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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le jeudi 10 novembre 1977 - Vol. 19 N° 234

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 45 — Loi modifiant le Code du travail et la Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre


Journal des débats

 

Etude du projet de loi no 45 Loi modifiant le Code du travail

et la Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre

(Dix heures trente-six minutes)

Le Président (M. Clair): A l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de l'immigration est réunie pour procéder à l'examen article par article du projet de loi no 45 intitulé Loi modifiant le Code du travail et la Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre, et également pour entendre, conformément à une entente intervenue en vertu de l'article 154 de notre règlement, les membres du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre.

Les membres de la commission sont M. Bellemare (Johnson), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Brochu (Richmond), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Couture (Saint-Henri), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Forget (Saint-Laurent), M. Gosselin (Sherbrooke), M. Johnson (D'Anjou), M. Jolivet (Laviolette); M. Perron (Duplessis) en remplacement de M. Lacoste (Sainte-Anne); M. Laplante (Bourassa), M. Lavigne (Beauharnois); M. Mackasey (Notre-Dame-de-Grâce); M. Mercier (Berthier) en remplacement de M. Marois (Laporte); M. Pagé (Portneuf) et M. Roy (Beauce-Sud).

Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre (suite)

Conformément à l'entente, nous avons entendu, mardi dernier, les représentants patronaux du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Nous entendrons aujourd'hui les représentants syndicaux du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre.

Je rappelle à nos invités que l'entente, en gros, au niveau de la commission est de prendre une heure trente pour la présentation des mémoires, et le reste du temps qui pourrait être disponible, soit jusqu'à 13 heures aujourd'hui, ou soit de 16 h 30 jusqu'à 18 heures pourrait être consacré à une période de questions.

La répartition du temps entre nos invités, ce matin, est laissée à la discrétion des invités. Maintenant, à titre indicatif, je suis informé qu'il y aurait une entente pour que la CSN et la CEQ, par leurs représentants, prennent environ 45 minutes pour la présentation de leur mémoire et que la FTQ prenne environ 30 minutes si...

M. Laberge (Louis): Environ 46 minutes.

Le Président (M. Clair): Environ 46. C'est à titre indicatif seulement. L'important à retenir c'est qu'il ne faudrait pas dépasser, si on veut avoir une période d'échanges avec les membres de la commission et nos invités, il ne faudrait pas dé- passer une heure trente pour la présentation des mémoires.

Sans plus tarder, je donne la parole au ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre. M. le ministre.

Remarques préliminaires

M. Johnson: Brièvement, M. le Président, j'aimerais d'abord souhaiter la bienvenue aux représentants de la partie syndicale siégeant au CCTMO et qui, comme dans le cas du patronat, ont élargi leur délégation aux représentants d'une centrale syndicale qui ne siège plus au CCTMO, c'est-à-dire la Centrale des enseignants du Québec.

Il s'agit là de l'arrangement dont avaient convenu les parties lors d'une réunion du CCTMO, à laquelle j'avais assisté, et j'attends avec plaisir la lecture des mémoires le plus rapidement possible.

Bienvenue, messieurs!

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Je n'ai rien à ajouter aux remarques du ministre. Je souhaite également la bienvenue aux groupes qui sont devant nous, on les écoutera avec beaucoup d'intérêt. Je ne voudrais pas empiéter sur leur temps plus que la panne d'électricité ne l'a déjà fait. Je passe la parole, quant à moi.

Le Président (M. Clair): M. le député de Johnson.

M. Bellemare: Je suis très heureux d'avoir l'occasion de redire bonjour à nombre de gens que j'ai eu le plaisir de connaître et avec lesquels je ne me suis pas toujours entendu. Une chose est certaine, on a fait des progrès énormes. Si on a aujourd'hui des tribunaux du travail, si on a des commissaires-enquêteurs et si on a plusieurs autres services, c'est grâce aux démarches très fructueuses qu'ont faites les syndicats. Sur ce, je me joins au ministre et au représentant de l'Opposition officielle pour dire que je suis très heureux, ce matin, d'entendre les mémoires. J'aurai peut-être quelques questions indiscrètes à poser tout à l'heure, qui ressemblent un peu à celles de la commission Cliche, mais cela sera fait dans un sentiment de progrès et de recherche de quelque chose de mieux.

Le Président (M. Clair): M. le député de Beauce-Sud.

M. Roy: A mon tour, je veux souhaiter la bienvenue à nos invités ce matin et je suis aussi heureux qu'on ait permis aux intéressés de se faire entendre devant la commission parlementaire. Je terminerai là mes propos parce que je ne veux pas empiéter sur le temps alloué à nos invités, pas

plus que sur la période de questions tout à l'heure, car j'aurai également des questions à poser, et peut-être des questions indiscrètes moi aussi.

Le Président (M. Clair): Sans plus tarder, j'inviterais M. Norbert Rodrigue, si c'est possible, à nous présenter tous les gens qui l'accompagnent à la table et à procéder ensuite à la présentation de leur mémoire. M. Rodrigue.

Représentants syndicaux Confédération des syndicats nationaux

M. Rodrigue (Norbert): Merci, M. le Président. M. le ministre, MM. les députés, chers collègues, je voudrais effectivement vous présenter ceux qui m'accompagnent: Marcel Pepin, à ma gauche, Yvon Charbonneau, de la CEQ, avec qui je partagerai effectivement le temps qui nous est alloué, à la CSN. Comme vous l'avez déjà constaté, nous avons un mémoire commun. M'accompagnent aussi des camarades de l'exécutif de la CSN, qui sont à l'arrière, des militants ainsi que certains qu'Yvon pourra présenter quant à la CEQ plus tard. Je voudrais commencer tout de suite parce que le temps qui nous est alloué est restreint.

Cependant, je ferais un premier commentaire pour souligner à la présente commission que ce qui va suivre ou le mémoire dont vous allez prendre connaissance tient compte d'un fait incontestable quant à nous, qui veut que les employeurs aient tous les droits et que les droits que nous avons acquis comme travailleurs organisés, nous les ayons arrachés les uns après les autres dans le temps.

Or, selon que l'on considère qu'actuellement il existe des règles justes et équitables qui régissent les rapports entre les employeurs et les travailleurs et selon que l'on admet que, dans le domaine propre de notre droit du travail, les travailleurs sont constamment en demande ou sur des positions défensives, et qu'un employeur finalement a tous les pouvoirs, l'on pourra différer grandement dans l'interprétation à faire des amendements gouvernementaux au sujet du Code du travail et dans les recommandations proposées pour améliorer la législation du travail. Il vaut donc la peine, je pense, d'examiner brièvement cette notion tant galvaudée de l'équilibre des parties en relations de travail.

Lorsque le Conseil du patronat soutient que le présent projet de loi provoque ce qu'il appelle une "rupture de l'équilibre" existant entre les forces du travail et les forces de l'argent, il faut voir de quel équilibre le Conseil du patronat veut parler, car on présume, selon ce qu'il affirme depuis que le gouvernement parle de présenter ou d'adopter ce projet de loi, que cette rupture se ferait en faveur des syndicats.

Or qu'en est-il de cet équilibre, si on y regarde de près? Cet équilibre signifie-t-il le fait de supporter l'inflation, comme c'est le cas depuis deux ans que les mesures de contrôle des salaires sont en vigueur? Cet équilibre signifie-t-il que les travailleurs seuls devraient continuer de faire les frais des fermetures d'usine ou des transferts de production, se retrouvant soudain sur le pavé, sans espoir de reclassement après des années passées à l'emploi d'une compagnie? Cet équilibre signifie-t-il que les travailleurs québécois devraient continuer à souffrir des bas salaires, d'un chômage toujours plus élevé qu'ailleurs au Canada? Cet équilibre signifie-t-il encore le droit pour les entreprises d'engager n'importe quel fiers-à-bras ou tueur à gages pour faire régner sur les lignes de piquetage un désordre la plupart du temps impuni? Cet équilibre signifie-t-il aussi le maintien de cette loi de la jungle qui fait en sorte que les travailleurs voient quotidiennement des "scabs" aller remplir leur tâche, utiliser leurs outils, subir une humiliation insoutenable?

Cet équilibre enfin doit-il être maintenu avec le concours des tribunaux, qui acceptent ainsi de se discréditer en se pliant régulièrement aux volontés des employeurs, soumettant ainsi l'ordre public à des intérêts privés, avec le concours du législateur qui, en cours de négociation, vient d'autorité changer les règles préalablement établies?

Serait-ce donc là l'équilibre que le Conseil du patronat estime rompu par les dispositions du projet de loi? Nous croyons plutôt que cette réaction patronale n'est que le signe d'un ressentiment devant la remise en question, encore timide, d'une situation du statu quo qui avait, jusqu'ici, fort bien servi les intérêts de la classe dominante. Nous constatons que ce que tend à réaliser le projet de loi 45, ce n'est pas une transformation en profondeur des rapports sociaux en termes de pouvoirs; ce projet bien limité essaie plutôt de freiner le déséquilibre.

Tous conviennent, en effet, que le système économique actuel et la philosophie qui régit les négociations collectives supposent une égalité à tout le moins apparente entre les parties. Le système actuel présume aussi qu'une convention collective intervient à la suite d'un rapport de forces où, en principe, les règles du jeu sont respectées.

Or, lorsque le droit de grève est devenu illusoire et inopérant en raison de la présence de "scabs", le jeu normal du rapport de forces ne peut se faire, puisqu'une des parties déséquilibre à son avantage ces règles de fonctionnement.

C'est pourquoi nous estimons que le projet de loi 45, en s'inscrivant dans la logique même du système, ne bouleverse pas les valeurs fondamentales du système actuel; il ne fait que tenter de corriger certains aspects d'une situation qu'on avait laissé pourrir trop longtemps.

Pendant que les travailleurs devaient poursuivre cette lutte pour la conquête de leurs droits et la défense de leurs intérêts, la CSN et la CEQ constatent que les patrons n'ont jamais eu à se battre pour conquérir leur liberté d'organisation, d'association ou du commerce. Les patrons ont-ils été emprisonnés pour avoir voulu obtenir une législation favorable et de meilleures conditions d'existence? Depuis 100 ans, leur lobbying auprès de l'Etat ne leur a-t-il pas permis de réussir à déséquilibrer en leur faveur le rapport de forces entre les parties?

Est-il nécessaire de rappeler également les luttes qu'ont eu à mener les femmes pour obtenir un simulacre de droit au travail et à la maternité qui est encore constesté aujourd'hui? Sauf que, avec les temps, les patrons sont devenus plus subtils. On ne leur refuse pas l'accès à certaines fonctions; on préfère entretenir l'image que certaines fonctions leur sont réservées. On n'impose pas de conditions sauvages à la femme qui désire enfanter; on ne l'engage tout simplement pas, etc.

Dans les situations de conflits provenant des relations de travail, qui des patrons ou des travailleurs peut le plus facilement faire protéger sa vie, la vie des siens et ses biens par la police d'Etat?

En cas d'arrêt de travail, peut-on décemment continuer à prétendre que c'est l'entreprise qui perd tout, alors que les travailleurs ont tout à gagner? Quand on sait que les travailleurs sont privés de leur gagne-pain et que les patrons ont tout le loisir, soit de continuer à fonctionner avec des cadres, soit d'engager des "scabs", soit de déménager la production ailleurs, soit tout simplement de continuer à écouler leur production, sinon à faire fructifier autrement leurs profits accumulés sur le dos des travailleurs. De toute façon, la rupture de production ne peut en aucun cas avoir le même poids sur les épaules du travailleur que sur celles du patron.

Le travailleur, pour sa part, ne possède pas dix moyens de spéculer sur sa force de travail. Il est constamment en demande devant le patron qui a tout le loisir de l'engager ou ne pas l'engager, de lui offrir les conditions qu'il veut ou de le laisser chômer encore un temps jusqu'à ce qu'il se plie à ses conditions. Comment alors prétendre que celui qui n'a d'autre choix que de s'engager pour vivre puisse comparer sa force à celui qui a le choix de l'engager ou de ne pas l'engager!

Voyons un peu un autre aspect qui semble cher au patronat, c'est celui des libertés individuelles.

Quand le Conseil du Patronat s'érige en défenseur inconditionnel des libertés individuelles qu'il oppose aux libertés collectives, le sens profond de cette démarche doit être bien saisi.

Le patronat, en effet, tente, de cette façon, de faire croire à tout le monde, en particulier aux travailleurs, qu'ils perdront des avantages si lui, le patronat, perd des privilèges. Le patronat n'ignore pas que les travailleurs privés d'organisations collectives pour prendre la défense de leurs intérêts et de leurs droits sont des proies plus faciles. Isolés, livrés à l'arbitraire, les travailleurs ont découvert peu à peu la force de l'organisation collective et la possibilité de contenir, lorsque regroupés, le poids des différents pouvoirs qui s'exercent quotidiennement sur leurs vies.

Le patronat semble dire: Nous voulons vous libérer des contraintes que fait porter sur vous l'organisation collective. En contrepartie, nous vous offrons le plein exercice de vos droits et libertés individuelles.

Il y a de la perfidie dans ce raisonnement qui porte à faux; comme si les libertés individuelles ne comportaient pas, elles aussi, des contraintes, dont la plus éclatante consiste à soumettre l'homme à l'exploitation, totalement démuni.

Toute vie en société suppose une certaine ordonnance dans l'exercice des libertés. Cela n'a plus à être démontré.

Cette défense des libertés individuelles, le Conseil du Patronat tente de l'articuler autour de quatre éléments: la propriété du grief à l'étape de l'arbitrage, la participation aux votes de grève, la clause autorisant le congédiement d'un travailleur pour une activité antisyndicale, et la jouissance de la propriété privée. Voyons-les très rapidement.

Le grief. Chose plutôt étonnante dans la bouche du patronat, son argumentation présume que tous les griefs sont bien fondés. Il semble aussi ingorer que les griefs sont parfois des litiges portant sur des droits relatifs entre les salariés, c'est-à-dire promotions, mises à pied, atrribution du surtemps, rappel au travail, etc. Le patronat feint aussi de nier que les décisions arbitrales ont une conséquence directe sur le renouvellement des clauses des conventions collectives. Le patronat souhaite-t-il, de cette façon, gagner des griefs mal fondés pour mieux asseoir ses positions à la table de négociation? L'étape suivante, qui pourra apparaître logique pour le patronat, consistera-t-elle à demander des amendements au Code du travail l'autorisant à poursuivre les syndicats à propos de griefs manifestement mal fondés? Finalement, puisque le grief résulte d'une décision patronale unilatérale, comment le patronat peut-il Doursuivre son raisonnement sans faire, du même coup, la démonstration de sa propre turpitude?

Si les griefs individuels sont bien fondés au jugement du patronat, il n'a qu'à réviser ses décisions contestées.

Nous affirmons que la défense d'un grief implique davantage que le soutien des droits d'une personne et que ses conséquences entraînent des répercussions sur l'ensemble du groupe dont fait partie le salarié, quand elles ne débordent pas, par voie de jurisprudence, sur des groupes extérieurs. Nous n'acceptons pas, non plus, que n'importe quel individu puisse remettre en cause, par un grief inapproprié, le contenu d'une entente endossée collectivement. A notre avis, dans l'intérêt de tous, le droit collectif doit primer.

Le travailleur non syndiqué jouissant de toutes les libertés individuelles que rappelle le Conseil du patronat ne bénéficie, enfin, d'aucun instrument pour faire sanctionner et respecter ses droits.

Le vote de grève. Pourquoi, par ailleurs, le Conseil du patronat limite-t-il l'expression de la liberté au seul moment où se prend le vote de grève? Il ne s'inquiète pourtant pas de la vigueur de la vie démocratique lorsque des décisions importantes doivent se prendre là aussi par vote: la formulation des projets de conventions collectives, l'établissement du taux des cotisations syndicales, les décisions relatives à la vie sociale, économique et politique, l'administration des affaires du syndicat, les formes à donner à l'appui aux autres travailleurs en lutte.

La question fondamentale qu'il faut se poser,

à notre avis, est la suivante: Qu'est-ce qui empêche un individu de participer activement à tout ce processus démocratique en devenant membre du syndicat? Certainement pas le syndicat lui-même. C'est donc l'individu seul qui prend cette décision. Ce dernier se place ainsi dans la position de l'immigrant qui se refuse à demander sa citoyenneté, se privant ainsi de son droit de vote, tout en bénéficiant des avantages sociaux et collectifs et en participant à leur financement. Là encore, il s'agit d'une décision qui ne relève que de la seule personne concernée. L'individu pourrait-il blâmer la collectivité de le priver d'un droit de vote auquel il pourrait prétendre en se refusant de satisfaire aux exigences fixées par cette collectivité, soit qu'il fasse les démarches nécessaires à l'obtention de sa citoyenneté?

Enfin, pas plus que les différents paliers de gouvernement, fédéral, provincial, municipal ou scolaire, les syndicats n'ont l'intention de prendre des mesures coercitives visant à réquisitionner les travailleurs pour qu'ils exercent leur droit de vote.

Au-delà du charriage du Conseil du patronat, nous estimons que la participation au vote est l'une des conditions les plus essentielles à une mobilisation efficace des travailleurs. Il est à tout le moins étrange, d'autre part, que le Conseil du patronat ne s'inquiète pas avec la même sollicitude de la façon dont se prennent, dans les conseils d'administration d'entreprises privées ou publiques, des décisions tout aussi importantes pour les travailleurs concernés, comme celle, par exemple, de décréter un lock-out.

Nous croyons que les débats largement ouverts qui caractérisent les assemblées syndicales sont de meilleurs garants de la qualité de la vie démocratique que ne peuvent l'être les tapis feutrés des conseils d'administration.

Voyons les congédiements. Quant à la clause autorisant le congédiement d'un travailleur pour une activité—et on a inscrit syndicale, c'est un lapsus, vous le comprendrez, on est aux prises tous les jours avec des congédiements pour activités syndicales.

Mais il s'agit là d'un congédiement pour une activité anti-syndicale.

Nous croyons que les inepties contenues dans la position du patronat, sont le résultat d'une mauvaise lecture de la loi tout simplement. Car l'amendement, tel que proposé, n'introduit pas dans les conventions collectives, par le biais du Code du travail, de nouvelles dispositions. Il est, au contraire, prohibitif.

Le Conseil du patronat ne pourrait plus continuer dans ses prétentions sans, en même temps, indiquer clairement que son désir caché est l'établissement de syndicats dominés par l'employeur.

Une autre notion: La propriété privée.

Le Conseil du patronat aborde enfin la jouissance de la propriété privée, qui serait brimée en cas de grève. Nous tenons à rappeler que l'utilisation de la propriété privée comme justifiant la poursuite de la production n'est pas une fin légitime, aux termes du Code du travail, puisqu'elle annihile le droit de grève. Cette position patronale constitue un sophisme grossier.

Quant aux grèves dans les services publics, cela relève du problème des services essentiels, question que le gouvernement lui-même a référée à un autre forum.

En conséquence, nous réitérons les revendications que nous avions déjà transmises au gouvernement du Québec, le 28 février dernier, et dont le présent projet de loi ne tient compte qu'en partie. Les présentes recommandations s'inspirent des principes déjà énoncés et ne constituent qu'une étape en vue de temporiser un déséquilibre qui, quand même, se maintiendra.

Les deux centrales notent que certains amendements proposés par le projet de loi 45 proviennent de leur mémoire commun du 28 février 1977.

Nous devons cependant constater que d'autres sujets contenus dans ce mémoire, et portant sur des questions fondamentales, sont ignorés dans le projet de loi.

Par leur nombre, les amendements proposés au Code du travail par le projet de loi 45 peuvent paraître imposants, à première vue. Nous estimons cependant qu'ils ne font que tenir compte de l'évolution des relations de travail depuis plusieurs années.

Depuis plus de dix ans, le patronat a réussi à bloquer les changements au Code du travail que l'évolution de la société québécoise commandait. Le patronat a pu compter, pour préserver ce statu quo, sur des gouvernements complaisants, qui se satisfaisaient d'utiliser leur force brutale quand les problèmes sociaux devenaient exacerbés, en adoptant des lois spéciales; on en a compté, ici même avant-hier, 12 depuis 1967.

M. le Président, je demanderais à mon camarade Yvon Charbonneau de poursuivre maintenant sur le mémoire.

Le Président (M. Clair): M. Charbonneau.

Centrale de l'enseignement du Québec

M. Charbonneau (Yvon): M. le Président, MM. les membres de la commission parlementaire, je voudrais tout d'abord dire à la commission que la Centrale de l'enseignement du Québec remercie la CSN d'avoir accepté de partager le temps qui lui était normalement dévolu pour nous permettre de nous exprimer devant cette commission qui normalement aurait été limitée, semble-t-il, aux seuls membres du CCTM.

Pour ma part, je vais essayer de résumer à partir du texte qui est là la plupart des positions que nous avons déterminées sur les articles du projet de loi 45 lui-même.

En ce qui a trait à l'article 6 qui amende l'article 14 du code, nous voyons dans le projet de loi no 45 une certaine mesure de recours, mais, justement, l'employé qui verrait que cette mesure ne se réalise pas devrait encore entreprendre des procédures et, pendant un certain temps, c'est sur ses épaules que porterait le fardeau de faire exécuter l'ordonnance en question, si jamais cela ne se faisait pas.

Nous demandons très clairemen t— ce que nous demandions, d'ailleurs, dans notre mémoire conjoint du 28 février dernier — qu'aucun congédiement ne puisse devenir effectif avant la déci-

sion du commissaire du travail. Nous croyons que ce serait un appui concret à l'exercice du droit d'association.

En ce qui a trait à l'article 8, qui crée une nouvelle section traitant de ce qu'on appelle le vote secret, nous croyons que les amendements proposés à cet article, tout d'abord, sont contraires aux termes de la Convention internationale du travail no 87 qui a été préparée en 1948 portant sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical; contraires particulièrement en regard des stipulations de l'article 3 de cet instrument international qui se lit comme suit: "Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leur statut et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d'action. Les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal."

La jurisprudence du droit international accepte que les organisations syndicales puissent être soumises au contrôle des cours régulières de justice. Déjà, actuellement, sans l'amendement du projet de loi no 45, nous croyons que toute personne ayant un intérêt puisse s'adresser à une cour de justice pour faire sanctionner les règlements édictés à la constitution de son syndicat. Cela existe déjà.

Une plainte soumise au ministre qui, selon l'esprit du projet de loi no 45, délègue son enquêteur investi des pouvoirs d'un commissaire-enquêteur ne constitue pas un recours judiciaire à proprement parler, car l'enquête n'est pas déclara-toire de droit, mais seulement génératrice de droit tout au plus, d'après notre compréhension du projet de loi. Les pouvoirs, immunités et privilèges accordés à l'enquêteur ne constituent que des moyens d'enquête. Ils exercent donc un pouvoir administratif, dont nous parlions dans le paragraphe 1 cité à partir de la convention no 87. Nous croyons qu'en conséquence cette intrusion est contraire à la convention internationale.

De plus, nous soulignons que, si cet amendement était adopté tel quel, ce serait la première fois au Québec qu'un gouvernement s'aventure à s'ingérer, par le biais d'une loi générale, dans les affaires internes d'un syndicat. Il y a eu des lois spéciales, des mesures ponctuelles, des mesures particulières adoptées par des gouvernements antérieurs, mais ce serait la première fois que, par le biais d'une loi générale, on essaierait d'avoir un droit de regard par divers moyens sour la prise de vote, la prise de décisions des organisations syndicales.

De plus, nous voulons vous rappeler que, quand on se réfère à un instrument international, peut-être que d'une part on peut rejeter rapidement cet argument en disant que c'est au gouvernement fédéral de souscrire ou non aux instruments internationaux dans le cadre actuel. C'est une manière de regarder le problème. Cependant, nous savons aussi que la juridiction qui existe actuellement entre les deux paliers de gouvernement prévoit que l'administration des lois du travail, sauf pour les employés du fédéral, relève de l'Assemblée nationale du Québec, en l'occurrence ici.

Nous croyons qu'il serait normal que le gouvernement du Québec essaie de se conformer à la lettre et à l'esprit des instruments internationaux, celui-là datant d'il y a trente ans; comme on le sait, un instrument international ne constituant qu'une moyenne acceptable à beaucoup de régimes et à beaucoup de pays.

D'autre part, nous voulons souligner quelques effets secondaires des contraintes ajoutées par le projet de loi no 45 qui conduisent à plusieurs interrogations ou à plusieurs aberrations, à notre point de vue. Quand on parle de l'élection des personnes occupant une fonction de direction, il faudrait certainement s'interroger sur l'extension que le législateur entrevoyait donner à la notion de personne de direction. Dans certains syndicats, il y a des personnes qui exercent une fonction de direction importante et qui sont non pas élues mais nommées par des gens qui, eux, sont élus. Est-ce que ces gens seraient soumis ou soustraits de la contrainte?

Deuxièmement, si le gouvernement veut contrôler la prise de décision, veiller ou superviser la prise de décision concernant l'élection des officiers de syndicat qui ont des membres au Québec, comment va-t-il ne pas s'inquiéter de la même manière des dirigeants de syndicat qui ont des membres au Québec mais qui sont élus à l'extérieur du Québec, que ce soit à Ottawa ou aux Etats-Unis? Il y aurait là une double mesure, une mesure qui ne serait applicable qu'aux officiers de syndicats québécois ou élus au Québec.

Nous demandons aussi: Qu'est-ce qu'une fonction de direction? Selon les constitutions de syndicat, la fonction de direction est plus ou moins répartie entre un plus ou moins grand nombre de personnes; dans certains syndicats, c'est un trio nommé par la constitution; dans d'autres, cela peut aller jusqu'à un conseil syndical large regroupant les délégués d'établissements. Nous avons même certains syndicats qui ont reconnu leur assemblée générale souveraine ayant la totalité des pouvoirs. Qu'est-ce que la fonction de direction dans ce cas-là et parmi toute cette diversité?

Nous croyons également que même si l'article 19 ne vise, au texte, que des associations de salariés, étant donné que certaines lois, notamment la loi 95 qui a institué le régime de négociation dans le secteur public, ont nommé certaines centrales syndicales comme représentantes de salariés directement, pour fins de négociation, est-ce que le projet de loi viserait à considérer ou à concerner aussi les directions des organisations centrales en plus des syndicats?

Le deuxième aspect, visé par le vote secret, est le déclenchement de la grève. Nous voulons d'abord vous souligner, parmi ces effets secondaires, que de parler de déclenchement de la grève témoigne d'une très grande ambiguïté ou d'une certaine méconnaissance du fonctionnement effectif des organisations syndicales. Il arrive que les syndicats prennent un vote de grève, c'est-à-dire décident d'aller en grève, s'octroient un délai

ou bien énumèrent un certain nombre de conditions.

A un moment donné ils portent un nouveau jugement d'exercer leur droit de grève, de déclencher la grève effectivement. C'est bien connu, je crois, de part et d'autre, très souvent ce droit s'exerce ainsi en deux temps; à un moment il y a une décision de principe, une décision générale et puis ensuite une décision d'application de la première. Tel que rédigé, le projet de loi nous forcerait ou, en somme, inciterait les syndicats à ne prendre aucun risque et à exercer immédiatement et sans délai le droit à la grève acquis par un vote au scrutin secret.

De plus, je crois que les organisations syndicales évitent autant que possible de recourir à la grève générale illimitée et considèrent ce moyen comme un moyen ultime. A cet effet, avant de recourir à la grève générale illimitée, un bon nombre de syndiqués décident de passer par des étapes intermédiaires qui n'ont pas pour effet d'interrompre le service complètement ou systématiquement; grève du zèle, grève rotative, grève intermittente, grève d'avertissement, etc. A ce moment-là il faudrait toujours recourir au vote secret pour exercer ces moyens de pression. Une telle disposition incite les syndicats à simplifier les affaires jusqu'à un certain point, à les simplifier pour le temps que cela dure et à entrer en grève générale illimitée plutôt que de recourir à des moyens intermédiaires qui peuvent éviter à tous soit une grève, soit l'interruption des services selon le côté où l'on est.

Je crois que ce sont des effets secondaires, peut-être, qui n'ont pas été bien examinés, mais qui peuvent certainement découler de telles dispositions. Il arrive aussi, dans certains cas, dans certaines administrations, dans certaines entreprises où les travailleurs d'une manufacture donnée peuvent être reliés syndicalement à bien d'autres travailleurs, à bien d'autres travailleurs d'usine ailleurs dans le Québec ou ailleurs dans d'autres provinces doivent faire face à une situation où on ne peut pas convoquer une assemblée, où on ne peut pas tenir un vote secret pour tout le monde. Il y a un problème dans cette usine, il y a un problème avec tel employeur, il y a des mesures absolument particulières qui ont été prises. Cela prend une réplique et on n'a pas le temps de prendre un vote secret et de réunir tous ces gens qui peuvent être répartis dans un très grand territoire excédant même le Québec. Ceci, je crois est un droit reconnu aux travailleurs qu'il ne serait plus possible d'exercer avec ces dispositions.

L'acceptation ou le rejet d'un projet de convention collective. Toute l'économie du travail tend essentiellement à la conclusion d'une convention collective de travail et non pas à prolonger indûment les négociations à ce que nous sachions. Le Code du travail et la tradition nord-américaine établissent la représentation à la table de négociations comme moyen privilégié d'y arriver. Tel moyen, d'ailleurs, est sanctionné — à l'article 123 du code. Or les contraintes élaborées en 19a brisent ce processus normal et permettent à un employeur, non seulement de tenter d'enrayer l'action syndicale en déposant le même texte remanié pour en faire fabriquer un autre qu'il appellera, lui, un projet de convention collective nouveau, au sens de 19a, mais encore lui permettent de refuser de poursuivre les négociations jusqu'à ce que son soi-disant nouveau projet de convention ait été soumis au vote secret.

Cet amendement imposerait une restructuration de plusieurs syndicats. A la CSN et à la CEQ, plusieurs syndicats détiennent des accréditations dont la juridiction territoriale s'étend à l'ensemble de la province. C'est le cas, à la CEQ, de la FNEQ, l'association des professionnels en enseignement du Québec, qui regroupe environ 2000 professionnels qui travaillent à l'emploi de peut-être 125 commissions scolaires et qui sont regroupés en 175 accréditations distinctes. On imagine un peu le problème de fonctionnement que poserait l'obligation de recourir à un vote secret sur demande patronale dès que la partie patronale prétendrait qu'il y a là matière nouvelle, alors que cela peut souvent être des remaniements très mineurs ou de forme seulement.

On s'imagine aussi l'espèce de guerre d'usure qui peut s'étaler dans le temps avec de telles manoeuvres. Nous pensons, encore une fois, qu'un effet secondaire des dispositions ici n'a pas été vraiment envisagé mais cet effet aura pour conséquence d'allonger les négociations, d'allonger les périodes d'échange et de faire durer les négociations, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public.

Les négociations dans le secteur public, tout le monde dit qu'elles durent généralement trop longtemps.

Nous voulons aussi souligner que certains syndicats sont formés de plusieurs unités de négociation ou d'accréditation regroupant des catégories distinctes de salariés. Par exemple, un syndicat peut regrouper à la fois du personnel professionnel, du personnel de soutien, des enseignants — dans notre secteur — et les conventions sont distinctes. Les offres patronales évoluent à des rythmes distincts, et on devrait les soumettre au vote général d'un syndicat et au scrutin secret de gens qui ne sont même pas concernés par les offres en question.

Le retour au travail. C'est le quatrième aspect visé par le vote secret. Le retour au travail accompagne généralement l'acceptation des conditions de travail. Cependant, celles-ci— les conditions de travail — ne peuvent pas, dans tous les cas, être entièrement définies. Nous l'avons vu, dans le cas du front commun la dernière fois. Comment pourrait-on définir que les conditions de travail sont bien arrêtées? Il y a bien sûr l'entente de principe qui existe à un certain moment, il y a un vote d'acceptation de principe, mais on souligne que, dans les Affaires sociales, l'entente de principe est survenue le 20 juin 1976 et que l'entente complète n'a été terminée que le 23 août 1976. Dans le secteur de l'enseignement, l'entente de principe est survenue à la fin d'août 1976, mais la signature de l'entente n'a été réalisée que vers le 20 octobre 1976, après qu'il y eut plus d'une centaine d'amendements apportés par les parties au

texte de l'entente de principe. Je crois que ce sont des réalités que tout le monde a admises jusqu'à maintenant, et il faut regarder les effets du projet de loi et l'imposition d'un vote secret à tout bout de champ dans des négociations de ce genre.

Nous croyons en définitive que l'exercice de la démocratie syndicale constitue la seule véritable garantie. Elle est parfois même plus exigeante que les dispositions de l'article 19. La presque totalité des syndicats ont des règles relatives aux élections d'officiers, au déclenchement de la grève, à l'acceptation ou au refus d'un projet de convention collective ou au retour au travail. Plusieurs syndicats et quelques fédérations professionnelles établissent que la grève peut être déclenchée après la tenue d'un vote secret; certains vont jusqu'à exiger un référendum sur les lieux de travail et une majorité de deux tiers. Cela existe déjà dans certains syndicats, sans aucune contrainte législative ou administrative. Les constitutions prévoient déjà que le vote au scrutin secret doit se tenir. Quant aux votes de retour au travail, ils sont souvent liés à des discussions sur le protocole de retour au travail, ce qui rend inapplicable toute réglementation générale. La CSN et la CEQ affirment que le contrôle provient du constat impératif qu'aucun syndicat ne saurait se maintenir sans que ses membres n'aient la conviction intime d'y participer démocratiquement. Les syndiqués adhèrent individuellement à un syndicat et non pas en fonction du capital qu'ils y investissent. Je crois que chacun a un intérêt, dans n'importe quel secteur, à ce que ses objectifs revendicatifs soient pris en considération, sérieusement, par son instance syndicale.

Nous disons en définitive que l'article 19 traitant du vote secret attire beaucoup l'attention, suscite beaucoup de commentaires, peut même se piquer de démocratiser, de vouloir démocratiser le fonctionnement syndical mais, en réalité, il n'a rien à voir avec le contrôle démocratique du travail effectif que nous avons à faire à l'intérieur des syndicats. L'article 19 propose ni plus ni moins l'ingérence des autorités publiques et propose des mécanismes ineptes qui peuvent conduire à des excès de procédure judiciaire. Nous en demandons le retrait.

Nous voulons ajouter que nous trouvons un peu étrange et inexpliqué, pour le moins, que le gouvernement ne se soucie de démocratie qu'en ce qui concerne le processus de prise de décision des organisations syndicales. Est-ce qu'il y a des problèmes seulement de ce côté-là, de l'avis du gouvernement? On ne retrouve rien dans le projet de loi qui manifeste la moindre inquiétude en relation avec le processus de prise de décision du patronat ou des employeurs. Pourtant, on sait que les décisions du patronat ont autant de poids dans une négociation que celles du syndicat. On exigerait ici que tout se fasse au vote secret, que tout puisse être examiné à la loupe par des enquêteurs, donnant recours, éventuellement, à des mesures judiciaires.

On exige de passer tout cela au peigne fin, comme s'il y avait un immense problème et, du côté des décisions patronales, on dirait qu'il n'y a absolument aucun problème. Je vous fais remarquer que, dans certaines organisations patronales, par exemple, la Fédération des commissions scolaires, ce n'est pas le vote secret qui existe. Ce sont les assemblées au complet qui sont secrètes. C'est cela qu'on a vu pendant toute la dernière négociation. Où est la démocratie de ce côté? On Dourrait sans doute dire la même chose des stratèges de l'Association des hôpitaux et de combien d'autres employeurs ou réseaux d'employeurs dans le secteur public. Je crois que, de ce côté, les amendements de l'article 19 viennent peser d'un seul côté. Ils viennent vraiment alourdir ou handicaper jusqu'à un certain point l'exercice, jusqu'à maintenant indiscuté, de la démocratie syndicale. Nous rappelons que ce serait la première fois que, par un projet de loi à portée générale, un gouvernement s'aventurerait à intervenir dans le fonctionnement syndical.

Pour ce qui est de l'article 10, ce dernier...

Le Président (M. Clair): M. Charbonneau, je ne voudrais en aucune façon vous restreindre indûment dans la présentation de votre mémoire, sauf qu'il est actuellement, si j'ai la bonne heure, 11 h 10 bien près. A 11 h 30, je pense bien qu'il serait très sage qu'on commence à entendre M. Laberge, de la FTQ, si on veut accorder à tout le monde l'occasion d'être entendu d'une façon la plus équitable possible. Je vous invite à être le plus bref possible.

M. Charbonneau (Yvon): Mais vous me donnez les vingt minutes?

Le Président (M. Clair): Vingt minutes et pas davantage.

M. Charbonneau (Yvon): Alors, pour ce qui est de l'article 10, vous admettrez que le point précédent était un point majeur de notre mémoire. Il y en a deux ou trois comme cela, plus un certain nombre de remarques plus particulières. Sur le point suivant, nous avons remarqué que l'article 10 étend à chacune des 38 corporations énumérées au code, l'obligation autrefois faite aux seules professions libérales de se constituer en syndicats distincts. Nous croyons que cette disposition aurait pour effet de fractionner et de multiplier les certificats d'accréditation à plusieurs égards dans le secteur public notamment. Par exemple, si on appliquait cette mesure à la Commission scolaire régionale Chauveau où il y a 36 professionnels non enseignants. Si on regarde à quelle corporation professionnelle appartiennent ces professionnels, on pourrait en déduire qu'il y aurait la possibilité d'intervention de huit corporations professionnelles et un morcellement de l'unité d'accréditation existante en neuf ou dix groupes. C'est une conséquence de l'exigence du projet de loi d'aller chercher la majorité pour chaque groupe de professionnels visé. C'est une intrusion inadmissible du corporatisme, des corporations professionnelles dans la relation entre l'employeur et l'employé. Nous croyons que cet article devrait être retiré.

L'article 18, nous y demandons surtout une clarification. Nous voudrions que ce soit clairement exprimé, comme notre texte le suggère, que, pour avoir droit de concourir à un vote, une association de salariés devrait représenter, au moins, un pourcentage de 35% des effectifs visés.

L'article 25 amendant l'article 31. Nous vous rappelons que ce que nous visons — nous l'avons dit en février — c'est de pouvoir obtenir, sur demande, la liste complète des employés qui seraient susceptibles d'être organisés syndicalement parlant. Certaines mesures pourraient certainement être prévues au Code du travail. Ce serait un appui à l'exercice du droit d'association. Beaucoup de gens disent que les syndiqués sont peu nombreux au Québec, seulement un tiers. C'est avec des mesures comme celles-là qu'on pourrait, comme organisation syndicale, aller étendre le syndicalisme dans certains types d'entreprises jusqu'à maintenant non abordées.

L'article 28 relatif à l'article 38. Nous demandons surtout une clarification et je passe là-dessus.

L'article 36 relatif à l'article 47 du Code du travail. Nous avons vu l'amendement qui est proposé, mais nous demandons que le législateur prévoie que les conditions antérieures de travail soient maintenues jusqu'à ce que le patron ou l'employeur ait exercé son droit de lock-out, et non pas seulement acquis.

Nous croyons que ce serait une mesure susceptible d'accélérer les négociations de manière efficace et juste. Nous vous rappelons qu'en relation avec la loi 95 du secteur public, qui prévoyait le prolongement ou le maintien des conditions de travail antérieures pour un an mais qui prévoyait aussi une négociation à plus d'un palier, il se trouve que, dans certains cas, des travailleurs, des syndiqués ont obtenu une entente provinciale mais n'ont pas de conditions de travail parce qu'ils n'ont pas de convention collective résultant de la somme des ententes locales et provinciales. C'est le cas d'un de nos affiliés, actuellement, qui se retrouve sans conditions de travail. Nous posons le problème de ce vide juridique et nous demandons le maintien des conditions de travail antérieures jusqu'au renouvellement de la convention.

L'article 38 relatif à 50. Nous avons bien accueilli la disparition du deuxième alinéa de l'article 50, mais pour expliciter l'effet de la disparition de ce deuxième alinéa, nous demandons au gouvernement de faire les concordances appropriées dans le Code scolaire ainsi que dans les lois municipales concernées de manière qu'il y ait meilleure possibilité de négociations sur ces questions.

L'article 44 relatif à 81. C'est l'arbitrage, dans le cas d'une première convention collective. Nous trouvons qu'il s'agit d'un amendement essentiellement souhaitable, mais nous demandons des amendements pour que le recours à cet arbitrage soit possible dans le seul cas où c'est à la demande d'un syndicat. Nous demandons la suppression de l'étape de l'enquête, et nous demandons qu'on révise toute la question de l'agencement des délais là-dedans, de sorte que cela ne soit pas rien qu'une mesure dilatoire de plus, ou pour étirer la situation davantage. Nous pensons que l'article 44 s'appliquerait seulement dans le cas, en général, où déjà la situation a duré depuis trop longtemps, et si elle a duré depuis trop longtemps, on pense qu'à cette étape les mesures prévues devraient être assez expéditives.

L'article 47. C'est une clarification, en réalité. Nous ne croyons pas que le législateur voulait jeter par terre tout le système d'arbitrage dans le secteur public, dans le secteur de l'enseignement, mais c'est ce qu'il ferait s'il ne clarifiait pas la question de l'arbitre des griefs en relation avec l'arbitre unique, question plus technique mais que l'on pourra discuter s'il y a des interrogations. Nous demandons, un peu plus loin, la suppression de l'expression "selon la règle de droit" dans tout le mécanisme d'arbitrage pour la remplacer par l'expression "selon l'équité et la bonne conscience". Nous croyons que les mécanismes d'arbitrage dans les conventions collectives doivent être dépouillées au maximum du formalisme juridique, et nous ne nous expliquons pas cette intrusion, ici, de l'expression "selon la règle de droit" dont nous nous sommes passés fort bien jusqu'à maintenant. Nous croyons que les avocats ont suffisamment d'autres manières d'élever leur famille que sur cet article.

Nous demandons également l'ajout d'un alinéa qui prévoit le pouvoir de rendre une décision réparatrice et compensatoire, non seulement une décision complémentaire annulant toute disposition d'une convention à l'effet contraire.

L'article 51, ce qu'on appelle l'"antiscabs", nous partons du point de vue suivant: le lock-out est inflexible, il est imperméable, quand c'est déclaré, il n'y a plus rien qui existe pour l'employé, personne ne peut, même partiellement, le transgresser. Il doit en être de même de la grève. Nous demandons la même imperméabilité. En conséquence, la CEQ et la CSN réitèrent leur demande d'établir une véritable loi "antiscabs" prohibant la production de la même manière quand c'est une grève que quand c'est un lock-out.

L'article 52 relatif au droit au retour au travail pour ceux qui ont été en grève ou en lock-out. Nous croyons que cet article a du bon sens, à l'approche générale de la question, mais il y a un problème à propos du délai de 30 jours qui limiterait à beaucoup d'égards le recours effectif des travailleurs voulant se prévaloir de cet article. Il y a beaucoup de cas connus où, après une grève, la production ne rédémarre que lentement et par étapes, et le délai de 30 jours ne permet pas toujours d'assurer l'exercice du recours.

Nous croyons qu'on devrait trouver une autre manière d'assurer ce recours et de retirer le délai de 30 jours. L'article 59, relatif à l'inclusion du procureur général comme partie pouvant intenter une poursuite pénale en vertu du code, nous croyons que ce n'est pas une trouvaille très heureuse. Beaucoup de protocoles de retour au travail prévoient explicitement le retrait de telle ou telle poursuite dans le seul but de permettre le rétablissement de la paix industrielle.

Il ne s'agit pas toujours d'employeurs privés

qui ont accepté ce genre de protocole. Dans la mesure où le procureur général n'a pas d'intérêt immédiat à régler les conflits dans un protocole de retour au travail, le risque c'est de les voir se poursuivre sans véritable nécessité, c'est d'avoir un deuxième conflit portant sur le retour au travail après en avoir réglé un sur le fond, sur le contenu. Nous rappelons à la commission que la Commission de réforme du droit du Canada, dans son document de travail no 20 portant sur l'outrage au tribunal, propose elle-même de continuer à laisser l'initiative des poursuites en outrage aux mains des parties civiles parce que ce qui devrait être davantage recherché par le droit, prétend-elle, c'est l'établissement de la paix et non pas des règlements de compte à n'en plus finir. Nous demandons le retrait de cet article.

Conclusion. Nous voulons souligner à la commission parlementaire que les amendements, parfois positifs, en bon nombre positifs, que suggère le projet de loi 45 sont, non pas le résultat de quelques machiavéliques combines, mais tout simplement le fruit de luttes très dures qu'ont dû mener les travailleurs dans le Québec dans un passé éloigné et tout récent. Des événements non seulement spectaculaires, mais absolument inadmissibles se sont produits et ont donné ouverture à certains amendements qui se retrouvent au projet de loi. Nous n'acceptons pas du tout que le patronat vienne essayer, par certaines manoeuvres ou certaines affirmations, de paralyser le développement du syndicalisme.

Les travailleurs au Québec ne sont même pas syndiqués à 50%. Des propos qui n'admettent même pas certaines normes se référant à des instruments internationaux élaborés il y a 30 ans, nous pensons que ce sont des propos qui ne devraient pas être retenus. Bien des mesures importantes additionnelles réclamées par les travailleurs et nos centrales depuis longtemps ne sont pas incluses au projet de loi — c'est à l'adresse de ceux qui s'énervent en pensant qu'il y en a trop dans le projet de loi 45. Nous rappelons que le projet de loi 45 n'accorde que quelques amendements parmi toutes les réformes demandées par nos organisations, traitant de la sécurité et de la santé au travail — les travailleurs doivent encore se battre pour obtenir des protections — traitant de la maternité, de la syndicalisation des cadres, de l'interdiction des briseurs de grèves professionnels, etc.

Ceux qui croient que le projet de loi 45 vient déséquilibrer au détriment des employeurs et du patronat toute l'architecture et l'économie du Code du travail, ceux-là nous croyons qu'ils devraient relire la réalité avec des yeux de 1977-1978. Merci.

Le Président (M. Clair): Sans plus tarder, j'inviterais M. Laberge, de la FTQ, à enchaîner. M. La-berge, si vous voulez également présenter les gens qui vous accompagnent.

Fédération des travailleurs du Québec

M. Laberge (Louis): Votre désir m'a précédé de quelques secondes à peine. J'allais, M. le Pré- sident, M. le ministre, MM. les membres de la commission, débuter en vous présentant, bien sûr, Jean Gérin-Lajoie, vice-président de la FTQ et directeur québécois du Syndicat des métallos. Roger Laramée, vice-président de la FTQ et directeur québécois du Syndicat canadien de la fonction publique. Plusieurs militants et permanents, Pierre Richard, directeur de l'information à la FTQ, etc. Evidemment, on veut essayer de faire cela le plus rapidement possible, acceptant les remerciements d'Yvon Charbonneau à la CSN comme s'appli-quant un peu à nous, vu qu'on leur aura prêté un peu de notre temps.

Avant d'exposer son point de vue devant votre commission, la Fédération des travailleurs du Québec, porte-parole de quelque 350 000 travailleurs syndiqués québécois, tient à préciser qu'elle souhaite que la discussion du projet de loi 45 se fasse de la façon la plus concise, la plus sérieuse et la plus sereine possible.

Nous déplorons vivement que le Conseil du patronat du Québec et quelques autres groupes aient cru bon de transformer le débat sur la réforme du Code du travail en une vaste entreprise démagogique pour servir leurs fins politiques. A écouter ceux qui ont crié le plus fort depuis la présentation du projet de loi no 45, nous serions tentés de croire qu'ils n'ont pas vécu au Québec au cours des dix ou vingt dernières années; qu'ils n'ont pas eu connaissance du long et coûteux conflit à la United Aircraft, Pratt & Whitney, où des travailleurs québécois se sont littéralement fait voler leur emploi parce qu'ils exigeaient une formule de sécurité syndicale déjà consentie par les employeurs à plus de 85% des travailleurs syndiqués; qu'ils n'ont pas été témoins des dizaines de conflits qui ont dégénéré en violence par suite de l'utilisation de briseurs de grève. Nous croyons que le Conseil du patronat, dans le présent débat, s'est fait le porte-parole de la minorité la plus ré-trogade du patronat québécois.

Quant à nous, nous avons l'intention de réitérer nos positions sur les points du projet de loi que nous jugeons positifs, sur ceux à l'endroit desquels nous avons des réserves et enfin sur ceux que nous croyons inacceptables.

La première constatation qui s'impose lorsque nous étudions le projet de loi no 45, c'est que tous ses éléments ont été l'objet d'un long débat depuis dix à quinze ans. Tout a été dit et redit sur le contenu de ce projet de loi. Tous les groupes intéressés, tant patronaux que syndicaux, ont déjà pu faire connaître leurs points de vue sur les divers éléments de cette réforme du Code du travail.

Plus précisément, au cours des six dernières années, les principaux porte-parole des travailleurs syndiqués et du patronat ont pu débattre au sein du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre la plupart des points dont il est question dans le projet de loi visant à modifier le Code du travail et la Loi du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre. D'ailleurs, la majorité des modifications proposées dans le présent projet de loi ont déjà fait l'objet d'un accord entre les parties au sein du CCTMO et se retrouvaient dans le projet de loi no 24 qui avait été déposé devant

l'Assemblée nationale en juillet 1974, il y a donc exactement trois ans et trois mois. On voit mal que les mêmes personnes parlent encore d'un délai de six mois, huit mois, un an ou deux.

A nos yeux, le projet de loi no 45 ne constitue pas une réforme majeure dans le domaine des relations de travail. Il s'agit tout au plus d'une révision normale et à bien des égards incomplète et insatisfaisante du Code du travail, en vue de mieux l'ajuster aux pratiques quotidiennes des relations de travail et en vue de rattraper en partie un dangereux retard sur la réalité sociale québécoise.

Nous tenons à souligner clairement, afin de dégonfler certains ballons soufflés par le patronat, que le projet de loi no 45 ne contient pas les grandes réformes demandées par la FTQ et ses syndicats affiliés depuis de nombreuses années, notamment la pleine reconnaissance du droit à la grève par son extension, ainsi que le véritable accès à la syndicalisation par le biais de la syndicali-sation multipatronale.

En fait, le projet de loi no 45 est une mise à jour partielle du Code du travail qui aurait dû survenir il y a plusieurs années déjà, et, pour les travailleurs syndiqués, il constitue un strict minimum qui permettra peut-être d'assainir le climat des relations de travail.

Définition de "salarié". Avec raison, le projet de loi propose ici de considérer comme salariés au sens du code les salariés qui agissent comme administrateurs ou officiers d'une corporation s'ils sont désignés par les autres salariés ou l'association accréditée. Dans le même sens, et nous croyons qu'il s'agit d'un simple oubli, il faudrait aussi couvrir les salariés qui agissent comme officiers ou administrateurs d'une corporation après avoir été désignés par les usagers de cette corporation, par exemple, dans le cas d'une institution hospitalière.

Scrutin secret pour élection, vote de grève, acceptation ou refus de projet de convention collective et retour au travail.

La FTQ juge inacceptable et inutile l'insertion de ces articles dans le Code du travail. Les modes de scrutin employés dans le cas de l'élection des officiers, de l'acceptation ou du rejet des conventions collectives, du recours à la grève sont strictement du ressort des travailleurs concernés. Ce sont eux qui, démocratiquement décident des règles à suivre. Il s'agit là de la régie interne des organisations syndicales.

L'ingérence de l'Etat dans ce domaine est inacceptable. Nous ne croyons pas que ce soit l'intention de votre gouvernement d'en arriver à une mainmise de l'Etat sur les organisations démocratiques des travailleurs. Mais tout le monde sait que les régimes totalitaires en sont arrivés à exercer une telle mainmise par une suite de gestes dont l'un des premiers a été de réglementer les scrutins syndicaux. Dans ce cas-ci, la réglementation proposée nous semble particulièrement odieuse du fait qu'il n'y a rien de prévu en ce qui concerne les décisions prises par la partie patronale. Comment sont prises les décisions de décréter un lock-out ou de refuser de négocier, de rejeter les demandes soumises par les travailleurs syndiqués? On peut donc s'interroger sur la qualité et la démocratie dans certains syndicats qui sont l'exception, mais du côté patronal, on ne peut même pas parler de démocratie.

Tout se décide en catimini par quelques hommes tout-puissants, sans même que les actionnaires puissent dire leur mot.

Si l'ingérence de l'Etat dans la vie syndicale est inacceptable, elle est aussi inutile. En effet, la grande majorité des statuts et règlements des syndicats affiliés à la FTQ prévoient déjà l'usage du scrutin secret pour l'acceptation ou le rejet de la convention collective, pour l'élection des officiers et dirigeants, pour le recours à la grève et pour le retour au travail. Nous pouvons aussi affirmer que, sauf dans de très rares cas découlant de situations exceptionnelles, les dispositions prévoyant le scrutin secret sont suivies.

Au-delà de la question de principe, nos objections sur ces dispositions du projet de loi portent sur les problèmes qu'entraîneront inévitablement les multiples interprétations qui peuvent être données à celles-ci. Ces dispositions ouvrent la porte à une guérilla juridique qui pourra être menée par quelques individus désireux d'entraver au maximum l'action syndicale. Par ailleurs, si votre gouvernement persiste dans son intention de réglementer ces divers scrutins, il doit s'assurer que ces dispositions n'auront pas pour effet d'entraver la vie syndicale et d'ouvrir de nouvelles avenues aux avocasseries antisyndicales. Il devra, au moins, préciser un certain nombre d'expressions contenues dans ces articles et empêcher le recours abusif et antisyndical au harcèlement judiciaire.

La FTQ s'oppose avec vigueur au contenu de l'article 19j qui ouvre la porte toute grande à rémission d'injonctions par la Cour supérieure, tribunal compétent. Une telle disposition permettrait à tout individu de paralyser l'action syndicale décidée démocratiquement par une majorité de salariés. Si le gouvernement veut réglementer les scrutins syndicaux, il doit cependant exclure de ce domaine les tribunaux de droit commun et limiter les recours possibles au seul Tribunal du travail. Nous tenons, à cet égard, à porter à votre attention le chevauchement ou la confusion entre deux procédures. Les articles 19c à 19i prévoient une procédure de recours dans le cas de la violation de l'article 19a, alors que l'article 19j prévoit une autre procédure dans le cas de la violation de l'article 19b. Ce chevauchement entre deux procédures doit être éliminé et, fondamentalement, tout recours doit ultimement et exclusivement s'exercer auprès du Tribunal du travail.

Nous croyons, par ailleurs, qu'il y aurait lieu de préciser ce qu'on entend par l'expression "fonction de direction" qui peut être l'objet de multiples interprétations. Couvre-t-elle uniquement les officiers élus ou s'étend-elle aux fonctions de directeurs de grève responsable des griefs, etc.?

Enfin, pour éviter de longs débats juridiques sur les multiples interprétations qui peuvent en être données, nous recommandons que l'expression "déclenchement de grève" soit remplacée

par "recours à la grève", expression faisant déjà partie du Code du travail actuel et dont tout le monde connaît la signification.

Salariés professionnels. L'amendement proposé à l'article 10b du projet de loi no 45 encourage la multiplication et le fractionnement des unités de négociation. Le Code du travail actuel limite l'obligation de former des unités distinctes de négociation aux membres des professions suivantes: avocats, notaires, médecins, dentistes, techniciens dentistes, pharmaciens, optométristes et opticiens d'ordonnance, médecins vétérinaires, agronomes, architectes, ingénieurs, arpenteurs, ingénieurs forestiers, chimistes professionnels et comptables agréés. Quand je dis limite aux fonctions suivantes, cela veut dire qu'il ne les nommait pas toutes.

La Loi de la Fonction publique permet aux membres de ces différentes corporations professionnelles de se regrouper dans la même accréditation. Dans son projet de loi no 45, le gouvernement étend l'obligation de former des unités distinctes aux membres des 38 corporations énumérées à l'annexe 1 du Code des professions. Parmi les groupes ajoutés, on retrouve les techniciens en radiologie, les infirmières et infirmiers, les diététis-tes, les travailleurs sociaux, les physiothérapeutes, les ergothérapeutes, les technologistes médicaux, les infirmières et infirmiers auxiliaires. Il faut ajouter qu'à l'alinéa suivant le projet de loi permet aux membres de chacune de ces professions de se regrouper suivant certaines conditions. On retrouve la grande majorité des membres salariés de ces professions dans le secteur public et parapublic, plus particulièrement dans le secteur des affaires sociales.

Ainsi, la FTQ représente quelques milliers d'infirmières et d'infirmiers auxiliaires. Ces travailleurs font partie d'unités générales de négociation avec les autres catégories de personnel: employés de bureau, d'entretien, de cuisine, de nursing, etc. Cet amendement du projet de loi no 45 a donc pour effet de fractionner l'unité de négociation et d'isoler ces groupes de travailleurs des autres travailleurs. Nous nous inquiétons de voir le gouvernement encourager la formation d'unités corporatistes qui nous paraissent anachroniques et contradictoires par rapport à la dimension provinciale et aux caractéristiques des négociations dans le secteur public et parapublic.

En effet, les conventions collectives dans ce secteur s'appliquent généralement à tout le monde et permettent de prévoir des dispositions particulières pour certaines catégories d'emplois ou pour certains types de situation.

Nous sommes convaincus que les professionnels sont des salariés qui sont dans la même situation que les autres travailleurs, face à leur employeur, particulièrement dans le secteur public. La détermination de leurs conditions de travail et leur force de négociation s'inscrivent dans le cadre général qui caractérise les relations de travail au Québec. Le gouvernement ne doit donc pas chercher à briser les liens de solidarité qui se développent entre les diverses catégories de travailleurs dans l'action syndicale. Nous voulons également vous souligner que le fractionnement des uni- tés de négociation n'aura pas nécessairement pour effet de diminuer le nombre de conflits. Au contraire, cet amendement peut les augmenter. Les particularités propres aux professions ne font pas le poids face à la communauté d'intérêts entre les membres de ces professions et les autres travailleurs face au même employeur, particulièrement lorsque ce dernier est l'Etat.

C'est pourquoi nous proposons au législateur d'abolir toute disposition du projet de loi et du Code du travail qui empêche les membres des corporations professionnelles de faire partie des mêmes unités de négociation que les autres travailleurs.

Règle de 35% pour déclencher un vote d'accréditation. Cette disposition qui prévoit qu'il y a obligatoirement un vote pour déterminer le caractère représentatif d'une association lorsque celle-ci regroupe entre 35% et 50% des salariés est déjà en vigueur aux Etats-Unis, et des formules semblables sont aussi prévues dans plusieurs provinces canadiennes. Nous croyons que, dans certains cas, cette formule peut faciliter la syndicalisation. Elle ne saurait cependant aucunement suppléer à une réforme en profondeur du Code du travail en vue de permettre un véritable accès à la syndicalisation.

D'autre part, dans le cas où il y a déjà une association accréditée ou s'il y a plus d'une association requérante, ce qui est prévu au deuxième alinéa de l'article 18, il y a lieu de fixer un pourcentage minimum de représentativité en bas duquel une association ne pourrait pas participer au vote. Selon nous, un tel minimum aurait pour but d'éliminer les associations créées en dernière minute avec le soutien de l'employeur dont la raison d'être est d'empêcher toute association d'atteindre 50% plus un. Ce pourcentage minimum de représentativité devrait être de 35%.

Précompte syndical obligatoire. Cette disposition qui prévoit le précompte syndical obligatoire pour tout salarié faisant partie d'une unité d'accréditation ne fait que reconnaître et étendre à toutes les entreprises où il y a un syndicat ce que les employeurs ont déjà consenti dans les conventions collectives pour 85% à 95% des travailleurs syndiqués.

Il ne s'agit donc pas d'un bouleversement de l'économie des relations de travail. Il s'agit de reconnaître, pour tous les travailleurs syndiqués, un droit qui est déjà reconnu pour la très vaste majorité d'entre eux. D'ailleurs, les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan ont déjà légiféré pour généraliser le précompte syndical et, dans le cas de la Saskatchewan, on prévoit même "le maintien de l'appartenance à l'union".

La FTQ tient à rappeler que si une telle disposition avait déjà existé dans le Code du travail, nous aurions pu éviter ou, tout au moins, écourter les longs et pénibles conflits de la United Aircraft et de la Canadian Gypsum. La FTQ croit également qu'il est profondément malhonnête et bassement démagogique de tenter de confondre la formule proposée de précompte syndical avec la formule telle que décrétée par le juge Rand, en 1946, dans le conflit à la compagnie Ford. Ceux

qui tentent aujourd'hui de ressusciter les conditions rattachées à la formule de 1946 oublient de mentionner que ces conditions n'ont jamais été reprises depuis ce temps par les employeurs et les syndicats qui ont négocié le précompte syndical obligatoire.

Conciliation non obligatoire. La FTQ juge très positive l'approche que le projet de loi propose au sujet de la prévention des conflits de travail. En ne faisant plus de la conciliation une formalité obligatoire à remplir pour acquérir le droit à la grève, le projet de loi aura pour effet, selon nous, de revaloriser la conciliation comme outil de prévention et de règlement des conflits, La décision de l'une des parties de demander l'intervention d'un conciliateur prendra alors toute sa signification.

Première convention collective, possibilité d'arbitrage. Il y a lieu ici de noter que plusieurs des conflits les plus longs et les plus durs surviennent au moment de la négociation d'une première convention collective. Cette première convention collective est souvent considérée par l'employeur comme une occasion de briser le syndicat nouvellement formé. Dans les faits, plusieurs des conflits qui surviennent au moment de la négociation de la première convention collective sont des conflits pour la reconnaissance syndicale et dégénèrent en des situations désespérées.

Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de généraliser l'usage des dispositions prévues dans ces articles. Le plus souvent, il est préférable de laisser jouer le rapport de forces entre les parties concernées plutôt que de s'en remettre à l'intervention d'un tiers. Cependant, les mécanismes proposés peuvent être valables dans les situations irrémédiablement détériorées et, dans ce sens, la FTQ et ses syndicats affiliés sont prêts à en faire un essai loyal. Ce n'est pas le cadeau venant tout droit du ciel auquel s'attendait la FTQ; chez nous les opinions sont en fait assez partagées, je dois vous le dire. Plusieurs syndicats parmi les mieux structurés, les plus militants, les plus forts, si vous voulez, trouvent un peu dangereuse cette possibilité d'intervention du ministre. Toutefois, encore une fois, dans l'intérêt d'essayer d'assainir le climat social, on s'est dit: Bon, on est prêt à en faire un essai loyal. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il y a aussi plusieurs syndicats chez nous qui croient que, dans certains cas, cela aurait pu aider. On connaît d'ailleurs les conflits qui existent depuis je ne sais combien de mois à Radiomutuel, on connaît le conflit qui a duré à Canada Tire et cela se retrouve évidemment autour d'une première convention collective, mais, dans le fond, c'est la reconnaissance du syndicat à laquelle l'employeur s'oppose.

Comme ces dispositions visent à répondre à certaines situations exceptionnelles où un employeur refuse systématiquement de négocier une première convention collective, nous croyons qu'il y a lieu de préciser que seule la partie syndicale pourra recourir à ces dispositions. Dans tous les autres cas, il vaut mieux se limiter aux règles actuelles. Il y a lieu de préciser dans le texte de loi que, lorsqu'il est question de première convention collective, il s'agit de la première convention collective entre les deux parties. Nous demandons aussi que la durée d'un an rattachée à la sentence arbitrale s'applique à compter du moment où la partie syndicale demande au ministre de soumettre le différend d'un conseil d'arbitrage.

Arbitrage des griefs: règle de droit. Le mouvement syndical a toujours tenu à ce que les relations de travail soient guidées par l'équité et la bonne conscience et échappent à la rigidité procédurière de la vie judiciaire. C'est pourquoi nous nous opposons à ce que la règle de droit s'applique au règlement des griefs et nous tenons à ce que, dans tous les cas, les décisions soient rendues en vertu de la seule preuve recueillie et selon l'équité et la bonne conscience.

Dispositions antibriseurs de grève. Même s'il s'agit de cas isolés, il y a quand même trop de conflits de travail au Québec qui donnent lieu à des affrontements violents. Les causes de ces accrochages peuvent être multiples mais, à moins d'être aveugles ou malhonnêtes, il faut reconnaître que la source principale de la violence dans les conflits de travail, c'est la décision de l'employeur de remplacer ses salariés en grève ou en lock-out par un personnel agissant comme briseur de grève. Nous croyons qu'une interdiction réelle et complète aux employeurs de remplacer les salariés en grève ou en lock-out par du personnel scab ou briseur de grève éliminerait la principale source de violence.

Selon la FTQ, l'article 97a constitue une nette amélioration par rapport à la situation actuelle qui laisse une complète liberté à un employeur de briser une grève par tous les moyens qu'il juge appropriés; tel que formulé, l'article 97a devrait éviter la prolongation inutile de certains conflits et certains affrontements violents. Cet article est cependant fort incomplet et peut être contourné assez facilement par certains employeurs; notamment, selon l'analyse que nous en faisons, il n'empêche pas un employeur: a) de faire appel à son personnel d'une autre usine pour venir remplacer les salariés en grève ou en lock-out; b) d'utiliser son personnel de cadre ou son personnel non syndiqué ou non couvert par l'unité en grève pour remplacer les salariés en grève ou en lock-out; c) de transférer sa production dans une autre de ses usines; d) d'octroyer des sous-contrats pour faire effectuer le travail des salariés en grève ou en lock-out.

Si c'est vraiment l'intention du gouvernement d'interdire que le travail d'un salarié qui exerce son droit de grève soit effectué par une autre personne et s'il veut que toutes les entreprises soient traitées sur le même pied à cet égard, il doit faire en sorte que l'article 97a couvre au moins les deux premiers cas que nous venons de mentionner: interdiction à un employeur de transférer son personnel d'une autre usine pour venir remplacer les salariés en grève ou en lock-out, et interdiction d'utiliser le personnel de cadre ou le personnel non syndiqué ou non couvert par l'unité en grève pour effectuer le travail des salariés en grève ou en lock-out. Nous soulignons que ces deux points touchent avant tout les grandes entreprises et leur inclusion dans le projet de loi rétablirait un équilibre avec la situation des petites et moyennes en-

treprises. D'autre part, la FTQ s'oppose fermement au paragraphe iii. du point b) de l'article 97a.

Cette disposition a pour effet de reprendre dans le Code du travail la Loi visant à assurer les services de santé et les services sociaux essentiels en cas de conflit de travail." Cette loi, adoptée sous pression par le gouvernement précédent, est profondément inique et elle constitue une négation du droit à la grève pour une partie importante des salariés du secteur public. Nous soutenons que les services essentiels doivent faire l'objet d'une négociation entre les parties concernées et rappelons que, lorsque ces services sont imposés par la décision unilatérale d'une tierce partie sup-posément neutre, ils ont peu de chance d'être respectés. Nous soulignons aussi l'inconséquence dont fait preuve le gouvernement en reprenant dans le Code du travail une loi qu'il ? lui-même en quelque sorte désavouée en annulant toutes les poursuites qui en découlaient. Nous demandons donc le retrait complet du paragraphe iii et nous réitérons notre demande d'abroger la loi inique et inefficace sur les services essentiels.

A certains prophètes de malheur, nous rappelons que c'est une petite minorité d'employeurs qui a recours à des "scabs" ou briseurs de grève au moment des conflits de travail. D'ailleurs, je pense que des chiffres assez éloquents ont été donnés lors des auditions, mardi, je ne les reprendrai pas car vous les avez. Tolérer le comportement rétrograde de cette minorité d'employeurs équivaut à nier dans les faits un droit de grève que l'on dit reconnaître comme fondamental.

Enfin, quant au supposé impact que ces dispositions "antiscabs" pourraient avoir sur les petites et moyennes entreprises, la FTQ note qu'il existe d'autres façons de venir en aide à ces entreprises que de leur permettre d'utiliser des "scabs" au moment d'un conflit, et que de poser ainsi le problème, c'est faire insulte à la grande majorité des petites et moyennes entreprises qui veulent entretenir des relations de travail civilisées avec leurs salariés.

Droit de retrouver son emploi après un conflit.

Le droit pour un salarié qui a fait grève ou lock-out de recouvrer à la fin du conflit son emploi, de préférence à toute autre personne, est un droit qui découle du droit à la grève et il doit être affirmé sans aucune ambiguïté dans le Code du travail. L'employeur ne doit recourir à aucune forme de discrimination à l'égard des salariés lors du retour au travail, tant au niveau du poste à recouvrer par le salarié qu'au niveau des conditions générales de travail. L'employeur a le fardeau de la preuve dans tout cas de modification aux conditions de travail d'un salarié qui revient au travail.

Enfin, le délai de 30 jours prévu pour porter plainte est beaucoup trop court car, dans de nombreux conflits, le retour au travail s'effectue sur une période souvent plus longue que ce délai. En conséquence, nous demandons que le délai à l'intérieur duquel un travailleur peut porter plainte soit l'équivalent de la période prévue dans la convention collective pour le rappel des travailleurs en cas de mises à pied.

Poursuite en vertu du Code. L'amendement proposé a pour effet d'ouvrir toute grande la porte à l'intervention du procureur général dans le domaine des relations de travail. Nous tenons à ce que les relations de travail soient protégées le plus possible contre ce genre d'interventions et nous demandons que, s'il y a poursuite à prendre en vertu du Code du travail, cela soit laissé aux parties concernées.

En guise de conclusion, la FTQ insiste sur le fait que la mise à jour du Code du travail par le projet de loi no 45 ne saurait pas tenir place des réformes plus en profondeur que nous jugeons urgentes et indispensables, principalement celles concernant le droit à la syndicalisation. En effet, on aura bien beau réviser, mettre à jour et fignoler le Code du travail, celui-ci demeurera un instrument inutile pour la majorité des travailleurs québécois tant et aussi longtemps que les lois ne leur permettront pas d'avoir accès à la syndicalisation. C'est d'ailleurs dans la perspective de réformes plus profondes qu'il faut évaluer la campagne menée par une partie du patronat, qui n'hésite pas à recourir au chantage habituel (perte d'investissements, menaces de fermetures, alarmisme économique, etc.). Cette campagne n'a pas de sens et est complètement démesurée si l'on s'en tient uniquement au projet de loi no 45 qui, somme toute, est une révision assez timide du Code du travail. Le chantage patronal prend cependant tout son sens lorsqu'on le considère comme une façon de bloquer des réformes à venir en tentant de faire croire à la population que le présent projet de loi constitue un chambardement complet des relations de travail en faveur des travailleurs syndiqués. Par la campagne actuelle, nous croyons que le patronat ne veut pas tant faire échec au projet de loi no 45 qu'aux réformes urgentes qui s'imposent dans le domaine de la santé et la sécurité au travail, des fermetures d'entreprises et de l'accès à la syndicalisation.

La FTQ invite le gouvernement et l'Assemblée nationale à ne pas se laisser impressionner par les épouvantails agités par une minorité du patronat et par le chantage exercé par celle-ci. Dans ce sens, nous nous inquiétons vivement des récentes déclarations du ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre qui laissent croire qu'avant de songer à procéder à toute autre réforme, notamment à celle concernant l'accès à la syndicalisation, il y a lieu de procéder à un vaste examen de tout le domaine des relations de travail.

Nous sommes d'accord pour que chaque réforme fasse l'objet d'un examen sérieux, mais nous soutenons que les problèmes de relations de travail, particulièrement celui de la négation du droit à la syndicalisation, sont bien connus et que des solutions sérieuses ont déjà été élaborées. Il n'y a pas lieu d'ajourner de quelques années, sinon davantage, des réformes dont l'urgence s'impose, sous prétexte de redéfinir tout le cadre des relations de travail.

Le Président (M. Clair): Merci, M. Laberge. Dans un premier temps, je reconnaîtrai le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre, le député de Saint-Laurent, le député de Johnson et le député

de Beauce-Sud. A titre indicatif, je pense qu'il serait normal et conforme aux usages de réserver, dans un premier temps, une vingtaine de minutes pour le ministre, une quinzaine de minutes pour le député de Saint-Laurent, la même chose pour le député de Johnson, et une dizaine de minutes pour le député de Beauce-Sud. Dans un deuxième temps, s'il y a encore des minutes disponibles, je prendrai en liste les députés qui voudront intervenir au fur et à mesure qu'ils en manifesteront le désir.

M. le député de Beauce-Sud.

M. Roy: M. le Président, je n'ai pas d'objection à me limiter à dix minutes pour permettre à d'autres membres de la commission parlementaire d'intervenir. Maintenant, lorsque vous avez parlé d'une habitude, ce n'est pas une habitude; c'est une suggestion que vous faites, que j'accepte ce matin de bon gré en guise de collaboration. Je ne voudrais pas que cela constitue un précédent.

Le Président (M. Clair): Si vous acceptez, cela va, immédiatement, le ministre du Travail et de la Main-d'Oeuvre.

Réplique du ministre

M. Johnson: Messieurs, d'abord, je vous remercie de vos exposés, de vos mémoires, de vos commentaires et même de certaines de vos inquiétudes. Cela montre que ce n'est pas le monopole d'une partie, dans le domaine du travail, les inquiétudes.

J'aimerais vous poser quelques questions précises et je vais essayer de le faire en passant le moins possible de commentaires généraux. Cependant, sur le vote secret, bien que je reconnaisse que le mécanisme élaboré dans le projet de loi 45 et qui fera l'objet d'amendements est fort complexe, lourd et que, d'autre part, il donne ouverture, peut-être, à ce qui pourrait être un grief judiciaire, j'aimerais m'adresser ici au fond du principe de l'intervention du législateur quant au vote secret. Je suis conscient, et je pense que le gouvernement est fort conscient, que la majorité des syndicats prévoit des dispositions quant au vote secret. Nous sommes, d'autre part, conscients qu'il y a, encore une fois, dans la majorité des syndicats, un exercice du vote secret avant ces décisions auxquelles nous nous référons.

Cependant, je m'étonne un peu, de la part des représentants des trois centrales syndicales que nous entendons, qu'on qualifie cela d'ingérence du gouvernement, alors que, pourtant, du revers de la main, on se félicite de l'ingérence du gouvernement quant au précompte syndical. C'est une ingérence du gouvernement d'imposer le précompte syndical dans ces 10% à 15% des conventions collectives qui ne le prévoient pas, sous une forme ou une autre, et je n'entends pas les représentants des centrales syndicales s'en plaindre. Cependant, je les entends se plaindre un peu du vote secret. Au fond de la question, puisque la majorité des syndicats a des dispositions en ce sens, puisque la majorité d'entre eux, également, exerce ce vote secret, je vois un peu mal comment on pourrait s'y opposer.

J'aurais, cependant, quelques questions précises sur la première convention collective quant à une question fort technique — j'aimerais avoir votre opinion sur cela ce matin — soit le délai de l'arbitre pour rendre sa sentence. Est-ce que ce délai doit être, à toutes fins pratiques, dirimant? Est-ce qu'il devrait commencer à partir des auditions, de la nomination ou de la prise en délibéré? Le genre de problème que soulèvent les arbitrages m'apparaît assez important.

Une seconde question touche le devoir découlant, à mon avis, du précompte syndical obligatoire. N'envisagez-vous pas avec sérénité que les syndicats ont un devoir de représentation de tous les membres de l'unité, et de justice, d'équité et de non-discrimination à l'égard de tous les membres de l'unité quand il s'agit de porter un grief en arbitrage? Je sais qu'en 1969 il y a eu une entente au niveau du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, que finalement la notion de monopole de représentation, qui est une notion fondamentale dans le syndicalisme nord-américain, devait finalement presque primer sur la notion du droit de l'individu d'exercer ce pouvoir de grief découlant d'une convention collective et de son application.

Cependant, je vous réfère à des notions comme celles qu'on retrouve en Ontario: "The duty of fair representation" des syndicats à l'égard de tous les membres de l'unité. Je dois vous avouer que, personnellement, au niveau des principes, je les trouve intéressantes. J'aimerais avoir quelques-uns de vos commentaires à ce sujet.

Quant à la question du morcellement des professions, nous sommes très conscients du problème que pose le projet de loi 45 tel que rédigé. Nous envisageons, tout en essayant de respecter ces particularités d'un certain groupe de travailleurs à l'intérieur particulièrement du système public et parapublic, cependant de ne pas ouvrir la porte à une balkanisation totale ou à un effritement total à ce niveau.

J'aurais finalement, au sujet des dispositions antibriseurs de grèves, une question probablement difficile pour vous. Tel que rédigé, et quels que soient les atténuations, remaniements, ajustements, précisions qui soient apportés aux dispositions antibriseurs de grèves, le scénario suivant pourrait se dérouler. Vous avez une entreprise qui est en grève depuis cinq, six, huit, dix mois. Vous avez 90% des travailleurs de cette entreprise qui exercent leur droit de grève mais qui, de fait, sont maintenant resitués sur le marché du travail, sont fort heureux d'être là où ils sont et n'ont aucune intention de retourner dans cette entreprise. Comment sort-on du cul-de-sac? Je suis conscient que c'est un scénario assez unique et qui découlerait des dispositions du projet de loi tel qu'il est rédigé en ce moment.

Finalement, un dernier sujet qui a fait l'objet de longues discussions et de longs commentaires, avant-hier, par les représentants du Conseil du patronat, c'est le phénomène de la violence dans les relations de travail. Pour m'en être entretenu avec

tous et chacun d'entre vous ainsi qu'avec les représentants du Conseil du patronat individuellement, depuis ma nomination, j'aimerais vous entendre parler un peu du phénomène de la violence dans les relations de travail au Québec.

Je pense que c'est un peu ce qui sous-tend certains malaises. Quand on parle de bonne foi et qu'on trouve qu'il y a là beaucoup de naïveté, je pense que ces réticences devant des propos qui évoquent la bonne foi traduisent une inquiétude dans notre société, qu'elle soit à travers des sondages CROP ou autres, devant la dimension un peu fracassante de certains conflits. Je pense qu'il faut, tous ensemble au Québec, dans les mois et dans les années qui viennent, essayer de rétablir cette sérénité oui a déjà existé en matière de relations de travail. Je pense que la partie syndicale n'est pas exempte d'efforts à fournir dans ce secteur, comme la partie patronale, d'ailleurs, et je suis sûr que vous auriez des exemples de violence — et j'en connais quelques-uns, d'ailleurs — qui proviennent de la partie patronale.

Finalement, quant au vote secret, un élément que j'avais oublié, et je cite ici le mémoire de la CSN et de la CEQ: "Malgré le charriage et les exagérations du Conseil du patronat", on considère qu'une plus grande participation des travailleurs aux votes importants dans la vie syndicale est un élément majeur. Je me demande comment vous envisagez concrètement les mesures pour favoriser cette participation.

Est-ce que, par exemple, comme le soulignait quelqu'un récemment, il ne faudrait pas commencer à réfléchir sur une notion comme l'obligation imposée à l'employeur de fournir des locaux pour le scrutin, le déroulement d'un scrutin sur une période couvrant tous les "quarts" de travail dans une entreprise, par exemple, où il y a trois quarts de travail? Est-ce qu'il y a une réflexion qui a déjà été amorcée du côté de la partie syndicale? Voilà l'ensemble des questions que j'avais à vous poser.

On pourrait peut-être prendre chacun des sujets, le vote secret pour commencer.

M. Rodrigue: Je pense que je vais faire brièvement quelques remarques sur la question que vous posez. D'abord, quand vous comparez le vote secret lorsqu'il est question de décision syndicale sur les divers sujets que veut couvrir le projet de loi, c'est une chose. A mon avis c'est de nature différente de l'autre question dont vous avez parlé qui est le précompte syndical, qui est une condition ou une situation qui a été créée à la suite de négociation entre les parties et à la suite d'autres interventions qu'on connaît et auxquelles on se réfère. Les décisions syndicales ou la démarche pour arriver à décider dans un syndicat, on l'a dit, on l'a répété, c'est une démarche qui est faite et se fait dans une démocratie ou dans l'exercice d'une démocratie que tout le monde est obligé de reconnaître, même si d'intention le gouvernement voudrait couvrir de façon globale cette situation.

Il me paraît que cette question est de nature complètement différente. D'autre part, c'est vrai qu'on souhaite la participation plus grande au vote des travailleurs. Concernant cette question il y a effectivement dans les syndicats des dispositions qui veulent que, lorsqu'il y a trois "quarts" de travail, par exemple, il y ait des votes sur les trois "quarts" de travail. Il y a aussi des syndicats — et là je parle d'unités particulières, d'unités isolées qui, effectivement procèdent par référendum — si on peut utiliser l'expression — pour fins de consultation...

M. Johnson: Sûrement.

M. Rodrigue: II y a même des secteurs entiers, je penserais, par exemple, à la Fédération des affaires sociales, à la CSN, où c'est effectivement un vote qui se tient pendant douze heures sur les lieux du travail alors que les parties se sont entendues ensemble pour que les locaux soient disponibles à travers le territoire québécois. Relativement à cela, M. le Président, je pense que non seulement on peut soutenir qu'on y a songé, mais on a pris aussi dans les syndicats des dispositions pour ce faire, et on va toujours prendre des dispositions pour favoriser la participation, parce qu'il y va de notre intérêt.

M. Johnson: M. Laberge, sur le vote secret.

M. Laberge (Louis): Sur le vote secret, M. le ministre, vu qu'on n'a pas voulu systématiquement dénoncer l'ingérence gouvernementale, on s'est limité à une. Dans les statuts et règlements de tous nos syndicats, évidemment, il y en a qui ont encore fait état de la commission Cliche qui a découvert quand même certaines choses. On réalise qu'il y a eu des exceptions qu'il y a eu des accrochages sérieux là-dessus, mais en fait, malgré les accrochages sérieux qu'il y a eu là-dessus, c'est au moins deux millions de fois plus démocratique que les décisions qui se prennent du côté patronal. Cela, je pense que tout le monde va en convenir. Je n'ai pas voulu exagérer trop, j'aurais peut-être dit six millions, parce qu'on est six millions.

Nous croyons très sincèrement qu'un syndicat qui ne s'assure pas qu'il a vraiment une majorité de ses membres dans une unité de négociation donnée, avant de déclencher une grève, c'est un syndicat idiot qui, de toute façon, non seulement va perdre la grève, mais va disparaître. C'est assez compliqué, assez difficile de gagner une grève — si on peut appeler cela gagner une grève — quand la vaste majorité des membres concernés sont en faveur et que vous avez un syndicat militant et bien structuré. Un syndicat qui va s'aventurer avec une minorité de ses membres s'étant prononcés en faveur d'une grève, c'est complètement stupide.

Dans les faits, le patronat aurait énormément de misère à me démontrer des cas patents.

Encore une fois, pour nous, ce n'est pas que le principe. Ce qui nous fait le plus peur, pour être bien honnête, on l'a déjà dit à plusieurs reprises, c'est qu'en légiférant sur la question de la tenue d'un vote secret, on peut s'embarquer dans un tas de poursuites judiciaires, dans un tas d'avocasse-ries, pour employer le terme à la mode, qui se-

raient en quelque sorte la négation de l'exercice du droit de grève par les travailleurs syndiqués.

M. Johnson: Sur la question du grief. Je m'excuse, M. Charbonneau ou M. Pepin?

M. Rodrigue: M. le ministre, Marcel Pepin voudrait faire des remarques sur cette question.

M. Pepin (Marcel): M. le ministre, au sujet de votre première remarque sur les votes secrets comme étant l'intrusion du gouvernement dans les affaires syndicales, vous avez mis cela en relation avec la question de la formule Rand. Si vous procédez ainsi, vous allez être obligé de déchirer tout le Code du travail parce que ce dernier vient donner certains droits, normalement, aux travailleurs. C'est uniquement le Code civil qui gouverne tous les rapports, non seulement individuels, mais collectifs aussi.

De plus, dans un premier temps, quant au vote secret, vous avez une convention internationale. J'ai cru comprendre que de la part de votre gouvernement vous aviez l'intention de suivre les dispositifs des conventions internationales adoptés à l'OFT. Je ne pense pas que vous puissiez mettre cela l'un en regard de l'autre. Je ne pense pas, en tout cas, que ce soit faisable.

Sur la première question que vous avez soulevée au sujet de la première convention collective, le délai de l'arbitre, si vous le rendez dirimant; cela veut donc dire, si j'interprète bien vos propos, que dès le lendemain où la décision n'est pas rendue mais que le délai est expiré, il n'y a plus d'arbitrage et c'est terminé. Il faudra que vous prévoyiez, à ce moment-là, peut-être plusieurs arbitrages. On ne peut pas s'en aller avec un délai dirimant dans un cas comme celui-là, il y a trop de risques que les travailleurs y perdent énormément. L'employeur fera exprès de ne pas y être, l'arbitre sera obligé de rendre une décision qui sera contestée parce qu'il n'y aura pas eu entente des parties, etc. Bien sûr, il faudra faire attention pour que vraiment le délai ne soit pas trop long et nommer des gens disponibles pour éviter que le délai soit long.

Quant au délai lui-même, un délai de 60 jours devrait être suffisant s'il s'agit de gens disponibles. Du moins, c'est mon avis.

M. Johnson: Je m'excuse, M. Pepin, mais c'est 60 jours à partir du moment de la nomination de l'arbitre.

M. Pepin: A partir de la nomination.

M. Johnson: Vous présumez donc que les parties seront disponibles. On a eu une longue discussion avec le Conseil des arbitres du Québec à ce sujet, la conférence des arbitres. Il semble qu'on se plaigne... Il est vrai que des sentences arbitrales, particulièrement dans les secteurs public et parapublic, prennent jusqu'à deux ans et demi, ce qui est inadmissible et inconcevable. Finalement, celui qui paie au bout de la ligne, c'est le travailleur qui a exercé son droit de grief. Ce- pendant, on souligne l'absence de disponibilité des parties. On me dit que cela vaut également pour la partie syndicale. Comment voyez-vous la solution? Voyez-vous que le délai, dont la sanction pourrait être autre que l'invalidation de la sentence, pouvant, par exemple, être au niveau des honoraires de l'arbitre, croyez-vous, dis-je, que ce délai devrait courir à partir de la nomination vraiment ou à partir de l'audition des parties?

M. Pepin: A mon avis, ce devrait être à partir de la nomination. Déjà, le Conseil d'arbitrage a des pouvoirs de contrainte pour faire témoigner. Il n'a pas des pouvoirs de contrainte d'emprisonnement, mais pour faire témoigner. Il est vrai de dire que du côté syndical il peut arriver aussi un manque de disponibilité, mais il ne s'agira pas ici d'un très grand nombre de cas. Je pense qu'on peut imaginer qu'il ne s'agira pas de centaines de cas annuellement; ce sont beaucoup plus des cas d'espèce. C'est le ministre qui aura à exercer sa discrétion s'il accorde ou non l'arbitrage. Je sais que le délai de 60 jours peut paraître court, mais il me semble que plus on va prolonger, plus on va maintenir un climat social très détérioré dans l'entreprise jusqu'à la décision arbitrale.

M. Johnson: Je m'excuse, mais je pense qu'il y a une confusion entre les deux arbitrages. Je parle de l'arbitrage des griefs et non pas de l'arbitrage de la première convention collective.

M. Pepin: Ah! J'ai compris qu'on en était encore à la première convention collective, excusez-moi. Sur le premier point, sur l'arbitrage des griefs, nous avons toujours soutenu qu'il faudra prendre les moyens du côté syndical, s'ils ne sont pas pris, pour que les arbitrages ne durent pas des mois et des années dans certains cas. Si on a quelque chose à se reprocher, parce que le système est là, il faut modifier le système pour nous obliger, pour obliger toutes les centrales à faire en sorte que les griefs se règlent. On utilise trop cette procédure à des fins parfois tactiques ou stratégiques. Je le comprends, quand les lois sont ainsi faites, mais il faut, à mon avis, le modifier. Je pensais que vous vous référiez à la première convention collective.

M. Laberge (Louis): M. le ministre, votre question concerne les délais pour l'arbitrage des griefs.

M. Johnson: Oui.

M. Laberge (Louis): Ah bon! Evidemment, là-dessus, nous sommes d'accord avec la réponse donnée par Marcel Pepin. Toutefois, sur l'arbitrage pour une première convention collective, on diffère pas mal. On ne parle pas de délai; cela devrait se faire le plus rapidement possible, mais pour nous le conflit doit continuer tant que la sentence arbitrale n'est pas rendue.

M. Bellemare: Si j'ai bien compris votre mémoire, on disait que cela devait compter à partir de la date de la demande de grief, et non pas de la nomination de l'arbitre.

M. Laberge (Louis): La première convention collective d'une durée d'un an, oui.

M. Bellemare: Oui.

M. Laberge (Louis): Enfin, il faut bien déterminer où cela commence et où cela finit. On a suggéré cela.

Le Président (M. Clair): M. Rodrigue, vous avez encore quelque chose?

M. Rodrigue: Un bref commentaire, oui, sur l'arbitrage des griefs. On est prêt à prendre les reproches qui nous incombent, mais un des facteurs importants qu'il faut souligner, c'est le monopole détenu par certains bureaux de conseillers juridiques qui conseillent les employeurs et qui effectivement provoquent des délais épouvantables. Je pense que je dois le noter, parce que c'est constaté; qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, on n'a qu'à regarder la situation et on va le voir tout de suite. On peut décrire, compter sur nos mains le nombre de bureaux d'avocats qui desservent les employeurs dans des secteurs entiers.

M. Johnson: M. Charbonneau.

M. Charbonneau (Yvon): Pour répondre à la question concernant le vote secret, nous avons étudié de près les statuts de nos syndicats, mais nous avons aussi regardé la pratique. Si on peut dire que d'une manière générale les statuts des syndicats, que le gouvernement peut examiner puisqu'ils sont déposés, prévoient le vote secret d'une manière assez large ou à peu près généralisée sur la plupart des questions visées par le projet de loi, la pratique est encore plus totale du vote secret. Le décalage n'est pas par voie d'infractions aux statuts. Le décalage qui existe, c'est que la pratique fait que nous tenons encore plus de scrutins secrets que ne nous en imposent nos statuts. Vous avez mentionné, en introduction, que vous savez que les statuts sont déjà largement satisfaisants. C'était pour viser peut-être certains accrocs ici et là.

Je crois qu'avec un raisonnement comme cela on constate que, de part et d'autre, il y a une satisfaction qui existe et puis, quand on regarde ce qui se pratique, c'est encore mieux que ce qui existe dans les statuts. Je ne vois pas l'importance ou l'opportunité de légiférer pour viser quoi finalement? Nous vous avons quand même soumis une foule d'arguments d'ordre pratique et il n'y a pas de réponse à cela. Vous admettez que c'est lourd et qu'on va réviser la lourdeur de la chose, mais ce n'est pas parce que cela va être moins lourd que cela va toujours être opportun.

Vous n'avez pas, non plus, émis de commentaires sur votre absence totale d'inquiétude à l'égard des prises de décisions, pourtant aussi lourdes de conséquences, du côté de certains réseaux d'employeurs qui sont, je l'admets, à l'occasion, le partenaire du gouvernement dans les né- gociations, mais ce n'est pas une raison pour ne pas exiger qu'il y ait de la démocratie de ce côté. Alors, nous n'avons jamais pu et même les gouvernements antérieurs n'ont jamais pu savoir exactement comment se prenaient certaines décisions chez leurs partenaires patronaux.

Cela, c'est du réel vécu dans la dernière ronde de négociations. Etant donné les circonstances et le changement de gouvernement, ce serait bien étonnant que vous n'ayez pas quelques craintes sur le processus de prise de décisions chez vos éventuels alliés aussi et vos éventuels partenaires. Alors, je crois que vraiment cette mesure pèse d'un côté seulement de la balance. C'est pourquoi nous demandons son rappel. Mais, quand vous nous dites: Dans d'autres secteurs, vous acceptez notre intervention, il n'y a pas là d'illogisme ni d'incohérence. Nous ne prétendons pas que toutes les mesures gouvernementales sont des mesures d'ingérence. Nous disons certaines sont bonnes parce qu'elles visent la paix, parce qu'elles vont amener à régler des conflits "antiscabs" ou d'autres choses. Le précompte syndical obligatoire renforce l'organisation et d'autres interventions peuvent fort bien être des ingérences. Il n'y a pas de contradiction à admettre les unes et à rejeter les autres.

M. Johnson: Le dernier sujet sur lequel j'aimerais vous entendre, messieurs. M. Gérin-Lajoie, oui.

M. Gérin-Lajoie (Jean): Sur la question du délai du grief, vous nous demandez si on souhaiterait allonger ou modifier le projet actuel.

M. Johnson: C'est cela. En d'autres termes, prenons une hypothèse, 90 jours pour rendre la sentence. Est-ce que ces 90 jours devraient commencer à courir à partir de la nomination de l'arbitre ou de la prise en délibéré ou encore de la première audition? On sait que la majorité des griefs n'exige une audition que d'une journée, cependant.

M. Gérin-Lajoie: La position syndicale a été commune à toutes les centrales syndicales. Je croirais qu'elle l'est encore. Quant à nous, c'est à partir de la nomination elle-même. C'est un délai dont le caractère très bref n'a rien d'inquiétant si les délais sont dus aux parties puisqu'ils peuvent être prolongés par entente écrite entre les parties. L'avantage d'un délai très court, à partir de la nomination, c'est que la nomination va influencer la nomination elle-même de l'arbitre, c'est-à-dire le choix d'un arbitre qui n'ait pas déjà 32 causes devant lui et qui a un calendrier extrêmement chargé. Cela vise à répartir de façon beaucoup plus égale le fardeau des arbitrages, la clientèle des arbitrages privés qu'on veut garder privés et ne pas inclure dans le système judiciaire, la répartir parmi la liste des arbitres choisis par les deux parties au CCTM.

Présentement, cela ne se fait pas. Les quelques arbitres sont surchargés de travail. Cela en-

traîne des délais très' longs. Le fait qu'il y ait un conflit au sujet d'un grief rend les parties timides à expérimenter de nouveaux arbitres et finalement on a quelques arbitres dont le calendrier est engorgé et personne ne s'adresse à la vaste majorité des arbitres afin de leur donner des arbitrages. D'où l'importance de l'accrocher à la nomination elle-même.

Quand les arbitres redisent que les délais sont dus aux parties, il est bien sûr que nous ne sommes pas blancs, sans aucun doute, ni une partie ni l'autre. Mais le fait d'avoir l'échappatoire écrite, le consentement écrit des parties, c'est extrêmement sain. Ce qu'un arbitre veut souvent dire quand il dit: Les délais sont dus aux parties, c'est qu'une partie demande un délai parce que l'avocat est lui-même surchargé ou c'est son intérêt de retarder le grief — quant à nous c'est typiquement et majoritairement un avocat patronal — et l'autre partie n'ose pas s'obstiner et engueuler l'arbitre parce que c'est lui qui va rendre la décision et, à ce moment-là, il détient un pouvoir discrétionnaire extrêmement important. Typiquement, le syndicat aime mieux endurer son mal et avoir une meilleure décision plus tard que de faire une crise de larmes à l'arbitre. D'où la préférence d'avoir le projet de loi actuel qui nous semble très positif.

M. Johnson: D'accord. Le dernier sujet sur lequel j'aimerais vous entendre avant de passer la parole au député de Saint-Laurent, c'est le scénario que j'ai évoqué...

Le Président (M. Clair): M. le ministre, excusez-moi. Je pense que M. Rodrigue voulait ajouter quelque chose. Maintenant, écoutez, messieurs, même si le député de Beauce-Sud met en doute l'existence d'une vieille habitude de répartir aussi équitablement que possible le temps entre les différentes parties, je voudrais le protéger contre lui-même, en le taquinant, et m'assurer, autant que possible, que tous les gens ici ce matin, toutes les parties auront l'occasion de s'exprimer avant 13 heures étant donné qu'on n'a aucune garantie qu'il y aura consentement unanime en Chambre pour que la commission siège encore cet après-midi. Il y a déjà, je pense, une autre commission de prévue et il faudra un consentement unanime. Alors, tant du côté de nos invités que du côté des intervenants, je voudrais, autant que faire se peut, que tout le monde ait l'occasion de s'exprimer.

M. Rodrigue, vous aviez un élément de réponse à donner.

M. Rodrigue: C'est sûrement ma nature qui reprend le dessus, M. le Président, pour poser une question au ministre relativement aux corporations professionnelles, parce que ses intentions sont assez confuses. On ne sait pas ce qu'il veut dire quand il parle d'apporter des corrections. Mais je voudrais l'avertir que remettre en cause toutes les unités syndicales dans certains sec-tuers, cela pourrait causer des problèmes.

M. Johnson: Je me souviens que vous m'avez mentionné cela dans un couloir récemment, M. Rodrigue.

M. Rodrigue: Dans votre bureau, M. le ministre.

M. Johnson: C'est-à-dire dans mon bureau.

M. Rodrigue: C'est différent, parce que je ne me tiens pas souvent dans les couloirs.

M. Johnson: C'est vrai. Vous avez raison, c'était effectivement dans mon bureau et je pense que vous suiviez d'ailleurs M. Dufour, ce jour-là.

La dernière question sur laquelle j'aimerais vous entendre, messieurs, c'est cette question de l'application concrète des dispositions dites "an-tiscabs". Vous savez comme moi qu'il est exact que très peu d'entreprises ont utilisé des "scabs", mais ces expériences ont été assez néfastes dans la mesure où ce sont des conflits qui ont duré longtemps, qui ont donné lieu à une violence assez exceptionnelle. Vous savez cependant comme moi que l'inclusion des dispositions antibriseurs de grèves risque carrément, dans certains cas, de modifier toute la dynamique d'une convention collective avant sa conclusion.

Je vous pose donc le problème suivant. Je pourrais vous en poser quelques-uns, mais je vais prendre celui-ci. Vous avez une grève qui a été légalement déclenchée par des salariés, qui dure depuis de nombreux mois et l'immense majorité des salariés se sont resitués sur le marché du travail. Dans cette hypothèse, ils n'ont pas vraiment l'intention de retourner à cette usine. Vous savez qu'étant donné l'article sur les dispositions antibriseurs de grève cette usine est vouée, par définition, à la fermeture. Elle ne peut pas rouvrir sans ces mêmes syndiqués. Je vous demande votre opinion et vos idées de solutions à ce genre de problème.

M. Rodrigue: Si vous me le permettez, c'est une question que je pense hypothétique. En conséquence, il y aura une réponse hypothétique. A ma connaissance, dans des grèves où il y a eu absence de "scabs", le problème ne s'est pas présenté, même si cela a été très long. Dans les grèves où il y a eu des "scabs", le problème ne s'est pas présenté non plus même si cela a été très dur et très long. Ce que je veux dire c'est qu'effectivement il arrive que certains salariés ne désirent pas nécessairement retourner au travail après seize mois de grève. Quand on a connu seize mois de grève, on peut se poser des questions sur l'existence même ou les moyens d'exister, donc le besoin d'aller parfois travailler ailleurs, mais il reste une chose certaine. Je ne croirai jamais que les travailleurs qui ont travaillé pendant quinze, dix ou sept ans dans une usine, pour des raisons que vous soulignez refusent à 90% ou à 100% de retourner au travail. Je pense que cela ne peut pas se produire effectivement. J'aimerais qu'on me donne un exemple si cela s'est déjà produit. Lors-

qu'un groupe de travailleurs exprime effectivement le désir de ne plus retourner, c'est parce qu'on a pris leur place depuis souvent dix mois ou donné leur place à des "scabs". Cela est plus possible, mais l'autre situation m'apparaît vraiment hypothétique.

M. Laberge (Louis): M. le Président, M. le ministre posait aussi en même temps la question du phénomène de la violence. Je vais essayer de ramasser les dés, si vous me le permettez. Une des grèves les plus longues que nous avons tous connue et des plus dures, ce fut certainement celle de la United Aircraft. Cela a été une prétention patronale que non pas 90%, mais 75% des travailleurs s'étaient placés ailleurs, n'étaient pas intéressés à retourner au travail. On a été obligé de démontrer que c'était archifaux. Il y a eu une enquête de faite par le ministère du Travail qui a démontré que les travailleurs étaient encore intéressés à retourner s'il y avait un règlement du conflit. Je ne pense pas que cela se soit jamais vu, une situation telle que vous la posez. Si, évidemment, cela se présentait, on pourra toujours se rencontrer et en disposer, mais je pense qu'il est extrêmement dangereux d'essayer de légiférer pour couvrir un cas d'exception qui peut peut-être ne jamais nous arriver.

Sur le phénomène de la violence, j'ai lu, avec intérêt, certains commentaires qui ont été faits mardi, entre autres par M. Des Marais II, le président du Conseil du patronat, qui dit que, par exemple, les citoyens du Québec ont été témoins et souvent les victimes impuissantes d'actions syndicales qui leur sont apparues comme le résultat d'un usage abusif des pouvoirs que la loi a conférés aux syndicats.

C'est cela qui fait que l'opinion publique, après des faussetés dites sans vergogne comme mardi, se forme une idée qui est fausse. M. Des Marais sait fort bien que les conflits les plus violents, les plus longs ne sont pas arrivés à cause des pouvoirs conférés aux syndicats par les lois, mais sont arrivés dans des questions de grève illégale, dans des défis d'injonction, dans des défis de lois d'exception.

On a même mentionné l'arrêt de travail des pompiers et des policiers qui, d'après le Code du travail, n'ont jamais le droit de faire la grève. Qu'il ne vienne pas nous dire que cela est dû aux pouvoirs conférés aux syndicats.

Deuxièmement, on a parlé du secteur public et parapublic alors qu'il y a eu de longues grèves et où il y a eu de la violence parce que le gouvernement avait décidé de changer les règles du jeu dans le milieu de la partie et même durant la deuxième période et demie. C'est cela qui est arrivé. Les travailleurs ont dit... Je ne dirai pas le mot de Cambronne, on ne peut pas accepter cela. Cela devient la négation du droit de grève, que ce soit la loi 253 établissant les services essentiels ou les autres lois d'exception dont nous avons détenu, pour un certain temps, le championnat ici, au Québec.

Le phénomène de la violence est un phénomène de climat social. Il est bien évident que ce n'est pas avec quelques amendements contenus dans le projet de loi 45 qu'on va éliminer tout le phénomène de la violence. Toutefois, j'ai des idées bien nettes, bien précises là-dessus. Je vais essayer de vous expliquer cela très brièvement.

Si un groupe de travailleurs qui se voient obligés de faire une grève pour appuyer leurs revendications ont la conviction qu'avant de sortir en grève ils n'ont aucune chance de la gagner parce qu'il y aura des injonctions qui vont leur tomber dessus, parce que la police va intervenir, parce qu'il y aura l'engagement de briseurs de grève ou d'anciens lutteurs, bien souvent, et des choses semblables, parce qu'il y aura des lois d'exception, c'est là que le phénomène de la violence naît. Quand des travailleurs deviennent désespérés devant une situation désespérante, c'est là qu'il y a de la violence. Moi, je dis que le climat social peut faire quelque chose, pas juste quelques amendements au Code du travail, bien non! Le Conseil du patronat, la Canadian Manufacturers Association et les autres qui se sont présentés devant vous, mardi dernier, ont la mémoire fort courte. Ce sont eux qui criaient, il y a à peine treize mois, il y a à peine deux ans: II faudrait faire quelque chose pour changer le climat social.

Le Président (M. Clair): M. Laberge, s'il vous plaît, toujours dans le but de permettre à tous les gens de s'exprimer ici...

M. Laberge (Louis): Bien.

Le Président (M. Clair): ... je vous dis tout de suite que je ne permettrai pas d'autres questions au ministre pour l'instant. Il est pressant qu'on donne maintenant la parole au député de Saint-Laurent.

M. Laberge (Louis): Je conclus dans dix mots. Le Président (M. Clair): Dans dix mots, bien!

M. Laberge (Louis): Personne ne peut dire que le climat social ne s'est pas grandement amélioré depuis plusieurs mois. Cela, c'est un esprit de confiance, et c'est cela qu'on voudrait essayer d'établir. Ce n'est pas juste quelques amendements qui peuvent faire tout cela.

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: M. le Président, je vais essayer d'être bref pour ne pas priver nos collègues des autres partis de l'Opposition de leur droit de parole. J'aimerais indiquer que, relativement à la position sur l'article 19, sur les votes secrets, les mouvements qui ont comparu devant nous, aujourd'hui, sont sur un terrain, à mon avis, extrêmement solide en s'opposant à l'intrusion gouvernementale dans les affaires internes des syndicats. Ils n'ont pas particulièrement développé le thème

de l'inefficacité de ces mesures, quoique cela ait déjà été soulevé. On peut soupçonner que, effectivement, parmi ceux qui ont décidé d'inscrire cette mesure dans un projet de loi, on est conscient que ces mesures, dans l'immédiat, seront inefficaces parce qu'elles seront très difficiles à mettre en oeuvre. Cependant, le principe de l'intrusion gouvernementale dans les affaires internes d'associations volontaires est inscrit, et on peut imaginer qu'on voudra, à l'avenir, s'assurer ou corriger l'inefficacité qu'on va inévitablement constater. Et lorsqu'on passe aux problèmes de mise en oeuvre de ces mesures, on tombe dans les questions d'avocasserie qui ont été soulevées, la possibilité d'injonctions, de débats judiciaires, ce qui serait aggravé, d'ailleurs, par les tentatives qui seront faites; tôt ou tard, si cela reste dans la loi, d'assurer l'efficacité du principe qu'on a inscrit cette fois-ci.

Cependant, je crois que c'est sur l'argument de principe que les centrales syndicales sont les mieux assises pour s'opposer à l'inscription de ces mesures dans la loi, c'est-à-dire qu'elles nous disent, effectivement: Nous voulons être des syndicats libres et indépendants dans notre fonctionnement, tel que le prévoient les conventions internationales sur le travail, etc. Cependant, il y a à cela des conditions; la liberté que les centrales réclament pour le syndicalisme au Québec comporte un certain nombre de conditions. Je me demande s'il n'y a pas, dans l'ensemble de l'argumentation présentée par les syndicats, une certaine contradiction sur cette position de principe qu'ils prennent vis-à-vis des votes secrets imposés via une loi qui en fait une obligation interne des syndicats, dans leur réglementation, dans leur fonctionnement interne, et, d'autre part, une absence de conscience qui semble se dégager de l'importance, pour les syndicats, d'être également basés eux-mêmes sur la liberté d'adhésion.

La liberté qu'ils réclament pour les syndicats doit être le reflet de la liberté d'adhésion et d'une très grande conscience de la nécessité de protéger la liberté d'adhésion. Mais il y a des dispositions comme celle du précompte illimité, pas le précompte en soi qui est sans aucun doute une règle du jeu qui doit être acceptée. Mais le précompte illimité va bien au-delà du seul argument valable qu'on peut faire à son égard, c'est-à-dire que l'ensemble des salariés d'une entreprise syndiquée bénéficie de l'action des syndicats. Ils en bénéficient en vertu de la loi, d'ailleurs. C'est la loi qui dit que tous, syndiqués ou non, sont couverts par les dispositions de la convention collective.

C'est un argument très fort pour le précompte syndical, mais pas pour n'importe quelle sorte de précompte. Ce que l'on n'entend pas actuellement, c'est une disposition de la part de nos invités d'aujourd'hui à assortir ce droit très important d'une certaine limite qui tienne compte de la liberté d'association. Des salariés peuvent refuser d'être membres d'un syndicat et peuvent, malgré tout, être contraints de contribuer à certaines dépenses justement parce qu'ils en bénéficient, mais pas nécessairement à toutes les dépenses.

Il y a également la question de la privation de l'accès aux griefs. Je ne sais pas si les centrales syndicales en entendent parler, mais les députés, sans aucun doute, entendent parler de problèmes à ce niveau; de femmes, par exemple, qui n'ont pas réussi à être défendues vis-à-vis de leurs employeurs par des syndicats majoritairement masculins. Cela s'est déjà vu. C'est une situation qui n'est pas tolérable, je pense. On doit reconnaître le droit des syndiqués à forcer, au besoin, leur syndicat à les représenter. J'ai entendu parler moi-même d'immigrants, naturalisés cependant, que, à cause de certains préjugés qui existent malheureusement encore souvent vis-à-vis de l'immigrant, à cause de son accent — c'étaient des immigrants francophones même dans ce cas — on n'a pas voulu défendre. Apparemment, ils ont été victimes de discrimination basée sur la race, sur la nationalité.

Je crois que ce sont des droits qu'il faut protéger. Si le syndicat vient nous dire: Nous voulons nous comporter comme des syndicats libres et indépendants, encore une fois, ils sont sur un terrain extrêmement solide, mais j'aimerais voir un peu plus de conscience de cette nécessité de protéger également la liberté de leurs membres vis-à-vis de l'organisation syndicale. Une deuxième condition à cela — j'aimerais obtenir un peu la réaction de ceux qui sont devant nous — c'est la possibilité, si tout est exclu relativement au vote secret tel qu'on veut l'imposer par des obligations qui portent sur les règlements internes des syndicats, sur le fonctionnement interne des syndicats, sur toutes sortes de questions, le choix de leurs membres, etc., qu'on applique la suggestion que faisait, par exemple, Gérard Dion récemment. Il s'agit de prévoir la possibilité, une fois que la grève est déclenchée — on sait que souvent il y a une peur de perdre la face, il y a une escalade dont aucune des deux parties ne sait comment sortir et s'extirper — de permettre au ministre de tenir un référendum auprès de tous les salariés sans intervenir dans l'action des syndicats, sans venir dire aux syndicats comment ils doivent aménager leurs affaires, comment ils doivent prendre leurs décisions. Au moins, le ministre pourrait intervenir pour dire: Nous allons vérifier s'il y a toujours une volonté générale non seulement parmi les membres du syndicat, mais parmi tous les salariés de poursuivre ce conflit ou d'y mettre fin. Cela pourrait être une porte de sortie dans certains cas où un conflit est personnalisé, un conflit est devenu tel que chacun cherche à ne pas perdre la face beaucoup plus qu'à le régler et ce sont des situations qu'on voit.

C'est le premier point. Il me semble qu'il serait rassurant de voir, du côté syndical, une conscience du fait que, s'ils veulent la liberté pour eux-mêmes comme organisation, ils doivent aussi se faire les défenseurs de la liberté pour leurs membres. Cette suggestion de Gérard Dion, est-ce que ce n'est pas là une meilleure façon de réserver à l'Etat, au nom de l'intérêt public, un certain pouvoir d'intervention, mais qui n'implique pas une intrusion dans les affaires internes du syndicat?

Le Président (M. Clair): Dans l'ordre, je ne permettrai qu'une seule réponse ou qu'un seul commentaire de M. Charbonneau, de M. Pepin, de M. Laberge.

M. Charbonneau (Yvon): Je voudrais en particulier relever l'affirmation du député de Saint-Laurent disant que, du côté syndical, il n'y a pas eu ici, d'exprimée, de prise de conscience vis-à-vis de la liberté d'adhésion qu'il faut protéger.

Je voudrais rappeler ici qu'en ce qui concerne, par exemple, notre organisation, la Centrale de l'enseignement du Québec, de 1946 jusqu'à 1974, chacun des enseignants à l'emploi d'une commission scolaire était obligatoirement membre de la CEQ, sur une base individuelle. Il devait en démissionner s'il voulait mettre fin à cette appartenance, mais son emploi faisait qu'il était membre de la corporation.

Précisément parce que nous avons pris conscience de la nécessité de moderniser notre concept de liberté d'adhésion, nous avons demandé nous-mêmes à l'Assemblée nationale d'abroger cette Loi de la corporation — c'est le député Fabien Roy qui l'a proposée à l'époque — de manière à pouvoir nous structurer sur une base de liberté d'adhésion syndicale et non pas d'obligation par la loi. Je crois que cela est une excellente démonstration de notre prise de conscience de ce problème et cela a fait que nous avons de nouveau sollicité l'adhésion de nos membres, mais sur la base de leur syndicat. Ce n'est pas notre faute si on les a tous obtenus de nouveau. Cela, on ne nous en blâmera pas. Mais assurément que ce n'est pas par la loi qu'ils sont membres, c'est parce qu'ils le désirent, par le biais de leur syndicat.

Sur la question du référendum, la possibilité d'un référendum auprès de tous, qu'est-ce qu'un parti politique dirait s'il devait soumettre à l'approbation de toute une population les politiques du parti? Il soumet l'approbation des politiques de son parti à ses membres. Parfois il lui arrive des malheurs quand il les soumet à tout le monde. Ce qui compte, dans un syndicat, ce sont les membres qui en font partie, ceux qui adhèrent vraiment au syndicat, qui partagent ses objectifs, qui vont aux réunions, etc., ceux qui militent. Ceux-là ont le droit de juger les politiques du parti.

Le Président (M. Clair): M. Pepin.

M. Pepin: M. le Président, d'abord j'ai été content de la première partie de l'interrogation de M. Forget parce qu'il est d'accord avec nous sur la question de principe. Je pense que c'est intouchable.

Maintenant passons à ces conditions. D'abord, pour l'affaire du grief, entendons-nous bien, vous avez adopté une loi à l'Assemblée nationale, la Charte des droits et libertés de la personne. Je n'ai pas le texte devant moi, mais j'ai l'impression, sinon une certitude quasi vraie, que c'est déjà inscrit explicitement dans la Charte des droits et libertés de la personne. Je pense que dans tous les syndicats qui ont une formule Rand amendée dans leur rang, il arrive souvent qu'on ait à défendre un gars qui n'est pas membre de l'organisation et nous sommes obligés de le faire. Maintenant, il faut bien faire attention, quand il a allégué qu'on ne l'a pas défendu, que l'assemblée syndicale a dit non pour des raisons bien spécifiques, cela ne veut pas dire que le gars a été discriminé parce que le grief qu'il prétendait avoir, l'assemblée, elle, a jugé que ce n'était pas un grief au sens de la convention collective.

Quant au précompte illimité, vous dites que cela devrait être limité. Attention, c'est un tout. On ne peut pas dire: Telle activité syndicale ne sert pas aux non-syndiqués, à ceux qui sont soumis à la formule Rand, telle autre partie, ça peut leur servir. Je pense qu'il faut prendre cela beaucoup plus comme un tout que d'essayer de fractionner complètement. Ce serait extrêmement difficile.

Vous avez déjà participé à des négociations, il y a assez peu longtemps quand même, et des négociations, quand cela se fait, cela entraîne des dépenses indirectes qui ne sont pas directement reliées à une participation à une table de négociation. Il y a des recherches, il y a aussi des dépenses d'hôtel, de restaurant etc.

Il y a beaucoup plus de dépenses qu'on peut imaginer.

Quant à votre dernier point, si vous voulez qu'il y ait des conflits longs et prolongés, inscrivez dans la loi des choses comme "un référendum tenu par le ministre"; les employeurs, qui vont connaître cette disposition, vont dire: Maintenant, je vais essayer de forcer le ministre à intervenir par un référendum. Chaque fois que le ministre devra se rendre à cette demande sous la pression publique ou la pression de l'employeur, vous allez avoir une réponse bien différente de la part même des travailleurs syndiqués. Il serait extrêmement malheureux que la loi prévoie une telle disposition; cela ne réglera pas les conflits mais cela risquera de les prolonger. On est mieux, de ce côté, de laisser aux deux parties le soin de se parler et de faire en sorte que le conflit puisse se terminer. L'intervention ministérielle d'autorité, par la loi, ne servirait à rien; à mon avis, cela prolongerait beaucoup plus les conflits.

Le Président (M. Clair): M. Laberge.

M. Laberge (Louis): Très brièvement, je vais commencer par le précompte. L'employé devrait-il avoir droit à une représentation juste? C'est déjà l'esprit du Code du travail. Il y a des syndicats, en masse, qui présentent des griefs pour des gens qui paient une cotisation syndicale sur le précompte et qui ne sont pas membres du syndicat. Devrait-on leur donner le droit de vote? C'est une autre affaire. Tous les citoyens paient des impôts mais, pour qu'un citoyen obtienne le droit de vote, il doit s'inscrire sur la liste électorale.

De plus en plus, on voit des Québécois qui paient des fortunes en impôts au fédéral et qui refusent de participer aux élections fédérales. S'ils voulaient y participer, ils n'auraient qu'à s'inscrire

sur la liste. Si un travailleur, forcé d'après le précompte à payer une cotisation syndicale, veut pouvoir participer à tout, il n'a qu'à s'inscrire sur la liste des membres, il n'a qu'à devenir membre; à ce moment-là, il aura droit à tout de la même façon que les autres.

Il y a eu énormément de charriage là-dessus. Je ne vois pas la distinction. Je trouve cela malheureux. Le Conseil du patronat, lui, a dans son sein un tas d'organismes dont les membres sont forcés par la loi, non pas à payer une cotisation, mais à être membres. Les corporations professionnelles qui ont les ateliers fermés, les gens paient, ils peuvent être disciplinés, peuvent être empêchés de gagner leur vie dans leur profession si leur association ou si leur corporation décide de les en empêcher, ce qui n'est pas le cas chez nous. Nous pouvons expulser un membre de nos syndicats et cela ne l'empêche pas d'aller travailler ailleurs, tandis que, dans les corporations, il ne peut pas exercer nulle part au Québec.

De toute façon, je pense que tout le monde le sait, cela ne s'applique qu'à une infime proportion des travailleurs déjà syndiqués.

Le Président (M. Clair): M. le député de Johnson.

M. Bellemare: Laissez-moi d'abord vous dire que le projet de loi no 45 ne répond qu'en infime partie aux mémoires soumis le 27 février 1977 par les syndicats. Je n'y retrouve presque pas les éléments de base qui étaient notés par les syndicalistes. Le gouvernement, par le biais de cette loi, a voulu essayer d'introduire un certain équilibre entre les parties. C'est un pas de plus. Je me souviens que, quand on avait préconisé les tribunaux du travail, la CSN, qui était d'abord très favorable au projet, avait émis certaines réticences.

Dieu sait combien le Tribunal du travail, maintenant établi depuis dix ans, a produit des effets extraordinaires et par la qualité de ceux qui ont été nommés et particulièrement par l'apport particulier que cela a amené dans le règlement de certains conflits par la présence des commissaires enquêteurs.

Je dis donc qu'il n'y a rien de rétrograde dans la loi 45. Le gouvernement vise à un équilibre, je pense, qui est sain, parce qu'on avance dans les relations de travail, pour autant qu'on a un gouvernement qui assume certaines responsabilités, le tout devant être considéré aussi par les unions et par le patronat. Mais je pense aussi que quand on établit la formule Rand, comme on vient de l'établir, c'est plutôt la formule Burns. D'un autre côté, on peut l'appeler formule Rand, mais c'est plutôt la formule Burns, si on relit le bill qui nous a été soumis et si on considère qu'on apporte des mesures spéciales pour les briseurs de grèves, c'est-à-dire les "scabs". Je pense qu'il n'y a là rien d'extraordinaire; 90% de l'élément sain de notre population, pour ce qui est des relations de travail entre patrons et employés, employeurs et employés, admet aujourd'hui le principe de cela.

On évolue avec le temps. En 1964, quand on a adopté le Code du travail, il y a des figures que je connais ici qui sont devant moi qui étaient là et qui nous avaient promis qu'il n'y aurait rien dans le secteur public, jamais. Non, non, faites-nous confiance. Il n'y aura jamais de trouble, ce sont des gens raisonnables et on va les raisonner. Je me souviens de cela, moi. J'étais ici à la table et on m'a dit cela. Mais, seulement, cela s'est développé autrement, après, et on a eu d'importants conflits. Ce que je remarque de plus intéressant, parce que mon temps est bien limité, c'est que les trois centrales sont pas mal d'accord pour dire au gouvernement que c'est incomplet, qu'on aurait dû plutôt penser à apporter une révision complète du Code du travail. Quand on l'a fait en 1964, cela faisait peut-être une éternité qu'on avait demandé qu'il soit véritablement codifié. De 1964 à 1974, il s'est passé dix ans, et combien de choses ont été replacées, comme en 1968, en 1967, parce qu'on a apporté des ajustements raisonnables. Depuis ce temps, le Code du travail méritait véritablement une nouvelle orientation et de nouvelles choses.

Par exemple, quand vous établissez dans le projet de loi 45 certaines relations patronales, dans le secteur des employés et des employeurs, vous n'allez pas toucher le secteur public. Il y a toute la différence au monde quand on regarde cela et qu'on regarde le bill 53. Je vous garantis que c'est encore une audace du gouvernement, mais je pense qu'on est entrain de travailler à la pièce. On travaille une pièce puis on dit: Bien, cela va peut-être ajouter à l'autre et puis c'est bien dit quelque part, faites bien attention de mettre un morceau neuf sur du vieux, cela va déchirer. Chose certaine, c'est que là on essaie de ne pas aller trop vite et le gouvernement n'est pas prêt, lui qui avait dit qu'il avait des solutions pour tout cela. Il avait préconisé un esprit de relations de travail bien plus loin que cela.

Vous les avez crus? Vous les avez crus. Vous les avez crus, vous avez voté pour eux. Je dirai même que ce qu'on a répété, à savoir que vous payez votre dette, vous autres au gouvernement, à l'union, cela je ne suis pas prêt à le croire. Je ne suis pas prêt à croire cela. Ah non! cela ne doit pas s'être passé comme cela.

Dans vos mémoires de ce matin, que j'ai bien entendus, que j'ai bien suivis, que j'ai lus avant, j'ai noté bien des choses, mais il n'y a qu'une suggestion qui est heureuse, c'est qu'au lieu d'aller devant les tribunaux civils on aille devant le Tribunal du travail pour faire régler certains problèmes. C'est très bien. C'est une heureuse suggestion. Mais ailleurs, on ne trouve pas de solutions, on ne trouve pas de suggestions qui pourraient dire au gouvernement: Agissez, quand il s'agit d'une grève illégale, ce qui arrive souvent. Je ne dis pas que c'est fréquent, mais cela pourrait arriver de temps en temps qu'il y ait des grèves illégales qui perturbent toute la vie sociale et économique. Il n'y a rien non plus qui suggérait au gouvernement de s'empêcher de remettre des peines qui ont été jugées par des tribunaux, par exemple $50 000 — ce n'était pas grand-chose, mais ce n'était qu'un petit commencement — de retirer des

procédures qui ont été entreprises de bonne foi et qui ont été jugées. On retire cela. Il n'y a aucune suggestion dans vos mémoires. Je ne dis pas que vous n'y avez pas pensé, parce que le mémoire du 27 février allait bien plus loin que ce que le projet de loi 45 peut nous donner.

Je dois me limiter à la violence, parce que, s'il y a eu de la violence, ce n'est pas dû souvent aux leaders des syndicalistes. C'est dû à une fraction. Je pense que j'ai eu l'occasion de vérifier cela. Comme ministre, j'ai moi-même été promené comme un pendu, avec Chartrand au bout, qui me promenait partout dans la ville de Québec et qui m'a fait brûler. Je suis encore en vie! Imaginez-vous donc! Mais cela a provoqué de la violence.

Je suis pour qu'on respecte l'autorité constituée telle qu'elle est. Inutile de vouloir détruire le système dans lequel nous vivons. Il est démocratique et, tant et aussi longtemps qu'il sera conçu comme il est là, on doit apporter le meilleur respect aux institutions parlementaires et particulièrement au ministre du Travail. Je pense que le ministre a donné la pleine mesure de ce qu'il est capable de donner.

Des Voix: Ah, ah, ah!

M. Bellemare: Ce n'est pas manquer de respect pour le ministre! Ah non! Je ne dirai pas des choses comme j'en ai vu dans certains écrits que j'ai ici, des descentes. Il y a un révérend abbé qui a été nommé tout à l'heure; c'est drôle sa manière de voir le projet de loi 45. Je n'emploierai pas ces termes.

Je dirai, par exemple, que la violence est sûrement née parce qu'il y a une certaine part de responsabilité de la part des syndicats et aussi des patrons. Pour cela je suis prêt à faire la part des choses, la large mesure. Mais il existe, par exemple, des occasions où on commence à légiférer, comme la formule Rand, l'"antiscabs," le précompte et le vote secret. Vous prétendez que le vote n'est pas nécessaire, mais vous dites que toutes vos assemblées se font de même, au grand secret. Donc, si cela se fait de même, il n'y a pas d'inquiétude pour vous d'avoir cela dans une loi. Vous dites, dans votre mémoire, que cela se passe comme cela: Nous, on n'a pas besoin de cela, de lois officielles. Je dis que le ministre a peut-être raison d'être prudent parce qu'on évolue rapidement.

Dans le temps où j'ai été ministre du Travail, c'étaient de rares exceptions, des grèves illégales. On en faisait une grosse mention lorsque cela arrivait. Aujourd'hui, la proportion est grande.

Maintenant, j'aimerais savoir de vous quel est le pourcentage dans l'ensemble, de gens qui n'appartiennent pas à l'union, lors de certains conflits ouvriers? On peut l'obtenir par le gouvernement parce que ce dernier possède ces dossiers, mais combien y en a-t-il, dans l'ensemble? Une infime partie qui ne fait pas partie aujourd'hui des associations syndicales ou qui n'est pas syndiquée. Je prends l'usine de la Wayagamack qui vient de fermer. Je ne sais pas si vous êtes au cou- rant de cela. Au Cap-de-la-Madeleine, l'usine vient de fermer. Il n'y en avait presque pas qui n'étaient pas syndiqués. Il y en avait quelques-uns qui étaient "P.Quiou". Ils ont brûlé leur carte après. C'est bien dommage pour vous, mais en tout cas. Chose certaine, on n'est pas sur ce sujet, je n'y reviendrai pas.

Le Président (M. Clair): M. le député de Johnson. Actuellement, nos invités auraient quatre minutes à se partager pour répondre aux nombreuses interventions.

M. Bellemare: Sur les sept minutes qu'ils ont prises de trop, j'aurais bien le droit d'en prendre trois.

Le Président (M. Clair): D'une part, vous ne vous y êtes pas opposé. D'autre part, je suis certain que vous n'aviez pas d'objection à ce qu'on éclaire le ministre.

M. Johnson: M. le Président, j'aurai mon recours en Chambre. C'est sûr et certain que lorsque l'étude article par article reviendra, il y a un temps illimité au volet de l'article 19a, 19b, 19c, 19d et le reste.

M. Johnson: Jusqu'à h).

M. Bellemare: Jusqu'à h), oui la hache va y être.

Alors, messieurs, je suis personnellement satisfait du bill 45. Je trouve que, dans les circonstances, on fait une grande amélioration. Ce n'est pas ce que l'on souhaiterait, ce n'est pas ce qu'ils ont promis, de changer complètement le Code du travail, mais il y a là une intention avouée qu'il n'y ait rien d'exorbitant.

On cherche à établir un certain équilibre, on pense établir certaines relations qui soient plus cordiales. Je ne suis pas toujours du côté du gouvernement, aujourd'hui pas plus qu'une autre fois, mais, à cause de mon expérience vécue comme ancien ministre, je ne peux pas blâmer le ministre ni son prédécesseur d'avoir conçu un projet de loi comme celui-là. Il y a du progrès; cela n'est pas parfait, il faudra peut-être aller plus loin et refaire véritablement tout le code. Mais, en attendant d'avoir mieux, je choisis le moins pire.

Le Président (M. Clair): MM. Rodrigue, La-berge, Charbonneau et Pépin, vous avez trois minutes à vous partager pour répondre.

M. Roy: M. le Président, je pense bien, pour le bon entendement de tout le monde et en guise de collaboration, que les questions qui ont été posées méritent des réponses. Je ne voudrais pas qu'on empêche les personnes qui ont des choses à nous dire de faire des commentaires au niveau de la commission parlementaire, quitte à sacrifier mon droit de parole. Cependant, je tiens à vous dire que je serais entièrement d'accord — et vous aurez mon consentement, aujourd'hui, à l'Assem-

blée nationale — que la commission parlementaire puisse réentendre nos invités. Je pense qu'il y en a, de ce côté-ci de la table, qui auraient sûrement des questions à poser; il y a des points qui mériteraient éclaircissement.

Si on veut que la loi apporte tous les résultats — même si elle est limitée — qu'on attend d'elle, on devrait prendre le temps nécessaire, sans se faire presser, sans se faire écraser, pour être en mesure de légiférer.

Alors, je sacrifie mon droit de parole, je le laisse à nos invités, ce sont eux qui sont nos invités. J'aurai l'occasion d'intervenir lors de l'étude de la loi en commission parlementaire.

Le Président (M. Clair): Je vous remercie sincièrement de votre collaboration, M. le député de Beauce-Sud, ce qui nous laisse huit minutes avant 13 heures, suivant la montre du président.

M. Johnson: M. le Président, si vous le permettez, je demanderais deux choses. D'abord, s'il y a consentement unanime, on pourrait étendre, pour quelques minutes, afin que les réponses ne soient pas interrompues. Deuxièmement, pourrions-nous obtenir l'engagement, des membres de l'Opposition, qu'ils n'auront pas d'objection à ce que les parties puissent être présentes cet après-midi, après la période des questions, c'est-à-dire vers 16 h 15, pour que nous continuions cet échange?

Le Président (M. Clair): Sur la première partie de votre question, M. le ministre, je dois vous rappeler qu'ici, à 13 heures, il y a un caucus pour les députés ministériels. Comme on respecte l'heure le mercredi à midi, je pense qu'il est normal qu'on la respecte le jeudi, à 13 heures. D'autre part, en ce qui concerne la possibilité d'un consentement unanime exprimé au niveau de la commission, il ne lie pas, cepdnant, l'Assemblée nationale, mais si les représentants des autres parties veulent s'exprimer là-dessus...

M. Bellemare: Juste une objection. J'aurais bien voulu entendre la réponse aux quelques observations que j'ai faites, parce que cet après-midi, je suis pris à Montréal pour autre chose, où le chef de mon parti m'a demandé de représenter officiellement notre grand parti. C'est pour cela que s'il y avait une réponse à donner, je voudrais être là. Cet après-midi, je ne voudrais pas passer pour un déserteur et un gars qui se sauve.

Le Président (M. Clair): M. le député de Johnson, dans mon esprit, on entend les commentaires tout de suite. Au niveau du consentement, il y aurait consentement au niveau de la commission?

M. Bellemare: II y a le caucus, nous autres aussi, qui va décider.

Le Président (M. Clair): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Personnellement, M. le Président, je n'ai pas d'objection. J'aurais répondu favorablement à la première partie de la question du ministre, d'ailleurs, parce qu'on n'a pas de caucus ce midi. Mais pour ce qui est de cet après-midi, je n'ai aucune idée de la possibilité de le faire.

Le Président (M. Clair): Etant donné qu'il n'y a pas de possibilité d'évoquer un consentement clair, j'inviterais immédiatement nos invités à répondre aux commentaires et questions du député de Johnson. M. Rodrigue.

M. Rodrigue: Je serai très bref. Je veux répondre seulement à une inquiétude ou, tout au moins à une interrogation soulevée par M. Bellemare à savoir que la loi 45 ne touchait pas les travailleurs du secteur public, etc. Je veux simplement réaffirmer que notre position, quant à nous, c'est qu'on veut un seul et unique Code du travail pour l'ensemble des travailleurs du Québec. On ne fera pas cette distinction.

M. Bellemare: II faut faire attention aussi... Je suis content que vous l'ayez poigné.

Le Président (M. Clair): M. Charbonneau.

M. Charbonneau (Yvon): Nous souscrivons à cette remarque, d'ailleurs, du président de la CSN. C'est aussi la politique de la CEQ d'avoir, d'essayer d'obtenir des lois du travail qui s'appliquent à tous les travailleurs. Je voudrais, en particulier, parler de la violence dont on parle souvent et dont M. Bellemare a parlé aussi. La question que je poserais aux dirigeants politiques, c'est: Ce qui vous inquiète, est-ce que c'est la violence ou si c'est le bruit que fait une certaine violence? J'ai des indices que c'est surtout le bruit que fait la violence qui inquiète parfois les politiciens.

M. Bellemare: Ecoutez, si jamais dans votre vie vous devenez ministre du Travail...

M. Charbonneau (Yvon): Ne me souhaitez pas de malheur vous.

M. Bellemare: Non, je ne vous souhaite pas de malheur, mais si jamais vous devenez ministre du Travail, vous aurez la réponse.

M. Charbonneau (Yvon): Je voudrais vous poser cette question et pas juste à vous, à ceux qui prennent les décisions aussi. Je crois que c'est surtout le bruit que fait une certaine violence qui inquiète et qui énerve du monde. Il y a des violences qui existent de façon permanente et qui ne font pas de bruit, pas beaucoup de bruit. Exemple, des mises à pied massives dans certains secteurs. Du chômage généralisé. Des attaques à la santé et à la sécurité des travailleurs.

M. Bellemare: Vous voulez parler de la fonction publique.

M. Charbonneau (Yvon): A la fonction publique et dans le secteur privé, dans les mines et

dans la métallurgie. Vous avez cité des exemples vous-même.

Les nombreuses procédures interminables auxquelles doivent recourir les travailleurs pour obtenir que s'exécute une ordonnance qui leur donne raison. La possession des données de base en négociation, de quel côté est-elle? Le conditionnement des media d'information qui ne cessent à certains égards de parler de conflits syndicaux, alors que parfois il s'agit même de lock-out. Avez-vous déjà entendu une nouvelle qui parle d'un conflit patronal? C'est toujours un conflit syndical.

M. Bellemare: J'ai déjà entendu parler d'un nommé Matteau.

M. Charbonneau (Yvon): Conflit syndical, je crois que c'est une expression abusive. C'est une forme de violence qui existe tous les jours dans les manchettes, alors que c'est un conflit de relations entre des travailleurs et des possesseurs de capital. Avez-vous déjà entendu parler de cela d'un conflit de capital? Non, on parle d'un conflit de travail. Pourquoi cela pèse-t-il toujours du même côté? Ce sont des formes de violence qui existent à longueur d'année. Elles ne font pas toujours beaucoup de bruit, personne n'en parle. Parfois, il arrive un incident souvent même provoqué, parfois même à l'instigation d'infiltrateurs. Là, cela fait de la violence et là on en parle. Cela énerve les dirigeants politiques.

Je crois qu'il y a lieu de s'énerver surtout de cette violence qui existe à longueur d'année, depuis des décennies, qui ne fait pas nécessairement du bruit, mais qui est drôlement plus profonde que l'autre.

M. Bellemare: Me permettez-vous une question? Est-ce que la convention collective qui est brisée et qui amène une grève illégale c'est une forme de violence?

M. Charbonneau (Yvon): Nous parlons des conditions faites aux travailleurs qui parfois sont des conditions incluses dans des conventions collectives et parfois sont des conditions générales de vie et des situations qui débordent les conditions de travail. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous avons des mandats syndicaux pour travailler aux tables de négociation et en dehors des tables de négociation pour les conditions de travail et de vie.

Le Président (M. Clair): M. Laberge.

M. Laberge (Louis): M. le Président, j'ai écouté avec énormément d'attention le député qui s'est prononcé en faveur du projet de loi no 45. Il a dit qu'il y aurait peut-être des suggestions à faire et des choses à corriger, mais au moins on peut espérer que ce projet de loi no 45 ne sera pas sujet à un débat interminable. Je pense que, comme vous l'avez dit, M. le député, c'est un pas de l'avant. Vous en avez pris quand vous étiez ministre du Travail. Nous autres on l'a toujours re- connu; cela n'a jamais été parfait le Code du travail. Mais il faut que le Code du travail commence à clairement démontrer aux travailleurs qu'il y a une différence entre une grève légale et une grève illégale.

Actuellement, ce sont les grèves illégales qu'on a le plus de chances de gagner, parce que, pour une grève légale, vous êtes obligés de donner des avis. Le patron se prépare, il stocke. Ecoutez bien, c'est cela le climat.

Ce qu'on a toujours prétendu et ce que je prétends encore, c'est que, si on a un Code du travail qui donne des droits aux travailleurs, des droits qui sont respectés, cela nous permet de prendre de plus grandes responsabilités. Je suis convaincu qu'on peut organiser des manifestations sans laisser les endroits où on a manifesté comme des soues à cochons. Les travailleurs savent se tenir! Mais quand vous avez la police, par exemple, qui respecte plus les vitres d'une entreprise que les crânes des travailleurs, cela n'engendre pas une paix sociale.

Quand vous avez des juges qui prennent énormément de temps pour rendre des décisions favorisant les gagne-petit, mais qui vous sortent une injonction de toute beauté en quelques heures, en plein milieu de la nuit, cela n'engendre pas le respect des tribunaux. Il y a tout cela. Quand vous voyez des lieutenants de police frapper, avec intention de blesser, des grévistes qui étaient bien paisibles, et qui foutaient le camp, comme c'est arrivé devant l'hôpital Notre-Dame, et que le juge, dans sa bonne conscience, dit: II serait de valeur de condamner ce gars-là qui serait reconnu coupable, cela mettrait fin à sa carrière! Il y a beaucoup de travailleurs qui ont fait bien moins que cela et qui ont été condamnés.

M. Bellemare: Vous admettez...

M. Laberge (Louis): Tout ceci pour vous dire...

M. Bellemare: ... que le Code du travail doit être refait au complet...

M. Laberge (Louis): Oui, mais...

M. Bellemare: ... et non pas par morceaux.

M. Laberge (Louis):... cela ne veut pas dire de l'étudier pendant dix ans, comme certains nous l'ont suggéré, et d'arriver avec un nouveau Code du travail de toute beauté. Il y a des choses, comme vous l'avez dit d'ailleurs, qui doivent être faites maintenant. Nous sommes prêts, bien sûr, dès le lendemain de l'adoption ou même la veille de l'adoption du projet de loi no 45, à commencer à étudier autre chose, dans le Code du travail, qui mérite aussi une étude sérieuse. D'ailleurs, on le dit dans notre mémoire.

Le Président (M. Clair): M. Pepin.

M. Pepin: Très brièvement, c'est pour rappeler à M. Bellemare que, quand il était ministre du Travail, sur la question des tribunaux — parce qu'il

faut un peu corriger l'histoire, pour les fins du journal des Débats — quand vous avez déposé votre fameux projet de loi sur les tribunaux du travail, vous vous souviendrez que, trois mois après, vous avez dû soumettre 75 amendements à votre premier projet de loi parce qu'il était inapplicable.

Des Voix: Ah, ah!

M. Pepin: C'est exactement la vérité.

M. Bellemare: Une minute!

Des Voix: Ah, ah!

M. Pepin: Vous le vérifierez. Quand vous nous dites que, dans le secteur public, on avait fait des promesses, je peux vous dire, d'ailleurs, que je n'ai jamais fait des promesses de cette nature, mais pourquoi y a-t-il eu tellement de grèves dans le secteur public? Parce que tous les gouvernements, dont le vôtre à l'époque, se sont comportés comme s'il n'y avait pas eu de changements aux lois. Vous n'avez pas voulu négocier plus. Souvenez-vous de la Société des alcools où la grève a duré des mois et des mois. Vous disiez: A prendre ou à laisser. On a eu des commissions parlementaires, vous y étiez, à l'époque. Je voulais vous rappeler au moins ces deux faits pour les fins de l'histoire.

Vous dites que, maintenant, c'est un rapiéçage du Code du travail; je suis d'accord, c'est un rapiéçage, mais quand vous étiez ministre, avez-vous fait du rapiéçage uniquement?

M. Bellemare: Les tribunaux du travail, ce n'est pas du rapiéçage!

M. Pepin: C'est du rapiéçage, vous ne changez pas le code fondamental.

M. Bellemare: Vous étiez pour au début, et à la fin vous étiez contre.

M. Pepin: Non, nous avons toujours été pour. Vous ne vous en rappelez pas.

M. Bellemare: J'ai des déclarations que vous avez faites, et vous étiez contre.

M. Pepin: On a toujours été pour. Vous ne vous le rappelez pas.

M. Bellemare: Non, j'ai des déclarations de vous, mon cher monsieur, vous étiez contre.

M. Pepin: Très bien, on va regarder cela, vous les sortirez pour la Chambre; là vous pourrez parler tout seul, parce que je ne pourrai pas y être.

M. Bellemare: Vous avez été effrayant, mais vous avez été le premier à me féliciter comme le meilleur ministre du Travail. Voyons donc!

Le Président (M. Clair): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Pepin: Certainement, mais je dis les choses que vous n'avez pas faites. Et vous avez adopté le bill 290, vous vous en souviendrez, vous ne devez pas être tellement fier de celui-là, mais il reste que...

M. Bellemare: Qu'est-ce que vous avez fait contre cela, vous?

M. Pepin: ... qui est le cas. Non, on était opposé formellement, vous devez le savoir, au moins avoir un peu de mémoire de ce côté.

M. Laberge (Louis): Vous avez remarqué, depuis qu'il a dit cela, il a été obligé d'aller se faire élire à l'étranger.

M. Bellemare: Non, non, non, ce n'est pas parce qu'il n'y avait pas de ministres ni de députés contre moi. Ils étaient tous là.

M. Pepin: Le Code du travail...

Le Président (M. Clair): A l'ordre, s'il vous plaît, messieurs!

M. Pepin: ... est arrangé à la pièce aujourd'hui. Nous souhaiterions beaucoup qu'on ait un véritable Code du travail, on n'a pas de Code du travail. C'est une dépendance du Code civil, mais au moins il y a progrès, et c'est loin, M. Bellemare, de ce que nous avons soumis le 28 février dernier. C'est vrai que c'est loin, nous nous le disons. Il y a des parcelles, il y a des morceaux qui sont pris. Au moins enlevons ce qui est de trop dans la loi 45, ce que nous avons plaidé ce matin. Maintenons ce qu'il y a de progrès, puis arrangeons-nous pour avoir un code qui placera les parties sur un pied d'égalité.

Aujourd'hui ce sont les employeurs qui sont les "boss" de tout. Nous, nous devons arracher des droits les uns après les autres. Arrangeons-nous pour qu'il n'y ait pas de discrimination entre le public et le privé pour ne pas en arriver à avoir des citoyens de deuxième classe. Ne nous arrangeons pas pour former des commissions spécialisées dans un domaine spécifique pour faire en sorte que demain nous ayons des citoyens qui ont moins de droits que d'autres. Alors il me semble qu'aux questions indiscrètes de M. Bellemare nous avons fourni des réponses.

Le Président (M. Clair): Messieurs, pour expliquer à tout le monde les possibilités de séance, cet après-midi, de cette même commission parlementaire, je donne immédiatement la parole au ministre du Travail.

M. le ministre.

M. Johnson: Messieurs, en principe il n'y a pas d'autre commission parlementaire que celle qui était déjà prévue qui doit siéger à 4 h 30. Cependant, je demanderai au leader du gouvernement de demander le consentement unanime de la Chambre pour que cette commission reprenne ses travaux vers à peu près 4 h 15, 4 h 30, jusqu'à 6

heures, immédiatement après la période de questions.

Cependant je ne peux pas préjuger du consentement, je suis sûr que le leader de l'Union Nationale, étant donné...

M. Bellemare: C'est que, dans notre parti, nous sommes à peu près deux qui nous occupons de ces questions ouvrières, M. Yvon Brochu, député de Richmond, et moi-même. Mais M. le député de Richmond, actuellement, est l'un des deux députés qui nous représentent à la loi sur le référendum. Cela siège en même temps.

M. Johnson: Je suis assuré que votre parti trouvera sans doute quelqu'un d'initié à ces questions-là pour nous l'envoyer cet après-midi. Je l'espère.

M. Bellemare: Je vais essayer de faire les initiations...

M. Roy: M. le Président, je voudrais quand même... J'ai cédé mon droit de parole ce matin. Je compte sur la collaboration de mes collègues de l'Opposition. S'ils ont des difficultés, ils peuvent peut-être comprendre que je peux également en avoir. Mais je n'ai jamais empêché de commission parlementaire parce que je ne pouvais pas être présent. J'ai toujours offert ma collaboration aux deux côtés de la Chambre, du côté de l'Opposition comme du côté gouvernemental.

M. Laberge (Louis): Nous serons disponibles, M. le Président. Et si, par hasard, cela ne se fait pas, vous avez tous des copies de notre mémoire. Vous les lirez avec attention, j'en suis convaincu.

Le Président (M. Clair): Je remercie nos invités, ainsi que les membres de la commission du travail, qui ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 13 h 14)

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