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Commission permanente
du travail, de la main-d'uvre
et de l'immigration
Etude des crédits du ministère de
l'Immigration
Séance du mardi 9 avril 1974
(Vingt heures trente-cinq minutes)
M. PICARD (président de la commission permanente du travail, de
la main-d'oeuvre et de l'immigration): A l'ordre, messieurs!
La commission du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration
commencera ce soir l'étude des crédits du ministère de
l'Immigration. Four la séance d'aujourd'hui, M. Bédard,
député de Chicoutimi, remplace M. Charron, député
de Saint-Jacques; M. Brisson, député de Jeanne-Mance, remplace M.
Ciaccia, député de Mont-Royal; M. Bédard,
député de Montmorency, remplace M. Cournoyer,
député de Robert-Baldwin. Je suggère le nom de M.
Boudreault, député de Bourget, comme rapporteur. Est-ce que cette
motion est agréée?
M. BURNS: Agréé.
LE PRESIDENT (M. Picard): J'inviterais l'honorable ministre, avant de
nous faire les remarques préliminaires habituelles, à nous
présenter ses principaux collaborateurs.
M. BIENVENUE: Avec plaisir, M. le Président. En suivant l'ordre
de gauche à droite, j'ai, à ma gauche, M. René Didier qui
est sous-ministre adjoint au ministère de l'Immigration; à ma
droite, mon nouveau chef de cabinet et attaché de presse, M. Claude
Péloquin, qui cumule les deux fonctions parce que j'ai un petit budget
au ministère de l'Immigration; derrière moi, avec le sourire, M.
Jean-Carol Pelletier qui est le directeur de la direction des ressources
internes à mon ministère, et M. Genest, votre
dévoué confrère, qui a également le sourire. M.
Pelletier représente Radio-Canada.
M. BURNS: Tant qu'à y être, M. le Président, est-ce
que je peux vous présenter mon chef de cabinet qui est à ma
gauche?
LE PRESIDENT (M. Picard): Allez-y, d'accord. Cela me fera plaisir.
M. BURNS: M. André Larocque qui est mon chef de cabinet et qui
assistera à l'étude des crédits au même titre que le
sous-ministre et que le chef de cabinet du ministre de l'Immigration.
M. ROY: Est-il nécessaire que je me présente
moi-même?
LE PRESIDENT (M. Picard): J'aimerais avoir le consentement des membres
de la commission pour que, lorsqu'un collaborateur du ministre prend la parole,
l'enregistrement au journal des Débats soit fait au nom du ministre.
Est-ce que tout le monde est d'accord là-dessus?
M. BURNS: D'accord.
M. BIENVENUE: Avec tous les risques que cela comporte pour moi.
M. BURNS: Vous n'avez pas confiance en vos collaborateurs?
M. BIENVENUE: Je l'ai dit avec un sourire pour les fins de
l'enregistrement.
M. BURNS: Le sourire est enregistré.
LE PRESIDENT (M. Picard): L'honorable ministre de l'Immigration.
M. BIENVENUE: M. le Président, mes chers collègues, je
veux souhaiter la bienvenue à tous mes collègues du gouvernement
et à ceux de l'Opposition. Je pense notamment au député de
Maisonneuve à qui je rends hommage d'avoir cédé à
mes pressantes instances d'attendre et d'être présent lors de
l'étude des crédits de mon ministère. Je voulais l'avoir
à mes crédits et je l'ai je dis bien, à mes
crédits et je l'apprécie beaucoup.
Je suis heureux de voir à ses côtés mon
collègue, confrère et ami, le député de Chicoutimi,
vieil ami à moi, et je rends également hommage au
député de Beauce-Sud que j'ai invité instamment cet
après-midi à assister à l'étude de ces
crédits. Je voulais que la voix du Crédit je vais me
tromper de nom social, c'est cela...?
M. ROY: Vous avez peut-être commis une imprudence.
Remarques préliminaires
M. BIENVENUE: Tant pis pour moi si tel est le cas. Je le remercie
d'être venu.
M. le Président, mes chers collègues, c'est la
troisième fois que je me présente devant cette commission pour y
débattre les crédits du ministère de l'Immigration.
Mais à vrai dire, c'est le second bilan que je vous
présente puisque, à toutes fins pratiques, j'ai pris la
responsabilité de ce ministère en février 1972, soit un
mois à peine avant l'étude des crédits du début de
l'année financière qui était concernée à ce
moment.
Le 14 mai dernier, je vous faisais connaître les objectifs
prioritaires du ministère pour l'exercice 1973/74 qui vient de se
terminer. J'en avais fixé cinq. Premièrement, la
réorganisation du ministère; deuxièmement, l'accentua-
tion des activités d'intégration socio-culturelle des
immigrants, notamment au plan linguistique; troisièmement, la mise sur
pied d'une direction de la recherche, véritable instrument de la
connaissance; quatrièmement, la remise en cause de nos procédures
de sélection et de recrutement, avec un accent tout particulier sur les
immigrants investisseurs; cinquièmement, l'ouverture de
négociations avec le gouvernement fédéral pour rapatrier
les pouvoirs que donne au Québec l'article 95 de la Constitution
canadienne.
Permettez-moi alors de brosser devant vous un rapide bilan des actions
entreprises, suite aux objectifs que je m'étais imposés il y a un
an lors de l'étude des crédits, puis, à la lumière
du budget qui vous est proposé, de vous faire part des politiques et des
opérations que nous entendons poursuivre durant les douze mois à
venir.
Premièrement, le bilan de l'année financière qui
vient de se terminer, 1973/74, relativement au premier objectif que je viens
d'énoncer qui était la réorganisation de mon
ministère. Bien que jeune, le ministère de l'Immigration du
Québec s'était déjà enfoncé dans une
certaine léthargie et il me fallait procéder sans attendre
à une réorganisation en profondeur au niveau de l'encadrement
supérieur. Cette réorganisation s'est faite en cinq
étapes. La première était la suivante: le sous-ministre
d'alors, qui était M. Jean Loiselle, a été remplacé
et un poste de sous-ministre adjoint a été
créé.
Le précédent sous-ministre, celui que je viens de nommer,
ayant démissionné, cette opération avait un double but.
D'une part, reconnaître les mérites d'un homme, M. René
Gauthier, qui est sous-ministre actuel du ministère de l'Immigration. Ce
dernier a oeuvré avec courage et ténacité dans le
difficile domaine de l'immigration domaine que les gouvernements du
temps ont tour à tour ignoré durant plus de trente
années. D'autre part, préparer la relève dans le cadre des
exigences du "management" moderne de la fonction publique d'aujourd'hui.
Seconde étape de cette organisation: l'organigramme, dont j'ai
ici des copies à votre intention, qui a été largement
remodelé, rafraf-chi, modernisé et rajeuni en vue de permettre
une meilleure allocation des ressources humaines et matérielles.
Concrètement, le commissariat général, qui avait surtout
comme première fonction et c'était tout indiqué
dans la loi de mon ministère d'être une espèce de
protecteur du citoyen des immigrants, a été renforcé
notamment au niveau des responsabilités intergouvernementales et
interministérielles. Une direction de la recherche et une direction des
ressources internes ont été créées de toutes
pièces et on a regroupé le service des groupes ethniques et celui
des communications en une direction beaucoup plus cohérente et qui
répond plus aux besoins de la réalité.
Troisième étape. Certains cadres supérieurs du
ministère ont été promus en raison de leurs aptitudes.
D'autres ont été affectés aux postes nouvellement
créés, en raison de leur compétence. D'autres ont
été mutés ou remerciés. Enfin, on a
procédé par concours au recrutement des trois postes de cadre
supérieur qui étaient vacants, ce qui a permis, en particulier,
la reprise en main de la direction générale de
l'établissement qui avait été privée, depuis de
nombreux mois, de son état-major.
Quatrième étape. Le comité consultatif prévu
à l'article 9 de la loi organique du ministère, comité qui
n'avait jamais vu le jour depuis que nous existons, a été
constitué et quatorze membres nommés par le lieutenant gouverneur
en conseil. Ce comité s'est déjà réuni à
deux reprises et la qualité de ses membres laisse augurer, pour nous, un
avenir des plus prometteurs.
Enfin, cinquième et dernière étape de cette
réorganisation: la Commission interministérielle des affaires des
immigrants a fonctionné par le biais d'une dizaine de comités
interministériels très actifs, notamment, dans des domaines qui
nous sont connexes de l'Education, des Affaires sociales, de la Main-d'Oeuvre
et, enfin, des Affaires intergouvernementales.
Deuxième objectif que j'avais tracé il y a un peu plus
d'un an: les activités d'intégration socio-culturelle. Un accent
tout particulier a été mis sur les activités
d'intégration des immigrants à la communauté francophone,
particulièrement sur le plan linguistique et cela à plusieurs
niveaux. D'abord, au niveau des immigrants adultes. La direction
générale de l'adaptation est désormais en mesure d'assurer
tous les tests de classement des candidats envoyés dans les COFI, soit
environ 4,000. Elle a également mis sur pied un système complet
de tests pour mesurer, à la fin des cours, le niveau atteint dans
l'apprentissage des langues.
Dans ce même secteur, l'appareil des COFI qui en 1972/73 se
répartissait entre 60 p.c. de classes de français et 40 p.c. de
classes d'anglais, a été ramené à une structure
beaucoup plus proche de la réalité québécoise, soit
71 p.c. pour les classes de français et 29 p.c. seulement pour les
classes d'anglais.
Dans le même temps, on a négocié et
préparé l'allongement des cours de français qui passent
actuellement de 20 à 30 semaines, ce qui entraînera une nouvelle
répartition de l'appareil d'enseignement encore plus conforme à
la réalité québécoise, soit 86 p.c. de classes de
français et 14 p.c. de classes d'anglais.
M. le Président, il est profondément regrettable pour les
nouveaux arrivants et pour la communauté que le conflit de travail qui a
commencé dans les COFI de la Commission des écoles catholiques de
Montréal, le 21 janvier dernier, trame en longueur. La situation est
d'autant plus absurde qu'il existe dans le secteur privé des conditions
de travail qui semblent donner satisfaction à tout le monde. L'actuel
conflit n'est ni de nature financière, ni de nature économique et
je n'ai malheureusement aucun
pouvoir juridique pour y apporter une solution qui me semble cependant
tout à fait possible et à la portée de la main.
Au niveau des enfants, les 112 classes de garderies francophones
réservées à des petits immigrants ont été
triplées et portées à 340. Désormais, dix garderies
accueillent et francisent les jeunes immigrants contre deux l'année
précédente. Par ailleurs, un nouveau programme OVAL,
c'est-à-dire Opération vacances et loisirs, a été
mis en route en vue de permettre à des adolescents
québécois et à des adolescents immigrants de se rencontrer
et de fraterniser.
Plusieurs activités ont été entreprises: Carnaval
du bout du monde dans le beau comté de mon ami, le député
de Chicoutimi, découverte de l'abbaye de Saint-Benoft-du-Lac, cabane
à sucre, etc., autant d'occasions de faire tomber les barrières
détestables de l'ignorance et les murs de l'incompréhension. J'ai
apporté pour le bénéfice de mes collègues, je ne
sais pas s'il y en a suffisamment, des photographies qui parlent par
elles-mêmes, justement prises lors de cette dernière partie de
sucre où, si la photo était plus vaste et plus claire, on
pourrait retrouver la binette d'enfants chinois, la binette d'enfants avec des
traits, des couleurs, de toutes origines, parmi des petits Canadiens
français. Ces photos sont assez révélatrices de l'esprit
qui régnait. On aurait pu faire la même chose à Chicoutimi,
où cela a été un succès inespéré,
à Saint-Benoît, etc.
Dans un autre ordre d'idées, vous savez, M. le Président,
et vous, mes chers collègues, qu'un des obstacles majeurs à
l'intégration des nouveaux arrivants, je viens d'y faire allusion, c'est
l'ignorance de la communauté québécoise. Pour permettre
aux Québécois de mieux connaître leurs frères
d'autres origines, la direction des groupes ethniques a commencé en
janvier dernier la publication d'un bimestriel de haute qualité, qui
s'intitule: Québec Monde. Le titre, je pense, est tout un programme en
soi. Ce magazine a été envoyé à chacun d'entre
vous. Vous avez dû en recevoir le premier numéro. Je ne voudrais
pas quitter ce secteur d'intégration socio-culturelle sans souligner
avec force la prise de position non équivoque et combien de fois
répétée à celui qui vous parle, que l'on retrouve
aussi dans les media d'information, position en faveur de la langue
française de nombreux groupes ethniques et plus particulièrement
du groupe le plus important, celui des Québécois d'origine
italienne, qui se chiffre par près de 250,000, soit un quart de million
au Québec, qui, par la voix de la Fédération des
associations italiennes, a donné ce message. Il me semble opportun de
vous dire à nouveau son contenu qui m'est transmis, je viens de le dire,
à peu près quotidiennement depuis quelques années, et
surtout au cours des derniers mois. Je cite: "Nous reconnaissons la
nécessité pour le Québec, auquel nous sommes fiers
d'appartenir, de défendre sa langue et sa culture, et nous voulons
participer à cet effort collectif. Mais, de grâce, pas de
discrimination et surtout ne faites pas porter aux seuls immigrants la
responsabilité de cette entreprise".
Troisième objectif: La direction de la recherche. Ce
troisième objectif à atteindre, que j'avais tracé, je le
répète, il y a un peu plus d'un an, était la
création d'un véritable instrument de la connaissance afin
d'éclairer les politiques et les actions du ministère. Le service
de la recherche du ministère, qui était de deux personnes
à l'époque, a été transformé en une
direction nantie de 15 postes à l'effectif. Sans attendre que le
recrutement soit terminé, cette équipe s'est mise d'arrache-pied
au travail, et je puis vous dire qu'on commence déjà à
récolter des fruits.
D'une part, nous serons bientôt en mesure de savoir, et ceci pour
la première fois dans l'histoire du Québec, qui sont les
immigrants qui viennent au Québec. Ottawa s'était toujours
refusé à nous communiquer leur identité et leurs
caractéristiques. Cette situation a été récemment
corrigée à la suite de négociations auxquelles j'ai
participé avec mes principaux collaborateurs, à Ottawa,
négociations sur lesquelles je vais revenir dans un instant, mais dont
je puis dire tout de suite je l'ai déjà dit
qu'elles ont été, qu'elles demeurent, et j'espère qu'elles
demeureront calmes, sereines, positives, en d'autres termes, fort
encourageantes.
D'ici quelques semaines, en conséquence de ce gain auquel je
viens de faire allusion, le premier numéro du bulletin statistique du
ministère de l'Immigration du Québec sera publié, rendu
public, porteur, évidemment, d'une mine de renseignements pour nous.
D'autre part, des instruments scientifiques commencent à être
élaborés et à être expérimentés:
inventaire ' des besoins de main-d'oeuvre complémentaire en fonction des
pénuries sectorielles et régionales et cela, en relation
étroite avec le ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre du
Québec; mesure de l'utilisation du français par les anciens
étudiants des COFI; mesure du degré d'intégration des
immigrants à la communauté francophone, et que sais-je.
J'ai bon espoir, M. le Président, que, d'ici quelques mois, mon
ministère disposera enfin d'un appareil moderne de la connaissance des
phénomènes migratoires au Québec pour le plus grand
bénéfice du gouvernement et de la province.
Le quatrième objectif que j'avais tracé il y a un an, les
immigrants investisseurs. En 1972/73, le tout nouveau service de support aux
immigrants investisseurs avait permis l'installation de 25 candidats pour un
apport total de $1,600,000, créateurs de 62 emplois. Durant les onze
premiers mois de l'année écoulée, ce sont 56 immigrants
investisseurs qui se sont installés au Québec, apportant avec eux
$6,600,000 et créant 234 emplois. J'ai eu, cet après-midi, M. le
Président et cela n'est pas à mon texte des
chiffres encore plus récents qui me permettent de vous dire avec
beaucoup de fierté et de
satisfaction qu'au 31 mars, soit il y a quelques jours à peine,
ce chiffre était devenu 66 investisseurs pour un total de $7,270,000 et
la création de 270 emplois. Il est intéressant de noter que ce
jeune service a rapporté au Québec et je corrige ce que
vous pourrez voir dans mon texte non pas trois fois, mais a
rapporté au Québec trois fois et demi plus de ressources que la
province n'en a investies pour son ministère de l'Immigration. Le
rapport coûts-bénéfices s'est avéré
extrêmement positif.
Cinquième objectif que nous nous étions tracé, les
négociations avec le gouvernement fédéral. Dans mes
discours à l'Assemblée nationale du 5 décembre et du 26
mars dernier, j'ai rappelé avec vigueur que le Québec,
contrairement à l'Ontario, avait toujours laissé au gouvernement
central le champ libre dans ce domaine de compétence partagée
qu'est l'immigration aux termes de l'article 95 de la Constitution
canadienne.
Il était donc nécessaire de commencer à
négocier avec Ottawa le rapatriement de ces pouvoirs. Depuis plusieurs
mois, le dialogue est engagé vigoureusement, mais je viens d'y faire
allusion, sans cri et sans vacarme, suivant un style qui est bien le mien, je
pense, M. le Président, et qui, jusqu'à présent, m'a en
général assez bien servi.
Déjà, nous avons obtenu la fourniture
régulière et systématique de l'identité de tous les
nouveaux arrivants et la mise sur pied de missions communes de
sélection. J'ai remis en février au ministre Andras un long
mémoire précisant la position du Québec au moment
où se redéfinit la politique nationale d'immigration et où
se rédige un livre vert fédéral en vue de préparer
une nouvelle loi de l'immigration.
Dans quelques jours, je retourne à Ottawa avec un projet
précis d'entente fédérale-provinciale.
Ce projet remplacerait évidemment, on devine, l'entente
Lang-Cloutier qui était un premier pas dans le sens des relations
fédérales-provinciales au niveau de l'immigration à
l'étranger, une entente basée sur les trois principes
énumérés dans mon discours du 26 mars à savoir:
polarisation, localisation, mobilité, entente qui devrait nous permettre
d'exercer enfin, et pour la première fois, un véritable pouvoir
au double niveau de la sélection et du recrutement des immigrants
futurs. J'ai bon espoir d'arriver à des résultats positifs, si
j'en crois les récentes déclarations publiques de mon ami le
ministre Andras.
L'année 1974/75, donc l'année financière
commencée depuis quelques jours, le budget et les effectifs du
ministère que je dirige. La nouvelle année qui vient de
commencer, M. le Président, verra se poursuivre les efforts
amorcés précédemment. Le budget qui vous est
proposé, qui est proposé à l'adoption de cette commission,
bien que modeste, révèle cependant cette intention. Les
crédits bruts passent de $6,417,300 à $7,976,000, soit une
augmenta- tion de 24.3 p.c. Les crédits nets passent de $2,089,800
à $2,850,100, soit une augmentation de 36.4 p.c. Les effectifs passent
de 142 à 147, soit une augmentation de 3.5 p.c.
L'augmentation des crédits destinés à
l'établissement des immigrants servira principalement à
développer l'action du ministère auprès des immigrants
entrepreneurs ou encore investisseurs. L'accroissement substantiel
accordé au titre de l'adaptation des immigrants et de la gestion du
ministère permettra d'intensifier les efforts d'intégration
socio-culturelle des immigrants à la communauté
québécoise. Prolongation de 20 à 30 semaines de
l'enseignement du français dans les COFI, développement des
garderies et des activités de vacances et de loisirs en vue de franciser
les jeunes immigrants, sensibilisation aussi, de la communauté
québécoise à l'apport de l'immigration. Sensibilisation,
un mot sur lequel je n'insisterai jamais trop tellement ce
phénomène me paraît indispensable pour arriver aux
objectifs auxquels nous tendons.
Le défi à relever. Je dois cependant vous avouer ma
profonde inquiétude à l'aube de ce nouvel exercice
budgétaire, face au défi à relever qui est
considérable. J'ai récemment exposé devant
l'Assemblée nationale, la situation inquiétante de l'immigration
au Québec à tous les niveaux: quantitatif, qualicatif,
géographique et linguistique. J'attirais votre attention, l'attention de
mes collègues de l'Assemblée nationale sur les tendances
actuelles de l'immigration au Québec et sur son ralentissement, et cela
au moment même où apparaissent les premières
conséquences de la dénatalité et au moment où un
gouvernement se décide enfin à légiférer en
matière de langue, ce qui ne saurait rester sans conséquence sur
le mouvement migratoire. L'action de mon ministère se situe donc au
coeur d'une triple contrainte démographique, économique,
culturelle et linguistique.
Si le Québec veut une politique véritable d'immigration
qui réponde à la triple exigence que je viens de décrire,
il lui faudra se décider à donner à mon ministère
des moyens suffisants, même si un effort intéressant a
été commencé. Il me faudra en effet cinq ou six cadres
supplémentaires, une quarantaine d'agents additionnels pour assurer le
recrutement et la sélection, pour assurer le support aux employeurs et
aux investisseurs, pour récupérer les COFI et les administrer
directement, permettant ainsi la francisation de tous les nouveaux arrivants
adultes.
Il me faudrait également une quinzaine de millions de dollars
supplémentaires. Je vous fais donc part, dès maintenant, de mon
intention de demander un budget supplémentaire pour mettre en oeuvre les
politiques que j'expliquais à l'Assemblée nationale, le 26 mars
dernier, en conformité un autre, mais je ne vais pas plus loin
dans ma phrase, je n'ai parlé que de demande aux demandes qui ont
été faites à Ottawa en vue de voir le Québec
assumer sa
pleine responsabilité en matière d'immigration.
Je vois le député de Maisonneuve, M. le Président,
pour qui les mots "un autre" veulent en dire long. Je vais au-devant des coups
et je lui dis qu'il y a deux jours je disais à la blague à un de
mes collaborateurs, qui me posait la question que n'ose me poser le
député de Maisonneuve, que cela ne pourrait pas arriver parce que
j'étais irremplaçable. M. le Président, je le dis à
la blague.
Si 1973/74 a été l'année de la
réorganisation et de la rationalisation de l'appareil que je viens de
décrire, l'année qui vient, 1974/75, sera l'année de la
croissance et du développement. Plus concrètement, je me propose
d'atteindre les deux objectifs préliminaires suivants.
Premièrement, mettre un terme à la réorganisation. A ce
sujet, j'écouterai les remarques, les commentaires de mes amis de
l'Opposition ou autres et, par la suite, je voudrais revenir sur cette
échéance de mettre un terme à la réorganisation
pour annoncer à mes collègues députés une nouvelle
en primeur.
Deuxièmement, poursuivre des négociations avec Ottawa en
vue d'obtenir plus de pouvoirs en matière de sélection et de
recrutement et en vue de sortir les COFI du cadre restrictif de la Loi de la
formation professionnelle des adultes. Mais, au-delà de tout ceci, M. le
Président, il nous faudra réfléchir ensemble sur la
nécessité d'un instrument plus global. En effet, l'immigration en
soi n'est pas une fin. C'est tout au plus un moyen pour compléter la
population québécoise. Il est grand temps, me semble-t-il, pour
le gouvernement du Québec de se doter d'un ministère dont la
tâche principale serait de l'éclairer sur les tendances et sur les
politiques à entreprendre dans ce domaine combien prioritaire qu'est
celui des ressources humaines. Amen.
LE PRESIDENT (M. Picard): Le leader parlementaire de l'Opposition
officielle, le député de Maisonneuve.
M. BURNS: M. le Président, au début de mon intervention,
j'ai nettement le goût de vous servir une citation que, je
l'espère, tous les membres de l'Assemblée nationale
reconnaîtront. Je commence par cette citation: "Cette Assemblée
aura l'occasion, au cours de la présente session, de discuter d'une
nouvelle politique d'immigration, accueillante et dynamique, axée autour
des objectifs suivants: une information adéquate des candidats, un
pouvoir réel de sélection et de recrutement et une
intégration harmonieuse de la société
québécoise".
Voilà la pensée pieuse, M. le Président, que, le 14
mars dernier, le lieutenant gouverneur livrait aux membres de
l'Assemblée nationale. Voilà la pensée pieuse que le
présent ministre de l'Immigration jugeait bon de reservir aux
députés dans son discours du 26 mars 1974. En guise de
préambule à l'examen des crédits du ministère, je
voudrais rapidement comparer cette nouvelle politique de l'immigration
annoncée tapageusement, je dois le dire, avec les propos tenus par le
même ministre lors de l'étude des crédits de son
ministère le 15 mai 1973.
La conclusion, je vous la livre à l'avance, M. le
Président. Comme le dit si bien le lieutenant-gouverneur, je cite
encore: "Cette Assemblée aura l'occasion de discuter..." Fin de la
citation, avec les points de suspension que vous voudrez y ajouter.
Manifestement, il n'aura guère l'occasion de faire plus, M. le
Président.
Le 26 mars 1974, le ministre nous déclare: "Si le gouvernement du
Québec a choisi cette époque précise pour inscrire
à son programme sessionnel la question de l'immigration, cela tient
principalement à deux facteurs: la dénatalité et la
pénurie éventuelle et, dans certains secteurs, l'insuffisance
actuelle de main-d'oeuvre au Québec".
Le 15 mai 1973, le même ministre avait affirmé que seul le
fédéral, officiellement, établit les pénuries par
région dans le Canada, donc dans le Québec. Je
réfère les gens qui sont intéressés à
vérifier cette affirmation du ministre à la page B-1527 de nos
débats de 1973.
On devait y voir l'an passé; cette année, en guise de
nouvelle politique, on ne fait que se répéter.
Le 26 mars 1974, le ministre nous apprenait ce que tout le monde sait.
Je cite le ministre: "Depuis cinq ans, le phénomène migratoire a
fortement baissé". Si, pour l'année 1973, il y a une
remontée, c'est probablement encore une fois, c'est le ministre
qui parle "la conséquence de l'opération Mon Pays,
c'est-à-dire la régularisation du statut d'un certain nombre
d'immigrants illégaux".
Pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre ne se gênait pas
pour simplifier en affirmant "qu'il ne faut donc pas être grand
prophète pour prévoir que, dès que l'amélioration
de la situation économique le permettra, nous rejoindrons la moyenne
annuelle des 25 dernières années".
Encore une fois, journal des Débats, page B-1512.
Fait-il croire que les miniopérations du gouvernement
fédéral tiennent lieu de politique économique pour le
gouvernement du Québec? C'est une des questions qu'il faut se poser,
qui, je pense, sont tout à fait en accord avec un certain nombre
d'interrogations que le ministre lui-même a lancées depuis un
certain temps.
Je reviens encore à cette comparaison. Le 26 mars 1974, le
ministre nous apprend que c'est lui qui parle "l'immigration en
provenance d'Europe est tombée de 74 p.c, en 1967, à 46 p.c, en
1972, et celle des autres régions du monde a grimpé de 26 p.c.
à 54 p.c."
Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre nous disait toute sa
confiance dans l'efficacité de faire faire de l'antichambre à une
poignée d'agents québécois qui tiennent bureau
exclusivement en Europe auprès des ambassades canadiennes de Paris, de
Rome, d'Athènes en
plus de celle de Beyrouth. Leur efficacité aura-t-elle, par
hasard, été diminuée par le fait d'agir comme commis
à l'ombre des fonctionnaires fédéraux à
l'Immigration?
Le 26 mars 1974, encore une fois, le ministre nous a dit que "81 p.c.
des immigrants arrivés depuis 1961 et recensés en 1971
résidaient sur l'île de Montréal et sur l'île
Jésus". Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre nous
affirmait que "les bureaux régionaux sont un autre des projets, des
rêves que nous caressons d'avoir, et cela a été un manque
absolu, parce qu'il n'y a pas que Montréal. J'ai déjà
parlé de démétropolisation c'est toujours le
ministre qui parle ce qui serait une des grandes solutions aux
problèmes non seulement économiques mais socio-culturels et
linguistiques".
Ce qui, l'an passé, était vu comme une priorité,
cette année, M. le ministre, devient un objet d'inquiétude et une
des assises d'une politique que l'on n'ose appeler nouvelle.
Encore une fois, le 26 mars 1974, le ministre nous apprend que, "depuis
la fin de la seconde guerre mondiale, nous avons reçu 82 p.c.
d'immigrants non francophones et 18 p.c. dont le français est la langue
d'usage". Il amplifie même le problème en nous apprenant qu'un
rapport fédéral, en 1970, "baisse désormais ces maigres 18
p.c. à 15 p.c."
Et pourtant, le 15 mai 1973, c'est toujours le même ministre qui
nous disait: "L'extrême urgence, pour le gouvernement du Québec,
en raison de ses problèmes particuliers face à sa politique
d'immigration, est de mettre en place des mécanismes favorisant le
recrutement d'immigrants francophones les plus susceptibles, parmi les autres
groupes ethniques, par leur affinité linguistique et culturelle, de
s'intégrer au groupe majoritaire". Encore une fois, je renvoie nos
collègues à la page B-1512 de nos travaux de 1973.
Ce qui, l'an passé, était une extrême urgence est
devenu et le discours ou l'énoncé préliminaire du
ministre, aux crédits, ne change rien à mon opinion
là-dessus tout simplement un objet d'inquiétude.
Le 26 mars 1974, le ministre nous confie que "le Québec dispose
d'un microministère de l'Immigration, en fonction depuis à peine
quatre ans, dont le budget n'atteint même pas $6.5 millions cette
année". Or, pour l'exercice financier dont parlait le ministre, les
crédits approuvés étaient de $2,089,800.
Deux jours après le discours du ministre, soit le 28 mars, son
collègue des Finances déposait un budget dont les
prévisions de dépenses, pour l'Immigration, sont de $2,850,100.
Il faut se rendre à l'évidence, nouvelle politique de
l'immigration ou pas, le Québec a l'intention de poursuivre avec un
microministère tout ce qu'il a l'intention de faire en matière
d'immigration.
Toujours le 26 mars 1974, le ministre nous confie ce que l'on sait
déjà, ce que tout le monde sait d'ailleurs: "Le Québec n'a
aucune présence ni aucun pouvoir en ce qui concerne la sélection
et le recrutement de ses nouveaux venus".
Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre, toujours le
même, nous avait déjà informés que "cet agent
québécois à l'étranger jusqu'à ce jour n'est
pas un agent de recrutement, n'a pas la pleine initiative du côté
du recrutement. Cet agent est dépendant du fait que les visas sont admis
de façon exclusive par les autorités fédérales".
"Nous avons au moins ce premier contact à l'étranger et c'est ce
rôle que nous voulons accentuer et qui fait l'objet de plusieurs de nos
préoccupations". Encore une fois on peut retrouver ça au journal
des Débats à la page B-1520.
Encore là, rien de nouveau sous le soleil. Les
préoccupations qui devaient faire agir le ministre l'année
dernière sont les mêmes qui inspirent une nouvelle politique cette
année, dans ce domaine comme dans les autres.
Encore une fois, faisons le parallèle. Le 26 mars 1974,
relativement au même problème, le ministre nous a dit: "Ce qui
fait défaut et que je m'efforce actuellement d'obtenir d'Ottawa
dans le cadre d'un dialogue franc, très cordial et paisible,
amorcé voici plusieurs mois c'est l'accès à tous
les dossiers des candidatures destinées au Québec qui sont
déposées dans les ambassades canadiennes à
l'étranger. Il me faut donc obtenir le droit de participer à la
sélection et au recrutement".
Et pourtant, le 15 mai 1973, lors de l'étude des crédits,
le même ministre nous avait déjà dit sur le même
sujet: "Vous comprenez que ces matières sont telles qu'il faut y aller
avec pondération. Mais je puis vous dire messieurs et je lisais
justement dans les journaux il y a quelques jours que mon homonyme du
fédéral faisait la même affirmation que le climat de
nos discussions, de nos négociations avec le fédéral est
excellent. Je pense que le climat est bon, est excellent et doit se maintenir".
Encore une fois, on peut retrouver cette citation au journal des Débats
à la page B-1519.
Le dialogue est peut-être franc, cordial et paisible comme en
1974, ou encore le climat est fort possiblement bon et excellent comme en 1973,
mais le résultat, M. le ministre, est toujours le même. Une
année de sérénité
fédérale-provinciale n'a pas apporté un iota de pouvoir
réel au Québec.
Encore une fois, le 26 mars 1974 le ministre dit piteusement:
"Actuellement mon ministère ne dispose que de sept agents en poste
à l'étranger". Et le ministre se référait à
ce moment à ses quatre agents à Paris, à celui qui est
à Athènes, à celui qui est à Beyrouth et à
celui qui est à Rome.
Et pourtant le 15 mai 1973, toujours le même ministre nous avait
appris qu'il avait exactement le même nombre d'agents exactement aux
mêmes endroits, tout en ne se gênant pas pour dire: "Nous voulons
augmenter égale-
ment le nombre de nos postes à l'étranger, conscients que
nous sommes de l'importance de cette première étape au point de
vue de l'immigration dans tous pays". Citation que l'on retrouve encore une
fois au journal des Débats, à la page B-1519.
Le 26 mars 1974, le ministre affirme que les agents du Québec
n'ont pas de pouvoir propre de recrutement, aux termes de l'entente avec le
fédéral. Le 15 mai 1973, pourtant, il répondait à
une question du député de Saint-Maurice: "Les normes du
fédéral prévalent. C'est là une de nos
préoccupations premières, l'accroissement du rôle, des
responsabilités et du champ d'action de notre agent à
l'étranger".
Le ministre est au moins fidèle à lui-même. Ses
préoccupations premières de l'an passé sont
également ses préoccupations premières de cette
année. Mais on ne voit pas très bien comment le fait
d'étirer ces préoccupations dans le temps constituent la base
d'une quelconque nouvelle politique.
Le 26 mars 1974 le ministre nous apprend que "nous venons tout juste
d'obtenir la fourniture systématique d'une copie de formulaire 1000 qui
accompagne chaque nouvel arrivé au Québec. Ottawa vient
également de nous envoyer tous les renseignements pertinents à
l'année 1973 et je pense que nous serons en mesure de publier d'ici
quelques semaines, et pour la première fois depuis notre existence, des
statistiques détaillées et complètes sur les
caractéristiques de notre immigration".
Du même souffle, le ministre ajoute: "La jeune direction de la
recherche de mon ministère se développe". Pourtant, M. le
Président, le 15 mai 1973, toujours le même ministre, identifiait
comme un des cinq objectifs centraux de l'activité de son
ministère, la mise sur pied d'un service de la recherche auquel nous
voulons consacrer les meilleures et les plus efficaces énergies
possibles. "Actuellement le ministre nous le dit je parle du
bureau de la recherche mais, en fait, il s'agit d'une direction de la
recherche. On n'y compte que deux fonctionnaires, mais nous voulons porter ce
nombre à quinze". Encore une fois, citation qu'on peut retrouver
à la page B-1518 de nos travaux de 1973.
Un autre objectif fondamental, était la restructuration du
ministère et selon le ministre: "Dans la restructuration dont j'ai
parlé précédemment comme il nous dit nous
allons constituer un fichier et ça aussi, c'était une
carence, ça aussi pressait depuis longtemps des immigrants
à travers le Québec. Et ce seront là encore des
responsabilités de cette direction nouvelle de la recherche dont j'ai
parlé." Journal des Débats, 1973, page B-1526.
Il ajoute: "C'est le système de fichier universel qu'on veut
établir qui, lui aussi, est absolument nécessaire." Toujours
1973, B-1528. On aimerait bien savoir si la jeune direction a tout le poids que
le ministre lui promettait; si elle peut disposer des quinze personnes promises
et, enfin, si les copies carbones des formulaires fédéraux
tiennent lieu du fichier universel qui devait être la grande oeuvre de la
direction de la recherche.
Le 26 mars 1974, le ministre nous apprend que des mécanismes de
concertation s'implantent présentement entre le ministère
québécois du Travail et de la Main-d'Oeuvre et celui de
l'Immigration. Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre avait des
visions d'un vaste comité interministériel en marche. Le ministre
nous disait à ce moment-là: "Ce comité
interministériel existe, mais dans le passé, il a
été beaucoup trop modeste et avare de ses rencontres. C'est un
autre des projets que je caresse, savoir faire en sorte qu'il se
réunisse plus souvent." Journal des Débats, 1973, page
B-1529.
L'an passé, on exigeait que tout un ensemble de ministères
fonctionnent en collaboration. Cette année, on crie victoire, M. le
Président, parce que l'on constate qu'il y a des mécanismes de
concertation qui s'implantent et cela, avec un seul ministère. Le 26
mars 1974, le ministre dit qu'une intégration harmonieuse
présuppose que la communauté soit accueillante sans
arrière-pensée. Il faudra de continuer le ministre
donc dépenser des efforts pour sensibiliser et informer la population
sur l'apport culturel et économique de nos frères d'autres
origines. Nous allons beaucoup investir auprès des enfants et des
adolescents. Nous allons développer nos programmes de formation
linguistique destinés aux adultes". Fin de la citation.
Or, le 15 mai 1973, le même ministre disait que, et je le cite:
"La xénophobie ou la crainte de l'étranger, cela existe à
peu près partout dans le monde et le Québec ne fait pas
exception, ni en mieux, ni en pire." Page B-1530 du journal des Débats,
1973, toujours. Aux Québécois en général, il
offrait une semaine de l'immigration, semaine qui en serait une d'animation,
d'audiovisuel, de films, etc. En même temps, "il y aurait, selon lui, des
concours pour les jeunes élèves de nos écoles à
travers le Québec, soit autochtones, soit immigrants, des films à
la télévision, tout ça." Et c'est toujours une citation du
ministre que l'on peut retrouver à la page B-1531 du journal des
Débats, 1973.
Enfin, quant à développer nos programmes de formation
linguistique, cette préoccupation était déjà
enregistrée comme l'objectif numéro 2 du ministère en 1973
et, à ce moment-là, je réfère nos collègues
à la page B-1514, toujours du journal des Débats de 1973.
M. le Président, vous aurez compris que je n'ai pas tenté,
ici, que de prendre le discours annonciateur d'une nouvelle politique
d'immigration pour le Québec et le comparer aux propos que le ministre
nous énonçait aux crédits l'an passé.
Je n'en veux nullement au ministre, comme tel. Il n'y a rien de
personnel dans les remarques que je fais et je ne tente pas, sans aucun
doute,
d'accabler le ministre personnellement, ni son ministère.
Par ce préambule et par les questions qui suivront, je voudrais
simplement contribuer à un peu de réalisme dans l'action
gouvernementale en matière d'immigration. Il n'est quand même pas
exactement décent pour un ministre de revenir chaque année devant
ses collègues pour exposer les soi-disant projets qu'il caresse, les
rêves que ses collaborateurs nourissent, les espoirs que son
ministère entretient et de confondre tout cela avec une véritable
politique de l'immigration et, encore moins, avec une nouvelle politique de
l'immigration.
Loin de moi l'idée de me moquer du ministre, M. le
Président; je pense que je le fais tout simplement à titre de
membre de l'Opposition et je sens que c'est mon devoir de le faire. Bien au
contraire, je trouve le ministre dans ses attitudes, face à son
ministère, plus honnête que la moyenne des ministres relativement
aux promesses qu'ils nous font. En effet, ce gouvernement ne cesse de se
gargariser de souveraineté culturelle, ce qui signifie le pouvoir de
décision finale en matière de culture.
Le ministre de l'Immigration, lui, sait fort bien qu'il n'a pas de
pouvoirs du tout. Le ministre sait fort bien qu'aucun Etat ne dispose de sa
souveraineté culturelle s'il ne dispose d'abord d'une autorité
pleine et entière sur ses mouvements migratoires. Et personne ne sait
plus pertinemment que le ministre actuel que cette autorité n'appartient
pas à M. Jean Bienvenue, mais bel et bien clairement à M. Robert
Andras. Encore une fois, je n'ai fait ici que comparer les propos du discours
du ministre, le 26 mars dernier, aux propos du même ministre aux
crédits de son ministère, le 15 mai 1973.
Bien des points restent dans l'obscurité suite aux plus
récents discours du ministre. C'est pourquoi je voudrais faire de
plusieurs de ces autres points l'objet de questions. Ainsi, pour mettre l'eau
à la bouche du ministre, je me permets une rapide
énumération. Aux crédits de 1973, le ministre
déposait les minces ressources financières de son
ministère et disait: "Ce n'est pas une plainte que je formule, je ne
fais que constater". Cette année, le ministre a-t-il, au moins,
l'intention de se plaindre?
L'an passé, le ministre établissait clairement les cinq
grands objectifs de son ministère, c'est-à-dire: 1) La
restructuration du ministère; 2) L'accentuation des activités au
niveau linguistique; 3) La mise sur pied d'un service de recherche; 4) La
poursuite de négociations avec le gouvernement fédéral et
5) Le recrutement de plus nombreux immigrants investisseurs.
Le ministre a répondu partiellement à certaines de ces
questions dans son exposé du début, mais on aimerait savoir
davantage et avec beaucoup plus de détails cette année quels
progrès ont été accomplis face à chacun de ces
objectifs. L'an passé, le ministre révélait que son
ministère bénéficierait d'un apport direct en termes de
chiffres variant de $5 millions à $10 millions, sur le total de $100
millions annoncés par mon collègue, le ministre de l'Education.
Evidemment, c'est le ministre qui parlait quand il disait "mon collègue,
le ministre de l'Education".
Ce que nous voudrions savoir, M. le Président, c'est, si cet
apport eut effectivement lieu, comment il a eu lieu. L'an passé
également, le ministre bravait publiquement une résolution
adoptée par la Fédération libérale du Québec
relative à l'intégration des enfants d'immigrants non anglophones
dans le secteur scolaire francophone. Il est même allé
jusqu'à dire ceci: "Toute coercition, à mon sens,
s'avérerait dangereuse pour ne pas dire néfaste".
On voudrait savoir si la nouvelle politique linguistique de son
gouvernement lui semble néfaste. L'an passé également, le
ministre confiait à ses collègues qu'il s'était
adressé à l'Association des hommes d'affaires canado-italiens en
ces mots: "Tâchez par vous-mêmes d'envoyer vos enfants à
l'école française, de crainte qu'un jour, hélas, le
gouvernement décide de décider pour vous. J'avais dit
c'est toujours le ministre qui parle "Ce jour-là, messieurs,
j'espère, quant à moi, qu'il n'arrivera jamais".
Nous voudrions savoir, nous de l'Opposition, si le ministre
considère que ce jour-là est arrivé. L'an passé,
également, le ministre disait, je le cite encore: "La loi organique de
notre ministère prévoit un comité consultatif dont les
cadres n'ont jamais été remplis. C'est le ferme propos de celui
qui vous parle de faire procéder à la nomination de ce
comité consultatif". Nous aimerions savoir, M. le ministre, où
nous en sommes aujourd'hui et comment cela s'est déroulé ou ne
s'est pas déroulé relativement à ce comité
consultatif.
L'an passé également le ministre affirmait, je le cite
encore: "J'ai l'intention, par les rouages de mon ministère, de voir les
autorités fédérales, de m'assurer que l'on est
traité comme les autres". Evidemment, il parlait à ce
moment-là des autres provinces, tout le monde le sait. On voudrait
savoir, M. le ministre, si on a eu gain de cause et si le Québec
reçoit les mêmes services du fédéral que l'Ontario,
par exemple. L'an' passé, le ministre, encore une fois, déclarait
que, dans la restructuration dont il avait parlé
précédemment, nous allions, nous du Québec, constituer un
fichier sur les nouveaux arrivés. "C'est le système, disait-il,
de fichier universel qu'on veut établir et qui, lui aussi, est
absolument nécessaire". J'aimerais savoir, M. le ministre, où en
est rendu le projet de mise en place de ce fichier.
L'an passé également, le ministre promettait qu'il y
aurait des bureaux régionaux de son ministère dans tout le
Québec. Est-ce qu'on en est rendu à établir, dans tout le
Québec, ces bureaux régionaux? L'an passé, le ministre
nous disait, encore une fois: "Nous voulons augmenter également le
nombre de nos postes à l'étranger". On voudrait savoir, M. le
Président,
ce qui est advenu de cette volonté du ministre. L'an
passé, toujours, le ministre confiait: "Nous avons un programme
précis de perfectionnement de nos fonctionnaires de nos hauts
fonctionnaires". On voudrait savoir où en est rendu ce programme
précis.
En un mot, pour reprendre les mots mêmes du ministre, le
Québec dispose d'un microministère de l'Immigration. Face au
discours inaugural, qui fait miroiter aux yeux des Québécois une
macropolitique de l'immigration, nous aimerions savoir comment le ministre
arrive à expliquer une telle disproportion entre les discours et la
réalité. A ce point-ci, je dois dire au ministre que j'admire ses
efforts, j'admire toutes les tentatives qu'il fait pour tenter de secouer la
léthargie de son gouvernement, du gouvernement dont il fait partie. Je
le sais, M. le ministre, que vous faites face, comme d'autres ministres,
surtout dans le contentieux fédéral-provincial, à
d'énormes difficultés.
Seulement, M. le ministre, je trouve, à ce stade-ci, qu'il est
important qu'on se dise ensemble qu'il ne faut pas nécessairement
tantôt faire des discours en réponse au discours inaugural,
tantôt faire des discours devant les chambres de commerce, tantôt
faire des discours à l'occasion des crédits et puis se retrouver
constamment, d'année en année, avec les mêmes objectifs.
Autrement, je pense, et ce serait à votre détriment, ce serait au
détriment même de votre crédibilité qui est encore,
heureusement, assez élevée, que de répéter
constamment et à chaque occasion que vous allez faire quelque chose, que
vous allez tenter de faire une brèche dans le contentieux
fédéral-provincial au niveau de l'immigration.
L'article 95 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique fait de
l'immigration un pouvoir concurrentiel appartenant à la fois au
gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux. C'est dire
qu'en matière d'immigration, le Québec a tout autant de pouvoirs
que le gouvernement fédéral. Que le Québec ait
négligé de s'occuper sérieusement de ce secteur pendant un
siècle, voilà qui relève d'une multitude de facteurs que
je n'ai pas l'intention de discuter ici. Je pense que le ministre n'est pas non
plus intéressé à étudier, sur le plan historique,
cette évolution. Mais que l'actuel ministre de l'Immigration du
Québec refuse d'exercer pleinement un pouvoir constitutionnel
parfaitement à sa disposition, que l'actuel ministre soit demeuré
prisonnier d'éternelles négociations à la pièce
avec un gouvernement qui, constitutionnelle ment, n'a pas et j'insiste
plus de pouvoirs que lui, que l'actuel ministre ne reçoive
manifestement pas l'appui financier de son propre gouvernement dans un domaine,
pourtant rattaché fondamentalement à la souveraineté
cuturelle et à la souveraineté tout court du Québec,
voilà qui s'explique moins bien.
Probablement plus que n'importe quel autre ministère, le
ministère de l'Immigration du Québec constitue un
sous-ministère d'un minis- tère fédéral. On
aimerait savoir si l'actuel ministre se complaît dans une telle situation
ou s'il a l'intention d'être l'initiateur d'un véritable
ministère doté d'une véritable politique. Ce sont les
quelques remarques que j'avais à faire. Encore une fois, ces remarques
ne sont pas faites de façon méchante à l'endroit du
ministre. Je pense que cela ouvre tout un débat, cela nous fait nous
poser une série de questions. Ce qu'on veut savoir, comme on l'a dit,
pas l'année dernière, parce que malheureusement, pour des
circonstances particulières, les représentants de mon parti
n'étaient pas présents à l'étude des
crédits, ce qui a peut-être permis au ministre d'y aller davantage
sur un certain nombre d'énoncés...
M. BIENVENUE: Le texte était écrit d'avance.
M. BURNS: Je pense, en particulier, aux réponses que vous aviez
données au député de Saint-Maurice du temps, M. Philippe
Demers. S'il y avait eu des députés qui ne croient pas en
l'avenir de la confédération actuelle, peut-être vous
seriez-vous restreint dans certaines réponses, parce que vous vous
seriez attendu à certaines boutades, au moins, sinon à certaines
contradictions apportées par des députés du Parti
québécois. Peu importe, ce n'est pas ça que j'ai à
discuter. Depuis que nous avons discuté des crédits du
ministère de l'Immigration, c'est-à-dire depuis 1970, nous avons
toujours dit qu'on aimerait bien vous suivre dans vos énoncés de
bonnes intentions, dans vos désirs, vous et votre
prédécesseur. On a dit toujours la même chose. Une chose
qu'on voudrait dire tout simplement, c'est qu'on est bien prêt à
vous suivre, on est bien prêt à dire: D'accord, il faut
récupérer des pouvoirs, mais ce qu'on voudrait, c'est que vous
nous montriez des résultats concrets. Que vous restructuriez votre
ministère de l'intérieur, que vous replaciez telle et telle
personne à tel endroit et à tel autre, cela va et c'est
très bien. C'est, possiblement, sur le plan administratif, quelque chose
qui est tout à fait louable, mais ça ne règle pas le
problème. Le problème principal et le seul, c'est: Qu'est-ce
qu'il fait, votre ministère? Est-ce un ministère qui est
là uniquement par apparence? Est-ce un ministère qui est
là pour satisfaire un certain nombre de gens? Est-ce un ministère
qui est là pour simplement attacher un grelot a cette espèce de
grande fumisterie que le premier ministre appelle la souveraineté
culturelle à l'intérieur d'un fédéralisme rentable?
Est-ce que c'est ça, M. le Président? Est-ce que le ministre se
fait complice de ça? Ce sont toutes ces questions qui se posent dans
notre esprit.
LE PRESIDENT (M. Picard): L'honorable ministre.
J'ai remarqué que le représentant du Ralliement
créditiste a dû partir. Si toutefois il
revenait et s'il manifeste le désir d'adresser la parole, il
pourra le faire.
M. BURNS: Entièrement d'accord, M. le Président.
M. BIENVENUE: M. le Président, ce que j'ai d'abord retenu des
remarques de mon ami, le député de Maisonneuve, je le retrouve
dans son allocution qui porte sur ce que nous avions établi l'an dernier
clairement comme les cinq grands objectifs du ministère de l'Immigration
du Québec et qui a fait l'objet des remarques que j'ai faites
moi-même avant lui, en faisant ce bilan de l'année
financière qui vient de se terminer.
Tout d'abord, M. le Président, je voudrais parler du premier
élément de ce premier objectif que j'avais énoncé
et auquel a fait allusion le député de Maisonneuve, soit celui de
la restructuration du ministère. J'ai dit tout à l'heure à
dessein que, même si ce ministère était jeune dans le
temps, une certaine léthargie...
M. le Président, on vient d'apprendre, tous en même temps,
que la Chambre était ajournée pour toutes tes vacances de
Pâques, si je comprends bien. Je l'ai appris en même temps que nos
collègues de l'Opposition et du gouvernement. Je me demande si, dans les
circonstances, mon collègue, le leader de l'Opposition, le
député de Maisonneuve, nous informant il va le faire
d'ailleurs après que j'aurai terminé mes remarques que de
toute façon on irait jusqu'à onze heures et qu'à onze
heures ce ne serait pas adopté, je connais la bonne humeur de mon ami,
le député de Maisonneuve, j'ai tiré...
M. BURNS: Qui est à son plus haut niveau actuellement!
M. BIENVENUE: A son plus chaud, M. le Président. Alors, je pense
que, dans les circonstances, on pourrait, quant à moi je ne veux
pas parler au nom de tout le monde ajourner nos travaux sine die et les
reprendre évidemment, on en était au stade de...
M. BURNS: Des remarques préliminaires.
M. BIENVENUE: Oui. Et de ma réplique aux commentaires du
député de Maisonneuve. Le député de Beauce-Sud, qui
était avec nous et qui est parti, là maintenant on sait pourquoi,
pourra, s'il le veut, à ce moment-là, faire ses remarques. On
reprendra. Je pense que c'est cela qui est le plus simple. Je ferai ma
réplique à ce moment-là.
M. BURNS: D'accord, M. le Président. Vous voyez...
LE PRESIDENT (M. Picard): Vous êtes d'accord?
M. BURNS: ... comme on a un esprit de collaboration assez
extraordinaire.
LE PRESIDENT (M. Picard): La commission ajourne ses travaux sine
die.
(Fin de la séance à 21 h 47)