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Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le mercredi 10 septembre 1969 - Vol. 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Commission parlementaire spéciale sur le problème de la liberté de la presse


Journal des débats

 

Commission parlementaire spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Séance du 10 septembre 1969

(Dix heures dix minutes)

M. CLOUTIER (président de la commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs! Nous allons continuer les travaux de la commission parlementaire, travaux interrompus à l'ajournement de la session en Juin, la dernière séance remontant au 11 juin. Vous avez devant vous l'ordre du jour. Nous avons des groupes qui ont demandé à se faire entendre devant la commission, mais avant de leur donner la parole, je demanderais d'abord aux membres de la commission des deux côtés de la table, s'ils ont des remarques ou des considérations à faire sur nos travaux.

M. LESAGE: Si vous me permettez un instant, une question de procédure...

M. MICHAUD: M. le Président...

M. LESAGE: Il s'agit du remplacement de deux membres de la commission pour la séance d'aujourd'hui. Je pense que vous ne serez pas surpris de la teneur de la mention. Je suggérerais que M. William Tetley remplace M. Pierre Laporte et que M. Raymond Mailloux remplace M. Robert Bourassa, qui, tous deux, ne peuvent être ici ce matin. Ils ont d'autres occupations.

M. BERTRAND: Je dirai au chef de l'Opposition que nous ne pousserons pas la curiosité jusqu'à lui demander pour quelle raison. Ce sont des gens qu'il faut remplacer parce qu'ils veulent en remplacer d'autres.

M. LESAGE: C'est exact. J'ai l'impression que c'est bien cela. D'ailleurs, le premier ministre a vécu certaines absences.

M. BERTRAND: J'ai vécu cela. C'est pourquoi j'ai une excellente préparation pour juger un peu de ce qui se passe.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, sur ces considérations très opportunes, je demanderais maintenant aux autres membres de la commission, en particulier au député de Gouin, s'ils ont des commentaires ou des remarques à faire sur les travaux de la commission.

M. MICHAUD: M. le Président, je m'en voudrais de distraire abusivement du temps imparti aux groupes qui viennent témoigner devant cette commission, mais il m'apparaît nécessaire, à ce stade-ci de nos travaux, non pas de faire un petit résumé, mais de définir un peu plus clairement ce que je présenterai comme ma position personnelle sur la conduite des travaux. Comme vous l'avez signalé au début, la dernière séance de la commission parlementaire sur la liberté de la presse remonte au 11 juin 1969, soit à déjà plus de trois mois.

Auparavant, quatre autres séances ont été tenues depuis le 7 mai 1969. Il n'est pas exagéré de dire que le problème de la liberté de la presse au Québec a été abordé, ce me semble, jusqu'ici d'une façon un peu superficielle par les membres de la commission. Il était fatal qu'il en soit ainsi. Le premier ministre étant occupé à une campagne au leadership, le président de la commission, cumulant des fonctions administratives extrêmement importantes à la tête de deux ministères, les députés membres de la commission parlementaire ayant, eux aussi, leurs fonctions politiques et administratives à remplir, il était tout à fait normal, il me semble, que nous ne puissions aller en profondeur et au fond des choses.

D'autant plus que les questions soulevées ici m'apparaissent extrêmement difficiles, complexes et lourdes de conséquences pour l'avenir collectif du peuple québécois tout entier.

A ce jour, les membres de la commission ont survolé en rase-mottes des notions confuses dont ils ont peine, encore aujourd'hui — et même ceux qui ont témoigné devant nous — à saisir le pourtour et les véritables dimensions. Nous avons survolé les notions suivantes: la première, la notion de concentration, de monopole, de conglomérat, de concentration verticale ou horizontale telle que définie dans le mémoire des experts du ministère de la Justice; deuxièmement, nous avons abordé, mais encore là d'une façon très rapide, la loi fédérale sur les pratiques restrictives; troisièmement, nous avons oscillé, ce me semble, entre deux recommandations fondamentales du mémoire des officiers du ministère de la Justice, la première favorisant l'institution d'une commission dans le genre d'une sorte de « Board of Trade », et la deuxième, une régie du type de la Régie des transports.

Quatrièmement, nos travaux se sont arrêtés à la suggestion d'un conseil de presse, et le conseil de presse a occupé les délibérations de la deuxième et de la troisième séance de notre commission. Cette solution est-elle une solution adéquate pour couvrir tout le champ de l'exercice de la liberté de la presse au Québec? J'en doute, encore que cette initiative de nature privée soit fort valable en soi.

Cinquièmement, à l'autre séance, la Société des écrivains et d'autres groupes nous ont fait aborder les problèmes des sociétés générales de presse, des sociétés de rédacteurs, des nouvelles structures de participation des journalistes à la direction des entreprises de presse.

Sixièmement, la diffusion des journaux. Nous nous sommes demandé si l'Etat doit aider à la création de sociétés de diffusion de journaux, s'il doit aider les organisations déjà existantes ou s'il doit animer des structures étatiques ou paraétatiques visant à favoriser le droit à l'information dans les régions sous-développées. L'Etat doit-il envisager d'autres mesures pour favoriser la diffusion des informations des journaux dans les centres éloignés du Québec? Doit-il s'inquiéter du sous-développement régional en matière d'information?

Septièmement, la radio et la télévision, tant du secteur public que du secteur privé. Pour l'instant, cette juridiction appartient au gouvernement central; il n'y a pas de confrontation là-dessus. Mais le gouvernement du Québec, nous sommes-nous demandé, peut-il rester étranger à l'émission de permis d'exploitation des stations privées de radio sur son propre territoire? Le gouvernement du Québec peut-il rester étranger, en vertu de la tradition et de la coutume constitutionnelle qui reconnaît que l'éducation et la culture sont du ressort du gouvernement québécois.

Il y a tout cela que nous avons abordé. Il y a également d'autres secteurs extrêmement importants que nous n'avons pas encore ici étudiés; l'information gouvernementale, par exemple, la place et le rôle de l'Etat dans le mécanisme de la diffusion des informations ses possibilités et également ses limites.

Deuxièmement, les satellites de communication. Comment doivent-ils s'imbriquer dans une politique totale ou une politique globale de l'information?

Troisièmement, les lois pénales et civiles, en matière de délit de presse. Les derniers amendements remontent aux années 1930. Alors les droits du citoyen sont-ils, de nos jours, suffisamment respectés par les lois existantes? Je fais simplement allusion au fameux sub judice et je me demande si, là, c'est tellement compatible avec l'intérêt public.

Autres problèmes que nous n'avons pas abordés: le statut professionnel des journalistes, la presse spécialisée, la presse syndicale, la presse d'affaires et le reste.

Cinquièmement, le prix du papier-journal. Et tant d'autres choses encore. La liste que je viens de donner est, bien sûr, une liste limitative des problèmes qui gravitent autour de la notion de liberté de presse dans les Etats modernes.

Alors M. le Président — et Je termine là-dessus — ayant été à l'origine de la création de cette commission parlementaire sur la liberté de la presse au Québec, grâce, d'ailleurs au bon accueil du premier ministre à la suggestion que je lui avals faite en Chambre le 5 décembre de l'année dernière, il m'apparaît important, à ce stade-ci de nos travaux, de faire la recommandation ou la suggestion suivante — appelez cela comme vous voulez — en espérant qu'elle sera reçue également en bonne part par les autorités gouvernementales.

Il tombe sous le sens commun que les membres de la commission, préoccupés qu'ils sont par leurs responsabilités administratives et politiques, n'ont ni le temps physique, ni les moyens techniques pour aller en profondeur dans un domaine aussi vital pour l'avenir de la société québécoise. La gravité de la question, ces retombées sur l'ensemble des libertés civiles au Québec n'autorisent ni ne permettent, ce me semble, la moindre improvisation. Alors j'ai bien peur qu'au train ou vont les choses, au rythme où s'accumulent les mémoires et que se dessinent les oppositions entre les parties qui viennent témoigner devant nous, il nous sera extrêmement difficile de séparer le bon grain de l'ivraie et de légiférer en pleine intelligence des situations que nous voulons corriger.

En l'occurrence, l'intérêt public nous commande non pas de récuser la légitimité de cette commission parlementaire mais sa compétence et son habileté à établir un minimum de cohérence autour des questions soulevées, l'institution par les autorités gouvernementales du Québec d'une commission nationale, royale ou spéciale d'enquête — trouvez la bonne appellation — au sein de laquelle siégeraient, en permanence, des représentants du public, des associations professionnelles de journalistes et de propriétaires de journaux, comme des associations d'hommes de loi ou autrement. Cette recommandation se profile désormais comme une démarche essentielle à la bonne conduite des travaux que nous avons amorcés et à une recherche en profondeur des solutions qui assureront l'intégrité des intérêts à la fois privés et collectifs qui, à divers titres, animent les mécanismes de diffusion de l'information au Québec.

M. le Président, j'espère que cette suggestion sera reçue aimablement par ceux-là qui, au sommet de la décision politique, sont préoccupés comme nous de répondre à ce qui est

devenu, dans nos démocraties modernes, un des droits fondamentaux du citoyen, le droit à l'information.

M. BERTRAND: M. le Président, je prends note de la suggestion de mon collègue, le député de Gouin. Il a dit que nos travaux étaient superficiels; ça, c'est son opinion. Quant à moi, je trouve qu'il est absolument normal que les séances de cette commission parlementaire nous permettent d'entendre les gens qui sont dans le métier et qui exercent cette profession: les propriétaires de journaux, les journalistes, etc.

Premièrement je pense que c'est une démarche essentielle et, quant à moi, je préfère que nous attendions la présentation de tous les mémoires. Le président vient de m'indiquer qu'il en reste encore quelques-uns. On peut établir une date limite, par contre, pour la présentation des mémoires. Cette commission pourra entendre tous ceux qui l'auront voulu.

Deuxièmement, si la commission n'a pas siégé aussi souvent que nous l'aurions voulu, il ne faut pas oublier une chose, c'est que nos travaux parlementaires ont été ajournés le 13 juin. Depuis cette date, le mois de juillet a été réservé à tous les députés, à leur demande, d'ailleurs, et avec raison, pour ce que l'on appelle la période normale des vacances. De là vient que nous ajournons en juin.

Au début du mois d'août, au moins une dizaine de commissions parlementaires ont travaillé et ont tenu des séances. Il ne faut pas oublier cela, non plus. Il y a des députés qui sont membres, parfois, de deux commissions. On ne peut pas faire siéger les deux commissions en même temps.

Donc, M. le Président, je pense qu'il est important d'entendre ceux qui sont premièrement et directement intéressés à ce problème de la liberté de la presse. Je préfère que nous terminions les séances proprement dites de cette commission, après avoir entendu ceux qui nous présentent des mémoires. Après quoi, nous aviserons. La commission pourra se réunir pour faire une analyse des mémoires qui auront été présentés, des suggestions et des recommandations qui ont été faites.

Le député de Gouin en a cité quelques-unes: institution d'une commission, une régie, un conseil de presse. La commission pourra, à la suite de cela, se former une opinion et présenter un rapport à la Chambre. Elle pourra peut-être, à ce moment-là, accepter la suggestion du député de Gouin et former une commission d'enquête. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il y a eu des commissions d'enquête, dans d'autres pays. Nous avons même demandé aux ex- perts du ministère de la Justice de faire une analyse complète du rapport de la commission d'enquête qui a été formée en Angleterre, il y a à peine quelques années. Alors, est-il nécessaire de multiplier ces commissions d'enquête? La commission parlementaire pourra en juger, mais je pense qu'il vaut mieux attendre la fin de nos travaux. Le président m'indique qu'avec une autre séance, il y aurait sans doute moyen de terminer l'audition des mémoires.

Voilà mon opinion, à ce stade-ci des procédures.

M. LE PRESIDENT: Pour l'information des membres de la commission, vous avez devant vous l'ordre du jour. Il y a un autre groupe qui désire se faire entendre devant cette commission, c'est le groupe des Editions Péladeau.

Ils ont effectivement demandé un mois de délai. Je ne peux pas présumer de la décision de la commission, mais je ne crois pas qu'il soit possible d'attendre un mois pour permettre au dernier groupe de se présenter. Les travaux de la commission durent déjà depuis plusieurs semaines.

Je crois que, si la commission ajournait ses travaux dans une quinzaine de jours, après cette séance qui va durer de 10 h 3. 13 h, il serait possible d'entendre les derniers groupes qui désirent se présenter devant nous. Ainsi, quand les travaux parlementaires recommenceront, le 7 octobre, les groupes qui auront désiré se faire entendre devant cette commission auront pu présenter leur mémoire.

Y a-t-il d'autres remarques de la part des membres de la commission? Sinon, je vais demander au premier des groupes de se faire entendre. Je demanderais au porte-parole — en l'occurrence je crois bien que c'est M. Vigneau — de s'identifier et de présenter ceux qui l'accompagnent afin que le tout soit enregistré au journal des Débats.

M. Régis Vigneau

M. VIGNEAU: M. le Président, messieurs, je vous présente Mme Nicole Blouin-Capt du service de la CEQ, au journal l'Enseignement, et M. Raymond Laliberté, président de la Corporation des enseignants du Québec. J'excuse ici l'absence de M. Noël Pérusse, représentant de la FTQ, qui, à la dernière minute, a été empêché de venir à cette séance.

Le 11 juin dernier, je présentais, au nom de la Fédération des travailleurs du Québec et de la Corporation des enseignants du Québec, un mémoire que je résume très brièvement par sa recommandation principale qui proposait la créa-

tion d'une commission royale d'enquête à cause de la complexité et de la diversité des problèmes de l'information. Il s'agit non seulement du phénomène de monopole ou de concentration de la presse, mais de tout ce qui peut découler des problèmes de l'information.

Devant cette complexité, nous trouvions que seule une commission royale d'enquête serait en mesure de faire le point sur tous ces problèmes.

A la demande de certains membres de votre commission, nous revenons aujourd'hui devant vous — nous vous remercions de nous accorder cette deuxième chance — pour présenter un addendum.

En effet, le 11 juin dernier, on nous avait demandé d'expliquer davantage le genre de travaux que nous aimerions voir confiés à une commission royale d'enquête. Notre addendum étant très court, je me permettrai de le lire en explicitant certains des sujets que nous proposons à cette éventuelle commission d'enquête. Je tiens à faire remarquer ici que ce qui nous importe davantage, ce n'est pas tellement que ces travaux soient faits par une commission d'enquête ou par quelqu'autre organisme, mais c'est qu'ils soient faits. Evidemment, il restera à cette commission et au gouvernement à déterminer à qui on pourrait les confier, mais il nous semble impérieux que ces travaux soient menés à bonne fin afin d'éclairer tout le problème de l'information au Québec.

Premièrement, nous demandions en addendum une analyse comparative — de type « avant-après » — du contenu des journaux qui ont fait l'objet de transactions depuis cinq ans.

Lors de la séance du 11 juin, certains gros propriétaires de journaux ont déclaré qu'il y avait peut-être concentration. En sol, ce n'est pas un mal, nous voulons bien l'accepter, mais je pense qu'il ne suffit pas que des personnes directement intéressées à une entreprise déclarent qu'il n'y a pas de contrainte. Je ne voudrais pas mettre, ici, leur parole en doute, mais je pense que, si l'on veut voir véritablement s'il y a eu contrainte, s'il y a eu changement, il faudrait prendre le temps de faire une analyse de ces grands média d'information, journaux, postes de radio ou de télévision qui ont été l'objet de transactions depuis quelques années et voir si, par exemple, la politique éditoriale de ces journaux, des postes de radio et de télévision a changé, a été modifiée depuis certaines transactions.

Deuxièmement, nous demandions, comme travaux de recherches, des interviews confidentielles de journalistes présentement à l'emploi ou ayant été à l'emploi d'organes d'information qui ont fait l'objet de transaction depuis cinq ans, de manière à mesurer la liberté professionnelle qu'ils connaissent et les contraintes qu'ils subissent.

Là encore, cela nous semble un moyen nécessaire, à notre avis, en tout cas, très intéressant, en interrogeant les journalistes de façon confidentielle de telle sorte qu'ils ne subissent pas les contrecoups de certaines déclarations qui pourraient être ennuyantes pour leur patron actuel, de voir si cesdits journalistes ont été l'objet de pression dans leur travail professionnel depuis un certain phénomène de concentration ou tout simplement de la part de propriétaires, qu'ils soient nouveaux ou anciens.

Troisièmement, une enquête sur les circonstances entourant la démission, l'embauchage, la mutation et la promotion de journalistes depuis les changements de propriétaires ou à l'occasion de ces transactions. Au cours de l'étude qui nous a amenés à présenter notre mémoire, il nous fut donné de rencontrer certains journalistes qui nous ont confié avoir été démis de leur fonction dans certains journaux ou certaines revues à cause de certains articles qu'ils avaient écrits, certains articles qui attaquaient par un certain biais les propriétaires de ces journaux qui étaient également propriétaires d'autres entreprises. Quelle est la vérité dans ces allégations? Nous aimerions voir une commission établir les choses très clairement et voir si, effectivement, certains journalistes ont été démis de leur fonction à cause d'un travail qu'ils ont fait de façon professionnelle, selon eux.

Quatrièmement, nous voudrions voir une étude approfondie sur les structures de pouvoir et de contrôle des diverses entreprises directement ou indirectement propriétaires de plus d'un organe d'information, voir si elles peuvent constituer une menace à la liberté d'information. Nous l'avons dit lors de la présentation de notre mémoire, je vous l'ai rappelé tout à l'heure: Nous ne sommes pas a priori contre la concentration; au contraire, je pense que celle-ci peut apporter des effets bénéfiques à la presse et à toute l'information au Québec. Mais je pense que tout le monde est prêt à admettre qu'une certaine concentration tendant vers un monopole peut devenir un danger pour l'information au Québec. Alors, je pense qu'il faudrait aller assez en profondeur pour voir si certaines concentrations actuelles ne sont pas en fait des monopoles cachés.

Cinquièmement, nous aimerions voir l'établissement d'une grille de la répartition et de la pénétration des organes d'information sur l'ensemble du territoire et par région. Cette recommandation, si vous voulez, découle du pos-

tulat à notre mémoire, qui était le droit du consommateur à l'information. Je pense que c'est, surtout dans notre société moderne, un droit inaliénable, un droit sacré. L'établissement d'une telle grille — remarquez que ce ne serait pas le seul moyen, mais cela nous apparaît un des meilleurs — nous permettrait de voir justement si toutes les régions du Québec bénéficient de ce droit à l'information. Est-ce que les régions excentriques, je pense à certaines régions comme la Gaspésie, je pense à certaines régions comme le Nord-Ouest québécois, bénéficient véritablement de toutes les ressources de l'information? Est-ce qu'elles bénéficient également d'une information véritablement nationale, véritablement internationale? Est-ce qu'elles bénéficient d'une information véritablement objective? Je pense que cette étude que nous demandons est peut-être la plus importante justement pour mesurer le degré, si vous voulez, d'information que reçoivent les régions excentriques de la province de Québec. Il est évident que dans les grands centres urbains, à cause de la multiplicité des organes d'information, le public réussit à avoir une information assez complète. Mais est-ce que le phénomène se présente également dans les régions excentriques? Nous en doutons, et nous aimerions voir une étude poursuivie sur le sujet.

Sixièmement, étude du statut, du fonctionnement et des réalisations d'organismes tels que le Conseil de presse de Grande-Bretagne, et des régimes de gestion d'organes de presse tels que l'Express, le Figaro, le Monde, le New York Times, etc., de même que certaines formules de sociétés coopératives de presse comme en France.

Il existe dans le monde, à l'heure actuelle, diverses formules qui régissent certains journaux ou certains organismes de presse. M. le premier ministre mentionnait, tout à l'heure, la commission d'enquête qui a eu lieu en Grande-Bretagne et l'étude qui a été faite par le ministère de la Justice. C'est là, je pense, un point extrêmement intéressant. Je pense également qu'une telle étude pourrait être menée face à d'autres grands quotidiens, d'autres organismes de presse. Que l'on songe, par exemple, à la coopérative d'achat de papier journal qui existe en France. N'y aurait-il pas des formules coopératives qui pourraient s'inspirer de certaines formules qui existent ailleurs et qui pourraient s'appliquer, s'étendre à d'autres formes, non seulement à l'achat du papier journal mais à d'autres... disons à la régie totale de la presse ou de certains journaux. Septièmement, nous demandons une étude comparative de l'équipement humain et matériel des organes d'in- formation québécois au regard d'autres institutions semblables du Canada et de l'étranger.

Cette recommandation se base sur le deuxième postulat de notre mémoire, à l'effet qu'informer le public sur la situation présente des journaux, c'est déjà faire un très grand pas. Sans penser à faire des lois qui obligeraient les journaux à poser tel ou tel geste, le seul fait d'informer le public sur la situation réelle des journaux qui les desservent serait déjà faire un pas immense dans la bonne voie.

Or, plusieurs personnes nous ont dit que, généralement, au Québec nous souffrions d'un équipement humain et matériel nettement inférieur à certains journaux comparables au Canada. Je pense qu'il est extrêmement important de faire cette étude comparative. Car, l'information, pour être de qualité, doit être servie par un équipement matériel, évidemment, mais également par un équipement suffisant en hommes. Or, si certains journaux — et je pense immédiatement à la recommandation numéro 7, qui est le corollaire de la sixième, étude comparative de l'équipement humain et matériel des organes d'information... je m'excuse c'est au numéro 8, étude de la situation financière des entreprises d'information, plus particulièrement...

M. MICHAUD: Si vous permettez, au sujet du numéro 7, quand vous parlez d'équipement matériel, est-ce que vous avez à l'esprit l'exemple de propriété coopérative de certaines imprimeries, comme cela se voit dans certains pays sous-développés et aussi certains pays développés? La propriété collective des imprimeries. Est-ce à cela que vous vous référez?

M. VIGNEAU: Notamment, nous référions à cela. Il est évident qu'à l'heure actuelle certains — je pense peut-être surtout à certains hebdos de province, même certains petits journaux qui n'ont pas les capacités financières d'avoir un équipement suffisant. Si on pouvait trouver une formule coopérative qui bénéficierait à deux, trois ou quatre hebdos, je pense que cela serait un grand pas de fait. Lorsque nous parlions de société coopérative, nous avions en tête cet exemple que vous venez de suggérer.

M. MICHAUD: L'expérience a été...

M. BERTRAND: Pardon. A l'heure actuelle, qu'est-ce qui pourrait empêcher des propriétaires de petits journaux, surtout en dehors des grandes villes, de former des coopératives? Il n'y a rien dans la loi qui pourrait empêcher ces propriétaires de journaux de grouper leurs

capitaux et ainsi d'avoir un meilleur équipement. Equipement, comme vous le dites, équipement humain et matériel.

M. VIGNEAU: Je pense qu'effectivement, à l'heure actuelle, il n'y a rien qui empêche cela. Mais si on regarde la réalité quotidienne, les problèmes ne sont pas résolus par une association coopérative, mais le sont généralement par l'achat de différents hebdos, qui tombent plus ou moins en faillite, par un propriétaire, qui lui, a les moyens. Ceci tend, si vous voulez, à développer ce phénomène de la concentration en quelques mains. Evidemment, il n'y a rien, Je pense, dans les lois ou la pratique, qui empêcherait ces propriétaires de Journaux de former une coopérative.

Le fait est qu'à l'heure actuelle, le problème ne semble pas se résoudre de cette façon mais beaucoup plus par l'achat de ces hebdomadaires par un propriétaire.

M. MICHAUD: Je voudrais simplement ajouter que l'expérience de la propriété collective des moyens d'imprimerie a été tentée durant l'après-guerre en France, après la libération, et que, finalement, le régime est revenu à la propriété privée, après quelques années.

Il y a encore des exemples de ce type qui existent, je pense, au Ghana, au Sénégal, ou dans certains pays francophones, et finalement, cela débouche ultérieurement. C'est une première démarche, quand il s'agit, je ne sais pas, de balbutier les premiers éléments de la démocratie, là où il n'y en a pas; mais, finalement, cela débouche inévitablement sur une propriété de type privée.

M. VIGNEAU: Remarquez que nous ne recommandons pas, en fait, la création de ces coopératives, nous recommandons l'étude, pour voir si cela pourrait éventuellement rendre service à l'information au Québec. Si, après étude, on s'aperçoit, comme le mentionne le député de Gouin, que là où on a tenté l'expérience, on est revenu à une autre formule, évidemment, je ne vois pas pourquoi nous devrions recommencer les erreurs des autres.

M. BERTRAND: Vous avez, dans certains de nos comtés, trois, quatre hebdomadaires, il y en a dans chacune des petites villes. Ce qui se produit immanquablement, c'est qu'il y en a un qui finit par percer, et les autres viennent à la remorque. Ce qui se produit, c'est la vente. A ce moment, il serait beau- coup plus à propos, par l'éducation des gens de convaincre des propriétaires de journaux qui sont mal pris, de former avec les autres propriétaires de journaux, sur un même territoire, un genre de coopérative.

Il est assez difficile, dans ce cas surtout, d'imposer la coopérative. Je pense que cela ne se fait pas. C'est beaucoup plus par l'éducation des gens. Eduquer dans le sens des coopératives, on retrouve cela dans tous les autres domaines. Vous l'avez dans le domaine agricole. Combien de propagande a été faite pour inviter les cultivateurs à se grouper en coopératives. En certains cas, cela a connu un succès. Mais, en d'autres cas, comme le notait M. Michaud pour les entreprises de presse, dans les entreprises agricoles, on est revenu à la propriété privée.

M. LESAGE: C'est bien humain! M. BERTRAND: C'est cela.

M. LESAGE: L'intérêt étant le mobile des actions, lorsque vous avez fusion, l'Intérêt, c'est beaucoup plus normal, pour ceux qui la font...

M. BERTRAND: C'est cela.

M. LESAGE: ... de le faire sous forme de cartel ou de coopérative, c'est là qu'est le danger.

M. MICHAUD: Avant d'aller plus loin là-dessus, le premier ministre vient de souligner quelque chose d'intéressant. Il parle des coopératives de type agricole, ce qui est quand même limité à un secteur de l'économie québécoise. Mais, si j'ai bonne souvenance, il y a eu quand même une intervention de l'Etat à l'origine de la fondation des coopératives, il y a eu des subventions de l'Etat pour aider. Or, l'Etat est intervenu, si on veut reconnaître...

M. BERTRAND: Oui, oui.

M. MICHAUD: ... la légitimité de son intervention dans le domaine des coopératives on peut également la reconnaître dans le domaine des entreprises de presse.

M. LESAGE: Les coopératives ont souvent de la difficulté. Prenez par exemple cette nouvelle que nous apprenaient les journaux d'hier, à l'effet que la Coopérative fédérée du Québec doit fermer son abattoir de Québec, Legrade, où 170 personnes seront mises à pied.

Vous savez, la centralisation des entreprises me semble un phénomène qui se poursuit constamment. Je me demande ce qu'il y a moyen de faire pour l'arrêter sans brimer d'une façon qui serait peut-être un peu trop draconienne la liberté, la liberté des gens et de la liberté d'entreprise.

M. BERTRAND: A votre connaissance, il n'y en a pas, à l'heure actuelle, de coopérative de presse au Québec? Aucune.

M. VIGNEAU: A notre connaissance, non, mais...

M. BERTRAND: N'y en avait-il pas une dans le domaine de l'imprimerie, une coopérative qui existait à Sainte-Anne-de-Bellevue, Harper's Press n'était-elle pas une coopérative?

M. MICHAUD: C'était de type privé, trois ou quatre propriétaires de journaux, ce n'était pas en vertu de la loi des coopératives.

M. BERTRAND: Ce n'était pas en vertu de la loi...

M. MICHAUD: II n'y a pas dans le domaine...

M. LESAGE: C'est cela qui est la tendance naturelle.

M. LE PRESIDENT: Sur ce point particulier, est-ce que vous avez quelque chose à dire, Me Bureau?

M. BUREAU: Sur ce point particulier, concernant le regroupement des hebdomadaires régionaux, je pense que c'est de cela qu'il est question ici, en particulier. Le phénomène actuellement, ce n'est pas tant l'achat des journaux par un certain nombre de propriétaires de plus gros hebdomadaires régionaux, mais c'est plutôt le fait que les propriétaires d'hebdomadaires régionaux se font imprimer ailleurs, justement parce que leur équipement matériel date de 50, 60, 80 ans.

Us n'ont pas pu le renouveler parce qu'ils n'avalent pas les fonds pour le faire à ce moment-là. Et aujourd'hui, on voit un regroupement des possibilités d'impression dans trois ou quatre grandes imprimeries d'offset de la province de Québec, mais sans transfert de propriété du journal. L'éditeur demeure éditeur, mais il y a aussi des éditeurs-imprimeurs qui fournissent des facilités modernes d'impression aux entreprises d'hebdomadaires régionaux.

M. LE PRESIDENT: Merci.

M. LESAGE: En général, Me Bureau, si je comprends bien, ce sont purement et simplement des contrats d'impression. L'imprimeur lui-même n'a rien à dire dans la direction de...

M. BUREAU: Pas du tout. Ce sont tout simplement des contrats d'impression. Il y a quatre grandes entreprises, à ma connaissance...

M. LESAGE: Il y a le lac Etchemin... M. BUREAU: Le lac Etchemin. M. LESAGE: ... il y a Granby.

M. BUREAU: Granby, Saint-Jérôme et... Enfin il y en a quatre.

M. LESAGE: Oui.

M. BUREAU: Je pense qu'il y a une dans le bout de Victoriaville.

M. LESAGE: J'en connais trois. M. MICHAUD: Péladeau. M. BUREAU: Pardon? M. MICHAUD: Péladeau.

M. BUREAU: Je parle des hebdomadaires régionaux.

M. MICHAUD: Oui, mais il Imprime quelques hebdomadaires régionaux aussi.

M. BUREAU: Mais les grandes concentrations... Peut-être. Je ne suis pas au courant.

Maintenant, les statistiques dont on parle sur l'équipement matériel et sur l'équipement humain sont déjà disponibles pour tout le Canada auprès de la CDNPA, par exemple, pour les quotidiens, et auprès de l'Association canadienne des hebdomadaires pour les hebdomadaires et les revues, les magazines. Je le souligne juste en passant, au cas où cela pourrait intéresser la commission. Tout cela est déjà disponible.

M. LE PRESIDENT: M. Vigneau.

M. VIGNEAU: Je continue. 9. — Mesurer par une analyse de contenu l'état de dépendance des organes d'information à l'endroit non seulement des agences de presse, mais aussi des services de presse pu-

blics, c'est-à-dire gouvernementaux et privés, c'est-à-dire ceux des entreprises et des institutions.

Nous voulons par là noter que certains journaux ou certains hebdomadaires, certains postes de radio ou de télévision, qui n'ont pas, peut-être, les moyens financiers d'avoir leurs propres correspondants, sont très souvent dans un état de dépendance qui nous apparaît, à nous, très grand et peut-être même dangereux vis-à-vis soit de certaines agences de presse, soit également vis-à-vis de certains services de presse du gouvernement, de certains syndicats, de certaines entreprises. C'est ainsi que l'on voit très souvent — on l'a remarqué au cours des quelque derniers jours — certains communiqués de presse passant, par exemple, intégralement, sans aucun commentaire, dans certains journaux, ne portant même pas la mention que c'était un communiqué de presse.

La situation est peut-être beaucoup plus grave encore dans certains hebdomadaires où, à part un editorial généralement très court, la majorité des articles ne sont, en fait, uniquement que des communiqués de presse.

Il y a également tout le problème — cela a déjà été traité, notamment par M. Richard Daigneault de la CSN — d'une agence de presse québécoise. A l'heure actuelle, notre fenêtre sur le monde est une fenêtre soit canadienne, par la Canadian Press, soit américaine, par les agences de presse américaines, soit européenne, par les grandes agences de presse européennes. Serait-il bon que le Québec, par une façon ou par une autre, se dote d'une agence de presse? Nous ne nous prononçons pas sur le sujet. Evidemment, il est très complexe. Nous aimerions voir une commission étudier à fond tout ce problème d'une agence de presse. 10.- Inventaire des possibilités de formation professionnelle et de perfectionnementdes agents de l'information, tant sur les lieux du travail que dans les institutions officielles d'enseignement (établir la proportion des journalistes et des gestionnaires qui s'en prévalent, de même que la part de leur budget consacrée à cette fin par les entreprises d'information).

Autant nous croyons à la nécessité d'un équipement matériel adéquat pour assurer une information véritable, autant, et beaucoup plus encore, nous croyons à la formation des journalistes, des agents de l'information. Nous aimerions voir étudier également ce problème de la formation des agents de l'information. Nous savons qu'à l'heure actuelle, certaines choses se font. Est-ce nécessaire? Actuellement, est-ce que les agents de l'information ont la possibilité — surtout, disons que nous, cela nous touche de près, qui représentons les enseignants — de se recycler? Est-ce qu'il y aurait possibilité d'établir un programme de recyclage pour les agents de l'information? Car nous sommes véritablement convaincus que la qualité de l'information sera égale à la qualité des agents de l'information. 11.- Une enquête sur les associations d'affaires des gestionnaires et sur les revenus d'appoint des journalistes, du point de vue d'éventuels conflits d'intérêt, de même que sur la possibilité de pressions syndicales sur les journalistes syndiqués.

Il existe possibilité — je ne dis pas que c'est vérifié à l'heure actuelle — mais, théoriquement, il existe possibilité de conflits d'intérêts à deux niveaux: Du point de vue des gestionnaires ou des propriétaires de l'entreprise, vu leur association à d'autres compagnies qui n'ont rien 8. voir à la presse, qui pourraient peut-être mettre en doute si vous voulez certaines informations; il existe également le même problème du coté des journalistes. Lors de la rédaction de cet addendum, certaines personnes qui y ont participé ont mentionné par exemple des cas précis, de journalistes qui, à cause de revenus d'appoint... Nous ne sommes pas, en principe, contre les revenus d'appoint ou les « side-lines », comme on dit ici, mais, dans certains cas, cela peut poser des problèmes.

Le problème par exemple, du journaliste qui, étant employé à temps plein par un organisme quelconque et qui se trouve également à être journaliste à temps partiel pour un journal. Disons qu'il ait à couvrir un événement de l'organisme qui l'emploie. Evidemment, cela peut facilement porter à un certain conflit d'intérêts.

M. MICHAUD: Dans la plupart des cas, cette question-là entre dans le mécanisme normal des conventions collectives. Si Je ne m'abuse, je crois qu'il y a des dispositions à cet effet dans à peu près toutes les conventions collectives.

M. VIGNEAU: Effectivement, il y a assez souvent, dans les conventions collectives, des clauses qui prévoient ce genre de cas. Mais disons que dans le passé, à la lumière de certains événements qui Je pensais, pouvaient ê-tre intéressants remarquez, je spécifie encore ici qu'il s'agit d'une liste de projets d'étude et non pas de recommandations comme telles — mais nous pensions, compte tenu des événements passés, qu'il y aurait peut-être lieu de Jeter un peu de lumière sur ces possibles conflits d'intérêts, soit de la part des propriétaires, soit de la part des employés, j'entends ici surtout les agents d'information.

Article 12. Une enquête, notamment par le moyen d'interviews confidentielles de journalistes sur l'influence possible de la réclame commerciale et gouvernementale et autre, sur le contenu rédactionnel des journaux et de la presse électronique.

Là encore, au cours de la préparation du mémoire, nous avons recueilli certaines confidences de journalistes qui nous assuraient avoir été l'objet de pressions de la part de leurs patrons, à cause de certains événements. Je pense à un cas particulier, à un poste de radio — et je le donne sous toute réserve, puisque je ne fais que redire ce qui nous a été dit par quelques journalistes — un poste de radio qui, lors du boycottage entrepris des produits de la compagnie Seven-Up, aurait demandé à ses journalistes de ne faire aucun commentaire à la radio sur ce qui s'est passé à la compagnie Seven-Up, étant donné que cette compagnie annonçait beaucoup à ce poste de radio. Est-ce là uniquement une impression? Est-ce là une vérité? Mais je pense qu'il faudrait, par des interviews confidentielles, essayer de savoir s'il s'agit là d'un fait précis, d'un fait exact. Car, s'il s'avérait que c'est là un fait réel, je pense que ce serait quelque chose de très grave pour l'information.

Treizièmement: Enquête sur la disparition des journaux survenue à la suite de l'augmentation des tarifs postaux. Evidemment, nous savons fort bien que l'augmentation des tarifs postaux ne relève pas du gouvernement québécois, mais du gouvernement d'Ottawa. Mais il est un fait, tout de même : Plusieurs journaux, plusieurs périodiques québécois ont dû disparaître à la suite de l'augmentation des tarifs postaux. Et, pour seul exemple, le journal de la CEQ qui a dû disparaître à cause de l'augmentation des tarifs postaux.

Si une contrainte comme celle-là entraîne la disparition de journaux, je pense que c'est un problème sur lequel une commission pourrait se pencher. Remarquez qu'il ne s'agit pas ici d'engager une lutte constitutionnelle. Ce n'est pas ce que nous avons en vue. Mais peut-être y aurait-il possibilité de trouver des solutions à un problème comme celui-là.

M. MICHAUD: Je pense, là-dessus, que cette question est fort intéressante, et qu'on a là un bel exemple de conflit constitutionnel possible. Evidemment, les postes sont de juridiction fédérale, mais une décision a été prise qui a pénalisé de façon très lourde le mouvement culturel dans le Québec, puisque les journaux ont, en plus, une fonction d'éducation et de culture.

Je pense, là-dessus, qu'il y a des journaux de disparus à la suite de l'augmentation des tarifs postaux. Cela devrait nécessiter une sorte d'action gouvernementale de la part de l'Etat québécois prochainement.

M. VIGNEAU: Une dernière recommandation au sujet d'étude: Enquête sur le phénomène de concentration ou de monopole des hebdomadaires de province et analyse du contenu de l'information et des conditions de travail des journalistes à l'emploi de ces hebdos.

Le problème des hebdos, — et nous en avons parlé à deux ou trois reprises, à la fois dans le mémoire et dans cet addendum, — nous touche de près. A de très nombreuses reprises plusieurs de nos membres, à la fois de la FTQ et de la CEQ, se sont plaints de la piètre qualité des hebdomaires de province. A cela, évidemment, il y a de nombreuses causes. Nous aimerions qu'il y ait une étude poussée sur tout le problème des hebdomadaires de province, qu'il y ait une analyse du contenu de l'information pour voir quelle sorte d'information on donne dans ces hebdomadaires de province. Est-ce que ces hebdomadaires de province donnent uniquement une information locale, une information régionale? Est-ce que, comme Je le mentionnais tout à l'heure, les hebdomadaires de province — pas tous, évidemment, mais plusieurs — se contentent tout simplement de publier intégralement des communiqués de presse? Quelle situation est réservée, dans ces hebdomadaires de province, aux journalistes? Est-ce qu'on leur donne des conditions matérielles qui leur permettent de faire un véritable travail d'information? Nous aimerions voir ce problème des hebdomadaires de province étudié à fond, car cela nous semble un instrument indispensable à l'information, surtout dans les régions excentriques.

M. MICHAUD: Vous parlez de phénomène de concentration et de monopole des hebdomadaires comme si la chose existait déjà. Je ne sache pas — corrigez-moi si Je fais erreur — qu'il y ait actuellement, au niveau de la presse régionale du Québec, des phénomènes concentrationnaires.

MME BLOUIN-CAPT: Là-dessus disons qu'à Montréal actuellement il y a un propriétaire de sept ou huit hebdos qui continue à acheter des hebdos...

M. MICHAUD: Ah! ce sont des journaux distribués de porte à porte?

MME BLOUIN-CAPT: ... des journaux, comme la Pensée de Bagot notamment, le Régional

de Chicoutimi et d'autres journaux. Il achète notamment actuellement les hebdos de province qui sont en faillite ou désirent être vendus.

M. MICHAUD: Ah bon...

MME BLOUIN-CAPT: Il y a actuellement, disons, sept ou huit journaux qui sont entre les mains d'un seul propriétaire, et cela se continue.

M. MICHAUD: Est-ce le seul exemple dans la presse régionale?

MME BLOUIN-CAPT: C'est l'exemple, à ma connaissance, que je peux vous donner.

M. MICHAUD: J'ai été coupé du milieu pendant deux ou trois ans, mais quand j'y étais il n'y avait pas beaucoup de propriétaires qui possédaient plusieurs titres. Le président des hebdos est là. Est-ce qu'il existe une tendance à la concentration, par un même propriétaire, de plusieurs titres d'hebdomadaires régionaux, M. Gagnon?

M. GAGNON: Il y a un cas particulier — je crois que c'est celui auquel Mme Blouin-Capt fait allusion — de quatre ou cinq hebdos qui étaient en train de tomber ou sur le point de faire faillite sauf un, je crois, qui ont été achetés. Si vous prenez, par exemple, les hebdos de quartier, là il y a un phénomène de concentration, un phénomène, qui a toujours existé à Montréal, de journaux de quartier qui appartiennent à un intérêt unique. Mais dans le reste de la province, ce n'est pas le cas actuellement. Je ne sais pas si ça se produira dans quelques années, mais pour le moment ce n'est pas le cas.

M. MICHAUD: Quand vous parlez de journaux de quartier c'est un phénomène tout à fait à part, ça remplit d'abord une fonction publicitaire...

M. GAGNON: ... publicitaire.

M. MICHAUD: ... à l'origine, c'est un véhicule de nouvelles commerciales, comme le prix des denrées, etc. Ce n'est pas considéré, ce me semble, comme étant des journaux bona fide avec un tirage justifié.

M. GAGNON: D'ailleurs, sauf pour trois ou quatre exceptions, ces journaux-là ne sont pas admis dans l'association des hebdomadaires parce qu'ils ne répondent pas aux normes que nous avons.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a des transactions de postes de radio qui ont été associés aussi à ce phénomène de regroupement des hebdos? Est-ce que les deux sont associés, la radio et les hebdos, non?

M. VIGNEAU: A notre connaissance, non, et les interventions de monsieur prouvent que, justement, c'est peut-être un peu flottant, les informations sur ce phénomène-là. C'est pourquoi nous aimerions voir une étude sérieuse entreprise à ce sujet-là. A notre connaissance, il n'existe pas de relation entre les transactions avec les postes de radio et les journaux; mais ce n'est pas certain, parce que nous ne le savons, que ça ne s'est pas fait.

M. GAGNON: Il y a actuellement deux hebdomadaires régionaux, parmi les membres de l'association, dont les propriétaires sont en même temps propriétaires de postes de radio.

M. MICHAUD: Deux sur cent. M. GAGNON: Un à Lévis... UNE VOIX: A La Tuque?

M. GAGNON: Alors ça fait trois. Un à Lévis, un à Matane et un à La Tuque mais je ne suis pas au courant pour cette dernière ville.

M. LE PRESIDENT: M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. BOUSQUET: Pour ma part, je pense qu'il est assez difficile d'empêcher le phénomène de la concentration dans le domaine journalistique comme dans les autres domaines. Par contre, je crois que, comme protection pour le public, il serait très intéressant d'avoir des renseignements sur un certain nombre de points qui sont ici soulevés. Particulièrement, je souligne le premier point: analyse comparative du contenu des journaux. Je généraliserais ici; je ne parlerais pas seulement des journaux qui ont fait l'objet de transactions depuis cinq ans. Je pense qu'il serait intéressant pour le public d'avoir une analyse comparative du contenu de tous les journaux.

J'attire aussi l'attention de la commission sur l'article 5: établissement d'une grille de la répartition et de la pénétration des organes d'information sur l'ensemble du territoire. De même l'article 9 : mesurer, par une analyse du contenu, l'état de dépendance des organes d'information à l'endroit des agences de presse, etc. Un autre article très important, je pense, c'est l'article 12: enquête, notamment par le moyen

d'interviews confidentielles de journalistes, sur l'influence possible de la réclame. Je pense que simplement rendre publics ces faits, ce serait assurer un minimum de protection pour le public et un minimum de liberté pour la presse.

M. LE PRESIDENT: M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. TETLEY: J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre mémoire. Vous avez parlé de plusieurs études. Mais, par exemple, à New-York, il y avait, je crois, presque une vingtaine de journaux, alors qu'aujourd'hui il n'y en a que trois. Apparemment, une des causes de cette diminution a été le salaire élevé exigé par les linotypistes ou « type-setters » et aussi les pratiques syndicales des « type-setters ». Etes-vous en faveur d'une étude des pratiques syndicales des ouvriers qui se trouvent dans les journaux?

M. LALIBERTE: M. le Président, je pense que ce qu'il serait important de vérifier ici, en regard de la suggestion du député, ce n'est pas tant la nature des pratiques syndicales que l'influence des gestes, des mesures, des réclamations et des accords sur le coût de production de tel et tel journal ou de tel ou tel organe d'information. Dans le contexte de la commission d'enquête suggérée à la fois par la CEO et par la FTQ, nous aimerions avoir une vue d'ensemble complète et sérieuse de tous les facteurs, de tous sans exception, qui viennent influencer positivement le phénomène de concentration des organes d'information. Nous n'en excluons pas au départ. Cette liste-ci est une liste de points sur lesquels nous croyons qu'il est urgent de faire des études. Or, nous ne pensons pas que cette commission parlementaire, aussi intéressée qu'elle soit, ait les moyens techniques, matériels et humains de faire cette enquête. Je pense que nous ne pouvons pas répondre sérieusement aux problèmes de l'information au Québec, en 1969, si nous nous contentons de cette seule commission parlementaire. Il faudra des études circonstanciées, mises en relation les unes avec les autres, et il faudra nécessairement déboucher sur les recommandations, sans doute, multiples.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que les membres de la commission ou ceux du groupe qui vient de se faire entendre auraient autre chose à ajouter avant que nous passions au deuxième groupe, qui est la Fédération professionnelle des journalistes du Québec?

M. VIGNEAU: Quant à nous, c'est terminé, M. le Président, et Je vous remercie, ainsi que les membres de votre commission, de nous avoir permis de nous exprimer une seconde fois.

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Vigneau. Je passe maintenant au groupe de la Fédération professionnelle des Journalistes du Québec, dont le porte-parole est M. Gariépy. Pour les fins de l'identification, pour les membres de la commission et aussi pour le Journal des Débats, je demanderais au président, M. Gariépy, de nous présenter ceux qui l'accompagnent.

M. Gilles Gariépy

M. GARIEPY: M. le le Président, messieurs les députés. Tout d'abord, pour répondre immédiatement à la demande du président, je vous présente les membres du bureau de direction de la fédération, qui m'accompagnent ce matin.

D'abord, M. Michel Alloucherie, vice-président général; Mme Lyslane Gagnon, vice-présidente au secteur des quotidiens, Journaliste à la Presse; M. Claude Piché, vice-président à la radio et à la télévision de Radio-Canada; M. Normand Girard, directeur de la fédération pour la région de Québec; M. Marcel Rivard, directeur de la fédération pour le centre du Québec; M. Louis-Gaétan Fortin, directeur pour la région du Saguenay — Lac-Saint-Jean, ainsi que Me Louis Falardeau, secrétaire général, employé à plein temps de la fédération.

M. le Président, je veux, d'abord, au nom de la fédération, remercier la commission d'avoir attendu Jusqu'à ce jour pour nous entendre. Je pense que vous étiez conscients du fait que la fédération est de création récente. Au fait, la fédération a été mise sur pied après l'institution de la commission pour la liberté de la presse. Nous avons tenté, d'abord, de préparer un mémoire dans le but de venir devant la commission, dès le mois de mal ou de juin. Cela n'a pas été possible et ce n'est pas à vous que j'ai à apprendre la complexité du fédéralisme. Etant une fédération, nous devons agir en étroite collaboration avec les éléments composants de la fédération. Cela a nécessité, c'est bien normal, une série de consultations avec les associations membres avant que la fédération soit en mesure d'arrêter son point de vue sur le problème de la concentration.

Notre mémoire est assez long; je n'en ferai pas une lecture textuelle. Si vous le permettez, je vais en faire un survol rapide avec vous. Rappelons, d'abord, que la fédération a été formée à la fin de février, début mars dernier, par les représentants de 23 associations professionnelles ou syndicales de journalistes,

comptant environ 900 membres. La fédération a été mise sur pied, notamment parce que les journalistes étalent conscients d'une certaine incapacité collective à faire face à des phénomènes d'évolution. Si, au Québec, on compte à peu près 1,000 ou 1,100 Journalistes, c'est presque un luxe que nous soyons regroupés en un aussi grand nombre d'organisations. Je pense que la création de cette fédération permet l'étude en commun de problèmes comme ceux qui nous amènent aujourd'hui et permet de véhiculer l'opinion et la connaissance des faits que se font ceux qui exercent ce métier.

Nous avons étudié en toute priorité, le problème de la concentration des entreprises de presse. Nous avons de notre congrès un mandat très large qui nous amène, notamment, à étudier de façon précise le statut actuel de l'Office d'information et de publicité et des questions, comme celle de la reconnaissance du secret professionnel, etc. Ces sujets sont encore à l'étude à la fédération et ils feront l'objet d'un autre mémoire que la fédération espère pouvoir présenter, non pas à la présente commission, nécessairement, mais aux législateurs d'ici quelques mois.

Pour aujourd'hui, donc, ce texte concerne essentiellement le phénomène de concentration. Nous rappelons, brièvement, comment ce phénomène s'articule. Si, d'une part, nous reconnaissons que la concentration n'est pas nécessairement condamnable, et qu'elle peut être un facteur de revitalisation et d'amélioration de la presse québécoise, nous indiquons d'autre part que, surtout par la manière dont elle se fait, elle comporte des désavantages et des dangers possibles. Nous en précisons quelques-uns. D'abord, le fait qu'il ne s'agit pas, ici au Québec, uniquement de la formation de chaînes de journaux, mais de l'intégration, si l'on veut, du secteur des entreprises de presse à l'intérieur de conglomérats ou d'entreprises qui touchent ou contrôlent bien d'autres secteurs de la vie économique du pays.

Cette multiplication des intérêts, disons-nous, constitue un certain danger pour la liberté de la presse, car elle multiplie les points d'où peuvent venir les pressions sur une entreprise de presse soeur.

Nous indiquons, en deuxième lieu, que si nous ne sommes pas en face, à l'heure actuelle — comme il a été établi d'ores et déjà devant cette commission — d'une situation de monopole dans la presse, dans l'information conçue de façon globale, Ù reste que ce mouvement de concentration amène déjà un quasi-monopole dans certains secteurs de l'informa- tion ou dans certaines régions de la province. Nous indiquons en particulier la disparition de la concurrence dans le secteur des grands hebdos d'information générale. Le Petit-Journal et Photo-Journal, qui étaient les concurrents directs de la Patrie, sont maintenant contrôlés par le même homme ou le même groupe d'hommes.

Dernière-Heure, qui avait pour vocation de concurrencer Dimanche-Matin, a été acheté par les propriétaires de ce dernier. Donc, sur le plan de l'information de la fin de semaine, il y a là un monopole, appelons-le de secteur, qui peut être inquiétant en soi. A Sherbrooke, on assiste aussi au rétablissement, d'une façon indirecte, d'un quasi-monopole de l'information qui avait été brisé quelques années auparavant. En effet, la Tribune, CHLT, CHLT-FM et CHLT-TV sont revenus aujourd'hui sous le contrôle du holding de M. Paul Desmarais.

Nous notons également que ne se contentant pas d'acheter ou d'acquérir des entreprises de presse existantes, les entreprises de M. Desmarais créent en outre de nouvelles publications comme, par exemple, Spec ou Télé-Presse qui sont des éléments ajoutés au quotidien La Presse.

Nous mentionnons aussi que l'acquisition récente des entreprises de distribution Eclair par le groupe Desmarais étend la tendance au monopole à un autre secteur vital et constitue un moyen de pression puissant envers les concurrents et les publications nouvelles qui n'ont pas leur propre entreprise de distribution.

Si nous soulignons ces faits — qui ont d'ailleurs été portés à votre connaissance et discutés dans les détails — c'est pour nous demander jusqu'où peut aller le groupe Desmarais dans l'absorption d'entreprises de diffusion. Il est notoire que le groupe a tenté de faire l'acquisition du quotidien Le Soleil. La rumeur a voulu, l'année dernière, qu'il ait étudié la possibilité d'acquérir Télé-Métropole.

Le danger de voir de telles transactions se réaliser semble écarté. Mais pour combien de temps? Voici la question que nous posons: Serons-nous à nouveau mis en face de faits accomplis? Qui empêchera le groupe Desmarais d'acquérir Actualité, Sept-Jours, si cela lui chante, ou Radio-Mutuelle? Il est déjà outrageant à notre avis qu'il ait acquis les Distributions Eclair au beau milieu de l'enquête de la commission parlementaire.

Nous reprenons un peu plus en détail le danger que peut constituer une telle concentration. On pourrait croire, par exemple, que dans la mesure où l'information est faite par

des journalistes dotés de garanties syndicales et professionnelles leur assurant une indépendance vis-à-vis des employeurs, peu importe, en définitive, que plusieurs journaux appartiennent au même homme.

Nous établissons le raisonnement suivant: D'un côté, il est évident que les financiers qui dirigent le groupe en question ne se promènent pas, ciseaux à la main, dans les salles de rédaction. Il ne faut pas voir ce contrôle s'exercer sous la forme d'une censure directe, quotidienne, constante. De telles attitudes se rencontrent aujourd'hui moins souvent, indiquons-nous, bien qu'elles existent toujours. Mais ce n'est pas de cette façon que s'exerce couramment le contrôle de l'information dans les grandes entreprises de presse.

L'employeur— et, jusqu'à présent, lui seul — établit les politiques rédactionnelles de l'information. C'est lui qui, par exemple, décide de publier un cahier sur les loisirs ou sur les spectacles, ou un supplément d'information économique. C'est également l'employeur qui établit le budget de la rédaction ou du service d'information. C'est lui qui décide de constituer un bureau de trois ou de dix journalistes à Québec ou qui décide de ne pas en avoir. C'est lui qui décide que la publication mettra l'accent sur le fait divers ou sur le « feature » neutre, plutôt que sur l'information à caractère social ou politique.

Il s'agit là d'un contrôle fondamental dont les répercussions sont beaucoup plus importantes que celles qu'on connaîtrait à trafiquer ça et là les comptes rendus des journalistes. Il faut également souligner que c'est l'employeur qui embauche les journalistes. Or, la mobilité professionnelle étant particulièrement grande chez les journalistes, il devient facile à l'employeur de constituer en peu d'années un personnel de rédaction qui réponde à sa façon de concevoir l'information.

Nous rappelons également que c'est l'employeur qui choisit les cadres supérieurs des salles de rédaction ou d'information.

Nous ne mettons pas en cause la compétence et l'honnêteté des cadres actuels ou passés des entreprises Desmarais. Nous signalons, quand même, que, de par leurs fonctions — justement, c'est une situation inévitable — les cadres et fondés de pouvoir: des entreprises de presse n'ont, dans les situations de conflit, que le choix de se soumettre ou de démettre.

De tout ceci, nous retenons qu'il est sans doute impossible au propriétaire d'une entreprise de presse de contrôler, de censurer et d'orienter quotidiennement toute l'information livrée au public. Nous signalons, par contre, que l'employeur exerce un contrôle fondamental sur le type, sur la variété et sur l'optique de l'information publiée. Une telle situation peut, en outre, assez facilement se transformer jusqu'à laisser place, en certaines occasions, à un contrôle beaucoup plus direct sur le traitement d'un événement particulier ou d'une situation donnée.

Qu'il suffise de rappeler qu'en 1960 le quotidien La Presse, pour des raisons demeurées insaisissables, a décidé de jouer en faveur de l'Union Nationale, lors des élections provinciales. Le rédacteur en chef, M. Gagnon, était alors en voyage. Au fil des jours, chacun pouvait remarquer la place accordée aux deux partis dans les pages de ce quotidien. Les journalistes couvrant les assemblées libérales voyaient leurs articles réduits pour des raisons techniques. Le choix des manchettes, qu'on pouvait toujours défendre pour des raisons tout aussi techniques, ne manquait pas, lui non plus, de laisser percer certaines préférences.

M. BOUSQUET: Est-ce que vous pensez que l'appui du journal La Presse a beaucoup aidé l'Union Nationale, en 1960?

M. GARIEPY: Pour 1960...

M. BOUSQUET: Est-ce que l'appui du journal La Presse, en 1960, a aidé à la réélection des candidats de l'Union Nationale?

M. GARIEPY: Là n'est pas la question. Je ne mets pas en cause l'influence que cela a eu ou que cela n'a pas eu. Je constate simplement qu'il y a eu tentative de se servir de l'information en faveur d'un parti. Je n'ai pas la prétention de croire qu'un seul quotidien puisse revirer, comme on dit, le corps électoral de la province de Québec

Or, il faut comprendre qu'à cette époque on aurait cherché bien en vain la lettre de directives, l'avis ou la consigne explicite demandant aux journalistes de biaiser l'information en faveur de l'Union Nationale. Les journalistes avaient une convention collective; ils pouvaient recourir au mécanisme du grief, mais attendre des mois avant de se faire donner raison, au besoin, par un arbitre. Il aurait été alors trop tard.

Nous concédons volontiers que pareil tripotage semble, à priori, inconcevable aujourd'hui, notamment dans les entreprises de presse dont nous avons parlé. Mais nous posons la question: Si tous les média importants finissent par tomber aux mains du même groupe, qui pourrait, en une circonstance semblable, empêcher effi-

cacement un tel contrôle de s'exercer? Les journalistes? Oui, peut-être, au prix d'un courage indéfectible, le risque étant ici non pas seulement de perdre un emploi, mais également, étant donné cette concentration, d'être incapable d'en trouver un autre. Il nous paraît — et nous le disons en toute franchise — dangereux de laisser reposer la démocratie sur le seul héroïsme des journalistes.

D'ailleurs, nous le disons, nous n'avons pas l'intention, ici, de faire un procès de cas, d'essayer d'établir si la concentration a produit ou n'a pas produit, à ce jour, tel ou tel type de contrôle, de censure ou d'intervention. Nous constatons tout simplement que c'est un danger en soi. A notre sens, ceci suffit pour qu'une action appropriée soit prise dès maintenant. Car, plus que la liberté d'action des financiers, plus que les traditionnels droits de l'entreprise privée, ce qu'il nous paralï essentiel de préserver et de renforcer, ce sont les libertés démocratiques de la population.

Dans les pages qui suivent, nous établissons une distinction sur le sens de cette expression « liberté de presse », qui est évidemment au centre du débat depuis le début des travaux de cette commission.

On peut concevoir la liberté de presse comme étant une faculté appartenant en propre à ceux qui possèdent les entreprises de presse. D'ailleurs, historiquement, dans la mesure où la liberté de presse était le prolongement de la liberté d'opinion, du droit de parole et ainsi de suite et où la capacité de publier de petites brochures, des journaux d'opinion, etc était beaucoup plus accessible que ce ne l'est aujourd'hui, on pouvait croire, en effet, que la publication de journaux, de brochures ou de livres devait être considérée d'abord comme un prolongement du droit des individus à exercer tel type d'activité.

Aujourd'hui, de nouvelles notions ont fait leur apparition: d'abord, celle de la liberté des informateurs, à mesure que les entreprises ont grossi. Nous disons, quand même, qu'une conception moderne de la liberté de presse se fonde d'abord sur le droit du public à une information complète, beaucoup plus que sur les droits personnels et professionnels des journalistes ou sur les droits des entreprises qui les embauchent.

Nous affirmons que la liberté de publier, au sens où on pouvait l'entendre au siècle dernier, est aujourd'hui un mythe qui souffre comme seule exception la possibilité pour à peu près n'importe qui de fonder une petite revue idéologique dont la survivance dépend surtout de l'ardeur, de l'engagement idéologique et du bénévo- lat. Nous constatons aussi que la liberté de publier est limitée par la liberté de vendre ou de diffuser. La distribution compte pour beaucoup dans le coût d'une publication, et des entreprises de distribution peuvent, pour quelque raison que ce soit, refuser de distribuer une publication donnée.

Une autre façon de contrôler la liberté de publier peut être tout simplement l'application arbitraire de règlements municipaux qui exigent des permis, lesquels n'existent pas, ainsi de suite, ce qui fait qu'on permet la distribution dans les rues, par camelots, de certains journaux alors qu'on réprime celle d'autres Journaux.

Nous ne demandons pas au gouvernement de rétablir une situation où la liberté de publier et d'avoir un journal serait à la portée de tous et chacun, bien entendu.

M. LEVESQUE (Laurier): M. Gariépy, il y a une chose qu'on devrait savoir, mais que pour ma part j'ignorais. A la page 11, dans le paragraphe que vous venez de résumer, vous dites que le permis n'existe pas. A plusieurs reprises — je n'ai jamais vérifié quant à moi — il y a eu des interruptions par la police ou par des services...

M. GARIEPY: A Montréal, en particulier...

M. LEVESQUE (Laurier): ... oui, je parle de Montréal... de distribution de journaux, soi-disant parce qu'on n'avait pas de permis. Mais en fait, vous dites que le permis n'existe pas. Est-ce que cela veut dire que si quelqu'un le demande, pour des raisons qui sont légitimes, Je veux dire qui n'ont rien à voir avec la subversion ou la pornographie ou quoi que ce soit, le permis n'existe pas?

M. GARIEPY: Exactement. Il y a un règlement municipal... Remarquez que je crois que cette cause est d'une façon ou d'une autre devant les tribunaux. Je ne veux pas m'aventurer dans les détails, mais pour autant que Je me souvienne, il y a un règlement municipal qui interdit la vente de quoi que ce soit sans permis, pas plus des fleurs pour mettre à la boutonnière que des journaux. Ainsi, du simple fait que vous vendez des Journaux dans la rue, vous avez besoin d'un permis. Mais si vous allez à l'Hôtel de ville et demandez un permis pour vendre des journaux, on vous répond que cela n'existe pas. Ce qui fait que c'est une situation compliquée.

M. LEVESQUE (Laurier): Alors, c'est tout simplement par tolérance.

M. GARIEPY: Voilà, mais c'est arbitraire puisque la Gazette, Montréal-Matin, le Devoir sont distribués, rue Sainte-Catherine et à presque toutes les intersections importantes de la ville, dès 11 heures le soir, et si les hippies — quoi qu'on en pense, on peut les aimer ou ne pas les aimer, mais ils ont sans doute droit de publier un journal — ou les indépendantistes ou d'autres gens s'avisent d'essayer de vendre des journaux au coin des rues, on applique le règlement du permis.

Nous sommes conscients que beaucoup sont opposés, au départ — et c'est d'ailleurs, chez les journalistes eux-mêmes une vieille tradition — à toute forme d'intervention de l'Etat dans le domaine de la presse. Cette plainte se fonde probablement sur le fait que c'est souvent contre l'Etat que la presse a conquis son indépendance et qu'encore aujourd'hui, dans certains pays, c'est ce pouvoir qui menace la liberté de la presse.

Nous ne souhaitons pas, évidemment, un contrôle étatique sur l'information des citoyens. Par contre, nous ne trouvons pas plus admissible qu'un groupe d'hommes contrôlant déjà une large portion de l'activité économique soient autorisés à contrôler l'information du public. Remarquez que j'emploie contrôler toujours au sens où on l'expliquait tantôt. Il ne s'agit pas d'un contrôle de la pièce, de la ligne, de l'article et du titre. Il s'agit d'un contrôle global, si on veut, de la sorte d'information qui est distribuée au public.

Il est reconnu, de nos jours, dans les démocraties modernes, que l'Etat est le défenseur du bien commun et qu'il doit intervenir quand l'intérêt public l'exige. Si les journalistes déplorent toute intervention de l'Etat qui brime la liberté de la presse, ils souhaitent que l'Etat intervienne énerglquement quand il s'agit de la protéger.

Les premières audiences nous ont donné l'impression que plusieurs membres de la commission parlementaire semblent craindre comme la peste l'intervention de l'Etat et préféreraient de beaucoup, à une forme où à une autre d'intervention de l'Etat, qu'employeurs et journalistes s'entendent pour la repousser et pour régler entre eux leurs propres affaires par le moyen d'un conseil de presse au autrement.

Nous reviendrons plus loin sur notre opinion quant au projet de conseil de presse. Nous réaffirmons à ce moment-ci que les journalistes sont convaincus que la liberté de la presse est un droit qui appartient d'abord aux citoyens et non plus seulement aux journalistes et aux propriétaires de journaux. Devant un phénomène comme celui qui se produit au Québec, non seulement l'Etat est-il celui qui peut le mieux pro- téger les citoyens, mais il est surtout celui qui en a le devoir. Nous n'accepterions pas pour autant n'importe quelle forme d'intervention de l'Etat. Si intervention de l'Etat veut dire, par exemple, que le gouvernement préfère diffuser directement ou plus ou moins directement au public une information préparée par ses propres agents sans que le citoyen puisse bénéficier du travail des journalistes, travail d'enquête, de recherche, de vérification, d'analyse critique, l'Etat interviendrait alors directement dans le processus même de l'information des citoyens.

Ce genre de raccourci ou d'intervention sur le contenu même de l'information est à proscrire et, bien entendu, nous ne l'accepterions pas.

Mais si un gouvernement devait empêcher que tous les grands hebdos et que tous les quotidiens du dimanche tombent sous le contrôle des mêmes financiers, il ne brimerait pas la liberté de la presse mais, au contraire, il la protégerait, même en limitant ou en restreignant le fameux droit de publier. Et c'est là un rôle qui peut et qui doit échoir à l'Etat, même si cela bouscule certaines répugnances naturelles bien compréhensibles.

Ensuite, nous reconnaissons que le rôle de l'Etat est avant tout supplétif dans cette matière. Les journalistes, les éditeurs et le public ont un rôle fondamental à jouer. De nos jours, dans la situation qu'on sait, on peut se demander si les éditeurs, les journalistes, le public peuvent, à eux seuls, assurer la liberté de la presse.

Nous donnons quelques objectifs que l'Etat pourrait se fixer en considérant une forme d'intervention possible.

Le premier rôle serait de veiller à ce que tous les citoyens puissent se procurer une information honnête, complète et diversifiée, et cela dans les diverses régions; s'assurer que l'émergence de nouvelles entreprises de presse, qui répondent à un besoin public, soit toujours possible. Autrement dit qu'il n'y ait pas un blocage systématique de l'évolution ou du mouvement dans les journaux; s'assurer aussi que le public soit servi par des moyens d'information qui reflètent bien la réalité culturelle du Québec. Des mesures doivent être prises, affirmons-nous, pour éviter que la presse soit accaparée par des intérêts extra-nationaux.

L'Etat doit protéger la liberté des informateurs afin que les citoyens ne soient pas victimes de pressions de toutes sortes qui peuvent s'exercer sur les journalistes.

L'Etat doit s'assurer enfin que les entreprises de presse comprennent leur rôle de service public et toutes ses exigences. Cela

suppose qu'elles ne peuvent exister pour la simple raison de faire de l'argent mais qu'elles ont aussi le devoir de fournir au public une information de qualité.

Dans les pages qui suivent, nous nous sommes interrogés sur les modes possibles d'intervention de l'Etat. L'existence même de cette commission est une forme d'intervention de l'Etat au niveau de l'information et de l'enquête.

L'Etat peut intervenir par l'Assemblée nationale, par des lois, par le conseil des ministres, par des commissions ou des régies, par des recours aux tribunaux et ainsi de suite.

Nous avons, à la Fédération, examiné les diverses possibilités, constaté par exemple que l'intervention sous la forme, disons, de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, étant donné la faiblesse et l'inefficacité de la loi canadienne actuelle, permet peu de recours ici même, au Canada.

Nous signalons aussi que cette forme d'intervention qui existe aux Etats-Unis, par exemple, où on peut casser les transactions en invoquant que telle transaction ou tel achat peuvent conduire à une situation, sinon de monopole, du moins dangereuse pour la libre concurrence et ainsi de suite, si elle est séduisante, quand on sait l'usage qui en a été fait dans certains cas aux Etats-Unis, nous semble quand même illogique, jusqu'à un certain point, puisqu'elle laisse des abus se créer pour tenter de les réparer ensuite, avec tous les retards dus aux aux lenteurs de l'appareil judiciaire.

Enfin les lois qui assurent la libre concurrence de l'ensemble des entreprises sont loin d'assurer nécessairement plus spécifiquement la liberté de la presse. Dya beaucoup d'autres conditions à remplir pour que la liberté de la presse soit possible, que la concurrence pure et simple existe entre les entreprises de presse.

Malgré toutes ces réserves, nous croyons que l'Etat québécois devrait tenter, et immédiatement, de se servir de la loi fédérale existante pour ramener la situation à la normale en corrigeant les abus qui se sont déjà produits et qu'une intervention positive du gouvernement québécois ne pourrait corriger. Nous voulons parler de trois cas en particulier où une intervention s'impose afin de faire respecter le droit des citoyens à l'information: à notre sens, il faut briser le monopole des quotidiens du dimanche, celui des grands hebdos d'information générale — la Patrie, le Petit Journal, etc, — et le quasi-monopole de l'information qui renaît présentement à Sherbrooke.

Mais, pour le reste, nous affirmons préférer de beaucoup les formes positives d'intervention.

Ces formes positives d'intervention sont nombreuses. Nous allons tenter de dégager celles qui nous paraissent les plus souhaitables.

L'Etat pourrait faire des lois, disons-nous, générales pour assurer la mise en oeuvre des objectifs que nous avons décrits plus haut. Ces lois seraient, comme toutes les lois ordinaires soumises à l'application des tribunaux. Tout individu pourrait se plaindre d'une infraction et mettre ainsi en marche l'appareil judiciaire qui aurait à décider s'il y a effectivement infraction. De telles lois pourraient, par exemple, défendre les transactions pouvant créer une situation de monopole, défendre que certaines entreprises de presse soient acquises par des intérêts extranationaux, etc.

Cette forme d'intervention ne nous paraît pas souhaitable à cause des défauts qu'elle comporte, car ces lois, même si elles sont de nature préventive, sont toujours de caractère négatif. Elles défendent certaines choses qui sont incompatibles avec la liberté de la presse mais n'agissent aucunement pour créer une situation où la liberté de la presse puisse exister. Il y a aussi la lenteur des tribunaux et l'absence de discrétion dans leur jugement qui rend de telles lois difficilement applicables.

Pour remédier à ces défauts, le législateur moderne a créé des commissions ou des régies — il en a d'ailleurs déjà été question au cours des audiences précédentes de la commission — dont le rôle est d'administrer une loi très large, écrite en termes plutôt généraux, en édlctant des règlements et en présidant à leur application. Les membres de telles commissions ou de telles régies jouissent d'une plus grande discrétion dans l'adoption des règlements et dans leur application. De plus, il est reconnu que les délais entre la plainte et la décision sont beaucoup moins longs. Enfin, ces organismes peuvent avoir un deuxième rôle, positif celui-là, qui pourrait, dans le cas qui nous occupe, être celui de favoriser la création d'une situation de liberté de presse dans une région particulière, au besoin.

Nous demandons à la commission parlementaire d'envisager la création d'une commission de la liberté de la presse, structurée à la manière d'une régie. Il faudrait évidemment que sa création soit précédée d'une étude sérieuse, faite avec tous les intéressés, des domaines dans lesquels elle devrait intervenir, de ses modes d'intervention et des moyens de contrôle de sa réglementation. Il nous semble évident que cet organisme devrait avoir un statut qui le rende libre de toute influence indue de la part du gouvernement, que le choix de ses membres devrait se faire selon un procédé qui assurerait leur honnêteté et leur compétence et que son seul

rôle serait de servir le bien commun et d'assurer le droit des citoyens à l'information.

Un organisme du même type, soulignons-nous, existe déjà d'ailleurs dans le domaine de l'information. L'expérience a démontré qu'il a su assurer le droit du public à l'information sans donner lieu à l'ingérence gouvernementale dans ce domaine. Nous voulons parler du Conseil de la Radio-Télévision canadienne dont le rôle est Justement, en donnant des permis, en délimitant des territoires, en édictant même des normes de contenu, d'assurer une meilleure information aux citoyens.

La commission devrait Jouer un rôle correspondant, compte tenu des différences entre la radiodiffusion et la presse en général, mais sa juridiction devrait s'étendre à tous les média d'information couverts par la compétence constitutionnelle du Québec.

A titre d'exemple, nous citons maintenant quelques-uns des rôles qui pourraient être ceux de la commission.

En premier lieu, approuver tout transfert de propriété d'une entreprise de presse tombant sous sa Juridiction.

En second lieu, réglementer la distribution des publications tombant sous sa juridiction et distribuées sur le territoire québécois. La commission devrait également trouver des moyens pour favoriser la distribution à prix modique des petites publications, de même que la distribution efficace des publications d'intérêt général dans les régions éloignées. A cet effet, il faudrait étudier, s'il y a lieu, la création d'une entreprise publique ou mixte de messagerie.

Troisièmement, la commission devrait réglementer la publicité dans les média d'information afin de faire disparaître ou d'empêcher des pratiques qui pourraient mener à un monopole des revenus publicitaires et faire disparaître des entreprises de presse de moindre envergure, mais répondant à un besoin.

Enfin, la commission pourrait étudier la suggestion du professeur Lavoie relative à la création d'une régie du papier-journal et se demander si une réglementation du papier-journal serait de quelque utilité pour le bon équilibre des entreprises de presse.

On pourrait concevoir que la commission de la liberté de presse que nous suggérons n'ait Juridiction que sur les publications pouvant être définies comme « mass-média », à l'exclusion, donc, des bulletins de liaison d'entreprises, de corps publics, de syndicats, des publications dont la périodicité est moindre que mensuelle, des publications à caractère national dont le tirage est inférieur à 10,000 exemplaires et des publications à caractère local ou régional dont le tirage est inférieur à 2,000 exemplaires. Ceci, bien sûr, à titre d'exemple, simplement pour indiquer qu'il ne s'agit pas de réglementer toute chose qui est publiée dans la province sous une forme périodique, mais essentiellement les « mass-média ».

M. le Président, j'ai déjà pris beaucoup de temps, et je m'en excuse enfin. Très brièvement, nous signalons que, s'il est important de préserver, par exemple, au moyen de la création d'une telle commission, l'équilibre entre les entreprises de presse, nous croyons aussi que les garanties dont jouissent présentement les informateurs ou les Journalistes à l'intérieur des entreprises de presse ont besoin d'être renforcées. Nous affirmons que le syndicalisme, les conventions collectives ont déjà procuré aux Journalistes d'excellentes garanties. Nous faisons remarquer toutefois que, pour des raisons faciles à comprendre, peut-être 35% ou 40% des journalistes de la province sont actuellement syndiqués; il y aurait peut-être lieu d'envisager d'étendre par voie législative, à l'ensemble des journalistes, certaines garanties couramment accordées par les conventions collectives, et nous en citons quelques-unes. Enfin, nous traitons du droit du public à l'information. En bref, nous sommes conscients — nous l'avons affirmé déjà à quelques reprises dans ce mémoire — que ce qu'il s'agit surtout de préserver, ce n'est pas la liberté d'entreprise sous un mode absolutiste ni les droits des Journalistes, sous quelque mode absolutiste que ce soit là encore, mais, bien plus fondamentalement, le droit du public à l'information. Nous signalons que la fédération étudie avec intérêt la création possible d'un conseil de presse en collaboration avec les principales associations patronales de presse. La fédération ne croit pas pour autant qu'un tel conseil constituerait un remède à tous les maux qui peuvent affliger la presse. Rappelons d'abord que l'idée d'un tel organisme a toujours été associée au Québec à la nécessité d'un contrôle de l'éthique de la presse et des journalistes.

Rappelons aussi que, même si le British Press Council a été créé sur la recommandation d'une commission qui enquêtait sur la concentration des entreprises de presse, il s'est peu occupé de la question typique de la concentration des entreprises de presse et a été beaucoup plus actif dans le domaine de l'éthique Journalistique. D'ailleurs, le projet à l'étude en ce moment ne donne pas de façon précise au conseil de presse d'instruments pour lutter contre la concentration. Le principal défaut d'un conseil de presse comme solution au phé-

nomène de la concentration nous paraît, toute-fols, s'articuler autour de deux caractéristiques d'un conseil de presse comme celui qui vous a été exposé au cours de séances antérieures.

Premièrement, ce conseil de presse n'aurait aucun pouvoir coercitif.

Deuxièmement, dans le cas de la concentration, le conseil de presse, comme bien du monde, serait mis, tout simplement, devant les faits accomplis. Quand on sait, par exemple, que des intérêts concurrents ou rivaux se précipitent à quelques heures ou à quelques Jours d'avis pour acheter telle entreprise de messagerie qui était à vendre ou tel journal et ainsi de suite, il paraît inconcevable qu'on vienne demander au conseil de presse si on pourrait acheter tel autre journal. Que le conseil de presse commence à étudier un ou deux mois après l'acquisition des entreprises Communica, par exemple, par le groupe Desmarais, si c'était bon ou mauvais, et que quatre ou cinq mois plus tard il dise: C'est dangereux, Je ne vols pas concrètement quelle garantie cela peut représenter. Le conseil de presse, toutefois, n'est pas pour nous un projet vain. Le projet de conseil de presse qui vous a été présenté laisse entendre que ce conseil aurait un rôle important à jouer, par exemple, dans le domaine de l'éthique professionnelle, dans l'amélioration des normes qualitatives de l'information et de la publicité, dans la connaissance des situations de la presse, d'enquêtes sur les situations de la presse et ainsi de suite.

En conséquence, la fédération, sans avoir pris de position définitive sur le conseil de presse peut préciser, actuellement, où il se situe face à un projet comme celui-là. Moralement, il existe une présomption certaine que la fédération s'intéresse au projet de conseil de presse et est intéressée à ce qu'un tel conseil voie le Jour. Je parle de présomption, parce que disons que cela s'est présenté comme suit: Avant la naissance de la fédération, il y a eu une tournée d'animation et de consultation régionale qui s'est étendue pendant plusieurs mois, et un des arguments qui ont mené à la formation de cette fédération, c'est qu'il n'y avait personne pour servir d'interlocuteur possible aux employeurs, si jamais un projet comme celui du conseil de presse était constitué. C'était un des arguments, pas le seul, bien entendu.

Deuxièmement, au congrès de fondation de la fédération, nous avons, comme bureau de direction, eu mandat de reprendre les pourparlers laissés en plan il y a quelques années par L'UCJLF, l'Union canadienne des journalistes de langue française, et l'ACSJ, l'Alliance canadienne des syndicats des journalistes, avec les mêmes associations patronales au sujet du conseil de presse. Nous avons établi quelques contacts, nous avons eu, notamment la semaine dernière, une séance de pourparlers d'une journée, à titre exploratoire. On peut donc parler de présomption favorable, si on veut, au projet de conseil de presse. Mais, si on insiste sur le mot « présomption », c'est que le projet a besoin d'être encore discuté. Le projet a besoin d'être soumis à l'ensemble des journalistes, discuté dans les régions et dans les associations. Le projet a besoin, aussi, d'être sanctionné par un mandat formel du congrès de notre fédération avant qu'on puisse dire: La fédération est prête à signer la constitution d'un conseil de presse.

Voilà donc — en m'excusant, encore une fois, du temps que j'ai mis à expliquer ce mémoire — l'essentiel de la position de la fédération. Nous disons, d'une part: II n'y a pas un monopole, la situation n'est pas dramatique, ainsi de suite. Nous disons quand même que la tendance à la concentration a amené des monopoles partiels qui, croyons-nous, n'auraient probablement pas été tolérés en vertu de la législation américaine. Je pense aux quotidiens du dimanche en particulier. Nous croyons, d'autre part, que, pour l'avenir, ce qui est important, ce n'est pas tellement d'Intervenir de façon judiciaire ou d'essayer d'utiliser des lois antitrusts qui ne collent pas, nécessairement, à l'ensemble des réalités de la presse. Nous pensons qu'une commission comme celle que nous vous suggérons est tout à fait compatible avec les libertés démocratiques et est en mesure non seulement d'empêcher que des abus se commettent au niveau de la concentration, mais, surtout, en mesure de favoriser positivement l'évolution et l'amélioration des entreprises de presse au Québec. Je vous remercie.

M. MICHAUD: M. Garlépy, au sujet de la recommandation principale de votre mémoire, à savoir la création de la commission d'un type de régie, est-ce que vous avez prévu des mécanismes d'appel, en fonction des décisions qui seraient rendues?

M. GARIEPY: Qui seraient rendues par la régie?

M. MICHAUD: Oui.

M. GARIEPY: Précisons que, sur le nombre de membres de la régie, sur la façon exacte dont elle répondrait au Parlement, par l'Intermédiaire de quel ministre, et ainsi de suite, et sur une question comme celle que vous mention-

nez, nous ne sommes pas allés jusque-là, pour plusieurs raisons, mais, en particulier pour celle-ci: c'est que nous ne croyons pas être en mesure, à ce moment-ci, de présenter un canevas de projet de loi de régie, mais simplement d'indiquer à la commission une voie d'action possible.

Vous avez sans doute remarqué que nous n'avons pas, pour notre part, recommandé, dans le texte du mémoire, la constitution d'une commission royale d'enquête. Nous ne sommes pas opposés à la tenue d'une commission royale d'enquête sur l'information, nous y verrions beaucoup de bénéfice possible, en termes de connaissance, en profondeur, des situations. Mais nous croyons quand même que, venant devant une commission d'enquête, on devait avoir quelque chose, une orientation déjà précise à indiquer, même si elle n'est pas absolument définitive et si elle n'est pas détaillée comme elle aurait pu l'être.

Nous indiquons que la création d'une telle régie ne pourrait pas se faire comme cela, en quelques semaines. Elle devrait être précédée d'études sérieuses, ce qui peut être une commission royale d'enquête, cela peut aussi être une autre forme d'étude sérieuse, avec tous les intéressés.

Bien sûr, il faudrait — je sens la préoccupation derrière votre question — éviter qu'une régie, aussi bien constituée qu'elle soit, devienne en elle-même une menace, disons, qui se subsis-tuerait à d'autres menaces que nous voulons écarter.

M. MICHAUD: Mais, dans votre esprit, il ne répugnerait pas au groupe que vous représentez que des mécanismes d'appel soient institués?

M. GARIEPY: Bien sûr que non.

M. BOUSQUET: Dans le cas du conseil de la radio et de la télévision canadiennes que vous donnez comme modèle, est-ce que vous pouvez affirmer que l'un des objectifs de ce conseil était justement d'empêcher l'établissement de monopoles? J'en doute personnellement, parce que je crois que, dans certains territoires du pays, dans certaines régions du pays, il existe justement un monopole de fait dans le domaine de la radio et de la télévision.

M. GARIEPY: Bien sûr, nous sommes conscients que le contexte technique et historique entre la radiodiffusion et la presse écrite n'est pas le même. Lorsque nous sommes opposés au monopole, cela ne veut pas dire de façon absolue que, là où il y a seulement de la place pour un poste de radio ou un journal qui aurait de toute façon beaucoup de difficulté à vivre, étant donné, par exemple, le peu d'importance numérique de la population, il faut absolument en avoir deux, inviables, plutôt qu'un.

Je veux dire que nous ne sommes pas absolus. L'information du public, cela suppose quand même qu'il y a des moyens de qualité aussi. Il y a diverses valeurs à pondérer et à mettre en relation les unes avec les autres, il faut que le citoyen soit informé. C'est quand même essentiel. Il faut aussi qu'il y ait concurrence, que le citoyen ait le choix. C'est sûr. Mais, justement, l'intérêt d'une régie est de pouvoir juger sur pièces, sur un dossier et en fonction de circonstances bien précises, propres à certaines régions ou à certains milieux, de ce qui est préférable pour assurer au mieux l'ensemble des valeurs en cause.

Si, par exemple, la commission de la presse, dont nous suggérons la création, était instituée et recevait une demande de transaction de huit, neuf ou dix hebdomadaires régionaux qui voudraient se mettre en « pool », se fusionner pour disposer, par exemple, d'un correspondant à Québec, ou ainsi de suite, si l'intérêt du projet est grand, à savoir de permettre de renforcer le potentiel d'information de ces publications, si cela ne présente pas de danger sur le plan d'un monopole ou de la concentration, il n'est pas dit que cette commission aurait pour rôle de dire non tout le temps. Mais cette commission, plutôt que de laisser le simple jeu des forces naturelles, des forces de l'argent, fonctionner seules et sans contrôle, pourrait intervenir mais non sur le contenu des journaux. Le conseil de la radio et de la télévision — le député en parlait tout à l'heure — va jusqu'à édicter certaines normes de contenu, par exemple, le pourcentage du contenu canadien et ainsi de suite. Nous n'allons pas jusque-là. Nous n'allons pas jusqu'à suggérer, par exemple, que les entreprises de presse demandent un permis pour avoir le droit de publier un journal.

On pense quand même que là où le bât blesse: les transactions, la distribution, les ententes ou pools de publicité, en somme l'appareillage qui soutient l'information, c'est là, à notre sens, qu'un contrôle préventif, démocratique, exercé en pleine lumière et au nom de l'intérêt public peut s'exercer et assurer un meilleur équilibre.

M. LESAGE: Votre régie, M. Gariépy — c'est-à-dire la régie que vous suggérez avec beaucoup de réserve — aurait un rôle qui serait beaucoup plus qu'administratif. En effet, à vous entendre parler, vous semblez vouloir lui laisser le soin de porter un jugement sur des droits fondamentaux. C'est bien cela?

M. GARIEPY: De porter un jugement sur des droits fondamentaux?

M. LESAGE: Bien sûr. Parce que vous venez d'expliquer...

M. GARIEPY: Oui.

M. LESAGE: ... qu'il appartiendrait à cette régie — du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre — de décider si, dans tel ou tel cas, telle ou telle transaction constituerait un danger pour la liberté de la presse.

M. GARIEPY: C'est cela.

M. LESAGE: C'est beaucoup plus qu'administratif.

M. GARIEPY: Oui.

M. LESAGE: Vous auriez donc un corps quasi judiciaire qui serait appelé à rendre des décisions en regard de principes fondamentaux et non pas en regard d'une réglementation.

M. GARIEPY: Oui.

M. LESAGE: La plupart des régies rendent leurs décisions en vertu des lois et de la réglementation, les décisions sur les questions de principe étant laissées à d'autres ordres de tribunaux ou à d'autres corps démocratiques.

M. LEVESQUE (Laurier): Sauf dans le domaine de la radio-télévision.

M. LESAGE: Oui, mais c'est quand même de la réglementation.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, mais...

M. LESAGE: Pensez-y, c'est de la réglementation.

M. LEVESQUE (Laurier): Prenez le cas de Famous Players, à Québec ou ailleurs...

M. LESAGE: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): Le groupe Famous Players. Il y a de nouvelles règles de jeu, je pense, dans la Loi de la radio-télévision, maintenant.

M. LESAGE: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): Il y avait, dans le livre blanc du fédéral, qui n'a pas été appliqué d'ailleurs, une recommandation qui rejoint une des recommandations du groupe des journalistes à l'effet, justement, d'éviter, d'empêcher ou de briser les monopoles régionaux. Cela n'a pas été incorporé dans la nouvelle loi de la radiotélévision. Alors, ils ne peuvent pas agir.

M. LESAGE: Cela ne l'a pas été?

M. LEVESQUE (Laurier): Par ailleurs, pour ce qui est des transactions dont on parle...

M. LESAGE: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): ... et des changements de propriété, on a vu, entre autres, sous les nouvelles règles qu'ils appliquent maintenant, le groupe de la radio-télévision, la commission — je ne sais pas comment ils l'appellent maintenant — le bureau, en tout cas, bloquer, comme vous le savez...

M. LESAGE: Oui, mais...

M. LEVESQUE (Laurier): ... le camouflage que Famous Players voulait faire dans un nouveau « holding » de sa propriété américaine. Et ils les ont renvoyés devant leurs dossiers, en disant: Cela ne suffit pas. Allez vous arranger autrement.

M. LESAGE: Non, mais c'est en vertu de...

M. LEVESQUE (Laurier): C'est ce que vous appelez des droits fondamentaux.

M. LESAGE: ... règles écrites.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui.

M. LESAGE: C'est cela, la distinction.

M. LEVESQUE (Laurier): C'est-à-dire non. Ils interprètent les règles écrites, je crois.

M. LESAGE: Ils ont des règles écrites.

M. LEVESQUE (Laurier): La loi de la radiotélévision, je crois, donne à ce bureau nouveau, comme à l'autre d'avant, d'ailleurs, mais peut-être de façon plus précise, le droit de se prononcer sur des transactions de ce genre. A partir de là, c'est à eux de décider, je crois.

M. LESAGE: Je pense qu'il y a des règles écrites.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui.

M. LESAGE: C'est la grande difficulté, justement, à cause de la différence qu'il y a entre la presse écrite et les moyens électroniques.

M. LEVESQUE (Laurier): Ah là, c'est autre chose.

M. LESAGE: Une différence sur laquelle M. Gariépy a d'ailleurs attiré notre attention.

M. LEVESQUE (Laurier): Mais la différence...

M. LESAGE: Il est plus difficile d'avoir des règles écrites pour ce cas de la presse écrite, me semble-t-il.

M. GARIEPY: Enfin, elles reposeraient sur...

M. LESAGE: Ce sont des questions que je pose.

M. GARIEPY: Oui, bien sûr.

M. LESAGE: Je ne me prononce pas, M. Gariépy.

M. MICHAUD: De là, la nécessité d'avoir des appels, bien sûr, si cette nouvelle structure administrative a un caractère quasi judiciaire.

M. LEVESQUE (Laurier): Par ailleurs, n'y a-t-il pas une chose fondamentale... Ce que le chef de l'Opposition évoquait, c'est, en fait, un contexte traditionnel et je crois que le mémoire l'évoque.

M. LESAGE: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): On marche encore un peu avec des concepts où la liberté de publier est reliée à une espèce d'image d'après laquelle n'importe qui peut fonder un journal, donc que c'est un domaine — ce n'est pas comme les ondes — où l'initiative peut fonctionner. Mais je crois que le mémoire souligne très bien que, dans le monde d'aujourd'hui, quand on parle de mass média écrits — laissons de côté la radio-télévision — c'est devenu à peu près impossible pour qui que ce soit, sauf des grandes corporations ou des gens extrêmement riches, de pouvoir publier. Donc, la liberté de publier — le mémoire le souligne et je crois qu'on ne peut pas faire autrement qu'être d'accord — n'est plus du tout conforme à ce vieux concept qu'on traîne un peu dans nos esprits d'après lequel puisque tout le monde peut fonder un journal, eh bien, ce n'est pas la même chose. Or, en fait, nous sommes dans un monde qui a changé à ce point de vue. Je pense que...

M. LESAGE: Je reconnais l'évolution, d'ailleurs, qui est bien mentionnée à la page 10 de votre mémoire, M. Gariépy.

Je considère que le droit du public à l'information est un droit collectif qui s'est développé avec les années et qui a priorité. Là-dessus, je suis d'accord. C'est à partir de ;à qu'on doit maintenant interpréter ce qu'est la liberté de la presse, ce qu'est la liberté d'information, mais à partir du droit du public à l'information. C'est un concept qui est venu avec l'évolution, comme vient de le dire M. le député de Laurier, je suis d'accord. Mais à partir de là, qu'est-ce qu'on peut faire? C'est là la question.

M. GARIEPY: C'est également la question que...

M. LESAGE: ... à laquelle vous essayez de répondre. Je vous en sais gré, d'ailleurs.

M. GARIEPY: Mais il faut dire que, comme journaliste, suivant notre tradition, très longue derrière nous, de craindre systématiquement toute forme d'intervention de l'Etat, dans un secteur clé comme celui de l'information... On a parlé du quatrième pouvoir, c'est une belle image, mais en tout cas, cela a un fond de réalité aussi.

Il faut, d'une certaine façon, se faire violence, disons, pour finalement accepter, bien sur, une commission, comme vous le signaliez, qui jouerait avec les libertés fondamentales. Oui, mais c'est ça ou quoi? C'est un pouvoir économique privé qui joue avec les libertés fondamentales. Et entre les deux, nous croyons que la démocratie peut être mieux sauvegardée par un organisme du genre de celui que nous proposons que par le simple jeu des forces économiques.

M. MICHAUD: M. Gariépy, quel est, dans votre esprit — je cherche la différence et j'avoue ne pas la trouver — le rôle de la commission? D'après les exemples que vous avez cités, cela s'apparente assez aux suggestions qui ont été faites d'un conseil de presse, c'est-à-dire les transferts de propriétés, etc. Alors, quelle est la différence exacte entre votre commission et un conseil de presse? Une différence de terminologie simplement...

M. GARIEPY: Non, je ne pense pas, M. le député. Il y en a au moins deux majeures.

M. MICHAUD: Alors où est la différence?

M. GARIEPY: Il y en a deux majeures. D'abord, c'est que le conseil de presse n'approuverait pas les transactions et n'a pas à approuver les transactions, et pourrait donner son avis... son avis moral.

M. MICHAUD: Cela a été donné comme...

M. GARIEPY: Oui, enfin le conseil de presse n'aurait pas de pouvoirs coercitifs.

M. LESAGE: Il pourrait en avoir. M. GARIEPY: La commission...

M. LESAGE: Vous l'avez dit tantôt, son pouvoir de Jugement ne viendrait qu'après la transaction.

M. GARIEPY: Oui. Deuxièmement, c'est que le conseil de presse, M. Michaud, serait tripartite. Y seraient représentés aux 2/3, les journalistes et les propriétaires des moyens de diffusion avec 1/3 co-opté, si on veut, représentant... enfin, la formule précise de nomination d'un président, et ensuite du choix des membres qui représenteront le public vous a été exposée. Mais il reste que, dans le conseil de presse, les intérêts en jeu sont représentés.

M. MICHAUD: Alors vous laissez uniquement le soin à l'Etat de désigner les membres.

M. GARIEPY: Dans la commission, nous ne voulons pas que ce soit un conseil de presse tout simplement gouvernemental. Nous voyons, par exemple, une commission de trois, de cinq, enfin cela peut se discuter, un certain nombre de membres, mais dont il ne serait pas souhaitable que l'un représente la Fédération des journalistes, l'autre, ceci et cela. Ils représentent le public: trois honnêtes hommes sensibles aux libertés démocratiques.

M. LESAGE: S'il y a des pouvoirs de réglementation, et presque de faire la loi, il est clair qu'à ce moment-là, cela ne peut pas être des intérêts contradictoires qui sont chargés de le faire.

M. GARIEPY: C'est ça.

M. BOUSQUET: Est-ce qu'il y a possibilité pour cette commission-là d'établir des normes relativement au contenu des journaux? Je reviens au cas, par exemple, d'une région où on serait forcé, pour des raisons économiques, à ne tolérer la publication que d'un seul hebdomadaire.

Est-ce que, dans ce cas-là, la commission pourrait dire: Nous allons vous donner la permission d'être les seuls à publier, à la condition que vous soyez plus objectifs.

M. GARIEPY: Ah, non!... Ecoutez...

M. BOUSQUET: Bien non, mais cela pourrait revenir a cela»

M. GARIEPY: Non, écoutez, disons que l'équilibre... vous soulevez un problème important.

M. BOUSQUET: C'est un problème d'importance...

M. GARIEPY: Prenons, par exemple, le journal qui serait seul...

M. LESAGE: Votre objectivité n'est peut-être pas la mienne, M. Bousquet...

M. BOUSQUET: C'est justement... M. LESAGE: C'est 15 qu'est le danger. M. BOUSQUET: C'est ça.

M. LESAGE: C'est que votre objectivité n'est pas la mienne.

M. GARIEPY: Dans notre mémoire, nous ne recommandons pas...

M. BOUSQUET: Mais nous sommes tous les deux objectifs.

M. GARIEPY: Nous ne recommandons pas de pouvoirs sur le contenu, autrement que pour déterminer s'il s'agit d'un journal ou, par exemple, d'un feuillet publicitaire caractérisé. Autrement dit, si les douze marchands d'un centre commercial décident tous les jeudis de distribuer une circulaire, est-ce qu'on doit considérer que l'information circule? Je pense qu'il y a des normes de contenu minimum qui pourraient viser à déterminer ce qu'est un moyen d'information.

Mais pour le genre de situation que vous venez d'illustrer, si la commission venait à avoir 3 décider qu'il faut que le journal se réoriente de telle façon ou ainsi de suite, ce serait évidemment très dangereux.

Encore une fois, nous exposons la différence dans notre mémoire. Nous croyons que l'Etat ne doit pas intervenir dans le processus même, mais doit intervenir pour protéger l'exercice du processus d'information.

M. BOUSQUET: J'admets que ce serait très dangereux et je l'ai toujours pensé. Mais, quand même, à un moment donné, est-ce que la commission ne serait pas normalement portée à agir de cette façon-là pour essayer de protéger la liberté de la presse? Elle tolérerait un monopole mais à certaines conditions. Evidemment, j'admets que ce serait très dangereux de porter un jugement. Mais est-ce que le besoin de défendre la liberté de la presse, tel que vous l'avez exprimé ici, n'amènerait pas, de quelque façon, la nécessité de bien renseigner la population d'une région donnée?

Ce que je veux dire c'est que cette commission-là, nécessairement, aura des limites très considérables, et elle ne pourra garantir la liberté que dans des limites très considérables.

M. LEVESQUE (Laurier): Si on me permet, tout ce qui peut, de près ou de loin, ressembler à un contrôle du contenu, c'est-à-dire un contrôle de la pensée, moi, je vous avoue que ça me ferait suer en partant. Ce qui me frappe et que je trouve justement parfaitement rassurant, peu importe comment les études qui devraient être poursuivies pourraient préciser les points, c'est que les quatre principaux objectifs tangibles et concrets qu'on donnerait à titre d'exemple à cette régie sont des objectifs fondamentalement économiques par rapport à des transactions, par rapport à la diffusion ou aux messageries, par rapport à la publicité, pour être bien sûr qu'il y a un équilibre qui permet aux publications de vivre, et puis par rapport au papier-journal. C'est-à-dire essentiellement des moyens économiquement positifs mais purement économiques, ou enfin purement économiques, socio-économiques, si vous voulez, mais sans toucher au contenu des publications. Parce que si on commence à faire ça, moi je dételle. La seule chose...

M. BOUSQUET: Mais est-ce que...

M. LEVESQUE (Laurier): La seule chose, c'est qu'on donne, à titre d'exemple encore, des définitions des publications qui pourraient être couvertes, ce qui excluerait toute une série de choses qui doivent être exclues. Aller au-delà de ça, là vraiment!

M. BOUSQUET: Est-ce que la liberté de la presse est sauvegardée si, dans une région donnée, il n'y a qu'un journal pour informer la population?

M. GARIEPY: Ecoutez, s'il n'y a qu'un journal, il faudrait s'entendre, il y a la radio qui pénètre, la télévision, il y a des hebdos, des quotidiens, il est difficile d'avoir un monopole absolu. S'il n'y avait, par exemple, dans une région donnée, qu'un seul quotidien, et c'est le cas de certaines régions de la province, étant donné que le quotidien n'est pas le seul moyen d'information, quand même, pris dans une optique globale, déjà c'est moins dangereux. Bien entendu si un quotidien dans une région donnée, possède la radio et la télévision, une partie des hebdos et ainsi de suite, si en plus un tel quotidien était, par exemple, orienté politiquement, c'est-à-dire associé de façon étroite à l'un des trois partis politiques, il est évident qu'il y aurait là une situation... quatre...

M. MiCHAUD: Quatre.

M. GARIEPY: ... M. Michaud, une situation...

M. BOUSQUET: Est-ce que le conseil de presse devrait faire des efforts pour empêcher que ce soit orienté politiquement, non?

M. GARIEPY: Pas nécessairement, cela veut dire que si, par exemple, quelqu'un entend concurrencer ces publications-là ou si, par exemple, un quotidien d'une autre ville étend sa distribution dans le secteur, cela veut dire que ça peut être une des raisons qui pousseraient une telle commission à accepter disons une mesure comme celle-là. Je ne pense pas que jamais la régie ou cette commission que nous proposons doive donner des ordonnances par exemple demandant à tel ou tel journal de changer de contenu ou de faire ci ou ça.

M. BOUSQUET: Ce serait dangereux, ça nous l'admettons.

M. LEVESQUE (Laurier): M. Gariepy, ce serait quand même important que... Je reviens à cet exemple du livre blanc fédéral qu'on n'a pas osé appliquer, peut-être qu'il y avait, justement, des juridictions distinctes qui étaient impliquées. La recommandation, très précise était, avant qu'on adopte la nouvelle loi fédérale, qu'on devait avoir comme un des objectifs principaux d'éviter tout monopole régional des moyens d'information (au pluriel). Or, on a le cas de Sherbrooke qui, typiquement, est redevenu — si ça ne l'a pas déjà été — est devenu ça.

A toutes fins utiles, Je pense qu'il restait un poste du groupe CJMS — Dieu sait combien de temps cela durera — un poste de radio secondaire, mais radio, TV, et journaux sont entre les mains du même groupe. Cela, par définition, c'est étouffant. On n'a pas osé l'appliquer, parce qu'évidemment le fédéral se sentait exclusivement responsable des ondes. Il reste que c'est l'un de ces cas où c'est profondément malsain et où il faudrait qu'il y ait quelque chose de fait. Autrement, il y a toute une région, toute une population qui reste potentiellement sous la coupe d'un seul maître à penser, et cela est dangereux.

M. MICHAUD: Dans le cas où, dans une région donnée, il n'existerait qu'un journal ou qu'un poste de radio, même une concentration horizontale, il y a une dimension extrêmement importante de votre mémoire, soit cette suggestion qui concerne la liberté des informateurs qui pourraient travailler dans ces entreprises de presse parlée, écrite, et télévisée. Est-ce que je prêterais une interprétation abusive et trop grosse à votre prise de position si je disais que vous favorisez l'adoption d'une loi par l'Assemblée nationale, visant à favoriser un statut professionnel des journalistes? Page 20.

M. GARIEPY: Vous brûlez peut-être des étapes, mais cela pourrait conduire à cela. Ce que nous signalons, c'est qu'il y a déjà une grande disparité entre les garanties d'indépendance professionnelle dont jouissent les journalistes dans certaines publications par rapport à ceux d'autres publications. Cela tient en majeure partie au syndicalisme. La fédération n'est pas un syndicat, mais doit tout simplement le reconnaître comme un fait objectif. Les conventions collectives ont des effets.

Nous nous interrogeons sur la façon de rejoindre l'ensemble des journalistes. Or, dans certains cas où il y a un, deux ou trois journalistes par entreprise ou dans certains cas, dans les postes de radio par exemple, où il peut y avoir une, deux ou trois personnes qui touchent à l'information et qui sont une minorité, si l'on veut, par rapport à ceux qui font un travail d'animation à la radio, il est difficile pour le syndicalisme d'envisager de s'étendre à tous les journalistes. Cela ne peut pas être imposé, de toute manière. Il y a des précédents dans d'autres secteurs de la vie sociale ou du monde du travail, de sorte que l'on peut étendre, par voie législative, des garanties déjà reconnues, déjà appliquées et qui ont fait leur preuve à l'ensemble des journalistes.

Est-ce que cela prendrait la forme d'une loi sur le statut professionnel des journalistes? Cela peut très bien être cela. Une telle loi existe dans d'autres pays et cela nous paraît un outil certainement valable pour garantir ce genre de liberté. Chose certaine, il faut que cela se construise et que cela émane du milieu. Au cours, par exemple, des pourparlers très exploratlfs, très préliminaires que nous avons eus avec les représentants des associations patronales à propos du conseil de presse, cela avait évoqué rapidement. Si, après un ou deux ans de travaux, par exemple, le conseil de presse en vient à croire qu'an certain nombre de choses, qui sont reconnues comme étant la norme idéale, doivent être institutionalisées et répandues partout, un organisme comme le conseil de presse peut arriver avec un projet de loi. Cela peut se concevoir de cette façon-là. Je dis que vous anticipez, simplement dans la mesure où je ne pense pas qu'au cours de la présente session on puisse, comme cela, parachuter une loi garatissant le statut professionnel des journalistes. Je pense, toutefois, que nous devons nous diriger vers une formule de ce type-là.

M. MICHAUD: Je le signalais simplement comme facteur d'équilibre, dans le cas où il y aurait une concentration donnée et un seul propriétaire d'une entreprise de presse.

M. LEVESQUE (Laurier): M. le Président, je voudrais poser une question anglosaxonne un peu, c'est-à-dire essayer de trouver des précédents, si vous avez exploré ce domaine-là. Je suis content qu'à la page 5 vous souligniez une chose qui m'avait frappé, et Je ne suis pas le seul — c'est pour sous-entendre ma question — lorsque vous dites que le Québec, à votre connaissance — à la mienne aussi — est le seul endroit où cette concentration est le fait d'un conglomérat, c'est-à-dire d'une entreprise extraordinairement diversifiée la « Power Corp. et Gelco », enfin cet ensemble-là qui a aussi des intérêts dans les pâtes et papiers, dans les pistes de course et dans tout ce que vous voudrez. Power Corp. et Gelco, nous ont donné plusieurs exemples nord-américains. Je me souviens d'avoir posé la question: L'Amérique du Nord, c'est une immensité. Si avec 6 millions d'habitants nous nous prenons pour 200 millions d'Américains et que nous suivons les mêmes règles de conglomérat, cela peut nous mener à devenir des espèces de caricatures d'Américains qui ne s'apercevront même plus de ce qui leur arrive. Deuxièmement, on a même oublié de souligner — ce que vous faites, vous — qu'en général les conglomérats de presse — et cela a été ar-

rêté dans certains cas, quand cela voulait aller ailleurs — sont sui generis, c'est-à-dire que cela reste des entreprises de presse et d'information et non pas un mélange avec autre chose.

Maintenant, ma question est: Est-ce qu'il y a d'autres précédents qui pourraient servir positivement à ceux-là, c'est-à-dire des petits pays, comparables à l'entité que représente le Québec, qui ont dû être menacés — comme le Danemark — enfin, Je pense à des cas comme la Suède...

M. GARIEPY: En toute honnêteté, nous n'avons pas fouillé disons, de façon systématique, ce qui existe dans tous les pays. C'est évident. Quand nous parlons de précédents, nous nous sommes concentrés, par exemple, sur l'exemple de la Commission de radio-télédiffusion qui nous paraît un précédent, même mutatis mutandis, dans un contexte qui n'est pas le même.

M. LEVESQUE (Laurier): Prenez le cas des messageries, de la distribution, par exemple. Est-ce qu'il n'y a pas des précédents européens, entreprises mixtes, entreprises publiques, ou entreprises coopératives et mixtes en même temps?

M. GARIEPY: Cela a été, d'ailleurs, sauf erreur, évoqué devant la commission au cours des premières audiences. Ce qu'on s'est dit, au sujet de la distribution, c'est qu'on n'est pas dans une situation, contrairement à d'autres pays qui ont connu la guerre, l'occupation et tout cela, où on reconstruit tout à partir de zéro, où on peut donner à un journal telle tendance idéologique, telle imprimerie à tel autre groupe, et dire: On fait une messagerie coopérative, puis l'Etat met des fonds là-dedans. Ici, on parle de situation de fait, il en existe, des entreprises de messageries. Peut-être qu'une entreprise mixte ou coopérative serait utile mais peut-être que non. C'est très circonstancié, une question comme celle-là. Ce qui est important, par exemple, c'est de s'assurer surtout si les messageries, l'une après l'autre, sont acquises par le groupe Desmarais, que l'existence d'une seule messagerie, cela commencerait à être inquiétant, une seule messagerie ou même un groupe en particulier. Si un groupe veut fonder un journal et n'a pas les moyens de le distribuer, son droit de fonder un journal est tout à fait illusoire, de sorte que nous croyons qu'une commission comme celle que nous proposons devrait avoir une réglementation à faire pour les questions des messageries. Quelle réglementation? On ne le sait pas. Cela ne se substitue pas à l'avance...

M. LEVESQUE (Laurier): Là on rejoint... à propos des études sérieuses qui sont requises, sur la réalité, mais vous ne connaissez donc pas... enfin vous n'avez pas étudié les précédents. Il s'agirait d'aller voir si cela peut être utile.

M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs, si vous n'avez pas d'autres questions, je remercie M. Gariépy et son groupe. Je demanderais maintenant au troisième groupe, le Syndicat des journalistes de Montréal, de venir exposer son point de vue.

M. Pouliot, est-ce que M. Picard est le porte-parole?

M. POULIOT: M. le Président, si vous me permettez, je vais donner lecture de notre mémoire. Il y a deux porte-parole, ce matin, M. le Président, moi-même, pour ce qui est du mémoire lui-même, et M. Picard, qui donne les explications concernant les annexes et, disons, les questions juridiques et techniques.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que vous pouvez nous présenter les membres de votre groupe?

M. POULIOT: Oui, M. le Président. Si vous me permettez je dois dire tout d'abord que le Syndicat des journalistes de Montréal, affilié à la Confédération des syndicats nationaux, représente les employés des rédactions aux publications suivantes: La Presse, La Patrie, Le Petit Journal, Photo-Journal, Dernière Heure, Montréal-Matin et Le Devoir. La délégation du syndicat, aujourd'hui, se compose des membres suivants: Paul Pouliot, président général, Roger Nadeau, premier vice-président du syndicat et représentant la section Le Petit Journal, Photo-Journal et Dernière Heure, Manuel Maître, deuxième vice-président du syndicat et président de la section La Patrie, Jacques Lafrenière, secrétaire général, Martial Da Silva, président de la section La Presse, Jean-Pierre Paré, président de la section Montréal-Matin, Clément Trudel, membre du comité de rédaction du mémoire et représentant la section Le Devoir, Gérard Picard, conseil technique du Syndicat des journalistes de Montréal.

M. le Président, avec votre permission, je donnerai lecture du mémoire, étant donné l'importance de la question et le fait que ledit mémoire est très condensé. Ensuite, lorsque j'aurai terminé, M. Picard, toujours avec votre permission, donnera des explications et des commentaires sur les annexes dudit mémoire.

Dès 1961, la commission O'Leary, enquêtant sur les publications canadiennes, éprouvait « de la répugnance devant le spectacle

des principes fondamentaux de la démocratie employés pour faire le trottoir au bénéfice du commerce », page 9. Les récriminations reçues par cette commission depuis sa formation ont laissé percer une crainte de voir le rôle de l'information ravalé à celui d'une simple cotation en bourse, allant et venant au gré des spéculateurs.

Le Syndicat des journalistes de Montréal a cru bon de constituer un dossier sur la genèse des conglomérats. Ce document vous est transmis aujourd'hui, et tout comme nous, vous pouvez obtenir une vue d'ensemble de transactions à prime abord anodines, mais qui apparaissent, à long terme, comme un dessein savamment conçu et mené de façon à atténuer la portée de chacune des étapes prévues pour arriver à un conglomérat.

Le Syndicat des journalistes de Montréal rend publique une enquête faite auprès des journalistes qu'il représente. Si l'on se fie aux constatations que ce sondage a permis de faire, l'avenir ne serait pas tellement rassurant pour les journalistes syndiqués, surtout si l'on tient compte de l'attitude adoptée à ce jour, nous semble-t-il, par votre commission: se résoudre à changer très peu de choses pour que le tout demeure comme auparavant dans le monde de l'information au Québec.

Eliminer l'intervention de l'Etat dans la discipline qui nous intéresse serait une solution de facilité; il s'agit plutôt de s'entendre sur le niveau d'intervention qui ferait jouer à l'Etat un rôle bénéfique pour le public lecteur ou auditeur. Il serait également utopique de croire que des patrons de moins en moins nombreux dans le domaine de l'information n'auraient pas la tentation d'abattre les cloisons que les journalistes ont toujours désiré conserver, par respect pour le public, entre les services administratifs et la partie rédactionnelle.

Tantôt, c'est une maladresse avouée: l'affaire Baribeau au Soleil en décembre 1967. Tantôt, il y a audace moins inhibée: dans la nuit qui suivit le « lundi de la matraque », on a vu à la Presse un vice-président administratif et deux cadres présider à la censure de tout texte relié au rôle joué par les policiers le 24 juin 1968. Il peut y avoir plus de subtilité lorsque le directeur d'un journal suggère la prudence — entendons le silence — dans un conflit syndical touchant une banque avec laquelle il est à négocier un emprunt. Ce peut être, enfin, le conflit ouvert, au quotidien Le Figaro par exemple, en mai 1969, conflit dont les incidences sur la liberté des journalistes ont été soulignées par l'ensemble des journaux vraiment libres. Des cas de cette espèce font dire à Jacques Kayser, dans « La Mort d'une liberté »: « L'intérêt des annonceurs qui appartiennent pour la plupart au monde des grandes affaires est de même nature que l'intérêt des propriétaires de journaux, devenus eux aussi « big business »... Dire qu'il y a pression est inexact; elle est inutile. Il y a collusion permanente. »

Les fusions d'entreprises de presse se justifient, aux yeux des magnats, par le coût de production élevé et par les progrès technologiques en cours; ceci vaut autant pour les journaux que pour la radio et la télévision.

Il existe des avantages certains à la concentration, comme celui de procurer à une équipe rédactionnelle de meilleurs outils de recherche, de produire un journal plus complet.

Les propriétaires y trouvent aussi leur avantage en amortissant plus rapidement les frais engagés. La concentration permet l'amélioration technique de la presse écrite et parlée, mais n'y a-t-il pas un passif à ce bilan de progrès?

Le monopole devient menaçant quand, dans le domaine de l'Information, il prend une ampleur telle que la concurrence cesse de jouer et lorsque la pluralité des moyens de diffusion d'information et d'opinions est compromise, comme c'est le cas présentement au Québec. Le pivot du problème est là: arriver à maintenir la pluralité des types d'information pour une ville, une région ou un pays donné et réagir avant que la concurrence ne cesse de Jouer.

Des patrons se servent souvent d'une boutade qui n'apporte rien de neuf au problème: Si les journalistes ne sont pas satisfaits de leurs journaux ou de leurs postes de radio ou de télévision, qu'ils fondent leurs propres organes d'information. C'est là parler d'une liberté illusoire, si les conditions d'exercice de cette liberté ne sont pas garanties par l'Etat qui a déjà ses exigences pour concéder les ondes, domaine public, à des locataires tenus de s'expliquer devant une régie.

Pourtant, la loi du Québec et les lois canadiennes font de l'entreprise de presse une entreprise de type commercial, à cette petite différence près que l'exploitant doit répondre de certains de ses actes devant la loi du libelle et se conformer à la loi de la presse là où elle existe. A peu de détails pris, la presse se retrouve avec le même statut qu'une fabrique de pneus ou de pâtes alimentaires.

Pour beaucoup, l'Etat semble placé devant un dilemme: ou il intervient contre la monopolisation excessive des moyens d'information au nom de la liberté de l'Information ou il se maintient à l'écart de tout le problème en se retranchant derrière la légitimité de la « free entre-

prise » et d'une concurrence parfois truquée (c'est le cas, notamment, de certains journaux d'une même chaîne dont l'un peut porter une étiquette conservatrice, l'autre se classant dans la presse libérale ou affichant la neutralité en politique). N'y a-t-il pas là. le risque d'une information unidimensionnelle, dans un contexte que d'autres témoignages ont déjà très bien décrit? Les témoignages de Jacques-A. Lamarche et de Jacques Guay, pour ne citer que ceux-là. Nous ne voulons pas d'une presse à la Procter à Gamble, qui organiserait la concurrence qu'elle veut bien, tout comme le font les fabricants de savon pour des marques émanant d'une même usine.

Dans ce même contexte, depuis quinze ans environ, la voix des syndicats de journalistes s'est faite revendicatrice, prenant d'assaut l'arbitraire de quelques directions de Journaux. Le climat a semblé, un moment, s'améliorer dans les salles de rédaction de la métropole, mais il a vite fallu déchanter. L'absence d'un statut pour les Journalistes et les entreprises de presse a aussi ses répercussions à la table de négociation, alors qu'il faut souvent mettre à l'enjeu quelques clauses professionnelles déjà acquises contre des bénéfices marginaux I conquérir.

Les constatations du syndicat.

Le Syndicat des journalistes de Montréal s'inquiète du courant tendant à faire des journaux, principalement, une source de divertissement et à diminuer l'importance de l'information proprement dite. Des chroniques littéraires et artistiques ont même succombé au critère de la rentabilité, une tendance qui, nous en sommes convaincus, fait insulte aux lecteurs ou auditeurs que l'on cherche S. amuser, alors que le public réclame une information plus complète qu'il serait en droit d'attendre.

Le Syndicat des journalistes de Montréal déplore l'utilisation faite de tests d'aptitude en vue d'éloigner les fortes têtes de la rédaction où on aurait pourtant besoin de secouer le conformisme ou de tourner le cap, tandis qu'il en est temps, vers un journalisme moins teinté de sen-satlonnalisme.

Le SJM prend note que, dans le milieu des affaires, on commence à se méfier des « chosen tools » des « holdings » et grands trusts désireux de gagner la faveur de la majorité francophone au Québec.

M. LEVESQUE (Laurier): Je m'excuse, je ne veux pas vous faire perdre de temps, M. le Président, mais je voudrais savoir, ce que vous voulez dire, exactement, par « chosen tools ».

M. POULIOT: Pardon?

M. LEVESQUE (Laurier): Que voulez-vous dire, exactement, par « chosen tools »?

M. TRUDEL: La question a été discutée plusieurs fois dans le Montreal Star, dans les articles analysant la structure de Power Corporation. « Chosen tools », c'estunpeule paravent d'autres personnes qui agiraient derrière dans le monde des affaires.

Je crois que l'annexe tourne précisément autour de cela.

M. POULIOT: Est-ce que cela répond à votre question?

M. LEVESQUE (Laurier): D'accord. J'irai voir l'annexe.

M. POULIOT: Alors, le SJM trouve que l'article 36 du présent code du travail du Québec laisse le champ libre à plusieurs tractations visant à faire perdre aux syndicats des droits que leur confère leur certificat d'accréditation. (Voir annexe «B» pour la nouvelle formulation proposée pour l'article 36 du code du travail).

Nous formulons, ce matin, quatre demandes. En premier lieu, le SJM veut que soit reconnu le caractère de service public des entreprises d'information.

Deuxièmement, compte tenu de l'ampleur du problème que constitue l'information au Québec et de l'impérieuse nécessité de régler ce problème, le SJM estime qu'il faut créer un conseil de presse tripartite qui aura un statut juridique et qui sera l'ombudsman de l'information. Y seront représentés le grand public, les journalistes et les employeurs de ceux-ci. Il veillera à ce que soit respecté le droit qu'ont le public lecteur et le public auditeur d'être bien informés.

L'une des premières tâches de ce conseil de presse sera de mettre au point un projet de charte des droits et devoirs des journalistes. Les journalistes seront ainsi astreints, pour la plus grande protection du public, à un code d'éthique professionnelle.

Une autre chose qui est d'importance capitale — et c'est là notre troisième demande — c'est la modification de l'article 36 du code du travail. La modification s'impose parce que l'article en question n'assure nullement le respect des certificats d'accréditation syndicale.

Quatrièmement, enfin, nous estimons qu'une commission royale ou nationale d'enquête sur l'information doit être mise sur pied dans les plus brefs délais. Un peuple informé est un peu-

ple libre. Or, le public québécois ne reçoit pas toujours toute l'information à laquelle il a droit et dont il a absolument besoin. Seule une commission royale ou nationale d'enquête sur l'information pourra aller au fond des choses.

Avec votre permission, M. le Président, Je continuerai en lisant l'annexe «A» qui est très brève et, ensuite, M. Picard prendra la parole.

Annexe «A». Un sondage sur la liberté de presse, effectué en mars dernier chez les journalistes membres du SJM, donne ceci: - 80% estiment que la concentration actuelle est de nature à porter atteinte à la liberté de presse et, conséquemment, au droit qu'ont le public lecteur et le public auditeur d'être bien renseignés; - 12% n'ont pas répondu; - 8% ont donné à entendre qu'ils n'étaient pas tellement préoccupés par cette question.

Plusieurs membres ont dit qu'ils craignent qu'il ne se crée au Québec, par suite de la concentration de presse, un pouvoir parallèle au pouvoir politique.

M. LE PRESIDENT: Je m'excuse, mais combien y a-t-il de membres dans le syndicat?

M. POULIOT: Dans notre syndicat? M. LE PRESIDENT: Oui.

M. POULIOT: Nous comptons environ 350 membres, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. TETLEY: Vous n'avez pas de membres de langue anglaise ou des journaux anglais?

M. POULIOT: S'il y en a, c'est à l'intérieur d'unités en majorité francophones ou de langue française.

M. TETLEY: Mais, par exemple, les journalistes du Montreal Star ne sont pas membres?

M. POULIOT: M. le député, nous n'avons aucune opposition de langues ou quoi que ce soit, même c'est au programme, je crois, que des gens d'autres langues soient admis dans notre syndicat.

M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce qu'il y a un syndicat au Montreal Star?

M. TETLEY: Ils n'ont pas de syndicat.

M. POULIOT: A ma connaissance, il n'y a pas de syndicat pour les journaux de langue anglaise, du moins à Montréal.

M. LEVESQUE (Laurier): Cela rend difficile leur appartenance à un syndicat.

M. POULIOT: Cela fait peut-être suite à un livre qui a été écrit, il y a quelques années, « Why rock the Boat. »

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Pouliot. Est-ce que les membres de la commission auraient des questions...

M. LEVESQUE (Laurier): Il y a M. Picard.

M. LE PRESIDENT: D'accord, II y a M. Picard et, après cela...

M. LEVESQUE (Laurier): Je présume que M. Picard va...

M. LE PRESIDENT: D'accord, les questions viendront par la suite. M. Picard.

M. PICARD: M. le Président, un mot d'explication, en premier lieu, sur la présentation du mémoire du Syndicat des journalistes de Montréal. Cela peut paraître curieux que le syndicat présente un mémoire à la suite de celui qui vient d'être présenté par la Fédération professionnelle des journalistes, mais il ne faut pas voir dans le mémoire que le syndicat présente un geste d'hostilité à l'égard de la fédération. Ce qui justifiait davantage le Syndicat des journalistes de Montréal à présenter un mémoire, c'est d'abord que ce syndicat est accrédité pour négocier les conventions collectives de travail avec la direction des journaux qui sont à l'intérieur de ce phénomène de concentration de la presse, alors que la fédération des Journalistes n'est pas accréditée — ne tient pas à l'être d'ailleurs, je crois — pour négocier les conventions collectives de travail au nom des journalistes des différentes entreprises de presse.

La première annexe, annexe b), que Je vais expliquer brièvement, que vous avez à la suite de l'annexe a), parle de l'article 36 du code du travail.

La raison pour laquelle cet amendement est proposé découle des transactions qui ont eu lieu au Petit Journal, Photo-Journal et Dernière Heure. Vous êtes au courant, Je crois, que le Petit Journal Incorporé faisait partie du groupe Communica au moment où

ses actifs ont été vendus à d'autres entreprises. Cette transaction a donné lieu à la naissance de cinq compagnies différentes. Le Petit Journal a sa compagnie, le Photo-Journal a sa compagnie, Dernière Heure a sa compagnie, les Ateliers ont leur compagnie et les Messageries ont également leur compagnie. Le code du travail, qui prévoit la continuation de la convention collective, ne se trouve pas à prévoir ce que devient le statut des employés eux-mêmes indépendamment du fait de la continuation de la convention collective. Quand nous soulevons le problème, ce n'est par opposition aux transactions qui ont eu lieu. Il nous est parfaitement égal que la transaction ait eu lieu, créant plusieurs compagnies au lieu d'une. Mais, nous nous sommes rendu compte que, la transaction étant terminée, nous avions de nouveaux employeurs, les conventions collectives de travail continuaient d'être en vigueur — en fait il y avait négociation pendant cette période-là — mais le statut des employés n'était pas réglé. Nous sommes arrivés — remarquez bien — à une entente satisfaisante sur ce point avec la direction des journaux. Mais, cela a été plus laborieux que si cette question avait été prévue au code du travail. En somme cette transaction a révélé, quant à nous, une faiblesse du code du travail du Québec. C'est la suggestion que vous avez pour rejoindre les actifs lorsque la transaction se fait par les actifs et non simplement par changement de direction à l'intérieur d'une entreprise.

Vous vous souvenez, quand vous avez examiné le problème de la Presse ici en commission, la compagnie a continué d'exister, la direction a changé, mais la compagnie de publication de la Presse limitée a continué avec une nouvelle direction à l'intérieur, celle qui s'était portée acquéreur des actions de la compagnie.

M. LEVESQUE (Laurier): Qu'est-ce que vous voulez dire? Si Je comprends bien — je ne suis pas expert juriste — c'est que, dans un cas où la vente est accompagnée ou suivie d'un changement de statut juridique, de nouvelles compagnies se substituent à l'entreprise ancienne et juridiquement créent des entités nouvelles...

M. PICARD: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): ... vous avez découvert que ça peut se négocier laborieusement, comme vous dites, mais que le statut des employés ne se trouve pas protégé...

M. PICARD: Non.

M. LEVESQUE (Laurier): ... il reste simplement le papier d'une convention collective qui peut continuer si elle est encore en vigueur.

M. PICARD: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): Les employés deviennent, à toutes fins utiles, des gens qui sont dans le « no man's land » par rapport à un employeur, puisqu'il a changé.

M. PICARD: Et il faut faire une négociation particulière pour leur faire prendre le statut d'employé des nouvelles entreprises, étant donné que leur statut d'employé avec les anciennes entreprises, on y a mis fin.

M. LEVESQUE (Laurier): D'accord.

M. PICARD: Alors ce vide-là, qui est susceptible de se présenter de nouveau dans d'autres cas, nous croyons que le moyen le plus pratique...

M. LEVESQUE (Laurier): N'y a-t-il pas eu d'autres cas dans d'autres secteurs, transport ou autres?

M. PICARD: Pas sur le même angle, en tous cas, que je l'ai connu. Dans le transport cela a eu lieu avec plusieurs compagnies aussi, mais...

M. LEVESQUE (Laurier): Cela n'a pas donné les mimes résultats.

M. PICARD: Non, pas que je sache, en tous cas. Ce qui est certain, c'est que l'article 36 du code du travail pourrait être amendé de manière à prévoir ce cas.

Cela peut arriver assez fréquemment, remarquez-le bien. N'oubliez pas que, dans le cas du Petit Journal, vous aviez eu les Maillet, vous aviez eu Jean-Louis Lévesque et vous avez eu Communica, avec les Brillant, qui a procédé à la dernière transaction.

Peut-être que les nouveaux acquéreurs ont considéré qu'il était prudent pour eux d'acheter les actifs et de former de nouvelles compagnies plutôt que de prendre la succession de ces messieurs telle que connue à ce moment. Nous ne les blâmons pas de l'avoir fait, mais nous indiquons ce qui, d'après nous, pourrait corriger une situation que nous n'avions pas connue auparavant, mais que nous avons connue 3. cette occasion.

M. LE PRESIDENT: Je suppose que des re-

présentations en ce sens ont été faites auprès du ministre du Travail. Est-ce la première représentation qui est faite, ce matin, de ce problème?

M. PICARD: C'est la première représentation qui est faite, à ma connaissance, officiellement. Nous avons d'abord rencontré la nouvelle direction et non pas le gouvernement. C'était assez urgent; c'était entre Noël et le Jour de l'An. Nous aurions peut-être eu de la difficulté à rejoindre les gens ici au parlement. D'ailleurs, ce n'était pas nécessaire.

M. LEVESQUE (Laurier): En fait, ce que vous voulez, dans vos amendements, c'est ajouter tout simplement à l'aliénation de la concession totale ou partielle, la cessation des opérations, si la reprise...

M. PICARD: Par l'achat des actifs.

M. LEVESQUE (Laurier): ... a été faite par un autre employeur, c'est-à-dire un changement de statut.

M. PICARD: Pour votre gouverne, l'idée même que nous exprimons apparaît au code du travail de la France, mais nous ne pouvons pas la transposer ici parce que notre contexte de négociations collectives est différent et qu'il s'agissait de situer à l'endroit approprié dans notre code du travail la même idée quant au statut des employés eux-mêmes. Mais cela existe déjà et nous ne l'avons pas présentement dans le code du travail du Québec.

Autre chose maintenant. Vous étudiez le conseil de presse par rapport à la charte des droits et devoirs professionnels des journalistes. Le syndicat va un peu plus loin sur ce point que la Fédération professionnelle des journalistes, parce que, pour nous, cela a un lien avec les négociations futures et avec les entreprises où nous représentons les journalistes. Si, avant l'expiration des conventions qui sont présentement en vigueur, soit à la Presse, à la Patrie, au Petit Journal, au Photo-Journal, peu importe, le conseil de presse peut être mis sur pied, il y aura la protection du public lecteur que nous ne perdons pas de vue, comme le fait la fédération d'ailleurs, et aussi la préparation d'un projet.

Des représentants patronaux, des représentants des organisations professionnelles de Journalistes et des représentants du public seraient bien intéressés à étudier un projet de code d'éthique professionnelle qui serait une charte des droits et devoirs professionnels, mais pas une charte visant, sur le plan législatif, I mettre sur pied une fédération de journalistes. Nous faisons une distinction assez sérieuse sur ce point. Ce conseil, naturellement, ne serait qu'un projet ou un avant-projet.

Nous, nous aurions à rencontrer, en temps opportun, la direction des entreprises avec lesquelles nous avons des conventions collectives de travail pour voir dans quelle mesure tous les éléments ou un bon nombre d'éléments peuvent faire partie de nos conventions. Nous croyons que nous aurions un résultat assez pratique et plus rapide, naturellement, que si le sujet allait devant une commission royale d'enquête, par exemple, selon l'expression courante. Cela pourrait prendre beaucoup plus de temps pour étudier un sujet comme celui-là que si, par exemple, un conseil de presse pouvait être mis sur pied à aussi brève échéance que possible. Nous savons très bien que cela présente des difficultés.

M. MICHAUD: M. Picard, vous parlez du conseil de presse qui n'exclut pas, évidemment, l'institution d'une régie ou d'une commission de la presse, mais vous lui donnez un statut juridique et vous lui accordez le rôle d'un ombudsman de l'information.

M. PICARD: Oui, quant au conseil.

M. MICHAUD: Oui, quant au conseil de presse. Donc, il y aura un dédoublement de structures: à la fois, une commission suggérée par le groupement professionnel des journalistes et un conseil de presse qui aura une structure juridique et qui aura le rôle d'ombudsman de l'information.

M. PICARD: Oui.

M. MICHAUD: Est-ce qu'a priori vous excluez la formation d'une commission ou d'une régie?

M. LEVESQUE (Laurier): Ce n'est pas exactement comme cela que je le comprends.

M. PICARD: La commission, a un mandat distinct de ce que je viens de proposer.

M. LEVESQUE (Laurier): Parce que, si j'ai bien compris vos deux...

M. MICHAUD: Mais les deux pourraient être les ombudsmans de l'information.

M. PICARD: L'ombudsman de l'information,

si vous me le permettez, ce serait le conseil de presse, très bien. Quand on demande qu'il puisse avoir un statut juridique, ce n'est pas quant aux nominations qui sont à l'intérieur; c'est surtout quant à la participation de l'Assemblée nationale elle-même, si je puis dire, à la formation d'un organisme comme celui-là, admettant que la proposition tripartite qui a été faite, d'ailleurs, par l'association des quotidiens — je pense que c'est Me Bureau qui, à ce moment-là, l'avait formulée — avec la représentation patronale, syndicale, ainsi que celle du public. Nous croyons qu'il y a quelque chose de valable là-dedans. Nous croyons aussi qu'on peut lui donner un mandat dès le point de départ. Si un organisme comme celui-là est mis sur pied, son premier mandat, naturellement, c'est la protection du public lecteur. Par ailleurs, il peut aussi, vu qu'il y aura des mandataires autorisés dans ses rangs, préparer un avant-projet de charte des droits et devoirs des journalistes. La fédération recevra, à ce moment-là, le projet qui pourrait découler d'une étude comme celle-là et, comme elle peut le faire d'ailleurs, consulter l'ensemble de la profession pour voir ce que ça donnera.

M. LEVESQUE (Laurier): Nous n'avons pas à faire ici de rapprochement entre les mémoires, mais il ne semble pas qu'il y ait de contradiction. Si je comprends bien, vos deux premières demandes — qui n'en font qu'une, essentiellement, autour du conseil de presse — concernent la protection publique, mais — si je saisis bien l'essentiel — par la protection intérieure ou interne, si vous voulez, des informateurs eux-mêmes. Je suppose aussi qu'elles visent éventuellement, à protéger les droits des employeurs, mais dans les structures existantes. Il ne s'agit pas de constester, dans ce domaine, la propriété, les concentrations, etc; il s'agit d'assurer, dans les structures quelles qu'elles soient, l'intégrité de l'Information et, éventuellement, le statut des informateurs. Tandis que, dans votre dernière demande — je laisse de côté l'annexe « B » que vous avez expliquée à propos du code du travail — vous vous en tenez simplement à une commission d'enquête qui irait au fond des choses, mais cela n'exclut pas du tout, sauf que vous n'êtes pas rendus là, la demande d'une régie ou d'une commission sur les problèmes de propriété, de transaction, de distribution, etc dont la fédération a parlé.

M. PICARD: Ce que nous croyons sur ce point...

M. LEVESQUE (Laurier): Cela peut découler de cela, mais vous n'êtes pas rendus là.

M. PICARD: Ce que nous croyons sur ce point, c'est que, si une commission d'enquête était mise sur pied, elle devrait avoir le mandat d'étudier le statut des entreprises de presse, c'est entendu. Nous n'y touchons pas au moment du conseil de presse, mais nous croyons que ce serait une commission qui pourrait examiner ce point-là avec tout ceux que vous soulevez. Maintenant, à cause de la question qui est posée, je dois, simplement à titre personnel, faire une réflexion qui n'engage pas le syndicat. Premièrement, je n'aime pas le mot « régie ». Ensuite, lorsqu'il s'agira des entreprises de presse, je pense que la législation...

M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce que ce n'est que le mot que vous n'aimez pas?

M. PICARD: La chose également, dans ce domaine de liberté dans l'information, remarquez bien. Je vais vous dire pourquoi, d'ailleurs, d'une manière très simple. Si vous avez une législation d'ordre général sur l'information... Je suppose, par exemple, que certains amendements sont apportés au code civil de la province de Québec en matière de propriété. Vous prenez la juridiction qui vous est déjà reconnue, par exemple, dans l'Acte de l'Amérique britannique du Nord avec propriété et droits civils.

Vos deux chapitres — je pense que c'est 47 et 48 ou 48 et 49 des statuts de la province de Québec — traitent l'un de la loi de la presse et l'autre, de périodiques et d'autre chose. Peut-être qu'il n'y a qu'une seule loi de la presse qui pourrait en découler, tenant compte d'un certain nombre de recommandations qui pourraient être faites. Alors, cette partie, ce serait une loi générale où l'Assemblée nationale aurait pris position. Je vous avoue que, personnellement, je suis porté à me méfier, dans ce domaine de l'information, d'un certain nombre de décisions par voie administrative. Si vous avez une loi d'ordre général, posant bien les critères pour ce qui a trait aux entreprises de presse, enfin dans le domaine où vous pouvez agir... Je ne parle pas du domaine audio-visuel qui est différent, n'est-ce pas. Il y a sûrement une législation qui est d'ordre général et qui ne commande pas sur ce point un organisme administratif, parce que...

M. LEVESQUE (Laurier): De quel point par-

lez-vous, parce que, là, j'ai peur qu'on soit dans la confusion. Quand vous parlez de conseil de presse, vous parlez d'éthique, de droit à l'information, de structures existantes.

M. PICARD: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): S'il fallait qu'il y ait une régie sur ces problèmes, on tomberait dans la maison de fous. Ce que je saisis mal — il ne faut pas qu'on se mêle — c'est que, par rapport aux transactions, à la concentration, autrement dit, aux problèmes qui ont été évoqués dans l'autre mémoire.

M. PICARD: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): Que vous croyiez — parce que j'écoutais l'argumentation dans l'autre mémoire — qu'une loi, telle quelle, puisse suffire.

M. PICARD: II y a une refonte qui s'impose. Il y a une loi d'abord, mais le conseil de presse est toujours là, voyez-vous. C'est simplement l'autre aspect. S'il s'agissait d'une régie pour surveiller les fabricants du papier-journal, et leur prix, c'est un autre aspect du problème qui est d'ailleurs soulevé dans le mémoire de la Fédération.

Mais, ce que, personnellement, je suis porté à craindre, lorsqu'il y a un ensemble de décisions administratives découlant d'une sorte d'organisme administratif ou quasi judiciaire dans ce domaine de l'information, — je ne ferai pas le même raisonnement dans tous les domaines — mais dans ce domaine de l'information, c'est que cela permette, à plus ou moins brève échéance, d'y faire entrer certains éléments de censure, ou certains éléments de représailles possibles contre des publications. Vous comprenez que cela me rend réticent sur ce point. Ce qui ne veut pas dire que c'est un rejet a priori, mais que cela demanderait d'être étudié en profondeur avant de mettre sur pied un organisme comme celui-là.

Les décisions par voie administrative dans ce domaine sont peut-être plus délicates à prendre que dans d'autres domaines. Je fais partie, par exemple, du Conseil canadien des relations ouvrières, à Ottawa; cela ne nous embarrasse pas de prendre des décisions sur les accréditations syndicales, pas plus qu'ici avec d'autres organismes.

M. LEVESQUE (Laurier): Pas plus que cela n'embarrasse le Conseil...

M. PICARD: Pas du tout.

M. LEVESQUE (Laurier): ... au niveau de la radio et de la télévision?

M. PICARD: Pas du tout, mais les sujets sont...

M. LEVESQUE (Laurier): M. Picard, pas plus que cela n'embarrasse la radio ou la télévision ou la FCC aux Etats-Unis de décider de ces choses, en fonction d'un principe supérieur qui est qu'il ne faut pas que cela soit entre les pattes d'un pouvoir privé exclusivement.

M. PICARD: C'est cela, mais il y a à surveiller d'assez près quels sont les éléments qui peuvent trouver leur application dans ce domaine. C'est-à-dire que je ne peux pas en parler en m'emballant, autrement dit.

Le dernier point qui sera attaché aux entreprises de presse en particulier est le dossier que vous avez où, d'après nous, à l'intérieur d'un conglomérat — parce que je pense que c'est bien ce qui existe — il n'y a pas que des compagnies filiales, il y a des compagnies associées. Et dans cet ensemble, il y a à surveiller, naturellement, ce qui s'y passe lorsqu'il y a concentration des entreprises de presse, en particulier. Si je ne touche pas la partie audio-visuelle, ce n'est pas parce que je ne désire pas y toucher, c'est parce que cela a déjà été abordé dans d'autres mémoires et que vous savez à quoi vous en tenir et que vous connaissez d'ailleurs les limites de votre juridiction dans ce domaine.

M. LEVESQUE (Laurier): Des limites qu'il s'agirait d'étendre un jour, très largement, mais enfin, cela c'est une autre paire de manches.

M. PICARD: Maintenant, l'attitude que nous prenons n'est pas une attitude qui fait autre chose que de donner l'exemple d'un conglomérat existant, mais ne vise pas — j'entends d'une manière péjorative — l'existence même de ce conglomérat, parce qu'il peut y en avoir d'autres.

M. LEVESQUE (Laurier): Cela vient de « pelote ».

M. PICARD: Cela vient de « glomus ». Enfin, la définition apparaît à l'annexe. Et comme l'on sait...

M. LEVESQUE (Laurier): Les journaux se font « peloter ».

M. PICARD: ... que dans une société par actions, contrairement à ce que l'on croit ordinairement...

M. LEVESQUE (Laurier): « Glomus » c'est « pelote ».

M. PICARD: ... aucun actionnaire dans une société par actions n'a le moindre droit de propriété, c'est la société, institution légale qui est propriétaire. Et comme il n'est pas facile de suivre ce qui se passe à l'intérieur de chacune de ces sociétés anonymes, il est évident que, le problème étant posé, il y a sûrement lieu de l'examiner d'assez près dans ses conséquences. Non pas qu'il puisse y avoir eu, quant 3. nous, des problèmes qui aient été insolubles jusqu'à présent. Nos conventions collectives de travail sont en vigueur, et nous avons des recours prévus dans nos conventions lorsque quelque chose accroche, comme dans les autres entreprises.

Mais, d'autre part, c'est ce phénomène de concentration qui nous indique qu'à un certain moment vous pouvez être en face simplement d'un ou deux hommes qui ont une puissance économique telle entre les mains. On a donné l'exemple, dans un des mémoires, du cas de Peter Thompson avec Paul Desmarais ayant en mains 51% des actions de Power Corporation, mais l'autre moitié des actions, à eux deux, cela veut dire qu'ils en ont à peu près 3 millions, puisque le total des actions sur le marché est de l'ordre de 6 millions.

Mais dans ce déplacement d'actions, on ne sait pas exactement où sont tous les intérêts. Ils seront quelque part, c'est entendu, mais la connaissance qu'on peut en avoir est quand même une connaissance limitée. C'est pour cela que nous n'avons pas tenté de faire autre chose que produire un dossier avec des pièces que nous avons recueillies ici et là, mais sans être en mesure nous-mêmes de tirer un ensemble de conclusions de ce dossier, parce que toutes les brides d'information qu'il y a là ne peuvent pas, je crois, constituer un tout.

Il y a eu, il est vrai, d'autres mémoires qui vous ont été soumis, et vous avez devant vous un certain nombre d'organigrammes. Très bien. Vous pouvez retracer un peu le cadre général à l'intérieur duquel Power Corporation évolue. Et même si on se rend jusqu'à la Banque Royale, où on n'a pas de nom particulier, mais où on sait bien qu'il y en a plusieurs qui sont des bons amis à l'intérieur du conseil, quelle est l'influence de cet organisme à l'Intérieur de Power Corporation? Est-ce que Power Corporation est strictement une société de gestion aujourd'hui, un holding, ou si c'est autre chose? La Warnoc & Hersey, par rapport à Gelco, quels sont les liens de parenté entre tout cela? Et ensuite, comment rejoindre la Banque Royale qui me semble avoir une importance capitale dans toute cette affaire?

M. LEVESQUE (Laurier): Les banques...

M. PICARD: Mais nous, nous ne sommes pas en mesure, en fait, de creuser ce problème et d'obtenir...

M. LEVESQUE (Laurier): Les banques... M. PICARD: ... tous les renseignements.

M. LEVESQUE (Laurier): ... dans ces cas-là, on les appelle « great and good friends », je pense.

M. PICARD: Oui, naturellement. Si je prends le Montreal Trust, on sait que la Banque Royale le connaît bien.

M. LEVESQUE (Laurier): Il y a des amitiés.

M. PICARD: Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais de toute façon, ce dossier contient, d'après nous, un certain nombre de renseignements, compile un certain nombre de pièces que nous demandons à votre commission d'examiner de très près. C'est avec cet ensemble de pièces aussi que nous faisons le lien, quant à nous, avec une commission d'enquête qui pourrait approfondir davantage cette question et qui pourrait aussi être l'organisme qui verrait comment la législation elle-même, en matière d'information, pourrait être coordonnée dans un milieu comme Québec.

Merci, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Y a-t-il d'autres questions de la part des membres de la commission? alors merci M. Picard, M. Pouliot.

Il reste à l'ordre du jour M. Boisclerc qui voudrait faire une brève communication à la commission. Il y a M. Thériault qui dépose un mémoire.

M. BOISCLERC: M. le Président, avec votre permission, je dépose officiellement le mémoire dont j'ai remis des exemplaires à M. Gelly sans procéder à sa lecture.

Si vous permettez, j'aimerais formuler cependant quelques observations.

A titre de simple citoyen, ce que je considère le plus important de tous les titres dans une

collectivité vraiment démocratique, je constate qu'une très grande part du temps de la commission porte sur diverses manières d'organiser, éventuellement, la vie des entreprises de presse au Québec. Je soumets cependant que devant un problème il convient, en pratique, de constater une situation, de l'apprécier dans un sens favorable ou réprobateur et, s'il y a lieu, dans l'intérêt des citoyens, de l'ensemble de la population, de passer à l'action.

En l'occurrence présente, nous pouvons facilement, me semble-t-il, constater et vérifier l'ampleur fantastique de la monopolisation des entreprises d'information de langue française du Québec.

Je soumets que, compte tenu du chiffre de population francophone du Québec, de l'ampleur du monopole tombé aux mains de MM. Paul Desmarais et Jacques Francoeur, et du fait des intérêts multiples de la Corporation des valeurs Trans-Canada et de Power Corporation, je soumets que, depuis plus de deux ans et surtout depuis novembre 1968, une condition fondamentale de la vie démocratique n'existe virtuellement plus au Québec.

Dans ces conditions, pour tout scrutin général au Québec, scrutin québécois ou canadien, le jeu n'en vaut pas la chandelle du point de vue démocratique. Les membres de l'Assemblée nationale ont le mandat général de sauvegarder les droits et intérêts de la population, de légiférer en ce sens et s'ils n'ont pas, du point de vue des liens fédéraux-provinciaux, juridiction, doivent agir.

Je soumets donc que l'Assemblée nationale décrète et déclare sans délai l'indépendance du Québec comme seule solution pratique et seul moyen de procéder à une action efficace en temps utile, au sujet du phénomène de monopolisation des média d'information du Québec.

Je m'excuse, ces simples remarques, je les ai notées à la main, j'achève, et ce sera très court.

Il ne s'agit pas présentement, en effet, du point de vue pratique, d'étudier la façon de réorganiser éventuellement les entreprises de presse du Québec. Il s'agit de désorganiser une puissance dont l'existence est, à l'heure actuelle, du point de vue pratique de la pensée et de la vie démocratique au Québec, absolument inadmissible.

Je suggère donc que la commission rende son mandat sans délai; qu'une session spéciale d'urgence de l'Assemblée nationale soit convoquée immédiatement; que l'Assemblée nationale, dans sa forme actuelle ou sous l'égide d'un gouvernement de coalition, légifère de toute nécessité, de manière que disparaisse le monopole selon le sens général suggéré dans le mémoire que je viens de soumettre officiellement.

Je vous remercie, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que les membres de la commission voudraient poser des questions à M. Boisclair, avant que nous passions à M. Thériault.

Alors, merci, M. Boisclair.

M. BOISCLAIR: Merci, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Maintenant, est-ce que M. Thériault voudrait présenter son mémoire?

M. Yvon Thériault

M. THERIAULT: M. le Président, messieurs les membres de la commission, avec votre permission, je voudrais seulement prendre deux minutes de votre temps pour présenter brièvement quelques aspects de la liberté de presse au Québec.

Dans le mémoire que je vous présente, à titre de journaliste qui s'intéresse aux questions de presse depuis plusieurs années, je veux simplement attirer votre attention sur le fait que la liberté de presse est un phénomène assez complexe.

Je vous rappelle d'abord que la liberté de presse a évolué, dans la province de Québec, un peu en même temps que le gouvernement et que la société québécoise. Sous le régime français, la liberté de presse n'existait pas dans la province de Québec. Elle n'existait pas, d'ailleurs, en France, ni en Angleterre, ni aux Etats-Unis.

C'est à la suite de la Révolution française qu'on a commencé à parler d'une chose qu'on a appelée la liberté de presse. Au XVIIIe siècle, c'est-à-dire après la conquête britannique, le gouvernement du Québec a commencé à accorder aux journalistes, goutte à goutte, les éléments de la liberté de presse actuelle.

On peut se rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, certains de nos confrères journalistes ont été emprisonnés dans le parlement, édifice où nous sommes. Nous avons même un de nos confrères qui a passé un an en prison, au début du 19e siècle, pour avoir simplement rapporté mot à mot un discours qui avait été prononcé au parlement de Québec.

A la suite d'injustices de ce genre, le gouvernement a reconnu graduellement, sinon par des lois, du moins par des faits, la liberté de presse au Québec. Cette liberté a évolué jusqu'à l'état actuel.

Un peu plus loin dans le mémoire que Je vous

présente, j'essaie d'établir, par des cartes géographiques et par un bref commentaire, comment la liberté de presse est répartie actuellement sur le territoire québécois, c'est-à-dire ce que l'entreprise privée a fait avec la liberté de presse dans la province de Québec. C'est simplement l'emplacement de chacun des postes de radio et de télévision, des journaux et des hebdomadaires de la province de Québec, tel que le voit le ministère de l'Industrie et du Commerce dans la dernière carte qu'il a publiée sur la répartition des mass média. Vous avez ça à la page 5 de mon mémoire.

Mais, la liberté de presse est également une théorie ou un ensemble de principes. La plupart des peuples de la terre sont d'accord actuellement sur la liberté de presse, mais chacun la conçoit différemment. Dans un régime de libéralisme économique comme celui auquel nous participons, la liberté de presse est conçue comme une liberté à peu près absolue. En régime socialiste, dans les pays derrière le rideau de fer, on proclame la liberté de presse, mais on l'applique d'une tout autre façon. Ce sont les deux concepts que j'ai essayé de résumer. À la fin de mon petit texte, j'apporte une série de recommandations qui ne cassent rien, mais qui sont peut-être de nature à retenir l'attention de la commission.

Quelques-unes des recommandations s'adressent à l'Etat du Québec qui fait les lois dans la province de Québec. Nous suggérons certaines refontes des lois actuelles de la presse, en particulier, à la page 16: « Refonte des différentes lois de la presse en une seule » où l'on pourrait probablement clarifier davantage le statut du journaliste comparé au statut de l'homme qui s'occupe d'information publique et au statut du publicitaire. Une partie de la confusion actuelle vient du fait qu'on ne sait pas exactement ce qu'est un journaliste, ce qu'est un agent d'information publique, un agent de relations publiques ou un agent de publicité. Certains pays, comme la France, ont, dans leurs lois, une définition, un statut juridique du journaliste, de l'homme qui s'occupe de relations publiques et du publicitaire. Cela enlève une bonne partie de la confusion.

Certaines lois de la presse pourraient également être modifiées. J'ai mentionné les numéros des statuts et le texte exact, avec les suggestions que je propose.

Certaines lois qui régissent la presse actuellement ne sont pas appliquées depuis plusieurs années. Quelques-unes n'ont même jamais été appliquées, comme la Loi de la distribution du papier-journal. La Loi des publications et de la morale publique n'a pas été appliquée depuis 1958. Ce serait peut-être plus simple et on économiserait peut-être quelques feuilles si on les enlevait des statuts.

Je suggère, évidemment, la formation d'un conseil de presse inspiré des expériences qui ont été faites en Angleterre et en Suède où le conseil de presse, rappelons-le, existe depuis 1918, c'est-à-dire depuis 50 ans. Ils ont sans doute une expérience qui serait intéressante a étudier. Un demi-siècle d'expérience pour ce qui est du conseil de presse en Suède.

Je suggère deux choses qui sont peut-être nouvelles. C'est d'abord l'organisation d'un institut de recherche d'opinion publique. Je crois que l'état actuel de l'évolution de la société québécoise justifierait la formation d'un institut de recherche d'opinion publique qui serait très utile pour tous les gens qui s'occupent de politique et pour tous les gens qui dirigent l'opinion publique d'une façon ou de l'autre, que ce soit les journalistes, les écrivains, les sociologues, les politicologues et, évidemment, les administrateurs de la province.

La deuxième suggestion, qui est déjà en partie réalisée, c'est d'attacher plus d'Importance aux cours de formation des journalistes, des aspirants journalistes et au recyclage — puisque le mot est à la mode — de ceux qui sont dans la profession depuis plusieurs années. Ce sont simplement les quelques suggestions que j'avais à vous faire. Je vous remercie beaucoup.

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Thériault. Est-ce qu'il y a des questions?

M. LEVESQUE (Laurier): J'aurais juste une question parce que je cherchais des précédents tout à l'heure et on n'en avait pas. Vous parlez du conseil de presse suédois qui, forcément, est venu longtemps avant celui des Britanniques, dont on parle beaucoup pour des raisons évidentes. Est-ce que vous auriez par hasard à portée de la main un dossier là-dessus?

M. THERIAULT: J'ai quelques articles qui ont été publiés par le consulat de Suède et qui sont envoyés dans les bulletins d'information sur le fonctionnement du conseil de presse et son expérience. Chose très récente, la Suède a même nommé un ombudsman de la presse, un fonctionnaire de l'Etat qui s'appelle ombudsman de la presse. C'est le seul pays au monde qui ait cela.

M. LEVESQUE (Laurier): En fait, vous avez les publications du consulat...

M. THERIAULT: Oui. J'ai un résumé officiel

de ce qui a été fait depuis ce temps-là. Je pourrais le mettre à la disposition des intéressés.

M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs, s'il n'y a pas d'autres questions, nous allons...

M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce que l'on pourrait demander, parce que cela revient continuellement, l'idée du conseil de presse, et que jusqu'ici nous avons seulement l'exemple du conseil de presse britannique, qui n'est pas nécessairement à l'échelle du Québec — M. Thériault vient d'évoquer celui de Suéde sur lequel, apparemment, des renseignements peuvent être disponibles — si la commission pourrait s'occuper au moins d'obtenir certains... On dit que le consulat — ce qui est normal, les consulats le font — distribue des informations. Est -ce que l'on pourrait peut-être les faire venir pour les membres de la commission?

M. LE PRESIDENT: D'accord, nous prenons note de la demande.

Messieurs, est-ce qu'il y a d'autres questions?

Il n'y a pas d'autre séance de prévue que celle de ce matin. Un autre groupe désire se faire entendre, c'est le groupe de M. Pé-ladeau. Nous allons voir d'Ici une quinzaine de jours quels sont les autres groupes, s'il y en a d'autres, qui veulent venir devant la commission. Ce sera certainement la dernière séance d'audition publique, puisque nous arrivons au terme de l'audition des mémoires. Je ferai connaître, probablement la semaine prochaine ou au début de l'autre semaine, à quel moment aura lieu cette nouvelle séance avant l'ouverture de la session.

Avant de terminer, je voudrais remercier tous les groupes qui ont apporté leur collaboration à la commission en venant présenter des mémoires. Je veux remercier également les membres de la commission parlementaire de leur intérêt pour les travaux de leur commission. Merci, messieurs.

(Fin de la séance 12 h 59)

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