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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le mardi 9 mars 2010 - Vol. 41 N° 31

Consultations particulières et auditions publiques dans le cadre du mandat sur la question du droit de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Dix heures quatre minutes)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! Je constate quorum des membres de la Commission de la santé et des services sociaux. Donc, je déclare la séance ouverte en rappelant le mandat de la commission. La commission est réunie afin de poursuivre des consultations particulières et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Reid (Orford) remplace M. Lehouillier (Lévis); M. Ouimet (Marquette) remplace Mme Rotiroti (Jeanne-Mance--Viger); Mme Charbonneau (Mille-Îles) remplace Mme St-Amand (Trois-Rivières); Mme Hivon (Joliette) remplace Mme Beaudoin (Rosemont); Mme Richard (Marguerite-D'Youville) remplace M. Gauvreau (Groulx); Mme Lapointe (Crémazie) remplace Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve): M. Charette (Deux-Montagnes) remplace M. Turcotte (Saint-Jean); et Mme Roy (Lotbinière) remplace M. Deltell (Chauveau).

Auditions (suite)

Le Président (M. Kelley): Alors, merci beaucoup. On est à notre sixième journée des auditions. Je pense qu'on a eu beaucoup de témoignages fort intéressants. Je ne sais pas si les membres de la commission arrivent plus éclairés ou dans une confusion encore plus totale, mais on a une journée bien remplie, aujourd'hui, pour nous guider.

Et notre premier témoin, c'est le Dr Marcel Boisvert, qui est professeur retraité de l'Université McGill et ancien responsable de l'unité des soins palliatifs à l'Hôpital Royal Victoria. Alors, sans plus tarder, Dr Boisvert, la parole est à vous.

M. Marcel Boisvert

M. Boisvert (Marcel): M. le Président, Mmes et MM. les commissaires, bonjour. Je vous suis reconnaissant de l'invitation à vous faire part de mon expérience d'accompagnement de personnes en fin de vie. En cette sixième journée d'audience, pour éviter les redites et relever certains commentaires, j'ai donc apporté quelques changements au texte que j'avais déjà soumis.

Mes propos ont été façonnés par 18 années de pratique et d'enseignement en soins palliatifs à l'Université McGill, précédées par une décade de gériatrie à temps partiel, une sorte de cours préparatoire à la palliation. Je suis un généraliste à la retraite dont les premiers pas furent en tant que biochimiste chercheur. M'appuyant sur quelques grands noms, je tenterai d'expliciter les principales justifications en faveur d'une aide médicale à mourir conforme aux valeurs intimes d'une personne en fin de vie et qui en a fait la demande. Je serai amené à infirmer la contradiction énoncée par plusieurs entre soins palliatifs et abrègement de la vie. De même, les risques appréhendés seront relativisés.

Comme fond de scène, je souscris à l'analyse éthique des questions soulevées par l'euthanasie telles que présentées à la commission sénatoriale en 1994 par l'éthicien de renom, le Pr Kluge, suite à la cause de Mme Sue Rodriguez. La partie pertinente de son texte vous est fournie. Mes propos se fondent sur les idées suivantes:

1. Que le caractère sacré de la personne a préséance sur celui de la vie, ce qui impose une approche palliative qui se situe sur le terrain du malade et non sur celui des soignants;

2. Que la Cour suprême -- il y a une erreur dans le texte, c'est écrit «que la Charte», mais c'est «que la Cour suprême» -- reconnaît l'autodétermination, le choix de vivre ou de mourir, comme un droit, eu égard au respect d'autrui;

3. Que des circonstances exceptionnelles existent qui appellent des gestes ou des solutions exceptionnelles quand savoir et compassion ne suffisent plus;

4. Sur la nature et la valeur profonde du sens commun dont les lois tirent une partie de leur légitimité;

5. Qu'il s'agit principalement d'une question de valeurs morales que l'État ne peut imposer ou violer que s'il peut démontrer hors de tout doute que le bien d'autrui en est menacé et qu'il n'a d'autre recours.

Deux petites notes de bas de page. La première: Question d'économie de temps, c'est sciemment que j'évite les contradictions plus apparentes que réelles entre euthanasie, sédation terminale, processus décisionnel et soins appropriés; deux, le respect m'empêche de décrire en détail certaines situations cliniques atroces, mots utilisés par le Juge Cory de la Cour suprême. Ce serait pourtant rendre justice à ces grands malades dont le sort malheureusement défie l'imagination. Tout exigeante qu'elle soit, la compassion à leur égard n'est rien, comparée à leurs souffrances. Je répondrai volontiers à vos questions.

**(10 h 10)**

L'euthanasie ou l'interruption volontaire de la vie (IVV). Introduction. L'euthanasie volontaire consiste en un geste altruiste d'ultime compassion dont la nature essentiellement humaniste est pervertie par la loi actuelle, laquelle persiste à en faire un meurtre au premier degré. À l'automne 2009, le Collège des médecins du Québec a posé le geste lucide de confronter aux réalités actuelles la Loi canadienne concernant l'euthanasie, le collège estimant que, dans des circonstances particulières, devancer une mort imminente et inexorable peut s'inscrire dans le continuum de soins médicaux appropriés, les balises restant à définir.

C'est que la définition des mots «meurtre», «assassinat», «tuer» ont en commun deux éléments: le premier, ôter la vie; le second, avec violence, de sa racine «violare», dont le sens explicite est «contre la volonté de». On ne se trompe jamais sur le sens du mot «viol».

L'euthanasie est tout autre. L'euthanasie, c'est abréger l'agonie d'un patient, sans violence et à sa demande, quand il ne peut plus supporter toutes les souffrances d'une fin de vie qu'il sait imminente.

L'euthanasie et le suicide assisté ne devraient donc pas être considérés comme des meurtres. La première raison qui justifie l'euthanasie émane des patients eux-mêmes confrontés à une fin de vie intolérable, à une agonie inexorable qui se prolonge dans la détresse la plus totale dont souffre également, à sa manière, la famille, et que les meilleurs soins palliatifs sont incapables de soulager adéquatement.

Cette souffrance extrême, dans la majorité des cas, vient d'un syndrome complexe où l'expérience globale comporte des éléments psychologiques et existentiels qui surpassent le plus souvent en importance la douleur physique et les nombreux symptômes qui y sont associés. Cette souffrance-là devient un syndrome en soi, en marge de la maladie qui la cause. J'ai constaté cela des centaines de fois, fait confirmé par plusieurs recherches.

Pourquoi certains malades composent avec ces destins et d'autres s'y refusent obstinément demeure une énigme. Des anecdotes, même au pluriel, ne parlent qu'au singulier. La biographie du mourant, peu accessible... je m'excuse, la biographie du malade aide à comprendre, mais pas à soulager. Le sentiment d'indignité qui en découle est dans le coeur du mourant peu accessible à autrui et n'a rien à voir avec la dignité inhérente à son humanité, que tous respectent.

Cette souffrance n'est pas traitable, en a dit l'éthicien Hubert Doucet. Et une inoubliable patiente qui demandait à mourir m'a dit: Sans un minimum d'autonomie, il n'y a pas de dignité, et, sans dignité, il n'y a pas de vie. Et, si l'on compatit une heure au chevet d'une telle patiente, dans un quasi-silence fort éloquent, la vie continue, qui force les soignants à oublier qu'il reste encore 23 heures à la journée de cette malade et qu'elle souffre déjà de la misère du lendemain.

On se réjouit peut-être à tort que la demande d'euthanasie semble parfois avoir été écartée par le malade, alors que la vérité est que le malade a compris qu'il demande une chose inacceptable. Il ne peut que céder, sa faiblesse aidant. J'ai de bonnes raisons de croire que bien de nos victoires sur l'euthanasie sont en fait des résignations soumises à la loi souvent doublées d'une déférence à l'endroit du médecin. Je m'attriste doublement à penser que cette imposition n'est pas que juridique, mais souvent médicojuridique et qu'alors nous avons réussit à inculquer nos propres considérations morales dans la tête du malade, une forme d'acharnement ou de paternalisme qui nie l'exception.

La question est donc de savoir s'il existe des circonstances exceptionnelles qui peuvent justifier qu'à la demande d'un malade lucide on devance sa mort quand l'agonie est devenue insupportable, se rappelant que lui seul peut en juger. La réponse à l'évidence est oui.

Chaque cas de sédation terminale pourrait en être un exemple, selon le désir exprimé par le mourant. La sédation terminale étant un coma pharmacologique auquel on a recours, quand tout le savoir-faire palliatif échoue à soulager une souffrance intolérable. C'est l'admission explicite que des fins de vie sont invivables tel que démontré par l'importante recherche pancanadienne dont les données principales sont mentionnées dans la note 3, sur laquelle il nous faudrait revenir.

Quels sont les motifs invoqués par les malades pour leur désir d'abréger leur fin de vie? Leur grande détérioration physique et mentale, responsable de leur perte d'autonomie quasi totale, une vie vidée de son sens et se sentir un fardeau pour ses proches. La douleur et les symptômes viennent loin... dernière. Des souffrances peu accessibles à la palliation.

Les soins palliatifs furent conçus dans et pour la mort prévisible à court terme. Il nous faut également élargir la réflexion aux maladies dégénératives neuromusculaires au très long cours, ce dont M. Ghislain Leblond vous a entretenus lors de la première journée de ces audiences, un témoignage on ne pouvait plus probant et émouvant.

En Oregon, le tiers des patients à qui on a remis les drogues devant servir à leur suicide ne les utilisent pas. Il semble à date que ces personnes trouvent dans le tiroir de leur table de chevet suffisamment de sécurité et de sérénité pour poursuivre une fin de vie naturelle. De même, l'anthropologue américaine Frances Norwood rapporte dans son irremplaçable traité, une lecture obligée à mes yeux, qu'il en va de même pour les demandes d'euthanasie aux Pays-Bas: sur 10 demandes d'euthanasie, une seule s'accomplit; les neuf autres s'estompent sous l'accompagnement respectueux des médecins néerlandais et de soins à domicile exemplaires.

De ses travaux, elle tire deux conclusions: la première, c'est que l'euthanasie volontaire ne se résume pas à un geste, mais résulte ou devrait résulter d'un long processus de communication qui annule, chemin faisant, les questions relatives aux balises ou risques aux prises de décision. Deuxièmement, que l'accès à l'euthanasie, l'accès à l'euthanasie volontaire est une source importante de sérénité, donc une composante palliative de l'accompagnement et résulte le plus souvent, neuf fois sur 10 -- je viens de le souligner -- en une prolongation de la vie, d'où le titre de son ouvrage The Maintenance of Life. Cet accompagnement particulier infirme les appréhensions de plusieurs quant à l'effet délétère de l'euthanasie sur la relation patient-médecin.

Aux Pays-Bas, l'accès à l'euthanasie est donc considéré comme thérapeutique et fait en soi partie de l'approche palliative. Choisir exige une alternative. Si l'exercice d'un libre choix est un élément essentiel de la biographie d'une majorité de ces patients, l'accès à l'euthanasie devient une modalité de l'accompagnement telle que le définit le Dr Quenneville, un pionnier de la première heure en soins palliatifs au Québec. Accompagner, dit-il, c'est accepter de suivre une personne dans la direction qu'elle veut prendre, où elle veut aller, quand elle veut y aller et à sa manière. L'autodétermination ne se limite donc pas à pouvoir accepter ou refuser un traitement, c'est de pouvoir choisir librement entre vivre ou mourir, comme le reconnaît la Cour suprême.

Quo vadis? Les sociétés, la nôtre incluse, évoluent constamment. Plusieurs pratiques acceptées aujourd'hui par la majorité n'allaient pas de soi il y a une ou deux générations. Par exemple, le contrôle des naissances date des années soixante; la décriminalisation du suicide de 1982; la loi sur l'avortement déclarée inconstitutionnelle en 1988; le mariage de personnes de même sexe reconnu depuis 2005; et une forte diminution de la pratique religieuse qui s'est étalée sur les quatre ou cinq dernières décades. Notre sens commun évolue donc, c'est un irrévocable constat. Que dit-il au chevet d'un mourant? Souffrir sans arrêt comme cela, je préférerais mourir, ou pire, laisserait-on un chien souffrir comme cela?

La quête d'une plus grande autonomie face à notre fin de vie s'ajoute maintenant à ces profonds changements sociétaux et s'inscrit dans notre sens commun collectif dont nos lois tirent une bonne part de leur légitimité. À la suite de Mme Sue Rodriguez, une majorité canadienne, 75 % à 80 %, interpelle la loi. La note 5 qui réfère à un ouvrage de Mme Martel, qui me suivra à ce micro, servira probablement à en dire beaucoup plus sur ce point.

**(10 h 20)**

Le rôle des médecins n'échappe pas à cette évolution. Une à une, les facultés de médecine ont remplacé le serment d'Hippocrate, parce qu'il ne convient plus à nos moeurs et à nos pratiques, et l'évoquer est devenu marginal. Ainsi, en juin 2009, l'honorable Jean-Louis Baudoin, qui se passe de présentation au Québec, présenta son rapport de synthèse lors d'un congrès ce juristes tenu en Suisse. On peut y lire ces extraits, je cite: «L'acharnement thérapeutique est désormais universellement condamné comme contraire aux droits de l'autodétermination. Le premier devoir du médecin n'est donc plus de sauver la vie à tout prix, mais plutôt de respecter la liberté de choix de son patient. Le droit à l'autodétermination est désormais bel et bien accepté. C'est la liberté retrouvée et la consécration de la gestion individualisée de la destinée humaine.» Je cite encore: «L'opinion qu'on se fait de l'euthanasie volontaire dépend avant tout de ses propres convictions morales et religieuses. Ces mots sont lourds de conséquences.»

Dre Saunders, créatrice de l'approche palliatif -- auquel j'ai eu le privilège d'aller apprendre l'a b c de la palliation -- exhorte ses disciples à ne jamais imposer leurs croyances à leurs malades, à la page 4 de son livre fondateur: «Un questionnement s'impose donc sur la place que peut tenir toute prohibition inconditionnelle, surtout dans un domaine où les conséquences affectent un autrui aussi particulièrement vulnérable qu'un mourant. Un acharnement moral serait immoral.»

Dans un éditorial de 1990, l'éthicien David Roy décrit une malade dans une extrême détresse. Et je dois paraphraser ici, le texte étant trop long. Je traduis: Cette femme était mourante. Elle avait demandé à mourir paisiblement. Il aurait été entièrement justifié éthiquement -- «utterly justified ethically», de choisir avec elle le moment de sa mort. Et il ajoute, je traduis encore: Ce cas n'est qu'un exemple d'une mort inévitable, imminente, qu'il est éthiquement justifié de devancer. Fin de la traduction.

D'où l'on passe d'euthanasie à soins appropriés. On rejoint le Collège des médecins. De la mort moderne à l'euthanasie. En 1900, on mourait jeune, 50 ans, et généralement vite. En 2010, on meurt à 80, et de plus en plus mal, souvent au terme d'une vie étirée par la médecine moderne, émaillée de pertes et d'indignités successives au-delà de l'endurance de nombreux malades qui ont continué d'espérer et de croire en une troisième ou une quatrième chimio et pour lesquels même les meilleurs soins palliatifs ne sont plus capables d'insuffler le moindre sens, comme la note 3 le démontre clairement.

De cette souffrance, qui est la dégradation de l'identité, Hubert Doucet encore dit qu'elle n'est pas traitable et que, dans ce sens, je cite: «C'est de la fausse représentation de croire qu'il est possible de maîtriser toute souffrance.» Fin de la citation. Et le grand pionnier de la notion de souffrance, le nom du Dr Cassell est associé au terme ou à la notion de souffrance comme le nom Einstein à la relativité. En dit exactement la même chose et, se référant aux malades qui demandent à mourir parce que leur souffrance non soulagée est insupportable, il conclut: On devrait acquiescer à leur demande.

Du caractère sacré de la personne. Philosophes, théologiens, bioéthiciens reconnaissent que la personne a préséance sur la vie. «Ce n'est pas la vie qui est sacrée, c'est la personne», déclarait à Québec le théologien Fuchs. De même, le bioéthicien Daniel Callahan, directeur fondateur du célèbre Hastings Center for Bioethics aux États-Unis, écrit, dans Setting Limits : «The sanctity of life has to be the sanctity of personhood, not merely the possession of a body.»

À un malade lucide qui demande à mourir à cause de souffrances intolérables, lui imposer soit de continuer de souffrir ou d'accepter une sédation terminale qu'il ne veut pas imposer à sa famille fragilisée, c'est vouer à sa vie un culte inapproprié au mépris de la dignité de sa personne et de ses dernières volontés. C'est lui imposer l'agenda des soins palliatifs, dont je me dissocie.

Ainsi, les médecins bien connus Cassell et Meier écrivaient dans le New England Journal of Medicine, je traduis: Les malades qui demandent une aide à mourir ne devraient pas être tenus en otages par notre incapacité ou notre refus de la responsabilité à aider quand les circonstances le justifient.

Et, devant la Cour suprême des États-Unis, Dr Marcia Angell, ex-rédactrice en chef du New England Journal, raconta que son père mit violemment fin à ses jours la veille de son admission terminale dans un hôpital. Elle déclara, je traduis: L'hospitalisation, il le savait, le priverait de sa dernière chance de décider de son destin. Il aurait prolongé sa vie au milieu des siens sachant qu'il aurait pu bénéficier d'une aide médicale son moment venu. C'est ce que permet la loi de l'Oregon. Je ne puis concevoir pourquoi quiconque voudrait empêcher cela.

Une courte conclusion. Les sciences ont prolongé la vie et empiré la mort. Des fins de vie invivables sont documentées au sein même des meilleurs services de soins palliatifs du pays où science et compassion sont parfois confrontés à leurs limites. La compassion se doit également d'être humble et de reconnaître la liberté de choix des mourants dont la vie n'est plus qu'un fardeau. Je ne doute pas que vous puissiez concevoir et adapter aux réalités du Québec des règles et surtout un climat de compassion plutôt que de suspicion pour que ces malades et leurs proches aient l'aide nécessaire pour affronter la mort paisiblement, selon leurs propres valeurs.

Quelques pistes me semblent privilégiées: revaloriser le rôle du médecin de famille, favoriser une vigoureuse implantation de soins palliatifs domiciliaires et multidisciplinaires arrimés au groupe de médecins de famille, adapter l'approche consensuelle néerlandaise au particularisme québécois, laquelle minimise les facteurs de dérive, ainsi que l'a reconnu l'honorable Jean-Louis Baudoin.

Tout compte fait, le choix ne se situe pas entre soins palliatifs d'un côté ou euthanasie volontaire de l'autre, mais entre soins palliatifs parfois indûment prolongés ou soins palliatifs et euthanasie volontaire en dernier ressort, au besoin.

Je laisse le mot de la fin au juge Cory de notre Cour suprême: «Des interdictions édictées par l'État qui imposeraient une mort atroce à un malade lucide constitueraient une insulte à la dignité humaine. Puisque le droit de choisir la mort est offert aux malades non handicapés, il n'y a aucune raison de refuser ce droit à ceux qui le sont.» Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Boisvert. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Je propose peut-être deux blocs d'environ 18 minutes, en commençant avec M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Dr Boisvert, merci pour votre mémoire, vos réflexions basées sur, je pense, 18 ans de pratique en soins palliatifs et également, je pense, vos nombreuses lectures sur ce sujet et vos lectures en matière de philosophie et d'éthique. Vous...

Juste clarifier une chose avec vous. À la page 3 de votre mémoire, vous citez l'honorable Jean-Louis Baudoin, ancien juge à la Cour d'appel du Québec, et la citation fait référence au droit à l'autodétermination, mais dans le contexte de l'acharnement thérapeutique. Et le point que j'aimerais clarifier avec vous, c'est: Est-ce que l'ancien juge Jean-Louis Baudoin s'exprimait aussi sur la question de l'euthanasie ou se limitait-il à l'acharnement thérapeutique? Je voudrais juste clarifier ça, parce que ce n'était pas clair pour moi en lisant la citation.

M. Boisvert (Marcel): C'est clair... J'ai une partie de son rapport ici, là. Alors, les citations viennent de ça, là. C'est très clair qu'il parle d'euthanasie. Quand...

M. Ouimet: O.K.

M. Boisvert (Marcel): Il faudrait le trouver, là, mais tout ce que j'ai cité, là, c'est in extenso...

M. Ouimet: Très bien.

M. Boisvert (Marcel): ...à partir de son texte. Quand il dit, par exemple, que l'euthanasie, ça relève de nos valeurs morales, qu'on ne peut pas imposer, alors c'est vraiment, là, il parle de l'euthanasie volontaire et il dit une phrase qui est touchante, là. Il dit que «c'est la liberté retrouvée, la consécration de la gestion individualisée de la destinée humaine». Ça ne peut pas être plus clair que ça.

M. Ouimet: Très bien. M. le Président, est-ce qu'il serait possible de demander à notre témoin peut-être qu'on puisse avoir accès au document, pour pouvoir éclairer les membres de la commission parlementaire sur le document auquel vous faites référence.

**(10 h 30)**

M. Boisvert (Marcel): Pardon? Je n'entends pas très bien, monsieur...

M. Ouimet: Oui. Alors, j'allais dire est-ce qu'il vous serait possible de...

M. Boisvert (Marcel): Ce document? Bien sûr.

M. Ouimet: Oui, ce document, aux membres de la commission. Je l'apprécierais grandement. Très bien.

Vous faites également une distinction très importante entre le caractère sacré de la vie et le caractère sacré de la personne. C'est le point d'ancrage de votre mémoire. Et à plusieurs reprises dans votre mémoire, et le Collège des médecins l'ont fait également, parlent des circonstances exceptionnelles dans lesquelles l'euthanasie devrait être permise.

Pour nos fins de rédaction de document, pourriez-vous, peut-être, nous tracer un peu les pourtours de ces conditions exceptionnelles là? Pourriez-vous nous éclairer là-dessus, à partir de votre expérience, de vos pratiques? Qu'est-ce qui devrait permis? Qu'est-ce qui ne devrait pas être permis?

Parce qu'on aura, nous, à consulter les québécois sur ces questions-là et... Si on prend les écrits que vous citez dans votre mémoire et par la suite qu'on met à côté le caractère exceptionnel dans lequel l'euthanasie doit s'opérer, j'essaie juste de voir, là, quel est le contexte.

M. Boisvert (Marcel): Les conditions exceptionnelles se définissent essentiellement cliniquement. Pour les... on ne peut pas autrement que faire du cas-par-cas, là, et je le dis dans mon texte. On ne sait pas pourquoi certains malades vont endurer des états cliniques littéralement affreux. Je peux les décrire dans le détail, là. C'est vraiment, là... La meilleure façon de décrire ça quand on enseigne, là, c'est de montrer des diapositives puis les gens disent: Oh! Ce n'est pas... c'est terrible. Des plaies de lit, des gens... des détails... Écoutez. Des gens qui vomissent, qui ont des vomissements excrémentiels, des dames qui ont de l'incontinence fécale par voie vaginale. Il y a des patients qui, pas facilement, mais qui acceptent ça puis qui se rendent à leur fin de vie de façon naturelle. Il y en a d'autres qui demandent qu'on mette fin à ce manège qui leur est profondément inacceptable.

Alors, c'est évident qu'en soins palliatifs on pose des questions. Peut-être qu'on en pose trop, de l'acharnement moral entre guillemets. Il se fait de l'acharnement thérapeutique. Je vous jure qu'il se fait de l'acharnement moral quand un patient demande qu'on mette fin à son calvaire 22 fois puis on continue à dire que... mais oui, mais là, qu'est-ce qu'on peut faire pour vous? On vous aime, puis votre famille, etc.

Alors, les conditions spéciales sont définies par le malade qui dit à répétition, tant qu'il est lucide... vient un moment donné où il n'est plus lucide, mais, si on attend jusque-là, mon expérience personnelle... on a attendu trop longtemps, puis là on dit: Il ne peut plus nous parler, on ne le sait pas. Quelqu'un qui dit ça des fois, des jours, jour après jour la même chose, c'est ça, les conditions exceptionnelles. Et toute la palliation ne parvient pas à ça.

Puis si j'ai... pouvez-vous me donner deux minutes? L'article... la recherche pancanadienne, elle est très significative de ce point de vue là.

Je commence avec Dr Angell, qui est une grande personnalité mondiale, nord-américaine de la médecine, ex-rédactrice en chef du New England Journal. Elle écrit dans un article: J'aimerais ça que les soins palliatifs puissent m'assurer que personne ne demande l'euthanasie dans les soins palliatifs et... Ça, c'est en 2004. En 2007, une réponse quasi parfaite vient du Canada.

Une étude multicentrique canadienne, huit centres de soins palliatifs les plus reconnus du pays, des noms qui me sont, là, très familiers, dont une du Québec. L'étude porte sur 379 cancéreux en fin de vie, en soins palliatifs. Il y a plus de... On est rendus au bout de la thérapie curative. On leur demande: Si l'euthanasie était légalisée au pays, quelle serait votre position face à l'euthanasie? 63 % se disent en faveur de l'euthanasie. Ils ne disent pas qu'ils la veulent; ils se disent en faveur de l'euthanasie. 40 % de ces 379 malades disent: Pour le moment, ça s'endure, mais, si mon état empire plus que ça, je considérerais sérieusement la demander. 22 patients répondent: Si c'était légal, je l'aurais demandé la semaine dernière. Et ils continuent, ils perdurent dans leurs demandes jusqu'à leur décès.

Alors, c'est ce que j'appelle, là, une preuve explicite que les soins palliatifs ont leurs limites. En soins palliatifs, on ne fait pas... je l'ai fait pendant 18 ans, ce n'est pas du tout dans les moeurs de dire: Monsieur, madame, si l'euthanasie était légalisée, qu'est-ce que vous voudriez? Alors, les patients le savent. Je parle de déférence envers les médecins, c'est déférence envers la loi. Je me suis fait dire je ne sais pas combien de fois: Merci, docteur, pour vos bons soins. Je le sais bien que vous ne pouvez pas, mais si vous pouviez donc me donner une petite piqûre pour mettre fin à tout ça. C'est des demandes d'euthanasie.

Il y a des recherches très bien faites, Bach aux États-Unis, Peter Maguire en Angleterre, qui démontrent, avec des longues études sur le long terme, à analyser, à enregistrer même les conversations qu'inconsciemment les médecins, non en soins palliatifs comme en soins palliatifs, inconsciemment, dirigent la conversation qui empêche les gens de dire ce qu'ils veulent. Puis, d'autre part, bien, quand on sait que c'est illégal et criminel, il y a bien des gens qui ne le demandent pas.

Alors, pour répondre à votre question, c'est... les situations extrêmes, conditionnelles, spéciales où les patients n'en peuvent plus, elles existent, elles sont très bien documentées, et la loi dit que, si on les aide... La loi soupçonne tous les médecins d'être des criminels potentiels. Je ne peux pas marcher avec ça. Puis, j'espère que vous non plus.

M. Ouimet: Est-ce que... je poserai peut-être la question différemment. Est-ce que la mort doit être imminente et inévitable dans tous les cas? C'est ce que le Collège des médecins nous suggère. Et, vous, j'ai l'impression que votre point de vue, ce n'est pas tout à fait cela.

**(10 h 40)**

M. Boisvert (Marcel): Non, ce n'est pas tout à fait ça. Moi, je lève mon chapeau au Collège, là, d'avoir ouvert la porte à cette discussion, hein. Le Collège est très, très... il joue sur la clôture, comme on dit, cette fameuse confusion, là, entre les spécialistes, je peux en dire un mot tantôt...

La présentation... le témoignage de M. Leblond était très réaliste et il existe ou va exister de plus en plus au Québec. Et on les oublie constamment, ces gens-là. Je l'ai dit dans mon texte, les soins palliatifs, par Dame Saunders, c'était pour les cancéreux, c'est dans le court terme. L'agonie que M. Leblond a bien définie, cette situation exceptionnelle chez quelqu'un comme M. Leblond, qui arrive devant son médecin, au bout de 10, 15, 20 ans de souffrance, puis qu'il dit: Je n'en peux plus, c'est fort probable que son «j'en peux plus» va être plus loin de son décès que le cancéreux, cancer du pancréas, 15 mois, 18 mois.

Alors, dans ce sens-là, moi, je me rattache à Kluge et je me rattache à tous les éthiciens qui sont d'accord qu'il n'y a que le malade qui puisse décider de ça. Il n'y a que le malade qui puisse décider de ça, et, je m'excuse auprès de mes ex-collègues qui sont demeurés mes amis, je ne peux pas... je ne peux pas accepter qu'on n'accepte pas des exceptions, surtout en biologie. On sait qu'en biologie, tout ce qui peut arrive... peut arriver se produise, alors qu'on pose une objection inconditionnelle, non à toutes les conditions, c'est presque faire un 180 face aux principes de base des soins palliatifs.

Saunders a passé sa carrière à dire: Rejoignez le patient sur son terrain, pas celui des soignants, sur son terrain. Les soins palliatifs font ça de façon admirable, jusqu'à ce que le patient dise: Docteur, je n'en peux plus, aidez-moi à mourir. Puis là on fait un 180, puis ce qui prend le devant, c'est l'agenda des soins palliatifs: qu'on ne fait pas d'euthanasie.

On refuse même les circonstances exceptionnelles, ce qui est antibiologique et c'est antiphilosophie des soins palliatifs. Alors, c'est là que je commence à diverger.

Puis vous parlez du caractère sacré de la personne, c'est très important. La porte ouverte récente, d'après moi, fut ouverte par Pie XII, ce n'est pas n'importe qui, 1957, célèbre, c'est facilement retrouvable sur Internet: Pie XII, 1957, Rome, conférence demandée par les anesthésistes de Rome. La position de Pie XII est très claire: Si vous avez à choisir entre soulager la souffrance et devancer la mort, c'est le patient qui passe en premier, ce n'est pas la vie avec un V majuscule. C'est... ça, c'est la première, là, position officielle, d'après moi en tout cas, là, théologico-philosophique, là, que c'était correct de faire ça. Vous vous en... 30 ans plus tard, en 1987, Daniel Callahan, je l'ai dit tantôt, un grand, grand éthicien, là, mondial: «The sanctity of life has to be -- has to be -- the sanctity of personhood -- c'est la personne qui passe en premier -- not merely the possession of a body.» Alors, qu'est-ce que vous avez quand vous faites une sédation terminale? Vous videz cette personne, vous l'enlevez, le patient est inconscient, et la famille continue de souffrir, mais le malade n'est plus là, lui. Alors, c'est ce que j'appelle s'accrocher après la vie avec un V majuscule au détriment de la personne avec P majuscule.

En 1990, le grand théologien Eric Fuchs... Je dis qu'il est grand parce que je pense qu'il n'y a pas un seul théologien au Québec puis au Canada qui a son nom cité dans la rubrique Théologie de la volumineuse Encyclopédie Universalis. À Québec, Eric Fuchs, en réponse aux journalistes de L'Actualité médicale, dit: Non, en médecine, la notion du caractère sacré de la vie est inacceptable. Ce n'est pas la vie qui est sacrée, c'est la personne. David Roy dit quelque chose de semblable dans un de ses éditoriaux de 1990 aussi. Puis je l'ai cité quand il dit: Oui, c'était «ethically justified». Je le dis en anglais au cas où on douterait de mes traductions. O.K.?

Alors, la... cette notion de la personne, elle est... que la personne est... Parlons de l'avortement. C'est la... personne ne doute que le foetus soit en vie, mais la personne de la mère passe avant la vie du foetus.

Alors, avoir un non inconditionnel... qu'on mette des balises, forcément, mais qu'il y ait un non inconditionnel à la protection de la vie au détriment de la personne, c'est inacceptable.

Une voix: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député des Îles-de-la-Madeleine.

M. Chevarie: Merci, M. le Président. Merci, Dr Boisvert. Votre contribution est très intéressante à cette commission. Nous sommes au sixième jour de cette commission. Beaucoup d'experts sont venus, de différents secteurs professionnels, de la société également...

M. Boisvert (Marcel): Confrontation...

M. Chevarie: ...sont venus nous exprimer leur point de vue. Beaucoup ont exprimé des positions contre ou tout au moins très réservées à ce qu'on légifère dans ce domaine-là, qu'on autorise l'euthanasie.

Selon vous, qu'est-ce qui amène cette situation où beaucoup d'experts sont divisés sur cette question? On nous a parlé du caractère sacré de la vie. Vous, vous parlez du caractère sacré de la personne, qui a prépondérance sur la vie. Est-ce que c'est les cultures, le code de déontologie, sauver la vie à tout prix? J'aimerais ça vous entendre encore un peu plus là-dessus.

M. Boisvert (Marcel): Vous avez raison: il y a un peu de tout ça. Il y a une divergence sur la... il y a une divergence sur vie versus personne, hein? Il y a divergence sur... je ne sais pas comment le dire, presque religion -- appelons les choses par leur nom, là. Nous sommes dans un milieu chrétien, catholique ou protestant, là, nous sommes dans un milieu chrétien, et le milieu chrétien, y inclus saint Thomas, y inclus les protestants, c'est le thomisme, de façon prépondérante. Et il y a une confusion, d'après moi, qui vient de là, parce qu'en médecine, même dans mon temps, on ne passait pas trop, trop de temps là-dessus, là, parce qu'il n'était pas question d'euthanasie quand j'étais jeune médecin, mais on en parlait quand même.

On parlait du caractère... on parlait du principe du double effet. Le principe du double effet, on ne réalise pas qu'il contient une contradiction interne majeure inévitable. On dit: Je ne veux pas la mort, mais je peux poser un geste qui va la provoquer. C'est un peu étrange, comme principe. Et, si vous regardez dans l'histoire de la philosophie et de théologie, là -- je ne suis pas un expert dans ça, mais mes lectures me disent ça -- ça remonte à des siècles que des philosophes, tout aussi, du point de vue non catholique, aussi crédibles que saint Thomas ont refusé d'adhérer à ce principe précisément à cause de cette contradiction interne, et ils ont proposé à la place un principe de nécessité. Ça a l'air de rien, mais c'est beaucoup, dans les faits.

La nécessité, c'est: il y a une situation, pour régler cette situation-là déontologiquement, mon devoir de médecin, c'est de soulager ce patient-là, il est nécessaire que je pose tel geste, et on ne se pose pas la question: Est-ce que je dois ou je ne dois pas? La confusion, elle vient de là. Et c'est très important parce qu'on est tous... on a tous été élevés, là, catholiques, chrétiens, etc. La confusion vient de là.

Et une chose qui est importante pour vous, Mme et MM. les commissaires, à remarquer, c'est que cette confusion-là, contrairement à ce qu'on a présenté ici à plusieurs reprises, elle n'existe pas dans le public. C'est nous, les médecins, qui pensons que le public a cette même confusion, alors que, cette confusion-là, elle est propre au corps médical. Je vais vous donner deux exemples rapides, là.

Imaginez que quelqu'un est mourant, un agonie avancée, là, une phase terminale avancée, un médecin est appelé par l'infirmière à l'hôpital, disons, le patient gémit, il ne peut pas communiquer, il gémit. Le médecin pose son geste de médecin, il dit: Oh! Je ne veux pas faire une euthanasie, ici, là, double principe. je ne veux pas faire une euthanasie, mais je vais le soulager: il lui donne un peu de morphine puis un peu de sédatif. Il en parle à la famille. Votre malade est très malade. Le patient décède. Le chef du service lui demande: Comment est-ce que ça s'est déroulé? Il dit: Bien je ne voulais pas l'euthanasier, mais je pense que c'est ce que j'ai fait parce qu'il fallait que je le soulage, puis j'ai posé tel geste.

Un autre médecin arrive auprès du même cas. Lui, il ne l'accepte pas, le principe du double effet, Marcel Boisvert. Il dit: Ah! ce malade-là, il gémit, on n'est pas certain de ce qui se passe, mais notre profession nous dit qu'il faut donner le bénéfice du doute au malade, donc on assume que, s'il gémit, puis s'il bouge, qu'il n'est pas confortable, qu'il a de la douleur, on dit: Il est nécessaire que je le soulage. On va poser les mêmes gestes que l'autre médecin. Si le chef de service vient me voir puis il me dit: Qu'est-ce que vous avez fait? Comment est-ce que ça s'est déroulé? Je vais dire: Les soins appropriés à son état. Et si je réponds au sondage des soins... de la fédération des spécialistes, il y en a un qui va dire «euthanasie», puis il y en a d'autres qui vont dire «soins appropriés». Mais c'est une confusion qui est strictement médicale. Le public ne l'a pas, cette confusion-là.

Il n'y a pas un Québécois puis il n'y a pas une Québécoise en âge de voter qui ne sait pas ce que ça veut dire de faire euthanasier son animal de compagnie. Alors, c'est... Elle n'est pas là, la confusion. La confusion, elle est médicale pour le moment, parce qu'il y a juste les médecins qui sont appelés à poser ce geste-là. Mais cette hésitation, elle provient exactement de là, et je n'ai pas de communication particulière avec Dr Lamontagne, là, je pense que c'est justement cette difficulté, cette ambivalence qui est inutile, qui ne change rien à la situation. Que vous pensiez double effet ou nécessité, vous allez poser le même geste. Dans un cas, vous cochez euthanasie, dans l'autre cas soins appropriés. Les Américains qui lisent ça: Ah! Ah! Il se fait plein d'euthanasies comme on a fait en Belgique... en Hollande. Ah! il se passe plein d'euthanasies non volontaires. Ce sont des soins appropriés en fin de vie. Pour certains malades, ça peut arriver, on ne le sait pas, parce qu'on n'a pas de bonne façon d'évaluer, mais on pense que, dans certains cas, ça peut arriver 10 jours avant, dans certains cas, 10 heures avant ou deux heures avant.

Le Président (M. Kelley): Je dois mettre fin à cet échange. Mme la députée de Joliette. C'est juste je dois conserver le temps le Pre Martel aussi.

**(10 h 50)**

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup. Bienvenue, Dr Boisvert, un témoignage, je pense, très riche. Vous devez sentir le silence autour de la table. Dr Boisvert, je voudrais poursuivre un peu dans la même veine que mon collègue parce qu'effectivement, au début, mon collègue de Deux-Montagnes a dit qu'il était mystifié parce qu'on avait eu... il était mystifié parce qu'on avait eu le témoignage du Collège des médecins et des fédérations, et ensuite on a eu l'Association médicale canadienne qui avait une approche complètement différente, et on est aussi un peu mystifiés, je crois, de voir, je dirais, la divergence entre les ordres professionnels de médecins qui sont venus nous parler et les spécialistes de soins palliatifs. Et vous êtes un peu un oiseau rare parce que vous n'avez pas le même discours que la plupart des gens des soins palliatifs qui sont venus.

Alors, effectivement, pour nous, c'est important de comprendre pourquoi, puis je pense que vous venez d'exprimer en partie comment s'explique cette différence-là. Moi, j'aimerais pousser ça plus loin, je l'ai demandé hier.

Et l'autre chose qui me mystifie un peu, c'est que les gens de soins palliatifs nous disent que des demandes d'euthanasie sont excessivement rares, qu'il y a des demandes de... l'expression de souhaits de mort, mais que, dans la majorité des cas, quand on traite bien la souffrance, quand on accompagne bien ces personnes-là, ce qui est le propre de la vocation des soins palliatifs, ces demandes-là diminuent considérablement et qu'on reste avec quelques cas.

Alors, hier, j'ai demandé notamment au Dre Annie Tremblay, qui est psycho-oncologue à l'Hôtel-Dieu, qui nous disait que c'était très rare, comment on pouvait expliquer alors que, dans la population -- et nous, comme parlementaires, on reçoit beaucoup de témoignages aussi -- il y avait autant de gens qui nous parlaient de fins de vie atroces, difficiles, de gens qu'ils avaient accompagnés qui souhaitaient mourir, abréger leurs souffrances et que, quand on parle aux gens des soins palliatifs, on nous dit que c'est très, très exceptionnel. Ils m'ont dit: C'est parce que c'est un manque de ressources, ces gens-là sont mal accompagnés, et, s'ils étaient bien accompagnés, ils ne demanderaient pas la même chose. Qu'est-ce que vous répondez à ça?

M. Boisvert (Marcel): Bien, je vais vous rappeler ce que j'ai dit tantôt. Il est très facile, inconsciemment -- je n'accuse pas mes ex-collègues, là, de malversation -- il est très facile, on sait que ça se produit -- je vais le dire comme ça -- on sait que ça se produit que les médecins, selon leurs croyances -- forcément, en soins palliatifs, leurs croyances, vous savez ce qu'elles sont -- ils dirigent la conversation.

Je cherche un témoignage ici, là, de Kessel, le célèbre Kessel, O.K. Il dit à peu près quelque chose comme ça: Les personnes qui militent contre une aide... C'est ma traduction, d'accord, dans un autre livre que j'ai ici: Les personnes qui militent contre une aide médicale à mourir prétendent inlassablement que, la plupart du temps, toute souffrance peut être soulagée, la souffrance beaucoup moins fréquente, presque toujours soulagée. Mais, à l'évidence, face à l'évidence que les mourants ne bénéficient pas, ne sont pas toujours soulagés par les soins palliatifs, qu'est-ce qu'on fait pour ces gens-là, hein? Et c'est parce que la conversation a été dirigée.

Rappelez-vous la recherche que je vous ai mentionnée, là: 6 %... Puis ça, ce n'est pas M. Tout-le-monde, là, c'est des unités de soins palliatifs, O.K. Alors là, je vais être un petit peu méchant, «tongue in cheek», qu'on disait à McGill. Ce célèbre article qui s'appelle l'«article de Wilson», il aurait, je n'en ai aucun doute, été accepté par le New England Journal of Medicine, ou par le British Medical Journal, ou par le Canadian Medical Journal: il a été publié dans Health Psychology. Il n'y a pas un médecin sur 100 qui lit ça régulièrement.

On ne voulait pas -- c'est ma croyance profonde, c'est juste une croyance -- on ne voulait pas, on était mal à l'aise de rendre très populaires... pas populaires mais très répandues ces données-là: 6 % de leurs malades des meilleures unités de soins palliatifs au pays demandaient l'euthanasie, hein. Alors, il y a quelqu'un en quelque part qui est fermé à la conversation,

O.K. Puis j'ai un autre témoignage ici encore de Mme Angell. Entre parenthèses, Mme Angell, indépendamment qu'elle soit médecin, elle a été déclarée il y a sept, huit ans par Time Magazine parmi les 25 personnes les plus influentes aux États-Unis, juste pour vous dire, là, que ce n'est pas juste une médecin, là. Je traduis encore, il est dans ce livre ici: Je m'inquiète du fait que le mouvement palliatif, à la mesure de son importance et de son influence, se soit identifié à la mentalité de plusieurs spécialités médicales en affichant une fierté professionnelle proche de l'arrogance et de l'inflexibilité -- ce ne sont pas mes termes, termes de Mme Angell. On en est venu à concevoir un modèle de la bonne mort qui doit être un processus de croissance, d'approfondissement du sens de la vie qui mène à une acceptation de la mort, la souffrance étant subjuguée. Ce scénario laisse peu d'espace aux patients qui accordent beaucoup d'importance à l'autonomie. Ils sont perçus comme des mourants qui refusent de se soumettre au cadre de la belle mort.

Pour moi, ça répond à votre question.

Mme Hivon: D'accord. Merci.

M. Boisvert (Marcel): Si vous voulez d'autres commentaires, je peux en faire, là.

Mme Hivon: Oui. O.K. J'aimerais vous amener sur la question de la sédation terminale. Si vous nous avez suivi un peu, vous savez aussi que c'est un, je dirais, un argument ou une réalité dont on nous fait part abondamment en matière de soins palliatifs, de dire qu'en fait que, quand on est face à un cul-de-sac, il y a toujours la sédation terminale, et que donc ce serait un argument pour dire que l'euthanasie n'est pas... n'est pas nécessaire.

Tantôt, vous l'avez évoqué brièvement. Moi, je me suis penchée un peu là-dessus parce que c'est quelque chose, pour le commun des mortels, avec quoi on n'est pas excessivement familier. Vous, vous semblez y voir un problème éthique.

J'aimerais juste que vous élaboriez un peu sur la question, selon vous, de la différence entre la sédation terminale et l'euthanasie.

M. Boisvert (Marcel): C'est essentiellement vouer un culte au mot «vie» plutôt qu'au mot «personne», c'est essentiellement ça.

Il y a des sédations terminales, je pense que le record, c'est au-delà de 30 jours. La moyenne, c'est moins, mais deux semaines... Si vous avez un patient... Moi, j'en ai eu, des patients en fin de vie, on en a fait, des sédations terminales. Effectivement, la première qui a été publiée dans ses moindres détails l'a été par mon directeur, Dr Mount, sur un de mes patients où j'avais fait la consultation. J'étais en congé de maladie, donc... Mais c'était ça. L'idée, c'était de... ce patient-là, il méritait, entre guillemets, il y avait toutes les justifications nécessaires pour mettre fin à sa vie qui était invivable. Elle est tellement invivable qu'on le rend inconscient de sa vie. Ça parle fort, ça, c'est explicite: sa vie, elle n'est pas vivable.

Je suis d'accord avec la sédation terminale si ce patient-là -- et j'en ai connu, on en a fait -- catholique qui dit: Docteur, je n'en peux plus de souffrir, endormez-moi, mais laissez le bon Dieu venir me chercher quand il en aura décidé. Il y a des patients à qui j'ai offert en dernière ressource, ils ont dit... Écoutez, moi, je suis d'accord avec vous, là, je ne peux pas faire une sédation terminale à l'hôpital: les médicaments, c'est les infirmières qui les contrôlent puis le pharmacien, je ne peux pas le faire. Puis, même si je le faisais, je me retrouverais derrière les barreaux. Je pense que je suis plus utile au chevet des malades que derrière les barreaux. Les patients disent: Bien oui, bien oui.

Mais j'ai eu des patients qui ont refusé une sédation terminale. Ils me disent: Ça fait des semaines que je souffre comme ça, ma famille n'en peut plus, puis vous me dites qu'il y a des chances que ça dure deux semaines, puis vous allez imposer ça à ma famille. Il dit: Je vais tenir le coup, puis espérons que je parte, parce qu'on n'était pas capables de les soulager. Il y a des douleurs qui ne se soulagent pas ou très mal, puis il y a des souffrances qui ne se soulagent pas, puis c'est celles-là, les pires.

Mais c'est un tout, ça, là, ce n'est pas A et B. Ce n'est pas des cartes d'un bord puis de l'autre. Alors, c'est comme ça. Alors, il faut... c'est s'attacher au V majuscule.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci, M. Boisvert. Merci pour votre éclairage... Drôlement intéressant de débuter la journée avec vous ce matin.

Est-ce que... Par curiosité, est-ce que la position que vous avez aujourd'hui est celle que vous aviez du temps de votre pratique, d'une part, et est-ce que vous diriez qu'elle est largement partagée par vos collègues médecins?

Et j'inclus dans cette question la définition suivante: l'euthanasie comme étant un soin approprié en fin de vie. Ultimement, la question qui tue, pour reprendre l'expression célèbre: Est-ce que, selon cette même définition, aujourd'hui, au Québec, l'euthanasie se pratique dans nos hôpitaux?

**(11 heures)**

M. Boisvert (Marcel): Ma première réponse à votre question, c'est de lever mon chapeau au Dr Mount. On a discuté, j'ai été là 18 ans. J'ai changé d'idée rapidement parce que je suis entré en soins palliatifs déjà sel et poivre, alors j'avais un peu... un peu de millage puis j'avais fait de la gériatrie, donc j'avais vu plein de gens âgés mourir puis demander à mourir. Alors, on ne le faisait pas, ils ne savaient rien. Can't you give me a little needle, Doctor? C'était dans un centre de 400 vieillards anglophones.

Dr Mount et moi, on est des bons amis comme ça puis on continue de discuter d'euthanasie. Il est chaud partisan du principe du double effet, il en a parlé puis il a écrit là-dessus. Et j'ai beau... moi, je lui offre le principe de nécessité comme étant supérieur, il ne veut rien savoir. Ça, c'est une réponse. Il m'a enduré jusqu'à la fin, j'ai même donné des conférences midi dans le Royal Vic avec mon patron au fond de la salle.

L'autre question, je ne sais pas, je ne sais vraiment pas comment vous répondre quand vous dites: Est-ce que l'euthanasie se produit? Moi, j'étais en soins palliatifs à moitié de ma carrière, puis l'autre moitié de ma carrière dans les cliniques. Alors, quand j'ai vu le résultat de la FMSQ, les spécialistes disaient que, oui, 50 % pensent que ça se fait ou 80 % pensent que ça se fait, puis 50 % qui en ont vu, je ne sais pas vraiment à quoi ça correspond.

Il y a probablement plusieurs définitions dans ça. Il y a probablement des gens qui travaillent aux soins intensifs, des gens qui travaillent à l'urgence, et probablement des fins de vie comme je viens de vous décrire, le patient, il est à moitié mourant puis il y en a, des fois, de plus en plus de médecins qui ne se posent pas la question, là: Je fais l'euthanasie, je ne fais pas l'euthanasie, le patient est mourant. Je ne peux pas dire s'ils disent, dans le fond, si je fais l'euthanasie...

Ce qu'il est important de se rappeler, Tom Beauchamp, un docteur en philosophie, un «senior researcher» au Kennedy Institute of Ethics aux États-Unis, il nous rappelle que la moralité d'un geste n'est pas attachée à la personne qui pose le geste mais à la justification du geste. Alors, il y a un médecin, mon premier médecin de tantôt, s'il avait dit: Oui, bien, il est temps que cette madame-là ou ce monsieur-là parte, le geste demeurait un geste moralement justifié parce que la madame est en fin de vie, puis l'autre médecin l'avait bien compris puis il a posé le même geste, d'accord?

Alors, je ne sais pas. Moi, je n'ai jamais été témoin d'euthanasie à l'hôpital. Les philosophes ne s'entendent pas entre eux à savoir si, arrêter un respirateur, si c'est de l'euthanasie ou laisser mourir le malade. Moi, je suis de ceux qui pensent que tant que le respirateur fonctionne, le patient est en vie. C'est le geste de faire clic qui amène la mort. Je pense que c'est jouer sur les mots, jouer sur les mots, et je pense qu'il y a un fond, un fond de...

Est-ce que j'ai deux minutes? Je voudrais juste vous dire une autre chose.

Le Président (M. Kelley): Réservez... pour une autre question.

M. Boisvert (Marcel): Il y a un grand, grand, grand juriste anglais qui est décédé maintenant, Glenville Williams, qui a écrit je ne sais pas combien de traités en Angleterre, là, qui faisait école de son vivant. En 1957, il y a publié un beau gros traité gros comme ça -- même McGill ne l'avait pas, il m'est venu d'Ottawa -- The Sanctity of Life and the Criminal Law. Le Pr Williams a étudié des échecs à légiférer en faveur de l'euthanasie dans plusieurs législations en Asie, en Amérique du Sud, en Australie, aux États-Unis, un peu partout, et il est allé, le texte des présentations à l'assemblée, etc. Sa conclusion finale, c'est que dans tous les cas, les arguments principaux qui amenaient la défaite du projet de loi, c'était des arguments à contenu religieux avoué ou occulte, et je pense que la même chose se produit ici.

Je ne suis pas contre la religion. Je respecte les gens qui sont religieux, mais la religion ne doit pas être imposée à un mourant. Alors, il y a de ces relents-là qui sont... je m'excuse, qui s'infiltrent dans le cerveau de tout le monde.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Crémazie, dernière question, s'il vous plaît.

Mme Lapointe: Merci, merci beaucoup, Dr Boisvert. Je pense que vous nous avez un peu secoués, ce matin. Merci pour ce mémoire tellement bien documenté et surtout l'expérience que vous nous transmettez.

Quand vous nous dites qu'il y a des fins de vie qui sont atroces et qui sont insupportables, je pense que c'est important, c'est important qu'on ait ça aussi en tête quand on parle de situations exceptionnelles où on doit envisager des traitements de fin de vie. Alors... et aussi la question que la vie, ce n'est pas la vie qui est sacrée, mais c'est la personne qui est sacrée. Je pense qu'on va le retenir.

J'aimerais vous entendre un peu, si c'est possible. Vous nous parlez, vous nous dites, à la page 2 de votre mémoire, qu'il faudrait que nous élargissions notre réflexion aux maladies dégénératives, en nous parlant du cas de M. Ghislain Leblond. Et c'est évident que cette situation-là, elle est présente et elle le sera peut-être encore davantage dans les prochaines décennies.

Comment voyez-vous ça, comment verriez-vous ça? Parce que là on a parlé jusqu'ici toujours d'une maladie terminale, d'une fin de vie, et là, évidemment, si on prend le cas de M. Leblond, qui est un cas très dramatique aussi...

M. Boisvert (Marcel): On commence à en avoir en soins palliatifs, de ces cas-là: la fameuse maladie de Lou Gehrig, par exemple, là. Ces gens-là, neuf sur 10 ont une mort respiratoire. Les muscles qui font respirer faiblissent, faiblissent, faiblissent... Ça, c'est comme des emphysémateux, là, jusqu'au bout, là.

Je pense que la première chose à faire... Il y a, il y a deux choses à faire. D'abord, reconnaître le principe que, ce que j'ai dit tantôt, là, que les maladies à long terme, le patient va s'épuiser bien avant la... le patient qui a une maladie à court terme. Puis il faut le reconnaître. C'est évident que c'est plus dramatique que de mettre fin à une vie que... quand on pense que le patient peut vivre encore deux mois, mais, si ça fait 15 ans qu'il souffre, puis il va souffrir encore... mois, puis les deux mois qui s'en viennent, ça va être les pires, qu'il va être à bout de souffle tout le temps, je pense qu'on finit par... par humanité, à dire: C'est lui qui mène, c'est lui qui souffre, là. C'est ce que j'ai dit, là, je l'ai vécu comme médecin, ça. On se sent bien d'avoir... s'occuper de quelqu'un pendant une heure. Sa journée, elle n'est pas finie: elle commence le matin à huit heures, O.K.?

Alors, ce qu'il faut faire, c'est prendre conscience de ce principe-là que... Je lève mon chapeau à M. Leblond, là, de... de vous avoir, puis de nous avoir ouvert les yeux à ça. L'autre chose qu'il faut, c'est qu'il faut commencer tout de suite à sensibiliser la population. On le dit depuis longtemps, mais il y a encore personne qui le fait. À 50 ans, on devrait tous avoir fait au moins un premier testament, puis il faudrait faire un testament de vie la même chose.

Alors là, c'est vous avec l'expérience qui allez décider si le testament biologique doit être révisé à chaque année ou aux trois ans, je ne sais pas trop quoi. On n'a pas à réinventer la roue, là. Il y a d'autres pays qui y ont goûté, puis on peut au moins aller voir qu'est-ce qui se fait ailleurs. Mais je pense que c'est la chose à faire, puis non pas la faire quand on va avoir le couteau sur la gorge, qu'il va manquer des fonds dans les soins de santé, comme le pauvre M. Obama, là.

Il a commencé à parler de décisions de fin de vie, puis les républicains lui ont dit: Ah, ah, ah! Il veut... il veut zigouner tout le monde pour sauver de l'argent. C'est... Malheureusement, c'est... le moment était mal choisi. Mais c'est tout de suite qu'il faut se parler de ça, puis c'est tout de suite qu'il faut sensibiliser les gens.

Il y a un Québécois, M. Bureau au Québec, là, qui pousse là-dessus depuis 20 ans, mais si ça venait du gouvernement? Imaginez l'impact que ça aurait si on disait: Écoutez, c'est important, ça. Puis il y a sûrement... Vous avez des pédagogues spécialistes, là, qui sont capables de rendre ça pas apeurant, puis... Moi, je peux vous dire que mon testament... ma femme et moi, notre testament est fait, puis notre testament de fin de vie est fait... avec une clause «Si l'euthanasie est légale». Bang.

Le Président (M. Kelley): C'est ça, il me reste à dire: Merci beaucoup, M. Boisvert pour votre contribution à notre réflexion. C'est très riches. Alors, je vais suspendre quelques instants et je vais demander à la Pre Martel de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 11 h 8)

 

(Reprise à 11 h 12)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Notre prochain témoin, c'est Pre Joane Martel, qui est professeure titulaire à l'École de service social de l'Université Laval.

On est déjà rendu à 11 h 10. Alors, si on a un consentement pour dépasser d'une dizaine de minutes et terminer vers 12 h 10 pour respecter notre enveloppe. Je sais, pour mes collègues à ma droite, il y a un caucus à midi, mais on va essayer de... On va être les derniers dans la file pour le repas à midi. Alors, c'est tout.

Alors, sans plus tarder, je vais céder la parole à la Pre Martel.

Mme Joane Martel

Mme Martel (Joane): Merci, M. le Président. Bonjour à tout le monde. Je voudrais d'abord remercier les membres de la commission de m'avoir conviée à ses travaux.

Ma convocation d'aujourd'hui fait suite à plusieurs jours de consultations particulières auprès d'une trentaine de spécialistes en provenance de domaines diversifiés en lien avec le mourir dans la dignité ont exprimé leurs opinions professionnelles sur cette question pour le moins épineuse. Quoique la plupart des points de vue à ce sujet aient déjà été exprimés par les spécialistes entendus, ma parution au terme des consultations particulières me place dans une position privilégiée puisqu'il appert que je sois une des seules sociologues de formation à être conviées à ces consultations. Je me positionnerai donc à ce titre, c'est-à-dire en tant qu'observatrice des phénomènes sociohumains.

Ma présentation portera donc essentiellement sur les aspects davantage sociologiques du débat actuel entourant le mourir dans la dignité. Étant donné le temps limité qui m'est imparti ce matin, je retreindrai ma présentation à certains des points figurant dans mon mémoire.

Le premier point. Le débat actuel entourant le mourir dans la dignité est porté bien évidemment par des acteurs sociaux dont les valeurs et les intérêts sont multiples et divergents, comme en témoignent d'ailleurs les consultations de cette commission. Les acteurs en présence représentent plusieurs segments de la société québécoise, tels que les pouvoirs publics, la médecine, les personnes handicapées, les personnes vieillissantes, le droit, l'église, etc. Ces acteurs sont interpellés par la problématique du mourir dans la dignité en raison de réalités sociales nouvelles: par exemple, les progrès biotechnologiques, la question des soins palliatifs et toute l'idéologie entourant les droits et libertés de la personne. Ces réalités nouvelles donc posent, pour ces acteurs, des enjeux tout à fait nouveaux.

Nous sommes donc à la jonction de la construction d'un nouveau rapport de force, et je crois que, s'il y a un message essentiel que je pourrais diffuser aux membres de la commission, c'est effectivement ceci: c'est que nous sommes à ce type de jonction et qu'il s'agit vraisemblablement de construire, de reconstruire, de modifier quelque peu un rapport de force qui était auparavant existant et qui ne semble plus faire l'affaire autant qu'auparavant. Il serait illusoire, donc, d'un point de vue social, de croire qu'il s'agit ici d'autres choses plus nobles que d'un rapport de force en émergence. Ce rapport de force entre les protagonistes a la particularité de révéler que leur lutte se joue sur plusieurs fronts à la fois. Et ici, je crois qu'une partie de ce que je m'apprête à lire répondra en partie à une des questions, je crois, du député des Îles-de-la-Madeleine à cet égard qui... question qui avait été posée au Dr Boisvert, juste avant moi.

Donc, sur le plan des valeurs... Là, on parle de plusieurs fronts sur lesquels s'affrontent les différents acteurs qui cherchent à prendre une certaine... à assurer une certaine position prédominante au sein du nouveau rapport de force qui se construit. Sur le plan des valeurs, on voit bien que s'affrontent d'un côté un individualisme et de l'autre, un traditionalisme. Sur le plan de la finalité du débat, pour certains cette finalité est nettement morale, alors que pour d'autres, elle est davantage pragmatique. Enfin, les intérêts de certains dans le cadre de ces rapports de force sont clairement instrumentaux, alors que d'autres vont situer... d'autres acteurs sociaux vont situer leurs avantages davantage au niveau des représentations sociales.

Et c'est un peu dans ce sens-là que les membres du comité ont été confrontés à quelques reprises à des positions qui demandaient: Quel message envoie-t-on à la société avec une modification ou non dans les... dans le modèle législatif, là, de gestion de l'euthanasie et de l'aide au suicide? C'est ça, là. C'est une représentation sociale qui est l'intérêt majeur pour certains des acteurs sociaux.

Second point. Il y a donc rapport de force en émergence parce que la question de la mort dans la dignité se trouve précisément à la jonction d'un ensemble de transformations sociales importantes que subissent les sociétés depuis quelques décennies. Dans mon mémoire, je fais état de ces différentes transformations. Ici, je n'en mentionnerai qu'une.

Dans le cadre des progrès récents de la médecine en matière de prolongation de la vie humaine, notamment par le biais des biotechnologies, des avancées au niveau des combinaisons médicamenteuses et de la recherche poussée en soins palliatifs, notre société est en mesure de prolonger, voire entretenir la vie humaine de façon quasi indéfinie.

Ainsi, nos sociétés tendent à évacuer la mort puisque, ne serait-ce que symboliquement, elles l'ont presque totalement surmontée. Elles ont donc fait de la mort un non-sens, une dysfonction, d'où l'idée socialement réconfortante que les citoyens ne devraient pas souhaiter mourir prématurément, étant donné l'existence de pratiques médicales permettant de repousser substantiellement le moment de la mort naturelle.

Cela engendre donc le développement d'une culture particulière qui confère à la vie humaine une légitimité nouvelle et où la souffrance et la douleur deviennent de moins en moins tolérable et où elles deviennent des adversaires à écarter. Face à cette nouvelle possibilité de repousser la mort naturelle surgissent alors des angoisses liées à la qualité de cette mort ainsi repoussée. Ainsi pose-t-on de plus en plus les questions suivantes: À l'intérieur de quelles balises la morte reste-t-elle digne? À partir de quel moment commence l'indignité?

**(11 h 20)**

Troisième point. Les consultations particulières et les audiences publiques de la commission parlementaire doivent s'efforcer, à mon avis, de lever le voile sur un certain nombre de réalités sociales parfois inconfortables, souvent complexes et délicates. Notamment, il conviendrait de reconnaître le combat réel de l'esprit humain contre le dépérissement du corps, combat dont l'expression saura se verbaliser davantage qu'auparavant, étant donné la tendance démographique lourde du vieillissement accéléré des populations mondiales.

Et une des caractéristiques majeures de ce vieillissement des populations est certainement le fait que les baby-boomers constitueront un imposant contingent des personnes vieillissantes. Cette vague de générations nombreuses aura non seulement marqué la seconde moitié du XXe siècle, mais marquera également les 50 prochaines années, en raison de leur entrée progressive à la retraite, et plus tard, de leur entrée progressive dans la grande vieillesse.

Les prochaines décennies seront donc marquées par une augmentation considérable du nombre de décès, ce qui ne manquera pas d'avoir des implications socioéconomiques concernant le système de santé qui devra prendre en charge un nombre croissant de personnes en fin de vie. Cette situation ne manquera pas en retour d'affecter le secteur d'activité qui se développe autour de la mort, comme par exemple les soins palliatifs et les services funéraires, par exemple. Donc, on ne pourra plus cacher la chose. Il faudra vraiment l'aborder, là, de plein front.

Or, les baby-boomers ont ceci de particulier sur le plan sociologique qu'ils sont en meilleure santé que leurs prédécesseurs et qu'ils sont davantage éduqués et mieux outillés non seulement en capital social, mais aussi en capital politique. Plus particulièrement, les baby-boomers ont influencé de manière significative les politiques sociales et économiques de leur environnement. Par conséquent, les baby-boomers ont l'habitude de voir les politiques s'arrimer à leurs besoins. Il est donc raisonnable de penser qu'aux portes de la grande vieillesse cette habitude ne se démentira pas et que les boomers verbaliseront leurs souhaits relativement aux traitements de fin de vie.

Quatrième point. Il conviendrait par ailleurs de lever le voile sur l'hypocrisie du droit canadien et du système de justice pénale à cet égard. Alors qu'en théorie l'euthanasie devrait être une affaire de meurtre au premier degré en vertu de l'article 229 du Code criminel canadien, puisque l'intention est de causer la mort, les accusations portées en matière d'euthanasie varient fréquemment en fonction d'autres critères tels que: le fait que l'intention première était de soulager la souffrance; l'attitude imprévisible des jurés ou encore la difficulté, sur le plan technique, de prouver la cause exacte de la mort chez une personne qui approche de la fin de sa vie et qui prend déjà des quantités considérables d'analgésiques.

Autrement dit, d'autres dispositions du Code criminel entrent en jeu selon les circonstances, notamment: l'article 215, Devoir de fournir les choses nécessaires à l'existence; article 216, Obligation des personnes qui pratiquent des opérations dangereuses; article 219, Négligence criminelle; article 220, Le fait de causer la mort par négligence criminelle; article 221, Causer des lésions corporelles par négligence criminelle; article 222, Homicide; article 229, Meurtre; article 231, Classification des meurtres; article 234, Homicide involontaire coupable; article 245, Fait d'administrer une substance délétère; ainsi que toutes les autres dispositions du Code criminel touchant soit les voies de fait ou les lésions corporelles. Autrement dit, on admet, au sein de la justice pénale canadienne, l'existence de circonstances pouvant être légitimement considérées comme atténuant l'acte commis.

On constate à cet effet que les peines infligées par les tribunaux canadiens en matière d'aide au suicide et d'euthanasie -- je fais référence ici spécifiquement aux tableaux I et II de mon mémoire -- que ces peines infligées ont en commun de mal se comparer aux peines maximales prescrites dans le Code criminel canadien. Les sentences rendues, telles que les deux tableaux en témoignent dans mon mémoire, paraissent légères ou carrément symboliques.

Ultimement, la véritable ampleur de la transgression sociale que commettent ceux et celles qui choisissent de participer à la mort assistée d'une tierce personne se mesure à la vigueur de la réaction sociale. Autrement dit, plus la réaction sociale est forte et plus la transgression est jugée considérable.

Or, les affaires judiciaires canadiennes ultérieures à l'affaire Sue Rodriguez en 1993, affaire d'ailleurs dans laquelle l'État canadien n'a engagé aucune poursuite à la suite du suicide assisté de Mme Rodriguez, toutes ces affaires donc se sont soldées soit par une absence de poursuite, soit par des peines considérées comme légères par rapport aux peines maximales prescrites en droit pénal. Ces affaires judiciaires devraient donc, à mon avis, être vues comme des moments où l'état du droit canadien ainsi que les attentes du public ont été telles qu'ils ont forcé les tribunaux à déployer... ou, dans ce cas-ci, à ne pas déployer tout son arsenal répressif.

Il est généralement admis que les tribunaux sont sensibles à diverses pressions sociales, et cette sensibilité au changement dans l'opinion peut amener les tribunaux à répondre, à tout le moins sur le plan symbolique, à de telles attentes. C'est dans ce sens particulier que les sentences rendues dans les affaires récentes relatives à l'aide au suicide ou à d'autres formes d'euthanasie doivent être comprises. Autrement dit, elles résultent de l'absence d'un consensus moral dans la société canadienne actuelle. Elles témoignent d'un bouleversement, probablement encore largement insaisissable, dans le paradigme culturel de la moralité dominante. Autrement dit, ce paradigme semble de plus en plus ébranlé, d'où une des raisons principales pour lesquelles ces sentences peuvent paraître légères ou davantage symbolique.

Dans un ordre d'idées similaire et sur un plan strictement social, il faudrait éviter de taire l'hypocrisie générale de la société québécoise et canadienne qui, d'un côté, vise à protéger le caractère sacré de la vie humaine et qui, de l'autre côté, sanctionne les guerres, semble relativement impuissante devant le suicide de manière générale et relativement impuissante devant les surdoses de drogues de mauvaise qualité, accepte le principe de l'autodéfense au sein du Code criminel canadien, farde certaines pratiques, certaines formes bien intentionnées, dirait-on, d'euthanasie dans les hôpitaux -- je reviendrai plus tard sur ce point -- et taisent l'existence de groupuscules, disons, clandestins ou semi-clandestins composés notamment de professionnels de la santé.

Et ceci m'amène à mon cinquième et dernier point. Il existerait en effet une espèce d'underground euthanasique, une espèce d'ensemble de réseaux semi-organisés et relativement substantiels. Ceux-ci se sont développés initialement surtout au niveau de la médecine liée au VIH-Sida ainsi qu'au sein de communautés homosexuelles. Dans les dernières décennies, par contre, leur existence a été documentée à San Francisco notamment, en Écosse et en Australie. Par ailleurs, certains sondages étasuniens indiqueraient qu'un pourcentage notable de médecins ainsi que d'infirmiers et d'infirmières aident des patients qui le demandent dans le but explicite d'accélérer leur mort naturelle.

Pour sa part, le Canada a également documenté l'existence d'un underground euthanasique, notamment en Colombie-Britannique, au Manitoba, selon des sondages effectués auprès des médecins manitobains, ainsi qu'en Ontario, où le coroner en chef de cette province a affirmé, il y a quelques années, que certaines formes d'euthanasie sont pratiquées par des membres de la famille de personnes en phase terminale de maladies irréversibles. L'existence d'une forme de clandestinité est donc raisonnablement notoire. Or, l'absence de loi balisant cette pratique déjà existante combinée au statu quo prohibitionniste font en sorte que certaines de ces morts assistées dans la clandestinité sont parfois tragiques et atroces.

Les études estiment que jusqu'à 20 % des morts assistées dans la clandestinité seraient des tentatives bâclées et qu'en raison des prohibitions le personnel soignant est souvent absent lors de la tentative, s'empressant de quitter les lieux soit pour des raisons personnelles ou pour des raisons légales.

Le statu quo prohibitionniste engendre donc des coûts sociaux et humains bien réels, ne serait-ce que dans le milieu de ces réseaux clandestins. Outre les tentatives bâclées, le statu quo prohibitionniste entraîne également des évaluations médicales inadéquates. Par exemple, quand devrait-on procéder dans la clandestinité? Quel type de dose serait appropriée lorsque l'on fonctionne dans la clandestinité? Donc, ça, c'est un des coûts humains et sociaux bien réels. Le statu quo prohibitionniste engendre également une érosion du professionnalisme médical et du droit ainsi que des coûts émotifs importants pour les personnes qui choisissent de s'impliquer illicitement dans la mort assistée d'autrui.

Jusqu'à tout récemment, la tendance générale parmi les ordres médicaux professionnels a été d'ignorer la pratique illicite par leurs membres de la mort médicalement assistée. Et la tendance générale parmi les opposants à un balisage législatif de cette pratique, déjà existante, a été surtout d'occulter les coûts humains réels issus des réseaux clandestins et de mettre plutôt l'emphase sur les coûts potentiels d'un tel balisage législatif.

**(11 h 30)**

Ici, je fais référence bien évidemment à l'argument de la pente fatale. Or, le temps qui m'est imparti aujourd'hui ne me permet pas que je résume ici mes observations sur cet argument qui est fréquemment invoqué dans ce genre de débat. Je convie donc les membres de la commission à lire cette section particulière de mon mémoire.

Cependant, j'ajouterais, en lien avec l'argument de la pente fatale, que plusieurs études relèvent... révèlent plutôt que la marge est énorme entre le nombre de personnes qui entament des démarches visant une mort assistée et celles qui vont jusqu'au bout de cette démarche.

En Suisse, par exemple, on estime que 80 % des personnes qui obtiennent l'accord d'un médecin ne passent pas à l'acte. Aux Pays-Bas, seulement près du tiers des demandes résulteraient en une mort assistée. Dans l'État de l'Oregon, la douleur et la crainte comptent peu, semble-t-il, dans la décision des habitants de l'Oregon de se prévaloir du cadre législatif autorisant la mort assistée. À cet égard, d'autres études soulignent que, dans l'État de l'Oregon, les personnes qui effectivement se prévalent du cadre législatif autorisant la mort assistée sont des personnes qui sont davantage de race blanche ou asiatique, qu'elles sont plus jeunes et plus instruites que la moyenne des personnes mourantes -- pardon -- et qu'elles bénéficient d'une assurance santé ainsi que de soins à domicile. Enfin, la dépression serait l'une des raisons les moins importantes motivant leurs requêtes d'aide au suicide.

Aujourd'hui, par contre, nous devons mettre un bémol à ce type de données probantes, étant donné qu'il y a une étude récente sortie en 2009, une étude sur l'Oregon, qui semble démontrer la mauvaise capacité du corps médical à évaluer la dépression dans les cas de personnes qui sont en fin de vie.

Ces quelques données probantes vont à l'encontre de l'idée reçue selon laquelle les personnes économiquement défavorisées et vulnérables seraient davantage disposées à devancer indûment leurs morts naturelles par faute de ressources. Ces données, celles de l'Oregon, vont également à l'encontre d'une seconde idée reçue, celle selon laquelle la mort assistée entraînerait une détérioration des soins palliatifs. Au contraire, en Oregon et ailleurs, les soins palliatifs seraient devenus une espèce de vache sacrée, et ce, même en temps de compressions budgétaires. Peut-être conviendrait-il alors de ne pas mettre systématiquement en opposition soins palliatifs et mort assistée, comme d'autres l'ont proposé bien avant moi.

Pour conclure brièvement, il convient de rappeler que, depuis le dénouement tragique de l'affaire Sue Rodriguez en 1993 ainsi que depuis les travaux du comité sénatorial chargé de faire rapport sur l'euthanasie et l'aide au suicide en 1994, les autorités fédérales ainsi que le public canadien n'ont pas examiné de manière sérieuse la possibilité que cette crise, celle de 1993-1994, ait été longuement préparée et qu'elle ait pu avoir des implications profondes pour la société, dont on ressent encore les contrecoups aujourd'hui, plus de 15 ans plus tard. Merci beaucoup.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Pre Martel. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Je suis prêt à reconnaître M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Merci, Mme Martel. Bienvenue à cette commission parlementaire. Merci également pour votre mémoire qui présente, je pense, un point de vue de réalité sociologique par rapport à ce qui se fait, selon vous, sur le terrain.

Moi, j'ai deux types de question. La première question, c'est sur l'affirmation que vous faites à la page 21 de votre mémoire: l'écart entre la loi et l'application de cette loi est donc déjà creusé. Vous avez mis en contexte ce que vous appelez l'«underground euthanasique» qui, selon vous, existe déjà. Et vous nous avez tracé un peu les résultats de certains... certaines décisions rendues par nos tribunaux où les peines sont très clémentes, lorsqu'il y a peine, dans le cadre de l'euthanasie ou du suicide assisté. Vous dites également, je pense à la page 13 de votre mémoire, que «les tribunaux réagissent peut-être aux pressions sociales». Donc, même les tribunaux seraient en avance sur le législateur pour tenter de combler le vide que la législation n'a pas encore comblé. Moi, j'aimerais que vous puissiez élaborer là-dessus, que vous pourriez documenter ça davantage.

Le mandat un peu de la commission, selon mon interprétation, c'est qu'on va devoir aller sur le terrain pour mesurer l'évolution sociale des Québécois et Québécoises en cette matière. Vous, le postulat de votre mémoire, c'est que l'évolution est déjà là, vous la documentez avec ce que je disais tantôt.

Alors, pourriez-vous élaborer là-dessus et comment est-ce que vous... réussissez-vous à mesurer cette évolution-là?

Mme Martel (Joane): Une des premières... Premièrement, une des choses de base dans le... Lorsqu'on regarde le fonctionnement sur un plan sociologique, lorsqu'on regarde le fonctionnement du droit au sein de la société, on remarque de façon inévitable que le droit fonctionne ou le droit se modifie toujours en aval, en aval des pratiques sociales. Autrement dit, les pratiques sociales vont-elles... vont se modifier, elles, d'une manière ou d'une autre dans une direction, une trajectoire ou une autre et le droit suivra par après. Le droit est très, très rarement proactif dans ce sens-là.

Et ça, au niveau sociologique, les sociologues du droit le remarquent constamment, c'est une caractéristique profonde, ça fait partie de la nature du droit de se modifier en aval, après que les pratiques se soient modifiées. Donc ça, en soi, ce n'est pas particulier, c'est le propre, ça fait partie de la nature du droit.

Deuxième chose qui... Un des éléments qui permet de documenter ou de remarquer que les pratiques se sont modifiées, c'est que justement, si on met en opposition ou si l'on regarde ce que la loi nous dicte par rapport à la façon dont le droit fonctionne dans le quotidien, soit fonctionne par le biais de la jurisprudence, par le biais d'un ensemble de décisions par les tribunaux, on voit que l'écart s'est modifié, c'est-à-dire que l'écart s'est amplifié, qu'il y a un écart qui est déjà présent, notamment parce que, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, théoriquement, selon le droit criminel canadien, puisque l'intention est de provoquer la mort, l'euthanasie ou différents actes euthanasiques devraient systématiquement, dans une interprétation, je dirais, très stricte, pas libérale du droit, dans une interprétation très stricte du droit, ces actes euthanasiques devraient se situer ou devraient faire le... devraient donner l'occasion à des accusations en vertu de l'article 219, qui est le meurtre.

Or, on voit qu'au niveau des pratiques des procureurs de la couronne notamment, au niveau des pratiques des tribunaux, ce n'est pas nécessairement ce qui se produit: on a très peu de cas où des actes euthanasiques diversifiés ont bénéficié, disons, d'accusations en vertu de cet article-là. On choisit plutôt d'autres articles parce que le Code criminel nous permet une panoplie d'articles différents dans lesquels on peut insérer les actes euthanasiques, si nous le voulons ou non.

Une des caractéristiques particulières du fonctionnement du droit dans la société, c'est que le droit est écrit d'une façon qui est très générale certainement, mais qui est aussi très floue. Et c'est le propre du droit de s'écrire d'une façon relativement floue pour permettre justement à ce qu'un ensemble d'activités humaines, sociales, jugées inacceptables à certains moments de son histoire, puissent entrer à l'intérieur de ces articles de droit sans que le droit n'ait à prévoir toutes les particularités des actions humaines avant même que ces actions ne se produisent.

Donc, le flou du droit fait en sorte que nous pouvons, en tant qu'organisation humaine, choisir de faire une lecture plus libérale, plus large du droit, et donc d'insérer des activités humaines à l'intérieur de ces articles de droit ou, au contraire, de faire une lecture plus étroite, disons plus conservatrice du droit, et de déterminer que certains actes humains, notamment les actes euthanasiques, n'entrent pas dans la définition très stricte que nous avons donnée du droit. Oui?

M. Ouimet: Alors, j'ai bien saisi. Du côté de la pratique médicale maintenant, pourriez-vous élaborer sur ce que vous entendez par l'«underground euthanasique»?

**(11 h 40)**

Mme Martel (Joane): Puisque nous sommes dans un cadre prohibitionniste, cela supposait à une certaine époque que cette prohibition générale à l'égard des actes euthanasiques était une prohibition qui était largement partagée par l'ensemble d'une communauté humaine, notamment de la société canadienne. Ça, ici, on fait référence à une certaine façon de concevoir le fonctionnement de la société. C'est-à-dire, certains sociologues vont concevoir que la société fonctionne essentiellement sur la base d'un consensus, que notre contrat social, celui qui lie tous les humains qui participent à l'organisation des rapports sociaux, que cet ensemble d'humains sont consentants à un ensemble de règles qui vont gérer l'ensemble de la société.

Il y a d'autres façons de concevoir sociologiquement le fonctionnement de la société, et ces autres façons là vont nous dire que le consensus généralisé est une espèce d'utopie, qu'en réalité la société se crée, se construit, se modifie, se transforme en fonction... selon les conflits entre certains groupes d'intérêts, certains groupes professionnels, certaines idées, certaines valeurs. Donc, le fonctionnement d'une société est le résultat d'une confrontation d'un ensemble d'idées ou d'idéaux qui se sont opposés ou qui s'opposent.

Évidemment, le contrat social, celui qui va gérer l'organisation sociale contemporaine ou précédente, c'est un contrat qui est le résultat de ce rapport de force qui s'est dessiné à un moment donné. Autrement dit, dans un rapport de force, dans une confrontation, il y a des gagnants et il y a des perdants. Donc, au niveau politique, il y a certains groupes sociaux qui ont davantage de capital politique et qui seront en mesure -- à certaines époques dans un siècle, dans deux siècles, par exemple -- qui seront en mesure de s'assurer que leurs idées deviendront prédominantes, et à d'autres moments, non.

M. Ouimet: Sur l'«underground», vous avez fait une affirmation importante, l'«underground euthanasique».

Mme Martel (Joane): Oui, j'y arrive.

M. Ouimet: Vous y arrivez. Et avez-vous des données à partager avec la commission? Est-ce qu'elles existent?

Mme Martel (Joane): Oui, j'en ai. Notamment, je vous conseillerais fortement de lire... il y a eu un ouvrage important qui a été créé en 2002 par Magnusson, Roger Magnusson, un livre qui s'appelle Angels of Death: Exploring the Euthanasia Underground, qui a été publié par la Yale University Press. Et ce chercheur a fait état de l'existence documentée de ces réseaux, ces espèces de groupuscules underground un peu partout dans les différents pays que j'ai mentionnés.

Pour le Canada, nous avons, je ne sais pas si vous vous souvenez, au tout début des années quatre-vingt-dix, en Colombie-Britannique, il y a eu un étudiant de doctorat -- je ne me souviens plus si c'était à UBC ou si c'était à Simon Fraser, l'université -- qui avait fait ses études doctorales sur le mouvement euthanasique... pas underground. Et lors de ses entrevues, lors de sa recherche, il a été confronté à la présence, à l'existence de cette espèce de réseau pour la Colombie-Britannique. Et je ne sais pas si vous vous souvenez, mais au moment où ses données ont été révélées, les procureurs de la couronne de la Colombie-Britannique ont exigé de cet étudiant de doctorat qu'il dénonce ses sources. Évidemment, selon les codes d'éthique universitaires, on ne peut pas dénoncer ses sources, et cette personne, cet étudiant a dû se présenter au tribunal parce qu'il avait été accusé. Je ne sais pas si vous vous souvenez, là, au début des années quatre-vingt-dix? Bon. Et c'est dans le cadre de ses études à lui qu'on a pu documenter l'existence d'une espèce d'underground en Colombie-Britannique.

Et depuis, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, il y a des sondages parmi les... au sein des médecins manitobains qui semblent révéler la présence de cette espèce de... de ce genre de groupuscules qui évidemment fonctionnent dans la clandestinité, parce qu'ici on est dans un statu quo prohibitionniste.

M. Ouimet: Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député d'Orford.

M. Reid: Merci, M. le Président. C'est là-dessus que je voudrais vous poser une question pour avoir un peu plus d'éclaircissement.

Est-ce que ces réseaux-là sont généralement des réseaux de bonne volonté ou si c'est des réseaux clandestins qui sont aussi des réseaux à but lucratif, on pourrait dire? Donc, moins une question de bonne volonté pour aider les gens qui souffrent que plutôt une façon de faire des sous. Est-ce que c'est les deux? Est-ce que c'est l'un ou l'autre? Est-ce que vous avez de l'information là-dessus?

Mme Martel (Joane): Les données qui existent pour le moment ne semblent pas révéler qu'il y ait un but lucratif dans la chose. Mais sur le plan professionnel, moi, je n'exclurais pas la chose, sauf que je ne pourrais pas vous affirmer que ça a été documenté. On sait que ces réseaux sont majoritairement composés de médecins, d'infirmiers, d'infirmières et de thérapeutes, par exemple des psychologues, et évidemment de membres des personnes... des membres de la famille, là, des personnes qui sont en fin de vie. Donc, on pourrait...

Moi, je serais davantage portée à signaler que les personnes qui participent à ces réseaux le font dans un but altruiste, dans un but bien intentionné d'alléger les souffrances, raccourcir... dans un but de... dans le but de mourir dans la dignité. Mais, par contre, sur un plan sociologique, je ne peux pas exclure, quoique ceci ne soit pas documenté, je ne peux pas exclure que ça pourrait éventuellement être dans un but lucratif. Donc, il y a des coûts, là.

M. Reid: Oui. Bien, c'est là-dessus...

Mme Martel (Joane): On voit qu'il y a des coûts sociaux importants.

M. Reid: ...c'est là-dessus que je voudrais revenir un petit peu parce que ce que vous nous... ce que vous nous avez dit un peu plus tôt, c'est que finalement il y a des gens qui donc probablement, une grande majorité, par bonne volonté pour aider, dans un but altruiste, font néanmoins parfois, pour différentes raisons que vous avez mentionnées, une question de dosage, question d'absence après le... le fait, et qu'il y a des choses, là, qui résultent dans des... en des coûts, si on veut, humains importants, par exemple des morts atroces, ou peut-être aussi il y a des coûts sur lesquels vous n'avez pas beaucoup élaboré, mais j'imagine qu'il y a des coûts aussi du fait que ce soit clandestin, ça veut dire que la famille ne peut pas participer, c'est-à-dire que la mort, comme on la voit traditionnellement, même dans nos icônes culturelles où on meurt dans les bras de sa famille, n'existe pas dans ce cas-là non plus.

Et donc, ce que vous nous dites, c'est qu'il semble donc, malgré que ce soient les professionnels de la santé, etc., il y ait un coût important. Est-ce que ça, c'est documenté aussi de façon soutenue ou si c'est essentiellement une impression générale que vous avez?

Mme Martel (Joane): Non. Donc ça, c'est... ce sont des... J'éviterai la description des morts atroces, là...

M. Reid: Oui, oui.

Mme Martel (Joane): ...on peut supposer, là, que ça ne se produit pas... que la mort ne se produit pas toujours de la façon dont on l'aurait... on l'aurait supposée et, lorsque ça se produit, bien, bien évidemment en panique, on tente de... d'achever la personne qui est mourante et qui tarde à mourir. Donc ça, ça fait... ça, c'est documenté. Le type de mort atroce est documenté, des médecins l'ont documenté.

L'autre chose qui a trait aux coûts et que je n'ai pas traitée ici par faute de temps, c'est que, s'il y a un ensemble ou certains membres du corps... du corps médical qui participent, cela veut dire qu'à différents moments avant la mort, au moment de la mort et après la mort, il risque de s'installer une espèce de culture de la tromperie, disons, parce qu'il faut cacher ce qui s'est produit. Donc, comment allons-nous nous procurer les médicaments pour construire, là, le cocktail de barbituriques, par exemple? Donc, comment nous allons nous procurer ça de façon illégale? Comment nous allons prescrire, si nous sommes en mesure d'écrire des ordonnances pour un cocktail de médicaments? Alors là, il faut fausser certaines données potentiellement dans un dossier médical de manière à justifier qu'on puisse prescrire des ordonnances pour ce type de médicament.

Au moment de la mort, il faut la planifier, cette mort-là, toujours dans la clandestinité, avec les moyens du bord, étant donné que légalement nous n'avons pas accès à un ensemble de moyens. Ensuite, après la mort, quelqu'un doit signer le certificat de décès, quelqu'un doit indiquer quelle était la cause du décès. Et ensuite, s'il y a incinération, parce qu'apparemment il y a souvent incinération suite à une mort médicalement assistée de façon clandestine, on doit signer des documents d'incinération, et là aussi potentiellement on doit fausser l'information qui est... Donc, les risques... et c'est ça, ces risques sont documentés, là, on ne parle pas de risques potentiels.

Il y a toute une culture de la tromperie, et c'est dans ce sens-là que je disais que ça vient fragiliser le professionnalisme médical aussi. Donc, il y a des coûts, là, qui sont professionnels, qui sont très importants et il y a aussi ce qu'on a tendance à négliger souvent, ce sont les coûts humains liés à la charge émotive de ces personnes soit du corps médical ou des membres de la famille qui acceptent de participer, alors qu'ils savent très bien qu'ils sont dans l'illégalité.

Le Président (M. Kelley): Merci. Dernière courte question, Mme la députée de Mille-Îles.

**(11 h 50)**

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Merci, intéressante présentation et aspect sociologue que j'apprécie beaucoup. Ma question va aller dans ce sens-là.

Plusieurs personnes sont venues nous voir: philosophes, médecins. Mais plusieurs ont posé cette question: Quelle sorte de société qu'on veut? Que pensera le... De quoi sera composé le futur, à partir du moment où on permet l'euthanasie dans notre législation ou dans nos façons de faire? En tant que sociologue, votre opinion là-dessus, ça serait quoi?

Mme Martel (Joane): La société vers laquelle on semble se diriger?

Mme Charbonneau: Ou la société qui permettrait... Parce qu'on ne sait pas si c'est vers ça qu'on se dirige; on est toujours en réflexion. Mais une société qui permettrait, puisqu'il y a d'autres endroits qui le font, un accès à l'euthanasie ou à une mort assisté.

Mme Martel (Joane): Ce serait une société qui aurait eu le... à mon avis, qui aurait eu le courage social ou sociétal de cesser de se cacher derrière un ensemble de présupposés qui permettraient justement de maintenir un statu quo prohibitionniste et qui permettraient de maintenir un ensemble de coûts qui sont déjà réels.

Ce qui pose souvent problème pour un ensemble de sociologues, quand on regarde le fonctionnement des sociétés, c'est que, par différents moyens, que ce soit politiques, culturels, ou même économiques souvent, on va avoir tendance à cacher un ensemble de réalités, pas de réalités potentielles mais de réalités qui existent déjà et de camoufler certaines réalités, souvent pour faire du capital politique, là, bon, désolée, mais c'est souvent le cas. Mais il y a un ensemble de groupes aussi, de groupes d'intérêts qui n'ont pas d'intérêts nécessairement politiques, mais qui ont des intérêts professionnels qui sont très forts aussi.

Or, il s'agit de savoir si ces intérêts professionnels sont des intérêts qui bénéficieraient à un ensemble, à une majorité des membres de la communauté sociale ou si, au contraire, on promeut des idées ou on cache d'autres idées dans le but de prévenir... disons de prévenir certaines attaques potentielles à nos intérêts davantage professionnels.

Donc, une société qui permettrait serait une société qui aurait eu le courage de faire face à un ensemble de situations qui sont bien réelles et qu'on arrête, un peu comme certains experts vous l'ont dit ici, qu'on arrête de faire un peu... de se mettre un peu la tête dans le sable et de cacher certaines réalités qui sont déjà bien existantes.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci. Merci beaucoup, Mme Martel. Je pense en plus que vous êtes criminologue et sociologue, hein? Alors, effectivement, c'est un point de vue unique, comme vous l'avez bien dit, et qui nous éclaire en fin de premier processus.

Moi, je trouve qu'il y a trois éléments très nouveaux. C'est toute la question de la clandestinité dont on n'avait pas entendu parler. Le répertoire que vous faites des cas qui prouveraient une distorsion entre le droit, je dirais, de livre... Hier, Pre Downie en droit de l'Université Dalhousie nous disait qu'il y avait effectivement une différence entre le «book law» et le «street law», et c'est ce que vous semblez documenter. Et finalement je pense que vous discutez aussi très bien... c'est quelque chose qu'on n'a pas entendu beaucoup mais qu'on voit poindre, toute la question de l'effet des baby-boomers et de leur présence et du vieillissement de la population qui est à nos portes.

Alors, c'est un peu autour de ça que mes questions vont porter. Dans un premier temps, je vais poursuivre sur la voie de la clandestinité. Petite question à double... deux sous-questions.

Au Québec, est-ce qu'il y a quelque chose de documenté? Vous ne semblez pas y faire référence, donc, je comprends que ce n'est pas le cas.

Et l'autre aspect, moi, de mes préoccupations sur la clandestinité, c'est tout ce qui concerne les soins à domicile, c'est-à-dire la question un peu de l'équité. Je pense que la majorité des gens souhaiteraient mourir à domicile. Certains y voient un frein à la mort qu'ils souhaitent, parce qu'on a vu notamment qu'il y a des médicaments qui ne sont pas remboursés quand on est en soins palliatifs à domicile. Donc, dans les derniers moments, il y a un transfert à l'hôpital. Par ailleurs, pour d'autres, il y a là une porte, je dirais salutaire, parce qu'il y en a qui disent que c'est plus facile peut-être d'augmenter les doses quand on est à la maison, parce que c'est des proches qui les administrent et peut-être qu'on peut hâter davantage la mort que si on est dans une... dans un hôpital.

Est-ce que ça, il y a quelque chose de documenté? Je vous dirais, ce n'est pas tant la clandestinité mais un peu le lien entre le fait d'être à domicile et la possibilité de hâter davantage la mort quand ce sont des proches qui administrent les soins?

Mme Martel (Joane): Documenté, non. Mais, dans le cadre des études existantes qui révèlent diverses formes de clandestinité, bien ça, ça en est une, forme de clandestinité. Augmenter les doses sans nécessairement un accord médical préalable, bien, on est dans l'illégalité, là, déjà en partant. Donc, oui, possiblement ce n'est pas à exclure, hein?

Sur le plan sociologique, lorsqu'une famille se retrouve entre elle, lorsqu'à l'intérieur de portes closes, qu'elle n'est pas soumise aux regards soit de la profession médicale de façon très, très rapprochée ou elle n'est pas soumise au regard de la loi de façon très rapprochée, derrière des portes closes, on sait qu'au niveau de la criminalité il y a un ensemble de crimes qui sont commis derrière des portes closes et pour lesquels la justice pénale a très peu de recours justement, parce que c'est une justice pénale qui s'attarde de façon prédominante à la criminalité dite visible. Donc, on sait, là, qu'il y a un ensemble de crimes qui se commettent derrière des portes closes, et ce type-là n'est pas à exclure du tout.

Mme Hivon: O.K. À la page 22, à la toute fin de votre mémoire, dans votre conclusion, vous dites: En suivi à l'affaire Rodriguez, «les autorités fédérales ainsi que le public canadien n'ont pas examiné de manière sérieuse la possibilité que cette crise ait été longuement préparée et qu'elle ait pu avoir des implications profondes pour la société -- bon -- dont on ressent»... Qu'est-ce qu'on vous voulez dire quand vous dites «la possibilité que cette crise ait été longuement préparée»?

Mme Martel (Joane): C'est que le cas de Sue... Premièrement, le comité sénatorial a été créé en février 1994, suite très clairement à ce qui s'est passé dans le cas de Mme Rodriguez. Donc, ces deux événements-là sont très définitivement liés.

Mais, avant le cas de Sue Rodriguez, on savait déjà que la médecine... Depuis bon nombre de décennies, avec les progrès biotechnologiques, on savait, on sait que la médecine est capable de repousser beaucoup, beaucoup le processus de vie, c'est-à-dire repousser la mort naturelle. Donc, juste sur ce point-là, on savait très bien que ça devenait de plus en plus une possibilité qu'éventuellement on ferait face à des personnes qui seraient atteintes de maladies irréversibles, incurables, en phase terminale, en fin de vie, et qui, en vertu des capacités de la profession... de la médecine, seraient davantage amenées à se poser cette question.

Parce qu'on meurt plus tard qu'auparavant, on meurt plus vieux, on meurt plus tard, on meurt peut-être plus malade aussi, étant donné... Bon. Les progrès biomédicaux ont énormément amélioré la qualité de vie, mais, bon, il y a peut-être certains avatars là aussi, là.

Donc, au niveau de la médecine, on le savait, ça se préparait depuis longtemps, étant donné l'avènement de ces biotechnologies bien avant le cas de Mme Rodriguez, première chose.

Deuxième chose, si on regarde... Je ne l'ai pas fait dans mon tableau pour ménager l'espace, mais, si on regarde les cas de suicide assisté qui ont été criminalisés, qui ont été amenés devant les tribunaux avant le cas de Mme Rodriguez -- elle, c'était particulier, parce qu'elle demandait la permission à l'avance de commettre un crime, déjà c'est en soi assez unique -- mais les autres cas de suicide assisté qui avaient été menés...

Mme Hivon: Avant?

Mme Martel (Joane): C'est ça, devant les tribunaux avant. Si j'avais fait ce tableau, on aurait eu à peu près le même genre de peines. Donc, ce n'est pas Mme Rodriguez qui, en soi, a généré une nouvelle perspective dans le débat; ça se préparait, ça se tramait au niveau de la société canadienne depuis un bon bout de temps.

Mme Hivon: O.K. Et est-ce que vous êtes... En fait, je comprends un peu de votre propos que vous dites que, dans cette crise-là, ça se préparait, et en fait le législateur aurait pu la voir venir, et ça aurait été de sa responsabilité de la voir venir. Je décèle un peu ça de votre message aujourd'hui, enfin vous pourrez y répondre.

Ma sous-question, je l'ai posée hier. Bien, pas ma sous-question, mon autre question sur l'affaire Rodriguez, c'est qu'on sait que c'est beaucoup en vertu de -- je sais que vous n'êtes pas juriste, mais j'imagine que vous vous y êtes penchée -- ça a été une décision très serrée de cinq contre quatre, et certains diraient: Laissons le droit et la jurisprudence évoluer, là. Il y a des tenants aussi de cette école-là.

Est-ce que vous pensez que, si cette décision-là, si cette affaire-là était portée devant les tribunaux aujourd'hui, la décision serait différente?

**(12 heures)**

Mme Martel (Joane): C'est une question qui est fort intéressante. Sue Rodriguez, je me suis attardée longuement à cette... à cette affaire particulière, et, une chose qu'on pourrait mentionner à cet égard-là, c'est que, lorsqu'on regarde l'ensemble des décisions de la Cour suprême, pas dans les cas euthanasiques, là, dans l'ensemble des affaires qui lui sont présentées, de manière générale, la Cour suprême a régulièrement tendance à donner des décisions qui sont unanimes ou presque unanimes. Donc, dans le cas de Sue Rodriguez, c'était une des premières fois où la société canadienne a été confrontée à une décision divisée de la Cour suprême. Et là on ne parle pas d'une décision divisée de sept à deux, là. On parle vraiment, là, de cinq à quatre: autrement dit, il y avait seulement un juge... la décision de... ou l'opinion d'un juge qui aurait basculer de façon importante tout le fonctionnement du droit canadien et les perceptions sociales des Canadiens sur le suicide assisté.

Or, si on regarde cette affaire-là, on voit qu'elle est unique à plusieurs égards. Non seulement parce que cette... cette minorité de quatre juges était très dominante, c'était une minorité qui était extrêmement importante... Donc, déjà, au niveau des juges de la Cour suprême, on voit ici une avancée éthique. Donc, en soi, ça, c'est particulièrement nouveau.

Et, dans les tribunaux, on... On présume souvent que les tribunaux n'ont pas nécessairement la capacité de créer du droit, de faire du droit. Les tribunaux sont là surtout pour appliquer le droit. Or, c'est souvent faux. Les tribunaux ont énormément de pouvoirs pour créer du droit, et cette... le cas de Sue Rodriguez constitue une avancée éthique particulièrement importante. Et c'est pour ça que j'ai dit en conclusion de mon mémoire que cette espèce de crise des années 1993-1994 fait en sorte qu'on ressent encore les contrecoups aujourd'hui.

Ce que je veux dire, c'est que l'avant... la décision qui était cinq contre quatre constituait... Si on regarde les arguments des quatre juges qui étaient dissidents, si on regarde leurs arguments, et qu'on les met en opposition aux arguments des cinq juges qui étaient pour le maintien du statu quo prohibitionniste, on voit que les arguments des juges dissidents faisaient état de la nécessité d'ajouter en droit, dans la Charte ou ailleurs, un ensemble de valeurs nouvelles, de valeurs morales nouvelles qui viendraient faire peut-être un meilleur contrepoids à l'ensemble des valeurs davantage traditionnelles qui sont reflétées, notamment par la Charte et autres textes législatifs.

Donc, cette avancée éthique, à cette époque en 1993, fait en sorte que nous pouvons être ici aujourd'hui. Probablement que, si la décision n'avait pas été si près d'un bouleversement majeur, nous ne serions pas en train de tenir cette commission parlementaire. Donc, il y a d'autres affaires, d'autres personnes, d'autres groupes sociaux qui ont déblayé le terrain avant cette commission, et ça permet à cette commission de faire le travail qu'elle fait justement dans ces années-ci.

Or, étant donné cette avancée éthique en 1993, étant donné les changements aussi qui se sont produits au sein de la Cour suprême... On a changé plusieurs juges et certaines de ces nominations, bon, se... sont davantage d'une certaine allégeance plutôt que d'une autre allégeance, je ne suis pas certaine, en fonction de cette dernière raison, que la décision aurait été différente, parce que, justement, on a peut-être moins de juges libéraux aujourd'hui à la Cour suprême que nous en avions à l'époque... à l'époque de Sue Rodriguez.

Cependant, au niveau des avancées éthiques que cette décision de 1993 a pu engendrer dans la communauté canadienne, là je ne suis pas sûre qu'il y ait pu... qu'on pourrait avoir une décision différente.

Mme Hivon: O.K. C'est intéressant, parce qu'en fait, hier, on posait la question... Il y a visiblement, c'est ça, une divergence à savoir où on en serait aujourd'hui si cette décision-là était devant les tribunaux.

Autre phénomène... Je ne sais pas si on peut considérer ça comme un élément, je dirais, d'évolution de la société qui pourrait être pertinent à considérer. Au Québec, vous savez qu'on a réformé notre Code civil au début des années 1990, et plusieurs sont venus nous dire à quel point, évidemment, on met la prédominance de l'autonomie de la personne versus l'inviolabilité de la personne. Ça a vraiment été le principe qui a été retenu lors de la réforme.

Donc, toute la question du consentement aux soins en découle, et même, ce qu'on nous a dit, c'est qu'en tout cas au Québec, en ce qui avait trait notamment au consentement des personnes inaptes, on allait beaucoup plus loin qu'ailleurs, parce que ce sont les proches qui doivent décider et non pas le médecin. Donc, on éloigne beaucoup, beaucoup d'un paternalisme médical.

Est-ce que, selon vous, cet élément-là -- qui est fondamental, parce que c'est au coeur de tout le droit du consentement au soin -- est un élément qui doit être tenu en compte quand on aborde la question de l'euthanasie?

Mme Martel (Joane): Moi, je vous dirais que cela... que la réponse à votre question dépend de la façon dont la société et la commission choisira de définir la mort. Si on choisit de réinsérer la mort à l'intérieur du processus de vie, ce qui n'est pas nécessairement le cas maintenant, parce que, si on regarde ce que j'ai présenté au début de mon mémoire, étant donné que nous sommes en mesure de surmonter et de repousser la mort presque indéfiniment, c'est comme si la mort devenait quelque chose que nous sommes en mesure relativement d'éviter le plus longtemps possible. À ce moment-là, ce n'est pas certain que la mort fait partie du processus de vie. On l'a comme écartée un peu. Si on choisit de réinsérer la mort à l'intérieur du processus de vie, bien là, bien évidemment, le droit de vivre pourrait potentiellement inclure le droit de renoncer à vivre.

Donc, dans ce sens-là, selon la définition de la mort... et plutôt l'espace que la commission ou la société voudrait octroyer à la mort, c'est-à-dire la remettre à l'intérieur du processus de vie, là, oui, je vous dirais que ces modifications seront extrêmement pertinentes.

Mme Hivon: O.K. Et peut-être dernière question, c'est une question beaucoup plus globale, puis je ne suis pas certaine que je vais être capable de m'exprimer correctement.

Dans votre mémoire, justement vous venez d'y faire référence, vous dites à quel point maintenant, avec toutes les avancées technologique, et tout ça, la mort est comme, je dirais, compartimentée, on la voit d'une certaine manière. Et, ce qui est peut-être un peu paradoxal, c'est qu'il y a beaucoup de personnes qui travaillent en soins palliatifs et certains éthiciens nous disent que, si on s'appropriait davantage la mort -- c'est un peu différent de comme... de la manière dont vous l'amenez, alors c'est pour ça -- si on s'appropriait davantage la mort et qu'on l'intégrait davantage dans notre vie, dans notre vécu, on serait moins tentés à vouloir la contrôler comme on semble vouloir la contrôler, par exemple, en voulant une aide médicale à mourir. Et, vous, vous dites un peu... en tout cas, je ne suis pas sûre que c'est contraire, mais votre point de vue c'est plutôt de dire: Du fait de l'évolution et du contrôle de la vie qui s'étire, du contrôle de la douleur où on n'admet plus la souffrance, et tout ça, ce pourrait... c'est ça qui pourrait, socialement, faire en sorte que l'aide médicale à mourir soit reconnue.

Donc, j'aimerais vous entendre un peu là-dessus, sur ce point de vue là qu'on entend notamment des gens des soins palliatifs.

Mme Martel (Joane): Je ne crois pas que ce soit paradoxal. C'est deux positions... les deux positions peuvent s'arrimer relativement bien, à mon avis. Si certains segments du corps médical souhaitent que l'on se réapproprie la mort à l'intérieur d'une trajectoire de vie, à l'intérieur d'une trajectoire de la maladie, ça veut dire que, si on fait ce souhait, c'est peut-être parce qu'on a observé justement que ce n'est peut-être pas toujours le cas, qu'on a tendance justement à la compartimenter, à y penser vraiment en dernier recours, après avoir mis en place tout un ensemble de mesures médicales permettant de le repousser. Alors, si le corps médical suggère qu'il faudrait se réapproprier, bien, moi, je trouve ça très heureux comme idée. Justement, ça veut dire qu'on fait l'évaluation, on est en mesure d'être témoins de cet écartement de la mort, et c'est la raison pour laquelle on souhaite le réinsérer.

Or, ça ne veut... réinsérer la mort au sein du processus de vie peut vouloir dire ces deux choses, peut vouloir dire ne plus avoir besoin de contrôler la mort, notamment de... d'orchestrer plutôt sa mort à un moment prédéfini, notamment par des morts médicalement assistées, peut-être que ça veut dire que cette idée va disparaître, mais ça peut vouloir dire aussi -- et les deux ne sont pas mutuellement exclusives -- ça peut vouloir dire aussi que, pour d'autres personnes, ça permettrait une mise en pratique de cette autonomie justement, de cette mise en pratique de l'autonomie de l'autogestion du corps humain, et c'est ce que protège d'ailleurs la charte, l'autogestion du corps humain.

Alors, si la mort fait partie de la vie et que la mort fait partie du corps et que le corps fait partie de la vie, à ce moment-là, les deux options deviennent disponibles, deviennent valables l'une et l'autre. Donc, l'une... elles ne sont pas mutuellement exclusives, à mon avis.

Mme Hivon: Merci. C'est un bon exercice de synthèse. Merci.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire merci beaucoup pour l'originalité de votre contribution à notre réflexion. On a maintenant dans notre liste: devoir définir la mort. Je ne savais pas que ça fait partie des devoirs que vous avez laissés aux membres de la commission, mais merci encore une fois pour votre contribution.

Sur ça, je vais suspendre nos travaux jusqu'après la période des affaires courantes, vers 15 heures, dans cette même salle. On peut laisser nos choses ici apparemment.

(Suspension de la séance à 12 h 10)

 

(Reprise à 15 h 36)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission de la santé et des services sociaux reprend ses travaux.

Je vais vous rappeler le mandat de la commission. La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et des auditions publiques sur la question du droit de mourir dans la dignité.

Notre prochain témoin, c'est M. Brian Mishara, qui est professeur, le Département de psychologie à l'Université du Québec à Montréal et directeur du Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie.

Alors, sans plus tarder, Pr Mishara, la parole est à vous.

M. Brian L. Mishara

M. Mishara (Brian L.): Honorables députés, je vous remercie de m'accorder l'occasion de participer à cette important débat. Un des avantages de passer vers la fin des présentations est le fait que de nombreuses informations que j'aurais voulu partager avec vous ont déjà été présentées. Je vais donc utiliser mes 20 minutes pour mettre l'accent sur certains enjeux importants que, je crois, n'ont pas été abordés ou pour lesquels, je pense, des clarifications sont nécessaires.

Étant chercheur qui a étudié les questions d'euthanasie, du suicide assisté et du suicide en général depuis de nombreuses années, je vais mettre l'accent dans ma présentation sur les faits basés sur les recherches empiriques. Il s'agit d'un sujet qui touche aux valeurs fondamentales et aux croyances profondes des citoyens et, très souvent, les émotions font en sorte qu'il y a des distorsions des faits ou bien une présentation incomplète de la réalité de la situation.

Je dois aussi vous dire que je suis psychologue d'abord. Donc, les questions importantes que je pose sont d'abord: Pourquoi quelqu'un veut mettre fin à ses jours de façon prématurée? Et la deuxième question: Qu'est-ce qu'on peut faire? Est-ce qu'on peut faire quelque chose pour que la personne ne voudrait pas mettre fin à ses jours, arrêter de vivre?

Donc, dans un cas comme le cas de Sue Rodriguez qui a été souvent mentionné, je pose cette question... Je n'assume pas que puisqu'elle souffre d'une maladie dégénérative que, naturellement, elle voudrait mourir parce que je connais les faits. Il y a très peu de personnes qui souffrent d'une maladie dégénérative qui veut se suicider, avoir accès au suicide assisté ou à l'euthanasie.

Donc, dans un cas comme le cas de Sue Rodriguez, je me demande: Est-ce qu'elle souffre de dépression? Elle a suivi une thérapie. Est-ce qu'elle a dû arrêter sa thérapie? Est-ce que c'est lié au fait qu'elle a vécu un divorce difficile? Elle vivait dans le cadre de sa propre maison avec son ex-mari et sa nouvelle femme et de ses enfants en dessous. Est-ce qu'on aurait pu faire quelque chose dans ces situations?

**(15 h 40)**

Il existe des recherches sur les croyances qu'ont les gens concernant en quoi consiste une belle mort ou une mort dans la dignité. Cependant, il y a plus d'informations sur nos craintes et nos peurs que sur ce qu'on souhaite comme une mort digne. Même si c'est impossible de résumer l'ensemble de ces recherches en quelques phrases, il y a certaines conclusions qu'on peut en tirer.

D'abord, ce qu'on ne veut pas et ce qu'on a peur à l'approche de notre propre mort varie énormément d'un individu à l'autre, mais des thèmes qui reviennent souvent sont évidemment la douleur physique, le fait de mourir seul, mourir dans la noirceur, être maintenu en vie dans une situation humiliante contre notre volonté. Il y a aussi énormément de craintes concernant l'incertitude de ce qui va nous arriver.

En 1999, j'ai fait une recension complète de toutes les recherches empiriques portant sur le désir de mourir plus tôt et les facteurs liés à ce désir. Les conclusions de cette recension qui a été publiée comme un numéro spécial de la revue Omega: Journal of Death and Dying sont toujours les mêmes aujourd'hui. Les personnes qui souffrent du cancer se suicident, des fois, ont plus tendance à demander de l'euthanasie et le suicide assisté quand ils ont une douleur ou souffrance physique en général. Quand cette souffrance est soulagée, ces personnes ne veulent plus mettre fin à leurs jours, malgré le fait qu'elles sont affligées d'une maladie terminale.

Les implications de ces recherches sont importantes. En effet, le comité spécial du Sénat canadien qui s'est penché sur la question de l'euthanasie et du suicide assisté a déterminé qu'avant d'aborder la question de la légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté, il faut d'abord assurer que l'ensemble des citoyens ont un accès aux bons soins palliatifs pour soulager leurs souffrances. Ce même comité a déterminé qu'on doit d'abord offrir un meilleur traitement de la souffrance physique et psychologique des personnes mourantes avant de commencer à offrir l'euthanasie ou le suicide assisté comme méthode d'abréger cette souffrance.

Une des questions fondamentales que je me suis posées depuis de nombreuses années est la suivante: Est-ce qu'il y a une différence fondamentale entre les personnes qui se suicident, qui s'enlèvent la vie intentionnellement et les personnes qui se suicident dans une situation où ils souffrent d'une maladie terminale ou optent pour le suicide assisté ou l'euthanasie?

Il y a une croyance populaire qui dit que les situations de suicide en général et les situations des personnes mourantes ou avoir une mort prématurée sont très différentes. En général, les personnes qui se suicident le font parce qu'elles souffrent, et cette souffrance est perçue au moment du suicide par les personnes suicidaires comme étant intolérable, inévitable et interminable. Le jeune adolescent qui se tue parce que sa blonde l'a quitté pense à ce moment qu'il vit une souffrance absolument intolérable, qu'elle ne va jamais cesser et qu'il n'a rien à faire pour la diminuer. Le suicide est tragique parce qu'on peut toujours diminuer ses souffrances.

Aussi, les morts par suicide sont très rares parce que presque toutes les personnes suicidaires trouvent éventuellement d'autres solutions à leurs problèmes et des façons de se sentir mieux. Cependant, en raison de cette croyance populaire selon laquelle les situations du suicide en général et les situations des personnes mourantes voulant avoir une mort prématurée sont très différentes, lorsque quelqu'un est atteint d'une maladie terminale, le désir de mourir plus tôt par suicide, suicide assisté ou euthanasie, est perçu ici comme étant un choix rationnel.

Personnellement, je trouve ces croyances très curieuses. Les décisions importantes des êtres humains sont rarement rationnelles. Quelles sont les plus grandes décisions que l'on prend dans notre vie? Avec qui on se marie? Veut-on avoir des enfants ou non? On ne pèse pas toutes les bonnes qualités contre tous les défauts de nos futurs époux et épouses de manière rationnelle. On tombe en amour, et la décision de se marier est très émotionnelle, comme toutes les autres décisions importantes. Même quand on achète une voiture, on ne l'achète pas exactement la voiture la plus fiable et la plus utile pour nous. On aime une telle couleur, une telle marque, un tel look. Si les grandes décisions des êtres humains ne sont pas rationnelles, comment peut-on penser que quelqu'un atteint d'une maladie terminale devient subitement plus rationnel ou plus logique dans son choix?

En effet, au contraire, il y a des raisons de croire qu'on devient moins rationnel parce qu'un des critères pour avoir accès au suicide assisté ou à l'euthanasie dans les pays où c'est légalisé est la présence d'une souffrance profonde. Or, quand on souffre, on devient moins rationnel. Si on imagine un contexte où on souffre énormément, ce n'est certainement pas un moment où l'on réfléchit de façon rationnelle. Au contraire, tout ce qu'on cherche à faire, c'est arrêter la souffrance. Sauf dans le cas de quelques rares philosophes, la décision de mourir plus tôt par suicide assisté ou euthanasie est une décision émotionnelle prise en situation de désespoir. Cela ne veut pas dire qu'on n'est pas capables de créer des arguments pour justifier notre décision.

Les Pays-Bas est le premier pays au monde à légaliser l'euthanasie et le suicide assisté. Oui, les deux sont légal là-bas. On n'entend pas parler du suicide assisté parce que c'est rarement pratiqué dans les Pays-Bas. Probablement, ce n'est pas pratiqué parce que, très tôt, il y a eu un cas où un couple s'est procuré des médicaments pour se tuer, et la femme a pris les médicaments et l'homme est parti en Suisse avec une autre femme.

Dans les Pays-Bas, il existe une obligation de tout faire pour soulager la souffrance de la personne avant d'avoir accès à l'euthanasie. Deux tiers des demandes des patients pour l'euthanasie sont refusées dans les Pays-Bas parce que les médecins déterminent qu'il y a d'autres façons de soulager les souffrances physiques ou psychologiques qui n'ont pas été tentées. Ces personnes ne reviennent pas avec une nouvelle demande après avoir obtenu toutes les interventions appropriées pour soulager leurs souffrances.

Au début de ma présentation, j'ai mentionné qu'une des craintes qu'on entretient vis-à-vis de notre mort est la crainte ou la peur de l'inconnu. On se sent angoissé parce qu'on ne sait pas ce qui va nous arriver. J'ai aussi dit que, dans le cas du suicide, la grande majorité des personnes sérieusement suicidaires trouvent d'autres solutions à leurs problèmes. Il est très rare qu'elles meurent par suicide.

**(15 h 50)**

Dans le cas de la maladie terminale, il y a relativement peu de personnes qui optent pour l'euthanasie et le suicide assisté quand c'est permis. Par exemple, dans l'État d'Oregon, où il y a un peu plus de 30 000 personnes qui meurent chaque année de toutes causes, depuis l'année 1998, au cours de laquelle le suicide assisté a été légalisé, moins de 90 personnes par année demandent une ordonnance pour obtenir des médicaments pour se tuer. On peut croire que ces personnes -- il y avait 88 en 2008, c'est l'année où le chiffre a atteint son maximum -- on peut croire que ces personnes sont très déterminées dans leur intention, puisqu'ils ont convaincu deux médecins qu'ils souffrent tellement qu'ils doivent avoir accès à la mort avant le temps. Mais 37 % de ces personnes qui ont convaincu deux médecins qu'ils doivent mourir n'ont jamais pris les médicaments remis afin de provoquer leur décès. Au contraire, ces personnes sont décédées par mort naturelle.

Ce chiffre impressionnant m'indique clairement que ce sentiment d'insécurité concernant l'avenir peut être une motivation plus importante pour la demande de mort prématurée que celle de la souffrance profonde des personnes en phase terminale.

Les recherches sur la participation dans les programmes de soins palliatifs, particulièrement les recherches sur les programmes d'hospice aux États-Unis et en Angleterre, indiquent clairement que l'effet le plus puissant d'une participation dans un programme d'hospice est un sentiment de sécurité ressenti par les participants et une disparition de l'insécurité quant à leur avenir. Donc, les bons soins palliatifs comblent les deux principales motivations pour mourir plus tôt: ils diminuent la souffrance physique et psychique et ils enlèvent le sentiment d'insécurité.

Il existe une différence importante entre le suicide assisté et l'euthanasie que j'aimerais souligner. Dans le cas d'un suicide assisté, on obtient les médicaments, et c'est la personne elle-même qui peut mettre fin à ses jours au moment qu'elle le décide. Mais cette personne peut aussi changer d'avis et ne pas s'en servir. Nous savons que, dans le suicide en général, il y a énormément d'ambivalence, et presque toutes les personnes suicidaires changent d'avis et ne se tuent pas. Il y a seulement une rare et tragique minorité qui va mourir par suicide. Nous savons que, dans l'État d'Oregon, depuis le début de la législation, 37 % des personnes qui ont convaincu les médecins qu'ils doivent mourir ont changé d'avis et n'ont jamais pris ces médicaments. Dans le cas du suicide assisté, nous sommes libres de nous tuer ou de ne pas nous tuer.

Mais, dans le cas de l'euthanasie, si je parviens au terme de multiples efforts à convaincre un médecin de mettre fin à mes jours, il n'est pas facile, quand le médecin se présente pour me tuer, de demander s'il peut revenir demain parce que je ressens de l'ambivalence, et, quand il revient, on ne peut pas facilement demander qu'il revienne le lendemain ou peut-être la semaine prochaine. Il y a une situation de pression sociale où le médecin vient pour faire ce qui est planifié, c'est-à-dire mettre fin à mes jours, et, puisqu'il est médecin, c'est quelqu'un dans une position de pouvoir. Il n'est pas facile de reporter l'événement à plus tard. Donc, il y a un risque, dans le cas de l'euthanasie, de compromettre la liberté des individus de changer d'avis. Il s'agit d'un risque qui n'est pas présent dans le cas du suicide assisté.

J'ai deux brefs commentaires concernant les soins palliatifs, parce que le temps ne me permet pas d'élaborer. Cependant, ces commentaires sont très importants.

Le premier commentaire est qu'au Québec les soins palliatifs sont majoritairement accessibles seulement dans les hôpitaux. Mais une mort dans la dignité est moins facile dans le milieu stérile et non familier des hôpitaux, en comparaison avec une mort à domicile. La plupart des gens préfèrent mourir chez eux.

Aux États-Unis, 95,6 % de tous les soins palliatifs offerts par les services d'hospice sont accordés à domicile. Si vous voulez vraiment, véritablement, assurer une augmentation et une affirmation des droits de mourir dans la dignité, il est crucial de changer notre système de soins palliatifs pour assurer que toute personne au Québec qui souffre d'une maladie terminale ait accès aux bons soins palliatifs à domicile, si la personne le veut.

Le deuxième commentaire sur les soins palliatifs est qu'ils sont incroyablement limitatifs. Ils sont limitatifs parce que, pour y avoir accès, il faut d'abord arrêter les interventions et traitements pour guérir la maladie ou lutter contre la maladie. Les besoins d'un réel soulagement de la souffrance ne sont pas limités au moment spécifique où on arrête de lutter contre la maladie. Il s'agit de besoins qui sont présents même quand on décide de continuer notre lutte contre la maladie jusqu'à la fin. Le critère d'accès aux soins palliatifs, qui est celui de l'obligation d'arrêter les interventions pour lutter contre la maladie, fait en sorte que les meilleurs soins contre la douleur ne sont pas accessibles à tout le monde au Québec.

Il existe une croyance populaire qui veut que, si je deviens gravement handicapé, par exemple paraplégique, quadriplégique ou aveugle, je voudrais mourir. On a tendance à parler des pauvres personnes handicapées, si elles seraient mieux mortes dans certaines circonstances ou situations. En particulier, on dit que des personnes qui ont des maladies dégénératives sont des personnes qui devraient vouloir mourir. En effectuant une recension de l'ensemble des recherches empiriques sur le suicide, le suicide assisté, l'euthanasie et le désir de mourir ainsi que les comportements suicidaires, on constate que les personnes handicapées sont moins suicidaires et veulent moins souvent mourir plus tôt que les personnes qui n'ont pas des handicaps physiques.

Le Président (M. Kelley): Je dois...

M. Mishara (Brian L.): Ce constat...

Le Président (M. Kelley): Pardon! Je dois vous inviter à conclure, parce qu'on est déjà dépassé le 20 minutes.

M. Mishara (Brian L.): Oui, oui. O.K. Deux minutes.

Le Président (M. Kelley): Parfait.

**(16 heures)**

M. Mishara (Brian L.): Ce constat vient à l'encontre des croyances et pratiques de la population en général.

Si j'avais plus de temps, j'aurais voulu parler un peu de double effet. Les médecins semblent, selon la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, avoir énormément de craintes par rapport aux pratiques qui sont déjà légales au Québec et au Canada, l'arrêt de traitement, le refus de traitement et le double effet. Il m'apparaît évident que les médecins ont besoin de guides de pratique pour leur expliquer, pas juste des aspects juridiques et légaux, mais pour clarifier comment ils peuvent agir dans différentes situations.

Juste avant de terminer, je veux dire brièvement quelque chose concernant le fait de créer des lois pour les rares cas d'exception. Il y a des gens qui diront qu'il faut légaliser l'euthanasie plutôt que le suicide assisté, parce que quelqu'un peut être tellement handicapé qu'il ne pourrait pas ouvrir la bouche ou... et avaler une substance, ou bien bouger la main pour prendre des médicaments, ou quand l'euthanasie et le suicide assisté sont pratiqués, il est très rare que la personne soit incapable de se tuer avec des médicaments.

En conséquence, la question qu'on peut poser, c'est: Fait-on les lois pour les rares cas d'exception ou déterminons-nous les lois sur les principes ciblant la grande majorité de la population? Il semble que, dans certains cas d'exception, actuellement la jurisprudence et des décisions des juges comblent un besoin de répondre en partie à ces demandes.

Je veux vivre dans une société qui fait tout pour assurer qu'il n'y a personne qui voudrait désirer... mort par suicide, par suicide assisté ou euthanasie. Après avoir garanti l'accès pour tout le monde aux bons traitements de la douleur et de la souffrance physique, s'il en reste, quelques personnes qui revendiquent une mort prématurée, je crois qu'on doit considérer la légalisation du suicide assisté. Et seulement si le suicide assisté ne répond pas aux besoins d'un nombre important de la population, on peut considérer l'euthanasie. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Pr Mishara. On va passer maintenant à peut-être deux blocs de 15 minutes, parce qu'on a un petit peu de temps à rattraper. M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Bienvenue, Pr Mishara. Merci pour votre témoignage, le point de vue que vous nous livrez.

Vous avez commencé votre intervention, je pense, en posant la question: Pourquoi vouloir mourir prématurément? Et, par la suite, vous avez bâti votre argumentaire pour tenter de répondre à cette question, en vous basant sur des données empiriques de la recherche que vous faites au niveau de votre centre à l'Université du Québec à Montréal.

Et vous dites essentiellement que, lorsqu'on soulage à la fois la douleur physique et la souffrance psychologique, il n'y a plus de demande d'euthanasie de la part des patients, lorsqu'on essaie bien de comprendre, là, quelle est la demande qui nous est faite lorsque le patient exprime cette volonté et que, dans le fond, ce n'est qu'en cas de désespoir -- c'est ce que vous avez dit -- ce n'est qu'en cas de désespoir que les patients demandent d'avoir accès à l'euthanasie ou au suicide assisté: c'est pour arrêter la souffrance.

On a eu un témoignage ce matin de la part du... d'un médecin à la retraite, Marcel Boisvert, qui, avec ses 18 ans d'expérience dans le milieu, lui, nous disait que souvent il entendait des patients qui demandaient de mettre un terme à leurs douleurs et à leurs souffrances, et en disant: Docteur, pourriez-vous ne pas nous donner une dernière piqûre pour faire en sorte qu'on en finisse?

La question que je vous pose, c'est: Est-il envisageable pour vous que le suicide assisté ou l'euthanasie soit accessible à des personnes qui en feraient la demande? Ou est-ce que votre témoignage aujourd'hui est à l'effet qu'en aucun cas devrait-on permettre à des patients d'avoir recours à l'euthanasie, parce qu'il y a toujours façon de soulager douleurs et souffrances?

M. Mishara (Brian L.): Je pense que la réponse à la question dépend du pourquoi quelqu'un fait la demande. Et le premier constat que je fais, c'est qu'il faut s'assurer que tout le monde a un accès à tous les soins nécessaires pour soulager sa souffrance avant d'accueillir une telle demande.

Au Québec, les soins palliatifs ont pris un point de vue un peu médical. Ce sont des unités dans des hôpitaux. Aux États-Unis, en Angleterre, ce sont des organismes à part, des hospices qui ne sont pas dans un milieu hospitalier, et presque tous leurs services sont donnés à domicile.

Quelqu'un qui vit dans un milieu hospitalier est dans un milieu étrange. La plupart des personnes préfèrent mourir chez eux. Donc, si on accorde l'occasion aux gens d'être où ils veulent avec le meilleur soulagement de la souffrance, je crois qu'il y aurait très, très peu de ce genre de monde. Mais, quand on demande... aborde la question suffisamment de soulagement de la souffrance, quand on parle de la souffrance physique, on aborde cette fameuse question du double effet.

Le mot revient de saint Thomas d'Aquin, de son Summa theologica. Et c'est l'idée que, quand on a une bonne intention et on produit un bon effet, on peut accepter les effets secondaires néfastes, et, dans ce cas, l'effet secondaire néfaste, c'est que l'espérance de vie de la personne est compromise. Il y a des médecins qui pensent que, presque toujours... Oui, il y a des rares cas d'exception, on peut trouver les bonnes façons de contrôler toute douleur physique, mais il y a un risque de compromettre la vie de la personne, et c'est légal.

Il y a des craintes de la part des médecins. Ces craintes ne sont pas fondées au niveau légal, il n'y a pas de poursuites contre les médecins au Canada qui ont... où ils ont gagné les poursuites pour... quand quelqu'un a donné un peu... trop de médicaments avec l'intention de soulager la souffrance et la personne est morte plus tôt.

Donc, je pense qu'il faut d'abord avoir un peu plus de balises, vraiment des guides de pratiques et une bonne éducation des médecins pour utiliser les pratiques qui sont actuellement disponibles.

Étant psychologue, je sais que la douleur physique n'est pas une simple fonction des maladies physiques. Il y a de forts aspects psychologiques. On tolère mieux la douleur et on ressent moins de douleur quand on se sent en sécurité. On a moins d'angoisse.

Et les raisons pour abréger la vie, quand on regarde les études dans les Pays-Bas, les études qui commencent à sortir de Belgique, ce n'est pas juste à cause de la souffrance physique. Il y a une angoisse plus généralisée. Il y a une angoisse liée à la façon qu'ils vont mourir, et c'est le genre d'angoisse qui, dans les meilleurs programmes de soins à domicile offerts par les hospices, dans les bonnes unités de soins palliatifs, cette angoisse n'existe pas. Et donc je crois qu'on doit d'abord essayer de faire notre possible pour diminuer ces souffrances, y inclus l'angoisse et les craintes qui ne sont pas d'ordre physique.

Et, si on arrive à le faire, s'il y a toujours suffisamment de cas et de monde et ça pose un problème légal, il y a des poursuites ou il y a d'autres difficultés quand quelqu'un essaie d'aider, on peut penser légaliser quelque chose. Et je suggère fortement que, si on pense à légaliser quelque chose, qu'on commence avec le suicide assisté, à cause des problèmes... que l'euthanasie met la personne dans une situation qui n'est pas facile à renverser.

Et une chose qu'on sait déjà, c'est que les personnes suicidaires changent d'avis presque toujours. Il y a quelques-uns qui meurent, de moins en moins au Québec heureusement, mais... la même chose dans le cas du suicide assisté. Les gens changent d'avis. Et, dans le cas de l'euthanasie, ce n'est pas si facile.

**(16 h 10)**

M. Ouimet: Quel est... Est-ce que, comme législateurs, si on permettait, dans notre société québécoise, qu'un patient pourrait exercer cette option ou ce droit d'avoir recours à l'euthanasie ou au suicide assisté, est-ce que, comme législateurs, vous sentez qu'on commettrait un tort envers la société? Et, si oui, quel tort?

J'essaie de comprendre pourquoi vous dites: Il faut vraiment... il ne faut pas... Vous avez dit dans votre intervention: Il ne faut pas légiférer pour une très, très petite minorité de cas. Et je vous pose la question: Pourquoi ne faudrait-il pas le faire si des patients demanderaient d'avoir cette option-là, une fois qu'on aurait vérifié et contre-vérifié, et s'assurer de toutes les balises pour apaiser la douleur et la souffrance du patient, malgré cela, le patient demanderait d'avoir recours à l'euthanasie?

M. Mishara (Brian L.): O.K.

M. Ouimet: Pourquoi est-ce que, comme législateurs, on ne pourrait pas le permettre?

M. Mishara (Brian L.): O.K. L'hypothèse, quand vous posez cette question, c'est qu'une demande doit... si quelqu'un demande quelque chose, on doit l'avoir.

Nous vivons dans une société où le libre choix est important. Mais aussi on vit dans une société, et je crois que le Québec est différent du reste du Canada dans un sens très important: c'est qu'on met beaucoup d'emphase sur les obligations de l'État d'assurer le bien-être des citoyens et de protéger ses citoyens. Donc, on offre un bon réseau social.

Il faut comprendre pourquoi quelqu'un fait une telle demande. Si c'est parce que la personne n'a pas reçu les bons services et soins et ne sait pas où tourner ou quoi faire, ce n'est pas une demande légitime, dans le sens que c'est dans un contexte où l'État n'a pas assumé ses responsabilités, n'a pas offert les bons soins, n'a pas éduqué la population sur les alternatives. Donc, il faut voir dans quel contexte quelqu'un fait une demande.

Dans la recension que j'ai faite, une chose que je n'ai pas abordée, c'est l'état cognitif des personnes en phase terminale. Est-ce qu'on est vraiment en mesure de bien raisonner? Est-ce qu'on a des délires comme effets secondaires des médicaments? Est-ce qu'on est dans un état cognitif de penser où on peut prendre des bonnes décisions? Et, dans ces études, ils indiquent entre 40 % et 60 % de ces personnes ne sont pas dans un tel état. Donc, il faut voir vraiment le contexte dans lequel la personne fait la demande.

Dans une autre étude, on a suivi les personnes atteintes du sida à Montréal, à tous les six mois, et on a demandé à la personne: Est-ce que vous voulez mettre fin à vos jours par suicide assisté, ou suicide ou euthanasie? Et des fois on a eu des témoignages impressionnants. Quelqu'un disait: Je veux mourir. Tous mes amis sont morts. J'ai arrêté de prendre mes médicaments. J'ai le droit de le faire. Six mois plus tard, quand nous sommes retournés voir cette personne, la moitié du temps, la personne a repris ses médicaments, a commencé à avoir une belle vie.

On a suivi les personnes qu'on a pu jusqu'à leur mort pour voir si, à la fin, ils voulaient ce qu'ils souhaitaient six mois, ou 12 mois, ou 18 mois avant. Et, ce qu'on a trouvé, c'est que les êtres humains ont de la misère à prévoir ce qu'ils voudraient dans une situation qu'ils n'ont pas encore vécue. Il y avait des cas de personnes qui disaient: C'est à Dieu de me prendre. Je ne ferai rien pour accélérer ma mort, et à la fin, la personne revendiquait une mort plus vite. Et il y avait d'autres cas de quelqu'un qui avait tout préparé, une entente avec un ami de donner des poisons au bon moment si la personne était le moindrement handicapée, et la personne s'est ramassée aveugle, incontinente, dans un lit, souffrante et faisait n'importe quoi pour vivre un autre quelques minutes.

Donc, ce sont des décisions. Il faut déterminer quand ces décisions sont prises, à quel moment, il faut s'assurer qu'on a le droit de changer d'avis, et si éventuellement on légalise quelque chose, il faut absolument inclure l'obligation qui existe dans les Pays-Bas: qu'il faut avoir tout fait pour essayer de soulager la souffrance de la personne avant d'avoir recours à la mort pour soulager cette souffrance.

Le Président (M. Kelley): Dernière très, très courte question et courte réponse, M. le député d'Orford.

M. Reid: Oui. Écoutez, merci, M. le Président. Il y a, dans... j'essaie d'exprimer ce que j'ai compris, vous me direz si j'ai bien compris. Il y a, dans votre présentation, quelque chose où il y a... bien d'abord, premièrement, tout le travail de prévention du suicide en général dont vous avez parlé au début, c'est quelque chose qui se fait dans un cas où il y a une personne qui a... ce n'est pas une question de droit, c'est une question de pouvoir, qui peut mettre fin à ses jours.

Donc, il y a, dans notre société, une valeur fondamentale dans toutes les sociétés où on essaie de faire en sorte que les... de dissuader les personnes de se suicider, et ce que je comprends, c'est quand vous dites, par exemple: Suicide assisté, s'il fallait faire quelque chose, si vous allez vers quelque chose, suicide assisté peut-être parce que là, il y a une possibilité de changer qui n'existe que beaucoup moins si on donne une commande à un médecin puis, après ça, il y a une pression sociale, il y a le fait que le médecin, comme vous dites, c'est difficile de... Autrement dit, même si la personne changeait d'avis, il se pourrait qu'elle se retrouve dans une situation où elle doive laisser aller les choses.

Et donc, ici, la raison principale pour laquelle vous dites: S'il y avait quelque chose, ça devrait être plutôt le suicide assisté, s'il fallait commencer par quelque chose, c'est de pouvoir, c'est de pouvoir avoir cette possibilité de dissuasion, que ce soit... que ça vienne de sa propre réflexion, ou que ça vienne de la famille, ou que ça vienne d'autres personnes, c'est ce que je comprends.

Ce que vous dites, c'est donc que cette liberté qui serait donnée s'il y avait une loi qui permettait le suicide assisté, ce pouvoir qui serait donné et qui serait même légalisé, mais qu'il y ait en même temps ce même type de contrepoids qu'on a dans la société pour le suicide en général, c'est-à-dire qu'il y a une force, une valeur de base de dissuasion, et on connaît tous des gens qui ont envie de se suicider puis qui font une belle vie, là, hein, puis pas uniquement des jeunes, ça peut être aussi des personnes âgées.

Et donc est-ce que je comprends que c'est un peu le sens que vous donnez non pas en disant: Bravo! Trompette pour le suicide assisté, mais, si jamais vous voulez aller vers quelque chose, d'y aller dans ce sens-là parce que ça préserve cette liberté de pouvoir le faire, mais en même temps de pouvoir revenir sur sa décision, parce que la plupart des gens reviennent sur leur décision et ne s'en portent pas plus mal... s'en portent beaucoup mieux parce qu'ils sont en vie en fait.

Et c'est un peu le sens de... mais peut-être que vous voulez apporter des nuances à ce que j'essaie d'exprimer de façon peut-être un peu simpliste.

**(16 h 20)**

M. Mishara (Brian L.): Oui, puis je pense que vous comprenez ce que je voulais dire. La décision de mourir par suicide ou par euthanasie ou suicide assisté, ce n'est pas quelque chose qui est un oui ou non. Le désir de mourir, c'est quelque chose qui existe, c'est incontournable. Pour mettre fin à nos jours, on a juste besoin d'être plus convaincu que c'est la meilleure chose à faire, mais si on peut se sentir un peu mieux, peut-être on ne voudrait pas.

À cause de ça, il y a tellement de changements dans le désir de l'euthanasie et suicide assisté. Aujourd'hui, je souffre énormément, je peux vouloir mourir, mais demain, si j'ai... ça va mieux, je peux changer d'avis, et le problème, c'est de prendre une décision presque irréversible, convaincre les médecins de mettre fin à mes jours. À ce moment-là, ce n'est pas difficile d'exprimer cette ambivalence, et je peux mourir, même si je préférerais attendre quelques jours et peut-être éventuellement je changerais d'avis.

Le Président (M. Kelley): À vous, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Bonjour. Merci beaucoup pour votre présentation. Pour poursuivre un peu, peut-être dans la même veine, sur la question de la différence ou du choix ultime entre le suicide assisté et l'euthanasie, en fait, je pense, dans votre exposé, vous êtes parti de l'idée des causes qui font en sorte qu'on a un désir de mourir. Je ne sais pas si vous laissez entendre, de ce que je comprends, qu'en fait, qu'on soit en fin de vie ou qu'on ait un désir de suicide plus jeune, les causes sont sensiblement les mêmes, une souffrance insoutenable qui nous apparaît interminable, tout ça.

Moi, je vois une différence, puis j'aimerais vous entendre là-dessus. C'est qu'évidemment la personne qui est relativement en santé, je dirais, physique, et qui pense au suicide et qui veut mettre fin à une souffrance, elle a effectivement une expectative de vie normale, alors que, quand on est en fin de vie puis qu'il y a une maladie terminale -- on a entendu ce matin Dr Boisvert nous parler de cas -- je pense que c'est une différence importante. Peut-être que la souffrance, elle est la même, mais l'expectative de se sortir de sa souffrance pour une vie agréable n'est probablement pas la même quand on sait que la mort est imminente.

Dans ce contexte-là, on entend beaucoup plus parler d'euthanasie. Et les gens qui nous rapportent des cas, c'est généralement des demandes «Faites-moi une piqûre», parce qu'ils sont dans un contexte médicalisé où ils ont déjà des piqûres, déjà des médicaments. Donc, ça, j'aimerais ça vous entendre là-dessus.

Et l'autre chose, c'est que beaucoup nous ont dit aussi... On a beaucoup plus entendu de gens tenants de l'euthanasie par rapport au suicide assisté en disant que le suicide assisté, c'était plus violent, que c'était... que c'était quelque chose qu'on ne pouvait pas toujours nécessairement contrôler les effets, que c'était quand même un suicide, alors qu'une euthanasie pourrait être vue plus comme une aide à mourir ou à mettre fin à ses souffrances. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Mishara (Brian L.): Si le fait que notre mort approche et qu'on est en phase terminale avait énormément d'importance sur la décision de mettre fin à nos jours, le suicide augmente... les taux de suicide augmenteraient quand on s'approche à la mort, et il y aurait beaucoup de demandes d'euthanasie et suicide assisté dans ce contexte. En réalité, il y a moins de personnes mourantes qui se tuent qu'il y a de personnes d'âge mûr et qui sont en pleine santé qui se tuent. Donc, les raisons pour lesquelles les personnes se tuent, même en phase terminale, ce n'est pas parce qu'ils sont en phase terminale ou ne vont pas mourir. Il faut décortiquer les raisons.

Les raisons sont des craintes, des peurs, l'insécurité: Qu'est-ce qu'il va m'arriver? Des fois, les problèmes concernant la famille, la douleur physique. Donc, ce n'est pas la situation d'être mourant, mais le fait de mourir dans certain contexte, parce que quelqu'un qui reçoit des bons soins à domicile n'a pas ces craintes et ne fait pas ces demandes en général. C'est très rare.

Malheureusement, on n'a pas tous accès aux bons soins à domicile. Et c'est une faiblesse de notre système. Mais, la croyance que, puisqu'on est mourant ou en phase terminale, c'est une explication, ou une motivation, ou une raison pour vouloir mourir plus tôt, ce n'est pas soutenu, ce n'est pas appuyé par les recherches. On veut mourir quand on est dans une telle situation parce qu'on se sent insécure: Je ne sais pas ce qui va m'arriver. Et personnellement, je me sens insécure quand je suis dans un hôpital, même s'il y a des gens là-bas pour m'aider. C'est un autre type de relation. Donc, il y a ça.

Par rapport à la question de... le suicide assisté, c'est violent, mourir, c'est mourir et le... ce qui semble violent pour une personne ne le semble pas pour quelqu'un d'autre. Les médicaments qu'il prend en Oregon, la personne s'endort et les gens pensent que c'est une mort douce. Est-ce que c'est mieux qu'un médecin vienne me donner une piqûre, que je prenne des comprimés chez moi quand je veux? C'est une question d'opinion.

Il y a des personnes qui se tuent avec toutes sortes de méthodes. Il y a certaines qui trouvent ces méthodes épeurantes, mais d'autres trouvent que c'est la meilleure façon de mourir. Ça, c'est une question d'opinion. Il n'y a pas de... je ne connais pas de recherche là-dessus.

Il y a des recherches où ils ont posé la question: S'il faut se tuer, comment est-ce que vous voudrez le faire et où, comment? Et les gens disent: Chez moi, en s'endormant, en général.

Mme Hivon: Merci. Je vais maintenant aborder la question... Vous dites, et certaines personnes des soins palliatifs notamment ont tenu le même discours, c'est de dire que tant qu'il n'y a pas une accessibilité réelle de soins palliatifs pour tous, on ne devrait pas aborder la question de l'euthanasie. Par ailleurs, il y a beaucoup d'autres personnes qui nous ont dit: Ce sont deux débats totalement distincts, et il ne faut pas lier l'un à l'autre. Et ce matin, vous avez entendu autant Dr Boisvert que Pre Martel aller un peu dans ce sens-là.

Dr Boisvert citait une étude sur des patients en phase terminale qui disait que ces patients-là, qui étaient accompagnés avec les meilleurs soins possible dans une unité de soins palliatifs, je crois que c'était aux États-Unis, mais qui demeuraient... 6 % de ces gens-là qui continuaient à vouloir mourir.

Par ailleurs, Dr Martel nous dit qu'on est dans un état actuel, sociologiquement parlant ou dans la société, qui fait en sorte qu'il y a de plus en plus de demandes ou d'acceptations sociales, qu'il y a des pratiques qui se développent, que même les tribunaux ne sanctionnent plus comme le Code criminel le recommanderait, je dirais, en théorie.

Alors, comment on fait face à un tel... un tel état de situation pour dire: On met de côté la question de l'euthanasie, et ce doit être uniquement étudié après toute la question de l'accès aux soins palliatifs?

M. Mishara (Brian L.): Encore, on revient à la question de choix. Étant psychologue, ce qui m'intéresse, c'est qu'est-ce qui nous influence nos choix? On parle d'un choix libre et éclairé, mais nous savons que la boisson qu'on va acheter, si on prend Coke ou un Pepsi, c'est influencé par les annonces, et on ne prend pas une autre marque qu'on ne connaît pas. Nos choix sont influencés par ce qui est disponible et nos croyances concernant ce qui est disponible.

Donc, le problème: si j'ai un choix entre souffrir et avoir le suicide assisté ou l'euthanasie, et je souffre énormément, et je ne pense pas que je peux... je ne peux pas continuer comme ça, évidemment il y a un certain nombre de personnes qui vont choisir le suicide assisté ou l'euthanasie. Mais, si j'ai un autre choix, c'est de trouver les... avoir des bons soins pour soulager la souffrance ou que je ne sois pas obligé de rester à l'hôpital, que je peux retourner chez moi où je me sens plus confortable, probablement j'opterais pour ces choix.

Et c'est important le fait que, dans les Pays-Bas, où tout le monde est au courant que l'euthanasie est permise, c'est accepté, on a juste à convaincre deux médecins, qu'ils refusent tellement de cas et ils disent qu'il faut essayer d'autres choses pour soulager la souffrance.

Donc, j'aimerais m'assurer, avant qu'on aborde ces questions, que je ne suis pas devant un choix entre mourir pour arrêter de souffrir ou continuer à souffrir. J'aimerais avoir d'abord un choix d'avoir un soulagement de ma souffrance. Et les recherches indiquent clairement que c'est très rare que, si vous m'accordez un bon soulagement de ma souffrance physique, psychologique, et me met dans une situation où je n'ai pas d'angoisse concernant l'avenir, ce serait très rare que je vais revendiquer un accès plus facile à la mort.

**(16 h 30)**

Le Président (M. Kelley): Dernière courte question, M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Dans votre... D'abord, merci pour votre présence. C'est apprécié. Dans votre présentation, vous avez évoqué que la souffrance des derniers moments ou des dernières semaines, des derniers jours, pouvait altérer le jugement: céder à l'émotion plutôt qu'à la raison.

Que pensez-vous d'une décision qui serait, elle, prise alors que la personne est tout à fait bien portante, en bonne santé, et qui serait traduite à travers un testament de vie, donc une décision qui serait, elle, tout à fait rationnelle, prise au moment où les souffrances ne viennent pas affecter son raisonnement. Donc, comment distinguer vos propos par rapport à cette situation-là?

M. Mishara (Brian L.): O.K. J'ai deux commentaires. Premier commentaire, c'est: les recherches indiquent que nous ne sommes pas très bons à prévoir ce qu'on voudrait dans une situation où on est atteint de maladie terminale quand on n'est pas dans une telle situation.

C'est par rapport aux handicaps. La majorité de la population croit que les personnes handicapées devraient plus souvent vouloir se suicider ou mourir à cause de leur handicap. Mais la réalité de toutes les recherches, jusqu'à date, il n'y a pas une seule recherche qui a trouvé le contraire, c'est que les personnes handicapées se suicident moins, sont moins suicidaires, veulent moins mourir par euthanasie, suicide assisté que les personnes en bonne santé.

Les personnes qui deviennent handicapées qui avant pensaient: Ah! Si ça m'arrive, je voudrais mourir, après une première phase d'ajustement, c'est relativement rare qu'ils veulent mourir. Donc, le problème c'est: ce que je pense maintenant peut être très différent de ce que je penserais quand je suis vraiment dans une telle situation. Et ça va dans les deux sens. Ça va... Selon des recherches, les personnes qui disaient: Non, je ne voudrais jamais, des fois ils changent d'avis; et dans l'autre sens, des personnes qui ont tout préparé, qui ont insisté sur le fait, veulent absolument continuer à vivre aussi longtemps que possible.

L'autre problème qui est lié à ça, que je n'ai pas abordé, c'est la dépression. Les personnes... La grande majorité des personnes qui se suicident se sentent déprimées. C'est évident: elles souffrent d'une dépression clinique diagnosticable. Quand on traite la dépression, c'est une des façons de diminuer le risque de suicide.

Mais, quand on regarde les traitements pour une grande partie des maladies terminales, les traitements pour le cancer, certains traitements pour les maladies cardiovasculaires, et on regarde les effets secondaires, on trouve très souvent la dépression. Et il y a des recherches, quelqu'un d'autre l'a mentionné, sur les habiletés des médecins de reconnaître la dépression dans le cas de quelqu'un qui souffre de maladie terminale. Très souvent les médecins pensent: Ah! Il est mourant, donc c'est normal qu'il soit déprimé. Donc, souvent, ils ne traitent pas une telle dépression.

Donc, pour moi, ce qui est le plus important, c'est d'assurer qu'on fait un bon diagnostic des raisons pour lesquelles quelqu'un veut mourir et, si c'est parce que la personne se sent déprimée parce qu'elle est isolée dans un hôpital ou loin de sa famille, elle veut retourner à la maison, et c'est quelque chose qu'on peut changer, on a l'obligation de le changer avant de donner un accès facile à la mort, ou si la personne souffre de dépression parce qu'elle subit un effet secondaire des médicaments pour traiter son cancer, il faut traiter la dépression d'abord.

Et, les recherches indiquent que presque toujours, oui, il y a quelques rares cas d'exception, mais presque toujours, quand on traite le problème, le désir de mort prématurée disparaît, mais il faut s'assurer qu'on est en mesure d'offrir tous les soins qu'il faut.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, malheureusement, je dois mettre fin à nos échanges, mais merci beaucoup, Pr Mishara pour votre contribution à notre réflexion.

Je vais suspendre très rapidement et je vais demander à M. David Roy de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 16 h 37)

 

(Reprise à 16 h 39)

Le Président (M. Kelley): M. Roy s'il vous plaît. Alors, la commission reprends ses travaux. On est prêt à recevoir notre prochain témoin, David Roy, qui est chercheur à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Vous avez 20 minutes de droit de parole, M. Roy, suivi par une période d'échange avec les membres de la commission. Bienvenue.

M. David J. Roy

M. Roy (David J.): Alors, mesdames et messieurs, c'est un honneur pour moi d'avoir été invité à m'adresser aux membres de cette commission. Cet honneur, je vais souligner quand même, je le dois en grande partie à ce que j'ai appris au cours des 30 dernières années auprès des médecins, des infirmières, des professionnels de la santé, des mourants et leurs familles, sur les multiples façons de mourir avec dignité, et aussi sur les façons de mourir sans dignité.

**(16 h 40)**

Je viens d'une université très importante, c'est l'université du chevet des malades. C'est la seule raison que j'ai... aucune légitimité de m'adresser à vous aujourd'hui.

J'ai quatre sections pour cette présentation, si je ne me trompe pas, de 20 minutes. Et trois points que je veux souligner au début. Premièrement, la mort dans la dignité demeurera un concept et presque purement un concept tant et aussi longtemps que certaines conditions nécessaires ne seront remplies.

Deuxième point que je veux souligner: Selon un principe largement accepté de nos jours, il n'est plus nécessaire et il est même quelquefois nuisible de recourir aux technologies de prolongation de vie de façon agressive afin de prolonger la vie par tous les moyens et à tout prix jusqu'au dernier moment, alors que, biologiquement, le corps du mourant ne réagit plus au traitement. C'est un argument fallacieux d'avancer, sous le couvert de l'éthique, que l'on doit astreindre les personnes en phase terminale à subir cette invasion technologique de leur corps, surtout si la vie ainsi prolongée n'est que légèrement supportable et définitivement misérable.

Troisième point que je veux souligner tout au début. Il faut le dire haut et fort et même l'amplifier: Les médecins ne devraient pas être forcés ni par la loi, ni par la morale, ni par la crainte de poursuites de se tenir impuissants, les mains liées face à la douleur, prescrivant juste assez et souvent trop peu parmi les thérapies médicamenteuses dont ils disposent pour apporter la paix et soulager les douleurs des mourants. C'est un faux raisonnement éthique que de confondre l'administration des médicaments pour contrôler la douleur intense chez les personnes agonisantes, de confondre cette administration de médicaments avec l'euthanasie, c'est-à-dire avec l'administration des médicaments destinés à provoquer la mort.

Le premier chapitre que j'aborde, c'est rapidement quelques conditions essentielles pour permettre une mort dans la dignité.

Première condition. Mourir dans la dignité signifie au moins de mourir en l'absence d'un acharnement technique dont on ne peut tirer que quelques minutes ou quelques heures de plus de vie biologique, alors que ce qui importe vraiment est de permettre au patient de vivre ses derniers moments aussi pleinement, consciemment que possible. Aider les gens à mourir dans la dignité, c'est reconnaître que la vie biologique ne constitue pas une valeur absolue. C'est également reconnaître qu'il arrive un moment où tenter de prolonger la vie biologique par le recours à la technologie risque d'empiéter sur les valeurs personnelles, plus importantes, et qu'on devrait alors se tourner vers d'autres formes de soins.

Deuxième condition essentielle. Mourir dans la dignité signifie mourir sans cette douleur déchirante, torturante, qui paralyse la conscience et empêche les personnes de porter attention à qui ou à quoi que ce soit d'autre. Il existe aujourd'hui les méthodes qui permettent de maîtriser la douleur tout en maintenant le patient conscient. Pourtant, l'écart demeure toujours aussi grand entre ce qu'on peut faire et ce qu'on fait dans la réalité. Il y a encore beaucoup de patients qui souffrent à un point tel que la douleur domine entièrement leurs derniers moments. Leur conscience se recroqueville autour de cette souffrance et cette expérience totalement dégradante, qui aurait pu être évitée, ne l'est pas, soit pas ignorance soit par l'indifférence.

Le deuxième chapitre de cette présentation. L'euthanasie, premièrement une définition, et deuxièmement, trois distinctions essentielles.

Une définition. Nombre de personnes ont réfléchi, écrit et proposé une législation au sujet de l'euthanasie au cours des dernières années. Cependant, la discussion est embrouillée par différentes significations, souvent conflictuelles, que l'on accorde au mot «l'euthanasie». Si on dit l'euthanasie, mais qu'on veut dire autre chose, alors on ne pourra faire avancer la discussion et on défendra avec ardeur une voie d'issue comme étant la seule voie appropriée.

On pourrait éviter une large part de confusion dans les discussions sur l'acceptabilité éthique de l'euthanasie et sur sa légalisation si le terme était reconnu comme signifiant: mettre délibérément un terme à la vie d'une personne, atteinte d'une maladie progressive et incurable conduisant inexorablement à la mort. L'euthanasie signifie mettre fin à la vie d'une personne mourante. L'euthanasie veut dire administration de la mort. Je laisse de côté toutes les questions d'intention.

Deuxièmement, maintenant, trois distinctions. L'euthanasie ne devrait pas être confondue avec l'arrêt des traitements. Un élément central entourant la controverse sur l'euthanasie est attribuable aux facteurs suivants: Certains reconnaissent, et d'autres pas, qu'il y a une distinction éthique pertinente entre l'euthanasie, l'abstention de traitement et la cessation des traitements de prolongation de vie. Je soutiens que cette distinction est cliniquement, éthiquement, légalement justifiable et doit être maintenue.

La distinction entre l'euthanasie et l'arrêt de traitements de prolongation de vie, et la restriction du mot «l'euthanasie» au fait de donner la mort délibérément, ne signifient pas nécessairement -- un point que j'aimerais souligner -- que tous les gestes posés sous le couvert de cessation de traitements de fin de vie pour permettre aux gens de mourir ne sont pas éthiquement et légalement des gestes répréhensibles. Il se peut même que l'abstention de traitements de prolongation de vie pour les personnes qui ne devraient pas mourir ou encore qui ne sont pas prêtes à mourir soit également injustifiable au point de vue éthique et peut-être même au point de vue criminel et au point de vue légal. Tout geste visant à restreindre les traitements de prolongation de vie ou encore de les discontinuer devrait être évalué d'un point de vue éthique selon ses mérites et en toute objectivité. Quand même, on ne doit pas confondre cette interruption ou cet arrêt des traitements de prolongation de vie avec l'euthanasie.

**(16 h 50)**

Deuxième distinction. Donner les analgésiques et les opiacés, ce n'est pas donner la mort. Les patients ont un droit de demander au médecin que l'on utilise tous les moyens proportionnés disponibles pour soulager les souffrances provoquées par la douleur impitoyable et les symptômes de la maladie, et les médecins ont l'obligation, de par leur serment, de par leur profession et leur mission de soulager les mourants. L'administration de traitements par association médicamenteuse et le schéma posologique nécessaire pour contrôler efficacement la souffrance des mourants est un acte qui est logiquement, cliniquement et éthiquement totalement différent de l'acte de donner la mort.

Les patients ne devraient jamais en être rendus à supplier pour qu'on les soulage parce que le médecin est rempli de craintes à l'idée d'être poursuivi. Les craintes, dans une certaine mesure, peuvent être justifiables en raison de nos lois désuètes. Ces lois devraient être révisées et mises à jour, tel qu'il l'avait été si intelligemment proposé par la Commission de réforme du droit du Canada en 1983 -- je reviens à ce point un peu plus tard.

Troisième distinction, cette distinction maintenant encore très controversée. La sédation pour soulager la douleur ou l'angoisse existentielle n'est pas de l'euthanasie. Si l'anxiété, la dépression et la souffrance existentielle se montrent réfractaires à toute forme de contrôle de la douleur qui maintient le patient inconscient, alors il est éthiquement justifiable d'utiliser la sédation profonde pour certains quand même. Le contrôle de la douleur est une valeur beaucoup plus importante que le maintien de conscience dans une situation où tous les autres éléments de contrôle de la souffrance sont... la souffrance est réfractaire et ces éléments de contrôle ne fonctionnent plus.

La distinction entre l'euthanasie et le sommeil profond ou la somnolence est, du point de vue clinique, éthique, vraie et essentielle. Certaines personnes doivent dormir avant de mourir et doivent mourir dans leur sommeil, et les perceptions conflictuelles, à savoir s'il y a vraiment une distinction entre l'euthanasie et la sédation profonde ne devraient jamais entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit de répondre à la souffrance du mourant.

Le troisième chapitre est une argumentation que nous devons être très, très prudents devant les propos de légaliser l'euthanasie comme définie et l'administration de la mort aux personnes qui sont mourantes.

L'euthanasie ne devrait pas être légalisée. Dans les propositions de la majorité des personnes qui favorisent la légalisation de l'euthanasie, il y a une reconnaissance de la nécessité d'établir des procédures et des clauses de sauvegarde. Certains croient que, si l'euthanasie n'est pas légalisée, elle se fera clandestinement, sans supervision légale adéquate et sans contrôle, de sorte qu'il y aura des abus. Cependant, on croit également qu'il y a lieu d'adopter des mesures de protection pratiques, efficaces, faciles à gérer, afin que la bureaucratie ne vienne pas compliquer les derniers jours de ceux qui demandent l'euthanasie. De plus, on est d'avis que ces mesures seront aptes à prévenir la plupart des catégories d'abus dans le cas que l'euthanasie serait légalisée, et même peut-être les formes d'abus... même si ce n'est pas toutes les formes d'abus dans toutes les différentes catégories.

Mais c'est quoi, une catégorie d'abus? Les exemples les plus souvent mentionnés ont trait aux différentes catégories d'euthanasies non volontaires, l'euthanasie de patients n'ayant pas consenti à leur mort prochaine ou ne pouvant y consentir, ou encore l'euthanasie de patients ayant été soumis à différentes formes de pression et de manipulation. On peut avancer que les lois et les clauses de protection pourront être efficaces, peut-être, pour prévenir les abus, mais elles le seront qu'en autant que certaines formes d'euthanasie seront toujours considérées comme les abus, mais ça, ce n'est pas nécessairement vrai.

La base, les fondements de la plupart des arguments et même des projets de loi pour légaliser l'euthanasie sont basés sur un nombre d'hypothèses, et, pour moi, c'est l'accumulation de ces hypothèses qui favorise l'euthanasie, que l'on doit s'opposer. Ces hypothèses sont, à mon avis, des illusions. J'en nomme sept. Sans avoir le temps d'aller en détail sur les sept.

La première illusion, à mon avis, c'est que, si nous légalisons l'euthanasie volontaire, que l'euthanasie restera restreinte à ceux qui sont connaissants et qui donnent leur consentement. Mais c'est hautement douteux que, si nous acceptons légalement, et socialement, et éthiquement l'euthanasie dans notre société, que ça restera restreint à l'euthanasie volontaire. Aucune loi permettant l'euthanasie volontaire ne pourrait, même à travers un ensemble complexe de règlements, de protéger les personnes conscientes et vulnérables contre les manipulations subtiles de proches, leur faisant miroiter l'idée qu'il est socialement acceptable maintenant de demander l'euthanasie, alors que ces personnes souhaiteraient plutôt vivre, et être aimées, et être embrassées.

On devrait prêter une attention toute particulière aux personnes très âgées, aux personnes souffrant de différentes sortes de démence, pas seulement la démence de type Alzheimer, porter très attention à la crainte souvent exprimée par ces personnes très âgées et dépendantes, une crainte de devenir un fardeau pour les autres, pour les membres de leur famille. Cette crainte est souvent rapportée comme étant une des raisons les plus importantes que des personnes invoquent pour appuyer la légalisation de l'euthanasie.

Deuxième illusion. Que l'euthanasie ne sera jamais donnée aux personnes qui ne peuvent pas donner leur consentement. Mais je souligne qu'il serait naïf de s'imaginer que les barrières sociales ne s'écrouleraient pas dans une société qui légaliserait l'euthanasie sur la base de compassion. Ne devrait-on pas alors élargir le concept de compassion et y englober également ceux qui, aux yeux de plusieurs, endurent l'indignité des désordres mentaux profonds et des handicaps physiques, et ce, même s'ils ne souffrent pas et ne peuvent demander l'euthanasie. L'avancement dans les Pays-Bas, avec le protocole de Gronigen, qui ouvre la porte pour donner l'euthanasie aux nouveau-nés, aux très jeunes qui souffrent ou qui sont affligés avec un nombre de handicaps profonds, doit nous inciter à réfléchir soigneusement. L'euthanasie, il y a des moments, des personnes disent, est absolument nécessaire de soulager les personnes dans leur agonie inhumaine. Il est illusoire quand même de penser que l'euthanasie ou le suicide assisté apportera nécessairement au patient une mort douce, tranquille et impeccable, et le délivrera de ses douleurs. Dans un nombre d'études là où le suicide assisté est pratiqué et où l'euthanasie est pratiquée, il y a un nombre de complications incroyablement tragiques, qui a compliqué une mort qui aurait dû être tranquille et est devenue incroyablement complexe. Tout aussi illusoire, à mon avis, est cette idée qu'en général les médecins et les infirmières connaissent les plus récentes techniques et les nouveaux médicaments pour soulager la douleur et les symptômes. Mais, ce n'est pas le cas.

Quatrième illusion. Que les médecins, tous, possèdent...

Le Président (M. Kelley): On arrive à 20 minutes. Alors, je veux juste vous indiquer qu'on est arrivés à 20 minutes, déjà. Alors, si on peut aller vers la conclusion dans une couple de minutes, s'il vous plaît.

M. Roy (David J.): Je n'ai pas... Est-ce que je dois arrêter?

Le Président (M. Kelley): Pardon! Vous pouvez continuer, mais on arrive déjà... 20 minutes est écoulé. Je dois conserver le temps pour une période d'échange avec les membres de la commission.

**(17 heures)**

M. Roy (David J.): O.K. La quatrième illusion, c'est que les médecins sont tous en contrôle des méthodes de communication avec des mourants. Très douteux.

Cinquième illusion: que l'euthanasie protégera des médecins contre les poursuites légales. Mais qu'est-ce qui arrive, dans une famille, si la famille est déchirée en trois différents groupes et deux de ces groupes sont absolument contre l'euthanasie qui a été donnée à leur mère? C'est un peu illusoire d'imaginer que tout sera beau vis-à-vis des poursuites.

Il y a une sixième illusion aussi, au niveau des coûts de santé aux mourants, qui peuvent trouver une légalisation de l'euthanasie très accommodante.

Et une septième: que nous resterons une société humaniste et une société de compassion si nous acceptons la légalisation de l'euthanasie. C'étaient des illusions, rapidement.

Je termine avec deux impératifs, et je laisse à côté le deuxième, qui est la nécessité d'élargir l'accès, et de perfectionner la médecine palliative et les soins palliatifs, et d'augmenter l'accès à ces soins, et aussi d'augmenter le nombre de cours et de formation des médecins et des infirmières dans l'éthique clinique, dans l'éthique de soins palliatifs. Ça, c'était mon deuxième impératif.

Le premier, quand même, c'est: il faut changer la loi. C'est vrai qu'il y a des paragraphes du Code criminel du Canada qui ont été promulgués alors que les technologies modernes de prolongation de vie n'étaient pas disponibles ou encore que la médecine palliative n'était pas connue. Certaines sections du Code criminel placent les médecins devant un dilemme: espérer que la loi telle qu'elle existe ne signifie pas actuellement ce qu'elle semble dire et pratiquer la médecine dans les meilleurs intérêts des patients; ou accepter que la loi telle qu'elle est rédigée est non équivoque et pratiquer alors une médecine dite défensive.

La Commission de réforme du droit du Canada, en 1983, a suggéré des amendements, a recommandé que l'on ne légalise pas l'euthanasie et que l'on ne décriminalise pas le suicide assisté, mais que nous devons amender le Code criminel afin d'éliminer toute interprétation qui obligera des médecins à trois choses: à poursuivre ou à entreprendre tout traitement médical à l'encontre des désirs exprimés par la personne à qui le traitement est destiné; deuxièmement, à poursuivre ou à entreprendre tout traitement médical alors que, du point de vue thérapeutique, un tel traitement n'est pas dans le meilleur intérêt de la personne à qui le traitement était destiné; et dernièrement, l'interprétation qui obligera des médecins à s'abstenir d'offrir les soins et les traitements palliatifs ou encore les interrompre pour la seule raison que ces mesures pourront raccourcir l'espérance de vie de la personne à qui les soins palliatifs sont destinés.

Je vous remercie beaucoup pour votre attention.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. On va en période d'échange, deux blocs de 15 minutes. Je vais commencer avec M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, M. Roy, aux travaux de cette commission parlementaire. Vous m'entendez bien? Vous m'entendez bien, oui?

M. Roy (David J.): Non, je vous entends avec difficulté. Votre voix monte là-haut et ne descend pas à moi.

M. Ouimet: Bon. Alors, je vais faire en sorte qu'elle redescende le plus rapidement possible. Un jour, je serai là-haut et... bientôt, je ne sais pas quand, mais je ne suis pas rendu là encore. Le plus loin et tard possible.

Dans le fond... Votre mémoire, le contenu de votre mémoire reprend à peu près tous les arguments que nous avons entendus ou lus comme étant un plaidoyer contre l'euthanasie et contre le suicide assisté. Et je me posais la question: Est-ce que j'entre dans une discussion avec M. Roy où je tente de lui opposer les arguments des gens qui sont en faveur de la légalisation, et là je crains que je ne ferais pas beaucoup de progrès, parce que les camps sont tellement polarisés.

Mais il y a une chose cependant où on a eu beaucoup de témoignages de la part d'experts qui remettent en question, je pense, la notion de pente glissante que vous développez à la page 18 de votre mémoire lorsque vous dites qu'«il serait naïf de croire qu'une loi qui permettrait l'euthanasie ne conduirait pas à des abus inhumains, insensibles et intolérables». Alors, c'est un argument qu'on a entendu, l'argument de la pente glissante, mais on a entendu des témoignages d'experts universitaires qui m'apparaissaient très crédibles, dont, hier, le témoignage du Pre Downie, qui remet beaucoup en question cette théorie de la pente glissante.

Et je me demandais si vous aviez des données empiriques pour, un peu, là, supporter votre thèse de la pente glissante.

M. Roy (David J.): Vous avez cité page 18?

M. Ouimet: Oui.

M. Roy (David J.): C'est ça que vous avez dit?

M. Ouimet: Oui. Page 18, vous l'évoquez également à la page 12 lorsque vous dites: «Une modification de la loi interdisant l'euthanasie entraînera un changement sociétal profond et un écart significatif à la sagesse accumulée des générations», etc. J'y voyais là l'argument de la pente glissante. Une fois qu'on ouvre, ce n'est plus contrôlable, et les abus vont invariablement suivre.

M. Roy (David J.): Ce n'est pas certain, et il y a même des gens qui pensent que ce n'est pas probable, que la légalisation de l'euthanasie changera notre société d'une façon profonde. Je suis de cet avis. Je ne suis pas sûr du tout et je n'ai pas eu l'opportunité de vous raconter trois, quatre, cinq différentes situations dans lesquelles j'étais impliqué où j'ai dit: Oui, je suis contre la légalisation de l'euthanasie, mais je peux comprendre ce soir pourquoi l'euthanasie m'apparaît, pour cette personne ici, peut-être la meilleure chose que je peux m'imaginer. J'étais déjà impliqué dans quelques cas, spécialement il y a nombre d'années, quand le sida était mal contrôlé avec des médicaments.

Une brève histoire: Un jeune homme... un grand informaticien, musicien, son sida était très avancé. Il savait maintenant que son système nerveux central a commencé d'être atteint, et la dernière chose qu'il a voulu... il n'a pas voulu mourir, il a eu toutes sortes de projets dans sa tête, mais la dernière chose qu'il a voulu, c'est de mourir gaga, comme il l'a exprimé, inconscient, devant le miroir, etc. Même pas capable de connaître que c'est lui qui était devant le miroir. Alors, il a organisé un souper pour tous ses amis, et un de ses amis était un médecin, et le médecin m'a dit: David, je sais ce qu'il fait ce soir, là. Il a accumulé les médicaments et il veut s'auto-euthanasier ce soir. De faire de l'auto-euthanasie ou de se suicider, peu importent les mots. Il a dit: Je dois arrêter ça, moi.

**(17 h 10)**

J'ai dit: Oui, comment? Pourquoi même? Premièrement, comment? Voulez-vous... il ne correspond pas aux critères de dépression des DSM-4. Tu ne peux pas engager un infirmier de 200 pieds... de 200 lb et 6 pi 5 po, là, de le contrôler. Qu'est-ce que tu... Il a dit: Qu'est-ce que je peux faire? J'ai dit: Ah! Vous pouvez aller à ce souper et dire bye-bye avec les autres. Si tu penses que tu peux faire ça sans faire des choses stupides. Autrement, restez à la maison. Il est resté à la maison et, le dimanche matin, le jeune homme était mort. Il a pris tous ses médicaments.

Il était bouleversé après, le médecin qui n'a pas eu le courage d'intervenir. J'ai dit: Regarde une minute, là, cet homme a aimé la vie, il n'a pas aimé la mort, mais il a voulu mourir d'une façon qui correspond à sa dignité. Est-ce que tu ne penses pas qu'il a décédé d'une façon qui correspondait à son idée de sa dignité? Est-ce que tu penses que, s'il y a un Dieu, que ce Dieu l'accusera d'avoir rejeté la vie? Il n'a pas rejeté la vie, il a rejeté une certaine façon de mourir.

Alors, cette petite histoire, je comprends... je ne vous donne pas des autres, je comprends cette situation-là, et c'est pour cette raison que j'ai ajouté dans ce mémoire une chose que je n'ai pas lue. Si vous me permettez ces quelques lignes seulement: Bien sûr, il n'y a pas de loi, même une loi prescrivant l'euthanasie, qui peut recouvrir l'infinie variété de situations humaines et l'infinie variété de souffrances humaines. Le maintien d'une loi interdisant l'euthanasie nécessitera que chacun de nous utilisions notre sens commun qui nous dit qu'une telle loi, dans cette situation, ne doit pas s'appliquer et ne doit pas s'appliquer avec sévérité et force. Il faut que nous sommes capables à comprendre que le législateur, devant un cas très concret, sera prêt à dire lui-même: Lui, c'est mieux de garder cette loi, mais il ne faut jamais appliquer cette loi dans cette circonstance ici.

J'ai fait une étude des cas de «mercy killing» des États-Unis, dans les années 1960, 1970, 1980. C'était frappant, le nombre de cas -- ce n'était pas des médecins qui ont donné, disons-nous, l'euthanasie, c'était un membre de la famille -- le nombre de cas où les jurys ont décidé: aucune poursuite, aucun emprisonnement. Et nous avons ici, au Québec, plus spécifiquement à Montréal, il y a quelques années, des exemples très propres à nous, où les jurés ont eu le bon sens de ne pas appliquer la loi.

M. Ouimet: Allez-vous... Avec le cas que vous venez de décrire, allez-vous dans le même sens que le Collège des médecins qui nous... qui nous disait dans leur mémoire qu'il y a quand même des situations exceptionnelles, où la mort est éminente et inévitable, où il pourrait être approprié de vouloir écourter l'agonie du patient? C'est ce que nous demande le Collège des médecins...

M. Roy (David J.): Vous parlez de la déclaration, là, du Collège des médecins, hein?

M. Ouimet: Oui, résumé en cette phrase-là: des cas exceptionnels. Vous nous avez relaté un cas exceptionnel que vous avez vécu dans votre expérience.

M. Roy (David J.): Je suis d'accord avec un très grand nombre de choses que le Collège a dit dans leur déclaration. Là où je ne suis pas d'accord, c'est que l'administration de la mort, je ne parle pas, là, de médicaments qui peuvent même rendre le patient inconscient, en sommeil, mais d'administration des médicaments dans les dosages qui peuvent produire une mort rapide ou peut-être un petit peu plus hypocritement -- je ne parle pas du Collège, là -- de rendre la mort lente, de donner un cathéter et l'administration des médicaments qui provoquent la mort ne sera pas tout de suite, mais à travers deux, trois, quatre semaines, et nous avons le sentiment que nous n'avons pas tué le patient, mais nous avons tué le patient.

Alors, je ne suis pas d'accord avec le Collège quand ils disent que, dans des cas exceptionnels, ce doit être... le médecin doit être libre de donner la mort. En d'autres mots, l'euthanasie doit être un instrument de médecine palliative -- si je ne me trompe pas, c'est exactement ça qu'ils disent un moment -- ...tout l'instrumentarium de médecine palliative dans les cas exceptionnels.

Le problème, c'est que nous ne pouvons pas accepter qu'un tel avancement -- si nous pouvons utiliser cette expression -- sera fait sur un accord non législatif. Et le moment où vous voulez avoir une autorisation législative de donner aux médecins une immunité en avance de l'acte de donner la mort, ce sera inévitable d'avoir toute une série de conditions, toute une série de vérifications. De simplement donner une immunité en avance, de dire: Pas de problème, c'est une partie de médecine palliative. Si, dans un cas exceptionnel, vous avez besoin de donner la mort, allez-y en avant. Ça doit être quand même un acte médical.

Well, j'ai parlé... c'est anecdotal, ce que je dis maintenant, O.K.? Il ne faut jamais ériger une anecdote dans un principe. J'ai parlé avec un médecin de 86 ans il y a trois semaines, à peu près trois semaines, après que nous avons eu une conférence dans l'Institut de gériatrie sur la déclaration du Collège des médecins. Il m'a dit: David, j'ai 86 ans et je commence à avoir peur. Je veux savoir que mon médecin et le médecin de ma femme et de mes enfants a une chose dans sa mission, c'est de soulager, de donner le confort, de supporter professionnellement moi, ma femme et mes enfants. Je ne veux pas être devant un médecin inquiet: Est-ce qu'il est un de ces euthanasistes ou pas? Je veux savoir qu'il n'a rien à faire avec ça. Je veux savoir qu'il y a, dans notre société, un groupe de personnes professionnellement réalisées comme des personnes qui sont là pour guérir, soulager, conforter et jamais de tuer. C'est ça qu'il a dit. Ça m'a impressionné profondément. Cette idée, cette crainte que peut-être c'est un médecin qui est peut-être allé en avant un peu trop vite avec ce dosage fort qui provoque ma mort, quand je ne veux pas mourir, ou ça veut dire... quand je veux mourir et ne pas être tué.

M. Ouimet: Merci.

Le Président (M. Kelley): Courte question. Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Oui.

Le Président (M. Kelley): Très rapidement.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. J'aurais aimé ça prendre un peu plus de temps, parce que j'ai trouvé, à la page 15, votre intervention au sujet de l'aptitude des médecins pour parler aux mourants, ce qui fait exactement une suite à ce que vous venez de mentionner, très intéressante parce que vous disiez que l'art de la communication patient-médecin est très complexe et difficile. La communication entre un médecin et un patient qui est à la fin de sa vie est, je crois, au centre des soins de fin de vie. Cette communication est très importante.

Par contre, puisque je n'ai pas beaucoup de temps, je veux vous entendre au sujet du testament de vie, quand un médecin est devant la finalité ou devant le choix d'un patient qui n'est pas tout à fait en accord avec le sien. Qu'est-ce que vous pensez de ce dilemme, puisque vous en faites état à la page 15, là, du dilemme intérieur chez le médecin, qui doit répondre à la demande du patient?

**(17 h 20)**

M. Roy (David J.): Ah! Vous avez mentionné le testament de vie, hein, le testament biologique ou testament... Je pense que ça peut être un instrument qui aide beaucoup dans la prise de décision, spécialement pour l'arrêt des traitements de prolongation de vie dans les conditions où... ça peut être assez relatif, nous pouvons continuer, peut-être pas. Mais un testament de vie... des directions préparées en avance peuvent être très, très utiles. Mais ce n'est pas une solution universelle, parce que, quand un tel testament est préparé, la personne n'est pas nécessairement capable de prévoir la grande variété de circonstances où il ne voulait peut-être pas que son testament sera mis en application ou en action.

Deuxièmement, un testament... Un exemple, il y a des moments où un exemple couvre plus. Cette femme de 65 ans, avec une arthrite rhumatoïde, était livrée en salle d'urgence, un samedi matin, par ses deux fils. Les deux fils étaient là avec son passeport, pour vérifier sa signature, avec une petite lettre de cinq, six lignes, signée par elle, disant: «Je ne peux pas accepter la possibilité que je dois quitter ma maison et aller dans une institution de soins de longue durée. Je veux mettre fin à mes jours maintenant, aujourd'hui, samedi, pendant que je suis encore capable.» Alors, la lettre était en français, très claire. «S'ils osent me réanimer et s'ils ont du succès, il y aura une poursuite.» Alors, une sorte d'instruction, testament biologique un peu extrême, pas exactement en bonne forme comme tous les autres, mais là les médecins ne savaient pas quoi faire. Un médecin a dit: Nous sommes la salle d'urgence, notre devoir, c'est de réanimer, réanimons-nous cette femme tout de suite? Si elle veut se tuer plus tard, elle peut essayer une autre fois. L'autre a dit: Je ne peux pas faire ça. Absolument inhumain de faire une chose comme ça. Et il a, à mon avis, correctement décidé de ne pas réanimer cette femme. Il a eu encore un peu de temps, peut-être, de le faire avec succès. Il a décidé de ne pas le faire.

Alors, il y a des moments, et ce n'est pas exactement ce que vous avez présenté, avec le testament biologique, mais il y a des moments où un testament biologique peut être loin d'être une solution, peut provoquer une division de points de vue parmi une équipe et même parmi les membres d'une famille. Peut, en autre mot, compliquer la prise de décision. Mais en général, je pense que ça peut être très, très utile, oui. Vous avez au moins un record, un document de la volonté de quelqu'un avant qu'elle ou il tombe gravement malade et/ou inconscient.

Le Président (M. Kelley): ...Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup, M. Roy, pour une présentation fort étoffée. Effectivement, je suis un peu dans la même situation que mon collègue, c'est-à-dire que, depuis le début des auditions, on a eu beaucoup de présentations très pour, très contre, et on se fait souvent l'avocat du diable, alors souvent on pose les mêmes questions, mais je pense que c'est important pour notre compréhension et des fois des éclaircissements à la marge, et vous venez d'ailleurs d'en apporter des intéressants.

Alors, je voudrais, moi, aborder la question des craintes et la place que, nous, comme législateurs, on doit donner à l'expression de ces craintes-là réelles ou potentielles. Et avec l'exemple que vous avez donné de cet homme de 86 ans, qui avait une crainte d'être face à un médecin qui pourrait forcer la dose, ou tout ça, je veux vous amener sur le fait que, en me faisant un peu l'avocat du diable, ces craintes-là sont exprimées dans le système actuel, alors que l'euthanasie n'est pas légalisée, ce qui, pour certains, voudrait dire que ces craintes-là existent quand même déjà et certains nous disent même, hier, on a eu plusieurs témoignages à cet effet-là, notamment Pre Downie de Dalhousie, que l'état actuel des choses fait en sorte qu'il n'y a pas de balises, justement, et qu'il n'y a pas de contrôle sur l'action de médecins qui pourraient, oui, augmenter les doses ou donner peut-être un coup de pouce qui ne serait pas voulu par la personne.

Donc, compte tenu du fait que ces craintes-là existent déjà à l'heure actuelle, qu'est-ce qu'on fait avec ça? Et aussi vous voyez le testament biologique, quelqu'un pourrait avoir ces mêmes craintes de dire: Dans l'état actuel des choses, comment ça se fait qu'il y a encore des médecins qui ne donneraient pas préséance à mon testament biologique? Vous avez référé, et je pense qu'effectivement, il y a beaucoup de médecins qui ont ce dilemme-là.

Donc, qu'est-ce qu'on fait de ces craintes-là qui existent déjà à l'heure actuelle? Est-ce que l'idée de légiférer avec des balises pourrait ne pas être une bonne idée pour réduire les craintes? Et hier, on a eu une psycho-oncologue, Dre Annie Lemieux de l'Hôtel-Dieu, qui, elle, disait que ce n'était pas la raison pour légiférer pour l'euthanasie, mais qui disait qu'on avait découvert, en quelque sorte, un effet collatéral positif, en Oregon notamment puis aux Pays-Bas, depuis qu'on a légiféré sur la communication patient-médecin, du fait que cette réalité-là est dans les airs, que ça avait amélioré beaucoup la communication et qu'il en résultait un très petit nombre de cas effectivement de demandes, mais que ça avait peut-être aidé à vraiment préciser les volontés de la personne pendant le cheminement thérapeutique.

M. Roy (David J.): Madame, vous avez ouvert la porte pour un colloque. Un commentaire ne peut pas être compréhensible sur cette question de crainte, crainte numéro un basée sur un nombre de choses que j'ai vues. Il y a quelqu'un qui a cité que la communication entre patient et médecin, et vous l'avez aussi citée, est complexe. «Well», je crains que très, très souvent, ce n'est pas complexe du tout. C'est très simple: le médecin entre, donne la prescription, regarde le patient. C'est l'infirmière qui est laissée avec la communication. Très, très simple, cette communication-là. Ce sera beau, Oh boy! Ce sera beau si ce même médecin a l'autorisation de donner l'euthanasie, non? Il ne parle pas au patient. Je n'exagère pas, là.

L'autre côté de la médaille, il y a des médecins qui, femmes, hommes médecins, qui sont incroyablement humains, sensibles. J'ai vu ça une fois, une femme médecin qui a réussi avec un jeune homme qui a voulu l'euthanasie, la mort tout de suite, et, moi, j'étais complètement incapable à bouger une de ses idées. Cette femme médecin, après quatre heures et demie avec lui, est devenue sa mère, sa soeur, son amie, parce que le jeune homme qui était homosexuel sidéen était rejeté par sa mère, rejeté par sa soeur. L'hôpital a voulu qu'il reçoive son congé parce que ce n'est pas une unité de soins palliatifs ici. Il était tout conscient d'être rejeté partout. Ce médecin est entrée dans sa vie. J'ai vu nombre d'autres exemples, mais rarement un exemple si frappant d'un médecin qui a pris quatre heures -- imaginez-vous! -- quatre heures, d'entrer dans la vie de quelqu'un qui est décédé inévitablement trois jours plus tard, mais a décédé avec paix.

J'ai crainte que de moins en moins, en moins nous avons des médecins prêts, capables ou qui ont le temps, même s'ils sont prêts et même s'ils sont capables, de faire des gestes très humains comme ça. J'ai peur, de moins en moins, ils n'ont pas de ressources, ils n'ont pas le temps, le temps étant une des grandes ressources.

Alors, je crains aussi, il y a des craintes aussi que les médecins ne reconnaissent pas ou ne sont pas prêts à respecter les demandes de quelqu'un quand cette demande va à l'encontre de la conscience personnelle d'un médecin.

Et là j'ai... troisième crainte. Je crains qu'il n'y a pas suffisamment d'éducation très concrète, pas des grandes conférences magistrales à l'université, mais des sessions de formation données en grande partie par les médecins eux-mêmes aux jeunes médecins, par les infirmières aux jeunes infirmiers et jeunes infirmières, qu'il y aura le développement d'une culture, d'une tradition de communication avec des patients, spécialement avec des mourants, avec des personnes qui sont agonisantes.

Quatrièmement, une autre crainte, pas au niveau de médecin individuel et patient maintenant, mais au niveau d'une société. C'est très difficile de prendre l'argument que nous devons avoir peur ou craindre que la légalisation de l'euthanasie sera suivie, après quelques années, par une acceptation sinon légalisation de l'euthanasie involontaire, qui sera suivie par l'acceptation de donner l'aide au suicide à des personnes qui sont dépressives et très difficiles à traiter.

**(17 h 30)**

Je laisse de côté la question de devons-nous toujours empêcher chaque instance d'idées suicidaires? Je laisse cette question ouverte. C'est complexe. Je connais très peu d'absolus sur cette planète, même pas les lois de la physique, qui ont des exceptions. Alors, je... Mais, j'ai crainte, quand même.

En Allemagne -- je sais que vous avez entendu ça de nombreuses fois, mais je répète -- en Allemagne, à la fin des années vingt, avant l'arrivée d'Hitler en pouvoir, il y a eu des juristes, des psychiatres, des médecins d'incroyablement haute qualité, le pays de Goethe, de Beethoven, de Bach, bla, bla, bla, et, dans l'espace... c'était une réunion au sud d'Allemagne, en vingt-sept, vingt-huit, tout en faveur de l'euthanasie. L'autorisation de détruire les vies qui n'ont plus de valeur, c'était le titre de cette présentation, et 35... même pas, 20, 25 ans plus tard, il y a eu des applications de cette... des idées qui étaient originellement très nobles, conçues avec de très bonnes intentions.

La crainte que j'ai, c'est Edgar Molin... Morin, Edgar Morin, dans son livre, La vie de la vie, sa série de quatre, cinq volumes, maintenant, sociologie des connaissances, quand il a dit, dans un de ses volumes, volume II, si je ne me trompe pas: L'action se distancie de l'acteur. Nous commençons quelque chose avec de très bonnes intentions, avec des projets devant nous, très clairs, très précis, et, lentement, nous perdrons complètement contrôle sur cette action que nous avons initiée, qui est reprise par d'autres personnes, maintenant, avec d'autres idéologies, avec moins de contraintes, avec moins de peurs.

Alors, je m'excuse, mon commentaire sur votre question cruciale sur les craintes est trop court et peut-être pas suffisamment clair, mais j'arrête là.

Mme Hivon: Merci. C'était quand même clair. Deuxième question, sur un tout autre sujet. Tantôt, vous avez fait une affirmation intéressante, et c'est une première. Vous avez dit, en fait, que plutôt que de légiférer, il pourrait être plus approprié de faire en sorte que la loi ne s'applique pas dans certains cas, à la lumière de l'exemple que vous avez donné. Les juristes vous diraient, et hier on en a entendu quelques-uns pour qui le décalage qui peut exister entre le droit formel et l'application et la jurisprudence cause un problème, dans le sens que, un peu comme vous, ils nous ont fait la nomenclature des décisions, en disant qu'en fait le Code criminel n'était à peu près pas appliqué, et les sentences étaient vraiment minimales, quand il y avait des sentences, même, souvent, il n'y avait pas de poursuites, bon, tout ça.

Donc ça, c'est l'argument, je dirais, juridique du décalage, qui dérange les juristes. Moi, j'ai plus une autre préoccupation par rapport à une approche comme ça, parce que je pense que, nous, on... il faut se la poser, aussi, de savoir si ça pourrait être une approche légitime, c'est la question d'équité. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on décide a posteriori de comment on va traiter un cas, ça veut dire que, si quelqu'un est dans une situation intolérable et qu'elle a en quelque sorte la chance d'avoir quelqu'un bienveillant qui va l'aider malgré les interdictions de la loi, elle a en quelque sorte un privilège qu'une autre personne qui n'a pas autour d'elle quelqu'un qui serait prêt à défier la loi parce qu'elle aurait trop crainte d'éventuelles conséquences légales n'aurait pas accès à ce privilège.

Donc, qu'est-ce qu'on fait de cette idée-là d'équité si on appliquait une telle, je dirais, une telle recommandation?

M. Roy (David J.): J'ai obtenu cette idée, les dernières deux, trois lignes, là, de la page 19. J'étais motivé par un texte d'un juriste belge, Chaïm Perelman était un grand juriste belge, et dans un de ses chapitres sur un livre traduit en anglais, qui traitait les questions de justice, il a traité la question de l'euthanasie, et il a cité le concept de fiction juridique: que nous pouvons avoir une loi qui largement est humaine et juste, mais qu'il y a des situations qui tombent hors de cette loi-là. Ça veut dire ils sont si différentes que ce que le législateur a prévu, si complexes, que les jurys peuvent utiliser une fiction en décidant de ne pas caractériser un geste quelconque comme un geste d'homicide.

J'ai cité, sans citer les noms, un exemple de Montréal, il y a à peu près deux, trois ans. La mère d'un artiste très bien connu au Québec a aidé son fils à mourir. Et il y a eu d'autres exemples à différentes provinces du Canada. La chose qui m'a frappé, avec ou sans justice: Comment ces jurys ont traité les personnes en question d'une façon très différente que M. Latimer était traité, si je ne me trompe pas, en Saskatchewan, je pense, qu'il est en Saskatchewan. Si je ne me trompe pas, il est en... sinon encore en prison, il est en «halfway house»...

Mme Hivon: C'est le cas exceptionnel.

M. Roy (David J.): Oui. Et... La réflexion que j'ai en écoutant votre question, présumant que j'ai bien compris exactement ce que vous avez voulu dire, la réflexion qui vient à mon esprit: Comment... Ça veut dire... D'être heureux que nous avons des instances, des groupes de personnes humaines, dans un jury par exemple, qui sont capables de voir à travers les mensonges, à travers les manipulations auxquelles ils sont peut-être assujettis, et de voir clairement ce que le bon sens humain demande, dans une situation très spécifique et très exceptionnelle.

Ça me réconforte énormément que nous avons cette sagesse vivante dans nos communautés et que, stimulée par une question et un problème devant lesquels ils se trouvent, vous verrez une expression de cette sagesse, et une expression très différenciée d'une situation à l'autre. Alors, c'est le contraire des craintes que j'ai discutées il y a quelques minutes.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire merci beaucoup, M. Roy, pour votre contribution à notre réflexion.

Je vais suspendre très rapidement et je vais demander au Dr Hubert Marcoux de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 17 h 38)

 

(Reprise à 17 h 44)

Le Président (M. Kelley): Alors, on va recommencer, et comme d'habitude, le président a perdu tout contrôle du temps, mais ça arrive parfois et ce n'est pas de ma faute. C'est plutôt la durée de la période des affaires courantes, mais avant de procéder à notre prochain témoin, on a une proposition d'entendre le Dr Marcoux. Tout de suite après, nous allons entendre Me Diane Demers, vers 18 h 45, qui va terminer vers 19 h 45 environ. une quinzaine de minutes pour les remarques finales, on termine à 20 heures plutôt que de prendre une pause et revenir après. Et, pour les personnes qui aiment regarder les matchs de hockey, comme le président, ça va me libérer pour voir la deuxième période du match qui est toujours... Mais dans toute transparence, dans toute...

Une voix: ...

Le Président (M. Kelley): Mais est-ce qu'on procède ainsi pour faire les deux derniers témoins et les remarques finales et terminer à 20 heures? Est-ce que ça... il y a consentement?

Une voix: ...

Le Président (M. Kelley): Parfait. Merci beaucoup. Alors, sans plus tarder, notre prochain témoin, c'est le Dr Hubert Marcoux, qui est professeur agréé, Département de médecine familiale et de médecine d'urgence, Université Laval, et omnipraticien à l'Hôpital Jeffery-Hale, où est née ma cousine. Alors, sans plus tarder, la parole est à vous, Dr Marcoux.

M. Hubert Marcoux

M. Marcoux (Hubert): Parfait. Alors, merci...

Le Président (M. Kelley): Parfait.

M. Marcoux (Hubert): Merci aux membres de la commission de m'offrir l'opportunité de partager ma réflexion sur le questionnement que suscite le désir des citoyens de mourir dans la dignité. Je souhaite vous exprimer mes questions et mes doutes simplement et avec beaucoup d'authenticité.

C'est mon expérience de clinicien en soins palliatifs et gériatrie qui nourrit mes réflexions ainsi que mon engagement à améliorer les services de santé, tout en portant une attention particulière aux enjeux éthiques, notamment ceux associés à une offre de services juste et équitable permettant à tous les citoyens de mourir dans la dignité. Même si, dans le cadre de ma pratique, j'ai été exposé à des demandes d'euthanasie, je souhaite davantage vous parler de l'environnement social dans lequel la question de mourir dans la dignité se pose. Je pourrai, à la période des questions, aller plus vers mon vécu de clinicien, évidemment.

Ma présentation porte sur trois points: le premier, le questionnement que suscite la position majoritaire de la population en faveur de la légalisation de l'euthanasie; le deuxième point, la problématique de mourir dans la dignité dans le contexte du vieillissement de la population; et finalement, la position du Collège des médecins et ses implications sur la pratique des soins palliatifs.

Premier point. Que demande la population lorsque majoritairement elle revendique la légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté? Comme médecin, je connais l'importance d'abord d'écouter la demande d'euthanasie d'un patient et, par la suite, de l'explorer. À son tour, la commission en fait tout autant. C'est très bien.

Il y a de multiples raisons qui peuvent motiver une demande d'euthanasie. Toutes ces raisons méritent le respect et nous interpellent de différentes façons. Ce qui me préoccupe davantage est le pourcentage élevé des personnes qui souhaitent la légalisation de l'euthanasie, soit près de 80 % des Québécois, selon les sondages, et le peu de demandes qui sont adressées aux médecins. En 2007, le pourcentage des décès en Belgique survenus en terme... au terme d'une demande d'euthanasie était de 0,46 % et 1,43 % aux Pays-Bas. Vous avez déjà entendu ça plusieurs fois. Cet écart important que l'on observe ici et ailleurs ne pose-t-il pas question?

On observe que l'euthanasie pratiquée par un médecin ne peut être que la réponse à une demande. Cette réalité est prise en compte par les dispositions législatives de tous les pays où est légalisée l'euthanasie. Par contre, l'offre et la demande ne sont pas toujours des réalités explicites. N'y aurait-il pas un certain type d'offre faite par la profession médicale qui amène la population à souhaiter la légalisation de l'euthanasie? L'euthanasie est un geste technique, posé sur le corps, qui vise à arrêter son fonctionnement, ce qui est une façon bien réductrice de comprendre la réalité de la mort et la souffrance de ceux qui meurent. Mais n'est-ce pas de cette manière qu'en parlent les patients lorsqu'ils énoncent leur désir que, le temps venu, on leur donne la piqûre qui mettra efficacement un terme à leur vie?

De tout temps, l'homme a eu peur de la mort et a inventé des façons de la conjurer. La médecine n'est pas différente de la religion à cet effet. Si autrefois les gens ont eu peur de l'enfer après la mort, ils ont maintenant peur de l'acharnement thérapeutique qu'ils qualifient d'enfer avant de mourir. Une étude publiée en 2006 mentionne le souhait des malades de ne pas être prolongés indûment par des moyens techniques lorsque les espoirs de guérison sont faibles. Lorsque l'euthanasie et l'arrêt de traitement sont perçus comme une seule et même réalité, il faut se demander si le désir d'avoir de l'aide pour mourir, que la population appelle l'euthanasie, n'exprime pas le souhait de pouvoir cesser les traitements qui prolongent la vie sans pour autant en permettre la qualité.

**(17 h 50)**

Bien que la cessation de traitement soit bien balisée, il faut admettre que cette réalité se matérialise seulement si les patients sont bien informés de leur état. Or, la connaissance par les malades de leurs véritables conditions demeure la pierre d'achoppement d'un processus de décision éclairé.

Comme le souligne Jean-François Malherbe, il y a trois moyens pour le corps médical de contrôler la mort: l'acharnement thérapeutique, l'euthanasie et ne pas dire la vérité, ce dernier moyen étant le plus répandu. S'intéresser à la question de mourir dans la dignité, c'est certainement se pencher sur la réalité de l'acharnement thérapeutique. L'impact de celle-ci sur comment on meurt aujourd'hui est déterminant et alimente en partie la demande sociale de l'euthanasie. Le Collège des médecins a choisi d'esquiver cette problématique. J'y reviendrai au troisième point de mon exposé.

Deuxième point: le vieillissement de la population. Nous assistons au vieillissement sans précédent de la population. Sommes-nous suffisamment conscients de vivre une réalité inédite dans l'histoire de l'humanité? Cette réalité peut-elle influencer maintenant ou ultérieurement la demande d'euthanasie? Le vieillissement de la population est souvent montré du doigt pour expliquer la situation des finances publiques, qualifiée de catastrophique. La stigmatisation de la population âgée peut permettre à toute une société, à la faveur du culte de l'individu autonome, de trouver en cette réalité un bouc émissaire.

Le Conseil des aînés a publié en 2006 les résultats d'un sondage téléphonique réalisé auprès de 10 010 répondants âgés de 55 ans et plus. L'élément associé au vieillissement qui inquiétait le plus les personnes interrogées était la perte d'autonomie: 45 % d'entre eux ont retenu cet élément comme le premier choix. Les personnes mariées ou vivant en union de fait, ceux qui font du bénévolat ou qui n'habitent pas seuls ont été identifiées comme étant les... les sous-populations, pardon, les plus inquiètes de leur propre perte d'autonomie. Les inquiétudes des aidants naturels découlent de leur connaissance des difficultés que vivent les personnes en perte d'autonomie et ceux qui s'en occupent.

Par ailleurs, fait étonnant, les répondants âgés de 80 ans et plus se disent en général plus heureux que leurs cadets âgés de 60 à 79 ans. 63 % des répondants à cette étude étaient dans ce groupe d'âge, dont 43 % avaient entre 65 et 79 ans. C'est souvent à cette période de la vie que l'on amorce sa retraite et que l'on commence à expérimenter plus concrètement la fragilité liée au processus de sénescence.

Les données statistiques de la Belgique montrent que ce sont les 60 à 79 ans qui demandent le plus fréquemment l'euthanasie. Pour la période du 22 septembre 2002 au 31 décembre 2003, 48 % des personnes qui ont demandé l'euthanasie étaient dans ce groupe d'âge. En 2004 et 2005, ce pourcentage était à 49 %. Il a augmenté à 52 % en 2006 et puis à 57 % en 2007. Je n'ai pas les autres données plus récentes. Cette progression constante n'est pas observée chez les personnes de 80 ans et plus, puisque les pourcentages de demandes d'euthanasie pour les mêmes périodes sont de 16 %, 17 %, 18 % et 17 %.

Pour les 40 et 59 ans, initialement, le pourcentage de demandes était de 32 % et a diminué à 28 % en 2004 et 2005 et puis à 28 % en 2006, pour se situer à 24 % en 2007. Les demandes d'euthanasie plus nombreuses chez les 60 à 79 ans questionnent d'autant plus qu'elles ne s'expliquent pas par une incidence plus élevée des décès dans ce groupe d'âge.

Par conséquent, n'est-il pas important de se questionner sur la filiation qu'il peut y avoir entre la réalité de la perte d'autonomie et la demande individuelle et collective de l'euthanasie? Cette réflexion collective m'apparaît essentielle, d'autant plus que la réalité des personnes institutionnalisées contribue largement à l'image négative de la perte d'autonomie. L'institutionnalisation est synonyme d'exclusion sociale et de conditions d'existence parfois pitoyables.

Les ressources institutionnelles sont souvent publiques, puisque la vulnérabilité n'est pas uniquement le fait de la maladie, mais aussi de la pauvreté et de l'isolement social qui, le plus souvent, se conjuguent au féminin. La capacité du réseau hospitalier et des ressources d'hébergement publiques à répondre aux besoins de la population défraient régulièrement la chronique. 50 % des personnes atteintes de démence vivent en institution. Or, on estime que cette sous-population va doubler entre 2001 et 2021, on est déjà à moitié du chemin, presque, passant de 76 800 à 145 000. Même réalité pour la population des 85 ans et plus qui représentaient, en 2005, 43 % des admissions en CHSLD. Celle-ci va aussi doubler en 20 ans et passer de 95 000 à 202 000. Je vous fais grâce des prévisions jusqu'à 2051.

De façon évidente, il y aura une pression énorme sur le réseau d'hébergement public. Pour contrer l'augmentation des coûts engendrés par l'institutionnalisation, on a jusqu'à maintenant diminué le nombre de lits, lits, passant de 45 700 en 1991 à 41 400 en 2005, tout en observant une augmentation de 12,3 % du taux de fréquentation des lits qui avait diminué. Cette augmentation a été rendue possible en raison de la durée moyenne de séjour qui était, en 1991, de 253 jours, et qui a diminué en 2004 de 254 jours. L'hébergement en CHSLD à une phase de plus en plus avancée de la perte d'autonomie et les décès qui arrivent plus précocement après l'admission participent à faire de la mort de la clientèle en CHSLD, pour l'instant, la stratégie utilisée permettant de faire face aux effets de l'augmentation des demandes en hébergement et des coûts que cela engendre. On ne peut ignorer cette réalité lorsque vient le temps de réfléchir à l'euthanasie.

Je souhaite rappeler que nous faisons face à un vieillissement de la population sans précédent. Les pays où se pratique l'euthanasie actuellement n'ont pas plus de recul face à cette nouvelle réalité que nous n'en avons. De plus, le Québec est la deuxième société après le Japon où on observe le vieillissement le plus accéléré de la population, ce qui laisse peu de temps pour s'adapter.

Je ne peux pas ignorer la réalité des gens qui terminent leur vie dans nos institutions publiques. Définir la dignité est largement au-delà de mes compétences. Par contre, je sais clairement ce que j'éprouve lorsque je fais face à l'indignité. La personne figée par la maladie de Parkinson qui bave et mouille sa chemise ou celle qui a une incontinence qui insulte mon odorat a toujours à mes yeux la même dignité humaine. Cependant, ce qui m'indigne est le fait qu'il n'y a pas suffisamment de personnel ou de bénévoles pour essuyer la bave du parkinsonien ou pour changer en temps utile une culotte souillée.

Il y a bien plus de malades qui sont atteints dans leur dignité suite aux raisons que je viens d'évoquer que de personnes qui sont lésées dans leurs droits du fait de ne pas avoir accès à l'euthanasie. Cependant, ce qui unit ces différentes réalités est la souffrance vécue par les uns et les autres, et je me sens concerné autant par la souffrance des uns que celle des autres.

Toutefois, la problématique de l'euthanasie m'apparaît plus simple à résoudre que celle associée au questionnement de mourir dans la dignité en CHSLD. En effet, l'euthanasie est un geste technique, simple, peu coûteux, à caractère presque privé et que certains qualifient d'ultime compassion, une réalité tout à fait cohérente avec les valeurs sociétales contemporaines. Les personnes comme moi soucieuses des enjeux éthiques associés à l'offre de services devront-elles se résoudre un jour à voir dans l'accessibilité à l'euthanasie pour les personnes résidant en CHSLD le seul moyen juste et équitable d'y mourir dans la dignité, à défaut d'y avoir vécu dignement?

Je vais terminer mon dernier point, la position du Collège des médecins et ses implications sur la pratique des soins palliatifs. La prise de parole du Collège des médecins à travers le document Pour des soins appropriés au début, tout au long et en fin de vie et le mémoire déposé à la commission illustrent clairement l'ambiguïté qu'entretient le corps médical face au contrôle de la mort et l'exercice du pouvoir décisionnel. À de multiples reprises, ces documents affirment avec autorité ce qui, aux yeux des auteurs, vaut la peine de débattre et ce qu'il faut éviter de discuter. Tout en faisant valoir l'importance du dialogue, on impose les sujets de discussion.

Ainsi, l'introduction du rapport du Groupe de travail en éthique clinique précise: «Dans la littérature et sous l'éclairage médiatique, les questions de l'acharnement thérapeutique et de la futilité de traitements ont été bien davantage traitées, voire exploitées que celles des points appropriés. À force de ne parler que des cas d'acharnement de médecins et des réclamations futiles des patients, on accrédite l'impression que les soins sont très souvent inappropriés. Plutôt de mettre l'accent sur le seul excès à éviter, n'est-il pas préférable d'aborder ces questions de façon plus actuelle, plus dynamique et plus prometteuse, c'est-à-dire dans la perspective des soins appropriés? D'autant plus qu'il semble bien que les soins prodigués sont également jugés comme appropriés par différents acteurs.» Bref, le sujet de l'acharnement est clos.

**(18 heures)**

Le Collège présente une position extrêmement ambiguë en ce qui a trait aux assises sur lesquelles l'encadrement légal de l'euthanasie devrait reposer. On peut lire: «Or, le cadre que nous proposons veut que les médecins soient prêts à partager le pouvoir décisionnel avec les patients et leurs proches et partager certaines responsabilités avec les autres intervenants.» Par la suite, on y lit: «Plutôt que les inciter à abdiquer une large part de leurs responsabilités, les éventuelles modifications législatives devraient permettre aux médecins de prendre toutes leurs responsabilités dans ces situations difficiles. Si l'euthanasie doit être permise, il faudrait qu'elle le soit à titre d'acte médical et dans une logique de soins. Dans cette logique, ce n'est pas seulement le patient qui décide, ni le médecin d'ailleurs, et encore moins la loi.» Je ferme la citation.

Cette position illustre le droit de veto que souhaite conserver le corps médical face à l'euthanasie. Le pouvoir décisionnel des malades, qui souvent est associé à la possibilité de refuser des traitements, n'a aucune utilité lorsqu'il s'agit d'euthanasie puisque le corps médical ne peut pas proposer l'euthanasie mais uniquement répondre à une demande. Les personnes qui réclameront l'euthanasie ne pourront pas voir leur demande prise en compte si celle-ci n'entre pas dans le cadre médical proposé. Ce cadre est circonscrit ainsi: dans la situation exceptionnelle où la mort est imminente et inévitable, il pourrait être approprié de vouloir écourter l'agonie.

De plus, dans les avenues explorées par le Collège concernant l'encadrement juridique du processus décisionnel, il précise: Il faudrait voir si, en précisant le fait que les médecins ne sont pas tenus de donner personnellement suite aux volontés des patients, on ne pourrait pas compléter l'encadrement des soins et le rendre applicable à la question de l'euthanasie. Pour le dire autrement, il faudrait voir s'il ne faut pas éventuellement apporter dans la loi une réponse à la question des soins futiles, cette réponse étant le refus de traiter.

Tout comme le refus de traitement était en quelque sorte une réponse à la question de l'acharnement des médecins, le refus de traiter serait une réponse à la question des soins futiles. Ces dernières précisions doivent être bien comprises par la population, car elles impliquent que les attentes de ceux qui revendiquent l'euthanasie risquent d'être fort déçues.

Le Collège présente la question à débattre ainsi: quand un patient fait face à une mort imminente et inévitable, devrait-il être permis à un médecin qui le jugerait approprié de répondre à la demande d'abréger ses jours? Et, si oui, dans quelles conditions? Il ajoute: déjà, la présente est... Pardon! «Déjà, la réponse à cette question n'est pas simple, nous en convenons, et nous saluons le courage des élus à vouloir l'aborder. Nous proposons quand même de commencer par ce questionnement en refusant que l'on contourne par le biais de propositions faisant déjà consensus au Québec, comme celle de rendre les soins palliatifs plus accessibles.» Le Collège semble vouloir ignorer les liens évidents sur le plan clinique entre l'offre de service en soins palliatifs et l'euthanasie.

Le document du Collège précise encore: «La question soulevée par l'euthanasie n'est pas de savoir si les choix des patients doivent toujours être respectés, mais si, à cette demande, une réponse favorable du point de vue de l'éthique médicale est possible.» Cette question ouvre toutefois la porte à toutes sortes de dichotomies qui empêchent d'y répondre: celle de l'autonomie des patients versus la bienfaisance du médecin; celle de la qualité de vie versus le maintien de la vie à tout prix; celle des soins palliatifs versus l'euthanasie.

Je suis profondément perplexe, membres de la commission, face à ces affirmations qui sous-entendent insidieusement, à différentes reprises, que les soins palliatifs est la réalité qui empêche d'avancer vers la pratique de l'euthanasie. Ce discours plus implicite qu'explicite de la part du Collège m'interroge sur la manière dont il s'acquitte de sa mission telle qu'il la précise dans le mémoire qui vous a été remis, c'est-à-dire: «La mission du Collège des médecins est de promouvoir une médecine de qualité pour protéger le public et contribuer à l'amélioration de la santé des Québécois.»

En choisissant d'écarter volontairement la question de l'acharnement thérapeutique et en voyant les soins palliatifs comme étant une réalité qui freine l'accès à l'euthanasie, je suis forcé d'admettre que, pour le Collège des médecins, la question de mourir dans la dignité ne fait pas partie de son agenda politique.

Je trouve racoleur que le Collège se donne le rôle d'être l'élément déclencheur de la réflexion sur l'euthanasie, alors qu'il esquive sciemment ce qui pourrait contribuer à rehausser la qualité des soins pour les personnes en fin de vie. Qu'est-ce que fait concrètement le Collège des médecins pour améliorer la fin de vie des citoyens, à part de parler de la notion des soins appropriés et d'afficher de l'ouverture face à la légalisation de l'euthanasie? Et, lorsqu'on y regarde de plus près, on est forcés d'admettre que l'ouverture est plutôt obtuse.

Sachez, membres de la commission et vous, citoyens, que, si certains Québécois ont la possibilité de mourir aujourd'hui dans des conditions plus décentes, c'est que des citoyens de différents milieux, bénévoles ou exerçant différentes professions et métiers, ont contribué depuis plus de 30 ans au développement des soins palliatifs. Sachez aussi que ces personnes ont oeuvré souvent dans des conditions difficiles et ont eu à faire face aux attitudes méprisantes de ceux pour qui l'efficacité des résultats est le seul et unique barème pour évaluer la valeur d'une action ou d'une réalité.

Le pire résultat qui pourrait émerger de cette commission serait d'isoler les soins palliatifs dans ce débat sur l'euthanasie. Certes, les réserves de ceux qui travaillent en soins palliatifs apportent souvent une note discordante dans ce débat sur l'euthanasie. Il ne faut pas avoir peur de la différence, car ce sont les rapports que nous entretenons avec ceux qui sont différents de nous qui révèlent souvent l'humanité qui nous habite. Les personnes qui travaillent en soins palliatifs doivent aussi être capables de cultiver cette même attitude d'ouverture. Je termine bientôt.

Je n'ai pas le temps de vous partager le questionnement extrêmement concret que je porte en regard de la notion de soins appropriés et de son arrimage avec la pratique des soins palliatifs. J'aurai peut-être l'occasion de l'aborder à la période des questions.

En conclusion, face à la question de l'euthanasie, j'ai l'habitude de dire que je ne suis pas là pour empêcher l'histoire de s'écrire. Je n'ai pas voulu aujourd'hui esquiver le débat sur l'euthanasie en vous partageant mes préoccupations concernant l'acharnement thérapeutique, le vieillissement de la population et encore moins en me montrant très critique par rapport aux opinions du Collège. Ce que je souhaite surtout, c'est de participer à une meilleure compréhension des attentes de la population face aux services qui sont offerts en fin de vie.

J'espère que l'expérience humaine de la souffrance associée à la fin de vie, qui de plus en plus est vécue à un âge avancé, puisse participer malgré tout à constituer une société meilleure, une société qui s'adapte positivement aux différents changements auxquels elle est confrontée. J'ai fini mon sermon...

Le Président (M. Kelley): Merci. Merci beaucoup, Dr Marcoux. On va passer à une période d'échange avec les membres de la commission, deux blocs de 18 minutes. M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Bonjour, Dr Marcoux. Bienvenue aux travaux de cette commission parlementaire. Vous me posez un défi de taille. J'ai de la difficulté à cerner votre point de vue. J'ai entendu, là, et j'ai suivi avec attention votre intervention, mais j'essaie de comprendre votre propos, de le cerner et de voir dans quel contexte il s'inscrit.

Vous relevez des contradictions dans le document du Collège des médecins. Vous dites que vous êtes très critique par rapport à leur position. Vous auriez souhaité qu'ils parlent davantage de rehausser la qualité de soins des patients en fin de vie. Au début de votre intervention, vous nous avez parlé du problème du vieillissement de la population d'un point de vue étatique. Vous avez également pris le temps de citer les données en Belgique concernant les demandes d'euthanasie, avec des statistiques. J'essaie de voir quel est le lien que vous faites entre tout ça, pour éclairer les membres de la commission.

J'essaie de retirer le maximum de votre expertise, de votre témoignage, mais j'ai de la difficulté, là, à mettre la main sur l'essentiel de votre propos, les liens que vous faites. Pouvez-vous m'éclairer davantage peut-être, de nous parler directement?

M. Marcoux (Hubert): Avec plaisir. Ce que j'ai tenté de partager à la commission, c'est de voir que la demande d'euthanasie s'inscrit dans une société. Évidemment, vous avez entendu largement le plaidoyer en faveur de mourir et, en termes d'un droit que l'on a, à un moment donné ou l'autre, de disposer de sa vie. Ça fait partie du débat, ça fait partie du discours juridique qui va autour de cette question-là.

Ceci dit, la question de l'euthanasie ne peut pas se dissocier de l'offre de services et de comment aujourd'hui on intervient auprès des malades. Donc, d'une part, dans un premier point, j'essaie de faire ressortir que l'acharnement thérapeutique est une source de... une expérience collective qui amène les gens à avoir peur de la médecine et à vouloir se prémunir contre les abus qu'elle peut avoir à certaines occasions.

M. Ouimet: ...je vous interromps. Faites-vous un lien entre ça et l'euthanasie, l'acharnement thérapeutique?

**(18 h 10)**

M. Marcoux (Hubert): Oui. Je fais un lien, parce que les gens veulent l'euthanasie à 80 % et très peu la demandent. S'ils le souhaitent, c'est à partir d'un préjugé, un préjugé qu'ils se fondent sur une expérience. Quand ils sont... plusieurs vous ont sûrement dit que, quand les gens sont rendus vraiment à l'étape de leur fin de vie, souvent, leur adaptation ou leur mode de gestion de la crise que représente le fait de mourir se fait différemment, et les plus militants peuvent devenir ceux qui vont accepter de passer à travers la réalité du mourir.

Alors, aujourd'hui, si les gens s'inquiètent tant de leur fin vie... Parce que, derrière l'euthanasie, personnellement, moi, j'y vois, et on le dit d'ailleurs, les gens vous l'ont certainement raconté, qu'une fois que les gens, des fois, sachent qu'ils pourraient avoir cette porte de sortie, leurs inquiétudes se calment. Il y a énormément d'anticipation, d'appréhension, mais l'appréhension, l'anticipation, ce n'est pas une vue de l'esprit, ça se construit sur une réalité. Que ce soit la réalité de voir des personnes âgées et d'avoir peur d'un jour d'être rendu dans cette réalité-là à notre propre tour, que ce soit d'avoir été visiter des gens à l'hôpital et de dire: Mais à quoi ça rime, tout ça? C'est à partir de toute cette réalité que se construit la demande d'euthanasie.

Maintenant, moi, ce que je dis: Je ne suis pas là pour empêcher l'euthanasie d'arriver dans notre société. Cependant, j'aimerais que ce soit une décision éclairée et libre, et pas un choix par dépit, ou bien qu'on en arrive là parce qu'on a accepté des traitements sans jamais être au courant de où on s'en allait. Parce que vous avez fait référence tantôt avec Dr Roy, la question, hein, de savoir, de connaître son état. Si vous écoutez les gens qui vous entourent qui fréquentent les milieux de soins, multiples sont les situations où, d'abord, les gens sortent du cabinet et n'ont pas trop compris de quoi ça retourne. Pas étonnant, dans des milieux comme l'oncologie, les entrevues durent cinq minutes, et, dans leur mode de pratique, ce n'est jamais le même oncologue qui revoit le client.

Alors, comment voulez-vous prendre des décisions éclairées dans un tel contexte? Alors, arrêtons de vouloir faire de cette réalité-là une idée idéologique en termes de droit de la personne et regardons en termes de liberté fondamentale: Est-ce que les gens choisissent vraiment les soins qu'ils veulent, les traitements, et on arrivera à la question de l'euthanasie une fois que les gens seront peut-être capables de choisir. Qu'on leur donne une vrai... une véritable possibilité de choisir. Est-ce que je suis un petit peu plus clair?

M. Ouimet: Ce que je comprends, vous dites: Moi, je ne suis pas là pour empêcher l'histoire de s'écrire...

M. Marcoux (Hubert): Non.

M. Ouimet: ...je décode par ça que je ne m'oppose pas à ce que les patients puissent avoir recours à l'euthanasie.

M. Marcoux (Hubert): Personnellement, je pense que ça a peu d'importance ce que je peux en penser personnellement. Je ne suis pas capable de poser un geste d'euthanasie.

M. Ouimet: O.K.

M. Marcoux (Hubert): J'ai le droit à ça?

M. Ouimet: Oui.

M. Marcoux (Hubert): Parce que, dans ma vision de l'accompagnement, j'accepte de vivre une certaine impuissance. Ceci dit, il faut bien voir comment évolue l'opinion publique dans tous les pays industrialisés par rapport à cette question-là.

Alors, moi, j'ai l'impression qu'on ne pourra pas passer à côté. Bon. Maintenant, j'ai des appréhensions, et, quand je parle du vieillissement de la population, je n'ose pas faire référence à la pente glissante parce que c'est tellement un argument fallacieux, autant pour ceux qui la défendent que pour ceux qui disent que ça n'est pas possible parce que, moi, je n'ai pas de boule de cristal et je ne peux pas prédire l'avenir, mais je suis capable de lire certaines conjonctures qui, des fois, peuvent être favorables à amener, dans un courant idéologique, une justification d'ouvrir beaucoup plus largement la possibilité d'avoir recours à l'euthanasie parce que, de vieillir dans des conditions telles que ça se passe, avec les moyens qu'on a pour supporter ces gens très, là, vulnérables, peut-être vaut-il mieux mourir. Et, à ce moment-là, je pense que c'est faire preuve de naïveté que de penser qu'il n'y a aucun risque.

Ceci dit, je ne veux pas faire peur à personne, je fais juste dire qu'à mon avis il y a un risque, parce que dès aujourd'hui l'exclusion des personnes âgées existe, et au sein même de notre système de santé. Alors, je ne vois pas comment, plus tard, on ne pourrait pas se sentir justifiés de procéder à une ouverture plus large à l'euthanasie. D'ailleurs, le Collège dit que la faiblesse de la législation dans les Pays-Bas est le fait qu'une fois que les gens ne sont plus en mesure de le demander, qu'ils ne puissent pas y avoir accès, en faisant une question d'injustice entre ceux qui l'expriment avant puis ceux qui ne l'ont pas fait assez tôt et qui sont pris avec la résultante qu'ils ne peuvent pas avoir accès à ça.

Pour ma part, je ne sais pas s'il s'agit là d'une injustice intolérable. Je pense être témoin d'injustices beaucoup plus grandes au quotidien.

M. Ouimet: Dans le fond, sur l'argument de la pente glissante, vous dites: Il ne faut pas être naïf et penser que les risques n'existent pas. Ça dépend des circonstances, ça dépend de l'évolution...

M. Marcoux (Hubert): Ça dépend de la société dans laquelle on vit...

M. Ouimet: Oui.

M. Marcoux (Hubert): ...de l'idéologie qui l'anime et aussi des données sociodémographiques dans lesquelles on baigne.

M. Ouimet: Oui.

M. Marcoux (Hubert): Et on est, je le répète, vous l'avez peut-être entendu, on est dans un moment inédit dans l'histoire de l'humanité par rapport au vieillissement de la population. Il n'y a pas personne qui peut prétendre... et qui peut se référer à d'autres moments dans l'histoire où on s'est retrouvés dans le même contexte. Partant de là, ça m'appelle... ça devrait nous amener à être plus modestes dans nos prévisions futures.

M. Ouimet: Et vous avez dit tantôt, Dr Marcoux, qu'on dirait qu'il y a un... Les patients sont en quelque sorte rassurés lorsqu'ils savent qu'ils ont recours à l'euthanasie, que l'euthanasie est disponible. Ça les rassure. Ils n'en feront pas nécessairement la demande, mais il y a comme un facteur d'apaisement lorsqu'ils savent que c'est possible. Comment conjuguer les deux?

M. Marcoux (Hubert): Permettez-moi de me référer maintenant à mon expérience clinique et sortir des anticipations théoriques. J'ai déjà eu évidemment des demandes, et j'ai le souvenir d'un... En fait, je me rappelle, je pense, de toutes ces demandes-là, parce qu'elles ne sont pas très fréquentes, et elles sont toujours marquantes.

Mais l'une de ces demandes-là étaient de la part d'un monsieur qui était cultivateur, que je visitais à domicile, qui était anciennement cultivateur puisqu'il était à la retraite, et que je voyais semaine après semaine pour une phase terminale d'un cancer. Et, à un certain moment, il a commencé à me dire qu'il souhaiterait que ça se termine. Il ne s'agissait pas d'un patient extrêmement souffrant, les douleurs étaient bien contrôlées, mais il trouvait ça difficile de vivre cette perte d'autonomie là. C'est un patient qui était quand même âgé et avait d'autres conditions cliniques qui faisaient qu'il aurait pu facilement arrêter certains traitements qu'il prenait au quotidien et que sa vie se serait probablement raccourcie assez rapidement. Mais il souhaitait toujours cette... il m'arrivait toujours avec cette demande-là, qu'il aimerait qu'on l'aide à mourir. Et quand j'allais le visiter, il était toujours assis dans son fauteuil, dans la cuisine. Et un jour, j'étais là et il y avait son fils qui habitait à l'extérieur qui, devant la demande de son père, me disait: Vous savez, mon père est un cultivateur. Si un cheval souffrait, on l'abattait. Et il y avait l'autre fille, qui était au quotidien présente à son père et qui essayait de le soutenir dans cette perte d'autonomie là l'amenant vers la mort.

Alors, moi, ce que j'ai dit au monsieur, j'ai dit: Si je pouvais vous dire que vous allez être mort dans 10 jours, est-ce que vous accepteriez de continuer? Il dit: Oui. Ce qui est difficile, c'est d'être devant l'inconnu, de ne pas savoir comment... jusqu'où tout ça va aller, de ne pas savoir si on va être tout seul un moment donné ou pas. Et ça l'avait vraiment... Si j'avais pu lui garantir ça, ça l'aurait beaucoup apaisé. Je n'étais pas en mesure de le faire, même si j'avais des raisons, je dirais, valables de penser qu'il n'en avait pas pour très longtemps. Mais ce que je lui ai dit: Vous savez, ce serait peut-être le temps d'aller vous coucher dans votre lit au lieu de rester toujours assis, puis peut-être de commencer à vous laisser aller vers la fin. Cette personne-là est morte en moins de 10 jours. Je ne pouvais pas lui garantir qu'il serait mort dans 10 jours, mais l'incertitude du comment et du quand était très difficile à vivre.

Est-ce que c'est la seule fois dans l'histoire d'une personne où on se retrouve dans l'incertitude du quand et du comment? Est-ce que, parce qu'on est en train de mourir, l'incertitude du quand et du comment devient ingérable? Je suis sûr que, vous tous, vous vivez des situations dans lesquelles vous ne savez pas comment les choses vont évoluer et que vous trouvez ça difficile. C'est normal. Est-ce que ça justifie l'euthanasie? Ma réponse, c'est non.

**(18 h 20)**

M. Ouimet: Bien. Alors, ça va pour moi, M. le Président. Merci, Dr Marcoux.

M. Marcoux (Hubert): Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, merci, Dr Marcoux. Vous avez dit d'entrée de jeu que ce serait un témoignage très personnel, et je l'apprécie. On sent que c'est très personnel et très senti, et, pour nous, c'est d'autant plus, je dirais, éclairant.

Moi, je voudrais peut-être délaisser... On a beaucoup parlé des questions d'euthanasie, et on a fait le tour beaucoup des arguments, et tout ça. Peut-être la seule chose... en fait, même pas, hein? Je vais délaisser la sphère de l'euthanasie, pour ma part, pour aller plus dans d'autres questions que vous avez abordées, je pense, qui sont très importantes.

En fait, vous avez parlé qu'il faudrait aussi se questionner beaucoup sur pas juste le mourir dans la dignité, mais la vie dans la dignité. Et comme notre président dirait: Ce sera pour une autre semaine que cette commission sur la vie dans la dignité. Mais je veux quand même vous entendre, de par votre expérience, je pense, assez imposante dans le domaine, sur toute la relation patient-médecin.

Tantôt, vous avez dit quelque chose d'assez troublant qu'on a entendu un petit peu, et je pense qu'on voit, qui se vit: c'est à quel point encore il y a des tabous dans la relation peut-être patient-médecin, et que le médecin même ne dit pas tout nécessairement à son patient, et que même d'avoir une pleine connaissance de son état, pour le patient, ce n'est pas un droit acquis.

J'aimerais ça que vous élaboriez un petit peu là-dessus et que vous nous disiez, selon vous, pourquoi il y a tant de réticence du corps médical ou de certains médecins à parler ouvertement de ces choses-là, quand, je pense, qu'en psychologie, hier, on a eu des psycho-oncologues qui nous ont dit que... que la clé, c'était sans doute aussi la qualité de l'accompagnement, du dialogue et de la confiance.

Pourquoi il y a tant de réticence? Est-ce que c'est un problème de formation des médecins? Est-ce que c'est parce que les propres valeurs, ou les propres craintes, ou les propres réalités des médecins, leurs tabous à eux entrent trop en ligne de compte? Qu'est-ce qui fait en sorte qu'on n'est pas capable d'avoir une pleine confiance ou une pleine ouverture dans la relation?

M. Marcoux (Hubert): Mais vous savez, la relation, c'est complexe et simple. Une des conditions d'une bonne relation, c'est le temps, et c'est aussi d'être dans une disposition où on se met vraiment à l'écoute des gens, et aussi notre interlocuteur accepte qu'on affiche une certain incertitude. Alors, si un malade a des attentes trop élevées par rapport à ce qui va lui arriver, peut-être vaut mieux ne pas du tout parler des différents scénarios possible. Cependant, il y a possibilité, quand on prend le temps, de faire valoir ce qu'il est possible qu'il arrive comme situations, à condition que le patient démontre la capacité de recevoir les choses, parce que ça, ça fait partie aussi d'habiletés. L'annonce d'une mauvaise nouvelle, ça s'apprend.

Il va y avoir, à ce moment-là, un dialogue qui peut se créer et qui fait en sorte que les gens vont être capables d'entendre vraiment ce qui est très difficile à entendre. On banalise tellement ce que ça représente que de rencontrer un médecin et de sortir avec un diagnostic, que ce soit de cancer ou de sclérose en plaques. Moi, je suis toujours troublé, quand il arrive un drame dans une école, on dépêche les psys pour faire ventiler tous les jeunes. À tous les jours, il y a des gens qui ressortent d'un bureau de neurologue, qui apprennent qu'ils ont une sclérose en plaques, souvent, c'est des jeunes mères de famille, et ils s'en vont chez eux avec un petit carton disant: Prochain rendez-vous à ou une résonance magnétique dans trois mois.

Bref, toute cette question-là n'est pas juste une question de communication... est une question de pensée technique. La pensée technique a imposé son rythme à la pratique médicale et l'impose encore à travers la question de l'euthanasie. Et, à partir de ce moment-là, on vit une apparente impuissance, mais je pense qu'il y a le moyen de s'en sortir, parce que sinon on serait condamnés à la désespérance et ça serait assez triste merci.

La principale problématique, c'est qu'on est dans un... dans des pratiques médicales, actuellement, desquelles on n'apprend pas. Pourquoi on n'apprend pas? Parce que c'est comme un écosystème où il n'y a pas de rétroaction. On pose des gestes sur des individus qui vont, à un certain moment donné, quitter le milieu et aller mourir ailleurs, et jamais on va revenir pour voir qu'est-ce qui s'est passé, qu'est-ce qu'on aurait pu peut-être faire autrement, etc.

Évidemment, ce n'est pas possible de passer à la loupe tous les cas, mais moi, je ne comprends pas que des gens peuvent être hospitalisés six mois dans des hôpitaux et que jamais on s'assoit, médecins et autres professionnels, pour dire: Les décisions qu'on a prises, est-ce que c'étaient les bonnes? Est-ce qu'on aurait pu faire autrement? Est-ce que tout ça, qui a finalement quand même amené un décès, aurait pu s'arrêter bien avant? Alors, c'est un système qui est comme ça, qui n'a pas de rétroaction.

Alors, comme société, mon propos, qui semblait loin tantôt peut-être avec l'histoire de l'acharnement, me fait dire que, si on n'utilise pas notre capacité à réfléchir pour regarder et apprendre de toutes ces situations qui, de l'avis de la population, est de l'acharnement...

Parce que vous savez, l'acharnement, ce n'est pas un jugement médical, c'est un jugement extérieur, et c'est un jugement qui arrive souvent a posteriori. Et la réalité bien humaine, c'est qu'on dépasse... on sait seulement qu'on a dépassé les limites une fois qu'on les a dépassées. On ne le sait pas auparavant.

Alors, si on ne sait pas utiliser les situations où quelqu'un nous dit: Aïe, là! Vous vous acharnez, on ne pourra pas apprendre. Et c'est pour ça que je suis si dur avec le Collège. Je suis très dur avec le Collège parce que lui qui est responsable de protéger la population et de voir à la qualité des soins a fermé la porte au seul moyen qu'il aurait de tenter de comprendre l'expérience actuelle de la médecine et de peut-être éviter des dépassements.

Et je suis profondément mal à l'aise quand on avance la réponse de l'euthanasie à ce que, moi, je vois comme étant un problème beaucoup plus profond de notre société. Et oui, il y a un risque de dérapage. Les conséquences, je ne le sais pas, je n'ai pas une vision d'apocalypse à faire passer, mais, si on ne pense pas, si on ne réfléchit pas sur notre action, je pense qu'on est en situation très difficile.

Et vous le savez mieux que quiconque que l'augmentation des coûts de la santé est la situation la plus épineuse sur le plan politique. Maintenant, si on veut s'en sortir, il va falloir un jour se parler des vraies affaires. Et, si on refuse de parler des vraies affaires, bien, moi, je dois dire que je suis pas mal choyé de la vie d'être un professionnel bien payé.

**(18 h 30)**

Mme Hivon: Bon. Alors...

M. Marcoux (Hubert): Est-ce que je réponds à votre question?

Mme Hivon: Oui, et beaucoup plus.

M. Marcoux (Hubert): Trop?

Mme Hivon: Et beaucoup plus. Alors, je vais revenir sur vraiment plus les questions de fin de vie, puis je trouve ça intéressant.

M. Marcoux (Hubert): Mais vous comprendrez que tout ça est lié, hein?

Mme Hivon: Non, non, tout à fait, mais je veux dire, moi, parce que la question que je vous ai posée était moins directement liée. C'est tout... puis je vais ramener un peu la question de l'euthanasie puis, vous voyez, je ne suis pas capable de... c'est... Mais tout d'abord c'est toute la question de la souffrance morale, ou existentielle, ou psychologique et la place qu'on y fait et qu'on y accorde en médecine de manière traditionnelle.

Je comprends qu'il y a certains acteurs, certains pans, certaines spécialisations qui la reconnaissent de plus en plus, mais quelle place on lui laisse hors, je dirais, spécialistes des soins palliatifs, parce qu'il y a quand même des gens qui nous ont dit qu'ils étaient ici, des médecins qui nous ont dit qu'ils étaient ici pour traiter thérapeutiquement, et que la souffrance existentielle ou morale, ce n'est pas une condition thérapeutique. Donc ça, j'aimerais vous entendre sur la place que l'on fait en fin de vie à la reconnaissance de la souffrance morale et existentielle.

Et ça m'amène sur le deuxième volet de ma question qui est, puis vous avez l'air très, très, je dirais, conscient de la réalité de l'acharnement thérapeutique, et on pense acharnement thérapeutique en termes de l'acharnement thérapeutique physique souvent, mais est-ce qu'on ne peut pas dire qu'il peut aussi y avoir des formes d'acharnement thérapeutique psychologique ou moral, et certaines des personnes qui défendent le droit à l'euthanasie, c'est un de leurs arguments enfin, là, pas nécessairement comme ça, mais de dire que jusqu'où on peut creuser les raisons puis analyser en fin de vie pour savoir si tous les dilemmes de la personne, toutes les relations sont correctes. Puis je donnais le cas d'une travailleuse sociale qui avait été appelée dans une équipe soignante pour dire: Cette personne-là demande à mourir, son conjoint est d'accord et il doit y avoir un problème là, tout ça.

Est-ce qu'il n'y a pas aussi une réalité possible en fin de vie pour des soignants qui ont de la difficulté ou qui voient ça comme un échec, une demande d'abréger sa vie, d'acharnement thérapeutique moral?

M. Marcoux (Hubert): Vous avez plus qu'une question, mais allons vers la... commençons par la dernière, l'acharnement moral. Dans l'histoire des soins palliatifs, il y a eu, entre autres, un auteur américain qui a présenté les stades d'adaptation à la mort, et ils ont été compris comme étant une espèce de crescendo où on allait mourir dans l'acceptation et tout était merveilleux, ce qui évidemment, à l'expérience, s'est démontré pas du tout une réalité. Moi, je pense que rares ceux qui acceptent de mourir, on s'y résigne plus qu'autrement, et qu'on s'acharne moralement, qu'on s'acharne à travers une pratique médicale interventionniste ou qu'on souhaite l'euthanasie, derrière tout ça, il y a toujours une question de contrôle -- de contrôle.

Personnellement, moi, j'espère éviter le plus possible l'acharnement moral parce que je n'ai pas l'attente que les gens qui meurent meurent avec le sourire. Je ne suis pas responsable de la vie des autres tant que ça; j'ai une part de responsabilité. Ce qui s'est construit pendant 20, 30, 60, 80 ans, il faudrait être profondément... le mot qui me vient est narcissique, mais omnipotent pour penser que j'ai le pouvoir de venir régler tout ça. C'est des petites choses qui peuvent se réaliser, mais ces petites choses là sont très importantes.

Et tantôt vous y avez fait référence, mais je veux y revenir, ce que j'ai appris des soins palliatifs, ce que les gens ont besoin, ce n'est pas d'aide à mourir, c'est de les aider à vivre cette étape-là de leur vie.

Ma conjointe, qui est travailleuse sociale, fait des visites à domicile. Elle ne fait pas de la psychothérapie, elle les organise pour qu'ils puissent vivre dans leur environnement. Puis c'est Maslow: hein, on ne peut pas arriver au ciel si les besoins de base ne sont pas rencontrés, si on se sent insécure, si on ne sait pas si les pilules, on les prend correct ou pas, si on ne sait pas s'il y a quelqu'un qui va passer. La première... le premier devoir est de favoriser des conditions de vie, les meilleures, qui amènent souvent un état plus favorable pour affronter la fin de vie.

Ceci dit, il y a des morts difficiles. Et c'est extrêmement difficile d'être à côté d'une personne qui meurt dans une très grande souffrance. Moi, en acceptant d'aller en médecine, j'ai accepté que ça faisait partie de la game. On ne voit pas tous ça pareil. Ça me désole cependant quand on vous dit que, le rôle du médecin, c'est de traiter, parce qu'on est à mille lieues de ce que c'est, à mon avis. Et la souffrance n'est pas juste en fin de vie. Et ce qui est souffrant pour l'un, si on le juge à partir de nos propres lunettes, on passe à côté, parce qu'il y a des choses qui semblent tellement banales et pas importantes du point de vue de l'un et qui prennent beaucoup d'importance d'un autre oeil.

Alors bref, de participer à essayer de remettre les gens dans un équilibre, ce qu'on appelle la santé. La santé en fin de vie, c'est d'être capable de n'être pas trop souffrant, de maintenir un état psychologique où on ne se fragmente pas, bien c'est ça, notre rôle, et on peut le faire avec la médication. J'avais pensé vous amener qu'il y a des... les livres en soins palliatifs, là, il y avait une petite affaire ça d'épais dans les années quatre-vingt-dix, qui a épaissi, qui a épaissi, qui a épaissi. Ça, c'est toutes les recettes pour que le monde soit heureux avant de mourir.

J'ose dire que ce ne sont que des recettes et que, ce que les gens vont... ont encore des fois plus de besoin et que la société ne leur donne pas, parce que, les pilules, c'est ce qu'on paie, c'est du support psychologique. Il y a une psychologue que vous connaissez, Johanne de Montigny, probablement, disait qu'un jour, en rencontrant une malade, où elle se présentait comme étant celle qui allait... qui était psychologue, qui faisait partie des soins palliatifs, s'est fait répondre: Mais, vous, là, où vous étiez quand on m'a dit que j'avais le cancer, quand je l'ai appris? Où vous étiez après mes traitements? J'avais besoin, puis personne n'était là. Puis là vous m'arrivez en fin de vie.

Personnellement, je pense que, si on n'avait plus ce type de ressources là, il y aurait moins de gens qui prendraient des traitements et qui seraient prêts à vivre deux semaines de plus en vomissant ou en étant extrêmement faibles, parce qu'ils ont l'impression que, s'ils ne prennent pas ça, il n'y a rien d'autre. J'appelle ça la médecine de la désespérance. Et ça, ça coûte pas mal plus cher qu'un psychologue.

Le Président (M. Kelley): Ça va. Merci beaucoup, Dr Marcoux, pour un témoignage qui était à la fois très personnel, mais très humain. On est là pour regarder ces moments, qui sont les moments forts dans la vie. Alors, merci beaucoup pour le partage de votre expérience et vos sages conseils avec les membres de la commission.

Sur ça, je vais suspendre quelques instants. Et, après ça, on va entendre notre dernier témoin.

(Suspension de la séance à 18 h 39)

 

(Reprise à 18 h 52)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Et on arrive. Premier message: Merci beaucoup à notre prochain témoin, qui a accepté de témoigner tout de suite plutôt qu'attendre l'horaire prévu, qui était 19 h 30.

Alors, le prochain témoin, c'est Mme Diane Demers, qui est la directrice du Département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal. Alors, merci beaucoup premièrement pour votre disponibilité. Et maintenant, vous avez un droit de parole d'une vingtaine de minutes, suivi par une période d'échange avec les membres de la commission. Mme Demers.

Mme Diane Demers

Mme Demers (Diane): Alors, merci, M. le Président. C'est avec énormément de plaisir que j'ai répondu à cette invitation. C'est un sujet qui me préoccupe depuis cinq ans et un peu plus. J'ai eu l'occasion d'être invitée dans de nombreuses rencontres avec des citoyens, c'est-à-dire organisées par exemple par l'AFEAS ou d'autres organismes semblables, et de pouvoir constater que c'est une préoccupation, comme vous aurez probablement l'occasion de le voir, qui est très, très, très présente dans la société.

Ces invitations, en ce qui me concernait, étaient essentiellement de présenter l'état du droit. Et évidemment ça donnait lieu à des situations très difficiles pour beaucoup de gens de constater que, dans l'état du droit actuel, on ne peut que refuser un traitement, à toutes fins utiles. La place du patient, si je peux utiliser cette expression-là, dans le cadre du débat qu'on regarde, autrement dit la place de la personne elle-même semble être un peu évacuée. On a plutôt tendance à le regarder dans la perspective des professionnels intervenants.

Alors, c'est un peu pour ça que, dans mon mémoire, ce que je vous propose, c'est de regarder le rôle de l'État, mais à partir de la situation qui consiste à reconnaître le droit à la liberté dans notre société. Et en même temps, on est toujours un peu confronté, comme État, entre assurer le respect de cette liberté et, de l'autre côté, assurer la sécurité des personnes.

Bon, pour ma part, j'ai développé une spécialité dans l'analyse, c'est celle de la modélisation. C'est un peu pour ça que, ce que j'ai fait, c'est de regarder les modèles existants pour vous présenter ces modèles-là, un peu parce que, quand on regarde le droit, de façon générale on peut le regarder de deux façons: soit de regarder la loi existante et son application, donc jurisprudence et doctrine qui se développent, ou on peut regarder le droit existant dans une perspective plus large, c'est-à-dire une perspective de droit comparé. C'est un petit peu ce que je vous propose également dans la réflexion que j'ai amenée devant vous.

Alors essentiellement, il fallait partir avec les mêmes prémisses, c'est-à-dire dans des sociétés libres et démocratiques qui reconnaissent le droit à la liberté. Qu'est-ce que ça veut dire, le droit à la liberté? Dans chacune de ces sociétés-là, on trouve beaucoup d'écrits qui viennent reconnaître que, par rapport aux décisions de fin de vie, le droit à la liberté, c'est de reconnaître le droit au choix exprimé par une personne quant à la fin de sa vie.

Alors, c'est dans cet esprit-là que j'ai regardé les pays ou les États où on est allés jusqu'à adopter une législation qui permet de rencontrer ce respect, si je peux dire, de la liberté d'une personne, autrement dit, d'aller vers la possibilité pour quelqu'un, le droit reconnu, d'exprimer son choix de fin de vie.

Ces modèles-là, il y en a trois existants, à toutes fins utiles, dans les pays qui sont concernés. Il y a le modèle des États américains, qui est un modèle qu'on appelle le suicide assisté, mais je fais attention. Il ne s'agit pas essentiellement de suicide assisté, mais bien de suicide médicalement assisté. Je pense que c'est très important de prendre note de ceci parce que ça distingue le suicide en question du suicide qui découle d'une maladie ou d'une difficulté intellectuelle de quelqu'un. C'est véritablement une situation qui sera gérée en rapport entre la personne qui veut pratiquer le suicide et le médecin qui prescrira le médicament en question.

Le suicide médicalement assisté emporte également une autre chose, c'est-à-dire que le rapport du médecin à la personne qui demande le médicament est nécessairement organisé. Il n'est pas simplement un rapport dans un cabinet de médecin à un moment donné dans la consultation, mais bien dans une période de temps donnée, dans la nécessité pour ce médecin de discuter avec la personne pour voir quelles sont les raisons, d'avoir un diagnostic posé, d'avoir un pronostic qui en découle, et donc d'être dans une situation constatée, confirmée, y compris la capacité de cette personne d'exprimer son choix. Donc, le modèle du suicide médicalement assisté qu'on retrouve dans l'État de l'Oregon, dans l'État de Washington, et qui est reconnu par ailleurs, j'en ai fait mention dans le mémoire, par la jurisprudence du Montana où on a appliqué les mêmes règles pour reconnaître que, même dans cet État où il n'y a pas de loi spécifiquement sur le suicide assisté, mais où on peut reconnaître, en vertu de la loi criminelle, la possibilité pour quelqu'un de consentir à se donner la mort et également d'obtenir le médicament du médecin.

Alors, dans cette décision-là, très récente, du Montana, on arrive à la conclusion que la pratique, telle qu'elle a été faite entre ce patient et ses médecins, a conditionné le résultat, et donc a permis de reconnaître qu'on est dans une loi qui respecte la dignité de la personne dans ses choix, dans sa liberté et que le médecin, en conséquence, n'a agi qu'en fonction de l'expression de la volonté du malade. C'est un modèle.

À côté de ça, on a un autre modèle de suicide, c'est celui de la Suisse. Mais, en Suisse, on peut véritablement parler d'un suicide assisté et non pas médicalement assisté, ce qui apporte une certaine différence qui est importante à comprendre. Il faut d'abord savoir que le modèle suisse existe depuis plus de 60 ans. C'est une disposition du Code criminel qui ouvre la porte à la non-criminalisation d'un acte dans la mesure où il s'agit véritablement d'un suicide auquel on a participé de manière non égoïste, c'est-à-dire, autrement dit, il n'y a pas de motifs économiques, il n'y a pas de motifs personnels de vengeance ou quelles que soient les raisons. Si on apporte une aide à la demande de quelqu'un pour lui permettre de se suicider, on considère qu'il s'agit d'une situation de suicide sans motifs égoïstes, donc la personne ne peut pas être poursuivie.

C'est un modèle aussi qui, en ce moment, bon, évidemment, en date du 1er mars, la consultation sur les modifications au Code pénal est terminée, mais je n'ai pas pu, je vais être honnête avec vous, obtenir les résultats de cette consultation-là; ce n'est toujours pas disponible, mais la consultation est terminée depuis le 1er mars.

**(19 heures)**

Pourquoi est-ce que la Suisse est arrivée à se poser la question: Doit-on modifier notre Code pénal? Parce que, dans l'assistance au suicide, dans le modèle suisse, ça peut être proposé par une organisation qui apporte l'aide. Il faut comprendre une chose, c'est que le suicide ou l'aide au suicide, cette situation-là, elle existe partout, autant au Canada qu'ailleurs. Elle est généralement le fait de personnes qui sont rendues là dans leur vie et qui veulent absolument passer à l'étape du suicide sans pour autant pouvoir recourir à l'aide médicale, ce qui a comme conséquence, et on ne peut pas l'ignorer, c'est qu'on voit arriver des moyens extrêmement durs, extrêmement brutaux pour provoquer la mort de quelqu'un. Ça peut être par une arme à feu, ça peut être par une intoxication à des produits de gaz, ça peut être par un accident où on provoque volontairement notre voiture vers un mur. Ce sont des moyens extrêmement durs. Et ça existe. La noyade en est un autre. On en a vu passer ici. On en a tous entendu parler.

Donc, on ne peut pas ignorer, dans l'exercice de la liberté de la personne, que, si on n'a pas une loi, ou si on n'a pas un modèle qui permet à quelqu'un d'accéder à une aide médicale, on se retrouve dans une situation où on peut faire face à ce genre de suicide. C'est un peut ce qui s'est passé avec l'une des associations, en Suisse, qui s'appelle Dignitas, qui a accepté, comme la loi ne précise pas de moment où on peut accéder au suicide, l'association en question a décidé d'offrir le service même à des gens qui ne pouvaient pas bénéficier d'une prescription médicale, puisque ça ne se situait pas dans une perspective thérapeutique.

Alors, dans les circonstances, le moyen qui a été le plus, disons, le plus utilisé dans les derniers mois, dernières années, c'est le modèle de l'asphyxie par le ballon d'hélium. On comprendra que ça a provoqué, au niveau de la Suisse, une situation de controverse extrêmement présente, qui a amené, il y a un an, la Suisse à se poser la question: Est-ce qu'on doit légiférer pour encadrer les pratiques des associations ou organisations d'assistance au suicide? Les propositions des modifications au code pénal Suisse en ce moment, c'est ça qu'on veut viser. Il y a deux options sur la table. Il y en a une qui régularise les pratiques d'organisations d'aide au suicide, et l'autre option est de les interdire complètement dans l'assistance au suicide.

Ce qui ressort de l'ensemble de la documentation qu'on retrouve actuellement en Suisse, c'est que le modèle qui est privilégié par le conseil fédéral également, c'est celui de la gérance de ces organisations-là: autrement dit, d'établir des modalités de gestion des organisations. La formation des personnes qui assistent quelqu'un vers le suicide devrait être améliorée et devrait être régularisée par une pratique établie, de même que la nécessité qu'un médecin ait posé un diagnostic, ait posé une évaluation, autant sur la capacité intellectuelle de la personne de demander le suicide, que sur les raisons médicales que pourrait faire valoir la personne pour aller vers le suicide. Donc, c'est entre ces deux options-là.

Il semble que, d'après l'ensemble des documents disponibles actuellement et de la position des uns et des autres, autant au niveau des cantons qu'au niveau fédéral de la Suisse, on s'en aille vers la régularisation des pratiques des associations en question.

Donc, ce modèle-là est différent des autres parce que l'implication médicale est extrêmement réduite. Elle ne vient que dans le cadre d'une évaluation de la personne qui fait la demande de suicide, et, dans un deuxième temps, il est possible pour un médecin de prescrire un médicament, donc la liberté du médecin de prescrire le médicament qui conduira au décès. On prévoit également dans le projet de législation, c'est la recommandation de l'Académie suisse des sciences médicales, de déterminer quel serait le médicament qui serait prescrit. Donc, on est dans un modèle qui est en voie d'évolution vers à la fois la reconnaissance qu'on maintiendrait les organisations d'assistance au suicide, donc des personnes qui ne sont pas des médecins, qui accompagnent des personnes, mais avec une organisation beaucoup plus structurée, beaucoup plus régulée dans les pratiques.

Enfin, on arrive au troisième modèle, qui est celui des lois des pays du Benelux, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, qui parlent d'euthanasie. Dans le cas de ces pays-là, le modèle législatif mis en place, c'est définitivement l'adoption d'une loi spéciale qui vient créer en marge des lois médicales... autrement dit, ce n'est pas les lois professionnelles qui le font, mais bien une situation qu'on reconnaît comme étant une situation sous contrôle d'un médecin qui doit répondre à des conditions très particulières et, dans le cadre de cette application-là, on reconnaît qu'il ne s'agit pas d'un acte criminel.

La façon dont on procède, la loi belge particulièrement avec ses directives est plus intéressante, à mon avis, que celle des autres, puisqu'elle reconnaît le droit à l'anonymat dans cet exercice-là. Dans le rapport qui sera rédigé par le médecin, il y a deux volets dans ce rapport-là. Il y a un premier volet qui comporte, sous forme scellée, le nom du médecin, le nom du patient, les médecins qui ont été impliqués dans l'investigation pour déterminer si la personne est parfaitement capable de prendre les décisions qu'elle a prises, et quelles ont été circonstances qui l'ont amenée à faire ses choix. Ça, c'est la partie sous scellé. La deuxième partie, c'est la partie euthanasie elle-même, c'est-à-dire l'acte lui-même, comment a-t-il été posé, et répond-il aux exigences posées par la loi. Tout ça, c'est envoyé à une commission qui s'en saisit, qui n'ouvrira le document sous scellé que dans la mesure où ils ont besoin de parler au médecin ou d'avoir des informations additionnelles, soit à l'égard du patient, soit à l'égard des médecins impliqués.

C'est donc un modèle qui pose qu'il s'agit d'un geste totalement libre de la part du médecin, totalement libre de la part du patient, et qui permet de conserver cette information-là dans le dossier du patient, et uniquement communiquée sous forme anonyme à la commission, qui doit regarder plus l'acte qui a été posé: a-t-il toutes les considérations nécessaires pour en faire un acte non criminel.

Ce modèle-là est un peu celui qu'on retrouve au Luxembourg. C'est ce que le Luxembourg est en train de mettre en place depuis l'adoption de la loi du 16 mars 2009. Les Pays-Bas ont été plus loin, mais les Pays-Bas ont un exercice qui date de plus longtemps en arrière. Ça fait plus de 20 ans qu'aux Pays-Bas on vit cette situation, et les tribunaux ne reconnaissent pas la responsabilité d'un médecin qui est impliqué, etc. Donc, on est arrivés à une pratique qui a donné lieu à la loi de 2001, mais en même temps qui avait été précédée de règles qui posaient le cadre de l'intervention médicale, mais qui ne posaient pas le droit de l'expression personnelle du patient à demander l'euthanasie.

Donc, on peut dire que, depuis le début des années 2000, donc de 2001 à 2009 puisque ça a pris ce temps-là pour l'ensemble de ces pays-là, on est arrivés à des législations assez semblables, des législations qui n'ont pas besoin de modifications du Code criminel comme tel puisque tout se passe avant l'intervention du Code criminel, dans la mesure où on reconnaît qu'il ne s'agit pas d'un acte criminel. C'est assez important de comprendre cette dynamique-là, parce qu'on se situe en dehors du droit criminel. Ce qui m'amène bien sûr à ma troisième partie dans le document, celle qui concerne le droit canadien. Évidemment, le Code criminel, dans l'état actuel du code, n'utilise pas le terme «euthanasie», je le souligne en passant. Il n'y a pas de terme «euthanasie» dans le Code criminel, ce qui fait que, si jamais on arrivait au Québec avec une loi qui ferait, par exemple, un amendement de la loi sur la recherche des causes de décès, par exemple -- la loi des coroners en d'autres mots -- pour dire qu'il y a une pratique qu'on accepte comme étant l'intervention médicale en fin de vie, on pourrait utiliser un terme comme celui de l'euthanasie sans pour autant se retrouver dans une situation visée par le Code criminel.

Il s'agirait évidemment de définir les choses correctement, honnêtement et clairement, mais il reste qu'il y a des possibilités, me semble-t-il, d'interventions qui pourraient être prises, dans une province comme ici, dans la mesure où, par exemple, dans notre Code civil, on est très, très, très élaborés au niveau de tout ce qui concerne le consentement de quelqu'un dans la pratique médicale. On ne peut, comme médecin, intervenir sans avoir recherché ce consentement-là.

Bien sûr, il faut comprendre qu'il se prend 150 décisions par jour dans un établissement de santé, donc la notion de consentement implicite est très présente, mais il n'en demeure pas moins que notre Code civil gère de façon très efficace, dans ses dispositions, tout le consentement de la personne apte, de la personne inapte, de la personne 14 ans et plus, ainsi de suite. Donc, il existe déjà un contenu dans nos lois du Québec qui permet de donner un sens à l'expression de la volonté de quelqu'un.

Il reste à voir ce qu'on veut faire ici quant à reconnaître l'autre élément, c'est-à-dire le droit de pouvoir demander quelque chose à un médecin, c'est-à-dire de faire l'action de poser un choix de fin de vie. Quelle serait la façon d'y arriver de façon la plus convenable et la plus respectueuse de la liberté de quelqu'un?

**(19 h 10)**

Ce que j'apporte finalement comme réflexion, c'est un peu de dire qu'au-delà de la situation individuelle, parce qu'on qu'une... Une des choses qui m'a frappée dans les témoignages que j'ai entendus juste avant et un peu plus tôt, c'est le fait qu'on associe beaucoup la décision comme étant celle qui relève d'un ordre professionnel ou encore d'une collectivité médicale. Pour ma part, je suis plus -- et vous l'avez vu dans le document que je vous ai soumis -- sur l'aspect que l'État doit intervenir pour assurer le respect de l'autonomie de la personne, dans un premier temps, et de créer les moyens pour mettre en place les mesures sécuritaires d'atteindre les dispositions de fin de vie.

Donc, tout ça parce que, d'une part, c'est très important de comprendre que, oui, il va toujours y avoir beaucoup de monde autour d'une personne lorsqu'elle prend des décisions qui la concernent, mais encore faut-il qu'elle puisse les prendre, ces décisions-là.

Le rapport qu'on a entendu juste avant de la part de mon prédécesseur faisait état d'une liberté médicale de ne pas procéder à l'euthanasie. Je pense que ça fait aussi partie de la liberté qui doit être reconnue à tous les médecins. Mais il reste qu'au point de départ, avant même de se positionner par rapport au choix que fait une personne, je crois que l'État doit assurer que ce choix-là soit possible.

Alors, c'est un peu ça. Le contenu, comme vous l'avez lu, est plus détaillé que ce que je viens de vous présenter, mais c'est le sommaire de ma présentation aujourd'hui. Et là je vous cède la parole pour les questions.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Me Demers. On va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Et je vais céder la parole au député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Bonjour, Pre Demers. Je vous fais une confidence: Je pourrais presque l'appeler Diane, parce que nous avons partagé les mêmes banquettes de l'École du Barreau en 1989. Nous étions même dans la même équipe, et on pratiquait l'art de l'interrogatoire l'un sur l'autre. Alors...

Des voix: ...

M. Ouimet: ...c'est avec beaucoup de plaisir que je la retrouve aujourd'hui. Elle a poursuivi dans le droit chemin; moi, je me suis égaré un peu en politique. Mais...

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Ouimet: Cela étant dit, j'ai apprécié beaucoup le mémoire que Pre Demers nous a déposé, très riche, documenté, avec un bon survol de ce qui se passe dans les autres... juridictions, là où l'aide au suicide assisté ou l'euthanasie ont été reconnues, a été légalisées.

Je voudrais maintenant entrer dans quelques éléments du mémoire et peut-être jouer un peu, me faire l'avocat du diable, parce que, par ailleurs, j'apprécie beaucoup, là, les assises juridiques que vous proposez, si tant est que l'État devait aller vers une légalisation de l'euthanasie.

Il y a quelque chose, dans un premier temps, qui m'a fait un peu sursauter, lorsque vous dites, à la page 19 de votre mémoire, que, «bref, la situation canadienne est quelque peu déconcertante quant au rôle assumé par l'État...» Et, bon, ça fait suite à une analyse de la jurisprudence, une analyse également de tentatives, par le dépôt de projets de loi privés, d'apporter le débat, de certaines initiatives faites par le Sénat. Mais je me disais: Il y a un fait qui demeure, et, je pense, c'est l'Association médicale canadienne, division Québec, qui nous le disait, et je reprends leurs propos: «Il existe une interdiction millénaire appuyée par la quasi-totalité des associations médicales dans le monde et par les codes de droit de presque tous les pays.»

Les exemples où ça existe, où c'est fait: Pays-Bas, Belgique, Suisse; et, aux États-Unis, l'Oregon, Washington et Montana. Mais on peut dire: C'est vraiment la minorité, lorsqu'on se situe dans le concert des nations, des provinces et des États, des différents pays fédérés.

Ce n'est pas un débat qui est simple, je pense qu'on le constate tous. Moi, j'ai de la grande difficulté à me faire une tête, à savoir, là, sur le plan personnel, est-ce que je penche plutôt d'un côté ou de l'autre. Et je me dis: Ce n'est peut-être pas pour rien que, même au niveau du Parlement fédéral et les assemblées législatives des autres provinces, on n'a pas encore posé ce geste ou franchi ce pas. Bref, je voulais juste mettre ça en contexte. Je ne sais pas si vous voulez réagir à mes commentaires, là.

Mme Demers (Diane): Bien, je réagirais peut-être de la façon suivante: C'est que c'est exact de dire que les associations médicales ont cette position-là. Je corrigerais peut-être pour celle de la Suisse parce que, dans leurs directives en ce qui concerne l'Académie suisse des sciences médicales, ils ont définitivement, eux, et depuis un bon bout de temps, adopté des dispositions qui reconnaissent que, dans les circonstances où le médecin est devant une situation de souffrance qu'il ne peut pas soulager, il lui appartient, selon leurs directives, de faire le choix... de discuter évidemment avec la personne concernée, mais de faire le choix d'euthanasier la personne. Alors, ça existe.

La situation dans les États qu'on a mentionnés, j'ai choisi ces États-là... Si vous allez vers, par exemple, la situation du Royaume-Uni, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, vous allez voir qu'il y a une décision de la Chambre des lords qui vient de sortir il n'y a pas tellement... quelques mois à peine, qui reconnaît et qui invite le bureau du procureur de la couronne, si on peut utiliser cette expression-là parce que ce n'est pas tout à fait ça là-bas, à revoir ses pratiques quant aux poursuites des personnes qui assistent quelqu'un dans un suicide. Et ce qu'on sait maintenant de l'information qui ressort du directeur de ce bureau, donc le procureur en chef, c'est qu'ils s'en vont vers des directives où, selon les circonstances, il faut toujours faire attention, parce que ce qu'on a comme règles, c'est évidemment de protéger contre l'abus, mais protéger contre l'abus ne veut pas dire poursuivre celui qui l'a fait en accord avec la personne qui s'est suicidée. Donc, il y a une marge entre les deux, mais les directives vont être de plus en plus claires pour ne pas intenter de poursuites. Ce n'est pas une loi qui va venir le faire, c'est par le biais de la pratique qu'on va le faire.

Du côté de la France, je pense, peut-être que vous le savez, peut-être pas, mais ici, ça fait 25 ans qu'on reconnaît le droit du patient à prendre ses décisions, qu'on impose le droit aussi d'accès au dossier médical, alors qu'en France ça fait à peine 10 ans qu'on le fait. Alors, le modèle français, de ce côté-là, est un modèle qui porte encore avec lui le paternalisme du médecin dans le rapport au patient. Je ne suis pas en train de dire que la France ne fera pas les changements, mais il reste quand même qu'il y a de plus en plus de débats de ce côté-là.

Quand je parle que je suis un peu déconcertée par le fait qu'on constate, année après année, dans la population, l'expression de la population va vers l'idée de l'ouverture. C'est vrai au Canada, c'est vrai dans beaucoup de pays. Du côté américain, c'est de plus en plus présent dans différents États. Ce débat-là se fait, on est rendus... Bon, évidemment, je l'ai mentionné ici, dans le cas des États-Unis, on peut procéder par référendums, ce qui aide habituellement le législateur à aller vers une réponse plus adaptée aux choix de la société. Ces référendums peuvent aller dans un sens comme dans l'autre, c'est ce qui s'est passé en Oregon, on a d'abord eu le premier référendum qui a accepté la loi, on est revenus à une autre élection avec une proposition d'abroger la loi, et ça a été refusé. Donc, la position s'est dégagée de façon très claire.

Ici, au Canada, on est un peu dans cet espace difficile où on constate que l'intervention des tribunaux, l'intervention même des procureurs de la couronne vont dans le sens d'essayer de, bon, étirer l'élastique de la loi, si je peux utiliser cette expression-là. C'est un peu pour ça aussi que je cite la Cour suprême du Canada dans le dernier arrêt Latimer qui dit: Écoutez, si les tribunaux ne peuvent rien faire parce que la loi n'a pas été modifiée, bien il vous appartient peut-être de décider si vous voulez continuer à poursuivre.

Donc, la démarche, pour moi, du législateur dans un cadre comme celui-là m'apparaît déconcertante parce que, comme État, on est devant une situation où visiblement la population va dans un sens, les médecins ne sont pas tous rendus à la même étape, et je respecte tout à fait l'expression des médecins parce que c'est un monde extrêmement difficile au niveau des décisions.

Il ne faut jamais oublier... je lisais dernièrement une expression qui m'a frappée, qui disait: Il n'y a plus de mort naturelle, il n'y a que des morts médicalisées. Les connaissances médicales, les connaissances scientifiques ont fait en sorte que, oui, on a prolongé la vie, mais, en même temps, quand on arrive à l'étape finale, on n'est plus en mesure de laisser aller la maladie. On accompagne la personne jusqu'à sa dernière journée.

Donc, veux veux pas, les médecins sont dans cet espace-là, et je pense qu'il est maintenant nécessaire pour le législateur d'aller dans ce sens-là, ne serait-ce que pour reconnaître le droit d'une personne à exprimer ses choix.

**(19 h 20)**

M. Ouimet: L'introduction du mémoire... Là, j'étais très heureux de vous lire lorsque vous parlez du rôle de l'État, parce que, moi, c'est une question, là, qui m'habite depuis le début des consultations: Quel est notre rôle comme législateur? Et vous donnez préséance aux libertés individuelles.

Vous dites dans votre mémoire au tout début -- je veux juste retrouver le passage -- dans le fond, qu'il faut à la fois protéger la liberté et la sécurité des personnes en fin de vie, les deux compétences provinciales, la sécurité publique, etc. Et là je pensais au mémoire qui a été présenté par le Pre Somerville, de l'Université McGill, qui disait que «peut-être que le rôle de l'État, c'est de protéger les valeurs sociétales et de faire en sorte que le contrat social que nous avons comme citoyen habitant la même société doit avoir préséance sur les libertés individuelles».

J'aimerais juste vous entendre un peu réagir à ça, parce que ce que vous développez comme raisonnement est tout à fait juste, et on retrouve même des gestes posés par le législateur québécois, avec l'adoption du nouveau Code civil en 1994, faisant en sorte qu'un patient peut décider d'arrêter ou de demander d'arrêter ses traitements, même si la mort va suivre. Et donc on a donné préséance à l'individu et à son autonomie.

Mais, par rapport au rôle de l'État, qu'est-ce qu'on doit protéger? Les valeurs sociétales, le contrat social, lorsque les deux se heurtent, comme dans le cadre du débat sur l'euthanasie et le suicide assisté, il semble y avoir deux valeurs fondamentales qui se heurtent.

Mme Demers (Diane): Bien, c'est pour ça que, dans... Bon, dans un premier temps, les valeurs sociétales dont on parle, elles sont définies, à mon sens, à partir du moment où on a eu cette Charte canadienne des droits et libertés, dans un cadre où l'intervention de l'État, me semble-t-il, doit aller dans ce sens-là. Quand on regarde l'article 7, bien sûr on parle, à la fin de l'article, que tous ces droits-là doivent être faits dans le respect des principes de justice fondamentale.

Donc, il y a quand même des règles, mais, moi, ce que je vous propose, c'est de dire: Est-ce que la société est en mesure, à ce moment-ci, de dire quelle est véritablement la volonté de cette société-là? Moi, pour moi, la difficulté, quand on pose les valeurs de la société par rapport au droit à la liberté, je relance le débat, je suis plus portée à le relancer en disant: Est-ce que la société n'a pas posé comme valeur fondamentale le droit à la liberté dans les choix individuels? Je ne suis pas en train de faire un choix pour quelqu'un d'autre, je fais des choix pour moi-même.

Donc, quand on reconnaît le droit à la liberté, ce qu'on reconnaît, me semble-t-il, c'est le fait que mes choix, ce sont les miens. Je ne partage pas vraisemblablement la même religion que tout le monde ici, je ne partage pas nécessairement les mêmes valeurs, je ne viens pas du même milieu éducatif, etc., mais je fais partie de la même société. Cette société-là a posé comme valeur fondamentale que j'ai un droit à la liberté. Si j'ai un droit à la liberté, je dois pouvoir l'exercer en tant et en fonction de mes valeurs à moi, tant et aussi longtemps que ça ne heurte pas les valeurs des autres.

Alors, bon, évidemment je pose un peu la question de l'égalité quand je le pose de cette façon-là, c'est l'introduction de la Charte des droits et libertés, mais en même temps c'est un peu cette modulation-là qu'il faut reconnaître. Quant...

Moi, je dis en même temps: Quant au rôle de l'État, l'autre partie, l'autre dimension du rôle de l'État ici, c'est la protection de la sécurité de cette personne-là par rapport aux gestes des tiers, et, quand je parle des gestes des tiers, ça peut aller également dans l'esprit des valeurs des tiers.

Ma sécurité personnelle par rapport aux valeurs des tiers, elle passe par mon expression de ma volonté, mon expression de liberté. Ça ne peut pas être la valeur de quelqu'un d'autre. Et, bon, je serais portée à lancer un défi à quelqu'un de me dire c'est quoi, les valeurs sociales actuelles au Canada en matière de religion, en matière de droit à la vie, en matière de... parce que ça n'existe pas sans nuances, sans variétés. On est dans une société qui accepte la diversité. Partant de là, les valeurs sociales auxquelles on fait référence, c'est l'obligation de l'État d'assurer la protection de quelqu'un tout en assurant le respect de sa liberté.

M. Ouimet: Bien, merci. Dernière question, l'argument de la pente glissante. Vous l'évoquez un peu indirectement dans votre mémoire, notamment à la page 7, vous avez fait l'étude, l'analyse des différents documents émanant notamment de l'État de l'Oregon, et vous dites, à la page 7, bon: «Les rapports produits, depuis plus de 10 ans maintenant, portent à croire à une supervision responsable de la part de la Division de santé publique et permet de conclure à l'effet qu'à travers cette législation l'État a adéquatement rempli son rôle» de protéger la sécurité des personnes.

Je pense que c'est le Dr Lapointe de l'Université McGill qui nous a dit, je pense que c'est lui: L'État de l'Oregon, lorsque, avec leur système de santé, et lorsque l'État décide qu'il ne pourra pas couvrir les frais de médicaments d'un patient quelconque, on accompagne la lettre avec un document qui dit que: Vous savez, l'euthanasie demeure une option. Et on donne l'adresse, on donne les coordonnées là où le citoyen peut prendre de l'information.

C'est le genre de chose qu'on ne retrouve pas dans les rapports comme données statistiques, mais je sais que c'est la préoccupation du président de la commission aussi, mais l'influence que ça peut avoir sur les personnes âgées qui se sentent un fardeau, à un moment donné, dans leur vie, auprès de leurs proches, auprès de leur famille...Est-ce que vous y voyez là des risques?

Mme Demers (Diane): Écoutez...

M. Ouimet: Ils font partie, là, bon, on peut démystifier la pente glissante, mais ce risque-là m'apparaît comme réel en tous les cas dans l'État de l'Oregon.

Mme Demers (Diane): Disons que, si je devais vous donner mon opinion personnelle, j'irais davantage vers l'intervention de l'euthanasie dans le modèle belge. Et c'est certain que, bon, j'ai entendu aussi la présentation de mon collègue de l'UQAM un peu plus tôt, où lui a plutôt une position inverse en disant que l'approche du suicide assisté laisse une marge de manoeuvre à la personne pour passer à l'acte ou non. D'ailleurs, les données de l'Oregon le confirment très clairement: ce ne sont pas toutes les personnes qui obtiennent le médicament qui le prennent, vraiment pas. On a un taux de personnes qui vont décéder sans avoir utilisé le médicament. Donc, oui, il a raison.

Personnellement, je pense que le modèle de l'euthanasie, dans la version des pays du Benelux, m'apparaît plus sécuritaire en termes de contrôle et de surveillance de l'État par rapport aux règles, même si, là aussi, il y a des possibilités de situations plus difficiles, parce que ça suppose le geste médical. Il n'y a pas qu'une seule personne qui peut être influencée par une proposition comme celle à laquelle vous faites référence. On est dans une action qui se situe, à mon avis, dans un continuum thérapeutique. Ce n'est pas un geste qui peut survenir... je ne vais pas prendre un rendez-vous ce matin avec un médecin, et il va passer à l'euthanasie; ça ne se passera pas comme ça.

**(19 h 30)**

Donc, si on le situe bien dans une pratique thérapeutique, c'est-à-dire autrement dit, pour moi, il n'y a pas de conflit entre les soins palliatifs et la situation d'euthanasie. C'est démontré aussi qu'il y a des gens qui ont fait le parcours des soins, des soins palliatifs et qui ont atteint la limite à laquelle ils veulent fixer... qu'ils veulent fixer eux-mêmes et qui passent à l'euthanasie ou demandent l'euthanasie. En le situant dans cette démarche-là, ce à quoi vous faites référence, ça m'apparaît beaucoup plus difficile puisque ça ne se passera pas pour une personne seule dans son univers fermé, mais bien dans quelque chose qui s'appelle une relation thérapeutique. La relation thérapeutique, elle ne se passe pas non plus entre juste un médecin et un patient. Elle est entourée d'une équipe. Ça ne se passe pas autrement. Si vous allez voir les critères de minutie, on fait apparaître l'obligation de discuter avec les membres de l'équipe médicale, donc l'équipe plus large que celle exclusivement avec le médecin.

Est-ce que c'est possible qu'il y ait un abus un jour? Oui. Je pense qu'on est dans une société humaine, et il se peut que ça existe. Personnellement, ce modèle-là qui comporte un encadrement bien établi et qui pose des exigences au niveau des médecins, par rapport aux déclarations, par rapport à tout le rapport qui doit être fait dans ces circonstances-là, offre une garantie qui était probablement celle qu'on peut rechercher le plus correctement.

C'est-à-dire, autrement dit, quand on parle du Code criminel de façon générale, ce qu'on retrouve comme loi, c'est une loi qui vient intervenir dans des comportements sociaux qui ont passé la marge. Dans des lois dont on parle, ça existe. Il y a des personnes qui sont chargées... des personnes indépendantes qui ne sont pas du Collège des médecins, qui ne sont pas... qui sont indépendantes et qui composent un environnement social ou qui proviennent plutôt d'un environnement social élargi. Ces personnes-là sont chargées d'examiner la situation et de déterminer s'il s'agit d'une cause qui doit aller devant la Cour criminelle.

Donc, on adopte un modèle qui, me semble-t-il, protège d'un côté comme de l'autre. Mais là je ne peux pas vous dire que, nulle part, vous allez trouver une garantie à 100 %.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Alors, merci, M. le Président. Je vous remercie à mon tour, Pre Demers, de ce mémoire très étoffé et qui apporte un éclairage aussi un petit peu, je dirais, plus poussé dans le sens qu'on est... Dans le cadre de notre mandat, on a d'étudier toute la question de la fin de vie, les soins, les conditions de fin de vie, la question de l'euthanasie et éventuellement des balises qui pourraient l'encadrer. Et avec votre mémoire, on entre dans l'univers des balises et des modèles qui pourraient l'encadrer. Donc, merci beaucoup. On est dans le très concret, et, pour nous, c'est aussi important d'entrer dans le très concret.

Juste avant d'aller plus dans les questions sur la situation canadienne, j'aimerais savoir, pour faire suite un peu aux questions peut-être de la pente glissante. Beaucoup nous ont dit qu'aux Pays-Bas, il y avait eu, depuis l'adoption de la loi, là -- je comprends qu'en plus, eux, ça fait 20 ans qu'ils sont... qu'ils ont ça dans le décor, donc il y a dû avoir beaucoup de modalités ou de débats -- qu'il y avait eu beaucoup de débats sur d'autres modalités possibles et de questionnements à savoir si on devait élargir la loi, notamment les personnes inaptes, les grands prématurés, tout ça. Et j'ai... moi, j'ai... Je suis allée lire un peu. Je suis allée voir le rapport Leonetti qui est allé aux Pays-Bas et, eux, ils semblent dire qu'ils se sont... qu'il y a... que ces questions-là sont venues, mais qu'il n'y a pas eu de changement dans la loi comme telle qui auraient modifié les critères. Par ailleurs, aujourd'hui on a entendu quelqu'un qui nous a parlé du protocole dont le nom m'échappe, là, mais pour peut-être...

Une voix: ...

Mme Hivon: Oui, c'est ça, les grands prématurés. Je ne sais pas où on en est. Est-ce qu'il y a eu effectivement des pressions et il y a eu des changements au fil du temps à la loi, depuis qu'elle a été adoptée aux Pays-Bas?

Mme Demers (Diane): Depuis 2001, elle n'a pas été modifiée. Cependant, bon, c'est certain que les débats se poursuivent parce que cette loi-là, comme les autres pays qui l'ont adoptée, conditionne l'acceptation pour aller vers une euthanasie au fait qu'on est dans une situation de maladie incurable avec un pronostic terminal.

Évidemment, on ne parle pas ici... la seule chose qui est un peu plus, un peu plus extensible, si je peux utiliser l'expression, c'est le moment où va survenir la fin de vie prévisible. Je ne parle pas de l'euthanasie, mais... Bon, autrement dit, on reconnaît que ça peut se passer plusieurs mois avant la fin, qu'on fasse le choix de l'euthanasie. On n'est pas dans les derniers milles, si vous me permettez l'expression. On est dans une situation où on reconnaît qu'il n'y a pas de possibilités de guérison, qu'il n'y a pas... Bon, il existe des soins. La personne doit faire des choix en fonction des soins existants qui peuvent l'accompagner jusqu'à la fin de sa vie, mais elle peut aussi choisir de terminer en raison du fait qu'elle est dans une situation semblable.

Les situations de personnes qui ont des maladies à évolution très lente, donc qui ne peuvent pas être prononcées terminales au point de départ, ne sont pas encore couvertes par la loi. Est-ce que ça veut dire qu'ils n'accèdent pas à l'euthanasie? En vertu de la loi, ils n'y accèdent pas. En vertu des protocoles existants, des rapports avec les médecins, ils n'y accèdent pas. Est-ce que ça se passe dans la réalité? Il semble que oui. À l'occasion, on rencontre des situations où des personnes, bon, comme on l'a mentionné, la sclérose en plaques en est un exemple, où l'évolution de cette maladie-là n'est pas rendue au stade où elle pourrait être couverte par la loi et qu'il y a une situation d'euthanasie. Mais, de façon générale, la loi n'a pas été modifiée.

Mme Hivon: O.K. Donc, les personnes inaptes sont toujours non... non couvertes?

Mme Demers (Diane): Non couvertes.

Mme Hivon: O.K. Est-ce qu'il y a des cas de poursuites des familles? J'imagine, vous n'avez pas fait tout le recensement des plumitifs néerlandais ou belges, là, mais de ce que vous...

Mme Demers (Diane): Non, ma capacité linguistique est limitée.

Mme Hivon: Mais, de ce que vous avez lu d'études, est-ce que... Moi, il y a quelque chose qui m'a frappé dans le rapport Leonetti, c'était que deux tiers des demandes ne sont pas... on n'accède pas à deux tiers des demandes, donc que les balises en quelque sorte fonctionnaient, mais je n'ai rien trouvé sur d'éventuelles poursuites, parce que j'imagine que ce serait rassurant de savoir s'il n'y pas de poursuite des familles, c'est un peu de se dire qu'il n'y aurait pas eu de cas où on a le sentiment qu'il y a des personnes inaptes ou fragilisées... auraient été...

Mme Demers (Diane): Mais quand vous parlez de poursuites ici, vous parlez de poursuites civiles ou criminelles?

Mme Hivon: Une ou l'autre, là.

Mme Demers (Diane): L'une ou l'autre, bon. Poursuites criminelles, c'est un peu le même système qu'ici, c'est enclenché par le ministère public. Les poursuites civiles, à ma connaissance, il n'y en a pas. Il n'y en a pas eu qui tendent à démontrer la responsabilité d'un médecin ayant agi à l'encontre de la loi.

Mme Hivon: Merci. Ensuite, si on arrive dans le modèle canadien. Évidemment, vous faites bien la différence, là, c'est qu'ici le fédéral est responsable du droit criminel et nous sommes responsables de la santé, de l'administration de la justice, tout ça, les ordres professionnels aussi. Et, en fait, vous avez... vous êtes la première, vous amenez... vous ouvrez une porte, là, vous semblez dire qu'en matière... Vu que l'euthanasie n'est pas criminalisée au sens du Code criminel, du fait de notre compétence en matière de santé et de sécurité publique, on pourrait potentiellement légiférer en vertu de nos lois sectorielles et du Code civil sur la base de ces compétences-là. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Hier, j'ai posé la question au Pre Downie de Dalhousie, à savoir où était notre patinoire, là, et, elle, elle voyait... je lui ai amené aussi la question des soins appropriés de fin de vie, là, qui est le terme utilisé par le Collège des médecins: Est-ce que ça pourrait nous donner la capacité législative de légiférer? Elle disait que, philosophiquement, ça pouvait être un argument intéressant, mais que, selon elle, il y avait quand même quelque chose d'incontournable avec le droit criminel. Vous apportez une vision différente aujourd'hui. Donc, j'aimerais ça que vous élaboriez un peu sur cet argument.

**(19 h 40)**

Mme Demers (Diane): Écoutez, je vais, dans un premier temps, vous dire qu'évidemment c'est une proposition audacieuse. Je suis parfaitement consciente que les juristes, mes collègues, vont tous vouloir en discuter longuement.

Cependant, ce que j'essaie de vous exposer ici en disant ça, c'est que le Code criminel est une loi de style... de type common law. Dans la common law, de façon générale, on reconnaît que le texte écrit est le texte qui s'applique. C'est pour ça que le Code criminel comporte autant de spécifications sur toutes les infractions.

Alors, quand je fais état que le terme euthanasie n'est pas utilisé dans le Code criminel, et qu'à partir de là on pourrait au Québec arriver à une forme de législation reconnaissant qu'un acte se situant dans une intervention médicale qui occasionne le décès ne constitue pas un acte criminel, ce que j'essaie de dire, que c'est un peu la même chose, si vous voulez, que lorsqu'un coroner dit: C'est une mort accidentelle. La mort peut avoir été occasionnée par quelqu'un, mais sa conclusion de mort accidentelle fait en sorte qu'il n'y a pas d'acte criminel.

Donc, la possibilité de définir une situation médicalement contrôlée, selon des règles établies, donc qui permettrait... C'est pour ça, je reviens à la loi sur la recherche des causes des décès, parce que c'est dans cet espace-là, actuellement, au Québec, qu'on peut arriver à avoir une place pour dire: Il y a des gestes posés qui ne constituent pas un acte criminel.

Maintenant, est-ce que cette ouverture-là est quelque chose qui est facile à faire? Je serais portée à vous dire que ça va demander énormément de précisions, énormément d'encadrement qui va venir exposer la situation qui ne constitue pas un acte criminel.

Je reviens au terme «euthanasie». Bon, si on parle de l'euthanasie passive, est-ce que vous considérez que c'est un acte criminel? De façon générale, on en est venu dans notre expression par rapport à ce qu'est l'euthanasie passive... Autrement dit, le geste posé par quelqu'un pour débrancher un appareil qui maintient en vie, en quoi est-ce très différent que d'avoir un médicament qui conduit au décès? Je vous soulève la question.

Je n'ai pas la prétention, à ce moment-ci, de vous dire que c'est juridiquement impeccable, mur à mur; ce n'est pas ma prétention. Je dis tout simplement qu'on est capables de travailler possiblement en situant ça dans le cadre d'une intervention thérapeutique, parce qu'une intervention thérapeutique va jusque-là, dans la mesure où elle est fondée sur le consentement de la personne et son expression de choix. Mais, essentiellement, c'est une ouverture.

Je propose ça comme réflexion, parce que, un peu comme je l'ai dit puis qui a été souligné par M. Ouimet, le fait d'être dans une situation où, du côté fédéral, d'une fois à l'autre, à chaque fois qu'on arrive avec un projet de loi semblable, à la fois ça peut être vu comme étant nécessaire d'aller jusqu'au bout du débat, mais, de façon générale et récurrente, on assiste à une situation où il n'y a pas de volonté portée par l'État d'aller vers une reconnaissance dans le Code criminel d'une modification nécessaire.

En Belgique, on n'a pas modifié le Code criminel. Je le souligne, et je pense que c'est important de le retenir. En agissant en dehors de ce qui était criminel, ce qu'on en a fait, c'est une disposition qui nous permet de reconnaître une situation de fait sous contrôle médical qui constitue une situation non criminelle. Mais, là encore je le dis, comme vous voyez, avec beaucoup de précautions parce que je suis absolument convaincue que le débat juridique vient de commencer.

Mme Hivon: Votre passage va être remarqué, j'en suis certaine. Vous allez être invitée dans plein de colloques. Et, ma dernière question, je la pose à presque tous les juristes, mais c'est parce que c'est un argument qu'on entend beaucoup des non-juristes, mais je veux entendre votre point de vue là-dessus.

C'est la pertinence pour l'État -- et comme législateur, on doit se la poser -- de légiférer pour l'exceptionnel. Donc, on nous donne, par exemple, comme exemple qu'on situe avec des taux de demandes acceptées d'euthanasie autour du 1 %, 0,5 %, tout ça: est-ce qu'on légifère pour le droit d'une toute, toute petite minorité en matière d'euthanasie?

Mme Demers (Diane): Écoutez, ce que je serais portée à vous dire à ce moment-ci, je vais me référer aux discussions que j'ai eues, comme je l'exprimais au tout début, avec une grande diversité de clientèles au sens large du terme, c'est-à-dire des gens de tout âge, de notre société qui se réunissaient. Je vous en donne un exemple.

J'ai fait, à un moment donné, une de ces présentations-là à Val-David. On pensait avoir à peu près une trentaine de personnes, des gens d'aussi loin que... que, bon, La Tuque, sont venus, bon. Bref, on s'est retrouvés avec une centaine de personnes et un peu plus qui débattaient de ça.

Je serais portée à vous dire, à ce moment-ci, que, dans les faits, qu'il n'y ait que 0,44 % ou 0,5 %, selon les pays, de personnes qui se rendent à la demande, ce n'est pas ça qui sert de base pour évaluer la nécessité de cette législation-là, me semble-t-il, parce qu'actuellement, quand on parle de ça, on le situe dans une... bon. C'est une situation qui est en évolution. Tantôt, on mentionnait que les gens qui ont 80 ans et plus ne sont pas des demandeurs, mais que les gens de 60 à 80 le sont. Moi, je vous dirais, ce que j'ai entendu dans les gens qui m'interpellaient dans ces réunions-là, ce sont des gens qui ont accompagné des personnes en fin de vie, qui ont vécu cette phase-là, malheureux parce la personne leur demandait leur intervention pour que ça s'arrête.

Alors, cet aspect-là est un aspect qui fait en sorte que les citoyens, parce que c'étaient tous, comme je l'ai dit, des gens de toutes catégories et de toutes origines sociales qui participaient à ces débats-là, ce qu'ils expriment quand ils nous interpellent pour dire: Oui, mais qu'est-ce que je peux faire pour que ça ne se produise pas pour moi?

Ce qu'ils recherchent, c'est une position légale quand ils m'interpellent. Quand ils s'adressent à mon collègue des soins palliatifs, c'est: Comment je peux faire pour accéder aux soins palliatifs? Je suis entièrement d'accord avec eux, ce n'est pas simple d'accéder à ça non plus. Et c'est relativement limité aux cas de cancer, tous les autres types de maladie, ce n'est pas évident. Donc, on n'est pas dans une situation où des soins sont nécessairement disponibles.

Mais, dans mon cas, à chaque fois, c'est: Comment je peux faire pour faire en sorte que le droit, mon choix soit respecté? La seule chose que je pouvais exprimer comme étant la situation actuelle, c'est d'avoir un testament de vie -- vous l'avez exprimé -- très, très clair, et s'assurer que toutes les personnes de notre entourage sont au courant et que ce sont mes dernières volontés et qu'il n'y a rien qui puisse être passé outre.

Dans l'état actuel du droit québécois, pas seulement au Québec, c'est la même chose dans les autres provinces, le testament de fin de vie est pesé par l'équipe médicale. Puis ce que je veux dire par là, s'ils considèrent qu'il y a un meilleur intérêt pour le patient, il est possible qu'on fasse autre chose que ce que la personne demande, surtout si ce qu'elle demande, c'est l'arrêt complet de l'ensemble des interventions, et ce n'est pas simple de faire ce choix-là non plus.

Alors, c'est un peu pour ça que, pour moi, je partage jusqu'à un certain point ce qui a été dit juste avant, c'est que la législation devient un élément de sécurité pour assurer la liberté des personnes quant à la fin de leur vie. Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais...

Mme Hivon: Si, ça répond très bien.

Le Président (M. Kelley): Il me reste à dire merci beaucoup pour votre témoignage ce soir, c'était très éclairant.

Je vais suspendre quelques instants. On va revenir avec les brèves remarques finales.

(Suspension de la séance à 19 h 48)

(Reprise à 19 h 49)

Le Président (M. Kelley): La commission reprend ses travaux. On est dans le dernier droit de cette étape. Alors, ce n'est pas la fin de nos travaux, loin de ça, mais c'est la fin de cette première étape: c'est-à-dire nous avons eu l'occasion d'entendre une trentaine d'experts qui ont livré leur témoignage qui va nous guider dans notre prochaine étape, qui va être la confection d'un document de consultation.

Mémoires déposés

J'ai un item d'intendance à faire, c'est-à-dire le dépôt des trois mémoires des personnes et des organismes qui n'ont pas été entendus, c'est-à-dire le Dr François Primeau, l'Association québécoise d'établissements de santé et des services sociaux et le Dre Justine Farley. Alors ça, c'est... sont dûment déposés et ils vont être disponibles pour les membres sur le site Greffier de la commission.

Remarques finales

Alors, maintenant on passe à la rubrique des remarques finales. Chaque formation politique a droit à un maximum de 10 minutes de remarques finales. M. le député de Marquette.

M. François Ouimet

M. Ouimet: Alors, merci, M. le Président. Je serai assez bref. Mes premiers commentaires, c'était pour vraiment dire à quel point, et je pense parler au nom de tous les membres de la commission, mais vraiment impressionné par la qualité des experts qui sont venus témoigner devant nous, la qualité de leurs mémoires, la richesse de ces mémoires, leur enthousiasme à venir témoigner, leur générosité au niveau du temps. J'ai remarqué qu'à l'occasion on recevait des addendums au niveau du mémoire qui avait été déposé pour s'assurer qu'on avait bien compris les nuances, qu'on apportait des compléments d'information.

**(19 h 50)**

Donc, moi, j'ai vraiment apprécié le haut niveau d'expertise et je pense que, comme société québécoise, nous sommes vraiment privilégiés d'avoir des gens comme ça de la société, qu'ils soient médecins, qu'ils soient juristes, qu'ils soient spécialistes dans le domaine de l'éthique, de la philosophie, tout le corpus médical, des chercheurs d'université, d'accepter l'invitation que la commission leur a lancée et de venir témoigner devant nous.

Et félicitations également aux équipes qui ont identifié les experts qui sont venus témoigner. Moi, je n'ai aucune... aucun mérite là-dedans, mais ceux qui l'ont fait ont fait un travail absolument remarquable.

Je veux souligner aussi le travail exceptionnel des parlementaires autour de cette table, des deux côtés, des trois côtés, sans aucune distinction. Je pense qu'on s'est presque relayés à tour de rôle pour tourner chaque pierre qui n'avait pas été tournée dans les mémoires et d'aller au fond des choses et de questionner. Et on se découvre toujours comme parlementaires, mais, pour moi, en tous les cas, j'ai beaucoup apprécié l'ensemble des questions et des commentaires de nos collègues et de tous les collègues, et je pense que ça a vraiment enrichi les travaux de cette commission faits dans une perspective et dans une optique vraiment non partisane. Et ça, moi, j'en ai connu peu de commissions parlementaires comme celle-ci et je suis vraiment choyé de pouvoir travailler avec les collègues qui sont autour de la table.

Je veux également souligner le travail du personnel de la commission, la secrétaire qui fait un... moi, je me demande où elle trouve la 25e, la 26e et la 27e heures dans une journée, parce que, nous, on se limite à 24, mais j'ai comme l'impression que ses journées sont beaucoup plus longues. Alors, à elle, à l'équipe de recherche qui ont bien, bien encadré...

Je me souviens de, je pense, c'est M. Boucher, au départ, qui nous disait: Écoutez, moi, j'ai fait une thèse de maîtrise ou de doctorat sur le sujet et je n'ai toujours pas un point de vue bien défini, bien arrêté.

Moi, je pensais commencer avec une opinion arrêtée, puis je suis rendu au même point que vous, je ne sais plus où j'en suis. Donc, le plus qu'on écoute, et ça nous interpelle énormément. Donc, j'ai hâte, avec mes collègues, de voir ce que nous en ferons, de tout cela.

Travail exceptionnel du président de la commission. Vous avez toujours les mots justes, les commentaires appropriés, les questions, et vous avez mené ça d'une main de maître. Alors, c'est très agréable de travailler avec vous, M. le Président.

Il nous reste à élaborer ce document de consultation. Et, moi, ce qui me réconforte, c'est avec le talent qui est autour de cette table-ci et avec l'apport de nos experts, de nos recherchistes et de l'expertise que nous avons entendue... les recherchistes pas juste ceux officiels de la commission, mais ceux des formations politiques également qui ont fait un travail considérable, là, je tiens à le souligner. Mais je pense qu'avec le travail de l'ensemble des membres de cette grande commission je suis convaincu que nous allons élaborer un document qui sera à la hauteur des attentes de la population que nous aurons à consulter sur le sujet.

J'arrête ici, je ne veux pas aller dans le détail, dans le contenu, parce que je pense que nous allons faire ça de façon collégiale ensemble dès la prochaine rencontre, et il y a peut-être déjà des ébauches qui ont été... qui sont en voie de préparation. Donc, mais bravo à tous les membres de la commission. Voilà.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. le député. Mme la députée de Joliette.

Mme Véronique Hivon

Mme Hivon: Merci, M. le Président. Alors, mon drame se poursuit, c'est-à-dire que je dois toujours parler après le député de Marquette, donc, souvent il m'a volé mes questions et maintenant il me vole mes punchs pour mes remarques finales. Mais, bon, je vais faire contre mauvaise fortune bon coeur, alors...

Moi, je voulais simplement dire, vous l'avez dit un petit peu, M. le Président, c'est qu'on tend peut-être à l'oublier, mais, en fait, on vient simplement de franchir l'étape préliminaire de nos travaux. Et évidemment c'était une étape peut-être préliminaire, mais particulièrement riche et fondamentale. Alors, elle était essentielle.

Et je suis également très impressionnée par la qualité de ce qu'on a entendu, et ces experts de tous domaines devaient nous éclairer pour le document de consultation. Je pense qu'ils l'ont fait avec beaucoup de générosité, et de talent, et de professionnalisme.

Évidemment, on s'en doutait, bien que le mandat premier était de nous éclairer pour bien cerner les termes, ils ont émis leurs opinions, mais je pense, a posteriori, que ce n'est pas une mauvaise chose, parce qu'en émettant leurs opinions et en confrontant les points de vue et les opinions, on réussit à aller dans le fin détail et les nuances, et ça a alimenté certainement encore davantage notre réflexion. Alors, je veux, oui, les remercier.

Je pense qu'on va... Je suis confiante aussi qu'on va élaborer un document... un document de qualité pour la véritable étape qui s'en vient des consultations publiques auprès de la population à la fin de l'été et à l'automne prochain avec le but d'avoir un document simple, clair, qui va poser les bonnes questions et qui va permettre aux gens de s'exprimer sur les mêmes bases. Et d'ailleurs je veux dire à tous les intervenants qui nous ont dit à quel point c'était important de bien définir et déterminer les termes, les bases du débat, que nous les avons entendus et qu'ils peuvent être rassurés que nous allons faire tout, tout notre possible pour que ces termes-là soient vraiment le plus précis possible.

Je pense que, oui, au-delà des enjeux, moi non plus, je ne veux pas m'arrêter sur toute la définition des enjeux. On va devoir le faire dans le document. On sait qu'il y a la question de l'euthanasie, il y a la question, il ne faut pas l'oublier, de tous les soins et les conditions de fin de vie aussi. On va vraiment apporter un soin particulier pour couvrir les enjeux fondamentaux qui se posent. Mais, moi, je dirais que ces auditions-là me confirment que, oui, on a pris un pari ambitieux, mais je pense que nous avons pris le bon pari. Et les gens nous ont...

En fait, c'est un peu angoissant, parce que d'entendre les experts nous dire à quel point la tâche est complexe et le défi est imposant, mais, moi, je suis tout à fait rassurée, de par la qualité et le sérieux que je vois autour de la table, que je pense qu'on partage tous le sens des responsabilités qui nous incombe dans ce mandat-là et qu'on va faire honneur à ce mandat en vraiment travaillant au meilleur de nos capacités pour répondre au mandat qui nous a été confié et aux attentes, je dirais, des Québécois à cet égard.

Et ce qui m'habite, c'est qu'on va maintenant aller, forts de cette responsabilité-là, auprès de la population avec, je pense, toute l'ouverture, le respect et la déférence qu'un tel mandat, qu'un tel sujet commande et, ce qui me rassure d'autant plus, c'est le climat de grande collaboration et de non-partisanerie vraiment clairement établi qui s'est dégagé de cette première étape, et je pense que ça va continuer, je n'en ai aucun doute, à nous habiter pour la suite des choses.

Et je pense qu'au-delà du débat important qu'on va mener avec la population sur la question... On a beaucoup parlé d'effets collatéraux positifs ou négatifs, bien, moi, j'ose espérer qu'il va peut-être y avoir un effet collatéral positif: c'est que les gens vont voir que, dans certaines situations où notre rôle de parlementaires le commande, on est capables de prendre nos responsabilités et de faire face à des débats difficiles et aussi de le faire au-delà de toute partisanerie.

Alors, j'aimerais, en terminant, réitérer, moi aussi, mes remerciements à tous les experts qui sont venus devant nous, qui ont fait preuve de beaucoup, beaucoup de générosité, d'énormément de diligence et de professionnalisme, c'est très impressionnant, et c'était une qualité, je pense, exceptionnelle. J'ai une courte vie parlementaire, mais je me sens vraiment privilégiée d'avoir pu participer à ces travaux.

Je veux remercier mes collègues ainsi que les collègues du parti ministériel, en saluant particulièrement mon vis-à-vis, le député de Marquette. Je pense effectivement qu'on a fait un très bon travail collégial pour couvrir tous les angles, dans un esprit vraiment de profonde collaboration.

**(20 heures)**

Je veux remercier le personnel de la commission, Mme Vigneault et Mme Laplante, les recherchistes qui nous accompagnent, David Boucher, Hélène Bergeron qui, eux aussi, je ne sais pas où ils trouvent le temps de nous faire des résumés à la dernière minute quand on reçoit les mémoires la veille des auditions, et Marie-Claude Côté, qui est conseillère à la commission de l'éthique. De mon côté, je veux aussi saluer évidemment l'équipe de recherche du parti ministériel et mon acolyte, Matthieu Leclerc.

Et en terminant, évidemment, M. le Président, c'est un réel plaisir de travailler avec vous sur ce dossier-là, et je pense que vous avez mené le tout de main de maître, avec parfois des horaires très serrés et en mettant les témoins très à l'aise, ce qui, je pense, est très important dans ce type de mandat là. Alors, merci beaucoup.

Le président, M. Geoffrey Kelley

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour ces commentaires. Et, à mon tour, une des raisons dans les différentes versions de la réforme parlementaire on a proposé un grand débat, un débat de société, c'était effectivement pour valoriser le rôle de député. Et, moi, je suis très fier des membres de la commission. Moi, je pense qu'on a eu six journées de travail, on a toutes nos autres préoccupations de comté et les travaux en Chambre, et tout le reste, mais nous avons réussi, je pense, une belle image de c'est quoi, un Parlement, c'est quoi le rôle du député, qu'on est capables de faire un débat sur un enjeu très important, sur un enjeu qui est très émotif, qu'on est capables de faire ça ensemble. Je pense, ça reflète bien sur l'Assemblée nationale et sur notre métier de député. Et je suis très fier d'être député et je pense qu'on a fait un bon travail.

Oui, on a un document maintenant qu'il faut faire la synthèse. Ça va être pas toujours facile, mais je pense qu'on va travailler ensemble pour mener ça à bon port.

Alors, sur ça, merci beaucoup. Merci, je ne vais pas... écho, mais toutes les personnes qui nous accompagnent, qui ont aidé beaucoup dans la réalisation de ce mandat. Mais je vais...

Vu qu'on a accompli nos travaux, je vais ajourner au mardi, le 16 mars, à 10 heures, afin de faire une séance de travail, parce qu'effectivement il y a une ébauche qui est en préparation pour le document de consultation. Alors, mardi prochain à 10 heures, on va convoquer de nouveau une séance de travail pour continuer notre réflexion sur ces questions. Sur ça, merci beaucoup et bonsoir.

(Fin de la séance à 20 h 2)

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