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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le mardi 9 avril 1974 - Vol. 15 N° 20

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude des crédits du ministère de l'Immigration


Journal des débats

 

Commission permanente

du travail, de la main-d'œuvre

et de l'immigration

Etude des crédits du ministère de l'Immigration

Séance du mardi 9 avril 1974

(Vingt heures trente-cinq minutes)

M. PICARD (président de la commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration): A l'ordre, messieurs!

La commission du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration commencera ce soir l'étude des crédits du ministère de l'Immigration. Four la séance d'aujourd'hui, M. Bédard, député de Chicoutimi, remplace M. Charron, député de Saint-Jacques; M. Brisson, député de Jeanne-Mance, remplace M. Ciaccia, député de Mont-Royal; M. Bédard, député de Montmorency, remplace M. Cournoyer, député de Robert-Baldwin. Je suggère le nom de M. Boudreault, député de Bourget, comme rapporteur. Est-ce que cette motion est agréée?

M. BURNS: Agréé.

LE PRESIDENT (M. Picard): J'inviterais l'honorable ministre, avant de nous faire les remarques préliminaires habituelles, à nous présenter ses principaux collaborateurs.

M. BIENVENUE: Avec plaisir, M. le Président. En suivant l'ordre de gauche à droite, j'ai, à ma gauche, M. René Didier qui est sous-ministre adjoint au ministère de l'Immigration; à ma droite, mon nouveau chef de cabinet et attaché de presse, M. Claude Péloquin, qui cumule les deux fonctions parce que j'ai un petit budget au ministère de l'Immigration; derrière moi, avec le sourire, M. Jean-Carol Pelletier qui est le directeur de la direction des ressources internes à mon ministère, et M. Genest, votre dévoué confrère, qui a également le sourire. M. Pelletier représente Radio-Canada.

M. BURNS: Tant qu'à y être, M. le Président, est-ce que je peux vous présenter mon chef de cabinet qui est à ma gauche?

LE PRESIDENT (M. Picard): Allez-y, d'accord. Cela me fera plaisir.

M. BURNS: M. André Larocque qui est mon chef de cabinet et qui assistera à l'étude des crédits au même titre que le sous-ministre et que le chef de cabinet du ministre de l'Immigration.

M. ROY: Est-il nécessaire que je me présente moi-même?

LE PRESIDENT (M. Picard): J'aimerais avoir le consentement des membres de la commission pour que, lorsqu'un collaborateur du ministre prend la parole, l'enregistrement au journal des Débats soit fait au nom du ministre. Est-ce que tout le monde est d'accord là-dessus?

M. BURNS: D'accord.

M. BIENVENUE: Avec tous les risques que cela comporte pour moi.

M. BURNS: Vous n'avez pas confiance en vos collaborateurs?

M. BIENVENUE: Je l'ai dit avec un sourire pour les fins de l'enregistrement.

M. BURNS: Le sourire est enregistré.

LE PRESIDENT (M. Picard): L'honorable ministre de l'Immigration.

M. BIENVENUE: M. le Président, mes chers collègues, je veux souhaiter la bienvenue à tous mes collègues du gouvernement et à ceux de l'Opposition. Je pense notamment au député de Maisonneuve à qui je rends hommage d'avoir cédé à mes pressantes instances d'attendre et d'être présent lors de l'étude des crédits de mon ministère. Je voulais l'avoir à mes crédits et je l'ai — je dis bien, à mes crédits — et je l'apprécie beaucoup.

Je suis heureux de voir à ses côtés mon collègue, confrère et ami, le député de Chicoutimi, vieil ami à moi, et je rends également hommage au député de Beauce-Sud que j'ai invité instamment cet après-midi à assister à l'étude de ces crédits. Je voulais que la voix du Crédit — je vais me tromper de nom — social, c'est cela...?

M. ROY: Vous avez peut-être commis une imprudence.

Remarques préliminaires

M. BIENVENUE: Tant pis pour moi si tel est le cas. Je le remercie d'être venu.

M. le Président, mes chers collègues, c'est la troisième fois que je me présente devant cette commission pour y débattre les crédits du ministère de l'Immigration.

Mais à vrai dire, c'est le second bilan que je vous présente puisque, à toutes fins pratiques, j'ai pris la responsabilité de ce ministère en février 1972, soit un mois à peine avant l'étude des crédits du début de l'année financière qui était concernée à ce moment.

Le 14 mai dernier, je vous faisais connaître les objectifs prioritaires du ministère pour l'exercice 1973/74 qui vient de se terminer. J'en avais fixé cinq. Premièrement, la réorganisation du ministère; deuxièmement, l'accentua-

tion des activités d'intégration socio-culturelle des immigrants, notamment au plan linguistique; troisièmement, la mise sur pied d'une direction de la recherche, véritable instrument de la connaissance; quatrièmement, la remise en cause de nos procédures de sélection et de recrutement, avec un accent tout particulier sur les immigrants investisseurs; cinquièmement, l'ouverture de négociations avec le gouvernement fédéral pour rapatrier les pouvoirs que donne au Québec l'article 95 de la Constitution canadienne.

Permettez-moi alors de brosser devant vous un rapide bilan des actions entreprises, suite aux objectifs que je m'étais imposés il y a un an lors de l'étude des crédits, puis, à la lumière du budget qui vous est proposé, de vous faire part des politiques et des opérations que nous entendons poursuivre durant les douze mois à venir.

Premièrement, le bilan de l'année financière qui vient de se terminer, 1973/74, relativement au premier objectif que je viens d'énoncer qui était la réorganisation de mon ministère. Bien que jeune, le ministère de l'Immigration du Québec s'était déjà enfoncé dans une certaine léthargie et il me fallait procéder sans attendre à une réorganisation en profondeur au niveau de l'encadrement supérieur. Cette réorganisation s'est faite en cinq étapes. La première était la suivante: le sous-ministre d'alors, qui était M. Jean Loiselle, a été remplacé et un poste de sous-ministre adjoint a été créé.

Le précédent sous-ministre, celui que je viens de nommer, ayant démissionné, cette opération avait un double but. D'une part, reconnaître les mérites d'un homme, M. René Gauthier, qui est sous-ministre actuel du ministère de l'Immigration. Ce dernier a oeuvré avec courage et ténacité dans le difficile domaine de l'immigration — domaine que les gouvernements du temps ont tour à tour ignoré — durant plus de trente années. D'autre part, préparer la relève dans le cadre des exigences du "management" moderne de la fonction publique d'aujourd'hui.

Seconde étape de cette organisation: l'organigramme, dont j'ai ici des copies à votre intention, qui a été largement remodelé, rafraf-chi, modernisé et rajeuni en vue de permettre une meilleure allocation des ressources humaines et matérielles. Concrètement, le commissariat général, qui avait surtout comme première fonction — et c'était tout indiqué dans la loi de mon ministère — d'être une espèce de protecteur du citoyen des immigrants, a été renforcé notamment au niveau des responsabilités intergouvernementales et interministérielles. Une direction de la recherche et une direction des ressources internes ont été créées de toutes pièces et on a regroupé le service des groupes ethniques et celui des communications en une direction beaucoup plus cohérente et qui répond plus aux besoins de la réalité.

Troisième étape. Certains cadres supérieurs du ministère ont été promus en raison de leurs aptitudes. D'autres ont été affectés aux postes nouvellement créés, en raison de leur compétence. D'autres ont été mutés ou remerciés. Enfin, on a procédé par concours au recrutement des trois postes de cadre supérieur qui étaient vacants, ce qui a permis, en particulier, la reprise en main de la direction générale de l'établissement qui avait été privée, depuis de nombreux mois, de son état-major.

Quatrième étape. Le comité consultatif prévu à l'article 9 de la loi organique du ministère, comité qui n'avait jamais vu le jour depuis que nous existons, a été constitué et quatorze membres nommés par le lieutenant gouverneur en conseil. Ce comité s'est déjà réuni à deux reprises et la qualité de ses membres laisse augurer, pour nous, un avenir des plus prometteurs.

Enfin, cinquième et dernière étape de cette réorganisation: la Commission interministérielle des affaires des immigrants a fonctionné par le biais d'une dizaine de comités interministériels très actifs, notamment, dans des domaines qui nous sont connexes de l'Education, des Affaires sociales, de la Main-d'Oeuvre et, enfin, des Affaires intergouvernementales.

Deuxième objectif que j'avais tracé il y a un peu plus d'un an: les activités d'intégration socio-culturelle. Un accent tout particulier a été mis sur les activités d'intégration des immigrants à la communauté francophone, particulièrement sur le plan linguistique et cela à plusieurs niveaux. D'abord, au niveau des immigrants adultes. La direction générale de l'adaptation est désormais en mesure d'assurer tous les tests de classement des candidats envoyés dans les COFI, soit environ 4,000. Elle a également mis sur pied un système complet de tests pour mesurer, à la fin des cours, le niveau atteint dans l'apprentissage des langues.

Dans ce même secteur, l'appareil des COFI qui en 1972/73 se répartissait entre 60 p.c. de classes de français et 40 p.c. de classes d'anglais, a été ramené à une structure beaucoup plus proche de la réalité québécoise, soit 71 p.c. pour les classes de français et 29 p.c. seulement pour les classes d'anglais.

Dans le même temps, on a négocié et préparé l'allongement des cours de français qui passent actuellement de 20 à 30 semaines, ce qui entraînera une nouvelle répartition de l'appareil d'enseignement encore plus conforme à la réalité québécoise, soit 86 p.c. de classes de français et 14 p.c. de classes d'anglais.

M. le Président, il est profondément regrettable pour les nouveaux arrivants et pour la communauté que le conflit de travail qui a commencé dans les COFI de la Commission des écoles catholiques de Montréal, le 21 janvier dernier, trame en longueur. La situation est d'autant plus absurde qu'il existe dans le secteur privé des conditions de travail qui semblent donner satisfaction à tout le monde. L'actuel conflit n'est ni de nature financière, ni de nature économique et je n'ai malheureusement aucun

pouvoir juridique pour y apporter une solution qui me semble cependant tout à fait possible et à la portée de la main.

Au niveau des enfants, les 112 classes de garderies francophones réservées à des petits immigrants ont été triplées et portées à 340. Désormais, dix garderies accueillent et francisent les jeunes immigrants contre deux l'année précédente. Par ailleurs, un nouveau programme OVAL, c'est-à-dire Opération vacances et loisirs, a été mis en route en vue de permettre à des adolescents québécois et à des adolescents immigrants de se rencontrer et de fraterniser.

Plusieurs activités ont été entreprises: Carnaval du bout du monde dans le beau comté de mon ami, le député de Chicoutimi, découverte de l'abbaye de Saint-Benoft-du-Lac, cabane à sucre, etc., autant d'occasions de faire tomber les barrières détestables de l'ignorance et les murs de l'incompréhension. J'ai apporté pour le bénéfice de mes collègues, je ne sais pas s'il y en a suffisamment, des photographies qui parlent par elles-mêmes, justement prises lors de cette dernière partie de sucre où, si la photo était plus vaste et plus claire, on pourrait retrouver la binette d'enfants chinois, la binette d'enfants avec des traits, des couleurs, de toutes origines, parmi des petits Canadiens français. Ces photos sont assez révélatrices de l'esprit qui régnait. On aurait pu faire la même chose à Chicoutimi, où cela a été un succès inespéré, à Saint-Benoît, etc.

Dans un autre ordre d'idées, vous savez, M. le Président, et vous, mes chers collègues, qu'un des obstacles majeurs à l'intégration des nouveaux arrivants, je viens d'y faire allusion, c'est l'ignorance de la communauté québécoise. Pour permettre aux Québécois de mieux connaître leurs frères d'autres origines, la direction des groupes ethniques a commencé en janvier dernier la publication d'un bimestriel de haute qualité, qui s'intitule: Québec Monde. Le titre, je pense, est tout un programme en soi. Ce magazine a été envoyé à chacun d'entre vous. Vous avez dû en recevoir le premier numéro. Je ne voudrais pas quitter ce secteur d'intégration socio-culturelle sans souligner avec force la prise de position non équivoque et combien de fois répétée à celui qui vous parle, que l'on retrouve aussi dans les media d'information, position en faveur de la langue française de nombreux groupes ethniques et plus particulièrement du groupe le plus important, celui des Québécois d'origine italienne, qui se chiffre par près de 250,000, soit un quart de million au Québec, qui, par la voix de la Fédération des associations italiennes, a donné ce message. Il me semble opportun de vous dire à nouveau son contenu qui m'est transmis, je viens de le dire, à peu près quotidiennement depuis quelques années, et surtout au cours des derniers mois. Je cite: "Nous reconnaissons la nécessité pour le Québec, auquel nous sommes fiers d'appartenir, de défendre sa langue et sa culture, et nous voulons participer à cet effort collectif. Mais, de grâce, pas de discrimination et surtout ne faites pas porter aux seuls immigrants la responsabilité de cette entreprise".

Troisième objectif: La direction de la recherche. Ce troisième objectif à atteindre, que j'avais tracé, je le répète, il y a un peu plus d'un an, était la création d'un véritable instrument de la connaissance afin d'éclairer les politiques et les actions du ministère. Le service de la recherche du ministère, qui était de deux personnes à l'époque, a été transformé en une direction nantie de 15 postes à l'effectif. Sans attendre que le recrutement soit terminé, cette équipe s'est mise d'arrache-pied au travail, et je puis vous dire qu'on commence déjà à récolter des fruits.

D'une part, nous serons bientôt en mesure de savoir, et ceci pour la première fois dans l'histoire du Québec, qui sont les immigrants qui viennent au Québec. Ottawa s'était toujours refusé à nous communiquer leur identité et leurs caractéristiques. Cette situation a été récemment corrigée à la suite de négociations auxquelles j'ai participé avec mes principaux collaborateurs, à Ottawa, négociations sur lesquelles je vais revenir dans un instant, mais dont je puis dire tout de suite — je l'ai déjà dit — qu'elles ont été, qu'elles demeurent, et j'espère qu'elles demeureront calmes, sereines, positives, en d'autres termes, fort encourageantes.

D'ici quelques semaines, en conséquence de ce gain auquel je viens de faire allusion, le premier numéro du bulletin statistique du ministère de l'Immigration du Québec sera publié, rendu public, porteur, évidemment, d'une mine de renseignements pour nous. D'autre part, des instruments scientifiques commencent à être élaborés et à être expérimentés: inventaire ' des besoins de main-d'oeuvre complémentaire en fonction des pénuries sectorielles et régionales et cela, en relation étroite avec le ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre du Québec; mesure de l'utilisation du français par les anciens étudiants des COFI; mesure du degré d'intégration des immigrants à la communauté francophone, et que sais-je.

J'ai bon espoir, M. le Président, que, d'ici quelques mois, mon ministère disposera enfin d'un appareil moderne de la connaissance des phénomènes migratoires au Québec pour le plus grand bénéfice du gouvernement et de la province.

Le quatrième objectif que j'avais tracé il y a un an, les immigrants investisseurs. En 1972/73, le tout nouveau service de support aux immigrants investisseurs avait permis l'installation de 25 candidats pour un apport total de $1,600,000, créateurs de 62 emplois. Durant les onze premiers mois de l'année écoulée, ce sont 56 immigrants investisseurs qui se sont installés au Québec, apportant avec eux $6,600,000 et créant 234 emplois. J'ai eu, cet après-midi, M. le Président — et cela n'est pas à mon texte — des chiffres encore plus récents qui me permettent de vous dire avec beaucoup de fierté et de

satisfaction qu'au 31 mars, soit il y a quelques jours à peine, ce chiffre était devenu 66 investisseurs pour un total de $7,270,000 et la création de 270 emplois. Il est intéressant de noter que ce jeune service a rapporté au Québec — et je corrige ce que vous pourrez voir dans mon texte — non pas trois fois, mais a rapporté au Québec trois fois et demi plus de ressources que la province n'en a investies pour son ministère de l'Immigration. Le rapport coûts-bénéfices s'est avéré extrêmement positif.

Cinquième objectif que nous nous étions tracé, les négociations avec le gouvernement fédéral. Dans mes discours à l'Assemblée nationale du 5 décembre et du 26 mars dernier, j'ai rappelé avec vigueur que le Québec, contrairement à l'Ontario, avait toujours laissé au gouvernement central le champ libre dans ce domaine de compétence partagée qu'est l'immigration aux termes de l'article 95 de la Constitution canadienne.

Il était donc nécessaire de commencer à négocier avec Ottawa le rapatriement de ces pouvoirs. Depuis plusieurs mois, le dialogue est engagé vigoureusement, mais je viens d'y faire allusion, sans cri et sans vacarme, suivant un style qui est bien le mien, je pense, M. le Président, et qui, jusqu'à présent, m'a en général assez bien servi.

Déjà, nous avons obtenu la fourniture régulière et systématique de l'identité de tous les nouveaux arrivants et la mise sur pied de missions communes de sélection. J'ai remis en février au ministre Andras un long mémoire précisant la position du Québec au moment où se redéfinit la politique nationale d'immigration et où se rédige un livre vert fédéral en vue de préparer une nouvelle loi de l'immigration.

Dans quelques jours, je retourne à Ottawa avec un projet précis d'entente fédérale-provinciale.

Ce projet remplacerait évidemment, on devine, l'entente Lang-Cloutier qui était un premier pas dans le sens des relations fédérales-provinciales au niveau de l'immigration à l'étranger, une entente basée sur les trois principes énumérés dans mon discours du 26 mars à savoir: polarisation, localisation, mobilité, entente qui devrait nous permettre d'exercer enfin, et pour la première fois, un véritable pouvoir au double niveau de la sélection et du recrutement des immigrants futurs. J'ai bon espoir d'arriver à des résultats positifs, si j'en crois les récentes déclarations publiques de mon ami le ministre Andras.

L'année 1974/75, donc l'année financière commencée depuis quelques jours, le budget et les effectifs du ministère que je dirige. La nouvelle année qui vient de commencer, M. le Président, verra se poursuivre les efforts amorcés précédemment. Le budget qui vous est proposé, qui est proposé à l'adoption de cette commission, bien que modeste, révèle cependant cette intention. Les crédits bruts passent de $6,417,300 à $7,976,000, soit une augmenta- tion de 24.3 p.c. Les crédits nets passent de $2,089,800 à $2,850,100, soit une augmentation de 36.4 p.c. Les effectifs passent de 142 à 147, soit une augmentation de 3.5 p.c.

L'augmentation des crédits destinés à l'établissement des immigrants servira principalement à développer l'action du ministère auprès des immigrants entrepreneurs ou encore investisseurs. L'accroissement substantiel accordé au titre de l'adaptation des immigrants et de la gestion du ministère permettra d'intensifier les efforts d'intégration socio-culturelle des immigrants à la communauté québécoise. Prolongation de 20 à 30 semaines de l'enseignement du français dans les COFI, développement des garderies et des activités de vacances et de loisirs en vue de franciser les jeunes immigrants, sensibilisation aussi, de la communauté québécoise à l'apport de l'immigration. Sensibilisation, un mot sur lequel je n'insisterai jamais trop tellement ce phénomène me paraît indispensable pour arriver aux objectifs auxquels nous tendons.

Le défi à relever. Je dois cependant vous avouer ma profonde inquiétude à l'aube de ce nouvel exercice budgétaire, face au défi à relever qui est considérable. J'ai récemment exposé devant l'Assemblée nationale, la situation inquiétante de l'immigration au Québec à tous les niveaux: quantitatif, qualicatif, géographique et linguistique. J'attirais votre attention, l'attention de mes collègues de l'Assemblée nationale sur les tendances actuelles de l'immigration au Québec et sur son ralentissement, et cela au moment même où apparaissent les premières conséquences de la dénatalité et au moment où un gouvernement se décide enfin à légiférer en matière de langue, ce qui ne saurait rester sans conséquence sur le mouvement migratoire. L'action de mon ministère se situe donc au coeur d'une triple contrainte démographique, économique, culturelle et linguistique.

Si le Québec veut une politique véritable d'immigration qui réponde à la triple exigence que je viens de décrire, il lui faudra se décider à donner à mon ministère des moyens suffisants, même si un effort intéressant a été commencé. Il me faudra en effet cinq ou six cadres supplémentaires, une quarantaine d'agents additionnels pour assurer le recrutement et la sélection, pour assurer le support aux employeurs et aux investisseurs, pour récupérer les COFI et les administrer directement, permettant ainsi la francisation de tous les nouveaux arrivants adultes.

Il me faudrait également une quinzaine de millions de dollars supplémentaires. Je vous fais donc part, dès maintenant, de mon intention de demander un budget supplémentaire pour mettre en oeuvre les politiques que j'expliquais à l'Assemblée nationale, le 26 mars dernier, en conformité — un autre, mais je ne vais pas plus loin dans ma phrase, je n'ai parlé que de demande — aux demandes qui ont été faites à Ottawa en vue de voir le Québec assumer sa

pleine responsabilité en matière d'immigration.

Je vois le député de Maisonneuve, M. le Président, pour qui les mots "un autre" veulent en dire long. Je vais au-devant des coups et je lui dis qu'il y a deux jours je disais à la blague à un de mes collaborateurs, qui me posait la question que n'ose me poser le député de Maisonneuve, que cela ne pourrait pas arriver parce que j'étais irremplaçable. M. le Président, je le dis à la blague.

Si 1973/74 a été l'année de la réorganisation et de la rationalisation de l'appareil que je viens de décrire, l'année qui vient, 1974/75, sera l'année de la croissance et du développement. Plus concrètement, je me propose d'atteindre les deux objectifs préliminaires suivants. Premièrement, mettre un terme à la réorganisation. A ce sujet, j'écouterai les remarques, les commentaires de mes amis de l'Opposition ou autres et, par la suite, je voudrais revenir sur cette échéance de mettre un terme à la réorganisation pour annoncer à mes collègues députés une nouvelle en primeur.

Deuxièmement, poursuivre des négociations avec Ottawa en vue d'obtenir plus de pouvoirs en matière de sélection et de recrutement et en vue de sortir les COFI du cadre restrictif de la Loi de la formation professionnelle des adultes. Mais, au-delà de tout ceci, M. le Président, il nous faudra réfléchir ensemble sur la nécessité d'un instrument plus global. En effet, l'immigration en soi n'est pas une fin. C'est tout au plus un moyen pour compléter la population québécoise. Il est grand temps, me semble-t-il, pour le gouvernement du Québec de se doter d'un ministère dont la tâche principale serait de l'éclairer sur les tendances et sur les politiques à entreprendre dans ce domaine combien prioritaire qu'est celui des ressources humaines. Amen.

LE PRESIDENT (M. Picard): Le leader parlementaire de l'Opposition officielle, le député de Maisonneuve.

M. BURNS: M. le Président, au début de mon intervention, j'ai nettement le goût de vous servir une citation que, je l'espère, tous les membres de l'Assemblée nationale reconnaîtront. Je commence par cette citation: "Cette Assemblée aura l'occasion, au cours de la présente session, de discuter d'une nouvelle politique d'immigration, accueillante et dynamique, axée autour des objectifs suivants: une information adéquate des candidats, un pouvoir réel de sélection et de recrutement et une intégration harmonieuse de la société québécoise".

Voilà la pensée pieuse, M. le Président, que, le 14 mars dernier, le lieutenant gouverneur livrait aux membres de l'Assemblée nationale. Voilà la pensée pieuse que le présent ministre de l'Immigration jugeait bon de reservir aux députés dans son discours du 26 mars 1974. En guise de préambule à l'examen des crédits du ministère, je voudrais rapidement comparer cette nouvelle politique de l'immigration annoncée tapageusement, je dois le dire, avec les propos tenus par le même ministre lors de l'étude des crédits de son ministère le 15 mai 1973.

La conclusion, je vous la livre à l'avance, M. le Président. Comme le dit si bien le lieutenant-gouverneur, je cite encore: "Cette Assemblée aura l'occasion de discuter..." Fin de la citation, avec les points de suspension que vous voudrez y ajouter. Manifestement, il n'aura guère l'occasion de faire plus, M. le Président.

Le 26 mars 1974, le ministre nous déclare: "Si le gouvernement du Québec a choisi cette époque précise pour inscrire à son programme sessionnel la question de l'immigration, cela tient principalement à deux facteurs: la dénatalité et la pénurie éventuelle et, dans certains secteurs, l'insuffisance actuelle de main-d'oeuvre au Québec".

Le 15 mai 1973, le même ministre avait affirmé que seul le fédéral, officiellement, établit les pénuries par région dans le Canada, donc dans le Québec. Je réfère les gens qui sont intéressés à vérifier cette affirmation du ministre à la page B-1527 de nos débats de 1973.

On devait y voir l'an passé; cette année, en guise de nouvelle politique, on ne fait que se répéter.

Le 26 mars 1974, le ministre nous apprenait ce que tout le monde sait. Je cite le ministre: "Depuis cinq ans, le phénomène migratoire a fortement baissé". Si, pour l'année 1973, il y a une remontée, c'est probablement — encore une fois, c'est le ministre qui parle — "la conséquence de l'opération Mon Pays, c'est-à-dire la régularisation du statut d'un certain nombre d'immigrants illégaux".

Pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre ne se gênait pas pour simplifier en affirmant "qu'il ne faut donc pas être grand prophète pour prévoir que, dès que l'amélioration de la situation économique le permettra, nous rejoindrons la moyenne annuelle des 25 dernières années".

Encore une fois, journal des Débats, page B-1512.

Fait-il croire que les miniopérations du gouvernement fédéral tiennent lieu de politique économique pour le gouvernement du Québec? C'est une des questions qu'il faut se poser, qui, je pense, sont tout à fait en accord avec un certain nombre d'interrogations que le ministre lui-même a lancées depuis un certain temps.

Je reviens encore à cette comparaison. Le 26 mars 1974, le ministre nous apprend que — c'est lui qui parle — "l'immigration en provenance d'Europe est tombée de 74 p.c, en 1967, à 46 p.c, en 1972, et celle des autres régions du monde a grimpé de 26 p.c. à 54 p.c."

Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre nous disait toute sa confiance dans l'efficacité de faire faire de l'antichambre à une poignée d'agents québécois qui tiennent bureau exclusivement en Europe auprès des ambassades canadiennes de Paris, de Rome, d'Athènes en

plus de celle de Beyrouth. Leur efficacité aura-t-elle, par hasard, été diminuée par le fait d'agir comme commis à l'ombre des fonctionnaires fédéraux à l'Immigration?

Le 26 mars 1974, encore une fois, le ministre nous a dit que "81 p.c. des immigrants arrivés depuis 1961 et recensés en 1971 résidaient sur l'île de Montréal et sur l'île Jésus". Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre nous affirmait que "les bureaux régionaux sont un autre des projets, des rêves que nous caressons d'avoir, et cela a été un manque absolu, parce qu'il n'y a pas que Montréal. J'ai déjà parlé de démétropolisation — c'est toujours le ministre qui parle — ce qui serait une des grandes solutions aux problèmes non seulement économiques mais socio-culturels et linguistiques".

Ce qui, l'an passé, était vu comme une priorité, cette année, M. le ministre, devient un objet d'inquiétude et une des assises d'une politique que l'on n'ose appeler nouvelle.

Encore une fois, le 26 mars 1974, le ministre nous apprend que, "depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous avons reçu 82 p.c. d'immigrants non francophones et 18 p.c. dont le français est la langue d'usage". Il amplifie même le problème en nous apprenant qu'un rapport fédéral, en 1970, "baisse désormais ces maigres 18 p.c. à 15 p.c."

Et pourtant, le 15 mai 1973, c'est toujours le même ministre qui nous disait: "L'extrême urgence, pour le gouvernement du Québec, en raison de ses problèmes particuliers face à sa politique d'immigration, est de mettre en place des mécanismes favorisant le recrutement d'immigrants francophones les plus susceptibles, parmi les autres groupes ethniques, par leur affinité linguistique et culturelle, de s'intégrer au groupe majoritaire". Encore une fois, je renvoie nos collègues à la page B-1512 de nos travaux de 1973.

Ce qui, l'an passé, était une extrême urgence est devenu — et le discours ou l'énoncé préliminaire du ministre, aux crédits, ne change rien à mon opinion là-dessus— tout simplement un objet d'inquiétude.

Le 26 mars 1974, le ministre nous confie que "le Québec dispose d'un microministère de l'Immigration, en fonction depuis à peine quatre ans, dont le budget n'atteint même pas $6.5 millions cette année". Or, pour l'exercice financier dont parlait le ministre, les crédits approuvés étaient de $2,089,800.

Deux jours après le discours du ministre, soit le 28 mars, son collègue des Finances déposait un budget dont les prévisions de dépenses, pour l'Immigration, sont de $2,850,100. Il faut se rendre à l'évidence, nouvelle politique de l'immigration ou pas, le Québec a l'intention de poursuivre avec un microministère tout ce qu'il a l'intention de faire en matière d'immigration.

Toujours le 26 mars 1974, le ministre nous confie ce que l'on sait déjà, ce que tout le monde sait d'ailleurs: "Le Québec n'a aucune présence ni aucun pouvoir en ce qui concerne la sélection et le recrutement de ses nouveaux venus".

Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre, toujours le même, nous avait déjà informés que "cet agent québécois à l'étranger jusqu'à ce jour n'est pas un agent de recrutement, n'a pas la pleine initiative du côté du recrutement. Cet agent est dépendant du fait que les visas sont admis de façon exclusive par les autorités fédérales". "Nous avons au moins ce premier contact à l'étranger et c'est ce rôle que nous voulons accentuer et qui fait l'objet de plusieurs de nos préoccupations". Encore une fois on peut retrouver ça au journal des Débats à la page B-1520.

Encore là, rien de nouveau sous le soleil. Les préoccupations qui devaient faire agir le ministre l'année dernière sont les mêmes qui inspirent une nouvelle politique cette année, dans ce domaine comme dans les autres.

Encore une fois, faisons le parallèle. Le 26 mars 1974, relativement au même problème, le ministre nous a dit: "Ce qui fait défaut — et que je m'efforce actuellement d'obtenir d'Ottawa dans le cadre d'un dialogue franc, très cordial et paisible, amorcé voici plusieurs mois — c'est l'accès à tous les dossiers des candidatures destinées au Québec qui sont déposées dans les ambassades canadiennes à l'étranger. Il me faut donc obtenir le droit de participer à la sélection et au recrutement".

Et pourtant, le 15 mai 1973, lors de l'étude des crédits, le même ministre nous avait déjà dit sur le même sujet: "Vous comprenez que ces matières sont telles qu'il faut y aller avec pondération. Mais je puis vous dire messieurs — et je lisais justement dans les journaux il y a quelques jours que mon homonyme du fédéral faisait la même affirmation — que le climat de nos discussions, de nos négociations avec le fédéral est excellent. Je pense que le climat est bon, est excellent et doit se maintenir". Encore une fois, on peut retrouver cette citation au journal des Débats à la page B-1519.

Le dialogue est peut-être franc, cordial et paisible comme en 1974, ou encore le climat est fort possiblement bon et excellent comme en 1973, mais le résultat, M. le ministre, est toujours le même. Une année de sérénité fédérale-provinciale n'a pas apporté un iota de pouvoir réel au Québec.

Encore une fois, le 26 mars 1974 le ministre dit piteusement: "Actuellement mon ministère ne dispose que de sept agents en poste à l'étranger". Et le ministre se référait à ce moment à ses quatre agents à Paris, à celui qui est à Athènes, à celui qui est à Beyrouth et à celui qui est à Rome.

Et pourtant le 15 mai 1973, toujours le même ministre nous avait appris qu'il avait exactement le même nombre d'agents exactement aux mêmes endroits, tout en ne se gênant pas pour dire: "Nous voulons augmenter égale-

ment le nombre de nos postes à l'étranger, conscients que nous sommes de l'importance de cette première étape au point de vue de l'immigration dans tous pays". Citation que l'on retrouve encore une fois au journal des Débats, à la page B-1519.

Le 26 mars 1974, le ministre affirme que les agents du Québec n'ont pas de pouvoir propre de recrutement, aux termes de l'entente avec le fédéral. Le 15 mai 1973, pourtant, il répondait à une question du député de Saint-Maurice: "Les normes du fédéral prévalent. C'est là une de nos préoccupations premières, l'accroissement du rôle, des responsabilités et du champ d'action de notre agent à l'étranger".

Le ministre est au moins fidèle à lui-même. Ses préoccupations premières de l'an passé sont également ses préoccupations premières de cette année. Mais on ne voit pas très bien comment le fait d'étirer ces préoccupations dans le temps constituent la base d'une quelconque nouvelle politique.

Le 26 mars 1974 le ministre nous apprend que "nous venons tout juste d'obtenir la fourniture systématique d'une copie de formulaire 1000 qui accompagne chaque nouvel arrivé au Québec. Ottawa vient également de nous envoyer tous les renseignements pertinents à l'année 1973 et je pense que nous serons en mesure de publier d'ici quelques semaines, et pour la première fois depuis notre existence, des statistiques détaillées et complètes sur les caractéristiques de notre immigration".

Du même souffle, le ministre ajoute: "La jeune direction de la recherche de mon ministère se développe". Pourtant, M. le Président, le 15 mai 1973, toujours le même ministre, identifiait comme un des cinq objectifs centraux de l'activité de son ministère, la mise sur pied d'un service de la recherche auquel nous voulons consacrer les meilleures et les plus efficaces énergies possibles. "Actuellement — le ministre nous le dit — je parle du bureau de la recherche mais, en fait, il s'agit d'une direction de la recherche. On n'y compte que deux fonctionnaires, mais nous voulons porter ce nombre à quinze". Encore une fois, citation qu'on peut retrouver à la page B-1518 de nos travaux de 1973.

Un autre objectif fondamental, était la restructuration du ministère et selon le ministre: "Dans la restructuration dont j'ai parlé précédemment — comme il nous dit — nous allons constituer un fichier — et ça aussi, c'était une carence, ça aussi pressait depuis longtemps — des immigrants à travers le Québec. Et ce seront là encore des responsabilités de cette direction nouvelle de la recherche dont j'ai parlé." Journal des Débats, 1973, page B-1526.

Il ajoute: "C'est le système de fichier universel qu'on veut établir qui, lui aussi, est absolument nécessaire." Toujours 1973, B-1528. On aimerait bien savoir si la jeune direction a tout le poids que le ministre lui promettait; si elle peut disposer des quinze personnes promises et, enfin, si les copies carbones des formulaires fédéraux tiennent lieu du fichier universel qui devait être la grande oeuvre de la direction de la recherche.

Le 26 mars 1974, le ministre nous apprend que des mécanismes de concertation s'implantent présentement entre le ministère québécois du Travail et de la Main-d'Oeuvre et celui de l'Immigration. Et pourtant, le 15 mai 1973, le même ministre avait des visions d'un vaste comité interministériel en marche. Le ministre nous disait à ce moment-là: "Ce comité interministériel existe, mais dans le passé, il a été beaucoup trop modeste et avare de ses rencontres. C'est un autre des projets que je caresse, savoir faire en sorte qu'il se réunisse plus souvent." Journal des Débats, 1973, page B-1529.

L'an passé, on exigeait que tout un ensemble de ministères fonctionnent en collaboration. Cette année, on crie victoire, M. le Président, parce que l'on constate qu'il y a des mécanismes de concertation qui s'implantent et cela, avec un seul ministère. Le 26 mars 1974, le ministre dit qu'une intégration harmonieuse présuppose que la communauté soit accueillante sans arrière-pensée. Il faudra — de continuer le ministre — donc dépenser des efforts pour sensibiliser et informer la population sur l'apport culturel et économique de nos frères d'autres origines. Nous allons beaucoup investir auprès des enfants et des adolescents. Nous allons développer nos programmes de formation linguistique destinés aux adultes". Fin de la citation.

Or, le 15 mai 1973, le même ministre disait que, et je le cite: "La xénophobie ou la crainte de l'étranger, cela existe à peu près partout dans le monde et le Québec ne fait pas exception, ni en mieux, ni en pire." Page B-1530 du journal des Débats, 1973, toujours. Aux Québécois en général, il offrait une semaine de l'immigration, semaine qui en serait une d'animation, d'audiovisuel, de films, etc. En même temps, "il y aurait, selon lui, des concours pour les jeunes élèves de nos écoles à travers le Québec, soit autochtones, soit immigrants, des films à la télévision, tout ça." Et c'est toujours une citation du ministre que l'on peut retrouver à la page B-1531 du journal des Débats, 1973.

Enfin, quant à développer nos programmes de formation linguistique, cette préoccupation était déjà enregistrée comme l'objectif numéro 2 du ministère en 1973 et, à ce moment-là, je réfère nos collègues à la page B-1514, toujours du journal des Débats de 1973.

M. le Président, vous aurez compris que je n'ai pas tenté, ici, que de prendre le discours annonciateur d'une nouvelle politique d'immigration pour le Québec et le comparer aux propos que le ministre nous énonçait aux crédits l'an passé.

Je n'en veux nullement au ministre, comme tel. Il n'y a rien de personnel dans les remarques que je fais et je ne tente pas, sans aucun doute,

d'accabler le ministre personnellement, ni son ministère.

Par ce préambule et par les questions qui suivront, je voudrais simplement contribuer à un peu de réalisme dans l'action gouvernementale en matière d'immigration. Il n'est quand même pas exactement décent pour un ministre de revenir chaque année devant ses collègues pour exposer les soi-disant projets qu'il caresse, les rêves que ses collaborateurs nourissent, les espoirs que son ministère entretient et de confondre tout cela avec une véritable politique de l'immigration et, encore moins, avec une nouvelle politique de l'immigration.

Loin de moi l'idée de me moquer du ministre, M. le Président; je pense que je le fais tout simplement à titre de membre de l'Opposition et je sens que c'est mon devoir de le faire. Bien au contraire, je trouve le ministre dans ses attitudes, face à son ministère, plus honnête que la moyenne des ministres relativement aux promesses qu'ils nous font. En effet, ce gouvernement ne cesse de se gargariser de souveraineté culturelle, ce qui signifie le pouvoir de décision finale en matière de culture.

Le ministre de l'Immigration, lui, sait fort bien qu'il n'a pas de pouvoirs du tout. Le ministre sait fort bien qu'aucun Etat ne dispose de sa souveraineté culturelle s'il ne dispose d'abord d'une autorité pleine et entière sur ses mouvements migratoires. Et personne ne sait plus pertinemment que le ministre actuel que cette autorité n'appartient pas à M. Jean Bienvenue, mais bel et bien clairement à M. Robert Andras. Encore une fois, je n'ai fait ici que comparer les propos du discours du ministre, le 26 mars dernier, aux propos du même ministre aux crédits de son ministère, le 15 mai 1973.

Bien des points restent dans l'obscurité suite aux plus récents discours du ministre. C'est pourquoi je voudrais faire de plusieurs de ces autres points l'objet de questions. Ainsi, pour mettre l'eau à la bouche du ministre, je me permets une rapide énumération. Aux crédits de 1973, le ministre déposait les minces ressources financières de son ministère et disait: "Ce n'est pas une plainte que je formule, je ne fais que constater". Cette année, le ministre a-t-il, au moins, l'intention de se plaindre?

L'an passé, le ministre établissait clairement les cinq grands objectifs de son ministère, c'est-à-dire: 1) La restructuration du ministère; 2) L'accentuation des activités au niveau linguistique; 3) La mise sur pied d'un service de recherche; 4) La poursuite de négociations avec le gouvernement fédéral et 5) Le recrutement de plus nombreux immigrants investisseurs.

Le ministre a répondu partiellement à certaines de ces questions dans son exposé du début, mais on aimerait savoir davantage et avec beaucoup plus de détails cette année quels progrès ont été accomplis face à chacun de ces objectifs. L'an passé, le ministre révélait que son ministère bénéficierait d'un apport direct en termes de chiffres variant de $5 millions à $10 millions, sur le total de $100 millions annoncés par mon collègue, le ministre de l'Education. Evidemment, c'est le ministre qui parlait quand il disait "mon collègue, le ministre de l'Education".

Ce que nous voudrions savoir, M. le Président, c'est, si cet apport eut effectivement lieu, comment il a eu lieu. L'an passé également, le ministre bravait publiquement une résolution adoptée par la Fédération libérale du Québec relative à l'intégration des enfants d'immigrants non anglophones dans le secteur scolaire francophone. Il est même allé jusqu'à dire ceci: "Toute coercition, à mon sens, s'avérerait dangereuse pour ne pas dire néfaste".

On voudrait savoir si la nouvelle politique linguistique de son gouvernement lui semble néfaste. L'an passé également, le ministre confiait à ses collègues qu'il s'était adressé à l'Association des hommes d'affaires canado-italiens en ces mots: "Tâchez par vous-mêmes d'envoyer vos enfants à l'école française, de crainte qu'un jour, hélas, le gouvernement décide de décider pour vous. J'avais dit — c'est toujours le ministre qui parle — "Ce jour-là, messieurs, j'espère, quant à moi, qu'il n'arrivera jamais".

Nous voudrions savoir, nous de l'Opposition, si le ministre considère que ce jour-là est arrivé. L'an passé, également, le ministre disait, je le cite encore: "La loi organique de notre ministère prévoit un comité consultatif dont les cadres n'ont jamais été remplis. C'est le ferme propos de celui qui vous parle de faire procéder à la nomination de ce comité consultatif". Nous aimerions savoir, M. le ministre, où nous en sommes aujourd'hui et comment cela s'est déroulé ou ne s'est pas déroulé relativement à ce comité consultatif.

L'an passé également le ministre affirmait, je le cite encore: "J'ai l'intention, par les rouages de mon ministère, de voir les autorités fédérales, de m'assurer que l'on est traité comme les autres". Evidemment, il parlait à ce moment-là des autres provinces, tout le monde le sait. On voudrait savoir, M. le ministre, si on a eu gain de cause et si le Québec reçoit les mêmes services du fédéral que l'Ontario, par exemple. L'an' passé, le ministre, encore une fois, déclarait que, dans la restructuration dont il avait parlé précédemment, nous allions, nous du Québec, constituer un fichier sur les nouveaux arrivés. "C'est le système, disait-il, de fichier universel qu'on veut établir et qui, lui aussi, est absolument nécessaire". J'aimerais savoir, M. le ministre, où en est rendu le projet de mise en place de ce fichier.

L'an passé également, le ministre promettait qu'il y aurait des bureaux régionaux de son ministère dans tout le Québec. Est-ce qu'on en est rendu à établir, dans tout le Québec, ces bureaux régionaux? L'an passé, le ministre nous disait, encore une fois: "Nous voulons augmenter également le nombre de nos postes à l'étranger". On voudrait savoir, M. le Président,

ce qui est advenu de cette volonté du ministre. L'an passé, toujours, le ministre confiait: "Nous avons un programme précis de perfectionnement de nos fonctionnaires de nos hauts fonctionnaires". On voudrait savoir où en est rendu ce programme précis.

En un mot, pour reprendre les mots mêmes du ministre, le Québec dispose d'un microministère de l'Immigration. Face au discours inaugural, qui fait miroiter aux yeux des Québécois une macropolitique de l'immigration, nous aimerions savoir comment le ministre arrive à expliquer une telle disproportion entre les discours et la réalité. A ce point-ci, je dois dire au ministre que j'admire ses efforts, j'admire toutes les tentatives qu'il fait pour tenter de secouer la léthargie de son gouvernement, du gouvernement dont il fait partie. Je le sais, M. le ministre, que vous faites face, comme d'autres ministres, surtout dans le contentieux fédéral-provincial, à d'énormes difficultés.

Seulement, M. le ministre, je trouve, à ce stade-ci, qu'il est important qu'on se dise ensemble qu'il ne faut pas nécessairement tantôt faire des discours en réponse au discours inaugural, tantôt faire des discours devant les chambres de commerce, tantôt faire des discours à l'occasion des crédits et puis se retrouver constamment, d'année en année, avec les mêmes objectifs. Autrement, je pense, et ce serait à votre détriment, ce serait au détriment même de votre crédibilité qui est encore, heureusement, assez élevée, que de répéter constamment et à chaque occasion que vous allez faire quelque chose, que vous allez tenter de faire une brèche dans le contentieux fédéral-provincial au niveau de l'immigration.

L'article 95 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique fait de l'immigration un pouvoir concurrentiel appartenant à la fois au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux. C'est dire qu'en matière d'immigration, le Québec a tout autant de pouvoirs que le gouvernement fédéral. Que le Québec ait négligé de s'occuper sérieusement de ce secteur pendant un siècle, voilà qui relève d'une multitude de facteurs que je n'ai pas l'intention de discuter ici. Je pense que le ministre n'est pas non plus intéressé à étudier, sur le plan historique, cette évolution. Mais que l'actuel ministre de l'Immigration du Québec refuse d'exercer pleinement un pouvoir constitutionnel parfaitement à sa disposition, que l'actuel ministre soit demeuré prisonnier d'éternelles négociations à la pièce avec un gouvernement qui, constitutionnelle ment, n'a pas — et j'insiste — plus de pouvoirs que lui, que l'actuel ministre ne reçoive manifestement pas l'appui financier de son propre gouvernement dans un domaine, pourtant rattaché fondamentalement à la souveraineté cuturelle et à la souveraineté tout court du Québec, voilà qui s'explique moins bien.

Probablement plus que n'importe quel autre ministère, le ministère de l'Immigration du Québec constitue un sous-ministère d'un minis- tère fédéral. On aimerait savoir si l'actuel ministre se complaît dans une telle situation ou s'il a l'intention d'être l'initiateur d'un véritable ministère doté d'une véritable politique. Ce sont les quelques remarques que j'avais à faire. Encore une fois, ces remarques ne sont pas faites de façon méchante à l'endroit du ministre. Je pense que cela ouvre tout un débat, cela nous fait nous poser une série de questions. Ce qu'on veut savoir, comme on l'a dit, pas l'année dernière, parce que malheureusement, pour des circonstances particulières, les représentants de mon parti n'étaient pas présents à l'étude des crédits, ce qui a peut-être permis au ministre d'y aller davantage sur un certain nombre d'énoncés...

M. BIENVENUE: Le texte était écrit d'avance.

M. BURNS: Je pense, en particulier, aux réponses que vous aviez données au député de Saint-Maurice du temps, M. Philippe Demers. S'il y avait eu des députés qui ne croient pas en l'avenir de la confédération actuelle, peut-être vous seriez-vous restreint dans certaines réponses, parce que vous vous seriez attendu à certaines boutades, au moins, sinon à certaines contradictions apportées par des députés du Parti québécois. Peu importe, ce n'est pas ça que j'ai à discuter. Depuis que nous avons discuté des crédits du ministère de l'Immigration, c'est-à-dire depuis 1970, nous avons toujours dit qu'on aimerait bien vous suivre dans vos énoncés de bonnes intentions, dans vos désirs, vous et votre prédécesseur. On a dit toujours la même chose. Une chose qu'on voudrait dire tout simplement, c'est qu'on est bien prêt à vous suivre, on est bien prêt à dire: D'accord, il faut récupérer des pouvoirs, mais ce qu'on voudrait, c'est que vous nous montriez des résultats concrets. Que vous restructuriez votre ministère de l'intérieur, que vous replaciez telle et telle personne à tel endroit et à tel autre, cela va et c'est très bien. C'est, possiblement, sur le plan administratif, quelque chose qui est tout à fait louable, mais ça ne règle pas le problème. Le problème principal et le seul, c'est: Qu'est-ce qu'il fait, votre ministère? Est-ce un ministère qui est là uniquement par apparence? Est-ce un ministère qui est là pour satisfaire un certain nombre de gens? Est-ce un ministère qui est là pour simplement attacher un grelot a cette espèce de grande fumisterie que le premier ministre appelle la souveraineté culturelle à l'intérieur d'un fédéralisme rentable? Est-ce que c'est ça, M. le Président? Est-ce que le ministre se fait complice de ça? Ce sont toutes ces questions qui se posent dans notre esprit.

LE PRESIDENT (M. Picard): L'honorable ministre.

J'ai remarqué que le représentant du Ralliement créditiste a dû partir. Si toutefois il

revenait et s'il manifeste le désir d'adresser la parole, il pourra le faire.

M. BURNS: Entièrement d'accord, M. le Président.

M. BIENVENUE: M. le Président, ce que j'ai d'abord retenu des remarques de mon ami, le député de Maisonneuve, je le retrouve dans son allocution qui porte sur ce que nous avions établi l'an dernier clairement comme les cinq grands objectifs du ministère de l'Immigration du Québec et qui a fait l'objet des remarques que j'ai faites moi-même avant lui, en faisant ce bilan de l'année financière qui vient de se terminer.

Tout d'abord, M. le Président, je voudrais parler du premier élément de ce premier objectif que j'avais énoncé et auquel a fait allusion le député de Maisonneuve, soit celui de la restructuration du ministère. J'ai dit tout à l'heure à dessein que, même si ce ministère était jeune dans le temps, une certaine léthargie...

M. le Président, on vient d'apprendre, tous en même temps, que la Chambre était ajournée pour toutes tes vacances de Pâques, si je comprends bien. Je l'ai appris en même temps que nos collègues de l'Opposition et du gouvernement. Je me demande si, dans les circonstances, mon collègue, le leader de l'Opposition, le député de Maisonneuve, nous informant — il va le faire d'ailleurs après que j'aurai terminé mes remarques — que de toute façon on irait jusqu'à onze heures et qu'à onze heures ce ne serait pas adopté, je connais la bonne humeur de mon ami, le député de Maisonneuve, j'ai tiré...

M. BURNS: Qui est à son plus haut niveau actuellement!

M. BIENVENUE: A son plus chaud, M. le Président. Alors, je pense que, dans les circonstances, on pourrait, quant à moi —je ne veux pas parler au nom de tout le monde — ajourner nos travaux sine die et les reprendre — évidemment, on en était au stade de...

M. BURNS: Des remarques préliminaires.

M. BIENVENUE: Oui. Et de ma réplique aux commentaires du député de Maisonneuve. Le député de Beauce-Sud, qui était avec nous et qui est parti, là maintenant on sait pourquoi, pourra, s'il le veut, à ce moment-là, faire ses remarques. On reprendra. Je pense que c'est cela qui est le plus simple. Je ferai ma réplique à ce moment-là.

M. BURNS: D'accord, M. le Président. Vous voyez...

LE PRESIDENT (M. Picard): Vous êtes d'accord?

M. BURNS: ... comme on a un esprit de collaboration assez extraordinaire.

LE PRESIDENT (M. Picard): La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 21 h 47)

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