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Commission spéciale sur le problème de
la liberté de la presse
Séance du mardi 13 février 1973
(Dix heures douze minutes)
M. CROISETIERE (président de la commission spéciale de la
liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!
Préliminaires
LE PRESIDENT (M. Croisetière): La commission spéciale sur
le problème de la liberté de la presse commence ses travaux ce
matin. Nous avons devant nous l'Association canadienne de la radio et de la
télévision de langue française Inc.; M. Paul Audette,
président de cet organisme, va, tantôt, nous donner les grandes
lignes de l'organisation. Nous allons l'inviter, tantôt, à nous
lire le résumé de son mémoire.
Au tout début, j'inviterais le député de
Saint-Jean, M. Jacques Veilleux, qui est le porte-parole ministériel,
à nous dire quelques mots à l'ouverture de cette
séance.
Rapport de SORECOM
M. VEILLEUX: M. le President, avant d'entendre les représentants
de l'ACRTF ici, il y a quand même un rapport que la firme SORECOM
était censée remettre à la commission parlementaire le 31
décembre 1972, au plus tard. Maintenant, SORECOM me fait part d'une
demande de délai. Je vais vous lire la lettre: "La présente est
pour vous faire part que nous comptons pouvoir remettre un rapport final de
l'étude auprès du public québécois, au plus tard,
le 15 mars 1973. Ce retard est dû en grande partie à des
délais de cueillette d'informations et à la production des
résultats mécanographiques. Présentement, le rapport est
commencé et nous espérons que ce délai que nous vous
demandons ne retardera pas sensiblement le comité dans son travail."
Il s'agirait pour nous, ce matin, d'accepter que ce rapport nous soit
remis le 15 mars au lieu du 31 décembre 1972, pour les raisons
données. Nous n'avons pas le choix, d'ailleurs.
Ce matin, nous entendrons, M. le Président, les
représentants de l'ACRTF et demain les représentants de la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Quant aux hebdos du Canada, c'est curieux, nous faisons toujours nos
séances au moment où ils tiennent des journées
d'étude. C'est la troisième fois que les hebdos s'excusent de ne
pouvoir venir. Espérons que, la prochaine fois, les séances que
tiendra la commission parlementaire ne se feront pas en même temps que
celles des hebdos du Canada.
Quand l'ACRTF et la Fédération professionnelle des
journalistes du Québec auront passé devant la commission, il
restera aux hebdos du
Canada à venir nous expliquer leur mémoire et entre-temps,
je continue toujours à lancer l'invitation à d'autres groupes,
s'il y en a qui sont intéressés à produire des
mémoires ou à venir se présenter devant les membres de la
commission, ils sont toujours les bienvenus.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
dé Montmagny.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce qu'il y a d'autres organismes que ceux
qu'a mentionnés le député de Saint-Jean qui pourraient
peut-être venir devant la commission? Quel serait le délai?
M. VEILLEUX: Me Tobin et M. Fortier m'ont fait part qu'ils sont
présentement à rédiger un mémoire pour venir devant
la commission. Pour le moment, ce sont les deux seuls qui m'ont fait part de
leur désir de venir devant la commission.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): J'inviterais M. Paul Audette,
président, à nous faire la présentation de son
mémoire.
Association canadienne
de la radio et de la télévision
de langue française Inc.
M. AUDETTE: M. le Président, distingués membres de la
commission, j'aimerais ce matin, si vous me le permettez, d'abord vous
présenter les personnes qui m'accompagnent. A mon extrême gauche,
vous avez Me Edmond Tobin, conseiller juridique du Conseil de presse de la
province de Québec, M. Robert Bonneau, de Trois-Rivières, M.
Aurèle Pelletier, M. France Fortin, tous deux de
Télé-Capitale à Québec. A mon extrême droite,
Mlle Louise Bruma, qui est le secrétaire administratif de notre
association, M. Pierre Stein, de Timmins, M. Marc-André Frève, de
La Pocatière, et M. François Bastien, de Victoriaville. Je suis
moi-même de Chicoutimi.
L'Association canadienne de la radio et de la télévision
de langue française Inc. groupe un total de 70 membres. De ces stations
membres, il y en a huit qui sont à l'extérieur de la province de
Québec. Il y en une au Nouveau-Brunswick, trois en Ontario, une au
Manitoba, deux en Saskatchewan et une en Alberta. Nous avons un total de 29
membres associés.
Chez les stations de radio AM, nous avons 51 membres; chez les stations
de radio FM, nous avons 9 membres et chez les stations de
télévision, 10. Nous avons également cinq réseaux
qui sont membres de notre organisation, les réseaux TVA et
Télémédia pour la télévision. Pour la radio,
vous avez Télémédia, Radiomutuel, Radio-Appalaches et
Radio Intercité.
C'est donc dire, messieurs, que notre associa-
tion représente la plupart des stations de radio et de
télévision de la province de Québec.
Il n'y a que neuf stations en tout qui ne sont pas membres de notre
association.
Nous avions préparé à l'intention de la commission
un mémoire qui a été déposé au mois de
décembre 1971. Pour l'audition de ce matin, afin de permettre d'activer
un peu les choses nous comptons d'ailleurs que tous les membres de la
commission ont pris connaissance du mémoire mais à votre
intention, ce matin, nous avons préparé un résumé
de ce mémoire qui vous sera lu par M. France Fortin, de Québec,
M. Fortin.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): J'invite donc M. Fortin à
nous exposer le résumé de ce mémoire.
M. France Fortin
M. FORTIN : M. le Président, MM. les membres de cette commission,
avec votre permission nous commencerons ce résumé de notre
mémoire en vous expliquant dans quel cadre particulier évoluent
les diffuseurs en rapport avec les affaires publiques, l'information et les
programmes en général.
Le CRTC, régie fédérale qui réglemente la
radiodiffusion au Canada a édicté un certain nombre de
règles dont les suivantes: II est interdit à une station de
diffuser toute chose contraire à la loi; il est interdit de diffuser des
images ou des propos blessants pour toute race, religion ou croyance; il est
interdit de diffuser toute présentation visuelle ou tout langage
obcène, indécent ou blasphématoire, toute nouvelle fausse
ou trompeuse, je le répète.
Pour ce qui est des émissions à controverse, le CRTC, sans
émettre des directives strictes ou précises, se dit d'avis que
les ondes doivent servir pleinement à: a) la franche discussion de tous
les sujets de controverse; b) la présentation égale et loyale de
tous les principaux points de vue; c) l'exposé des questions du jour et
des problèmes d'actualité par des gens bien renseignés et
faisant autorité.
Cette ligne de conduite se fonde sur les principes suivants: Les ondes
appartiennent au public qui a le droit d'entendre les principaux points de vue
sur les questions d'une certaine importance; les ondes ne doivent pas
être soumises à la domination de personnes ou de groupes influents
à cause de leur fortune ou de leur situation ; le droit de
répondre est inhérent à la doctrine de la liberté
de parole; le libre échange d'opinions est l'une des principales
sauvegardes des institutions libres.
On voit donc que les diffuseurs doivent assumer leurs
responsabilités à l'intérieur de paramètres dont la
presse écrite est, à toutes fins utiles, dégagée.
Nous nous sommes imposés une discipline additionnelle sous forme d'un
code d'éthique professionnelle auquel nos membres adhèrent;
est-il besoin de mentionner le code d'éthique portant sur la
publicité destinée aux enfants, dont les principales
règles ont servi de base à la législation adoptée
par l'Assemblée nationale, l'automne dernier.
Le radiodiffuseur ne peut donc disposer des ondes à des fins
personnelles, spécialement au plan de l'information, comme cela est
théoriquement possible dans la presse écrite.
Dès le départ, nous désirons vous faire part de
notre conviction que la liberté de presse n'est pas en danger au
Québec. Si on accepte le fait que la liberté de presse, c'est la
liberté pour un individu ou un groupe d'individus de publier ou diffuser
une information ou une opinion sans interférence des pouvoirs publics ou
para-publics, on peut affirmer que la liberté de presse est une
réalité bien concrète présentement. L'énorme
quantité de sources d'information disponibles en est l'indication
formelle.
Par liberté de presse, nous n'entendons pas que n'importe qui
puisse se servir d'un organe de diffusion pour y propager
unilatéralement ses idées. Ces entreprises ne sont la tribune
exclusive ni de leurs propriétaires, ni de l'Etat, ni des journalistes,
des unions ouvrières ou des commanditaires. Toutefois, les
propriétaires sont responsables de ce qui se dit ou se fait sur les
ondes de leurs entreprises. Outre la réglementation du CRTC, les
diffuseurs sont, comme tout autre citoyen, astreints aux lois du pays,
spécialement en matière de libelle. Nous citerons un extrait d'un
jugement rendu récemment en cour Supérieure par le juge Henri
Drouin: "II est peut-être usuel pour des propriétaires de station
de télévision de se fier à la sagesse, à
l'intégrité et peut-être même à la
solvabilité de ceux qui y adressent la parole; mais le tribunal est
d'avis que si la défenderesse le fait, elle le fait à ses propres
risques". Et le juge d'ajouter: "La télévision se trouve dans la
même situation qu'un journal, sauf qu'elle ne bénéficie pas
des privilèges mentionnés dans la loi de la presse."
Ce jugement implique que les risques encourus par les diffuseurs, en
regard de la loi sur le libelle, sont plus immédiats et graves que dans
le cas de ceux qui publient un journal. Ces conditions confèrent au
diffuseur, non seulement le droit légitime, mais le devoir de surveiller
ce qui est véhiculé sur les ondes de la station dont il a la
responsabilité.
Nous passerons rapidement sur la liberté d'expression dont nous
jouissons actuellement au Québec; elle nous paraît une des plus
grandes et des plus inconditionnelles au monde.
Quand à la question de l'objectivité, nous voulons en
traiter à la lumière d'une précision dont nous sentons la
nécessité. Un organe de diffusion est assuré d'une plus
grande mesure d'indépendance dans la proportion où il dispose
d'un nombre plus grand de sources différentes de revenus. Ainsi, plus
les sources de revenus sont nombreuses et diversifiées, plus sont
réduits les risques d'être à la merci de l'une d'elles.
L'objectivité suppose donc d'abord, l'indépendance.
En tant que radiodiffuseurs, avons-nous ou n'avons-nous pas l'obligation
de traduire la société à laquelle nous appartenons?
Devons-nous décider ce qui est bon pour elle? Notre association
estime que le rôle de chacun de ses membres est de faire savoir au
public, en termes concrets, jour après jour, les changements que subit
cette société. Ce n'est pas forcément être
sensationnel que d'être vrai. Contrairement à l'imprimé, le
diffuseur ne peut se faire le champion d'une propagande à la solde d'un
parti politique ou d'un groupe donné. Des lois existent pour l'en
empêcher et vont même jusqu'à la suppression de sa
licence.
Nous avons déjà, tout à l'heure, fait état
du fait que nos membres adhéraient à un code d'éthique; je
passe donc ce paragraphe pour enchaîner avec le deuxième, page 5.
Dans un autre ordre d'idées, notre association doute fortement ou
s'interroge sérieusement sur l'authenticité de la notion du droit
du public à l'information, puisque personne n'a l'obligation d'y
satisfaire, personne en particulier. Ce droit présumé ne peut
avoir pour conséquence d'imposer à un organe d'information
l'obligation de diffuser ou de publier, à lui seul, toutes les nouvelles
que le public auquel il s'adresse pourrait souhaiter recevoir. Il ne peut
impliquer non plus que les pouvoirs publics s'ingèrent dans le processus
général de l'information, libre et indépendant, pour
répondre, soi-disant au droit du public à l'information qu'ils
estimeraient insatisfait.
Nous voulons plutôt voir dans cette notion une incitation, voire
une obligation, pour tout organe d'information de ne pas celer volontairement
et sciemment une information d'intérêt public dans le seul but de
satisfaire un besoin égoïste ou encore de protéger des
intérêts particuliers.
Nous nous appuyons sur l'article 19 de la Déclaration universelle
des droits de l'homme qui se lit comme suit: "Tout individu a droit à la
liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas
être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de
recevoir et de répandre, sans considération de frontière,
les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce
soit".
Nous pensons plus réaliste de parler en termes de droit du
citoyen de pouvoir s'informer. Ce citoyen doit pouvoir choisir et exercer ses
préférences parmi toute l'information disponible et
véhiculée, selon ses goûts, ses besoins, ses
priorités. Cette liberté du citoyen, d'après nous, pourvu
qu'un organe de presse veuille et puisse y correspondre, doit être
totale, complète, sans restriction aucune à l'intérieur du
cadre légal du pays.
La radiodiffusion au Canada existe sur une base de concurrence dans la
plupart des régions du pays et qui dit concurrence implique
possibilité de choix pour le consommateur. Les diffuseurs privés
doivent donc oeuvrer à l'intérieur de ce contexte et tâcher
de servir le public et d'assumer leurs obligations en matière
d'information. Il ne faut pas perdre de vue que l'auditeur possède un
droit souverain de veto tout simplement en tournant le bouton de son appareil
de radio ou de télévision. On doit cependant lui faire confiance
dans une grande mesure.
N'est-ce pas ce même public qui, par son vote, a choisi les
députés qui siègent à l'Assemblée nationale.
Si son choix a été judicieux et personne n'en doute,
j'imagine pourquoi le serait-il moins quand vient le temps pour lui de
choisir ses informateurs et les catégories d'information qu'il
désire?
Malgré cela, le diffuseur ne s'en tient jamais exclusivement
à ce qui ne plait qu'à la majorité. En
résumé, l'association croit fermement que ses membres satisfont,
pour leur part, au droit du public de pouvoir s'informer.
On nous a demandé d'évaluer le problème de
l'accessibilité aux sources d'information. Disons tout de suite qu'il
est inévitable que les informations les plus valables ne soient pas
nécessairement les plus accessibles. Mais c'est le rôle du
professionnel de l'information d'assumer ce handicap. En général,
les membres de notre association reconnaissent que les hommes publics, les
chefs de file, les dirigeants d'entreprise sont généralement
accessibles et bien disposés à l'endroit de la presse. Les
diffuseurs éloignés des grands centres ne peuvent jouir de ces
conditions avec évidemment la même intensité. Ils doivent
souvent se replier sur eux-mêmes pour constituer ce qu'il est convenu
d'appeler la presse régionale. Tout cela toutefois change grâce en
particulier à la constitution de réseaux dont TVA et certains
regroupements de stations.
Notre association voit le phénomène de la concentration de
la presse comme une nécessité dans un continent où, peu
à peu, les frontières, au plan de la communication, s'estompent
ou disparaissent. Le CRTC lui-même a reconnu le principe des
concentrations comme moyen de contrer l'envahissement de l'extérieur.
Dans notre esprit cependant, concentration et monopole sont deux concepts
essentiellement et absolument différents et distincts. D'une part, nous
croyons qu'il n'existe aucun monopole d'information au Québec. D'autre
part, l'inclusion récente des entreprises de diffusion, parmi celles
régies sous l'empire de la Loi fédérale contre les
monopoles, ajoute une dimension qui n'existait pas lorsque votre commission
commençait ses travaux il y a quelques années. C'est là
une donnée relativement nouvelle dont il faut maintenant tenir
compte.
Notre association est convaincue que, dans le domaine de la radio et de
la télévision, la force des groupes formés par nos
concentrations permettra d'accomplir ce qu'aucun des éléments
individuels ne pourrait réussir seul dans des domaines aussi complexes
que la technologie et la vente. La concentration, surveillée et
ratifiée du reste par le CRTC, veut
combler un vide dangereux créé par l'absence d'un solide
réseau privé de radio-télévision au Canada
Français et établir un équilibre avec le réseau
d'Etat ou les réseaux étrangers.
La liberté d'expression exige que, parallèlement aux
entreprises publiques de diffusion, existent des entreprises privées
d'une force et d'une qualité comparables sinon supérieures, ayant
été, dans le contexte que nous connaissons, l'objet d'une
certaine concentration.
Dans tous les pays du monde où les citoyens peuvent encore
décemment parler de liberté d'expression, les informateurs et le
public redoutent toute intervention de l'Etat dans le domaine de la presse.
Idéalement, on peut souhaiter que les relations entre la presse et le
pouvoir soient établies sur la base de l'équité, de la
compréhension et du respect mutuels. Mais n'est-il pas dans la logique
des choses que la presse se trouve souvent en opposition virtuelle avec les
pouvoirs publics?
La presse ne doit-elle pas, au meilleur de ses ressources civiques,
intellectuelles et financières, être non seulement le prolongement
de l'Opposition officielle mais encore le chien de garde des droits des
citoyens face au pouvoir?
Comment s'étonner alors qu'il y ait parfois méfiance,
voire brisure, entre la presse et l'homme public, particulièrement celui
qui détient le pouvoir? Si l'homme politique, enfin plusieurs, craignent
la presse, cette dernière en a tout autant à leur service. Que
l'un ou l'autre ait à l'occasion abusé de son pouvoir, nous ne
songeons nullement à le nier. Nous disons toutefois que les diffuseurs
ont l'impression d'avoir fait leur travail de façon convenable au plan
de l'information.
Des lois sévères et des règlements précis
existent déjà qui protègent la société
contre les abus des organes de diffusion. On sanctionne par des peines
sévères, voire la perte de licence ou le non-renouvellement de
licence ou de permis, la diffamation, le scandale, la sédition, la
censure de l'information, et la déformation de l'information. Toute
mesure dont la portée dépasserait celle de ces restrictions,
toute mesure qui habiliterait un gouvernement à réglementer
davantage la liberté des entreprises d'information, constituerait un
danger virtuel pour la liberté de presse ou la liberté
d'expression.
Ajoutons que la Loi de la presse du Québec comporte pour la
presse écrite, par le truchement de la rétractation, un
élément de protection de nature à favoriser la
liberté d'expression et de presse. Nous ne voyons pas pourquoi l'esprit
et la lettre de cette loi ne seraient pas étendus à la diffusion.
Quant à la formation professionnelle, au chapitre des communications, la
situation a évolué depuis le moment où nous avons
préparé notre mémoire, mais nous persistons quand
même à croire que l'enfant pauvre de l'enseignement au
Québec, s'il en est un, c'est bien le journalisme. Il y a à peine
quatre ou cinq ans que l'on s'est éveillé au problème de
la formation professionnelle des communicateurs. Notre association ne croit pas
tellement qu'il soit possible de produire en circuit fermé des
professionnels capables d'assumer un métier qui suppose une
expérience de vie assez considérable, une culture
générale solide et une connaissance étendue, non seulement
des particularités technologiques des media, mais de leur impact
sociologique, de leurs exigences et de leurs limites. Certaines de nos
universités ont tenté de sortir de l'oubli profond où on
l'avait laissée l'initiation à une profession des plus exigeante
aux responsabilités des plus délicates. Nous croyons
qu'aujourd'hui elles sont en voie de réussir.
L'association est aussi au courant que le CEGEP de Jonquière,
depuis bientôt cinq ans, fait oeuvre de pionnier en formant des jeunes
gens, aptes, par leurs connaissances générales sur la
communication, à aborder convenablement la phase pratique de leur
apprentissage chez l'employeur.
Nous ne sommes pas en mesure cependant de poser maintenant un jugement
de valeur sur les résultats concrets de cette expérience. On nous
a appris tout récemment que des finissants de ces cours ont
trouvé place dans certaines de nos entreprises, ce dont nous avons tout
lieu de nous réjouir.
L'Association est d'avis qu'il est davantage du ressort des CEGEP de
former les techniciens de la communication et que c'est plus
spécifiquement à l'université qu'il appartient de pousser
plus avant les recherches en matière de communication. Dans notre
mémoire rédigé en octobre 1971, nous déplorions le
manque de consultation qui a existé lors de la préparation des
programmes en vue de la formation des professionnels de la communication et en
particulier les journalistes. En effet, quand l'Université Laval a
fondé sa faculté de journalisme, notre association ne se souvient
pas d'avoir été consultée sérieusement. Cette vue
pessimiste a toutefois évolué depuis. Bien que nous nous soyons
trouvés dans la plupart des cas placés devant des faits
accomplis, notre association a tout de même été
invitée à siéger au comité consultatif de la
direction générale des études du ministère de
l'Education. Rappelons également cette recherche entreprise par SORECOM
où nos diffuseurs ont été appelés à
décrire la situation présente au niveau de leur station et
l'évolution possible de celle-ci dans les années qui viennent.
Notre association a également pu vérifier ce qui se fait,
notamment au CEGEP de Jonquière, et donner son avis sur les cours en
communication qui y sont dispensés. Bref, la situation s'est nettement
améliorée et nous sommes heureux d'en rendre témoignage
à tous ceux qui en sont directement ou indirectement responsables.
Et maintenant, si vous le voulez bien, abordons la question du statut
professionnel. D'abord vous souffrirez deux pièces de jurisprudence,
d'origine britannique, mais endossées par les tribunaux canadiens:
En 1868, le juge Fitzgerald disait: "Depuis 1692, il y a en
Grande-Bretagne et en Irlande, une liberté complète de la presse.
Par liberté de presse, je veux dire la liberté d'écrire et
de publier sans aucune restriction imposée par la censure (sauf pour ce
qui est indispensable à la sauvegarde de la société). Mais
on ne peut, sous prétexte de liberté, encourager l'insurrection,
mettre en péril la paix publique, créer le mécontentement,
faire mépriser la justice ou entraver son administration...".
Cette relation extrêmement étroite entre liberté
d'expression et liberté de presse a amené un autre juriste
anglais, Lord Shaw, à résumer de la façon suivante la
situation du journaliste par rapport à celle du citoyen en
général; nous nous sommes permis une traduction qui, nous
l'espérons, réflète l'esprit du jugement: "La
liberté du journaliste se confond avec celle du citoyen en
général. Dans la mesure où le citoyen peut se
prévaloir de sa liberté, dans la même mesure pourra le
faire le journaliste. A l'exception du droit écrit, ses
privilèges ne sont ni différents, ni plus étendus. Les
responsabilités qui sont attachées à son pouvoir de
diffusion de l'imprimé peuvent, et surtout dans le cas du journaliste
consciencieux, doivent le rendre plus prudent. L'étendue de ses
assertions, de ses critiques et de ses commentaires est aussi grande que celle
du citoyen en général, mais elle ne le dépasse pas. Il n'y
a aucun privilège spécial attaché à sa
profession".
Voilà qui nous autorise à décrire un journaliste
comme un citoyen ou un individu dont la fonction en régime
démocratique, est d'informer. Cette fonction n'a cependant aucun
caractère d'exclusivité, car tout citoyen peut, à un
moment ou à un autre, l'accomplir sans qu'il soit désigné
pour autant comme un professionnel de l'information ou journaliste. Cette
condition, qui représente l'un des fondements de toute
société démocratique, rend impossible et non souhaitable
une définition juridique de cette profession. Nous ne voyons pas la
nécessité de faire d'un individu ou d'un groupe d'individus que
nous décrirons comme des professionnels de l'information une
réalité juridiquement définie, ayant des droits
particuliers, nonobstant l'exception dont nous faisons état, plus tard,
dans notre mémoire. Les reporters, les journalistes en
général, ne peuvent présentement se réclamer de la
liberté de la presse pour se soustraire à toute obligation envers
l'appareil judiciaire. La loi de la presse, d'une façon
générale, leur confère déjà, à notre
sens, la latitude nécessaire pour exercer leur profession dans le
meilleur intérêt du public.
Dans le domaine de l'information, notre association n'admet pas le
principe de la censure, pas plus que celui de l'autocensure. La censure est
coercition, l'autocensure, c'est la peur. Les deux sont de bien mauvais
serviteurs de l'intérêt public. Nous préférons
parler de responsabilité, du partage des responsabilités, de
dialogue, de discernement, d'éthique.
Or, l'association s'inquiète quant à l'avenir. Nous savons
fort bien que des media comme la radio et la télévision, en
raison même de leur caractère d'instantanéité et
d'omniprésence, ne peuvent être contrôlés par leurs
administrateurs, ni entièrement, ni en tout temps. Et cela, en
dépit du fait que ce sont ces derniers qui portent le poids des
responsabilités, tant vis-à-vis de l'Etat que face au public.
L'ACRTF voit s'étendre le monopole redoutable qu'entendent
exercer les unions ouvrières dans le domaine de l'information, en
réalisant graduellement la fusion, sous une même autorité
syndicale, de professionnels de l'information de nos salles de
rédaction. Voilà un phénomène de concentration qui
peut conduire à un droit de veto des journalistes sur ce qui se
rédigera dans les salles de nouvelles, de même que sur tout ce qui
se dira ou ne se dira pas sur les ondes.
Ce sont les journalistes, en fait, qui possèdent virtuellement le
pouvoir du monopole et de la censure de l'information. C'est le professionnel
de l'information qui tient les leviers les plus puissants du contrôle
puisque, en dernière analyse, malgré la surveillance que veulent
et doivent exercer les administrateurs, c'est lui qui a le premier, et souvent
le dernier mot, en matière d'information.
A la radio et à la télévision, les paroles prennent
un départ d'une rapidité si fulgurante que le seul contrôle
vraiment efficace appartient à la dernière personne qui manipule
et diffuse l'information par le microphone. Nous devrons nous habituer à
vivre avec ce dangereux phénomène. Qu'en sera-t-il le jour
où nous serons à la merci d'un monopole syndicaliste puissant,
capable d'exercer toutes les pressions imaginables, au nom de la soi-disant
fraternité syndicale, pour faire triompher une cause, de quelque nature
que ce soit, ou en faire échouer une autre?
La censure des administrateurs est impossible pour la simple raison
qu'elle serait trop flagrante pour échapper à la vigilance du
public ou à celle du CRTC. La preuve a été faite de
l'absurdité d'une telle velléité de contrôle par le
refus du renouvellement d'une licence aux propriétaires d'une station
dans les Maritimes, il y a quelques années.
Il ne faut pas, par ailleurs, confondre censure et droit de regard. Le
journaliste dont le papier est refusé ou modifié accusera la
"boite" de censure, alors qu'il s'agira tout simplement, pour celle-ci, d'une
saine et obligatoire surveillance des matières publiées ou
diffusées. Il est tout à fait certain qu'il doit y avoir une
surveillance du contenu de ses émissions par le propriétaire ou
par celui à qui il aura délégué ses pouvoirs.
L'Etat dicte des lois, le CRTC les fait observer. On ne peut pas dire pour
autant que le CRTC et/ou l'Etat exercent une censure.
Il est laissé aux administrateurs des media d'information le soin
et le devoir de concilier la survie de leurs entreprises à leurs
obligations à l'endroit du public, en plus de voir à ce que
les
lois en vigueur soient respectées. Si la direction n'exerce pas
son autorité, si le chef des nouvelles n'exerce pas son droit de regard
sur l'information véhiculée par son medium, qui contrôlera
l'information?
La réponse est évidente, le journaliste. Or, rien ne
permet de croire ou nous oblige à croire que son contrôle, sa
"censure" ou son influence soient plus impartiaux que ceux des
détenteurs de licence qui, eux, ont pour le moins à
répondre aux exigences des lois en vertu desquelles l'usage de
fréquences de radio et de canaux de télévision leur a
été accordé.
Dans un autre ordre d'idée, les diffuseurs protestent contre les
torts possibles que la police peut, à sa simple discrétion, faire
subir à la presse en temps de crise, soit en saisissant, soit en
détruisant des documents d'information ou, pire encore, en se disant
journaliste elle-même pour passer incognito. Notre associaiton qualifie
cette situation de menace à la liberté de presse.
Pour être consistante avec la logique des principes
énoncés précédemment, l'association ne croit pas
qu'il soit opportun, ni pratique, de conférer aux journalistes le droit
au secret professionnel, bien qu'elle sache que l'absence d'un tel droit
constitue un réel danger que les journalistes soient constamment
harcelés dans l'exercice normal de leur travail, à cause
justement de leur qualité de témoins professionnels. Les
diffuseurs considèrent toutefois que le tribunal pourrait, selon les
termes d'une législation à étudier, avoir plus de latitude
pour juger l'intérêt public en opposition avec le
dévoilement ou non des sources d'information d'un journaliste. En
d'autres mots, il nous paraîtrait plus conforme à la règle
démocratique, tout en assurant le respect des droits fondamentaux des
citoyens, que ce soit le juge lui-même qui ait à décider
s'il sera dans un plus grand intérêt public que le journaliste
dévoile ou non ses sources.
En terminant, nous voudrions vous rappeler que notre association a cru
bon de prendre position en faveur d'un conseil de presse provincial. A une
dissidence près, notre association a réalisé
l'unanimité de ses membres sur le principe de son adhésion pour
une période expérimentale d'un an audit conseil et, de fait, elle
a décidé d'en faire partie à titre de cotisant.
S'il doit être un autre tribunal que le jugement du public que
nous servons, à qui il sera de bon aloi de référer, nous
estimons que c'est le conseil de presse tripartite qui verra le jour
très bientôt. Il nous semble bien cadrer avec nos lois actuelles
et il parait conforme à l'authentique climat d'épanouissement de
la presse et de la liberté d'expression qui existent au Québec.
Un tel conseil, dont on s'est d'ailleurs largement inspiré, existe
depuis plus de quarante ans en Grande-Bretagne. Il est dit, au début de
notre mémoire, que la meilleure façon d'assurer la liberté
de presse, était de la laisser libre. Conséquemment, l'ACRTF
deman- de à cette commission parlementaire de s'abstenir de faire toute
recommandation qui, directement ou indirectement, pourrait se traduire par une
ingérence des pouvoirs publics dans le processus de l'information, ou
qui aurait pour effet de brimer la liberté des informateurs.
L'association recommande donc plus spécifiquement:
Que les hommes politiques réfléchissent à cette
condition inhérente au statut de l'homme public, soit celle de
collaborer autant que faire se peut à l'information des
administrés sur les gestes posés par leurs administrateurs
publics;
Que les hommes politiques évitent, quand ce n'est pas
justifié, de faire porter à la presse le poids de leurs erreurs.
Ceux-ci, tout autant voire davantage, que tout autre citoyen, ont le devoir de
chercher à maintenir à son plus haut niveau possible la
crédibilité de la presse dans l'esprit du public;
Que les pouvoirs publics refusent de s'ingérer dans les affaires
du conseil de presse, que ce soit par le truchement d'une subvention
quelconque, d'une indication sur la voie que celui-ci devrait suivre, ou plus
directement, par le noyautage;
Que le gouvernement québécois envisage de prévoir
des budgets qui lui permettent, en utilisant les media existants, de combler ou
compenser, en matière d'information sur ses politiques, ses lois, ce que
les organes de presse n'auront pas couvert librement et d'une façon
qu'il n'aura pas jugé suffisante;
Que le gouvernement songe à accorder à la presse
parlée et télévisée la même protection dont
jouit présentement la presse écrite en matière de libelle,
le tout compris dans le sens d'une information plus libre, plus
complète, plus objective et, le cas échéant, plus
déterminée;
Que le gouvernement ne concède aucun avantage particulier aux
organes de presse du fait de leur seul statut d'entreprise de presse, qu'il
s'agisse de fiscalité, réglementation, etc.
Que le gouvernement étudie avec célérité le
danger potentiel, en regard d'une information libre et objective, que fait
peser sur la presse le phénomène de concentration d'unités
de négociation, dans le domaine vital de l'information, sous une
même hégémonie syndicale;
Que le gouvernement par les moyens les plus appropriés, interdise
à la police de se travestir en journalistes lorsqu'elle effectue son
travail d'enquête ou de recherche.
Que le gouvernement étudie la possibilité de permettre aux
juges de décider eux-mêmes si le journaliste sera obligé ou
non de dévoiler ses sources lorsqu'il sera appelé à
témoigner devant un tribunal, les juges ayant ainsi à
pondérer davantage l'intérêt public.
Que le gouvernement remette en question la philosophie des lois 35, 36
et 37 dans la perspective où cette législation s'adresserait aux
stations privées de radio et de télévision, cette
philosophie pouvant conduire, selon les diffu-
seurs privés, à une ingérence inacceptable dans
leur programmation et possiblement l'information qu'ils diffusent. Merci, M. le
Président.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Saint-Jean.
M. VEILLEUX: Avant d'entrer dans les détails du mémoire,
vous avez parlé à un moment donné du conseil de presse,
disant que, très bientôt, ce conseil verra le jour. Je me souviens
que, le 8 décembre 1970, lorsque nous avons siégé pour la
première fois ici, la veille, avec un grand renfort de publicité
tant à la télévision que dans les journaux, on avait
annoncé la naissance du conseil de presse. Le lendemain, on nous l'avait
dit ici officiellement à la commission parlementaire. A ma connaissance,
je n'ai jamais vu ou eu quelque nouvelle que ce soit concernant le
fonctionnement de ce conseil de presse et vous nous dites dans votre
mémoire que très bientôt, il verra le jour.
M. FORTIN: M. le Président, si vous le permettez, je pense que
tous les honorables membres de cette commission comprendront qu'une promesse
puisse ne pas être remplie. Cela arrive, mais j'aimerais
référer la réponse à Me Tobin, qui est le
conseiller juridique...
M. VEILLEUX: C'est un objectif, en d'autres mots. Le 8 décembre
1970, c'était un objectif?
M. FORTIN: Je vous laisse les paroles que vous voulez bien employer dans
les circonstances. Je voudrais vous référer pour la
réponse à Me Tobin, qui est notre conseiller juridique.
M. TOBIN: Je suis Edmond Tobin, avocat, procureur des journaux
quotidiens du Québec et conseiller juridique participant, si l'on veut,
à l'établissement du conseil de presse. La raison pour laquelle
M. Fortin et le mémoire de l'ACRTF mentionnaient que nous sommes fort
confiants que, dans un avenir prochain, nous assisterons à la mise sur
pied du conseil de presse, c'est qu'effectivement l'événement du
départ dont parlait l'honorable député de Saint-Jean, qui
a eu lieu en décembre, a été effectivement le fait de
jeter les bases de l'entente de principe à la suite de laquelle il y a
eu un travail très long, très élaboré, à la
préparation de la réglementation, travail à la suite
duquel, nous sommes confiants que la prochaine étape pourrait être
la présentation de requêtes nécessaires à
l'incorporation non seulement du conseil de presse, mais aussi, si on veut, des
autres organismes accessoires et nécessaires au bon fonctionnement du
conseil de presse. Donc, c'est long, il n'y a aucun doute là-dessus;
d'un autre côté, comme vous le savez, ce n'est pas un organisme
ordinaire, et la réglementation, je peux vous l'assurer, est loin
d'être une réglementation qu'on peut sortir de formulaires de
droit de compagnie standard.
C'est pour cela que le temps a été un facteur important.
Par contre, nous le savons aussi, l'expérience de l'Ontario a
démontré qu'un conseil de presse est un événement
à souhaiter et aujourd'hui réalisé en Ontario et nous
avons bon espoir qu'au Québec on pourra procéder prochainement
dans cette voie.
M. VEILLEUX: Ai-je bien compris? Les membres représententant les
propriétaires de media d'information sont-ils nommés à la
commission?
M. TOBIN: A cette étape-ci, si vous me permettez, M. le
Président, les organismes qui ont participé à la mise sur
pied originale ont évidemment travaillé par l'entremise de
représentants. Par contre, étant donné que le conseil de
presse, dans sa teneur juridique, n'est pas encore une réalité,
nécessairement tous ceux qui y travaillent actuellement, le font dans
l'intérim en attendant sa mise sur pied officielle par l'autorité
gouvernementale ou le lieutenant-gouverneur ou le secrétariat de la
province, selon le cas.
En d'autres mots, personne n'est actuellement membre du conseil de
presse, parce qu'il n'y a pas de conseil de presse, mais on pourrait presque
comparer ceux qui travaillent actuellement comme des directeurs
intérimaires ou à titre provisoire en attendant la mise sur pied
juridique.
M. VEILLEUX: Personnellement, je reviendrai sur des recommandations que
vous faites relativement à ce conseil de presse. Dans les questions
d'ordre général que je voulais poser, j'en ai une
deuxième. J'ai oui dire qu'un film sur un certain nombre
d'événements avait été fait et qu'il était
fort possible que votre association présente ce film aux membres de la
commission. J'ai appris que vous ne le feriez pas. Est-ce qu'il serait possible
aux membres de la commission de connaitre la ou les raisons qui vous
amènent à ne plus vouloir présenter ce film aux membres de
la commission?
M. FORTIN: Lorsqu'il a été question de ce film, il y a
peut-être un an ou un an et demi, il semblait, au sein de l'association,
y avoir une tendance à vouloir présenter ce film. On s'est rendu
compte, au fur et à mesure que les mois passaient, que le document
n'aurait peut-être pas les répercussions souhaitées. Nous
avons donc décidé, à un moment donné, de nous
contenter de la présentation de notre mémoire et de la
période des questions et réponses, estimant que,
déjà, notre présence devant notre commission serait
suffisamment élaborée. C'est tout de même un film qui dure
40 minutes et il est anglais. Vous m'avez dit, M. le Président, que ce
n'était pas un problème, mais j'aime à vous mentionner le
fait. Nous avons décidé de
ne pas présenter le film. J'en ai parlé, je crois que
c'est avec vous, au téléphone. Vous avez paru penser que ce
pouvait être intéressant, mais il a été impossible
d'établir un consensus au sein de notre association.
M. VEILLEUX: Si les membres de la commission jugeaient approprié,
dans deux ou trois jours, dans une semaine, de voir ce film, est-ce que votre
association serait disponible à la demande des membres de la
commission?
M. FORTIN: Je pense que oui.
M. VEILLEUX: Le film porte sur la période d'octobre à
novembre 1970?
M. FORTIN: C'est ça. Il y a des gens qui expliquent ce qui s'est
passé, pourquoi certaines choses se sont passées, comment elles
se sont passées. C'est un documentaire de 40 minutes, mais qui est assez
incomplet. C'est notre opinion. On n'a pas jugé qu'il pourrait apporter
un éclairage tellement important à votre commission. Si vous nous
invitez de façon ferme à vous le présenter, le
problème se pose en termes bien différents.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le ministre des
Communications.
M. L'ALLIER: M. le Président, si vous me permettez, afin que la
commission puisse se faire une idée de l'intérêt qu'il y a
à visionner ou non le document en question, je dois dire que, pour ma
part, c'est peut-être par manque d'information, je ne sais pas de quoi il
s'agit. Est-ce que vous pourriez nous donner plus de détails sur ce
document, l'optique dans laquelle il a été préparé,
les objectifs qui étaient poursuivis au moment où il a
été fait pour qu'on puisse savoir de quoi il s'agit et qu'on
puisse décider s'il y a lieu pour nous de prendre 40 minutes pour le
regarder ou pas. Autrement, on parle d'un document qui se réfère
vaguement à la crise d'octobre, qu'il n'y a pas intérêt
à présenter maintenant mais qui aurait pu avoir
intérêt à être présenté il y a un an.
Enfin, je ne sais pas de quoi il s'agit.
M. FORTIN: Je pense qu'on peut résumer la teneur du film en
expliquant que l'objectif poursuivi par ceux qui l'ont réalisé
était de démontrer de quelle façon tout le monde a
été pris par surprise par un événement comme
celui-là. Il s'est produit des choses discutables, je pense, dans tous
les secteurs d'activité du Québec au niveau de la police, au
niveau des media d'information, à tous les niveaux du processus.
Essentiellement, l'objectif que poursuit le film, c'est de démontrer que
tout le monde a été pris. A la dernière seconde, il n'y
avait pas de phénomène en place pour donner des directives
à quelqu'un, indiquer un plan d'attaque quelconque, une façon de
procéder dans les circonstances. C'est essentiellement le but poursuivi
par le film.
Pour nous, ce n'est pas une chose extrêmement importante. Si vous
le considérez comme important et si vous nous invitez, cela nous fera
plaisir de venir vous présenter le film, bien sûr et de
répondre aux questions que pourrait provoquer ce film.
M. VEILLEUX: J'ai l'impression qu'il est fort possible que nous vous
demandions de nous faire visionner ce film pour que nous puissions à
notre tour porter un jugement de valeur sur le film lui-même. Je ne fais
pas de demande formelle au nom des membres de la commission, mais il est fort
possible qu'éventuellement, nous vous le demandions. C'est pour cela que
je vous posais la question tout à l'heure et j'ai été
heureux d'entendre votre réponse, à savoir que vous seriez
à la disposition de la commission dans l'éventualité
où les membres de la commission voudraient visionner le film.
M. FORTIN: Si vous me le permettez, M. le Président, il est
évident que cet événement a amené tous ceux qui y
ont participé directement ou indirectement à remettre en question
leur rôle, leur façon traditionnelle de concevoir l'information et
de se comporter dans le domaine de l'information. Ce fut une situation qui a
amené les diffuseurs, justement, à reconsidérer leurs
relations tant avec le public qu'avec la police. Et des démarches ont
été faites de part et d'autre pour essayer d'établir un
climat de coopération entre les radiodiffuseurs et les secteurs
policiers. Avec votre permission, j'aimerais céder la parole à M.
Aurèle Pelletier qui, au nom de l'association, a été celui
qui a oeuvré au niveau des rencontres qui ont eu lieu tant à
Ottawa qu'à Montréal, je pense, entre la police et les diffuseurs
privés pour essayer de voir quels étaient les problèmes de
les cerner et d'arriver à une meilleure situation.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Avant que vous ne terminiez, je
pense que l'honorable député de Montmagny a une question.
M. CLOUTIER (Montmagny): Je pense que M. Pelletier va répondre
à certaines des questions.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Nous vous écoutons, M.
Pelletier.
M. PELLETIER: Je crois qu'il faut garder en mémoire que le film
dont il est question est un documentaire qui a été
préparé à l'intention des diffuseurs pour montrer
certaines facettes de l'information qui a été
présentée dans des circonstances un peu inattendues. Les
événements d'octobre ont pris par surprise plusieurs organismes,
les media d'information comme les autorités et, à la
lumière de ces événements,
nous nous sommes rendu compte qu'il s'était
présenté certaines failles. Nous avons voulu prévenir et
prévoir pour que, dans l'avenir, un mécanisme soit monté
afin de diriger ou d'orienter les informateurs sur la façon avec
laquelle ils pourraient transiger ou transmettre au public les informations qui
se développeraient à la suite d'événements du
même genre.
De notre initiative, nous avons communiqué avec le ministre de la
Justice du Québec, l'honorable M. Choquette qui a organisé par
l'entremise de la Commission de police du Québec un comité
d'étude qui a passé en revue les événements qui se
sont déroulés à cette occasion. A la suite de ces
réunions, nous avons dressé un plan d'action qui concerne et les
media d'information, surtout la radio et la télévision, et les
corps policiers afin d'assurer un lien pour que l'information soit
présentée de façon beaucoup plus ordonnée et
beaucoup plus, peut-être, réaliste et en évitant autant que
possible le sensationnalisme pour que le public ait une image exacte de la
situation et pour permettre également à l'autorité en
place de ne pas perdre le contrôle de l'information afin de ne pas
être coupée de toute communication avec la population.
Nous avons aussi entamé des pourparlers semblables avec le
solliciteur général à Ottawa pour que les corps policiers
qui relèvent de son autorité puissent participer à ce plan
d'action. A ce comité siégeaient les représentants de
notre association, les corps policiers, Radio-Canada, la Gendarmerie royale du
Canada. Il y a même des directives qui ont été transmises
aux postes de radio et télévision par l'entremise de la
Commission de police du Québec, à savoir quels sont les moyens
à prendre pour éviter la répétition de tels
événements au point de vue de l'information dans l'avenir.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre des
Communications.
M. L'ALLIER: M. le Président, on vient de nous ouvrir des avenues
extrêmement vastes et j'ai l'impression que cela pourrait orienter les
travaux de la commission pendant un certain temps, en tout cas. Sans voir de
contradiction entre ce qui vient d'être dit et les principes
énoncés dans le mémoire qui nous a été
présenté, je dois dire que, pour ma part, cela est probablement
dû au fait qu'il s'agit là d'un résumé d'actions
menées conjointement, semble-t-il, par la Commission de police et
l'association. Il s'agit là j'essaie de peser mes mots
d'une forme de collaboration en tout cas, en relisant le journal des
Débats, je vais essayer d'analyser les termes qui ont été
utilisés qui peut s'éloigner considérablement du
principe ou des principes énoncés dans le mémoire.
Pour ma part, M. le Président, dans ce contexte, j'aimerais
fortement que le document en question nous soit présenté, par
exemple, à l'issue des séances de la commission, demain ou dans
un délai assez court, afin que nous puissions reprendre la discussion
sur ce qui vient de se dire et compte tenu de ce qui sera contenu dans ce
document.
Je comprends, par ailleurs, la responsabilité des radiodiffuseurs
qui veulent évidemment faire en sorte de ne pas tomber sous les
couperets de la loi du libelle, de l'information vraie, etc. Pour ma part,
l'exposé qui vient d'être fait, même s'il est très
sommaire, me laisse avec beaucoup plus de questions que de réponses. Il
ne faut pas être traumatisé par ce qui a pu se produire en
octobre, événement qui a pris tout le monde par surprise, il ne
faudrait pas non plus tomber dans les excès contraires et faire en sorte
que, afin de prévenir d'être pris, à l'avenir, par
surprise, on établisse, plutôt qu'un contrôle par les
radiodiffuseurs ou quoi que se soit sur les contenus, un contrôle de la
police sur les contenus, dans des circonstances imprévisibles et
extrêmement difficiles. Je ne veux donc pas, à ce moment-ci,
engager le débat parce que, effectivement, il me manque trop
d'éléments pour le faire, mais si c'était le consensus des
membres de la commission, nous pourrions, à l'issue des séances
déjà prévues, notamment celle de demain et peut-être
celle de jeudi matin, examiner ces documents et reprendre la discussion avec
les membres de l'ACRTF.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Au-dette.
M. AUDETTE: M. le Président, je voudrais ici spécifier que
les recommandations qui ont été faites par les différents
corps publics, en ce qui a trait à tous ces événements,
n'impliquent en rien un contrôle de la part de ces organismes et
renvoient toujours la responsabilité aux diffuseurs en ce qui concerne
quelque contrôle qu'il y aurait à établir en des
circonstances semblables. On ne suggère en aucune façon un
contrôle de l'extérieur. La loi le dit, nous sommes toujours
responsables de ce qui se présente sur les ondes.
M. VEILLEUX: Si j'ai bien compris M. Pelletier, il y a eu des
duscussions ou des rencontres entre le ministère de la Justice qui,
à un certain moment, vous a transférés à la
Commission de police et les représentants de l'ACRTF. Est-ce que des
représentants de la Fédération professionnelle des
journalistes ont participé à ces rencontres?
M. PELLETIER: Non, à ce comité provisoire, il y avait
notre association, la Société Radio-Canada, différents
corps policiers, comme celui de la ville de Montréal et de la ville de
Québec, la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale
ainsi que des représentants de l'ACRTC. A la suite de ces
réunions, notre association nationale a établi des contacts avec
l'Association nationale des corps policiers du Canada, qui ont
siégé et élaboré un certain mode de
fonctionnement, de relation entre média et corps policiers, afin
d'assurer au public une information plus réaliste et exacte.
Si vous me permettez, M. le Président, je pourrais déposer
à la commission une copie du document qui décrit les
modalités de fonctionnement établies par la Commission de police
du Canada et notre association nationale.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Audet-te.
M. AUDETTE: M. le Président, M. Pelletier fait évidemment,
dans ses remarques, allusion aux circonstances vécues au Québec
au cours des dernières années. En partie, on parle des
événements d'octobre 1970 et également des faits qui se
sont passés en mai 1972. Je crois que ce sont ces deux actions qui nous
ont portés à vouloir préserver, jusqu'à un certain
point, le droit de l'information au public, en prenant des mesures pour
éviter ce qui s'est passé dans certains postes de radio et de
télévision de la province de Québec. Je crois que les
mesures dont on parle sont peut-être plus précisément pour
éviter des choses comme celles qui se sont passées en mai 1972.
Comme vous le savez, plusieurs postes de radio et de télévision
ont été occupés à ce moment-là, et il a
été impossible pour l'administration de ces stations de
contrôler ce qui se disait sur les ondes. Quand je dis "contrôler",
c'est contrôler au point de vue des responsabilités. Je voudrais
être bien compris là-dessus.
M. VEILLEUX: Quand vous parlez des événements de mai 1972,
vous mentionnez les cas précis où des gens ont envahi les postes
de radio et contrôlaient complètement l'information dans une
région. C'est ça que vous voulez mentionner?
M. AUDETTE: C'est ça. C'est une forme de contrôle que nous
avons mentionnée à l'intérieur de notre mémoire et
de notre résumé. A ce moment-là, on a vu les postes de
radio et de télévision complètement aux mains de certains
individus qui y avaient libre accès pour dire ou faire ce qu'ils
voulaient sur les ondes et ceci pas nécessairement dans le meilleur
intérêt de la population.
M. VEILLEUX: Si cela convient aux membres de la commission, nous
pourrions peut-être nous entendre pour que vous puissiez nous faire
visionner ce film jeudi matin à dix heures. Est-ce que c'est humainement
et physiquement possible que vous soyez en possession du film, jeudi matin,
à dix heures, pour qu'on puisse le visionner?
M. AUDETTE: Si vous le désirez, nous pourrons prendre les
dispositions nécessaires pour donner suite à vos voeux.
M. VEILLEUX: Alors, nous nous entendons pour jeudi matin à dix
heures?
M. AUDETTE: C'est très bien.
M. VEILLEUX: Nous pourrons discuter, après avoir visionné
le film, de ce problème particulier.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de
Montmagny.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, est-ce qu'actuellement
ce film a été visionné en dehors des gens directement
concernés, ceux qui ont travaillé à sa préparation
ou qui en ont discuté? Est-ce que d'autres organismes en ont pris
connaissance?
M. AUDETTE: Si vous me permettez, M. le Président, le film avait
été préparé initialement pour en faire la
présentation au congrès de notre association nationale, pour
permettre aux diffiseurs de revoir un peu ce qui s'était passé et
avoir une prise de conscience devant ces événements, afin d'aider
les diffuseurs à réagir si une situation semblable se
représentait à l'avenir. C'était le but premier de la
préparation de ce documentaire: renseigner d'abord les diffuseurs. Il
est certain que d'autres groupes ont vu ce film à l'extérieur, je
ne peux pas vous les nommer en particulier mais je suis persuadé que
d'autres groupes l'ont vu.
M. VEILLEUX: Votre mémoire, à un certain moment, parle de
concentration ou d'entente entre différents postes de radio pour
établir, par exemple, le réseau TVA, qui est une espèce de
concentration d'information, de nouvelles, à des heures données
de la journée. Un peu plus loin, vous dites que ce genre de
concentration n'amène pas un monopole quelconque. D'autre part, vers la
fin de votre mémoire, vous mentionnez qu'il semble se dessiner chez les
journalistes une concentration syndicale qui peut éventuellement amener
un genre de monopole, c'est-à-dire une espèce de censure à
l'intérieur de l'information. Dans votre esprit, si je comprends bien,
cette concentration du côté des journalistes peut entraîner
une censure et une concentration d'information dans un réseau tel que
TVA n'entraîne pas de censure.
M. FORTIN: Je pense qu'il faut faire une distinction entre monopole et
concentration. Monopole exclut la présence de quelqu'un d'autre.
Concentration peut supposer qu'il y a plusieurs sources différentes
d'information en place. Nous avons le réseau TVA qui, comme vous le
savez, est formé de trois postes associés. Ce n'est pas un
réseau suivant la façon habituelle de le concevoir. Ce
réseau est formé pour essayer d'améliorer le processus
d'information, élargir les sources d'information et servir un peu mieux
le public.
Dans le cas du monopole ou de la concentration des unités de
négociation, posons comme possibilité que toutes les salles de
nouvelles, tous les postes de radio et de télévision et tous les
journaux sont, par le biais des syndicats, regroupés sous une même
centrale syndicale ou sous un même syndicat, vous avez effectivement un
monopole, avec tout ce que cela suppose.
Il faut faire une distinction très nette entre concentration et
monopole. En tout cas, nous la faisons continuellement.
M. VEILLEUX: Vous mentionnez que, dans le réseau TVA, il y a deux
ou trois postes en réalité qui forment cette forme de
concentration; donc, des sources différentes...
M. FORTIN: Oui.
M. VEILLEUX: ... d'information. D'autre part, quand on parle de
concentration syndicale... En d'autres mots, vous n'êtes pas
antisyndical, vous verriez un syndicalisme chez les journalistes provenant de
deux ou trois centrales syndicales différentes...
M. FORTIN: C'est ça.
M. VEILLEUX: ... pour empêcher une... Mais votre association ne
joue-t-elle pas un rôle semblable à une corporation
professionnelle des journalistes qui pourrait jouer le même rôle du
côté des journalistes? L'ACRTF.
M. FORTIN: Non. M. VEILLEUX: Non?
M. FORTIN: Absolument pas. Si vous permettez, j'aimerais revenir sur le
point...
M. VEILLEUX: En d'autres mots, est-ce que les membres, les diffuseurs
membres de l'ACRTF ont un caractère d'autonomie?
M. FORTIN: Face à l'association? M. VEILLEUX: Oui.
M. FORTIN: La réponse est, bien sûr, oui. Si vous
permettez, j'aimerais revenir à la question de la concentration et faire
la distinction entre monopole et concentration une fois de plus. Parlons, par
exemple, de l'émission des nouvelles de 10 h 30, les nouvelles TVA. Il
est évident que là, vous avez une concentration de diffusion de
l'information. Mais à l'intérieur de cette concentration, dans
chaque unité je ne sais pas si c'est le cas de Chicoutimi mais
c'est le cas de Québec nous avons nos propres nouvelles qui sont
insérées en cours de présentation. Vous n'avez donc pas un
monopole de sources d'information à ce moment-là, même si
vous avez une concentration de ressources journalis- tiques,
financières, etc. pour améliorer le phénomène de
l'information.
Si, un moment donné, tous les syndicats dans les organes de
diffusion se retrouvent sous un même chapeau syndical dans une
même boite, vous n'avez pas le droit d'avoir trois ou quatre syndicats;
vous le savez, c'est un point là, il y a effectivement un
monopole. Si tous ces syndicats se regroupent ensemble, vous avez effectivement
un monopole.
M. VEILLEUX: Est-ce qu'il y en a qui ont des questions à poser
sur le point?
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Saint-Laurent.
M. PEARSON: Monsieur, comment pouvez-vous concilier le fait que vous
refusiez plus ou moins aux journalistes de se regrouper en association pour
conclure eux-mêmes des ententes et que vous demandiez justement pour
votre groupe ce regroupement qui peut lui-même conclure des ententes?
M. FORTIN: Si vous avez vu un refus de notre part du droit d'association
pour les employés dans les organes de presse, vous avez vu une chose qui
n'existe pas. Nous ne sommes absolument pas opposés à ce que des
employés, dans une station donnée, dans un journal donné,
se regroupent en syndicat pour négocier des conventions collectives avec
leur employeur. Nous ne nous opposons pas à ça, bien au
contraire.
C'est que, à un moment donné, nous ne savons pas quelle
est toute la dimension du problème. On le craint. On propose à
votre commission, si on peut vous proposer quelque chose, d'étudier le
problème pour ce qu'il vaut. Eventuellement, on peut être pris
avec lui. On le soumet à votre attention pour étude et
considération.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Montmagny.
M. CLOUTIER (Montmagny): Vous avez beaucoup insisté dans votre
mémoire, M. Fortin, sur la possibilité de formation d'un monopole
syndicaliste puissant. Nous venons justement d'en parler, un monopole qui
contrôlerait l'information, qui serait un danger aussi grand, et
peut-être plus grand, que celui du monopole des entreprises de
presse.
Est-ce qu'il y a des faits ou des événements
récents qui vous portent à penser que c'est là un danger
réellement imminent et que des efforts considérables sont faits
dans ce sens?
M. FORTIN: M. le Président, on se réfère à
des pressions qui ont été faites depuis quelques années,
où des représentants sans doute autorisés de syndicats de
journalistes, ont manifesté l'intention d'enlever des mains des
propriétaires
d'entreprises de presse l'information, pour la remettre dans les mains
des professionnels de l'information. Je pense que vous avez à certains
moments entendu quelque part des informations de cet ordre. C'est un
élément de notre dossier qui nous permet de vous faire part des
craintes que nous vous avons transmises ce matin.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce qu'un conseil de presse en
opération, bien organisé, pourrait être saisi des dangers
d'une telle possibilité et pourrait exercer une action efficace,
peut-être plus efficace qu'une loi qui concernerait le monopole des
entreprises de presse, que ce soit le monopole des entreprises
elles-mêmes ou le monopole de l'information contrôlée par
les responsables de l'information?
M. FORTIN: M. le Président, si vous me le permettez, nous savons
ou nous pensons que c'est un problème qui se développera de plus
en plus dans l'avenir. Par ailleurs, on ne conçoit pas de loi à
ce moment-ci qui réglerait ce problème. Vraiment, je n'ai pas de
solution. Je ne sais pas quelle est cette solution. Par ailleurs, le conseil de
presse pourra et j'espère qu'il le fera se pencher sur ce
problème comme sur les autres et émettre des opinions. Mais j'ai
l'impression que cela se limitera à une expression d'opinion de la part
du conseil de presse. Mais plus loin, vraiment, on ne le sait pas. On vous
soumet le problème pour que vous l'envisagiez.
M. CLOUTIER (Montmagny): Ne pensez-vous pas qu'une corporation
professionnelle bien structurée, pour les journalistes comme les autres
corporations professionnelles, avec un code d'éthique bien reconnu et
qui serait en application, serait un élément d'équilibre
au sein de la profession des journalistes? Alors, le syndicat ne voudrait
s'occuper que des conditions de travail de la profession et la corporation
professionnelle s'occuperait de l'aspect professionnel du rôle des
journalistes.
M. FORTIN: Qui dit corporation implique nécessairement limitation
dans le recrutement des candidats possibles. On vous a lu notre mémoire
tout à l'heure et, évidemment, c'est là un principe sur
lequel nous sommes complètement en désaccord. On pense que le
journalisme doit être accessible à tout le monde si on veut
respecter les règles démocratiques telles que nous, en tout cas,
nous les concevons. Une solution comme celle-là irait contre les
principes que nous voulons défendre.
M. CLOUTIER (Montmagny): Mais là, M. Fortin, disons que vous
mettez en doute l'utilité d'une corporation professionnelle pour les
journalistes pour donner le plus libre accès possible à la
profession, à partir du moment où on organise des cours, et vous
insistez sur la formation professionnelle du journaliste et vous parlez
même de l'école de l'université Laval, vous parlez de votre
participation à l'élaboration des programmes d'étude, si
on reconnaît l'importance de la formation professionnelle du journaliste,
par voie de conséquence, la corporation professionnelle est importante
pour le journaliste aussi.
M. FORTIN: M. le Président, nous regrettons de maintenir nos
doutes relativement à la solution que vous suggérez.
Je me permettrai peut-être ici de vous rappeler ce qui s'est
passé dans l'Etat de New York. J'ai noté ça quelque part,
cela a été rapporté par Me Popovici, professeur, qui dit
qu'en 1949, dans l'Etat de New York, la New York Law Reform se penchait sur la
formulation d'un texte consacrant le droit du journaliste à ne pas
dévoiler ses sources d'information. Il y a un lien avec la discussion.
Il appert des procès-verbaux de cette commission que les journalistes
invités à exprimer leurs vues se sont prononcés en
majorité contre un projet de loi à cet effet, la
difficulté principale semble avoir été de définir
clairement le privilège du journaliste. Tellement d'exceptions furent
élaborées autour du privilège qu'on en vint à
renoncer complètement à légiférer sur la
matière. C'est une expérience qui s'est passée par rapport
à un aspect précis du problème de l'information, soit
celui du secret professionnel et d'un privilège attaché à
ça. Il y avait tellement d'exceptions que ce n'était pas possible
de cerner le problème, de l'encadrer dans une espèce de forme
corporative quelconque.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que les diffuseurs,
particulièrement la radio et la télévision, ont des
exigences spéciales quant au recrutement, à la formation des
journalistes qui entrent chez eux? Quelles sont les qualités de base que
vous exigez compatibles avec le libre accès à l'exercice de la
profession?
M. FORTIN: Je pense qu'il faut peut-être faire une distinction. D
y a d'abord la presse organisée qui est constituée des journaux
et de la radio-télévision, puis il y a aussi cette petite presse
qui nait et qui meurt. C'est pour sauvegarder cette petite presse, entre autres
que nous plaidons pour que la profession ne soit pas fermée par le biais
corporatif. Mais, c'est certain que chaque poste de radio ou de
télévision, que chaque journal a un problème de
recrutement. On est souvent appelé à choisir le meilleur parmi
des candidats dont on n'est sûr d'aucun. Ce que nous demandons comme
préparation de base, c'est d'avoir une formation, d'être un gars
responsable, un gars qui peut faire la distinction entre un commentaire et un
fait, de plus, un gars qui peut écrire en français, bien
sûr. Cela fait une série de qualités qui sont
extrêmement difficiles à trouver dans le même bonhomme.
Plus la boite est importante, plus elle va
piger ici et là dans les boites moins importantes. Alors, le
recrutement se fait à la base, toujours avec des gens qui ont peu ou pas
d'expérience.
M. CLOUTIER (Montmagny): Mais pour des émissions d'information
publique, je fais allusion à la radio, à des émissions
comme les "hot lines", où, à un moment donné, l'animateur
peut être appelé à exposer un problème les
auditeurs vont appeler au poste de radio pour faire des commentaires
l'animateur alors va être appelé à rectifier certains faits
avancés par les auditeurs. Est-ce que vous exigez de cet animateur une
formation un peu particulière, ou une formation plus poussée?
M. FORTIN: M. le Président, j'aimerais bien que ceux qui ont des
stations où il y a des "hot lines" soient ici pour répondre aux
questions. On ne peut que répondre personnellement à cette
question. C'est une question individuelle. Un poste peut, à un moment
donné, placer devant un microphone un type qui n'est pas un
professionnel de l'information mais qui est une personnalité, pour
toutes sortes de raisons qu'on peut discuter ou que le poste peut discuter avec
vous. Certains postes font appel à des journalistes professionnels,
d'autres font appel à des observateurs de la chose publique qu'ils
estiment responsables. Chaque cas doit être étudié, il n'y
a pas de règle générale. Chaque poste fait sa
sélection de personnel, en fonction de ses propres principes et de ses
propres objectifs.
Il n'y a pas de règle générale. J'aimerais que des
stations comme CKAC et, à Montréal, CKVL ou des stations comme
celles-là aient des représentants ici pour expliquer quels sont
leurs critères de sélection en ce qui a trait aux "hot
lines".
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de
Chauveau.
M. HARVEY (Chauveau): N'y a-t-il pas une mobilité très
grande de journalistes attachés à différentes stations
radiophoniques et aux media en général?
M. FORTIN: Est-ce que vous entendez par là changements de
personnel? Oui, bien sûr, il y a une mobilité assez grande.
Quoique depuis un an la situation s'est un peu améliorée. Depuis
quatre ou cinq ans, le changement de personnel dans les salles dans les
stations de télévision et de radio a été pas
mal extraordinaire. C'est un problème continuel. Je pense qu'il y a une
espèce de rétablissement, de stabilité qui est en train de
s'effectuer. Cette stabilité durera-t-elle? Je l'ignore.
M. VEILLEUX: Le député de Montmagny vous a posé une
question, tout à l'heure, sur les critères qui vous permettent
d'engager ou non telle personne comme journaliste. On peut se rendre compte
qu'il n'y a pas de critères bien définis, comme on va en exiger
dans d'autres professions ou dans d'autres métiers. Un des
problèmes dont on entend parler souvent, ce sont les relations ou les
rapports qui existent entre les propriétaires des media et les
journalistes au point de vue de la censure ou de l'autocensure. On rencontre
des propriétaires et ils disent: Ce sont les journalistes qui
contrôlent l'information. On rencontre les journalistes et ils disent: Ce
sont les propriétaires qui contrôlent l'information, nous
écrivons ce que les propriétaires veulent bien que nous
écrivions.
Chez les membres de l'ACRTF, quel genre de rapports, exactement,
existe-t-il dans ce secteur entre les propriétaires et les
journalistes?
M. FORTIN: Encore là, on est obligé de
référer à des cas particuliers. Autant il y a de stations,
autant il y a de structures d'organisation et de partage de
responsabilités. Mais je pense qu'on peut dire que,
généralement parlant, le propriétaire, qui se fait
représenter par un manager, doit déléguer son
autorité à un chef de nouvelles qui assume ultérieurement
tout le processus de l'information, de la cueillette à la diffusion,
à l'intérieur d'un budget donné. C'est un peu ce qui se
fait généralement. Mais, si vous me le permettez, j'aimerais vous
citer un cas précis. Je ne sais pas si vous êtes à
l'écoute de certaines émissions d'affaires publiques, mais j'ai
été frappé par une chose. Je savais qu'on serait là
mardi. J'écoutais une émission de télévision,
dimanche dernier, qui s'appelle Politique Atout. J'en parle à mon aise,
ce n'est pas sur le réseau TVA. Il y avait un monsieur, chef de parti,
qui était interviewé. Je me suis fait la réflexion que, si
c'était vrai que c'était le propriétaire de l'entreprise
qui contrôlait l'émission ou qui contrôlait ce qui se dit,
j'ai l'impression que cela se serait déroulé différemment.
Mais celui qui contrôlait ce programme n'était pas
l'invité, ce n'était pas celui qui regardait le programme, ce
n'était pas le président de Radio-Canada, ce n'était pas
le chef des nouvelles de Radio-Canada, c'était l'animateur. Je pense que
ça dramatise drôlement le point, lorsqu'on dit qu'en radio et
télévision, le contrôle ultime est fait par celui qui
diffuse l'information ou qui fait des interviews avec des gens ou qui les
amène dans un contexte donné, et l'animateur crée un
climat qu'il estime bon pour l'intérêt public.
M. CHARRON: On a déjà vu, dans ce genre de travail, des
gens qui conduisaient des interviews d'une certaine façon, qu'on a
laissé faire pendant un certain temps. Quand les employeurs je
parle d'une station de radio, par exemple, d'un réseau
québécois se sont aperçus que ledit interviewer
conduisait de façon généralement impertinente, à
leur avis, les interviews avec certains invités et faisaient preuve de
largesse avec d'autres invités, lors-
qu'est venu le temps de renouveler son contrat, on lui a simplement
signifié qu'il prenait la porte, même s'il était à
la satisfaction du public. Et on est allé chercher un tripoteur public,
celui qui est devenu chef du parti, que vous avez regardé dimanche soir,
qui, commercialement et vulgairement, a remplacé l'autre, qui offrait
une émission de qualité. J'admets que, sur l'instant, à
Politique Atout, par exemple, dimanche soir, André Payette est
absolument maître de l'invité qu'il a, maître de conduire
son interview. Je puis vous assurer je n'ai pas regardé
l'émission de dimanche, mais j'en ai vu d'autres du même style
qu'il peut très bien se produire qu'André Payette, comme
d'autres interviewers, ne voie pas son contrat renouvelé. Le
contrôle ultime appartient toujours au directeur.
M. FORTIN: Je vous laisse l'interprétation des raisons qui ont
fait qu'un contrat, dans ce cas particulier, n'ait pas été
renouvelé. Vous avez bien le droit de l'interpréter, de ne pas
être d'accord sur la politique à ce moment, surtout si les
opinions qui sont les vôtres n'étaient pas aussi bien
défendues que vous l'auriez souhaité.
M. CHARRON: Je vais vous répondre tout de suite. Il
n'était pas question de mes opinions. Je veux simplement dire que
l'employeur demeure toujours libre de renouveler le contrat dudit interviewer
qui, vous l'avez affirmé, avait toute la liberté. Je dis non. Il
est un employé de la boîte, quel qu'il soit. Cela n'a pas de
concordance avec mes idées politiques.
M. FORTIN: C'est bien évident que chacun doit respecter le
contrat qu'il a signé et le renouvellement se fait à certaines
conditions. Chaque individu est libre. On est bien d'accord
là-dessus.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre des
Communications.
M. L'ALLIER: M. le Président, si les membres de la commission me
le permettent, je voudrais revenir à un point plus précis du
résumé de mémoire qui nous a été
présenté, plus particulièrement à la page 5. Il est
dit que : "notre association doute fortement de l'authenticité de la
notion du droit du public à l'information puisque personne n'a
l'obligation d'y satisfaire." On continue plus loin je présume
qu'il s'agit de ce droit "il ne peut impliquer non plus que les pouvoirs
publics s'ingèrent dans le processus général de
l'information libre et indépendante pour répondre soi-disant au
droit du public à l'information qu'il estimerait insatisfaisante." Vous
continuez en disant, à toutes fins pratiques, c'est le diffuseur qui est
le gardien de ce droit à l'information. La question que je voudrais
poser là-dessus, c'est d'avoir une confirmation que le texte qui est
là veut bien dire ce qu'il dit, à savoir que, comme tel, en soi,
il n'y a pas de droit du public à l'information devant être
protégé à un moment donné, s'il y a lieu, par
l'Etat.
S'il y a lieu qu'il y ait une protection, que ce soit le diffuseur
lui-même ou le responsable du medium qui assure ce droit.
Voici un exemple. Si, dans certaines régions du Québec, en
partant de l'hypothèse que tous les citoyens ont un droit égal
à être informés ou à s'informer, les populations
sont moins bien servies que d'autres, je pense aux régions
périphériques en termes de radio, de journaux ou autres, est-ce
que, d'après vous, il faut laisser l'entreprise privée
déterminer à quel moment il y a un taux de rentabilité
suffisant pour pouvoir donner à cette population un minimum
d'information pour qu'elle se situe sur le même pied que l'ensemble des
citoyens d'un territoire? Ou n'y a-t-il pas effectivement une
responsabilité des corps publics, de l'Etat en particulier, pour faire
en sorte que, par subvention ou autrement et c'est une hypothèse
de travail que je pose on intervienne pour permettre à ces
citoyens un meilleur accès à l'information? Et plus loin,
à la page 18, vous dites que vous n'êtes pas d'accord pour
qu'aucun avantage particulier soit accordé aux organismes de presse. Ce
qui vient en fait compléter... "que les pouvoirs publics refusent de
s'ingérer dans les affaires du conseil de presse"... Non, ce n'est pas
cela. En fait, qu'il n'y ait d'intervention d'aucune sorte pour faciliter cet
accès à l'information.
Or, le fait de remettre en cause le droit du public à
l'information, quand vous dites que personne n'a l'obligation d'y satisfaire,
pour ma part, je m'inscris en faux là-dessus parce que si on
reconnaît que ce droit existe, il doit être satisfait et dans la
mesure où c'est un droit collectif c'est un droit de l'ensemble
des citoyens, à mon avis l'Etat peut, d'une façon
supplétive, avoir à intervenir pour faciliter cet accès.
Est-ce que ce que je dis maintenant est contraire à ce que vous
prétendez?
M. FORTIN: C'est-à-dire à une nuance près et que
j'aimerais faire tout de suite, je ne sais pas si le texte fait état de
personnes en particulier. Je pense qu'il faudrait ajouter en particulier, dans
l'obligation de satisfaire à ce droit du public à l'information.
Je pense que cela donne une coloration un peu différente de celle
produite par les mots: que personne n'a le droit.
Je pense qu'il y a deux choses, telles qu'on les conçoit, dans le
point que vous voulez faire. Il y a d'abord l'information des pouvoirs publics
en rapport avec leurs lois, leurs règlements, leurs politiques. Si
aucune information n'est diffusée dans certains milieux, que vous
appelez périphériques ou marginaux, il me semble que c'est la
responsabilité des pouvoirs publics d'assurer la diffusion de
l'information relativement à leurs activités de nature
administrative, juridique ou légale. Mais en ce qui a
trait au phénomène de l'information et des entreprises de
presse qui sont en place, nous sommes tout à fait allergiques et
dans le mot allergique, il y a un peu de passion, chacun a droit aux siennes
nous sommes absolument allergiques à une ingérence des
pouvoirs publics, sous quelque forme que ce soit, à partir de la
subvention déguisée à un journal expédiant quelque
part un journaliste aux frais du gouvernement, par exemple, à aller
jusqu'à la subvention directe à un organe de presse. Nous y
sommes absolument opposés parce que nous estimons qu'en principe cela va
à l'encontre des applications et des droits que nous défendons
dans notre mémoire.
M. L'ALLIER: En d'autres mots, vous limitez la possibilité de
l'intervention de l'Etat à sa propre information. Et si, par exemple
à Rouyn-Noranda je ne sais pas si cela se produit mais il y a un
certain temps où cela se produisait les journaux arrivent une
journée en retard et que les gens sont limités à un poste
de radio et qu'ils n'aiment pas ce que M. Gour fait, eh bien, tant pis, ils
ferment le bouton. C'est le droit de veto auquel vous faites allusion un peu
plus loin, à la page six par exemple; cela doit rester ainsi. Si le
gouvernement veut et croit que c'est son devoir de faire de l'information sur
les services gouvernementaux, c'est à lui d'acheter du temps et de
s'organiser pour en faire. Mais pour ce qui est de l'information
générale à la population, il ne doit y avoir
d'intervention d'aucune sorte.
M. FORTIN: C'est exact. C'est la position que nous défendons.
Maintenant, si vous me permettez, vous parlez d'un secteur particulier dans la
province de Québec; nous avons dit dans notre mémoire qu'il n'y
avait à notre connaissance aucun monopole d'information et j'aimerais
expliquer davantage les motifs de cette prise de position. C'est que dans toute
région donnée, il y a des quotidiens qui pénètrent,
des hebdos qui sont publiés, dans bon nombre de cas, des "open-lines"
qui permettent à des gens de devenir journalistes à
l'occasion...
Il y a le réseau de Radio-Canada qui, par le biais des postes
affiliés, pénètre à peu près dans tous les
secteurs du Québec, il y a les salles de nouvelles locales qui,
également, informent le public. Vous avez un paquet de sources
différentes de l'information qui fait qu'il n'y a pas, selon nous en
tout cas on admet que des gens puissent penser autrement, bien
sûr; on est démocrate de monopole de l'information dans la
province de Québec.
M. VEILLEUX: Je crois que c'est en 1969 le député
de Montmagny me reprendra que l'on a soulevé un problème
de distribution de l'information de journaux. Est-ce que, dans votre esprit,
cela veut dire que vous iriez même jusqu'à rejeter la
création d'une espèce d'agence de distribution pour mieux
desservir les popula- tions qui reçoivent, comme le disait le ministre
des Communications tout à l'heure, un journal ou plusieurs journaux,
une, deux et même trois journées en retard? Est-ce que, dans votre
esprit, ce serait s'immiscer dans...
M. FORTIN: Le projet que vous essayez d'élaborer ressemblerait
à ce qui s'est déjà produit. Je pense à TEVEC en
particulier, par exemple, quelque chose de cet ordre. Si c'est à cela
que vous pensez, il est évident qu'on ne peut pas, en tant
qu'association, avoir des objections à ce que le gouvernement
réalise des émissions qu'il fait diffuser sur un câble ou,
après discussion avec une station. Evidemment, on ne peut pas avoir
d'objection.
M. VEILLEUX: Je suis d'accord, au point de vue de la diffusion par radio
ou télévision. Mais, dans mon esprit, c'est la distribution de
journaux dans les régions, compte tenu des distances, qui
reçoivent le journal une, deux ou même trois journées en
retard. Est-ce que, dans votre esprit, cela pourrait être
créé au même titre que câblovision pour permettre
à un groupe de personnes d'une région donnée de recevoir,
de capter plusieurs postes de télévision, plusieurs postes de
radio?
M. FORTIN: On sait que déjà, M. le Président, il y
a des tarifs qui sont concédés ou qui sont permis à des
quotidiens au niveau des postes royales du Canada. Je pense que l'on ne peut
pas s'opposer à cela. Mais nous, comme principe de base, vraiment, nous
maintenons notre point de vue pour ce qu'il vaut et c'est notre point de vue.
Tout le monde est libre de le contester, de ne pas s'y associer. On pense que
le pouvoir public, par les exceptions qu'on a essayé d'élaborer
tout à l'heure, ne devrait vraiment pas s'ingérer directement et
indirectement dans le processus libre de l'information.
M. VEILLEUX: M. le Président, en discutant de cela, cela
m'amène à prendre une de vos recommandations, qui est
complètement à l'opposé de celle qui est
présentée dans le mémoire de la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec, que les pouvoirs publics
refusent de s'intégrer dans les affaires du Conseil de presse, que ce
soit par le truchement d'une subvention quelconque, d'une indication sur la
voie que celui-ci devrait suivre ou, plus directement, par le noyautage.
Laissons de côté le noyautage, mais regardons le truchement d'une
subvention. Je sais si mon souvenir est bon, d'ailleurs je vais relire
le document ce soir, avant la commission de demain, parce qu'on va entendre les
gens de la Fédération professionnelle des journalistes du
Québec je sais qu'ils ont fait une recommandation à
l'effet qu'une subvention de l'ordre de peut-être un million de dollars
soit donnée au Conseil de presse pour lui permettre d'agir.
D'après vous, comment va s'autofinancer le Conseil de presse si on
applique la recommandation que vous mentionnez à la page 17?
M. FORTIN: Il y a deux possibilités de financement. Il y a
d'abord les cotisations de départ qui atteignent quand même un
chiffre assez intéressant pour les premiers mois de fonctionnement, il y
a des dons particuliers de gens qui pourraient vouloir collaborer à
cette oeuvre qu'on estime souhaitable, légitime et intéressante
que fera le Conseil de presse par le biais d'une fondation quelconque. Notre
position à ce sujet est que, vraiment, là aussi, nous nous
opposerions, nous, en tant qu'association, pour ce que cela vaut comme
objection, à ce que le gouvernement participe directement ou
indirectement à une fondation comme celle-là.
M. VEILLEUX: Pour reprendre une idée qui est chère
à plusieurs, le fait que des gens non directement impliqués dans
l'information, que ce soit au niveau des propriétaires ou au niveau des
journalistes, fassent des dons au Conseil de presse, n'avez-vous pas peur que
des gens non directement impliqués dominent d'une certaine façon,
avec des subventions, petites ou grosses, le Conseil de presse; subvention
genre caisse électorale?
M. FORTIN: Cela demeure théoriquement possible, bien sûr.
Le point que l'on a voulu faire tout au long de notre mémoire,
particulièrement au début, c'est que la presse je me
permets de le répéter c'est le prolongement de
l'Opposition, en quelque sorte, et il me semble qu'il y a une antithèse
formelle entre pouvoir public et information libre.
En raison justement de ce fait, nous nous opposons au principe
même de toute subvention directe ou indirecte à la presse et aussi
au conseil de presse.
M. VEILLEUX: Vous venez de confirmer une chose que vous dites dans votre
mémoire à savoir que vous étiez le prolongement de
l'opposition officielle.
M. FORTIN: Non, non.
M. VEILLEUX: Je regarde mes amis d'en face et ils sont très
heureux d'apprendre cela.
M. FORTIN: En fait, dans notre mémoire, nous disons deux choses.
La presse devient automatiquement un prolongement de l'opposition je
n'ai pas dit officielle puis en même temps, une sorte de chien de
garde de l'intérêt des droits du public.
M. VEILLEUX A la page 2, vous dites: Opposition officielle.
M. L'ALLIER: Au bas de la page 2, vous parlez de l'opposition
officielle.
M. VEILLEUX: Vous dites: La presse ne doit-elle pas au meilleur de ses
ressources civiques, intellectuelles et financières être non
seulement le prolongement de l'Opposition officielle, mais encore le chien de
garde des droits des citoyens face au pouvoir.
M. FORTIN: Je vous remercie de nous l'avoir mentionné, c'est
vraiment de l'opposition tout court dont on parle.
M. VEILLEUX: Nous allons raturer le mot "officielle".
M. FORTIN: Oui, oui.
M. CLOUTIER (Montmagny): Le mémoire prend de la valeur à
mesure qu'on l'examine.
M. VEILLEUX: Vous n'avez pas de questions à poser sur ce sujet
particulier? A la page 16, une chose qui m'a frappé, en bas de la page
15: Pour être consistante avec la logique de principes
énoncés précédemment, l'association ne croit pas
opportun ni pratique de conférer aux journalistes le droit au secret
professionnel, bien qu'elle sache que l'absence d'un tel droit constitue un
réel danger que les journalistes soient constamment harcelés dans
l'exercice... Vous mentionnez à un certain moment qu'on devrait donner
le pouvoir excusez le pléonasme le pouvoir au pouvoir
judiciaire de décider quand un journaliste doit garder ou ne pas garder
son secret professionnel. Est-ce que vous pourriez expliciter davantage?
M. FORTIN: C'est parce qu'il nous parait que le juge, on le fait en
somme...
M. VEILLEUX: L'ombudsman.
M. FORTIN: ... le détenteur de l'intérêt public.
Disons que c'est une concession que notre association est disposée
à faire relativement à cette question du secret professionnel; ce
serait une amélioration par rapport à la situation actuelle.
C'est cela et pas plus que cela qu'implique notre recommandation.
M. VEILLEUX: Parce qu'il y a eu, notamment aux Etats-Unis,
dernièrement, la condamnation d'un journaliste. Le juge voulait le
forcer à dévoiler ses sources, mais le journaliste a
préféré subir l'emprisonnement. Je pose toujours des
questions, je ne porte pas de jugement, vous ne trouvez pas qu'il peut y avoir
danger qu'un pouvoir tel que celui-là devienne ni plus ni moins, je ne
le sais pas, un gouvernement parallèle?
M. FORTIN: A un moment donné, il faut se reposer sur quelqu'un. A
qui va-t-on confier cette responsabilité? A un parti politique, à
l'opposition, officielle ou non, je ne sais pas, à un conseil de presse?
Il me semble, généralement, que c'est la façon
traditionnelle de faire traiter les cas litigieux par un juge. Nous avons
pensé que c'était un biais. Nous vous le suggérons en tous
les cas à votre attention pour
améliorer la situation. C'est évident que cela ne
règle pas les problèmes des journalistes qui en ont, c'est bien
évident.
M. VEILLEUX: Dans votre esprit, cela veut dire que vous ne jugez pas bon
de laisser entièrement, dans tous les cas, le secret professionnel aux
journalistes?
M. FORTIN: C'est bien ça, c'est exact. Notre point est que le
journaliste n'a droit à aucun secret professionnel mais qu'à un
certain moment le juge peut, pondérant l'intérêt public, ne
pas astreindre un journaliste à dévoiler ses sources. C'est le
point qu'on veut plaider et qu'on vous propose.
M. VEILLEUX: Ce serait l'inverse. Au lieu de dire que le journaliste
conserve son droit au secret professionnel, sauf dans les cas particuliers
où un juge peut décider, vous dites, vous, au départ que
toute source doit être dévoilée sauf si un juge dit de ne
pas la dévoiler.
M. FORTIN: C'est exact.
M. VEILLEUX: C'est exactement le raisonnement inverse que vous
faites.
M. FORTIN: C'est ça. On arrive peut-être au même
résultat.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Montmagny.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, M. Fortin, au
mémoire, à la page 4, vous parlez des sources de revenu, vous
dites: Plus elles sont nombreuses et diversifiées, plus sont
réduits les risques d'être à la merci de l'une d'elles.
Est-ce que ces sources de revenus sont constituées dans une
proportion très importante par la publicité, la vente
d'annonces?
M. FORTIN : Dans le cas des postes privés de
télévision et de radio, dans le cas des journaux, c'est
évident que c'est la seule source de revenus, à ma connaissance
en tous les cas.
M. CLOUTIER (Montmagny): Mais dans le cas de radio et de
télévision...
M. FORTIN: Pour les postes de télévision privés,
c'est bien sûr. La seule source de revenus des postes de radio et de
télévision privés, ce sont les commerciaux
diffusés.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que l'on peut dire que, plus les sources
de revenus sont importantes, plus les commanditaires sont importants, plus ils
sont nombreux, ça vous permet d'ajouter à l'importance de
l'information et à la qualité de l'information que vous pouvez
mettre sur pied?
M. FORTIN: II est évident que plus votre budget de fonctionnement
est grand et large, plus vous êtes capable de donner du service à
votre public.
M. CLOUTIER (Montmagny): Quelles sont les exigences du CRTC quant
à la proportion qui doit exister, à la radio et à la
télévision, dans les media d'information, entre l'information et
le reste de la programmation? Dans les journaux, il y a une certaine proportion
qui doit être gardée entre l'information que contient le journal
et la publicité.
M. FORTIN: Oui.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce qu'il y a des exigences de cette
nature-là?
M. FORTIN: A la télévision, le CRTC restreint à
douze minutes par heure de programmation, la teneur commerciale. A la radio, M.
Pelletier?
M. PELLETIER: En radio, 250 minutes par jour pour un total hebdomadaire
de 1,500 minutes.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que les postes de radio et de
télévision qui sont dans les régions moins
densément peuplées et où il y a moins d'activité
commerciale ne sont pas, au départ, handicapés par ce manque de
potentiel de revenus pour ajouter à la qualité de
l'information?
M. FORTIN: La réponse est oui. Dépendant des
possibilités du marché que vous desservez, les services que vous
êtes en mesure de dispenser sont en relation immédiate et
étroite avec le potentiel publicitaire que vous servez ou qui est le
vôtre.
M. CLOUTIER (Montmagny): II n'y a aucune forme de
péréquation possible, de compensation possible, soit par
l'institution d'un mécanisme quelconque? Tantôt, vous avez
parlé c'est quelque chose qui m'a frappé de la
mobilité de la main-d'oeuvre, du personnel. Je comprends que pour un
poste qui est en Abitibi ou en Gaspésie, c'est peut-être plus
difficile de recruter du personnel à cause, d'abord, du bassin de
population et, deuxièmement, du budget de fonctionnement du poste.
Est-ce que cette mobilité de la main-d'oeuvre, du personnel, qui est
plus grande dans une ville comme Québec, Montréal, Sherbrooke et
ainsi de suite... Est-ce que le niveau de rémunération qui peut
être donné dans un endroit comme celui-là est une cause de
difficulté de recrutement?
M. FORTIN: Bien sûr et, comme je l'expliquais tout à
l'heure, plus vous descendez dans l'échelle financière, plus vous
êtes obligé de faire appel à du personnel non
expérimenté qui
va faire son expérience sur place. J'aimerais, si vous permettez,
revenir sur un point qui me parait extrêmement intéressant et qui
se produit présentement en radiodiffusion.
Nous assistons présentement à la création de petits
réseaux régionaux. Votre commission devrait peut-être
considérer un peu plus ce phénomène qui a l'air de vouloir
se développer et qui encourt la bénédiction du CRTC. Nous
avons avec nous M. François Bastien qui représente justement un
de ces groupes de petits postes qui ont mis en commun leurs ressources pour
certains objectifs. Si vous permettez, M. le Président, j'aimerais lui
laisser la parole pour qu'il fasse part de l'expérience qu'ils sont en
train de vivre.
M. BASTIEN: A venir jusqu'à l'an dernier, nous avions trois
stations de radio qui étaient Lac Mégantic, Thetford Mines et
Victoriaville. Nous étions aussi entourés des réseaux de
Radiomutuel et de Télémedia par Québec,
Trois-Rivières, Montréal et Sherbrooke. A ce moment-là,
nous avons fait une demande pour établir un poste à Plessisville
et un autre à Asbestos. Nous avons aussi demandé une affiliation
à Radio-Canada et une permission d'opérer notre réseau des
Appalaches.
Tout est devenu concret à la fin de 1972 parce que le poste
d'Asbestos est entré en ondes le 8 décembre et, actuellement,
c'est ce que nous faisons.
Premièrement, ce qui se produit, c'est qu'autrefois nous
étions en ondes 18 heures par jour. Actuellement, nous sommes en ondes
24 heures par jour. De minuit à six heures, la programmation est fournie
par notre réseau, alors c'est la même programmation aux cinq
postes. Cela nous a permis, avec notre affiliation à Radio-Canada,
d'avoir la nouvelle internationale présentée par Radio-Canada
à des heures fixes. Cela nous a permis de mieux développer la
nouvelle locale et régionale en produisant des blocs d'information
émanant de chaque station. L'expérience, qui est encore
récente, semble plaire énormément à la population.
Le système n'est pas encore complètement rodé, il y a
place pour de l'amélioration; mais je crois qu'actuellement le
système qui permet de mieux informer les gens, c'est une concentration
de petits postes qui fonctionnent en réseau.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, cette expérience
est très intéressante. Cette forme de collaboration se situe dans
la même optique, que l'on rencontre avec Radio mutuelle ou TVA. La mise
en commun, dans le cas de TVA, est surtout pour l'information. Dans le cas que
vous venez de donner, c'est pour la programmation aussi à certaines
périodes.
Alors, ce serait là, d'après vous, une façon pour
ces media d'information qui exercent leur activité dans des
régions moins densément peuplées ou moins riches
économiquement, de mettre en commun des possibilités pour
augmenter les services à la population, soit l'information ou la
qualité de la programmation.
M. BASTIEN: Exactement.
M. CLOUTIER (Montmagny): Ce serait une façon de...
M. BASTIEN: Nous le croyons, monsieur.
Maintenant, je veux aussi vous dire qu'à travers ça,
d'après l'étude que nous avons faite, il y a encore quatorze
stations de radio qui pénètrent à l'intérieur de
notre territoire. Quant au nombre de postes de télévision, je ne
le sais pas, mais il y en a au moins six ou sept.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de
Trois-Rivières.
M. BACON: Etes-vous la seule région actuellement qui avez un
réseau semblable?
M. BASTIEN: Non monsieur, la même chose existe ailleurs; par
exemple, il y a un réseau qui se forme avec Drummondville, Joliette et
Sorel.
Vous avez la même chose avec Radio-Nord en Abitibi, il y a aussi
Sainte-Anne-de-la-Poca-tière qui est en train de développer son
propre réseau. Il semble que ce soit la tendance actuellement.
M. BACON: M. le Président, si vous le permettez, il y a un autre
sujet sur lequel j'aimerais revenir. Lorsque vous parlez de recrutement de
journalistes ou de personnel au service des nouvelles, il y a une chose qui me
frappe dans votre mémoire. D'une part, vous parlez de la formation des
journalistes qui semblent avoir été un peu laissée pour
compte au cours des dernières années. Je me demande si la
situation actuelle c'est mon jugement personnel, j'aimerais avoir votre
opinion là-dessus sur la question du recrutement, ne fait pas un
peu l'affaire des radiodiffuseurs. C'est-à-dire vous avez un
marché peut-être plus libre que si vous aviez des gens
peut-être mieux formés, surtout au point de vue du salaire.
M. FORTIN: C'est une façon de l'interpréter, nous ne
sommes pas d'accord.
M. BACON: Vous admettrez que dans plusieurs postes de radio cela
m'a frappé non seulement dans notre région, mais un peu
partout dans la province, surtout au cours des fins de semaines, il y a des
étudiants ou des employés supplémentaires. Il reste quand
même que la qualité de la rédaction des nouvelles n'est
peut-être pas la meilleure à ce moment-là.
M. FORTIN: C'est bien possible...
M. BACON: Au point de vue du salaire, vous avez un
déboursé probablement plus gros, je
comprends vos impératifs et vos besoins. En fait, vous êtes
dans des entreprises, vous devez vivre de vos sources de revenus. Mais je me
demande si vous n'êtes pas un peu complice de cette action, si les gens
ne sont pas formés, en fait, cela ne vous fait rien.
M. FORTIN: Vous ne serez pas étonné, M. le
député, si je vous dis que non. C'est évident que non. Il
n'y a pas complicité. Je pense que toutes les stations de radio et de
télévision sont intéressées à avoir le
personnel le plus qualifié possible. En raison de la loi de l'offre et
de la demande, c'est évident et certains que s'il y a plus de candiats
compétents, il y aura plus de gens compétents à
l'intérieur des salles de nouvelles. J'essaye de voir comment on peut
arriver à votre raisonnement et je m'excuse, mais je n'y arrive pas.
M. AUDETTE: Le phénomène de fin de semaine n'est pas
particulier à l'entreprise privée et aux postes de province.
M. BACON: Non, je ne relie pas cela à l'entreprise
privée.
M. AUDETTE: Vous avez le même phénomène qui se
répète à Radio-Canada, vous avez le même
phénomène qui se répète à
Télé-Métropole à Montréal. C'est une
façon de trouver les nouveaux candidats éventuels et de les
développer. Il faut commencer à quelque part. Evidemment, ils
sont moins bons, c'est juste, on les utilise la fin de semaine et il y a
toujours la disponibilité de ces gens-là. On ne peut pas exiger
de notre personnel de travailler sept jours par semaine. Qui sera
intéressé, dans une ville comme Jonquière ou Chicoutimi,
à travailler seulement deux jours par semaine, en fin de semaine? Il y a
là un problème qui se pose. Nous essayons, autant que possible,
de trouver les plus disponibles, mais ce n'est pas toujours facile. Cela
revient toujours à une question de disponibilité.
Généralement, la façon d'entrai-ner un journaliste
à la radio et à la télévision, c'est de l'utiliser
en fin de semaine; quand il est assez bon, il travaille en semaine.
M. BACON: Dans les stations, comme vous l'avez mentionné, M.
Bastien, tantôt, est-ce que vous avez des échanges de personnel ou
une rotation de personnel d'une station à l'autre d'une façon
systématique pour l'entraînement du personnel ou si en fait chacun
reste avec son personnel dans chaque station?
M. BASTIEN: En général c'est stationnaire, mais nous le
recommandons et cela se fait à l'occasion. J'ai le cas, actuellement,
d'un bonhomme qui, dans les quatre derniers mois, est passé par
Plessisville, puis Victoriaville et qui est rendu à Thetford Mines
actuellement.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Dubuc
sur le même sujet. Ensuite, le député de Bourget.
M. BOIVIN: M. Fortin, je crois bien qu'il est sage que le
propriétaire de l'entreprise ne devienne pas maître de
l'information. Ne croyez-vous pas que c'est une sérieuse concession que
de permettre à ces entreprises d'embaucher quiconque dans le domaine de
l'information sans que vous puissiez, vous, les journalistes, y mettre des
normes sérieuses? Il me semble que c'est de nature à nous faire
craindre, à la commission, que cet embauchage se fasse sans garantie de
compétence dans le domaine du journalisme.
M. FORTIN: Je ne peux pas vous enlever vos inquiétudes. Je ne
peux que vous dire que nous sommes intéressés encore
là cela dépend de l'ampleur de vos moyens financiers
à avoir le service de nouvelles le plus compétent, le plus
fiable, le plus complet, le plus responsable possible, et cela va se faire dans
la mesure où ceux qui y travaillent seront plus compétents, plus
responsables, plus ceci et plus cela. J'ai parlé du problème du
recrutement, j'ai dit qu'il y avait une certaine stabilisation depuis un an
peut-être, mais à un moment donné il n'y avait personne de
disponible. Vous êtes chef des nouvelles quelque part, vous dites: J'ai
besoin d'un journaliste, d'un reporter. C'est encore un problème, mais
il y a deux ou trois ans, c'était un problème terrible. Il n'y
avait pas de reporter d'expérience disponible, disposé à
venir travailler dans votre boite suivant les conditions normalement
établies à l'intérieur de votre boîte. Plus il y
aura de reporters compétents sur le marché du travail, plus une
sélection va se faire et cela va dans l'ensemble améliorer le
processus de formation.
M. BOIVIN: Ne croyez-vous pas que ce serait utile que chacun de ceux qui
apportent une nouvelle signe sa nouvelle? On voit assez souvent certaines
nouvelles qui courent et qui sont sous l'anonymat dans l'entreprise sans qu'on
ait la signature de celui qui l'apporte.
M. FORTIN: II y a plusieurs sources d'information, plusieurs sources
où vous puisez pour bâtir un bulletin de nouvelles, à la
radio-télévision je ne peux pas parler au niveau des
journaux, cela existe déjà partiellement, la signature. Il y a
d'abord les fils de presse sur lesquels vous allez chercher de l'information.
Evidemment, ce n'est pas possible de signer quand cela vient de Broadcast News
ou quelque chose comme cela. Déjà en
radio-télévision, par le biais du topo, qui est fait par celui
qui est allé chercher l'information, vous avez une signature
automatique. Quand le lecteur de nouvelles dit à un moment donné:
Voici M. Untel qui résume la situation pour nous, vous avez une
signature à ce moment-là.
Je ne vois pas que le phénomène qui existe ou qui a l'air
de se développer dans la presse puisse se transposer en
radio-télévision de la même façon. Cela existe
déjà sous une autre forme.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Bourget.
M. LAURIN: L'association, à la page 4, fait une
déclaration que j'estime très importante. "Le diffuseur ne peut
se faire le champion d'une propagande à la solde d'un parti politique,
d'un groupe donné." Si je comprends bien, cela veut dire aussi que le
diffuseur ne peut pas se faire le champion d'une propagande à la solde
d'une idéologie donnée, parce qu'un groupe donné comprend
un groupe qui a une certaine idéologie. Comment alors expliquer que
certains postes, soit de radio ou de télévision, engagent des
commentateurs qui commentent l'actualité, dont les commentaires
reflètent bien sûrement une idéologie politique
donnée, que ce soit sur des lois partielles ou des orientations
générales de la politique? On sait l'influence que
possèdent ces commentateurs, puisque le public ne s'y trompe pas. Ils
interprètent la volonté, l'orientation des propriétaires,
des détenteurs de licence. Même si ce n'est pas le cas, le public
a cette impression, que ce soit à tort ou à raison. Comment
réconcilier ce fait avec cette déclaration de principe?
M. FORTIN: Est-ce que vous me permettez de vous la citer, j'ai
apporté avec moi une déclaration de principe d'un journaliste qui
fait partie d'un comité de rédaction d'un hebdomadaire qui
s'appelle Québec-Presse? Est-ce que vous me permettez de vous citer
ça? Après ça, j'arrive au point que vous mentionnez. "Nous
connaissons bien l'argument qui est servi à Québec-Presse avec
une régularité d'horloge grand-père. Ce journal n'est pas
plus libre qu'un autre puisque ce sont les syndicats qui ont le plus investi.
Québec-Presse est donc à la merci des syndicats. A cela, il y a
une réponse bien nette, c'est vrai que ce sont les syndicats qui ont le
plus investi, c'est vrai que si nous perdions leur appui, nous risquerions de
disparaître. Par ailleurs, la volonté même du journal est
d'en faire un instrument au service des travailleurs. Le journal croit au
syndicalisme. Il y a donc un accord idéologique qui commande
nécessairement des rapports privilégiés. Cela ne veut
cependant pas dire que Québec-Presse est le journal des syndicats, au
sens où le journal bénit et doit bénir tous les gestes de
tous les syndicats systématiquement. La preuve en est qu'à
quelques reprises, Québec-Presse a dénoncé certaines
pratiques syndicales. Nous les avons dénoncées cependant au nom
même du syndicalisme, c'est là une nuance importante.
Québec-Presse tente souvent de dénoncer les pratiques
capitalistes, par exemple. Dans ce cas, la dénonciation n'est pas faite
au nom même du capitalisme mais pour tenter de prouver que non seulement
les pratiques capitalistes mais bien le capitalisme lui-même sont
condamnables. Voilà deux attitudes fort différentes."
Qu'un journal définisse sa politique de cette façon, je
pense que personne n'a d'objection, c'est bien évident.
M. LAURIN: La Presse l'a défini dans le sens contraire.
M. FORTIN: Bien sûr, nous sommes tout à fait d'accord. Mais
je peux vous dire ceci, c'est que si nous définissions notre politique
en ces termes, je suis convaincu que nous n'aurions pas de renouvellement de
licence ou bien nous perdrions notre licence immédiatement. C'est dans
ce contexte qu'il faut voir le fait que nous ne pouvons nous faire le champion
d'une cause, d'une idéologie. Sur chaque station de radio et de
télévision, par le biais des émissions d'information, par
le biais des émissions d'affaires publiques je signale votre
présence à TVA l'autre jour, vous avez eu tout le loisir
d'expliquer vos thèses par ce biais, je pense que vous avez des
gens qui peuvent venir à certains moments défendre leurs
thèses. Qu'une station de radio et de télévision ait un
editorial, qu'elle engage un commentateur ou un observateur de la chose
publique qui, selon elle, cadre à peu près avec l'objectif
qu'elle poursuit, cela n'infirme pas la déclaration de principe qui
figure dans notre mémoire. Je pense que nous manquerions à notre
mission et que nous risquerions de perdre notre permis ou de ne pas le voir
renouveler si l'ensemble de notre programmation, de nos émissions
d'information et d'affaires publiques tendait à défendre une
idéologie, une thèse politique quelconque. C'est dans cet esprit
qu'il faut voir le point que nous voulons défendre dans notre
mémoire.
M. CHARRON: Mais est-ce que les commentateurs dont parlait le
député de Bourget ne défendent pas une idéologie
déterminée eux aussi?
M. FORTIN: Au même titre qu'un homme politique qui est
interrogé au cours d'une émission d'affaires publiques
défend ses thèses.
M. LAURIN: Excepté que l'homme politique est invité deux
ou trois fois par année alors que votre éditorialiste s'exprime
tous les jours et a la chance de river le clou d'une façon
répétée, d'une façon subliminale ou liminale.
Et on sait la force des perceptions subliminales dans la formation de
l'opinion publique.
M. FORTIN: Je ne peux que vous répondre ce que je viens de dire,
c'est que par le biais des émissions d'information et d'affaires
publiques et des émissions de variété dites "talk-show",
je pense qu'à peu près toutes les opinions sont diffusées.
Enfin, du moins celles qui ne vien-
tient pas en contravention avec le cadre légal du pays.
M. LAURIN: Mais qu'est-ce que les postes perdraient à se priver
de ces commentateurs qu'ils engagent?
M. FORTIN: Je pense que... Parlons des "open-lines" en
particulier...
M. LAURIN: Ils se priveraient d'un porte-parole qui exprime leur
idéologie!
M. FORTIN: Peut-être que oui, peut-être que non.
M. LAURIN: Donc, ce n'est pas une neutralité. La
neutralité que vous prétendez observer en théorie ne
s'observe pas dans les faits.
M. FORTIN: Je regrette d'être absolument en désaccord sur
cela.
M. LAURIN: Puisque d'une certaine façon, le commentateur est
choisi après un questionnaire, une entrevue où il s'avère
qu'il est en concordance d'esprit assez étroite avec l'idéologie
qu'entretient le détenteur du poste. Parce qu'autrement, il ne serait
pas choisi.
UNE VOIX: C'est lui qui est responsable.
M. FORTIN: Je regrette de vous dire que par le biais de toutes les
autres émissions, toutes les opinions sont diffusées, que ce soit
vous, Dr Laurin ou un autre qui partage nos opinions, que ce soit un autre
membre de l'Opposition officielle...
M. CHARRON: Oui, oui, mais...
M. FORTIN: Voulez-vous me laisser parler, s'il vous plaît!
M. CHARRON: Mais je n'ai rien dit. Vous n'êtes pas en train de
faire un editorial, là.
M. FORTIN: Toutes les opinions sont diffusées par le biais de nos
émissions d'affaires publiques, d'information, nos "talk-shows". Je
pense qu'il faut voir le point ou le principe que nous défendons
à l'intérieur de ce contexte.
M. CHARRON: Ne noyez pas le poisson. Ne revenez pas constamment sur le
fait qu'il y a des "talk-shows" et des émissions comme Le choc des
idées ou comme Politique atout; d'accord, cela existe, on pourra en
parler comme tel. Mais il y a une différence entre faire venir un
politicien quel qu'il soit, même parfois opposé qu'il soit
un homme pour qui les propriétaires du poste n'ont aucune
considération politique, peu importe, c'est un devoir de les faire venir
et ils viennent être soumis, à une émission comme Le
choc des idées, à des journalistes chevronnés qui vont
mettre le politicien et l'idéologie qu'il véhicule, qui
bénéficie des ondes pour pouvoir la véhiculer aussi
habilement ou malhabilement qu'il le peut pendant une heure, et l'intervention
style souverain pontife qu'un éditorialiste qui devient une figure
connue, qui revient tous les soirs ou tous les deux soirs et qui analyse la
société, le genre CJMS pense pour vous et qui intervient et leur
dit sa conception... Il y a une différence. Donnez-moi une heure au Choc
des idées et donnez-moi cinq minutes tout seul comme commentateur
éditorialiste et je vais prendre les cinq minutes tout seul. Je vous
l'assure. C'est cela que les postes de radio et de télévision...
J'écoutais ce matin celui de Trahan à Radiomutuel qui, encore une
fois, règle le sort du monde en quatre minutes et demie dans un
éditorial; c'est un pouvoir que jamais aucun politicien
interviewé sur les ondes de la télévision par les
journalistes ne peut avoir. Ne comparez pas les deux choses et je pense que la
question du député de Bourget porte sur une seule chose: Pourquoi
croyez-vous qu'il soit nécessaire d'avoir un éditorialiste du
genre aux yeux des propriétaires de ces media d'information? Ce doit
donc être parce qu'il véhicule une idéologie dont les
propriétaires sont parfaitement conscients; ils souhaitent la voir
véhiculer dans le grand public sinon, ils ne l'embaucheraient pas. Je
pense que ces bonshommes sont assez préoccupés par la
rentabilité, le profit et l'argent, parce que ce sont des entreprises
commerciales dont certaines sont insécures, qu'ils ne se risqueraient
pas à embaucher des bonshommes, souvent à un fort salaire, parce
qu'ils ont de la gueule, pour prendre cinq minutes d'ondes chaque jour, alors
qu'il pourrait être tout aussi bien payant de faire de la
publicité télévisée au même moment.
M. LAURIN: J'aurais une autre remarque à vous faire à ce
sujet. Lorsque vous répondez que ceci est compensé par le fait
que lors des émissions d'opinion publique, tous les partis sont
invités à tour de rôle à émettre leurs
opinions, je suis d'accord avec vous. C'est vrai mais justement, dans ces
émissions d'opinion publique, tous les invités, tous les partis
politiques sont invités à faire connaître tour à
tour leurs idées. Mais là où le balancier est
modifié dans un sens particulier, c'est quand le poste s'arroge le
pouvoir, par l'intermédiaire de son porte-parole, de faire pencher le
balancier du côté qui lui parait préférable.
Dans votre mémoire, vous dites, un peu plus haut: Notre
association estime que le rôle de chacun de ses membres est de faire
savoir au public les changements que subit cette société." Quand
vous engagez un éditorialiste, non seulement vous faites connaître
au public les changements que subit cette société mais vous les
appréciez, vous les critiquez, vous orientez l'opinion publique et
alors, vous dérogez, vous outrepassez la prérogative ou le droit
que vous
vous donnez de faire connaître au public les changements. Vous
faites plus que les faire connaître, vous les commentez, vous les
appréciez, vous les critiquez, vous orientez l'opinion publique dans le
sens de tel ou de tel changement.
M. FORTIN: II y a peut-être un point qu'il serait important de
vous communiquer. C'est que le droit de réplique existe en
radiotélévision. C'est un droit, ce n'est pas un
privilège. Quelqu'un, à un moment donné, peut
différer d'opinion avec l'opinion de l'éditorialiste, du temps
à l'antenne lui sera réservé pour exprimer son
opinion.
M. LAURIN: Je suis bien d'accord que, pour la frime, en tout cas, un
poste peut permettre à quelqu'un qui n'est pas d'accord sur l'opinion de
M. Trahan ou d'un autre, de venir sur les ondes durant deux ou trois minutes
pour exposer son avis, mais cette prérogative ne sera accordée
à l'individu en question qu'une fois par semaine, par mois ou par
année, alors que le commentateur régulier pourra revenir le
lendemain, le surlendemain ou trois jours après pour, encore une fois,
enfoncer le clou qu'il veut enfoncer. Cela me semble injuste, cela me semble,
comme diraient les Anglais, "loaded" dans un sens, ou biaisé, comme
diraient les Français.
M. FORTIN: Puis-je vous demander si c'est en vertu de...
M. LAURIN: L'impartialité ne me semble pas respectée.
M. FORTIN: Est-ce que se sont les opinions que vous contestez ou bien le
droit des diffuseurs d'émettre des opinions?
M. LAURIN: Les deux.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre de
l'Education sur le même sujet.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): M. le Président, je ne vous cache pas que
je viens d'entendre avec une certaine stupéfaction le
député de Bourget et le député de Saint-Jacques. Je
me demande quelle sorte de société le Parti
québécois nous prépare si l'on devait s'attacher à
ces théories. Une société contrôlée avec une
rigidité...
M. LAURIN: Absolument pas.
M. CLOUTIER (Ahuntsic): ... qui élimine entièrement la
liberté élémentaire des individus. Je souhaiterais
rapidement, dans cette intervention, faire une distinction entre le travail du
journaliste reporter et le travail de l'éditorialiste. Je m'attends
qu'un journaliste reporter puisse, non pas transmettre son propre message
il a parfaitement le droit d'avoir des opinions, quelles qu'elles soient
mais transmettre l'opinion de celui qu'il interview. Ce n'est pas
toujours le cas, je dois le dire, et je pense que ceci devrait faire l'objet
d'une étude. Il est très possible qu'un conseil de presse et une
éthique pour la profession des journalistes éliminent ceux qui
n'arrivent pas à faire ce travail correctement. Cependant, je
n'hésite pas à dire qu'ici, au Québec, depuis que je
pratique assidûment le journalisme, c'est-à-dire depuis mon
entrée en politique, dans l'ensemble, ils sont excellents et arrivent
véritablement à faire ce travail de reporter. En revanche,
l'éditorialiste jouit, par définition, dans la mesure où
il signe son texte, qu'il s'agisse d'un texte écrit ou d'un texte
parlé, de la liberté de s'exprimer.
Je vois mal comment, dans une société démocratique,
on pourrait la lui refuser. Il est très possible que ses opinions ne
plaisent pas à certains partis politiques et ne plaisent pas au pouvoir,
mais je considère qu'il a ses opinions. Un éditorialiste
et vous comprendrez pourquoi je ne le nomme pas m'a même
demandé un jour ce que je pensais de sa liberté en tant
qu'éditorialiste. J'ai dit: Elle existe et je la défendrai. Je
défendrai jusqu'au bout votre liberté de dire des bêtises,
si vous le souhaitez. Parce que, à la condition qu'il en assume la
responsabilité, je ne vois pas pourquoi on irait lui dénier cette
liberté.
J'ai été moi-même attaqué par certains
éditorialistes, parfois très durement, mais en aucun moment, j'ai
songé à en faire une querelle, parce que je considère
qu'il a le droit d'avoir son opinion, qu'il se trompe ou qu'il ne se trompe
pas.
Or, ce que je crois comprendre dans les déclarations du
député de Bourget et du député de Saint-Jacques,
c'est qu'on refuserait ce droit aux journalistes de la presse parlée,
parce qu'il y aurait un impact beaucoup plus considérable. C'est exact
qu'il y a un impact beaucoup plus considérable. Comme le
député de Saint-Jacques, je ferais moi aussi le même choix
si on m'offrait cinq minutes d'éditorial à la radio plutôt
qu'un programme où je serais mis peut-être en contradiction,
où on tenterait de faire sortir les opinions non pas de celui qui est
interviewé mais également de ceux qui interviewent. Mais je pense
que c'est là le jeu de la démocratie et il y a un dernier
élément sur lequel j'insiste énormément et je crois
que cet élément rentre dans ma responsabilité en tant que
ministre de l'Education. C'est avoir une bien piètre opinion du public,
pour ne pas dire le mépriser, que de croire que ce même public va
gober tout ce qu'il entend sur les ondes ou tout ce qu'il lit dans les
journaux. Je crois que notre collectivité a consenti un effort
considérable dans le domaine de l'éducation et qu'en tenant
compte de cet effort, nous sommes en présence maintenant d'un public qui
a davantage de sens critique qu'il en avait il y a une dizaine d'années.
Par conséquent, si l'on doit
déplorer certains excès, je ne crois pas que ce soit par
des méthodes de coercition que l'on puisse les contrecarrer, mais bel et
bien par une éthique de la profession des journalistes de la presse
écrite ou parlée et également par une meilleure formation
du public. Merci, M. le Président.
M. LAURIN: M. le Président, je ne m'étonne pas du tout que
le ministre sentant que ces éditoriaux des stations de radio et de
télévision favorisent le parti auquel il adhère se porte
comme un preu paladin à la défense de l'ACRTF. Mais je voulais
simplement dire que je me posais des questions à l'intérieur
même du texte que nous a soumis l'Association canadienne de radio et de
la télévision de langue française, lorsqu'à la page
4, l'association dit elle-même : Contrairement à l'imprimé,
le diffuseur ne peut se faire le champion d'une propagande à la solde
d'un parti politique, d'un groupe donné ou d'une idéologie
politique donnée. Toute la diatribe du ministre de l'Education au fond
va à l'encontre de ce que proposait elle-même l'Association
canadienne de radio et de la télévision de langue
française, il va plus loin que ce que recommande et que ce que propose
l'association. Il est plus catholique en somme que le pape de l'ACRTF lorsqu'il
dit que l'éditorialiste, dans une station de radio et de
télévision, a le droit de faire exactement ce que fait
l'éditorialiste d'un journal. C'est l'association elle-même qui
limite ce droit et les questions que je posais étaient à
l'intérieur des limites de ce droit que préconise l'association.
C'est simplement pour montrer le manque de concordance entre ce que
prêche l'association et ce que font les stations de radio et de
télévision, que j'ai posé ma question. J'ai simplement
voulu montrer qu'il n'y avait pas concordance entre les principes que l'on
proclame et la réalité à laquelle on se résigne ou
qu'on favorise d'une façon directe ou indirecte.
M. CHARRON: C'est précisément aussi, M. le
Président, à la dernière partie de l'intervention du
député d'Ahuntsic que je me réfère lorsque se
faisant, pour le moment, ministre de l'Education, il invoquait les efforts que
le Québec avait faits et le fait que la société
québécoise avait été transformée. C'est
justement parce que la société québécoise est
beaucoup plus éduquée, beaucoup plus informée, beaucoup
plus polyvalente, beaucoup plus capable d'en apprendre, beaucoup plus capable
de se tester elle-même par rapport à d'autres valeurs, beaucoup
plus capable d'évoluer par elle-même plutôt que par un guide
sempiternel qui va toujours décider pour elle ou par une Chambre qui va
décider pour elle de son avenir que cette société exige
davantage.
Cette société ne tolère plus d'avoir un pape qui
apparaît tous les soirs cinq minutes à la télévision
pour toujours répéter la même idéologie, le
même refus d'avancer, le même prisme d'analyse de la
société, toujours les mêmes préjugés,
toujours les mêmes peurs, toujours les mêmes craintes, les
véhiculer, qui les formule avec une voix savoureuse et tout ce que vous
voulez. Que cette même société ne tolère plus les
éditorialistes de cette espèce qui ont empoisonné les
zones publiques, un après l'autre, avant de devenir hommes politiques la
plupart du temps. C'est justement une chose dont on doit se livérer
à moins que, dans l'éditorial télévisé, on
obtienne la même souplesse qu'on puisse obtenir encore une fois dans
l'éditorial imprimé. En ce sens que, plutôt que d'avoir un
chantre de l'idéologie et un vassal de l'idéologie et, parfois
même sans s'en rendre compte, un cocu content qui sert
d'éditorialiste dans le journal, on puisse avoir quelqu'un qui va
arriver et qui, le lendemain, pourra donner une interprétation, un
prisme tout à fait différent, ce qui n'écarterait pas
alors l'éditorial.
C'est ce contre quoi nous en avons, et il serait de gauche, ledit
éditorialiste, que la société québécoise ne
l'accepterait pas plus. Je n'accepterais pas plus, tous les soirs, de me faire
analyser la société par un marxiste léniniste durant cinq
minutes sur l'air pontifiant que les apôtres de la droite ont toujours eu
depuis qu'ils occupent les ondes.
Je ne l'accepterais pas plus. Je pense que les Québécois
sont assez capables d'en entendre. Vous avez fait des efforts au point de vue
du "talk show", au point de vue des invités pour varier les hommes
politiques qui se succèdent. On devrait également varier les
éditorialistes au lieu d'avoir les commentaires puants et
rétrogrades que nous entendons tous les soirs sur les ondes de la
télévision ou de la radio. C'est simple.
M. VEILLEUX: M. le Président, je suis à me demander si le
député de Saint-Jacques ne condamne pas son chef qui écrit
un article dans la page éditoriale du Journal de Montréal et du
Journal de Québec à tous les jours.
M. CHARRON: Ce qui est dans le journal, c'est parfaitement valable.
M. VEILLEUX: C'est malheureux...
M. CHARRON: Non, le député de Saint-Jean ne "flyera" pas
comme ça. Ce qui existe dans le Journal de Montréal, c'est
exactement ça. Il y a René Lévesque engagé comme
journaliste et éditorialiste. A côté, ce matin, il y a un
politicien du nom de Robert Bourassa, qui a le droit de dire exactement le
contraire de René Lévesque dans ce journal. Il n'est pas capable
de dire le contraire, mais il en aurait le droit, s'il le voulait.
A la télévision, nous n'avons pas ce même
privilège. A la télévision, il y a toujours le même
petit employé vassal des patrons qui répète
continuellement la même idéologie, qui est payé pour le
faire et qui se contente de le faire.
II n'y a jamais l'autre version, l'autre style, l'autre façon
d'aborder la société. C'est contraire à ce qu'affirme
l'Association canadienne de radio et de télévision à la
page 4 quand elle dit que ça ne devrait pas exister, alors qu'à
peu près chacune des stations qui lui appartient bénéficie
de cet éditorialiste qui juge le monde et qui décide pour le
reste.
M. VEILLEUX: J'aurais une question à poser au représentant
de l'ACRTF. Je peux faire erreur, mais n'y a-t-il pas un poste de
télévision, à Sherbrooke, CHLT-TV, où je ne
sais pas si ça fonctionne toujours les éditoriaux sont
entendus tous les jours entre les nouvelles du sport et les nouvelles
ordinaires? Est-ce que, à ce moment-là, c'est toujours la
même personne qui fait l'éditorial ou si ce sont des personnes
différentes?
M. FORTIN: Nous allons peut-être revenir sur des faits pour toutes
sortes de bonnes raisons. Chez nos membres, les membres de l'Association
canadienne de la radio et de la télévision de langue
française, actuellement, je ne connais pas de station qui dispose d'un
éditorialiste à plein temps.
Il se peut qu'il y en ait, mais je n'en connais pas qui ont un
éditorialiste qu'on voit ou qu'on entend quotidiennement sur les ondes
de la radio ou de la télévision. Je peux parler de stations de
télévision à Québec, Sherbrooke. Je peux parler de
postes de radio qui font appel à des individus différents pour
exprimer des commentaires sur l'actualité. Cela se fait à
Québec. Cela se fait à Sherbrooke. Cela se fait dans certains
postes. J'ai ici la liste de ce qui se fait généralement
je pourrai même la déposer auprès de votre commission
de ce qui se fait présentement dans les postes de radio et de
télévision. C'est évident qu'il y a eu des stations de
radio et de télévision qui ont eu des éditorialistes
à plein temps. Nous sommes bien d'accord là-dessus. Mais cette
politique a évolué chez les membres de l'association. Je
précise bien, chez les membres de l'association. M. le Président,
si vous me permettez, je pourrai...
M. VEILLEUX: Ici, à Québec, par exemple, étant
donné que nous sommes à Québec, à
Télé 4, est-ce toujours la même personne qui fait
l'éditorial à tous les jours? Ce sont des personnes...
M. FORTIN: Depuis au-delà d'un an, nous avons sept ou huit
commentateurs différents qui sont invités à exprimer leurs
opinions sur l'actualité de façon très
régulière.
M. VEILLEUX: Est-ce la même chose à Sherbrooke?
M. FORTIN: A Sherbrooke, c'est la même chose.
M. VEILLEUX: Est-ce la même chose au Canal 10 à
Montréal?
M. FORTIN: Je pense que oui. Il n'y en a pas actuellement au Canal
10.
M. VEILLEUX: Si on prend des postes de-radio comme CJMS?
M. AUDETTE: Je voudrais vous rappeler que CJMS et son groupe
n'appartient pas à notre association. On l'a attaqué à
plusieurs reprises tout à l'heure. Il ne nous appartient pas de le
défendre puisqu'il ne nous appartient pas.
M. VEILLEUX: Quel poste de radio, à Montréal, appartient
à votre association et compte des éditorialistes? Est-ce que CKVL
appartient à votre association?
M. AUDETTE: Oui.
M. VEILLEUX: Est-ce toujours le même éditorialiste ou si ce
sont des éditorialistes différents?
M. AUDETTE: CKVL n'a pas d'éditorialiste. M. VEILLEUX: CKAC?
M. FORTIN: II ne fait pas d'éditorial. Ce sont plutôt les
commentaires des spécialistes qui présentent leurs points de vue
sur différents sujets. C'est la documentation que j'ai ici.
M. CHARRON: Solange Chaput-Roland?
M. FORTIN: Elle n'est pas là continuellement. Ce n'est pas
toujours elle qui est là.
M. CHARRON: Elle est là souvent en tout cas.
M. VEILLEUX: Vous mentionnez dans votre mémoire qu'il y a...
M. CHARRON: A tous les jours, à 6 h 25, je pense.
M. VEILLEUX: ... 42 stations AM, sept stations de radio-FM et dix
stations de télévision. Est-ce qu'il y en a parmi ces stations,
à votre connaissance, comme représentant de l'ACRTF, qui ont un
seul éditorialiste et qui est toujours le même à tous les
jours et toute la semaine?
M. FORTIN: Malheureusement, je ne peux pas vous donner un non ferme. Je
crois que c'est non. La documentation que j'ai ici indique que non. Elle a
été compilée par notre association. On me dit qu'à
CKAC, semble-t-il, c'est la même personne. Je l'ignore. C'est possible
qu'il y ait ce cas. Mais en télévision, en radio, pour
ceux que l'on connait, ceux que j'ai ici dans la documentation, c'est
non.
M. VEILLEUX: M. le Président, j'ai terminé.
M. CHARRON: J'aurais une dernière question à poser.
Tantôt, dans un témoignage, vous avez fait allusion à une
entente ou un plan qui aurait été fait, de concert avec les
stations M. Pelletier a mentionné cela qui aurait fait
état de plans en cas de crise sociale, qui aurait été
élaboré par les radiodiffuseurs. Est-ce qu'il y a moyen de savoir
comment ce plan est fait? De concert avec qui et qui y a été
mêlé?
M. AUDETTE: Si vous voulez savoir qui y a été
mêlé: la Commission de police du Québec, la police de
Montréal, la police de Québec et la Gendarmerie royale sont les
organismes qui ont participé, de même que le CRTC.
M. VEILLEUX: M. le Président, on a parlé au début
de la séance de ce problème et on a dit qu'on venait faire
visionner le film jeudi matin à 10 heures et que nous continuerions la
discussion là-dessus. Si le député de Saint-Jacques est
arrivé une heure et demie ou deux en retard, ce n'est pas notre faute.
Les membres de la commission ont pris la décision que nous attendions
à jeudi 10 h pour discuter.
M. CHARRON: Très bien.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): La commission ajourne, en ce qui
concerne l'ACRTF, à jeudi matin 10 h et demain, la commission va
continuer ses travaux en entendant le mémoire de...
M. VEILLEUX: La Corporation professionnelle des journalistes du
Québec, avec M. Beauchamp.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Très bien, demain 10
heures.
(Fin de la séance à 12 h 25)
Séance du 14 février 1973 (Dix heures six minutes)
M. CROISETIERE (président de la commission spéciale de la
liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!
Nous avons à l'ordre du jour la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec. Tantôt, j'inviterai M.
Claude Beauchamp qui est le président. Avant de l'inviter, le ministre
des Communications aurait quelques mots à dire relativement à la
réunion qui s'est tenue hier.
L'information et la police
M. L'ALLIER: M. le Président, c'est uniquement pour
compléter les travaux d'hier et pour préparer ceux de demain. En
relisant la transcription des débats hier, j'ai noté qu'au moment
de la présentation de son mémoire, M. Pelletier nous avait
proposé de déposer à la commission et je le cite ici: "Si
vous me permettez, M. le Président, je pourrai déposer à
la commission une copie du document qui décrit les modalités de
fonctionnement établi par la Commission de police du Canada et notre
association nationale." Or, on n'a pas demandé hier le
dépôt de ce document; c'est passé inaperçu. Comme
demain nous devons reprendre ce sujet, je vous demanderais de communiquer par
le secrétariat de la commission avec l'ACRTF pour que ce document soit
disponible demain matin.
M. CHARRON: C'est ce que j'allais demander hier après-midi
à la fin de la séance lorsque je suis revenu sur le sujet.
J'allais demander à M. Pelletier de ne pas oublier de déposer le
document comme il s'était engagé à le faire. C'est
là que le député de Saint-Jean m'a rappelé qu'on en
parlerait demain.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Pelletier est ici.
M. PELLETIER: Demain matin, M. le Président.
M. VEILLEUX: Le message est fait.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Nous revenons à M. Claude
Beauchamp qui est président; je l'invite à nous faire la lecture
de son mémoire.
Fédération professionnelle des
journalistes du Québec
M. BEAUCHAMP: M. le Président, MM. les députés,
à la demande du rapporteur des commissions, M. Veilleux, je ferai une
introduction de 15 à 20 minutes au mémoire qu'on vous a soumis il
y a environ un an.
H est bien évident que la FPJQ a un intérêt tout
particulier dans les travaux de votre
commission. Cet intérêt découle évidemment,
tout naturellement, comme pour toutes les associations du genre, de notre
fonction qui consiste à représenter nos membres auprès des
corps publics et aussi, c'est le premier article de notre charte, à
assurer que le droit du public à l'information est bien respecté,
un droit que nous considérons comme le fondement même de la
liberté de presse. Notre intérêt dans les travaux de la
commission vient aussi du fait que la FPJQ est à l'origine
immédiate de la formation de la présente commission. Je me
permettrai de faire un bref historique pour rappeler que nous sommes intervenus
en mai 1970.
Là, je passe sous silence nos interventions antérieures
lors de la première commission de ce genre. Alors, en mai 1970, nous
avons demandé la reconvocation d'une commission parlementaire pour
étudier les problèmes d'information au Québec parce que
nous trouvions inacceptable que la première commission parlementaire sur
la liberté de presse, qui avait surtout touché au problème
de la concentration des entreprises de presse, ait terminé ses travaux
sans tirer de conclusion et sans remettre de rapport. Nous sommes revenus
à la charge à un moment plus dramatique, en octobre ou novembre
1970 pour demander, cette fois-là, que les problèmes
d'information en temps de crise, qui ont donné lieu à
l'époque, vous vous en souviendrez, à des attaques verbales,
j'oserais dire parfois hystériques de la part de certains hommes
politiques, contre les journalistes et la presse, on a demandé que ces
problèmes soient discutés calmement, publiquement, ouvertement,
rationnellement, dans une enceinte comme celle qu'offre une commission
parlementaire.
Ce n'est qu'en 1973 que nous sommes appelés à
témoigner. Ce long délai, qu'on peut sans doute expliquer par
toutes sortes de raisons, place évidemment les échanges que nous
aurons aujourd'hui dans un contexte bien différent. Comme toute chose a
son bon côté, nous espérons que, dégagées de
tout climat de crise, les discussions que nous aurons aujourd'hui en seront
d'autant plus complètes, utiles et productives.
La tentation a été forte pour nous, je dois l'avouer, de
nous désintéresser complètement des travaux de la
commission. Une bonne partie de nos congrès a porté sur cette
question parce que nos gens trouvaient que, finalement, la commission
parlementaire s'était révélée inefficace pour
aborder rapidement l'étude de problèmes urgents et aigus.
Nous avons finalement décidé de participer pleinement et
positivement aux travaux de la commission parce que la FPJQ est le seul
organisme qui ne représente que des journalistes, qui en
représente le plus grand nombre et c'est le seul organisme dont les
structures permettent de vraiment dégager, au sein de la profession au
Québec, un consensus assez général sur des points
fondamentaux.
Quand je dis que nous abordons le problème de l'information sous
un angle autre que celui des propriétaires d'entreprises de presse, je
ne veux pas dire par là que nous les envisageons uniquement dans la
perspective de relations patronales-ouvrières, de relations de travail.
Pas du tout. Il est bien certain que les journalistes exercent dans
l'entreprise de presse une fonction différente de celle des
administrateurs, une fonction qui les place dans un état constant de
relations patronales-ouvrières et dans la possibilité de conflits
de travail. Mais la responsabilité des journalistes, et ceci est bien
important, n'existe pas qu'envers l'employeur. Elle existe également, et
je dirais même surtout, à l'égard du public lecteur et du
public auditeur. Le véritable patron du journaliste, c'est le
public.
C'est à lui que le journaliste s'adresse, c'est pour lui qu'il
cueille l'information, c'est pour le public qu'il la digère, l'analyse
et la retransmet.
Je puis affirmer que, pour un journaliste, sa première
loyauté doit aller au public. C'est pour cela d'ailleurs je me
permets une petite digression qu'on observe au sein de la profession, du
métier, une mobilité professionnelle assez exceptionnelle si on
compare cela à ce qui se passe dans les autres professions; c'est que,
finalement, un journaliste se fout de travailler pour tel employeur ou tel
autre, il va travailler là où il pense qu'il peut le mieux
exercer son métier. Comme le dynamisme dans les journaux et dans
l'informattion est comme toute autre chose un peu cyclique, les gars passent
d'un journal à l'autre selon l'endroit où la motivation est la
plus forte.
Dans le mémoire que vous avez en votre possession, depuis
au-delà d'un an maintenant, je me permets de le souligner, nous
envisageons le problème de l'information sous l'angle du professionnel,
sous l'angle de celui qui, chaque jour, parce que c'est un travail de chaque
jour, doit donner au citoyen l'information à laquelle il a droit, sous
l'angle de quelqu'un qui sait combien il est difficile de cueillir
l'information et de la retransmettre s'il y a quelqu'un qui le sait,
c'est bien le journaliste sous l'angle de celui qui fait de son
métier, son seul métier, celui d'informer. Le métier du
journaliste est en effet d'informer et non pas de faire de l'argent car, bien
souvent, vous pouvez être sûrs que les deux sont incompatibles.
Le mémoire ne touche pas que les domaines de la concentration des
entreprises de presse et ne touche pas non plus à tous les aspects que
vous, à la commission, vous voulez envisager. Evidemment, nous sommes
prêts à répondre à vos questions sur tous les points
du mémoire comme sur les autres points qui pourraient venir à
l'extérieur du contenu du mémoire.
En bref, notre mémoire est centré sur le problème
de la concentration des entreprises de presse. En annexe, par exemple, nous
soulevons aussi tout le problème des relations entre la presse et les
pouvoirs publics, particulièrement entre la presse et l'appareil
policier et judiciaire. A cet effet, je me permets également de
souligner que les annexes qui sont contenues dans ce mémoire ont
été déposées à la commission, il y a au
moins deux ans, à l'époque de la crise d'octobre.
La concentration des entreprises de presse est un
phénomène qui fait beaucoup moins l'objet de conversations
aujourd'hui qu'il y a deux ou trois ans. Il ne faut cependant pas s'y tromper
si le phénomène de la concentration des entreprises de presse
semble s'être ralenti depuis deux ou trois ans. C'est attribuable tout
simplement au fait que les conditions économiques ne se prêtent
pas à des transactions majeures dans ce domaine en particulier. Nous
sommes certains qu'à la première occasion la concentration des
entreprises de presse sera un phénomène qui continuera à
s'étendre.
La position que la FPJQ adopte face au problème de la
concentration des entreprises de presse, à notre avis, est simple,
claire et réaliste. Sachant ce qui se passe au Québec et voyant
que le même phénomène se produit ailleurs, en particulier
aux Etats-Unis et en Europe, nous tenons pour acquis c'est une
acceptation et non une approbation que la concentration des entreprises
de presse est un phénomène qui va se poursuivre. Donc, il nous
faut en prévoir les conséquences sur le plan de l'information. La
concentration des entreprises de presse, en premier lieu, c'est ça qu'il
faut bien voir, c'est un phénomène économique, ce n'est
pas un phénomène professionnel. La concentration des entreprises
de presse, ce n'est pas fait d'abord pour donner une meilleure information,
c'est fait d'abord pour rentabiliser les entreprises ou pour maximiser les
profits. On essaie évidemment de faire croire que la concentration des
entreprises de presse est synonyme d'amélioration de la qualité
de l'information, mais en pratique, ce n'est pas toujours ce qui se produit.
Bien souvent, on pourrait vous en donner des exemples, c'est le contraire qui
se produit. Or ces impératifs économiques qui poussent les
entreprises à se concentrer dans le domaine de la presse font peser un
danger au niveau de la liberté de presse, parce que ce que les journaux
produisent, c'est un produit intellectuel et la concentration, s'il y en a une,
et il y en a une, peut amener non seulement un monopole financier, mais
également un monopole idéologique et c'est ce qui est dangereux.
Il faut apprendre finalement, néanmoins, à vivre avec ce
phénomène de la concentration des entreprises de presse. Il
serait ridicule, à mon avis, de dire: On empêche toute
concentration des entreprises de presse. Il s'agit de contrôler la
concentration des entreprises de presse, et on a des recommandations à
cet effet. Mais je pense qu'il faut apprendre à vivre avec ça, en
tirer les conséquences et y pourvoir.
Comme la concentration des entreprises de presse est un
phénomène qui est nouveau, qui est récent, qui a tout au
plus une génération, un phénomène qu'on
connaît mal c'est un phénomène qu'on n'a pas
combattu, qu'on n'a pas contrôlé je pense qu'il ne faudra
pas craindre d'envisager des formules nouvelles, des solutions nouvelles, parce
que c'est un problème nouveau.
Ce que la FPJQ demande dans sa recommandation principale, c'est tout
simplement ceci: II faut trouver absolument le moyen de briser le lien absolu
qui existe actuellement entre propriété et contenu de
l'information. C'est ça qu'il faut briser. Le droit de
propriété, à notre avis, ne donne pas de droit sur le
contenu de l'information. Alors c'est ce lien qui existe actuellement, le lien
direct entre la propriété et le contenu de l'information, c'est
ce qu'il faut absolument briser et c'est dans ce sens que s'orientent nos
recommandations. Qu'est-ce que vous voulez? L'entreprise de presse qui a
évolué au cours des années, qui est d'abord une entreprise
commerciale, elle, voit l'individu comme un consommateur. Mais finalement,
l'information ne s'adresse pas à un consommateur, elle s'adresse au
citoyen.
Ce sont ces deux choses qu'il faut essayer de concilier et c'est dans
cette optique positive que nous faisons nos recommandations.
En matière d'information, ceux qui ont des droits ne sont ni les
propriétaires d'entreprises de presse, ni les journalistes. C'est le
public qui détient le droit en matière d'information.
Contrairement à d'autres, dans des mémoires qui ont
été présentés antérieurement, nous ne
croyons pas que le pouvoir de l'argent donne un droit divin, une science
innée ou un talent particulier à qui que ce soit pour pouvoir
décider finalement, en dernière analyse, ce que va être le
contenu de l'information.
Le pouvoir que nous refusons aux propriétaires de
contrôler, de façon directe, le contenu de l'information, nous ne
le demandons pas pour nous. Ce que nous refusons à d'autres, nous ne le
demandons pas pour nous. Ce que nous proposons dans nos recommandations, c'est
d'associer le public à la prise de décision.
Evidemment, c'est une formule nouvelle. Il est bien sûr que les
propriétaires d'entreprises de presse vont nous dire que c'est
inacceptable, que c'est inapph'cable. Ce n'est pas vrai. L'assurance-maladie
était aussi inapplicable. Il y a un tas de choses qui étaient
inapplicables. Le syndicalisme était inapplicable il y a quarante ans,
etc.
Ce que nous proposons, c'est dans un but absolument positif. Nous
recommandons un moyen de briser le lien entre propriété et
contenu de l'information, un moyen qui fasse entrer le public dans le processus
de décision en matière d'information. Parce que, finalement,
c'est lui le premier intéressé par l'information qui est
diffusée.
Les administrateurs des entreprises de presse ont évidemment une
très lourde responsabilité dans la diffusion de l'information,
nous ne le nions pas, tout comme les journalistes, d'ailleurs. Mais toute
responsabilité, évidemment, comporte des droits et des devoirs.
Nous ne
nions pas que les administrateurs aient des droits et des devoirs, la
même chose pour les journalistes.
Le mécanisme que nous proposons va justement permettre aux
administrateurs et aux journalistes d'exercer toute leur responsabilité
mais, en plus, ce que nous proposons va permettre d'y associer le public. Les
conseils de gestion, comme on les appelle dans nos recommandations on
aurait pu appeler ça autrement, ça n'a pas d'importance
sont composés, en parties égales, de représentants des
propriétaires, de représentants des journalistes et de
représentants du public.
Ce conseil de gestion, selon nous, vient s'interposer, au niveau de la
salle de rédaction, entre le conseil d'administration et la direction de
la salle de rédaction. C'est une formule; il pourrait sans doute y en
avoir d'autres. Nous ne nous attachons pas et je voudrais que ce soit
bien clair aux détails du mécanisme. Cette formule ou une
autre pourrait s'adapter aux différentes entreprises de presse. Il n'y
en a pas deux qui fonctionnent de la même façon.
Mais le message que nous voulons faire passer, c'est qu'il est
nécessaire, à la lumière de la concentration
inévitable qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas et
croissante de la propriété dans le monde de l'information au
Québec, de briser le lien direct qui existe entre droit de
propriété et contenu de l'information. Nous croyons que la
formule que nous proposons est réaliste parce que nous croyons qu'elle
est applicable à court et à moyen terme.
C'est une formule, bien sûr, qui va demander d'être
adaptée, mais justement, c'est une formule qui est adaptable parce que,
par cette formule, on ne remet absolument pas en question le mode de
fonctionnement actuel des salles de rédaction. Les lignes
d'autorité, avec la formule qu'on propose, seront les mêmes
jusqu'au niveau de la direction de la salle de rédaction. On ne parle
pas d'enlever les droits de gérance. On ne parle pas de changer les
lignes d'autorité. Et si, comme ils l'affirment sans cesse, il est vrai
que les propriétaires d'entreprises de presse ne visent aucunement
à influencer le contenu de l'information, je ne vois pas pourquoi, dans
ce cas-là, ils s'opposeraient à instituer un mécanisme
qui, tout en protégeant la structure administrative de l'entreprise,
assure une plus large représentation au niveau des prises de
décisions sur le contenu même de l'information, car, il ne faut
pas l'oublier, ce qu'il importe avant tout d'assurer, de matérialiser,
c'est le droit du public à une information complète,
honnête et de qualité. Dans notre mémoire, plusieurs pages
traitent de ce droit du public à l'information. C'est une notion qui
n'existe pas dans notre droit actuellement, mais nous pensons, nous, que c'est
une notion qu'il est temps d'inclure dans notre droit comme toutes les autres
notions, comme tous les autres droits qui sont venus s'ajouter dans nos lois au
cours des générations. Evidemment, ce n'est peut-être pas
un droit absolu. Des droits absolus il n'y en a pas, même le droit
à la vie. On a toujours permis de tuer les mères pour sauver les
enfants. Maintenant, on permet de tuer les enfants pour sauver les
mères. Il y en a même qui sont encore pour la peine capitale. Des
droits absolus, il n'y en a pas, même celui à la vie.
Les entreprises de presse c'est aussi un autre sujet sur lequel
on s'étend assez longuement dans le mémoire remplissent
dans notre société moderne, qui est une société
industrialisée, qui est une société urbanisée,
là où les gens vivent en masse, un rôle social. Les mass
media, les grands journaux, la radio, la télévision, jouent un
rôle social qui dépasse le cadre économique qui a
donné naissance à l'entreprise de presse. Il faut réaliser
ça. Les gens, dans des villes comme Québec, Montréal,
Trois-Rivières, Sherbrooke, etc., ont besoin des mass média dans
leur vie de tous les jours. Le gars qui veut avoir une job, ce n'est pas son
voisin qui va lui dire: Ecoute il y a une job à telle place, va donc
là et tu vas en avoir une. Il regarde les journaux pour avoir ses jobs.
Les demandes d'emplois sont là-dedans. S'il veut avoir un logement,
c'est la même chose. Les gens ont besoin des mass média dans leur
vie de tous les jours, dans leur vie de citoyens. Ce rôle, qui est un
rôle social, dépasse le cadre économique de l'entreprise.
Il faut en tirer des conséquences et c'est cette réalité
qu'il faut reconnaître dans l'organisation professionnelle des salles de
rédaction. C'est cette réalité qu'il ne faut pas craindre
de reconnaître également dans la législation, si c'est
nécessaire. En ce qui concerne les interventions de l'Etat dans le
domaine de l'information, il en a été question hier et il en sera
encore question.
Je me permets tout simplement une petite digression pour dire que
l'intervention de l'Etat dans le domaine de l'information, est une question qui
nous fait beaucoup moins peur, à nous, journalistes, que cela fait peur
à nos partenaires du côté patronal. Nous ne
réagissons pas de la même façon devant cela. Au point de
départ, cependant, je dois dire qu'eux comme nous, nous sommes d'avis
que celui dont le gouvernement doit se méfier le plus, en matière
d'information, c'est de lui-même. Pourquoi? Parce que s'il reste que
c'est le gouvernement qui a la plus grande puissance, c'est lui qui a le plus
grand pouvoir de contrôle, c'est lui qui a le plus grand pouvoir
d'intervention, un pouvoir qui est autrement plus fort que celui que peut
détenir n'importe quel groupe privé, si important soit-il.
Par contre, nous ne sommes pas aussi craintifs de l'action
gouvernementale que le sont les associations patronales. En d'autres termes,
nous croyons qu'il peut y avoir certaines formes d'intervention gouvernementale
acceptables dans le domaine de l'information. Ces interventions ne doivent
cependant jamais se situer au niveau du contenu de l'information, c'est
bien
évident. Nous ne croyons pas que l'Etat doive faire de
l'information autre que celle qui est nécessaire pour les fins
gouvernementales. L'Etat doit intervenir et s'en tenir à cela, si c'est
nécessaire. Ce que l'Etat doit faire, c'est de s'arranger pour
qu'existent les conditions d'une véritable liberté de presse,
dans le sens où les citoyens ont accès à plusieurs sources
d'information valables. Il est nécessaire qu'il intervienne, par
exemple, pour faire enlever des entraves qui pourraient exister, soit au niveau
de la cueillette des informations, soit au niveau de la libre circulation des
informations, soit au niveau de la diffusion des informations, parce que ce
sont trois niveaux bien différents d'activités à
l'intérieur du processus d'information. En Haiti, par exemple, personne
n'empêche les journalistes de cueillir l'information, personne
n'empêche les journalistes de la transmettre à leurs journaux,
sauf qu'on empêche les journaux de transmettre l'information. On peut
donc agir à différents niveaux pour bloquer l'information. Au
Québec, c'est bien sûr qu'on n'agit pas au niveau de la diffusion,
on n'empêche pas la diffusion de l'information. La circulation à
l'intérieur du système ne rencontre pas trop de problèmes
non plus. Mais au niveau de la cueillette de l'information, des fois, si le
gouvernement décide de bloquer toutes les sources d'information, je ne
vois pas comment le citoyen va être informé de ce qui se passe.
Alors, pour l'expansion de l'information, on peut agir à bien des
niveaux et je pense qu'il faut être extrêmement perspicace pour
analyser chacune des phases du processus d'information.
Notre mémoire et je termine là-dessus aborde
un tas d'autres questions comme celles de la formation professionnelle, de la
protection des sources d'information, en d'autres termes le secret
professionnel si vous avez des questions là-dessus, nous sommes
disposés à y répondre de façon plus étendue
les questions de corporations professionnelles également
je sais qu'hier il en a été question corporations
professionnelles auxquelles nous sommes opposés; il traite aussi du
conseil de presse et, comme je l'ai souligné plus tôt, il traite
des relations entre la presse et l'appareil policier et judiciaire.
Nous sommes prêts à répondre à vos questions
et peut-être que je pourrai me permettre de présenter mes
collègues qui sont à mes côtés. A ma gauche, c'est
Louis Falardeau qui est secrétaire général de la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec;
à ma droite, c'est Don Macpherson, journaliste au Montreal Star et qui
représente l'Association of English Media Journalists; à
côté, c'est Claude Vaillancourt qui représente le Club de
presse du Saguenay-Lac Saint-Jean. D'ici quelques minutes, Claude Savoie va
arriver en avion d'Ottawa; il représente l'Association professionnelle
des journalistes de l'Outaouais.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Je remer- cie, au nom de la
commission, M. Beauchamp de sa présentation du mémoire.
J'inviterais le député de Saint-Jean qui est le porte-parole
ministériel à nous donner ses commentaires.
M. VEILLEUX: Peut-être pour nous situer, M. Beauchamp... Dans
votre mémoire, vous mentionnez, dans l'introduction, qu'au-delà
de 700 journalistes sont membres de la Fédération professionnelle
des journalistes du Québec. Dans quelle proportion retrouvons-nous les
journalistes de la presse écrite et les journalistes de la presse
parlée?
M. BEAUCHAMP: Je vais vous donner une image globale. On estime qu'il y a
au Québec à peu près 1,100 à 1,200 journalistes; il
est bien difficile de le dire de façon précise parce qu'il y a
les pigistes, les gens qui font ça à temps partiel, etc. Nous en
représentons environ 700. La Fédération professionnelle
des journalistes du Québec est une fédération
d'organismes. Cela a été voulu comme ça, parce que les
expériences antérieures d'associations de journalistes à
adhésion individuelle... Dans le temps, c'était extrêmement
difficile de rejoindre les gens. Alors, notre base qui est en même temps
notre force et nos limites repose sur des organismes existants. C'est pour
ça que nous pouvons affirmer que nous sommes capables d'aller rejoindre
un consensus parce que nous avons un mécanisme en pyramide qui nous
permet d'aller jusqu'à la base. En fait, nous ne voulons
fédérer que des journalistes déjà organisés.
Les journalistes qui agissent comme pigistes, etc, nous ne faisons aucun effort
pour aller les chercher et nous sommes même assez réticents
à les avoir parce que nous voulons garder une certaine
homogénéité, une certaine force au sein de la
fédération. Nous regroupons des organismes déjà
existants qui sont, par exemple, des syndicats. Sur nos 700 membres, il y en a
environ 500 ou 525 qui sont des journalistes syndiqués. On regroupe des
associations professionnelles régionales ou autres et des clubs de
presse, comme au Saguenay-Lac Saint-Jean. C'est comme ça qu'on est
structuré. Je dirais que nos membres sont divisés ainsi: environ
les 3/4 sont de la presse écrite et le quart, de la presse
électronique. La raison de cet écart est due au fait que les
journalistes sont beaucoup plus structurés dans le domaine de la presse
écrite parce que la presse écrite est un phénomène
plus ancien que la presse radiopho-nique. Ils sont également plus
nombreux.
M. VEILLEUX: Vous avez mentionné qu'il y avait des syndicats qui
étaient membres de la fédération mais, hier, les gens de
l'ACRTF ont mentionné qu'ils avaient peur d'une espèce de
concentration.
M. BEAUCHAMP: A cela, je répondrai que la concentration, au
niveau syndical, qui est en train de se réaliser, c'est le pendant tout
naturel
de la concentration au niveau de la propriété. Il ne faut
pas s'attendre à d'autre chose. Vous avez ça, dans tous les
secteurs de l'industrie et au niveau des relations patronales-ouvrières,
c'est tout à fait normal qu'il en soit ainsi. Qu'on ne s'étonne
pas de ça, qu'on forme des conglomérats pour détenir; la
conséquence de ça, évidemment, c'est la concentration au
niveau de l'organisation de travail.
M. VEILLEUX: Hier, les gens disaient que la concentration des
entreprises de presse n'entraînait pas de monopole, tandis qu'une
concentration de journalistes syndiqués pouvait entraîner un
monopole. Vous, dans votre mémoire, vous dites que la concentration des
entreprises peut amener le monopole. Est-ce que vous dites la même chose?
Est-ce que cela veut tout simplement dire que la concentration dans une seule
centrale syndicale, comme vous avez dit, c'était le pendant de l'autre
concentration? Dans votre esprit, est-ce aussi dangereux que cela devienne un
monopole?
M. BEAUCHAMP: Cela peut devenir un monopole au niveau de l'organisation
syndicale des journalistes, mais actuellement, disons que la CSN groupe
à peu près 500 journalistes. Il y a également des
syndicats affiliés à la FTQ. Il y a des syndicats autonomes
affiliés à la FTQ, celui du Journal de Québec par exemple.
Il y en a aussi d'autres, certains postes de radio. Il y a NABET qui en
syndique et il y a l'American Newspaper Guild qui porte maintenant un nom
canadien, je pense. On a enlevé "american" et cela reste Newspaper Guild
qui syndique, au Québec, le Montreal Star, qui n'a pas encore
signé sa première convention collective de travail. C'est un
phénomène nouveau au Québec que l'organisation des
journalistes sur le plan syndical. C'est tout à fait nouveau.
M. VEILLEUX: Je pense que cela nous amène à parler un peu
du statut professionnel des journalistes. Si je comprends bien votre
intervention, pour être membre d'un syndicat et, partant, de la
fédération, il s'agit tout simplement de travailler à
titre de journaliste pour un journal où on retrouve un syndicat. Il n'y
a pas d'autre critère d'admissibilité.
M. BEAUCHAMP: Pour les fins de la fédération, nous avons
retenu une définition qui est fonctionnelle, définition qui a
été retenue également au niveau du Conseil de presse. On
ne porte pas de jugement de valeur sur la qualité des journalistes. H
faut dire une chose, ce ne sont pas tous les membres des syndicats qui nous
sont affiliés qui sont membres de la fédération. Parce que
tous nos syndicats affiliés groupent également des
employés auxiliaires, des commis, des secrétaires, des
graphistes, des documentalistes, etc. Ces gens-là ne sont pas membres de
la fédération. Il y a seulement les journalistes à
l'intérieur des syndicats qui sont membres de la
fédération. Notre définition est très simple. On
dit: Est journaliste quelqu'un qui gagne sa vie en travaillant pour des
entreprises de presse. Comme vous le voyez, c'est très fonctionnel et on
s'en tient à cela comme définition. Mais on est extrêmement
sévère dans l'application de cette
définition-là.
M. CLOUTIER (Montmagny): Relativement au sujet que vient de traiter le
député de Saint-Jean sur l'aspect professionnel, est-ce qu'il y a
des chances, M. Beauchamp, que votre fédération se dirige vers la
formation ou propose la formation d'une corporation professionnelle des
journalistes?
M. BEAUCHAMP: Dans l'état actuel de la réflexion dans le
milieu, je vous dirai que non. Je ne peux pas parler pour dix ou quinze ans
d'ici. Je pense que la très grande majorité des journalistes
actuellement sont opposés à la création d'une corporation
professionnelle pour les journalistes. Il y en a qui y sont favorables, mais je
pense que c'est une petite minorité.
M. CLOUTIER (Montmagny): Quelles seraient les objections majeures? Parce
que, si je comprends bien, étant donné que vous n'avez qu'une
seule forme de regroupement qui est le syndicat...
M. BEAUCHAMP: II y a la fédération professionnelle
aussi.
M. CLOUTIER (Montmagny): D'accord, la fédération
professionnelle. Mais c'est dans une autre optique. Cela amène vos
membres à traiter à la fois des problèmes matériels
de la profession, conditions de travail, rémunération et aussi
des conditions d'exercice professionnel, tel que le secret professionnel, en
particulier.
M. BEAUCHAMP : Je vais répondre à ceci très
clairement et très simplement. C'est justement la raison pour laquelle
les journalistes ont créé la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec, qui est une superstructure
et qui ne s'occupe absolument pas de ces problèmes concrets de relations
de travail.
C'est très clair dans notre charte, nous n.e nous occupons pas de
cela. On intervient quelquefois sur le plan privé. S'il y a des
journalistes qui sont mal pris, qui ne sont pas équipés, alors on
intervient privément pour leur dire: Ecoutez, il y a une situation
intolérable; pourquoi maintenez-vous une situation comme
celle-là?
La FPJQ a justement été créée par les
différents organismes existant dans le milieu pour qu'elle s'occupe,
elle, de ces questions qui sont strictement professionnelles, qui ont
évidemment des répercussions au niveau des relations de travail
parce que le métier s'exerce tous les jours dans les entreprises de
presse. Le rôle de la FPJQ est justement de s'occuper de ces
questions et nous, nous ne nous occupons absolument pas, comme
organisme, des questions immédiates, quotidiennes de relations de
travail.
M. CLOUTIER (Montmagny): En somme, on peut dire que la
fédération serait l'équivalent d'une corporation
professionnelle...
M. BEAUCHAMP: Si on veut, dans un sens; mais on ne veut pas la structure
rigide corporative pour différentes raisons. Premièrement, on
pense que et c'est la raison fondamentale il faut absolument que
le milieu journalistique soit un milieu extrêmement
hétérogène; parce que si on fait une corporation
professionnelle on a prévu un concept dépassé qui
devait disparaître aussi dans d'autres professions, peut-être pas
dans toutes, mais d'autres professions on en arrive évidemment et
inévitablement à être obligé de déterminer
des règles, des normes, donner des cours, faire passer des examens,
porter des jugements de valeur et on serait obligé, à ce
moment-là, de faire passer tout le monde dans le même moule. Nous,
nous disons que ce serait ce qu'il y aurait de pire pour l'information
particulièrement au Québec, peut-être, qui est quand
même une petite société, une société
restreinte, peu nombreuse. Aux Etats-Unis, ce serait peut-être bien
différent parce que c'est énorme, tandis qu'au Québec cela
demeure une petite société et il faut absolument, à notre
avis, que le milieu de l'information, le milieu des journalistes
reflète, dans les membres qui la composent, la diversité, le
pluralisme de la société québécoise.
Il y a un autre facteur aussi. Etant donné que la
société devient de plus en plus complexe, c'est-à-dire ce
que doivent couvrir les journalistes la tendance est à la
spécialisation l'un se spécialise en économie, un
autre dans les affaires sociales, un autre dans les affaires urbaines, etc.. Il
faut absolument avoir dans le milieu des gens qui ont ces formations de
façon à pouvoir répondre aux besoins de l'information,
pour qu'il y ait, dans le milieu journalistique, une pépinière
variée, multidisciplinaire, où l'on peut dire, à un moment
donné, je ne sais pas: La presse décide parce qu'il y a des
problèmes bien particuliers d'urbanisme à Montréal,
d'essayer d'avoir quelqu'un qui est spécialisé là-dedans
et ne voudrait pas que la structure rigide d'une corporation professionnelle
empêche la venue dans le milieu journalistique de personnes qui ne se
conformeraient pas aux définitions de la corporation.
Une autre raison, qui est peut-être plus théorique, c'est
qu'on pense que le métier de journaliste, finalement, répond
autant à des critères de préoccupation qu'à des
critères de formation académique proprement dite.
Finalement, le journaliste est quoi? C'est d'être observateur et
être capable de retransmettre ce qu'il voit. Théoriquement, tout
le monde est capable de faire cela, mais tout le monde n'a pas le même
talent là-dedans. On pense que, dans le milieu, il faut qu'il y ait
cette mobilité parce que c'est un métier dur, stressant et on se
rend compte d'une chose, c'est que des vieux journalistes, il n'y en a pas
beaucoup. Les gars quittent le métier à un moment donné,
vers 35, 40 ans parce que c'est trop dur. Il faut donc créer un
mouvement continuel.
On pense que la structure rigide d'une corporation professionnelle ne se
prête pas à cela. On fait une remarque, c'est que c'est vraiment
un métier d'équipe qui fait que cela s'oppose peut-être
également à la notion de droit individuel qui existe
nécessairement dans les corporations professionnelles. On pense que ce
ne serait pas une bonne chose.
Il y aurait des avantages à cela, en ce sens que cela
conférerait peut-être un statut automatique aux journalistes. On
dirait au journaliste qu'il est professionnel, qu'il est membre d'une
corporation, mais c'est un statut, comme on le dit dans le mémoire, au
sens médiéval du terme. On n'a pas besoin de cela, on veut que
les gars puissent exercer leur métier suivant l'actualité, et
l'actualité change. Au début des années 60, la mode
était à la sociologie. Aujourd'hui la mode est à
l'économie. Dans cinq ans, la mode sera à autre chose.
Il faut donc qu'il y ait à l'intérieur assez de latitude
pour que le milieu de l'information s'adapte à son métier qui est
un métier mouvant, qui change tous les jours, qui change selon les
préoccupations, qui change selon les problèmes.
Alors, il faut que ça puisse s'adapter extrêmement
rapidement.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que votre fédération a un
mot à dire, a accès ou a été consultée sur
la formation professionnelle des journalistes à l'école de
Laval?
M. BEAUCHAMP: Oui, nous sommes membres, par exemple, d'un comité
consultatif conjoint du ministère de l'Education et du ministère
du Travail sur les techniques des communications. L'Université Laval
nous consulte à l'occasion; lorsqu'il est question de stages, c'est la
fédération qui est appelée à parler au nom de
l'ensemble des journalistes. On a même été consulté
au niveau des CEGEP, en particulier à Jonquière. Je pense que la
fédération doit garder sa structure souple actuelle, souple au
point que si jamais les journalistes trouvent qu'elle ne fait pas ce qu'eux
veulent, ils la font tomber. On veut que cela aille jusqu'à ce point.
C'est que si un organisme est incapable d'exposer, dans ses actions, le
consensus des journalistes, on veut que les gars soient capables de la faire
tomber, qu'ils ne soient pas poignés avec un organisme dont ils ne sont
pas capables de se défaire et forcés d'en créer un autre
à côté, comme cela existe dans une couple de professions
actuellement, où ça crée des tensions internes
incroyables. On veut
que les gars, si elle ne fait plus l'affaire, soient capables de la
faire tomber. Mais je pense qu'avec cette structure sur plat, on est capable de
remplir des fonctions valables sur ces plans professionnels de formation, de
normes déontologiques etc.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Saint-Jean.
Le ministre des Communications.
M. L'ALLIER: M. le Président, on pourrait effectivement discuter
pendant des heures, c'est très intéressant et, au fur et à
mesure que M. Beauchamp parlait, il y a des questions qui me passaient à
l'esprit et qui partaient et il y en a d'autres qui arrivaient. Je ne sais
vraiment pas comment aborder de façon positive et surtout
immédiatement concrète le problème qui est devant nous. Je
vais tenter de vous poser des questions auxquelles vous avez peut-être
déjà répondu dans des documents. Il y en a des tas
j'ai eu l'occasion de parcourir comme d'autres les documents qui ont
été déposés devant la commission parlementaire sur
la liberté de la presse depuis le début et ça
ferait peur à un bénédictin de relire tout ça. Le
problème de l'information de la population, si on se place dans
l'optique ou dans la peau soit du journaliste, soit du propriétaire de
l'entreprise, n'est évidemment pas du tout le même que si on se
place dans la peau du consommateur de l'information.
Jusqu'ici, on a discuté et c'est probablement normal
en se plaçant dans l'optique ou à partir des
mémoires et des positions de l'entreprise et maintenant du journaliste.
Continuons un peu là-dedans. La cueillette de l'information, c'est
à la base, en définitive, de l'information même. La
concentration des entreprises de presse peut effectivement représenter
les dangers que vous soulignez, elle devrait cependant présenter aussi
des avantages, notamment au niveau de la cueillette de l'information, de la
spécialisation des secteurs d'information à l'intérieur
d'un medium ou des media et quant à l'étendue d'un territoire
couvert. En plus de la cueillette de l'information, tout en étant
conscient que la concentration des entreprises de presse représente
probablement les dangers que vous soulignez, cette concentration devrait
permettre, par ailleurs, des équipes de soutien à la profession
journalistique, des bureaux de recherche, etc. Ma première question est
la suivante: Est-ce que, envisagée de votre point de vue, cette
concentration a eu ses effets bénéfiques sur l'information et
d'une façon satisfaisante?
M. BEAUCHAMP: Elle ne les a sûrement pas eu d'une façon
aussi large, aussi belle que des propos comme ceux que vous venez de tenir
peuvent le laisser entrevoir. Il n'y a pas nécessairement de relation de
cause à effet entre les deux. Il y a eu de la concentration, par
exemple, dans ce qu'on appelle les grands hebdomadaires d'information.
Maintenant, les grands hebdomadaires, La Patrie, le Petit Journal,
Photo-Journal, appartiennent au même groupe. Est-ce qu'il y a eu une
amélioration dans la qualité de l'information là-dedans?
C'est le contraire qui s'est produit. Le Petit Journal a déjà
été vraiment un grand journal d'information, pendant une ou deux
générations, je ne sais pas, mais ce fut pendant longtemps un bon
journal d'information. C'est rendu quoi? Un journal à potins,
finalement, un journal à sensation. On a diminué la
qualité de ce journal. La Patrie, c'est la même chose.
Photo-Journal, c'est rendu quoi? C'est rendu une feuille à vedettes.
C'est ce qu'on a fait de ces journaux. On a diminué la qualité.
Evidemment, il y a de plus belles couleurs qu'avant, je suis bien d'accord
là-dessus. Les photos sont plus belles qu'avant. Mais pour payer ces
photos, on a coupé de moitié le service de l'information.
Je ne dis pas qu'il n'aurait pas fallu couper un petit peu le service
d'information. Mais on l'a coupé de moitié pour se payer de
belles couleurs. On a diminué la qualité de l'information. Quand
le réseau Télémédia s'est formé pour un an
d'essai, par exemple à CKCH, à Hull et Ottawa, ç'a foutu
la pagaille complètement dans le système d'information
là-bas. Avant, il se faisait de la bonne information locale; avec
l'entrée du réseau Télémédia, ç'a
foutu le service à terre, on est passé de cinq journalistes
à deux ou trois. Cela changeait constamment, et tout ce que vous
voulez.
La concentration des entreprises de presse n'amène pas
nécessairement une amélioration de la qualité. Cela peut
en amener une. Je pense que certains postes de télévision du
réseau Télémédia sont maintenant mieux servis du
côté de l'information qu'auparavant, par exemple les habitants de
régions d'un certain nombre des postes qui sont maintenant
affiliés au réseau TVA.
Cela peut amener de l'amélioration, mais pas
nécessairement. C'est pour ça qu'il faut vraiment voir la
concentration des entreprises de presse comme un phénomène
inévitable ou peut-être normal du point de vue économique,
normal en ce sens que ça se produit partout, y compris en France
où il y a maintenant presque des monopoles sur le plan régional,
à la presse régionale, qui est extrêmement forte en France,
comme vous le savez, beaucoup plus forte qu'ici, beaucoup plus influente
qu'ici.
Mais même là, on sent qu'il y a un phénomène
de concentration. Mais il faut réagir vis-à-vis de ça, il
faut se préparer dès maintenant pour ne pas être pris,
à un moment donné, avec des contrôles de fait qu'on ne sera
plus capable de briser. Tout ça permet, quand il y a concentration, une
grande poussée comme celle qui a eu lieu en 1967; il y a eu une
commission parlementaire qui a siégé parce qu'il fallait briser
le testament des Berthiaume, etc. C'est
bien compliqué, c'a a commencé avec l'achat de La Presse.
Bon!
Le Parlement a donné son approbation à ça en y
mettant des conditions: que la propriété, par exemple, du journal
La Presse devait rester dans la famille de M. Desmarais, etc. Mais, depuis
1967, il y a eu au moins cinq ou six réaménagements de
propriété à l'intérieur du groupe. Etes-vous
capables de me dire, vous, qui est propriétaire de La Presse
aujourd'hui? Non.
C'est facile, c'est le même groupe. A l'intérieur du
groupe, il y a eu cinq ou six réaménagements de
propriété. On avait toujours dit que, par exemple, Power
Corporation n'avait rien à faire avec la Presse. On a toujours dit
ça. Dans le dernier conflit à la Presse, qu'est-ce que Desmarais
a dit à la télévision? Heureusement que la Presse est
soutenue par Power, parce que nous ne serions jamais capables de
résister à l'assaut des syndicats. C'est ça qu'il a dit.
Il l'a dit publiquement et il l'a écrit dans un communiqué.
Bon!
Il y a, à l'intérieur de ce groupe-là, un tas de
réaménagements de propriétés qui font que le
contrôle du Parlement est bien plus théorique que pratique si on
n'y prend pas garde. C'est pour ça que nous proposons la constitution
d'un organisme, qui pourrait être composé d'une personne on
parle d'un organisme quasi judiciaire dont le rôle serait de
surveiller ces choses-là.
Il ne s'agit pas d'aller mettre des bâtons dans les roues, il ne
s'agit pas d'aller se fourrer le nez dans les affaires des autres, mais je
pense que le pouvoir public à ce niveau4à, a quand même une
certaine responsabilité. Il a voté des lois, il ne se donne aucun
moyen d'en surveiller l'application. Il y a des choses qu'il faudrait voir.
M. VEILLEUX: M. Beauchamp, ne trouvez-vous pas que, justement, ça
nous amène peut-être à parler de ça. Cela pourrait
être un des rôles du conseil de presse?
M. BEAUCHAMP: Non, je ne pense pas. M. VEILLEUX: Non?
M. BEAUCHAMP: Je ne crois pas, si le conseil de presse veut s'en tenir
à son mandat; les raisons pour lesquelles, de part et d'autre, on a
voulu constituer le conseil de presse, c'est pour s'occuper de questions sur
lesquelles journalistes et propriétaires et public peuvent s'entendre,
donc sur des questions de qualité d'information. Là-dessus, on
peut s'entendre.
Les intérêts de chacun de ces groupes sont bien
différents en ce qui concerne la propriété, les profits,
etc. Un organisme comme le conseil de presse va se tuer s'il s'occupe de ces
affaires-là, parce qu'il y a des intérêts particuliers en
jeu. Tandis que le conseil de presse va bien fonctionner s'il s'occupe
d'intérêts généraux, d'intérêts
publics, d'intérêts communs à plusieurs personnes. Je pense
que le conseil de presse ne pourrait pas toucher à des choses comme
celles-là.
M. VEILLEUX: Même si le conseil de presse ne touchait pas à
des choses comme ça, dans le secteur que vous mentionnez, vous ne
trouvez pas qu'on peut rencontrer le même problème, qu'il y a
toujours des intérêts particuliers dans...
M. BEAUCHAMP: Mais oui.
M. VEILLEUX: ... dans quoi que ce soit?
M. BEAUCHAMP: Oui. Je suis entièrement d'accord là-dessus.
Mais ce n'est pas...
M. VEILLEUX: Ce conseil de presse, j'ai hâte de voir le jour
où il va fonctionner.
M. BEAUCHAMP: Nous aussi.
M. VEILLEUX: Tout à l'heure, vous nous avez dit je le dis
sans malice que le départ de la commission a été
quelque peu retardé. Nous pouvons dire un peu la même chose du
conseil de presse. Cela fait deux ans qu'on nous l'a annoncé. Nous
arrivons à trois ans de naissance.
M. BEAUCHAMP: Mais il va en sortir quelque chose de concret.
M. VEILLEUX: Je l'espère.
M. BEAUCHAMP: Si vous me permettez, M. Veilleux. Il est bien
évident qu'il ne faut pas nier l'existence d'intérêts
différents, d'intérêts particuliers. C'est bien sûr.
Justement, nous ne le nions pas du tout, mais il faut s'arranger pour pouvoir
vivre ainsi. Et le conseil de presse ne doit pas être un organisme qui
arbitre entre des intérêts particuliers. Ce n'est pas son
rôle. Le conseil de presse aura, au contraire, comme fonction d'appliquer
des principes, des objectifs qui sont communs. C'est à ça qu'il
va servir.
M. VEILLEUX: La journée où il commencera à
fonctionner, le conseil de presse viendra nous voir et nous saurons exactement
quel rôle il entend jouer.
M. BEAUCHAMP: Je pense que nous l'avons déjà donné
à la commission. Nous pourrions le reprendre. Quels sont les objectifs
du conseil de presse? Cela n'a pas changé. Il y a eu des rencontres
très récentes entre toutes les personnes concernées et
nous pouvons vous dire qu'à ce point de vue, tout est absolument
réglé. Il n'y a aucun problème. Le conseil de presse, ses
objectifs fondamentaux, sur lesquels nous nous sommes entendus il y a deux ans,
sont maintenus par tout le monde aujourd'hui.
M. VEILLEUX: Nous pourrons revenir sur le
conseil de presse tout à l'heure, parce que je pense que le
ministre n'a pas terminé.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le ministre des
communications.
M. L'ALLIER: Les problèmes connexes à la concentration des
entreprises de presse, vous les avez exposés tels que vous les percevez.
Si, encore une fois, nous nous plaçons dans la peau du consommateur de
l'information, pour lui, ce sont des choses qui ne sont pas
immédiatement évidentes, la concentration des entreprises de
presse. Au contraire, ça peut se traduire souvent par la multiplication
des moyens de communication, la multiplication des petits journaux... Donc,
ça donne l'apparence, en tout cas, d'une diversification de
l'information. Le problème de la concentration des entreprises de presse
n'est pas un problème, entre guillemets, populaire. Ce n'est pas un bobo
que le citoyen perçoit comme tel.
Par ailleurs, il n'existe pas de la même façon au niveau
des quotidiens, par exemple, ou des journaux plus strictement orientés
vers l'information, que ce soit sociale, politique, culturelle, comme les
journaux que nous lisons tous les matins et l'ensemble, la multitude, la masse
des autres journaux ou publications qui, dans leur ensemble, ont soit des cotes
d'écoutes quand il s'agit de media électroniques, soit des
volumes de distribution considérables; donc, des degrés de
pénétration extraordinaires et qui ne font qu'effleurer
l'information quotidienne, immédiate, politique ou sociale.
Cela porte sur une multitude de choses, à un tel point qu'on peut
souvent, en prenant un journal du dimanche, qui n'est pas un journal
d'information, ou un journal qui est publié tous les quinze jours,
toutes les semaines, retrouver en gros la même chose à Chicago ou
à Détroit, à Boston ou à New York, sauf qu'ici nous
l'avons en français. C'est le même genre d'information. Nous
retrouvons là-dedans des vedettes américaines, mexicaines, de
partout.
Est-ce que les solutions et c'est ma question maintenant
que vous proposez, vous croyez réellement qu'elles ont des chances de
toucher le problème et d'apporter au moins des éléments
positifs et immédiats de solution, ou si le problème est
tellement vaste qu'on va faire une structure ou qu'on va essayer d'en faire une
plus pratique? Mais qu'est-ce que ça va toucher?
En d'autres mots, est-ce que le problème que nous vivons, et qui
est peut-être plus aigu parce que nous sommes une communauté de
six millions, qui est en fait plus aigu, cette même communauté a
les moyens de le régler? Parce qu'en définitive, c'est le
même problème qui se pose sur l'ensemble du territoire
nord-américain pour ne pas dire européen.
En d'autres mots, y a-t-il des endroits dans l'hémisphère
occidental où on dit qu'il y a une presse libre? Y a-t-il des endroits
où la situation est meilleure qu'ici? Quels sont les moyens
employés pour que...
M. BEAUCHAMP: Au point de départ, nous devons dire qu'il n'y a
aucun problème, dans des domaines mouvants comme celui de l'information
et le domaine intellectuel, qui soit réglé de façon
définitive.
La question de la liberté de presse, ce n'est pas une chose qui a
été gagnée il y a 100 ans et qui reste gagnée pour
toujours. La question de la liberté de presse, c'est quelque chose qui
se gagne tous les jours. Il faut se battre tous les jours pour la garder. Je ne
dis pas qu'il y a des conflits tous les jours, des affrontements tous les
jours, mais ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas gagné une fois
pour toutes. Un journal peut atteindre une certaine qualité, il peut
l'avoir pour six mois, cela ne veut pas dire qu'il va la garder tout le temps.
Alors, il ne faut pas s'imaginer qu'il y a des solutions qui vont faire que les
problèmes vont être réglés une fois pour toutes.
Dans ce que nous proposons, il est bien évident que nous ne
réglons pas tous les problèmes et nous le disons
clairement c'est qu'on s'attaque uniquement à ce qu'on appelle
les mass media, les moyens de communication de masse, c'est-à-dire
à ceux qui s'adressent au très grand nombre. Malheureusement,
nous ne sommes pas équipés encore pour nous occuper du
phénomène des journaux régionaux, des journaux de
quartier, qui ont énormément d'influence aussi, c'est un autre
phénomène, de la presse spécialisée. Il y a tout
cela qui existe, mais cela s'adresse à des marchés
extrêmement restreints, je ne dis pas que les journaux n'ont pas
d'influence, ils ont une influence dans un milieu plus restreint, c'est un
autre phénomène. Cela, malheureusement, on ne s'y attaque pas de
façon directe dans notre mémoire. Nous nous attaquons au
problème des mass media, c'est-à-dire au phénomène
suivant, qui fait que la société a évolué de telle
façon qu'elle a maintenant besoin de ces mass media pour pouvoir vivre.
Enlevez les mass media, enlevez la radio, la télévision et les
journaux, la vie à Montréal n'est plus possible. La vie dans
toutes les grandes villes n'est plus possible. Cela fait partie de notre
société, cette affaire-là.
Les mass media sont un phénomène en soi peut-être,
mais également un agent social. Enlevez cela et il n'y a plus la
société que nous connaissons aujourd'hui. Cela fait partie de la
société, mais cela bouge comme la société et c'est
dans ce sens-là que nous voulons envisager le problème. Les mass
media n'ont pas c'est une digression que je voudrais faire qu'une
fonction d'information. Nous, nous nous attaquons à la partie de
l'information, mais il y a une partie du divertissement également. Nous
donnons des statistiques dans notre mémoire. A la
télévision, il y a 75 p.c. à 80 p.c. de la programmation
qui est du divertissement. Dans les journaux, c'est rendu à 40 p.c. ou
50 p.c. pour le divertissement, les bandes dessinées, les
mots croisés, tout ce que vous voulez, les courses, et tout cela.
Il y a la partie de l'information, il faut l'envisager sous l'angle social,
mais cela c'est un phénomène nouveau. Il y a 30 ou 40 ans, cela
n'existait pas. La population de la ville de Montréal a plus que
doublé depuis 30 ou 40 ans. Alors, le phénomène
n'était pas le même. Le gars travaillait tout près de son
lieu de travail. Il n'avait pas besoin de la radio pour lui dire : Ne te rends
pas à ton travail ce matin, les rues sont bloquées et les autobus
ne fonctionnent pas, il y allait à pied. Il n'avait pas besoin de la
radio pour lui dire cela. Aujourd'hui, il en a besoin. Quand il y a une
tempête de neige le matin, qu'est-ce que l'écolier fait? Il ouvre
la radio pour savoir s'il va aller à l'école ou s'il n'ira pas.
C'est rendu que l'information est un phénomène social, cela joue
un rôle socio-politico-économique," qui dépasse le cadre
économique de l'entreprise; c'est cette dimension qu'il faut
reconnaître dans l'organisation professionnelle des journaux.
M. L'ALLIER: Je suis content que vous apportiez ces précisions,
parce qu'on cerne un peu plus la question. S'il s'agit de renseignements, parce
qu'il y a beaucoup de renseignements dans cela, cela ne pose pas vraiment de
problème qu'il y ait concentration ou non. Plus il y a de monde au
courant, mieux cela est. Le problème existe au niveau du traitement de
l'information et, par traitement, j'entends autant l'analyse, aussi subtile
puisse-t-elle être, qu'on peut faire d'une nouvelle, que le choix des
nouvelles. En d'autres mots, vous pouvez lire un journal et tout ce qui s'y
trouve est rigoureusement exact. On ne peut rien reprocher à qui que ce
soit, sauf que ce qui s'y trouve, situé dans le contexte social et
politique, ne correspond pas aux besoins d'information de la population. Cela
touche aussi le problème des agences de presse, par exemple. Ce que nous
savons du Viet-Nam, c'est ce que la UPI veut bien nous en dire à un
moment donné. Qu'est-ce que nous faisons à l'égard de
cela? Sur le plan de l'information politique, cela occupe autant de place que
l'ensemble, à mon avis, de l'information politique
québécoise actuellement. Qu'est-ce que nous faisons par rapport
à cela? Je ne veux pas essayer de magnifier le problème de sorte
qu'on dise: II n'y a pas de solution, je m'en vais chez nous, mais j'essaie de
voir si les solutions que nous pouvons proposer sont pratiquées
ailleurs, ont été pratiquées ou sont en voie d'être
pratiquées, si ce que nous faisons actuellement est l'équivalent
de la médecine préventive pour faire en sorte qu'au moins on
freine cette espèce d'érosion de la qualité de
l'information ou si on tente de corriger brusquement une situation. Vous dites
que ce n'est pas possible de faire cela, et je suis d'accord avec vous.
M. BEAUCHAMP: Non, je ne dis pas que ce n'est pas possible. Remarquez
bien une chose, c'est que le problème est nouveau partout. Ce que je
peux vous dire, c'est qu'on cherche des solutions partout. Il y a eu toutes
sortes de tentatives dans diverses communautés à travers le
monde, tentatives de journaux de nature coopérative, de congestion; il y
a toutes sortes de tentatives qui se sont faites. On se dit que si on veut que
l'information en vienne à répondre aux besoins réels des
gens, à ce qu'ils veulent savoir, à ce qu'ils ont besoin de
savoir, il faut trouver le moyen de les amener par des représentants
ça fonctionne toujours comme ça à entrer
dans le processus de l'information. Il faut mettre le public quelque part. On a
réussi à le mettre au conseil de presse, c'est une excellente
chose. Mais les représentants du public qui vont être au conseil
de presse n'auront pas de décisions à prendre dans le processus
même de l'information.
Tantôt, vous avez touché au problème fondamental,
c'est que donner de l'information sur des choses faciles, pas de
problème, vous n'aurez pas besoin de grosse organisation pour ça,
vous n'aurez pas besoin d'excellents journalistes, vous n'avez même pas
besoin d'un journaliste. S'il pleut, n'importe qui peut dire à la radio:
II pleut. Il n'y a pas de problème. Les problèmes ne se posent
pas là, ils se posent dans les choses difficiles, dans les choses
profondes, dans les choses conflictuelles. Les journalistes s'entendent bien
avec les hommes politiques quant tout va bien. Aucun problème. Mais
c'est dans les périodes de crise; c'est inévitable qu'il y ait
des tensions, parce que le rôle du journaliste est d'être au coeur
de l'événement; il est toujours là, surtout quand
ça va mal. Qui est-ce qu'on voit quand ça va mal? C'est le
journaliste, il est là. C'est lui dont on voit la maudite face. Qui
est-ce qui parlait du FLQ à la radio, à la
télévision, dans les journaux? Ce sont les journalistes. Les gens
assimilent évidemment l'image du journaliste au FLQ. Le pas à
franchir entre dire que ce sont les journalistes qui sont felquistes, n'est pas
grand et il y en a beaucoup qui l'ont franchi. C'est un phénomène
d'images, c'est un phénomène social et l'important dans les
journaux, les mass media, ce n'est pas de donner une information insignifiante,
dans le sens de "sans signification". Ce qu'il faut, c'est donner la nouvelle
qui a une importance, une signification sur le plan social.
Il y a le phénomène suivant, c'est que les mass media,
économiquement, ce à quoi ils visent, c'est de toucher le plus
grand nombre. Or, quand tu veux toucher le plus grand nombre, il faut que tu
évites les choses conflictuelles, il faut que tu évites de
choquer, tu utilises un langage superficiel, tu parles de choses qui sont
susceptibles d'intéresser tout le monde. Les gens qui sont dans leur
cuisine ou dans leur salon n'aiment pas faire tromper leur quiétude par
quelque chose qui vient les frapper en pleine face. Il y a encore des vieux
aujourd'hui qui, quand le téléphone sonne, viennent mal.
Pourquoi? Parce que c'est une image, c'est
une mauvaise nouvelle qui s'en vient. C'est un peu la même chose.
Les gens n'aiment pas ça, ils réagissent contre ça. Il
faut réaliser une chose. Hier j'écoutais ce qui se disait
je pense que c'est un mythe qu'il faut détruire c'est que les
gens sont dépendants de ce que les mass média leur envoient.
Qu'on ne vienne pas me dire que le gars ou la femme qui est chez elle a... Elle
a le droit théorique d'aller syntoniser une autre station, mais elle ne
le fait pas. La preuve qu'elle ne le fait pas, c'est que les postes de radio et
de télévision s'arrangent pour "pogner" le monde au début
des grosses heures d'écoute parce qu'ils savent qu'ils vont les garder
les trois ou quatre heures suivantes. Les gens ne vont pas changer de poste de
radio, ce n'est pas vrai. Les gens sont dépendants de ce que les mass
media leur donnent.
Pour leur donner une bonne information, il faut agir avant que
l'information s'en aille. Il faut amener le public pas seulement, après,
au moment où il reçoit parce qu'il ne reçoit pas ça
d'une façon active, sauf dans les périodes de crise parce que
ça le choque. Il est blessé, frappé intellectuellement,
psychologiquement, émotivement, ce que vous voulez. Il faut trouver le
moyen d'amener le public à participer au processus de l'information pour
qu'on lui donne ce dont il a vraiment besoin. Les gens, quand ils
écoutent un bulletin de nouvelles, ne posent pas un acte
économique. Le gars, ce n'est pas vrai qu'il a le choix entre plusieurs
journaux. Ce n'est pas vrai. Parce que la plupart des grands journaux, les mass
media ont une espèce de monopole dans leur marché à
Québec, entre autres. A Montréal, la Presse, dans
l'après-midi; les gens n'ont pas le choix, premièrement;
deuxièmement, quand le gars débourse $0.15, ce n'est pas un acte
économique qu'il pose dans son esprit, donner $0.15. Il n'achète
pas le journal ou il ne changera pas de journal en ayant l'impression qu'il
pose un acte économique en disant: Je vais les boycotter, les maudits,
il n'auront pas mes $0.15.
Ce n'est pas ainsi que cela fonctionne. Les gens sont vraiment
dépendants de ce que les mass media leur donnent, surtout la radio et la
télévision. Qu'est-ce que vous voulez, la parole est dite pour le
faire entrer. Cela finit là. Et ce que les mass media donnent, y compris
les journaux, même si c'est écrit, finalement, c'est une
pâture jetée à tout le monde. Une fois que c'est
imprimé et rendu partout... Parce que les mass media, c'est leur
caractéristique de rejoindre tout le monde. C'est
qu'éventuellement, tout le monde peut acheter la Presse, y compris un
enfant de cinq ans. Il la voit, la Presse. Il ne sait pas lire lui, mais en
principe cela ne fait rien. C'est à la disposition de tout le monde.
Alors, dès qu'une nouvelle est rédigée et diffusée,
elle n'appartient plus à ceux qui l'ont rédigée ou
diffusée. Elle appartient au public.
Et, deuxième facteur, qui fait que les mass media sont
portés à ne toucher qu'à l'insignifiant, dans le sens de
non-significatif, qu'à ne pas s'embarquer dans les problèmes
conflictuels, etc., c'est que les mass media, économiquement, vivent,
à toutes fins pratiques, à 100 p.c. avec la publicité. Or,
la publicité, elle aussi, tend à vouloir toucher le plus grand
nombre. La publicité fait que cela s'ajoute au problème de la
concentration des entreprises de presse. Monsieur le ministre, vous disiez
tantôt que la concentration des entreprises de presse pouvait accroitre
le nombre des journaux. C'est le contraire qui se produit. Cela fait diminuer
le nombre des journaux. Et il y a un deuxième phénomène
qui tend à accélérer ce phénomène-là,
c'est la publicité. Parce que la publicité va toujours
préférer le journal ou le medium qui touche le plus de monde,
exclusivement à ceux qui suivent. Cela a été le drame du
Toronto Telegram, qui était un excellent journal, mais il y en avait un
autre qui tirait un peu plus. Alors, toute la publicité s'en allait dans
le journal au plus fort tirage. Le Toronto Telegram est donc finalement
tombé. C'est la même chose dans les postes de radio. Lorsqu'il y a
un poste de radio qui se met à monter son "rating", toute la
publicité y va. Evidemment, comme il y a des normes, il y a toujours une
couple de postes de radio qui font beaucoup d'argent, et les autres s'en vont
alors à la débâcle. Parce que le phénomène de
la publicité fait que les agences de publicité, celles qui ont
à annoncer, préfèrent les media qui touchent le plus de
monde, exclusivement aux autres.
C'est donc extrêmement difficile à l'intérieur de ce
milieu, de ce phénomène, d'aller chercher l'information
significative. En d'autres termes, les journalistes doivent se battre pour
faire leur métier. Nous l'acceptons, nous pensons que c'est notre
rôle, mais il faut nous battre. Nous prenons nos responsabilités,
mais nous pensons qu'elles ne nous appartiennent pas en propre. Les
administrateurs ont une responsabilité. Ils doivent aussi se battre,
dans le sens qu'ils doivent garder l'entreprise rentable. C'est une bataille
parce que ce n'est pas facile. En particulier, dans les quotidiens. Partout
dans le monde, les quotidiens tombent. Alors, ils doivent, eux aussi, se
battre. Et on pense qu'il faut que le public se batte aussi. Le conseil de
presse sera un moyen d'amener l'expression de la volonté du public pour
ceux qui lisent, car il y a plusieurs personnes qui ne lisent pas et
n'écoutent pas les nouvelles. Enfin, pour ceux qui s'y
intéressent, cela leur procurera un moyen. Nous voulons, nous, leur
donner un moyen beaucoup plus concret qui puisse agir au niveau où se
fait l'information. C'est ce qu'on propose.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. Beau-champ, vous avez parlé du
conseil de gestion, c'est une des propositions que vous faites. Pourriez-vous
être un peu plus explicite, de façon pratique? Est-ce que vous
avez un schéma, un modèle? Est-ce que cela existe? Est-ce que
cela a été essayé?
M. BEAUCHAMP: Cela a été essayé de façon
peut-être un peu différente, en ce sens qu'il a
existé, et il existe encore dans certains de nos journaux, ce qu'on
appelle des comités paritaires, c'est-à-dire des comités
qui groupent des patrons et des syndiqués qui se réunissent
ensemble pour étudier un certain nombre de problèmes. Cela a
été mis à l'essai, en particulier à la Presse, il y
a quelques années, de la façon suivante : C'était un
comité paritaire consultatif qui pouvait toucher théoriquement
toutes les questions. Le Soleil a vécu de façon plus
récente cette expérience, mais on s'est rendu compte que cela
n'amenait pas de résultat. Tout d'abord, parce que c'était un
comité purement consultatif et, deuxièmement, même si cela
n'avait pas été un comité consultatif, cela aurait
été un organisme, une formule ou un mécanisme incapable de
résoudre les problèmes en temps de crise.
Je vous dis que quand tout va bien, tout le monde s'entend, il n'y a pas
de problème. S'il arrivait une crise, un comité paritaire comme
celui-là ne peut pas résoudre le problème parce que cela
devient un niveau additionnel d'affrontement patronal-ouvrier. Il faut donc
essayer d'éviter cela à un moment donné, parce qu'il y a
un tas de questions qui ne concernent pas des relations strictes de travail.
C'est pour cela qu'on veut faire entrer le public là-dedans.
Il y a eu des tentatives ailleurs. La France a ses comités de
rédacteurs; en Suède, je sais qu'on a d'autres formules; en
Autriche aussi. Il y a différentes formules de ce genre. Nous, nous
avons pensé à celle du conseil de gestion parce que les formules
ne sont pas indéfinies. On pourrait demander que la
propriété soit donnée au public, que ce soient des
coopératives. On n'est pas contre cela. On ne le propose pas comme tel,
mais on pense que cela pourrait exister, des coopératives d'information.
Ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose.
Il y a diverses formules. Au Monde, par exemple, à Paris, les
employés sont les propriétaires. Nous, nous voulons faire entrer
le public; l'idée du conseil de gestion nous est venue à la suite
de l'entente que nous avions eue finalement avec toutes les associations
patronales, sur le conseil de presse. C'est la même formule: des
représentants, des propriétaires, des journalistes et du public
se mettront ensemble et auront l'autorité de la décision au
niveau du contenu de l'information. C'est-à-dire que s'il y a des
problèmes d'information, les politiques d'information se
décideront là et non pas au conseil d'administration, en
haut.
La structure interne du journal, d'après ce que l'on propose,
demeure. Il y a un directeur de l'information, etc.. Mais ce directeur de
l'information, il faut qu'il soit choisi par le conseil de gestion en question,
par les journalistes, par les patrons, par le public. En faisant cela, nous
nous exposons à une chose, c'est qu'un gars soit nommé par une
majorité autre que la nôtre, nous nous mettons en minorité
là-dedans. Les journalistes acceptent cela, et c'est la même chose
pour le conseil de presse.
On accepte que ce soit une majorité autre que la nôtre qui
nous fixe éventuellement des normes déontologiques. On aurait
très bien pu faire comme les corporations professionnelles, se faire un
beau petit code, ambigu, complexe, que personne ne comprend et
administré à huis clos. On a dit : Non, on ne veut pas de cela.
Ce qu'on veut avoir, ce sera un code d'éthique qui sera public et ce
sont eux qui vont le faire, à part cela, ils vont nous dire ce qu'il y
aura dedans. On fait la même chose au niveau des salles de
rédaction, parce que la censure dans les media d'information, il y a
longtemps que cela ne se fait plus avec les ciseaux. Cela ne se fait pas comme
cela. Cela se fait comment? Cela se fait au niveau de la politique d'embauche,
au niveau du climat dans les salles de rédaction, au niveau des moyens
qui sont donnés aux journalistes pour aller cueillir l'information, la
diffuser, etc.. C'est comme cela que ça se fait. Le point central se
fait au niveau de l'embauche des gens. Si vous engagez des gens en leur faisant
passer tous les tests psychologiques pour être bien certain qu'ils sont
des "company men", pour être bien certain qu'ils sont des gens qui n'ont
aucun esprit critique et qui sont engagés à fond dans le
système actuel, il est bien évident que vous allez avoir une
salle de rédaction, après cela, tout à fait amorphe et
vous n'aurez plus besoin d'y aller avec le couteau. Ou si vous passez un ou
deux ans à emmerder les journalistes chaque fois qu'ils écrivent
un papier et qu'ils se dégagent un peu des communiqués
reçus, au bout d'un an, ils sont tannés de se battre. Ce sont des
hommes comme les autres. Finalement, on vient à créer un climat
qui tue tout dynamisme. C'est comme cela que ça se fait, en
réalité. Le rôle du conseil de gestion sera beaucoup plus
psychologique qu'autre chose. Cela va être une soupape qui va pouvoir
intervenir dans les moments difficiles. Quand tout va bien, il n'y a pas de
problème.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. Beau-champ, je vous écoute et disons
que, comme projet théorique, je pense que cela suit la formule du
conseil de presse, c'est intéressant.
Cependant en pratique, dans un quotidien important il y a urgence tous
les jours. Supposons que le conseil de gestion est installé; il a
discuté, il a élaboré peut-être une philosophie du
contenu de l'information dans les grandes lignes et non pas dans les
détails quotidiens. Il y a aussi dans les journaux et vous l'avez
dit tantôt surtout dans les grands quotidiens non seulement une
tendance mais une orientation vers la spécialisation. Vous avez des
journalistes qui se spécialisent dans des secteurs particuliers, les
affaires sociales, économiques et ainsi de suite. Ce conseil de gestion
va avoir également à parler ou à discuter du contenu
général de l'information dans ces sections
spécialisées.
En pratique, tous les jours, à un moment donné, il y a des
périodes où c'est plus tranquille dans le domaine de
l'information, il y
a des périodes où c'est beaucoup plus mouvementé. A
ce moment, je vois difficilement en pratique, réunir un conseil de
gestion où il y aura des représentants du public. Quant aux
propriétaires et aux journalistes, je pense que ça va, vous
pouvez les avoir sous la main, mais, du côté du public, j'aurais
les deux questions suivantes: Comment voyez-vous la représentation du
public? Est-ce que ce seraient les groupes socio-économiques, est-ce que
ce seraient les deux partenaires qui, eux, accepteraient les
représentants du public et, dans le cas où ils seraient
nommés, en pratique, comment assurer un mécanisme souple, assez
rapide et assez harmonieux de fonctionnement?
M. BEAUCHAMP: Je vais répondre que ce que nous disons, c'est que
les conseils de gestion se trouvent à remplacer, au niveau des salles de
rédaction, le conseil d'administration. Entre vous et moi, cela va
être bien plus facile de réunir le conseil de gestion que de
réunir le conseil d'administration d'une entreprise comme la Presse, par
exemple, dont un des membres du conseil d'administration est une personne de
Québec, ici, une autre de Stratford, Ontario, etc. Je pense que, du
point de vue purement pratique, ce que nous proposons va être beaucoup
plus facilement réalisable. Les représentants du public sont peu
nombreux là-dessus, il peut y avoir des formules différentes; ce
que nous proposons, c'est un conseil de gestion quand même assez
restreint. Ce que nous proposons, c'est peut-être, dans
l'immédiat, là ou on pourrait se le permettre, six personnes,
dont deux représentants du public. Je pense que ce serait assez facile
à faire. Ce que nous disons, c'est que les gens de ce conseil de gestion
vont être payés de façon adéquate, tenant compte du
fait que c'est un travail à temps partiel, mais ils vont être
payés de façon adéquate, pour qu'ils fassent leur
rôle, mais ils vont intervenir, comme interviendrait un conseil
d'administration, pour régler les grandes questions ou les questions qui
n'ont pas pu être réglées au niveau de la direction de
l'information. C'est ce qui se produit actuellement. Or cela remplacerait le
conseil d'administration.
Quant au mode de nomination des gens du public que nous avons
prévu, c'est le même que pour le conseil de presse,
c'est-à-dire que les deux représentants patronaux et les deux
représentants des journalistes, qui ne seraient pas
nécessairement des représentants syndicaux, seraient élus
pour leurs préoccupations d'ordre professionnel, une chose qui existe
déjà, par exemple, à la Presse. Il y a deux
procédures de grief; une qui s'attache aux questions plus strictement
pécuniaires, plus strictement de relations de travail, et une autre qui
a été instituée pour les questions professionnelles, et on
élit des gens différents aux deux comités des griefs. Je
vous jure que les gars élisent des personnes différentes, parce
qu'ils les élisent selon leurs préoccupations. Ce sont ces quatre
qui s'entendraient à l'unanimité pour se trouver deux
représentants du public, qui ne seraient pas nécessairement des
représentants de groupes socio-économiques. L'important est qu'il
y ait là, au conseil de gestion comme au conseil de presse nous
nous sommes entendus là-dessus des gens qui sont
intéressés par les questions d'information, des gens qui lisent
les journaux et qui écoutent les postes de radio et de
télévision. A mon avis, si cette formule était
appliquée au Soleil, il faudrait que, comme représentants du
public, on prenne deux lecteurs du Soleil. Il y a bien des façons de
trouver des gens, cela s'exerce dans le milieu, où l'on connaît un
certain nombre de gens autour. Il s'agit d'amener là des personnes de
bonne volonté, qui sont préoccupées par les questions
d'information, des personnes intelligentes et qui sont nécessairement
modérées, puisqu'elles seront choisies à
l'unanimité des deux groupes.
M. CLOUTIER (Montmagny): Vous avez dit tantôt que cet organisme
n'aurait pas qu'un rôle consultatif. Jusqu'où iraient, en
pratique, ses possibilités, ses pouvoirs, ses
responsabilités?
M. BEAUCHAMP: Nous l'avons défini dans notre mémoire, nous
énumérons une série de pouvoirs. En gros, il y aurait tous
les pouvoirs sur le contenu de l'information et sur l'embauche du personnel.
Cela ne veut pas dire que tous les journalistes engagés iraient parader
devant le conseil de gestion, pas plus qu'ils ne vont parader actuellement
devant le conseil d'administration. Cela se ferait au niveau de la direction de
la salle d'information, mais ce serait au niveau du conseil de gestion que
s'arrêteraient les pouvoirs. En d'autres termes, le conseil
d'administration n'aurait pas le pouvoir de dire? Ce journaliste, je ne le veux
pas, si le conseil de gestion a dit: Oui, il est acceptable. C'est cela que
nous voulons dire, et au niveau du contenu même de l'information, il y a
un problème, à un moment donné, à savoir si on
couvre un conflit majeur comme la crise d'octobre 1970, si on met beaucoup de
budget là-dedans ou pas. Ce sera le conseil de gestion qui
décidera, à l'intérieur du grand budget de l'entreprise
évidemment, et qui dira: On va négliger la couverture des
commissions parlementaires au Parlement et on va mettre cet argent pour couvrir
la crise d'octobre 1970. Ce serait à ce niveau du conseil de gestion que
cela se ferait et non pas au niveau du conseil d'administration. Il ne faut pas
oublier une chose, c'est que dans les conseils d'administration, entre vous et
moi, c'est un homme qui décide, ce n'est pas le conseil
d'administration. Il ne faut pas se faire d'illusion là-dessus. Quand il
y a un propriétaire unique qui contrôle en quelque part, il ne
faut pas se faire d'illusion sur les pouvoirs réels du conseil
d'administration et sur la qualité de la discussion qui a lieu à
l'intérieur d'un conseil d'administration. Je n'en vise aucun en
particulier, je
ne veux pas dire que les gens qui sont amenés au conseil
d'administration des entreprises n'apportent pas quelque chose de positif. Mais
il ne faut quand même pas se faire d'illusion sur qui décide
à ce moment-là. Il y en a un qui décide.
Ce que nous proposons, c'est qu'il y en ait plusieurs, y compris lui.
Mais qu'il ne soit pas tout seul. On se dit que le droit de
propriété ne donne pas un droit sur le contenu de l'information.
Il faut bien voir l'évolution qui s'est faite dans le monde de
l'information.
Quand les journaux sont nés il y a 150 ou 200 ans,
c'étaient d'abord des véhicules d'idéologies, des
véhicules littéraires, etc. Les journaux naissaient et mouraient
selon l'effervescence des idéologies. C'étaient des hommes
politiques, des écrivains qui détenaient les journaux.
L'information venait en deuxième lieu. Les gens lançaient des
journaux pour faire valoir des idées.
Mais le phénomène a fait que les journaux ont
touché de plus en plus de monde et c'est l'information qui a pris le
dessus, justement parce qu'on voulait éviter les situations
conflictuelles. Les journaux sont devenus de moins en moins engagés, ce
qui leur a permis de s'étendre.
Parce qu'un gars qui n'est pas communiste à Paris, à moins
que ce soit son métier de vouloir s'informer, n'achète pas
l'Humanité. Pourquoi? Parce que ça le choque, ce
journal-là. C'est un journal idéologique. Il y a une
clientèle, mais limitée. Mais les mass media, ce n'est pas
ça qu'ils veulent, c'est le contraire. Ils veulent toucher tout le
monde, les communistes, les socialistes, tout ce que vous voulez.
Il y a eu ce phénomène qui s'est produit au cours des
années et on en est rendu à un point où la dimension
sociale des journaux, leur rôle dépassent leur cadre
économique, et il faut absolument reconnaître ça dans la
structure des journaux qui, à notre avis, est incapable de concilier les
objectifs de rentabilité de l'entreprise avec les besoins de
l'information.
Les gens ont de plus en plus besoin d'information approfondie parce que,
de plus en plus, ils dépendent des mass media dans leur vie de citoyen
alors que la tendance économique des mass media est d'en faire des
organes insignifiants, toujours dans le sens de non-significatifs, de non
engagés etc. Les deux tendances s'en vont dans des directions
opposées. Il faut un moyen de faire le lien entre les deux.
On pourrait toujours dire: II faut changer la propriété
des entreprises de presse, etc., mais ce serait peut-être utopique
à court terme, même pour une génération ou deux.
Nous disons: Formons un mécanisme qui va permettre de combler ce
fossé-là, celui-là ou un autre. Remarquez bien que ce que
nous proposons, c'est bien sûr que ça ne peut pas s'appliquer
à un petit journal qui n'aurait pas les moyens de payer six gars
même à temps partiel.
Il y a d'autres formules. Je pense que, au Soleil, on a envisagé
un bout de temps la création d'une espèce d'ombudsman de
l'information au niveau de la salle de rédaction. Je pense qu'il n'en
est plus question pour le moment. Il en a déjà été
question. Cela peut être une autre formule, ça dépend des
pouvoirs qu'on donne à cet homme, etc.
Il peut y avoir diverses formules mais il faut absolument trouver un
moyen et, à mon avis, l'imposer par législation, parce que, je ne
la méprise pas quand je dis ça, il ne faut pas attendre de
l'entreprise économique, financière qu'elle crée
d'elle-même les mécanismes qui vont la contrôler, qui vont
combler ce fossé. Cela ne viendra pas de là.
Alors, il faut envisager dans ce sens-là.
M. VEILLEUX: Votre proposition de conseil de gestion de l'information
vient nécessairement d'un malaise qui peut être assez
précis dans le milieu dans lequel vous travaillez. Est-ce que vous
auriez des exemples concrets où, réellement, un journaliste, en
1972 ou 1973, au Québec, subit des contraintes dans l'information de la
nouvelle qu'il a à recueillir ou vice versa?
M. BEAUCHAMP: Là, vous parlez des cas de censure?
M. VEILLEUX: Oui. Si vous parlez d'un conseil de gestion de
l'information à l'intérieur d'un journal, c'est certainement
dû au fait que vous vivez, en tant que journaliste, des problèmes
de censure.
M. BEAUCHAMP: Non, c'est beaucoup plus large que ça. Des
problèmes de censure, ça existe en temps de crise. Quand il n'y a
pas de problème majeur, il n'y en a pas. Mais, comme je vous le disais
tantôt, ça se fait de la façon suivante. Les journalistes
du journal La Patrie, par exemple, n'ont pas les moyens de travailler. Que
voulez-vous? Que font-ils? Ils font quatre page sur un avortement. Que
voulez-vous? Ils remplissent les pages de grandes photos et tout ce que vous
voulez. Ils n'ont pas les moyens de travailler.
M. VEILLEUX: Admettons que vous avez un conseil de gestion qui dit: On
ne fera pas des pages sur l'avortement ou la maternité parce que
j'ai vu une photo et cela m'a tout l'air que c'était la
maternité, visuellement, j'ai pu me rendre compte de ça en
regardant la première page du journal La Patrie. Si le conseil de
gestion disait: On va consacrer telle somme à l'information...
M. BEAUCHAMP: Ce n'est pas le conseil de gestion qui va décider
ça. C'est sa contrainte.
M. VEILLEUX: Si j'ai bien compris, vous nous avez dit tout à
l'heure...
M. BEAUCHAMP: A l'intérieur du budget qu'il a.
M. VEILLEUX: A l'intérieur du budget...
M. BEAUCHAMP: A l'intérieur du budget que l'entreprise donne
à la salle de rédaction. C'est évidemment une limite
très grande qu'on impose à l'amplitude de l'action
éventuelle d'un conseil de gestion.
M. VEILLEUX: D'après vous, est-ce qu'un conseil de gestion
pourrait amener, par des décisions qu'il prend, des problèmes
financiers au propriétaire du medium d'information? Vous mentionniez
tout à l'heure l'impact de la publicité notamment à la
radio et à la télévision, surtout à la radio; cet
impact peut se faire ressentir dans des média d'information, compte tenu
des décisions que pourrait prendre le conseil de gestion.
M. BEAUCHAMP: Vous voulez dire en choquant des publicitaires par
des...
M. VEILLEUX: Oui.
M. BEAUCHAMP: Ce n'est pas normal que la publicité décide
du contenu de l'information. Vous trouvez ça normal, vous?
M. VEILLEUX: Non, non!
M. BEAUCHAMP : Alors, il faut empêcher ça justement. Pour
l'empêcher, il faut...
M. VEILLEUX: Ne me faites pas dire des choses que je ne... J'essaie
de...
M. BEAUCHAMP: Non, non! J'affirmais quelque chose sous forme de
question. La structure actuelle à l'intérieur des entreprises
fait qu'il y a de ces pressions continuelles qui jouent. On comprend pourquoi.
Ce n'est pas mépriser quelqu'un que de relater ces faits. Mais on ne
peut pas demander au propriétaire d'une entreprise de presse de
résister aux pressions qui viennent des publicitaires. Il faut que cela
se fasse ailleurs, parce qu'il est absolument anormal que, dans une publication
qui touche tout le monde et dont les gens ont besoin, ce soient les
publicitaires qui décident du contenu de l'information. Cela prend
quelqu'un qui ait d'autres préoccupations que la préoccupation de
rentabilité économique. Il faut trouver les moyens de concilier
les deux. On n'a pas le choix. Mais il faut concilier les deux.
M. VEILLEUX: Mais, M. Beauchamp, si, au conseil de gestion de
l'information, comme il va y avoir, hypothétiquement, deux
représentants des media d'information, le propriétaire arrive et
dit au conseil de gestion à l'information: Si le conseil prend telle
décision, cela entraîne telle perte en publicité pour ce
medium d'information, si vous étiez membre, représentant du monde
journalistique à ce conseil de gestion de l'information, je serais moi,
en tout cas, joliment embêté...
M. BEAUCHAMP: Oui. Mais cette décision se prend tous les jours,
M. Veilleux. Tous les jours, j'ai cette décision à prendre comme
journaliste, parce que, tous les jours, j'autorise la publication d'articles.
J'en fais moi-même. Tous les jours, nous avons à prendre ce genre
de décision. Il n'y a pas toujours un gros impact. Vous parlez de gros
impact, c'est fort possible, mais cela arrive tous les jours. Les gens qui vont
là vont se servir de leur intelligence. Il faut voir le pour et le
contre. La Presse a publié il y a six ou huit mois des nouvelles sur les
agences de voyage. Il y en avait deux ou trois qui étaient sur le point
de faire faillite. Il y avait des gens qui avaient des billets de voyage
nolisé et tout ça. On a appelé les agences de voyage pour
savoir ce qui se passait exactement. Il s'est su qu'on préparait un
article sur le sujet. Les agences de voyages rentables n'étaient pas du
tout favorables à ce qu'on sorte des papiers sur les agences de voyages
non rentables parce que cela retomberait sur elles, évidemment. Elles
ont donc dit à la direction de la Presse: Nous retirons toutes nos
annonces si vous publiez des articles là-dessus. A la rédaction,
on a dit: Vous retirerez vos annonces. Effectivement, elles ont
été deux ou trois semaines ou un mois sans publier leurs
annonces, sauf que, depuis ce temps, elles sont obligées de reprendre le
temps perdu et annoncent deux fois plus. Ce que je veux dire, c'est que si cela
avait été le propriétaire qui avait eu à prendre la
décision, si cela avait été le service de la
publicité qui avait eu à prendre la décision, le service
du marketing, le service du tirage, il aurait pris une décision autre
que celle du directeur de l'information à la Presse. Cela se produit
constamment. Au conseil de gestion, ce sont des hommes intelligents qui vont
être nommés. Il faut quand même faire confiance au patron,
croire qu'il va nommer des gars intelligents et que les journalistes vont aussi
nommer des gars intelligents et, à quatre gars intelligents, ils vont
être capables d'en choisir deux autres intelligents.
M. VEILLEUX: Si je comprends bien, dans le cas particulier que vous
mentionnez, c'est que c'était un reportage sur les agences de voyage
plus ou moins agences de voyage.
N'y aurait-il pas eu lieu, parallèlement à cela, de parler
aussi des agences de voyage qui font un bon travail?
M. BEAUCHAMP: C'est exactement ce qui a été fait, mais ce
n'était pas des agences de voyage plus ou moins agences de voyage,
c'était des agences de voyage qui fourraient le monde.
M. VEILLEUX: C'était le nom d'agence de voyage.
M. BEAUCHAMP: Nous avons dit: C'est telle agence, telle agence et telle
agence. Ce ne sont pas les autres. Evidemment, cela rejaillit sur les autres,
mais nous le savons avant d'écrire l'article. Bien sûr que cela a
des conséquences.
C'était la même chose au début de la campagne contre
les cigarettes. Toutes les agences de publicité, les compagnies de
cigarettes menaçaient les media d'information, qui passaient des
nouvelles là-dessus, de couper leur annonce. Il y a des journaux qui
n'en parlaient pas pour ne pas se faire couper leur annonce et d'autres
journaux qui en parlaient. Qu'est-ce qui est arrivé finalement? Ce sont
les journaux qui en ont le plus parlé qui ont eu le plus d'annonce des
compagnies de cigarettes. Pourquoi? Il fallait qu'ils annoncent deux fois plus
pour contrebalancer. Les journaux jouent un rôle social qui est plus
large que le rôle strictement économique. Ce sont des questions,
celle-là et d'autres encore plus compliquées que celle-là,
qu'un conseil de gestion va être appelé à envisager dans
les périodes difficiles. Si on pense que des administrateurs
d'entreprises sont assez intelligents pour les résoudre d'une
façon efficace et valable pour le bien commun, je ne vois pas pourquoi
d'autres personnes, qui seraient à un autre niveau, ne pourraient pas
aussi prendre des décisions valables et efficaces.
M. VEILLEUX: En d'autres mots, le conseil de gestion verrait à
étudier l'influence à plus longue échéance que de
dire tout simplement: Si nous faisons telle chose immédiatement, la
publicité pour telle chose est coupée. Comme vous le mentionnez,
pour la cigarette ou les agences de voyage, cela a doublé et
triplé les annonces.
M. BACON: Une question supplémentaire, M. le Président, si
mes collègues le permettent. Vous parlez de la contrainte de la
publicité sur le contenu de l'information. Nous entendons souvent parler
de cela et cela a l'air d'une façade. Je vous donne comme exemple notre
région de la Mauricie, je parle de Trois-Rivières surtout. Vous
pensez que la publicité est capable de contraindre le contenu ou
l'information? Le gars n'a pas d'autres choix que d'annoncer dans le journal Le
Nouvelliste. Dans les postes de radio, avant qu'on ait la concentration
CHLN est un poste de radio appartenant au Nouvelliste ce n'était
pas mieux, la même chose existait. Vous allez être obligé de
travailler fort pour me convaincre que la publicité contraint
l'information. Vos agences de voyage, vous l'avez très bien dit, elles
sont obligées de revenir. Ils ne peuvent pas vous bouder à
longueur d'année. D'un côté, vous nous dites que les mass
media et je suis d'accord avec vous là-dessus sont dans la
vie de tous les jours. C'est vrai. Mais le gars qui est dans le commerce, dans
les affaires je ne connais peut-être pas les mass media comme vous
les connaissez mais le gars qui est en affaires, s'il veut faire des
affaires, il est obligé de suivre tout le monde, ce que tout le monde
écoute. Alors, la contrainte de la publicité sur le contenu, moi
je ne suis pas convaincu de ce que vous dites à son sujet.
M. BEAUCHAMP: J'espère que, quand j'aurai fini de parler, vous
vous direz convaincu. Ce que vous dites, c'est vrai qu'à long terme, la
publicité est obligée d'aller dans les mass media. Cela joue dans
les deux sens finalement. Ils se créent un outil dont ils deviennent
eux-mêmes dépendants. A long terme, cela est vrai, sauf que
l'information se fait tous les jours, elle ne se fait pas à long terme.
Les pressions de la publicité se font à deux niveaux.
Premièrement, par l'espace et le temps accordés à
l'information. Plus il y a de publicité, plus il y a de pages dans le
journal, plus il y a d'information à donner, même si cette
journée-là, il y a deux fois moins de nouvelles que la veille.
Mais cela ne fait rien, il faut le remplir. L'autre journée, il y aura
énormément de nouvelles. Comme il n'y a pas beaucoup de
publicité, il n'y a pas beaucoup d'espaces à remplir. Donc, on
laisse tomber des nouvelles qui parfois sont extrêmement importantes.
Donc, il y a cette contrainte-là qui est une contrainte fondamentale
contre laquelle on ne peut réagir que par une politique vraiment
ouverte, vraiment sociale d'information. C'est-à-dire qu'un journal
comme la Presse, par exemple, le Soleil, les autres, se fixent quand même
des minimums de colonnes d'information. Cela joue quand même à ce
niveau-là. Et au niveau de la presse électronique, c'est la
même chose. Deuxième niveau, cela joue au niveau des pressions
quotidiennes. Il y a un article qui est publié contre les cigarettes.
Vous pouvez être sûr c'est son rôle que le
directeur des relations publiques de la compagnie appelle le gars de la
publicité et dit: Ton "moses" de journal, c'est ceci, c'est cela...
Qu'est-ce que le gars de la publicité fait? Il se retourne et appelle le
journaliste: Ecoute, tu ne pourrais pas...? Si le journaliste n'a pas les
moyens, parce que lui aussi il faut qu'il gagne sa vie, s'il n'a pas
l'indépendance, le cadre voulu pour dire: Ecoute, je comprends ton point
de vue, mais notre métier, c'est d'informer les gens et de leur dire que
la cigarette peut causer le cancer. Je comprends ton point de vue, mais je
résiste et je vais passer ma nouvelle comme il le faut. Cela, c'est tel
jour.
S'il ne le fait pas, il n'est pas à l'information. Il faut
vraiment que les journalistes aient quotidiennement le cadre de liberté
et d'indépendance voulu pour l'exercer. Est-ce que je vous ai convaincu?
Non?
M. BACON: Non.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Chauveau.
M. HARVEY (Chauveau): M. Beauchamp, la responsabilité
vis-à-vis du public. On a vu dans le passé que des nouvelles ont
été une opposition véhémente dans un groupe
donné. Ces oppositions ont été faites à la
direction du journal qui a pu être pénalisé, le directeur
du journal, le propriétaire. Le journaliste là-de-
dans... C'est vrai qu'il y a quand même la conjoncture syndicale
qui est encore et davantage, pour le propriétaire du journal, un
mécanisme supplémentaire qui lui crée un manque de
liberté dans la direction qu'il veut donner à son journal.
Beaucoup de journaux, si on parle du Soleil ou de la Presse,
disparaîtraient s'ils voulaient donner le grand coup à travers la
province; pour d'autres journaux hebdomadaires, c'est la même chose.
M. BEAUCHAMP: Je pense que, partout dans le mémoire, on le dit
clairement. On tient parfaitement compte de la contrainte économique. On
se dit que cette contrainte existant, il faut quand même donner une
information qui donne le plus possible; ce sont toutes des choses possibles,
des choses réalisables, on ne demande pas la fin du monde. Quand vous
dites qu'un mécanisme comme celui-là va enlever au patron un
pouvoir direct sur le contenu de l'information, c'est bien évident,
c'est ce qu'on veut. Parce qu'on se dit que ce n'est pas parce qu'il a le droit
d'être propriétaire du journal, qu'il a un droit de
propriété, qu'il a un droit sur le contenu du journal.
Historiquement, la liberté de presse a été liée
à la liberté d'expression. Les premières batailles pour la
liberté de presse étaient pour la liberté d'avoir un
journal parce que le journal est un moyen de véhiculer une
idéologie; c'était ça au départ. Liberté de
presse et liberté d'expression ou d'opinion étaient liées.
Cela a été lié graduellement au droit de publier. La
liberté de presse, c'est le droit de publier, mais le droit de publier
est un droit théorique. Entre vous et moi, qui peut fonder un journal
d'envergure aujourd'hui? C'est un droit purement théorique. On ne peut
plus faire reposer l'information sur un droit aussi théorique et aussi
limité que le droit de publier et sur une motion comme la liberté
d'expression qui ne cadre plus avec le rôle actuel des media
d'information. Il y a encore une page éditoriale dans les media
d'information, mais ce rôle diminue constamment et il n'y a rien qui dit
que, dans dix ans, il n'y en aura plus.
M. HARVEY (Chauveau): Ne pensez-vous pas que le propriétaire
lui-même doit viser aussi à une qualité d'information et
à une diversité d'information? Si vous laissez le plein pouvoir
à la salle de rédaction de diriger l'information je pense
que le mot diriger est bien placé...
M. BEAUCHAMP: Ce n'est pas du tout ce qu'on propose. C'est justement ce
qu'on ne propose pas. Ce qu'on propose, c'est donner le pouvoir non pas
à la salle de rédaction mais à un organisme qui est
au-dessus de la salle de rédaction, qui s'appelle le conseil de gestion
qui est à part et où la majorité est autre que les
journalistes qui sont dedans. Le reste va être en minorité.
M. HARVEY (Chauveau): Les poursuites qui peuvent être
intentées... Prenez le cas de la Presse, vous en parliez tout à
l'heure; vous savez que dans la convention collective de la Presse, même
les syndicats ont droit de veto sur l'engagement du directeur de
l'information.
M. BEAUCHAMP: Non, non, non, non! Pas dans la convention collective
comme telle. Cela a été une entente conclue au moment du dernier
conflit à la Presse. Je vous ferai remarquer qu'en pratique, le
directeur de l'information a été nommé sans consultation
des syndicats. Comme le syndicat a décidé qu'il y avait eu assez
de conflits à court terme, il n'est pas revenu là-dessus. C'est
ce qui s'est passé en pratique. S'entendre à l'amiable, c'est
bien beau, mais il faut instituer des mécanismes. L'argument juridique
que vous soulevez...
M. HARVEY (Chauveau): II reste les droits de grief, quand
même.
M. BEAUCHAMP: Oui, c'est entendu qu'il reste les droits de grief. Mais
un grief... Le gars est nommé, tu fais un grief? Il ne m'a pas
consulté. Le juge va dire: C'est vrai, on ne vous a pas consulté.
So what?
M. HARVEY (Chauveau): En vertu de l'entente, vous devez être
consultés?
M. BEAUCHAMP: C'est vrai que, juridiquement, il y a un problème
qui se pose; je m'attendais à cette question. Mais les problèmes
juridiques sont faits pour être résolus. Ils sont toujours
résolus de toute façon. C'est vrai que ça pose un
problème juridique, dans ce sens que certaines décisions vont
être prises au niveau du conseil de gestion sur le contenu de
l'information et c'est l'entreprise comme telle qui va en assumer la
responsabilité légale.
Mais c'est exactement le même cas qui se produit actuellement.
L'entreprise est responsable, mais ce n'est pas l'entreprise qui fait les
papiers. Ce sont les journalistes. Le risque n'est pas plus grand avec un
conseil de gestion qu'il l'est actuellement, le risque de libelle. Il n'est pas
plus grand, pas du tout.
M. HARVEY (Chauveau): Vous me permettrez, peut-être une
dernière question. M. Beau-champ, est-ce que votre conseil de gestion
pourrait s'étendre à la presse écrite et parlée
à la grandeur de l'information?
M. BEAUCHAMP: Malgré la formule proposée, on ne s'y
attache pas absolument. Il est bien évident que ce que l'on propose ne
peut s'appliquer qu'aux grands media qui ont les moyens de... etc., mais on
pense que c'est une formule qui peut s'appliquer dans les grands media
d'information qui touchent beaucoup de monde, les réseaux entre autres.
Il y a sûrement moyen de l'y appliquer.
M. HARVEY (Chauveau): Vous me permettrez peut-être un commentaire.
Je ne sais si je me trompe, mais disons qu'au journal Le Soleil, vous avez des
propriétaires qui se défendent facilement lorsqu'ils
reçoivent des accusations, par exemple, et que peut-être certaines
nouvelles tendancieuses sont publiées parfois. Le propriétaire du
journal dit alors: Qu'est-ce que tu veux, ce n'est pas moi qui mène, je
suis un peu victime du système qui veut que la rédaction ait trop
de pouvoirs dans l'élaboration du journal. D'autre part, est-ce que vous
ne pensez pas que la qualité du journal peut parfois être douteuse
à cause de cela?
M. BEAUCHAMP: A cause de quoi? Parce que ce sont les journalistes qui
font les journaux?
M. HARVEY (Chauveau): Pas nécessairement.
M. BEAUCHAMP: II y en a un qui a lancé un journal sans
journalistes.
M. HARVEY (Chauveau): Mais est-ce que vous allez mettre en doute sa
qualité? Moi, je la mets en doute, de toute façon.
M. BEAUCHAMP: Un journal, cela se fait avec des journalistes.
M. HARVEY (Chauveau): Oui, d'accord.
M. BEAUCHAMP: Et c'est leur métier de faire de l'information.
Moi, pour l'information évidemment, je prêche pour ma
paroisse, je suis journaliste je ne dis pas que, comme dans les autres
professions, il n'y a pas place à l'amélioration, c'est
absolument évident. Mais là-dessus, je peux dire que si un
journaliste est dans une boite et que c'est un mauvais journaliste, c'est le
patron qui l'a engagé. S'il l'a engagé, ce doit être parce
que cela faisait son affaire, ou peut-être parce que c'était un
gars qui ne chargeait pas cher ou qui ne faisait pas de trouble, etc. Vous
pouvez remarquer que c'est le patron qui l'a engagé, ce n'est pas le
syndicat et dans aucun moyen d'information que je connaisse, les syndicats ont
vraiment un mot à dire dans l'embauche. C'est le patron qui le fait,
évidemment là où il y a un marché.
M. HARVEY (Chauveau): C'est un peu la même chose que pour les
représentants des comtés, des circonscriptions provinciales. S'il
y avait des critères de base, c'est clair qu'il y aurait peut-être
cent dix députés ou cent huit, mais il y aurait peut-être
une revalorisation des gens qui siègent à l'Assemblée
nationale.
M. BEAUCHAMP: Vous n'êtes pas satisfait de vos
collègues?
M. HARVEY (Chauveau): Non, ce n'est pas l'idée, je suis d'accord
là-dessus. C'est comme dans le journalisme, au moment où un
propriétaire de bonne foi engage un journaliste. Après deux ans,
s'il s'aperçoit qu'il est tombé sur un mauvais numéro, si,
en vertu de la présence du syndicat, il est pris avec le bonhomme, il
est drôlement mal pris.
M. BEAUCHAMP: Mais il y a une chose que je tiens quand même
à souligner. Vous avez affirmé que les propriétaires des
entreprises de presse peuvent dire: Qu'est-ce que vous voulez que je fasse?
C'est contrôlé par les syndicats. C'est absolument faux. C'est
contrôlé par des cadres non syndiqués. Toute la nouvelle,
tous les papiers passent par des cadres non syndiqués dans toutes les
entreprises que je connais. Ce sont eux qui ont le dernier mot.
M. HARVEY (Chauveau): Mais ceux qui font partie de ces cadres ne
sont-ils pas justement les professionnels du métier?
M. BEAUCHAMP: Oui, ce sont des journalistes, certainement, mais ils sont
soumis à toutes les pressions qui peuvent venir d'en haut et,
heureusement, que ce sont des journalistes qui sont à un tel niveau,
parce que ce ne serait pas beau sans cela.
M. VEILLEUX: Vous soulevez un problème intéressant, cela
me fait penser un peu à l'enseignement. Les principaux et les adjoints
dans les écoles sont d'ex-enseignants; quand ils accèdent
à de tels postes, assez souvent la base enseignante n'est pas satisfaite
des décisions prises, prétextant qu'ils subissent.... Vous ne
trouvez pas qu'il puisse y avoir un danger à un certain moment chez les
gens venant du milieu journalistique qui vont siéger ou qui
siégeraient à un conseil de gestion d'information? Si ces types
sont spécialisés, parce que vous en arrivez, surtout dans un
journal du type de la Presse, à être spécialisés
dans un secteur donné, par exemple les sports, le domaine
économique, si les gens siègent au conseil de gestion de
l'information, vous n'avez pas peur qu'à un certain moment, ces deux
individus luttent pour que ce soient surtout la page des sports ou la page de
la section économique qui soient mises en valeur?
M. BEAUCHAMP: Non, parce que si un journaliste a une
spécialisation, l'expérience démontre qu'un journaliste ne
reste pas longtemps dans le même domaine. Personnellement, j'ai fait de
la politique durant quatre ans, je fais présentement de
l'économique. Dans quelques années, je ferai peut-être
autre chose. Je ne pense pas qu'il y ait un danger à ce niveau. C'est
toujours un danger possible on prêche toujours pour sa paroisse
mais je veux dire que ce n'est pas plus grave que si, actuellement, par
exemple, vous avez un président de compagnie qui est mélomane et
qui va se battre pour que
ses pages de musique soient meilleures que celles des autres
journaux.
Ce sont des journalistes qui vont être là, je ne pense pas
que le danger, comme tel, soit bien grand.
M. VEILLEUX: Pour les deux journalistes, par exemple, qui sont
là-dessus, cela peut être drôlement embêtant à
un certain moment. Je me souviens que, dans une école donnée, la
régionale où j'enseignais, à un certain moment, je
prends un exemple bien pratique il s'agissait de faire l'horaire des
enseignants au début de l'année . La direction de l'école
avait dit: On va faire cela conjointement. Cela avait été fait
avec la direction et autant d'enseignants qu'il y avait de membres de la
direction qui décidaient de l'horaire des cours, et partant de l'horaire
des enseignants pendant la semaine. Je peux vous dire que les enseignants de
l'école étaient bien plus en maudit cette fois-là que
l'année précédente, alors que la décision avait
été prise uniquement par la direction de l'école parce que
les gars ou les femmes qui y étaient s'étaient fait un horaire
pas trop pire comparé à celui des autres. Ils ne prenaient jamais
la dernière période de la journée, c'était toujours
le même professeur qui avait la dernière période. Or,
enseigner à trois heures de l'après-midi et enseigner à
neuf heures le matin, c'est joliment différent dans le secteur
secondaire.
M. BEAUCHAMP: J'espère que les journalistes ne feront pas comme
les enseignants. Mais sérieusement, c'est un danger.
M. VEILLEUX: II y a des dangers qui peuvent arriver...
M. BEAUCHAMP: Votre question est très sérieuse.
M. VEILLEUX: Ce sont des dangers qui peuvent arriver et je les expose
pour voir si...
M. BEAUCHAMP: Cet argument est très sérieux, on
l'attendait puisqu'on en a discuté entre nous. Il est bien
évident que ce danger est énorme et il y aura des
problèmes, mais il est bien évident que les deux journalistes qui
vont être là seront au point de départ, obligés
d'accepter de se faire des ennemis parmi leurs amis. Cela est bien sûr,
car il y aura des responsabilités à prendre à ce niveau
qu'il n'y aura pas à prendre à d'autres niveaux, etc.
Il y a une chose qu'on accepte, c'est qu'on se lie, nous, par ce conseil
de gestion, autant, sinon davantage, parce que cela nous touche bien plus
quotidiennement que le patron, puisque l'on va vivre avec cela. C'est cela qui
organisera notre travail quotidien, on se lie autant, sinon davantage qu'on
veut lier les propriétaires d'entreprises avec cela. Il n'y a aucun
doute là-dessus et on le mentionne dans le mémoire. Une affaire
comme celle-là obli- gera, autant celle-là ou une autre formule.
Mais, à un problème nouveau, il faut trouver une solution
nouvelle. Cela obligera autant les syndicats de journalistes, à
s'adapter, cela les obligera à autant d'adaptations difficiles que cela
obligera la partie patronale à s'adapter elle, également. C'est
évident, mais il faut que cela se fasse de part et d'autre.
M. HARVEY (Chauveau): Dans l'ordre d'idées vers lequel tout
à l'heure, on s'était orienté, je me demande M. Beauchamp,
ce que vous pensez de la concurrence dans la libre entreprise. Prenons le cas
de journaux comme la Presse et le Soleil; prenons peut-être le cas des
postes de radio ou de télévision de la région du Saguenay
où vous avez Télé-4, le canal 12. Ce sont des entreprises
privées qui doivent, dans une concurrence donnée, dans un bassin
de population, essayer de s'attirer une certaine clientèle. Je ne vois
pas les journalistes je m'excuse de vous le dire bien pensants et
de bonne foi, tout en tenant compte du conseil de gestion, de l'aspect
économique, etc., de donner par voie d'autorité au personnel ou
aux propriétaires de ces corporations une orientation pour leur
programmation, par exemple, puisqu'on sait que, dans la concurrence dans
l'entreprise privée, celui qui veut vraiment offrir au public...
M. BEAUCHAMP: Permettez-moi de vous interrompre. Le conseil de gestion
n'a autorité que sur une seule et unique chose, le contenu de
l'information, le droit et le contrôle sur le contenu du bulletin de
nouvelles. Ce n'est même pas lui qui va décider à quelle
heure aura lieu le bulletin de nouvelles. Il a autorité sur le contenu
du bulletin de nouvelles, parce que l'on se dit que ce n'est pas parce que
quelqu'un est propriétaire d'un poste de télévision que
cela lui donne le droit absolu de diriger le contenu de l'information; parce
qu'il en a le droit absolu actuellement. Evidemment, en pratique, il est
mitigé. Il y a des mécanismes, des journalistes, des syndicats,
il y a un tas de choses, c'est vrai, mais c'est uniquement sur le contenu, et
cela n'élimine pas les services de publicité, les services de
marketing, les services de tirage et tous les autres. Non. C'est uniquement sur
le contenu de l'information. Il faut bien s'entendre là-dessus. On ne
touche absolument pas à la structure de l'entreprise telle qu'elle
existe actuellement. La seule chose qu'on veut changer, c'est de briser le lien
direct qu'il y a entre propriété et contenu de l'information,
c'est tout.
M. HARVEY (Chauveau): Je ne suis pas d'accord.
LE PRESIDENT (Croisetière): Le député de
Bourget.
M. BEAUCHAMP: C'est difficile d'accepter des choses nouvelles, mais il
faut finalement se résigner, c'est ce qui permet d'avancer.
M. HARVEY (Chauveau): Vous avez un exemple frappant, le Nouveau Journal,
que Jean-Louis Gagnon a mis au monde.
M. BEAUCHAMP: Le Nouveau Journal.
M. HARVEY (Chauveau): ... le Nouveau Journal, enfin, c'était un
grand journal au point de vue idéologique. Il était
composé de journalistes chevronnés. Vous en connaissez
quelques-uns qui faisaient partie de la rédaction de ce journal. Mais
où est-ce qu'il est allé ce journal? Parce qu'il ne
répondait pas à ce que le public voulait.
M. BEAUCHAMP: Rolls Royce est tombé aussi, et ce n'étaient
pas des journalistes qui l'administraient. Cela faisait cent ans que ça
existait.
M. HARVEY (Chauveau): Je suis d'accord, mais vous donnez un exemple.
C'est entendu que tous les exemples sont boiteux. Mais c'est
complètement à l'opposé. C'est quand même
réaliste de dire que vous avez eu le journal de Gagnon qui a fait le
temps des roses. Pourquoi? Parce qu'il ne répondait pas à ce que
le public voulait.
M. BEAUCHAMP: Je ne le sais pas. Peut-être que s'il y avait eu
vraiment, au niveau du Nouveau Journal, un conseil de gestion élargi,
que les décisions n'auraient pas été laissées
à un seul homme, peut-être que le journal aurait répondu
davantage aux exigences du public. C'est exactement ce que nous voulons tenter
de faire par un organisme comme le conseil de gestion, essayer d'élargir
ça un peu. Qu'est-ce que vous voulez? Si le public ne vient pas,
à l'intérieur même du journal, essayer d'influencer les
décisions, il n'aura jamais un mot à dire finalement.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de
Bourget.
M. LAURIN: M. le Président, nous écoutons depuis deux
heures avec une extrême attention le président de la
Fédération professionnelle des journalistes. Nous voudrions
d'abord souligner la haute qualité, aussi bien du mémoire que des
réponses qu'il a fournies à toutes les questions qui lui ont
été posées. Je voudrais lui dire que le Parti
québécois accepte le principe d'un conseil de gestion au niveau
de la grande entreprise d'information et qu'aussi, il accepte le principe d'une
intervention de l'Etat pour la création des conseils de gestion, au
niveau de la grande entreprise journalistique. Il reste cependant à en
étudier les implications, les modalités et j'espère que la
Fédération professionnelle des journalistes, lorsque nous lui
écrirons, consentira à nous faire connaître toute la
documentation qu'elle a accumulée à cet effet, à la suite
des études qu'elle a pu effectuer dans d'autres pays, que ce soit la
France, la Suède ou les autres pays que M. Beauchamp a
mentionnés. En continuant sur cette lancée, vous avez dit que le
rôle de l'Etat consistait à créer des conditions pour
qu'une véritable liberté de presse existe, ce qui amène
l'Etat, parfois, à s'intéresser au côté
négatif de la question. C'est-à-dire que l'Etat doit prendre des
mesures pour éliminer les entraves qui existent actuellement à la
cueillette de l'information, au traitement de l'information et à la
diffusion de l'information.
Est-ce que vous pourriez aller plus loin et nous indiquer quelles sont
les principales entraves qui, selon vous, existent actuellement au
Québec, à la cueillette, au traitement et à la diffusion
de l'information, d'une part, et, deuxièmement, comment l'Etat pourrait
arriver, par une action directe ou indirecte, à éliminer ces
diverses entraves?
M. BEAUCHAMP: Les entraves principales existent, à notre avis, au
niveau de la diffusion de l'information, où il y a les principales
failles. Au niveau de la cueillette, je pense qu'on ne peut pas dire que c'est
à cause des media d'information eux-mêmes. S'il y a des
problèmes de cueillette de l'information, c'est à cause des
sources mêmes de l'information qui, à certains moments, causent
des conflits sociaux dans lesquels on vit, peuvent se fermer à un moment
donné. On a une série de recommandations très
précises dans notre mémoire qui concernent surtout les
régions, en ce sens que ce qu'on dit de la liberté de presse, sur
le plan pratique, ça se matérialise comment? Par le fait que les
gens peuvent s'abreuver à plusieurs sources d'information. On dit qu'il
faut que le gouvernement s'assure que, dans toutes les régions, il y ait
de grands quotidiens qui puissent s'y rendre et auxquels les gens puissent
puiser, qu'il y ait la radio et la télévision. Il y a des coins
où les quotidiens ne se rendent à peu près pas ou arrivent
en retard. Je pense à l'Abitibi. Je ne sais pas si la situation s'est
améliorée depuis un an. Ce qu'on dit, c'est qu'il faut que le
gouvernement trouve le moyen d'amener en Abitibi une couple de quotidiens ou
trois quotidiens, pour que les gens l'aient, qu'ils puissent l'avoir.
Même, si on l'amène dans les endroits où il n'y a pas de
radio, par exemple, ça pose moins de problèmes à cause des
possibilités techniques des ondes, mais on dit ça.
Dans la région des Bois-Francs quand on vient de Montréal,
on prend des postes américains. Pas moyen de capter des postes locaux.
Je pense que c'est un problème au sujet duquel l'Etat doit
sérieusement s'interroger. Evidemment, dès qu'on entre dans les
ondes, il y a le problème des juridictions fédérale et
provinciale. Mais je pense que le Québec, sur le plan de la juridiction
provinciale actuelle, c'est son autorité pleine et entière que
d'empêcher les gens de toute cette région de s'angliciser aux
postes américains parce qu'ils ne peuvent pas capter les
ondes canadiennes, étant donné que les ondes
américaines, à certaines heures du jour, sont plus fortes.
Je pense que l'Etat québécois doit intervenir à ce
niveau. On lui demande également d'intervenir au niveau...
M. LAURIN: De quelle façon, par exemple, pour le cas
précis que vous mentionnez?
M. BEAUCHAMP: ... des ondes dans la région. De quelle
façon ça pourrait se faire? Sur le plan pratique, actuellement,
je pense que la province de Québec pourrait exiger d'Ottawa qu'il y ait
des brisages d'ondes. Cela se fait; il y a des mécanismes pour
dévier des ondes dans une direction qui fait que les ondes
américaines n'empièteraient pas sur les ondes canadiennes. Il y a
des ententes entre le Canada et les Etats-Unis à cet effet, dans la
région de Windsor, par exemple. Pourquoi n'y en aurait-il pas ici au
Québec? Cela serait un rôle de la commission parlementaire d'aller
voir exactement ce qui se passe. C'est pour toutes les régions
frontières; même problème dans la Beauce, etc.
Il faudrait y voir de très près.
M. LAURIN: Iriez-vous jusqu'à accepter que l'Etat subventionne
les messageries ou le transport des journaux?
M. BEAUCHAMP: Oui. Je répondrai à cette question de
façon plus générale. Vous avez soulevé une question
hier, M. Veilleux, à l'ACRTF, la question des subventions: nous en
demandions une et eux s'y opposaient. Nous nous opposons à des
subventions directes au conseil de presse. Que le gouvernement verse $100,000
par année, nous nous opposons à ça parce que ce serait
mettre le conseil de presse dépendant du gouvernement.
Mais ce que nous proposons ne rend absolument pas le conseil de presse
dépendant du gouvernement. On demande au gouvernement de verser une dot
une fois pour toutes à une fondation qui, elle, va verser ses revenus au
conseil de presse. Le gouvernement va verser une dot une fois et ce sera fini.
La subvention à la distribution, nous sommes d'accord là-dessus
parce que ça constitue une subvention directe. Nous proposons aussi un
autre mécanisme pour corriger ce que nous considérons être
inacceptable sur le plan de l'information.
Plus le journal est gros, moins son papier coûte cher à
cause du phénomène d'achat de masse, etc. Nous, nous disons que,
sur le plan économique, ça se justifie certainement de payer le
papier le moins cher possible. Mais sur le plan de l'information pourquoi un
journal plus petit, l'Action, le Devoir, le Droit, qui ne peut pas avoir le
marché de la Presse paierait son papier plus cher que la Presse? Nous
proposons un mécanisme qui ferait que tout le monde paierait le papier
au même prix. Chacun continuerait à négocier ses prix et il
y aurait un "pool" calculé; après ça, on rediviserait
également le coût du papier entre tous les quotidiens au
Québec.
Nous, «nous disons qu'il n'y a quand même qu'un bassin de
population au Québec et nous ne voyons pas pourquoi le gars d'Ottawa
serait pénalisé sur le plan de l'information parce qu'il reste
à Ottawa.
M. VEILLEUX: M. Beauchamp, je suis content que vous donniez cet
éclaircissement, parce que quand je lisais l'organisme quasi
judiciaire...
M. BEAUCHAMP: Oui, nous n'avons pas voulu préciser davantage
là-dessus.
M. VEILLEUX: Vous ne croyez pas qu'il peut y avoir danger que des gens
décident de lancer des journaux sous prétexte qu'ils peuvent
bénéficier de ça et des journaux encore de moindre
qualité? Un des problèmes qu'il y a au Québec c'est que,
à un certain moment, que ce soit dans les journaux ou dans les revues
parce que les revues sont aussi de l'information des revues
prennent naissance, font des dépenses, n'arrivent pas, déclarent
faillite. Les mêmes individus, le lendemain, lancent une autre revue de
même nature sous un autre nom, refont le même jeu. Il y a un danger
que ces gens pourraient abuser, à l'intérieur d'un organisme
comme celui-là, de bénéfices sur le coût d'achat
dont pourraient bénéficier un journal ou des journaux qui ont
plusieurs années d'existence, qui ont fait leurs preuves.
M. BEAUCHAMP: Je vais répondre à ça. IL y a
plusieurs choses que je peux dire. Tout d'abord, ce que nous proposons, c'est
uniquement pour les quotidiens. Pour lancer un quotidien, le coût du
papier, ce n'est pas grand-chose. Donc, si un gars veut lancer un journal pour
pouvoir bénéficier d'une réduction sur le coût du
papier, il va aussi perdre quelques $100,000, sinon des millions. Je pense que
le danger n'est pas grand de ce côté.
M. VEILLEUX: Je mentionnais les revues tout à l'heure. Il faut
bien se dire que les gens qui lancent des revues, assez souvent, n'investissent
même pas.
Ils en font investir d'autres.
M. BEAUCHAMP: Le mécanisme que nous proposons est uniquement pour
les quotidiens, parce que nous nous adressons aux mass media,
c'est-à-dire les journaux qui sont destinés à fournir de
l'information à beaucoup de gens.
Il y a une autre chose. C'est que le système actuel
n'empêche pas les petits journaux de très mauvaise qualité
de naître et de disparaître, de renaître et de repasser. Je
voudrais souligner en passant qu'il y a un phénomène assez
marquant. Quels sont les media d'information que l'on critique? On critique
Radio-Canada, la Presse,
le Soleil, le Nouvelliste, le Devoir, les meilleurs. Pourquoi les
critique-t-on? C'est parce que la profession est organisée à
l'intérieur, et on critique ça. Mais quand entend-on les gens
critiquer le paquet de feuilles de choux qui n'aît toutes les semaines et
qui meurt à toutes les semaines? On n'entend jamais des gens dire: C'est
épouvantable, notre presse, comme elle est mauvaise avec ces petits
journaux-là! Non, ce n'est pas dangereux pour les institutions en place.
Finalement, on s'en fout.
M. VEILLEUX: Surtout la presse régionale.
M. LAURIN: Favorisez-vous une aide financière directe comme celle
que le ministère de l'Expansion régionale a pu verser dans le
passé à quelque deux ou trois journaux? Y voyez-vous des dangers,
des avantages?
M. BEAUCHAMP: Vous m'obligez à réfléchir parce que
je n'avais pas prévu cette question. Ce que je veux dire, je veux que
ça représente vraiment la pensée des journalistes. Je vais
répondre de la façon suivante. Je pense que ç'a
été vu de façon assez étrange dans le milieu,
étant donné que, justement, l'Association des quotidiens, etc.
s'oppose elle-même à toute subvention directe de la sorte.
Personnellement, j'ai réagi de la façon suivante. Je me suis dit:
II y a une loi qui existe, on pouvait s'en prévaloir, aller chercher un
peu plus de $100,000. Ce n'est pas grand-chose, c'est une "peanut" On a
probablement je ne sais pas un chiffre d'affaires de $15 millions
ou $20 millions par année, si ce n'est pas davantage. J'ai mal compris
ça, mais là-dessus, je ne peux pas donner de réponse
extrêmement précise parce qu'on ne s'est pas donné la peine
de se pencher là-dessus. Mais il y a deux phénomènes. Le
jour où l'on accepte qu'une entreprise de presse soit une entreprise
commerciale et qu'il y a une loi qui s'applique aux entreprises commerciales,
est-ce qu'on peut...
M. VEILLEUX: II s'agit de décider aussi, M. Beauchamp, si nous
allons laisser la presse aux entreprises privées ou si nous allons
établir la formule coopérative.
M. BEAUCHAMP: Nous ne soulevons pas cette question. Nous, nous disons
que peut-être ça pourrait en venir là, c'est bien
possible.
M. VEILLEUX: Je ne pense pas que le débat porte sur le fait de
savoir si ça doit être une entreprise privée ou de forme
coopérative, pour le moment.
M. BEAUCHAMP: Non. Pour le moment. Remarquez bien que,
théoriquement, nous pou-vont imaginer que la meilleure forme de
propriété des media d'information, c'est que ça revienne
à la communauté locale, c'est-à-dire, d'une certaine
façon pratique ou autrement, idéalement, théoriquement,
nous pouvons dire que la meilleure forme serait peut-être que les gens
qui en vivent, à qui ça s'adresse, en soient, en quelque sorte,
les propriétaires. Il y a une tentative qui dure depuis plusieurs
années, c'est plus qu'une tentative, c'est une expérience aux
Etats-Unis, à New York, où il y a un poste de
télévision de nature coopérative un peu spéciale,
en ce sens qu'il se finance uniquement par ses auditeurs. Je ne sais pas si
vous avez eu l'occasion de l'entendre. Il n'y a aucune publicité,
absolument aucune publicité et le poste se finance entièrement
par les souscriptions de ses auditeurs. Finalement, c'est aussi fatigant qu'il
n'y ait pas de publicité parce qu'ils passent leur temps à dire:
Envoyez-nous des souscriptions. Mais, en fait, c'est un autre problème.
Mais il y a quand même une tentative pour changer la
propriété.
Il faudra, je pense, éventuellement en venir là parce que,
c'est aussi simple que ça, aussi bête que ça, c'est le
phénomène que l'on observe partout dans le monde, les quotidiens,
en particulier, c'est de moins en moins payant. Alors, l'entreprise va finir
par s'en retirer. Le New-York Times, par exemple, la famille qui le
contrôle, je pense que maintenant c'est une fondation, mais ils font
ça pratiquement comme "hobby", même si le New York Times perd de
l'argent l'an dernier, il a perdu $2 millions ce n'est pas
considéré par les propriétaires comme un investissement.
Ils font plutôt oeuvre sociale, c'est considéré comme
ça,...
M. LAURIN: Philanthropique.
M. BEAUCHAMP: ... philanthropique jusqu'à un certain point.
Dans l'avenir, on va dépasser largement ce que l'on propose. Nous
nous disons qu'il y a des problèmes nouveaux. C'est une étape et
je pense qu'il faut nous préparer à une réalité
différente.
M. VEILLEUX: Je pense, M. Beauchamp, que c'est rêver un peu en
couleurs que de penser qu'un jour, un journal pourra se financer par les gens
qui vont acheter le journal, si nous voulons prendre la formule du poste de
télévision que vous mentionnez aux Etats-Unis.
M. BEAUCHAMP: Je n'en sais rien.
M. VEILLEUX: Le journal va coûter cher.
M. BEAUCHAMP: Je ne connais pas l'avenir.
M. LAURIN: M. le Président, j'aurais une autre question à
poser à M. Beauchamp. Que pensez-vous du principe vous avez
beaucoup parlé de l'état de crise, tout à l'heure, de la
situation du journalisme en temps de crise que pensez-vous du principe
qu'en temps de crise, l'Etat, par l'intermédiaire du ministère de
la Justice, de ses services de police, doit garder
le contrôle de l'information? Pourriez-vous commenter ce
principe?
M. VEILLEUX: Avant de répondre, M. le Président, demain,
à 10 heures, tout cela va être discuté.
M. LAURIN: Oui, mais nous n'aurons pas M. Beauchamp demain.
M. VEILLEUX: Oui. La Fédération professionnelle des
journalistes va être présente demain. Il faut qu'elle le soit,
avant l'ACRTF, et après le film, on discutera de tout cela.
M. LAURIN: M. Beauchamp était là hier, il a parfaitement
entendu ce qui s'est passé hier, il a entendu les dépositions. Je
pense que nous sommes parfaitement en droit, en tant que membres de
l'Assemblée nationale, de demander au président de la
fédération, qui vient témoigner ici, une opinion sur ce
qu'il a entendu.
M. BEAUCHAMP: Disons que plutôt que de me référer
aux dépositions d'hier...
M. VEILLEUX: Un instant. Je suis d'accord avec le député
de Bourget qu'un membre de l'Assemblée nationale, à cette
commission, soit à titre d'observateur ou de membre participant, puisse
poser des questions sur quelque sujet que ce soit...
M. LAURIN: On dirait que vous avez peur de la réponse.
M. VEILLEUX: ... concernant la liberté de presse, mais ces
mêmes membres de l'Assemblée nationale hier, en l'absence des
membres du Parti québécois, parce que ceux-ci sont arrivés
quelques heures en retard, ont décidé que ce secteur était
réservé à jeudi, à 10 heures. C'est tout simplement
une question d'ordre.
M. LAURIN: Je pose la question en général. Elle est
posée depuis le tout début. Dans toutes les audiences que nous
avons tenues jusqu'ici, la question est revenue sur le tapis, je ne vois pas
pourquoi on m'interdirait de poser une question là-dessus. J'aurais pu
la poser il y a un an, il y a six mois, je la pose aujourd'hui.
M. VEILLEUX: Si les membres de la commission décident qu'on
entreprend la discussion sur ce sujet on va discuter du sujet.
M. LAURIN: A moins que le parti ministériel devienne le
spécialiste du bâillon, M. le Président, je ne vois pas
pourquoi on m'empêcherait de poser une question.
M. VEILLEUX: Si les membres de la commission désirent s'en tenir
à l'ordre du jour qui a été fixé, on va en discuter
demain.
M. LAURIN: D'autant plus que le mémoire de M. Beauchamp, de la
Fédération professionnelle, en fait mention largement. Nous avons
le droit de poser des questions sur le contenu des mémoires qui nous
sont présentés et j'accueillerais avec beaucoup de suspiscion
toute tentative qui viserait à nous empêcher d'exercer notre
rôle ici.
M. VEILLEUX: Que le député de Bourget pense ce qu'il
voudra, M. le Président, si les membres de la commission
décident...
M.LAURIN: On ne nous empêchera pas, avec des règles de
procédure, de faire notre devoir.
M. VEILLEUX: ... qu'au point de vue de la procédure, M. le
Président, on va changer l'ordre du jour, on va le changer, mais si les
membres de la commission s'en tiennent à ce qui a été
décidé hier, on n'a pas à discuter de cela à
l'heure présente.
M. BEAUCHAMP: Je peux régler le problème en
répondant à la question ou en n'y répondant pas.
M. VEILLEUX: Je pose la question au président. C'est au
président à rendre la réponse.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Hier, il avait été
déterminé et entendu ici à la commission que nous
inviterions l'ACRTF à venir nous présenter un film, que tous les
membres de la commission ainsi que les autres organismes qui présentent
des mémoires seraient présents et que les membres de la
commission pourraient, à loisir, poser toutes les questions qui sont
relatives au cas précis et au visionnement du film qui touche
précisément les événements d'octobre et d'autres
événements connexes.
M. LAURIN: Je n'ai pas parlé des événements
d'octobre, M. le Président, j'ai parlé de situations de
crise.
M. BEAUCHAMP: Je voudrais éviter de me référer
à ce qui est arrivé hier lors du témoignage de l'ACRTF,
parce qu'on va avoir plus de détails demain, mais je peux reprendre un
cas qui nous a préoccupés énormément, sur lequel on
a d'ailleurs émis des communiqués et sur le cas en fait des
représentations auprès du ministère de la Justice: c'est
l'intervention du ministère de la Justice lors de la crise d'octobre. Ce
sont des faits qui se sont produits. A l'époque, on a dit qu'il
était tout à fait inadmissible que le ministre de la Justice
intervienne dans le processus de l'information, que ce soit ou non en temps de
crise. Le ministre de la Justice du Québec, à l'époque,
avait dit que la Loi des mesures de guerre interdisait, sous peine de sanctions
extrêmement graves, etc., la publication des communiqués du FLQ.
Un certain
nombre de journaux, de media d'information ont eu peur et ne les ont pas
publiés. On peut discuter à mort sur l'opportunité ou non
de publier les communiqués du FLQ, mais non sur le fait même.
Le lendemain, à Ottawa, le ministre fédéral de la
Justice chargé d'administrer la Loi des mesures de guerre disait que les
journaux avaient le droit de publier les communiqués du FLQ, que
ça ne tombait pas sous le coup des sanctions de la Loi des mesures de
guerre. Il a même fallu qu'un journal comme la Presse, en première
page, dans un cadre signé par son rédacteur en chef à
l'époque, s'excuse auprès de ses lecteurs d'avoir plié aux
menaces du ministre de la Justice. Je trouve que c'est extrêmement
mauvais pour l'information.
M. VEILLEUX: M. Beauchamp, c'est pour ça que nous avons
réservé... Parce que hier, la...
M. LAURIN : Ce qui ne fait pas votre affaire.
M. VEILLEUX: Non, non, non! L'ACRTF a mentionné hier deux crises
que vous-même comme journaliste, ou elle comme propriétaire de
media d'information ont pu suivre, qui ont été les
événements d'octobre et mai derniers. Un film a été
monté relativement aux événements d'octobre 1970. Votre
mémoire a deux annexes qui traitent l'annexe a) et l'annexe b)
spécifiquement de ce problème et il n'est nullement dans
l'intention de qui que ce soit à la commission parlementaire de ne pas
discuter de ça, ce qui serait très mal venu parce que la
moitié sinon plus de votre mémoire porte sur ces deux sujets.
Pour avoir... C'est ce qui s'est décidé par les membres de la
commission hier avant que les représentants du Parti
québécois n'arrivent ici. Qu'est-ce que vous voulez? Ce n'est pas
de ma faute s'ils n'étaient pas ici. Donc, les membres ont
décidé que tout ce sujet, parce que c'est quand même un
sujet litigieux, serait discuté ensemble un moment donné et nous
avons fixé ce moment à demain, dix heures. Ce n'est nullement
l'intention des autres membres de la commission, qui étaient
présents et qui ont pris cette décision de discuter de ça
demain, de ne pas vouloir en discuter.
M. CHARRON: Ce que nous allons faire demain à dix heures, c'est
visionner un film et discuter, c'est ce que nous avons réservé
à l'ordre du jour de demain, si j'ai bien lu la transcription de la
commission d'hier, de cette espèce de papier d'entente intervenu entre
les services de police et les radiodiffuseurs du Québec qui nous l'ont
présenté. Ce document que nous qualifierons demain ferait l'objet
de la discussion et de la séance de demain. Je pense qu'il est assez
grave comme entente faite en l'absence de plusieurs intéressés,
entre autres de l'opinion publique en général et des
journalistes, premiers intéressés dans le milieu, pour que toute
la séance de demain soit consacrée à l'étude de ce
torchon d'entente entre le police et les radiodiffuseurs.
On n'a pas besoin de voir un film. Aujourd'hui, ce que nous sommes
capables de faire, c'est, comme l'a demandé le député de
Bourget au président de la Fédération professionnelle des
journalistes, discuter du principe d'une pareille entente, du principe d'une
pareille intervention. Nous nous pencherons demain longuement en temps et lieu
sur la qualité de l'entente intervenue et signée entre les
radiodiffuseurs, les services de police et tous les potentats du pouvoir. Pour
le moment, le principe d'une intervention politique dans le domaine de
l'information en est un qui, comme le disait le député de
Bourget, a occupé nos travaux à chacune des séances et
c'est la première fois que nous avons la Fédération
professionnelle des journalistes que je considère comme étant la
plus intéressée au sujet. Je ne vois pas pourquoi, parce que
demain matin on doit se pencher sur une affaire faite en cachette, aujourd'hui
on ne puisse pas parler ouvertement de la même chose.
M. VEILLEUX: M. le Président, je me vois très mal venu
aujourd'hui... Peut-être que le député de Saint-Jacques a
pu visionner le film, moi, je n'ai pas pu le visionner.
M. CHARRON: Je n'ai pas besoin de visionner le film.
M. VEILLEUX: Si le film est un torchon...
M. CHARRON: Je les ai vécus, les événements
d'octobre, je n'ai pas besoin de les voir une deuxième fois.
M. VEILLEUX: ... nous le dirons nous aussi, mais nous essaierons de le
dire d'une manière un peu plus polie.
M. CHARRON: Je vous ai vu démissionner pendant le mois d'octobre.
Je n'ai pas besoin d'un film pour ça.
M. VEILLEUX: C'est entendu que, dans le visionnement de ce film, on ne
peut pas faire abstraction des annexes a) et b) du mémoire de la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
La commission, je reviens toujours à dire... D'ailleurs, le
président a rendu sa décision en disant que c'est demain que
cette chose sera discutée. Pour moi...
M. LAURIN: II n'a pas rendu sa décision. M. VEILLEUX: Oui.
M. LAURIN: II a permis à M. Beauchamp de faire des remarques
générales sur le sujet...
M. VEILLEUX: Les membres de la commis-
sion ont dit hier que ce serait discuté demain, en
présence des deux organismes concernés. Si les membres de la
commission jugent approprié de faire venir d'autres personnes pour
élaborer plus longuement sur le problème qui va nous
préoccuper demain, on les fera comparaître. Ce qui nous a
frappés hier, les membres de la commission, c'est pourquoi...
M. LAURIN: Le problème est complètement
déplacé, point d'ordre. Je pose une question sur un principe.
Jusqu'à quel point l'Etat peut-il intervenir pour contrôler ou
brimer la liberté de presse en temps de crise? Cela ne s'applique
aucunement, sinon par voie incidente, à l'objet des remarques du
député de Saint-Jean. Absolument pas. C'est un principe
éternel dont on discute depuis des années et des années
et, pendant qu'on a ici le président de la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec, je ne vois pas pourquoi on
m'enlèverait le droit de poser une question aussi
générale, aussi essentielle, sur un problème qui sr; situe
au centre même de la conception de la démocratie.
M. VEILLEUX: Je pense que l'événement ou le fait qui a
aggravé...
M. LAURIN: Je ne me réfère pas du tout, encore une fois,
à l'événement.
M. VEILLEUX: Que le député de Bourget me laisse donc
terminer.
M. LAURIN: Bien, cela fait trois fois...
M. VEILLEUX: Que le fait, hier, qui a mené les membres, en
l'absence du Parti québécois que je souligne encore, à
prendre cette décision, c'est que les gens de l'ACRTF, après le
visionnement de ce film, la Sûreté municipale de Montréal,
la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale, ont
décidé de régler le problème. Là, j'ai
posé une question, moi. Est-ce qu'on a demandé aux
représentants du monde journalistique, la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec par exemple, d'y participer?
On nous a répondu tout simplement que non. C'est là qu'on a dit:
D'accord. Etant donné qu'on a pris des décisions de cette nature,
sans demander aux intéressés de l'information que peuvent
être les journalistes au même titre que les gens de l'ACRTF ou
d'autres propriétaires des media de l'information, les membres de la
commission ont décidé d'en discuter jeudi, à dix heures,
avec tous les gens concernés.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Alors, qu'on suive l'ordre du
jour.
M. VEILLEUX: Qu'on suive l'ordre du jour, M. le Président.
M. LAURIN: Nous en tirerons nos conclusions.
M. VEILLEUX: J'ai une question à poser à M. Beauchamp. Les
hebdos du Canada ne sont pas encore venus ici pour expliquer leur
mémoire. Ils mentionnent que le conseil de presse devrait statuer sur le
statut professionnel des journalistes et reconnaître, d'une certaine
façon, ce statut professionnel en émettant aux journalistes une
carte de presse. J'aimerais savoir de la part de la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec ce qu'elle pense d'une telle
recommandation.
M. BEAUCHAMP: Je n'ai pas le texte devant les yeux, mais selon l'entente
qui a été signée au sujet du conseil de presse, cela date
depuis deux ans et a été ratifié cette semaine, je pense
qu'il n'y a pas d'objection à le mentionner, M. Tobin qui
représente l'Association des quotidiens, pourra confirmer ce que je dis,
le conseil de presse, au sujet de cette chose, n'a qu'une chose à faire,
c'est d'émettre une carte qui va attester auprès du conseil de
presse la qualité du journaliste. Mais ce n'est pas dans le sens d'une
corporation, ce n'est pas dans le sens de lui donner un statut. La carte va
attester aux yeux du conseil de presse que M. Untel est un gars qui pose des
actes journalistiques dans les entreprises d'information. Elle ne porte pas de
jugement de valeur sur le journaliste, sur sa formation, etc... Elle constate
que M. Untel...
M. VEILLEUX: Le conseil de presse, dans votre esprit, qui émettra
de telle carte devrait-il se baser sur un certain statut professionnel?
M. BEAUCHAMP: Oui. Il y a dans l'entente du conseil de presse une
définition de ce qu'est un journaliste, des actes qu'il pose; les actes
journalistiques sont définis, les entreprises de presse sont
définies, mais, encore une fois, on s'est attaché beaucoup plus
à une définition formelle, si je puis dire, qu'à une
définition qui chercherait à tout englober pour la
définition du journaliste, parce que le milieu est mouvant, les
circonstances sont multiples, etc... Pour donner une définition comme
telle du journalisme, cela fait quinze ans que l'on se la pose, aux Etats-Unis,
on se la pose partout. Vous avez lu, comme moi, le rapport de M. Reid sur les
définitions du journaliste et partout, dans les lois qui existent, on a
donné des définitions fonctionnelles du journaliste et c'est la
même chose que le conseil de presse fait.
M. VEILLEUX: J'avais une dernière question à vous poser
sur le million que devrait verser dans la fondation le gouvernement, dans
l'esprit de la Fédération professionnelle des journalistes. Vous
y avez répondu indirectement tout à l'heure.
M. BEAUCHAMP: Je pourrais peut-être ajouter, que le raisonnement
qui justifie notre demande est le suivant: On se dit que l'Etat on l'a
dit, c'est écrit dans le mémoire a une
certaine responsabilité dans le domaine de l'information en ce
sens qu'il doit assurer les conditions du meilleur exercice possible de
l'information etc., et l'Etat ayant une responsabilité là-dedans,
on trouve qu'il est normal qu'il puisse être appelé à
contribuer d'une certaine façon, financièrement, à cela.
On veut que cela se fasse d'une façon qui n'engage pas le conseil de
presse dans ses actes, dans ses mouvements. C'est ce qui justifie notre demande
d'une dot comme celle-là, l'Etat reconnaissant sa responsabilité
là-dedans, responsabilité limitée dans le sens où
je l'ai mentionné plus tôt.
M. VEILLEUX: M. Beauchamp, je vous remercie d'être venu. Vous avez
attendu quelque peu pour comparaître devant les membres de la commission
comme les membres de la commission ont pu attendre à un certain moment,
pendant quelques mois, le mémoire c'est dit sans malice de
la Fédération professionnelle des journalistes du Québec,
compte tenu qu'il y a eu certains événements à
l'époque qui ne vous ont pas permis de déposer le mémoire
aussi rapidement que vous l'auriez voulu comme fédération.
Je vous pose la question, compte tenu de la décision prise par
les membres de la commission hier, est-ce que vous êtes prêt,
demain, à être ici, à 10 hres pour que l'on puisse discuter
de votre huitième recommandation des annexes A et B de votre
mémoire et de la supposée entente des forces fantasmagoriques;
discuter de ce document d'entente et visionner le film avec nous?
M. BEAUCHAMP: C'est un problème qui nous préoccupe au plus
haut point et nous serons sûrement là demain.
M. VEILLEUX: On se reverra demain matin.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Nous ajournons les travaux
à dix heures demain matin, et nous invitons encore une autre fois
l'Association canadienne de la radio et de la télévision de
langue française et la Fédération professionnelle des
journalistes du Québec à être présentes. Nous
invitons également tous les membres de la commission à être
présents afin qu'ils puissent poser des questions à ces
organismes.
M. VEILLEUX: A M. Pelletier, tout à l'heure, qui m'a
répondu qu'il déposerait demain le document, est-ce que vous
pourriez le déposer en copies suffisantes pour qu'il y en ait pour les
gens intéressés ici?
M. PELLETIER: Quel nombre?
M. VEILLEUX: Normalement, c'est une cinquantaine de copies.
M. PELLETIER: Oui.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): A demain, dix heures.
(Fin de la séance: 12 h 23).
Séance du jeudi 15 février 1973
(Dix heures quinze minutes)
M. CROISETIERE (président de la commission spéciale sur le
problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!
La commission spéciale sur le problème de la
liberté de la presse continue ses travaux ce matin, tel que convenu.
Pour commencer, j'inviterais le député de Saint-Jean, qui est le
porte-parole ministériel, à nous donner ses commentaires et la
façon dont les travaux devraient être dirigés ce matin. Le
député de Saint-Jean.
Programme de la iournée du 15 février 1973
M. VEILLEUX: M. le Président, pour que ça ne se termine
pas dans la confusion, comme cela a pu se terminer à d'autres
séances, il y aurait peut-être lieu que M. Audette,
président de l'ACRTF, nous indique quelles sont les personnes qui vont
nous présenter, ce matin, le film. Je crois que M. Pelletier veut faire
une déclaration, à l'ouverture, pour resituer dans son
véritable contexte la déclaration qu'il avait faite à la
commission parlementaire la première journée. Après
ça, on pourrait visionner le film. Avant de visionner le film, je
demanderais aux représentants de l'ACRTF de nous indiquer exactement
dans quel contexte ce film a été tourné, et par qui.
Après ça, on pourra visionner le film: c'est pour qu'on sache
exactement ce qu'on a à regarder.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Un document était
censé être déposé ce matin à la
commission.
M. AUDETTE: Merci, M. le Président. Avec votre permission, je
vais d'abord vous présenter mes collaborateurs ce matin. A ma gauche, M.
Aurèle Pelletier; à l'extrême-droite, Mademoiselle Louise
Bruma, secrétaire exécutive de notre association; M.
Marc-André Fèvre, un directeur de notre association; M. France
Fortin, vice-président de notre association. Ce matin, vous entendrez
également M. Philippe de Gaspé-Beaubien qui fera la
présentation du film.
M. le Président, on nous avait demandé de déposer
un document qui est une déclaration de principe sur les
procédures que nous devons adopter en temps opportun. Vous nous aviez
demandé de déposer ce document; nous l'avons ce matin en version
anglaise, puisque le document a été originalement conçu en
anglais par notre association nationale, la Canadian Association of
Broadcasters. Le texte que nous déposons ce matin est le texte
intégral tel qu'il a été accepté par le bureau de
direction de la Canadian Association of Broadcasters.
Il existe une version française de ce document. Malheureusement,
nous croyons que la version française, qui a été faite en
dehors du
Québec, ne reflète pas exactement la pensée du
document tel qu'il a été conçu en anglais. Pour cette
raison, nous avons préféré ne pas déposer le texte
français. Mais pour votre bénéfice et pour le
bénéfice de l'Assemblée, nous avons ici, ce matin, le
texte anglais, que nous sommes disposés à distribuer.
M. VEILLEUX: Est-ce l'intention de votre organisme d'accepter,
éventuellement, une traduction française de ce document?
M. AUDETTE: Nous avons l'intention de repolir le texte français
et, par la suite, de le faire accepter par l'exécutif de notre
association. Nous croyons que ce serait alors un document endossé
proprement plutôt qu'une simple traduction.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre des
Communications avait un mot à dire.
M. L'ALLIER: M. le Président, le document qu'on nous distribue
est intitulé "A Statement of Objectives", etc. S'agit-il bien du
même document dont on a parlé? En d'autres mots, ne s'agissait-il
pas, au moment où M. Pelletier nous a parlé, d'une entente avec
la commission de police ou d'une directive de la commission de police?
Je vais poser ma question plus précisément: Existe-t-il
une directive de la commission de police à l'ACRTF, à ses membres
ou aux radiodiffuseurs individuellement?
M. AUDETTE: M. le ministre, le texte que nous avons déposé
est le texte dont a fait mention M. Aurèle Pelletier, lors de la
séance d'avant-hier. C'est exactement le texte que M. Pelletier, au
cours de l'audition, a fait déposer devant cette commission.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, il
existe une forme de procédure qui a été établie,
à la suite de rencontres avec le ministère de la Justice du
Québec, le ministère de la Justice fédéral et avec
les différents corps qui sont chargés du maintien de l'ordre dans
la province. A la suite des événements du mois de mai
quand je réfère aux événements du mois de mai, je
réfère aux occupations illégales qui ont été
faites dans certaines stations de radio et de télévision
nous avons demandé, ce matin, de permettre à M. Aurèle
Pelletier de faire une mise au point sur ce qui a été
déclaré lors de l'audition.
Il existe, dans tout ceci, deux situations bien précises et
différentes. D y a, d'abord, la situation du mois d'octobre et,
deuxièmement, celle du mois de mai.
Evidemment, nous sommes très familiers avec ces situations, parce
que nous les avons vécues. Mais nous croyons que, de la façon
dont cela a été expliqué, une sorte de confusion a
été créée.
Avec votre permission, nous demanderons à M. Pelletier de vous
présenter ses commentaires là-dessus. Peut-être que vous
comprendrez facilement après que vous l'aurez entendu.
M. VEILLEUX: M. Audette, est-ce que vous seriez en mesure de nous
déposer cette traduction libre du document que vous venez de nous
remettre, quitte, pour les membres de la commission, à tenir pour acquis
la déclaration préalable que vous avez faite, à savoir
qu'officiellement ce qui est accepté par l'association au niveau
national, c'est le texte en langue anglaise?
Est-ce que vous seriez physiquement capable, ce matin, de déposer
cette traduction libre qui a été faite à
l'extérieur de la province, comme vous dites, du texte anglais que nous
avons devant nous?
M. AUDETTE : Je crois que déposer ce texte français nous
serait préjudiciable. Si vous l'exigez et que vous insistez, je crois
que nous nous prêterons à votre demande. Mais je dois vous
mentionner que nous croyons que déposer ce document tel qu'il a
été préparé pourrait nous être
préjudiciable.
M. L'ALLIER: M. le Président, est-ce que je pourrais poser une
question supplémentaire, quitte à ce que le député
de Saint-Jean complète par la suite? Quelle est la date du document qui
vient d'être distribué? A quel moment a-t-il été
fait?
M. VEILLEUX: Celui-ci?
M. L'ALLIER: Oui, fait ou consolidé, en fait dans sa version
actuelle.
M. AUDETTE: Si vous me le permettez, messieurs, je vais vous confirmer
que le document tel qu'il est présenté a été
proposé aux directeurs de l'association pour acceptation le 23 novembre
1972.
M. L'ALLIER: Est-ce qu'il a été distribué à
tous les membres?
M. AUDETTE: Le document a été distribué à
tous les membres pour une consultation.
M. L'ALLIER: A-t-il été distribué uniquement en
anglais?
M. AUDETTE: En anglais et en français. Mais l'approbation du
texte je dis bien l'approbation du texte au bureau de direction
de notre association nationale, The Canadian Association of Broadcasters, a
été faite sur le texte anglais.
La traduction a été faite à Ottawa, je crois, par
des traducteurs qui ne sont peut-être pas dans le domaine de la
radiodiffusion et qui, à certains moments, peuvent employer des
expressions qui ne reflètent pas exactement le fond de la
pensée du texte. C'est ce que nous croyons.
M. L'ALLIER: Cela veut dire quoi, en fait? Je ne comprends pas: un texte
de cinq pages. On peut avoir des problèmes de traduction avec le rapport
Gendron, parce qu'il y en a des centaines, mais un document qui date du mois de
novembre et...
M. AUDETTE: M. le ministre, si vous permettez... On a fait une erreur
dans un mot lors de l'autre audition, il y a deux jours, quand on a
parlé d'information, on voulait parler de diffusion. Vous comprendrez
notre inquiétude de vouloir soumettre un texte qui ne reflète pas
exactement le fond de notre pensée.
M. L'ALLIER: Je comprends aussi, M. Au-dette, que le document en
question circule chez vos membres depuis le mois de novembre 1972 et que nous
sommes ici dans la province de Québec et, à ma connaissance, la
majorité des diffuseurs sont de langue française. Or, si ces gens
ont l'impression que le "statement of objectives", la déclaration de
principe, etc., c'est la version française, et qu'il y a des
différences de mots là-dedans qui flottent depuis six, sept, huit
mois, ça pourrait, s'il arrivait quelque chose demain matin, avoir un
sens au Québec et un sens à Toronto. C'est ce que nous voulons
savoir.
M. AUDETTE: M. le ministre, le texte en question a été
rédigé au propre le 23 novembre, mais n'a été
distribué aux membres que le 11 décembre. Maintenant, comme c'est
un texte qui est soumis pour approbation de la part des membres,
évidemment, ce texte doit faire l'objet d'une certaine étude et,
par la suite, être reçu officiellement au bureau de l'association.
Vous comprendrez, comme tout le monde, ce processus, parce que l'association ou
les directeurs de l'association ne se rencontrent pas tous les jours, toutes
les semaines et quelque fois même pas tous les mois; évidemment,
nous devons attendre nos assemblées régulières, qui sont
convoquées pour soumettre ces cas à l'assemblée, et en
faire une acceptation finale et définitive. Je dois vous dire que,
malheureusement, le texte n'a pas encore été
présenté pour acceptation finale en ce qui concerne la traduction
française.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Sainte-Marie.
M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Mais qu'est-ce qui fait que le texte n'a pas
été préparé en français et en anglais en
même temps? Vous l'avez fait en anglais et là vous cherchez
à terminer le texte français. Est-ce que vous en avez
actuellement des versions françaises?
M. AUDETTE: J'ai expliqué originellement...
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'ai compris toutes vos explications. Vous
dites que ce n'est pas à point, que ce n'est pas fini. Mais est-ce que
vous avez actuellement en votre possession des textes français?
M. AUDETTE: Pour répondre à votre question, oui,
monsieur.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Est-ce qu'on peut en avoir?
M. AUDETTE: J'ai répondu à une question...
M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Ecoutez! moi je lis l'anglais, mais j'aime
mieux lire le français.
M. AUDETTE: Oui.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Quatre-vingt dix-neuf pour cent du temps on
parle en français, ici, même plus, peut-être 100 p.c.
J'aimerais avoir le texte français même s'il y a des mots qui,
selon vous, ne traduisent pas exactement ce que vous avez voulu dire en
anglais. On pourra s'expliquer, vous demander des informations. Mais moi
j'exige qu'on ait le texte français.
M. AUDETTE: Je m'excuse, j'ai expliqué tout à l'heure au
président que nous considérons que déposer ce texte
à ce moment-ci nous serait préjudiciable. Mais si
excusez-moi, laissez-moi finir s'il vous plaît ...
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Oui.
M. AUDETTE: ... si vous insistez, je crois que nous n'aurons pas
d'autres choix que de le faire, mais nous ne le faisons pas de plein
gré.
M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Moi, j'insiste pour que les membres de la
commission l'aient en français. S'il y a des choses qui, selon vous, ne
concordent pas avec le texte anglais, vous nous le direz lorsqu'on vous posera
des questions. Qu'importe, j'insiste pour avoir le texte français.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de
Saint-Jean.
M. VEILLEUX: M. le Président, je pense bien qu'on ne commencera
pas ce matin une discussion sur le bilinguisme, ce n'est pas la place. Tout
à l'heure j'ai demandé à M. Audette s'il était
physiquement capable de nous remettre ce matin cette copie française non
officielle. Vous m'avez répondu oui. Alors vous pourriez
très bien déposer cette copie française
non-officielle, quitte, pour les membres de la commission, à prendre en
considération la déclaration préalable que vous avez
faite, à savoir que c'est seulement la copie anglaise qui a
été officiellement reconnue par votre organisme. Je pense bien
que les media d'information, les journalistes tiendront compte de cette
déclaration préalable que vous avez faite.
M. AUDETTE: C'est la question qu'on se pose, M. le Président,
à savoir si vraiment on tiendra compte de ces déclarations.
M. VEILLEUX: Quant à la déclaration préalable que
vous avez faite, je ne doute pas de l'objectivité des journalistes. Les
journalistes, lorsqu'ils discuteront de cette chose-là, tiendront compte
de la déclaration préalable que vous avez faite.
M. AUDETTE: Si vous me permettez, M. le Président, je veux mettre
en doute cette affirmation en vous lisant le titre d'un article qui a
été publié dans le Soleil de Québec, le mercredi 14
février 1973 et qui ne reflète pas du tout ce que nous avons dit
antérieurement. Cette entête se lit comme suit...
M. L'ALLIER: M. le Président, avant que...
LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. le ministre.
M. L'ALLIER: ... M. Audette s'engage dans cette voie, on pourrait aller
très loin comme cela et faire l'autopsie des nouvelles qui ont
été publiées ou qui ont été diffusées
par les membres de votre association, ou par certains membres de votre
association à l'occasion de cette commission parlementaire. M. Fortin
sait ce que je veux dire. Je ne voudrais pas que la commission s'engage dans
cette autopsie à court terme de la nouvelle, pour savoir comment c'est
traité, et je préférerais, quant à moi, comme le
temps passe, que la commission suive la recommandation du député
de Saint-Jean, qui rejoint celle qui vient d'être faite, que le document
soit déposé sous réserve de la déclaration
préliminaire que vous avez faite et sous réserve également
du fait que vous nous transmettrez ce que vous considérez, on temps
utile, être la traduction officielle et la position officielle en
français de votre association.
M. VEILLEUX: Disons que nous considérerons cela comme une
traduction libre, ce que vous nous remettrez, et quand votre organisme aura
accepté officiellement la version française, il nous la fera
parvenir au secrétariat de la commission et, après cela, nous
acheminerons cela à qui de droit.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): C'est entendu, M. Audette, que
nous acceptons la traduction libre de votre document avec toute la
réserve que vous avez indiquée et qui a été
indiquée également par les membres de la commission qui se sont
exprimés sur le sujet. Alors, nous continuons.
M. VEILLEUX: II y a M. Pelletier qui est censé faire une
déclaration pour expliquer exactement sa position et les
déclarations qu'il a faites à la première assemblée
lors d'une question.
M. AUDETTE: Alors, si vous le permettez, M. le Président, nous
allons céder la parole à M. Pelletier.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Pelletier, nous vous
écoutons.
M. PELLETIER: M. le Président, avec votre permission, nous
croyons nécessaire de faire une mise au point concernant l'explication
que j'ai donnée lors de notre comparution devant votre commission mardi
matin, au sujet des ententes de collaboration qui ont été
convenues entre les corps policiers et notre industrie. Cette explication
semble prêter à confusion et avoir été
interprétée comme étant des moyens de contrôle de
l'information par la police ou le pouvoir public en temps de crise, comme en
ont fait écho les journalistes. Tel n'est pas le cas, M. le
Président. Les faits exacts sont les suivants:
Premièrement, référons-nous à la crise
d'octobre 1970. A la suite de cette crise, notre association nationale,
l'Association canadienne des radiodiffuseurs, a examiné attentivement la
façon dont les événements se sont déroulés
au niveau de l'information. Conjointement avec l'Association des chefs de
Police du Canada, nous avons formé un comité afin de
déterminer les objectifs, principes généraux et principes
de fonctionnement pour l'établissement de rapports de travail efficaces
entre les forces du maintien de l'ordre et les media au Canada.
Les pourparlers au sujet de cette question remontent à la
réalisation du film de notre association nationale, que vous visionnerez
dans quelques instants. Ces pourparlers se sont poursuivis dans le cadre des
réunions d'un comité groupant des représentants de notre
association nationale, l'Association canadienne des radio-diffuseurs, et de
l'Association canadienne des chefs de police. C'est le document auquel je
faisais allusion mardi matin et que j'ai offert de déposer à la
commission. Nous le déposons ce matin selon votre désir. Ce
document a été approuvé à la fois par le conseil
d'administration de notre association nationale et l'Association des chefs de
police, lors de son congrès en 1972.
A la lecture de ce document, vous constaterez qu'il n'est nullement
question de confier aux forces policières, ni à quiconque
d'autre, le contrôle de l'information sur les ondes.
Passons aux événements de la crise de mai
1972. Quant au document de la Commission de police du Québec, il
est le résultat des travaux d'étude, conduits conjointement par
notre association, L'ACRTF, la Commission de police du Québec, la
Sûreté du Québec, celle des villes de Montréal et
Québec, la Gendarmerie royale, la Société Radio-Canada et
le Conseil de la radiotélévision canadienne, travaux qui ont
été entrepris à la suite de l'envahissement de plusieurs
postes de radio et de télévision à travers le
Québec, lors de la crise du front commun en mai 1972.
L'objectif de cette étude fut d'établir un
mécanisme de communication entre les postes de radio et de
télévision et les corps policiers afin de déterminer des
mesures préventives de protection pour protéger et
prévenir dans l'avenir la répétition de ces actes
illégaux, voire même criminels.
C'est à la suite de ces études que la Commission de police
du Québec a établi un plan d'action devant être
appliqué en vue d'assurer aux postes de radio et de
télévision toute la protection nécessaire, si une autre
crise semblable se répétait dans l'avenir.
C'est donc dire, M. le Président, qu'il est inexact de croire et
d'interpréter qu'il y a eu entente entre les radiodiffuseurs et les
corps policiers en vue d'exercer un contrôle de l'information en temps de
crise.
Notre association, l'ACRTF, n'aurait jamais consenti à un tel
contrôle qui est contraire à notre philosophie et à notre
politique en matières de liberté d'expression et de
liberté de presse, tel que nous l'exprimons dans notre
mémoire.
M. le Président, nous regrettons l'ambiguïté
causée par cette explication qui est le résultat d'un concours de
circonstances malheureux. Nous espérons que cette mise au point
rétablit les faits dans leur optique réelle.
Nous espérons également que les journalistes accorderont
à cette mise au point la même importance que celle qu'ils ont
donnée à la déclaration elle-même. Je vous remercie,
M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Saint-Jean.
M. VEILLEUX: M. le Président, pour bien se comprendre, le
document dont on vient de recevoir la copie, c'est le document dont vous
faisiez mention mardi matin.
M. PELLETIER: Oui, mardi matin.
M. VEILLEUX: Si j'ai bien compris, à l'heure où on se
parle, il n'y a pas, comme tel, d'entente entre les organismes que vous
mentionnez, mais c'est à l'état de discussion.
M. PELLETIER: Si on se réfère à la Commission de
police du Québec, l'entente qui existe est de développer un
mécanisme de protection, à l'endroit des postes de radio et de
télévision, que les corps policiers devront appliquer pour
empêcher, à l'avenir, l'envahissement des postes de radio ou de
télévision par des groupes ou des individus qui prennent le
contrôle de l'opération d'un poste et qu'on se conforme au
désir de la direction ou des propriétaires des postes. C'est la
seule entente qui existe.
M. VEILLEUX: Si je comprends bien, l'entente n'existe pas sur le contenu
même de l'information...
M. PELLETIER: Non, du tout.
M. VEILLEUX: ... mais, pour empêcher des forces extérieures
de pénétrer à l'intérieur soit d'un poste de radio
ou de télévision ou d'un journal, et, après,
contrôler l'information à l'intérieur d'un de ces postes ou
d'un journal.
M. PELLETIER: C'est exact, monsieur.
M. VEILLEUX: Pour continuer à laisser l'information libre
à l'intérieur des media d'information.
M. PELLETIER: Si vous me permettez, de ne pas contrôler
l'information, mais la diffusion. Ce n'est pas tout à fait la même
chose.
M. VEILLEUX: Je dis que l'entente est pour empêcher des forces
extérieures d'entrer à l'intérieur, soit de diffuser ou de
contrôler l'information à l'intérieur de la boite. C'est
pour la laisser libre, telle qu'elle existe présentement dans votre
esprit. C'est ça?
M. PELLETIER: C'est ça.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de
Sainte-Marie.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): M. Pelletier, vous dites qu'actuellement, il
n'y a pas d'entente entre votre association et la police afin de
contrôler l'information en temps de crise. C'est bien ce que vous avez
dit? Si ce n'est pas cela, corrigez-moi.
M. PELLETIER: Oui.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Si je prends votre document en
français, à la page 2 b) dans les structures, il est dit: "II est
prévu la création d'un comité national groupant les
représentants des principales personnalités, des forces do
l'ordre et des media, lequel comité sera investi du soin d'arrêter
les principes généraux et des modalités d'application en
ce qui concerne les rapports assurés entre la police et les media pour
ce qui est de la façon de traiter l'information relative à la
police et singulièrement au crime". Qu'est-ce que ça veut dire?
Est-ce que
ce n'est pas une entente avec la police pour traiter l'information,
contrôler l'information? Voulez-vous m'expliquer ce paragraphe? Pour moi,
c'est très paradoxal à côté de ce que M. Pelletier
vient de déclarer.
M. VEILLEUX: M. le Président...
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ecoutez, je pose une question. M. le
Président, est-ce que j'ai le droit de poser une question?
M. LEDUC: Pas des questions qui impliquent des sous-entendus...
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): M. le député de Taillon, ne
prenez pas le feu pour rien. Ne vous énervez pas. Si vous voulez vous
énerver, on va s'énerver à deux.
M. VEILLEUX: Question de règlement, M. le Président.
M.TREMBLAY (Sainte-Marie): M. le Président, question de
règlement. J'ai posé une question à M. Pelletier. M. le
Président, je fais appel à vos pouvoirs. Est-ce que j'ai le droit
de poser une question à M. Pelletier sur ce paragraphe? C'est tout
simplement une question d'éclaircissement, je n'affirme rien. C'est
tout.
M. L'ALLIER: Je pense que lorsqu'on a demandé le
dépôt de la version française du texte, il a
été convenu qu'il s'agissait d'une traduction qui, en fait, pour
l'ACRTF, n'en était pas une. A partir de là, pour éviter
toute ambiguïté, je crois que les questions qui devraient ou qui
doivent ou qui peuvent être posées au témoin devraient
l'être à partir du texte anglais.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je demande si c'est exactement ça que
ça veut dire dans le texte anglais qu'on lit en français.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Audet-te est prêt
à répondre à votre question.
M. AUDETTE: Si vous me le permettez, M. le Président, vous avez
l'exemple type de ce que nous craignons.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est pour ça que je vous le
demande.
M. AUDETTE: Si vous me permettez, je vais répondre. J'ai
commencé, je vais terminer. Le texte anglais dit "handling", on n'aime
pas le mot "traiter" en français. C'est pour ça qu'on n'a pas
voulu déposer le document, vous êtes tombé sur l'exemple
type, vous êtes tombé pile. J'espère que ça
répond à votre question.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ce n'est pas par coincidence, je l'ai vu et
je trouvais que...
M. AUDETTE: C'est exactement la raison pour laquelle nous avons
demandé de ne pas le déposer.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): En anglais, ce n'est pas "traiter", c'est
quoi?
M. AUDETTE: C'est "handling".
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Au début, nous avons
accepté la traduction française, la traduction libre...
M. AUDETTE: Si vous me permettez. En anglais, on parle de "handling
police and particularly crime news". Il faudrait rester dans cet esprit.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Voulez-vous nous expliquer la nuance entre
les deux mots, le mot anglais et le mot français, "traiter" et
l'autre?
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Je crois que ce n'est pas
le...
M. AUDETTE: Je peux le faire, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Je comprends, mais nous avons
accepté sous réserve votre version française au tout
début de la commission. C'est ce que j'ai compris, moi. Je ne
prévoyais qu'il y aurait une discussion sur le document français,
étant donné que c'est le document anglais qui a été
reconnu comme officiel, libre à chacun des membres de la commission de
l'analyser lui-même; je ne crois pas que, ce matin, ce soit l'endroit
pour discuter.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je veux avoir la différence parce que
ma langue officielle, c'est le français. Ma langue seconde, c'est
l'anglais. Je veux savoir quelle différence il y a entre les deux
mots.
M. LEDUC: Vous avez une interprétation de seconde classe au lieu
d'avoir une interprétation de première classe jusqu'au moment
où le recherchiste vous le traduira comme il faut en français. On
n'est pas venu ici pour avoir un cours de langue.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'ai posé la question à
monsieur, ici.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le ministre des Communications
aurait un mot à dire.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Est-ce que vous faites la différence
entre les deux mots, moi, je ne le sais pas. Je n'en vois pas.
M. L'ALLIER: M. le Président, c'est pour illustrer les
ambiguïtés qui existent actuelle-
ment. Je crois qu'on s'en va vers un éclaircissement de la
situation qui va nous amener à constater l'objectif premier poursuivi
par les radiodiffuseurs et faire en sorte qu'à tout moment les moyens de
diffusion soient disponibles de façon régulière. Ceci dit,
ces ambiguïtés, nous sommes obligés de les soulever
même si ça peut paraître, même si on peut avoir l'air
de prendre des positions qui sont quelquefois même agressives pour la
bonne raison que les déclarations mêmes qui ont été
faites soit par M. Pelletier ou autrement et les mises au point qui sont faites
aujourd'hui viennent rétablir, dans une certaine mesure, la situation
réelle, mais ces déclarations nous laissent perplexes quant
à cette chose-là.
Je réfère au texte même de ce qu'avait dit M.
Pelletier lorsqu'il déclarait c'était le but de ma
première question : "II y a même des directives qui ont
été transmises aux postes de radio et de télévision
par l'entremise de la Commission de police du Québec, à savoir
quels sont les moyens à prendre pour éviter la
répétition de tels événements au point de vue de
l'information, dans l'avenir."
On parlait de directives ce n'est pas un lapsus venant de
la Commission de police. D'où ma question, au début de
l'exposé: Y a-t-il des directives? La réponse qui m'est faite,
c'est qu'il n'y a pas de directives. Il y a eu rencontre. Un texte a
été établi. C'est cela qui est soumis à
l'approbation des membres.
C'est cela que nous voulons essayer de clarifier. Nous ne sommes pas
là pour vous embêter. Nous ne sommes pas là, non plus, pour
laisser flotter des ambiguïtés. Il faut que nous sachions, à
cette commission si on veut aborder clairement le problème de la
liberté de la presse que rien, en dessous ou au-dessus de la
table, n'est mis en place pour que l'information, dans son contenu qui est un
droit de la population même si on n'est pas d'accord
là-dessus soit altérée, quelles que soient les
situations.
Une situation de crise, qu'est-ce que c'est? Chacun peut définir,
à un moment donné, qu'il y a une crise, alors qu'il n'y en a pas
toujours. On sait qu'il y a eu une crise quand elle est passée,
lorsqu'on a pu savoir les limites de ce qui s'est passé. Il pourrait
arriver que, chaque fois qu'il y a un peu de chahut dans une région, on
dise qu'il y a une crise et, pour permettre à la police de travailler,
qu'on suspende l'information. J'ai vécu à l'étranger assez
longtemps pour subir des choses comme cela. J'étais même dans un
pays où, effectivement, dès que quelque chose se passait, les
journaux étaient coupés, la radio était coupée.
Tout ce qu'on avait, c'était de la musique et des policiers dans la rue.
Là, on savait qu'il y avait une crise. Mais il y en avait souvent.
Or, ce que nous voulons, ici, maintenant, c'est bien voir si la
vérité est telle qu'on peut la présumer, à savoir
qu'il n'y a, d'aucune façon, intention ou moyens mis en place par
l'associa- tion, par les radiodiffuseurs, par la police ou par qui que ce soit
pour faire en sorte qu'à quelque moment que ce soit les contenus
d'information soient modifiés altérés ou même non
diffusés, si l'information est réelle. Parce qu'à ce
moment-là cela peut devenir un élément de crise
important.
Ce qui nous importe, c'est que les media puissent continuer, quelles que
soient les situations, à fonctionner normalement. Je suis tout aussi
opposé, pour ma part, à ce que des citoyens occupent des media,
parce que c'est, en définitive, brimer la liberté de la presse,
de la même façon que je suis opposé à ce que,
directement ou sournoisement, la police occupe des media. C'est ce qu'on
voudrait bien voir établi clairement, aujourd'hui. Je dois dire que
jusqu'ici, sauf la dernière déclaration de M. Pelletier, il y
avait des ambiguïtés énormes là-dessus. Je voudrais
que, d'ici à la fin de la commission, ce soit clairement établi;
que le document que nous allons visionner nous soit commenté, s'il y a
lieu. Aussi, parce que, dans le document en anglais, vous faites
référence, à certains moments, au "news personnel", enfin
aux journalistes, à toutes fins pratiques, j'aimerais que vous nous
indiquiez de quelle façon vous avez l'intention, dans un
mécanisme comme celui-là, d'inclure éventuellement la
profession journalistique.
Parce qu'il y a trois éléments: il y a ceux qui
recherchent la nouvelle et qui la font; il y a ceux qui la diffusent et il y a,
en dehors de cela, l'ensemble des autorités publiques, dont la police,
dont c'est la responsabilité de protéger les biens. Cela ne
dépasse pas cela, dans un contexte comme celui-là.
Vous dites, dans le texte anglais, qu'il faudrait prendre des mesures,
même des mesures disciplinaires, si ces principes-là
n'étaient pas respectés, contre soit les policiers, soit les
journalistes, etc., "news personnel", si je me souviens bien. J'ai lu cela
quelque part.
Avez-vous l'intention de mettre dans le coup le personnel de nouvelles,
à un moment donné? Je ne parle pas du rédacteur, mais au
moins des responsables des services de nouvelles, ceux qui sont responsables de
la cueillette de l'information. Parce que ce qui est aussi grave que de fausser
une nouvelle ce qui n'est pas fréquent, non plus, trop, trop
c'est de ne pas la diffuser du tout, alors qu'elle existe. A ce
moment-là, on brime la liberté de la presse.
Je ne sais pas si mes propos ont pu clarifier un peu le sens des travaux
de la commission. Je les ai faits pour tenter d'accélérer le
travail. S'il n'y a pas d'autres questions, nous pourrions passer au film.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'aurais juste une question. Le texte
français a-t-il été distribué, par exemple, aux
radiodiffuseurs français? Y en a-t-il d'autres qui ont eu le texte
français, à part la commission parlementaire?
M. AUDETTE: Les stations l'ont reçu, oui, après le texte
anglais.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ils ont reçu le texte anglais
seulement.
M. AUDETTE: Ils ont reçu le texte anglais, et par la suite cette
traduction libre a été acheminée aux postes.
M. VEILLEUX: J'aurais une suggestion à faire à M. Audette.
C'est que le plus tôt possible votre organisme accepte officiellement une
traduction française fidèle du document écrit en anglais
qu'on nous a remis. Je pense que c'est urgent.
M. AUDETTE : Nous recevons très bien votre suggestion.
M. VEILLEUX: Et à l'avenir ce serait peut-être bon
je ne dis pas seulement ça pour vous que tout autre organisme qui
aura à se présenter devant la commission et qui tiennent à
avoir une version officielle d'un document en langue française de le
faire si possible avant d'arriver ici devant la commission, du moins pour la
commission parlementaire sur la liberté de la presse.
M. AUDETTE: Vos remarques sont très bien reçues.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Sans plus de préambule,
nous allons visionner le film, et par la suite nous continuerons les travaux de
cette commission pour les questions qui seront posées par les membres de
la commission.
M. AUDETTE: Si vous me le permettez, je vais vous présenter M.
Philippe de Gaspé Beau-bien, qui a été l'animateur de la
séance d'étude tenue lors de notre congrès à
Montréal lorsque le film a été présenté. A
ce moment-là, M. Beaubien a fait lui-même la présentation
du film. Avec votre permission, nous allons demander à M. Beaubien de
vous expliquer dans quel contexte le film a été
préparé et présenté.
M. DE GASPE BEAUBIEN: M. le Président, MM. les ministres, membres
du comité...
M. VEILLEUX: Vous feriez peut-être mieux de vous asseoir,
monsieur, et parler dans le micro pour que ça puisse être
enregistré.
M. DE GASPE BEAUBIEN: On m'a demandé de venir vous
présenter le film qu'un groupe de radiodiffuseurs du Québec a
préparé lors d'une convention de notre association nationale
tenue à Montréal en avril 1971.
Il faut se rappeler que ce film faisait partie d'une séance
d'étude. Son but était de sensibiliser d'autres radiodiffuseurs
à travers le Canada des problèmes possibles qui peuvent surgir
dans une période dite anormale ou de crise. L'auditoire étant en
majeure partie de langue anglaise à peu près 85 p.c.
à 90 p.c. c'est ce qui explique que le film que vous allez voir
est en langue anglaise.
Ce film a été préparé par la compagnie CFCF,
de Montréal, avec la collaboration d'autres radiodiffuseurs de
Montréal et son but a été de mettre en valeur les
problèmes différents qui peuvent surgir pour des
éléments différents tels que le gouvernement, la police,
les radiodiffuseurs, le public dans une période telle que celle-ci.
Il faut se rappeler aujourd'hui, quand on va voir ce film, qu'il a
été préparé pour provoquer une discussion de la
part des gens qui étaient présents. Je crois qu'il vaut la peine
de noter ce point, parce qu'il y a un danger de montrer ce film en dehors de
son contexte éducatif.
Nous avons fait une présentation, qui a duré près
de 20 à 25 minutes, à nos confrères de langue anglaise, et
avons montré le film ensuite. Nous avons eu ensuite une discussion avec
des gens spécialisés dans des domaines donnés. Il y avait
un représentant de la police de Montréal, le chef Gilbert
était là à ce moment; un représentant du
ministère de la Justice de la province de Québec; un
représentant de la gendarmerie fédérale; de notre
association de relations publiques qui faisait valoir le point de vue du
public, et des représentants des radiodiffuseurs du Canada.
Après avoir discuté ce film pendant une période de
trois quarts d'heure ou une heure avec ces spécialistes, nous avons
ensuite fait le point et fait une séance plénière avec
tous les confrères radiodiffuseurs du Canada, dans le but d'examiner
franchement les problèmes qui se sont posés, les questions qui
n'étaient pas tout à fait claires, les erreurs qui ont pu se
glisser.
H faut se rappeler, en visionnant ce film, que nous avons, d'une
façon volontaire, voulu faire ressortir ces éléments
plutôt que les autres afin d'en faire une histoire de cas, une histoire
qui facilite la discussion. Montrer ce film en dehors de ce contexte
présente des dangers; dont celui de ne montrer que les
éléments qui se prêtent peut-être mieux à
discussion. Je voudrais vous rappeler que les radiodiffuseurs sont très
fiers du travail assez extraordinaire qu'ont fait nos services de nouvelles
dans une période extraordinaire, qui ne se reflétera pas toujours
dans ce film qui s'est voulu un film pour montrer les éléments de
discussion. Ce travail a été reconnu non pas par notre
fraternité et celle de nos confrères dans le domaine des
nouvelles mais bien à l'échelle du Québec. Certains postes
tels que ceux que vous verrez là ont reçu des trophées. En
particulier CKAC a mérité un trophée
québécois pour la couverture des nouvelles, un trophée
national pour la meilleure couverture des nouvelles et un trophée
international qui lui a été décerné aux Etats-Unis
pour la couverture du Sport News Award cette année-là.
C'est un témoignage aux journalistes et aux services de nouvelles
qui ont travaillé dans une période extrêmement difficile.
Et pour que vous en saisissiez la pleine portée, je voudrais vous
rappeler qu'il s'agissait d'une période de trois jours. Peut-être
cinq ou six autres bobines auraient pu être montrées, mais on a
voulu extraire sur un film les points qui se prêtaient à
discussion.
M. le Président, j'espère que cette présentation
très générale au début aidera à resituer un
film qu'on a voulu éducatif et qu'on comprendra bien dans quel contexte
nous avons voulu le montrer. Je vous remercie, M. le Président.
(Note de l'Editeur Suspension du débat, à 10 h 57,
pour la projection du film)
(Reprise des débats, à 11 h 35,
anrès la projection du film)
M. VEILLEUX: Comme procédure, on pourrait peut-être
suggérer qu'on connaisse d'abord la réaction des gens de l'ACRTF
relativement à ce film, et la réaction du représentant de
la Fédération professionnelle des journalistes du Québec,
M. Beauchamp. Et si les membres de la commission ont des questions à
poser, ils pourront les poser soit à M. Audette ou ses
représentants ou soit à M. Beauchamp ou ses
représentants.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Avant que ça...
M. VEILLEUX: C'est une suggestion que je fais comme formule de
fonctionnement.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): Est-ce qu'il y aurait
possibilité pour les techniciens qui ont la charge de l'enregistrement,
d'enlever l'appareil le placer par terre peut-être pour
permettre aux membres de la commission et ceux qui se font entendre de
communiquer plus facilement?
Est-ce que la suggestion du député de Saint-Jean
reçoit le consensus des membres de la commission et de ceux qui veulent
se faire entendre ce matin?
M. VEILLEUX: Est-ce que le représentant du Parti
séparatiste est d'accord?
M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Parti québécois.
M. VEILLEUX: Pour ne pas qu'il y ait mésentente après
ça.
M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Non, non je suis d'accord. Quand ç'a
du bon sens, je suis toujours d'accord.
M. VEILLEUX: Alors, est-ce que vous avez des commentaires, M. Audette ou
un de vos représentants, au nom de l'ACRTF, sur ce film? On pourra poser
la même question à M. Beauchamp après.
M. AUDETTE: A titre de commentaires, nous avons vu le film à
quelques reprises. Nous l'avons vu à l'occasion de la
présentation initiale, lors de notre congrès à
Montréal. M. Beaubien a très bien expliqué tout à
l'heure le pourquoi de ce film et je pense qu'après l'avoir vu, vous
comprendrez qu'à certains moments les prises de conscience comme
celles-ci sont nécessaires. Si vous avez eu à discuter depuis
quelques jours de certaines procédures qui, malheureusement, ont
été mal interprétées, vous avez pu comprendre, au
visionnement de ce film, le pourquoi de ces procédures que nous devons
adopter quelquefois en temps de crise.
II me semble que c'est clair. Si vous avez des questions pertinentes,
particulières, peut-être qu'on pourrait à ce
moment-là y répondre, mais, en conclusion, je crois que
c'était pour nous une leçon. Nous l'avons prise, nous l'avons
étudiée. Nous avons étudié ça en
comité et en assemblée générale, et c'est à
la suite de ces études que nous avons convenu qu'il était
nécessaire d'en arriver à des mécanismes adaptés
à certaines occasions. Nous avons dû malheureusement les vivre,
ces occasions. Nous avons eu la crise d'octobre, nous avons vu la crise de mai
et c'est afin de permettre un meilleur rendement de nos services de nouvelles
que nous avons dû étudier et accepter les modes de
procédure en temps difficile.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Beau-champ. Est-ce qu'on
pourrait donner un micro à M. Beauchamp.
M. BEAUCHAMP: Je pourrais commencer en disant qu'il faut
féliciter ceux qui ont fait le film. Le film est bien fait. Je pense
que, dans l'ensemble, les problèmes sont bien posés, surtout par
M. Turner à la fin. Mais, par exemple, la réponse qu'on apporte
au problème, le document qu'on nous soumet, ça c'est
drôlement moins bon.
Au point de départ je dois dire qu'il faut considérer que,
par la force des choses, les media sont évidemment au centre de
l'activité. Ils sont là et on peut ajouter qu'en temps de crise
et la crise d'octobre nous l'a démontré et
jusqu'à un certain point, d'une certaine façon, il faudrait
peut-être analyser beaucoup plus à fond. On l'a fait, nous, au
cours d'un colloque, mais on s'est rendu compte que ça prendrait des
analyses, des études beaucoup plus approfondies. Jusqu'à un
certain point, les media, comme je l'expliquais d'ailleurs hier, deviennent un
facteur, deviennent eux-mêmes un élément dans
l'évolution sociale, dans les problèmes sociaux. Cela, c'est bien
évident.
Mais je pense que les media, même en temps de crise, conservent
leur rôle et surtout en temps de crise, ils doivent conserver leur
rôle d'être les témoins de ce qui se passe.
Ils doivent être absolument libres de diffuser l'information. S'il
y a un moment où l'information doit être libre, c'est bien en
temps de crise.
Si je prends le document anglais, il y a là-dedans un tas de
choses tout à fait inacceptables. Je n'ai pas d'objection, les
journalistes n'ont pas d'objection, je pense, à ce qu'il y ait des
contacts entre les autorités policières et le milieu de
l'information. Nous-mêmes, dans nos réunions, nous avons
déjà invité des représentants de la police, parce
qu'il y a des problèmes conjoints qui se posent. Les relations entre la
presse et le pouvoir judiciaire et policier soulèvent un certain nombre
de questions. Mais prenons le texte anglais, je ne prends pas le texte
français. Au niveau des dirigeants policiers et au niveau des
propriétaires de l'entreprise de presse, en cercle restreint, on
s'entend sur des "guidelines in the handling of police and crime news". "News"
c'est "news", puis "crime news" c'est large. "Crime news" ça veut dire
ce qui s'est passé en octobre 1970; "crime news" ça veut dire
l'occupation des postes de radio; "crime news" ça veut dire des
relations patronales-ouvrières, parce que la société
réagit selon ses lois. Quand quelqu'un va faire du piquetage, parce
qu'il est en conflit de travail, si ce piquetage ne se fait pas dans la
période prévue par la loi, c'est un "crime news". Cela va
très loin.
J'en passe parce que je ne veux pas être trop long. On dit, par
exemple, à la page 3, à "Guidelines and ethics" que "the police
and media are partners in the fight against lawlessness"; ce n'est pas vrai.
Ils ne sont pas en opposition mais ce n'est pas "partner", ce n'est pas vrai.
Paragraphe 3, on dit que "the people of Canada have a fundamental right to be
kept advised". Ce n'est pas un "right to be kept advised" que le monde a, c'est
un "right to be kept informed"; ce n'est pas la même chose. Dans le
même paragraphe, on dit: "Insofar as the exercise of that right
qui est déjà très limité does not interfere
with the proper, efficient, and responsible functioning of any such
organization." Qui est-ce qui juge cela? La police? Il y a un ministre de la
Justice qui a dit, lors de la crise d'octobre, que la loi nous défendait
de publier de l'information concernant le FLQ; c'est un ministre de la Justice
qui a dit ça. Il y a un autre ministre de la Justice qui a dit qu'on
avait le droit. Ce n'est pas à la police de déterminer que
l'exercice du droit du public à être informé intervient
à un moment donné avec le "proper, efficient and responsible
functioning of any such organization."
Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on pourrait discuter. On dit:
"It is recognized that because of its nature crime news require special
consideration and treatment". Oui, c'est évident, comme n'importe quelle
sorte de nouvelles doit avoir un traitement spécial parce que chaque
nouvelle est différente. Mais les media d'information sont là
pour transmettre de l'information. Dans le paragraphe suivant, paragraphe 7,
à la page 4, on dit que le succès des relations entre la police
et la justice dépend d'un certain nombre de choses, "including when
necessary c'est pas mal fort disciplinary action against those
employees ça ce sont les journalistes who knowingly or
consistently fail to operate within the principles and ethics agreed to by the
national joint committee". Mais là au moins que les journalistes soient
là. Les principes d'information et l'éthique dans l'information,
je n'ai pas d'objection à ce que ce soit la police qui les
définisse, mais pas toute seule et non pas seule avec les
propriétaires d'entreprises de presse. D y a également les
journalistes d'impliqués, il y a également le public
d'impliqué. Je pense qu'il faudrait amener ce monde-là. C'est
bien beau de prendre des mesures disciplinaires contre les journalistes qui ne
répondraient pas à
des normes. Des normes conçues où? En groupes
fermés et selon des objectifs, on ne sait trop lesquels. Je pourrais
continuer comme ça encore longtemps.
A la page 5, une autre chose tout à fait inacceptable, paragraphe
11. "Photographers as well as reporters and editors recognize..." Les
photographes et les journalistes n'étaient pas là. Pourquoi
dit-on que les photographes et les journalistes reconnaissent...? Ils
n'étaient pas là aux discussions là-dessus. "... recognize
that crime news must not be handled in such a matter that it destroys evidence
before the responsible peace officers have had opportunity to protect it."
Il y a un journaliste qui l'a exprimé très clairement dans
le film tantôt: les journalistes ne sont pas des auxiliaires de la
police. Si on fait des journalistes des auxiliaires de la police, la
société, en temps de crise, sera mal informée. S'il y a un
moment où la société doit être bien informée,
c'est bien en temps de crise. Si les journalistes en viennent à
être considérés, comme ce fut le cas et c'est le cas
jusqu'à un certain point comme des auxiliaires involontaires de
la police, mais quand même des auxiliaires, les cameramen vont d'abord se
faire donner des coups de matraque par la police et vont recevoir des coups de
bâtons des manifestants parce que personne ne veut plus les voir. Pour
les journalistes, c'est la même chose.
Quand il y a une manifestation, un événement, etc., ceux
qui sont là voient dans les journalistes des auxiliaires de la police et
cela nuit considérablement au travail de la police. Nous n'avons pas
d'objection à ce que la police fasse son travail un journaliste
l'a dit tantôt dans toute la mesure où c'est compatible,
les media d'information peuvent collaborer avec la police, mais ce n'est pas
aux media d'information à faire le travail de la police. Il est
arrivé, par exemple, pendant la crise d'octobre qu'on a demandé
à un poste de télévision et à un poste de radio de
couvrir une conférence de presse pour la police. Que la police s'y rende
à la conférence de presse et qu'elle s'identifie comme telle. Des
policiers sont d'ailleurs allés à certaines conférences de
presse, mais se sont fait passer pour des journalistes de Sherbrooke alors que
la conférence de presse avait lieu à Montréal.
Que la police aille assister à la conférence de presse
mais qu'elle s'identifie comme étant de la police; le gars en avant
saura alors que la police est devant lui et il dira ce qu'il voudra dire
à ce moment-là. On n'aura pas une société bien
informée si on utilise toutes sortes de stratagèmes comme
ceux-là. Il y avait 400 journalistes pour couvrir le congrès de
leadership du l'Union Nationale, pas le dernier mais le
précédent. Au dernier, je n'y étais pas. Au
précédent, il y avait 400 journalistes; voyons donc! Il y avait
à peu près 250 policiers là-dessus. Cela n'a aucun sens.
Les gars allaient jusqu'au point, dans la salle, de prendre des entrevues et de
demander: Pour qui allez-vous voter? On ne peut pas accepter cela dans une
société. Je ne dis pas que c'est la faute de l'Union Nationale.
Vous vous souvenez qu'au congrès de l'Union Nationale il y avait eu une
manifestation en face, tout un climat. Je ne condamne pas l'Union Nationale
quand je dis cela, mais le travail qu'ont fait à ce moment-là les
forces policières est tout à fait inacceptable.
Au bout de la deuxième journée, les gens dans la salle ne
voulaient pas voir un maudit journaliste. Qu'est-ce que vous voulez? Cela
s'était su. Si on s'engage dans des choses comme ce document, c'est bien
évident qu'en période de crise on va en arriver à une
crise beaucoup plus forte parce que la société va être mal
informée. Ce ne sont pas des mots en l'air, ce ne sont pas des choses
théoriques, des études ont été faites
là-dessus et plusieurs livres ont été écrits
là-dessus. Il y a eu un krach en 1929, cela remonte peut-être
loin, mais ça ne soulèvera la passion de personne. Il a
été démontré que cela a été dû,
en gros, au choc créé par une descente rapide en bourse parce que
les media d'information, à l'époque, faisaient surtout ce que
l'on appelle de l'information officielle dans les journaux. La radio
commençait à peine et il n'y avait pas de
télévision. Dans les journaux, tout ce qui paraissait,
c'étaient les déclarations rassurantes des dirigeants
américains. C'était toujours: Oui, c'est vrai, il y a des
problèmes, mais ne vous en faites pas, cela va être
réglé.
Quand est arrivé le problème, cela a tellement surpris les
gens qu'il y en a des centaines qui se sont jetés en bas des
fenêtres. Si les media avaient fait leur travail à ce
moment-là, les gens auraient su ce qui se passait, il auraient
placé leurs épargnes ailleurs, etc. La société
aurait vécu plus normalement. Je pense qu'il faut absolument
éviter de s'engager dans une voie comme celle-là, surtout quand
c'est fait en catimini et à huis clos.
LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député
de Saint-Jean.
M. VEILLEUX: J'aurais deux questions à poser à M.
Beauchamp. On vient de voir un film qui porte sur les événements
d'octobre 1970. On a mentionné, depuis le début des
séances de cette semaine, qu'il y avait eu une autre période
assez difficile pour les media d'information et les journalistes, la
période de mai dernier, alors que des postes de radio ont
été envahis par certaines personnes.
J'aimerais connaître par M. Beauchamp la réaction de la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec en
regard de cette période. Deuxièmement, tenant compte des
événements d'octobre 1970 et de ceux de mai dernier, quelles sont
concrètement les suggestions qu'envisage la Fédération
professionnnelle des journalistes du Québec? Vous avez dit tout à
l'heure que le film, au lieu d'être ce qu'on l'a qualifié hier,
était un film qui posait réellement le ou les
problèmes.
II y a une réponse qui a été donnée à
cela par certains organismes, soit le document qu'on nous a remis tout à
l'heure. Vous avez commenté le document. C'est pour ça que
j'aimerais connaître, de la part de la Fédération
professionnelle des journalistes, concrètement de quelle manière
elle voit les relations entre le monde journalistique et les personnes qui ont
certaines responsabilités dans des moments comme ceux-là.
M. BEAUCHAMP: Dans votre première question, vous me demandez ce
que je pense de la couverture des événements au mois de mai?
M. VEILLEUX: Non. Quelle a été la réaction des
journalistes dans ces postes? Connaissez-vous la réaction des
journalistes dans ces postes de radio qui ont été, à un
certain moment, quasiment écartés?
M. BEAUCHAMP: La fédération, comme telle, n'a pas de
position officielle là-dessus. Certains de nos membres étaient
dans ces postes de radio. Je pense que, dans l'ensemble, c'est une situation
qui a été mal acceptée. Je ne peux pas aller plus loin que
cela. D'ailleurs, nous avons eu un colloque d'une journée sur des
questions de cette nature, peu après les événements de
mai, justement pour s'interroger sur le problème que posait l'occupation
des postes de radio.
La conclusion à laquelle nous en sommes arrivés,
c'était celle que je disais tantôt: c'est qu'en période
difficile comme celle-là, en période de crise, même si les
journalistes, d'une certaine façon, parce qu'ils sont syndiqués,
parce qu'ils sont citoyens, sont impliqués, leur premier devoir est de
donner l'information.
M. VEILLEUX: Vous comprenez la raison de ma question. Cela a
été une période donnée, en mai, qui a amené
cela. D'autres événements pourraient se produire
éventuellement et toutes sortes de groupes d'individus...
M. BEAUCHAMP: Je comprends très bien votre question. Je pense que
ma réponse est claire: Le consensus qui s'est dégagé de la
rencontre que nous avons eue est que, dans une période comme
celle-là, le premier devoir des journalistes est de donner de
l'information. Ce n'est pas de ne pas en donner.
M. VEILLEUX: Est-ce qu'il y aurait lieu, de la part de la
Fédération professionnelle des journalistes, d'essayer de
suggérer des moyens à prendre justement pour empêcher cela?
Parce que le journaliste, à son micro, n'est pas capable de donner
l'information.
M. BEAUCHAMP: Ce ne sont pas les journalistes qui occupent les postes de
radio.
M. VEILLEUX: Non, mais, si le journaliste de ce poste de radio veut
donner l'information comme il devrait avoir pleine et entière
liberté de le faire, il y aurait peut-être lieu, de la part de la
fédération, d'étudier cela.
M. BEAUCHAMP: Nous l'avons étudié. C'est bien clair que
nous avons beaucoup plus de problèmes avec les propriétaires des
entreprises de presse, parce qu'ils sont là tous les jours, qu'avec les
groupes contestataires qui, eux, viennent une fois par dix ans. Je veux dire
que le problème, pour nous, n'est pas au niveau des groupes
contestataires.
Les solutions que nous proposons là-dessus, on l'a dit clairement
et le fait que cette commission siège montre ce que nous voulons
Nous voulons que ces problèmes soient discutés
publiquement. C'est la seule façon. Parce que les media ont une fonction
tellement importante qu'il faut que cela se fasse à ciel ouvert,
publiquement. Il faut que cela se fasse entre tous les groupes
intéressés: les journalistes les pouvoirs publics, les
propriétaires d'entreprises de presse qui, je le répète,
ont une lourde responsabilité là-dedans. Nous ne la nions pas,
loin de là. La seule façon, c'est de discuter de ces choses
publiquement.
Nous l'avons fait à l'occasion de colloques. Nous avons fait un
colloque où le public était invité. Il y a 150 personnes,
des lecteurs de journaux, des auditeurs, qui sont venues discuter de ces
problèmes. On le fait ici à la commission parlementaire. La seule
façon, c'est de se réunir publiquement. On ne peut pas accepter
qu'un document comme celui qui a été émis soit
conçu en cercle fermé. C'est inacceptable parce que
l'information, c'est ce qu'il y a de plus public, c'est ce qu'il y a de plus
fondamental dans notre société. S'il il y a une chose qui doit se
faire ouvertement, c'est tout ce qui concerne l'information. Il faut absolument
que, du début à la fin, ça se fasse ouvertement.
M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, la solution, pour la
fédération, c'est qu'il y ait plusieurs groupes qui
discutent?
M. BEAUCHAMP: Oui, exactement. Et que tous les groupes
intéressés y soient.
M. VEILLEUX: Quand vous mentionnez le colloque, vous parlez du colloque
qui s'est tenu au CEGEP Edouard-Montpetit, auquel j'ai assisté?
M. BEAUCHAMP: II y en a eu un également à
l'université Laval, pendant la crise même. On en a fait trois sur
ces questions.
M. VEILLEUX: La solution que vous proposez dans votre document, à
la page 54, est celle-ci: "Pour mettre fin aux situations décrites plus,
haut, la fédération compte que les membres de cette commission
l'aideront à trouver
les solutions les plus appropriées qui s'inscriront, etc." Vous
n'avez pas, en tant que fédération, trouvé ou
cherché à trouver des solutions appropriées. Vous dites
tout simplement: Les membres de la commission, avec les propriétaires
des media d'information et le public en général, assoyons-nous
ensemble et essayons de trouver les solutions.
M. BEAUCHAMP: On en donne des solutions, à la page 54, dans
l'annexe. Dans le mémoire, il y a un certain nombre de solutions qui
touchent à ces problèmes fondamentalement, en particulier les
recommandations 7 et 8, où on dit que la première chose à
faire dans les lois québécoises, c'est de reconnaître le
principe de la protection des sources d'information. C'est quelque chose de
très concret, ça. Il y a une autre chose, c'est qu'on demande de
limiter le droit de saisie policière de documents et de matériel
journalistique; c'est quelque chose de très concret, pour la libre
diffusion de l'information. Quand on dit que le document en question ne
concerne pas le contrôle de l'information, mais concerne le
contrôle de la diffusion, c'est aussi grave. Vous vous souvenez de ce que
j'ai dit hier. Il y a trois phases dans le processus de l'information. Il y a
la cueillette de l'information, il y a la circulation à
l'intérieur du système et il y a la diffusion. Quand bien
même on irait chercher toute l'information que vous voulez, si on ne peut
pas la diffuser, c'est jouer sur les mots.
M. VEILLEUX: Est-ce que ça peut arriver, M. Beauchamp, qu'un
journaliste fasse une cueillette d'information et qu'à
l'intérieur, étant donné qu'il a fait la cueillette, ce
soit à lui de décider la partie de la cueillette qui devrait
être diffusée ou pas?
M. BEAUCHAMP: II y a tout un processus à l'intérieur des.
salles de rédaction là-dessus. A l'intérieur d'une salle
de rédaction, c'est vraiment un travail en équipe et c'est
excellent qu'il en soit ainsi. Ce qui se passe en pratique, c'est qu'un
reporter va cueillir l'information. Quand il revient, il a affaire à un
supérieur, quoique dans les journaux, cela n'a pas beaucoup de
signification, ces termes. Enfin, il a affaire à quelqu'un dont la
responsabilité est de voir à l'aspect de la transmission, qui a
autorité sur lui, hiérarchiquement, c'est son supérieur.
Mais tout ça se discute et cela se fait en équipe à
l'intérieur des salles de rédaction, comme on l'a expliqué
tantôt. Le reporter avait reçu un appel
téléphonique; il s'est informé à son directeur de
l'information: Est-ce qu'on y va, est-ce qu'on n'y va pas? Probablement que le
président à l'époque, étant donné les
circonstances, devait être sur les lieux. Il en a été
discuté. Tout cela se fait en équipe. C'est comme ça.
Chaque fois que quelqu'un pose un acte journalistique, son ne peut pas
éviter ça, on pose un jugement de valeur, à un moment
donné.
M. VEILLEUX: Ce que je veux dire, M. Beauchamp, c'est qu'admettons que
la décision est prise pour aller couvrir tel événement. Le
ou les journalistes qui couvrent l'événement ce sont eux qui
décident, dans la couverture de l'événement, ce qui sera
présenté au patron ou à l'équipe qu'il y a à
l'intérieur du journal.
M. BEAUCHAMP: Oui, c'est lui qui va cueillir l'information, c'est lui
qui est allé sur place. Il y a une chose, par exemple, si on va à
la page 3, paragraphe 5 du document, on dit: "The police must have the right to
make the decision on release of news for publication". Ce n'est pas à la
police de décider ce qui va paraître ou pas. Il y a des gens qui
sont là, il y a l'équipe qui est là, il y a les
propriétaires qui ont leurs responsabilités et ils ont leurs
représentants dans les salles de rédaction. C'est à ce
niveau que ça doit se faire. Ce n'est pas "the police must have the
right to make the decision on release of news for publication".
M. VEILLEUX: Nous, ici, ce matin, sommes bien contents de
connaître votre réaction, en tant que fédération,
sur le document en question. Je ne crois pas que ce soit le rôle des
membres de la commission, présentement, au stade où nous en
sommes dans nos travaux, de porter des jugements sur des solutions qui
devraient être prises. Nous faisons, nous aussi, un peu comme un
journaliste, la cueillette des réactions des différentes
personnes qui oeuvrent dans ce milieu, que ce soit le public, les
propriétaires de media ou les journalistes et, après cela,
ensemble, nous essaierons de...
M. BEAUCHAMP: Je le prends dans ce sens. Je voudrais peut-être un
peu compléter ma pensée, pour être bien compris. C'est que
ces problèmes qui sont soulevés ne sont pas faciles à
régler. Nous sommes bien d'accord là-dessus.
M. VEILLEUX: Je suis bien content de vous l'entendre dire.
M. BEAUCHAMP: II est bien évident que ce sont des matières
délicates, fluides et immatérielles. Alors, c'est
extrêmement difficile. Il n'y a aucun doute là-dessus. C'est pour
cela qu'il faut absolument que ce soit fait dans le cadre d'une discussion
extrêmement large, publique, qui répond à des objectifs
globaux pour la société et non pas pour tenter d'éviter
des problèmes à tel poste de radio.
Il est évident que si on impose une loi et qu'on dit: En tant de
crise, pas d'information sur les groupes minoritaires, cela règle un
maudit paquet de problèmes pour le propriétaire de l'entreprise.
C'est bien évident. C'est simple.
M. VEILLEUX: Je déménagerais alors en Afrique.
M. BEAUCHAMP : On ne peut pas discuter de ces problèmes pour
régler le problème personnel de M. Untel, qui ne veut pas prendre
ses responsabilités. Parce qu'il est diffuseur, il est dans le domaine
de l'information, il a des responsabilités à prendre, tout le
temps et surtout en état de crise. Il faut donc qu'il s'arrange pour les
prendre, lui, quand arrive l'état de crise, non pas se faire
éliminer les problèmes par un cadre rigide et des ententes qui
sont défavorables à l'ensemble de la société.
LE PRESIDENT (M. Giasson): Si le député de Saint-Jean me
le permet, le ministre des Communications m'avait demandé la parole il y
a déjà plusieurs minutes. Nous allons donner une chance au
ministre des Communications, quitte à ce que le député de
Saint-Jean revienne après.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Moi aussi, j'avais demandé la
parole.
M. VEILLEUX: Le député de Sainte-Marie aussi. J'ai
hâte de l'entendre. Cela fait trois jours qu'ils attendent.
LE PRESIDENT (M. Giasson): Le ministre des Communications, le
député de Montmagny, le député de Sainte-Marie et
nous reviendrons au député de Saint-Jean. Avez-vous compris, M.
le député de Sainte-Marie?
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Oui.
LE PRESIDENT (M. Giasson): Le ministre des Communications, le
député de Montmagny, le député de Sainte-Marie et
nous revenons au député de Saint-Jean après.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je suis à la fin, je sais.
M. L'ALLIER: M. le Président, je voudrais poser une question
à M. Audette ou à n'importe qui, en fait, qui pourrait y
répondre. Est-ce que le CRTC a pris connaissance de ce document et
est-ce qu'il a réagi compte tenu de sa responsabilité,
d'ailleurs, que vous ne contestez d'aucune façon, en matière de
radiodiffusion est-ce que le CRTC a réagi, s'il a pris
connaissance de ce document, ou est-ce que vous croyez que le CRTC a une
responsabilité en matière de protection des droits du public, des
droits des radiodiffuseurs, enfin compte tenu de la loi?
M. FORTIN: Malheureusement, M. le Président, on ne pourra pas
répondre à votre question double de façon satisfaisante.
Si le CRTC a été mis au courant de cette initiative, je l'ignore
complètement. Ce dont je suis sûr, c'est que le CRTC n'a pas
réagi officiellement à cette chose. On n'a rien vu, à ma
connaissance, de la part du CRTC à ce sujet.
Mais je suis tout à fait d'accord avec vous, M. le ministre,
quand vous dites que le CRTC a une certaine responsabilité en
matière de protection des droits du public, en ce qui a trait à
la radiodiffusion.
M. L'ALLIER : Oui, parce que, compte tenu de l'importance que vous
accordez vous-même à cette question et des mécanismes que
vous proposez, je présume que vous avez l'intention d'en saisir, de
quelque façon, le CRTC, parce qu'en définitive, cela touche un
peu à la façon dont vous utilisez les ondes à certains
moments. Est-ce que c'est l'intention de l'ACRTF d'en saisir le CRTC?
M. FORTIN: Si vous me le permettez, M. le ministre, je crois savoir que
le CRTC, par le biais d'un de ses représentants, a assisté
à certaines discussions en rapport avec les problèmes
soulevés par ce document. Cela me paraît logique que la CAB,
éventuellement, devra, j'imagine, soumettre le document au CRTC.
M. L'ALLIER: Maintenant, une autre question. Pouvez-vous me rappeler le
nom de celui qui a produit le document, l'"excutive producer" du document? Qui
est-ce?
M. FORTIN: Du document filmé?
M. L'ALLIER: Oui.
M. FORTIN : Peter Rilley.
M. L'ALLIER: Je suis peut-être ignorant, mais que fait ce monsieur
dans la vie?
M. FORTIN: C'est un journaliste, M. le ministre.
M. L'ALLIER : Actuellement, que fait-il? M. FORTIN: Je l'ignore.
M. L'ALLIER: Y a-t-il quelqu'un de l'association qui est au courant?
Est-ce que quelqu'un, dans la salle, le sait? Non?
C'est un journaliste quand même?
UNE VOIX: A ma connaissance de la chose, c'était un
journaliste.
M. VEILLEUX: II était en congé sans solde.
M. L'ALLIER: Est-ce que quelqu'un parmi les témoins sait
effectivement c'est une question de détail, c'est uniquement pour
donner un éclairage personnel, quelque chose que je voudrais savoir
ce qu'il fait maintenant?
UNE VOIX: C'était un député conservateur
d'Ottawa-Ouest ou Ottawa-Carlton.
M. FORTIN: J'ai une information qui va
préciser ici. Dans notre mémoire, nous disions
j'aurais pu m'en souvenir plus rapidement que le film en question
a été réalisé par Peter Rilley, d'Ottawa,
journaliste à la télévision du réseau privé
CTV en collaboration avec la station de télévision CFCF de
Montréal.
M. L'ALLIER: A quel moment exactement le film a-t-il été
réalisé?
M. FORTIN: Je crois que c'est au printemps 1971.
M. L'ALLIER: Juste une dernière question. Existe-t-il d'autres
documents audio-visuels touchant, par exemple, 1972, mai 1972 en
particulier?
M. AUDETTE: J'ai cru comprendre que l'Office national du film a
préparé aussi un documentaire, de même que
Radio-Québec, je crois.
M. L'ALLIER: Mais de chez vous? M. AUDETTE: Non, pas de chez nous.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. Audette, dans le mémoire, à la
page 2, vous parlez de la création d'un comité national dans
lequel il y aurait deux parties. Vous avez des représentants et je
prends le texte anglais "senior peace officers", et d'autre part, "and
of the media". Qui seraient, dans votre esprit, les "senior peace officers" et
les représentants des media? Est-ce que ce sont seulement des
propriétaires des media ou si les journalistes, de quelque façon,
seraient intégrés dans ce comité?
M. FORTIN: Si vous le voulez bien, je pense qu'il serait peut-être
bon d'établir le contexte dans lequel ce document a été
distribué. On ne pourra malheureusement pas apporter de réponse
à des questions aussi précises, parce que ce n'est pas notre
association à nous qui a discuté de ces questions, c'est
l'association nationale.
Et je suis au regret de vous dire qu'aucun représentant de
l'association nationale n'est avec nous pour apporter plus de détails
sur ce document. Nous avons tenté hier d'en emmener un avec nous,
malheureusement le délai n'était pas suffisamment long.
Peut-être, à la prochaine séance.
C'était le commentaire que je voulais faire et qui,
malheureusement, ne nous permettra pas d'apporter toutes les réponses
à des questions aussi précises.
M. CLOUTIER (Montmagny): Maintenant que vous avez fait cette
réserve, qu'est-ce qu'il y a comme étape subséquente avec
ce document? Nous, de la commission, c'est la première fois que nous en
prenons connaissance ce matin. Si j'ai bien interprété les
commentaires de M. Beauchamp, eux aussi, les journalistes, c'est la
première fois qu'ils prennent connaissance de ce texte.
A partir de vos remarques du début et des remarques de M.
Pelletier, qu'est-ce qu'il y a d'officiel maintenant? Vous avez ce document
entre les mains, et c'est de novembre 1972. Qu'est-ce que vous avez
prévu comme étape subséquente?
M. FORTIN: Je pense que vous nous avez dessiné tout à
l'heure une étape subséquente qui est de revoir la version
française, et en tant qu'association de prendre parti également
sur cette question, ce que nous n'avons pas fait jusqu'à maintenant.
Nous avons reçu le document en décembre. Chaque poste l'a
sans doute regardé, considéré, étudié. Nous
n'avons pas de consensus d'opinions de la part des stations de radio et de
télévision du Canada en rapport avec ce document. L'acceptation a
été faite par les directeurs de la CAB et par l'association
canadienne des chefs de police, ou quelque chose du genre.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que c'est un genre de document qui,
éventuellement, pourra être soumis au Conseil de presse?
M. FORTIN: De toute façon, le Conseil de presse sera
habilité à discuter ces questions. J'imagine que personne n'aura
intérêt à celer un document comme celui-là pour son
étude et considération, c'est bien sûr.
LE PRESIDENT (M. Giasson): Le député de Sainte-Marie.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'aurais une question à poser
à un représentant de l'ACRTF. Le document que vous nous avez
présenté ce matin, est-ce que nous pourrions avoir la liste ou le
nom des organismes des corps policiers qui ont approuvé ce document?
Est-ce que vous en avez?
M. PELLETIER: M. le Président, c'est un document qui a
été remis à notre association et un document qui a
été accepté par le conseil d'administration de
l'Association des chefs de police du Canada, lors de son dernier congrès
en septembre 1972.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): En septembre 1972. Je voudrais maintenant
poser une question à M. Beauchamp, s'il me permet. Tantôt vous
avez fait des observations sur le document en anglais, vous avez cité
quelques paragraphes où vous sembliez vous opposer entièrement.
Est-ce qu'à toutes fins pratiques, on peut dire que, si le plan
proposé ici était appliqué en situation de crise, ce
serait la police qui contrôlerait l'information, les mass media et les
agents d'information, c'est-à-dire les journalistes? Je le comprends
comme cela.
M. BEAUCHAMP: Je pense que l'esprit de
ce document peut nous faire craindre ce qu'il y a de pire. Dans le
document, on dit qu'évidemment ce doit être suivi par des
directives plus précises. On dit, par exemple je vais le trouver,
je l'ai souligné tantôt mais je ne l'ai pas mentionné parce
qu'il y en avait beaucoup en même temps à la page 5,
paragraphe 10: It is recognized that both police and media should appreciate
the need for the closest co-operation during times of emergency et
l'important c'est ce qui vient and that the basis for such co-operation
should be laid down from time to time in écoutez cela
day-to-day advance planning. C'est rendu que c'est la police tous les jours qui
dit: Toutes les informations, vous ne les publiez pas, cela va nous aider; cela
n'a aucun sens. L'esprit de ce document me renverse complètement.
M.TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est surtout le paragraphe 10 que vous venez
de citer, que...
M. BEAUCHAMP: D'ailleurs, j'ai souligné des choses à peu
près à tous les...
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est là-dessus que je me base pour
dire qu'à toutes fins pratiques, c'est la police qui contrôlerait
toute l'information, les mass media, les agents d'information.
M. BEAUCHAMP: Surtout qu'au paragraphe suivant, il est prévu que
les journalistes et les photographes qui ne respecteraient pas ce "day-to-day
advance planning" subiraient des mesures disciplinaires. Le document conclut
qu'on va établir "establishment of further guidelines". Cela va nous
mener jusqu'où, cette affaire-là? Cela n'a aucun sens. Une chose
qui me frappe aussi, c'est que je ne sais pas si c'est un concours de
circonstances, c'est quand même remarquable il n'y a aucun
organisme public, officiel, gouvernemental qui a, semble-t-il, osé
appuyer une telle affaire. Vous remarquez que ce sont seulement les chefs de
police. J'ai l'impression que les organismes publics n'ont même pas
osé s'embarquer dans une telle affaire. C'est déjà
suffisant quand même qu'il y ait une entente entre les
propriétaires de postes de radio et de télévision et des
chefs de police pour bloquer pas mal d'affaires en temps de crise, en temps
d'élection ou autrement.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Merci.
M. FORTIN: M. le Président, il est évident que la question
d'interprétation prime, et je pense que votre commission sera
intéressée à entendre notre interprétation, parce
que c'est nous qui sommes en cause et c'est nous qui avons le document, c'est
nous qui l'étudions et c'est nous qui, éventuellement, devrons
l'appliquer.
Il faudrait peut-être toutefois vous dire ceci, et cela me
paraît quand même important, c'est qu'une association,
l'association nationale comme l'association régionale, pour faire la
distinction entre les deux, recrute des membres et ceux-ci conservent
absolument toute liberté d'action, sous quelque forme que ce soit ou
quelque préoccupation que ce soit par rapport à leur
association.
On parle de directives, par exemple, et ça implique à un
certain moment que l'association nationale pourrait émettre des
directives aux stations membres et que les stations membres auraient
l'obligation de s'astreindre à ces directives, ce qui est absolument en
dehors du contexte dans lequel l'association se produit et existe.
Dans le cas de la clause 10, si vous me permettez une
interprétation en fait, c'est celle que nous, en tous les cas,
nous voyons dans ce texte-là dans un moment de crise, il peut
exister des problèmes de communication difficiles à
résoudre, lorsque le moment précis arrive, entre, par exemple, la
police et entre les media. Il me semble qu'il est bon que chacun de son
côté essaie de voir de quelle façon la communication peut
le mieux se faire à ce moment-là, et ça peut tout aussi
bien être une question de communication par téléphone, des
numéros particuliers, par exemple, ou un système de messagerie ou
des choses de ce genre.
Je pense que c'est surtout ça dont il est question
là-dedans plutôt que de contrôler l'information d'abord. Je
l'ai dit mardi, les diffuseurs n'acceptent pas, n'accepteront jamais de
céder la moindre parcelle de leur liberté d'informer le
public.
Si on voit quelque part dans ce document...
M. VEILLEUX: Est-ce que vous étiez d'accord?
M. FORTIN: M. le Président, je ne puis me faire le porte-parole
des diffuseurs sur cette question précise. On ne peut malheureusement
dans ce cas-là que parler souvent en notre nom personnel, parce que
notre association n'a pas pris parti officiellement sur le document, mais je
peux vous affirmer qu'aucun diffuseur n'est disposé à
céder son droit de gérance en matière d'information
à qui que ce soit, sauf si, évidemment, on lui en fait une
obligation par une voie législative normale, à qui que ce soit,
quel que soit le corps organisé, structuré. Evidemment, ça
inclut la police.
Vous avez vu tout à l'heure, au cours du film, qu'il y a eu un
problème de communication parfois entre les media et la police. Et les
discussions qui entendent trouver la naissance de ce document visaient à
améliorer la situation. Cela ne vise pas du tout à permettre,
même en temps de crise, à la police, de contrôler
l'information diffusée sur les postes de radio et de
télévision. C'est notre interprétation. Et quand un texte
laisse la place à plusieurs interprétations, il me semble que
ceux
qui sont en cause sont tout de même ceux qui verront
éventuellement à appliquer le texte dans les faits.
Merci, M. le Président.
M. LEDUC: M. le Président, si je comprends bien le texte qu'on a
devant nous, le texte anglais est beaucoup plus un document de travail quant
à la CAB, quant à l'ACRTF ou autres choses. Si j'ai compris aussi
comme il le faut le commentaire de M. Pelletier tantôt sur l'Association
des policiers de la province ou du pays, on dit qu'ils étaient d'accord;
je pense bien qu'en voyant ça, ça les flatte puis ils vont
être d'accord.
Vous avez fait parvenir ce texte au mois de décembre à vos
membres, avec une traduction bâtarde qui me laisse l'impression que vous
y croyez, à la base de ce document, mais qu'en fait, spécialement
avec le commentaire que vous venez de passer, M. Fortin, à l'effet que
pour aucune considération vous ne voulez qu'il y ait contrôle de
l'information, à ce moment-là, il y a toute une série de
clauses dans ce document qui devront sauter.
M. FORTIN: Je ne suis pas tout à fait...
M. LEDUC: Autrement... Si vous voulez me laisser finir. Autrement,
ça peut être c'est vous qui l'avez dit tantôt, qu'il
fallait faire attention à l'interprétation ça peut
être interprété de toutes sortes de façon.
Tantôt, M. Beauchamp, je crois, de bonne foi, a interprété
le paragraphe 10, et vous, vous l'avez interprété d'une autre
façon. Si ça devient un document sur lequel vous vous entendez,
vous avez là invité un lot de gens, dans votre premier
paragraphe vous mentionnez que Radio-Canada, Canadian Daily Newspapers
Publishers Association ont été invités "and others may be
invited to participate as the committee desires" cela veut dire qu'il y
en a d'autres qui vont probablement, avec la CAB, travailler à
l'élaboration de ce document, n'est-ce pas.
Certaines interprétations peuvent être données. Il
faudra que vous soyez extrêmement prudent. Ce texte, il est superbe, et
si j'étais chef de police, je serais le bonhomme à essayer de
vous le vendre. Mais comme je suis un citoyen bien simple, qui aime bien
entendre ce qui se passe dans la province de Québec, je vais essayer de
le démolir. Je l'ai lu très rapidement, en diagonale, d'accord,
je vous le concède. Mais ma première réaction c'est qu'une
très grande partie de ce qu'il y a là-dedans est dangereux.
M. FORTIN: Me permettez-vous, M. le Président? Il est
évident qu'en essayant de définir un certain nombre de principes
dans un document, dans un domaine aussi complexe, aussi explosif que
l'information, on n'arrivera jamais, sauf si le Conseil de presse qui verra le
jour, j'espère, à un moment donné arrive à le
faire, on arrivera avec un texte qui ne comportera pas, par certains aspects
importants, des facteurs extrêmement dangereux.
Peut-être que vous le concevez; moi, vraiment pas. Il est possible
qu'avec les étapes subséquentes, certains aspects de ce texte
évoluent; c'est possible que les idées qui sont derrière
ce texte soient exprimées peut-être d'une façon
prêtant moins à interprétation; cela demeure possible.
M. LEDUC: D'accord, mais il y a quelque chose qui dit et M.
Beauchamp le notait je ne sais trop où on mentionne, par exemple,
que la police va avoir ou pourrait avoir à filtrer l'information.
M. FORTIN: Malheureusement...
M. LEDUC: Au paragraphe 10, enfin, M. Beauchamp, venez à mon
secours. D'ici à ce que M. Beauchamp me dise ce que je veux citer... The
police must have the right to make the decision on release of news for
publication, d'accord? Je vais juste vous citer l'incident où M. Cross
était enlevé. Cela a été confirmé à
Daniel McGinnis par la Sûreté du Québec en disant:
Citez-moi pas, mais cela a l'air de ça. Si la police avait
décidé que, sans qu'on la cite, c'est bien ça et que la
police avait eu à décider d'annoncer ça, ça veut
dire quoi, en fait? C'est dans votre paragraphe.
M. FORTIN: Puis-je vous demander quelle est l'alternative à ce
problème?
M. LEDUC: L'alternative, je vais vous donner la réponse que M.
Beauchamp a donnée, ce que M. Audette a déjà dit et
d'autres qui sont venus à la commission parlementaire. Probablement
qu'actuellement, on ne sait vraiment pas; quant à moi, je ne le sais
pas. Sauf qu'en causant ensemble puis en essayant de bonne foi de voir les
problèmes qui existent à tous les niveaux de l'information au
Québec, on va peut-être finir par faire un semblant de consensus.
Je pense bien qu'on ne sera jamais capable d'être d'accord sur tous les
mots, toutes les lignes et tous les paragraphes du document. On pourra faire un
semblant de consensus en tout cas ou on pourra dialoguer encore peut-être
bien longtemps avant qu'on en vienne à ce consensus, mais après
cela, on pourra établir une certaine base où le bonhomme qui est
chez lui, qui est dans son automobile, qui écoute les nouvelles, pourra
dire: ça c'est ça; c'est vrai à 80 p.c. On peut y mettre
un 20 p.c. de bonne foi quand on se trompe. Mais la solution actuellement...
C'est probablement ce document-ci qui va nous amener à arriver à
une solution. C'est pour ça qu'au tout début de mon intervention,
je parlais beaucoup plus d'un document de travail. C'est à discuter
entre nous que nous en viendrons probablement à nous entendre sur la
façon de travailler, conscients de tous les problèmes qui peuvent
exister au sein des media dans la province.
M. VEILLEUX: Pour faire suite, M. le Président, M.
Pelletier...
M. PELLETIER: Je crois, M. le Président, qu'il faut lire ce texte
dans l'esprit suivant. L'expérience passée a
démontré que les media, les journalistes avaient certaines
difficultés à obtenir de l'information émanant des corps
policiers. La crise d'octobre a démontré qu'il y avait certaines
déficiences de communication. C'est en vue de corriger ces failles que
notre association a entrepris un dialogue avec l'Association des chef de
police, afin de corriger ces lacunes. Si vous vous référez
à la page 3, troisième paragraphe, on reconnaît que "the
people of Canada have a fundamental right to be kept advised concerning the
activities of any organization paid for by public..." Paragraphe 4: "Apart
entirely from reporting, the media have a duty to publicize any matter which in
their opinion affects the efficiency of a police force." C'est l'objectif que
notre association essaie d'atteindre de façon que les forces
policières ne coupent pas les liens de communication concernant
certaines informations, pour permettre la publication, la diffusion de
l'information émanant des corps policiers.
M. VEILLEUX: M. le Président, pour faire suite aux propos tenus
par le député de Taillon, comme ce document-là est un
document de travail qui a été accepté par l'association
des chefs de police du Canada, mais qui est un document de travail pour
l'ACRTF, il y a peut-être lieu de suggérer aux
propriétaires des journaux, d'associations des quotidiens du
Québec d'examiner ce document et de déposer devant la commission
leurs réactions.
Il s'agirait d'en faire une critique positive et de ne pas dire
simplement: Dans ce document, telles choses ne sont pas bonnes. Il y aurait
lieu de faire des suggestions de remplacement.
Je ferais la même suggestion à la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec. Vous avez, tout à
l'heure, fait une critique globale et rapide. Il y aurait peut-être lieu
que votre fédération l'étudie plus en profondeur et,
à la lumière de ces discussions au niveau de la
fédération, comme l'Association des quotidiens, comme l'ACRTF,
revienne et nous fasse des suggestions sur le document pour que nous ayons un
éclairage plus complet. Cela pour répondre un peu à la
suggestion que vous faisiez à la page 54, que c'est ensemble qu'on doit
essayer de trouver la ou les solutions.
Ce n'est peut-être pas en partant d'un ou deux faits précis
qui se sont passés depuis deux ans qu'on doit, en regard de ces deux
faits, trouver ou tenter de trouver des solutions. On remet en question la Loi
des cités et villes. J'apprenais cela en venant au parlement ce matin.
Un conseiller municipal qui aurait, dans sa jeunesse, fait ou commis certaines
fredaines, subit certaines punitions de la part des tribunaux. Parait-il que
l'article de la Loi des cités et villes tire son origine d'un cas bien
précis qui s'était produit il y a quelques années à
Montréal. C'est en partant de ce cas précis qu'on a voulu trouver
une solution globale, avec le résultat que cette solution globale peut
causer préjudice à des personnes à l'heure où nous
parlons.
Il ne faudrait pas, dans les discussions que nous faisons sur le
problème je n'aime pas l'expression "discussion sur le
problème de la liberté de la presse"; j'aime beaucoup plus parler
du droit du public à l'information du droit du public à
l'information, qu'on commette des erreurs comme celles qui ont pu être
commises dans un autre secteur, notamment celui des affaires municipales.
M. Beauchamp, tout à l'heure, a bien dit que c'était un
problème complexe, que, plus un problème est complexe, plus il
faut se pencher sur le problème pour en arriver à ce que je
disais tout à l'heure. C'est peut-être à cause de cela, M.
Beauchamp, qu'il a fallu quelques mois avant que vous comparaissiez devant la
commission parlementaire.
M. BEAUCHAMP: Si vous me permettez quelques remarques, M. le
Président, j'ai d'abord l'impression qu'on a beau essayer de ne voir
parce qu'on aimerait bien que ce ne soit que cela qu'un document
de travail dans cette affaire, il a bel et bien été dit
tantôt que c'était à ceux qui l'avaient signé de
l'interpréter, parce que c'est eux qui allaient l'appliquer. J'ai
l'impression que c'est plus qu'un document de travail, quand on dit cela.
Quant à étudier ce document, on peut bien le faire pour le
démolir ligne après ligne, parce que c'est l'esprit même du
document qui est inacceptable. Il s'oppose justement à ce que le
député de Saint-Jean vient de proposer. Prenez tous les
paragraphes. Les problèmes de l'information, c'est dans le concret qu'on
voit qu'il y en a, qu'on voit leur profondeur. C'est dans les gestes que les
gens posent qu'on peut vraiment juger de leur philosophie profonde. Prenez la
page 4; au paragraphe 8, il est dit ceci: "These guide-lines will best be
obtained by continuing individual contacts, interchange of information, and
consultation." Voyez-vous? C'est cette mentalité de numéro de
téléphone privé, dont on a entendu parler tantôt.
Cette mentalité de contact personnel entre le chef de police et le
propriétaire de l'entreprise de presse, c'est cela qui est mauvais,
c'est ce qui est inacceptable et c'est ce qui est dans l'esprit de ce document,
partout. Je me suis permis d'en faire une critique assez sévère
parce que, fondamentalement, c'est dangereux pour l'information.
Tantôt, on se demandait quelle était la solution. Je pense
que la solution est celle-ci: que ceux qui sont dans le domaine de
l'information prennent leurs responsabilités quand arrive un état
de crise. Je pense que les propriétaires d'entreprise de presse, quand
est arrivée la crise d'octobre, ont pris leurs
responsabilités.
Ils ont fait des erreurs comme les journalistes en ont fait. Pourquoi
est-ce qu'ils ne se reprendraient pas la prochaine fois? Pourquoi est-ce qu'ils
se retrancheraient derrière l'écran d'une entente signée
à huis clos avec les chefs de police pour régler les
problèmes par des appels téléphoniques personnels?
Ce n'est pas ainsi que cela doit marcher; Que ceux qui sont dans les
media prennent leurs responsabilités en période de crise, comme
les pouvoirs publics et les forces policières doivent le faire
également. Chacun a son rôle dans la société. Je
pense que cela fait longtemps qu'on a reconnu un rôle essentiel à
la presse dans la sauvegarde de la liberté en démocratie. Je
pense que nous n'avons pas à refaire ce débat aujourd'hui.
M. VEILLEUX: M. Beauchamp, votre réponse confirme...
M. FORTIN: Si le député me permet... LE PRESIDENT (M.
Giasson): M. Fortin.
M. FORTIN: J'ai parlé tout à l'heure de numéros de
téléphone. On est en train de colorer le commentaire que j'ai
fait d'une façon que je trouve absolument inacceptable. Ce n'est pas du
tout ce que j'ai voulu dire. Le téléphone privé, vous avez
les communications entre la police et l'entreprise de presse pour
établir des stratégies, etc. Ce n'est pas du tout le cas. C'est
qu'il est indispensable, je pense, qu'il y ait entre les forces de l'ordre et
les véhicules de communication des moyens de communication. Il me semble
que ces moyens devraient être assurés en tout temps, en temps de
crise et comme en temps où il n'y a pas de crise. C'est exactement ce
que j'ai voulu dire tout à l'heure.
C'est qu'il faut trouver des moyens pour assurer cette communication.
C'est simplement une question technique.
M. L'ALLIER: M. le Président, si vous me permettez, sur ce point,
les moyens de communication entre les media et les sources d'information
existent. Ce sont les journalistes. En période de crise, de deux choses
l'une: ou le media considère qu'il a un rôle à jouer pour
aider le travail de la police et ce n'est pas prévu comme tel par
la Loi de la radiodiffusion ou le media considère qu'il y a une
crise, et effectivement c'est extrêmement difficile de travailler dans
des conditions comme celles-là. Mais ce l'est aussi pour les politiciens
qui sont à l'hôtel Reine-Elizabeth. Ce l'est pour tout le
monde.
Il ne faut pas se retrancher. Pour ma part, je crois, comme l'ont dit le
député de Taillon et le député de Saint-Jean, qu'il
faut apprendre à vivre avec cela. Il faut que les radiodiffuseurs, les
responsables de media assument pleinement leurs responsabilités avec la
marge d'erreurs et de risques que cela suppose, comme pour les hommes
politiques, comme pour les journalistes.
Essayer de définir ou de préétablir des
mécanismes privilégiés de communication me parait
dangereux. Ces mécanismes présupposent la définition de
crise. Quand est-ce qu'on définit qu'il y a crise à un moment
donné? Cela peut jouer souvent.
Par ailleurs, si vous dites qu'il faut avoir de meilleures
communications avec la Sûreté, je suis bien d'accord. Mais c'est
le problème de la Sûreté, au fond, d'organiser ses
relations publiques et de faire en sorte que, lorsque les media l'appellent,
quelqu'un réponde aux appels téléphoniques et dise les
choses qu'il pense devoir dire. Mais, si on dit les mauvaises choses et que le
media, en vérifiant, se rend compte qu'il s'est fait avoir parce que
l'information était inexacte, le problème se posera d'une autre
façon à ce moment.
M. FORTIN: Je conçois avec vous, M. le ministre, que c'est aux
journalistes d'aller chercher l'information. Lorsque je parle de moyens de
communication, c'est qu'il peut arriver, à certains moments, que la
communication entre la police et les media soit interrompue par un bris de
lignes, par exemple, ou par une occupation de postes de radio ou de
télévision. Il faut trouver des moyens pour assurer la
communication entre l'autorité représentée par la police,
possiblement dans un moment de crise, et le public. C'est exactement et
seulement ce point que j'ai voulu faire en rapport avec la clause 10.
J'abonde avec vous, M. le ministre, dans le sens que c'est aux
journalistes d'aller chercher l'information et faire les vérifications
qui s'imposent pour que l'information diffusée soit exacte.
Pendant que j'ai la chance d'avoir la parole je vous remercie de
me l'avoir donnée et puisque, peut-être, les travaux de
votre commission tirent à leur fin en ce qui concerne l'ACRTF, je
voudrais vous rappeler un facteur important que nous avons tâché
de dramatiser dans notre mémoire: c'est celui que nous sommes un organe
de diffusion dont certains facteurs se rapportent à l'information. Nous
avons les mêmes obligations que tous les autres moyens d'information en
ce qui a trait à l'objectivité, à ce que vous appelez le
droit du public à l'information. Mais en plus, et je pense qu'il faut en
tenir continuellement compte dans nos discussions, la radio-diffusion est
astreinte à un certain nombre de règles que d'autres moyens de
communication ou d'information n'ont pas.
Exemple : Nous ne pouvons diffuser rien qui soit contraire à la
loi. Le faisant, nous contrevenons à la loi. En tant que diffuseur
responsable, c'est une chose que nous ne pouvons pas faire. Je comprends qu'il
y a toute une question d'interprétation. Il y a un tas de questions qui
peuvent intervenir. Mais je pense que c'est un facteur important; en tout cas,
nous le pensons.
Dans toute discussion relative à l'information, il faut, je
pense, faire une distinction à certains moments, parce que cela colore
la discussion. La radiodiffusion est astreinte à plus de règles
que les moyens d'information ordinaires, soit la presse écrite. Merci,
M. le Président.
M. VEILLEUX: Au début de votre mémoire, vous avez
mentionné les principaux points dans lesquels vous devez jouer un
rôle en tant que diffuseur. M. le Président, s'il n'y a pas
d'autres questions...
LE PRESIDENT (M. Giasson): Le député de Sainte-Marie.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Dans la rédaction de votre
mémoire, vous mentionnez Radio-Canada; est-ce que Radio-Canada a
donné son appui à ce plan ou s'il n'y en a pas été
question?
M. FORTIN: A ce plan-ci? Non. Je sais que vous avez des problèmes
d'anglais, mais il est dit au début...
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Non, je n'en ai pas tellement. Je voudrais
vous faire expliciter davantage.
M. FORTIN: ... que la "Canadian Broadcasting Corporation and the
Canadian Daily News Publishers Association have been invited to participate and
the invitation remains opened." Je pense que c'est très clair.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Cela lie qui, quoi? Est-ce qu'il y a des
organismes qui ont participé â la rédaction de ce
document?
M. VEILLEUX: M. le Président, on a dit tout à
l'heure...
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je n'ai pas posé la question au
député de Saint-Jean. M. le Président, vous m'avez
donné la parole et je pose tout simplement la question. On a à me
répondre.
M. VEILLEUX: C'est-à-dire que vous reposez la question.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Non, je reformule ma question autrement
parce que ça m'intéresse beaucoup de savoir qui est lié
par ce document.
M. LEDUC: Personne.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ce n'est pas à vous que je pose la
question. Monsieur est capable de répondre.
M. FORTIN : C'est la même réponse. Personne n'est
lié par ça. Chaque diffuseur conserve sa pleine autonomie
à tous les niveaux. Je ne veux pas dire que les diffuseurs sont en
désaccord sur ça. Je veux dire simplement que les diffuseurs
conservent leur pleine autonomie de fonctionnement, de diffusion et de
programmation par rapport à ce genre de choses.
M. TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est drôle, quand je pose des
questions ce sont les députés qui répondent.
M. LEDUC: ... les discussions de la commission.
M. VEILLEUX: On ne tombera pas dans le piège du
représentant du parti séparatiste.
Moi, je remercie les deux groupes qui se sont présentés
cette semaine. J'attends, de la part de l'ACRTF et de la part de la
Férération des journalistes, des suggestions en regard de ce
document. Nous allons lancer l'invitation à l'Association des quotidiens
du Québec de nous faire des suggestions ainsi qu'à
Radio-Canada.
LE PRESIDENT (M. Giasson): La commission ajourne ses travaux sine
die.
(Fin de la séance à 12 h 38)