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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le mardi 28 octobre 2014 - Vol. 44 N° 12

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 10, Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales


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Table des matières

Auditions (suite)

Table de coordination nationale des réseaux universitaires intégrés de santé (TCN des RUIS)

Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ)

Ordre des dentistes du Québec (ODQ)

Coalition Priorité Cancer au Québec

Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN)

Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ)

Médecins québécois pour le régime public (MQRP)

Intervenants

M. Marc Tanguay, président

Mme Marie Montpetit, présidente suppléante

M. Gaétan Barrette

Mme Diane Lamarre

M. Éric Caire

M. Jean-François Lisée

Mme Lucie Charlebois

M. Marc H. Plante

M. Alexandre Iracà

Mme Caroline Simard

M. Pierre Giguère

M. Sébastien Schneeberger

Mme Françoise David 

*          M. Rénald Bergeron, TCN des RUIS

*          Mme Louise Montreuil, idem

*          M. Samuel Benaroya, idem

*          M. Marc Lauzière, idem

*          Mme Isabelle Bayard, idem

*          Mme Marie-Pierre Caouette, OOAQ

*          Mme Josée Larocque, idem

*          M. François Bergeron, idem

*          M. Barry Dolman, ODQ

*          Mme Marie-Ève Asselin, idem

*          M. André Lavallière, idem

*          Mme Nathalie Rodrigue, Coalition Priorité Cancer au Québec

*          M. Serge Dion, idem

*          M. Jérôme Di Giovanni, idem

*          Mme Véronique Vézina, COPHAN

*          M. Richard Lavigne, idem

*          M. Robert Labrecque, idem

*          M. Bertrand Bolduc, OPQ

*          Mme Manon Lambert, idem

*          M. Martin Franco, idem

*          Mme Karyne Pelletier, MQRP

*          Mme Isabelle Leblanc, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Dix heures quatre minutes)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la santé et des services sociaux ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 10, Loi modifiant l'organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l'abolition des agences régionales.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Richard (Duplessis) sera remplacée par M. Pagé (Labelle).

Auditions (suite)

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Ce matin, nous allons débuter avec la Table de coordination nationale des réseaux universitaires intégrés de santé ainsi que l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec. Nous ajournerons à 21 h 30.

Alors, je vous souhaite la bienvenue d'entrée de jeu. Je vous demanderais de bien vouloir vous identifier, et par la suite vous disposerez d'une période de 10 minutes pour une présentation. S'ensuivra un échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Table de coordination nationale des réseaux universitaires
intégrés de santé (TCN des RUIS)

M. Bergeron (Rénald) : Bonjour. Je me présente, Rénald Bergeron, doyen de la Faculté de médecine et président du RUIS de l'Université Laval. Je suis accompagné des collègues qui sont coordonnateurs des quatre RUIS : Mme Isabelle Bayard, de l'Université de Montréal; M. Samuel Benaroya, de l'Université McGill; Mme Louise Montreuil, de l'Université Laval; et M. Marc Lauzière, de l'Université de Sherbrooke.

Donc, le mémoire qu'on présente est le fruit d'un consensus de l'ensemble des membres de la Table de coordination nationale des réseaux universitaires intégrés du Québec, connu sous l'acronyme des RUIS, que j'utiliserai par la suite.

Au nom des quatre réseaux universitaires intégrés du Québec, je tiens à vous remercier d'abord de nous donner l'opportunité de nous présenter devant vous dans le cadre de l'étude du projet de loi n° 10. Cette opportunité nous permet de mieux faire connaître ce que sont et que font les RUIS et comment leur action pourra continuer à être mise à profit dans le cadre des changements de gouvernance qui sont proposés. À cette fin, les RUIS vous soumettent trois recommandations.

D'abord, un peu d'histoire. Les réseaux universitaires intégrés de santé du Québec ont comme mission de générer la concertation, la complémentarité et l'intégration des missions de soins, d'enseignement et de recherche des établissements de santé ayant une désignation universitaire et des universités auxquelles ils sont affiliés, tout en privilégiant la concertation et la collaboration entre tous les membres partenaires des RUIS.

C'est en juillet 2003 que le ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Philippe Couillard, créait, par décision administrative, les RUIS, lesquels furent subséquemment introduits dans la LSSSS, en 2005. Il existe donc quatre RUIS au Québec, un par université ayant une faculté de médecine, soit Laval, McGill, Montréal et Sherbrooke. La loi prévoit que le comité de direction des RUIS est formé de tous les directeurs généraux des établissements ayant une désignation ou affiliation universitaire, des P.D.G. de chacune des agences de santé et de services sociaux et du doyen de la faculté de médecine associés à ce réseau.

Le mandat des RUIS. Il faut d'abord comprendre que chaque RUIS a son caractère propre. Chacun, donc, a fait évoluer ses priorités et sa façon de travailler selon les caractéristiques, besoins et attentes de l'ensemble de ses membres et évidemment selon les différents mandats qui lui ont été confiés par le ministère. Au moment de leur création, on attendait des RUIS qu'ils favorisent l'excellence dans l'accomplissement des missions universitaires, en maillage serré avec leurs réseaux cliniques. Leurs champs d'intérêt touchaient essentiellement les services médicaux spécialisés et ultraspécialisés des hôpitaux avec désignation universitaire.

Au fil des ans, le ministère a clairement affirmé deux grandes priorités, soit l'accès aux services et le développement d'une première ligne forte. Les partenaires des RUIS — je tiens à le répéter, il s'agit ici des facultés, des agences et des établissements à désignation ou affiliation universitaire — ont considéré nécessaire de soutenir ces deux priorités. Les RUIS se sont donc attardés à identifier des moyens susceptibles de consolider et soutenir les équipes cliniques locales. D'abord, ils se sont assurés d'obtenir la nécessaire collaboration des centres tertiaires pour développer des corridors de services reposant sur de hauts standards cliniques, efficaces et efficients, répondant aux besoins de toutes les régions à desservir. Depuis quelques années, ils favorisent aussi l'intégration étroite des volets santé et social.

Une chose est claire : les RUIS n'ont pas le mandat d'organiser les services qui relèvent des agences et des établissements, pas plus que celui d'organiser les programmes de formation ou de recherche qui sont sous la responsabilité des universités. L'expérience des 10 dernières années a clairement démontré la valeur ajoutée des effets de cette concertation et de la mobilisation des acteurs du réseau de soins et services avec ceux des réseaux universitaires autour d'objectifs communs qui favorisent le rapprochement et la complémentarité des missions de soins, d'enseignement et de recherche au bénéfice de la population.

Dans la réalisation de leur mandat, les RUIS vont au-delà de faire des propositions. Leur action synergique, par et pour leurs membres, leur a permis, d'une part, de concrétiser l'essentielle alliance entre les besoins académiques et ceux de l'organisation des services et, d'autre part, de répondre aux attentes et besoins des régions de leurs territoires, et ce, avec le soutien de l'expertise des centres universitaires. Donc, les RUIS existent au profit de l'ensemble des partenaires et des régions de leurs territoires. Ils agissent en conséquence dans le traitement des dossiers. Après 10 ans d'activité, ils présentent une feuille de route qui témoigne de leur valeur ajoutée.

• (10 h 10) •

Je passe aux recommandations. Ce retour sur l'histoire des RUIS et l'évolution de leur mandat nous amène aux trois recommandations que j'évoquais, d'entrée de jeu, en début de présentation. Les RUIS tiennent à affirmer qu'ils souscrivent aux objectifs fondamentaux poursuivis par le projet de loi à l'effet de favoriser et de simplifier l'accès aux services, de contribuer à améliorer la qualité et la sécurité et à accroître l'efficacité et l'efficience.

La première recommandation, c'est de permettre la réalisation du plein potentiel des RUIS en réaffirmant et en consolidant leur mandat dans le cadre de la réforme proposée par le projet de loi.

En faisant en sorte que les équipes des milieux universitaires soient à l'écoute et puissent répondre aux besoins des attentes des autres milieux de soins et services de leurs territoires, les RUIS contribuent à deux défis majeurs pour le système de santé : un, que tout Québécois, peu importe son lieu de résidence, puisse bénéficier des services accessibles et répondent aux plus hauts standards de qualité et, deux, que toutes les équipes cliniques locales disposent du soutien, de la formation et des connaissances nécessaires pour travailler en réelle collaboration interprofessionnelle et pour assurer au réseau l'efficacité et l'efficience attendues. C'est d'ailleurs à cette condition que les équipes oeuvrant en première et deuxième ligne pourront garantir le meilleur accès possible aux services à la population de leurs territoires et en même temps soutenir efficacement les centres surspécialisés en leur permettant de se concentrer sur leurs missions tertiaires et quaternaires.

Les RUIS sont un outil puissant pour contribuer à la transformation du réseau de la santé et des services sociaux, notamment en maintenant une réciprocité entre les universités et les CISSS dans leurs territoires respectifs. Leur rôle aurait davantage à être mieux défini dans le texte de loi pour mieux servir l'efficacité du réseau.

Nous énumérons ici un certain nombre de points qui devraient être tenus en compte sur la fonction des RUIS : promouvoir et soutenir la participation des établissements de leurs réseaux et territoires respectifs à l'enseignement clinique dans les diverses disciplines de la santé; en collaboration avec leurs partenaires, identifier et contribuer à combler les besoins de formation du personnel des établissements et de leurs réseaux respectifs; fournir sur demande l'expertise nécessaire à la planification, à la mise en oeuvre ou à l'évaluation de projets locaux, régionaux, suprarégionaux, voire même nationaux; promouvoir et soutenir l'implantation d'une culture d'évaluation dans les établissements de leurs réseaux et territoires respectifs; favoriser la complémentarité de services dispensés par les établissements des régions de leurs territoires; soutenir le développement de la recherche dans des secteurs d'activité considérés prioritaires pour le développement du réseau et notamment en première ligne; et, enfin, élargir le mandat des RUIS pour inclure la dimension des services sociaux.

La création des CISSS et l'importance du travail et de la formation en interdisciplinarité incitent à une telle inclusion. Les CISSS créent une opportunité de renforcer une approche concertée entre le social et la santé tant dans la pratique que dans les aspects académiques. Vous retrouvez en page 7 du mémoire des exemples de mandats ministériels dont les RUIS se sont acquittés au fil des ans.

Recommandation 2 : Maintenir, intégrer, valoriser et développer dans les CISSS les missions académiques héritées des établissements qui les composent.

Les changements proposés par le projet de loi ont pour objectif d'assurer une véritable intégration des services, permettant ainsi un parcours de soins plus simple et plus fluide pour les patients. Cependant, la valeur et la contribution de la mission académique dans cette réforme méritent d'être réaffirmées et précisées pour que les RUIS soient en mesure de continuer leur travail de mobilisation et de concertation de tous les établissements avec affiliation universitaire au profit de l'ensemble des régions de leurs territoires.

La création des CISSS laisse entrevoir des possibilités intéressantes au niveau de l'enseignement et de la recherche. Ces établissements, de concert avec les établissements à vocation suprarégionale présents dans un territoire de RUIS, peuvent et doivent être le moteur de développement des meilleures pratiques en mettant à profit une capacité d'innover importante au plan de l'efficacité et de l'efficience. Il est essentiel de protéger les acquis académiques des établissements qui composent les CISSS afin que ceux-ci puissent rehausser globalement la performance et la qualité de l'offre clinicoacadémique.

Recommandation 3 : Protéger la dimension académique en assurant une représentation universitaire adéquate dans la gouvernance des CISSS et des établissements suprarégionaux.

En tant que RUIS, nous soutenons les recommandations des milieux universitaires qui désirent avoir une représentation adéquate au sein des conseils d'administration des CISSS regroupant les établissements avec mission universitaire et les établissements à vocation suprarégionale. Pour bien s'acquitter de leur mandat, les RUIS ont besoin de continuer à travailler conjointement avec les décideurs académiques, les décideurs cliniques et les gestionnaires d'organisation de services dans l'ensemble de leurs territoires. À cet effet, pour que les acquis et la mission académique aient une représentation propre dans la gouvernance des CISSS, il faut aussi s'assurer que les directeurs de l'enseignement et de la recherche participent au comité de direction.

Enfin, nous reconnaissons avec les universités que les impératifs de la gestion de la recherche et de l'enseignement, dont les universités sont redevables devant les organismes accréditeurs et subventionnaires, requièrent un dialogue formalisé entre les institutions partenaires par le biais, entre autres, de contrats d'affiliation.

En conclusion, voilà la vision des RUIS pour leur implication future dans l'évolution du réseau de la santé. Nous souhaitons que la composition des comités de direction de chaque RUIS intègre les représentants des instances permettant de poursuivre l'interaction entre les établissements avec affiliation universitaire, les facultés et le CISSS des territoires. Nous souhaitons aussi que les quatre RUIS puissent poursuivre leur concertation par le biais de la table de coordination nationale. Enfin, c'est une vision qui mise sur la continuité et le désir de contribuer positivement aux transformations annoncées, lesquelles doivent préserver, selon notre expérience, les dynamiques locales d'organisation de services là où la population s'adresse en premier. Nous sommes disposés à répondre aux questions. Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, Dr Bergeron. Alors, s'ensuit donc une période d'échange avec les parlementaires. Le gouvernement avait 23 min 30 s... je dis «avait» parce qu'à la demande du ministre on vous a laissé excéder de deux minutes, donc, de 23 min 30 s. J'invite maintenant le ministre à échanger avec vous pour une période de 21 min 30 s.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, Dr Bergeron, Mme Bayard, Dr Benaroya, M. Lauzière, Mme Montreuil, merci d'être venus nous faire cette présentation-là, qui est très intéressante et très à point. J'ai lu votre mémoire, je le relisais pendant que vous faisiez votre présentation, et ça me donne l'impression que vous décrivez le projet de loi n° 10 mais avec un autre nom, qui est celui des RUIS, parce qu'essentiellement vous allez même un peu plus loin que moi, je pensais aller. Et je comprends d'ailleurs la raison pour laquelle vous allez dans cette direction-là. Vous, vous visez une intégration réelle mais qui va jusqu'au côté académique, et ça, je le comprends très bien.

Maintenant, j'aimerais ça que vous puissiez prendre quelques moments pour nous expliquer peut-être comment, aujourd'hui, on n'est pas arrivés ni, évidemment, à ce que vise le projet de loi n° 10 en termes d'intégration... Et c'est vrai que les RUIS ont fait beaucoup de choses, ça, je vous le concède. C'est tout à fait vrai, là, particulièrement sur le plan académique et sur certains corridors de services. Mais, moi, ma lecture, puis j'aimerais ça vous entendre là-dessus, est qu'il y a encore du chemin à faire. Puis j'aimerais ça que vous puissiez prendre quelques moments pour nous expliquer un peu, pour vous, du côté de la vision des RUIS, qu'est-ce qu'il manque actuellement dans le système pour qu'on puisse arriver à nos visions respectives, qui sont assez chevauchées, je dirais, là. Ce que vous avez décrit, ça correspond pas mal à ce qu'on a exprimé dans la commission parlementaire à date. Je sais que vous les avez suivies, d'ailleurs vous étiez ici hier, là, et qu'on a eu d'autres discussions avant pour Québec.

Alors, comment, du côté du RUIS... Qu'est-ce qu'il manque aujourd'hui pour que le RUIS fonctionne à la hauteur que l'on voudrait, votre vision étant très proche de celle du projet de loi n° 10?

• (10 h 20) •

M. Bergeron (Rénald) : Je vous remercie. Je pense que vous faites référence, quand vous nous posez cette question, à notre première recommandation : permettre qu'on atteigne notre plein potentiel en termes de capacité de favoriser l'intégration soins, enseignement, recherche. En 2003, 2005, lorsqu'on a créé, suite au rapport Carignan, cette structure RUIS, qui n'est pas une structure qui gouverne le système mais qui est une instance de concertation et de collaboration entre les réseaux de soins et les réseaux d'enseignement et de recherche pour assurer... Parce que vous savez que l'ensemble de la formation des professionnels de la santé, et là je ne m'adresse pas uniquement aux médecins, là, je m'adresse à tous les professionnels de la santé, ils sont formés en partie dans les milieux universitaires, dans la formation de base, mais la formation professionnelle comme telle s'exerce dans les milieux cliniques, d'où la nécessité du maillage étroit entre les fonctions universitaires puis les fonctions cliniques.

En plus que les milieux cliniques contribuent à la formation des professionnels, les milieux universitaires contribuent à rehausser la qualité des soins et services par le développement des connaissances et le transfert des connaissances dans les milieux. Donc, poursuivre ces objectifs-là à travers la réforme qui s'annonce, c'est, pour nous, continuer à rester un lieu de concertation et s'assurer qu'on développe les meilleures pratiques, qu'on les applique en temps utile, qu'on ne délaisse pas des secteurs du réseau, je dirais, laissés à eux-mêmes, sans avoir le support, entre autres, des réseaux universitaires et des milieux cliniques à vocation suprarégionale ou vocation tertiaire et quaternaire qui assurent que le patient pourra circuler dans ce réseau-là en temps utile, pour lui, avec le soutien de chacun des membres du réseau.

M. Barrette : Si on rentre un petit peu plus... Vous aviez fini?

M. Bergeron (Rénald) : Oui, c'est beau. C'est un peu...

M. Barrette : Vous m'aviez bien lu. Effectivement, c'est en regard de la recommandation 1. Et d'ailleurs je peux vous dire qu'en regard des réalisations que les RUIS ont faites, dans votre document, à la page 7, par exemple, vous avez fait des choses qui étaient exceptionnelles, dont les trois premiers items, pas que les deux autres ne le sont pas, là, mais c'est vraiment, vraiment des avancées dans la façon de pratiquer certains actes, particulièrement le point 3, là, pour ce qui est de la télémédecine dans les ACV. Ça, ça vient des RUIS, ça. Ça, ça vient du monde universitaire. Et je souscris à ce que vous dites sur ce plan-là.

Mais, encore une fois, je reviens un peu à ce que l'on vit sur le terrain actuellement. Le RUIS, vous le dites bien, puis je d'accord avec vous, le RUIS, c'est un terrain de concertation, et corrigez-moi si je me trompe, mais le RUIS a quand même eu des difficultés à mettre en place certains corridors de services, certains liens avec le réseau. Puis là je ne dis pas ça négativement, je dis ça dans le sens, simplement, qu'en termes de gouvernance ne trouvez-vous pas que, le RUIS, tel que vous le présentez, par rapport au projet de loi n° 10, les finalités se ressemblant beaucoup dans votre présentation, il y a un manque en termes de lignes de commandement, de gouvernance, d'autorité, dans l'état actuel des choses, là?

M. Bergeron (Rénald) : Les RUIS ne revendiquent pas un rôle de gouvernance du réseau. On pense que le rôle d'animation qu'on joue en mettant ensemble les acteurs qui sont responsables de la distribution des soins et services et les acteurs qui ont la mission universitaire et qu'on échange sur les meilleures façons... Et les sept ou huit points que j'ai mentionnés, et qui sont mentionnés dans le rapport, visent justement à permettre, entre autres, que l'ensemble du réseau clinique puisse participer à la formation des professionnels, que les milieux universitaires puissent descendre les meilleures connaissances dans l'ensemble du réseau clinique, qu'on puisse ensemble utiliser nos ressources pour mieux évaluer l'ensemble du réseau, pour faire une meilleure intégration social, santé dans le réseau. Actuellement, la transformation des problèmes cliniques, avec l'évolution de notre société, amène un développement important des maladies chroniques, le vieillissement de la population, tout le monde en parle. Ça exige qu'on travaille en étroite collaboration, les professionnels du secteur santé et social, pour assurer le meilleur service possible avec une meilleure concertation. Et là c'est comment soutenir la collaboration interprofessionnelle dans les réseaux.

C'est dans ce sens-là. Et je ne pense pas que nous, on doit développer une nouvelle gouverne du réseau. C'est à travers les établissements puis les structures des établissements que ce réseau-là donne ses lignes de conduite sur les services. Les milieux universitaires, en maillage avec ce réseau-là, deviennent des agents, je dirais, de soutien et de développement plus intégré. Je ne sais pas si mes collègues ont des commentaires additionnels. Louise aurait un mot.

Mme Montreuil (Louise) : Oui. En fait, ce qui est important, c'est que, quand on travaille pour, on dit, la collaboration, l'intégration, on s'organise pour descendre jusqu'au terrain et jusqu'aux équipes locales, et on s'organise pour faire travailler ceux qui, par la suite, vont être pris avec les changements qui vont avoir été introduits. Donc, si on veut que les équipes tertiaires...

Quand on parle de corridors de services, notre rôle, comme disait notre président, n'est pas de déterminer les corridors de services mais faire en sorte que ces corridors de services là amènent les équipes locales qui sont sur le terrain à être capables de bien prendre en charge ce qui peut être pris en charge en première ligne. Tout le monde veut que les services soient accessibles localement, donc il faut s'organiser pour donner aux cliniciens qui sont en place la formation nécessaire, le soutien nécessaire, et de leur centre régional et des centres tertiaires, pour qu'il y ait une espèce de continuité.

Alors, notre rôle, c'est de mettre ce monde-là ensemble, et, quand les nouvelles pratiques émergent, ce n'est pas quelque chose qui leur est parachuté d'en haut, c'est quelque chose qu'ils ont vu venir, qu'ils ont travaillé conjointement de part et d'autre et qui, là, fait qu'on peut avoir un résultat intéressant. Et c'est dans ce sens-là que, les exemples dont on parlait tout à l'heure, c'est comme ça qu'on les a travaillés avec le monde, donc il n'y a pas de surprise pour personne. Sinon, ça reste du papier.

M. Barrette : O.K. Mais vous êtes d'accord — vous allez probablement être d'accord, je vais vous laisser évidemment répondre à ce commentaire-là — qu'en quelque part il doit y avoir une gouvernance qui fasse la promotion de ça et qui s'assure que ce que vous mettez de l'avant se réalise. Et actuellement... puis là je vais prendre un exemple qui est, pour moi, simple, là, qui n'est peut-être pas très simple pour tout le monde, là, mais, quand je vous écoute, à un moment donné, dans un RUIS, de la façon dont vous le présentez, le cancer du côlon devrait avoir un ou deux protocoles, là, qui devraient être établis et entendus, puis on le suit, et celui qui fait le suivi dans un hôpital plus communautaire, bien, il est en lien direct avec les universitaires, et on suit le protocole, et là ça devient une question de gouvernance. Est-ce que je me trompe, là?

M. Bergeron (Rénald) : Je vous donnerais peut-être un des exemples qu'on a donnés, c'est, entre autres, le travail sur l'infarctus du myocarde. Avec l'Université de Montréal et les quatre RUIS, on a pu réduire de 30 minutes l'accès du patient à l'urgence la plus proche pour avoir une intervention rapide. C'est parce qu'on a mis ensemble les connaissances et mis ensemble les tables qui travaillaient sur le projet que ça a pu s'étendre à tout le réseau.

L'exemple sur la téléthrombolyse ou la thrombolyse dans les ACV, dans les accidents vasculaires cérébraux, actuellement on est en train de démontrer qu'on peut permettre à des patients d'éviter des séquelles majeures en pouvant les traiter, peu importe où ils sont dans une région, avec l'aide d'une concertation puis d'une communication entre des neurologues, dans un milieu quaternaire, et l'imagerie qui se rend en temps utile pour déterminer si les conditions de ce patient-là lui permettent de recevoir la thrombolyse. Et les exemples qu'on a eus après la mise en place, pendant deux ans, du protocole nous permettent maintenant de l'étendre à l'ensemble du réseau.

C'est comme ça dans plusieurs dossiers qui sont soumis aux RUIS, de regarder comment on peut faire des interventions plus concertées et diffuser ces modèles d'intervention là à travers l'ensemble du réseau. Ça n'exige pas de nous qu'on commande l'action, ça exige qu'on favorise la concertation pour que l'action se fasse.

M. Barrette : Je comprends très bien ce que vous dites et je suis d'accord avec ce que vous dites d'ailleurs, mais ne trouvez-vous pas qu'actuellement on a des exemples ponctuels de succès comme la téléthrombolyse mais qu'à large échelle on est encore à une certaine distance, trop grande, de l'intégration qu'on voudrait avoir?

Je vais vous donner un exemple, là, sans nommer d'hôpital, là, mais vous étiez ici hier, je le donnais. Je rencontrais dernièrement un hôpital plus communautaire, un hôpital de grosseur moyenne, qui n'a jamais réussi, en 10 ans, à avoir un corridor de services en oncologie avec son hôpital universitaire affilié. C'est parce qu'à un moment donné c'est ça qu'on veut, là. C'est le genre de chose qui ne se fait pas dans le réseau, pas par mauvaise intention de la part des RUIS mais, je dirais, par absence de pouvoir de mettre en place. Parce que, comme vous le dites avec justesse, le RUIS fonctionne en mode de concertation, et, en mode de concertation, évidemment il faut que l'autre partie le veuille. Et parfois il y a des évidences, puis j'aimerais ça vous entendre là-dessus, là, en termes de corridors qui devraient se faire puis qui ne se font pas, et ils ne se font pas parce qu'il y a des individus, à un ou deux bouts de la ligne, qui décident de dire non malgré les bonnes intentions et les bonnes volontés des RUIS.

• (10 h 30) •

M. Bergeron (Rénald) : C'est une question qui amène d'autres acteurs à pouvoir y répondre, parce que ce n'est pas les RUIS qui commandent la décision de dire : On va s'occuper de telle ou telle problématique de santé ou on est prêts à faire l'harmonisation.

L'autre chose, on a compris aussi, puis mes collègues le confirmeront sans doute, qu'on ne peut pas gérer plusieurs dossiers... Ce n'est pas à l'infini, les dossiers qu'on peut mettre en place en même temps avec cette concertation-là. Donc, il faut, avec l'aide du ministère et avec l'aide des réseaux cliniques, définir... puis avec l'aide... en sachant aussi les connaissances où on est rendu, dans quel secteur on peut mettre en place une telle concertation, et diffuser l'ensemble... et proposer une intervention, l'évaluer et ensuite la diffuser.

Donc, il y a un certain délai nécessaire pour chaque fois qu'on veut normaliser ou étendre une formation à l'ensemble du réseau. Je ne sais pas, Dr Benaroya, si vous avez la même vision que moi, mais je vous laisserais peut-être en parler un peu.

M. Benaroya (Samuel) : M. le ministre, M. le Président — étant là depuis le commencement — la raison d'être des RUIS, étant la création du premier ministre dans le temps, c'était d'arrimer le secteur académique avec leur expertise, soit universitaire ou d'établissement d'enseignement, avec le besoin de toute la communauté québécoise et c'était de donner une vision et une responsabilité accrue de la responsabilité sociale à ces acteurs-là.

Alors, dans le temps, cette façon de faire a évolué, et ce qu'on a appris, c'est... La meilleure façon d'y aller de l'avant, ce n'était pas en gérant des choses avec une autorité qu'on n'avait pas mais en facilitant les relations entre les acteurs qui avaient l'autorité nécessaire mais peut-être, parfois, pas l'expertise ou la neutralité pour faire avancer les choses entre régions. C'est de telle façon qu'on a eu des succès dans le temps, soit dans les éléments qui ont été abordés ou dans d'autres éléments, par exemple la télésanté, la santé mentale à distance, les services qu'on fait au Grand Nord, la promotion de la formation en région, etc. Tout ça, ça a été fait par l'entremise d'une bonne volonté entre les acteurs, mais sans autorité, tel que vous le décrivez, et sans beaucoup de budget non plus, comme vous le savez. Et c'est pour ça, peut-être, que, dans le projet de loi, il n'y a qu'une ligne sur les RUIS.

Ce qu'on voudrait, là, c'est que... Même sans budget et sans autorité, les RUIS ont été une expérience avec une plus-value, pour le Québec, unique, peut-être, au Canada, parce que ça n'existe pas, ça, ailleurs, cet arrimage entre le milieu académique et le milieu clinique, de telle façon. Et ce qu'on voudrait suggérer, c'est que, dans le projet de loi, qui va beaucoup dans le sens de ce que sont les objectifs des RUIS, la plus-value des RUIS soit mise de l'avant comme quelque chose qui pourrait supporter cette mise en place de ce projet de loi, et de ne pas oublier le rôle et la responsabilité sociale du secteur académique dont on parle, et de reconnaître ça d'une façon explicite. C'est ça qui manque, pour répondre à votre question.

M. Barrette : Je comprends. Sur un autre point, quand on regarde le développement des RUIS, vous allez convenir avec moi que le développement n'a pas été géographiquement très cartésien, il y a eu un côté plutôt aléatoire, on va dire. Et là, nous, le projet de loi n° 10 vient cartographier le Québec, vient faire un découpage. Comment vous voyez ça à court, moyen, long terme?

M. Bergeron (Rénald) : J'oserais dire que le développement ne n'est pas fait tout à fait de façon aléatoire, mais il a tenu compte à la fois d'une cartographie physique des régions et il a tenu compte des liens qu'avait chacune des universités dans ce réseau. Pour être capables de bien prendre en compte la mission qu'on avait, il fallait aussi, avec la période où on a augmenté les admissions en médecine et augmenté les admissions dans plusieurs programmes de santé, être capables d'avoir des bassins, je dirais, cliniques suffisants pour être capables de faire la formation.

Donc, les réseaux d'influence ont été faits de telle sorte qu'il y ait des exceptions au découpage physique. Comme, on sait que, dans le RUIS Laval, que je préside, Saguenay est associé, dans sa mission universitaire, avec le RUIS de Sherbrooke. Dans le RUIS de McGill, ils occupent des positions territoriales qui sont dans le RUIS physique de Sherbrooke mais par association dans leurs fonctions universitaires. Les découpages se sont faits comme ça. Montréal a fait la même chose, et l'université occupe certaines parties du RUIS de Laval et d'autres parties pour des fonctions, et nous nous occupons... nous travaillons, entre autres, avec Joliette dans un campus clinique pour des capacités réelles de fonctionnement. Ça n'a pas empêché l'efficacité clinique, d'une part, et ça a permis à ce que nos capacités académiques ou nos obligations académiques puissent être rendues.

La nouvelle... ou le projet de loi peut amener à repenser ou à créer d'autres exceptions pour assurer la fonctionnalité de chaque université en lien avec ces lieux cliniques de prédilection qu'ils ont pour assurer la formation. Et je pense que ça n'a pas été aléatoire mais bien en fonction des liens naturels ou qui s'étaient développés au fil du temps, qu'on a voulu respecter.

M. Barrette : O.K., deux points, peut-être, qui sont liés... bien, pas nécessairement liés, mais qui peuvent l'être. Nous, on veut évidemment garder les affiliations. Est-ce que vous avez quelque chose à nous dire sur l'affiliation de vos centres hospitaliers à l'intérieur d'un CISSS? Parce qu'un CISSS, ce n'est pas nécessairement un hôpital universitaire affilié, mais vous avez des affiliations, souvent, qui sont ponctuelles pour certaines activités. Comment voyez-vous la problématique, si vous en voyez une?

M. Bergeron (Rénald) : Là, «affiliation» et «désignation», on comprend, dans le projet de loi, qu'un bon nombre d'établissements actuels avec désignation ministérielle universitaire ou affiliation avec une université vont entrer dans un même établissement avec une dénomination CISSS. Pour la fonctionnalité des RUIS, ces représentations-là de ces établissements, que la loi semble vouloir appeler des installations, on devrait pouvoir les retrouver dans nos comités RUIS encore fonctionnels pour assurer le plein travail qu'on fait actuellement et l'optimiser dans le futur. C'est un peu le sens de la recommandation 2 et 3, c'est sur la composition des RUIS, s'assurer que les établissements qui ont une vocation universitaire définie puissent faire partie de la table des RUIS. Parce que juste les représentants P.D.G. d'un CISSS ne seront pas en mesure de tout amener l'expertise avec eux pour être capables de faire le maillage nécessaire entre les missions cliniques et académiques.

M. Barrette : Est-ce que... Oui, allez-y.

M. Benaroya (Samuel) : Vous posez une question essentielle vis-à-vis la reconnaissance de ces installations, si on veut employer ce terme-là, qui ont une vocation académique, et ça, ça soulève une tension qui est d'emblée mise de l'avant par le projet de loi. Le projet de loi parle de fusion complète d'établissements pour créer des CISSS, mais en même temps on parle d'une reconnaissance de l'installation qui a une vocation académique vis-à-vis son centre de recherche, sa fondation, son corps professoral qui a un lien universitaire et l'expertise qui se trouve là, qui donne au volet ruissien et au volet expertise, vis-à-vis le restant du réseau, une vocation qui est différente que le CISSS au complet qui a une vocation clinique pour un territoire concerné. L'objectif, je crois, serait d'arrimer les deux. Alors, ça, c'est un défi pour vous, comment établir cette reconnaissance d'établissements, ou installations, qui ont cette vocation-là dans une période où il y aura une fusion complète de ces installations dans un regroupement qui est plus grand.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à la période d'échange avec la banquette ministérielle. Je cède maintenant la parole à notre collègue de Taillon pour une période d'échange de 14 minutes.

• (10 h 40) •

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, Dr Bergeron, Mme Bayard, Dr Benaroya, Mme Lauzière et... M. Lauzière, pardon, et Mme Montreuil, bonjour. Merci beaucoup de votre présentation, de votre mémoire aussi. Je pense que les RUIS apportent une espèce de renouvellement dans notre système de santé, parce qu'ils déploient des nouvelles stratégies d'intervention, des nouvelles façons de travailler en collaboration. Vous avez fait référence... Je suis aussi professeure titulaire de clinique à l'Université de Montréal, donc je sais très bien qu'il y a énormément de projets qui se font au niveau clinique, donc pour la population, des projets qui touchent vraiment les patients, et des projets également sur l'organisation des soins et qui sont beaucoup coordonnés par les RUIS. Malheureusement, ce que je constate, c'est que, très souvent, ces projets-là, qui sont des projets gagnants, dont les résultats sont positifs, qui font l'objet de publications, de présentations dans des congrès mondiaux, on ne les applique pas ensuite ici, au Québec, pour les Québécois. Ça reste quelque chose qui n'est pas entendu pour être repris après et appliqué auprès des patients du Québec.

Alors, je me dis : Dans le projet de loi n° 10, est-ce que... Je vois que vous avez répondu à plusieurs fois à des mandats ministériels, mais est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'avoir une situation où les RUIS pourraient faire des recommandations par eux-mêmes sur des mesures qui amélioreraient la fluidité des services de santé au Québec? Parce que vos recherches sont aussi très branchées sur le Québec. On n'importe pas des modèles de l'extérieur, là, on fait des choses avec notre modèle québécois sur l'interdisciplinarité ou sur une meilleure organisation des soins. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Bergeron (Rénald) : La loi, la LSSSS, quand on a défini les RUIS, prévoit que les RUIS puissent donner des avis, voire des propositions, voire des recommandations tant aux agences qu'aux établissements, qu'au ministère. Et la table de coordination nationale, qui réunit les quatre RUIS, a un comité exécutif qui réunit les présidents des RUIS avec ses vice-présidents, les P.D.G. des agences, le sous-ministre de la DGSSMU, donc la direction générale des soins et services santé, sociaux du ministère, avec son directeur des affaires universitaires, et, plusieurs fois par année, nous nous réunissons pour échanger sur les enjeux du réseau et les possibilités d'intervention que nous avons. Et chaque RUIS a la possibilité de déposer sa vision des développements ou des enjeux qu'il y a dans son réseau. Et donc c'est par là...

Tout n'est pas commandé par le ministère, mais il y a des projets qui sont issus de certaines régions, qui passent par la table de coordination et qui reviennent par une demande au ministère. Les exemples qu'on a donnés... Par exemple, ce qu'on travaille actuellement sur la maladie d'Alzheimer avec la formation des médecins en première ligne dans les réseaux des GMF est issu d'une concertation de l'ensemble du réseau, et chacun des réseaux RUIS est en train d'étendre à la fois la formation, mais la capacité d'intervention pour des détections précoces et des interventions en milieu... chez le domicile du patient pour assurer l'intervention la plus efficace possible, le plus tôt possible dans la découverte de la maladie. Donc, c'est un exemple où on peut intervenir en proposition et à soutenir des interventions.

Il n'y a pas beaucoup de projets qu'on a réalisés, je pense, qui se font à l'extérieur du Québec sans qu'ils ne se fassent au Québec. Tous les projets que nous avons soutenus sont en mouvement. Je pense à la douleur chronique, je pense à l'initiative qui a été créée, du Réseau de collaboration sur les pratiques interprofessionnelles, qui déploie actuellement une formation à l'ensemble des intervenants dans les régions pour être capable de rapprocher nos professionnels santé et nos professionnels des services sociaux pour une meilleure intervention, l'optimiser auprès des clientèles, c'est un autre exemple.

Donc, je ne crois pas que les RUIS sont seulement en réponse à des demandes ministérielles, mais on est en interaction ensemble à produire, je dirais, à définir, même, quelles sont les orientations qu'on pourrait le mieux travailler ensemble. Et, dans l'histoire de notre évolution des dernières années, chaque RUIS se voit, à son tour et selon ses intérêts, ou ses capacités, ou ses expertises... se voir doter d'une analyse d'une situation et de la proposer à ses collègues par la suite.

Mme Lamarre : Et la façon dont vous procédez actuellement vous donne satisfaction, et vous ne voyez pas d'intérêt, là, à peut-être préciser ça dans le projet de loi n° 10? Est-ce qu'il y aurait une façon de préciser davantage votre contribution? Je pose la question, là, vraiment en toute objectivité, là, si, là, ça fonctionne.

M. Bergeron (Rénald) : Nous avons mis dans... Nous avons explicité, dans notre mémoire, qu'on pense que la loi n° 10 devrait convenir que les RUIS doivent continuer, que leur mandat puisse être élargi avec les points que j'ai signalés tantôt, qui sont à la page 8 du mémoire, je crois, et qu'on puisse travailler en synergie avec le réseau. Et je pense que c'est en ce sens-là que le projet de loi devrait faire davantage état de cette capacité de concertation et de mobilisation des différents acteurs touchant les secteurs cliniques et académiques au profit de la transformation de notre système et au profit de meilleurs soins pour l'ensemble de la population.

Mme Lamarre : Merci. Dans votre introduction, vous avez parlé de quelque chose qui me semble très, très pertinent et qui traduit peut-être, là, l'espèce de décalage que je vois entre ce qui peut se faire et ce qu'on enseigne dans nos universités. Et, peut-être, ce qu'on retrouve un peu moins sur le terrain, c'est toute la culture d'évaluation, la culture d'évaluation des professionnels de la santé, que ce soient les pharmaciens, les infirmières, les médecins, savoir qu'on doit être capable de contribuer à fournir des informations qui vont par la suite permettre une rétroaction et une évaluation de nos compétences, de nos actions, bonnes et moins bonnes, pour qu'on donne à la population du Québec le meilleur de ce qu'elle mérite, puisqu'elle nous donne déjà beaucoup. En santé, elle mérite d'avoir le mieux, et, pour ça, je pense qu'il n'y a aucun individu qui peut se soustraire à un processus d'évaluation. Est-ce que, dans le projet de loi n° 10, vous voyez des éléments qui vont contribuer à ça?

M. Bergeron (Rénald) : De mémoire, je ne le vois pas précisément, mais c'est clair que, pour nous, tout cet aspect d'évaluation des pratiques, les unités d'évaluation des technologies et modes d'intervention en santé travaillent de concert dans nos réseaux, ensemble, à produire quelles sont les pratiques qui ont le plus de capacités à donner les effets attendus avec le moins d'effets, je dirais, néfastes. Et actuellement nos réseaux travaillent souvent proche avec les résultats qu'amènent les groupes comme INESSS, en particulier. Et nos CHU, en particulier dans les quatre RUIS, travaillent à développer ces pratiques d'évaluation là à l'intérieur des moyens qu'ils ont. J'oserais penser qu'ils sont quand même minces, ces moyens-là, actuellement, et qui fait qu'on n'arrive pas à donner autant qu'on voudrait. Mais, cette préoccupation-là, tous les établissements dans nos réseaux RUIS réclament cette capacité de mesurer ce qu'ils font pour être capables d'ajuster l'intervention de manière plus efficace. Oui, Sam.

M. Benaroya (Samuel) : Vous et M. le ministre avez dit des choses semblables vis-à-vis un rôle accru du secteur académique dans la réforme, ce qui est de donner de son expertise sur des aspects de plus-value de la réforme qu'on pourrait mesurer. Et je suis complètement d'accord avec vous deux qu'on pourrait encadrer dans le projet de loi un élément qui dirait que les RUIS, c'est-à-dire le réseau académique, les universités, les centres hospitaliers avec désignation, devraient être... faire partie prenante de... même de la direction des CISSS qui vont être créés vis-à-vis les enjeux qualité de service, la mesurer, l'évaluation des services, la mesurer, l'expertise vis-à-vis la formation de la recherche qui pourrait être intégrée dans le fonctionnement de tous les CISSS au Québec — ça se fait déjà, mais ça pourrait être renforcé — et de faire de ça un volet de responsabilité accrue pour ce réseau-là, qui devait l'avoir, ça fait partie de leur mandat ici, au Québec, d'avoir une responsabilité sociale au-delà de leurs propres murs. Et c'est ça, l'idée de l'intégration. C'est que les partenaires s'ajustent ensemble pour donner de leur propre expertise pour la plus-value de la population, pas seulement dans la région du territoire, mais dans la région élargie du Québec.

Alors, je pense que vos suggestions vont vraiment dans le sens du mémoire, et même encore peut-être plus précis que signalé dans le mémoire. Et je pense que nous sommes d'accord avec cette façon de faire pour l'avenir. Alors, merci pour l'avoir soulevé.

• (10 h 50) •

Mme Lamarre : Parce que je crois que les milieux universitaires sont ceux qui ont, en général, l'objectivité. Ils sont perçus comme des organismes qui ont moins de partis pris que d'autres par rapport à l'innovation et, justement, la reconnaissance de la valeur ajoutée de cette mesure. Je vous dirais que, par contre, ma perception, c'est qu'il faut dépasser les mesures, il faut changer les comportements aussi après. Et ça, c'est là, je pense, qu'on arrive à des dimensions qui ne sont pas nécessairement dans votre mandat mais qui, je pense, auraient dû être faites depuis déjà très longtemps.

Je prends un exemple. Pour les patients qui ont une insuffisance rénale, on sait que la clairance de la créatinine, c'est une mesure qui évalue le fonctionnement des reins. Eh bien, ça devrait être disponible à beaucoup plus de professionnels, parce que cette mesure-là, elle permet de diminuer les doses de médicament ou de changer de médicament pour un autre patient. On le sait, on a tout le potentiel pour le faire, on a des médecins compétents pour le faire, des pharmaciens, des infirmières, d'autres professionnels, peut-être, et on ne rend pas ces données-là disponibles, et on ne permet pas aux professionnels de réaliser la protection qu'ils peuvent faire auprès de leurs patients.

Alors, c'est un peu dérangeant qu'en 2014 on soit encore juste dans des contextes où on fait seulement des mesures ou des projets pour dire : Ah! c'est sûr, ça démontre que ce serait mieux, mais on ne le transporte pas après auprès des professionnels, et les patients n'en bénéficient pas. Alors, je ne sais pas comment il faut le faire, mais, en tout cas, sachez que moi, je pense que les RUIS ont un rôle aussi de démontrer vraiment et d'insister pour que certaines mesures, certains éléments d'intervention soient faits autrement et qu'ils donnent vraiment la protection de la population à laquelle elle a droit. Alors, là-dessus, je pense que vous avez un mandat et une crédibilité pour pouvoir faire évoluer ces choses-là.

Je vous dirais... Les services sociaux. Tantôt, vous avez parlé de la maladie d'Alzheimer. Puis il nous reste une minute, mais, dans les projets que vous faites... Parce que, dans des maladies, en particulier dans la santé mentale, les enjeux, ensuite, c'est vraiment la thérapie. Oui, ça peut être intéressant, les médicaments, mais il y a toutes les dimensions sociales qui gravitent ensuite sur la pertinence de l'intervention et la qualité de vie de la personne malade et des proches aidants. Est-ce que vous avez des projets qui vont jusque-là? Est-ce que vous encouragez également le développement de projets innovateurs dans l'organisation des soins pour les services sociaux?

M. Lauzière (Marc) : Si vous me permettez, présentement, à partir de l'INESSS, il y a deux guides de pratique qui sont mis à... qui sont en train de se développer : un guide de pratique clinique sur le repérage des maladies Alzheimer et les maladies apparentées et un guide pour l'utilisation optimale des médicaments pour l'alzheimer. Ça fait qu'à la demande de la table de coordination nationale, bien, je représente les quatre réseaux sur le comité de suivi, de l'implantation et de la préparation de ces... Alors, c'est un exemple, là, qui nous permet, les RUIS, de voir comment ces guides-là vont être implantés dans chacune de nos régions et avec chacune de nos particularités régionales et de territoire. Alors, c'est peut-être un exemple qui pourrait... Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à l'échange avec les représentants de l'opposition officielle. Je cède maintenant la parole au représentant du deuxième groupe d'opposition, le député de La Peltrie, pour une période de 9 min 20 s.

M. Caire : Merci, M. le Président. Bonjour à vous cinq. Dr Bergeron, tout à l'heure, vous avez dit : Quand on a établi les RUIS, il y a des affinités naturelles qui sont venues remplacer un peu, si vous voulez, ou se... aller au-delà des frontières administratives, des découpages administratifs. Vous avez donné l'exemple de Sherbrooke et Saguenay—Lac-Saint-Jean, vous-même avec Joliette, McGill. Et je vois, dans votre recommandation 2, que vous semblez avoir des craintes que ces affinités-là se perdent dans le nouveau redécoupage administratif des CISSS puis je me demandais pourquoi. Parce que, dans le fond, ce que je comprends, c'est que les liens naturels vont rester des liens naturels au-delà des découpages administratifs, puisque ces découpages administratifs là, actuels, n'ont pas empêché ces liens-là de se faire. Donc, de quelle façon on peut appliquer la... ou quelle est la pertinence, je dirais, de la recommandation 2?

M. Bergeron (Rénald) : La recommandation 2 ne vise pas d'abord ces craintes-là mais vise la représentation des milieux avec vocation académique au sein des RUIS pour qu'on puisse être en maillage fonctionnel, rester en maillage fonctionnel. Parce qu'actuellement, si on se fie sur la définition, les CISSS qui vont, par exemple, regrouper des établissements à l'intérieur desquels un établissement est relié à une université, un autre à une université, sur le plan administratif, ça peut être compliqué de gérer les représentations. Et c'est pour ça qu'on soulignait l'importance de maintenir les relations avec — je vais appeler ça les installations, comme elles sont nommées dans la loi — les installations à vocation universitaire et garder leurs liens avec l'université d'attache dans laquelle ils travaillent actuellement. C'est ça qu'on veut dire. On n'a pas voulu soulever une crainte comme tant de porter attention, qu'il fallait maintenir ces liens-là pour assurer la fonctionnalité qu'on connaît actuellement.

Il y a certains territoires qui causent peut-être des problèmes plus spécifiques. Je dirai qu'on ne les a pas analysés en tant que RUIS. On laisse aux établissements et à leurs universités d'attache à définir la problématique plus clairement.

M. Caire : Puis, à ce moment-là, comment on peut adapter ou modifier le projet de loi pour s'assurer de maintenir ces liens-là?

M. Bergeron (Rénald) : Nous avons...

M. Caire : Quelles recommandations vous nous feriez, là, dans les modifications du projet de loi?

M. Bergeron (Rénald) : Le projet de loi ne s'est pas attaché à définir quelle serait la composition des RUIS. Ce qu'on dit, c'est qu'il faudrait qu'ils en parlent un peu plus ou qu'ils nous consultent pour définir qui devrait être présent sur les nouveaux comités directeurs des RUIS. Nous, on plaide pour que les établissements ou les installations qui ont mission universitaire, par contrat d'affiliation ou désignation, puissent demeurer. Évidemment, les directions des CISSS et les directions d'hôpitaux, que je vais appeler à vocation suprarégionale hors CISSS, devraient effectivement être présentes aussi à ces tables-là. C'est un peu comme ça qu'on... Mais là il y a une analyse plus fine à faire ensemble pour assurer qu'on n'échappe pas, là. Peut-être qu'Isabelle, tu peux compléter.

Mme Bayard (Isabelle) : En fait, une partie de la préoccupation, c'était également que, dans les CISSS, l'héritage des établissements qui vont composer ces CISSS là, ceux qui ont une vocation académique, puissent continuer de l'exprimer aussi avec leadership à l'intérieur des CISSS. Donc, il y a leur contribution au niveau des RUIS et dans les comités de direction de RUIS, mais, au sein même de leur nouvel établissement, qu'ils puissent continuer de promouvoir et de développer leur mission académique, donc éviter que ce soit noyé dans le reste. Parce qu'il y a quand même des acquis importants, il y a un leadership, dans les établissements, qu'il faut reconnaître et valoriser.

M. Caire : Ce qui m'amène, de façon logique, à la recommandation n° 3. Le CHU de Sherbrooke, hier, nous disait : Bon, bien, ce serait intéressant qu'à l'intérieur du CISSS, de notre CISSS, on ait des gens qui nous représentent, deux représentants au conseil d'administration. On a aussi eu l'institut de cardiologie de Québec qui a dit : Bien, nous, il faudrait qu'on ait un conseil d'administration complètement autonome. C'est essentiel pour préserver notre mission, notre efficacité. Vous parlez, vous, d'avoir une représentation universitaire adéquate. Comment on peut concilier ça? Parce que même le niveau universitaire ne semble pas s'entendre sur ce qui serait adéquat comme degré d'autonomie ou comme degré d'influence dans le cadre de la présente réforme, bien évidemment, là.

M. Bergeron (Rénald) : Sans vouloir questionner le modèle de la réforme, juste vous exposer... puis ce n'est pas aux RUIS... Ce n'est pas notre rôle premier de définir les représentations des universités sur les conseils d'administration. Par ailleurs, on peut, en tant qu'instance de concertation, comprendre que, dans une région, par exemple, où il y a 10 établissements à vocation universitaire, qui ont chacun, actuellement, deux représentants sur les conseils d'administration... Si le projet se maintenait de la même façon et qu'ils se regroupent sous un seul CISSS, il n'y aurait qu'un seul représentant universitaire sur le conseil d'administration, c'est ce que les universités semblent vouloir dire, ça fait un affaiblissement important de représentation. Et la capacité de communiquer les enjeux de la recherche et de la formation professionnelle à de multiples professionnels est affaiblie sérieusement.

Pour la capacité de travail des RUIS, ce n'est pas au niveau des conseils d'administration que nous, on travaille. On travaille avec les établissements à désignation... ou les installations à désignation universitaire. Notre apport, et c'est pour ça qu'on n'insiste pas, on appuie les universités dans leurs demandes pour avoir une représentation adéquate afin que la communication entre... Parce qu'une grande partie des milieux cliniques, actuellement, accueillent un grand nombre d'étudiants en formation de différentes disciplines, ce qui plaide en faveur d'une représentation ajustée. Sam, peut-être?

• (11 heures) •

M. Caire : Mais, parallèlement à ça, bien... Aviez-vous terminé? Je m'excuse.

M. Bergeron (Rénald) : Je passerais peut-être... Sam aurait peut-être...

M. Caire : Oui, allez-y, allez-y.

M. Benaroya (Samuel) : On pourrait répondre à votre question, M. Caire, d'une façon plus générale, c'est-à-dire : Étant donné les enjeux qui ont été soulevés par Dr Barrette et Mme Lamarre sur le rôle accru des RUIS ou le secteur académique, une façon de le faire, c'est d'intégrer cette expertise dans les directions et/ou les conseils d'administration des établissements qu'on va créer, c'est-à-dire les CISSS. Alors, c'est la même chose qui est dite par les universités, par les centres académiques, les centres désignés. Tous disent la même chose : Pour pouvoir renforcer et promouvoir notre volet académique, il faudrait cette expertise-là reconnue au sein d'un conseil d'administration qui a une responsabilité pas seulement clinique, mais aussi enseignement, recherche, évaluation de la technologie, évaluation de la qualité, etc., au sein de la direction de l'établissement qu'on va créer. Ça, c'est le point général.

Alors, la façon de faire, ça pourrait être d'avoir sur les conseils d'administration des personnes qui ont ces expertises-là, qui pourraient promouvoir cette façon de faire au sein de chaque CISSS. Parce que, finalement, chaque CISSS au Québec a un volet académique. Alors, c'est ça, le grand enjeu ici, et vous l'entendez de différents intervenants, qui le posent d'une façon différente, mais l'objectif est le même pour tous.

M. Caire : Bien, justement pour nous éclairer dans la réflexion... Parce que, tout à l'heure, le ministre disait : Vous allez quand même, peut-être, même plus loin que ce que la réforme nous propose en disant... Vous voulez intégrer tout le volet académique. Je pense que ce n'est pas une mauvaise idée. Maintenant, est-ce que ça ne devrait pas se traduire par une certaine forme d'autorité, là? Parce que vous avez parlé : Bon, bien, les RUIS sont des organismes de concertation, de discussion, on travaille de cette façon-là, mais effectivement, sur le volet corridors de services, il y a peut-être eu des lacunes. Sur l'intégration du volet académique, vous ne pensez pas qu'on pourrait passer à une autre étape, à un autre niveau puis, justement, avoir un volet un peu plus décisionnel?

M. Bergeron (Rénald) : Nous ne réclamons pas de prendre une partie du pouvoir à la fois du ministre, ou des régions, ou des établissements à se déterminer. Ce que nous, on souhaite, c'est assurer le maillage des missions, et on n'a pas besoin d'avoir une délégation d'autorité pour le faire. D'ailleurs, la création des RUIS n'a pas voulu donner l'autorité aux RUIS de décider les choses.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci, malheureusement... J'ai un rôle ingrat comme président, je vous ai même accordé quelque temps supplémentaire. Alors, ceci met fin à la période d'échange. Merci d'avoir participé au débat. Merci aux représentants, représentantes de la Table de coordination nationale des RUIS.

J'invite maintenant le prochain groupe à prendre place et je suspends momentanément nos travaux. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 4)

(Reprise à 11 h 8)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, nous allons reprendre nos travaux. Nous accueillons maintenant les représentantes, représentants de l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec. Je vous invite donc à vous présenter, et par la suite vous aurez une période de 10 minutes pour votre présentation, et s'ensuivra un échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Ordre des orthophonistes et audiologistes
du Québec (OOAQ)

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Bonjour, M. le Président, M. le ministre, membres de la commission. Mon nom est Marie-Pierre Caouette, je suis présidente et directrice générale de l'ordre. Je suis accompagnée de François Bergeron, qui est audiologiste et vice-président de l'ordre, et Mme Josée Larocque, qui est directrice des services professionnels aussi à l'ordre.

Merci de nous donner l'opportunité de présenter le point de vue de l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec. Après un rappel de la mission de l'organisation et des conséquences des troubles de la communication, nous allons proposer... en fait, présenter quatre préoccupations. Et, pour la population, dans un esprit de partenariat avec l'État, nous proposerons des pistes de solution relativement simples et peu coûteuses pour bonifier le projet de loi et éviter des effets imprévisibles.

En fait, la mission de l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec, c'est de protéger la population dans le domaine d'exercice des 400 audiologistes et 2 200 orthophonistes du Québec, soit l'audition, le langage, c'est-à-dire parler, comprendre, lire, écrire, la voix, la parole, la communication et leurs troubles. L'ordre intervient aujourd'hui, donc, dans l'angle de la protection du public. Notre propos ne concerne pas tant le modèle de gouvernance et la gestion de la structure organisationnelle, parce que ce n'est pas, en fait, la compétence d'un ordre, mais nous allons plutôt mettre l'accent sur les impacts possibles des moyens mis de l'avant dans le projet de loi pour l'accès et la qualité aux services des personnes rendues vulnérables par un trouble de la communication. Et, je le rappelle, ce sont des personnes qui, en raison de la nature même de leurs atteintes, ne sont pas en mesure de venir exprimer eux-mêmes leurs préoccupations devant la commission.

• (11 h 10) •

D'entrée de jeu, l'Ordre des orthophonistes et audiologistes partage les objectifs visés par le projet de loi. Compte tenu des pressions exercées sur les finances publiques, l'ordre adhère aussi au fait qu'une mobilisation de l'ensemble des intervenants doit se faire sans plus attendre pour optimiser le réseau de la santé et des services sociaux, il ne faut pas l'oublier.

Si l'Ordre des orthophonistes et audiologistes croit que le leadership manifesté par le dépôt du projet de loi n° 10 peut être une opportunité, un momentum de commencer les travaux, il faut cependant que cette activité, cette action soit planifiée et concertée pour devenir, en fait, un levier de mobilisation et susciter l'adhésion aux changements de culture, en fait, pour que la synergie nécessaire soit au rendez-vous sur le terrain pour éviter les dérapages qu'on pourrait appréhender. Parce que, si l'ordre partage l'intention, il n'est cependant pas convaincu que les moyens choisis vont donner les effets escomptés pour répondre aux besoins réels des personnes qui ont des problèmes de communication, notamment l'amélioration de l'accès aux services en réadaptation, sans en sacrifier ni la qualité ni la sécurité.

Les personnes, rappelons-le, les plus susceptibles de présenter des problèmes de communication, c'est-à-dire les moins de 14 ans et les plus de 65 ans, représentent une personne sur trois au Québec. Dans son mémoire déposé à la commission, l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec présente beaucoup de données qui sont très loin de ce qu'on peut retrouver dans les salles d'urgence et dans les salles de chirurgie. En fait, c'est pour permettre aux décideurs d'apprécier l'ampleur de ces problématiques et de mieux mesurer les impacts des troubles de la communication. Donc, l'objectif de l'ordre, c'est d'éclairer les élus, dans une perspective plus globale, dans les décisions qu'ils auront à prendre, spécifiquement dans le cadre du projet de loi n° 10, mais aussi pour, encore une fois, assurer la cohérence dans l'ensemble des mesures qui seront requises pour optimiser le service de santé.

Si les problématiques de communication sont méconnues et souvent invisibles, leurs conséquences, elles, sont très lourdes pour la population, pour la qualité de vie des gens et aussi en raison des pressions énormes qu'elles exercent sur le système de la santé et sur l'ensemble des finances publiques. Parmi ces conséquences, mentionnons l'échec de la scolarisation et de la diplomation, l'intimidation, le décrochage scolaire, l'intégration et le maintien en emploi compromis, des conséquences psychosociales comme l'isolement, la dépression, l'appauvrissement, la détérioration de la qualité de santé. Les troubles de la communication causent aussi de l'épuisement chez les proches et chez les soignants. Ils sont une entrave au maintien à domicile sécuritaire, à la capacité de prendre ses médicaments adéquatement ou de suivre un traitement tel que prescrit, à exprimer ses besoins et, ultimement, ses dernières volontés à ses proches ou aux intervenants. Donc, on voit que les troubles de la communication nuisent à la pleine participation sociale. Ils entraînent une perte de productivité, ils contribuent à aggraver l'état de santé et à augmenter les coûts en santé aussi, et donc, au final, ils ont des répercussions significatives sur l'ensemble de la société.

Donc, les quatre préoccupations que l'ordre aimerait apporter sont les suivantes :

D'abord, en ce qui concerne la prise de décision, autant dans les conseils d'administration que dans les conseils... les directions d'établissement des nouveaux CISSS, qui seront les décideurs qui vont posséder la connaissance de la complexité du continuum de soins en réadaptation et en services sociaux, incluant l'expérience des usagers par rapport à ce type de services?

On dit souvent : On ne sait pas ce qu'on ne sait pas. Alors, l'ordre pense qu'il y aurait lieu de prévoir la nomination de gardiens de cette expérience au sein des instances décisionnelles.

Deuxièmement, comment va-t-on garantir à la population la pérennité des services en réadaptation dont ont besoin les personnes qui présentent, par exemple, des déficiences langagières et auditives?

Ce sont des problématiques complexes qui nécessitent des interventions en interdisciplinarité, souvent par des équipes spécialisées, surspécialisées. Et l'ordre est extrêmement préoccupé par le fait que le volet de déficience langagière a disparu de plusieurs régions dans l'annexe I de l'actuel projet de loi et ose espérer qu'il peut prendre pour acquis que ce n'est qu'une coquille qui sera rapidement corrigée.

L'ordre souhaite que les budgets en réadaptation soient garantis, fermés et indexés annuellement de façon à ce que les surplus générés par les projets d'optimisation demeurent dans les programmes concernés, en fait, pour continuer de réduire les temps d'attente et améliorer la qualité des soins, mais aussi pour motiver les équipes à poursuivre leurs efforts. Autrement dit, on veut éviter que des prises de décision non intégrées, avec une vision plutôt à court terme, fassent en sorte que des surplus générés par l'optimisation en réadaptation soient systématiquement pompés dans les salles d'urgence, par exemple, quelque chose qui pourrait se passer.

Troisièmement, le projet de loi n° 10 peut-il vraiment contribuer à simplifier la trajectoire en respectant la logique de services en orthophonie et en audiologie sur tout le continuum?

Donc, oui, les orthophonistes et les audiologistes sont en réadaptation, mais on parle aussi de toute la première ligne qu'il faut renforcer, donc la prévention, l'intervention précoce en petite enfance, le soutien aux familles, aux autres intervenants de l'équipe, maintien à domicile, etc. Les décisions concernant la pertinence des services vont-elles s'effectuer en tenant compte des données probantes et des meilleures pratiques connues pour préserver l'efficacité de ce type d'interventions? Dans le projet de loi actuel, par exemple, on voit qu'il y a des regroupements d'établissements qui ont été faits, à Montréal notamment, qui sont faits en fonction de la géographie. Et il y aurait tout avantage à ce que le découpage soit réajusté de façon à tenir compte davantage d'une logique de trajectoire de soins.

Finalement, les nouvelles mégastructures mises de l'avant par le projet de loi. À l'intérieur de ces mégastructures, qui va être responsable du soutien aux professionnels et d'assurer le maintien de la qualité des soins pour la population? En d'autres mots, qui prend soin de celui qui prend soin?

L'ordre est particulièrement soucieux que les professionnels présentement reliés au conseil multidisciplinaire, les interlocuteurs de l'ordre, continuent d'être soutenus par des leaders qui connaissent la logique des soins. Qui va être imputable des professionnels? Qui va les évaluer? Qui va évaluer la performance?

Donc, en terminant, l'ordre réitère son souhait de poursuivre la réflexion et les travaux avec l'État afin de mettre ses compétences au service des élus pour une prise de décision éclairée et cohérente pour la population. Merci de votre attention.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, s'ensuit maintenant une période d'échange avec les parlementaires, et je cède la parole au ministre de la Santé et des Services sociaux pour une période de 21 minutes.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Mme Caouette, M. Bergeron, Mme Larocque, bienvenue. Je suis très content que vous ayez pris ce temps-là pour venir nous faire part de vos impressions et de vos opinions sur le projet de loi n° 10. Puis, d'entrée de jeu, bien, écoutez, je vous remercie de vous avoir exprimé dans le sens du projet de loi n° 10. Je pense que vous avez bien compris la finalité de la chose et surtout le contexte dans lequel ce projet de loi s'inscrit. Et cette lucidité-là me rafraîchit, je vous dirais, parce que, des fois, on reçoit des commentaires qui sont plus intempestifs. Là, vous avez fait un commentaire qui était très réfléchi, et je vous en remercie, il va dans le sens du projet de loi.

Maintenant, vous avez aussi soulevé des points, dans vos quatre points, qui... permettez-moi, là, puis vous me corrigerez si j'interprète mal vos propos, vous avez exprimé des inquiétudes parce qu'évidemment, dans le projet de loi, il n'y a pas de règlement, il n'y a pas de démonstration de comment va se faire la transition, et ainsi de suite. Et je comprends très bien vos inquiétudes, elles sont, de la façon dont vous l'exprimez, tout à fait normales, et je les reçois très positivement. Je vais reprendre des points pour que vous puissiez avoir une réponse claire à votre questionnement, puis après peut-être qu'on échangera sur le détail de votre profession.

Pour ce qui est de la prise de décision, quand vous regardez le projet de loi, la prise de décision va se faire, évidemment, par une direction. Et, quand on met dans le projet de loi les éléments qui visent à ce que des gens soient évalués selon leurs compétences avant d'être nommés dirigeants, qu'ils soient au conseil d'administration, ou P.D.G., ou P.D.G. adjoints, ou directeurs — parce qu'il va y avoir des directeurs — bien, l'objectif, c'est de s'assurer que les gens qui soient nommés soient compétents en gestion mais aussi — puis je l'ai dit à plusieurs reprises et je le redis aujourd'hui avec insistance — qu'ils aient une connaissance du réseau.

• (11 h 20) •

Et, quand vous dites que vous espérez que les gens qui vont décider savent de quoi ils parlent quand vient le temps de la réadaptation de l'audiologie, l'orthophonie, et ainsi de suite, vous avez 100 % raison. On ne peut pas mettre en place... Et c'est un peu la raison pour laquelle il y a cette mécanique-là. Et on me reproche constamment d'avoir un pouvoir, mais mon pouvoir, il vise à faire en sorte — puis on l'écrira d'une autre manière dans le futur — que, quand les gens sont nommés à la direction d'un CISSS, peu importe le niveau, du conseil, au P.D.G., au directeur, bien, il faut absolument qu'on ait une compétence élargie. On ne peut pas... Puis je ne tolérerai pas, moi, qu'une administration d'un CISSS soit — comme vous l'avez dit avec justesse — compétente en bloc opératoire seulement. Ça, ça s'appelle un département de chirurgie. Ce n'est pas ça, un CISSS, là.

Alors, il est essentiel pour nous de faire en sorte que les gens de votre secteur et, je dirais, des secteurs connexes, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas les spectaculaires, là, la salle d'opération, l'hôpital, donc, tout ce qui est réadaptation, tout ce qui est plus vers le social... Parce que vous, évidemment, vous êtes dans un secteur d'activité qui est clinique, mais, comme vous l'avez bien exprimé, il y a un volet social qui est conséquentiel. Alors, on ne peut pas passer à côté de ça. C'est la même chose pour la jeunesse, c'est la même chose pour la déficience physique ou intellectuelle. Ces administrations-là, dans la loi, doivent, de façon garantie, et ça sera le cas, avoir des représentants qui ont la connaissance appropriée du milieu.

Peut-être que vous conviendrez, ou non, puis vous y reviendrez tantôt, que parfois il peut y avoir des chevauchements de connaissances entre certains secteurs. Je pense à la réadaptation. Est-ce que la réadaptation intellectuelle et physique sont à ce point-là éloignées l'une de l'autre qu'on doit avoir deux personnes? Ça, je suis ouvert au débat. Est-ce qu'une personne qui est dans votre secteur peut chevaucher un autre plan, un autre secteur d'activité? C'est vous qui allez me dire votre opinion là-dessus, mais il devra y avoir quelqu'un qui a une connaissance, j'allais dire «minimale», mais évidemment elle devrait être maximale, dans votre secteur d'activité. Si on ne fait pas ça, là, le projet de loi ne donnera pas de résultat. L'intégration qu'on vise, là, l'intégration qu'on vise, que tout le monde admet, là... À date, là, les gens qui viennent, qui sont moins corporatistes, là, je dirais, bien, ils voient bien, là, que l'intégration... Les gens, c'est difficile de dire que l'intégration n'est pas là actuellement, parce que c'est un peu un aveu d'échec, mais moi, je le dis : L'intégration n'est pas idéale. Et je pense que vous y faites référence vous aussi, et vous avez une inquiétude à l'effet que ça soit pire après qu'avant. Il faut que ça soit le contraire. Alors, vous devez être là, dans une forme quelconque, au niveau de l'administration, avec des gens compétents et qui sont compétents aussi en gestion.

Quand vous abordez la question des budgets garantis et indexés, là vous tombez dans un autre registre, puis vous le savez, puis je comprends pourquoi vous le faites, puis je suis bien d'accord, puis je le prends très positivement. Évidemment, c'est un engagement qu'on ne peut pas faire, c'est la situation budgétaire du Québec. Mais, quand vous me demandez par contre de garantir que vos budgets vont être maintenus, ça, je peux le faire. S'il y a une chose qui n'arrivera pas, là, dans les orientations ministérielles... ça va être le contraire. Une organisation ne pourra pas faire communiquer des vases du petit budget à grande importance pour les patients au gros budget plus spectaculaire pour les médias.

Alors, la crainte de tout le monde qui est dans une activité de plus petit budget, comme vous, c'est d'être avalé par l'hôpital. La salle d'opération... Vous l'avez dit vous-même, puis vous avez raison, et ça, c'est ma responsabilité de faire en sorte que les orientations soient claires, que les services que vous donnez doivent continuer, doivent être protégés, doivent être intégrés. Le lien que vous devez avoir avec la clinique... Parce que vous avez un lien quand même avec la clinique, là, vous êtes dans un environnement clinique, mais, à un moment donné, vous avez à travailler avec des médecins, et tout ça, là, chirurgiens parfois, bien, il faut que ça soit développé. Et la fluidité doit être là. Alors, je peux vous rassurer sur ce point-là. C'est essentiel. Si on ne garantit pas vos budgets, encore une fois, on n'a pas fait un travail adéquat. Maintenant, l'indexer, bien là, je souhaite de pouvoir dire ça. Je vais aller voir mon collègue au Conseil du trésor, je vais lui proposer ça dès ce matin, mais je ne peux pas vous donner cette garantie-là, évidemment.

Par contre, quand vous dites que, si on fait de l'optimisation et qu'on fait des économies, certainement que ça doit rester chez vous, moi, je l'ai vécu dans ma carrière... J'ai été chef d'un département pendant 10 ans, là, puis j'ai fait des économies pendant 10 ans, puis, à chaque année, là, ça s'en allait dans le déficit de l'hôpital. J'ai arrêté parce que c'est démotivant. On fait des économies, on ne peut pas les réinvestir dans notre secteur. Qu'est-ce que ça donne de faire des économies, là? Alors, vous avez raison sur ce point-là, puis j'abonde dans votre sens.

Vous avez parlé de la pérennité, de l'interdisciplinariat et le fait que, dans l'annexe I, vous avez espéré que c'est une coquille. Votre souhait est exaucé, c'est une coquille. Alors, les annexes... Bon, évidemment, de temps en temps, il y a toujours des coquilles dans des documents. Mais il n'est pas question, au Québec, de centraliser, par exemple, à Québec, là, l'audiologie, orthophonie de tout ce qui est au nord de Trois-Rivières, là. On ne fera pas ça, là. Alors, ce sont des soins ou des investigations de proximité, et ces éléments-là doivent être conservés.

Le quatrième élément, qui est le plus sensible pour moi, parce que c'est le plus difficile, qui est le découpage, et la logique de trajectoire de soins, et l'évaluation... le soutien aux professionnels. Moi, quand vous me parlez de soutien aux professionnels, évidemment, je fais le pas tout de suite vers la qualité. La qualité, au Québec, on ne l'évalue pas suffisamment. Vos prédécesseurs, il y a quelques minutes, je ne sais pas si vous étiez dans la salle quand le RUIS parlait, ils ont dit du bout de la langue — je les connais tous personnellement — ils ont dit du bout de la langue ce qu'ils ne pouvaient pas dire de façon très ouverte : La qualité, il ne s'en fait pas assez puis il ne s'en mesure pas suffisamment. Alors, moi, je suis de ça.

Et je pense qu'aujourd'hui la qualité... le contrôle de qualité ne se fait pas à la hauteur que ça devrait se faire parce que les autorités qui sont en place ne l'imposent pas. Et, une direction de Suisse... — de Suisse! — de CIUSSS ou de CISSS, ça sera des orientations ministérielles, tout simplement. Le contrôle de qualité devra se faire. Moi, je peux vous nommer un département, là, que je connais très bien, là, où il n'y a pas eu d'évaluation de la qualité de l'acte depuis six ans. Ce n'est pas normal, ce n'est pas normal. Et je suis sûr que vous pourriez me nommer des hôpitaux où on ne prend pas le temps, dans votre propre secteur, de le faire parce qu'il n'y a pas de ressources, pas de temps, pas de ci, pas de ça. À un moment donné, il faut s'y adresser, je suis d'accord.

Maintenant, aujourd'hui, quand on regarde — et ça, c'est là-dessus que je voudrais vous entendre, puis je vais vous donner la parole, là — quand on regarde aujourd'hui en termes d'intégration et de fluidité, là, vu de votre angle à vous, pour cette clientèle-là qui est particulière, qu'est-ce qui manque?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : D'abord, M. le Président, je suis persuadée qu'il y a beaucoup de citoyens qui vont être rassurés, d'une certaine façon, par les propos du ministre, et l'ordre accueille favorablement l'ouverture que le ministre démontre, depuis le début de la commission, à bonifier l'actuel projet de loi.

En ce qui concerne la fluidité des services — peut-être que je passerais la parole à Mme Larocque — pour améliorer, en fait... C'est certain qu'on peut beaucoup renforcer la première ligne et optimiser au niveau de la réadaptation. Il y a des façons de le faire. Peut-être, Josée, si tu veux...

M. Barrette : Si vous me le permettez, madame, avant que vous preniez la parole, je veux juste un peu clarifier ma pensée, là. Vous avez parlé du découpage. Évidemment, vous êtes dans un secteur d'activité... On ne peut pas mettre nécessairement de laboratoire d'audiologie dans chacun des CISSS. Alors, il doit y avoir, à un moment donné, des corridors de services, c'est comme ça qu'on le voit. Et vous ne pouvez pas être limités, là, à un seul CISSS à cause du volume, là, que vous comprenez aussi bien que moi, là, parce qu'évidemment vous êtes là-dedans. Je m'excuse de vous avoir interrompue, madame.

Mme Larocque (Josée) : Ça va. En fait, on veut s'assurer que les lignes de services soient fluides et qu'il n'y ait pas de bris de service entre la première ligne, par exemple, et la réadaptation, ce qu'on peut vivre présentement dans certains secteurs, là, du Québec.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Donc, souvent, en raison des listes d'attente, on va avoir des gens qui vont être identifiés... par exemple des enfants, qui vont être identifiés très tôt. La mission se termine après une évaluation. L'enfant est orienté vers le bon soin mais est sur une liste d'attente pendant deux ans, il ne peut pas entrer au centre de réadaptation, se retrouve à l'école... Il est évalué depuis peut-être l'âge de trois ans, mais il n'a jamais reçu de services pour le préparer à l'entrée à l'école. Peut-être, François, tu me faisais un signe par rapport à l'audiologie?

M. Bergeron (François) : Oui, c'est ça, donner une couleur audiologique pour répondre à votre question. En termes de bris ou de manque de fluidité, au Québec, la première ligne en audiologie, elle est à peu près inexistante, alors il y a un trou béant audiologique dans la première ligne. Alors, on peut comprendre que la fluidité, elle est manquante dès le départ. On a un peu plus de services en deuxième, en troisième, mais, en première, on n'en a pas. Donc, c'est sûr que, si on me posait la question : Qu'est-ce qu'on pourrait bonifier?, on pourrait bonifier la première ligne de façon à assurer une certaine fluidité.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Clarifier un peu plus ce qui appartient à la première ligne, la deuxième ligne, la troisième ligne et, en tenant compte des disparités régionales, s'assurer qu'il y a une équité partout en province et que c'est... Il y a des endroits où une chatte n'y retrouverait pas son petit, là. Par où on entre dans les services en orthophonie, en audiologie? Comment on fait, une fois qu'on est identifié, pour recevoir les services auxquels on a besoin à tous les moments où on en a besoin, donc... puis la bonne personne au bon moment, là, toute l'approche...

M. Barrette : Quand vous parlez de l'accès en première ligne, là, pouvez-vous me donner un exemple pratique d'un enfant, là, qui n'a pas accès? Comment ça se passe sur le terrain? Parce que ce que je comprends de vous, c'est que vous, là, quand vous faites votre intervention, vous l'avez, votre corridor, mais il y a une liste d'attente à l'autre bout, mais, avant d'arriver à vous, il y a un problème.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Oui. Et je pense qu'on a commencé des travaux avec le ministère de la Santé et des Services sociaux justement pour clarifier un peu ce qui relève de la première ligne. Les orthophonistes, les audiologistes ne sont pas présents, présentement, dans les GMF, les audiologistes sont absents des CLSC, les orthophonistes ne sont pas dans toutes les régions. Donc, vraiment, c'est ce qui fait que c'est très difficile, là, d'avoir accès à des services.

• (11 h 30) •

M. Bergeron (François) : Je peux vous le recadrer avec mon exemple de la première ligne. Bon, on sait qu'au Québec on est en train de mettre en place un programme de dépistage néonatal pour les enfants. Là, on parle vraiment de première ligne, c'est en train de se passer.

Là, O.K. pour les enfants, mais parlons des personnes âgées. On a entendu tantôt les gens du RUIS nous parler du vieillissement. Tout le monde en parle, c'est vrai, mais c'est une réalité, le vieillissement de la population. Je pense que je ne vous apprendrai rien en vous disant que les gens deviennent de plus en plus sourds à mesure qu'ils vieillissent, et ces gens-là, pour accéder aux services, il faut qu'ils parlent direct à la deuxième ligne, donc au processus d'évaluation, dans des centres hospitaliers, pour ensuite arriver à la réadaptation, quand ils finissent par y arriver. Mais, si on avait en première ligne tout un protocole ou une façon de prendre en charge les personnes âgées pour, d'emblée, leur permettre d'avoir moins d'isolement, d'avoir plus de contacts avec leur entourage, mais déjà on permettrait d'une part de désengorger la deuxième et la troisième ligne et de leur donner un service de proximité beaucoup plus efficace et beaucoup plus rapide.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : En fait, dans le temps imparti, les démarches qu'on a faites nous permettaient juste de comprendre à quel point c'est une responsabilité partagée par plusieurs instances de renforcer la première ligne, de trouver ces définitions-là. C'est dans cette optique-là qu'on proposait notre aide pour poursuivre les travaux en partenariat, en synergie avec les autres instances. Mais c'est assez complexe de simplifier tout ça.

M. Barrette : Je ne peux pas m'empêcher de vous poser la question : Ce que l'on fait actuellement en ce qui a trait au dépistage néonatal, est-ce que, de votre point de vue, c'est satisfaisant? Je veux dire à terme, là. À terme, pas maintenant.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Je vais me tourner vers mon collègue M. Bergeron, qui a participé aux travaux d'implantation.

M. Bergeron (François) : Vous l'avez dit vous-même, tout est dans le processus d'évaluation de l'efficacité. Le programme de dépistage néonatal tel qu'il est mis en place, en ce moment il est sur papier, il est en processus d'essai dans certains centres. On verra, quand il sera implanté partout, s'il rencontre les objectifs du programme. En théorie, sur papier, il devrait, parce qu'il a été construit sur la base d'autres programmes dont l'efficacité avait été démontrée. Alors, si ça marche ailleurs, ça devrait marcher ici. Est-ce que c'est ce qui va se passer en bout de course? On le verra quand on sera au bout de l'implantation du programme, mais, en théorie, oui.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Et comment on va faire pour y arriver? Dans plusieurs régions, il y a environ deux audiologistes par 100 000 habitants. On sait que les audiologistes sont à 90 % des femmes dont une sur deux a moins de 35 ans. Il suffit qu'il y ait un congé de maternité dans une région puis la fluidité des services vient d'en prendre un sapré coup, là.

M. Barrette : Ça fait longtemps que je n'ai pas vérifié, mais est-ce que vos programmes de formation sont complets? Ils sont...

M. Bergeron (François) : Complets dans quel sens?

M. Barrette : Bien, les postes offerts aux étudiants sont remplis.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : En fait, en audiologie, il y a une école au Québec, c'est l'Université de Montréal, et les finissants, présentement, ne se trouvent pas d'emploi et vont vers la pratique privée.

M. Barrette : Ah! intéressant. Une autre question qui... Puis là je fais du pouce sur ce que j'ai dit tout à l'heure. Donc, évidemment, on ne peut pas mettre un laboratoire dans tous les CLSC, par exemple, là, ou dans toute... Est-ce que vous... Puis là je ne veux pas du tout, du tout vous révéler des intentions, là, je veux juste avoir votre opinion. En termes d'organisation de soins, est-ce que vous verriez des façons de faire différentes par rapport à ce qu'on a aujourd'hui, en termes de répartition géographique? Parce que, comme je l'ai dit tantôt, c'est sûr que vous autres, vous ne pouvez pas être attachés à un seul CISSS, vous n'êtes pas 1 000, là, dans la province, là, et là, à un moment donné, il doit y avoir une répartition géographique. Est-ce que la répartition, telle qu'on la vit actuellement, du moins pour ce qui est sous l'influence gouvernementale, là, pas le privé, le public, est adéquate, devrait être améliorée, devrait être changée? Comment voyez-vous ça?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Bien, en fait — peut-être, Josée, tu pourras compléter — c'est certain que, quand on parle de nombre de professionnels par 100 000 habitants, avec une personne sur trois, au Québec, qui est à risque d'avoir des troubles de la communication, c'est nettement insuffisant pour répondre aux besoins. Ça, c'est certainement la première chose.

Je ne sais pas, peut-être que je ne réponds pas complètement à votre question.

M. Barrette : Non, non, je comprends votre point. Moi, en fait, là, où je voulais aller... bien, en fait, je voulais avoir votre opinion, parce que je ne veux pas aller nécessairement à un endroit spécifique, là. Est-ce que vous verriez, par exemple, que, dans une région, on désigne des pôles, c'est là que ça se passe, et on quadrille le Québec?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Oui, je pense que ça, c'est dans le sens de la demande qui nous a été faite par le ministère de la Santé et des Services sociaux, de présenter un peu le travail des orthophonistes et des audiologistes en première ligne. On est en train de travailler là-dessus. C'est assez complexe, et je n'oserais pas m'avancer ce matin, M. le Président, dans des modèles de service, là, au risque de me mettre le pied dans la bouche. Mais c'est certainement des travaux que l'on pourrait poursuivre avec le ministère pour arriver avec des pistes de solution beaucoup plus concrètes.

M. Barrette : Si je vais dans l'autre sens de l'équation, c'est-à-dire après que vous ayez fait des évaluations, je suis un peu surpris, ça m'étonne, là, je vais vous avouer, là, je m'attendais à ce que vous soyez plus détaillés. Pas parce que vous n'êtes pas détaillés, là, ce n'est pas ça que je veux dire, là. Je pensais que vous aviez... Je m'attendais à ce que vous donniez plus d'exemples que la liste d'attente, un coup qu'on est passés chez vous. Là, ce que je comprends, c'est que la capacité n'est pas idéale pour pendre en charge à la suite... Je comprends, c'est la liste d'attente. Mais, à part ça, vous ne voyez pas d'autres problèmes d'accès à des appareils, d'accès à des techniques, d'accès à des chirurgiens, d'accès à ceci, cela. J'interprète votre propos comme si, si on réglait la liste d'attente — dans votre vision de la chose — on a la capacité pour prendre en charge et traiter ces gens-là.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Non, pas du tout. En fait, M. le Président, c'est que, dans le temps imparti, là, on a sorti les éléments qu'on pouvait, mais c'est beaucoup plus complexe que ça, là. Et c'est vraiment dans ce sens-là qu'on voulait offrir notre aide pour poursuivre les travaux, parce que c'est beaucoup plus complexe.

M. Bergeron (François) : Je peux peut-être rajouter un peu?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Oui.

M. Bergeron (François) : Bon, effectivement, on peut répondre à votre question sous plusieurs angles, là : l'angle des ressources professionnelles, l'angle des ressources technologiques. Supposons que je prends juste l'angle des ressources technologiques, vous savez comme moi qu'il y a un programme de la Régie de l'assurance maladie pour les aides auditives, les prothèses auditives, et c'est un programme qui a été bâti, à l'origine, sur des bases de déficit auditif, donc vous avez accès si vous avez tel genre de déficit, alors qu'on a travaillé, depuis des années, à essayer d'amener la régie à comprendre que l'approche devrait être plus axée sur des besoins que sur un déficit. Alors, ce n'est pas parce que j'ai un déficit de 30 décibels que j'ai besoin d'une aide technologique, ce n'est pas parce que j'ai un déficit de 30 décibels que je n'en ai pas besoin. Donc, l'approche besoin est très différente de l'approche critériée telle qu'on l'a en ce moment.

Alors, si votre question, c'est : Est-ce que, par exemple, pour les prothèses auditives, on répond à la demande des besoins au Québec? Ma réponse est claire, c'est non, parce qu'on a une décision qui est basée sur des critères, on n'a pas un choix qui est basé sur des besoins. Si on avait une approche besoin, on verrait que la demande serait assez différente en termes de besoin, en termes de nécessité technologique. J'ai pris l'exemple des prothèses auditives, je pourrais le multiplier dans d'autres aides technologiques, et ça serait la même chose continuellement, là.

M. Barrette : O.K. Et, sur le plan des procédures plus complexes, les implants, tout ça, ça, ça va, ou...

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Vous parlez à un spécialiste des implants.

M. Barrette : Vous voyez comment j'aborde des sujets intéressants pour vous.

M. Bergeron (François) : Vous tombez dans mon jardin, effectivement. Comme vous le savez très bien, le programme implants, c'est un programme qui a grandi beaucoup avec les années, que l'indication pour l'implant cochléaire en particulier... mais je pourrais rentrer les implants de l'oreille si j'étais encore plus exact, que les indications s'élargissent de plus en plus, et que la démonstration d'efficacité de ces technologies-là est de plus en plus démontrée, et que, donc, les besoins iraient en augmentant.

Si vous me disiez demain matin qu'on était à budget illimité pour les implants de l'oreille au Québec, je vous trouverais beaucoup, beaucoup, beaucoup de clients facilement. Mais on est à budget limité et puis on fait avec le budget limité qu'on a et en essayant de choisir les meilleures personnes qui vont nous donner la meilleure efficacité en bout de course. Mais il reste que, si on avait un budget illimité, je pourrais vous trouver beaucoup, beaucoup d'autres clients, facilement.

M. Barrette : Vous savez que je vais vous décevoir, hein, le budget ne sera pas illimité.

M. Bergeron (François) : Oui, je sais, mais, si vous m'amenez dans cette direction-là...

M. Barrette : Mais, non, je comprends, là, on fait une blague. Mais je comprends quand même... je comprends quand même les points d'achoppement que vous soulevez. Donc, si je résume, vous, le projet de loi n° 10, dans la mesure où on s'occupe bien de vous, c'est un avantage pour la clientèle, là.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : En fait, on s'occupe des besoins de la population.

M. Barrette : Bien, de vous, je veux dire... évidemment, je parlais de la clientèle, évidemment. Mais, en termes d'intégration, il y a une plus-value à faire cette affaire-là, là, dans la mesure où on résout quelques problèmes en aval et en amont.

Mme Caouette (Marie-Pierre) : En fait, on partage les intentions, mais, les moyens, dans la version actuelle, on n'est pas certains que ça va vraiment contribuer à renforcer la première ligne...

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup...

Mme Caouette (Marie-Pierre) : ...puis à optimiser la réadaptation.

M. Barrette : Très bien. Merci, madame.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. On passe maintenant du côté de l'opposition officielle, et je cède la parole à la collègue députée de Taillon pour une période de 12 min 30 s.

• (11 h 40) •

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bonjour, Marie-Pierre Caouette — Marie-Pierre que je connais très bien comme ancienne présidente d'ordre — M. Bergeron, bienvenue, et Mme Larocque. Je trouve que votre présentation est très appliquée. En fait, on sent qu'il y a des moyens concrets qui sont possibles pour répondre aux besoins de la population.

Je vous dirais que, depuis que je suis députée, j'ai eu plusieurs organismes qui sont venus me rencontrer pour témoigner, entre autres, de l'urgence d'intervenir chez les tout-petits en audiologie et orthophonie, parce que c'est du temps qui ne se récupérera jamais. Et, quand on laisse s'implanter un décalage, quand on a un jeune de deux ans, trois ans qui a un problème en orthophonie et qu'on lui propose une liste d'attente qui l'amène, comme vous l'avez illustré, à l'âge de six ans, les dommages sont déjà faits. Il a été, dans certains cas, marginalisé, stigmatisé, il a de la difficulté à l'école, il se considère toujours en situation de rattrapage. Donc, cette priorité-là est majeure. Puis, à l'autre bout, on a évidemment, aussi, toutes les personnes âgées pour qui les problèmes d'audition conduisent à de l'isolement, conduisent très souvent à une perte d'autonomie et, dans le fond, viennent un petit peu interférer avec leurs capacités parfois même de rester à domicile seuls. Donc, il y a vraiment, dans votre mission, des enjeux qui ont une valeur ajoutée importante et immédiate.

Mais ce qu'on me dit, c'est que, déjà aujourd'hui, il y a des listes d'attente de deux ans et trois ans pour nos tout-petits. Et moi, je n'entends pas et j'ai peur un peu que le projet de loi n° 10... Parce que, depuis qu'on est dans ce projet de loi là, on n'a aucune amélioration apportée concrètement dans notre système actuel. Et ces jeunes-là, ils n'auront pas deux ans deux fois. Ils ont deux ans cette année, puis, dans trois ans, quand on va retomber sur nos pattes, ou quatre ans, ou cinq ans, il va être trop tard pour eux. Alors, moi, ce que je vous dis, c'est qu'il faut qu'on trouve et qu'on continue à faire avancer des dossiers parallèlement au projet de loi n° 10 pour faire des changements immédiats. Donc, ça, je pense que c'est déterminant.

Moi, ce que j'entends de votre proposition... Il y a quelque chose de très, très clair. Vous nous dites : À l'article 8 du projet de loi n° 10, si on avait une garantie, dans la composition du conseil d'administration, qu'on a un représentant réadaptation et services sociaux, on aurait une meilleure chance que cette dimension-là soit toujours, toujours ramenée dans les décisions et qu'elle trouve sa juste part.

La composition actuelle qui est proposée dans le projet de loi n° 10 va beaucoup en fonction de nature de professionnels. Moi, je pense qu'on pourrait très bien définir ça plutôt en nature de besoins populationnels, et le besoin de la réadaptation et des services sociaux, il est majeur, il est urgent et il a un impact économique aussi. Quand on ne s'occupe pas bien tôt de ces jeunes-là, c'est toute leur vie ensuite qu'on fait du rattrapage, on augmente les risques de décrochage scolaire, de délinquance. Alors, c'est toute la société qui paie, toute sa vie, pour quelque chose qui aurait pu être corrigé, bien accompagnés, autant pour les enfants que pour les parents, dans ce cas-là, qui sont souvent désespérés de ne pas avoir accès aux services.

Donc, moi, je vois que, si, dans le paragraphe de préambule de l'article 8, on précisait qu'il faut qu'il y ait au moins un membre du conseil d'administration des CISSS qui soit quelqu'un qui a la sensibilité et la priorité réadaptation et services sociaux, on aurait une meilleure assurance. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Comme on le dit, l'ordre n'est pas un spécialiste de la gouvernance. Donc, c'est pour ça qu'on a présenté des pistes de solution. On laisse, en fait, au législateur le soin de trouver le moyen optimal, mais, pour nous, ce qui est important, c'est que le résultat soit au rendez-vous, et, en ce sens, M. le Président, ce que Mme Lamarre apporte fait beaucoup de sens, là, effectivement.

Mme Lamarre : Parce qu'actuellement est-ce que vous retrouvez cette garantie-là, là, dans l'article 8 qui précise la composition des conseils d'administration des CISSS et des établissements suprarégionaux?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Non. Je pense que ce qui est important, c'est de préserver... Dans le système de la santé, il y a trois grandes communautés de professionnels, en fait les médecins, dentistes, pharmaciens, tous les soins infirmiers, et l'ensemble des autres professions, qui sont souvent rattachées à la réadaptation et aux services sociaux, et je pense que c'est important, comme on disait, de s'assurer qu'il y ait des gardiens de cette connaissance-là. Oui, ça prend des gens qui ont des compétences en gestion et en gouvernance, mais cette connaissance-là, très pointue, est importante aussi.

François, tu voulais...

M. Bergeron (François) : Je voulais rajouter quelque chose de très concret. Dans la structure actuelle... Bon, moi, je suis professeur au programme d'orthophonie à l'Université Laval, ici. Donc, on fait de l'enseignement, mais on fait aussi beaucoup de recherche, et, dans la structure actuelle, lorsqu'on a des résultats de recherche intéressants qui peuvent amener des changements cliniques qui peuvent être bénéfiques pour la population, j'ai accès à la direction générale du centre de réadaptation auquel je suis affilié. Je suis capable de m‘asseoir avec le directeur général, de lui expliquer les résultats de la recherche, et, en général, ce directeur-là comprend très bien ce dont je parle et peut réinvestir ces résultats-là en termes de services clientèle.

Ce que Marie-Pierre exprime comme inquiétude, puis c'est aussi ce qu'on exprime comme inquiétude, c'est : Dans la nouvelle structure va-t-on toujours être capables de faire ça? Est-ce qu'on va pouvoir avoir un réseau d'influence qui, au bout du compte, va ramener le service clinique qui est issu de recherche, dans mon cas, mais qui peut être issu de bien d'autres choses, pouvoir le ramener auprès des clients pour pouvoir changer la façon dont on donne les services? C'est un point d'interrogation, puis je pense que c'est ce que Marie-Pierre exprime.

Mme Lamarre : Votre exemple est très éloquent, puis je pense qu'il faut absolument penser à préserver ces façons de collaborer.

Vous avez aussi parlé de la première ligne, et ça, je pense qu'en orthophonie, audiologie, on a maintenant besoin de regarder les choses différemment. Et la première ligne, elle devrait être plus capable d'agir beaucoup plus efficacement, beaucoup plus rapidement. Cette culture du délai, du report...

Vous avez aussi parlé de la trajectoire de soins. Moi, je travaillais plus avec les personnes âgées, mais les allers-retours multiples avant de réussir à avoir leurs fameux appareils auditifs, c'est compliqué pour les gens, c'est long. Et je pense que c'est ça qui est la priorité pour eux, comment on peut faire, on a des gens compétents au Québec, comment on peut faire.

J'ai entendu plusieurs questions sur les plateaux techniques, sur les implants, mais je pense que ce qui manque aussi, c'est l'accès à des professionnels. Et, vous l'avez évoqué, là, dans le réseau, il n'y a pas beaucoup d'accès à ces professionnels, et ça amène des délais ou bien les gens doivent payer, et là ça ramène à tout ce que le Protecteur du citoyen nous a dit hier et ses préoccupations, il y a l'accessibilité, l'équité et l'efficience. Je pense que ce sont nos trois priorités. Et actuellement il y a des écarts dans ça, mais je ne suis pas sûre que le projet de loi n° 10, en tout cas, me donne la réassurance. Est-ce que, vous, ça vous la donne, cette réassurance qu'on va avoir vraiment une meilleure équité, une accessibilité facilitée?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Non. Bien, particulièrement en ce qui concerne la prise de décision, c'est là où on avait beaucoup d'inquiétude. Quand on voit aussi... Si on regarde, là, dans toute la couronne de Montréal, Laval, Lanaudière, Laurentides, Montérégie, Centre-du-Québec, où les ratios de professionnels sont très, très faibles, beaucoup de centres ont peur de refoulement vers Montréal, de débordement vers Montréal. Entre la première, la deuxième ligne, souvent il y a des gens qui se retrouvent en réadaptation, besoin d'une réévaluation, woups! il faut qu'ils retournent en audiologie, au centre hospitalier. Ça se promène d'un volet à l'autre. Alors, il y a tout cet aspect-là de travaux de clarification des trajectoires.

Et ce qui est préoccupant avec un réseau de prise de décision centralisé, c'est de dire... Est-ce que le danger serait de dire, à un moment donné, comme on a vu dans le plan d'accès : Bon, bien, on va répondre rapidement aux enfants, alors on prend les ressources en adulte, on les amène en enfant? Ils ne sont pas spécialisés pour ça. On déplace des ressources surspécialisées en réadaptation qui sont là aussi pour contribuer à la recherche, à l'enseignement, à la formation continue, woups! on va les déplacer vers la première ligne pour donner un coup de main. Ça, ce serait le genre de décision intempestive, là, qui pourrait avoir des répercussions vraiment néfastes.

Mme Lamarre : Parce qu'on se rend bien compte, c'est ça, que les compétences ne sont pas toujours substituables, et il y a des expertises qui se développent. Et malheureusement on le voit beaucoup, là, dans les coupures actuelles, il y a un petit peu une pensée magique qu'on peut déménager, par exemple, une infirmière des soins intensifs au soutien à domicile puis que ça va se faire égal. Je pense qu'il y a des compétences et il y a des spécialités à l'intérieur même... Même si ce ne sont pas des spécialités officielles, on peut comprendre quand même que le dépistage et l'encadrement d'un enfant et celui d'une personne âgée, ça réfère à d'autres compétences, à des compétences différentes. Donc, moi, je suis bien contente...

Mon autre question, c'était justement sur la simplification des trajectoires, puis je pense que vous illustrez très bien. Je rajouterais que, pour les personnes âgées au Québec, quand on doit se déplacer en hiver, les risques de fracture de hanche sont nombreux, et ça, ça finit par coûter pas mal plus cher que d'avoir, finalement, planifié les deux ou trois rendez-vous et les rencontres avec différents professionnels avec une meilleure synchronisation. Puis on a des gens qui attendent effectivement très, très longtemps entre le diagnostic et le traitement, des gens à qui il ne reste plus tellement d'années, parfois, à vivre et qui ont bien, bien besoin de ce support-là.

• (11 h 50) •

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Quand on pense à l'audition particulièrement, il y a une détérioration, hein, de l'audition avec l'âge. Il y a une personne sur trois à 65 ans qui a un problème auditif, une personne sur deux à 75 ans. On sait que ça prend en général sept ans avant qu'une personne ressente les premiers symptômes de perte auditive et consulte. Au moment où cette personne-là est prête à consulter, s'il y a deux ans de liste d'attente, il y a des problèmes.

Et on le remarque sur le terrain quotidiennement, des situations de dangerosité, hein? Par exemple, quand il y a eu l'incendie à L'Isle-Verte, on a beaucoup parlé des gens qui ont été sauvés, qui n'avaient plus leurs lunettes et plus leurs dentiers, on n'a pas beaucoup parlé des gens qui n'avaient pas réussi à sauver leurs prothèses auditives. Mon premier réflexe, ça a été de dire : Peut-être que c'est ceux qui sont restés à l'intérieur, parce qu'ils n'ont pas entendu l'alarme, parce que, s'ils avaient eu une évaluation, on aurait peut-être trouvé que la prothèse auditive, ce n'est pas l'idéal pour eux, mais ils auraient pu avoir des mesures d'aide à l'audition, comme des lumières qui clignotent, comme des matelas qui vibrent. Donc, il y a tout ça qui fait ces augmentations de... Oui.

M. Bergeron (François) : Je pense que tout le rationnel qui a justifié la mise en place du programme de dépistage néonatal chez les enfants, c'est qu'avant que le programme existe l'âge moyen de dépistage était deux ans et demi. Et, comme vous l'avez si bien dit, deux ans et demi, c'est comme : on a passé le bon moment, les retards de langage sont installés, et on ne peut plus vraiment faire grand-chose pour y remédier. En ayant un programme de dépistage efficace, on devrait ramener ça vers six mois. Donc, si, à six mois, on arrive à avoir un diagnostic, normalement, en bout de course, on devrait atténuer les difficultés.

Alors, cette logique-là s'applique aussi à l'autre extrémité, là. Si on prend en charge plus rapidement les personnes âgées en raison de leurs problèmes d'audition, on devrait s'attendre à ce qu'on puisse diminuer les impacts de cette perte d'audition là avec le temps. La logique est la même, là.

Mme Lamarre : Ce que j'entends, c'est qu'il y a des besoins urgents pour les Québécois, et actuellement toute l'énergie du réseau de la santé est paralysée, en attente, stabilisée pour un projet de loi n° 10 qui lui-même n'est qu'une première partie d'un autre et de plusieurs autres projets de loi. Et la population, pendant ce temps-là, elle n'a pas les services auxquels elle a droit, et il y a des rendez-vous manqués à tout jamais pour des jeunes et des moins jeunes Québécois.

Je passe la parole à mon collègue député de Rosemont.

Le Président (M. Tanguay) : Oui. M. le député de Rosemont.

Mme Lamarre : Merci.

M. Lisée : Merci, M. le Président. Merci, chers collègues. Mme Caouette, M. Bergeron, Mme Larocque. Vous savez peut-être, Mme Caouette, que l'orthophonie fait partie de ma vie. Vous le savez? Parce que ma soeur, Marie-Claude Lisée, est orthophoniste. Donc, on était ensemble à Montréal pendant qu'elle faisait ses études à l'Université de Montréal, et puis, depuis, c'est une de mes fenêtres sur le système de santé et de services sociaux. C'est ma soeur qui a travaillé avec les enfants, avec les aînés, qui a connu les réformes, les formations, les redditions de comptes, les différentes étapes, alors ça m'a donné constamment non seulement une conscience de l'importance de l'orthophonie et de l'audiologie, mais aussi de l'organisation interne et comment elle peut aider et ne pas aider, les rapports avec les commissions scolaires, les instituts hospitaliers, les continuums de soins, les non-continuums de soins, les mauvaises allocations de ressources. Alors, tout ça, je sais que ça fait partie de ce qui ne devrait pas nuire mais ce qui devrait aider, et parfois on voit que ça...

Alors, vous posez une question importante, parce que... Donc, il y a des listes d'attente. On sait qu'il y a des enfants qui ne sont pas vus, il y a des rendez-vous qui ne sont pas pris et il y a des fenêtres d'opportunité qui sont manquées à jamais, et que, donc, les coûts sociaux pour la suite sont beaucoup plus grands que le coût aurait été d'investir maintenant.

Vous dites : Avec le projet de loi n° 10 et toutes ces fusions, quel sera le poids des services sociaux, de la réadaptation, de l'orthophonie à l'intérieur de la structure? Et vous dites : Est-ce qu'on va être membres du conseil d'administration? Est-ce que les CISSS vont avoir quelqu'un qui va porter notre regard dans un contexte budgétaire où chacun se bat pour chaque dollar, chaque million de dollars? Et vous demandez : Est-ce que ça va être pire... moi, je dirais : Pire que maintenant? Parce que, maintenant, vous avez des CSSS avec des conseils d'administration où vous êtes représentés.

Et, selon une étude du ministère de la Santé, de 2010, qui est citée dans le mémoire de la Protectrice du citoyen... Hier, elle disait que, dans le système actuel, où vous êtes représentés, les CSSS intégraient un centre hospitalier dans 85 % des cas. Les évaluateurs ont mesuré l'écart des dépenses de première ligne sur l'ensemble des dépenses du CSSS, dans un échantillon représentatif d'établissements. Et là, alors qu'on savait que l'objectif global, c'est d'essayer de déporter graduellement la proportion budgétaire du curatif vers le préventif, tout le monde est d'accord qu'il faut aller vers là, bien, les CSSS ont fait en sorte que, cinq ans plus tard après leur instauration, les dépenses de première ligne se sont accrues par rapport à celles de deuxième et de troisième ligne dans seulement deux des huit CSSS étudiés. Dans deux autres cas, elles ont diminué de façon importante, et, dans les six restants, les variations sont minimes. Alors : «Selon l'évaluation du ministère : "Ces résultats n'appuient pas le discours tenu par la majorité des CSSS évalués quant aux efforts réalisés pour réallouer les dépenses vers la première ligne." [Et] en résumé — dit la protectrice — la mission médicohospitalière des établissements fusionnés semble avoir été favorisée, en dépit des efforts mis de l'avant pour réorienter les budgets.»

Alors, ça, ça veut dire qu'on était dans une structure dans laquelle vous aviez des porteurs de ballon, des champions, et, malgré ça, l'hospitalocentrisme a happé les budgets ou la proportion des budgets dans la plupart des cas. Et là on dit : Mais on va refusionner ça avec un encore plus grand hospitalocentrisme, avec une désignation, par le ministre, du directeur général, du directeur général adjoint, de tous les membres des conseils d'administration et les membres des comités d'experts. On va éliminer plein de conseils d'administration qui étaient plus proches des gens dans des institutions qui disparaissent, alors que, dans plusieurs cas, c'étaient des bénévoles, ou des intervenants, ou des gens qui étaient engagés là-dedans et qui, donc, vont se sentir dépossédés de leurs institutions, donc moins engagés. Alors, je comprends que vous soyez... je partage votre inquiétude.

Bon. Alors, vous dites : On aimerait ça être présents sur les conseils. D'autres avant vous ont dit : Bien, peut-être que la première chose à faire, ce serait de ne pas faire cette réforme, de modifier les continuums de soins, de mieux évaluer la qualité. Comme le dit le ministre, on a besoin de plus d'évaluations avant de savoir comment se réorganiser. Mais il y a d'autres hypothèses qui ont été avancées, et j'aimerais vous entendre là-dessus. Alors, il y a quelqu'un qui a dit, par exemple : Bien, dans les CISSS, il faudrait s'assurer que, dans tous les cas, soit le P.D.G., soit le P.D.G. adjoint vienne du côté services sociaux plutôt qu'hospitalier et curatif. Ça, c'est une hypothèse. L'autre hypothèse, c'est de dire : Bien, il faudrait que, dans la répartition des CISSS, en fait, il y ait des CISSS services sociaux et qu'il y ait des CISSS santé. Alors, ce serait une façon de s'assurer qu'il y ait des gens qui soient aux commandes dont c'est la fonction et dont c'est la mission. Qu'est-ce que vous en pensez?

Mme Caouette (Marie-Pierre) : Comme on l'a mentionné, M. le Président, l'ordre n'est pas un spécialiste des structures organisationnelles et... En fait, ce qu'on est venus dire à la commission, c'est : Il y a des travaux qui devraient être faits sur le renforcement de la première ligne. Il y a des façons d'optimiser la réadaptation, même sans projet de loi n° 10. On en a mis dans l'annexe 7 de notre mémoire. Il y a des projets d'optimisation qui commencent à être faits, qui portent fruit, qui devraient être étendus partout en province. Donc, il y a des impératifs financiers, il y a des questions d'organisation. Nous n'avons pas ces données-là, à l'ordre, et nous laissons le soin à la commission et aux législateurs d'en décider.

Mais ce que nous demandons, c'est que les membres de la commission portent une attention particulière aux effets. Donc, peu importe le moyen choisi par les spécialistes et ce qui sera recommandé par les meilleures pratiques, que l'effet, en fait, soit que nous puissions faire ces travaux-là, quand on disait : On ne souhaite pas nécessairement, nous, les orthophonistes et les audiologistes, être représentés sur ces conseils d'administration là, mais que les personnes en place soient gardiens de ces besoins de la population et de la connaissance des mesures à mettre en place spécifiquement pour cette catégorie de la population.

M. Lisée : Très bien. J'étais content d'entendre le ministre, tout à l'heure, répondre à votre question sur la protection et l'indexation des budgets, en disant qu'il était attentif à cette nécessité, mais, en fait, ce qu'on voit, la situation actuelle, les budgets actuels, même s'ils étaient indexés, n'épuisent pas les listes d'attente. Alors donc, ce qu'il faudrait, dans une perspective à court et moyen terme, c'est que, la part des budgets de la santé, qui sont le principal poste de dépenses au gouvernement du Québec, graduellement, la proportion qui aille à des services comme le vôtre augmente par rapport à l'ensemble.

Alors, je dis : Soyez plus audacieux, les orthophonistes. Ne demandez pas un budget fermé et indexé, demandez un budget adapté aux besoins. Et, en ce moment, il y a de l'inventaire d'enfants qui attendent et il faudrait, de toute urgence, faire en sorte qu'il n'y ait plus de ces listes d'attente.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à l'échange. Nous remercions donc les représentantes, représentants de l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec.

Et, compte tenu de l'heure, je suspends les travaux de la commission jusqu'après les affaires courantes, soit vers 15 heures. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 12 heures)

(Reprise à 15 h 51)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 10, Loi modifiant l'organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l'abolition des agences régionales.

Nous débutons notre après-midi avec les représentantes et représentants de l'Ordre des dentistes du Québec. Je vous demanderais de bien vouloir, dans un premier temps, vous identifier, et par la suite vous disposerez d'une période de 10 minutes pour votre présentation, et ensuite nous aurons la période d'échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Ordre des dentistes du Québec (ODQ)

M. Dolman (Barry) : Mmes et MM. les députés, je tiens à remercier la commission parlementaire de nous offrir l'occasion d'être ici aujourd'hui. Permettez-moi d'abord de me présenter, Dr Barry Dolman, président de l'Ordre des dentistes du Québec et dentiste en pratique. Également, je désire vous présenter les personnes qui m'accompagnent : Dr André Lavallière, président de l'Association des dentistes en santé publique; Dre Marie-Ève Asselin, chef du département de dentisterie pédiatrique au CHU Sainte-Justine; et Me Caroline Daoust, directrice générale de l'ordre.

Nous sommes très heureux de participer à cette consultation tenue par l'assemblée générale sur le projet de la loi n° 10. Être invités ici aujourd'hui dans le cadre de cette réflexion majeure est pour nous la reconnaissance de l'importance de la santé buccodentaire dans la santé globale d'un individu et de la médecine dentaire dans la médecine générale.

Au-delà de la réforme administrative, au sujet de laquelle il est difficile pour nous de se prononcer, l'ordre voit surtout cette mobilisation comme une grande opportunité. Comme vous le savez, tous les Québécois ont une bouche. Cependant, la pratique des dentistes était organisée, de façon générale, en parallèle avec des réseaux des établissements publics de... La médecine dentaire est restée en quelque sorte en marge du programme des soins de santé universels. Il demeure que la bouche est un élément essentiel du corps humain et que les affectations buccodentaires ont une incidence directe sur la santé des personnes et des populations.

Le Québec doit absolument améliorer sa performance en termes de qualité de la santé buccodentaire et ainsi d'éviter des coûts curatifs importants à court, moyen et long terme. Reconnaître ce problème au niveau de nos instances est une première étape importante que nous espérons de franchir aujourd'hui. C'est pourquoi nous souhaitons que la restructuration soit l'occasion pour le ministre d'adopter des orientations claires pour l'ensemble du réseau, orientations qui permettent une meilleure organisation des services dentaires au sein des établissements du réseau de la santé, et une uniformité sur tout le territoire du Québec. Par exemple, nous avons pu constater et même documenter que les soins d'hygiène de base, pour certaines clientèles, dépendant du réseau de la santé, sont le fruit des initiatives locales ou régionales supportées par certains gestionnaires ainsi que par des efforts de professionnels et d'aidants naturels.

Il est donc indispensable que l'allègement des structures que souhaite implanter le ministre marque le début d'une compréhension nouvelle de la santé qui inclut la santé de la bouche à la part entière dans toutes les régions. Pour y venir, nous suggérons qu'un responsable des soins dentaires soit désigné dans chaque région administrative afin de répondre au ministre de l'application et de l'efficacité des mesures de santé publique et d'accès aux soins édictées par le gouvernement.

Nous croyons aussi que, dans le contexte de l'uniformisation et intégration des joueurs clés pour l'amélioration de la qualité, il est urgent que les dentistes obtiennent toutes les autorisations d'accès — consultations, écritures et références — aux six domaines de Dossier santé Québec afin de pouvoir partager avec les autres intervenants les renseignements de santé jugés essentiels aux services de première ligne et au continuum des soins.

Nous n'avons pas à exposer la pertinence pour tous les intervenants, surtout ceux qui sont appelés à poser des diagnostics, à prescrire des médicaments et à exécuter des traitements invasifs, d'avoir accès à l'historique médical et pharmaceutique permanent d'un patient et de ne pas avoir à le faire à chaque occasion, au risque qu'il soit incomplet. L'intégration des dentistes au DSQ doit être une priorité. Il va de la qualité, de la sécurité et l'efficacité des services.

Dans un autre ordre d'idées, réaliser une réforme administrative dont le but ultime est l'augmentation de la qualité des services de santé par une revue de leur gestion, l'occasion pour repenser des programmes doit être faite.

L'Ordre des dentistes est convaincu que la prévention en santé dentaire devrait être incluse dans une politique nationale de santé et dans le Programme national de la santé publique. Parmi des mesures préventives que le programme doit considérer, l'ajustement du taux de fluorure dans l'eau de consommation est primordial. À l'heure actuelle, nous détenons suffisamment de connaissances pour faire la démonstration que cette mesure simple et peu coûteuse pourrait avoir des effets directs sur la maladie, et donc sur les coûts des soins à court, moyen et à long terme.

La fluoration est reconnue comme une des 10 plus importantes mesures en santé publique du XXe siècle. Quelque 210 millions des citoyens américains ont l'accès à l'eau fluorée, de même que 76 % de nos voisins de l'Ontario. Il est certainement le temps que le Québec suive cet exemple et agisse pour le bien de nos générations futures. De notre côté, nous allons poursuivre des efforts de sensibilisation et d'information. Cependant, le gouvernement doit nous appuyer de façon équivoque pour contrer les arguments démagogiques qui alimentent des inquiétudes et peurs des citoyens de bonne foi.

La carie est une maladie chronique, la plus répandue chez les enfants. Elle les affecte 10 fois plus que l'asthme, a des conséquences désastreuses sur leur santé globale.

L'Ordre des dentistes réitère sa «confidence» envers le ministre, envers les gestionnaires et tous les intervenants du monde de la santé. Il veut être considéré comme un partenaire à part entière et contribuer de façon le plus efficace possible au mieux-être de la population. À cet égard, il souhaite être consulté et il offre sa plus entière collaboration pour toutes les questions où son expertise pourrait être utile, dans tout domaine qui touche la santé.

Pour conclure, voici ce que nous recommande aujourd'hui : de nommer un responsable de la santé buccodentaire dans chaque centre intégré de la santé et services sociaux; d'adopter des orientations claires concernant l'organisation et l'intégration des services buccodentaires au sein des établissements du réseau, au même titre que l'ensemble des services de santé — on ne peut pas dissocier la bouche d'un corps humain — troisième fois, d'assurer l'intégration de la santé buccodentaire dans une politique de santé nationale et dans un programme national de santé publique; et d'inclure des mesures de prévention, d'assurer d'inclure l'ajustement du taux de fluorure dans l'eau de consommation dans l'ensemble des actions de santé publique; et finalement, enfin, pour des raisons de sécurité et de qualité des soins, l'Ordre des dentistes recommande au ministre de prendre des travaux afin de rendre accessible aux dentistes le Dossier santé Québec. Je vous remercie.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Maintenant s'ensuit une période d'échange avec le ministre, notamment, qui dispose d'une période de 23 min 30 s. Alors, la parole est au ministre.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, Dr Dolman, merci d'être venu avec vos collègues, évidemment, Dre Asselin, Dr Lavallière, Me Daoust. Alors, je suis bien content que vous soyez là parce que ce n'est pas un sujet que l'on aborde fréquemment. Mais par contre je suis d'accord avec vous qu'il a toute son importance.

On sait que, dans notre réseau, évidemment, les CMDP ont un «D», et le «D», c'est vous, et je... Ma compréhension est que l'intégration ou du moins la position que peuvent occuper les dentistes dans notre réseau, pas simplement hospitalier, là, mais au sens large du terme, n'est peut-être pas à la hauteur de ce que vous, dans votre milieu, vous voudriez. Pourriez-vous peut-être élaborer là-dessus?

• (16 heures) •

M. Dolman (Barry) : Je m'excuse, je n'ai pas entendu la dernière portion.

M. Barrette : J'ai dit : Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Parce que ma compréhension du monde des chirurgiens-dentistes, entre autres, en particulier, et de la dentisterie en général, dans notre réseau de santé, là, qu'on soit en première ligne, en CHSLD ou à l'hôpital, n'est pas toujours optimale, selon le point de vue des dentistes que je connais ou des chirurgiens-dentistes que je connais. Et est-ce que vous pourriez élaborer là-dessus pour nous dire un peu où sont les points d'achoppement et où les choses pourraient s'améliorer?

M. Dolman (Barry) : Je vais faire un commentaire, et après ça je pense que la meilleure façon de... je vais diriger votre question à quelqu'un qui travaille tous les jours dans l'hôpital, Dre Asselin. Mais, pour nous, là, c'est une opportunité en or de créer un système égal à travers toutes les institutions, ce qui n'est pas le cas présentement. Dre Asselin.

Mme Asselin (Marie-Ève) : En fait, je suis très chanceuse de travailler, moi, au CHU de Sainte-Justine. J'ai beaucoup d'appui de la part des gens qui dirigent cet hôpital-là. Par contre, je sais que c'est très différent ailleurs à Montréal et dans d'autres centres hospitaliers, et je souhaiterais que mes collègues puissent avoir autant d'appui que moi, j'en ai au CHU Sainte-Justine.

Par contre, le problème d'accès aux soins de nos populations demeure, et, malgré qu'on a un rôle important au CHU Sainte-Justine, on a de la difficulté à traiter nos enfants. Bon, évidemment, moi, c'est jusqu'à 18 ans, mais il y a un véritable problème d'accès aux soins pour nos populations pédiatriques, spécialement les populations médicalement compromises. Ces patients-là cherchent à avoir des soins de base. Il y a un problème financier, parce qu'après 10 ans la couverture n'est plus là. Mes patients handicapés qui sont des survivants du cancer ou nos enfants prématurés qu'on a sauvés, ils ont énormément de problématiques médicales : ils ont mal aux dents, ils ont des infections buccodentaires importantes, ils sont hospitalisés pour des abcès dentaires. On cherche à soigner leurs problèmes, qui sont des problèmes simples, on parle de douleurs, d'infections, on ne parle pas de soins, là, esthétiques ou de soins ultratechnologiques. Et ces patients-là, malheureusement, ne peuvent recevoir les soins auxquels ils ont droit.

M. Barrette : Mme Asselin, au début de votre phrase, vous m'avez quasiment traumatisé parce que vous m'avez dit que vous aviez un grand support des gens au CHU Saint-Justine; je suis sûr que vous l'avez académiquement. Mais après vous vous êtes rattrapée, ça m'a moins traumatisé. Parce que, normalement, l'accès au bloc opératoire est un problème à Sainte-Justine, à moins que ça se soit résolu.

Mme Asselin (Marie-Ève) : Oui et non. En fait, on a pris une décision, au CHU Sainte-Justine, de traiter seulement les enfants médicalement compromis pour, justement, que ces patients-là puissent avoir un accès à des soins dentaires sous anesthésie générale dans des délais relativement courts. Ces enfants-là ne peuvent pas être traités ailleurs. Il y a un système alternatif qui existe à Montréal, où, en clinique privée, on peut faire des soins dentaires sous anesthésie générale. Ces patients-là doivent par contre être en bonne santé. Donc, pour nos enfants malades... Puis ça, effectivement, c'est jusqu'à 18 ans. Après 18 ans, malheureusement, je ne sais pas où ces patients-là peuvent aller.

Il y a un accès pour les soins sous anesthésie générale au CHU Sainte-Justine. Là, on parle de centres hospitaliers montréalais, mais, si vous allez à l'extérieur de Montréal, l'accès n'est malheureusement pas là. Il y a un accès, mais l'histoire aussi, c'est que les parents doivent payer pour les frais dentaires une fois que le patient a plus que 10 ans. Et ça, souvent, pour ces familles-là, qui doivent quitter leur emploi pour s'occuper de leurs enfants, ça peut représenter beaucoup, beaucoup d'argent.

Et malheureusement nous, à l'hôpital, on est toujours un petit peu devant la situation de choisir qui on va traiter. On a de l'argent qui revient de dons de différentes compagnies, mais il faut choisir qui va avoir accès à cet argent-là. Et, tous les jours, j'ai des mamans qui pleurent parce que leurs enfants ont mal aux dents, puis elles me disent : Marie-Ève, je n'ai pas d'argent pour les soigner, les dents de mon enfant. Puis nous, on se retrouve à avoir la décision : Est-ce qu'on les traite gratuitement, ces enfants-là? Oui, on va le faire, mais ça sera... Bon, je vais sacrifier mon temps et mon salaire, et ça me fait plaisir de le faire, mais je pense qu'il faut définitivement les aider, ces enfants-là.

M. Barrette : Dites-moi une chose, je sais que, pour les procédures qui se font sous anesthésie générale, il y a d'autres formules qu'hospitalières qui ont été essayées.

Mme Asselin (Marie-Ève) : Tout à fait.

M. Barrette : Comment vous voyez ça?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Je trouve que c'est une initiative excellente. Des patients en bonne santé n'ont pas nécessairement... ne doivent pas nécessairement être traités sous anesthésie générale en milieu hospitalier. Ils peuvent être très bien traités en clinique privée, et ça se fait présentement à Montréal. C'est un système qui est extrêmement efficace, on arrive à traiter de nombreux, nombreux patients chaque jour. Et c'est des patients qui, malheureusement, ne seraient pas traités en milieu hospitalier, parce que les enfants malades prendraient la place, évidemment, de ces enfants-là en bonne santé.

Mais la question demeure : Est-ce que c'est normal, en 2014, qu'on ait autant d'enfants affectés par la carie de la petite enfance puis qu'on doive traiter tous les jours environ 10, 15 enfants sous anesthésie générale pour leurs soins dentaires? Je ne pense pas.

M. Barrette : Et ces expériences-là — je ne sais pas si ce sont les mêmes que moi, j'ai vues — elles sont publiques ou elles sont partiellement privées?

Mme Asselin (Marie-Ève) : En fait, c'est la même chose, c'est pratiquement la même chose qu'en centre hospitalier. Les soins dentaires sont couverts par l'assurance maladie si le patient a moins de 10 ans ou au-delà de l'âge de 10 ans s'il est bénéficiaire de l'aide sociale. La seule partie qui n'est pas financée par le gouvernement, contrairement au milieu hospitalier, c'est les médicaments que l'anesthésiste va utiliser pour endormir l'enfant. Pour des familles à faibles revenus, on arrive à trouver. Ce n'est pas un montant qui est astronomique, là, mais on arrive à trouver de l'aide auprès des CLSC et des organismes, Jeunesse au soleil. Il y a une façon d'aider nos familles défavorisées. Donc, l'accès pour ces enfants-là, on peut y arriver. Encore une fois, ça reste limité à la région de Montréal. Pour certains enfants en dehors de Montréal, c'est très difficile de venir à Montréal, que ce soit une journée, pour obtenir ces soins-là.

Mais, encore une fois, la question qu'il faut se poser, c'est : Est-ce que c'est normal qu'en 2014 on ait autant d'enfants d'âge préscolaire avec des caries dentaires importantes qui nécessitent une anesthésie générale? Et ça, à mon avis, ce n'est pas normal. Il faut se réveiller. Il faut agir avant que la carie arrive. Il faut agir dès le plus jeune âge des enfants, on parle de l'âge de... même chez la femme enceinte, avant qu'elle ait son enfant, puis nous assurer qu'on puisse prévenir la carie dentaire. Il a été démontré qu'une fois que la carie dentaire, chez le jeune enfant, est là, c'est une maladie qui est extrêmement agressive, c'est pratiquement impossible de la contrôler. Par contre, si on agit avant qu'elle se développe, on peut arriver à la contrôler. Et plus l'enfant va consulter le dentiste rapidement, plus il va être en mesure, par la suite, d'utiliser des services préventifs et plus on va être en mesure, par la suite, d'éviter des soins curatifs.

M. Barrette : Je me rends compte que je ne vous avais pas bien suivie. Donc, vous parlez de chirurgies sous anesthésie générale qui ne sont pas faites chez des enfants qui ont des malformations ou des choses exceptionnelles. On parle de caries dentaires.

Mme Asselin (Marie-Ève) : On parle de caries dentaires, oui.

M. Barrette : Et qui se rendent à l'anesthésie générale.

Mme Asselin (Marie-Ève) : Tout à fait. Comme Dr Dolman l'a mentionné, la carie dentaire est la maladie chronique la plus prévalente chez le jeune enfant, O.K.? Et là on parle d'enfants de zéro à cinq ans. Évidemment, quand vous avez une bouche complète à restaurer, avec des extractions, des soins assez importants, c'est impossible de penser qu'un enfant de deux ans, trois ans va rester assis sur une chaise de dentiste pour arriver à faire ces soins-là.

M. Barrette : Bien d'accord avec vous.

Mme Asselin (Marie-Ève) : Et ces enfants-là souffrent.

M. Barrette : Oui, là aussi. Et la solution?

Mme Asselin (Marie-Ève) : La solution, c'est de travailler sur la prévention, de travailler aussi en collaboration avec les médecins, avec les infirmières, avec les différents intervenants du réseau de la santé pour vraiment arriver à agir avant qu'on ait un problème de carie dentaire aussi important. Et ça, si on parle juste, par exemple, au niveau des habitudes alimentaires, on sait que les habitudes alimentaires vont être instaurées chez le jeune enfant en très, très bas âge. Quand moi, je vois, dans mon bureau privé, un enfant de trois ans, quatre ans, cinq ans avec des caries, on sait que, malheureusement, c'est trop tard. Moi, ce que je souhaiterais, c'est de voir ces enfants-là avant l'âge d'un an pour, justement, réussir à prévenir ces problèmes-là. Et malheureusement on sait aussi que les enfants médicalement compromis sont encore plus affectés par la carie dentaire, mais c'est encore plus difficile pour ces enfants-là d'obtenir des soins de base.

M. Barrette : O.K. Alors donc, quand vous nous parlez de politique de santé buccodentaire dans une politique nationale de prévention en santé publique, c'est dans cette optique-là, donc, que vous nous présentez ça, d'une part. Et, d'autre part, cette prévention-là, qui est l'acteur principal, selon vous?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Pardon?

M. Barrette : Qui est l'acteur principal en termes de prévention de maladies buccodentaires?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Je pense que c'est véritablement un effort de collaboration auprès des différents intervenants dans le domaine médical. Évidemment, les dentistes ont un rôle à jouer, mais malheureusement ce n'est souvent pas les dentistes qui vont voir les enfants en premier. Ce qu'on a réalisé aussi, c'est que les enfants vont voir un médecin, vont voir une infirmière, vont voir une sage-femme, vont voir beaucoup d'autres intervenants du milieu médical avant de voir le dentiste ou le dentiste pédiatrique.

M. Barrette : O.K. Quand vous nous parlez, je pense, avec justesse, évidemment, d'avoir une meilleure intégration des services buccodentaires au sein des établissements du réseau, je soupçonne — à tort ou à raison, vous allez me le dire — que la situation n'est pas la même en pédiatrie qu'en adultes.

Mme Asselin (Marie-Ève) : Tout à fait.

M. Barrette : Et je comprends qu'en pédiatrie, vous et le Children, vous êtes la place, là, vous êtes les deux endroits où ça se passe. Mais ailleurs il y a moins de services. C'est ça que je comprends.

Mme Asselin (Marie-Ève) : Tout à fait, oui.

M. Barrette : Et, en adultes, comment vous voyez les choses?

• (16 h 10) •

Mme Asselin (Marie-Ève) : Je vais vous dire ce que je dis à mes patients quand ils quittent le CHU Sainte-Justine à 18 ans. Je regarde les parents puis je leur dis : Bonne chance, parce que je ne sais pas qu'est-ce qui va arriver avec vous, je ne sais pas comment vous allez trouver des soins. Ils sont chanceux chez nous, dans notre établissement, mais... Parce qu'aussi les gens nous ont permis de développer ce qu'on a développé présentement, mais je sais qu'ils n'auront pas accès à des soins de qualité une fois qu'ils auront atteint l'âge de 18 ans, malheureusement, et je n'ai pas de solution pour ces familles-là à l'heure actuelle, à leur offrir.

M. Barrette : Parce que, là, vous me dites des choses troublantes. Vous dites qu'ils n'auront pas de soins de qualité après 18 ans?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Oui.

M. Barrette : C'est-à-dire?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Bien, si vous avez un enfant qui est malade, il a besoin de soins spécialisés, je veux dire, il ne peut pas être traité nécessairement en cabinet privé, il a besoin d'être traité en milieu hospitalier, peu importe sa pathologie particulière. Mais, si vous avez un centre hospitalier qui n'a pas de service dentaire, comment cet enfant-là va pouvoir être traité... bien, cet adulte-là, là?

M. Barrette : Donc, ce que vous nous dites, c'est qu'à l'extérieur du public il n'y a pas vraiment d'accès non plus?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Très peu.

M. Barrette : À Montréal et encore moins à l'extérieur?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Oui.

M. Barrette : Et quelle est la situation dans les autres grandes régions du Québec, là, sommairement?

Mme Asselin (Marie-Ève) : Je pense que vous connaissez ça mieux que moi.

M. Lavallière (André) : Bien, il y a des lacunes majeures en termes d'accessibilité aux soins buccodentaires au Québec pour différentes clientèles. La Dre Asselin en a mentionné au niveau des enfants ou des adolescents, mais, au niveau des adultes et des personnes âgées, il y a des lacunes majeures d'accessibilité, pour une multitude de raisons. À l'occasion, c'est pour des raisons financières, les gens à faibles revenus. Il y a des barrières culturelles aussi. Oui, il y a de l'éducation qu'on devrait faire, améliorer l'éducation auprès de la population, mais il faut organiser nos services beaucoup plus près de la population. Actuellement, ce que font les cabinets privés, c'est très, très bien, ça rejoint 50 %, 60 % de la population. Il y a 30 % à 40 % de la population au Québec qui a de la difficulté à avoir accès à des soins buccodentaires de base — nettoyage des dents, détartrage, obturation, restauration — et qui engendre des dépenses importantes de santé dans notre réseau. La personne à faibles revenus qui n'a pas d'argent, lorsqu'elle a mal aux dents, où est-ce qu'elle se présente? À l'urgence. Elle voit un médecin. Le médecin fait une ordonnance : antibiotiques, analgésiques. Le patient va à la pharmacie, bénéficie du programme médicaments sans que le problème de fond ne soit traité. Qu'est-ce qui arrive trois mois plus tard? Récidive de l'abcès, et on recommence.

Quand on dit que le bon service doit être offert par le bon professionnel au bon moment au bon endroit, le dentiste n'est pas présent dans la structure du réseau de la santé. Et les clientèles vulnérables, qui sont souvent prises en charge par notre réseau, devraient avoir aussi accès à des soins buccodentaires de base, et ces services-là n'existent pas au Québec depuis plusieurs années, et c'est un problème majeur qu'on doit reconnaître et sur lequel on doit nécessairement se pencher, avec des directives claires.

C'est la même chose, les personnes en perte d'autonomie. Auparavant, les personnes dans les centres d'hébergement avaient des prothèses dentaires, les personnes avaient des dentiers. Les soins de base étaient faciles, on mettait les prothèses dans un verre d'eau le soir. Mais maintenant la clientèle âgée qui arrive en centre d'hébergement a des dents : 40 % des personnes qui arrivent en centre d'hébergement, actuellement, ont des dents, et, lorsqu'elles sont admises en centre d'hébergement, il y a des caries, il y a des abcès, il y a des dents de fracturées, il y a des gens qui ont des infections, de la douleur dans la bouche. Et comment peut-on se nourrir si on a de la douleur, si on a des infections?

On ne peut pas dissocier la bouche de l'ensemble du corps humain. Une infection dans la bouche est tout aussi importante qu'une infection au niveau de n'importe quelle partie du corps. Et il y a une lacune importante en termes d'accessibilité pour des clientèles vulnérables, on en a au niveau des enfants, des adolescents, au niveau des centres de réadaptation, au niveau des centres jeunesse. D'améliorer l'accessibilité non seulement aux services curatifs, mais principalement aux services préventifs... On sait que, si on investissait davantage dans la prévention, on pourrait réduire considérablement les coûts en termes de services curatifs au Québec. La santé dentaire des Québécois est une des pires en Amérique du Nord. Les enfants, au Québec, ont 50 % à 80 % plus de caries que chez nos voisins nord-américains. On a le taux d'édentation... un des taux d'édentation les plus élevés en Amérique du Nord : 15 % des adultes, au Québec, sont complètement édentés, alors qu'on parle de 7 % en Ontario et aux États-Unis.

Il y a une mesure préventive qu'on n'a pas parlée jusqu'à maintenant : la fluoration des eaux de consommation. 70 % de la population en Ontario a accès à une mesure préventive qui est efficace. C'est la même chose aux États-Unis, 70 %, alors qu'au Québec seulement 3 % de la population québécoise a accès à une mesure de santé publique qui permettrait de réduire de 30 % à 40 % les coûts en termes de santé dentaire.

M. Barrette : Vous savez que la fluoration, évidemment, est un sujet, malheureusement, je dirais, politiquement difficile. Est-ce que vous pensez que... En fait, dans votre expérience ou dans ce que vous voyez dans votre littérature, est-ce qu'il y a des campagnes de promotion de la fluoration individuelle? Parce qu'on peut le faire comme ça aussi, évidemment. Est-ce que ça donne des résultats comparables à la fluoration systématique?

M. Dolman (Barry) : Je pense que, pour la fluoration, l'évidence est assez évidente. Je pense que ça prend un petit peu de leadership autour des législateurs de prendre des décisions, parce qu'une par une on ne peut jamais convaincre la population, parce qu'il y a de la désinformation partout. La semaine passée, j'étais à la radio, à Sherbrooke, puis il y a des gens qui amènent des discussions complètement en dehors de la norme, parce que le fluor est, dans la table périodique, à côté d'un autre élément. C'est complètement hallucinant pour une personne éduquée d'avoir ce genre de discussion, mais, pour une raison ou l'autre, il y a beaucoup de pénétration à travers les ondes.

Mais, juste pour retourner au sujet de la loi n° 10, une façon que je pense qu'on peut améliorer cette situation, c'est d'avoir un petit peu de direction à l'intérieur de votre restructuration. Parce que, présentement, si on regarde la situation à Sainte-Justine, on ne peut pas comparer les services à Trois-Rivières, à Chicoutimi qu'à Montréal. Et, le problème, ce n'est pas normal qu'on ait deux classes de citoyens. Si tu parles, par exemple... Dre Asselin m'a raconté une histoire qu'un jeune enfant qui a reçu un traitement de chimiothérapie et, après le traitement, on a été obligé d'enlever certaines dents. Maintenant, cette personne, si elle est une résidente de Gaspé, si le patient retourne à Gaspé, même si, à l'intérieur de la loi, tel qu'il présente... couvre les soins pour 12 mois ou 24 mois après, pour ce genre de patient, les traitements sont juste couverts si le patient retourne de Gaspé à Sainte-Justine pour le traitement. Si le patient essaie de suivre ce traitement à Gaspé, ce n'est pas couvert. C'est parce qu'on n'a pas un système, maintenant, égal pour tous les citoyens. Et ça, c'est quelque chose que j'espère qu'à l'intérieur de votre réforme on peut regarder vraiment en profondeur.

C'est très important qu'un patient qui rentre dans un CHSLD est examiné. On regarde les yeux, la bouche, les oreilles, mais on ne va pas nécessairement faire un examen global du patient... et oublier la bouche. On n'a pas beaucoup de dentistes dans tous les CH à travers la province de Québec. Et souvent on a un autre problème : du moment qu'on a une retraite d'un professionnel, des fois c'est difficile de remplacer le dentiste à l'intérieur d'une institution.

M. Barrette : Et j'aimerais ça... Écoutez, vous ne l'avez pas beaucoup abordé, vous l'avez effleuré : Comment voyez-vous l'apport des hygiénistes dentaires là-dedans, dans ce «big picture» là, là?

M. Dolman (Barry) : Les hygiénistes dentaires, c'est une partie de l'équipe dentaire. En pratique privée, à travers la province de Québec, les hygiénistes travaillent avec nous tous les jours, en collaboration. C'est sûr que les hygiénistes doivent être un élément essentiel dans ce portrait, mais, avant de traiter un patient, ça prend un diagnostic. On ne peut pas nécessairement faire un traitement sans diagnostic. Le moment qu'on fait un diagnostic, on peut travailler en équipe avec des autres personnes à l'intérieur du réseau, des pédiatres, des hygiénistes, des assistants et les dentistes. L'ordre n'a pas de problème avec cette solution multidisciplinaire.

M. Barrette : Est-ce que — et là je le prends à dessein, là — par exemple, en CHSLD, un autre professionnel, comme un hygiéniste, pourrait être utilisé dans une fonction de dépistage ou non?

M. Dolman (Barry) : Bien, je peux donner le porte-parole, Dr André Lavallière, il travaille présentement dans un système, qui est approuvé par l'Ordre des dentistes du Québec, où on a peut-être ce genre d'expérience ensemble.

• (16 h 20) •

M. Lavallière (André) : C'est certain que la contribution de l'hygiéniste dentaire peut être très importante en termes de dépistage, contribuer au détartrage des dents, mais rapidement on va se rendre compte, en centre d'hébergement, que la quasi-totalité des clients ont besoin aussi des services dentaires par un dentiste. Tout ça doit être organisé. C'est certain qu'au niveau de la réglementation qui existe au Québec il y a certaines barrières qui devraient être atténuées, mais, tout ça, je pense qu'à partir du moment où que les gens sont conscients qu'il y a un problème majeur d'accessibilité, et si on désire organiser les services de façon plus efficace et plus efficiente, à ce moment-là on doit nécessairement aussi revoir la réglementation pour s'adapter aussi au contexte qui existe dans les établissements du réseau. On sait qu'il y a eu les modifications réglementaires concernant les infirmières, les nutritionnistes, et tout ça, et l'exercice doit être nécessairement complété, au niveau du domaine dentaire, entre les hygiénistes et les dentistes pour pouvoir adapter le contexte vraiment pour mieux répondre aux besoins de la population.

M. Dolman (Barry) : Et, même aujourd'hui, les hygiénistes, à l'intérieur de la loi, présentement, peuvent offrir un grand service à l'intérieur des institutions pour aider de faire éduquer des préposés autour de cette population. L'ordre est très ouvert de trouver des solutions.

M. Barrette : Alors, si je résume un peu votre propos global, vous trouvez que vous n'êtes pas suffisamment intégrés dans notre système de santé pour ce qui est des fonctions qui vous appartiennent?

M. Dolman (Barry) : Ça, c'est évident. Ça, c'est évident.

M. Barrette : O.K. Et là je vais vous poser une question que je ne veux pas négative, mais c'est une question purement pragmatique. Vous êtes l'ordre, évidemment, et l'ordre, vous avez des... pas des intérêts, mais vous avez de la qualité à défendre, le public à défendre, l'accès, évidemment, à défendre. Est-ce que le milieu de la dentisterie... — au sens large du terme, là, parce que vous avez plusieurs sous-spécialités — est-ce que le milieu est prêt à faire ce que vous dites? Dans ce sens que, si, évidemment, on élargit le panier de services publics, évidemment ça sera élargi dans une tarification publique et donc qui est d'un autre ordre par rapport à ce qui existe. Est-ce que le milieu, à votre avis, est prêt à aller dans cette direction-là? Je pense que vous allez dire oui, là, mais malgré tout...

M. Dolman (Barry) : Mais, c'est certain, ça dépend du contexte à l'intérieur. Parce que vous avez présentement deux paliers. Vous avez le côté privé, supporté par comme des minihôpitaux, des minientreprises. Dans mon rôle comme président de l'ordre, je représente le public, j'essaie de faire le maximum possible pour accroître l'accès. L'ordre a fait beaucoup de démarches dans la dernière année. On a un comité d'accès qui a travaillé pour un an là-dessus pour essayer d'avoir un sondage dans la population, tous des spécialistes, à travers la province, dans des hôpitaux, dans des réseaux des usagers. Même notre fondation a commencé d'offrir des soins gratuits.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin au bloc dévolu au gouvernement. Maintenant, je cède la parole à la représentante de l'opposition officielle, Mme la députée de Taillon, pour un bloc de 14 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue, Dr Dolman, Mme Daoust, Dr Lavallière et Dre Asselin. Merci pour le témoignage que vous nous apportez de nouvelles réalités en santé buccodentaire, et je pense que c'est tout à fait vrai et tout à fait approprié.

Je vais essayer quand même de faire le lien entre vos recommandations et le projet de loi n° 10, parce que c'est ce qui nous réunit aujourd'hui. Donc, dans un premier volet, j'entends beaucoup votre préoccupation pour intervenir en prévention, donc en amont, et donc encourager la santé publique, qui contribue à faire en sorte que nos tout-petits, qui deviendront plus grands et aînés un jour, bénéficient des meilleurs soins le plus tôt possible.

Dans le projet de loi n° 10, il y a des économies qui ont été annoncées par le ministre, de 220 millions, mais il y a un 20 millions qui a été, finalement, soustrait des programmes de santé publique des régions dans un contexte où, déjà, on avait un petit budget en santé publique et en prévention d'à peu près 335 millions sur 35 milliards, là, dans l'ensemble de notre domaine de la santé. Comment vous réagissez à ce choix-là qui a été fait?

M. Dolman (Barry) : Je suis loin d'expert en finances à l'intérieur du système de santé. La seule chose que je peux dire : On ne sait pas le résultat de cette restructuration. C'est possible que la restructure va avoir un autre genre d'«equilibration» à l'intérieur du système. Je pense que, si, à la fin, on peut avoir un traitement des citoyens du Québec égal à travers la province, peut-être, certaines coupures, peut-être, vont être justifiées. Le problème, pour moi, c'est d'avoir, par exemple, un citoyen à Gaspé ou Chicoutimi qui ne peut pas avoir le même service qu'à Montréal ou dans Lanaudière. Je pense que ce n'est pas normal.

Et surtout on... Le focus pour l'ordre présentement, c'est les patients les plus vulnérables : ou les enfants ou les aînés. Et je pense que c'est très important d'adresser cette situation maintenant parce que, pour les aînés, pour les personnes dans des CHSLD, comme Dr Lavallière a parlé, cette population démographique va augmenter énormément dans les prochains 15 ans, et, si on ne peut pas faire un genre de changement de structure... Parce que, présentement, honnêtement, ça ne marche pas.

Mme Lamarre : Vous travaillez, donc... Vous décrivez quand même des problèmes qui sont déjà bien installés, qui sont très présents. Et on n'a pas la confirmation, là, qu'ils vont être... même pas traités, reconnus. Dans le projet de loi n° 10, en fait, vous comprenez qu'on travaille seulement sur de la gouvernance, là, et de l'organisation, mais pas encore sur des mesures concrètes qui vont arriver sur le terrain. Alors, j'entends bien les mêmes messages que ceux qu'on a entendus du Protecteur du citoyen au niveau de l'équité, de l'accessibilité et de l'efficience. Et je pense qu'il y a aussi une dimension urgence qu'il faudrait ajouter dans cette dimension-là.

Il y a une autre dimension, au niveau de la santé publique et de la prévention, qui est un peu en lien avec le projet de loi n° 10, et je le dis vraiment sans aucune partisanerie, c'est qu'à chaque fois qu'on politise un système de santé on crée le risque, en tout cas, que, pour un gouvernement, les mesures qui vont avoir un impact seulement dans 10 ans ou dans 15 ans, comme celles que vous préconisez, ne seront pas priorisées, parce que c'est sûr qu'on n'est pas sûrs que ce sera encore nous qui serons là, et donc on veut bien être sûrs d'avoir le crédit de ce qu'on aura mis sur pied. Donc, à travers le fait de politiser le système de santé... Et ça inclut tout le système de santé, tous les volets du système de santé. Mais plus on le politise, plus on s'expose à ce que la santé publique, les mesures de prévention, les problèmes de déficience intellectuelle soient laissés pour compte, un peu parce que leur impact n'est pas tangible rapidement. Alors, est-ce que c'est un peu votre vision par rapport à ça?

M. Dolman (Barry) : Pour nous, je peux dire que le même mémoire peut être présenté, quoi que ce soit qui est en charge de la législation présentement. Le problème, c'est le même problème. Une jeune personne avec une carie qui a suivi un traitement de cancer, la solution, quoi que ce soit le côté de cette Chambre, c'est la même solution pour cette personne.

Comme président de l'ordre, je représente le public. Et la seule chose que je peux vous dire en beaucoup de transparence : Que, présentement, pour l'ordre, on voit qu'on a certains problèmes et on espère qu'une restructuration dans un certain contexte peut adresser les problèmes qu'on voit. À l'intérieur de la restructuration, est-ce qu'il y a plusieurs façons de le faire? Je ne suis pas expert là-dedans, je suis quand même dentiste. Je ne suis pas nécessairement un gestionnaire, je n'ai pas une maîtrise dans l'administration d'un hôpital. Moi, je vois le quotidien, je vois des patients tous les jours et je fais un sondage à l'intérieur de mes collègues qui travaillent dans une institution : Dre Asselin, qui travaille tous les jours à Sainte-Justine, Dr Lavallière, qui travaille tous les jours en santé. Je pense qu'il y a des mesures qu'on peut le faire. Il y a certaines choses qu'on peut corriger demain matin à l'extérieur de la loi n° 10 : la fluoration, elle va avoir un effet, le DSQ.

Mais ça, ce n'est pas le but de cette rencontre. Alors, je répète, je pense que, si tout le monde quitte cette salle avec une certaine perspective que, la prochaine fois que tu vas regarder une législation, tu ne vas pas oublier cette portion du corps humain, moi, j'ai fait mon travail aujourd'hui.

• (16 h 30) •

Mme Lamarre : Je comprends bien, mais en même temps je pense que vous pouvez certainement nous aider à placer le mieux possible au bon endroit, dans un processus de réaménagement législatif, l'endroit où vous pouvez entrer et où vous pouvez vous positionner. Et j'essaie de décoder, mais je crois comprendre qu'il y a effectivement des mesures rapides qui vont être prises mais que la plupart de vos recommandations relèvent beaucoup de la santé publique et de la prévention, dans certaines de ses applications.

Mais vous avez aussi évoqué le Dossier santé Québec, et effectivement, là, on fait appel à l'urgence, en tout cas au retard que le Québec a pris par rapport à son système d'information et à une informatisation qui intégrerait des professionnels comme les dentistes, et je souscris tout à fait à ça, parce que je crois que la thérapeutique a beaucoup évolué. Moi, je regarde au niveau de la prévention, on connaît maintenant les liens entre le tabagisme et les problèmes dentaires. On connaît également plusieurs médicaments qui ont des interactions, qui ont des impacts. On pense, pour les gens qui nous écoutent, aux biphosphonates qu'on donne pour prévenir des problèmes et qui ont un impact dans la nécrose maxillaire. On pense aux patients nombreux qui ont de la radiothérapie, qui ont des traitements de chimiothérapie également. Donc, votre intégration au dossier DSQ fait en sorte que vous allez pouvoir faire les liens de cause à effet beaucoup plus facilement et que ça va faciliter votre diagnostic et également la collaboration avec les autres professionnels. Donc, pour vous — je vous ai déjà entendu le demander — donc, le fait d'être reliés au DSQ, c'est un élément important.

M. Dolman (Barry) : Très important. Comme personne certainement expérimentée en pharmacie, tu comprends que la plupart des gens, aujourd'hui, à un certain âge, prennent beaucoup de médicaments qui amènent une sécheresse de la bouche, qui causent encore un autre niveau de carie dentaire. Si je peux vous laisser avec la recommandation clé qu'on veut avoir, c'est de nommer un responsable de la santé buccodentaire dans chaque centre intégré de la santé et des services sociaux. Ça, ça va... pour avoir une voix directe dans des décisions.

Mme Lamarre : Vous avez décrit des problèmes très... Moi, quand on parle des patients, ça me touche beaucoup, là, et vous avez décrit des situations vécues par des patients, jeunes et moins jeunes, des problèmes réels, concrets, aigus. Dès que quelqu'un a eu mal aux dents, on sait que c'est urgent aussi. À la lumière de ce que vous décrivez, là, comme priorités puis comme problèmes que les gens vivent sur le terrain, en quoi le projet de loi n° 10 est-il prioritaire?

M. Dolman (Barry) : C'est prioritaire parce que, présentement, on a beaucoup de décisions, dans des régions du Québec, qui sont faites, je peux dire, des décisions aléatoires, à la discrétion. Et je pense que ce n'est pas normal qu'on ait deux classes de citoyens. Je pense que tout le monde à travers la province, des familles avec des jeunes enfants, des familles qui n'ont pas accès, avec des patients qui sont malades, des personnes qui sont en perte de mobilité... Ce n'est pas normal que, parce que tu restes à Alma, Québec, tu ne peux pas avoir un service. Parce que le cancer est le cancer partout. Alors, normalement, le système de santé marche pour tout le monde à travers le système. Pourquoi pas à l'intérieur de la collaboration dentaire et la médecine?

Mme Lamarre : Mais je vous entends sur l'urgence de l'accessibilité, mais, très honnêtement, quand je regarde la réforme qui nous est proposée dans le projet de loi n° 10, j'ai un peu de difficultés à voir, là, en quoi, de façon... ce morceau-là, en tout cas, on sait qu'il y en aura peut-être d'autres, là, mais ce morceau-là, en quoi il nous donne les garanties que vous allez réussir à mieux aider l'ensemble des Québécois? Est-ce que c'est la priorité prioritaire?

M. Dolman (Barry) : J'espère que la garantie, ça va être les personnes élues qui vont penser de les citoyens. Pour nous, c'est l'uniformité. Si on peut avoir l'uniformité, je vais être très heureux. Et je pense que, présentement, on n'a pas l'uniformité à travers le système. J'espère que l'opportunité de changer la structure va amener une uniformité.

Mme Lamarre : Qu'est-ce que vous voyez dans le projet de loi, concrètement, là, qui vous permet de voir que vous allez avoir ça?

M. Dolman (Barry) : On n'a pas étudié mot par mot à l'intérieur de toutes les structures, parce que, comme je t'ai dit, je suis dentiste, je ne suis pas un administrateur. Je ne suis pas un expert en administration des hôpitaux. J'essaie de régler des problèmes des citoyens à l'intérieur, encadré par l'information que je peux le faire. Je pense que c'est une opportunité de changer quelque chose. Alors, c'est sûr qu'une opportunité, ce n'est pas nécessairement une garantie, mais, pour nous, comme dentistes, on regarde la situation toujours : diagnostic, plan de traitement, exécuter le traitement en espérant d'avoir les résultats.

Alors, à l'intérieur de vos délibérations ici aujourd'hui et pendant les semaines, c'est à vous autres de faire une délibération sur le diagnostic et d'établir le plan de traitement. Pour nous, à l'intérieur du diagnostic, je suis ici pour amener certains faits pour vous aider dans le diagnostic du système. Alors, l'élaboration du plan de traitement, c'est à des autres personnes qui ont beaucoup plus d'expertise que moi.

Mme Lamarre : Bien, écoutez, j'entends bien votre message, mais je pense qu'il y a même une étape préliminaire sur laquelle vous insistez, qui est prédiagnostique, puisqu'on parle aussi de la prévention et de programmes, là, beaucoup plus importants, auxquels, je crois, il faut effectivement rallier davantage les spécialistes buccodentaires que vous êtes. Alors, écoutez, moi, je vous remercie, ça répond à mes questions.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup, Mme la députée de Taillon. Je cède maintenant la parole au représentant du deuxième groupe d'opposition, le député de La Peltrie, pour une période de 9 min 20 s.

M. Caire :  Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour à vous, merci de votre présentation.

Écoutez, je vais être d'une totale honnêteté avec vous, là : Je ne peux pas dire aujourd'hui que, dans le cadre du projet qui est déposé par le ministre, votre présentation m'a éclairé beaucoup sur la façon dont on peut répondre aux préoccupations dont vous nous avez fait part. J'entends les iniquités dont vous parlez, j'entends qu'on a besoin peut-être d'une meilleure intégration, mais, sur comment on peut le faire, vous dites : Bien, c'est à vous à réfléchir à cette question-là. Mais le but des consultations, c'est justement pour que les gens puissent nous aider dans notre réflexion. Puis je voudrais peut-être vous donner l'opportunité, là, d'élaborer, dans le contexte, évidemment, du projet de loi n° 10, là, sur la façon dont la création des CISSS, par rapport aux structures actuelles, peut nous aider à atteindre cette intégration-là puis à régler les iniquités dont vous nous faites part.

M. Dolman (Barry) : Bien, je pense que la meilleure façon de changer quelque chose à l'intérieur du sujet devant nous autres aujourd'hui, devant tout le monde, si c'est une question de changer la structure, présentement... On n'a pas de responsable de la santé buccodentaire dans chaque centre à travers la province de Québec, même si on parle de l'agence, même si on parle de structures telles qui existent maintenant. Alors, dans une nouvelle structure, on espère d'avoir une entrée dans le système. Si on a une voix dans ce système, peut-être on va avoir une chance de changer les paramètres pour traiter des personnes à travers la province de Québec.

M. Caire : Corrigez-moi si je me trompe, mais le ministre y faisait référence tout à l'heure, le CMDP, le D, c'est les dentistes. Pour vous, ce n'est pas une structure suffisante? Parce qu'il y a quand même une responsabilité au niveau de la qualité de la prestation de services, il y a une responsabilité qui est quand même très lourde et qui est assumée normalement par un dentiste. Donc, ça, cette instance-là, pour vous, elle n'est pas suffisante? De quelle façon on peut l'améliorer?

M. Dolman (Barry) : Bien, souvent, à l'intérieur des institutions, le D n'est pas égal aux autres personnes à l'intérieur des comités.

M. Caire : 1caAh! bien là, éclairez-moi, là. J'aimerais ça vous entendre élaborer là-dessus. Vous voulez dire quoi, là? Il y a comme deux classes de décideurs au sein du CMDP?

M. Dolman (Barry) : La réalité, c'est : dans certains hôpitaux, quand on amène des solutions abordées par les dentistes à l'intérieur du comité, ça avait l'air que c'est moins valable que dans d'autres secteurs. Dans certains hôpitaux régionaux, certains genres de traitements ne sont pas élaborés de la même façon que dans les autres.

M. Caire : 1cPuis comment vous expliquez ça? C'est quoi, c'est culturel ou... Comment vous l'expliquez et, deux, comment on peut changer ça?

• (16 h 40) •

M. Dolman (Barry) : Bien, je pense que la façon de changer, c'est d'avoir une vision de haut en bas vis-à-vis des dentistes qui sont impliqués à l'intérieur de la direction centrale de la santé. Le problème tel qu'il existe... Comment est-ce qu'on peut expliquer, par exemple, qu'il y a certaines choses qu'on peut faire à Montréal, à Sainte-Justine, qu'on ne peut pas nécessairement faire à Chicoutimi, hein? Parce que les personnes qui dirigent le système à Chicoutimi ont décidé que, par exemple, ils ne donnent pas nécessairement une priorité au bloc opératoire, le même genre de priorité qu'on a à Montréal.

M. Caire : Puis comment on peut corriger cette façon-là? Comment peut-on tirer profit de l'opportunité de la création de la nouvelle structure pour changer ce... Parce que ce que vous me dites là, là, c'est éminemment culturel, là. Vous me dites que la médecine dentaire en milieu hospitalier, elle est regardée de haut. Hein, c'est ce que vous dites. Et ça, c'est éminemment...

M. Dolman (Barry) : Mais, peut-être, je vais laisser mes collègues qui travaillent dans des hôpitaux...

M. Caire : Oui. Non, je vous en prie. Et ça, c'est éminemment culturel, mais comment peut-on se servir de l'opportunité qui est créée par la réforme proposée pour corriger cette lacune-là et faire en sorte que le D du CMDP ait la même valeur que les autres membres?

M. Lavallière (André) : Au sein des établissements, il y a très peu de dentistes impliqués dans des établissements du réseau actuellement. Au Québec, il y a peut-être 150 ou 200 dentistes sur 5 000. Et souvent les dentistes, au niveau d'un CMDP... On va retrouver trois ou quatre dentistes pour peut-être 500 médecins au niveau du conseil des médecins et dentistes. Les dentistes qui sont en place sont souvent en place pour avoir accès à un plateau technique, avoir accès au bloc opératoire pour traiter de leurs patients.

Mais, si on regarde la fusion des établissements qu'on a connue au courant des dernières années, centres hospitaliers, centres d'hébergement et CLSC, même si les CMDP ont été fusionnés, les dentistes ont été incapables de développer davantage de services pour les autres clientèles au sein de l'établissement, c'est-à-dire que, s'ils travaillaient auprès d'un centre hospitalier auparavant, leur pratique continue d'être concentrée auprès de la clientèle hospitalière. Et, même si les CMDP ont été fusionnés et que l'établissement devrait répondre aux différentes missions, CLSC, centres d'hébergement et centres hospitaliers, les services n'ont pas été développés au sein des établissements. Et je pense que la principale raison, c'est un manque d'orientations et de politiques claires émanant du ministère par rapport à l'organisation des services dentaires au sein des établissements.

Mon opinion personnelle... et je ne veux pas engager l'ordre là-dessus, mais on peut remanier les structures énormément, mais, si on remanie les structures mais sans orientation claire, sans politique claire, je n'ai pas l'impression que la modification des structures va avoir un impact réel sur l'accessibilité aux services, sur l'organisation de services de qualité, de services sécuritaires, et on n'atteindra probablement pas les objectifs d'efficience et d'efficacité qu'on désire avoir si on n'a pas de politique et d'orientation très, très claire.

M. Caire : ...le sentiment qu'une meilleure intégration à l'intérieur d'une structure plus large... Donc, l'objectif étant d'avoir une intégration plus efficace des services, est-ce que vous avez l'impression que, dans ce contexte-là, une politique ne pourrait pas tirer sa pleine efficacité? Je comprends que vous dites : Ça prend une politique ministérielle. Mais, dans une structure plus large, où il y a, je pense, une meilleure intégration des services, à ce moment-là est-ce que vous ne pensez pas que la piste d'atterrissage est un peu plus facile?

M. Lavallière (André) : Oui et non. Les établissements vont devenir beaucoup plus gros, beaucoup plus de services. Dans un contexte où est-ce que les ressources financières sont limitées, il va y avoir certains tiraillements au sein des établissements, et de là l'importance de politiques et d'orientations claires, parce que, sinon, les services vont se développer de façon très, très, très différente d'un établissement à l'autre.

Ça fait que, oui, l'intégration va être favorisée par la fusion des établissements, la mission de CLSC, la mission centres d'hébergement, réadaptation, centres jeunesse. C'est bien beau, on élargit vraiment l'ensemble des services. Oui, ça peut favoriser l'intégration, mais il y a des services qui pourraient aussi, peut-être, disparaître. Il y a un risque qui est là, et je pense... Peut-être que les services dentaires... Le fait de pouvoir défendre les services dentaires en l'absence d'orientation ou de politique claires... Dans un contexte où est-ce que les ressources financières peuvent être limitées, je pense que les services dentaires peuvent être à risque au courant des prochaines années et, au lieu d'améliorer l'accessibilité au service aux clientèles vulnérables, je crains même qu'il y ait une réduction de l'accessibilité. Il faudra être très, très, très vigilants en termes de politiques, en termes d'orientations. À mon point de vue, il y a un enjeu majeur à ce niveau-là.

M. Caire : Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à la période d'échange avec les parlementaires. Nous vous remercions, les représentants de l'Ordre des dentistes du Québec.

Et j'invite maintenant le prochain groupe à prendre place, et nous suspendons momentanément nos travaux. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 45)

(Reprise à 16 h 49)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, nous allons reprendre nos travaux. Nous accueillons maintenant les représentants, représentantes de Coalition Priorité Cancer au Québec. Alors, je vous inviterais à vous présenter, dans un premier temps, et par la suite vous disposerez de 10 minutes. Une période d'échange s'ensuivra. La parole est à vous.

Coalition Priorité Cancer au Québec

Mme Rodrigue (Nathalie) : Merci, M. le Président. M. le ministre, mesdames et messieurs les membres de la coalition, je me présente, Nathalie Rodrigue, présidente de la Coalition Priorité Cancer au Québec, et je suis très bien accompagnée aujourd'hui de M. Serge Dion, président du comité patients et survivants de la coalition, ainsi que de M. Jérôme Di Giovanni, secrétaire de la coalition.

Au nom des 54 organismes qui composent la coalition, nous vous remercions d'avoir bien voulu accepter que nous vous présentions notre mémoire concernant le projet de loi n° 10.

• (16 h 50) •

Au cours des 25 dernières années, notre système de santé a vu beaucoup de changements et de réformes. Que ce soient des fusions d'établissements, les changements de mission, les virages ambulatoires, les groupes de médecine familiale, les regroupements des syndicats, l'ampleur et la multiplication de ces réformes ont généré une forme d'instabilité chronique. Si l'on en juge par les motifs qui sous-tendent le projet de loi n° 10 sur l'organisation et la gouvernance du réseau, force est de constater que les réformes antérieures n'ont pas ou peu permis d'améliorer l'accessibilité et la fluidité des soins.

Incidemment, toutes ces réformes ont toujours eu ou ont toujours été faites soi-disant dans le meilleur intérêt du patient. Ainsi, au fil des ans, nous avons vu que le patient était tour à tour au centre, au coeur, au milieu des préoccupations, mais sans jamais que celui-ci soit vraiment impliqué dans les décisions et l'offre de services. Est-ce qu'ils ont vraiment été dans le coup? Non.

Les changements que propose le ministre dans le projet de loi n° 10 visent la réorganisation du réseau et de sa gouvernance. Il s'agit essentiellement d'un changement de structure. Nous souhaitons que cela contribue réellement à améliorer l'accès et la fluidité des services aux patients en éliminant les barrières érigées par les différentes organisations et la bureaucratie inhérente à leur gestion. Il n'est pas dans la compétence de la coalition de s'engager dans une discussion sur le type de structures qui peuvent convenir le mieux pour la mise en oeuvre des orientations ministérielles. Toutefois, il est juste de vouloir obtenir des garanties qu'en ce qui concerne la lutte contre le cancer, par exemple, l'accessibilité des services ne sera pas diluée dans les méandres des futurs CISSS et que la réorganisation des structures n'ajoutera pas une couche de plus aux obstacles que trop souvent doivent franchir les personnes atteintes du cancer.

Sans plus tarder, je passe la parole à M. Dion.

M. Dion (Serge) : Alors, si le patient doit être au centre des préoccupations du système de santé, il serait normal qu'on lui demande ce qu'il pense, quels sont ses besoins et quelles sont les solutions qu'il peut proposer pour continuer à l'améliorer. C'est incidemment... La loi le précise, quand on dit : «La raison d'être des services est la personne qui les requiert.»

Bien que le projet de loi maintienne des dispositions déjà prévues dans la loi, comme par exemple la participation d'un représentant du comité des usagers au conseil d'administration des établissements ou encore le forum de la population, et qu'il oblige les établissements à tenir annuellement une séance publique d'information, nous ne croyons pas que cela soit de nature à assurer réellement, effectivement, la participation des personnes et des groupes qu'elles forment aux décisions.

La coalition ne veut pas minimiser l'importance et le rôle des comités d'usagers et des forums de la population. Ils ont leur utilité, on est d'accord. Seulement, la complexité de la gestion des établissements et la somme considérable des informations à assimiler pour bien jouer le rôle que l'on attend d'eux font en sorte que leur influence est pratiquement négligeable.

Alors, nous nous sommes posé certaines questions. Pourquoi, par exemple, ne maintient-on qu'un seul représentant du comité des usagers par conseil d'administration, alors que sept ou huit membres indépendants seront nommés par le ministre en fonction d'un profil de compétence? On parle de gestion ici. Alors, ne pourrait-on pas songer à mieux pondérer la composition de ces conseils en faisant une plus grande place aux usagers en recourant à leur expertise?

Le 30 septembre dernier, en conférence de presse, la coalition, conjointement avec le Conseil pour la protection des malades, l'Alliance des patients pour la santé et le Regroupement québécois des maladies orphelines, on demandait la création d'un comité national des patients relevant directement du ministre de manière à faire valoir au plus haut niveau les besoins et l'opinion des patients ainsi que de leurs proches. Nous réitérons cette demande aujourd'hui. Elle nous semble tout à fait compatible avec les orientations que préconise le ministre et permettrait d'équilibrer les rapports entre la machine administrative et les groupes de patients qui, pour l'instant, n'ont pas beaucoup de place pour s'exprimer.

Par ailleurs, nous voulons nous assurer que les droits des patients seront protégés dans le cadre de cette réorganisation, comme le prescrit la Loi sur les services de santé et les services sociaux aux articles 4, 5 et 6.

Puisque l'établissement sera maintenant régional, quel choix aura donc le patient? Ne devrait-on pas plutôt parler du lieu où il réside, où il désire recevoir ces services? Un autre exemple, entre autres, on se souviendra de la directive de l'agence régionale de Montréal, entérinée par la direction de la cancérologie, d'obliger les patients traités dans les hôpitaux montréalais mais dont la résidence était dans le 450 à changer d'établissement pour suivre leur radiothérapie soit à Laval ou à Longueuil, et ce, au grand mépris de leur médecin traitant. Officiellement, cette directive émise au début de l'année n'a pas été rapportée. Officieusement, nous savons que cette pratique se poursuit actuellement et que les patients n'en sont pas nécessairement informés. Mme Rodrigue.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Plus de 20 000 personnes mourront du cancer cette année et près de 60 000 recevront un diagnostic de cancer. Heureusement, même si on est encore incapable de mesurer réellement l'incidence du taux de survie du cancer au Québec, faute d'un registre convenable, les personnes survivent de plus en plus longtemps grâce aux médicaments, aux nouvelles technologies et aux pratiques médicales. Le cancer est maintenant reconnu comme une maladie chronique.

En juin 2003, dans un discours à l'Assemblée nationale, le ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Philippe Couillard, proclamait le cancer comme une priorité du gouvernement et de son ministère. Depuis, les choses ont évolué, plusieurs dans le bon sens, comme la création d'une direction québécoise de cancérologie, la mise sur pied d'un plan d'action en cancérologie, la création de centres régionaux en oncologie ou le développement de la recherche clinique. D'autres ont moins bien évolué, comme les délais d'attente ou l'accès aux services qui, dans plusieurs régions, demeurent difficiles, l'implantation chaotique du registre du cancer ou le suivi après traitement des personnes atteintes du cancer.

En 2013, une enquête de la firme Léger auprès de 1 500 patients souffrant de maladies chroniques a révélé que la moitié des patients ont déjà renoncé à des soins en raison des délais d'attente pour prendre un rendez-vous avec un professionnel de la santé.

Quant à répondre aux besoins des patients, au Québec, 80 % des patients voudraient mourir à domicile. Dans les faits, 85 % des patients meurent à l'hôpital. Il existe des solutions, et, pendant la période de questions, on se fera un plaisir de vous les présenter. Mais, dans le cadre de cette réorganisation, nous souhaitons que le ministre nous fasse part rapidement de ses orientations concernant l'offre de services à domicile.

Pour les suivis post-traitement, beaucoup de difficultés aussi sont rencontrées par les personnes touchées par le cancer. On parle de réadaptation, retour au marché du travail, etc.

Actuellement, il est quasiment impossible de savoir combien coûte le cancer au Québec...

Une voix : ...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Oui, il me laisse 30 secondes. Alors, pour cette raison, nous avons fait faire une étude économique qui est disponible sur notre site Internet et qui dit que près de 4,1 milliards ont été dépensés pour le cancer cette année au Québec, et ça exclut les dépenses privées.

Dans un autre ordre d'idées, nous aimerions que le Québec participe pleinement aux indicateurs mesurant les rendements du système de la lutte contre le cancer développé par le Partenariat canadien contre le cancer. Ces indicateurs couvrent tout le continuum, de la prévention jusqu'aux soins de fin de vie, incluant les meilleures pratiques. Mis à part quelques données, le Québec n'y figure pas. Encore là, nous payons le prix de l'absence d'un véritable registre du cancer, tableau de bord de la lutte contre le cancer. Dans ces circonstances, comment rendre quelqu'un imputable de quelque chose qu'on ne mesure pas?

Je passe maintenant la parole à M. Di Giovanni.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Merci beaucoup. Monsieur... Est-ce que j'ai le micro?

Mme Rodrigue (Nathalie) : Je vais te l'avancer. Non, il est pris là...

M. Di Giovanni (Jérôme) : O.K. Parfait. Donc, vous m'entendez?

Le Président (M. Tanguay) : On vous entend bien, M. Di Giovanni.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Parfait. O.K. M. le Président, en raison que je dois lire en braille, en raison de ma déficience visuelle, je vous demanderai un accommodement d'au moins une minute, 1 min 30 s, pour faire ma présentation.

Le Président (M. Tanguay) : Tout à fait. Prenez votre temps, M. Di Giovanni.

• (17 heures) •

M. Di Giovanni (Jérôme) : Merci beaucoup. Vous êtes très gentil. Je n'aurai pas besoin de vous citer la charte dans ce cas-là, des droits, pas la charte des valeurs.

Les organismes communautaires, dans la loi de la santé et des services sociaux... Et, je vous fais remarquer, on cite beaucoup la loi, la coalition, c'est parce que c'est une loi où tout se trouve à l'intérieur, mais cela ne veut pas dire nécessairement qu'elle est appliquée, cette loi-là. Dans la loi de la santé et des services sociaux, les organismes communautaires jouent et ont un rôle très important dans le système de santé, dans le réseau de la santé et des services sociaux. Et je vous citerais au niveau de l'article 334, qui spécifie clairement c'est quoi, un organisme communautaire en santé et services sociaux.

Les articles 2.1° de la loi spécifient clairement que les personnes et leurs associations doivent assurer leur participation à la gestion du réseau, à l'administration du réseau, à la détermination des orientations du réseau de la santé et du système de la santé. L'article 2.3° spécifie clairement qu'on doit partager les responsabilités entre le secteur communautaire, le réseau de la santé et des professionnels dans le réseau de la santé.

L'article 100, clairement, spécifie que les établissements doivent définir leurs services, leur panier de services en collaboration avec les organismes communautaires. Mais cela, malheureusement, ne se produit pas.

Deux éléments ressortent de tout l'historique de l'application de la loi de la santé et des services sociaux et le secteur communautaire. Premièrement, il y a un manque de reconnaissance de l'expertise du secteur communautaire en santé et services sociaux, et ce manque de reconnaissance de cette expertise-là fait que les organismes sont continuellement en péril de fonctionnement et doivent très souvent surcharger le personnel qui travaille à l'intérieur de ça.

L'autre élément, c'est au niveau du financement des organismes communautaires, qui est très instable, puis ici on ne parle pas du PSOC, mais on parle vraiment de l'ensemble du financement de ces organisations. L'étude que Mme Rodrigue a mentionnée, l'étude économique, démontre que la valeur économique des services rendus par des organismes communautaires en oncologie est évaluée à plus de 50 millions de dollars qui n'est pas financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux ou l'État québécois.

La précarité du financement des organismes communautaires a fait que certains de ces organismes ferment leurs portes, notamment OMPAC, qui est l'organisme multiressources pour les personnes ayant le cancer. Un organisme qui existait depuis 30 ans, qui offrait des services à plus de 2 000 personnes vivant avec le cancer, a dû fermer ses portes. Pourquoi? Parce que Centraide a coupé son financement, parce que Centraide ne finançait plus la santé physique et parce que, ce manque de financement là, le ministère de la Santé, et l'agence de la santé de Montréal, a refusé de compenser ce manque de financement.

Lorsqu'on parle de reconnaissance et la participation des organismes communautaires en santé, je voudrais donner un exemple en oncologie, là je fais référence à l'article 2.1° : Assurer la participation à l'organisation, au développement et à la gestion. Dans le plan directeur, on doit mettre sur pied un comité de concertation des organismes communautaires. Effectivement, le comité est en voie d'être mis sur pied. C'est plus un comité consultatif qui va se réunir une ou deux fois par année pour consulter la DQC, comment mettre en oeuvre son plan, faire part de ses commentaires, puis, suite à cela, bien, on se réunira dans six mois, dans 12 mois, puis on viendra chercher notre opinion. Ce que nous, on demande, c'est vraiment un comité, tel que c'est stipulé dans l'article 2.1°, qui va travailler avec la DQC, va travailler avec le ministère pour la mise en oeuvre de ce plan.

Et, en conclusion, on voudrait réitérer notre demande au ministre, et même, non, on va la réitérer à l'Assemblée nationale, de mettre sur pied un comité national pour la mise en oeuvre du projet de loi n° 10. Merci beaucoup.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup à vous trois. Maintenant, nous allons débuter la période d'échange. Et, après ajustement du temps accordé au ministre, il dispose d'un bloc de 19 min 30 s. À vous, M. le ministre.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Merci, M. le Président. Alors, Mme Rodrigue, M. Dion, M. Di Giovanni, bienvenue. Désolé du retard, là. La vie parlementaire fait en sorte que c'est moi qui ai été retardé tout à l'heure, ce qui fait que vous passez plus tard aujourd'hui.

Écoutez, bien, je vous remercie de faire votre présentation, présentation qui est assez claire. Je m'attendais à ce que vous soyez même plus revendicatrice, mais vous avez...

Mme Rodrigue (Nathalie) : ...M. le ministre.

M. Barrette : Bien, c'est ça. Bien, moi, ça m'arrive...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Nous, on veut collaborer. On se choque quand ça n'a pas d'allure, mais...

M. Barrette : Ça m'arrive, moi aussi, des rumeurs de même, ça fait que je vous comprends très bien. Mais c'est très bien.

J'aimerais ça aborder un, ou deux, ou trois éléments, là, que vous avez traités dans votre présentation, un peu pour faire écho à ce que vous avez dit. Je comprends qu'à la Coalition Priorité Cancer vous êtes évidemment en faveur de la fluidité et de l'intégration, vous avez aussi fait référence au fait qu'actuellement dans le système il y avait quand même des barrières et une certaine bureaucratie. Et ça, sur ce point-là, j'aimerais ça que vous nous donniez quelques exemples de barrières dans le cheminement du patient actuellement dans le système, des barrières, qu'elles soient, là, physiques, organisationnelles, ainsi que les problèmes bureaucratiques qui font qu'actuellement le patient chemine difficilement. Puis je comprends que, quand vous dites ça, vous êtes probablement en faveur avec au moins l'aspect du projet de loi qui vise à faire tomber ça.

Mme Rodrigue (Nathalie) : En effet. Parce que, quand on parle de difficultés pour un patient, on sait qu'il y a à peu près 25 % à 30 %, premièrement, de patients qui n'ont pas de médecin de famille et on sait que plusieurs sont diagnostiqués pour un cancer à l'urgence, donc beaucoup trop tard. Ils sont passés au travers des mailles des processus de dépistage, etc. Aussi, on sait que, même lorsqu'un patient a un médecin de famille, ça peut prendre plusieurs mois avant d'avoir un rendez-vous avec son médecin. Et, lorsqu'il a un rendez-vous avec son médecin, ça peut prendre plusieurs mois avant d'avoir des résultats de laboratoire de pathologie, etc.

On sait qu'à Québec, présentement, c'est plus de trois mois pour des diagnostics de cancer de la peau. Les échantillons sont reçus au mois de juin, ils sont préparés pas les technologistes au mois de juillet puis, au mois d'octobre, ils ne sont pas encore lus par les pathologistes. Donc, c'est des délais pour les résultats d'analyse.

Après ça, délais pour le diagnostic, délais pour la thérapie, que ce soit une chimio, ou pour une radiothérapie, ou pour une chirurgie. Et par la suite, lorsque les patients sont pris en charge, la plupart nous disent : Nous sommes bien traités; il n'y a pas de problème. Mais, quand le phénomène de soins est terminé, ils retombent encore entre deux chaises, où souvent ils ne sont pas pris en charge par le CLSC pour être référés en réadaptation, parce que le dossier est resté à l'hôpital puis qu'on ne sait pas comment le transférer.

Donc, les clients doivent se battre dans un système qu'ils ne connaissent pas. On a des témoignages de personnes qui connaissent le système, comme des travailleurs sociaux, puis qui ont de la misère à s'y retrouver. Alors, imaginez la personne qui n'a pas ces connaissances-là et qui doit se débattre en plus d'avoir affaire avec la maladie, avec l'appauvrissement, avec tout ce qui entoure le continuum de soins, finalement, en cancer. Je vais vous...

M. Barrette : Je suis content que vous l'abordiez comme ça, parce qu'effectivement c'est ça qui est, pour moi aussi, le problème. Évidemment, comme vous le dites avec justesse, un coup qu'on est rentré dans la phase de traitement, ça va bien. Le traitement, ça va bien au Québec. Mais il y a l'avant, comme vous avez bien décrit, puis il y a l'après qu'on oublie tout le temps. Parce qu'après, bien, il y a de la convalescence, il y a de la réadaptation, il y a...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Retour au marché du travail.

M. Barrette : Il y a de l'adaptation à une nouvelle vie, dans certains cas, l'adaptation qui nécessiterait, vous allez être probablement d'accord avec moi, un accompagnement, ne serait-ce que ça. Et notre système, actuellement, n'offre pas ça ou du moins n'intègre pas ça. Et on gagnerait grandement, pas juste pour le cancer, et je comprends que vous êtes ici pour le cancer, évidemment...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Bien, pour toutes les maladies chroniques.

M. Barrette : Mais, pour toutes les maladies chroniques, le système gagnerait grandement, à mon avis, à ce que quelqu'un en quelque part ait la capacité ou du moins la mission d'intégrer tout ça. Je vous écoutais nous raconter qu'on a fait des... On a quand même fait des progrès dans la lutte contre le cancer avec nos programmes de lutte et nos protocoles, et tout, et tout, mais, quand je vous écoute, je comprends aussi que, le bout d'après, là, ou le bout d'avant, on ne l'a pas réglé, le bout de l'avant étant l'accès, évidemment, et le cheminement du patient, et le bout d'après étant le post-traitement. Alors, ça, dans ce sens-là, j'imagine que le projet de loi n° 10 vous encourage un peu plus puisque...

M. Di Giovanni (Jérôme) : Pas nécessairement. Je vais vous répondre par rapport...

M. Barrette : Pourquoi?

M. Di Giovanni (Jérôme) : ...par rapport au bout d'après. Prenons un dossier. Prenons un patient qui a subi ses traitements, doit sortir de l'hôpital avec le cancer ou un autre type de maladie chronique, mais parlons du cancer. Le dossier doit automatiquement être transféré au CLSC pour qu'il puisse ensuite déterminer quels sont ses besoins en maintien à domicile, adaptation de maison, réinsertion en milieu du travail, et c'est-à-dire de faire l'évaluation par l'ergothérapeute qui doit être attaché au CLSC ou en privé. Lorsque ça fait six mois, on doit attendre 12 mois pour aller chercher ça. Il y a des besoins immédiats en termes de maintien à domicile, en termes de l'hygiène, puis tout ça.

Le dossier doit aussi... Et ça veut dire le dossier médical, la certification que ce patient-là a des besoins en raison des limitations fonctionnelles dues à la maladie, doit être transféré au centre de réadaptation de sa région et par rapport à son type de limitation fonctionnelle, de déficience. Cela ne se fait pas. Puis un exemple qu'on a, nous autres, c'est que même pas... le CLSC, ils ne connaissaient pas le processus à suivre pour transférer le dossier au centre de réadaptation et quels étaient les documents nécessaires qui doivent être transférés au centre de réadaptation pour qu'on enclenche le processus d'évaluation des besoins, même pas de l'adaptation, mais de l'évaluation des besoins. Puis, si on parle de retour au travail, bien là, on rentre Emploi-Québec avec ses programmes. Les services sont là, ils sont tous là, mais c'est un problème de culture, et de gestion, et d'organisation du travail. Tout le monde travaille en silo. Et là, la réadaptation en mange un coup, puis le patient, c'est lui qui souffre.

Le projet de loi n° 10, il y a des... Ce qui est intéressant dans votre projet de loi, c'est que ça nous permet de faire cette réflexion-là. Ce qui est inquiétant, c'est que, si on n'obtient pas notre comité d'associations de patients, on va retourner au même point, c'est-à-dire qu'on va modifier les structures, on ne touchera pas à la pratique professionnelle, on ne touchera pas à la pratique organisationnelle du réseau de la santé et des services sociaux, puis, dans cinq ans, dans six ans, dans sept ans, on va crier au scandale parce que ça coûte trop cher, puis on va refaire la même chose. Parce que le projet de loi n° 83 de l'ancien ministre de la Santé, le ministre Couillard, qui est maintenant premier ministre, promettait ça aussi. Si on relit tout ce qui s'est dit dans les débats de la commission parlementaire et des mémoires, beaucoup de ces choses-là étaient déjà mentionnées.

• (17 h 10) •

M. Barrette : Ça va? Alors, M. Di Giovanni, moi, je suis content que vous l'abordiez sous cet angle-là, parce que c'est exactement ce que l'on veut faire. Moi, je fais les mêmes constats que vous, en ce sens que le cheminement du patient, et la coordination, et l'intégration, le cheminement du dossier, la coordination entre une instance et l'autre instance, c'est exactement ce qui ne fonctionne pas. Et en plus ça ne fonctionne pas pour des gens qui sont dans des situations de grande vulnérabilité et de grandes problématiques médicales et de santé. Et le projet de loi n° 10, je peux vous rassurer là-dessus, c'est ce que ça vise à corriger.

Et actuellement, quand vous nous dites que c'étaient les mêmes objectifs avant, O.K. Mais ça ne s'est pas réalisé. Et on sait pourquoi ça ne s'est pas réalisé. Une des problématiques qui fait en sorte que la chose ne s'est pas réalisée, c'est que personne n'avait ni l'autorité ni la volonté, je dirais, sur le terrain, de la faire, cette intégration-là.

Quand je fais le parallèle aujourd'hui avec ce qu'on a fait en termes de programme de lutte contre le cancer, pour la partie purement traitement ou investigation et traitement, on a fait un bout de chemin, mais il n'en reste pas moins que, quand on a décidé d'aller dans cette direction-là, on y est allés. Et, avec le projet de loi n° 10, ce que l'on veut décider, c'est de faire ce qui n'a pas été fait : l'intégration du cheminement complet.

Et, quand vous dites, avec justesse, M. Di Giovanni, que c'est un changement de culture que l'on doit atteindre, que vous tentez d'atteindre, sachez que, dans mon allocution au dépôt du projet de loi, ça a été ma première phrase : Changer la culture. Et changer la culture, ça veut dire que les décisions se prennent pour le patient. Et prendre les décisions pour le patient, bien, ça veut dire qu'une personne saine d'esprit comme vous est capable de réaliser qu'il y a des points d'achoppement. Puis ça ne prend pas un Ph. D. en économie pour voir les points d'achoppement, mais, à un moment donné, ça prend de la volonté et parfois des lois pour faire en sorte que ces points-là d'achoppement soient corrigés.

Mme Rodrigue (Nathalie) : C'est pour ça qu'il faut impliquer des patients dans l'élaboration des services, pour répondre aux besoins.

M. Barrette : Et c'est là où je voulais en venir, je suis content que vous ayez terminé ma phrase, dans une certaine mesure. Comment vous le voyez, là — je le comprends un peu mais pas complètement — le fonctionnement... Je comprends la finalité, évidemment, mais comment voyez-vous le fonctionnement, l'intégration dans cette structure-là de ce que vous appelez un comité national de patients qui relève du ministre?

M. Di Giovanni (Jérôme) : Je vais vous répondre, je vais utiliser votre projet de loi pour y répondre.

M. Barrette : Mais allez-y.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Dans un premier temps, allons à l'article 11. L'article 11, ce qu'il spécifie, en fin de compte, c'est les critères que vous mentionnez au niveau de la nomination par le ministre. Dans ces critères-là, c'est très bon... Si on lit ça, là, c'est quelqu'un qui est en M.B.A. ou à l'ENAP, qui sort avec un beau diplôme. Il manque un certain nombre de critères, dont tout le critère du partenariat et du travail avec le secteur communautaire. Ce n'est pas inné, ça, ça prend des compétences pour travailler avec ça. Toute la question aussi de la coordination, l'organisation et l'implication du patient et de sa famille à l'intérieur du panier de services. Ça prend que les gestionnaires qui vont être à la tête de vos CISSS doivent avoir ces compétences-là.

Le comité national va pouvoir travailler avec vous pour élaborer ces critères et s'assurer que les gens qui vont être embauchés, qui vont aller sur les conseils d'administration, vont avoir ces critères-là pour mettre en place cette nouvelle structure. L'article... c'était quoi? Deux secondes...

Une voix : 59.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Oui, l'article 59, merci bien. L'article 59, c'est extrêmement intéressant. C'est parce que, là, on voit ce que vous voulez faire avec la structure, c'est-à-dire, bon, bien, l'établissement régional pour assurer, en fin de compte, toute la participation de la population à la gestion. Ça me fait penser à quelque chose qui existait en 1983, le Forum de la population. Le concept était beau, mais, lorsqu'il a été mis en opération, c'était une vraie farce. En anglais, on appelle ça du «window dressing», c'était du cosmétique. Les gens se réunissaient à tous les deux mois, donnaient leur avis à la régie... à l'agence, ça finissait là : Revenez dans deux mois. On posait des questions de suivi, c'étaient des belles phrases creuses, très bien structurées, mais ça ne donnait rien. Le comité va pouvoir travailler avec vous pour mettre en place les critères, le processus, les mécanismes.

L'article 105, c'est l'établissement du plan en concertation avec les organismes communautaires, mais il faut mettre en place la structure, il faut savoir comment ça va se faire. Ça l'est dans la Loi sur les services de santé et services sociaux, mais ce n'est pas vraiment appliqué. Cette fois-ci, grâce à votre projet de loi, ça nous permet de poser ces questions-là, d'avoir ce genre de discussion là, puis maintenant on demande une voix à la mise en oeuvre de cela. Vous le reconnaissez jusqu'à un certain point, M. le ministre. Vous voulez vous donner un comité pour vous aviser au niveau des nominations. Bien, donnez-vous un comité d'associations de patients qui va vous aviser comment mettre le patient au centre et comment gérer le réseau en fonction des besoins du patient.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Je pourrais peut-être rajouter, pour donner un exemple concret — parce que vous comme moi, on est pragmatiques — la question du 450 versus le 514 pour les traitements en radiothérapie. Si on avait consulté aussi les patients avant de mettre cette directive-là en place, probablement qu'on aurait dit, les patients : Oui, d'accord de rapprocher les soins. Moi, je demeure à Laval, d'accord pour avoir ma radiothérapie à Laval, même si j'étais traitée à Maisonneuve avant. Si j'ai la même qualité de soins, si je n'ai pas un cancer qui nécessite un niveau 4 au niveau de l'offre de services, je suis d'accord. Et, si je peux avoir vraiment l'assurance que mes traitements seront similaires à ce que j'avais à Montréal, parfait.

Mais, lorsqu'on parle de soins spécialisés et surspécialisés qui ne se donnent pas en région... C'est sûr que les médecins de Montréal essaient de trouver l'oncologue ou le radiologiste à Laval ou à Longueuil qui va dire : Oui, on va lui donner le traitement de telle manière. Mais, avec la manière qu'on a procédé, c'est qu'on a dit : On coupe les budgets, vous allez être financés selon ce que l'agence prévoit et vous allez envoyer vos médecins dans le 450. Et par la suite ce que ça cause, c'est qu'il y a des patients qui retombent sur des listes d'attente parce que, là, il y a des délais. Il n'y a plus de délai à Montréal. On a même, à Maisonneuve-Rosemont... si quelqu'un a besoin d'un traitement de radiothérapie, allez-y, vous allez passer vite.

Mais on a fait ça en catimini, l'agence, la Direction québécoise de cancérologie, les agences de la Montérégie et de Laval, et on n'a pas demandé au patient qu'est-ce qu'il en pensait. Puis en même temps on dit dans la loi : Le patient a le droit de choisir son médecin et son hôpital, alors que cette décision-là va totalement à l'encontre. On s'est fait traiter de menteurs, en disant que ce n'était pas vrai que ça s'était fait. Ça se fait dans les faits, M. le ministre, je vous le dis, O.K.? Ça se fait, les archivistes trient les dossiers des patients 450 dans une pile, on essaie de les retourner dans leur secteur, même si ça fait un troisième cancer pour une personne qui a toujours eu le même oncologue dans un hôpital montréalais. On lui dit : Bien là, c'est fini, le lien est coupé, vous retournez dans votre quartier. Peut-être qu'on n'aurait pas procédé de la même manière ou avec un petit peu plus de jugement si on avait eu des patients autour de la table avant de prendre une décision.

M. Barrette : Mme Rodrigue, vous savez très bien que... Je sais que ce que vous dites est vrai, je l'ai abondamment critiqué moi-même. Cette affaire-là a été extrêmement mal faite, et, à bien des égards, c'était insultant pour les patients puis c'était déstabilisant aussi pour les patients.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Puis c'est les patients qui écopent, là.

M. Barrette : Tout à fait. Je suis d'accord avec vous. Et ce n'était pas la chose à faire, il fallait simplement s'adresser essentiellement aux nouveaux patients et laisser aller les patients avec leurs...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Qui étaient là déjà, en place, c'est ça.

M. Barrette : Exactement. Ce n'était pas compliqué à faire, cette affaire-là, Mais évidemment ça n'a pas été fait de même.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Et d'offrir peut-être à des patients qui étaient déjà là : Est-ce que, pour un traitement semblable, similaire, vous êtes prêt à aller... à retourner dans votre région? Mais de lui laisser le choix, de le proposer et de laisser le choix au patient.

M. Di Giovanni (Jérôme) : ...même pas la référence, c'était fait à des médecins... Les médecins étaient laissés à eux-mêmes : Trouve un nouveau médecin, puis merci, bonjour.

M. Barrette : Mais je suis tout à fait d'accord. Cette affaire-là, c'est mal pensé. Évidemment, personnellement, je ne l'aurais pas fait comme ça et aujourd'hui je suis déçu d'apprendre que le problème existe encore. Alors, je vous remercie de me le faire noter.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Je vous invite à lire LaGazette, l'article de La Gazette sur l'hôpital juif, entre autres, qui est paru le 26 octobre, je pense.

M. Barrette : Oui, celui-là, je l'ai lu. Celui-là, je l'ai lu.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Oui, très intéressant.

• (17 h 20) •

M. Barrette : Maintenant, je vais quand même faire un petit bout éditorial, puis me vous corrigerez, là, si vous n'êtes pas d'accord. Je pense quand même que le rôle du gouvernement est de ramener ou d'amener le service le plus près du patient possible dans toutes les circonstances et, à qualité égale... Parce que je pense qu'on peut dire ça, «à qualité égale». Surtout dans une intégration comme le projet de loi n° 10 veut faire, à un moment donné il y aura une uniformisation des protocoles, là, ça veut dire qu'on pourra vraiment, là...

Une voix : ...

M. Barrette : Et vous et moi, on sait qu'on peut avoir un diagnostic dans une région et ne pas avoir le même dans l'autre, là. Alors, on sait qu'il y a des problèmes de ce côté-là et on se comprend très bien. Et, là aussi, ça devient une question essentiellement d'intégration. Mais vous allez être d'accord avec moi qu'à un moment donné on doit quand même, de façon budgétaire — on n'a pas le choix de l'avoir, là — amener le service au patient, et il y a une conséquence au bout de la ligne. C'est que, malgré le fait qu'on laisse le patient choisir, à un moment donné le choix peut être près de lui, et on ne peut pas toujours investir dans le même centre, là.

M. Dion (Serge) : Oui. On n'est pas contre, nous, au comité, sauf que moi, depuis plusieurs mois, je suis en tournée provinciale, et puis je vais sur le terrain, je vais voir ce que les gens ont à dire, et puis, je dirais, les problèmes les plus souvent mentionnés, c'est justement ça, c'est : Comment ça se fait que la loi me dit que j'ai le droit de faire... d'aller où est-ce que je veux, de choisir mon médecin et que, dans les faits, effectivement, ça ne se fait pas? J'ai des gens aussi en région qui nous ont dit : Écoutez, on manque de ressources en oncologie, on a une infirmière pivot pour je ne sais pas combien de dossiers. Comment on va faire pour régler tout ça? On aimerait peut-être aller ailleurs, on ne nous le permet pas.

Je reviens sur votre projet de loi, l'article 39, qui dit qu'«un établissement public ne peut refuser de recevoir un usager dirigé vers ses services par un autre établissement». Je pense que vous allez avoir beaucoup de difficultés à faire respecter cet article-là, et puis on va avoir beaucoup de difficultés à expliquer ça à nos gens sur le terrain.

M. Barrette : Il ne me reste pas beaucoup de temps, je pense qu'il me reste juste le temps de répondre à cette question-là, si vous me permettez, là, ça ne sera pas très long, de prendre un peu de temps, mais ça ne sera pas long.

Le Président (M. Tanguay) : Il est à vous, il est à vous.

M. Barrette : C'est parce que ça, c'est la quadrature du cercle. La quadrature du cercle fait qu'à un moment donné on ne peut pas tout budgéter. Et, d'un côté, on veut ramener, on veut ramener le service le plus près du citoyen possible et on veut absolument laisser le choix au citoyen d'aller où il veut. Mais, de façon prospective, là, c'est impossible de prévoir que les patients vont accepter d'aller au point de service qui est près de chez eux, même s'il est démontré que la qualité est là. Alors, à partir du moment où moi, j'amène le service — je prends la radiothérapie, par exemple — dans le 450 avec un niveau de professionnalisme qui est équivalent à l'hôpital universitaire, bien, je l'ai amené, le point de service, puis, si les gens ne veulent pas le prendre, je fais quoi? Alors, est-ce que je continue à financer proportionnellement plus grandement un autre centre parce que les gens veulent aller là ou, à un moment donné, j'équilibre les choses?

Mme Rodrigue (Nathalie) : Autrement dit, il faut que le financement suive le patient, justement, qu'on cesse de financer historiquement.

M. Barrette : Je comprends, mais en même temps est-ce qu'un des deux puits devient sans fin? Ça, c'est la quadrature du cercle.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, ceci met fin à cette période d'échange avec le ministre. Je cède maintenant la parole à notre collègue députée de Taillon, de l'opposition officielle, pour une période de 14 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue, Mme Rodrigue, M. Di Giovanni, M. Dion. Je vous donnerais le temps de répondre à la dernière intervention que vous aviez avec le ministre, vous étiez sur une envolée. J'aimerais vous entendre pour quelques minutes, parce que nos minutes sont très comptées, mais quand même j'aimerais vous entendre finir votre réponse.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Il y a un certain nombre d'éléments par rapport à ça. Premièrement, il faut connaître les services qui existent sur le territoire, O.K.? On réfère à l'article... à la loi de la santé, c'est clairement spécifié : les personnes, il faut qu'elles soient informées des services qui existent. Mais moi, je voudrais bien voir, disons, depuis les deux dernières années... Est-ce qu'il y a une campagne d'information, depuis les trois, depuis les cinq, depuis les 10 dernières années, pour nous informer des services qui existent, et passée par l'entremise du secteur communautaire, en partenariat? Non.

L'autre élément, lorsqu'on parle... Puis ça, je suis d'accord que les ressources sont limitées. Parce qu'il y a un bout de phrase qui existe, «tenant compte des ressources humaines, financières et matérielles», on est tout à fait d'accord, mais c'est une phrase qui est devenue passe-partout, qui nous est servie continuellement, mais moi, je voudrais bien qu'on le démontre, qu'est-ce qu'on demande là, que les ressources n'existent pas. Et la démonstration n'a jamais été faite. La seule chose qu'on entend : Les ressources n'existent pas, ça nous coûte tant de millions de dollars, même milliards de dollars par année, et on n'a plus les moyens. Bien là, on va s'asseoir — c'est ça, l'idée du comité national aussi — on va s'asseoir puis on va regarder ça. Si on est dans la loi qu'on doit gérer, on est responsable de la gestion puis on doit être impliqué dans l'administration, dans le développement, faisons-le vraiment par rapport à ça. Et ça, c'est qu'est-ce qu'on demande actuellement par rapport à toute cette question-là des coûts puis de l'information, puis de s'assurer qu'on a vraiment les services au bon moment, à la bonne place puis pour les bons besoins.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Et je pense qu'en impliquant les patients dans les décisions ou dans la mise en place de certains services on aurait une vision plus agrandie des impacts de faire un choix ou de ne pas faire un choix. Je parlais tout à l'heure que 80 % des Québécois désiraient mourir à domicile. Dans les faits, au Québec, c'est 9 %. On en a 5 % qui meurent dans les urgences, à peu près 50 % dans des lits de courte durée, des lits électifs, qui retardent des chirurgies et qui coûtent encore de l'argent au système, parce que la personne qui pourrait retourner au travail après sa chirurgie est en arrêt de travail. On n'a pas cette vision-là au ministère. On a : Comment ça coûte là, maintenant?

Mais, si on ferait comme il s'est fait dans certaines régions, dont certains secteurs de Montréal, la région d'Arthabaska et de L'Érable, où des hôpitaux... des médecins, dans des hôpitaux, se sont fait des alliances avec des infirmières, des travailleurs sociaux, des organismes communautaires sur le terrain pour maximiser l'offre de soins à domicile de fin de vie, on est arrivé à des taux de décès à domicile de 50 %. Alors, c'est d'autant moins de personnes qui occupent des lits à l'hôpital, c'est d'autant plus de personnes qui sont respectées dans leur choix. Et les personnes qui vont à l'hôpital puis qui auraient voulu rester à la maison, c'est souvent que ça n'a pas été possible, parce qu'il n'y avait pas personne... il n'y avait pas de proche aidant. Parce que pour... Quand même, il faut savoir que, pour aider les gens à domicile, maintenir les gens à domicile, ce n'est pas seulement avec les médecins, les infirmières, les organismes communautaires, ça prend quand même un proche aidant. Donc, il faut aussi le soutenir dans sa vie puis dans ses défis qu'il a à relever.

Mais les personnes qui vont mourir à l'hôpital prennent un espace de temps moins élevé. Au lieu d'être deux mois, des fois, dans un lit d'hôpital, ils vont arriver puis, deux, trois jours plus tard, ils vont être décédés, parce qu'on a été capables de les garder à la maison dans de belles conditions, en absence de douleur. Mais il vient un moment donné que, parfois, ce n'est pas possible de décéder à domicile. Mais la pression que ça enlève quand les groupes s'organisent et décident de travailler ensemble et non de se regarder comme des chiens de faïence, parce que le communautaire, ce n'est pas bon... ou etc. Quand cette confiance-là s'établit entre les différents acteurs sur le terrain, on arrive à des beaux résultats qui font économiser énormément au système de la santé.

Donc, il va falloir que... Quand on parlait... C'est ça, c'est un changement de culture. Puis, quand on fait ces mouvements-là, il faut apprendre aussi à se mesurer. Puis nous sommes encore dans une culture de la non-mesure. On compile, dans les agences, des statistiques, des statistiques, mais on n'a pas d'indicateur fiable pour savoir où on s'en va.

Mme Lamarre : Si vous me permettez, c'était une de mes interventions, parce que, là, les minutes filent, on n'a que neuf minutes, là.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Oui. Excusez-moi.

Mme Lamarre : Alors donc, d'abord, moi, je veux vous dire qu'il y avait eu aussi une enquête, il y a trois ans, où on avait, au Québec — et vous aviez participé, la Coalition Priorité Cancer — démontré que 18 % des personnes qui apprenaient qu'elles avaient un cancer n'avaient pas de médecin de famille. Alors, ça traduit bien ce que vous avez dit. Ça veut dire que les gens l'apprenaient à l'urgence, en se rendant à l'urgence, peut-être après avoir fréquenté quelques urgences rapides dans des cliniques médicales, mais finalement, à l'urgence d'un hôpital, finissaient par l'apprendre. Et c'est sûr que, dans un contexte où on manque de médecins de famille, si on doit les attribuer à quelqu'un, ce patient qui a un diagnostic de cancer va avoir besoin d'un suivi d'un médecin de famille pour gérer tout ce qui accompagne, autant au niveau psychologique que physique, les besoins de cette population-là. Donc, je comprends très bien votre démarche.

On va revenir un peu avec le projet de loi n° 10. Moi aussi, j'avais ciblé, là, les indicateurs éprouvés. Je trouve tout à fait inacceptable que le Québec soit le seul pour lequel on ne puisse pas extrapoler les statistiques canadiennes. Alors, pour les gens qui nous écoutent, on peut être capable de savoir, partout au Canada, la prévalence de certains cancers, les durées de traitement, la nature des traitements, et tout ça, mais pas avec le Québec, parce qu'on n'a pas organisé notre système d'information pour ça. Et ça, ça m'apparaît être une priorité, parce que, ce que vous avez dit avec justesse, quand on ne sait pas ce qu'on cherche, on n'a pas de chance de le trouver puis, quand on n'a pas d'indicateur pour le mesurer, on n'a pas de chance de s'améliorer puis de faire qu'on soit plus performant.

Alors, vraiment, il y a quelque chose qui est là mais que moi, j'ai de la misère à déduire de façon automatique avec le projet de loi n° 10, là. Je ne peux pas voir du tout de lien entre les deux. Et peut-être qu'il est là, mais, à ce moment-là, ce qui ressort dans votre mémoire, ce qui ressort dans la proposition de beaucoup d'autres, c'est qu'avec le projet de loi n° 10 il faut absolument que le ministre nous donne ce qui est dans sa tête pour l'instant, c'est-à-dire les orientations et plans de transition, parce que, sinon, on ne sait pas à quoi on dit oui, à quoi on dit non, à quoi on dit peut-être, puis à quoi on veut améliorer. Alors, est-ce que vous pouvez me donner un exemple de trajectoire de soins que vous souhaiteriez avoir pour les patients qui ont un cancer?

• (17 h 30) •

Mme Rodrigue (Nathalie) : Bien, comme on disait tout à l'heure, ça commence déjà au niveau de la prévention. Mais on peut peut-être y aller comme l'exemple en 2013 : le ministre Hébert nous avait annoncé la création d'un programme provincial de dépistage du cancer colorectal par la recherche de sang occulte dans les selles. Les tests se font à l'hôpital de Sherbrooke présentement, au CHU de Sherbrooke. Le projet pilote devait partir dans huit régions définies.

La problématique là-dedans, c'est que, oui, les huit régions participent, mais ce n'est pas un programme de dépistage, c'est du dépistage opportuniste, qu'on appelle. Ce qu'on a fait, c'est qu'on a priorisé les personnes qui étaient sur des listes d'attente en colonoscopie pour, je dirais... bon, roder, ce n'est pas français, là, mais pour tester le système. Et on a priorisé, pour la colonoscopie, les personnes qui avaient une recherche de sang occulte positif. Ça, c'est très bien. Il fallait commencer par faire un ménage là-dedans, parce qu'étant donné qu'on ne se mesure pas on n'a pas non plus le taux de positivité des colonoscopies, combien de colonoscopies sont faites pour la bonne raison et combien d'autres sont juste faites en prévention et qu'on ne trouve aucun polype ou aucune lésion cancéreuse.

Deuxièmement, présentement, on n'a pas donné les budgets pour informatiser ce programme-là. Alors, présentement, le médecin va prescrire à son patient d'une manière opportuniste, bon, va dire : À risque, parce que votre père, votre grand-père, etc., a eu le cancer. Le patient s'en va à son CLSC ou à son hôpital, prend les tubes pour les prélèvements, s'en va chez lui, fait le prélèvement, retourne à l'hôpital. La requête est remplie — papier — et c'est envoyé à toutes les semaines à Sherbrooke. Quand ça arrive à Sherbrooke, il faut enregistrer ces requêtes-là. Alors, présentement, on a huit commis pour enregistrer les requêtes qui arrivent à Sherbrooke, pour un technologiste médical qui fait les analyses. Et, quand les résultats sortent, ils sont retournés, dans les hôpitaux qui ont reçu les prélèvements, par fax.

Mme Lamarre : Ce que vous traduisez, c'est vraiment transformer les pratiques organisationnelles et professionnelles.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Oui, oui. Pourquoi on n'a pas fait un système central testé sur huit régions, un bureau qui envoie les requêtes chez les patients, directement, de 50 ans, puis le tester comme ça, avec le tube de prélèvement, que le patient colle dessus son code à barres qui est identifié à son nom, qui est retourné à l'hôpital? Les résultats retournent au central, et, si c'est positif, on dirige le patient dans une clinique pour faire faire une colonoscopie.

Mme Lamarre : Mais ce qu'on comprend, c'est que les centres intégrés...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Ça aurait été trop simple, je ne le sais pas.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Je voudrais ajouter quelque chose à ce que Mme Rodrigue vient juste de dire. Avant de...

Mme Lamarre : Les centres intégrés ne règleront pas ce problème-là, là. Ce que je comprends, c'est que la...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Bien, on ne sait pas, parce que... On ne sait pas. Là, je ne le vois pas.

Mme Lamarre : En tout cas, ce que vous proposez, c'est une intégration unique, centrale pour tout le Québec, mais pas nécessairement...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Mais il faudrait... Comme le programme de dépistage du cancer du sein.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Mais, par rapport à ça, avant de lancer le programme, il y a eu une étude qui a été faite pour savoir est-ce qu'on a un programme de dépistage. Et, cette étude, dans la première page, on mentionne : Ça n'inclut pas les personnes ayant une déficience auditive, ça n'inclut pas les personnes qui ont un problème d'élocution, ça n'inclut pas les personnes des communautés culturelles qui ne peuvent pas parler anglais et français. Parce que l'étude a été faite au téléphone, vous devez parler soit en français ou en anglais. Donc, ça exclut tout un pan de la société québécoise. Et ça, c'est l'Institut national de la santé publique qui a fait l'étude.

M. Dion (Serge) : Et j'aimerais ajouter qu'au-delà des voeux pieux où est-ce que beaucoup de gens ont beaucoup de bonnes idées... c'est très bien, mais, si on n'a pas les ressources pour les appliquer, bien, ça devient complètement ridicule. Écoutez, moi, je demeure dans l'Outaouais, et puis ma médecin m'a recommandé une colonoscopie. Et elle m'a dit textuellement : «Si tu veux aller dans le système public, ça va prendre cinq ans. Et, si tu vas dans le privé, ça va prendre beaucoup moins de temps que ça.» Donc, je suis allé de l'autre côté de la rivière et je l'ai eu en trois semaines. Donc, c'est à se demander... Oui, on peut avoir des beaux programmes, on peut avoir un paquet de bonnes idées, mais, encore là, si on n'a pas les ressources pour les appliquer, ça tombe entre deux chaises.

Mme Lamarre : Il faut peut-être être... Il faut peut-être cibler mieux nos populations et faire un effort. Mais ça, c'est un effort qui est vraiment, à ce moment-là, une priorisation qui s'apparente plus au programme sur lequel il a été travaillé, là, il y a un an, avec Dr Latreille, sur le programme de...

Mme Rodrigue (Nathalie) : De cancérologie.

Mme Lamarre : ...plan d'action du cancer. Et effectivement je pense que, pour le cancer, il faut garder ces organisations-là qui sont vraiment de nature nationale et non pas les refragmenter dans toutes les régions.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Dans toutes les régions...

Mme Lamarre : On a besoin d'avoir une centralisation, une coordination, mais centrale. Donc, à ce moment-là, je pense que vous le faites bien valoir.

J'ai beaucoup aimé aussi quand vous avez fait valoir la valeur des services offerts par les organismes communautaires. Moi, je peux dire que, dans Taillon, je suis impressionnée de voir l'intensité, la qualité, la parcimonie des gens qui reçoivent un petit budget dans les organismes communautaires et les miracles qu'ils réussissent à faire. C'est incroyable, comment ces gens-là travaillent intensément. Et donc je ne retrouve pas, effectivement, une juste place dans le projet de loi n° 10 pour cette communauté qui s'investit, et qui est très, très présente, et qui, quelque part, avec de petits budgets, réussit à faire faire des économies qui sont vraiment très importantes et très significatives.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Et on ne réussira pas un virage vers la première ligne si on n'intègre pas les groupes communautaires et si on ne soutient pas les proches aidants. Si on ne fait pas ça, si on ne met pas de l'argent... Mais, comme vous dites, avec 20 $ dans le communautaire, on fait pour beaucoup, peut-être pour 200 $ dans le public, donc il y a vraiment... Les ressources sont là, sur le terrain, les gens veulent aider... Parce que, lorsqu'on travaille à titre bénévole, là, c'est parce qu'on veut, c'est parce qu'on croit à la mission. Et ça, c'est très important. Et les proches aidants ont besoin de soutien. En cancer, 30 % des proches aidants meurent avant la personne qu'elles soignent. C'est très important.

Mme Lamarre : Donc, toute la dimension des services sociaux qui accompagnent...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Et le service à domicile.

M. Di Giovanni (Jérôme) : L'accompagnement.

Mme Lamarre : ...et de l'accompagnement font partie, vraiment...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Ils font partie de la solution.

Mme Lamarre : Et je pense que c'est ça qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'on a un ministère de la Santé et des Services sociaux et que ces services sociaux, là, ont vraiment un lien...

Une voix : ...

Mme Lamarre : Bien, je suis contente de vous voir, parce que c'est la première fois qu'on vous voit, mais je suis très heureuse de vous voir dans nos travaux, Mme Charlebois.

Mais donc c'est important qu'on rallie, mais qu'on les inclue dans la continuité, et non pas que ça soit deux morceaux distincts.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Non, il faut qu'ils travaillent ensemble.

Mme Lamarre : Et...

La Présidente (Mme Montpetit) : Mme la députée de Taillon...

Une voix : Et on peut faire plus, on peut faire plus également au niveau des proches aidants.

La Présidente (Mme Montpetit) : ...je vous remercie, le temps est écoulé.

Mme Lamarre : Parfait.

La Présidente (Mme Montpetit) : Donc, M. le député de La Peltrie, c'est à vous pour 9 min 20 s.

M. Caire : Pour combien de temps, vous dites?

La Présidente (Mme Montpetit) : 9 min 20 s.

M. Caire : Merci. Bonjour. Merci pour votre présentation. Je voulais revenir avec vous sur quelques sujets. Le projet de loi n° 10 vise une intégration des services, bien sûr, et vous avez fait, dans votre présentation, allusion au registre du cancer. Bon, dans le contexte de la lutte contre le cancer, on peut penser que c'est un outil essentiel. Dans le contexte du projet de loi n° 10, de quelle façon peut-on travailler avec ces outils-là? Dans un contexte d'intégration de services évidemment, de quelle façon peut-on le faire évoluer, de quelle façon peut-on l'améliorer?

Mme Rodrigue (Nathalie) : Bien, le registre du cancer peut servir à bien des choses. Dans un contexte de la loi n° 10... Bien, pour savoir comment, justement, un centre de santé, dans une région donnée, va organiser ses services, c'est un peu... ça aide beaucoup de savoir aussi quel type de cancer on a, est-ce qu'il y a une incidence pour un type de cancer plutôt qu'un autre? S'il y a des traitements qui se donnent, ce n'est pas juste de savoir que c'est de la chimio, mais quel type de chimio a été donné et laquelle est la plus performante.

Dans le registre, présentement, on n'a pas les taux de survie. Alors, on va savoir qu'une personne a un cancer du côté gauche, au poumon, qu'on a donné de la chimio, puis on ne sait pas si ça fonctionne ou si ça ne fonctionne pas. Parce qu'on ne sait pas c'est quel type de chimio puis, s'il y a eu un mélange de différents médicaments, on ne le sait pas plus. Si ça a été de la radio, c'est : radio. Mais, à quelle dose, etc., on n'a pas ça au registre.

Donc, les médecins ne peuvent même pas le consulter pour savoir si une thérapie fonctionnerait mieux qu'une autre et ainsi améliorer les services et diminuer les coûts, parce qu'il y a peut-être des traitements qui se donnent qui ne sont pas nécessaires, il y a peut-être des traitements qui pourraient se donner puis qui ne sont pas connus d'un spécialiste parce que... Un médecin ne peut pas tout savoir, mais, s'il peut se comparer avec d'autres personnes, d'autres collègues de travail ou sur d'autres régions, etc., ça peut améliorer aussi la qualité des services.

On peut décider... Dans une région donnée, si on voit qu'il y a de plus en plus de femmes qui ont un cancer du sein autour de 40 ans, bien, peut-être que le programme de dépistage, dans cette région-là, pourrait débuter plus tôt. Puis on pourrait aussi travailler à rechercher les causes : Est-ce que c'est une cause environnementale? Est-ce qu'il y a une industrie quelconque, dans la région, qui peut peut-être avoir une influence sur la santé des gens, etc.? C'est à ça qu'un registre peut servir et devrait servir.

• (17 h 40) •

M. Di Giovanni (Jérôme) : Mais il y a un autre élément extrêmement important : le registre, ça implique aussi des ressources humaines. Pour mettre en place un registre, ça prend des personnes qui ont fait la collecte de données puis classé ça. Il y a l'Association québécoise des registraires en oncologie, qui ne participe même pas aux discussions à la DQC par rapport à ça. Ils ont été expulsés parce qu'ils étaient trop...

Mme Rodrigue (Nathalie) : Critiques.

M. Di Giovanni (Jérôme) : ...trop critiques.

Deuxièmement, ça implique aussi — puis ça, ça s'adresse au ministre — une planification de la main-d'oeuvre. On a combien de registraires en oncologie? Ça prend des compétences précises et particulières. Est-ce qu'il y a un plan de développement de main-d'oeuvre? Est-ce qu'il y a une reclassification de la profession par rapport à ça? Ce n'est pas uniquement dire : On achète un logiciel puis on se met à pitonner là-dessus, c'est beaucoup plus complexe que ça.

M. Caire : Mais vous attirez mon attention, j'aimerais ça que vous me parliez de l'association des registraires en oncologie. Vous dites qu'ils ont été expulsés de discussions. De quelles discussions et en quoi étaient-ils critiques, là? J'aimerais ça vous entendre là-dessus, là.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Ils étaient critiques dans le sens que, dans les hôpitaux, les registraires en oncologie colligent toutes les données pour un vrai registre, sauf que ça demeure des registres locaux. Et ce qu'on a demandé à la Direction québécoise de cancérologie de transmettre à la RAMQ, à la Régie de l'assurance maladie, qui a maintenant le registre sous son égide, c'est, bon, le sexe de la personne, son nom, sa région, le type de cancer, le type de traitement, et c'est à peu près tout. Ça ne collige pas, comme on disait, le taux de survie, le vrai type de traitement. S'il y a un deuxième traitement, un traitement de deuxième intention, ce n'est pas colligé dans le registre. Et, sur le terrain, les personnes n'ont pas les capacités de colliger deux registres, non plus.

Alors, ce que l'association demandait, c'est qu'on forme plus de registraires en oncologie, mais qu'on crée le titre d'emploi de registraire en oncologie, parce que, pour être registraire, c'est une année de plus, au cégep, qu'un archiviste médical. Mais, pour le moment, ces personnes-là n'ont pas de reconnaissance de titre d'emploi, ils vont aller étudier un an de plus, ils ne seront pas payés plus ou à peine. Là, on leur demande de remplir un registre, ils sont en nombre insuffisant sur le terrain, à l'hôpital, et de dupliquer les données pour les envoyer au registre à la RAMQ, alors que, si on avait eu un système intégré, lorsqu'ils auraient rentré les données à l'hôpital, dans leur registre, ça se serait transféré automatiquement. Mais là ce n'est pas ça, alors on recommence le travail.

Et il y a eu un document récemment, qui est sorti, sur la planification de la main-d'oeuvre pour les registraires en oncologie, mais ça ne tient pas compte de ce double aspect là. Alors, on dit : Il y a assez de registraires en oncologie au Québec, présentement, pour fournir les données au registre. Oui, mais le registre est incomplet. Et qui va rentrer les statistiques, à ce moment-là, pour les registres locaux dans les hôpitaux, si on dit que ces personnes-là doivent prioriser le registre du cancer au Québec, qui est incomplet? Alors, qu'est-ce qu'on fait?

M. Caire : Je vais devoir sans doute changer de sujet, parce qu'il ne doit plus me rester beaucoup de temps, mais on aura certainement l'occasion de revenir là-dessus.

Vous avez, tout à l'heure, critiqué les comités d'usagers ou l'efficacité des comités d'usagers, puis ça m'a interpellé, parce qu'hier la Protectrice du citoyen nous disait justement l'importance de maintenir les comités d'usagers, et même de s'assurer qu'il y a une représentation sur le terrain. Donc, vous allez un petit peu à contresens...

Mme Rodrigue (Nathalie) : On ne l'a pas critiqué, on a même suggéré qu'il y en ait plus au conseil d'administration.

M. Dion (Serge) : Nous, on suggère d'augmenter... de pondérer...

M. Caire : Mais de les inclure au conseil d'administration.

Mme Rodrigue (Nathalie) : Beaucoup plus. En plus grand nombre.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Les inclure au conseil, de leur donner les ressources nécessaires pour qu'ils puissent faire leur tâche à l'intérieur du conseil. Est-ce que vous avez déjà participé à un conseil d'administration d'une agence ou d'un centre de réadaptation? Vous arrivez là avec une tonne de documents, beaucoup, beaucoup d'information qui circule. Donc, si vous, vous êtes là comme représentant qui devez prendre une décision, vous avez besoin d'un support pour passer à travers tous ces documents-là. Puis ce n'est pas une personne sur sept, sur huit, sur 12 qui va faire vraiment, vraiment la différence. Donc, il faut réfléchir à tous ces éléments-là.

L'autre élément qui est extrêmement important : lorsqu'une agence, ou un centre de réadapt, ou d'autres structures du réseau invitent un organisme communautaire à nommer quelqu'un pour aller siéger sur un conseil d'administration ou sur un comité, dès que cette personne-là s'assoit sur la chaise, elle n'est plus la représentante de l'organisme, elle devient sa propre représentante. Donc, automatiquement, la structure de la santé va la couper. C'est un organisme. À chaque fois qu'elle parle, si elle dit : Bien, mon organisation, on dit : Ah non! Vous êtes ici en tant que vous-même, en tant que citoyenne. Donc, il y a un problème là.

On dit qu'on doit participer à la gestion, à l'administration, mais il faut que ça soit en tant que représentant de l'organisme. Donc, la question des comités d'usagers, c'est dans la loi. Dans les centres de réadaptation, dans les hôpitaux, il y a la représentation des associations de patients, des organismes communautaires aussi qu'il faudra voir par rapport à ça. Puis il faut y réfléchir, comment ils peuvent vraiment jouer leur rôle en tant que décideurs, pas en tant que personne qui va aller acquiescer à une décision déjà prise, et qu'elle est très bien revanchée puis très bien présentée.

M. Dion (Serge) : Tout à fait. Au-delà du droit de parole, ces gens-là, qui, on l'espère, seront en plus grand nombre dans ces établissements-là, auront pas seulement un droit de parole, mais participeront activement aux instances décisionnelles où est-ce qu'eux le poids de leur parole aura le même poids que tout le monde autour de la table.

M. Caire : Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, il nous reste à vous remercier, aux représentants de la Coalition Priorité Cancer au Québec.

Maintenant, je demande au prochain groupe de prendre place. Et nous allons momentanément suspendre nos travaux. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 46)

(Reprise à 17 h 50)

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous allons poursuivre nos travaux. Peut-être une petite technicalité avant d'enchaîner. Je me dois de vous demander le consentement pour dépasser l'heure prévue. Nous devions siéger jusqu'à 18 heures, mais nous dépasserons visiblement l'heure prévue pour les commissions. Alors, est-ce que nous avons consentement pour dépasser l'heure?

Des voix : ...

Le Président (M. Tanguay) : Oui? Consentement. Parfait. Merci beaucoup.

Alors, nous accueillons maintenant les représentants, représentantes de la Confédération des organismes des personnes handicapées du Québec. Je vous demanderais, pour des fins d'identification, de bien vouloir vous identifier, et par la suite vous disposerez d'une période de 10 minutes pour votre présentation, et ensuite les échanges, comme vous le savez, avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Confédération des organismes de personnes
handicapées du Québec (COPHAN)

Mme Vézina (Véronique) : Bonjour. Merci, M. le Président. M. le ministre, Mme la ministre, MM., Mmes les députés. Merci de nous recevoir. Je me présente : Véronique Vézina, présidente de la COPHAN. J'ai deux de mes collègues avec moi : M. Richard Lavigne, qui est directeur général, et M. Robert Labrecque, qui est un militant de longue date.

Avant de commencer notre présentation, on aurait deux accommodements à vous demander. La première : en raison de nos limitations, on a de la difficulté à savoir qui est autour de la table. Donc, si c'était possible que vous puissiez vous présenter.

Et la seconde : il est possible qu'on dépasse d'une minute ou deux le temps de notre présentation. Donc, si vous pouvez nous offrir cet accommodement-là, ce serait apprécié.

Le Président (M. Tanguay) : Est-ce que vous voulez que chaque personne, avec sa voix, s'identifie dans... le lieu...

Mme Vézina (Véronique) : Oui, s'il vous plaît.

Le Président (M. Tanguay) : O.K. Alors, on va vous accommoder. Alors, évidemment, président Marc Tanguay, député de LaFontaine. Et je vais à ma droite, et là allons-y, collègues.

M. Barrette : Alors, Gaétan Barrette, qui est ministre de la Santé. Puis, si jamais vous entendez quelqu'un tousser, c'est moi, si c'est un homme; si c'est une femme, c'est ma collègue.

Mme Charlebois : Lucie Charlebois, ministre déléguée à la Réadaptation — en tout cas, vous me connaissez — Protection de la jeunesse et Santé publique, qui tousse aussi.

M. Plante : Marc Plante, député de Maskinongé.

M. Iracà : Alexandre Iracà, député du comté de Papineau en Outaouais.

Mme Simard : Bonsoir. Caroline Simard, députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré, et qui tousse aussi.

M. Giguère : Pierre Giguère, député de Saint-Maurice.

Mme Montpetit : Marie Montpetit, députée de Crémazie.

Mme Lamarre : Bonsoir. Diane Lamarre, députée de Taillon et porte-parole de l'opposition, santé et accessibilité aux soins.

M. Lisée : Bonsoir. Jean-François Lisée, député de Rosemont et critique de l'opposition pour les services sociaux.

M. Caire : Éric Caire, député de La Peltrie.

M. Schneeberger : Sébastien Schneeberger, député de Drummond—Bois-Francs.

Mme David (Gouin) : Françoise David, députée de Gouin.

Le Président (M. Tanguay) : Alors, voilà. Merci beaucoup. Alors, votre 10 minutes commence maintenant.

Mme Vézina (Véronique) : Merci. D'abord, je vais brièvement vous présenter la COPHAN. On est un organisme, pour et par, qui défend les droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles et leurs proches. On regroupe 61 associations provinciales et régionales qui couvrent l'ensemble du territoire québécois.

Je vais commencer ma présentation par la lecture de la préface d'une politique gouvernementale, L'accès aux documents et aux services offerts au public pour les personnes handicapées : «Le Québec a réalisé de grands progrès [...] au cours des 30 dernières années pour offrir aux personnes handicapées le meilleur accès possible aux services publics. Plusieurs barrières architecturales ont été levées, des secteurs de services ont été adaptés, des programmes conçus spécifiquement pour les personnes handicapées ont été développés. Il faut saluer ce progrès et s'en servir comme assise pour faire un pas de plus pour lever les obstacles qui peuvent encore créer des situations de handicap pour les personnes handicapées. Il ne s'agit pas ici de générosité ou de compassion, mais bien d'égalité. Or, l'égalité suppose parfois un traitement différent, le recours à des moyens adaptés pour diffuser de l'information et offrir des services. [...]Ce faisant, nous permettrons à [toutes] les citoyennes et [à tous les] citoyens, sans exception, de bénéficier des avantages des services publics. En retour, l'ensemble de la collectivité profitera de la participation et de la contribution de tous. Voilà certainement l'un des meilleurs investissements qu'une société puisse faire.»

Ce texte inspirant a été signé par le ministre de la Santé et des Services sociaux de 2007, M. Philippe Couillard.

Les personnes ayant des limitations sont doublement concernées par le réseau de la santé et des services sociaux. Elles le sont comme utilisatrices des services destinés à l'ensemble de la population et de services répondant aux besoins créés par leurs limitations. La COPHAN formule aujourd'hui des recommandations afin que les citoyens et les citoyennes ayant des limitations, ainsi que leurs proches, puissent trouver des services auxquels ils et elles ont droit.

La COPHAN est sceptique sur la capacité du projet de loi à répondre aux besoins des personnes qui ont des limitations. Des changements, il y en a eu beaucoup ces 30 dernières années. Combien de groupes d'experts, de commissions d'enquête et d'autres avis en tout genre depuis la commission Castonguay-Nepveu qui, pour la première fois, affirmait qu'il faut «reconnaître que le handicapé est un citoyen à part entière [et que] le handicapé a besoin de certains biens et de certains services pour surmonter, dans la mesure du possible, son handicap et pour développer intégralement sa personnalité au sein de la société». Certes, les choses ont évolué depuis 1971, mais force est de constater que ce sont bien davantage les luttes du mouvement associatif que les diverses politiques, orientations ou plans d'action qui ont permis aux personnes ayant des limitations de faire respecter leurs droits.

Parmi cette multitude de documents qui ont été produits, nous avons retenu quelques noms prometteurs : Chez soi : le premier choix; Pour une véritable participation à la vie de la communauté; Proximité, accessibilité et continuité des services; Un geste porteur d'avenir; De l'intégration à la participation sociale; Projet clinique : un préalable à une meilleure accessibilité, continuité et qualité des services; Afin de faire mieux ensemble; Vieillir et vivre chez soi. Le projet doivent être apportés au projet de loi, pas essentiellement en injectant des fonds, mais également en intégrant nos recommandations.

Dans ce qui suit, la COPHAN s'appuiera sur la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, loi contenant des obligations pour le ministère de la Santé et des Services sociaux et ses actuelles agences. Comme le préciseront nos recommandations en fin de présentation, il s'agit là d'inscrire dans la structure des CISSS la participation des personnes ayant des limitations aux décisions collectives les concernant ainsi qu'à la gestion des services qui leur sont offerts, l'élaboration de plans d'action à l'égard des personnes handicapées et la mise en accessibilité du parc immobilier, l'accessibilité des biens et services achetés ou loués, la nomination d'un coordonnateur de services aux personnes handicapées, l'accès aux documents et aux services offerts au public pour les personnes handicapées.

Je te laisse continuer, Richard?

M. Lavigne (Richard) : O.K. Merci, Mme la... J'ai-tu quelque chose, là?

Le Président (M. Tanguay) : ...bien.

M. Lavigne (Richard) : Oui. Vous m'entendez?

Le Président (M. Tanguay) : Oui, très, très bien.

M. Lavigne (Richard) : Alors, M. le Président, messieurs dames, ministres, députés, on va vous parler rapidement de la question de l'implication citoyenne aux instances proposée par le projet de loi n° 10. Alors, on va commencer par ce que l'on considère, nous, comme un déficit démocratique. À titre d'exemple, actuellement, nous avons, dans les établissements, deux représentants des usagers, et, la réforme proposée qui va, d'une part, ramener, à peu de choses près, sauf Montréal, là, un établissement par région, là on nous propose un seul usager pour l'ensemble des programmes-services qui vont relever de cet établissement-là. Alors, je pense que je n'ai pas besoin d'expliquer bien, bien longtemps que c'est quelque chose qui, pour nous, est non seulement... bien, ce n'est pas vraiment acceptable, en ce qui nous concerne, lorsqu'on fusionne tout ça et qu'on enlève encore des postes aux représentants des usagers.

Pour ce qui est des comités des usagers comme tels, à moins qu'on ne sache pas lire la loi, et c'est toujours possible, là, peut-être qu'on l'a mal lue, mais qu'est-ce qu'il va advenir de toute cette question des comités des usagers? Quels seront leurs mandats, leur financement, leur composition, leur fonctionnement, et tout ça? Alors, ça, pour nous, ce n'est pas clair. Est-ce que ça va changer, est-ce que ça ne changera pas? Il y a une chose qui est claire, c'est que ça va devenir des grosses assemblées générales d'usagers régionales. Alors, est-ce que ça va être efficient?

Pour les conseils d'administration, on parle de représentants — je pense que c'est sept représentants — dits «indépendants». Peut-être qu'il y aurait lieu de songer, là, à élargir cette composition-là à des représentants, par exemple, des organismes communautaires, des usagers, des divers programmes-services offerts dans la région.

Pour ce qui est, maintenant, du comité consultatif de l'article 131, la même chose, on considère que la question qui relève des personnes qui ont des limitations fonctionnelles... comment tout ça va se retrouver dans l'ensemble des dossiers qui vont être assumés par les CISSS.

• (18 heures)

Pour ce qui est, maintenant, du financement, on parle qu'on va sauver des fonds, là, en faisant cette réforme-là. Et nous, on veut bien, d'une part, sauver des fonds, mais surtout on veut que les fonds soient mieux utilisés pour répondre encore mieux aux besoins. Je pense que, pour les personnes qui ont des limitations fonctionnelles, il y a des listes d'attente qui existent toujours, et ces listes d'attente là ne semblent pas vouloir, là, diminuer, notamment... peut-être pas pour le premier service en réadaptation, mais pour les autres services subséquents. Tout est une question d'interprétation de qu'est-ce que c'est que l'attente. Alors, peut-être que les surplus que le ministre va dégager seraient peut-être utiles... pas peut-être, très utiles pour notamment les services aux personnes qui ont une limitation fonctionnelle et à leurs familles.

Pour ce qui est, maintenant... Là, je saute des bouts, là, le temps file, là. Pour ce qui est des services de réadaptation, vous comprendrez que les personnes qu'on représente et leurs familles doivent avoir accès encore plus à des services d'adaptation, réadaptation et d'intégration sociale. Et il faut que, d'une part, des corridors de services qui sont prévus assurent non seulement le maintien, mais le développement des services de réadaptation, dans une région, oui, mais d'une région à l'autre, notamment lorsque des expertises pointues sont développées pour des clientèles moins nombreuses, par exemple — on parle de masse critique — que les CISSS qui ont des faibles... qui n'ont pas beaucoup de monde, par exemple, de tel ou tel type de limitation, ne créent pas des petits centres de réadaptation pour réinventer la roue, lorsque pas tellement loin ou... Et ces services-là peuvent continuer et protéger les masses critiques afin de développer la recherche, et tout ça. Éviter, là, de réinventer la roue, finalement.

Pour terminer, rapidement, les organismes communautaires. Je pense que vous en avez entendu parler tantôt, nous, le problème qu'on a avec les organismes communautaires, c'est que, de plus en plus, ces organismes-là sont invités, avec un grand I — avec un grand I, c'est-à-dire avec des subventions — à devenir, là, des prestataires de services. Alors, comment les organismes communautaires vont-ils, d'une part, être bien financés pour faire ça et, d'autre part, pouvoir rester autonomes dans leur fonctionnement? Vous rappeler seulement que, beaucoup d'organismes communautaires, dans leur mission de base, c'était la défense collective des droits ou la promotion des intérêts des personnes. Alors, quelle sera la capacité de ces organismes-là de continuer à faire ça s'ils ont des contrats du réseau de la santé et des services sociaux?

Je continuerais bien, mais je pense que je n'ai plus de temps. Peut-être que mon collègue pourrait aller lire rapidement les recommandations. Puis peut-être qu'il y a d'autres éléments qu'on pourra apporter dans les discussions, parce qu'il y a des choses qu'on n'a pas eu le temps d'aborder mais qui nous préoccupent beaucoup.

M. Labrecque (Robert) : Donc, la liste des recommandations est dans notre mémoire, et, pour respecter le temps alloué, nous vous les présenterons en résumé.

Compte tenu des obligations faites au gouvernement par la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, la COPHAN recommande que chaque CISSS se conforme explicitement aux orientations de cette loi, notamment celles sur la participation des personnes ayant des limitations à la prise de décisions les concernant ainsi qu'aux services offerts, et que le respect de ces orientations fasse l'objet d'une reddition de comptes publique. Cela implique des dispositions particulières pour toute instance de concertation et consultative, notamment le comité des usagers et le conseil d'administration.

La COPHAN recommande que chaque CISSS soit soumis aux articles de cette loi sur le plan d'action pour l'intégration des personnes handicapées, sur l'accessibilité des biens et services achetés ou loués, et sur les coordonnateurs des services des personnes handicapées.

La COPHAN recommande que chaque CISSS soit soumis à la politique gouvernementale sur l'accès aux documents et aux services, et donc aux standards gouvernementaux d'accessibilité du Web.

La COPHAN recommande que les regroupements régionaux d'organismes de personnes handicapées soient reconnus comme interlocuteurs privilégiés.

Pour la réadaptation, la COPHAN recommande que la loi assure la pérennité et le développement des services, y compris pour la clientèle plus rare, aux prises avec des situations complexes ou dites émergentes.

Pour la COPHAN, chaque service ou programme offert à la population doit également profiter de l'expertise pour s'adapter aux personnes ayant des limitations. M. le ministre, vos récentes prises de position sur l'accès à la mammographie nous indiquent que vous comprenez exactement la portée de ce dernier point.

Pour les organismes communautaires, la COPHAN recommande que les mécanismes de financement de la LS4... LSSSS plutôt, respectent leur autonomie. La COPHAN recommande également que soient maintenues à un niveau régional toutes les dispositions de soutien financier à des organismes communautaires et que les CISSS soient responsables de ce financement, incluant celui visé au deuxième alinéa de l'article 554 de la LSSSS.

Concernant le financement, la COPHAN recommande que les économies soient réinvesties dans les services aux personnes ayant des limitations et que les autorisations prévues à l'article 55 du projet de loi fassent l'objet d'une reddition de comptes publique et annuelle.

Pour finir, nous recommandons que le ministre enclenche une véritable concertation avec la COPHAN pour améliorer, programme par programme, l'indépendance et l'autonomie des personnes ayant des limitations. Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, considérant que l'on a dépassé le 10 minutes, et c'est à la demande du ministre que nous allons prendre ces trois minutes-là sur le temps, donc, dévolu aux députés formant la banquette ministérielle, je cède maintenant la parole au ministre de la Santé pour une enveloppe totale de 18 minutes.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, Mme Vézina, M. Lavigne et M. Labrecque, bienvenue. Je suis très heureux de vous revoir. On s'est déjà rencontrés dans d'autres circonstances, il n'y a pas longtemps, et on se revoit aujourd'hui. D'ailleurs, je vais en profiter pour vous remercier pour vos bons mots pour la mammographie et je vais vous réitérer... peut-être pas vous réitérer, mais je vous avais dit que j'agirais, et mon équipe a été mandatée pour officiellement changer la réglementation pour que, dans l'obtention d'un permis d'opération d'un LIM, d'une clinique de radiologie, lorsqu'il y a une inspection technique et physique pour les appareils, soit incluse une composante spécifique à l'accès, et ça, suite aux interventions que vous avez faites. Alors, en français, ça signifie que, dans le futur... bien, en fait, à partir de maintenant, pour avoir un permis d'opération, il va falloir démontrer qu'on est capable de se rendre à la machine et que la machine est capable de faire des mammographies sur une personne qui a des limitations et qui est en chaise roulante. Alors, je vous remercie de votre intervention. C'est grâce à vous qu'on a décidé de faire ça. Vous avez porté à notre attention une situation qui était passée un peu dans les craques du plancher et vous aviez bien raison de faire l'intervention que vous avez faite. Alors donc, merci pour ça.

Maintenant, je vais reprendre un peu les propos que vous avez pris puis vous donner quelques informations supplémentaires. Premièrement, bravo pour le mémoire. Je dois vous avouer que je m'attendais à ce que ce soit un mémoire très détaillé et très structuré, et il l'est. Et vous connaissez bien vos lois et vous avez une logique qui est implacable. Et globalement je peux vous dire que les recommandations que vous nous faites sont très recevables. Il y a des choses là-dedans qui sont peut-être un peu plus difficiles, puis il y a un ou deux éléments que je voudrais aborder, puis je vais vous expliquer pourquoi.

Dans votre mémoire, vous faites référence, et vous l'avez fait, vous aussi, dans votre présentation à plusieurs reprises, à l'espoir que, si on fait des économies, on puisse les réinvestir dans votre domaine spécifique, qui est celui des personnes handicapées ou avec des limitations. Moi, je suis d'accord avec vous que, si on fait des économies, elles devraient aller à l'endroit qui a fait ces économies et qu'elles soient réinvesties dans votre secteur. Je veux simplement mettre un bémol. Le projet de loi n° 10, c'est un projet de loi, évidemment, qui cherche à aller chercher des économies du côté administratif pour revenir à l'équilibre budgétaire, et après s'assurer que notre système de santé ait sa pérennité et qu'on puisse contrôler la croissance des coûts. Les économies que l'on recherche sont des économies, et j'insiste là-dessus, à cette étape-ci, qui visent le retour à l'équilibre budgétaire et donc, par définition, qui ne vont pas nécessairement être réinvesties ou soient réinvestissables, à moins d'avoir des économies qui excèdent ce qui est nécessaire pour retourner à l'équilibre budgétaire, auquel cas, je suis bien d'accord avec vous, ces économies-là, si on peut les réinvestir dans votre secteur, si elles viennent de chez vous, il faudra le faire, et, là-dessus je suis tout à fait d'accord avec votre revendication et recommandation.

Maintenant, pour ce qui est de la représentation... parce qu'évidemment, pour vous et comme pour tout le monde, c'est quelque chose qui est très important. Je prends bonne note des recommandations que vous nous faites et j'ai envie, à cette étape-ci, de vous poser une question, surtout que vous étiez là quand le groupe précédent, la Coalition Priorité Cancer, a fait sa présentation, elle a fait des représentations en termes de comité des usagers national. Est-ce que vous autres, vous avez des visions de cet ordre-là ou, essentiellement, vous visez les conseils d'administration et les comités des usagers locaux? Et, entre parenthèses, je vous le dis tout de suite, le financement des comités des usagers va être maintenu. Il n'est pas question qu'on aille couper là-dedans. Je vous laisse la parole.

• (18 h 10) •

M. Lavigne (Richard) : O.K. Si vous permettez, M. le Président, M. le ministre, nous, bien sûr, on parle de comités... Lorsque M. Labrecque a lu la recommandation : On souhaite que le ministre mette sur pied un comité avec nous pour revoir les programmes, programme par programme, on parle au niveau, là, national, hein, provincial, voir les orientations, les couvertures, et tout ça. Mais, sur le terrain, en région, nous avons, dans notre milieu, à la COPHAN, des regroupements d'organismes de personnes handicapées, qu'on appelle des ROPMM, et ces organismes-là sont sur le terrain, en région, et ça prend une synergie entre ce qui se fait en haut et du comment que ça se fait en bas. C'est pour ça qu'on dit oui. Nous, on propose un comité national pour les personnes qui ont une limitation fonctionnelle et leurs familles, pour les orientations et tout ça, et, au plan régional, bien, qu'il soit inclus un mécanisme, là, pour que les programmes, services, dans leur ensemble et ceux dédiés aux personnes qui ont une limitation fonctionnelle soient accessibles. Parce que, Mme la présidente l'a dit tantôt, on n'est pas juste handicapés, on est citoyens aussi, puis malheureusement, en plus d'être handicapés, on risque d'être aussi malades, à un moment donné, être un petit peu moins jeunes qu'avant, etc.

Alors, on n'est pas juste handicapés, on est d'autre chose aussi, et peut-être que, là, ça va être le temps, dans votre réforme, de le faire pour de bon, celui-là. J'espère que... C'est une opportunité, d'ailleurs, de faire du CISSS une organisation qui va décloisonner les clientèles, mais qui va quand même les servir.

M. Barrette : Donc, je comprends de votre propos, là, qu'actuellement vous n'êtes pas vraiment intégrés, et, pour vous autres, ce n'est pas juste une question d'accès physique, là. Vous avez, dans le cheminement dans notre système de santé, des problèmes réels qui sont au-delà de la personne qui n'a pas ce genre de limitation là.

M. Lavigne (Richard) : Bien, je vous dis qu'on a encore... L'exemple de la mammographie, c'est un exemple qu'on vous donnait, là, puis il y en a d'autres. Il y a d'autres difficultés, là, pour certains types de limitations fonctionnelles, d'accéder aux services dits généraux, là. Puis souvent, lorsque quelqu'un a besoin d'un service dit général, bien : Ah! bien, ça, c'est un handicapé, on va l'envoyer sur le bord des personnes handicapées, mais ce n'est pas nécessairement la bonne place. Alors, c'est pour ça qu'on voudrait, avec vous, éventuellement, établir ça et s'assurer que, dans les régions, ça revient. Et notre présidente, je pense, veut compléter, là.

Mme Vézina (Véronique) : Peut-être pour compléter ce que M. Lavigne vient de vous dire, quand on parle d'accès aux services généraux, il y a différents problèmes. Je peux vous donner comme exemple une personne qui se présente aux urgences, qui est en fauteuil roulant, on ne sait pas où est le lève-personne pour la transférer dans son lit. On court pendant quelques heures après le lève-personne pour essayer de la mettre dans un lit, on lui propose de le faire à bras, ce qui n'est pas faisable parce que la personne a des difficultés, a des douleurs, on ne peut pas la transférer.

On propose à d'autres personnes qui viennent de subir, par exemple, une chirurgie cardiaque, et qui retourne à domicile, et qui a besoin de soutien à domicile... spécifiquement à sa chirurgie, on lui propose, comme elle est déjà avec des services de soutien à domicile en DP-DI-TED, on lui propose de retourner dans ce programme-là, et on la met sur une liste d'attente en lien avec le plan d'accès pour les personnes qui ont une déficience, et on lui envoie une lettre pour lui dire que son dossier est jugé modéré et qu'elle aura des services dans un an, alors que c'est à la sortie de l'hôpital qu'elle avait besoin de son aide. Au lieu de lui donner des services posthospitaliers, on la transfère dans des services pour personnes handicapées. Donc, c'est différents problèmes comme ceux-là que les personnes rencontrent.

M. Barrette : Bien là, on peut dire que, s'il y a des gens qui ne sont pas vraiment au coeur du système dans leur intégration, c'est bien vous autres.

M. Lavigne (Richard) : Bien, en tout cas, on vous parle de ce qu'on rencontre, là. Je veux dire, il ne s'agit pas de se comparer aux autres, je serais bien malaisé de répondre pour les autres, là, Puis nous, on parle de ce qu'on entend tous les jours dans tous nos organismes régionaux, locaux, et c'est, pour nous... Voyez-vous, M. le ministre, c'est vous, le ministre, c'est vous autres, le gouvernement. Vous avez le pouvoir et le devoir d'améliorer les choses. Et nous, on voit ça comme une opportunité, mais, comme on disait tantôt, il y a quand même des choses qu'on souhaite avoir des garanties dans l'application du projet de loi. Puis après ça, bien, on parlera, là, dans une autre étape, peut-être plus de la loi de la santé et services sociaux. On s'attend à ça, là. J'espère juste qu'on va avoir un peu plus de temps pour se revirer de bord cette fois-là, par exemple, M. le ministre.

M. Barrette : M. Lavigne, j'ai toujours apprécié votre sens direct, de vos propos, là. Vous n'avez pas la langue dans votre poche, puis moi, j'aime ça. Qu'est-ce qui manque, là, actuellement, le plus pour vous autres, juste le côté santé et services sociaux, disons, là?

M. Lavigne (Richard) : Bien, écoutez, il y a deux choses, là, puis il y en aura d'autres, là. Il y a toute la question des services de soutien à domicile. Je pense qu'on s'entend tous, là, qu'il y a des choses à régler là. Je pense que la COPHAN... on n'est pas trois de la COPHAN, on a de nos membres qui écoutent ça, là, puis je pense qu'il y en aurait qui prendraient bien le micro pour venir vous en parler, là, je suis sûr de ça. Il y a toute la question du soutien aux familles, les listes d'attente dans les services de réadaptation, dans les services généraux. Écoutez, il y a beaucoup de choses à améliorer.

Et de l'argent... Il y en a eu, de l'investissement, il y en a eu, de l'argent. C'est juste qu'à un moment donné il faut voir comment on peut faire mieux tout court. Pas faire mieux avec moins, faire mieux. Parce que le faire mieux avec moins, là, c'est le moins qui arrive avant le mieux, souvent. Alors, nous, on aimerait ça faire mieux pour commencer puis, quand on fera mieux, bien, on verra si on peut développer. Parce que les listes d'attente, elles grandissent, puis ça, bien, ça peut... ça compromet, ça compromet certaines personnes dans leur processus de participation et ça génère d'autres dépenses que la société va finir par absorber pareil. Alors, c'est pour ça qu'on propose, notre instance, notre comité, avec vous, là, avec le ministère, avec vous, au plan national, pour revoir ça. Je sais bien qu'on ne fera pas ça demain matin, là, mais, peut-être, dans vos projets, là, ce serait une bonne idée.

M. Barrette : Avant de passer la parole à ma collègue Mme la ministre déléguée, j'ai envie de vous poser une question : Quel est le meilleur véhicule qu'il vous faut pour vous faire entendre? Parce que, manifestement, notre système, un, ne vous prend pas nécessairement en considération à la hauteur que vous l'espériez — parce que vous nous demandez vous-mêmes de faire mieux, puis je le comprends — mais en même temps, le système, je ne suis pas sûr qu'il est bien informé. Le système, en général, là, j'entends. Je ne parle pas des gens avec qui vous travaillez quotidiennement, là, parce que je pense qu'il y a des gens là-dedans qui sont très dévoués et très au fait de ce que vous vivez. Mais, de façon globale, là, quel est le véhicule qui vous manque?

M. Lavigne (Richard) : Le véhicule qui nous manque, c'est un véhicule qui, on espère, va changer... il a commencé à changer, mais c'est toute la perception que l'on a des personnes qui ont des limitations fonctionnelles. On est encore vus, malheureusement, M. le ministre, messieurs dames de la commission, comme étant des usagers, des receveurs de services. On n'est pas vraiment dans le coup. On est là comme étant des receveurs de services, et cette approche-là fait de nous toujours des gens à la remorque de.

Je crois que, depuis 30 ans, le milieu des personnes qui ont des limitations, on a soumis des idées. Je ne dis pas qu'on a toujours raison, mais, à un moment donné, il faut accepter de parler d'égal à égal et non pas toujours de l'intervenant ou du décideur qui a un pouvoir sur la personne handicapée. Vous aimez ça quand je suis direct, bien, c'est un peu ça, là, c'est un peu ça, le problème qu'on a. Et on doit travailler ensemble, puis les commissions parlementaires comme aujourd'hui, c'est utile pour faire comprendre à la population que ce n'est pas payant, pour une société, de mettre le monde comme ça de côté. Il faut payer à un moment donné. Et les services sociaux dont on parle aujourd'hui, pour nous... et ça devrait être pour tout le gouvernement non pas une dépense, mais des investissements qui vont être rentables au plan économique et social, éventuellement.

M. Barrette : Mais je vous écoute, M. Lavigne, puis je laisse la parole après, mais c'est comme si vous me disiez que le véhicule des conseils d'administration, ce n'est pas le bon, il faudrait un véhicule spécifique.

M. Lavigne (Richard) : Tous les véhicules sont bons, M. le ministre. Tous les véhicules, toutes les occasions sont bonnes. C'est juste qu'il faut, à l'intérieur d'un conseil d'administration qui sera relativement important, qu'on ait ce souci, par la voie de représentants d'usagers d'organismes communautaires de notre réseau, avec du soutien comme M. Di Giovanni disait tantôt, là, avec du soutien, d'amener les conseils d'administration à prendre conscience. Puis, nous, ça ne nous tente pas d'être en compétition contre les malades. Ce n'est pas ça, le but, là. C'est ça qu'on ne veut pas, être en compétition pour l'attention publique et administrative, contre des personnes qui sont malades, qui ont, elles aussi, le droit à avoir les services dont elles ont besoin.

Mais il ne faut pas toujours comparer, et c'est ça qu'on fait souvent : Oui, mais, Richard, il faut que tu comprennes, on a des problèmes de santé. Je comprends tout ça. Je comprends tout ça, mais, à un moment donné, on ne peut pas, sous prétexte que quelque chose nous apparaît plus important, laisser tomber les autres.

M. Barrette : Merci, M. Lavigne. Je passe la parole à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlebois : Bien, merci, M. le ministre. D'entrée de jeu, je vais vous dire merci d'être ici et de nous faire part de vos réflexions. On a déjà eu des échanges, et tantôt j'avais quelqu'un, à mon bureau, qui représentait un autre groupe de personnes avec des limitations et qui avait sensiblement les mêmes propos que vous, et ce que je comprends, c'est beaucoup plus large que la définition de personne handicapée va devoir un jour se faire, et la perspective doit être vue dans son ensemble, pas juste dans le réseau de la santé et des services sociaux, mais dans l'ensemble de la société, que ce soit l'intégration au travail, ou etc., là. Il faut avoir une perspective plus large, puis c'est un peu ça que j'entends dans les propos depuis tantôt.

Mais, si on revient au projet de loi n° 10, vous savez, pour moi, il y avait une grande importance, dans le projet de loi n° 10, de nous assurer de l'accessibilité et de la qualité des services pour toutes les personnes qui l'utilisent, autant au niveau des services sociaux que des soins de santé. Parce que ça doit être intégré, l'accessibilité doit se faire dans le sens où... Comme vous l'avez dit, ce n'est pas parce qu'on est handicapé qu'on est différent des autres. On a aussi besoin de soins de santé, mais il y a aussi des services sociaux pour l'ensemble des gens, tout comme vous.

Est-ce que vous ne pensez pas que le projet de loi n° 10 va permettre justement une meilleure accessibilité, dû au fait qu'ensemble... tout le réseau va être ensemble, enfin qu'on va briser des silos, qu'on va faire en sorte qu'au niveau réadaptation, notamment, les gens en réadaptation — puis c'est déjà commencé, je pense, sur le terrain, à certains endroits — les gens en réadaptation, tant physique qu'en déficience intellectuelle, etc., tout le monde travaille ensemble maintenant, puisse vraiment s'intégrer dans un service, que le dossier patient soit là pour tout l'ensemble des services et qu'on puisse optimiser ça, pour une fois? Qu'est-ce que vous pensez de ça, vous autres?

• (18 h 20) •

M. Lavigne (Richard) : Bien, écoutez, ça fait depuis... Moi, j'ai commencé à militer, là, j'étais très, très, très jeune, là. J'ai participé à la commission Rochon, hein, dans les années 80 quelques, là, et on en parle de ça... Je pense que... Ça, nous, Mme la ministre et M. le Président, oui, on est d'accord qu'il faut le faire, mais il faut le faire parce qu'à un moment donné ce n'est pas juste les lois qui changent les choses, hein, c'est ce qui vient après. Parce que, si les lois changeaient tout, on serait tous égaux au Québec. La charte des droits dit qu'on est tous libres et égaux au Québec. Alors, une loi toute seule, là, bon, on veut bien, c'est un outil.

Et nous, on vous dit : Oui, il faut le faire, mais il faut prendre le temps de bien le faire pour ne pas créer des problèmes en essayant d'en régler d'autres. Et c'est pour ça que, oui, les conseils d'administration, les comités d'usagers, il faut s'assurer que les gens sont présents, il faut que les gens soient capables de contribuer. Mais ça prend, à un moment donné, un boss — puis le boss, bien, à ce que je sache, c'est vous, les ministres, avec des conseils du groupe de travail qu'on vous propose pour les orientations générales, pour la couverture des programmes — puis ça prend des gens en région qui sont en lien avec les groupes nationaux comme les nôtres pour pouvoir faire les suivis.

Mais je pense qu'il y avait Robert qui voulait parler. Je ne suis pas sûr, là, mais...

M. Labrecque (Robert) : Mme Charlebois, tantôt vous disiez : Oui, ça se fait, l'intégration se fait tranquillement, de tous les services. Sauf que ce qu'on constate encore, puis on l'a vu dernièrement, c'est que, si on prend une personne handicapée qui va à l'hôpital pour un problème de santé et qui en ressort, qui a besoin de services tout de suite à domicile, souvent ça va lui être offert, à cause des listes d'attente, de s'en aller en CHSLD. Pour 15 heures de services de plus par semaine, la personne se ramasse en CHSLD.

Moi, mon profil, pour en donner un que je connais, moi, je représenterais aux alentours de 90 000 $ en CHSLD, 75 000 $ plus 30 000 $ d'administration. À domicile, si j'avais des services qui viendraient du CLSC ou des banques d'économie sociale, je représenterais aux alentours de 60 000 $ plus les frais administratifs. Comme je gère tous mes services à domicile... Et je crois qu'on devrait essayer d'inciter les gens à aller vers ça. C'est mon discours à moi. Mais je sais qu'il y a des personnes handicapées qui ne sont pas capables d'y aller à 100 %. Moi, j'y vais à 100 %, puis c'est une grande partie de mon travail dans la semaine, j'ai 100 % de mes services qui sont donnés à 13,05 $ de l'heure et, de cette façon-là, je coûte environ 36 000 $ à l'État. Donc, je représente surtout une économie, pour moi, qui est aux alentours de 54 000 $ par année, si on veut, si on se base sur un 90 000 $.

Donc, je pense que ce qu'il faut faire, c'est essayer de prendre une espèce d'intégration, oui, pour que les gens soient mis pas seulement dans des silos, mais qu'ils soient placés au bon endroit, et ça, là, c'est tout à votre honneur d'essayer de répartir ça correctement. Sauf que, si on voit des intervenants dans nos dossiers... Je pense que les meilleures instances pour défendre les personnes handicapées, c'est des affaires... des choses comme la COPHAN, puis ça, vous devriez vous asseoir à côté de la COPHAN, à côté des personnes handicapées, réserver des postes dans les endroits où il y a quelque chose à dire. Parce qu'on représente plus qu'une personne handicapée. On disait qu'avant ça on était infirme, ensuite handicapé, personne à mobilité réduite. J'ai dit : Moi, là, je n'en ai rien à foutre des appellations contrôlées, je suis un millésime, O.K.? Ça, je dis ça, moi, depuis environ 30 ans...

Le Président (M. Tanguay) : ...beaucoup. Merci beaucoup. Alors, le temps est épuisé. Nous allons maintenant passer — peut-être qu'on vous laissera le temps de compléter votre phrase — du côté de la collègue de Taillon pour une période de 12 min 30 s.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Oui, j'aimerais bien vous entendre finir votre phrase.

M. Labrecque (Robert) : Bien, c'est pour ça, il faut essayer de laisser la chance aux personnes qui sont sur le terrain de vous le dire, où ils sont les silos, de vous le dire, où il y a des économies de structure à faire. Parce que c'est beau de passer du CLSC à une autre instance, si moi, je m'en vais en institution demain matin, le CLSC va avoir, probablement, aux alentours de 20 nouvelles personnes qui vont rentrer et qui sont sur les listes d'attente, qui vont avoir chacun deux heures par semaine. Puis moi, je vais me ramasser que je vais coûter 90 000 $. Donc, si vous savez calculer, c'est assez... Moi, j'en ai assez dit. Merci.

Mme Lamarre : Alors, je vous remercie beaucoup. Bien, bien contente de vous rencontrer, Mme Vézina, M. Lavigne, M. Labrecque. Et puis je vois que vous avez des accompagnateurs aussi.

Alors, écoutez, je vais rapidement laisser la parole à mon collègue le député de Rosemont, qui a beaucoup de questions pour vous. Mais moi, j'en ai quand même au niveau de la conclusion, parce que, dans la conclusion, souvent, c'est ce qui nous reste sur le coeur puis qu'on n'a pas eu la chance de manifester, mais vous manifestez une préoccupation, en lien avec le projet de loi n° 10, sur la question du financement à l'activité et sa faisabilité dans le domaine des services sociaux. Donc, ça, ça m'apparaît être important.

C'est vrai qu'il y a des dimensions qui n'apparaissent pas facilement dans les modèles, la modélisation de l'évaluation des activités et également l'intégration des établissements sur un régime des plaintes. Alors, si vous aviez quelques minutes... Nos minutes sont comptées, on n'a que 11 minutes tous les deux, mais, si vous vouliez en prendre une ou deux pour répondre à ces premières questions là, pour ensuite laisser la place...

M. Lavigne (Richard) : Pour les plaintes — ça va aller vite pour les plaintes — nous, on pense que... Actuellement, là, il y a un processus qui existe, là, du local au régional, puis tout ça. Mais maintenant qu'on nous offre un établissement unique par région, sauf Montréal, toujours, comme de raison... Nous, on revendique depuis toujours puis on réinsiste sur l'importance d'avoir un mécanisme de plainte crédible, c'est-à-dire indépendant. Lequel? On n'a pas eu le temps de l'étayer, on n'a pas eu tout le temps qu'il fallait, mais je pense qu'il faudrait qu'on regarde, là, avoir un mécanisme efficient, efficace et surtout indépendant, de plaintes. On ne vous contera pas les résultats des plaintes en santé et services sociaux, là, c'est une comédie de justification. On va arrêter là pour aujourd'hui.

Pour ce qui est de votre autre dimension, écoutez, en services sociaux et même en santé, l'activité en question, il faut être prudent de... Je ne dis pas que ce n'est pas important, mais il faut être prudent avant d'installer ça, du mur-à-mur. Il y a maintenant, là, dans certains... Dans plus en plus d'endroits, on est en train d'identifier comment ça prend de temps, donner un bain à quelqu'un, par exemple, ou donner tel, tel service. Mais, tu sais, quelqu'un qui donne un bain à quelqu'un, à X ou à Y, ce n'est pas nécessairement, pour toutes sortes de raisons, le même temps qu'on doit donner à cette personne-là. Puis, pendant qu'on donne un bain à quelqu'un, là, en passant, là, je pense qu'on lui parle un petit peu aussi. Il y a comme des choses intangibles qui se passent, là. Mais, si on fait ça à la chaîne, à la machine, il y a un risque... il n'y a pas un risque, c'est sûr qu'on s'en va dans un mur.

Alors, c'est ce genre de choses là qu'on voudrait discuter, et, on le dit bien dans notre mémoire, on n'a pas eu le temps de le développer, puis ça, il faut le développer avec tout le monde, notamment les gens de l'Assemblée nationale, et du gouvernement, et les autres partenaires.

Mme Lamarre : Merci beaucoup. C'est très, très éclairant. Merci.

Le Président (M. Tanguay) : M. le député de Rosemont.

M. Lisée : Merci, chère collègue, M. le Président. Très heureux de vous revoir. J'ai rencontré plusieurs d'entre vous depuis quelque temps, Mme Vézina, M. Lavigne, M. Labrecque. Je signale aussi que vous avez une accompagnatrice qui fait la traduction en langage des signes pour une dizaine de vos membres. Alors, c'est très bien, je suis très content que vous fassiez ça.

Bon, dans votre mémoire, finalement, vous dites : Il y a une situation réelle, c'est qu'il y a un Québécois sur 10 qui a une incapacité modérée ou grave et qu'il y en a un sur trois au-delà de 85 ans. Ça, c'est la situation telle qu'elle se présente. Et le principal problème à résoudre, c'est qu'au moment où on se parle 3 500 personnes, par exemple, qui ont des déficiences intellectuelles ou un trouble du spectre de l'autisme sont en attente d'un premier service de réadaptation, et là-dedans il y a 850 enfants. Alors, si on avait à se concentrer sur un problème, là, qui vous concerne, là, ça serait ça.

Mais là on vous fait venir pour vous demander votre opinion sur la plus grande fusion d'organismes de santé de l'histoire du Québec, et là votre première réponse, c'est de dire : Bien, vous savez, des fusions, on en a connu, y compris de l'actuel premier ministre, qui était ministre de la Santé, qui nous avait dit que les fusions qu'il proposerait, ce seraient les meilleures de l'histoire du Québec, et que ça n'a rien changé, et que, celles-ci, on vous dit que ça va être les meilleures de l'histoire du Québec, puis, d'après vous, vous ne voyez pas, et je vous cite, par quelle magie ce qui n'a pas été fait avant serait fait par cette fusion-ci.

Et là vous dites : Écoutez, nous, on a un problème. On a un problème parce que, même après les fusions précédentes, on a l'impression que nous ne sommes pas assez entendus pour nos clientèles, qui avons des particularités par rapport à l'ensemble des clientèles qui ont des besoins. Vous avez dit, M. Lavigne, là : On ne fait pas le poids, on n'est pas dans le coup. Dans le mémoire, on dit : On ne fait pas le poids. Alors, ça, c'est votre autre problème, vous trouvez qu'on ne fait pas le poids. Alors, quelle est la réponse que vous donne le ministre dans son projet de loi? C'est d'abolir les endroits où vous êtes.

• (18 h 30) •

Alors, vous dites : «L'exemple le plus patent de ce recul des instances donnant la parole aux principaux concernés n'est-il pas qu'au lieu de quelque 200 comités d'usagers, il n'y en aura plus que 28...» Et comment et par qui seront formés les futurs comités d'usagers? Vous dites : «Pour prendre l'exemple des centres de réadaptation, les usagers qui siégeaient au conseil d'administration connaissaient les besoins de leurs pairs, ce qui est loin d'être assuré dans un établissement comptant autant de missions» que les futurs CISSS. Et là je dois avouer que vous faites un portrait excellent du rapetissement de votre place dans la discussion des orientations et des besoins, et d'ailleurs un droit qui est reconnu aux usagers dans la loi sur les services sociaux. Évidemment, ça ne dit pas quelle est l'ampleur de ce droit, mais là, clairement, vous faites la démonstration que ce droit va être ratatiné.

Et là vous dites : Bien, au moins, dans les 28 qui restent, on aimerait être représentés. Bien, moi, je vous suggérerais de dire : Bien, au moins, gardez les 200 comités d'usagers, trouvez-leur une autre fonction, changez leur nom. Parce qu'il y a quand même... Les établissements, les endroits où on donne les soins, ils vont subsister, vous le dites, c'est toujours les mêmes endroits où on va aller, puis ça ne réglera pas le problème du continuum de soins qu'on ait moins de gens qui connaissent le réseau, qui connaissent les besoins, qui sont des usagers qui puissent parler aux professionnels qui appliquent les orientations. Alors, là-dessus, ce n'est pas une question, je vous dis, c'est presque un reproche, je trouve que vous n'êtes pas assez revendicatifs. Parce que le démantèlement des lieux où vous êtes, où, déjà, vous dites que vous n'êtes pas assez entendus, ça devrait être... on devrait mettre un cran d'arrêt là-dessus.

Deuxième chose qui m'a beaucoup frappé dans votre mémoire, c'est que vous dites : Écoutez, nous, déjà, on ne fait pas le poids dans les instances, vous réduisez nos places dans les instances, mais aussi vous questionnez... Vous dites : «La COPHAN questionne cette orientation de l'État québécois de considérer les organismes communautaires comme du "cheap labor" et d'oublier que beaucoup d'entre eux sont constitués pour défendre les droits[...].

«En fait, la COPHAN croit que les organismes communautaires sont l'expression essentielle d'une réelle vitalité de la société québécoise...» Et, parce que c'est le cas, ils devraient «être financés sur des bases claires, stables et qui [en] respectent totalement leur autonomie».

Alors, vous le savez, nous avions, le gouvernement précédent, prévu une augmentation du financement de base de vos associations.

Mais j'aimerais vous entendre sur une déclaration que le ministre des Finances a faite hier. Entre guillemets, il dit : «Il y a énormément d'organismes communautaires qui peuvent livrer des services sociaux. Ça coûte moins cher que s'il s'agit d'un réseau.» Fin de citation. Alors, vous aviez écrit votre mémoire avant d'entendre M. Leitão. Voulez-vous lui répondre aujourd'hui?

M. Lavigne (Richard) : Si je peux me permettre, puis je crois même... je ne sais pas si c'est la même citation, mais on parle même, par exemple, qu'on pourrait donner des services de réhabilitation aux enfants handicapés. La réhabilitation, je ne savais pas qu'on avait ça au Québec pour les personnes handicapées, je pensais qu'on parlait de réadaptation. Mais c'est un exemple, là... Puis moi, je ne fais pas de politique là-dessus, mais, quand on entend ça, c'est très, très, très désolant, pour rester, là, gentil, là, que le ministre des Finances...

Il annonce une orientation : Ça coûte moins cher, les groupes communautaires. Je ne comprends pas qu'on utilise cet argument-là. En tout cas, à ce que je sache, quelqu'un qui rend un service, qu'il soit dans un groupe communautaire ou dans un réseau public, si le service est le même, pourquoi ça ne vaut pas la même chose? Nous, on n'est pas venus ici pour défendre ni les syndicats, ni les établissements, ni les ci puis les ça, on est venus vous parler des personnes et de leurs familles. Puis effectivement, les groupes communautaires, plus ça va, plus qu'on les traite comme du «cheap labor», malheureusement. On n'utilise pas les leviers dont les organismes communautaires disposent, on les utilise, et nous, on demande au gouvernement de stopper ça.

S'il y a de l'argent à sauver, s'il vous plaît, il y a d'autres moyens. Puis, si vous en voulez, des moyens, je pense que vous en avez en tête, et ça, c'est quelque chose que nous... Quand j'ai appris ça ce matin, je trouvais ça très déplorable qu'on profite de... Je pense que c'est dans un institut économique machin, là, que ça a été dit, là. Bien, je pense que les groupes communautaires, il faut arrêter de les prendre pour des «cheap labors», puis ce n'est pas vrai qu'on fait tout nécessairement à moins cher. Je pense que, si on a moins d'argent, les gens s'épuisent beaucoup plus, hein? Puis le bénévole, c'est bien beau, mais, à un moment donné, il faut faire attention à ça. Parce que, si c'est ça que le Québec veut faire, bien, on va-tu demander à des médecins d'être bénévoles, des infirmières d'être bénévoles? Puis là, bien là, quand ça arrive aux groupes communautaires, bien, ce n'est pas grave, des bénévoles. Je vais m'arrêter là, ça me pompe.

M. Lisée : O.K. M. Lavigne, simplement pour ceux qui nous écoutent, il faut savoir que les organisations communautaires sont financées partiellement par l'État. Et on salue les efforts que la ministre déléguée a faits pour réussir à indexer l'enveloppe globale qui est accordée, mais on sait qu'à l'intérieur de cette enveloppe globale là il y a des sommes qui sont réparties autrement, donc il y a un certain nombre d'organismes qui n'ont pas eu une indexation organisme par organisme, même si l'enveloppe, là, a été faite, mais nous avions tous convenu d'une augmentation plus importante. Parce qu'il y a un retard pour la mission de base de ces organismes-là, et nous voulions offrir entre 40 et 50 millions de dollars de plus par année pour ce que vous faites en ce moment, pour ce que vous faites en ce moment. Parce qu'on sent qu'il y a une dégradation de la capacité de ce que vous faites en ce moment.

Mais j'aimerais ça, dans la minute qui reste, pour les gens qui nous écoutent, pour le ministre, la ministre déléguée, que vous nous disiez, là... Parce qu'on entend ça souvent : Il y a les organismes, qui sont extraordinaires, qui prennent 1 $ puis qui font 100 $ avec, de services, parce qu'ils sont généreux, parce qu'ils sont dédiés, parce qu'ils ont des bénévoles. Ils font un certain nombre de choses. Alors, évidemment, le ministre de la Justice, lui, qui est en pression pour essayer de trouver des économies, il dit : Bien là, on va vous délester des responsabilités supplémentaires qui sont en ce moment dans le réseau de la santé et des services sociaux. Mais vous, vous dites : Non, nous, on ne veut pas avoir ces responsabilités-là, ça ne fait pas partie de notre mission. Ça fait qu'aidez-nous à comprendre quelle est la ligne que vous tracez entre les services que vous rendez et que vous pensez que c'est normal que vous rendez, en plus de la défense des droits, et les services qui sont rendus par le réseau, qui, d'après vous, ne doivent pas vous être délestés.

M. Lavigne (Richard) : Pour la COPHAN, simplement vous dire que nous, on est deux employés, et, avec 1 $, avec 3 $, 4 $, on a fait 10 mémoires et avis durant un an. Alors, ça, c'est le produit final.

Nous, on fait de la défense des droits. Ce qu'on dit, et dans notre politique et à toutes les fois que la COPHAN parle, c'est qu'il faut respecter l'autonomie des organismes communautaires. On ne dit pas que les organismes communautaires n'ont pas le droit de donner des services. Ce qu'on dit, c'est que les groupes communautaires ont une mission, ont leurs valeurs et que l'État doit en tenir compte, d'une part. Et, lorsque l'État sollicite un organisme communautaire comme prestataire de services, s'il vous plaît, traitez-le comme il se doit, pas dire, comme on entend, là : On ne les paiera pas cher, eux autres, ça va faire la job. Et je suis convaincu, là, que Mme la ministre aux Services sociaux ne pense pas ça, et probablement que le ministre qui a dit ça hier, il a peut-être été mal cité ou je ne sais pas trop. Mais nous, on tient à mettre au clair que ce n'est pas ça, là, l'objectif.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Désolé de vous couper la parole. Je dois maintenant... C'est mon rôle ingrat de président, de faire respecter le temps. Pour 8 min 20 s, le porte-parole du deuxième groupe d'opposition, le député de La Peltrie.

M. Caire : Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois. Ce que vous nous dites, c'est que, dans sa forme actuelle, la structure du réseau de la santé échoue à vous faire une place convenable dans ses instances décisionnelles. Ça fait que la question que j'ai envie de vous poser, c'est : Dans le projet qui nous est proposé, dans la restructuration, de quelle façon, concrètement, pourriez-vous être impliqués au niveau décisionnel et représentatif?

M. Lavigne (Richard) : Comme on dit dans notre mémoire, d'une part, il y a l'article 1.2 de la loi sur l'exercice des droits des personnes handicapées qui dit que les personnes doivent être impliquées dans des programmes et services qui les concernent, et tout ça. Il y a les plans d'action pour les personnes handicapées. Pour ce qui est des usagers, des groupes communautaires qui représentent les personnes, on disait tantôt : Un comité avec le ministre et la COPHAN pour regarder l'ensemble des programmes, on parle de santé et services sociaux, parce qu'on parle... On dit ça à tous les ministres : La révision des programmes, il faut travailler ensemble, mais il faut que ça retombe de façon cohérente dans les régions. C'est pour ça que le réseau COPHAN est intéressant. Nous avons des groupes nationaux, des groupes régionaux et des groupes locaux.

Ensuite, en termes de représentation dans les instances, il y a toute la question des comités des usagers. On passe de 200 à 28 comités d'usagers. Nous, ce qui nous importe, ce n'est pas le nombre de comités d'usagers, c'est comment ça va fonctionner, quelle sera la composition et leur impact. Je l'ai dit tantôt, nous, on n'est pas venus ici pour protéger ni défendre des structures, on parle d'axer sur les résultats. Et nous, on veut bien croire que la réforme proposée va marcher, mais vous me permettrez d'être un peu sceptique. Tu sais, je ne dis pas que ce n'est pas vrai, juste que ce n'est pas automatique. Alors, c'est pour ça qu'on souhaite avoir plus d'usagers au C.A., des représentants des groupes communautaires dans les régions, nommés par et parmi eux-mêmes, et des comités consultatifs avec des personnes qui ont une limitation fonctionnelle issus des milieux, pas des handicapés de service, là, des gens des réseaux.

M. Caire : J'entends ce que vous me dites, mais je vous dirais qu'il y a plusieurs personnes qui sont venues nous faire sensiblement les mêmes représentations, et, dans le projet de loi, il est prévu que les gens des conseils d'administration, ainsi que le P.D.G. et le P.D.G. adjoint, vont être nommés par le ministre. Vous en pensez quoi, de ça?

• (18 h 40) •

M. Lavigne (Richard) : Bien, écoutez, on en pense quoi? À certains égards, on trouve que le ministre devrait s'en remettre à la vie communautaire des usagers dans les régions. Je veux dire, je comprends que le ministre est imputable, il a des comptes à rendre, ça, c'est vrai, et, parfait, ça, c'est pour ça qu'on les élit, ces ministres-là, c'est pour qu'ils nous rendent des comptes, là. Mais, à un moment donné, entre ça et la difficulté de teinter, entre guillemets, les organisations régionales de la couleur des communautés environnantes, je pense que le ministre peut très bien avoir un peu... C'est parce que, tu sais, c'est... L'extrême d'un bord puis l'extrême de l'autre, ce n'est pas mieux. Je pense que le ministre a compris ce que la COPHAN dit, et nous pensons que le ministre, ses équipes et que l'Assemblée nationale vont retenir ça et qu'ils vont trouver une façon pour que la reddition de comptes se fasse, pour que les services se développent et que les citoyens de tous les horizons des régions soient impliqués de façon constructive et significative. Je n'ai pas d'article de loi à vous proposer. Nous, on a proposé des recommandations, mais, pour le reste, on peut en discuter avec qui voudra bien, là, mais, pour ce soir, là, je n'ai pas le texte précis de l'article.

Le Président (M. Tanguay) : Pas de problèmes. Et je cède la parole au député de Drummond—Bois-Francs.

M. Schneeberger : Oui. Merci, M. le Président. Tout à l'heure, je ne sais pas si c'est M. Lavigne ou vous, le dernier... Votre nom, déjà? Excusez-moi. Vous venez de parler.

M. Lavigne (Richard) : Lavigne. Vous l'avez, oui.

M. Schneeberger : Lavigne. C'est ça. Bon. Parce qu'il y a Richard l'autre bord, peut-être que je confondais les deux noms, là. Tout à l'heure, vous parliez justement que, certaines fois, quand, au niveau du système de la santé, au niveau des services, vous avez un besoin spécifique, vu que vous vous considérez comme handicapé, vous avez un handicap, on vous transfère dans un autre département, alors que le... J'aimerais ça vous entendre un petit peu plus à ce niveau-là, il y a des... ou si vous avez des cas spécifiques, ou de la manière que ça marche, parce que je trouve que c'est troublant. Parce que, oui, on peut être handicapé, ça ne veut pas dire que le bobo, il est différent parce qu'on est handicapé, là.

M. Lavigne (Richard) : Je vous demanderais... Bien, peut-être, Mme la présidente, là, vous pourriez peut-être répondre à ça.

Mme Vézina (Véronique) : Je vous dirais que, dans les services pour personnes handicapées, quand on les compare aux services généraux, on a beaucoup tendance à travailler en silo. Il y a des services qui existent pour les personnes handicapées. On dirait que l'ensemble des services devrait être donné par ce réseau-là ou ce silo-là. J'ai donné deux exemples tantôt, quand j'ai parlé des difficultés d'avoir accès aux urgences. Il y a la mammographie qui a été traitée récemment. Une femme, par exemple, qui vient d'accoucher, et qui a des limitations, et qu'on réfère à un organisme communautaire de personnes handicapées parce qu'elle a des difficultés d'allaitement, je ne suis pas sûre que c'est le bon endroit où la référer.

Et il y a plusieurs exemples comme ceux-là où, les personnes, au lieu de les envoyer dans les services qui concernent, par exemple, la toxicomanie, la santé mentale ou d'autres réseaux, on les transfère dans les programmes pour personnes handicapées pour leur donner le service. Je vous ai donné l'exemple de soins posthospitaliers qu'on a transférés en services en DP-DI-TED. La même chose au niveau de la maternité où on transfère les femmes dans des réseaux qui concernent les personnes handicapées, alors que ce qu'elles viennent chercher, c'est des services qui sont en lien avec les soins de leurs enfants ou des soins en lien avec l'allaitement, par exemple. Même chose au niveau du traitement... du soin pour le cancer, par exemple. La personne va chercher son diagnostic, elle reçoit les traitements qui sont nécessaires dans le réseau régulier, mais, rapidement, on la ramène toujours dans les services pour personnes handicapées, alors que, concrètement, c'est dans les services généraux qu'elle doit aller chercher ces services. Et, si on fait ça, c'est qu'on n'a pas l'habitude de recevoir ces personnes-là, on n'a pas la formation nécessaire et, au lieu d'aller chercher l'expertise dans les réseaux particuliers pour donner le service dans les réseaux réguliers, je dirais, bien, on préfère transférer les personnes dans les réseaux pour personnes handicapées, où, là, on n'est pas en mesure de donner le service.

M. Lavigne (Richard) : Juste un petit exemple — on voulait en parler puis on n'a pas eu l'occasion — c'est toute la question des activités du domaine de la santé publique, la santé publique au plan national, au plan régional. On avait dit... Je ne sais pas si M. Barrette est toujours là, mais on en a parlé rapidement quand je l'ai vu. À un moment donné, ces gens-là, ils ne veulent pas s'occuper des personnes qui ont une limitation fonctionnelle. On dirait que nous, on n'est pas visés par les campagnes de prévention, par les campagnes d'information sur la santé publique. Les documents, les campagnes ne sont pas accessibles. Tu sais, c'est... Et pourtant, lorsqu'on a fait la première À part entière, il y avait eu des engagements de la Santé publique. Mais la Santé publique les a tous rejetés, et on dirait qu'il n'y a rien à faire avec ces gens-là, on dirait. Je m'excuse de le dire comme ça, mais on n'est pas capables de retenir leur attention. Véronique veut compléter.

Mme Vézina (Véronique) : Quand il y a eu la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1), il y a trois ans, quatre ans, je ne me souviens pas, les campagnes d'information n'étaient pas accessibles aux personnes handicapées, les lieux de vaccination, certains, pas l'ensemble, mais n'étaient pas accessibles, et c'était difficile d'avoir l'information sur l'accessibilité de ces sites de vaccination là. C'est un exemple parmi tant d'autres. La prévention pour le cancer du sein, c'est la même chose. C'est le réseau communautaire qui a développé des outils pour permettre aux personnes handicapées d'avoir accès à l'information sur ces campagnes de... pas de vaccination, mais de prévention là.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup...

Une voix : ...

Le Président (M. Tanguay) : Oui, il reste 20 secondes.

M. Schneeberger : ...alors, sclérose en plaques, et puis je peux vous assurer que... Justement, tantôt, j'aimais beaucoup votre intervention au niveau des CHSLD, parce que, souvent, les services ne sont pas tout à fait au point, dépendamment de l'état de la personne. Et se faire dire, parce qu'on doit aller aux toilettes : Faites dans votre lit, parce qu'on n'a pas le temps de vous mettre aux toilettes... De toute manière, c'est pire, parce que c'est plus facile d'aller mettre une personne sur une toilette que de changer le lit. Alors, c'est là que, justement, quand on peut donner des soins à l'intérieur même d'une résidence ou autre, qui est spécifiquement faite pour des gens comme ça, oui, on va sauver de l'argent, au lieu de les mettre dans des centres hospitaliers qui n'ont pas de raison d'être pour ces gens-là.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Nous allons maintenant céder la parole à Mme la députée de Gouin pour une période de trois minutes.

Mme David (Gouin) : Merci, M. le Président. Mme Vézina, M. Lavigne, M. Labrecque, je vais aller droit au but, parce que je n'ai pas beaucoup de temps.

Moi, ce qui me frappe dans tout ce que j'entends... enfin, une des choses qui me frappe dans tout ce que j'entends, c'est qu'on est en train de débattre de mégastructures, en fait, alors que ce que vous nous dites, c'est : Il y a des problèmes, sur le terrain, de compréhension des gens face à nos réalités, il y a un problème de financement, de toute évidence, puisqu'il y a des milliers de personnes en attente de services. Et donc j'ai simplement envie de vous demander : Mais vous, là, de quoi auriez-vous envie en priorité? Qu'est-ce qui serait important prioritairement pour vous autres si on disait : On veut faire une réforme des services sociaux et de santé? Ça serait quoi, le plus important?

M. Lavigne (Richard) : C'est une question qui demanderait beaucoup de temps de réponse. Simplement, ce que je vous dirais : C'est une question d'accès, d'accès à l'ensemble des services. Lorsqu'on parle, au Québec, d'une approche inclusive pour les personnes qui ont une limitation fonctionnelle, ce n'est pas un rêve, ça. Quand on parle d'accessibilité universelle, ce n'est pas des histoires de prendre une bière autour d'une table dans une brasserie, là. C'est sérieux. On refait toujours les affaires à côté pour les personnes qui sont handicapées : des réseaux parallèles, des intervenants en parallèle, un monde parallèle, et c'est ça qui n'est pas rentable, parce qu'on maintient les gens dans l'isolement, puis les autres qui ne connaissent pas les personnes handicapées, ils sont maintenus dans leur ignorance. À un moment donné, il va falloir qu'on commence.

Et, la réforme, c'est vrai qu'on nous propose des mégacentres, des mégaétablissements, mais est-ce qu'on va être capables de faire vraiment un mégacentre inclusif? Nous, on est peut-être naïfs, mais on pense que c'est encore faisable, mais il faut qu'on prenne les dispositions pour le faire. Mais la base, là, c'est l'inclusion, une approche globale des personnes. On n'est pas juste des handicapés, on est d'abord des personnes qui ont des limitations. Et l'enquête canadienne le dit : En quelque part, il y a 33 % des Canadiens, Canadiennes qui ont des limitations, peut-être pas aussi graves, là, mais 33 %, ça, c'est pas mal de monde, ça.

Mme David (Gouin) : Autrement dit, ce que vous nous dites, c'est : Comme classe politique puis comme société québécoise, il faut vraiment se réveiller et consentir à l'idée qu'investir dans l'accès à n'importe quel service pour les personnes handicapées et pour les personnes qui ont des limitations fonctionnelles, ce n'est pas une dépense, c'est un investissement. Il faut qu'on y consente au nom de l'inclusion.

M. Lavigne (Richard) : Vous avez raison. Si vous et moi, Mme David, on s'en va tous les deux pour la même raison dans un hôpital, pourquoi vous passez par une porte, puis moi, par l'autre?

Mme David (Gouin) : Vous avez entièrement raison.

M. Lavigne (Richard) : C'est juste ça, là, c'est une image, comme ça, vite, vite, en passant, là. Ça prend deux portes : une pour l'handicapé puis une pour le normal. Puis, c'est bien pour dire, hein, si on avait juste une porte accessible, là, bien, on sauverait un trou, on sauverait une porte. Tu sais, à un moment donné, les économies, ce n'est pas juste en coupant qu'on les fait, c'est en étant logique dans les investissements qu'on fait.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous remercions les représentants de la Confédération des organismes des personnes handicapées du Québec.

Compte tenu de l'heure, je suspends les travaux de la commission jusqu'à 19 h 30.

(Suspension de la séance à 18 h 49)

(Reprise à 19 h 34)

Le Président (M. Tanguay) : S'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 10, Loi modifiant l'organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l'abolition des agences régionales.

Nous poursuivons donc nos consultations avec les représentants, représentantes de l'Ordre des pharmaciens du Québec. Je vous souhaite, d'abord et avant tout, la bienvenue. Je vous demanderais, pour des fins d'enregistrement, de bien vouloir vous identifier, et par la suite vous disposerez d'une période de 10 minutes, et ensuite l'échange se poursuivra avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ)

M. Bolduc (Bertrand) : Alors, très bien, mon nom est Bertrand Bolduc. Je suis président de l'Ordre des pharmaciens du Québec. À ma gauche, j'ai Mme Manon Lambert, qui est directrice générale et secrétaire de l'ordre, et, à ma droite, j'ai M. Martin Franco, qui est pharmacien à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et qui est ici en tant que membre de l'exécutif de l'Ordre des pharmaciens du Québec.

Alors, Mmes et MM. les parlementaires, bonsoir. D'abord et avant tout, j'aimerais vous remercier de nous recevoir ici ce soir et de nous donner l'opportunité de faire nos commentaires sur le projet de loi n° 10.

D'entrée de jeu et à l'instar de plusieurs intervenants qui ont présenté en commission, nous souscrivons aux objectifs du projet de loi, qui est de simplifier l'accès aux services pour la population, de contribuer à améliorer la qualité et la sécurité des soins et d'accroître l'efficience du réseau. Et l'ordre partage vos préoccupations, M. le ministre, à l'effet d'utiliser les fonds publics de la meilleure façon qui soit. Les choix que nous faisons comme société doivent tenir compte du fait que l'investissement qui est fait à un endroit ne pourra pas l'être ailleurs. Nous sommes d'avis, toutefois, que certaines modifications devraient être apportées au projet de loi pour lui permettre d'atteindre son plein potentiel. Nous utiliserons les minutes qui suivent et qui nous sont accordées afin de vous présenter nos principales préoccupations. Je vais passer la parole à Mme Lambert.

Mme Lambert (Manon) : Alors, beaucoup plus que d'abolir un palier décisionnel, le projet de loi crée des superstructures et centralise de nombreux pouvoirs au ministre. N'étant pas expert en la matière, l'ordre ne s'avancera pas à prédire l'impact réel qu'aura cette centralisation sur l'atteinte des objectifs énoncés. Par contre, nous sommes à même de constater que cette réforme de la gouvernance est un virage important lorsqu'on compare ses objectifs à ceux ayant mené à l'instauration des CSSS et à l'approche populationnelle qui était promue il y a moins d'une dizaine d'années. L'ordre se questionne donc quant à l'impact de ces changements sur la capacité d'innovation et de création de valeurs dans nos milieux.

Dans un autre ordre d'idées, l'ordre est heureux de constater que les comités régionaux de services pharmaceutiques, ou CRSP pour ceux qui sont dans le domaine, instances qui relevaient des agences, survivent à la présente réforme. En effet, considérant notamment l'importance du médicament et des services pharmaceutiques dans l'arsenal thérapeutique moderne, la pertinence de cet organe n'est pas à remettre en question. L'ordre s'interroge toutefois sur une particularité pour la région de Montréal. En effet, le CRSP est constitué au sein du CISSS du Sud-Est-de-l'Île-de-Montréal. Or, dans l'état actuel du projet de loi, nous nous questionnons à savoir quelle portée auront les recommandations et avis du CRSP sur les autres établissements de la région montréalaise. Des mécanismes devraient être prévus pour faire en sorte que les orientations régionales qu'il adopte soient adoptées par les autres établissements.

Dans le même esprit, nous tenons à manifester notre inquiétude quant à la perte du siège réservé à un membre du CRSP aux conseils d'administration des établissements. Le législateur avait cru bon, il y a quelques années, de corriger une lacune à l'effet que les CRSP ne disposaient pas d'un siège aux C.A. des agences. Lors d'une modification ultérieure à la loi, cet oubli avait été corrigé, pour revenir aujourd'hui à la case zéro si on regarde le projet de loi n° 10.

Cette décision entraînera de nouveau une perte de sensibilité des C.A. à la situation des pharmaciens exerçant leur profession en milieu communautaire. Pourtant, la transition des patients les plus vulnérables entre la communauté et les établissements de santé, par exemple la personne âgée sous polypharmacie, n'est pas aisée dans notre système et conduit fréquemment à des incidents médicamenteux et à des hospitalisations. Par ailleurs, des dépenses publiques annuelles en médicaments de près de 1 milliard de dollars dans les établissements de santé et d'environ 3 milliards de dollars dans la communauté devraient conduire naturellement le législateur à considérer l'importance de l'avis du professionnel spécialiste de leur utilisation.

Finalement, notons que les pharmaciens communautaires représentent 71 % des effectifs pharmaceutiques de la province et qu'ils ne sont pas représentés par les CMDP. Pourtant, les pharmacies privées représentent maintenant une porte d'entrée naturelle des patients aux services de première ligne. Cette réalité a d'ailleurs été reconnue par le législateur, puisqu'elle est à la base même de l'adoption unanime du projet de loi n° 41.

Pour toutes ces raisons, l'ordre ne comprend pas la tendance répétitive des instances politiques et administratives à oublier d'intégrer la dimension pharmaceutique dans le processus de prise de décision. Ainsi, nous suggérons qu'un pharmacien membre du CRSP siège aux conseils d'administration des CISSS. Je vais passer la parole à M. Franco.

• (19 h 40) •

M. Franco (Martin) : Pour des motifs de la protection du public, l'ordre demande depuis plusieurs années à pouvoir délivrer des permis de spécialiste, et ce, sans succès. Devant la création des superdépartements de pharmacies réunissant les pharmaciens qui ont développé des expertises dans les domaines de pointe comme l'oncologie, la cardiologie, les soins critiques et la santé mentale, il nous apparaît de plus en plus urgent de permettre à l'ordre de distinguer les généralistes versus les spécialistes. La façon de permettre cette distinction passe par la reconnaissance d'une première spécialité structurante et large sur laquelle pourraient ensuite prendre assise des spécialités plus pointues comme l'oncologie.

Les fusions proposées dans le cadre du projet de loi n° 10 réuniront dans un même établissement une combinaison de services généraux spécialisés et surspécialisés prodigués par des pharmaciens ayant un seul et même titre d'emploi, et ce, sans qu'ils aient nécessairement les expertises requises pour permettre de bien prendre en charge les clientèles dans les multiples situations de ces établissements. Prenons l'exemple du pharmacien qui a développé une expertise pointue en pédopsychiatrie qu'on délocaliserait dans une installation qui prodigue des soins généraux, ou du pharmacien plus généraliste qu'on délocaliserait dans une installation qui offre des soins spécialisés ou surspécialisés. Dans un contexte d'établissement régional, il pourrait être tentant de déplacer les pharmaciens, sans égard aux expertises développées, pour palier les problèmes de pénurie localisés dans une ou deux installations seulement. Afin d'éclairer les décisions concernant la localisation des ressources humaines pour répondre aux besoins, la reconnaissance de la spécialisation en pharmacie devient encore plus nécessaire.

L'ordre est inquiet du pouvoir que le ministre se donne d'exiger que des établissements publics fassent usage commun de certains biens, mais surtout certains services, sans aucune consultation. La centralisation de la préparation de solutions de chimiothérapie auprès d'un seul fournisseur, en Ontario, sans se préoccuper des procédures et des façons de faire particulières à chacun des établissements, a conduit à une crise sans précédent en 2013 alors que 1 202 patients ont été touchés. De ce nombre, près de 1 000 patients ont reçu des doses insuffisantes de chimiothérapie du type cyclophosphamide et de gemcitabine. La majorité des patients étaient traités pour des cancers.

Centraliser certains services spécialisés comporte donc de nombreuses implications. L'ordre voit mal comment de telles décisions pourraient provenir du central sans aucune consultation préalable des autorités compétentes, comme les CMDP, les chefs de département ou les ordres. En ce sens, nous suggérons de modifier l'article 133 pour faire en sorte que le ministre soit tenu de consulter les organes et les organisations chargés de surveiller la qualité de l'acte et de protéger le public avant de pouvoir exiger que les établissements fassent usage commun de certains biens ou services professionnels.

M. Bolduc (Bertrand) : Un des objectifs du projet de loi est de favoriser l'accès aux services pour la population. Pendant que le réseau de la santé subira des changements profonds, des projets d'amélioration des pratiques professionnelles qui ont produit des résultats concrets dans d'autres pays et même dans d'autres provinces — et, je dirais même, dans toutes les autres provinces du Canada — tardent à être mis en application ici, au Québec. On pense, évidemment, à la loi n° 41, qui a pourtant fait l'objet d'une adoption unanime par vous, les parlementaires.

Malheureusement, même si l'Ordre des pharmaciens et le Collège des médecins du Québec ont livré la marchandise depuis plus d'un an, la population est privée de ses bienfaits. Puisque le projet de loi n° 10 a pour but de simplifier l'accès aux services pour la population et d'accroître l'efficacité de ce réseau, nous profitons de l'occasion pour demander que le ministère de la Santé conclue rapidement, je souligne, rapidement, un accord avec l'AQPP, l'association des pharmaciens propriétaires, afin de mettre en vigueur les nouvelles activités des pharmaciens. Le projet de loi n° 10 est un projet intéressant, mais les effets ne seront pas immédiats, les effets de la loi n° 41 peuvent l'être tout de suite.

Donc, en conclusion, l'ordre souscrit aux objectifs du projet de loi n° 10. Les ratés du système, notamment en matière d'accès, et les sommes colossales et croissantes qui y sont investies justifient une intervention de l'État pour corriger le tir. Néanmoins, comme pour l'utilisation des médicaments — et vous nous permettrez un peu l'analogie ici — l'utilisation du remède appliqué doit être basée sur des données probantes, et le dosage utilisé doit être adapté au patient. Sans ces précautions, le malade ne pourrait pas guérir, ou, pire, voir son état se détériorer.

Nous avons voulu, par cette présentation et notre mémoire, apporter des commentaires que nous souhaitons constructifs et qui pourraient contribuer à faire en sorte que notre système de santé, dont la propre santé n'est pas optimale, il faut le dire, reçoive le traitement le plus adéquat dans les circonstances. Nous vous demandons aussi de considérer la place importante du pharmacien, qui nous semble souvent victime d'oubli par le système de santé et dans le projet de loi n° 10, où il est peu mentionné.

Nous vous remercions pour votre écoute, et évidemment nous sommes disponibles pour vos questions.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, s'ouvre à l'instant une période d'échange. Nous allons débuter avec un premier bloc de 21 min 30 s avec le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Alors, M. Bolduc, Mme Lambert et M. Franco, bienvenue. Désolé pour le retard, là, on était cédulés un petit peu plus tôt, mais les aléas parlementaires font en sorte que, parfois, on est un petit peu décalés. Alors, je suis bien désolé, surtout que j'en suis en partie responsable, de ces aléas-là. Mais, quand même, on est ensemble et on peut avoir des discussions fructueuses, comme vous l'avez déjà introduit de si belle façon. Et je vous remercie quand même des bons mots que vous avez eus, là. Je pense que, dans le projet de loi n° 10, vous constatez qu'il y a quand même des choses qui sont positives là-dedans, quoique vous ayez certaines réserves, que je comprends, mais je vais y revenir essentiellement... pas essentiellement, je veux dire, mais un peu point par point.

En lisant votre mémoire, je constate que... Et ça, je veux faire un correctif, c'est important pour moi. En lisant votre mémoire, vous le lisez comme étant un exercice de centralisation. Et là je veux rectifier le tir ici — et je l'ai dit à plusieurs reprises, je le redis encore puis je le redirai encore plusieurs fois dans ces commissions-là — l'objectif ici est de faire exactement le contraire, en ce sens que la relation que le gouvernement doit avoir, à mon sens, avec son réseau est une relation de donneur d'ouvrage, en ce sens que le gouvernement, c'est son rôle, le ministère de la Santé, le ministre, je pense que c'est son rôle de donner des orientations, et que ce soit le rôle des CISSS de livrer la marchandise. C'est le rôle du ministre de s'assurer qu'il y ait une certaine imputabilité et de faire des évaluations. C'est le rôle du CISSS de respecter certaines balises et de livrer ce qui a à être livré.

Alors, non seulement ce n'est pas une centralisation comme telle, mais, en fait, c'est probablement la décentralisation, au sens européen du terme, je dirais, la plus grande qu'on aura vue. On ne peut pas, je pense, au Québec, aller aussi loin que les Européens, qui, dans certains pays, délèguent la santé aux municipalités, par exemple, avec des pouvoirs de taxation, et de négociation de salaire, et de rémunération de professionnels localement. La culture québécoise, je pense, ne nous permet pas ça. Mais il n'en reste pas moins que l'étape d'avant, qui est celle que l'on propose, est parfaitement faisable pour le bénéfice du citoyen, qui, normalement, si les orientations sont claires et bien détaillées, va y trouver... y tirer son compte... y trouver son compte, pardon. Alors, je voulais revenir sur cet élément-là parce que vous y faites référence au début de votre mémoire, et ce n'est pas ça. Je vous le dis, là, ce n'est vraiment pas ça.

Un des éléments que je retiens de... Je ne sais pas si vous avez fait exprès, là, mais il n'en reste pas moins que vous avez fait référence à un modèle qui m'est cher, parce que je l'utilise régulièrement. Vous avez fait, à la page 4, référence, vous-mêmes, à Cleveland Clinic. Cleveland Clinic et ce à quoi vous faites référence quand vous le citez, bien, c'est essentiellement ce qu'on veut. Cleveland Clinic, on le sait, là, c'est une organisation qui prend tout un État puis qui va de la première ligne jusqu'à... Le Cleveland Clinic est connu sur la planète.

Et vous faites référence à l'innovation. Moi, je vous dirais ici de le voir avec un autre angle. Le Québec n'a, à mon sens, jamais réussi à disséminer, diffuser, étendre à la grandeur de son réseau une innovation qui a été développée dans un milieu. Si c'est arrivé, là, ça doit se compter sur les doigts d'une main, puis je ne les sais pas moi-même. En général, il y a des innovations qu'on voit dans un milieu, puis, le transposer à l'hôpital qui est à 1 kilomètre à côté ou au CLSC qui est à 1 kilomètre à côté, on n'y arrive pas. Or, le projet de loi n° 10 va faire en sorte qu'on va réduire nos interfaces et, techniquement, là — je dis bien «techniquement» — quand on en a 28 autour de la table, c'est pas mal plus facile d'ordonner, dans une certaine mesure, un changement de direction ou d'appliquer l'innovation à la grandeur du réseau que quand on en a 182. Et le projet de loi vise à avoir ce que j'appellerais ce bénéfice marginal là, qui n'est pas marginal du tout. De l'innovation, au Québec, c'est quelque chose qui se vit mais ne se dissémine que rarement. Et ça, c'est une faiblesse de notre système.

• (19 h 50) •

Et, le projet de loi n° 10, dans sa restructuration et dans son mode, qui est basé sur une relation de donneur d'ouvrage, bien, je pense que le ministre, quand il va voir qu'il y a un bon coup qui est fait dans le CISSS Untel et que ce coup-là est reproductible, normalement, bien, il devra l'être, donneur d'ouvrage, livrable, alors qu'actuellement on est plus dans une espèce de cacophonie où il y a bien des gens qui ont bien des initiatives qui ne sont pas toujours mesurées, qui ne sont pas toujours évaluées, qui ne sont pas toujours documentées, même. Alors, quand arrive le temps de le disséminer, c'est impossible.

Alors, je veux juste vous rassurer, là, sur ce que vous voudriez voir. Parce que je comprends que vous ne voulez pas une centralisation à outrance et que vous voudriez plus des possibilités style Cleveland Clinic. Bien, c'est là qu'on va, c'est exactement là qu'on va.

Pour ce qui est des CRSP, il n'était pas question, pour nous autres, évidemment, de faire disparaître ça. C'est très important, et je reçois favorablement votre commentaire. C'est vrai que n'a pas été considéré suffisamment à sa juste valeur le fait d'avoir un pharmacien sur les conseils d'administration. J'en prends note et je reçois ce commentaire-là, évidemment, tout à fait favorablement.

Je suis surpris, très surpris, puis là, là-dessus, je vais vous laisser la parole tout de suite... Moi, la seule chose que je peux voir qui va dans le sens de votre inquiétude de la mise en commun, et particulièrement dans la direction de ce que vous avez évoqué comme problème qui a été vécu en Ontario, là, que je connais bien, il y a juste l'article 133 qui fait référence à ça, là. Et c'est vrai qu'il est large, l'article 133, mais je peux vous rassurer que je comprends très bien ce que vous évoquez, et ça n'a jamais été dans notre esprit qu'on aille dans cette direction-là. Quand on parle de mise en commun, là, on parle de mise en commun de certaines choses qui sont plus évidentes, là. Puis je vais vous en donner une comme ça, là, très facilement : dans un CISSS, une salle d'opération qui est utilisée à 20 %, là, bien, elle va être utilisée par quelqu'un, là, elle ne va pas rester utilisée à 20 %, là. Une salle d'opération qui n'est pas utilisée à au moins 85 %, c'est de la sous-utilisation.

Donc, quand on parle de mise en commun, c'est d'abord et avant tout s'assurer que les équipements qui sont en place soient utilisés à leur pleine capacité, pour des raisons évidentes de productivité, d'une part, et, d'autre part, de... bien, de productivité dans le bon sens du terme, c'est-à-dire : produire plus au même coût, à l'exception, évidemment, des fournitures médicales. Mais l'objectif n'est pas du tout et il n'a jamais été... Et je comprends votre point. Puis je vais vous avouer que je n'ai même pas pensé — c'est pour vous montrer à quel point ce n'était pas dans notre esprit, là — de concentrer des préparations pharmacologiques dans un centre puis les distribuer à gauche et à droite, avec tous les risques que ça comporte dans notre système actuel. Parce que vous pourriez très bien continuer dans le sens qu'on n'a pas... tu sais, on n'a pas de prescripteur, on n'a pas de ci, on n'a pas de ça. On n'est pas olympiens dans notre contrôle de qualité, là, actuellement.

Y a-tu d'autres choses que vous voyez, là, qui vous fait... ou que vous avez entendues qui pouvaient vous faire penser qu'on allait aller dans cette direction-là ou que vous craignez actuellement?

Mme Lambert (Manon) : Bien, il y a eu, dans le réseau, effectivement, des discussions sur... par exemple, de dire : On va créer une centrale de préparation stérile pour une région donnée, pour tout Montréal. Ce n'est pas impossible, c'est juste que nous, on a fait une série d'inspections ciblées dans les établissements. Quand vous dites qu'on n'est pas idéal dans nos façons de faire, notamment...

M. Barrette : Ce n'est pas une critique, on s'entend, là.

Mme Lambert (Manon) : Non, non, non, mais ce que je voulais vous dire... En tout cas, je voulais vous rassurer, M. le ministre, parce qu'au Québec on a fait preuve d'innovation, à l'Ordre des pharmaciens, et on a fait une série d'inspections dans les établissements avec une production de norme, et notre norme est en train d'être exportée dans les autres provinces canadiennes. Donc, on a bien fait notre travail à ce niveau-là.

Mais tout ça pour vous dire qu'au niveau des préparations stériles, effectivement, il y a eu, dans le passé, des discussions qui voulaient peut-être dire : Bien, on va rentabiliser ces équipements-là puis on va faire de la centralisation à travers une région donnée, à travers plusieurs établissements, ce qui n'est pas impossible. C'est juste qu'il y a un certain nombre de choses qu'il faut vérifier et il faut avoir l'expertise pour le faire. Et c'est dans ce sens-là qu'on dit : Bien, si on va vers ce genre de service là, il faudrait au moins prévoir qu'il y ait une consultation des organismes qui sont chargés de protéger le public. Mais on n'est pas contre le fait d'une mise en commun éventuelle des services, bien au contraire, là.

M. Barrette : Moi, je vais vous rassurer là-dessus : Il serait absolument inopportun pour un gouvernement de ne pas vous consulter si on envisageait d'aller dans cette direction-là. Peut-être avez-vous fait le parallèle avec OPTILAB, là? Parce qu'OPTILAB, ça a été un peu le précurseur de tout ça, où on concentrait les laboratoires puis on déplaçait des prélèvements, et ainsi de suite. Moi, je suis d'accord avec vous, il y a des choses qui se font puis il y a des choses qui sont plus difficiles à faire. Et, à un moment donné, c'est vous qui avez l'expertise. Et je peux vous rassurer sur une chose : Ce n'est pas venu de nos esprits, ici, à Québec, là. Ça, ça a été évoqué sur le terrain en quelque part. Je l'apprends aujourd'hui, mais ce n'est pas quelque chose sur laquelle on mise au moment où on se parle. Ceci dit, s'il advenait que vous, dans le milieu, ou une administration l'envisageait, je suis tout à fait d'accord avec vous, ça ne peut pas se faire sans vous consulter, c'est impossible.

Ce qui m'amène à vous demander de peut-être élaborer un petit peu plus sur une autre préoccupation que vous avez évoquée — parce que vous avez évoqué plusieurs préoccupations qui me surprennent, parce que je ne les avais pas vues ou pensées moi-même — vous avez fait référence à la délocalisation des pharmaciens. Je vois mal où le système pourrait gagner à délocaliser des gens qui ont une expertise.

Mme Lambert (Manon) : Bien, vous avez peut-être... Écoutez, je peux vous donner un exemple peut-être plus précis que vous connaissez bien. Vous avez, dans l'est de Montréal, donc, Maisonneuve qui va être fusionné avec Santa Cabrini, avec Rivière-des-Prairies, si je ne m'abuse, puis c'est un peu l'exemple à partir duquel... Alors, on a Santa Cabrini qui est en pénurie chronique de pharmaciens...

M. Barrette : C'est vrai.

Mme Lambert (Manon) : ...et Santa Cabrini, donc, qui est un établissement plus général, puis, de l'autre côté, on a un établissement superspécialisé avec la pédopsychiatrie, puis Maisonneuve où on a des expertises, quand même, qui sont assez... des pharmaciens extrêmement spécialisés, par exemple en oncologie ou soins critiques, et tout ça. Alors, il pourrait être tentant, pour régler à court terme un problème de pénurie qui perdure, dans un contexte d'établissement centralisé, de dire : Bon, bien, on pense qu'il y en a un petit peu trop là, ou ils sont plus nombreux, ils ont une masse critique plus grande, donc on va délocaliser des personnes.

Or, on perd de l'expertise à ce moment-là, et ce n'est possiblement pas la solution. Parce que, même si, au moment où on se parle, il n'y a pas de spécialité de reconnue — et vous savez qu'on aimerait bien pouvoir en reconnaître — il demeure que des expertises spécialisées sur le terrain en pharmacie, il en existe, vous en avez probablement vous-même été témoin dans votre expérience à titre de médecin. Et donc, à notre avis, il faut faire attention pour éviter de considérer : un pharmacien égale un pharmacien. Alors, un pharmacien n'égale pas un pharmacien, parce qu'on a des expertises spécialisées. Qu'on veuille le reconnaître ou pas, elles sont là, et il faut y prendre garde.

M. Barrette : Si je prends ce commentaire-là à l'envers, ou cette inquiétude-là à l'envers aussi — pas à l'envers au sens où elle n'est pas justifiée, là — à partir du moment où on intègre, par exemple, les hôpitaux que vous venez de mentionner, par exemple, est-il possible quand même de soutirer une plus-value de cette intégration-là sans délocaliser les gens, mais en mettant en responsabilité... en donnant une responsabilité d'organisation supplémentaire à certains individus qui pourraient prendre sous leur aile l'autre centre?

Et là la question qui est parallèle... ou qui est corollaire — pardon, je m'excuse, elle n'est pas parallèle du tout, elle est corollaire : Là arrive la question du contrôle de qualité dans le monde du médicament, dans le monde, certainement, de l'hôpital. Là, je ne veux pas entrer nécessairement dans le contrôle de qualité dans l'officine, parce que les CISSS ne vont pas dans les officines, là, comme ils ne vont pas dans les cabinets de médecin, mais les deux sont un peu, pour moi, en parallèle. Quelles sont les possibilités qu'on peut envisager ou qui sont envisageables, selon vous, à l'ordre, et qu'est-ce que ça demanderait s'il y a des possibilités réelles? Puis globalement, bien, comment voyez-vous le contrôle de la qualité dans le système actuel et dans le futur?

Mme Lambert (Manon) : J'y vais? Bien, écoutez, en fait, qu'on soit dans un contexte de fusion comme prévu au projet de loi ou dans un système qui serait plus d'établissement de corridors de services pharmaceutiques, il y a des choses qui se sont faites dans le réseau, actuellement, pour des établissements qui étaient davantage en pénurie puis qui ont été soutenus par d'autres. Évidemment, dans le cas de l'est de Montréal, on n'est peut-être pas dans cette situation-là, mais je peux vous donner l'exemple dans Charlevoix, où il y a eu de la télépharmacie qui s'est faite avec de la validation à distance; dans le coin de Chibougamau, où effectivement, même, il y a de la consultation à distance maintenant via de la télépharmacie. Donc, les patients peuvent avoir leurs conseils par des pharmaciens à ce niveau-là. Donc, il n'y a pas besoin, nécessairement, de fusion à ce niveau-là, mais c'est clair que, dans le cadre d'une fusion, en prenant garde, évidemment, de ne pas délocaliser les pharmaciens, oui, il y a certainement possibilité de soutenir un petit peu plus la clientèle.

Il y a peut-être des gains d'efficience à faire au niveau de certaines pratiques de distribution ou ce genre de chose là, mais c'est sûr qu'au niveau de la pharmacie clinique, bien, demain matin, on ne peut pas multiplier les ressources, et c'est là que la difficulté va être peut-être un petit peu plus grande. Donc, on ne pourra pas régler en délocalisant les pharmaciens. Peut-être un petit peu de gains d'efficience au niveau de la distribution, qui pourrait peut-être aider à dégager un pharmacien, c'est peut-être ce que je vois qui pourrait être l'avantage.

• (20 heures) •

M. Barrette : Il y a un autre sujet, bien, dans la même catégorie, qualité, là, que j'aimerais aborder avec vous. Quand j'ai déposé le projet de loi et que j'ai fait ma première conférence de presse, je disais que ce que je visais, puis je le dis encore, c'est un changement de culture dans notre système. Et là je voudrais aborder avec vous... puis là j'aimerais vraiment... Là, prenez le temps qu'il faut, là, puis allez-y dans le détail, si vous voulez, là. Moi, comme ministre, là, je vais vous dire, le document que j'aime le moins de tous les documents que je reçois, c'est le rapport annuel des incidents, accidents. C'est celui que j'aime le moins parce que lui, là, il est dépendant de notre mode de fonctionnement à nous tous et à nous toutes dans le système. Qu'on soit médecin, qu'on soit préposé, qu'on soit... peu importe, là, tout le monde dans le système est mis en cause là-dedans. Puis ça, c'est vraiment, pour moi, un élément fondamentalement culturel.

Et, quand on regarde, évidemment, le rapport annuel des incidents, accidents, il y a toujours le lot des incidents, accidents pharmacologiques. Et évidemment, là, je ne veux surtout pas que vous pensiez que je mets en cause la compétence des pharmaciens, là, parce qu'on sait que c'est la procédure qui est, en général, le problème, là, le problème dit de façon non péjorative. Le risque zéro n'existe pas, l'erreur zéro n'existe pas, mais n'importe quel ministre, peu importe le parti, va vouloir baisser ce nombre d'incidents, accidents là le plus bas possible et, idéalement, l'amener à zéro.

Vous, là, dans votre monde, qui regardez ça à tous les jours... Parce que, vous, ça doit vous déprimer, là, quand vous... Vous, vous préparez ça, vous managez ça, vous vous occupez des achats, vous vous occupez de la distribution, puis là, à un moment donné, vous êtes obligés, là — puis ça vous revient toujours, dans une certaine mesure, là — de constater qu'il y a eu des problèmes, et là vous faites les analyses : Qu'est-ce qui nous manque? Moi, là, un des objectifs du projet de loi n° 10, c'est un changement de culture, et je postule, à tort ou à raison, que, pour changer une culture, il faut avoir une organisation propre. La culture, là, de butinage, là, d'une fleur à l'autre, là, ça ne marche pas, ça. On l'a essayé. Ça fait des années qu'on l'essaie puis ça ne fonctionne pas. Dans une organisation intégrée, à un moment donné, je pense que c'est plus probable qu'on ait un changement de culture, parce qu'on le promeut dans l'organisation, une culture d'entreprise. Vous, là, de votre lorgnette, où sont nos problèmes en termes d'incidents, accidents pharmacologiques?

Mme Lambert (Manon) : En fait... Veux-tu y aller?

M. Franco (Martin) : Bien, en fait, la question est large, parce qu'on parle...

M. Barrette : Elle est volontairement large pour vous laisser le temps de répondre.

M. Franco (Martin) : Mais elle est large, et il faut se référer à ce qu'on appelle le circuit du médicament, c'est-à-dire du moment que le patient a un problème de santé puis qu'on s'en va jusqu'à la prescription, à la préparation puis à l'administration de la médication, puis la suite aussi, tout ce qui est en lien avec comment le patient va accepter ça comme... pour sa santé. Ce qui nous manque, fondamentalement, c'est... C'est sûr qu'il y a une vision... Il y a du travail en silo qui se produit puis il y a beaucoup de travail... il y a beaucoup de gens aussi qui travaillent à... Il y a beaucoup de questions qui se font au niveau des structures. Puis le projet de loi n° 10, ça va amener des gens qui vont travailler sur les structures pour essayer de faire de l'intégration, c'est correct. Mais jusqu'à quel point il va falloir investir autant d'énergie alors qu'il faut effectivement, comme vous le dites, consacrer notre temps pour essayer de régler ces problèmes-là, puis de faire les analyses, puis amener des solutions?

Ça fait que, le temps étant limité pour tout le monde, moi, je pense qu'il y a deux éléments : le travail en silo à un niveau interprofessionnel, nécessairement, parce qu'on a des cultures de profession qui sont différentes, je pense qu'il faut qu'on rétablisse les ponts à ce moment-là, mais aussi faire en sorte que les gens aient moins à se préoccuper de toutes ces — je vais vous dire comme ça — histoires d'administration puis plutôt se concentrer sur le patient. Puis un des éléments du projet de loi n° 10, c'est que ça va, pendant les prochaines années du moins, amener ces éléments-là où on va nécessairement avoir des gens qui vont consacrer beaucoup d'énergie à harmoniser et standardiser les pratiques, nécessairement. Mais, pour régler ces problèmes-là d'administration et d'erreurs de médicament... Je pense, entre autres, que vous avez en fonction, là, deux problèmes qui peuvent être en partie solutionnés. Mais c'est sûr que l'énergie qu'on va consacrer à ça, d'un point de vue système de la santé, ne sera pas négligeable, là.

M. Barrette : Sauf que, corrigez-moi si je me trompe, c'est un sine qua non.

M. Franco (Martin) : Faire ça, c'est... Vous voulez dire... Qu'est-ce que vous voulez dire, quand il y a sine qua non?

M. Barrette : Dire que, mettre cette énergie-là pour standardiser, uniformiser, contrôler et mesurer, il va falloir le faire, à la grandeur du réseau, correctement à un moment donné, là.

M. Franco (Martin) : Ça va prendre du temps. Vous pensez que ça se fait comme ça?

M. Barrette : Non.

M. Franco (Martin) : Ça, ça va prendre du temps. Parce que c'est un changement de culture, vous le dites.

M. Barrette : Voilà.

M. Franco (Martin) : D'une certaine façon, un changement de culture, il faut l'opérer, il faut y donner un sens, mais, nécessairement, il faut aussi que... On gère des humains, au final, puis c'est des humains qui donnent des soins de santé à d'autres humains. Ça fait qu'il faut s'assurer que ces gens-là acceptent ou s'approprient le tout. Puis on est encore en train de subir, je vous dirais, ou d'essayer encore de faire le processus d'intégration des CSSS. On est encore là depuis 2004. Je veux dire, on est quand même loin. Ça fait qu'un des éléments, c'est : Est-ce qu'on peut apprendre, d'une certaine façon, de nos expériences passées puis de se dire comment on peut faire pour éviter que ça prenne autant de temps à faire toute cette réorganisation, si je peux dire ça, administrative, structurelle? Si vous permettez...

Mme Lambert (Manon) : Par ailleurs, si vous me permettez d'ajouter... Si vous me permettez d'ajouter, une bonne source des erreurs médicamenteuses... Parce qu'effectivement vous avez raison, là, ça représente à peu près 40 % de vos rapports annuels, là, 30 % à 40 %, c'est les erreurs médicamenteuses. Soit dit en passant, à peu près 40 % proviennent de problèmes de prescription, 40 % d'administration, 20 % autour de la distribution. Donc, c'est à peu près la répartition qu'on...

Mais un de nos problèmes est beaucoup la communication d'information, même à l'intérieur d'un même hôpital. Tu sais, on dit : Le problème est à l'extérieur des hôpitaux, là, mais, à l'intérieur d'un même hôpital, toutes les périodes charnières... On passe de l'urgence à l'étage, on passe de la salle d'op à l'étage, on passe de l'étage à la pharmacie privée. C'est toutes des zones... — et vous le savez probablement plus que moi — c'est toutes des zones qui sont très propices aux erreurs médicamenteuses. Et un des problèmes qu'on a, c'est beaucoup la transition entre la première ligne, donc la pharmacie communautaire, et l'hôpital et ensuite l'hôpital et la pharmacie communautaire. D'ailleurs, c'est une pratique organisationnelle requise, maintenant, de faire les BCM. Or, le projet de loi ne nous apporte pas nécessairement beaucoup de réponses à ce niveau-là, va favoriser, peut-être, la communication intraétablissement, qui va être élargie parce qu'on va avoir plus d'établissements, et ça, c'est une bonne nouvelle, mais la communication entre l'établissement puis la première ligne pour diminuer ou minimiser les erreurs va demeurer. Et c'est d'ailleurs quelque chose qu'on constate, la difficulté de la circulation de l'information. Vous savez, on travaille à soutenir nos membres...

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie. Je vous remercie. Ceci met fin au bloc ministériel, donc je donne la parole à la députée de Taillon pour un bloc de 13 minutes.

Mme Lamarre : J'ai une demande particulière du ministre, d'ajouter une question. Alors, je vous prête quelques minutes.

M. Barrette : ...Mme la députée, que vous allez apprécier vous aussi, je demeure en faveur de la spécialisation.

Mme Lamarre : Vous demeurez en faveur de? Je m'excuse...

M. Barrette : De la spécialisation.

Mme Lamarre : De la spécialisation.

M. Barrette : Je suis sûr que vous appréciez.

Mme Lamarre : Alors donc, vous me permettrez de saluer mes tout récents collègues, mon successeur, Bertrand Bolduc, Manon Lambert, directrice générale, et Martin Franco. C'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir.

J'entends le ministre, je vous lis, je lis énormément aussi de gens qui, depuis deux semaines, viennent nous voir, et où on a une difficulté dans la compréhension, c'est que... — je rejoins bien le ministre quand il dit que ça prend des orientations claires et une imputabilité — c'est sur les moyens d'arriver aux orientations claires et à l'imputabilité. Et, connaissant notre ministre actuel, je pense qu'il avait et qu'il a encore, dans notre système actuel, les moyens de donner des orientations claires. Et je pense aussi qu'il y a des éléments d'imputabilité qui sont déjà possibles, par exemple le rendement des GMF, par exemple les temps d'attente, l'utilisation, le soutien à domicile. L'élément qui va être probablement déterminant pour améliorer l'imputabilité, c'est probablement dans l'amélioration de nos systèmes informatiques, dans une meilleure qualité de l'information, et ça, ce n'est pas le projet de loi n° 10 qui va nous le donner. Et, s'il y a quelque chose, le projet de loi n° 10 vient un peu créer une forme de diversion par rapport à toutes sortes d'objectifs et, je vous dirais, d'obligations qui sont beaucoup plus urgentes et qui vont malheureusement être mises de côté pendant plusieurs années, le temps de tout simplement faire en sorte que notre système de santé retombe sur ses pieds. Alors, ça, c'est très préoccupant.

Par ailleurs, j'entends aussi le ministre reconnaître que, du côté des pharmaciens, en tout cas, c'est très difficile de passer d'un poste à un autre et qu'il y a effectivement des caractéristiques, et je trouve que, malheureusement, dans beaucoup des coupures qui sont appliquées dans nos établissements de santé, ça semble être beaucoup moins senti en ce qui concerne les infirmières. Et c'est préoccupant, parce que des lits de soins intensifs ne peuvent pas nécessairement... des infirmières en soins intensifs ne peuvent pas nécessairement se convertir en infirmières en pédiatrie du jour au lendemain. Alors, il y a certainement des éléments sur lesquels on... On s'entend sur les grands objectifs, mais certainement pas sur les moyens et sur la déstabilisation profonde, pour ne pas dire la paralysie que le projet de loi n° 10 et tous les autres qui vont devoir s'associer à ça vont engendrer.

Alors, moi, je regarde, dans vos recommandations avec... Quand j'ai lu votre mémoire pour... L'article 133, j'y voyais une autre illustration où je sais que, dans certaines régions du Québec, il y a, par exemple, à partir d'un robot, une préparation centralisée de Dispill, par exemple, et où des gens nous ont déjà relaté qu'il y avait eu une pénurie d'un médicament puis que, tout à coup, l'hôpital, qui n'est plus équipé, dans le fond, pour faire les ajustements, reçoit 80 Dispill dans lesquelles il manque un ou deux médicaments, parce que la centrale est en rupture d'approvisionnement.

Alors, est-ce que vous voyez en quoi le projet de loi n° 10 va nous aider là-dessus? Et, au contraire, je pense que votre préoccupation pour le 133, l'article 133, m'apparaît tout à fait possible, là, dans un contexte comme celui-là.

• (20 h 10) •

Mme Lambert (Manon) : Bien, en fait, comme je disais... Et je comprends ce que le ministre nous a dit et je lui fais totalement confiance. Maintenant, les ministres passent, et les hôpitaux restent ou les CISSS restent, et les... Évidemment, notre recommandation, bien que je sois rassurée avec le ministre actuel, notre recommandation, de dire qu'avec 133, si on va dans des services plus spécialisés et professionnels que la... il devrait y avoir une modification au projet de loi pour faire en sorte que tous ministres qui succéderont éventuellement au Dr Barrette aient la même préoccupation de consulter les autorités quand il s'agit de centralisation. Parce qu'on ne centralise pas des services professionnels comme on centralise la production de pièces Toyota, là. Puis je pense que vous avez tout à fait dit que vous étiez d'accord avec ça. Donc, dans ce contexte-là, nous, on serait rassurés qu'il y ait cette modification-là pour permettre...

Parce que, malheureusement, les soins et services pharmaceutiques... Puis, dans le mémoire, on donnait l'exemple, encore, d'Ebola, la semaine dernière, on a tendance à oublier — et oublier entre guillemets — toujours qu'il y a deux trajectoires naturelles pour les patients dans le domaine de la santé, et encore plus aujourd'hui. Il y a évidemment... En première ligne, il y a les cabinets privés et il y a la pharmacie, donc les patients viennent à la pharmacie. Et la même chose au niveau des établissements de santé, la pharmacie a pris une importance non négligeable, et on a tendance à l'oublier. Donc, d'avoir des mécanismes de consultation officielle prévus à la loi nous rassurerait beaucoup.

Mme Lamarre : Dans votre mémoire, vous faites référence aux établissements suprarégionaux et vous vous questionnez un peu là-dessus puis aussi le fait qu'il n'y ait pas Sherbrooke et Québec. Est-ce que vous avez une réflexion?

Mme Lambert (Manon) : Bien, en fait, quand on a lu le projet de loi, on s'est beaucoup questionné, parce que, bon, on a observé, évidemment, comme on disait, quatre établissements suprarégionaux, tous dans la région de Montréal. Par ailleurs, Québec, où tout est intégré, Sherbrooke... Et évidemment, en pharmacie, comme en médecine d'ailleurs, probablement en nursing aussi, là, je connais un peu moins ça, mais les établissements universitaires actuels, avec les contrats d'affiliation, forment une bonne partie des résidents en pharmacie, notamment, et des étudiants en pharmacie. Donc, que va-t-il advenir de ces... Et évidemment ils font ça au-delà de la région, hein? On sait que, par exemple, à Québec, ils vont souvent former les effectifs pour tout l'Est-du-Québec. Donc, qu'est-ce qu'il va advenir dans ces missions d'enseignement là, qui sont des missions, par définition, qui sont suprarégionales, alors que l'établissement n'a pas de mission suprarégionale, alors que l'établissement sera peut-être sous-financé par rapport à ces aspects-là? Donc qu'est-ce qui va arriver avec la qualité de l'enseignement, la qualité de la recherche? C'étaient des préoccupations qu'on avait. Puis on questionnait la logique puis on n'arrivait pas à trouver pourquoi c'était différent à Montréal qu'ailleurs.

Mme Lamarre : Merci.

Mme Lambert (Manon) : ...études montréalaises chauvines.

Mme Lamarre : Écoutez, je vais être très prudente sur le prochain sujet, mais vous l'abordez dans votre mémoire, ça concerne la loi n° 41, et je vais rester dans des questions plus générales. Peut-être que mon collègue aura d'autres questions là-dessus. Mais ce que je voudrais m'assurer à ce moment-ci : Est-ce que vous avez encore un accord, un soutien du Collège des médecins et de l'Ordre des pharmaciens dans le projet de loi n° 41? Parce que c'est quand même historique, il y a eu un travail particulier qui a été fait. Est-ce que c'est encore présent et est-ce qu'il y a encore une volonté des pharmaciens de mettre en application la loi n° 41 et d'en faire bénéficier la population?

M. Bolduc (Bertrand) : Alors, nous sommes en tournée régionale présentement, on parcourt le Québec pour voir les membres, et, clairement, le premier sujet qu'on aborde, c'est la loi n° 41. Les pharmaciens sont prêts, ils veulent procéder à la mise en place de ces nouvelles activités là. Les patients leur demandent toujours.

Avec le Collège des médecins qui, essentiellement, est tout à fait prêt, le comité conjoint de surveillance est prêt, les formations sont faites, nous sommes prêts à appuyer sur le bouton. Et ça, c'est une mesure qui permet d'avoir un accès aux soins de santé immédiat. Et la journée que l'entente entre le ministère et l'AQPP sera définie et approuvée, on pourra mettre en place ces activités-là de façon extrêmement rapide.

Donc, on a une mesure qu'on peut mettre en place vite, et le ministère n'a qu'à donner un mandat clair, rapide à ses négociateurs avec l'AQPP et en venir à une entente rapide. S'il y a autant d'énergie qui est mise là-dessus qu'avec les négociations avec les médecins spécialistes et les médecins omnipraticiens, je pense que ça va aller très, très, très rapidement, et on pourrait offrir un très beau cadeau de Noël aux Québécois, c'est-à-dire une nouvelle gamme de services en pharmacie qui va dégorger un petit peu... désengorger les urgences et permettre aux gens d'avoir des soins de qualité.

Il y a une étude qui est parue récemment, en Angleterre, qui montre que beaucoup, beaucoup de cas qui s'en vont dans les urgences présentement pourraient être... on pourrait s'en occuper en pharmacie. Et on est prêt, tout est prêt. Et le Collège des médecins, absolument, est tout à fait prêt à nous soutenir et à continuer de travailler avec nous là-dedans.

Mme Lamarre : Je reviens au rapport annuel des incidents et accidents, parce que c'est vrai que c'est vraiment dans le terrain d'un ordre professionnel de prendre les mesures. Quelles seraient les balises, quels seraient les outils qui pourraient peut-être être prévus dans le projet de loi n° 10, qui aideraient à réduire cet élément-là? Le ministre en a parlé, je pense qu'il y a une notion aussi de nombre d'interventions par jour, là. On sous-estime, à un moment donné, le nombre d'ordonnances, au Québec, qui sont faites autant en hôpital qu'en officine. Et c'est sûr que ça multiplie. À chaque prescription, il y a un risque. Comme pharmacienne, moi, j'ai toujours dit : Si on fait 200 ou 300 ordonnances par jour, on a un potentiel de 200 erreurs par jour, et la moindre ordonnance, même celle d'acétaminophène, mal remplie peut amener des conséquences pour un patient.

Mais je pense que, si on va vers une meilleure informatisation, un meilleur réseautage, quels seraient les outils qui seraient les plus performants pour obtenir des meilleurs indicateurs et diminuer... Notre préoccupation première, c'est bien sûr de diminuer les erreurs.

Mme Lambert (Manon) : Bien, en fait, je vous dirais qu'on ne l'a pas mis dans la question du transfert des pharmaciens, mais, au contraire, dans un premier temps... On peut penser qu'ensuite on pourrait peut-être, par une meilleure standardisation, avoir moins d'erreurs, mais, au départ, il va falloir prendre garde dans ces superstructures-là où on va fusionner, donc, des établissements avec des procédures différentes, des façons de faire différentes. Le ministre l'a souligné tantôt, la majorité des erreurs, hein, 80 % des erreurs sont des erreurs de système. Ce n'est pas des erreurs parce que les gens sont incompétents, c'est des processus, c'est des systèmes qui ne se parlent pas, de l'information qui ne se transmet pas, des façons de faire qui ne sont pas similaires. Donc, dans un contexte de fusion, il y aura beaucoup d'énergie qui va devoir être dégagée dès le départ pour standardiser les processus, parce que l'établissement A puis l'établissement B ne procèdent probablement pas de la même façon pour distribuer, ils ont chacun leurs particularités, et il faudra s'assurer que ça, ce ne soit pas générateur d'erreurs.

Dans un deuxième temps, je vous dirais que l'autre préoccupation qu'on a... Évidemment, l'ordre, vous le savez — vous connaissez bien l'ordre, Mme Lamarre — donc, l'ordre est assez présent, que ce soit en pharmacie communautaire ou en établissement de santé en matière d'inspection professionnelle, et on a entrepris un gros programme d'inspection professionnelle, et notre nouveau président a dit souvent, lors de la tournée, qu'on a commencé à ISO-ifier les pharmacies. Alors, qu'est-ce que ça veut dire, ça? C'est qu'on demande de plus en plus à nos pharmaciens de mettre en place des politiques, des procédures, de former leur personnel, de s'assurer que, s'il y a des événements, ils les notent, qu'ils les analysent et qu'ils fassent les modifications nécessaires aux processus pour, finalement, corriger la situation et éviter surtout que l'erreur se reproduise.

Et c'est un cycle de mesures correctives. Et, honnêtement, je ne pense pas que ça soit dans la loi ou des outils dans la loi qui vont permettre de corriger ce genre de choses là. Il faut, premièrement, développer une culture...

La Présidente (Mme Montpetit) : Mme Lambert, je vous demanderais de conclure, il reste quelques secondes.

Mme Lambert (Manon) : Oui. Il faut développer une culture de non-culpabilisation des gens, et surtout travailler aux processus, et penser qu'en situation de fusion il y aura une période charnière où les erreurs pourraient augmenter. Il va falloir y prendre garde.

• (20 h 20) •

La Présidente (Mme Montpetit) : Je vous remercie beaucoup. Alors, pour la suite, je céderai la parole au député de La Peltrie pour un bloc de 8 min 30 s.

M. Caire : Merci, Mme la Présidente. Ce qui ressort beaucoup dans les... D'abord, je vous salue — excusez-moi. Merci d'être là, surtout à cette heure.

Ce qui ressort beaucoup dans les consultations, c'est énormément d'inquiétudes de la part des professionnels qui composent le système, et souvent, dans leurs interactions avec le ministre, le ministre va dire : Ce n'est pas l'objectif, ce n'est pas ce vers quoi on veut s'en aller. J'ai le sentiment que, dans la tête du ministre, sa réforme, elle est très claire, mais, au niveau du projet de loi, ça l'est peut-être un peu moins, et j'en veux pour preuve votre intervention. Vous dites : C'est un projet de loi qui amène une très grande centralisation. Le ministre nous dit : Non, non, c'est exactement le contraire.

Donc, moi, j'aimerais savoir ce que vous avez lu, dans ce projet de loi là, qui vous amène à conclure qu'on s'en va vers une trop grande centralisation puis comment on pourrait clarifier le projet de loi pour aller un peu plus dans le sens de ce que le ministre semble vouloir faire, donc rétablir les ponts entre ce qu'on en comprend puis ce qui est la volonté du ministre.

Mme Lambert (Manon) : On peut donner quelques exemples. Évidemment, toute la question, bon, au niveau de la centralisation des décisions quant à la nomination des membres de conseils d'administration, on passe d'un conseil d'administration où il y avait une certaine balance quant à l'origine des forums de nomination, alors que, là, on passe vers un conseil d'administration qui va être à 100 % nommé par le conseil d'administration : P.D.G., P.D.G. adjoint qui va être nommé par le ministre. On a pour preuve aussi, bien, comme je disais, la question de la mise en commun des services où le ministre peut, de lui-même, décider qu'on va mettre en commun certains services. Donc, ça part du central. Ce n'est pas nécessairement un constat des milieux, ça part du central à ce niveau-là.

Au niveau de l'établissement des corridors, donc la possibilité que le ministre a de lui-même établir un corridor dans la mesure où le corridor n'est pas jugé satisfaisant... Comprenez-moi, je comprends que le ministre dise : Il faut que les corridors de services... Et on souscrit à l'importance de l'intégration des services, mais est-ce que c'est le ministre qui doit lui-même dresser les corridors s'il n'est pas satisfait ou revenir à l'établissement puis dire : Écoutez, vous avez des problèmes, est-ce que vous pouvez me proposer d'autre chose? Vous comprenez? C'est le fait que le ministre, en cas de problème, puisse lui-même intervenir plutôt que de travailler à demander aux gens, dire : Écoutez, vos... justement, en termes d'orientation, les corridors ne sont pas géniaux sur tel, tel, tel aspect, retournez à votre planche à dessin et faites-moi une proposition. Et là on aurait, à ce moment-là, une connaissance des gens, des populations locales. Sinon, ça va être une somme d'informations importante qui va devoir remonter au ministre pour qu'il puisse prendre des décisions appropriées pour satisfaire aux besoins locaux.

Donc, c'est ce genre de choses là qui nous inquiète un petit peu.

M. Caire : Donc, si je vous suis bien, ce que vous dites, c'est que le ministre devrait effectivement établir les orientations, juger de la performance et agir si besoin est, agir sans intervenir, donc ne pas tomber dans la microgestion. Je vous comprends et je dirais même que je suis assez d'accord. Là, par contre, où j'ajoute peut-être un bémol, c'est que je dois admettre que, comme députés d'opposition, on se lève à tous les jours pour lui demander : Pourquoi ci, pourquoi ça, qu'est-ce qu'il va faire avec ci, qu'est-ce qu'il va faire avec ça? Comment on peut tracer la ligne entre la microgestion et la capacité du ministre à obtenir des résultats?

Mme Lambert (Manon) : Bien, écoutez, vous avez... On parlait de Cleveland Clinic. Ce n'est pas un hasard, on savait que vous aimez bien Cleveland Clinic, M. le ministre. Mais on parlait de Cleveland Clinic parce qu'il y a une différence, à mon avis, entre la reddition de comptes, le fait de remonter l'information au ministre et la véritable responsabilisation. Cleveland Clinic, là, ce n'est pas juste l'intégration des structures, parce que c'est en partie ça, mais Cleveland Clinic, c'est beaucoup une responsabilisation des professionnels, d'une équipe de professionnels intégrée qui est responsable autant des résultats cliniques que des coûts. Donc, il y a une responsabilisation, là, vraiment, là, au niveau des équipes qui prennent en charge, là, totalement les résultats cliniques.

Les résultats cliniques, par ailleurs, sont définis non pas en fonction des professionnels eux-mêmes, de ce qu'eux voient comme résultats cliniques, mais de la valeur qui est produite pour le patient. Donc, c'est toute une culture. Et le Cleveland Clinic ne fonctionne pas parce qu'on a le responsable de l'État... le gouverneur de l'État — voyons! — qui décide que ça va aller de tel sens ou de tel sens. On a une réussite parce qu'ils ont un P.D.G., Paul Cosgrove, qui est un médecin visionnaire, qui donne du sens à tout ça dans l'organisation. Et, à notre avis, le ministre doit travailler à créer ce sens-là auprès des gestionnaires pour qu'on arrive ensuite à créer de la valeur pour les patients.

M. Caire : Mme Lambert, par contre, force est d'admettre qu'on a à composer, à l'intérieur du réseau de la santé du Québec, dans la réalité du Québec, avec des chocs culturels, vous l'avez admis vous-même, au sein même du réseau. Donc, est-ce qu'il n'est pas normal, dans un premier temps... Puis est-ce que le projet de loi n° 10 peut répondre à cette préoccupation-là ou à cette aspiration-là? Est-ce qu'il n'est pas normal, au départ, d'avoir peut-être une direction plus intransigeante justement pour s'assurer que cette culture-là se mette en place, d'une part? Et, d'autre part — je vous repose un peu ma question — comment peut-on tracer la ligne entre microgestion et assurance d'avoir des résultats? Parce que, bon, tout le monde s'entend, là, c'est une réforme qui est majeure. Ça va plonger le réseau dans des changements pour plusieurs années. Il y a déjà eu des échecs de la part du gouvernement libéral, tentativement, là, au début des années 2000. On ne veut pas se relancer dans un autre processus qui va nous conduire à un autre constat d'échec dans 10 ans. Donc, comment on fait pour bien partir cette réforme-là puis aller chercher le maximum d'efficacité?

Mme Lambert (Manon) : Bien, écoutez, moi, je vous dirais que... Et puis on n'est pas des experts en matière de gouvernance de système, là. Il y a probablement des gens qui sont venus vous éclairer là-dessus. Mais le modèle qu'on est en train de prendre, qui est la fusion vraiment des établissements, qui va prendre plusieurs années à créer, effectivement, un consensus au niveau de l'équipe, avec un sens qui n'est pas toujours bien compris de la part des intervenants, avec un risque important de démobiliser, ça, c'est un modèle, puis on peut choisir de le prendre puis on peut... Dans la littérature, il y a eu des résultats ou pas. Il y a d'autres modèles, par ailleurs, qui sont issus, par exemple, de la Nouvelle-Zélande, où on demande aux établissements, aux districts, de créer des alliances pour fonctionner, qui donnent des bons résultats, avec toutefois une possibilité au niveau local pour vraiment satisfaire les besoins de la clientèle. Donc, on crée des alliances entre les différentes composantes du réseau, et c'est une obligation qui est donnée par le central de créer ces alliances-là, avec une surveillance — je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas donner d'orientation puis qu'il ne faut pas surveiller — avec une surveillance puis avec des leviers qui sont efficaces.

Quand on parle du Cleveland Clinic, encore une fois, le levier, là, c'est que les professionnels qui n'embarquent pas dans le système, bien, ils ont des pénalités, et des pénalités économiques. Les médecins sont salariés, les infirmières sont salariées, et il y a vraiment, là... En d'autres termes, on met les bottines où vont les babines, c'est-à-dire que l'important, c'est le patient, et tout le système de reddition de comptes et de prestation de soins est tourné autour du patient, pas autour du système. Est-ce que cette réforme-là va permettre de tourner autour du patient? On l'espère, on l'espère.

M. Caire : Dans la nomination des gens qui vont composer le conseil d'administration, normalement on s'en remet à un comité d'experts, et le ministre doit choisir à l'intérieur de cette liste-là. Par contre, il y a une petite clause dans le projet de loi qui dit que, si la liste ne fait pas son affaire, le ministre peut toujours...

Le Président (M. Tanguay) : En conclusion, s'il vous plaît.

M. Caire : ...a toujours le privilège de ne pas... Est-ce qu'on pourrait s'assurer, d'une part, oui, d'un comité d'experts, mais d'avoir aussi, dans chacune des régions, une certaine mainmise sur la composition de la liste et...

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup.

M. Caire : Peut-être une autre fois.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. C'est ça. 8 min 30 s, c'est court. Alors, je cède la parole maintenant à notre collègue députée de Gouin pour une période de trois minutes.

• (20 h 30) •

Mme David (Gouin) : Alors, imaginez trois minutes, M. le Président, ce qui fait que je vais juste faire un minicommentaire. J'ai parfois l'impression qu'on assiste, autour du projet de loi n° 10, à un débat sur la démocratie, finalement, et je commence à me demander si on est en train de parler d'avant-garde éclairée, ce qui est une chose que je propageais, moi, il y a 30 ans, ou bien si on est encore dans la participation citoyenne.

Mais ma question va porter sur tout à fait un autre point. En page 10 de votre mémoire, vous faites une sorte de mise en garde sur des problèmes éthiques à prévoir si les organisations sont trop grosses, si on réduit le nombre de clients potentiels. Vous êtes quand même très clairs là-dessus. Vous dites : S'il y a trop de contraintes financières dans les organisations, la documentation nous apprend que ça peut favoriser l'émergence de pratiques moins éthiques. C'est quand même troublant puis un petit peu épeurant ce que vous dites, surtout pour un parti politique comme le mien qui met de l'avant un projet qui s'appelle Pharma-Québec et qui dit : Il me semble que le Québec, justement, qui veut économiser des sous, en économiserait si on procédait à des achats groupés de médicaments, centralisés, mais bien plus centralisés encore, là, centralisés au ministère de la Santé.

Est-ce que je crois comprendre que, dans le fond, et c'est tout à fait votre droit, vous n'êtes pas d'accord avec cette proposition ou vous pensez qu'il faut faire autrement? J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que vous avez quand même un petit chapitre, là, sur cette question.

M. Bolduc (Bertrand) : Oui aux achats centralisés, mais il faut faire attention à la centralisation. Il faut faire attention à la centralisation intra-CISSS, parce qu'on va avoir plusieurs établissements qui sont regroupés. Il va-tu y avoir des gens qui seront favorisés, moins favorisés? Donc, toute la gestion intra-CISSS va être difficile, d'abord et avant tout, parce que les ressources sont déjà limitées.

Et de regrouper encore plus les achats, ça comporte des avantages, évidemment, mais potentiellement des problèmes, des problèmes de pénurie, des problèmes de concentration. On a vécu un épisode, il y a quelques mois, avec le paclitaxel, un médicament pour le cancer, où on avait des groupes d'achat qui payaient un petit peu plus cher que l'autre, mais leur fournisseur a pu fournir, alors que l'autre a dû débourser 100 fois le prix pour avoir accès au même produit, donc 4 000 $ au lieu de 44 $. Donc, il faut faire très attention.

Alors, oui à une meilleure gestion, à un meilleur mécanisme d'approvisionnement, mais il faut parfois même aller changer la réglementation, notamment au Conseil du trésor, pour avoir de la double adjudication, s'assurer que non seulement on a des prix compétitifs, mais on a aussi de l'approvisionnement qui est là, donc. Parce qu'avec les pratiques qu'on a, si on centralise trop — on a vu, dans le Canada anglais, ils sont très centralisés — on a des problèmes potentiels qui arrivent. Donc, oui à la centralisation, mais attention aux effets secondaires de cette pratique-là.

Mais là, nous, ce qu'on dit là-dedans, c'est aussi intra-CISSS, parce qu'on va avoir un chef, on n'en aura plus plusieurs. Et là, évidemment, bien, les humains étant des humains, il faut faire attention à qui va bien gérer les choses, et on ne voudrait pas négliger des gens. Parce qu'il va y avoir des grands CISSS, là. Donc, il faut faire attention.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, il nous reste à vous remercier. Merci beaucoup, les représentants de l'Ordre des pharmaciens du Québec.

J'invite le prochain groupe à prendre place et je suspends nos travaux.

(Suspension de la séance à 20 h 32)

(Reprise à 20 h 35)

Le Président (M. Tanguay) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je vous invite, chacun et chacune d'entre vous, à prendre place. Nous allons poursuivre maintenant avec les deux représentantes des Médecins québécois pour le régime public. Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous vous demandons, dans un premier temps, de bien vouloir vous identifier pour les fins d'enregistrement. Par la suite, vous aurez une période de 10 minutes, de laquelle suivront les échanges avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Médecins québécois pour le
régime public (MQRP)

Mme Pelletier (Karyne) : Bonsoir. Donc, mon nom est Karyne Pelletier, puis je suis avec Dre Isabelle Leblanc, qui est la présidente de notre regroupement.

Donc, comme vous l'avez mentionné, on représente MQRP, soit les Médecins québécois pour le régime public. On est un organisme qui regroupe des médecins, en fait, de différentes disciplines, spécialités, lieux de pratique, différentes régions du Québec aussi, qui se sont regroupés pour, en fait, favoriser le maintien puis l'amélioration du système public de santé, un système qu'on veut accessible à tous. Donc, ce sont nos objectifs principaux. Puis je vais céder la parole à ma collègue pour débuter la présentation.

Mme Leblanc (Isabelle) : D'abord, merci beaucoup d'avoir finalement accepté de nous recevoir à la commission. On n'a malheureusement eu pas beaucoup de temps pour préparer le mémoire. On a déjà vu qu'il y avait quelques coquilles, on est désolées à ce sujet-là. On va envoyer une version un peu plus finie dès qu'on aura le moment.

En fait, une de nos premières inquiétudes avec cette réforme-là, avec le projet de loi n° 10, c'est que tout semble très rapide. Nous, on est des médecins, on est des cliniciens puis, en général, on pose un diagnostic avant d'arriver avec un plan de traitement, surtout si le plan de traitement est un plan assez drastique comme une chirurgie. On se demande si vraiment on a posé le bon diagnostic puis on arrive avec le bon plan de traitement pour ce qui se passe.

On se demande aussi pourquoi on veut un projet de loi si rapide, pourquoi on veut changer les choses si rapidement. Il semble vraiment y avoir une presse. Même cette commission-ci, tout a été fait rapidement, on veut que tout soit adopté avant Noël. On a des inquiétudes, on se demande où est le rush, en fait, pourquoi c'est si rapide et surtout pourquoi il y a si peu de consultations, si peu de consultations avec les gens sur le terrain, si peu de consultations avec les cliniciens, avec les patients, avec la population.

Une autre de nos inquiétudes, évidemment, c'est avec ces gros regroupements d'établissements. On est tous encore un peu en syndrome de stress post-traumatique des dernières fusions, les créations des CSSS. Ça a été très difficile sur le terrain, ça a été difficile pendant plusieurs années. Je pense qu'on se remet à peu près... on commence à peine à s'en remettre. Puis cette idée d'avoir des organisations énormes puis qui nous semblent centralisées — même si on comprend dans le discours que peut-être qu'en fait ce n'est pas si centralisé que ça, mais ça nous semble très centralisé — c'est quelque chose qu'on trouve inquiétant. On a vu, avec la création des CSSS, qu'il y avait une perte de motivation, une perte de vocation de certains établissements, que plusieurs des soignants, les médecins, les infirmières, le personnel paramédical, étaient moins intéressés ou avaient moins l'occasion de participer à la gestion et aux orientations des établissements.

On pense aussi qu'une structure aussi simple avec, en fait, deux paliers, le ministre et les CISSS, ça nie un peu le côté complexe et organique d'un système de santé. Oui, c'est sûr que le système peut être allégé, mais il y a quand même différents aspects à prendre en considération, qui sont connus surtout des gens sur le terrain ou des gens au point de vue local. Puis aussi le fait que la première ligne... on croit comprendre encore que ça vient peut-être dans un prochain projet de loi, mais, en ce moment, la première ligne, ils sont vraiment très séparés, mis à l'écart de ce projet de loi là. C'est quelque chose qui nous inquiète aussi.

L'idée aussi qu'il y a de moins en moins de participation citoyenne, que ce soit au sein des conseils d'administration... Il y aura beaucoup moins de conseils d'administration à cause de toutes les fusions, évidemment. Les membres des conseils d'administration vont être nommés par le ministre. Il y aura des membres qui seront dits indépendants, mais on n'est pas certains qu'ils vont vraiment être indépendants, probablement beaucoup du milieu des affaires. Comme MQRP, qui a peur que le système de santé devienne de plus en plus privé, c'est quelque chose, évidemment, qui nous fait peur. De moins en moins de CMDP, d'organisations où les médecins, les dentistes, les pharmaciens peuvent participer à la gestion et aux orientations de leurs propres établissements, c'est quelque chose qu'on trouve inquiétant.

Et surtout, beaucoup, la perte du processus démocratique, donc il n'y aura plus de représentants de la population au sein des conseils d'administration. Un seul représentant des patients par CISSS, ça nous semble très, très peu. Et on voit, en fait, qu'il n'y a plus de contre-pouvoir. Il y a des décisions qui sont prises, mais il n'y a nulle part où la population, les patients ou les membres du personnel peuvent aller contester certaines décisions ou discuter de certaines décisions. Donc, cette perte de pouvoir là est quelque chose qui nous fait très peur.

Finalement, la déstabilisation. Encore une fois, on pense à ce qui s'est passé, 2005, 2007, avec les fusions. Les gens vont être occupés à gérer la réforme, pas à s'occuper de leurs patients. Ça, c'est quelque chose qui risque d'être très difficile pendant plusieurs années. Ça va fragiliser les soins, encore une fois, pour plusieurs années puis probablement créer une certaine perte de repères pour la population et aussi pour le personnel soignant.

• (20 h 40) •

Mme Pelletier (Karyne) : Comme Dre Leblanc l'a déjà mentionné, rapidement, là, ce qu'on retire également de la lecture de ce projet de loi là, c'est ce qu'on appelle la nouvelle gestion publique. En fait, ce qu'on voit, c'est une réforme, vraiment, de la gouvernance du système, qui s'inspire surtout d'un mode de gestion entrepreneurial, qui est donc axée sur la performance. Puis la conséquence d'un mode de gestion de ce type-là, selon nous, c'est l'ouverture à la privatisation des soins puis les services sociaux, puis c'est ce qu'on craint le plus, en fait. Un mode de gestion de ce type-là, ça ouvre directement la porte à une concurrence, dans un premier lieu, à la concurrence à l'intérieur même du système public déjà en place puis éventuellement, possiblement, à la concurrence d'un système réellement privé versus le système public.

Ces principes-là ou ce qui découle de cette nouvelle gestion publique là... En fait, ça existe déjà, là, on le voit et on constate déjà cette réforme-là au niveau de la gouvernance. C'est déjà amorcé, par exemple avec la création des centres médicaux spécialisés, tout le laisser-faire qu'on constate autour des frais accessoires illégaux puis l'éclosion, là, à notre avis, qui va se poursuivre, de la sous-traitance de certains services à des entreprises privées, par exemple dans les soins à domicile ou autres. Dans ce projet de loi là, en fait, nulle part il n'est fait mention que les ententes de service faites en sous-traitance doivent être faites avec des établissements publics. Donc, on ne voit pas de réelle volonté de protéger ce qui est dans le giron public, puis c'est une de nos grandes inquiétudes.

Donc, globalement, l'ouverture au privé qu'on voit découler directement du projet de loi n° 10 risque, à notre avis, de compromettre la qualité des soins puis surtout, en fait, de compromettre l'accès aux soins de la population. Donc, pour toutes ces raisons-là, ce qu'on demande, en fait, au gouvernement, c'est de faire un peu une pause puis de bien considérer les impacts du projet avant de procéder à son adoption. On a l'impression que, là, la commission est déjà rapide, comme on l'a mentionné tantôt, puis je pense qu'il faut confirmer notre diagnostic avant de choisir le traitement approprié.

On s'oppose, évidemment, à une dérive, là, du mode de gouvernance du système puis on pense qu'au Québec on doit cesser d'accumuler des réformes de type structurel et administratif puis plutôt mettre au coeur des décisions la clinique puis les soins à la population. Voilà.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, nous allons maintenant enchaîner avec une période d'échange avec les parlementaires, et je cède immédiatement la parole au ministre de la Santé.

M. Barrette : Pour une période de?

Le Président (M. Tanguay) : De 21 min 30 s.

M. Barrette : Merci, M. le Président. Bien, d'abord, Dre Pelletier et Dre Leblanc, merci d'être venues. J'apprécie... Je m'attendais à ce que ça soit d'autres représentants du MQRP qui viennent, mais je suis content que ça soit vous. On ne se connaît pas, alors c'est nos premiers contacts ensemble pour débattre de ce sujet-là. Vous savez, dans le passé, on n'a pas toujours été sur la même longueur d'onde et... Ce n'est pas péjoratif, c'est...

Vous dites que le projet de loi n° 10 est un déficit démocratique, puis on est dans la démocratie, puis on peut se parler quand même dans une commission parlementaire.

Mme Leblanc (Isabelle) : C'est pour ça qu'on est là.

M. Barrette : Voilà. Et je suis bien content qu'on puisse débattre. Mais, d'entrée de jeu, écoutez, je comprends ce que vous me dites puis je vais commencer par répondre à votre première question. Et, même si on est à Québec, je ne vais pas répondre par la bouche de mes canons, mais par la couleur de mes cheveux. Vous me demandez : Pourquoi maintenant et si vite? Parce que la couleur de mes cheveux devrait vous indiquer que moi, des réformes, j'en ai vu pendant plus longtemps que vous... Puis je ne veux pas être péjoratif, là, puis je ne veux pas que vous preniez ça mal, mais, regardez, c'est parce que ça fait... moi, ma carrière, elle a un certain nombre d'années, là, ça ne s'améliore jamais. Alors, à un moment donné, là, à force de répéter les mêmes choses...

Et je vais aller plus loin, là. On le sait, ce qui ne fonctionne pas, là. On le sait essentiellement, là, et on sait très bien que, dans notre réseau, une des raisons pour lesquelles on n'a pas les services à la hauteur que l'on devrait, c'est une question de gouvernance. Et, quand je dis «gouvernance», je ne parle pas du directeur d'hôpital, là. Je parle de tous ceux qui ont un pouvoir d'influence dans le système : les médecins, les directeurs, les gestionnaires, le ministre, tout le monde. Le monde de la santé ne fonctionne pas tout le monde dans la même direction, dans le même objectif. Vous le voyez à tous les jours dans votre vie professionnelle. Je ne sais pas dans quel milieu vous pratiquez, là, mais... Bien, juste par curiosité, dans quel milieu vous pratiquez?

Mme Leblanc (Isabelle) : Moi, je travaille dans une UMF-GMF à St. Mary's.

Mme Pelletier (Karyne) : Moi, je suis à l'Hôpital du Sacré-Coeur.

M. Barrette : Bon, alors, vous avez les deux extrêmes. Vous avez un hôpital universitaire et un GMF. Je ne dis pas que c'est... Je ne dis pas ça au sens négatif du terme, évidemment, mais vous voyez que l'intégration ne se fait pas. Vous, en GMF, là, vous avez des difficultés d'accès à tout le reste, puis, vous, à Sacré-Coeur, là, bien, on vient frapper à votre porte dans certains secteurs d'activité, puis les corridors ne se font pas. Ils ne se font pas, puis je pourrais vous en nommer, là, puis je n'en nommerai pas parce que ça va nommer des gens, puis on n'est pas ici pour faire des procès, mais ça ne se fait pas.

Ça fait qu'aux deux bouts, là, du système, là, ça ne s'intègre pas, et on arrive à la maison le soir, là, vous, nous trois et nous tous, là, puis on se dit : Comment ça se fait que ça ne marche pas, cette affaire-là, à la quantité d'argent qu'on met dedans? Alors, la réponse à votre question, pourquoi?, là, c'est ça. Parce qu'à un moment donné, là, il faudrait bien que ça fonctionne. Et la raison pour laquelle ça ne fonctionne pas, c'est parce qu'il n'y a pas un sens clair qui est donné, il n'y a pas de directive claire, il n'y a pas d'imputabilité, parce qu'on sait ce qu'on doit faire. Si on avait, vous et moi, à discuter de ce que l'on doit faire, là, on saurait quoi faire.

Mme Leblanc (Isabelle) : Mais, si je peux me permettre, vous dites que vous avez vu plusieurs réformes, vous en avez vu plus que moi, puis ça ne marche jamais.

M. Barrette : Bien, c'est-à-dire que...

Mme Leblanc (Isabelle) : C'est un peu ce qu'on vient dire aussi, c'est qu'en fait il y en a eu beaucoup. La réformite aiguë, je pense que ça fait 30 ans qu'elle dure dans le système de santé, au moins. Pourquoi celle-ci puis pourquoi si rapidement?

M. Barrette : O.K. Quand je dis que ça ne fonctionne jamais, c'est dans mon cadre de référence à moi, sur mon échelle de Richter. Sur mon échelle à moi, ce qui ne fonctionne pas, c'est l'intégration. Quand vous dites ou quand bien des gens qui sont venus ici ont dit que la réforme des années 2000 n'a pas fonctionné, ce n'est pas vrai. Il y a eu de la réelle intégration au niveau des CSSS. Il y en a eu de ça, là. Ce n'est pas vrai, là, qu'il n'y a pas eu d'intégration.

Vous, là, en GMF, sur le terrain, vous avez eu des bénéfices avec le petit hôpital communautaire, si vous en avez un sur votre territoire, que vous n'aviez pas avant. Mais l'étape après, là, de l'hôpital communautaire jusqu'à, mettons, mon hôpital — qui est Maisonneuve-Rosemont, là, si vous ne le saviez pas — mais ça, ça ne s'est pas fait, et ça, ça devrait se faire. Et c'est ce que tout le monde dit, là. Tout le monde vient en commission parlementaire nous dire qu'on a des inquiétudes. Tout le monde dit la même affaire, mais tout le monde, à divers égards ou de diverses manières, reconnaissent le bien-fondé de l'intention.

Pourquoi ça marcherait, celle-là? Ça marcherait parce que, pour la première fois, il y aura des directives claires qui vont être données, et vérifiées, et exercées dans le sens de l'intégration complète. Personne ne va pouvoir rester sur la ligne de touche. Un hôpital comme Maisonneuve-Rosemont ne pourra pas faire comme maintenant, par exemple, ou Sacré-Coeur, jouer son rôle, seul dans son coin, d'hôpital universitaire affilié sans avoir de corridor de services avec les hôpitaux de son territoire.

Mme Leblanc (Isabelle) : Et, dans votre perspective, ce genre de gestion là, c'est de haut en bas que ça se fait.

M. Barrette : Bien, non, ce n'est pas une question de...

Mme Leblanc (Isabelle) : Ça prend quelqu'un en haut qui...

• (20 h 50) •

M. Barrette : Non, ce n'est pas une question de haut en bas, c'est une question qu'à un moment donné il faut imprimer un mouvement. Normalement, dans notre société, le mouvement, c'est rare qu'il vient du bas, là. Il vient, en général, de l'autorité, là. Puis je ne vais pas insister sur le terme, mais c'est à ça que ça sert, un ministre, à un moment donné, là, prendre des décisions puis aller dans une direction.

Je retenais le commentaire de mon collègue le député de La Peltrie tantôt, qui disait qu'à un moment donné il faut la partir, cette affaire-là. N'est-il pas normal qu'au départ on puisse... ce n'est pas les termes qu'il a utilisés, mais qu'on puisse avoir ce genre de pouvoir là pour le partir? Bien, c'est ça, l'idée. C'est le partir et, après, le laisser sur son erre d'aller, avec des règles plus standard, on va dire. C'est ça qui est l'idée.

Mais, quand je vous écoute... Et ça, j'aimerais ça que vous m'expliquiez comment vous pouvez tirer ces conclusions-là, comment pouvez-vous conclure... Et je suis convaincu que vous avez suivi, à date, les audiences. Vous les avez suivies, hein? Je ne peux pas comprendre comment vous pouvez conclure qu'on vise la privatisation. Il faut que vous m'expliquiez ça, là, parce que, celle-là, là, je ne la vois pas, là. Je m'évertue, séance après séance, à expliquer qu'on veut que le système demeure public et pérenne, que ce soit centré sur le patient et que ce soit intégré, que ça fonctionne pour tout le monde, incluant les personnes qui ont des handicaps et d'autres problèmes de maladie chronique, qui sont venues s'exprimer ici, là, d'une façon limpide. Puis tout ce qu'ils disaient, là, c'était vrai. Je l'ai vu, moi, ce qu'ils disent, puis ils n'ont pas dit tout ce qu'ils pouvaient dire. Expliquez-moi, là, ça m'intéresse, là, comment vous pouvez, dans l'état actuel du débat et de l'écriture du projet de loi, conclure qu'on s'en va vers la privatisation, la sous-traitance au privé.

Et là je vais terminer, puis je vous laisse la parole, là, écoutez, là où vous m'estomaquez le plus, c'est quand vous nous dites que la performance, essentiellement, ce n'est pas une bonne affaire. Là, là, tu sais, c'est comme croire en Dieu et ne pas y croire, un athée et un croyant ne se convaincront jamais l'un l'autre, là. Mais convainquez-moi, là, parce que je ne vois pas comment vous pouvez conclure ça.

Mme Pelletier (Karyne) : Bien, pour répondre peut-être à votre première question, vous avez défini la gouvernance tantôt comme étant tous les acteurs qui ont un impact ou une influence sur le système, puis je pense qu'on est d'accord avec vous sur cette définition-là. Puis justement, nous, ce qu'on redoute avec la transformation du mode de gestion puis avec la transformation particulièrement des C.A. puis du mode d'administration des instances de soins, c'est qu'on implique de plus en plus de nouveaux acteurs, dans cette gestion-là, qui sont issus de l'entreprise privée puis qui ont une vision plutôt entrepreneuriale de la santé.

Quand on parle de performance, c'est sûr qu'on peut... «Performance», c'est un terme vague, puis on peut le définir de plusieurs façons. La performance qui vise un meilleur accès des soins puis avec une qualité des soins irréprochable, on ne sera jamais contre ça, évidemment. On partage quand même un intérêt commun. Mais la performance au sens d'obtenir le plus pour le moins de coûts en mettant de côté peut-être l'accès aux soins, ça, on est contre, évidemment. Donc, c'est une question de définition de la performance. Puis ce qu'on redoute... Où on voit l'ouverture au privé, c'est surtout via, justement, l'idéologie derrière la nouvelle gestion publique du système de santé.

Mme Leblanc (Isabelle) : Je pense que, quand, justement, on écoute la commission, c'était assez clair que la plupart des gens qui sont des cliniciens ou qui sont dans le milieu de la santé ont des grandes inquiétudes par rapport au projet de loi. Par contre, la personne que j'ai vu l'applaudir, c'est la personne de la chambre de commerce qui a dit que c'était justement de l'ouverture pour les entreprises privées. Donc, on n'est pas les seuls, je pense, à faire cette lecture-là.

Je pense que, comme vous disiez tout à l'heure, les objectifs, quand on lit l'énoncé, les objectifs de ce projet de loi là sont louables, mais on ne voit pas comment le projet de loi, tel qu'il est, va remplir ces objectifs-là. Ça ne parle pas beaucoup des soins aux patients, ça ne parle pas tant que ça, moi, comme médecin de première ligne, de l'intégration avec la première ligne, et ça parle de sous-traitance, mais ça ne parle jamais de garder ça dans le giron du public. Parfois, quand on écrit... quand on veut faire la gouvernance ou quand on veut donner des orientations, on peut dire qu'on préférerait que ça soit public, justement. On peut le mettre dans nos valeurs. Je ne l'ai pas vu. Peut-être que c'était là, mais je ne l'ai vu nulle part.

M. Barrette : Pardonnez-moi, là, mais peut-être que moi-même, j'ai mal lu mon propre projet de loi, là, mais où vous dites qu'on parle de sous-traitance, là, au privé ou que ça laisse penser que ça va aller vers le privé?

Mme Leblanc (Isabelle) : Attendez. C'est surtout dans l'article 80. Ça ne parle pas nécessairement privé ou public, ça ne mentionne pas, mais c'est à l'article 80, donc des ententes de services.

M. Barrette : Oui, mais des ententes de services, c'est des ententes de services essentiellement verticales dans le réseau, ce qui manque énormément...

Mme Leblanc (Isabelle) : Est-ce que vous...

M. Barrette : Je donne souvent ce genre d'exemple là : Aujourd'hui, vous, si vous faites de l'hôpital de temps en temps et que vous êtes dans un plus petit hôpital, puis vous avez un patient à transférer, et vous devez faire six téléphones avant qu'on vous dise oui, alors que... bien, quatre, alors que, normalement, ça devrait être un automatisme. Une saine gestion, ça devrait être un automatisme.

J'aimerais par contre profiter du fait que vous soyez... Parce que vous avez noté et pas vraiment reproché que la première ligne n'était pas là puis qu'il y aurait probablement d'autres choses, puis je comprends, et c'est vrai que la première ligne n'est pas visée par ce projet de loi là. Elle l'est dans le sens de l'intégration mais pas de l'accès. Et, malgré tout, je voudrais profiter de votre expertise. Qu'est-ce qu'il nous manque pour que la première ligne fonctionne, compte tenu du nombre de médecins qu'on a au Québec?

Mme Leblanc (Isabelle) : Bien, une meilleure organisation, mais je pense que c'est justement ce que vous faites, demander aux gens comment ça peut être mieux organisé, qui va aider. Je pense qu'il faut que nos patients aient accès aux soins dont ils ont besoin sans avoir à payer. Je pense que ça, c'est très important. Moi personnellement, dans la vie, ce qui serait le mieux pour le meilleur accès à mes patients, pour que je puisse voir plus de patients, c'est qu'ils aient accès à des psychologues, à des physios sans avoir à payer, parce que ça, c'est un gros problème. C'est des gens qui reviennent, les maladies chroniques qu'on n'arrive pas à envoyer au bon spécialiste parce qu'ils viennent voir les médecins. Un meilleur accès aux spécialistes aussi pour certaines consultations, puis surtout pouvoir avoir accès aux spécialistes en établissement pour ne pas que mes patients aient besoin d'aller payer 250 $, 300 $ pour une coloscopie, soi-disant pour leur sédation, pour ça, quand ils ne peuvent pas se le permettre. Moi, c'est ce que je vois, dans mon UMF, qui m'aiderait le plus à pouvoir voir plus de patients puis à leur donner des meilleurs services.

M. Barrette : Et chez les médecins de famille eux-mêmes?

Mme Leblanc (Isabelle) : Chez les médecins de famille eux-mêmes?

M. Barrette : Oui.

Mme Pelletier (Karyne) : Qu'est-ce que vous voulez dire?

M. Barrette : Est-ce qu'actuellement vous trouvez... Est-ce qu'on a un problème de capacité au Québec en termes...

Mme Leblanc (Isabelle) : Bien, il y a le problème que les médecins de famille font beaucoup, beaucoup de deuxième ligne. On peut commencer à parler d'AMP, et tout ça. On doit tous faire de l'hôpital, travailler dans des CHSLD ou faire des activités qui sont considérées prioritaires, alors que je ne comprends pas pourquoi voir mes patients au bureau, ce n'est pas prioritaire. Ça, c'est sûr que c'est un problème.

Ça, c'est sûr qu'il y a aussi beaucoup de gens qui sont formés comme médecins de famille qui ne travaillent pas comme médecins de famille, qui travaillent seulement en hôpital comme intensivistes, comme urgentologues, comme médecins accoucheurs. Mais c'est d'autres problèmes. Puis peut-être qu'avec un meilleur accès à tous les autres professionnels les gens vont être capables de voir plus de patients aussi, ceux qui font du cabinet. Mais je pense que les médecins de famille doivent retourner dans leur cabinet puis avoir de l'aide.

Tout à l'heure, il y avait des gens de l'Ordre des pharmaciens. Les pharmaciens peuvent faire une partie du travail, les infirmières spécialisées en soins de première ligne aussi. Il y a beaucoup de gens qui peuvent mettre l'épaule à la roue aussi, mais je pense que, pour trouver des solutions, il faut demander aux gens, il faut demander aux gens qui sont sur le terrain, puis c'est... on a l'impression que ça n'a pas nécessairement été fait. Peut-être que vous le faites puis que ça n'a pas transparu là-dedans, mais, moi, c'est l'impression que j'ai.

M. Barrette : Bien, le projet de loi n° 10 n'est pas un projet de loi de première ligne, évidemment, là, mais je profite du fait que vous soyez dans ce domaine-là, parce qu'en plus vous êtes dans une UMF, vous enseignez, donc vous formez la prochaine génération et vous avez donc une influence significative sur le comportement des futurs diplômés et futurs praticiens, évidemment. Et j'ai envie de vous poser la question, alors je vais vous la poser : Si vous étiez à ma place, vous feriez quoi pour améliorer la première ligne?

Mme Leblanc (Isabelle) : Bien, je demanderais aux patients ce qui serait le mieux puis je demanderais... Je pense que je ferais des... Oui, on fait beaucoup ça.

M. Barrette : Aux patients?

Mme Leblanc (Isabelle) : Oui. Je pense que je parlerais à des groupes de patients pour voir qu'est-ce qui les aiderait, eux. Je pense que je parlerais à des groupes de médecins de famille, puis pas juste — sans vouloir insulter personne — les gens qui ont grimpé jusqu'en haut des fédérations. C'est des gens qui sont très importants, mais il y a aussi des gens sur le terrain, qui passent peut-être un peu moins de temps à faire tous les niveaux de politique puis qui voient plus de patients. S'asseoir avec eux puis voir ce dont ils ont vraiment besoin. Mais j'essaierais de voir... puis je suis persuadée... Moi, je suis à Montréal, je suis dans Côte-des-Neiges, je suis dans un endroit qui est très différent, je suis sûre, de ce que les médecins de famille vivent à Jonquière, ou à Chisasibi, ou à Beloeil, là. Je pense qu'il faudrait aussi voir des gens de différents endroits, comment ça se passe pour eux. Mais je pense que je consulterais les gens. Mais moi... On est différents, c'est sûr.

M. Barrette : Vous allez probablement être d'accord avec moi sur le fait que, vous, en médecine de famille... l'accès, vous l'avez dit tantôt, à la consultation, ça, je pense qu'on s'entend là-dessus, c'est une évidence, mais l'accès aussi à différents moyens d'investigation d'une façon rapide et efficace, que ça améliorerait quand même votre productivité, là.

Mme Leblanc (Isabelle) : Bien, ça améliorerait surtout les soins aux patients. Je pense que ça, c'est l'autre chose. Productivité, c'est une chose, mais des fois ça prend un peu plus de temps pour voir des patients, pour faire des bons... donner des bons soins. Mais je pense que ça améliorerait vraiment la façon dont les patients sortiraient de mon bureau. Ils seraient plus satisfaits puis ils seraient en meilleure santé. Mais je pense qu'il y a aussi accès... Il n'y a pas juste les méthodes diagnostiques, il n'y a pas juste le médical, il y a tout ce qu'il y a autour aussi, puis, en première ligne, on voit que c'est un problème que les gens n'aient pas accès à ces choses-là.

M. Barrette : Et je comprends de votre commentaire précédent que vous voudriez inclure dans le système public d'autres professionnels.

Mme Leblanc (Isabelle) : Bien, ils sont déjà inclus, mais aidés dans les... Ils sont dans les CSSS, mais ils sont très durs d'accès, puis ça n'a peut-être pas nécessairement aidé avec les CSSS.

Le Président (M. Tanguay) : Il reste huit minutes.

M. Barrette : Huit minutes?

Le Président (M. Tanguay) : Cinq minutes, pardon.

M. Barrette : Pourriez-vous nous parler... Vous, à Sacré-Coeur, est-ce que vous êtes spécialiste ou vous êtes médecin de famille?

Mme Pelletier (Karyne) : Moi, en fait, je suis un médecin résident en médecine interne.

M. Barrette : Vous êtes en résidence en médecine interne?

Mme Pelletier (Karyne) : Oui.

M. Barrette : O.K. Ça fait que vous n'avez pas encore expérimenté tous les problèmes de fluidité dans notre système, juste dans l'hôpital.

Mme Pelletier (Karyne) : Mais, avant d'être en médecine, j'étais orthophoniste et j'ai pratiqué à la Cité de la santé.

M. Barrette : Donc, vous avez vu les problèmes d'accès.

Mme Pelletier (Karyne) : Donc, j'ai quand même une expérience du système de plusieurs points de vue.

• (21 heures) •

M. Barrette : C'est bon. J'aimerais ça que l'une et l'autre, vous me parliez de votre vision dans un système où les choses sont bien intégrées, et les choses bien intégrées sont... Évidemment, le corollaire de ça est que c'est évidemment la bonne personne qui fait la bonne chose. On s'entend, là, c'est devenu un adage quasiment passe-partout, là, mais qui ne se réalise jamais. Dans la première ligne, l'infirmière, quel est actuellement... bien, j'ose quasiment dire le rôle qu'elle ne joue pas ou comment organiseriez-vous les choses pour qu'elle le joue? Puis, si vous me dites qu'elle ne devrait pas jouer le rôle, dites-le-moi aussi, ça va...

Mme Leblanc (Isabelle) : Dans un monde parfait, là? Bien, nous, où je travaille, on a trois niveaux d'infirmière. On a des infirmières auxiliaires, des infirmières cliniciennes et des infirmières spécialisées en soins de première ligne. Je pense que les infirmières spécialisées en soins de première ligne... Moi, je crois beaucoup au partenariat avec les médecins. Je sais qu'il y en a certains qui ont leur clinique, puis je pense que c'est un modèle qui fonctionne bien aussi, mais nous... Je pense que ça me fait plaisir de voir mes patients avec des problèmes de santé chronique seulement une ou deux fois par année puis que l'infirmière avec qui je travaille les voit les autres fois, les voit quand ils ont des ennuis de santé puis s'occupe du suivi en général. Moi, je peux ajuster les médicaments, m'occuper des cas plus complexes. Notre infirmière clinicienne aussi, elle peut faire beaucoup de... elle peut faire des visites pour les enfants, elle peut faire les examens gynécos pour les femmes en bonne santé, elles peuvent partager certains suivis de périnatalité. Il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites, mais je pense qu'encore une fois ce n'est peut-être pas l'idéal, dans un système, quand c'est le médecin qui décide de ce que les autres font. Puis moi, je sais ce qui serait mieux, selon moi, pour mon système où je travaille, mais peut-être que les infirmières, elles ont un point de vue différent. Mais, encore une fois, je pense que je leur demanderais pour voir ce que c'est, puis...

M. Barrette : Votre opinion m'intéresse. C'est ce que je recherche, parce que vous êtes là-dedans plus que moi.

Mme Leblanc (Isabelle) : Puis les infirmières auxiliaires peuvent prendre les poids, prendre les tensions, faire les vaccins. C'est ce qu'on essaie de faire, mais ça ne marche pas tout le temps. Mais ça marche mieux que ça marchait.

M. Barrette : ...le travail de l'infirmière de façon plus indépendante du médecin, ou vous devez vous... ou peut-être, dans votre pratique, plus sous un mode de supervision?

Mme Leblanc (Isabelle) : Ça encore, tu sais, je pense que ça dépend. C'est une grande question, puis ça dépend de l'équipe avec qui on travaille. Nous, parce qu'on a le problème... bien, pas le problème, mais on a le fait ajouté qu'on a des médecins résidents aussi qui doivent apprendre à faire certains actes, comme donner des vaccins, qu'en général on peut déléguer à des infirmières, on est plus sur un mode de partenariat. Si j'étais dans une clinique, en cabinet, je ne sais pas, il faudrait que je voie ce qui fonctionne le mieux, mais, en général, c'est plus du partenariat. En général, je pense qu'avec la communication, la discussion puis pouvoir discuter des cas avec les infirmières pour voir ce qu'elles préféreraient faire ou comment elles pensent gérer certaines choses, c'est ce qui serait le mieux.

M. Barrette : J'ai la chance d'avoir deux personnes qui ont un niveau de spécialisation différent ou un secteur de spécialisation différent. Vous, vous êtes en médecine interne? Vous arrivez à la fin de votre formation ou...

Mme Pelletier (Karyne) : Non. En fait, je commence ma résidence.

M. Barrette : Vous commencez votre résidence.

Mme Pelletier (Karyne) : Oui.

M. Barrette : Bien, par curiosité, comment voyez-vous la médecine interne dans le futur? La voyez-vous médecine interne consultante ou médecine interne médecin traitant?

Mme Pelletier (Karyne) : En fait, je pense que ça dépend. Si le modèle reste comme il est actuellement, je pense que ça dépend beaucoup du lieu de pratique du médecin. Moi, ce que j'ai pu dégager comme constat, c'est qu'en milieu universitaire la médecine interne, comme toutes les autres sous-spécialités de la médecine interne et spécialités en général, fonctionne plus sur le mode consultant, puis il y en a quand même relativement peu qui hospitalisent. En région, je pense que ça fonctionne différemment. Il y a un principe, qui existe ailleurs mais pas ici, d'internistes qui hospitalisent, en fait, là. Non, je pense qu'il y a plusieurs modèles différents, mais, en ce moment, ça dépend beaucoup, d'une région à l'autre, des ressources disponibles puis aussi, je pense, à quel point l'interniste est à l'aise avant de référer dans un centre spécialisé ou non, tu sais. Ce que j'ai vu dans les régions, c'est pas mal ça.

M. Barrette : En tout cas, je peux vous dire une chose, si le projet de loi passe, vous allez voir un univers nouveau s'ouvrir devant vous, là.

Je voudrais terminer là-dessus, parce qu'il ne me reste pas beaucoup de temps, 45 secondes, je peux vous rassurer, dans notre vision du projet de loi n° 10, quand on parle de performance... vous avez raison, je suis d'accord avec ce que vous dites quand vous dites que la performance, ça peut vouloir dire bien des choses : ça peut vouloir dire la qualité, ça peut vouloir dire la production, ça peut vouloir dire un ensemble de choses, mais c'est vraiment la performance au sens, évidemment, clinique que l'on recherche, mais on ne peut pas, à mon avis, faire abstraction du fait qu'il doit y avoir quand même des volumes qui soient attendus et délivrables pour des raisons de gestion des deniers publics. Je comprends évidemment votre appréhension et j'y souscris, mais je tiens à vous rassurer : L'objectif n'est pas de marchandiser la médecine ou de la réduire à des simples quantités et des colonnes de chiffres; il y a des patients qui sont en travers de ça. Mais, malgré tout, compte tenu du fait qu'on a des budgets à gérer, il y a un élément performance qu'on n'a pas le choix d'aborder. Merci.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. C'est malheureusement tout le temps que nous avons. Je passe maintenant... Je cède maintenant la parole à la députée de Taillon pour un bloc de 13 minutes.

Mme Lamarre : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue. Je suis très contente que vous ayez pu présenter. Je vous remercie pour votre mémoire. Ne vous en faites pas pour les coquilles. Déjà, que vous l'ayez souligné, ça témoigne de votre rigueur, et elle est tout à fait reconnue.

Par rapport à votre préoccupation pour la tendance vers le privé, je dois vous dire qu'il y a certains indices qui sont préoccupants et qui, effectivement, nous laissent croire qu'à force de laisser se désintégrer un système on va faire en sorte que les gens vont souhaiter que, dans le fond, on paie puis on règle la situation plus rapidement. Et, devant la constance... Moi, depuis 2009... Quand je suis arrivée à la présidence de l'Ordre des pharmaciens, déjà on disait qu'on avait 25 % des Québécois qui n'avaient pas de médecin de famille. Ça, c'est 2 millions sur 8 millions. On est même montés jusqu'à 29 %, on a toujours ce problème-là, et ce n'est pas ça qui est notre préoccupation, actuellement. Donc, c'est sûr que cette absence, vraiment, cette carence, cette privation d'accès, elle amène des gens automatiquement ailleurs.

Et, la population qui nous écoute, là, ce qu'ils veulent surtout, c'est... Les papas, les mamans qui ont des petits enfants, qui sont obligés, quand l'enfant pleure durant la nuit, d'être, à 6 heures du matin, dehors, en attendant, sur le palier de la clinique médicale, pour pouvoir rentrer et espérer être dans les 30 premiers chanceux qui vont avoir une place, c'est ça qui les préoccupe. Les gens, ce qu'ils veulent, c'est... Quand ma patiente de 92 ans, il y a quelques mois, qui a commencé un zona le vendredi midi, qui a dérangé son jeune fils de 70 ans qui travaille encore à Montréal, qui est venu la chercher, qui l'a amenée dans une clinique médicale, qui l'a amenée à l'urgence, et où c'était impossible d'avoir accès pour faire soigner son zona, a été obligée de retourner le lendemain matin, à 6 heures du matin, attendre pour avoir une place à 11 heures, c'est ça que les gens ne veulent plus.

Et il y en a, des moyens, pour y arriver, il y a la reddition de comptes des GMF. Le gouvernement est là maintenant depuis sept mois, on nous avait promis qu'il y aurait une reddition de comptes sur les heures d'ouverture, on ne l'entend pas, il n'y a pas un mot qui est dit là-dessus. Moi, je ne vois pas de mécanisme de suivi là-dessus. Alors, il y en a d'autres, mécanismes, pour améliorer l'accès à l'urgence : la bonne personne au bon endroit. On a parlé des infirmières, des optométristes, des physiothérapeutes, des pharmaciens, il y a plein de potentiels qu'on peut utiliser déjà dans notre organisation sans tout travailler au niveau des structures.

Donc, l'espèce de non-dit... Parce qu'on n'entend pas le ministre se prononcer du tout sur ces enjeux-là. Et, tout mettre son énergie sur un projet, le projet de loi n° 10, j'ai l'impression un peu que c'est comme si, quand le toit coule, on pensait engager un architecte pour réaménager les pièces de la maison. Le toit coule, là, il faut arrêter le toit de couler, il faut prendre des mesures concrètes. Et je pense que c'est un peu ça, le cri d'alarme que vous donnez par rapport à votre conscience et votre proximité des patients.

Alors, ce que je me dis, c'est que c'est préoccupant. Quand le ministre dit que ce n'est pas vers le privé, je regarde le modèle de la capitale nationale où on va avoir 89 établissements avec 28 000 employés, c'est toute une organisation à... Et, quand on regarde, en fin de semaine, finalement, la Fédération des chambres de commerce du Québec qui applaudit au projet de loi n° 10 et qui dit que ça va assurer... il faut absolument mettre des hommes d'affaires dans les sept postes où on va avoir les conseils d'administration... Si le ministre veut nous rassurer, qu'il précise déjà que ce ne seront pas des hommes d'affaires. Déjà, ça va nous donner une indication de sa ferme volonté à ne pas permettre que ça tourne vers ça.

Et, quand on dit, dans cet article, là : Les secteurs de l'entretien ménager, des services informatiques, de la gestion du parc immobilier, des chirurgies d'un jour, de l'hébergement et des soins de longue durée ainsi que des soins à domicile, écoutez, c'est tout un pan de mur, ça, de notre système de santé et de la continuité des soins. Alors, en même temps, on veut une intégration qui, semble-t-il, va nous permettre de tout relier, mais on voit bien qu'on a des morceaux dans ça qu'on pourrait échapper.

Alors, qu'est-ce que vous voyez comme élément de... qu'est-ce que vous voyez... Parce que je trouve aussi que vous représentez bien les deux milieux. Moi, j'ai entendu beaucoup qu'une partie des problèmes, au-delà des solutions que j'ai proposées, était beaucoup dans les liens entre les médecins spécialistes et les médecins de famille. Il semble y avoir des interruptions, des difficultés d'information. Est-ce qu'on ne peut pas régler des choses comme ça avec des moyens simples, sans tout remettre en question au niveau de notre système de santé?

• (21 h 10) •

Mme Leblanc (Isabelle) : Bien, il y a plusieurs moyens, mais vous parliez tout à l'heure des problèmes d'accès. Oui, les heures d'ouverture des GMF, c'est sûr, accès à voir des médecins en dehors des heures de bureau. Mais il faut parler des frais accessoires, il faut parler des patients qui doivent payer pour aller voir leurs médecins, que ce soient des frais qui soient légaux ou illégaux. C'est quelque chose qu'on voit beaucoup à Montréal, on voit ça beaucoup à Québec, il y en a beaucoup sur la Rive-Sud. Pas des médecins privés, là, pas des gens qui sont hors RAMQ. Pour aller voir votre médecin de famille, pour aller voir votre gastroentérologue, votre gynéco, il faut payer des frais, votre ophtalmo, il faut payer des frais. Ça, c'est un gros problème pour l'accès. Si ça, ça pouvait être réglé, probablement que ce serait plus facile, déjà, pour les patients d'avoir accès à certains médecins, certains médecins spécialistes.

La liste d'épicerie de choses qui peuvent être privatisées... Il y en a beaucoup qui le sont déjà : l'entretien ménager, les cafétérias, il y a beaucoup de choses qui sont en train d'aller du côté de la privatisation.

Est-ce qu'il y a d'autres solutions que le projet de loi n° 10 pour les problèmes d'intégration? Oui. Ce qui va être intéressant de voir avec le projet de loi n° 10, c'est pour les médecins de famille qui, comme moi, travaillent en établissement, on va être dans les CISSS. On nous promet une meilleure intégration, mais on va voir si ça va être plus facile pour nos patients d'aller voir des spécialistes, d'aller voir d'autres professionnels de la santé sans avoir à payer. Mais les médecins de famille qui travaillent en cabinet, ils vont être encore plus éloignés, probablement, de la grosse structure. Peut-être qu'ils vont se trouver encore plus aliénés de la situation. Ça, c'est quelque chose qui est inquiétant, aussi.

Mais c'est sûr qu'il y a beaucoup de solutions pour améliorer les choses sur le terrain. Encore une fois, je pense que le Québec est un endroit qui est très vaste et qu'il y a vraiment différentes façons de faire les choses selon les régions. Puis ça, c'est autre chose. Je pense qu'avec les mégafusions certaines des institutions qui ont vraiment un côté régional risquent d'être perdues un petit peu dans les fusions territoriales.

Mme Pelletier (Karyne) : Je trouve que vous l'avez bien mentionné tantôt : Les préoccupations des patients, elles sont vraiment concrètes, elles sont pragmatiques. C'est sur le terrain, c'est ce qu'ils vivent quand, en situation d'urgence, ils ont besoin d'avoir accès à un médecin ou à un autre spécialiste professionnel de la santé. Puis, tu sais, peut-être que, ce soir, on n'a pas toutes les solutions d'emblée, mais je pense que le fait qu'aux paliers de gestion, dans les conseils d'administration, par exemple, il n'y ait plus du tout de participation citoyenne puis qu'on ait juste des hommes d'affaires, ce n'est certainement pas la solution, je pense, pour se rapprocher des besoins de la population. Il y a comme une inadéquation, là, évidente, à mon sens, à ce niveau-là.

Mme Leblanc (Isabelle) : Puis je pense que les soignants aussi, les gens du milieu de la santé, les médecins, les pharmaciens, les dentistes pour les CMDP, puis les autres personnes, vont perdre encore plus leur voix. Puis probablement que la solution passe par eux, aussi. Je ne pense pas vraiment que les solutions peuvent être imposées de haut en bas. Je pense qu'il faut que les gens achètent un petit peu le nouveau modèle, s'il est pour y avoir un nouveau modèle. Puis ce n'est pas en ayant des CMDP qui vont être énormes, où les gens devront faire probablement une heure d'auto pour se rendre à leurs réunions trimestrielles... ça risque d'être vraiment problématique. Donc, voir un peu ce qui se passe puis consulter les gens, c'est probablement ce qui serait essentiel.

Mme Lamarre : Il y a quand même des régions, je crois, qui fonctionnaient assez bien avec le modèle actuel, donc peut-être aller voir qu'est-ce qui fonctionnait. On a parlé du bassin de population. Avec des populations de 500 000 et moins, il semble y avoir des moyens de bien fonctionner dans notre structure actuelle, toujours en ajoutant des orientations probablement plus claires et une imputabilité qu'on suit vraiment. Et ça, je pense, ça prend le courage de vraiment faire... de suivre les engagements que les gens ont pris dans les ententes.

Je laisse la suite à mon collègue député de Rosemont.

M. Lisée : Merci à toutes les deux. Moi, je ne suis pas un spécialiste des questions de santé, mais je suis le critique pour les services sociaux, mais ça m'intéresse beaucoup de savoir comment on peut améliorer le système de santé. J'en suis un utilisateur, notamment depuis que je suis père d'enfants, je l'ai connu encore plus de cette façon-là, pas pour mon cas personnel. Mais je suis... j'aime... Je suis un tenant du pouvoir citoyen et je pense qu'effectivement il y a des grandes orientations qui doivent être décidées par ce temple de la démocratie, il y a des décisions qui doivent être prises, il y a la reddition de comptes qui doit être faite à la fois dans les services, dans l'administration et chez les médecins. Mais qu'un système aussi... s'il est large, s'il est important, pour être en santé, il doit avoir de la participation citoyenne.

Alors, vous nous donnez un chiffre, vous dites : En 2005, à l'époque, avant, des réformes, il y avait 800 représentants de patients, au total, sur les conseils d'administration partout au Québec. Après la réforme du ministre, il y en aura 28. On est passés de 800 à 28. Et vous dites : Le partage des pouvoirs et la participation citoyenne qui permettent cette gestion locale essentielle au bon fonctionnement de tout système de santé et de toute société démocratique seront évacués par le projet de loi.

Bon, moi, je donne le bénéfice du doute au ministre, hein? Je pense qu'il veut bien faire. Et je l'entends, grâce à vous, expliquer ce qu'il veut faire. Il dit : On le sait, ce qui ne fonctionne pas dans le système. Moi, j'ai les cheveux... plus de sa couleur d'origine, alors j'ai connu des réformes, et il sous-entend qu'avant de les perdre, ses cheveux, il voudrait que ça marche une fois pour toutes. Et, comme il sait ce qu'il faut faire pour assurer l'intégration puis le continuum de soins, il a décidé de virer tout le monde qui ne voulait pas aller dans la bonne direction, réduire le nombre de conseils d'administration, réduire le nombre d'établissements. Bon, on a eu des spécialistes qui sont venus puis qui ont dit : Écoutez, toute la science de l'administration de la gouvernance nous dit que ce type de fusion là ne donnera aucun impact positif.

Mettons ça de côté. Est-ce que... On sent, puis dans le dialogue que vous avez eu, que vous aussi, vous voulez le continuum de soins puis vous voulez l'intégration. Puis, en fait, sur le diagnostic, vous ne me semblez pas très loin, O.K.? C'est sur le remède. Bon, est-ce que vous pouvez, en réponse à ma question, expliquer au ministre qu'il pourrait avoir son objectif de continuum de soins et d'intégration et que ça irait encore mieux s'il laissait la démocratie locale, la rétroaction, le pouvoir citoyen des usagers s'approprier cette réforme-là et l'appuyer plutôt que de disparaître?

Mme Leblanc (Isabelle) : Je pense qu'on a mentionné ça quelques fois, mais on peut peut-être rementionner. Puis l'autre chose, je pense, qui risque d'être problématique, c'est que ce n'est pas facile de gérer des médecins. Les médecins, ce n'est pas des gens... Non, mais il faut le dire. Je connais moins les autres professions, mais ce n'est pas facile, vous le savez probablement encore mieux que moi. Puis, en général, si les médecins ne sont pas à l'aise avec un nouveau système, ça ne fonctionne pas très bien.

Puis juste ça, si on regarde... Juste, moi, ce que je connais, les médecins, nos réunions, ça risque d'être vraiment difficile d'arriver puis de dire : Bon, on bouleverse tout le système, puis, oui, il y a des bons... des buts à la fin, des objectifs qui vont être adéquats à la fin, mais vous ne les voyez pas dans ce projet de loi là, ça va venir, ça risque d'être difficile. Puis je pense qu'en consultant puis en voyant dans les milieux comment les choses fonctionnent, c'est comme ça que les gens vont pouvoir décider que ça vaut la peine de se taper les deux, trois ans de déstabilisation que la réforme va créer, parce que...

M. Lisée : Dans les 30 secondes qu'il me reste, là, c'est que le ministre, il dit : Je les connais, moi, les médecins, puis effectivement ils n'écouteront pas. Alors, je veux avoir tout le pouvoir pour leur dire : C'est par là qu'on va! Mais est-ce qu'en siphonnant tous les autres lieux de pouvoir ça aide ou ça nuit à la capacité de dire aux médecins comment faire?

Mme Leblanc (Isabelle) : D'emblée, ils ont une belle expression où ils disent qu'«essayer de faire une réunion de médecins, c'est comme essayer de faire un troupeau de chats». Ça fait que j'imagine tout le temps le gars avec son lasso qui essaie d'attraper des chats qui courent partout, je pense que c'est pas mal comme ça.

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Alors, je cède la parole au député de La Peltrie pour une période de 8 min 30 s.

M. Caire : Merci, M. le Président. Bonjour à vous deux. Merci de votre présentation. Écoutez, d'entrée de jeu, je dois vous admettre qu'il y a plusieurs éléments de votre présentation avec lesquels je suis plus ou moins d'accord. En fait, je vous dirais qu'il n'y a pas beaucoup d'éléments avec lesquels je suis d'accord. Notamment, quand vous nous parlez de participation citoyenne, là, vraiment, là, à part dans l'imaginaire collectif, je ne vois pas où il y avait une participation citoyenne quand on parle de moins de 1 % de participation dans les élections des conseils d'administration. Le Vérificateur général a même dit que cette structure-là était dysfonctionnelle. Puis, pas plus tard qu'hier ou avant-hier, la Protectrice du citoyen est venue dire que, compte tenu du contexte d'abandon total des citoyens de cette structure-là, il était justifié de les abolir.

Ça fait que j'essaie de voir, là... Puis, tu sais, ce n'est pas des méchants capitalistes qui sont venus nous dire ça, là. La Protectrice du citoyen, normalement, elle a quand même le mandat de s'assurer justement que le citoyen est bien représenté. Alors, j'ai de la difficulté à m'expliquer cette position-là que vous défendez, là, vraiment, honnêtement.

Mme Leblanc (Isabelle) : On est plus... On fait de la représentation. Donc, auparavant, il y avait un représentant de la population générale puis un représentant des patients, des usagers, qui étaient sur chacun des conseils d'administration. Pour avoir vu certaines de nos réunions de conseil d'administration où on parlait de sujets en particulier, ils avaient un point de vue qui était différent que celui des soignants, que celui des administrateurs. Puis là ils n'ont aucun endroit où... Le patient, il peut faire une plainte contre son médecin, mais c'est à peu près tout. Il n'y a plus aucun endroit où il peut aller parler de comment fonctionne le système, parler, justement... Ils ont des problèmes d'accès, mais où ils vont pouvoir en parler, où ils vont pouvoir amener les problèmes qu'ils vivent? Il n'y aura plus d'endroit pour eux.

Mme Pelletier (Karyne) : Moi, je pense que c'est le rôle... Pardon.

• (21 h 20) •

M. Caire : Vous ne pensez pas que les comités d'usagers peuvent faire ce travail-là? En fait, la Protectrice du citoyen disait elle-même que, oui, il fallait maintenir les comités d'usagers en place, leur donner des moyens. Tout à l'heure, les représentants... la COPHAN sont venus nous dire sensiblement ça, aussi. Donc, cette tribune-là, pour vous, des comités d'usagers, ce n'est pas une tribune qui est suffisante, ce n'est pas une tribune qui est pertinente?

Mme Leblanc (Isabelle) : C'est que c'est extrêmement pertinent, mais les comités d'usagers, en général, donnent plus leurs opinions sur ce qui ne va pas, ils ne donnent pas leurs opinions sur où on s'en va. Puis les conseils d'administration souvent vont plus parler d'orientations, de choix. C'est sûr que, bon, on parle, là, des établissements comme on les connaît, qui sont plus petits puis qui font partie d'une communauté, et, dans cette communauté-là, il y a des gens qui ont envie de venir s'exprimer sur le type de soins ou le type d'orientations que les hôpitaux ou les établissements, les CLSC, les CSSS doivent... les objectifs qu'ils doivent essayer de combler ou les orientations qu'ils doivent prendre. Peut-être que, dans une mégastructure où il y a 10 ou 12 établissements, ça, ça ne deviendra plus nécessaire. Mais, en ce moment, ça peut être important pour les gens de pouvoir donner leurs points de vue.

Mme Pelletier (Karyne) : En n'étant pas sur le terrain, on voit moins bien peut-être la participation citoyenne, la participation vraiment des patients. Mais des regroupements de patients, ça existe, il y en a plusieurs. Puis, MQRP, c'est d'ailleurs dans nos mandats, dans nos objectifs de créer des alliances avec les regroupements de patients qui ont, tu sais, des champs d'intérêt ou des mandats différents mais qui sont là pour plutôt proposer justement des solutions pour la première ligne, pour mieux répondre à leurs besoins, ce qui est moins le rôle du comité de l'usager, par exemple, qui a un rôle tout à fait pertinent mais qui est différent. Puis ces regroupements-là, ils existent, puis on collabore avec eux d'un point de vue local, chose que ça va être moins possible quand le niveau de gestion local, justement, va être pas mal diminué, là, avec le projet de loi.

M. Caire : Mais je regardais le profil des gens sur le comité d'administration, puis vous ne pensez pas que, des gens qui amènent une compétence très particulière dans différents champs d'activité, ce n'est pas de nature à le rendre plus efficace? Je sais que vous n'aimez pas le mot «performance», donc je m'abstiendrai, mais vous ne pensez pas que ça va le rendre plus efficace, puis ce n'est pas... Est-ce qu'ultimement le but du réseau de la santé, ce n'est pas d'être efficace? Je veux dire, on est là pour soigner les gens, là. Je comprends qu'on peut lui donner toutes sortes d'autres tâches connexes, là, mais moi... Puis je vous donne un exemple, là : en pédopsychiatrie actuellement, le temps d'attente, c'est deux ans. C'est scandaleux. Je veux dire, le système échoue lamentablement. Puis je peux vous donner des exemples comme ça parce que... je ne suis pas sur le terrain, mais, comme usager avec mes enfants, comme le disait le député de Rosemont tout à l'heure, on consomme des soins de santé, puis je peux vous dire qu'à plusieurs, plusieurs, plusieurs égards le système de santé actuellement, il échoue lamentablement. Donc, comme médecins, j'imagine que vous êtes d'accord avec moi que, si un traitement ne fonctionne pas, il faut changer le traitement. Le système ne fonctionne pas, il faut le changer, parce qu'il nous coûte des...

Mme Leblanc (Isabelle) : Quand le traitement ne fonctionne pas, il faut des fois se demander si on essaie de soigner le bon problème, aussi. Puis est-ce que le problème, c'est vraiment la gouvernance en ce moment? Est-ce que le problème, c'est vraiment qu'il y a trop d'établissements? Est-ce que le problème, c'est qu'il y a des patients puis des usagers... il y a des patients puis des membres de la population sur le conseil d'administration? Est-ce que le problème est autre? Puis je pense que c'est un peu la question qu'on pose aussi.

Vous avez raison, si le traitement ne marche pas, on change de traitement. Mais on s'arrête, on prend une pause, puis on se dit : O.K., mais est-ce qu'on traite la bonne chose? Puis on a combien de réformes, là, qui n'ont pas vraiment amélioré les choses?

M. Caire : Mais, à titre d'exemple, on a dit : Le système est sous-financé. Bon, bien, depuis 10 ans, le budget de la santé a augmenté de 64 %. On nous a dit, il y a 10 ans : On est en pénurie de médecins. Le nombre de spécialistes a augmenté de 23 %, le nombre d'omnipraticiens, c'est un peu moins que 20 %, et, les pharmaciens, c'est autour de 25 %. Là, on ne parle plus de pénurie. Et ce que le Commissaire à la santé nous dit récemment, c'est que les délais d'attente dans les urgences augmentent, les délais d'attente ou le délai sur les chirurgies, ça augmente. Donc, les indicateurs de performance, là, puis je ne veux pas vous choquer en disant ça, nous indiquent que le système échoue.

Alors, si le problème, ce n'est pas le sous-financement, si le problème, ce n'est plus la pénurie de personnel, c'est quoi, le problème? Parce qu'en attendant nous, les patients, on attend. Ça fait que moi, je veux bien, là, qu'on défende le système, puis qu'on ne veut pas aller au privé, puis qu'on ne veut pas faire ci, puis qu'on ne veut pas faire ça, mais quelles sont nos alternatives, à nous, les patients, qui sommes sur des listes d'attente ou qui croupissons dans des salles d'attente pour voir un médecin et qui, dans une proportion extrêmement large, quittons l'urgence sans avoir vu le médecin? Pourquoi? Parce qu'on est tannés d'attendre puis qu'on a d'autres choses à faire dans la vie. Un système qui nous coûte 44 % de notre budget, c'est quoi, le problème?

Mme Pelletier (Karyne) : J'aimerais bien vous répondre par une question aussi. Si la solution que vous proposez, c'est d'amener plus de privatisation puis une concurrence entre le privé puis le public... On s'entend que le nombre de médecins, c'est un nombre limité, qui est fini. S'il y a 30 %, par exemple, des médecins qui vont passer dans un système strictement privé, ce n'est pas ça qui va faire... qui va aider à diminuer la liste d'attente pour les patients au public. Il n'y aura pas plus de médecins pour répondre à la demande, puis il va y avoir le même nombre de patients, ils vont juste être divisés dans des silos différents. Ceux qui vont avoir accès peut-être plus rapidement, c'est ceux qui vont avoir des moyens financiers pour le faire. Donc, je vous renvoie la question dans ce sens-là.

M. Caire : Je vous entends ce soir, à cette heure-là, parce que je me dis : Vous devez avoir des solutions. Parce qu'il y a une liste très longue de choses que vous ne voulez pas, mais la liste des choses que vous souhaitez m'apparaît beaucoup plus courte. Alors, comment fait-on pour améliorer le système? Vous me dites : Je ne veux pas de la privatisation. Parfait. Je ne veux pas de la performance. Parfait. Je ne veux pas de la concurrence. Parfait. Mais comment est-ce qu'on fait pour les soigner, les patients, d'abord? Parce qu'à date on a... tout ça, on ne l'a pas, il n'y a pas de privatisation, il n'y a pas de concurrence, il n'y a pas de performance, il n'y a même pas d'évaluation. Tout ce que vous voulez, c'est en place, et le système échoue. Comment on le fait fonctionner?

Mme Leblanc (Isabelle) : Il y a de la privatisation. Puis, la performance, il faut la définir, mais des bons soins de santé pour les patients, c'est ça, être performant. Ça ne veut pas dire non plus le nombre... ce n'est pas nécessairement le nombre d'actes, le nombre de patients vus divisé par le nombre d'heures où vous avez travaillé, parce que, souvent, faire un bon travail avec des patients, ça prend un petit peu plus de temps. Mais c'est sûr qu'un des problèmes c'est un problème d'organisation. Puis on ne dit pas le contraire, il y a probablement une façon de faire une réorganisation. Mais on ne pense pas que la réorganisation se fait en enlevant les structures actuelles puis en mettant encore une organisation très hospitalocentriste. Quand tout tourne autour des hôpitaux... Dans les CISSS, peut-être que tout devrait tourner autour des soins de santé primaires. Peut-être qu'on devrait revoir à nouveau les cliniques, les cabinets...

M. Caire : Donc, vous amenez une piste de solution, allons-y.

Mme Leblanc (Isabelle) : ...puis tourner autour de ça.

M. Caire : Faire tourner ça autour des soins de santé primaires...

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup...

M. Caire : Comment on fait ça?

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. Merci. C'est tout le temps dont nous disposons. Je cède maintenant la parole à notre collègue députée de Gouin pour une période de trois minutes.

Mme David (Gouin) : Merci, M. le Président. Contrairement à mon collègue de la deuxième opposition, c'est sûr que moi, j'ai beaucoup d'affinités avec ce qui a été présenté ce soir. J'aimerais dire à mes collègues que la participation citoyenne, quand elle est encouragée, c'est quelque chose d'assez génial. Il y a un exemple qui est assez connu au Québec, c'est la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles. Je vous invite à aller la visiter parce que voilà un très beau modèle de participation citoyenne qui mériterait, tiens, justement, d'être disséminé partout à travers le Québec.

Ce qui me frappe beaucoup aussi ce soir, c'est deux phrases de notre collègue le ministre. Il dit : Le mouvement — parce qu'on est d'accord qu'il faut qu'il y ait du mouvement dans tout ça, là, ça, là-dessus, je pense qu'on s'entend — il doit venir de l'autorité. J'ai trouvé ça intéressant. Je pense que, là, le ministre s'assume. Il nous dit l'exacte vérité : Il va imprimer le mouvement. Et il nous dit aussi que la première ligne n'est pas visée par le projet de loi n° 10.

Or, pour répondre à la question de mon collègue — je n'aurai pas beaucoup de questions pour vous, je suis désolée, parce qu'on est un peu d'accord — oui, il y en a, des solutions pour régler les problèmes que mon collègue a mentionnés. Parce qu'ils sont réels, ces problèmes-là. Je les vis, moi aussi; autour de moi, c'est pareil. Et je pense que les personnes qui sont venues présenter un mémoire ce soir nous en ont parlé quand elles disent : Il faut mettre, justement, toutes les ressources... pas toutes les ressources, mais une bonne partie des ressources sur la première ligne. Il faut donner plus de place aux infirmières praticiennes. Les pharmaciens sont venus nous dire : Donnez-nous des possibilités de poser plus de gestes. Bien, voilà déjà des solutions, me semble-t-il, à un certain nombre de problèmes. Alors, dans le temps qu'il reste, je vais vous demander : Avez-vous d'autres pistes?

Mme Leblanc (Isabelle) : Bien, c'est vraiment ça, c'est vraiment de s'assurer que tous les gens peuvent avoir accès à des soins de santé primaires qui ne sont pas nécessairement faits seulement par des médecins omnipraticiens, il y a beaucoup d'autres professionnels de la santé qui peuvent collaborer.

Puis je pense que l'autre chose aussi, c'est, si tout le monde peut avoir quelqu'un qui s'occupe de leurs soins de santé de base, peut-être éviter des consultations, des consultations qu'on voit beaucoup chez nos collègues spécialistes, qui se consultent les uns les autres, alors que, souvent, si on retourne au médecin de famille ou à l'infirmière praticienne spécialisée, beaucoup de ces consultations-là peuvent être évitées. Puis, si nos patients ont accès à nos consultations sans avoir à payer, c'est un gros plus aussi, là.

Mme Pelletier (Karyne) : Ça me fait penser que... Je pense qu'on l'a mentionné rapidement dans le mémoire, mais aussi, au sein même de la formation médicale puis de l'approche médicale, il y a beaucoup de surdiagnostics, de traitements, de tests d'imagerie qui sont prescrits sans réelle... comme preuve...

Mme Leblanc (Isabelle) : Pertinence.

Mme Pelletier (Karyne) : ...c'est ça, sans réelle pertinence clinique, là, démontrée, qui sont faits des fois par peut-être l'inexpérience, pour répondre aux demandes du patient. C'est complexe, là, mais je pense qu'il y a une avenue aussi à étudier par rapport au sein même de la formation des médecins puis des autres professionnels de la santé. Puis je... Ah! c'est terminé?

Le Président (M. Tanguay) : Merci beaucoup. J'allais vous laisser le soin de terminer votre phrase. Alors, merci beaucoup aux représentantes des Médecins québécois pour le régime public.

Compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux jusqu'à demain matin, après les affaires courantes. Merci.

(Fin de la séance 21 h 30)

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