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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le mercredi 22 mai 1974 - Vol. 15 N° 62

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude des crédits du ministère de l'Immigration


Journal des débats

 

Commission permanente

du travail, de la main-d'oeuvre

et de l'immigration

Etude des crédits du ministère de l'Immigration

Séance du mercredi 22 mai 1974

(Dix heures douze minutes)

M. CORNELLIER (président de la commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration): A l'ordre, messieurs!

La commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration reprend ses travaux pour l'étude des crédits du ministère de l'Immigration. A la dernière réunion le ministre avait commencé à donner la réplique, mais le député de Beauce-Sud s'était réservé le privilège, avec l'assentiment des membres de la commission, de revenir sur des commentaires préliminaires, étant donné qu'il avait dû s'absenter avant la fin de la dernière séance. Si les membres de la commission donnent leur assentiment, lorsque le député de Beauce-Sud voudra faire ses commentaires, on lui donnera le droit de parole.

M. BIENVENUE: II doit venir ce matin?

LE PRESIDENT (M. Cornellier): II doit venir ce matin, il m'a averti qu'il serait quelques minutes en retard.

M. BURNS: J'ai parlé au député de Beauce-Sud avant la séance et il semble qu'il soit retenu à son bureau, mais qu'il va se joindre à nous bientôt. Je serais d'accord pour qu'on lui réserve son droit de revenir sur les remarques à caractère général.

M. BIENVENUE: D'autant plus qu'il n'avait pas eu la chance de dire un seul mot la dernière fois pour les raisons qu'on se rappelle.

M. BURNS: D'accord!

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Alors, j'aimerais signaler que M. Blank de Saint-Louis remplace à la commission M. Cournoyer, de Robert Baldwin. Je cède maintenant la parole au ministre de l'Immigration.

Remarques préliminaires (suite)

M. BIENVENUE: M. le Président, dans ses remarques préliminaires le 9 avril dernier, le député de Maisonneuve s'est livré à ce que j'appellerais le jeu des comparaisons, c'est-à-dire comparaisons entre certains propos tenus antérieurement et d'autres tenus plus récemment par celui qui vous parle ou encore, comparaisons entre des faits, des réalisations, des projets discutés l'an dernier à nos crédits et la situation actuelle. En ce qui me concerne, je n'ai pas l'intention, M. le Président, de me placer sur ce terrain parce que je pense qu'il est toujours délicat de faire des citations qui, hors de leur contexte général, fort souvent changent la pensée de leur auteur. Je voudrais plutôt m'en tenir au message qui ressort, je crois, de l'exposé du leader parlementaire de l'Opposition. Si je comprends bien ou si je résume ses remarques, je dirais que ses conclusions sont de deux ordres. Premièrement, il n'y a rien de nouveau sous le soleil, donc dans le cas qui nous occupe, il n'y a pas de nouvelle politique de l'immigration au Québec et, deuxièmement, celui qui vous parle comme titulaire de ce ministère se contenterait d'année en année d'exprimer des voeux pieux, sinon des velléités.

Il est bien vrai, M. le Président, que d'une année à l'autre, les problèmes étant les mêmes, mes préoccupations sont évidemment les mêmes. Pas plus qu'aucun membre de cette commission ou de l'Assemblée nationale, je ne suis magicien, je ne dispose de baguette magique pour régler par miracle ou autrement des problèmes qui sont vieux de cent ans. Par ailleurs, je respecte trop le député de Maisonneuve et ses idéologies pour lui dire que je pourrais, à son égard, utiliser la même argumentation et affirmer que ses réponses au discours inaugural ou ses discours à l'occasion des crédits ou ses prises de positions politiques en général ne l'empêchent pas de se retrouver constamment, d'année en année, avec les mêmes objectifs, les mêmes aspirations.

Je ne l'accuserais pas pour autant d'être un velléitaire. Je pense bien que c'est le propre des hommes d'action et donc, celui des hommes politiques, de tenir compte des contraintes qui leur sont imposées et de remettre, suivant un vieil adage, leur ouvrage cent fois sur le métier.

Ceci étant dit, je veux rappeler à mon collègue que mon exposé introductif faisait un bilan très précis du chemin parcouru et je crois, je le dis bien humblement, qu'il est important, ce chemin parcouru par mon ministère durant le précédent exercice budgétaire. Ce bilan avait été énoncé lors de notre séance des crédits du 9 avril, avant même, évidemment, que le député de Maisonneuve ne pose ses questions. Je n'y peux rien, mais je regrette simplement, plus que lui d'ailleurs, que son texte qui, et c'est normal, étant écrit à l'avance, ne pouvait tenir compte à l'avance de ce que j'ai dit dans ma propre allocution, dans ma propre intervention. Je n'ai pas l'intention de reprendre, point par point, tout ce qui s'est dit.

Je réfère la commission au texte, qui est au journal des Débats, de mes propos introductifs du 9 avril. Je vous prierais plutôt de bien vouloir vous reporter à ce texte que l'on retrouvera aux pages B-693 à B-697. Je me contenterai plutôt, ici, de redire, en réponse à une question précise, d'abord, que la commission interministérielle des affaires des immi-

grants, jusque-là en sommeil, a travaillé, par le biais de 14 comités interministériels très actifs, dans les domaines de l'éducation, des affaires sociales, de la main-d'oeuvre et des affaires intergouvernementales. L'accent y a été mis tout particulièrement sur les problèmes de l'intégration linguistique des enfants et j'y reviendrai d'ailleurs dans un instant. Je voudrais maintenant reprendre certaines affirmations, certaines interrogations du leader de l'Opposition en faisant, à l'occasion de chacune d'elles, un certain nombre de remarques.

Première remarque. Il est certain que le mouvement migratoire au Québec a accusé, dans les dix dernières années, une tendance à la baisse par rapport à l'année record que fut 1967, l'année de l'exposition universelle. Cependant, ce mouvement est plus fort au Québec que dans les autres provinces.

Incontestablement, il existe une corrélation entre mouvement migratoire et situation économique; je l'avais déjà dit d'ailleurs dans le passé. Mais encore faut-il souligner les conséquences de la réalité socio-linguistique particulière du Québec sur l'immigration. On constate que, depuis trois ans, le pourcentage des immigrants arrivant au Canada et qui se destinent au Québec, n'a cessé de diminuer. Durant la même période, la province a intensifié ses efforts pour faire connaître sa situation linguistique particulière.

Y a-t-il une relation de cause à effet? Rien ne le prouve, mais on peut s'interroger quand même à ce propos, tout comme on peut se poser la question de savoir, de la même façon et au même titre, si l'incertitude de l'avenir politique du Québec au sein de la confédération ne pèse pas d'un certain poids sur la destination finale des nouveaux immigrants.

Je pense bien que je n'apprendrai rien à personne en affirmant que la grande majorité, la très grande majorité des candidats qui se destinent à venir vivre chez nous, viennent tout d'abord au Canada, quand ce n'est pas en Amérique du Nord; ils viennent tout d'abord au Canada, et accessoirement au Québec, en Ontario, en Nouvelle-Ecosse ou ailleurs.

Deuxième remarque. C'est bien vrai que, d'année en année, je constate la maigreur de mon budget. En termes de larmes, de larmes publiques, je pense que même mon collègue et ami député de l'Agriculture se classe derrière moi. En termes de plaintes et de complaintes publiques sur la maigreur de son budget.

Je dois souligner que le taux de croissance de mes crédits nets est, cette année, de 36.4 p.c, ce qui me situe à la seconde place parmi tous les ministères. Il est évident, cependant, qu'un fort taux de croissance sur un petit nombre, n'a pas le même impact qu'un faible taux sur un grand nombre. C'est la raison pour laquelle, remarquant en cela l'intérêt que porte le gouvernement aux dossiers de l'Immigration en ce qui regarde l'avenir du Québec, le premier ministre a vu, d'un très bon oeil, une demande que je lui ai faite de crédits supplémentaires, au moment où je suis désormais prêt à aborder une étape de développement, après l'étape antérieure de mise en place et de consolidation de l'appareil du ministère de l'Immigration du Québec.

Troisième remarque. Je rappelais, il y a un instant, le gros effort de concertation interministérielle entrepris au plan de l'intégration linguistique des enfants.

Cet effort s'est accompli dans le cadre du plan de développement de l'enseignement des langues, le DEL, et a valu la mise en place de trois comités permanents en vue de l'ouverture des maternelles pour enfants de cinq ans, des prématernelles pour enfants de quatre ans et de la poursuite des classes d'accueil.

Ces comités sont les suivants: comité d'orientation et de concertation entre les trois ministères les plus impliqués, soit l'Immigration, l'Education et les Affaires sociales pour fins d'élaboration des politiques; comité de coordination entre l'Immigration et l'Education en vue de mettre au point les opérations administratives, financières et techniques; enfin, bureau de coordination au plan local où se retrouvent tous les partenaires ci-dessus auxquels s'ajoutent le ministère des Transports et onze commissions scolaires régionales impliquées.

Au total, M. le Président, c'est un budget de $2,700,000 qui a été affecté à cette première année du plan qui a démarré, comme on le sait, en septembre 1973 dans 25 écoles avec 60 classes maternelles, une quinzaine de classes d'accueil et plus de 1,500 enfants.

Je me plais à souligner que sur ce chiffre d'environ 1,500 enfants, renversant ainsi la vapeur, renversant ce qu'on avait connu auparavant, un pourcentage d'environ 72 p.c. a opté pour le réseau scolaire francophone. Comme on le voit, il s'agit encore d'une politique incitative et non coercitive qui semble donner de bons résultats.

J'aimerais rappeler ici d'autres actions entreprises dans ce secteur combien prioritaire de l'intégration des nouveaux arrivants à la communauté québécoise. On a triplé les places en garderies pour les enfants de trois ans et moins, passant de 112 places à 340 dans dix garderies au lieu de deux qu'elles étaient auparavant.

On a, par ailleurs, lancé à mon ministère un nouveau projet baptisé OVAL, pour les mots opération vacances-loisirs, dont l'objectif est de faciliter la rencontre combien importante entre de jeunes immigrants et de jeunes Québécois durant les périodes de vacances et durant les fins de semaine.

Les premiers résultats de l'OVAL sont très encourageants.

Par ailleurs, l'appareil des COFI a été rajusté pour l'amener à un niveau comparable à la situation linguistique du Québec. C'est-à-dire que maintenant, c'est avec beaucoup de fierté que je dis que 86 p.c des classes sont des classes de français et 14 p.c. sont des classes d'anglais,

après prolongation de 20 à 30 semaines des cours de français. Les services, enfin, préparent activement une semaine de l'amitié québécoise en liaison étroite avec le Comité des fêtes nationales, semaine qui verra se réaliser diverses manifestations populaires à l'occasion de la fête du 24 juin prochain qui — mon ami, le député de Saint-Louis est parti — comme il l'a déjà dit, est la fête de tous les Québécois.

Quatrième remarque. Le comité consultatif du ministère qui existe, qui a vu le jour il y a de cela déjà plusieurs mois, comprend quatorze représentants. Dix d'entre eux ont été nommés par l'arrêté en conseil 3476 du 21 septembre 1973. J'ignorais, à ce moment-là, M. le Président, quel sort me réservait ma modeste carrière politique. En septembre dernier, j'ai voulu m'assurer, ignorant l'avenir, que ce comité consultatif existerait. Les membres qui ont été nommés en septembre dernier sont M. Maurice Champagne, directeur général de la Ligue des droits de l'homme; M. Lucien Darveau, de Québec, qui s'occupe d'organismes d'immigration ici à Québec, depuis longtemps; M. Lévy Leroy, économiste réputé et membre de la communauté haïtienne de Montréal; M. Dale Thompson, vice-recteur à la planification de l'Université McGill, qui nous donne un rapport précieux; Madame Magali Dô, présidente de l'Aide aux Néo-Canadiens, de Sherbrooke; MM. Sarto Marchand, Henri Gauthier, Thomas Monti, Maurice Legault, ainsi que Madame Monica Matte, tous cinq membres du Bureau des gouverneurs des citoyens du monde, qui organise chaque année, à Montréal, le banquet annuel des Citoyens du monde, symbole de la fraternité qui unit et doit unir Québécois et nouveaux arrivants. Les quatre autres membres ont été nommés beaucoup plus récemment par l'arrêté en conseil 1055 du 20 mars 1974, en la personne de M. Nicolas Ciamarra, de la communauté italienne; M. Ralph Lalouz, de la communauté juive; Madame Shake Minassian, de la communauté arménienne, et M. Georges Kout-chougoura, de la communauté russe.

Il restera à nommer un quinzième membre, qui sera vraisemblablement — je le souhaite du moins — de la communauté chinoise.

Cinquième remarque. Le leader de l'Opposition s'inquiétait de savoir si le Québec recevait d'Ottawa les mêmes services que les autres provinces. Je suis tenté de dire oui et de dire non seulement oui, mais je suis tenté de dire même plus que certaines autres provinces, si je me réfère à certains événements récents et j'en cite quelques-uns.

Nos agents à l'étranger ont accompli, pour la première fois, récemment, plusieurs missions de recrutement dans certains pays à titre expérimental et avec l'assentiment et la bénédiction du ministère fédéral de l'Immigration.

Je viens, il y a à peine quelques jours, d'être consulté, et pour la première fois toujours, par le ministère fédéral de l'Immigration avant l'ouverture projetée et relativement à l'ouver- ture projetée d'un nouveau bureau des visas dans un nouveau bassin d'immigration francophone.

Enfin, et toujours à titre d'exemple parmi plusieurs, les copies des formulaires 1,000 viennent, pour la première fois dans l'histoire du Québec, de nous être fournies, et cela en remontant dans le passé jusqu'à 1968.

Ceci m'amène à une sixième remarque qui est à l'effet que l'envoi de ces formulaires 1,000 à la fin du présent exercice nous permet de constituer, là aussi pour la première fois dans l'histoire du Québec, le fichier de notre clientèle d'immigration dans l'optique suivante: Mieux connaître — et j'allais dire, non seulement mieux connaître mais connaître purement et simplement, avant de les mieux connaître, les connaître— les nouveaux arrivants pour les mieux servir.

Le Centre de traitement électronique des données — CTED — traite présentement les premières tranches de renseignements statistiques qui seront disponibles à partir de ces formulaires et qui seront disponibles à tous hommes politiques, députés, chercheurs, journalistes, etc.

Un récent article, d'ailleurs, de M. Gérald Leblanc, dans le journal Le Devoir, a diffusé cette nouvelle.

Septième remarque. En ce qui concerne les bureaux régionaux, des études plus systématiques nous ont amenés à penser que l'on pourrait sans doute atteindre les mêmes objectifs avec des coûts moindres en développement, à Montréal et à Québec, à partir de services mobiles aux employeurs, services assurés par des professionnels de mon ministère qui se rendront à la demande là où on exprime des besoins.

Il n'est pas dit cependant qu'on ne reviendra pas ultérieurement à l'idée des bureaux régionaux si le besoin s'en fait sentir d'une manière aiguë et si telle est, évidemment, la politique générale du gouvernement.

Huitième remarque. L'accroissement du nombre de postes à l'étranger et l'accroissement des pouvoirs de ceux qui occupent ces postes à l'étranger, de ces agents, et l'accroissement de leur champ d'action, sont désormais établis au niveau des analyses et de la préparation. La mise en oeuvre ne dépend plus désormais que des résultats de la négociation qui est menée avec Ottawa, à laquelle j'ai fait allusion il y a un an, à laquelle j'ai fait allusion au cours de deux ou trois interventions à l'Assemblée nationale, à laquelle j'ai fait allusion le 9 avril, mais qui, hélas, pour des raisons que tous connaissent, est suspendue pour une période de quelques semaines.

Neuvième remarque. Quant au programme de perfectionnement du personnel, la situation est la suivante. Un administrateur sur six que nous avons au ministère est inscrit à la maîtrise en administration publique de l'ENAP, et vient de suivre la première année du programme à

temps partiel qui se déroule sur trois années. Deux professionnels, attachés d'administration de la classe II, suivent le même programme. Un autre professionnel, spécialiste en sciences de l'éducation de la classe I, subit actuellement les tests pour son inscription au programme normal de la maîtrise en administration publique de l'ENAP, pour la session de septembre prochain. Un autre professionnel, agent de recherche et de planification de la classe II, est rentré en décembre dernier d'un séjour d'un an à l'Ecole internationale de Bordeaux, école créée par l'Agence technique de coopération. Enfin, un autre professionnel, attaché d'administration de la classe I, a terminé avec succès en mai 1973 sa scolarité de maîtrise en service social faite à temps partiel.

Je pense bien, M. le Président, qu'on admettra avec moi que pour un ministère qui ne compte que 147 postes à l'effectif, le programme de perfectionnement du personnel est assez intéressant, si l'on tient compte du peu de temps disponible réservé à ces dévoués collaborateurs qui sont en nombre fort modeste au ministère de l'Immigration du Québec.

Voilà donc, messieurs, quelques-unes des observations que je voulais apporter en réponse aux remarques préliminaires faites par le leader de l'Opposition officielle, mon collègue le député de Maisonneuve.

M. BURNS: M. le Président, je ne me mettrai pas à répondre à la réponse du ministre...

M. BIENVENUE: Une "duplique".

M. BURNS: ...une "duplique" ou une supplique du genre parce qu'on en finira pas. Je veux tout simplement signaler cependant, relativement à une des choses que le ministre a dites, que c'est évident que le ministre et moi-même, d'année en année, avons toujours les mêmes objectifs. C'est un signe de constance probablement et chez le ministre et de la part du député de Maisonneuve et des autres députés du Parti québécois qui prônent une certaine thèse, mais je dois cependant dire au ministre que je ne suis pas ministre et que je n'ai pas, actuellement, la possibilité de faire changer la politique gouvernementale autant que lui. C'était dans ce sens que je faisais remarquer que le ministre nous revenait, d'année en année, avec les mêmes choses.

Je ne le blâme pas dans sa constance, on n'a qu'à le féliciter d'être constant dans ce domaine, sauf qu'on voudrait avec lui que cela porte des résultats, qu'à un moment donné, ses collègues du cabinet s'aperçoivent que le ministère de l'Immigration, c'est autre chose qu'un bureau du ministère de l'Immigration fédérale. A ce moment-là, c'est tout le problème des crédits. De toute façon, on aura l'occasion d'en parler. J'aimerais cependant, avant d'entrer dans le détail, parler d'une question d'actualité. Je tire ma source de l'éditorial du journal Le

Jour de ce matin, sous la signature de M. Yves Michaud. Pardon? Est-ce que vous trouvez que ma source n'est pas sérieuse?

M. BOUDREAULT: Je ne pense pas.

M. BURNS: On va la vérifier auprès du ministre. On va voir exactement. C'est cela que je m'apprête à faire. Dans cet éditorial, qui est une première réaction de la part de ce journal au dépôt du projet de loi no 22, il y a quelque chose qui concerne particulièrement le ministère de l'Immigration. Je pensais que c'était peut-être l'occasion idéale de se poser la question. Je cite l'éditorialiste...

M. BIENVENUE: Une occasion en or.

M. BURNS: Oui. Si cela était arrivé demain, peut-être qu'il aurait été trop tard. Je cite une partie du texte de M. Michaud: Tendance à la hausse de l'immigration anglophone au Québec. L'affirmation n'est pas gratuite. "Dans un mémoire secret présenté par le ministre de l'Immigration du Québec, Jean Bienvenue, à son collègue fédéral, il est révélé des choses stupéfiantes, inconnues du public mais connues des membres du cabinet fédéral et des auteurs du projet de loi 22." Il cite, c'est ça qui est l'aspect qui surprend tout le monde, sans doute qui a surpris également M. Michaud quand il a eu connaissance de ça: "Pour les neuf premiers mois de mars 1973", par exemple, "42 p.c. des immigrants venus s'installer au Québec ne connaissent que l'anglais, 11.4 p.c, les deux langues, 18.6 p.c, le français seulement et 28 p.c, ni l'une, ni l'autre. "M. Michaud conclut de la façon suivante: "53.4 p.c. des immigrants de 1973 peuvent et pourront choisir l'école anglaise en vertu de la loi 22. De 1968 à 1972, inclusivement, les immigrants de langue anglaise, au Québec, sont passés de 29.9 p.c. à 40 p.c, tandis que ceux de langue française sont descendus de 24.2 p.c. à 14.5 p.c. Fin de la citation de M. Michaud.

J'aimerais savoir du ministre, d'une part, si, effectivement, ce mémoire secret, comme dit M. Michaud, a été remis par le ministère de l'Immigration québécois à son pendant fédéral, le ministère du Travail et de l'Immigration, d'une part, et deuxièmement, s'il est possible que ce document soit rendu public. Surtout à l'époque où on s'apprêtera à discuter du projet de loi no 22, qui a été déposé en Chambre hier, je trouve qu'il serait d'intérêt public que ces chiffres, qui sont en possession, semble-t-il, si la déclaration de M. Michaud est exacte, et du ministère fédéral et du ministère québécois de l'Immigration, soient rendus publics pour pouvoir jauger sérieusement et avec le plus de précision possible, ayant toutes les données en main, la situation nouvelle que présente le projet de loi no 22. Je n'ai pas l'intention de le commenter ici — d'ailleurs ce n'est pas la place — j'ai des collègues qui sont encore plus

compétents que moi pour commenter le projet de loi 22, mais j'en parle simplement comme incidence sur la politique du ministère de l'Immigration et, entre autres, sur ce document qui nous est révélé par M. Michaud ce matin.

M. BIENVENUE: Je dis tout de suite que je ne préside pas les débats et je dis que les questions du député de Maisonneuve sont parfaitement légales, elles cadrent parfaitement avec notre règlement et sont fort appropriées. Tout d'abord, je suis heureux de voir mon ami, le représentant du journal Le Jour qui, j'en suis sûr, rapportera fidèlement, mieux que n'importe qui, au rédacteur en chef, les propos que je vais tenir. Tout d'abord, je voudrais dire que je fais toute la différence au monde entre un mémoire secret et un mémoire discret. Le mémoire en question n'est pas secret, il est discret dans le sens où nous avons convenu, mon homologue fédéral et moi-même, de garder ce mémoire dans le même contexte que sont toutes les négociations que nous avons tenues à ce jour et qui ont été marquées au point de la discrétion la plus absolue. Je répète ce que je lui disais encore récemment. Si un malencontreux accident de parcours, qui s'appelle l'élection fédérale, n'était pas survenue, j'aurais peut-être aujourd'hui beaucoup de fierté et de joie à annoncer un tas de choses. Evidemment, tout est laissé en plan pour quelques semaines.

J'ai bien dit discret mais non secret; quand je dis qu'il n'est pas secret, M. le Président, la preuve en est évidente: il est tellement peu secret que le journal Le Soleil l'a déjà depuis...

M. BURNS: Le 29 avril.

M. BIENVENUE: ... le 29 avril et cela m'a valu l'honneur d'une première page en haut, d'un article intitulé: Les 22 recommandations du ministre Bienvenue. Cela m'a valu moins d'honneur par la suite, parce que depuis ce temps-là le journal Le Soleil parle toujours des contradictions du ministre Bienvenue et je suis moins favorisé dans les articles qui ont suivi.

Par ailleurs, le journal Le Jour a également ce mémoire en main, M. le Président, et c'est manifeste, parce que je vous affirme que les chiffres cités par M. Michaud sont textuellement, pas à une décimale près, les chiffres absolus et les décimales apparaissant au tableau I des tableaux de ce mémoire.

Par conséquent, je pense que la meilleure façon, pour mon ami le député de Maisonneuve ou pour le journal Le Jour d'avoir le mémoire ou enfin de le diffuser, serait un peu de faire ce qui a été fait dans la page 4, je pense, du journal Le Jour aujourd'hui, qui publie, in extenso, le texte du projet de loi auquel on vient de faire allusion. Je dis que ce serait la meilleure façon, mais...

M. BURNS: Les réponses du ministre sont sans doute une très bonne réponse aux députés qui se posaient des questions sur la valeur de ma source de tantôt; alors, je pense bien que le journal Le Jour semble être une bonne source.

M. BOUDREAULT: Vous semblez très bien conseillé.

M. BIENVENUE: Elle est au moins fort précise et quand je fais ces remarques, M. le Président qu'on me comprenne bien, je ne souhaite pas pour tout l'or au monde que le journal Le Jour ou le journal Le Soleil publient in extenso. Je ne le souhaite pas, parce que cela ne m'aiderait pas, je voudrais tellement garder discrète cette négociation, déjà entreprise et fort bien entreprise avec le fédéral. Et non seulement, cela ne m'aiderait pas, M. le Président, mais la parution dans le journal Le Soleil, il y a déjà quelques semaines, a fait au Québec un tort considérable et cette journaliste, qui est elle-même une ex-immigrante... Je ne sais pas si elle était bien ou mal intentionnée, mais je sais que, comme résultat, personne ni rien n'a fait autant de mal au ministère que je dirige, au cours de sa courte existence. Et quand je dis mal, je sais de quoi je parle, dans le cadre de ma négociation actuelle.

Par ailleurs, M. le Président, revenant toujours sur la question de mon collègue, le député de Maisonneuve, j'ai remis effectivement ce mémoire à mon homologue fédéral, il y a déjà plusieurs mois. Il en a fait l'étude et je disais il y a un instant que, hélas, un incident de parcours m'a empêché, au cours des derniers jours, de connaître la réponse à plusieurs des questions qu'il posait.

M. BURNS: M. le ministre, il s'agit bien alors — est-ce que je dois conclure cela de la réponse du ministre — du même mémoire que celui qui est cité dans le Soleil du 29 avril.

M. BIENVENUE: Et par le Soleil, et par le Jour. Il s'agit du même mémoire.

M. BURNS: Du même mémoire, le Jour se référant à un des tableaux qui apparaissaient au mémoire.

M. BIENVENUE: C'est cela.

Mais il est manifeste que le Jour a ce mémoire, comme il est manifeste que le Soleil a ce mémoire. Dans le cas du Soleil, il n'était pas question de chiffres, mais je ne dirais même pas à une virgule près, c'étaient les mêmes virgules.

Je dis donc qu'il est déjà public de la façon que je viens de le dire et je vous avoue que je le regrette vivement. Cela a fait à mon ministère un tort peut-être pas irréparable, mais un tort considérable.

Pour ce qui est d'une autre phrase que prononçait mon collègue, le député de Maisonneuve, en citant évidemment le texte de M. Michaud, parlant de chiffres ou de révélations stupéfiantes qui seraient cachés au public et que

le gouvernement connaîtrait depuis plusieurs mois, le public, M. le Président, connaît ces choses stupéfiantes depuis plusieurs mois, même depuis décembre. En décembre et au mois de mars dernier, ces choses stupéfiantes, ces chiffres stupéfiants, qui d'ailleurs sont publics, qui m'ont d'ailleurs été fournis par le gouvernement fédéral, par des statistiques publiques, je les citais en public par le truchement de l'Assemblée nationale en mars et en décembre dernier.

Je me cite, sans aimer cela, mais avec votre permission, M. le Président. Je disais en mars dernier textuellement ce qui suit: "Mais bien plus préoccupante encore est la répartition linguistique des nouveaux arrivants. Ce n'est pas sans raison que M. Robert Andras, ministre fédéral de l'Immigration, m'écrivait le 19 septembre dernier et je cite: "Je pense à l'immigration francophone — c'est lui qui m'écrivait — et je vous avoue que l'évolution actuelle de ce mouvement me préoccupe".

Pour cause, la répartition linguistique de l'immigration venue au Québec depuis la fin de la seconde guerre mondiale est très exactement inversement proportionnelle à celle de la population québécoise; 82 p.c. d'immigrants non francophones et 18 p.c. dont le français est la langue d'usage.

Le rapport statistique pour 1972, publié le 20 mars dernier par le ministère fédéral de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, fait état d'une aggravation de la situation. En effet, seulement 15 p.c. des immigrants venaient de pays de dernière résidence entièrement ou partiellement de la langue française tandis que 39 p.c. provenaient de pays de dernière résidence entièrement ou partiellement de langue anglaise, contre 26 p.c. en 1968. C'étaient — et je viens de le montrer — des statistiques publiques. Cela va être très court, me citant toujours, je disais à l'Assemblée nationale le 5 décembre 1973, et je cite: "Tout le monde, tant à Québec qu'à Ottawa, est préoccupé de l'évolution actuelle du mouvement de l'immigration. Pour la deuxième année consécutive, le Québec a perdu la seconde place au profit de la Colombie-Britannique. Plus inquiétante est la répartition des immigrants selon leur origine linguistique. Au cours des neuf premiers mois de l'année 1973, 58 p.c. des immigrants reçus au Canada provenaient d'un pays de dernière résidence de langue anglaise et seulement 3.7 p.c. d'un pays de dernière résidence de langue française".

Comme on le voit, M. le Président, ces choses stupéfiantes ou secrètes auxquelles fait allusion M. Michaud dans le journal Le Jour d'aujourd'hui, je les ai dites en grand public à deux reprises, la première des deux fois étant en décembre dernier. Je les ai puisées aux statistiques du fédéral, qui sont publiques, mais cela ne m'empêche toujours pas de dire que M. Michaud a vraiment le texte de mon mémoire, parce que les chiffres cités dans son article comprennent les décimales que je n'avais pas et ces décimales correspondent très exactement à un des tableaux du fameux mémoire auquel on fait allusion.

M. BURNS: Si je comprends bien, le ministre ne désire pas le rendre public. A ce moment-là, n'est-il pas normal que les membres de l'Assemblée nationale en aient une copie, au moins de ce document? Remarquez que je n'ai pas vérifié avec M. Michaud s'il avait le texte intégral, mais, peu importe, je pense que la voie normale, pour moi ou tout autre membre de l'Assemblée nationale, serait d'être informé de ce document par le canal normal, c'est-à-dire par le ministre de l'Immigration, qui pourrait nous en fournir au moins une copie par parti, en tout cas, si cela devient compliqué d'en fournir une copie à tous les membres de l'Assemblée nationale.

M. BIENVENUE: Je le répète, M. le Président, dans le moment, conscient de mes responsabilités et, Dieu merci, n'ayant rien à cacher au sens de faire des cachettes au grand public, surtout à l'époque où il est question du sujet que l'on sait dans une autre Chambre que cette salle de commission, il n'est pas question de cacher... Je pense que les chiffres qui auraient pu être les plus secrets ou les plus troublants ou les plus inquiétants ou les plus remplis d'implications sont précisément ceux qu'a publiés Le Jour. C'est beaucoup plus avec autre chose à l'idée, M. le Président, que nous avons convenu, mon homologue fédéral et moi, de garder ce mémoire discret, de ne pas le diffuser, parce qu'évidemment il y a des raisons. Si je les révèle, cela devient illusoire, ce que je dis. Il y a des raisons qui, je pense, militent en faveur d'une discrétion autour de ce mémoire, au moins pour le moment. Je le dis clairement de la même façon que je le dirais s'il s'agissait d'une question posée en Chambre, question au sujet de laquelle le règlement a prévu un article. Au point de vue de l'Etat, au point de vue de mes responsabilités, mieux vaut que ce mémoire ne soit pas distribué. Je répète qu'il est manifeste, il est à ma connaissance que deux journaux l'ont déjà... Je ne souhaite pas que ces deux journaux le publient. Jamais au grand jamais, dans le contexte actuel. Je regrette, d'ailleurs, que ces deux journaux l'aient. Quant à moi, le député de Maisonneuve me connaît assez, cela n'est pas un manque de collaboration, ce n'est pas à la légère que je dis que je préfère ne pas le faire. Ma conscience d'homme politique me dicte que cela ne serait pas approprié à ce moment-ci, mais pas pour des choses qui font peur, pas parce qu'il contient des données qui font honte ou qu'on veut cacher au public comme tel. Cela n'a rien à voir avec cela.

M. BURNS: Mon raisonnement devant cela, c'est justement le fait que deux journaux l'aient maintenant, devrait porter le ministre à modifier son attitude, en ce sens que...

M. BOUDREAULT: M. Michaud?

M. BURNS: Mon interlocuteur n'est pas M. Michaud, comme dit le député. Il me suggère d'aller voir M. Michaud, mais mon interlocuteur, même si nos relations sont très amicales, M. Michaud et moi, ce n'est pas mon interlocuteur. Ce n'est pas à M. Michaud que je dois poser des questions. C'est au ministre de l'Immigration. Je me dis que j'aurais peut-être pu comprendre les réserves du ministre si le document n'avait pas été rendu public par d'autres sources. Exemple: Les media d'information. Maintenant que c'est rendu public, ce n'est plus, je pense, et ce n'est pas, sans doute, la faute du ministre si cela a été rendu public. Je présume, voyant sa déception, que ces deux journaux...

M. BIENVENUE: Amère déception!

M. BURNS: ... ont le document. Maintenant que c'est chose faite, cette histoire, je me dis qu'il serait normal que le ministre, malgré l'entente qu'il a eue avec son homologue, son monologue fédéral, comme dirait le député de Verdun...

M. BIENVENUE: Voici...

M. BURNS: ... il ne serait que normal, dis-je, maintenant que c'est partiellement public...

M. BIENVENUE: Le dossier...

M. BURNS: ... que les députés puissent en prendre connaissance.

M. BIENVENUE: Le mémoire en question est pour nous aussi un instrument de travail que, comme tel, je le répète, je crois préférable de ne pas livrer au public. Le député de Maisonneuve disait: Maintenant que deux journaux l'ont, on peut dire que c'est public. Je regrette, premièrement, qu'ils l'aient et, deuxièmement, je souhaite de tout coeur que cela ne fasse pas plus de dégâts, plus de tort que cela en a fait jusqu'à maintenant, et par conséquent, que ces deux journaux, enfin, le nouveau qui vient de s'ajouter, le Jour, ne publient rien de plus.

J'ai d'ailleurs pris vis-à-vis de mon collègue du fédéral un engagement qu'il a pris lui-même vis-à-vis de moi à ce sujet, mais je puis répondre tout de suite, avec infiniment de plaisir, au député de Maisonneuve que pour ce qui est des tableaux qui sont annexés au mémoire, je puis lui fournir les données "at large", ainsi qu'au grand public, sans gêne, sans hésitation.

D'ailleurs, ils seront même publiés dans le premier bulletin statistique du ministère auquel je faisais allusion et cela dans quelques jours. Mais en ce qui concerne la partie du mémoire autre que ces tableaux, je crois qu'il serait contre mon devoir actuellement de la rendre publique et c'est pour cela que je souhaite tellement que les journaux ne le fassent pas, dans le seul et unique intérêt du Québec — j'allais dire, qui est le pays dans lequel nous vivons...

M. BURNS: Oui.

M. BIENVENUE: ... qui est la province...

M. BURNS : Cela aurait été un bon lapsus de la part d'un ministre j'allais dire... fédéral... provincial.

M. BIENVENUE: ... dans laquelle nous vivons.

M. BURNS: Mais je tiens à dire au ministre que nous ne sommes pas contre ses recommandations. Loin de là. Je trouve qu'en ne nous fournissant pas ce document, il se refuse des alliés. Nous sommes de ceux qui, depuis le début, ont dit que le ministère de l'Immigration devrait avoir des pouvoirs accrus. Nous sommes de ceux qui partagent les vues du ministre dans ses 22 recommandations, et il me semble qu'à ce moment il se refuse inutilement des alliés dans cette bataille.

M. BIENVENUE: Je n'ai pas voulu en dire trop long sur le résultat actuel des négociations, sur le climat des négociations. J'ai quand même dit avec insistance comment bien cela se déroulait et que je regrettais de n'avoir pas pu, ce matin, annoncer bien des choses qui, je pense, auraient fait plaisir à mon collègue de Maisonneuve à tous mes collègues de l'Assemblée nationale et à toute la population du Québec, qui, je pense, veut voir ces pouvoirs accrus en matière d'immigration, et cela pour la première fois. Cela va assez bien que je ne refuse pas l'aide d'alliés dont me parle le député de Maisonneuve. On a toujours besoin d'alliés, mais je pense qu'on s'est assez bien débrouillé, je le dis avec toute la modestie dont je suis capable, jusqu'à maintenant. Je craindrais trop que faire moi-même ce que je déplore que d'autres aient fait, cela nuise, au moment où je parle. Je pense que tout est sur la bonne voie, mais je ne voudrais pas prendre le risque que la publication, à titre d'exemple, de ce mémoire ou d'autres faits et gestes de même nature gâche ce qui est entrepris. Je voudrais tellement que le député de Maisonneuve prenne ma parole là-dessus et me croie quand je lui dis que j'ai l'impression que tout est bien engagé et je craindrais trop de prendre le risque que comporterait la demande qu'il me formule.

M. BURNS: Comment dois-je comprendre alors ce que le ministre a dit tout à l'heure que la publication des 22 recommandations dans le Soleil a causé un tort au Québec et au ministère de l'Immigration?

M. BIENVENUE: Je vais essayer d'être le plus prudent possible dans ma réponse au

député de Maisonneuve. Cela a causé un tort dont je n'ai pas dit qu'il n'était pas partiellement ou plus partiellement réparé, mais cela a causé un tort au moins en ce qu'une partie de ces recommandations seront peut-être assujetties à plus de caution, à certains retards. C'est dans cette veine que je parle du tort causé, et si je voulais aller plus loin dans la réponse que souhaite le député de Maisonneuve, cela me forcerait précisément à dire des choses qui elles aussi pourraient me nuire dans une espèce de réaction en chaîne.

J'essaie d'en dire le plus possible pour ne pas nuire à ce dossier que je souhaite tellement voir se régler.

Je crains tellement que des incidents de parcours comme celui auquel j'ai fait allusion, les fuites nuisent, je ne voudrais pas qu'il y en ait trop, le moins possible et pas du tout. Il y a des choses que je ne peux pas dire au député de Maisonneuve. Je lui demande — je ne sais pas si la chose se fait de pratique courante — de me faire confiance et de prendre ma parole lorsque je lui dis que ma conscience politique ou personnelle me dit que mieux vaut pas pour le succès que j'anticipe ou que je souhaite à tout le moins. Evidemment, je ne peux pas empêcher la publication par les deux journaux en question, ils ne l'ont pas fait jusqu'à ce jour et j'espère qu'ils ne le feront pas. C'est leur responsabilité, ce n'est pas la mienne. Je respecte la liberté de presse.

M. BURNS: Je vais tendre la perche au ministre. Comme cela, le ministre trouve qu'il n'est pas d'intérêt public de me répondre?

M. BIENVENUE: C'est cela.

M. BURNS: Toujours dans ce domaine, j'ai noté à une première lecture très rapide du projet de loi no 22, que l'article 117 supprime le paragraphe e) de l'article 3 de la Loi du ministère de l'Immigration.

Par curiosité, je suis allé voir ce qu'était ce paragraphe e) de l'article 3, lequel avait été mis en vigueur par les lois de 1969, chapitre 9, c'est-à-dire le bill 63. Ce fameux paragraphe donne comme pouvoir ou comme mandat au ministère de —je cite — "Prendre de concert avec le ministère de l'Education des dispositions nécessaires pour que les personnes qui s'établissent au Québec acquièrent dès leur arrivée ou même avant qu'ils quittent leur pays d'origine la connaissance de la langue française et qu'elles fassent instruire leurs enfants dans des institutions d'enseignement où les cours sont donnés en langue française".

Comme le ministre est membre de l'exécutif, j'imagine qu'il a participé à l'élaboration comme telle du projet de loi no 22 et comme, également, il est titulaire du ministère de l'Immigration, il a sans doute eu son mot à dire dans cela, dans le fait que l'article 117 supprime le fameux paragraphe e) de l'article 3 que je viens de lire. Ce que j'aimerais savoir du ministre, c'est pourquoi l'exécutif a décidé de supprimer ce paragraphe e) qui, à toutes fins pratiques, donnait mandat au ministre de l'Immigration, au ministère de l'Immigration de voir, selon l'expression favorite du ministre lui-même, à la "francophonisation" des immigrants qui n'étaient pas francophones. Dieu sait que, par les statistiques dont on a discuté il y a un instant, cela devient une lourde tâche que la "francophonisation" des immigrants, si la tendance actuelle se maintient, c'est-à-dire si, chaque année...

M. BIENVENUE: Très inquiétant.

M. BURNS: C'est très inquiétant et stupéfiant, comme dirait M. Michaud, si la tendance continue à nous déverser un flot d'immigrants d'année en année qui est au-delà de 50 p.c. anglophone et ne dépasse jamais 20 p.c. de véritable immigration francophone. Ce que j'aimerais savoir du ministre, c'est pourquoi cette suppression du paragraphe e) de l'article 3?

M. BIENVENUE: Je vais plus loin que le député de Maisonneuve, dans mes remarques préliminaires, en parlant non seulement quant à moi d'un mandat, d'un pouvoir, mais je parle en mon nom, d'un devoir du ministre de l'Immigration du Québec de favoriser ce que disait l'ancien article. Avec toute la franchise dont je suis capable, je me plais à dire au député de Maisonneuve et à mes collègues que, bien que siégant à l'exécutif, comme le député vient de le dire, je dis que cette abrogation, cette nouvelle disposition m'a échappé complètement, tellement complètement que, moi aussi, je l'ai apprise ce matin.

Sans vouloir entrer dans la technique législative ou sans vouloir parler du projet de loi 22, je veux dire que je vais sûrement donner suite à cette déficience, cette carence, cette chose qui semble, à première vue, une anomalie, que vient de souligner le député de Maisonneuve. Je ne sais pas par quel moyen, je ne veux pas entrer dans les détails, mais je veux que mes intentions soient bien claires et inscrites au journal des Débats, de façon qu'en aucune façon, ni directe, ni indirecte, ce que j'ai appelé un devoir de mon ministère et de son titulaire soit affaibli, diminué ou disparu. Je répète, je ne sais pas encore par quel moyen, par quelle disposition. Une des façons serait de faire un amendement à la loi organique du ministère de l'Immigration, dans laquelle apparaissait cette disposition législative. Mais mon intention claire, ferme, nette, indubitable est que ce ministère que je dirige continue — pour employer le terme même de l'article — de faire, de concert avec le ministère de l'Education, ou sans concert, ou seul, ou de concert avec tous les orchestres que l'on voudra, franciser les immigrants qui viennent au Québec, dont la langue de la majorité est le français. Non seulement il n'est pas question de

diminuer ou de reculer, mais tous mes efforts et tous ceux de mes hauts fonctionnaires tendent à amplifier le mouvement qui découle de ces dispositions de la loi auxquelles a fait allusion le député de Maisonneuve.

M. BURNS: Je conseille au ministre, je me permets de conseiller au ministre de clarifier cette situation le plus rapidement possible avec ses collègues du cabinet parce qu'il n'est pas sans savoir qu'à compter du 11 juin prochain il y aura des auditions publiques à la commission parlementaire de l'éducation où le grand public intéressé, les organismes intéressés à critiquer le projet de loi viendront se présenter devant nous et sans doute que cela fera l'objet de curieuses remarques de la part des gens qui viendront devant nous si la situation n'est pas publiquement rétablie.

M. BIENVENUE: Evidemment, et là je me livre à une pure hypothèse, je pense tout haut devant les membres de la commission, je me demande si, tout simplement, au moment où on a abrogé les dispositions du fameux bill 63 pour les remplacer par autre chose, cela n'a pas échappé à ceux qui abrogeaient pour remplacer... Je serais extrêmement surpris, M. le Président, que ce soit l'objet d'une manoeuvre volontaire que la disparition comme telle de cette disposition. Je pense que je viens d'indiquer mes intentions assez clairement. Je n'ai pas parlé au nom du gouvernement dont je ne suis qu'un membre, j'ai parlé en mon nom personnel, mais je pense que j'ai été assez clair en le faisant pour assurer le député de Maisonneuve que je suis conscient comme lui que, dans quelques semaines à peine, cela pourrait être l'objet de vives discussions, pour ne pas employer d'autres termes, s'il n'y avait pas un remède apporté à cette chose qui m'apparaît clairement comme une anomalie.

M. BURNS: Remarquez que je n'ai fait qu'un survol rapide de la loi 22 et que je n'ai pas encore analysé toutes les implications qu'avaient les nouveaux textes. Même si on dit, d'une part, qu'on abolit le bill 63 on retrouve certaines de ses dispositions parsemées à l'intérieur du texte du projet de loi 22. Mais je n'ai pas trouvé, sauf erreur, de remplacement valable des dispositions de l'article 3 du bill 63.

M. BIENVENUE: Moi non plus. Ce n'est que ce matin, il y a à peine quelques instants, que j'ai pris connaissance de cette situation.

M. BURNS: M. le Président, toujours sur cette question reliée à l'aspect linguistique, je pense bien que le ministère de l'Immigration n'est pas désintéressé de ce problème. Je lui signale également que, dans le cas où les dispositions de l'article 117 du projet de loi 22 demeureraient, cela voudrait dire — je le dis sous forme de question au ministre — est-ce que ça ne voudrait pas dire la disparition du comité interministériel Education-Immigration, etc.?

M. BIENVENUE: On pourrait penser à ça comme à une conséquence logique si cette situation devait se maintenir, c'est-à-dire qu'à la minute ou dès l'instant où mon ministère ne fait plus rien de concert avec l'autre, les organismes ou les liens normaux qui justifient cette participation de concert en question disparaissent, c'est évident. Il n'en est pas du tout question, bien au contraire; c'est pour ça que je pense que cela amplifie davantage ce qu'a dit le député de Maisonneuve et ce que j'ai reconnu. Je ne voudrais pas, pour tout l'or au monde, voir disparaître ni ce comité interministériel, ni d'autres, parce qu'il y a beaucoup à faire, beaucoup à faire.

M. BURNS: J'imagine, M. le Président, je veux maintenant me référer à un extrait d'une déclaration que le ministre faisait le 10 avril dernier devant le club Kiwanis Saint-Laurent, à l'hôtel Ritz Carlton à Montréal. Dans un style tout à fait biblique, le ministre disait et je cite: "En vérité, je vous le dis, l'immigration, c'est l'avenir du Québec", ce sur quoi je suis en grande partie d'accord. C'est évident que le Québec de demain devra compter sur l'immigration et je suis également d'accord avec le ministre de l'Immigration que, forcément, dans l'élaboration de politiques linguistiques, eu égard aux immigrants, le ministère de l'Immigration québécois doit être une espèce de clé de voûte de ce qu'on a appelé — ce que bien des ministres ont charrié, dont le premier ministre — la souveraineté culturelle du Québec. Il y a eu toutes sortes de définitions qui nous ont été données, certaines claires, certaines peu claires et les plus claires qu'on a eues ont été celles qui nous sont venues du fédéral et qui, à toutes fins pratiques, étaient négatives, des définitions négatives de la souveraineté culturelle. Comme je pense que le ministre de l'Immigration aura sûrement, dans les années à venir, un rôle important à jouer, du moins en ce qui concerne les immigrants, dans cette élaboration de la souveraineté culturelle, j'aimerais d'abord lui demander quelle est sa définition à lui de la souveraineté culturelle?

M. BIENVENUE: Surtout dans le contexte de l'immigration, si je comprends bien la question du député de Maisonneuve, je ne veux pas anticiper ou élargir ou empiéter sur les plates-bandes de mes collègues d'autres ministères, surtout celles encore plus vastes du premier ministre. Mes vues, à moi, sur cette souveraineté culturelle dans le cadre de l'immigration, portent d'abord et avant tout sur le fait que le Québec, province combien différente des autres au plan culturel, dont une des filles préférées s'appelle la langue, a un besoin urgent...

M. BURNS: Combien bellement ces choses sont dites!

M. BIENVENUE: C'est pour ça que je les dis lentement... a un besoin urgent d'une immigration — je fais une parenthèse pour dire que l'immigration est la complémentarité d'une population — qui suive le modèle de sa population actuelle. Et dans le cas du Québec, je l'ai dit à plusieurs reprises et je le dis sans aucune hésitation, la souveraineté culturelle sera atteinte au chapitre de l'immigration si on fait venir chez nous des immigrants qui sont ou déjà francophones ou "francophonisables" de la même façon que je dirais qu'en Ontario, la logique des choses veut qu'on y attire des immigrants anglophones. Assurément pour combattre la dénatalité, qui est extrêmement dramatique au Québec actuellement, je ne vois que l'immigration — et c'était là la phrase biblique à laquelle faisait allusion le député de Maisonneuve — et une immigration qui est celle que je viens de décrire, francophone ou "fran-cophonisable".

Il ne faut — et c'est la seule réserve que j'y apporte — si on me permet l'expression, jamais lever le nez sur des candidats à l'immigration qui, au plan strictement économique, seraient combien importants pour l'économie du Québec. Je donne un exemple criant. Si j'apprenais, et c'est déjà arrivé, M. le Président, ou si mes services apprenaient qu'un candidat, qu'un candidat possible à l'immigration, venant d'un quelconque pays du monde, qui ne parle pas un traître mot de français ou qui parle presque ou surtout exclusivement l'anglais, s'amenait au Canada, avait décidé de venir vivre au Canada et apportait avec lui un pécule de $25 millions et s'il avait le choix entre l'une ou l'autre des dix provinces, je vous avoue que je me parerais de tous mes plus beaux atours pour essayer de le convaincre de venir au Québec, avec ses $25 millions qui me paraîtraient à tout le moins aussi importants que la langue qu'il parle.

M. BURNS: Le ministre ferait du racolage!

M. BIENVENUE: Du trottoir! Mais je demanderais à mes hauts fonctionnaires de continuer, de concert avec le ministre de l'Education ou de concert avec nous-mêmes, de tout faire pour le convaincre, lui comme les autres, pour l'amener à parler la langue de la majorité au Québec.

Cette définition un peu vaste de la souveraineté culturelle comme je la vois au ministère de l'Immigration, je pense qu'on a bien compris que, pour moi, il faut d'abord et avant tout une immigration francophone ou "francophonisable", et je ne choque personne, parce que le fédéral est soucieux, est inquiet de ce déséquilibre démographique, de ce déséquilibre entre l'immigration anglophone et francophone au Québec. Je pense qu'il est de l'intérêt du pays tout entier que le Québec garde — je pense que c'est un "must" — son caractère culturel francophone différent de celui des autres. Je pense que c'est un actif pour le pays.

M. BURNS: Mais, ce n'est pas dans le but d'embêter le ministre...

M. BIENVENUE: Non, non.

M. BURNS: ... que je pose cette question. C'est que je trouve qu'elle a, dans le contexte actuel, une grande importance. Je note les efforts que le ministre fait pour me définir la souveraineté culturelle dans le cadre du ministère de l'Immigration, mais je note...

M. BIENVENUE: Disons que c'est défini par des opérations et non pas par une définition technique.

M. BURNS: Je note aussi, cependant, que cette définition que le ministre nous donne est quand même, et il l'avouera lui-même, assez vague. Parce que, quand on parle de souveraineté, ce n'est pas un vain mot, je pense; la souveraineté, c'est un mot qui a un caractère d'exclusivité. Je vois actuellement les efforts que déploie le ministre pour garder discrètement certains documents qui sont l'objet de négociations avec Ottawa, je vois le ministre, dans le fond, demander à son homologue fédéral, M. Andras, du moins jusqu'au 8 juillet...

M. BIENVENUE: Dans le champ que nous n'occupions pas avant.

M. BURNS: Oui, c'est cela. Et je note aussi — je ne sais pas si le ministre partage mes vues là-dessus — que l'article 95 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique fait de l'immigration une juridiction partagée, c'est-à-dire, et par Ottawa et par les différentes provinces, et je n'ai pas entendu le ministre nous dire qu'il avait l'intention d'occuper le champ qui lui est laissé ouvert par l'article 95 au point de vue de la législation. C'est-à-dire que — je ne suis pas un grand constitutionnaliste, loin de là — si mon interprétation, de l'article 95 est exacte, le Québec pourrait légiférer en matière d'immigration. Il l'a fait d'ailleurs lorsqu'il a constitué son ministère de l'Immigration, et il a imposé certaines normes et certaines directives à ce ministère. Mais il pourrait aussi légiférer de façon beaucoup plus précise, à mon avis, relativement à ce que le ministère québécois demande actuellement au fédéral de lui céder, c'est-à-dire, les droits de veto relativement à la sélection, au recrutement, etc. Le droit, entre autres, que j'ai vu dans l'une des 22 recommandations du ministre, de participer à fond à la sélection de l'immigration future.

C'est dans ce cadre que je me dis que ce que vient de nous dire le ministre, sur la souveraineté culturelle, vu par les yeux du ministère de l'Immigration, n'est pas très précis comme définition.

M. BIENVENUE: Outre ce que j'ai déjà dit

sur le sujet de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique dans mon allocution de mars dernier à l'Assemblée nationale, je rappelle évidemment au député de Maisonneuve que l'article 95 va plus loin que simplement dire: C'est partagé. Il y a toujours la fameuse clause qui se lit à peu près comme suit: Advenant qu'une loi provinciale soit à l'encontre de la loi fédérale, celle-ci prime, etc. Les mots sont exactements ceci: "... et toute la loi de la Législature d'une province, relative à l'agriculture ou à l'immigration, il n'y aura d'effet qu'aussi longtemps et tant qu'elle ne sera pas incompatible avec aucun des actes du Parlement du Canada, etc."

Je dis tout de suite là-dessus — et la question de mon collègue est très pertinente — que c'est beaucoup au plan opérationnel qu'au plan législatif que surgissent des difficultés qu'il faut contourner, et c'est ce que j'essaie de faire présentement depuis plusieurs mois avec Ottawa. Je m'explique.

On se rappelle que, tant et aussi longtemps du moins que les désirs les plus chers du député de Maisonneuve ne se réaliseront pas, tant et aussi longtemps que le Québec va faire partie de la Confédération canadienne, il n'y a pas de frontière.

M. BURNS: Cela a l'air que ce n'est pas pour cette année, en tout cas. Je ne vais pas plus loin qu'un an et je ne commente pas cela.

M. BIENVENUE: Tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas de frontière entre les différentes provinces du Canada, pas plus qu'il n'y en a entre les Etats américains — et je dis ce que j'ai dit précédemment — la très grande, sinon la quasi-totalité des immigrants viennent d'abord en Amérique du Nord, ensuite au Canada et enfin au Québec. Il y a des problèmes, des difficultés qui surgissent du fait qu'un immigrant est parfaitement libre de circuler à son aise, à son goût, sans demander de permission, sans avoir à rendre compte à qui que ce soit, n'importe où au pays depuis l'instant où il a mis le pied sur le débarcadère, à l'aéroport de Dorval. Or, on conçoit facilement qu'un immigrant, qui puisse être l'objet d'un refus du Québec comme tel, qui puisse être l'objet du rejet du Québec comme tel, puisse, par contre, être reçu, agréé dans d'autres provinces.

Par ailleurs, on peut également penser à un immigrant qui, étant déjà dans une autre province, veut entrer au Québec, il n'a aucune formalité de douane, d'immigration, il n'a aucune restriction dans l'état actuel des choses; il peut le faire, circuler librement. C'est pour cela que je tente d'expliquer au député de Maisonneuve que c'est beaucoup plus dans le cadre opérationnel que dans le cadre législatif que peut se régler ce problème. Qu'il me croie, on l'a tourné et retourné sous tous les sens et sous tous les angles. C'est pour cela que je suis tenant pour ma part, tant que nous serons dans le cadre confédéral actuel, de cette théorie, selon laquelle, là aussi, de concert ou en commun accord avec les autorités fédérales, on peut atteindre nos vues, nos objectifs.

C'est peut-être — et je l'admets — moins glorieux, moins flamboyant, c'est peut-être moins palpitant, mais ce que je recherche surtout c'est le résultat.

Comme le député de Maisonneuve y a fait allusion, dès l'instant, ou comme on l'a publié dans le journal Le Soleil ou en vertu de certaines recommandations, nos fonctionnaires, de façon commune, conjointement avec ceux du fédéral, acceptent quelqu'un ou, cela peut aller jusqu'à l'éventualité du veto, dont faisait allusion Le Soleil, rejettent quelqu'un... C'est la façon la plus sûre d'atteindre nos fins. On ne peut pas le faire exporté et unilatéralement, dans le moment, précisément pour ce que je viens d'indiquer, parce que nous pourrions — on va le voir facilement — émettre un veto sur un individu X qui, un instant après, atterrit quand même à l'aéroport de Toronto, et qui, un instant après, peut se retrouver sur les sites de la rivière Outaouais, du côté québécois, sans que nous ayons, toujours dans le contexte actuel, le pouvoir de le repousser de le rejeter ou de le bloquer.

Nous avons cru jusqu'à ce jour, et je crois que nous sommes sur la bonne voie, que la meilleure façon d'atteindre ces fins, je reviens à la souveraineté culturelle, est de faire venir chez nous le type d'immigrants dont nous avons besoin, dont le Québec a besoin, et de le faire de concours avec les autorités fédérales, plutôt que de chercher à le faire sans elles.

Mon sous-ministre me fait, avec beaucoup de raisons, songer à un autre aspect. C'est que la législation en général, et en particulier une législation qui pourrait être trop dure, trop énergique, pourrait comporter le danger du tarissement de nos sources d'immigration. C'est notre expérience que l'immigrant qui, déjà, va dans l'inconnu, dans un nouveau pays pour lui, est craintif par nature, et avec raison, de toutes les formes, de toutes les structures, de tous les contrôles, de toutes les barrières, et moins il en a à traverser, mieux c'est pour lui, moins c'est inquiétant pour lui, lui qui est déjà inquiet.

Pour toutes ces raisons, M. le Président, je pense que c'est beaucoup plus suivant la ligne de stratégie que nous nous sommes tracés que l'on peut aspirer à, finalement avoir, soit par l'aspect positif qui est la sélection, l'information d'abord, le recrutement ensuite, et la sélection enfin, de tous ceux qui sont recrutés. C'est l'aspect positif. L'aspect négatif, c'est évidemment le veto. Je pense que c'est la façon la plus sûre, de concert avec le fédéral, d'arriver à nos fins, c'est-à-dire d'avoir ce type, de calibre d'immigration qui corresponde à l'idée de souveraineté culturelle du Québec dans ce domaine. Encore une fois, pas souveraineté en ce sens qu'on fait tout à l'exclusion du fédéral, ce qui serait, je le conçois, dans les termes mêmes de la souveraineté totale, mais notre souveraineté

culturelle conditionnée par les difficultés auxquelles je viens de faire allusion. Je pense que si, peu importent les moyens, nous arrivons à recruter ce que nous voulons et que ce que nous voulons, on a fait un immense pas dans le sens de la souveraineté culturelle dans ce contexte. J'ai dit assez clairement, je pense, précédemment à mes collègues, et je l'ai dit publiquement, que c'est le genre d'immigration qui est un "must" pour le Québec, tant sur le plan économique — je pense à la démographie, entre autres, et à la main-d'oeuvre, parce que les problèmes s'en viennent beaucoup trop vite — tant sur le plan de la langue et de la culture du Québec, qui doivent rester ce qu'elles sont pour que le Québec soit différent des autres provinces. Il est combien important à mes yeux que le Québec soit différent des autres provinces !

M. BURNS: M. le ministre, même si c'est très intéressant, l'échange qu'on a actuellement, je suggérerais qu'on l'interrompe brièvement. Je note que le député de Beauce-Sud vient d'arriver, et comme on s'était entendu pour lui donner la chance, parmi ses nombreuses activités, de venir nous voir au moment où il pourrait le faire, je serais d'accord à interrompre, ici, cet...

M. BIENVENUE: ... échange...

M. BURNS: ... quitte à y revenir plus tard.

M. BIENVENUE: C'est cela. Avec beaucoup de plaisir. Nous avons devant nous la qualité, à défaut de la quantité.

M. BURNS: On a quand même, il faut le reconnaître, 50 p.c. du caucus du Parti créditis- te.

M. ROY: II n'y a pas un seul parti qui peut se vanter d'être représenté à 50 p.c. dans une commission parlementaire ce temps-ci.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Le député de Beauce-Sud.

M. ROY: Je remercie mon collègue de Maisonneuve, ainsi que le ministre. J'aurais aimé et j'aurais beaucoup désiré pouvoir participer à toutes les discussions qui ont lieu et qui auront lieu lors de l'étude des crédits de ce ministère que je qualifie, quand même, de très important, du moins au niveau des politiques qui devraient être appliquées au Québec, compte tenu des limites dans lesquelles se trouve présentement le ministère de l'Immigration.

Le ministre vient de signaler justement l'article 95 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et je pense que nous avons là la réalité toute crue devant nous. L'immigration est un pouvoir — une juridiction — que partagent le gouvernement fédéral et le gouverne- ment provincial et le gouvernement des provinces et les lois fédérales ont priorité sur les lois provinciales. C'est-à-dire que si les provinces adoptent des lois, elles ne peuvent pas être incompatibles avec les lois du gouvernement fédéral.

Sur ce point, je me permettrai de rappeler aux membres de la commission la position que nous avions prise à ce sujet en 1971 alors que nous avions déclaré publiquement que l'immigration devrait être une juridiction d'exclusivité provinciale. Au Québec, compte tenu de notre situation particulière, compte tenu de nos besoins particuliers, compte tenu du fait que le Québec, comme le disait le ministre, n'est pas une province comme les autres, j'ai hâte qu'on dise autre chose que le Québec n'est pas une province comme les autres du fait qu'elle a le record du chômage et le record des assistés sociaux...

Le problème de l'immigration découle aussi du fait — c'est pourquoi j'aurais aimé aborder ce problème dans le cadre d'une discussion beaucoup plus globale — que l'immigration est conditionnée en quelque sorte par le désir que peuvent avoir certaines personnes de venir s'établir au Québec. Or, on ne forcera personne à venir s'établir au Québec s'il n'y trouve pas des avantages marqués, s'il ne trouve pas intéressant de venir s'établir au Québec. C'est pourquoi il faut qu'il y ait un ensemble de politiques, un ensemble de lois et surtout des conditions économiques favorables qui nous permettent d'ouvrir la porte à ceux qui partagent notre culture, à ceux qui parlent la même langue que nous, à venir nous rejoindre et à former au Québec une communauté francophone beaucoup plus forte que celle que nous avons présentement qui, au moins, pourrait quand même maintenir les pourcentages que nous avons connus dans le passé par rapport aux pourcentages de la nation canadienne comme telle, si on tient compte de la population de toutes et chacune des provinces.

Pour avoir des politiques et pour que ces politiques soient efficaces, il y a deux choses essentielles à la base et c'est aussi vrai dans le ministère de l'Immigration que dans d'autres ministères.

Il faut d'abord avoir des pouvoirs clairement définis. Une fois que ces pouvoirs sont clairement définis, il faut les moyens d'être en mesure d'utiliser ces pouvoirs vers les objectifs que nous nous sommes fixés.

Je trouve qu'il n'y a pas de pouvoirs au ministère de l'Immigration ou qu'il n'y en a pratiquement pas dans le cadre actuel. La seule chose que le ministre de l'Immigration peut faire est de faire des voeux, exprimer des souhaits, faire quelques recommandations qui peuvent ou ne peuvent pas être retenues. A partir de ce moment, compte tenu du fait également que nous avons eu à subir une diminution considérable du taux de natalité au

Québec, je crains que si on ne regarde pas plus profondément et que si on ne prend pas les moyens d'accroître les pouvoirs de notre ministère de l'Immigration, il ne faudra pas tellement d'années avant que le Québec se classe au point de vue de la population au Canada au troisième rang. Nous avons déjà été au premier rang, nous sommes maintenant au deuxième rang et de beaucoup en arrière de la première place, et actuellement, nous voyons qu'il y a des provinces, la Colombie-Britannique entre autres, qui connaissent un taux de progression assez marqué, alors qu'au Québec, il est assez difficile de parler d'une augmentation de la population par rapport à l'ensemble du pays.

Si on analyse ces faits et si on fait un graphique, on constatera que dans 15 ans ou 18 ans et peut-être moins, le Québec sera passé au troisième rang de la population canadienne. On ne peut pas demeurer insensible devant ces faits et devant cette situation. Nous devrons aller beaucoup plus loin que parler et discuter autour de la souveraineté culturelle.

Il faudra des politiques économiques, il faudra des politiques de développement économique, il faudra des plans d'ensemble dans lesquels pourra s'insérer une politique de l'immigration, mais vouloir faire jouer au ministère de l'Immigration un rôle complémentaire du fait que, dans les autres secteurs, nous n'avons pas les politiques qu'il faut, je dis que c'est se leurrer et faire jouer au ministère de l'Immigration un rôle de façade ou en quelque sorte un rôle de mascarade pour tâcher de calmer certaines inquiétudes en nous faisant croire qu'avec le ministère de l'Immigration au Québec, du fait que nous avons un ministère de l'Immigration au Québec, on pourra en quelque sorte éviter le pire, éviter le désastre.

M. le Président, en ce qui me concerne, actuellement, je ne suis pas du tout rassuré, même après l'exposé de bonnes intentions dont le ministre nous a fait part lors du début de l'étude des crédits de son ministère, lors des déclarations qu'il nous a faites à ce sujet, je ne suis pas plus rassuré après les déclarations du ministre que je ne l'étais avant.

M. le Président, j'aimerais aborder aussi la question de la situation du Québec sur le plan de la population par rapport aux autres. Il y a des statistiques qui ont paru dans le journal The Gazette du 20 mars 1974; on y parlait des taux de naissance au Québec et au Canada, et au Québec par rapport au Canada. Ces statistiques remontent à 1958 et on nous donne également les statistiques de 1972. Au Québec, le taux de naissances était de 28.8 par 1,000 habitants en 1958, alors qu'il était au Canada de 27.7 par 1,000 habitants. En 1972, le taux de naissances était de 13.8 par 1,000 habitants, le plus bas taux du Canada. Or, l'accroissement naturel qui s'est fait au Québec était de 48,000 naissances et 19,000 immigrants reçus, ce qui faisait un total de 67,000 personnes nouvellement arrivées pour augmenter la population du Québec.

Au lieu d'avoir une augmentation nette de 67,000, cette augmentation fut de 23,000. Ce qui veut dire que 40,000 quittèrent pour une raison ou pour une autre la province de Québec. Nous avons également le problème de l'immigration, mais nous avons le problème de l'émigration. J'aimerais bien que le ministère de l'Immigration se préoccupe également de l'émigration. Il suffit de regarder un peu nos régions rurales, les régions près de la frontière américaine et de voir le grand nombre de Québécois qui doivent aller, à leur grand regret, je dis bien, pour la plupart, aux Etats-Unis gagner leur vie. Il n'y a pas tellement longtemps, on discutait des politiques linguistiques, on parlait du fameux bill de la langue qui devait dans le temps nous être présenté et qui nous a été présenté hier, et je me suis laissé dire par de bons Canadiens français, de bons patriotes, de bons nationalistes: C'est bien dommage, c'est bien regrettable, mais nous aimons mieux travailler en anglais aux Etats-Unis que d'être sous le bien-être social en français, dans la province de Québec.

Nous avons là quand même une situation de fait qui nous démontre une situation tragique, je dirai bien une situation tragique, et qui devrait préoccuper le gouvernement au plus haut point. Le ministère de l'Education devrait, cette année, non pas analyser les statistiques, mais faire une étude sur les causes concernant cette émigration qui se fait vers les Etats-Unis. Je parle d'une émigration vers les Etats-Unis, mais il faudrait peut-être aller dans la région de Témiscamingue, aller dans la région du Nord-Ouest québécois, pour voir que le même phénomène se produit vers l'Ontario. Alors, de toute part et de tout côté, M. le Président, nous perdons notre population. Pourquoi? Parce que cela revient un peu à ce que je disais au début, il faut que ce soit intéressant de vivre au Québec. Il faut être en mesure de gagner notre vie adéquatement, il faut être en mesure de s'épanouir, il faut être en mesure d'assumer nos obligations. Les gens de mon comté, les gens de ma région, de la rive sud du Québec, qui ont dû émigrer aux Etats-Unis y sont allés par préoccupation économique, parce qu'aux Etats-Unis ils pouvaient gagner leur vie, ils pouvaient vivre mieux, qu'en continuant à vivre dans le Québec.

M. le Président, je le dis encore au ministère de l'Immigration, il devrait pousser ses études lorsqu'il aura à faire enquête sur le pourquoi de cette émigration vers d'autres provinces ou vers d'autres pays. Il pourrait à ce moment voir si nous n'avons pas des lois au Québec qui font en sorte que des personnes sont obligées de s'exiler. J'ai déjà eu l'occasion de le signaler à l'Assemblée nationale, je le souligne à l'intention du ministre. Je vais prendre un point particulier. Lorsque le ministère du Travail a rendu obligatoire le port d'un permis de travail, ceci a eu pour conséquence d'obliger un nombre considérable de nos jeunes travailleurs du Québec, au sortir de leurs études, à émigrer aux

Etats-Unis parce qu'on leur refusait systématiquement le droit non pas de demeurer mais de travailler dans la province de Québec, alors que ces gens avaient du travail dans la région chez nous.

Je ne parle pas des gens qui auraient dû aller prendre la place d'autres personnes, d'autres travailleurs professionnels dans les grands centres. Mais ces gens-là avaient du travail chez nous, et ceux qui ont pris le risque de travailler sans avoir les permis et sans satisfaire aux obligations du ministère du Travail ont été poursuivis devant les tribunaux du Québec.

Je souligne à l'attention du ministre parce que c'est quand même bon qu'on pense à ces choses-là. Il y a tout le problème aussi de l'établissement des jeunes. On a eu l'occasion d'en discuter, j'en ai discuté avec le ministère de l'Agriculture. Dans les milieux ruraux, M. le Président, c'est un désastre. Les milieux ruraux du Québec ont toujours contribué, de par le progrès économique que nous pouvions avoir dans les milieux ruraux, compte tenu du fait que l'économie rurale a toujours connu au Québec une certaine progression, a toujours connu une certaine stabilité à venir jusqu'au début de la révolution tranquille alors qu'on a tout chambardé dans les régions rurales... Alors, l'immigration qui se faisait vers les grands centres provenait des régions rurales du Québec parce qu'on trouvait, dans les régions rurales du Québec, des familles d'agriculteurs, des familles nombreuses, on trouvait une grande population et ces gens constituaient en quelque sorte un bon réservoir pouvait alimenter le besoin de main-d'oeuvre créé par le développement des grands centres, des grandes métropoles.

M. le Président, aujourd'hui, c'est changé, c'est complètement changé. La situation fait en sorte que notre population rurale diminue par elle-même. Nous sommes rendus à un point où la population rurale ne se renouvelle même pas, alors que ce phénomène était caractéristique dans les grands centres. Aujourd'hui, nous avons les deux phénomènes, dans les grands centres comme dans les régions rurales.

M. le Président, si on fait une comparaison entre le Québec et l'Ontario pour les cinq années finissant en 1972, on se rend compte qu'il y a une augmentation naturelle de 4.3 p.c. au Québec et qu'il y a une augmentation naturelle de 5 p.c. en Ontario. Alors qu'il y a une immigration nette avec un plus de 3.20 p.c. pour l'Ontario et une diminution de 0.86 p.c. pour le Québec, avec une augmentation de la population nette de 166,000 pour le Québec au cours des cinq dernières années et de 680,000 pour l'Ontario, soit une augmentation de 2.8 p.c. pour le Québec et une augmentation de 9.6 p.c. pour l'Ontario. Pour assurer le remplacement de la population, le taux doit être de 2.13 p.c. et, depuis 1968, le taux de remplacement du Québec a été inférieure à 2.13 p.c. En 1972, le taux de remplacement brut au Québec a été de 1.7 p.c. alors que le taux canadien a été de 2.2 p.c. C'est une situation nouvelle au Canada et, dans les années trente alors que le taux de naissance était généralement bas, le taux de reproduction au Québec était de 1.7 p.c. et le taux canadien était 1.4 p.c.

M. le Président, je pense que ces chiffres parlent par eux-mêmes et se passeraient même de commentaires additionnels. Je veux aussi ajouter quelques mots concernant certains points soulignés par le ministre... Je m'excuse.

Je terminerai donc, M. le Président, j'avais quelques autres points à ajouter, je pourrai y revenir au cours des discussions; disons que ça termine là les grandes lignes, les commentaires généraux que je voulais faire à ce niveau dès le début de l'étude des crédits du ministère. Mais, j'insiste encore une fois, M. le Président, pour dire qu'il est temps que le ministre de l'Immigration fasse le nécessaire et réussisse à convaincre ses collègues du conseil des ministres pour que le Québec prenne toutes ses responsabilités et exige des pouvoirs accrus dans le domaine de l'immigration. Pour le Québec, c'est une question de survie et c'est une question que nous ne pouvons pas mettre de côté, une question que nous ne pouvons pas ignorer. Dans le cadre des discussions qui pourront avoir lieu à ce sujet avec le gouvernement fédéral, je demande que le Québec ne soit pas à la remorque du fédéral, mais qu'il discute et se mette d'accord avec certaines autres provinces qui peuvent connaître des problèmes différents mais des problèmes, étant quand même intéressées à avoir plus de pouvoirs dans le domaine de l'immigration, pour exiger du fédéral des modifications des politiques pour faire en sorte que ce qui apparaît aujourd'hui dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui est complètement désuet, complètement dépassé puisse être modifié avant qu'il ne soit trop tard. Pour nous, au Québec, c'est une question importante. Je tiens à dire au ministre que, sur ce point, il aura notre appui total pour que le Québec prenne le plein contrôle de tous ses pouvoirs en matière d'immigration.

M. BIENVENUE: Si vous me permettez, M. le Président. Evidemment le député de Beauce — ce n'est pas sa faute et Dieu merci, ce n'est pas un reproche que je lui fais — a manqué, malgré lui, certains des propos que nous avons échangés ce matin et qui ont fait déceler la même inquiétude, tant par la voix du député de Maisonneuve qui représente l'Opposition officielle que par la mienne. Je partage l'inquiétude du député de Beauce, je l'ai dit et redit combien souvent. Le député de Beauce faisait allusion à mes collègues, faisait allusion à des forces plus vives, faisait allusion à un mouvement d'entraide dans ces objectifs communs, j'en suis. J'ai eu souvent, hélas, parfois, l'impression que je prêchais seul; on n'a qu'à regarder les interventions qui sont faites à l'Assemblée nationale depuis nombre d'années, on n'a pas parlé souvent d'immigration. J'essaie, de mon côté,

de le faire chaque fois que j'en ai l'occasion, mais je suis parfaitement conscient de mes limites et trop souvent, de ma solitude dans ce domaine.

Le Québec est combien en retard, je l'ai déjà dit au chapitre de l'immigration; nous avons cent ans de retard sur la province de l'Ontario qui s'est souciée, qui s'est préoccupée bien avant nous, d'envahir les bassins d'immigration, d'y être présente de par le monde, de faire du recrutement de par le monde, avec les résultats que l'on connaît, de la même façon que le grand pays voisin qui s'appelle les Etats-Unis et qui est ce qu'il est à force et à coups d'immigration massive.

Combien de retard, avons-nous à cause de l'inaction des gouvernements dans le passé et cela aussi, je l'ai dit souvent, cela fait du tort, à cause d'une certaine mentalité qui existe chez nous — nous sommes latins et nous avons hérité de cette mentalité — à cause de nos origines latines! Je ne parlerai pas de xénophobie. Je pense qu'après avoir réfléchi longuement, il y a un concept qui devient mien et qui est beaucoup plus ce que j'appellerais le concept de la "xénotimie", si on me permet, venant du verbe timeo, qui est craindre. Je pense qu'il y a beaucoup plus chez nous que la haine, la détestation de l'étranger, c'est la crainte de l'étranger. On s'inquiète de la présence de l'étranger et l'effet en est néfaste parce que l'étranger, à ce moment-là, s'installe dans ce qu'on appelle avec raison des ghettos; l'étranger, face à cette crainte ou à cette non-bienvenue, ce non-accueil, s'isole; ces gens-là se groupent entre eux; c'est mauvais, parce qu'ils deviennent eux-mêmes de mauvais embassa-deurs, des mauvais vendeurs du Québec.

Ces gens-là gardent des liens très étroits avec leurs concitoyens d'origine, avec leurs parents à l'étranger, cela fait boule de neige, et tout cela n'est pas invitant. Je dois reconnaître qu'on a beaucoup de progrès à faire, beaucoup de leçons surtout à tirer d'autres régions ou d'autres pays qui sont peut-être plus accueillants que nous le sommes. Il faudrait se départir de cette crainte de l'étranger. Comme le souligne avec combien d'à-propos le député de Beauce, c'est peut-être le seul ou le principal remède à la situation inquiétante à laquelle le député de Beauce a fait allusion en parlant de la dénatalité ou du taux de croissance qui, à toutes fins pratiques, est devenu à peu près zéro, chez nous.

Le député de Beauce parlait, c'est aussi une des préoccupations du ministère, de l'exode, de l'hémorragie des régions rurales. C'est combien inquiétant cela aussi, de parcourir des campagnes et de voir des fermes abandonnées qui deviennent de plus en plus la règle que l'exception. Là aussi, j'avoue que je ne suis pas trop optimiste sur les possibilités de retour des autochtones ou des fils de cultivateurs dans les campagnes après avoir quitté les fermes en question, le milieu rural, pour plonger dans ce qu'on appelle les facilités, aller vers tout ce qui brille dans les grandes villes. Là aussi, je pense que le ministère de l'Immigration a un rôle prépondérant à jouer. Nous tentons par tous les moyens d'attirer au Québec des candidats éventuels à l'agriculture québécoise. C'est déjà commencé, j'ai déjà donné des chiffres au cours de cette conférence devant le club Kiwanis de Laval à laquelle faisait allusion le député de Maisonneuve. Il y a à peine quelques jours, il est venu au Québec une mission du Maroc composée je pense, sauf erreur, d'agriculteurs francophones. Voici un exemple classique du genre d'immigration dont a besoin le Québec dans un domaine particulier: des francophones d'une part, des agriculteurs d'autre part, et qui sont de gros travailleurs.

Comme la grande majorité des immigrants sont de gros travailleurs, ils sont prêts, dans bien des cas, à prendre la relève, à relever le défi des fermes abandonnées.

Je souhaite évidemment que ce soient les nôtres qui le fassent. Charité bien ordonnée commence par soi-même, mais à défaut d'y réussir, voici un domaine précis où l'immigration peut venir à notre secours.

Le député de Beauce a raison de s'inquiéter sur l'exode de notre population vers les Etats-Unis, ce qu'il a appelé les migrations, disant que cela devrait être une préoccupation du ministère de l'Immigration. Il a parfaitement raison de s'inquiéter, d'autant plus — et on est ici pour se dire la vérité — que nous n'avons absolument aucun contrôle actuellement sur celui qui décide d'aller vivre aux Etats-Unis, soit parce que le soleil y est plus chaud ou qu'il décide d'y aller pour toute autre raison.

C'est pour cela que, dès l'an dernier et à plusieurs reprises depuis, j'ai lancé cette notion d'un ministère des ressources humaines, qui lui, enfin, pourrait se doter de tous les outils nécessaires à la connaissance du capital humain au Québec, capital qui est ce que nous avons de plus important. Si on pense à la grande majorité des ministères de mes collègues, on y verra qu'à l'Agriculture on se préoccupe de choses et d'objets du monde agricole, qu'il s'agisse de légumes, de fruits, de plantes ou d'animaux. Si on pense au ministère des Terres et Forêts, on pense aux arbres; aux Ressources naturelles, on pense aux mines, à l'eau, aux pouvoirs hydroélectriques, etc. Mais tout cela est en fonction de quoi? Toujours de l'être humain, du capital humain. A quoi sert tout cela? A quoi servent les politiques, le développement, l'économie si c'est pour servir un capital humain qui est en train de dépérir? C'est là qu'est le drame.

Dans cet éventuel ministère des ressources humaines, qui regrouperait tous les mécanismes de contrôle, les statistiques et tout ce qu'on peut penser avec la notion de ressources humaines, il y aurait moyen, à ce moment, de s'assurer davantage du mieux-être du capital humain comme tel, l'être humain comme tel, le Québécois qui vient, le Québécois qui reste ou le Québécois qui part.

Fort heureusement, le député de Beauce

faisait allusion à l'exode vers les Etats-Unis, par un heureux retour des choses, je lui dis au moins — et j'avais l'occasion de le dire dernièrement au gouverneur de l'Etat du Rhode Island qui ne se gênait pas devant moi pour inviter un nombre encore plus grand de Québécois à aller habiter en Nouvelle-Angleterre.

Je lui disais: Par un retour des choses, nous recevons, nous aussi, des Américains qui, pour des raisons que je laisse à tout le monde, préfèrent vivre au Québec que vivre dans l'Etat de New York ou dans la Nouvelle-Angleterre.

C'est ainsi qu'en 1967 l'apport américain à l'immigration au Québec ne représentait que 5 p.c. Il est devenu, rapidement, en 1972, à 15 p.c. Ce chiffre augmente d'année en année, de sorte que — et je tiens compte évidemment de l'aspect culturel en le disant, je voulais seulement m'en tenir à l'échange purement numérique entre les Etats-Unis et nous — de sorte que ce contingent, venant des Etats-Unis d'Amérique, est le plus fort actuellement. Il occupe le plus haut taux, le plus haut pourcentage du flot d'immigrants qui nous viennent au Québec en 1973 et en 1974.

Là n'est pas le problème! Cette compensation ne résout pas le problème auquel fait allusion le député de Beauc-Sud, parce que, dans une province aussi grande que la nôtre, où il y a tellement de possibilités, d'espaces disponibles, il n'est pas suffisant de se contenter de dire: On compense nos départs par les arrivées. Il faudrait freiner les départs, et continuer d'encourager les arrivées.

Vous aurez tous compris qu'avec le budget dont j'ai parlé si souvent — et du budget dépendent les outils — avec l'outillage que nous avons au ministère de l'Immigration du Québec, il nous est absolument impossible, en date d'aujourd'hui, de songer à faire toutes ces choses. Voilà pourquoi j'ai moi-même demandé si souvent au gouvernement auquel j'appartiens des budgets supplémentaires qui me permettraient de doter le ministère d'outils supplémentaires nécessaires pour arriver aux fins auxquelles a fait allusion le député de Beauce-Sud.

Il n'y a pas que l'apport financier du gouvernement qui est nécessaire. Il y a l'apport de la mentalité de la population, chez laquelle il y a place à changement pour nous aider dans notre travail d'encourager les immigrants à venir chez nous, les immigrants du genre de ceux dont nous avons besoin.

M. ROY: Je remercie le ministre des remarques qu'il nous a faites. C'est là, je pense bien, qu'on comprend que les observations de l'Opposition étaient quand même à point. On se rend compte que le problème demeure et que cette année encore, je dis que nous perdrons presque encore une autre année à attendre que le gouvernement puisse être conscient de ses responsabilités et qu'il accorde à ce ministère toute l'attention qu'il devrait y accorder.

Dans sa courte réplique, le ministre a parlé passablement de l'agriculture comme telle. Je tiens à dire, de façon à éviter toute interprétation, que je me suis servi de cet exemple parmi tant d'autres. J'aurais pu prendre d'autres exemples, mais en aucune façon, je ne veux prêcher un retour à la terre comme il s'est déjà fait dans l'ancien gouvernement. Je tiens à être bien précis et bien clair là-dessus.

J'ai voulu signaler que plusieurs personnes, présentement, sont forcées de quitter les régions rurales à cause des politiques gouvernementales de notre gouvernement québécois. Il y a plusieurs personnes qui, aujourd'hui, à cause de toutes les exigences, de toutes les contingences qu'on retrouve dans ce secteur, ont été obligées de diminuer ou d'abandonner complètement cette production, ce secteur d'activité économique. De ce fait, parce que n'ayant pas eu la chance de fréquenter nos institutions d'enseignement, comme ce fût le cas pour la très grande majorité de nos Québécois au cours des années vingt, des années trente et même des années trente-cinq et quarante à cause de la crise économique, des personnes se retrouvent dans une situation telle qu'elles n'ont pas d'autre choix que d'aller vivre là où elles peuvent travailler et gagner leur vie. Il y a moins de restriction, il y a plus d'avantages aux Etats-Unis qu'il n'y en a, malheureusement, dans le Québec.

C'était surtout cela que je voulais signaler à l'attention du ministre.

Il y a également le problème des jeunes et le ministre en a parlé aussi. Il y a beaucoup de jeunes personnes du milieu rural, même des milieux urbains du Québec qui seraient intéressées à aller s'établir dans les régions rurales et, à cause des politiques gouvernementales, il n'y a pas de place pour elles. Elles ne peuvent pas répondre aux conditions ou aux exigences. Ce sont encore des faits qui démontrent présentement et qui accentuent le phénomène de la fuite des Québécois vers d'autres provinces ou encore outre-frontières, vers les Etats-Unis.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Est-ce qu'il y a d'autres commentaires? Le député de Maisonneuve.

M. BURNS: C'est une chose qui m'est venue à l'idée quand j'ai entendu parler le ministre de xénophobie tantôt...

M. BIENVENUE: ... de "xénotimie"...

M. BURNS: ... de "xénotimie". Je sais que le ministre est fort sur les néologismes.

M. BIENVENUE: Qui est de la crainte au lieu de la haine.

M. BURNS: ... francophonie. Etymologiquement, je ne sais pas si cela existe.

M. BIENVENUE: Non, je ne pense pas que cela existe.

M. BURNS: J'ai bien compris ce que le ministre disait, sauf que cela me faisait penser à l'une de ses 22 recommandations que je trouve xénophobe, à certains égards. Je le signale juste en passant. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles le ministre n'était pas très heureux de voir son document devenir public. La recommandation 10 se lit comme suit: "Que des mécanismes permanents de consultation soient établis avec le gouvernement des provinces intéressées dans le but de faire engager des procédures d'expulsion et de déportation des étrangers entrés illégalement sur leur territoire — jusque-là, cela va très bien, mais c'est la suite qui m'a fait dresser les cheveux — ou des immigrants reçus qui sont devenus une charge pour les services du bien-être social de la province, avant d'y avoir acquis une résidence permanente."

Ce que cette recommandation semble vouloir dire, c'est qu'un immigrant, à partir du moment où il devient une charge pour l'Etat, n'est plus considéré comme un immigrant intéressant. Je veux dire qu'il peut arriver un tas de phénomènes qui font que, soit par l'entremise d'un accident de travail, soit par l'entremise d'une maladie industrielle ou autre, ou d'un accident qui n'a rien à faire avec le travail, un immigrant devienne une charge pour l'Etat. Je ne sais pas, mais si c'était l'intention du ministère d'en faire une espèce de xénophobie de style un peu particulier, ce sont des risques qu'on prend quand on invite des gens à immigrer. Ce n'est pas parce que quelqu'un, un immigrant, une fois entré est devenu incapable de se suffire à lui-même, pour une période de temps X, qu'il devient persona non grata à l'intérieur du Québec. Du moins, en tout cas, cela ne m'entre pas dans la tête. Cela est peut-être une forme de xénophobie. Je ne sais pas si le ministre veut commenter cette affirmation.

M. BIENVENUE: Avec plaisir. C'est une excellente question de la part du député de Maisonneuve qui me permettra tout d'abord, avant d'aller au fond de sa question, de montrer une des raisons pour lesquelles j'ai dit que cette publication — on va voir que je parle avec beaucoup de franchise, du moins je le pense — était mauvaise, désastreuse et nuisait au Québec et à celui qui vous parle. Cette journaliste du Soleil, je n'ajoute aucune épithète, c'est plus prudent, dans un article subséquent a qualifié cet article, cette question que vient de soulever le député de Maisonneuve.

Elle y voyait — je n'ai pas le texte, mais on pourrait le retrouver — précisément de la xénophobie. Elle faisait des commentaires qu'elle n'aurait pas faits si elle n'avait pas eu le texte. Il est évident que l'on parle dans cette recommandation d'immigrants légaux, d'accord, mais aussi illégaux et au moment où le Québec — j'attire l'attention du député de Maisonneuve — par cette recommandation veut être consulté, veut pouvoir entrer dans le jeu de la consultation avec le gouvernement fédéral.

C'est justement parce que jusqu'à ce jour il n'est pas consulté. S'il veut être consulté, qu'il s'agisse d'expulsion, de déportation à des niveaux qui ont trait à la justice, aux mesures sociales qui, dans bien des cas, sont de la juridiction provinciale, ce n'est pas par xénophobie, ce n'est pas pour faciliter, provoquer, accentuer les déportations ou les expulsions, mais pour avoir son mot à dire, et très éventuellement pour freiner l'expulsion ou une telle déportation. C'est une exemple criant.

Encore une fois, j'aime mieux m'abstenir d'épithètes pour parler de cette journaliste, de sa connaissance des problèmes ou de son interprétation des problèmes. C'est un exemple criant où, manifestement — il y en a eu d'autres parce qu'il y a eu d'autres articles, et je sais qu'il y en aura d'autres, apparemment, c'est un par semaine — où elle est passée complètement à côté de la coche. Nous voulons au contraire intervenir parce que c'est de juridiction provinciale d'une part dans bien des cas et parce que je suis convaincu qu'il y a des cas ou qu'il y aura des cas où le Québec peut faire valoir une opinion contraire, expliquer certaines choses, et favoriser le maintien, le séjour au pays.

M. BURNS: Je comprends l'intérêt du ministère québécois sur des choses qui sont de sa juridiction exclusive comme, par exemple, le bien-être social. Cependant, cela ne m'enlève pas ma question du début. Est-ce que la recommandation 10 n'est pas une expression de l'opinion du ministère que des gens, des immigrants qui n'ont pas encore acquis le statut de citoyen, dès qu'ils deviennent une charge pour l'Etat, doivent être expulsés. Ce n'est pas comme cela qu'on doit lire la recommandation 10?

M. BIENVENUE: Non. Je la relis.

M. BURNS: C'est ça que je voudrais que le ministre spécifie.

M. BIENVENUE: Je la relis doucement. Il semble que je n'ai pas été assez clair. J'ai le texte lui-même de ce passage du mémoire. Je vais faire plaisir au député de Maisonneuve, je vais lui donner partiellement l'objet de sa demande, relativement à la publication, je vais y aller pour un cas. Cette journaliste du Soleil n'a publié que des conclusions, à la fin. Si elle avait mieux lu, si elle avait eu le temps de mieux lire, si elle avait voulu tout lire, elle aurait lu ce que je dis au député de Maisonneuve en exclusivité.

M. BURNS: On va peut-être l'obtenir bribe par bribe, ce mémoire?

M. BIENVENUE: Si le député de Maisonneuve ne l'a pas déjà, je ne suis pas sûr, il est astucieux. Je connais son talent en certaines

matières. Je lis: "La question de l'expulsion et de la déportation des immigrants, légaux ou illégaux, nous paraît aussi être une matière susceptible de se prêter à des consultations plus étroites entre les autorités fédérales responsables de l'admission." responsables et uniquement responsables, je l'ajoute, à ce jour, "et de l'expulsion au Canada et les autorités provinciales qui sont responsables de l'administration de la justice et aussi de la plupart des mesures à caractère social visant ces personnes." Voilà le jus même, l'essence même du mémoire là-dessus. Je ne me porte pas responsable de la publication qu'en a fait le journal Le Soleil, ni de l'interprétation qu'en a faite la journaliste, mais on voit bien que c'est un exemple criant, je me répète, du tort que cela a pu faire que cette publication.

Je concluais, j'en donne un autre paragraphe au député de Maisonneuve: "C'est pourquoi nous croyons que les répercussions des politiques fédérales sur l'immigration, dans tout le secteur de la santé et du bien-être social, devraient être envisagées conjointement avec les autorités provinciales." Donc, le fédéral, je me résume, avait déjà, seul et exclusivement, le droit de déporter et d'expulser, par conséquent, il n'est pas question, pour le Québec, d'empirer cette situation, il est, au contraire et c'est évident, question pour le Québec d'avoir son mot à dire, pas pour expulser ce qui devait déjà s'expulser, mais c'est l'évidence même qui en découle, pour tenter d'intervenir peut-être dans certains cas et empêcher cette expulsion ou cette déportation.

M. BURNS: Pendant qu'on est sur le sujet de cette journaliste, qui, à mon avis, soit dit en passant, n'a fait que son métier, vu de son point de vue à elle, je n'ai pas à blâmer...

M. BIENVENUE: Tout à l'heure, j'ai dit que je respectais la liberté de presse, mais j'ai quand même dit...

M. BURNS: Pour vous, cela vous a causé des embêtements.

M. BIENVENUE: Beaucoup.

M. BURNS: II y a bien des articles qui causent des embêtements à des hommes politiques, c'est sûr.

M. BIENVENUE: Embêtements. Je ne pense pas. A moi, si on me permet, en tant qu'homme politique qui passe, mais le Québec demeure, ses politiques demeurent. Cela a peu de conséquence, ma petite personne, dans tout cela, mais je pense aux dossiers que mes hauts fonctionnaires et moi tâchons, avec toute la sincérité dont nous sommes capables, de faire passer à Ottawa, et c'est cela qui fait mal, ce n'est pas ma personne.

M. BURNS: Quoi qu'il en soit, M. le ministre, je revenais à cette dame France Dufaux uniquement pour son deuxième article, celui du mercredi 8 mai où elle commentait le premier article du 29 avril. Le 29, elle ne faisait que publier les 22 recommandations, alors que le 8 mai, elle faisait un commentaire et, dans un des paragraphes de son article, on peut lire ceci: On ne peut prédire quelle sera l'attitude d'Ottawa face à une telle recommandation — c'est la recommandation 10, dont on parle — mais d'après notre confrère de Dimanche-Matin, édition du 28 avril dernier, le ministre Bienvenue aurait déjà essuyé une rebuffade d'Ottawa, le gouvernement fédéral ayant jugé les demandes du ministre québécois excessives. Est-ce que c'est exact?

M. BIENVENUE: Excellente question encore, qui va me permettre de montrer une fois de plus ce que j'entendais par tort causé par cette dame journaliste. Il arrive que mon collègue, le ministre fédéral de la Main-d'Oeuvre et de l'Immigration, a eu, lui aussi, l'étude de ses crédits, il y a quelques semaines; c'était de bonne guerre, c'est de la politique. Des membres de l'Opposition conservatrice d'autres provinces, évidemment et surtout, lui ont posé des questions à partir de ce mémoire dont je n'avais pas souhaité la parution et il est ministre, lui, de la partie fédérale. Lui qui avait convenu avec moi de la discrétion de ce mémoire, dans l'espoir qu'on arrive à nos fins, il a dû, séance tenante, sans consultation, à l'improviste, de la même façon que cela se déroule ici, et c'est du jeu de la politique qui a été inventé bien avant nous, prendre certaines attitudes, laisser planer certains doutes, bien démontrer qu'il n'y avait rien de signé, qu'il n'y avait aucun accord conclu, que ce mémoire faisait l'objet d'étude. Evidemment, là aussi, ce n'est pas M. Andras qui a dit au journal Dimanche-Matin: Rebuffade à Québec. C'est le titreur de Dimanche-Matin qui a dit : Rebuffade de la position du Québec.

J'ai vu, depuis, mon homologue fédéral, il y a à peine quelques jours. Je suis en mesure de dire aux membres de cette commission qu'il n'est pas question de rebuffade d'Ottawa au Québec, qu'il n'est pas question que les demandes soient rejetées, qu'elles soient excessives, ni l'inverse.

Je veux toujours garder dans l'intérêt public le caractère discret de ces négociations, mais cette publication non autorisée, bien prématurée, sans commentaire, sans le texte qui l'explique pendant de combien nombreuses pages, sans tout le contexte, a eu, parmi tant d'autres effets, celui auquel fait allusion le député de Maisonneuve, qui a placé M. Andras dans la position délicate, ignorant d'où venait la fuite, ignorant qui en était l'auteur, de répondre aux députés de l'Opposition qui le questionnaient, d'une façon telle, qu'il n'était pas question qu'il annonce publiquement un accord signé, accord

complété sur tous les points ou sur certains points.

M. BURNS: Les propos mêmes du ministre, quand il dit "publication partielle qui a causé ce problème", m'incitent pratiquement à lui dire qu'il devrait publier son fameux mémoire pour que les gens puissent faire toutes les distinctions nécessaires, pour que les gens puissent savoir sur quoi s'appuient ces 22 recommandations, pour que les gens puissent véritablement diluer, dans le contexte, les 22 recommandations. Je ne le sais pas, mais il me semble que, logiquement, c'est la question que je dois me poser.

M. BIENVENUE: Par l'appétit du député de Maisonneuve, je continue de croire, à tort ou à raison, on est toujours jugé à ses actes, en politique, que ce ne serait pas dans l'intérêt public, ni dans ce à quoi j'aspire.

M. BURNS : Pendant qu'on est encore sur ce point, encore un dernier. Est-ce à dire que vu, semble-t-il, que M. Andras a été forcé dans le fond par des députés conservateurs à se prononcer prématurément là-dessus, si le 8 avril prochain on se retrouvait devant un gouvernement conservateur...

M. BIENVENUE: Le 8 juillet...

M. BURNS: ... oui, le 8 juillet, le ministre a des craintes que ses recommandations ne soient pas...

M. BIENVENUE: Autre excellente question. Non pas des craintes que les recommandations n'aient pas de suite, soient refusées, mais des craintes manifestes et basées sur la réalité d'un retard considérable. Je vais plus loin, je sors du contexte purement politique, pas seulement si le Parti conservateur devait...

M. BURNS: A l'oreille, peut-être souffrez-vous de "conservateurtimie".

M. BIENVENUE: Pas seulement des craintes si le Parti conservateur devait prendre le pouvoir. Mais même cela, on doit l'envisager. Si, le gouvernement actuel étant maintenu, devait survenir ce qui arrive très souvent, un remaniement, si un autre membre de l'équipe libéral que celui qu'on vient de nommer devenait titulaire de ce ministère, il pourrait arriver que je subisse là aussi un retard. Tout retard ne fait pas mon affaire. J'aurais mieux aimé qu'il n'y ait pas d'élections fédérales quant à moi.

M. BURNS: Vous auriez dû en parler à M. Lewis.

Je reviens à ce qu'on discutait avant que le député de Beauce-Sud vienne faire son intervention. Je me réfère d'abord à l'étude des crédits de l'année dernière, où celui qui était alors député de Saint-Maurice, le jovial Philippe

Demers, posait la question suivante au ministre et je cite sa question au journal des Débats: "Dans un récent congrès politique" — il se référait au congrès de la Fédération libérale du Québec — "il y a eu une résolution d'adoptée qui obligerait les enfants des immigrants des pays non anglophones à fréquenter les écoles françaises. Quelle est la position du ministre? " Je trouve cela à la page B-1523, du 15 mai 1973. A la même page, le ministre a répondu ceci: "J'ai dit à un journaliste qui m'interviewait que j'étais contre cette résolution. J'ai dit que j'étais contre, que je maintenais le système de l'incitation et non de la coercition. Ma position était claire et nette. Je me suis prononcé contre cette résolution adoptée par une assemblée du Parti auquel j'appartenais".

Evidemment, le ministre s'attend à ma question. Est-ce qu'il a toujours la même position claire et nette à ce sujet cette année?

M. BIENVENUE: II est exact que j'avais dit cela, et que c'était ma position. Je pense bien qu'il est important de se relire au complet. Je cite: "Ma position est la même que celle que j'ai indiquée à la sortie même de cette séance d'un parti politique, celui auquel j'appartiens, où a été adoptée cette résolution". J'ai dit à un journaliste qui m'interviewait que j'étais contre cette résolution, étant parfaitement logique avec ce que j'avais dit quatre jours auparavant à une réunion d'hommes d'affaires Canado-italiens. J'ai dit que j'étais contre, que je maintenais le système d'incitation et non de la coercition. Je parlais en mon nom personnel et au nom de personne d'autre. Je n'ai pas encore changé d'avis, sans présumer de ce que sera l'attitude du gouvernement auquel j'appartiens sur la question linguistique globale au Québec. Le premier ministre du Québec a dit dernièrement à quelques reprises que, dans les semaines qui viendraient, le gouvernement du Québec ferait connaître sa politique globale linguistique s'appliquant à tout le Québec, pas seulement aux immigrants, et dans le cas de ceux-ci, pas seulement aux Anglo-Saxons, aux non-Anglo-Saxons ou anglophones ou francophones. Ma position était claire et nette. Je me suis prononcé contre cette résolution adoptée par une assemblée du parti auquel j'appartiens.

J'avais fait allusion à ce moment à un mouvement de Canado-Italiens auquel je m'étais adressé quatre jours plus tôt. Il est important de remonter à la source qui est cette conférence que j'avais prononcée devant des Canado-Italiens quatre jours plus tôt. Je n'ai pas le texte, mais je me rappelle fort bien avoir dit à peu près ce qui suit: De grâce, messieurs, venez renverser la vapeur et venez au secteur scolaire francophone de la même façon que j'enverrais mes enfants à Rome au système scolaire italien ou dans d'autres pays et faites-le avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'un jour, si l'incitation n'est pas suffisante, on propose ou on adopte un projet de loi qui vous y forcerait. J'avais

prononcé ces paroles exactement. Cela avait même provoqué certaines inquiétudes.

Evidemment, pour aller plus loin, il faudrait, qu'on le veuille ou non, forcément entrer dans le coeur même du sujet qui fait l'objet du projet de loi 22 qui est dorénavant en discussion devant la Chambre. En d'autres termes, je ne voudrais pas que mon collègue de Maisonneuve pense que je veuille profiter d'une échappatoire qui est le règlement, mais cela serait, qu'on le veuille ou non, aller plus loin, maintenant qu'on me repose la question.

M. BURNS : Le ministre se réfère sans doute à l'article 99...

M. BIENVENUE: Oui.

M. BURNS: ... de notre règlement, mais est-ce qu'il a lu les articles 127 et suivants aussi?

M. BIENVENUE: Non, mais je peux les lire avec plaisir.

M. BURNS: Cela vaudrait la peine. Et ma théorie là-dessus — si je peux me payer le luxe de vous l'émettre — est que nous sommes à l'étude des crédits du ministère de l'Immigration. Ces crédits n'existent pas de façon indépendante. Ils viennent du discours du budget et l'article 127 nous dit qu'à l'occasion de la discussion du budget, donc de l'accessoire aussi, l'accessoire étant les séances de la commission parlementaire, l'article 99, paragraphe 2, ne s'applique pas, c'est-à-dire qu'on peut même parler de sujets qui sont devant la Chambre et même de choses qui sont référées à une commission parlementaire comme c'est le cas actuellement.

C'est pour cela que j'invite gentiment le ministre à mettre de côté ses scrupules, puisque le règlement l'a déjà fait. Je peux parler à mon ami le leader adjoint du gouvernement.

M. BIENVENUE: Encore une fois, ce n'est pas pour m'y réfugier —je ne suis pas d'accord sur l'interprétation qu'en donne le député de Maisonneuve et je relis: "A l'occasion de ce débat, un député ne peut prononcer qu'un seul discours dans lequel tous les sujets peuvent être abordés, nonobstant le paragraphe 2 de l'article 99". Evidemment, on sait la philosophie de cet article. C'est que le débat sur le discours inaugural, comme d'ailleurs celui sur le budget, est ouvert, à toutes fins pratiques, à tous les sujets. C'est vaste, c'est sans limite, mais s'il fallait qu'à cause de l'une quelconque des motions, ou dans l'un quelconque des projets de loi, on ne puisse pas parler d'un sujet, il est une foule de sujets dont on ne pourrait évidemment pas traiter. Le seul point où je diffère d'opinion avec le député de Maisonneuve, c'est quand il parle du prolongement, de l'extension qu'il donne à cette règle dans le cas de la commission ici. Je pense qu'on a voulu, de façon spécifique, parler de ce débat où on dit qu'un député ne peut prononcer qu'un seul discours. C'est tellement manifeste qu'on a voulu limiter cela à ce débat et à un seul discours que si je prenais le même principe, je pourrais dire qu'ici un député ne pourrait faire qu'un seul discours. Si on prenait ce prolongement-ci tel quel, la même règle vaudrait. M. le Président, on sait que pour que...

M. BURNS: Ma thèse se fonde sur le fait que l'étude des prévisions budgétaires n'existe pas de façon autonome. Cela provient de discours du budget. Je n'ai jamais vu un gouvernement ne pas faire de discours du budget et étudier ses crédits.

M. BIENVENUE: Ou à l'inverse.

M. BURNS: Quoi qu'il en soit, je ne veux pas forcer... Je vois qu'on approche de 12 h 30, qui est l'heure de l'ajournement. Je ne veux pas forcer un débat de procédure là-dessus. Je ferais la suggestion suivante, parce qu'il semble bien qu'on ne pourra pas terminer l'étude des prévisions budgétaires du ministère de l'Immigration dès ce midi.

J'en ai connaissance comme leader de l'Opposition. Dans le cas où la décision du président d'une commission peut avoir une conséquence sur d'autres affaires, peut-être que je suggérerais au président de chercher à savoir l'opinion du président de l'Assemblée nationale là-dessus. Je me plierai à la décision que le président de la commission nous rapportera après qu'il aura consulté le président de l'Assemblée nationale. Mais j'y tiens énormément parce que si durant l'étude des crédits de quelque ministère que ce soit on n'est pas capable d'interroger le ministre responsable, le titulaire d'un ministère à cause du fait qu'il y a des projets de loi devant la Chambre, cela restreint drôlement la possibilité des membres de l'Opposition de voir la conception particulière du ministre relativement aux politiques qui regardent son ministère. Je pense que c'est autant dans l'intérêt des ministres en cause que dans l'intérêt des membres de l'Opposition que du public en général qu'on puisse, nonobstant la présence devant la Chambre de cette pièce de législation que je ne qualifierai pas...

M. BIENVENUE: Vous faites comme moi pour la journaliste.

M. BURNS: C'est ce que j'allais dire. Je vais utiliser la même règle que le ministre a utilisée pour Mme France Dufaux, Mais je pense quand même que cela pourrait avoir des conséquences assez importantes qu'on soit empêché lors de l'étude de crédits, de prévisions budgétaires, de discuter de choses qui sont de la même nature que ce que contient un projet de loi devant la Chambre. On n'a qu'à regarder le feuilleton

actuellement, il y en a un certain nombre d'inscrits et je pense que, si on avait suivi cette règle à l'Agriculture, aux Terres et Forêts et, entre autres à l'Education où il y a un projet relatif au Haut-Commissariat à la Jeunesse, aux Loisirs et aux Sports, on n'aurait pas pu questionner à fond le ministre responsable à ce sujet, parce qu'il y a un avis et je pense même que le projet de loi devrait être déposé aujourd'hui ou demain, concernant la formation d'une commission athlétique alors que le député de Lafontaine, à ma connaissance, a questionné en long et en large le ministre à ce sujet-là.

M. BIENVENUE: Sujet à la décision du président à laquelle je me soumettrai aussi, je peux au moins rassurer le député de Maisonneuve et lui dire que lors de ce débat auquel on fait allusion, débat futur sur le bill 22, je prendrai mes responsabilités et je prendrai le temps qui m'est alloué pour donner pleinement ma pensée sur toutes ces choses.

M. BURNS: Si jamais le président permettait cette discussion, le ministre prévoit le genre de questions que je vais lui poser. Alors, il pourra peut-être jeter un coup d'oeil en survol sur le projet de loi 22. Je ne sais pas si on devra siéger cet après-midi. Est-ce que c'est...

LE PRESIDENT (M. Cornellier): II semblerait que non.

M. BURNS: II n'y a qu'une seule commission qui doit siéger à ce moment-là.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): C'est ça.

M. BURNS: J.e voudrais savoir si c'est la nôtre ou si c'en sera une autre?

LE PRESIDENT (M. Cornellier): II semblerait que c'en serait une autre.

M. BIENVENUE: II faudrait s'entendre sur la nouvelle date, à ce moment-là, en rappelant aux membres de la commission que...

M. BURNS: Je suis prêt à reprendre l'étude de vos crédits dès demain matin si ça fait votre affaire, si ça fait l'affaire de vos principaux collaborateurs, si c'est dans les projets du leader du gouvernement.

M. BIENVENUE: On se le dira à la Chambre.

M. BURNS: D'accord.

LE PRESIDENT (M. Cornellier): Pour cette raison, je crois que la commission devrait ajourner ses travaux sine die.

M. BURNS: D'accord, M. le Président.

(Fin de la séance à 12 h 28)

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