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Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le mercredi 21 mai 1969 - Vol. 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Commission parlementaire spéciale sur le problème de la liberté de la presse


Journal des débats

 

Corrections

Dans le premier cahier de la Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse, 7 mai 1969, à la page 1585, 2e colonne, les paroles attribuées à M. Dussault ont été prononcées par M. Piché et à l'avant dernier paragraphe, celles qui furent attribuées à Me Piché ont été prononcées par Me Roger Beaulieu.

En conséquence, à corriger le 3e paragraphe « M. LESAGE: Quel est le... M. Piché? »; et l'avant dernier paragraphe: « M. BEAULIEU: Je suis Roger Beaulieu... ».

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Séance du 21 mai 1969

(Dix heures quarante-trois minutes)

M. CLOUTIER (président de la commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!

Au terme de la première séance du comité, nous avions demandé à notre groupe d'experts de préparer des documents additionnels. Cela a été fait. Une étude du conseil de la presse a été préparée par Me Dufour; une étude sur la distribution de la presse écrite a été préparée par Me Lilkoff; une étude du problème de la diffusion en France et en Suède a été préparée par Me Dussault; une étude sur la législation de l'Allemagne de l'Ouest, du Danemark, de l'Australie et du Japon a été préparée par Me Dussault, de même que l'historique du conseil de presse en Angleterre.

M. Desjardins, est-ce que tous les membres de la commission ont reçu...

M. DESJARDINS: J'ai demandé hier, à ma secrétaire de faire distribuer à tous les membres de la commission une copie de ce travaillà. J'espère qu'elles ont été reçues. Je voudrais faire une remarque sur le travail: c'est indiqué, cinquièmement, historique du conseil de presse. De fait, ce n'est que la reproduction d'un article qui a été préparé par un dénommé McMac. Maintenant, Me Dufour a commencé et presque terminé une étude de l'historique lui-même et également des deux commissions. Ce travail-là pourra être terminé demain ou après-demain. Nous pourrons le distribuer.

J'aurais peut-être une autre remarque. Je regarde le journal des Débats de la dernière séance; à la page 1585, on attribue à Me Dussault, dans la colonne de droite, toute une série de phrases qui, de fait, devraient être attribuées à M. Piché.

M. LE PRESIDENT: C'est pour cela, d'ailleurs, que j'ai fait une remarque tout à l'heure. J'ai demandé l'identification de l'opinant, afin que le journal des Débats puisse clairement l'identifier. Les corrections seront faites.

M. MICHAUD: A ce stade-ci de nos travaux, j'aimerais souligner quelque chose d'extrêmement important et intéressant dans les documents qui nous ont été distribués ce matin par le personnel et par les commissaires — si on peut les appeler comme cela — qui enquêtent sur le problème de la liberté de la presse.

Au chapitre de la distribution de la presse écrite, je vois cette conclusion, les deux ou trois pages de l'étude sommaire.

J'imagine que les commissaires suggèrent une loi qui favoriserait la création d'un service ou étatique ou paraétatique ou purement privé de distribution de journaux à l'échelle de tout le territoire québécois. Alors il est dit ceci qu'une telle loi serait indiscutablement de compétence provinciale et elle soulèverait probablement relativement moins d'opposition que la législation sur la surveillance ou la répression des moyens d'information.

Curieusement, l'Etat pourrait, face au phénomène de la concentration de la propriété des journaux, animer ou suggérer la création, pour contrer ce phénomène, d'un service ou étatique ou paraétatique ou relevant de sa volonté ou de son dynamisme, d'une société de distribution des journaux à l'échelle du Québec.

Ceci voudrait dire qu'en vertu d'une Loi des coopératives les propriétaires de journaux pourraient automatiquement se grouper et distribuer tous les titres à l'échelle du territoire, palliant là un problème qui existe dans notre démocratie, qui est celui du sous-développement régional en matière d'information.

Nous pourrions aider les petits journaux qui ont de la difficulté à vivre en favorisant la création d'un service de messagerie, de distribution des journaux en vertu d'une loi des coopératives, de telle sorte qu'à tous les matins tous les quotidiens anglophones ou francophones ou même les hebdos pourraient être distribués par rail ou par avion dans les endroits les plus reculés dans le Québec en même temps.

M. BERTRAND: Le député de Gouin me permet-il une question? Est-ce qu'à l'heure actuelle les moyens de distribution des grands journaux ne sont pas satisfaisants?

M. MICHAUD: Pour les grands journaux, oui. Mais il existe pour les petits journaux une distribution qui coûte extrêmement cher. Une loi, que je qualifierais presque de loi inique, a été votée par le gouvernement fédéral, c'est-à-dire la récente loi sur la hausse des tarifs postaux. C'est une loi qui pénalise les petits journaux et les Journaux à faible rayonnement.

M. BERTRAND: Pour les journaux régionaux ou locaux, il n'y a pas de problème. La distribution se fait aisément à l'intérieur de leur territoire.

M. MICHAUD: Pour les hebdomadaires régionaux, il y a de graves problèmes parce qu'au moins 50% — enfin c'était ça quand j'étais direc-

teur de journal — à 60% de leur distribution se faisait par la poste.

Il n'y a pas de problème là où existe une petite ville. Mais pour acheminer l'hebdomadaire régional dans tous les rangs, dans tous les villages, dans toutes les paroisses, nous utilisions la poste.

Or, la loi fédérale actuelle, haussant les tarifs postaux de 50% à 60%, pénalise et pose même un frein à la qualité de l'information et à l'expansion normale de ces petits hebdomadaires régionaux.

L'Etat ne pourrait-il pas orienter ses recherches dans cette direction, visant à favoriser, en vertu d'une loi des coopératives, le regroupement de tous les moyens de distribution des journaux, de tous les moyens utilisant les techniques modernes de distribution, sans jamais juger du contenu? C'est important. Une société de messagerie, c'est un autobus. Quand quelqu'un monte dans l'autobus, on ne porte pas de jugement de valeur sur la personne qui y entre. C'est un canal de distribution et nous pourrions, par là, diminuer considérablement le coût de distribution.

M. BERTRAND: Pourriez-vous,M. Michaud, concrétiser et nous dire comment cela pourrait fonctionner. Vous dites: Assurer la distribution la plus générale possible de tous les journaux. Prenons l'exemple des quotidiens...

M. LESAGE: A commencer par le Clairon. M. BERTRAND: Le Clairon, c'est un hebdo. M. LESAGE: C'est ça.

M. BERTRAND: Parlons d'abord des quotidiens. Vous verriez une entreprise d'Etat ou paraétatique qui s'occuperait de la distribution. Prenez l'exemple des deux journaux de Québec, l'Action et le Soleil. Voulez-vous poursuivre votre exemple et me dire où s'arrêterait la distribution et du Soleil et de l'Action?

M. MICHAUD: Bon, je verrais le Parlement québécois adopter une loi. Il y a un modèle qui existe actuellement en France qui s'appelle les Nouvelles messageries de la presse parisienne, les NMPP. L'Assemblée nationale a voté une loi, à l'après-guerre, en 1946, qui donnait, dans ce cas-là, 49% des actions à la société Hachette et 51% à tous les propriétaires de journaux. Alors, actuellement, en France, les NMPP distribuent tous les titres indifféremment, selon des horaires prévus, que ce soit l'Humanité communiste ou le Figaro de droite ou le Monde ou tous les titres quotidiens, hebdomadaires, mensuels, revues, régionaux, etc. Elles ne portent jamais de jugement de valeur. Tout est traité par les moyens de l'informatique. Un ordinateur au siège central des NMPP prévoit la répartition des titres par province, par département, etc.; toutes ces données-là sont ramassées, ça prévoit le rassort, c'est-à-dire là où il y a un manque de vente. Chaque propriétaire de journal voit, bien sûr, auprès du concessionnaire à sa propre promotion.

Autrement dit une messagerie d'Etat, je ne parle pas d'Etat ou paraétatique, je verrais plutôt tous les propriétaires de journaux du Québec, quels qu'ils soient, avoir libre accès à cette nouvelle société que pourrait créer l'Etat ou que pourrait subventionner l'Etat. Il existe déjà des subventions aujourd'hui pour acheminer la copie sur les fils des téléscripteurs, il y a des tarifs préférentiels pour les copies de presse. Si vous envoyez un télégramme pour souhaiter un joyeux anniversaire à vos parents, ça coûte plus cher que la copie des journaux.

Ce n'est pas un précédent, l'Etat favorise déjà, en vertu de la satisfaction du droit à l'information, l'acheminement de la copie.

Or, comment cela pourrait-il se faire au Québec? Tous les journaux, qu'ils soient quotidiens, hebdomadaires ou mensuels même, et toutes les revues pourraient être distribués à même ce canal. On pourrait créer un « pool » pour toutes les ressources de la distribution et baisser le coût par unité, par titre, d'une façon sensible.

M. BERTRAND: Si c'est tellement dans l'intérêt des propriétaires et des vendeurs de journaux, ne serait-il pas préférable de laisser ces gens bâtir eux-mêmes un tel organisme ou une telle organisation selon la formule coopérative ou suivant la formule de la Loi des compagnies?

M. MICHAUD: Bien sûr, mais, s'il n'y a pas intervention de l'Etat, les plus puissants parmi les messageries et parmi les propriétaires des circuits de distribution auront tendance à écarter de leur réseau de distribution les voix les plus faibles. Ils auront tendance à écarter la concurrence. Or, l'Etat, qui doit voir, lui, à la satisfaction du droit à l'information, pourrait créer les instruments permettant que tous les titres, que tous les journaux, que toutes les revues soient accessibles au plus grand nombre de Québécois possible.

Moi, je verrais très bien les petites voix,

comme le Devoir, l'Action, le Droit être transportées...

M. BERTRAND: Votre collègue de Chambly veut protester.

M. LAPORTE: Ah, monsieur! Vous n'avez pas nommé le Clairon.

M. MICHAUD: ... dans un même avion que la Presse, le Star, la Gazette, le Soleil, tous ces grands moyens d'information. Alors, si nous laissons uniquement à l'initiative privée le soin de créer cette coopérative, sans que l'Etat de quelque façon surveille les activités...

M. BERTRAND: M. Michaud, ce n'est pas mon désir de vous empêcher de continuer, mais n'est-ce pas un projet qui pourrait être étudié, d'une manière plus exhaustive — quant à moi, je n'ai pas le rapport qui a été préparé par les experts; nous en faisons faire des photocopies — un peu plus tard, étant donné qu'il y a des gens qui se sont rendus au comité ce matin pour présenter des mémoires?

M. MICHAUD: M. le président, je n'avais pas l'intention de faire un long discours. J'ai réfléchi considérablement au problème à partir des premières constatations que les commissaires ont déposées il y a deux semaines. Je me suis dit que, puisque la concentration « in se », en elle-même, ne peut pas être freinée, puisqu'elle apparaît comme normale, n'y aurait-il pas d'autres moyens d'équilibrer le phénomène « concentrationnaire », de telle sorte que l'Etat pourrait favoriser les petites voix, les petits journaux et les petites entreprises, et permettre l'accès le plus général possible à toutes les informations? Or, la réponse des gens qui travaillent sur ce plan-là, c'est une société de messagerie, de distribution des journaux, formée en vertu de la Loi des coopératives ou autrement à laquelle pourraient avoir accès tous les propriétaires de journaux au Québec, quotidiens, mensuel, hebdomadaires et le reste.

M. LAPORTE: Et subventionnée par l'Etat.

M. MICHAUD: Bien, la forme que pourrait prendre la subvention de l'Etat pourrait être...

M. LAPORTE: Je partagerais l'opinion du premier ministre sur un sujet aussi important, sur lequel vous avez réfléchi depuis deux semaines. Vous avez peut-être quelques documents à nous faire distribuer, parce que je me rappelle un débat à l'Assemblée nationale suscité par l'ancien chef de l'Opposition, M. Johnson, sur la création...

M. BERTRAND: Ah oui!

M. LAPORTE: ... d'une agence de nouvelles, subventionnée par l'Etat.

M. BERTRAND: Exclusivement canadienne-française. On avait beaucoup de réticences.

M. LAPORTE : J'avais eu de la plupart des journaux des réponses absolument catégoriques à l'effet qu'ils s'opposaient, farouchement au nom de la liberté de la presse, à une telle initiative. Alors est-ce sage? Disons que c'est intéressant, mais j'aimerais mieux que l'on ait l'occasion...

M. MICHAUD: Si vous me le permettez, c'est toute la différence entre le contenu et le contenant. Une agence de presse est le contenu. Pour une société de distribution des titres...

M. BERTRAND: Là, c'est le transport qui est compris.

M. MICHAUD: ... il ne s'agit que du contenant.

M. CLICHE: La Régie des transports a-t-elle juridiction sur la livraison et l'expédition?

M. BERTRAND: S'il y a...

M. CLICHE: Si la Régie des transports, comme dans le cas du transport des passagers, a juridiction...

M. BERTRAND: Ils ont des permis, je crois.

M. CLICHE: ...pour émettre des permis pour le transport des journaux?

M. BERTRAND: Oui. Je pense qu'ils ont des permis L, livraison.

M. CLICHE: Si de tels permis sont émis, la personne qui les détient est obligée de transporter tous les journaux et non seulement un journal.

M. BERTRAND: C'est-à-dire qu'il y a des messageries qui distribuent certains journaux. Il y en a combien au Québec? On pourrait peut-être faire un relevé. Il y en a quelques-unes

qui me viennent à l'idée, mais que je préfère ne pas nommer.

M. LAPORTE: Je sais qu'en France cela existe; c'est subventionné par l'Etat et c'est accepté.

M. BERTRAND: Oui.

M. LAPORTE: C'est différent.

M. BERTRAND: II y en a à l'heure actuelle. Nous voyons souvent, sur nos routes, de très bonne heure le matin, des camions qui se dirigent, surtout vers nos villes, pour...

M. LAPORTE: D'immenses camions.

M. BERTRAND: ... la distribution, par exemple, de la Gazette...

M. LAPORTE: Du Devoir.

M. BERTRAND: ... du Devoir, oui. Dans l'après-midi, la distribution de la Presse, du Star, de l'Action et du Soleil aussi.

M. MICHAUD: Mais enfin, rapidement là-dessus, l'intervention étatique dans ce domaine ne serait pas plus suspecte que les tarifs actuellement consentis pour l'acheminement des publications de la presse écrite. C'est au nom d'une même politique...

M. BERTRAND: Une bonne manière de subventionner serait peut-être d'abolir les tarifs.

M. MICHAUD: Ou enfin de les diminuer.

M. BERTRAND: De les diminuer considérablement,

M. MICHAUD: Oui.

M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Alors, messieurs, nous n'avions donné que peu de temps à la commission d'experts et ils se sont très bien acquittés de leur tâche. Le document nous est arrivé hier soir. Je comprends que les membres de la commission n'ont pas eu l'occasion d'en prendre connaissance. Nous aurons l'occasion de revenir sur le contenu de ce mémoire, selon le voeu exprimé par les membres de la commission.

Ce matin, nous avons des visiteurs qui vont nous présenter des mémoires. Je pense que nous pourrions passer, dès maintenant, à cet article. J'inviterais maintenant Me Yves Ga- gnon, président des Hebdos du Canada, qui est accompagné de quelques membres de son groupe, à nous les présenter.

M. GAGNON: Je vais vous présenter le secrétaire, M. Jean-Paul Légaré, de Rimouski; un des administrateurs, M. Adrien Bégin, de Lévis; M. Marc Fortin, de Saint-Jérôme; M. Houde, de Sorel; M. Ratelle, de Thetford; le premier vice-président, M. Rodrique, de Saint-Georges-de-Beauce; le conseiller M. Elzéar Lavoie, professeur à Laval; le deuxième vice-président, M. Fernand Berthiaume, de Lachute.

M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): M. Gagnon, les membres du comité ont une copie du mémoire. Je ne sais pas comment les membres désireraient que vous procédiez. Je pense que vous devriez nous donner l'essentiel du mémoire.

M. BERTRAND: M. Gagnon, combien comptez-vous de membres dans votre association des Hebdos du Canada qui, antérieurement, s'appelait, je crois, l'Association des hebdomadaires de langue française?

M. GAGNON: Du Canada.

M. BERTRAND: Combien de membres comptez-vous au Québec?

M. GAGNON: Nous comptons seulement 86 membres.

M. BERTRAND: Est-ce que l'on peut tenir pour acquis que toutes les régions du Québec, en se basant sur les régions économiques, disons les dix régions économiques, sont représentées par ces hebdos-là?

M. GAGNON: Oui, toutes les régions du Québec sont représentées, et nous avons six ou sept journaux à l'extérieur du Québec, la plupart en périphérie de la province, Hawkesbury, par exemple, et nous en avons deux au Nouveau-Brunswick. Tous les autres journaux sont du Québec et représentent toutes les parties du Québec. Nous avons certaines normes d'admission. Si vous regardez, par exemple, la liste des hebdomadaires de la province de Québec, vous allez vous apercevoir qu'il y en a beaucoup plus que ça, mais plusieurs de ces journaux ne sont que des feuilles publicitaires. Nous avons certaines normes, par exemple, un maximum de 70% de publicité, le reste doit être évidemment de la matière rédactionnelle non publicitaire, dont la moitié doit être d'intérêt

strictement local ou régional. Parce que les Journaux régionaux, c'est-à-dire les journaux membres de l'association, ne sont que des hebdomadaires régionaux, non pas des hebdomadaires nationaux.

M.BERTRAND: Est-ce que le tirage de tous ces journaux-là est contrôlé, et par qui?

M. GAGNON: Nous avons le tiers environ de nos membres qui ont un tirage ABC, c'est-à-dire vérifié par l'ABC de Chicago. Les autres ont un tirage que nous appelons certifié, c'est-à-dire assermenté. Certains journaux sont à distribution gratuite. C'est une minorité.

M. BERTRAND: Quand il s'agit de journaux à distribution gratuite, ils doivent quand même dans votre groupement appliquer le critère de 70% de publicité seulement.

M. GAGNON: C'est juste, 70%, c'est le maximum pour une période prolongée.

M. BERTRAND: Maximum.

M. GAGNON: On me dit que le tirage total dépasse 600,000 exemplaires.

M. BERTRAND: 600,000.

M. GAGNON: Alors, nous faisons au départ la distinction entre la concentration et le monopole. Nous admettons que la concentration est un phénomène économique inévitable, même sur certains plans, souhaitable pour avoir une presse qui soit plus moderne, qui réponde mieux aux besoins. Alors, nous donnons certains des avantages de la concentration. Quant au monopole...

M. BERTRAND: Si vous permettez, est-ce qu'au niveau des hebdos, le phénomène de la concentration se retrouve et, si oui, dans quel secteur du Québec surtout?

M. GAGNON: Le phénomène de la concentration ne s'est pas encore réalisé dans la presse hebdomadaire régionale, quoique nous commencions à avoir certains regroupements. Il y a certaines personnes, par exemple, qui sont prêtes à acheter plusieurs journaux — tous les journaux qui sont à vendre — mais il y a eu, par exemple, un certain regroupement sur le plan de la publicité par la création des hebdos A-l. Je ne sais pas si vous avez déjà vu la publicité à la télévision, mais c'est exclusivement un organisme de promotion et de vente de publicité.

M. MICHAUD: Ah bien, si vous me permettez, M...

M. GAGNON. Il n'a rien à voir avec... Pardon?

M. MICHAUD: Cela, ç'a été très mal interprété, parce que l'on parle souvent des hebdos A-l groupés en une sorte de coopérative pour vendre de la publicité, comme étant la conséquence d'un phénomène de concentration. Or, dans ces hebdos-là, les propriétaires n'ont rien aliéné, il n'y a pas eu fusion d'intérêt, il n'y a pas eu d'association de capitaux ni rien. C'est une sorte de coopérative pour mieux vendre de l'espace publicitaire.

M. GAGNON: D'aucune façon, et même sur le plan de la publicité, chaque journal conserve le droit de fixer ses propres taux. C'est exclusivement un organisme de vente et de promotion publicitaire.

Lorsque nous parlons de monopole, nous soulignons la nécessité pour l'Etat de voir à ce que le droit à l'information soit maintenu et nous citons un cas qui n'a pas été mentionné encore, je crois. Au moment où l'Assemblée nationale du Québec formait le comité parlementaire, le gouvernement américain intentait une poursuite en vertu de l'amendement Celler-Kefauver: il y a une erreur ici, c'est le Calyton Act. Il s'agissait dans ce cas-ci d'une ville de 135,000 âmes, Rockford, dans l'Illinois, où la société Gannett avait obtenu le contrôle financier de la principale station de télévision, du journal du matin et d'un des deux quotidiens du soir. Le gouvernement américain a intenté la première poursuite contre le monopole de presse malgré le fait qu'il y ait dans cette ville deux autres postes de télévision, quatre postes de radio, un autre quotidien et plusieurs hebdomadaires dans la région immédiate. Le gouvernement américain a obtenu que Gannett cède ses intérêts soit dans le poste de télévision, soit dans les deux quotidiens.

Evidemment, la concentration de la presse présente plusieurs dangers. Nous en soulignons cinq.

Premièrement, sur le plan économique — la page 4 traite plus particulièrement de la publicité — il y a aussi un phénomène de la concentration de la publicité qui devient de plus en plus évident, je crois, et nous craignons pour notre part que cette concentration fasse que par un jeu de taux combinés, par exemple, les journaux, postes de radio et de télévision membres de cette concentration en viennent à drainer à peu près tout le marché de la publicité. Or, nous devons constater chez nous, dans la presse heb-

domadaire régionale, qu'une baisse de tirage ou une baisse de publicité de 20% risquerait de mettre complètement à terre au moins 50% des journaux.

Sur le plan politique, évidemment notre crainte serait de voir une tentative, surtout dans une période assez difficile, de minimiser ou de taire jusqu'à un certain point les facteurs que nous considérons comme les facteurs les plus dynamiques de la société, c'est-à-dire ceux qui veulent ou qui pourraient modifier le statu quo.

Sur le plan social, je crois que nous devrions citer cette phrase de Jacques Kayser qui dit « qu'un grave préjudice est porté à la collectivité par l'écrasement des petits journaux car ce sont eux qui traduisent le mieux ses sentiments et ses aspirations et qui souvent... aident à composer une image authentique de la nation. » Je crois que les hommes politiques deviennent de plus en plus sensibilisés à ça. Il y a eu — pour ne pas faire de politique — une élection fédérale où tous les grands quotidiens ont dit qu'un parti n'avait aucune chance de faire élire des candidats et qui a tout de même réussi la première fois à en faire élire 26. Je crois que si on avait lu la presse hebdomadaire régionale à ce moment-là on aurait constaté que le phénomène existait avec beaucoup plus de force qu'on l'a cru dans ce que nous appelons les grands journaux.

Nous croyons que les grands journaux peuvent difficilement traduire tous les phénomènes régionaux. Or, la concentration offre le danger de faire disparaître plusieurs de ces journaux régionaux. D'ailleurs, c'est ce qui s'est produit en France, particulièrement, où les hebdomadaires régionaux n'existent plus. Ce sont les quotidiens qui ont pris la place et aujourd'hui, ils ont énormément de difficulté. L'été dernier, nous avons eu l'occasion de faire une tournée en France et nous avons constaté ce phénomène dans la presse régionale française.

Sur le plan de l'information, Je crois que ceci a déjà été mentionné à plusieurs reprises, nous considérons qu'il y a quand même des dangers assez sérieux sur ce plan-là.

Sur le plan culturel, toute société organisée doit voir à conserver la propriété de ses principaux véhicules de culture populaire. A plus forte raison une société minoritaire comme la nôtre. Nul ne niera que les moyens d'information constituent l'un des principaux véhicules de cette culture.

Par conséquent, notre société possède non seulement le droit mais le devoir de prendre toutes les mesures nécessaires afin que sa presse ne tombe pas dans les mains d'intérêts étrangers.

J'ai tenu à lire cette partie-là parce que c'est une des parties qui fait le sujet d'une des conclusions.

Or, la liberté d'entreprise économique, avec tous les aléas qu'elle comporte, augmente considérablement ce danger. Nous voyons constamment des entreprises industrielles et commerciales nous échapper, soit par désintéressement des nôtres, en raison de retraite ou de décès, de droits de succession, soit en raison de revers de fortune. Or, s'attacher à la propriété nominale des entreprises de presse n'est pas suffisant dans une économie libre comme la nôtre.

En conclusion, nous disons que l'Etat a le droit et même le devoir de s'occuper de ce problème et les solutions que vous devez rechercher, à notre avis, doivent tenir compte de trois principes:

Premièrement, assurer le droit inaliénable du public à une information objective et complète, et assurer également le droit à la diffusion des opinions et idées du milieu;

Deuxièmement, assurer que la propriété des moyens d'information et de culture demeure totalement ou en majeure partie dans les mains des intérêts majoritaires du Québec, malgré le jeu de l'économie libre qui ne peut que défavoriser à longue échéance la société francophone québécoise;

Troisièmement, promouvoir un milieu favorable à l'expansion qualitative et quantitative de l'information, malgré les tendances économiques qui peuvent s'y opposer.

En ce qui a trait, premièrement, au droit à l'information, les hebdos du Canada ont été le premier organisme patronal de presse à accep ter le principe et à accepter officiellement le projet patronal de conseil de presse. Cela fait des années que nous le réclamons. Nous croyons qu'il y a beaucoup à faire de ce côté-là. Premièrement en ce qui a trait à la qualité de l'information, à la quantité de l'information, aux droits fondamentaux du public à être bien informé.

En ce qui a trait à la propriété culturelle, là nous en arrivons à un problème qui nous semble assez sérieux et que le phénomène de concentration ne fait, dans le fond, qu'aggraver. Nous ignorons vraiment quelles seraient les mesures que l'Etat pourrait adopter. Ce que nous constatons, par exemple, c'est que le gouvernement fédéral, déjà, possède plusieurs pouvoirs dans le domaine surtout de la radio et de la télévision. Nous constatons également que le Sénat vient de former une commission d'étude qui, même si les pouvoirs n'ont pas été déterminés encore, semble-t-il, étudiera le problème de la concentration de la presse, mê-

me de la propriété de la presse. Quand je parle de presse, je parle de la presse parlée et écrite.

Or, nous croyons que le Québec devrait absolument, de façon claire et nette, prendre les mesures pour s'assurer de couvrir ce champ avant qu'Ottawa prenne quelque mesure qui pourrait devenir un empiètement sur les droits du Québec.

Quelle est la façon? Je crois que les conseillers juridiques du gouvernement seraient en mesure de faire une étude sérieuse sur cette question. Le phénomène de la concentration aggrave ce danger-là dans le sens que si quatre, cinq ou six personnes qui, actuellement, détiennent des actions importantes dans des sociétés beaucoup plus grande, décidaient, pour une raison ou pour une autre, de s'en débarrasser ou étaient forcées de s'en débarrasser, à ce moment-là, du jour au lendemain, presque toute la presse parlée et écrite tomberait dans ce que nous appelons des mains étrangères, non pas sur le plan constitutionnel, mais sur le plan du milieu majoritaire québécois, le milieu francophone.

M. MICHAUD: C'est ça que vous appelez étranger?

M. GAGNON: Que j'appelle étranger dans le texte ici, parce que, lorsque je parle des intérêts majoritaires du Québec, Je parle du milieu francophone.

M. MICHAUD: Alors, ce sont des intérêts non francophones que vous appelez étrangers?

M. GAGNON: Non francophones, mais qui pourraient être aussi bien américains. Nous n'avons pas fait la distinction, à ce moment-là.

M. BERTRAND: M. Gagnon, dans ce chapitre, vous parlez d'une législation qui pourrait être adoptée par Québec. Avez-vous eu l'occasion de prendre connaissance du mémoire qui a été préparé par nos experts en date du 16 avril dernier? En avez-vous pris connaissance?

M. GAGNON: J'en ai pris connaissance après la rédaction. Je dois souligner ici que nous avions fait une demande à la commission pour recevoir toute la documentation pour nous aider à préparer notre mémoire. Nous ne l'avons jamais reçue.

M. BERTRAND: Est-ce que, depuis, vous avez reçu copie de ce mémoire?

M. GAGNON: J'ai été obligé d'aller la cher- cher au bureau de Me Bureau qui était venu ici la semaine dernière et qui en avait quatre copies.

M. BERTRAND: Pourrait-on demander immédiatement à nos experts que les documents qui sont préparés et qui sont toujours photocopiés le soient également pour ceux qui ont présenté des mémoires?

M. LE PRESIDENT: A ce sujet, ceux qui auraient besoin de documents spéciaux qui sont à la disposition de la commission, communiquez avec M. Bonin, le secrétaire des commissions, et vous recevrez toute la documentation. M. Massicotte, l'éditeur du journal des Débats, me dit qu'il y aura aussi des copies additionnelles des Débats. Nous avons, ce matin, ceux de la première séance. Alors, ceux qui sont intéressés à s'en procurer n'ont qu'à le demander. Vous pourrez vérifier au fur et à mesure l'enregistrement des débats.

M. MICHAUD: On pourrait passer par l'Office d'information et de publicité qui semble assez diligent pour la publicité gouvernementale.

M. BERTRAND: Je vous inviterais à utiliser le canal de la commission parlementaire. Ce sera plus direct.

M. LESAGE: Surtout, celui de la présidence du conseil et faites lire votre texte par M. Masse. Il n'y a pas d'erreur, cela va passer.

M. GAGNON: En toute justice, je dois dire que j'ai communiqué, il y a deux semaines, avec l'attaché de presse, je crois, du président de la commission, M. Allard. J'ai reçu, le lendemain ou deux jours plus tard, une lettre confirmant l'envoi du document préparé par le ministère de la Justice, mais je n'ai pas reçu le document; ce que je comprends très bien avec le système postal que nous avons depuis quelques mois surtout.

M. LESAGE: Pauvre Eric, il en prend.

M. BERTRAND. Il aurait été mieux de rester à Québec.

M. GAGNON: J'espère que le ministre n'a pas pris cette expérience à Québec.

M. BERTRAND: C'est pas mal, ça.

M. MICHAUD: M. Gagnon, je voudrais revenir sur votre définition des intérêts non fran-

cophones. Si l'art, par exemple, n'a pas de patrie, est-ce que des intérêts peuvent être francophones?

M. GAGNON: J'admets qu'il y a un problème.

M. MICHAUD: Est-ce que les intérêts économiques peuvent être ethniques?

M. GAGNON: J'admets qu'il y a un problème sur le plan législatif. Evidemment, comme vous voyez, nous n'avons pas donné de conclusion bien précise, parce que nous pouvons très bien imaginer ce que pourrait être le résultat, advenant le fait que presque tous les postes de radio et de télévision et tous les quotidiens de la province de Québec tombent dans les mains d'une personne ou d'un groupe de Toronto ou de New York.

Je crois qu'on peut imaginer très bien ce qui pourrait survenir à ce moment-là. Lorsqu'il s'agit d'adopter, par exemple, des mesures qui pourraient empêcher cela, je crois que vos lumières sont aussi bonnes que les miennes pour trouver des solutions.

M. BERTRAND: Vous croyez que les moyens utilisés par l'Etat en pareil cas pourraient véritablement atteindre le but que vous poursuivez. Exemple: je suis un francophone et je n'ai pas beaucoup d'argent. Par contre, j'ai beaucoup d'initiative.

M. LESAGE: Cela va un peu ensemble.

M. BERTRAND: J'ai beaucoup d'initiative et, à ce moment-là, un anglophone m'aide, me fournit des fonds qui me permettent à moi, francophone, de me porter acquéreur de telle ou telle entreprise. Comment pourrez-vous exercer un contrôle dans un tel cas?

M. GAGNON: Bien, évidemment, s'il y a suffisamment de garanties à l'effet que la propriété de ces biens-là serait continuellement au service de la majorité francophone du Québec, à ce moment-là, je suis bien d'accord. Peu importe que l'argent vienne de la Banque Royale ou même d'intérêts américains, c'est assez secondaire. Mais il s'agit, tout de même, du contrôle au niveau des décisions, des décisions pratiques. Alors, à ce moment-là, jusqu'à quel point pourrait-on légiférer? Je ne le sais pas, mais ce que je constate, ce que nous avons constaté au conseil d'administration de l'association, c'est qu'il y avait un véritable danger, que l'Etat devrait étudier sérieusement cette question-là, parce que nous pouvons très bien constater que si ce danger se réalisait un jour, nous pourrions être en très mauvaise posture.

Aucun organisme, aucune société organisée n'admettrait que ses principaux véhicules d'information et de culture populaire soient totalement ou en majeure partie entre les mains de personnes qui ne sont pas de cette société.

M. BERTRAND: Quand vous dites, M. Gagnon, que l'Etat devrait examiner ce problème, ne croyez-vous pas — l'Etat on lui demande beaucoup, on lui demande d'étudier, on lui demande d'examiner, on lui demande de prendre des initiatives et c'est ce que nous avons noté, lors de la dernière séance — n'est-il pas préférable que la volonté de ceux qui sont dans le champ se manifeste comme elle semble se manifester en vue de l'établissement d'un conseil de la presse d'abord, premièrement?

Deuxièmement, ce conseil de la presse étant dans le champ, connaissant les problèmes de plus près et peut-être de beaucoup plus près que l'Etat ne peut jamais les connaître, n'est-ce pas préférable que des études, que des recommandations nous parviennent à la suite d'un examen de la situation par un tel conseil de la presse, où sont représentés des membres, disons, représentant les journalistes et, d'autre part, les propriétaires de journaux? Car le principe en vue, c'est celui-ci: Répondre au droit qu'a le citoyen à l'information la plus complète, la plus objective et la plus impartiale souhaitable.

M. MICHAUD: M. le Président, si vous permettez, avant que M. Gagnon réponde, j'aimerais aussi que les commissaires qui se sont penchés sur l'étude de tout le problème puissent également répondre à cette question et je la reformule. Je sais que, depuis deux ou trois ans, des suggestions nous arrivent fréquemment. J'en ai fait une moi-même lors de l'étude du projet de loi 52, sur le cinéma, en matière de propriété de la distribution et de la propriété des salles de cinéma dans le Québec, puisque ça touchait notre culture.

Je reformule ma question, je n'ai pas encore trouvé de réponse à ça. Si l'art n'a pas de patrie, est-ce que les intérêts peuvent en avoir une? Vous dites: II serait souhaitable que la propriété, en matière d'entreprise de presse, reste entre les mains des intérêts majoritaires du Québec? C'est un problème fondamental, l'Etat pourrait-il intervenir dans ce domaine-là, dans le domaine de la culture, que ce soit la presse, le cinéma, la radio ou la télévision? Par quelles sortes de mécanismes voyez-vous une loi qui limiterait le droit de propriété en

matière d'entreprise de presse a des intérêts francophones?

Je sais que, dans la loi française de presse, il est nommément dit, il est spécifié que ne peuvent être propriétaires d'entreprise de pre-se écrite que des Français de nationalité française. Or, il arrive, avec les mouvements du marché commun, avec le phénomène de la fusion dans le domaine des entreprises d'imprimerie, que des capitaux allemands se sont joints à des capitaux français et ont établi, à toutes fins utiles, un nouveau style de propriété conjointe, mais ça, avec le débordement des frontières et l'éclatement des frontières économiques et que cette loi est à peu près inopérante.

Les Allemands sont actuellement propriétaires de facto de certains journaux ou de certaines entreprises d'imprimerie qui ont des intérêts dans les journaux.

Alors, comment d'une part concilier cet impératif culturel de la propriété des entreprises de presse entre des mains francophones et ces grands mouvements universels qui tendent même à un éclatement des frontières économiques et à la fusion des capitaux qui n'ont pas, eux, de préoccupation culturelle?

M. GAGNON: Pour répondre d'abord au premier ministre, je dois dire qu'au départ les hebdos du Canada favorisent le conseil de presse. Vous allez le constater tout à l'heure parce que le projet de conseil de presse est présenté conjointement par les hebdos du Canada, les quotidiens et les radiodiffuseurs.

Le conseil de presse permettrait, je crois, s'il est efficace et bien organisé, de résoudre la plupart des problèmes auxquels nous avons à faire face. Cependant, nous croyons que le conseil de presse, s'il constate certains dangers qui sont en train de se matérialiser, aura besoin à ce moment-là de l'action gouvernementale. Ce que nous désirons, c'est que le gouvernement prenne seulement les mesures pour agir légalement, évidemment, efficacement et rapidement lorsque la situation se présentera, si elle se présente.

Nous nous opposons, par exemple, à une régie. Nous avons très peu confiance aux régies gouvernementales, malheureusement, pour des raisons strictement politiques et à plus forte raison lorsqu'il s'agit de la presse.

M. BERTRAND: Et dans ce domaine-là surtout.

M. GAGNON: Alors étant donné que nous nous opposons à une régie, évidemment, il nous reste très peu de choix, mais nous savons très bien que, par exemple, si du jour au lendemain tous les biens culturels au domaine de l'information passent dans des mains que nous considérons étrangères, à ce moment-là le conseil de presse ne pourra absolument rien faire.

Ce que nous voulons, c'est que le gouvernement soit en mesure d'agir. Or, nous constatons que le gouvernement fédéral a une tendance à s'infiltrer dans ce domaine de la communication et de l'information, et avec le comité du Sénat, nous croyons qu'il y a un risque qu'Ottawa aille encore plus loin dans ce domaine.

Or, ce que nous voulons, c'est tout simplement que Québec établisse clairement les limites de son droit dans ce domaine, particulièrement dans le domaine de la propriété des stations de radio et de télévision. Nous ne demandons pas de législation qui obligerait la sanction gouvernementale pour toute vente ou transfert d'actions ou de propriété. Mais lorsque le conseil de presse, par exemple, après étude et enquête, constate qu'un danger peut se présenter sur ce plan-là ou sur le plan du monopole ou du droit à l'information et que, pour pallier ce danger, il faut absolument une loi, nous voulons que l'Etat québécois soit en mesure d'agir rapidement et efficacement.

M. MICHAUD: M. Gagnon, n'y a-t-il pas, dans votre mémoire, deux propositions à la page 8 qui sont contradictoires et qui semblent, dans le même membre de phrase, s'exclure et se combattre. Vous dites ceci: « Si nous répugnons à voir l'Etat s'immiscer directement dans la presse indépendante d'une part, nous croyons cependant qu'il devrait voir immédiatement à s'assurer les moyens d'agir rapidement et efficacement dès qu'il sera saisi d'un problème qui nécessiterait son intervention ».

D'une part, vous faites état de votre répugnance et d'autre part, vous sollicitez l'intervention rapide de l'Etat lorsque le problème le nécessitera. Quels sont ces problèmes ou ce problème qui justifiera l'intervention immédiate de l'Etat?

M. GAGNON: J'ai cité le cas de la propriété. Il y a le cas, par exemple, du monopole dans une région. C'est-à-dire que lorsque le conseil de presse constate que le droit à l'information est bafoué ou limité en raison d'un monopole, il ne pourra que constater l'existence du monopole, constater que le droit à l'information est limité dans ce secteur ou cette région. Si le conseil de presse a besoin de quelqu'un pour rendre effective sa décision, à ce moment-là il faudra que l'Etat puisse agir.

Or, ce que nous craignons tout simplement, c'est que l'Etat québécois ne prenne pas toutes les mesures pour pouvoir agir lorsque le besoin s'en fera sentir. C'est exclusivement cela. Je ne vois pas de contradiction... La première partie de ce que vous avez mentionné a trait précisément à notre opposition à une régie qui, au préalable, aurait à décider des transactions, des modifications de propriété et autres. Par contre, nous ne voulons pas que l'Etat demeure tout à fait indifférent au problème.

M. BERTRAND: M. Gagnon, à l'heure actuelle, par la législation existante, ce sont les tribunaux qui sont chargés de déclarer s'il y a ou non monopole. Vous venez de dire que le conseil de presse pourrait constater l'existence d'un monopole, d'après lui, en se basant sur certains critères. Mais en fin de compte, suivant nos lois actuelles — et je ne vois pas comment, même dans l'avenir, il pourrait en être autrement — il faudrait certainement que les tribunaux soient appelés à trancher le problème du monopole.

M. MICHAUD: Mais, M. le premier ministre, les tribunaux fédéraux qui ont juridiction en cette matière concernent uniquement les pratiques restrictives sur les denrées et les produits, et non pas sur les services. Donc, les lois canadiennes, fédérales ou provinciales sont inopérantes en matière de concentration puisque les services ne sont pas inclus.

M. BERTRAND: Mais nos légistes pourraient peut-être apporter une réponse à cela. Continuez...

M. GAGNON: D'ailleurs, tout simplement pour vous citer un exemple, Ottawa, par un organisme qui n'est pas le gouvernement, a forcé Famous Players à se débarrasser d'une partie de ses actions dans les postes de télévision parce qu'on a adopté des mesures pour que la propriété des moyens d'information et de diffusion soit la plus canadienne possible. Alors, si c'est bon pour Ottawa, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas bon pour le Québec.

M. BERTRAND: A ce moment-là, revien-driez-vous à l'idée que vous aviez tantôt de la proportion, disons, des francophones à l'intérieur du Canada, dans le Québec? Si vous dites qu'à l'heure actuelle Ottawa a adopté des législations sur le plan canadien, à l'intérieur du Québec, suivant les propos que vous teniez tantôt, il faudrait qu'il y ait une proportion francophone. Cela revient un peu à l'idée émise tantôt par la question posée par M. Michaud. Comment cela serait-il possible dans la réalité?

M. GAGNON: Je crois que le conseil de presse pourrait étudier le problème et en venir à la conclusion qu'il y a ou qu'il n'y a pas suffisamment de garanties ou de contrôle de l'élément francophone ou de l'orientation francophone pour continuer à servir l'intérêt de la majorité québécoise.

M. MICHAUD: Donc, dans votre esprit, M. Gagnon, vous verriez le conseil de presse exercer un rôle de contrôle ou de surveillance sur les mouvements de capitaux en matière de propriété des entreprises de presse?

M. GAGNON: Ecoutez, là. A titre personnel, je n'ai pas discuté avec les membres du Conseil des hebdos sur ce plan-là.

A titre bien personnel, je crois que le conseil de presse devrait s'occuper de ce problème, parce que je considère que si ça devient un problème pour les Etats-Unis, si ça devient un problème pour la France, si ça devient un problème pour l'Angleterre, si ça devient un problème pour Ottawa, je ne vois pas comment ça ne serait pas un problème pour le Québec.

Mais toujours — je veux que ce soit bien clair — nous nous opposons à toute action directe de l'Etat, au préalable, pour limiter ou décider des mouvements de capitaux.

M. BERTRAND: Vous ne le voyez que dans des cas exceptionnels...

M. GAGNON: C'est ça.

M. BERTRAND: ... mais non pas, comme vous le disiez tantôt, par l'établissement d'une régie qui verrait à contrôler le mouvement de tous les capitaux.

M. GAGNON: C'est ça.

M. MICHAUD: C'est-à-dire, si je comprends bien l'intervention du président des hebdos du Canada, qu'il verrait surtout en matière d'information — et ça, ça rejoint un autre débat, mais je je veux pas entrer dans ce domaine-là, entre, d'une part, l'Etat et le public — qu'il voit une zone-tampon qui pourrait être constituée par un conseil de presse, pour exercer une surveillance. Ce conseil de presse pouvant être subventionné par l'Etat ou autrement, enfin pouvant être aidé par l'Etat, ce serait une zone-tampon qui filtrerait la puissance du pouvoir politique par rapport au public. On retrouve ce même

souci de cohérence et de défense de la liberté dans un débat auquel — évidemment, je n'ai pas à référer ici — mais qui se poursuivra bientôt en Chambre.

M. LAPORTE: Est-ce que vous faites mention, dans votre mémoire, d'une intervention aux Etats-Unis, alors que, dans une ville, on est devenu propriétaire d'un journal, d'un poste de radio, d'un poste de télévision, mais où c'est l'Etat qui est intervenu en vertu des lois antimonopoles?

M. GAGNON: C'est ça.

M. LAPORTE: L'intervention paraît illusoire pour l'instant, parce que la loi ne permet pas d'intervenir dans le domaine des services; si la loi était modifiée pour que l'Etat puisse, par ses lois antimonopoles, intervenir, est-ce que cela vous paraîtrait satisfaisant?

M. GAGNON: Si l'Etat pouvait intervenir... M. LAPORTE: Je veux dire les tribunaux. M. GAGNON: ... oui.

M. LAPORTE: Parce que, dans le cas de monopoles, évidemment, l'Etat a fait son enquête, et réfère ensuite un dossier aux tribunaux.

M. GAGNON: Evidemment, dans un Etat unitaire, c'est beaucoup plus facile d'en arriver à cet...

M. LAPORTE: Dans un Etat?

M. GAGNON: ... unitaire, c'est beaucoup plus facile. Evidemment, nous avons ici le problème des compétences, particulièrement dans le domaine des monopoles, il y a une législation fédérale et, d'après les conseillers juridiques du gouvernement, elle est totalement inefficace. Alors ce qu'il reste au gouvernement du Québec, c'est le droit à la propriété, la législation sur le droit à la propriété en vertu des droits civils.

Alors, ce que nous voulons, c'est tout simplement que l'Etat québécois confirme son droit, pour pouvoir agir. C'est exclusivement cela, et la façon de le faire évidemment — je crois qu'on ne pourra pas le décider ce matin — mais je crois que les conseillers juridiques du gouvernement devraient s'attacher à cette question-là plus particulièrement.

M. MICHAUD: Mais, M. Gagnon, dans vos interventions étatiques que vous suggérez plus tard, en dehors de ce rôle de surveillance du conseil de presse, vous ensuggéreztrois. L'une est une aide accrue en vue de perfectionnement des journalistes et des cadres des entreprises de presse, mais j'imagine que cela rejoint le problème de l'établissement des facultés de journalisme et de l'enseignement professionnel du journalisme au Québec. Cela peut se régler via le ministère de l'Education ou via les subventions universitaires. Il y a ensuite la reconnaissance officielle du statut professionnel du journaliste, comme deuxième suggestion, qui sera, je l'espère en tout cas, incluse dans le conseil de presse, c'est-à-dire que le conseil de presse reconnaîtra...

M. GAGNON: C'est ça.

M. MICHAUD: ... et la sanction ultérieure par la suite, par l'Etat, de la reconnaissance officielle du statut professionnel. On se souviendra...

M. GAGNON: C'est ça.

M. MICHAUD: ... qu'il y a deux ans, j'avais annoncé un projet de loi que j'ai retiré, par la suite, sur la reconnaissance du statut professionnel des journalistes. Je suis heureux que cette suggestion, qui était individuelle, soit maintenant reprise par votre organisme et entérinée par l'ensemble des moyens de toute la profession journalistique. Enfin, l'extension juridique de la clause de conscience, qui fait évidemment partie intégrante du statut professionnel des journalistes reconnu par l'Etat à tous ceux qui exercent cette profession, ce sont des suggestions concrètes qui pourraient être appliquées sous l'autorité du conseil de presse.

M. GAGNON: Un autre point, c'est qu'en 1967 nous avions soumis un mémoire au gouvernement suggérant certaines modifications à la Loi de la presse. J'aimerais vous citer un cas qui est arrivé hier. Un juge à la retraite m'a téléphoné pour me demander comment il pouvait envoyer une mise en demeure, en vertu de la Loi de la presse, au propriétaire d'un journal, alors que la propriété d'un journal, c'est un « holding ». C'est tout simplement un exemple pour démontrer jusqu'à quel point la Loi de la presse ne répond plus aux besoins actuels. Nous avions apporté certaines suggestions. Je crois qu'elles mériteraient d'être reprises et qu'on devrait peut-être sortir ce dossier pour l'étudier.

M. LAPORTE: Enlever la poussière.

M. GAGNON: Enlever un peu de poussière et le sortir.

M. MICHAUD: C'est un point intéressant qui est soulevé. La Loi de la presse, qui date de 1929, prévoit qu'en matière de libelle et de diffamation sont responsables le directeur du journal, le propriétaire et le rédacteur en chef. Or, il est évident que, si une personne se sent lésée par un journal, elle doit, à la fois, intenter son action et l'assigner à deux personnes dont le rédacteur en chef et le propriétaire. Il est clair que, si le propriétaire est un conglomérat de capitaux, à ce moment-là, il est extrêmement difficile pour cette personne de témoigner devant les cours de justice.

M. BERTRAND: Vous avez raison, M. Gagnon, de noter que les lois concernant la presse au Québec, comme un peu partout d'ailleurs, n'ont Jamais été souvent modifiées. On dirait qu'il y a une réticence de la part de l'Etat à entrer dans ce domaine d'une manière directe ou indirecte, probablement parce que la presse comme telle manifeste son indépendance et sa force à l'endroit de l'Etat. C'est heureux qu'il y ait ce quatrième pouvoir dont on parle qui désire garder son indépendance.

M. MICHAUD: J'ajouterai aux propos du premier ministre en disant que ce vieux concept de l'absence de l'intervention de l'Etat en matière de presse est actuellement battu en brèche par le développement des sociétés modernes. De plus en plus, l'Etat est le gérant du bien commun. On lui demande davantage que d'assurer l'ordre et la loi. On lui demande d'intervenir de telle sorte qu'il voie à la satisfaction de tous les droits. C'est en vertu de la satisfaction du droit au fait et à l'information que des groupes comme ceux-là demandent que l'Etat intervienne et police les mécanismes qui rendent possible la satisfaction du droit à l'information.

M. BERTRAND: C'est pour ça que nous comptons énormément sur les recommandations — je l'ai noté tantôt — qui pourront nous être faites par le conseil de presse. Je crois que c'est là, d'ailleurs, un départ qui ne s'est pas produit encore, puisque le conseil de presse n'est pas encore formé. Il doit l'être très bientôt, mais il n'est pas encore formé.

M. LAPORTE: M. Gagnon, d'une façon générale, est-ce que l'on peut imaginer que les hebdomadaires, comme les quotidiens — au nom de cette liberté de la presse qui doit être, elle, notre préoccupation fondamentale et l'objet de notre travail — souhaitent une intervention de l'Etat, limitée au strict nécessaire?

M. GAGNON: Précisément.

M. LAPORTE: Disons que je serais à la fois étonné et inquiet que des journalistes ou des propriétaires de journaux — surtout après des déclarations comme la vôtre où vous dites: Nous n'avons pas tellement confiance aux commissions de l'Etat — viennent ici dire à l'Etat: Voulez-vous, s'il vous plaît, commencer à mettre vos doigts dans les engrenages que sont les organisations des services de presse? Si c'est absolument nécessaire pour atteindre des fins qui dépassent, disons, le principe de la liberté de la presse, la propriété des moyens de culture, cela est une chose qui est évidemment fondamentale; mais, sauf l'extrême nécessité, Je pense que, jusqu'ici et de façon accélérée depuis deux ou trois ans, les journalistes ont bien établi qu'ils sont disposés à défendre la liberté de la presse et, deuxièmement, à se donner eux-mêmes des organismes de contrôle.

Vous avez devant vous ce matin votre code d'éthique. Je pense que c'est un fait nouveau dans le Journalisme canadien-français. Il faudrait que cela s'étende. Vous avez la création récente d'une fédération. Je pense que nous nous dirigeons dans la bonne voie.

J'espère que je ne ferai sursauter personne, mais il s'est créé de notre temps, à l'intérieur, par l'Etat directement, un Office d'information et de publicité. Cela a été un succès tel que les journalistes ont décidé de ne pas accréditer les journalistes qui travaillent à cet Office d'information et de publicité. Cela a eu un succès tel que si nous relisons certaines des assertions de votre mémoire, celle d'André Siegfried, « ... qu'elle nécessite une surveillance venue d'en haut pour que tous les points de vue puissent s'exprimer et être présentés au public, » nous avons des inquiétudes, quand nous voyons l'intervention de l'Etat. Un peu plus loin, quand vous dites que le droit à l'information est supérieur au principe même de la liberté économique, nous avons des inquiétudes quand nous voyons l'intervention du gouvernement.

Si c'est un plaidoyer pour que l'Etat vienne s'ingérer, disons que personnellement cela va me causer une inquiétude parce que chaque fois que cela s'est produit, cela a été ou désagréable ou catastrophique.

M. GAGNON: Je suis pleinement d'accord sur ce plan-là...

M. BERTRAND: Si vous me permettez, M. Gagnon...

M. GAGNON: Oui.

M. BERTRAND: II est sûr que l'Office d'information et de publicité de tout temps, depuis son existence a posé des problèmes à l'Etat. Depuis ses débuts. Je voudrais absolument que cette discussion soit apartisane, n'envisageant que le principe de l'information, que l'information provienne de l'Etat ou que l'information provienne de nos grands media d'information, les journaux, les hebdos.

Il est clair qu'un principe doit être respecté, c'est que l'information soit la plus objective, la plus conforme et la plus impartiale possible. Sans quoi on se dirige immanquablement vers ce que l'on appelle des usines de propagande. Même s'il y a beaucoup d'exagération quand on le dit, ce serait répéter des gestes qui ont été posés en certains pays où des noms comme celui de Goebbels sont devenus synonymes de propagande étatique à sens unique.

M. LAPORTE: Si vous aviez dit tout cela hier, vous auriez voté pour ma motion.

M. BERTRAND: Non, parce que vous avez fait d'un cas absolument mineur, d'un cas où dans les circonstances un ministre aurait pu, sans utiliser le papier officiel de l'Office d'information et de publicité, demander à son attaché de presse de résumer son discours et de le faire parvenir à la presse...

M. LESAGE: Cela aurait été bien... M. BERTRAND: A ce moment-là...

M. LESAGE: La distribution est bien différente.

M. BERTRAND: Oui.

M. LESAGE: Cela, nous ne le recevons pas chez nous, tandis que ceci arrive...

M. BERTRAND: A ce moment-là, tous conviendront...

M. LESAGE: ... grâce à des listes comprenant le nom de milliers de personnes.

M. BERTRAND: Je ne voudrais pas reprendre ce débat, il est terminé.

M. LESAGE: Il faudrait tout de même...

M. BERTRAND: Non, je ne veux pas le recommencer non plus. Je veux tout simplement noter que du côté de l'Etat comme du côté des journaux, il y a toujours le danger que le citoyen soit mal informé ou mal orienté. Cela peut exister pour les journaux.

M. LESAGE: Surtout quand il est informé par le gouvernement.

M. BERTRAND: C'est pourquoi dans ce domaine l'Etat, quel qu'il soit, doit toujours être prudent.

M. MICHAUD: Permettez deux remarques. La première. L'intervention du député de Chambly traduit un peu la complexité du problème que nous avons à débattre ici. Vous allez sûrement remarquer au cours de ces délibérations qu'à l'intérieur même d'une même famille politique, d'une même famille spirituelle, il peut exister des divergences de vue ou, à tout le moins, des nuances, parce que le problème est extrêmement complexe.

Entre la position de mon collègue, qui m'apparaît une position extrêmement libérale, c'est-à-dire répugnant à toute intervention de l'Etat en matière d'information et la mienne qui tendrait à favoriser une intervention étatique pour privilégier le droit à l'information, il existe une variété d'opinions.

Deuxième remarque sur le problème de l'information gouvernementale. Nous avons exclu jusqu'ici de nos travaux cette dimension du problème de la liberté de la presse qui s'appelle le problème de l'information gouvernementale. Il va falloir, bien sûr, puisque le mandat du comité est d'étudier l'ensemble du phénomène de la liberté de la presse au Québec, étudier la place que l'Etat doit prendre dans le domaine de l'information puisqu'il s'institue lui-même depuis quelque temps, depuis des années, un agent informateur auprès du public.

Alors comment allons-nous le contrôler, comment allons-nous définir son intervention dans le domaine de l'information? Je pense que nous devrions donner à la commission un mandat non pas d'extension, mais nous devrions nous attacher à ce problème qui est une des facettes, et non pas des moins importantes, du problème de la liberté de la presse puisque l'Etat devient juge et partie dans le quatrième pouvoir. Il devient lui-même un agent d'information. Comment doit-il s'imposer à lui les mécanismes de contrôle et d'objectivité et d'impartialité et les garanties pour le public

de l'exercice d'un rôle efficace dans le domaine de l'information? Cela devrait être dans le programme des travaux de la commission.

M. BERTRAND: Je m'en voudrais, M. le Président, du moins pour ce matin, de priver ceux qui sont venus de leur droit de parole. C'est pourquoi nous ne discuterons pas du problème qui est réservé pour le moment à la Chambre où nous aurons l'occasion d'aborder tous les aspects du problème de l'Office d'information et de publicité et de Radio-Québec.

M. MICHAUD: Mais il serait intéressant de connaître sur ce point-là de l'information gouvernementale les avis par exemple des courriéristes parlementaires, de ceux qui sont au coeur même de l'événement et qui ont des contacts...

M. BERTRAND: Nous aurons l'occasion de les entendre par le truchement de leur fédération. Mais ce matin il ne faudrait pas — quant à moi du moins — priver M. Gagnon et les autres...

M. GAGNON: J'espère que vous accepterez le fait que je ne fasse pas de commentaires sur le débat qui vient d'avoir lieu parce que, dans l'association, nous avons à peu près toutes les opinions politiques, et comme président je ne tiens pas à avoir de vote de censure.

M. LAPORTE: Vos hebdomadaires, d'une façon générale, reçoivent-ils les communiqués de l'Office d'information et de publicité du Québec?

M. GAGNON: Généralement avec huit ou douze jours de retard.

M. LAPORTE: C'est ce qui sauve la liberté de la presse, f imagine.

M. GAGNON: Nous devons rencontrer M. Dubé pour, précisément, trouver une formule qui pourrait être beaucoup plus utile à la presse hebdomadaire régionale.

M. BERTRAND: II y aurait peut-être avantage également — ça, je pense bien que c'est leur droit — vous avez parlé tout à l'heure de toutes les nuances qui se retrouvent à l'intérieur de vos hebdos. Alors il y a également la nuance de celui qui préférerait ne pas le publier ou rien ne vous oblige à le publier en entier. Vous pouvez en utiliser une partie.

M. GAGNON: Oui.

M. BERTRAND: Alors à ce moment-là on peut dire que, dans l'ensemble, la liberté de la presse est encore protégée.

M. LAPORTE: Vous posez fort bien le problème. Si le texte est fait de telle façon que, selon ses opinions politiques, on le mette au panier ou on le publie, c'est un très grave problème.

Cela devrait être de façon que ce soit de l'information qui puisse...

M. BERTRAND: Non, on peut le publier en partie. Même si c'était de l'information complète, à ce moment-là cela arrive peut-être moins vite que ce que l'on trouve immédiatement le lendemain dans le journal et qui peut être reproduit par vous d'une manière directe ou indirecte.

M. MICHAUD: Je comprends le souci du premier ministre de vouloir éviter le débat sur le problème de l'information gouvernementale, mais je m'étonne aussi de la réaction du président des hebdos du Canada qui dit: Quant au problème de l'information gouvernementale, il existe au sein de notre association des nuances politiques. Je ne voudrais pas me prononcer là-dessus.

C'est un problème d'intérêt public. Les journalistes, les propriétaires de journaux, tous ceux qui s'intéressent à la liberté de la presse au Québec doivent réfléchir sur ce problème de l'information gouvernementale qui est une dimension essentielle du problème de la liberté de presse.

M. BERTRAND: Ce n'est peut-être pas la première à l'heure actuelle.

M. GAGNON: Si vous souhaitez avoir un mémoire sur l'Office d'information et de publicité, nous pouvons vous en présenter un. Mais nous ne croyions pas que c'était le sujet de la discussion de ce matin.

Il y a peut-être un petit fait qu'il faudrait mentionner ici et que nous aimerions mentionner, nous de la presse hebdomaire régionale, c'est le phénomène de ségrégation journalistique qui existe dans la loi électorale et qui fait que les avis ne sont publiés que dans les quotidiens.

On attire notre attention aussi sur un fait qui relève...

M. BERTRAND: ... de la loi électorale.

M. GAGNON: Oui. Les avis de revision, de liste etc., ne sont publiés que dans les quotidiens.

M. BERTRAND: Ces avis ne sont pas publiés dans les journaux régionaux?

M. GAGNON: Alors, il y a des régions complètes, malgré que dans ma région les présidents d'élection ont insisté pour l'avoir dans les journaux de la région, c'est impossible parce que la loi l'empêche.

M. BERTRAND: A l'époque où nous avons adopté la loi — d'ailleurs, cela a été à l'unanimité de la Chambre — notre attention n'a pas été portée vers ce problème-là. Depuis, votre association des hebdos a-t-elle fait des représentations?

M. GAGNON: Nous en avons présenté, mais nous ne savons pas où elles sont rendues.

M. MICHAUD: Mais, par quel canal?

M. BERTRAND: C'est la première fois, M. Gagnon, personnellement — je pense bien que c'est la même chose pour les membres de la commission — que j'en entends parler.

M. GAGNON: Il en a été question...

M. BERTRAND: C'est facile de faire publier ces avis-là également dans les hebdos ou dans une certaine catégorie d'hebdos, du moins. Il faut tenir pour acquis — et vous l'avez noté tantôt — que vous aviez plusieurs catégories d'hebdos.

M. GAGNON: Oui.

M. BERTRAND: Alors, on voudra bien comprendre que, si l'Etat faisait parvenir ces avis-lâ à tous les journaux qui se qualifient d'hebdos, j'en connais plusieurs, quant à moi — c'est le rôle qu'ils veulent remplir dans nos milieux — qui sont plutôt des feuilles publicitaires. Autrement dit, les marchands d'une région, plutôt que de publier eux-mêmes une annonce s'unissent et, avec un promoteur, fondent un petit journal. Ce n'est certainement pas la catégorie d'hebdos que vous songeriez à aider. Est-ce que je me trompe?

M. GAGNON: Non. Vous avez raison, mais ce que je veux souligner, c'est que nous avons, lors de la présentation de notre mémoire au premier ministre, M. Johnson, en 1967, précisément souligné cette question-là.

En ce qui a trait aux hebdomadaires régionaux, nous avons coopéré avec plus ou moins de résultats avec l'Office d'information et de publicité dans ce domaine-là. Pour terminer, un membre me soulignait ici que la Revue des hebdos retranscrit surtout les communiqués que nous avons reçus de l'Office d'information et que nous avons publiés dans nos journaux.

Merci.

M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Y a-t-il d'autres questions?

M. BERTRAND: Vous notez quelque chose qui est important. Vous dites aux membres de la commission que la Revue des hebdos qui est préparée par l'Office d'information et de publicité — le dites-vous d'une manière absolue et générale — ne fait que reproduire des textes que vous auriez reçus de l'Office d'information et de publicité.

M. GAGNON: C'est une remarque qui a été présentée par un membre du conseil.

M. BERTRAND: Et vous, M. Gagnon?

M. GAGNON: Non, nous avons constaté que ce qui est exprimé, ce qui est tiré des journaux, devient un reflet, à tout le moins, de ce que nous avons reçu; c'est-à-dire que l'orientation dans le choix est en fonction des préoccupations qui ont fait le sujet des communiqués que nous avons reçus.

M. BERTRAND: A plusieurs reprises, j'ai vu, dans cette revue des hebdos, plusieurs éditoriaux qui avaient été écrits dans des hebdos. L'éditorialiste aurait-il repris, dans son éditorial, des propos qu'il avait reçus par le truchement de l'Office d'information et de publicité? A ce moment-là, qui blâmer? L'éditorialiste!

M. GAGNON: De toute façon, c'est une question que nous allons discuter à midi avec le représentant de l'office.

M. BERTRAND: D'accord.

M. GAGNON: Y aurait-il d'autres questions?

M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Alors, s'il n'y a pas d'autres questions, je vous remercie, Me Gagnon. Nous allons maintenant entendre M. Lamarche, président du Syndicat des écrivains du Québec.

M. Lamarche, voulez-vous nous présenter également ceux qui vous accompagnent?

M. LAMARCHE: Je suis le seul représentant, actuellement, du Syndicat des écrivains du Québec.

Vous avez des exemplaires du mémoire qui est résumé dans les trois dernières pages. Dès la deuxième page, vous avez le plan de ce mémoire. Nous abordons sept sujets, à savoir les principes directeurs et nous pouvons suivre. Les principes directeurs sont évidemment la liberté de la presse.

Je reprends, à la page 24, tous les détails concernant les sept points qui sont inscrits de la page 1 à la page 23. L'ensemble des Ecrivains du Québec est un corps intermédiaire soucieux de l'évolution du Québec. Les cadres professionnels qu'ils se sont donnés — sans influencer l'oeuvre individuelle des écrivains — regroupent plus de 1,000 personnes directement intéressées à la création littéraire et, sur le plan communautaire, aux libertés de la collectivité. Le Syndicat des écrivains du Québec s'occupe des droits d'auteur, il a obtenu sa charte en vertu de la Loi des syndicats professionnels il y a deux ans. Il a également, à côté de lui, l'Association coopérative d'éditions québécoises audiovisuelles qui a obtenu sa charte en vertu de la Loi des coopératives l'an dernier. Et dans les cadres professionnels, nous avons également le Centre Canadien-français du PEN international où le Québec est membre du comité exécutif à côté des 78 autres centres d'écrivains à travers le monde.

Alors la pensée des écrivains du Québec est imprimée dans plus de 400 titres par année et rejoint environ deux millions de lecteurs par année. Elle s'intéresse à la collectivité.

La question posée est la suivante: « Est-ce que les entreprises de presse, les journaux du Québec constituent à l'heure actuelle une concentration ou un monopole tel que l'on met en danger la liberté de la presse? » C'est extrait du journal des Débats, ce sont les paroles textuelles du premier ministre.

La réponse proposée par les écrivains du Québec tient compte de deux inventaires. Nous avons, dans le mémoire, présenté un inventaire complet des propriétaires des 14 quotidiens ainsi qu'un inventaire géographique des 14 quotidiens du Québec. Nous avons également préparé un inventaire géographique de 59 stations de radio: Quels sont les propriétaires? Qui détient des parts et le nombre de parts? Nous nous sommes inspirés de deux articles publiés dans la revue Maintenant et dans Maclean. Nous avons également les postes de télévision, les propriétaires, les stations et les émetteurs.

Ceci nous permet d'aborder le problème, mais avant de l'aborder, nous avons également versé au dossier un autre document nous permettant de constater que plus de 400 journaux ont disparu au Québec, et nous avons versé l'inventaire de cinq régions comme Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Chicoutimi, Trois-Rivières, Québec et Montréal, où, depuis le début du siècle, au-delà de 400 journaux sont morts. C'est un des résultats de la concentration.

M. BERTRAND: M. Lamarche, me permettez-vous?

M. LAMARCHE: Oui.

M. BERTRAND: Le Syndicat des écrivains du Québec compte combien de membres?

M. LAMARCHE: Le syndicat lui-même compte à peu près 90 membres en règle.

M. BERTRAND: 90 membres qui viennent d'une région ou de plusieurs régions?

M. LAMARCHE: Vous avez des membres, comme Claire Martin, qui viennent d'Ottawa. Vous avez des membres de toutes les régions. Nous n'avons pas de local, tous les membres se réunissent...

M. BERTRAND: Votre syndicat existe depuis combien d'années?

M. LAMARCHE: Depuis le 4 mars 1967 en vertu de la Loi des syndicats professionnels. C'est une séparation d'avec la Société des écrivains canadiens pour des problèmes politiques.

M. BERTRAND: Comptez-vous beaucoup de journalistes à l'intérieur de vos cadres?

M. LAMARCHE: Un très grand nombre de journalistes sont également écrivains, ont publié des volumes au Québec ou à l'étranger, mais vivent au Québec. Par exemple, Jean Pellerin, Jean Basile, ces noms me viennent à l'esprit.

M. BERTRAND: Quelles sont les conditions pour devenir membre du Syndicat des écrivains du Québec?

M. LAMARCHE: La première condition, c'est qu'il y ait un appui matériel, c'est-à-dire que l'oeuvre théâtrale ait été jouée ou que l'oeuvre écrite ait été imprimée au Québec ou créée par des résidants du Québec. Par exemple, quelqu'un qui résiderait à Vancouver ne peut pas faire partie du Syndicat des écrivains du Qué-

bec, à moins que son oeuvre ne soit publiée ou jouée au Québec.

M. BERTRAND: Au Québec.

M. LAMARCHE: Et un gars comme Jacques Godbout, par exemple, que demeure au Québec, mais dont l'oeuvre est publiée au Seuil, est quand même membre du Syndicat des écrivains du Québec. Il faut que l'oeuvre soit publiée au Québec ou que le résidant soit Québécois.

M. BERTRAND: Alors c'est le critère fondamental.

M. LAMARCHE: C'est le critère fondamental. Et deuxièmement, il faut qu'il soit admis par ses pairs, c'est-à-dire que son oeuvre soit jugée valable. Si quelqu'un publie un volume, qui peut être valable...

M. BERTRAND: Jugé valable par votre syndicat?

M. LAMARCHE. Il est jugé valable par notre syndicat, ce qui n'est pas un critère de valeur sur l'oeuvre elle-même, c'est un critère de valeur en soi par ses confrères du syndicat.

M. BERTRAND: Quelle est la cotisation que le membre doit verser?

M. LAMARCHE: $10 par année... M. BERTRAND: $10 par année.

M. LAMARCHE: ... en ce qui concerne le Syndicat des écrivains du Québec. C'est un organisme qui s'occupe surtout de la protection des droits d'auteur sur le plan québécois.

M. BERTRAND: C'est ce que j'allais vous demander. Quel est le but ou l'objectif que vous poursuivez surtout?

M. LAMARCHE: C'est d'abord la protection des droits d'auteur; c'est deuxièmement la relation avec le Conseil supérieur du livre, c'est la relation avec le front commun des artisans québécois. C'est également la préparation des contrats d'édition en discussion avec les éditeurs, chaque auteur étant libre, par la suite, de signer son propre contrat. Cela demeure l'objectif fondamental. Pour l'objectif secondaire, nous avons formé la Coopérative des écrivains, qui en groupe une centaine d'autres et qui s'occupe strictement de diffusion audiovi- suelle et non pas de diffusion livresque. Prenons, par exemple, l'oeuvre de Germaine Guèvremont, qui était la présidente de la coopérative. Nous ne touchons pas à son oeuvre, nous touchons simplement à la diffusion audiovisuelle, par disques, bandes ou diapositives.

Le PEN s'occupe des intérêts internationaux. Il y en a 78 à travers le monde. Le Québec a été reconnu. Nous en avons deux au Canada: le centre canadien et le centre québécois.

M. BERTRAND: Merci.

M. LAMARCHE: Nous avons établi, de l'inventaire, une conclusion qui replace la question autrement. Nous avons tiré cinq conclusions et nous arrivons aux dix recommandations. Nous avons conclu que le système capitaliste d'information actuellement c'est-à-dire non pas l'Information, mais l'entreprise, n'est guère valable. La propagation des idéologies partisanes par le journal n'est pas plus valable. L'information appartient au consommateur, qui a le droit d'entendre les principaux points de vue sur les questions d'une certaine importance. L'information ne doit pas être soumise à la nomination de groupes ou de personnes influents à cause de leur fortune ou de leur situation.

Au chapitre trois, nous établissons que, juridiquement, si nous relisons l'article 12 du chapitre 314 de la Loi fédérale pour réprimer les tendances monopolisatrices, nous avons constaté dis-je, que juridiquement, les grands empires financiers ont des avocats et ne sont pas susceptibles, actuellement au Québec, de tomber sous le titre de monopole. Un empire comme Power Corporation est assez habile pour éviter ces traquenards-là. C'est pourquoi nous n'aborderons pas le point de vue du monopole, mais nous abordons directement le contrôle de la concentration.

Nous avons établi que la concentration économique est un fait et que, si elle peut menacer le danger, elle peut être prévenue. En soi, elle n'est pas mauvaise, elle est, dans le système actuel, une des conséquences du système. Si nous voulons aborder la liberté de la presse, nous croyons que nous devons l'aborder en dehors du système capitaliste, parce qu'autrement nous allons tourner en rond pendant des années.

Nous nous sommes inspirés de certaines études qui font autorité. Nous avons particulièrement examiné le problème de l'empire de Power Corporation. L'enquête sur les monopoles publics et privés de l'Information du Conseil économique et social des Etats-Unis, de 1954...

M. MICMAUD: Je vous interromps, là. Vous

venez de dire que vous avez abordé le problème sous l'angle du système capitaliste. Mais toutes vos suggestions partent-elles d'un nouveau système social?

M. LAMARCHE: Oui. Toutes nos dix recommandations...

M. MICHAUD: Alors, pour régler le problème de la liberté de la presse au Québec, faut-il briser les structures du système capitaliste au Québec?

M. LAMARCHE: Exactement. C'est dans ce sens-là que les dix recommandations sont faites.

M. BERTRAND: Vous les remplacez par quoi?

M. LAMARCHE: Le Syndicat des écrivains du Québec croit, actuellement, sur le plan social, au respect de l'entreprise privée, mais il croit d'abord au respect de l'Individu. Nous sommes fortement en faveur de tout le système coopératif.

M. MICHAUD: N'y a-t-il pas là...

M. BERTRAND: Quand vous dites, si vous me permettez, que vous voulez mettre de côté le système capitaliste mais que, d'autre part, vous avez foi dans l'entreprise privée, qui est celle de l'initiative personnelle libre, n'y a-t-il pas contradiction?

M. LAMARCHE: II n'y a pas contradiction en ce sens que le système capitaliste existe et qu'il a réalisé de grandes choses. Nous croyons que, dans l'avenir, l'évolution de la société actuelle devrait se diriger et se dirige graduellement vers les systèmes coopératifs.

Nos préférences à nous, qui ne sont pas nécessairement les préférences des autres êtres humains, les préférences de la majorité des membres du syndicat des écrivains du Québec...

M. LAPORTE: Et s'il arrivait, d'après les options fort défendables qui sont les vôtres que le système coopératif mette 25 ans à se développer, est-ce que vous auriez des recommandations qui puissent permettre d'éviter les écueils...

M. LAMARCHE: En attendant? M. LAPORTE: En attendant.

M. LAMARCHE: Oui. Elles sont dans les recommandations que nous avons proposées.

M. LAPORTE: Dans les dix recommandations.

M. MICHAUD: Alors, les recommandations que vous formulez ne postulent pas en soi...

M. LAMARCHE: Non.

M. MICHAUD: ... n'exigent pas l'annulation du régime capitaliste et du régime de la liberté d'entreprise.

M. LAMARCHE: Nous partons du fait réel qu'il existe un système capitaliste valable et qu'il existe un système coopératif valable, mais nous nous plaçons dans l'optique du système capitaliste. Nous avons donc douze recommandations, dont deux peuvent peut-être être hors d'ordre, mais nous les donnons pour ce qu'elles valent. Nous y croyons nous. Article 4, bas de la page 25. Lorsque ce mémoire a été rédigé, nous ne savions pas qu'il y aurait débat à l'Assemblée nationale, ce qui ne nous empêche pas de donner notre opinion.

L'Office d'information et de publicité du Québec, de même que Radio-Québec, devraient, puisqu'ils relèvent du Parlement et non du gouvernement, devenir des organismes de la couronne! C'est-à-dire qu'il faudrait trouver un autre terme. Un ministre responsable...

M. LE SAGE: Ce n'est pas si mal.

M. LAMARCHE: ... devant l'Assemblée nationale représenterait, défendrait, justifierait les crédits, la politique et l'orientation. Nous pourrions la-dessus nous appuyer sur la déclaration du 25 mai 1958 de Jean-Noël Tremblay lui-même. Il a peut-être changé d'idée depuis.

M. LESAGE: Oui, elle est fort intéressante. Nous avons bien l'intention de la lui citer lors du débat sur Radio-Québec.

M. BERTRAND: Soyez sûr, M. Lamarche que tout ce qui fait l'affaire de l'Opposition dans votre mémoire...

M. LAMARCHE: J'ai compris.

M. BERTRAND: ... va être cité avec beaucoup d'abondance, en particulier par mon collègue le député de Gouin. Il va y ajouter tout ce que le vocabulaire recèle de mots flamboyants et convaincants.

M. MICHAUD: M. le Président, le premier ministre veut me faire passer pour un receleur et je n'aime pas ça.

M. BERTRAND: Nous sommes tous des receleurs dans le domaine de la pensée. Les idées appartiennent un peu à tout le monde et quand on prétend qu'on est le premier à parler d'une chose, on est souvent le centième.

M. MICHAUD: Oui, les idées appartiennent à tout le monde, mais elles sont exprimées avec plus ou moins de talent, selon qu'on est...

M. LESAGE: Ce que vient de dire M. La-marche ne fait que confirmer le résultat des recherches que nous avons faites sur les opinions exprimées par M. Jean-Noël Tremblay au sujet des structures que devrait avoir Radio-Canada pour préserver la liberté des citoyens du Canada.

M. MICHAUD: Une question, M. le Président, que je voudrais pertinente. Au chapitre 4, lorsque vous parlez de société de la couronne, avez-vous à l'esprit des sociétés jouissant d'un large statut d'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique?

M. LAMARCHE: J'avais à l'esprit Radio-Canada.

M. MICHAUD: Calqué sur... ou à peu près.

M. LAMARCHE: Non. Après les changements de 1958. Cinquièmement, à la page 24, les écrivains du Québec ne sont pas favorables...

M. LESAGE: Vous voulez dire après le rapport de la commission Fowler.

M. LAMARCHE: Oui, oui.

M. LESAGE: C'est 1965, je crois.

M. LAMARCHE: Très juste, parce qu'autrement je remonte à un des autres...

M. LESAGE: C'est 1965.

M. LAMARCHE: Oui, vous avez raison. Cinquièmement, les écrivains du Québec ne sont pas favorables à une régie gouvernementale de la presse. Et voici les dix recommandations ou suggestions à la commission. La discussion et la préparation d'une loi-cadre de société d'édition — et ça rejoint nos intérêts coopératifs — assurant aux apporteurs de capitaux un intérêt, aux apporteurs de travail un salaire et répar-tissant les profits entre les actionnaires, les travailleurs d'une part, et d'autre part les réserves et les besoins communautaires. Les besoins communautaires sont énumérés par la suite: conseil de presse, agence nationale de presse, faculté de journalisme et institut de documentation.

M. MICHAUD: Est-ce que par là, M. La-marche, vous faites allusion à une société de rédacteurs dans le genre de celle du Monde?

M. LAMARCHE: Le Monde et le Figaro. M. MICHAUD: Le Monde et le Figaro.

M. LAMARCHE: Depuis que la loi française d'intéressement a été présentée, nous croyons que notre société québécoise doit évoluer de plus en plus vers le phénomène d'intéressement, et je fais allusion directement...

M. BERTRAND: M. Lamarche, si vous me le permettez, le Parlement a légiféré dans le domaine de la Loi de l'assurance-édition et depuis ce temps-là elle s'est révélée une loi absolument inopérante.

M. LAMARCHE: C'est juste.

M. BERTRAND: La suggestion que vous faites dans votre premier paragraphe, là où vous parlez de la loi-cadre créant des sociétés d'édition, est-ce que ce n'est pas un peu la même chose que vous reprenez d'une autre manière?

M. LAMARCHE: Au sujet de l'assurance-édition, par exemple, nous avons le phénomène très précis actuellement de deux éditeurs qui ont une réputation excellente — je pense à l'Hexagone de Miron et à l'Esterel de Beaulieu — mais qui ne peuvent plus, actuellement, éditer parce que, financièrement, ils sont pris à la gorge. Ils ont accumulé des comptes quelque part et, de plus en plus, les écrivains doivent attendre. C'est pourquoi je veux séparer les deux.

M. BERTRAND: A ce moment-là, vous verriez l'Etat accorder des subventions à une telle société d'édition?

M. LAMARCHE: Non, absolument pas.

M. BERTRAND: Alors, quel serait le rôle

de l'Etat dans cette loi-cadre créant des sociétés d'édition?

M. LAMARCHE: En ce qui concerne les sociétés d'édition de journaux et de livres, parce que le même phénomène peut s'appliquer aux livres, le rôle de l'Etat est nul. Comme nous le disions tout à l'heure, dans le même cadre que vous avez formé la Société générale de financement, nous recommandons la Société générale de presse, qui, elle, préparerait les études nécessaires, les soumettrait et l'Etat, à ce moment-là, pourrait étudier cette loi. De la même façon que nous, nous nous prévalons de la Loi des coopératives pour avoir notre propre association coopérative, nous voudrions que les sociétés d'édition se prévalent d'une loi-cadre que l'Etat a adoptée. Ce sont les membres des coopératives qui ont amené la refonte de la loi de 1962, mais c'est le Parlement, évidemment, qui l'a mise en vigueur.

M. BERTRAND: Si je vous ai bien compris, vous comparez cette loi un peu à celle de la Société générale de financement?

M. LAMARCHE: Nous recommandons, un peu plus loin, que l'Etat intervienne pour former une société générale de presse, dans le genre de la Société générale de financement. Nous aborderons ce problème dans l'article suivant.

M. BERTRAND: Vous savez comme moi que, dans la Société générale de financement, l'Etat y est, mais d'une manière très minoritaire.

M. LAMARCHE: C'est juste. C'est le même phénomène que nous recommandons un peu plus loin. C'est cette société qui présentera la loi-cadre. C'est, évidemment, le Parlement qui l'étudlera, la modifiera, la refusera ou la votera. Mais, lorsqu'elle sera établie, les sociétés qui voudront se former ou s'incorporer, pourront le faire en vertu de cette loi. C'est ce que nous recommandons. Cette loi devrait prévoir que le profit est réparti entre les travailleurs et ceux fournissant du travail et des capitaux.

M. MICHAUD: Dans l'état actuel des choses, sans l'intervention de l'Etat et sans loi-cadre, ne serait-il pas possible que l'on puisse prévoir, par l'initiative privée, une association du capital, du talent et du travail dans des sturctures de participation et d'intéressement des journalistes à des entreprises?

M. LAMARCHE: Très juste.

M. MICHAUD: Cela existe en France; l'Etat n'a pas à intervenir pour privilégier cette forme particulière de structure de gérance d'une entreprise de presse. Il ne serait pas nécessaire à l'Etat québécois de légiférer. Cela peut être conçu actuellement par des propriétaires de journaux, des propriétaires de capitaux et par des journalistes dans un ensemble de société de rédacteurs.

M. LAMARCHE: Très juste, mais je pense au plan financier. Par exemple, ça nous coûte peut-être $20 pour obtenir une incorporation en vertu de la Loi des coopératives parce que la Loi des coopératives existe, alors que, s'il fallait présenter un bill privé pour avoir une nouvelle société d'édition, ça nous coûterait beaucoup plus cher. C'est dans ce sens-là.

M. MICHAUD: Iriez-vous jusqu'à demander à l'Etat, dans ce portrait que vous dessinez, un régime fiscal privilégié et préférentiel?

M. LAMARCHE: Absolument pas. Deuxièmement, nous recommandons la discussion et la préparation d'une loi instituant une société générale de presse où l'Etat, les coopératives de crédit et d'épargne et le public participeraient, comme cela se fait à la Société générale de financement, pour la mise sur pied de coopératives de presse afin qu'un plus grand nombre de villes du Québec disposent de quotidiens. Nous citons le fait que, dans la province d'Ontario, par exemple, il y a 47 quotidiens; dans la province de Québec, il y en a 14. Ces 14 quotidiens sont concentrés dans cinq villes, alors que, dans une dizaine de villes, non seulement il pourrait, mais il devrait y avoir, sur un plan de rentabilité, des sociétés d'édition communautaires. Une ville comme Saint-Jean, comme Chicoutimi, comme Drummondville pourrait avoir son quotidien, si la communauté elle-même est intéressée, c'est-à-dire si sur le plan coopératif, ceux qui fournissent des capitaux, viennent de la population elle-même.

M. MICHAUD: Je repose ma question, M. Lamarche. Est-ce que l'Etat doit obligatoirement intervenir? Je suppose, par exemple, que les caisses populaires Desjardins, qui disposent de capitaux considérables au Québec et qui sont intimement liées aux problèmes culturels et économiques des Québécois, inviteraient une trentaine ou une quarantaine de journalistes dans une structure de participation pour le lancement d'un ou de plusieurs quotidiens dans le Québec. Est-ce que là, ne serait pas possible, sans intervention...

M. LAMARCHE: En théorie oui, en pratique non. L'expérience des dernières années nous prouve que le mouvement coopératif Desjardins, lorsqu'il dispose de capitaux — il en dispose de $2 milliards — s'intéresse plutôt à des institutions financières. On le voit d'ailleurs dans l'option actuelle vis-à-vis...

M. LAPORTE: Pensez-vous que les sociétés Desjardins, quand elles utilisent des capitaux du public, en général, peuvent espérer des quotidiens qu'elles financeraient dans des villes comme Saint-Jean, Drummondville, un certain retour? Est-ce que ce serait rentable, pensez-vous?

M. LAMARCHE: C'est possible. Je crois que les quotidiens actuels, avec la publicité, avec les lecteurs, ont trouvé une formule de rentabilité. S'il y a consommation, s'il y a besoin de consommation, je crois qu'il y aurait rentabilité pour d'autres quotidiens.

M. LAPORTE: Est-ce que le groupe que vous représentez — votre mémoire est d'ailleurs assez élaboré — a fait, du point de vue comptable, des études sur la possibilité de rentabilité? Je vais vous dire mon opinion; c'est absolument utopiquel Actuellement, les hebdomadaires sont venus nous dire ce matin que le phénomène est mondial. Je me souviens que mon ami Sauriol faisait tous les ans, dans le Devoir, un article douloureux pour dire qu'aux Etats-Unis sont disparus sept quotidiens, huit quotidiens. Si vous faites seulement l'analyse des quotidiens qui existent dans la ville où vous êtes actuellement, il y en a un qui est menacé de mort...

M. LAMARCHE: C'est exact.

M. LAPORTE: Le Devoir a toujours été, toute sa vie... quand je fais cela, je penche plutôt du côté du déficit. Le Droit d'Ottawa est menacé actuellement — vous avez un phénomène mondial — le Droit l'est moins, parce qu'il a un territoire beaucoup plus exclusif. Mais imaginer que l'on puisse justifier la mise de capitaux pour créer des quotidiens à Drummondville, à Saint-Jean, à Chicoutimi! L'expérience a été faite à Chicoutimi...

M. LAMARCHE: Oui, en dépit du Soleil.

M. LAPORTE: ... à deux reprises. Oui, enfin, est-ce que...

M. LAMARCHE: Le Progrès du Saguenay.

M. LAPORTE: Est-ce qu'au-delà de l'intervention de l'Etat que vous ne souhaitez pas, vous allez créer des régions? Le Soleil ne dépassera pas telle limite.

M. LAMARCHE: La réponse comprend trois éléments. Premièrement, nous n'avons pas fait d'étude de rentabilité. Deuxièmement, dans le système actuel, ce que nous recommandons est utopique, vous avez parfaitement raison. C'est pourquoi nous proposons un autre système, où le consommateur lui-même participe. Il était aussi utopique pour Desjardins, par exemple, de créer les caisses populaires. Cela a pris soixante ans...

M. LAPORTE: Ah non!

M. LAMARCHE: ... contre le régime capitaliste des banques, à ce moment-là, c'est cent pour cent changé.

M. LAPORTE: C'est-à-dire que lorsque vous reconnaissez que les caisses populaires font des placements surtout dans des institutions financières, d'abord, c'était en exécution de leur loi, qui leur défendait de risquer des capitaux...

M. LAMARCHE: Très juste.

M. LAPORTE: Deuxièmement, c'est ce qui explique que cela a été un très grand succès.

M. LAMARCHE: C'est exact.

M. LAPORTE: Les caisses populaires Desjardins, comme la Société générale de financement, comme d'autres institutions canadiennes-françaises qui malheureusement nous ont fait un tort effroyable, en faisant des placements douteux, pour ensuite venir dire au gouvernement: II faut nous sauver, nous sommes Canadiens français, si les Caisses populaires avaient commis cette erreur, elles ne seraient pas aujourd'hui la puissance économique qu'elles sont chez nous.

Si jamais vous faites des études de rentabilité et que vous constatez qu'il est possible de lancer un quotidien, je vous en parlerai, nous sommes intéressés, nous. Cela fait longtemps que nous le demandons.

M. LAMARCHE: Je sais que même sur...

M. LAPORTE: Le parti libéral serait puissamment intéressé.

M. LAMARCHE: ... le plan hebdomadaire,

récemment à Montréal, à la suite de la fermeture de certains hebdomadaires, cela a pris un an avant de relancer un nouvel hebdomadaire.

M. LAPORTE: Pas possible!

M. LAMARCHE : Je suis tout à fait d'accord que pour lancer un quotidien avec le système actuel, il faudrait des millions.

M. LAPORTE: II arrive que quand un Journal se présente à point nommé sur le marché... Je pense à celui qui a pensé à la formule Dimanche-Matin. Cela semblait un besoin évident. Mais un autre journal est venu se greffer; cela pose des problèmes.

Il est bien évident qu'aujourd'hui le journal quotidien, en particulier, est une entreprise commerciale extrêmement complexe. Les capitalistes qui sont disposés à investir dans le quotidien sont infiniment limités. Il ne resterait à ce moment-là qu'une seule source, ce serait l'Etat. Et je pense que vous seriez, et moi aussi, le dernier à suggérer que ce soit l'Etat.

M. LAMARCHE: La source reste triple. Nous ne changeons pas d'idée à ce sujet. Je crois qu'une société générale de presse qui chercherait à promouvoir, comme l'a fait la Société générale de financement, l'achat, la mise sur pied et la réorganisation de quotidiens pourrait réussir à le faire.

Je ne crois pas que les Caisses populaires puissent le faire seules. La preuve, c'est que pour la Société générale de financement, cela a pris huit appels du sénateur Vaillancourt pour que les caisses déposent leurs $5 millions. Seules, elles ne le feraient pas. C'est pourquoi la participation garantie de l'Etat qui se retire graduellement serait nécessaire sur le plan réaliste.

Quatrièmement, que toute la documentation de la commission soit éventuellement déposée au secrétariat du Conseil national de presse.

Cinquièmement, nous suggérons qu'un crédit exceptionnel soit voté par le Parlement pour permettre actuellement aux patrons et journalistes la fondation imminente du Conseil national de presse avec nomination de représentants communautaires publics par les deux parties. Si, comme on l'a attesté, les journalistes et les patrons sont à la veille d'accoucher de ce Conseil national de presse et qu'il faille organiser un secrétariat pour libérer certains journalistes et certains employeurs, Je crois qu'il serait sage qu'un crédit exceptionnel puisse être affecté à cette fin et que toute la documentation de la commission lui soit versée.

Sixièmement, à ce moment-là — la réponse a été donnée tout à l'heure — que l'Université du Québec et ses universités constituantes fondent une faculté de journalisme avec un programme pratique de stages dans les diverses salles de rédaction et dans les entreprises de presse. Je crois qu'avec les options montantes du CEGEP et avec la venue des universités constituantes de l'Université du Québec, le ministre de l'Education pourrait intervenir dans ce domaine, comme on l'a dit tout à l'heure.

Que les sociétés d'édition mettent sur pied un institut national de documentation et de recherche ainsi qu'une agence nationale de presse reliée aux grandes agences internationales. Nous revenons sur l'idée que s'il en coûte plus de $2 millions et demi actuellement pour soutenir l'agence canadienne aux quotidiens coopé-rateurs, il est évident que vous allez dire: Comment voulez-vous soutenir une agence nationale de presse au Québec? Dans le plan actuel, c'est impossible financièrement. C'est pourquoi nous voulons agrandir les cadres pour qu'éventuellement il y ait possibilité d'un institut de recherche et de documentation qu'alimenterait la presse. Ce pourrait être l'Office d'information et de publicité. Même si son mandat est vis-à-vis le Parlement, l'office a aussi pour mandat de représenter l'opinion du public auprès du Parlement, et je crois qu'il aurait besoin d'une agence de recherche et de documentation s'il était détaché...

M. MICHAUD: L'Office n'a pas de mandat auprès du Parlement à l'heure actuelle. L'Office est une agence exécutrice des volontés du cabinet.

M. LAMARCHE: Actuellement, oui.

M. BERTRAND: Le premier ministre est responsable devant le Parlement des actes de l'office, bons ou mauvais.

M. MICHAUD: Oui.

M. LAMARCHE : Je me référais à l'ancien texte tout simplement, à savoir qu'il doit renseigner la population sur les lois adoptées par la Chambre. C'était l'ancien texte de 1961, avant qu'il soit détaché.

Septièmement, qu'un code d'éthique professionnelle...

M. MICHAUD: ... l'a modifié, a adultéré ce texte de loi.

M. LAMARCHE: L'article 7 a eu sa répon-

se. Que le code d'éthique professionnelle patronal-syndical soit présenté au conseil national de presse et rendu public.

Huitièmement — et ceci n'est pas fait; que le rapport financier des entreprises de presse soit publié annuellement. Et là je crois que ce ne serait qu'un acte législatif qui pourrait forcer les entreprises privées de presse à publier leur rapport financier annuel publiquement.

Qu'aucune vente de société d'édition ne soit autorisée lorsque le contrôle peut passer dans des mains étrangères, et que les entreprises de presse ainsi contrôlées transforment leurs structures financières.

Nous avons eu, l'an dernier, la vente du CPP, et l'Etat n'a pas pu intervenir. Il faudrait prévenir toute autre vente plutôt qu'être forcés ensuite à trouver des solutions ou à n'en pas trouver.

M. MICHAUD: M. Lamarche, avez-vous la même définition des mains étrangères que votre prédécesseur à la barre?

M. LAMARCHE: Non, tous les Québécois, qu'ils soient francophones, anglophones, Ukrainiens, Russes ou Polonais, tous les Québécois sont des mains nationales, à mon esprit. Les gens d'Ontario, comme actuellement CKUM par rapport à CKGM, sont, en ce qui me concerne, des mains étrangères.

M. MICHAUD: Donc, des Québécois.

M. LAMARCHE: Sun Life est une institution québécoise.

M. MICHAUD: Donc, ils doivent résider au Québec.

M. LAMARCHE: Oui. Il y a des nuances plus subtiles évidemment, mais dans mon esprit, lorsque je dis étrangers, je veux dire étrangers au Québec.

M. MICHAUD: II n'y a pas de connotation ethnique.

M. LAMARCHE: Aucune, puisque Anglais ou Français sont, à mon point de vue, Québécois.

Dixiêmement, nous recommandons qu'aucune société d'édition ne s'intègre à des entreprises de gestion. Il est impossible, actuellement, lorsqu'une entreprise de gestion s'intéresse au domaine de la liberté de presse, qu'elle s'intéresse à la liberté de presse; elle s'intéresse à ses capitaux. Lorsque Power Corporation déclare un revenu de $7 millions et que les divi- dendes sont de $4 millions, qu'elle est obligée de les distribuer, qu'elle déclare un déficit et qu'elle a dans son portefeuille une note de $17,800,000 due par Gelco dans la vente de la presse, je crois que, logiquement, rationnellement, naturellement, ces entreprises-là sont intéressées à leurs bénéfices et non pas à l'information.

Si nous en arrivons à des sociétés de gestion, à des sociétés d'édition éventuelles, je crois que nous allons, dans notre recommandation aussi loin que la nationalisation, un jour ou l'autre, des entreprises de presse qui ne mettraient pas l'intérêt public en premier lieu.

M. MICHAUD: Cela, c'est une suggestion intéressante qui mérite évidemment d'être fouillée et qui n'a pas été touchée par les conseillers juridiques du ministère de la Justice. La loi française prévoit, en fait, le régime juridique de la loi française, que ne peut être propriétaire de deux journaux la même personne. Mais, elle n'indique pas, la loi, que ce même propriétaire de journal, ne puisse pas participer à d'autres intérêts économiques.

Je pense à M. Dassault, par exemple, qui construit des avions et qui est propriétaire de Jours de France. La loi lui interdirait d'être propriétaire d'un autre journal. Vous, vous allez plus loin en disant qu'un propriétaire de journal ou qu'un groupe propriétaire de journaux ne pourrait pas participer à d'autres intérêts économiques. Vous y voyez un danger; bien sûr, cela existe.

Dans le cas actuel et précis, il y a un groupe qui s'appelle Gelco et qui, par diverses ramifications financières, exploite les pistes de Blue Bonnets et de Richelieu. Ces pistes de course sont exploitées en vertu d'un privilège de l'Etat qui reconnaît une extension à la loi fédérale pour l'amélioration de la race chevaline et qui leur permet des profits considérables.

Il y a là un problème qui peut mettre en danger la liberté de la presse, lorsque des problèmes d'intérêt public seront soulevés. Lorsque, par exemple, par aventure et par hypothèse, un député suggérera la nationalisation ou l'étatisation des pistes de course sous harnais, qu'il suggérera l'établissement du pari mutuel en dehors des hippodromes, bien sûr, il s'attaquera à des intérêts commerciaux, mais aussi aux mêmes intérêts qui contrôlent et qui conditionnent plusieurs journaux au Québec.

Ce député pourrait-il le faire sans encourir le risque de certaines représailles? Je pose la question simplement sur un plan hypothétique, mais il est clair que le cumul des capitaux à

l'intérieur des entreprises de presse greffées à d'autres exploitations commerciales pourrait hypothétiquement, je le répète, présenter de sérieux dangers à l'exercice de la liberté de la presse.

A l'intérieur de ces entreprises, je verrais mal un journaliste de la Presse, courriériste parlementaire ou autre, nous fournir le dossier cohérent, parfait, allant au fond des choses dans le domaine des hippodromes. Il pratiquera une autocensure, puisqu'il sait bien que, ce faisant, il s'attaquera au propriétaire qui, lui, distribue à la semaine son salaire et de quoi vivre.

Il y a, bien sur, là un problème qui est posé. J'ai déjà exprimé mon point de vue là-dessus. Comment pourrions-nous freiner les appétits gloutons? Parce que ça existe...

M. BERTRAND: M. Lamarche, avez-vous terminé la présentation de votre mémoire?

M. LAMARCHE: II reste le dernier point; le député m'a précédé, mais Je termine là-dessus. Le danger actuel qui existe, c'est la concentration verticale — qui a été soulignée à la dernière réunion de la commission — lorsque des entreprises de gestion, comme Consolidated Bathurst et 40% de Rolland, possèdent des mines, des papeteries, des distributions et tout un réseau qui fait que la liberté de la presse là-dedans est étouffée.

Je crois que le danger existe et c'est là-dessus que, depuis plusieurs semaines à travers les journaux libres, nous nous sommes battus au nom des écrivains. Nous sommes aux prises exactement avec le même problème pour l'impression de nos livres dans beaucoup de cas. J'ai terminé là-dessus.

M. MICHAUD: M. le Président, je sais bien que le premier ministre est pressé, mais le problème fondamental, ce sont les apparentements économiques...

M. BERTRAND: Nous aurons l'occasion d'en discuter.

M. MICHAUD: ... en cette matière qui, précisément...

M. BERTRAND: Non, ce n'est pas que je sois pressé du tout, c'est parce que je voulais permettre à M. Lamarche de terminer son mémoire.

M. LAMARCHE: Je termine donc en vous remerciant.

M. BERTRAND: Merci, M. Lamarche.

M. LESAGE: M. le Président, nous avons devant nous de savants procureurs qui représentent des entreprises considérables de presse et d'information. Ils nous ont dit qu'ils nous feraient part de leur point de vue et du point de vue de leurs clients. On parle beaucoup de la liberté de la presse. Je voudrais attirer leur attention sur quelque chose que j'ai lu il y a à peu près une quinzaine de jours au sujet de la liberté de la presse. C'est un volume écrit par un Français. Il parlait des capitaux énormes qu'il fallait investir — disons des capitaux considérables, et non pas énormes. — aujourd'hui pour avoir une entreprise de presse ou d'information parlée, de télévision ou de radio, viable.

Il posait la question suivante — j'aimerais que vous y réfléchissiez pour me dire ce que vous en pensez; De nos jours, étant donné le capital nécessaire auquel je viens de référer, doit-on continuer à parler de la liberté de la presse ou si nous ne devons pas plutôt parler de la liberté des maîtres de la presse? Voulez-vous y réfléchir?

M. BERTRAND: Je pense que vous aurez certainement besoin d'une semaine avant de nous répondre.

M. LESAGE: C'est un point extrêmement intéressant.

M. LE PRESIDENT (M. Cloutier): Nous avions, ce matin, un troisième mémoire qui devait nous être soumis conjointement. Je pense que le porte-parole était Me Bureau. Nous n'aurons malheureusement pas le temps de l'entendre ce matin. Nous devons remettre à mercredi prochain, le 28 mai, à dix heures trente, la continuation de nos travaux. Ce sera la troisième séance. Nous nous entendrons avec ceux qui restent, ceux qui ont manifesté le désir de présenter des mémoires. Nous remercions nos visiteurs de leur collaboration et particulièrement ceux qui nous ont présenté des mémoires ce matin.

M. BERTRAND: M. le Président, je voulais tout simplement noter que, mercredi prochain, nous devions avoir une séance de la commission des affaires constitutionnelles.

Mais M. Bonenfant qui était notre témoin, notre premier témoin, est en Europe et ne reviendra pas avant le début du mois de juin. Nous nous entendrons donc pour tenir une séance le mercredi suivant à la condition que M. Bonenfant soit de retour.

M. LE PRESIDENT: Mercredi prochain le 28 mai, ici, à dix heures trente.

M. PICHE: M. le Président, si vous me le permettez, est-ce que vous aurez suffisamment de travail mercredi prochain pour toute la séance, parce que pour autant que la Presse est concernée, nous serions prêts à procéder le 4 Juin?

M. LESAGE: Bien, c'est le premier mercredi de juin.

M. BERTRAND: Mais si M. Bonenfant est de retour, il est certain que nous allons commencer les séances de la commission des affaires constitutionnelles.

M. LESAGE: II y a une conférence fédérale-provinciale les 10, 11, 12.

M. BERTRAND: Les 11, 12 et 13 juin. M. LESAGE: Les 11, 12 et 13 juin.

M. BERTRAND: Si vous pouviez, la semaine prochaine, entendre d'abord le mémoire qui devait être remis ce matin et entendre les procureurs des journaux...

M. LE PRESIDENT: Me Deschênes, la semaine prochaine, est-ce que...

M. DESCHENES: II était prévu que la présentation que je pourrais faire de la part des entreprises Gelco suivrait celle de la compagnie de publication de la Presse. Maintenant j'attire votre attention, M. le Président, qu'à la dernière séance il y avait eu également une demande de M. Normand Girard de l'Association des journalistes, qui avait convenu avec le comité, d'après ce qu'il appert au journal des Débats, que son projet de présentation serait prêt dans trois semaines, avait-il dit, ce qui nous met justement à mercredi prochain.

M. BERTRAND: Seriez-vous prêt pour mercredi prochain?

M. LESAGE: Le 11 juin.

M. LE PRESIDENT: Le 11 juin, la séance serait réservée aux journalistes, à la Fédération qui a demandé à se faire entendre et au Cercle des journalistes de Québec.

M. LESAGE: Nous pourrions peut-être, à la commission de la constitution, trouver un mardi ou un jeudi, pour laisser les mercredis.

M. BERTRAND: Disons donc que nous allons laisser les mercredis à la commission de la presse...

M. LESAGE: C'est ça.

M. BERTRAND: ... et nous essaierons de nous entendre pour un autre jour quant à l'autre commission.

M. LESAGE: Bon, le 4 juin. M. PICHER: Bon. M. BERTRAND: Le 4 juin.

(Fin de la séance: 12 h 41)

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