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Commission parlementaire spéciale sur le
problème de la liberté de la presse
Séance du 10 septembre 1969
(Dix heures dix minutes)
M. CLOUTIER (président de la commission spéciale sur le
problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs! Nous
allons continuer les travaux de la commission parlementaire, travaux
interrompus à l'ajournement de la session en Juin, la dernière
séance remontant au 11 juin. Vous avez devant vous l'ordre du jour. Nous
avons des groupes qui ont demandé à se faire entendre devant la
commission, mais avant de leur donner la parole, je demanderais d'abord aux
membres de la commission des deux côtés de la table, s'ils ont des
remarques ou des considérations à faire sur nos travaux.
M. LESAGE: Si vous me permettez un instant, une question de
procédure...
M. MICHAUD: M. le Président...
M. LESAGE: Il s'agit du remplacement de deux membres de la commission
pour la séance d'aujourd'hui. Je pense que vous ne serez pas surpris de
la teneur de la mention. Je suggérerais que M. William Tetley remplace
M. Pierre Laporte et que M. Raymond Mailloux remplace M. Robert Bourassa, qui,
tous deux, ne peuvent être ici ce matin. Ils ont d'autres
occupations.
M. BERTRAND: Je dirai au chef de l'Opposition que nous ne pousserons pas
la curiosité jusqu'à lui demander pour quelle raison. Ce sont des
gens qu'il faut remplacer parce qu'ils veulent en remplacer d'autres.
M. LESAGE: C'est exact. J'ai l'impression que c'est bien cela.
D'ailleurs, le premier ministre a vécu certaines absences.
M. BERTRAND: J'ai vécu cela. C'est pourquoi j'ai une excellente
préparation pour juger un peu de ce qui se passe.
M. LE PRESIDENT: Messieurs, sur ces considérations très
opportunes, je demanderais maintenant aux autres membres de la commission, en
particulier au député de Gouin, s'ils ont des commentaires ou des
remarques à faire sur les travaux de la commission.
M. MICHAUD: M. le Président, je m'en voudrais de distraire
abusivement du temps imparti aux groupes qui viennent témoigner devant
cette commission, mais il m'apparaît nécessaire, à ce
stade-ci de nos travaux, non pas de faire un petit résumé, mais
de définir un peu plus clairement ce que je présenterai comme ma
position personnelle sur la conduite des travaux. Comme vous l'avez
signalé au début, la dernière séance de la
commission parlementaire sur la liberté de la presse remonte au 11 juin
1969, soit à déjà plus de trois mois.
Auparavant, quatre autres séances ont été tenues
depuis le 7 mai 1969. Il n'est pas exagéré de dire que le
problème de la liberté de la presse au Québec a
été abordé, ce me semble, jusqu'ici d'une façon un
peu superficielle par les membres de la commission. Il était fatal qu'il
en soit ainsi. Le premier ministre étant occupé à une
campagne au leadership, le président de la commission, cumulant des
fonctions administratives extrêmement importantes à la tête
de deux ministères, les députés membres de la commission
parlementaire ayant, eux aussi, leurs fonctions politiques et administratives
à remplir, il était tout à fait normal, il me semble, que
nous ne puissions aller en profondeur et au fond des choses.
D'autant plus que les questions soulevées ici m'apparaissent
extrêmement difficiles, complexes et lourdes de conséquences pour
l'avenir collectif du peuple québécois tout entier.
A ce jour, les membres de la commission ont survolé en
rase-mottes des notions confuses dont ils ont peine, encore aujourd'hui
et même ceux qui ont témoigné devant nous à
saisir le pourtour et les véritables dimensions. Nous avons
survolé les notions suivantes: la première, la notion de
concentration, de monopole, de conglomérat, de concentration verticale
ou horizontale telle que définie dans le mémoire des experts du
ministère de la Justice; deuxièmement, nous avons abordé,
mais encore là d'une façon très rapide, la loi
fédérale sur les pratiques restrictives; troisièmement,
nous avons oscillé, ce me semble, entre deux recommandations
fondamentales du mémoire des officiers du ministère de la
Justice, la première favorisant l'institution d'une commission dans le
genre d'une sorte de « Board of Trade », et la deuxième, une
régie du type de la Régie des transports.
Quatrièmement, nos travaux se sont arrêtés à
la suggestion d'un conseil de presse, et le conseil de presse a occupé
les délibérations de la deuxième et de la troisième
séance de notre commission. Cette solution est-elle une solution
adéquate pour couvrir tout le champ de l'exercice de la liberté
de la presse au Québec? J'en doute, encore que cette initiative de
nature privée soit fort valable en soi.
Cinquièmement, à l'autre séance, la
Société des écrivains et d'autres groupes nous ont fait
aborder les problèmes des sociétés générales
de presse, des sociétés de rédacteurs, des nouvelles
structures de participation des journalistes à la direction des
entreprises de presse.
Sixièmement, la diffusion des journaux. Nous nous sommes
demandé si l'Etat doit aider à la création de
sociétés de diffusion de journaux, s'il doit aider les
organisations déjà existantes ou s'il doit animer des structures
étatiques ou paraétatiques visant à favoriser le droit
à l'information dans les régions sous-développées.
L'Etat doit-il envisager d'autres mesures pour favoriser la diffusion des
informations des journaux dans les centres éloignés du
Québec? Doit-il s'inquiéter du sous-développement
régional en matière d'information?
Septièmement, la radio et la télévision, tant du
secteur public que du secteur privé. Pour l'instant, cette juridiction
appartient au gouvernement central; il n'y a pas de confrontation
là-dessus. Mais le gouvernement du Québec, nous sommes-nous
demandé, peut-il rester étranger à l'émission de
permis d'exploitation des stations privées de radio sur son propre
territoire? Le gouvernement du Québec peut-il rester étranger, en
vertu de la tradition et de la coutume constitutionnelle qui reconnaît
que l'éducation et la culture sont du ressort du gouvernement
québécois.
Il y a tout cela que nous avons abordé. Il y a également
d'autres secteurs extrêmement importants que nous n'avons pas encore ici
étudiés; l'information gouvernementale, par exemple, la place et
le rôle de l'Etat dans le mécanisme de la diffusion des
informations ses possibilités et également ses limites.
Deuxièmement, les satellites de communication. Comment
doivent-ils s'imbriquer dans une politique totale ou une politique globale de
l'information?
Troisièmement, les lois pénales et civiles, en
matière de délit de presse. Les derniers amendements remontent
aux années 1930. Alors les droits du citoyen sont-ils, de nos jours,
suffisamment respectés par les lois existantes? Je fais simplement
allusion au fameux sub judice et je me demande si, là, c'est tellement
compatible avec l'intérêt public.
Autres problèmes que nous n'avons pas abordés: le statut
professionnel des journalistes, la presse spécialisée, la presse
syndicale, la presse d'affaires et le reste.
Cinquièmement, le prix du papier-journal. Et tant d'autres choses
encore. La liste que je viens de donner est, bien sûr, une liste
limitative des problèmes qui gravitent autour de la notion de
liberté de presse dans les Etats modernes.
Alors M. le Président et Je termine là-dessus
ayant été à l'origine de la création de
cette commission parlementaire sur la liberté de la presse au
Québec, grâce, d'ailleurs au bon accueil du premier ministre
à la suggestion que je lui avals faite en Chambre le 5 décembre
de l'année dernière, il m'apparaît important, à ce
stade-ci de nos travaux, de faire la recommandation ou la suggestion suivante
appelez cela comme vous voulez en espérant qu'elle sera
reçue également en bonne part par les autorités
gouvernementales.
Il tombe sous le sens commun que les membres de la commission,
préoccupés qu'ils sont par leurs responsabilités
administratives et politiques, n'ont ni le temps physique, ni les moyens
techniques pour aller en profondeur dans un domaine aussi vital pour l'avenir
de la société québécoise. La gravité de la
question, ces retombées sur l'ensemble des libertés civiles au
Québec n'autorisent ni ne permettent, ce me semble, la moindre
improvisation. Alors j'ai bien peur qu'au train ou vont les choses, au rythme
où s'accumulent les mémoires et que se dessinent les oppositions
entre les parties qui viennent témoigner devant nous, il nous sera
extrêmement difficile de séparer le bon grain de l'ivraie et de
légiférer en pleine intelligence des situations que nous voulons
corriger.
En l'occurrence, l'intérêt public nous commande non pas de
récuser la légitimité de cette commission parlementaire
mais sa compétence et son habileté à établir un
minimum de cohérence autour des questions soulevées,
l'institution par les autorités gouvernementales du Québec d'une
commission nationale, royale ou spéciale d'enquête trouvez
la bonne appellation au sein de laquelle siégeraient, en
permanence, des représentants du public, des associations
professionnelles de journalistes et de propriétaires de journaux, comme
des associations d'hommes de loi ou autrement. Cette recommandation se profile
désormais comme une démarche essentielle à la bonne
conduite des travaux que nous avons amorcés et à une recherche en
profondeur des solutions qui assureront l'intégrité des
intérêts à la fois privés et collectifs qui,
à divers titres, animent les mécanismes de diffusion de
l'information au Québec.
M. le Président, j'espère que cette suggestion sera
reçue aimablement par ceux-là qui, au sommet de la
décision politique, sont préoccupés comme nous de
répondre à ce qui est
devenu, dans nos démocraties modernes, un des droits fondamentaux
du citoyen, le droit à l'information.
M. BERTRAND: M. le Président, je prends note de la suggestion de
mon collègue, le député de Gouin. Il a dit que nos travaux
étaient superficiels; ça, c'est son opinion. Quant à moi,
je trouve qu'il est absolument normal que les séances de cette
commission parlementaire nous permettent d'entendre les gens qui sont dans le
métier et qui exercent cette profession: les propriétaires de
journaux, les journalistes, etc.
Premièrement je pense que c'est une démarche essentielle
et, quant à moi, je préfère que nous attendions la
présentation de tous les mémoires. Le président vient de
m'indiquer qu'il en reste encore quelques-uns. On peut établir une date
limite, par contre, pour la présentation des mémoires. Cette
commission pourra entendre tous ceux qui l'auront voulu.
Deuxièmement, si la commission n'a pas siégé aussi
souvent que nous l'aurions voulu, il ne faut pas oublier une chose, c'est que
nos travaux parlementaires ont été ajournés le 13 juin.
Depuis cette date, le mois de juillet a été réservé
à tous les députés, à leur demande, d'ailleurs, et
avec raison, pour ce que l'on appelle la période normale des vacances.
De là vient que nous ajournons en juin.
Au début du mois d'août, au moins une dizaine de
commissions parlementaires ont travaillé et ont tenu des séances.
Il ne faut pas oublier cela, non plus. Il y a des députés qui
sont membres, parfois, de deux commissions. On ne peut pas faire siéger
les deux commissions en même temps.
Donc, M. le Président, je pense qu'il est important d'entendre
ceux qui sont premièrement et directement intéressés
à ce problème de la liberté de la presse. Je
préfère que nous terminions les séances proprement dites
de cette commission, après avoir entendu ceux qui nous présentent
des mémoires. Après quoi, nous aviserons. La commission pourra se
réunir pour faire une analyse des mémoires qui auront
été présentés, des suggestions et des
recommandations qui ont été faites.
Le député de Gouin en a cité quelques-unes:
institution d'une commission, une régie, un conseil de presse. La
commission pourra, à la suite de cela, se former une opinion et
présenter un rapport à la Chambre. Elle pourra peut-être,
à ce moment-là, accepter la suggestion du député de
Gouin et former une commission d'enquête. Toutefois, il ne faut pas
oublier qu'il y a eu des commissions d'enquête, dans d'autres pays. Nous
avons même demandé aux ex- perts du ministère de la Justice
de faire une analyse complète du rapport de la commission
d'enquête qui a été formée en Angleterre, il y a
à peine quelques années. Alors, est-il nécessaire de
multiplier ces commissions d'enquête? La commission parlementaire pourra
en juger, mais je pense qu'il vaut mieux attendre la fin de nos travaux. Le
président m'indique qu'avec une autre séance, il y aurait sans
doute moyen de terminer l'audition des mémoires.
Voilà mon opinion, à ce stade-ci des
procédures.
M. LE PRESIDENT: Pour l'information des membres de la commission, vous
avez devant vous l'ordre du jour. Il y a un autre groupe qui désire se
faire entendre devant cette commission, c'est le groupe des Editions
Péladeau.
Ils ont effectivement demandé un mois de délai. Je ne peux
pas présumer de la décision de la commission, mais je ne crois
pas qu'il soit possible d'attendre un mois pour permettre au dernier groupe de
se présenter. Les travaux de la commission durent déjà
depuis plusieurs semaines.
Je crois que, si la commission ajournait ses travaux dans une quinzaine
de jours, après cette séance qui va durer de 10 h 3. 13 h, il
serait possible d'entendre les derniers groupes qui désirent se
présenter devant nous. Ainsi, quand les travaux parlementaires
recommenceront, le 7 octobre, les groupes qui auront désiré se
faire entendre devant cette commission auront pu présenter leur
mémoire.
Y a-t-il d'autres remarques de la part des membres de la commission?
Sinon, je vais demander au premier des groupes de se faire entendre. Je
demanderais au porte-parole en l'occurrence je crois bien que c'est M.
Vigneau de s'identifier et de présenter ceux qui l'accompagnent
afin que le tout soit enregistré au journal des Débats.
M. Régis Vigneau
M. VIGNEAU: M. le Président, messieurs, je vous présente
Mme Nicole Blouin-Capt du service de la CEQ, au journal l'Enseignement, et M.
Raymond Laliberté, président de la Corporation des enseignants du
Québec. J'excuse ici l'absence de M. Noël Pérusse,
représentant de la FTQ, qui, à la dernière minute, a
été empêché de venir à cette
séance.
Le 11 juin dernier, je présentais, au nom de la
Fédération des travailleurs du Québec et de la Corporation
des enseignants du Québec, un mémoire que je résume
très brièvement par sa recommandation principale qui proposait la
créa-
tion d'une commission royale d'enquête à cause de la
complexité et de la diversité des problèmes de
l'information. Il s'agit non seulement du phénomène de monopole
ou de concentration de la presse, mais de tout ce qui peut découler des
problèmes de l'information.
Devant cette complexité, nous trouvions que seule une commission
royale d'enquête serait en mesure de faire le point sur tous ces
problèmes.
A la demande de certains membres de votre commission, nous revenons
aujourd'hui devant vous nous vous remercions de nous accorder cette
deuxième chance pour présenter un addendum.
En effet, le 11 juin dernier, on nous avait demandé d'expliquer
davantage le genre de travaux que nous aimerions voir confiés à
une commission royale d'enquête. Notre addendum étant très
court, je me permettrai de le lire en explicitant certains des sujets que nous
proposons à cette éventuelle commission d'enquête. Je tiens
à faire remarquer ici que ce qui nous importe davantage, ce n'est pas
tellement que ces travaux soient faits par une commission d'enquête ou
par quelqu'autre organisme, mais c'est qu'ils soient faits. Evidemment, il
restera à cette commission et au gouvernement à déterminer
à qui on pourrait les confier, mais il nous semble impérieux que
ces travaux soient menés à bonne fin afin d'éclairer tout
le problème de l'information au Québec.
Premièrement, nous demandions en addendum une analyse comparative
de type « avant-après » du contenu des
journaux qui ont fait l'objet de transactions depuis cinq ans.
Lors de la séance du 11 juin, certains gros propriétaires
de journaux ont déclaré qu'il y avait peut-être
concentration. En sol, ce n'est pas un mal, nous voulons bien l'accepter, mais
je pense qu'il ne suffit pas que des personnes directement
intéressées à une entreprise déclarent qu'il n'y a
pas de contrainte. Je ne voudrais pas mettre, ici, leur parole en doute, mais
je pense que, si l'on veut voir véritablement s'il y a eu contrainte,
s'il y a eu changement, il faudrait prendre le temps de faire une analyse de
ces grands média d'information, journaux, postes de radio ou de
télévision qui ont été l'objet de transactions
depuis quelques années et voir si, par exemple, la politique
éditoriale de ces journaux, des postes de radio et de
télévision a changé, a été modifiée
depuis certaines transactions.
Deuxièmement, nous demandions, comme travaux de recherches, des
interviews confidentielles de journalistes présentement à
l'emploi ou ayant été à l'emploi d'organes d'information
qui ont fait l'objet de transaction depuis cinq ans, de manière à
mesurer la liberté professionnelle qu'ils connaissent et les contraintes
qu'ils subissent.
Là encore, cela nous semble un moyen nécessaire, à
notre avis, en tout cas, très intéressant, en interrogeant les
journalistes de façon confidentielle de telle sorte qu'ils ne subissent
pas les contrecoups de certaines déclarations qui pourraient être
ennuyantes pour leur patron actuel, de voir si cesdits journalistes ont
été l'objet de pression dans leur travail professionnel depuis un
certain phénomène de concentration ou tout simplement de la part
de propriétaires, qu'ils soient nouveaux ou anciens.
Troisièmement, une enquête sur les circonstances entourant
la démission, l'embauchage, la mutation et la promotion de journalistes
depuis les changements de propriétaires ou à l'occasion de ces
transactions. Au cours de l'étude qui nous a amenés à
présenter notre mémoire, il nous fut donné de rencontrer
certains journalistes qui nous ont confié avoir été
démis de leur fonction dans certains journaux ou certaines revues
à cause de certains articles qu'ils avaient écrits, certains
articles qui attaquaient par un certain biais les propriétaires de ces
journaux qui étaient également propriétaires d'autres
entreprises. Quelle est la vérité dans ces allégations?
Nous aimerions voir une commission établir les choses très
clairement et voir si, effectivement, certains journalistes ont
été démis de leur fonction à cause d'un travail
qu'ils ont fait de façon professionnelle, selon eux.
Quatrièmement, nous voudrions voir une étude approfondie
sur les structures de pouvoir et de contrôle des diverses entreprises
directement ou indirectement propriétaires de plus d'un organe
d'information, voir si elles peuvent constituer une menace à la
liberté d'information. Nous l'avons dit lors de la présentation
de notre mémoire, je vous l'ai rappelé tout à l'heure:
Nous ne sommes pas a priori contre la concentration; au contraire, je pense que
celle-ci peut apporter des effets bénéfiques à la presse
et à toute l'information au Québec. Mais je pense que tout le
monde est prêt à admettre qu'une certaine concentration tendant
vers un monopole peut devenir un danger pour l'information au Québec.
Alors, je pense qu'il faudrait aller assez en profondeur pour voir si certaines
concentrations actuelles ne sont pas en fait des monopoles cachés.
Cinquièmement, nous aimerions voir l'établissement d'une
grille de la répartition et de la pénétration des organes
d'information sur l'ensemble du territoire et par région. Cette
recommandation, si vous voulez, découle du pos-
tulat à notre mémoire, qui était le droit du
consommateur à l'information. Je pense que c'est, surtout dans notre
société moderne, un droit inaliénable, un droit
sacré. L'établissement d'une telle grille remarquez que ce
ne serait pas le seul moyen, mais cela nous apparaît un des meilleurs
nous permettrait de voir justement si toutes les régions du
Québec bénéficient de ce droit à l'information.
Est-ce que les régions excentriques, je pense à certaines
régions comme la Gaspésie, je pense à certaines
régions comme le Nord-Ouest québécois,
bénéficient véritablement de toutes les ressources de
l'information? Est-ce qu'elles bénéficient également d'une
information véritablement nationale, véritablement
internationale? Est-ce qu'elles bénéficient d'une information
véritablement objective? Je pense que cette étude que nous
demandons est peut-être la plus importante justement pour mesurer le
degré, si vous voulez, d'information que reçoivent les
régions excentriques de la province de Québec. Il est
évident que dans les grands centres urbains, à cause de la
multiplicité des organes d'information, le public réussit
à avoir une information assez complète. Mais est-ce que le
phénomène se présente également dans les
régions excentriques? Nous en doutons, et nous aimerions voir une
étude poursuivie sur le sujet.
Sixièmement, étude du statut, du fonctionnement et des
réalisations d'organismes tels que le Conseil de presse de
Grande-Bretagne, et des régimes de gestion d'organes de presse tels que
l'Express, le Figaro, le Monde, le New York Times, etc., de même que
certaines formules de sociétés coopératives de presse
comme en France.
Il existe dans le monde, à l'heure actuelle, diverses formules
qui régissent certains journaux ou certains organismes de presse. M. le
premier ministre mentionnait, tout à l'heure, la commission
d'enquête qui a eu lieu en Grande-Bretagne et l'étude qui a
été faite par le ministère de la Justice. C'est là,
je pense, un point extrêmement intéressant. Je pense
également qu'une telle étude pourrait être menée
face à d'autres grands quotidiens, d'autres organismes de presse. Que
l'on songe, par exemple, à la coopérative d'achat de papier
journal qui existe en France. N'y aurait-il pas des formules
coopératives qui pourraient s'inspirer de certaines formules qui
existent ailleurs et qui pourraient s'appliquer, s'étendre à
d'autres formes, non seulement à l'achat du papier journal mais à
d'autres... disons à la régie totale de la presse ou de certains
journaux. Septièmement, nous demandons une étude comparative de
l'équipement humain et matériel des organes d'in- formation
québécois au regard d'autres institutions semblables du Canada et
de l'étranger.
Cette recommandation se base sur le deuxième postulat de notre
mémoire, à l'effet qu'informer le public sur la situation
présente des journaux, c'est déjà faire un très
grand pas. Sans penser à faire des lois qui obligeraient les journaux
à poser tel ou tel geste, le seul fait d'informer le public sur la
situation réelle des journaux qui les desservent serait
déjà faire un pas immense dans la bonne voie.
Or, plusieurs personnes nous ont dit que, généralement, au
Québec nous souffrions d'un équipement humain et matériel
nettement inférieur à certains journaux comparables au Canada. Je
pense qu'il est extrêmement important de faire cette étude
comparative. Car, l'information, pour être de qualité, doit
être servie par un équipement matériel, évidemment,
mais également par un équipement suffisant en hommes. Or, si
certains journaux et je pense immédiatement à la
recommandation numéro 7, qui est le corollaire de la sixième,
étude comparative de l'équipement humain et matériel des
organes d'information... je m'excuse c'est au numéro 8, étude de
la situation financière des entreprises d'information, plus
particulièrement...
M. MICHAUD: Si vous permettez, au sujet du numéro 7, quand vous
parlez d'équipement matériel, est-ce que vous avez à
l'esprit l'exemple de propriété coopérative de certaines
imprimeries, comme cela se voit dans certains pays
sous-développés et aussi certains pays développés?
La propriété collective des imprimeries. Est-ce à cela que
vous vous référez?
M. VIGNEAU: Notamment, nous référions à cela. Il
est évident qu'à l'heure actuelle certains je pense
peut-être surtout à certains hebdos de province, même
certains petits journaux qui n'ont pas les capacités financières
d'avoir un équipement suffisant. Si on pouvait trouver une formule
coopérative qui bénéficierait à deux, trois ou
quatre hebdos, je pense que cela serait un grand pas de fait. Lorsque nous
parlions de société coopérative, nous avions en tête
cet exemple que vous venez de suggérer.
M. MICHAUD: L'expérience a été...
M. BERTRAND: Pardon. A l'heure actuelle, qu'est-ce qui pourrait
empêcher des propriétaires de petits journaux, surtout en dehors
des grandes villes, de former des coopératives? Il n'y a rien dans la
loi qui pourrait empêcher ces propriétaires de journaux de grouper
leurs
capitaux et ainsi d'avoir un meilleur équipement. Equipement,
comme vous le dites, équipement humain et matériel.
M. VIGNEAU: Je pense qu'effectivement, à l'heure actuelle, il n'y
a rien qui empêche cela. Mais si on regarde la réalité
quotidienne, les problèmes ne sont pas résolus par une
association coopérative, mais le sont généralement par
l'achat de différents hebdos, qui tombent plus ou moins en faillite, par
un propriétaire, qui lui, a les moyens. Ceci tend, si vous voulez,
à développer ce phénomène de la concentration en
quelques mains. Evidemment, il n'y a rien, Je pense, dans les lois ou la
pratique, qui empêcherait ces propriétaires de Journaux de former
une coopérative.
Le fait est qu'à l'heure actuelle, le problème ne semble
pas se résoudre de cette façon mais beaucoup plus par l'achat de
ces hebdomadaires par un propriétaire.
M. MICHAUD: Je voudrais simplement ajouter que l'expérience de la
propriété collective des moyens d'imprimerie a été
tentée durant l'après-guerre en France, après la
libération, et que, finalement, le régime est revenu à la
propriété privée, après quelques années.
Il y a encore des exemples de ce type qui existent, je pense, au Ghana,
au Sénégal, ou dans certains pays francophones, et finalement,
cela débouche ultérieurement. C'est une première
démarche, quand il s'agit, je ne sais pas, de balbutier les premiers
éléments de la démocratie, là où il n'y en a
pas; mais, finalement, cela débouche inévitablement sur une
propriété de type privée.
M. VIGNEAU: Remarquez que nous ne recommandons pas, en fait, la
création de ces coopératives, nous recommandons l'étude,
pour voir si cela pourrait éventuellement rendre service à
l'information au Québec. Si, après étude, on
s'aperçoit, comme le mentionne le député de Gouin, que
là où on a tenté l'expérience, on est revenu
à une autre formule, évidemment, je ne vois pas pourquoi nous
devrions recommencer les erreurs des autres.
M. BERTRAND: Vous avez, dans certains de nos comtés, trois,
quatre hebdomadaires, il y en a dans chacune des petites villes. Ce qui se
produit immanquablement, c'est qu'il y en a un qui finit par percer, et les
autres viennent à la remorque. Ce qui se produit, c'est la vente. A ce
moment, il serait beau- coup plus à propos, par l'éducation des
gens de convaincre des propriétaires de journaux qui sont mal pris, de
former avec les autres propriétaires de journaux, sur un même
territoire, un genre de coopérative.
Il est assez difficile, dans ce cas surtout, d'imposer la
coopérative. Je pense que cela ne se fait pas. C'est beaucoup plus par
l'éducation des gens. Eduquer dans le sens des coopératives, on
retrouve cela dans tous les autres domaines. Vous l'avez dans le domaine
agricole. Combien de propagande a été faite pour inviter les
cultivateurs à se grouper en coopératives. En certains cas, cela
a connu un succès. Mais, en d'autres cas, comme le notait M. Michaud
pour les entreprises de presse, dans les entreprises agricoles, on est revenu
à la propriété privée.
M. LESAGE: C'est bien humain! M. BERTRAND: C'est cela.
M. LESAGE: L'intérêt étant le mobile des actions,
lorsque vous avez fusion, l'Intérêt, c'est beaucoup plus normal,
pour ceux qui la font...
M. BERTRAND: C'est cela.
M. LESAGE: ... de le faire sous forme de cartel ou de
coopérative, c'est là qu'est le danger.
M. MICHAUD: Avant d'aller plus loin là-dessus, le premier
ministre vient de souligner quelque chose d'intéressant. Il parle des
coopératives de type agricole, ce qui est quand même limité
à un secteur de l'économie québécoise. Mais, si
j'ai bonne souvenance, il y a eu quand même une intervention de l'Etat
à l'origine de la fondation des coopératives, il y a eu des
subventions de l'Etat pour aider. Or, l'Etat est intervenu, si on veut
reconnaître...
M. BERTRAND: Oui, oui.
M. MICHAUD: ... la légitimité de son intervention dans le
domaine des coopératives on peut également la reconnaître
dans le domaine des entreprises de presse.
M. LESAGE: Les coopératives ont souvent de la difficulté.
Prenez par exemple cette nouvelle que nous apprenaient les journaux d'hier,
à l'effet que la Coopérative fédérée du
Québec doit fermer son abattoir de Québec, Legrade, où 170
personnes seront mises à pied.
Vous savez, la centralisation des entreprises me semble un
phénomène qui se poursuit constamment. Je me demande ce qu'il y a
moyen de faire pour l'arrêter sans brimer d'une façon qui serait
peut-être un peu trop draconienne la liberté, la liberté
des gens et de la liberté d'entreprise.
M. BERTRAND: A votre connaissance, il n'y en a pas, à l'heure
actuelle, de coopérative de presse au Québec? Aucune.
M. VIGNEAU: A notre connaissance, non, mais...
M. BERTRAND: N'y en avait-il pas une dans le domaine de l'imprimerie,
une coopérative qui existait à Sainte-Anne-de-Bellevue, Harper's
Press n'était-elle pas une coopérative?
M. MICHAUD: C'était de type privé, trois ou quatre
propriétaires de journaux, ce n'était pas en vertu de la loi des
coopératives.
M. BERTRAND: Ce n'était pas en vertu de la loi...
M. MICHAUD: II n'y a pas dans le domaine...
M. LESAGE: C'est cela qui est la tendance naturelle.
M. LE PRESIDENT: Sur ce point particulier, est-ce que vous avez quelque
chose à dire, Me Bureau?
M. BUREAU: Sur ce point particulier, concernant le regroupement des
hebdomadaires régionaux, je pense que c'est de cela qu'il est question
ici, en particulier. Le phénomène actuellement, ce n'est pas tant
l'achat des journaux par un certain nombre de propriétaires de plus gros
hebdomadaires régionaux, mais c'est plutôt le fait que les
propriétaires d'hebdomadaires régionaux se font imprimer
ailleurs, justement parce que leur équipement matériel date de
50, 60, 80 ans.
Us n'ont pas pu le renouveler parce qu'ils n'avalent pas les fonds pour
le faire à ce moment-là. Et aujourd'hui, on voit un regroupement
des possibilités d'impression dans trois ou quatre grandes imprimeries
d'offset de la province de Québec, mais sans transfert de
propriété du journal. L'éditeur demeure éditeur,
mais il y a aussi des éditeurs-imprimeurs qui fournissent des
facilités modernes d'impression aux entreprises d'hebdomadaires
régionaux.
M. LE PRESIDENT: Merci.
M. LESAGE: En général, Me Bureau, si je comprends bien, ce
sont purement et simplement des contrats d'impression. L'imprimeur
lui-même n'a rien à dire dans la direction de...
M. BUREAU: Pas du tout. Ce sont tout simplement des contrats
d'impression. Il y a quatre grandes entreprises, à ma
connaissance...
M. LESAGE: Il y a le lac Etchemin... M. BUREAU: Le lac Etchemin. M.
LESAGE: ... il y a Granby.
M. BUREAU: Granby, Saint-Jérôme et... Enfin il y en a
quatre.
M. LESAGE: Oui.
M. BUREAU: Je pense qu'il y a une dans le bout de Victoriaville.
M. LESAGE: J'en connais trois. M. MICHAUD: Péladeau. M. BUREAU:
Pardon? M. MICHAUD: Péladeau.
M. BUREAU: Je parle des hebdomadaires régionaux.
M. MICHAUD: Oui, mais il Imprime quelques hebdomadaires régionaux
aussi.
M. BUREAU: Mais les grandes concentrations... Peut-être. Je ne
suis pas au courant.
Maintenant, les statistiques dont on parle sur l'équipement
matériel et sur l'équipement humain sont déjà
disponibles pour tout le Canada auprès de la CDNPA, par exemple, pour
les quotidiens, et auprès de l'Association canadienne des hebdomadaires
pour les hebdomadaires et les revues, les magazines. Je le souligne juste en
passant, au cas où cela pourrait intéresser la commission. Tout
cela est déjà disponible.
M. LE PRESIDENT: M. Vigneau.
M. VIGNEAU: Je continue. 9. Mesurer par une analyse de contenu
l'état de dépendance des organes d'information à l'endroit
non seulement des agences de presse, mais aussi des services de presse pu-
blics, c'est-à-dire gouvernementaux et privés,
c'est-à-dire ceux des entreprises et des institutions.
Nous voulons par là noter que certains journaux ou certains
hebdomadaires, certains postes de radio ou de télévision, qui
n'ont pas, peut-être, les moyens financiers d'avoir leurs propres
correspondants, sont très souvent dans un état de
dépendance qui nous apparaît, à nous, très grand et
peut-être même dangereux vis-à-vis soit de certaines agences
de presse, soit également vis-à-vis de certains services de
presse du gouvernement, de certains syndicats, de certaines entreprises. C'est
ainsi que l'on voit très souvent on l'a remarqué au cours
des quelque derniers jours certains communiqués de presse
passant, par exemple, intégralement, sans aucun commentaire, dans
certains journaux, ne portant même pas la mention que c'était un
communiqué de presse.
La situation est peut-être beaucoup plus grave encore dans
certains hebdomadaires où, à part un editorial
généralement très court, la majorité des articles
ne sont, en fait, uniquement que des communiqués de presse.
Il y a également tout le problème cela a
déjà été traité, notamment par M. Richard
Daigneault de la CSN d'une agence de presse québécoise. A
l'heure actuelle, notre fenêtre sur le monde est une fenêtre soit
canadienne, par la Canadian Press, soit américaine, par les agences de
presse américaines, soit européenne, par les grandes agences de
presse européennes. Serait-il bon que le Québec, par une
façon ou par une autre, se dote d'une agence de presse? Nous ne nous
prononçons pas sur le sujet. Evidemment, il est très complexe.
Nous aimerions voir une commission étudier à fond tout ce
problème d'une agence de presse. 10.- Inventaire des possibilités
de formation professionnelle et de perfectionnementdes agents de l'information,
tant sur les lieux du travail que dans les institutions officielles
d'enseignement (établir la proportion des journalistes et des
gestionnaires qui s'en prévalent, de même que la part de leur
budget consacrée à cette fin par les entreprises
d'information).
Autant nous croyons à la nécessité d'un
équipement matériel adéquat pour assurer une information
véritable, autant, et beaucoup plus encore, nous croyons à la
formation des journalistes, des agents de l'information. Nous aimerions voir
étudier également ce problème de la formation des agents
de l'information. Nous savons qu'à l'heure actuelle, certaines choses se
font. Est-ce nécessaire? Actuellement, est-ce que les agents de
l'information ont la possibilité surtout, disons que nous, cela
nous touche de près, qui représentons les enseignants de
se recycler? Est-ce qu'il y aurait possibilité d'établir un
programme de recyclage pour les agents de l'information? Car nous sommes
véritablement convaincus que la qualité de l'information sera
égale à la qualité des agents de l'information. 11.- Une
enquête sur les associations d'affaires des gestionnaires et sur les
revenus d'appoint des journalistes, du point de vue d'éventuels conflits
d'intérêt, de même que sur la possibilité de
pressions syndicales sur les journalistes syndiqués.
Il existe possibilité je ne dis pas que c'est
vérifié à l'heure actuelle mais,
théoriquement, il existe possibilité de conflits
d'intérêts à deux niveaux: Du point de vue des
gestionnaires ou des propriétaires de l'entreprise, vu leur association
à d'autres compagnies qui n'ont rien 8. voir à la presse, qui
pourraient peut-être mettre en doute si vous voulez certaines
informations; il existe également le même problème du
coté des journalistes. Lors de la rédaction de cet addendum,
certaines personnes qui y ont participé ont mentionné par exemple
des cas précis, de journalistes qui, à cause de revenus
d'appoint... Nous ne sommes pas, en principe, contre les revenus d'appoint ou
les « side-lines », comme on dit ici, mais, dans certains cas, cela
peut poser des problèmes.
Le problème par exemple, du journaliste qui, étant
employé à temps plein par un organisme quelconque et qui se
trouve également à être journaliste à temps partiel
pour un journal. Disons qu'il ait à couvrir un événement
de l'organisme qui l'emploie. Evidemment, cela peut facilement porter à
un certain conflit d'intérêts.
M. MICHAUD: Dans la plupart des cas, cette question-là entre dans
le mécanisme normal des conventions collectives. Si Je ne m'abuse, je
crois qu'il y a des dispositions à cet effet dans à peu
près toutes les conventions collectives.
M. VIGNEAU: Effectivement, il y a assez souvent, dans les conventions
collectives, des clauses qui prévoient ce genre de cas. Mais disons que
dans le passé, à la lumière de certains
événements qui Je pensais, pouvaient ê-tre
intéressants remarquez, je spécifie encore ici qu'il s'agit d'une
liste de projets d'étude et non pas de recommandations comme telles
mais nous pensions, compte tenu des événements
passés, qu'il y aurait peut-être lieu de Jeter un peu de
lumière sur ces possibles conflits d'intérêts, soit de la
part des propriétaires, soit de la part des employés, j'entends
ici surtout les agents d'information.
Article 12. Une enquête, notamment par le moyen d'interviews
confidentielles de journalistes sur l'influence possible de la réclame
commerciale et gouvernementale et autre, sur le contenu rédactionnel des
journaux et de la presse électronique.
Là encore, au cours de la préparation du mémoire,
nous avons recueilli certaines confidences de journalistes qui nous assuraient
avoir été l'objet de pressions de la part de leurs patrons,
à cause de certains événements. Je pense à un cas
particulier, à un poste de radio et je le donne sous toute
réserve, puisque je ne fais que redire ce qui nous a été
dit par quelques journalistes un poste de radio qui, lors du boycottage
entrepris des produits de la compagnie Seven-Up, aurait demandé à
ses journalistes de ne faire aucun commentaire à la radio sur ce qui
s'est passé à la compagnie Seven-Up, étant donné
que cette compagnie annonçait beaucoup à ce poste de radio.
Est-ce là uniquement une impression? Est-ce là une
vérité? Mais je pense qu'il faudrait, par des interviews
confidentielles, essayer de savoir s'il s'agit là d'un fait
précis, d'un fait exact. Car, s'il s'avérait que c'est là
un fait réel, je pense que ce serait quelque chose de très grave
pour l'information.
Treizièmement: Enquête sur la disparition des journaux
survenue à la suite de l'augmentation des tarifs postaux. Evidemment,
nous savons fort bien que l'augmentation des tarifs postaux ne relève
pas du gouvernement québécois, mais du gouvernement d'Ottawa.
Mais il est un fait, tout de même : Plusieurs journaux, plusieurs
périodiques québécois ont dû disparaître
à la suite de l'augmentation des tarifs postaux. Et, pour seul exemple,
le journal de la CEQ qui a dû disparaître à cause de
l'augmentation des tarifs postaux.
Si une contrainte comme celle-là entraîne la disparition de
journaux, je pense que c'est un problème sur lequel une commission
pourrait se pencher. Remarquez qu'il ne s'agit pas ici d'engager une lutte
constitutionnelle. Ce n'est pas ce que nous avons en vue. Mais peut-être
y aurait-il possibilité de trouver des solutions à un
problème comme celui-là.
M. MICHAUD: Je pense, là-dessus, que cette question est fort
intéressante, et qu'on a là un bel exemple de conflit
constitutionnel possible. Evidemment, les postes sont de juridiction
fédérale, mais une décision a été prise qui
a pénalisé de façon très lourde le mouvement
culturel dans le Québec, puisque les journaux ont, en plus, une fonction
d'éducation et de culture.
Je pense, là-dessus, qu'il y a des journaux de disparus à
la suite de l'augmentation des tarifs postaux. Cela devrait nécessiter
une sorte d'action gouvernementale de la part de l'Etat québécois
prochainement.
M. VIGNEAU: Une dernière recommandation au sujet d'étude:
Enquête sur le phénomène de concentration ou de monopole
des hebdomadaires de province et analyse du contenu de l'information et des
conditions de travail des journalistes à l'emploi de ces hebdos.
Le problème des hebdos, et nous en avons parlé
à deux ou trois reprises, à la fois dans le mémoire et
dans cet addendum, nous touche de près. A de très
nombreuses reprises plusieurs de nos membres, à la fois de la FTQ et de
la CEQ, se sont plaints de la piètre qualité des hebdomaires de
province. A cela, évidemment, il y a de nombreuses causes. Nous
aimerions qu'il y ait une étude poussée sur tout le
problème des hebdomadaires de province, qu'il y ait une analyse du
contenu de l'information pour voir quelle sorte d'information on donne dans ces
hebdomadaires de province. Est-ce que ces hebdomadaires de province donnent
uniquement une information locale, une information régionale? Est-ce
que, comme Je le mentionnais tout à l'heure, les hebdomadaires de
province pas tous, évidemment, mais plusieurs se
contentent tout simplement de publier intégralement des
communiqués de presse? Quelle situation est réservée, dans
ces hebdomadaires de province, aux journalistes? Est-ce qu'on leur donne des
conditions matérielles qui leur permettent de faire un véritable
travail d'information? Nous aimerions voir ce problème des hebdomadaires
de province étudié à fond, car cela nous semble un
instrument indispensable à l'information, surtout dans les
régions excentriques.
M. MICHAUD: Vous parlez de phénomène de concentration et
de monopole des hebdomadaires comme si la chose existait déjà. Je
ne sache pas corrigez-moi si Je fais erreur qu'il y ait
actuellement, au niveau de la presse régionale du Québec, des
phénomènes concentrationnaires.
MME BLOUIN-CAPT: Là-dessus disons qu'à Montréal
actuellement il y a un propriétaire de sept ou huit hebdos qui continue
à acheter des hebdos...
M. MICHAUD: Ah! ce sont des journaux distribués de porte à
porte?
MME BLOUIN-CAPT: ... des journaux, comme la Pensée de Bagot
notamment, le Régional
de Chicoutimi et d'autres journaux. Il achète notamment
actuellement les hebdos de province qui sont en faillite ou désirent
être vendus.
M. MICHAUD: Ah bon...
MME BLOUIN-CAPT: Il y a actuellement, disons, sept ou huit journaux qui
sont entre les mains d'un seul propriétaire, et cela se continue.
M. MICHAUD: Est-ce le seul exemple dans la presse régionale?
MME BLOUIN-CAPT: C'est l'exemple, à ma connaissance, que je peux
vous donner.
M. MICHAUD: J'ai été coupé du milieu pendant deux
ou trois ans, mais quand j'y étais il n'y avait pas beaucoup de
propriétaires qui possédaient plusieurs titres. Le
président des hebdos est là. Est-ce qu'il existe une tendance
à la concentration, par un même propriétaire, de plusieurs
titres d'hebdomadaires régionaux, M. Gagnon?
M. GAGNON: Il y a un cas particulier je crois que c'est celui
auquel Mme Blouin-Capt fait allusion de quatre ou cinq hebdos qui
étaient en train de tomber ou sur le point de faire faillite sauf un, je
crois, qui ont été achetés. Si vous prenez, par exemple,
les hebdos de quartier, là il y a un phénomène de
concentration, un phénomène, qui a toujours existé
à Montréal, de journaux de quartier qui appartiennent à un
intérêt unique. Mais dans le reste de la province, ce n'est pas le
cas actuellement. Je ne sais pas si ça se produira dans quelques
années, mais pour le moment ce n'est pas le cas.
M. MICHAUD: Quand vous parlez de journaux de quartier c'est un
phénomène tout à fait à part, ça remplit
d'abord une fonction publicitaire...
M. GAGNON: ... publicitaire.
M. MICHAUD: ... à l'origine, c'est un véhicule de
nouvelles commerciales, comme le prix des denrées, etc. Ce n'est pas
considéré, ce me semble, comme étant des journaux bona
fide avec un tirage justifié.
M. GAGNON: D'ailleurs, sauf pour trois ou quatre exceptions, ces
journaux-là ne sont pas admis dans l'association des hebdomadaires parce
qu'ils ne répondent pas aux normes que nous avons.
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a des transactions de postes de radio
qui ont été associés aussi à ce
phénomène de regroupement des hebdos? Est-ce que les deux sont
associés, la radio et les hebdos, non?
M. VIGNEAU: A notre connaissance, non, et les interventions de monsieur
prouvent que, justement, c'est peut-être un peu flottant, les
informations sur ce phénomène-là. C'est pourquoi nous
aimerions voir une étude sérieuse entreprise à ce
sujet-là. A notre connaissance, il n'existe pas de relation entre les
transactions avec les postes de radio et les journaux; mais ce n'est pas
certain, parce que nous ne le savons, que ça ne s'est pas fait.
M. GAGNON: Il y a actuellement deux hebdomadaires régionaux,
parmi les membres de l'association, dont les propriétaires sont en
même temps propriétaires de postes de radio.
M. MICHAUD: Deux sur cent. M. GAGNON: Un à Lévis... UNE
VOIX: A La Tuque?
M. GAGNON: Alors ça fait trois. Un à Lévis, un
à Matane et un à La Tuque mais je ne suis pas au courant pour
cette dernière ville.
M. LE PRESIDENT: M. le député de Saint-Hyacinthe.
M. BOUSQUET: Pour ma part, je pense qu'il est assez difficile
d'empêcher le phénomène de la concentration dans le domaine
journalistique comme dans les autres domaines. Par contre, je crois que, comme
protection pour le public, il serait très intéressant d'avoir des
renseignements sur un certain nombre de points qui sont ici soulevés.
Particulièrement, je souligne le premier point: analyse comparative du
contenu des journaux. Je généraliserais ici; je ne parlerais pas
seulement des journaux qui ont fait l'objet de transactions depuis cinq ans. Je
pense qu'il serait intéressant pour le public d'avoir une analyse
comparative du contenu de tous les journaux.
J'attire aussi l'attention de la commission sur l'article 5:
établissement d'une grille de la répartition et de la
pénétration des organes d'information sur l'ensemble du
territoire. De même l'article 9 : mesurer, par une analyse du contenu,
l'état de dépendance des organes d'information à l'endroit
des agences de presse, etc. Un autre article très important, je pense,
c'est l'article 12: enquête, notamment par le moyen
d'interviews confidentielles de journalistes, sur l'influence possible
de la réclame. Je pense que simplement rendre publics ces faits, ce
serait assurer un minimum de protection pour le public et un minimum de
liberté pour la presse.
M. LE PRESIDENT: M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce.
M. TETLEY: J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre
mémoire. Vous avez parlé de plusieurs études. Mais, par
exemple, à New-York, il y avait, je crois, presque une vingtaine de
journaux, alors qu'aujourd'hui il n'y en a que trois. Apparemment, une des
causes de cette diminution a été le salaire élevé
exigé par les linotypistes ou « type-setters » et aussi les
pratiques syndicales des « type-setters ». Etes-vous en faveur
d'une étude des pratiques syndicales des ouvriers qui se trouvent dans
les journaux?
M. LALIBERTE: M. le Président, je pense que ce qu'il serait
important de vérifier ici, en regard de la suggestion du
député, ce n'est pas tant la nature des pratiques syndicales que
l'influence des gestes, des mesures, des réclamations et des accords sur
le coût de production de tel et tel journal ou de tel ou tel organe
d'information. Dans le contexte de la commission d'enquête
suggérée à la fois par la CEO et par la FTQ, nous
aimerions avoir une vue d'ensemble complète et sérieuse de tous
les facteurs, de tous sans exception, qui viennent influencer positivement le
phénomène de concentration des organes d'information. Nous n'en
excluons pas au départ. Cette liste-ci est une liste de points sur
lesquels nous croyons qu'il est urgent de faire des études. Or, nous ne
pensons pas que cette commission parlementaire, aussi intéressée
qu'elle soit, ait les moyens techniques, matériels et humains de faire
cette enquête. Je pense que nous ne pouvons pas répondre
sérieusement aux problèmes de l'information au Québec, en
1969, si nous nous contentons de cette seule commission parlementaire. Il
faudra des études circonstanciées, mises en relation les unes
avec les autres, et il faudra nécessairement déboucher sur les
recommandations, sans doute, multiples.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que les membres de la commission ou ceux du
groupe qui vient de se faire entendre auraient autre chose à ajouter
avant que nous passions au deuxième groupe, qui est la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec?
M. VIGNEAU: Quant à nous, c'est terminé, M. le
Président, et Je vous remercie, ainsi que les membres de votre
commission, de nous avoir permis de nous exprimer une seconde fois.
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Vigneau. Je passe maintenant au groupe de la
Fédération professionnelle des Journalistes du Québec,
dont le porte-parole est M. Gariépy. Pour les fins de l'identification,
pour les membres de la commission et aussi pour le Journal des Débats,
je demanderais au président, M. Gariépy, de nous présenter
ceux qui l'accompagnent.
M. Gilles Gariépy
M. GARIEPY: M. le le Président, messieurs les
députés. Tout d'abord, pour répondre immédiatement
à la demande du président, je vous présente les membres du
bureau de direction de la fédération, qui m'accompagnent ce
matin.
D'abord, M. Michel Alloucherie, vice-président
général; Mme Lyslane Gagnon, vice-présidente au secteur
des quotidiens, Journaliste à la Presse; M. Claude Piché,
vice-président à la radio et à la télévision
de Radio-Canada; M. Normand Girard, directeur de la fédération
pour la région de Québec; M. Marcel Rivard, directeur de la
fédération pour le centre du Québec; M.
Louis-Gaétan Fortin, directeur pour la région du Saguenay
Lac-Saint-Jean, ainsi que Me Louis Falardeau, secrétaire
général, employé à plein temps de la
fédération.
M. le Président, je veux, d'abord, au nom de la
fédération, remercier la commission d'avoir attendu
Jusqu'à ce jour pour nous entendre. Je pense que vous étiez
conscients du fait que la fédération est de création
récente. Au fait, la fédération a été mise
sur pied après l'institution de la commission pour la liberté de
la presse. Nous avons tenté, d'abord, de préparer un
mémoire dans le but de venir devant la commission, dès le mois de
mal ou de juin. Cela n'a pas été possible et ce n'est pas
à vous que j'ai à apprendre la complexité du
fédéralisme. Etant une fédération, nous devons agir
en étroite collaboration avec les éléments composants de
la fédération. Cela a nécessité, c'est bien normal,
une série de consultations avec les associations membres avant que la
fédération soit en mesure d'arrêter son point de vue sur le
problème de la concentration.
Notre mémoire est assez long; je n'en ferai pas une lecture
textuelle. Si vous le permettez, je vais en faire un survol rapide avec vous.
Rappelons, d'abord, que la fédération a été
formée à la fin de février, début mars dernier, par
les représentants de 23 associations professionnelles ou syndicales de
journalistes,
comptant environ 900 membres. La fédération a
été mise sur pied, notamment parce que les journalistes
étalent conscients d'une certaine incapacité collective à
faire face à des phénomènes d'évolution. Si, au
Québec, on compte à peu près 1,000 ou 1,100 Journalistes,
c'est presque un luxe que nous soyons regroupés en un aussi grand nombre
d'organisations. Je pense que la création de cette
fédération permet l'étude en commun de problèmes
comme ceux qui nous amènent aujourd'hui et permet de véhiculer
l'opinion et la connaissance des faits que se font ceux qui exercent ce
métier.
Nous avons étudié en toute priorité, le
problème de la concentration des entreprises de presse. Nous avons de
notre congrès un mandat très large qui nous amène,
notamment, à étudier de façon précise le statut
actuel de l'Office d'information et de publicité et des questions, comme
celle de la reconnaissance du secret professionnel, etc. Ces sujets sont encore
à l'étude à la fédération et ils feront
l'objet d'un autre mémoire que la fédération espère
pouvoir présenter, non pas à la présente commission,
nécessairement, mais aux législateurs d'ici quelques mois.
Pour aujourd'hui, donc, ce texte concerne essentiellement le
phénomène de concentration. Nous rappelons, brièvement,
comment ce phénomène s'articule. Si, d'une part, nous
reconnaissons que la concentration n'est pas nécessairement condamnable,
et qu'elle peut être un facteur de revitalisation et
d'amélioration de la presse québécoise, nous indiquons
d'autre part que, surtout par la manière dont elle se fait, elle
comporte des désavantages et des dangers possibles. Nous en
précisons quelques-uns. D'abord, le fait qu'il ne s'agit pas, ici au
Québec, uniquement de la formation de chaînes de journaux, mais de
l'intégration, si l'on veut, du secteur des entreprises de presse
à l'intérieur de conglomérats ou d'entreprises qui
touchent ou contrôlent bien d'autres secteurs de la vie économique
du pays.
Cette multiplication des intérêts, disons-nous, constitue
un certain danger pour la liberté de la presse, car elle multiplie les
points d'où peuvent venir les pressions sur une entreprise de presse
soeur.
Nous indiquons, en deuxième lieu, que si nous ne sommes pas en
face, à l'heure actuelle comme il a été
établi d'ores et déjà devant cette commission d'une
situation de monopole dans la presse, dans l'information conçue de
façon globale, Ù reste que ce mouvement de concentration
amène déjà un quasi-monopole dans certains secteurs de
l'informa- tion ou dans certaines régions de la province. Nous indiquons
en particulier la disparition de la concurrence dans le secteur des grands
hebdos d'information générale. Le Petit-Journal et Photo-Journal,
qui étaient les concurrents directs de la Patrie, sont maintenant
contrôlés par le même homme ou le même groupe
d'hommes.
Dernière-Heure, qui avait pour vocation de concurrencer
Dimanche-Matin, a été acheté par les propriétaires
de ce dernier. Donc, sur le plan de l'information de la fin de semaine, il y a
là un monopole, appelons-le de secteur, qui peut être
inquiétant en soi. A Sherbrooke, on assiste aussi au
rétablissement, d'une façon indirecte, d'un quasi-monopole de
l'information qui avait été brisé quelques années
auparavant. En effet, la Tribune, CHLT, CHLT-FM et CHLT-TV sont revenus
aujourd'hui sous le contrôle du holding de M. Paul Desmarais.
Nous notons également que ne se contentant pas d'acheter ou
d'acquérir des entreprises de presse existantes, les entreprises de M.
Desmarais créent en outre de nouvelles publications comme, par exemple,
Spec ou Télé-Presse qui sont des éléments
ajoutés au quotidien La Presse.
Nous mentionnons aussi que l'acquisition récente des entreprises
de distribution Eclair par le groupe Desmarais étend la tendance au
monopole à un autre secteur vital et constitue un moyen de pression
puissant envers les concurrents et les publications nouvelles qui n'ont pas
leur propre entreprise de distribution.
Si nous soulignons ces faits qui ont d'ailleurs été
portés à votre connaissance et discutés dans les
détails c'est pour nous demander jusqu'où peut aller le
groupe Desmarais dans l'absorption d'entreprises de diffusion. Il est notoire
que le groupe a tenté de faire l'acquisition du quotidien Le Soleil. La
rumeur a voulu, l'année dernière, qu'il ait étudié
la possibilité d'acquérir
Télé-Métropole.
Le danger de voir de telles transactions se réaliser semble
écarté. Mais pour combien de temps? Voici la question que nous
posons: Serons-nous à nouveau mis en face de faits accomplis? Qui
empêchera le groupe Desmarais d'acquérir Actualité,
Sept-Jours, si cela lui chante, ou Radio-Mutuelle? Il est déjà
outrageant à notre avis qu'il ait acquis les Distributions Eclair au
beau milieu de l'enquête de la commission parlementaire.
Nous reprenons un peu plus en détail le danger que peut
constituer une telle concentration. On pourrait croire, par exemple, que dans
la mesure où l'information est faite par
des journalistes dotés de garanties syndicales et
professionnelles leur assurant une indépendance vis-à-vis des
employeurs, peu importe, en définitive, que plusieurs journaux
appartiennent au même homme.
Nous établissons le raisonnement suivant: D'un côté,
il est évident que les financiers qui dirigent le groupe en question ne
se promènent pas, ciseaux à la main, dans les salles de
rédaction. Il ne faut pas voir ce contrôle s'exercer sous la forme
d'une censure directe, quotidienne, constante. De telles attitudes se
rencontrent aujourd'hui moins souvent, indiquons-nous, bien qu'elles existent
toujours. Mais ce n'est pas de cette façon que s'exerce couramment le
contrôle de l'information dans les grandes entreprises de presse.
L'employeur et, jusqu'à présent, lui seul
établit les politiques rédactionnelles de l'information. C'est
lui qui, par exemple, décide de publier un cahier sur les loisirs ou sur
les spectacles, ou un supplément d'information économique. C'est
également l'employeur qui établit le budget de la
rédaction ou du service d'information. C'est lui qui décide de
constituer un bureau de trois ou de dix journalistes à Québec ou
qui décide de ne pas en avoir. C'est lui qui décide que la
publication mettra l'accent sur le fait divers ou sur le « feature
» neutre, plutôt que sur l'information à caractère
social ou politique.
Il s'agit là d'un contrôle fondamental dont les
répercussions sont beaucoup plus importantes que celles qu'on
connaîtrait à trafiquer ça et là les comptes rendus
des journalistes. Il faut également souligner que c'est l'employeur qui
embauche les journalistes. Or, la mobilité professionnelle étant
particulièrement grande chez les journalistes, il devient facile
à l'employeur de constituer en peu d'années un personnel de
rédaction qui réponde à sa façon de concevoir
l'information.
Nous rappelons également que c'est l'employeur qui choisit les
cadres supérieurs des salles de rédaction ou d'information.
Nous ne mettons pas en cause la compétence et
l'honnêteté des cadres actuels ou passés des entreprises
Desmarais. Nous signalons, quand même, que, de par leurs fonctions
justement, c'est une situation inévitable les cadres et
fondés de pouvoir: des entreprises de presse n'ont, dans les situations
de conflit, que le choix de se soumettre ou de démettre.
De tout ceci, nous retenons qu'il est sans doute impossible au
propriétaire d'une entreprise de presse de contrôler, de censurer
et d'orienter quotidiennement toute l'information livrée au public. Nous
signalons, par contre, que l'employeur exerce un contrôle fondamental sur
le type, sur la variété et sur l'optique de l'information
publiée. Une telle situation peut, en outre, assez facilement se
transformer jusqu'à laisser place, en certaines occasions, à un
contrôle beaucoup plus direct sur le traitement d'un
événement particulier ou d'une situation donnée.
Qu'il suffise de rappeler qu'en 1960 le quotidien La Presse, pour des
raisons demeurées insaisissables, a décidé de jouer en
faveur de l'Union Nationale, lors des élections provinciales. Le
rédacteur en chef, M. Gagnon, était alors en voyage. Au fil des
jours, chacun pouvait remarquer la place accordée aux deux partis dans
les pages de ce quotidien. Les journalistes couvrant les assemblées
libérales voyaient leurs articles réduits pour des raisons
techniques. Le choix des manchettes, qu'on pouvait toujours défendre
pour des raisons tout aussi techniques, ne manquait pas, lui non plus, de
laisser percer certaines préférences.
M. BOUSQUET: Est-ce que vous pensez que l'appui du journal La Presse a
beaucoup aidé l'Union Nationale, en 1960?
M. GARIEPY: Pour 1960...
M. BOUSQUET: Est-ce que l'appui du journal La Presse, en 1960, a
aidé à la réélection des candidats de l'Union
Nationale?
M. GARIEPY: Là n'est pas la question. Je ne mets pas en cause
l'influence que cela a eu ou que cela n'a pas eu. Je constate simplement qu'il
y a eu tentative de se servir de l'information en faveur d'un parti. Je n'ai
pas la prétention de croire qu'un seul quotidien puisse revirer, comme
on dit, le corps électoral de la province de Québec
Or, il faut comprendre qu'à cette époque on aurait
cherché bien en vain la lettre de directives, l'avis ou la consigne
explicite demandant aux journalistes de biaiser l'information en faveur de
l'Union Nationale. Les journalistes avaient une convention collective; ils
pouvaient recourir au mécanisme du grief, mais attendre des mois avant
de se faire donner raison, au besoin, par un arbitre. Il aurait
été alors trop tard.
Nous concédons volontiers que pareil tripotage semble, à
priori, inconcevable aujourd'hui, notamment dans les entreprises de presse dont
nous avons parlé. Mais nous posons la question: Si tous les média
importants finissent par tomber aux mains du même groupe, qui pourrait,
en une circonstance semblable, empêcher effi-
cacement un tel contrôle de s'exercer? Les journalistes? Oui,
peut-être, au prix d'un courage indéfectible, le risque
étant ici non pas seulement de perdre un emploi, mais également,
étant donné cette concentration, d'être incapable d'en
trouver un autre. Il nous paraît et nous le disons en toute
franchise dangereux de laisser reposer la démocratie sur le seul
héroïsme des journalistes.
D'ailleurs, nous le disons, nous n'avons pas l'intention, ici, de faire
un procès de cas, d'essayer d'établir si la concentration a
produit ou n'a pas produit, à ce jour, tel ou tel type de
contrôle, de censure ou d'intervention. Nous constatons tout simplement
que c'est un danger en soi. A notre sens, ceci suffit pour qu'une action
appropriée soit prise dès maintenant. Car, plus que la
liberté d'action des financiers, plus que les traditionnels droits de
l'entreprise privée, ce qu'il nous paralï essentiel de
préserver et de renforcer, ce sont les libertés
démocratiques de la population.
Dans les pages qui suivent, nous établissons une distinction sur
le sens de cette expression « liberté de presse », qui est
évidemment au centre du débat depuis le début des travaux
de cette commission.
On peut concevoir la liberté de presse comme étant une
faculté appartenant en propre à ceux qui possèdent les
entreprises de presse. D'ailleurs, historiquement, dans la mesure où la
liberté de presse était le prolongement de la liberté
d'opinion, du droit de parole et ainsi de suite et où la capacité
de publier de petites brochures, des journaux d'opinion, etc était
beaucoup plus accessible que ce ne l'est aujourd'hui, on pouvait croire, en
effet, que la publication de journaux, de brochures ou de livres devait
être considérée d'abord comme un prolongement du droit des
individus à exercer tel type d'activité.
Aujourd'hui, de nouvelles notions ont fait leur apparition: d'abord,
celle de la liberté des informateurs, à mesure que les
entreprises ont grossi. Nous disons, quand même, qu'une conception
moderne de la liberté de presse se fonde d'abord sur le droit du public
à une information complète, beaucoup plus que sur les droits
personnels et professionnels des journalistes ou sur les droits des entreprises
qui les embauchent.
Nous affirmons que la liberté de publier, au sens où on
pouvait l'entendre au siècle dernier, est aujourd'hui un mythe qui
souffre comme seule exception la possibilité pour à peu
près n'importe qui de fonder une petite revue idéologique dont la
survivance dépend surtout de l'ardeur, de l'engagement
idéologique et du bénévo- lat. Nous constatons aussi que
la liberté de publier est limitée par la liberté de vendre
ou de diffuser. La distribution compte pour beaucoup dans le coût d'une
publication, et des entreprises de distribution peuvent, pour quelque raison
que ce soit, refuser de distribuer une publication donnée.
Une autre façon de contrôler la liberté de publier
peut être tout simplement l'application arbitraire de règlements
municipaux qui exigent des permis, lesquels n'existent pas, ainsi de suite, ce
qui fait qu'on permet la distribution dans les rues, par camelots, de certains
journaux alors qu'on réprime celle d'autres Journaux.
Nous ne demandons pas au gouvernement de rétablir une situation
où la liberté de publier et d'avoir un journal serait à la
portée de tous et chacun, bien entendu.
M. LEVESQUE (Laurier): M. Gariépy, il y a une chose qu'on devrait
savoir, mais que pour ma part j'ignorais. A la page 11, dans le paragraphe que
vous venez de résumer, vous dites que le permis n'existe pas. A
plusieurs reprises je n'ai jamais vérifié quant à
moi il y a eu des interruptions par la police ou par des services...
M. GARIEPY: A Montréal, en particulier...
M. LEVESQUE (Laurier): ... oui, je parle de Montréal... de
distribution de journaux, soi-disant parce qu'on n'avait pas de permis. Mais en
fait, vous dites que le permis n'existe pas. Est-ce que cela veut dire que si
quelqu'un le demande, pour des raisons qui sont légitimes, Je veux dire
qui n'ont rien à voir avec la subversion ou la pornographie ou quoi que
ce soit, le permis n'existe pas?
M. GARIEPY: Exactement. Il y a un règlement municipal...
Remarquez que je crois que cette cause est d'une façon ou d'une autre
devant les tribunaux. Je ne veux pas m'aventurer dans les détails, mais
pour autant que Je me souvienne, il y a un règlement municipal qui
interdit la vente de quoi que ce soit sans permis, pas plus des fleurs pour
mettre à la boutonnière que des journaux. Ainsi, du simple fait
que vous vendez des Journaux dans la rue, vous avez besoin d'un permis. Mais si
vous allez à l'Hôtel de ville et demandez un permis pour vendre
des journaux, on vous répond que cela n'existe pas. Ce qui fait que
c'est une situation compliquée.
M. LEVESQUE (Laurier): Alors, c'est tout simplement par
tolérance.
M. GARIEPY: Voilà, mais c'est arbitraire puisque la Gazette,
Montréal-Matin, le Devoir sont distribués, rue Sainte-Catherine
et à presque toutes les intersections importantes de la ville,
dès 11 heures le soir, et si les hippies quoi qu'on en pense, on
peut les aimer ou ne pas les aimer, mais ils ont sans doute droit de publier un
journal ou les indépendantistes ou d'autres gens s'avisent
d'essayer de vendre des journaux au coin des rues, on applique le
règlement du permis.
Nous sommes conscients que beaucoup sont opposés, au
départ et c'est d'ailleurs, chez les journalistes eux-mêmes
une vieille tradition à toute forme d'intervention de l'Etat dans
le domaine de la presse. Cette plainte se fonde probablement sur le fait que
c'est souvent contre l'Etat que la presse a conquis son indépendance et
qu'encore aujourd'hui, dans certains pays, c'est ce pouvoir qui menace la
liberté de la presse.
Nous ne souhaitons pas, évidemment, un contrôle
étatique sur l'information des citoyens. Par contre, nous ne trouvons
pas plus admissible qu'un groupe d'hommes contrôlant déjà
une large portion de l'activité économique soient
autorisés à contrôler l'information du public. Remarquez
que j'emploie contrôler toujours au sens où on l'expliquait
tantôt. Il ne s'agit pas d'un contrôle de la pièce, de la
ligne, de l'article et du titre. Il s'agit d'un contrôle global, si on
veut, de la sorte d'information qui est distribuée au public.
Il est reconnu, de nos jours, dans les démocraties modernes, que
l'Etat est le défenseur du bien commun et qu'il doit intervenir quand
l'intérêt public l'exige. Si les journalistes déplorent
toute intervention de l'Etat qui brime la liberté de la presse, ils
souhaitent que l'Etat intervienne énerglquement quand il s'agit de la
protéger.
Les premières audiences nous ont donné l'impression que
plusieurs membres de la commission parlementaire semblent craindre comme la
peste l'intervention de l'Etat et préféreraient de beaucoup,
à une forme où à une autre d'intervention de l'Etat,
qu'employeurs et journalistes s'entendent pour la repousser et pour
régler entre eux leurs propres affaires par le moyen d'un conseil de
presse au autrement.
Nous reviendrons plus loin sur notre opinion quant au projet de conseil
de presse. Nous réaffirmons à ce moment-ci que les journalistes
sont convaincus que la liberté de la presse est un droit qui appartient
d'abord aux citoyens et non plus seulement aux journalistes et aux
propriétaires de journaux. Devant un phénomène comme celui
qui se produit au Québec, non seulement l'Etat est-il celui qui peut le
mieux pro- téger les citoyens, mais il est surtout celui qui en a le
devoir. Nous n'accepterions pas pour autant n'importe quelle forme
d'intervention de l'Etat. Si intervention de l'Etat veut dire, par exemple, que
le gouvernement préfère diffuser directement ou plus ou moins
directement au public une information préparée par ses propres
agents sans que le citoyen puisse bénéficier du travail des
journalistes, travail d'enquête, de recherche, de vérification,
d'analyse critique, l'Etat interviendrait alors directement dans le processus
même de l'information des citoyens.
Ce genre de raccourci ou d'intervention sur le contenu même de
l'information est à proscrire et, bien entendu, nous ne l'accepterions
pas.
Mais si un gouvernement devait empêcher que tous les grands hebdos
et que tous les quotidiens du dimanche tombent sous le contrôle des
mêmes financiers, il ne brimerait pas la liberté de la presse
mais, au contraire, il la protégerait, même en limitant ou en
restreignant le fameux droit de publier. Et c'est là un rôle qui
peut et qui doit échoir à l'Etat, même si cela bouscule
certaines répugnances naturelles bien compréhensibles.
Ensuite, nous reconnaissons que le rôle de l'Etat est avant tout
supplétif dans cette matière. Les journalistes, les
éditeurs et le public ont un rôle fondamental à jouer. De
nos jours, dans la situation qu'on sait, on peut se demander si les
éditeurs, les journalistes, le public peuvent, à eux seuls,
assurer la liberté de la presse.
Nous donnons quelques objectifs que l'Etat pourrait se fixer en
considérant une forme d'intervention possible.
Le premier rôle serait de veiller à ce que tous les
citoyens puissent se procurer une information honnête, complète et
diversifiée, et cela dans les diverses régions; s'assurer que
l'émergence de nouvelles entreprises de presse, qui répondent
à un besoin public, soit toujours possible. Autrement dit qu'il n'y ait
pas un blocage systématique de l'évolution ou du mouvement dans
les journaux; s'assurer aussi que le public soit servi par des moyens
d'information qui reflètent bien la réalité culturelle du
Québec. Des mesures doivent être prises, affirmons-nous, pour
éviter que la presse soit accaparée par des intérêts
extra-nationaux.
L'Etat doit protéger la liberté des informateurs afin que
les citoyens ne soient pas victimes de pressions de toutes sortes qui peuvent
s'exercer sur les journalistes.
L'Etat doit s'assurer enfin que les entreprises de presse comprennent
leur rôle de service public et toutes ses exigences. Cela
suppose qu'elles ne peuvent exister pour la simple raison de faire de
l'argent mais qu'elles ont aussi le devoir de fournir au public une information
de qualité.
Dans les pages qui suivent, nous nous sommes interrogés sur les
modes possibles d'intervention de l'Etat. L'existence même de cette
commission est une forme d'intervention de l'Etat au niveau de l'information et
de l'enquête.
L'Etat peut intervenir par l'Assemblée nationale, par des lois,
par le conseil des ministres, par des commissions ou des régies, par des
recours aux tribunaux et ainsi de suite.
Nous avons, à la Fédération, examiné les
diverses possibilités, constaté par exemple que l'intervention
sous la forme, disons, de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions, étant donné la faiblesse et l'inefficacité de
la loi canadienne actuelle, permet peu de recours ici même, au
Canada.
Nous signalons aussi que cette forme d'intervention qui existe aux
Etats-Unis, par exemple, où on peut casser les transactions en invoquant
que telle transaction ou tel achat peuvent conduire à une situation,
sinon de monopole, du moins dangereuse pour la libre concurrence et ainsi de
suite, si elle est séduisante, quand on sait l'usage qui en a
été fait dans certains cas aux Etats-Unis, nous semble quand
même illogique, jusqu'à un certain point, puisqu'elle laisse des
abus se créer pour tenter de les réparer ensuite, avec tous les
retards dus aux aux lenteurs de l'appareil judiciaire.
Enfin les lois qui assurent la libre concurrence de l'ensemble des
entreprises sont loin d'assurer nécessairement plus
spécifiquement la liberté de la presse. Dya beaucoup d'autres
conditions à remplir pour que la liberté de la presse soit
possible, que la concurrence pure et simple existe entre les entreprises de
presse.
Malgré toutes ces réserves, nous croyons que l'Etat
québécois devrait tenter, et immédiatement, de se servir
de la loi fédérale existante pour ramener la situation à
la normale en corrigeant les abus qui se sont déjà produits et
qu'une intervention positive du gouvernement québécois ne
pourrait corriger. Nous voulons parler de trois cas en particulier où
une intervention s'impose afin de faire respecter le droit des citoyens
à l'information: à notre sens, il faut briser le monopole des
quotidiens du dimanche, celui des grands hebdos d'information
générale la Patrie, le Petit Journal, etc, et le
quasi-monopole de l'information qui renaît présentement à
Sherbrooke.
Mais, pour le reste, nous affirmons préférer de beaucoup
les formes positives d'intervention.
Ces formes positives d'intervention sont nombreuses. Nous allons tenter
de dégager celles qui nous paraissent les plus souhaitables.
L'Etat pourrait faire des lois, disons-nous, générales
pour assurer la mise en oeuvre des objectifs que nous avons décrits plus
haut. Ces lois seraient, comme toutes les lois ordinaires soumises à
l'application des tribunaux. Tout individu pourrait se plaindre d'une
infraction et mettre ainsi en marche l'appareil judiciaire qui aurait à
décider s'il y a effectivement infraction. De telles lois pourraient,
par exemple, défendre les transactions pouvant créer une
situation de monopole, défendre que certaines entreprises de presse
soient acquises par des intérêts extranationaux, etc.
Cette forme d'intervention ne nous paraît pas souhaitable à
cause des défauts qu'elle comporte, car ces lois, même si elles
sont de nature préventive, sont toujours de caractère
négatif. Elles défendent certaines choses qui sont incompatibles
avec la liberté de la presse mais n'agissent aucunement pour
créer une situation où la liberté de la presse puisse
exister. Il y a aussi la lenteur des tribunaux et l'absence de
discrétion dans leur jugement qui rend de telles lois difficilement
applicables.
Pour remédier à ces défauts, le législateur
moderne a créé des commissions ou des régies il en
a d'ailleurs déjà été question au cours des
audiences précédentes de la commission dont le rôle
est d'administrer une loi très large, écrite en termes
plutôt généraux, en édlctant des règlements
et en présidant à leur application. Les membres de telles
commissions ou de telles régies jouissent d'une plus grande
discrétion dans l'adoption des règlements et dans leur
application. De plus, il est reconnu que les délais entre la plainte et
la décision sont beaucoup moins longs. Enfin, ces organismes peuvent
avoir un deuxième rôle, positif celui-là, qui pourrait,
dans le cas qui nous occupe, être celui de favoriser la création
d'une situation de liberté de presse dans une région
particulière, au besoin.
Nous demandons à la commission parlementaire d'envisager la
création d'une commission de la liberté de la presse,
structurée à la manière d'une régie. Il faudrait
évidemment que sa création soit précédée
d'une étude sérieuse, faite avec tous les
intéressés, des domaines dans lesquels elle devrait intervenir,
de ses modes d'intervention et des moyens de contrôle de sa
réglementation. Il nous semble évident que cet organisme devrait
avoir un statut qui le rende libre de toute influence indue de la part du
gouvernement, que le choix de ses membres devrait se faire selon un
procédé qui assurerait leur honnêteté et leur
compétence et que son seul
rôle serait de servir le bien commun et d'assurer le droit des
citoyens à l'information.
Un organisme du même type, soulignons-nous, existe
déjà d'ailleurs dans le domaine de l'information.
L'expérience a démontré qu'il a su assurer le droit du
public à l'information sans donner lieu à l'ingérence
gouvernementale dans ce domaine. Nous voulons parler du Conseil de la
Radio-Télévision canadienne dont le rôle est Justement, en
donnant des permis, en délimitant des territoires, en édictant
même des normes de contenu, d'assurer une meilleure information aux
citoyens.
La commission devrait Jouer un rôle correspondant, compte tenu des
différences entre la radiodiffusion et la presse en
général, mais sa juridiction devrait s'étendre à
tous les média d'information couverts par la compétence
constitutionnelle du Québec.
A titre d'exemple, nous citons maintenant quelques-uns des rôles
qui pourraient être ceux de la commission.
En premier lieu, approuver tout transfert de propriété
d'une entreprise de presse tombant sous sa Juridiction.
En second lieu, réglementer la distribution des publications
tombant sous sa juridiction et distribuées sur le territoire
québécois. La commission devrait également trouver des
moyens pour favoriser la distribution à prix modique des petites
publications, de même que la distribution efficace des publications
d'intérêt général dans les régions
éloignées. A cet effet, il faudrait étudier, s'il y a
lieu, la création d'une entreprise publique ou mixte de messagerie.
Troisièmement, la commission devrait réglementer la
publicité dans les média d'information afin de faire
disparaître ou d'empêcher des pratiques qui pourraient mener
à un monopole des revenus publicitaires et faire disparaître des
entreprises de presse de moindre envergure, mais répondant à un
besoin.
Enfin, la commission pourrait étudier la suggestion du professeur
Lavoie relative à la création d'une régie du
papier-journal et se demander si une réglementation du papier-journal
serait de quelque utilité pour le bon équilibre des entreprises
de presse.
On pourrait concevoir que la commission de la liberté de presse
que nous suggérons n'ait Juridiction que sur les publications pouvant
être définies comme « mass-média », à
l'exclusion, donc, des bulletins de liaison d'entreprises, de corps publics, de
syndicats, des publications dont la périodicité est moindre que
mensuelle, des publications à caractère national dont le tirage
est inférieur à 10,000 exemplaires et des publications à
caractère local ou régional dont le tirage est inférieur
à 2,000 exemplaires. Ceci, bien sûr, à titre d'exemple,
simplement pour indiquer qu'il ne s'agit pas de réglementer toute chose
qui est publiée dans la province sous une forme périodique, mais
essentiellement les « mass-média ».
M. le Président, j'ai déjà pris beaucoup de temps,
et je m'en excuse enfin. Très brièvement, nous signalons que,
s'il est important de préserver, par exemple, au moyen de la
création d'une telle commission, l'équilibre entre les
entreprises de presse, nous croyons aussi que les garanties dont jouissent
présentement les informateurs ou les Journalistes à
l'intérieur des entreprises de presse ont besoin d'être
renforcées. Nous affirmons que le syndicalisme, les conventions
collectives ont déjà procuré aux Journalistes
d'excellentes garanties. Nous faisons remarquer toutefois que, pour des raisons
faciles à comprendre, peut-être 35% ou 40% des journalistes de la
province sont actuellement syndiqués; il y aurait peut-être lieu
d'envisager d'étendre par voie législative, à l'ensemble
des journalistes, certaines garanties couramment accordées par les
conventions collectives, et nous en citons quelques-unes. Enfin, nous traitons
du droit du public à l'information. En bref, nous sommes conscients
nous l'avons affirmé déjà à quelques
reprises dans ce mémoire que ce qu'il s'agit surtout de
préserver, ce n'est pas la liberté d'entreprise sous un mode
absolutiste ni les droits des Journalistes, sous quelque mode absolutiste que
ce soit là encore, mais, bien plus fondamentalement, le droit du public
à l'information. Nous signalons que la fédération
étudie avec intérêt la création possible d'un
conseil de presse en collaboration avec les principales associations patronales
de presse. La fédération ne croit pas pour autant qu'un tel
conseil constituerait un remède à tous les maux qui peuvent
affliger la presse. Rappelons d'abord que l'idée d'un tel organisme a
toujours été associée au Québec à la
nécessité d'un contrôle de l'éthique de la presse et
des journalistes.
Rappelons aussi que, même si le British Press Council a
été créé sur la recommandation d'une commission qui
enquêtait sur la concentration des entreprises de presse, il s'est peu
occupé de la question typique de la concentration des entreprises de
presse et a été beaucoup plus actif dans le domaine de
l'éthique Journalistique. D'ailleurs, le projet à l'étude
en ce moment ne donne pas de façon précise au conseil de presse
d'instruments pour lutter contre la concentration. Le principal défaut
d'un conseil de presse comme solution au phé-
nomène de la concentration nous paraît, toute-fols,
s'articuler autour de deux caractéristiques d'un conseil de presse comme
celui qui vous a été exposé au cours de séances
antérieures.
Premièrement, ce conseil de presse n'aurait aucun pouvoir
coercitif.
Deuxièmement, dans le cas de la concentration, le conseil de
presse, comme bien du monde, serait mis, tout simplement, devant les faits
accomplis. Quand on sait, par exemple, que des intérêts
concurrents ou rivaux se précipitent à quelques heures ou
à quelques Jours d'avis pour acheter telle entreprise de messagerie qui
était à vendre ou tel journal et ainsi de suite, il paraît
inconcevable qu'on vienne demander au conseil de presse si on pourrait acheter
tel autre journal. Que le conseil de presse commence à étudier un
ou deux mois après l'acquisition des entreprises Communica, par exemple,
par le groupe Desmarais, si c'était bon ou mauvais, et que quatre ou
cinq mois plus tard il dise: C'est dangereux, Je ne vols pas
concrètement quelle garantie cela peut représenter. Le conseil de
presse, toutefois, n'est pas pour nous un projet vain. Le projet de conseil de
presse qui vous a été présenté laisse entendre que
ce conseil aurait un rôle important à jouer, par exemple, dans le
domaine de l'éthique professionnelle, dans l'amélioration des
normes qualitatives de l'information et de la publicité, dans la
connaissance des situations de la presse, d'enquêtes sur les situations
de la presse et ainsi de suite.
En conséquence, la fédération, sans avoir pris de
position définitive sur le conseil de presse peut préciser,
actuellement, où il se situe face à un projet comme
celui-là. Moralement, il existe une présomption certaine que la
fédération s'intéresse au projet de conseil de presse et
est intéressée à ce qu'un tel conseil voie le Jour. Je
parle de présomption, parce que disons que cela s'est
présenté comme suit: Avant la naissance de la
fédération, il y a eu une tournée d'animation et de
consultation régionale qui s'est étendue pendant plusieurs mois,
et un des arguments qui ont mené à la formation de cette
fédération, c'est qu'il n'y avait personne pour servir
d'interlocuteur possible aux employeurs, si jamais un projet comme celui du
conseil de presse était constitué. C'était un des
arguments, pas le seul, bien entendu.
Deuxièmement, au congrès de fondation de la
fédération, nous avons, comme bureau de direction, eu mandat de
reprendre les pourparlers laissés en plan il y a quelques années
par L'UCJLF, l'Union canadienne des journalistes de langue française, et
l'ACSJ, l'Alliance canadienne des syndicats des journalistes, avec les
mêmes associations patronales au sujet du conseil de presse. Nous avons
établi quelques contacts, nous avons eu, notamment la semaine
dernière, une séance de pourparlers d'une journée,
à titre exploratoire. On peut donc parler de présomption
favorable, si on veut, au projet de conseil de presse. Mais, si on insiste sur
le mot « présomption », c'est que le projet a besoin
d'être encore discuté. Le projet a besoin d'être soumis
à l'ensemble des journalistes, discuté dans les régions et
dans les associations. Le projet a besoin, aussi, d'être
sanctionné par un mandat formel du congrès de notre
fédération avant qu'on puisse dire: La fédération
est prête à signer la constitution d'un conseil de presse.
Voilà donc en m'excusant, encore une fois, du temps que
j'ai mis à expliquer ce mémoire l'essentiel de la position
de la fédération. Nous disons, d'une part: II n'y a pas un
monopole, la situation n'est pas dramatique, ainsi de suite. Nous disons quand
même que la tendance à la concentration a amené des
monopoles partiels qui, croyons-nous, n'auraient probablement pas
été tolérés en vertu de la législation
américaine. Je pense aux quotidiens du dimanche en particulier. Nous
croyons, d'autre part, que, pour l'avenir, ce qui est important, ce n'est pas
tellement d'Intervenir de façon judiciaire ou d'essayer d'utiliser des
lois antitrusts qui ne collent pas, nécessairement, à l'ensemble
des réalités de la presse. Nous pensons qu'une commission comme
celle que nous vous suggérons est tout à fait compatible avec les
libertés démocratiques et est en mesure non seulement
d'empêcher que des abus se commettent au niveau de la concentration,
mais, surtout, en mesure de favoriser positivement l'évolution et
l'amélioration des entreprises de presse au Québec. Je vous
remercie.
M. MICHAUD: M. Garlépy, au sujet de la recommandation principale
de votre mémoire, à savoir la création de la commission
d'un type de régie, est-ce que vous avez prévu des
mécanismes d'appel, en fonction des décisions qui seraient
rendues?
M. GARIEPY: Qui seraient rendues par la régie?
M. MICHAUD: Oui.
M. GARIEPY: Précisons que, sur le nombre de membres de la
régie, sur la façon exacte dont elle répondrait au
Parlement, par l'Intermédiaire de quel ministre, et ainsi de suite, et
sur une question comme celle que vous mention-
nez, nous ne sommes pas allés jusque-là, pour plusieurs
raisons, mais, en particulier pour celle-ci: c'est que nous ne croyons pas
être en mesure, à ce moment-ci, de présenter un canevas de
projet de loi de régie, mais simplement d'indiquer à la
commission une voie d'action possible.
Vous avez sans doute remarqué que nous n'avons pas, pour notre
part, recommandé, dans le texte du mémoire, la constitution d'une
commission royale d'enquête. Nous ne sommes pas opposés à
la tenue d'une commission royale d'enquête sur l'information, nous y
verrions beaucoup de bénéfice possible, en termes de
connaissance, en profondeur, des situations. Mais nous croyons quand même
que, venant devant une commission d'enquête, on devait avoir quelque
chose, une orientation déjà précise à indiquer,
même si elle n'est pas absolument définitive et si elle n'est pas
détaillée comme elle aurait pu l'être.
Nous indiquons que la création d'une telle régie ne
pourrait pas se faire comme cela, en quelques semaines. Elle devrait être
précédée d'études sérieuses, ce qui peut
être une commission royale d'enquête, cela peut aussi être
une autre forme d'étude sérieuse, avec tous les
intéressés.
Bien sûr, il faudrait je sens la préoccupation
derrière votre question éviter qu'une régie, aussi
bien constituée qu'elle soit, devienne en elle-même une menace,
disons, qui se subsis-tuerait à d'autres menaces que nous voulons
écarter.
M. MICHAUD: Mais, dans votre esprit, il ne répugnerait pas au
groupe que vous représentez que des mécanismes d'appel soient
institués?
M. GARIEPY: Bien sûr que non.
M. BOUSQUET: Dans le cas du conseil de la radio et de la
télévision canadiennes que vous donnez comme modèle,
est-ce que vous pouvez affirmer que l'un des objectifs de ce conseil
était justement d'empêcher l'établissement de monopoles?
J'en doute personnellement, parce que je crois que, dans certains territoires
du pays, dans certaines régions du pays, il existe justement un monopole
de fait dans le domaine de la radio et de la télévision.
M. GARIEPY: Bien sûr, nous sommes conscients que le contexte
technique et historique entre la radiodiffusion et la presse écrite
n'est pas le même. Lorsque nous sommes opposés au monopole, cela
ne veut pas dire de façon absolue que, là où il y a
seulement de la place pour un poste de radio ou un journal qui aurait de toute
façon beaucoup de difficulté à vivre, étant
donné, par exemple, le peu d'importance numérique de la
population, il faut absolument en avoir deux, inviables, plutôt
qu'un.
Je veux dire que nous ne sommes pas absolus. L'information du public,
cela suppose quand même qu'il y a des moyens de qualité aussi. Il
y a diverses valeurs à pondérer et à mettre en relation
les unes avec les autres, il faut que le citoyen soit informé. C'est
quand même essentiel. Il faut aussi qu'il y ait concurrence, que le
citoyen ait le choix. C'est sûr. Mais, justement, l'intérêt
d'une régie est de pouvoir juger sur pièces, sur un dossier et en
fonction de circonstances bien précises, propres à certaines
régions ou à certains milieux, de ce qui est
préférable pour assurer au mieux l'ensemble des valeurs en
cause.
Si, par exemple, la commission de la presse, dont nous suggérons
la création, était instituée et recevait une demande de
transaction de huit, neuf ou dix hebdomadaires régionaux qui voudraient
se mettre en « pool », se fusionner pour disposer, par exemple,
d'un correspondant à Québec, ou ainsi de suite, si
l'intérêt du projet est grand, à savoir de permettre de
renforcer le potentiel d'information de ces publications, si cela ne
présente pas de danger sur le plan d'un monopole ou de la concentration,
il n'est pas dit que cette commission aurait pour rôle de dire non tout
le temps. Mais cette commission, plutôt que de laisser le simple jeu des
forces naturelles, des forces de l'argent, fonctionner seules et sans
contrôle, pourrait intervenir mais non sur le contenu des journaux. Le
conseil de la radio et de la télévision le
député en parlait tout à l'heure va jusqu'à
édicter certaines normes de contenu, par exemple, le pourcentage du
contenu canadien et ainsi de suite. Nous n'allons pas jusque-là. Nous
n'allons pas jusqu'à suggérer, par exemple, que les entreprises
de presse demandent un permis pour avoir le droit de publier un journal.
On pense quand même que là où le bât blesse:
les transactions, la distribution, les ententes ou pools de publicité,
en somme l'appareillage qui soutient l'information, c'est là, à
notre sens, qu'un contrôle préventif, démocratique,
exercé en pleine lumière et au nom de l'intérêt
public peut s'exercer et assurer un meilleur équilibre.
M. LESAGE: Votre régie, M. Gariépy
c'est-à-dire la régie que vous suggérez avec beaucoup de
réserve aurait un rôle qui serait beaucoup plus
qu'administratif. En effet, à vous entendre parler, vous semblez vouloir
lui laisser le soin de porter un jugement sur des droits fondamentaux. C'est
bien cela?
M. GARIEPY: De porter un jugement sur des droits fondamentaux?
M. LESAGE: Bien sûr. Parce que vous venez d'expliquer...
M. GARIEPY: Oui.
M. LESAGE: ... qu'il appartiendrait à cette régie
du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre de décider si, dans
tel ou tel cas, telle ou telle transaction constituerait un danger pour la
liberté de la presse.
M. GARIEPY: C'est cela.
M. LESAGE: C'est beaucoup plus qu'administratif.
M. GARIEPY: Oui.
M. LESAGE: Vous auriez donc un corps quasi judiciaire qui serait
appelé à rendre des décisions en regard de principes
fondamentaux et non pas en regard d'une réglementation.
M. GARIEPY: Oui.
M. LESAGE: La plupart des régies rendent leurs décisions
en vertu des lois et de la réglementation, les décisions sur les
questions de principe étant laissées à d'autres ordres de
tribunaux ou à d'autres corps démocratiques.
M. LEVESQUE (Laurier): Sauf dans le domaine de la
radio-télévision.
M. LESAGE: Oui, mais c'est quand même de la
réglementation.
M. LEVESQUE (Laurier): Oui, mais...
M. LESAGE: Pensez-y, c'est de la réglementation.
M. LEVESQUE (Laurier): Prenez le cas de Famous Players, à
Québec ou ailleurs...
M. LESAGE: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): Le groupe Famous Players. Il y a de nouvelles
règles de jeu, je pense, dans la Loi de la
radio-télévision, maintenant.
M. LESAGE: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): Il y avait, dans le livre blanc du
fédéral, qui n'a pas été appliqué
d'ailleurs, une recommandation qui rejoint une des recommandations du groupe
des journalistes à l'effet, justement, d'éviter, d'empêcher
ou de briser les monopoles régionaux. Cela n'a pas été
incorporé dans la nouvelle loi de la radiotélévision.
Alors, ils ne peuvent pas agir.
M. LESAGE: Cela ne l'a pas été?
M. LEVESQUE (Laurier): Par ailleurs, pour ce qui est des transactions
dont on parle...
M. LESAGE: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): ... et des changements de
propriété, on a vu, entre autres, sous les nouvelles
règles qu'ils appliquent maintenant, le groupe de la
radio-télévision, la commission je ne sais pas comment ils
l'appellent maintenant le bureau, en tout cas, bloquer, comme vous le
savez...
M. LESAGE: Oui, mais...
M. LEVESQUE (Laurier): ... le camouflage que Famous Players voulait
faire dans un nouveau « holding » de sa propriété
américaine. Et ils les ont renvoyés devant leurs dossiers, en
disant: Cela ne suffit pas. Allez vous arranger autrement.
M. LESAGE: Non, mais c'est en vertu de...
M. LEVESQUE (Laurier): C'est ce que vous appelez des droits
fondamentaux.
M. LESAGE: ... règles écrites.
M. LEVESQUE (Laurier): Oui.
M. LESAGE: C'est cela, la distinction.
M. LEVESQUE (Laurier): C'est-à-dire non. Ils interprètent
les règles écrites, je crois.
M. LESAGE: Ils ont des règles écrites.
M. LEVESQUE (Laurier): La loi de la radiotélévision, je
crois, donne à ce bureau nouveau, comme à l'autre d'avant,
d'ailleurs, mais peut-être de façon plus précise, le droit
de se prononcer sur des transactions de ce genre. A partir de là, c'est
à eux de décider, je crois.
M. LESAGE: Je pense qu'il y a des règles écrites.
M. LEVESQUE (Laurier): Oui.
M. LESAGE: C'est la grande difficulté, justement, à cause
de la différence qu'il y a entre la presse écrite et les moyens
électroniques.
M. LEVESQUE (Laurier): Ah là, c'est autre chose.
M. LESAGE: Une différence sur laquelle M. Gariépy a
d'ailleurs attiré notre attention.
M. LEVESQUE (Laurier): Mais la différence...
M. LESAGE: Il est plus difficile d'avoir des règles
écrites pour ce cas de la presse écrite, me semble-t-il.
M. GARIEPY: Enfin, elles reposeraient sur...
M. LESAGE: Ce sont des questions que je pose.
M. GARIEPY: Oui, bien sûr.
M. LESAGE: Je ne me prononce pas, M. Gariépy.
M. MICHAUD: De là, la nécessité d'avoir des appels,
bien sûr, si cette nouvelle structure administrative a un
caractère quasi judiciaire.
M. LEVESQUE (Laurier): Par ailleurs, n'y a-t-il pas une chose
fondamentale... Ce que le chef de l'Opposition évoquait, c'est, en fait,
un contexte traditionnel et je crois que le mémoire l'évoque.
M. LESAGE: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): On marche encore un peu avec des concepts
où la liberté de publier est reliée à une
espèce d'image d'après laquelle n'importe qui peut fonder un
journal, donc que c'est un domaine ce n'est pas comme les ondes
où l'initiative peut fonctionner. Mais je crois que le mémoire
souligne très bien que, dans le monde d'aujourd'hui, quand on parle de
mass média écrits laissons de côté la
radio-télévision c'est devenu à peu près
impossible pour qui que ce soit, sauf des grandes corporations ou des gens
extrêmement riches, de pouvoir publier. Donc, la liberté de
publier le mémoire le souligne et je crois qu'on ne peut pas
faire autrement qu'être d'accord n'est plus du tout conforme
à ce vieux concept qu'on traîne un peu dans nos esprits
d'après lequel puisque tout le monde peut fonder un journal, eh bien, ce
n'est pas la même chose. Or, en fait, nous sommes dans un monde qui a
changé à ce point de vue. Je pense que...
M. LESAGE: Je reconnais l'évolution, d'ailleurs, qui est bien
mentionnée à la page 10 de votre mémoire, M.
Gariépy.
Je considère que le droit du public à l'information est un
droit collectif qui s'est développé avec les années et qui
a priorité. Là-dessus, je suis d'accord. C'est à partir de
;à qu'on doit maintenant interpréter ce qu'est la liberté
de la presse, ce qu'est la liberté d'information, mais à partir
du droit du public à l'information. C'est un concept qui est venu avec
l'évolution, comme vient de le dire M. le député de
Laurier, je suis d'accord. Mais à partir de là, qu'est-ce qu'on
peut faire? C'est là la question.
M. GARIEPY: C'est également la question que...
M. LESAGE: ... à laquelle vous essayez de répondre. Je
vous en sais gré, d'ailleurs.
M. GARIEPY: Mais il faut dire que, comme journaliste, suivant notre
tradition, très longue derrière nous, de craindre
systématiquement toute forme d'intervention de l'Etat, dans un secteur
clé comme celui de l'information... On a parlé du
quatrième pouvoir, c'est une belle image, mais en tout cas, cela a un
fond de réalité aussi.
Il faut, d'une certaine façon, se faire violence, disons, pour
finalement accepter, bien sur, une commission, comme vous le signaliez, qui
jouerait avec les libertés fondamentales. Oui, mais c'est ça ou
quoi? C'est un pouvoir économique privé qui joue avec les
libertés fondamentales. Et entre les deux, nous croyons que la
démocratie peut être mieux sauvegardée par un organisme du
genre de celui que nous proposons que par le simple jeu des forces
économiques.
M. MICHAUD: M. Gariépy, quel est, dans votre esprit je
cherche la différence et j'avoue ne pas la trouver le rôle
de la commission? D'après les exemples que vous avez cités, cela
s'apparente assez aux suggestions qui ont été faites d'un conseil
de presse, c'est-à-dire les transferts de propriétés, etc.
Alors, quelle est la différence exacte entre votre commission et un
conseil de presse? Une différence de terminologie simplement...
M. GARIEPY: Non, je ne pense pas, M. le député. Il y en a
au moins deux majeures.
M. MICHAUD: Alors où est la différence?
M. GARIEPY: Il y en a deux majeures. D'abord, c'est que le conseil de
presse n'approuverait pas les transactions et n'a pas à approuver les
transactions, et pourrait donner son avis... son avis moral.
M. MICHAUD: Cela a été donné comme...
M. GARIEPY: Oui, enfin le conseil de presse n'aurait pas de pouvoirs
coercitifs.
M. LESAGE: Il pourrait en avoir. M. GARIEPY: La commission...
M. LESAGE: Vous l'avez dit tantôt, son pouvoir de Jugement ne
viendrait qu'après la transaction.
M. GARIEPY: Oui. Deuxièmement, c'est que le conseil de presse, M.
Michaud, serait tripartite. Y seraient représentés aux 2/3, les
journalistes et les propriétaires des moyens de diffusion avec 1/3
co-opté, si on veut, représentant... enfin, la formule
précise de nomination d'un président, et ensuite du choix des
membres qui représenteront le public vous a été
exposée. Mais il reste que, dans le conseil de presse, les
intérêts en jeu sont représentés.
M. MICHAUD: Alors vous laissez uniquement le soin à l'Etat de
désigner les membres.
M. GARIEPY: Dans la commission, nous ne voulons pas que ce soit un
conseil de presse tout simplement gouvernemental. Nous voyons, par exemple, une
commission de trois, de cinq, enfin cela peut se discuter, un certain nombre de
membres, mais dont il ne serait pas souhaitable que l'un représente la
Fédération des journalistes, l'autre, ceci et cela. Ils
représentent le public: trois honnêtes hommes sensibles aux
libertés démocratiques.
M. LESAGE: S'il y a des pouvoirs de réglementation, et presque de
faire la loi, il est clair qu'à ce moment-là, cela ne peut pas
être des intérêts contradictoires qui sont chargés de
le faire.
M. GARIEPY: C'est ça.
M. BOUSQUET: Est-ce qu'il y a possibilité pour cette
commission-là d'établir des normes relativement au contenu des
journaux? Je reviens au cas, par exemple, d'une région où on
serait forcé, pour des raisons économiques, à ne
tolérer la publication que d'un seul hebdomadaire.
Est-ce que, dans ce cas-là, la commission pourrait dire: Nous
allons vous donner la permission d'être les seuls à publier,
à la condition que vous soyez plus objectifs.
M. GARIEPY: Ah, non!... Ecoutez...
M. BOUSQUET: Bien non, mais cela pourrait revenir a cela»
M. GARIEPY: Non, écoutez, disons que l'équilibre... vous
soulevez un problème important.
M. BOUSQUET: C'est un problème d'importance...
M. GARIEPY: Prenons, par exemple, le journal qui serait seul...
M. LESAGE: Votre objectivité n'est peut-être pas la mienne,
M. Bousquet...
M. BOUSQUET: C'est justement... M. LESAGE: C'est 15 qu'est le danger. M.
BOUSQUET: C'est ça.
M. LESAGE: C'est que votre objectivité n'est pas la mienne.
M. GARIEPY: Dans notre mémoire, nous ne recommandons pas...
M. BOUSQUET: Mais nous sommes tous les deux objectifs.
M. GARIEPY: Nous ne recommandons pas de pouvoirs sur le contenu,
autrement que pour déterminer s'il s'agit d'un journal ou, par exemple,
d'un feuillet publicitaire caractérisé. Autrement dit, si les
douze marchands d'un centre commercial décident tous les jeudis de
distribuer une circulaire, est-ce qu'on doit considérer que
l'information circule? Je pense qu'il y a des normes de contenu minimum qui
pourraient viser à déterminer ce qu'est un moyen
d'information.
Mais pour le genre de situation que vous venez d'illustrer, si la
commission venait à avoir 3 décider qu'il faut que le journal se
réoriente de telle façon ou ainsi de suite, ce serait
évidemment très dangereux.
Encore une fois, nous exposons la différence dans notre
mémoire. Nous croyons que l'Etat ne doit pas intervenir dans le
processus même, mais doit intervenir pour protéger l'exercice du
processus d'information.
M. BOUSQUET: J'admets que ce serait très dangereux et je l'ai
toujours pensé. Mais, quand même, à un moment donné,
est-ce que la commission ne serait pas normalement portée à agir
de cette façon-là pour essayer de protéger la
liberté de la presse? Elle tolérerait un monopole mais à
certaines conditions. Evidemment, j'admets que ce serait très dangereux
de porter un jugement. Mais est-ce que le besoin de défendre la
liberté de la presse, tel que vous l'avez exprimé ici,
n'amènerait pas, de quelque façon, la nécessité de
bien renseigner la population d'une région donnée?
Ce que je veux dire c'est que cette commission-là,
nécessairement, aura des limites très considérables, et
elle ne pourra garantir la liberté que dans des limites très
considérables.
M. LEVESQUE (Laurier): Si on me permet, tout ce qui peut, de près
ou de loin, ressembler à un contrôle du contenu,
c'est-à-dire un contrôle de la pensée, moi, je vous avoue
que ça me ferait suer en partant. Ce qui me frappe et que je trouve
justement parfaitement rassurant, peu importe comment les études qui
devraient être poursuivies pourraient préciser les points, c'est
que les quatre principaux objectifs tangibles et concrets qu'on donnerait
à titre d'exemple à cette régie sont des objectifs
fondamentalement économiques par rapport à des transactions, par
rapport à la diffusion ou aux messageries, par rapport à la
publicité, pour être bien sûr qu'il y a un équilibre
qui permet aux publications de vivre, et puis par rapport au papier-journal.
C'est-à-dire essentiellement des moyens économiquement positifs
mais purement économiques, ou enfin purement économiques,
socio-économiques, si vous voulez, mais sans toucher au contenu des
publications. Parce que si on commence à faire ça, moi je
dételle. La seule chose...
M. BOUSQUET: Mais est-ce que...
M. LEVESQUE (Laurier): La seule chose, c'est qu'on donne, à titre
d'exemple encore, des définitions des publications qui pourraient
être couvertes, ce qui excluerait toute une série de choses qui
doivent être exclues. Aller au-delà de ça, là
vraiment!
M. BOUSQUET: Est-ce que la liberté de la presse est
sauvegardée si, dans une région donnée, il n'y a qu'un
journal pour informer la population?
M. GARIEPY: Ecoutez, s'il n'y a qu'un journal, il faudrait s'entendre,
il y a la radio qui pénètre, la télévision, il y a
des hebdos, des quotidiens, il est difficile d'avoir un monopole absolu. S'il
n'y avait, par exemple, dans une région donnée, qu'un seul
quotidien, et c'est le cas de certaines régions de la province,
étant donné que le quotidien n'est pas le seul moyen
d'information, quand même, pris dans une optique globale,
déjà c'est moins dangereux. Bien entendu si un quotidien dans une
région donnée, possède la radio et la
télévision, une partie des hebdos et ainsi de suite, si en plus
un tel quotidien était, par exemple, orienté politiquement,
c'est-à-dire associé de façon étroite à l'un
des trois partis politiques, il est évident qu'il y aurait là une
situation... quatre...
M. MiCHAUD: Quatre.
M. GARIEPY: ... M. Michaud, une situation...
M. BOUSQUET: Est-ce que le conseil de presse devrait faire des efforts
pour empêcher que ce soit orienté politiquement, non?
M. GARIEPY: Pas nécessairement, cela veut dire que si, par
exemple, quelqu'un entend concurrencer ces publications-là ou si, par
exemple, un quotidien d'une autre ville étend sa distribution dans le
secteur, cela veut dire que ça peut être une des raisons qui
pousseraient une telle commission à accepter disons une mesure comme
celle-là. Je ne pense pas que jamais la régie ou cette commission
que nous proposons doive donner des ordonnances par exemple demandant à
tel ou tel journal de changer de contenu ou de faire ci ou ça.
M. BOUSQUET: Ce serait dangereux, ça nous l'admettons.
M. LEVESQUE (Laurier): M. Gariepy, ce serait quand même important
que... Je reviens à cet exemple du livre blanc fédéral
qu'on n'a pas osé appliquer, peut-être qu'il y avait, justement,
des juridictions distinctes qui étaient impliquées. La
recommandation, très précise était, avant qu'on adopte la
nouvelle loi fédérale, qu'on devait avoir comme un des objectifs
principaux d'éviter tout monopole régional des moyens
d'information (au pluriel). Or, on a le cas de Sherbrooke qui, typiquement, est
redevenu si ça ne l'a pas déjà été
est devenu ça.
A toutes fins utiles, Je pense qu'il restait un poste du groupe CJMS
Dieu sait combien de temps cela durera un poste de radio
secondaire, mais radio, TV, et journaux sont entre les mains du même
groupe. Cela, par définition, c'est étouffant. On n'a pas
osé l'appliquer, parce qu'évidemment le fédéral se
sentait exclusivement responsable des ondes. Il reste que c'est l'un de ces cas
où c'est profondément malsain et où il faudrait qu'il y
ait quelque chose de fait. Autrement, il y a toute une région, toute une
population qui reste potentiellement sous la coupe d'un seul maître
à penser, et cela est dangereux.
M. MICHAUD: Dans le cas où, dans une région donnée,
il n'existerait qu'un journal ou qu'un poste de radio, même une
concentration horizontale, il y a une dimension extrêmement importante de
votre mémoire, soit cette suggestion qui concerne la liberté des
informateurs qui pourraient travailler dans ces entreprises de presse
parlée, écrite, et télévisée. Est-ce que je
prêterais une interprétation abusive et trop grosse à votre
prise de position si je disais que vous favorisez l'adoption d'une loi par
l'Assemblée nationale, visant à favoriser un statut professionnel
des journalistes? Page 20.
M. GARIEPY: Vous brûlez peut-être des étapes, mais
cela pourrait conduire à cela. Ce que nous signalons, c'est qu'il y a
déjà une grande disparité entre les garanties
d'indépendance professionnelle dont jouissent les journalistes dans
certaines publications par rapport à ceux d'autres publications. Cela
tient en majeure partie au syndicalisme. La fédération n'est pas
un syndicat, mais doit tout simplement le reconnaître comme un fait
objectif. Les conventions collectives ont des effets.
Nous nous interrogeons sur la façon de rejoindre l'ensemble des
journalistes. Or, dans certains cas où il y a un, deux ou trois
journalistes par entreprise ou dans certains cas, dans les postes de radio par
exemple, où il peut y avoir une, deux ou trois personnes qui touchent
à l'information et qui sont une minorité, si l'on veut, par
rapport à ceux qui font un travail d'animation à la radio, il est
difficile pour le syndicalisme d'envisager de s'étendre à tous
les journalistes. Cela ne peut pas être imposé, de toute
manière. Il y a des précédents dans d'autres secteurs de
la vie sociale ou du monde du travail, de sorte que l'on peut étendre,
par voie législative, des garanties déjà reconnues,
déjà appliquées et qui ont fait leur preuve à
l'ensemble des journalistes.
Est-ce que cela prendrait la forme d'une loi sur le statut professionnel
des journalistes? Cela peut très bien être cela. Une telle loi
existe dans d'autres pays et cela nous paraît un outil certainement
valable pour garantir ce genre de liberté. Chose certaine, il faut que
cela se construise et que cela émane du milieu. Au cours, par exemple,
des pourparlers très exploratlfs, très préliminaires que
nous avons eus avec les représentants des associations patronales
à propos du conseil de presse, cela avait évoqué
rapidement. Si, après un ou deux ans de travaux, par exemple, le conseil
de presse en vient à croire qu'an certain nombre de choses, qui sont
reconnues comme étant la norme idéale, doivent être
institutionalisées et répandues partout, un organisme comme le
conseil de presse peut arriver avec un projet de loi. Cela peut se concevoir de
cette façon-là. Je dis que vous anticipez, simplement dans la
mesure où je ne pense pas qu'au cours de la présente session on
puisse, comme cela, parachuter une loi garatissant le statut professionnel des
journalistes. Je pense, toutefois, que nous devons nous diriger vers une
formule de ce type-là.
M. MICHAUD: Je le signalais simplement comme facteur d'équilibre,
dans le cas où il y aurait une concentration donnée et un seul
propriétaire d'une entreprise de presse.
M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, je voudrais poser une
question anglosaxonne un peu, c'est-à-dire essayer de trouver des
précédents, si vous avez exploré ce domaine-là. Je
suis content qu'à la page 5 vous souligniez une chose qui m'avait
frappé, et Je ne suis pas le seul c'est pour sous-entendre ma
question lorsque vous dites que le Québec, à votre
connaissance à la mienne aussi est le seul endroit
où cette concentration est le fait d'un conglomérat,
c'est-à-dire d'une entreprise extraordinairement diversifiée la
« Power Corp. et Gelco », enfin cet ensemble-là qui a aussi
des intérêts dans les pâtes et papiers, dans les pistes de
course et dans tout ce que vous voudrez. Power Corp. et Gelco, nous ont
donné plusieurs exemples nord-américains. Je me souviens d'avoir
posé la question: L'Amérique du Nord, c'est une immensité.
Si avec 6 millions d'habitants nous nous prenons pour 200 millions
d'Américains et que nous suivons les mêmes règles de
conglomérat, cela peut nous mener à devenir des espèces de
caricatures d'Américains qui ne s'apercevront même plus de ce qui
leur arrive. Deuxièmement, on a même oublié de souligner
ce que vous faites, vous qu'en général les
conglomérats de presse et cela a été ar-
rêté dans certains cas, quand cela voulait aller ailleurs
sont sui generis, c'est-à-dire que cela reste des entreprises de
presse et d'information et non pas un mélange avec autre chose.
Maintenant, ma question est: Est-ce qu'il y a d'autres
précédents qui pourraient servir positivement à
ceux-là, c'est-à-dire des petits pays, comparables à
l'entité que représente le Québec, qui ont dû
être menacés comme le Danemark enfin, Je pense
à des cas comme la Suède...
M. GARIEPY: En toute honnêteté, nous n'avons pas
fouillé disons, de façon systématique, ce qui existe dans
tous les pays. C'est évident. Quand nous parlons de
précédents, nous nous sommes concentrés, par exemple, sur
l'exemple de la Commission de radio-télédiffusion qui nous
paraît un précédent, même mutatis mutandis, dans un
contexte qui n'est pas le même.
M. LEVESQUE (Laurier): Prenez le cas des messageries, de la
distribution, par exemple. Est-ce qu'il n'y a pas des précédents
européens, entreprises mixtes, entreprises publiques, ou entreprises
coopératives et mixtes en même temps?
M. GARIEPY: Cela a été, d'ailleurs, sauf erreur,
évoqué devant la commission au cours des premières
audiences. Ce qu'on s'est dit, au sujet de la distribution, c'est qu'on n'est
pas dans une situation, contrairement à d'autres pays qui ont connu la
guerre, l'occupation et tout cela, où on reconstruit tout à
partir de zéro, où on peut donner à un journal telle
tendance idéologique, telle imprimerie à tel autre groupe, et
dire: On fait une messagerie coopérative, puis l'Etat met des fonds
là-dedans. Ici, on parle de situation de fait, il en existe, des
entreprises de messageries. Peut-être qu'une entreprise mixte ou
coopérative serait utile mais peut-être que non. C'est très
circonstancié, une question comme celle-là. Ce qui est important,
par exemple, c'est de s'assurer surtout si les messageries, l'une après
l'autre, sont acquises par le groupe Desmarais, que l'existence d'une seule
messagerie, cela commencerait à être inquiétant, une seule
messagerie ou même un groupe en particulier. Si un groupe veut fonder un
journal et n'a pas les moyens de le distribuer, son droit de fonder un journal
est tout à fait illusoire, de sorte que nous croyons qu'une commission
comme celle que nous proposons devrait avoir une réglementation à
faire pour les questions des messageries. Quelle réglementation? On ne
le sait pas. Cela ne se substitue pas à l'avance...
M. LEVESQUE (Laurier): Là on rejoint... à propos des
études sérieuses qui sont requises, sur la réalité,
mais vous ne connaissez donc pas... enfin vous n'avez pas étudié
les précédents. Il s'agirait d'aller voir si cela peut être
utile.
M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs, si vous n'avez pas d'autres
questions, je remercie M. Gariépy et son groupe. Je demanderais
maintenant au troisième groupe, le Syndicat des journalistes de
Montréal, de venir exposer son point de vue.
M. Pouliot, est-ce que M. Picard est le porte-parole?
M. POULIOT: M. le Président, si vous me permettez, je vais donner
lecture de notre mémoire. Il y a deux porte-parole, ce matin, M. le
Président, moi-même, pour ce qui est du mémoire
lui-même, et M. Picard, qui donne les explications concernant les annexes
et, disons, les questions juridiques et techniques.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que vous pouvez nous présenter les
membres de votre groupe?
M. POULIOT: Oui, M. le Président. Si vous me permettez je dois
dire tout d'abord que le Syndicat des journalistes de Montréal,
affilié à la Confédération des syndicats nationaux,
représente les employés des rédactions aux publications
suivantes: La Presse, La Patrie, Le Petit Journal, Photo-Journal,
Dernière Heure, Montréal-Matin et Le Devoir. La
délégation du syndicat, aujourd'hui, se compose des membres
suivants: Paul Pouliot, président général, Roger Nadeau,
premier vice-président du syndicat et représentant la section Le
Petit Journal, Photo-Journal et Dernière Heure, Manuel Maître,
deuxième vice-président du syndicat et président de la
section La Patrie, Jacques Lafrenière, secrétaire
général, Martial Da Silva, président de la section La
Presse, Jean-Pierre Paré, président de la section
Montréal-Matin, Clément Trudel, membre du comité de
rédaction du mémoire et représentant la section Le Devoir,
Gérard Picard, conseil technique du Syndicat des journalistes de
Montréal.
M. le Président, avec votre permission, je donnerai lecture du
mémoire, étant donné l'importance de la question et le
fait que ledit mémoire est très condensé. Ensuite, lorsque
j'aurai terminé, M. Picard, toujours avec votre permission, donnera des
explications et des commentaires sur les annexes dudit mémoire.
Dès 1961, la commission O'Leary, enquêtant sur les
publications canadiennes, éprouvait « de la répugnance
devant le spectacle
des principes fondamentaux de la démocratie employés pour
faire le trottoir au bénéfice du commerce », page 9. Les
récriminations reçues par cette commission depuis sa formation
ont laissé percer une crainte de voir le rôle de l'information
ravalé à celui d'une simple cotation en bourse, allant et venant
au gré des spéculateurs.
Le Syndicat des journalistes de Montréal a cru bon de constituer
un dossier sur la genèse des conglomérats. Ce document vous est
transmis aujourd'hui, et tout comme nous, vous pouvez obtenir une vue
d'ensemble de transactions à prime abord anodines, mais qui
apparaissent, à long terme, comme un dessein savamment conçu et
mené de façon à atténuer la portée de
chacune des étapes prévues pour arriver à un
conglomérat.
Le Syndicat des journalistes de Montréal rend publique une
enquête faite auprès des journalistes qu'il représente. Si
l'on se fie aux constatations que ce sondage a permis de faire, l'avenir ne
serait pas tellement rassurant pour les journalistes syndiqués, surtout
si l'on tient compte de l'attitude adoptée à ce jour, nous
semble-t-il, par votre commission: se résoudre à changer
très peu de choses pour que le tout demeure comme auparavant dans le
monde de l'information au Québec.
Eliminer l'intervention de l'Etat dans la discipline qui nous
intéresse serait une solution de facilité; il s'agit plutôt
de s'entendre sur le niveau d'intervention qui ferait jouer à l'Etat un
rôle bénéfique pour le public lecteur ou auditeur. Il
serait également utopique de croire que des patrons de moins en moins
nombreux dans le domaine de l'information n'auraient pas la tentation d'abattre
les cloisons que les journalistes ont toujours désiré conserver,
par respect pour le public, entre les services administratifs et la partie
rédactionnelle.
Tantôt, c'est une maladresse avouée: l'affaire Baribeau au
Soleil en décembre 1967. Tantôt, il y a audace moins
inhibée: dans la nuit qui suivit le « lundi de la matraque
», on a vu à la Presse un vice-président administratif et
deux cadres présider à la censure de tout texte relié au
rôle joué par les policiers le 24 juin 1968. Il peut y avoir plus
de subtilité lorsque le directeur d'un journal suggère la
prudence entendons le silence dans un conflit syndical touchant
une banque avec laquelle il est à négocier un emprunt. Ce peut
être, enfin, le conflit ouvert, au quotidien Le Figaro par exemple, en
mai 1969, conflit dont les incidences sur la liberté des journalistes
ont été soulignées par l'ensemble des journaux vraiment
libres. Des cas de cette espèce font dire à Jacques Kayser, dans
« La Mort d'une liberté »: « L'intérêt
des annonceurs qui appartiennent pour la plupart au monde des grandes affaires
est de même nature que l'intérêt des propriétaires de
journaux, devenus eux aussi « big business »... Dire qu'il y a
pression est inexact; elle est inutile. Il y a collusion permanente.
»
Les fusions d'entreprises de presse se justifient, aux yeux des magnats,
par le coût de production élevé et par les progrès
technologiques en cours; ceci vaut autant pour les journaux que pour la radio
et la télévision.
Il existe des avantages certains à la concentration, comme celui
de procurer à une équipe rédactionnelle de meilleurs
outils de recherche, de produire un journal plus complet.
Les propriétaires y trouvent aussi leur avantage en amortissant
plus rapidement les frais engagés. La concentration permet
l'amélioration technique de la presse écrite et parlée,
mais n'y a-t-il pas un passif à ce bilan de progrès?
Le monopole devient menaçant quand, dans le domaine de
l'Information, il prend une ampleur telle que la concurrence cesse de jouer et
lorsque la pluralité des moyens de diffusion d'information et d'opinions
est compromise, comme c'est le cas présentement au Québec. Le
pivot du problème est là: arriver à maintenir la
pluralité des types d'information pour une ville, une région ou
un pays donné et réagir avant que la concurrence ne cesse de
Jouer.
Des patrons se servent souvent d'une boutade qui n'apporte rien de neuf
au problème: Si les journalistes ne sont pas satisfaits de leurs
journaux ou de leurs postes de radio ou de télévision, qu'ils
fondent leurs propres organes d'information. C'est là parler d'une
liberté illusoire, si les conditions d'exercice de cette liberté
ne sont pas garanties par l'Etat qui a déjà ses exigences pour
concéder les ondes, domaine public, à des locataires tenus de
s'expliquer devant une régie.
Pourtant, la loi du Québec et les lois canadiennes font de
l'entreprise de presse une entreprise de type commercial, à cette petite
différence près que l'exploitant doit répondre de certains
de ses actes devant la loi du libelle et se conformer à la loi de la
presse là où elle existe. A peu de détails pris, la presse
se retrouve avec le même statut qu'une fabrique de pneus ou de
pâtes alimentaires.
Pour beaucoup, l'Etat semble placé devant un dilemme: ou il
intervient contre la monopolisation excessive des moyens d'information au nom
de la liberté de l'Information ou il se maintient à
l'écart de tout le problème en se retranchant derrière la
légitimité de la « free entre-
prise » et d'une concurrence parfois truquée (c'est le cas,
notamment, de certains journaux d'une même chaîne dont l'un peut
porter une étiquette conservatrice, l'autre se classant dans la presse
libérale ou affichant la neutralité en politique). N'y a-t-il pas
là. le risque d'une information unidimensionnelle, dans un contexte que
d'autres témoignages ont déjà très bien
décrit? Les témoignages de Jacques-A. Lamarche et de Jacques
Guay, pour ne citer que ceux-là. Nous ne voulons pas d'une presse
à la Procter à Gamble, qui organiserait la concurrence qu'elle
veut bien, tout comme le font les fabricants de savon pour des marques
émanant d'une même usine.
Dans ce même contexte, depuis quinze ans environ, la voix des
syndicats de journalistes s'est faite revendicatrice, prenant d'assaut
l'arbitraire de quelques directions de Journaux. Le climat a semblé, un
moment, s'améliorer dans les salles de rédaction de la
métropole, mais il a vite fallu déchanter. L'absence d'un statut
pour les Journalistes et les entreprises de presse a aussi ses
répercussions à la table de négociation, alors qu'il faut
souvent mettre à l'enjeu quelques clauses professionnelles
déjà acquises contre des bénéfices marginaux I
conquérir.
Les constatations du syndicat.
Le Syndicat des journalistes de Montréal s'inquiète du
courant tendant à faire des journaux, principalement, une source de
divertissement et à diminuer l'importance de l'information proprement
dite. Des chroniques littéraires et artistiques ont même
succombé au critère de la rentabilité, une tendance qui,
nous en sommes convaincus, fait insulte aux lecteurs ou auditeurs que l'on
cherche S. amuser, alors que le public réclame une information plus
complète qu'il serait en droit d'attendre.
Le Syndicat des journalistes de Montréal déplore
l'utilisation faite de tests d'aptitude en vue d'éloigner les fortes
têtes de la rédaction où on aurait pourtant besoin de
secouer le conformisme ou de tourner le cap, tandis qu'il en est temps, vers un
journalisme moins teinté de sen-satlonnalisme.
Le SJM prend note que, dans le milieu des affaires, on commence à
se méfier des « chosen tools » des « holdings »
et grands trusts désireux de gagner la faveur de la majorité
francophone au Québec.
M. LEVESQUE (Laurier): Je m'excuse, je ne veux pas vous faire perdre de
temps, M. le Président, mais je voudrais savoir, ce que vous voulez
dire, exactement, par « chosen tools ».
M. POULIOT: Pardon?
M. LEVESQUE (Laurier): Que voulez-vous dire, exactement, par «
chosen tools »?
M. TRUDEL: La question a été discutée plusieurs
fois dans le Montreal Star, dans les articles analysant la structure de Power
Corporation. « Chosen tools », c'estunpeule paravent d'autres
personnes qui agiraient derrière dans le monde des affaires.
Je crois que l'annexe tourne précisément autour de
cela.
M. POULIOT: Est-ce que cela répond à votre question?
M. LEVESQUE (Laurier): D'accord. J'irai voir l'annexe.
M. POULIOT: Alors, le SJM trouve que l'article 36 du présent code
du travail du Québec laisse le champ libre à plusieurs
tractations visant à faire perdre aux syndicats des droits que leur
confère leur certificat d'accréditation. (Voir annexe
«B» pour la nouvelle formulation proposée pour l'article 36
du code du travail).
Nous formulons, ce matin, quatre demandes. En premier lieu, le SJM veut
que soit reconnu le caractère de service public des entreprises
d'information.
Deuxièmement, compte tenu de l'ampleur du problème que
constitue l'information au Québec et de l'impérieuse
nécessité de régler ce problème, le SJM estime
qu'il faut créer un conseil de presse tripartite qui aura un statut
juridique et qui sera l'ombudsman de l'information. Y seront
représentés le grand public, les journalistes et les employeurs
de ceux-ci. Il veillera à ce que soit respecté le droit qu'ont le
public lecteur et le public auditeur d'être bien informés.
L'une des premières tâches de ce conseil de presse sera de
mettre au point un projet de charte des droits et devoirs des journalistes. Les
journalistes seront ainsi astreints, pour la plus grande protection du public,
à un code d'éthique professionnelle.
Une autre chose qui est d'importance capitale et c'est là
notre troisième demande c'est la modification de l'article 36 du
code du travail. La modification s'impose parce que l'article en question
n'assure nullement le respect des certificats d'accréditation
syndicale.
Quatrièmement, enfin, nous estimons qu'une commission royale ou
nationale d'enquête sur l'information doit être mise sur pied dans
les plus brefs délais. Un peuple informé est un peu-
ple libre. Or, le public québécois ne reçoit pas
toujours toute l'information à laquelle il a droit et dont il a
absolument besoin. Seule une commission royale ou nationale d'enquête sur
l'information pourra aller au fond des choses.
Avec votre permission, M. le Président, Je continuerai en lisant
l'annexe «A» qui est très brève et, ensuite, M.
Picard prendra la parole.
Annexe «A». Un sondage sur la liberté de presse,
effectué en mars dernier chez les journalistes membres du SJM, donne
ceci: - 80% estiment que la concentration actuelle est de nature à
porter atteinte à la liberté de presse et, conséquemment,
au droit qu'ont le public lecteur et le public auditeur d'être bien
renseignés; - 12% n'ont pas répondu; - 8% ont donné
à entendre qu'ils n'étaient pas tellement
préoccupés par cette question.
Plusieurs membres ont dit qu'ils craignent qu'il ne se crée au
Québec, par suite de la concentration de presse, un pouvoir
parallèle au pouvoir politique.
M. LE PRESIDENT: Je m'excuse, mais combien y a-t-il de membres dans le
syndicat?
M. POULIOT: Dans notre syndicat? M. LE PRESIDENT: Oui.
M. POULIOT: Nous comptons environ 350 membres, M. le
Président.
M. LE PRESIDENT: M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce.
M. TETLEY: Vous n'avez pas de membres de langue anglaise ou des journaux
anglais?
M. POULIOT: S'il y en a, c'est à l'intérieur
d'unités en majorité francophones ou de langue
française.
M. TETLEY: Mais, par exemple, les journalistes du Montreal Star ne sont
pas membres?
M. POULIOT: M. le député, nous n'avons aucune opposition
de langues ou quoi que ce soit, même c'est au programme, je crois, que
des gens d'autres langues soient admis dans notre syndicat.
M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce qu'il y a un syndicat au Montreal
Star?
M. TETLEY: Ils n'ont pas de syndicat.
M. POULIOT: A ma connaissance, il n'y a pas de syndicat pour les
journaux de langue anglaise, du moins à Montréal.
M. LEVESQUE (Laurier): Cela rend difficile leur appartenance à un
syndicat.
M. POULIOT: Cela fait peut-être suite à un livre qui a
été écrit, il y a quelques années, « Why rock
the Boat. »
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Pouliot. Est-ce que les membres de la
commission auraient des questions...
M. LEVESQUE (Laurier): Il y a M. Picard.
M. LE PRESIDENT: D'accord, II y a M. Picard et, après cela...
M. LEVESQUE (Laurier): Je présume que M. Picard va...
M. LE PRESIDENT: D'accord, les questions viendront par la suite. M.
Picard.
M. PICARD: M. le Président, un mot d'explication, en premier
lieu, sur la présentation du mémoire du Syndicat des journalistes
de Montréal. Cela peut paraître curieux que le syndicat
présente un mémoire à la suite de celui qui vient
d'être présenté par la Fédération
professionnelle des journalistes, mais il ne faut pas voir dans le
mémoire que le syndicat présente un geste d'hostilité
à l'égard de la fédération. Ce qui justifiait
davantage le Syndicat des journalistes de Montréal à
présenter un mémoire, c'est d'abord que ce syndicat est
accrédité pour négocier les conventions collectives de
travail avec la direction des journaux qui sont à l'intérieur de
ce phénomène de concentration de la presse, alors que la
fédération des Journalistes n'est pas accréditée
ne tient pas à l'être d'ailleurs, je crois pour
négocier les conventions collectives de travail au nom des journalistes
des différentes entreprises de presse.
La première annexe, annexe b), que Je vais expliquer
brièvement, que vous avez à la suite de l'annexe a), parle de
l'article 36 du code du travail.
La raison pour laquelle cet amendement est proposé découle
des transactions qui ont eu lieu au Petit Journal, Photo-Journal et
Dernière Heure. Vous êtes au courant, Je crois, que le Petit
Journal Incorporé faisait partie du groupe Communica au moment
où
ses actifs ont été vendus à d'autres entreprises.
Cette transaction a donné lieu à la naissance de cinq compagnies
différentes. Le Petit Journal a sa compagnie, le Photo-Journal a sa
compagnie, Dernière Heure a sa compagnie, les Ateliers ont leur
compagnie et les Messageries ont également leur compagnie. Le code du
travail, qui prévoit la continuation de la convention collective, ne se
trouve pas à prévoir ce que devient le statut des employés
eux-mêmes indépendamment du fait de la continuation de la
convention collective. Quand nous soulevons le problème, ce n'est par
opposition aux transactions qui ont eu lieu. Il nous est parfaitement
égal que la transaction ait eu lieu, créant plusieurs compagnies
au lieu d'une. Mais, nous nous sommes rendu compte que, la transaction
étant terminée, nous avions de nouveaux employeurs, les
conventions collectives de travail continuaient d'être en vigueur
en fait il y avait négociation pendant cette période-là
mais le statut des employés n'était pas
réglé. Nous sommes arrivés remarquez bien
à une entente satisfaisante sur ce point avec la direction des journaux.
Mais, cela a été plus laborieux que si cette question avait
été prévue au code du travail. En somme cette transaction
a révélé, quant à nous, une faiblesse du code du
travail du Québec. C'est la suggestion que vous avez pour rejoindre les
actifs lorsque la transaction se fait par les actifs et non simplement par
changement de direction à l'intérieur d'une entreprise.
Vous vous souvenez, quand vous avez examiné le problème de
la Presse ici en commission, la compagnie a continué d'exister, la
direction a changé, mais la compagnie de publication de la Presse
limitée a continué avec une nouvelle direction à
l'intérieur, celle qui s'était portée acquéreur des
actions de la compagnie.
M. LEVESQUE (Laurier): Qu'est-ce que vous voulez dire? Si Je comprends
bien je ne suis pas expert juriste c'est que, dans un cas
où la vente est accompagnée ou suivie d'un changement de statut
juridique, de nouvelles compagnies se substituent à l'entreprise
ancienne et juridiquement créent des entités nouvelles...
M. PICARD: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): ... vous avez découvert que ça peut
se négocier laborieusement, comme vous dites, mais que le statut des
employés ne se trouve pas protégé...
M. PICARD: Non.
M. LEVESQUE (Laurier): ... il reste simplement le papier d'une
convention collective qui peut continuer si elle est encore en vigueur.
M. PICARD: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): Les employés deviennent, à toutes
fins utiles, des gens qui sont dans le « no man's land » par
rapport à un employeur, puisqu'il a changé.
M. PICARD: Et il faut faire une négociation particulière
pour leur faire prendre le statut d'employé des nouvelles entreprises,
étant donné que leur statut d'employé avec les anciennes
entreprises, on y a mis fin.
M. LEVESQUE (Laurier): D'accord.
M. PICARD: Alors ce vide-là, qui est susceptible de se
présenter de nouveau dans d'autres cas, nous croyons que le moyen le
plus pratique...
M. LEVESQUE (Laurier): N'y a-t-il pas eu d'autres cas dans d'autres
secteurs, transport ou autres?
M. PICARD: Pas sur le même angle, en tous cas, que je l'ai connu.
Dans le transport cela a eu lieu avec plusieurs compagnies aussi, mais...
M. LEVESQUE (Laurier): Cela n'a pas donné les mimes
résultats.
M. PICARD: Non, pas que je sache, en tous cas. Ce qui est certain, c'est
que l'article 36 du code du travail pourrait être amendé de
manière à prévoir ce cas.
Cela peut arriver assez fréquemment, remarquez-le bien. N'oubliez
pas que, dans le cas du Petit Journal, vous aviez eu les Maillet, vous aviez eu
Jean-Louis Lévesque et vous avez eu Communica, avec les Brillant, qui a
procédé à la dernière transaction.
Peut-être que les nouveaux acquéreurs ont
considéré qu'il était prudent pour eux d'acheter les
actifs et de former de nouvelles compagnies plutôt que de prendre la
succession de ces messieurs telle que connue à ce moment. Nous ne les
blâmons pas de l'avoir fait, mais nous indiquons ce qui, d'après
nous, pourrait corriger une situation que nous n'avions pas connue auparavant,
mais que nous avons connue 3. cette occasion.
M. LE PRESIDENT: Je suppose que des re-
présentations en ce sens ont été faites
auprès du ministre du Travail. Est-ce la première
représentation qui est faite, ce matin, de ce problème?
M. PICARD: C'est la première représentation qui est faite,
à ma connaissance, officiellement. Nous avons d'abord rencontré
la nouvelle direction et non pas le gouvernement. C'était assez urgent;
c'était entre Noël et le Jour de l'An. Nous aurions peut-être
eu de la difficulté à rejoindre les gens ici au parlement.
D'ailleurs, ce n'était pas nécessaire.
M. LEVESQUE (Laurier): En fait, ce que vous voulez, dans vos
amendements, c'est ajouter tout simplement à l'aliénation de la
concession totale ou partielle, la cessation des opérations, si la
reprise...
M. PICARD: Par l'achat des actifs.
M. LEVESQUE (Laurier): ... a été faite par un autre
employeur, c'est-à-dire un changement de statut.
M. PICARD: Pour votre gouverne, l'idée même que nous
exprimons apparaît au code du travail de la France, mais nous ne pouvons
pas la transposer ici parce que notre contexte de négociations
collectives est différent et qu'il s'agissait de situer à
l'endroit approprié dans notre code du travail la même idée
quant au statut des employés eux-mêmes. Mais cela existe
déjà et nous ne l'avons pas présentement dans le code du
travail du Québec.
Autre chose maintenant. Vous étudiez le conseil de presse par
rapport à la charte des droits et devoirs professionnels des
journalistes. Le syndicat va un peu plus loin sur ce point que la
Fédération professionnelle des journalistes, parce que, pour
nous, cela a un lien avec les négociations futures et avec les
entreprises où nous représentons les journalistes. Si, avant
l'expiration des conventions qui sont présentement en vigueur, soit
à la Presse, à la Patrie, au Petit Journal, au Photo-Journal, peu
importe, le conseil de presse peut être mis sur pied, il y aura la
protection du public lecteur que nous ne perdons pas de vue, comme le fait la
fédération d'ailleurs, et aussi la préparation d'un
projet.
Des représentants patronaux, des représentants des
organisations professionnelles de Journalistes et des représentants du
public seraient bien intéressés à étudier un projet
de code d'éthique professionnelle qui serait une charte des droits et
devoirs professionnels, mais pas une charte visant, sur le plan
législatif, I mettre sur pied une fédération de
journalistes. Nous faisons une distinction assez sérieuse sur ce point.
Ce conseil, naturellement, ne serait qu'un projet ou un avant-projet.
Nous, nous aurions à rencontrer, en temps opportun, la direction
des entreprises avec lesquelles nous avons des conventions collectives de
travail pour voir dans quelle mesure tous les éléments ou un bon
nombre d'éléments peuvent faire partie de nos conventions. Nous
croyons que nous aurions un résultat assez pratique et plus rapide,
naturellement, que si le sujet allait devant une commission royale
d'enquête, par exemple, selon l'expression courante. Cela pourrait
prendre beaucoup plus de temps pour étudier un sujet comme
celui-là que si, par exemple, un conseil de presse pouvait être
mis sur pied à aussi brève échéance que possible.
Nous savons très bien que cela présente des
difficultés.
M. MICHAUD: M. Picard, vous parlez du conseil de presse qui n'exclut
pas, évidemment, l'institution d'une régie ou d'une commission de
la presse, mais vous lui donnez un statut juridique et vous lui accordez le
rôle d'un ombudsman de l'information.
M. PICARD: Oui, quant au conseil.
M. MICHAUD: Oui, quant au conseil de presse. Donc, il y aura un
dédoublement de structures: à la fois, une commission
suggérée par le groupement professionnel des journalistes et un
conseil de presse qui aura une structure juridique et qui aura le rôle
d'ombudsman de l'information.
M. PICARD: Oui.
M. MICHAUD: Est-ce qu'a priori vous excluez la formation d'une
commission ou d'une régie?
M. LEVESQUE (Laurier): Ce n'est pas exactement comme cela que je le
comprends.
M. PICARD: La commission, a un mandat distinct de ce que je viens de
proposer.
M. LEVESQUE (Laurier): Parce que, si j'ai bien compris vos deux...
M. MICHAUD: Mais les deux pourraient être les ombudsmans de
l'information.
M. PICARD: L'ombudsman de l'information,
si vous me le permettez, ce serait le conseil de presse, très
bien. Quand on demande qu'il puisse avoir un statut juridique, ce n'est pas
quant aux nominations qui sont à l'intérieur; c'est surtout quant
à la participation de l'Assemblée nationale elle-même, si
je puis dire, à la formation d'un organisme comme celui-là,
admettant que la proposition tripartite qui a été faite,
d'ailleurs, par l'association des quotidiens je pense que c'est Me
Bureau qui, à ce moment-là, l'avait formulée avec
la représentation patronale, syndicale, ainsi que celle du public. Nous
croyons qu'il y a quelque chose de valable là-dedans. Nous croyons aussi
qu'on peut lui donner un mandat dès le point de départ. Si un
organisme comme celui-là est mis sur pied, son premier mandat,
naturellement, c'est la protection du public lecteur. Par ailleurs, il peut
aussi, vu qu'il y aura des mandataires autorisés dans ses rangs,
préparer un avant-projet de charte des droits et devoirs des
journalistes. La fédération recevra, à ce
moment-là, le projet qui pourrait découler d'une étude
comme celle-là et, comme elle peut le faire d'ailleurs, consulter
l'ensemble de la profession pour voir ce que ça donnera.
M. LEVESQUE (Laurier): Nous n'avons pas à faire ici de
rapprochement entre les mémoires, mais il ne semble pas qu'il y ait de
contradiction. Si je comprends bien, vos deux premières demandes
qui n'en font qu'une, essentiellement, autour du conseil de presse
concernent la protection publique, mais si je saisis bien l'essentiel
par la protection intérieure ou interne, si vous voulez, des
informateurs eux-mêmes. Je suppose aussi qu'elles visent
éventuellement, à protéger les droits des employeurs, mais
dans les structures existantes. Il ne s'agit pas de constester, dans ce
domaine, la propriété, les concentrations, etc; il s'agit
d'assurer, dans les structures quelles qu'elles soient,
l'intégrité de l'Information et, éventuellement, le statut
des informateurs. Tandis que, dans votre dernière demande je
laisse de côté l'annexe « B » que vous avez
expliquée à propos du code du travail vous vous en tenez
simplement à une commission d'enquête qui irait au fond des
choses, mais cela n'exclut pas du tout, sauf que vous n'êtes pas rendus
là, la demande d'une régie ou d'une commission sur les
problèmes de propriété, de transaction, de distribution,
etc dont la fédération a parlé.
M. PICARD: Ce que nous croyons sur ce point...
M. LEVESQUE (Laurier): Cela peut découler de cela, mais vous
n'êtes pas rendus là.
M. PICARD: Ce que nous croyons sur ce point, c'est que, si une
commission d'enquête était mise sur pied, elle devrait avoir le
mandat d'étudier le statut des entreprises de presse, c'est entendu.
Nous n'y touchons pas au moment du conseil de presse, mais nous croyons que ce
serait une commission qui pourrait examiner ce point-là avec tout ceux
que vous soulevez. Maintenant, à cause de la question qui est
posée, je dois, simplement à titre personnel, faire une
réflexion qui n'engage pas le syndicat. Premièrement, je n'aime
pas le mot « régie ». Ensuite, lorsqu'il s'agira des
entreprises de presse, je pense que la législation...
M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce que ce n'est que le mot que vous n'aimez
pas?
M. PICARD: La chose également, dans ce domaine de liberté
dans l'information, remarquez bien. Je vais vous dire pourquoi, d'ailleurs,
d'une manière très simple. Si vous avez une législation
d'ordre général sur l'information... Je suppose, par exemple, que
certains amendements sont apportés au code civil de la province de
Québec en matière de propriété. Vous prenez la
juridiction qui vous est déjà reconnue, par exemple, dans l'Acte
de l'Amérique britannique du Nord avec propriété et droits
civils.
Vos deux chapitres je pense que c'est 47 et 48 ou 48 et 49 des
statuts de la province de Québec traitent l'un de la loi de la
presse et l'autre, de périodiques et d'autre chose. Peut-être
qu'il n'y a qu'une seule loi de la presse qui pourrait en découler,
tenant compte d'un certain nombre de recommandations qui pourraient être
faites. Alors, cette partie, ce serait une loi générale où
l'Assemblée nationale aurait pris position. Je vous avoue que,
personnellement, je suis porté à me méfier, dans ce
domaine de l'information, d'un certain nombre de décisions par voie
administrative. Si vous avez une loi d'ordre général, posant bien
les critères pour ce qui a trait aux entreprises de presse, enfin dans
le domaine où vous pouvez agir... Je ne parle pas du domaine
audio-visuel qui est différent, n'est-ce pas. Il y a sûrement une
législation qui est d'ordre général et qui ne commande pas
sur ce point un organisme administratif, parce que...
M. LEVESQUE (Laurier): De quel point par-
lez-vous, parce que, là, j'ai peur qu'on soit dans la confusion.
Quand vous parlez de conseil de presse, vous parlez d'éthique, de droit
à l'information, de structures existantes.
M. PICARD: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): S'il fallait qu'il y ait une régie sur ces
problèmes, on tomberait dans la maison de fous. Ce que je saisis mal
il ne faut pas qu'on se mêle c'est que, par rapport aux
transactions, à la concentration, autrement dit, aux problèmes
qui ont été évoqués dans l'autre
mémoire.
M. PICARD: Oui.
M. LEVESQUE (Laurier): Que vous croyiez parce que
j'écoutais l'argumentation dans l'autre mémoire qu'une
loi, telle quelle, puisse suffire.
M. PICARD: II y a une refonte qui s'impose. Il y a une loi d'abord, mais
le conseil de presse est toujours là, voyez-vous. C'est simplement
l'autre aspect. S'il s'agissait d'une régie pour surveiller les
fabricants du papier-journal, et leur prix, c'est un autre aspect du
problème qui est d'ailleurs soulevé dans le mémoire de la
Fédération.
Mais, ce que, personnellement, je suis porté à craindre,
lorsqu'il y a un ensemble de décisions administratives découlant
d'une sorte d'organisme administratif ou quasi judiciaire dans ce domaine de
l'information, je ne ferai pas le même raisonnement dans tous les
domaines mais dans ce domaine de l'information, c'est que cela permette,
à plus ou moins brève échéance, d'y faire entrer
certains éléments de censure, ou certains éléments
de représailles possibles contre des publications. Vous comprenez que
cela me rend réticent sur ce point. Ce qui ne veut pas dire que c'est un
rejet a priori, mais que cela demanderait d'être étudié en
profondeur avant de mettre sur pied un organisme comme celui-là.
Les décisions par voie administrative dans ce domaine sont
peut-être plus délicates à prendre que dans d'autres
domaines. Je fais partie, par exemple, du Conseil canadien des relations
ouvrières, à Ottawa; cela ne nous embarrasse pas de prendre des
décisions sur les accréditations syndicales, pas plus qu'ici avec
d'autres organismes.
M. LEVESQUE (Laurier): Pas plus que cela n'embarrasse le Conseil...
M. PICARD: Pas du tout.
M. LEVESQUE (Laurier): ... au niveau de la radio et de la
télévision?
M. PICARD: Pas du tout, mais les sujets sont...
M. LEVESQUE (Laurier): M. Picard, pas plus que cela n'embarrasse la
radio ou la télévision ou la FCC aux Etats-Unis de décider
de ces choses, en fonction d'un principe supérieur qui est qu'il ne faut
pas que cela soit entre les pattes d'un pouvoir privé exclusivement.
M. PICARD: C'est cela, mais il y a à surveiller d'assez
près quels sont les éléments qui peuvent trouver leur
application dans ce domaine. C'est-à-dire que je ne peux pas en parler
en m'emballant, autrement dit.
Le dernier point qui sera attaché aux entreprises de presse en
particulier est le dossier que vous avez où, d'après nous,
à l'intérieur d'un conglomérat parce que je pense
que c'est bien ce qui existe il n'y a pas que des compagnies filiales,
il y a des compagnies associées. Et dans cet ensemble, il y a à
surveiller, naturellement, ce qui s'y passe lorsqu'il y a concentration des
entreprises de presse, en particulier. Si je ne touche pas la partie
audio-visuelle, ce n'est pas parce que je ne désire pas y toucher, c'est
parce que cela a déjà été abordé dans
d'autres mémoires et que vous savez à quoi vous en tenir et que
vous connaissez d'ailleurs les limites de votre juridiction dans ce
domaine.
M. LEVESQUE (Laurier): Des limites qu'il s'agirait d'étendre un
jour, très largement, mais enfin, cela c'est une autre paire de
manches.
M. PICARD: Maintenant, l'attitude que nous prenons n'est pas une
attitude qui fait autre chose que de donner l'exemple d'un conglomérat
existant, mais ne vise pas j'entends d'une manière
péjorative l'existence même de ce conglomérat, parce
qu'il peut y en avoir d'autres.
M. LEVESQUE (Laurier): Cela vient de « pelote ».
M. PICARD: Cela vient de « glomus ». Enfin, la
définition apparaît à l'annexe. Et comme l'on sait...
M. LEVESQUE (Laurier): Les journaux se font « peloter ».
M. PICARD: ... que dans une société par actions,
contrairement à ce que l'on croit ordinairement...
M. LEVESQUE (Laurier): « Glomus » c'est « pelote
».
M. PICARD: ... aucun actionnaire dans une société par
actions n'a le moindre droit de propriété, c'est la
société, institution légale qui est propriétaire.
Et comme il n'est pas facile de suivre ce qui se passe à
l'intérieur de chacune de ces sociétés anonymes, il est
évident que, le problème étant posé, il y a
sûrement lieu de l'examiner d'assez près dans ses
conséquences. Non pas qu'il puisse y avoir eu, quant 3. nous, des
problèmes qui aient été insolubles jusqu'à
présent. Nos conventions collectives de travail sont en vigueur, et nous
avons des recours prévus dans nos conventions lorsque quelque chose
accroche, comme dans les autres entreprises.
Mais, d'autre part, c'est ce phénomène de concentration
qui nous indique qu'à un certain moment vous pouvez être en face
simplement d'un ou deux hommes qui ont une puissance économique telle
entre les mains. On a donné l'exemple, dans un des mémoires, du
cas de Peter Thompson avec Paul Desmarais ayant en mains 51% des actions de
Power Corporation, mais l'autre moitié des actions, à eux deux,
cela veut dire qu'ils en ont à peu près 3 millions, puisque le
total des actions sur le marché est de l'ordre de 6 millions.
Mais dans ce déplacement d'actions, on ne sait pas exactement
où sont tous les intérêts. Ils seront quelque part, c'est
entendu, mais la connaissance qu'on peut en avoir est quand même une
connaissance limitée. C'est pour cela que nous n'avons pas tenté
de faire autre chose que produire un dossier avec des pièces que nous
avons recueillies ici et là, mais sans être en mesure
nous-mêmes de tirer un ensemble de conclusions de ce dossier, parce que
toutes les brides d'information qu'il y a là ne peuvent pas, je crois,
constituer un tout.
Il y a eu, il est vrai, d'autres mémoires qui vous ont
été soumis, et vous avez devant vous un certain nombre
d'organigrammes. Très bien. Vous pouvez retracer un peu le cadre
général à l'intérieur duquel Power Corporation
évolue. Et même si on se rend jusqu'à la Banque Royale,
où on n'a pas de nom particulier, mais où on sait bien qu'il y en
a plusieurs qui sont des bons amis à l'intérieur du conseil,
quelle est l'influence de cet organisme à l'Intérieur de Power
Corporation? Est-ce que Power Corporation est strictement une
société de gestion aujourd'hui, un holding, ou si c'est autre
chose? La Warnoc & Hersey, par rapport à Gelco, quels sont les liens
de parenté entre tout cela? Et ensuite, comment rejoindre la Banque
Royale qui me semble avoir une importance capitale dans toute cette
affaire?
M. LEVESQUE (Laurier): Les banques...
M. PICARD: Mais nous, nous ne sommes pas en mesure, en fait, de creuser
ce problème et d'obtenir...
M. LEVESQUE (Laurier): Les banques... M. PICARD: ... tous les
renseignements.
M. LEVESQUE (Laurier): ... dans ces cas-là, on les appelle
« great and good friends », je pense.
M. PICARD: Oui, naturellement. Si je prends le Montreal Trust, on sait
que la Banque Royale le connaît bien.
M. LEVESQUE (Laurier): Il y a des amitiés.
M. PICARD: Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais de toute
façon, ce dossier contient, d'après nous, un certain nombre de
renseignements, compile un certain nombre de pièces que nous demandons
à votre commission d'examiner de très près. C'est avec cet
ensemble de pièces aussi que nous faisons le lien, quant à nous,
avec une commission d'enquête qui pourrait approfondir davantage cette
question et qui pourrait aussi être l'organisme qui verrait comment la
législation elle-même, en matière d'information, pourrait
être coordonnée dans un milieu comme Québec.
Merci, M. le Président.
M. LE PRESIDENT: Y a-t-il d'autres questions de la part des membres de
la commission? alors merci M. Picard, M. Pouliot.
Il reste à l'ordre du jour M. Boisclerc qui voudrait faire une
brève communication à la commission. Il y a M. Thériault
qui dépose un mémoire.
M. BOISCLERC: M. le Président, avec votre permission, je
dépose officiellement le mémoire dont j'ai remis des exemplaires
à M. Gelly sans procéder à sa lecture.
Si vous permettez, j'aimerais formuler cependant quelques
observations.
A titre de simple citoyen, ce que je considère le plus important
de tous les titres dans une
collectivité vraiment démocratique, je constate qu'une
très grande part du temps de la commission porte sur diverses
manières d'organiser, éventuellement, la vie des entreprises de
presse au Québec. Je soumets cependant que devant un problème il
convient, en pratique, de constater une situation, de l'apprécier dans
un sens favorable ou réprobateur et, s'il y a lieu, dans
l'intérêt des citoyens, de l'ensemble de la population, de passer
à l'action.
En l'occurrence présente, nous pouvons facilement, me
semble-t-il, constater et vérifier l'ampleur fantastique de la
monopolisation des entreprises d'information de langue française du
Québec.
Je soumets que, compte tenu du chiffre de population francophone du
Québec, de l'ampleur du monopole tombé aux mains de MM. Paul
Desmarais et Jacques Francoeur, et du fait des intérêts multiples
de la Corporation des valeurs Trans-Canada et de Power Corporation, je soumets
que, depuis plus de deux ans et surtout depuis novembre 1968, une condition
fondamentale de la vie démocratique n'existe virtuellement plus au
Québec.
Dans ces conditions, pour tout scrutin général au
Québec, scrutin québécois ou canadien, le jeu n'en vaut
pas la chandelle du point de vue démocratique. Les membres de
l'Assemblée nationale ont le mandat général de sauvegarder
les droits et intérêts de la population, de
légiférer en ce sens et s'ils n'ont pas, du point de vue des
liens fédéraux-provinciaux, juridiction, doivent agir.
Je soumets donc que l'Assemblée nationale décrète
et déclare sans délai l'indépendance du Québec
comme seule solution pratique et seul moyen de procéder à une
action efficace en temps utile, au sujet du phénomène de
monopolisation des média d'information du Québec.
Je m'excuse, ces simples remarques, je les ai notées à la
main, j'achève, et ce sera très court.
Il ne s'agit pas présentement, en effet, du point de vue
pratique, d'étudier la façon de réorganiser
éventuellement les entreprises de presse du Québec. Il s'agit de
désorganiser une puissance dont l'existence est, à l'heure
actuelle, du point de vue pratique de la pensée et de la vie
démocratique au Québec, absolument inadmissible.
Je suggère donc que la commission rende son mandat sans
délai; qu'une session spéciale d'urgence de l'Assemblée
nationale soit convoquée immédiatement; que l'Assemblée
nationale, dans sa forme actuelle ou sous l'égide d'un gouvernement de
coalition, légifère de toute nécessité, de
manière que disparaisse le monopole selon le sens général
suggéré dans le mémoire que je viens de soumettre
officiellement.
Je vous remercie, M. le Président.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que les membres de la commission voudraient
poser des questions à M. Boisclair, avant que nous passions à M.
Thériault.
Alors, merci, M. Boisclair.
M. BOISCLAIR: Merci, M. le Président.
M. LE PRESIDENT: Maintenant, est-ce que M. Thériault voudrait
présenter son mémoire?
M. Yvon Thériault
M. THERIAULT: M. le Président, messieurs les membres de la
commission, avec votre permission, je voudrais seulement prendre deux minutes
de votre temps pour présenter brièvement quelques aspects de la
liberté de presse au Québec.
Dans le mémoire que je vous présente, à titre de
journaliste qui s'intéresse aux questions de presse depuis plusieurs
années, je veux simplement attirer votre attention sur le fait que la
liberté de presse est un phénomène assez complexe.
Je vous rappelle d'abord que la liberté de presse a
évolué, dans la province de Québec, un peu en même
temps que le gouvernement et que la société
québécoise. Sous le régime français, la
liberté de presse n'existait pas dans la province de Québec. Elle
n'existait pas, d'ailleurs, en France, ni en Angleterre, ni aux Etats-Unis.
C'est à la suite de la Révolution française qu'on a
commencé à parler d'une chose qu'on a appelée la
liberté de presse. Au XVIIIe siècle, c'est-à-dire
après la conquête britannique, le gouvernement du Québec a
commencé à accorder aux journalistes, goutte à goutte, les
éléments de la liberté de presse actuelle.
On peut se rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, certains de nos
confrères journalistes ont été emprisonnés dans le
parlement, édifice où nous sommes. Nous avons même un de
nos confrères qui a passé un an en prison, au début du 19e
siècle, pour avoir simplement rapporté mot à mot un
discours qui avait été prononcé au parlement de
Québec.
A la suite d'injustices de ce genre, le gouvernement a reconnu
graduellement, sinon par des lois, du moins par des faits, la liberté de
presse au Québec. Cette liberté a évolué
jusqu'à l'état actuel.
Un peu plus loin dans le mémoire que Je vous
présente, j'essaie d'établir, par des cartes
géographiques et par un bref commentaire, comment la liberté de
presse est répartie actuellement sur le territoire
québécois, c'est-à-dire ce que l'entreprise privée
a fait avec la liberté de presse dans la province de Québec.
C'est simplement l'emplacement de chacun des postes de radio et de
télévision, des journaux et des hebdomadaires de la province de
Québec, tel que le voit le ministère de l'Industrie et du
Commerce dans la dernière carte qu'il a publiée sur la
répartition des mass média. Vous avez ça à la page
5 de mon mémoire.
Mais, la liberté de presse est également une
théorie ou un ensemble de principes. La plupart des peuples de la terre
sont d'accord actuellement sur la liberté de presse, mais chacun la
conçoit différemment. Dans un régime de libéralisme
économique comme celui auquel nous participons, la liberté de
presse est conçue comme une liberté à peu près
absolue. En régime socialiste, dans les pays derrière le rideau
de fer, on proclame la liberté de presse, mais on l'applique d'une tout
autre façon. Ce sont les deux concepts que j'ai essayé de
résumer. À la fin de mon petit texte, j'apporte une série
de recommandations qui ne cassent rien, mais qui sont peut-être de nature
à retenir l'attention de la commission.
Quelques-unes des recommandations s'adressent à l'Etat du
Québec qui fait les lois dans la province de Québec. Nous
suggérons certaines refontes des lois actuelles de la presse, en
particulier, à la page 16: « Refonte des différentes lois
de la presse en une seule » où l'on pourrait probablement
clarifier davantage le statut du journaliste comparé au statut de
l'homme qui s'occupe d'information publique et au statut du publicitaire. Une
partie de la confusion actuelle vient du fait qu'on ne sait pas exactement ce
qu'est un journaliste, ce qu'est un agent d'information publique, un agent de
relations publiques ou un agent de publicité. Certains pays, comme la
France, ont, dans leurs lois, une définition, un statut juridique du
journaliste, de l'homme qui s'occupe de relations publiques et du publicitaire.
Cela enlève une bonne partie de la confusion.
Certaines lois de la presse pourraient également être
modifiées. J'ai mentionné les numéros des statuts et le
texte exact, avec les suggestions que je propose.
Certaines lois qui régissent la presse actuellement ne sont pas
appliquées depuis plusieurs années. Quelques-unes n'ont
même jamais été appliquées, comme la Loi de la
distribution du papier-journal. La Loi des publications et de la morale
publique n'a pas été appliquée depuis 1958. Ce serait
peut-être plus simple et on économiserait peut-être quelques
feuilles si on les enlevait des statuts.
Je suggère, évidemment, la formation d'un conseil de
presse inspiré des expériences qui ont été faites
en Angleterre et en Suède où le conseil de presse, rappelons-le,
existe depuis 1918, c'est-à-dire depuis 50 ans. Ils ont sans doute une
expérience qui serait intéressante a étudier. Un
demi-siècle d'expérience pour ce qui est du conseil de presse en
Suède.
Je suggère deux choses qui sont peut-être nouvelles. C'est
d'abord l'organisation d'un institut de recherche d'opinion publique. Je crois
que l'état actuel de l'évolution de la société
québécoise justifierait la formation d'un institut de recherche
d'opinion publique qui serait très utile pour tous les gens qui
s'occupent de politique et pour tous les gens qui dirigent l'opinion publique
d'une façon ou de l'autre, que ce soit les journalistes, les
écrivains, les sociologues, les politicologues et, évidemment,
les administrateurs de la province.
La deuxième suggestion, qui est déjà en partie
réalisée, c'est d'attacher plus d'Importance aux cours de
formation des journalistes, des aspirants journalistes et au recyclage
puisque le mot est à la mode de ceux qui sont dans la profession
depuis plusieurs années. Ce sont simplement les quelques suggestions que
j'avais à vous faire. Je vous remercie beaucoup.
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Thériault. Est-ce qu'il y a des
questions?
M. LEVESQUE (Laurier): J'aurais juste une question parce que je
cherchais des précédents tout à l'heure et on n'en avait
pas. Vous parlez du conseil de presse suédois qui, forcément, est
venu longtemps avant celui des Britanniques, dont on parle beaucoup pour des
raisons évidentes. Est-ce que vous auriez par hasard à
portée de la main un dossier là-dessus?
M. THERIAULT: J'ai quelques articles qui ont été
publiés par le consulat de Suède et qui sont envoyés dans
les bulletins d'information sur le fonctionnement du conseil de presse et son
expérience. Chose très récente, la Suède a
même nommé un ombudsman de la presse, un fonctionnaire de l'Etat
qui s'appelle ombudsman de la presse. C'est le seul pays au monde qui ait
cela.
M. LEVESQUE (Laurier): En fait, vous avez les publications du
consulat...
M. THERIAULT: Oui. J'ai un résumé officiel
de ce qui a été fait depuis ce temps-là. Je
pourrais le mettre à la disposition des intéressés.
M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs, s'il n'y a pas d'autres questions,
nous allons...
M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce que l'on pourrait demander, parce que cela
revient continuellement, l'idée du conseil de presse, et que jusqu'ici
nous avons seulement l'exemple du conseil de presse britannique, qui n'est pas
nécessairement à l'échelle du Québec M.
Thériault vient d'évoquer celui de Suéde sur lequel,
apparemment, des renseignements peuvent être disponibles si la
commission pourrait s'occuper au moins d'obtenir certains... On dit que le
consulat ce qui est normal, les consulats le font distribue des
informations. Est -ce que l'on pourrait peut-être les faire venir pour
les membres de la commission?
M. LE PRESIDENT: D'accord, nous prenons note de la demande.
Messieurs, est-ce qu'il y a d'autres questions?
Il n'y a pas d'autre séance de prévue que celle de ce
matin. Un autre groupe désire se faire entendre, c'est le groupe de M.
Pé-ladeau. Nous allons voir d'Ici une quinzaine de jours quels sont les
autres groupes, s'il y en a d'autres, qui veulent venir devant la commission.
Ce sera certainement la dernière séance d'audition publique,
puisque nous arrivons au terme de l'audition des mémoires. Je ferai
connaître, probablement la semaine prochaine ou au début de
l'autre semaine, à quel moment aura lieu cette nouvelle séance
avant l'ouverture de la session.
Avant de terminer, je voudrais remercier tous les groupes qui ont
apporté leur collaboration à la commission en venant
présenter des mémoires. Je veux remercier également les
membres de la commission parlementaire de leur intérêt pour les
travaux de leur commission. Merci, messieurs.
(Fin de la séance 12 h 59)