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Corrections
Dans le premier cahier de la Commission spéciale sur le
problème de la liberté de la presse, 7 mai 1969, à la page
1585, 2e colonne, les paroles attribuées à M. Dussault ont
été prononcées par M. Piché et à l'avant
dernier paragraphe, celles qui furent attribuées à Me
Piché ont été prononcées par Me Roger Beaulieu.
En conséquence, à corriger le 3e paragraphe « M.
LESAGE: Quel est le... M. Piché? »; et l'avant dernier paragraphe:
« M. BEAULIEU: Je suis Roger Beaulieu... ».
Commission spéciale sur le problème de
la liberté de la presse
Séance du 21 mai 1969
(Dix heures quarante-trois minutes)
M. CLOUTIER (président de la commission spéciale sur le
problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!
Au terme de la première séance du comité, nous
avions demandé à notre groupe d'experts de préparer des
documents additionnels. Cela a été fait. Une étude du
conseil de la presse a été préparée par Me Dufour;
une étude sur la distribution de la presse écrite a
été préparée par Me Lilkoff; une étude du
problème de la diffusion en France et en Suède a
été préparée par Me Dussault; une étude sur
la législation de l'Allemagne de l'Ouest, du Danemark, de l'Australie et
du Japon a été préparée par Me Dussault, de
même que l'historique du conseil de presse en Angleterre.
M. Desjardins, est-ce que tous les membres de la commission ont
reçu...
M. DESJARDINS: J'ai demandé hier, à ma secrétaire
de faire distribuer à tous les membres de la commission une copie de ce
travaillà. J'espère qu'elles ont été reçues.
Je voudrais faire une remarque sur le travail: c'est indiqué,
cinquièmement, historique du conseil de presse. De fait, ce n'est que la
reproduction d'un article qui a été préparé par un
dénommé McMac. Maintenant, Me Dufour a commencé et presque
terminé une étude de l'historique lui-même et
également des deux commissions. Ce travail-là pourra être
terminé demain ou après-demain. Nous pourrons le distribuer.
J'aurais peut-être une autre remarque. Je regarde le journal des
Débats de la dernière séance; à la page 1585, on
attribue à Me Dussault, dans la colonne de droite, toute une
série de phrases qui, de fait, devraient être attribuées
à M. Piché.
M. LE PRESIDENT: C'est pour cela, d'ailleurs, que j'ai fait une remarque
tout à l'heure. J'ai demandé l'identification de l'opinant, afin
que le journal des Débats puisse clairement l'identifier. Les
corrections seront faites.
M. MICHAUD: A ce stade-ci de nos travaux, j'aimerais souligner quelque
chose d'extrêmement important et intéressant dans les documents
qui nous ont été distribués ce matin par le personnel et
par les commissaires si on peut les appeler comme cela qui
enquêtent sur le problème de la liberté de la presse.
Au chapitre de la distribution de la presse écrite, je vois cette
conclusion, les deux ou trois pages de l'étude sommaire.
J'imagine que les commissaires suggèrent une loi qui favoriserait
la création d'un service ou étatique ou paraétatique ou
purement privé de distribution de journaux à l'échelle de
tout le territoire québécois. Alors il est dit ceci qu'une telle
loi serait indiscutablement de compétence provinciale et elle
soulèverait probablement relativement moins d'opposition que la
législation sur la surveillance ou la répression des moyens
d'information.
Curieusement, l'Etat pourrait, face au phénomène de la
concentration de la propriété des journaux, animer ou
suggérer la création, pour contrer ce phénomène,
d'un service ou étatique ou paraétatique ou relevant de sa
volonté ou de son dynamisme, d'une société de distribution
des journaux à l'échelle du Québec.
Ceci voudrait dire qu'en vertu d'une Loi des coopératives les
propriétaires de journaux pourraient automatiquement se grouper et
distribuer tous les titres à l'échelle du territoire, palliant
là un problème qui existe dans notre démocratie, qui est
celui du sous-développement régional en matière
d'information.
Nous pourrions aider les petits journaux qui ont de la difficulté
à vivre en favorisant la création d'un service de messagerie, de
distribution des journaux en vertu d'une loi des coopératives, de telle
sorte qu'à tous les matins tous les quotidiens anglophones ou
francophones ou même les hebdos pourraient être distribués
par rail ou par avion dans les endroits les plus reculés dans le
Québec en même temps.
M. BERTRAND: Le député de Gouin me permet-il une question?
Est-ce qu'à l'heure actuelle les moyens de distribution des grands
journaux ne sont pas satisfaisants?
M. MICHAUD: Pour les grands journaux, oui. Mais il existe pour les
petits journaux une distribution qui coûte extrêmement cher. Une
loi, que je qualifierais presque de loi inique, a été
votée par le gouvernement fédéral, c'est-à-dire la
récente loi sur la hausse des tarifs postaux. C'est une loi qui
pénalise les petits journaux et les Journaux à faible
rayonnement.
M. BERTRAND: Pour les journaux régionaux ou locaux, il n'y a pas
de problème. La distribution se fait aisément à
l'intérieur de leur territoire.
M. MICHAUD: Pour les hebdomadaires régionaux, il y a de graves
problèmes parce qu'au moins 50% enfin c'était ça
quand j'étais direc-
teur de journal à 60% de leur distribution se faisait par
la poste.
Il n'y a pas de problème là où existe une petite
ville. Mais pour acheminer l'hebdomadaire régional dans tous les rangs,
dans tous les villages, dans toutes les paroisses, nous utilisions la
poste.
Or, la loi fédérale actuelle, haussant les tarifs postaux
de 50% à 60%, pénalise et pose même un frein à la
qualité de l'information et à l'expansion normale de ces petits
hebdomadaires régionaux.
L'Etat ne pourrait-il pas orienter ses recherches dans cette direction,
visant à favoriser, en vertu d'une loi des coopératives, le
regroupement de tous les moyens de distribution des journaux, de tous les
moyens utilisant les techniques modernes de distribution, sans jamais juger du
contenu? C'est important. Une société de messagerie, c'est un
autobus. Quand quelqu'un monte dans l'autobus, on ne porte pas de jugement de
valeur sur la personne qui y entre. C'est un canal de distribution et nous
pourrions, par là, diminuer considérablement le coût de
distribution.
M. BERTRAND: Pourriez-vous,M. Michaud, concrétiser et nous dire
comment cela pourrait fonctionner. Vous dites: Assurer la distribution la plus
générale possible de tous les journaux. Prenons l'exemple des
quotidiens...
M. LESAGE: A commencer par le Clairon. M. BERTRAND: Le Clairon, c'est un
hebdo. M. LESAGE: C'est ça.
M. BERTRAND: Parlons d'abord des quotidiens. Vous verriez une entreprise
d'Etat ou paraétatique qui s'occuperait de la distribution. Prenez
l'exemple des deux journaux de Québec, l'Action et le Soleil.
Voulez-vous poursuivre votre exemple et me dire où s'arrêterait la
distribution et du Soleil et de l'Action?
M. MICHAUD: Bon, je verrais le Parlement québécois adopter
une loi. Il y a un modèle qui existe actuellement en France qui
s'appelle les Nouvelles messageries de la presse parisienne, les NMPP.
L'Assemblée nationale a voté une loi, à
l'après-guerre, en 1946, qui donnait, dans ce cas-là, 49% des
actions à la société Hachette et 51% à tous les
propriétaires de journaux. Alors, actuellement, en France, les NMPP
distribuent tous les titres indifféremment, selon des horaires
prévus, que ce soit l'Humanité communiste ou le Figaro de droite
ou le Monde ou tous les titres quotidiens, hebdomadaires, mensuels, revues,
régionaux, etc. Elles ne portent jamais de jugement de valeur. Tout est
traité par les moyens de l'informatique. Un ordinateur au siège
central des NMPP prévoit la répartition des titres par province,
par département, etc.; toutes ces données-là sont
ramassées, ça prévoit le rassort, c'est-à-dire
là où il y a un manque de vente. Chaque propriétaire de
journal voit, bien sûr, auprès du concessionnaire à sa
propre promotion.
Autrement dit une messagerie d'Etat, je ne parle pas d'Etat ou
paraétatique, je verrais plutôt tous les propriétaires de
journaux du Québec, quels qu'ils soient, avoir libre accès
à cette nouvelle société que pourrait créer l'Etat
ou que pourrait subventionner l'Etat. Il existe déjà des
subventions aujourd'hui pour acheminer la copie sur les fils des
téléscripteurs, il y a des tarifs préférentiels
pour les copies de presse. Si vous envoyez un télégramme pour
souhaiter un joyeux anniversaire à vos parents, ça coûte
plus cher que la copie des journaux.
Ce n'est pas un précédent, l'Etat favorise
déjà, en vertu de la satisfaction du droit à
l'information, l'acheminement de la copie.
Or, comment cela pourrait-il se faire au Québec? Tous les
journaux, qu'ils soient quotidiens, hebdomadaires ou mensuels même, et
toutes les revues pourraient être distribués à même
ce canal. On pourrait créer un « pool » pour toutes les
ressources de la distribution et baisser le coût par unité, par
titre, d'une façon sensible.
M. BERTRAND: Si c'est tellement dans l'intérêt des
propriétaires et des vendeurs de journaux, ne serait-il pas
préférable de laisser ces gens bâtir eux-mêmes un tel
organisme ou une telle organisation selon la formule coopérative ou
suivant la formule de la Loi des compagnies?
M. MICHAUD: Bien sûr, mais, s'il n'y a pas intervention de l'Etat,
les plus puissants parmi les messageries et parmi les propriétaires des
circuits de distribution auront tendance à écarter de leur
réseau de distribution les voix les plus faibles. Ils auront tendance
à écarter la concurrence. Or, l'Etat, qui doit voir, lui,
à la satisfaction du droit à l'information, pourrait créer
les instruments permettant que tous les titres, que tous les journaux, que
toutes les revues soient accessibles au plus grand nombre de
Québécois possible.
Moi, je verrais très bien les petites voix,
comme le Devoir, l'Action, le Droit être
transportées...
M. BERTRAND: Votre collègue de Chambly veut protester.
M. LAPORTE: Ah, monsieur! Vous n'avez pas nommé le Clairon.
M. MICHAUD: ... dans un même avion que la Presse, le Star, la
Gazette, le Soleil, tous ces grands moyens d'information. Alors, si nous
laissons uniquement à l'initiative privée le soin de créer
cette coopérative, sans que l'Etat de quelque façon surveille les
activités...
M. BERTRAND: M. Michaud, ce n'est pas mon désir de vous
empêcher de continuer, mais n'est-ce pas un projet qui pourrait
être étudié, d'une manière plus exhaustive
quant à moi, je n'ai pas le rapport qui a été
préparé par les experts; nous en faisons faire des photocopies
un peu plus tard, étant donné qu'il y a des gens qui se
sont rendus au comité ce matin pour présenter des
mémoires?
M. MICHAUD: M. le président, je n'avais pas l'intention de faire
un long discours. J'ai réfléchi considérablement au
problème à partir des premières constatations que les
commissaires ont déposées il y a deux semaines. Je me suis dit
que, puisque la concentration « in se », en elle-même, ne
peut pas être freinée, puisqu'elle apparaît comme normale,
n'y aurait-il pas d'autres moyens d'équilibrer le
phénomène « concentrationnaire », de telle sorte que
l'Etat pourrait favoriser les petites voix, les petits journaux et les petites
entreprises, et permettre l'accès le plus général possible
à toutes les informations? Or, la réponse des gens qui
travaillent sur ce plan-là, c'est une société de
messagerie, de distribution des journaux, formée en vertu de la Loi des
coopératives ou autrement à laquelle pourraient avoir
accès tous les propriétaires de journaux au Québec,
quotidiens, mensuel, hebdomadaires et le reste.
M. LAPORTE: Et subventionnée par l'Etat.
M. MICHAUD: Bien, la forme que pourrait prendre la subvention de l'Etat
pourrait être...
M. LAPORTE: Je partagerais l'opinion du premier ministre sur un sujet
aussi important, sur lequel vous avez réfléchi depuis deux
semaines. Vous avez peut-être quelques documents à nous faire
distribuer, parce que je me rappelle un débat à
l'Assemblée nationale suscité par l'ancien chef de l'Opposition,
M. Johnson, sur la création...
M. BERTRAND: Ah oui!
M. LAPORTE: ... d'une agence de nouvelles, subventionnée par
l'Etat.
M. BERTRAND: Exclusivement canadienne-française. On avait
beaucoup de réticences.
M. LAPORTE : J'avais eu de la plupart des journaux des réponses
absolument catégoriques à l'effet qu'ils s'opposaient,
farouchement au nom de la liberté de la presse, à une telle
initiative. Alors est-ce sage? Disons que c'est intéressant, mais
j'aimerais mieux que l'on ait l'occasion...
M. MICHAUD: Si vous me le permettez, c'est toute la différence
entre le contenu et le contenant. Une agence de presse est le contenu. Pour une
société de distribution des titres...
M. BERTRAND: Là, c'est le transport qui est compris.
M. MICHAUD: ... il ne s'agit que du contenant.
M. CLICHE: La Régie des transports a-t-elle juridiction sur la
livraison et l'expédition?
M. BERTRAND: S'il y a...
M. CLICHE: Si la Régie des transports, comme dans le cas du
transport des passagers, a juridiction...
M. BERTRAND: Ils ont des permis, je crois.
M. CLICHE: ...pour émettre des permis pour le transport des
journaux?
M. BERTRAND: Oui. Je pense qu'ils ont des permis L, livraison.
M. CLICHE: Si de tels permis sont émis, la personne qui les
détient est obligée de transporter tous les journaux et non
seulement un journal.
M. BERTRAND: C'est-à-dire qu'il y a des messageries qui
distribuent certains journaux. Il y en a combien au Québec? On pourrait
peut-être faire un relevé. Il y en a quelques-unes
qui me viennent à l'idée, mais que je
préfère ne pas nommer.
M. LAPORTE: Je sais qu'en France cela existe; c'est subventionné
par l'Etat et c'est accepté.
M. BERTRAND: Oui.
M. LAPORTE: C'est différent.
M. BERTRAND: II y en a à l'heure actuelle. Nous voyons souvent,
sur nos routes, de très bonne heure le matin, des camions qui se
dirigent, surtout vers nos villes, pour...
M. LAPORTE: D'immenses camions.
M. BERTRAND: ... la distribution, par exemple, de la Gazette...
M. LAPORTE: Du Devoir.
M. BERTRAND: ... du Devoir, oui. Dans l'après-midi, la
distribution de la Presse, du Star, de l'Action et du Soleil aussi.
M. MICHAUD: Mais enfin, rapidement là-dessus, l'intervention
étatique dans ce domaine ne serait pas plus suspecte que les tarifs
actuellement consentis pour l'acheminement des publications de la presse
écrite. C'est au nom d'une même politique...
M. BERTRAND: Une bonne manière de subventionner serait
peut-être d'abolir les tarifs.
M. MICHAUD: Ou enfin de les diminuer.
M. BERTRAND: De les diminuer considérablement,
M. MICHAUD: Oui.
M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Alors, messieurs, nous n'avions
donné que peu de temps à la commission d'experts et ils se sont
très bien acquittés de leur tâche. Le document nous est
arrivé hier soir. Je comprends que les membres de la commission n'ont
pas eu l'occasion d'en prendre connaissance. Nous aurons l'occasion de revenir
sur le contenu de ce mémoire, selon le voeu exprimé par les
membres de la commission.
Ce matin, nous avons des visiteurs qui vont nous présenter des
mémoires. Je pense que nous pourrions passer, dès maintenant,
à cet article. J'inviterais maintenant Me Yves Ga- gnon,
président des Hebdos du Canada, qui est accompagné de quelques
membres de son groupe, à nous les présenter.
M. GAGNON: Je vais vous présenter le secrétaire, M.
Jean-Paul Légaré, de Rimouski; un des administrateurs, M. Adrien
Bégin, de Lévis; M. Marc Fortin, de Saint-Jérôme; M.
Houde, de Sorel; M. Ratelle, de Thetford; le premier vice-président, M.
Rodrique, de Saint-Georges-de-Beauce; le conseiller M. Elzéar Lavoie,
professeur à Laval; le deuxième vice-président, M. Fernand
Berthiaume, de Lachute.
M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): M. Gagnon, les membres du comité
ont une copie du mémoire. Je ne sais pas comment les membres
désireraient que vous procédiez. Je pense que vous devriez nous
donner l'essentiel du mémoire.
M. BERTRAND: M. Gagnon, combien comptez-vous de membres dans votre
association des Hebdos du Canada qui, antérieurement, s'appelait, je
crois, l'Association des hebdomadaires de langue française?
M. GAGNON: Du Canada.
M. BERTRAND: Combien de membres comptez-vous au Québec?
M. GAGNON: Nous comptons seulement 86 membres.
M. BERTRAND: Est-ce que l'on peut tenir pour acquis que toutes les
régions du Québec, en se basant sur les régions
économiques, disons les dix régions économiques, sont
représentées par ces hebdos-là?
M. GAGNON: Oui, toutes les régions du Québec sont
représentées, et nous avons six ou sept journaux à
l'extérieur du Québec, la plupart en périphérie de
la province, Hawkesbury, par exemple, et nous en avons deux au
Nouveau-Brunswick. Tous les autres journaux sont du Québec et
représentent toutes les parties du Québec. Nous avons certaines
normes d'admission. Si vous regardez, par exemple, la liste des hebdomadaires
de la province de Québec, vous allez vous apercevoir qu'il y en a
beaucoup plus que ça, mais plusieurs de ces journaux ne sont que des
feuilles publicitaires. Nous avons certaines normes, par exemple, un maximum de
70% de publicité, le reste doit être évidemment de la
matière rédactionnelle non publicitaire, dont la moitié
doit être d'intérêt
strictement local ou régional. Parce que les Journaux
régionaux, c'est-à-dire les journaux membres de l'association, ne
sont que des hebdomadaires régionaux, non pas des hebdomadaires
nationaux.
M.BERTRAND: Est-ce que le tirage de tous ces journaux-là est
contrôlé, et par qui?
M. GAGNON: Nous avons le tiers environ de nos membres qui ont un tirage
ABC, c'est-à-dire vérifié par l'ABC de Chicago. Les autres
ont un tirage que nous appelons certifié, c'est-à-dire
assermenté. Certains journaux sont à distribution gratuite. C'est
une minorité.
M. BERTRAND: Quand il s'agit de journaux à distribution gratuite,
ils doivent quand même dans votre groupement appliquer le critère
de 70% de publicité seulement.
M. GAGNON: C'est juste, 70%, c'est le maximum pour une période
prolongée.
M. BERTRAND: Maximum.
M. GAGNON: On me dit que le tirage total dépasse 600,000
exemplaires.
M. BERTRAND: 600,000.
M. GAGNON: Alors, nous faisons au départ la distinction entre la
concentration et le monopole. Nous admettons que la concentration est un
phénomène économique inévitable, même sur
certains plans, souhaitable pour avoir une presse qui soit plus moderne, qui
réponde mieux aux besoins. Alors, nous donnons certains des avantages de
la concentration. Quant au monopole...
M. BERTRAND: Si vous permettez, est-ce qu'au niveau des hebdos, le
phénomène de la concentration se retrouve et, si oui, dans quel
secteur du Québec surtout?
M. GAGNON: Le phénomène de la concentration ne s'est pas
encore réalisé dans la presse hebdomadaire régionale,
quoique nous commencions à avoir certains regroupements. Il y a
certaines personnes, par exemple, qui sont prêtes à acheter
plusieurs journaux tous les journaux qui sont à vendre
mais il y a eu, par exemple, un certain regroupement sur le plan de la
publicité par la création des hebdos A-l. Je ne sais pas si vous
avez déjà vu la publicité à la
télévision, mais c'est exclusivement un organisme de promotion et
de vente de publicité.
M. MICHAUD: Ah bien, si vous me permettez, M...
M. GAGNON. Il n'a rien à voir avec... Pardon?
M. MICHAUD: Cela, ç'a été très mal
interprété, parce que l'on parle souvent des hebdos A-l
groupés en une sorte de coopérative pour vendre de la
publicité, comme étant la conséquence d'un
phénomène de concentration. Or, dans ces hebdos-là, les
propriétaires n'ont rien aliéné, il n'y a pas eu fusion
d'intérêt, il n'y a pas eu d'association de capitaux ni rien.
C'est une sorte de coopérative pour mieux vendre de l'espace
publicitaire.
M. GAGNON: D'aucune façon, et même sur le plan de la
publicité, chaque journal conserve le droit de fixer ses propres taux.
C'est exclusivement un organisme de vente et de promotion publicitaire.
Lorsque nous parlons de monopole, nous soulignons la
nécessité pour l'Etat de voir à ce que le droit à
l'information soit maintenu et nous citons un cas qui n'a pas été
mentionné encore, je crois. Au moment où l'Assemblée
nationale du Québec formait le comité parlementaire, le
gouvernement américain intentait une poursuite en vertu de l'amendement
Celler-Kefauver: il y a une erreur ici, c'est le Calyton Act. Il s'agissait
dans ce cas-ci d'une ville de 135,000 âmes, Rockford, dans l'Illinois,
où la société Gannett avait obtenu le contrôle
financier de la principale station de télévision, du journal du
matin et d'un des deux quotidiens du soir. Le gouvernement américain a
intenté la première poursuite contre le monopole de presse
malgré le fait qu'il y ait dans cette ville deux autres postes de
télévision, quatre postes de radio, un autre quotidien et
plusieurs hebdomadaires dans la région immédiate. Le gouvernement
américain a obtenu que Gannett cède ses intérêts
soit dans le poste de télévision, soit dans les deux
quotidiens.
Evidemment, la concentration de la presse présente plusieurs
dangers. Nous en soulignons cinq.
Premièrement, sur le plan économique la page 4
traite plus particulièrement de la publicité il y a aussi
un phénomène de la concentration de la publicité qui
devient de plus en plus évident, je crois, et nous craignons pour notre
part que cette concentration fasse que par un jeu de taux combinés, par
exemple, les journaux, postes de radio et de télévision membres
de cette concentration en viennent à drainer à peu près
tout le marché de la publicité. Or, nous devons constater chez
nous, dans la presse heb-
domadaire régionale, qu'une baisse de tirage ou une baisse de
publicité de 20% risquerait de mettre complètement à terre
au moins 50% des journaux.
Sur le plan politique, évidemment notre crainte serait de voir
une tentative, surtout dans une période assez difficile, de minimiser ou
de taire jusqu'à un certain point les facteurs que nous
considérons comme les facteurs les plus dynamiques de la
société, c'est-à-dire ceux qui veulent ou qui pourraient
modifier le statu quo.
Sur le plan social, je crois que nous devrions citer cette phrase de
Jacques Kayser qui dit « qu'un grave préjudice est porté
à la collectivité par l'écrasement des petits journaux car
ce sont eux qui traduisent le mieux ses sentiments et ses aspirations et qui
souvent... aident à composer une image authentique de la nation. »
Je crois que les hommes politiques deviennent de plus en plus
sensibilisés à ça. Il y a eu pour ne pas faire de
politique une élection fédérale où tous les
grands quotidiens ont dit qu'un parti n'avait aucune chance de faire
élire des candidats et qui a tout de même réussi la
première fois à en faire élire 26. Je crois que si on
avait lu la presse hebdomadaire régionale à ce moment-là
on aurait constaté que le phénomène existait avec beaucoup
plus de force qu'on l'a cru dans ce que nous appelons les grands journaux.
Nous croyons que les grands journaux peuvent difficilement traduire tous
les phénomènes régionaux. Or, la concentration offre le
danger de faire disparaître plusieurs de ces journaux régionaux.
D'ailleurs, c'est ce qui s'est produit en France, particulièrement,
où les hebdomadaires régionaux n'existent plus. Ce sont les
quotidiens qui ont pris la place et aujourd'hui, ils ont
énormément de difficulté. L'été dernier,
nous avons eu l'occasion de faire une tournée en France et nous avons
constaté ce phénomène dans la presse régionale
française.
Sur le plan de l'information, Je crois que ceci a déjà
été mentionné à plusieurs reprises, nous
considérons qu'il y a quand même des dangers assez sérieux
sur ce plan-là.
Sur le plan culturel, toute société organisée doit
voir à conserver la propriété de ses principaux
véhicules de culture populaire. A plus forte raison une
société minoritaire comme la nôtre. Nul ne niera que les
moyens d'information constituent l'un des principaux véhicules de cette
culture.
Par conséquent, notre société possède non
seulement le droit mais le devoir de prendre toutes les mesures
nécessaires afin que sa presse ne tombe pas dans les mains
d'intérêts étrangers.
J'ai tenu à lire cette partie-là parce que c'est une des
parties qui fait le sujet d'une des conclusions.
Or, la liberté d'entreprise économique, avec tous les
aléas qu'elle comporte, augmente considérablement ce danger. Nous
voyons constamment des entreprises industrielles et commerciales nous
échapper, soit par désintéressement des nôtres, en
raison de retraite ou de décès, de droits de succession, soit en
raison de revers de fortune. Or, s'attacher à la propriété
nominale des entreprises de presse n'est pas suffisant dans une économie
libre comme la nôtre.
En conclusion, nous disons que l'Etat a le droit et même le devoir
de s'occuper de ce problème et les solutions que vous devez rechercher,
à notre avis, doivent tenir compte de trois principes:
Premièrement, assurer le droit inaliénable du public
à une information objective et complète, et assurer
également le droit à la diffusion des opinions et idées du
milieu;
Deuxièmement, assurer que la propriété des moyens
d'information et de culture demeure totalement ou en majeure partie dans les
mains des intérêts majoritaires du Québec, malgré le
jeu de l'économie libre qui ne peut que défavoriser à
longue échéance la société francophone
québécoise;
Troisièmement, promouvoir un milieu favorable à
l'expansion qualitative et quantitative de l'information, malgré les
tendances économiques qui peuvent s'y opposer.
En ce qui a trait, premièrement, au droit à l'information,
les hebdos du Canada ont été le premier organisme patronal de
presse à accep ter le principe et à accepter officiellement le
projet patronal de conseil de presse. Cela fait des années que nous le
réclamons. Nous croyons qu'il y a beaucoup à faire de ce
côté-là. Premièrement en ce qui a trait à la
qualité de l'information, à la quantité de l'information,
aux droits fondamentaux du public à être bien informé.
En ce qui a trait à la propriété culturelle,
là nous en arrivons à un problème qui nous semble assez
sérieux et que le phénomène de concentration ne fait, dans
le fond, qu'aggraver. Nous ignorons vraiment quelles seraient les mesures que
l'Etat pourrait adopter. Ce que nous constatons, par exemple, c'est que le
gouvernement fédéral, déjà, possède
plusieurs pouvoirs dans le domaine surtout de la radio et de la
télévision. Nous constatons également que le Sénat
vient de former une commission d'étude qui, même si les pouvoirs
n'ont pas été déterminés encore, semble-t-il,
étudiera le problème de la concentration de la presse,
mê-
me de la propriété de la presse. Quand je parle de presse,
je parle de la presse parlée et écrite.
Or, nous croyons que le Québec devrait absolument, de
façon claire et nette, prendre les mesures pour s'assurer de couvrir ce
champ avant qu'Ottawa prenne quelque mesure qui pourrait devenir un
empiètement sur les droits du Québec.
Quelle est la façon? Je crois que les conseillers juridiques du
gouvernement seraient en mesure de faire une étude sérieuse sur
cette question. Le phénomène de la concentration aggrave ce
danger-là dans le sens que si quatre, cinq ou six personnes qui,
actuellement, détiennent des actions importantes dans des
sociétés beaucoup plus grande, décidaient, pour une raison
ou pour une autre, de s'en débarrasser ou étaient forcées
de s'en débarrasser, à ce moment-là, du jour au lendemain,
presque toute la presse parlée et écrite tomberait dans ce que
nous appelons des mains étrangères, non pas sur le plan
constitutionnel, mais sur le plan du milieu majoritaire
québécois, le milieu francophone.
M. MICHAUD: C'est ça que vous appelez étranger?
M. GAGNON: Que j'appelle étranger dans le texte ici, parce que,
lorsque je parle des intérêts majoritaires du Québec, Je
parle du milieu francophone.
M. MICHAUD: Alors, ce sont des intérêts non francophones
que vous appelez étrangers?
M. GAGNON: Non francophones, mais qui pourraient être aussi bien
américains. Nous n'avons pas fait la distinction, à ce
moment-là.
M. BERTRAND: M. Gagnon, dans ce chapitre, vous parlez d'une
législation qui pourrait être adoptée par Québec.
Avez-vous eu l'occasion de prendre connaissance du mémoire qui a
été préparé par nos experts en date du 16 avril
dernier? En avez-vous pris connaissance?
M. GAGNON: J'en ai pris connaissance après la rédaction.
Je dois souligner ici que nous avions fait une demande à la commission
pour recevoir toute la documentation pour nous aider à préparer
notre mémoire. Nous ne l'avons jamais reçue.
M. BERTRAND: Est-ce que, depuis, vous avez reçu copie de ce
mémoire?
M. GAGNON: J'ai été obligé d'aller la cher- cher au
bureau de Me Bureau qui était venu ici la semaine dernière et qui
en avait quatre copies.
M. BERTRAND: Pourrait-on demander immédiatement à nos
experts que les documents qui sont préparés et qui sont toujours
photocopiés le soient également pour ceux qui ont
présenté des mémoires?
M. LE PRESIDENT: A ce sujet, ceux qui auraient besoin de documents
spéciaux qui sont à la disposition de la commission, communiquez
avec M. Bonin, le secrétaire des commissions, et vous recevrez toute la
documentation. M. Massicotte, l'éditeur du journal des Débats, me
dit qu'il y aura aussi des copies additionnelles des Débats. Nous avons,
ce matin, ceux de la première séance. Alors, ceux qui sont
intéressés à s'en procurer n'ont qu'à le demander.
Vous pourrez vérifier au fur et à mesure l'enregistrement des
débats.
M. MICHAUD: On pourrait passer par l'Office d'information et de
publicité qui semble assez diligent pour la publicité
gouvernementale.
M. BERTRAND: Je vous inviterais à utiliser le canal de la
commission parlementaire. Ce sera plus direct.
M. LESAGE: Surtout, celui de la présidence du conseil et faites
lire votre texte par M. Masse. Il n'y a pas d'erreur, cela va passer.
M. GAGNON: En toute justice, je dois dire que j'ai communiqué, il
y a deux semaines, avec l'attaché de presse, je crois, du
président de la commission, M. Allard. J'ai reçu, le lendemain ou
deux jours plus tard, une lettre confirmant l'envoi du document
préparé par le ministère de la Justice, mais je n'ai pas
reçu le document; ce que je comprends très bien avec le
système postal que nous avons depuis quelques mois surtout.
M. LESAGE: Pauvre Eric, il en prend.
M. BERTRAND. Il aurait été mieux de rester à
Québec.
M. GAGNON: J'espère que le ministre n'a pas pris cette
expérience à Québec.
M. BERTRAND: C'est pas mal, ça.
M. MICHAUD: M. Gagnon, je voudrais revenir sur votre définition
des intérêts non fran-
cophones. Si l'art, par exemple, n'a pas de patrie, est-ce que des
intérêts peuvent être francophones?
M. GAGNON: J'admets qu'il y a un problème.
M. MICHAUD: Est-ce que les intérêts économiques
peuvent être ethniques?
M. GAGNON: J'admets qu'il y a un problème sur le plan
législatif. Evidemment, comme vous voyez, nous n'avons pas donné
de conclusion bien précise, parce que nous pouvons très bien
imaginer ce que pourrait être le résultat, advenant le fait que
presque tous les postes de radio et de télévision et tous les
quotidiens de la province de Québec tombent dans les mains d'une
personne ou d'un groupe de Toronto ou de New York.
Je crois qu'on peut imaginer très bien ce qui pourrait survenir
à ce moment-là. Lorsqu'il s'agit d'adopter, par exemple, des
mesures qui pourraient empêcher cela, je crois que vos lumières
sont aussi bonnes que les miennes pour trouver des solutions.
M. BERTRAND: Vous croyez que les moyens utilisés par l'Etat en
pareil cas pourraient véritablement atteindre le but que vous
poursuivez. Exemple: je suis un francophone et je n'ai pas beaucoup d'argent.
Par contre, j'ai beaucoup d'initiative.
M. LESAGE: Cela va un peu ensemble.
M. BERTRAND: J'ai beaucoup d'initiative et, à ce
moment-là, un anglophone m'aide, me fournit des fonds qui me permettent
à moi, francophone, de me porter acquéreur de telle ou telle
entreprise. Comment pourrez-vous exercer un contrôle dans un tel cas?
M. GAGNON: Bien, évidemment, s'il y a suffisamment de garanties
à l'effet que la propriété de ces biens-là serait
continuellement au service de la majorité francophone du Québec,
à ce moment-là, je suis bien d'accord. Peu importe que l'argent
vienne de la Banque Royale ou même d'intérêts
américains, c'est assez secondaire. Mais il s'agit, tout de même,
du contrôle au niveau des décisions, des décisions
pratiques. Alors, à ce moment-là, jusqu'à quel point
pourrait-on légiférer? Je ne le sais pas, mais ce que je
constate, ce que nous avons constaté au conseil d'administration de
l'association, c'est qu'il y avait un véritable danger, que l'Etat
devrait étudier sérieusement cette question-là, parce que
nous pouvons très bien constater que si ce danger se réalisait un
jour, nous pourrions être en très mauvaise posture.
Aucun organisme, aucune société organisée
n'admettrait que ses principaux véhicules d'information et de culture
populaire soient totalement ou en majeure partie entre les mains de personnes
qui ne sont pas de cette société.
M. BERTRAND: Quand vous dites, M. Gagnon, que l'Etat devrait examiner ce
problème, ne croyez-vous pas l'Etat on lui demande beaucoup, on
lui demande d'étudier, on lui demande d'examiner, on lui demande de
prendre des initiatives et c'est ce que nous avons noté, lors de la
dernière séance n'est-il pas préférable que
la volonté de ceux qui sont dans le champ se manifeste comme elle semble
se manifester en vue de l'établissement d'un conseil de la presse
d'abord, premièrement?
Deuxièmement, ce conseil de la presse étant dans le champ,
connaissant les problèmes de plus près et peut-être de
beaucoup plus près que l'Etat ne peut jamais les connaître,
n'est-ce pas préférable que des études, que des
recommandations nous parviennent à la suite d'un examen de la situation
par un tel conseil de la presse, où sont représentés des
membres, disons, représentant les journalistes et, d'autre part, les
propriétaires de journaux? Car le principe en vue, c'est celui-ci:
Répondre au droit qu'a le citoyen à l'information la plus
complète, la plus objective et la plus impartiale souhaitable.
M. MICHAUD: M. le Président, si vous permettez, avant que M.
Gagnon réponde, j'aimerais aussi que les commissaires qui se sont
penchés sur l'étude de tout le problème puissent
également répondre à cette question et je la reformule. Je
sais que, depuis deux ou trois ans, des suggestions nous arrivent
fréquemment. J'en ai fait une moi-même lors de l'étude du
projet de loi 52, sur le cinéma, en matière de
propriété de la distribution et de la propriété des
salles de cinéma dans le Québec, puisque ça touchait notre
culture.
Je reformule ma question, je n'ai pas encore trouvé de
réponse à ça. Si l'art n'a pas de patrie, est-ce que les
intérêts peuvent en avoir une? Vous dites: II serait souhaitable
que la propriété, en matière d'entreprise de presse, reste
entre les mains des intérêts majoritaires du Québec? C'est
un problème fondamental, l'Etat pourrait-il intervenir dans ce
domaine-là, dans le domaine de la culture, que ce soit la presse, le
cinéma, la radio ou la télévision? Par quelles sortes de
mécanismes voyez-vous une loi qui limiterait le droit de
propriété en
matière d'entreprise de presse a des intérêts
francophones?
Je sais que, dans la loi française de presse, il est
nommément dit, il est spécifié que ne peuvent être
propriétaires d'entreprise de pre-se écrite que des
Français de nationalité française. Or, il arrive, avec les
mouvements du marché commun, avec le phénomène de la
fusion dans le domaine des entreprises d'imprimerie, que des capitaux allemands
se sont joints à des capitaux français et ont établi,
à toutes fins utiles, un nouveau style de propriété
conjointe, mais ça, avec le débordement des frontières et
l'éclatement des frontières économiques et que cette loi
est à peu près inopérante.
Les Allemands sont actuellement propriétaires de facto de
certains journaux ou de certaines entreprises d'imprimerie qui ont des
intérêts dans les journaux.
Alors, comment d'une part concilier cet impératif culturel de la
propriété des entreprises de presse entre des mains francophones
et ces grands mouvements universels qui tendent même à un
éclatement des frontières économiques et à la
fusion des capitaux qui n'ont pas, eux, de préoccupation culturelle?
M. GAGNON: Pour répondre d'abord au premier ministre, je dois
dire qu'au départ les hebdos du Canada favorisent le conseil de presse.
Vous allez le constater tout à l'heure parce que le projet de conseil de
presse est présenté conjointement par les hebdos du Canada, les
quotidiens et les radiodiffuseurs.
Le conseil de presse permettrait, je crois, s'il est efficace et bien
organisé, de résoudre la plupart des problèmes auxquels
nous avons à faire face. Cependant, nous croyons que le conseil de
presse, s'il constate certains dangers qui sont en train de se
matérialiser, aura besoin à ce moment-là de l'action
gouvernementale. Ce que nous désirons, c'est que le gouvernement prenne
seulement les mesures pour agir légalement, évidemment,
efficacement et rapidement lorsque la situation se présentera, si elle
se présente.
Nous nous opposons, par exemple, à une régie. Nous avons
très peu confiance aux régies gouvernementales, malheureusement,
pour des raisons strictement politiques et à plus forte raison lorsqu'il
s'agit de la presse.
M. BERTRAND: Et dans ce domaine-là surtout.
M. GAGNON: Alors étant donné que nous nous opposons
à une régie, évidemment, il nous reste très peu de
choix, mais nous savons très bien que, par exemple, si du jour au
lendemain tous les biens culturels au domaine de l'information passent dans des
mains que nous considérons étrangères, à ce
moment-là le conseil de presse ne pourra absolument rien faire.
Ce que nous voulons, c'est que le gouvernement soit en mesure d'agir.
Or, nous constatons que le gouvernement fédéral a une tendance
à s'infiltrer dans ce domaine de la communication et de l'information,
et avec le comité du Sénat, nous croyons qu'il y a un risque
qu'Ottawa aille encore plus loin dans ce domaine.
Or, ce que nous voulons, c'est tout simplement que Québec
établisse clairement les limites de son droit dans ce domaine,
particulièrement dans le domaine de la propriété des
stations de radio et de télévision. Nous ne demandons pas de
législation qui obligerait la sanction gouvernementale pour toute vente
ou transfert d'actions ou de propriété. Mais lorsque le conseil
de presse, par exemple, après étude et enquête, constate
qu'un danger peut se présenter sur ce plan-là ou sur le plan du
monopole ou du droit à l'information et que, pour pallier ce danger, il
faut absolument une loi, nous voulons que l'Etat québécois soit
en mesure d'agir rapidement et efficacement.
M. MICHAUD: M. Gagnon, n'y a-t-il pas, dans votre mémoire, deux
propositions à la page 8 qui sont contradictoires et qui semblent, dans
le même membre de phrase, s'exclure et se combattre. Vous dites ceci:
« Si nous répugnons à voir l'Etat s'immiscer directement
dans la presse indépendante d'une part, nous croyons cependant qu'il
devrait voir immédiatement à s'assurer les moyens d'agir
rapidement et efficacement dès qu'il sera saisi d'un problème qui
nécessiterait son intervention ».
D'une part, vous faites état de votre répugnance et
d'autre part, vous sollicitez l'intervention rapide de l'Etat lorsque le
problème le nécessitera. Quels sont ces problèmes ou ce
problème qui justifiera l'intervention immédiate de l'Etat?
M. GAGNON: J'ai cité le cas de la propriété. Il y a
le cas, par exemple, du monopole dans une région. C'est-à-dire
que lorsque le conseil de presse constate que le droit à l'information
est bafoué ou limité en raison d'un monopole, il ne pourra que
constater l'existence du monopole, constater que le droit à
l'information est limité dans ce secteur ou cette région. Si le
conseil de presse a besoin de quelqu'un pour rendre effective sa
décision, à ce moment-là il faudra que l'Etat puisse
agir.
Or, ce que nous craignons tout simplement, c'est que l'Etat
québécois ne prenne pas toutes les mesures pour pouvoir agir
lorsque le besoin s'en fera sentir. C'est exclusivement cela. Je ne vois pas de
contradiction... La première partie de ce que vous avez mentionné
a trait précisément à notre opposition à une
régie qui, au préalable, aurait à décider des
transactions, des modifications de propriété et autres. Par
contre, nous ne voulons pas que l'Etat demeure tout à fait
indifférent au problème.
M. BERTRAND: M. Gagnon, à l'heure actuelle, par la
législation existante, ce sont les tribunaux qui sont chargés de
déclarer s'il y a ou non monopole. Vous venez de dire que le conseil de
presse pourrait constater l'existence d'un monopole, d'après lui, en se
basant sur certains critères. Mais en fin de compte, suivant nos lois
actuelles et je ne vois pas comment, même dans l'avenir, il
pourrait en être autrement il faudrait certainement que les
tribunaux soient appelés à trancher le problème du
monopole.
M. MICHAUD: Mais, M. le premier ministre, les tribunaux
fédéraux qui ont juridiction en cette matière concernent
uniquement les pratiques restrictives sur les denrées et les produits,
et non pas sur les services. Donc, les lois canadiennes,
fédérales ou provinciales sont inopérantes en
matière de concentration puisque les services ne sont pas inclus.
M. BERTRAND: Mais nos légistes pourraient peut-être
apporter une réponse à cela. Continuez...
M. GAGNON: D'ailleurs, tout simplement pour vous citer un exemple,
Ottawa, par un organisme qui n'est pas le gouvernement, a forcé Famous
Players à se débarrasser d'une partie de ses actions dans les
postes de télévision parce qu'on a adopté des mesures pour
que la propriété des moyens d'information et de diffusion soit la
plus canadienne possible. Alors, si c'est bon pour Ottawa, je ne vois pas
pourquoi ce ne serait pas bon pour le Québec.
M. BERTRAND: A ce moment-là, revien-driez-vous à
l'idée que vous aviez tantôt de la proportion, disons, des
francophones à l'intérieur du Canada, dans le Québec? Si
vous dites qu'à l'heure actuelle Ottawa a adopté des
législations sur le plan canadien, à l'intérieur du
Québec, suivant les propos que vous teniez tantôt, il faudrait
qu'il y ait une proportion francophone. Cela revient un peu à
l'idée émise tantôt par la question posée par M.
Michaud. Comment cela serait-il possible dans la réalité?
M. GAGNON: Je crois que le conseil de presse pourrait étudier le
problème et en venir à la conclusion qu'il y a ou qu'il n'y a pas
suffisamment de garanties ou de contrôle de l'élément
francophone ou de l'orientation francophone pour continuer à servir
l'intérêt de la majorité québécoise.
M. MICHAUD: Donc, dans votre esprit, M. Gagnon, vous verriez le conseil
de presse exercer un rôle de contrôle ou de surveillance sur les
mouvements de capitaux en matière de propriété des
entreprises de presse?
M. GAGNON: Ecoutez, là. A titre personnel, je n'ai pas
discuté avec les membres du Conseil des hebdos sur ce
plan-là.
A titre bien personnel, je crois que le conseil de presse devrait
s'occuper de ce problème, parce que je considère que si ça
devient un problème pour les Etats-Unis, si ça devient un
problème pour la France, si ça devient un problème pour
l'Angleterre, si ça devient un problème pour Ottawa, je ne vois
pas comment ça ne serait pas un problème pour le
Québec.
Mais toujours je veux que ce soit bien clair nous nous
opposons à toute action directe de l'Etat, au préalable, pour
limiter ou décider des mouvements de capitaux.
M. BERTRAND: Vous ne le voyez que dans des cas exceptionnels...
M. GAGNON: C'est ça.
M. BERTRAND: ... mais non pas, comme vous le disiez tantôt, par
l'établissement d'une régie qui verrait à contrôler
le mouvement de tous les capitaux.
M. GAGNON: C'est ça.
M. MICHAUD: C'est-à-dire, si je comprends bien l'intervention du
président des hebdos du Canada, qu'il verrait surtout en matière
d'information et ça, ça rejoint un autre débat,
mais je je veux pas entrer dans ce domaine-là, entre, d'une part, l'Etat
et le public qu'il voit une zone-tampon qui pourrait être
constituée par un conseil de presse, pour exercer une surveillance. Ce
conseil de presse pouvant être subventionné par l'Etat ou
autrement, enfin pouvant être aidé par l'Etat, ce serait une
zone-tampon qui filtrerait la puissance du pouvoir politique par rapport au
public. On retrouve ce même
souci de cohérence et de défense de la liberté dans
un débat auquel évidemment, je n'ai pas à
référer ici mais qui se poursuivra bientôt en
Chambre.
M. LAPORTE: Est-ce que vous faites mention, dans votre mémoire,
d'une intervention aux Etats-Unis, alors que, dans une ville, on est devenu
propriétaire d'un journal, d'un poste de radio, d'un poste de
télévision, mais où c'est l'Etat qui est intervenu en
vertu des lois antimonopoles?
M. GAGNON: C'est ça.
M. LAPORTE: L'intervention paraît illusoire pour l'instant, parce
que la loi ne permet pas d'intervenir dans le domaine des services; si la loi
était modifiée pour que l'Etat puisse, par ses lois
antimonopoles, intervenir, est-ce que cela vous paraîtrait
satisfaisant?
M. GAGNON: Si l'Etat pouvait intervenir... M. LAPORTE: Je veux dire les
tribunaux. M. GAGNON: ... oui.
M. LAPORTE: Parce que, dans le cas de monopoles, évidemment,
l'Etat a fait son enquête, et réfère ensuite un dossier aux
tribunaux.
M. GAGNON: Evidemment, dans un Etat unitaire, c'est beaucoup plus facile
d'en arriver à cet...
M. LAPORTE: Dans un Etat?
M. GAGNON: ... unitaire, c'est beaucoup plus facile. Evidemment, nous
avons ici le problème des compétences, particulièrement
dans le domaine des monopoles, il y a une législation
fédérale et, d'après les conseillers juridiques du
gouvernement, elle est totalement inefficace. Alors ce qu'il reste au
gouvernement du Québec, c'est le droit à la
propriété, la législation sur le droit à la
propriété en vertu des droits civils.
Alors, ce que nous voulons, c'est tout simplement que l'Etat
québécois confirme son droit, pour pouvoir agir. C'est
exclusivement cela, et la façon de le faire évidemment je
crois qu'on ne pourra pas le décider ce matin mais je crois que
les conseillers juridiques du gouvernement devraient s'attacher à cette
question-là plus particulièrement.
M. MICHAUD: Mais, M. Gagnon, dans vos interventions étatiques que
vous suggérez plus tard, en dehors de ce rôle de surveillance du
conseil de presse, vous ensuggéreztrois. L'une est une aide accrue en
vue de perfectionnement des journalistes et des cadres des entreprises de
presse, mais j'imagine que cela rejoint le problème de
l'établissement des facultés de journalisme et de l'enseignement
professionnel du journalisme au Québec. Cela peut se régler via
le ministère de l'Education ou via les subventions universitaires. Il y
a ensuite la reconnaissance officielle du statut professionnel du journaliste,
comme deuxième suggestion, qui sera, je l'espère en tout cas,
incluse dans le conseil de presse, c'est-à-dire que le conseil de presse
reconnaîtra...
M. GAGNON: C'est ça.
M. MICHAUD: ... et la sanction ultérieure par la suite, par
l'Etat, de la reconnaissance officielle du statut professionnel. On se
souviendra...
M. GAGNON: C'est ça.
M. MICHAUD: ... qu'il y a deux ans, j'avais annoncé un projet de
loi que j'ai retiré, par la suite, sur la reconnaissance du statut
professionnel des journalistes. Je suis heureux que cette suggestion, qui
était individuelle, soit maintenant reprise par votre organisme et
entérinée par l'ensemble des moyens de toute la profession
journalistique. Enfin, l'extension juridique de la clause de conscience, qui
fait évidemment partie intégrante du statut professionnel des
journalistes reconnu par l'Etat à tous ceux qui exercent cette
profession, ce sont des suggestions concrètes qui pourraient être
appliquées sous l'autorité du conseil de presse.
M. GAGNON: Un autre point, c'est qu'en 1967 nous avions soumis un
mémoire au gouvernement suggérant certaines modifications
à la Loi de la presse. J'aimerais vous citer un cas qui est
arrivé hier. Un juge à la retraite m'a
téléphoné pour me demander comment il pouvait envoyer une
mise en demeure, en vertu de la Loi de la presse, au propriétaire d'un
journal, alors que la propriété d'un journal, c'est un «
holding ». C'est tout simplement un exemple pour démontrer
jusqu'à quel point la Loi de la presse ne répond plus aux besoins
actuels. Nous avions apporté certaines suggestions. Je crois qu'elles
mériteraient d'être reprises et qu'on devrait peut-être
sortir ce dossier pour l'étudier.
M. LAPORTE: Enlever la poussière.
M. GAGNON: Enlever un peu de poussière et le sortir.
M. MICHAUD: C'est un point intéressant qui est soulevé. La
Loi de la presse, qui date de 1929, prévoit qu'en matière de
libelle et de diffamation sont responsables le directeur du journal, le
propriétaire et le rédacteur en chef. Or, il est évident
que, si une personne se sent lésée par un journal, elle doit,
à la fois, intenter son action et l'assigner à deux personnes
dont le rédacteur en chef et le propriétaire. Il est clair que,
si le propriétaire est un conglomérat de capitaux, à ce
moment-là, il est extrêmement difficile pour cette personne de
témoigner devant les cours de justice.
M. BERTRAND: Vous avez raison, M. Gagnon, de noter que les lois
concernant la presse au Québec, comme un peu partout d'ailleurs, n'ont
Jamais été souvent modifiées. On dirait qu'il y a une
réticence de la part de l'Etat à entrer dans ce domaine d'une
manière directe ou indirecte, probablement parce que la presse comme
telle manifeste son indépendance et sa force à l'endroit de
l'Etat. C'est heureux qu'il y ait ce quatrième pouvoir dont on parle qui
désire garder son indépendance.
M. MICHAUD: J'ajouterai aux propos du premier ministre en disant que ce
vieux concept de l'absence de l'intervention de l'Etat en matière de
presse est actuellement battu en brèche par le développement des
sociétés modernes. De plus en plus, l'Etat est le gérant
du bien commun. On lui demande davantage que d'assurer l'ordre et la loi. On
lui demande d'intervenir de telle sorte qu'il voie à la satisfaction de
tous les droits. C'est en vertu de la satisfaction du droit au fait et à
l'information que des groupes comme ceux-là demandent que l'Etat
intervienne et police les mécanismes qui rendent possible la
satisfaction du droit à l'information.
M. BERTRAND: C'est pour ça que nous comptons
énormément sur les recommandations je l'ai noté
tantôt qui pourront nous être faites par le conseil de
presse. Je crois que c'est là, d'ailleurs, un départ qui ne s'est
pas produit encore, puisque le conseil de presse n'est pas encore formé.
Il doit l'être très bientôt, mais il n'est pas encore
formé.
M. LAPORTE: M. Gagnon, d'une façon générale, est-ce
que l'on peut imaginer que les hebdomadaires, comme les quotidiens au
nom de cette liberté de la presse qui doit être, elle, notre
préoccupation fondamentale et l'objet de notre travail souhaitent
une intervention de l'Etat, limitée au strict nécessaire?
M. GAGNON: Précisément.
M. LAPORTE: Disons que je serais à la fois étonné
et inquiet que des journalistes ou des propriétaires de journaux
surtout après des déclarations comme la vôtre où
vous dites: Nous n'avons pas tellement confiance aux commissions de l'Etat
viennent ici dire à l'Etat: Voulez-vous, s'il vous plaît,
commencer à mettre vos doigts dans les engrenages que sont les
organisations des services de presse? Si c'est absolument nécessaire
pour atteindre des fins qui dépassent, disons, le principe de la
liberté de la presse, la propriété des moyens de culture,
cela est une chose qui est évidemment fondamentale; mais, sauf
l'extrême nécessité, Je pense que, jusqu'ici et de
façon accélérée depuis deux ou trois ans, les
journalistes ont bien établi qu'ils sont disposés à
défendre la liberté de la presse et, deuxièmement,
à se donner eux-mêmes des organismes de contrôle.
Vous avez devant vous ce matin votre code d'éthique. Je pense que
c'est un fait nouveau dans le Journalisme canadien-français. Il faudrait
que cela s'étende. Vous avez la création récente d'une
fédération. Je pense que nous nous dirigeons dans la bonne
voie.
J'espère que je ne ferai sursauter personne, mais il s'est
créé de notre temps, à l'intérieur, par l'Etat
directement, un Office d'information et de publicité. Cela a
été un succès tel que les journalistes ont
décidé de ne pas accréditer les journalistes qui
travaillent à cet Office d'information et de publicité. Cela a eu
un succès tel que si nous relisons certaines des assertions de votre
mémoire, celle d'André Siegfried, « ... qu'elle
nécessite une surveillance venue d'en haut pour que tous les points de
vue puissent s'exprimer et être présentés au public,
» nous avons des inquiétudes, quand nous voyons l'intervention de
l'Etat. Un peu plus loin, quand vous dites que le droit à l'information
est supérieur au principe même de la liberté
économique, nous avons des inquiétudes quand nous voyons
l'intervention du gouvernement.
Si c'est un plaidoyer pour que l'Etat vienne s'ingérer, disons
que personnellement cela va me causer une inquiétude parce que chaque
fois que cela s'est produit, cela a été ou
désagréable ou catastrophique.
M. GAGNON: Je suis pleinement d'accord sur ce plan-là...
M. BERTRAND: Si vous me permettez, M. Gagnon...
M. GAGNON: Oui.
M. BERTRAND: II est sûr que l'Office d'information et de
publicité de tout temps, depuis son existence a posé des
problèmes à l'Etat. Depuis ses débuts. Je voudrais
absolument que cette discussion soit apartisane, n'envisageant que le principe
de l'information, que l'information provienne de l'Etat ou que l'information
provienne de nos grands media d'information, les journaux, les hebdos.
Il est clair qu'un principe doit être respecté, c'est que
l'information soit la plus objective, la plus conforme et la plus impartiale
possible. Sans quoi on se dirige immanquablement vers ce que l'on appelle des
usines de propagande. Même s'il y a beaucoup d'exagération quand
on le dit, ce serait répéter des gestes qui ont été
posés en certains pays où des noms comme celui de Goebbels sont
devenus synonymes de propagande étatique à sens unique.
M. LAPORTE: Si vous aviez dit tout cela hier, vous auriez voté
pour ma motion.
M. BERTRAND: Non, parce que vous avez fait d'un cas absolument mineur,
d'un cas où dans les circonstances un ministre aurait pu, sans utiliser
le papier officiel de l'Office d'information et de publicité, demander
à son attaché de presse de résumer son discours et de le
faire parvenir à la presse...
M. LESAGE: Cela aurait été bien... M. BERTRAND: A ce
moment-là...
M. LESAGE: La distribution est bien différente.
M. BERTRAND: Oui.
M. LESAGE: Cela, nous ne le recevons pas chez nous, tandis que ceci
arrive...
M. BERTRAND: A ce moment-là, tous conviendront...
M. LESAGE: ... grâce à des listes comprenant le nom de
milliers de personnes.
M. BERTRAND: Je ne voudrais pas reprendre ce débat, il est
terminé.
M. LESAGE: Il faudrait tout de même...
M. BERTRAND: Non, je ne veux pas le recommencer non plus. Je veux tout
simplement noter que du côté de l'Etat comme du côté
des journaux, il y a toujours le danger que le citoyen soit mal informé
ou mal orienté. Cela peut exister pour les journaux.
M. LESAGE: Surtout quand il est informé par le gouvernement.
M. BERTRAND: C'est pourquoi dans ce domaine l'Etat, quel qu'il soit,
doit toujours être prudent.
M. MICHAUD: Permettez deux remarques. La première. L'intervention
du député de Chambly traduit un peu la complexité du
problème que nous avons à débattre ici. Vous allez
sûrement remarquer au cours de ces délibérations
qu'à l'intérieur même d'une même famille politique,
d'une même famille spirituelle, il peut exister des divergences de vue
ou, à tout le moins, des nuances, parce que le problème est
extrêmement complexe.
Entre la position de mon collègue, qui m'apparaît une
position extrêmement libérale, c'est-à-dire
répugnant à toute intervention de l'Etat en matière
d'information et la mienne qui tendrait à favoriser une intervention
étatique pour privilégier le droit à l'information, il
existe une variété d'opinions.
Deuxième remarque sur le problème de l'information
gouvernementale. Nous avons exclu jusqu'ici de nos travaux cette dimension du
problème de la liberté de la presse qui s'appelle le
problème de l'information gouvernementale. Il va falloir, bien
sûr, puisque le mandat du comité est d'étudier l'ensemble
du phénomène de la liberté de la presse au Québec,
étudier la place que l'Etat doit prendre dans le domaine de
l'information puisqu'il s'institue lui-même depuis quelque temps, depuis
des années, un agent informateur auprès du public.
Alors comment allons-nous le contrôler, comment allons-nous
définir son intervention dans le domaine de l'information? Je pense que
nous devrions donner à la commission un mandat non pas d'extension, mais
nous devrions nous attacher à ce problème qui est une des
facettes, et non pas des moins importantes, du problème de la
liberté de la presse puisque l'Etat devient juge et partie dans le
quatrième pouvoir. Il devient lui-même un agent d'information.
Comment doit-il s'imposer à lui les mécanismes de contrôle
et d'objectivité et d'impartialité et les garanties pour le
public
de l'exercice d'un rôle efficace dans le domaine de l'information?
Cela devrait être dans le programme des travaux de la commission.
M. BERTRAND: Je m'en voudrais, M. le Président, du moins pour ce
matin, de priver ceux qui sont venus de leur droit de parole. C'est pourquoi
nous ne discuterons pas du problème qui est réservé pour
le moment à la Chambre où nous aurons l'occasion d'aborder tous
les aspects du problème de l'Office d'information et de publicité
et de Radio-Québec.
M. MICHAUD: Mais il serait intéressant de connaître sur ce
point-là de l'information gouvernementale les avis par exemple des
courriéristes parlementaires, de ceux qui sont au coeur même de
l'événement et qui ont des contacts...
M. BERTRAND: Nous aurons l'occasion de les entendre par le truchement de
leur fédération. Mais ce matin il ne faudrait pas quant
à moi du moins priver M. Gagnon et les autres...
M. GAGNON: J'espère que vous accepterez le fait que je ne fasse
pas de commentaires sur le débat qui vient d'avoir lieu parce que, dans
l'association, nous avons à peu près toutes les opinions
politiques, et comme président je ne tiens pas à avoir de vote de
censure.
M. LAPORTE: Vos hebdomadaires, d'une façon
générale, reçoivent-ils les communiqués de l'Office
d'information et de publicité du Québec?
M. GAGNON: Généralement avec huit ou douze jours de
retard.
M. LAPORTE: C'est ce qui sauve la liberté de la presse, f
imagine.
M. GAGNON: Nous devons rencontrer M. Dubé pour,
précisément, trouver une formule qui pourrait être beaucoup
plus utile à la presse hebdomadaire régionale.
M. BERTRAND: II y aurait peut-être avantage également
ça, je pense bien que c'est leur droit vous avez
parlé tout à l'heure de toutes les nuances qui se retrouvent
à l'intérieur de vos hebdos. Alors il y a également la
nuance de celui qui préférerait ne pas le publier ou rien ne vous
oblige à le publier en entier. Vous pouvez en utiliser une partie.
M. GAGNON: Oui.
M. BERTRAND: Alors à ce moment-là on peut dire que, dans
l'ensemble, la liberté de la presse est encore
protégée.
M. LAPORTE: Vous posez fort bien le problème. Si le texte est
fait de telle façon que, selon ses opinions politiques, on le mette au
panier ou on le publie, c'est un très grave problème.
Cela devrait être de façon que ce soit de l'information qui
puisse...
M. BERTRAND: Non, on peut le publier en partie. Même si
c'était de l'information complète, à ce moment-là
cela arrive peut-être moins vite que ce que l'on trouve
immédiatement le lendemain dans le journal et qui peut être
reproduit par vous d'une manière directe ou indirecte.
M. MICHAUD: Je comprends le souci du premier ministre de vouloir
éviter le débat sur le problème de l'information
gouvernementale, mais je m'étonne aussi de la réaction du
président des hebdos du Canada qui dit: Quant au problème de
l'information gouvernementale, il existe au sein de notre association des
nuances politiques. Je ne voudrais pas me prononcer là-dessus.
C'est un problème d'intérêt public. Les
journalistes, les propriétaires de journaux, tous ceux qui
s'intéressent à la liberté de la presse au Québec
doivent réfléchir sur ce problème de l'information
gouvernementale qui est une dimension essentielle du problème de la
liberté de presse.
M. BERTRAND: Ce n'est peut-être pas la première à
l'heure actuelle.
M. GAGNON: Si vous souhaitez avoir un mémoire sur l'Office
d'information et de publicité, nous pouvons vous en présenter un.
Mais nous ne croyions pas que c'était le sujet de la discussion de ce
matin.
Il y a peut-être un petit fait qu'il faudrait mentionner ici et
que nous aimerions mentionner, nous de la presse hebdomaire régionale,
c'est le phénomène de ségrégation journalistique
qui existe dans la loi électorale et qui fait que les avis ne sont
publiés que dans les quotidiens.
On attire notre attention aussi sur un fait qui relève...
M. BERTRAND: ... de la loi électorale.
M. GAGNON: Oui. Les avis de revision, de liste etc., ne sont
publiés que dans les quotidiens.
M. BERTRAND: Ces avis ne sont pas publiés dans les journaux
régionaux?
M. GAGNON: Alors, il y a des régions complètes,
malgré que dans ma région les présidents d'élection
ont insisté pour l'avoir dans les journaux de la région, c'est
impossible parce que la loi l'empêche.
M. BERTRAND: A l'époque où nous avons adopté la loi
d'ailleurs, cela a été à l'unanimité de la
Chambre notre attention n'a pas été portée vers ce
problème-là. Depuis, votre association des hebdos a-t-elle fait
des représentations?
M. GAGNON: Nous en avons présenté, mais nous ne savons pas
où elles sont rendues.
M. MICHAUD: Mais, par quel canal?
M. BERTRAND: C'est la première fois, M. Gagnon, personnellement
je pense bien que c'est la même chose pour les membres de la
commission que j'en entends parler.
M. GAGNON: Il en a été question...
M. BERTRAND: C'est facile de faire publier ces avis-là
également dans les hebdos ou dans une certaine catégorie
d'hebdos, du moins. Il faut tenir pour acquis et vous l'avez noté
tantôt que vous aviez plusieurs catégories d'hebdos.
M. GAGNON: Oui.
M. BERTRAND: Alors, on voudra bien comprendre que, si l'Etat faisait
parvenir ces avis-lâ à tous les journaux qui se qualifient
d'hebdos, j'en connais plusieurs, quant à moi c'est le rôle
qu'ils veulent remplir dans nos milieux qui sont plutôt des
feuilles publicitaires. Autrement dit, les marchands d'une région,
plutôt que de publier eux-mêmes une annonce s'unissent et, avec un
promoteur, fondent un petit journal. Ce n'est certainement pas la
catégorie d'hebdos que vous songeriez à aider. Est-ce que je me
trompe?
M. GAGNON: Non. Vous avez raison, mais ce que je veux souligner, c'est
que nous avons, lors de la présentation de notre mémoire au
premier ministre, M. Johnson, en 1967, précisément
souligné cette question-là.
En ce qui a trait aux hebdomadaires régionaux, nous avons
coopéré avec plus ou moins de résultats avec l'Office
d'information et de publicité dans ce domaine-là. Pour terminer,
un membre me soulignait ici que la Revue des hebdos retranscrit surtout les
communiqués que nous avons reçus de l'Office d'information et que
nous avons publiés dans nos journaux.
Merci.
M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Y a-t-il d'autres questions?
M. BERTRAND: Vous notez quelque chose qui est important. Vous dites aux
membres de la commission que la Revue des hebdos qui est préparée
par l'Office d'information et de publicité le dites-vous d'une
manière absolue et générale ne fait que reproduire
des textes que vous auriez reçus de l'Office d'information et de
publicité.
M. GAGNON: C'est une remarque qui a été
présentée par un membre du conseil.
M. BERTRAND: Et vous, M. Gagnon?
M. GAGNON: Non, nous avons constaté que ce qui est
exprimé, ce qui est tiré des journaux, devient un reflet,
à tout le moins, de ce que nous avons reçu; c'est-à-dire
que l'orientation dans le choix est en fonction des préoccupations qui
ont fait le sujet des communiqués que nous avons reçus.
M. BERTRAND: A plusieurs reprises, j'ai vu, dans cette revue des hebdos,
plusieurs éditoriaux qui avaient été écrits dans
des hebdos. L'éditorialiste aurait-il repris, dans son éditorial,
des propos qu'il avait reçus par le truchement de l'Office d'information
et de publicité? A ce moment-là, qui blâmer?
L'éditorialiste!
M. GAGNON: De toute façon, c'est une question que nous allons
discuter à midi avec le représentant de l'office.
M. BERTRAND: D'accord.
M. GAGNON: Y aurait-il d'autres questions?
M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Alors, s'il n'y a pas d'autres questions,
je vous remercie, Me Gagnon. Nous allons maintenant entendre M. Lamarche,
président du Syndicat des écrivains du Québec.
M. Lamarche, voulez-vous nous présenter également ceux qui
vous accompagnent?
M. LAMARCHE: Je suis le seul représentant, actuellement, du
Syndicat des écrivains du Québec.
Vous avez des exemplaires du mémoire qui est résumé
dans les trois dernières pages. Dès la deuxième page, vous
avez le plan de ce mémoire. Nous abordons sept sujets, à savoir
les principes directeurs et nous pouvons suivre. Les principes directeurs sont
évidemment la liberté de la presse.
Je reprends, à la page 24, tous les détails concernant les
sept points qui sont inscrits de la page 1 à la page 23. L'ensemble des
Ecrivains du Québec est un corps intermédiaire soucieux de
l'évolution du Québec. Les cadres professionnels qu'ils se sont
donnés sans influencer l'oeuvre individuelle des écrivains
regroupent plus de 1,000 personnes directement intéressées
à la création littéraire et, sur le plan communautaire,
aux libertés de la collectivité. Le Syndicat des écrivains
du Québec s'occupe des droits d'auteur, il a obtenu sa charte en vertu
de la Loi des syndicats professionnels il y a deux ans. Il a également,
à côté de lui, l'Association coopérative
d'éditions québécoises audiovisuelles qui a obtenu sa
charte en vertu de la Loi des coopératives l'an dernier. Et dans les
cadres professionnels, nous avons également le Centre
Canadien-français du PEN international où le Québec est
membre du comité exécutif à côté des 78
autres centres d'écrivains à travers le monde.
Alors la pensée des écrivains du Québec est
imprimée dans plus de 400 titres par année et rejoint environ
deux millions de lecteurs par année. Elle s'intéresse à la
collectivité.
La question posée est la suivante: « Est-ce que les
entreprises de presse, les journaux du Québec constituent à
l'heure actuelle une concentration ou un monopole tel que l'on met en danger la
liberté de la presse? » C'est extrait du journal des
Débats, ce sont les paroles textuelles du premier ministre.
La réponse proposée par les écrivains du
Québec tient compte de deux inventaires. Nous avons, dans le
mémoire, présenté un inventaire complet des
propriétaires des 14 quotidiens ainsi qu'un inventaire
géographique des 14 quotidiens du Québec. Nous avons
également préparé un inventaire géographique de 59
stations de radio: Quels sont les propriétaires? Qui détient des
parts et le nombre de parts? Nous nous sommes inspirés de deux articles
publiés dans la revue Maintenant et dans Maclean. Nous avons
également les postes de télévision, les
propriétaires, les stations et les émetteurs.
Ceci nous permet d'aborder le problème, mais avant de l'aborder,
nous avons également versé au dossier un autre document nous
permettant de constater que plus de 400 journaux ont disparu au Québec,
et nous avons versé l'inventaire de cinq régions comme
Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Chicoutimi, Trois-Rivières, Québec
et Montréal, où, depuis le début du siècle,
au-delà de 400 journaux sont morts. C'est un des résultats de la
concentration.
M. BERTRAND: M. Lamarche, me permettez-vous?
M. LAMARCHE: Oui.
M. BERTRAND: Le Syndicat des écrivains du Québec compte
combien de membres?
M. LAMARCHE: Le syndicat lui-même compte à peu près
90 membres en règle.
M. BERTRAND: 90 membres qui viennent d'une région ou de plusieurs
régions?
M. LAMARCHE: Vous avez des membres, comme Claire Martin, qui viennent
d'Ottawa. Vous avez des membres de toutes les régions. Nous n'avons pas
de local, tous les membres se réunissent...
M. BERTRAND: Votre syndicat existe depuis combien d'années?
M. LAMARCHE: Depuis le 4 mars 1967 en vertu de la Loi des syndicats
professionnels. C'est une séparation d'avec la Société des
écrivains canadiens pour des problèmes politiques.
M. BERTRAND: Comptez-vous beaucoup de journalistes à
l'intérieur de vos cadres?
M. LAMARCHE: Un très grand nombre de journalistes sont
également écrivains, ont publié des volumes au
Québec ou à l'étranger, mais vivent au Québec. Par
exemple, Jean Pellerin, Jean Basile, ces noms me viennent à
l'esprit.
M. BERTRAND: Quelles sont les conditions pour devenir membre du Syndicat
des écrivains du Québec?
M. LAMARCHE: La première condition, c'est qu'il y ait un appui
matériel, c'est-à-dire que l'oeuvre théâtrale ait
été jouée ou que l'oeuvre écrite ait
été imprimée au Québec ou créée par
des résidants du Québec. Par exemple, quelqu'un qui
résiderait à Vancouver ne peut pas faire partie du Syndicat des
écrivains du Qué-
bec, à moins que son oeuvre ne soit publiée ou
jouée au Québec.
M. BERTRAND: Au Québec.
M. LAMARCHE: Et un gars comme Jacques Godbout, par exemple, que demeure
au Québec, mais dont l'oeuvre est publiée au Seuil, est quand
même membre du Syndicat des écrivains du Québec. Il faut
que l'oeuvre soit publiée au Québec ou que le résidant
soit Québécois.
M. BERTRAND: Alors c'est le critère fondamental.
M. LAMARCHE: C'est le critère fondamental. Et
deuxièmement, il faut qu'il soit admis par ses pairs,
c'est-à-dire que son oeuvre soit jugée valable. Si quelqu'un
publie un volume, qui peut être valable...
M. BERTRAND: Jugé valable par votre syndicat?
M. LAMARCHE. Il est jugé valable par notre syndicat, ce qui n'est
pas un critère de valeur sur l'oeuvre elle-même, c'est un
critère de valeur en soi par ses confrères du syndicat.
M. BERTRAND: Quelle est la cotisation que le membre doit verser?
M. LAMARCHE: $10 par année... M. BERTRAND: $10 par
année.
M. LAMARCHE: ... en ce qui concerne le Syndicat des écrivains du
Québec. C'est un organisme qui s'occupe surtout de la protection des
droits d'auteur sur le plan québécois.
M. BERTRAND: C'est ce que j'allais vous demander. Quel est le but ou
l'objectif que vous poursuivez surtout?
M. LAMARCHE: C'est d'abord la protection des droits d'auteur; c'est
deuxièmement la relation avec le Conseil supérieur du livre,
c'est la relation avec le front commun des artisans québécois.
C'est également la préparation des contrats d'édition en
discussion avec les éditeurs, chaque auteur étant libre, par la
suite, de signer son propre contrat. Cela demeure l'objectif fondamental. Pour
l'objectif secondaire, nous avons formé la Coopérative des
écrivains, qui en groupe une centaine d'autres et qui s'occupe
strictement de diffusion audiovi- suelle et non pas de diffusion livresque.
Prenons, par exemple, l'oeuvre de Germaine Guèvremont, qui était
la présidente de la coopérative. Nous ne touchons pas à
son oeuvre, nous touchons simplement à la diffusion audiovisuelle, par
disques, bandes ou diapositives.
Le PEN s'occupe des intérêts internationaux. Il y en a 78
à travers le monde. Le Québec a été reconnu. Nous
en avons deux au Canada: le centre canadien et le centre
québécois.
M. BERTRAND: Merci.
M. LAMARCHE: Nous avons établi, de l'inventaire, une conclusion
qui replace la question autrement. Nous avons tiré cinq conclusions et
nous arrivons aux dix recommandations. Nous avons conclu que le système
capitaliste d'information actuellement c'est-à-dire non pas
l'Information, mais l'entreprise, n'est guère valable. La propagation
des idéologies partisanes par le journal n'est pas plus valable.
L'information appartient au consommateur, qui a le droit d'entendre les
principaux points de vue sur les questions d'une certaine importance.
L'information ne doit pas être soumise à la nomination de groupes
ou de personnes influents à cause de leur fortune ou de leur
situation.
Au chapitre trois, nous établissons que, juridiquement, si nous
relisons l'article 12 du chapitre 314 de la Loi fédérale pour
réprimer les tendances monopolisatrices, nous avons constaté
dis-je, que juridiquement, les grands empires financiers ont des avocats et ne
sont pas susceptibles, actuellement au Québec, de tomber sous le titre
de monopole. Un empire comme Power Corporation est assez habile pour
éviter ces traquenards-là. C'est pourquoi nous n'aborderons pas
le point de vue du monopole, mais nous abordons directement le contrôle
de la concentration.
Nous avons établi que la concentration économique est un
fait et que, si elle peut menacer le danger, elle peut être
prévenue. En soi, elle n'est pas mauvaise, elle est, dans le
système actuel, une des conséquences du système. Si nous
voulons aborder la liberté de la presse, nous croyons que nous devons
l'aborder en dehors du système capitaliste, parce qu'autrement nous
allons tourner en rond pendant des années.
Nous nous sommes inspirés de certaines études qui font
autorité. Nous avons particulièrement examiné le
problème de l'empire de Power Corporation. L'enquête sur les
monopoles publics et privés de l'Information du Conseil
économique et social des Etats-Unis, de 1954...
M. MICMAUD: Je vous interromps, là. Vous
venez de dire que vous avez abordé le problème sous
l'angle du système capitaliste. Mais toutes vos suggestions
partent-elles d'un nouveau système social?
M. LAMARCHE: Oui. Toutes nos dix recommandations...
M. MICHAUD: Alors, pour régler le problème de la
liberté de la presse au Québec, faut-il briser les structures du
système capitaliste au Québec?
M. LAMARCHE: Exactement. C'est dans ce sens-là que les dix
recommandations sont faites.
M. BERTRAND: Vous les remplacez par quoi?
M. LAMARCHE: Le Syndicat des écrivains du Québec croit,
actuellement, sur le plan social, au respect de l'entreprise privée,
mais il croit d'abord au respect de l'Individu. Nous sommes fortement en faveur
de tout le système coopératif.
M. MICHAUD: N'y a-t-il pas là...
M. BERTRAND: Quand vous dites, si vous me permettez, que vous voulez
mettre de côté le système capitaliste mais que, d'autre
part, vous avez foi dans l'entreprise privée, qui est celle de
l'initiative personnelle libre, n'y a-t-il pas contradiction?
M. LAMARCHE: II n'y a pas contradiction en ce sens que le système
capitaliste existe et qu'il a réalisé de grandes choses. Nous
croyons que, dans l'avenir, l'évolution de la société
actuelle devrait se diriger et se dirige graduellement vers les systèmes
coopératifs.
Nos préférences à nous, qui ne sont pas
nécessairement les préférences des autres êtres
humains, les préférences de la majorité des membres du
syndicat des écrivains du Québec...
M. LAPORTE: Et s'il arrivait, d'après les options fort
défendables qui sont les vôtres que le système
coopératif mette 25 ans à se développer, est-ce que vous
auriez des recommandations qui puissent permettre d'éviter les
écueils...
M. LAMARCHE: En attendant? M. LAPORTE: En attendant.
M. LAMARCHE: Oui. Elles sont dans les recommandations que nous avons
proposées.
M. LAPORTE: Dans les dix recommandations.
M. MICHAUD: Alors, les recommandations que vous formulez ne postulent
pas en soi...
M. LAMARCHE: Non.
M. MICHAUD: ... n'exigent pas l'annulation du régime capitaliste
et du régime de la liberté d'entreprise.
M. LAMARCHE: Nous partons du fait réel qu'il existe un
système capitaliste valable et qu'il existe un système
coopératif valable, mais nous nous plaçons dans l'optique du
système capitaliste. Nous avons donc douze recommandations, dont deux
peuvent peut-être être hors d'ordre, mais nous les donnons pour ce
qu'elles valent. Nous y croyons nous. Article 4, bas de la page 25. Lorsque ce
mémoire a été rédigé, nous ne savions pas
qu'il y aurait débat à l'Assemblée nationale, ce qui ne
nous empêche pas de donner notre opinion.
L'Office d'information et de publicité du Québec, de
même que Radio-Québec, devraient, puisqu'ils relèvent du
Parlement et non du gouvernement, devenir des organismes de la couronne!
C'est-à-dire qu'il faudrait trouver un autre terme. Un ministre
responsable...
M. LE SAGE: Ce n'est pas si mal.
M. LAMARCHE: ... devant l'Assemblée nationale
représenterait, défendrait, justifierait les crédits, la
politique et l'orientation. Nous pourrions la-dessus nous appuyer sur la
déclaration du 25 mai 1958 de Jean-Noël Tremblay lui-même. Il
a peut-être changé d'idée depuis.
M. LESAGE: Oui, elle est fort intéressante. Nous avons bien
l'intention de la lui citer lors du débat sur Radio-Québec.
M. BERTRAND: Soyez sûr, M. Lamarche que tout ce qui fait l'affaire
de l'Opposition dans votre mémoire...
M. LAMARCHE: J'ai compris.
M. BERTRAND: ... va être cité avec beaucoup d'abondance, en
particulier par mon collègue le député de Gouin. Il va y
ajouter tout ce que le vocabulaire recèle de mots flamboyants et
convaincants.
M. MICHAUD: M. le Président, le premier ministre veut me faire
passer pour un receleur et je n'aime pas ça.
M. BERTRAND: Nous sommes tous des receleurs dans le domaine de la
pensée. Les idées appartiennent un peu à tout le monde et
quand on prétend qu'on est le premier à parler d'une chose, on
est souvent le centième.
M. MICHAUD: Oui, les idées appartiennent à tout le monde,
mais elles sont exprimées avec plus ou moins de talent, selon qu'on
est...
M. LESAGE: Ce que vient de dire M. La-marche ne fait que confirmer le
résultat des recherches que nous avons faites sur les opinions
exprimées par M. Jean-Noël Tremblay au sujet des structures que
devrait avoir Radio-Canada pour préserver la liberté des citoyens
du Canada.
M. MICHAUD: Une question, M. le Président, que je voudrais
pertinente. Au chapitre 4, lorsque vous parlez de société de la
couronne, avez-vous à l'esprit des sociétés jouissant d'un
large statut d'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique?
M. LAMARCHE: J'avais à l'esprit Radio-Canada.
M. MICHAUD: Calqué sur... ou à peu près.
M. LAMARCHE: Non. Après les changements de 1958.
Cinquièmement, à la page 24, les écrivains du
Québec ne sont pas favorables...
M. LESAGE: Vous voulez dire après le rapport de la commission
Fowler.
M. LAMARCHE: Oui, oui.
M. LESAGE: C'est 1965, je crois.
M. LAMARCHE: Très juste, parce qu'autrement je remonte à
un des autres...
M. LESAGE: C'est 1965.
M. LAMARCHE: Oui, vous avez raison. Cinquièmement, les
écrivains du Québec ne sont pas favorables à une
régie gouvernementale de la presse. Et voici les dix recommandations ou
suggestions à la commission. La discussion et la préparation
d'une loi-cadre de société d'édition et ça
rejoint nos intérêts coopératifs assurant aux
apporteurs de capitaux un intérêt, aux apporteurs de travail un
salaire et répar-tissant les profits entre les actionnaires, les
travailleurs d'une part, et d'autre part les réserves et les besoins
communautaires. Les besoins communautaires sont énumérés
par la suite: conseil de presse, agence nationale de presse, faculté de
journalisme et institut de documentation.
M. MICHAUD: Est-ce que par là, M. La-marche, vous faites allusion
à une société de rédacteurs dans le genre de celle
du Monde?
M. LAMARCHE: Le Monde et le Figaro. M. MICHAUD: Le Monde et le
Figaro.
M. LAMARCHE: Depuis que la loi française d'intéressement a
été présentée, nous croyons que notre
société québécoise doit évoluer de plus en
plus vers le phénomène d'intéressement, et je fais
allusion directement...
M. BERTRAND: M. Lamarche, si vous me le permettez, le Parlement a
légiféré dans le domaine de la Loi de
l'assurance-édition et depuis ce temps-là elle s'est
révélée une loi absolument inopérante.
M. LAMARCHE: C'est juste.
M. BERTRAND: La suggestion que vous faites dans votre premier
paragraphe, là où vous parlez de la loi-cadre créant des
sociétés d'édition, est-ce que ce n'est pas un peu la
même chose que vous reprenez d'une autre manière?
M. LAMARCHE: Au sujet de l'assurance-édition, par exemple, nous
avons le phénomène très précis actuellement de deux
éditeurs qui ont une réputation excellente je pense
à l'Hexagone de Miron et à l'Esterel de Beaulieu mais qui
ne peuvent plus, actuellement, éditer parce que, financièrement,
ils sont pris à la gorge. Ils ont accumulé des comptes quelque
part et, de plus en plus, les écrivains doivent attendre. C'est pourquoi
je veux séparer les deux.
M. BERTRAND: A ce moment-là, vous verriez l'Etat accorder des
subventions à une telle société d'édition?
M. LAMARCHE: Non, absolument pas.
M. BERTRAND: Alors, quel serait le rôle
de l'Etat dans cette loi-cadre créant des sociétés
d'édition?
M. LAMARCHE: En ce qui concerne les sociétés
d'édition de journaux et de livres, parce que le même
phénomène peut s'appliquer aux livres, le rôle de l'Etat
est nul. Comme nous le disions tout à l'heure, dans le même cadre
que vous avez formé la Société générale de
financement, nous recommandons la Société générale
de presse, qui, elle, préparerait les études nécessaires,
les soumettrait et l'Etat, à ce moment-là, pourrait
étudier cette loi. De la même façon que nous, nous nous
prévalons de la Loi des coopératives pour avoir notre propre
association coopérative, nous voudrions que les sociétés
d'édition se prévalent d'une loi-cadre que l'Etat a
adoptée. Ce sont les membres des coopératives qui ont
amené la refonte de la loi de 1962, mais c'est le Parlement,
évidemment, qui l'a mise en vigueur.
M. BERTRAND: Si je vous ai bien compris, vous comparez cette loi un peu
à celle de la Société générale de
financement?
M. LAMARCHE: Nous recommandons, un peu plus loin, que l'Etat intervienne
pour former une société générale de presse, dans le
genre de la Société générale de financement. Nous
aborderons ce problème dans l'article suivant.
M. BERTRAND: Vous savez comme moi que, dans la Société
générale de financement, l'Etat y est, mais d'une manière
très minoritaire.
M. LAMARCHE: C'est juste. C'est le même phénomène
que nous recommandons un peu plus loin. C'est cette société qui
présentera la loi-cadre. C'est, évidemment, le Parlement qui
l'étudlera, la modifiera, la refusera ou la votera. Mais, lorsqu'elle
sera établie, les sociétés qui voudront se former ou
s'incorporer, pourront le faire en vertu de cette loi. C'est ce que nous
recommandons. Cette loi devrait prévoir que le profit est réparti
entre les travailleurs et ceux fournissant du travail et des capitaux.
M. MICHAUD: Dans l'état actuel des choses, sans l'intervention de
l'Etat et sans loi-cadre, ne serait-il pas possible que l'on puisse
prévoir, par l'initiative privée, une association du capital, du
talent et du travail dans des sturctures de participation et
d'intéressement des journalistes à des entreprises?
M. LAMARCHE: Très juste.
M. MICHAUD: Cela existe en France; l'Etat n'a pas à intervenir
pour privilégier cette forme particulière de structure de
gérance d'une entreprise de presse. Il ne serait pas nécessaire
à l'Etat québécois de légiférer. Cela peut
être conçu actuellement par des propriétaires de journaux,
des propriétaires de capitaux et par des journalistes dans un ensemble
de société de rédacteurs.
M. LAMARCHE: Très juste, mais je pense au plan financier. Par
exemple, ça nous coûte peut-être $20 pour obtenir une
incorporation en vertu de la Loi des coopératives parce que la Loi des
coopératives existe, alors que, s'il fallait présenter un bill
privé pour avoir une nouvelle société d'édition,
ça nous coûterait beaucoup plus cher. C'est dans ce
sens-là.
M. MICHAUD: Iriez-vous jusqu'à demander à l'Etat, dans ce
portrait que vous dessinez, un régime fiscal privilégié et
préférentiel?
M. LAMARCHE: Absolument pas. Deuxièmement, nous recommandons la
discussion et la préparation d'une loi instituant une
société générale de presse où l'Etat, les
coopératives de crédit et d'épargne et le public
participeraient, comme cela se fait à la Société
générale de financement, pour la mise sur pied de
coopératives de presse afin qu'un plus grand nombre de villes du
Québec disposent de quotidiens. Nous citons le fait que, dans la
province d'Ontario, par exemple, il y a 47 quotidiens; dans la province de
Québec, il y en a 14. Ces 14 quotidiens sont concentrés dans cinq
villes, alors que, dans une dizaine de villes, non seulement il pourrait, mais
il devrait y avoir, sur un plan de rentabilité, des
sociétés d'édition communautaires. Une ville comme
Saint-Jean, comme Chicoutimi, comme Drummondville pourrait avoir son quotidien,
si la communauté elle-même est intéressée,
c'est-à-dire si sur le plan coopératif, ceux qui fournissent des
capitaux, viennent de la population elle-même.
M. MICHAUD: Je repose ma question, M. Lamarche. Est-ce que l'Etat doit
obligatoirement intervenir? Je suppose, par exemple, que les caisses populaires
Desjardins, qui disposent de capitaux considérables au Québec et
qui sont intimement liées aux problèmes culturels et
économiques des Québécois, inviteraient une trentaine ou
une quarantaine de journalistes dans une structure de participation pour le
lancement d'un ou de plusieurs quotidiens dans le Québec. Est-ce que
là, ne serait pas possible, sans intervention...
M. LAMARCHE: En théorie oui, en pratique non. L'expérience
des dernières années nous prouve que le mouvement
coopératif Desjardins, lorsqu'il dispose de capitaux il en
dispose de $2 milliards s'intéresse plutôt à des
institutions financières. On le voit d'ailleurs dans l'option actuelle
vis-à-vis...
M. LAPORTE: Pensez-vous que les sociétés Desjardins, quand
elles utilisent des capitaux du public, en général, peuvent
espérer des quotidiens qu'elles financeraient dans des villes comme
Saint-Jean, Drummondville, un certain retour? Est-ce que ce serait rentable,
pensez-vous?
M. LAMARCHE: C'est possible. Je crois que les quotidiens actuels, avec
la publicité, avec les lecteurs, ont trouvé une formule de
rentabilité. S'il y a consommation, s'il y a besoin de consommation, je
crois qu'il y aurait rentabilité pour d'autres quotidiens.
M. LAPORTE: Est-ce que le groupe que vous représentez
votre mémoire est d'ailleurs assez élaboré a fait,
du point de vue comptable, des études sur la possibilité de
rentabilité? Je vais vous dire mon opinion; c'est absolument utopiquel
Actuellement, les hebdomadaires sont venus nous dire ce matin que le
phénomène est mondial. Je me souviens que mon ami Sauriol faisait
tous les ans, dans le Devoir, un article douloureux pour dire qu'aux Etats-Unis
sont disparus sept quotidiens, huit quotidiens. Si vous faites seulement
l'analyse des quotidiens qui existent dans la ville où vous êtes
actuellement, il y en a un qui est menacé de mort...
M. LAMARCHE: C'est exact.
M. LAPORTE: Le Devoir a toujours été, toute sa vie...
quand je fais cela, je penche plutôt du côté du
déficit. Le Droit d'Ottawa est menacé actuellement vous
avez un phénomène mondial le Droit l'est moins, parce
qu'il a un territoire beaucoup plus exclusif. Mais imaginer que l'on puisse
justifier la mise de capitaux pour créer des quotidiens à
Drummondville, à Saint-Jean, à Chicoutimi! L'expérience a
été faite à Chicoutimi...
M. LAMARCHE: Oui, en dépit du Soleil.
M. LAPORTE: ... à deux reprises. Oui, enfin, est-ce que...
M. LAMARCHE: Le Progrès du Saguenay.
M. LAPORTE: Est-ce qu'au-delà de l'intervention de l'Etat que
vous ne souhaitez pas, vous allez créer des régions? Le Soleil ne
dépassera pas telle limite.
M. LAMARCHE: La réponse comprend trois éléments.
Premièrement, nous n'avons pas fait d'étude de
rentabilité. Deuxièmement, dans le système actuel, ce que
nous recommandons est utopique, vous avez parfaitement raison. C'est pourquoi
nous proposons un autre système, où le consommateur
lui-même participe. Il était aussi utopique pour Desjardins, par
exemple, de créer les caisses populaires. Cela a pris soixante
ans...
M. LAPORTE: Ah non!
M. LAMARCHE: ... contre le régime capitaliste des banques,
à ce moment-là, c'est cent pour cent changé.
M. LAPORTE: C'est-à-dire que lorsque vous reconnaissez que les
caisses populaires font des placements surtout dans des institutions
financières, d'abord, c'était en exécution de leur loi,
qui leur défendait de risquer des capitaux...
M. LAMARCHE: Très juste.
M. LAPORTE: Deuxièmement, c'est ce qui explique que cela a
été un très grand succès.
M. LAMARCHE: C'est exact.
M. LAPORTE: Les caisses populaires Desjardins, comme la
Société générale de financement, comme d'autres
institutions canadiennes-françaises qui malheureusement nous ont fait un
tort effroyable, en faisant des placements douteux, pour ensuite venir dire au
gouvernement: II faut nous sauver, nous sommes Canadiens français, si
les Caisses populaires avaient commis cette erreur, elles ne seraient pas
aujourd'hui la puissance économique qu'elles sont chez nous.
Si jamais vous faites des études de rentabilité et que
vous constatez qu'il est possible de lancer un quotidien, je vous en parlerai,
nous sommes intéressés, nous. Cela fait longtemps que nous le
demandons.
M. LAMARCHE: Je sais que même sur...
M. LAPORTE: Le parti libéral serait puissamment
intéressé.
M. LAMARCHE: ... le plan hebdomadaire,
récemment à Montréal, à la suite de la
fermeture de certains hebdomadaires, cela a pris un an avant de relancer un
nouvel hebdomadaire.
M. LAPORTE: Pas possible!
M. LAMARCHE : Je suis tout à fait d'accord que pour lancer un
quotidien avec le système actuel, il faudrait des millions.
M. LAPORTE: II arrive que quand un Journal se présente à
point nommé sur le marché... Je pense à celui qui a
pensé à la formule Dimanche-Matin. Cela semblait un besoin
évident. Mais un autre journal est venu se greffer; cela pose des
problèmes.
Il est bien évident qu'aujourd'hui le journal quotidien, en
particulier, est une entreprise commerciale extrêmement complexe. Les
capitalistes qui sont disposés à investir dans le quotidien sont
infiniment limités. Il ne resterait à ce moment-là qu'une
seule source, ce serait l'Etat. Et je pense que vous seriez, et moi aussi, le
dernier à suggérer que ce soit l'Etat.
M. LAMARCHE: La source reste triple. Nous ne changeons pas d'idée
à ce sujet. Je crois qu'une société générale
de presse qui chercherait à promouvoir, comme l'a fait la
Société générale de financement, l'achat, la mise
sur pied et la réorganisation de quotidiens pourrait réussir
à le faire.
Je ne crois pas que les Caisses populaires puissent le faire seules. La
preuve, c'est que pour la Société générale de
financement, cela a pris huit appels du sénateur Vaillancourt pour que
les caisses déposent leurs $5 millions. Seules, elles ne le feraient
pas. C'est pourquoi la participation garantie de l'Etat qui se retire
graduellement serait nécessaire sur le plan réaliste.
Quatrièmement, que toute la documentation de la commission soit
éventuellement déposée au secrétariat du Conseil
national de presse.
Cinquièmement, nous suggérons qu'un crédit
exceptionnel soit voté par le Parlement pour permettre actuellement aux
patrons et journalistes la fondation imminente du Conseil national de presse
avec nomination de représentants communautaires publics par les deux
parties. Si, comme on l'a attesté, les journalistes et les patrons sont
à la veille d'accoucher de ce Conseil national de presse et qu'il faille
organiser un secrétariat pour libérer certains journalistes et
certains employeurs, Je crois qu'il serait sage qu'un crédit
exceptionnel puisse être affecté à cette fin et que toute
la documentation de la commission lui soit versée.
Sixièmement, à ce moment-là la
réponse a été donnée tout à l'heure
que l'Université du Québec et ses universités
constituantes fondent une faculté de journalisme avec un programme
pratique de stages dans les diverses salles de rédaction et dans les
entreprises de presse. Je crois qu'avec les options montantes du CEGEP et avec
la venue des universités constituantes de l'Université du
Québec, le ministre de l'Education pourrait intervenir dans ce domaine,
comme on l'a dit tout à l'heure.
Que les sociétés d'édition mettent sur pied un
institut national de documentation et de recherche ainsi qu'une agence
nationale de presse reliée aux grandes agences internationales. Nous
revenons sur l'idée que s'il en coûte plus de $2 millions et demi
actuellement pour soutenir l'agence canadienne aux quotidiens
coopé-rateurs, il est évident que vous allez dire: Comment
voulez-vous soutenir une agence nationale de presse au Québec? Dans le
plan actuel, c'est impossible financièrement. C'est pourquoi nous
voulons agrandir les cadres pour qu'éventuellement il y ait
possibilité d'un institut de recherche et de documentation
qu'alimenterait la presse. Ce pourrait être l'Office d'information et de
publicité. Même si son mandat est vis-à-vis le Parlement,
l'office a aussi pour mandat de représenter l'opinion du public
auprès du Parlement, et je crois qu'il aurait besoin d'une agence de
recherche et de documentation s'il était détaché...
M. MICHAUD: L'Office n'a pas de mandat auprès du Parlement
à l'heure actuelle. L'Office est une agence exécutrice des
volontés du cabinet.
M. LAMARCHE: Actuellement, oui.
M. BERTRAND: Le premier ministre est responsable devant le Parlement des
actes de l'office, bons ou mauvais.
M. MICHAUD: Oui.
M. LAMARCHE : Je me référais à l'ancien texte tout
simplement, à savoir qu'il doit renseigner la population sur les lois
adoptées par la Chambre. C'était l'ancien texte de 1961, avant
qu'il soit détaché.
Septièmement, qu'un code d'éthique professionnelle...
M. MICHAUD: ... l'a modifié, a adultéré ce texte de
loi.
M. LAMARCHE: L'article 7 a eu sa répon-
se. Que le code d'éthique professionnelle patronal-syndical soit
présenté au conseil national de presse et rendu public.
Huitièmement et ceci n'est pas fait; que le rapport
financier des entreprises de presse soit publié annuellement. Et
là je crois que ce ne serait qu'un acte législatif qui pourrait
forcer les entreprises privées de presse à publier leur rapport
financier annuel publiquement.
Qu'aucune vente de société d'édition ne soit
autorisée lorsque le contrôle peut passer dans des mains
étrangères, et que les entreprises de presse ainsi
contrôlées transforment leurs structures financières.
Nous avons eu, l'an dernier, la vente du CPP, et l'Etat n'a pas pu
intervenir. Il faudrait prévenir toute autre vente plutôt
qu'être forcés ensuite à trouver des solutions ou à
n'en pas trouver.
M. MICHAUD: M. Lamarche, avez-vous la même définition des
mains étrangères que votre prédécesseur à la
barre?
M. LAMARCHE: Non, tous les Québécois, qu'ils soient
francophones, anglophones, Ukrainiens, Russes ou Polonais, tous les
Québécois sont des mains nationales, à mon esprit. Les
gens d'Ontario, comme actuellement CKUM par rapport à CKGM, sont, en ce
qui me concerne, des mains étrangères.
M. MICHAUD: Donc, des Québécois.
M. LAMARCHE: Sun Life est une institution québécoise.
M. MICHAUD: Donc, ils doivent résider au Québec.
M. LAMARCHE: Oui. Il y a des nuances plus subtiles évidemment,
mais dans mon esprit, lorsque je dis étrangers, je veux dire
étrangers au Québec.
M. MICHAUD: II n'y a pas de connotation ethnique.
M. LAMARCHE: Aucune, puisque Anglais ou Français sont, à
mon point de vue, Québécois.
Dixiêmement, nous recommandons qu'aucune société
d'édition ne s'intègre à des entreprises de gestion. Il
est impossible, actuellement, lorsqu'une entreprise de gestion
s'intéresse au domaine de la liberté de presse, qu'elle
s'intéresse à la liberté de presse; elle
s'intéresse à ses capitaux. Lorsque Power Corporation
déclare un revenu de $7 millions et que les divi- dendes sont de $4
millions, qu'elle est obligée de les distribuer, qu'elle déclare
un déficit et qu'elle a dans son portefeuille une note de $17,800,000
due par Gelco dans la vente de la presse, je crois que, logiquement,
rationnellement, naturellement, ces entreprises-là sont
intéressées à leurs bénéfices et non pas
à l'information.
Si nous en arrivons à des sociétés de gestion,
à des sociétés d'édition éventuelles, je
crois que nous allons, dans notre recommandation aussi loin que la
nationalisation, un jour ou l'autre, des entreprises de presse qui ne
mettraient pas l'intérêt public en premier lieu.
M. MICHAUD: Cela, c'est une suggestion intéressante qui
mérite évidemment d'être fouillée et qui n'a pas
été touchée par les conseillers juridiques du
ministère de la Justice. La loi française prévoit, en
fait, le régime juridique de la loi française, que ne peut
être propriétaire de deux journaux la même personne. Mais,
elle n'indique pas, la loi, que ce même propriétaire de journal,
ne puisse pas participer à d'autres intérêts
économiques.
Je pense à M. Dassault, par exemple, qui construit des avions et
qui est propriétaire de Jours de France. La loi lui interdirait
d'être propriétaire d'un autre journal. Vous, vous allez plus loin
en disant qu'un propriétaire de journal ou qu'un groupe
propriétaire de journaux ne pourrait pas participer à d'autres
intérêts économiques. Vous y voyez un danger; bien
sûr, cela existe.
Dans le cas actuel et précis, il y a un groupe qui s'appelle
Gelco et qui, par diverses ramifications financières, exploite les
pistes de Blue Bonnets et de Richelieu. Ces pistes de course sont
exploitées en vertu d'un privilège de l'Etat qui reconnaît
une extension à la loi fédérale pour l'amélioration
de la race chevaline et qui leur permet des profits considérables.
Il y a là un problème qui peut mettre en danger la
liberté de la presse, lorsque des problèmes
d'intérêt public seront soulevés. Lorsque, par exemple, par
aventure et par hypothèse, un député suggérera la
nationalisation ou l'étatisation des pistes de course sous harnais,
qu'il suggérera l'établissement du pari mutuel en dehors des
hippodromes, bien sûr, il s'attaquera à des intérêts
commerciaux, mais aussi aux mêmes intérêts qui
contrôlent et qui conditionnent plusieurs journaux au Québec.
Ce député pourrait-il le faire sans encourir le risque de
certaines représailles? Je pose la question simplement sur un plan
hypothétique, mais il est clair que le cumul des capitaux à
l'intérieur des entreprises de presse greffées à
d'autres exploitations commerciales pourrait hypothétiquement, je le
répète, présenter de sérieux dangers à
l'exercice de la liberté de la presse.
A l'intérieur de ces entreprises, je verrais mal un journaliste
de la Presse, courriériste parlementaire ou autre, nous fournir le
dossier cohérent, parfait, allant au fond des choses dans le domaine des
hippodromes. Il pratiquera une autocensure, puisqu'il sait bien que, ce
faisant, il s'attaquera au propriétaire qui, lui, distribue à la
semaine son salaire et de quoi vivre.
Il y a, bien sur, là un problème qui est posé. J'ai
déjà exprimé mon point de vue là-dessus. Comment
pourrions-nous freiner les appétits gloutons? Parce que ça
existe...
M. BERTRAND: M. Lamarche, avez-vous terminé la
présentation de votre mémoire?
M. LAMARCHE: II reste le dernier point; le député m'a
précédé, mais Je termine là-dessus. Le danger
actuel qui existe, c'est la concentration verticale qui a
été soulignée à la dernière réunion
de la commission lorsque des entreprises de gestion, comme Consolidated
Bathurst et 40% de Rolland, possèdent des mines, des papeteries, des
distributions et tout un réseau qui fait que la liberté de la
presse là-dedans est étouffée.
Je crois que le danger existe et c'est là-dessus que, depuis
plusieurs semaines à travers les journaux libres, nous nous sommes
battus au nom des écrivains. Nous sommes aux prises exactement avec le
même problème pour l'impression de nos livres dans beaucoup de
cas. J'ai terminé là-dessus.
M. MICHAUD: M. le Président, je sais bien que le premier ministre
est pressé, mais le problème fondamental, ce sont les
apparentements économiques...
M. BERTRAND: Nous aurons l'occasion d'en discuter.
M. MICHAUD: ... en cette matière qui,
précisément...
M. BERTRAND: Non, ce n'est pas que je sois pressé du tout, c'est
parce que je voulais permettre à M. Lamarche de terminer son
mémoire.
M. LAMARCHE: Je termine donc en vous remerciant.
M. BERTRAND: Merci, M. Lamarche.
M. LESAGE: M. le Président, nous avons devant nous de savants
procureurs qui représentent des entreprises considérables de
presse et d'information. Ils nous ont dit qu'ils nous feraient part de leur
point de vue et du point de vue de leurs clients. On parle beaucoup de la
liberté de la presse. Je voudrais attirer leur attention sur quelque
chose que j'ai lu il y a à peu près une quinzaine de jours au
sujet de la liberté de la presse. C'est un volume écrit par un
Français. Il parlait des capitaux énormes qu'il fallait investir
disons des capitaux considérables, et non pas énormes.
aujourd'hui pour avoir une entreprise de presse ou d'information
parlée, de télévision ou de radio, viable.
Il posait la question suivante j'aimerais que vous y
réfléchissiez pour me dire ce que vous en pensez; De nos jours,
étant donné le capital nécessaire auquel je viens de
référer, doit-on continuer à parler de la liberté
de la presse ou si nous ne devons pas plutôt parler de la liberté
des maîtres de la presse? Voulez-vous y réfléchir?
M. BERTRAND: Je pense que vous aurez certainement besoin d'une semaine
avant de nous répondre.
M. LESAGE: C'est un point extrêmement intéressant.
M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Nous avions, ce matin, un
troisième mémoire qui devait nous être soumis
conjointement. Je pense que le porte-parole était Me Bureau. Nous
n'aurons malheureusement pas le temps de l'entendre ce matin. Nous devons
remettre à mercredi prochain, le 28 mai, à dix heures trente, la
continuation de nos travaux. Ce sera la troisième séance. Nous
nous entendrons avec ceux qui restent, ceux qui ont manifesté le
désir de présenter des mémoires. Nous remercions nos
visiteurs de leur collaboration et particulièrement ceux qui nous ont
présenté des mémoires ce matin.
M. BERTRAND: M. le Président, je voulais tout simplement noter
que, mercredi prochain, nous devions avoir une séance de la commission
des affaires constitutionnelles.
Mais M. Bonenfant qui était notre témoin, notre premier
témoin, est en Europe et ne reviendra pas avant le début du mois
de juin. Nous nous entendrons donc pour tenir une séance le mercredi
suivant à la condition que M. Bonenfant soit de retour.
M. LE PRESIDENT: Mercredi prochain le 28 mai, ici, à dix heures
trente.
M. PICHE: M. le Président, si vous me le permettez, est-ce que
vous aurez suffisamment de travail mercredi prochain pour toute la
séance, parce que pour autant que la Presse est concernée, nous
serions prêts à procéder le 4 Juin?
M. LESAGE: Bien, c'est le premier mercredi de juin.
M. BERTRAND: Mais si M. Bonenfant est de retour, il est certain que nous
allons commencer les séances de la commission des affaires
constitutionnelles.
M. LESAGE: II y a une conférence
fédérale-provinciale les 10, 11, 12.
M. BERTRAND: Les 11, 12 et 13 juin. M. LESAGE: Les 11, 12 et 13
juin.
M. BERTRAND: Si vous pouviez, la semaine prochaine, entendre d'abord le
mémoire qui devait être remis ce matin et entendre les procureurs
des journaux...
M. LE PRESIDENT: Me Deschênes, la semaine prochaine, est-ce
que...
M. DESCHENES: II était prévu que la présentation
que je pourrais faire de la part des entreprises Gelco suivrait celle de la
compagnie de publication de la Presse. Maintenant j'attire votre attention, M.
le Président, qu'à la dernière séance il y avait eu
également une demande de M. Normand Girard de l'Association des
journalistes, qui avait convenu avec le comité, d'après ce qu'il
appert au journal des Débats, que son projet de présentation
serait prêt dans trois semaines, avait-il dit, ce qui nous met justement
à mercredi prochain.
M. BERTRAND: Seriez-vous prêt pour mercredi prochain?
M. LESAGE: Le 11 juin.
M. LE PRESIDENT: Le 11 juin, la séance serait
réservée aux journalistes, à la Fédération
qui a demandé à se faire entendre et au Cercle des journalistes
de Québec.
M. LESAGE: Nous pourrions peut-être, à la commission de la
constitution, trouver un mardi ou un jeudi, pour laisser les mercredis.
M. BERTRAND: Disons donc que nous allons laisser les mercredis à
la commission de la presse...
M. LESAGE: C'est ça.
M. BERTRAND: ... et nous essaierons de nous entendre pour un autre jour
quant à l'autre commission.
M. LESAGE: Bon, le 4 juin. M. PICHER: Bon. M. BERTRAND: Le 4 juin.
(Fin de la séance: 12 h 41)