzheimer. Mais il semble que non, que la maladie du conjoint ne semble pas être un facteur déterminant dans leurs attitudes.

À un certain point de la maladie, les proches aidants participent aux décisions médicales concernant leur conjoint puisque celui-ci n'est plus en mesure de le faire. Je crois que les proches aidants ne devraient pas avoir la possibilité de placer une demande d'euthanasie pour leur conjoint, puisqu'à mon avis on ne peut décider du sort de quelqu'un d'autre sans son opinion. De plus, certains aidants pourraient avoir des intentions cachées dont la décision pourrait en fait représenter plus d'avantages pour eux que pour la personne elle-même. Alors, pour moi, seule une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer devrait pouvoir placer une demande.

Un dernier point que j'aimerais aborder avec vous est la question des soins palliatifs. Selon l'Organisation mondiale de la santé, le but des soins palliatifs est d'offrir une meilleure qualité de vie à la personne atteinte d'une maladie mortelle ainsi qu'à sa famille en soulageant la douleur et d'autres symptômes. La maladie d'Alzheimer est une maladie mortelle puisqu'il n'existe aucun traitement à l'heure actuelle pour stopper la dégradation de la personne et amener la guérison. Mais peu de recherches au Québec se font en matière de soins palliatifs chez les personnes démentes. Il est clair que le chemin vers la mort d'une personne atteinte d'alzheimer se fait beaucoup plus lentement qu'une personne atteinte d'un cancer, mais cela n'explique pas pourquoi des soins palliatifs ne sont pas davantage mis en place pour ces personnes.

Les recherches indiquent que le fait de soulager la souffrance réduit le risque qu'une personne veuille avoir recours à l'euthanasie et au suicide assisté. Alors, j'imagine que, si on travaillait plus à réduire la souffrance psychologique chez les clients alzheimer, ces derniers pourraient ne plus souhaiter le recours à ces pratiques. Par contre, pour moi, même avec des soins palliatifs avancés, il reste essentiel que les individus aient leurs mots à dire sur les traitements qu'ils reçoivent, et cela implique le droit au suicide assisté et/ou à l'euthanasie. Je vous remercie.

**(16 heures)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Angers. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Est-ce qu'il y a une... Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup de votre présentation. C'est toujours agréable de voir que des gens prennent le temps de partager avec nous les résultats de leurs recherches. Quelques questions. Juste d'après votre expérience, les échanges que vous avez eus, l'étude que vous avez menée, vous nous dites que les proches aidants voient plus de souffrance ou estiment qu'il y a plus de souffrance chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer que la société en général qui, si je suis ce que vous avez dit correctement, penserait que, puisqu'ils ne sont plus complètement là, bien, il y a moins de souffrance. Est-ce que vous pouvez élaborer un peu sur le type de souffrance, quand vous dites: La souffrance psychologique ou... Quel type de souffrance qui vous est rapporté?

Mme Angers (Véronique): Quand les aidants naturels me parlent de souffrance psychologique... Puis il faut dire aussi que j'ai rencontré à quelques reprises les conjoints, conjointes des gens que j'ai interviewés. On a tendance souvent... Je n'ai pas nécessairement d'étude, là, à l'appui, par contre, il y a un phénomène, souvent, qu'on retrouve chez les personnes âgées, chez les personnes qui ont la maladie d'Alzheimer, c'est la dépression masquée. Donc, on va croire que certains symptômes psychologiques, voire même comportementaux sont simplement dus à la maladie, alors que, si on creuse un peu plus loin, on s'aperçoit que la personne souffre. Moi, j'ai même rencontré, en fait, un conjoint qui disait que sa condition était tellement pénible qu'il en souffrait et que, sans avoir des moyens de le faire, un de ses désirs, en fait, c'était de mourir avec sa conjointe. Donc, c'est une idée, en fait, qu'il entretenait, sans avoir de plan précis.

Alors, souvent, c'est soit de la dépression, sinon les gens disent: Mon conjoint, il n'est pas bien, il pleure. Il faut dire aussi qu'en stade léger intermédiaire les gens ne sont pas nécessairement placés. Donc, c'est vraiment à la maison, les gens disent... en fait, rapportent des éléments qui montrent qu'ils ne sont pas bien. C'est sûr que les personnes alzheimer n'ont pas mal à une région de leur corps, c'est dans la tête. Donc, c'est pour ça que je parle d'une souffrance psychologique.

Mme Hivon: Puis est-ce qu'il y a des efforts accrus pour justement traiter des symptômes dépressifs ou la dépression chez ces personnes-là?

Mme Angers (Véronique): Moi, en tant que... Là, je vous parle de mon oeil de psychologue.

Mme Hivon: Oui. Tout n'a pas...

Mme Angers (Véronique): Bien, peut-être que...

Mme Hivon: ...pas obligé d'être basé sur des études. On reçoit quotidiennement des gens qui viennent nous...

Mme Angers (Véronique): Non, mais là je parle de... En tant que psychologue...

Mme Hivon: C'est ça.

Mme Angers (Véronique): ...je vous parle. C'est sûr que je ne suis pas neurologue ou médecin traitant d'une clientèle alzheimer. Comme je vous dis, les échelles, actuellement, pour détecter les dépressions chez les personnes alzheimer ne sont pas au point. Surtout, mettons, quand les gens ne sont plus capables de parler, les échelles tombent à zéro. Comme je vous dis, il peut y avoir confusion entre: Est-ce que, la personne, c'est une dépression qu'elle fait ou est-ce que c'est des symptômes qui sont causés par la maladie? C'est encore très flou, en fait, ce champ de recherche là, et ce qui fait que... Est-ce qu'on fait des efforts accrus pour le traiter? En fait, pour l'instant, je dirais non, parce qu'on ne sait pas.

Mme Hivon: O.K. C'est parce qu'on a eu deux médecins, qui sont venus témoigner comme experts à l'hiver dernier, Dr Bergman et Dr Arcand, qui, eux, nous ont dit que ce serait très difficile d'envisager un encadrement pour, par exemple, une demande d'aide à mourir pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, puis vous y avez fait référence aussi, spécifiquement en lien avec l'établissement d'un consentement libre et éclairé. Et je vous posais la question parce que... Est-ce qu'il y a moyen, dans l'état des choses actuellement, de savoir si une personne, par exemple, est dépressive ou non? Vous, je comprends que vous faites le pari que ces personnes-là ont des moments, dans les stades premiers de la maladie, où elles sont très lucides, et tout ça, que, si la demande était répétée, ça pourrait être une voie pour dire qu'il pourrait y avoir un consentement libre et éclairé. Mais est-ce qu'on est capable de s'en assurer, selon vous?

Mme Angers (Véronique): Je crois qu'en stade léger intermédiaire il y a le moyen. En fait, j'imagine que, si c'est une pratique qui devenait légale, les gens, quand ils feraient une demande, passeraient par un comité, qui serait conçu d'équipes multidisciplinaires, et il pourrait très bien y avoir une évaluation, mettons, faite par un psychologue ou même un psychiatre, avec des échelles où, en stade léger intermédiaire, les gens sont capables de parler. On pourrait évaluer justement la sévérité de symptômes dépressifs.

Mme Hivon: Puis qu'est-ce que... Vous, vous avez dit tout à l'heure que vous estimiez personnellement qu'il fallait ouvrir la voie vers ça pour des raisons d'autonomie ou de libre choix, là -- je ne me souviens pas des mots exacts. Or, il y a beaucoup de gens qui nous diraient que précisément, pour des cas comme ceux-là, c'est tellement difficile d'établir si toutes les balises sont rencontrées, si le consentement est clair, et tout ça, qu'il pourrait y avoir des dérapages et que, donc, on pourrait enlever la vie à des personnes parce qu'elles le demanderaient mais sans nécessairement le vouloir vraiment, peut-être dans un épisode plus dépressif, peut-être... Comment vous réagissez à ça? Je ne sais pas si vous avez suivi nos travaux, mais beaucoup de personnes nous parlent de ce risque-là, et ils parlent de personnes vulnérables, notamment personnes âgées, personnes atteintes de maladies comme la maladie d'Alzheimer.

Mme Angers (Véronique): Si on regarde les pays où il y a eu des cas d'euthanasie de personnes alzheimer, en fait on s'aperçoit que le nombre de personnes alzheimer qui sont euthanasiées est largement inférieur à des personnes qui souffrent, mettons, d'un cancer. La procédure éthique, elle est beaucoup plus longue justement, pour les personnes alzheimer, pour s'assurer du consentement. Est-ce que la personne est capable de le dire de manière répétée? Est-ce qu'elle s'en souvient? Ce n'est pas une décision qui se prend: Bonjour, et on donne un verdict. C'est une procédure qui est longue.

C'est sûr que ça peut sembler peut-être trop long, mais je me dis: Ces gens-là, quelqu'un qui désire vraiment mourir, eh bien, elle va être prête à passer à travers le processus. Et, moi, je me dis: Pourquoi pas? Et puis, en même temps, vu que le processus est quand même long... Les études montrent, exemple -- je crois que c'est en Oregon, je ne me souviens plus des chiffres exacts -- que, sur une année, ils ont eu à peu près 600 demandes pour l'euthanasie et qu'en fait, au bout de l'année, il y en a seulement 150 qui l'ont fait. Il y a naturellement, pendant la démarche, des gens qui vont changer d'avis, exemple si leur souffrance, entre autres, est allégée -- là, je parle de maladies en général. Donc, je me dis... La procédure pour les cas alzheimer est tellement longue déjà, dans les autres pays, que je me dis: Il n'y a pas tant de risques que ça qu'il y ait des abus, à mon avis.

Mme Hivon: Je suis curieuse -- parce que vous êtes psychologue -- ce n'est pas nécessairement quelque chose que vous avez abordé dans votre présentation, mais il y a plusieurs personnes qui nous disent que le fait qu'une personne meurt, par exemple, par aide ou aide active à mourir, que ce soit euthanasie ou suicide assisté, pourrait avoir un impact sur le deuil des proches, sur le processus de deuil, à savoir qu'une personne qui n'aurait pas empêché un proche d'aller de l'avant avec sa volonté de se faire aider, par exemple, pourrait en ressentir des remords. Il y en a d'autres qui ont la position inverse, qui sont venus nous dire qu'au contraire, s'ils sentaient qu'ils avaient accompagné correctement, plutôt que la personne, par exemple, se suicide... Est-ce que vous avez une idée, vous, là-dessus, sur l'impact sur les proches, puisque vous avez discuté avec ces gens-là aussi?

Mme Angers (Véronique): Tout d'abord, je voudrais juste rectifier que je ne suis pas psychologue membre de l'OPQ. Je suis étudiante en psychologie, hein, c'est juste pour une question de titre.

Mme Hivon: Étudiante en psychologie, oui.

Mme Angers (Véronique): En fait... Excusez-moi, je veux juste réfléchir une seconde.

Mme Hivon: Ma question, c'est sur le deuil sur les proches.

**(16 h 10)**

Mme Angers (Véronique): Oui, le deuil sur les proches. De par ma recherche, de par les proches aidants que j'ai rencontrés, les gens disaient qu'ils étaient prêts à soutenir leurs proches voulant engager une demande, mais bien sûr disaient que ça ne serait pas facile. Parce que, nécessairement, on ne veut pas voir un proche qu'on aime décider de... On ne veut pas voir nos proches mourir. Est-ce que ça a un impact sur le deuil après coup? Est-ce que des gens pourraient avoir du ressentiment? Sincèrement, je ne le sais pas. Mais ce que j'ai pu comprendre ou entendre, c'est que, peu importe comment la personne meurt, il y a un deuil à faire. Est-ce qu'il y en a qui se sentiraient plus mal? Peut-être. Mais je ne suis pas en position de vous le dire.

Mme Hivon: Les proches vous verbalisaient beaucoup que... Est-ce qu'ils vous disaient plus: Moi, ça serait terrible si mon conjoint voulait mourir avec une aide comme celle-là, ou ils vous disaient: Moi, j'essaierais de le soutenir puis de l'accompagner dans cette volonté-là, parce que ce qui prime, c'est sa volonté? Est-ce que vous avez eu ce type d'échange là?

Mme Angers (Véronique): Oui. En fait, les gens étaient prêts à soutenir leurs proches, considérant que c'était leur décision. Il y a quelques personnes qui m'ont dit: Mais j'en serais terriblement... Je serais contre, je ne serais pas d'accord que ma femme, mettons, fasse la demande, mais, si c'est ça qu'elle veut, qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Je vais être là pour l'accompagner. C'est ça qui est ressorti. Donc, il y a des divergences entre les conjoints, mais les conjoints étaient habituellement d'accord pour dire qu'ils étaient prêts à soutenir, peu importe leur opinion de la situation.

Mme Hivon: Puis, dernière question, est-ce que vous pensez que, dans les cas de maladie d'Alzheimer, les gens pourraient faire une déclaration anticipée et exprimer que, rendus à un certain stade de la maladie où peut-être que justement ils ne seraient plus aptes à consentir... En fait, je reviens un peu en arrière, c'est qu'il y a certaines personnes qui nous ont dit, dans l'état actuel des choses, qu'il y a des personnes qui sont tentées de mettre fin à leurs jours comme prématurément parce qu'elles ont trop peur de l'avenir, de ce qui se projette, de perdre un total contrôle. Et donc, dans la maladie d'Alzheimer, si, par exemple, cette voie-là était ouverte mais que la personne devait être capable de librement consentir, bien, évidemment, elle pourrait décider de le faire mais de manière prématurée, parce que la maladie peut évoluer tranquillement, puis elle peut encore avoir des moments de lucidité, de bonheur, puis tout ça. Est-ce que c'est quelque chose à quoi vous avez réfléchi, l'idée que la personne puisse l'exprimer de manière anticipée, en disant: Quand je serai dans telle circonstance, j'aimerais qu'on tienne compte de ma volonté?

Mme Angers (Véronique): Oui, effectivement, j'y ai pensé et je suis contre le fait qu'une personne fasse une demande anticipée dans le cas de la maladie d'Alzheimer. Parce qu'étant donné que la maladie évolue lentement, en général -- il y a des cas, il y a des gens qui dépérissent plus vite -- les gens, selon moi, auraient le temps de placer une demande. En fait, «placer», dire: En stade avancé, j'aimerais ça qu'on m'euthanasie ou qu'on m'aide à mourir. En fait, surtout en stade avancé, ça vient un peu à l'encontre du principe du consentement éclairé, donc la personne est dans sa bulle, peut-être qu'elle ne veut pas mourir. En stade avancé, on ne sait même pas si les gens sont assez conscients de l'environnement pour dire qu'ils souffrent. En stade avancé, on ne connaît pas l'opinion des gens. Est-ce que ça aurait changé en cours de route? On ne le sait pas. Donc, pour une demande anticipée, je ne suis pas d'accord. C'est seulement, pour moi, les demandes en stade léger intermédiaire, où les gens sont encore capables de s'exprimer, qu'ils pourraient le faire.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Angers. Merci pour votre présentation. Je pense que vous nous avez dit, au début, dans le cadre de votre présentation, que vous avez fait un travail de recherche sous la supervision du Pr Mishara, c'est ça, hein? Il était devant nous pour une deuxième fois... Il était devant nous ce matin. Son point de vue, vous le connaissez probablement fort bien. Lui, je résume, mais, dans le fond, il disait qu'il n'y a pas de justification pour donner le droit de mourir. Il a fait un parallèle avec ce qu'il a constaté lorsqu'il a été dans les Pays-Bas en 1994 et puis, par la suite, lorsqu'il a fait d'autres études sur certains cas.

Vous, tantôt, ça m'a frappé, vous avez dit: Si une personne veut vraiment mourir, vous avez dit, pourquoi pas? Et j'avais envie de vous poser la question: Mais quelle est la justification au-delà du «pourquoi pas»?

Mme Angers (Véronique): Tout d'abord, je veux juste dire que je ne connais pas la position de Brian Mishara sur cette question-là. On n'est jamais rentrés dans ce débat, lui et moi.

J'ai dit: Si quelqu'un veut mourir, pourquoi pas? Bien, évidemment, je ne suis pas ouverte à ce que tout le monde... Je parlais vraiment dans un cas de maladie terminale ou dégénérative. Pouvez-vous juste me répéter la question? Excusez-moi.

M. Ouimet: J'essaie de comprendre la justification. Pour le Pr Mishara, il n'y a que des cas très rarissimes où on pourrait peut-être le reconnaître, et, une fois qu'il fait l'affirmation, il nous dit: Mais ça ne vaut pas la peine de légiférer pour ces quelques cas là. Donc, en aucun cas n'y a-t-il de justification pour accorder un droit de mourir. Vous nous présentez un point de vue différent. Vous l'avez dit, en ouverture de présentation, que vous êtes en faveur de l'euthanasie. Alors, j'essaie de comprendre pourquoi, quelle est la justification.

Mme Angers (Véronique): En fait, comme je l'ai dit, je suis pour le libre choix. En fait, quand une personne est malade, on lui propose une panoplie de traitements. C'est sûr que, si quelqu'un, au premier rendez-vous -- mettons que je serais médecin -- me dirait: Je veux mourir maintenant, ce serait peut-être un peu trop facile, j'exigerais quand même qu'on essaie certains traitements, qu'on puisse faire entrer les soins palliatifs. Mais, si malgré tout la personne ne souhaite plus vivre, pour moi, ça réside en un choix en tant qu'humain de pouvoir aussi décider. Écoutez, je n'ai plus d'espoir de guérir, je n'aime pas ma condition, je souhaite mourir, et que, la période de temps entre la demande et le lieu, la personne n'a pas changé d'avis, je crois que la personne, pour moi, a le droit.

M. Ouimet: Et le Pr Mishara, lui, nous disait que très rarement les personnes vont vouloir s'enlever la vie ou demander qu'on leur enlève la vie lorsqu'ils reçoivent de l'aide, lorsqu'ils reçoivent du soutien, lorsqu'on comprend un peu les motifs qui sous-tendent leurs demandes, que ce soit de la douleur physique ou de la souffrance morale. Et, dans le fond, ce qu'il nous disait, c'est: Dès le moment où un soutien est apporté à cette personne-là, alors là, la demande disparaît.

Mme Angers (Véronique): Effectivement. Bien, c'est que j'ai mentionné en fait, exemple, que, quand les soins palliatifs permettent de réduire une souffrance physique ou psychologique, il y a beaucoup moins de chances qu'une personne place une demande. Ça, je suis d'accord avec ça.

M. Ouimet: Et, dans ce cas-là, on cherche pour quelle justification on pourrait accorder ce nouveau droit de mourir. Une fois qu'on suit cette logique-là, on suit... le Pr Mishara nous invite à embarquer dans cette logique, ça nous amène vers la conclusion qu'il n'y a pas de raison d'accorder le droit de mourir.

Mme Angers (Véronique): En fait... Excusez-moi, je vais juste prendre le temps de formuler ma pensée.

M. Ouimet: Ses propos m'interpellent beaucoup. Ce n'est pas des questions simples.

Mme Angers (Véronique): Non, ce n'est pas une question simple. Je crois que, peut-être pour certaines pathologies, c'était plus facile en fait de réduire la souffrance -- là, je dis ça vraiment sans être médecin -- beaucoup chez les cas de cancer. On le voit que, quand les gens ont moins mal, souvent ils ne voudront plus faire de demande. C'est un fait.

Mais, mettons, chez les personnes alzheimer, où la souffrance est peut-être un peu plus subtile, elle est moins quantifiable, je me dis que même peut-être des supersoins palliatifs ne veulent pas dire que la personne va nécessairement se sentir mieux. Il faudrait même... Exemple, quelqu'un qui aurait de la dépression masquée, ce n'est pas parce qu'on lui prescrit un antidépresseur qu'il va se sentir mieux. Ce n'est pas automatique. Alors, moi, je veux laisser une petite porte ouverte à ces gens-là qui, malgré les meilleurs soins qu'on peut leur accorder, ne sont pas plus heureux de leurs conditions, ne se sentent pas mieux. Alors, c'est peut-être une porte pour ces quelques personnes là, mais, pour moi, c'est important de la maintenir ouverte.

M. Ouimet: Vous comprenez le dilemme des membres de la commission lorsqu'on commence à confronter ces grandes idées là, ce n'est pas évident.

Mme Angers (Véronique): C'est sûr.

M. Ouimet: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.

**(16 h 20)**

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Je ne sais pas si vous étiez ici ce matin, probablement pas, on a reçu des gens du département de gériatrie de l'Université McGill. On a parlé des chercheurs Dr Bergman, Dr Arcand, des médecins, des sommités sur le sujet.

Je veux vous ramener à votre étude. J'étais curieuse de savoir: Les huit personnes qui étaient en faveur de la légalisation ou d'une législation, sur les neuf, est-ce que leurs conjoints étaient au début de la maladie ou s'ils étaient à des stades avancés?

Mme Angers (Véronique): Deux sur neuf, c'étaient des conjoints qui étaient en centre d'hébergement, et les sept autres étaient à la maison. La plupart, ça faisait au moins deux ans que le diagnostic avait été donné, entre deux et cinq ans.

Mme Gaudreault: Et j'ai une question peut-être très difficile, subjective: Est-ce que vous croyez que la maladie d'Alzheimer pourrait être plus difficile pour les aidants que pour le patient? Parce que la qualité de vie est très difficile à évaluer dans le cas d'une personne qui souffre de l'alzheimer. Et les Drs Bergman et Arcand nous faisaient valoir un peu que c'était très difficile d'évaluer la condition de vie de ces gens-là, et c'est pour ça que la légalisation de l'euthanasie était très risquée dans le cas des patients qui souffrent de l'alzheimer. Mais, vous, suite à votre étude, qu'est-ce que vous en pensez?

Mme Angers (Véronique): Donc, la question, c'est: Est-ce que les proches aidants souffrent plus que la personne elle-même?

Mme Gaudreault: Souffrent plus que la personne qui est diagnostiquée avec l'alzheimer?

Mme Angers (Véronique): O.K. Comme j'ai mentionné, plus la maladie avance, plus le fardeau des proches aidants s'alourdit. Ça, c'est clair, et c'est une des raisons pourquoi je ne veux pas... Je ne désire pas, en fait, que les proches aidants puissent placer une demande, parce que c'est sûr que plus ça devient lourd... Des fois, la demande, en fait, peut être faite de manière à ce qu'ils en retirent plus d'avantages, genre, bon, la personne meurt, ouf, je suis libéré, que pour le bénéfice de la personne elle-même.

En stade, ce que j'ai pu remarquer, c'est que, oui, effectivement, il y a vraiment un fardeau chez les proches aidants. Il faut dire qu'ils vivent avec des gens qui sont parfois confus mais aussi qui vont avoir des symptômes comportementaux parfois difficiles, parce qu'ils ne se comprennent plus, parce qu'ils ne sont plus biens. De là à dire si la souffrance est plus grande que celle des personnes alzheimer elles-mêmes, en début de maladie, je crois qu'on n'a pas nécessairement d'échelle, effectivement, pour le dire. Il n'y a pas d'échelle pour mesurer ça. Mais, comme les personnes en stade léger intermédiaire, dans la plupart des cas, sont encore capables de s'exprimer avec un certain jugement, je ne vois pas en quoi... Si la personne peut faire ses demandes de manière répétée, s'en souvenir, se justifier, je me dis que, nécessairement, ce que pense le proche aidant ne devrait pas vraiment interférer. En tous cas, c'est mon avis.

Mme Gaudreault: Dernière miniquestion.

Mme Angers (Véronique): Oui.

Mme Gaudreault: Est-ce que vous en avez déjà discuté de l'euthanasie avec des personnes qui souffrent d'alzheimer?

Mme Angers (Véronique): Oui.

Mme Gaudreault: Elles-mêmes?

Mme Angers (Véronique): Oui.

Mme Gaudreault: Et qu'est-ce qu'elles en pensaient?

Mme Angers (Véronique): En fait, ils m'ont... Je n'ai jamais réussi, en fait, à avoir l'idée claire sur l'euthanasie, le suicide assisté, souvent, aussi, parce que, comme je vous disais, les mots sont mélangés. Par contre, certains m'ont confié qu'ils aimeraient mourir, mais par quel moyen, ça, ce n'était pas clair.

Mme Gaudreault: Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, pour moi, merci beaucoup, Mme Angers, de partager vos recherches dans un sujet très difficile. Alors, vous avez notre admiration pour votre genre de recherche que vous avez choisie, parce que ce n'est pas évident. Mais la Commission de la santé et des services sociaux a reçu des chercheurs dans le domaine, et ça va devenir un enjeu de plus en plus important pour la société québécoise, les prévisions sur le nombre de personnes qui souffrent de l'alzheimer dans les années à venir. C'est un défi de taille pour la société québécoise. Alors, merci beaucoup pour votre recherche et votre intérêt dans ce sujet important.

Sur ça, je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander à Mme Cecilia Grava, Adriana Di Donato, Nicoletta Toffoli et Martine Leduc de prendre place à la table.

(Suspension de la séance à 16 h 25)

 

(Reprise à 16 h 27)

La Présidente (Mme Hivon): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour, mesdames. Alors, on reçoit maintenant Mme Cecilia Grava, Mme Adriana Di Donato, Mme Nicoletta Toffoli et Mme Martine Leduc. Alors, bienvenue à la commission. Vous avez donc une quinzaine de minutes pour votre présentation, qui va être suivie d'une demi-heure d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Mme Maria Cecilia Grava

Mme Grava (Maria Cecilia): Alors, bonjour, Mme la Présidente, ou vice...

La Présidente (Mme Hivon): C'est mon 15 minutes de gloire.

Mme Grava (Maria Cecilia): Et bonjour les membres de la commission. Je m'appelle Maria Cecilia Grava. Et je suis ici avec Adriana Di Donato, Nicoletta Toffoli et Martine Leduc.

Nous représentons un petit cercle d'amies. Nous sommes très occupées avec notre travail, les enfants, la famille, les intérêts personnels. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce que ce débat sur la fin de vie nous tient à coeur, et, pour cela, nous vous remercions pour la possibilité qui nous est offerte d'y apporter des réflexions. Ces réflexions nous viennent de notre expérience directe, parce que nous avons eu l'occasion, toutes, d'accompagner vers la mort des personnes malades ou âgées.

La commission a déjà entendu des témoignages touchants de personnes qui, de part et d'autre, à partir de leurs expériences, proposaient des conclusions opposées. Vous avez déjà souligné plusieurs fois que ces divers témoignages vous ont fait changer d'avis plusieurs fois. À ce point-là, il y a une question qui surgit spontanément: Où irons-nous chercher les critères pour juger? Nous avons entendu parler de la nécessité d'établir des balises dans le cas où l'euthanasie et le suicide assisté seraient décriminalisés, mais, au fond, nous sentons que l'enjeu est bien plus radical.

C'est notre coeur humain même qui nous indique que la vie d'une personne ne peut être enlevée, surtout dans le moment où elle a plus le besoin d'aide, d'accompagnement et de solidarité humaine. Le véritable enjeu de ce débat est le besoin de la personne. Par là, je me réfère non seulement aux besoins de la personne qui va bientôt mourir, mais également aux besoins de ceux qui l'accompagnent. Si nous choisissons la solution de l'euthanasie, nous allons sans doute désorienter une société entière, car nous ne pourrons plus attribuer aucune valeur à la vie elle-même.

Nous allons entendre, dans le témoignage de mon amie, que ceci n'est pas un discours théorique mais nous vient directement de la bouche de mourants proches.

**(16 h 30)**

Mme Di Donato (Adriana): Bonjour. Je me sens un peu ébranlée, étant donné que le sujet est très frais dans ma vie, et je le vis à tous les jours, encore aujourd'hui. Alors, au tout début de cette année, mon père, un homme en pleine forme, marié pour 47 ans à la même dame, et tout, se réveille un jour, et maman, qui est beaucoup plus jeune que lui, a une maladie assez grave, dont vous avez déjà discuté longuement avec le témoignage précédent. Et puis mon père tranquillement change sa vie vers la retraite et prend soin de son épouse. Pour lui, c'était accomplir son engagement envers elle pour la vie.

Et soudainement mon père commence à se sentir faible. Alors, rhumatisme, maux de tête, épaule. Je vieillis. À l'âge de 77 ans, un jour, je trouve mon père qui ne peut plus plier ses jambes. Mais il m'invite à prendre un café. Je lui dis: Mais c'est absurde, tu ne peux même pas rentrer dans ton auto. Donne-moi quelques secondes, ça passe. Ça vient et ça passe. Alors, c'était un homme qui, face à son épouse... qui prend soin d'elle, aujourd'hui, et de lui-même, parce que sa vie a changé radicalement, s'efforçait à aller prendre un café avec moi et faisait tout ce qu'il avait à faire pour accomplir sa journée.

Et puis, quelques heures plus tard, je n'ai pas besoin de vous dire qu'on se retrouve à l'urgence, et mon père est hospitalisé. Et il est mort. Alors, mon père était atteint d'un cancer des poumons. Alors, de cette vie qu'il avait tranquillement modifiée, on se rend à l'urgence, et quelques heures plus tard ils lui disent: Fort probable, c'est un diagnostic d'un cancer du poumon qui agit très vite. Alors, un an serait vraiment, vraiment donner le temps généreusement. Et mon père se trouvait à l'urgence, dans un couloir, comme vous avez sûrement entendu. Et il me regarde et il me dit: C'est absurde. Ils viennent de m'annoncer que je vais mourir, et je me trouve sur une civière. Personne ne vient me voir pendant des heures. Je suis sur un matelas insupportable. Ça crie, ça bouscule, mais je vais mourir. Et là il était face à cette absurdité. Il se sentait de trop. Il se sentait que ça se peut... ils lui avaient menti, ce n'est pas la vérité.

Alors, étant donné que j'ai deux autres soeurs, on s'est donné la relève, et on est restées à ses côtés, et on a pris soin de notre mère, qui dépendait de lui. Et tranquillement, comme vous avez entendu de nombreux témoignages, mon père a perdu toute la puissance de ses muscles et il se retrouve à être un fardeau, un fardeau pour ses filles, des professionnelles qui travaillent, prennent soin des enfants et font du bénévolat, etc. Et tout ce staff autour de lui, qui sont très occupés à s'occuper de d'autres, et l'étage qui n'a pas de place pour lui. Pourtant, il se répétait: Je suis mourant, n'est-ce pas? Répète-moi ça. Tu étais là. Je suis mourant. Oui, papa, tu es mourant. Mais il n'y a pas de place pour moi.

Alors, toute une lourdeur de vouloir mourir lui est venue, cette angoisse... Je n'accomplis plus mon engagement dans la vie. Je suis inutile. J'attends, mais j'attends pourquoi? Et de toute façon je vais mourir. Alors, il commence à avoir des propos où... Bien, il vaut mieux mourir. Il vaut mieux mourir. Alors, il m'obligeait et me demandait de le ramener à la maison, quitte à mourir en auto, quitte à mourir... Ce n'est pas grave parce que de toute façon je vais mourir.

Et tout à coup vient un médecin qui a dit: Mais, un instant, si ton père se faisait annoncer qu'il avait brisé tout simplement un muscle ou un bras, qu'est-ce qu'il ferait? J'ai dit: Bien, il prendrait vos conseils et il irait de l'avant. Il dit: Bien, c'est ce que nous allons faire. Alors, il est retourné près de père. Il lui a dit: Oui, vous allez mourir. Un cancer des poumons. Dans trois semaines, six mois, un an. Le parcours, il est à vous. Le parcours vous appartient. C'est vous qui allez décider ce parcours-là.

Et là, tout à coup, mon père s'est senti considéré par un être qui n'a rien à voir avec sa vie, un être qui a pris deux secondes à nous dire: Qui est votre père? Vous avez cinq secondes? Qui est votre père? Qu'est-ce qu'il voulait dans la vie? Quels étaient ses objectif? Et comment il entamait chaque jour? Et en deux secondes sa vie a changé.

Mon père a fait de la chimio en espérant se guérir. Il s'est présenté pour une deuxième chimio encore. Et tout à coup il se rendait compte. Il dit: Bon, bien, écoute, la mort, elle est là, mais je ne peux pas vous laisser votre mère. C'est moi qui ai pris un engagement avec votre mère. Et en discutant il s'est rendu compte que sa vie lui échappait, mais ma mère était appelée à vivre. Alors, il me dit: Adriana, la vie de ta mère ne m'appartient pas. Elle ne m'appartient pas, et il va falloir que je comprenne que je suis appelé à accepter mes conditions à moi.

Alors, longue histoire courte, mon père tout à coup a réalisé qu'il avait un choix. Il pouvait continuer à prendre plein de médicaments pour soulager sa douleur, mais il n'était plus présent. Il disait des absurdités, avait des réactions qui ne lui appartenaient pas. Et, au moment où il a compris que le destin de maman n'était plus dans ses mains à lui et que le seul destin était le sien, il a dit: Adriana, je m'excuse de vous faire ça, mais, moi, je vais arrêter les médicaments de soulagement, non parce que ces médicaments-là ne m'aident pas à prolonger ma vie, etc., parce que ces médicaments-là m'enlèvent mon identité. Et, le temps qu'il me reste, je veux rester entier, présent, ici.

Parce qu'il disait qu'il sentait que c'était lui, le mourant, mais, dans le fond, tout le monde autour de lui agissait par fonction, tout le monde faisait des gestes répétitifs, lui donnait des réflexions répétitives, sans s'engager envers lui, sans savoir comment lui allait recevoir le tout, comment lui allait prendre tout ça. Et c'était très répétitif.

Alors, au moment qu'il a pris cette décision-là, il y a eu un changement dans le personnel du staff. Tout le monde s'est engagé avec mon père. Ils ont pris le temps de découvrir qui il était. Et lui a offert sa souffrance pour nous aider à grandir parce que face au malade... Le malade est appelé à mourir, il le sait, mais ceux qui restent autour apprennent, apprennent par leurs souffrances et eux peuvent changer les choses. Et ça nous a donné les outils d'éduquer nos enfants. La mort n'est plus quelque chose de catastrophique. La mort est un événement dans la vie, qu'on accueille et qu'on chemine avec. Et c'est mon expérience que je vis à tous les jours, aujourd'hui, avec ma mère dans sa maladie. On accueille à chaque jour, et on chemine, et on reste vrai face à la situation.

Mme Toffoli (Nicoletta): Bonjour. Moi, je veux apporter une petite contribution à ce débat avec une expérience vécue d'accompagnement d'un proche, un oncle que je considère... que je considérais un peu comme un père, après le décès prématuré de mon père. Il est décédé l'année passée des suites d'un cancer et il est décédé à la maison, comme il désirait, dans un climat que je peux vraiment juger serein, entouré de sa famille, ses proches, ses amis, aidé également par un organisme bénévole de soins palliatifs.

Et je vais d'abord vous raconter brièvement ce qui s'est passé avant le diagnostic de cancer incurable, diagnostic qui a représenté un grand bouleversement.

Tout a commencé avec la découverte d'un sarcome à l'avant-bras. L'opération et la radiothérapie semblaient avoir éradiqué ce mal. Et mon oncle a vécu cela comme un combat. D'ailleurs, il faisait la boxe quand il était... dans sa jeunesse. Donc, il avait confiance de gagner. C'était un homme qui était toujours positif. Il faisait confiance aux médecins qui le traitaient et il était en grande forme physique. Il était habitué à faire face à des épreuves, devant lesquelles il n'a jamais baissé les bras. Alors, cette dernière lui avait fait aimer encore plus la vie. Il voulait profiter de la vie.

À ce moment-là, même, il a décidé de faire un voyage en Europe pour visiter et prendre un peu soin de ses soeurs, qu'il ne voyait plus depuis quelques années. Alors, quelques mois après son retour, tout semblait aller pour le mieux, mais un scan routinier a révélé la présence de métastases à un poumon. Les médecins lui ont proposé une autre opération, qui l'a amputé de la moitié d'un poumon, et en lui redonnant en quelque sorte l'espoir de guérir.

Quelques mois passent, et de nouvelles métastases apparaissent au poumon. Donc, déception sur déception. Là, c'est le diagnostic fatal. Le cancer est trop avancé, et il est déclaré inopérable et incurable. Alors, on lui annonce qu'il lui reste quelques mois, un an au plus tard... au plus, à vivre. Et on lui offre des traitements de chimiothérapie comme palliatif, juste pour prolonger de quelques mois... C'est quelques mois à une année. Lui, il a décidé d'accepter ce traitement dans l'espoir de vivre un peu plus avec ses proches.

Alors, ce diagnostic a été un choc, c'est évident. Et, quand il nous a annoncé ça, il était vraiment bouleversé. C'était tout un monde qui s'écroulait, c'était compréhensible. Quasiment en pleurs, même, il a raconté comment le médecin, ému, l'a serré dans ses bras quand il lui a donné le diagnostic. Et le médecin aussi était déçu, car il tenait à lui.

**(16 h 40)**

Alors, nous, de notre part, on l'a serré dans nos bras. On lui a dit qu'il pouvait compter sur nous et sur toute sa famille, qu'on était là avec lui. Et en effet toute cette période, ce qui est à peu près... car ça a duré 11 mois, toute cette période était une occasion vraiment privilégiée pour approfondir des liens, pour lui faire sentir notre affection, pour partager ses passions, ses souvenirs mais aussi pour se parler des choses vraies de la vie. Il a repensé à sa vie, à tous les bons moments qu'il avait vécus, pour lesquels il avait une grande gratitude, et aussi aux épreuves qui lui avaient permis de se dépasser. Il a fait un grand cheminement, mais aussi, nous, on a cheminé avec lui.

Il a eu, c'est sûr, des moments de découragement, de détresse. Il y avait un deuil qu'il devait faire, et il avait... Souvent, il pleurait en pensant qu'il ne pouvait pas voir grandir ses petits-enfants, il ne pouvait pas leur montrer à aller en vélo, que c'était sa passion, sa grande passion. Il ne pouvait plus veiller sur sa femme, sur ses enfants. Il ne pouvait plus être là pour son frère, pour nous. Mais il était en paix. Il était en paix avec lui, avec la vie, avec le monde, et jusqu'à la fin il a dit: J'ai tout pardonné.

Depuis le diagnostic fatal, il recevait aussi la visite régulière d'un infirmier de la fondation Maurice Bertrand pour les soins palliatifs, qui l'a accompagné toute l'année en cours. Et il est devenu en quelque sorte un ami. C'est lui qui s'occupait des médicaments pour soulager la douleur, naturellement en parlant aussi avec sa femme. C'est lui aussi qui tenait le contact avec le CLSC. C'est lui qui s'est occupé de faire venir un lit d'hôpital, de l'oxygène quand l'état de mon oncle s'est aggravé. Et c'était un gros soutien pour ma tante. Ses visites sont devenues plus fréquentes au fur et à mesure que la maladie avançait. Elles sont devenues quasiment quotidiennes.

Quand l'état de santé s'est détérioré au point d'avoir besoin d'une assistance continuelle, toute la famille élargie et les amis se sont mobilisés pour pouvoir permettre à mon oncle de rester à la maison, pour permettre une sorte d'hospitalisation à la maison. À tour de rôle, on restait avec lui, on veillait sur lui. Parfois, on lui tenait simplement la main. Alors, même les enfants plus vieux, même mes filles ont participé à ça. Le fait d'être à la maison, d'être chez lui, entouré d'affection, lui a permis de vivre un départ plus humain et plus serein. À la maison, chez lui, il a pu écouter ses chansons, sa musique préférée, et cela, d'une certaine façon, l'aidait même à penser moins à sa douleur, parce que, même s'il avait des soins, de la médication, il avait de la douleur. Et il a pu recevoir la visite des amis, les saluer une dernière fois. Il a pu voir ses petits-enfants, leur sourire, les tenir près de lui. Et donc il a pu faire des adieux dans un climat calme.

La dernière nuit que j'étais avec lui, parce qu'après quelques jours il est décédé, il m'a demandé de le conduire à la fenêtre parce qu'il voulait regarder dehors. Son regard était encore un regard vif. On s'est regardés. Les mots à ce moment-là étaient inutiles. Et je lui tenais la main. Et vraiment j'ai vu, c'est un moment que je n'oublierai jamais, j'ai vu, dans ce petit homme usé et consumé par la maladie, dans ce petit homme rendu si fragile par la maladie, un grand homme. Et j'ai eu comme une sorte de fierté de lui. J'étais fière d'être sa nièce. Et il avait une grande dignité. Et je l'ai vraiment remercié d'avoir pu vivre avec lui ces moments. Je l'ai remercié pour son grand courage et le courage d'être un homme vrai.

La Présidente (Mme Hivon): ...dire qu'on a atteint 15 minutes. Vous pouvez poursuivre quelques minutes. Ça va juste... On va réduire le temps des échanges.

Mme Leduc (Martine): Parfait. Donc, moi, je voulais juste vous parler de deux personnes qui sont décédées dans ma vie. C'est mon père et ma mère.

Donc, ma mère, ça fait environ huit ans. Elle avait un myélome. Et elle a eu aussi besoin de dialyse parce qu'ils lui ont donné un médicament qui s'est jeté dans ses reins. Donc, il est arrivé deux événements. Le premier, c'est qu'à un moment donné, bon, elle était très malade, elle était à l'hôpital, et le médecin lui a demandé, si jamais elle avait un arrêt cardiaque, s'il devait la réanimer. Donc, ma mère avait très peur de mourir puis, quand le médecin lui a demandé ça, elle ne voulait plus dormir. Donc, ça a été assez difficile, après, de la calmer un petit peu avec ça. Puis je me disais: Si on lui avait proposé l'euthanasie, ça aurait été encore pire.

Puis la deuxième chose, c'est que, bon, on était vraiment vers la fin, puis, à un moment donné, mon père m'a téléphoné pour me dire que les médecins proposaient d'arrêter les dialyses, puis il me demandait qu'est-ce que j'en pensais. Mais je ne savais pas quoi dire. Puis il avait déjà fait le tour de la famille, puis tout le monde disait un petit peu... en étant un peu... en ne sachant pas... en hésitant, tout le monde disait: O.K., oui, bon, ça va. Puis là je disais: Mais qu'est-ce que ça va faire? Bien, elle va s'endormir tranquillement. Puis là j'ai raccroché puis je me disais: Mais, ah! qu'est-ce qu'on va lui dire quand elle va nous demander: Mais pourquoi je n'ai plus de dialyse? Qu'est-ce qui se passe? Donc, j'ai rappelé mon père puis je lui ai dit: Mais je pense qu'on peut continuer la dialyse si, elle, elle veut continuer comme ça. On peut l'accompagner dans ça.

Donc, on a continué les dialyses, puis elle est morte peut-être une semaine plus tard. Mais, même si elle avait très peur de mourir, et tout ça, ça lui a donné le temps, puis, quand elle est décédée, elle était vraiment paisible. Puis le dernier soir j'étais là, puis elle a dit à l'infirmière: Ça s'en va tranquillement. Elle parlait de la vie. Mais je voyais qu'elle était beaucoup plus sereine.

Mon père, lui, est décédé l'année passée d'un cancer du poumon. Lui, il était prêt mais il voulait... Il nous a appelés pour nous dire qu'il avait eu une belle vie puis il ne voulait même pas se faire soigner. Puis finalement il a décidé de se faire soigner pour nous donner du temps, à nous, et... C'est ça. Donc, il est entré à l'hôpital. Ça a pris trois jours, puis il est décédé. Mais il voulait vraiment attendre quand même sa mort naturelle.

Donc, dans le premier cas, c'est elle qui avait besoin de temps, puis dans l'autre c'était nous.

Puis, je voulais juste dire que dernièrement j'ai une amie dont le conjoint s'est suicidé, puis, avec toute la douleur que, nous, on a eue en perdant nos parents, il n'y a personne qui a fait de dépression et personne qui a eu besoin d'aller en thérapie. Ça s'est fait quand même... on était tous en paix. Puis je vois, mon amie, comment elle souffre présentement. Elle est en arrêt de travail, elle est en thérapie, je ne sais pas pour combien d'années, mais c'est une grosse différence.

La Présidente (Mme Hivon): Merci beaucoup. Merci de votre générosité, de vos témoignages très, très humains et très personnels. Alors, on va passer à la période d'échanges. Est-ce que... Mme la députée Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, c'est toujours très touchant de recevoir des témoignages comme les vôtres, parce que, bon, la mort est inévitable, justement, puis on a tous nos expériences, tous et toutes nos expériences personnelles. Et c'est ce qui amène la grande difficulté des membres de cette commission, parce qu'il y a des témoignages tout aussi bouleversants et touchants de personnes qui souhaitent mettre un terme à leur vie, lorsque le moment sera venu, et qui ont vécu des morts très tragiques dans leurs familles parce qu'il n'y avait pas la légalisation... l'euthanasie et surtout le suicide assisté n'étaient pas légaux. Alors, tout le monde arrive ici avec des témoignages fort éloquents, et c'est le but. Le but, essentiellement, de cette commission, c'est de vous donner une voix, à vous qui avez votre opinion, votre vécu. Et puis, c'est important aussi, beaucoup de jeunes qui sont ici aujourd'hui... Lorsqu'on est jeune, on côtoie moins la mort que lorsqu'on vieillit en âge et puis on... Plus on avance en âge... Vient un jour que, si on vit assez vieux, on n'a plus d'amis, on n'a plus de parents, ils sont tous morts.

Alors, moi, je n'ai pas de question. Je veux dire, c'est très clair, c'est un élan du coeur qui vous a amenées ici, puis je peux juste vous remercier. Alors, ce sera ça, mon commentaire. Merci.

La Présidente (Mme Hivon): M. le député de Laurier-Dorion.

**(16 h 50)**

M. Sklavounos: Oui. Bonjour. Merci beaucoup d'être ici avec nous, d'avoir partagé ces expériences. C'est toujours très difficile de venir devant du monde et partager des expériences personnelles de ce genre-là, je peux comprendre, et on vous remercie. C'est précieux pour nous, pour notre réflexion.

J'ai par contre une question que j'aimerais vous poser, évidemment. Et je pense que souvent les gens nous parlent de leurs points de vue personnels. Par contre, effectivement, comme ma collègue vient de mentionner, nous avons été confrontés à des témoignages de personnes qui voient la fin venir, que la fin est en quelque sorte inévitable, et, malgré le fait que certaines nous parlent des fois de situations où c'est un manque de soins, un isolement et d'autres circonstances qui pourraient venir jouer, on a eu des cas ou des personnes qui étaient très, très bien entourées de leurs familles, de leurs amis mais qui voyaient venir leur fin, si vous voulez, naturelle qui n'était pas loin, mais qui ne voulaient pas se rendre jusque-là... Ils se disaient: Quel est le problème si, moi, je décide que je préférerais partir un trois mois ou un six mois avant? Pas me rendre au point où je suis, si vous voulez, l'expression qui est utilisée des fois, légume ou... Je n'aime pas cette expression-là, mais, je veux dire, juste pour vous donner une idée, des gens qui allaient perdre toute utilité de leur corps et qui allaient avoir besoin de quelqu'un pour tout faire et se disaient: De toute façon, mon train est sur les rails, je m'en vais dans une direction, il n'y a pas de retour pour moi. J'ai consulté des experts, j'ai consulté les médecins. J'ai parlé... j'ai appelé cet oncle-là avec qui je m'étais chicané puis je lui ai demandé pardon. Puis j'ai fait venir mes enfants, je leur ai expliqué, on s'est entourés. Puis là, à un moment donné, je décide que c'est mon moment puis j'aimerais partir maintenant, quand j'ai encore la capacité de pouvoir décider encore de quelque chose. C'est aussi très personnel. C'est un autre point de vue.

Je ne sais pas si quelqu'un veut commenter. C'est pas mal difficile, pour nous, de nous substituer à cette décision très, très personnelle de cette personne-là qui est dans une certaine souffrance. Vous diriez quoi à cette personne-là? Comment vous réagiriez à cette personne-là? C'est une personne qui est quand même entourée, là. On ne parle pas... Il y a des cas moins... plus clairs, des fois. Mais ça, c'est un cas où la personne a tout autour d'elle-même. Vous, vous pensez quoi?

Mme Grava (Maria Cecilia): Je lui dirais: Reste pour moi, pour l'instant. Reste parce que tu es important pour moi. Et puis avec cet échange la personne même qui est devant moi va retrouver le sens dans l'utilité qu'elle peut avoir.

Alors, moi, je crois qu'en fait, justement, la possibilité que vous nous avez donnée de venir partager, ce n'est pas seulement pour entendre une opinion, dans le sens que ce sont des faits, ce sont des réalités que nous vous mettons devant votre attention. Et la raison pour laquelle nous voulons le faire, ce n'est pas tellement pour avoir de l'audience, parce que, à travers l'expérience que nous avons vécue, nous sommes convaincues qu'il y a quelque chose qui se véhicule d'important pour notre société.

Nous tous, nous toutes avons des enfants. Je peux vous assurer que cela a eu un impact important sur nos enfants, très important. L'éducation se fait par le partage de la vraie vie, et cela est quelque chose qui bien sûr appartient à nous, comme personnes, à nos familles, à nos enfants, mais que nous souhaiterions pouvoir proposer à tous les enfants du Québec.

Pour les personnes que nous avons assistées, que nous avons accompagnées, c'est un fait, nous avons contribué objectivement à une amélioration de leur vie. Et ce n'est pas seulement quelque chose qui appartient à une, mais c'est quelque chose pour la société. Nous avons la conscience que dans notre petite expérience nous avons rejoint... nous avons réalisé quelque chose que nous voudrions proposer à tout le monde. Ce n'est pas seulement une question d'opinion. Moi, j'ai la mienne. En fait, vous êtes ici pour, disons, vous rendre compte un petit peu de qu'est-ce que la population véritablement souhaite, désire.

Alors, le fait de promouvoir les soins plutôt que, disons, l'échappatoire de finir une vie plus tôt, d'après moi, est quelque chose qui a une importance primordiale. Qui sommes-nous, disons? Ça dit beaucoup de qui nous sommes, face à la question de comment je réagis à une personne souffrante qui me demande de mourir. Ce n'est pas un différent... Bien, quelqu'un dirait: Bien, reste. L'autre pourrait dire: Bien, va-t-en. Non, je pense que ça fait une différence pour la société entière.

Mme Di Donato (Adriana): Je voulais partager avec vous. Votre question me fait sourire parce que j'ai... Mon père était un homme de tête, un homme fort, physiquement, déterminé, immigrant. Il a tout fait, tout conquis. Et puis, lui, il était prêt à continuer à travailler à 65 ans, mais malheureusement la maladie de son épouse... Alors, je suis Italienne. Alors, vous imaginez, pour un homme de son âge -- il est mort à 77 ans -- apprendre à prendre soin de la maison et que juste la veille, avant qu'il m'appelle pour cette pause-café, mon père me dit: Mon Dieu! mais il y a tellement d'ouvrage. Et là je dis: Bénis maman, papa, parce que maman l'avait tant fait.

Et puis, quand il était à l'hôpital et qu'il s'est fait dire qu'il allait mourir, mon père a réalisé qu'il a passé sa vie à contrôler. Et il avait arrêté de travailler à, je ne sais pas, à 70 ans, par choix. Parce que, lui, même dans son lit de mort, il aurait repeinturé les murs de l'hôpital. Il a essayé de marchander. Et là il m'a dit: Adriana, dans l'amour, on ne marchande pas. Il dit: Je ne peux même pas leur dire: Donnez-moi un peu plus de temps, je vais vous repeinturer vos hôpitaux gratuitement. On ne marchande pas. Je pensais que c'était moi qui devais prendre soin de votre mère, mais le destin de votre mère ne m'appartient pas. Et il a compris que son destin dans la mort, il lui était donné. La seule chose que lui pouvait faire, c'est de choisir comment le vivre. Mais il était appelé à le vivre, il était appelé à nous enseigner.

Et une chose très choquante, c'est, un jour, il m'a dit: C'est fou -- comme le jour qu'on était à l'urgence pour la première fois -- c'est moi, le mourant, et pourtant ici, à l'hôpital, il y a plein de gens qui rentrent sans aucun sens à leur vie. Ils rentrent, ils ne savent pas qui je suis, ils changent ma radio... Je ne dirai pas le poste. Alors, de la symphonie ils passaient à tous les postes populaires, parce que la personne qui venait accomplir son travail avait besoin de cette distraction-là. Ils ouvraient les rideaux, quand mon père demandait, à tous les jours: Baissez un peu la lumière. Et mon père dit: C'est absurde. C'est moi, le mourant, mais il y a tellement de gens qui n'ont plus d'éclats dans leurs yeux.

Alors, pour vous dire que même dans la mort il a trouvé un sens de dire: Je suis là parce que j'ai quelque chose à montrer. C'est pour ça qu'à un point il s'est dit: On va arrêter les calmants parce que je dis des absurdités, je ne contrôle plus ce que je dis. Je vais être vrai face à ce que je vis, quitte à vivre moins longtemps, mais je vais être vrai dans ce qu'il m'est demandé d'être vécu. Alors, c'est ce que j'ai appris.

M. Sklavounos: Il reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Kelley): Un complément? Oui.

Mme Leduc (Martine): Je voulais juste dire que, moi, j'avais toujours vu la mort comme quelque chose de laid, quelque chose de terrible, tout ça, puis j'ai vu, dans les morts que j'ai connues, surtout même dans la mort de la fille d'un de nos amis, que la mort, c'était une grande chose. Puis j'ai vu aussi les gens devenir plus humains dans ces moments-là. Puis, comme Cecilia disait, moi aussi je voudrais que ça puisse continuer, qu'on puisse pouvoir vivre ces moments-là, puis que nos enfants puissent les vivre aussi pour grandir.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Oui. Bien, rapidement, M. le Président. Merci pour vos témoignages. J'avais l'impression, en vous écoutant, que c'était, dans le fond, un message en faveur de la beauté et presque de la vertu de l'accompagnement dans la mort que vous êtes en train de nous livrer. On a eu des experts, à Québec, qui au printemps dernier nous ont livré un peu l'envers de la médaille: la mort n'est pas toujours aussi douce, entre guillemets.

Mais, la question que j'ai envie de vous poser, par rapport aux expériences que vous avez vécues, si une personne avait demandé l'euthanasie et qu'il avait convenu, avec les proches, les membres de sa famille, ses filles, de dire: Nous allons avoir une dernière fin de semaine ensemble, un dernier vendredi, samedi, dimanche, est-ce que ce que vous évoquez aujourd'hui comme témoignage, devant nous, aurait été possible également pour la personne qui aurait décidé d'abréger ses jours et dire: On va vivre une dernière fin de semaine ensemble?

Mme Di Donato (Adriana): Je n'ai pas tout à fait compris. Désolée...

M. Ouimet: Le témoignage que vous nous rendez par rapport à ce que vous avez décrit, en termes d'expériences personnelles, en accompagnant votre père, et votre oncle, et vos parents dans la mort, est-ce que ce même type d'apprentissage pour vos enfants à ces mêmes vertus, ces mêmes révélations par rapport à ce qui rapproche les êtres humains, est-ce que, d'après vous, ça pourrait être vécu également pour le père qui, lui, aurait décidé de prendre une décision autre, et d'abréger sa vie, et de dire à ses enfants, et de dire à ses filles: Nous allons passer une dernière fin de semaine ensemble? En quoi, dans le fond, le témoignage que vous nous livrez, qui est contre l'euthanasie, si j'interprète bien vos propos, en quoi est-ce que ce témoignage-là ne serait pas possible dans le contexte d'une euthanasie décidée avec les membres de la famille?

**(17 heures)**

Mme Di Donato (Adriana): Moi, je dirais spontanément: Ce que j'ai appris à travers toutes les expériences de la vie, c'est que la vie ne nous appartient pas. Alors, la vie nous présente des moments, des parcours. Le cheminement, il est à nous. Mais de mettre fin à une vie, ça, ça ne nous appartient pas. Alors, cette personne-là, comme mon père l'a fait, peut dire: Je ne veux pas, tu sais, camoufler cette mort. Je veux la vivre entièrement. Mais le temps, ce n'est pas quelque chose qu'on choisit, c'est quelque chose qui nous est donné. Et on est appelés à accueillir chacun... même face aux enfants qui espèrent toujours négocier une date pour l'examen, le lendemain du lundi, du mardi. Face à ça, nous, dans l'éducation, c'est que mes enfants ont compris que ça ne se négocie pas, ça. Face à tout, on fait ce qu'on peut. C'est tout ce qui nous est demandé, de faire ce qu'on peut.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, mesdames, de ces témoignages très éloquents et très pertinents dans le débat. Comme mon collègue le disait, vous avez fait une démonstration quant à l'importance de la qualité de l'accompagnement des personnes en fin de vie qui est assez éloquente. Cependant, vous avez dit, d'entrée de jeu, à la présentation de votre mémoire, que le véritable enjeu de ce débat, c'est le besoin de la personne, il faut considérer le besoin de la personne.

Un peu comme mon collègue le disait tantôt, il y a des gens qui sont venus ici témoigner -- puis vous en avez sûrement pris connaissance -- qu'ils avaient, à un certain... Il y a une famille, d'ailleurs, qui est venue, un père avec ses deux enfants, ils ont accompagné leur mère jusqu'au moment où elle a décidé que c'en était fini. Et on a eu, en conclusion de cette intervention-là... On a appris de cette expérience-là que finalement cette femme était restée avec sa famille pendant un bon bout de temps, jusqu'à une incapacité presque complète de communication, où, à chacun des dimanches soirs, même si elle ne parlait pas, même si elle était dans l'incapacité de communiquer, il y avait le souper du dimanche soir quand même entre eux. Mais ils avaient convenu qu'à un certain moment donné de la démarche de sa maladie, de l'augmentation, de l'évolution de sa maladie ils mettraient un arrêt à ça. Et ça s'est fait.

Et le jeune a témoigné après en disant... Après le témoignage de son père et la présentation du mémoire, il a pris la parole pour nous dire: Tout ce que ma mère a fait pour nous, ça serait très difficile pour moi -- je n'utilise pas les mêmes mots, là -- ça serait très difficile pour moi d'entendre des gens poser un jugement, parce qu'on a pris une décision ensemble. On l'a accompagnée, ça a été exigeant mais en même temps valorisant pour tout le monde, et on a fait ce qu'elle a voulu. On l'a accompagnée, elle a eu le temps de faire ses adieux, elle a eu le temps de prendre les décisions qu'il fallait qu'elle prenne. Et, pour elle qui était de plus en plus prisonnière de son corps, il fallait mettre un terme à ça. Ils ont respecté ce choix-là. Ils ont donc, conséquemment, répondu aux besoins de cette personne-là. Comment vous réagissez à ça?

Mme Grava (Maria Cecilia): Bien, si la personne souffrante, si la personne souffrante était presque incapable de communiquer, ils ne pouvaient pas être sûrs à ce moment-là de qu'est-ce que vraiment elle voulait. Avant, quand elle était mieux, quand elle a pu s'exprimer, elle était peut-être... elle avait peur du moment où elle serait plus prisonnière de son corps. Mais, en même temps, quand on n'est plus capable de s'exprimer complètement, librement, lucidement... Personne ne peut entrer dans la personne.

Alors, moi, je ne veux pas, nullement, absolument pas, juger la famille en question. Je veux seulement vous mettre... pointer l'attention sur le fait que ce qu'une personne souhaite à un moment donné de sa vie, effectivement, dans le moment d'une incapacité à communiquer, peut aussi ne pas être la même orientation, la même décision. Alors, je pense que, comme on est ici aussi pour décider d'une certaine orientation de la société, il vaut mieux se tromper pour ce qui est... n'est pas, disons, la mort. Pour ce qui est de... je me trompe par excès d'amour à la vie plutôt que, disons, bien, peut-être qu'elle voulait la mort.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Bien, je pense important de dire que ces gens-là qui sont venus témoigner et qui avaient pris la décision avec leur mère, le mari avec sa femme, d'un jour la débrancher, ils ont pris une décision qu'ils ont qualifiée «une décision d'amour» pour elle. Et ils ont pris cette décision-là parce qu'elle connaissait l'évolution de sa maladie. Et ils ont convenu, à un certain moment donné où il y avait une incapacité de communication et qu'il n'y avait plus de sens à sa vie, bien, de poser ce geste d'amour. Et c'est comme ça qu'ils l'ont qualifié d'ailleurs quand ils sont venus ici, ces deux jeunes adultes, adolescents, et ce père-là. Et je pense que, dans leurs convictions profondes, ils ont répondu aux besoins de cette femme-là.

Mme Grava (Maria Cecilia): Vous avez dit: De débrancher, de mettre fin à...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Elle était sur un respirateur.

Mme Grava (Maria Cecilia): Oui. Alors là, je ne sais pas si cela est vraiment... ça peut se comprendre dans le sens de l'euthanasie, je ne sais pas le cas exactement de cette famille, de cette personne. Mais c'est vrai que vous avez dit: Ils ne voyaient plus de sens, ils ne voyaient plus de sens à cette vie. Bon, je pense que... Il faut aussi voir, si, moi, je ne vois pas de sens, est-ce que vraiment, vraiment il n'y en a plus un. Est-ce que la personne comme telle, même dans la souffrance ou dans la prison de son incapacité à communiquer, se sent vraiment au bout, dans le manque total de sens? Comment allons-nous quantifier ce besoin d'un sens?

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Mesdames, merci pour votre présence, merci pour ces témoignages empreints d'émotion et de vérité. Hein, c'est la vérité que vous avez vécu pendant un certain nombre de mois, sinon pendant la dernière année.

J'ai une question à vous poser, n'y voyez pas d'offense, c'est une question qui nous a été régulièrement posée. Tout à l'heure, mon collègue vous demandait qu'est-ce qu'il serait advenu si un de vos proches vous aurait demandé à mourir, si cette personne-là avait eu le sentiment d'avoir bien vécu sa vie et que le moment de mourir était arrivé. Et la réponse a été -- hein, c'est une supposition -- de dire: Reste pour moi, parce que j'ai besoin de cette présence-là.

La situation nous a été présentée à plusieurs reprises, et de grands malades sont venus témoigner devant nous, et ont évoqué cette possibilité-là, et ont dit que c'était foncièrement égoïste de demander à la société de l'aider à cheminer, en quelque sorte. Eux, c'est leur combat, c'est leur maladie, c'est leur dernier moment, et ils n'y trouvaient pas la force ou le goût, en plus du combat qu'ils devaient mener, d'aider autrui à cheminer. Donc, pour eux, c'est une réaction foncièrement égoïste -- ce n'est pas un jugement, hein, c'est réellement des propos qui nous ont été rapportés à plusieurs reprises.

Donc, selon vous, est-ce que ce n'est pas un petit peu égoïste, que de demander à une personne qui souhaite mourir parce qu'extrêmement malade... de dire: Reste encore un petit peu parce que j'ai besoin de toi, ou de vous?

Mme Leduc (Martine): Moi, je le vois plus comme: Fais-moi confiance dans ce moment-là. Fais-le pour moi, pour souffrir plus. Mais, comme présentement tu souffres puis tu ne sais pas quoi... tu es perdu un peu, fais-moi confiance pour ce moment-là.

M. Charette: Une autre question, dans une toute autre direction cette fois-ci. Vous avez fait une belle apologie, je pense, de l'accompagnement, des soins palliatifs. On sait qu'au Québec il y a certainement lieu d'améliorer nos pratiques à ce niveau-là, à peu près tout le monde le reconnaît, avec une meilleure formation, avec un meilleur accompagnement, certainement plus de moyens. Votre expérience vous a-t-elle amenées à souhaiter des améliorations précises? Est-ce qu'il y aurait des conseils ou des souhaits que vous souhaiteriez nous partager au niveau de l'amélioration qui pourrait être faite à cet accompagnement en fin de vie?

Mme Di Donato (Adriana): Moi, personnellement, j'ai trouvé que ce qui aurait beaucoup aidé, c'était une soladi... sol...

Une voix: Solidarité.

**(17 h 10)**

Mme Di Donato (Adriana): Parce que j'ai trouvé que, quand j'étais à l'hôpital... Et je vivais le tout avec mon père et, même, avec ma mère. C'est que souvent, quand ils voient une famille présente, les gens présents à l'hôpital, qui accomplissent leur travail se permettent de dire: Ouf! on va respirer un peu, et se détachent un peu. Et, à un point, il faut presque être aux larmes, de leur dire: Oui, on a l'air forts, mais nous avons besoin de votre appui. Alors, souvent, c'est la communication, c'est de rendre ces services-là clairs dès que le patient est là, pour que les gens autour, ceux qui aident, ne s'épuisent pas et en même temps pour redonner le sens à la personne qui est malade. Parce que, même s'ils n'ont pas de famille, ils peuvent être aimés par quelqu'un d'autre. Ils peuvent être aimés, ils peuvent recevoir de l'amour par d'autres. Alors, c'est important de donner accès à cette information-là tout de suite et de fournir de l'aide pour que ça se fasse. Ça fait que c'est plus ça. Pour moi, c'était ça.

Mme Toffoli (Nicoletta): Moi aussi, je crois que... Il faut que ces organismes soient connus davantage. Dans le cas de mon oncle, c'est l'hôpital, les soins palliatifs de l'hôpital qui ont parlé de cet organisme bénévole, parce que je crois qu'effectivement il y avait un temps d'attente plus long pour avoir des soins palliatifs. Donc, choisir de développer les soins palliatifs, et même donner comme une voix à ces organismes. Il y a des organismes, effectivement, comme même de bénévolat, qui s'occupent de ça. Mais, même au niveau, comment dire... les financer, les soutenir, ça, c'est...

Et ça va comme dans la direction un peu de développer une société de la solidarité. Parce que c'est vrai que, si la famille est présente, elle peut aider, mais parfois elle n'est pas suffisante, elle a comme besoin d'un autre support. Et donc c'est comme de créer les circonstances un peu pour permettre aux malades de choisir la vie, de ne pas choisir la mort. Si le malade a la possibilité de savoir qu'il est soutenu, qu'il est accompagné, des fois, le choix, ce n'est pas la mort, mais c'est pour la vie.

Le Président (M. Kelley): Alors, il me reste... Malheureusement, j'ai manqué votre présentation, je m'en excuse. Mais merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion.

Je vais suspendre nos travaux quelques instants. Et je vais demander à Mme Élise Lalonde de prendre place à la table. Merci beaucoup, mesdames.

(Suspension de la séance à 17 h 13)

 

(Reprise à 17 h 16)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Notre prochain témoin, c'est Mme Élise Lalonde, qui va faire une présentation.

Je vais rappeler que, s'il y a des personnes dans la salle qui veulent dire quelques mots à la fin, dans la période des micros ouverts, nous avons reçu une demande à date. Mais nous avons déjà fait deux. Alors, pas de sentiment de culpabilité. Mais, s'il y a d'autres personnes qui n'ont pas participé, qui veulent faire une courte déclaration, ils sont les bienvenus à 18 heures.

Sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à Mme Élise Lalonde.

Mme Élise Lalonde

Mme Lalonde (Élise): Merci beaucoup. Alors, si vous me permettez, je vais me présenter, hein? Je suis native de Montréal et du quartier Saint-Henri plus particulièrement. Je suis fille d'un épicier. J'ai fait des études en éducation physique. Et j'aimais les langues, j'ai rajouté des cours de langue pour découvrir le monde. J'ai travaillé en Allemagne deux étés. J'ai eu cette opportunité quand j'étais toute jeune, dans la vingtaine. Et, par la suite, fin vingtaine, début trentaine, j'ai pu faire du bénévolat au Pérou. J'y suis allée trois étés. Et j'ai fait quelques voyages en Europe.

Alors, maintenant, le monde, je le rencontre dans mon bureau parce que je suis conseillère en emploi auprès d'une clientèle immigrante qui vient d'arriver assez récemment. Normalement, les gens sont... On les accueille quand ils ont surtout une arrivée... qu'ils sont arrivés depuis trois à six mois, en général. Ça peut dépasser, mais en gros. Alors donc, je rencontre maintenant le monde dans mon bureau, et je trouve ça passionnant. Je suis conseillère en emploi, donc, pour cette clientèle immigrante, pour un organisme qui s'appelle CITIM, c'est clef pour l'intervention... l'intégration, pardon, au travail des immigrants. C'est un organisme communautaire de Montréal.

Alors, le débat sur l'euthanasie, ce qui m'a d'abord touchée... en fait, touchée... Beaucoup de choses nous touchent, je pense, tout le monde. Mais ce qui a attiré mon attention, ça a été ce contraste que je vois. On est dans une société où on vient en aide aux jeunes qui se suicident, et c'est un gros problème dans notre société, on le sait. Il y a des budgets qui sont donnés pour ça. Il y a une ligne ouverte, là, SOS... Je ne sais plus trop comment ça s'appelle, là. On met des ressources disponibles pour les jeunes, et là, tout à coup, on offre le suicide de l'autre côté. Peut-être quand on est un petit peu plus âgé ou... Même, malheureusement, ça ne sera pas une question d'âge. Alors, c'est... Je trouve ça vraiment, là, inconcevable. Je ne comprends pas. Où est-ce qu'on s'en va en tant que société? Est-ce que vraiment le suicide, c'est une aide? Est-ce que c'est vraiment une solution? À mon avis, non. Mais, bon, ça, chacun a son opinion.

Qu'est-ce qui se passe maintenant dans le monde, hein? Plusieurs pays s'intéressent à la chose. Bon, il y a un article -- vous l'avez lu sûrement, l'article du journal. D'autres personnes en ont sûrement parlé -- le journal de La Presse, lundi 4 octobre: Des risques majeurs. «Aux Pays-Bas, les balises légales ne sont pas respectées dans 19 % des cas d'euthanasie.» Et l'auteur est médecin et candidat au doctorat à l'Institute... etc.

Alors, cet article-là, les points intéressants, je vais vous en lire quelques-uns -- parce que tout le monde n'a peut-être pas lu ou tout le monde ne se souvient peut-être pas dans les détails. Alors: «Les Pays-Bas offrent les meilleures possibilités d'évaluer les conséquences d'une telle législation -- hein, c'est ce qui nous intéresse ici -- puisque l'euthanasie -- pardon -- et le suicide assisté y sont encadrés par la jurisprudence depuis les années quatre-vingt.» Donc, ils ont de l'expertise à ce niveau-là. Quatre-vingt, ça fait 30 ans, là.

«Fait troublant, dans 19 % des cas d'euthanasie, le médecin a administré un médicament provoquant la mort sans que le patient en fasse la demande, et parfois sans discussion préalable avec la famille ou un collègue.» Un autre point: «Malgré sa légalisation aux Pays-Bas, 20 % des cas d'euthanasie ne sont pas déclarés par les médecins...» Et un autre point: «Aux Pays-Bas, des médecins ont pratiqué l'euthanasie sur des nouveau-nés, des personnes avec des problèmes de santé mentale [...] des personnes âgées atteintes de problèmes cognitifs.»

Moi, je trouve que c'est très grave, tout ça, et on doit s'attarder à la chose. Parce qu'une loi doit avoir pour but le bien commun, commun, et ici on voit les conséquences de vouloir donner satisfaction à tout le monde.

Ce n'est pas drôle de souffrir. Attention, n'allez pas croire que je suis indifférente à la souffrance des gens. Mais est-ce que, parce que certaines personnes souffrent ou ont peur de souffrir... Il y a beaucoup de peur aussi autour de ce débat-là, la peur de mourir tout seul, la peur d'être traîné par des acharnements thérapeutiques, hein? Ça fait peur, ça.

Les gens ne font pas toujours la distinction entre euthanasie et acharnement thérapeutique. Dans ce débat-là -- et je l'ai constaté dans ma famille -- tout est mêlé. Les gens ne savent pas ce qu'est l'euthanasie, ils ne savent pas que ce n'est pas la même chose que de dire qu'on peut refuser un traitement sans que... et ce n'est pas de l'euthanasie. Là, il y a grand danger de glissement ici, et on le voit dans ce journal-là. Et ce n'est pas le seul pays impliqué. Dans l'article, oui, dans l'article, oui, mais je sais qu'il y a eu des glissements en Belgique. En tout cas...

Un autre article qui vient de sortir, dans The Gazette, vendredi, au sujet de... voyons, quel pays donc déjà? Le voisin de la Nouvelle-Zélande.

**(17 h 20)**

Une voix: ...

Mme Lalonde (Élise): L'Australie, merci. On ne voyage jamais assez, hein? Alors, voilà, tout ça, moi, je trouve que c'est très dangereux. Où est le bien commun? Encore une fois, c'est ce que je vous demande.

Et la raison pourquoi on en est là, dans ce débat-là, c'est justement cette peur de la souffrance, cette peur... Pourtant, on a des soins palliatifs. Moi, je pense qu'une bonne chose à faire, ce serait d'abord d'informer les gens c'est quoi, les soins palliatifs vraiment. Je ne suis pas sûre que tout le monde sache ce que c'est. Tant qu'on n'a pas passé par là, tant que des familles comme celle qui était là avant... Puis il y a des choses que j'ai entendues... Moi, je ne sais pas les conséquences de tout ça. On ne connaît pas ça. J'ai perdu mes parents aussi, ils sont morts rapidement, ma mère en 48 heures, mon père, ça a été un peu plus long, mais il n'y avait pas de traitement vraiment, là. Alors, il y a des choses qui me dépassent, bien sûr, au niveau de la médecine. Voilà pourquoi je pense qu'on doit expliquer ça aux gens, parce qu'il y a beaucoup de peur, et on ne peut pas prendre une décision basée sur la peur, ce n'est pas la bonne façon.

Donc, regardons l'impact de l'euthanasie. Il y a des morts involontaires, on l'a vu dans le journal. Je suis allée aussi, lundi -- hein, c'était congé, alors on s'est occupé -- je suis allée sur Internet. J'ai tapé un peu, voir ce qui se passait. Je suis tombée sur un article de la France. C'est un travail qui a été fait par un cardiologue français qui a été député aussi. Il s'appelle Jean Leonetti. Il a fait une étude pour l'Assemblée nationale française -- un document que je ne me suis pas tout tapée parce qu'à plus que 100 pages c'est toute une brique, hein? Bon, alors, j'ai quand même vu certaines choses. Et ce document-là compare ce qui se fait dans différents pays -- et j'ai été abasourdie de tomber sur des trucs, là -- on compare la Suisse, la Belgique, la Hollande et autres.

Euthanasie, il y a des lois, hein, des balises pour l'euthanasie pour les enfants de 12 ans et moins, 12 ans et plus. Mais j'ai dit: C'est quoi, cette affaire-là? On va-tu euthanasier toute la planète, là, hein? C'est-u des gens qui ont la connaissance nécessaire, là, pour prendre les décisions, ces gens-là, là? On va la prendre pour eux parce qu'ils ne sont pas capables de communiquer, parce qu'ils sont autistes ou... Aïe! c'est dangereux, cette affaire-là. Où est-ce qu'on s'en... Alors, pour ne pas se perdre, hein, en forêt et ailleurs, dans la montagne, on met des balises. Sauf que des balises, ça se contourne. On l'a vu ici, dans l'article, hein, les médecins ne respectent pas ces balises-là. Ça, ça me fait penser dans d'autres domaines, c'est de même partout. Il y a des enveloppes brunes remplies d'argent qui se promènent, on le sait, dans le domaine de la construction. Est-ce qu'il y a un gouvernement qui va être capable d'empêcher ça? Non.

Il y a beaucoup de choses qui se disent entre quatre yeux. Dans une chambre d'hôpital, il n'y a pas grand témoin. Il y a un patient, qui est peut-être conscient, peut-être pas conscient, il y a une infirmière, des fois seule, un médecin, des fois seul, des fois ils sont ensemble, ils peuvent prendre bien des décisions puis ne pas le dire à personne. Puis pourquoi respecter les règles quand on peut aller plus vite, hein? On n'a pas été capable, là... on n'est pas capable de faire le ménage avec les enveloppes brunes puis on ne le sera jamais. Moi, ça m'inquiète énormément.

Je me dis qu'il ne faut pas être naïf. La bombe atomique, ça ne devait jamais tuer des gens, c'était pour dissuader, puis on l'a faite sauter, la bombe atomique, hein? Moi, j'étais naïve avant. Puis je me dis qu'il ne faut pas être naïf avec ces balises-là. J'étais naïve parce que, quand le World Trade Center a été détruit, la veille, si vous m'aviez dit que des gens cherchaient à faire sauter ça puis détruire tout ce monde-là, je vous jure, je vous aurais dit: Aïe, me prends-tu pour une idiote, me prends-tu pour une valise? Je ne l'aurais jamais cru. Mais c'est arrivé. Alors, je suis tombée des nues. Ah! j'ai eu un choc cette journée-là. Je me suis dit: Est-ce qu'il y a des gens assez cinglés pour pouvoir faire ça? Bien, des cinglés dans la planète, il y en a. Je ne veux pas dire que tout le monde est cinglé, ça, c'était vraiment un exemple extrême, mais qui sait ce qui peut se passer? Moi, j'ai peur que ça dérive, qu'on perde le contrôle.

C'est le bien commun qu'on doit rechercher. Moi, j'ai peur pour ces enfants-là qui n'ont pas l'âge de raison puis qui ne peuvent pas parler. Puis on est influençables. Et, si on légalise ça, cette euthanasie-là, ça fait une pression aussi chez les gens. Là, tu sais, je vieillis, je ne veux pas être un fardeau pour mes enfants. Tout le monde dit ça. Il n'y a pas aucun parent qui veut être un fardeau pour ses enfants, les obliger à venir à l'hôpital à tout bout de champ, etc. Alors, oui, je devrais peut-être prendre la décision, ça ne me tente pas, mais il y a de la pression. Il va y en avoir de tous bords tous côtés. Alors, moi, je ne suis pas du tout d'accord avec ça, du tout, du tout. C'est le bien commun qu'on doit chercher.

En Australie -- je reviens, parce que là c'est ma dernière feuille, puis j'ai oublié que je l'avais -- alors, dans la Gazette du 8 octobre, il y a un médecin qui a étudié l'impact de la législation de l'euthanasie. Il conclut -- parce qu'il est devenu... il est venu à Montréal pour un colloque -- alors il conclut: «La loi en Australie a provoqué l'exode des professionnels de la santé spécialisés dans les soins palliatifs. Chez les aborigènes, l'euthanasie a provoqué une méfiance, un manque de confiance dans le monde médical, conséquences même...» Il y a des conséquences même sur la vaccination, parce que les aborigènes n'ont pas voulu faire vacciner les enfants par la suite, ils ont perdu confiance.

Et il y a aussi des gens au Québec qui commencent à perdre confiance avec ça, là. Moi, j'ai parlé à deux de mes amis dont les parents sont âgés et malades, et les deux m'ont dit que les parents ont peur maintenant, ils ont peur de se faire euthanasier. Alors, la confiance, elle va être minée, là.

Alors, conséquences donc chez les aborigènes, la vaccination des enfants, oubliez ça, et puis les médecins ont quitté la région. Et ce médecin-là, Mark Boughey -- je ne sais pas trop comment le prononcer -- il met le Québec en garde: «L'euthanasie aura un impact négatif sur les soins palliatifs.» Voilà.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Lalonde. Je suis prêt à passer la parole au député de Laurier-Dorion.

**(17 h 30)**

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Merci, Mme Lalonde. Merci pour votre présentation, votre présence ici aujourd'hui. Et j'admire beaucoup votre franc-parler. Et, je dois vous dire, vous avez touché certains points qui sont intéressants. D'ailleurs, le point... le lien que vous faites entre le suicide et l'ouverture à l'euthanasie, le suicide assisté, d'autres sont venus le faire également. Puis j'avoue, en quelque part, pouvoir voir qu'il y a une espèce de contradiction, soit qu'on accorde une certaine valeur à la vie, soit qu'on ne l'accorde pas. D'autres qui sont venus également dire ce que vous venez de dire, qu'avec une compétition pour des ressources entre le développement de ces services-là et les soins palliatifs on risque d'avoir une attention... un effet de transfert de ressources plus vers le recours à ces formules-là et moins vers le développement des soins palliatifs. Et je pense que tout le monde qui est venu témoigner admet que l'offre de soins palliatifs est déficiente, à quelque part.

Par contre, j'aimerais juste vous poser une certaine question, j'aimerais qu'on le regarde sous un autre angle. Je suis conscient aussi du fait qu'on veut éviter de stigmatiser la maladie, on veut éviter de créer des catégories de personnes, et que nous partons d'un point différent lorsqu'on analyse la vie, que ce soit voir différemment un jeune qui vient de vivre une rupture, et qui veut sauter d'un édifice, et qui croit que sa vie est foutue et une personne qui est malade. Je pense que, comme société, il faut faire attention, il ne faut pas stigmatiser. Il ne faut pas créer des catégories pour dire, déjà en partant: Tu es malade, donc ta vie vaut un petit peu moins que le jeune qui veut se suicider parce que sa blonde l'a laissé. En même temps, je pense aussi que nous avons un rôle d'essayer d'aller dans les nuances. Et je me demande aussi, lorsqu'une personne qui est proche... la mort est proche pour une personne, c'est-à-dire elle est inévitable, elle est imminente, elle n'est pas loin, et une personne -- et vous avez peut-être raison -- peut-être vit une peur ou peut-être une souffrance horrible, se dit: Moi, je veux faire mon «check-out» trois mois plus tôt ou quatre mois plus tôt, est-ce que vous ne voyez pas une nuance, une différence qui est quand même réelle entre cette situation-là et le jeune qui, pour une raison ou pour une autre, veut se suicider? Il vient de vivre une rupture, etc. Est-ce qu'il n'y a pas... Je comprends, je comprends philosophiquement le principe, je suis d'accord avec vous même. Mais, lorsqu'on va dans des cas très précis, est-ce qu'il n'y a pas une nuance qui mérite quand même d'être explorée?

Mme Lalonde (Élise): ...est-ce qu'on m'entend bien? Oui? Je vois le parallèle dans les deux situations. C'est que, dans la vie, il ne faut pas lâcher la serviette comme ça. Il faut être un exemple autour de soi. Ce monsieur-là, s'il accepte, là, de participer à l'euthanasie, là, d'encourager ça, l'euthanasie, là, bien il pourra être fier de ça, hein, de tout ce qui va suivre par la suite, parce que, quand on ouvre une porte, ce n'est pas toujours facile de la fermer. Moi, si j'étais dans cette situation-là, je préférerais donner l'exemple et d'endurer mon mal pour que les autres puissent vivre. Voyez-vous?

M. Sklavounos: Les situations de dérapage, nous avons entendu l'argument, et j'avoue que c'est un autre argument qui m'a dérangé, en quelque sorte. Il y a des gens qui sont venus nous dire puis des professionnels de la santé qui sont venus nous dire aujourd'hui: L'euthanasie se pratique ici. Et j'ai été pris... Évidemment, j'ai été étonné. Je ne connais pas bien le réseau de la santé, je n'ai pas travaillé là-dedans.

Et une question que j'ai posée, c'est: Aujourd'hui, la règle semble claire que l'euthanasie est interdite, et des gens disent: Ça se pratique, alors que la règle est claire l'interdisant. Vous, vous avez fait mention des balises éventuelles qui pourraient exister et vous avez dit qu'ils vont réussir à les contourner ou à les... Qu'est-ce que vous diriez à la personne qui vous dit: Au moins, si on ouvre la porte à une... Et on ne veut pas parler de décriminalisation à notre niveau, on ne peut pas faire ça. Mettons une non-judiciarisation, on n'a pas la compétence de décriminaliser quoi que ce soit comme parlementaires québécois. Ça aurait le mérite au moins de mettre sur la table ce qui est peut-être sous la table en ce moment. Comment répondrez-vous à ces arguments-là?

Mme Lalonde (Élise): ...monsieur, je ne vois pas de mérite là-dedans, je suis désolée. Il n'y a aucun mérite là-dedans. Ça ne fait, encore une fois, que prouver que des balises, ça se contourne aisément. Il y a déjà des règles du jeu, normalement on ne doit pas tuer, et ça se fait déjà. Alors, non, pas du tout d'accord avec vous.

M. Sklavounos: Alors, vous, mettons que -- et je ne sais pas, je parle toujours hypothétiquement -- on a une espèce de check-list de critères qu'il faut remplir et on est obligé de faire cet exercice-là, que ce soit...

Mme Lalonde (Élise): ...quoi, là? De quoi vous parlez, des critères de quoi?

M. Sklavounos: Non, je parle généralement. Disons que les balises dont on parle, on les met sur une liste, et il y en a plusieurs: il y a deux médecins, il y a un examen, il y a un examen psychiatrique, il y a deux médecins qui doivent signer, on doit vérifier à un moment, laisser passer du temps, revérifier. Il y a toute une litanie, mettons, de conditions. Est-ce que vous ne trouvez pas qu'ayant à subir cet exercice d'avoir à justifier point par point, par point, par point le cas, ça n'a pas un certain mérite de dire que, contrairement à la situation occulte, si vous voulez, d'aujourd'hui, ça a le mérite, en quelque sorte, d'éviter les dérapages? Parce qu'on va devoir justifier, on a plusieurs points. Et, si on n'arrive pas à satisfaire à un point, là, ça tombe à l'eau.

Mme Lalonde (Élise): Justifier pour justifier, ça ne donne rien, monsieur. O.K.? Justifier pour justifier, là, ça ne donne rien. Ça ne change rien à la réalité. Je ne suis pas d'accord avec vous, absolument pas. Moi, je ne cherche pas à justifier des actions qui sont mauvaises à la base. Comprenez-vous?

M. Sklavounos: Moi, je vous parle...

Mme Lalonde (Élise): Ce qui est juste, ce qui est juste à mon égard, c'est de défendre la vie. Et d'ailleurs la justice va dans ce sens, hein? On n'a pas le droit de tuer, heureusement.

M. Sklavounos: Moi, je vous mets des situations hypothétiques. Mon opinion à moi n'est pas nécessairement ce que je vous dis.

Mme Lalonde (Élise): Oui. Bien, moi, je suis sûre, je suis sûre de mon affaire. Je n'ai pas d'hypothèse en tête, là, hein?

M. Sklavounos: Ah non, non, il n'y a pas de problème. Il n'y a pas de problème que vous soyez sûre de l'affaire. Moi, je vous dis simplement: De mon côté, moi, je vous pose les questions. Maintenant, je ne mets pas en contradiction mon opinion. Peut-être que mon opinion ressemble étrangement à la vôtre, là. Mais je veux simplement faire le débat avec vous et tester certaines choses. C'est ça que... Oui.

Mme Lalonde (Élise): Donner les apparences de vertu quand il n'y en a pas, je ne vois pas l'intérêt.

M. Sklavounos: Est-ce que, de votre point de vue, notre personnel médical, notre corps médical, on ne peut pas leur faire confiance dans des situations de même? Est-ce que... O.K.

Mme Lalonde (Élise): Oui, madame. À mon avis, on ne peut pas faire confiance à tout le monde dans n'importe quel domaine, n'importe lequel domaine. Cet article-là le démontre bien. Eux en ont mis, des balises. Ils ont voulu légiférer, faire attention, mais malgré tout il y a beaucoup d'écarts. Et vers quoi on s'en va, là? Il y a une petite fillette, là, une nouveau-née, qui a été euthanasiée pourquoi? Parce qu'elle avait une maladie, spina-bifida. Bien, moi, j'ai une amie qui est spina-bifida -- pardon, je le prononce mal. Elle vit très bien. Bon, il y a des inconvénients, attention. Moi, je dis qu'elle vit très bien. Elle, elle va peut-être dire: Je vis bien. Mais elle est heureuse, je la connais, puis voilà.

M. Sklavounos: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci. À vous entendre lors de votre présentation, au début, j'avais l'impression que vous aviez fait quelques lectures sur Internet rapidement pour nous présenter votre point de vue, mais plus vous parlez, plus j'ai l'impression que vous connaissez le sujet très, très bien.

Mme Lalonde (Élise): Bien, très, très bien, écoutez, j'ai lu ça. C'est un sujet qui n'est pas nouveau, ça s'est toujours un petit peu parlé. Je n'ai pas une bible là-dessus à la maison.

M. Ouimet: Ah, mais je vous sens très solide, je vous sens... en termes d'argumentaire, oui, oui.

Mme Lalonde (Élise): Ah, mais oui, je suis solide, parce que ça, là... Puis ce n'est pas la seule chose. Écoutez, on discute avec les gens. Et puis, moi, j'aime bien inviter les gens à la maison. On prend un repas ou je mange chez des amis, on discute, puis je discute avec des gens de tous les pays. J'ai la chance de travailler dans un milieu qui est multiculturel. La dernière fois, je suis allée chez des gens qui m'ont invitée comme ça, une dame, j'ai trouvé ça chic, c'est gentil, j'ai accepté, une Iranienne. Elle dit: Est-ce que vous accepteriez de venir manger à la maison? J'ai dit: Certainement. J'ai profité de l'occasion. C'est la première fois dans ma carrière qu'on m'invite. Mais je l'ai fait et puis j'ai adoré ça. J'ai rencontré son mari. Et puis, des conversations, on parle de tout et de rien. L'Iran, on a parlé du shah d'Iran. On a parlé d'un paquet d'affaires.

Il faut s'informer, il faut lire. Je n'ai pas lu que là-dessus. Comme je vous dis, je n'ai pas de bible là-dessus. S'il y en a une, je ne la connais pas. J'ai vu le document épais, je ne l'ai pas lu. On a d'autre chose à faire.

Mais, oui, j'ai certaines notions, et puis c'est pour ça que je suis venue. J'ai dit: Bon sang! Il faut que certains points soient clairs. Et il ne faut pas oublier le bien commun dans tout ça. Tu sais, le bien commun, une loi, c'est fait pour le bien commun. Et ça, ça ouvre la porte, là, à un bien qui n'est pas commun ou un mal qui est commun.

M. Ouimet: Dernière question, parce qu'on a entendu beaucoup de choses sur l'argument de la pente glissante. Vous évoquez quelques articles de journaux. Certains experts, certains chercheurs nous ont dit: Mythe, exagéré. D'autres nous disent: Réalité. Alors, pour vous, l'article du journal reflète une réalité?

Mme Lalonde (Élise): Oui, c'est crédible à mon avis. C'est un type qui s'y connaît, hein, doctorat au Scientific Institute for Quality of Healthcare aux Pays-Bas. Il sait de quoi il parle, il est dans le milieu. Il est là, il est au pays, je veux dire, hein?

M. Ouimet: Et il n'est pas impossible des fois que des chercheurs aient également des points de vue bien arrêtés sur la question et qu'il nous arrive parfois de vouloir donner une interprétation à des chiffres?

**(17 h 40)**

Mme Lalonde (Élise): Si c'était la seule fois que je voyais un truc comme ça ou que je l'entendais, j'aurais réagi comme lors du World Trade Center. Je dirais: Quoi! Il y a vraiment des choses comme ça? Mais ce n'est pas la première fois. C'est la première fois, là, aussi bien préparé dans un journal, oui, mais ce n'est pas la première fois que j'entends parler de ces trucs-là. Vous voyez? Alors, ça vient renforcer mon idée.

Puis ça, écoutez, hein, il y en a d'autres qui ont essayé avant. Le nazisme, souvenez-vous, hein, ils en ont éliminé, des gens. Puis en guerre de Bosnie, j'ai vu le film. Bon, comment elle s'appelle, la juge canadienne? Mme Arbour, je crois. C'est bien ça? Alors, j'ai vu le film avec... Il y a eu un film sur l'histoire de Mme Arbour. Et, dans le film, on démontre les deux personnes qu'ils ont essayé de prendre en défaut, parce qu'il fallait arrêter de prendre les petits soldats en bas qui ne sont responsables de rien, là, qui exécutent, puis monter plus haut. Bien, elle est montée plus haut, ils ont identifié deux personnes. Et une de ces personnes-là, c'était un médecin qui était responsable d'un centre pour gens handicapés. Je pense que c'était handicapés mentaux. Bien, il les a tous descendus, hein, parce que le gouvernement a dit: Descends-les, puis il a accepté. C'est vrai. C'est véridique donc, cette affaire-là, hein? Ça existe. C'est malheureux, mais ça existe.

Le Président (M. Kelley): Merci. M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci pour votre témoignage -- on ne peut pas le nier, hein? -- très, très, très empreint... ou du moins vos convictions, elles sont certainement sincères. On a eu, à travers les travaux de la commission, le plaisir d'entendre, on le mentionne à plusieurs reprises, des gens avec des points de vue qui sont souvent opposés, parce que c'est un débat qui effectivement polarise beaucoup les idées. On a eu de grands malades, des personnes handicapées qui ont changé leur position au fil de l'évolution de leur maladie.

Est-ce que... Et sans offense, encore une fois, on répète les questions qui nous ont été nous-mêmes posées. Est-ce que ce n'est pas facile -- n'y voyez pas d'offense -- pour votre part de défendre une position comme celle que vous défendez alors que la réalité de ces gens-là vous est complètement inconnue? Vous êtes manifestement en bonne santé, je m'en réjouis. Vous êtes très, très vive autant d'esprit que de corps. Mais est-ce que c'est possible que, pour vous, cette réalité-là vous échappant, vous n'êtes pas en mesure de saisir, d'une part, la détresse mais également le cheminement qu'ils ont vécu tout au long de leur maladie?

Mme Lalonde (Élise): Écoutez, j'ai vécu avec un père qui a été malade une bonne partie de sa vie. Il avait une insuffisance cardiaque déjà à l'âge de 30 ans, hein, c'est quelque chose. Je me souviens, quand j'étais gamine, il avait une épicerie, on habitait en haut, et je descendais, à l'âge de six, huit ans, un petit pot de nourriture pour bébé, mais il n'y avait pas de nourriture pour bébé dedans. C'était un oeuf avec du cognac pour stimuler le coeur de papa.

Alors, de la souffrance, j'en ai vu quand même un peu, mais c'est vrai que je n'ai pas pris soin pendant longtemps d'une personne malade. Je vais visiter régulièrement Marguerite, 92, 94 ans, je ne sais plus, à l'hôpital. Heureusement, elle prend du mieux, elle se porte bien. Bon. Et j'en ai connu, des gens malades dans ma vie.

Déjà, je parlerais à ces gens-là. J'aimerais ça les rencontrer, ces gens-là, et leur faire penser aussi que leurs souffrances, ce n'est pas drôle, puis on ne s'en réjouit personne. Si on s'en réjouissait, on ne serait pas ici. Cette commission n'existerait pas, hein? On peut être d'accord, je pense, tout le monde là-dessus, ce n'est pas rigolo. Souffrir, ce n'est pas rigolo. Puis, quand j'ai un petit mal de tête, comme je ne suis jamais malade, comme vous dites, je ne trouve pas ça drôle, hein? Alors, non, ce n'est pas rigolo. Mais je dirais à ces gens-là: Écoutez, il ne faut pas penser qu'à soi. Il y a du danger là-dedans. Il y a du danger qu'on ouvre la porte puis que d'autres gens soient agrippés par le problème. Moi, je leur en parlerais. Je leur en parlerais de ça, les conséquences que ça peut avoir.

M. Charette: Je vous invite... Honnêtement, nous sommes à Montréal comme commission jusqu'à vendredi soir. Si vous souhaitez les entendre, si vous souhaitez échanger ultimement avec eux, vous êtes au bon endroit. Vous avez la possibilité d'être avez nous pour les 72 prochaines heures. Ce sont des témoignages comme ça que nous entendons. Ce qui est dommage, et ça on le dit sans reprocher quoi que ce soit à qui que ce soit, on comprend que les gens peuvent avoir un agenda bien chargé, mais les gens qui sont bien campés dans leurs positions, que ce soit d'un côté ou de l'autre, souvent viennent présenter leur témoignage et, dès que les salutations d'usage sont complétées, quittent sans avoir l'opportunité d'entendre l'autre côté de la médaille. Donc, si vous avez un petit peu de temps, sincèrement vous êtes la bienvenue. Et peut-être que ça pourra vous faire réfléchir. Sans dire que ça vous fera changer d'idée, peut-être que ça vous amènera d'autres éclairages.

Vous citez un article dans le journal. Ce qu'on a pu comprendre au cours des dernières semaines, c'est que ces chiffres-là peuvent être utilisés à toutes les sauces. Je ne dis pas qu'ils n'ont pas un fondement de vérité, mais on a vu de très grands défenseurs de l'euthanasie ou sinon du suicide assisté les utiliser, on a vu des opposants les utiliser. Donc, on peut faire dire à peu près n'importe quoi à ces chiffres-là. Et ce matin même on a reçu un éminent psychologue avec une notoriété internationale sur les questions de suicide. Et lui-même, en fait, il est opposé, hein? Il est opposé, il faut le dire, à toute forme de décriminalisation ou d'assouplissement des règles, autant au niveau de l'euthanasie que du suicide assisté. Et malgré tout il nous disait essentiellement le contraire de vous au niveau des soins palliatifs au niveau des Pays-Bas. Il disait qu'aux Pays-Bas, non, il n'y a pas eu d'exode des spécialistes au niveau des soins palliatifs. Au contraire, il y a eu...

Mme Lalonde (Élise): ...l'Australie pour l'exode. C'était l'Australie, c'est pas les Pays-Bas, hein?

M. Charette: D'accord, d'accord. Bien, tout exemple pouvant être une bonne référence pour nous, il disait qu'au niveau des Pays-Bas c'est venu peut-être même exercer une pression pour que ces services-là soient offerts à tout le monde.

Donc, vous comprenez que des chiffres peuvent être utilisés à toutes les sauces. Et vous parlez...

Mme Lalonde (Élise): ...parce que j'ai entendu l'inverse, que ça avait fait une pression, peut-être pas aux Pays-Bas, c'est peut-être en Belgique, une pression à la baisse sur les soins palliatifs. Ça avait descendu.

M. Charette: Et vous parlez de balises. Il y en a actuellement, des balises qui s'appliquent. Est-ce qu'elles sont toutes respectées? Plusieurs spécialistes, médecins nous affirment le contraire. Mais en même temps est-ce qu'on ne peut pas, comme société, faire confiance à notre intelligence? Vous avez parlé d'enfants. Est-ce que comme balise on ne pourrait pas se dire, par exemple: Non, s'il y avait ultimement assouplissement des règles, ça ne s'appliquerait pas aux enfants, ça ne s'appliquerait pas à telle ou telle catégorie? Bref, pouvons-nous, comme société, établir nos propres préoccupations, nos propres valeurs pour qu'ultimement on soit à l'aise avec les choix que nous ferons et faire en sorte que ces gens-là qui n'ont pas trouvé de réconfort à travers la législation actuelle puissent aussi avoir le sentiment d'être entendus, puissent aussi avoir le sentiment de pouvoir mourir dans la dignité?

Mme Lalonde (Élise): Écoutez, des balises, ce sera toujours contourné. Je ne dis pas que tout le monde va les contourner, attention, hein, il y a quand même des gens de bonne volonté sur cette planète et qui vont respecter les règles. Mais il y aura trop... C'est trop grave. Je ne veux pas qu'il y ait d'exception. Je ne veux pas que ça arrive, ces affaires-là. Vous voyez, là? C'est très dangereux, c'est très dangereux. On va perdre le contrôle avec ça. C'est mon opinion.

M. Charette: Pour ma part, ce serait complet.

Le Président (M. Kelley): Alors, il me reste à dire merci beaucoup, Mme Lalonde, pour votre contribution à notre réflexion cet après-midi.

Nous avons une demande de micro ouvert, alors on va suspendre quelques instants et demander à Mme Edna Boisselle de prendre place à la table, s'il vous plaît, pour une courte intervention.

(Suspension de la séance à 17 h 48)

 

(Reprise à 17 h 49)

Le Président (M. Kelley): Alors, dernier droit. Comme je dis, c'est notre habitude, à la fin de l'après-midi, d'entendre des personnes pour les courtes interventions. Comme j'ai dit, on en a déjà fait deux exceptionnellement aujourd'hui, alors Mme Ghezzi qui est venue nous témoigner ce matin avant son devoir, à 89 ans, d'aller faire le bénévolat et Robert Greig qui est venu témoigner au début de l'après-midi. Notre troisième demande pour aujourd'hui, c'est Mme Edna Boisselle. Alors, la parole est à vous pour un court commentaire, Mme Boisselle.

Mme Edna Boisselle

Mme Boisselle (Edna): Je voudrais lire un commentaire que j'ai écrit où je voudrais vous relater le décès de ma mère qui est survenu en mars 1997 à l'hôpital de Cartierville et qui constitue ma principale expérience avec la mort.

Ma mère a eu la maladie d'Alzheimer pendant 15 ans. Mon père, qui l'a beaucoup aimée, en a pris soin pendant les 11 premières années, et je dirais qu'il est mort à la tâche, mais non sans avoir trouvé, peu de temps avant son propre décès, la maison de retraite où elle a passé les quatre dernières années de sa vie. Elle a reçu de bons soins dans cette maison et, même si elle ne reconnaissait plus personne, elle rendait encore un sourire pour un geste affectueux et elle esquissait encore un pas de danse quand elle entendait une valse.

**(17 h 50)**

Un jour, elle s'est étouffée en avalant une cuillerée de nourriture. Une infirmière s'est précipitée pour la secourir, elle a réussi à retirer la nourriture avec ses doigts. Mais, à partir de ce moment, elle avait un râle dans le souffle, et je pense qu'elle était en train d'asphyxier lentement. Elle n'avalait plus qu'avec beaucoup de difficultés. Aux repas, l'infirmière s'installait toujours à ses côtés avec ses gants de caoutchouc et un attirail de secours muni d'un long tuyau flexible. Elle lui faisait boire à petites gorgées un liquide rose et visqueux et, lorsque le râle s'accentuait, elle lui desserrait les lèvres avec ses doigts et elle glissait le tuyau au fond de la gorge pour aspirer le mucus. Ma mère avait le teint gris quand je la laissais le soir.

Cette situation a duré une semaine, et un soir on m'a avisé qu'elle était transportée à l'hôpital en ambulance. Quand je suis arrivée à l'urgence, elle était sur une civière. Elle était toute recroquevillée, presque nue dans sa camisole d'hôpital, avec les suces d'électrographe sur sa poitrine. Une infirmière était en train de labourer son bras à la recherche d'une veine, et puis, à travers le masque à oxygène, son râle était très profond. Elle battait l'air de son bras libre et elle essayait d'arracher le masque à la recherche de son souffle.

À l'heure des repas, j'étais étonnée de voir une auxiliaire essayer de lui glisser quand même du gruau entre les lèvres. Je n'ai pas réussi à obtenir l'attention d'aucun médecin pendant qu'elle agonisait, pas même le confort d'un lit. Elle était sur une civière et elle glissait tout le temps. Elle avait de la chance quand même parce qu'elle avait l'intimité des rideaux de la salle où elle était lorsqu'on changeait ses couches. Ce n'était pas le cas de tout le monde, parce que beaucoup recevaient des bassinettes en face de nous dans l'allée centrale, dans le flot des employés et des visiteurs.

Le troisième jour, elle avait sur la poitrine une large courroie munie d'une serrure qui la tenait serrée à son matelas. Ses poignets et ses chevilles étaient attachés aux barreaux de la civière au moyen de gaze. Je pouvais obtenir qu'on la détache le temps de ma visite, mais après personne n'aurait le temps de corriger sa position si elle bougeait trop.

Le quatrième jour, en arrivant, au fond du corridor j'ai remarqué sa posture inusitée, toute allongée, détendue. J'ai couru pour contourner cette forêt de civières qui me séparait d'elle. Elle avait les yeux ouverts, la bouche aussi. Elle était morte, et c'est moi qui ai trouvée ma mère morte, et personne ne s'en était aperçu. À ce moment-là, j'ai réussi à obtenir de l'attention. On l'a tout de suite bougée pour venir l'enlever de là et nous amener dans une salle séparée où nous pouvions être seules ensemble.

Je crois que ma mère n'est pas morte dans la dignité. Au moment où j'ai complété le formulaire sur le site Internet, ça fait des années de cette histoire, et j'avais gardé le sentiment que ce serait un progrès effectivement, ce serait une évolution que d'avoir recours à l'euthanasie. Ça n'a pas été une histoire qui a duré des années, ça a duré 10 jours, mais c'étaient 10 jours qui m'ont laissé un profond sentiment de culpabilité qui ne s'atténue pas avec les années. Alors, au moment de remplir le formulaire, je crois que j'ai surtout montré que j'étais favorable à l'euthanasie, mais, depuis que j'ai décidé de venir ici et d'essayer de m'adresser à vous, j'ai réalisé que ce n'était pas nécessairement la solution, que l'indignité de la mort de ma mère n'avait pas à voir avec le fait qu'il aurait fallu accélérer sa mort, mais il aurait fallu au moins qu'elle ait accès à un statut d'agonisant, au moins que sa famille ait accès à une écoute de la part du personnel médical. Je pense qu'elle avait droit à un traitement de première classe au moins pendant les 10 derniers jours de sa vie et que ce n'est pas du tout ça qu'elle a reçu.

Alors, ce que je pense que je viens vous demander ici, c'est que cet aspect-là change, que les agonisants soient reconnus quand ils arrivent à l'hôpital, qu'ils aient ce statut, qu'ils aient cet accès à la dignité, si vous voulez, et que cette dignité, ce n'est pas de se faire nourrir quand on ne peut plus avaler, ce n'est pas d'être tout nu dans la foule, ce n'est pas de mourir sans que personne ne s'en aperçoive, ce n'est pas de ne même pas avoir accès à un lit. Je pense que c'est ça qu'il faut changer. Puis il faut que le personnel médical qui a le privilège d'approcher les mourants soit le personnel le plus expérimenté, le personnel le plus compétent et non pas les tout jeunes qui ont de l'expérience à prendre, qui ne savent pas encore trouver une veine et puis qui pourraient faire cette expérience-là sur les gens qui ont encore un espoir de vie devant eux. C'est ce que j'ai à dire.

Le Président (M. Kelley): Merci infiniment, parce que, je pense, vous avez compris le sens de notre commission, qui est vraiment regarder toutes ces conditions en fin de vie. Votre témoignage cet après-midi rend hommage à votre mère parce que c'est les moments les plus sensibles dans nos vies. Vous avez évoqué le décès de votre mère il y a 23 ans. Moi, les éléments entourant le décès de mes parents sont les choses qui sont toujours très fraîches dans ma mémoire, malgré le fait que ça fait quelques années de ça. Alors, merci beaucoup pour votre contribution à notre réflexion, parce que c'est toutes ces questions que vous avez soulevées entourant la fin de la vie qui sont au coeur du mandat de la commission.

Sur ce, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 19 h 30. Merci beaucoup encore une fois, Mme Boisselle.

(Suspension de la séance à 17 h 57)

 

(Reprise à 19 h 31)

La Présidente (Mme Hivon): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Alors, on reprend nos auditions avec un mémoire qui est présenté par la Coalition humaniste des étudiants en médecine, avec Mmes Laurence Normand-Rivest et Marie-France Savard qu'on a déjà vues assister à nos travaux dans notre première semaine.

Alors, vous avez un temps de parole pour votre présentation d'une vingtaine de minutes, suivi d'une période d'échange avec les membres d'une quarantaine de minutes. Alors, la parole est à vous.

Coalition humaniste des
étudiants en médecine

Mme Normand-Rivest (Laurence): Bonsoir, Mme Hivon, Mme Laplante, tous les membres de la commission. Je me présente, Laurence Normand-Rivest, je suis une étudiante en médecine en quatrième année à l'Université de Montréal. Je suis accompagnée par Marie-France Savard qui est une étudiante dans le même programme en deuxième année. Nous vous adressons la parole ce soir au nom d'un groupe d'étudiants en médecine vivement préoccupés par la demande du droit à l'euthanasie faite par des individus et des regroupements québécois.

Clarifions d'abord ce qu'est l'euthanasie. C'est l'acte de provoquer la mort d'un être humain à sa demande, c'est-à-dire le tuer en vue de soulager ses souffrances. La commission Mourir dans la dignité étudie actuellement les arguments pour et contre l'éventualité d'inclure l'euthanasie parmi les actes médicaux afin de ne pas imposer de sanction aux médecins qui enfreindraient ainsi l'article 241 du Code criminel selon lequel est coupable d'un acte criminel quiconque aide ou encourage quelqu'un à se donner la mort.

En tant que futurs médecins, nous refusons que l'euthanasie soit définie au Québec comme un acte médical. En effet, le médecin est un soignant. Sa mission auprès des malades est de leur offrir des soins appropriés en vue de les guérir ou d'améliorer leurs conditions s'ils souffrent de maladies chroniques ou incurables. J'insiste ici sur ce point, il aide à mieux vivre. C'est précisément parce qu'il a le rôle de soignant que la population le respecte au point tel que le médecin serait le seul être humain à recevoir l'autorisation d'en tuer un autre advenant qu'il pratique l'euthanasie, même si d'autres professionnels tels que le pharmacien ou l'infirmière auraient les connaissances pour doser et injecter des substances létales. Tuer ne peut pas être une tâche du médecin parce que c'est un acte contraire à son rôle de soignant qui lui attire la confiance de la société. Tuer, c'est le rôle du bourreau dont le peuple canadien s'est heureusement départi en même temps que la peine de mort.

De plus, le progrès médical dans les soins en fin de vie a amené des avancées énormes. La douleur physique est bien soulagée pour le plus grand nombre. Comme Dr Patrick Vinay l'écrit, la morphine est un médicament sécuritaire qui apporte un confort aidant à prolonger la vie si elle est bien utilisée. Et, en ultime recours, si on n'arrive pas à maîtriser la douleur, on peut utiliser la sédation palliative, qui consiste à endormir le patient comme lorsqu'on administre une anesthésie avant une chirurgie, ou la sédation terminale, où le patient est endormi, et ce, jusqu'à sa mort. C'est donc totalement différent de l'euthanasie qui consiste à provoquer intentionnellement la mort du patient.

Le progrès médical a aussi amené des solutions disproportionnées à certaines conditions. M. Kelley a rappelé, hier, le cas présenté par Dr Desbiens. Il s'agissait d'un homme de près de 80 ans qui avait eu un arrêt cardiorespiratoire, c'est-à-dire qu'il était mort, et qui avait été réanimé. Il était en coma profond et ses chances de survie étaient extrêmement faibles. On lui avait mis un tube pour lui permettre de respirer et Dr Desbiens l'a finalement retiré. M. Kelley a dit, hier, que c'est la même intention lorsqu'on arrête un traitement extraordinaire, comme c'était le cas ici, que lorsqu'on injecte une substance létale. J'insiste ici sur un point: dans le premier cas comme celui du patient du Dr Desbiens, le patient meurt de sa maladie contre laquelle on arrête de s'acharner avec des mesures extraordinaires; dans le second, on commet un homicide. C'est la même distinction qui existe entre le noir et le blanc.

Rappelons que le progrès médical ne peut faire abstraction complète de la tradition et de l'éthique. Au contraire, il serait complètement déraisonnable d'opposer le progrès aux fondements éthiques de la médecine, ce qui signifierait que la pensée moderne n'a aucun fondement valable et que tout doit être constamment détruit et refait.

Le serment d'Hippocrate, à l'origine de l'éthique médicale, a comme point de départ primum non nocere. L'euthanasie serait une insulte profonde à ce fondement commun aux sociétés démocratiques, tel que nul ne peut porter atteinte à la vie d'autrui.

D'ailleurs, la loi ne peut suffire à encadrer d'une manière juste le pouvoir de tuer. Anne-Marie The, entre autres, une avocate et anthropologue qui est experte du sujet de l'euthanasie, insiste sur le fait que la réalité de la pratique de l'euthanasie aux Pays-Bas diffère parfois de la loi, et que certains règlements sont contournés. Par exemple, un vendredi soir, un médecin n'a pas pu avoir la seconde opinion d'un autre médecin et il a quand même euthanasié le patient.

Nous avons aussi pu lire l'article du Dr Antoine Boivin, médecin et candidat au doctorat au Scientific Institute for Quality of Healthcare, dans La Presse du 4 octobre 2010, qui atteste, et je cite, «qu'aux Pays-Bas [...] dans 19 % des cas d'euthanasie, le médecin a administré un médicament provoquant la mort sans que le patient en fasse la demande, et parfois sans discussion préalable avec la famille ou un collègue».

Je vais maintenant prendre quelques minutes pour vous raconter les derniers jours de ma grand-mère, décédée en février dernier d'une tumeur au cerveau qu'on appelle le glioblastome multiforme. Ma grand-mère Lucette, c'était une femme très belle, pleine d'énergie. Elle s'est présentée à l'hôpital, il y a un an, pour ce qu'elle croyait être une mauvaise grippe, et on lui a annoncé qu'elle avait le cancer et qu'il ne lui restait plus que trois mois à vivre. On lui a expliqué qu'elle allait graduellement perdre toutes ses fonctions une à une jusqu'au jour où elle perdrait même la capacité de respirer. Le deuil pour elle de nous laisser était très souffrant. Elle pleurait à chacune de nos visites, elle pleurait tant. Un jour, elle a invoqué le nom de Michel, celui qui ne pourrait pas la visiter. Michel était son fils le plus jeune. Il s'est suicidé il y a cinq ans. Elle qui l'avait mis au monde, qui en avait eu soin, qui l'avait vu grandir, devenir un homme, elle aurait tant voulu ce qu'un coeur de mère désire le plus: que son enfant vive et qu'il aime la vie.

Je me rappelle ma dernière visite à ma grand-mère. Lucette ne pouvait plus me parler, elle ne pouvait que me regarder avant ses grands yeux pleins de tendresse. Je lui parlais et je l'aidais à manger ses yogourts glacés préférés. À la fin, ma mère lui a dit qu'elle me ramènerait et elle s'est exclamée: Ah oui! Ramène-la-moi. Elle qui avait tout perdu avait, en fait, gardé l'essentiel: le désir d'aimer.

Chers députés, ce que nous devons nous demander, c'est si nous sommes fidèles à nous-mêmes face à la question de l'euthanasie. D'une part, il nous est proposé la vision utilitariste selon laquelle la personne perd sa valeur en tombant malade et ainsi doit être supprimée. D'autre part, il y a le regard que Lucette a posé sur son fils Michel. Qui peut vraiment répondre à notre désir de dignité lorsque nous nous trouvons face à la mort? L'analyste ou celui qui aime? Je cède la parole à Marie-France.

**(19 h 40)**

Mme Savard (Marie-France): Bonsoir. Alors, que signifie mourir dans la dignité? Le fruit de mon humble expérience m'a montré que la dignité humaine ne peut être mise en valeur que par le dévouement accordé à nos proches et à nos patients. Avant d'entrer en médecine, j'ai fait un baccalauréat en biochimie car, à cette époque, je trouvais la profession de médecin très noble, mais elle ne m'interpellait pas. Toutefois, j'ai eu la chance d'effectuer trois stages dans un laboratoire de recherche pour le cancer du sein, ce qui m'a permis de prendre conscience de la valeur de la vie et du rôle primordial du médecin auprès des personnes atteintes de maladies incurables.

Mais c'est surtout à travers l'expérience vécue auprès de mon grand-père atteint de démence pendant 10 ans que j'ai développé une véritable passion pour cette profession. En effet, à l'âge de 76 ans, le médecin a diagnostiqué chez mon grand-père une démence mixte, c'est-à-dire vasculaire et alzheimer. Petit à petit, mon grand-père a cessé toutes ses activités. Il passait ses journées assis sur une chaise à attendre. Lorsque nous allions souper le dimanche chez mes grands-parents, cela devenait de plus en plus difficile car je ne savais pas quoi dire à mon grand-père et je ne savais pas comment agir avec lui. De plus, la tâche devenait très lourde pour ma grand-mère, qui n'était plus très jeune, car elle devait s'en occuper comme s'il était un enfant. À l'âge de 85 ans, son état s'est grandement détérioré lorsqu'il a fait un infarctus. Il a été de retour pendant environ huit mois à la maison et, à la suite d'un autre incident, ma grand-mère n'était plus en mesure de s'en occuper. Elle a alors dû le laisser aux soins de l'hôpital et du centre d'accueil. Je tiens toutefois à préciser qu'elle allait le visiter presque à chaque jour pour s'assurer que tous ses besoins étaient comblés.

J'ai accompagné quelques fois ma grand-mère à l'hôpital et au centre d'accueil. C'était à chaque fois très difficile de voir mon grand-père cloué à son lit d'hôpital, qui fixait le mur. Et puis, j'avais toujours le même problème: Comment me comporter avec mon grand-père atteint de démence, qui ne me reconnaît plus? Lors d'une des visites, je me suis approchée de lui, je l'ai salué, je l'ai embrassé et je me suis assise à côté de lui sur le lit d'hôpital. Je l'ai regardé dans les yeux et je lui ai souri, et il a simplement souri à son tour. À cet instant, j'ai compris que, malgré la maladie, le coeur de mon grand-père était resté le même et qu'il était comme le mien. Le vrai problème était qu'auparavant je ne le regardais plus de la même manière, alors que mon grand-père était toujours la même personne. Son identité et sa valeur n'étaient pas réduites à sa maladie.

Tout d'abord, je peux affirmer que, par l'entremise de sa maladie, mon grand-père m'a fait don d'une vocation, une vocation dont le point de départ est un réel intérêt pour la personne. En effet, lorsque je suis allée passer mon entrevue pour être admise en médecine, j'avais la certitude que j'étais à ma place et que j'exercerais ma profession pour les bonnes raisons, c'est-à-dire pour servir des hommes et des femmes, les guider et les accompagner dans le moment de leur vie où ils sont les plus vulnérables. Mon grand-père est mort une journée après que j'aie passé mon entrevue. À sa mort, il était en détresse respiratoire et les médecins ont dû lui administrer une sédation pour soulager ses souffrances. Ce n'est pas la morphine qui a tué mon grand-père, c'est bien sa maladie. Je tiens à préciser que, contrairement à la croyance populaire, la sédation n'est pas synonyme d'euthanasie.

D'autre part, cette expérience m'a permis de comprendre que la peur face à la déchéance d'un être cher sera toujours présente car à travers cette dernière est projetée la fragilité de la vie et par le fait même notre propre déclin est anticipé. Toutefois, lorsque nous vivons pleinement une expérience humaine, nous ne nous arrêtons pas à cette peur. Nous essayons de l'affronter et d'en sortir grandis. Ainsi, la souffrance, lorsqu'elle est vécue accompagnée par le soutien de ses pairs, met en valeur la dignité humaine. En effet, la compassion et l'amour vrai pour l'autre, qui est mis à nu dans ces circonstances, sont à leur apogée. Quelle plus belle déclaration d'amour que de soutenir une personne qui agonise et d'être présent pour elle. Je peux donc affirmer avec certitude que mon grand-père, malgré son état débilitant en fin de vie, est mort dans la dignité car ma grand-mère et ma famille sont restées à ses côtés pour répondre à ses besoins fondamentaux. C'est un des plus beaux exemples de courage, de générosité et d'amour vrai pour l'autre dont j'ai été témoin. Le rôle de la personne qui accompagne le mourant est de reconnaître sa valeur, de reconnaître qu'il est toujours le même et qu'il peut toujours connaître le bonheur. Si on le tue, on lui enlève sa dignité, car il n'y a plus d'être humain, et, pire, en lui disant qu'on le tuera, on lui enlève tout espoir.

Par ailleurs, les partisans de l'euthanasie et du suicide assisté affirment à tort que le respect de la dignité n'est accompli que si le droit à l'autonomie est respecté en tout temps. L'utilisation bête du droit à l'autonomie comme seule condition sine qua non à la dignité humaine est complètement erronée.

D'une part, la dignité humaine doit être considérée comme intrinsèque à la personne et non en fonction des circonstances dans lesquelles cette personne se trouve. Elle définit une manière d'être propre à l'homme et ne peut être réduite qu'à une aptitude à contrôler sa vie, d'autant plus que la mort n'est pas un choix. Comment peut-on avoir la prétention de parler d'autonomie face à la mort?

Le droit à l'autodétermination a pris une telle ampleur dans notre société qu'elle supplante petit à petit le respect de la vie. En effet, l'euthanasie est une solution qui va de pair avec notre société ancrée dans l'individualisme et la performance. Toutefois, elle ne constitue pas une évolution en soi. Voulons-nous vraiment performer à notre mort? Et, si la mort est un choix, pourquoi investissons-nous dans les campagnes de prévention contre le suicide?

En définitive, la médecine est un art qui combine une passion pour la personne et pour les sciences, son objet est la personne dans toute son intégralité, et sa méthode est la science. La médecine s'exerce à condition qu'il existe un lien de confiance entre le médecin et le patient qui repose sur les principes de bienfaisance et de non-malfaisance. En légalisant l'euthanasie et le suicide assisté et en rendant le corps médical effecteur de ces pratiques, on affaiblira les fondements de la médecine moderne. Merci.

La Présidente (Mme Hivon): Merci beaucoup pour votre présentation. Alors, on va commencer les échanges avec Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, bienvenue à vous, Mmes Normand-Rivest et Savard. Vous êtes tellement jeunes. Vous allez bientôt être médecins, alors félicitations parce que le Québec en a besoin, de personnes dévouées comme vous qui allez... Votre vie va être au service de vos patients, ça, je suis certaine, et je veux vous féliciter d'être ici aussi, ce soir, pour participer à ce débat de société qui est très important, comme vous l'avez mentionné dans vos écrits.

Mais, vous savez, on est ici aussi pour mettre les opinions en opposition, alors, vous savez, on a rencontré beaucoup de gens, on est allés déjà dans d'autres villes. Nous nous sommes déplacés à Trois-Rivières et Québec, et, à Québec, une jeune femme de 32 ans est venue nous voir, elle s'appelait Laurence. Et Laurence souffre d'ataxie de Friedreich. Elle est venue nous voir avec son fauteuil roulant, puis elle a lu un texte avec beaucoup de difficultés, parce que vous connaissez cette maladie dégénérative. Elle avait beaucoup de difficultés aussi à tourner les feuilles de son texte. Elle a lu son texte avec autant de conviction que vous venez de le faire.

Vous avez dit tout à l'heure, Mme Normand-Rivest, qu'être un médecin, c'est aider à mieux vivre. Et, pour Laurence, de lui permettre de mettre fin à ses jours, pour elle, c'était une porte de sortie et c'était justement une façon de lui permettre de mieux vivre. Parce que, pour elle, si on légalise le suicide assisté, elle nous a dit que cela allait lui donner une meilleure qualité de vie parce que ça lui donne confiance qu'un jour, quand elle en aura assez, elle pourra mettre un terme à sa vie.

Alors, vous, j'aimerais savoir qu'est-ce que vous diriez à Laurence si elle était ici avec vous.

Mme Normand-Rivest (Laurence): Moi, je comprends ce que Laurence a pu exprimer, il y a déjà une patiente qui me l'a dit aussi, qu'elle avait l'intention de se suicider. Je voudrais juste préciser une chose par rapport à qu'est-ce que vous avez dit. Je pense que c'est faux de dire que l'euthanasie peut aider à mieux vivre, hein, on s'entend ici, il y a une distinction fondamentale entre la vie et la mort.

Mme Gaudreault: Ça, ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est Laurence. Je faisais juste rapporter les propos de Laurence.

**(19 h 50)**

Mme Normand-Rivest (Laurence): Oui. Mais je vous le dis à vous, là, quand on dit que la mort fait partie de la vie, là, c'est faux. Soit on est vivant, soit on est mort, il n'y a pas de zone grise entre les deux. Donc, moi, Laurence, c'est sûr que j'aimerais l'aider à mieux vivre.

Je vais vous raconter ce qui m'est arrivé à l'urgence quand j'ai fait mon stage d'oncologie. Il y avait une femme, là, vraiment magnifique, un grand coeur. Elle avait un cancer du côlon. C'était une journée où est-ce qu'on était débordés, parce qu'il n'y avait aucun résident, ils étaient tous en train d'étudier pour leurs examens, ils avaient pris congé cette semaine-là. Puis il y avait seulement un patron et moi qui couvraient le département d'oncologie. Moi, je suis seulement une petite externe. Quand je suis arrivée à l'urgence, que j'ai vu cette femme-là qui m'a dit, comme: Je n'en peux plus, là. La résidente qui est passée avant toi m'a donné du KCl dans les veines. Je lui avais dit que ça allait me brûler, ça ne l'a pas dérangée plus qu'il faut, elle est partie, c'est tout. J'ai été laissée sur une civière d'hôpital toute la nuit. Je ne vois pas comment je peux continuer comme ça, là. Sincèrement, je suis en train d'envisager de prendre un vol pour la Suisse, puis d'en finir là.

Donc, j'ai vraiment pris deux heures pour discuter avec elle. Moi, j'étais profondément émue par qu'est-ce qu'elle m'avait dit. Puis, à la fin de la discussion, ce qu'elle m'a dit, c'est que, si tout le monde était comme moi, elle n'aurait pas eu cette pensée-là. Elle, son fils était conjoint de fait avec un autre homme qui avait le cancer, il était débordé par cette situation-là. Il y avait juste une tante très vieille qui lui faisait faire son voyagement entre l'hôpital et chez elle. C'est une patiente qui prenait zéro milligramme de morphine: elle n'avait aucune douleur physique, là, rien. Mais la solitude, elle lui pesait tellement fort, il n'y avait personne qui était là pour poser le regard sur elle que, moi, j'ai posé simplement en l'écoutant pendant deux heures de temps puis en voyant son humanité, en la reconnaissant. La dignité, elle a pu la reconnaître à travers le rapport avec quelqu'un qui la considérait pour qu'est-ce qu'elle était, dans toute sa beauté, dans toute sa grandeur humaine.

Mme Gaudreault: Alors, vous croyez que... si vous passiez du temps avec Laurence, qu'elle pourrait changer d'idée?

Mme Normand-Rivest (Laurence): Moi, Laurence, si je l'avais devant moi, je pense que je lui dirais qu'est-ce que je n'ai pas pu dire à mon oncle, qui pensait, lui aussi, que se suicider, ça allait répondre à... pas que ça allait répondre, mais que c'était une porte de sortie pour tous les désirs qu'il avait qui étaient non comblés. Il avait l'impression que sa vie, c'était du gaspillage. Moi, ce que j'aurais voulu dire à mon oncle, avant qu'il utilise un fusil pour se tuer, ça aurait été: Mais tu ne sais pas que, toi, tu es aimé. Tu ne sais pas que, toi, tu es tellement beau, que tu es aimé comme tu es, peu importe si tu es en dépression, si tu ne fais plus rien, si tu n'es plus capable d'aller travailler, peu importe si tu as une ataxie qui te limite aussi dans tes activités.

Mme Gaudreault: Merci.

La Présidente (Mme Hivon): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, Mme la Présidente. Alors, d'abord faire écho à des commentaires de ma collègue de Hull. D'abord, dire: Félicitations d'être déjà des étudiantes en médecine, mais d'être engagées également puis d'être ici devant nous. Moi, je suis de l'autre côté, je pose les questions puis, des fois, je me trouve très nerveux. Alors, j'admire beaucoup votre calme de l'autre côté où vous avez l'obligation de répondre à nos questions.

Je pense que c'est une question qui est très, très complexe. Et je pense que, dans la mesure du possible, on essaie... tout le monde, parce que nous sommes des êtres humains, nous avons nos valeurs, nous avons l'enseignement que nous avons reçu dans nos maisons, dans nos cultures, etc., et nous arrivons, et nous essayons de garder l'esprit ouvert et d'écouter. Et, honnêtement, c'est une question qui est tellement complexe que, je dois vous dire, le terme «erronée», dire que quelqu'un qui est venu ici se confier et témoigner devant nous, parler d'une situation difficile, honnêtement, j'ai de la misère à simplement dire: La personne est erronée. Je pense que les gens sont venus devant nous, ils ont témoigné de bonne foi, il y a différents côtés de la médaille. Et c'est une question qui est extrêmement, extrêmement complexe, c'est difficile de simplifier cette question-là. Alors, utiliser le terme «erronée», des fois, c'est juste... Je voulais faire ce commentaire-là, parce qu'on a tellement entendu des personnes et on veut respecter tout le monde qui vient devant nous.

Vous êtes des futurs médecins. Il y a des médecins qui sont venus nous dire qu'aujourd'hui, malgré le fait que l'euthanasie est illégale, il y a de l'euthanasie qui se pratique dans notre réseau de la santé. J'aimerais savoir comment vous réagissez, rapidement, à ce commentaire-là, sachant qu'aujourd'hui vous avez fait l'énumération évidemment des dispositions du Code criminel. Vous, vous dites quoi? Il y a des confrères expérimentés qui sont venus nous dire que ça se passe, ça existe, aujourd'hui. Ils n'ont peut-être pas élaboré beaucoup, beaucoup, là, mais, vous, vous réagissez comment, qu'est-ce que vous dites de ce commentaire-là?

Mme Normand-Rivest (Laurence): Bon, ce qu'on voit, là, dans notre enseignement à l'université, dans les hôpitaux universitaires à Montréal, c'est que ça ne se pratique pas. Donc, je ne sais pas ils sont où exactement, ces médecins-là. Vous avez entendu notre position. S'il y a des abus qui se font en ce moment, si l'euthanasie est pratiquée en ce moment dans certains centres, il faut que ça arrête maintenant.

M. Sklavounos: Il y a des gens qui sont venus témoigner, et je vous avoue que j'ai challengé ces personnes également, parce qu'il y a des gens qui sont venus nous dire que, si on sort l'euthanasie de sa cachette puis on la met sur la table au lieu de la laisser sous la table, en balisant puis en mettant des conditions, on aura plus de garanties qu'il n'y aura pas d'abus que lorsqu'on nous dit: Ça se passe mais aujourd'hui sans balises. C'est encore plus difficile de détecter puis d'éviter les abus. Et j'ai challengé ces personnes en disant: Aujourd'hui, la règle est claire, et vous dites que ça se passe malgré le fait que la règle est claire.

Est-ce que, vous, vous trouvez du mérite dans l'argument que mettre sur la table quelque chose qui peut-être... Là, vous n'en avez pas vu, vos enseignants vous disent que ça ne se fait pas, vous n'en avez pas vu devant vous. Mais, disons que c'est vrai, que ça s'est fait ou ça se fait, peut-être pas couramment, là, mais, disons que c'est vrai. Trouvez-vous que, si jamais tel est le cas, on est mieux d'avoir des règles claires, des balises, mettre ça sur la table, pour qu'on puisse assurer ou s'assurer qu'il n'y a pas d'abus? Est-ce que vous trouvez qu'il y a du mérite dans cet argument-là?

Mme Normand-Rivest (Laurence): Non. Parce qu'un abus, c'est un abus de trop. Vous avez vu ce que le Dr Boivin, qui est quand même un étudiant au doctorat aux Pays-Bas, a dit à propos du pays dans lequel il fait son doctorat en santé publique, c'est-à-dire que dans 19 % des cas le patient n'a pas donné son avis au préalable, il n'y a pas d'autres collègues qui ont été consultés ni la famille. Donc, on parle d'un pays où ça a été décriminalisé, les Pays-Bas. Mais peu importe, qu'il y en ait 19 % ou qu'il y en ait 0,1 %, pour moi, un abus, c'est un abus de trop.

M. Sklavounos: Une dernière question, je sais que mon collègue de Marquette veut vous poser une question. Puis je comprends votre argument parce que, lorsque j'ai eu à débattre de différentes questions dans ma vie, et une, c'était sur la question de la peine capitale -- moi, je suis criminaliste de formation -- c'était souvent un argument qui revenait, des gens qui étaient contre évidemment, on disait: Si on fait une erreur à un moment donné, la personne est partie, bien mieux de se tromper puis laisser une personne vivante que se tromper et tuer une personne ou imposer la peine capitale. Je comprends cet argument-là, je le saisis très bien.

Vous avez parlé un petit peu d'autonomie, vous avez parlé d'autonomie, et j'avoue que le débat est là. Autonomie versus une vision collective, bien commun, on peut l'appeler comme vous voulez, là, bien commun, vision collective, valeurs intrinsèques à la vie, mais c'est ces deux principes qui s'opposent ici. Et vous avez dit à un moment donné, et il y a d'autres personnes qui ont mentionné ces arguments: Il ne faut pas voir la vie d'une façon égoïste, ce n'est pas juste une question d'efficacité, etc. Et je vous entends bien. Mais l'autonomie est quand même consacrée, est consacrée dans notre droit. Juste à penser à l'arrêt de traitement, c'est clair dans notre droit, et ça, ça existe depuis très longtemps, ce n'est pas le Code civil qui a inventé ça, ça date de très, très longtemps, qu'une personne doit consentir à recevoir des soins. Si une personne ne consent pas à recevoir des soins, c'est une voie de fait même de toucher la personne, essayer d'y apporter des soins contre son gré. C'est une voie de fait, c'est un crime, même. Alors...

**(20 heures)**

Mme Savard (Marie-France): On est d'accord avec ça. On n'a jamais dit...

M. Sklavounos: Mais, si vous regardez ça, une personne... Vous allez être peut-être confrontées à la situation, vous allez être des médecins bientôt. Vous êtes déjà confrontées à des situations, vous êtes sur le terrain. La personne va vous dire: Je ne veux pas me faire soigner. Ce sera peut-être un témoin de Jéhovah, ça peut être un million d'exemples. Mais la personne vous dit: Moi, je ne veux pas que vous me touchiez, je ne veux pas que vous me soigniez, sinon je vais vous poursuivre. Je veux que vous me laissiez mourir. Vous, vous avez une obligation, là, et vous le savez. Puis c'est clair, ça, je suis convaincu, ils vous l'ont enseigné également, que, lorsqu'une personne manifeste clairement le désir de ne pas être touchée, de ne pas être soignée, vous êtes obligées de cesser de traiter. Et vous savez ce qui va se passer dans cette situation-là. C'est que la personne va mourir. L'autonomie, là, c'est... C'est un exemple d'autonomie. L'autonomie n'est pas étrangère. Et je comprends votre point de vue, mais de minimiser à ce point-là l'autonomie de la personne, je pense, c'est difficile à faire parce qu'elle est consacrée là-dedans. Puis de la même façon qu'on respecte l'autonomie de ne pas recevoir des soins... Il y a d'autres personnes, évidemment, qui nous demandent de l'amener plus loin. Le débat est là. Mais dire que l'autonomie n'est pas importante... Elle est là. Comment réagissez-vous à ça?

Mme Savard (Marie-France): Bien, oui. Premièrement, on n'a jamais dit que l'autonomie n'était pas importante. On a dit qu'il ne fallait pas réduire la dignité humaine à l'autonomie de la personne, parce que d'un point de vue éthique ce n'est pas seulement... Il y a plusieurs concepts éthiques, dont la bienfaisance, la non-malfaisance et l'autonomie, et c'est des concepts qui doivent être considérés de manière égale. Donc, moi, dans mon argument, j'affirme qu'on ne peut pas opposer la dignité humaine et l'autonomie, que la dignité humaine, elle est intrinsèque à la personne, donc elle ne peut pas être réduite à l'autonomie.

Concernant l'arrêt des traitements, moi, dans mon exemple, je ne l'ai pas souligné, mais mon grand-père a fait le choix de cesser ses traitements. À la fin de sa vie, il n'était plus traité. Par exemple, à un moment donné, il est devenu jaune. Donc, il avait probablement un cancer, puis on ne l'a jamais traité, on n'a jamais investigué. Puis c'est sa décision. Lorsque les patients prennent cette décision-là, c'est souvent une décision qu'ils ont longuement... Ils ont réfléchi et ont leurs raisons, qui sont des bonnes raisons, des raisons valables. Les patients bien sûr savent ce qui est bon pour eux dans l'arrêt de traitement, et ils ont des raisons valables d'arrêter un traitement. Mais l'arrêt de traitement, ce n'est pas synonyme d'«euthanasie», on s'entend.

Mme Normand-Rivest (Laurence): M. Sklavounos, est-ce que vous me permettez d'ajouter quelque chose?

M. Sklavounos: Allez-y. Oui, oui, absolument.

Mme Normand-Rivest (Laurence): Oui. O.K. Mais Marie-France et moi, on ne minimise pas du tout l'autonomie, hein? Moi, je pense que l'autonomie, c'est une caractéristique fondamentale de l'être humain. C'est ce qui nous permet de faire des choix en vue d'être libres. Par rapport aux gens qui veulent se suicider, leur autonomie les mène à se détruire eux-mêmes. Donc, il n'y a plus d'être humain, il n'y a donc plus de liberté. Il n'y a plus de raison d'être de l'autonomie. C'est pour ça que notre société s'oppose au suicide.

M. Sklavounos: Je vous entends bien. Je vais juste... Je vais céder la parole à mon collègue de Marquette. C'est juste que vous venez de faire l'argumentaire, lorsque vous parliez de l'autonomie de cessation de traitement... que des gens font exactement le même argumentaire pour demander l'euthanasie ou le suicide assisté. Je veux juste vous faire remarquer que certains de vos arguments... Et, je veux dire, c'est textuellement la même chose que certains nous disent. Je veux juste vous faire remarquer ça, tout à l'heure. Mais je vais céder la parole à mon collègue de Marquette.

La Présidente (Mme Hivon): M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Il me restait quatre minutes. Il me reste combien de temps?

La Présidente (Mme Hivon): Il vous reste trois minutes.

M. Ouimet: Trois minutes. Alors, tout comme mes collègues, bravo pour votre engagement et félicitations, également. Vous nous présentez votre point de vue avec beaucoup, beaucoup de conviction. Votre témoignage reflète les valeurs qui sont les vôtres, qui sont partagées par de très nombreux citoyens et citoyennes dans notre société et dans plusieurs autres sociétés.

Il y a une chose qui m'intrigue, cependant, et l'argument a déjà été soulevé par d'autres. Les valeurs que vous mettez de l'avant ne permettent pas le respect des valeurs de d'autres citoyens qui, eux, réclament le droit à l'autodétermination. Quelqu'un qui revendique le droit à l'autodétermination, les valeurs de cette personne peuvent cohabiter avec les valeurs des autres, d'un point de vue individuel. Personne ne va vous imposer des choix lorsque vous serez en fin de vie et que vous allez prendre les décisions qui seront les vôtres à ce moment-là. Alors, comment concilier ça que, dans le fond, lorsque vous nous livrez votre témoignage, ça ne laisse pas de place aux personnes qui auraient des volontés et des valeurs qui sont différentes des vôtres?

Mme Normand-Rivest (Laurence): Le droit à l'autodétermination, encore une fois, ou le droit à l'autonomie, c'est quelque chose qu'on valorise beaucoup. La seule chose, c'est que personne n'est une île. Je ne sais pas si, vous, vous l'avez connu dans votre famille, mais le Québec, c'est le troisième endroit au monde où il y a le taux de suicide le plus élevé, hein, après le Japon et la Finlande. Ça a des conséquences dévastatrices sur notre peuple. On ne peut pas dire que l'autodétermination de l'un, qui lui permet de se donner la mort, de se détruire, n'aura pas de conséquences sur toutes les personnes qui l'entourent et sur tout le peuple, en tant que tel, auquel il appartient.

M. Ouimet: ...juste le cas soulevé par ma collègue, le cas de Laurence.

Mme Normand-Rivest (Laurence): Oui.

M. Ouimet: J'entends votre discours, là, au point de vue de la prévention du suicide au Québec et ailleurs, là. C'est un discours avec lequel, je pense, nous adhérons tous. Mais le cas de Laurence, les valeurs que vous mettez de l'avant et que vous nous demandez de continuer à consacrer dans notre législation font en sorte que la volonté de Laurence ne peut pas s'exprimer. Elle ne peut pas atteindre son objectif de mettre un terme à son agonie.

Mme Savard (Marie-France): Le problème, c'est qu'on ne peut pas fonder notre espoir dans la mort. C'est ça, la question fondamentale. Comment vous voulez... Si votre enfant vous disait: Ah! bien, ce n'est pas grave, de toute façon, si tu es fatigué de vivre un jour, tu pourras mettre fin à ta vie. Tu ne peux pas fonder l'espoir dans la mort. C'est ça, le point central. C'est que, là, Laurence, en lui disant: Oui, tu as l'euthanasie, c'est beau, vis comme ça, puis, de toute façon, la journée où tu seras trop fatiguée de vivre avec ta maladie, tu pourras mourir, parce que de toute façon tu n'es pas assez... tu n'es pas importante, tu ne joues pas de... tu n'as pas ta place dans la société... C'est ça qu'on envoie comme message aux handicapés, aux personnes avec des maladies chroniques.

M. Ouimet: N'avez-vous pas l'impression que vous êtes en train de dire à Laurence ce qui est bon pour Laurence, alors que Laurence ne partagerait pas votre point de vue?

Mme Normand-Rivest (Laurence): Écoutez, nous, on ne peut pas être simplement spectateurs, froids, analystes devant quelqu'un qui nous dit qu'il veut se tuer. Moi, j'avais été profondément touchée quand M. Dion avait écrit, dans Le Soleil de Québec, en avril 2009, au ministre de la Santé Bolduc qu'il voulait l'euthanasie, parce que qu'est-ce qu'il invoquait, lui, c'est qu'il voulait qu'on reconnaisse sa dignité. Il dit... Justement, c'est le titre de votre commission, là, vous avez changé «le droit de mourir dans la dignité» pour «mourir dans la dignité». Ce qu'il veut, c'est d'être digne, et le suicide, ça ne pourra jamais répondre à ce désir-là.

Moi, ce que j'ai vu par rapport à ma grand-mère, vous vous rendez compte que, quand il y a un suicide qui se produit dans une famille, ça fait éclater la famille. Puis mon père, qui n'avait pas parlé à sa mère depuis au moins deux ans, ou bien, quand elle lui parlait, c'était une fois aux six mois pendant cinq minutes, quand il a su qu'elle était malade, il a commencé à rester à son chevet et il ne pouvait plus décoller de là. Il avait tellement... C'était quelque chose d'inexplicable, mais il y avait un mystère, là, qui se produisait dans la beauté dans laquelle elle se transformait, c'est-à-dire qu'il n'y avait plus rien qui restait sauf la tendresse.

Devant cette réalité-là, devant la beauté de ces personnes-là, nous, on ne peut pas rester juste spectateurs puis leur dire: O.K., allez-y, vous pouvez vous suicider. Nous, qu'est-ce qu'on veut leur dire, c'est qu'ils sont aimés. Ça ne pourra pas répondre à leur désir de se suicider.

**(20 h 10)**

La Présidente (Mme Hivon): Alors, Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, Mme la Présidente. Merci à toutes les deux de cette contribution au débat. C'est important. Bien sûr, vous êtes dans des études fort importantes pour l'avenir, pour votre avenir et pour l'avenir du Québec, mais en même temps, d'intervenir comme citoyennes dans un débat public, je pense que c'est aussi une contribution très importante.

Moi, j'ai une question. Prenons trois personnes en fin de vie, trois personnes en fin de vie atteintes de maladies incurables, qui vivent avec une douleur certaine qu'on a de la difficulté à enrayer, des personnes qui sont accompagnées par leurs familles, qui ont réglé les choses qu'ils avaient à régler.

Une personne décide que, les choses étant entendues avec la famille, les médecins, l'équipe médicale qui l'entoure ne pouvant estomper ses douleurs, dit: Bon, bien, la sédation terminale, on en est rendus là. Alors, les médecins acceptent. Elle s'endort, et finalement la mort vient la chercher.

La deuxième personne, elle, décide un arrêt de traitement puisque sa douleur n'est pas contrôlée. C'en est assez. Elle a le droit à l'arrêt de traitement. Elle demande l'arrêt de traitement. Après un certain nombre d'heures, elle meurt, elle part.

La troisième personne exprime le souhait que, comme sa douleur n'est pas estompée, qu'on n'est pas capable de l'enrayer, qu'elle va mourir de toute façon... elle demande l'euthanasie. On lui fait l'euthanasie, et elle meurt.

En quoi ces trois personnes sont différentes, leurs droits sont différents?

Mme Normand-Rivest (Laurence): Bon. Alors, dans les deux premiers cas, les personnes meurent de leur maladie. Dans le troisième cas, la personne meurt par un homicide. Je pense que c'est une distinction fondamentale. Dans notre société, basée sur des fondements qui datent de centaines d'années, voire de millénaires, on n'a pas le droit d'enlever la vie à une autre personne.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): À partir du moment où on retire un tube à une personne, où on donne une injection à une personne, pour les personnes qui viennent ici, ces trois états de situation, on les a vécus par des personnes qui sont venues témoigner ici... Quelques-unes envisagent la sédation terminale parce qu'elles vont aller en soins palliatifs, et ainsi de suite. Pour d'autres, ce sera l'arrêt de traitement, puis on a eu des témoignages de cette nature. Et d'autres nous disent: Moi, je demanderai l'euthanasie, quand, dans une situation, je ne peux plus... Dans les trois états, est-ce que ce n'est pas un peu de... je vais peut-être être dure, mais de jouer sur les mots que de consentir au fait qu'on va permettre à une personne d'agoniser pendant x heures? Elle est endormie. Elle ne peut plus contribuer, elle ne peut plus avoir d'échange avec sa famille. On va la mettre dans une situation d'agonie plutôt que de répondre à son droit ou au droit qu'elle se donne, en tout cas, qu'elle veut qu'il lui soit reconnu, de demander à mettre fin à ses jours puisqu'elle n'a plus aucune qualité de vie.

Mme Normand-Rivest (Laurence): Bon. Moi, je ne pense pas qu'on joue sur les mots ici, là. Dans une situation, la personne meurt de sa maladie. Moi, je connais très bien un oncologue qui a une pratique qui date de nombreuses années. Il lui est arrivé seulement une fois qu'il a dû donner la sédation terminale à un patient, parce que, dans ce cas-là, il n'avait pas réussi à bien contrôler la douleur avec tous les moyens qui nous sont offerts. Donc, on parle d'un patient sur je ne sais pas combien de centaines de patients qu'a cet oncologue-là. Donc, on parle d'un cas très isolé, hein, où la douleur est mal contrôlée. Dans ce cas-là, la personne va pouvoir continuer à vivre sans douleur et va finir par mourir de sa maladie. Dans le deuxième cas, on parle ici d'homicide, ce qui est fondamentalement contraire au coeur humain.

Là, je sais que, vous, vous n'êtes pas médecin. Vous ne serez pas confrontée à cette situation-ci. Mais, supposons que vous êtes médecin. Est-ce que vous pensez que ça correspond à votre coeur? Le coeur intelligent, je parle, qui combine la raison et l'affection. C'est ça, le coeur humain. Est-ce que vous pensez que ça correspond à votre coeur, de tuer un autre être humain? Non, ça ne correspond pas. Ce n'est pas ça qu'on désire pour notre vie. Ce n'est pas ça qu'on désire pour la vie des autres non plus. Et c'est pour ça qu'en tant qu'êtres humains vivant en société on a déclaré, il y a des millénaires, qu'on ne tue pas l'autre. Ça ne correspond pas à l'être humain.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Et quelle distinction vous faites avec celui qui enlève un tube respiratoire à une personne?

Mme Normand-Rivest (Laurence): Oui. Bon. Alors, Dr Desbiens, c'est ça, il est venu présenter un cas, justement, là, d'un patient qui était mort, hein? Il avait eu un arrêt cardiorespiratoire. Il avait près de 80 ans, un patient très malade. On l'a réanimé, je ne sais pas exactement pour quelle raison, et puis ensuite on l'a mis sous un tube. Alors, le Dr Desbiens a jugé que c'était une mesure disproportionnée à la condition de ce malade-là, qui était mort, qu'on a réanimé, qui était très malade. Il était dans un coma profond. On a enlevé la mesure extraordinaire, le traitement disproportionné.

L'acharnement thérapeutique, il n'y a personne qui veut ça ici, là. Alors, c'est ça, la différence. Ce patient-là, il est mort de sa maladie. Il était mort déjà quelques heures plus tôt. On l'a réanimé. Il est mort, là, O.K., de sa maladie, alors que dans le deuxième cas c'est nous qui tuons le patient. Nous commettons un homicide.

La Présidente (Mme Hivon): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, Mme la Présidente. Merci à vous deux pour votre témoignage éclairant dans la perspective que vous défendez.

Au cours des dernières semaines, on nous a parlé beaucoup... Et c'est revenu continuellement, autant chez les personnes qui défendaient le droit à mourir avec une assistance médicale que ceux qui s'y opposaient. On défendait dans tous les cas cette nécessité d'améliorer les soins palliatifs au Québec. Et un des constats qui revenaient, c'étaient les nombreuses lacunes au niveau de la formation elle-même des médecins. Et, ma foi, vous représentez le bon public pour vous poser la question. Est-ce que vous pouvez nous décrire un petit peu quelle est la place, dans votre formation à vous, au niveau des soins palliatifs, quelle est l'importance de cet enseignement-là?

On déplorait chez certains aussi le manque de formation au niveau du contrôle de la douleur. L'image forte qui a été retenue par certains médecins, c'est de dire que les étudiants en médecine vétérinaire, tout au long de leur cursus, ont plus d'heures de cours sur le contrôle de la douleur chez les animaux que les étudiants en médecine pour les humains. Donc, est-ce que vous pouvez nous faire un petit peu le portrait de la formation à laquelle vous avez droit comme étudiantes? Et peut-être nous dire, du coup, où vous en êtes dans votre parcours comme étudiantes. Est-ce que vous êtes à la fin du parcours, au début? Bref, si vous pouviez répondre, ce serait apprécié.

Mme Normand-Rivest (Laurence): Marie-France et moi, on est étudiantes. Moi, je suis externe. Je termine, cette année, mon cours de médecine. Et Marie-France est en deuxième année. Elle est encore au préclinique. La façon que ça fonctionne, par rapport au cours de pharmacologie et du contrôle de la douleur, c'est que tout au long de l'externat on a des cours qui vont couvrir chacun des systèmes. Puis, bon, moi, je n'en suis pas encore venue à la fin. À l'externat, on peut choisir de prendre un stage à option en soins palliatifs. Ce n'est pas un stage obligatoire. Et ensuite, moi, je me destine pour la médecine familiale puis j'aimerais ça faire des soins palliatifs aussi.

Alors, c'est mon choix si je veux faire une troisième année, par exemple, de résidence en soins palliatifs. J'ai le choix depuis quelques années de pouvoir le faire. C'est vraiment une minorité de médecins qui se dévouent aux soins palliatifs. Pour les autres, l'enseignement par rapport au contrôle de la douleur, il est donné. Peut-être qu'il n'est pas optimal. C'est sûr qu'on peut toujours améliorer l'enseignement. Mais l'université se doit de nous donner une formation générale tout au long de notre cours de médecine. Moi, en tout cas, de ce que j'ai observé, les médecins qui travaillent avec les patients en soins de vie ont vraiment une très bonne connaissance du contrôle de la douleur. C'est vraiment extraordinaire qu'est-ce qu'ils sont capables de faire.

M. Charette: Mais au niveau des soins palliatifs, au niveau de leur formation, c'est sur une base optionnelle uniquement. Donc, on peut compléter un parcours complet sans avoir eu de formation de base sur la notion de soins palliatifs.

**(20 h 20)**

Mme Normand-Rivest (Laurence): Bien, c'est-à-dire qu'on peut un peu voir ça comme une spécialité. Moi, en finissant ma résidence en médecine familiale, ce serait inapproprié que je me lance dans les traitements en oncologie. Vous comprenez ce que je veux dire? Les gens qui vont pratiquer les soins palliatifs, ils peuvent faire une troisième année de résidence ou ils peuvent faire des stages plus spécialisés auprès, justement, des spécialistes du contrôle de la douleur, qui sont les médecins en soins palliatifs.

M. Charette: Merci. Et tout à l'heure ma collègue de Hull vous a parlé d'un témoignage très touchant, celui de Laurence. Elle vous demandait d'essayer de concevoir une relation ou une interaction avec elle. Moi, je vous demanderais plutôt l'exercice contraire, c'est-à-dire de vous mettre dans la peau de Laurence ou encore de vous mettre dans la peau... Je pense aux différents cas que nous avons reçus au cours des dernières semaines, des derniers mois. Un qui nous a particulièrement touchés, au niveau de la commission, si ma mémoire est exacte, Mme Diane Gervais, aujourd'hui décédée, dame qui souffrait de la maladie de Lou Gehrig, qui était excessivement bien entourée. Elle avait enfants et conjoint extrêmement dédiés à son bonheur. Elle a convenu d'une date pour son décès, non pas qu'elle n'était plus sereine, non pas qu'elle n'appréciait pas la vie. C'est tout le contraire. Mais elle ne souhaitait pas vivre les dernières étapes qui l'attendaient. Et dans son cas bien précis c'était à quelques jours, sinon quelques semaines, du fameux syndrome du «locked-in», c'est-à-dire plus rien ne fonctionnait, pas même les yeux, à la limite, comme moyen de communiquer.

Comment inverser les rôles? Comment imaginer, dans votre cas, cette situation-là pour vous-même? Et c'est un petit peu la question que son fils nous a demandé de demander au plus grand nombre de personnes que nous allons rencontrer au cours des travaux de la commission, c'est-à-dire: Est-ce que vous accepteriez, vous, pour une année, deux ans, quatre ans, cinq ans... La fin, elle est inconnue, le moment est inconnu. Mais est-ce que vous accepteriez, pour une longue période de temps, d'être conscient de chaque instant, de chaque seconde, mais de n'avoir aucune possibilité d'interagir avec votre milieu? Vous entendez tout, vous entendez les gens se plaindre, être heureux à vos côtés, vous entendez tout, mais n'avez aucune possibilité de communiquer, pas même avec un clignement des paupières ni rien. Est-ce que c'est possible pour vous d'imaginer cette réalité et de comprendre un petit peu la volonté de cette dame-là de ne pas vivre ces derniers instants?

Mme Normand-Rivest (Laurence): La maladie dont vous parlez, c'est quelque chose, c'est sûr, que personne ne peut vraiment désirer pour sa vie. Mais, moi, j'ai seulement pu regarder le témoignage du journaliste, là, qui a écrit Le scaphandre et le papillon. Ou un autre témoignage d'un jeune homme en Grande-Bretagne. J'étais vraiment touchée, parce que, lui, bon, c'était un jeune homme très sportif. Il dépassait toujours les limites, vous savez. Puis il disait toujours: Moi, si je tombe dans un état pareil, s'il vous plaît, là, hein, vous finissez ça là. Puis, bon, ils pensaient qu'il était mort, ce monsieur-là. C'est un témoignage qui a été rendu public par la BBC récemment, il y a peut-être deux mois. Puis ils pensaient qu'il était mort, donc ils allaient enlever toutes les machines qui le gardaient en vie, mais finalement ils ont vu qu'il répondait aux ordres par le mouvement des yeux, puis il a pu exprimer sa volonté par le mouvement des yeux, un peu comme celui qui a écrit Le scaphandre et le papillon a pu faire. Il a écrit son livre par le mouvement des yeux. Puis il a dit comme: Non, vous me gardez ici, tu sais. Moi, je veux rester ici avec mes enfants.

Puis l'homme qui a écrit Le scaphandre et le papillon, peut-être que ce n'est pas ça qu'il désirait pour sa vie, tu sais. Il n'y a personne qui désire ça vraiment. Mais, pour lui, à ce moment-là, il a vu qu'il continuait à grandir dans son humanité. Il ne voulait pas mourir, hein, cet homme-là. C'est sûr qu'au début il était extrêmement en colère, extrêmement découragé, mais finalement il est mort d'une pneumonie. Mais, les minutes qu'il lui restait, les années qu'il lui restait, il les a goûtées en profondeur.

M. Charette: Je terminerai, pour ma part, avec un simple commentaire ou sinon une suggestion amicale pour vous, comme futures médecins, mais pour nous comme commission ou sinon pour nous comme société, attention au jugement. Ce n'est pas un reproche que je vous fais, mais tout à l'heure, dans votre présentation, vous avez posé la question: Est-ce que vous connaissez un médecin qui a du coeur et qui serait prêt à accompagner dans la mort, à travers une intervention médicale, des patients? On en a rencontré un certain nombre, de médecins, qui, à mon sens, avaient beaucoup de coeur et qui défendaient cette pratique-là, non pas par absence de sentiments, non pas, non plus, par absence de compassion, mais, eux, ils voyaient une occasion d'élargir, en quelque sorte, la gamme de services. C'est leur perception à eux. Je ne dis pas que c'est la mienne. Je ne dis pas que c'est celle de la commission. Mais ce sont des gens qui à travers leurs témoignages nous ont démontré qu'ils avaient beaucoup de coeur.

Et j'ai aussi en tête un témoignage reçu à Québec, tout juste après la présence de Laurence, justement. C'est une dame qui nous a beaucoup émus, comme députés, comme membres de la commission, et tout juste après il y avait un couple qui venait présenter sa position, qui était diamétralement opposée, qui défendait la vie à tout prix. Et c'est une conception qui se défend, qui est tout à fait légitime. Mais ils ont lu leur texte et continuellement, dans le texte, ils disaient: Ces gens manquent de courage. Et après coup, lorsqu'on a interagi avec eux, on leur a demandé: Écoutez, vous venez d'entendre le témoignage de Laurence. Est-ce que, pour vous, c'est encore un manque de courage? Est-ce que dans la volonté exprimée par Laurence vous avez le sentiment qu'elle manque de courage? Ils ont dit: Non. Avoir su... Si on avait entendu ce témoignage-là autrement, peut-être que notre position n'aurait pas changé, mais on aurait certainement employé d'autres termes pour décrire notre position.

Donc, attention. Autant pour vous que pour nous, attention au jugement. Je pense qu'on peut avoir du coeur, peu importe la position que l'on défend. Donc, c'est un commentaire, pour ma part, en guise de conclusion.

Mme Normand-Rivest (Laurence): Mais, M. Charette, juste une précision. Moi, j'ai dit que ça ne correspondait pas au coeur humain de tuer. Ça ne veut pas dire que ceux qui commettent des homicides n'ont pas de coeur. Je pense à un exemple qui est particulièrement significatif pour moi, du peintre le Caravage, qui était un meurtrier. Moi, j'ai rarement vu une expression d'une aussi grande humanité dans un tableau que dans les peintures du Caravage. C'est juste une distinction que je veux apporter ici.

M. Charette: Merci.

La Présidente (Mme Hivon): Bien, écoutez, merci beaucoup pour votre intérêt, pour votre présentation, pour votre implication. Alors, je pense que vous avez vu, de par le nombre de questions... Les gens se bousculaient pour vous poser des questions. Vous avez suscité beaucoup d'intérêt et beaucoup de réflexions. Alors, merci beaucoup.

Et je vais suspendre les travaux le temps que notre prochain groupe, la Coalition des médecins pour la justice sociale, prenne place.

(Suspension de la séance à 20 h 28)

 

(Reprise à 20 h 32)

La Présidente (Mme Hivon): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, nous allons pouvoir entendre notre prochain groupe, qui est la Coalition des médecins pour la justice sociale qui est représentée par son président, Dr Paul Saba.

Alors, M. Saba, dans un premier temps, je veux vous dire que notre président, M. Kelley, voulait qu'on vous transmette ses salutations parce qu'il ne peut être ici ce soir, malheureusement. Et vous disposez d'une vingtaine de minutes pour votre présentation, qui va être suivie d'une période d'échange de 20 minutes de chaque côté. Alors, vous pouvez commencer.

Coalition des médecins
pour la justice sociale

M. Saba (Paul): Merci bien. La Coalition des médecins pour la justice sociale est un organisme comprenant des médecins du Québec qui fait la promotion du système de santé public, universel et gratuit. Nous existons depuis 1998 et nous revendiquons pour l'amélioration de notre système de santé. Et nous voulons assurer que les plus vulnérables de notre société sont protégés.

La coalition, d'abord, s'interroge sur l'incohérence de la politique du Collège des médecins du Québec qui prétend protéger la santé et la vie des malades du Québec en appuyant le droit à l'euthanasie. Donc, comme toujours, je commence à attaquer mon propre collège. Donc, je me mets un peu sur la sellette.

Le Code de déontologie des médecins du Québec... Donc, en effet, j'appuie le Code de déontologie des médecins du Québec qui existe actuellement, et je cite plusieurs articles. Article 28: «Le médecin doit [...] obtenir du patient ou de son représentant légal, un consentement libre et éclairé.» Article 29: «Le médecin doit s'assurer que le patient ou son représentant légal a reçu les explications pertinentes à leur compréhension de la nature, [...] du traitement [...] qu'il s'apprête à effectuer. Il doit faciliter la prise de décision du patient et la respecter.»

Je vous parle des recherches et les articles que je vais citer. Je vais vous montrer que la recherche internationale démontre que les protocoles et les critères où l'euthanasie et le suicide assisté sont actuellement acceptés, que leurs propres protocoles ne sont pas respectés.

Dans le Journal canadien de l'Association médicale, le 15 juin 2010, sous le titre Physician-assisted deaths under the Euthanasia Law in Belgium, c'est une étude qui a démontré que un tiers des patients ont été éliminés sans leur consentement libre et éclairé. La majorité de ces patients avait plus que 80 ans, maladie autre que le cancer -- parce que souvent on pense que c'est les cancéreux qui veulent mourir -- et ceux-ci étaient, les autres, la grande majorité, hospitalisés.

Dans le British Medical Journal, de 2010, Reporting of euthanasia in medical practice in Flanders, Belgium, ils ont rapporté que un sur deux des cas des patients qui étaient euthanasiés n'étaient pas rapportés aux autorités, selon l'obligation que ça doit être fait.

Dans l'article British Medical Journal, le 24 septembre 2005, in The Dutch experience of monitoring euthanasia, la moitié des cas n'ont pas été déclarés et la majorité des cas étaient associés au manque de consultation avec un deuxième médecin. Ils ont un assisté de consultation d'un deuxième médecin, puis ils ne l'ont pas respecté, puis ils n'ont pas même déclaré ça aux autorités.

Dans le British Medical Journal, 2008, une étude en Oregon a démontré que 20 % des patients qui avaient accès au suicide assisté -- en Oregon, c'est le suicide assisté, pas euthanasie -- aucun de ces patients n'était référé pour une évaluation psychiatrique. Aussi, ça, c'est des patients déprimés, cliniquement déprimés, et ça, c'est un standard nécessaire pour assurer un consentement libre et éclairé, et c'est recommandé. Ce n'est pas obligé, mais c'est recommandé, en Oregon.

Il y avait un article, dans le Michigan Law Review, par Hendin et Foley, de 2008, Oregon Death with Dignity Act, c'était une révision, et ça note que la loi nécessite les critères suivants -- ça, c'est Oregon: Que les patients doivent savoir qu'il y a une possibilité d'avoir accès aux soins palliatifs. Malheureusement, seulement 13 % des médecins ont recommandé des consultations aux soins palliatifs.

J'ai déjà parlé des patients déprimés. Il y a un livre écrit pour les professionnels de la santé qui recommande que tous les cas de suicide assisté soient référés aux psychiatres. Seulement 4 % des cas étaient référés en 2006. Ça, c'est le dernier chiffre qu'on peut avoir.

La loi nécessite que le patient doit avoir moins que six mois à vivre. La majorité des médecins disent qu'ils ne peuvent pas... ils sont incapables de prévoir que le patient va vivre moins de six mois. C'est vraiment un coup de dés. En anglais, on dit «crapshoot».

En Oregon -- je vais montrer aussi qu'il y avait un manque d'encadrement -- en Oregon, les médecins n'ont pas assisté dans 88 % des décès, comme prévu dans la loi. Les informations, c'est difficile à avoir, il y a un manque de transparence dans le Oregon Public Health Division. Il n'y a aucune recherche ou évaluation indépendante, aucune vérification si les traitements étaient appropriés.

Il y a aussi des organisations qui font la promotion du suicide assisté et aident les patients pour trouver un médecin qui est prêt à prescrire le médicament pour mettre fin à la vie des patients. Donc, en effet, c'est du shopping pour trouver le bon médecin qui va prescrire le médicament fatal. Le dernier rapport en 1999 -- c'est le seul rapport qu'on peut avoir par les autorités d'Oregon -- mentionne que, dans 10 des 27 cas de décès par suicide assisté, les patients ont consulté un deuxième médecin et huit des 27 cas ont cherché un troisième ou un quatrième médecin pour recevoir la prescription nécessaire pour mettre fin à leurs jours.

En résumé, l'expérience en Oregon démontre que la majorité des patients n'ont pas donné un consentement libre et éclairé selon les standards de la profession médicale et tout le processus manquait de transparence.

**(20 h 40)**

Je veux citer le serment d'Hippocrate. La déontologie des médecins, qui date depuis des milliers d'années, est fondée sur le serment d'Hippocrate. Il nous oblige d'agir en toutes circonstances pour la vie de notre patient et constate: «Je dirigerai le régime des malades à leur avantage [...] je m'abstiendrai de tout mal[...]. Je ne remettrai à personne du poison -- et -- si on m'en demande, [je] ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion...»

Donc, le serment d'Hippocrate est une police d'assurance pour le patient, qui garantit que le médecin agira pour le guérir et non pour mettre fin à ses jours.

Si le médecin ne peut pas guérir le malade, il doit agir afin de soulager la souffrance. Article 58 du Code de déontologie des médecins du Collège du Québec dit que «le médecin doit agir de telle sorte que le décès d'un patient qui lui apparaît inévitable survienne dans la dignité. Il doit assurer à ce patient le soutien et le soulagement appropriés.»

Pendant les siècles, les patients ont souffert. À notre époque, nous possédons les outils nécessaires au soulagement de la douleur. Pourquoi aujourd'hui il y a un mouvement pour l'euthanasie et le suicide assisté pour accélérer le décès des patients, qui est en fait un meurtre ou un homicide prémédité?

Soins palliatifs. Suite au développement des soins palliatifs, le suicide assisté et l'euthanasie ne sont pas nécessaires pour soulager la souffrance des patients. C'est acceptable d'augmenter les doses d'analgésiques telles que la morphine et les autres coanalgésiques et médicaments sédatifs pour soulager la douleur. Les spécialistes en soins palliatifs ici, au Québec, ont développé un guide, Guide pratique des soins palliatifs, pour des patients souffrant de douleurs chroniques. La recherche a démontré que l'utilisation appropriée des médicaments contre la douleur n'accélère pas le décès des patients, même des patients en fin de vie. En effet, la recherche démontre que les patients qui reçoivent de la morphine n'ont pas de raccourcissement de longévité. Nous préconisons le développement des soins palliatifs à la formation des médecins plutôt que le suicide assisté ou l'euthanasie. Malheureusement, seulement 20 % des patients ont accès aux soins palliatifs au Québec.

Par exemple, au campus Lachine où je pratique, il nous manque quatre lits de soins palliatifs qui nous étaient promis depuis 2008. Depuis plusieurs années, nous sommes forcés de choisir, par le nombre limite de nos lits, les patients qui vont avoir accès aux soins palliatifs. Le gouvernement -- et je présente ça pour M. Ouimet, juste pour le rappeler -- et l'agence nous ont promis, depuis 2008, une augmentation à 10 lits, mais on est toujours en attente que les promesses soient réalisées. Et, je pense, c'est une bonne opportunité pour faire la publicité et promotion aussi. Quand vous arriverez, on va serrer votre main, quand on aura les nouveaux lits. À travers le Québec, il y a un manque de lits en soins palliatifs.

Je ne me plains pas parce qu'on a au moins un service, et c'est un service formidable. Les médecins sont très impliqués, les infirmières sont très impliquées. Et ce n'est pas juste un lit comme tel, mais c'est toute l'équipe avec même un spécialiste en musique -- on cherche une massothérapeute -- mais on essaie de donner et supporter le patient dans ses derniers mois, et normalement c'est trois mois, quand le patient a une prédiction de trois mois. On n'est pas jamais sûr, donc on ne dit pas: Trois mois puis on donne la dose fatale le 89e jour, O.K.?, et on ne veut pas, jamais, arriver à ça.

Cette politique de l'euthanasie vise davantage les plus vulnérables de notre société et ceux qui sont moins capables de s'exprimer: les plus malades, les personnes âgées, les plus pauvres, les handicapés, les psychiatriques et les nouveau-nés avec des handicaps.

Si les soins palliatifs peuvent soulager des patients en fin de vie avec les supports, pourquoi devons-nous avoir recours à l'euthanasie ou au suicide assisté? Je vais citer les articles 4, 43, 50 et 60.

En bref: «4. Le médecin doit exercer sa profession dans le respect de la vie, la dignité et la liberté de la personne.

«13. [Il] doit s'abstenir de participer à une action [...] de nature à mettre en danger la santé ou la sécurité d'un patient ou une population.»

«43. [Il] doit s'abstenir d'exercer sa profession dans des circonstances ou états susceptibles de compromettre la qualité de son exercice.»

«50. Le médecin ne doit fournir un soin ou émettre une ordonnance que si ceux-ci sont médicalement nécessaires.»

«60. Le médecin doit refuser sa collaboration ou sa participation à tout acte qui irait à l'encontre de l'intérêt du patient.»

Et je vous souligne, de mettre fin à la vie d'un patient, ça va contre l'intérêt du patient. On a juste une vie. On ne peut pas changer, on ne peut pas renverser ça eu égard à sa santé. Donc, le collège ne peut pas changer, par un comité, la pratique des milliers de médecins au Québec qui refusent d'accepter que leur profession devienne une pratique d'euthanasie. Dans la même perspective, notre Parlement canadien ne doit pas légitimer l'homicide par un acte médical.

Je vais vous parler de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, souligner, en article 1: «1. Tout être humain a droit à la vie...» Destiné à assurer sa protection. Donc, le droit à la vie est primordial. On ne peut pas abroger le droit de la vie par une mauvaise interprétation de la liberté de choix. On a une obligation de protéger la vie dans le contexte du bien commun.

Article 9.1. «Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.» Par exemple, si un patient veut consommer de l'alcool et conduire sa voiture, sa liberté de consommer est interdite par la loi pour protéger sa vie et la vie de ses concitoyens.

Le médecin a une obligation de refuser toute demande inappropriée. Si un patient demande un médicament inapproprié à son médecin, qui peut nuire à sa santé, ce dernier doit le refuser. Donc, pour la même raison, la liberté du choix pour se suicider doit être refusée.

Deuxième article, je vais citer: «2. Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours.» C'est très important. «Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l'aide physique nécessaire et immédiate...» Si une personne dit qu'il va sauter d'un pont, c'est illégal d'encourager un patient de se suicider, nous devenons complices. Nos valeurs ici, au Québec, la compassion et le bien commun sont la base pour protéger nos concitoyens et nos enfants.

«10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion [...] préférence fondée [parmi les autres races], couleur [...] l'âge [...] la condition sociale et le handicap...» Puis je veux dire, avec l'euthanasie, c'est une discrimination contre les personnes âgées, les personnes plus pauvres qui souvent sont plus malades et les gens handicapés souvent qui ne peuvent pas bien s'exprimer. «Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.»

C'est écrit dans la loi. Donc, comme société, nous avons une obligation de protéger les plus vulnérables, nos malades, les aînés, les psychiatriques et les plus pauvres.

Dans les expériences de Hollande, le suicide assisté et l'euthanasie... le suicide assisté... sont présentement étendus jusqu'aux enfants et les psychiatriques sans leur consentement, selon l'article du British Medical Journal, 24 septembre 2005. Cela est devenu une boîte de Pandore. Si on ouvre un peu comme ça, ça va devenir large de même. C'est une illusion de dire que le droit à l'euthanasie est un droit d'autonomie.

**(20 h 50)**

Pourquoi le virage vers le suicide assisté et l'euthanasie? Est-ce que c'est pour contrôler les coûts de santé? Est-ce que nous allons donner le choix de la vie ou de la mort aux bureaucrates qui ferment nos hôpitaux, qui limitent les nombres de lits, qui reçoivent des primes pour la performance, l'efficacité et l'efficience, qui vont exercer la pression et coercition auprès des médecins pour libérer des lits? Comment? En encourageant les décès prématurés auprès des plus vulnérables de nos concitoyens en fin de vie. On a déjà l'expérience en Oregon et ailleurs. Et vous allez voir ça dans les références que je vous ai citées. Pourquoi la même chose ne va pas arriver ici?

Je répète, est-ce qu'on va laisser la vie des plus vulnérables, surtout les malades et personnes âgées, les dépressifs, les nouveau-nés dans les mains de bureaucrates? Parce que c'est eux qui assument finalement, souvent, les pressions pour libérer des lits et toujours des... Si on a un patient, on dit: Regarde, c'est un patient qui est en fin de vie, il a signé son consentement, qu'est-ce qu'on attend?

L'euthanasie tue le patient deux fois. Le patient dit que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue et nous répondons que vous avez raison, ensuite nous enlevons la vie du patient. C'est un abus de la confiance de nos patients les plus vulnérables. C'est un abus et discrimination contre leur vie.

Comme médecins et comme société, nous devons dire non à l'euthanasie. Et des références sont toutes ici.

Je sais que j'ai... mon 20 minutes, c'est fini ou presque fini?

La Présidente (Mme Hivon): Il vous reste une minute.

M. Saba (Paul): O.K. Je réfère ici à la présentation de Dr Olivenstein. Il dit qu'il va essayer d'être ici. Je pense que c'est très clair, c'est le directeur médical, Institut thoracique de Montréal, et il travaille de temps en temps à notre hôpital, aux soins intensifs. Et ce qu'il dit, il m'a dit, en résumé, qu'il a souvent les patients les plus malades, des patients qui ont des traitements prolongés sur une ventilation mécanique, et jamais il n'a eu l'expérience... Et vous parlez des patients avec des maladies comme Lou Gehrig, et il cite des exemples ici qui n'ont jamais demandé de faire... mettre fin à leur vie, de raccourcir la vie. Il y a des gens, qu'ils ont refusé le traitement; ça, ce n'est pas l'euthanasie. Mais les plus malades, même des gens sur les ventilateurs, ils veulent vivre. Et il a travaillé plus que 25 ans comme médecin.

Moi, j'ai les mêmes expériences, et je peux dire que les patients des fois s'expriment qu'ils sont tannés de vivre. Et j'ai parlé avec mes collègues qui travaillent aux soins palliatifs: Dr Luc Daudelin, que ça fait 10 ans qu'il est en... et sa collègue, Dre Julie Théroux, avec qui je travaille. Aujourd'hui, j'ai eu des conversations, j'ai dit: Jamais est-ce qu'un patient vous a demandé «mettez fin à ma vie»? Oui, mais après ça, c'est juste comme ils ne sont pas vraiment... parce qu'ils sont entourés, ils ont les soins palliatifs, ils sont aimés, ils sont soignés, ils savent qu'ils ne vont pas souffrir. Merci.

La Présidente (Mme Hivon): Merci beaucoup, Dr Saba. Alors, on va passer aux échanges, pour une période de 20 minutes. Du côté ministériel, M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, Mme la Présidente. Alors, c'est toujours avec beaucoup de plaisir que je retrouve Dr Saba. Je dois dire, Mme la Présidente, il a tenu l'Hôpital de Lachine à bout de bras pendant de nombreuses années pour assurer sa survie pour laquelle nous nous battions mutuellement, des fois pas nécessairement avec les mêmes stratégies, avec les mêmes méthodes, mais, de part et d'autre, nous essayons d'être le plus efficace possible. Et, comme médecin également, il a soigné ma fille qui a eu un incident à un moment donné. Alors, la compassion du Dr Saba est tout à fait remarquable et son engagement également par rapport à la cause de la santé et ses interventions nombreuses dans le débat public. Moi, je ne sais pas où il trouve le temps de faire ce qu'il fait, mais honnêtement c'est un homme remarquable, je tiens à le dire.

Une petite anecdote: au moment où le H1N1 sévissait, grâce à son réseau international, il avait réussi à trouver un stock de vaccins, et finalement il était intervenu auprès de moi pour que je le mette en contact avec les personnes appropriées. Donc, c'est vous dire l'engagement du Dr Saba par rapport à la cause publique, le coeur toujours à la bonne place. Les stratégies, des fois on a eu quelques prises de bec publiques, là, mais, de part et d'autre, on poursuivait le même objectif.

Revenons à la question qui amène le Dr Saba ici, aujourd'hui. Moi, je vais laisser du temps pour mes collègues, mais, à la page 6 de votre mémoire, vous citez le serment d'Hippocrate. Et le dernier paragraphe du serment: Si le médecin ne peut pas guérir la maladie, il doit agir afin de soulager la souffrance.

Comment interpréter le soulagement de la souffrance et jusqu'où ça peut aller? On a eu la période d'experts à Québec où notamment le Dr Barrette faisait des nuances entre sédation palliative, sédation terminale, ces concepts-là où, lorsque la sédation est donnée aux patients, dans la plupart des cas, je pense, il disait: On sait que, dans cinq, six ou sept jours, la mort va s'ensuivre, mais on soulage le patient de ses douleurs lorsque la douleur est rendue extrême et qu'il n'y a plus d'autres méthodes d'intervention.

Alors, voyez-vous là des nuances par rapport au propos que vous tenez devant nous, ce soir, et une certaine forme d'euthanasie? L'intention du médecin n'est jamais là pour abréger, pour tuer le patient, pour reprendre cette expression-là, mais il sait très bien qu'en injectant cette dose-là la mort du patient va suivre.

**(21 heures)**

M. Saba (Paul): Oui. Je pense que la recherche... Il y a comme une malcompréhension de la morphine. On pense que, si on utilise la morphine avec des doses appropriées, ça va raccourcir la vie. Mais en effet la recherche démontre ce n'est pas la morphine qui raccourcit, c'est la maladie. Quand ils ont fait des études, ils ont regardé ça. On doit, et avec un bon sens de compassion, donner les soulagements appropriés. Et ce n'est pas juste la morphine; aujourd'hui, on a des analgésiques, kétamine, des médicaments qui font comme un ajout sur l'effet de morphine. Ça, hein, parce que c'est sûr, si tu... On utilise toujours juste une drogue, il y a plus le risque de toxicité à cette drogue-là.

Je pense, dans la loi, c'est l'intention, c'est très important, l'intention, c'est de soulager. Même, par exemple, si on donne la chimio, c'est connu qu'il y a des risques associés avec la chimio, la radiothéraphie, que ça peut même accélérer le décès, mais quand même on fait les traitements. Quand vous prenez un antibiotique, on essaie d'utiliser ça le moins possible, parce que même les antibiotiques pour une pneumonie... on ne veut pas utiliser pour un petit rhume, puis, de plus en plus, les gens... les médecins sont formés de ne pas prescrire -- même si le patient insiste -- ils ont des effets secondaires. Mais le but, c'est de soigner. Et, dans le cas de soins palliatifs, c'est pour soulager, ce n'est pas pour...

Parce que... Je donne l'exemple: les patients qui souffrent, et je pense qu'on a toujours eu des jours peut-être qu'on pense que ça ne vaut pas la peine, et des fois on peut avoir des moments de dépression, mais c'est connu que les personnes avec les maladies terminales, et ça peut être cancer ou des maladies chroniques, et c'est toujours plus difficile à prévoir avec des maladies chroniques quand ils vont mourir. Mais il y a toujours l'aspect de manque d'espoir, et ça ne dit pas que tout ça peut faire un diagnostic. Quand je parle manque d'espoir, je parle... la majorité des gens manque d'espoir, ça ne dit pas qu'ils sont déprimés. Mais il peut, à un moment donné, dire: Je vais mourir.

Et, dans le rapport, il parle d'une passion -- dans le rapport de Michigan Law Review, par Hendin et Foley, et je peux vous donner des copies des articles que vous voulez; je peux vous faire venir si vous les voulez -- ils parlent des expériences où une patiente qui était considérée fin de vie est allée chez elle. Elle était toute contente -- une vieille patiente -- avec la famille, puis elle savait qu'elle devait retourner dans une résidence et ne voulait pas, puis elle a dit: Si je dois retourner dans une résidence, je préfère mourir. Donc, la famille, qui avait quand même un conflit d'intérêts parce qu'il y avait le patrimoine, ils ont tout de suite donné sa... elle finit, puis elle était contente. Vous voyez, elle était avec sa famille. Donc, ils ont raccourci sa vie.

Mais, quand je retourne à votre conversation, les médicaments, c'est sûr que ça risque de causer... Mais normalement c'est la maladie. Et, quand je parle avec les experts, c'est la dénutrition, le manque de nutrition, la déshydratation. Et les analgésiques, c'est juste un facteur parmi les autres. C'est certain, c'est la maladie. Mais le but, c'est toujours de ne pas faire souffrir, et on accepte ça, dans les soins palliatifs, que la dose qu'on donne peut être celle qui... mais ce n'est pas une mégadose. Oui, c'est dose appropriée.

M. Ouimet: Merci. J'ai pris bonne note pour Lachine, ne vous inquiétez pas.

M. Saba (Paul): O.K. Merci.

M. Ouimet: Mais continuez votre combat.

M. Saba (Paul): Merci, François.

M. Ouimet: Merci.

La Présidente (Mme Hivon): Merci. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Bien, d'abord, Dr Saba, merci d'être avec nous, merci pour votre présentation. Également, si tout le monde a entendu votre plaidoyer pour les lits et si la qualité de votre député est un facteur déterminant, je peux vous dire que vous avez raison, vous aurez raison d'être optimiste.

Rapidement, sur certains points. J'ai lu attentivement votre mémoire, surtout la partie concernant la non-évaluation psychiatrique ou psychologique en Oregon, et je veux approfondir cette question avec vous. On parle beaucoup d'aptitude, d'aptitude de la personne pour prendre une décision, et c'est un concept que nous avons en droit également lorsque les personnes, évidemment, que nous soupçonnons avoir des troubles psychiatriques sont devant un juge, pour des infractions qui ne sont pas très, très graves, puis c'est le moment d'enregistrer un plaidoyer. Une question qu'on se pose, c'est si la personne est apte pour enregistrer un plaidoyer, comprendre les procédures, donner... interagir avec son avocat, recevoir les conseils, élaborer une stratégie, etc.

Est-ce qu'on peut dire... Parce que je ne peux pas imaginer que ce sont des cas où la personne -- et peut-être c'est le cas, je ne sais pas -- était inapte à prendre une décision. Par contre, entre apte à prendre une décision puis une personne qui est dépressive, il y a une distance. Est-ce qu'on peut croire que ces statistiques démontrent un certain danger d'un glissement où on frappe le... on va jusqu'au seuil de l'aptitude pour prendre une décision -- ce n'est pas une personne qui est déconnectée de la réalité -- et on se dit: On est satisfaits à ce niveau-là, alors qu'on devrait pousser beaucoup plus loin pour nous assurer que la personne n'est pas déprimée? Est-ce qu'il y a danger? Parce que je... Il y a des gens qui sont venus nous recommander des balises, etc., et il y a des examens psychiatriques, mais je me demande s'il n'y a pas de danger que le standard beaucoup moins exigeant de l'aptitude vienne remplacer le standard de s'assurer qu'une personne n'est pas déprimée.

M. Saba (Paul): Je pense qu'il y a plusieurs réponses à votre question. La chose de l'aptitude que vous savez, on peut dire que la personne peut être inapte de faire quelque chose mais apte à d'autres choses. C'est toujours... C'est une chose un peu subjective. Et on a comme des mesures de mémoire, on a des mesures de dépression, mais ça, vraiment, dépend de la personne qui fait l'évaluation. Il y a une subjectivité. On voit depuis toujours dans la cour, il y a un côté qui dit: Lui est apte, l'autre qui dit: Non. Puis vous allez avoir... Ça dépend qui a le plus... nombre d'experts qui va gagner, malheureusement, plus d'argent, je pense des fois.

Je pense que, même si on a une mesure de dépression... Et c'est comme on a démontré avec l'étude de l'Oregon, c'est qu'ils ont plusieurs choses de démontrées, l'étude de British Medical Journal, celui de Michigan Law Review. Celui de British Medical a démontré qu'il y a un pourcentage important, 20 %, qui tombait dans les critères de dépression, et ces gens n'étaient pas évalués par psychiatre ou psychologue, O.K.? Et il y a... On sait aussi que les patients malades, fin de vie, ont besoin de support psychologique, mais juste 13 % des médecins ont demandé un support psychologique. Est-ce qu'ils l'ont reçu? On ne sait pas. C'est juste 13 % qui ont demandé ça. Si on regarde les psychiatres, la majorité a dit... n'était pas confortable, même, avec un patient qu'ils connaissent très peu, d'accepter leur décision. On dit que la décision était avec «clarity», oui? Et on sait aussi que, quand on est malade en fin de vie, il y a toujours ce qu'on appelle un fardeau, l'idée du fardeau. Souvent, des gens, la raison qu'ils ont utilisée, ce n'est pas parce qu'ils souffraient physiquement, mais ils se sentaient être un fardeau pour la famille, vous voyez?

Et, en plus de ça, en Oregon, je pense qu'il y a une protection de confidentialité où, le patient qui a pris la décision de suicide assisté, ils gardent la confidentialité. Donc, la famille ne peut pas savoir, jusqu'ici, puis... Et sa vie est enlevée, puis après, la famille, c'est toute cette culpabilité, n'était pas capable de partager les derniers moments avec le patient peut-être. Ils voulaient le soigner ou l'embrasser, puis les derniers moments...

Je pense que c'est une chose comme telle, la vie et la mort, ça ne doit pas dépendre sur une évaluation par... D'abord, il n'y avait pas d'évaluation psychiatrique. Mais, même si vous pouvez assurer, malgré toutes les autres recherches qui n'ont pas réussi, qu'ici on est capables de faire, mais je pense qu'en fin de compte ce ne sera pas adéquat. Et vous avez parlé de l'aptitude. Qui va décider? Qui subjectivement va aller dire... Est-ce la famille, qui a un conflit d'intérêts, qui peut-être va trouver un médecin qui est prêt de prouver que la personne était apte à prendre cette décision de l'euthanasie?

M. Sklavounos: Il reste combien de temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Hivon): Environ cinq minutes.

M. Sklavounos: Très rapidement, très rapidement. Nous avons eu des suggestions de la part de différentes personnes nous disant que, vu le fait que certains avaient suggéré que l'euthanasie était bel et bien pratiquée, malgré son illégalité totale en ce moment -- certains l'ont dit -- le fait de mettre sur la table ce qui était en ce moment sous la table, avec des balises, allait faire en sorte qu'il y aurait plus, si vous voulez, des «checks and balances», de façons de vérifier et d'assurer qu'il n'y aurait pas de dérapage. Par contre, vous venez en quelque sorte de... Peut-être, vous venez déjà de répondre à la question, lorsque vous parlez d'aptitude, puis vous avez fait recours à un exemple qui est utilisé souvent, concernant le fait qu'il y a toujours un expert pour témoigner pour l'autre côté lorsqu'il y en a un pour... Ça dépend de quel côté on se situe.

Vous, une procédure de ce genre-là qui serait balisée par plusieurs éléments, est-ce que vous croyez que, veux veux pas... Ces balises, veux veux pas, sont, à la fin du compte, subjectives. Et, vu leur subjectivité, ça n'a pas nécessairement... ça ne va pas nécessairement baliser correctement ce qui se passe aujourd'hui, alors que la règle est claire. Et on nous dit qu'il y a de l'euthanasie. Ajouter une liste de critères subjectifs, est-ce que nous serons plus avancés, selon vous, ou pas plus avancés?

**(21 h 10)**

M. Saba (Paul): Je pense que vous avez déjà la réponse par les expériences ailleurs. Hollande, ça a été pratiqué depuis 1990. Et ce que j'ai cité, c'est les chiffres récents. Et, même après 20 ans de pratique, ils n'étaient pas capables de le faire correctement, si vous voulez dire que, l'euthanasie, on peut faire correctement.

D'autres choses, je pense que c'est important de reconnaître, c'est que c'est irréversible, la décision. Vous voyez? On a des patients, on commence un traitement, ça va mal, puis, tout à coup, bien, ça va mieux. Et est-ce qu'on... Puis, pour les patients, leurs sentiments changent, il y a un changement dans la situation de vie. Il faut toujours... «to err on the side of life», je ne sais pas comment on dit ça... de se tromper... ce n'est pas la bonne façon de le dire, mais de... oui, sur la vie, O.K.? Moi, je pense, c'est primordial, la vie, on ne veut jamais mettre ça à risque. Et, si vous pouvez me dire: On peut faire correctement, 100 %, l'euthanasie... Commence d'abord... On va regarder soins palliatifs, monter à 100 % l'accès pour tout le monde, à domicile, dans les hôpitaux, puis après peut-être on va discuter ça, O.K.? Fais correctement les soins palliatifs ici, au Québec, fais correctement le système de santé, puis peut-être on va regarder l'euthanasie. Je ne veux pas que l'euthanasie devienne: Bien, on n'a pas réussi de soigner le malade, bien, on va nous débarrasser de lui.

M. Sklavounos: Il reste un petit peu de temps?

La Présidente (Mme Hivon): Deux minutes.

M. Sklavounos: Deux minutes. Très rapidement, la catégorisation des personnes dans la société. Je connais un petit peu votre groupe, je ne vous connaissais pas personnellement, mais je sais que vous faites... vous mélangez bien le droit à vos arguments et, lorsque vous avez mentionné plus tôt la discrimination, je vous entends très bien et très clairement.

Nous avons vu des gens qui sont venus témoigner concernant... Puis ils ont fait des parallèles entre l'ouverture qui pourrait se donner à l'euthanasie et le suicide assisté et notre approche contre le suicide. Et les gens sont venus dire, ils l'ont formulé différemment... certains ont dit: On se tire dans le pied pour le suicide si on envoie ce message-là. Mais je suis un petit peu plus intéressé par l'argument de la discrimination comme vous le mettez parce que, dans le cas du suicide ou d'un jeune qui veut... Et j'utilise toujours le même exemple, un jeune qui vient d'avoir une rupture avec sa blonde et qui croyait à la personne... l'âme soeur, etc., et qui est au bord du pont, là, et qui veut sauter. Là, on arrive avec des arguments et on dit: Non, ne fais pas ça, je vais t'aider, ou: Il y a d'autres choses dans la vie, je ne sais pas trop quoi. Et la personne, dès qu'elle est atteinte d'une certaine maladie, on se dirait: Bien là, notre argumentation n'est pas bonne ou on peut moins argumenter. On est en effet en train de créer des catégories, et je vous suis là-dessus.

Mais, veux veux pas, il y a certaines de ces personnes-là qui, de toute façon, ne sont pas loin de... Et je sais que vous avez mentionné que, des fois, c'est difficile à évaluer. Mais certaines de ces personnes-là sont condamnées, et puis on sait qu'elles sont condamnées, «it's a question of time», comme on dit, «but they're on a one-way road», puis ils s'en vont vers la mort. N'y a-t-il pas là une distinction qui fait en sorte... qui vient débouter un petit peu l'argument de la discrimination? J'avoue que, le jeune, on va peut-être le sauver du pont, puis il va peut-être se faire frapper par un autobus le lendemain, accidentellement. On ne sait jamais, là. Mais je dis, déjà, la discrimination, il y a quand même un facteur, là, dans un cas, on parle de mort qui est inévitable et imminente, peut-être. Peut-être, l'imminence, on peut dire que ça joue, mais n'y a-t-il pas là un argument qui milite contre cet argument de discrimination?

M. Saba (Paul): Et, moi, je pense que chaque moment de la vie, c'est un cadeau. On ne sait jamais que quelqu'un qu'on va croiser peut nous donner une autre perspective des choses, une autre idée, remonter la joie, le moral.

Moi, je vois comme, ma mère, quand elle vient... Parce que je suis un jeune papa -- j'aimerais dire que je suis jeune, mais je vais dire un jeune papa -- des enfants, puis c'est la richesse des personnes âgées. Parce que souvent on pense: les personnes âgées... C'est incroyable. Même des gens qui ont des troubles cognitifs... On dit «troubles cognitifs», c'est général, parce qu'on est... Aujourd'hui, si vous... Quand j'ai fini à préparer mon mémoire, puis j'ai passé beaucoup de temps, j'étais un peu fatigué après, puis, l'hôpital, je ne peux pas dire que je suis à 100 %, mais je suis assez... je sais quand je ne dois pas travailler. Mais on n'est jamais... On ne va pas dire que quelqu'un est toujours 100 % tous les jours.

Et il faut, je pense, respecter la valeur de la vie, n'importe quelle vie, même quelqu'un qui est moins lucide, qui est moins capable de s'exprimer, qui est moins capable de se mobiliser. Ça peut être un frère, une soeur, une mère, un père, un grand-parent de quelqu'un. Et je pense qu'il faut, comme être humain et comme société, valoriser chaque vie. Je pense que ça, c'est la richesse de notre société. C'est pourquoi, moi, je -- et vous-mêmes, je pense, la majorité -- crois dans le système de santé public universel, pour donner la chance à tout le monde d'avoir la santé. Et c'est tout ce que je veux dire.

La Présidente (Mme Hivon): Merci. Alors, je vais céder la parole au député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, Mme la Présidente. M. Saba, un plaisir de vous entendre. Merci pour votre témoignage, mais également merci pour votre combat, au niveau de votre association, pour la défense du système public de santé.

On y va de quelques questions en fonction des commentaires qu'on a pu recevoir. Ne les prenez jamais mal. C'est souvent une occasion de confronter des idées.

Vous avez mentionné, un petit peu plus tôt, que certains patients peuvent effectivement demander à mourir, mais, après un traitement adéquat, cette volonté-là n'est pas répétée, n'est pas renouvelée. On a reçu ici même, à Montréal -- pas dans cette salle-ci mais lors de notre dernier passage à Montréal -- un groupe d'infirmiers, d'infirmières qui avaient leur lecture de cette réalité-là. Ils nous disaient que régulièrement on leur demandait, à eux, ce droit à la mort. Et ils confirmaient en quelque sorte, oui, qu'ils pouvaient le demander une première fois au médecin, mais, voyant que le médecin avait une position ferme, ensuite la demande n'était pas renouvelée aux médecins eux-mêmes mais aux infirmiers, aux infirmières, qui sont 24 heures sur 24 avec eux, ce qui n'est pas forcément le cas des médecins, considérant leur horaire de travail.

Donc, selon ce groupe d'infirmiers, d'infirmières, oui, les médecins souvent n'entendent pas cette deuxième, ou cette troisième, ou cette énième demande, mais qu'eux, comme professionnels de la santé, ils la reçoivent. Et, pour ces gens-là, c'est un argument pour défendre cet élargissement-là des pratiques et reconnaître une certaine possibilité, là, d'accompagner médicalement les patients dans la mort. Votre lecture de cette interprétation?

**(21 h 20)**

M. Saba (Paul): C'est vrai que les infirmiers passent plus de temps auprès des patients et qu'ils sont très sensibles aux souffrances des patients. Je pense que j'ai... Nous, comme médecins, c'est vrai, on va pousser la limite. On veut sauver tous nos patients. Peut-être, ce n'est pas toujours réaliste, mais, en faisant ça, je pense qu'on gagne plus qu'on perd, O.K.? Ça, c'est la première chose. Donc, c'est pourquoi il y a des... Puis on a besoin de nos infirmières pour dire: N'oublie pas de mettre un peu de xylocaïne avant de faire la ligature, O.K.? Des fois, on n'est pas... on est focussés sur finir une tâche plutôt que moins la souffrance des patients.

Mais, en même temps, je pense qu'il faut reconnaître que le patient, quand il dit: Je veux mourir... O.K., énormément de personnes ne vont pas dire: Je veux mourir, parce qu'ils se sentent bien, O.K.? Et je pense que nous avons une responsabilité pour savoir pourquoi. Est-ce que c'est parce qu'ils sont seuls, isolés? Est-ce qu'ils sont... parce qu'il n'y a pas de ressources pour l'aider quand il retourne à la maison, qu'il va arriver à la maison avec un frigo vide? Est-ce parce qu'il y a souffrance que le médecin... parce qu'il manque de soins palliatifs?

Parce qu'à Lachine, moi, je traite les patients avec des douleurs, mais je ne suis pas expert, puis le patient me dit: Ça fait mal ici, puis je mets souvent... Si ce n'est pas un patient cancéreux, O.K., mais juste une douleur de la hanche, mettons, ou une fracture, puis je l'ai traitée mal ou l'orthopédiste n'a pas bien traité, je demande le conseil du pharmacien. C'est un patient qui est... Un patient atteint du cancer, je vais demander aussi les soins palliatifs, pas parce que le patient va mourir dans moins de trois mois, mais pour m'aider, un soutien.

Souvent, je pense qu'il y a des patients, ils ne sont pas bien parce qu'ils sont malades et, dans la majorité des cas, ils ne sont pas soignés adéquatement, leurs douleurs, leurs maladies, leurs souffrances psychologiques. Et, même quand on est malade, on est malade et avec l'espoir de s'en sortir. Quand c'est une question qu'ils ne vont pas s'en sortir, qu'on sait que c'est un cancer non... Parce qu'on va souvent envoyer nos patients aux oncologues, dire: Est-ce qu'il y a un traitement... une tache au poumon ou s'il y a plusieurs taches -- je vous donne l'exemple du cancer -- avec des métastases?

J'ai un patient actuellement qui a... poumon, les os, O.K.? Le docteur, il dit... Elle m'a dit: Est-ce qu'il n'y a rien à faire pour moi? J'ai dit: C'est sérieux, mais on va vous envoyer un oncologue. On va voir qu'est-ce qu'il peut faire pour traiter. Parce que le mal, c'est dans sa hanche puis son bassin. Elle a eu un premier traitement aujourd'hui, de radiothérapie. Elle est soulagée avec les médicaments. Elle a une famille, O.K.? La plupart de ces gens ne veulent pas mourir rapidement. Et je pense que, si on est capables de les bien soigner, on va avoir beaucoup moins de gens qui disent: Je veux mourir.

M. Charette: Dans votre présentation, vous avez cité les protocoles, pourtant bien établis aux Pays-Bas notamment, qui, avec l'expérience, ne sont pas respectés. Étude après étude, vous dites que ces protocoles-là ne sont pas établis. L'expérience qui nous a été partagée, malgré ces systèmes qui sont faillibles, autant au niveau des États américains qu'au niveau des pays européens qui ont ouvert un petit peu l'offre de services, c'est que, malgré les lacunes qui sont identifiées, aucun pays n'a convenu de reculer. Tous ont essayé d'améliorer leurs pratiques au gré des différents rapports qui ont été produits, mais aucun n'a jugé la situation à ce point grave qu'il a convenu de revenir à l'arrière. Pour moi, c'est un fait qui mérite certainement réflexion.

Mais, avant de vous poser à vous-même la question, j'ajouterais un autre volet: Est-ce que vous pensez qu'à travers ces expériences-là qui sont démontrées on n'aurait pas, nous, la possibilité de parfaire les pratiques? On sait que tel ou tel élément est plus... ou est moins bien suivi en Hollande. Ce pourrait être, pour nous, un gage... ou une expérience à ne pas répéter, adapter nos façons de faire en fonction justement des erreurs qui ont pu être commises ailleurs.

M. Saba (Paul): En Hollande... En Hollande, il y a un manque important des soins palliatifs. Et c'est décrit dans les autres articles. Mes collègues, avant de venir ici, mes... J'aimerais que vous soyez à côté de moi, mais... Il dit que je parle mieux, mais je ne pense pas. Je pense qu'ils ont peur et que Revenu Québec, peut-être, va chercher dans leurs portefeuilles.

La chose qui est importante, c'est d'augmenter et maximiser, optimiser nos soins palliatifs. Moi, je pense que ça, c'est des choses... On va mettre nos efforts plutôt pour chercher une autre solution, une autre sortie, je vais dire: une autre excuse. Moi, je préfère qu'ici, au Québec, on devienne le pays qui donne des meilleurs soins pour la plus grande proportion de la population, avec des meilleurs soins de soins palliatifs, qu'on ne va avoir jamais personne qui dit: Aidez-moi à mourir.

M. Charette: Dernière question en ce qui me concerne. Vous avez évoqué, en début de présentation, le serment d'Hippocrate, un texte qui a longtemps... et qui continue à guider les médecins encore aujourd'hui, un texte, faut-il le rappeler, par contre, qui a été rédigé il y a plus de 2 000 ans en fonction d'une réalité qui était celle de l'époque où il a été rédigé, certains nous ont fait remarquer: un petit peu à l'image de la Bible. C'est un texte, oui, qui était rédigé en fonction des valeurs d'une époque, la même chose pour le Coran. Bref, tous les anciens ouvrages n'auraient pas pu être rédigés de façon à ce que les populations de l'époque ne s'y retrouvent pas, en quelque sorte.

D'où cette question d'évolution que nous suggère le Barreau -- c'est un des groupes, aussi, que nous avons eu le privilège de recevoir au cours des dernières semaines. À la question d'un des collègues, à savoir: Est-ce qu'une éventuelle décriminalisation ou un éventuel assouplissement des pratiques, est-ce que ça correspondrait à une révolution au Québec ou davantage à une évolution en fonction des pratiques des dernières années, des dernières décennies?, la réponse du Barreau fut assez limpide, pour ces gens-là, ça constitue une simple évolution.

Est-ce que le serment d'Hippocrate peut être interprété de façon évolutive? Est-ce qu'on peut concevoir qu'au fil du temps les valeurs d'une société, les valeurs du corps médical, les valeurs du législateur puissent s'adapter, évoluer en fonction des changements qui ont pu survenir dans la société donnée?

M. Saba (Paul): Je vous retourne la question: Quand vous allez faire une visite à votre médecin, est-ce que vous aimeriez quelqu'un qui va promouvoir la vie ou que, pour lui, la vie et la mort sont égale-égale?

Avant le temps d'Hippocrate, les praticiens de la médecine, aussi, pratiquaient l'empoisonnement. Donc, si vous avez quelqu'un que vous n'avez pas trop aimé et qu'il vous a fait un mauvais geste -- et j'espère que vous ne pensez pas à votre femme maintenant -- vous pouvez voir le même praticien pour dire... pour faire du poison, et, quand le pauvre a fait la visite au médecin, si vous avez payé un bon montant, ce praticien avait dans sa pratique la capacité de tuer, d'empoisonner. Et c'était pour cette raison qu'Hippocrate était vraiment révolutionnaire dans son temps, pour être quelqu'un qui... Pour les gens qui étaient praticiens de la médecine d'Hippocrate, c'était de ne jamais donner du poison pour faire mourir quelqu'un. Donc, les gens faisaient confiance aux médecins. Puis, moi, j'aimerais que, quand des patients veulent me voir, ils vont savoir que je suis un... que j'ai pris le serment d'Hippocrate.

La Présidente (Mme Hivon): Peut-être avant de terminer, je vais me permettre une question, puisqu'il nous reste un peu de temps. Il y a quelque chose qui nous frappe -- et j'ai déjà posé la question à des médecins -- c'est que, toutes ces craintes de dérive, en fait, c'est un peu surprenant d'entendre autant de médecins les exprimer, parce que, nous, comme législateurs, on s'attend à ce que ce soient les médecins qui appliquent les règles, les éventuelles règles qui pourraient exister, et donc qui exercent la surveillance. Et on se dit qu'au nombre de médecins qui viennent nous exprimer des craintes, et tout ça, il devrait y avoir une vigilance incroyable, ne serait-ce que par les pairs entre eux.

Et je me dis aussi, depuis que l'arrêt de traitement est quelque chose qui est entré dans les moeurs, on n'a pas vu de dérapage. Si l'idée de dire: On va libérer des lits parce qu'il y a une pression énorme du système, pourrait exercer une pression -- si je suis le raisonnement -- sur les médecins, ça aurait pu l'exercer à ce jour, pour, dans le fond, dire au patient: Bien, peut-être que tu n'es pas obligé de continuer ton traitement, puis peut-être qu'on pourrait te débrancher du respirateur. Or, je ne pense vraiment pas que c'est ça, l'état des lieux. On croit profondément dans le professionnalisme, et on a des témoignages extraordinaires, des médecins qui sont faits de compassion et... Donc, j'aimerais ça que vous réconciliez pour moi ce paradoxe, en tous cas ce qui, moi, m'apparaît un paradoxe.

**(21 h 30)**

M. Saba (Paul): Je pense que les gens qui m'ont entendu sur les médias savent mon opinion des bureaucrates. On a besoin des gens de support, administration, on a besoin de la gouvernance, de bonne gouvernance. Et je crois dans notre système de démocratie. Mais, si on fait une ouverture vers l'euthanasie, il va y avoir de plus en plus la pression pour éliminer des gens qu'on voit qu'ils ne vont pas vivre trop longtemps pour accélérer parce qu'il y a une grosse pression dans le système de santé.

Je peux dire actuellement, à l'Hôpital Lachine, c'est plein à craquer à l'urgence et qu'il y a toujours les... Je travaille en hospitalisation et souvent il y a le coordinateur puis un autre coordinateur, coordinateur à l'urgence puis coordinateur de l'étage. Pourquoi je dis... Peut-être c'est pourquoi j'explose quand je parle de tous les administrateurs à gauche, à droite. Et ils ont besoin des lits pour que ça roule, mais des patients attendent pour aller dans les résidences, puis ça prend les lits, puis des patients de l'urgence qui veulent monter parce que ce n'est pas confortable de rester dans le corridor d'un hôpital.

Et plutôt qu'essayer d'éliminer... Parce que c'est ça que l'euthanasie fait, ça élimine des gens qui sont en fin de vie et des gens qui se sentent comme un fardeau pour leurs familles puis un fardeau pour la société. Puis j'ai souvent des patients qui disent: Docteur, je m'excuse de vous déranger. Je dis: Vous ne me dérangez pas, je suis payé, je gagne ma vie quand vous me dérangez. Mais des gens se sentent coupables, surtout des personnes âgées, surtout des personnes âgées. Ils ne veulent pas... Ma mère des fois m'appelle, elle dit: Paul, je ne veux pas te déranger. Je lui dis: Mais vous êtes ma mère. Je peux dire, des fois elle me dérange, mais je ne veux pas le dire. Mais c'est... Vous voyez, je pense que...

La Présidente (Mme Hivon): ...les médecins. Moi, ma question, c'est vraiment les médecins. Donc, les médecins seraient assujettis à ces pressions-là? Parce que, moi, je vois les médecins comme très indépendants et très, très jaloux de leur libre arbitre. Alors, je me dis: Si c'est eux qui appliquent... Les médecins sont vraiment assujettis donc, vous me dites. Ils répondent à ces questions-là.

M. Saba (Paul): Le patient, vous voyez, vous voulez... Je veux dire, bien, si je le garde une autre journée et si je... des fois c'est un peu de... on prend des risques. C'est surtout on dit: Mais j'ai un autre patient à l'urgence, et peut-être c'est mieux qu'il est observé en haut. Vous voyez? Puis l'autre patient que tu n'es pas sûr qu'il doit quitter, mais tu dis: Peut-être c'est mieux, parce qu'on a une pression de lits. Mais imagine quelqu'un qui a déjà signé son...

Puis les administrateurs, parce que j'ai souvent des administrateurs qui me viennent puis disent: Pourquoi il n'est pas parti, celui-là? Comme ça. Je dis: Parce que, bien, je dis, il est trop malade, pour raisons x, y et z, et, moi, je ne me sens pas... Mais vous le gardez pour... Ça n'a aucun bon sens. Ils vont dire ça puis ils quittent. Puis c'est ça. Vous voyez, c'est parce que l'agence, hein, ils checkent chaque hôpital, combien de patients à l'urgence 24 heures, 48 heures, et ils enlèvent l'argent de l'hôpital. Il y a comme... Et puis ils disent que notre hôpital va être perdant parce que vous n'avez pas libéré, vous n'avez pas envoyé ce patient à la maison, puis ci, puis ça.

On vit des pressions tous les jours puis on essaie de voir c'est quoi, la meilleure chose à faire. On est toujours pris par ça.

La Présidente (Mme Hivon): Bon, bien, merci beaucoup de ces réponses et de l'ensemble des réponses. Merci de votre contribution. Merci à tous ceux qui nous ont écoutés ce soir, qui ont participé à nos travaux. C'est toujours encourageant pour nous de sentir qu'il y a de l'intérêt par les gens qui viennent présenter des mémoires, par les médecins mais par aussi les simples citoyens qui suivent nos travaux ici, ou en nous écoutant, ou en répondant au questionnaire, qui est toujours disponible en ligne d'ailleurs sur le site de l'Assemblée.

Alors, sur ce, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité ajourne ses travaux jusqu'à demain matin, jeudi 14 octobre, à 9 h 30, afin de poursuivre la consultation générale et les auditions sur la question de mourir dans la dignité. Bonne soirée et à demain.

(Fin de la séance à 21 h 35)

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