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Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le mercredi 7 mai 1969 - Vol. 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Commission parlementaire spéciale sur le problème de la liberté de la presse


Journal des débats

 

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Séance du 7 mai 1969

(Dix heures et quarante-deux minutes)

M. CLOUTIER (président de la commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!

Les membres de la commission, messieurs de la presse et du public, c'est ce matin l'ouverture des travaux de la commission formée par l'Assemblée nationale pour l'étude des problèmes de la liberté de la presse.

Il y a eu une première discussion entre le premier ministre et le chef de l'Opposition pour savoir quelle serait la meilleure façon de procéder dans nos travaux. A la suite de cette réunion, des travaux préliminaires ont été entrepris sous la responsabilité d'officiers du ministère de la Justice et des documents très importants et très volumineux ont été remis aux membres de la commission.

Ce matin, la première réunion aurait pour objet de prendre connaissance de ce rapport. Ceux qui l'ont préparé ont été invités à venir devant la commission afin que les membres puissent poser des questions à loisir. Les autres qui ont manifesté le désir de présenter des mémoires à la commission ont également été invités, ce matin, soit à titre d'observateurs. Il leur sera certainement loisible à eux aussi, plus tard, au cours de nos travaux, de poser des questions à ceux qui ont préparé le travail.

Voici ceux qui ont présenté ce travail, ils sont tous ici ce matin. Je les nomme et je leur demanderais de s'identifier. Il y a d'abord le sous-ministre associé à la Justice, Me Desjardins; il y a également, du ministère de la Justice, Me Jean-Marie Dussault, qui est directeur général des contentieux; Me Marc-André Lavoie, conseiller juridique au ministère de la Justice; Me Lubin Lilkoff, professeur à la faculté de Droit de l'Université Laval; Me André Dufour, vice-doyen de la faculté de Droit de l'Université Laval.

Je ne crois pas en avoir oublié. Ce sont ceux qui ont préparé le travail spécial qui a été remis aux membres de la commission. Il y a aussi, dans l'assistance, M. le Bâtonnier, Me Jules Deschênes, qui a exprimé le désir de venir devant la commission. Il y a aussi Me Marcel Piché, de l'étude Blain, Piché à Bergeron; Me Bureau, et il y en a d'autres que je n'ai peut-être pas eu le loisir d'identifier...

M. LESAGE: Le mieux serait peut-être de leur demander de faire comme les sous-ministres ont fait. Me Deschênes, nous vous connaissons bien, Me Piché, Me Bureau. Est-ce qu'il y a d'autres représentants d'associations de presse?

M. DUSSAULT. Il y a Me Gaston Pouliot, qui n'est pas ici ce matin, mais qui représente aussi la Presse.

M. LESAGE: Quel est le groupe que vous représentez, M. Dussault?

M. DUSSAULT: Je représente la Presse. M. LESAGE: Seulement la Presse?

M. DUSSAULT: Pas les publications de la presse.

M. LESAGE : La Presse.

M. DUSSAULT: La Presse particulière, pas la presse en général.

UNE VOIX: Avec un grand P.

M. BERTRAND: La grosse Presse.

M. DUSSAULT: La seule Presse.

M. BERTRAND: Est-ce du monopole, « la seule Presse »?

M. DUSSAULT: Non, pas du tout. C'est simplement une qualité et la qualité n'est jamais un monopole pour personne.

M. LESAGE: Me Deschesne.

M. DESCHESNE: M. le Président, je représente ici les Entreprises Gelco Limitée. Afin qu'il n'y ait pas de confusion à l'avenir, je vous prierais de supprimer le titre de bâtonnier; non non dignum et justum est. Alors, à chacun son dû et pas plus, M. le Président.

M. DUSSAULT: Vous le réservez pour plus tard?

M. BUREAU: Je suis André Bureau, président exécutif à la Presse.

M. PICHE: Je suis Marcel Piché, observateur pour Québec-Télémédia.

M. LESAGE: Me Bureau, est-ce que vous ne représentez pas un groupe de l'association?

M. BUREAU: Je suis également conseiller juridique des Quotidiens du Québec, la corporation qui groupe les quotidiens de la province de Québec, anglais et français.

M. LE PRESIDENT: On aura noté également la présence de nombreux Journalistes qui sont particulièrement intéressés aux travaux de cette commission. Nous ne leur demanderons pas de s'identifier; ils sont bien connus.

M. MICHAUD: M. le Président, mes premières paroles seront pour signaler ce que je considère comme un événement historique, non seulement au Québec, mais au Canada. Pour la première fois, des hommes politiques, grâce au premier ministre qui a accepté la suggestion que l'Opposition avait faite le 5 décembre, se penchent sur un problème extrêmement grave en démocratie, celui de la liberté de la presse, qui est le mandat de la commission.

Je veux, tout d'abord, remercier le premier ministre d'avoir agréé la suggestion que nous avions faite le 5 décembre de constituer cette commission. Il est clair que l'esprit de nos travaux sera non partisan. Il ne s'agit pas ici d'affrontement entre des partis politiques, mais vous avez devant vous des hommes politiques responsables, qui sont les garants du bien commun et qui essaient de prévoir, dans l'Intérêt du public, quels seront les mécanismes propres à sauvegarder l'exercice de la démocratie et de la liberté de la presse dans le Québec Je dis que c'est une séance historique dans notre pays et dans notre province.

J'ai fouillé, étudié, analysé avec beaucoup de minutie le premier rapport que le premier ministre avait commandé, avant même mon intervention, je présume, sur le phénomène de la concentration des entreprises de presse en matière d'information.

J'ai étudié ce rapport. Je veux féliciter les auteurs qui ont fait un tour du problème et qui nous ont aidés nous, les parlementaires, à mieux saisir toutes les dimensions de ce vaste et complexe problème.

Je pense que nous pourrions poser des questions aux auteurs du rapport. J'ai l'impression — et je voudrais qu'on me corrige si je fais erreur — que ce qu'il y a de plus significatif dans ce rapport, c'est que l'on a disposé, avant même que nous commencions l'étude de nos travaux, de l'aspect constitutionnel, c'est-à-dire que le rapport prévoit, sans toutefois le recommander nommément, que l'Etat du Québec comme tel peut légiférer en matière d'entreprises de presse et d'information.

Cela me semble une chose dont il fallait dis- cuter au départ, c'est un préalable. Nous avons disposé de l'argument constitutionnel, ce qui veut dire que les avenues sont maintenant ouvertes à toutes les études et à toutes les solutions possibles. Il y a des questions qui se posent à la lecture du rapport. La première qui me vient à l'esprit est celle-ci: Bien sûr, nous pouvons légiférer. Je retrouve, au tout début du rapport, que les auteurs font non seulement allusion au problème de la presse comme telle, mais aussi au problème de la diffusion. Alors, est-ce que nous devrions étendre nos préoccupations non seulement au problème de la concentration, mais aussi a celui de la diffusion, c'est-à-dire de la distribution des journaux? Il y a des suggestions à l'effet que nous pourrions établir, sur le plan des messageries, des sortes de coopératives qui seraient administrées par les propriétaires de journaux eux-mêmes, par les propres entreprises de presse.

C'est un aspect que nous n'avions pas touché. Il y a la presse, bien sûr, mais il y a aussi la diffusion. Il y a, par exemple, une structure en Europe, qui s'appelle les NMPP, les nouvelles messageries de la presse parisienne, qui existent en France en fonction d'une loi du Parlement, la loi sur les coopératives, qui donne aux entreprises de la presse le pouvoir de se structurer et de diffuser leurs journaux.

Alors, la question que je pose aux auteurs du rapport — et ça, sur l'aspect de la diffusion — est la suivante: Est-ce que les auteurs du rapport croient ou estiment que nous devrions déborder le problème de la concentration en matière des entreprises de presse pour analyser également celui de la diffusion? Enfin, moi, je crois que c'est un problème. Est-ce que les auteurs croient que nous devrions inclure ça dans le mandat du comité?

Me ANDRE DUFOUR: Si on veut parler de la concentration, nous n'avons pris aucune position, bien sûr, nous-mêmes; nous avons essayé d'étayer les problèmes plutôt que d'y apporter une solution. Quand nous avons pensé à une solution, c'est plutôt à des solutions qui permettaient un choix, comme vous l'avez remarqué.

Je pense cependant qu'il est assez difficile d'étudier le monopole de la presse sans avoir toutes les facettes. Le phénomène de concentration implique une concentration, une mainmise économique sur le phénomène de la presse. Cette mainmise économique peut prendre divers aspects. Cela peut être celui de la diffusion, ça peut être celui des sources d'information, ça peut être celui de la fabrication du journal, ça peut même être la matière premiè-

re, comme vous l'avez vu dans le rapport. La province de Québec a déjà même légiféré. La loi n'a pas été appliquée, mais on a déjà légiféré pour ce qui est de la matière première, du papier tout simplement. Je pense que tout aspect susceptible de propriété, donc tout aspect économique dans le phénomène de la presse, mérite de retenir l'attention de la mission. Maintenant, à quel titre ou enfin suivant quelle valeur? Il est bien évident que le phénomène de la propriété du média est peut-être à l'heure actuelle plus important que celui de la diffusion. Je dis: Peut-être. Il y a plutôt une hiérarchisation qu'une exclusivité.

M. MICHAUD: II y a une autre question. A la page 6 du rapport, vous dites ceci: « La concentration des entreprises de presse qui s'est manifestée il y a quelques années aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne — et là, c'est un constat — vient de frapper récemment les entreprises québécoises et soulève des inquiétudes sérieuses chez nous comme à l'étranger ». Cela est un constat. Dans vos recommandations, vous dites: « Si le comité en arrive à la conclusion qu'il y a monopole » — là, vous prenez un peu plus de réserve par rapport à cette première affirmation. Je comprends que les auteurs du rapport ne se sont pas prononcés à savoir s'il y avait ou non tendance au monopole ou à la concentration. Mais il me semble y avoir ici une ambiguïté entre cette première affirmation et une autre affirmation que l'on retrouve à à fin de votre rapport, à l'effet que si le comité en arrive à la conclusion, ou si le gouvernement en arrive à la conclusion qu'il y a concentration, il pourrait légiférer.

M. DUFOUR: Si vous me permettez, disons que nous avons parfois utilisé une expression dans le rapport qui s'appelle la concentration ou le monopole, peut-être dans un sens un peu ambigu, c'est-à-dire que nous parlons de la concentration comme étant un phénomène évident et peut-être même normal de la vie économique actuelle. Par contre, la concentration peut, à un moment donné, devenir tellement monopolistique qu'elle devient à ce moment-là dangereuse. Si vous voulez, le mot « concentration » est ambivalent. D'ailleurs, dans les avantages et désavantages, vous l'avez peut-être vu, il a un aspect qualitatif évident. Il y a aussi un aspect de danger évident. OÙ en est rendue la concentration chez nous? Ce n'est pas à nous de le dire. C'est vous qui avez les faits. C'est à vous de vous prononcer. Mais si on prend l'exemple des autres pays — vous avez cité la page 6 — nous avons remarqué, bien sûr, comme tout le monde le sait, que ce phénomène s'est produit d'abord en Angleterre, ensuite aux Etats-Unis. D'ailleurs, ce sont les Anglais qui ont commencé à créer le problème aux Etats-Unis, depuis quelques années. Chez nous, c'est un phénomène qui vient de se manifester il y a quelque temps. En est-il rendu à un point qui implique législation? Encore une fois, ce n'est pas à nous de le dire. Cependant, en Angleterre comme aux Etats-Unis, on a créé des commissions, soit des commissions royales d'enquête — c'est ce qu'on a fait en Angleterre — aux Etats-Unis, il y a eu un « committee on freedom of the press » qui a été créé en 1945-46, suscité par le Harvard Law School, mais ce sont les media d'information qui ont créé cet organisme.

Il y a eu aussi des études postérieures. On n'en est presque jamais arrivé à la conclusion qu'il y avait un phénomène tellement dangereux qu'il impliquait législation radicale. Suivant les aspects négatifs de la concentration, on a pu avoir des palliatifs adéquats parcellaires qui ont satisfait, mais cela dépend de la situation de chaque pays. On pourra replacer plus tard, si vous voulez, de celles qui nous confrontent, nous, mais, je voulais tout de suite rendre plus claire cette distinction que le phénomène de la concentration existe indéniablement. Maintenant, en est-il rendu à un point dangereux? Ce n'est pas à nous de le dire. Dans d'autres pays, parfois, on ne l'a pas trouvé dangereux.

M. BERTRAND: M. Dufour, avec la permission du député de Gouin, autrement dit, vous constatez un fait, vous n'en tirez pas de conclusion. Parce que, dans votre étude, à certains moments, vous présentez la concentration avec des avantages et des désavantages. Vous n'allez pas jusqu'à porter de jugement sur le phénomène de la concentration qui vient de frapper le Québec et qui pourrait soulever, disons, des inquiétudes.

M. DUFOUR: C'est exactement...

M. BERTRAND: Ce n'est pas un jugement que vous portez, c'est une constatation.

M. DUFOUR: Exactement.

M. BERTRAND: Cela ne veut pas dire que cette concentration soit désavantageuse au Québec.

M. DUFOUR: Ce n'est pas à nous de le dire. M. MICHAUD: Les auteurs du rapport sont

unanimes à reconnaître la légitimité de l'intervention étatique en matière de presse. Je lis ici: « C'est dans cette mesure que le droit à l'information, qui est un nouveau droit qui découle même de certaines séances des Nations Unies, reconnu comme un des droits fondamentaux de la personne humaine, le droit au fait, en réalité, est considéré comme l'un des fondements de la démocratie et qu'il exige d'abord une presse libre de toute censure, deuxièmement, de tout contrôle gouvernemental et, troisièmement, de toute entreprise privée. Donc, il y a unanimité pour reconnaître la légitimité de l'intervention de l'Etat en matière de presse.

M. DUFOUR: Si vous me permettez, je pense que c'est un domaine où l'activité moderne fait que l'Etat se doit peut-être d'intervenir afin de protéger certaines libertés, comme il le fait dans le domaine commercial en général, pour d'autres fins que la presse.

M. MICHAUD: Vous dites peut-être, est-ce...

M. DUFOUR: Oui, je dis peut-être, parce que je ne veux pas me prononcer sur la nécessité pour l'Etat du Québec de se prononcer là-dessus là, chez nous, actuellement.

M. LAPORTE: Est-ce que cette intervention de l'Etat qui, vous l'affirmez, je crois,peut être souhaitable en certains cas, n'est pas elle-même un danger dans la façon dont on le fait? Vous vous référiez, par exemple, tout à l'heure, à cette loi sur la matière première, le papier journal qu'on n'a jamais utilisée. Lorsque cette loi a été adoptée, il y a eu évidemment des interprétations diverses. On ne le saura pas, parce que la loi n'a pas été appliquée, mais certains prétendaient que c'était un moyen de chantage contre les journaux, alors que d'autres prétendaient que c'était une protection pour les journaux.

Alors, si l'Etat décide d'imposer des normes, est-ce qu'à ce moment-là l'Intervention de l'Etat ne doit pas s'entourer de précautions extrêmes pour éviter, justement, le danger que l'on veut prévenir? Est-ce que cela ne peut pas devenir de la censure?

M. DUFOUR: Vous touchez là, sans aucun doute, l'un des points cruciaux, névralgiques. De tout temps, la liberté de presse s'est définie comme une absence d'intervention gouvernementale. Je dirais que, dans ce domaine-là comme ailleurs, la liberté de religion, la liberté d'aller et venir, la liberté d'association se définissaient comme une absence d'intervention.

M. LESAGE: Négativement?

M. DUFOUR: C'était purement négativement. Mais Dieu sait si, aujourd'hui, dans le monde syndical, c'est par l'intervention du gouvernement, c'est-à-dire par la création de mécanismes qui permettent l'accréditation de syndicats, la négociation obligatoire, c'est par l'intervention donc gouvernementale qu'on a assuré la protection de certaines libertés.

Donc, c'est un phénomène moderne que cette nécessité, parfois, quand c'est nécessaire, d'une intervention gouvernementale afin de protéger des droits.

M. LAPORTE: Est-ce que vous croyez également que cette intervention, dans n'importe quel domaine de l'information, intervention de l'Etat, doit s'entourer de précautions extrêmes pour que l'Etat ne s'empare pas directement ou indirectement de moyens d'information?

M. DUFOUR: D'ailleurs, l'intervention de l'Etat doit s'entourer, comme vous le dites, de précautions. Il s'agit de savoir quel est le but visé et, bien sûr, les moyens qui vont être utilisés...

M. LAPORTE: Les contrôles.

M. DUFOUR: Ces contrôles, c'est ce que j'appelle les moyens...

M. LAPORTE: Les moyens que l'Etat peut utiliser doivent être soumis à des contrôles extrêmement rigides, si on peut dire.

M. DUFOUR: Oui, mais il ne faut pas, non plus, que ces contrôles-là ou ces moyens s'éloignent, si vous voulez des buts à atteindre. Le but à atteindre, c'est celui d'assurer la liberté de presse. Il ne faut pas qu'on ait des mécanismes de contrôle tels que, pour assurer cette liberté, en fait, l'Etat contrôle l'information.

M. LAPORTE: Autrement dit, il y a deux dangers. Il y a le danger qu'on soumet très clairement: celui de la concentration, et il y a le danger qu'on commence à évoquer, à savoir que l'Etat devienne celui qui contrôle. Lequel des deux est le plus sérieux et quels moyens doit-on prendre dans les deux cas pour éviter ces deux dangers? On ne peut pas remplacer l'un par l'autre, autrement dit.

M. DUFOUR: Je me permettrais un exemple dans le domaine. Disons que nous avons un système de bipartisme. Personne ne me chicanera si je dis qu'il y a du multipartisme, mais essentiellement nos systèmes fonctionnent avec du bipartisme. Le danger, peut-être, dans nos systèmes, c'est d'en arriver à un seul parti qui contrôlerait toute la politique.

On pourrait imaginer qu'un jour une loi constitutionnelle vienne imposer d'avoir au moins deux partis afin d'assurer la démocratie. Cela a l'air drôle d'avoir une loi qui impose deux partis, mais ça peut s'Imaginer. Je pense que c'est la même chose dans la presse. Si on sent que ça s'en va trop vers une concentration, il faudra imposer qu'il y ait une concurrence. C'est le seul but, je pense.

M. LAPORTE: Cette façon d'imposer deux partis, ça ne tromperait évidemment personne, parce qu'actuellement c'est déjà prévu. S'il arrivait par hasard qu'un parti fasse élire 108 députés, ce serait la responsabilité du premier ministre de désigner, parmi ses propres députés, un chef d'Opposition. Cela ne tromperait personne.

M. BERTRAND: Cela a failli arriver en 1948. Nous étions 82 et il y avait 8 députés dans l'Opposition.

M. BAILLARGEON: C'est arrivé en 1916. M. LESAGE: C'est arrivé à Terre-Neuve.

M. BERTRAND: Cela a failli arriver. Maintenant, M. le Président, pour continuer un peu dans cette veine, la règle, dans le domaine de la presse, c'est la liberté d'initiative. La règle, c'est que l'Etat n'intervient pas. C'est ça. Les études que vous avez faites de la législation de la plupart des pays établissent cette proposition.

M. DUFOUR: Je m'excuse, M. le premier ministre, c'est une définition qui, comme le dit le rapport, découle de l'époque libérale, c'est-à-dire qu'avant le 20e siècle ça se définissait comme ça à peu près dans toutes les démocraties libérales. Depuis 1920 environ, certains pays occidentaux ont commencé à sentir les dangers de ce libéralisme à l'excès et à poser des freins. Encore une fois, cela dépend des situations particulières dans chaque pays. Un frein a été créé en France pour la diffusion parce qu'il y a eu un problème majeur. Un frein a été créé en Angleterre avec le conseil de presse en chargeant le...

M. BERTRAND: Ecoutez, M. Dufour, est-ce que le conseil de presse constitue une recommandation de cette enquête qui a eu lieu en Angleterre et dont le rapport a été produit en 1965?

M. DUFOUR: Exactement. D'ailleurs, il y a eu deux commissions sur la presse. La première recommandait la création du conseil et la deuxième recommandait une restructuration de ce même conseil.

M. BERTRAND: Maintenant, malgré tout cela, je note, à la page 71 de vos conclusions générales, que vous déclarez: « La législation que pourra adopter le gouvernement devra cependant avoir un caractère non pas répressif, mais plutôt préventif en réglementant certains aspects concurrentiels de l'activité commerciale. » Alors, j'aimerais...

M. MICHAUD: Là-dessus, M. le Président...

M. BERTRAND: ... vous demander d'apporter des précisions là-dessus, au départ, juste comme revue générale.

M. LILKOFF: A l'heure actuelle, nous avons la loi fédérale sur les enquêtes et les coalitions qui a un caractère répressif. Elle est constitutionnelle et on a décidé à deux reprises que le fédéral ne peut pas légiférer sur une loi de caractère préventif.

En conséquence, puisque le fédéral a une pleine juridiction dans ce domaine pour punir seulement et non pas pour réglementer l'activité commerciale, il en ressort que c'est l'autre autorité compétente, en l'occurrence les provinces qui ont ce droit. En conséquence, il ressort clairement de la jurisprudence que, si le fédéral peut punir, c'est-à-dire qu'il a une législation en matière criminelle, la province peut légiférer quant à la réglementation du commerce.

M, MICHAUD: M. le Président, corrigez-moi si j'ai tort. Je crois que cette recommandation tend à privilégier la concurrence qui est un des fondements mêmes de notre régime capitaliste. Le problème de la liberté de la presse, par exemple, ne se poserait pas dans un régime socialiste, en Russie ou dans les pays derrière le rideau de fer, parce que, là-bas, la presse est considérée comme l'instrument. Staline définissait d'ailleurs les journaux comme la courroie de transmission des décisions...

M. LAPORTE: La « strap. »

M. BERTRAND: Il n'y a pas de liberté de la presse.

M. MICHAUD: Non, mais ce qu'est le danger du phénomène de la concentration, j'imagine, parce qu'une concentration trop poussée en matière d'entreprises de presse rejoindrait presque une conception marxiste. Alors, j'imagine que vous revenez au fondement même du capitalisme, ou du néocapitalisme moderne qui veut privilégier la concurrence entre les entreprises de presse, problème d'ailleurs qui est senti aux Etats-Unis. Le président Nixon a recommandé des commissions sénatoriales d'enquête sur ce problème invoquant des arguments de défense du système capitaliste en disant, non pas uniquement dans les entreprises de presse, mais dans les autres secteurs, que là où il n'y a pas de concurrence, il n'y a pas de démocratie économique. J'imagine que ça rejoint ça. Corrigez-moi si je fais erreur.

M. L1LKOFF: C'est exactement le fondement de la loi fédérale, le chapitre 314. Cette loi a été édictée justement afin de réprimer les tendances monopilisatrices en faveur de la libre concurrence. Et ce que le rapport veut, c'est justement trouver les moyens pour préserver la libre concurrence.

M. MICHAUD: Mais d'après votre rapport, la loi fédérale sur les pratiques restrictives est à peu près inopérante?

M. LILKOFF: Elle est inopérante à l'heure actuelle, parce qu'elle a été interprétée par les tribunaux d'une manière trop juridique et je vais même dire historique.

M. MICHAUD: Est-ce qu'il existe, au niveau du gouvernement central, des lois préventives en ce domaine, strictement sur le plan commercial?

M. LILKOFF: Le Parlement fédéral a voulu faire deux lois de ce genre, l'une en 1919, et l'autre en 1935 et dans les deux cas les lois ont été déclarées inconstitutionnelles par le Conseil privé.

M. BERTRAND: Ce qui veut dire que, si une telle loi devait être adoptée — c'est la conclusion, je pense, de votre rapport — il appartiendrait au gouvernement du Québec ou aux gouvernements des provinces d'en adopter une. Une telle législation a déjà été déclarée ultra vires des pouvoirs du gouvernement central.

M. MICHAUD: Est-ce que l'aspect constitutionnel du problème a empêché les auteurs de dresser ou d'essayer d'inventorier le secteur de la radio et de la télévision? L'information n'étant pas uniquement l'information de la presse écrite, mais la presse parlée ou télévisée, avez-vous des opinions ou des commentaires sur cette autre dimension du problème?

M. DUFOUR: Du côté de la radio et de la télévision, il existe, bien sûr, une compétence fédérale indéniable sur le fonctionnement et sur l'obtention d'un permis. Il serait possible pour le gouvernement de la province de légiférer sur la propriété, strictement sur la notion de propriété. Mais en l'occurrence disons que...

M. MICHAUD: Mais en vertu de la juridiction du Québec sur les droits civils, uniquement.

M. DUFOUR: Sur la propriété. M» MICHAUD: Sur la propriété.

M. DUFOUR: En l'occurrence, disons qu'on ne s'est pas arrêté à une étude concrète parce que cela implique, de prime abord, qu'on a une orientation quelconque. Est-ce que l'on veut prévenir une concentration? Est-ce que l'on vise un objectif? Et c'est en partant d'un objectif qu'on nous soumettrait qu'on pourrait s'attacher à voir quelles sont les incidences sur la radio ou la télévision. Mais, disons que, hypothétiquement, on pourrait penser à une solution qui ne toucherait pas du tout la radio et la télévision et qui dirait au plus tôt, a contrario, si vous voulez, quelqu'un qui possède déjà un poste de radio et de télévision, nous, nous ne lui permettrions pas d'avoir un autre média, un média, écrit.

Par contre, l'obtention d'un permis de radio ne regarde pas la province. Le gouvernement fédéral, enfin la CRTC peut donner un permis de radio à quelqu'un qui a déjà un poste de télévision. Cela, c'est sa juridiction.

M. LESAGE: Alors, il faudrait penser à des lois restrictives...

M. DUFOUR: De propriété.

M. LESAGE: ... de la propriété, de la possession et de la location.

M. DUFOUR: Oui, exactement.

M. LESAGE: Parce que si c'est seulement la propriété, il n'est pas facile...

M. BERTRAND: Comment pourrez-vous empêcher la diffusion?

M. LESAGE: ... de contourner ça. Et les lois limitant les droits de propriété, les droits de possession, les droits de location n'ont jamais été envisagées avec beaucoup de chaleur.

M. DUFOUR: C'est vrai, remarquez, mais c'est vrai également pour ce qui est des monopoles.

M, LESAGE: Oui, mais dans le cas de monopoles, il s'agit, comme vous l'avez dit tantôt, d'une loi punitive et qui se veut préventive.

M.DUFOUR: Non.

M. LESAGE: Bien, parce qu'elle est punitive, on espère par cette loi inspirer une certaine crainte.

M. DUFOUR: Si vous voulez.

M. LESAGE: C'est vrai. D'ailleurs, ce sont les rapports faits à cette commission fédérale qui sont étudiés par la commission. Ce n'est pas dans tous les cas qu'il y a des poursuites et les membres de cette commission fédérale, les fonctionnaires donnent beaucoup plus souvent d'avertissements qu'ils recommandent des poursuites.

Alors, en ce sens, cette loi est préventive, mais Je ne crois pas, comme vous d'ailleurs, que cette loi fédérale soit efficace dans le cas qui nous préoccupe.

M. DUFOUR: Quand nous parlons, nous, de prévention, ce serait de limiter Justement le droit de propriété, de prime abord.

M. LESAGE: Cela, c'est de la compétence... M. DUFOUR: Des provinces.

M. LESAGE: ... des Législatures. D'accord, mais maintenant, est-ce opportun? Cela, c'est une question à laquelle, comme juriste, vous ne répondez pas et que vous nous laissez.

M.DUFOUR: Oui.

M. LESAGE: Ce n'est pas facile.

M. BERTRAND: C'est-à-dire le problème que nous avons ici... Disons que le problème québécois c'est d'établir... D'abord, qu'est-ce que la concentration, qu'est-ce que le monopole?

Est-ce que les entreprises de presse, les journaux au Québec constituent à l'heure actuelle une concentration ou un monopole tel que l'on met en danger la liberté de la presse? C'est là le problème qui nous est soumis au comité. Il faut le poser.

M. LAPORTE: Est-ce qu'en soi la concentration est un véhicule d'atteinte à la liberté de la presse?

M. BERTRAND: C'est ça le problème.

M. LAPORTE: Je voudrais bien voir rappeler certains événements qui ont, alors que... Excusez-moi, vous aviez la parole.

M. BERTRAND: Non, non, c'est justement là qu'est le problème.

M. LAPORTE: Il y avait des choses autrefois... je me souviens de cette époque où j'étais journaliste et où l'on reprochait à nos journaux qui étaient la propriété d'Individus différents, de sociétés différentes de s'en remettre à deux sources d'information uniques: la Canadian Press et l'Associated Press, auxquelles est venue ensuite se greffer ce qu'on appelait, à l'époque, la British United Press.

Et l'on disait à des journaux, surtout aux grands quotidiens: Vous ne présentez à vos lecteurs qu'une seule facette de l'information, celle qui est véhiculée de façon honnête, mais sans nuance particulière, par la Canadian Press qui est faite pour consommation à travers tout le Canada. Et des nouvelles qui venaient d'Europe, on ne présentait, disait-on, que l'avis des grands propriétaires, de la chaîne américaine en particulier, sur les problèmes internationaux. L'on insistait à l'époque — le Devoir s'en faisait une gloire — pour que les grands quotidiens aient dans les principales capitales du monde des correspondants pour présenter à leurs lecteurs un autre point de vue.

Je prétends qu'à ce moment-là la liberté d'information, qui est toute bâtie en fonction du lecteur — la liberté d'information n'est pas bâtie en fonction du journaliste qui écrit un article — est en fonction du consommateur, du lecteur qui a droit à une information qui n'est pas biaisée. Alors, la concentration des journaux est certainement un phénomène qui doit nous amener il réfléchir sur le problème. Mais je ne prétends pas, ayant vécu des années assez délicates pour la liberté d'information dans la province de Québec, que la concentration en elle-même, in se, est un phénomène qui peut conduire à l'absence de liberté de la presse.

Je n'ai pas connu, depuis quinze, vingt ou vingt-cinq ans — et je m'en réjouis — de période où la presse ait été plus libre qu'elle ne l'est actuellement. Jamais a-t-on lu dans les journaux plus de commentateurs, jamais a-t-on lu plus de nouvelles qui reflètent, en même temps que les choses qui se passent, l'opinion de celui qui écrit la nouvelle. Dans une certaine mesure, je crois que c'est absolument excellent.

Nous jouissons actuellement au Québec — sauf quelques attardés qui ne veulent pas s'en rendre compte — sous l'empire de la concentration, d'une très grande liberté de la presse. Je ne pense pas qu'il y ait un journaliste, actuellement, sauf exception extrême, qui se voit privé du droit décrire ce qu'il veut. Est-ce que ce régime de concentration va nous amener graduellement à l'extinction ou à la limitation de cette liberté? L'ancien système qui voulait que l'Etat soit, sans jamais l'affirmer, omniprésent dans la presse est-il plus dangereux? Je pense que c'est fondamentalement ce que nous devons discuter. Je ne crains pas la concentration comme telle, mais je ne la trouve pas non plus rassurante pour l'avenir. Je voudrais que l'on s'interroge sur cela.

M. BERTRAND: C'est sûr.

M. LAPORTE: Je ne voudrais pas que l'on parte en disant: Concentration: censure. Non concentration: liberté. L'histoire récente de la province de Québec établit que c'est exactement en sens inverse. C'est cela que je voudrais que l'on établisse.

M. BERTRAND: Je pense d'ailleurs que le mémoire préparé par M. Dufour et ses compagnons est très objectif. Il pose tout simplement le problème, il l'examine dans certains pays: Quels sont les moyens utilisés par l'Etat pour tenter de freiner ces mouvements de concentration là où la liberté de presse peut-être en danger? Mais il n'y a de leur part aucune prise de position au nom du gouvernement.

M. LAPORTE: Non.

M. BERTRAND: Ni non plus au nom du comité.

M. LAPORTE: Je veux dire que l'époque est récente où il n'y avait pas de concentration et que c'était presque être un héros que d'être contre le gouvernement. Aujourd'hui, c'est quasiment en sens inverse.

M. MICHAUD: M. le Président, je me permettrai d'apporter, peut-être, quelques réserves à l'intervention de mon collègue le député de Chambly. En soi, bien sûr, la concentration n'est pas une attaque directe à la liberté de la presse. Le sens de mon intervention du 5 décembre était ceci: Lorsqu'il se crée à côté de l'Etat un pouvoir parallèle qui est presque plus grand ou aussi fort que ce dernier, cela constitue, en soi, une menace.

M. LAPORTE: Ah ouit Nous sommes d'accord.

M. MICHAUD: J'ai bien précisé que, dans l'état actuel des choses, je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas de liberté de presse au Québec, mais j'ai signalé l'existence de cette situation qui pourrait éventuellement causer des problèmes qui dépassent les personnes et les sociétés en cause à l'heure actuelle. A ce stade-ci de nos travaux, je voudrais quand même demander une certaine définition de termes, parce que nous allons nous référer, au cours de prochaines séances, à des termes. Je voudrais que les auteurs du rapport puissent nous définir la différence qu'il y aurait, s'ils en trouvent, entre le monopole, d'une part, et la concentration, d'autre part: la coalition et la version américaine, le conglomérat. Je pense que ces éléments d'information sont indispensables à l'intelligence de la situation.

Quelle différence y a-t-il entre ces quatre notions?

M. LILKOFF: D'abord, les définitions que je vais donner sont des définitions proprement juridiques.

M. MICHAUD: Oui.

M. LILKOFF: Evidemment, puisque l'aspect constitutionnel est très important, il faudrait référer à ces notions juridiques. Je partirai de la définition du conglomérat. D'ailleurs, si vous permettez, je vais référer au rapport lui-même pour que l'on puisse suivre plus facilement.

Partant des définitions juridiques, je réfère aux définitions telles que données par le chapitre 314 du statut fédéral. Le statut fédéral réprime tout d'abord dans son article 32 les ententes. Les ententes — le terme même le dit — portent sur une activité commune portant soit sur la distribution des marchandises, soit sur l'approvisionnement, soit sur les prix. Alors, l'entente n'est pas que sur une activité nettement déterminée.

De cette entente naissent les cartels. En second lieu, nous avons les fusions. Les fusions, c'est l'intégration de deux ou plusieurs entreprises, soit par achat, soit par amalgamation, pour former une entité juridique nouvelle. Alors, des fusions naissent les trusts.

En troisième lieu — et vous voyez ce qu'on entend par concentration — la fusion de deux ou de plusieurs trusts constitue le monopole qui, au sens juridique, est un terme beaucoup plus global qu'au sens courant, c'est-à-dire que le monopole, c'est le fait pour une entreprise de contrôler entièrement l'activité économique soit dans une région donnée, soit dans tout le Canada. Ainsi, par exemple, vous avez la compagnie CIL, qui est la seule compagnie au Canada qui produit des explosifs à des fins non militaires. Il y a donc une grande différence entre entente et fusion. Dans l'entente, vous avez deux compagnies qui s'entendent pour avoir une activité commune, mais qui gardent leur autonomie juridique. Cette entente peut durer pendant un certain temps et les compagnies peuvent ensuite redevenir libres dans leur activité.

En second lieu, vous avez la fusion où vous avez deux compagnies ou plusieurs qui forment une troisième compagnie qui réunit l'actif des deux premières et, enfin, une fusion, des fusions successives qui conduisent au monopole. En conséquence — et je résume — il faut distinguer entre monopole et concentration. La concentration peut être bénéfique. Elle est bénéfique, à l'heure actuelle, tous les économistes sont d'accord. On parle de l'activité concurrentielle tol-ligopole ou même duopole, mais le monopole, c'est la situation dans laquelle c'est une seule entreprise — et ça c'est la définition juridique — qui contrôle telle activité économique soit dans une région donnée, soit dans tout le Canada.

M. MICHAUD: Donc, le monopole est l'exercice exclusif par une société commerciale d'une activité à l'intérieur d'un territoire donné, l'exercice exclusif. Et, partant de cette définition, on ne peut pas juridiquement affirmer qu'il existerait à l'heure actuelle — par exemple dans le Québec — un monopole des entreprises de presse.

Me LILKOFF; Je vais préciser que la loi dit — c'est dans l'article 2 —: « monopole signifie quand une entreprise contrôle en grande partie ou entièrement. »

M. MICHAUD: Alors, nous en arrivons à la différence et je voudrais des points d'éclaircissement là-dessus. Qu'est-ce qui est concentration verticale et concentration horizontale? Ce sont des termes que l'on revoit ou qui reviennent assez fréquemment, concentration ou monopole.

Me DUFOUR: On parle un vocabulaire disons populaire. La concentration horizontale a une base géographique, celle qui s'étend disons sur un certain plan terrestre quoi, sur le Canada ou la province. Alors que la concentration verticale, c'est une même entreprise qui, si on prend les média d'information, posséderait une concession forestière et puis qui, à l'autre bout, distribuerait les journaux. Entre tout ça, elle fabrique le papier, elle l'imprime, elle le distribue, etc. C'est la concentration verticale.

M. MICHAUD: Et la concentration horizontale serait dans une région donnée, disons du Québec, la propriété par la même personne ou par la même société, d'une entreprise de presse, d'un poste de radio, ou d'une station de télévision.

Me DUFOUR: Encore là, ce n'est pas du service ou encore de l'entreprise. Cette entreprise peut se résumer, si on le veut — ça dépend des définitions qu'on lui donne — à, par exemple, des postes de radio. Quelqu'un qui possède le poste de radio dans une région donnée, s'il n'y en a qu'un, est en situation de monopole pour une région. C'est une concentration horizontale 3. une échelle réduite.

M. LE PRESIDENT: M. Dufour, si, dans le même territoire, il y avait concentration, dans les mains de la même personne, et du journal et du poste de radio et du poste de télévision, est-ce que c'est le cas de dire qu'il y a deux concentrations, et verticale et horizontale?

M. DUFOUR: Non, parce qu'à ce moment-là on penserait plutôt aux média d'information. On dirait: L'information sous forme écrite, parlée ou télévisée est concentrée. Il y a donc un monopole régional des média d'information. On peut dire, il n'y a qu'un journal, qu'il y a un monopole de la presse écrite. Encore une fois, ça dépend des définitions que l'on donne. Cela n'a aucune résonance juridique, puisqu'il n'y a pas de loi là-dessus.

M. LE PRESIDENT: Mais la question du territoire géographique a énormément d'importance par rapport au phénomène de concentration.

M. DUFOUR: Oui. C'est la base physique de l'élément de concentration. La définition que vous seriez appelés à donner pour dire que tel type de concentration est plus dangereux qu'un

autre ou est dangereux au point de légiférer, devrait reposer sur une assise territoriale quelconque, à l'échelle de la province ou d'une région.

M. BERTRAND: A ce moment-là, pour déclarer que la liberté du citoyen dans son droit à l'information est mise en jeu, il faudrait que, dans ce territoire, il n'y ait pas, au point de vue de la radio, de la télévision et de la presse, d'autres journaux qui puissent pénétrer là.

M. DUFOUR: Oui.

M. BERTRAND: Qu'il n'y ait pas un autre poste de radio qui puisse avoir des émissions ou un autre poste de télévision qui puisse rayonner là. Alors, si territorialement un individu était propriétaire d'un journal — il n'y en a pas d'autres — d'un poste de radio — il n'y en a pas d'autres la — d'un poste de télévision, mais que, par contre, le poste de radio d'un autre territoire donné puisse rayonner là, que le poste de télévision puisse rayonner là et que d'autres journaux également puissent rayonner là, en principe, on pourrait dire qu'il n'y a pas de monopole.

M. DUFOUR: Exactement. Vous voyez comme c'est relatif. On pourrait bien dire, s'il n'y avait qu'un journal dans la province de Québec, il n'y aurait pas monopole parce qu'on est capable de recevoir le Monde ou qu'on est capable d'acheter le New York Times dans un kiosque à Montréal. Vous allez me dire que la liberté de presse est terriblement relative à ce moment-là. D'un autre cÔté, vous pouvez prendre la situation du journal de banlieue; je pense à une banlieue montréalaise. On sait fort bien que le style de vie dans une métropole comme Montréal fait que les gens qui habitent en banlieue viennent travailler dans la ville de Montréal. S'il n'y a qu'un journal en banlieue, on sait fort bien que le bonhomme, après le travail, peut acheter un journal dans la ville et retourner dans sa banlieue. Il n'y a pas là, évidemment, de concentration. Alors qu'en sens inverse je pense qu'il y a évidemment monopole, même si on peut acheter encore le New York Times dans un kiosque à Montréal.

M. MICHAUD: A la page 51 du rapport, j'aimerais que les auteurs élaborent là-dessus. Le dernier paragraphe dit ceci: « C'est peut-être la solution la plus efficace. La province pourrait constituer une commission chargée de surveiller les acquisitions des moyens écrits d'information. Elle pourrait avoir les pouvoirs que le Conseil privé a refusés à deux reprises au parlement fédéral. Au point de vue constitutionnel, ce sera une solution conforme à la jurisprudence »: Une commission chargée de surveiller les acquisitions des moyens écrits d'information. Est-ce que les auteurs peuvent élaborer un peu plus? Comment serait structurée cette commission? Est-ce que ce serait un organisme paraétatique, c'est-à-dire où l'Etat serait représenté, de juridiction mixte ou autrement? Comment voyez-vous cette commission?

M. BERTRAND: Si le député de Gouin me le permet. Quand vous référez à cette commission, est-ce que ce n'est pas plutôt dans vos conclusions générales, à la page 71? La, vous dites: « En s'aidant, cependant, des lois anglaises, de certaines lois des autres pays concernant d'autres média d'information ou de la presse, il semble que le gouvernement pourrait adopter divers types de législation dont le plus évident serait la création d'un organisme administratif du genre de la Régie des transports, chargé d'émettre des permis d'exploitation selon les conditions prévues à la loi et limitant le droit de propriété. » Quand vous parlez de votre commission, est-ce que vous parlez de cette régie?

M. DUFOUR: Ce sont des solutions qui ont glissé dans la rédaction du mémoire parce que nous n'avons pas joint à ce document des solutions que nous avions élaborées, qui sont assez nombreuses et graduées.

On ne voulait pas apporter de solutions immédiatement parce que même si elles étaient très objectives, ces solutions...

M. BERTRAND: M. Dufour, nous allons vous mettre très à l'aise dès le départ. Ce que les auteurs ont préparé pour les soins du ministère de la Justice et pour les travaux de ce comité, disons que c'est un document. Ne vous gênez pas d'y aller de recommandations personnelles. Si, à la lumière des travaux que vous avez faits, vous avez certaines suggestions ou recommandations qui ne sont pas dans votre rapport, vous pouvez les donner aux membres du comité.

M. DUFOUR: Si vous voulez, parlons d'abord de ce que vous avez mentionné. Vous avez parlé de deux solutions glissées dans le rapport. L'une serait une commission qui surveillerait les mouvements de propriété et l'autre solution serait un organisme du type de la Régie des transports pour l'octroi d'un permis. Ce sont deux types de solutions.

La commission — enfin elle est très anonyme quand elle est mentionnée comme telle — pour-

rait être un organisme du genre « Board of Trade » anglais. Le gouvernement demande à cet organisme-là de surveiller les mouvements de propriété et de lui dire quand ils deviennent dangereux. Et s'ils deviennent dangereux que le gouvernement puisse agir. Vous voyez le genre de solution et son contexte.

Quant à la Régie des transports, mon Dieu! tout le monde la connaît. On sait fort bien que, pour avoir tel type de service public, il faut auparavant demander un permis. Bon, ce n'est pas un contrôle, je dirais, du contenu; c'est un contrôle de la propriété qui est assez efficace.

Si vous voulez, je peux vous lire les autres solutions que nous avions envisagées et qui sont grossières. Elles ne sont qu'énoncées. Il y aurait, par exemple, la mise sur pied d'un organisme administratif qui enregistrerait la propriété des journaux et qui sanctionnerait la déclaration requise par l'émission d'unpermis. Vous voyez que cela se rattache à ce type de régie qui octroie des permis, un peu comme la Régie des transports ou la Régie des alcools.

Deuxièmement, cet organisme pourrait aussi être chargé d'émettre le permis suivant des conditions préétablies dans la loi et limitant le droit de propriété. Exemple, on pourrait dire: Vous ne donnerez de permis qu'à quelqu'un qui ne possède pas déjà un autre médium d'information.

Troisièmement, nous avions laissé à un organisme du genre conseil de presse le soin d'étudier l'évolution de la situation et de déterminer dans quelles circonstances le droit du citoyen québécois à l'information devient gravement menacé. Cela rejoint la commission dont on parlait tantôt. Cela pourrait être un organisme du genre « Board of Trade ». Ce pourquoi les Anglais l'ont fait, c'est que, pour eux, le monopole de l'information de la fabrication des allumettes, c'est un peu la même chose. A ce moment-là, ils demandent à un organisme économique... Récemment, cependant, au cours des dernières années, ils ont chargé le conseil de presse d'avoir une vue peut-être plus subjective, mais en même temps plus particulière à l'égard de la presse en disant: Quand jugez-vous la situation dangereuse? A ce moment-là, nous agirons.

Enfin, il y aurait, toujours au niveau des solutions en gros, la distinction, au sein de l'entreprise de presse, de l'aspect commercial et de l'aspect information pour faire en sorte que les journalistes participent pleinement au rôle informateur du journal en participant sur un pied d'égalité avec le propriétaire au choix et au traitement de l'information à diffuser. On recréerait ainsi à l'intérieur du journal la con- currence requise et présentement limitée à une concurrence externe entre les organes de diffusion.

Si vous voulez, nous avons été préoccupés par cette notion de « check and balance » qu'on essayait de recréer. Alors, puisque le « check and balance » n'existerait plus, parce que la concentration serait telle que les média seraient concentrés, nous disions à ce moment-là: Recréons le « check and balance » à l'Intérieur de l'organisme ainsi économiquement fusionné. Voilà des solutions grossières.

M. MICHAUD: Un simple commentaire a priori parce que je ne suis pas allé au fond des choses en cette matière. Il me répugnerait assez, et cela parce que je pense que j'ai des opinions démocratiques, que le gouvernement légifère en matière de propriété, c'est-à-dire en matière d'émission de permis. Dans tous les pays du monde, celui qui veut imprimer un journal — en tout cas dans les pays de tradition démocratique — n'a qu'à effectuer le dépôt légal. Je verrais beaucoup mieux votre deuxième suggestion en scindant les activités commerciales et les activités professionnelles, c'est-à-dire que l'Etat intervenant — c'est une opinion personnelle, bien sûr — mais favorisant en sorte l'activité journalistique au moyen d'un statut professionnel ou autrement, qui permettrait aux journalistes à l'intérieur d'une entreprise de presse, d'effectuer son rôle d'Informateur, c'est-à-dire de donner le droit aux faits, aux citoyens sans trop d'interventions de la part de la direction patronale.

Il me semble que si nous organisions ou si nous dessinions là une structure répressive, c'est-à-dire dans le sens de ne pas accorder de permis à une personne pour publier un journal, ce serait contraire à nos traditions. Mais par ailleurs, en donnant au journaliste la possibilité d'exercer dans son journal, que ce soit à la radio, à la télévision, dans la presse écrite, en lui faisant prendre des distances par rapport à la direction qui pourrait éventuellement intervenir dans le mécanisme de la diffusion des faits, cela me semble une solution beaucoup plus démocratique.

C'est d'ailleurs la solution qui a été utilisée, en 1936, en France par le statut professionnel des journalistes qui a été voté et qui reconnaît au journaliste presque une personnalité juridique légale en le soustrayant un peu plus à la direction du journal qui, éventuellement, pourrait lui imposer des diktats ou des critères quant à la diffusion des faits. Cela me semble une avenue plus propre que la première dans laquelle on pourrait s'engager.

M. DUFOUR: Me permettriez-vous d'ajouter ceci? Vous avez réduit les solutions à deux. J'aimerais en introduire une troisième à l'intérieur. Vous avez deux extrêmes. Enfin, il ne s'agit pas ensuite de parler de positions extrémistes, mais il y a un contrôle évident, formalisé par un permis. On connaît cela dans d'autres services publics. Reste à savoir si c'est adaptable comme solution.

A l'autre extrême, il y aurait l'absence d'un contrôle gouvernemental, mais recréer une structure de concurrence, concurrence qui se ferait entre le propriétaire du journal et ceux qui sont chargés de la diffusion: ce sont les comités de rédacteurs dont on dit beaucoup de bien ces dernières années...

M. MICHAUD: La société de rédacteurs.

M. DUFOUR: ... donc, c'est à la mode. Entre les deux, je voudrais remettre en lumière cette notion d'un contrôle quasi gouvernemental sous la forme du conseil de presse ou sous la forme du Board of Trade, mais je pense que la notion la plus moderne c'est quand même celle du conseil de presse, c'est-à-dire qu'on ne donne pas de permis, on n'impose pas, si vous voulez, une structure de participation, mais on a, entre les deux, un organisme qui est composé du gouvernement, de patrons et de journalistes. Quand je dis gou-vertement, c'est habituellement le grand public. D'ailleurs, le conseil de presse a été modifié pour remplir cette fonction-là. Donc, le public est le gouvernement, si vous voulez — les propriétaires et les journalistes, comme organisme national, surveillent l'ensemble de la situation. Il joue un peu le rôle du vérificateur de la province, ou maintenant de l'ombudsman. A un moment donné, il va se prononcer. Et ce sera à l'opinion publique de juger si c'est bon ou si c'est mauvais.

On dit, enfin on lit plutôt que, d'expérience, le rôle du conseil de presse a été majeur, mê-me s'il n'a aucune espèce de sanction. Le simple fait de dire à tel journal: Vous avez fait tel mauvais pas, ça lui donne une telle mauvaise réputation qu'il se corrige de lui-même.

Je dirais qu'au fond c'est un peu ce qui se passe avec les monopoles, avec la loi fédérale. On ne sanctionne pas mais on fait venir le bonhomme et on lui dit: Ecoutez, vos activités commencent à nous déplaire beaucoup. Alors, corrigez donc la situation.

M. BERTRAND: Ce conseil de presse a été formé en Angleterre. Vous dites que c'est le Board of Trade qui joue ce rôle?

M. DUFOUR: Non, pardon. On avait commencé avec le Board of Trade, mais pour les journaux on a maintenant donné ça au conseil de presse.

M. BERTRAND: Et c'est une recommandation, comme vous nous avez dit tout à l'heure, à la suite de l'enquête...

M. DUFOUR: D'une commission royale.

M. BERTRAND: Avez-vous les documents là-dessus? Dans votre rapport, vous ne faites qu'en parler.

M. DUFOUR: Nous n'avons pas les documents, c'est-à-dire nous n'avons pas les rapports de la commission royale d'enquête, mais nous pourrions les avoir.

M. BERTRAND: Je crois qu'il serait à propos qu'on les ait, parce que c'est une des rares enquêtes conduites dans ce domaine-là à travers le monde.

M. DUFOUR: Je me permettrais cependant — enfin c'est un préalable — de vous signaler que la situation n'est peut-être pas la même au Canada ou au Québec qu'en Angleterre, c'est-à-dire que le phénomène de concentration de presse — vous le verriez en lisant les documents — n'est pas le même chez eux que chez nous, c'est-à-dire que, chez eux, ce phénomène de concentration de presse se limite véritablement aux media d'information alors que chez nous — et ça c'est un élément majeur chez nous — il rassemble autre chose que des media d'information.

M. LAPORTE: Est-ce que, fondamentalement, le conseil de presse n'atteint pas deux objectifs: surveiller le propriétaire et surveiller la profession?

M. DUFOUR: Oui, bien sûr.

M. LAPORTE: Actuellement, je pense bien que l'on ne peut pas demander que la liberté de la presse soit protégée, il faut le demander de façon absolument formelle, mais seulement du côté du patron. Dans votre esprit, est-ce que le conseil de presse anglais aprévule cas de l'abus du journalisme?

M. DUFOUR: Si vous permettez, M. Laporte, à ce moment-là, on déborde un petit peu les cadres — que je ne pense pas très rigides quand même — du comité, mais par le biais de la con-

centration, on touche à la liberté de presse. Or, la liberté de presse ne se définit peut-être plus comme étant la liberté d'écrire ce qu'on veut, mais elle se définit, à l'époque moderne, comme étant la liberté d'information d'un individu, du citoyen.

Cette liberté d'information, elle peut être détruite de plusieurs façons. D'une façon économique par la concentration de la presse, par le monopole de la presse, et d'une façon aussi qualitative par la diminution, la concentration des sources d'information. Vous l'avez lu dans le rapport, avec cinq grandes sources d'information qui appartiennent à quatre pays, nous sommes rudement limités dans nos sources d'information. Et on pourrait aller plus loin dans la qualité de l'information, c'est la qualité des journalistes.Un mauvais journaliste, c'est contraire à la liberté de presse.

M. LAPORTE: Oui, mais un excellent Journaliste qui a une option personnelle...

M. BERTRAND: Bien plus dangereux.

M. LAPORTE: Un excellent journaliste qui décide qu'il opte pour le parti libéral et qui y va à fond, est-ce que c'est plus dangereux...

M. DUSSAULT: A cause de l'excellence.

M. LAPORTE: Disons qu'on comprend fort bien ce que je veux dire. Est-ce que c'était plus dangereux autrefois quand il n'y avait pas de concentration de journaux et que les journaux appartenaient à des politiciens reconnus?

M. DUFOUR: Je vous dirais ceci: est-ce que le citoyen était bien éclairé?

M. LAPORTE: Oui, oui, c'est exactement ce que je veux dire.

M.DUFOUR: Bon.

M. LAPORTE: Est-ce que c'était plus efficace de nommer le propriétaire conseiller législatif ou sénateur que de faire la concentration pour protéger ou combattre la liberté de la presse?

M. DUFOUR: Vous le voyez, il y a donc plusieurs moyens de contrecarrer la liberté de presse.

M. LAPORTE: C'est cela. Le conseil dont vous parlez, et avec les objectifs et les objets de ce conseil: préserver la liberté de lapresse, maintenir le caractère de la presse britannique au plus haut niveau professionnel, recevoir les plaintes au sujet de la conduite de la presse, avoir à l'oeil les développements qui ont tendance à restreindre l'information, (la concentration en est un) faire des rapports publics sur les développements, tout cela englobe un ensemble de problèmes qui sont tous en fonction d'un tel citoyen; le lecteur, le consommateur.

Je pense que l'idée de votre permis m'apparaît; quelque chose d'absolument abominable. Je me souviens — si je peux vous donner un exemple — je me souviens, il y a mettons 25 ans, pour qu'on ne tente pas de mettre des noms, de l'émission d'un permis de radio. Un des commissaires avait passé la matinée à démolir celui qui était devant lui et l'après-midi, évidemment, on lui avait téléphoné pour dire: ce n'est pas ça, tu es en train de te tromper de monsieur, c'est l'autre. Alors l'après-midi, il a commencé à défendre le bonhomme. On lui a demandé: Mais qu'est-ce que c'est ça, M. le commissaire, vous avez changé d'opinion? Alors, il dit: Ce matin, je me faisais l'avocat du diable pour savoir si vous étiez vraiment préparé.

Alors, l'émission des permis, là! Imaginez l'entrave à la liberté de la presse si, un jour, on doit, chaque année, revenir devant l'Etat, représenté par une commission soi-disant indépendante, pour obtenir un permis, les pressions extraordinaires que cela peut représenter pour la liberté de la presse.

M. BERTRAND: A première vue, je mets totalement de côté cette idée d'une régie qui imposerait des condltons et qui limiterait le droit de propriété. A première vue, je trouve que ce serait dommageable.

M. LAPORTE: Un propriétaire qui fait beaucoup d'argent avec son journal et qui s'aperçoit, en cours de route, que ses journalistes sont assez réticents avec le gouvernement, là, vous avez le risque précis qu'il dise à ses journalistes: Messieurs, le permis est en jeu, c'est fini. A ce moment-là, vous avez une atteinte directe ou une possibilité d'atteinte directe, qui est très grave, à la liberté de la presse.

M. DUFOUR: Bien sûr, je ne cherche pas à défendre telle ou telle solution, ni à les remettre en valeur si vous les mettez de côté. Je tiens cependant à donner toutes les facettes. Quand on parle de permis, disons qu'on peut y trouver certains éléments qui n'apparaissent pas à première vue.

Par exemple, actuellement, on impose une déclaration au greffe de la paix. Cette déclara-

tion est plus ou moins faite, c'est-à-dire que la plupart des gens ne la font pas. La seule sanction, c'est l'application de la Loi de la presse, qui restreint la responsabilité et qui permet de se dégager de responsabilités.

Bon, on disait... S'il y a un permis, ça va donc sanctionner la déclaration imposée, parce qu'actuellement il n'y a presque rien qui impose la sanction et plusieurs personnes publient sans dépôt. Notre dépôt n'est pas efficace.

M. LAPORTE: C'est une loi de 1929. M. DUFOUR: Oui, 1927.

M. LAPORTE: Elle n'a jamais été revue en profondeur depuis.

M. DUFOUR: C'est ça. Cela met donc une sanction au dépôt. Deuxièmement, on se disait que, dans la mesure où le législateur déciderait que, dorénavant, il y aura tel et tel prérequis — j'en ai donné un exemple; je vais me restreindre à celui-là — par exemple, qu'on ne pourra avoir un journal si on possède déjà un poste de radio ou de télévision, le moyen de contrôle serait un permis. On dirait: On ne vous donne un permis que si vous n'êtes pas déjà propriétaire. En d'autres mots, ça pourrait être utilisé uniquement comme un mécanisme de sanction d'une législation et non pas comme un contrôle du journal lui-même.

Personnellement, je ne suis pas tellement fort sur les mécanismes de régies. Je pense que ce n'est peut-être pas le mécanisme souhaitable. Qu'on appelle ça une commission, qu'on essaie de penser à un autre organisme; ça pourrait être le Conseil de presse aussi proposé. Mais, vous voyez, le permis, on l'envisageait peut-être plus comme une sanction matérielle d'une directive du législateur que sous la forme d'un contrôle.

M. MICHAUD: Ce qu'il importe de concilier ici — je pense que c'est l'exigence fondamentale des journalistes au Québec à l'heure actuelle — pour entrer dans la matière concrète des faits, c'est que la direction — là, je pense refléter l'opinion de l'ensemble, de ceux qui exercent cette profession —ne devrait pas intervenir dans le mécanisme de la diffusion des faits.

Cette position-là est vulnérable. Le député de Chambly a raison de souligner que les journalistes eux-mêmes peuvent mettre en danger la liberté de la presse et une bonne diffusion des faits. Evidemment, le problème se double ici du fait que le Québec est une petite société. Dans les sociétés, par exemple, où il y a 50 millions d'habitants, comme la France, il y a des journaux qui sont clairement politisés idéo-logiquement Un journaliste qui entre à l'emploi de l'Humanité, par exemple, sait très bien qu'il entre à l'emploi d'un journal communiste. Il doit suivre la ligne idéologique du journal; c'est, d'ailleurs, pour ça que le statut professionnel a prévu là-bas, en cas de changement dans le caractère de l'orientation idéologique du journal, que le journaliste avait droit à des indemnités de licenciement.

Mais ici, la plupart de nos journaux — enfin, de nos grands journaux — ne sont pas en théorie — ils le sont peut-être en fait — des journaux politiquement engagés. Ce qui arrive, c'est que l'ensemble des journalistes qui oeuvrent à l'intérieur de ce journal peuvent avoir des opinions politiques très différentes, comme il pourrait arriver que, par un certain machiavélisme professionnel, on retrouve dans une entreprise de presse un nombre considérable de journalistes qui auraient investi la place et qui se serviraient d'une entreprise pour véhiculer des idéologies qui seraient, évidemment, contraires à l'idéologie du journal.

Alors, je me demande si, devant ces deux menaces: d'une part, le phénomène de la concentration, d'une direction patronale qui impose ses vues et qui intervient trop fréquemment et d'une façon trop abusive dans le mécanisme de la diffusion des faits et, d'autre part, cette possibilité, ce danger pour des journalistes d'investir la place forte d'un journal et d'agir en rois et maîtres dans le domaine sacro-saint de l'information sans que la direction patronale n'intervienne, ce conseil de presse, qui semble à l'heure actuelle rencontrer à la fois l'approbation, avec des réserves, du patronat et des journalistes, ne serait pas en réalité un mécanisme de contrôle efficace. Ce conseil de presse aurait pour juridiction, bien sûr, d'étudier le phénomène de concentration des mouvements de capitaux, mais également d'imposer, à la fois au patron et aux journalistes, un code d'éthique professionnelle.

M. LAPORTE: Vous posez fort bien le problème, mon collègue.

M. MICHAUD: Donc, les intérêts du public seraient sauvegardés à l'intérieur de cet organisme.

M. LE PRESIDENT: Le député d'Abitibi-Est, M. Cliche.

M. CLICHE: Je voulais demander si la commission formée en Angleterre existait depuis

longtemps et quelle était l'expérience qu'on en avait.

M. DUFOUR: Elle est créée depuis 1961. Elle a été restructurée en 1965. Cette restructuration, en gros, c'était l'entrée du public dans la commission. Au départ, elle était formée de représentants gouvernementaux et patronaux ainsi que des Journalistes. On a remplacé les gens du gouvernement par des gens du public en général. Cela a été la transformation importante. De plus, on lui a donné cette supervision sur les mouvements de propriété en 1965. Elle existe donc depuis maintenant...

M. CLICHE: Est-ce à la suite de l'acquisition faite par Thomson de toute une série de Journaux, à un tel point que les Britanniques eux-mêmes étalent alertés par ces manoeuvres et ce monopole? Est-ce à la suite de cela?

M. DUFOUR: De Beaverbrook. M. CLICHE: Non, de Thomson. M. DUFOUR: De Beaverbrook également.

M. CLICHE: Beaverbrook, oui, auparavant. Et Thomson après.

M. DUFOUR: C'est lui qui, après la guerre, a mis la puce à l'oreille...

M. CLICHE: Est-ce que vous avez des exemples d'intervention ou de décision prises par cette commission-là à l'endroit de Thomson ou à l'endroit de personnalités qui voulaient ou qui exerçaient un monopole?

M. DUFOUR: Non. C'est-à-dire que le Conseil de presse fait un rapport annuel.

M. CLICHE: A qui?

M. DUFOUR: Au gouvernement.

M. CLICHE: A la Législature.

M. DUFOUR: Ala Législature, pardon. Mais, il a un rôle plus effacé et plus efficace au niveau des rencontres avec les individus. M. Lilkoff vous a parlé du travail de la commission fédérale sur les monopoles. Cela lui ressemble beaucoup. C'est-à-dire qu'à un moment donné, quand on sent que cela va se gâter, on peut informer le futur propriétaire ou les personnes comprises dans tel incident. On les fait venir devant le Conseil de presse et on leur dit: Ecoutez, si vous faites telle chose, nous serons obligés d'ouvrir cela publiquement et de vous blâmer. Très souvent, cela suffit pour empêcher que le mouvement se fasse, et ce n'est pas rendu public.

M. CLICHE: De là la difficulté de trouver les membres qui feraient partie de cette commission avec impartialité. D'où viennent-ils? De quel milieu viennent-ils?

M. DUFOUR: Ils sont nommés par le gouvernement. C'est une commission tripartite, si vous voulez. Il y a les patrons, les Journalistes et ensuite le public. Actuellement, c'est Lord Shawcross qui est là.

M. LE PRESIDENT: Etant donné qu'il y a peut-être pas mal de monde, en dehors des membres du comité, qui n'ont pas pris connaissance du rapport, pourriez-vous, étant donné que la question du Conseil de presse semble retenir l'attention du comité, donner la composition du Conseil de presse? Le député de Chambly a donné brièvement tout à l'heure, le mandat de ce conseil. Pourriez-vous revenir là-dessus et donner brièvement la substance de votre rapport?

M. LAVOIE: Si nous référons à la page 65 du rapport, si vous me le permettez, on y dit que: Le Conseil de presse se compose d'un président indépendant et de vingt membres professionnels nommés dans des proportions diverses par différentes associations de Journalistes. Il y a aussi cinq membres du grand public. Les membres qui sont professionnels sont tous mêlés d'une façon active à la production des Journaux et des périodiques alors que la majorité d'entre eux représente les éditeurs.

Aucun d'entre eux ne reçoit... etc. Les représentants du public reçoivent une légère allocation. On parle plus loin, à cette même page, des objectifs du Conseil de presse, dont M. Laporte a énuméré quelques-uns tout à l'heure, de même que le premier ministre. Mon confrère a peut-être eu un lapsus, tout à l'heure. Comme documents qui font partie du mémoire présenté, il y a une photocopie du rapport présenté par le Board of Trade pour l'année se terminant le 31 décembre 1968. C'est-à-dire que le Board of Trade fait rapport de ses activités au Parlement anglais sur ce qu'il a constaté; il fait des recommandations et le Parlement décide. Maintenant, comme vous le savez, pour ce qui est de l'acquisition du Times, le Parlement, le Conseil de Presse et tout le monde a longtemps hésité avant de permettre au propriétaire, Lord Thomson, Je crois, d'acquérir le Times.

Ils se sont dit: Cela ressemble un peu à un monopole, à une concentration, quoi. Finalement, ils ont permis à ce propriétaire d'acquérir le Times. Tout le monde sait que le Times s'est grandement amélioré depuis. Ils ont donc pris une chance. C'était un peu dans la balance. Finalement, ils ont donné leur permission et le journal s'est amélioré.

Même avec des journaux de tendance politique distincte, avec le même propriétaire, ce qui n'existe peut-être pas à fond chez nous, la province n'étant pas aussi développée et aussi étendue. Et comme mon confrère Dufour le disait tout à l'heure, la situation qui existe en Angleterre n'est peut-être pas tellement la même que chez nous et la même qu'aux Etats-Unis d'Amérique, alors qu'ils ont dû adopter des solutions différentes.

Maintenant, on a aussi publié comme document...

M. CLICHE: Une question, s'il vous plaît.

Il n'y a pas de postes de radio privés en Angleterre, c'est la BBC qui contrôle tout.

Me LAVOIE: Oui, d'accord, d'accord.

M. CLICHE. Il n'y a aucun poste privé de radio ou de télévision?

Me LAVOIE: D'accord.

M. CLICHE: En Angleterre, est-ce ça?

Me DUFOUR: Il y a des postes privés.

M. CLICHE: Oui, à un tel point qu'à un moment donné, on a établi des postes dans l'eau, à l'embouchure de la Tamise. Est-ce que ça marche encore, ces postes de radio-là?

Me LAVOIE: Je ne crois pas.

Me DUFOUR. Il paraît qu'il y en a encore pour les mouvements un peu radicaux, qui en possèdent, au large de l'Irlande, par exemple. Mais c'est i la suite de ce mouvement indestructible qu'on a permis les postes privés.

M. CLICHE: Qu'on a permis des postes privés?

Me DUFOUR: Oui.

M. CLICHE: En Angleterre? Est-ce qu'il y en a?

Me DUFOUR: Oui.

M. CLICHE: Actuellement.

M. MICHAUD: Sans préjuger, M. le Président, des positions que l'on pourrait prendre éventuellement, puisque cette séance en est une d'information pour les membres du comité, est-ce qu'il y aurait quelqu'un de la partie patronale qui pourrait peut-être non pas donner son opinion, qui ne sera pas reçue comme telle, mais parler du conseil de presse? Il y a eu des discussions, la partie patronale a été mêlée à ça. Je ne sais pas s'il y a des représentants de fédérations de journalistes ou autrement, mais il serait peut-être intéressant d'avoir un point de vue patronal sur le conseil de presse. Je pense que M. Bureau a déjà participé à beaucoup de discussions à ce sujet-là.

Me BUREAU: Si vous me permettez, M. le Président, on a parlé de conseil de presse depuis un bon moment. Il existe ici, dans la province de Québec, des négociations depuis au-delà d'un an, qui se sont poursuivies entre les représentants des journalistes et les représentants de la partie patronale, au niveau des quotidiens du Québec, des hebdos du Canada et de la CRTF au sujet d'un projet de conseil de presse.

Il y a même eu rédaction d'un projet qui a été faite. Elle a été étudiée à ce moment-là par les représentants de 1'UCJLF et de l'Alliance des syndicats de journalistes du Québec, qui étaient les représentants de la partie journalistique, et les représentants des quotidiens du Québec, les hebdos du Canada et le CRTF pour la partie patronale. Les négociations ont duré pendant plusieurs mois. Ce qui a empêché, je pense, le conseil de presse de naître il y a quelques mois, c'est que, sur le plan de la représentativité, le côté patronal était assez complet, mais du côté syndical ou du côté des journalistes si on veut plutôt, il semblait que les deux associations en présence, L'UCJLF et l'Alliance des syndicats de journalistes, ne représentaient pas tous les journalistes ou tous les gens rattachés à la profession de journaliste dans la province de Québec. A ce moment-là, les négociateurs sur le plan des journalistes, ont décidé de former ce comité d'enquête qui a mené, je pense, à la Fédération provinciale des journalistes du Québec. Ce qui fait que les négociations sont actuellement suspendues en attendant que la nouvelle Fédération provinciale des journalistes du Québec reprenne ces négociations-là, au nom de l'élément journalistique.

Nous avons déjà, du côté patronal, engagé de la correspondance et des entrevues avec la nouvelle fédération au sujet du conseil de presse. Le président de la fédération, M. Gariépy, nous a confirmé que les négociations devraient re-

prendre dans les prochaines semaines, dès que le secrétariat de la fédération serait assez bien organisé. Ceci veut donc dire que nous espérons que ce projet de conseil de presse pourrait être mené à bien dans un assez court espace de temps. Maintenant, le projet lui-même est rédigé, il est entre les mains des deux parties à l'heure actuelle. Il n'y a pas encore d'accord officiel, parce que, évidemment du côté des journalistes, la nouvelle fédération ne s'est pas prononcée officiellement sur le projet, mais il y a un document qui existe déjà et qui correspond en mieux, je dirais, si je peux me permettre, au conseil de presse anglais, en ce que, au lieu d'avoir une représentation majoritaire patronale, comme dans le cas du conseil de presse anglais, la représentativité au sein du conseil de presse de la province de Québec serait absolument égale entre les trois groupes: public, journalistes et éditeurs, ce qui fait qu'il y aurait certainement une balance de pouvoir beaucoup plus équitable dans une formule comme celle-là.

M. BERTRAND: Quand vous parlez de ce conseil de presse qui est appelé à naître au Québec, est-ce qu'il s'agirait d'une entente entre les patrons et les représentants du monde journalistique et où l'Etat n'aurait pas à intervenir pour adopter une loi?

M. BUREAU: C'est exactement l'orientation qu'avaient prise les négociations il y a quelque temps. Evidemment, il n'y a pas eu de rencontre depuis que la commission d'enquête ici ou le comité spécial a été créé à ce sujet, mais c'était notre désir commun de constituer un conseil de presse en marge, si vous voulez, d'une loi de la province ou, enfin, qui serait fait volontairement et spontanément par entente entre les parties.

M. BERTRAND: Le public serait alors représenté et le choix des représentants du public serait fait et par la partie patronale et par la partie représentant les journalistes?

M. BUREAU: C'est cela. Ces gens-là ne devraient en aucune façon être intéressés économiquement ou intéressés professionnellement dans le domaine du journalisme. Ils devraient être des gens absolument indépendants.

M. BERTRAND: Vous me permettrez de vous féliciter et de féliciter les patrons et les représentants du monde journalistique de s'occuper de leurs affaires, de ne pas compter sur l'Intervention de l'Etat, de manifester ainsi autant d'initiative.

M. LE PRESIDENT: J'ai vu M. Girard s'approcher.

M. MICHAUD: Est-ce qu'il y a des représentants de la partie professionnelle des journalistes?

M. GIRARD: Mon nom est Normand Girard. Je suis membre du bureau de direction de la nouvelle Fédération des journalistes qui a été créée lors d'un congrès récent, comme vous le savez. Je voulais simplement faire entendre la voix de la fédération pour confirmer en partie les propos que vient de tenir Me Bureau, propos qui sont relativement exacts. La Fédération professionnelle des journalistes, qui groupe maintenant tous les journalistes qui existent au Québec, soit un petit peu plus d'un millier, verra à participer d'une façon très active avec le patronat à la mise sur pied d'un conseil de presse qui devrait répondre, je pense, aux exigences et aux besoins de chacun, de même que la fédération a manifesté, lors de la dernière réunion de son bureau de direction, la ferme intention de se faire entendre devant le comité, de présenter un mémoire dans lequel elle expliquera en détail ses positions, son point de vue, tant sur le phénomène de la concentration de la presse que sur le phénomène de la liberté de presse et sur le problème de la mise sur pied d'un conseil de presse. Je prierais les membres du comité, M. le président en tête, de bien vouloir attendre que la fédération qui, vous le comprendrez, est tout à fait nouvelle, ayant quand même mis un certain temps à démarrer mais étant en voie de parachever ses cadres à l'heure actuelle, c'est-à-dire son secrétariat, comme l'a dit Me Bureau, ait procédé à l'étude de toute la documentation qui s'est accumulée en rapport avec le problème et qu'avant, évidemment, de prendre une décision quelconque, la fédération soit entendue, qu'elle ait le temps de faire valoir, au nom du millier de journalistes que nous représentons, le point de vue des journalistes. Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT: A ce sujet, j'ai rencontré M. Gariépy, président de la fédération, et je l'ai assuré que vous auriez tout le temps disponible pour préparer votre mémoire et venir le soumettre au comité.

M. GIRARD: Je vous remercie.

M. MICHAUD: Est-ce que l'on pourrait demander...

M. LESAGE : La tentation est grande de poser des questions pour une fois.

M. LAPORTE: J'aurais pris des notes.

M. MICHAUD: Je comprends que nous ne sommes liés par les règlements de la Chambre. Il ne s'agit pas d'une motion de production de document, mais est-ce qu'on pourrait commander aux auteurs du rapport une étude un peu plus fouillée du conseil de presse anglais, c'est-à-dire des décisions qui ont été rendues depuis deux ou trois ans, de telle sorte que le comité puisse en prendre connaissance avant... J'imagine que c'est une étude qui devrait se faire assez rapidement avant la prochaine séance du comité.

M. BERTRAND: Les membres du comité m'ont indiqué ce matin qu'ils n'avalent aucune objection non plus à procéder également à une étude de la législation allemande. Ils ont même poussé le soin jusqu'à dire qu'ils étaient prêts à y aller.

M. LAPORTE: On ne recule devant rien pour avoir un conseil qui va vraiment...

UNE VOIX: L'Allemagne de l'Est ou l'Allemagne de l'Ouest?

M. BERTRAND: Ce matin, un des journalistes présents ici a attiré mon attention là-dessus. Il paraît qu'en Allemagne, on a adopté également certaines législations concernant ce problème. Est-ce que je pourrais inviter les membres de notre comité à procéder à une étude de la législation allemande?

UNE VOIX: Est ou Ouest? M. MICHAUD: Ouest...

M. BERTRAND: Ouest, parce que pour l'Est - le député de Gouin l'a dit tantôt - c'est la dictature; il n'y a pas de liberté de presse.

M. LAPORTE: C'est une liberté contrôlée. Un instant, le député de Sainte-Anne a une question à poser.

M. HANLEY: Quand vous parlez de dictature, parlez-vous de la ville de Montréal?

M. LAPORTE: II n'a pas été question de M. Drapeau.

M. HANLEY: II n'y a pas de contrôle...

M. BERTRAND: Non, d'ailleurs, Je pense bien que le fait que vous puissiez le dire démontre qu'il n'y en a pas.

M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Est-ce que les membres de la commission ou ceux de l'assistance ou les journalistes auraient d'autres questions à poser?

Me MARC-ANDRE LAVOIE: Si vous me le permettez, vu que le problème des sociétés d'édition a été soulevé dans les journaux de ce matin. Nous avons aussi publié, comme document, la préface d'un ouvrage: « La presse, le pouvoir et l'argent » de Jean Schwoebel, docteur en droit, licencié ès lettres et rédacteur du Monde depuis 1948. Il y avait une préface de M. Paul Ricoeur, qu'on a aussi publiée dans les documents mis à la disposition du comité. Vu qu'il a été question de sociétés d'édition ce matin, je ne sais pas si cela intéresserait ceux qui ne pourront pas consulter le document que je lise un paragraphe qui est assez avant-gardiste d'une solution proposée en France. Est-ce que cela pourrait intéresser le comité?

M. MICHAUD: C'est l'auteur de « La presse, le pouvoir et l'argent » recommandant les sociétés de rédacteurs. C'est le modèle du Monde?

Me LAVOIE: Ce sont les sociétés de journalistes. Ils vont assez loin dans leurs solutions. Il y aurait ici une vingtaine de lignes, si cela peut vous intéresser, traitant des sociétés d'édition. Je vous le dis d'avance: La solution est assez avant-gardiste.

C'est à la page 11 de la préface de Paul Ricoeur. Il dit ceci: « La solution proposée, par contre, s'inscrit dans le cadre du droit général des entreprises privées et en particulier de la Loi de 1966 sur les sociétés commerciales, dont l'auteur de ce livre avoue qu'elle va en sens contraire du dessein poursuivi par les sociétés de rédacteurs. Mais, pour être équitable et ne pas reprocher trop vite à cette mesure réformiste de respecter le jeu capitaliste, il ne faut pas séparer la réforme, qui donne aux journalistes un accès à la propriété, d'une autre réforme qui, de spontanée, pourrait être rendue obligatoire par la loi, à savoir — c'est là, je pense, que cela peut intéresser M. Michaud — la transformation des sociétés d'édition en sociétés commerciales à lucrativité limitée. Grâce à cette renonciation des propriétaires de parts aux profits de caractère spéculatif, cette varia-te capitaliste de l'entreprise permettrait d'articuler la coopération des apporteurs de capitaux et des apporteurs de compétences. Si une telle loi pouvait être introduite dans notre législation, les sociétés de presse seraient

véritablement d'un genre spécial. Seuls auraient le droit d'y investir les détenteurs de fonds qui renonceraient à des gains spéculatifs et qui accepteraient de coopérer, sur le plan d'une véritable association, avec des sociétés de journalistes ».

Si vous me permettez un commentaire personnel, je me demande si le jeu des sociétés de journalistes ne serait pas en quelque sorte un catalyseur. Aux Etats-Unis, par exemple, dans le mid-west américain, les sociétés de journalistes détiennent 50% et même 51% des parts, comme dans le cas du St.Louis Post and Dispatch. Il y a eu une prohibition d'aliénés, c'est-à-dire qu'ils vont être obligés de garder 51% des parts détenues par les sociétés de journalistes. Il y a toujours un certain contrôle qui peut s'exercer de cette façon-là. J'y suis allé d'une suggestion personnelle, comme l'avait suggéré le premier ministre.

M. MICHAUD: L'intérêt de cette suggestion, bien sur, dépasse même le cadre des sociétés de rédacteurs, telles qu'elles existent au Monde et au Figaro. C'est peut-être une avenue dans laquelle on peut se diriger. C'est la participation à la gérance des journalistes à la direction de l'entreprise et même également aux profits. Les sociétés de rédacteurs c'est un type d'administration mixte qui fait que les journalistes siègent au conseil d'administration. C'est la cogestion et la cogérance en accord avec le patron. Ce sont des modèles intéressants. Mais, je ne comprends pas très bien les sociétés à but lucrativement limité. Je vous avoue que je vois difficilement comment cela peut s'intégrer dans le cadre d'un régime capitaliste, ici au Québec.

Me LAVOIE: La solution est assez avant-gardiste, mais je pense bien qu'au mérite de nos journalistes au Québec.

On pourrait peut-être ajouter qu'en Angleterre, les journalistes n'ont pas voulu s'occuper de leur affaire parce que les deux commissions d'enquête avaient suggéré aux journalistes de former ce conseil de presse. Les journalistes ne l'ont pas formé et le gouvernement a dû créer une loi. Je pense que, chez nous, nous sommes plus conscients des problèmes. Il me semble...

M. BERTRAND: Ici, on semble manifester beaucoup plus d'initiative. On l'a noté tout à l'heure.

M. LE PRESIDENT: Alors je pense qu'on pourrait s'entendre. Auriez-vous quelque chose à ajouter?

M. PICHE: M. le Président, vous avez très aimablement mis à notre disposition, il y a quelques jours, l'étude de Me Dufour et ses collègues. Nous aurons sûrement des questions nous-mêmes à poser si le comité nous le permet afin d'obtenir certains éclaircissements. Mais nous n'avons pas eu le temps encore d'étudier à fond le document en question. Nous n'en avons fait qu'une lecture assez rapide. C'est en réponse à ce que vous avez demandé tout à l'heure, à savoir si nous avions des questions à poser.

Nous permettriez-vous également de vous demander de continuer dans cette veine d'amabilité? Le comité a demandé ce matin à ses experts de produire certains autres documents qui nous seraient probablement utiles si vous pouviez nous y permettre un accès.

M. LE PRESIDENT: Très bien, M. Piché.

M. DUFOUR: M. le Président, je voudrais simplement vous souligner que ces documents sont d'une difficulté à obtenir assez incroyable. Il n'en existe pas d'exemplaire au Canada, et c'est grâce à M. Bonenfant si nous avons pu parvenir à en obtenir d'Angleterre. Donc, je pense qu'il y aura un certain décalage puisque pour l'étude que vous suggérez, c'est-à-dire ce qu'est le comité de presse et le conseil de presse en Angleterre, nous devrons les utiliser. Je ne connais pas les limites du prêt qui nous sera effectué, mais nous pourrons peut-être le polycopier et à ce moment-là en donner à tous ceux qui seraient concernés.

M. BERTRAND: Ne me dites pas que c'est aussi difficile que cela d'être informés?

M. DUFOUR: Très.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que pour la suite de nos travaux, vous auriez des...

M. BERTRAND: Je crois que vous avez reçu certaines demandes de la part de groupements qui voudraient présenter des mémoires. A l'occasion de la prochaine séance, nous pourrions peut-être entendre ces gens-la?

M, LE PRESIDENT: Effectivement, il y a jusqu'à maintenant neuf demandes de production de mémoires devant le comité. Je pense que nous pourrions, mercredi prochain, commencer à entendre ceux qui sont prêts à venir devant le comité.

M. BERTRAND: Est-ce qu'on pourrait vous demander d'appeler les membres de ces groupements, qu'on les avise au moins et qu'on sache

la longueur des mémoires, etc., de manière à ne pas tous les convoquer en même temps.

M. LE PRESIDENT: Nous ne pourrons certainement pas tous les entendre lors de la même séance. D'ailleurs, il y a des groupements qui ont demandé à être reportés un peu plus loin afin de finir la présentation de leurs documents.

M. LESAGE: Le nom de Me Jules Deschênes est sur la liste, et je suis aperçu qu'il se levait tout à l'heure.

M. DESCHENES: Je me levais plutôt par curiosité, M. Lesage. Je voulais demander à M. le président s'il est possible de savoir si, jusqu'à maintenant, le comité a reçu de fait certains mémoires et quels sont les organismes qui seraient prêts actuellement à déposer leurs documents?

M. LE PRESIDENT: Non. Actuellement, il y a certains membres, à titre individuel, qui voudraient paraître devant le comité. Entre autres, il y a un des membres du comité, M. Lilkoff, qui a exprimé le désir de se faire entendre. Est-ce à titre individuel ou comme membre du comité, M. Lilkoff, que vous vouliez comparaître devant le comité?

M. LILKOFF: Non, je n'ai pas exprimé ce désir. Il doit y avoir une erreur.

M. LE PRESIDENT: Ah bon! c'est comme membre du comité.

M. LILKOFF: C'est-à-dire que j'ai exprimé ce désir avant d'être nommé membre du comité.

M. BERTRAND: C'est ça. Vous aviez offert de venir témoigner pour fournir des renseignements supplémentaires à ceux qui sont déjà écrits dans ce rapport.

M. PICHE: Nous, nous avons une présentation à faire et nous ne serions pas prêts à la faire avant une couple de semaines. Nous sommes en pleine préparation présentement.

M. LESAGE: Et vous Me Deschênes?

M. DESCHENES: Je suis exactement dans la même situation, M. Lesage, actuellement.

M. LE PRESIDENT: Alors je pense qu'il serait préférable d'ajourner nos travaux à mercredi, dans quinze jours, afin de permettre à ceux qui veulent présenter des mémoires de les présenter. Nous nous entendrons avec ceux-là, à savoir qui viendra à ce moment-là et nous en avertirons...

M. MICHAUD: M. le Président, étant donné le délai de quinze jours qui est donné, pourrions-nous demander aux auteurs du rapport de pousser plus loin l'étude du problème de la diffusion, de peut-être fournir aux membres de la commission de la documentation sur les structures de diffusion, de messagerie, de transport, de titres de journaux.

Il me semble que c'est là un domaine que nous devrions étudier un peu plus à fond.

M. LESAGE: L'Association des journalistes n'aura pas assez de deux semaines, M. Girard?

M. GIRARD: Trois semaines.

M. LESAGE: Mais seriez-vous prêts dans trois semaines?

M. GIRARD: Cela forcera, mais nous essaierons d'être prêts.

M. LESAGE: Vous nous avez habitués à plus de rapidité, dans vos écrits.

M. MICHAUD: Ce sont les journalistes qui vont retarder les travaux de la commission.

M. BERTRAND: C'est ça. Il ne faudrait pas qu'on nous accuse que la commission marche à pas de tortue.

M. LESAGE: Vous êtes peut-être plus indulgents pour vous-mêmes que pour nous, les députés.

M. BERTRAND: Cela va leur permettre de l'être davantage pour nous.

M. GIRARD: Vous comprendrez, messieurs, que si nous retardons la préparation de notre mémoire, c'est pour consacrer plus de temps à bien rédiger les comptes rendus de vos activités.

M. BERTRAND: Excellente excuse.

M. LE PRESIDENT; Est-ce qu'il y a d'autres remarques? Alors, ajournement à mercredi dans deux semaines. M. Deschênes, oui.

M. DESCHENES: Est-ce que la commission pourrait mettre à notre disposition la liste des personnes qui ont demandé de déposer des mémoires et de comparaître, s'il vous plaît?

M. LE PRESIDENT: Très bien.

(Fin de la séance: 12 h 16)

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