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Version finale

29e législature, 3e session
(7 mars 1972 au 14 mars 1973)

Le mercredi 14 février 1973 - Vol. 12 N° 136

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse


Journal des débats

 

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Séance du mardi 13 février 1973

(Dix heures douze minutes)

M. CROISETIERE (président de la commission spéciale de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!

Préliminaires

LE PRESIDENT (M. Croisetière): La commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse commence ses travaux ce matin. Nous avons devant nous l'Association canadienne de la radio et de la télévision de langue française Inc.; M. Paul Audette, président de cet organisme, va, tantôt, nous donner les grandes lignes de l'organisation. Nous allons l'inviter, tantôt, à nous lire le résumé de son mémoire.

Au tout début, j'inviterais le député de Saint-Jean, M. Jacques Veilleux, qui est le porte-parole ministériel, à nous dire quelques mots à l'ouverture de cette séance.

Rapport de SORECOM

M. VEILLEUX: M. le President, avant d'entendre les représentants de l'ACRTF ici, il y a quand même un rapport que la firme SORECOM était censée remettre à la commission parlementaire le 31 décembre 1972, au plus tard. Maintenant, SORECOM me fait part d'une demande de délai. Je vais vous lire la lettre: "La présente est pour vous faire part que nous comptons pouvoir remettre un rapport final de l'étude auprès du public québécois, au plus tard, le 15 mars 1973. Ce retard est dû en grande partie à des délais de cueillette d'informations et à la production des résultats mécanographiques. Présentement, le rapport est commencé et nous espérons que ce délai que nous vous demandons ne retardera pas sensiblement le comité dans son travail."

Il s'agirait pour nous, ce matin, d'accepter que ce rapport nous soit remis le 15 mars au lieu du 31 décembre 1972, pour les raisons données. Nous n'avons pas le choix, d'ailleurs.

Ce matin, nous entendrons, M. le Président, les représentants de l'ACRTF et demain les représentants de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Quant aux hebdos du Canada, c'est curieux, nous faisons toujours nos séances au moment où ils tiennent des journées d'étude. C'est la troisième fois que les hebdos s'excusent de ne pouvoir venir. Espérons que, la prochaine fois, les séances que tiendra la commission parlementaire ne se feront pas en même temps que celles des hebdos du Canada.

Quand l'ACRTF et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec auront passé devant la commission, il restera aux hebdos du

Canada à venir nous expliquer leur mémoire et entre-temps, je continue toujours à lancer l'invitation à d'autres groupes, s'il y en a qui sont intéressés à produire des mémoires ou à venir se présenter devant les membres de la commission, ils sont toujours les bienvenus.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député dé Montmagny.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce qu'il y a d'autres organismes que ceux qu'a mentionnés le député de Saint-Jean qui pourraient peut-être venir devant la commission? Quel serait le délai?

M. VEILLEUX: Me Tobin et M. Fortier m'ont fait part qu'ils sont présentement à rédiger un mémoire pour venir devant la commission. Pour le moment, ce sont les deux seuls qui m'ont fait part de leur désir de venir devant la commission.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): J'inviterais M. Paul Audette, président, à nous faire la présentation de son mémoire.

Association canadienne

de la radio et de la télévision

de langue française Inc.

M. AUDETTE: M. le Président, distingués membres de la commission, j'aimerais ce matin, si vous me le permettez, d'abord vous présenter les personnes qui m'accompagnent. A mon extrême gauche, vous avez Me Edmond Tobin, conseiller juridique du Conseil de presse de la province de Québec, M. Robert Bonneau, de Trois-Rivières, M. Aurèle Pelletier, M. France Fortin, tous deux de Télé-Capitale à Québec. A mon extrême droite, Mlle Louise Bruma, qui est le secrétaire administratif de notre association, M. Pierre Stein, de Timmins, M. Marc-André Frève, de La Pocatière, et M. François Bastien, de Victoriaville. Je suis moi-même de Chicoutimi.

L'Association canadienne de la radio et de la télévision de langue française Inc. groupe un total de 70 membres. De ces stations membres, il y en a huit qui sont à l'extérieur de la province de Québec. Il y en une au Nouveau-Brunswick, trois en Ontario, une au Manitoba, deux en Saskatchewan et une en Alberta. Nous avons un total de 29 membres associés.

Chez les stations de radio AM, nous avons 51 membres; chez les stations de radio FM, nous avons 9 membres et chez les stations de télévision, 10. Nous avons également cinq réseaux qui sont membres de notre organisation, les réseaux TVA et Télémédia pour la télévision. Pour la radio, vous avez Télémédia, Radiomutuel, Radio-Appalaches et Radio Intercité.

C'est donc dire, messieurs, que notre associa-

tion représente la plupart des stations de radio et de télévision de la province de Québec.

Il n'y a que neuf stations en tout qui ne sont pas membres de notre association.

Nous avions préparé à l'intention de la commission un mémoire qui a été déposé au mois de décembre 1971. Pour l'audition de ce matin, afin de permettre d'activer un peu les choses — nous comptons d'ailleurs que tous les membres de la commission ont pris connaissance du mémoire — mais à votre intention, ce matin, nous avons préparé un résumé de ce mémoire qui vous sera lu par M. France Fortin, de Québec, M. Fortin.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): J'invite donc M. Fortin à nous exposer le résumé de ce mémoire.

M. France Fortin

M. FORTIN : M. le Président, MM. les membres de cette commission, avec votre permission nous commencerons ce résumé de notre mémoire en vous expliquant dans quel cadre particulier évoluent les diffuseurs en rapport avec les affaires publiques, l'information et les programmes en général.

Le CRTC, régie fédérale qui réglemente la radiodiffusion au Canada a édicté un certain nombre de règles dont les suivantes: II est interdit à une station de diffuser toute chose contraire à la loi; il est interdit de diffuser des images ou des propos blessants pour toute race, religion ou croyance; il est interdit de diffuser toute présentation visuelle ou tout langage obcène, indécent ou blasphématoire, toute nouvelle fausse ou trompeuse, je le répète.

Pour ce qui est des émissions à controverse, le CRTC, sans émettre des directives strictes ou précises, se dit d'avis que les ondes doivent servir pleinement à: a) la franche discussion de tous les sujets de controverse; b) la présentation égale et loyale de tous les principaux points de vue; c) l'exposé des questions du jour et des problèmes d'actualité par des gens bien renseignés et faisant autorité.

Cette ligne de conduite se fonde sur les principes suivants: Les ondes appartiennent au public qui a le droit d'entendre les principaux points de vue sur les questions d'une certaine importance; les ondes ne doivent pas être soumises à la domination de personnes ou de groupes influents à cause de leur fortune ou de leur situation ; le droit de répondre est inhérent à la doctrine de la liberté de parole; le libre échange d'opinions est l'une des principales sauvegardes des institutions libres.

On voit donc que les diffuseurs doivent assumer leurs responsabilités à l'intérieur de paramètres dont la presse écrite est, à toutes fins utiles, dégagée. Nous nous sommes imposés une discipline additionnelle sous forme d'un code d'éthique professionnelle auquel nos membres adhèrent; est-il besoin de mentionner le code d'éthique portant sur la publicité destinée aux enfants, dont les principales règles ont servi de base à la législation adoptée par l'Assemblée nationale, l'automne dernier.

Le radiodiffuseur ne peut donc disposer des ondes à des fins personnelles, spécialement au plan de l'information, comme cela est théoriquement possible dans la presse écrite.

Dès le départ, nous désirons vous faire part de notre conviction que la liberté de presse n'est pas en danger au Québec. Si on accepte le fait que la liberté de presse, c'est la liberté pour un individu ou un groupe d'individus de publier ou diffuser une information ou une opinion sans interférence des pouvoirs publics ou para-publics, on peut affirmer que la liberté de presse est une réalité bien concrète présentement. L'énorme quantité de sources d'information disponibles en est l'indication formelle.

Par liberté de presse, nous n'entendons pas que n'importe qui puisse se servir d'un organe de diffusion pour y propager unilatéralement ses idées. Ces entreprises ne sont la tribune exclusive ni de leurs propriétaires, ni de l'Etat, ni des journalistes, des unions ouvrières ou des commanditaires. Toutefois, les propriétaires sont responsables de ce qui se dit ou se fait sur les ondes de leurs entreprises. Outre la réglementation du CRTC, les diffuseurs sont, comme tout autre citoyen, astreints aux lois du pays, spécialement en matière de libelle. Nous citerons un extrait d'un jugement rendu récemment en cour Supérieure par le juge Henri Drouin: "II est peut-être usuel pour des propriétaires de station de télévision de se fier à la sagesse, à l'intégrité et peut-être même à la solvabilité de ceux qui y adressent la parole; mais le tribunal est d'avis que si la défenderesse le fait, elle le fait à ses propres risques". Et le juge d'ajouter: "La télévision se trouve dans la même situation qu'un journal, sauf qu'elle ne bénéficie pas des privilèges mentionnés dans la loi de la presse."

Ce jugement implique que les risques encourus par les diffuseurs, en regard de la loi sur le libelle, sont plus immédiats et graves que dans le cas de ceux qui publient un journal. Ces conditions confèrent au diffuseur, non seulement le droit légitime, mais le devoir de surveiller ce qui est véhiculé sur les ondes de la station dont il a la responsabilité.

Nous passerons rapidement sur la liberté d'expression dont nous jouissons actuellement au Québec; elle nous paraît une des plus grandes et des plus inconditionnelles au monde.

Quand à la question de l'objectivité, nous voulons en traiter à la lumière d'une précision dont nous sentons la nécessité. Un organe de diffusion est assuré d'une plus grande mesure d'indépendance dans la proportion où il dispose d'un nombre plus grand de sources différentes de revenus. Ainsi, plus les sources de revenus sont nombreuses et diversifiées, plus sont réduits les risques d'être à la merci de l'une d'elles. L'objectivité suppose donc d'abord, l'indépendance.

En tant que radiodiffuseurs, avons-nous ou n'avons-nous pas l'obligation de traduire la société à laquelle nous appartenons?

Devons-nous décider ce qui est bon pour elle? Notre association estime que le rôle de chacun de ses membres est de faire savoir au public, en termes concrets, jour après jour, les changements que subit cette société. Ce n'est pas forcément être sensationnel que d'être vrai. Contrairement à l'imprimé, le diffuseur ne peut se faire le champion d'une propagande à la solde d'un parti politique ou d'un groupe donné. Des lois existent pour l'en empêcher et vont même jusqu'à la suppression de sa licence.

Nous avons déjà, tout à l'heure, fait état du fait que nos membres adhéraient à un code d'éthique; je passe donc ce paragraphe pour enchaîner avec le deuxième, page 5. Dans un autre ordre d'idées, notre association doute fortement ou s'interroge sérieusement sur l'authenticité de la notion du droit du public à l'information, puisque personne n'a l'obligation d'y satisfaire, personne en particulier. Ce droit présumé ne peut avoir pour conséquence d'imposer à un organe d'information l'obligation de diffuser ou de publier, à lui seul, toutes les nouvelles que le public auquel il s'adresse pourrait souhaiter recevoir. Il ne peut impliquer non plus que les pouvoirs publics s'ingèrent dans le processus général de l'information, libre et indépendant, pour répondre, soi-disant au droit du public à l'information qu'ils estimeraient insatisfait.

Nous voulons plutôt voir dans cette notion une incitation, voire une obligation, pour tout organe d'information de ne pas celer volontairement et sciemment une information d'intérêt public dans le seul but de satisfaire un besoin égoïste ou encore de protéger des intérêts particuliers.

Nous nous appuyons sur l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui se lit comme suit: "Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit".

Nous pensons plus réaliste de parler en termes de droit du citoyen de pouvoir s'informer. Ce citoyen doit pouvoir choisir et exercer ses préférences parmi toute l'information disponible et véhiculée, selon ses goûts, ses besoins, ses priorités. Cette liberté du citoyen, d'après nous, pourvu qu'un organe de presse veuille et puisse y correspondre, doit être totale, complète, sans restriction aucune à l'intérieur du cadre légal du pays.

La radiodiffusion au Canada existe sur une base de concurrence dans la plupart des régions du pays et qui dit concurrence implique possibilité de choix pour le consommateur. Les diffuseurs privés doivent donc oeuvrer à l'intérieur de ce contexte et tâcher de servir le public et d'assumer leurs obligations en matière d'information. Il ne faut pas perdre de vue que l'auditeur possède un droit souverain de veto tout simplement en tournant le bouton de son appareil de radio ou de télévision. On doit cependant lui faire confiance dans une grande mesure.

N'est-ce pas ce même public qui, par son vote, a choisi les députés qui siègent à l'Assemblée nationale. Si son choix a été judicieux — et personne n'en doute, j'imagine — pourquoi le serait-il moins quand vient le temps pour lui de choisir ses informateurs et les catégories d'information qu'il désire?

Malgré cela, le diffuseur ne s'en tient jamais exclusivement à ce qui ne plait qu'à la majorité. En résumé, l'association croit fermement que ses membres satisfont, pour leur part, au droit du public de pouvoir s'informer.

On nous a demandé d'évaluer le problème de l'accessibilité aux sources d'information. Disons tout de suite qu'il est inévitable que les informations les plus valables ne soient pas nécessairement les plus accessibles. Mais c'est le rôle du professionnel de l'information d'assumer ce handicap. En général, les membres de notre association reconnaissent que les hommes publics, les chefs de file, les dirigeants d'entreprise sont généralement accessibles et bien disposés à l'endroit de la presse. Les diffuseurs éloignés des grands centres ne peuvent jouir de ces conditions avec évidemment la même intensité. Ils doivent souvent se replier sur eux-mêmes pour constituer ce qu'il est convenu d'appeler la presse régionale. Tout cela toutefois change grâce en particulier à la constitution de réseaux dont TVA et certains regroupements de stations.

Notre association voit le phénomène de la concentration de la presse comme une nécessité dans un continent où, peu à peu, les frontières, au plan de la communication, s'estompent ou disparaissent. Le CRTC lui-même a reconnu le principe des concentrations comme moyen de contrer l'envahissement de l'extérieur. Dans notre esprit cependant, concentration et monopole sont deux concepts essentiellement et absolument différents et distincts. D'une part, nous croyons qu'il n'existe aucun monopole d'information au Québec. D'autre part, l'inclusion récente des entreprises de diffusion, parmi celles régies sous l'empire de la Loi fédérale contre les monopoles, ajoute une dimension qui n'existait pas lorsque votre commission commençait ses travaux il y a quelques années. C'est là une donnée relativement nouvelle dont il faut maintenant tenir compte.

Notre association est convaincue que, dans le domaine de la radio et de la télévision, la force des groupes formés par nos concentrations permettra d'accomplir ce qu'aucun des éléments individuels ne pourrait réussir seul dans des domaines aussi complexes que la technologie et la vente. La concentration, surveillée et ratifiée du reste par le CRTC, veut

combler un vide dangereux créé par l'absence d'un solide réseau privé de radio-télévision au Canada Français et établir un équilibre avec le réseau d'Etat ou les réseaux étrangers.

La liberté d'expression exige que, parallèlement aux entreprises publiques de diffusion, existent des entreprises privées d'une force et d'une qualité comparables sinon supérieures, ayant été, dans le contexte que nous connaissons, l'objet d'une certaine concentration.

Dans tous les pays du monde où les citoyens peuvent encore décemment parler de liberté d'expression, les informateurs et le public redoutent toute intervention de l'Etat dans le domaine de la presse. Idéalement, on peut souhaiter que les relations entre la presse et le pouvoir soient établies sur la base de l'équité, de la compréhension et du respect mutuels. Mais n'est-il pas dans la logique des choses que la presse se trouve souvent en opposition virtuelle avec les pouvoirs publics?

La presse ne doit-elle pas, au meilleur de ses ressources civiques, intellectuelles et financières, être non seulement le prolongement de l'Opposition officielle mais encore le chien de garde des droits des citoyens face au pouvoir?

Comment s'étonner alors qu'il y ait parfois méfiance, voire brisure, entre la presse et l'homme public, particulièrement celui qui détient le pouvoir? Si l'homme politique, enfin plusieurs, craignent la presse, cette dernière en a tout autant à leur service. Que l'un ou l'autre ait à l'occasion abusé de son pouvoir, nous ne songeons nullement à le nier. Nous disons toutefois que les diffuseurs ont l'impression d'avoir fait leur travail de façon convenable au plan de l'information.

Des lois sévères et des règlements précis existent déjà qui protègent la société contre les abus des organes de diffusion. On sanctionne par des peines sévères, voire la perte de licence ou le non-renouvellement de licence ou de permis, la diffamation, le scandale, la sédition, la censure de l'information, et la déformation de l'information. Toute mesure dont la portée dépasserait celle de ces restrictions, toute mesure qui habiliterait un gouvernement à réglementer davantage la liberté des entreprises d'information, constituerait un danger virtuel pour la liberté de presse ou la liberté d'expression.

Ajoutons que la Loi de la presse du Québec comporte pour la presse écrite, par le truchement de la rétractation, un élément de protection de nature à favoriser la liberté d'expression et de presse. Nous ne voyons pas pourquoi l'esprit et la lettre de cette loi ne seraient pas étendus à la diffusion. Quant à la formation professionnelle, au chapitre des communications, la situation a évolué depuis le moment où nous avons préparé notre mémoire, mais nous persistons quand même à croire que l'enfant pauvre de l'enseignement au Québec, s'il en est un, c'est bien le journalisme. Il y a à peine quatre ou cinq ans que l'on s'est éveillé au problème de la formation professionnelle des communicateurs. Notre association ne croit pas tellement qu'il soit possible de produire en circuit fermé des professionnels capables d'assumer un métier qui suppose une expérience de vie assez considérable, une culture générale solide et une connaissance étendue, non seulement des particularités technologiques des media, mais de leur impact sociologique, de leurs exigences et de leurs limites. Certaines de nos universités ont tenté de sortir de l'oubli profond où on l'avait laissée l'initiation à une profession des plus exigeante aux responsabilités des plus délicates. Nous croyons qu'aujourd'hui elles sont en voie de réussir.

L'association est aussi au courant que le CEGEP de Jonquière, depuis bientôt cinq ans, fait oeuvre de pionnier en formant des jeunes gens, aptes, par leurs connaissances générales sur la communication, à aborder convenablement la phase pratique de leur apprentissage chez l'employeur.

Nous ne sommes pas en mesure cependant de poser maintenant un jugement de valeur sur les résultats concrets de cette expérience. On nous a appris tout récemment que des finissants de ces cours ont trouvé place dans certaines de nos entreprises, ce dont nous avons tout lieu de nous réjouir.

L'Association est d'avis qu'il est davantage du ressort des CEGEP de former les techniciens de la communication et que c'est plus spécifiquement à l'université qu'il appartient de pousser plus avant les recherches en matière de communication. Dans notre mémoire rédigé en octobre 1971, nous déplorions le manque de consultation qui a existé lors de la préparation des programmes en vue de la formation des professionnels de la communication et en particulier les journalistes. En effet, quand l'Université Laval a fondé sa faculté de journalisme, notre association ne se souvient pas d'avoir été consultée sérieusement. Cette vue pessimiste a toutefois évolué depuis. Bien que nous nous soyons trouvés dans la plupart des cas placés devant des faits accomplis, notre association a tout de même été invitée à siéger au comité consultatif de la direction générale des études du ministère de l'Education. Rappelons également cette recherche entreprise par SORECOM où nos diffuseurs ont été appelés à décrire la situation présente au niveau de leur station et l'évolution possible de celle-ci dans les années qui viennent. Notre association a également pu vérifier ce qui se fait, notamment au CEGEP de Jonquière, et donner son avis sur les cours en communication qui y sont dispensés. Bref, la situation s'est nettement améliorée et nous sommes heureux d'en rendre témoignage à tous ceux qui en sont directement ou indirectement responsables.

Et maintenant, si vous le voulez bien, abordons la question du statut professionnel. D'abord vous souffrirez deux pièces de jurisprudence, d'origine britannique, mais endossées par les tribunaux canadiens:

En 1868, le juge Fitzgerald disait: "Depuis 1692, il y a en Grande-Bretagne et en Irlande, une liberté complète de la presse. Par liberté de presse, je veux dire la liberté d'écrire et de publier sans aucune restriction imposée par la censure (sauf pour ce qui est indispensable à la sauvegarde de la société). Mais on ne peut, sous prétexte de liberté, encourager l'insurrection, mettre en péril la paix publique, créer le mécontentement, faire mépriser la justice ou entraver son administration...".

Cette relation extrêmement étroite entre liberté d'expression et liberté de presse a amené un autre juriste anglais, Lord Shaw, à résumer de la façon suivante la situation du journaliste par rapport à celle du citoyen en général; nous nous sommes permis une traduction qui, nous l'espérons, réflète l'esprit du jugement: "La liberté du journaliste se confond avec celle du citoyen en général. Dans la mesure où le citoyen peut se prévaloir de sa liberté, dans la même mesure pourra le faire le journaliste. A l'exception du droit écrit, ses privilèges ne sont ni différents, ni plus étendus. Les responsabilités qui sont attachées à son pouvoir de diffusion de l'imprimé peuvent, et surtout dans le cas du journaliste consciencieux, doivent le rendre plus prudent. L'étendue de ses assertions, de ses critiques et de ses commentaires est aussi grande que celle du citoyen en général, mais elle ne le dépasse pas. Il n'y a aucun privilège spécial attaché à sa profession".

Voilà qui nous autorise à décrire un journaliste comme un citoyen ou un individu dont la fonction en régime démocratique, est d'informer. Cette fonction n'a cependant aucun caractère d'exclusivité, car tout citoyen peut, à un moment ou à un autre, l'accomplir sans qu'il soit désigné pour autant comme un professionnel de l'information ou journaliste. Cette condition, qui représente l'un des fondements de toute société démocratique, rend impossible et non souhaitable une définition juridique de cette profession. Nous ne voyons pas la nécessité de faire d'un individu ou d'un groupe d'individus que nous décrirons comme des professionnels de l'information une réalité juridiquement définie, ayant des droits particuliers, nonobstant l'exception dont nous faisons état, plus tard, dans notre mémoire. Les reporters, les journalistes en général, ne peuvent présentement se réclamer de la liberté de la presse pour se soustraire à toute obligation envers l'appareil judiciaire. La loi de la presse, d'une façon générale, leur confère déjà, à notre sens, la latitude nécessaire pour exercer leur profession dans le meilleur intérêt du public.

Dans le domaine de l'information, notre association n'admet pas le principe de la censure, pas plus que celui de l'autocensure. La censure est coercition, l'autocensure, c'est la peur. Les deux sont de bien mauvais serviteurs de l'intérêt public. Nous préférons parler de responsabilité, du partage des responsabilités, de dialogue, de discernement, d'éthique.

Or, l'association s'inquiète quant à l'avenir. Nous savons fort bien que des media comme la radio et la télévision, en raison même de leur caractère d'instantanéité et d'omniprésence, ne peuvent être contrôlés par leurs administrateurs, ni entièrement, ni en tout temps. Et cela, en dépit du fait que ce sont ces derniers qui portent le poids des responsabilités, tant vis-à-vis de l'Etat que face au public.

L'ACRTF voit s'étendre le monopole redoutable qu'entendent exercer les unions ouvrières dans le domaine de l'information, en réalisant graduellement la fusion, sous une même autorité syndicale, de professionnels de l'information de nos salles de rédaction. Voilà un phénomène de concentration qui peut conduire à un droit de veto des journalistes sur ce qui se rédigera dans les salles de nouvelles, de même que sur tout ce qui se dira ou ne se dira pas sur les ondes.

Ce sont les journalistes, en fait, qui possèdent virtuellement le pouvoir du monopole et de la censure de l'information. C'est le professionnel de l'information qui tient les leviers les plus puissants du contrôle puisque, en dernière analyse, malgré la surveillance que veulent et doivent exercer les administrateurs, c'est lui qui a le premier, et souvent le dernier mot, en matière d'information.

A la radio et à la télévision, les paroles prennent un départ d'une rapidité si fulgurante que le seul contrôle vraiment efficace appartient à la dernière personne qui manipule et diffuse l'information par le microphone. Nous devrons nous habituer à vivre avec ce dangereux phénomène. Qu'en sera-t-il le jour où nous serons à la merci d'un monopole syndicaliste puissant, capable d'exercer toutes les pressions imaginables, au nom de la soi-disant fraternité syndicale, pour faire triompher une cause, de quelque nature que ce soit, ou en faire échouer une autre?

La censure des administrateurs est impossible pour la simple raison qu'elle serait trop flagrante pour échapper à la vigilance du public ou à celle du CRTC. La preuve a été faite de l'absurdité d'une telle velléité de contrôle par le refus du renouvellement d'une licence aux propriétaires d'une station dans les Maritimes, il y a quelques années.

Il ne faut pas, par ailleurs, confondre censure et droit de regard. Le journaliste dont le papier est refusé ou modifié accusera la "boite" de censure, alors qu'il s'agira tout simplement, pour celle-ci, d'une saine et obligatoire surveillance des matières publiées ou diffusées. Il est tout à fait certain qu'il doit y avoir une surveillance du contenu de ses émissions par le propriétaire ou par celui à qui il aura délégué ses pouvoirs. L'Etat dicte des lois, le CRTC les fait observer. On ne peut pas dire pour autant que le CRTC et/ou l'Etat exercent une censure.

Il est laissé aux administrateurs des media d'information le soin et le devoir de concilier la survie de leurs entreprises à leurs obligations à l'endroit du public, en plus de voir à ce que les

lois en vigueur soient respectées. Si la direction n'exerce pas son autorité, si le chef des nouvelles n'exerce pas son droit de regard sur l'information véhiculée par son medium, qui contrôlera l'information?

La réponse est évidente, le journaliste. Or, rien ne permet de croire ou nous oblige à croire que son contrôle, sa "censure" ou son influence soient plus impartiaux que ceux des détenteurs de licence qui, eux, ont pour le moins à répondre aux exigences des lois en vertu desquelles l'usage de fréquences de radio et de canaux de télévision leur a été accordé.

Dans un autre ordre d'idée, les diffuseurs protestent contre les torts possibles que la police peut, à sa simple discrétion, faire subir à la presse en temps de crise, soit en saisissant, soit en détruisant des documents d'information ou, pire encore, en se disant journaliste elle-même pour passer incognito. Notre associaiton qualifie cette situation de menace à la liberté de presse.

Pour être consistante avec la logique des principes énoncés précédemment, l'association ne croit pas qu'il soit opportun, ni pratique, de conférer aux journalistes le droit au secret professionnel, bien qu'elle sache que l'absence d'un tel droit constitue un réel danger que les journalistes soient constamment harcelés dans l'exercice normal de leur travail, à cause justement de leur qualité de témoins professionnels. Les diffuseurs considèrent toutefois que le tribunal pourrait, selon les termes d'une législation à étudier, avoir plus de latitude pour juger l'intérêt public en opposition avec le dévoilement ou non des sources d'information d'un journaliste. En d'autres mots, il nous paraîtrait plus conforme à la règle démocratique, tout en assurant le respect des droits fondamentaux des citoyens, que ce soit le juge lui-même qui ait à décider s'il sera dans un plus grand intérêt public que le journaliste dévoile ou non ses sources.

En terminant, nous voudrions vous rappeler que notre association a cru bon de prendre position en faveur d'un conseil de presse provincial. A une dissidence près, notre association a réalisé l'unanimité de ses membres sur le principe de son adhésion pour une période expérimentale d'un an audit conseil et, de fait, elle a décidé d'en faire partie à titre de cotisant.

S'il doit être un autre tribunal que le jugement du public que nous servons, à qui il sera de bon aloi de référer, nous estimons que c'est le conseil de presse tripartite qui verra le jour très bientôt. Il nous semble bien cadrer avec nos lois actuelles et il parait conforme à l'authentique climat d'épanouissement de la presse et de la liberté d'expression qui existent au Québec. Un tel conseil, dont on s'est d'ailleurs largement inspiré, existe depuis plus de quarante ans en Grande-Bretagne. Il est dit, au début de notre mémoire, que la meilleure façon d'assurer la liberté de presse, était de la laisser libre. Conséquemment, l'ACRTF deman- de à cette commission parlementaire de s'abstenir de faire toute recommandation qui, directement ou indirectement, pourrait se traduire par une ingérence des pouvoirs publics dans le processus de l'information, ou qui aurait pour effet de brimer la liberté des informateurs.

L'association recommande donc plus spécifiquement:

Que les hommes politiques réfléchissent à cette condition inhérente au statut de l'homme public, soit celle de collaborer autant que faire se peut à l'information des administrés sur les gestes posés par leurs administrateurs publics;

Que les hommes politiques évitent, quand ce n'est pas justifié, de faire porter à la presse le poids de leurs erreurs. Ceux-ci, tout autant voire davantage, que tout autre citoyen, ont le devoir de chercher à maintenir à son plus haut niveau possible la crédibilité de la presse dans l'esprit du public;

Que les pouvoirs publics refusent de s'ingérer dans les affaires du conseil de presse, que ce soit par le truchement d'une subvention quelconque, d'une indication sur la voie que celui-ci devrait suivre, ou plus directement, par le noyautage;

Que le gouvernement québécois envisage de prévoir des budgets qui lui permettent, en utilisant les media existants, de combler ou compenser, en matière d'information sur ses politiques, ses lois, ce que les organes de presse n'auront pas couvert librement et d'une façon qu'il n'aura pas jugé suffisante;

Que le gouvernement songe à accorder à la presse parlée et télévisée la même protection dont jouit présentement la presse écrite en matière de libelle, le tout compris dans le sens d'une information plus libre, plus complète, plus objective et, le cas échéant, plus déterminée;

Que le gouvernement ne concède aucun avantage particulier aux organes de presse du fait de leur seul statut d'entreprise de presse, qu'il s'agisse de fiscalité, réglementation, etc.

Que le gouvernement étudie avec célérité le danger potentiel, en regard d'une information libre et objective, que fait peser sur la presse le phénomène de concentration d'unités de négociation, dans le domaine vital de l'information, sous une même hégémonie syndicale;

Que le gouvernement par les moyens les plus appropriés, interdise à la police de se travestir en journalistes lorsqu'elle effectue son travail d'enquête ou de recherche.

Que le gouvernement étudie la possibilité de permettre aux juges de décider eux-mêmes si le journaliste sera obligé ou non de dévoiler ses sources lorsqu'il sera appelé à témoigner devant un tribunal, les juges ayant ainsi à pondérer davantage l'intérêt public.

Que le gouvernement remette en question la philosophie des lois 35, 36 et 37 dans la perspective où cette législation s'adresserait aux stations privées de radio et de télévision, cette philosophie pouvant conduire, selon les diffu-

seurs privés, à une ingérence inacceptable dans leur programmation et possiblement l'information qu'ils diffusent. Merci, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: Avant d'entrer dans les détails du mémoire, vous avez parlé à un moment donné du conseil de presse, disant que, très bientôt, ce conseil verra le jour. Je me souviens que, le 8 décembre 1970, lorsque nous avons siégé pour la première fois ici, la veille, avec un grand renfort de publicité tant à la télévision que dans les journaux, on avait annoncé la naissance du conseil de presse. Le lendemain, on nous l'avait dit ici officiellement à la commission parlementaire. A ma connaissance, je n'ai jamais vu ou eu quelque nouvelle que ce soit concernant le fonctionnement de ce conseil de presse et vous nous dites dans votre mémoire que très bientôt, il verra le jour.

M. FORTIN: M. le Président, si vous le permettez, je pense que tous les honorables membres de cette commission comprendront qu'une promesse puisse ne pas être remplie. Cela arrive, mais j'aimerais référer la réponse à Me Tobin, qui est le conseiller juridique...

M. VEILLEUX: C'est un objectif, en d'autres mots. Le 8 décembre 1970, c'était un objectif?

M. FORTIN: Je vous laisse les paroles que vous voulez bien employer dans les circonstances. Je voudrais vous référer pour la réponse à Me Tobin, qui est notre conseiller juridique.

M. TOBIN: Je suis Edmond Tobin, avocat, procureur des journaux quotidiens du Québec et conseiller juridique participant, si l'on veut, à l'établissement du conseil de presse. La raison pour laquelle M. Fortin et le mémoire de l'ACRTF mentionnaient que nous sommes fort confiants que, dans un avenir prochain, nous assisterons à la mise sur pied du conseil de presse, c'est qu'effectivement l'événement du départ dont parlait l'honorable député de Saint-Jean, qui a eu lieu en décembre, a été effectivement le fait de jeter les bases de l'entente de principe à la suite de laquelle il y a eu un travail très long, très élaboré, à la préparation de la réglementation, travail à la suite duquel, nous sommes confiants que la prochaine étape pourrait être la présentation de requêtes nécessaires à l'incorporation non seulement du conseil de presse, mais aussi, si on veut, des autres organismes accessoires et nécessaires au bon fonctionnement du conseil de presse. Donc, c'est long, il n'y a aucun doute là-dessus; d'un autre côté, comme vous le savez, ce n'est pas un organisme ordinaire, et la réglementation, je peux vous l'assurer, est loin d'être une réglementation qu'on peut sortir de formulaires de droit de compagnie standard.

C'est pour cela que le temps a été un facteur important. Par contre, nous le savons aussi, l'expérience de l'Ontario a démontré qu'un conseil de presse est un événement à souhaiter et aujourd'hui réalisé en Ontario et nous avons bon espoir qu'au Québec on pourra procéder prochainement dans cette voie.

M. VEILLEUX: Ai-je bien compris? Les membres représententant les propriétaires de media d'information sont-ils nommés à la commission?

M. TOBIN: A cette étape-ci, si vous me permettez, M. le Président, les organismes qui ont participé à la mise sur pied originale ont évidemment travaillé par l'entremise de représentants. Par contre, étant donné que le conseil de presse, dans sa teneur juridique, n'est pas encore une réalité, nécessairement tous ceux qui y travaillent actuellement, le font dans l'intérim en attendant sa mise sur pied officielle par l'autorité gouvernementale ou le lieutenant-gouverneur ou le secrétariat de la province, selon le cas.

En d'autres mots, personne n'est actuellement membre du conseil de presse, parce qu'il n'y a pas de conseil de presse, mais on pourrait presque comparer ceux qui travaillent actuellement comme des directeurs intérimaires ou à titre provisoire en attendant la mise sur pied juridique.

M. VEILLEUX: Personnellement, je reviendrai sur des recommandations que vous faites relativement à ce conseil de presse. Dans les questions d'ordre général que je voulais poser, j'en ai une deuxième. J'ai oui dire qu'un film sur un certain nombre d'événements avait été fait et qu'il était fort possible que votre association présente ce film aux membres de la commission. J'ai appris que vous ne le feriez pas. Est-ce qu'il serait possible aux membres de la commission de connaitre la ou les raisons qui vous amènent à ne plus vouloir présenter ce film aux membres de la commission?

M. FORTIN: Lorsqu'il a été question de ce film, il y a peut-être un an ou un an et demi, il semblait, au sein de l'association, y avoir une tendance à vouloir présenter ce film. On s'est rendu compte, au fur et à mesure que les mois passaient, que le document n'aurait peut-être pas les répercussions souhaitées. Nous avons donc décidé, à un moment donné, de nous contenter de la présentation de notre mémoire et de la période des questions et réponses, estimant que, déjà, notre présence devant notre commission serait suffisamment élaborée. C'est tout de même un film qui dure 40 minutes et il est anglais. Vous m'avez dit, M. le Président, que ce n'était pas un problème, mais j'aime à vous mentionner le fait. Nous avons décidé de

ne pas présenter le film. J'en ai parlé, je crois que c'est avec vous, au téléphone. Vous avez paru penser que ce pouvait être intéressant, mais il a été impossible d'établir un consensus au sein de notre association.

M. VEILLEUX: Si les membres de la commission jugeaient approprié, dans deux ou trois jours, dans une semaine, de voir ce film, est-ce que votre association serait disponible à la demande des membres de la commission?

M. FORTIN: Je pense que oui.

M. VEILLEUX: Le film porte sur la période d'octobre à novembre 1970?

M. FORTIN: C'est ça. Il y a des gens qui expliquent ce qui s'est passé, pourquoi certaines choses se sont passées, comment elles se sont passées. C'est un documentaire de 40 minutes, mais qui est assez incomplet. C'est notre opinion. On n'a pas jugé qu'il pourrait apporter un éclairage tellement important à votre commission. Si vous nous invitez de façon ferme à vous le présenter, le problème se pose en termes bien différents.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le ministre des Communications.

M. L'ALLIER: M. le Président, si vous me permettez, afin que la commission puisse se faire une idée de l'intérêt qu'il y a à visionner ou non le document en question, je dois dire que, pour ma part, c'est peut-être par manque d'information, je ne sais pas de quoi il s'agit. Est-ce que vous pourriez nous donner plus de détails sur ce document, l'optique dans laquelle il a été préparé, les objectifs qui étaient poursuivis au moment où il a été fait pour qu'on puisse savoir de quoi il s'agit et qu'on puisse décider s'il y a lieu pour nous de prendre 40 minutes pour le regarder ou pas. Autrement, on parle d'un document qui se réfère vaguement à la crise d'octobre, qu'il n'y a pas intérêt à présenter maintenant mais qui aurait pu avoir intérêt à être présenté il y a un an. Enfin, je ne sais pas de quoi il s'agit.

M. FORTIN: Je pense qu'on peut résumer la teneur du film en expliquant que l'objectif poursuivi par ceux qui l'ont réalisé était de démontrer de quelle façon tout le monde a été pris par surprise par un événement comme celui-là. Il s'est produit des choses discutables, je pense, dans tous les secteurs d'activité du Québec au niveau de la police, au niveau des media d'information, à tous les niveaux du processus. Essentiellement, l'objectif que poursuit le film, c'est de démontrer que tout le monde a été pris. A la dernière seconde, il n'y avait pas de phénomène en place pour donner des directives à quelqu'un, indiquer un plan d'attaque quelconque, une façon de procéder dans les circonstances. C'est essentiellement le but poursuivi par le film.

Pour nous, ce n'est pas une chose extrêmement importante. Si vous le considérez comme important et si vous nous invitez, cela nous fera plaisir de venir vous présenter le film, bien sûr et de répondre aux questions que pourrait provoquer ce film.

M. VEILLEUX: J'ai l'impression qu'il est fort possible que nous vous demandions de nous faire visionner ce film pour que nous puissions à notre tour porter un jugement de valeur sur le film lui-même. Je ne fais pas de demande formelle au nom des membres de la commission, mais il est fort possible qu'éventuellement, nous vous le demandions. C'est pour cela que je vous posais la question tout à l'heure et j'ai été heureux d'entendre votre réponse, à savoir que vous seriez à la disposition de la commission dans l'éventualité où les membres de la commission voudraient visionner le film.

M. FORTIN: Si vous me le permettez, M. le Président, il est évident que cet événement a amené tous ceux qui y ont participé directement ou indirectement à remettre en question leur rôle, leur façon traditionnelle de concevoir l'information et de se comporter dans le domaine de l'information. Ce fut une situation qui a amené les diffuseurs, justement, à reconsidérer leurs relations tant avec le public qu'avec la police. Et des démarches ont été faites de part et d'autre pour essayer d'établir un climat de coopération entre les radiodiffuseurs et les secteurs policiers. Avec votre permission, j'aimerais céder la parole à M. Aurèle Pelletier qui, au nom de l'association, a été celui qui a oeuvré au niveau des rencontres qui ont eu lieu tant à Ottawa qu'à Montréal, je pense, entre la police et les diffuseurs privés pour essayer de voir quels étaient les problèmes de les cerner et d'arriver à une meilleure situation.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Avant que vous ne terminiez, je pense que l'honorable député de Montmagny a une question.

M. CLOUTIER (Montmagny): Je pense que M. Pelletier va répondre à certaines des questions.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Nous vous écoutons, M. Pelletier.

M. PELLETIER: Je crois qu'il faut garder en mémoire que le film dont il est question est un documentaire qui a été préparé à l'intention des diffuseurs pour montrer certaines facettes de l'information qui a été présentée dans des circonstances un peu inattendues. Les événements d'octobre ont pris par surprise plusieurs organismes, les media d'information comme les autorités et, à la lumière de ces événements,

nous nous sommes rendu compte qu'il s'était présenté certaines failles. Nous avons voulu prévenir et prévoir pour que, dans l'avenir, un mécanisme soit monté afin de diriger ou d'orienter les informateurs sur la façon avec laquelle ils pourraient transiger ou transmettre au public les informations qui se développeraient à la suite d'événements du même genre.

De notre initiative, nous avons communiqué avec le ministre de la Justice du Québec, l'honorable M. Choquette qui a organisé par l'entremise de la Commission de police du Québec un comité d'étude qui a passé en revue les événements qui se sont déroulés à cette occasion. A la suite de ces réunions, nous avons dressé un plan d'action qui concerne et les media d'information, surtout la radio et la télévision, et les corps policiers afin d'assurer un lien pour que l'information soit présentée de façon beaucoup plus ordonnée et beaucoup plus, peut-être, réaliste et en évitant autant que possible le sensationnalisme pour que le public ait une image exacte de la situation et pour permettre également à l'autorité en place de ne pas perdre le contrôle de l'information afin de ne pas être coupée de toute communication avec la population.

Nous avons aussi entamé des pourparlers semblables avec le solliciteur général à Ottawa pour que les corps policiers qui relèvent de son autorité puissent participer à ce plan d'action. A ce comité siégeaient les représentants de notre association, les corps policiers, Radio-Canada, la Gendarmerie royale du Canada. Il y a même des directives qui ont été transmises aux postes de radio et télévision par l'entremise de la Commission de police du Québec, à savoir quels sont les moyens à prendre pour éviter la répétition de tels événements au point de vue de l'information dans l'avenir.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre des Communications.

M. L'ALLIER: M. le Président, on vient de nous ouvrir des avenues extrêmement vastes et j'ai l'impression que cela pourrait orienter les travaux de la commission pendant un certain temps, en tout cas. Sans voir de contradiction entre ce qui vient d'être dit et les principes énoncés dans le mémoire qui nous a été présenté, je dois dire que, pour ma part, cela est probablement dû au fait qu'il s'agit là d'un résumé d'actions menées conjointement, semble-t-il, par la Commission de police et l'association. Il s'agit là — j'essaie de peser mes mots — d'une forme de collaboration en tout cas, en relisant le journal des Débats, je vais essayer d'analyser les termes qui ont été utilisés — qui peut s'éloigner considérablement du principe ou des principes énoncés dans le mémoire.

Pour ma part, M. le Président, dans ce contexte, j'aimerais fortement que le document en question nous soit présenté, par exemple, à l'issue des séances de la commission, demain ou dans un délai assez court, afin que nous puissions reprendre la discussion sur ce qui vient de se dire et compte tenu de ce qui sera contenu dans ce document.

Je comprends, par ailleurs, la responsabilité des radiodiffuseurs qui veulent évidemment faire en sorte de ne pas tomber sous les couperets de la loi du libelle, de l'information vraie, etc. Pour ma part, l'exposé qui vient d'être fait, même s'il est très sommaire, me laisse avec beaucoup plus de questions que de réponses. Il ne faut pas être traumatisé par ce qui a pu se produire en octobre, événement qui a pris tout le monde par surprise, il ne faudrait pas non plus tomber dans les excès contraires et faire en sorte que, afin de prévenir d'être pris, à l'avenir, par surprise, on établisse, plutôt qu'un contrôle par les radiodiffuseurs ou quoi que se soit sur les contenus, un contrôle de la police sur les contenus, dans des circonstances imprévisibles et extrêmement difficiles. Je ne veux donc pas, à ce moment-ci, engager le débat parce que, effectivement, il me manque trop d'éléments pour le faire, mais si c'était le consensus des membres de la commission, nous pourrions, à l'issue des séances déjà prévues, notamment celle de demain et peut-être celle de jeudi matin, examiner ces documents et reprendre la discussion avec les membres de l'ACRTF.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Au-dette.

M. AUDETTE: M. le Président, je voudrais ici spécifier que les recommandations qui ont été faites par les différents corps publics, en ce qui a trait à tous ces événements, n'impliquent en rien un contrôle de la part de ces organismes et renvoient toujours la responsabilité aux diffuseurs en ce qui concerne quelque contrôle qu'il y aurait à établir en des circonstances semblables. On ne suggère en aucune façon un contrôle de l'extérieur. La loi le dit, nous sommes toujours responsables de ce qui se présente sur les ondes.

M. VEILLEUX: Si j'ai bien compris M. Pelletier, il y a eu des duscussions ou des rencontres entre le ministère de la Justice qui, à un certain moment, vous a transférés à la Commission de police et les représentants de l'ACRTF. Est-ce que des représentants de la Fédération professionnelle des journalistes ont participé à ces rencontres?

M. PELLETIER: Non, à ce comité provisoire, il y avait notre association, la Société Radio-Canada, différents corps policiers, comme celui de la ville de Montréal et de la ville de Québec, la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale ainsi que des représentants de l'ACRTC. A la suite de ces réunions, notre association nationale a établi des contacts avec l'Association nationale des corps policiers du Canada, qui ont siégé et élaboré un certain mode de

fonctionnement, de relation entre média et corps policiers, afin d'assurer au public une information plus réaliste et exacte.

Si vous me permettez, M. le Président, je pourrais déposer à la commission une copie du document qui décrit les modalités de fonctionnement établies par la Commission de police du Canada et notre association nationale.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Audet-te.

M. AUDETTE: M. le Président, M. Pelletier fait évidemment, dans ses remarques, allusion aux circonstances vécues au Québec au cours des dernières années. En partie, on parle des événements d'octobre 1970 et également des faits qui se sont passés en mai 1972. Je crois que ce sont ces deux actions qui nous ont portés à vouloir préserver, jusqu'à un certain point, le droit de l'information au public, en prenant des mesures pour éviter ce qui s'est passé dans certains postes de radio et de télévision de la province de Québec. Je crois que les mesures dont on parle sont peut-être plus précisément pour éviter des choses comme celles qui se sont passées en mai 1972. Comme vous le savez, plusieurs postes de radio et de télévision ont été occupés à ce moment-là, et il a été impossible pour l'administration de ces stations de contrôler ce qui se disait sur les ondes. Quand je dis "contrôler", c'est contrôler au point de vue des responsabilités. Je voudrais être bien compris là-dessus.

M. VEILLEUX: Quand vous parlez des événements de mai 1972, vous mentionnez les cas précis où des gens ont envahi les postes de radio et contrôlaient complètement l'information dans une région. C'est ça que vous voulez mentionner?

M. AUDETTE: C'est ça. C'est une forme de contrôle que nous avons mentionnée à l'intérieur de notre mémoire et de notre résumé. A ce moment-là, on a vu les postes de radio et de télévision complètement aux mains de certains individus qui y avaient libre accès pour dire ou faire ce qu'ils voulaient sur les ondes et ceci pas nécessairement dans le meilleur intérêt de la population.

M. VEILLEUX: Si cela convient aux membres de la commission, nous pourrions peut-être nous entendre pour que vous puissiez nous faire visionner ce film jeudi matin à dix heures. Est-ce que c'est humainement et physiquement possible que vous soyez en possession du film, jeudi matin, à dix heures, pour qu'on puisse le visionner?

M. AUDETTE: Si vous le désirez, nous pourrons prendre les dispositions nécessaires pour donner suite à vos voeux.

M. VEILLEUX: Alors, nous nous entendons pour jeudi matin à dix heures?

M. AUDETTE: C'est très bien.

M. VEILLEUX: Nous pourrons discuter, après avoir visionné le film, de ce problème particulier.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Montmagny.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, est-ce qu'actuellement ce film a été visionné en dehors des gens directement concernés, ceux qui ont travaillé à sa préparation ou qui en ont discuté? Est-ce que d'autres organismes en ont pris connaissance?

M. AUDETTE: Si vous me permettez, M. le Président, le film avait été préparé initialement pour en faire la présentation au congrès de notre association nationale, pour permettre aux diffiseurs de revoir un peu ce qui s'était passé et avoir une prise de conscience devant ces événements, afin d'aider les diffuseurs à réagir si une situation semblable se représentait à l'avenir. C'était le but premier de la préparation de ce documentaire: renseigner d'abord les diffuseurs. Il est certain que d'autres groupes ont vu ce film à l'extérieur, je ne peux pas vous les nommer en particulier mais je suis persuadé que d'autres groupes l'ont vu.

M. VEILLEUX: Votre mémoire, à un certain moment, parle de concentration ou d'entente entre différents postes de radio pour établir, par exemple, le réseau TVA, qui est une espèce de concentration d'information, de nouvelles, à des heures données de la journée. Un peu plus loin, vous dites que ce genre de concentration n'amène pas un monopole quelconque. D'autre part, vers la fin de votre mémoire, vous mentionnez qu'il semble se dessiner chez les journalistes une concentration syndicale qui peut éventuellement amener un genre de monopole, c'est-à-dire une espèce de censure à l'intérieur de l'information. Dans votre esprit, si je comprends bien, cette concentration du côté des journalistes peut entraîner une censure et une concentration d'information dans un réseau tel que TVA n'entraîne pas de censure.

M. FORTIN: Je pense qu'il faut faire une distinction entre monopole et concentration. Monopole exclut la présence de quelqu'un d'autre. Concentration peut supposer qu'il y a plusieurs sources différentes d'information en place. Nous avons le réseau TVA qui, comme vous le savez, est formé de trois postes associés. Ce n'est pas un réseau suivant la façon habituelle de le concevoir. Ce réseau est formé pour essayer d'améliorer le processus d'information, élargir les sources d'information et servir un peu mieux le public.

Dans le cas du monopole ou de la concentration des unités de négociation, posons comme possibilité que toutes les salles de nouvelles, tous les postes de radio et de télévision et tous les journaux sont, par le biais des syndicats, regroupés sous une même centrale syndicale ou sous un même syndicat, vous avez effectivement un monopole, avec tout ce que cela suppose.

Il faut faire une distinction très nette entre concentration et monopole. En tout cas, nous la faisons continuellement.

M. VEILLEUX: Vous mentionnez que, dans le réseau TVA, il y a deux ou trois postes en réalité qui forment cette forme de concentration; donc, des sources différentes...

M. FORTIN: Oui.

M. VEILLEUX: ... d'information. D'autre part, quand on parle de concentration syndicale... En d'autres mots, vous n'êtes pas antisyndical, vous verriez un syndicalisme chez les journalistes provenant de deux ou trois centrales syndicales différentes...

M. FORTIN: C'est ça.

M. VEILLEUX: ... pour empêcher une... Mais votre association ne joue-t-elle pas un rôle semblable à une corporation professionnelle des journalistes qui pourrait jouer le même rôle du côté des journalistes? L'ACRTF.

M. FORTIN: Non. M. VEILLEUX: Non?

M. FORTIN: Absolument pas. Si vous permettez, j'aimerais revenir sur le point...

M. VEILLEUX: En d'autres mots, est-ce que les membres, les diffuseurs membres de l'ACRTF ont un caractère d'autonomie?

M. FORTIN: Face à l'association? M. VEILLEUX: Oui.

M. FORTIN: La réponse est, bien sûr, oui. Si vous permettez, j'aimerais revenir à la question de la concentration et faire la distinction entre monopole et concentration une fois de plus. Parlons, par exemple, de l'émission des nouvelles de 10 h 30, les nouvelles TVA. Il est évident que là, vous avez une concentration de diffusion de l'information. Mais à l'intérieur de cette concentration, dans chaque unité — je ne sais pas si c'est le cas de Chicoutimi mais c'est le cas de Québec — nous avons nos propres nouvelles qui sont insérées en cours de présentation. Vous n'avez donc pas un monopole de sources d'information à ce moment-là, même si vous avez une concentration de ressources journalis- tiques, financières, etc. pour améliorer le phénomène de l'information.

Si, un moment donné, tous les syndicats dans les organes de diffusion se retrouvent sous un même chapeau syndical — dans une même boite, vous n'avez pas le droit d'avoir trois ou quatre syndicats; vous le savez, c'est un point — là, il y a effectivement un monopole. Si tous ces syndicats se regroupent ensemble, vous avez effectivement un monopole.

M. VEILLEUX: Est-ce qu'il y en a qui ont des questions à poser sur le point?

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Saint-Laurent.

M. PEARSON: Monsieur, comment pouvez-vous concilier le fait que vous refusiez plus ou moins aux journalistes de se regrouper en association pour conclure eux-mêmes des ententes et que vous demandiez justement pour votre groupe ce regroupement qui peut lui-même conclure des ententes?

M. FORTIN: Si vous avez vu un refus de notre part du droit d'association pour les employés dans les organes de presse, vous avez vu une chose qui n'existe pas. Nous ne sommes absolument pas opposés à ce que des employés, dans une station donnée, dans un journal donné, se regroupent en syndicat pour négocier des conventions collectives avec leur employeur. Nous ne nous opposons pas à ça, bien au contraire.

C'est que, à un moment donné, nous ne savons pas quelle est toute la dimension du problème. On le craint. On propose à votre commission, si on peut vous proposer quelque chose, d'étudier le problème pour ce qu'il vaut. Eventuellement, on peut être pris avec lui. On le soumet à votre attention pour étude et considération.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Montmagny.

M. CLOUTIER (Montmagny): Vous avez beaucoup insisté dans votre mémoire, M. Fortin, sur la possibilité de formation d'un monopole syndicaliste puissant. Nous venons justement d'en parler, un monopole qui contrôlerait l'information, qui serait un danger aussi grand, et peut-être plus grand, que celui du monopole des entreprises de presse.

Est-ce qu'il y a des faits ou des événements récents qui vous portent à penser que c'est là un danger réellement imminent et que des efforts considérables sont faits dans ce sens?

M. FORTIN: M. le Président, on se réfère à des pressions qui ont été faites depuis quelques années, où des représentants sans doute autorisés de syndicats de journalistes, ont manifesté l'intention d'enlever des mains des propriétaires

d'entreprises de presse l'information, pour la remettre dans les mains des professionnels de l'information. Je pense que vous avez à certains moments entendu quelque part des informations de cet ordre. C'est un élément de notre dossier qui nous permet de vous faire part des craintes que nous vous avons transmises ce matin.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce qu'un conseil de presse en opération, bien organisé, pourrait être saisi des dangers d'une telle possibilité et pourrait exercer une action efficace, peut-être plus efficace qu'une loi qui concernerait le monopole des entreprises de presse, que ce soit le monopole des entreprises elles-mêmes ou le monopole de l'information contrôlée par les responsables de l'information?

M. FORTIN: M. le Président, si vous me le permettez, nous savons ou nous pensons que c'est un problème qui se développera de plus en plus dans l'avenir. Par ailleurs, on ne conçoit pas de loi à ce moment-ci qui réglerait ce problème. Vraiment, je n'ai pas de solution. Je ne sais pas quelle est cette solution. Par ailleurs, le conseil de presse pourra — et j'espère qu'il le fera — se pencher sur ce problème comme sur les autres et émettre des opinions. Mais j'ai l'impression que cela se limitera à une expression d'opinion de la part du conseil de presse. Mais plus loin, vraiment, on ne le sait pas. On vous soumet le problème pour que vous l'envisagiez.

M. CLOUTIER (Montmagny): Ne pensez-vous pas qu'une corporation professionnelle bien structurée, pour les journalistes comme les autres corporations professionnelles, avec un code d'éthique bien reconnu et qui serait en application, serait un élément d'équilibre au sein de la profession des journalistes? Alors, le syndicat ne voudrait s'occuper que des conditions de travail de la profession et la corporation professionnelle s'occuperait de l'aspect professionnel du rôle des journalistes.

M. FORTIN: Qui dit corporation implique nécessairement limitation dans le recrutement des candidats possibles. On vous a lu notre mémoire tout à l'heure et, évidemment, c'est là un principe sur lequel nous sommes complètement en désaccord. On pense que le journalisme doit être accessible à tout le monde si on veut respecter les règles démocratiques telles que nous, en tout cas, nous les concevons. Une solution comme celle-là irait contre les principes que nous voulons défendre.

M. CLOUTIER (Montmagny): Mais là, M. Fortin, disons que vous mettez en doute l'utilité d'une corporation professionnelle pour les journalistes pour donner le plus libre accès possible à la profession, à partir du moment où on organise des cours, et vous insistez sur la formation professionnelle du journaliste et vous parlez même de l'école de l'université Laval, vous parlez de votre participation à l'élaboration des programmes d'étude, si on reconnaît l'importance de la formation professionnelle du journaliste, par voie de conséquence, la corporation professionnelle est importante pour le journaliste aussi.

M. FORTIN: M. le Président, nous regrettons de maintenir nos doutes relativement à la solution que vous suggérez.

Je me permettrai peut-être ici de vous rappeler ce qui s'est passé dans l'Etat de New York. J'ai noté ça quelque part, cela a été rapporté par Me Popovici, professeur, qui dit qu'en 1949, dans l'Etat de New York, la New York Law Reform se penchait sur la formulation d'un texte consacrant le droit du journaliste à ne pas dévoiler ses sources d'information. Il y a un lien avec la discussion. Il appert des procès-verbaux de cette commission que les journalistes invités à exprimer leurs vues se sont prononcés en majorité contre un projet de loi à cet effet, la difficulté principale semble avoir été de définir clairement le privilège du journaliste. Tellement d'exceptions furent élaborées autour du privilège qu'on en vint à renoncer complètement à légiférer sur la matière. C'est une expérience qui s'est passée par rapport à un aspect précis du problème de l'information, soit celui du secret professionnel et d'un privilège attaché à ça. Il y avait tellement d'exceptions que ce n'était pas possible de cerner le problème, de l'encadrer dans une espèce de forme corporative quelconque.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que les diffuseurs, particulièrement la radio et la télévision, ont des exigences spéciales quant au recrutement, à la formation des journalistes qui entrent chez eux? Quelles sont les qualités de base que vous exigez compatibles avec le libre accès à l'exercice de la profession?

M. FORTIN: Je pense qu'il faut peut-être faire une distinction. D y a d'abord la presse organisée qui est constituée des journaux et de la radio-télévision, puis il y a aussi cette petite presse qui nait et qui meurt. C'est pour sauvegarder cette petite presse, entre autres que nous plaidons pour que la profession ne soit pas fermée par le biais corporatif. Mais, c'est certain que chaque poste de radio ou de télévision, que chaque journal a un problème de recrutement. On est souvent appelé à choisir le meilleur parmi des candidats dont on n'est sûr d'aucun. Ce que nous demandons comme préparation de base, c'est d'avoir une formation, d'être un gars responsable, un gars qui peut faire la distinction entre un commentaire et un fait, de plus, un gars qui peut écrire en français, bien sûr. Cela fait une série de qualités qui sont extrêmement difficiles à trouver dans le même bonhomme.

Plus la boite est importante, plus elle va

piger ici et là dans les boites moins importantes. Alors, le recrutement se fait à la base, toujours avec des gens qui ont peu ou pas d'expérience.

M. CLOUTIER (Montmagny): Mais pour des émissions d'information publique, je fais allusion à la radio, à des émissions comme les "hot lines", où, à un moment donné, l'animateur peut être appelé à exposer un problème — les auditeurs vont appeler au poste de radio pour faire des commentaires — l'animateur alors va être appelé à rectifier certains faits avancés par les auditeurs. Est-ce que vous exigez de cet animateur une formation un peu particulière, ou une formation plus poussée?

M. FORTIN: M. le Président, j'aimerais bien que ceux qui ont des stations où il y a des "hot lines" soient ici pour répondre aux questions. On ne peut que répondre personnellement à cette question. C'est une question individuelle. Un poste peut, à un moment donné, placer devant un microphone un type qui n'est pas un professionnel de l'information mais qui est une personnalité, pour toutes sortes de raisons qu'on peut discuter ou que le poste peut discuter avec vous. Certains postes font appel à des journalistes professionnels, d'autres font appel à des observateurs de la chose publique qu'ils estiment responsables. Chaque cas doit être étudié, il n'y a pas de règle générale. Chaque poste fait sa sélection de personnel, en fonction de ses propres principes et de ses propres objectifs.

Il n'y a pas de règle générale. J'aimerais que des stations comme CKAC et, à Montréal, CKVL ou des stations comme celles-là aient des représentants ici pour expliquer quels sont leurs critères de sélection en ce qui a trait aux "hot lines".

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Chauveau.

M. HARVEY (Chauveau): N'y a-t-il pas une mobilité très grande de journalistes attachés à différentes stations radiophoniques et aux media en général?

M. FORTIN: Est-ce que vous entendez par là changements de personnel? Oui, bien sûr, il y a une mobilité assez grande. Quoique depuis un an la situation s'est un peu améliorée. Depuis quatre ou cinq ans, le changement de personnel dans les salles — dans les stations de télévision et de radio — a été pas mal extraordinaire. C'est un problème continuel. Je pense qu'il y a une espèce de rétablissement, de stabilité qui est en train de s'effectuer. Cette stabilité durera-t-elle? Je l'ignore.

M. VEILLEUX: Le député de Montmagny vous a posé une question, tout à l'heure, sur les critères qui vous permettent d'engager ou non telle personne comme journaliste. On peut se rendre compte qu'il n'y a pas de critères bien définis, comme on va en exiger dans d'autres professions ou dans d'autres métiers. Un des problèmes dont on entend parler souvent, ce sont les relations ou les rapports qui existent entre les propriétaires des media et les journalistes au point de vue de la censure ou de l'autocensure. On rencontre des propriétaires et ils disent: Ce sont les journalistes qui contrôlent l'information. On rencontre les journalistes et ils disent: Ce sont les propriétaires qui contrôlent l'information, nous écrivons ce que les propriétaires veulent bien que nous écrivions.

Chez les membres de l'ACRTF, quel genre de rapports, exactement, existe-t-il dans ce secteur entre les propriétaires et les journalistes?

M. FORTIN: Encore là, on est obligé de référer à des cas particuliers. Autant il y a de stations, autant il y a de structures d'organisation et de partage de responsabilités. Mais je pense qu'on peut dire que, généralement parlant, le propriétaire, qui se fait représenter par un manager, doit déléguer son autorité à un chef de nouvelles qui assume ultérieurement tout le processus de l'information, de la cueillette à la diffusion, à l'intérieur d'un budget donné. C'est un peu ce qui se fait généralement. Mais, si vous me le permettez, j'aimerais vous citer un cas précis. Je ne sais pas si vous êtes à l'écoute de certaines émissions d'affaires publiques, mais j'ai été frappé par une chose. Je savais qu'on serait là mardi. J'écoutais une émission de télévision, dimanche dernier, qui s'appelle Politique Atout. J'en parle à mon aise, ce n'est pas sur le réseau TVA. Il y avait un monsieur, chef de parti, qui était interviewé. Je me suis fait la réflexion que, si c'était vrai que c'était le propriétaire de l'entreprise qui contrôlait l'émission ou qui contrôlait ce qui se dit, j'ai l'impression que cela se serait déroulé différemment. Mais celui qui contrôlait ce programme n'était pas l'invité, ce n'était pas celui qui regardait le programme, ce n'était pas le président de Radio-Canada, ce n'était pas le chef des nouvelles de Radio-Canada, c'était l'animateur. Je pense que ça dramatise drôlement le point, lorsqu'on dit qu'en radio et télévision, le contrôle ultime est fait par celui qui diffuse l'information ou qui fait des interviews avec des gens ou qui les amène dans un contexte donné, et l'animateur crée un climat qu'il estime bon pour l'intérêt public.

M. CHARRON: On a déjà vu, dans ce genre de travail, des gens qui conduisaient des interviews d'une certaine façon, qu'on a laissé faire pendant un certain temps. Quand les employeurs — je parle d'une station de radio, par exemple, d'un réseau québécois — se sont aperçus que ledit interviewer conduisait de façon généralement impertinente, à leur avis, les interviews avec certains invités et faisaient preuve de largesse avec d'autres invités, lors-

qu'est venu le temps de renouveler son contrat, on lui a simplement signifié qu'il prenait la porte, même s'il était à la satisfaction du public. Et on est allé chercher un tripoteur public, celui qui est devenu chef du parti, que vous avez regardé dimanche soir, qui, commercialement et vulgairement, a remplacé l'autre, qui offrait une émission de qualité. J'admets que, sur l'instant, à Politique Atout, par exemple, dimanche soir, André Payette est absolument maître de l'invité qu'il a, maître de conduire son interview. Je puis vous assurer — je n'ai pas regardé l'émission de dimanche, mais j'en ai vu d'autres du même style — qu'il peut très bien se produire qu'André Payette, comme d'autres interviewers, ne voie pas son contrat renouvelé. Le contrôle ultime appartient toujours au directeur.

M. FORTIN: Je vous laisse l'interprétation des raisons qui ont fait qu'un contrat, dans ce cas particulier, n'ait pas été renouvelé. Vous avez bien le droit de l'interpréter, de ne pas être d'accord sur la politique à ce moment, surtout si les opinions qui sont les vôtres n'étaient pas aussi bien défendues que vous l'auriez souhaité.

M. CHARRON: Je vais vous répondre tout de suite. Il n'était pas question de mes opinions. Je veux simplement dire que l'employeur demeure toujours libre de renouveler le contrat dudit interviewer qui, vous l'avez affirmé, avait toute la liberté. Je dis non. Il est un employé de la boîte, quel qu'il soit. Cela n'a pas de concordance avec mes idées politiques.

M. FORTIN: C'est bien évident que chacun doit respecter le contrat qu'il a signé et le renouvellement se fait à certaines conditions. Chaque individu est libre. On est bien d'accord là-dessus.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre des Communications.

M. L'ALLIER: M. le Président, si les membres de la commission me le permettent, je voudrais revenir à un point plus précis du résumé de mémoire qui nous a été présenté, plus particulièrement à la page 5. Il est dit que : "notre association doute fortement de l'authenticité de la notion du droit du public à l'information puisque personne n'a l'obligation d'y satisfaire." On continue plus loin — je présume qu'il s'agit de ce droit — "il ne peut impliquer non plus que les pouvoirs publics s'ingèrent dans le processus général de l'information libre et indépendante pour répondre soi-disant au droit du public à l'information qu'il estimerait insatisfaisante." Vous continuez en disant, à toutes fins pratiques, c'est le diffuseur qui est le gardien de ce droit à l'information. La question que je voudrais poser là-dessus, c'est d'avoir une confirmation que le texte qui est là veut bien dire ce qu'il dit, à savoir que, comme tel, en soi, il n'y a pas de droit du public à l'information devant être protégé à un moment donné, s'il y a lieu, par l'Etat.

S'il y a lieu qu'il y ait une protection, que ce soit le diffuseur lui-même ou le responsable du medium qui assure ce droit.

Voici un exemple. Si, dans certaines régions du Québec, en partant de l'hypothèse que tous les citoyens ont un droit égal à être informés ou à s'informer, les populations sont moins bien servies que d'autres, je pense aux régions périphériques en termes de radio, de journaux ou autres, est-ce que, d'après vous, il faut laisser l'entreprise privée déterminer à quel moment il y a un taux de rentabilité suffisant pour pouvoir donner à cette population un minimum d'information pour qu'elle se situe sur le même pied que l'ensemble des citoyens d'un territoire? Ou n'y a-t-il pas effectivement une responsabilité des corps publics, de l'Etat en particulier, pour faire en sorte que, par subvention ou autrement — et c'est une hypothèse de travail que je pose — on intervienne pour permettre à ces citoyens un meilleur accès à l'information? Et plus loin, à la page 18, vous dites que vous n'êtes pas d'accord pour qu'aucun avantage particulier soit accordé aux organismes de presse. Ce qui vient en fait compléter... "que les pouvoirs publics refusent de s'ingérer dans les affaires du conseil de presse"... Non, ce n'est pas cela. En fait, qu'il n'y ait d'intervention d'aucune sorte pour faciliter cet accès à l'information.

Or, le fait de remettre en cause le droit du public à l'information, quand vous dites que personne n'a l'obligation d'y satisfaire, pour ma part, je m'inscris en faux là-dessus parce que si on reconnaît que ce droit existe, il doit être satisfait et dans la mesure où c'est un droit collectif — c'est un droit de l'ensemble des citoyens, à mon avis — l'Etat peut, d'une façon supplétive, avoir à intervenir pour faciliter cet accès. Est-ce que ce que je dis maintenant est contraire à ce que vous prétendez?

M. FORTIN: C'est-à-dire à une nuance près et que j'aimerais faire tout de suite, je ne sais pas si le texte fait état de personnes en particulier. Je pense qu'il faudrait ajouter en particulier, dans l'obligation de satisfaire à ce droit du public à l'information. Je pense que cela donne une coloration un peu différente de celle produite par les mots: que personne n'a le droit.

Je pense qu'il y a deux choses, telles qu'on les conçoit, dans le point que vous voulez faire. Il y a d'abord l'information des pouvoirs publics en rapport avec leurs lois, leurs règlements, leurs politiques. Si aucune information n'est diffusée dans certains milieux, que vous appelez périphériques ou marginaux, il me semble que c'est la responsabilité des pouvoirs publics d'assurer la diffusion de l'information relativement à leurs activités de nature administrative, juridique ou légale. Mais en ce qui a

trait au phénomène de l'information et des entreprises de presse qui sont en place, nous sommes tout à fait allergiques — et dans le mot allergique, il y a un peu de passion, chacun a droit aux siennes — nous sommes absolument allergiques à une ingérence des pouvoirs publics, sous quelque forme que ce soit, à partir de la subvention déguisée à un journal expédiant quelque part un journaliste aux frais du gouvernement, par exemple, à aller jusqu'à la subvention directe à un organe de presse. Nous y sommes absolument opposés parce que nous estimons qu'en principe cela va à l'encontre des applications et des droits que nous défendons dans notre mémoire.

M. L'ALLIER: En d'autres mots, vous limitez la possibilité de l'intervention de l'Etat à sa propre information. Et si, par exemple à Rouyn-Noranda —je ne sais pas si cela se produit mais il y a un certain temps où cela se produisait — les journaux arrivent une journée en retard et que les gens sont limités à un poste de radio et qu'ils n'aiment pas ce que M. Gour fait, eh bien, tant pis, ils ferment le bouton. C'est le droit de veto auquel vous faites allusion un peu plus loin, à la page six par exemple; cela doit rester ainsi. Si le gouvernement veut et croit que c'est son devoir de faire de l'information sur les services gouvernementaux, c'est à lui d'acheter du temps et de s'organiser pour en faire. Mais pour ce qui est de l'information générale à la population, il ne doit y avoir d'intervention d'aucune sorte.

M. FORTIN: C'est exact. C'est la position que nous défendons. Maintenant, si vous me permettez, vous parlez d'un secteur particulier dans la province de Québec; nous avons dit dans notre mémoire qu'il n'y avait à notre connaissance aucun monopole d'information et j'aimerais expliquer davantage les motifs de cette prise de position. C'est que dans toute région donnée, il y a des quotidiens qui pénètrent, des hebdos qui sont publiés, dans bon nombre de cas, des "open-lines" qui permettent à des gens de devenir journalistes à l'occasion...

Il y a le réseau de Radio-Canada qui, par le biais des postes affiliés, pénètre à peu près dans tous les secteurs du Québec, il y a les salles de nouvelles locales qui, également, informent le public. Vous avez un paquet de sources différentes de l'information qui fait qu'il n'y a pas, selon nous en tout cas — on admet que des gens puissent penser autrement, bien sûr; on est démocrate — de monopole de l'information dans la province de Québec.

M. VEILLEUX: Je crois que c'est en 1969 — le député de Montmagny me reprendra — que l'on a soulevé un problème de distribution de l'information de journaux. Est-ce que, dans votre esprit, cela veut dire que vous iriez même jusqu'à rejeter la création d'une espèce d'agence de distribution pour mieux desservir les popula- tions qui reçoivent, comme le disait le ministre des Communications tout à l'heure, un journal ou plusieurs journaux, une, deux et même trois journées en retard? Est-ce que, dans votre esprit, ce serait s'immiscer dans...

M. FORTIN: Le projet que vous essayez d'élaborer ressemblerait à ce qui s'est déjà produit. Je pense à TEVEC en particulier, par exemple, quelque chose de cet ordre. Si c'est à cela que vous pensez, il est évident qu'on ne peut pas, en tant qu'association, avoir des objections à ce que le gouvernement réalise des émissions qu'il fait diffuser sur un câble ou, après discussion avec une station. Evidemment, on ne peut pas avoir d'objection.

M. VEILLEUX: Je suis d'accord, au point de vue de la diffusion par radio ou télévision. Mais, dans mon esprit, c'est la distribution de journaux dans les régions, compte tenu des distances, qui reçoivent le journal une, deux ou même trois journées en retard. Est-ce que, dans votre esprit, cela pourrait être créé au même titre que câblovision pour permettre à un groupe de personnes d'une région donnée de recevoir, de capter plusieurs postes de télévision, plusieurs postes de radio?

M. FORTIN: On sait que déjà, M. le Président, il y a des tarifs qui sont concédés ou qui sont permis à des quotidiens au niveau des postes royales du Canada. Je pense que l'on ne peut pas s'opposer à cela. Mais nous, comme principe de base, vraiment, nous maintenons notre point de vue pour ce qu'il vaut et c'est notre point de vue. Tout le monde est libre de le contester, de ne pas s'y associer. On pense que le pouvoir public, par les exceptions qu'on a essayé d'élaborer tout à l'heure, ne devrait vraiment pas s'ingérer directement et indirectement dans le processus libre de l'information.

M. VEILLEUX: M. le Président, en discutant de cela, cela m'amène à prendre une de vos recommandations, qui est complètement à l'opposé de celle qui est présentée dans le mémoire de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, que les pouvoirs publics refusent de s'intégrer dans les affaires du Conseil de presse, que ce soit par le truchement d'une subvention quelconque, d'une indication sur la voie que celui-ci devrait suivre ou, plus directement, par le noyautage. Laissons de côté le noyautage, mais regardons le truchement d'une subvention. Je sais — si mon souvenir est bon, d'ailleurs je vais relire le document ce soir, avant la commission de demain, parce qu'on va entendre les gens de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec — je sais qu'ils ont fait une recommandation à l'effet qu'une subvention de l'ordre de peut-être un million de dollars soit donnée au Conseil de presse pour lui permettre d'agir. D'après vous, comment va s'autofinancer le Conseil de presse si on applique la recommandation que vous mentionnez à la page 17?

M. FORTIN: Il y a deux possibilités de financement. Il y a d'abord les cotisations de départ qui atteignent quand même un chiffre assez intéressant pour les premiers mois de fonctionnement, il y a des dons particuliers de gens qui pourraient vouloir collaborer à cette oeuvre qu'on estime souhaitable, légitime et intéressante que fera le Conseil de presse par le biais d'une fondation quelconque. Notre position à ce sujet est que, vraiment, là aussi, nous nous opposerions, nous, en tant qu'association, pour ce que cela vaut comme objection, à ce que le gouvernement participe directement ou indirectement à une fondation comme celle-là.

M. VEILLEUX: Pour reprendre une idée qui est chère à plusieurs, le fait que des gens non directement impliqués dans l'information, que ce soit au niveau des propriétaires ou au niveau des journalistes, fassent des dons au Conseil de presse, n'avez-vous pas peur que des gens non directement impliqués dominent d'une certaine façon, avec des subventions, petites ou grosses, le Conseil de presse; subvention genre caisse électorale?

M. FORTIN: Cela demeure théoriquement possible, bien sûr. Le point que l'on a voulu faire tout au long de notre mémoire, particulièrement au début, c'est que la presse — je me permets de le répéter — c'est le prolongement de l'Opposition, en quelque sorte, et il me semble qu'il y a une antithèse formelle entre pouvoir public et information libre.

En raison justement de ce fait, nous nous opposons au principe même de toute subvention directe ou indirecte à la presse et aussi au conseil de presse.

M. VEILLEUX: Vous venez de confirmer une chose que vous dites dans votre mémoire à savoir que vous étiez le prolongement de l'opposition officielle.

M. FORTIN: Non, non.

M. VEILLEUX: Je regarde mes amis d'en face et ils sont très heureux d'apprendre cela.

M. FORTIN: En fait, dans notre mémoire, nous disons deux choses. La presse devient automatiquement un prolongement de l'opposition — je n'ai pas dit officielle — puis en même temps, une sorte de chien de garde de l'intérêt des droits du public.

M. VEILLEUX A la page 2, vous dites: Opposition officielle.

M. L'ALLIER: Au bas de la page 2, vous parlez de l'opposition officielle.

M. VEILLEUX: Vous dites: La presse ne doit-elle pas au meilleur de ses ressources civiques, intellectuelles et financières être non seulement le prolongement de l'Opposition officielle, mais encore le chien de garde des droits des citoyens face au pouvoir.

M. FORTIN: Je vous remercie de nous l'avoir mentionné, c'est vraiment de l'opposition tout court dont on parle.

M. VEILLEUX: Nous allons raturer le mot "officielle".

M. FORTIN: Oui, oui.

M. CLOUTIER (Montmagny): Le mémoire prend de la valeur à mesure qu'on l'examine.

M. VEILLEUX: Vous n'avez pas de questions à poser sur ce sujet particulier? A la page 16, une chose qui m'a frappé, en bas de la page 15: Pour être consistante avec la logique de principes énoncés précédemment, l'association ne croit pas opportun ni pratique de conférer aux journalistes le droit au secret professionnel, bien qu'elle sache que l'absence d'un tel droit constitue un réel danger que les journalistes soient constamment harcelés dans l'exercice... Vous mentionnez à un certain moment qu'on devrait donner le pouvoir — excusez le pléonasme — le pouvoir au pouvoir judiciaire de décider quand un journaliste doit garder ou ne pas garder son secret professionnel. Est-ce que vous pourriez expliciter davantage?

M. FORTIN: C'est parce qu'il nous parait que le juge, on le fait en somme...

M. VEILLEUX: L'ombudsman.

M. FORTIN: ... le détenteur de l'intérêt public. Disons que c'est une concession que notre association est disposée à faire relativement à cette question du secret professionnel; ce serait une amélioration par rapport à la situation actuelle. C'est cela et pas plus que cela qu'implique notre recommandation.

M. VEILLEUX: Parce qu'il y a eu, notamment aux Etats-Unis, dernièrement, la condamnation d'un journaliste. Le juge voulait le forcer à dévoiler ses sources, mais le journaliste a préféré subir l'emprisonnement. Je pose toujours des questions, je ne porte pas de jugement, vous ne trouvez pas qu'il peut y avoir danger qu'un pouvoir tel que celui-là devienne ni plus ni moins, je ne le sais pas, un gouvernement parallèle?

M. FORTIN: A un moment donné, il faut se reposer sur quelqu'un. A qui va-t-on confier cette responsabilité? A un parti politique, à l'opposition, officielle ou non, je ne sais pas, à un conseil de presse? Il me semble, généralement, que c'est la façon traditionnelle de faire traiter les cas litigieux par un juge. Nous avons pensé que c'était un biais. Nous vous le suggérons en tous les cas à votre attention pour

améliorer la situation. C'est évident que cela ne règle pas les problèmes des journalistes qui en ont, c'est bien évident.

M. VEILLEUX: Dans votre esprit, cela veut dire que vous ne jugez pas bon de laisser entièrement, dans tous les cas, le secret professionnel aux journalistes?

M. FORTIN: C'est bien ça, c'est exact. Notre point est que le journaliste n'a droit à aucun secret professionnel mais qu'à un certain moment le juge peut, pondérant l'intérêt public, ne pas astreindre un journaliste à dévoiler ses sources. C'est le point qu'on veut plaider et qu'on vous propose.

M. VEILLEUX: Ce serait l'inverse. Au lieu de dire que le journaliste conserve son droit au secret professionnel, sauf dans les cas particuliers où un juge peut décider, vous dites, vous, au départ que toute source doit être dévoilée sauf si un juge dit de ne pas la dévoiler.

M. FORTIN: C'est exact.

M. VEILLEUX: C'est exactement le raisonnement inverse que vous faites.

M. FORTIN: C'est ça. On arrive peut-être au même résultat.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Montmagny.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, M. Fortin, au mémoire, à la page 4, vous parlez des sources de revenu, vous dites: Plus elles sont nombreuses et diversifiées, plus sont réduits les risques d'être à la merci de l'une d'elles.

Est-ce que ces sources de revenus sont constituées dans une proportion très importante par la publicité, la vente d'annonces?

M. FORTIN : Dans le cas des postes privés de télévision et de radio, dans le cas des journaux, c'est évident que c'est la seule source de revenus, à ma connaissance en tous les cas.

M. CLOUTIER (Montmagny): Mais dans le cas de radio et de télévision...

M. FORTIN: Pour les postes de télévision privés, c'est bien sûr. La seule source de revenus des postes de radio et de télévision privés, ce sont les commerciaux diffusés.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que l'on peut dire que, plus les sources de revenus sont importantes, plus les commanditaires sont importants, plus ils sont nombreux, ça vous permet d'ajouter à l'importance de l'information et à la qualité de l'information que vous pouvez mettre sur pied?

M. FORTIN: II est évident que plus votre budget de fonctionnement est grand et large, plus vous êtes capable de donner du service à votre public.

M. CLOUTIER (Montmagny): Quelles sont les exigences du CRTC quant à la proportion qui doit exister, à la radio et à la télévision, dans les media d'information, entre l'information et le reste de la programmation? Dans les journaux, il y a une certaine proportion qui doit être gardée entre l'information que contient le journal et la publicité.

M. FORTIN: Oui.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce qu'il y a des exigences de cette nature-là?

M. FORTIN: A la télévision, le CRTC restreint à douze minutes par heure de programmation, la teneur commerciale. A la radio, M. Pelletier?

M. PELLETIER: En radio, 250 minutes par jour pour un total hebdomadaire de 1,500 minutes.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que les postes de radio et de télévision qui sont dans les régions moins densément peuplées et où il y a moins d'activité commerciale ne sont pas, au départ, handicapés par ce manque de potentiel de revenus pour ajouter à la qualité de l'information?

M. FORTIN: La réponse est oui. Dépendant des possibilités du marché que vous desservez, les services que vous êtes en mesure de dispenser sont en relation immédiate et étroite avec le potentiel publicitaire que vous servez ou qui est le vôtre.

M. CLOUTIER (Montmagny): II n'y a aucune forme de péréquation possible, de compensation possible, soit par l'institution d'un mécanisme quelconque? Tantôt, vous avez parlé — c'est quelque chose qui m'a frappé — de la mobilité de la main-d'oeuvre, du personnel. Je comprends que pour un poste qui est en Abitibi ou en Gaspésie, c'est peut-être plus difficile de recruter du personnel à cause, d'abord, du bassin de population et, deuxièmement, du budget de fonctionnement du poste. Est-ce que cette mobilité de la main-d'oeuvre, du personnel, qui est plus grande dans une ville comme Québec, Montréal, Sherbrooke et ainsi de suite... Est-ce que le niveau de rémunération qui peut être donné dans un endroit comme celui-là est une cause de difficulté de recrutement?

M. FORTIN: Bien sûr et, comme je l'expliquais tout à l'heure, plus vous descendez dans l'échelle financière, plus vous êtes obligé de faire appel à du personnel non expérimenté qui

va faire son expérience sur place. J'aimerais, si vous permettez, revenir sur un point qui me parait extrêmement intéressant et qui se produit présentement en radiodiffusion.

Nous assistons présentement à la création de petits réseaux régionaux. Votre commission devrait peut-être considérer un peu plus ce phénomène qui a l'air de vouloir se développer et qui encourt la bénédiction du CRTC. Nous avons avec nous M. François Bastien qui représente justement un de ces groupes de petits postes qui ont mis en commun leurs ressources pour certains objectifs. Si vous permettez, M. le Président, j'aimerais lui laisser la parole pour qu'il fasse part de l'expérience qu'ils sont en train de vivre.

M. BASTIEN: A venir jusqu'à l'an dernier, nous avions trois stations de radio qui étaient Lac Mégantic, Thetford Mines et Victoriaville. Nous étions aussi entourés des réseaux de Radiomutuel et de Télémedia par Québec, Trois-Rivières, Montréal et Sherbrooke. A ce moment-là, nous avons fait une demande pour établir un poste à Plessisville et un autre à Asbestos. Nous avons aussi demandé une affiliation à Radio-Canada et une permission d'opérer notre réseau des Appalaches.

Tout est devenu concret à la fin de 1972 parce que le poste d'Asbestos est entré en ondes le 8 décembre et, actuellement, c'est ce que nous faisons.

Premièrement, ce qui se produit, c'est qu'autrefois nous étions en ondes 18 heures par jour. Actuellement, nous sommes en ondes 24 heures par jour. De minuit à six heures, la programmation est fournie par notre réseau, alors c'est la même programmation aux cinq postes. Cela nous a permis, avec notre affiliation à Radio-Canada, d'avoir la nouvelle internationale présentée par Radio-Canada à des heures fixes. Cela nous a permis de mieux développer la nouvelle locale et régionale en produisant des blocs d'information émanant de chaque station. L'expérience, qui est encore récente, semble plaire énormément à la population. Le système n'est pas encore complètement rodé, il y a place pour de l'amélioration; mais je crois qu'actuellement le système qui permet de mieux informer les gens, c'est une concentration de petits postes qui fonctionnent en réseau.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, cette expérience est très intéressante. Cette forme de collaboration se situe dans la même optique, que l'on rencontre avec Radio mutuelle ou TVA. La mise en commun, dans le cas de TVA, est surtout pour l'information. Dans le cas que vous venez de donner, c'est pour la programmation aussi à certaines périodes.

Alors, ce serait là, d'après vous, une façon pour ces media d'information qui exercent leur activité dans des régions moins densément peuplées ou moins riches économiquement, de mettre en commun des possibilités pour augmenter les services à la population, soit l'information ou la qualité de la programmation.

M. BASTIEN: Exactement.

M. CLOUTIER (Montmagny): Ce serait une façon de...

M. BASTIEN: Nous le croyons, monsieur.

Maintenant, je veux aussi vous dire qu'à travers ça, d'après l'étude que nous avons faite, il y a encore quatorze stations de radio qui pénètrent à l'intérieur de notre territoire. Quant au nombre de postes de télévision, je ne le sais pas, mais il y en a au moins six ou sept.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Trois-Rivières.

M. BACON: Etes-vous la seule région actuellement qui avez un réseau semblable?

M. BASTIEN: Non monsieur, la même chose existe ailleurs; par exemple, il y a un réseau qui se forme avec Drummondville, Joliette et Sorel.

Vous avez la même chose avec Radio-Nord en Abitibi, il y a aussi Sainte-Anne-de-la-Poca-tière qui est en train de développer son propre réseau. Il semble que ce soit la tendance actuellement.

M. BACON: M. le Président, si vous le permettez, il y a un autre sujet sur lequel j'aimerais revenir. Lorsque vous parlez de recrutement de journalistes ou de personnel au service des nouvelles, il y a une chose qui me frappe dans votre mémoire. D'une part, vous parlez de la formation des journalistes qui semblent avoir été un peu laissée pour compte au cours des dernières années. Je me demande si la situation actuelle — c'est mon jugement personnel, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus — sur la question du recrutement, ne fait pas un peu l'affaire des radiodiffuseurs. C'est-à-dire vous avez un marché peut-être plus libre que si vous aviez des gens peut-être mieux formés, surtout au point de vue du salaire.

M. FORTIN: C'est une façon de l'interpréter, nous ne sommes pas d'accord.

M. BACON: Vous admettrez que dans plusieurs postes de radio — cela m'a frappé — non seulement dans notre région, mais un peu partout dans la province, surtout au cours des fins de semaines, il y a des étudiants ou des employés supplémentaires. Il reste quand même que la qualité de la rédaction des nouvelles n'est peut-être pas la meilleure à ce moment-là.

M. FORTIN: C'est bien possible...

M. BACON: Au point de vue du salaire, vous avez un déboursé probablement plus gros, je

comprends vos impératifs et vos besoins. En fait, vous êtes dans des entreprises, vous devez vivre de vos sources de revenus. Mais je me demande si vous n'êtes pas un peu complice de cette action, si les gens ne sont pas formés, en fait, cela ne vous fait rien.

M. FORTIN: Vous ne serez pas étonné, M. le député, si je vous dis que non. C'est évident que non. Il n'y a pas complicité. Je pense que toutes les stations de radio et de télévision sont intéressées à avoir le personnel le plus qualifié possible. En raison de la loi de l'offre et de la demande, c'est évident et certains que s'il y a plus de candiats compétents, il y aura plus de gens compétents à l'intérieur des salles de nouvelles. J'essaye de voir comment on peut arriver à votre raisonnement et je m'excuse, mais je n'y arrive pas.

M. AUDETTE: Le phénomène de fin de semaine n'est pas particulier à l'entreprise privée et aux postes de province.

M. BACON: Non, je ne relie pas cela à l'entreprise privée.

M. AUDETTE: Vous avez le même phénomène qui se répète à Radio-Canada, vous avez le même phénomène qui se répète à Télé-Métropole à Montréal. C'est une façon de trouver les nouveaux candidats éventuels et de les développer. Il faut commencer à quelque part. Evidemment, ils sont moins bons, c'est juste, on les utilise la fin de semaine et il y a toujours la disponibilité de ces gens-là. On ne peut pas exiger de notre personnel de travailler sept jours par semaine. Qui sera intéressé, dans une ville comme Jonquière ou Chicoutimi, à travailler seulement deux jours par semaine, en fin de semaine? Il y a là un problème qui se pose. Nous essayons, autant que possible, de trouver les plus disponibles, mais ce n'est pas toujours facile. Cela revient toujours à une question de disponibilité. Généralement, la façon d'entrai-ner un journaliste à la radio et à la télévision, c'est de l'utiliser en fin de semaine; quand il est assez bon, il travaille en semaine.

M. BACON: Dans les stations, comme vous l'avez mentionné, M. Bastien, tantôt, est-ce que vous avez des échanges de personnel ou une rotation de personnel d'une station à l'autre d'une façon systématique pour l'entraînement du personnel ou si en fait chacun reste avec son personnel dans chaque station?

M. BASTIEN: En général c'est stationnaire, mais nous le recommandons et cela se fait à l'occasion. J'ai le cas, actuellement, d'un bonhomme qui, dans les quatre derniers mois, est passé par Plessisville, puis Victoriaville et qui est rendu à Thetford Mines actuellement.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Dubuc sur le même sujet. Ensuite, le député de Bourget.

M. BOIVIN: M. Fortin, je crois bien qu'il est sage que le propriétaire de l'entreprise ne devienne pas maître de l'information. Ne croyez-vous pas que c'est une sérieuse concession que de permettre à ces entreprises d'embaucher quiconque dans le domaine de l'information sans que vous puissiez, vous, les journalistes, y mettre des normes sérieuses? Il me semble que c'est de nature à nous faire craindre, à la commission, que cet embauchage se fasse sans garantie de compétence dans le domaine du journalisme.

M. FORTIN: Je ne peux pas vous enlever vos inquiétudes. Je ne peux que vous dire que nous sommes intéressés — encore là cela dépend de l'ampleur de vos moyens financiers — à avoir le service de nouvelles le plus compétent, le plus fiable, le plus complet, le plus responsable possible, et cela va se faire dans la mesure où ceux qui y travaillent seront plus compétents, plus responsables, plus ceci et plus cela. J'ai parlé du problème du recrutement, j'ai dit qu'il y avait une certaine stabilisation depuis un an peut-être, mais à un moment donné il n'y avait personne de disponible. Vous êtes chef des nouvelles quelque part, vous dites: J'ai besoin d'un journaliste, d'un reporter. C'est encore un problème, mais il y a deux ou trois ans, c'était un problème terrible. Il n'y avait pas de reporter d'expérience disponible, disposé à venir travailler dans votre boite suivant les conditions normalement établies à l'intérieur de votre boîte. Plus il y aura de reporters compétents sur le marché du travail, plus une sélection va se faire et cela va dans l'ensemble améliorer le processus de formation.

M. BOIVIN: Ne croyez-vous pas que ce serait utile que chacun de ceux qui apportent une nouvelle signe sa nouvelle? On voit assez souvent certaines nouvelles qui courent et qui sont sous l'anonymat dans l'entreprise sans qu'on ait la signature de celui qui l'apporte.

M. FORTIN: II y a plusieurs sources d'information, plusieurs sources où vous puisez pour bâtir un bulletin de nouvelles, à la radio-télévision — je ne peux pas parler au niveau des journaux, cela existe déjà partiellement, la signature. Il y a d'abord les fils de presse sur lesquels vous allez chercher de l'information. Evidemment, ce n'est pas possible de signer quand cela vient de Broadcast News ou quelque chose comme cela. Déjà en radio-télévision, par le biais du topo, qui est fait par celui qui est allé chercher l'information, vous avez une signature automatique. Quand le lecteur de nouvelles dit à un moment donné: Voici M. Untel qui résume la situation pour nous, vous avez une signature à ce moment-là.

Je ne vois pas que le phénomène qui existe ou qui a l'air de se développer dans la presse puisse se transposer en radio-télévision de la même façon. Cela existe déjà sous une autre forme.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Bourget.

M. LAURIN: L'association, à la page 4, fait une déclaration que j'estime très importante. "Le diffuseur ne peut se faire le champion d'une propagande à la solde d'un parti politique, d'un groupe donné." Si je comprends bien, cela veut dire aussi que le diffuseur ne peut pas se faire le champion d'une propagande à la solde d'une idéologie donnée, parce qu'un groupe donné comprend un groupe qui a une certaine idéologie. Comment alors expliquer que certains postes, soit de radio ou de télévision, engagent des commentateurs qui commentent l'actualité, dont les commentaires reflètent bien sûrement une idéologie politique donnée, que ce soit sur des lois partielles ou des orientations générales de la politique? On sait l'influence que possèdent ces commentateurs, puisque le public ne s'y trompe pas. Ils interprètent la volonté, l'orientation des propriétaires, des détenteurs de licence. Même si ce n'est pas le cas, le public a cette impression, que ce soit à tort ou à raison. Comment réconcilier ce fait avec cette déclaration de principe?

M. FORTIN: Est-ce que vous me permettez de vous la citer, j'ai apporté avec moi une déclaration de principe d'un journaliste qui fait partie d'un comité de rédaction d'un hebdomadaire qui s'appelle Québec-Presse? Est-ce que vous me permettez de vous citer ça? Après ça, j'arrive au point que vous mentionnez. "Nous connaissons bien l'argument qui est servi à Québec-Presse avec une régularité d'horloge grand-père. Ce journal n'est pas plus libre qu'un autre puisque ce sont les syndicats qui ont le plus investi. Québec-Presse est donc à la merci des syndicats. A cela, il y a une réponse bien nette, c'est vrai que ce sont les syndicats qui ont le plus investi, c'est vrai que si nous perdions leur appui, nous risquerions de disparaître. Par ailleurs, la volonté même du journal est d'en faire un instrument au service des travailleurs. Le journal croit au syndicalisme. Il y a donc un accord idéologique qui commande nécessairement des rapports privilégiés. Cela ne veut cependant pas dire que Québec-Presse est le journal des syndicats, au sens où le journal bénit et doit bénir tous les gestes de tous les syndicats systématiquement. La preuve en est qu'à quelques reprises, Québec-Presse a dénoncé certaines pratiques syndicales. Nous les avons dénoncées cependant au nom même du syndicalisme, c'est là une nuance importante. Québec-Presse tente souvent de dénoncer les pratiques capitalistes, par exemple. Dans ce cas, la dénonciation n'est pas faite au nom même du capitalisme mais pour tenter de prouver que non seulement les pratiques capitalistes mais bien le capitalisme lui-même sont condamnables. Voilà deux attitudes fort différentes."

Qu'un journal définisse sa politique de cette façon, je pense que personne n'a d'objection, c'est bien évident.

M. LAURIN: La Presse l'a défini dans le sens contraire.

M. FORTIN: Bien sûr, nous sommes tout à fait d'accord. Mais je peux vous dire ceci, c'est que si nous définissions notre politique en ces termes, je suis convaincu que nous n'aurions pas de renouvellement de licence ou bien nous perdrions notre licence immédiatement. C'est dans ce contexte qu'il faut voir le fait que nous ne pouvons nous faire le champion d'une cause, d'une idéologie. Sur chaque station de radio et de télévision, par le biais des émissions d'information, par le biais des émissions d'affaires publiques — je signale votre présence à TVA l'autre jour, vous avez eu tout le loisir d'expliquer vos thèses — par ce biais, je pense que vous avez des gens qui peuvent venir à certains moments défendre leurs thèses. Qu'une station de radio et de télévision ait un editorial, qu'elle engage un commentateur ou un observateur de la chose publique qui, selon elle, cadre à peu près avec l'objectif qu'elle poursuit, cela n'infirme pas la déclaration de principe qui figure dans notre mémoire. Je pense que nous manquerions à notre mission et que nous risquerions de perdre notre permis ou de ne pas le voir renouveler si l'ensemble de notre programmation, de nos émissions d'information et d'affaires publiques tendait à défendre une idéologie, une thèse politique quelconque. C'est dans cet esprit qu'il faut voir le point que nous voulons défendre dans notre mémoire.

M. CHARRON: Mais est-ce que les commentateurs dont parlait le député de Bourget ne défendent pas une idéologie déterminée eux aussi?

M. FORTIN: Au même titre qu'un homme politique qui est interrogé au cours d'une émission d'affaires publiques défend ses thèses.

M. LAURIN: Excepté que l'homme politique est invité deux ou trois fois par année alors que votre éditorialiste s'exprime tous les jours et a la chance de river le clou d'une façon répétée, d'une façon subliminale ou liminale.

Et on sait la force des perceptions subliminales dans la formation de l'opinion publique.

M. FORTIN: Je ne peux que vous répondre ce que je viens de dire, c'est que par le biais des émissions d'information et d'affaires publiques et des émissions de variété dites "talk-show", je pense qu'à peu près toutes les opinions sont diffusées. Enfin, du moins celles qui ne vien-

tient pas en contravention avec le cadre légal du pays.

M. LAURIN: Mais qu'est-ce que les postes perdraient à se priver de ces commentateurs qu'ils engagent?

M. FORTIN: Je pense que... Parlons des "open-lines" en particulier...

M. LAURIN: Ils se priveraient d'un porte-parole qui exprime leur idéologie!

M. FORTIN: Peut-être que oui, peut-être que non.

M. LAURIN: Donc, ce n'est pas une neutralité. La neutralité que vous prétendez observer en théorie ne s'observe pas dans les faits.

M. FORTIN: Je regrette d'être absolument en désaccord sur cela.

M. LAURIN: Puisque d'une certaine façon, le commentateur est choisi après un questionnaire, une entrevue où il s'avère qu'il est en concordance d'esprit assez étroite avec l'idéologie qu'entretient le détenteur du poste. Parce qu'autrement, il ne serait pas choisi.

UNE VOIX: C'est lui qui est responsable.

M. FORTIN: Je regrette de vous dire que par le biais de toutes les autres émissions, toutes les opinions sont diffusées, que ce soit vous, Dr Laurin ou un autre qui partage nos opinions, que ce soit un autre membre de l'Opposition officielle...

M. CHARRON: Oui, oui, mais...

M. FORTIN: Voulez-vous me laisser parler, s'il vous plaît!

M. CHARRON: Mais je n'ai rien dit. Vous n'êtes pas en train de faire un editorial, là.

M. FORTIN: Toutes les opinions sont diffusées par le biais de nos émissions d'affaires publiques, d'information, nos "talk-shows". Je pense qu'il faut voir le point ou le principe que nous défendons à l'intérieur de ce contexte.

M. CHARRON: Ne noyez pas le poisson. Ne revenez pas constamment sur le fait qu'il y a des "talk-shows" et des émissions comme Le choc des idées ou comme Politique atout; d'accord, cela existe, on pourra en parler comme tel. Mais il y a une différence entre faire venir un politicien quel qu'il soit, même parfois opposé — qu'il soit un homme pour qui les propriétaires du poste n'ont aucune considération politique, peu importe, c'est un devoir de les faire venir et ils viennent — être soumis, à une émission comme Le choc des idées, à des journalistes chevronnés qui vont mettre le politicien et l'idéologie qu'il véhicule, qui bénéficie des ondes pour pouvoir la véhiculer aussi habilement ou malhabilement qu'il le peut pendant une heure, et l'intervention style souverain pontife qu'un éditorialiste qui devient une figure connue, qui revient tous les soirs ou tous les deux soirs et qui analyse la société, le genre CJMS pense pour vous et qui intervient et leur dit sa conception... Il y a une différence. Donnez-moi une heure au Choc des idées et donnez-moi cinq minutes tout seul comme commentateur éditorialiste et je vais prendre les cinq minutes tout seul. Je vous l'assure. C'est cela que les postes de radio et de télévision... J'écoutais ce matin celui de Trahan à Radiomutuel qui, encore une fois, règle le sort du monde en quatre minutes et demie dans un éditorial; c'est un pouvoir que jamais aucun politicien interviewé sur les ondes de la télévision par les journalistes ne peut avoir. Ne comparez pas les deux choses et je pense que la question du député de Bourget porte sur une seule chose: Pourquoi croyez-vous qu'il soit nécessaire d'avoir un éditorialiste du genre aux yeux des propriétaires de ces media d'information? Ce doit donc être parce qu'il véhicule une idéologie dont les propriétaires sont parfaitement conscients; ils souhaitent la voir véhiculer dans le grand public sinon, ils ne l'embaucheraient pas. Je pense que ces bonshommes sont assez préoccupés par la rentabilité, le profit et l'argent, parce que ce sont des entreprises commerciales dont certaines sont insécures, qu'ils ne se risqueraient pas à embaucher des bonshommes, souvent à un fort salaire, parce qu'ils ont de la gueule, pour prendre cinq minutes d'ondes chaque jour, alors qu'il pourrait être tout aussi bien payant de faire de la publicité télévisée au même moment.

M. LAURIN: J'aurais une autre remarque à vous faire à ce sujet. Lorsque vous répondez que ceci est compensé par le fait que lors des émissions d'opinion publique, tous les partis sont invités à tour de rôle à émettre leurs opinions, je suis d'accord avec vous. C'est vrai mais justement, dans ces émissions d'opinion publique, tous les invités, tous les partis politiques sont invités à faire connaître tour à tour leurs idées. Mais là où le balancier est modifié dans un sens particulier, c'est quand le poste s'arroge le pouvoir, par l'intermédiaire de son porte-parole, de faire pencher le balancier du côté qui lui parait préférable.

Dans votre mémoire, vous dites, un peu plus haut: Notre association estime que le rôle de chacun de ses membres est de faire savoir au public les changements que subit cette société." Quand vous engagez un éditorialiste, non seulement vous faites connaître au public les changements que subit cette société mais vous les appréciez, vous les critiquez, vous orientez l'opinion publique et alors, vous dérogez, vous outrepassez la prérogative ou le droit que vous

vous donnez de faire connaître au public les changements. Vous faites plus que les faire connaître, vous les commentez, vous les appréciez, vous les critiquez, vous orientez l'opinion publique dans le sens de tel ou de tel changement.

M. FORTIN: II y a peut-être un point qu'il serait important de vous communiquer. C'est que le droit de réplique existe en radiotélévision. C'est un droit, ce n'est pas un privilège. Quelqu'un, à un moment donné, peut différer d'opinion avec l'opinion de l'éditorialiste, du temps à l'antenne lui sera réservé pour exprimer son opinion.

M. LAURIN: Je suis bien d'accord que, pour la frime, en tout cas, un poste peut permettre à quelqu'un qui n'est pas d'accord sur l'opinion de M. Trahan ou d'un autre, de venir sur les ondes durant deux ou trois minutes pour exposer son avis, mais cette prérogative ne sera accordée à l'individu en question qu'une fois par semaine, par mois ou par année, alors que le commentateur régulier pourra revenir le lendemain, le surlendemain ou trois jours après pour, encore une fois, enfoncer le clou qu'il veut enfoncer. Cela me semble injuste, cela me semble, comme diraient les Anglais, "loaded" dans un sens, ou biaisé, comme diraient les Français.

M. FORTIN: Puis-je vous demander si c'est en vertu de...

M. LAURIN: L'impartialité ne me semble pas respectée.

M. FORTIN: Est-ce que se sont les opinions que vous contestez ou bien le droit des diffuseurs d'émettre des opinions?

M. LAURIN: Les deux.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre de l'Education sur le même sujet.

M. CLOUTIER (Ahuntsic): M. le Président, je ne vous cache pas que je viens d'entendre avec une certaine stupéfaction le député de Bourget et le député de Saint-Jacques. Je me demande quelle sorte de société le Parti québécois nous prépare si l'on devait s'attacher à ces théories. Une société contrôlée avec une rigidité...

M. LAURIN: Absolument pas.

M. CLOUTIER (Ahuntsic): ... qui élimine entièrement la liberté élémentaire des individus. Je souhaiterais rapidement, dans cette intervention, faire une distinction entre le travail du journaliste reporter et le travail de l'éditorialiste. Je m'attends qu'un journaliste reporter puisse, non pas transmettre son propre message — il a parfaitement le droit d'avoir des opinions, quelles qu'elles soient — mais transmettre l'opinion de celui qu'il interview. Ce n'est pas toujours le cas, je dois le dire, et je pense que ceci devrait faire l'objet d'une étude. Il est très possible qu'un conseil de presse et une éthique pour la profession des journalistes éliminent ceux qui n'arrivent pas à faire ce travail correctement. Cependant, je n'hésite pas à dire qu'ici, au Québec, depuis que je pratique assidûment le journalisme, c'est-à-dire depuis mon entrée en politique, dans l'ensemble, ils sont excellents et arrivent véritablement à faire ce travail de reporter. En revanche, l'éditorialiste jouit, par définition, dans la mesure où il signe son texte, qu'il s'agisse d'un texte écrit ou d'un texte parlé, de la liberté de s'exprimer.

Je vois mal comment, dans une société démocratique, on pourrait la lui refuser. Il est très possible que ses opinions ne plaisent pas à certains partis politiques et ne plaisent pas au pouvoir, mais je considère qu'il a ses opinions. Un éditorialiste — et vous comprendrez pourquoi je ne le nomme pas — m'a même demandé un jour ce que je pensais de sa liberté en tant qu'éditorialiste. J'ai dit: Elle existe et je la défendrai. Je défendrai jusqu'au bout votre liberté de dire des bêtises, si vous le souhaitez. Parce que, à la condition qu'il en assume la responsabilité, je ne vois pas pourquoi on irait lui dénier cette liberté.

J'ai été moi-même attaqué par certains éditorialistes, parfois très durement, mais en aucun moment, j'ai songé à en faire une querelle, parce que je considère qu'il a le droit d'avoir son opinion, qu'il se trompe ou qu'il ne se trompe pas.

Or, ce que je crois comprendre dans les déclarations du député de Bourget et du député de Saint-Jacques, c'est qu'on refuserait ce droit aux journalistes de la presse parlée, parce qu'il y aurait un impact beaucoup plus considérable. C'est exact qu'il y a un impact beaucoup plus considérable. Comme le député de Saint-Jacques, je ferais moi aussi le même choix si on m'offrait cinq minutes d'éditorial à la radio plutôt qu'un programme où je serais mis peut-être en contradiction, où on tenterait de faire sortir les opinions non pas de celui qui est interviewé mais également de ceux qui interviewent. Mais je pense que c'est là le jeu de la démocratie et il y a un dernier élément sur lequel j'insiste énormément et je crois que cet élément rentre dans ma responsabilité en tant que ministre de l'Education. C'est avoir une bien piètre opinion du public, pour ne pas dire le mépriser, que de croire que ce même public va gober tout ce qu'il entend sur les ondes ou tout ce qu'il lit dans les journaux. Je crois que notre collectivité a consenti un effort considérable dans le domaine de l'éducation et qu'en tenant compte de cet effort, nous sommes en présence maintenant d'un public qui a davantage de sens critique qu'il en avait il y a une dizaine d'années. Par conséquent, si l'on doit

déplorer certains excès, je ne crois pas que ce soit par des méthodes de coercition que l'on puisse les contrecarrer, mais bel et bien par une éthique de la profession des journalistes de la presse écrite ou parlée et également par une meilleure formation du public. Merci, M. le Président.

M. LAURIN: M. le Président, je ne m'étonne pas du tout que le ministre sentant que ces éditoriaux des stations de radio et de télévision favorisent le parti auquel il adhère se porte comme un preu paladin à la défense de l'ACRTF. Mais je voulais simplement dire que je me posais des questions à l'intérieur même du texte que nous a soumis l'Association canadienne de radio et de la télévision de langue française, lorsqu'à la page 4, l'association dit elle-même : Contrairement à l'imprimé, le diffuseur ne peut se faire le champion d'une propagande à la solde d'un parti politique, d'un groupe donné ou d'une idéologie politique donnée. Toute la diatribe du ministre de l'Education au fond va à l'encontre de ce que proposait elle-même l'Association canadienne de radio et de la télévision de langue française, il va plus loin que ce que recommande et que ce que propose l'association. Il est plus catholique en somme que le pape de l'ACRTF lorsqu'il dit que l'éditorialiste, dans une station de radio et de télévision, a le droit de faire exactement ce que fait l'éditorialiste d'un journal. C'est l'association elle-même qui limite ce droit et les questions que je posais étaient à l'intérieur des limites de ce droit que préconise l'association. C'est simplement pour montrer le manque de concordance entre ce que prêche l'association et ce que font les stations de radio et de télévision, que j'ai posé ma question. J'ai simplement voulu montrer qu'il n'y avait pas concordance entre les principes que l'on proclame et la réalité à laquelle on se résigne ou qu'on favorise d'une façon directe ou indirecte.

M. CHARRON: C'est précisément aussi, M. le Président, à la dernière partie de l'intervention du député d'Ahuntsic que je me réfère lorsque se faisant, pour le moment, ministre de l'Education, il invoquait les efforts que le Québec avait faits et le fait que la société québécoise avait été transformée. C'est justement parce que la société québécoise est beaucoup plus éduquée, beaucoup plus informée, beaucoup plus polyvalente, beaucoup plus capable d'en apprendre, beaucoup plus capable de se tester elle-même par rapport à d'autres valeurs, beaucoup plus capable d'évoluer par elle-même plutôt que par un guide sempiternel qui va toujours décider pour elle ou par une Chambre qui va décider pour elle de son avenir que cette société exige davantage.

Cette société ne tolère plus d'avoir un pape qui apparaît tous les soirs cinq minutes à la télévision pour toujours répéter la même idéologie, le même refus d'avancer, le même prisme d'analyse de la société, toujours les mêmes préjugés, toujours les mêmes peurs, toujours les mêmes craintes, les véhiculer, qui les formule avec une voix savoureuse et tout ce que vous voulez. Que cette même société ne tolère plus les éditorialistes de cette espèce qui ont empoisonné les zones publiques, un après l'autre, avant de devenir hommes politiques la plupart du temps. C'est justement une chose dont on doit se livérer à moins que, dans l'éditorial télévisé, on obtienne la même souplesse qu'on puisse obtenir encore une fois dans l'éditorial imprimé. En ce sens que, plutôt que d'avoir un chantre de l'idéologie et un vassal de l'idéologie et, parfois même sans s'en rendre compte, un cocu content qui sert d'éditorialiste dans le journal, on puisse avoir quelqu'un qui va arriver et qui, le lendemain, pourra donner une interprétation, un prisme tout à fait différent, ce qui n'écarterait pas alors l'éditorial.

C'est ce contre quoi nous en avons, et il serait de gauche, ledit éditorialiste, que la société québécoise ne l'accepterait pas plus. Je n'accepterais pas plus, tous les soirs, de me faire analyser la société par un marxiste léniniste durant cinq minutes sur l'air pontifiant que les apôtres de la droite ont toujours eu depuis qu'ils occupent les ondes.

Je ne l'accepterais pas plus. Je pense que les Québécois sont assez capables d'en entendre. Vous avez fait des efforts au point de vue du "talk show", au point de vue des invités pour varier les hommes politiques qui se succèdent. On devrait également varier les éditorialistes au lieu d'avoir les commentaires puants et rétrogrades que nous entendons tous les soirs sur les ondes de la télévision ou de la radio. C'est simple.

M. VEILLEUX: M. le Président, je suis à me demander si le député de Saint-Jacques ne condamne pas son chef qui écrit un article dans la page éditoriale du Journal de Montréal et du Journal de Québec à tous les jours.

M. CHARRON: Ce qui est dans le journal, c'est parfaitement valable.

M. VEILLEUX: C'est malheureux...

M. CHARRON: Non, le député de Saint-Jean ne "flyera" pas comme ça. Ce qui existe dans le Journal de Montréal, c'est exactement ça. Il y a René Lévesque engagé comme journaliste et éditorialiste. A côté, ce matin, il y a un politicien du nom de Robert Bourassa, qui a le droit de dire exactement le contraire de René Lévesque dans ce journal. Il n'est pas capable de dire le contraire, mais il en aurait le droit, s'il le voulait.

A la télévision, nous n'avons pas ce même privilège. A la télévision, il y a toujours le même petit employé vassal des patrons qui répète continuellement la même idéologie, qui est payé pour le faire et qui se contente de le faire.

II n'y a jamais l'autre version, l'autre style, l'autre façon d'aborder la société. C'est contraire à ce qu'affirme l'Association canadienne de radio et de télévision à la page 4 quand elle dit que ça ne devrait pas exister, alors qu'à peu près chacune des stations qui lui appartient bénéficie de cet éditorialiste qui juge le monde et qui décide pour le reste.

M. VEILLEUX: J'aurais une question à poser au représentant de l'ACRTF. Je peux faire erreur, mais n'y a-t-il pas un poste de télévision, à Sherbrooke, CHLT-TV, où — je ne sais pas si ça fonctionne toujours — les éditoriaux sont entendus tous les jours entre les nouvelles du sport et les nouvelles ordinaires? Est-ce que, à ce moment-là, c'est toujours la même personne qui fait l'éditorial ou si ce sont des personnes différentes?

M. FORTIN: Nous allons peut-être revenir sur des faits pour toutes sortes de bonnes raisons. Chez nos membres, les membres de l'Association canadienne de la radio et de la télévision de langue française, actuellement, je ne connais pas de station qui dispose d'un éditorialiste à plein temps.

Il se peut qu'il y en ait, mais je n'en connais pas qui ont un éditorialiste qu'on voit ou qu'on entend quotidiennement sur les ondes de la radio ou de la télévision. Je peux parler de stations de télévision à Québec, Sherbrooke. Je peux parler de postes de radio qui font appel à des individus différents pour exprimer des commentaires sur l'actualité. Cela se fait à Québec. Cela se fait à Sherbrooke. Cela se fait dans certains postes. J'ai ici la liste de ce qui se fait généralement — je pourrai même la déposer auprès de votre commission — de ce qui se fait présentement dans les postes de radio et de télévision. C'est évident qu'il y a eu des stations de radio et de télévision qui ont eu des éditorialistes à plein temps. Nous sommes bien d'accord là-dessus. Mais cette politique a évolué chez les membres de l'association. Je précise bien, chez les membres de l'association. M. le Président, si vous me permettez, je pourrai...

M. VEILLEUX: Ici, à Québec, par exemple, étant donné que nous sommes à Québec, à Télé 4, est-ce toujours la même personne qui fait l'éditorial à tous les jours? Ce sont des personnes...

M. FORTIN: Depuis au-delà d'un an, nous avons sept ou huit commentateurs différents qui sont invités à exprimer leurs opinions sur l'actualité de façon très régulière.

M. VEILLEUX: Est-ce la même chose à Sherbrooke?

M. FORTIN: A Sherbrooke, c'est la même chose.

M. VEILLEUX: Est-ce la même chose au Canal 10 à Montréal?

M. FORTIN: Je pense que oui. Il n'y en a pas actuellement au Canal 10.

M. VEILLEUX: Si on prend des postes de-radio comme CJMS?

M. AUDETTE: Je voudrais vous rappeler que CJMS et son groupe n'appartient pas à notre association. On l'a attaqué à plusieurs reprises tout à l'heure. Il ne nous appartient pas de le défendre puisqu'il ne nous appartient pas.

M. VEILLEUX: Quel poste de radio, à Montréal, appartient à votre association et compte des éditorialistes? Est-ce que CKVL appartient à votre association?

M. AUDETTE: Oui.

M. VEILLEUX: Est-ce toujours le même éditorialiste ou si ce sont des éditorialistes différents?

M. AUDETTE: CKVL n'a pas d'éditorialiste. M. VEILLEUX: CKAC?

M. FORTIN: II ne fait pas d'éditorial. Ce sont plutôt les commentaires des spécialistes qui présentent leurs points de vue sur différents sujets. C'est la documentation que j'ai ici.

M. CHARRON: Solange Chaput-Roland?

M. FORTIN: Elle n'est pas là continuellement. Ce n'est pas toujours elle qui est là.

M. CHARRON: Elle est là souvent en tout cas.

M. VEILLEUX: Vous mentionnez dans votre mémoire qu'il y a...

M. CHARRON: A tous les jours, à 6 h 25, je pense.

M. VEILLEUX: ... 42 stations AM, sept stations de radio-FM et dix stations de télévision. Est-ce qu'il y en a parmi ces stations, à votre connaissance, comme représentant de l'ACRTF, qui ont un seul éditorialiste et qui est toujours le même à tous les jours et toute la semaine?

M. FORTIN: Malheureusement, je ne peux pas vous donner un non ferme. Je crois que c'est non. La documentation que j'ai ici indique que non. Elle a été compilée par notre association. On me dit qu'à CKAC, semble-t-il, c'est la même personne. Je l'ignore. C'est possible qu'il y ait ce cas. Mais en télévision, en radio, pour

ceux que l'on connait, ceux que j'ai ici dans la documentation, c'est non.

M. VEILLEUX: M. le Président, j'ai terminé.

M. CHARRON: J'aurais une dernière question à poser. Tantôt, dans un témoignage, vous avez fait allusion à une entente ou un plan qui aurait été fait, de concert avec les stations— M. Pelletier a mentionné cela — qui aurait fait état de plans en cas de crise sociale, qui aurait été élaboré par les radiodiffuseurs. Est-ce qu'il y a moyen de savoir comment ce plan est fait? De concert avec qui et qui y a été mêlé?

M. AUDETTE: Si vous voulez savoir qui y a été mêlé: la Commission de police du Québec, la police de Montréal, la police de Québec et la Gendarmerie royale sont les organismes qui ont participé, de même que le CRTC.

M. VEILLEUX: M. le Président, on a parlé au début de la séance de ce problème et on a dit qu'on venait faire visionner le film jeudi matin à 10 heures et que nous continuerions la discussion là-dessus. Si le député de Saint-Jacques est arrivé une heure et demie ou deux en retard, ce n'est pas notre faute. Les membres de la commission ont pris la décision que nous attendions à jeudi 10 h pour discuter.

M. CHARRON: Très bien.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): La commission ajourne, en ce qui concerne l'ACRTF, à jeudi matin 10 h et demain, la commission va continuer ses travaux en entendant le mémoire de...

M. VEILLEUX: La Corporation professionnelle des journalistes du Québec, avec M. Beauchamp.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Très bien, demain 10 heures.

(Fin de la séance à 12 h 25)

Séance du 14 février 1973 (Dix heures six minutes)

M. CROISETIERE (président de la commission spéciale de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!

Nous avons à l'ordre du jour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Tantôt, j'inviterai M. Claude Beauchamp qui est le président. Avant de l'inviter, le ministre des Communications aurait quelques mots à dire relativement à la réunion qui s'est tenue hier.

L'information et la police

M. L'ALLIER: M. le Président, c'est uniquement pour compléter les travaux d'hier et pour préparer ceux de demain. En relisant la transcription des débats hier, j'ai noté qu'au moment de la présentation de son mémoire, M. Pelletier nous avait proposé de déposer à la commission et je le cite ici: "Si vous me permettez, M. le Président, je pourrai déposer à la commission une copie du document qui décrit les modalités de fonctionnement établi par la Commission de police du Canada et notre association nationale." Or, on n'a pas demandé hier le dépôt de ce document; c'est passé inaperçu. Comme demain nous devons reprendre ce sujet, je vous demanderais de communiquer par le secrétariat de la commission avec l'ACRTF pour que ce document soit disponible demain matin.

M. CHARRON: C'est ce que j'allais demander hier après-midi à la fin de la séance lorsque je suis revenu sur le sujet. J'allais demander à M. Pelletier de ne pas oublier de déposer le document comme il s'était engagé à le faire. C'est là que le député de Saint-Jean m'a rappelé qu'on en parlerait demain.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Pelletier est ici.

M. PELLETIER: Demain matin, M. le Président.

M. VEILLEUX: Le message est fait.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Nous revenons à M. Claude Beauchamp qui est président; je l'invite à nous faire la lecture de son mémoire.

Fédération professionnelle des journalistes du Québec

M. BEAUCHAMP: M. le Président, MM. les députés, à la demande du rapporteur des commissions, M. Veilleux, je ferai une introduction de 15 à 20 minutes au mémoire qu'on vous a soumis il y a environ un an.

H est bien évident que la FPJQ a un intérêt tout particulier dans les travaux de votre

commission. Cet intérêt découle évidemment, tout naturellement, comme pour toutes les associations du genre, de notre fonction qui consiste à représenter nos membres auprès des corps publics et aussi, c'est le premier article de notre charte, à assurer que le droit du public à l'information est bien respecté, un droit que nous considérons comme le fondement même de la liberté de presse. Notre intérêt dans les travaux de la commission vient aussi du fait que la FPJQ est à l'origine immédiate de la formation de la présente commission. Je me permettrai de faire un bref historique pour rappeler que nous sommes intervenus en mai 1970.

Là, je passe sous silence nos interventions antérieures lors de la première commission de ce genre. Alors, en mai 1970, nous avons demandé la reconvocation d'une commission parlementaire pour étudier les problèmes d'information au Québec parce que nous trouvions inacceptable que la première commission parlementaire sur la liberté de presse, qui avait surtout touché au problème de la concentration des entreprises de presse, ait terminé ses travaux sans tirer de conclusion et sans remettre de rapport. Nous sommes revenus à la charge à un moment plus dramatique, en octobre ou novembre 1970 pour demander, cette fois-là, que les problèmes d'information en temps de crise, qui ont donné lieu à l'époque, vous vous en souviendrez, à des attaques verbales, j'oserais dire parfois hystériques de la part de certains hommes politiques, contre les journalistes et la presse, on a demandé que ces problèmes soient discutés calmement, publiquement, ouvertement, rationnellement, dans une enceinte comme celle qu'offre une commission parlementaire.

Ce n'est qu'en 1973 que nous sommes appelés à témoigner. Ce long délai, qu'on peut sans doute expliquer par toutes sortes de raisons, place évidemment les échanges que nous aurons aujourd'hui dans un contexte bien différent. Comme toute chose a son bon côté, nous espérons que, dégagées de tout climat de crise, les discussions que nous aurons aujourd'hui en seront d'autant plus complètes, utiles et productives.

La tentation a été forte pour nous, je dois l'avouer, de nous désintéresser complètement des travaux de la commission. Une bonne partie de nos congrès a porté sur cette question parce que nos gens trouvaient que, finalement, la commission parlementaire s'était révélée inefficace pour aborder rapidement l'étude de problèmes urgents et aigus.

Nous avons finalement décidé de participer pleinement et positivement aux travaux de la commission parce que la FPJQ est le seul organisme qui ne représente que des journalistes, qui en représente le plus grand nombre et c'est le seul organisme dont les structures permettent de vraiment dégager, au sein de la profession au Québec, un consensus assez général sur des points fondamentaux.

Quand je dis que nous abordons le problème de l'information sous un angle autre que celui des propriétaires d'entreprises de presse, je ne veux pas dire par là que nous les envisageons uniquement dans la perspective de relations patronales-ouvrières, de relations de travail. Pas du tout. Il est bien certain que les journalistes exercent dans l'entreprise de presse une fonction différente de celle des administrateurs, une fonction qui les place dans un état constant de relations patronales-ouvrières et dans la possibilité de conflits de travail. Mais la responsabilité des journalistes, et ceci est bien important, n'existe pas qu'envers l'employeur. Elle existe également, et je dirais même surtout, à l'égard du public lecteur et du public auditeur. Le véritable patron du journaliste, c'est le public.

C'est à lui que le journaliste s'adresse, c'est pour lui qu'il cueille l'information, c'est pour le public qu'il la digère, l'analyse et la retransmet.

Je puis affirmer que, pour un journaliste, sa première loyauté doit aller au public. C'est pour cela d'ailleurs — je me permets une petite digression — qu'on observe au sein de la profession, du métier, une mobilité professionnelle assez exceptionnelle si on compare cela à ce qui se passe dans les autres professions; c'est que, finalement, un journaliste se fout de travailler pour tel employeur ou tel autre, il va travailler là où il pense qu'il peut le mieux exercer son métier. Comme le dynamisme dans les journaux et dans l'informattion est comme toute autre chose un peu cyclique, les gars passent d'un journal à l'autre selon l'endroit où la motivation est la plus forte.

Dans le mémoire que vous avez en votre possession, depuis au-delà d'un an maintenant, je me permets de le souligner, nous envisageons le problème de l'information sous l'angle du professionnel, sous l'angle de celui qui, chaque jour, parce que c'est un travail de chaque jour, doit donner au citoyen l'information à laquelle il a droit, sous l'angle de quelqu'un qui sait combien il est difficile de cueillir l'information et de la retransmettre — s'il y a quelqu'un qui le sait, c'est bien le journaliste — sous l'angle de celui qui fait de son métier, son seul métier, celui d'informer. Le métier du journaliste est en effet d'informer et non pas de faire de l'argent car, bien souvent, vous pouvez être sûrs que les deux sont incompatibles.

Le mémoire ne touche pas que les domaines de la concentration des entreprises de presse et ne touche pas non plus à tous les aspects que vous, à la commission, vous voulez envisager. Evidemment, nous sommes prêts à répondre à vos questions sur tous les points du mémoire comme sur les autres points qui pourraient venir à l'extérieur du contenu du mémoire.

En bref, notre mémoire est centré sur le problème de la concentration des entreprises de presse. En annexe, par exemple, nous soulevons aussi tout le problème des relations entre la presse et les pouvoirs publics, particulièrement entre la presse et l'appareil policier et judiciaire. A cet effet, je me permets également de

souligner que les annexes qui sont contenues dans ce mémoire ont été déposées à la commission, il y a au moins deux ans, à l'époque de la crise d'octobre.

La concentration des entreprises de presse est un phénomène qui fait beaucoup moins l'objet de conversations aujourd'hui qu'il y a deux ou trois ans. Il ne faut cependant pas s'y tromper si le phénomène de la concentration des entreprises de presse semble s'être ralenti depuis deux ou trois ans. C'est attribuable tout simplement au fait que les conditions économiques ne se prêtent pas à des transactions majeures dans ce domaine en particulier. Nous sommes certains qu'à la première occasion la concentration des entreprises de presse sera un phénomène qui continuera à s'étendre.

La position que la FPJQ adopte face au problème de la concentration des entreprises de presse, à notre avis, est simple, claire et réaliste. Sachant ce qui se passe au Québec et voyant que le même phénomène se produit ailleurs, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, nous tenons pour acquis — c'est une acceptation et non une approbation — que la concentration des entreprises de presse est un phénomène qui va se poursuivre. Donc, il nous faut en prévoir les conséquences sur le plan de l'information. La concentration des entreprises de presse, en premier lieu, c'est ça qu'il faut bien voir, c'est un phénomène économique, ce n'est pas un phénomène professionnel. La concentration des entreprises de presse, ce n'est pas fait d'abord pour donner une meilleure information, c'est fait d'abord pour rentabiliser les entreprises ou pour maximiser les profits. On essaie évidemment de faire croire que la concentration des entreprises de presse est synonyme d'amélioration de la qualité de l'information, mais en pratique, ce n'est pas toujours ce qui se produit. Bien souvent, on pourrait vous en donner des exemples, c'est le contraire qui se produit. Or ces impératifs économiques qui poussent les entreprises à se concentrer dans le domaine de la presse font peser un danger au niveau de la liberté de presse, parce que ce que les journaux produisent, c'est un produit intellectuel et la concentration, s'il y en a une, et il y en a une, peut amener non seulement un monopole financier, mais également un monopole idéologique et c'est ce qui est dangereux. Il faut apprendre finalement, néanmoins, à vivre avec ce phénomène de la concentration des entreprises de presse. Il serait ridicule, à mon avis, de dire: On empêche toute concentration des entreprises de presse. Il s'agit de contrôler la concentration des entreprises de presse, et on a des recommandations à cet effet. Mais je pense qu'il faut apprendre à vivre avec ça, en tirer les conséquences et y pourvoir.

Comme la concentration des entreprises de presse est un phénomène qui est nouveau, qui est récent, qui a tout au plus une génération, un phénomène qu'on connaît mal — c'est un phénomène qu'on n'a pas combattu, qu'on n'a pas contrôlé — je pense qu'il ne faudra pas craindre d'envisager des formules nouvelles, des solutions nouvelles, parce que c'est un problème nouveau.

Ce que la FPJQ demande dans sa recommandation principale, c'est tout simplement ceci: II faut trouver absolument le moyen de briser le lien absolu qui existe actuellement entre propriété et contenu de l'information. C'est ça qu'il faut briser. Le droit de propriété, à notre avis, ne donne pas de droit sur le contenu de l'information. Alors c'est ce lien qui existe actuellement, le lien direct entre la propriété et le contenu de l'information, c'est ce qu'il faut absolument briser et c'est dans ce sens que s'orientent nos recommandations. Qu'est-ce que vous voulez? L'entreprise de presse qui a évolué au cours des années, qui est d'abord une entreprise commerciale, elle, voit l'individu comme un consommateur. Mais finalement, l'information ne s'adresse pas à un consommateur, elle s'adresse au citoyen.

Ce sont ces deux choses qu'il faut essayer de concilier et c'est dans cette optique positive que nous faisons nos recommandations.

En matière d'information, ceux qui ont des droits ne sont ni les propriétaires d'entreprises de presse, ni les journalistes. C'est le public qui détient le droit en matière d'information. Contrairement à d'autres, dans des mémoires qui ont été présentés antérieurement, nous ne croyons pas que le pouvoir de l'argent donne un droit divin, une science innée ou un talent particulier à qui que ce soit pour pouvoir décider finalement, en dernière analyse, ce que va être le contenu de l'information.

Le pouvoir que nous refusons aux propriétaires de contrôler, de façon directe, le contenu de l'information, nous ne le demandons pas pour nous. Ce que nous refusons à d'autres, nous ne le demandons pas pour nous. Ce que nous proposons dans nos recommandations, c'est d'associer le public à la prise de décision.

Evidemment, c'est une formule nouvelle. Il est bien sûr que les propriétaires d'entreprises de presse vont nous dire que c'est inacceptable, que c'est inapph'cable. Ce n'est pas vrai. L'assurance-maladie était aussi inapplicable. Il y a un tas de choses qui étaient inapplicables. Le syndicalisme était inapplicable il y a quarante ans, etc.

Ce que nous proposons, c'est dans un but absolument positif. Nous recommandons un moyen de briser le lien entre propriété et contenu de l'information, un moyen qui fasse entrer le public dans le processus de décision en matière d'information. Parce que, finalement, c'est lui le premier intéressé par l'information qui est diffusée.

Les administrateurs des entreprises de presse ont évidemment une très lourde responsabilité dans la diffusion de l'information, nous ne le nions pas, tout comme les journalistes, d'ailleurs. Mais toute responsabilité, évidemment, comporte des droits et des devoirs. Nous ne

nions pas que les administrateurs aient des droits et des devoirs, la même chose pour les journalistes.

Le mécanisme que nous proposons va justement permettre aux administrateurs et aux journalistes d'exercer toute leur responsabilité mais, en plus, ce que nous proposons va permettre d'y associer le public. Les conseils de gestion, comme on les appelle dans nos recommandations — on aurait pu appeler ça autrement, ça n'a pas d'importance — sont composés, en parties égales, de représentants des propriétaires, de représentants des journalistes et de représentants du public.

Ce conseil de gestion, selon nous, vient s'interposer, au niveau de la salle de rédaction, entre le conseil d'administration et la direction de la salle de rédaction. C'est une formule; il pourrait sans doute y en avoir d'autres. Nous ne nous attachons pas — et je voudrais que ce soit bien clair — aux détails du mécanisme. Cette formule ou une autre pourrait s'adapter aux différentes entreprises de presse. Il n'y en a pas deux qui fonctionnent de la même façon.

Mais le message que nous voulons faire passer, c'est qu'il est nécessaire, à la lumière de la concentration inévitable — qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas — et croissante de la propriété dans le monde de l'information au Québec, de briser le lien direct qui existe entre droit de propriété et contenu de l'information. Nous croyons que la formule que nous proposons est réaliste parce que nous croyons qu'elle est applicable à court et à moyen terme.

C'est une formule, bien sûr, qui va demander d'être adaptée, mais justement, c'est une formule qui est adaptable parce que, par cette formule, on ne remet absolument pas en question le mode de fonctionnement actuel des salles de rédaction. Les lignes d'autorité, avec la formule qu'on propose, seront les mêmes jusqu'au niveau de la direction de la salle de rédaction. On ne parle pas d'enlever les droits de gérance. On ne parle pas de changer les lignes d'autorité. Et si, comme ils l'affirment sans cesse, il est vrai que les propriétaires d'entreprises de presse ne visent aucunement à influencer le contenu de l'information, je ne vois pas pourquoi, dans ce cas-là, ils s'opposeraient à instituer un mécanisme qui, tout en protégeant la structure administrative de l'entreprise, assure une plus large représentation au niveau des prises de décisions sur le contenu même de l'information, car, il ne faut pas l'oublier, ce qu'il importe avant tout d'assurer, de matérialiser, c'est le droit du public à une information complète, honnête et de qualité. Dans notre mémoire, plusieurs pages traitent de ce droit du public à l'information. C'est une notion qui n'existe pas dans notre droit actuellement, mais nous pensons, nous, que c'est une notion qu'il est temps d'inclure dans notre droit comme toutes les autres notions, comme tous les autres droits qui sont venus s'ajouter dans nos lois au cours des générations. Evidemment, ce n'est peut-être pas un droit absolu. Des droits absolus il n'y en a pas, même le droit à la vie. On a toujours permis de tuer les mères pour sauver les enfants. Maintenant, on permet de tuer les enfants pour sauver les mères. Il y en a même qui sont encore pour la peine capitale. Des droits absolus, il n'y en a pas, même celui à la vie.

Les entreprises de presse — c'est aussi un autre sujet sur lequel on s'étend assez longuement dans le mémoire — remplissent dans notre société moderne, qui est une société industrialisée, qui est une société urbanisée, là où les gens vivent en masse, un rôle social. Les mass media, les grands journaux, la radio, la télévision, jouent un rôle social qui dépasse le cadre économique qui a donné naissance à l'entreprise de presse. Il faut réaliser ça. Les gens, dans des villes comme Québec, Montréal, Trois-Rivières, Sherbrooke, etc., ont besoin des mass média dans leur vie de tous les jours. Le gars qui veut avoir une job, ce n'est pas son voisin qui va lui dire: Ecoute il y a une job à telle place, va donc là et tu vas en avoir une. Il regarde les journaux pour avoir ses jobs. Les demandes d'emplois sont là-dedans. S'il veut avoir un logement, c'est la même chose. Les gens ont besoin des mass média dans leur vie de tous les jours, dans leur vie de citoyens. Ce rôle, qui est un rôle social, dépasse le cadre économique de l'entreprise. Il faut en tirer des conséquences et c'est cette réalité qu'il faut reconnaître dans l'organisation professionnelle des salles de rédaction. C'est cette réalité qu'il ne faut pas craindre de reconnaître également dans la législation, si c'est nécessaire. En ce qui concerne les interventions de l'Etat dans le domaine de l'information, il en a été question hier et il en sera encore question.

Je me permets tout simplement une petite digression pour dire que l'intervention de l'Etat dans le domaine de l'information, est une question qui nous fait beaucoup moins peur, à nous, journalistes, que cela fait peur à nos partenaires du côté patronal. Nous ne réagissons pas de la même façon devant cela. Au point de départ, cependant, je dois dire qu'eux comme nous, nous sommes d'avis que celui dont le gouvernement doit se méfier le plus, en matière d'information, c'est de lui-même. Pourquoi? Parce que s'il reste que c'est le gouvernement qui a la plus grande puissance, c'est lui qui a le plus grand pouvoir de contrôle, c'est lui qui a le plus grand pouvoir d'intervention, un pouvoir qui est autrement plus fort que celui que peut détenir n'importe quel groupe privé, si important soit-il.

Par contre, nous ne sommes pas aussi craintifs de l'action gouvernementale que le sont les associations patronales. En d'autres termes, nous croyons qu'il peut y avoir certaines formes d'intervention gouvernementale acceptables dans le domaine de l'information. Ces interventions ne doivent cependant jamais se situer au niveau du contenu de l'information, c'est bien

évident. Nous ne croyons pas que l'Etat doive faire de l'information autre que celle qui est nécessaire pour les fins gouvernementales. L'Etat doit intervenir et s'en tenir à cela, si c'est nécessaire. Ce que l'Etat doit faire, c'est de s'arranger pour qu'existent les conditions d'une véritable liberté de presse, dans le sens où les citoyens ont accès à plusieurs sources d'information valables. Il est nécessaire qu'il intervienne, par exemple, pour faire enlever des entraves qui pourraient exister, soit au niveau de la cueillette des informations, soit au niveau de la libre circulation des informations, soit au niveau de la diffusion des informations, parce que ce sont trois niveaux bien différents d'activités à l'intérieur du processus d'information. En Haiti, par exemple, personne n'empêche les journalistes de cueillir l'information, personne n'empêche les journalistes de la transmettre à leurs journaux, sauf qu'on empêche les journaux de transmettre l'information. On peut donc agir à différents niveaux pour bloquer l'information. Au Québec, c'est bien sûr qu'on n'agit pas au niveau de la diffusion, on n'empêche pas la diffusion de l'information. La circulation à l'intérieur du système ne rencontre pas trop de problèmes non plus. Mais au niveau de la cueillette de l'information, des fois, si le gouvernement décide de bloquer toutes les sources d'information, je ne vois pas comment le citoyen va être informé de ce qui se passe. Alors, pour l'expansion de l'information, on peut agir à bien des niveaux et je pense qu'il faut être extrêmement perspicace pour analyser chacune des phases du processus d'information.

Notre mémoire — et je termine là-dessus — aborde un tas d'autres questions comme celles de la formation professionnelle, de la protection des sources d'information, en d'autres termes le secret professionnel — si vous avez des questions là-dessus, nous sommes disposés à y répondre de façon plus étendue — les questions de corporations professionnelles également — je sais qu'hier il en a été question — corporations professionnelles auxquelles nous sommes opposés; il traite aussi du conseil de presse et, comme je l'ai souligné plus tôt, il traite des relations entre la presse et l'appareil policier et judiciaire.

Nous sommes prêts à répondre à vos questions et peut-être que je pourrai me permettre de présenter mes collègues qui sont à mes côtés. A ma gauche, c'est Louis Falardeau qui est secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec; à ma droite, c'est Don Macpherson, journaliste au Montreal Star et qui représente l'Association of English Media Journalists; à côté, c'est Claude Vaillancourt qui représente le Club de presse du Saguenay-Lac Saint-Jean. D'ici quelques minutes, Claude Savoie va arriver en avion d'Ottawa; il représente l'Association professionnelle des journalistes de l'Outaouais.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Je remer- cie, au nom de la commission, M. Beauchamp de sa présentation du mémoire. J'inviterais le député de Saint-Jean qui est le porte-parole ministériel à nous donner ses commentaires.

M. VEILLEUX: Peut-être pour nous situer, M. Beauchamp... Dans votre mémoire, vous mentionnez, dans l'introduction, qu'au-delà de 700 journalistes sont membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Dans quelle proportion retrouvons-nous les journalistes de la presse écrite et les journalistes de la presse parlée?

M. BEAUCHAMP: Je vais vous donner une image globale. On estime qu'il y a au Québec à peu près 1,100 à 1,200 journalistes; il est bien difficile de le dire de façon précise parce qu'il y a les pigistes, les gens qui font ça à temps partiel, etc. Nous en représentons environ 700. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec est une fédération d'organismes. Cela a été voulu comme ça, parce que les expériences antérieures d'associations de journalistes à adhésion individuelle... Dans le temps, c'était extrêmement difficile de rejoindre les gens. Alors, notre base qui est en même temps notre force et nos limites repose sur des organismes existants. C'est pour ça que nous pouvons affirmer que nous sommes capables d'aller rejoindre un consensus parce que nous avons un mécanisme en pyramide qui nous permet d'aller jusqu'à la base. En fait, nous ne voulons fédérer que des journalistes déjà organisés. Les journalistes qui agissent comme pigistes, etc, nous ne faisons aucun effort pour aller les chercher et nous sommes même assez réticents à les avoir parce que nous voulons garder une certaine homogénéité, une certaine force au sein de la fédération. Nous regroupons des organismes déjà existants qui sont, par exemple, des syndicats. Sur nos 700 membres, il y en a environ 500 ou 525 qui sont des journalistes syndiqués. On regroupe des associations professionnelles régionales ou autres et des clubs de presse, comme au Saguenay-Lac Saint-Jean. C'est comme ça qu'on est structuré. Je dirais que nos membres sont divisés ainsi: environ les 3/4 sont de la presse écrite et le quart, de la presse électronique. La raison de cet écart est due au fait que les journalistes sont beaucoup plus structurés dans le domaine de la presse écrite parce que la presse écrite est un phénomène plus ancien que la presse radiopho-nique. Ils sont également plus nombreux.

M. VEILLEUX: Vous avez mentionné qu'il y avait des syndicats qui étaient membres de la fédération mais, hier, les gens de l'ACRTF ont mentionné qu'ils avaient peur d'une espèce de concentration.

M. BEAUCHAMP: A cela, je répondrai que la concentration, au niveau syndical, qui est en train de se réaliser, c'est le pendant tout naturel

de la concentration au niveau de la propriété. Il ne faut pas s'attendre à d'autre chose. Vous avez ça, dans tous les secteurs de l'industrie et au niveau des relations patronales-ouvrières, c'est tout à fait normal qu'il en soit ainsi. Qu'on ne s'étonne pas de ça, qu'on forme des conglomérats pour détenir; la conséquence de ça, évidemment, c'est la concentration au niveau de l'organisation de travail.

M. VEILLEUX: Hier, les gens disaient que la concentration des entreprises de presse n'entraînait pas de monopole, tandis qu'une concentration de journalistes syndiqués pouvait entraîner un monopole. Vous, dans votre mémoire, vous dites que la concentration des entreprises peut amener le monopole. Est-ce que vous dites la même chose? Est-ce que cela veut tout simplement dire que la concentration dans une seule centrale syndicale, comme vous avez dit, c'était le pendant de l'autre concentration? Dans votre esprit, est-ce aussi dangereux que cela devienne un monopole?

M. BEAUCHAMP: Cela peut devenir un monopole au niveau de l'organisation syndicale des journalistes, mais actuellement, disons que la CSN groupe à peu près 500 journalistes. Il y a également des syndicats affiliés à la FTQ. Il y a des syndicats autonomes affiliés à la FTQ, celui du Journal de Québec par exemple. Il y en a aussi d'autres, certains postes de radio. Il y a NABET qui en syndique et il y a l'American Newspaper Guild qui porte maintenant un nom canadien, je pense. On a enlevé "american" et cela reste Newspaper Guild qui syndique, au Québec, le Montreal Star, qui n'a pas encore signé sa première convention collective de travail. C'est un phénomène nouveau au Québec que l'organisation des journalistes sur le plan syndical. C'est tout à fait nouveau.

M. VEILLEUX: Je pense que cela nous amène à parler un peu du statut professionnel des journalistes. Si je comprends bien votre intervention, pour être membre d'un syndicat et, partant, de la fédération, il s'agit tout simplement de travailler à titre de journaliste pour un journal où on retrouve un syndicat. Il n'y a pas d'autre critère d'admissibilité.

M. BEAUCHAMP: Pour les fins de la fédération, nous avons retenu une définition qui est fonctionnelle, définition qui a été retenue également au niveau du Conseil de presse. On ne porte pas de jugement de valeur sur la qualité des journalistes. H faut dire une chose, ce ne sont pas tous les membres des syndicats qui nous sont affiliés qui sont membres de la fédération. Parce que tous nos syndicats affiliés groupent également des employés auxiliaires, des commis, des secrétaires, des graphistes, des documentalistes, etc. Ces gens-là ne sont pas membres de la fédération. Il y a seulement les journalistes à l'intérieur des syndicats qui sont membres de la fédération. Notre définition est très simple. On dit: Est journaliste quelqu'un qui gagne sa vie en travaillant pour des entreprises de presse. Comme vous le voyez, c'est très fonctionnel et on s'en tient à cela comme définition. Mais on est extrêmement sévère dans l'application de cette définition-là.

M. CLOUTIER (Montmagny): Relativement au sujet que vient de traiter le député de Saint-Jean sur l'aspect professionnel, est-ce qu'il y a des chances, M. Beauchamp, que votre fédération se dirige vers la formation ou propose la formation d'une corporation professionnelle des journalistes?

M. BEAUCHAMP: Dans l'état actuel de la réflexion dans le milieu, je vous dirai que non. Je ne peux pas parler pour dix ou quinze ans d'ici. Je pense que la très grande majorité des journalistes actuellement sont opposés à la création d'une corporation professionnelle pour les journalistes. Il y en a qui y sont favorables, mais je pense que c'est une petite minorité.

M. CLOUTIER (Montmagny): Quelles seraient les objections majeures? Parce que, si je comprends bien, étant donné que vous n'avez qu'une seule forme de regroupement qui est le syndicat...

M. BEAUCHAMP: II y a la fédération professionnelle aussi.

M. CLOUTIER (Montmagny): D'accord, la fédération professionnelle. Mais c'est dans une autre optique. Cela amène vos membres à traiter à la fois des problèmes matériels de la profession, conditions de travail, rémunération et aussi des conditions d'exercice professionnel, tel que le secret professionnel, en particulier.

M. BEAUCHAMP : Je vais répondre à ceci très clairement et très simplement. C'est justement la raison pour laquelle les journalistes ont créé la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui est une superstructure et qui ne s'occupe absolument pas de ces problèmes concrets de relations de travail.

C'est très clair dans notre charte, nous n.e nous occupons pas de cela. On intervient quelquefois sur le plan privé. S'il y a des journalistes qui sont mal pris, qui ne sont pas équipés, alors on intervient privément pour leur dire: Ecoutez, il y a une situation intolérable; pourquoi maintenez-vous une situation comme celle-là?

La FPJQ a justement été créée par les différents organismes existant dans le milieu pour qu'elle s'occupe, elle, de ces questions qui sont strictement professionnelles, qui ont évidemment des répercussions au niveau des relations de travail parce que le métier s'exerce tous les jours dans les entreprises de presse. Le rôle de la FPJQ est justement de s'occuper de ces

questions et nous, nous ne nous occupons absolument pas, comme organisme, des questions immédiates, quotidiennes de relations de travail.

M. CLOUTIER (Montmagny): En somme, on peut dire que la fédération serait l'équivalent d'une corporation professionnelle...

M. BEAUCHAMP: Si on veut, dans un sens; mais on ne veut pas la structure rigide corporative pour différentes raisons. Premièrement, on pense que — et c'est la raison fondamentale — il faut absolument que le milieu journalistique soit un milieu extrêmement hétérogène; parce que si on fait une corporation professionnelle — on a prévu un concept dépassé qui devait disparaître aussi dans d'autres professions, peut-être pas dans toutes, mais d'autres professions — on en arrive évidemment et inévitablement à être obligé de déterminer des règles, des normes, donner des cours, faire passer des examens, porter des jugements de valeur et on serait obligé, à ce moment-là, de faire passer tout le monde dans le même moule. Nous, nous disons que ce serait ce qu'il y aurait de pire pour l'information particulièrement au Québec, peut-être, qui est quand même une petite société, une société restreinte, peu nombreuse. Aux Etats-Unis, ce serait peut-être bien différent parce que c'est énorme, tandis qu'au Québec cela demeure une petite société et il faut absolument, à notre avis, que le milieu de l'information, le milieu des journalistes reflète, dans les membres qui la composent, la diversité, le pluralisme de la société québécoise.

Il y a un autre facteur aussi. Etant donné que la société devient de plus en plus complexe, c'est-à-dire ce que doivent couvrir les journalistes — la tendance est à la spécialisation — l'un se spécialise en économie, un autre dans les affaires sociales, un autre dans les affaires urbaines, etc.. Il faut absolument avoir dans le milieu des gens qui ont ces formations de façon à pouvoir répondre aux besoins de l'information, pour qu'il y ait, dans le milieu journalistique, une pépinière variée, multidisciplinaire, où l'on peut dire, à un moment donné, je ne sais pas: La presse décide parce qu'il y a des problèmes bien particuliers d'urbanisme à Montréal, d'essayer d'avoir quelqu'un qui est spécialisé là-dedans et ne voudrait pas que la structure rigide d'une corporation professionnelle empêche la venue dans le milieu journalistique de personnes qui ne se conformeraient pas aux définitions de la corporation.

Une autre raison, qui est peut-être plus théorique, c'est qu'on pense que le métier de journaliste, finalement, répond autant à des critères de préoccupation qu'à des critères de formation académique proprement dite.

Finalement, le journaliste est quoi? C'est d'être observateur et être capable de retransmettre ce qu'il voit. Théoriquement, tout le monde est capable de faire cela, mais tout le monde n'a pas le même talent là-dedans. On pense que, dans le milieu, il faut qu'il y ait cette mobilité parce que c'est un métier dur, stressant et on se rend compte d'une chose, c'est que des vieux journalistes, il n'y en a pas beaucoup. Les gars quittent le métier à un moment donné, vers 35, 40 ans parce que c'est trop dur. Il faut donc créer un mouvement continuel.

On pense que la structure rigide d'une corporation professionnelle ne se prête pas à cela. On fait une remarque, c'est que c'est vraiment un métier d'équipe qui fait que cela s'oppose peut-être également à la notion de droit individuel qui existe nécessairement dans les corporations professionnelles. On pense que ce ne serait pas une bonne chose.

Il y aurait des avantages à cela, en ce sens que cela conférerait peut-être un statut automatique aux journalistes. On dirait au journaliste qu'il est professionnel, qu'il est membre d'une corporation, mais c'est un statut, comme on le dit dans le mémoire, au sens médiéval du terme. On n'a pas besoin de cela, on veut que les gars puissent exercer leur métier suivant l'actualité, et l'actualité change. Au début des années 60, la mode était à la sociologie. Aujourd'hui la mode est à l'économie. Dans cinq ans, la mode sera à autre chose.

Il faut donc qu'il y ait à l'intérieur assez de latitude pour que le milieu de l'information s'adapte à son métier qui est un métier mouvant, qui change tous les jours, qui change selon les préoccupations, qui change selon les problèmes.

Alors, il faut que ça puisse s'adapter extrêmement rapidement.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que votre fédération a un mot à dire, a accès ou a été consultée sur la formation professionnelle des journalistes à l'école de Laval?

M. BEAUCHAMP: Oui, nous sommes membres, par exemple, d'un comité consultatif conjoint du ministère de l'Education et du ministère du Travail sur les techniques des communications. L'Université Laval nous consulte à l'occasion; lorsqu'il est question de stages, c'est la fédération qui est appelée à parler au nom de l'ensemble des journalistes. On a même été consulté au niveau des CEGEP, en particulier à Jonquière. Je pense que la fédération doit garder sa structure souple actuelle, souple au point que si jamais les journalistes trouvent qu'elle ne fait pas ce qu'eux veulent, ils la font tomber. On veut que cela aille jusqu'à ce point. C'est que si un organisme est incapable d'exposer, dans ses actions, le consensus des journalistes, on veut que les gars soient capables de la faire tomber, qu'ils ne soient pas poignés avec un organisme dont ils ne sont pas capables de se défaire et forcés d'en créer un autre à côté, comme cela existe dans une couple de professions actuellement, où ça crée des tensions internes incroyables. On veut

que les gars, si elle ne fait plus l'affaire, soient capables de la faire tomber. Mais je pense qu'avec cette structure sur plat, on est capable de remplir des fonctions valables sur ces plans professionnels de formation, de normes déontologiques etc.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Saint-Jean.

Le ministre des Communications.

M. L'ALLIER: M. le Président, on pourrait effectivement discuter pendant des heures, c'est très intéressant et, au fur et à mesure que M. Beauchamp parlait, il y a des questions qui me passaient à l'esprit et qui partaient et il y en a d'autres qui arrivaient. Je ne sais vraiment pas comment aborder de façon positive et surtout immédiatement concrète le problème qui est devant nous. Je vais tenter de vous poser des questions auxquelles vous avez peut-être déjà répondu dans des documents. Il y en a des tas — j'ai eu l'occasion de parcourir comme d'autres les documents qui ont été déposés devant la commission parlementaire sur la liberté de la presse depuis le début — et ça ferait peur à un bénédictin de relire tout ça. Le problème de l'information de la population, si on se place dans l'optique ou dans la peau soit du journaliste, soit du propriétaire de l'entreprise, n'est évidemment pas du tout le même que si on se place dans la peau du consommateur de l'information.

Jusqu'ici, on a discuté — et c'est probablement normal — en se plaçant dans l'optique ou à partir des mémoires et des positions de l'entreprise et maintenant du journaliste. Continuons un peu là-dedans. La cueillette de l'information, c'est à la base, en définitive, de l'information même. La concentration des entreprises de presse peut effectivement représenter les dangers que vous soulignez, elle devrait cependant présenter aussi des avantages, notamment au niveau de la cueillette de l'information, de la spécialisation des secteurs d'information à l'intérieur d'un medium ou des media et quant à l'étendue d'un territoire couvert. En plus de la cueillette de l'information, tout en étant conscient que la concentration des entreprises de presse représente probablement les dangers que vous soulignez, cette concentration devrait permettre, par ailleurs, des équipes de soutien à la profession journalistique, des bureaux de recherche, etc. Ma première question est la suivante: Est-ce que, envisagée de votre point de vue, cette concentration a eu ses effets bénéfiques sur l'information et d'une façon satisfaisante?

M. BEAUCHAMP: Elle ne les a sûrement pas eu d'une façon aussi large, aussi belle que des propos comme ceux que vous venez de tenir peuvent le laisser entrevoir. Il n'y a pas nécessairement de relation de cause à effet entre les deux. Il y a eu de la concentration, par exemple, dans ce qu'on appelle les grands hebdomadaires d'information. Maintenant, les grands hebdomadaires, La Patrie, le Petit Journal, Photo-Journal, appartiennent au même groupe. Est-ce qu'il y a eu une amélioration dans la qualité de l'information là-dedans? C'est le contraire qui s'est produit. Le Petit Journal a déjà été vraiment un grand journal d'information, pendant une ou deux générations, je ne sais pas, mais ce fut pendant longtemps un bon journal d'information. C'est rendu quoi? Un journal à potins, finalement, un journal à sensation. On a diminué la qualité de ce journal. La Patrie, c'est la même chose. Photo-Journal, c'est rendu quoi? C'est rendu une feuille à vedettes. C'est ce qu'on a fait de ces journaux. On a diminué la qualité. Evidemment, il y a de plus belles couleurs qu'avant, je suis bien d'accord là-dessus. Les photos sont plus belles qu'avant. Mais pour payer ces photos, on a coupé de moitié le service de l'information.

Je ne dis pas qu'il n'aurait pas fallu couper un petit peu le service d'information. Mais on l'a coupé de moitié pour se payer de belles couleurs. On a diminué la qualité de l'information. Quand le réseau Télémédia s'est formé pour un an d'essai, par exemple à CKCH, à Hull et Ottawa, ç'a foutu la pagaille complètement dans le système d'information là-bas. Avant, il se faisait de la bonne information locale; avec l'entrée du réseau Télémédia, ç'a foutu le service à terre, on est passé de cinq journalistes à deux ou trois. Cela changeait constamment, et tout ce que vous voulez.

La concentration des entreprises de presse n'amène pas nécessairement une amélioration de la qualité. Cela peut en amener une. Je pense que certains postes de télévision du réseau Télémédia sont maintenant mieux servis du côté de l'information qu'auparavant, par exemple les habitants de régions d'un certain nombre des postes qui sont maintenant affiliés au réseau TVA.

Cela peut amener de l'amélioration, mais pas nécessairement. C'est pour ça qu'il faut vraiment voir la concentration des entreprises de presse comme un phénomène inévitable ou peut-être normal du point de vue économique, normal en ce sens que ça se produit partout, y compris en France où il y a maintenant presque des monopoles sur le plan régional, à la presse régionale, qui est extrêmement forte en France, comme vous le savez, beaucoup plus forte qu'ici, beaucoup plus influente qu'ici.

Mais même là, on sent qu'il y a un phénomène de concentration. Mais il faut réagir vis-à-vis de ça, il faut se préparer dès maintenant pour ne pas être pris, à un moment donné, avec des contrôles de fait qu'on ne sera plus capable de briser. Tout ça permet, quand il y a concentration, une grande poussée comme celle qui a eu lieu en 1967; il y a eu une commission parlementaire qui a siégé parce qu'il fallait briser le testament des Berthiaume, etc. C'est

bien compliqué, c'a a commencé avec l'achat de La Presse. Bon!

Le Parlement a donné son approbation à ça en y mettant des conditions: que la propriété, par exemple, du journal La Presse devait rester dans la famille de M. Desmarais, etc. Mais, depuis 1967, il y a eu au moins cinq ou six réaménagements de propriété à l'intérieur du groupe. Etes-vous capables de me dire, vous, qui est propriétaire de La Presse aujourd'hui? Non.

C'est facile, c'est le même groupe. A l'intérieur du groupe, il y a eu cinq ou six réaménagements de propriété. On avait toujours dit que, par exemple, Power Corporation n'avait rien à faire avec la Presse. On a toujours dit ça. Dans le dernier conflit à la Presse, qu'est-ce que Desmarais a dit à la télévision? Heureusement que la Presse est soutenue par Power, parce que nous ne serions jamais capables de résister à l'assaut des syndicats. C'est ça qu'il a dit. Il l'a dit publiquement et il l'a écrit dans un communiqué. Bon!

Il y a, à l'intérieur de ce groupe-là, un tas de réaménagements de propriétés qui font que le contrôle du Parlement est bien plus théorique que pratique si on n'y prend pas garde. C'est pour ça que nous proposons la constitution d'un organisme, qui pourrait être composé d'une personne — on parle d'un organisme quasi judiciaire — dont le rôle serait de surveiller ces choses-là.

Il ne s'agit pas d'aller mettre des bâtons dans les roues, il ne s'agit pas d'aller se fourrer le nez dans les affaires des autres, mais je pense que le pouvoir public à ce niveau4à, a quand même une certaine responsabilité. Il a voté des lois, il ne se donne aucun moyen d'en surveiller l'application. Il y a des choses qu'il faudrait voir.

M. VEILLEUX: M. Beauchamp, ne trouvez-vous pas que, justement, ça nous amène peut-être à parler de ça. Cela pourrait être un des rôles du conseil de presse?

M. BEAUCHAMP: Non, je ne pense pas. M. VEILLEUX: Non?

M. BEAUCHAMP: Je ne crois pas, si le conseil de presse veut s'en tenir à son mandat; les raisons pour lesquelles, de part et d'autre, on a voulu constituer le conseil de presse, c'est pour s'occuper de questions sur lesquelles journalistes et propriétaires et public peuvent s'entendre, donc sur des questions de qualité d'information. Là-dessus, on peut s'entendre.

Les intérêts de chacun de ces groupes sont bien différents en ce qui concerne la propriété, les profits, etc. Un organisme comme le conseil de presse va se tuer s'il s'occupe de ces affaires-là, parce qu'il y a des intérêts particuliers en jeu. Tandis que le conseil de presse va bien fonctionner s'il s'occupe d'intérêts généraux, d'intérêts publics, d'intérêts communs à plusieurs personnes. Je pense que le conseil de presse ne pourrait pas toucher à des choses comme celles-là.

M. VEILLEUX: Même si le conseil de presse ne touchait pas à des choses comme ça, dans le secteur que vous mentionnez, vous ne trouvez pas qu'on peut rencontrer le même problème, qu'il y a toujours des intérêts particuliers dans...

M. BEAUCHAMP: Mais oui.

M. VEILLEUX: ... dans quoi que ce soit?

M. BEAUCHAMP: Oui. Je suis entièrement d'accord là-dessus. Mais ce n'est pas...

M. VEILLEUX: Ce conseil de presse, j'ai hâte de voir le jour où il va fonctionner.

M. BEAUCHAMP: Nous aussi.

M. VEILLEUX: Tout à l'heure, vous nous avez dit — je le dis sans malice — que le départ de la commission a été quelque peu retardé. Nous pouvons dire un peu la même chose du conseil de presse. Cela fait deux ans qu'on nous l'a annoncé. Nous arrivons à trois ans de naissance.

M. BEAUCHAMP: Mais il va en sortir quelque chose de concret.

M. VEILLEUX: Je l'espère.

M. BEAUCHAMP: Si vous me permettez, M. Veilleux. Il est bien évident qu'il ne faut pas nier l'existence d'intérêts différents, d'intérêts particuliers. C'est bien sûr. Justement, nous ne le nions pas du tout, mais il faut s'arranger pour pouvoir vivre ainsi. Et le conseil de presse ne doit pas être un organisme qui arbitre entre des intérêts particuliers. Ce n'est pas son rôle. Le conseil de presse aura, au contraire, comme fonction d'appliquer des principes, des objectifs qui sont communs. C'est à ça qu'il va servir.

M. VEILLEUX: La journée où il commencera à fonctionner, le conseil de presse viendra nous voir et nous saurons exactement quel rôle il entend jouer.

M. BEAUCHAMP: Je pense que nous l'avons déjà donné à la commission. Nous pourrions le reprendre. Quels sont les objectifs du conseil de presse? Cela n'a pas changé. Il y a eu des rencontres très récentes entre toutes les personnes concernées et nous pouvons vous dire qu'à ce point de vue, tout est absolument réglé. Il n'y a aucun problème. Le conseil de presse, ses objectifs fondamentaux, sur lesquels nous nous sommes entendus il y a deux ans, sont maintenus par tout le monde aujourd'hui.

M. VEILLEUX: Nous pourrons revenir sur le

conseil de presse tout à l'heure, parce que je pense que le ministre n'a pas terminé.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le ministre des communications.

M. L'ALLIER: Les problèmes connexes à la concentration des entreprises de presse, vous les avez exposés tels que vous les percevez. Si, encore une fois, nous nous plaçons dans la peau du consommateur de l'information, pour lui, ce sont des choses qui ne sont pas immédiatement évidentes, la concentration des entreprises de presse. Au contraire, ça peut se traduire souvent par la multiplication des moyens de communication, la multiplication des petits journaux... Donc, ça donne l'apparence, en tout cas, d'une diversification de l'information. Le problème de la concentration des entreprises de presse n'est pas un problème, entre guillemets, populaire. Ce n'est pas un bobo que le citoyen perçoit comme tel.

Par ailleurs, il n'existe pas de la même façon au niveau des quotidiens, par exemple, ou des journaux plus strictement orientés vers l'information, que ce soit sociale, politique, culturelle, comme les journaux que nous lisons tous les matins et l'ensemble, la multitude, la masse des autres journaux ou publications qui, dans leur ensemble, ont soit des cotes d'écoutes quand il s'agit de media électroniques, soit des volumes de distribution considérables; donc, des degrés de pénétration extraordinaires et qui ne font qu'effleurer l'information quotidienne, immédiate, politique ou sociale.

Cela porte sur une multitude de choses, à un tel point qu'on peut souvent, en prenant un journal du dimanche, qui n'est pas un journal d'information, ou un journal qui est publié tous les quinze jours, toutes les semaines, retrouver en gros la même chose à Chicago ou à Détroit, à Boston ou à New York, sauf qu'ici nous l'avons en français. C'est le même genre d'information. Nous retrouvons là-dedans des vedettes américaines, mexicaines, de partout.

Est-ce que les solutions — et c'est ma question maintenant — que vous proposez, vous croyez réellement qu'elles ont des chances de toucher le problème et d'apporter au moins des éléments positifs et immédiats de solution, ou si le problème est tellement vaste qu'on va faire une structure ou qu'on va essayer d'en faire une plus pratique? Mais qu'est-ce que ça va toucher?

En d'autres mots, est-ce que le problème que nous vivons, et qui est peut-être plus aigu parce que nous sommes une communauté de six millions, qui est en fait plus aigu, cette même communauté a les moyens de le régler? Parce qu'en définitive, c'est le même problème qui se pose sur l'ensemble du territoire nord-américain pour ne pas dire européen.

En d'autres mots, y a-t-il des endroits dans l'hémisphère occidental où on dit qu'il y a une presse libre? Y a-t-il des endroits où la situation est meilleure qu'ici? Quels sont les moyens employés pour que...

M. BEAUCHAMP: Au point de départ, nous devons dire qu'il n'y a aucun problème, dans des domaines mouvants comme celui de l'information et le domaine intellectuel, qui soit réglé de façon définitive.

La question de la liberté de presse, ce n'est pas une chose qui a été gagnée il y a 100 ans et qui reste gagnée pour toujours. La question de la liberté de presse, c'est quelque chose qui se gagne tous les jours. Il faut se battre tous les jours pour la garder. Je ne dis pas qu'il y a des conflits tous les jours, des affrontements tous les jours, mais ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas gagné une fois pour toutes. Un journal peut atteindre une certaine qualité, il peut l'avoir pour six mois, cela ne veut pas dire qu'il va la garder tout le temps. Alors, il ne faut pas s'imaginer qu'il y a des solutions qui vont faire que les problèmes vont être réglés une fois pour toutes. Dans ce que nous proposons, il est bien évident que nous ne réglons pas tous les problèmes — et nous le disons clairement — c'est qu'on s'attaque uniquement à ce qu'on appelle les mass media, les moyens de communication de masse, c'est-à-dire à ceux qui s'adressent au très grand nombre. Malheureusement, nous ne sommes pas équipés encore pour nous occuper du phénomène des journaux régionaux, des journaux de quartier, qui ont énormément d'influence aussi, c'est un autre phénomène, de la presse spécialisée. Il y a tout cela qui existe, mais cela s'adresse à des marchés extrêmement restreints, je ne dis pas que les journaux n'ont pas d'influence, ils ont une influence dans un milieu plus restreint, c'est un autre phénomène. Cela, malheureusement, on ne s'y attaque pas de façon directe dans notre mémoire. Nous nous attaquons au problème des mass media, c'est-à-dire au phénomène suivant, qui fait que la société a évolué de telle façon qu'elle a maintenant besoin de ces mass media pour pouvoir vivre. Enlevez les mass media, enlevez la radio, la télévision et les journaux, la vie à Montréal n'est plus possible. La vie dans toutes les grandes villes n'est plus possible. Cela fait partie de notre société, cette affaire-là.

Les mass media sont un phénomène en soi peut-être, mais également un agent social. Enlevez cela et il n'y a plus la société que nous connaissons aujourd'hui. Cela fait partie de la société, mais cela bouge comme la société et c'est dans ce sens-là que nous voulons envisager le problème. Les mass media n'ont pas — c'est une digression que je voudrais faire — qu'une fonction d'information. Nous, nous nous attaquons à la partie de l'information, mais il y a une partie du divertissement également. Nous donnons des statistiques dans notre mémoire. A la télévision, il y a 75 p.c. à 80 p.c. de la programmation qui est du divertissement. Dans les journaux, c'est rendu à 40 p.c. ou 50 p.c. pour le divertissement, les bandes dessinées, les

mots croisés, tout ce que vous voulez, les courses, et tout cela. Il y a la partie de l'information, il faut l'envisager sous l'angle social, mais cela c'est un phénomène nouveau. Il y a 30 ou 40 ans, cela n'existait pas. La population de la ville de Montréal a plus que doublé depuis 30 ou 40 ans. Alors, le phénomène n'était pas le même. Le gars travaillait tout près de son lieu de travail. Il n'avait pas besoin de la radio pour lui dire : Ne te rends pas à ton travail ce matin, les rues sont bloquées et les autobus ne fonctionnent pas, il y allait à pied. Il n'avait pas besoin de la radio pour lui dire cela. Aujourd'hui, il en a besoin. Quand il y a une tempête de neige le matin, qu'est-ce que l'écolier fait? Il ouvre la radio pour savoir s'il va aller à l'école ou s'il n'ira pas. C'est rendu que l'information est un phénomène social, cela joue un rôle socio-politico-économique," qui dépasse le cadre économique de l'entreprise; c'est cette dimension qu'il faut reconnaître dans l'organisation professionnelle des journaux.

M. L'ALLIER: Je suis content que vous apportiez ces précisions, parce qu'on cerne un peu plus la question. S'il s'agit de renseignements, parce qu'il y a beaucoup de renseignements dans cela, cela ne pose pas vraiment de problème qu'il y ait concentration ou non. Plus il y a de monde au courant, mieux cela est. Le problème existe au niveau du traitement de l'information et, par traitement, j'entends autant l'analyse, aussi subtile puisse-t-elle être, qu'on peut faire d'une nouvelle, que le choix des nouvelles. En d'autres mots, vous pouvez lire un journal et tout ce qui s'y trouve est rigoureusement exact. On ne peut rien reprocher à qui que ce soit, sauf que ce qui s'y trouve, situé dans le contexte social et politique, ne correspond pas aux besoins d'information de la population. Cela touche aussi le problème des agences de presse, par exemple. Ce que nous savons du Viet-Nam, c'est ce que la UPI veut bien nous en dire à un moment donné. Qu'est-ce que nous faisons à l'égard de cela? Sur le plan de l'information politique, cela occupe autant de place que l'ensemble, à mon avis, de l'information politique québécoise actuellement. Qu'est-ce que nous faisons par rapport à cela? Je ne veux pas essayer de magnifier le problème de sorte qu'on dise: II n'y a pas de solution, je m'en vais chez nous, mais j'essaie de voir si les solutions que nous pouvons proposer sont pratiquées ailleurs, ont été pratiquées ou sont en voie d'être pratiquées, si ce que nous faisons actuellement est l'équivalent de la médecine préventive pour faire en sorte qu'au moins on freine cette espèce d'érosion de la qualité de l'information ou si on tente de corriger brusquement une situation. Vous dites que ce n'est pas possible de faire cela, et je suis d'accord avec vous.

M. BEAUCHAMP: Non, je ne dis pas que ce n'est pas possible. Remarquez bien une chose, c'est que le problème est nouveau partout. Ce que je peux vous dire, c'est qu'on cherche des solutions partout. Il y a eu toutes sortes de tentatives dans diverses communautés à travers le monde, tentatives de journaux de nature coopérative, de congestion; il y a toutes sortes de tentatives qui se sont faites. On se dit que si on veut que l'information en vienne à répondre aux besoins réels des gens, à ce qu'ils veulent savoir, à ce qu'ils ont besoin de savoir, il faut trouver le moyen de les amener par des représentants — ça fonctionne toujours comme ça — à entrer dans le processus de l'information. Il faut mettre le public quelque part. On a réussi à le mettre au conseil de presse, c'est une excellente chose. Mais les représentants du public qui vont être au conseil de presse n'auront pas de décisions à prendre dans le processus même de l'information.

Tantôt, vous avez touché au problème fondamental, c'est que donner de l'information sur des choses faciles, pas de problème, vous n'aurez pas besoin de grosse organisation pour ça, vous n'aurez pas besoin d'excellents journalistes, vous n'avez même pas besoin d'un journaliste. S'il pleut, n'importe qui peut dire à la radio: II pleut. Il n'y a pas de problème. Les problèmes ne se posent pas là, ils se posent dans les choses difficiles, dans les choses profondes, dans les choses conflictuelles. Les journalistes s'entendent bien avec les hommes politiques quant tout va bien. Aucun problème. Mais c'est dans les périodes de crise; c'est inévitable qu'il y ait des tensions, parce que le rôle du journaliste est d'être au coeur de l'événement; il est toujours là, surtout quand ça va mal. Qui est-ce qu'on voit quand ça va mal? C'est le journaliste, il est là. C'est lui dont on voit la maudite face. Qui est-ce qui parlait du FLQ à la radio, à la télévision, dans les journaux? Ce sont les journalistes. Les gens assimilent évidemment l'image du journaliste au FLQ. Le pas à franchir entre dire que ce sont les journalistes qui sont felquistes, n'est pas grand et il y en a beaucoup qui l'ont franchi. C'est un phénomène d'images, c'est un phénomène social et l'important dans les journaux, les mass media, ce n'est pas de donner une information insignifiante, dans le sens de "sans signification". Ce qu'il faut, c'est donner la nouvelle qui a une importance, une signification sur le plan social.

Il y a le phénomène suivant, c'est que les mass media, économiquement, ce à quoi ils visent, c'est de toucher le plus grand nombre. Or, quand tu veux toucher le plus grand nombre, il faut que tu évites les choses conflictuelles, il faut que tu évites de choquer, tu utilises un langage superficiel, tu parles de choses qui sont susceptibles d'intéresser tout le monde. Les gens qui sont dans leur cuisine ou dans leur salon n'aiment pas faire tromper leur quiétude par quelque chose qui vient les frapper en pleine face. Il y a encore des vieux aujourd'hui qui, quand le téléphone sonne, viennent mal. Pourquoi? Parce que c'est une image, c'est

une mauvaise nouvelle qui s'en vient. C'est un peu la même chose. Les gens n'aiment pas ça, ils réagissent contre ça. Il faut réaliser une chose. Hier j'écoutais ce qui se disait — je pense que c'est un mythe qu'il faut détruire — c'est que les gens sont dépendants de ce que les mass média leur envoient. Qu'on ne vienne pas me dire que le gars ou la femme qui est chez elle a... Elle a le droit théorique d'aller syntoniser une autre station, mais elle ne le fait pas. La preuve qu'elle ne le fait pas, c'est que les postes de radio et de télévision s'arrangent pour "pogner" le monde au début des grosses heures d'écoute parce qu'ils savent qu'ils vont les garder les trois ou quatre heures suivantes. Les gens ne vont pas changer de poste de radio, ce n'est pas vrai. Les gens sont dépendants de ce que les mass media leur donnent.

Pour leur donner une bonne information, il faut agir avant que l'information s'en aille. Il faut amener le public pas seulement, après, au moment où il reçoit parce qu'il ne reçoit pas ça d'une façon active, sauf dans les périodes de crise parce que ça le choque. Il est blessé, frappé intellectuellement, psychologiquement, émotivement, ce que vous voulez. Il faut trouver le moyen d'amener le public à participer au processus de l'information pour qu'on lui donne ce dont il a vraiment besoin. Les gens, quand ils écoutent un bulletin de nouvelles, ne posent pas un acte économique. Le gars, ce n'est pas vrai qu'il a le choix entre plusieurs journaux. Ce n'est pas vrai. Parce que la plupart des grands journaux, les mass media ont une espèce de monopole dans leur marché à Québec, entre autres. A Montréal, la Presse, dans l'après-midi; les gens n'ont pas le choix, premièrement; deuxièmement, quand le gars débourse $0.15, ce n'est pas un acte économique qu'il pose dans son esprit, donner $0.15. Il n'achète pas le journal ou il ne changera pas de journal en ayant l'impression qu'il pose un acte économique en disant: Je vais les boycotter, les maudits, il n'auront pas mes $0.15.

Ce n'est pas ainsi que cela fonctionne. Les gens sont vraiment dépendants de ce que les mass media leur donnent, surtout la radio et la télévision. Qu'est-ce que vous voulez, la parole est dite pour le faire entrer. Cela finit là. Et ce que les mass media donnent, y compris les journaux, même si c'est écrit, finalement, c'est une pâture jetée à tout le monde. Une fois que c'est imprimé et rendu partout... Parce que les mass media, c'est leur caractéristique de rejoindre tout le monde. C'est qu'éventuellement, tout le monde peut acheter la Presse, y compris un enfant de cinq ans. Il la voit, la Presse. Il ne sait pas lire lui, mais en principe cela ne fait rien. C'est à la disposition de tout le monde. Alors, dès qu'une nouvelle est rédigée et diffusée, elle n'appartient plus à ceux qui l'ont rédigée ou diffusée. Elle appartient au public.

Et, deuxième facteur, qui fait que les mass media sont portés à ne toucher qu'à l'insignifiant, dans le sens de non-significatif, qu'à ne pas s'embarquer dans les problèmes conflictuels, etc., c'est que les mass media, économiquement, vivent, à toutes fins pratiques, à 100 p.c. avec la publicité. Or, la publicité, elle aussi, tend à vouloir toucher le plus grand nombre. La publicité fait que cela s'ajoute au problème de la concentration des entreprises de presse. Monsieur le ministre, vous disiez tantôt que la concentration des entreprises de presse pouvait accroitre le nombre des journaux. C'est le contraire qui se produit. Cela fait diminuer le nombre des journaux. Et il y a un deuxième phénomène qui tend à accélérer ce phénomène-là, c'est la publicité. Parce que la publicité va toujours préférer le journal ou le medium qui touche le plus de monde, exclusivement à ceux qui suivent. Cela a été le drame du Toronto Telegram, qui était un excellent journal, mais il y en avait un autre qui tirait un peu plus. Alors, toute la publicité s'en allait dans le journal au plus fort tirage. Le Toronto Telegram est donc finalement tombé. C'est la même chose dans les postes de radio. Lorsqu'il y a un poste de radio qui se met à monter son "rating", toute la publicité y va. Evidemment, comme il y a des normes, il y a toujours une couple de postes de radio qui font beaucoup d'argent, et les autres s'en vont alors à la débâcle. Parce que le phénomène de la publicité fait que les agences de publicité, celles qui ont à annoncer, préfèrent les media qui touchent le plus de monde, exclusivement aux autres.

C'est donc extrêmement difficile à l'intérieur de ce milieu, de ce phénomène, d'aller chercher l'information significative. En d'autres termes, les journalistes doivent se battre pour faire leur métier. Nous l'acceptons, nous pensons que c'est notre rôle, mais il faut nous battre. Nous prenons nos responsabilités, mais nous pensons qu'elles ne nous appartiennent pas en propre. Les administrateurs ont une responsabilité. Ils doivent aussi se battre, dans le sens qu'ils doivent garder l'entreprise rentable. C'est une bataille parce que ce n'est pas facile. En particulier, dans les quotidiens. Partout dans le monde, les quotidiens tombent. Alors, ils doivent, eux aussi, se battre. Et on pense qu'il faut que le public se batte aussi. Le conseil de presse sera un moyen d'amener l'expression de la volonté du public pour ceux qui lisent, car il y a plusieurs personnes qui ne lisent pas et n'écoutent pas les nouvelles. Enfin, pour ceux qui s'y intéressent, cela leur procurera un moyen. Nous voulons, nous, leur donner un moyen beaucoup plus concret qui puisse agir au niveau où se fait l'information. C'est ce qu'on propose.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. Beau-champ, vous avez parlé du conseil de gestion, c'est une des propositions que vous faites. Pourriez-vous être un peu plus explicite, de façon pratique? Est-ce que vous avez un schéma, un modèle? Est-ce que cela existe? Est-ce que cela a été essayé?

M. BEAUCHAMP: Cela a été essayé de façon

peut-être un peu différente, en ce sens qu'il a existé, et il existe encore dans certains de nos journaux, ce qu'on appelle des comités paritaires, c'est-à-dire des comités qui groupent des patrons et des syndiqués qui se réunissent ensemble pour étudier un certain nombre de problèmes. Cela a été mis à l'essai, en particulier à la Presse, il y a quelques années, de la façon suivante : C'était un comité paritaire consultatif qui pouvait toucher théoriquement toutes les questions. Le Soleil a vécu de façon plus récente cette expérience, mais on s'est rendu compte que cela n'amenait pas de résultat. Tout d'abord, parce que c'était un comité purement consultatif et, deuxièmement, même si cela n'avait pas été un comité consultatif, cela aurait été un organisme, une formule ou un mécanisme incapable de résoudre les problèmes en temps de crise.

Je vous dis que quand tout va bien, tout le monde s'entend, il n'y a pas de problème. S'il arrivait une crise, un comité paritaire comme celui-là ne peut pas résoudre le problème parce que cela devient un niveau additionnel d'affrontement patronal-ouvrier. Il faut donc essayer d'éviter cela à un moment donné, parce qu'il y a un tas de questions qui ne concernent pas des relations strictes de travail. C'est pour cela qu'on veut faire entrer le public là-dedans.

Il y a eu des tentatives ailleurs. La France a ses comités de rédacteurs; en Suède, je sais qu'on a d'autres formules; en Autriche aussi. Il y a différentes formules de ce genre. Nous, nous avons pensé à celle du conseil de gestion parce que les formules ne sont pas indéfinies. On pourrait demander que la propriété soit donnée au public, que ce soient des coopératives. On n'est pas contre cela. On ne le propose pas comme tel, mais on pense que cela pourrait exister, des coopératives d'information. Ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose.

Il y a diverses formules. Au Monde, par exemple, à Paris, les employés sont les propriétaires. Nous, nous voulons faire entrer le public; l'idée du conseil de gestion nous est venue à la suite de l'entente que nous avions eue finalement avec toutes les associations patronales, sur le conseil de presse. C'est la même formule: des représentants, des propriétaires, des journalistes et du public se mettront ensemble et auront l'autorité de la décision au niveau du contenu de l'information. C'est-à-dire que s'il y a des problèmes d'information, les politiques d'information se décideront là et non pas au conseil d'administration, en haut.

La structure interne du journal, d'après ce que l'on propose, demeure. Il y a un directeur de l'information, etc.. Mais ce directeur de l'information, il faut qu'il soit choisi par le conseil de gestion en question, par les journalistes, par les patrons, par le public. En faisant cela, nous nous exposons à une chose, c'est qu'un gars soit nommé par une majorité autre que la nôtre, nous nous mettons en minorité là-dedans. Les journalistes acceptent cela, et c'est la même chose pour le conseil de presse.

On accepte que ce soit une majorité autre que la nôtre qui nous fixe éventuellement des normes déontologiques. On aurait très bien pu faire comme les corporations professionnelles, se faire un beau petit code, ambigu, complexe, que personne ne comprend et administré à huis clos. On a dit : Non, on ne veut pas de cela. Ce qu'on veut avoir, ce sera un code d'éthique qui sera public et ce sont eux qui vont le faire, à part cela, ils vont nous dire ce qu'il y aura dedans. On fait la même chose au niveau des salles de rédaction, parce que la censure dans les media d'information, il y a longtemps que cela ne se fait plus avec les ciseaux. Cela ne se fait pas comme cela. Cela se fait comment? Cela se fait au niveau de la politique d'embauche, au niveau du climat dans les salles de rédaction, au niveau des moyens qui sont donnés aux journalistes pour aller cueillir l'information, la diffuser, etc.. C'est comme cela que ça se fait. Le point central se fait au niveau de l'embauche des gens. Si vous engagez des gens en leur faisant passer tous les tests psychologiques pour être bien certain qu'ils sont des "company men", pour être bien certain qu'ils sont des gens qui n'ont aucun esprit critique et qui sont engagés à fond dans le système actuel, il est bien évident que vous allez avoir une salle de rédaction, après cela, tout à fait amorphe et vous n'aurez plus besoin d'y aller avec le couteau. Ou si vous passez un ou deux ans à emmerder les journalistes chaque fois qu'ils écrivent un papier et qu'ils se dégagent un peu des communiqués reçus, au bout d'un an, ils sont tannés de se battre. Ce sont des hommes comme les autres. Finalement, on vient à créer un climat qui tue tout dynamisme. C'est comme cela que ça se fait, en réalité. Le rôle du conseil de gestion sera beaucoup plus psychologique qu'autre chose. Cela va être une soupape qui va pouvoir intervenir dans les moments difficiles. Quand tout va bien, il n'y a pas de problème.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. Beau-champ, je vous écoute et disons que, comme projet théorique, je pense que cela suit la formule du conseil de presse, c'est intéressant.

Cependant en pratique, dans un quotidien important il y a urgence tous les jours. Supposons que le conseil de gestion est installé; il a discuté, il a élaboré peut-être une philosophie du contenu de l'information dans les grandes lignes et non pas dans les détails quotidiens. Il y a aussi dans les journaux — et vous l'avez dit tantôt — surtout dans les grands quotidiens non seulement une tendance mais une orientation vers la spécialisation. Vous avez des journalistes qui se spécialisent dans des secteurs particuliers, les affaires sociales, économiques et ainsi de suite. Ce conseil de gestion va avoir également à parler ou à discuter du contenu général de l'information dans ces sections spécialisées.

En pratique, tous les jours, à un moment donné, il y a des périodes où c'est plus tranquille dans le domaine de l'information, il y

a des périodes où c'est beaucoup plus mouvementé. A ce moment, je vois difficilement en pratique, réunir un conseil de gestion où il y aura des représentants du public. Quant aux propriétaires et aux journalistes, je pense que ça va, vous pouvez les avoir sous la main, mais, du côté du public, j'aurais les deux questions suivantes: Comment voyez-vous la représentation du public? Est-ce que ce seraient les groupes socio-économiques, est-ce que ce seraient les deux partenaires qui, eux, accepteraient les représentants du public et, dans le cas où ils seraient nommés, en pratique, comment assurer un mécanisme souple, assez rapide et assez harmonieux de fonctionnement?

M. BEAUCHAMP: Je vais répondre que ce que nous disons, c'est que les conseils de gestion se trouvent à remplacer, au niveau des salles de rédaction, le conseil d'administration. Entre vous et moi, cela va être bien plus facile de réunir le conseil de gestion que de réunir le conseil d'administration d'une entreprise comme la Presse, par exemple, dont un des membres du conseil d'administration est une personne de Québec, ici, une autre de Stratford, Ontario, etc. Je pense que, du point de vue purement pratique, ce que nous proposons va être beaucoup plus facilement réalisable. Les représentants du public sont peu nombreux là-dessus, il peut y avoir des formules différentes; ce que nous proposons, c'est un conseil de gestion quand même assez restreint. Ce que nous proposons, c'est peut-être, dans l'immédiat, là ou on pourrait se le permettre, six personnes, dont deux représentants du public. Je pense que ce serait assez facile à faire. Ce que nous disons, c'est que les gens de ce conseil de gestion vont être payés de façon adéquate, tenant compte du fait que c'est un travail à temps partiel, mais ils vont être payés de façon adéquate, pour qu'ils fassent leur rôle, mais ils vont intervenir, comme interviendrait un conseil d'administration, pour régler les grandes questions ou les questions qui n'ont pas pu être réglées au niveau de la direction de l'information. C'est ce qui se produit actuellement. Or cela remplacerait le conseil d'administration.

Quant au mode de nomination des gens du public que nous avons prévu, c'est le même que pour le conseil de presse, c'est-à-dire que les deux représentants patronaux et les deux représentants des journalistes, qui ne seraient pas nécessairement des représentants syndicaux, seraient élus pour leurs préoccupations d'ordre professionnel, une chose qui existe déjà, par exemple, à la Presse. Il y a deux procédures de grief; une qui s'attache aux questions plus strictement pécuniaires, plus strictement de relations de travail, et une autre qui a été instituée pour les questions professionnelles, et on élit des gens différents aux deux comités des griefs. Je vous jure que les gars élisent des personnes différentes, parce qu'ils les élisent selon leurs préoccupations. Ce sont ces quatre qui s'entendraient à l'unanimité pour se trouver deux représentants du public, qui ne seraient pas nécessairement des représentants de groupes socio-économiques. L'important est qu'il y ait là, au conseil de gestion comme au conseil de presse — nous nous sommes entendus là-dessus — des gens qui sont intéressés par les questions d'information, des gens qui lisent les journaux et qui écoutent les postes de radio et de télévision. A mon avis, si cette formule était appliquée au Soleil, il faudrait que, comme représentants du public, on prenne deux lecteurs du Soleil. Il y a bien des façons de trouver des gens, cela s'exerce dans le milieu, où l'on connaît un certain nombre de gens autour. Il s'agit d'amener là des personnes de bonne volonté, qui sont préoccupées par les questions d'information, des personnes intelligentes et qui sont nécessairement modérées, puisqu'elles seront choisies à l'unanimité des deux groupes.

M. CLOUTIER (Montmagny): Vous avez dit tantôt que cet organisme n'aurait pas qu'un rôle consultatif. Jusqu'où iraient, en pratique, ses possibilités, ses pouvoirs, ses responsabilités?

M. BEAUCHAMP: Nous l'avons défini dans notre mémoire, nous énumérons une série de pouvoirs. En gros, il y aurait tous les pouvoirs sur le contenu de l'information et sur l'embauche du personnel. Cela ne veut pas dire que tous les journalistes engagés iraient parader devant le conseil de gestion, pas plus qu'ils ne vont parader actuellement devant le conseil d'administration. Cela se ferait au niveau de la direction de la salle d'information, mais ce serait au niveau du conseil de gestion que s'arrêteraient les pouvoirs. En d'autres termes, le conseil d'administration n'aurait pas le pouvoir de dire? Ce journaliste, je ne le veux pas, si le conseil de gestion a dit: Oui, il est acceptable. C'est cela que nous voulons dire, et au niveau du contenu même de l'information, il y a un problème, à un moment donné, à savoir si on couvre un conflit majeur comme la crise d'octobre 1970, si on met beaucoup de budget là-dedans ou pas. Ce sera le conseil de gestion qui décidera, à l'intérieur du grand budget de l'entreprise évidemment, et qui dira: On va négliger la couverture des commissions parlementaires au Parlement et on va mettre cet argent pour couvrir la crise d'octobre 1970. Ce serait à ce niveau du conseil de gestion que cela se ferait et non pas au niveau du conseil d'administration. Il ne faut pas oublier une chose, c'est que dans les conseils d'administration, entre vous et moi, c'est un homme qui décide, ce n'est pas le conseil d'administration. Il ne faut pas se faire d'illusion là-dessus. Quand il y a un propriétaire unique qui contrôle en quelque part, il ne faut pas se faire d'illusion sur les pouvoirs réels du conseil d'administration et sur la qualité de la discussion qui a lieu à l'intérieur d'un conseil d'administration. Je n'en vise aucun en particulier, je

ne veux pas dire que les gens qui sont amenés au conseil d'administration des entreprises n'apportent pas quelque chose de positif. Mais il ne faut quand même pas se faire d'illusion sur qui décide à ce moment-là. Il y en a un qui décide.

Ce que nous proposons, c'est qu'il y en ait plusieurs, y compris lui. Mais qu'il ne soit pas tout seul. On se dit que le droit de propriété ne donne pas un droit sur le contenu de l'information. Il faut bien voir l'évolution qui s'est faite dans le monde de l'information.

Quand les journaux sont nés il y a 150 ou 200 ans, c'étaient d'abord des véhicules d'idéologies, des véhicules littéraires, etc. Les journaux naissaient et mouraient selon l'effervescence des idéologies. C'étaient des hommes politiques, des écrivains qui détenaient les journaux. L'information venait en deuxième lieu. Les gens lançaient des journaux pour faire valoir des idées.

Mais le phénomène a fait que les journaux ont touché de plus en plus de monde et c'est l'information qui a pris le dessus, justement parce qu'on voulait éviter les situations conflictuelles. Les journaux sont devenus de moins en moins engagés, ce qui leur a permis de s'étendre.

Parce qu'un gars qui n'est pas communiste à Paris, à moins que ce soit son métier de vouloir s'informer, n'achète pas l'Humanité. Pourquoi? Parce que ça le choque, ce journal-là. C'est un journal idéologique. Il y a une clientèle, mais limitée. Mais les mass media, ce n'est pas ça qu'ils veulent, c'est le contraire. Ils veulent toucher tout le monde, les communistes, les socialistes, tout ce que vous voulez.

Il y a eu ce phénomène qui s'est produit au cours des années et on en est rendu à un point où la dimension sociale des journaux, leur rôle dépassent leur cadre économique, et il faut absolument reconnaître ça dans la structure des journaux qui, à notre avis, est incapable de concilier les objectifs de rentabilité de l'entreprise avec les besoins de l'information.

Les gens ont de plus en plus besoin d'information approfondie parce que, de plus en plus, ils dépendent des mass media dans leur vie de citoyen alors que la tendance économique des mass media est d'en faire des organes insignifiants, toujours dans le sens de non-significatifs, de non engagés etc. Les deux tendances s'en vont dans des directions opposées. Il faut un moyen de faire le lien entre les deux.

On pourrait toujours dire: II faut changer la propriété des entreprises de presse, etc., mais ce serait peut-être utopique à court terme, même pour une génération ou deux. Nous disons: Formons un mécanisme qui va permettre de combler ce fossé-là, celui-là ou un autre. Remarquez bien que ce que nous proposons, c'est bien sûr que ça ne peut pas s'appliquer à un petit journal qui n'aurait pas les moyens de payer six gars même à temps partiel.

Il y a d'autres formules. Je pense que, au Soleil, on a envisagé un bout de temps la création d'une espèce d'ombudsman de l'information au niveau de la salle de rédaction. Je pense qu'il n'en est plus question pour le moment. Il en a déjà été question. Cela peut être une autre formule, ça dépend des pouvoirs qu'on donne à cet homme, etc.

Il peut y avoir diverses formules mais il faut absolument trouver un moyen et, à mon avis, l'imposer par législation, parce que, je ne la méprise pas quand je dis ça, il ne faut pas attendre de l'entreprise économique, financière qu'elle crée d'elle-même les mécanismes qui vont la contrôler, qui vont combler ce fossé. Cela ne viendra pas de là.

Alors, il faut envisager dans ce sens-là.

M. VEILLEUX: Votre proposition de conseil de gestion de l'information vient nécessairement d'un malaise qui peut être assez précis dans le milieu dans lequel vous travaillez. Est-ce que vous auriez des exemples concrets où, réellement, un journaliste, en 1972 ou 1973, au Québec, subit des contraintes dans l'information de la nouvelle qu'il a à recueillir ou vice versa?

M. BEAUCHAMP: Là, vous parlez des cas de censure?

M. VEILLEUX: Oui. Si vous parlez d'un conseil de gestion de l'information à l'intérieur d'un journal, c'est certainement dû au fait que vous vivez, en tant que journaliste, des problèmes de censure.

M. BEAUCHAMP: Non, c'est beaucoup plus large que ça. Des problèmes de censure, ça existe en temps de crise. Quand il n'y a pas de problème majeur, il n'y en a pas. Mais, comme je vous le disais tantôt, ça se fait de la façon suivante. Les journalistes du journal La Patrie, par exemple, n'ont pas les moyens de travailler. Que voulez-vous? Que font-ils? Ils font quatre page sur un avortement. Que voulez-vous? Ils remplissent les pages de grandes photos et tout ce que vous voulez. Ils n'ont pas les moyens de travailler.

M. VEILLEUX: Admettons que vous avez un conseil de gestion qui dit: On ne fera pas des pages sur l'avortement ou la maternité — parce que j'ai vu une photo et cela m'a tout l'air que c'était la maternité, visuellement, j'ai pu me rendre compte de ça en regardant la première page du journal La Patrie. Si le conseil de gestion disait: On va consacrer telle somme à l'information...

M. BEAUCHAMP: Ce n'est pas le conseil de gestion qui va décider ça. C'est sa contrainte.

M. VEILLEUX: Si j'ai bien compris, vous nous avez dit tout à l'heure...

M. BEAUCHAMP: A l'intérieur du budget qu'il a.

M. VEILLEUX: A l'intérieur du budget...

M. BEAUCHAMP: A l'intérieur du budget que l'entreprise donne à la salle de rédaction. C'est évidemment une limite très grande qu'on impose à l'amplitude de l'action éventuelle d'un conseil de gestion.

M. VEILLEUX: D'après vous, est-ce qu'un conseil de gestion pourrait amener, par des décisions qu'il prend, des problèmes financiers au propriétaire du medium d'information? Vous mentionniez tout à l'heure l'impact de la publicité notamment à la radio et à la télévision, surtout à la radio; cet impact peut se faire ressentir dans des média d'information, compte tenu des décisions que pourrait prendre le conseil de gestion.

M. BEAUCHAMP: Vous voulez dire en choquant des publicitaires par des...

M. VEILLEUX: Oui.

M. BEAUCHAMP: Ce n'est pas normal que la publicité décide du contenu de l'information. Vous trouvez ça normal, vous?

M. VEILLEUX: Non, non!

M. BEAUCHAMP : Alors, il faut empêcher ça justement. Pour l'empêcher, il faut...

M. VEILLEUX: Ne me faites pas dire des choses que je ne... J'essaie de...

M. BEAUCHAMP: Non, non! J'affirmais quelque chose sous forme de question. La structure actuelle à l'intérieur des entreprises fait qu'il y a de ces pressions continuelles qui jouent. On comprend pourquoi. Ce n'est pas mépriser quelqu'un que de relater ces faits. Mais on ne peut pas demander au propriétaire d'une entreprise de presse de résister aux pressions qui viennent des publicitaires. Il faut que cela se fasse ailleurs, parce qu'il est absolument anormal que, dans une publication qui touche tout le monde et dont les gens ont besoin, ce soient les publicitaires qui décident du contenu de l'information. Cela prend quelqu'un qui ait d'autres préoccupations que la préoccupation de rentabilité économique. Il faut trouver les moyens de concilier les deux. On n'a pas le choix. Mais il faut concilier les deux.

M. VEILLEUX: Mais, M. Beauchamp, si, au conseil de gestion de l'information, comme il va y avoir, hypothétiquement, deux représentants des media d'information, le propriétaire arrive et dit au conseil de gestion à l'information: Si le conseil prend telle décision, cela entraîne telle perte en publicité pour ce medium d'information, si vous étiez membre, représentant du monde journalistique à ce conseil de gestion de l'information, je serais moi, en tout cas, joliment embêté...

M. BEAUCHAMP: Oui. Mais cette décision se prend tous les jours, M. Veilleux. Tous les jours, j'ai cette décision à prendre comme journaliste, parce que, tous les jours, j'autorise la publication d'articles. J'en fais moi-même. Tous les jours, nous avons à prendre ce genre de décision. Il n'y a pas toujours un gros impact. Vous parlez de gros impact, c'est fort possible, mais cela arrive tous les jours. Les gens qui vont là vont se servir de leur intelligence. Il faut voir le pour et le contre. La Presse a publié il y a six ou huit mois des nouvelles sur les agences de voyage. Il y en avait deux ou trois qui étaient sur le point de faire faillite. Il y avait des gens qui avaient des billets de voyage nolisé et tout ça. On a appelé les agences de voyage pour savoir ce qui se passait exactement. Il s'est su qu'on préparait un article sur le sujet. Les agences de voyages rentables n'étaient pas du tout favorables à ce qu'on sorte des papiers sur les agences de voyages non rentables parce que cela retomberait sur elles, évidemment. Elles ont donc dit à la direction de la Presse: Nous retirons toutes nos annonces si vous publiez des articles là-dessus. A la rédaction, on a dit: Vous retirerez vos annonces. Effectivement, elles ont été deux ou trois semaines ou un mois sans publier leurs annonces, sauf que, depuis ce temps, elles sont obligées de reprendre le temps perdu et annoncent deux fois plus. Ce que je veux dire, c'est que si cela avait été le propriétaire qui avait eu à prendre la décision, si cela avait été le service de la publicité qui avait eu à prendre la décision, le service du marketing, le service du tirage, il aurait pris une décision autre que celle du directeur de l'information à la Presse. Cela se produit constamment. Au conseil de gestion, ce sont des hommes intelligents qui vont être nommés. Il faut quand même faire confiance au patron, croire qu'il va nommer des gars intelligents et que les journalistes vont aussi nommer des gars intelligents et, à quatre gars intelligents, ils vont être capables d'en choisir deux autres intelligents.

M. VEILLEUX: Si je comprends bien, dans le cas particulier que vous mentionnez, c'est que c'était un reportage sur les agences de voyage plus ou moins agences de voyage.

N'y aurait-il pas eu lieu, parallèlement à cela, de parler aussi des agences de voyage qui font un bon travail?

M. BEAUCHAMP: C'est exactement ce qui a été fait, mais ce n'était pas des agences de voyage plus ou moins agences de voyage, c'était des agences de voyage qui fourraient le monde.

M. VEILLEUX: C'était le nom d'agence de voyage.

M. BEAUCHAMP: Nous avons dit: C'est telle agence, telle agence et telle agence. Ce ne sont pas les autres. Evidemment, cela rejaillit sur les autres, mais nous le savons avant d'écrire l'article. Bien sûr que cela a des conséquences.

C'était la même chose au début de la campagne contre les cigarettes. Toutes les agences de publicité, les compagnies de cigarettes menaçaient les media d'information, qui passaient des nouvelles là-dessus, de couper leur annonce. Il y a des journaux qui n'en parlaient pas pour ne pas se faire couper leur annonce et d'autres journaux qui en parlaient. Qu'est-ce qui est arrivé finalement? Ce sont les journaux qui en ont le plus parlé qui ont eu le plus d'annonce des compagnies de cigarettes. Pourquoi? Il fallait qu'ils annoncent deux fois plus pour contrebalancer. Les journaux jouent un rôle social qui est plus large que le rôle strictement économique. Ce sont des questions, celle-là et d'autres encore plus compliquées que celle-là, qu'un conseil de gestion va être appelé à envisager dans les périodes difficiles. Si on pense que des administrateurs d'entreprises sont assez intelligents pour les résoudre d'une façon efficace et valable pour le bien commun, je ne vois pas pourquoi d'autres personnes, qui seraient à un autre niveau, ne pourraient pas aussi prendre des décisions valables et efficaces.

M. VEILLEUX: En d'autres mots, le conseil de gestion verrait à étudier l'influence à plus longue échéance que de dire tout simplement: Si nous faisons telle chose immédiatement, la publicité pour telle chose est coupée. Comme vous le mentionnez, pour la cigarette ou les agences de voyage, cela a doublé et triplé les annonces.

M. BACON: Une question supplémentaire, M. le Président, si mes collègues le permettent. Vous parlez de la contrainte de la publicité sur le contenu de l'information. Nous entendons souvent parler de cela et cela a l'air d'une façade. Je vous donne comme exemple notre région de la Mauricie, je parle de Trois-Rivières surtout. Vous pensez que la publicité est capable de contraindre le contenu ou l'information? Le gars n'a pas d'autres choix que d'annoncer dans le journal Le Nouvelliste. Dans les postes de radio, avant qu'on ait la concentration — CHLN est un poste de radio appartenant au Nouvelliste — ce n'était pas mieux, la même chose existait. Vous allez être obligé de travailler fort pour me convaincre que la publicité contraint l'information. Vos agences de voyage, vous l'avez très bien dit, elles sont obligées de revenir. Ils ne peuvent pas vous bouder à longueur d'année. D'un côté, vous nous dites que les mass media — et je suis d'accord avec vous là-dessus — sont dans la vie de tous les jours. C'est vrai. Mais le gars qui est dans le commerce, dans les affaires — je ne connais peut-être pas les mass media comme vous les connaissez — mais le gars qui est en affaires, s'il veut faire des affaires, il est obligé de suivre tout le monde, ce que tout le monde écoute. Alors, la contrainte de la publicité sur le contenu, moi je ne suis pas convaincu de ce que vous dites à son sujet.

M. BEAUCHAMP: J'espère que, quand j'aurai fini de parler, vous vous direz convaincu. Ce que vous dites, c'est vrai qu'à long terme, la publicité est obligée d'aller dans les mass media. Cela joue dans les deux sens finalement. Ils se créent un outil dont ils deviennent eux-mêmes dépendants. A long terme, cela est vrai, sauf que l'information se fait tous les jours, elle ne se fait pas à long terme. Les pressions de la publicité se font à deux niveaux. Premièrement, par l'espace et le temps accordés à l'information. Plus il y a de publicité, plus il y a de pages dans le journal, plus il y a d'information à donner, même si cette journée-là, il y a deux fois moins de nouvelles que la veille. Mais cela ne fait rien, il faut le remplir. L'autre journée, il y aura énormément de nouvelles. Comme il n'y a pas beaucoup de publicité, il n'y a pas beaucoup d'espaces à remplir. Donc, on laisse tomber des nouvelles qui parfois sont extrêmement importantes. Donc, il y a cette contrainte-là qui est une contrainte fondamentale contre laquelle on ne peut réagir que par une politique vraiment ouverte, vraiment sociale d'information. C'est-à-dire qu'un journal comme la Presse, par exemple, le Soleil, les autres, se fixent quand même des minimums de colonnes d'information. Cela joue quand même à ce niveau-là. Et au niveau de la presse électronique, c'est la même chose. Deuxième niveau, cela joue au niveau des pressions quotidiennes. Il y a un article qui est publié contre les cigarettes. Vous pouvez être sûr — c'est son rôle — que le directeur des relations publiques de la compagnie appelle le gars de la publicité et dit: Ton "moses" de journal, c'est ceci, c'est cela... Qu'est-ce que le gars de la publicité fait? Il se retourne et appelle le journaliste: Ecoute, tu ne pourrais pas...? Si le journaliste n'a pas les moyens, parce que lui aussi il faut qu'il gagne sa vie, s'il n'a pas l'indépendance, le cadre voulu pour dire: Ecoute, je comprends ton point de vue, mais notre métier, c'est d'informer les gens et de leur dire que la cigarette peut causer le cancer. Je comprends ton point de vue, mais je résiste et je vais passer ma nouvelle comme il le faut. Cela, c'est tel jour.

S'il ne le fait pas, il n'est pas à l'information. Il faut vraiment que les journalistes aient quotidiennement le cadre de liberté et d'indépendance voulu pour l'exercer. Est-ce que je vous ai convaincu? Non?

M. BACON: Non.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Chauveau.

M. HARVEY (Chauveau): M. Beauchamp, la responsabilité vis-à-vis du public. On a vu dans le passé que des nouvelles ont été une opposition véhémente dans un groupe donné. Ces oppositions ont été faites à la direction du journal qui a pu être pénalisé, le directeur du journal, le propriétaire. Le journaliste là-de-

dans... C'est vrai qu'il y a quand même la conjoncture syndicale qui est encore et davantage, pour le propriétaire du journal, un mécanisme supplémentaire qui lui crée un manque de liberté dans la direction qu'il veut donner à son journal. Beaucoup de journaux, si on parle du Soleil ou de la Presse, disparaîtraient s'ils voulaient donner le grand coup à travers la province; pour d'autres journaux hebdomadaires, c'est la même chose.

M. BEAUCHAMP: Je pense que, partout dans le mémoire, on le dit clairement. On tient parfaitement compte de la contrainte économique. On se dit que cette contrainte existant, il faut quand même donner une information qui donne le plus possible; ce sont toutes des choses possibles, des choses réalisables, on ne demande pas la fin du monde. Quand vous dites qu'un mécanisme comme celui-là va enlever au patron un pouvoir direct sur le contenu de l'information, c'est bien évident, c'est ce qu'on veut. Parce qu'on se dit que ce n'est pas parce qu'il a le droit d'être propriétaire du journal, qu'il a un droit de propriété, qu'il a un droit sur le contenu du journal. Historiquement, la liberté de presse a été liée à la liberté d'expression. Les premières batailles pour la liberté de presse étaient pour la liberté d'avoir un journal parce que le journal est un moyen de véhiculer une idéologie; c'était ça au départ. Liberté de presse et liberté d'expression ou d'opinion étaient liées. Cela a été lié graduellement au droit de publier. La liberté de presse, c'est le droit de publier, mais le droit de publier est un droit théorique. Entre vous et moi, qui peut fonder un journal d'envergure aujourd'hui? C'est un droit purement théorique. On ne peut plus faire reposer l'information sur un droit aussi théorique et aussi limité que le droit de publier et sur une motion comme la liberté d'expression qui ne cadre plus avec le rôle actuel des media d'information. Il y a encore une page éditoriale dans les media d'information, mais ce rôle diminue constamment et il n'y a rien qui dit que, dans dix ans, il n'y en aura plus.

M. HARVEY (Chauveau): Ne pensez-vous pas que le propriétaire lui-même doit viser aussi à une qualité d'information et à une diversité d'information? Si vous laissez le plein pouvoir à la salle de rédaction de diriger l'information — je pense que le mot diriger est bien placé...

M. BEAUCHAMP: Ce n'est pas du tout ce qu'on propose. C'est justement ce qu'on ne propose pas. Ce qu'on propose, c'est donner le pouvoir non pas à la salle de rédaction mais à un organisme qui est au-dessus de la salle de rédaction, qui s'appelle le conseil de gestion qui est à part et où la majorité est autre que les journalistes qui sont dedans. Le reste va être en minorité.

M. HARVEY (Chauveau): Les poursuites qui peuvent être intentées... Prenez le cas de la Presse, vous en parliez tout à l'heure; vous savez que dans la convention collective de la Presse, même les syndicats ont droit de veto sur l'engagement du directeur de l'information.

M. BEAUCHAMP: Non, non, non, non! Pas dans la convention collective comme telle. Cela a été une entente conclue au moment du dernier conflit à la Presse. Je vous ferai remarquer qu'en pratique, le directeur de l'information a été nommé sans consultation des syndicats. Comme le syndicat a décidé qu'il y avait eu assez de conflits à court terme, il n'est pas revenu là-dessus. C'est ce qui s'est passé en pratique. S'entendre à l'amiable, c'est bien beau, mais il faut instituer des mécanismes. L'argument juridique que vous soulevez...

M. HARVEY (Chauveau): II reste les droits de grief, quand même.

M. BEAUCHAMP: Oui, c'est entendu qu'il reste les droits de grief. Mais un grief... Le gars est nommé, tu fais un grief? Il ne m'a pas consulté. Le juge va dire: C'est vrai, on ne vous a pas consulté. So what?

M. HARVEY (Chauveau): En vertu de l'entente, vous devez être consultés?

M. BEAUCHAMP: C'est vrai que, juridiquement, il y a un problème qui se pose; je m'attendais à cette question. Mais les problèmes juridiques sont faits pour être résolus. Ils sont toujours résolus de toute façon. C'est vrai que ça pose un problème juridique, dans ce sens que certaines décisions vont être prises au niveau du conseil de gestion sur le contenu de l'information et c'est l'entreprise comme telle qui va en assumer la responsabilité légale.

Mais c'est exactement le même cas qui se produit actuellement. L'entreprise est responsable, mais ce n'est pas l'entreprise qui fait les papiers. Ce sont les journalistes. Le risque n'est pas plus grand avec un conseil de gestion qu'il l'est actuellement, le risque de libelle. Il n'est pas plus grand, pas du tout.

M. HARVEY (Chauveau): Vous me permettrez, peut-être une dernière question. M. Beau-champ, est-ce que votre conseil de gestion pourrait s'étendre à la presse écrite et parlée à la grandeur de l'information?

M. BEAUCHAMP: Malgré la formule proposée, on ne s'y attache pas absolument. Il est bien évident que ce que l'on propose ne peut s'appliquer qu'aux grands media qui ont les moyens de... etc., mais on pense que c'est une formule qui peut s'appliquer dans les grands media d'information qui touchent beaucoup de monde, les réseaux entre autres. Il y a sûrement moyen de l'y appliquer.

M. HARVEY (Chauveau): Vous me permettrez peut-être un commentaire. Je ne sais si je me trompe, mais disons qu'au journal Le Soleil, vous avez des propriétaires qui se défendent facilement lorsqu'ils reçoivent des accusations, par exemple, et que peut-être certaines nouvelles tendancieuses sont publiées parfois. Le propriétaire du journal dit alors: Qu'est-ce que tu veux, ce n'est pas moi qui mène, je suis un peu victime du système qui veut que la rédaction ait trop de pouvoirs dans l'élaboration du journal. D'autre part, est-ce que vous ne pensez pas que la qualité du journal peut parfois être douteuse à cause de cela?

M. BEAUCHAMP: A cause de quoi? Parce que ce sont les journalistes qui font les journaux?

M. HARVEY (Chauveau): Pas nécessairement.

M. BEAUCHAMP: II y en a un qui a lancé un journal sans journalistes.

M. HARVEY (Chauveau): Mais est-ce que vous allez mettre en doute sa qualité? Moi, je la mets en doute, de toute façon.

M. BEAUCHAMP: Un journal, cela se fait avec des journalistes.

M. HARVEY (Chauveau): Oui, d'accord.

M. BEAUCHAMP: Et c'est leur métier de faire de l'information. Moi, pour l'information — évidemment, je prêche pour ma paroisse, je suis journaliste — je ne dis pas que, comme dans les autres professions, il n'y a pas place à l'amélioration, c'est absolument évident. Mais là-dessus, je peux dire que si un journaliste est dans une boite et que c'est un mauvais journaliste, c'est le patron qui l'a engagé. S'il l'a engagé, ce doit être parce que cela faisait son affaire, ou peut-être parce que c'était un gars qui ne chargeait pas cher ou qui ne faisait pas de trouble, etc. Vous pouvez remarquer que c'est le patron qui l'a engagé, ce n'est pas le syndicat et dans aucun moyen d'information que je connaisse, les syndicats ont vraiment un mot à dire dans l'embauche. C'est le patron qui le fait, évidemment là où il y a un marché.

M. HARVEY (Chauveau): C'est un peu la même chose que pour les représentants des comtés, des circonscriptions provinciales. S'il y avait des critères de base, c'est clair qu'il y aurait peut-être cent dix députés ou cent huit, mais il y aurait peut-être une revalorisation des gens qui siègent à l'Assemblée nationale.

M. BEAUCHAMP: Vous n'êtes pas satisfait de vos collègues?

M. HARVEY (Chauveau): Non, ce n'est pas l'idée, je suis d'accord là-dessus. C'est comme dans le journalisme, au moment où un propriétaire de bonne foi engage un journaliste. Après deux ans, s'il s'aperçoit qu'il est tombé sur un mauvais numéro, si, en vertu de la présence du syndicat, il est pris avec le bonhomme, il est drôlement mal pris.

M. BEAUCHAMP: Mais il y a une chose que je tiens quand même à souligner. Vous avez affirmé que les propriétaires des entreprises de presse peuvent dire: Qu'est-ce que vous voulez que je fasse? C'est contrôlé par les syndicats. C'est absolument faux. C'est contrôlé par des cadres non syndiqués. Toute la nouvelle, tous les papiers passent par des cadres non syndiqués dans toutes les entreprises que je connais. Ce sont eux qui ont le dernier mot.

M. HARVEY (Chauveau): Mais ceux qui font partie de ces cadres ne sont-ils pas justement les professionnels du métier?

M. BEAUCHAMP: Oui, ce sont des journalistes, certainement, mais ils sont soumis à toutes les pressions qui peuvent venir d'en haut et, heureusement, que ce sont des journalistes qui sont à un tel niveau, parce que ce ne serait pas beau sans cela.

M. VEILLEUX: Vous soulevez un problème intéressant, cela me fait penser un peu à l'enseignement. Les principaux et les adjoints dans les écoles sont d'ex-enseignants; quand ils accèdent à de tels postes, assez souvent la base enseignante n'est pas satisfaite des décisions prises, prétextant qu'ils subissent.... Vous ne trouvez pas qu'il puisse y avoir un danger à un certain moment chez les gens venant du milieu journalistique qui vont siéger ou qui siégeraient à un conseil de gestion d'information? Si ces types sont spécialisés, parce que vous en arrivez, surtout dans un journal du type de la Presse, à être spécialisés dans un secteur donné, par exemple les sports, le domaine économique, si les gens siègent au conseil de gestion de l'information, vous n'avez pas peur qu'à un certain moment, ces deux individus luttent pour que ce soient surtout la page des sports ou la page de la section économique qui soient mises en valeur?

M. BEAUCHAMP: Non, parce que si un journaliste a une spécialisation, l'expérience démontre qu'un journaliste ne reste pas longtemps dans le même domaine. Personnellement, j'ai fait de la politique durant quatre ans, je fais présentement de l'économique. Dans quelques années, je ferai peut-être autre chose. Je ne pense pas qu'il y ait un danger à ce niveau. C'est toujours un danger possible — on prêche toujours pour sa paroisse — mais je veux dire que ce n'est pas plus grave que si, actuellement, par exemple, vous avez un président de compagnie qui est mélomane et qui va se battre pour que

ses pages de musique soient meilleures que celles des autres journaux.

Ce sont des journalistes qui vont être là, je ne pense pas que le danger, comme tel, soit bien grand.

M. VEILLEUX: Pour les deux journalistes, par exemple, qui sont là-dessus, cela peut être drôlement embêtant à un certain moment. Je me souviens que, dans une école donnée, la régionale où j'enseignais, à un certain moment, — je prends un exemple bien pratique — il s'agissait de faire l'horaire des enseignants au début de l'année . La direction de l'école avait dit: On va faire cela conjointement. Cela avait été fait avec la direction et autant d'enseignants qu'il y avait de membres de la direction qui décidaient de l'horaire des cours, et partant de l'horaire des enseignants pendant la semaine. Je peux vous dire que les enseignants de l'école étaient bien plus en maudit cette fois-là que l'année précédente, alors que la décision avait été prise uniquement par la direction de l'école parce que les gars ou les femmes qui y étaient s'étaient fait un horaire pas trop pire comparé à celui des autres. Ils ne prenaient jamais la dernière période de la journée, c'était toujours le même professeur qui avait la dernière période. Or, enseigner à trois heures de l'après-midi et enseigner à neuf heures le matin, c'est joliment différent dans le secteur secondaire.

M. BEAUCHAMP: J'espère que les journalistes ne feront pas comme les enseignants. Mais sérieusement, c'est un danger.

M. VEILLEUX: II y a des dangers qui peuvent arriver...

M. BEAUCHAMP: Votre question est très sérieuse.

M. VEILLEUX: Ce sont des dangers qui peuvent arriver et je les expose pour voir si...

M. BEAUCHAMP: Cet argument est très sérieux, on l'attendait puisqu'on en a discuté entre nous. Il est bien évident que ce danger est énorme et il y aura des problèmes, mais il est bien évident que les deux journalistes qui vont être là seront au point de départ, obligés d'accepter de se faire des ennemis parmi leurs amis. Cela est bien sûr, car il y aura des responsabilités à prendre à ce niveau qu'il n'y aura pas à prendre à d'autres niveaux, etc.

Il y a une chose qu'on accepte, c'est qu'on se lie, nous, par ce conseil de gestion, autant, sinon davantage, parce que cela nous touche bien plus quotidiennement que le patron, puisque l'on va vivre avec cela. C'est cela qui organisera notre travail quotidien, on se lie autant, sinon davantage qu'on veut lier les propriétaires d'entreprises avec cela. Il n'y a aucun doute là-dessus et on le mentionne dans le mémoire. Une affaire comme celle-là obli- gera, autant celle-là ou une autre formule. Mais, à un problème nouveau, il faut trouver une solution nouvelle. Cela obligera autant les syndicats de journalistes, à s'adapter, cela les obligera à autant d'adaptations difficiles que cela obligera la partie patronale à s'adapter elle, également. C'est évident, mais il faut que cela se fasse de part et d'autre.

M. HARVEY (Chauveau): Dans l'ordre d'idées vers lequel tout à l'heure, on s'était orienté, je me demande M. Beauchamp, ce que vous pensez de la concurrence dans la libre entreprise. Prenons le cas de journaux comme la Presse et le Soleil; prenons peut-être le cas des postes de radio ou de télévision de la région du Saguenay où vous avez Télé-4, le canal 12. Ce sont des entreprises privées qui doivent, dans une concurrence donnée, dans un bassin de population, essayer de s'attirer une certaine clientèle. Je ne vois pas les journalistes — je m'excuse de vous le dire — bien pensants et de bonne foi, tout en tenant compte du conseil de gestion, de l'aspect économique, etc., de donner par voie d'autorité au personnel ou aux propriétaires de ces corporations une orientation pour leur programmation, par exemple, puisqu'on sait que, dans la concurrence dans l'entreprise privée, celui qui veut vraiment offrir au public...

M. BEAUCHAMP: Permettez-moi de vous interrompre. Le conseil de gestion n'a autorité que sur une seule et unique chose, le contenu de l'information, le droit et le contrôle sur le contenu du bulletin de nouvelles. Ce n'est même pas lui qui va décider à quelle heure aura lieu le bulletin de nouvelles. Il a autorité sur le contenu du bulletin de nouvelles, parce que l'on se dit que ce n'est pas parce que quelqu'un est propriétaire d'un poste de télévision que cela lui donne le droit absolu de diriger le contenu de l'information; parce qu'il en a le droit absolu actuellement. Evidemment, en pratique, il est mitigé. Il y a des mécanismes, des journalistes, des syndicats, il y a un tas de choses, c'est vrai, mais c'est uniquement sur le contenu, et cela n'élimine pas les services de publicité, les services de marketing, les services de tirage et tous les autres. Non. C'est uniquement sur le contenu de l'information. Il faut bien s'entendre là-dessus. On ne touche absolument pas à la structure de l'entreprise telle qu'elle existe actuellement. La seule chose qu'on veut changer, c'est de briser le lien direct qu'il y a entre propriété et contenu de l'information, c'est tout.

M. HARVEY (Chauveau): Je ne suis pas d'accord.

LE PRESIDENT (Croisetière): Le député de Bourget.

M. BEAUCHAMP: C'est difficile d'accepter des choses nouvelles, mais il faut finalement se résigner, c'est ce qui permet d'avancer.

M. HARVEY (Chauveau): Vous avez un exemple frappant, le Nouveau Journal, que Jean-Louis Gagnon a mis au monde.

M. BEAUCHAMP: Le Nouveau Journal.

M. HARVEY (Chauveau): ... le Nouveau Journal, enfin, c'était un grand journal au point de vue idéologique. Il était composé de journalistes chevronnés. Vous en connaissez quelques-uns qui faisaient partie de la rédaction de ce journal. Mais où est-ce qu'il est allé ce journal? Parce qu'il ne répondait pas à ce que le public voulait.

M. BEAUCHAMP: Rolls Royce est tombé aussi, et ce n'étaient pas des journalistes qui l'administraient. Cela faisait cent ans que ça existait.

M. HARVEY (Chauveau): Je suis d'accord, mais vous donnez un exemple. C'est entendu que tous les exemples sont boiteux. Mais c'est complètement à l'opposé. C'est quand même réaliste de dire que vous avez eu le journal de Gagnon qui a fait le temps des roses. Pourquoi? Parce qu'il ne répondait pas à ce que le public voulait.

M. BEAUCHAMP: Je ne le sais pas. Peut-être que s'il y avait eu vraiment, au niveau du Nouveau Journal, un conseil de gestion élargi, que les décisions n'auraient pas été laissées à un seul homme, peut-être que le journal aurait répondu davantage aux exigences du public. C'est exactement ce que nous voulons tenter de faire par un organisme comme le conseil de gestion, essayer d'élargir ça un peu. Qu'est-ce que vous voulez? Si le public ne vient pas, à l'intérieur même du journal, essayer d'influencer les décisions, il n'aura jamais un mot à dire finalement.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Bourget.

M. LAURIN: M. le Président, nous écoutons depuis deux heures avec une extrême attention le président de la Fédération professionnelle des journalistes. Nous voudrions d'abord souligner la haute qualité, aussi bien du mémoire que des réponses qu'il a fournies à toutes les questions qui lui ont été posées. Je voudrais lui dire que le Parti québécois accepte le principe d'un conseil de gestion au niveau de la grande entreprise d'information et qu'aussi, il accepte le principe d'une intervention de l'Etat pour la création des conseils de gestion, au niveau de la grande entreprise journalistique. Il reste cependant à en étudier les implications, les modalités et j'espère que la Fédération professionnelle des journalistes, lorsque nous lui écrirons, consentira à nous faire connaître toute la documentation qu'elle a accumulée à cet effet, à la suite des études qu'elle a pu effectuer dans d'autres pays, que ce soit la France, la Suède ou les autres pays que M. Beauchamp a mentionnés. En continuant sur cette lancée, vous avez dit que le rôle de l'Etat consistait à créer des conditions pour qu'une véritable liberté de presse existe, ce qui amène l'Etat, parfois, à s'intéresser au côté négatif de la question. C'est-à-dire que l'Etat doit prendre des mesures pour éliminer les entraves qui existent actuellement à la cueillette de l'information, au traitement de l'information et à la diffusion de l'information.

Est-ce que vous pourriez aller plus loin et nous indiquer quelles sont les principales entraves qui, selon vous, existent actuellement au Québec, à la cueillette, au traitement et à la diffusion de l'information, d'une part, et, deuxièmement, comment l'Etat pourrait arriver, par une action directe ou indirecte, à éliminer ces diverses entraves?

M. BEAUCHAMP: Les entraves principales existent, à notre avis, au niveau de la diffusion de l'information, où il y a les principales failles. Au niveau de la cueillette, je pense qu'on ne peut pas dire que c'est à cause des media d'information eux-mêmes. S'il y a des problèmes de cueillette de l'information, c'est à cause des sources mêmes de l'information qui, à certains moments, causent des conflits sociaux dans lesquels on vit, peuvent se fermer à un moment donné. On a une série de recommandations très précises dans notre mémoire qui concernent surtout les régions, en ce sens que ce qu'on dit de la liberté de presse, sur le plan pratique, ça se matérialise comment? Par le fait que les gens peuvent s'abreuver à plusieurs sources d'information. On dit qu'il faut que le gouvernement s'assure que, dans toutes les régions, il y ait de grands quotidiens qui puissent s'y rendre et auxquels les gens puissent puiser, qu'il y ait la radio et la télévision. Il y a des coins où les quotidiens ne se rendent à peu près pas ou arrivent en retard. Je pense à l'Abitibi. Je ne sais pas si la situation s'est améliorée depuis un an. Ce qu'on dit, c'est qu'il faut que le gouvernement trouve le moyen d'amener en Abitibi une couple de quotidiens ou trois quotidiens, pour que les gens l'aient, qu'ils puissent l'avoir. Même, si on l'amène dans les endroits où il n'y a pas de radio, par exemple, ça pose moins de problèmes à cause des possibilités techniques des ondes, mais on dit ça.

Dans la région des Bois-Francs quand on vient de Montréal, on prend des postes américains. Pas moyen de capter des postes locaux. Je pense que c'est un problème au sujet duquel l'Etat doit sérieusement s'interroger. Evidemment, dès qu'on entre dans les ondes, il y a le problème des juridictions fédérale et provinciale. Mais je pense que le Québec, sur le plan de la juridiction provinciale actuelle, c'est son autorité pleine et entière que d'empêcher les gens de toute cette région de s'angliciser aux postes américains parce qu'ils ne peuvent pas capter les

ondes canadiennes, étant donné que les ondes américaines, à certaines heures du jour, sont plus fortes.

Je pense que l'Etat québécois doit intervenir à ce niveau. On lui demande également d'intervenir au niveau...

M. LAURIN: De quelle façon, par exemple, pour le cas précis que vous mentionnez?

M. BEAUCHAMP: ... des ondes dans la région. De quelle façon ça pourrait se faire? Sur le plan pratique, actuellement, je pense que la province de Québec pourrait exiger d'Ottawa qu'il y ait des brisages d'ondes. Cela se fait; il y a des mécanismes pour dévier des ondes dans une direction qui fait que les ondes américaines n'empièteraient pas sur les ondes canadiennes. Il y a des ententes entre le Canada et les Etats-Unis à cet effet, dans la région de Windsor, par exemple. Pourquoi n'y en aurait-il pas ici au Québec? Cela serait un rôle de la commission parlementaire d'aller voir exactement ce qui se passe. C'est pour toutes les régions frontières; même problème dans la Beauce, etc.

Il faudrait y voir de très près.

M. LAURIN: Iriez-vous jusqu'à accepter que l'Etat subventionne les messageries ou le transport des journaux?

M. BEAUCHAMP: Oui. Je répondrai à cette question de façon plus générale. Vous avez soulevé une question hier, M. Veilleux, à l'ACRTF, la question des subventions: nous en demandions une et eux s'y opposaient. Nous nous opposons à des subventions directes au conseil de presse. Que le gouvernement verse $100,000 par année, nous nous opposons à ça parce que ce serait mettre le conseil de presse dépendant du gouvernement.

Mais ce que nous proposons ne rend absolument pas le conseil de presse dépendant du gouvernement. On demande au gouvernement de verser une dot une fois pour toutes à une fondation qui, elle, va verser ses revenus au conseil de presse. Le gouvernement va verser une dot une fois et ce sera fini. La subvention à la distribution, nous sommes d'accord là-dessus parce que ça constitue une subvention directe. Nous proposons aussi un autre mécanisme pour corriger ce que nous considérons être inacceptable sur le plan de l'information.

Plus le journal est gros, moins son papier coûte cher à cause du phénomène d'achat de masse, etc. Nous, nous disons que, sur le plan économique, ça se justifie certainement de payer le papier le moins cher possible. Mais sur le plan de l'information pourquoi un journal plus petit, l'Action, le Devoir, le Droit, qui ne peut pas avoir le marché de la Presse paierait son papier plus cher que la Presse? Nous proposons un mécanisme qui ferait que tout le monde paierait le papier au même prix. Chacun continuerait à négocier ses prix et il y aurait un "pool" calculé; après ça, on rediviserait également le coût du papier entre tous les quotidiens au Québec.

Nous, «nous disons qu'il n'y a quand même qu'un bassin de population au Québec et nous ne voyons pas pourquoi le gars d'Ottawa serait pénalisé sur le plan de l'information parce qu'il reste à Ottawa.

M. VEILLEUX: M. Beauchamp, je suis content que vous donniez cet éclaircissement, parce que quand je lisais l'organisme quasi judiciaire...

M. BEAUCHAMP: Oui, nous n'avons pas voulu préciser davantage là-dessus.

M. VEILLEUX: Vous ne croyez pas qu'il peut y avoir danger que des gens décident de lancer des journaux sous prétexte qu'ils peuvent bénéficier de ça et des journaux encore de moindre qualité? Un des problèmes qu'il y a au Québec c'est que, à un certain moment, que ce soit dans les journaux ou dans les revues — parce que les revues sont aussi de l'information — des revues prennent naissance, font des dépenses, n'arrivent pas, déclarent faillite. Les mêmes individus, le lendemain, lancent une autre revue de même nature sous un autre nom, refont le même jeu. Il y a un danger que ces gens pourraient abuser, à l'intérieur d'un organisme comme celui-là, de bénéfices sur le coût d'achat dont pourraient bénéficier un journal ou des journaux qui ont plusieurs années d'existence, qui ont fait leurs preuves.

M. BEAUCHAMP: Je vais répondre à ça. IL y a plusieurs choses que je peux dire. Tout d'abord, ce que nous proposons, c'est uniquement pour les quotidiens. Pour lancer un quotidien, le coût du papier, ce n'est pas grand-chose. Donc, si un gars veut lancer un journal pour pouvoir bénéficier d'une réduction sur le coût du papier, il va aussi perdre quelques $100,000, sinon des millions. Je pense que le danger n'est pas grand de ce côté.

M. VEILLEUX: Je mentionnais les revues tout à l'heure. Il faut bien se dire que les gens qui lancent des revues, assez souvent, n'investissent même pas.

Ils en font investir d'autres.

M. BEAUCHAMP: Le mécanisme que nous proposons est uniquement pour les quotidiens, parce que nous nous adressons aux mass media, c'est-à-dire les journaux qui sont destinés à fournir de l'information à beaucoup de gens.

Il y a une autre chose. C'est que le système actuel n'empêche pas les petits journaux de très mauvaise qualité de naître et de disparaître, de renaître et de repasser. Je voudrais souligner en passant qu'il y a un phénomène assez marquant. Quels sont les media d'information que l'on critique? On critique Radio-Canada, la Presse,

le Soleil, le Nouvelliste, le Devoir, les meilleurs. Pourquoi les critique-t-on? C'est parce que la profession est organisée à l'intérieur, et on critique ça. Mais quand entend-on les gens critiquer le paquet de feuilles de choux qui n'aît toutes les semaines et qui meurt à toutes les semaines? On n'entend jamais des gens dire: C'est épouvantable, notre presse, comme elle est mauvaise avec ces petits journaux-là! Non, ce n'est pas dangereux pour les institutions en place. Finalement, on s'en fout.

M. VEILLEUX: Surtout la presse régionale.

M. LAURIN: Favorisez-vous une aide financière directe comme celle que le ministère de l'Expansion régionale a pu verser dans le passé à quelque deux ou trois journaux? Y voyez-vous des dangers, des avantages?

M. BEAUCHAMP: Vous m'obligez à réfléchir parce que je n'avais pas prévu cette question. Ce que je veux dire, je veux que ça représente vraiment la pensée des journalistes. Je vais répondre de la façon suivante. Je pense que ç'a été vu de façon assez étrange dans le milieu, étant donné que, justement, l'Association des quotidiens, etc. s'oppose elle-même à toute subvention directe de la sorte. Personnellement, j'ai réagi de la façon suivante. Je me suis dit: II y a une loi qui existe, on pouvait s'en prévaloir, aller chercher un peu plus de $100,000. Ce n'est pas grand-chose, c'est une "peanut" On a probablement — je ne sais pas — un chiffre d'affaires de $15 millions ou $20 millions par année, si ce n'est pas davantage. J'ai mal compris ça, mais là-dessus, je ne peux pas donner de réponse extrêmement précise parce qu'on ne s'est pas donné la peine de se pencher là-dessus. Mais il y a deux phénomènes. Le jour où l'on accepte qu'une entreprise de presse soit une entreprise commerciale et qu'il y a une loi qui s'applique aux entreprises commerciales, est-ce qu'on peut...

M. VEILLEUX: II s'agit de décider aussi, M. Beauchamp, si nous allons laisser la presse aux entreprises privées ou si nous allons établir la formule coopérative.

M. BEAUCHAMP: Nous ne soulevons pas cette question. Nous, nous disons que peut-être ça pourrait en venir là, c'est bien possible.

M. VEILLEUX: Je ne pense pas que le débat porte sur le fait de savoir si ça doit être une entreprise privée ou de forme coopérative, pour le moment.

M. BEAUCHAMP: Non. Pour le moment. Remarquez bien que, théoriquement, nous pou-vont imaginer que la meilleure forme de propriété des media d'information, c'est que ça revienne à la communauté locale, c'est-à-dire, d'une certaine façon pratique ou autrement, idéalement, théoriquement, nous pouvons dire que la meilleure forme serait peut-être que les gens qui en vivent, à qui ça s'adresse, en soient, en quelque sorte, les propriétaires. Il y a une tentative qui dure depuis plusieurs années, c'est plus qu'une tentative, c'est une expérience aux Etats-Unis, à New York, où il y a un poste de télévision de nature coopérative un peu spéciale, en ce sens qu'il se finance uniquement par ses auditeurs. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de l'entendre. Il n'y a aucune publicité, absolument aucune publicité et le poste se finance entièrement par les souscriptions de ses auditeurs. Finalement, c'est aussi fatigant qu'il n'y ait pas de publicité parce qu'ils passent leur temps à dire: Envoyez-nous des souscriptions. Mais, en fait, c'est un autre problème. Mais il y a quand même une tentative pour changer la propriété.

Il faudra, je pense, éventuellement en venir là parce que, c'est aussi simple que ça, aussi bête que ça, c'est le phénomène que l'on observe partout dans le monde, les quotidiens, en particulier, c'est de moins en moins payant. Alors, l'entreprise va finir par s'en retirer. Le New-York Times, par exemple, la famille qui le contrôle, je pense que maintenant c'est une fondation, mais ils font ça pratiquement comme "hobby", même si le New York Times perd de l'argent — l'an dernier, il a perdu $2 millions — ce n'est pas considéré par les propriétaires comme un investissement. Ils font plutôt oeuvre sociale, c'est considéré comme ça,...

M. LAURIN: Philanthropique.

M. BEAUCHAMP: ... philanthropique jusqu'à un certain point.

Dans l'avenir, on va dépasser largement ce que l'on propose. Nous nous disons qu'il y a des problèmes nouveaux. C'est une étape et je pense qu'il faut nous préparer à une réalité différente.

M. VEILLEUX: Je pense, M. Beauchamp, que c'est rêver un peu en couleurs que de penser qu'un jour, un journal pourra se financer par les gens qui vont acheter le journal, si nous voulons prendre la formule du poste de télévision que vous mentionnez aux Etats-Unis.

M. BEAUCHAMP: Je n'en sais rien.

M. VEILLEUX: Le journal va coûter cher.

M. BEAUCHAMP: Je ne connais pas l'avenir.

M. LAURIN: M. le Président, j'aurais une autre question à poser à M. Beauchamp. Que pensez-vous du principe — vous avez beaucoup parlé de l'état de crise, tout à l'heure, de la situation du journalisme en temps de crise — que pensez-vous du principe qu'en temps de crise, l'Etat, par l'intermédiaire du ministère de la Justice, de ses services de police, doit garder

le contrôle de l'information? Pourriez-vous commenter ce principe?

M. VEILLEUX: Avant de répondre, M. le Président, demain, à 10 heures, tout cela va être discuté.

M. LAURIN: Oui, mais nous n'aurons pas M. Beauchamp demain.

M. VEILLEUX: Oui. La Fédération professionnelle des journalistes va être présente demain. Il faut qu'elle le soit, avant l'ACRTF, et après le film, on discutera de tout cela.

M. LAURIN: M. Beauchamp était là hier, il a parfaitement entendu ce qui s'est passé hier, il a entendu les dépositions. Je pense que nous sommes parfaitement en droit, en tant que membres de l'Assemblée nationale, de demander au président de la fédération, qui vient témoigner ici, une opinion sur ce qu'il a entendu.

M. BEAUCHAMP: Disons que plutôt que de me référer aux dépositions d'hier...

M. VEILLEUX: Un instant. Je suis d'accord avec le député de Bourget qu'un membre de l'Assemblée nationale, à cette commission, soit à titre d'observateur ou de membre participant, puisse poser des questions sur quelque sujet que ce soit...

M. LAURIN: On dirait que vous avez peur de la réponse.

M. VEILLEUX: ... concernant la liberté de presse, mais ces mêmes membres de l'Assemblée nationale hier, en l'absence des membres du Parti québécois, parce que ceux-ci sont arrivés quelques heures en retard, ont décidé que ce secteur était réservé à jeudi, à 10 heures. C'est tout simplement une question d'ordre.

M. LAURIN: Je pose la question en général. Elle est posée depuis le tout début. Dans toutes les audiences que nous avons tenues jusqu'ici, la question est revenue sur le tapis, je ne vois pas pourquoi on m'interdirait de poser une question là-dessus. J'aurais pu la poser il y a un an, il y a six mois, je la pose aujourd'hui.

M. VEILLEUX: Si les membres de la commission décident qu'on entreprend la discussion sur ce sujet on va discuter du sujet.

M. LAURIN: A moins que le parti ministériel devienne le spécialiste du bâillon, M. le Président, je ne vois pas pourquoi on m'empêcherait de poser une question.

M. VEILLEUX: Si les membres de la commission désirent s'en tenir à l'ordre du jour qui a été fixé, on va en discuter demain.

M. LAURIN: D'autant plus que le mémoire de M. Beauchamp, de la Fédération professionnelle, en fait mention largement. Nous avons le droit de poser des questions sur le contenu des mémoires qui nous sont présentés et j'accueillerais avec beaucoup de suspiscion toute tentative qui viserait à nous empêcher d'exercer notre rôle ici.

M. VEILLEUX: Que le député de Bourget pense ce qu'il voudra, M. le Président, si les membres de la commission décident...

M.LAURIN: On ne nous empêchera pas, avec des règles de procédure, de faire notre devoir.

M. VEILLEUX: ... qu'au point de vue de la procédure, M. le Président, on va changer l'ordre du jour, on va le changer, mais si les membres de la commission s'en tiennent à ce qui a été décidé hier, on n'a pas à discuter de cela à l'heure présente.

M. BEAUCHAMP: Je peux régler le problème en répondant à la question ou en n'y répondant pas.

M. VEILLEUX: Je pose la question au président. C'est au président à rendre la réponse.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Hier, il avait été déterminé et entendu ici à la commission que nous inviterions l'ACRTF à venir nous présenter un film, que tous les membres de la commission ainsi que les autres organismes qui présentent des mémoires seraient présents et que les membres de la commission pourraient, à loisir, poser toutes les questions qui sont relatives au cas précis et au visionnement du film qui touche précisément les événements d'octobre et d'autres événements connexes.

M. LAURIN: Je n'ai pas parlé des événements d'octobre, M. le Président, j'ai parlé de situations de crise.

M. BEAUCHAMP: Je voudrais éviter de me référer à ce qui est arrivé hier lors du témoignage de l'ACRTF, parce qu'on va avoir plus de détails demain, mais je peux reprendre un cas qui nous a préoccupés énormément, sur lequel on a d'ailleurs émis des communiqués et sur le cas en fait des représentations auprès du ministère de la Justice: c'est l'intervention du ministère de la Justice lors de la crise d'octobre. Ce sont des faits qui se sont produits. A l'époque, on a dit qu'il était tout à fait inadmissible que le ministre de la Justice intervienne dans le processus de l'information, que ce soit ou non en temps de crise. Le ministre de la Justice du Québec, à l'époque, avait dit que la Loi des mesures de guerre interdisait, sous peine de sanctions extrêmement graves, etc., la publication des communiqués du FLQ. Un certain

nombre de journaux, de media d'information ont eu peur et ne les ont pas publiés. On peut discuter à mort sur l'opportunité ou non de publier les communiqués du FLQ, mais non sur le fait même.

Le lendemain, à Ottawa, le ministre fédéral de la Justice chargé d'administrer la Loi des mesures de guerre disait que les journaux avaient le droit de publier les communiqués du FLQ, que ça ne tombait pas sous le coup des sanctions de la Loi des mesures de guerre. Il a même fallu qu'un journal comme la Presse, en première page, dans un cadre signé par son rédacteur en chef à l'époque, s'excuse auprès de ses lecteurs d'avoir plié aux menaces du ministre de la Justice. Je trouve que c'est extrêmement mauvais pour l'information.

M. VEILLEUX: M. Beauchamp, c'est pour ça que nous avons réservé... Parce que hier, la...

M. LAURIN : Ce qui ne fait pas votre affaire.

M. VEILLEUX: Non, non, non! L'ACRTF a mentionné hier deux crises que vous-même comme journaliste, ou elle comme propriétaire de media d'information ont pu suivre, qui ont été les événements d'octobre et mai derniers. Un film a été monté relativement aux événements d'octobre 1970. Votre mémoire a deux annexes qui traitent — l'annexe a) et l'annexe b) — spécifiquement de ce problème et il n'est nullement dans l'intention de qui que ce soit à la commission parlementaire de ne pas discuter de ça, ce qui serait très mal venu parce que la moitié sinon plus de votre mémoire porte sur ces deux sujets. Pour avoir... C'est ce qui s'est décidé par les membres de la commission hier avant que les représentants du Parti québécois n'arrivent ici. Qu'est-ce que vous voulez? Ce n'est pas de ma faute s'ils n'étaient pas ici. Donc, les membres ont décidé que tout ce sujet, parce que c'est quand même un sujet litigieux, serait discuté ensemble un moment donné et nous avons fixé ce moment à demain, dix heures. Ce n'est nullement l'intention des autres membres de la commission, qui étaient présents et qui ont pris cette décision de discuter de ça demain, de ne pas vouloir en discuter.

M. CHARRON: Ce que nous allons faire demain à dix heures, c'est visionner un film et discuter, c'est ce que nous avons réservé à l'ordre du jour de demain, si j'ai bien lu la transcription de la commission d'hier, de cette espèce de papier d'entente intervenu entre les services de police et les radiodiffuseurs du Québec qui nous l'ont présenté. Ce document que nous qualifierons demain ferait l'objet de la discussion et de la séance de demain. Je pense qu'il est assez grave comme entente faite en l'absence de plusieurs intéressés, entre autres de l'opinion publique en général et des journalistes, premiers intéressés dans le milieu, pour que toute la séance de demain soit consacrée à l'étude de ce torchon d'entente entre le police et les radiodiffuseurs.

On n'a pas besoin de voir un film. Aujourd'hui, ce que nous sommes capables de faire, c'est, comme l'a demandé le député de Bourget au président de la Fédération professionnelle des journalistes, discuter du principe d'une pareille entente, du principe d'une pareille intervention. Nous nous pencherons demain longuement en temps et lieu sur la qualité de l'entente intervenue et signée entre les radiodiffuseurs, les services de police et tous les potentats du pouvoir. Pour le moment, le principe d'une intervention politique dans le domaine de l'information en est un qui, comme le disait le député de Bourget, a occupé nos travaux à chacune des séances et c'est la première fois que nous avons la Fédération professionnelle des journalistes que je considère comme étant la plus intéressée au sujet. Je ne vois pas pourquoi, parce que demain matin on doit se pencher sur une affaire faite en cachette, aujourd'hui on ne puisse pas parler ouvertement de la même chose.

M. VEILLEUX: M. le Président, je me vois très mal venu aujourd'hui... Peut-être que le député de Saint-Jacques a pu visionner le film, moi, je n'ai pas pu le visionner.

M. CHARRON: Je n'ai pas besoin de visionner le film.

M. VEILLEUX: Si le film est un torchon...

M. CHARRON: Je les ai vécus, les événements d'octobre, je n'ai pas besoin de les voir une deuxième fois.

M. VEILLEUX: ... nous le dirons nous aussi, mais nous essaierons de le dire d'une manière un peu plus polie.

M. CHARRON: Je vous ai vu démissionner pendant le mois d'octobre. Je n'ai pas besoin d'un film pour ça.

M. VEILLEUX: C'est entendu que, dans le visionnement de ce film, on ne peut pas faire abstraction des annexes a) et b) du mémoire de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

La commission, je reviens toujours à dire... D'ailleurs, le président a rendu sa décision en disant que c'est demain que cette chose sera discutée. Pour moi...

M. LAURIN: II n'a pas rendu sa décision. M. VEILLEUX: Oui.

M. LAURIN: II a permis à M. Beauchamp de faire des remarques générales sur le sujet...

M. VEILLEUX: Les membres de la commis-

sion ont dit hier que ce serait discuté demain, en présence des deux organismes concernés. Si les membres de la commission jugent approprié de faire venir d'autres personnes pour élaborer plus longuement sur le problème qui va nous préoccuper demain, on les fera comparaître. Ce qui nous a frappés hier, les membres de la commission, c'est pourquoi...

M. LAURIN: Le problème est complètement déplacé, point d'ordre. Je pose une question sur un principe. Jusqu'à quel point l'Etat peut-il intervenir pour contrôler ou brimer la liberté de presse en temps de crise? Cela ne s'applique aucunement, sinon par voie incidente, à l'objet des remarques du député de Saint-Jean. Absolument pas. C'est un principe éternel dont on discute depuis des années et des années et, pendant qu'on a ici le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, je ne vois pas pourquoi on m'enlèverait le droit de poser une question aussi générale, aussi essentielle, sur un problème qui sr; situe au centre même de la conception de la démocratie.

M. VEILLEUX: Je pense que l'événement ou le fait qui a aggravé...

M. LAURIN: Je ne me réfère pas du tout, encore une fois, à l'événement.

M. VEILLEUX: Que le député de Bourget me laisse donc terminer.

M. LAURIN: Bien, cela fait trois fois...

M. VEILLEUX: Que le fait, hier, qui a mené les membres, en l'absence du Parti québécois que je souligne encore, à prendre cette décision, c'est que les gens de l'ACRTF, après le visionnement de ce film, la Sûreté municipale de Montréal, la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale, ont décidé de régler le problème. Là, j'ai posé une question, moi. Est-ce qu'on a demandé aux représentants du monde journalistique, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec par exemple, d'y participer? On nous a répondu tout simplement que non. C'est là qu'on a dit: D'accord. Etant donné qu'on a pris des décisions de cette nature, sans demander aux intéressés de l'information que peuvent être les journalistes au même titre que les gens de l'ACRTF ou d'autres propriétaires des media de l'information, les membres de la commission ont décidé d'en discuter jeudi, à dix heures, avec tous les gens concernés.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Alors, qu'on suive l'ordre du jour.

M. VEILLEUX: Qu'on suive l'ordre du jour, M. le Président.

M. LAURIN: Nous en tirerons nos conclusions.

M. VEILLEUX: J'ai une question à poser à M. Beauchamp. Les hebdos du Canada ne sont pas encore venus ici pour expliquer leur mémoire. Ils mentionnent que le conseil de presse devrait statuer sur le statut professionnel des journalistes et reconnaître, d'une certaine façon, ce statut professionnel en émettant aux journalistes une carte de presse. J'aimerais savoir de la part de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec ce qu'elle pense d'une telle recommandation.

M. BEAUCHAMP: Je n'ai pas le texte devant les yeux, mais selon l'entente qui a été signée au sujet du conseil de presse, cela date depuis deux ans et a été ratifié cette semaine, je pense qu'il n'y a pas d'objection à le mentionner, M. Tobin qui représente l'Association des quotidiens, pourra confirmer ce que je dis, le conseil de presse, au sujet de cette chose, n'a qu'une chose à faire, c'est d'émettre une carte qui va attester auprès du conseil de presse la qualité du journaliste. Mais ce n'est pas dans le sens d'une corporation, ce n'est pas dans le sens de lui donner un statut. La carte va attester aux yeux du conseil de presse que M. Untel est un gars qui pose des actes journalistiques dans les entreprises d'information. Elle ne porte pas de jugement de valeur sur le journaliste, sur sa formation, etc... Elle constate que M. Untel...

M. VEILLEUX: Le conseil de presse, dans votre esprit, qui émettra de telle carte devrait-il se baser sur un certain statut professionnel?

M. BEAUCHAMP: Oui. Il y a dans l'entente du conseil de presse une définition de ce qu'est un journaliste, des actes qu'il pose; les actes journalistiques sont définis, les entreprises de presse sont définies, mais, encore une fois, on s'est attaché beaucoup plus à une définition formelle, si je puis dire, qu'à une définition qui chercherait à tout englober pour la définition du journaliste, parce que le milieu est mouvant, les circonstances sont multiples, etc... Pour donner une définition comme telle du journalisme, cela fait quinze ans que l'on se la pose, aux Etats-Unis, on se la pose partout. Vous avez lu, comme moi, le rapport de M. Reid sur les définitions du journaliste et partout, dans les lois qui existent, on a donné des définitions fonctionnelles du journaliste et c'est la même chose que le conseil de presse fait.

M. VEILLEUX: J'avais une dernière question à vous poser sur le million que devrait verser dans la fondation le gouvernement, dans l'esprit de la Fédération professionnelle des journalistes. Vous y avez répondu indirectement tout à l'heure.

M. BEAUCHAMP: Je pourrais peut-être ajouter, que le raisonnement qui justifie notre demande est le suivant: On se dit que l'Etat — on l'a dit, c'est écrit dans le mémoire — a une

certaine responsabilité dans le domaine de l'information en ce sens qu'il doit assurer les conditions du meilleur exercice possible de l'information etc., et l'Etat ayant une responsabilité là-dedans, on trouve qu'il est normal qu'il puisse être appelé à contribuer d'une certaine façon, financièrement, à cela. On veut que cela se fasse d'une façon qui n'engage pas le conseil de presse dans ses actes, dans ses mouvements. C'est ce qui justifie notre demande d'une dot comme celle-là, l'Etat reconnaissant sa responsabilité là-dedans, responsabilité limitée dans le sens où je l'ai mentionné plus tôt.

M. VEILLEUX: M. Beauchamp, je vous remercie d'être venu. Vous avez attendu quelque peu pour comparaître devant les membres de la commission comme les membres de la commission ont pu attendre à un certain moment, pendant quelques mois, le mémoire — c'est dit sans malice — de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, compte tenu qu'il y a eu certains événements à l'époque qui ne vous ont pas permis de déposer le mémoire aussi rapidement que vous l'auriez voulu comme fédération.

Je vous pose la question, compte tenu de la décision prise par les membres de la commission hier, est-ce que vous êtes prêt, demain, à être ici, à 10 hres pour que l'on puisse discuter de votre huitième recommandation des annexes A et B de votre mémoire et de la supposée entente des forces fantasmagoriques; discuter de ce document d'entente et visionner le film avec nous?

M. BEAUCHAMP: C'est un problème qui nous préoccupe au plus haut point et nous serons sûrement là demain.

M. VEILLEUX: On se reverra demain matin.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Nous ajournons les travaux à dix heures demain matin, et nous invitons encore une autre fois l'Association canadienne de la radio et de la télévision de langue française et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec à être présentes. Nous invitons également tous les membres de la commission à être présents afin qu'ils puissent poser des questions à ces organismes.

M. VEILLEUX: A M. Pelletier, tout à l'heure, qui m'a répondu qu'il déposerait demain le document, est-ce que vous pourriez le déposer en copies suffisantes pour qu'il y en ait pour les gens intéressés ici?

M. PELLETIER: Quel nombre?

M. VEILLEUX: Normalement, c'est une cinquantaine de copies.

M. PELLETIER: Oui.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): A demain, dix heures.

(Fin de la séance: 12 h 23).

Séance du jeudi 15 février 1973

(Dix heures quinze minutes)

M. CROISETIERE (président de la commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!

La commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse continue ses travaux ce matin, tel que convenu. Pour commencer, j'inviterais le député de Saint-Jean, qui est le porte-parole ministériel, à nous donner ses commentaires et la façon dont les travaux devraient être dirigés ce matin. Le député de Saint-Jean.

Programme de la iournée du 15 février 1973

M. VEILLEUX: M. le Président, pour que ça ne se termine pas dans la confusion, comme cela a pu se terminer à d'autres séances, il y aurait peut-être lieu que M. Audette, président de l'ACRTF, nous indique quelles sont les personnes qui vont nous présenter, ce matin, le film. Je crois que M. Pelletier veut faire une déclaration, à l'ouverture, pour resituer dans son véritable contexte la déclaration qu'il avait faite à la commission parlementaire la première journée. Après ça, on pourrait visionner le film. Avant de visionner le film, je demanderais aux représentants de l'ACRTF de nous indiquer exactement dans quel contexte ce film a été tourné, et par qui. Après ça, on pourra visionner le film: c'est pour qu'on sache exactement ce qu'on a à regarder.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Un document était censé être déposé ce matin à la commission.

M. AUDETTE: Merci, M. le Président. Avec votre permission, je vais d'abord vous présenter mes collaborateurs ce matin. A ma gauche, M. Aurèle Pelletier; à l'extrême-droite, Mademoiselle Louise Bruma, secrétaire exécutive de notre association; M. Marc-André Fèvre, un directeur de notre association; M. France Fortin, vice-président de notre association. Ce matin, vous entendrez également M. Philippe de Gaspé-Beaubien qui fera la présentation du film.

M. le Président, on nous avait demandé de déposer un document qui est une déclaration de principe sur les procédures que nous devons adopter en temps opportun. Vous nous aviez demandé de déposer ce document; nous l'avons ce matin en version anglaise, puisque le document a été originalement conçu en anglais par notre association nationale, la Canadian Association of Broadcasters. Le texte que nous déposons ce matin est le texte intégral tel qu'il a été accepté par le bureau de direction de la Canadian Association of Broadcasters.

Il existe une version française de ce document. Malheureusement, nous croyons que la version française, qui a été faite en dehors du

Québec, ne reflète pas exactement la pensée du document tel qu'il a été conçu en anglais. Pour cette raison, nous avons préféré ne pas déposer le texte français. Mais pour votre bénéfice et pour le bénéfice de l'Assemblée, nous avons ici, ce matin, le texte anglais, que nous sommes disposés à distribuer.

M. VEILLEUX: Est-ce l'intention de votre organisme d'accepter, éventuellement, une traduction française de ce document?

M. AUDETTE: Nous avons l'intention de repolir le texte français et, par la suite, de le faire accepter par l'exécutif de notre association. Nous croyons que ce serait alors un document endossé proprement plutôt qu'une simple traduction.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable ministre des Communications avait un mot à dire.

M. L'ALLIER: M. le Président, le document qu'on nous distribue est intitulé "A Statement of Objectives", etc. S'agit-il bien du même document dont on a parlé? En d'autres mots, ne s'agissait-il pas, au moment où M. Pelletier nous a parlé, d'une entente avec la commission de police ou d'une directive de la commission de police?

Je vais poser ma question plus précisément: Existe-t-il une directive de la commission de police à l'ACRTF, à ses membres ou aux radiodiffuseurs individuellement?

M. AUDETTE: M. le ministre, le texte que nous avons déposé est le texte dont a fait mention M. Aurèle Pelletier, lors de la séance d'avant-hier. C'est exactement le texte que M. Pelletier, au cours de l'audition, a fait déposer devant cette commission.

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, il existe une forme de procédure qui a été établie, à la suite de rencontres avec le ministère de la Justice du Québec, le ministère de la Justice fédéral et avec les différents corps qui sont chargés du maintien de l'ordre dans la province. A la suite des événements du mois de mai — quand je réfère aux événements du mois de mai, je réfère aux occupations illégales qui ont été faites dans certaines stations de radio et de télévision — nous avons demandé, ce matin, de permettre à M. Aurèle Pelletier de faire une mise au point sur ce qui a été déclaré lors de l'audition.

Il existe, dans tout ceci, deux situations bien précises et différentes. D y a, d'abord, la situation du mois d'octobre et, deuxièmement, celle du mois de mai.

Evidemment, nous sommes très familiers avec ces situations, parce que nous les avons vécues. Mais nous croyons que, de la façon dont cela a été expliqué, une sorte de confusion a été créée.

Avec votre permission, nous demanderons à M. Pelletier de vous présenter ses commentaires là-dessus. Peut-être que vous comprendrez facilement après que vous l'aurez entendu.

M. VEILLEUX: M. Audette, est-ce que vous seriez en mesure de nous déposer cette traduction libre du document que vous venez de nous remettre, quitte, pour les membres de la commission, à tenir pour acquis la déclaration préalable que vous avez faite, à savoir qu'officiellement ce qui est accepté par l'association au niveau national, c'est le texte en langue anglaise?

Est-ce que vous seriez physiquement capable, ce matin, de déposer cette traduction libre qui a été faite à l'extérieur de la province, comme vous dites, du texte anglais que nous avons devant nous?

M. AUDETTE : Je crois que déposer ce texte français nous serait préjudiciable. Si vous l'exigez et que vous insistez, je crois que nous nous prêterons à votre demande. Mais je dois vous mentionner que nous croyons que déposer ce document tel qu'il a été préparé pourrait nous être préjudiciable.

M. L'ALLIER: M. le Président, est-ce que je pourrais poser une question supplémentaire, quitte à ce que le député de Saint-Jean complète par la suite? Quelle est la date du document qui vient d'être distribué? A quel moment a-t-il été fait?

M. VEILLEUX: Celui-ci?

M. L'ALLIER: Oui, fait ou consolidé, en fait dans sa version actuelle.

M. AUDETTE: Si vous me le permettez, messieurs, je vais vous confirmer que le document tel qu'il est présenté a été proposé aux directeurs de l'association pour acceptation le 23 novembre 1972.

M. L'ALLIER: Est-ce qu'il a été distribué à tous les membres?

M. AUDETTE: Le document a été distribué à tous les membres pour une consultation.

M. L'ALLIER: A-t-il été distribué uniquement en anglais?

M. AUDETTE: En anglais et en français. Mais l'approbation du texte — je dis bien l'approbation du texte — au bureau de direction de notre association nationale, The Canadian Association of Broadcasters, a été faite sur le texte anglais.

La traduction a été faite à Ottawa, je crois, par des traducteurs qui ne sont peut-être pas dans le domaine de la radiodiffusion et qui, à certains moments, peuvent employer des

expressions qui ne reflètent pas exactement le fond de la pensée du texte. C'est ce que nous croyons.

M. L'ALLIER: Cela veut dire quoi, en fait? Je ne comprends pas: un texte de cinq pages. On peut avoir des problèmes de traduction avec le rapport Gendron, parce qu'il y en a des centaines, mais un document qui date du mois de novembre et...

M. AUDETTE: M. le ministre, si vous permettez... On a fait une erreur dans un mot lors de l'autre audition, il y a deux jours, quand on a parlé d'information, on voulait parler de diffusion. Vous comprendrez notre inquiétude de vouloir soumettre un texte qui ne reflète pas exactement le fond de notre pensée.

M. L'ALLIER: Je comprends aussi, M. Au-dette, que le document en question circule chez vos membres depuis le mois de novembre 1972 et que nous sommes ici dans la province de Québec et, à ma connaissance, la majorité des diffuseurs sont de langue française. Or, si ces gens ont l'impression que le "statement of objectives", la déclaration de principe, etc., c'est la version française, et qu'il y a des différences de mots là-dedans qui flottent depuis six, sept, huit mois, ça pourrait, s'il arrivait quelque chose demain matin, avoir un sens au Québec et un sens à Toronto. C'est ce que nous voulons savoir.

M. AUDETTE: M. le ministre, le texte en question a été rédigé au propre le 23 novembre, mais n'a été distribué aux membres que le 11 décembre. Maintenant, comme c'est un texte qui est soumis pour approbation de la part des membres, évidemment, ce texte doit faire l'objet d'une certaine étude et, par la suite, être reçu officiellement au bureau de l'association. Vous comprendrez, comme tout le monde, ce processus, parce que l'association ou les directeurs de l'association ne se rencontrent pas tous les jours, toutes les semaines et quelque fois même pas tous les mois; évidemment, nous devons attendre nos assemblées régulières, qui sont convoquées pour soumettre ces cas à l'assemblée, et en faire une acceptation finale et définitive. Je dois vous dire que, malheureusement, le texte n'a pas encore été présenté pour acceptation finale en ce qui concerne la traduction française.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Sainte-Marie.

M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Mais qu'est-ce qui fait que le texte n'a pas été préparé en français et en anglais en même temps? Vous l'avez fait en anglais et là vous cherchez à terminer le texte français. Est-ce que vous en avez actuellement des versions françaises?

M. AUDETTE: J'ai expliqué originellement...

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'ai compris toutes vos explications. Vous dites que ce n'est pas à point, que ce n'est pas fini. Mais est-ce que vous avez actuellement en votre possession des textes français?

M. AUDETTE: Pour répondre à votre question, oui, monsieur.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Est-ce qu'on peut en avoir?

M. AUDETTE: J'ai répondu à une question...

M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Ecoutez! moi je lis l'anglais, mais j'aime mieux lire le français.

M. AUDETTE: Oui.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Quatre-vingt dix-neuf pour cent du temps on parle en français, ici, même plus, peut-être 100 p.c. J'aimerais avoir le texte français même s'il y a des mots qui, selon vous, ne traduisent pas exactement ce que vous avez voulu dire en anglais. On pourra s'expliquer, vous demander des informations. Mais moi j'exige qu'on ait le texte français.

M. AUDETTE: Je m'excuse, j'ai expliqué tout à l'heure au président que nous considérons que déposer ce texte à ce moment-ci nous serait préjudiciable. Mais si — excusez-moi, laissez-moi finir s'il vous plaît — ...

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Oui.

M. AUDETTE: ... si vous insistez, je crois que nous n'aurons pas d'autres choix que de le faire, mais nous ne le faisons pas de plein gré.

M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Moi, j'insiste pour que les membres de la commission l'aient en français. S'il y a des choses qui, selon vous, ne concordent pas avec le texte anglais, vous nous le direz lorsqu'on vous posera des questions. Qu'importe, j'insiste pour avoir le texte français.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: M. le Président, je pense bien qu'on ne commencera pas ce matin une discussion sur le bilinguisme, ce n'est pas la place. Tout à l'heure j'ai demandé à M. Audette s'il était physiquement capable de nous remettre ce matin cette copie française non officielle. Vous m'avez répondu oui. Alors vous pourriez

très bien déposer cette copie française non-officielle, quitte, pour les membres de la commission, à prendre en considération la déclaration préalable que vous avez faite, à savoir que c'est seulement la copie anglaise qui a été officiellement reconnue par votre organisme. Je pense bien que les media d'information, les journalistes tiendront compte de cette déclaration préalable que vous avez faite.

M. AUDETTE: C'est la question qu'on se pose, M. le Président, à savoir si vraiment on tiendra compte de ces déclarations.

M. VEILLEUX: Quant à la déclaration préalable que vous avez faite, je ne doute pas de l'objectivité des journalistes. Les journalistes, lorsqu'ils discuteront de cette chose-là, tiendront compte de la déclaration préalable que vous avez faite.

M. AUDETTE: Si vous me permettez, M. le Président, je veux mettre en doute cette affirmation en vous lisant le titre d'un article qui a été publié dans le Soleil de Québec, le mercredi 14 février 1973 et qui ne reflète pas du tout ce que nous avons dit antérieurement. Cette entête se lit comme suit...

M. L'ALLIER: M. le Président, avant que...

LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. le ministre.

M. L'ALLIER: ... M. Audette s'engage dans cette voie, on pourrait aller très loin comme cela et faire l'autopsie des nouvelles qui ont été publiées ou qui ont été diffusées par les membres de votre association, ou par certains membres de votre association à l'occasion de cette commission parlementaire. M. Fortin sait ce que je veux dire. Je ne voudrais pas que la commission s'engage dans cette autopsie à court terme de la nouvelle, pour savoir comment c'est traité, et je préférerais, quant à moi, comme le temps passe, que la commission suive la recommandation du député de Saint-Jean, qui rejoint celle qui vient d'être faite, que le document soit déposé sous réserve de la déclaration préliminaire que vous avez faite et sous réserve également du fait que vous nous transmettrez ce que vous considérez, on temps utile, être la traduction officielle et la position officielle en français de votre association.

M. VEILLEUX: Disons que nous considérerons cela comme une traduction libre, ce que vous nous remettrez, et quand votre organisme aura accepté officiellement la version française, il nous la fera parvenir au secrétariat de la commission et, après cela, nous acheminerons cela à qui de droit.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): C'est entendu, M. Audette, que nous acceptons la traduction libre de votre document avec toute la réserve que vous avez indiquée et qui a été indiquée également par les membres de la commission qui se sont exprimés sur le sujet. Alors, nous continuons.

M. VEILLEUX: II y a M. Pelletier qui est censé faire une déclaration pour expliquer exactement sa position et les déclarations qu'il a faites à la première assemblée lors d'une question.

M. AUDETTE: Alors, si vous le permettez, M. le Président, nous allons céder la parole à M. Pelletier.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Pelletier, nous vous écoutons.

M. PELLETIER: M. le Président, avec votre permission, nous croyons nécessaire de faire une mise au point concernant l'explication que j'ai donnée lors de notre comparution devant votre commission mardi matin, au sujet des ententes de collaboration qui ont été convenues entre les corps policiers et notre industrie. Cette explication semble prêter à confusion et avoir été interprétée comme étant des moyens de contrôle de l'information par la police ou le pouvoir public en temps de crise, comme en ont fait écho les journalistes. Tel n'est pas le cas, M. le Président. Les faits exacts sont les suivants:

Premièrement, référons-nous à la crise d'octobre 1970. A la suite de cette crise, notre association nationale, l'Association canadienne des radiodiffuseurs, a examiné attentivement la façon dont les événements se sont déroulés au niveau de l'information. Conjointement avec l'Association des chefs de Police du Canada, nous avons formé un comité afin de déterminer les objectifs, principes généraux et principes de fonctionnement pour l'établissement de rapports de travail efficaces entre les forces du maintien de l'ordre et les media au Canada.

Les pourparlers au sujet de cette question remontent à la réalisation du film de notre association nationale, que vous visionnerez dans quelques instants. Ces pourparlers se sont poursuivis dans le cadre des réunions d'un comité groupant des représentants de notre association nationale, l'Association canadienne des radio-diffuseurs, et de l'Association canadienne des chefs de police. C'est le document auquel je faisais allusion mardi matin et que j'ai offert de déposer à la commission. Nous le déposons ce matin selon votre désir. Ce document a été approuvé à la fois par le conseil d'administration de notre association nationale et l'Association des chefs de police, lors de son congrès en 1972.

A la lecture de ce document, vous constaterez qu'il n'est nullement question de confier aux forces policières, ni à quiconque d'autre, le contrôle de l'information sur les ondes.

Passons aux événements de la crise de mai

1972. Quant au document de la Commission de police du Québec, il est le résultat des travaux d'étude, conduits conjointement par notre association, L'ACRTF, la Commission de police du Québec, la Sûreté du Québec, celle des villes de Montréal et Québec, la Gendarmerie royale, la Société Radio-Canada et le Conseil de la radiotélévision canadienne, travaux qui ont été entrepris à la suite de l'envahissement de plusieurs postes de radio et de télévision à travers le Québec, lors de la crise du front commun en mai 1972.

L'objectif de cette étude fut d'établir un mécanisme de communication entre les postes de radio et de télévision et les corps policiers afin de déterminer des mesures préventives de protection pour protéger et prévenir dans l'avenir la répétition de ces actes illégaux, voire même criminels.

C'est à la suite de ces études que la Commission de police du Québec a établi un plan d'action devant être appliqué en vue d'assurer aux postes de radio et de télévision toute la protection nécessaire, si une autre crise semblable se répétait dans l'avenir.

C'est donc dire, M. le Président, qu'il est inexact de croire et d'interpréter qu'il y a eu entente entre les radiodiffuseurs et les corps policiers en vue d'exercer un contrôle de l'information en temps de crise.

Notre association, l'ACRTF, n'aurait jamais consenti à un tel contrôle qui est contraire à notre philosophie et à notre politique en matières de liberté d'expression et de liberté de presse, tel que nous l'exprimons dans notre mémoire.

M. le Président, nous regrettons l'ambiguïté causée par cette explication qui est le résultat d'un concours de circonstances malheureux. Nous espérons que cette mise au point rétablit les faits dans leur optique réelle.

Nous espérons également que les journalistes accorderont à cette mise au point la même importance que celle qu'ils ont donnée à la déclaration elle-même. Je vous remercie, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: M. le Président, pour bien se comprendre, le document dont on vient de recevoir la copie, c'est le document dont vous faisiez mention mardi matin.

M. PELLETIER: Oui, mardi matin.

M. VEILLEUX: Si j'ai bien compris, à l'heure où on se parle, il n'y a pas, comme tel, d'entente entre les organismes que vous mentionnez, mais c'est à l'état de discussion.

M. PELLETIER: Si on se réfère à la Commission de police du Québec, l'entente qui existe est de développer un mécanisme de protection, à l'endroit des postes de radio et de télévision, que les corps policiers devront appliquer pour empêcher, à l'avenir, l'envahissement des postes de radio ou de télévision par des groupes ou des individus qui prennent le contrôle de l'opération d'un poste et qu'on se conforme au désir de la direction ou des propriétaires des postes. C'est la seule entente qui existe.

M. VEILLEUX: Si je comprends bien, l'entente n'existe pas sur le contenu même de l'information...

M. PELLETIER: Non, du tout.

M. VEILLEUX: ... mais, pour empêcher des forces extérieures de pénétrer à l'intérieur soit d'un poste de radio ou de télévision ou d'un journal, et, après, contrôler l'information à l'intérieur d'un de ces postes ou d'un journal.

M. PELLETIER: C'est exact, monsieur.

M. VEILLEUX: Pour continuer à laisser l'information libre à l'intérieur des media d'information.

M. PELLETIER: Si vous me permettez, de ne pas contrôler l'information, mais la diffusion. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

M. VEILLEUX: Je dis que l'entente est pour empêcher des forces extérieures d'entrer à l'intérieur, soit de diffuser ou de contrôler l'information à l'intérieur de la boite. C'est pour la laisser libre, telle qu'elle existe présentement dans votre esprit. C'est ça?

M. PELLETIER: C'est ça.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le député de Sainte-Marie.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): M. Pelletier, vous dites qu'actuellement, il n'y a pas d'entente entre votre association et la police afin de contrôler l'information en temps de crise. C'est bien ce que vous avez dit? Si ce n'est pas cela, corrigez-moi.

M. PELLETIER: Oui.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Si je prends votre document en français, à la page 2 b) dans les structures, il est dit: "II est prévu la création d'un comité national groupant les représentants des principales personnalités, des forces do l'ordre et des media, lequel comité sera investi du soin d'arrêter les principes généraux et des modalités d'application en ce qui concerne les rapports assurés entre la police et les media pour ce qui est de la façon de traiter l'information relative à la police et singulièrement au crime". Qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce que

ce n'est pas une entente avec la police pour traiter l'information, contrôler l'information? Voulez-vous m'expliquer ce paragraphe? Pour moi, c'est très paradoxal à côté de ce que M. Pelletier vient de déclarer.

M. VEILLEUX: M. le Président...

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ecoutez, je pose une question. M. le Président, est-ce que j'ai le droit de poser une question?

M. LEDUC: Pas des questions qui impliquent des sous-entendus...

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): M. le député de Taillon, ne prenez pas le feu pour rien. Ne vous énervez pas. Si vous voulez vous énerver, on va s'énerver à deux.

M. VEILLEUX: Question de règlement, M. le Président.

M.TREMBLAY (Sainte-Marie): M. le Président, question de règlement. J'ai posé une question à M. Pelletier. M. le Président, je fais appel à vos pouvoirs. Est-ce que j'ai le droit de poser une question à M. Pelletier sur ce paragraphe? C'est tout simplement une question d'éclaircissement, je n'affirme rien. C'est tout.

M. L'ALLIER: Je pense que lorsqu'on a demandé le dépôt de la version française du texte, il a été convenu qu'il s'agissait d'une traduction qui, en fait, pour l'ACRTF, n'en était pas une. A partir de là, pour éviter toute ambiguïté, je crois que les questions qui devraient ou qui doivent ou qui peuvent être posées au témoin devraient l'être à partir du texte anglais.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je demande si c'est exactement ça que ça veut dire dans le texte anglais qu'on lit en français.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Audet-te est prêt à répondre à votre question.

M. AUDETTE: Si vous me le permettez, M. le Président, vous avez l'exemple type de ce que nous craignons.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est pour ça que je vous le demande.

M. AUDETTE: Si vous me permettez, je vais répondre. J'ai commencé, je vais terminer. Le texte anglais dit "handling", on n'aime pas le mot "traiter" en français. C'est pour ça qu'on n'a pas voulu déposer le document, vous êtes tombé sur l'exemple type, vous êtes tombé pile. J'espère que ça répond à votre question.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ce n'est pas par coincidence, je l'ai vu et je trouvais que...

M. AUDETTE: C'est exactement la raison pour laquelle nous avons demandé de ne pas le déposer.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): En anglais, ce n'est pas "traiter", c'est quoi?

M. AUDETTE: C'est "handling".

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Au début, nous avons accepté la traduction française, la traduction libre...

M. AUDETTE: Si vous me permettez. En anglais, on parle de "handling police and particularly crime news". Il faudrait rester dans cet esprit.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Voulez-vous nous expliquer la nuance entre les deux mots, le mot anglais et le mot français, "traiter" et l'autre?

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Je crois que ce n'est pas le...

M. AUDETTE: Je peux le faire, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Je comprends, mais nous avons accepté sous réserve votre version française au tout début de la commission. C'est ce que j'ai compris, moi. Je ne prévoyais qu'il y aurait une discussion sur le document français, étant donné que c'est le document anglais qui a été reconnu comme officiel, libre à chacun des membres de la commission de l'analyser lui-même; je ne crois pas que, ce matin, ce soit l'endroit pour discuter.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je veux avoir la différence parce que ma langue officielle, c'est le français. Ma langue seconde, c'est l'anglais. Je veux savoir quelle différence il y a entre les deux mots.

M. LEDUC: Vous avez une interprétation de seconde classe au lieu d'avoir une interprétation de première classe jusqu'au moment où le recherchiste vous le traduira comme il faut en français. On n'est pas venu ici pour avoir un cours de langue.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'ai posé la question à monsieur, ici.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Le ministre des Communications aurait un mot à dire.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Est-ce que vous faites la différence entre les deux mots, moi, je ne le sais pas. Je n'en vois pas.

M. L'ALLIER: M. le Président, c'est pour illustrer les ambiguïtés qui existent actuelle-

ment. Je crois qu'on s'en va vers un éclaircissement de la situation qui va nous amener à constater l'objectif premier poursuivi par les radiodiffuseurs et faire en sorte qu'à tout moment les moyens de diffusion soient disponibles de façon régulière. Ceci dit, ces ambiguïtés, nous sommes obligés de les soulever même si ça peut paraître, même si on peut avoir l'air de prendre des positions qui sont quelquefois même agressives pour la bonne raison que les déclarations mêmes qui ont été faites soit par M. Pelletier ou autrement et les mises au point qui sont faites aujourd'hui viennent rétablir, dans une certaine mesure, la situation réelle, mais ces déclarations nous laissent perplexes quant à cette chose-là.

Je réfère au texte même de ce qu'avait dit M. Pelletier lorsqu'il déclarait — c'était le but de ma première question —: "II y a même des directives qui ont été transmises aux postes de radio et de télévision par l'entremise de la Commission de police du Québec, à savoir quels sont les moyens à prendre pour éviter la répétition de tels événements au point de vue de l'information, dans l'avenir."

On parlait de directives — ce n'est pas un lapsus — venant de la Commission de police. D'où ma question, au début de l'exposé: Y a-t-il des directives? La réponse qui m'est faite, c'est qu'il n'y a pas de directives. Il y a eu rencontre. Un texte a été établi. C'est cela qui est soumis à l'approbation des membres.

C'est cela que nous voulons essayer de clarifier. Nous ne sommes pas là pour vous embêter. Nous ne sommes pas là, non plus, pour laisser flotter des ambiguïtés. Il faut que nous sachions, à cette commission — si on veut aborder clairement le problème de la liberté de la presse — que rien, en dessous ou au-dessus de la table, n'est mis en place pour que l'information, dans son contenu qui est un droit de la population — même si on n'est pas d'accord là-dessus — soit altérée, quelles que soient les situations.

Une situation de crise, qu'est-ce que c'est? Chacun peut définir, à un moment donné, qu'il y a une crise, alors qu'il n'y en a pas toujours. On sait qu'il y a eu une crise quand elle est passée, lorsqu'on a pu savoir les limites de ce qui s'est passé. Il pourrait arriver que, chaque fois qu'il y a un peu de chahut dans une région, on dise qu'il y a une crise et, pour permettre à la police de travailler, qu'on suspende l'information. J'ai vécu à l'étranger assez longtemps pour subir des choses comme cela. J'étais même dans un pays où, effectivement, dès que quelque chose se passait, les journaux étaient coupés, la radio était coupée. Tout ce qu'on avait, c'était de la musique et des policiers dans la rue. Là, on savait qu'il y avait une crise. Mais il y en avait souvent.

Or, ce que nous voulons, ici, maintenant, c'est bien voir si la vérité est telle qu'on peut la présumer, à savoir qu'il n'y a, d'aucune façon, intention ou moyens mis en place par l'associa- tion, par les radiodiffuseurs, par la police ou par qui que ce soit pour faire en sorte qu'à quelque moment que ce soit les contenus d'information soient modifiés altérés ou même non diffusés, si l'information est réelle. Parce qu'à ce moment-là cela peut devenir un élément de crise important.

Ce qui nous importe, c'est que les media puissent continuer, quelles que soient les situations, à fonctionner normalement. Je suis tout aussi opposé, pour ma part, à ce que des citoyens occupent des media, parce que c'est, en définitive, brimer la liberté de la presse, de la même façon que je suis opposé à ce que, directement ou sournoisement, la police occupe des media. C'est ce qu'on voudrait bien voir établi clairement, aujourd'hui. Je dois dire que jusqu'ici, sauf la dernière déclaration de M. Pelletier, il y avait des ambiguïtés énormes là-dessus. Je voudrais que, d'ici à la fin de la commission, ce soit clairement établi; que le document que nous allons visionner nous soit commenté, s'il y a lieu. Aussi, parce que, dans le document en anglais, vous faites référence, à certains moments, au "news personnel", enfin aux journalistes, à toutes fins pratiques, j'aimerais que vous nous indiquiez de quelle façon vous avez l'intention, dans un mécanisme comme celui-là, d'inclure éventuellement la profession journalistique.

Parce qu'il y a trois éléments: il y a ceux qui recherchent la nouvelle et qui la font; il y a ceux qui la diffusent et il y a, en dehors de cela, l'ensemble des autorités publiques, dont la police, dont c'est la responsabilité de protéger les biens. Cela ne dépasse pas cela, dans un contexte comme celui-là.

Vous dites, dans le texte anglais, qu'il faudrait prendre des mesures, même des mesures disciplinaires, si ces principes-là n'étaient pas respectés, contre soit les policiers, soit les journalistes, etc., "news personnel", si je me souviens bien. J'ai lu cela quelque part.

Avez-vous l'intention de mettre dans le coup le personnel de nouvelles, à un moment donné? Je ne parle pas du rédacteur, mais au moins des responsables des services de nouvelles, ceux qui sont responsables de la cueillette de l'information. Parce que ce qui est aussi grave que de fausser une nouvelle — ce qui n'est pas fréquent, non plus, trop, trop — c'est de ne pas la diffuser du tout, alors qu'elle existe. A ce moment-là, on brime la liberté de la presse.

Je ne sais pas si mes propos ont pu clarifier un peu le sens des travaux de la commission. Je les ai faits pour tenter d'accélérer le travail. S'il n'y a pas d'autres questions, nous pourrions passer au film.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'aurais juste une question. Le texte français a-t-il été distribué, par exemple, aux radiodiffuseurs français? Y en a-t-il d'autres qui ont eu le texte français, à part la commission parlementaire?

M. AUDETTE: Les stations l'ont reçu, oui, après le texte anglais.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ils ont reçu le texte anglais seulement.

M. AUDETTE: Ils ont reçu le texte anglais, et par la suite cette traduction libre a été acheminée aux postes.

M. VEILLEUX: J'aurais une suggestion à faire à M. Audette. C'est que le plus tôt possible votre organisme accepte officiellement une traduction française fidèle du document écrit en anglais qu'on nous a remis. Je pense que c'est urgent.

M. AUDETTE : Nous recevons très bien votre suggestion.

M. VEILLEUX: Et à l'avenir ce serait peut-être bon — je ne dis pas seulement ça pour vous — que tout autre organisme qui aura à se présenter devant la commission et qui tiennent à avoir une version officielle d'un document en langue française de le faire si possible avant d'arriver ici devant la commission, du moins pour la commission parlementaire sur la liberté de la presse.

M. AUDETTE: Vos remarques sont très bien reçues.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Sans plus de préambule, nous allons visionner le film, et par la suite nous continuerons les travaux de cette commission pour les questions qui seront posées par les membres de la commission.

M. AUDETTE: Si vous me le permettez, je vais vous présenter M. Philippe de Gaspé Beau-bien, qui a été l'animateur de la séance d'étude tenue lors de notre congrès à Montréal lorsque le film a été présenté. A ce moment-là, M. Beaubien a fait lui-même la présentation du film. Avec votre permission, nous allons demander à M. Beaubien de vous expliquer dans quel contexte le film a été préparé et présenté.

M. DE GASPE BEAUBIEN: M. le Président, MM. les ministres, membres du comité...

M. VEILLEUX: Vous feriez peut-être mieux de vous asseoir, monsieur, et parler dans le micro pour que ça puisse être enregistré.

M. DE GASPE BEAUBIEN: On m'a demandé de venir vous présenter le film qu'un groupe de radiodiffuseurs du Québec a préparé lors d'une convention de notre association nationale tenue à Montréal en avril 1971.

Il faut se rappeler que ce film faisait partie d'une séance d'étude. Son but était de sensibiliser d'autres radiodiffuseurs à travers le Canada des problèmes possibles qui peuvent surgir dans une période dite anormale ou de crise. L'auditoire étant en majeure partie de langue anglaise — à peu près 85 p.c. à 90 p.c. — c'est ce qui explique que le film que vous allez voir est en langue anglaise.

Ce film a été préparé par la compagnie CFCF, de Montréal, avec la collaboration d'autres radiodiffuseurs de Montréal et son but a été de mettre en valeur les problèmes différents qui peuvent surgir pour des éléments différents tels que le gouvernement, la police, les radiodiffuseurs, le public dans une période telle que celle-ci.

Il faut se rappeler aujourd'hui, quand on va voir ce film, qu'il a été préparé pour provoquer une discussion de la part des gens qui étaient présents. Je crois qu'il vaut la peine de noter ce point, parce qu'il y a un danger de montrer ce film en dehors de son contexte éducatif.

Nous avons fait une présentation, qui a duré près de 20 à 25 minutes, à nos confrères de langue anglaise, et avons montré le film ensuite. Nous avons eu ensuite une discussion avec des gens spécialisés dans des domaines donnés. Il y avait un représentant de la police de Montréal, le chef Gilbert était là à ce moment; un représentant du ministère de la Justice de la province de Québec; un représentant de la gendarmerie fédérale; de notre association de relations publiques qui faisait valoir le point de vue du public, et des représentants des radiodiffuseurs du Canada.

Après avoir discuté ce film pendant une période de trois quarts d'heure ou une heure avec ces spécialistes, nous avons ensuite fait le point et fait une séance plénière avec tous les confrères radiodiffuseurs du Canada, dans le but d'examiner franchement les problèmes qui se sont posés, les questions qui n'étaient pas tout à fait claires, les erreurs qui ont pu se glisser.

H faut se rappeler, en visionnant ce film, que nous avons, d'une façon volontaire, voulu faire ressortir ces éléments plutôt que les autres afin d'en faire une histoire de cas, une histoire qui facilite la discussion. Montrer ce film en dehors de ce contexte présente des dangers; dont celui de ne montrer que les éléments qui se prêtent peut-être mieux à discussion. Je voudrais vous rappeler que les radiodiffuseurs sont très fiers du travail assez extraordinaire qu'ont fait nos services de nouvelles dans une période extraordinaire, qui ne se reflétera pas toujours dans ce film qui s'est voulu un film pour montrer les éléments de discussion. Ce travail a été reconnu non pas par notre fraternité et celle de nos confrères dans le domaine des nouvelles mais bien à l'échelle du Québec. Certains postes tels que ceux que vous verrez là ont reçu des trophées. En particulier CKAC a mérité un trophée québécois pour la couverture des nouvelles, un trophée national pour la meilleure couverture des nouvelles et un trophée international qui lui a été décerné aux Etats-Unis pour la couverture du Sport News Award cette année-là.

C'est un témoignage aux journalistes et aux services de nouvelles qui ont travaillé dans une période extrêmement difficile. Et pour que vous en saisissiez la pleine portée, je voudrais vous rappeler qu'il s'agissait d'une période de trois jours. Peut-être cinq ou six autres bobines auraient pu être montrées, mais on a voulu extraire sur un film les points qui se prêtaient à discussion.

M. le Président, j'espère que cette présentation très générale au début aidera à resituer un film qu'on a voulu éducatif et qu'on comprendra bien dans quel contexte nous avons voulu le montrer. Je vous remercie, M. le Président.

(Note de l'Editeur — Suspension du débat, à 10 h 57, pour la projection du film)

(Reprise des débats, à 11 h 35, anrès la projection du film)

M. VEILLEUX: Comme procédure, on pourrait peut-être suggérer qu'on connaisse d'abord la réaction des gens de l'ACRTF relativement à ce film, et la réaction du représentant de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, M. Beauchamp. Et si les membres de la commission ont des questions à poser, ils pourront les poser soit à M. Audette ou ses représentants ou soit à M. Beauchamp ou ses représentants.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Avant que ça...

M. VEILLEUX: C'est une suggestion que je fais comme formule de fonctionnement.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): Est-ce qu'il y aurait possibilité pour les techniciens qui ont la charge de l'enregistrement, d'enlever l'appareil — le placer par terre peut-être — pour permettre aux membres de la commission et ceux qui se font entendre de communiquer plus facilement?

Est-ce que la suggestion du député de Saint-Jean reçoit le consensus des membres de la commission et de ceux qui veulent se faire entendre ce matin?

M. VEILLEUX: Est-ce que le représentant du Parti séparatiste est d'accord?

M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Parti québécois.

M. VEILLEUX: Pour ne pas qu'il y ait mésentente après ça.

M.TREMBLAY (Sainte-Marie): Non, non je suis d'accord. Quand ç'a du bon sens, je suis toujours d'accord.

M. VEILLEUX: Alors, est-ce que vous avez des commentaires, M. Audette ou un de vos représentants, au nom de l'ACRTF, sur ce film? On pourra poser la même question à M. Beauchamp après.

M. AUDETTE: A titre de commentaires, nous avons vu le film à quelques reprises. Nous l'avons vu à l'occasion de la présentation initiale, lors de notre congrès à Montréal. M. Beaubien a très bien expliqué tout à l'heure le pourquoi de ce film et je pense qu'après l'avoir vu, vous comprendrez qu'à certains moments les prises de conscience comme celles-ci sont nécessaires. Si vous avez eu à discuter depuis quelques jours de certaines procédures qui, malheureusement, ont été mal interprétées, vous avez pu comprendre, au visionnement de ce film, le pourquoi de ces procédures que nous devons adopter quelquefois en temps de crise.

II me semble que c'est clair. Si vous avez des questions pertinentes, particulières, peut-être qu'on pourrait à ce moment-là y répondre, mais, en conclusion, je crois que c'était pour nous une leçon. Nous l'avons prise, nous l'avons étudiée. Nous avons étudié ça en comité et en assemblée générale, et c'est à la suite de ces études que nous avons convenu qu'il était nécessaire d'en arriver à des mécanismes adaptés à certaines occasions. Nous avons dû malheureusement les vivre, ces occasions. Nous avons eu la crise d'octobre, nous avons vu la crise de mai et c'est afin de permettre un meilleur rendement de nos services de nouvelles que nous avons dû étudier et accepter les modes de procédure en temps difficile.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): M. Beau-champ. Est-ce qu'on pourrait donner un micro à M. Beauchamp.

M. BEAUCHAMP: Je pourrais commencer en disant qu'il faut féliciter ceux qui ont fait le film. Le film est bien fait. Je pense que, dans l'ensemble, les problèmes sont bien posés, surtout par M. Turner à la fin. Mais, par exemple, la réponse qu'on apporte au problème, le document qu'on nous soumet, ça c'est drôlement moins bon.

Au point de départ je dois dire qu'il faut considérer que, par la force des choses, les media sont évidemment au centre de l'activité. Ils sont là et on peut ajouter qu'en temps de crise — et la crise d'octobre nous l'a démontré— et jusqu'à un certain point, d'une certaine façon, il faudrait peut-être analyser beaucoup plus à fond. On l'a fait, nous, au cours d'un colloque, mais on s'est rendu compte que ça prendrait des analyses, des études beaucoup plus approfondies. Jusqu'à un certain point, les media, comme je l'expliquais d'ailleurs hier, deviennent un facteur, deviennent eux-mêmes un élément dans l'évolution sociale, dans les problèmes sociaux. Cela, c'est bien évident.

Mais je pense que les media, même en temps de crise, conservent leur rôle et surtout en temps de crise, ils doivent conserver leur rôle d'être les témoins de ce qui se passe.

Ils doivent être absolument libres de diffuser l'information. S'il y a un moment où l'information doit être libre, c'est bien en temps de crise.

Si je prends le document anglais, il y a là-dedans un tas de choses tout à fait inacceptables. Je n'ai pas d'objection, les journalistes n'ont pas d'objection, je pense, à ce qu'il y ait des contacts entre les autorités policières et le milieu de l'information. Nous-mêmes, dans nos réunions, nous avons déjà invité des représentants de la police, parce qu'il y a des problèmes conjoints qui se posent. Les relations entre la presse et le pouvoir judiciaire et policier soulèvent un certain nombre de questions. Mais prenons le texte anglais, je ne prends pas le texte français. Au niveau des dirigeants policiers et au niveau des propriétaires de l'entreprise de presse, en cercle restreint, on s'entend sur des "guidelines in the handling of police and crime news". "News" c'est "news", puis "crime news" c'est large. "Crime news" ça veut dire ce qui s'est passé en octobre 1970; "crime news" ça veut dire l'occupation des postes de radio; "crime news" ça veut dire des relations patronales-ouvrières, parce que la société réagit selon ses lois. Quand quelqu'un va faire du piquetage, parce qu'il est en conflit de travail, si ce piquetage ne se fait pas dans la période prévue par la loi, c'est un "crime news". Cela va très loin.

J'en passe parce que je ne veux pas être trop long. On dit, par exemple, à la page 3, à "Guidelines and ethics" que "the police and media are partners in the fight against lawlessness"; ce n'est pas vrai. Ils ne sont pas en opposition mais ce n'est pas "partner", ce n'est pas vrai. Paragraphe 3, on dit que "the people of Canada have a fundamental right to be kept advised". Ce n'est pas un "right to be kept advised" que le monde a, c'est un "right to be kept informed"; ce n'est pas la même chose. Dans le même paragraphe, on dit: "Insofar as the exercise of that right — qui est déjà très limité — does not interfere with the proper, efficient, and responsible functioning of any such organization." Qui est-ce qui juge cela? La police? Il y a un ministre de la Justice qui a dit, lors de la crise d'octobre, que la loi nous défendait de publier de l'information concernant le FLQ; c'est un ministre de la Justice qui a dit ça. Il y a un autre ministre de la Justice qui a dit qu'on avait le droit. Ce n'est pas à la police de déterminer que l'exercice du droit du public à être informé intervient à un moment donné avec le "proper, efficient and responsible functioning of any such organization."

Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on pourrait discuter. On dit: "It is recognized that because of its nature crime news require special consideration and treatment". Oui, c'est évident, comme n'importe quelle sorte de nouvelles doit avoir un traitement spécial parce que chaque nouvelle est différente. Mais les media d'information sont là pour transmettre de l'information. Dans le paragraphe suivant, paragraphe 7, à la page 4, on dit que le succès des relations entre la police et la justice dépend d'un certain nombre de choses, "including when necessary — c'est pas mal fort — disciplinary action against those employees — ça ce sont les journalistes — who knowingly or consistently fail to operate within the principles and ethics agreed to by the national joint committee". Mais là au moins que les journalistes soient là. Les principes d'information et l'éthique dans l'information, je n'ai pas d'objection à ce que ce soit la police qui les définisse, mais pas toute seule et non pas seule avec les propriétaires d'entreprises de presse. D y a également les journalistes d'impliqués, il y a également le public d'impliqué. Je pense qu'il faudrait amener ce monde-là. C'est bien beau de prendre des mesures disciplinaires contre les journalistes qui ne répondraient pas à

des normes. Des normes conçues où? En groupes fermés et selon des objectifs, on ne sait trop lesquels. Je pourrais continuer comme ça encore longtemps.

A la page 5, une autre chose tout à fait inacceptable, paragraphe 11. "Photographers as well as reporters and editors recognize..." Les photographes et les journalistes n'étaient pas là. Pourquoi dit-on que les photographes et les journalistes reconnaissent...? Ils n'étaient pas là aux discussions là-dessus. "... recognize that crime news must not be handled in such a matter that it destroys evidence before the responsible peace officers have had opportunity to protect it."

Il y a un journaliste qui l'a exprimé très clairement dans le film tantôt: les journalistes ne sont pas des auxiliaires de la police. Si on fait des journalistes des auxiliaires de la police, la société, en temps de crise, sera mal informée. S'il y a un moment où la société doit être bien informée, c'est bien en temps de crise. Si les journalistes en viennent à être considérés, comme ce fut le cas — et c'est le cas jusqu'à un certain point — comme des auxiliaires involontaires de la police, mais quand même des auxiliaires, les cameramen vont d'abord se faire donner des coups de matraque par la police et vont recevoir des coups de bâtons des manifestants parce que personne ne veut plus les voir. Pour les journalistes, c'est la même chose.

Quand il y a une manifestation, un événement, etc., ceux qui sont là voient dans les journalistes des auxiliaires de la police et cela nuit considérablement au travail de la police. Nous n'avons pas d'objection à ce que la police fasse son travail — un journaliste l'a dit tantôt — dans toute la mesure où c'est compatible, les media d'information peuvent collaborer avec la police, mais ce n'est pas aux media d'information à faire le travail de la police. Il est arrivé, par exemple, pendant la crise d'octobre qu'on a demandé à un poste de télévision et à un poste de radio de couvrir une conférence de presse pour la police. Que la police s'y rende à la conférence de presse et qu'elle s'identifie comme telle. Des policiers sont d'ailleurs allés à certaines conférences de presse, mais se sont fait passer pour des journalistes de Sherbrooke alors que la conférence de presse avait lieu à Montréal.

Que la police aille assister à la conférence de presse mais qu'elle s'identifie comme étant de la police; le gars en avant saura alors que la police est devant lui et il dira ce qu'il voudra dire à ce moment-là. On n'aura pas une société bien informée si on utilise toutes sortes de stratagèmes comme ceux-là. Il y avait 400 journalistes pour couvrir le congrès de leadership du l'Union Nationale, pas le dernier mais le précédent. Au dernier, je n'y étais pas. Au précédent, il y avait 400 journalistes; voyons donc! Il y avait à peu près 250 policiers là-dessus. Cela n'a aucun sens. Les gars allaient jusqu'au point, dans la salle, de prendre des entrevues et de demander: Pour qui allez-vous voter? On ne peut pas accepter cela dans une société. Je ne dis pas que c'est la faute de l'Union Nationale. Vous vous souvenez qu'au congrès de l'Union Nationale il y avait eu une manifestation en face, tout un climat. Je ne condamne pas l'Union Nationale quand je dis cela, mais le travail qu'ont fait à ce moment-là les forces policières est tout à fait inacceptable.

Au bout de la deuxième journée, les gens dans la salle ne voulaient pas voir un maudit journaliste. Qu'est-ce que vous voulez? Cela s'était su. Si on s'engage dans des choses comme ce document, c'est bien évident qu'en période de crise on va en arriver à une crise beaucoup plus forte parce que la société va être mal informée. Ce ne sont pas des mots en l'air, ce ne sont pas des choses théoriques, des études ont été faites là-dessus et plusieurs livres ont été écrits là-dessus. Il y a eu un krach en 1929, cela remonte peut-être loin, mais ça ne soulèvera la passion de personne. Il a été démontré que cela a été dû, en gros, au choc créé par une descente rapide en bourse parce que les media d'information, à l'époque, faisaient surtout ce que l'on appelle de l'information officielle dans les journaux. La radio commençait à peine et il n'y avait pas de télévision. Dans les journaux, tout ce qui paraissait, c'étaient les déclarations rassurantes des dirigeants américains. C'était toujours: Oui, c'est vrai, il y a des problèmes, mais ne vous en faites pas, cela va être réglé.

Quand est arrivé le problème, cela a tellement surpris les gens qu'il y en a des centaines qui se sont jetés en bas des fenêtres. Si les media avaient fait leur travail à ce moment-là, les gens auraient su ce qui se passait, il auraient placé leurs épargnes ailleurs, etc. La société aurait vécu plus normalement. Je pense qu'il faut absolument éviter de s'engager dans une voie comme celle-là, surtout quand c'est fait en catimini et à huis clos.

LE PRESIDENT (M. Croisetière): L'honorable député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: J'aurais deux questions à poser à M. Beauchamp. On vient de voir un film qui porte sur les événements d'octobre 1970. On a mentionné, depuis le début des séances de cette semaine, qu'il y avait eu une autre période assez difficile pour les media d'information et les journalistes, la période de mai dernier, alors que des postes de radio ont été envahis par certaines personnes.

J'aimerais connaître par M. Beauchamp la réaction de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec en regard de cette période. Deuxièmement, tenant compte des événements d'octobre 1970 et de ceux de mai dernier, quelles sont concrètement les suggestions qu'envisage la Fédération professionnnelle des journalistes du Québec? Vous avez dit tout à l'heure que le film, au lieu d'être ce qu'on l'a qualifié hier, était un film qui posait réellement le ou les problèmes.

II y a une réponse qui a été donnée à cela par certains organismes, soit le document qu'on nous a remis tout à l'heure. Vous avez commenté le document. C'est pour ça que j'aimerais connaître, de la part de la Fédération professionnelle des journalistes, concrètement de quelle manière elle voit les relations entre le monde journalistique et les personnes qui ont certaines responsabilités dans des moments comme ceux-là.

M. BEAUCHAMP: Dans votre première question, vous me demandez ce que je pense de la couverture des événements au mois de mai?

M. VEILLEUX: Non. Quelle a été la réaction des journalistes dans ces postes? Connaissez-vous la réaction des journalistes dans ces postes de radio qui ont été, à un certain moment, quasiment écartés?

M. BEAUCHAMP: La fédération, comme telle, n'a pas de position officielle là-dessus. Certains de nos membres étaient dans ces postes de radio. Je pense que, dans l'ensemble, c'est une situation qui a été mal acceptée. Je ne peux pas aller plus loin que cela. D'ailleurs, nous avons eu un colloque d'une journée sur des questions de cette nature, peu après les événements de mai, justement pour s'interroger sur le problème que posait l'occupation des postes de radio.

La conclusion à laquelle nous en sommes arrivés, c'était celle que je disais tantôt: c'est qu'en période difficile comme celle-là, en période de crise, même si les journalistes, d'une certaine façon, parce qu'ils sont syndiqués, parce qu'ils sont citoyens, sont impliqués, leur premier devoir est de donner l'information.

M. VEILLEUX: Vous comprenez la raison de ma question. Cela a été une période donnée, en mai, qui a amené cela. D'autres événements pourraient se produire éventuellement et toutes sortes de groupes d'individus...

M. BEAUCHAMP: Je comprends très bien votre question. Je pense que ma réponse est claire: Le consensus qui s'est dégagé de la rencontre que nous avons eue est que, dans une période comme celle-là, le premier devoir des journalistes est de donner de l'information. Ce n'est pas de ne pas en donner.

M. VEILLEUX: Est-ce qu'il y aurait lieu, de la part de la Fédération professionnelle des journalistes, d'essayer de suggérer des moyens à prendre justement pour empêcher cela? Parce que le journaliste, à son micro, n'est pas capable de donner l'information.

M. BEAUCHAMP: Ce ne sont pas les journalistes qui occupent les postes de radio.

M. VEILLEUX: Non, mais, si le journaliste de ce poste de radio veut donner l'information comme il devrait avoir pleine et entière liberté de le faire, il y aurait peut-être lieu, de la part de la fédération, d'étudier cela.

M. BEAUCHAMP: Nous l'avons étudié. C'est bien clair que nous avons beaucoup plus de problèmes avec les propriétaires des entreprises de presse, parce qu'ils sont là tous les jours, qu'avec les groupes contestataires qui, eux, viennent une fois par dix ans. Je veux dire que le problème, pour nous, n'est pas au niveau des groupes contestataires.

Les solutions que nous proposons là-dessus, on l'a dit clairement — et le fait que cette commission siège montre ce que nous voulons — Nous voulons que ces problèmes soient discutés publiquement. C'est la seule façon. Parce que les media ont une fonction tellement importante qu'il faut que cela se fasse à ciel ouvert, publiquement. Il faut que cela se fasse entre tous les groupes intéressés: les journalistes les pouvoirs publics, les propriétaires d'entreprises de presse qui, je le répète, ont une lourde responsabilité là-dedans. Nous ne la nions pas, loin de là. La seule façon, c'est de discuter de ces choses publiquement.

Nous l'avons fait à l'occasion de colloques. Nous avons fait un colloque où le public était invité. Il y a 150 personnes, des lecteurs de journaux, des auditeurs, qui sont venues discuter de ces problèmes. On le fait ici à la commission parlementaire. La seule façon, c'est de se réunir publiquement. On ne peut pas accepter qu'un document comme celui qui a été émis soit conçu en cercle fermé. C'est inacceptable parce que l'information, c'est ce qu'il y a de plus public, c'est ce qu'il y a de plus fondamental dans notre société. S'il il y a une chose qui doit se faire ouvertement, c'est tout ce qui concerne l'information. Il faut absolument que, du début à la fin, ça se fasse ouvertement.

M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, la solution, pour la fédération, c'est qu'il y ait plusieurs groupes qui discutent?

M. BEAUCHAMP: Oui, exactement. Et que tous les groupes intéressés y soient.

M. VEILLEUX: Quand vous mentionnez le colloque, vous parlez du colloque qui s'est tenu au CEGEP Edouard-Montpetit, auquel j'ai assisté?

M. BEAUCHAMP: II y en a eu un également à l'université Laval, pendant la crise même. On en a fait trois sur ces questions.

M. VEILLEUX: La solution que vous proposez dans votre document, à la page 54, est celle-ci: "Pour mettre fin aux situations décrites plus, haut, la fédération compte que les membres de cette commission l'aideront à trouver

les solutions les plus appropriées qui s'inscriront, etc." Vous n'avez pas, en tant que fédération, trouvé ou cherché à trouver des solutions appropriées. Vous dites tout simplement: Les membres de la commission, avec les propriétaires des media d'information et le public en général, assoyons-nous ensemble et essayons de trouver les solutions.

M. BEAUCHAMP: On en donne des solutions, à la page 54, dans l'annexe. Dans le mémoire, il y a un certain nombre de solutions qui touchent à ces problèmes fondamentalement, en particulier les recommandations 7 et 8, où on dit que la première chose à faire dans les lois québécoises, c'est de reconnaître le principe de la protection des sources d'information. C'est quelque chose de très concret, ça. Il y a une autre chose, c'est qu'on demande de limiter le droit de saisie policière de documents et de matériel journalistique; c'est quelque chose de très concret, pour la libre diffusion de l'information. Quand on dit que le document en question ne concerne pas le contrôle de l'information, mais concerne le contrôle de la diffusion, c'est aussi grave. Vous vous souvenez de ce que j'ai dit hier. Il y a trois phases dans le processus de l'information. Il y a la cueillette de l'information, il y a la circulation à l'intérieur du système et il y a la diffusion. Quand bien même on irait chercher toute l'information que vous voulez, si on ne peut pas la diffuser, c'est jouer sur les mots.

M. VEILLEUX: Est-ce que ça peut arriver, M. Beauchamp, qu'un journaliste fasse une cueillette d'information et qu'à l'intérieur, étant donné qu'il a fait la cueillette, ce soit à lui de décider la partie de la cueillette qui devrait être diffusée ou pas?

M. BEAUCHAMP: II y a tout un processus à l'intérieur des. salles de rédaction là-dessus. A l'intérieur d'une salle de rédaction, c'est vraiment un travail en équipe et c'est excellent qu'il en soit ainsi. Ce qui se passe en pratique, c'est qu'un reporter va cueillir l'information. Quand il revient, il a affaire à un supérieur, quoique dans les journaux, cela n'a pas beaucoup de signification, ces termes. Enfin, il a affaire à quelqu'un dont la responsabilité est de voir à l'aspect de la transmission, qui a autorité sur lui, hiérarchiquement, c'est son supérieur. Mais tout ça se discute et cela se fait en équipe à l'intérieur des salles de rédaction, comme on l'a expliqué tantôt. Le reporter avait reçu un appel téléphonique; il s'est informé à son directeur de l'information: Est-ce qu'on y va, est-ce qu'on n'y va pas? Probablement que le président à l'époque, étant donné les circonstances, devait être sur les lieux. Il en a été discuté. Tout cela se fait en équipe. C'est comme ça.

Chaque fois que quelqu'un pose un acte journalistique, son ne peut pas éviter ça, on pose un jugement de valeur, à un moment donné.

M. VEILLEUX: Ce que je veux dire, M. Beauchamp, c'est qu'admettons que la décision est prise pour aller couvrir tel événement. Le ou les journalistes qui couvrent l'événement ce sont eux qui décident, dans la couverture de l'événement, ce qui sera présenté au patron ou à l'équipe qu'il y a à l'intérieur du journal.

M. BEAUCHAMP: Oui, c'est lui qui va cueillir l'information, c'est lui qui est allé sur place. Il y a une chose, par exemple, si on va à la page 3, paragraphe 5 du document, on dit: "The police must have the right to make the decision on release of news for publication". Ce n'est pas à la police de décider ce qui va paraître ou pas. Il y a des gens qui sont là, il y a l'équipe qui est là, il y a les propriétaires qui ont leurs responsabilités et ils ont leurs représentants dans les salles de rédaction. C'est à ce niveau que ça doit se faire. Ce n'est pas "the police must have the right to make the decision on release of news for publication".

M. VEILLEUX: Nous, ici, ce matin, sommes bien contents de connaître votre réaction, en tant que fédération, sur le document en question. Je ne crois pas que ce soit le rôle des membres de la commission, présentement, au stade où nous en sommes dans nos travaux, de porter des jugements sur des solutions qui devraient être prises. Nous faisons, nous aussi, un peu comme un journaliste, la cueillette des réactions des différentes personnes qui oeuvrent dans ce milieu, que ce soit le public, les propriétaires de media ou les journalistes et, après cela, ensemble, nous essaierons de...

M. BEAUCHAMP: Je le prends dans ce sens. Je voudrais peut-être un peu compléter ma pensée, pour être bien compris. C'est que ces problèmes qui sont soulevés ne sont pas faciles à régler. Nous sommes bien d'accord là-dessus.

M. VEILLEUX: Je suis bien content de vous l'entendre dire.

M. BEAUCHAMP: II est bien évident que ce sont des matières délicates, fluides et immatérielles. Alors, c'est extrêmement difficile. Il n'y a aucun doute là-dessus. C'est pour cela qu'il faut absolument que ce soit fait dans le cadre d'une discussion extrêmement large, publique, qui répond à des objectifs globaux pour la société et non pas pour tenter d'éviter des problèmes à tel poste de radio.

Il est évident que si on impose une loi et qu'on dit: En tant de crise, pas d'information sur les groupes minoritaires, cela règle un maudit paquet de problèmes pour le propriétaire de l'entreprise. C'est bien évident. C'est simple.

M. VEILLEUX: Je déménagerais alors en Afrique.

M. BEAUCHAMP : On ne peut pas discuter de ces problèmes pour régler le problème personnel de M. Untel, qui ne veut pas prendre ses responsabilités. Parce qu'il est diffuseur, il est dans le domaine de l'information, il a des responsabilités à prendre, tout le temps et surtout en état de crise. Il faut donc qu'il s'arrange pour les prendre, lui, quand arrive l'état de crise, non pas se faire éliminer les problèmes par un cadre rigide et des ententes qui sont défavorables à l'ensemble de la société.

LE PRESIDENT (M. Giasson): Si le député de Saint-Jean me le permet, le ministre des Communications m'avait demandé la parole il y a déjà plusieurs minutes. Nous allons donner une chance au ministre des Communications, quitte à ce que le député de Saint-Jean revienne après.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Moi aussi, j'avais demandé la parole.

M. VEILLEUX: Le député de Sainte-Marie aussi. J'ai hâte de l'entendre. Cela fait trois jours qu'ils attendent.

LE PRESIDENT (M. Giasson): Le ministre des Communications, le député de Montmagny, le député de Sainte-Marie et nous reviendrons au député de Saint-Jean. Avez-vous compris, M. le député de Sainte-Marie?

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Oui.

LE PRESIDENT (M. Giasson): Le ministre des Communications, le député de Montmagny, le député de Sainte-Marie et nous revenons au député de Saint-Jean après.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je suis à la fin, je sais.

M. L'ALLIER: M. le Président, je voudrais poser une question à M. Audette ou à n'importe qui, en fait, qui pourrait y répondre. Est-ce que le CRTC a pris connaissance de ce document et est-ce qu'il a réagi — compte tenu de sa responsabilité, d'ailleurs, que vous ne contestez d'aucune façon, en matière de radiodiffusion — est-ce que le CRTC a réagi, s'il a pris connaissance de ce document, ou est-ce que vous croyez que le CRTC a une responsabilité en matière de protection des droits du public, des droits des radiodiffuseurs, enfin compte tenu de la loi?

M. FORTIN: Malheureusement, M. le Président, on ne pourra pas répondre à votre question double de façon satisfaisante. Si le CRTC a été mis au courant de cette initiative, je l'ignore complètement. Ce dont je suis sûr, c'est que le CRTC n'a pas réagi officiellement à cette chose. On n'a rien vu, à ma connaissance, de la part du CRTC à ce sujet.

Mais je suis tout à fait d'accord avec vous, M. le ministre, quand vous dites que le CRTC a une certaine responsabilité en matière de protection des droits du public, en ce qui a trait à la radiodiffusion.

M. L'ALLIER : Oui, parce que, compte tenu de l'importance que vous accordez vous-même à cette question et des mécanismes que vous proposez, je présume que vous avez l'intention d'en saisir, de quelque façon, le CRTC, parce qu'en définitive, cela touche un peu à la façon dont vous utilisez les ondes à certains moments. Est-ce que c'est l'intention de l'ACRTF d'en saisir le CRTC?

M. FORTIN: Si vous me le permettez, M. le ministre, je crois savoir que le CRTC, par le biais d'un de ses représentants, a assisté à certaines discussions en rapport avec les problèmes soulevés par ce document. Cela me paraît logique que la CAB, éventuellement, devra, j'imagine, soumettre le document au CRTC.

M. L'ALLIER: Maintenant, une autre question. Pouvez-vous me rappeler le nom de celui qui a produit le document, l'"excutive producer" du document? Qui est-ce?

M. FORTIN: Du document filmé?

M. L'ALLIER: Oui.

M. FORTIN : Peter Rilley.

M. L'ALLIER: Je suis peut-être ignorant, mais que fait ce monsieur dans la vie?

M. FORTIN: C'est un journaliste, M. le ministre.

M. L'ALLIER : Actuellement, que fait-il? M. FORTIN: Je l'ignore.

M. L'ALLIER: Y a-t-il quelqu'un de l'association qui est au courant? Est-ce que quelqu'un, dans la salle, le sait? Non?

C'est un journaliste quand même?

UNE VOIX: A ma connaissance de la chose, c'était un journaliste.

M. VEILLEUX: II était en congé sans solde.

M. L'ALLIER: Est-ce que quelqu'un parmi les témoins sait effectivement — c'est une question de détail, c'est uniquement pour donner un éclairage personnel, quelque chose que je voudrais savoir — ce qu'il fait maintenant?

UNE VOIX: C'était un député conservateur d'Ottawa-Ouest ou Ottawa-Carlton.

M. FORTIN: J'ai une information qui va

préciser ici. Dans notre mémoire, nous disions —j'aurais pu m'en souvenir plus rapidement — que le film en question a été réalisé par Peter Rilley, d'Ottawa, journaliste à la télévision du réseau privé CTV en collaboration avec la station de télévision CFCF de Montréal.

M. L'ALLIER: A quel moment exactement le film a-t-il été réalisé?

M. FORTIN: Je crois que c'est au printemps 1971.

M. L'ALLIER: Juste une dernière question. Existe-t-il d'autres documents audio-visuels touchant, par exemple, 1972, mai 1972 en particulier?

M. AUDETTE: J'ai cru comprendre que l'Office national du film a préparé aussi un documentaire, de même que Radio-Québec, je crois.

M. L'ALLIER: Mais de chez vous? M. AUDETTE: Non, pas de chez nous.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. Audette, dans le mémoire, à la page 2, vous parlez de la création d'un comité national dans lequel il y aurait deux parties. Vous avez des représentants —et je prends le texte anglais — "senior peace officers", et d'autre part, "and of the media". Qui seraient, dans votre esprit, les "senior peace officers" et les représentants des media? Est-ce que ce sont seulement des propriétaires des media ou si les journalistes, de quelque façon, seraient intégrés dans ce comité?

M. FORTIN: Si vous le voulez bien, je pense qu'il serait peut-être bon d'établir le contexte dans lequel ce document a été distribué. On ne pourra malheureusement pas apporter de réponse à des questions aussi précises, parce que ce n'est pas notre association à nous qui a discuté de ces questions, c'est l'association nationale.

Et je suis au regret de vous dire qu'aucun représentant de l'association nationale n'est avec nous pour apporter plus de détails sur ce document. Nous avons tenté hier d'en emmener un avec nous, malheureusement le délai n'était pas suffisamment long. Peut-être, à la prochaine séance.

C'était le commentaire que je voulais faire et qui, malheureusement, ne nous permettra pas d'apporter toutes les réponses à des questions aussi précises.

M. CLOUTIER (Montmagny): Maintenant que vous avez fait cette réserve, qu'est-ce qu'il y a comme étape subséquente avec ce document? Nous, de la commission, c'est la première fois que nous en prenons connaissance ce matin. Si j'ai bien interprété les commentaires de M. Beauchamp, eux aussi, les journalistes, c'est la première fois qu'ils prennent connaissance de ce texte.

A partir de vos remarques du début et des remarques de M. Pelletier, qu'est-ce qu'il y a d'officiel maintenant? Vous avez ce document entre les mains, et c'est de novembre 1972. Qu'est-ce que vous avez prévu comme étape subséquente?

M. FORTIN: Je pense que vous nous avez dessiné tout à l'heure une étape subséquente qui est de revoir la version française, et en tant qu'association de prendre parti également sur cette question, ce que nous n'avons pas fait jusqu'à maintenant.

Nous avons reçu le document en décembre. Chaque poste l'a sans doute regardé, considéré, étudié. Nous n'avons pas de consensus d'opinions de la part des stations de radio et de télévision du Canada en rapport avec ce document. L'acceptation a été faite par les directeurs de la CAB et par l'association canadienne des chefs de police, ou quelque chose du genre.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que c'est un genre de document qui, éventuellement, pourra être soumis au Conseil de presse?

M. FORTIN: De toute façon, le Conseil de presse sera habilité à discuter ces questions. J'imagine que personne n'aura intérêt à celer un document comme celui-là pour son étude et considération, c'est bien sûr.

LE PRESIDENT (M. Giasson): Le député de Sainte-Marie.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): J'aurais une question à poser à un représentant de l'ACRTF. Le document que vous nous avez présenté ce matin, est-ce que nous pourrions avoir la liste ou le nom des organismes des corps policiers qui ont approuvé ce document?

Est-ce que vous en avez?

M. PELLETIER: M. le Président, c'est un document qui a été remis à notre association et un document qui a été accepté par le conseil d'administration de l'Association des chefs de police du Canada, lors de son dernier congrès en septembre 1972.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): En septembre 1972. Je voudrais maintenant poser une question à M. Beauchamp, s'il me permet. Tantôt vous avez fait des observations sur le document en anglais, vous avez cité quelques paragraphes où vous sembliez vous opposer entièrement. Est-ce qu'à toutes fins pratiques, on peut dire que, si le plan proposé ici était appliqué en situation de crise, ce serait la police qui contrôlerait l'information, les mass media et les agents d'information, c'est-à-dire les journalistes? Je le comprends comme cela.

M. BEAUCHAMP: Je pense que l'esprit de

ce document peut nous faire craindre ce qu'il y a de pire. Dans le document, on dit qu'évidemment ce doit être suivi par des directives plus précises. On dit, par exemple — je vais le trouver, je l'ai souligné tantôt mais je ne l'ai pas mentionné parce qu'il y en avait beaucoup en même temps — à la page 5, paragraphe 10: It is recognized that both police and media should appreciate the need for the closest co-operation during times of emergency — et l'important c'est ce qui vient — and that the basis for such co-operation should be laid down from time to time in — écoutez cela — day-to-day advance planning. C'est rendu que c'est la police tous les jours qui dit: Toutes les informations, vous ne les publiez pas, cela va nous aider; cela n'a aucun sens. L'esprit de ce document me renverse complètement.

M.TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est surtout le paragraphe 10 que vous venez de citer, que...

M. BEAUCHAMP: D'ailleurs, j'ai souligné des choses à peu près à tous les...

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est là-dessus que je me base pour dire qu'à toutes fins pratiques, c'est la police qui contrôlerait toute l'information, les mass media, les agents d'information.

M. BEAUCHAMP: Surtout qu'au paragraphe suivant, il est prévu que les journalistes et les photographes qui ne respecteraient pas ce "day-to-day advance planning" subiraient des mesures disciplinaires. Le document conclut qu'on va établir "establishment of further guidelines". Cela va nous mener jusqu'où, cette affaire-là? Cela n'a aucun sens. Une chose qui me frappe aussi, c'est que — je ne sais pas si c'est un concours de circonstances, c'est quand même remarquable — il n'y a aucun organisme public, officiel, gouvernemental qui a, semble-t-il, osé appuyer une telle affaire. Vous remarquez que ce sont seulement les chefs de police. J'ai l'impression que les organismes publics n'ont même pas osé s'embarquer dans une telle affaire. C'est déjà suffisant quand même qu'il y ait une entente entre les propriétaires de postes de radio et de télévision et des chefs de police pour bloquer pas mal d'affaires en temps de crise, en temps d'élection ou autrement.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Merci.

M. FORTIN: M. le Président, il est évident que la question d'interprétation prime, et je pense que votre commission sera intéressée à entendre notre interprétation, parce que c'est nous qui sommes en cause et c'est nous qui avons le document, c'est nous qui l'étudions et c'est nous qui, éventuellement, devrons l'appliquer.

Il faudrait peut-être toutefois vous dire ceci, et cela me paraît quand même important, c'est qu'une association, l'association nationale comme l'association régionale, pour faire la distinction entre les deux, recrute des membres et ceux-ci conservent absolument toute liberté d'action, sous quelque forme que ce soit ou quelque préoccupation que ce soit par rapport à leur association.

On parle de directives, par exemple, et ça implique à un certain moment que l'association nationale pourrait émettre des directives aux stations membres et que les stations membres auraient l'obligation de s'astreindre à ces directives, ce qui est absolument en dehors du contexte dans lequel l'association se produit et existe.

Dans le cas de la clause 10, si vous me permettez une interprétation — en fait, c'est celle que nous, en tous les cas, nous voyons dans ce texte-là — dans un moment de crise, il peut exister des problèmes de communication difficiles à résoudre, lorsque le moment précis arrive, entre, par exemple, la police et entre les media. Il me semble qu'il est bon que chacun de son côté essaie de voir de quelle façon la communication peut le mieux se faire à ce moment-là, et ça peut tout aussi bien être une question de communication par téléphone, des numéros particuliers, par exemple, ou un système de messagerie ou des choses de ce genre.

Je pense que c'est surtout ça dont il est question là-dedans plutôt que de contrôler l'information d'abord. Je l'ai dit mardi, les diffuseurs n'acceptent pas, n'accepteront jamais de céder la moindre parcelle de leur liberté d'informer le public.

Si on voit quelque part dans ce document...

M. VEILLEUX: Est-ce que vous étiez d'accord?

M. FORTIN: M. le Président, je ne puis me faire le porte-parole des diffuseurs sur cette question précise. On ne peut malheureusement dans ce cas-là que parler souvent en notre nom personnel, parce que notre association n'a pas pris parti officiellement sur le document, mais je peux vous affirmer qu'aucun diffuseur n'est disposé à céder son droit de gérance en matière d'information à qui que ce soit, sauf si, évidemment, on lui en fait une obligation par une voie législative normale, à qui que ce soit, quel que soit le corps organisé, structuré. Evidemment, ça inclut la police.

Vous avez vu tout à l'heure, au cours du film, qu'il y a eu un problème de communication parfois entre les media et la police. Et les discussions qui entendent trouver la naissance de ce document visaient à améliorer la situation. Cela ne vise pas du tout à permettre, même en temps de crise, à la police, de contrôler l'information diffusée sur les postes de radio et de télévision. C'est notre interprétation. Et quand un texte laisse la place à plusieurs interprétations, il me semble que ceux

qui sont en cause sont tout de même ceux qui verront éventuellement à appliquer le texte dans les faits.

Merci, M. le Président.

M. LEDUC: M. le Président, si je comprends bien le texte qu'on a devant nous, le texte anglais est beaucoup plus un document de travail quant à la CAB, quant à l'ACRTF ou autres choses. Si j'ai compris aussi comme il le faut le commentaire de M. Pelletier tantôt sur l'Association des policiers de la province ou du pays, on dit qu'ils étaient d'accord; je pense bien qu'en voyant ça, ça les flatte puis ils vont être d'accord.

Vous avez fait parvenir ce texte au mois de décembre à vos membres, avec une traduction bâtarde qui me laisse l'impression que vous y croyez, à la base de ce document, mais qu'en fait, spécialement avec le commentaire que vous venez de passer, M. Fortin, à l'effet que pour aucune considération vous ne voulez qu'il y ait contrôle de l'information, à ce moment-là, il y a toute une série de clauses dans ce document qui devront sauter.

M. FORTIN: Je ne suis pas tout à fait...

M. LEDUC: Autrement... Si vous voulez me laisser finir. Autrement, ça peut être — c'est vous qui l'avez dit tantôt, qu'il fallait faire attention à l'interprétation — ça peut être interprété de toutes sortes de façon. Tantôt, M. Beauchamp, je crois, de bonne foi, a interprété le paragraphe 10, et vous, vous l'avez interprété d'une autre façon. Si ça devient un document sur lequel vous vous entendez, — vous avez là invité un lot de gens, dans votre premier paragraphe vous mentionnez que Radio-Canada, Canadian Daily Newspapers Publishers Association ont été invités "and others may be invited to participate as the committee desires" — cela veut dire qu'il y en a d'autres qui vont probablement, avec la CAB, travailler à l'élaboration de ce document, n'est-ce pas.

Certaines interprétations peuvent être données. Il faudra que vous soyez extrêmement prudent. Ce texte, il est superbe, et si j'étais chef de police, je serais le bonhomme à essayer de vous le vendre. Mais comme je suis un citoyen bien simple, qui aime bien entendre ce qui se passe dans la province de Québec, je vais essayer de le démolir. Je l'ai lu très rapidement, en diagonale, d'accord, je vous le concède. Mais ma première réaction c'est qu'une très grande partie de ce qu'il y a là-dedans est dangereux.

M. FORTIN: Me permettez-vous, M. le Président? Il est évident qu'en essayant de définir un certain nombre de principes dans un document, dans un domaine aussi complexe, aussi explosif que l'information, on n'arrivera jamais, sauf si le Conseil de presse qui verra le jour, j'espère, à un moment donné arrive à le faire, on arrivera avec un texte qui ne comportera pas, par certains aspects importants, des facteurs extrêmement dangereux.

Peut-être que vous le concevez; moi, vraiment pas. Il est possible qu'avec les étapes subséquentes, certains aspects de ce texte évoluent; c'est possible que les idées qui sont derrière ce texte soient exprimées peut-être d'une façon prêtant moins à interprétation; cela demeure possible.

M. LEDUC: D'accord, mais il y a quelque chose qui dit — et M. Beauchamp le notait je ne sais trop où — on mentionne, par exemple, que la police va avoir ou pourrait avoir à filtrer l'information.

M. FORTIN: Malheureusement...

M. LEDUC: Au paragraphe 10, enfin, M. Beauchamp, venez à mon secours. D'ici à ce que M. Beauchamp me dise ce que je veux citer... The police must have the right to make the decision on release of news for publication, d'accord? Je vais juste vous citer l'incident où M. Cross était enlevé. Cela a été confirmé à Daniel McGinnis par la Sûreté du Québec en disant: Citez-moi pas, mais cela a l'air de ça. Si la police avait décidé que, sans qu'on la cite, c'est bien ça et que la police avait eu à décider d'annoncer ça, ça veut dire quoi, en fait? C'est dans votre paragraphe.

M. FORTIN: Puis-je vous demander quelle est l'alternative à ce problème?

M. LEDUC: L'alternative, je vais vous donner la réponse que M. Beauchamp a donnée, ce que M. Audette a déjà dit et d'autres qui sont venus à la commission parlementaire. Probablement qu'actuellement, on ne sait vraiment pas; quant à moi, je ne le sais pas. Sauf qu'en causant ensemble puis en essayant de bonne foi de voir les problèmes qui existent à tous les niveaux de l'information au Québec, on va peut-être finir par faire un semblant de consensus. Je pense bien qu'on ne sera jamais capable d'être d'accord sur tous les mots, toutes les lignes et tous les paragraphes du document. On pourra faire un semblant de consensus en tout cas ou on pourra dialoguer encore peut-être bien longtemps avant qu'on en vienne à ce consensus, mais après cela, on pourra établir une certaine base où le bonhomme qui est chez lui, qui est dans son automobile, qui écoute les nouvelles, pourra dire: ça c'est ça; c'est vrai à 80 p.c. On peut y mettre un 20 p.c. de bonne foi quand on se trompe. Mais la solution actuellement... C'est probablement ce document-ci qui va nous amener à arriver à une solution. C'est pour ça qu'au tout début de mon intervention, je parlais beaucoup plus d'un document de travail. C'est à discuter entre nous que nous en viendrons probablement à nous entendre sur la façon de travailler, conscients de tous les problèmes qui peuvent exister au sein des media dans la province.

M. VEILLEUX: Pour faire suite, M. le Président, M. Pelletier...

M. PELLETIER: Je crois, M. le Président, qu'il faut lire ce texte dans l'esprit suivant. L'expérience passée a démontré que les media, les journalistes avaient certaines difficultés à obtenir de l'information émanant des corps policiers. La crise d'octobre a démontré qu'il y avait certaines déficiences de communication. C'est en vue de corriger ces failles que notre association a entrepris un dialogue avec l'Association des chef de police, afin de corriger ces lacunes. Si vous vous référez à la page 3, troisième paragraphe, on reconnaît que "the people of Canada have a fundamental right to be kept advised concerning the activities of any organization paid for by public..." Paragraphe 4: "Apart entirely from reporting, the media have a duty to publicize any matter which in their opinion affects the efficiency of a police force." C'est l'objectif que notre association essaie d'atteindre de façon que les forces policières ne coupent pas les liens de communication concernant certaines informations, pour permettre la publication, la diffusion de l'information émanant des corps policiers.

M. VEILLEUX: M. le Président, pour faire suite aux propos tenus par le député de Taillon, comme ce document-là est un document de travail qui a été accepté par l'association des chefs de police du Canada, mais qui est un document de travail pour l'ACRTF, il y a peut-être lieu de suggérer aux propriétaires des journaux, d'associations des quotidiens du Québec d'examiner ce document et de déposer devant la commission leurs réactions.

Il s'agirait d'en faire une critique positive et de ne pas dire simplement: Dans ce document, telles choses ne sont pas bonnes. Il y aurait lieu de faire des suggestions de remplacement.

Je ferais la même suggestion à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Vous avez, tout à l'heure, fait une critique globale et rapide. Il y aurait peut-être lieu que votre fédération l'étudie plus en profondeur et, à la lumière de ces discussions au niveau de la fédération, comme l'Association des quotidiens, comme l'ACRTF, revienne et nous fasse des suggestions sur le document pour que nous ayons un éclairage plus complet. Cela pour répondre un peu à la suggestion que vous faisiez à la page 54, que c'est ensemble qu'on doit essayer de trouver la ou les solutions.

Ce n'est peut-être pas en partant d'un ou deux faits précis qui se sont passés depuis deux ans qu'on doit, en regard de ces deux faits, trouver ou tenter de trouver des solutions. On remet en question la Loi des cités et villes. J'apprenais cela en venant au parlement ce matin. Un conseiller municipal qui aurait, dans sa jeunesse, fait ou commis certaines fredaines, subit certaines punitions de la part des tribunaux. Parait-il que l'article de la Loi des cités et villes tire son origine d'un cas bien précis qui s'était produit il y a quelques années à Montréal. C'est en partant de ce cas précis qu'on a voulu trouver une solution globale, avec le résultat que cette solution globale peut causer préjudice à des personnes à l'heure où nous parlons.

Il ne faudrait pas, dans les discussions que nous faisons sur le problème — je n'aime pas l'expression "discussion sur le problème de la liberté de la presse"; j'aime beaucoup plus parler du droit du public à l'information — du droit du public à l'information, qu'on commette des erreurs comme celles qui ont pu être commises dans un autre secteur, notamment celui des affaires municipales.

M. Beauchamp, tout à l'heure, a bien dit que c'était un problème complexe, que, plus un problème est complexe, plus il faut se pencher sur le problème pour en arriver à ce que je disais tout à l'heure. C'est peut-être à cause de cela, M. Beauchamp, qu'il a fallu quelques mois avant que vous comparaissiez devant la commission parlementaire.

M. BEAUCHAMP: Si vous me permettez quelques remarques, M. le Président, j'ai d'abord l'impression qu'on a beau essayer de ne voir — parce qu'on aimerait bien que ce ne soit que cela — qu'un document de travail dans cette affaire, il a bel et bien été dit tantôt que c'était à ceux qui l'avaient signé de l'interpréter, parce que c'est eux qui allaient l'appliquer. J'ai l'impression que c'est plus qu'un document de travail, quand on dit cela.

Quant à étudier ce document, on peut bien le faire pour le démolir ligne après ligne, parce que c'est l'esprit même du document qui est inacceptable. Il s'oppose justement à ce que le député de Saint-Jean vient de proposer. Prenez tous les paragraphes. Les problèmes de l'information, c'est dans le concret qu'on voit qu'il y en a, qu'on voit leur profondeur. C'est dans les gestes que les gens posent qu'on peut vraiment juger de leur philosophie profonde. Prenez la page 4; au paragraphe 8, il est dit ceci: "These guide-lines will best be obtained by continuing individual contacts, interchange of information, and consultation." Voyez-vous? C'est cette mentalité de numéro de téléphone privé, dont on a entendu parler tantôt. Cette mentalité de contact personnel entre le chef de police et le propriétaire de l'entreprise de presse, c'est cela qui est mauvais, c'est ce qui est inacceptable et c'est ce qui est dans l'esprit de ce document, partout. Je me suis permis d'en faire une critique assez sévère parce que, fondamentalement, c'est dangereux pour l'information.

Tantôt, on se demandait quelle était la solution. Je pense que la solution est celle-ci: que ceux qui sont dans le domaine de l'information prennent leurs responsabilités quand arrive un état de crise. Je pense que les propriétaires d'entreprise de presse, quand est arrivée la crise d'octobre, ont pris leurs responsabilités.

Ils ont fait des erreurs comme les journalistes en ont fait. Pourquoi est-ce qu'ils ne se reprendraient pas la prochaine fois? Pourquoi est-ce qu'ils se retrancheraient derrière l'écran d'une entente signée à huis clos avec les chefs de police pour régler les problèmes par des appels téléphoniques personnels?

Ce n'est pas ainsi que cela doit marcher; Que ceux qui sont dans les media prennent leurs responsabilités en période de crise, comme les pouvoirs publics et les forces policières doivent le faire également. Chacun a son rôle dans la société. Je pense que cela fait longtemps qu'on a reconnu un rôle essentiel à la presse dans la sauvegarde de la liberté en démocratie. Je pense que nous n'avons pas à refaire ce débat aujourd'hui.

M. VEILLEUX: M. Beauchamp, votre réponse confirme...

M. FORTIN: Si le député me permet... LE PRESIDENT (M. Giasson): M. Fortin.

M. FORTIN: J'ai parlé tout à l'heure de numéros de téléphone. On est en train de colorer le commentaire que j'ai fait d'une façon que je trouve absolument inacceptable. Ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire. Le téléphone privé, vous avez les communications entre la police et l'entreprise de presse pour établir des stratégies, etc. Ce n'est pas du tout le cas. C'est qu'il est indispensable, je pense, qu'il y ait entre les forces de l'ordre et les véhicules de communication des moyens de communication. Il me semble que ces moyens devraient être assurés en tout temps, en temps de crise et comme en temps où il n'y a pas de crise. C'est exactement ce que j'ai voulu dire tout à l'heure.

C'est qu'il faut trouver des moyens pour assurer cette communication. C'est simplement une question technique.

M. L'ALLIER: M. le Président, si vous me permettez, sur ce point, les moyens de communication entre les media et les sources d'information existent. Ce sont les journalistes. En période de crise, de deux choses l'une: ou le media considère qu'il a un rôle à jouer pour aider le travail de la police — et ce n'est pas prévu comme tel par la Loi de la radiodiffusion — ou le media considère qu'il y a une crise, et effectivement c'est extrêmement difficile de travailler dans des conditions comme celles-là. Mais ce l'est aussi pour les politiciens qui sont à l'hôtel Reine-Elizabeth. Ce l'est pour tout le monde.

Il ne faut pas se retrancher. Pour ma part, je crois, comme l'ont dit le député de Taillon et le député de Saint-Jean, qu'il faut apprendre à vivre avec cela. Il faut que les radiodiffuseurs, les responsables de media assument pleinement leurs responsabilités avec la marge d'erreurs et de risques que cela suppose, comme pour les hommes politiques, comme pour les journalistes.

Essayer de définir ou de préétablir des mécanismes privilégiés de communication me parait dangereux. Ces mécanismes présupposent la définition de crise. Quand est-ce qu'on définit qu'il y a crise à un moment donné? Cela peut jouer souvent.

Par ailleurs, si vous dites qu'il faut avoir de meilleures communications avec la Sûreté, je suis bien d'accord. Mais c'est le problème de la Sûreté, au fond, d'organiser ses relations publiques et de faire en sorte que, lorsque les media l'appellent, quelqu'un réponde aux appels téléphoniques et dise les choses qu'il pense devoir dire. Mais, si on dit les mauvaises choses et que le media, en vérifiant, se rend compte qu'il s'est fait avoir parce que l'information était inexacte, le problème se posera d'une autre façon à ce moment.

M. FORTIN: Je conçois avec vous, M. le ministre, que c'est aux journalistes d'aller chercher l'information. Lorsque je parle de moyens de communication, c'est qu'il peut arriver, à certains moments, que la communication entre la police et les media soit interrompue par un bris de lignes, par exemple, ou par une occupation de postes de radio ou de télévision. Il faut trouver des moyens pour assurer la communication entre l'autorité représentée par la police, possiblement dans un moment de crise, et le public. C'est exactement et seulement ce point que j'ai voulu faire en rapport avec la clause 10.

J'abonde avec vous, M. le ministre, dans le sens que c'est aux journalistes d'aller chercher l'information et faire les vérifications qui s'imposent pour que l'information diffusée soit exacte.

Pendant que j'ai la chance d'avoir la parole — je vous remercie de me l'avoir donnée — et puisque, peut-être, les travaux de votre commission tirent à leur fin en ce qui concerne l'ACRTF, je voudrais vous rappeler un facteur important que nous avons tâché de dramatiser dans notre mémoire: c'est celui que nous sommes un organe de diffusion dont certains facteurs se rapportent à l'information. Nous avons les mêmes obligations que tous les autres moyens d'information en ce qui a trait à l'objectivité, à ce que vous appelez le droit du public à l'information. Mais en plus, et je pense qu'il faut en tenir continuellement compte dans nos discussions, la radio-diffusion est astreinte à un certain nombre de règles que d'autres moyens de communication ou d'information n'ont pas.

Exemple : Nous ne pouvons diffuser rien qui soit contraire à la loi. Le faisant, nous contrevenons à la loi. En tant que diffuseur responsable, c'est une chose que nous ne pouvons pas faire. Je comprends qu'il y a toute une question d'interprétation. Il y a un tas de questions qui peuvent intervenir. Mais je pense que c'est un facteur important; en tout cas, nous le pensons.

Dans toute discussion relative à l'information, il faut, je pense, faire une distinction à certains moments, parce que cela colore la discussion. La radiodiffusion est astreinte à plus de règles que les moyens d'information ordinaires, soit la presse écrite. Merci, M. le Président.

M. VEILLEUX: Au début de votre mémoire, vous avez mentionné les principaux points dans lesquels vous devez jouer un rôle en tant que diffuseur. M. le Président, s'il n'y a pas d'autres questions...

LE PRESIDENT (M. Giasson): Le député de Sainte-Marie.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Dans la rédaction de votre mémoire, vous mentionnez Radio-Canada; est-ce que Radio-Canada a donné son appui à ce plan ou s'il n'y en a pas été question?

M. FORTIN: A ce plan-ci? Non. Je sais que vous avez des problèmes d'anglais, mais il est dit au début...

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Non, je n'en ai pas tellement. Je voudrais vous faire expliciter davantage.

M. FORTIN: ... que la "Canadian Broadcasting Corporation and the Canadian Daily News Publishers Association have been invited to participate and the invitation remains opened." Je pense que c'est très clair.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Cela lie qui, quoi? Est-ce qu'il y a des organismes qui ont participé â la rédaction de ce document?

M. VEILLEUX: M. le Président, on a dit tout à l'heure...

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je n'ai pas posé la question au député de Saint-Jean. M. le Président, vous m'avez donné la parole et je pose tout simplement la question. On a à me répondre.

M. VEILLEUX: C'est-à-dire que vous reposez la question.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Non, je reformule ma question autrement parce que ça m'intéresse beaucoup de savoir qui est lié par ce document.

M. LEDUC: Personne.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Ce n'est pas à vous que je pose la question. Monsieur est capable de répondre.

M. FORTIN : C'est la même réponse. Personne n'est lié par ça. Chaque diffuseur conserve sa pleine autonomie à tous les niveaux. Je ne veux pas dire que les diffuseurs sont en désaccord sur ça. Je veux dire simplement que les diffuseurs conservent leur pleine autonomie de fonctionnement, de diffusion et de programmation par rapport à ce genre de choses.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): C'est drôle, quand je pose des questions ce sont les députés qui répondent.

M. LEDUC: ... les discussions de la commission.

M. VEILLEUX: On ne tombera pas dans le piège du représentant du parti séparatiste.

Moi, je remercie les deux groupes qui se sont présentés cette semaine. J'attends, de la part de l'ACRTF et de la part de la Férération des journalistes, des suggestions en regard de ce document. Nous allons lancer l'invitation à l'Association des quotidiens du Québec de nous faire des suggestions ainsi qu'à Radio-Canada.

LE PRESIDENT (M. Giasson): La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 38)

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