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Version finale

31e législature, 4e session
(6 mars 1979 au 18 juin 1980)

Le vendredi 21 septembre 1979 - Vol. 21 N° 186

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Auditions concernant le projet de loi no 17 - Loi sur la santé et la sécurité au travail


Journal des débats

 

Projet de loi no 17 Présentation de mémoires

(Neuf heures quarante-deux minutes)

Le Président (M. Dussault): À l'ordre, s'il vous plaît!

Mesdames et messieurs, nous allons commencer les travaux de la Commission permanente du travail et de la main-d'oeuvre qui a le mandat de faire l'audition de mémoires sur le projet de loi no 17, Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Sont membres de cette commission: M. Bellemare (Johnson), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Gravel (Limoilou), remplacé par M. Jolivet (Laviolette), M. Johnson (Anjou), remplacé par M. Marois (Laporte), M. Lavigne (Beauharnois), M. Mailloux (Charlevoix) et M. Pagé (Portneuf).

Les intervenants sont: M. Brochu (Richmond), M. Forget (Saint-Laurent), M. Gosselin (Sherbrooke), M. Laplante (Bourassa), M. Lefebvre (Viau), M. Paquette (Rosemont), M. Springate (Westmount), M. Samson (Rouyn-Noranda).

Nous avons sur la liste des intervenants d'aujourd'hui, les groupes suivants et je prierais les porte-parole de s'identifier pour constater la présence: le Collectif socialisme-santé, présent; l'Unité de recherche sur l'abus des drogues et de l'alcool, unité RADA, présente: M. Robert Fernet, présent; M. Yves Morisset, présent et le Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais Inc., présent.

Ceci dit, j'invite le Collectif socialisme-santé à se présenter devant la commission.

M. Pagé: M. le Président, pendant que nos invités vont prendre place, il y avait également le dépôt, je crois, du mémoire no 44, ce matin, pour dépôt seulement, le mémoire de M. Jean Rochon.

M. Jolivet: Je sais qu'il ne vient pas. Il ne pouvait pas venir ce matin.

M. Pagé: À ce moment-là, j'en fais une question au ministre ou à l'adjoint parlementaire. Est-ce que la signification, à savoir qu'il ne pouvait pas venir ce matin, impliquait un dépôt seulement ou est-ce qu'il préférerait être entendu plus tard?

M. Jolivet: On nous a dit que pour le moment, il ne lui était pas possible de revenir donc, on pourrait — à moins qu'il y ait un avis contraire — en faire le dépôt. S'il venait, on serait quand même prêt à l'entendre dans les deux jours qui restent, les 4 et 5 octobre prochains. Je pense qu'il doit quitter le Québec.

Le Président (M. Dussault): De toute façon, le secrétariat des commissions n'en a pas entendu parler. Alors, je me demande s'il ne faudrait pas attendre tout simplement s'il y a manifestation de

M. Rochon auprès du secrétariat des commissions, de façon à ne pas lui créer préjudice, d'accord?

M. Pagé: D'accord. (9 h 45)

M. Jolivet: J'ai une chose à ajouter, M. le Président. Les policiers de la CUM qui doivent venir dans les deux dernières journées, je ne me souviens pas si c'est le 4 ou le 5, le rapport vient d'entrer aujourd'hui et nous sera distribué, ou il entrera sous peu d'après l'appel que le secrétariat des commissions a reçu. Donc, le rapport des policiers de la CUM nous sera distribué aussitôt qu'il arrivera.

Le Président (M. Dussault): Je vous remercie du renseignement. Je prie le porte-parole du Collectif socialisme-santé de s'identifier et de nous présenter ses collègues.

Collectif socialisme-santé

M. Mongeau (Serge): Je suis Serge Mongeau. À ma gauche, M. Jean Thibeault et à ma droite Marc Renaud.

Le Collectif socialisme-santé est un regroupement de citoyens intéressés au problème de la santé et au type de société dans laquelle on vit. Il se compose de médecins, infirmières pharmaciens, épidémiologistes, psychologues, sociologues, anthropologues, journalistes, étudiants et étudiantes en médecine. Il s'est prononcé publiquement déjà, entre autres, contre l'exploitation de la maladie à des fins commerciales et lucratives, pour la démédicalisation de certains actes de la vie de tous les jours, contre le type de formation donnée au médecin qui le prépare mal à jouer son rôle social, pour l'abolition du réseau parallèle de médecine privée, contre la suprématie donnée au médecin dans le domaine de la santé, alors qu'il ne devrait être qu'un membre parmi d'autres au sein d'une équipe.

Le Président (M. Dussault): Est-ce que vous êtes en train de nous lire votre mémoire...

M. Mongeau: Non.

Le Président (M. Dussault): ... ou si vous ne faites que la présentation? D'accord!

M. Mongeau: Je vous présentais un peu le collectif et le mémoire, nous allons le présenter en trois parties. D'abord, Marc Renaud va nous parler de l'exposition aux risques physiques et aux substances chimiques. Jean Thibeault va nous parler des autres risques et je reviendrai vous parler des services de santé.

Le Président (M. Dussault): D'accord! Il est convenu entre les membres de la commission que l'on demande aux intervenants de nous pré-

senter leur mémoire à l'intérieur de 20 minutes. On vous prierait, s'il vous plaît, de faire cet effort. D'accord?

M. Renaud (Marc): La première partie que je voudrais aborder, c'est le problème d'exposition aux agents toxiques. Je voudrais d'abord vous signifier que l'objectif de notre mémoire est moins d'apporter un questionnement sur les aspects très précis du projet de loi que d'apporter une interrogation par rapport à la philosophie d'ensemble à l'intérieur de laquelle s'inscrit le projet de loi en question.

Comme le disait Serge, nous sommes un groupe de gens impliqué dans le domaine de la santé et au prix de très nombreux débats on essaie de s'interroger sur l'avenir des systèmes de santé et sur ce qui doit être fait pour améliorer la santé de la population. Dans ce sens-là, on n'est pas lié à des intérêts particuliers et ce n'est pas notre rôle de nous pencher sur des aspects très précis de la loi.

Nous reconnaissons au départ que le projet de loi fait considérablement avancer la gestion des problèmes de santé liés au travail et, selon notre connaissance, c'est certainement un des projets de loi le plus à l'avant-garde des diverses législations dans ce secteur-là en Amérique du Nord. Cependant, nous avons une objection qui est fondamentale à l'approche principale apportée à l'intérieur de ce projet de loi. Cette approche se situe dans la logique fondamentale selon laquelle les sociétés ont depuis cent ans, selon nous, pris en charge les problèmes de santé et de maladie.

C'est une logique qui, croyons-nous, est vouée irrémédiablement à conduire à de très nombreux échecs si elle devient présente dans l'ensemble des lois gouvernementales dans le secteur de la santé. C'est ce qu'on voudrait expliquer dans ce mémoire.

Pour dire cela très brièvement, avant de rentrer dans le mémoire directement. Il nous semble que toute l'approche qui est faite à l'intérieur du projet de loi et du livre blanc, est une approche par les risques, c'est-à-dire que fondamentalement, on dit: Dès qu'un risque est découvert, dès qu'il y a facteur de risque, on va faire en sorte de mobiliser un appareil gouvernemental quelconque pour que les travailleurs puissent être protégés par rapport à ce risque.

Le projet de loi, dans ce sens, va beaucoup plus loin que dans le passé, où c'était souvent uniquement sous des pressions syndicales qu'on agissait, par rapport à des risques, mais il reste, néanmoins, que le fait d'approcher le problème uniquement par les risques, c'est encore une fois l'approcher uniquement par le bout de la ligne, par un bout de "patchage" pour ainsi s'exprimer.

Selon nous, pour arriver à faire une véritable prévention dans le secteur de la santé au travail, il faut davantage s'axer sur l'exposition nulle comme postulat de base. En ce sens, il y a quatre éléments que je voudrais essayer très rapidement de développer à partir du mémoire: d'abord essayer d'examiner quels sont les postulats qui sont en réalité sous-jacents au livre blanc et probablement au projet de loi également. Deuxièmement, développer le concept d'exposition nulle et troisièmement, montrer que ce postulat d'exposition nulle n'est en réalité pas plus utopique ou pas plus farfelu que ce qui est contenu comme postulat à l'intérieur du livre blanc et, finalement, essayer d'examiner quelles sont les indications concrètes de ce principe, de ce postulat d'exposition nulle par rapport au projet de loi sur la santé et la sécurité du travail.

Le régime proposé dans le livre blanc et qui est sous-jacent au projet de loi se donne comme but ultime, et je cite le texte du livre blanc "l'élimination des accidents du travail et des maladies professionnelles et affirme que pour atteindre le but poursuivi, il faut s'attaquer à l'ensemble des risques qui existent sur les lieux de travail". Le texte avoue que nos connaissances sont limitées et fragmentaires à l'heure actuelle au Québec, particulièrement dans le secteur des maladies industrielles, mais il promet d'intensifier et de mieux orienter les travaux de recherche relatifs à la santé et à la sécurité au travail.

À plusieurs reprises, le texte fait allusion au fait que les programmes de formation, d'information, de surveillance et de compensation sont élaborés à partir de la connaissance des risques professionnels. On prévoit un organisme de recherche et l'établissement d'un système de statistiques qui serviraient à fournir ces connaissances.

À première vue, cette logique qui est présente semble extrêmement séduisante, car elle fait appel à une rigueur toute scientifique. Cependant, ce que nous aimerions faire remarquer, c'est que cette perspective repose sur un raisonnement qui est, par définition, voué à de très nombreux échecs.

Selon nous, deux postulats sont à la base du livre blanc. Premièrement, on croit qu'en multipliant les recherches on arrivera un jour à identifier tous les agents de l'environnement qui pourraient être la cause de maladies. Deuxièmement, on sous-entend que ne peuvent être considérés comme facteurs de risques que ce qui a été démontré scientifiquement comme tels. En d'autres mots, un agent ne peut être considéré comme pathogène que dans la mesure où il a été prouvé par des méthodes scientifiques, dangereux pour la santé.

Laissez-moi brièvement discuter chacun de ces postulats. Il y a donc un postulat qui dit qu'on arrivera un jour à identifier tous les agents potentiellement pathogènes et à agir par rapport à ces agents. Ce postulat a de très profondes racines historiques. Il faut comprendre comment il se fait que notre civilisation se croit maintenant capable d'arriver à identifier l'ensemble des agents pathogènes. Ces racines historiques sont d'abord et avant tout, liées aux luttes contre les maladies infectieuses au tournant du siècle. À la fin XIX et au début du XX siècle, ce qui affligeait le plus l'humanité, c'était les douzaines de maladies causées par un nombre restreint de micro-organismes. Pour chaque maladie, les chercheurs essayaient — avec grand succès d'ailleurs — d'isoler de l'ensemble des agents possiblement pathogènes, le microbe qui pouvait être la cause de cette maladie.

De telles recherches étaient possibles parce que ces microbes laissent des traces dans l'organisme humain pour toute la durée de la vie de la

personne. Par exemple, une personne atteinte du microbe de la variole portera toujours dans son organisme des anticorps qui sont directement liés à la variole et qu'un chercheur peut arriver à déceler.

Ce qui est faux dans l'approche actuelle, c'est qu'on applique exactement la logique qui avait été appliquée par rapport aux maladies infectieuses et qui était préventive dans le cas des maladies infectieuses, à l'ensemble de maladies qui présentent des caractéristiques tout à fait différentes. Les maladies dont souffrent aujourd'hui les populations des pays industrialisés ne sont pas, pour la plupart, causées par des micro-organismes. Par exemple, il y a une multitude de facteurs qui prédisposent directement au cancer du poumon: la cigarette, l'amiante, le nickel, et, selon toute vraisemblance, une multitude d'autres produits chimiques encore mal identifiés.

Le laps de temps pour que se développe une maladie infectieuse n'est en général que de quelques jours et comme nous l'avons vu, le microbe laisse la plupart du temps des traces indélébiles dans l'organisme.

Pour les maladies qui caractérisent notre civilisation, leur apparition après exposition à l'un ou plusieurs des facteurs de risque, ne survient en général, qu'après plusieurs années. De plus, 20 ans après avoir été exposé au nickel, par exemple, un individu peut développer un cancer, sans toutefois qu'il soit possible d'arriver à identifier dans l'organisme l'agent qui a causé le cancer en question. Le nickel, dans notre exemple. Cette caractéristique très particulière des maladies modernes fait que les recherches destinées à identifier les causes de ces maladies sont très longues, coûteuses et difficiles à réaliser. De plus, dans le domaine de la santé au travail, il ne faut pas oublier qu'il existe des dizaines de milliers de produits chimiques auxquels les travailleurs sont exposés et qu'à toutes fins utiles, il n'y a pas moyen de faire des recherches et de faire des protocoles de recherches pour arriver à identifier l'ensemble des risques liés à ces différents produits chimiques.

Il ne faut pas oublier non plus l'existence de ce très grand nombre, de ces milliers de produits chimiques qui sont protégés par les projets de commerce et auxquels les chercheurs ne peuvent pas avoir accès. Dans tout ce contexte, il est impossible pour les chercheurs d'arriver à concevoir et à réaliser des recherches capables d'embrasser la gamme extrêmement vaste et complexe des produits dangereux et de leurs effets.

C'est ainsi qu'en dépit d'efforts croissants et coûteux pour comprendre l'origine des cancers, nous ne connaissons le potentiel de cancérogénicité chez l'être humain que d'une vingtaine de produits chimiques parmi des milliers. Pour des dizaines de milliers d'autres produits qu'on utilise, on ne sait absolument rien. Postuler, comme le fait le livre blanc et comme le fait la loi, qu'on va arriver un jour à identifier tous les agents de l'environnement qui pourraient être cause de maladie, c'est au mieux de la naïveté.

Discutons maintenant du second postulat. Le second postulat affirme qu'il faut scientifiquement prouver qu'un agent est dangereux avant d'agir. Bien sûr, nous ne contestons pas que des preuves scientifiques puissent être nécessaires à l'avancement de la science. Cependant, à toutes fins utiles, comme il est impossible de déceler tous les agents nocifs de l'environnement, ce postulat nous force à vivre avec des poisons simplement parce qu'on n'a pas prouvé qu'ils étaient des poisons. Dans les actions de santé publique, ne faudrait-il pas, au contraire, renverser ce raisonnement? Au lieu de toujours postuler qu'un produit chimique quelconque est innocent tant et aussi longtemps qu'on n'a pas prouvé sa culpabilité, comme c'est le cas à l'heure actuelle, ne faudrait-il pas, au contraire, prendre pour acquis que tout produit chimique est potentiellement coupable tant et aussi longtemps qu'on ne l'a pas prouvé innocent?

Si l'on veut protéger la santé des travailleurs et des travailleuses, on ne peut attendre de savoir si le produit X est dangereux pour l'être humain parce que cette connaissance surviendra après que des hommes et des femmes auront été exposés et seront tombés malades. Même, quand cette preuve sera établie, comme l'exemple de l'amiante le démontre, les intérêts patronaux peuvent facilement retarder l'amélioration des conditions en demandant toujours plus de preuves scientifiques.

Si notre raisonnement est exact par rapport aux postulats qui sont subjacents dans le livre blanc et dans le projet de loi, il nous semble nécessaire de développer un nouveau postulat, une nouvelle façon d'approcher le problème qu'on qualifie d'exposition nulle, l'idée de base étant que tous les processus de production devraient obligatoirement à long terme — évidemment, ça ne peut pas se faire du jour au lendemain — permettre une absence complète de contact entre l'ouvrier et les agents potentiellement pathogènes. Il s'agit de faire en sorte que tous les processus de production, toutes les technologies, toutes les machines soient conçus dès leur création de manière à éviter l'exposition à des substances chimiques ou à des agents physiques: l'éclairage inadéquat, le bruit, les vibrations, les variations de température, l'humidité, la pression, les poussières, etc., qu'ils aient été prouvés dangereux ou non.

Dans le passé, les compagnies ont trop souvent réagi aux nouvelles normes d'hygiène par du "patchage" des processus de production existants. Plutôt que d'essayer de reconceptualiser l'ensemble du processus de production de manière à supprimer l'exposition à toutes les substances chimiques, on n'a cherché que les moyens d'éliminer l'exposition à la substance que la loi ou les règlements venaient de définir comme dangereuse. Or, il est évident que le "patchage" continuel est plus coûteux que l'invention d'un processus de production qui serait conçu, dès le départ, pour éliminer toute exposition à toutes les substances. À long terme, pour utiliser une métaphore, un bateau bien construit avec de bons matériaux coûte moins cher qu'un bateau mal construit qu'il faut constamment réparer et le risque de se noyer est moins grand.

Comme l'ont admis deux hygiénistes ingénieurs de la compagnie Exxon — dans le texte, on a mis ça en anglais, je vais essayer de vous le traduire en français — il est absolument nécessaire, pour qu'on puisse se préoccuper des dangers liés à la santé, qu'une implication rapide soit faite par les hygiénistes industriels dans un processus de production. La correction des dangers liés à la santé qui se produit trop tard dans le développement d'un processus de production ou après la construction a tendance à être extrêmement dispendieuse.

Or, le projet de loi ne nous semble pas du tout aller dans cette direction. Bien sûr, vous allez pouvoir vous opposer en disant: Ce que vous nous proposez est extrêmement utopique. Il est utopique de penser qu'on est capable de changer du jour au lendemain tous les processus de production de manière que les travailleurs ne soient pas exposés. Il y a des aspects évidents là-dedans, à savoir qu'on ne peut pas tout changer du jour au lendemain.

Cependant, il ne nous semble pas évident que notre postulat soit plus utopique que le postulat qui est soutenu par le livre blanc et par le projet de loi. Je vais essayer de vous donner un certain nombre d'exemples pour illustrer notre pensée sur ce propos.

Si on compare la situation des compagnies d'amiante en 1975 avec la situation des compagnies d'amiante en 1940, il est incontestable qu'il y a eu une amélioration considérable en termes d'exposition des travailleurs aux fibres d'amiante. À quoi ce changement est-il dû? Ce changement n'est pas dû uniquement à l'évolution de la technologie, il est d'abord et avant tout attribuable aux pressions syndicales qui ont été faites pour forcer les compagnies à changer leur technologie. En d'autres mots, quand il y a des forces sociales qui poussent pour qu'effectivement les processus de production ne soient pas pathogènes ou le soient le moins possible, effectivement, les compagnies sont en mesure de faire en sorte que les processus de production ne soient pas pathogènes et que les travailleurs ne soient pas exposés.

Autre exemple, le textile. Des recherches ont été faites en France démontrant qu'il y a moyen de produire plus rapidement des produits du textile avec une machine qui est de dix à quinze fois moins bruyante que les machines couramment utilisées au Québec. Or, il est important qu'au Québec on ait une bureaucratie gouvernementale quelconque, un mouvement syndical quelconque, qui pousse pour que ces changements se fassent. (10 heures)

Laissez-moi donner un dernier exemple, celui du polychlorure de vinyle, que vous connaissez sans doute. En 1971, on découvre, dans certaines usines américaines que des travailleurs souffraient d'un cancer très rare, l'angiosarcome du foie. Rapidement, les épidémiologues ont fait la liaison entre ce cancer très rare et l'exposition au polychlorure de vinyle. Les syndicats se sont mis de la partie, le gouvernement américain s'est mis de la partie, on a fait des pressions gigantesques sur les compagnies pour leur dire: Écoutez, changez votre type de production, cachez l'exposition au polychlorure de vinyle et faites en sorte que les travailleurs ne soient pas exposés.

Les compagnies, comme elles le font toujours, ont réagi de la même manière en disant: cela coûte trop cher, il n'y a pas moyen, la technologie n'est pas suffisamment avancée. Laissez-moi vous dire que la compagnie, je peux me tromper de nom, BF Goodrich, quatre ans après, a découvert un processus pour enfermer le processus de production du polychlorure de vinyle et a vendu son processus de production, à profit, aux autres compagnies qui utilisaient ce processus.

En d'autres mots, quand il existe des forces sociales qui poussent pour qu'il y ait exposition nulle, effectivement, il y a exposition nulle qui se produit à plus ou moins long terme. Il me semble fondamental que le projet de loi devrait arriver à exprimer cette volonté.

Quelle implication est-ce que cela a sur le projet de loi? Il nous semble que cela a au moins deux implications. La première implication, c'est qu'il est absolument nécessaire que se développe sous une forme ou sous l'autre — on n'est pas des spécialistes de la question — un organisme gouvernemental, en liaison avec les différents syndicats des secteurs concernés, une bureaucratie gouvernementale qui inspecterait, obligatoirement, tout nouveau processus de production ou toute nouvelle usine ou tout remplacement de processus de production, de telle manière à s'assurer que l'exposition à l'intérieur de ces entreprises est la plus petite possible. Dans le projet de loi, quand on le lit, on n'a pas le sentiment que nulle part, le gouvernement n'avait l'intention de pousser cette idée.

Une deuxième implication de ce qu'on dit, cela a été nécessaire de démédicaliser un peu le problème pour, si vous permettez l'expression, "l'ingénériser" davantage. En écrivant notre mémoire, on a téléphoné à des dizaines d'ingénieurs un peu partout en Amérique du Nord pour savoir si les ingénieurs avaient réfléchi au développement des processus de production. La conclusion à laquelle on est arrivé, c'est que les ingénieurs, en général, étaient maintenant ouverts à l'idée suivant laquelle il est nécessaire qu'ils travaillent non seulement en fonction d'une logique de productivité, mais également en fonction d'une logique de santé, mais en général les ingénieurs ne développaient pas beaucoup de cours dans ce secteur et qu'ils avaient peu tendance à aller interroger les travailleurs sur ce qu'ils vivaient à l'intérieur de leurs entreprises.

Les gens spécialistes en ingénierie avaient tendance à vouloir, encore une fois, diminuer l'exposition à des risques qui ont été prouvés dangereux et non pas l'exposition à des substances, qu'elles aient été prouvées dangereuses ou non. En d'autres mots, nous semble-t-il, il y a une philosophie fondamentale qui doit être changée, si on veut véritablement arriver à une amélioration de la santé des travailleurs.

Évidemment, tout cela ne veut pas dire qu'on va laisser tomber la recherche médicale dans le domaine des expositions chimiques au travail, la

surveillance des risque de maladies. Il est évident que ce genre de recherche doit se poursuivre. Il faudra beaucoup de temps avant d'opérationnaliser le principe d'exposition nulle. Entre-temps, il faut quand même identifier les problèmes les plus graves pour les éliminer de façon prioritaire. Mais on ne peut pas les identifier si on ne sait même pas quels sont les produits que les travailleurs manipulent. Le capitalisme, par son système de brevets, empêche les scientifiques de déceler les dangers. Il faudrait donc que les travailleurs et les scientifiques aient accès à tous les renseignements techniques qui pourraient aider à connaître les risques pour la santé. Dans la même optique, il faudrait que les travailleurs aient accès au bilan financier de l'entreprise. Ceci permettrait d'éviter que l'on se réfugie derrière des menaces de fermeture pour refuser certaines mesures d'amélioration des conditions de santé et de sécurité ou que les propriétaires des industries fassent retomber sur la population tous les coûts des mesures et, par la même occasion, augmentent les prix et les profits. De plus, même dans les meilleures conditions, il sera toujours nécessaire de surveiller continuellement la santé des travailleurs pour s'assurer qu'il n'y a pas de problèmes inattendus comme l'exemple de la centrale nucléaire de Harrisburg le démontre; les accidents se produiront même si en théorie toutes les précautions ont été prises.

Ce raisonnement que nous avons essayé de développer par rapport à l'exposition à des substances peut également être valable pour un ensemble d'autres conditions de travail, et c'est ce que Jean Thibault va essayer d'expliquer.

M. Thibault (Jean): Même si nous réussissions à éliminer tous les produits nocifs utilisés dans l'industrie, tous les risques reliés au travail ne seraient pas écartés pour autant. En effet, il n'y a pas seulement les produits chimiques qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé. Tout le processus de travail et les conditions dans lesquelles il se fait affectent la santé mentale des travailleurs et des travailleuses et peuvent être mis en cause dans le développement des maladies. Une foule de situations vécues au travail peuvent occasionner des problèmes de santé. Le rythme de travail trop élevé, les surcharges physiques, la posture inconfortable, la tension psychique et nerveuse liée à des manipulations difficiles comportant des risques pour la sécurité, le travail en équipes alternantes et sur roulement, les "shifts" et la monotonie du travail.

Dans plusieurs milieux de travail, la dépersonnalisation des tâches est encore à l'ordre du jour. On demande aux travailleurs et travailleuses de répéter sans cesse les mêmes gestes. Ce qui importe n'est pas tant de bien faire son travail comme de le faire vite. On aurait cru qu'avec l'automatisation certaines tâches particulièrement abrutissantes pourraient être assumées entièrement par des machines. Ce n'est malheureusement pas le cas.

Les produits, les méthodes utilisées changent constamment, ce qui implique un renouvellement des tâches qui est plus facile à réaliser avec une main-d'oeuvre humaine. À cause de cela, les tâches continuent à être monotones. De plus, ces travailleurs et travailleuses sont dépourvus de toute autonomie; ils ne sont que rarement consultés dans les prises de décisions et ils n'ont aucun contrôle sur leurs conditions de travail.

Les gens réagissent à cette situation déshumanisante de diverses façons. La monotonie du travail provoque une fatigue nerveuse qui se résorbe moins facilement qu'une fatigue physique. Le niveau de satisfaction au travail augmente avec la complexité des tâches. Dans un système d'organisation du travail où la plupart ne peuvent pas mettre en valeur leurs capacités, une majorité de personnes ne sont pas satisfaites. Ceci affecte gravement leur niveau de santé mentale.

Pour constater cela, il faut se retrouver derrière un comptoir de pharmacie quand on essaie de dire aux gens: Ne prenez pas trop de valiums, et qu'on regarde ce qu'ils font comme job et que le gars dit: Je n'ai pas le choix. Quand le gars vient à la pharmacie pour chercher des médicaments pour le rhume ou la grippe, on lui dit: C'est le repos qui est la meilleure affaire. Il dit: Je ne peux pas à cause de mon job. Quand on essaie finalement de trouver des alternatives pour faire en sorte que les gens puissent arriver, peut-être, à consommer moins de médicaments et à avoir une qualité de vie de telle sorte qu'ils ne soient pas malades, tu te rends toujours compte que le job est quasiment un obstacle à la santé. Ce n'est pas à la clinique de l'usine qu'on va voir ce problème-là. Le gars se retrouve chez le généraliste au coin de la rue.

Des études ont montré que les problèmes de santé rencontrés chez les travailleurs et travailleuses d'âge moyen ont moins à voir avec la cigarette, la quantité de graisse dans le sang et le manque d'exercice qu'avec l'insatisfaction et le stress psychologique ressentis au travail. Il existe également toute une variété de maladies chroniques et psychosomatiques — il y en a passablement plus qu'on pense — qui peuvent être une réponse au climat difficile vécu au travail. Il est possible d'augmenter considérablement la participation des travailleurs et travailleuses à la gestion et au fonctionnement de leur milieu de travail. Il faudrait aussi s'interroger sérieusement sur la nécessité du système des quarts dans plusieurs usines. Les effets néfastes d'un tel système sont tels qu'il faudrait d'autres justifications que le profit pour les maintenir en place.

M. Mongeau: Concernant les services de santé en milieu de travail, nous croyons que ce qui est recommandé actuellement, c'est que les services nous paraissent extrêmement médicalisés et, par la présence qui occupe les médecins et par l'approche sous-jacente qui est axée sur les facteurs tangibles et identifiables comme les substances chimiques alors que tous les autres facteurs,

l'organisation du travail, la participation, la rotation, etc., sont ignorés.

On insiste beaucoup sur le rôle préventif que devront avoir les services de santé. Malgré cela, le projet de loi laisse entendre que les médecins continueront à jouer le rôle clé du programme de santé et de sécurité du travail. Ils sont les seuls professionnels dont la nomination fait suite à une consultation des deux parties et décident avec le DSC de la nature et de la quantité du personnel médical et paramédical. Ils sont les seuls professionnels de la santé à pouvoir assister aux réunions du comité paritaire, de droit.

Or, les médecins ne sont pas préparés à jouer un rôle préventif. Toutes leurs études sont orientées vers la réparation et même là il faut bien admettre que les notions qu'ils possèdent sur les maladies du travail sont fort peu élaborées. Également, il faut noter que les médecins, qui fonctionnent dans les milieux de travail, les médecins de compagnies et les médecins de la Commission des accidents du travail, ont vraiment perdu toute crédibilité, parce qu'ils se sont trop souvent nettement situés du côté de l'employeur et non du côté des travailleurs.

Pour notre part, nous croyons que les services de santé et de sécurité au travail doivent être confiés à une équipe multidisciplinaire où le médecin n'est qu'un membre parmi les autres: animateurs sociaux, hygiénistes, infirmières, ingénieurs, etc. Les travailleurs eux-mêmes devraient également avoir des représentants au sein de cette équipe.

Si le projet de loi était accepté tel quel, il y aurait de forts risques qu'on trouve d'un milieu de travail à l'autre des différences énormes dans la qualité et l'orientation des services qui s'y développent. Aussi croyons-nous que tout le personnel des services de santé en milieu de travail devrait faire partie du réseau public, CLSC et DSC. Cette insertion assurerait la coordination de ses actions et lui permettrait de mettre à contribution les autres travailleurs de la santé et d'ainsi en arriver à une approche plus globale des problèmes.

Mais aussi bien organisés soient-ils, les services de santé en milieu de travail doivent répondre aux besoins des travailleurs. Nous n'avons pas la prétention de définir pour les travailleurs quelles devraient être les formes que devrait prendre leur participation. Déjà, les centrales syndicales ont présenté leurs points de vue sur le sujet et nous ne pouvons qu'y souscrire, car nous croyons essentiel que les travailleurs aient les moyens de participer aux décisions concernant leur santé et leur sécurité. Ceci comprend non seulement le programme de services de santé et la détermination des conditions où il y a danger imminent, le programme de formation et d'information, mais aussi les mesures de prévention et d'amélioration des conditions de santé, tel le choix des équipements de protection individuelle et les aménagements pour en arriver à l'exposition nulle.

Les travailleurs devraient aussi avoir le droit collectif de cesser de travailler dans des conditions qu'ils jugent dangereuses pour leur santé et leur sécurité, mais aussi pour la santé et la sécu- rité de la population: pollution, transport de matières dangereuses, etc.

Le Président (M. Dussault): Est-ce qu'on pourrait vous demander de conclure rapidement, s'il vous plaît? Le temps est...

M. Mongeau: En conclusion, nous avons d'abord tenu compte, dans notre analyse du livre blanc, d'une limite importante de cette politique. Elle doit s'appliquer dans un contexte capitaliste. Dans un tel contexte, le contrôle de la production réside entre les mains des patrons, en particulier - ils ont un paquet de prérogatives qu'ils ne voudront jamais perdre — mais, cependant, nous croyons que le moment semble propice pour actuellement faire des changements importants au moment où il y a de fortes pressions syndicales de ce côté-là et au moment où il semble bien que le climat se prête à ces changements.

En gros, c'est un peu ce qu'on voulait vous dire.

Le Président (M. Dussault): On vous remercie.

M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier les membres et les porte-parole du Collectif socialisme-santé de leur mémoire. Ce n'est pas un mémoire très volumineux, mais c'est un mémoire qui contient beaucoup de choses. On l'a regardé très attentivement. J'ai cru comprendre que, pour l'essentiel, il avait été conçu à partir du livre blanc d'abord, plus particulièrement. J'ai cru comprendre aussi que vous n'aviez pas procédé à un examen systématique du projet de loi comme tel. Il y a un certain nombre de changements qui ont été apportés au projet de loi par rapport au livre blanc.

Avant de commenter quelques points de façon précise, parce qu'il y a, à travers votre exposé... Ce n'est peut-être pas formulé en ces termes, mais il semble ressortir quand même un certain nombre de recommandations intéressantes qui méritent qu'on s'y arrête sérieusement.

Vous savez, quand on regarde l'ensemble du dossier de la santé et de la sécurité au travail, on a beau dire, parfois, qu'on est rendu aux années soixante-dix-neuf, quatre-vingt, donc, à l'ère prétendument moderne... Quand on regarde l'état de la réalité actuelle dans les entreprises, l'état de la réalité des concepts, des philosophies qui sont derrière l'ensemble des lois, des outils, des instruments dont on dispose, dont les travailleurs disposent, déjà la simple opération de mise en place d'un nouvel instrument juridique implique qu'on remette en cause toute une série de concepts, déjà, indépendamment, en plus, de ce que vous formulez. (10 h 15)

Le premier, qui est celui... Hélas! il traîne dans le paysage et il a la vie dure... Je ne sais pas si vous avez entendu, notamment, le témoignage d'un des porte-parole de la Centrale des syndicats démocratiques qui nous expliquait qu'après quel-

ques années de travail d'information, de formation de leurs membres, ils avaient été sidérés de découvrir que bon nombre de leurs membres eux-mêmes y souscrivaient à l'époque. Ils se sont acharnés à la tâche par la suite, ils souscrivaient simplement au vieux concept fataliste du travail ... ce qu'ils faisaient donc attention.

Deuxièmement, de façon plus large, le concept qui veut que le travail ce soit forcément, fatalement, comme par une espèce de nécessité et d'obligation contre laquelle à peu près personne ne peut rien, dangereux. C'est déjà un concept qui est déjà très fortement enraciné, alimenté, entretenu dans les comportements, dans les attitudes, dans les programmes qui ont été développés. Il y a déjà cette côte à remonter, et ce n'est pas un détail. Changer des lois, ça peut se faire, il s'agit de s'atteler à la tâche, et parfois c'est comme une chaloupe en-dessous de laquelle il y a de la houle, mais il s'agit de tenir durement les rames et on peut y arriver. Une fois que t'as changé les lois, il n'y a pas une équation automatique entre les changements de comportement et d'attitude; il faut beaucoup plus que cela.

Cela, c'est déjà une chose, un des concepts auquel s'attaque le projet de loi no 17 qui dit: II y a moyen, on sait qu'il y a moyen de viser et de se donner comme objectif d'éliminer à la source les causes mêmes d'accident et de maladie.

Deuxièmement, il y a un autre vieux concept, et là ça recoupe certaines des préoccupations que vous avez formulées qui rejoignent cette idée de la nécessité d'impliquer et de développer une participation au-delà du placotage comme tel de ceux et de celles qui sont les premiers concernés, c'est-à-dire les hommes et les femmes au travail. Vous avez pu voir, tout au long de nos travaux, qu'il y a un niveau de résistance, encore là il y a de la houle en-dessous de la chaloupe. On vient nous expliquer que c'est la fin des droits de gérance, et le reste et le reste, et j'en passe, alors que vous avez sûrement noté que les parlementaires, non seulement, me semble-t-il — je ne veux pas porter de jugement pour les autres, mais en prenant simplement le texte tel qu'il est — introduisent un concept passablement nouveau de participation avec pouvoirs décisionnels dans cette participation à un certain nombre d'éléments. Déjà, il y a de la résistance à cela, et en plus on nous propose, et je pense que la plupart des parlementaires de toutes les formations politiques ont dit qu'effectivement il fallait peut-être regarder sérieusement la possibilité de l'élargir même cette participation au pouvoir décisionnel. Cela, c'est l'autre chose pour résister à l'autre vieux concept très fortement enraciné: Ne vous en faites pas, tout ça va se régler; laissons les entreprises s'en occuper, statu quo, et on va y arriver; regardez les performances, regardez les statistiques, cela va de mieux en mieux.

Troisièmement, accrocher - là, je commence à rejoindre les préoccupations additionnelles que vous évoquez — cette idée de viser à éliminer à la source les causes mêmes. Vous parlez du concept d'exposition nulle et, au fond, tranquillement com- mence à se développer dans nos sociétés, à partir d'une réflexion accrochée à des réalités très concrètes, cette idée beaucoup plus large il me semble, que le concept d'exposition nulle y est accroché, c'est simplement cette philosophie de développement qui, de plus en plus, commence à dire: D'accord, le produit national brut avec ce que ça implique! Mais, il va falloir commercer à regarder une perspective de bonheur national brut de plus en plus bon, sauf qu'il n'y a pas grand monde qui a réussi à "l'opérationnaliser", parce que cela ne se fait pas d'un coup, c'est évident, comme vous l'avez évoqué. Je conviendrais avec vous que le projet de loi ne répond pas totalement à cela. Ce qu'on a voulu introduire c'est, jeter les premiers cailloux dans l'engrenage. Quels cailloux et dans quel engrenage? D'abord, accrocher à cette idée que vous évoquez, cette possibilité de casser autant que faire se peut, en tout cas d'isoler autant que faire se peut, le danger d'être simplement exposé à des produits chimiques, quelque démonstration qui a pu être faite d'un danger, d'un commencement d'un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout, peu importe. Je me souviens trop des dégâts qui ont été causés, et là il s'agit en plus de documents qui ont été tripotés, triturés, même par des scientifiques.

J'ai en tête, en particulier, un produit pharmaceutique qui a laissé des dégâts qui sont irréparables chez les humains. Ceci étant dit, il y a des ouvertures déjà dans le projet de loi. Je ne vous cacherai pas que je suis plus que sensible à ce que vous exposez en essayant aussi de regarder ce qu'on peut franchir comme étape dans le contexte actuel. Si vous regardez, par exemple, l'article 52 du projet de loi, en fait l'article 52 et les suivants, 53, 54, 55, qui visent à commencer à introduire cette idée que: "Nul ne peut fabriquer, fournir, vendre, distribuer, installer ou utiliser un produit, un procédé, un équipement, un matériel, un contaminant ou une matière dangereuse à moins que ceux-ci ne soient sécuritaires ". "Sauf à des fins de recherche", et le reste.

Les articles 54 et 55, le pouvoir qu'on se donne qui est complètement nouveau, qu'il soit possible de faire procéder à des expertises et à des recherches par des personnes choisies par la commission — donc pas par l'entreprise — et de facturer l'entreprise pour les recherches en question. Raccroché à ça, l'article 48 et en particulier le paragraphe 3, introduit un concept nouveau dans notre droit — il n'existe pas — qui fait obligation à l'entreprise de se donner un programme de prévention qui comprend notamment, au paragraphe 3, les programmes. Cela doit insérer et comprendre les programmes d'adaptation de l'établissement aux normes prescrites par les règlements concernant l'aménagement des lieux de travail, l'organisation, l'équipement, le matériel, les contaminants, les matières dangereuses, et le reste. Si vous allez à l'article 1, paragraphe 11, vous avez déjà là une première définition de contaminant et on a dit à la suite des recommandations qui nous ont été faites depuis le début de nos travaux, qu'on allait regarder cette définition pour voir de quelle façon, sur des bases responsables, il y a possibilité de l'ouvrir, de l'élargir davantage.

Le paragraphe 3 en particulier, je pense, commencerait à permettre de développer l'approche que vous évoquez. En fait, il ne concerne pas seulement les contaminants, mais concerne aussi autre chose, que vous évoquez, qui est inhérent à l'organisation même du travail, c'est l'expression organisation du travail. Vous avez donné des cas où vous parliez des "quarts", on pourrait parler des plans bonis, des horaires cassés, et le reste, qui ne sont pas sans avoir des conséquences qui peuvent être importantes sur l'humain.

Également, ce n'est peut-être pas clair dans le projet de loi pour l'instant, on a dit qu'on allait le regarder parce que c'est vrai qu'il faut ouvrir, et développer, et permettre la mise à contribution auprès des travailleurs de toute une gamme de professionnels et pas seulement des médecins. Il est certain — on ne changera pas ça en deux jours — qu'il va falloir faire un effort colossal de formation parce qu'au niveau même de la formation, bon nombre de catégories de professionnels... c'est vrai que l'approche même de formation est essentiellement curative. Cela aussi suppose un très gros effort.

Voilà, en gros, M. le Président. Je pense que le mémoire est intéressant, parce qu'il nous pousse peut-être, non seulement les membres de la commission parlementaire, à ne pas perdre de vue la nécessité d'ouvrir cette perspective — mais en tout cas, qu'elle ne soit pas bloquée — d'ensemble que vous exposez et, deuxièmement, ouvre peut-être plus fondamentalement une réflexion sur l'ensemble d'un concept et d'une notion de développement dans notre société.

Je ne vous cacherai pas — je termine là-dessus en m'excusant d'avoir abusé du temps — mais je pense que c'est la première fois qu'on se permet un temps de réflexion aussi large et aussi fondamental que celui-là depuis le début de nos travaux. J'avoue que je suis tanné, comme membre d'un gouvernement, des distinctions qui me paraissent terriblement artificielles entre ce qu'on appelle le social d'un bord et l'économique de l'autre. Comme si tu te réveillais économique le matin et un peu social l'après-midi, tu te couchais culturel en rêvant politique. Ce n'est pas vrai, l'humain n'est pas fractionné comme ça. Or, le fractionnement, tu laisses aller l'économique tout seul comme ça, c'est bien beau, mais il y a des dégâts en bout de route. Autant il faut pousser, autant que faire se peut, sur le développement économique, mais le développement économique tout seul comme ça, sans tenir compte fondamentalement d'une notion beaucoup plus large, ça mène à du développement sauvage.

Le résultat net de l'essentiel des paiements de transfert et des programmes sociaux, c'est de les réparer et de "patcher", de sorte qu'il faut de plus en plus développer des perspectives de développement socio-économique ou de développement tout court et cela implique l'essentiel de bon nombre de dimensions et d'éléments que vous avez évoqués. Cela ne se change pas en deux jours, mais ce n'est pas une raison, autour, notamment, du projet de loi no 17 — ce n'est pas le seul élément, mais c'en est un — pour ne pas commencer à s'en occuper quitte à ajouter ce défi pardessus l'ensemble des autres qui sont déjà là et qui ont des racines drôlement fortes dans nos sociétés et qu'il faut commencer à brasser. En ce sens-là, qu'il y ait de la houle en-dessous de la chaloupe, tant mieux, cela a pour effet de secouer la chaloupe un peu. Merci.

Le Président (M. Dussault): M. Thibault.

M. Thibault: J'aimerais aller dans le sens du ministre et dire qu'une des structures qui bloquent la participation, c'est souvent le rôle qu'on donne au médecin. La science médicale, avec les transplantations cardiaques, la dialyse et toutes les grandes affaires fait que le travailleur se dit: Même si je me fais "maganer" un peu par le "boss", de toute façon, la science, la santé, le médecin va me "patcher". Dans ce sens-là, on peut, de par la structure, de par le rôle qu'on va donner au médecin, agir sur la prise en charge. Évidemment, si le médecin a le beau rôle et passe pour un magicien, le gars va se dire: II va me guérir, je n'ai rien à faire, lui, il sait tout! Dans le fond, je sais — et on est plusieurs à le savoir — que les médecins ne guérissent pas tout, il faut que le gars se prenne en charge. Tant qu'on le met, lui, sur un piédestal, on bloque la participation.

J'aimerais que le projet de loi donne un peu moins d'importance au médecin pour laisser au travailleur une place. C'est un effort de structure qu'on peut faire et qui va éventuellement permettre que notre information, quand on dit aux gens: Prenez-vous en charge, soit mise en pratique. Quand je dis aux gens: Ne prenez pas de valium, essayez de relaxer un peu, on me dit: C'est mon médecin qui m'a dit d'en prendre. Je ne suis pas trop pire, il m'a dit d'en prendre quatre par jour, mais je fais un effort et je n'en prends que deux par jour, je suis bon! Je suis meilleur que mon médecin. Qu'on laisse un peu moins de place au médecin et notre effort d'éducation va prendre plus d'ampleur et le gars va se prendre en charge.

Le Président (M. Dussault): Est-ce la seule intervention que vous vouliez faire? Oui, M. Renaud.

M. Renaud: J'ai beaucoup aimé l'intervention du ministre, en particulier quand il a dit que le projet de loi était un caillou dans l'engrenage. Effectivement, c'est un caillou dans l'engrenage et, fort heureusement, cela va pouvoir faire évoluer les choses.

Par ailleurs, la question qui me vient à l'esprit est de savoir dans quelle mesure le caillou est vraiment bien dans l'engrenage, s'il est vraiment là. Je comprends fort bien toutes les difficultés: l'attitude de la population qui est souvent réfractaire à une conceptualisation du travail autre qu'une conceptualisation du travail en termes d'usure, l'ensemble des résistances qui existent à l'intérieur de la société, la difficulté gigantesque d'amener des changements. Il reste néanmoins

qu'on est en droit de s'interroger et très sérieusement sur le rôle de nos législateurs dans ces différents secteurs. Je pense, par exemple, à la législation américaine OSHA, Occupational Safety and Health Administration: À l'époque où cela a vu le jour, tout le monde disait: Bravo! Enfin, on va avoir une législation qui va faire avancer les débats! On constate, quelques années après coup, qu'en réalité, d'une part, la bureaucratie n'est pas suffisamment développée pour appliquer les programmes et, d'autre part, que toutes les normes qui sont mises de l'avant sont coincées de telle manière qu'un ensemble de standards ne peut être appliqué, etc.

Quand nous avons parlé d'exposition nulle, le ministre, avec beaucoup d'à-propos, nous a mentionné les articles où ce concept est présent. On peut s'interroger sur la volonté politique qui est derrière parce que cela prend vraiment une volonté politique extraordinairement forte pour qu'effectivement des changements soient accomplis, indépendamment des textes et des lois. C'est l'application au bout de la ligne qui compte et c'est là qu'il faut une main de fer pour que les choses aboutissent.

Le Président (M. Dussault): M. Mongeau. (10 h 30)

M. Mongeau: Je voudrais aussi insister sur le danger qui menace les gens de bonne volonté actuellement. On est toujours menacé, on est toujours tenté de "patcher", parce qu'on dit: On va aller au plus pressant. Il y a actuellement des situations absolument inacceptables. Je sais que vous êtes au courant. Il y a des gens... C'est un peu dans cette perspective-là que M. Marois a réagi favorablement aux propositions qui lui ont été faites d'étendre la question de retrait préventif, par exemple.

Le retrait préventif, je trouve, on dit c'est justement dans cette perspective et c'est là que la bataille la plus importante risque de se mener pour étendre cela le plus possible. Quand un travailleur a été atteint, que sa santé est menacée immédiatement, à ce moment-là, qu'est-ce qu'on va faire? On va le retirer et on va le placer ailleurs, etc., mais c'est extrêmement dangereux, parce que cela empêche de se préoccuper, il nous semble, de l'essentiel, c'est-à-dire vraiment de la prévention. C'est que cela permet encore une fois de temporiser et de reporter à plus tard le problème, parce qu'on dit: Lui, ses poumons commencent à être atteints. Vite, retirons-le. Pour sa santé, ce serait extrêmement important de le retirer et de le mettre à une autre tâche, mais on va mettre un autre travailleur qui a les poumons sains et cela va retarder encore de cinq avant qu'à ce moment-là on fasse quelque chose, parce que cela va prendre cinq ans avant qu'il ait, lui aussi, les poumons qui commenceront à être crottés. Je trouve que c'est actuellement la tentation. C'est un exemple de cette tentation-là de dire: Allons au plus pressé: il y a des situations absolument inacceptables. Allons-y. Tous nos efforts peuvent passer à toujours aller au plus pressé, mais c'est toujours l'exemple de la prévention, du type qui ramasse les noyés au bas de la rivière et qui essaie de — je pense que vous donnez cet exemple-là dans le livre blanc — ranimer les noyés, mais il n'a pas le temps d'aller voir pourquoi des gens arrivent, ce qui se passe en amont, et ce qui fait qu'il y a des gens qui se garrochent dans la rivière. C'est un peu cela qu'on a voulu faire dans notre mémoire et dire: Prenez ce temps d'arrêt-là. C'est bien sûr que nous demandons, nous autres, une préoccupation à long terme et non à court terme. Je pense qu'il faut faire cet effort-là de temps à autre.

Le Président (M. Dussault): II n'y a pas d'autre intervenant. Je remercie le Collectif socialisme-santé pour sa participation aux travaux de cette commission. Bon retour. J'invite maintenant l'Unité de recherche sur l'abus des drogues et de l'alcool, Unité RADA, à se présenter devant la commission.

Une voix: Merci.

Le Président (M. Dussault): J'invite le porte-parole de l'Unité de recherche à s'identifier et à nous présenter ses collègues.

Unité de recherche sur l'abus des drogues et de l'alcool

Mme Radouco-Thomas (Simone): Je suis Dr Radouco-Thomas, Simone Radouco-Thomas, responsable de l'Unité RADA. Il me fait plaisir de vous présenter les collègues qui ont participé à la rédaction de ce court mémoire. À ma gauche, le Dr Marquis et M. Laperrière et, à ma droite, le Dr Radouco-Thomas.

Les deux organismes qui présentent ce mémoire sont situés à l'Hôpital Saint-François-d'Assise. Ce sont, d'une part, le département d'alcoologie, le centre hospitalo-universitaire qui assume un rôle spécialisé dans le traitement et la réadaptation des alcooliques provenant de la région 03 et, d'autre part, l'Unité RADA, Unité de recherche sur l'abus des drogues et de l'alcool de l'Université Laval, de la faculté de médecine. C'est une unité multidisciplinaire de recherche orientée principalement vers la prévention primaire et secondaire dans le domaine de l'alcoolisme.

J'aimerais présenter tout d'abord l'essentiel de notre mémoire et je demanderai ensuite au Dr Marquis, directeur du département d'alcoologie, de présenter une vue d'ensemble du problème tel qu'il se pose actuellement et également au Dr Radouco-Thomas de l'Unité RADA de parler de la prévention primaire et secondaire dans le domaine de l'alcoolisme.

Le mémoire qui a été déposé avait pour but d'attirer l'attention de la commission parlementaire sur le fait que, ni le livre blanc, ni le projet de loi no 17 ne font mention d'un problème essentiel de santé et de sécurité au travail, celui de l'alcoolisme.

Cependant, les données statistiques montrent que la consommation abusive d'alcool est une des principales causes d'accidents et de maladie chez le travailleur. Les statistiques montrent que l'abus

d'alcool entraîne une diminution de la performance, une augmentation de l'absentéisme et une augmentation des accidents du travail.

De plus, la consommation excessive d'alcool a un impact néfaste sur la santé physique et mentale des travailleurs et crée des problèmes majeurs sur les plans personnel et familial. Aussi proposons-nous qu'une attention particulière soit accordée au problème de l'alcoolisme dans la loi no 17.

Comme modalités, nous suggérons soit d'introduire un paragraphe spécial consacré au travailleur et à la travailleuse qui a des problèmes d'alcool, comme cela a été fait pour la travailleuse enceinte, soit d'introduire une série de paragraphes supplémentaires dans le projet de loi, plus particulièrement dans les chapitres III, IV, V, VII et IX.

La première alternative nous paraîtrait plus simple et plus efficace. Il nous semble utile de suggérer les recommandations suivantes: que le problème de surconsommation d'alcool par le travailleur soit reconnu comme un problème de santé physique et mentale au même titre que les maladies qui influencent la santé, le bien-être et le rendement du travailleur; que le travailleur qui présente une diminution de la performance liée à l'alcoolisme ne subisse aucun préjudice dans son emploi et qu'il soit conseillé et orienté vers des services de santé spécialisés pour permettre sa réadaptation dans les meilleures conditions; que des programmes de prévention, par entreprises ou sectoriels, soient implantés dans les meilleurs délais; que des comités conjoints, syndicats et employeurs ou employés et employeurs, participent activement à la mise sur pied de programmes de prévention ou de réadaptation; qu'étant donné les problèmes spécifiques que posent le service et la recherche dans le domaine de l'alcoolisme, la future commission de santé et de sécurité soit chargée de l'élaboration et du développement de ces programmes; que la commission prévoie, parmi ses priorités, la recherche sur le dépistage précoce de l'alcoolisme et sur les moyens d'intervention, tels que la planification et l'implantation de programmes d'assistance pour les employés, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

Étant donné l'importance du problème de l'alcoolisme dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, nous espérons que la commission parlementaire tiendra compte dans son rapport à l'Assemblée nationale des commentaires et des recommandations présentées ci-dessus. Dr Marquis.

M. Marquis (Paul-André): Je voudrais simplement, si vous le permettez, établir clairement notre conception du problème que nous vous apportons ce matin, surtout en nous préoccupant du préjudice qui pèse toujours sur les épaules de l'employé lorsqu'il est aux prises avec un problème d'alcoolisme. On mentionne l'alcoolisme. On pourrait aussi parler de toxicomanie en général. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y a beaucoup de personnes, beaucoup de travailleurs et de travailleuses qui développent une dépendance patholo- gique à des toxiques, que ce soit l'alcool ou que ce soient des médicaments.

Le but principal de notre travail, c'est de permettre à ces personnes qui ont développé une dépendance et qui sont incapables de fonctionner de façon adéquate, de retrouver, si l'on veut, le dynamisme nécessaire à leur bonheur au travail, à leur bon rendement et à leur bonheur dans la vie, dans la société et dans leur famille.

Le problème est reconnu par toutes les entreprises, je pense, et même par tous les syndicats aussi, parce que, de plus en plus, nous sommes demandés pour aller discuter dans des colloques ces problèmes qui sont présents tous les jours au niveau des entreprises.

Nous avons eu d'ailleurs, depuis un an, en plus de notre travail thérapeutique, des demandes constantes de rencontres avec des employés et des employeurs. Par exemple, l'an dernier, nous avons rencontré une importante quantité d'entreprises de l'île de Montréal, entre autres, Bell Canada, Air Canada et d'autres compagnies du genre.

Nous sommes aussi demandés par d'autres compagnies, comme l'Alcan ou les compagnies de pâtes et papiers, etc. On a beaucoup de demandes pour aider ces gens qui ont des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie quelconque.

Il est important que vous sachiez que nous ne sommes pas des militants antialcooliques, pas du tout. Nous ne sommes pas ici pour parler contre l'alcool, mais nous sommes ici, je pense, pour aider des personnes qui sont incapables de consommer de façon adéquate.

Il est important aussi de vous dire que, pour nous, l'alcoolique est un individu qui est obligé de boire pour fonctionner et que l'on n'inclut pas dans ce terme des consommations indisciplinées ou simplement des gens qui consomment de façon exagérée, parce que, pour nous, la personne qui consomme de façon exagérée n'est pas nécessairement un alcoolique. Je pense que c'est important qu'on le définisse et qu'on donne exactement notre opinion et la clarification de notre conception de ce problème.

Le grave problème aussi qui se pose, pour bien situer ce problème, c'est que l'on sait très bien que si l'on pose un diagnostic, par exemple, ou si l'on dit qu'un individu est un alcoolique, tout de suite, il y a un préjudice qui est porté sur lui, autant par la société que par les gens qui l'entourent, par ses employeurs, et on a un travail de prévention énorme à faire de ce côté, parce que notre approche du problème n'est plus une approche uniquement thérapeutique, elle est excessivement préventive. Elle est préventive en termes de prévention primaire, en termes de prévention secondaire et en termes de prévention tertiaire. La prévention primaire nous permettrait, et nous permet déjà, d'approcher, par exemple, les entreprises, d'approcher les syndicats, d'approcher les commissions scolaires, d'approcher, en fait, tous les organismes communautaires, parce que c'est un problème de santé mentale et un problème de santé physique qu'est la toxicomanie.

Je voudrais aussi mentionner l'importance que nous donnons aux consommateurs, beaucoup moins maintenant que nous la donnons aux toxiques. Nous essayons de démystifier le toxique pour nous attaquer surtout à la dimension globale de l'individu en termes de prévention de santé et de prévention générale.

Enfin, pour compléter ma petite intervention, ma timide intervention, je voudrais surtout recommander, dans le sens, je pense, de Mme Radouco-Thomas, que des normes préventives et que des normes curatives soient préconisées plutôt que des normes punitives, et que, surtout, le problème ne soit pas ignoré, parce que je pense que le grave problème que nous concevons et que nous voyons aujourd'hui, c'est d'essayer d'ignorer complètement le problème de la toxicomanie qui existe partout.

Pour vous donner un exemple — ce sera mon dernier mot — hier, j'étais invité à rencontrer 50 patrons — je ne sais pas comment les appeler — du ministère des Postes pour parler justement du problème des toxicomanes. On a donc abordé ce problème, le problème de la négation et le problème de la difficulté de l'avouer, parce qu'on se sent écrasé et on se sent jugé par l'ensemble des employeurs ou par l'ensemble de la société d'où le problème perdure et on n'est absolument pas capable de le régler autrement que par des moyens coercitifs à un moment donné.

Si les moyens préventifs étaient installés, si vous voulez, des moyens de rencontre ou des organisations tripartites entre employeurs, syndicats, employés, famille, thérapeutes, appelons-les comme on voudra, parce que nous travaillons dans un contexte multidisciplinaire, je pense qu'à ce moment-là, il y aurait énormément avantage, autant pour les employés, que pour l'État employeur, ou que pour les employeurs eux-mêmes dans le secteur privé.

C'est à peu près ce que j'avais à dire dans ce domaine.

Le Président (M. Dussault): M. Radouco-Thomas.

M. Radouco-Thomas (Corneille): M. le Président, j'aimerais, très brièvement, soulever un aspect important qui a été touché, d'ailleurs, par mes collègues, important aussi pour la santé et la sécurité du travail et qui a été souligné par le ministre Marois lors de son exposé du 4 septembre ainsi que dans le livre blanc, c'est celui de la prévention, c'est-à-dire le problème du dépistage de l'intervention précoce et rapide dans les cas de santé où une intervention se pose.

Je cite ici textuellement M. Marois. Il nous a dit qu'il faudrait faire tous les efforts pour éliminer, à la source, les causes d'accidents du travail et de maladie. Revenant aux problèmes liés à l'alcool, on évite d'utiliser le mot "alcoolisme". On utilise actuellement le terme, la périphrase "problèmes liés à l'alcool". (10 h 45)

Dans le contexte actuel, dans le domaine des problèmes reliés à l'alcool, un programme de prévention est peu opérant dans le milieu de travail. Pourquoi? C'est parce qu'actuellement, comme le Dr Marquis vient de le souligner, on ne désire pas identifier réellement le travailleur qui a des problèmes de travail. On adopte en général la politique de l'autruche, on ne le voit pas, on ignore le problème, et l'alcoolisme, les problèmes reliés à l'alcool restent des problèmes cachés. Cela paraît tout à fait justifié, parce que si on l'identifie, cela entraîne sur le plan social une stigmatisation du travailleur et, sur le plan du travail, risque de pénalisation.

J'ai cité la stigmatisation parce que, en effet, dans beaucoup de milieux encore on considère l'alcoolisme comme une faiblesse morale, que cela dépend de la volonté du sujet de s'arrêter ou de ne pas s'arrêter, tandis que l'alcoolisme, comme le Dr Marquis vient de le souligner, c'est une maladie qui est liée au sujet. Sans une assistance extérieure, il restera alcoolique; sans une assistance de la part des autres, que ce soit du milieu du travail ou du milieu de la santé, il ne peut pas s'arrêter, c'est un malade.

L'autre aspect que j'ai cité, c'est le risque de pénalisation. À l'heure actuelle, le travailleur est dans la situation qu'au moment où il a un problème d'alcool, il peut avoir des problèmes de promotion, de mesures disciplinaires, cela peut aller jusqu'à la mise à pied. Un travailleur d'une compagnie quelconque, que je ne veux pas citer, après 20 ans de travail a été mis à la porte et a été repris par la même compagnie et, actuellement, il est chargé par la compagnie d'un programme contre l'alcoolisme, il a été envoyé à l'université Rutgers, etc. Donc, il y a des évolutions, mais néanmoins, le problème est là.

Pour redire les grandes conséquences néfastes de l'alcoolisme et pour pouvoir permettre l'implantation des programmes de prévention, nous pensons qu'il est nécessaire de reconnaître, d'identifier ces problèmes reliés à l'alcool le plus rapidement possible. Sur le plan pratique, il est nécessaire que le projet de loi assure aux travailleurs la protection du Code du travail. Il est nécessaire qu'il y ait une politique écrite à ce sujet. Il y a actuellement de nombreuses et heureuses initiatives dans le monde du travail, que ce soit dans le monde du travail privé ou public qui vient d'être cité, mais tant que ces actions ne sont pas appuyées d'une façon formelle et précise par un projet de loi, le progrès se fera, il n'y a pas de doute parce que, que ce soit dans le milieu du travail ou dans le milieu de la santé, les gens sont intéressés d'avancer, mais les progrès seront lents, longs et difficiles.

Nos deux organismes, le département d'alcoologie et l'Unité RADA peuvent soumettre à la commission, si elle le juge nécessaire, les suggestions qui peuvent faire l'objet d'un paragraphe spécial pour agir dans ce sens. Je vous remercie.

M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier l'Unité de recherche sur l'abus des drogues et

de l'alcool de son mémoire qui contient toute une série de recommandations qu'on va regarder certainement de très près.

Dans votre mémoire, parmi ces recommandations — parce que le problème est réel, je pense que personne ne va le nier — vous formulez toute une série de recommandations qui visent à dépister de façon précoce, qui visent à faire disparaître les préjugés, qui visent à assurer une protection contre la discrimination, et le reste, qui visent à développer des programmes de recherche, qui visent aussi à briser un certain nombre de mythes face aux problèmes liés à l'abus de drogues et d'alcool, que ce soit dans les entreprises, que ce soit chez les employeurs, que ce soit chez les citoyens. Soyez assurés qu'on va regarder cela de très près.

La question que je voulais vous poser, c'est la suivante. Vous avez entendu tout à l'heure le témoignage du groupe qui vous a précédés. Bien sûr cela ne réduit en rien la portée, l'intérêt qu'il y a pour une commission parlementaire comme la nôtre de regarder très attentivement les recommandations que vous formulez. Mais la question que je voulais vous poser est la suivante. En fait, elle comporte un certain nombre de volets. Le premier de ces volets, je voudrais savoir et je pense qu'il serait de l'intérêt de cette commission de connaître votre point de vue là-dessus, si vous disposez de données ou si l'expérience, la pratique de votre travail vous a permis de mettre le doigt sur les causes de cet état de fait chez des hommes et des femmes au travail. En d'autres termes, au deuxième volet, si vous préférez, sur le lien entre le milieu même de travail, les conditions de travail, l'environnement même de travail et le constat de l'abus de drogue et d'alcool et si oui, qu'est-ce que vous nous suggérez, qu'est-ce que vous nous recommandez pour que, dans une perspective d'application d'un projet qui cherche encore une fois, comme je l'ai évoqué tantôt, à tirer un certain nombre de cailloux dans les engrenages pour amorcer un virage fondamental, pour qu'on cherche encore une fois à éliminer à la source les causes mêmes du problème? Parce qu'aussi louable... et Dieu merci il y a des gens qui s'en occupent parce que c'est vrai qu'on part de loin dans ce domaine-là, c'est vrai qu'il y a des préjugés terriblement et profondément enracinés, c'est vrai que des humains paient pour cela, c'est vrai qu'il y a même des mesures disciplinaires qui sont prises, mais s'il y a un lien direct avec le milieu même de travail, la personne qui a été, après des années d'efforts et souvent des années d'efforts d'elle-même... souvent il s'agit d'hommes et de femmes qui sont plus ou moins livrés ou laissés à eux-mêmes, avec tous les problèmes. D'ailleurs, vous l'avez évoqué, avec tous les problèmes psychologiques que cela pose, l'état presque de discrimination, mais dans le sens de tendre à ce que la société mette sur le nez ou dans le front de ces gens-là... Après tant d'années de travail, d'efforts visant à ce qu'on appelle la réadaptation, le retour au travail - pour reprendre l'expression d'une des interventions — pour re- trouver le bonheur à la vie, si la personne se retrouve encore dans les mêmes situations du même milieu avec les mêmes problèmes est-ce que vous ne croyez pas que deux ans après on va se retrouver avec exactement le même problème, et qu'il va falloir tout recommencer encore? Où est-ce qu'on en est dans ce domaine-là?

Mme Radouco-Thomas: Je pense que justement on recommence toujours, on se retrouve dans la même situation au bout de deux ou trois ans parce qu'à l'heure actuelle l'intervention se fait à un stade beaucoup trop tardif, au moment où on ne peut plus intervenir. Ce que nous suggérons justement c'est un dépistage précoce. L'alcoolisme est une maladie qui se développe progressivement en cinq, dix...

M. Marois: Je m'excuse infiniment de vous interrompre, madame, je pense que la commission a bien noté que c'est une de vos recommandations. Vous préconisez le dépistage précoce. Mais le dépistage précoce étant réalisé, ou présumons qu'il soit possible de le faire, et vraisemblablement vous avez raison à condition de s'y mettre, est-ce que l'état de vos recherches et de vos pratiques vous a permis de mettre le doigt sur la cause? Est-ce qu'il y a un lien entre ces constatations et le milieu même de travail et si oui, qu'est-ce qu'il serait possible de faire pour corriger cela à la source, pour les réduire même, le nombre de cas qu'il faudra dépister éventuellement, même précocement?

M. Marquis (Paul-André): Je voudrais seulement essayer de répondre en termes d'expérience, parce que je ne suis pas un chercheur. Mais pour essayer de...

M. Marois: Moi non plus, sauf qu'on cherche là.

M. Marquis (Paul-André): Depuis environ une vingtaine d'années que j'ai l'occasion de côtoyer les alcooliques, je serais porté, n'étant pas un sociologue de profession, à ne pas mettre de lien entre le milieu de travail et la consommation abusive et pathologique d'alcool, parce qu'on rencontre autant d'alcooliques chez les professionnels, peut-être plus qu'on en rencontre chez les travailleurs. Je m'excuse de dire ça, mais je pense que le problème est surtout à l'intérieur de l'individu lui-même et on a l'expérience de gens qui, évidemment, dans des milieux de travail où ils ne sont pas capables de fonctionner parce qu'ils consomment exagérément, si on essaie de chercher les causes extérieures à leur problème, on revient toujours à la première origine, on n'est pas capable de le solutionner, il faut toujours aller à l'intérieur de l'individu lui-même pour lui montrer à développer des capacités de faire face à ses obligations. C'est là qu'est le problème fondamental, je pense.

Ce n'est évidemment pas en termes de recherche. J'essaie simplement de vous démontrer cette

incapacité qu'ont certains individus de faire face au stress et aux obligations qu'ils ont dans leur secteur respectif de travail. C'est à ça qu'on travaille, la personne elle-même. Vous dire que le milieu peut changer quelque chose, on peut tenter de changer quelque chose, mais on n'y arrive pas si on ne travaille pas avec l'individu lui-même, parce qu'il ne semble pas avoir les capacités — pour des raisons, qu'il nous reste à identifier par le travail que l'on fait — qui lui permettent d'avancer dans ça.

Si une compagnie comme Bell Canada me téléphone et me dit: II y a un employé qui ne fonctionne pas. On essaie donc de le changer d'endroit s'il ne se plaît pas là-dedans ou s'il ne peut pas fonctionner et on essaie plusieurs fois, mais, le problème de l'alcoolisme perdure quand même ou le problème des consommations abusives pathologiques d'alcool ou de drogue se continue. Alors, le problème est à l'intérieur de l'individu lui-même. C'est la conception que je favorise, en tout cas. Ce n'est pas sur le plan de la recherche, je ne peux pas vous apporter ça. Peut-être que le Dr Radouco-Thomas pourrait éventuellement dire quelque chose.

M. Radouco-Thomas: J'aimerais compléter ce que Mme Radouco-Thomas a commencé Dr. Marquis. Je pense que le problème, il faut le prendre tel qu'il se pose actuellement, parce que vous avez posé, M. le ministre, une question: quelles sont les causes de l'alcoolisme? On va prendre la dernière décade. Pour le problème de l'alcoolisme, il y a des écoles qui sont "compartimentalisées", les sociologues ont un modèle social, les psychologues ont quatre ou cinq modèles d'alcoolisme de type social, sur le plan médical il y a un modèle médical, il y a un modèle moral où l'alcoolisme est un vice, donc on a une quinzaine ou une vingtaine de modèles qui expliquent l'alcoolisme, mais chacun de son côté.

Or, actuellement, pour pouvoir faire du travail, il faut faire un travail multidisciplinaire. Qu'on se mette ensemble, qu'on oublie la sociologie, la psychologie et la biologie et qu'on aborde le problème. Tel qu'il est vu actuellement, au point de vue des causes, l'alcoolisme comme d'autres maladies, les maladies mentales, l'hypertension est une maladie du type bio-psychosocial. Vous avez, d'une part, l'individu qui vient d'être signalé et dans le cas des individus, vous en avez qui sont vulnérables et d'autres protégés. Je vous cite à cet appui le problème qu'on aborde maintenant pour trouver les causes, le problème de l'alcoolisme, c'est la famille. Dans la population en général, vous avez à peu près 7% d'alcooliques. Dans les familles des alcooliques, le pourcentage monte de 30% jusqu'à 45%.

Donc, il y a une vulnérabilité de la part de certains sujets. Ici à Québec même, il y a deux projets de recherche qui sont en cours, il y a nos collègues des États-Unis ailleurs, où il y a une forte action pour essayer, d'une part, sur le plan individuel, afin de pouvoir dépister qui sont les individus vulnérables et qui sont les individus protégés, en partant des études de famille. Les individus vulnérables deviendront certainement alcooliques dans un environnement défavorable. Un individu protégé sera probablement plus résistant, disons qu'il n'est pas plus résistant.

Le problème, pour conclure, se pose selon un double aspect. Il faut prendre l'individu avec vulnérabilité et cette protection qui, mise dans un milieu stressant, agresseur, il devient ou non alcoolique. Vous voyez, vous avez 7% des alcooliques qui consomment 40% de toute la quantité d'alcool, vous avez le reste, 95% de la population, qui consomme 60%. Pourquoi ces individus sont-ils vulnérables? On ne sait pas encore réellement comment les dépister. Pourquoi deviennent-ils des alcooliques ou dans d'autres cas d'autres maladies. On ne le sait pas. Probablement que dans les années qui vont venir, on va le trouver, mais la prévention doit se faire d'une façon sélective par rapport à ces individus. Une fois trouvé, on doit s'occuper d'eux, revenir au milieu de travail, changer le type de travail, éliminer le stress, recréer des conditions, mais ne pas jeter l'argent par la fenêtre pour faire une publicité "at large", soit à la télévision, soit ailleurs, parce que ceux qui ne boivent pas, qui sont modérés, n'écoutent pas. L'alcoolique n'écoute pas non plus et des sommes immenses sont utilisées dans ce sens au lieu de faire une prévention sélective basée sur les causes que vous venez de souligner et auxquelles nous essayons d'apporter quelques éléments. (11 heures)

Le Président (M. Dussault): Merci. M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Madame, messieurs, je vous remercie de la présentation de votre document, de votre mémoire, ce matin qui, même s'il est très bref, touche un aspect fondamental du problème. Je souscris pleinement à vos préoccupations et je pense que c'est le cas de tous les membres de la commission ici. Sans vouloir trop philosopher, même si on a une société qu'on dit moderne, qu'on dit avancée sur tous les plans, sur le plan de la technologie, sur le plan des moyens, des ressources et des facilités, il n'en demeure pas moins qu'on se doit de constater qu'on a une société qui fait présentement face à des problèmes de fond et, à la lecture de votre mémoire, quelques énoncés en témoignent.

On constate que même si on a beaucoup évolué depuis 50 ans, on n'a jamais eu autant de problèmes particuliers que ceux qu'on connaît. Je suis heureux de voir le travail que vous déployez, entre autres dans la région de Québec, qui est ma région. Je peux vous dire qu'on ne peut pas rester insensibles à des questions comme celles que vous mettez en relief comme on ne peut pas rester insensibles, comme législateurs, à des données qui nous étaient fournies récemment. Je peux vous dire, entre parenthèses, que j'ai été abasourdi — je n'en suis pas revenu — quand j'ai su, il y a quelque temps, que dans la région 03, la région de Québec, il se donnait des électrochocs en quantité

industrielle. Vous relatez ce matin le problème de l'alcoolisme; c'est un problème de fond et je suis heureux de votre mémoire dans ce sens.

Comment l'aborder, maintenant? C'est évident qu'il y a plusieurs écoles, comme le docteur en faisait état tout à l'heure. Les sociologues vont favoriser une approche, les psychologues vont favoriser une autre approche et les médecins, les spécialistes, vont peut-être favoriser une autre approche eux aussi. La question que le ministre a posée, je pense qu'elle est bien justifiée. Est-il préférable d'entreprendre une action générale et comment détecter la source du problème comme tel? C'est un problème qui a sa répercussion dans le monde du travail, mais peut-être que poser la question, à savoir comment s'attaquer aux sources du problème, c'est une des meilleures façons ou une façon d'avoir beaucoup de difficulté à trouver le problème et à dégager les solutions et, finalement, ne pas le trouver et ne pas être en mesure de le saisir.

Ce que vous nous recommandez ce matin, c'est une intervention particulière dans le secteur du travail. Comme en faisait état le docteur tout à l'heure, il y a peut-être une possibilité d'intervention au niveau de la famille; mais encore là, quant à moi, je crois qu'un secteur privilégié de première intervention, c'est assurément le secteur du travail. Ce sera une action à long terme, ce sera une action qui se devra d'être soutenue par le gouvernement, par les mécanismes qui seront établis à partir des différents projets de loi, dont le projet de loi no 17 qu'on étudie ce matin.

Vous demandez une disposition particulière relative à cet aspect du problème dans le projet de loi. Il me paraît, à prime abord, que ce serait tout à fait justifiable compte tenu de l'ampleur du problème. Je conviens qu'il ne suffira pas d'avoir des dispositions dans le projet de loi indiquant clairement des actions de prévention, d'information, d'action, de dépistage, d'aspect curatif, etc. Il ne suffira pas de cela pour que le problème soit réglé, mais ce sera un premier élément, ce sera un premier pas. Je ne suis pas convaincu que ce soit le législateur, même si le législateur, quand il agit, doit avoir toutes les informations et tous les aspects du dossier... Le problème ne sera pas facile à régler, il y a plusieurs agents qui interviennent. Ce qui est quand même particulier et ce qui peut aller contre le postulat d'agir dans le milieu du travail, sans être spécialiste, loin de là, je ne suis pas convaincu que la source et la cause de l'alcoolisme soient au travail. La meilleure façon de circonscrire une action donnée, c'est peut-être au travail comme tel parce que c'est là que le contact est le plus facile, le plus immédiat. Il l'est plus qu'il pourrait l'être, par exemple, à l'égard des familles.

Les sources, selon moi, sont diverses. Cela peut dépendre de la famille, cela peut dépendre de l'individu, cette affaire-là peut être strictement génétique, cela peut être un problème social. Dieu sait qu'il y en a des problèmes sociaux. Ce problème est fondamental. En mettant en relief le problème, on se doit presque de remettre en question tout le fonctionnement de notre société et je pense que ce n'est peut-être pas le moment, ce matin, de le faire, mais on ne peut rester insensible à cette préoccupation-là.

J'invite le ministre à regarder particulièrement cet aspect du dossier. Il me semble, quant à moi, avec les connaissances limitées que j'ai — je pense que personne ne peut se targuer d'avoir la vérité dans un dossier comme celui-là — qu'une première façon ou un premier pas pourrait être fait et ce pas pourrait être fait dans le domaine du travail en consacrant l'idée qu'on se doit d'intervenir. Je pense que tout le monde sera unanime à constater qu'on se doit d'intervenir, parce qu'on ne peut pas continuer comme cela, comme société. C'est impossible. Les intervenants qui vous ont précédés ont mis en relief des problèmes aigus qui ne sont peut-être pas faciles à régler. À la lecture de leur mémoire — je m'adresse un peu à eux en même temps — certains pourront dire: C'est tout à fait illusoire tout cela, mais il ne faut pas dire cela. Il faut convenir qu'il faut atteindre les objectifs qui nous apparaissent difficiles aujourd'hui, mais si on ne se botte — excusez le terme — pas individuellement, si on ne s'oblige pas à les atteindre, on ne les atteindra jamais.

Merci beaucoup de la présentation de votre mémoire. Quant à moi, j'ose croire et j'espère que le législateur, c'est-à-dire le gouvernement, saura introduire des amendements au projet de loi no 17 prévoyant particulièrement une action. Je ne sais pas comment cela pourrait se faire, comment pourrait se traduire, comment cela pourrait s'inscrire dans l'approche globale de prévention du projet de loi, mais une commission parlementaire comme celle-là nous permet de vous écouter. On sera une quinzaine de jours entre temps à regarder nos textes, à réfléchir à tout ce qui s'est dit et tout ce qui s'est proposé et cela se traduit ensuite par des amendements ou des modifications. Soyez certains, messieurs, et certaine, madame, que lors de l'étude en deuxième lecture du projet de loi, on va en parler et lors de l'étude article par article, quant à nous de l'Opposition officielle, nous verrons, si on n'a pas de projet d'amendement spécifique de la part du gouvernement, à introduire des modifications particulières concernant le problème que vous mettez en relief, ce matin. On ne peut pas passer à côté de cela. Merci, madame, merci, messieurs.

Le Président (M. Dussault): Merci. M. le député de Richmond.

M. Brochu: Merci, M. le Président. J'aimerais également remercier sincèrement le groupe qui s'est présenté devant nous ce matin pour avoir attiré l'attention de la commission sur un problème tout à fait particulier. Vous avez raison de mentionner que jusqu'à maintenant cela n'a à peu près pas fait l'objet des discussions ou du moins dans ce qui est apparu dans la démarche de l'étude de la refonte des lois concernant la santé et la sécurité au travail. Il n'en demeure pas moins, comme vous l'indiquez à juste titre d'ailleurs, qu'il

s'agit d'un problème, disons-le, majeur qui sévit actuellement au niveau de la santé au même titre que les autres, même si, comme vous l'indiquez, il peut être plus difficile à cerner, à identifier comme tel, d'où la difficulté également d'apporter des correctifs.

Je ne vous cacherai pas — je parlerai peut-être dans ce sens-là un peu comme le Dr Marquis — que depuis les quelques années que j'ai l'occasion de vivre en politique, on se rend compte du problème aussi, par le biais de nos bureaux de comté, de la même façon, soit au niveau des employeurs, soit au niveau des employés, au niveau du travail qu'on a à faire avec la Commission des accidents du travail. On se rend compte de l'ampleur du problème justement, les problèmes que cela suscite à différents paliers.

Il y a un élément intéressant aussi que vous avez souligné, c'est la démarche qui est, je pense, relativement nouvelle — vous pourrez me corriger — où il y a cette approche conjointe des syndicats et des entreprises vis-à-vis de l'approche concernant ces maladies reliées à l'alcoolisme. Il y a aussi dans cette démarche-là évidemment, le fait que de plus en plus, je pense, on identifie l'alcoolisme comme étant une maladie d'où le fait qu'on enlève de plus en plus la mythologie autour de cette question-là.

Vous avez parlé tout à l'heure, madame Radouco-Thomas, d'une prévention primaire importante. Je pense que le ministre, dans ses questions, a souscrit à vos propos dans ce sens-là en indiquant aussi la difficulté dans ce domaine-là, parce que je pense qu'au niveau de l'alcoolisme, ou de toutes les autres toxicomanies, le milieu de travail peut avoir une certaine action, comme les lois peuvent avoir une certaine action, mais étant donné que la source n'est souventefois pas là, évidemment, à ce moment-là, on joue au niveau des conséquences plutôt qu'au niveau des causes d'où la difficulté, je pense, de vraiment cerner le problème et de cerner une solution globale.

Lorsque M. Radouco-Thomas mentionnait que dans son esprit, il voyait davantage une approche intégrée d'un ensemble de secteurs, c'est peut-être une avenue à considérer de près. Vous parliez d'une approche bio-psychosociale. Dans ce sens, vous vouliez ramener tout le monde dans une même optique. Mais je pense que la difficulté fondamentale va demeurer, lorsqu'on voudra arriver à faire de la prévention et même de la prévention sélective. On pourra avoir également des objections — peut-être que vous pourrez me corriger là-dessus — non pas de ceux qui ont à travailler là-dessus, mais peut-être des individus eux-mêmes, parce qu'on peut savoir également, par expérience, que la personne qui est aux prises avec ces problèmes a un cheminement à faire, avant, elle-même, d'accepter de se reconnaître comme étant aux prises avec ce problème. Il y a tout un cheminement. Vous le mentionniez avec beaucoup de clarté tout à l'heure, lorsque vous disiez que dans la publicité, par exemple, dans les media d'information, lorsqu'on fait une publicité qui s'adresse aux gens qui ont ce problème, bien les alcooliques n'écoutent pas. Mais pourquoi? Parce que d'abord, les alcooliques ont de la difficulté à s'accepter, à se reconnaître comme alcooliques. J'imagine qu'au niveau d'autres toxicomanies, cela peut-être semblable. Alors, dans ce sens, il y a une grande difficulté au niveau de la personne elle-même, même si on voulait arriver à une prévention sélective, cela serait peut-être difficile à intégrer dans ces gens. J'aimerais, de façon générale, avoir vos commentaires là-dessus, si c'est possible. Comme deuxième question, j'aimerais vous demander quelle est la tendance actuelle des situations en ce qui concerne l'alcoolisme et la toxicomanie ainsi que les problèmes reliés à cela, dans le milieu du travail, disons, depuis les quelques dernières années. Est-ce qu'il y a une tendance à une stabilisation? Est-ce qu'il y a une tendance à une progression assez nette? Je sais que vous vous basez surtout sur des expériences, comme M. Marquis le disait tantôt. Vous n'arrivez pas d'abord avec un bagage de recherches et de données statistiques, mais est-ce que vous avez quand même des indications que vous pourriez nous transmettre ce matin à ce sujet?

Mme Radouco-Thomas: Je pense que je répondrai à la première question tout d'abord. Nous n'aurions pas pu faire l'intervention que nous avons faite il y a cinq ans, pas plus que cela. Mais depuis cinq ans, il y a eu des développements très marqués dans le domaine de dépistages précoces. Je reviens sur cette notion du sujet qui commence à abuser, qui est en excellente santé apparemment et qui abuse déjà d'alcool. De tels dépistages biochimiques qui sont très faciles à faire, sont actuellement courants en France pour tout sujet, qui à chaque année, a son contrôle médical, dans le cas de la médecine du travail et pour tout accident de route. Il y a un dépistage qui se fait systématiquement, avec une possibilité du sujet de contrôler son évolution par les réponses des examens biochimiques.

Donc, dans ce sens, il y a eu une évolution très marquée ces dernières années dans les pays européens et nous pensons qu'il serait urgent que de telles mesures soient introduites au Canada. Lorsque le sujet est dépisté et qu'il est encore en parfaite santé, il peut être mis en garde. À ce moment, c'est efficace, il n'a pas encore développé une dépendance qui est plus ou moins irréversible.

Donc, c'est surtout une des conclusions — vous me demandiez l'évolution générale — d'un congrès international sur l'alcoolisme qui a eu lieu au mois de juin en France et où les résultats obtenus ont été soulignés par les conférenciers de différents pays européens. Donc, on peut intervenir.

Je voudrais dire aussi, en réponse à la question de tout à l'heure, que le milieu de travail ne cause pas l'alcoolisme, comme cela a été souligné par mes collègues, mais il faut savoir que les accidents du travail — on l'a mentionné dans notre mémoire — sont causés dans 10% à 30% des cas, par l'abus d'alcool. J'ai ici une statistique, en

France, sur 1000 travailleurs suivis pendant cinq ans où 70% des accidents du travail étaient liés à l'abus chronique ou aigu d'alcool. Donc, on va à la cause des accidents du travail, en dépistant précocement le sujet qui a un abus d'alcool. M. Laperrière.

M. Laperrière (Amédée): Je n'ai rien à ajouter, sauf que vous parliez de sources tout à l'heure. À l'Unité RADA, il existe certaines recherches qui ont été faites précisément où nous sommes en train de déterminer de façon génétique s'il y a hérédité ou non quant à l'alcool. Ne me demandez pas de réponse. Chose certaine, il existe, jusqu'à ce jour, de façon définitive, deux catégories d'individus dont l'un semble vulnérable envers l'usage de l'alcool et, l'autre, que l'on appelle temporairement protégé, faute d'un meilleur mot, semble éprouver moins de difficultés. Cela veut dire quoi, ça? Cela veut dire que si, moi, j'ai une poussée endogène incontrôlable, comme ça, ça veut dire que si j'ai besoin d'un traitement, que ma performance au travail est diminuée, que mon absentéisme est augmenté et que j'en suis rendu au point où mon premier patron, qui me protégeait... C'est rendu plus haut maintenant, c'est rendu au surintendant, etc., alors, ça veut dire quoi? J'ai besoin de thérapie. Donc, le fait que je suis dépisté par le biais de tests biologiques, biochimiques, c'est à notre portée, noua les avons, je ne vois pas pourquoi je refuserais d'être catalogué. Si on me dit: voici, je suis menacé de diabète ou, alors, je suis comme ceci. Je me conditionne à ma situation qui est celle-là. Cela veut dire que j'aurais, forcément, de tous mes thérapeutes, une approche beaucoup plus spécifique, donc beaucoup plus productive, et vous vous imaginez tout ce que cela engendre au point de vue familial, chez l'épouse, chez les enfants, etc. Il y a du travail, forcément.

L'individu qui est protégé, qui finit son "chiffre" à quatre heures, par exemple, dans une papeterie, qui, pour une raison quelconque, a eu toutes les misères du monde à faire sa journée, il brise une meule, ne dit pas un mot et s'en va. Celui qui reprend à quatre heures, qui se sert de la même meule, c'est lui qui subit l'accident et ce n'est pas de sa faute. C'est celui qui l'a précédé. Là-dessus, je pense que certaines compagnies sont très à l'avant-garde et ça me fait plaisir d'en nommer une publiquement qui, tout à fait récemment, la papeterie Reed, a envoyé, à ses frais, pendant trois semaines, un employé — non pas un cadre, mais un employé — pour s'occuper de ce qui se passe à Rochester sur les problèmes de l'alcool. Parce qu'ils se sont aperçus qu'ils en arrivaient, je pense, à un pourcentage équivalant à 25%, ce qui leur coûtait une fortune.

En deuxième lieu, le centre où je travaille en est arrivé, par le biais de tests biologiques et psychométriques, à pouvoir, dans un avenir que je ne peux pas préciser pour le moment, à déterminer les facteurs ou les principes biochimiques, si vous voulez, qui sembleraient être l'agent déclencheur de l'état de l'individu, la caractéristique de l'individu. Si on en arrive là, admettons que c'est "enzymique" si vous voulez, ça veut dire quoi? Cela veut dire que je peux m'en aller à l'école, mesurer tous mes petits bonshommes de huit ans, dix ans, qui n'ont jamais pris une goutte d'alcool et s'ils possèdent cette enzyme qui semble être le facteur marquant, si vous voulez, ou le facteur déclenchant qui crée la propension endogène envers l'alcool, ça veut dire que je protège, dès sa tendre enfance, le petit bonhomme. Alors, le petit bonhomme, s'il a des problèmes scolaires, s'il a des problèmes familiaux et que je m'en occupe, je retarde l'arrivée de ses problèmes, et, comme le petit bonhomme ajoute, à chaque année, de la maturité, imaginez tout ce qu'on évite. On évite ce qu'on rencontre actuellement.

C'est un peu ça, ce qui m'amène à dire que, dans le cadre de la loi sur la prévention des accidents du travail, il devrait exister... de façon à favoriser, du moins, d'une façon ou d'une autre, l'augmentation, si vous voulez, l'ampleur de la recherche pour en arriver à un dépistage collectif. Qu'il ne soit pas d'une précision absolue en 1979, je suis bien d'accord, mais il faut commencer. S'il n'y a pas de commencement, il n'y aura jamais d'amélioration.

C'est tout ce que j'avais à ajouter là-dessus.

M. Brochu: Je pense, M. le Président, que les éléments qui viennent d'être touchés dans la proposition que vous faites amènent un éclairage nouveau passablement intéressant en ce qui concerne les travaux de la commission. Je pense que, pour résumer ce que vous souhaiteriez fondamentalement, c'est que dans les examens médicaux annuels des travailleurs d'entreprise, par exemple, cet élément de l'analyse biochimique soit introduit afin de faire cette prévention à la base, et avertir l'individu. Je retiens le principe lorsque vous dites que si une personne est sujette au diabète et qu'on l'avertisse, alors la personne, en connaissance de cause, peut porter davantage d'attention avant d'avoir le problème. Peut-être qu'on pourrait arriver à quelque chose de passablement intéressant.

M. Laperrière: Ce n'est pas parce qu'on est noir qu'on préfère être blond, on s'accommode du noir; c'est tout, c'est comme ça.

M. Brochu: Je vous remercie beaucoup de votre mémoire, et en particulier de ce point. Pour ma part, vous pouvez être certain que je retiens cet élément et qu'on aura à y revenir. D'ailleurs, je recommande fortement au ministre de se pencher plus précisément sur cette possibilité parce qu'on a déjà, pour cela, une structure qui existe, la question des examens médicaux annuels, ce ne serait donc pas une surcharge excessive. De toute façon, ça mérite qu'on le regarde de plus près, et je pense que votre passage ici, ce matin, va donner une bonne possibilité dans ce sens, en ce qui me concerne, du moins.

Mme Radouco-Thomas: La deuxième question que vous posez aurait peut-être une réponse dans le sens qu'actuellement, — je cite les cas en

France et en Angleterre, — il y a collaboration étroite entre employeur-employés-médecin lors d'un diagnostic. Ce n'est plus du tout, actuellement, en France, mal vu d'être identifié; c'est balayé complètement, justement par ce dépistage qui s'est fait précocement et qui a permis à des sujets de revenir à une consommation normale parce qu'ils étaient à un stade où ils pouvaient encore revenir à une consommation normale. La tendance actuelle, c'est vraiment de supprimer cette...

M. Brochu: Cette espèce de fausse conception.

Mme Radouco-Thomas: Oui, et de dire les choses très positivement, et la population, à ce moment-là, n'a plus ces restrictions auxquelles vous faisiez allusion tout à l'heure.

M. Brochu: Vous avez soumis quelque chose d'intéressant en ce qui concerne l'Europe, vous avez mentionné le haut pourcentage d'accidents de travail qui étaient dus là-bas à des problèmes reliés à l'alcoolisme. Depuis qu'on a adopté cette approche que vous soulignez, est-ce que cela a été fait depuis suffisamment longtemps pour avoir des résultats, en termes de chiffres? Est-ce qu'on s'est dit satisfait, du moins de l'expérience, si on n'a pas de statistiques comme telles, du changement d'approche?

Mme Radouco-Thomas: Je n'ai pas de statistiques, j'ai simplement le fait que les employeurs soutiennent de plus en plus ces activités et ont installé, par exemple, dans certaines régions minières de la France — à leurs frais — des centres et ils ont soutenu financièrement ce dépistage précoce et le traitement. Donc, ils y ont certainement vu leur profit.

M. Brochu: Est-ce qu'ils le reconnaissent sur le plan pratique au point d'investir pour aller de l'avant?

M. Radouco-Thomas: Juste pour vous donner une information. Dans une entreprise de 1500 employés, le coût direct qui revient à l'alcoolisme est d'environ — en comptant que vous avez 7% d'alcooliques, il y a uniquement une diminution de rendement de 25%, sans compter les accidents du travail et l'absentéisme, et si on considère un salaire moyen de $20 000 — $500 000 est le coût indirect qu'on multiplie généralement par deux ou par trois, vous arrivez à un chiffre, dans une entreprise, par année, de $1 500 000 à $2 millions. En faisant toute cette action au niveau de l'employeur, ils ont été nettement bénéficiaires, sans tenir compte de problèmes de santé, uniquement sur le plan économique. Vous voyez donc que le problème se pose en termes économiques, en termes de coûts directs et indirects, d'une façon très précise.

M. Brochu: Je pense que les entreprises le reconnaissent. S'il y a un moyen quelconque qui pourrait aider sur cet aspect, ils vont collaborer; il s'agit qu'ils le réalisent dans ce sens.

La deuxième question que j'avais posée, est-ce que vous avez des indications en ce qui concerne la tendance du problème de l'alcoolisme dans le milieu de travail, actuellement? Est-ce qu'il y a une tendance à la progression, à la régression ou est-ce que c'est stable?

M. Radouco-Thomas: Non, c'est une nette progression, et deux aspects se posent: du point de vue consommation d'alcool et, d'autre part, de la consommation ensemble — que le Dr Marquis citait tout à l'heure — avec les drogues. C'est un aspect qui est très sérieux parce que si l'alcool en lui-même est dangereux, vous avez toute une série d'accidents aigus quand la personne le prend avec des tranquillisants ou avec d'autres substances, vous avez des cas qui vont assez loin, jusqu'à des confusions mentales, etc.

Tout le problème des interactions entre les autres drogues et l'alcool, et c'est aussi en croissance. Le problème est en nette croissance et les courbes qui ont été publiées par les services de Statistique Canada... Malheureusement. Ce qu'on désire faire c'est faire une statistique au niveau du Québec. On a Statistique Canada qui est faite d'une façon globale sur l'ensemble des provinces et la courbe est en nette montée depuis 1970. Cela a été fait jusqu'à 1976, ce qu'on avait donné, mais c'est en nette croissance.

M. Brochu: C'est donc dire que cela souligne l'urgence des gestes posés de quelque façon, comme le disait le docteur tantôt, qu'on commence quelque part.

M. Marquis (Paul-André): Si vous permettez un petit commentaire d'une minute ou quelques secondes. Il y a une grosse différence qui est constatée dans les industries, dans le monde du travail. Quand on a une maladie, n'importe laquelle, avec laquelle il y a une douleur physique ou une plainte quelconque d'un individu, il n'y a pas de problème à ce moment-là, mais dans le problème des toxicomanies, le problème est caché longtemps parce que l'employé a peur et l'employé emprunte deux mécanismes qu'on appelle souvent la dénégation de son problème et l'absence de demande d'aide. Par contre ce sont les gens de l'entourage qui vont se plaindre de la maladie pour celui qui est malade. C'est assez paradoxal comme réaction et c'est pour cela que, dans les rencontres que j'ai eues, les compagnies ont pris de plus en plus l'habitude — et je pense que c'est une tendance qui est en train de se créer — à nommer des personnes responsables qui ont déjà eu des problèmes avec l'alcool ou avec des toxiques et ces gens-là étant eux-mêmes des employés vont être à la ligne de feu pour aider ceux qui ont des problèmes personnels. Je crois qu'une situation comme cela devrait s'installer partout dans le monde du travail et que, comme le groupe disait tantôt, le groupe qui est passé avant

nous, ce n'est pas nécessaire que ce soit un médecin qui soit là, c'est nécessaire que ce soit quelqu'un qui est vendu et qui est préoccupé par le problème et qui est capable d'aider l'employé — masculin ou féminin — à s'adresser à des ressources pour l'aider dans son problème qui est énorme pour lui. C'est le petit commentaire que je pensais important de faire.

M. Brochu: C'est intéressant de voir la démarche aussi dans ce sens-là. Quant à moi, je vous remercie infiniment et comme je vous dis, je vous le rappelle, cela a été un éclairage important à la commission ce matin. En ce qui me concerne, j'ai l'intention d'y donner suite et de demander qu'on s'y penche de façon plus particulière avec une approche plus pratique dans les faits. Merci.

Le Président (M. Dussault): Merci, M. le député de Richmond. M. le ministre m'a prié de faire part à la commission de son obligation de quitter pour quelques minutes. Il vous prie de l'excuser. Cela met fin aux interventions sur le mémoire de l'Unité RADA. Alors, au nom de la commission, je vous remercie de votre participation aux travaux de cette commission.

M. Robert Fernet

J'invite maintenant M. Robert Fernet à se présenter devant nous. Bonjour, M. Fernet. Je pense qu'après votre identification, je vous prierais, s'il vous plaît, d'essayer de vous en tenir aux 20 minutes convenues.

M. Fernet (Robert): Merci. M. le Président, messieurs les députés, je suis biologiste de formation et j'oeuvre actuellement dans un département de santé communautaire à titre de responsable de la santé au travail. Il serait peut-être bon d'indiquer tout de suite, au départ, les raisons qui m'ont amené à présenter un mémoire ce matin. Il s'agit en fait des ateliers d'écoles, c'est-à-dire le secteur professionnel dans nos écoles polyvalentes.

Il serait peut-être bon, au départ, de faire un bref historique des activités que nous avons sur le territoire en tant que responsables de la santé au travail. Je me souviens que la première intervention que j'avais faite — je m'excuse de cette digression, c'est pour revenir avec plus de force concernant les ateliers d'écoles — on avait fait passer des audiogrammes à des travailleurs d'une usine ou d'un atelier de meubles. Il y avait là plusieurs individus qui étaient réellement massacrés au point de vue auditif, dont trois étaient compensables par la Commission des accidents du travail. (11 h 30)

Je me souviens de la réflexion d'un de ces travailleurs qui m'avait dit: mon père a travaillé dans une "shop" à bois toute sa vie et il est sourd; cela fait vingt ans que je suis à moitié sourd. J'ai été un peu surpris de cet état défaitiste que ces gens peuvent avoir, lorsqu'ils ont fait plusieurs années dans le milieu de travail, en ce qui concerne leur propre santé. Il m'est venu la réflexion suivante: actuellement, il est peut-être trop tard pour cet individu, parce qu'il ne reste qu'à ramasser les pots cassés.

Maintenant, qu'est-ce qui se fait au niveau de la formation des futurs travailleurs? C'est là qu'était la question fondamentale. Je me suis tourné du côté des écoles, étant donné que j'ai déjà enseigné dans trois écoles polyvalentes différentes, je connais assez bien le milieu, et nous avons fait une enquête sur notre territoire, nous avons visité les neuf écoles polyvalentes, il y avait 38 ateliers, répartis en trois commissions scolaires différentes. Vous allez me demander, qu'est-ce qui se passe dans les écoles? On apprend les différents corps de métier, il y en a peut-être qui ne le savent pas, on apprend des métiers comme la soudure, la mécanique auto, la menuiserie, le meuble, l'imprimerie, la plomberie, etc. Il y a, dans les commissions scolaires régionales, 17 métiers différents qui sont enseignés.

La question qu'on peut se poser, combien y a-t-il d'étudiants qui se préparent à être travailleurs dans les écoles? Les statistiques du ministère de l'Éducation indiquent qu'il y avait l'an passé 100 296 étudiants qui se préparaient comme futurs travailleurs dans des métiers. Il y a aux cours du soir, pour adultes, les cours du gouvernement fédéral, environ 50 000 étudiants, dans le secteur professionnel, je parle seulement des métiers, j'oublie le secteur professionnel des cégeps et les différentes écoles de formation. Ce qui revient à dire que des travailleurs d'industrie en puissance, il y en a environ entre 150 000 et 200 000 au Québec. Il y en aurait environ 75 000 qui iraient sur le marché du travail à tous les ans. Imaginez-vous après dix ans, l'équation que ça peut donner.

Ce serait peut-être bon de voir un peu ce qui se passe au niveau des écoles par rapport aux entreprises, par rapport aux industries. Je ne voudrais pas m'éterniser là-dessus, mais je pense que c'est fondamental pour bien comprendre que les écoles devraient être "tapées", accrochées au profil industriel.

Lorsque nous avons fait des recherches dans les écoles, nous les avons faites sur trois volets: d'abord, nous avons enquêté dans l'environnement, est-ce que les ateliers d'école correspondent aux types d'industrie, en termes de profil. Les résultats sont très concluants. Nous avons pris, par exemple, le niveau sonore, l'intensité de bruit dans les différents ateliers et c'est très révélateur. Vous savez que la norme gouvernementale est de 90 décibels. Je me souviens qu'il n'y avait aucun atelier de menuiserie qui avait un niveau de bruit inférieur à 90 décibels, c'est le bruit de base. Les machines fonctionnent environ à 102 à 105 décibels en moyenne, comme dans les entreprises correspondantes. Ce qui revient à dire que les risques, en termes d'hygiène industrielle, sont là aussi bien que dans les entreprises.

Maintenant, nous avions aussi, avec l'aide d'un ingénieur — c'est une enquête faite à tout hasard — demandé à un soudeur de faire fonc-

tionner une machine pendant quinze ou vingt minutes pour calculer la quantité de poussière émise par son appareil à arc électrique. La résultante a démontré, qu'il y avait trois fois plus de poussière, en termes de concentration, que la norme maximale permise. Nous avions demandé à un autre soudeur de travailler avec un appareil à arc électrique pour déceler la quantité d'ozone et les résultats donnés de concentration dépassaient six fois la norme permise en industrie.

Évidemment, vous allez me dire que cela n'est peut-être pas "statistiquement" valable, mais notre objectif n'était pas de savoir quelles étaient les statistiques, mais de bien connaître le milieu. Nous pouvons en conclure qu'en termes d'environnement, les écoles peuvent rassembler considérablement aux entreprises et que, dans certains cas, c'est pire.

Maintenant, nous avions fait une investigation, comme deuxième volet, et c'était celui de la santé. Cela va peut-être faire un peu plus mal en termes de révélation, ce que je vous indiquerai ici. Nous avons fait passer un audiogramme à tous les professeurs de menuiserie des neuf écoles polyvalentes et les résultats sont les suivants: 90% des professeurs ont une atteinte auditive causée par le bruit; trois individus peuvent être compensés par la CAT. Encore pis, nous avons fait passer l'examen à tous les étudiants d'une école polyvalente d'une ville de la province: 90% avaient une atteinte auditive par le bruit et 10% avaient une atteinte sévère, surtout les étudiants en mécanique. Les chiffres parlent par eux-mêmes.

Il reste un autre volet qui est le tribut — si vous voulez — des écoles. Les écoles sont des maisons de formation. Ce ne sont pas des endroits où on fabrique des produits, du matériel afin de réaliser des profits. C'est un endroit où les jeunes apprennent un métier. Forcément, le premier objectif d'une école c'est la formation des gens, du moins que je sache. On a fait une enquête pour savoir quel était le niveau d'enseignement dans ces lieux. Au point de vue sécurité, en général, il n'y a pas de problème. Les professeurs sont sensibles à la sécurité, ils détestent considérablement que les étudiants perdent des doigts parce que cela crée des problèmes. On enseigne la sécurité, il n'y a pas de problème, d'une façon à peu près similaire comme on va le faire dans les entreprises.

Maintenant, concernant l'aspect santé, j'avoue réellement que c'est le néant total. On n'enseigne pas quoi que ce soit concernant la santé dans nos écoles polyvalentes. Une enquête a été faite dans une école polyvalente d'un autre territoire alors qu'on avait demandé aux finissants en soudure ce qu'étaient des décibels. Il s'agissait qu'ils nous disent n'importe quoi qui pouvait ressembler à une réponse concernant les décibels. Il y en a 70% qui n'ont pas pu répondre; c'étaient des finissants. On a demandé à des finissants en soudure ce qu'était l'ozone, qu'est-ce que cela pouvait faire dans l'organisme. On leur a demandé de répondre le strict minimum. Aucun n'a pu définir ce que c'était. On a demandé aussi, toujours aux soudeurs, ce qu'était la sidérose. Je pense que les travailleurs de la Davie Shipbuilding en savent quelque chose. 3% des soudeurs, c'est-à-dire un sur 34, ont pu définir la sidérose. Évidemment, c'est peut-être une maladie contestée, mais c'est quand même une maladie.

Ce qui nous porte à donner comme conclusion que le niveau d'enseignement, en termes de santé, dans les écoles fait réellement défaut. Il serait peut-être bon qu'on puisse se demander quelles sont les causes de ce retard au niveau scolaire. Une des premières causes, à mon point de vue, ce sont les lois. Par exemple, depuis 1972, les protecteurs auriculaires sont obligatoires, c'est-à-dire que l'employeur est obligé d'acheter des protecteurs auriculaires pour ses employés. Les écoles ne sont pas tenues à cette réglementation tellement que, à ce jour, je ne connais pas d'école qui en ai, sauf une dans une des banlieues de Montréal. On sait que les protecteurs auriculaires sont très contestés dans l'entreprise, mais dans les écoles, on ne sait même pas que cela existe.

Un deuxième sujet qui concerne les services de protection de l'environnement et, à mon point de vue, qui est fondamental, c'est qu'une industrie qui bâtit ou agrandit un de ses plans, doit faire accepter ses plans et devis par les services de protection de l'environnement. Les écoles ne sont pas tenues à ces approbations, ce qui revient à dire qu'elles peuvent bâtir, par exemple, un atelier de soudure selon son bon entendement et après coup, si le système de ventilation est désuet ou mal organisé, on est obligé, de réparer les pots cassés, alors que l'entreprise est strictement tenue par la loi de faire accepter ses plans et devis.

Il y aurait évidemment d'autres exemples qu'on pourrait mentionner, mais il reste que, concernant les lois, étant donné que les écoles sont mises à part des lois, le réseau concernant la question de l'hygiène industrielle est désuet.

Une des causes de ce retard, ce serait peut-être le patronat dans le réseau scolaire. C'est que les commissions scolaires régionales sont évidemment responsables de nos enfants et elles sont responsables de ces 100 000 étudiants. Je me suis informé pour savoir quels étaient les programmes qu'on attribuait aux écoles concernant la santé et la sécurité. Tout ce qu'on m'a donné, c'était un guide de la sécurité qui a été publié en avril 1979. C'est bel et bien spécifié "guide de sécurité". À l'intérieur du guide, on ne parle que de sécurité, des chapeaux de sécurité, des bottines, etc. On ne mentionne absolument rien de la santé, sauf à quelques endroits où on parle du bruit. Ce guide a été publié en avril 1979, ce qui veut dire que c'est très récent. On a encore oublié la question de la santé.

Un autre patron — il est très indirect celui-là — c'est le ministère de l'Éducation du Québec. Je pense que le ministère serait aussi responsable de cet état de chose. J'ai, à ce sujet, rencontré personnellement le ministre de l'Éducation, M. Morin, en mai dernier et je lui ai évidemment fait part de nos travaux et de la situation dans les écoles. Il s'est dit très déçu de voir que la situation

était à ce point... Il m'a spécifié que les documents que nous lui avons fournis ne tombaient pas dans l'oreille d'un sourd. Je lui avais bien indiqué que pour que le projet de loi sur la santé et la sécurité du travail qui fondamentalement repose sur la participation des travailleurs, pour que les travailleurs puissent participer à l'élaboration de leur santé, soit au niveau des comités de sécurité, soit au niveau des associations sectorielles ou autres, il faudrait normalement qu'ils soient informés sur leur santé et leur sécurité. C'est un préacquis indispensable à notre point de vue. C'est évident à ce moment-là que le projet de loi no 17 dans son concept serait très largement accepté dans le milieu du travail si les jeunes, si les 50 000 jeunes qui sortent à temps plein du secteur scolaire étaient bien avertis concernant leur santé et pouvaient plus efficacement participer à l'élaboration ou à la conservation de leur santé. Le tout s'est gâché lorsque le ministre Morin a remis ces documents entre les mains de ses hauts fonctionnaires. J'ai reçu une réponse deux mois plus tard extrêmement décevante où on ne parlait que de sécurité. On n'a même pas parlé du mot "santé" ou à peu près.

Au niveau syndical, peut-être que la Centrale de l'enseignement qui a 5000 ou 6000 membres dans le secteur professionnel, aurait peut-être dû mettre l'épaule à la roue pour informer davantage les professeurs pour ce qui a trait à la santé au travail et surtout à l'aspect formation.

Les professeurs comme tels, ce serait peut-être bon de mentionner exactement à quel profil en général ces gens appartiennent. En général, un professeur d'une polyvalente, c'est un monsieur qui a une longue expérience dans le secteur professionnel et c'est un bonhomme qui connaît très bien son métier. La plupart vont nous dire qu'ils ont été engagés pour faire tel métier et qu'on ne les a pas engagés pour enseigner la sécurité. J'ai vu un soudeur, par exemple, qui m'avait dit qu'il travaillait pour une compagnie de construction de bateaux et que ses poumons n'étaient plus capables de supporter les cales de bateaux et qu'il avait justement accédé au poste d'enseignant, là où il était exposé moins longtemps que huit heures. Il m'avait dit que, sur son contrat, c'était bel et bien spécifié qu'il avait été engagé pour souder, montrer aux étudiants comment faire une bonne soudure - je vais revenir à ce qu'il disait — sans faire de crotte. Je lui ai demandé: Est-ce que vous enseignez la santé au travail? Il a dit: Non. J'ai dit: Les fumées qui se dégagent, les gaz qui se dégagent de vos arcs à souder. Il a dit: Réellement c'est une phase, ça; on ne parle pas de cela aux étudiants. (11 h 45)

Voilà un peu ce qui se passe au niveau des écoles. Il y aurait peut-être une autre chose que j'ai relevée dans mon mémoire concernant la question des comités paritaires. On sait que dans une entreprise, un comité paritaire, c'est le pilier, le pivot du projet de loi no 17 actuellement. Maintenant, le comité paritaire ou le comité santé/sécurité est, en principe, orienté sur la parité, c'est-à-dire moitié patron, moitié travailleurs.

Dans une école, est-ce possible qu'un comité de santé/sécurité fonctionne? Personnellement, j'en ai vu plusieurs se former. J'en ai vu plusieurs qui ont été fantômes très longtemps avant de crever à petit feu et il y en a d'autres qui restent encore debout.

Maintenant, c'est une question fondamentale, étant donné que le projet de loi no 17 est basé sur la parité. Ce qui se passe, c'est qu'il y a dans une école polyvalente sept niveaux hiérarchiques alors que, dans l'entreprise, il y en a en général deux. Il y a le bloc des travailleurs et il y a la section du patronat ou de l'employeur.

Dans les écoles, je ne vois pas comment peut fonctionner un comité paritaire. Voyez-vous, il y a les élus, le président de la commission scolaire, le directeur général, ensuite, il y a les cadres hiérarchiques au niveau de la régionale. Si on retombe à l'école, il y a les principaux d'école, le directeur du secteur professionnel, le professeur et finalement, le produit en bas, l'étudiant. Comment voulez-vous avoir quelque chose de paritaire dans un système comme cela, d'autant plus que si une structure comme cela existait en industrie, normalement, l'étudiant serait considéré comme étant un travailleur et le professeur comme étant un contremaître.

Dans la structure actuelle, le professeur est un syndiqué-travailleur et l'étudiant n'est pas grand-chose. On le définit très peu. Ce qui revient à dire que si on veut établir un comité paritaire ou de sécurité dans une école, il faudra absolument faire un tour de force, il faudrait aller à l'encontre de la nature, de la structure même des écoles.

Après avoir dressé un tableau qui est peut-être un peu noir concernant les écoles, ce serait peut-être bon qu'on puisse faire un lien plus fort entre les écoles et le projet de loi no 17. Évidemment, j'endosse avec allégresse le projet de loi no 17 dans ses objectifs, parce qu'il vise la prise en charge par le milieu lui-même.

Étant donné que les écoles — c'est la conclusion qu'on en tire — s'acquittent mal de leur travail en ce qui concerne la santé, étant donné que les écoles enseignent très peu la question ou pas du tout la question de la santé, comment le projet de loi no 17 pourra-t-il établir des mécanismes réellement intéressants et positifs si on sait, par exemple, qu'il y a plus de 60% des travailleurs québécois qui ne sont pas syndiqués? Qui va leur apprendre, sinon l'école, les bases et les rudiments de la santé et de la sécurité?

Il y a plusieurs travailleurs qui partent à leur compte. Je pense, par exemple, aux plombiers ou aux différents corps de métiers. Étant donné qu'ils sont eux-mêmes leurs propres employeurs, qui va les informer, sinon les écoles? C'est une question qui est lourde, à mon point de vue, de conséquences, étant donné que le projet de loi no 17, la base du projet de loi est orientée vers la participation des travailleurs, soit au niveau des comités de sécurité ou encore, soit au niveau des associations sectorielles, comme délégués de chantiers ou autres.

Pour terminer, je pourrais peut-être indiquer quelles seraient, à mon point de vue, les modifications que la loi devrait apporter pour essayer de corriger la trajectoire actuelle en ce qui concerne les ateliers d'écoles.

Le Président (M. Dussault): Je vous demanderais de le faire rapidement.

M. Fernet: Oui, on va y aller assez rapidement. Il y aurait deux volets: il y a d'abord l'aspect environnement, comme tel, dans l'école, l'hygiène du milieu. On sait que ce n'est pas mieux que dans une entreprise et l'entreprise est soumise à des lois, alors que l'école ne l'est pas. Il faudrait placer, d'abord et avant tout, les écoles au niveau de l'industrie.

Actuellement, l'article 1 définit l'école comme étant une industrie, un établissement. Ce serait peut-être bon qu'on étende et qu'on inclue, par exemple, les cégeps ou les centres de formation professionnelle ou les autres maisons d'enseignement qui ont, en fait, des vocations similaires.

Maintenant, il y aurait un élément qui me semble extrêmement important, c'est à l'alinéa 24, du même chapitre toujours, où on définit le travailleur comme étant un étudiant, mais ce n'est pas clair cette histoire. Si on regarde la définition, on dit qu'un: "travailleur, c'est une personne y compris un étudiant, dans les cas déterminés par règlement, qui exécute, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'un contrat d'apprentissage, même sans rémunération, un travail pour un employeur"... Alors, l'étudiant ne peut pas être le travailleur de la commission scolaire ou la commission scolaire ne peut pas être l'employeur. À cause de cette définition, l'étudiant est complètement rejeté du milieu du travail en termes de définition, en termes de loi, à mon point de vue.

Le deuxième volet, en ce qui concerne les écoles, qui est lourd de responsabilité, c'est la question de la formation. Là, c'est beaucoup plus "touchy" en termes de loi. Ce serait difficile à expliciter, mais il me semble que ce qui serait fondamental dans tout ça, c'est que la commission puisse avoir plus de force de contrainte envers les commissions scolaires, afin qu'elles intègrent un régime pédagogique réellement efficace en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail.

Dans un premier temps, il serait peut-être bon d'illustrer ceci. C'est que les programmes-cadres en ce qui concerne la santé et la sécurité dans les 17 ateliers d'écoles devraient être déterminés normalement par Québec, devraient être élaborés par le ministère et la commission, mais avec l'aide, cette fois, si possible, de spécialistes dans le domaine afin que les régimes pédagogiques soient réellement tapés au milieu du monde du travail dans le secteur de l'enseignement professionnel et, à mon point de vue, ce qui pourrait être important, c'est que la commission de la santé et de la sécurité régionalise ses services en ce qui a trait à la formation et à l'information. Le réseau scolaire est déjà basé sur un axe régional. On parle des commissions scolaires régionales.

Étant donné que c'est grand, le Québec, étant donné qu'il y a plusieurs écoles, il me semble que, pour la formation des professeurs, ça devrait être un comité régional, au niveau de la commission, qui s'occupe de la formation des professeurs sur le territoire, étant donné qu'il y a très peu de commissions scolaires régionales. De plus, que ce comité, qui appartiendrait à la CAT, puisse soutenir techniquement les professeurs — étant donné que l'enseignement de la santé suppose un petit peu de normes d'hygiène industrielle ou autres, évidemment, dans les choses les plus simples — qu'il puisse servir de techniques ou de support professionnel justement aux professeurs et aux administrateurs scolaires. Ensuite, que ce comité puisse même évaluer l'atteinte des objectifs pour donner un petit peu plus de coercition au niveau des commissions scolaires quant à l'enseignement de la santé au travail. Finalement, que ce comité puisse faire des recommandations au niveau de la commission en ce qui a trait aux programmes qui sont exécutés sur le territoire.

Voilà, en substance, ce que j'avais à mentionner concernant la question d, les ateliers d'écoles et de l'enseignement au niveau des futurs travailleurs. Je déplore être seul, justement, à parler au nom de 150 000 travailleurs peut-être. La situation a ainsi rendu les choses.

Merci.

Le Président (M. Dussault): Merci, M. Fernet. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier très sincèrement M. Fernet. Je sais le travail pas facile et les conditions pas faciles non plus dans lequel vous l'exercez. Je tiens à vous remercier de votre témoignage devant les membres de la commission parlementaire. Il y avait eu, d'ailleurs, déjà, et c'était venu en cours de préparation du projet de loi, le dossier — je pense que vous n'étiez pas loin de ce dossier, pour ne pas dire directement les deux pieds dedans — qui avait été largement étalé dans les media publics, avec raison et pour cause, parce que ce qui était relevé et sur lequel vous êtes revenu encore ce matin qui, de plus, ressort très clairement de votre mémoire, qui ressort aussi très clairement de la correspondance que vous avez échangée avec au moins un de mes collègues et les vérifications faites démontrent que vous avez parfaitement raison.

L'information la plus élémentaire n'est pas faite à l'école, les règlements les plus élémentaires ne sont pas respectés en atelier, et pour les raisons que vous avez évoquées. C'est partant précisément de cela qu'est ressortie cette idée d'insérer et l'école, et l'étudiant dans le projet de loi pour qu'il soit protégé. Là, c'est une question de lecture et d'interprétation des textes, mais j'ai pris bonne note de vos commentaires. Évidemment, un texte, c'est du jargon juridique, mais la définition de "travailleur", on va la vérifier à nouveau, mais il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'elle couvre bien, et on dit, notamment, "y compris l'étudiant" parce qu'il s'établit un contrat de louage de services — c'est une notion de droit — entre un

étudiant qui entre dans une école et l'école comme telle, même dans un contrat non écrit, il y a des contrats qui sont des contrats purement verbaux, plus que bona fide, des contrats qui ont et qui impliquent les obligations légales en vertu desquelles il es possible de prendre des procédures.

Deuxièmement, la notion d'employeur inclut l'école, l'article 1, paragraphe 12. C'est une personne qui, en vertu d'un contrat de louage d'un service personnel ou d'un contrat d'apprentissage, même sans rémunération; il faut donc lire les deux articles, l'un en relation avec l'autre. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'on a ajouté "même sans rémunération", pour s'assurer que la notion de louage de services est incluse. Enfin, c'est une façon juridique de l'insérer et c'est ce qu'on appelle dans le jargon un contrat d'adhésion. Enfin, l'important, c'est que ça y soit, mais de toute manière, on va le regarder.

Également, la définition d'école, parce que vous vous inquiétez du fait — et avec raison, si ça devait être le cas — que le cégep ou d'autres types d'institutions ne soient pas couverts par la loi. La règle d'interprétation des textes de loi, à moins qu'une définition soit très précise et limitative, hors du sens commun des mots qui sont insérés dans un texte de loi, une définition doit toujours s'interpréter selon le sens commun, donc selon le dictionnaire, et l'école, c'est l'établissement où l'on enseigne, donc, quel que soit le niveau.

De toute façon, j'ai pris bonne note de vos commentaires pour être certain que l'objectif qu'on vise et qui correspond exactement à ce que vous évoquez est bel et bien respecté.

Cela dit, je voulais vous poser très rapidement parce que le temps fuit vite, trois questions. La première, c'est plutôt une interrogation — parce que je ne suis pas encore convaincu des commentaires que vous formulez là-dessus — c'est quant à l'impossibilité de former des comités paritaires. L'étudiant étant considéré, pour les fins du projet de loi no 17, comme un travailleur, je ne vois pas ce qui empêche la mise en place d'un comité paritaire de représentants de l'employeur, la commission scolaire et, d'autre part, de représentants émanant des étudiants, émanant des employés, émanant du personnel enseignant. Ce n'est peut-être pas facile, il y a peut-être une autre formule, je suis prêt à regarder d'autres formules. À impossible, j'ai l'habitude de dire que c'est une page que je suis porté à arracher du dictionnaire.

Deuxièmement, j'ai vraiment beaucoup plus de difficultés à comprendre et je voudrais savoir pourquoi vous dites que les institutions scolaires ne peuvent pas appartenir à des associations sectorielles. Qu'est-ce qui pourrait empêcher cela?

Troisièmement, pourquoi le représentant à la prévention s'intégrerait mal dans le réseau scolaire, à partir du moment où l'école, et en particulier les coins où il s'agit d'ateliers, tombe sous la coupe de la loi. Enfin. Là, j'ai laissé de côté, bien consciemment, mais ne le perdant absolument pas de vue, toute la dimension que vous avez évoquée d'un accent colossal à mettre sur la formation en milieu scolaire et tout ce que ça suppose pour y arriver, et même la nécessité d'une volonté à l'intérieur même de la machine gouvernementale et administrative qui n'est pas nécessairement, encore limpide, dans certains coins en tout cas de la machine. (12 heures)

M. Fernet: Merci. En ce qui concerne la première question, pour ce qui est du comité paritaire, j'ai mentionné que c'était impossible. Il faudrait peut-être se rapporter à l'expérience qu'a vécue une école. On avait d'abord mis deux professeurs et quatre étudiants au niveau du comité paritaire avec deux représentants de l'administration et l'infirmière et un parent afin d'essayer de regrouper tout le monde. En plus du responsable du secteur des adultes du soir, si on regarde un peu la question, c'est à peu près impossible dans une conjoncture comme cela d'avoir une épreuve de force rapport syndicaux/rapports patronaux, parce qu'il y avait trop d'éléments disparates inclus là-dedans. Un autre sujet qui, je pense, dans le milieu scolaire est le plus important en ce qui concerne l'applicabilité du comité paritaire, c'est le suivant. Le professeur est défini comme étant un travailleur, alors qu'effectivement, il a le rôle, en pratique, de contremaître, et lorsqu'un comité paritaire fonctionne, en général il y a toujours cet aspect d'inventaire des problèmes au niveau de l'école et là on se demande qui va remplir ce rôle, cette espèce de pseudo rôle d'inspecteur dans l'école. Les professeurs disent non, parce qu'un syndiqué ne peut pas, dans la logique des choses, servir d'inspecteur à d'autres syndiqués et si on demande aux étudiants de le faire, cela peut dans certains cas se faire, je sais qu'il y a une école à Verdun qui le fait, mais c'est très rare, parce que l'étudiant est en général trop mis de côté. C'est le produit en bas. Évidemment, on aimerait que l'étudiant puisse être intégré justement dans ce processus de parité, mais c'est absolument impossible à cause de l'aspect que normalement le contremaître devrait faire... de sa fonction de contremaître. Dans une école, ce contremaître est un syndiqué, c'est le professeur. À cause de cela, je sais qu'ils ont eu des problèmes extrêmement forts et cela a paralysé le comité pendant trois ou quatre mois afin que le syndicat puisse finir par trancher et faire une espèce de clause indépendante pour ce secteur. En gros, pour la question des comités paritaires, c'est la raison de base qui m'a amené justement à dire que ce n'est pas trop facile.

Pour ce qui est de la question des associations sectorielles, par ce que j'ai pu comprendre dans votre projet de loi, une association sectorielle c'est tout simplement un ensemble d'employeurs qui sont dans un même secteur. Je pense, par exemple, à l'industrie des portes et fenêtres, par exemple. Ce sont des gens qui fabriquent des portes et des fenêtres, une série d'employeurs et là il y aurait, au niveau syndical, des travailleurs qui oeuvrent dans ce secteur d'activité économique. Dans une école, une école

polyvalente qui est le moindrement grosse a environ une dizaine d'ateliers. Il y a de la soudure là-dedans, il y a de la menuiserie, il y a de la plomberie, il y a toutes sortes de métiers, il y a la coiffure. Où est le secteur d'activités commun là-dedans. Comment voulez-vous rejoindre un professeur de coiffure avec un soudeur dans une même école. Les besoins sont différents, les problèmes de santé sont différents. Dans un contexte comme cela, je verrais assez mal le fonctionnement d'associations sectorielles, qu'on prenne une série d'écoles avec une série de professeurs, par exemple, qui pourrait faire l'aspect syndical dans un contexte comme celui-là, parce que les champs d'activité sont trop différents étant donné la nature même de l'école qui est une maison de formation donc disparate dans la structure de sa production.

Pour ce qui est de la question des représentants à la prévention, ce secteur je le connais un peu moins. J'avais tout simplement mentionné que le représentant à la prévention, cela devient impossible justement de l'inclure dans le système pour les raisons que j'ai mentionnées au départ. Je vous dis que dans l'application concrète dans une école, que le professeur soit syndiqué, ce n'est réellement pas drôle, parce que c'est un contremaître, dans le processus industriel. Étant donné que votre loi "tape" sur l'aspect industriel surtout, essayer de faire le joint, la conjoncture, à mon point de vue, c'est extrêmement difficile. Le représentant à la prévention aurait un peu les mêmes problèmes d'applicabilité, à cause de ce contexte particulier.

Le Président (M. Dussault): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: M. le Président, très brièvement, je voudrais remercier M. Fernet de sa contribution à la commission. La dimension et le volet de son mémoire ce matin nous permettent de constater ou de lever le voile sur un secteur bien particulier qui est celui de l'éducation et de l'enseignement. Évidemment, les membres de la commission n'ont pas tous eu l'expérience du député de Beauharnois à ce chapitre, qui peut certainement apporter une contribution utile dans ce débat.

Il y a les éléments que vous nous exposez ce matin qu'on retient et soyez certain que d'une part, vous ne faites pas que lancer le débat, il va certainement y avoir une suite. On aura l'occasion d'entendre d'autres intervenants, que ce soit la CEQ éventuellement. On aura aussi l'occasion d'entendre la Fédération des commissions scolaire et je dois d'ores et déjà — même s'ils n'ont pas comparu, déposer leur mémoire — exprimer ma surprise à l'égard de certaines recommandations qui sont formulées, entre autres, au sujet de l'étudiant, notamment.

Il nous apparaît, quant à nous, comme le ministre l'a dit tout à l'heure, que tous les agents et tous les intervenants dans le milieu scolaire se doivent d'être impliqués. Que ce soit l'étudiant, que ce soit les enseignants, il y a peut-être un aspect particulier de démarcation entre l'employeur, l'employé, tout ça. Il y a aussi un autre aspect du dossier qui est bien important, c'est le gouvernement, comme tel, le ministère de l'Éducation, dans ses normes. J'ai bien apprécié, entre autres, la recommandation que vous avez formulée ou la mise en garde que vous avez formulée, que les normes du ministère de l'Environnement ne sont pas respectées de la part des commissions scolaires qui sont appelées à procéder à des modifications à l'intérieur de leur boîte. C'est inacceptable. Dans ce sens, lorsque le gouvernement a introduit cette notion dans le projet de loi no 17, qu'il sera lui-même obligé de respecter les normes établies, il me paraît, selon moi, que ça se devra de transpirer jusqu'à tous les agents, les sociétés d'État, les commissions scolaires, etc. Merci.

J'aurais seulement une question. Vous semblez mettre en doute la possibilité de comités paritaires. Bien concrètement, à la lumière de l'expérience que vous avez, comment cela pourrait-il se faire? Comment le comité pourrait-il être composé et est-ce que cela implique chez vous l'obligation pour nous d'établir un régime particulier ou des dispositions particulières au monde de l'enseignement ou si la structure proposée dans le projet de loi peut convenir ou contribuer à régler les problèmes?

M. Fernet: J'ai beaucoup de difficultés à répondre à votre question à cause de la hiérarchie. À mon point de vue, le comité paritaire, même s'il est fondamental dans le projet de loi no 17, devient secondaire dans le réseau scolaire. Cela devrait être un lieu d'apprentissage pour l'étudiant. Ce qui est important dans une école, et j'y reviens, c'est la formation et il faut que les professeurs aient des documents pédagogiques pour enseigner la santé et la sécurité. Cela est fondamental.

Le jour où le professeur parlera de bruit, de décibel, je pense que la question des comités paritaires pourra peut-être s'établir un peu dans le sens que M. le ministre disait, mettre l'étudiant et le professeur du côté des travailleurs et du côté patronal la balance de la hiérarchie. Quoique dans une telle circonstance, ça créerait un problème fonctionnel dans l'école parce qu'au niveau patronal il n'y a qu'un seul individu qui est responsable, c'est le directeur du secteur professionnel. Le principal d'école a d'autres chats à fouetter en général et il a beaucoup d'autres problèmes parce qu'il a quand même tout le secteur général à s'occuper, les autobus, etc. C'est en principe à peu près seulement le responsable du secteur professionnel qui représenterait la partie patronale qui connaît bien les problèmes du milieu. À ce moment-là, ça créerait une disproportion. Le côté travailleur serait plus représenté que le côté patronal dans une situation comme celle-là.

C'est impossible aussi de créer un comité paritaire au niveau de la Commission scolaire régionale. C'est comme si on avait, par exemple, dans une usine un comité paritaire au niveau du

siège social à Montréal. Ce qui revient à dire qu'il faut que l'école règle son problème et cela aussi créerait un problème. En fait, c'est tout ce que je peux vous répondre au sujet des comités.

M. Pagé: Merci.

Le Président (M. Dussault): M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: M. Fernet, vous disiez tout à l'heure que vous étiez venu ici en commission parlementaire nous faire part de ces propos et que vous vous sentiez un peu seul. Je pourrais vous dire que je ne suis peut-être pas de votre équipe, de l'autre côté de la table, mais concernant ce que vous nous avez dit, cela m'a touché de très près. Je peux vous dire que vous n'êtes pas seul. Bien sûr, en 1976, lorsque j'ai été élu député du comté de Beauharnois, on m'a extirpé du milieu dont vous venez de parler. J'étais professeur de soudure dans une école polyvalente. Tous les points que vous avez soulevés, bien sûr, je les ai vécus. C'est un peu dramatique de voir que, finalement, le gouvernement est pris en défaut sur bien des points. Quand vous parliez tout à l'heure de l'enseignement de la santé et de la sécurité d'abord aux étudiants, c'est effectivement vrai que dans la cédule, dans les programmes, dans les horaires des enseignants, il n'y a pas grand-place pour la santé et la sécurité.

Effectivement, les enseignants des différents métiers s'adonnent surtout à montrer les métiers à leurs étudiants. Je trouve cela dramatique et un peu utopique de penser à apporter quelque chose de neuf avec le projet de loi no 17, si on n'y met pas des dents à ce niveau-là. L'étudiant d'aujourd'hui sera le travailleur de demain et s'il n'a pas été initié, dès son premier contact avec son métier, à être prudent, à savoir où sont les sources de danger autant du point de vue des accidents que du point de vue de la maladie industrielle que comporte son métier, il aura été mal habitué. Quand il arrivera en milieu de travail, il ne saura pas encore une fois — il aura 30 ans, à ce moment-là — où sont les dangers. Je pense que l'étudiant qui arrive dans un atelier pour la première fois, il est tout ouïe et tout oreille face à son professeur et si on l'habitue à passer outre à certains dangers, dès qu'il aura 15, 16 ou 17 ans, cela deviendra pour lui quelque chose de normal d'entendre du bruit, de respirer de la fumée ou de respirer des gaz qui émanent des métaux en fusion. Il vivra avec cette normalité.

Je change de secteur pour bien illustrer. Si vous prenez les anciens joueurs de hockey de l'époque de Maurice Richard, ils ont été habitués à jouer au hockey sans casque protecteur. Quand ils sont arrivés un peu plus tard dans la ligue professionnelle, on leur a demandé de porter le casque protecteur. Quand ils avaient sept, huit, neuf ou dix ans, ils n'étaient pas habitués de les porter et ils n'ont jamais été capables de s'habituer à les porter. Mais les jeunes d'aujourd'hui qui commencent à jouer au hockey, dès qu'ils mettent les patins, ils mettent systématiquement le casque protecteur. Ils arrivent dans le monde professionnel et ils ne se rendent plus compte qu'ils l'ont sur la tête.

C'est la même chose ici. C'est de donner de bonnes habitudes à ces jeunes travailleurs dès leur premier contact avec leur métier, de les sensibiliser aux maladies qui peuvent survenir à l'intérieur de leur métier et les habituer aussi... Ce n'est pas plus difficile. J'ai insisté à maintes reprises là-dessus. Ce n'est pas plus difficile de donner des bonnes habitudes à un étudiant que de lui en laisser prendre des mauvaises. Et de lui faire prendre le chalumeau de la bonne façon plutôt que de la mauvaise, une fois qu'il aura été habitué à le prendre de la bonne façon, pour lui ce n'est plus un inconvénient au niveau du travail. S'il a été habitué à porter un masque au moment opportun, ce n'est plus un inconvénient pour lui, parce qu'il aura été habitué à le porter. Cela est majeur.

Je pense que vous avez touché deux points. Il y a le domaine des accidents du travail et il y a le domaine des maladies du travail. Effectivement, cela saute beaucoup plus aux yeux quand un étudiant se coupe un doigt que lorsqu'il respire à la journée longue des gaz émanant des métaux en fusion. Cela ne paraît pas. C'est moins dramatique, nous sommes moins portés à faire attention, à les sensibiliser sur la question des maladies que peut entraîner la pratique de leur métier.

Par contre, les professeurs, même si cela ne fait pas partie de leur programme pédagogique, de leur montrer des habitudes de sécurité, on le fait quand même plus dans les ateliers. Je sais qu'au niveau des accidents, j'ai souvent dit à mes étudiants de faire attention sur tel ou tel point. Mais on n'avait pas — j'espère qu'on l'aura — une oreille assez attentive de la part des patrons, du directeur d'école, de la commission scolaire. (12 h 15)

J'ai eu à enseigner dans une école où le système de ventilation faisait défaut. J'ai été obligé de me battre. J'ai rassemblé tous les professeurs et je leur ai fait visiter mon atelier. J'ai sensibilisé toute la commission scolaire. J'ai fait venir le directeur général de la commission scolaire et on m'a dit, en résultat: Cela rejoint les interventions que j'ai eues face à la partie patronale dernièrement lors de cette commission parlementaire. Les coûts que cela entraîne, cela gêne énormément les patrons. On m'a répondu que cela coûtait trop cher de réaménager le système de ventilation. Hier encore, je suis intervenu. Le député de Portneuf me disait qu'il avait entendu ma réplique d'hier, la veille de l'avant-veille, mais on ne parlera jamais trop de cela. On était conscient d'un problème dans une commission scolaire et dans un atelier bien spécifique qui était l'atelier de soudure, qu'il y avait là un mauvais système de ventilation et on nous a dit qu'on ne pouvait pas y toucher parce que cela coûtait trop cher.

On va aller dans le monde industriel, c'est exactement la même chose. On connaît les sources de danger, on les a identifiées, mais on n'in-

tervient pas à cause du fameux coût. J'espère que la loi sera assez sévère pour indiquer et obliger autant le patron-gouvernement que les patrons dans l'entreprise privée à remédier — indépendamment des coûts, les sources de danger, soit au niveau des accidents aussi bien qu'au niveau des maladies industrielles — à l'intérieur de leur atelier, de leur usine, aux vices qu'on connaît.

C'étaient les points que je voulais soulever. J'ai bien apprécié votre mémoire. On va réviser le projet de loi à la loupe à ce niveau-là et on va faire en sorte que la loi puisse s'appliquer d'une façon très virile face à l'enseignement des métiers dans les écoles, parce que je pense que c'est là le début de la chaîne, c'est le premier maillon de la chaîne et que s'il est faible, on connaîtra cette faiblesse-là tout au long de la chaîne. Si je parle de cela, c'est pour imager que c'est le jeune travailleur qui s'initie à l'âge de quinze ou seize ans. Si on l'initie mal, on aura ces séquelles-là d'une mauvaise initiation tout au long de son travail en industrie. Il aura une faiblesse aussi dans ses revendications. C'est cela qui est important. C'est de l'habituer à être capable de revendiquer, parce qu'on lui aura donné des connaissances de revendiquer là où il y aura des faiblesses, soit au niveau de l'école ou soit au niveau de l'industrie plus tard. Je pense que de le sensibiliser, de l'informer et de l'instruire à ce niveau-là fera du monde des travailleurs un monde beaucoup plus "sécure", beaucoup plus correct pour les travailleurs.

Je vous remercie. C'étaient les quelques remarques que je voulais faire. Je suis très sensible à votre mémoire, parce que, peut-être que quand je laisserai la politique, je retournerai encore dans un atelier de soudure dans une école polyvalente et j'espère qu'on verra une différence parce que j'aurai siégé à la commission parlementaire sur le projet de loi no 17.

Le Président (M. Dussault): Merci, M. le député de Beauharnois. M. le député de Laviolette, brièvement.

M. Jolivet: Oui, je ne voudrais pas être trop long. C'est simplement pour ajouter à ce que le député de Beauharnois vient de dire, ayant moi-même eu à faire des batailles au niveau syndical, parce que j'étais permanent au Syndicat des travailleurs de l'enseignement de la Mauricie, là où on a fait des recherches. On s'est aperçu que plusieurs causes d'accidents étaient à l'intérieur des ateliers de l'enseignement professionnel. C'est pour dire que, justement, à titre de député qui a participé au groupe qui a conseillé le ministre sur l'ensemble du projet de loi, ce n'était pas tout d'en arriver à permettre à l'intérieur de la Commission des accidents du travail de faire en sorte que l'étudiant qui se trouve en atelier soit prémuni contre les risques d'accidents en termes de corrections, mais qu'il fallait maintenant aborder l'autre partie qui était celle de la prévention.

Les remarques que vous avez apportées dans votre document sont très intéressantes. Si le projet de loi, comme disait mon collègue, doit être vérifié pour le rendre conforme à l'idée que nous voulons vraiment instaurer, les changements à la base même au niveau de l'équipe de l'enseignement professionnel, que ce soit au niveau de la commission scolaire, au niveau des enseignants et au niveau des étudiants, parce que les dangers qui sont là sont présents et il faudra les corriger.

Je me souviens d'un exemple, où à la commission scolaire, dans un atelier, il y avait des étudiants de l'enseignement professionnel court, et parce que c'étaient des étudiants de l'enseignement professionnel court, on pouvait se permettre d'avoir une scie mécanique non ajustée au plancher, non attachée au plancher. On pouvait se permettre d'avoir de la poussière qui circulait, parce que dans le fond, c'étaient des enfants de l'enfance inadaptée. J'ai trouvé cela, quant à moi, inexplicable et incompréhensif. Soyez assuré que ces formes de pression faites par l'enseignant qui, dans la loi, n'était pas protégé et les commissions scolaires n'étant soumises à aucune loi à ce niveau — on parlait tout à l'heure des services de protection de l'environnement, c'est vrai que les normes n'étaient même pas respectées dans bien des écoles — de telle sorte que l'enseignant prenait un risque d'être ensuite congédié s'il le faisait, et même s'il l'a fait, il a réussi à avoir, au bout de la course, pour lui-même et pour ses élèves une forme de protection qui était tout à fait normale.

Il reste que c'est anormal que l'individu enseignant syndiqué, puisse risquer son emploi pour simplement avoir ce que le bon sens recommande. Dans ce contexte, la loi vient apporter des premiers jalons qu'on espère, productifs, au niveau du travail dans le milieu, pour faire en sorte que, non seulement, on veuille instaurer des moyens de prévention, mais qu'on les installe réellement sans risque pour personne.

Soyez assuré que de mon côté, à ce niveau, vous avez mon appui pour que dans les écoles où il y a de l'enseignement professionnel on puisse vraiment arriver à de la prévention dans le sens que vous l'indiquez.

Le Président (M. Dussault): C'était la dernière intervention. Au nom de la commission, je remercie M. Fernet de sa participation à nos travaux. Il nous reste encore deux mémoires à entendre; alors il faudrait y aller plus rapidement. Alors, j'invite M. Morisset à se présenter devant la commission. M. Morisset, de toute évidence, il ne sera pas possible, dans les 20 minutes prévues, de lire votre mémoire. Alors, je vais vous demander de le résumer le plus rapidement possible et d'abord de commencer par vous identifier à la commission.

M. Yves Morisset

M. Morisset: Je suis Yves Morisset, Je suis, comme Robert, de formation en biologie et je suis promoteur d'un programme de santé au travail à l'intérieur d'un département de santé communautaire. Pour répondre à la question de la limite de temps, je peux vous dire que j'ai préparé déjà un

résumé, puisque j'avais déjà assisté à des présentations antérieures.

Le Président (M. Dussault): Merci.

M. Jolivet: Votre texte sera versé intégralement au journal des Débats.

Le Président (M. Dussault): Si vous le souhaitez, effectivement, votre texte peut être inscrit intégralement au journal des Débats.

M. Morisset: S'il vous plaît.

Le Président (M. Dussault): D'accord, ce sera fait. (Voir annexe).

M. Morisset: M. le Président, messieurs les membres de la commission, c'est en tant que professionnel impliqué dans le domaine de la santé au travail, c'est aussi fort probablement en tant qu'ancien professeur, mais c'est beaucoup plus en tant qu'individu, préoccupé par le succès de la réforme en santé du travail, que j'ai voulu apporter cette mince contribution au débat actuel, en attirant votre attention sur un aspect du projet de loi qui y gagnerait, à mon humble avis, à être mieux défini, c'est-à-dire les programmes de formation et d'information, mais plus spécifiquement les programmes de formation.

Il serait malheureux que ces programmes demeurent négligés quand tant d'efforts ont été déployés en vue d'apporter plus de précisions et de clarté aux mécanismes de participation des travailleurs et des employeurs, par exemple, les fonctions, les comités de santé-sécurité, les associations sectorielles, de même que la définition de différents services à la disposition des travailleurs, les services d'inspection, les services de santé et probablement — M. le ministre nous l'a confirmé — des services d'hygiène industrielle.

Les programmes de formation ont une importance qui a déjà été reconnue dans le livre blanc sur la santé et la sécurité du travail, puisqu'on pouvait y lire à la page 226, comment, en effet, demander aux parties d'assumer une plus grande part de responsabilité dans l'amélioration des conditions de santé et de sécurité au travail, si on ne s'engage pas à leur fournir en partant et au besoin, de façon intensive, les outils nécessaires et le minimum de connaissances et de savoir-faire indispensable à une telle entreprise.

Le projet de loi no 17 reconnaît à tout employeur, comme il semble le faire pour tout travailleur, le droit à des services de formation, d'information et de conseil en matière de santé et de sécurité au travail. Je me réfère aux articles 39 et 9. Mais pour l'article 9 concernant les droits des travailleurs, il y aurait avantage à les préciser dans les mêmes termes qu'à l'article 39. Ces droits deviennent une nécessité. Quant à l'article 38, nous lisons "Le travailleur doit" — j'imagine que c'est tout travailleur — "prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité et son intégrité physique", doit aussi "participer à l'identification et à l'élimination des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles sur le lieu de travail". Comment, en effet, demander au travailleur d'assumer ses responsabilités s'il n'a pas été formé pour connaître et exercer ses droits, ses obligations et les autres fonctions qu'il peut être appelé à jouer dans le cadre de cette réforme. "Les services de formation doivent donc être disponibles et accessibles à tout travailleur, de même qu'à tout employeur. C'est un prérequis indispensable à la mise en place et au bon fonctionnement des mécanismes de participation des travailleurs et des employeurs" et là, je cite le livre blanc. Je n'insisterai jamais assez sur cette dimension, mais ces quelques précisions étant apportées, je voudrais, au cours de cette présentation, vous soumettre quelques questions qui me sont venues à l'esprit, à la lecture du projet de loi no 17.

Ces interrogations permettront peut-être de soulever quelques ambiguïtés qui ont pu se glisser au cours de la préparation du projet de loi ou encore vous permettront de clarifier certaines de mes mauvaises interprétations. Ces questions témoigneront, de plus, de mes deux préoccupations fondamentales en vue d'assurer le succès de la réforme et concernant précisément les programmes de formation, c'est-à-dire leur accessibilité à tout travailleur et leur importance dans la prise en charge par le milieu de travail c'est-à-dire qu'on doit les considérer comme un prérequis indispensable à une telle entreprise.

La première de ces interrogations est: Est-ce que les organismes ou individus appelés à réaliser les programmes de formation à l'intention des travailleurs et des employeurs poursuivent tous l'objectif qui pourrait se lire comme suit: rendre les travailleurs et les employeurs aptes à éliminer les causes d'accidents du travail et de maladies professionnelles?

Les associations patronales forment les employeurs dans leur secteur d'activité, tel que prévu dans le projet de loi, et j'ose espérer qu'elles poursuivent un tel objectif. Les associations syndicales de leur part forment leurs membres et je suis convaincu qu'elles poursuivent l'objectif défini précédemment. Les associations syndicales sont d'ailleurs le moyen privilégié pour élaborer et réaliser les programmes de formation et d'information s'adressant à leurs travailleurs.

La possibilité de rejoindre tous les travailleurs membres de l'association syndicale existe via cet organisme, mais malheureusement ces travailleurs ne constituent que moins de 30% des travailleurs québécois.

Les autres travailleurs qui constituent, de fait, la majorité, ne pourront être formés que par leurs employeurs ou leur association sectorielle paritaire, comme semble le laisser entendre le projet de loi no 17. Si le programme de formation des travailleurs est réalisé par leur employeur, tel qu'il semble être prévu à l'article 48, ce programme, même s'il a été établi par le comité de santé-sécurité, pourrait-il contenir autre chose que des

éléments d'information sur les risques d'atteinte à la santé, à la sécurité, par poste de travail, et les modalités d'entraînement du travailleur aux méthodes de travail sécuritaire, en plus de contenir, évidemment, quelques éléments sur les obligations du travailleur?

Je crois personnellement que c'est le maximum qu'on peut exiger de la part de l'employeur, mais un programme de formation, qui viserait à rendre le travailleur apte à éliminer les causes d'accident et de maladie provoqués par son milieu de travail, devrait avant tout, avoir permis au travailleur de connaître ses obligations, connaître et exercer ses droits, connaître et exercer les différents recours à sa disposition s'il croit avoir été lésé dans ses droits, avec tout ce que cela présuppose comme acquisition de connaissances et d'apprentissage d'un minimum de savoir-faire.

Peut-on exiger de l'employeur de former ses travailleurs pour les rendre aptes à évaluer s'ils ont des motifs valables pour cesser de travailler? Aptes aussi à exercer leur droit de refus ou leur droit au retrait préventif, aptes à utiliser les différents recours prévus par la loi, s'ils croient avoir été lésés dans leurs droits.

C'est malheureusement cette ambiguïté que l'on découvre à la lecture du projet de loi et qui peut facilement être corrigée en précisant les objectifs que doivent poursuivre les programmes de formation et d'information s'adressant aux travailleurs qui ont été établis préalablement par le comité santé-sécurité et mis en application par l'employeur.

Si ces précisions étaient apportées, un trou demeurera encore dans la loi. Comment amener les travailleurs non syndiqués à se prendre en charge, s'il n'y a pas de programme de formation poursuivant un tel objectif qui leur est offert? On pourrait toujours nous répondre que les associations sectorielles paritaires ont justement comme mandat à l'article 76, de fournir aux travailleurs et aux employeurs appartenant aux secteurs d'activités qu'elles représentent des services de formation et d'information, de recherche et de conseil. (12 h 30)

Cependant, en lisant un peu plus loin le projet de loi, nous y découvrons quelques précisions de cet énoncé très large, comme c'est le cas pour d'autres énoncés du même type, par exemple, les droits des travailleurs à l'article 9, les obligations de l'employeur à l'article 40 et le programme de prévention à l'article 48. Cette précision au sujet des programmes de formation et d'information de l'association sectorielle paritaire soulève une autre ambiguïté du projet de loi. Est-ce que les services de formation et d'information fournis par l'association sectorielle paritaire se limitent à l'élaboration de programmes-types de formation et d'information à l'usage des comités de santé et de sécurité, de même qu'à l'usage des comités de chantier? Si tel est le cas, la formation des membres des comités de santé et de sécurité débute quand le comité est formé. À l'exception des travailleurs membres d'une association syndicale qui recevront de leur association syndicale la formation nécessaire à l'exercice de leurs fonctions, les autres travailleurs recevront leur formation de l'association sectorielle quand ils seront membres du comité de santé et de sécurité.

Si les travailleurs non syndiqués et ne faisant pas partie d'un secteur d'activités économiques où il y a une association sectorielle paritaire ne pouvaient pas former ou participer à des comités de santé et de sécurité, la réforme serait partielle, mais les chances de succès et de prise en charge par le milieu de travail seraient beaucoup plus grandes puisqu'on a déjà reconnu l'importance des programmes de formation comme prérequis à la mise en place et au bon fonctionnement des mécanismes de participation sur lesquels s'appuie la réforme. Tel n'est pas le cas, et à l'article 57, qui précise le processus pour former un comité de santé et de sécurité, tout groupe de travailleurs ou tout employeur d'un établissement groupant plus de dix travailleurs peut former un comité de santé et de sécurité. Cet article démontre la volonté nette du législateur de donner une portée presque universelle à la réforme proposée, ce qui est en accord avec la reconnaissance des droits des travailleurs qui ne se limite pas à la reconnaissance des droits pour certaines catégories de travailleurs.

En contrepartie, puisqu'on donne une portée universelle ou presque à la loi, pourquoi ne mettons-nous pas à la disposition de l'ensemble des travailleurs les services jugés prérequis au bon fonctionnement des mécanismes de prise en charge? C'est cette courte réflexion qui m'a amené à vous proposer la création d'un service de prévention régional.

Je voudrais apporter, sur le mémoire que j'ai déposé, quelques précisions concernant ce service de prévention régional qui semble être demeuré obscur. Quand même, c'est à la limite de ce que je peux en connaître.

Ce service de prévention régional pourrait assumer d'autres fonctions, en plus des fonctions de formation et d'information et de conseils auprès des milieux de travail non syndiqués et de secteurs d'activités où il n'y a pas d'association sectorielle. Il se devrait d'être, pour respecter l'esprit de la réforme, donc ce service de prévention régional se devrait d'être paritaire. Une équipe multidisciplinaire apte à répondre à toute question provenant du milieu de travail constituerait l'élément essentiel à la création d'un tel service de prévention régional. Ce service pourrait de plus travailler à l'adaptation de programmes-types de formation élaborés par l'association sectorielle paritaire et mis à la disposition des comités de santé et de sécurité. Il pourrait procéder de plus à la définition de priorités régionales, procéder à l'évaluation des programmes de formation et d'information. Si je souligne ce point, les différents autres programmes prévention et santé, il y a déjà un mécanisme prévu pour les évaluer. On investit quand même des sommes importantes pour la formation dans le projet de loi, et nulle part il nest fait mention de l'évaluation des programmes de formation et d'information. Ce service pourrait

procéder de plus à l'évaluation des programmes de prévention avec la commission de la santé et de la sécurité au travail, procéder à l'évaluation et à l'amélioration du fonctionnement des comités de santé et de sécurité, faire des représentations auprès de l'organisation centrale pour faire connaître les besoins des milieux de travail de sa région. Pour accomplir ces différentes fonctions, le service de prévention régional doit avoir accès aux données et compter sur la participation des services d'inspection d'hygiène industrielle et de médecine du travail, de même que sur la participation des associations sectorielles paritaires. Ces différents services fournissent la matière première des programmes de formation et d'information, de sensibilisation du milieu de travail. Ce service de prévention régional doit aussi avoir suffisamment de liberté d'action pour pouvoir, sans risque de représailles, acheminer son évaluation, ses critiques et recommandations à l'organisation centrale.

Ces recommandations des services de prévention régionaux ont leur importance puisqu'elles sont le reflet de réactions des milieux de travail et des intervenants dans ces milieux et qu'à ce titre, elles ont droit à la plus haute considération. Le législateur devra donc démontrer beaucoup de souplesse dans la définition des mécanismes de participation du service de prévention régional avec les instances décisionnelles.

Mon mémoire, en vous proposant ce service de prévention régional ne voulait pas mettre en doute l'approche sectorielle. Au contraire, je crois que le législateur a fait un pas important pour assurer le succès de la réforme quand il a créé ces associations sectorielles paritaires. Je crois tout simplement qu'il s'agit seulement de faire un pas de plus, et cette fois-ci du côté de l'approche régionale pour garantir le succès des mécanismes de participation de tout travailleur et de tout employeur à l'élimination des causes d'accidents et de maladies professionnelles.

Ces deux approches se doivent d'être complémentaires et il ne doit pas y avoir de duplication entre l'une et l'autre. Je crois aussi important de donner une reconnaissance juridique à ce service de prévention régional en définissant dans la loi sa composition, ses fonctions, et en précisant son articulation avec l'organisation centrale. Ce service a un rôle tout aussi important pour assurer le bon fonctionnement des mécanismes de prise en charge par le milieu que l'association sectorielle paritaire et il serait malheureux de ne pas reconnaître cette importance en ne considérant ce service que comme un mode administratif de l'organisation centrale sans lui assurer cette stabilité et cette précision que pourrait lui conférer une reconnaissance juridique.

Toujours dans l'esprit d'offrir le plus possible à tous les travailleurs de quelque secteur d'activité que ce soit les services de formation, n'y aurait-il pas lieu d'envisager un rôle de formation pour le représentant à la prévention et le délégué de chantier, puisque le représentant à la prévention, comme le délégué de chantier, peut être libéré de ses tâches pour participer à des programmes de formation du ministère de l'Éducation ou à des programmes dont le contenu et la durée sont approuvés par la commission? Puisqu'ils ont comme fonction d'assister les travailleurs dans l'exercice de leurs droits, est-ce qu'ils ne pourraient pas, les représentants à la prévention ou les délégués de chantiers jouer un rôle de formateurs auprès des travailleurs, ce qui leur permettrait de véritablement assister le travailleur dans l'exercice de ses droits?

Cette fonction de formateur du représentant à la prévention ou du délégué de chantier est peut-être implicite dans la fonction d'assister le travailleur dans l'exercice de ses droits, mais, pour enlever toute ambiguïté, il y aurait avantage à le préciser.

Le service de prévention régional pourrait participer à la formation des représentants à la prévention des entreprises non syndiquées, ou encore des entreprises où il n'y a pas d'association sectorielle paritaire, et les assister dans l'élaboration et la réalisation des programmes de formation à l'intention des travailleurs de leur entreprise. Si tel est l'élargissement de la fonction du délégué de chantier, il y aurait lieu de réviser le temps que ce dernier consacre à ses fonctions, selon la Loi sur les relations de travail dans l'industrie de la construction, car ce dernier continue de jouer son rôle en vertu de cette loi, c'est-à-dire l'application du décret, et il cumulerait de plus les fonctions de délégué de chantier, en vertu du projet de loi no 17, et la fonction de formation et d'information des travailleurs de la construction. Son association syndicale assurerait, à ce moment-là, la formation du délégué de chantier, sa supervision dans la formation des travailleurs et l'évaluation des programmes de formation s'adressant aux travailleurs de la construction.

Voilà, messieurs les membres de la commission, en bref, les éléments que je jugeais les plus fondamentaux dans le mémoire que j'ai déposé à cette commission parlementaire. J'ose espérer que ces représentations n'auront pas été vaines et qu'avant janvier 1980 je pourrai prendre connaissance des modifications et précisions qui auront pu avoir été apportées au programme de formation et d'information en vue de lui accorder l'importance qui lui revient dans la mise en place et le bon fonctionnement des mécanismes de prise en charge par le milieu de travail.

Le Président (M. Dussault): Merci, M. Moris-set. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, M. Morisset, je voudrais tout d'abord m'excuser de mes absences occasionnelles depuis le début de nos travaux, ce matin. Il y a des journées comme cela. Je pense bien qu'on comprendra, en écoutant les nouvelles en fin de journée, en lisant les journaux demain matin, que c'est une journée un peu spéciale. En plus, je tiens à vous dire que j'ai pris attentivement connaissance de votre mémoire, je l'ai regardé de très près.

Cela dit, je n'ai pas l'intention de tout relever, il y a des recommandations dans votre mémoire... je pense que vous mettez le doigt sur des failles de rédaction sur lesquelles il faudra qu'on revienne, on va regarder ça. Vous semblez indiquer — ce sera mon premier commentaire — que le projet de loi ne précise pas les objectifs du programme de formation et d'information, c'est-à-dire de viser toujours cette perspective de l'objectif fondamental de l'économie générale de la loi qui visait à éliminer à la source les causes même d'accidents et de maladies. Je ne sais pas si les articles 48, l'introduction, le deuxième paragraphe, le deuxième paragraphe de l'article 63, les articles 64, 76, 129, aussi... Enfin, il y a un certain nombre d'articles qui me semblent — je l'espère, en tout cas, si ce n'est pas clair et pas suffisant, on va y voir en cours de révision du projet... le but ultime des programmes de formation et d'information doivent être accrochés à l'objectif ultime, c'est-à-dire de viser l'élimination à la source des causes d'accidents et de maladies.

Quant à votre recommandation concernant le deuxième paragraphe de l'article 76, il est possible que vous ayez raison et qu'on doive le réviser pour s'assurer... en tout cas, être certain que l'association sectorielle puisse faire de la formation et non pas seulement établir des programmes types.

Une chose qui m'a frappé également — je la signale au passage parmi d'autres — en ce qui concerne les chantiers de construction, il est possible qu'il y ait une interprétation de l'article 81 qui pourrait nous amener à conclure que les services de santé ne sont pas prévus pour ce secteur. On va regarder ça de très près, parce qu'il est hors de question que ce soit le cas. C'est évident qu'ils doivent être couverts aussi.

Quant à l'évaluation, qui est une des dimensions que vous avez abordées, la formation et l'information faisant partie d'un programme au sens large de prévention, tel que défini à l'article 48, notamment, sera donc forcément évaluée en même temps qu'on devra, de façon périodique, procéder à l'évaluation de l'ensemble du programme de prévention.

Il y a une dernière chose que je voudrais ajouter. C'est celle-ci: vous avez insisté — vous n'êtes pas le premier à le faire devant nous, et je pense que c'est plus que légitime, vous avez parfaitement raison — sur cette idée d'une régionalisation des services de la commission, s'assurer qu'elle est présente en région. On a eu l'occasion d'y revenir en abordant, en particulier, la question de l'inspection, mais plus globalement aussi, l'ensemble des opérations de la commission. Je peux vous assurer que, tant et aussi longtemps que j'aurai un mot à dire dans ce dossier, c'est l'intention arrêtée de s'assurer que les services de cette commission seront pleinement et totalement régionalisés, parce que c'est la seule façon d'arriver à coller au maximum à la réalité et de s'assurer que les services les plus élémentaires, de base, soient accessibles et présents dans le milieu.

Voilà, M. le Président, les quelques commentaires que je voulais formuler à la suite de l'exposé de M. Morisset et je voulais, en terminant, le remercier, parce qu'il est un des seuls qui a mis le doigt sur un certain nombre d'éléments qui, peut-être oui, sont des failles de rédaction et qu'on va regarder de très près. Je vous remercie.

Le Président (M. Dussault): M. Morisset.

M. Morisset: M. le ministre s'est absenté, probablement à juste titre, mais il y a quand même un élément sur la question de l'évaluation du programme de formation et d'information que j'ai soulevé au cours de l'exposé qui n'était pas dans la lecture du mémoire, c'est le fait que les programmes de formation et d'information qui s'adressent aux travailleurs doivent les rendre aptes à exercer leurs droits, à connaître leurs obligations, à exercer d'autres fonctions qui peuvent être amenées à jouer... et, avec toutes les connaissances et le minimum de savoir-faire que cela présuppose. J'ai dit cela dans mon exposé. Le programme de prévention demeure sous la responsabilité d'un employeur quant à sa mise en application et la question que je soulève est celle-ci: est-ce que l'employeur peut former un travailleur pour lui dire quand exercer son droit de refus?

M. Marois: C'est pour ça...

M. Morisset: C'est à partir... Excusez...

M. Marois: Oui.

M. Morisset: C'est à partir de ça que je prévoyais... J'accorde à l'employeur la possibilité d'informer le travailleur et l'obligation de la part de l'employeur d'informer ses travailleurs concernant les risques et donner une formation pour des méthodes de travail sécuritaire, mais qu'à partir du moment où il y a de la formation qui doit être acquise pour l'exercice des droits, des obligations et d'autres fonctions, je ne crois pas que ça puisse relever de l'employeur et que l'évaluation du programme de prévention puisse, à ce moment-là, évaluer d'autres facettes du programme de formation que celui que l'employeur est appelé à donner.

M. Marois: C'est pour ça... Vous avez parfaitement raison. C'est pour ça qu'en plus des programmes de formation, qu'ils soient nationaux, sectoriels, à la base ou régionaux, prévus et qui devront être conçus sur une base paritaire, qu'il est prévu aussi — si ma mémoire est bonne, ce sont les articles 78 et 79 du projet de loi — que des fonds, des ressources financières seront mises à la disposition, notamment, des associations de travailleurs pour faire en sorte de leur donner les moyens et le soutien financiers, leur permettant, eux-mêmes, de développer leurs propres programmes d'information et de formation visant non seulement à communiquer l'information qui deviendrait enfin disponible, par exemple, sur les produits dangereux et les "contaminants" qui sont

utilisés en entreprises ou dans les procédés de fabrication, mais, en plus, sur les droits qu'ils ont, sur la protection qu'ils ont quand ils exercent ces droits, parce que c'est une chose essentielle. C'est beau de reconnaître des droits; c'est important de s'assurer, en conséquence, qu'ils sont connus, et c'est important aussi de démystifier l'espèce de crainte psychologique, dans certains cas, de l'exercice de ces droits, les craintes de représailles qui sont attachées à une longue tradition de mesures disciplinaires ou de représailles. Là-dessus, vous avez parfaitement raison. (12 h 45)

M. Morisset: Je voudrais d'abord remercier aussi pour un autre point que vous avez soulevé, c'est-à-dire la régionalisation des différents services de la commission. J'apprends qu'en plus des services d'inspection, des services de formation et d'information probablement seront réalisés, de même que les services d'hygiène industrielle. Je suis heureux de l'entendre.

Le Président (M. Dussault): Merci. M. le député de Richmond.

M. Brochu: Vous me permettrez quelques commentaires concernant les déplacements de plus en plus fréquents du ministre d'État au développement social. Je voudrais, au nom de mes collègues de la commission parlementaire, le remercier de sa belle participation aux travaux de notre commission et le cas échéant, si cela devait être le cas, lui souhaiter bonne chance dans ses nouvelles fonctions.

M. Pagé: On consulte toujours l'Opposition et on a jugé bon de le garder.

Le Président (M. Dussault): II n'y a pas d'autre intervention.

M. Marois: Vous allez peut-être être pris pour m'endurer encore un bon bout de temps, peut-être pas mal plus longtemps que vous pouvez le penser.

Le Président (M. Dussault): Je vous remercie au nom de la commission pour votre collaboration aux travaux de cette commission. J'invite maintenant le dernier groupe, soit le Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais Inc.

Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais

M. Ménard (Louis): M. le Président de la commission, de la façon dont nous comptons procéder au nom du Comité des travailleurs accidents de l'Outaouais Inc., c'est que chaque membre du comité va présenter un aspect de nos recommandations. J'invite le président du Comité des travailleurs accidentés Inc., M. Laurin, à entamer le pas dans le cadre des présentations.

M. Laurin (Richard): M. le Président, MM. les ministres, au nom de tous les membres du Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais Inc., nous remercions les responsables de cette commission parlementaire, particulièrement le ministre d'État au développement social, M. Pierre Marois, de bien vouloir entendre nos recommandations relativement au projet de loi no 17, santé et sécurité au travail.

Le présent document vient compléter...

Le Président (M. Dussault): M. Laurin, si vous le permettez auparavant, puisqu'on a été un peu pris par d'autres questions qui sont dans l'air, est-ce que vous pourriez identifier les gens qui vous accompagnent?

M. Laurin (Richard): II y a M. Bonin, M. Desjardins, M. Leblanc, M. Cadotte, M. Bourque et M. Ménard.

Le Président (M. Dussault): Je vous prierais, compte tenu du nombre de pages de votre mémoire, de le résumer autant que possible, de façon à ce que l'on puisse faire tout cela en dedans de vingt minutes.

M. Laurin (Richard): Nous appuyons le présent gouvernement pour son initiative de proposer une loi sur la santé et la sécurité au travail. Cependant, nous estimons que l'ensemble des droits, tel que rédigés au projet de loi, visant à assurer la santé, la sécurité, l'intégrité physique des travailleurs, ne pourront pratiquement pas être exercés par l'ensemble des travailleurs, particulièrement les travailleurs non syndiqués.

Nous ne pouvons faire payer de leur santé le fait que des travailleurs ne soient pas syndiqués. Par conséquent, il importe de prévoir une loi beaucoup plus à la portée de tous les travailleurs. De plus, l'effort du gouvernement dans une législation sur la santé et la sécurité au travail devrait comprendre non seulement la prévention, mais aussi l'indemnisation et la réhabilitation de ces travailleurs.

M. Desjardins: M. le Président, M. le ministre. MM. les députés. Comme le travailleur, et pour les travailleurs de l'Outaouais, concernant le droit de reprendre le travail dans le but de permettre une véritable intégration des travailleurs et d'éviter toute dégradation socio-économique, nous estimons que la loi sur la santé et la sécurité devrait prévoir le droit à un travailleur de reprendre son emploi après son établissement, avec les mêmes avantages qu'il avait avant son accident ou sa maladie de travail.

Est-ce que je vais lire le texte au complet avant de... Excusez-moi, mais je ne suis pas un diplomate ni... Je vais parler comme travailleur, ça fait 25 ans que je suis à l'ouvrage. À l'âge que j'ai...

Une voix: ... On comprend ça.

M. Desjardins: D'accord! La loi devrait couvrir les deux situations qui font suite à un accident du travail: a- Rétablissement complet: Une fois que l'état de santé de l'accidenté est reconnu par son

médecin traitant comme étant normal, ce salarié peut réintégrer ses fonctions pour le même employeur, sans devoir encourir une perte de salaire. Si l'employeur refuse de reprendre l'accidenté, il devrait verser son salaire normal au salarié; b- Rétablissement partiel: Si l'accident du travail laisse une incapacité partielle permanente qui empêche, d'après son médecin traitant, l'accidenté d'accomplir la même fonction qu'auparavant, son employeur doit lui fournir un emploi approprié à sa condition, sans aucune perte de salaire et avec les mêmes bénéfices. Si l'employeur ne peut pas fournir un tel emploi à l'accidenté, la responsabilité de maintenir son salaire intégralement et de lui trouver un emploi approprié ailleurs, revient à la CAT.

Je m'explique: Quand un travailleur arrive à la compagnie, accidenté de façon assez grave pour ne pas pouvoir travailler, que font-ils? Ils l'envoient soit à la Régie de l'assurance-maladie ou à la CAT... Ensuite le cas est retourné à la CAT qui le retourne à un autre médecin et ainsi de suite. On devient tanné de ça parce que vraiment c'est le gros trouble qu'on a. J'en ai des preuves, étant travailleur depuis 24 ans et onze mois, à la même place. Je pense que mon devoir de citoyen pour la compagnie est... C'est tout pour moi.

M. Gauthier (Yvon): Le point no 2 de notre programme c'est pour assurer à tous les travailleurs l'exercice du droit de participer à l'élaboration et au contrôle des moyens de prévention au travail. Ce que nous voulons, c'est que ce programme couvre tous les travailleurs et non seulement un petit groupe. À cette instance, nous formons les recommandations suivantes: Premièrement, regardant les comités de la santé et sécurité, que l'article 56 du projet de loi soit amendé de manière à rendre obligatoire pour tous les établissements la mise sur pied d'un comité de sécurité et santé au travail.

Ce que nous voulons dire par ceci, c'est que quelle que soit l'ampleur de l'établissement, qu'il y ait 20 employés, 200 ou deux ou trois, que le comité devrait être obligatoire. C'est pour protéger non seulement ceux qui sont syndiqués... Le gros problème avec les accidents du travail est dans le domaine des non-syndiqués. Donc, c'est dans ce domaine-là aussi qu'il faut bûcher dans le tas.

Le deuxième point serait que l'article 63 du projet de loi soit amendé de façon à accorder au comité de la santé et sécurité, le pouvoir d'élaborer le programme de prévention dans son établissement. Le projet de loi accorde certains droits aux membres de ce comité, de faire des recommandations, etc. Mais faire des recommandations seulement auprès de l'employeur, cela ne veut pas dire que ce sera appliqué. Ce qu'on demande, c'est que ce comité ait un pouvoir réel pour participer au programme d'élaboration pour la prévention des accidents.

Troisièmement, on ajoute, dans les obligations générales de l'employeur prévues à l'article 40, celle de respecter le programme de prévention élaboré par le comité de santé et sécurité de l'établissement, donc, de faire fonctionner ce comité, lui donner une couverture dans la loi qui lui donne l'autorité de faire appliquer les règles ou le programme.

Quels seraient les pouvoirs des représentants à la prévention? Nous proposons d'ajouter à l'alinéa 1 de l'article 69 du projet de loi la phrase suivante: "et d'obliger l'employeur à corriger dans les meilleurs délais toute situation dangereuse pouvant porter atteinte à la santé et à la sécurité des travailleurs." Il est acquis que l'employeur ne fera pas de démarche pour prévenir un accident à moins que quelque chose se soit produit auparavant; il va attendre en dernière instance.

Nous voulons parler du choix du représentant. Nous proposons de modifier l'article 67 afin de permettre qu'un travailleur accidenté puisse être choisi comme représentant à la prévention. Ce que nous voulons dire, c'est qu'un homme averti en vaut deux. Un accidenté a déjà passé à travers... Ce qui peut arriver, moi-même j'ai déjà eu un accident et avant que ça m'arrive, je me disais: Cela ne peut pas m'arriver. Quand c'est arrivé, j'étais l'homme le plus surpris au monde. Si on prend un accidenté, il est plus conscient. Deuxièmement, peut-être qu'on pourrait choisir prioritairement un accidenté qui ne peut plus reprendre son travail habituel à cause d'une infirmité partielle ou quelque chose du genre. Ces personnes qui feraient partie du comité, il faudrait leur donner une formation adéquate pour qu'elles puissent remplir leur tâche convenablement.

Ensuite, nous demandons le droit à l'information. Que tous les travailleurs, quels qu'ils soient, dans quelque entreprise qu'ils soient, quelle qu'en soit l'ampleur, qu'ils soient syndiqués ou non, aient droit à l'information. Afin que le droit à l'information soit vraiment accessible à tous les travailleurs, nous proposons que l'article 80 du projet de loi accorde à la commission de santé et de sécurité, comme on a à l'Office de la protection du consommateur, le pouvoir de subventionner tout groupe à but non lucratif qui a pour objet principal la défense et la promotion des droits à la santé et sécurité au travail.

M. Laurin (Richard): Nous croyons que la question de l'indemnisation qui constitue sûrement une des préoccupations du gouvernement doit être abordée dans cette loi, d'autant plus que la commission de santé et de sécurité qui est proposée aura la tâche d'administrer ce régime et qu'elle remplacera l'actuelle Commission des accidents du travail. Nous demandons donc, à ce sujet, que la loi garantisse à chaque travailleur accidenté ou atteint d'une maladie professionnelle 100% de son salaire régulier, que ses indemnités soient automatiquement ajustées au taux de salaire que le travailleur accidenté aurait reçu s'il était toujours à son travail. Une politique de la santé et de la sécurité étant à la fois prévention et réparation, elle doit être complétée par un système d'indemnisation qui empêche toute dégradation socio-économique causée par un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Je crois que toute personne qui a eu un accident, comme nous en sommes des victimes, sait qu'un accident, c'est une punition, en partant. Souvent, on sort avec des morceaux en moins, on retourne au travail et c'est une adaptation nouvelle et, en plus, on est coupé du côté salaire. Présentement, les chirurgiens qu'on a font de la réparation. (13 heures)

M. Bourque (Gilles): Nous demandons que le droit de cesser un travail dangereux devienne un droit collectif et que son exercice soit conditionnel à l'existence d'un motif, et non pas d'un motif raisonnable. Par expérience, on peut dire que pour le patron le motif est raisonnable seulement quand il a déjà provoqué un accident avec ou sans blessures. Face au chantage des pénalités de toutes sortes, quel travailleur va jouer au martyr et accepter de refuser un travail risquant ainsi de perdre sa "job" ou son revenu? Le recours collectif est nécessaire aux fins de la défense et de la protection des droits des travailleurs, n'étant pas les seuls à refuser le travail, ayant le soutien soit du syndicat, soit d'autres personnes à l'intérieur de l'usine.

En conséquence, l'article 11 devrait se lire comme suit: Un travailleur ou son représentant, en son nom, a le droit de refuser d'exécuter un travail, s'il a des motifs de croire que l'exécution de ce travail l'expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique et psychique, ou peut avoir l'effet d'exposer une autre personne à un semblable danger. Évidemment, aucune sanction ne devrait pouvoir être exercée suite à l'exercice de ce droit de refus. Il faut assurer à tous les travailleurs le libre exercice de leurs droits sans contraintes ni pénalités.

Tel que rédigé, l'article 12 permettrait à plusieurs employeurs de faire indûment échec au droit de refus. Pour enlever toute ambiguïté, le gouvernement devrait prévoir que les fonctions qui comportant normalement et habituellement des risques seront déterminées par règlement, car il faut s'attaquer aux mauvaises conditions de travail à leur source et éliminer tout risque soi-disant normal à l'exception de quelques-uns déterminés par règlement.

M. Cadotte (Paul): Au sujet des médecins, plusieurs des recommandations formulées par le mémoire du comité sont satisfaites en totalité ou en partie par le projet de loi. Cependant, les trois points suivants y sont malheureusement absents et nous réclamons leur adoption: Le droit au médecin de son choix, paragraphe a). La Loi sur la santé et la sécurité du travail devrait reconnaître clairement que tout travailleur a droit au médecin traitant de son choix et que les rapports médicaux de celui-ci servent de référence unique pour le paiement, l'indemnité et la fixation du taux d'incapacité sans que la Commission des accidents du travail ne puisse les contester.

La Commission des accidents du travail devrait s'en tenir strictement à l'aspect factuel d'un accident du travail et ceci pour deux motifs: premièrement, contester un rapport médical, c'est douter de l'honnêteté et de la compétence d'un médecin. Or, nous croyons, comme c'est le cas pour les autres corporations professionnelles, qu'il revient à l'organisme chargé de contrôler l'exercice de cette profession de sévir s'il y a lieu.

Deuxièmement, l'indemnisation relève, malgré les limites imposées par la Loi sur les accidents du travail, de la responsabilité civile et, en ce domaine, il ne revient pas au juge de contester une demande. Or, la CAT, en contestant un rapport médical, agit comme juge et partie à la fois. Le travailleur accidenté a déjà assez de difficulté à repousser les contestations de l'employeur sans y ajouter celles de la CAT.

La présence de personnel médical. Afin d'assurer la présence d'un personnel médical permanent dans un plus grand nombre d'établissements, nous proposons l'adoption du texte qui suit: Lorsque, dans un établissement, le nombre de travailleurs, la nature du travail ou le niveau de risques le justifie, la commission doit prévoir l'affectation obligatoire de personnel médical permanent. Quant au personnel médical de l'établissement, les articles 63 et 85 du projet devraient être amendés de manière à inclure tout le personnel médical d'un établissement comme étant nommé par le comité de santé et de sécurité et rémunéré par l'assurance-maladie du Québec, ceci afin de garantir une totale impartialité et honnêteté de tout ce personnel, surtout quand le médecin responsable n'est pas assigné à l'établissement.

Je m'excuse, non pas de l'instruction que j'ai, non pas de parler en public, je n'ai jamais parlé en public, mais il y a une chose qui me touche personnellement, de même que plusieurs accidentés du travail, c'est la question du médecin.

Dans mon cas, je suis suffisamment accidenté. Mon médecin traitant, mon spécialiste, c'est fini, mon affaire. Il me dit: II n'y a pas de retour au travail. Correct, la commission va nous payer un certain montant de temps. Ensuite, il nous envoie au spécialiste de la commission, s'il est un médecin spécialisé. Moi, c'est le coeur.

De là, ce spécialiste te sort un rapport médical disant qu'il n'y a rien à faire dans ton cas. Ils vont te donner un 10%, un 5% ou un 20%. En ce qui concerne le retour au travail, ton médecin traitant dit qu'il n'en est pas question, parce que tu as de la misère à te tenir debout.

Ce que tout accidenté n'aime pas c'est de se faire garrocher d'une place à l'autre et que deux médecins spécialisés dans ton cas disent: Tu ne bouges pas de là. Tu n'es pas capable; en réalité on n'est pas capable. Un des spécialistes de la commission va décider: Dans ton cas, tu vas travailler. Meurs, fais ce que tu voudras, va travailler.

On retourne au travail. Celui qui nous engage dit: Ici, ce n'est pas hôpital, si tu n'es pas capable de faire ton travail, va-t-en chez vous, on n'a pas besoin de toi. On s'en retourne chez nous et le médecin de la commission... là on n'a plus de prestations qui entrent. On n'a plus rien. Là, on

vient près de perdre tout ce qui nous reste: le petit brin qu'on a accumulé toute notre vie. Moi, j'ai travaillé 35 ans et, aujourd'hui, je suis en train de perdre ma maison et je ne pourrai jamais en avoir une autre à cause d'une décision d'un médecin de la commission. Je ne le méprise pas, mais je ne sais pas sur quoi il se base, par exemple, pour nous donner ces traitements. C'est cela qu'on voudrait qui entre dans ce projet de loi, que le médecin traitant ait la force de le dire.

Aujourd'hui, les médecins ne veulent plus voir de cas de CAT. Si on mentionne CAT, ils ne veulent rien savoir de cela. C'est un problème. On est dans un problème grave.

M. Laurin (Richard): Dans le contexte actuel, je crois tout simplement que les rapports médicaux de nos médecins, c'est de la bouillie pour les chats, puisqu'on les accepte si on veut, et on les rejette aussi vite. Donc, s'il n'y a pas un amendement à la loi à cet effet... ce n'est pas mêlant, nos médecins sont des marionnettes. C'est la manière que je le vois.

M. Cadotte: Si on prend deux spécialistes... Je parle de moi-même, personnellement. Je trempe là-dedans depuis six ans. Je n'ai jamais été malade de ma vie. On a toujours payé des impôts comme n'importe qui. On a toujours travaillé. Si on est accidenté, c'est parce qu'on a travaillé. On se demande où on s'en va avec cela? On ne le sait plus.

Ils nous traitent de paresseux, de ce qu'on veut, quand on a de la misère à se tenir debout. J'ai de la misère à me tenir debout aujourd'hui pendant que je vous parle.

On demande à la commission de faire quelque chose de ce côté-là. Je ne suis pas le seul. Tout accidenté du Québec qui a fait affaire avec la CAT, qui est pris dans le même pétrin que moi, va dire la même chose. Ils nous garrochent de Hull à Montréal et de Montréal à Hull et également à Québec. Cela n'a pas de bon sens. Cela coûte une fortune. Si je vous disais que dans six ans, cela fait 52 médecins que je vois à l'Institut de cardiologie, le Sacré-Coeur de Montréal, le Sacré-Coeur de Hull, le Général d'Ottawa. On est garroché, c'est une affaire terrible.

Ils nous prennent pour les déchets de la société. C'est de valeur, parce qu'on a payé des taxes nous aussi et on a travaillé pour bâtir la province. On est dans cette position aujourd'hui. C'est pour cela qu'on demande qu'on fasse quelque chose avec la loi 17. C'est important, parce qu'il y a un coin de la province qui va devenir une province d'invalides avant dix ans, de la manière qu'on nous traite.

Je ne suis pas le seul à penser cela. C'est tout pour moi.

M. Bonin: Le recours de l'article 189 et les travailleurs non syndiqués. Afin que le recours prévu à l'article 189 du projet de loi soit un peu plus à la portée de tous les travailleurs, nous proposons ce qui suit: a) que le délai de quinze jours pour soumettre une plainte au commissaire général du travail soit étendu à 30 jours, b) que la Loi des normes de travail soit amendée de manière à obliger l'employeur qui congédie ou suspend un salarié à lui remettre en même temps que son dernier bulletin de paie, une copie intégrale de l'article 189 du projet de loi 17.

M. Laurin (Richard): Ceci, je crois, M. le ministre et M. le Président, n'est qu'une petite manière peut-être d'essayer de corriger une lacune à savoir que le travailleur non syndiqué n'a aucune protection. Le travailleur non syndiqué se retrouve tout seul. Premièrement, les trois quarts des travailleurs ne connaissent pas les lois. Cela, c'est reconnu. Donc, le gars est congédié parce qu'il a posé un acte pour sa santé et sa sécurité. On lui donne son "slip" de paie et "that's it", va-t-en c'est fini! Là, on demande au gouvernement, en l'occurrence, de lui remettre un papier l'avisant qu'il a droit à un tel recours. Ceci, je crois, est juste et normal.

M. Bourque: En vertu de l'article 281 du projet de loi, il est prévu que la commission sera substituée à la Commission des accidents du travail du Québec. Les membres du Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais ont perçu, jusqu'à maintenant, la Commission des accidents du travail comme un organisme qui agit de manière arbitraire et représente une source de tracasseries administratives. Un changement de nom est nettement insuffisant.

La réhabilitation au travail et la réadaptation: Nous estimons qu'il est urgent que le présent gouvernement intervienne vigoureusement concernant la réadaptation sociale des travailleurs ayant été victimes d'un accident ou d'une maladie du travail. Pour bon nombre de travailleurs accidentés, ce régime ne représente qu'un appauvrissement graduel. On passe de la CAT à l'assurance-chômage pour aboutir à l'aide sociale, les employeurs s'en lavant les mains.

Nous invitons donc le gouvernement à intervenir sur trois aspects fondamentaux de la réhabilitation actuellement administrée par la CAT. Instaurer un véritable programme de réhabilitation qui reconnaîtrait le droit à une réhabilitation pleine et entière et qui aurait comme double objectif la réinsertion au travail et l'empêchement de toute dégradation socio-économique; réglementer le programme de réhabilitation, de manière à écarter tout l'aspect arbitraire exercé par la CAT dans l'administration de ce régime; troisièmement, reconnaître en appel un droit d'appel direct à la Commission des Affaires sociales sur toute question portant sur le droit à la réhabilitation d'un travailleur victime d'un accident du travail ou maladie professionnelle.

Le bureau de révision: La question des délais et autres embûches devant le bureau de révision préoccupe également le comité et il doute que la nouvelle commission s'en tire mieux que la CAT. À plusieurs reprises, dont en février dernier, le comité a fait valoir ses doléances auprès des ad-

ministrateurs concernés, y compris le président de la CAT, mais sans obtenir un redressement significatif. Les réponses prennent énormément de temps à venir, ainsi que les auditions, lorsqu'on en tient. Cette lenteur est à un tel point coutume que les formules utilisées à titre d'accusé de réception comprennent à l'avance des excuses pour délais, comme en fait foi la copie de la lettre jointe en annexe. Comme vous pouvez voir, l'accident a eu lieu en 1960 et on a répondu en 1978. M. Desjardins es ici présent et peut vous parler de son accident.

Une entente Québec-Ontario: La nouvelle commission sur la santé et la sécurité devrait avoir comme mandat spécifique de négocier une entente avec les provinces voisines afin que les travailleurs résidant au Québec puissent s'adresser à elle s'ils travaillent hors du Québec. Ce problème est particulièrement aigu dans la région de l'Outaouais, à cause du nombre élevé de citoyens québécois qui doivent gagner leur vie à Ottawa ou dans les environs. Ces derniers doivent actuellement s'adresser au "Workmen's Compensation Board of Ontario" où ils sont souvent traités comme des citoyens de seconde classe, ne pouvant obtenir des services en français et doivent se rendre jusqu'à Toronto pour faire reconnaître leurs droits. Il est donc essentiel que la commission effectue les arrangements nécessaires pour que tout résident du Québec puisse produire sa réclamation au Québec en cas d'accident du travail.

M. Laurin (Richard): En ce qui a trait au bureau de révision, moi, j'ai eu une petite aventure. C'était mon premier voyage à Québec en 1977 et, franchement, il était amer. J'attendais pour passer devant le comité de médecins et le type qui est passé devant moi est sorti et j'ai eu la malchance d'entendre les trois médecins, les trois spécialistes... Ils ont traité le cas vite fait... On va lui donner 1% et on n'en entendra plus parler. C'est dommage. J'aurais aimé avoir des témoins pour cette chose, parce que je l'ai vécue. Quand je suis entré dans le bureau ensuite, je vous jure que j'étais petit.

Le Président (M. Dussault): Cela termine la présentation de votre mémoire. Merci. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier le Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais de son mémoire. Il y a plusieurs choses, plusieurs aspects, plusieurs dimensions que vous soulevez dans votre mémoire.

D'une part, je voudrais vous dire que c'est vrai que l'idéal aurait été qu'on ait pu réussir, en même temps, à préparer toute la réforme qui est celle qui, pour la première fois, va introduire dans l'ensemble les outils de la perspective qu'on a de viser à éliminer à la source, autant que possible, les causes même d'accidents et de maladies et c'est déjà tout un morceau. On peut le voir par le genre de discussion. (13 h 15)

Ceux qui ont pu suivre par les media les travaux de la commission parlementaire, ont pu constater que cela tire dans bon nombre de directions en même temps. C'est déjà pas un petit morceau. L'idéal aurait été qu'en même temps on puisse arriver avec ce sur quoi on travaille, pour aboutir le plus vite possible à l'autre dimension que vous évoquiez qui est une révision et une réforme en profondeur du régime actuel d'indemnisation, non seulement du problème des compensations comme tel, mais également toute la question que vous avez évoquez, qui est réelle. Il faut absolument pouvoir trouver une solution à ce problème qui est celle de ce que j'appelle le ballottage d'un médecin à l'autre, de la question des expertises médicales, des contestations pardessus les contestations, et les autres dimensions inhérentes à cela.

Malheureusement, il n'a pas été possible de tout faire en même temps. Ce que je peux vous dire à nouveau, comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer une fois, en cours de route des travaux de cette commission, on espère pouvoir aboutir, dans les meilleurs délais possible, à une révision en profondeur du régime d'indemnisation. Et il faut qu'on y arrive, pour toutes sortes de raisons que vous avez mentionnées et pour une autre raison. On a des morceaux. Il y a la loi 52 qui en est un, il y a la Loi des accidents du travail qui en est un autre. C'est basé sur une philosophie des choses. On compense pour une perte d'intégrité physique, avec, dans certains cas, des résultats que vous avez évoqués, soit des gens qui, à un moment donné, se retrouvent pour reprendre votre expression, passant de l'assurance-chômage à l'aide sociale, alors que des gens veulent... Cela rejoint un autre élément, je vais y revenir.

Ce n'est pas vrai que la majorité des hommes et des femmes du Québec veulent vivre dans un état de dépendance. Ils veulent contribuer à construire, à la mesure de leurs moyens, leur coin local ou régional de pays. Je crois profondément à cela. Il y a des exceptions à cette règle; il y en aura toujours, des exceptions.

Deuxièmement, il y a en plus le régime d'indemnisation de l'assurance-automobile qui a été une grosse réforme. Il est basé sur une philosophie bien différente, une philosophie de remplacement du revenu perdu. Je ne vois pas pourquoi, dans l'étude, dans l'examen des hypothèses d'un réaménagement des régimes d'indemnisation, je ne vois pas pourquoi on ne regarderait pas très attentivement une des choses que vous demandez, qui serait de faire en sorte que si on va vers une philosophie de remplacement du revenu, qu'on remplace le revenu à 100%. Cela ferait un revenu brut à 100% qui serait imposé comme n'importe quel autre revenu. En d'autres termes, que cela ne modifie pas la situation de revenu.

Cela étant dit, deuxièmement, vous avez évoqué la question de la réadaptation. Vous avez raison d'insister là-dessus. Une petite expérience, née sur un laps de temps court, relativement récent, dans la région de Québec, nous aura, j'espère, démontré que ce que bien des gens pensaient impossible est possible. Un seul homme

qui était affecté à la CAT, un seul homme, avec une équipe qui était plus ou moins motivée, vient de réussir. Quand tu regardes cela, tu as l'impression qu'ils ont fait des miracles en peu de temps. Ce n'est pas vrai. Ils ont fait une job qui aurait dû être faite depuis longtemps.

Partant de cette expérience — et cela ne suppose pas des amendements à la loi, cela suppose une volonté d'y arriver et de le faire — peut-être que cela supposera des ajustements dans le cadre de la révision de la réforme sur l'indemnisation, mais enfin, il y a moyen de pousser là-dessus.

Quant à ce que vous évoquez sur les bureaux de révision, c'est vrai qu'il y a de sérieux problèmes de fonctionnement avec les bureaux de révision. Encore là, il n'y a pas besoin de modifications à la loi, il y a besoin tout simplement d'une volonté pour y arriver. Vous pouvez être sûr que mon collègue qui est responsable de la Commission des accidents du travail, le ministre du Travail, est conscient de cela. Je peux vous assurer que c'est son intention arrêtée de pousser pour faire en sorte qu'il y ait des modifications qui soient apportées. Déjà, il y a des expériences qui sont tentées dans la région de Montréal, de même que sur la rive sud de Montréal. Je comprends que vous avez choisi un bon exemple par les cas que vous citez. Mais, de toute façon, les faits sont là pour prouver qu'il y a des attentes qui sont absolument inacceptables et il faut que cela change. Là-dessus, je ne peux pas faire autrement que d'endosser et vous dire que dans la mesure où j'ai un mot à dire là-dessus, et que je pourrai pousser, je vais pousser.

Cela étant dit, je n'ai pas le temps de reprendre en détail toutes et chacune des recommandations de votre mémoire. Soyez assurés qu'elles vont être examinées très attentivement.

Il y a une chose que vous suggérez parce que vous vous préoccupez beaucoup des travailleurs qui ne sont pas syndiqués. Vous avez parfaitement raison, parce qu'il y a 35% des hommes et des femmes qui sont syndiqués au Québec. Dans le secteur privé, il y en a à peine 22%. Donc, la grande majorité ne l'est pas. C'est beau de reconnaître des droits, mais il faut s'assurer que les travailleurs soient capables de les exercer, que ce soit opérationnel et qu'ils aient la protection voulue, qu'ils le sachent et qu'ils connaissent ces droits. C'est vrai, comme vous l'évoquiez, que tu ne te promènes pas avec le char de lois dans tes poches tous les jours pour en prendre connaissance. Donc, il faut des moyens d'information.

Je vais regarder très attentivement votre suggestion concernant le représentant à la prévention, pour que cela puisse être un accidenté du travail. Je ne vois pas pourquoi ça ne se ferait pas. On va regarder le projet de loi sur la base de la suggestion que vous formulez, pour s'assurer que ce soit possible de le faire.

Il y a aussi votre suggestion quant à un soutien financier à des groupes sans but lucratif, à des fins d'information et de formation. On va regarder cela au mérite également. Vous avez fait l'analogie avec la protection du consommateur. Je pense que cela mérite d'être regardé de près.

Il y a deux suggestions intéressantes concernant les recours des non-syndiqués, en particulier, l'idée de l'avis. C'est pourtant tellement simple qu'on aurait dû y penser. Sachez qu'on apprécie que vous l'ayez formulée. Je trouve que c'est simple, mais cela permettrait peut-être aussi d'accrocher à cet avis l'indication des droits que tu as, des protections que tu as, les recours possibles, etc. Je pense qu'il y a là des suggestions qui sont plus qu'intéressantes.

Quant au problème Québec-Ontario et à la nécessité de voir à négocier des ententes, ce n'est pas toujours facile de négocier des ententes de réciprocité. Ce n'est pas une raison pour ne pas regarder cela au mérite.

M. le Président, je m'excuse d'avoir abusé du temps, pour les quelques commentaires-remarques que je voulais faire. Je tiens à remercier le Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais de son mémoire. Encore une fois, il y a des points sur lesquels, concernant directement le projet de loi 17, il y a un certain nombre de points qui sont abordés pour la première fois, avec des suggestions qui sont pertinentes et qui sont intéressantes, et qui méritent d'être étudiées très attentivement. Merci.

Le Président (M. Dussault): Merci, M. le ministre. M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier les représentants du Comité des travailleurs accidentés de l'Outaouais. Je pense que votre seule constitution en comité, comme c'est le cas dans plusieurs autres régions du Québec, en particulier dans mon comté, c'est le Mouvement d'aide aux accidentés du travail, la seule obligation que des gens, en plus d'avoir des problèmes d'accidents du travail et des problèmes avec la commission se sentent et avec, tout le système juridique et légal dans lequel on a à oeuvrer, le seul fait qu'ils soient obligés de se regrouper en association témoigne déjà, par le fait même — c'est presque implicite — que cela ne va pas toujours pour le mieux avec les mécanismes et les dispositions établies au niveau de l'indemnisation et la relation qu'il y a entre le gouvernement et l'usager.

Je vais faire très brièvement moi aussi. Je voudrais ajouter ma voix à celle du ministre, à l'égard de plusieurs choses que vous avez voulu mettre en relief ce matin. Vous avez parlé beaucoup de la réinsertion, de la réadaptation. C'est un élément qui est important. Je pense que nous sommes rendus à une maturité politique, à une évolution politique, dans nos politiques, qu'on se doit de déborder le cadre de l'indemnisation pure et simple. Dans ce sens-là, j'étais heureux, dans les travaux de la commission, que le ministre nous dise que la loi 17 est une étape et que l'étape suivante qui sera nécessaire, ce sera tous les mécanismes d'indemnisation que cela peut impliquer.

On avait déjà un service limité de réinsertion sociale dans le milieu du travail, à la Commission des accidents du travail. Dans une certaine mesure cela a été concluant, mais cela n'a pas eu, jusqu'à maintenant, l'envergure que cela devrait avoir. Et si le gouvernement songe à envisager la possibilité d'une action globale au niveau de la réinsertion sociale, j'inviterais le ministre, entre autres, à regarder cela non seulement à l'égard des accidents du travail. J'ai déjà eu l'occasion de citer en exemple les problèmes que plusieurs travailleurs du Québec connaissent, entre autres avec la Régie des rentes du Québec. Vous allez avoir le travailleur accidenté qui a une maladie. Je donnais souvent l'exemple du camionneur. Cette personne va se faire dire, à l'âge de 50 ans: Mon vieux, tu ne peux plus conduire un camion, tes maux de dos sont tels que c'est fini. Pour ce travailleur, partir à 50 ans et aller se trouver une autre job dans un contexte d'économie difficile et où cela prend des diplômes — et encore là, même ceux qui ont des diplômes ont de la difficulté — ce gars-là est bien souvent condamné à des prestations de chômage pour une vingtaine de semaines et ensuite ce seront les prestations d'aide sociale. Le gars va s'adresser à la Régie des rentes du Québec et on va lui dire que notre Loi de Régime de rentes nous dit que pour recevoir une rente d'invalidité, il faut quasiment que tu sois à peu près mort, ou pas trop loin du salon funéraire, que tu ne puisses pas faire aucun autre travail.

J'invite le gouvernement à se pencher là-dessus. Le ministre d'État au développement social vous disait tantôt: Je pousserai auprès du ministre du Travail qui est responsable de la Commission des accidents du travail, pour qu'il étudie ces questions et que cela aille de l'avant. Je dois vous dire que quant à nous, de l'Opposition officielle, la façon de pousser dessus, c'est de poser des questions à l'Assemblée nationale et on va continuer à en poser, entre autres sur ces aspects et sur l'aspect des comités de révision.

Les comités de révision, à la Commission des accidents du travail, cela a été fait à la suite d'une modification à la loi. Je pense que le législateur était très bien intentionné quand il a voulu établir un mécanisme d'appel d'une décision rendue au premier palier. C'était très bien de permettre aux travailleurs de pouvoir aller se défendre à un autre niveau.

Mais le problème qu'on a dans le moment et que les travailleurs ont, la lettre que vous citez en annexe en témoigne, ils sont embourbés, cela n'a pas d'allure. Cela n'a pas de bon sens; c'est inacceptable que dans la très grande majorité des cas, il faille attendre plusieurs mois. Et ce qui est encore plus grave, c'est que dans certains cas de référence où le type va en appel au Bureau de révision, bien souvent, ce type-là, son médecin ou son spécialiste lui dit: Mon vieux, cela te prend telle opération ou cela te prend tel type de physiothérapie. Et pendant tout le temps que cela traîne au Bureau de révision, le gars n'a pas de traitement, bien souvent. Cela contribue, dans certains cas, à empirer la situation qui prévaut.

C'est peut-être strictement une question de mécanique, et je ne pense pas que le gouvernement ait à présenter une loi pour améliorer ce qui se passe dans les bureaux de révision, mais il faudra peut-être des budgets. C'est peut-être parce que c'est mal structuré ou je ne sais quoi. Mais il faudra s'y pencher. Et j'invite le gouvernement à le faire.

Pour les comités de santé, vous avez demandé plus de pouvoirs. Je dois vous dire que, quant à nous, on est d'accord avec ça et on espère qu'il y aura des modifications au projet de loi dans ce sens-là parce qu'il ne faut pas que ce soit strictement des comités de "parlage" et de "placotage".

Messieurs, merci de votre témoignage de ce matin. C'est un témoignage vécu. Pour ce qui est de la CAT, messieurs, et de votre 1%, ce que vous nous dites, moi, c'est ce que je présumais depuis longtemps. C'est que, malheureusement, actuellement — le ministre d'État au développement social pourrait jeter un coup d'oeil lui-même, même s'il n'a pas de responsabilité à la Commission des accidents du travail — l'impression que j'ai — je peux me tromper — comme député qui rencontre régulièrement des accidentés, c'est que le mécanisme d'appel au bureau de révision aurait, jusque dans une certaine mesure, selon moi, créé un genre de jurisprudence à la Commission des accidents du travail où les médecins en mettent moins en se disant: si le gars n'est pas content, il peut aller en chercher plus au bureau de révision. Si c'est prouvé, si c'est ça, le débat est complètement faussé et ce n'est pas dans cet esprit que le gouvernement et le législateur ont adopté une loi créant un bureau de révision. Ce que monsieur disait tantôt: On va lui donner 1%, on a une chance sur deux qu'il aille en révision et on a une chance sur deux qu'il n'y aille pas, ça, je pense que personne ne veut ça, peu importe du côté de la Chambre où on se situe.

Merci, messieurs.

Le Président (M. Dussault): Si vous voulez ajouter...

M. Pagé: On va continuer à pousser, mais à notre façon, parce qu'on n'est pas de ce côté-là, vous savez.

M. Laurin (Richard): J'ai dit tantôt, je crois, très clairement, que si la commission ordonnait à la CAT, d'une part, d'accepter les rapports médicaux des médecins, je crois que ceci empêcherait beaucoup de cas d'aller en révision, parce que, présentement, toute évaluation d'un médecin, je crois qu'elle est contestée et la CAT... On conteste et ça va en révision. Il y a beaucoup de cas qui vont en révision. Si les rapports médicaux étaient examinés comme il le faut, je vous garantis que... On ne prend pas les rapports des médecins, ce n'est pas mêlant... Si la CAT se met dans la tête de les regarder et d'accepter les rapports médicaux... Présentement, on n'est pas supporté par les médecins quand vient le temps d'aller devant la commission. Pourquoi? Bâtisse! leurs rapports ne sont

même pas acceptés. Donc, leur nom n'est pas bon.

M. Desjardins: Je voudrais ajouter quelque chose à ce que vient de dire mon collègue. J'ai ici les rapports de 1959, un petit accident, et les plus grosses ne paraissent presque pas... J'ai les rapports de 1959 à 1979, que j'ai conservés et je n'ai jamais eu un cent depuis ce temps-là. Ce qu'ils m'ont donné? Ils m'ont fait payer jusqu'au médecin qu'on m'a envoyé voir à Montréal. Le médecin m'avait envoyé à l'hôpital à Montréal, il m'avait fait une ponction lombaire. Ensuite, j'ai été à peu près deux mois et demi à trois mois sans marcher. Je n'ai jamais eu d'indemnité d'incapacité, on ne m'en a jamais donné. C'est un autre accident. Dans 24 ans, tu peux parfois en avoir deux ou trois. Mais, les preuves sont ici, des opérations que j'ai eues. En 1978, j'ai eu une opération, il n'y a pas très longtemps. J'étais allé voir le médecin et quand je lui ai parlé de la CAT, il n'a jamais voulu la faire. Il a dit: Je vais t'opérer sous l'assurance-maladie. Ce sont des preuves que j'ai ici dans mes dossiers et que j'ai gardées depuis ce temps. Ce n'est pas d'aujourd'hui, depuis 1959, depuis mon accident.

M. Laurin (Richard): Si la CAT acceptait les rapports médicaux de nos médecins, ce serait réellement un gros support, premièrement pour nous, travailleurs accidentés, et pour nous qui représentons les travailleurs accidentés.

Merci.

Le Président (M. Dussault): M. le député de Richmond.

M. Brochu: M. le Président, je vous remercie. Je m'en voudrais de ne pas ajouter ma voix ce matin, même si j'ai un peu de difficulté avec, à celle de mes collègues ici, surtout à cause du genre de mémoire que vous avez présenté, d'abord pour vous remercier de l'éclairage un peu particulier que vous amenez à la commission parlementaire par votre présence et vos témoignages aujourd'hui, parce que vous apportez le point de vue de ceux qui sont aux prises avec les problèmes. Cela, c'est une autre façon de les voir qu'il ne faut pas négliger parce que, dans le fond, ce qu'on vise avec les changements des lois ou ces choses-là, c'est d'amener un mieux-être soit au niveau de la protection, soit au niveau de la réinsertion, au niveau du travail ou au niveau de la compensation.

Ce que vous nous avez apporté, ce sont des témoignages concrets, pratiques. En tant que député d'un comté où il y a pas mal d'industries aussi et, entre autres, de l'amiante, la ville d'Asbestos, dont vous avez entendu parler pas mal, j'ai eu l'occasion, depuis sept ans que j'oeuvre en politique, d'avoir des contacts pas mal avec des gens "poignés" d'une drôle de façon là-dedans. Je comprends très bien les exemples que vous donnez maintenant. Je comprends très bien aussi que ce serait peut-être le moment — là-dessus, le ministre pourrait peut-être intervenir auprès de son collègue responsable de la Commission des accidents du travail, dans le sens de la philosophie que le ministre a adoptée au début même des travaux de cette commission parlementaire — de repenser un peu la commission comme telle, dans son approche aussi envers les gens qui sont touchés, tant au niveau de la commission comme telle et de son attitude, tant au niveau de la révision, tant au niveau du rôle du médecin dont vous parliez tout à l'heure, parce que, là-dessus, on pourrait facilement — quant à moi, je pourrais le faire avec des preuves à l'appui — monter un dossier pas mal complet et faire un plaidoyer assez éloquent sur la façon dont les gens sont traités. (13 h 30)

II faudrait peut-être, dans ce "repensage" de la commission, mettre comme principe d'éviter de jouer au yo-yo avec ceux qui ont subi des accidents du travail parce qu'en plus d'avoir à supporter un accident du travail, comme c'est le cas de ces gens, comme c'est le cas de plusieurs gens chez nous, dans Richmond ou ailleurs, par la suite ces gens ont à faire face aux dangers de la Commission des accidents du travail. En plus d'avoir le problème de santé et d'accident comme tel, ils sont pris avec un organisme contre lequel ils ont à lutter. La CAT ne devient pas un organisme qui les protège et qui les aide dans leur situation précise, mais ça devient un organisme qui est en conflit avec eux, comme si elles étaient des coupables à la barre des accusés de la Commission des accidents du travail, qu'on envoie souventefois de Caïphe à Pilate, qui ne sont pas payés durant des mois alors qu'on sait que c'est à ce moment-là que vous en avez besoin. Quand un accident de travail survient, ce n'est pas six mois plus tard, quand le gars est rentré au travail... ainsi de suite.

On a commencé une démarche en régionalisant un peu les services, je sais que ce n'est pas facile non plus parce que quand on commence à déplacer toute une machine comme la Commission des accidents du travail, cela a des implications au point de vue réorganisation, au point de vue fonctionnement. C'est loin d'être parfait, c'est un premier pas. Par contre, ce que je veux dire essentiellement à partir de ces témoignages éloquents, c'est que c'est vrai ce que ces gens disent, et c'est beaucoup plus vrai parce qu'on pourrait les étayer avec beaucoup d'autres témoignages, mais on devrait peut-être profiter de l'occasion pour dire: On veut reformuler la loi, mais il faut d'abord faire maison nette chez nous, comme le ministre l'a déjà dit, en regardant ce qu'est la Commission des accidents du travail et en apportant les correctifs nécessaires.

Le député de Portneuf a parlé tantôt de la question de l'invalidité et la Régie des rentes. Là aussi, il y a beaucoup de problèmes, et j'en ai sur mon bureau à presque toutes les semaines, des gens qui ne sont pas capables de reprendre le travail, qui sont même déclassés, reconnus invalides par des compagnies d'assurance privée; d'ha-

bitude, elles ne donnent pas cela pour rien, elle ne me donneront pas si je les appelle ce matin pour me reconnaître invalide. Ils sont reconnus par des entreprises privées — chez nous, à Asbestos, c'est la Travelers, avec Johns Manville — beaucoup de gens sont reconnus invalides par la compagnie Travelers, qui sont compensés en ce sens, qui font leur demande à la Régie des rentes du Québec et on leur dit: Non, vous n'êtes pas invalide. Même à l'intérieur de cela, il y a des gens qui sont déclassés à 10% ou 15% d'amiantose, qui sont hors du marché du travail, les compagnons de travail se présentent à la Régie des rentes, il y a des cas où c'est identique à 15%-15% d'amiantose, un est déclaré invalide et l'autre ne l'est pas.

Quels sont les critères de la Régie des rentes dans ce sens pour protéger les travailleurs, pour assurer que quelque chose de normal tienne? Ce sont toutes des questions qu'on a à se poser. Il y a même quelques cas là-dedans qui traînent depuis quelques années, qui n'ont pas été rajustés. Il y a des gens, par exemple, qui ont laissé le marché du travail en 1972 ou 1973 dans les conditions qui existaient à ce moment-là — je connais des cas, actuellement — et qui reçoivent $90 par mois pour vivre. Alors, c'est quoi? Ce sont des cas de bien-être social. Dans cette évaluation, avec la nouvelle approche qu'on veut prendre, je pense qu'il y aurait peut-être lieu d'ouvrir l'enveloppe de la Commission des accidents du travail et de la regarder en même temps avec cette préoccupation d'amener des changements qui se tiennent dans l'ensemble.

Dans ce sens, je vous remercie infiniment, cela ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd, vous pouvez en être certain.

Le Président (M. Dussault): Alors, il n'y a pas d'autres intervenants. Je remercie...

M. Desjardins: M. le Président, j'ai été à Montréal, une fois, à la commission, et quand je suis entré, ils m'ont fait voir deux médecins: On n'a plus de dossier, on ne trouve rien, on ne vous reconnaît plus dans le dossier, on va t'envoyer passer un autre examen par les infirmières qui étaient à la commission. Quand je suis sorti de là, pas de réponse, pas de docteur, rien, va-t-en chez vous. Ce sont des faits vécus par moi-même et par d'autres travailleurs parce que je ne parle pas seulement pour moi, je parle pour les autres travailleurs. Cela s'est fait à la commission, à Montréal.

M. Brochu: Cela ne me surprend pas du tout, j'ai des cas semblables au vôtre dans mes dossiers où les gens se sont plaints de choses semblables à cela. C'est dans ce sens que je dis qu'il faut regarder parce que ce sont des services — comme monsieur disait tantôt — qu'on s'est tous payés, vous avez dû payer des impôts pour avoir cela, dans le fond. Alors, que cela réponde à nos besoins.

M. Cadotte: II faut avoir bâti de la province pour avoir trente ans de camionnage, je suis chauffeur de camion dans la province depuis 30 ans; aujourd'hui, il n'y a plus de place pour un gars comme moi, aucune, et je ne suis pas le seul. On est tous dans le même bateau. J'ai 50 ans, où est-ce qu'on va à 50 ans avec une quatrième année? S'il n'en a pas assez entre les deux oreilles pour faire ce bureau, on a tout dans les bras et rien dans la tête, et on est mal pris dans la belle province avec toutes ces choses-là. C'est grave, je vous dis que c'est grave. On souhaite que la commission fasse quelque chose pour l'accidenté ou pour la prévention des accidents, qu'il n'y en ait pas de plus jeunes que nous qui tombent dans le même bateau parce que tu n'en ressors plus, tu es fini. On vous remercie.

Le Président (M. Dussault): Nous avons mis beaucoup de temps. Je vous remercie de votre participation aux travaux de cette commission, au nom de cette commission. Oui, monsieur.

M. Gauthier: J'aurais un petit point de vue à apporter au point de vue de la réhabilitation. La Commission des accidents du travail conteste souvent l'accidenté, même si l'employeur ne le conteste pas. Finalement le gars se retrouve, il n'a plus de compensation, il n'a plus de travail. Il a peut-être le peu d'assurance-chômage qui va lui revenir. Ensuite, il retombe à quoi? Le service social.

Quand le gars en est rendu au service social, l'employeur s'en lave les mains, il ne paie plus pour lui. C'est le gouvernement qui paie pour lui. D'accord, il reste peut-être au gars comme revenu la moitié de la compensation qu'il aurait, mais l'employeur ne paie plus pour lui. C'est sur le dos des contribuables que le gars est payé.

Le Président (M. Dussault): Merci. Cela met fin à nos travaux pour aujourd'hui.

Selon l'information que nous avons reçue, nous devrions reprendre nos travaux jeudi le 4 octobre prochain ici au salon rouge. Tel que convenu, la commission commencerait ses travaux à 9 heures. J'ajourne donc les travaux de cette commission jusqu'à jeudi le 4 octobre à 9 heures.

Fin de la séance à 13 h 36

ANNEXE

Mémoire déposé à la commission parlementaire sur le projet de loi

concernant la santé et la sécurité au travail

Août 1979

par: Yves Morisset

Monsieur le ministre,

C'est avec un certain soulagement que nous avons appris le dépôt du projet de loi numéro 17 en juin dernier et c'est avec enthousiasme que nous avons pu constater à la lecture de notes explicatives que ce projet de loi avait pour objet d'établir les mécanismes de participation des travailleurs et des employeurs à l'élimination des causes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Cette intention déjà amorcée dans le livre blanc, prévoyait la reconnaissance du droit de cesser un travail dangereux; le droit d'exiger la mise sur pied d'un comité paritaire et l'émergence d'association sectorielle paritaire; il était déjà précisé que "pour que ces mécanismes de prise en charge puissent s'actualiser pleinement il est nécessaire de prévoir des activités de formation, d'information et de recherche".

À la page 226 du livre blanc, après avoir reconnu au travailleur le droit à des services adéquats de formation et d'information, il est écrit: "Dans le contexte actuel, la qualité de ces services constitue un prérequis à la mise en place et au bon fonctionnement des mécanismes de prise en charge sur lesquels s'appuient les changements proposés". Et un peu plus loin nous pouvions lire: "Comment en effet, demander aux parties d'assumer une plus grande part des responsabilités dans l'amélioration des conditions de santé et de sécurité au travail, si on ne s'engage pas à leur fournir en partant, et au besoin de façon intensive, les outils nécessaires et le minimum de connaissance et de savoir faire indispensable à une telle entreprise?

Quand dans les notes explicatives du projet de loi nous lisons que ce projet avait pour objet d'établir les mécanismes de participation des travailleurs il va de soi que nous nous attendions à avoir des précisions quant aux moyens qui seront mis en oeuvre pour que les services de support, jugés indispensables à la prise en charge par le milieu de travail, puissent rejoindre l'ensemble des travailleurs.

Vous le précisiez vous-même, Monsieur le ministre au Développement social, "Cette loi est de portée universelle. Elle s'applique à tous les employeurs, travailleurs, propriétaires et fournisseurs. Elle s'applique également au gouvernement, à ses ministères et aux organismes qui en sont mandataires."

Ce court mémoire veut mettre en évidence les difficultés de parcours à une réelle prise en charge par le milieu de travail compte tenu de l'inaccessibilité à des programmes de formation et d'information ou à l'impossibilité pour les différents intervenants d'atteindre les objectifs que devraient permettre de tels programmes. De plus nous tenterons d'évaluer les bénéfices que peuvent tirer les travailleurs du programme de santé tel que présenté dans le projet de loi et présenterons les objectifs qu'il pourrait permettre d'atteindre dans le contexte d'une réelle prise en charge par le milieu de travail.

A- Programme de formation et d'information

II n'est précisé nulle part qu'un programme de formation et d'information doit avoir comme objectif de rendre les travailleurs et les employeurs aptes à éliminer les causes d'accidents du travail et de maladies causées par le travail.

Si tel est l'objectif général que devraient permettre d'atteindre les programmes de formation et d'information, quatre groupes d'objectifs spécifiques devraient être définis puisque nous retrouvons dans le milieu de travail quatre groupes ou individus qui ont des fonctions, des droits et obligations qui diffèrent. Un programme de formation et d'information devrait permettre à chaque groupe ou individu de remplir ses obligations, exercer ses fonctions et connaître et faire respecter ses droits.

Compte tenu des fonctions, des droits et obligations qu'on a reconnus, un programme de formation doit donc, entre autres objectifs, 1- permettre au travailleur — d'identifier les conditions de travail dangereuses pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique; — d'évaluer s'il a des motifs raisonnables de cesser de travailler; — d'exercer son droit de refus; — d'aviser les personnes qui doivent inspecter les lieux; — d'évaluer, après inspection, si la décision prise par les personnes qui ont inspecté le lieu de travail et les améliorations qui ont pu y être apportées sont suffisantes pour lui permettre de reprendre son travail; — d'user de son droit de refus jusqu'à la décision de la commission;

— de soumettre une plainte par écrit au commissaire général s'il croit avoir été congédié, déplacé ou victime d'une mesure disciplinaire pour avoir exercé son droit de refus. — prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité et son intégrité physique (38, 2e); — participer à l'élimination des risques d'accidents de travail et de maladies professionnelles sur le lieu de travail (38, 5e). 2- permettre à l'employeur — d'identifier les postes de travail qui présentent des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs; — d'informer le travailleur des risques à la santé, la sécurité ou à l'intégrité physique que présente son travail; — de collaborer à l'élaboration du programme de santé; — de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs; — de remplir les différentes obligations du projet de loi; — d'élaborer un programme de prévention. 3- permettre aux membres du comité de santé et de sécurité — d'identifier les conditions de travail dangereuses pour la santé, — la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs; — d'élaborer les programmes de formation et d'information en matière de santé et de sécurité; — de collaborer à l'élaboration du programme de prévention; — d'évaluer le programme d'adaptation de l'établissement aux normes prescrites; — de développer des techniques d'enquête; — de tenir des registres des accidents du travail, des maladies professionnelles et des événements qui auraient pu en causer. 4- permettre au(x) représentant(s) à la prévention — de faire appliquer les règlements et dispositions du programme de prévention; — d'identifier les conditions de travail qui peuvent être dangereuses pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs; — d'assister le travailleur dans l'exercice de ses droits.

Nous identifions de plus dans le projet de loi quatre milieux de travail différents quant aux moyens mis en oeuvre pour assurer la participation des travailleurs et des employeurs: 1- un établissement où il y a un comité de santé et de sécurité; 2- un établissement sans comité de santé et de sécurité mais avec un représentant à la prévention; 3- un établissement sans représentant à la prévention et sans comité de santé et de sécurité; 4- un chantier de construction. 1- Dans un établissement où il y a un comité de santé et de sécurité

Le comité de santé et de sécurité établit au sein du programme de prévention les programmes de formation et d'information (63, 2e), sur lesquels l'employeur a autorité et dont la mise en application lui revient (47). L'objectif du programme de prévention de l'employeur est l'élimination à la source des dangers pour la santé et la sécurité (48). Pour atteindre cet objectif, le programme doit contenir les mesures de surveillance et d'entretien préventif, les normes d'hygiène et de sécurité de l'établissement, l'identification des moyens et équipement de protection qu'on peut probablement considérer comme des mesures transitoires compte tenu de l'objectif cité à l'article 48, et de programmes d'adaptation de l'établissement aux normes prescrites par règlements, ce qui autorise l'entreprise à ne pas respecter les règlements le temps nécessaire de s'adapter aux normes.

Tous ces éléments sont des éléments directifs et ne demandent en rien la participation des travailleurs. Ce sont des règles qu'on leur impose.

Compte tenu des objectifs visés par le programme de formation qui s'adresse aux travailleurs et compte tenu de l'importance du programme de formation en vue de la prise en charge ou la participation des travailleurs à l'élimination des causes d'accidents et des maladies professionnelles peut-on le considérer comme les autres éléments du programme de prévention c'est-à-dire un autre élément directif...?

Est-ce qu'on peut le voir comme un programme sur lequel l'employeur a autorité et dont la mise en application lui appartient?

Peut-on demander à l'employeur de mettre en application un programme de formation qui permettra à l'employé d'évaluer s'il a des motifs valables pour cesser de travailler, d'exécuter son droit de refus, de soumettre une plainte au commissaire général s'il croit avoir été lésé dans l'exercice de son droit de refus?

Compte tenu des objectifs définis précédemment pour le programme de formation s'adressant aux travailleurs il deviendra difficile pour les deux parties, employeurs et travailleurs, au sein du comité de santé et de sécurité, d'établir le programme de formation et d'information du programme de prévention...

Dans les établissements d'importance au sein desquels les travailleurs sont membres d'une association syndicale qui sera en mesure d'assurer la formation des membres travailleurs du comité de santé et de sécurité, établir le programme de formation et d'information pourra même être une source de conflit important puisque la formation qu'auront eu ces membres aura permis l'atteinte d'objectifs différents de ceux du programme de formation qu'auront pu avoir, via l'association patronale les membres des employeurs du comité de santé et de sécurité. Nous assisterons alors à l'échange de correspondance prévu à l'article 64 et la commission aura à trancher le litige.

L'association sectorielle paritaire n'élabore que des programmes types et ne réalise aucun programme de formation tel qu'il avait été prévu en page 216 du livre blanc; ce qui permettait à l'ensemble des travailleurs et employeurs d'un secteur d'activité d'être rejoint par un même programme de formation. 2- Dans un établissement où il y a un représentant à la prévention

Dans un établissement où les travailleurs ne font pas partie d'une association syndicale qui peut leur offrir un programme de formation, le représentant à la prévention qui peut seul s'absenter de son travail pour participer à des programmes de formation, pourra s'inscrire à un programme de l'association patronale puisque la seule condition posée pour que le représentant à la prévention puisse s'absenter est que le contenu et la durée du programme soit approuvés par la Commission. C'est ce représentant à la prévention qui aura par la suite à assister le travailleur dans l'exercice des droits qui lui sont reconnus par la loi et les règlements. Le représentant à la prévention pourra de plus être libéré de son travail pour assister au programme de formation du M.E.Q. dont l'élaboration et la mise au point se sont faites conjointement avec la commission.

Puisque seulement le représentant à la prévention peut assister à ce programme, sans perte de salaire, les objectifs que permettra d'atteindre ce programme ne peuvent être ceux identifiés précédemment pour le représentant à la prévention. Cette formation lui permettra de mieux assumer ses fonctions. L'ensemble des travailleurs ne pourra cependant profiter de cette formation puisque le représentant n'est absolument pas impliqué dans la formation qui s'adresse aux travailleurs.

Dans un établissement que la commission a désigné pour avoir un représentant à la prévention mais où il n'y a pas de comité de santé et de sécurité, c'est l'employeur qui définit le contenu du programme de prévention et comme le programme de formation et d'information aux travailleurs est un élément du programme de prévention nous pouvons supposer que c'est aussi ce dernier qui définira le contenu du programme de formation (article 48, 6° 2e paragraphe).

Peu importe le programme de formation qu'aura suivi le représentant à la prévention, l'employeur a seul autorité sur le programme de formation et d'information qui s'adresse aux travailleurs dans son établissement.

3- Dans les établissements où il n'y a pas de la prévention, l'employeur informe et forme ses employés pour leur permettre d'exercer leurs droits.

4- Chantiers de construction

Pour les chantiers de constructions le programme de prévention dont le contenu est défini par règlement est élaboré par la partie patronale et transmis à la commission lorsque le chantier est d'importance ou que le risque d'atteinte à la sécurité est élevé. Nous ne tenons absolument pas compte de l'importance des risques d'atteinte à la santé et pourtant ces risques existent sur les chantiers de construction.

Ce projet de loi reconnaît de plus au travailleur de la construction le droit de refuser de travailler comme un travailleur d'établissement. Pour que le travailleur de la construction puisse exercer le droit et que le comité de chantier ou le délégué de chantier puisse exécuter les fonctions définies par le projet de loi un programme de formation doit être mis sur pied. Les objectifs visés par ce programme devraient être sensiblement les mêmes que ceux définis pour les programmes d'établissement puisque les droits reconnus aux travailleurs de la construction sont les mêmes et que les fonctions des comités de chantier et des délégués de chantier sont très semblables aux fonctions des comités de santé et de sécurité et du représentant à la prévention.

Tous les étudiants inscrits au secteur professionnel qui sont appelés à travailler un jour ou l'autre sur un chantier de construction devraient avoir réussi un cours qui pourra s'intituler: "Santé et Sécurité général sur les chantiers de construction". Ce cours devrait permettre à l'étudiant qui y participe, (futur travailleur de la construction) — d'identifier les risques d'atteinte à la santé, la sécurité et l'intégrité physique sur les chantiers de construction etc... comme le travailleur d'un établissement.

De plus ce cours devrait leur permettre — d'exercer les fonctions d'un membre du comité de chantier et d'un délégué de chantier. Le projet de loi 17 oblige le délégué de chantier à participer aux programmes de formation que la commission détermine par règlement. Je ne saisis pas tellement quelle fonction exercée par le délé-

gué de chantier l'oblige à participer au programme de formation de la commission contrairement au représentant à la prévention à qui on ne fait qu'offrir la participation à de tels programmes. Je ne vois pas pourquoi compte tenu de la formation qu'aura acquise le représentant à la prévention ou le délégué de chantier ces derniers ne pourraient exercer un rôle de formateur ou au moins d'informateur auprès des membres du comité de santé et de sécurité et des travailleurs de leur établissement ou de leur chantier de construction. Ceci pourrait même impliquer une libération totale sur les établissements et le chantier de construction de grande importance. Cette possibilité pourrait multiplier le nombre de travailleurs formés et augmenter leur participation à l'élimination des causes d'accidents et de maladies professionnelles.

5- Evaluation

La commission exerce la fonction d'évaluer l'efficacité des programmes de prévention en collaboration avec le ministre des Affaires sociales, même si ce dernier n'a jamais eu copie d'un tel programme de prévention (129).

Le chef du D.S.C. a comme fonction d'évaluer les programmes de santé spécifiques dont il a au moins reçu copie (85). Qui réalisera l'évaluation de l'atteinte des objectifs des programmes d'information et de formation?

Nous avons des raisons d'être perplexe face au succès de la réforme quand nous constatons que les services de formation et d'information, qui constituent un prérequis à la mise en place et au bon fonctionnement des mécanismes de prise en charge par le milieu de travail, n'ont présenté qu'aussi peu d'intérêt pour le législateur puisque: — les programmes de formation et d'information ne sont pas identifiés en fonction des populations à rejoindre: — travailleurs — comité de santé et de sécurité — représentant à la prévention — travailleur de la construction — délégué de chantier — étudiants — personne n'a comme fonction de définir les objectifs que doivent poursuivre ces programmes de formation et d'information, par contre on sent le besoin de préciser que le contenu et la durée seront approuvés par la Commission; — personne n'a comme fonction d'évaluer la compétence de la personne qui sera responsable de la mise en application du programme de même que l'atteinte des objectifs du programme de formation; — les programmes de formation ne tendent pas à rejoindre l'ensemble des travailleurs de telle sorte qu'on pourra voir se former des comités de santé et de sécurité dont les membres n'ont aucune idée du rôle qu'ils auront à jouer puisqu'ils n'auront jamais eu d'élément de formation et d'information au sujet de leur fonction; — les travailleurs des établissements non syndiqués n'ont qu'un seul moyen pour connaître leurs droits et les mécanismes pour les faire respecter: la bonne volonté de leur employeur. — les travailleurs membres du comité de santé et de sécurité des établissements non syndiqués n'auront eu aucune formation spécifique. — ni le comité de santé et sécurité, ni le représentant à la prévention n'a un rôle de formation auprès du milieu de travail; — le représentant à la prévention peut être libéré de ses tâches pour suivre à peu près n'importe quel programme de formation approuvé par la commission; — les travailleurs des établissements syndiqués peuvent recevoir leur formation de leur association syndicale en dehors des heures de travail et de leur employeur sur leur temps de travail. Il en est de même des membres du comité de santé et de sécurité des mêmes entreprises.

Je recommande — que des équipes multidisciplinaires (service de prévention régionale, ou du moins le plus près possible du milieu de travail) soient mises sur pied en vue d'élaborer et d'offrir aux travailleurs, aux membres du comité de santé et de sécurité et même aux représentants à la prévention des programmes d'information et de formation adéquats. — que ce service de prévention régionale reçoive copie des données médicales de surveillance de l'environnement et des rapports d'inspection produits pour chaque établissement et que ce service coordonne les services de formation et d'information qui peuvent être assumés par d'autres ressources de son territoire. — que ce service soit responsable de l'évaluation des programmes de formation. — que ce service tende à rejoindre par son programme de formation l'ensemble des travailleurs de son territoire.

B- Programme de santé

La surveillance de l'état de santé des travailleurs de même que la surveillance de l'environnement sont des outils nécessaires à l'amélioration des conditions de santé ou de sécurité au travail. Ces deux programmes de surveillance se doivent d'être complémentaires de telle sorte que le diagnostic posé après l'examen médical d'un travailleur puisse être associé à des conditions d'exposition de ce même travailleur. C'est ainsi que les examens médicaux en milieu de travail prennent un sens et peuvent déboucher sur des actions concrètes: identification des zones à hauts risques, définition de priorités d'intervention, retrait du travailleur qui présente les premières altérations de la santé et réaffectation de ce travailleur à un poste qui ne portera pas atteinte à sa santé et son intégrité physique; pour ce il faut prévoir des mécanismes pour garantir au travailleur une sécurité financière et une qualité de vie égale ou supérieure à celle qu'il avait à son ancien poste.

Si le retrait préventif n'est pas possible les médecins assisteront, impuissants, à la détérioration de l'état de santé des travailleurs du Québec. Ils pourront quand même brosser de beaux tableaux de l'état de santé des travailleurs d'un établissement, d'une région, d'un secteur d'activité économique et peut-être de la province, — sélectionner les travailleurs les plus résistants pour effectuer les tâches les plus à risque d'atteinte à la santé dans un établissement; — faire compenser les travailleurs les plus atteints; — prouver que l'établissement dans lequel ils oeuvrent ne présente pas beaucoup de risque pour la santé puisque les travailleurs les moins résistants ont quitté leur emploi et qu'ils ont été remplacés par des plus résistants ou encore qu'il y a tellement de rotation de personnel que les travailleurs commencent à manifester les premiers symptômes de maladie professionnelle au moment où ils quittent leur emploi de telle sorte que cet établissement, même si l'état de santé des travailleurs semble excellent, remet à la société des travailleurs physiquement handicapés.

Ces examens médicaux isolés peuvent aussi amener un travailleur à prendre conscience de l'importance des risques d'atteinte à la santé de son milieu de travail. Mais s'ils ne débouchent pas sur une question concrète en vue de prévenir la détérioration de l'état de santé du travailleur, ils peuvent aussi créer ce sentiment de fausse sécurité chez le travailleur: le travailleur se sent protégé de toute atteinte à la santé parce qu'il est suivi par un médecin; ça s'est déjà vu...

Si la surveillance de l'état de santé de travailleurs se fait de façon isolée de la surveillance de l'environnement, et si des mécanismes pour garantir au travailleur une sécurité financière et une qualité de vie équivalente à celle qu'il avait au poste de travail qu'on lui demande de quitter après évaluation médicale ne sont pas mis sur pied, si des priorités d'interventions ne peuvent être définies après le programme de surveillance médicale, les bénéfices que l'on tire du programme de santé défini dans le projet de loi 17 valent-ils les coûts que ce programme entraînera?

Je suis porté à vous répondre par la négative puisqu'un tel programme entraînera des coûts de plus en plus grands pour l'évaluation médicale spécialisée et le traitement d'individus de plus en plus nombreux.

On reconnaît au travailleur l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité et son intégrité physique, on lui reconnaît le droit de refuser d'exécuter un travail, si ce travail l'expose à un danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique, pourquoi en contrepartie n'oblige-t-on pas le médecin à informer le travailleur des premières altérations à sa santé et ne garantissons-nous pas à ce travailleur une réaffectation à un poste qui convient à ses compétences et qui ne diminuera d'aucune façon sa qualité de vie? Au sein de la réforme proposée le travailleur qui serait informé des premières altérations à la santé par le médecin d'établissement n'aura pas d'autres choix que de continuer à travailler dans les mêmes conditions ou devenir un candidat pour le "bien-être".

Je recommande donc que le service de prévention régionale ait comme fonction d'assurer la réaffectation des travailleurs qui manifestent les premières altérations à la santé et qui n'ont pas d'autres moyens de se protéger que de cesser de travailler dans les mêmes conditions — que l'état définisse les conditions dans lesquelles devra s'exercer le retrait préventif et les mécanismes qui garantiront au travailleur une sécurité financière et une qualité de vie égale ou supérieure au poste qu'il a quitté.

Il devient impérieux d'offrir les services de support nécessaires au succès des mécanismes proposés de participation des travailleurs et des employeurs à l'élimination des causes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. La création de services de prévention régionaux pourront être une preuve de la volonté du législateur de se doter des moyens nécessaires pour assurer le succès de sa réforme ou encore d'actualiser pleinement les mécanismes de prise en charge".

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