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Version finale

32e législature, 2e session
(30 septembre 1981 au 2 octobre 1981)

Le jeudi 17 septembre 1981 - Vol. 25 N° 10

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et organismes intéressés à améliorer le régime de négociations dans les secteurs public, parapublic et péripublic


Journal des débats

 

(Dix heures douze minutes)

Le Président (M. Rodrigue): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu reprend ses travaux. Aujourd'hui, jeudi 17 septembre, nous entendrons, dans l'ordre, Hydro-Québec, l'Association des consommateurs du Québec, la Coalition pour le droit des malades qui présentera son mémoire au début de la séance de l'après-midi, la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec, la Fédération des infirmières et infirmiers unis, le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, le Syndicat de fonctionnaires provinciaux du Québec.

Je rappelle, pour les personnes qui assistent à ces délibérations pour la première fois, que le mandat de cette commission est d'entendre les personnes et organismes relativement à l'examen des moyens d'améliorer le régime de négociation dans les secteurs public, parapublic et péripublic et, de façon plus particulière, à l'étude des moyens qui permettraient d'améliorer le maintien des services essentiels lors des conflits de travail dans ces secteurs.

En rappelant brièvement que, selon les règles que nous tentons de suivre et que nous nous sommes données à cette commission, nous consacrons 20 minutes à l'audition du mémoire, puis 20 minutes pour la partie ministérielle et 20 minutes également pour l'Opposition à la période des questions, j'inviterais maintenant le président du conseil d'administration d'Hydro-Québec, M. Joseph Bourbeau, à présenter le mémoire de cet organisme et je lui demande, de prime abord, s'il veut bien nous présenter les personnes qui l'accompagnent.

Hydro-Québec

M. Bourbeau (Joseph): M. le Président, j'ai, à ma droite immédiate, M. Jacques Durocher, vice-président des ressources humaines; un peu plus loin, M. Guy-Paul Hardy, qui est le directeur des relations du travail; à ma gauche immédiate, M. Gilles Béliveau, qui est le directeur de la région Montmorency et, un peu plus loin, M. Jacques Guévremont, qui est le directeur de Mouvements d'énergie à Hydro-Québec.

M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu, des quatre sujets qu'Hydro-Québec a l'occasion de discuter ces semaines-ci en commission parlementaire, celui sur lequel la présente commission est appelée à se pencher revêt un caractère tout à fait spécial. Non pas que les questions de capital-actions et de dividendes, d'accès à l'information et, bientôt, de tarifs soient secondaires pour nous. Mais la question des services essentiels à assurer à la population et celle des relations de travail dans les services publics touchent à deux des valeurs mêmes qui fondent notre régime démocratique. D'une part, le droit de la population de bénéficier des services dont elle ne peut être privée sans danger et, d'autre part, le droit de milliers de travailleurs de négocier leurs conditions de travail et de se prononcer sur elles librement et en toute connaissance de cause.

M. le Président, mon propos, aujourd'hui, portera sur ces deux droits fondamentaux que je traiterai brièvement en répondant aux questions suivantes.

Le droit aux services essentiels et le droit de négociation des conditions de travail dans les services publics, avec son corollaire, bien entendu, le droit de grève, s'opposent-ils au point de s'exclure ou faut-il plutôt tenter de fixer les conditions leur permettant de faire une vie commune?

À cet égard, quelles mesures l'entreprise peut-elle proposer à la lumière des principes auxquels elle croit et de l'expérience qui est la sienne?

M. le Président, nous croyons que le droit de la population aux services essentiels et celui des salariés des services publics à la libre négociation et à la grève doivent demeurer. Il peut paraître paradoxal de recommander l'affirmation de deux droits qui semblent s'exclure mutuellement, mais nous sommes convaincus que la paix sociale exige de les concilier. Enlever le droit de grève dans les services publics serait tellement contraire aux voeux des salariés concernés qu'il n'est pas du tout certain que la grève serait évitée, avec tout ce qu'elle entraînerait d'odieux. Dans de telles circonstances, qui nous garantit que les services essentiels seraient assurés? Par ailleurs, ne pas garantir les services essentiels risque d'amener la population à se retourner contre les différentes parties en

cause, notamment contre les salariés, contre leurs revendications et, ultimement, contre leur droit fondamental de négocier leurs conditions de travail.

On le voit, M. le Président, la meilleure façon d'assurer l'existence de l'un de ces droits est peut-être, au fond, d'assurer l'existence de l'autre.

Cela dit, toute la difficulté consiste à déterminer la ligne de démarcation entre ces deux droits. En somme, dans les cas limites, comment déterminer leguel l'emporte sur l'autre? Cette limite, elle se trouve quelque part entre ce que les spécialistes appellent l'inconvénient et l'urgence, et je m'explique.

Accepter la possibilité de grève dans les services publics revient à accepter la possibilité de subir des inconvénients en cas de grève. Il va de soi que refuser de subir tout inconvénient dans les services publics équivaut à nier le droit de grève dans ce secteur. Ces inconvénients ne doivent cependant jamais devenir graves au point de mettre en danger la santé et la sécurité de la population. C'est donc lorsque la privation d'un service public crée un état d'urgence que ce service devient essentiel et que le droit de la population à ce service vient limiter le droit de la grève.

Par ailleurs - et l'on voit encore une fois, M. le Président, comment ces deux droits sont interreliés - seuls les salariés affectés à la fourniture du service public devenu essentiel verraient ainsi limité leur droit de faire la grève pour la seule période où la santé et la sécurité publique seraient compromises. Autrement dit, dans le cas de l'électricité, la suspension du droit de grève ne durerait que le temps de réparer la panne qui est la cause de l'état d'urgence. Une fois l'électricité rétablie, le salarié reprendrait son droit de grève.

Notre proposition est conforme à la tendance générale du monde du travail à harmoniser ces deux droits en ne considérant comme essentiels que les services qui le sont vraiment et en n'apportant aux droits des parties que les limitations qui sont réellement indispensables.

La question qui vient ensuite naturellement à l'esprit est la suivante: Cet équilibre entre l'intérêt général et les droits des parties au conflit, à qui revient-il de le trouver? Aux parties en cause ou à l'État?

Jusqu'à maintenant, l'État québécois a cru bon de laisser aux parties le soin de trouver cet équilibre, quitte à intervenir par des injonctions ou des lois spéciales si la santé et la sécurité publique devenaient en péril.

M. le Président, ce n'est ni le lieu, ni le temps de faire le procès des parties ou des gouvernements sur la façon dont ils ont assuré ou non les services essentiels par le passé. Je me bornerai, pour les fins de mon propos, à rappeler que, sur les cinq séries de négociations qui ont eu lieu entre Hydro-Québec et le Syndicat canadien de la fonction publique en 1967, 1969, 1972, 1976 et 1979, les parties ne se sont entendues qu'une fois sur les services essentiels, et c'était en 1967. Encore, l'entente s'effritait à mesure que le conflit se prolonqeait. Il n'y a jamais eu d'entente à ce sujet depuis. Je signalerai cependant façon 1969, la grève ayant pu être évitée, les parties n'ont pas eu à négocier d'entente sur les services essentiels.

Je crois qu'il ne faut pas se surprendre outre mesure de cet état de fait, étant donné que, par définition, les parties se retrouvent le plus souvent dans un contexte de rapport de forces qui teinte fatalement toutes leurs négociations, y compris hélas! celles qui portent sur les services essentiels. Au fond, à l'occasion d'une grève, peut-on raisonnablement demander aux parties en cause de limiter leur propre pouvoir de négociation et d'évaluer avec justesse si le manque d'électricité constitue ou non, et dans des centaines de cas particuliers, une urgence plutôt qu'un inconvénient?

Tant de facteurs sont à considérer, la saison, le type d'habitation et de services visés et, dans une certaine mesure, le seuil de tolérance de la population. Autant de jugements qui touchent l'intérêt public, et donc, relèvent de l'État. Les parties n'ont ni la sérénité, ni le détachement suffisant pour porter ces jugements d'intérêt général.

Voilà pourquoi Hydro-Québec recommande que le législateur déclare l'électricité service essentiel lorsque son défaut menace sérieusement la santé et la sécurité de la population. Voilà pourquoi également elle recommande que soit créé un organisme habilité à juqer, selon les circonstances et la catégorie d'abonnés affectés, le moment et le lieu où l'électricité est devenue un service essentiel.

M. le Président, avant de conclure, j'aimerais traiter brièvement du droit des travailleurs à se prononcer sur leurs conditions de travail en toute liberté et connaissance de cause.

Notre expérience en matière de négociation nous enseigne qu'un des obstacles à la solution relativement rapide des conflits de travail provient peut-être du fait qu'au cours des négociations, les salariés n'ont pas suffisamment l'occasion de se prononcer sur les offres de l'employeur. Il faut garder à l'esprit qu'au cours des négociations de 1972, 1976 et 1979, la durée moyenne des pourparlers s'est située entre 12 et 18 mois. Entre le moment où le syndicat obtient un mandat de grève et celui où la grève est déclenchée, il peut s'écouler plusieurs mois. Or, dans l'intervalle, les négociations progressent, les compromis interviennent et les offres sont modifiées. Étant donné ces délais et les inconvénients causés à la

population par une grève, ne serait-il pas raisonnable qu'au moins, avant d'ordonner la grève, l'association de salariés d'un service public fasse part des propositions les plus récentes de l'employeur aux travailleurs qu'elle représente? Nous le croyons. D'ailleurs, je rappelle que notre recommandation va dans le sens de la loi que le gouvernement faisait sanctionner le 12 novembre 1979 et par laquelle il obligeait notamment les associations de salariés des secteurs de l'éducation, des affaires sociales et de la fonction publique à soumettre, par voie de scrutin secret, aux salariés qu'elles représentaient, les dernières propositions patronales les concernant.

Quant aux modalités du scrutin, nous en proposons quelques-unes dans notre mémoire. Ce qui importe, c'est que les salariés puissent se prononcer et qu'ils puissent le faire librement et en toute connaissance de cause.

En conclusion, M. le Président, Hydro-Québec connaît parfaitement les difficultés qu'a éprouvées le législateur jusqu'à maintenant pour concilier le droit de la population aux services essentiels et celui des salariés à la libre négociation de leurs conditions de travail et, s'ils le jugent nécessaire, à la grève. Nous demeurons cependant convaincus qu'avant de recourir à des solutions draconiennes, il nous faut trouver, tous ensemble et le plus rapidement possible, des solutions du type préventif, qui garantissent à la fois l'existence des droits de la population et de ceux des salariés. Le mémoire que nous présentons à la commission propose à cet égard certains éléments de solution. À titre d'exemple, je souligne le devancement de la période de révision de l'accréditation, la fixation de la durée maximale des conventions collectives à quatre ans et la création de mécanismes permettant à la fois à la population d'être mieux informée et de faire connaître son opinion.

Nous croyons que ces éléments et ceux qu'apportent les autres intervenants devraient permettre au législateur de perfectionner le régime de négociation collective dans le secteur public. En ce qui nous concerne, les droits des salariés et ceux de la collectivité ne s'excluent pas mutuellement, ils doivent coexister. Nous invitons le législateur à se faire conciliateur et médiateur entre ces deux droits en adoptant les mesures appropriées. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Rodrigue): Je vous remercie. Je cède la parole au ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais, bien sûr, remercier Hydro-Québec d'être venue nous présenter son mémoire et, avec votre permission, je céderai immédiatement la parole à mon adjoint parlementaire, le député de Prévost, qui a fouillé particulièrement cet aspect du dossier et qui aurait un certain nombre de remarques d'ordre général à formuler et quelques questions très précises.

Le Président (M. Rodrigue): M. Dean, député de Prévost.

M. Dean: Merci, M. le Président. Depuis déjà deux jours - c'est la troisième journée - on a beaucoup discuté deux éléments techniques de toute cette épineuse question de l'exercice du droit de grève dans le secteur public et de l'obligation sociale de maintenir le droit des citoyens aux services essentiels à leur santé et leur sécurité.

Aussi, presque toutes les parties ont fait leurs recommandations quant aux mécanismes, quant à la façon de définir les services essentiels, mais il y a un autre thème qui se reflète dans ces discussions, c'est le comportement des parties dans ces négociations. On a dit que, quels que soient les mécanismes, quels que soient les services essentiels ou quelle que soit la façon dont on les définit, dont le législateur les définit -ou les parties - il reste une grande marge qui dépend absolument du comportement des deux parties à la négociation. (10 h 30)

Vous me permettrez de constater que, s'il y a des suggestions qui me paraissent très valables, on va certainement étudier toutes les suggestions avec beaucoup d'attention. Ce qui me frappe globalement, c'est une approche très juridique à cette question, des mécanismes et des services et on ne parle pas beaucoup du comportement, ce qui m'amène à faire quelques commentaires et à poser un certain nombre de questions.

La commission propose qu'un des éléments possibles de solution au mécanisme de négociation, c'est d'ouvrir la période communément appelée de maraudage. Au lieu de le faire à la toute fin de la convention collective, de le faire six mois à l'avance afin de permettre aux négociations de démarrer plus tôt. Je pense que c'est une suggestion qui a beaucoup de mérite et qui peut être étudiée avec beaucoup d'attention.

On parle de la possibilité de prévoir des conventions collectives d'une durée de quatre ans pour "assurer une plus grande stabilité des relations de travail". Je vais juste mentionner en passant que, dans l'industrie de l'automobile que je connais bien, quelque part au début des années cinquante, les parties pensaient avoir trouvé une solution pour la paix industrielle en négociant une convention collective de cinq ans. L'expérience vécue, c'est qu'à la fin de trois ans la vie était intenable dans les usines et dans les secteurs pour les deux

parties, de sorte que même les entreprises ont accepté d'ouvrir les conventions collectives et on n'a plus jamais entendu parler de conventions collectives de cinq ans ou de quatre ans. Je dis cela en passant. Ce n'est pas sûr que la durée de la convention est le cadre qui, par le fait même, assure une plus grande stabilité des relations de travail. Il y a peut-être autre chose.

L'obligation dans la législation pour le syndicat de présenter aux membres les dernières propositions de l'employeur et de tenir un scrutin secret, ce n'est pas le fait sur lequel je pose des questions. Je pense que c'est la pratique générale des syndicats de soumettre les offres à leurs membres et c'est la pratique générale des syndicats de tenir des votes secrets. D'ailleurs, le Code du travail prévoit déjà l'obligation de tenir un vote secret, à moins que je ne me trompe, sur les questions de grève. Mais, chaque fois qu'on met une stipulation comme celle-là dans le code, je me pose la question et je vous la pose: Est-ce que ça n'ouvrirait pas la porte, dans un système de négociation, à d'autres possibilités de contestations juridiques de la légitimité de chaque vote? En d'autres termes, chaque fois qu'on soumet des offres aux membres et qu'on tient un vote, il y a possibilité pour un ou des syndiqués ou quelqu'un d'arriver et dire: Écoutez, je n'étais pas bien informé, je demande une injonction, je demande la reprise du vote; donc, un problème.

L'autre problème particulier à Hydro-Québec, c'est que les travailleurs d'Hydro-Québec sont éparpillés dans tout le Québec, non seulement dans les grands centres, mais bien loin dans les petits centres où la tenue même du vote sur les offres patronales dure une période de temps assez longue; je ne sais pas, une semaine, deux semaines. Est-ce que ça n'ouvrirait pas la porte à la soumission d'une offre, un délai d'une semaine ou deux pour soumettre ça? L'employeur ajoute quelques grenailles à son offre et exige à nouveau que ce soit présenté aux membres; deux autres semaines pour discuter de ça, c'est rejeté encore; une autre grenaille, un autre vote. Chaque fois qu'on ajoute un point-virgule à l'offre, il y a l'obligation de retenir l'offre dans l'atmosphère de tension qui englobe toute négociation collective; lorsque ça arrive à la date possible de grève, etc., il y a tout un climat; l'effet d'une série de nouvelles offres, qui provoqueraient à nouveau l'obligation de tenir un nouveau vote, il me semble que ce serait risqué aussi comme mécanisme. Je vous pose la question, je demanderais à Hydro-Québec de se prononcer là-dessus.

Vous demandez aussi que soit prévue au Code du travail une disposition permettant la création de mécanismes pour que le public puisse faire connaître son opinon. Encore là, l'information des travailleurs et du public, on n'en a jamais assez. Mais ma question serait: Est-ce que vous auriez des suggestions concrètes par lesguelles vous pensez qu'on pourrait satisfaire à cette suggestion?

Est-ce qu'une telle obligation doit nécessairement être prévue au Code du travail ou s'il ne s'agirait pas, dans la pratique, que tout le monde ait la possibilité d'informer la population?

Il y a d'autres propositions qui sont plutôt d'ordre technique et, comme je l'ai dit tantôt, toutes les suggestions ou propositions seront étudiées attentivement par la commission.

Mais là, je me pose des questions parce qu'on parle de mécanismes, on parle de services essentiels, on parle de principes. Tout le monde est d'accord et je pense qu'il n'est pas nécessaire de l'écrire dans une loi, c'est un consensus social qui s'est dégagé solidement; d'abord, c'est carrément la position du gouvernement et de l'Opposition, mais c'est aussi le consensus qui se dégage de toutes les parties qui sont venues se présenter ici, c'est-à-dire qu'il faut que le droit des travailleurs de négocier et de faire la grève soit exercé de façon à respecter aussi le droit des citoyens en général d'avoir accès aux services nécessaires à leur santé et leur sécurité. C'est tellement un consensus accepté par tout le monde que c'est difficile d'écrire une loi qui exprimerait plus de choses que le consensus lui-même.

Mais j'en viens à la question de comportement. À Hydro-Québec, vous avez suggéré que le code soit amendé pour permettre à la période de "maraudage syndical" d'avoir lieu entre le sixième et le cinquième mois avant la fin du contrat au lieu de l'avant-dernier mois, comme actuellement, de façon à faciliter le départ des négociations. Mais, je vous pose la question; n'est-il pas vrai que, lors des dernières négociations, le syndicat d'Hydro-Québec a déposé ses demandes syndicales au mois de juin 1978, donc six mois avant la fin de la convention collective, mais que la première séance de négociation a eu lieu le 12 janvier 1979, donc après l'expiration de la convention collective? C'est une question qui touche une de vos recommandations.

Quand je parle de comportement, je me pose de sérieuses questions. Comme vous le savez peut-être, j'ai été impliqué directement et personnellement dans les premières négociations à Hydro-Québec en 1966, durant la période de nationalisation. Je vois le bilan des négociations à HydroQuébec depuis le début. En 1967, grève, règlement négocié. En 1969, grève remise à la dernière seconde, médiation spéciale, réglée par médiation spéciale. En 1971, grève illégale sur l'évaluation des emplois. Je souligne qu'en 1969, tout le monde savait que l'évaluation des emplois était une

question d'importance capitale pour les travailleurs d'Hydro-Québec; cela a été remis, pour régler la menace de grève en 1969, aux bons offices des parties et, en 1971, une grève illégale sur cette question, ce qui veut dire que, deux ans après, cela n'était pas réglé. En 1972, grève, injonction pour mettre fin à la grève, commission parlementaire, conflit réglé en commission parlementaire. En 1976, grève et, selon la centrale syndicale FTQ, qui représente les employés d'Hydro-Québec - je touche là les services essentiels - il a été dit qu'il y avait une demande d'injonction contre le syndicat à cause du non-maintien des services essentiels et le juge a été satisfait que les services essentiels ne soient pas mis en jeu et a refusé l'injonction. Je reprends les paroles de M. Laberge: Quand un juge refuse une injonction contre un groupe de travailleurs, il faut qu'il y ait une preuve solide à 300% pour ne pas accorder l'injonction; c'est un réflexe d'accorder des injonctions contre les syndiqués.

Demande d'injonction, services essentiels. M. Jean Cournoyer, alors ministre de la Fonction publique, intervient et accepte de faire une enquête sur la situation; les travailleurs retournent au travail en attendant l'enquête de M. Cournoyer. Cette enquête débouche sur un rapport de M. Cournoyer, qui est accepté par le syndicat. Est-ce que c'est deux mois après, ou presque deux mois après? En tout cas, quelque temps après, Hydro-Québec n'a pas encore accepté le rapport du médiateur, de M. Cournoyer et, selon mes informations, ça prend une deuxième grève de dix jours pour que le rapport de M. Cournoyer soit finalement accepté.

Finalement, en 1979, grève, loi spéciale, retour au travail et, selon mes informations, l'évaluation des emplois, encore une fois, deux ans après, est encore en litige devant les tribunaux d'arbitrage.

Je vous demande, dans le domaine de ce comportement, de réfléchir sur l'effet cumulatif de mécontentement, de frustration qu'un tel historique peut provoquer chez des travailleurs. Et je n'ai pas fini.

Pendant tout ce temps, n'est-il pas vrai aussi que les griefs qui se retrouvent à l'arbitrage - d'après ce qu'on me dit, c'est presque inconcevable - sont, en moyenne, de 1000 par année? Chaque grief représente un problème non réglé, certainement des griefs non fondés, mais certainement des griefs fondés quelque part. Est-il vrai que, actuellement, il y a une accumulation de 2000 griefs, à peu près, à l'arbitrage? Est-il vrai que, lors de négociation, Hydro-Québec refuse de régler les griefs, comme c'est chose courante dans les grandes entreprises? 5i on a une accumulation de griefs, on essaie de les régler à la table de négociation pour commencer une nouvelle convention collective en nettoyant la table et en tentant de repartir à neuf.

Si je faisais un commentaire, en passant, d'après mon expérience personnelle: avec tous les mignons défauts qu'on peut attribuer à une entreprise privée comme General Motors, qui a 460 000 travailleurs syndiqués, je vous fais part qu'à General Motors, aux États-Unis, il y a une cinquantaine de griefs à l'arbitrage par année, parce qu'on négocie des griefs. Aussi, quand on arrive à la négociation, on prend même 2000 ou 3000 griefs accumulés et, dans le contexte de la négociation de la convention collective, on essaie au moins de réduire cette masse de qriefs pour repartir à neuf. (10 h 45)

Cela m'amène à poser la question suivante: N'est-il pas vrai que la question de comportement soulevée par toutes les parties est un facteur aussi important, peut-être plus important, que la définition juridique du principe des mécanismes de négociation et des services essentiels? C'est bien beau d'avoir le squelette, mais, si le coeur n'est pas là, si la tête n'est pas là, il n'y a aucun mécanisme qui va faire fonctionner les droits des travailleurs ou le droit de la population aux services essentiels.

Le Président (M. Rodrigue): Merci. M. Bourbeau.

M. Bourbeau (Joseph): Je vais passer la parole à M. Durocher, dans un premier temps, et à M. Hardy, dans un deuxième temps.

M. Durocher (Jacques): M. le Président, dans le cadre du mandat de votre commission, Hydro-Québec a proposé un certain nombre de remèdes qui, nous l'espérons, vont améliorer à la fois le climat des relations de travail et également les moyens pour maintenir aux travailleurs leur droit de grève et à la population les services essentiels lorsque la santé ou la sécurité est en cause.

Évidemment, les recommandations que nous avons dans notre mémoire ont des portées et des valeurs fort différentes. Notre principe de base qui porte sur le maintien du droit de grève et également sur le maintien de l'électricité lorsque la santé et la sécurité du public est en cause nous paraît une orientation fondamentale pour atteindre l'objectif que je mentionnais précédemment, à savoir des relations plus harmonieuses entre les parties.

Ce qui nous paraît le plus important dans notre mémoire, c'est l'orientation qui porte sur les services essentiels. L'expérience passée nous a démontré que, chaque fois qu'on demandait à un organisme patronal et à une association de travailleurs d'essayer de

définir ensemble des services essentiels, chaque fois ou presque, les difficultés ont été considérables. La situation se comprend puisque demander au travailleur de renoncer d'une certaine façon à son pouvoir de pression et à l'employeur également, lui enlever certains moyens à sa disposition, les parties se retrouvent vite dans une impasse.

L'organisme que nous préconisons et sur lequel, encore une fois, toutes les modalités sont loin d'être arrêtées, pourrait, si le concept semble intéressant, être étudié davantage. On pourrait certainement se demander si cet organisme serait un organisme sectoriel. En d'autres termes: Est-ce qu'il y aurait un organisme pour voir au maintien des services essentiels lorsqu'il s'agit de l'électricité qui est en cause? Un autre secteur verrait également aux services essentiels, dans le cas des hôpitaux. Est-ce que ce serait centralisé ou décentralisé? Et il y a d'autres points.

Sur les points soulevés par M. Dean, à savoir modifier la période de maraudaqe pour permettre un début de négociation plus rapidement, l'expérience qu'on a à Hydro-Québec, c'est que nous avons de grandes unités de négociation. Les dispositions actuelles du Code du travail permettent un maraudage entre le 80e et le 60e jour; lorsqu'il y a une intervention d'un syndicat tiers, à ce moment, cela a pour effet de retarder toute la négociation. Notre proposition, nous le croyons, aurait certainement l'avantage de nettoyer le problème de maraudage et de permettre aux parties, environ cinq à six mois avant la fin de la convention collective, de commencer les négociations sans avoir ce problème d'un tiers syndicat qui peut intervenir. Actuellement, si les négociations commencent très tôt, l'employeur et le syndicat peuvent être placés dans la situation où un tiers intervient et l'employeur ne sait plus avec qui exactement il négocie.

Quant à la proposition que nous faisons sur le vote de grève, un vote sur les dernières propositions, évidemment, cette proposition nécessite un encadrement. La proposition n'est pas faite dans le but de permettre à l'employeur ou aux autres employeurs du secteur public de faire des propositions à la miette et de multiplier les votes de grève ou de rendre la grève illégale à cause de complications juridiques.

Ce que nous signifions par notre proposition, c'est ceci: À Hydro-Québec, l'expérience, encore une fois, nous a démontré qu'il s'écoule plusieurs mois entre le moment où l'employeur et le syndicat commencent les négociations et le moment où les employés donnent un vote de grève. Il s'écoule également un certain nombre de mois entre le moment où effectivement la grève a lieu et les pourparlers qui se maintiennent.

Notre proposition de vote sur les dernières offres patronales, qui rejoint une loi qui a été mise en vigueur en 1979, je crois, qui portait justement sur une obligation pour les syndicats de présenter à leurs membres du secteur parapublic les dernières propositions du gouvernement, est inspirée des mêmes considérations. Il nous apparaît important que le travailleur, avant d'utiliser un droit qui lui appartient, ait pleine connaissance de tous les avantages, de toutes les propositions faites par l'employeur. Lorsque le travailleur vote, comme effectivement cela existe dans le Code du travail - effectivement, avant d'aller en grève, le travailleur doit manifester son intention d'une façon claire; la loi le prévoit - au début d'une négociation et que le droit à la grève est exercé six, huit ou dix mois plus tard, entre le début de la négociation et le moment de la grève, il s'est passé beaucoup de choses. Les propositions syndicales ont été modifiées et les propositions patronales ont également été modifiées. Dans ce sens-là...

M. Dean: M. Durocher...

M. Durocher: Si vous le permettez, je vais terminer, M. le Président. Dans ce sens-là, nous croyons que notre proposition aurait l'avantage de permettre aux travailleurs de se prononcer sur les dernières propositions de l'employeur avant d'exercer leur droit de grève.

M. Dean: Mais êtes-vous en train de dire que cela ne se fait pas comme cela à Hydro-Québec? Je ne connais pas énormément de syndicats, ni énormément de groupes de travailleurs qui acceptent de ne pas connaître les dernières offres patronales avant d'exercer effectivement leur droit de grève. J'aimerais que vous commentiez aussi le danger que je vois pour la démocratie quand, à une série d'offres rejetées, on ajoute quelques petites bebelles, comme cela se fait souvent, on exige une nouvelle offre, même un point-virgule pour prendre un cas extrême, juste un petit point sur dix points en litige, on fait une petite addition, une nouvelle obligation... Cela semble aussi être un processus extrêmement lourd, surtout dans la situation où un syndicat est éparpillé dans tout le Québec, comme le syndicat des employés d'Hydro-Québec.

Le Président (M. Rodrigue): Si vous voulez poursuivre, M. Durocher.

M. Durocher: M. le Président, malheureusement, il est arrivé des situations à Hydro-Québec - je pense que c'est arrivé également ailleurs, mais je suis certain qu'à Hydro-Québec cela s'est produit - où, par exemple, un rapport du médiateur a été

présenté aux parties et, tant dans la recommandation du médiateur que dans la position de l'employeur, on demandait que ce rapport soit porté à la connaissance des employés et qu'on donne aux employés l'occasion de s'exprimer sur ce rapport. La chose ne s'est pas produite.

Plus récemment, en 1979, en commission parlementaire, les membres de la commission parlementaire avaient proposé aux représentants syndicaux de soumettre à leurs membres les dernières offres que l'employeur avait présentées et cette proposition a également été refusée.

Ce que nous prétendons, ce n'est pas que les travailleurs sont dans l'ignorance continuelle et totale; c'est qu'à certains moments il s'est produit ces circonstances déplorables. Notre proposition, qui, encore une fois, je le répète, n'est pas accompagnée de tout le raffinement et de tous les mécanismes dont elle devrait être accompagnée, vise à éviter ces choses-là. En fait, on dit: La grève dans les services publics, c'est quelque chose de très sérieux. Avant que le travailleur exerce ce droit, il doit avoir toute l'information pour le faire en pleine connaissance de cause.

M. le Président, je demanderais à M. Guy-Paul Hardy, le directeur des relations du travail, de répondre concernant les aspects que je n'ai pas touchés dans l'intervention de M. Dean.

Le Président (M. Rodrigue): Je vais vous demander de déplacer le micro pour être bien sûr qu'on capte ce que M. Hardy va dire.

M. Hardy (Guy-Paul): Concernant la suggestion que nous faisons dans notre mémoire de créer un organisme pour permettre au public de se faire entendre, un organisme pour faire en sorte que le public soit bien au courant de tous les éléments dans le dossier, vous vous rappelez qu'en 1964, quand le droit de grève a été accordé aux employés du secteur public ou dans les services publics, le législateur du temps et les experts du temps croyaient sincèrement que l'opinion publique aurait un effet modérateur sur l'exercice du droit de grève et ferait en sorte que le droit de grève devienne vraiment une arme ultime qu'on n'utilise que dans des circonstances très exceptionnelles et peu fréquemment. L'usage nous a démontré, depuis 1964, que cela n'a pas été le cas. Les mécanismes de négociation du secteur privé qu'on a appliqués au secteur public n'ont pas joué de la même façon que dans le secteur privé. Effectivement, la grève a eu lieu fréquemment.

Nous croyons qu'il serait important que le public connaisse l'ensemble des enjeux de la négociation. Je ne parle pas uniquement de la grève ou des services essentiels. Ce n'est pas surtout à cela que je fais référence. C'est à la démarche des parties, au contenu des conditions de travail offertes, à ce qui existe déjà. On croit qu'un organisme neutre, un peu semblable à celui qui existe dans le code pour les secteurs public et parapublic - secteurs qui ne couvrent pas Hydro-Québec - qui aurait un mandat un peu plus défini, pourrait sans doute éclairer l'opinion publique. On croit aussi que cet organisme, par des mécanismes à définir encore une fois - et on serait disponibles pour travailler avec des représentants du ministère si l'idée est retenue - pourrait canaliser en quelque sorte les positions du public et les faire connaître aux parties. C'est un peu cela qu'on veut suggérer dans notre mémoire.

Le Président (M. Rodrigue): M. Rivest, Jean-Talon.

M. Rivest: M. le Président, je constate que dans le mémoire vous illustrez, d'une certaine façon, la difficulté du sujet qui nous confronte aujourd'hui. D'une part, vous vous posez des questions très sérieuses en vous demandant qui, si on enlevait le droit de grève dans les services publics et à Hydro-Québec, verrait à ce que les services essentiels soient assurés. C'est l'inconvénient majeur, en plus des autres, que vous verriez. (11 heures)

Par ailleurs, avec le droit de grève, Hydro-Québec a un bilan de relations de travail pas plus avantageux que celui du gouvernement lui-même, dans la mesure où, en 1967 ou 1969, je pense, il n'y a pas eu de conflits, de débrayages, mais en 1972, 1976 ou 19V, les relations de travail à Hydro-Québec semblaient ne pas être faciles également. Avec ce droit de grève, vous affirmez également dans le mémoire que jamais les parties ne se sont entendues sur les services essentiels. Alors, si on enlevait le droit de grève, il y aurait un problème à savoir qui assurerait les services essentiels et, avec le droit de grève, vous n'arrivez pas à vous entendre pour assurer les services essentiels.

Mais, en réalité, dans les années difficiles qu'Hydro-Québec a connues dans ses relations de travail avec les employés, il y a eu des débrayages. Je pense que vous êtes conscient également, lorsqu'il y a panne d'électricité ou que les services de l'électricité ne sont pas fournis à l'occasion des conflits de travail, que c'est un des points qui amènent la population à songer à des solutions plus radicales; le domaine de l'électricité touche directement le public. Quelle est votre évaluation, M. le Président, ou l'un ou l'autre de vos collaborateurs, sur la façon en général dont ont pu être réparées les pannes, lors des conflits de

travail?

Je comprends qu'il n'y a pas eu d'entente sur les services essentiels, mais il y a eu des actions de la partie syndicale et d'Hydro-Québec, je suppose, pour assurer qu'effectivement les pannes soient réparées. Le public, quant à la manière dont cela s'est fait - je pense que vous en conviendrez avec moi - est convaincu que cela a été beaucoup trop long, et non sans raison dans bien des cas. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

M. Bourbeau (Joseph): M. le Président, M. Réliveau.

M. Béliveau (Gilles): Je peux répondre à votre question en vous faisant part un peu de l'expérience de 1979 qui est la plus récente et où, effectivement, Hydro-Québec a proposé une entente sur la définition des services essentiels et les moyens de les assurer. Il y a eu un échange de correspondance, télégrammes, rencontres, etc., pour, finalement, aboutir à la situation où la partie syndicale nous a répondu qu'ils étaient responsables et entendaient faire face à leurs responsabilités dans le maintien des services essentiels, tout comme ils l'avaient fait en 1976, selon ce qu'ils nous ont dit.

Là où il y a eu une entente tacite, ce fut quant à établir des mécanismes de communication entre la partie patronale et la partie syndicale pour communiquer à la partie syndicale les pannes qui sont rapportées par la population. Alors, le jugement de l'état d'urgence d'une panne, en 1979 comme en 1976 d'ailleurs, a été la responsabilité de la partie syndicale.

C'est la raison pour laquelle, d'une façon générale, la restauration du service a pris en moyenne - c'est ce qu'on avait affirmé à la commission parlementaire du 17 décembre 1979 - à peu près trois fois le temps normal que prend la restauration du service. Évidemment, cela s'explique par, d'une part, le temps que peut prendre la partie syndicale à décider s'il y a urgence ou pas et, d'autre part, cela s'explique aussi par la difficulté de recruter des travailleurs en temps de grève, surtout à une époque où la grève traîne déjà, pour réparer les pannes en question.

À présent, je voudrais faire remarquer qu'il y a des occasions où nous devons procéder à des réparations sur le réseau électrique sans qu'il y ait nécessairement panne affectant les services au public. Ce sont des occasions - et cela a été le cas en 1979, c'est un des facteurs qui nous ont amenés en commission parlementaire - où la stabilité et la sécurité du grand réseau d'Hydro-Québec sont en danger. Cela a été le cas en 1979 où nous avions, sur le grand réseau de production et de transport d'Hydro-Québec, plusieurs éléments importants qui étaient en panne et que nous n'avions pas réussi à faire réparer par les travailleurs. Alors, nous avions diagnostiqué que, si un autre élément majeur devait flancher, nous étions en situation précaire de perdre le grand réseau électrique et, évidemment, on sait par expérience que ça allait affecter toute la population du Québec et que ça allait nécessiter passablement de temps, c'est-à-dire plusieurs heures; on disait même que ça pouvait aller jusqu'à 24 heures pour rétablir le réseau, avec les conséquences économiques qui s'appliquent à ce moment.

M. Rivest: Évidemment, dans l'état actuel du droit du travail qui s'applique à Hydro-Québec, il n'y a aucune obligation juridique qui amène les parties à devoir s'entendre, enfin, ce n'est pas encadré juridiquement, sur la manière d'identifier le caractère essentiel d'un service en cas de conflit de travail; il n'y a pas de choses analogues à ce qui existe, par exemple, dans le secteur de la santé et de la sécurité, sauf, bien sûr, les dispositions pour ce qui est du Code du travail, à l'article 99, le recours à l'injonction, qui s'applique à Hydro-Québec. Mais vous évoquez une possibilité, pour Hydro-Québec, vous dites: Hydro-Québec est prête à examiner les avenues qui sont déjà celles prévues pour les organismes de santé et les services sociaux, c'est-à-dire la création d'un conseil, etc.

À cet égard - c'est soit le président qui l'a évoqué tantôt ou M. Durocher, je ne sais trop - en dehors de l'organisme qui déterminerait les services essentiels et qui les administrerait, si vous voulez, en cas de conflit, dans la loi actuelle, dans la pratique actuelle, pour les services de santé et de sécurité, il y a des dispositions qui sont prévues au titre des ententes que les parties doivent faire là-dessus. Deuxièmement, en cas de non-entente, comme on le sait, entre les deux, pour définir la nature des services essentiels, la loi dit que c'est la liste syndicale, c'est-à-dire que c'est le syndicat, unilatéralement, qui décide ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas dans les institutions de santé et de sécurité. Est-ce l'idée que cela ne s'appliquerait pas complètement à Hydro-Québec, étant donné la nature du service que vous fournissez? Mais sur cette idée d'une prépondérance de pouvoir, de responsabilité - parlons de cela, puisque c'est ce dont il s'agit - confiés à la partie syndicale, je comprends, de votre expérience, à tout le moins, d'après ce que vous venez de dire, que vous seriez extrêmement sceptiques sur la façon dont ce serait possible à Hydro-Québec, dans la mesure où vous dites: Ce sont les syndiqués qui ont fait que cela a pris deux ou trois fois plus de temps qu'en temps normal pour réparer une panne. Peut-être n'est-ce pas

l'endroit ici pour vous de jeter un blâme particulier au syndicat, mais vous avez fait une affirmation de fait - prenons là la plus objectivement possible - donc, est-ce que je conclus que vous ne verriez pas d'un bon oeil, pour l'instant, qu'une responsabilité analogue à celle qui est accordée aux employés des services de santé et des services sociaux soit appliquée à HydroQuébec? Est-ce que je vous comprends bien sur ce point?

M. Bourbeau (Joseph): M. Durocher.

M. Durocher: Effectivement, M. le Président, le conseil des services essentiels qu'on retrouve dans le secteur des hôpitaux, cette disposition de la loi ne s'applique pas a Hydro-Québec, puisque notre entreprise est considérée comme faisant partie du secteur péripublic. De fait, actuellement, il n'y a absolument rien dans la loi qui oriente les parties, si on veut, sur la définition des services essentiels. Tant le syndicat que l'employeur n'ont absolument aucun baromètre, sinon l'équité et la bonne conscience, pour convenir des ententes sur les services essentiels.

Vous nous demandez si le conseil des services essentiels qui existe dans le secteur des hôpitaux pourrait avoir un certain effet à Hydro-Québec. Nous avons des doutes sérieux. Notre proposition ne va pas dans ce sens-là. La raison pour laquelle elle ne va pas dans ce sens-là, c'est que la détermination des services essentiels prend au coeur et aux tripes, tant de l'employeur que du syndicat. En période de négociation, les objectifs que vise le syndicat, c'est d'améliorer les conditions de travail des travailleurs. Les objectifs que vise l'employeur portent également sur la détermination de la convention collective.

La notion de services essentiels est une notion qu'on pourrait qualifier de bien public. À cet égard, laisser à l'une ou à l'autre des parties le soin de dire: C'est quoi le bien public? on pense qu'on fait fausse route. Il appartient à l'État ou à un organisme qui serait arrêté par l'État de se pencher et de dire: Bien, c'est quoi exactement le bien public? Jusqu'à quel point le public, à un moment donné, est dans un état d'urgence ou jusqu'à quel point le public, à un moment donné, est dans un état de danger?

C'est pour cette raison, M. le Président, que nous proposons un organisme qui serait juge de la situation. Cet organisme, bien sûr, on n'en a pas défini toutes les modalités. Mais cet organisme pourrait être éclairé à la fois par la partie patronale et par la partie syndicale sur l'état de la situation et définir les modalités.

M. Rivest: J'ai moi-même eu l'occasion d'interroger d'autres porte-parole depuis le début des travaux de cette commission sur cet aspect qui m'apparaît assez fondamental. Dans la mesure où on dit que ces services, que ce soit dans le domaine de la santé, des services sociaux, à Hydro-Québec ou n'importe où, sont essentiels - c'est là l'objectif; vous parlez de bien public -comment en arriver à trouver un mécanisme de façon à les assurer, à sortir cette détermination des services essentiels et leur fourniture du contentieux de négociation et de façon à la sortir? C'est-à-dire que cela ne devienne pas un objet de négociation ou un moyen de pression de l'une ou l'autre des parties contre son adversaire, en l'occurrence, mais que cela soit évalué sur une base objective, uniquement en fonction du bien public. Sortir la détermination des services essentiels du mécanisme de négociation et de tout ce qui l'entoure, c'est-à-dire les moyens de pression. La façon dont vous voyez cette possibilité, c'est par la création - par un tiers, autrement dit -d'un organisme.

J'ai une dernière question. Dans la déclaration du président, M. Bourbeau, ainsi que dans votre mémoire qui est plus explicite, il y a une chose. Vous parlez, dans votre mémoire, d'un organisme spécialisé, peu importe la structure. Par contre, M. Bourbeau a dit, dans sa déclaration, en parlant de cet organisme - c'est peut-être juste une façon de s'exprimer, mais la question fondamentale est là - un organisme habilité à juger, selon les circonstances, la catégorie, etc., si l'électricité est devenue un service essentiel.

Quand, M. Bourbeau, vous employez le mot "juger", est-ce que cela impligue dans votre esprit - c'est assez fondamental dans la mesure où le ministre lui-même a interrogé des représentants syndicaux, entre autres, la CSN - que cet organisme spécialisé, qui verrait à la détermination des services essentiels à Hydro-Québec pour ce qui concerne l'électricité, qui, selon vous, serait habilité à juger, devrait être doté de pouvoirs judiciaires et guasi judiciaires, c'est-à-dire non seulement avoir des responsabilités normatives dans la détermination des services essentiels et la façon effective de les assurer, mais également un régime de sanctions et de vérifications sur le comportement des parties et les efforts qui, effectivement, sont faits pour assurer ou non les services essentiels?

Autrement dit, est-ce qu'à cet organisme, vous conféreriez des pouvoirs judiciaires et quasi judiciaires?

M. Bourbeau (Joseph): Sur la proposition d'Hydro-Québec, c'est certainement un organisme qui devrait rendre une décision sur ce qu'est le service essentiel ou si quelque chose ne devient pas un service essentiel. Je pense que, pour nous, c'est assez clair. C'est

un organisme décisionnel. (11 h 15)

Maintenant, pour être capable de mieux définir ce fameux organisme, je pense que M. Guy-Paul Hardy peut vous donner plus d'éclairage sur certaines modalités.

M. Hardy: En fait, ce qu'on dit dans notre mémoire, c'est que l'organisme est habilité à décider, à un moment donné, dans un cas donné. C'est quelque chose d'évolutif, de dynamique, ce mécanisme. Il ne prend pas de décision au préalable, six mois à l'avance, à savoir que tout est essentiel ou que bien des choses sont essentielles. Il peut en prendre certaines d'avance quand c'est évident; à titre d'exemple, on ne peut pas laisser longtemps un hôpital sans électricité. II peut décréter à l'avance que la fourniture de l'électricité à un hôpital devient un service essentiel.

Ce n'est pas la même chose pour d'autres types d'abonnés. Ce n'est pas la même chose en quelque saison de l'année que ce soit. En été, une grève qui affecte le domiciliaire, ce n'est pas nécessairement un service essentiel. En hiver, ça peut changer. Une grève qui affecte une usine, ce n'est pas nécessairement un service essentiel, ce n'est pas nécessairement relié à la santé et à la sécurité de la population. En conséquence, ce qu'on dit, c'est que l'organisme devrait décider quand la santé et la sécurité de la population sont affectées et il devrait aussi décider des moyens à prendre pour remettre le service.

On ne donne pas de pouvoirs quasi judiciaires, de pouvoirs judiciaires à cet organisme. Ce qu'on mentionne, c'est que l'exercice du droit de grève devrait être subordonné au respect des décisions de cet organisme. S'il y a des parties qui se croient lésées, qui prétendent que la grève était illéqale, des choses comme ça, il y a des possibilités...

M. Rivest: Vous dites que cet organisme doit décider. Mais, s'il décide, il rend jugement... C'est ça, le caractère judiciaire, c'est ce que je veux dire quand je parle d'un organisme judiciaire. Il ne suffit pas que l'organisme décide de guelque chose, il doit avoir les moyens, également, de le mettre en oeuvre. Donc, il faut qu'il y ait un régime de sanctions. La décision est judiciaire, elle est exécutoire. Quand je dis judiciaire, je veux dire qu'elle est exécutoire et qu'il n'y a pas d'autre avenue, à moins que je ne fasse erreur et que cet organisme ne soit doté de pouvoirs... C'est ça que j'entends, en tout cas, quand je dis que cet organisme, selon ce que vous proposez... Je vous pose la question à savoir si c'est ça. Vous me dites: Ce n'est pas un organisme qui va seulement donner des conseils, il faut qu'en fin de compte, les gens aient de l'électricité. S'il n'y a pas moyen de s'entendre entre le syndicat et Hydro-Québec, c'est pour ça qu'on crée l'organisme. C'est là-dessus que j'aimerais qu'Hydro-Québec réfléchisse davantage, si sa réflexion n'a pas été poussée jusque-là, ou précise, éventuellement, son attitude.

La question, je la pose parce que, dans le domaine de la santé et de la sécurité, on l'a. Le ministre a interrogé, entre autres, M. Rodrigue, de la CSN, ainsi que les autres représentants syndicaux et eux, évidemment, nous ont dit très clairement: Nous, on s'oppose à ce que toute espèce d'organisme de ce type soit doté de pouvoirs judiciaires et quasi judiciaires. À ce moment-là, ils savent bien que ça va être un tiers qui va décider et, dans le domaine de la santé et de la sécurité, en vertu de la loi actuelle, le syndicat a un pouvoir reconnu par la loi; s'il n'y a pas d'entente, c'est lui qui a la prépondérance, c'est un droit qui lui a été confié par une loi, il y a un an ou deux. Le gouvernement a confié cette responsabilité aux syndicats, il a fait ce choix.

Ce qu'Hydro-Québec propose ou, enfin, ce que je comprends de votre témoignage, ce n'est pas du tout ça. Il n'est pas question de donner l'autorité au syndicat, non plus, d'ailleurs, qu'à Hydro-Québec; c'est un organisme indépendant qui le ferait. À ce moment-là, il faut qu'il ait des pouvoirs, cet organisme. Ca ne peut pas être seulement une espèce d'organisme consultatif parce que ça ne donnerait pas d'électricité aux gens qui vont en manquer.

M. Bourbeau (Joseph): M. Durocher.

M. Durocher: Bien sûr, vous touchez des points très importants. On est ici en présence de la création, si on veut, d'organismes qui ont, dans certains pays... On peut établir des parallèles avec des organismes qui existent dans certains pays ou dans certaines provinces pour celui qu'on propose. À ce moment-ci, on ne prétend pas qu'on a fait le tour complet de cette formule. Nous la voyons de la façon suivante. Nous créons un organisme qui va pouvoir, au cours d'une grève, ou avant une grève, dans le secteur de l'électricité, évaluer la situation qui, comme le mentionnait M. Guy-Paul Hardy, est changeante. Il faut que cet organisme, à la fois, ait des pouvoirs de décision. Le seul pouvoir de décision qu'on voit à cet organisme, c'est de décider si, à un moment donné, la santé ou la sécurité publique est en cause ou de décider que tel type de services doivent être maintenus, et également de décider quels moyens l'entreprise et le syndicat doivent prendre pour maintenir les services.

M. Rivest: Une petite question. Pour

décider, est-ce que, dans votre esprit, vous allez accepter que cet organisme entende les parties? Si Hydro-Québec vient dire: Oui, c'est un problème très grave, est-ce que le syndicat aurait le droit de dire: Non, ce n'est pas si grave que cela? Si vous embarquez là-dedans, vous embarquez dans le processus judiciaire et quasi judiciaire.

M. Durocher: L'hypothèse qu'on mettait de l'avant, c'était que le responsable de cet organisme, appelons-le commissaire pour les fins de l'échange, pourrait être accompaqné d'un spécialiste du secteur où se produit la grève, où la grève est appréhendée, et recevoir l'éclairage de ce spécialiste.

M. Rivest: Un spécialiste d'Hydro-Québec?

M. Durocher: Qui pourrait être nommé par l'organisme en question, venant des secteurs soit patronal ou syndical, qui connaisse le secteur, bien sûr, mais on ne voit pas que l'organisme ait des pouvoirs judiciaires; en d'autres termes, que l'organisme impose des sanctions, des amendes. Il appartiendrait aux autres tribunaux qui existent déjà de voir à ce que ces décisions de l'orqanisme soient maintenues.

M. Rivest: Je m'informais. Ce que vous semblez évoquer, c'est pratiquement un retour, sur une base peut-être plus institutionnalisée, pour les fins d'Hydro-Québec, à ce qui existait dans la loi 253 sur les commissaires, qui décidaient, dans le domaine de la santé et de la sécurité, ce qui était ou n'était pas des services essentiels dans l'établissement. Il y avait tout un contexte politico... je ne sais trop comment le qualifier, autour de la loi 253, mais en pratique tous les gens qui ont examiné la loi ont trouvé que cette formule n'avait pas été un immense succès. C'était le commissaire-enquêteur qui décidait de ce qui était essentiel ou pas, mais finalement cette chose n'a pas fonctionné du tout.

M. Durocher: En fait, on est conscient que notre formule... Il y a une idée qui est lancée. On dit que, si l'idée est intéressante, il faudra mettre en présence les parties concernées et pousser davantage cette formule.

Le Président (M. Rodrigue): M. Perron, Duplessis.

M. Perron: Merci, M. le Président. Mon collègue de Prévost a soulevé plusieurs questions que j'avais l'intention de soulever. Je voudrais en toucher une en particulier. Si ma mémoire est bonne, la loi 59, par exemple, ne touche aucunement les services essentiels en rapport avec Hydro-Québec et les travailleurs d'Hydro-Québec. La question que je voudrais vous poser est celle-ci: N'est-il pas exact - je prends une région en particulier - que, par exemple, dans la région de la Manicouagan, il y a eu une très bonne entente avec le Syndicat canadien de la fonction publique, spécialement le local 1500, afin que tous les services essentiels soient maintenus? Deuxième question, très courte aussi. Je voudrais savoir ce que vous pensez d'un comité composé d'usagqers et de travailleurs, puisque cela a été soulevé dans d'autres mémoires. Ce comité aurait pour mandat de suivre de près l'évolution des services essentiels, que ce soit à Hydro-Québec ou dans d'autres secteurs d'activité.

M. Bourbeau (Joseph): M. Hardy.

M. Hardy: Pour ce qui est de votre première question, à savoir qu'il y a eu des ententes qui ont été très bien respectées dans la région de la Manicouagan, il est possible qu'il y ait eu des circonstances où les ententes ont été bien respectées, où les services essentiels dans certains endroits ont été bien rendus, mais il reste qu'à un moment donné - les parties sont mauvais juge de cela, je pense que c'est la population et les élus du peuple qui doivent en juger -le législateur a dû intervenir dans le cours de l'histoire d'Hydro-Québec pour ordonner des retours de travail afin de maintenir les services essentiels. Cela a été le cas en 1972; cela a été le cas en 1979. Donc, je ne suis pas en mesure de répondre avec précision dans le cas que vous soulevez pour la région de la Manicouagan, mais je sais qu'en général le législateur a dû intervenir en certaines circonstances pour assurer à la population les services essentiels.

Quant à votre deuxième question, qui porte sur un comité composé de représentants des travailleurs et de représentants des usagers, je ne suis pas très familier avec le mandat que pourrait avoir ce comité. Quel serait l'objectif de ce comité? Serait-ce d'assurer la qualité des services ou de vérifier si les services essentiels sont maintenus?

M. Perron: Cela pourrait être, par exemple, de suivre l'évolution des services essentiels et de faire des recommandations à un organisme quelconque ou même de faire des recommandations aux travailleurs et à Hydro dans votre cas pour que telle chose soit faite pour donner des services essentiels à la population. Je donne un exemple; cela pourrait aller plus loin que cela.

M. Hardy: En fait, dans notre mémoire, on crée un organisme qui devrait uniquement intervenir pour empêcher l'exercice du droit de grève dans les cas d'urgence; pas d'une

façon systématique, pas des interventions préventives au cas où, mais intervenir ad hoc dans des cas d'urqence. On croit qu'il est important que cet organisme puisse agir vite, parce qu'un cas d'urgence il faut le régler vite. Je pense que des organismes consultatifs comme ceux-là auraient peut-être pour effet de retarder la décision de cet organisme. Remarquez que c'est une formule qu'on n'a pas explorée à fond à Hydro-Québec; on ne s'est pas penchés là-dessus, mais j'apporte immédiatement une certaine réserve sur l'urgence de la réaction de l'organisme.

M. Bourbeau (Joseph): M. Béliveau a aussi des commentaires sur la question.

M. Réliveau: En fait, j'ai quelque chose à ajouter sur la question du député de Manicouagan.

M. Perron: Le député de Duplessis; le député de Manicouagan, c'est au fédéral.

M. Béliveau: Excusez-moi, M. le Président, toutes mes excuses. Si on se réfère à la période de grève qu'on a connue en 1979, il faut mentionner qu'il y a de nombreuses décisions à prendre tous les jours pendant une période de grève en ce qui concerne les pannes. On calcule qu'il peut y avoir, au mois de décembre, par exemple, environ 200 pannes d'électricité par jour dans la province en tout, sur tout le réseau, production, transport et distribution.

M. Perron: Mais cela touche surtout la distribution?

M. Béliveau: Surtout, oui, d'accord. C'est la raison pour laquelle, tant du côté patronal que syndical, ou vice versa, on a essayé, lors de chaque grève, de gérer la restauration du service de la façon la plus décentralisée possible pendant la grève, comme on le fait d'ailleurs en temps ordinaire, parce qu'on se doit de décentraliser des décisions pour qu'elles soient plus rapides. On se doit aussi, pour la rapidité des décisions, d'être le plus près possible de l'endroit, du lieu où se situent les pannes, de façon que nous puissions avoir l'information le plus rapidement possible et, évidemment, la meilleure information possible. Ceci revient à dire que, possiblement, dans la région de Manicouaqan, les mécanismes étaient bien huilés entre les deux parties et nous nous sommes bien entendus tout au long de la grève quant aux décisions à prendre sur les réparations à faire. Dans d'autres régions, cela a moins bien fonctionné, cela a varié. Je ne sais pas si cela répond à votre question, M. le député de Duplessis.

M. Perron: Pour le moment, oui, merci.

Le Président (M. Rodrigue): M. Polak. Oui, M. Bourbeau.

M. Bourbeau (Joseph): J'aurais peut-être une réflexion pour le député de Duplessis sur le comité usagers-travailleurs. Quoique je ne connaisse pas la façon dont ce comité pourrait fonctionner, c'est peut-être un comité qui, avec des usagers et des travailleurs, pourrait répondre à certains problèmes lors d'une grève et définir des services essentiels. Peut-être que d'autres problèmes pourraient se présenter sur le grand réseau où on devrait regarder avec une grande technicité quand le réseau peut devenir vulnérable. À ce moment-là, peut-être que ce comité, avec des usagers et des travailleurs, ne pourrait pas arriver à définir exactement quand le réseau pourrait devenir vulnérable. Or, il se peut que le comité puisse travailler dans certains cas, mais, dans d'autres cas, peut-être que le comité ne pourrait pas apporter une bonne solution. C'est une réflexion que j'ai.

M. Perron: Merci.

Le Président (M. Rodrigue): M. Polak, Sainte-Anne.

M. Polak: M. Bourbeau, jusqu'ici, on a parlé beaucoup de services essentiels dans le secteur des hôpitaux et, heureusement, les gens ne sont pas tous des usagers de ce service. Quand il s'agit d'Hydro-Québec, c'est tout à fait différent; nous sommes tous de bons clients. Je suis certainement un bon client, je paie mes comptes. Cela devient de plus en plus cher, je le sais. On a tous ces services; on veut qu'ils soient continués. (11 h 30)

Vous nous avez parlé tout à l'heure des services essentiels - je reprends un peu les paroles de M. Perron - pour moi, le consommateur, le client, c'est très important.

Je me rappelle, par exemple, il y a quelques années, qu'il y avait une grève depuis à peu près une semaine et, dans certains secteurs de l'ouest de Montréal, tout le monde louait des qénérateurs. C'est bien beau. Pas de problème. J'ai vu plus de machines en dehors des maisons que je n'en avais jamais vu de ma vie, mais c'était chaud, c'était éclairé, c'était parfait.

Mais quand on va un peu vers l'est, dans mon comté, par exemple, ils ne sont même pas capables de payer l'électricité. Imagnez-vous qu'un qénérateur, cela n'existe pas. Donc, quand il fait froid, il fait très froid. À ce point de vue, il faut faire des distinctions dans la situation. Il ne faut pas être trop généralisateur là-dedans.

J'ai juste une question sur vos

suggestions 8 et 9, dans le mémoire, à la page 18. Au no 8, vous dites qu'il faut avoir un organisme d'information pour le public. Je suis tout à fait d'accord sur cela. Je pense que c'est une bonne suggestion. Cependant, n'est-il pas vrai que, dans un cas de grève, cela existe déjà? On voit dans les journaux: Position d'Hydro-Québec, signée par vous ou M. Boyd ou je ne sais qui. Ensuite: Position du syndicat, siqnée par le grand "boss" du syndicat. J'imagine qu'il paie ces annonces de ses propres poches.

Est-ce que vous avez l'intention que ceci soit maintenant financé, toute cette publicité, par le public, par la bourse du public? Il ne reste pas beaucoup d'argent dans la bourse du public avec les coupures. Cela peut devenir très coûteux, si on veut donner un bon service à la population. Comment voyez-vous cela, en guelgues mots, cette méthode de publicité?

M. Bourbeau (Joseph): Vous savez que notre bourse, qui était bien remplie, peut se vider elle aussi.

M. Rivest: M. Parizeau y voit.

M. Bourbeau (Joseph): M. Guy-Paul Hardy va répondre à cette question.

M. Hardy: La suggestion que nous faisons dans le mémoire, c'est la création d'un organisme neutre, un organisme qui, en fait, ne devrait pas être biaisé, ne devrait pas être partie aux négociations et pourrait informer le public le plus objectivement possible. Il aurait probablement plus de crédibilité, étant donné que cela viendrait d'un organisme neutre. L'information qui sortirait de cet organisme pourrait être plus crédible pour le public.

Un autre avantage que nous y voyons, c'est que cet organisme pourrait aussi avoir comme mandat d'exprimer les positions du public ou l'opinion publique. C'est un peu la contrepartie. D'abord, un public bien informé. Ensuite, un public qui fait valoir sa position, qui la fait connaître à l'ensemble de la population, et aux parties en particulier, de façon à les inciter. C'est un moyen parmi d'autres qui, ajouté à d'autres, va peut-être nous aider à avoir un meilleur climat de relations et peut-être...

M. Polak: Mon dernier point, sur la recommandation no 9, où vous parlez de la création de mécanismes pour que le public puisse faire connaître son opinion. Je suis en faveur; surtout dans votre secteur, nous, le public, on connaît pas mal l'affaire. On sait que, lorsqu'il n'y a pas d'électricité, il fait froid, on le voit tout de suite. On n'a pas besoin d'être experts pour cela.

Comment voyez-vous le rôle du public? Est-ce qu'il y a un représentant du public qui va être présent aux négociations, pour dire, à un moment donné: Dépêchez-vous un peu parce que nous, le gros bon sens dit qu'on peut résoudre le problème? Quel rôle ce représentant va-t-il jouer?

Le Président (M. Rodrigue): M. Hardy.

M. Hardy: On pense que le public, s'il est bien informé, va peut-être pouvoir exprimer son opinion par le biais de ce mécanisme. Cela va avoir un impact, je ne parle pas uniquement en période de grève, mais surtout en période de négociation, sur la position des parties. Les parties vont peut-être être portées à faire davantage de compromis, à ne pas vouloir traîner des demandes qui vont être difficilement justifiables, ou des positions qui vont être difficilement justifiables aux yeux du public, sachant déjà l'opinion du public sur le sujet, alors qu'un conflit est appréhendé ou en cours.

M. Polak: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentants d'Hydro-Québec. J'invite maintenant les représentants de l'Association des consommateurs du Québec à prendre place en vue de nous présenter leur mémoire.

Le mémoire de l'Association des consommateurs du Québec, si je ne m'abuse, sera présenté par Mme Niquette Delage.

Mme Delage, pourriez-vous nous présenter la personne qui vous accompaqne et ensuite présenter votre mémoire, s'il vous plaît?

Association des consommateurs du Québec

Mme Delage (Niquette): Certainement. M. le Président, mesdames et messieurs les membres de la commission, mesdames et messieurs, je suis accompagnée de Mme Lucille Brisebois, qui est la présidente de la section locale Montréal/Décarie qui est à l'origine de ce mémoire. Nous allons nous partager la tâche. Cependant, il me fait plaisir de vous dire que ce mémoire est endossé oar toute l'Association des consommateurs du Québec.

Mme Brisebois.

Mme Brisebois (Lucille): M. le Président, la section Montréal/Décarie est l'une des quinze sections locales de l'Association des consommateurs du Québec. Les bénévoles qui oeuvrent au sein de l'Association des consommateurs du Québec consacrent toute leur énergie à défendre les intérêts des citoyens, consommateurs de biens et de services, et cela de mille et une façons. Elle se donne comme objectif

d'informer et d'éduquer les gens afin d'en faire des consommateurs plus avertis, plus prudents.

Depuis sa fondation, au cours de l'été 1978, la section Montréal/Décarie a constaté que les principales préoccupations de ses membres se situaient au niveau de la hausse du coût de la vie et au niveau, plus particulièrement, des difficultés de toutes sortes engendrées par les interruptions multiples dans les services public et parapublic.

À cet égard, l'automne de 1979 fut des plus pénibles, alors que des grèves privaient les citoyens de soins médicaux, de transport en commun au travail et à l'école, d'électricité par temps froid. Et, que dire de la perturbation dans les services gouvernementaux au niveau de la distribution des chèques aux bénéficiaires qui en tirent leur seule source de revenu, pour survivre?

Face à cette situation,

Montréal/Décarie lança donc, lors d'une émission de ligne ouverte à la radio, l'opération réaction, ce qui lui permit de canaliser vers un seul point toutes les doléances des citoyens privés de services qu'ils paient, auxquels ils ont droit, services que des arrêts de travail avaient interrompus brutalement et même parfois sans avertissement.

Une centaine de témoignaqes écrits en provenance de tous les coins du Québec confirmèrent l'état des préoccupations de la population telles qu'exprimées par les membres de Montréal/Décarie; en voici quelques-uns. Une personne de Chicoutimi nous écrit: "Les organisations patronales et syndicales sont nécessaires, mais l'expérience des dernières années nous enseiqne qu'il faut les protéger contre elles-mêmes. Il faut revoir les lois du travail. " Une dame de Montréal s'exprime ainsi: "II faut se grouper pour agir, en tenant compte des possibilités dont nous disposons, face aux aberrations, aux injustices qui ont dépassé les limites. Est-ce possible que les femmes qui ont ce noble privilège de connaître l'enfantement laissent faire tant de dégradation? Dieu merci! je ne connais pas encore de femmes chefs de syndicats. J'espère que, si cela arrive, elles seraient plus humaines. "

D'un correspondant âgé de quinze ans: "Je suis un étudiant "cassé" et je suis contre les qrèves dans les secteurs public et parapublic. Je trouve que c'est inhumain. Pendant les qrèves de transport, je devais marcher deux heures pour arriver à mes cours et autant pour revenir à la maison. À mon avis, les qrèves de ces deux secteurs ne devraient pas être permises. Ce droit devrait être aboli et que ceux qui veulent "grèver" aillent chercher un emploi dans d'autres secteurs. C'est une déchéance de la civilisation, c'est honteux, en 1980. " Il a guinze ans, le bonhomme.

De Lacolle: "Je trouve très frustrantes ces grèves au cours desquelles les services essentiels ne sont même pas maintenus. Quant à moi, mon entrée est faite à l'hôpital pour une opération depuis septembre et ce dont je souffre est très incommodant. Mon mari aussi doit être opéré pour une hernie. Nous avons 70 ans. " Elle m'écrit en décembre.

De Pointe-Claire, en janvier 1980: "Je suis d'avis que tous les services publics sont essentiels, qu'ils ne doivent pas être interrompus. "

De Longueuil, le 1er octobre 1980: "Personnellement, la grève des transports de l'automne dernier m'a empêché de continuer de travailler. Mon emploi était à Laval, alors, pas d'autobus ou de métro. J'aimais mon travail à la clinique médicale, même si je qaqnais seulement le salaire minimum. "

De Sorel, une autre personne nous dit: "Je suis un vétéran et je dois travailler pour 150 $ par semaine. J'ai connu les années trente, la guerre, la crise, le chômage et la disette. Aujourd'hui, les syndiqués refusent des augmentations de 48 $ par semaine, ils ont la belle automobile de l'année et tout ce qu'il faut et nos charmants représentants, aussi bien à Ottawa qu'à Québec avec leur gros salaire, sont-ils élus pour protéqer les syndicats ou le peuple?"

D'East-Anqus, un dernier témoiqnaqe qui nous dit: "Nous sommes deux personnes âgées de 75 et 73 ans et nous vivons dans l'anxiété du jour. Aurons-nous de l'électricité ce soir ou demain et rien en main pour suppléer au courant manquant?"

Alors, Montréal/Décarie a poursuivi sa consultation et se fit, le 22 janvier 1981, l'hôte d'une discussion publique au sujet de l'exercice du droit de grève dans les secteurs public et parapublic. Au moins 150 personnes de tous les âges et de tous les milieux se rendirent à la salle A-2885 du pavillon Hubert-Aquin de l'Université du Québec, à Montréal. De tous les chefs syndicaux des qrandes centrales qui avaient été invités à cette réunion pour y commenter le contenu du mémoire préliminaire de Montréal/Décarie au sujet de cette épineuse question des qrèves, seulement M. Jean-Louis

Harguindequy se présenta. De nombreux groupes - dont la nomenclature se trouve sur la dernière page du mémoire final de Montréal/Décarie - ont appuyé l'initiative ainsi prise et, s'il faut en croire les chiffres fournis par ces groupes, quant au nombre de personnes qu'ils représentent, c'est 1 000 000 de Québécois qui tiennent à discuter d'une manière ou d'une autre de la question des grèves et à participer au débat pour trouver des solutions, afin d'éviter que les qrèves, dans les secteurs public et parapublic, ne se fassent pas au prix des souffrances et des mangues de soins des malades, des vieillards, de même qu'au prix

de l'anqoisse de nos enfants, au prix de leur éducation, au prix des privations des plus démunis d'entre les citoyens du Québec.

Quelles sont les recommandations de la section Montréal/Décarie, telles qu'endossées par toute l'Association des consommateurs du Québec? Je vais laisser Mme Delage vous en faire part.

Mme Delage: La première de ces recommandations, M. le Président, est la suivante: Que l'on pousse l'étude du rôle que pourrait jouer un arbitre dans le contexte des relations de travail, alors qu'il serait appelé à intervenir au moment des négociations des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic; 2. Que l'on révise les textes législatifs pertinents au monde du travail, qu'ils aient du mordant, si telle est bien l'intention du législateur, que l'on en bouche les trous, que l'écriture en soit plus soignée, plus précise, plus claire et ne prête pas à de moult interprétations, que toutes les lois concernées soient compatibles; 3. Que l'on scrute attentivement et de façon complète les administrations dans les secteurs public et parapublic; 4. Que toutes les parties en cause, patrons, syndiqués, consommateurs, conviennent que l'hôpital est un service essentiel; l'hôpital est un service essentiel non seulement pour les malades qui y sont déjà, mais aussi pour ceux qui attendent d'y être admis et dont l'état de santé court d'inutiles risques s'ils en sont tenus éloiqnés; 5. Que par la volonté même des syndiqués du secteur hospitalier, la grève, comme moyen de pression, cesse d'exister; 6. Que soit revalorisé, au sein du mouvement syndical, le rôle des syndiqués; 7. Que le vote qui décidera du déclenchement d'une grève, la où son exercice aura été maintenu en vertu d'un consensus populaire, représente la prise de décision d'au moins 80% des membres du syndicat concerné; que le vote de grève soit pris sur les lieux de travail, pendant les heures de travail, avec l'assurance de la collaboration de l'employeur; 8. Que le vote secret soit une pratique généralisée pour toutes les questions à trancher qui touchent de près ou de loin l'exercice du droit de grève, là où il subsistera en vertu d'un consensus populaire; 9. Que le décompte des votes soit toujours confié à des représentants syndicaux qui soient cependant étrangers au syndicat concerné; 10. Que l'on implique tous les syndiqués dans la révision de la situation qui fait l'objet du débat public sur l'exercice du droit de grève dans les secteurs public et parapublic; 11. Que se crée un rapprochement entre les citoyens syndiqués et les citoyens usagers et que ce rapprochement soit, dans les faits, attesté par le rejet pur et simple, par les syndigués, des grèves illégales comme moyen supplémentaire de pression, là encore où subsistera le droit de grève en vertu d'un consensus populaire; (11 h 45) 12. Que les syndiqués s'engaqent solennellement à ne recourir qu'à l'arbitrage en cas de difficultés rencontrées au cours de la période d'application d'une convention collective; 13. Que la population soit mieux informée de ce qui se passe dans les secteurs public et parapublic; 14. Que l'on ouvre à la population les négociations des secteurs public et parapublic par le biais de la télévision; 15. Que l'on étudie le concept de l'ombudsman dans le contexte des secteurs public et parapublic. Une personne désignée comme représentant officiel du public qui aurait la tâche de rapprocher les parties, de voir à ce que les délais de dépôt, de demande et d'offre soient respectés, de voir à ce que de véritables négociations se déroulent, de s'assurer, en somme, que l'on n'oublie pas, dans tout ce processus, le citoyen contribuable; 16. Que l'on étudie la possibilité de donner à cet ombudsman les pouvoirs d'un arbitre, ce qui amène l'examen très poussé du rôle de l'arbitre, tel que suqqéré précédemment, dans le contexte des négociations elles-mêmes dans les secteurs public et parapublic; 17. Que le public freine de lui-même ses exigences et qu'il soit alerte, responsable, conscient des enjeux et de ses propres responsabilités face à ces derniers, et qu'il soit réaliste. Qu'il rappelle à l'ordre ses représentants qui ne jouent pas leur rôle; 18. Que les attitudes changent en profondeur. Qu'une définition de la société soit clairement établie, qu'elle amène un engagement personnel de chacun de ses membres à part entière; 19. Qu'il existe une véritable concertation au sujet de ces questions fondamentales où sont en jeu les valeurs mêmes de la société.

Mme Brisebois.

Mme Brisebois: Merci. Ceci dit, M. le Président, c'est donc la prise en charge de soi-même que Montréal/Décarie propose en invitant tous ceux et celles qui le veulent à contribuer de leur temps, de leur bonne volonté, de leur bonne foi, de leur sincérité et de leurs énergies à la réalisation d'un idéal commun que l'on décide de se donner comme société. Voilà qui constitue l'amorce d'une solution que les consommateurs de services, que sont aussi les bénévoles de l'Association des consommateurs du Québec, jugent être le premier pas indispensable au

développement d'une conscience sociale collective qui sera à la mesure de la maturité humaine qu'ils estiment essentielle à l'épanouissement de la société dans laquelle ils vivent. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentantes de l'Association des consommateurs du Québec. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais simplement remercier la section locale Montréal/Décarie de l'Association des consommateurs du Québec. Comme mon collègue, le député de Duplessis, a particulièrement scruté ce mémoire, avec votre permission, M. le Président, je lui céderai immédiatement la parole. Je sais qu'il a quelques remarques à formuler et aussi un certain nombre de questions à poser.

Le Président (M. Rodrigue): M. Perron, Duplessis.

M. Perron: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier, comme membre de cette commission, l'Association des consommateurs du Québec Inc.

Je relève quatre points assez importants dans votre mémoire.

Premièrement, vous dites que vous êtes contre le fait d'enlever le droit de grève dans les secteurs public et parapublic parce que, de cette abolition, découlerait sûrement de la désobéissance civile, etc.

Quant au deuxième point, les mécanismes de négociation, vous relevez qu'il faudrait étudier le rôle que pourrait jouer un arbitre dans la négociation, réviser les textes législatifs, par exemple, boucher les trous, écriture plus soigneuse, etc. Vous mentionnez que le syndiqué s'engage solennellement à ne recourir qu'à l'arbitrage lorsqu'une convention collective est déjà signée afin de régler les difficultés d'application. Vous mentionnez aussi que les négociations se fassent à la télévision. Vous mentionnez que le public soit mieux informé et, de plus, qu'on devrait définir ce qu'est une société.

D'autre part, sur les services essentiels - j'aurai, là-dessus, au moins une question à vous poser - toutes les parties en cause conviennent que l'hôpital est un service essentiel, que, par la volonté même des syndiqués du secteur hospitalier, la grève cesse d'exister. Pour ce qui a trait à la grève, que ce soit décidé par au moins 80% de tous les membres durant et sur les heures de travail, au scrutin secret, en présence de représentants syndicaux d'un autre secteur. Vous recommandez aussi que le vote secret doit devenir une pratique généralisée sur toute question relative au droit de grève et, bien entendu, vous parlez aussi du rejet pur et simple pour les syndiqués du recours aux grèves illégales.

En quatrième lieu, la perception du rôle de l'État. Considérant que le gouvernement du Québec et, dans plusieurs cas, dans la majorité des cas, les secteurs public et parapublic, sont, en fait, juge et partie -c'est ce que vous dites textuellement dans votre mémoire - vous demandez que ces interventions étatiques soient plus rapides, parce que vous les considérez comme très lentes actuellement. J'en conviens. Je pense qu'on peut être sur la même longueur d'onde là-dessus.

Parmi les questions que j'ai à poser, la première se rapporte aux 80%. Vous recommandez que le vote décidant du déclenchement d'une grève représente la prise de décision d'au moins 80% des membres du syndicat concerné. Est-ce que vous croyez que ce mode de fonctionnement soit vraiment démocratique dans le contexte où nous vivons actuellement, avec environ 35% de syndiqués dans tout le Québec et avec le nombre de conventions collectives existantes?

Mme Delage: Nous nous limitions évidemment à un secteur particulier, celui des services public et parapublic. On a mentionné dans le mémoire - et on a vécu cette expérience - que beaucoup de gens qui nous ont écrit sont des syndiqués. Beaucoup de gens qui ont assisté à nos réunions sont des syndiqués. Beaucoup de gens qui sont venus à cette réunion du mois de janvier 1981, en fait la majorité des gens qui y assistaient étaient des syndiqués que nous avions tenu à consulter. À la lumière de toutes ces consultations, des conversations que nous avons eues avec ces gens, nous avons convenu possiblement d'un moyen terme, et ça ne semblait pas, aux yeux des syndiqués eux-mêmes - je ne parle pas, donc, des dirigeants syndicaux - quelque chose d'irréaliste.

Ce qui ressortait clairement des consultations, des conversations de même que des témoignages, M. le député, c'est que les syndiqués avaient le sentiment très net de ne pas participer aux décisions prises par les dirigeants syndicaux. Je ne suis pas là pour juqer de la chose, je ne suis pas moi-même syndiquée, je ne l'ai jamais été. Mais il faut bien, comme consommateurs, qu'on prête l'oreille à ces commentaires. Voilà pourquoi il y a cette dimension, dans notre mémoire, de revaloriser la vie syndicale, parce que c'est vraiment une impression que nous avons eue, au cours de toutes ces rencontres et de ces échanges, que les syndiqués avaient le sentiment d'être un petit peu laissés en dehors de la partie, que les décisions étaient prises d'avance. Finalement, beaucoup d'entre eux disaient: Pourquoi irions-nous à des réunions, alors que c'est du temps perdu? C'est vraiment un sentiment de défaitisme

considérable que nous avons constaté chez ces gens.

Voilà pourquoi nous nous sommes permis, à la suite de ces conversations, de suqqérer que peut-être il y aurait une façon de les intégrer davantage à la vie syndicale, et ce serait précisément de multiplier les obligations d'assister aux réunions et de participer à des votes, les forcer, à toutes fins utiles, à prendre position. C'était un souhait qu'ils exprimaient eux-mêmes. Quant aux modalités, évidemment, ça demeure quelque chose à régler à l'intérieur du milieu syndical, mais je pense bien que nous nous faisions les porte-parole des consommateurs que sont, d'ailleurs, ces syndiqués, et des consommateurs qui ne le sont pas et qui souhaitent qu'il y ait vraiment une amélioration dans ce domaine.

Le Président (M. Rodrigue): M. le député de Marquette. Je m'excuse, M. le député de Duplessis.

M. Perron: Excusez-moi, M. le Président, j'ai encore trois autres questions à poser. Dans votre mémoire, à la page 10, vous dites, au bas de la page: "Plus de grèves de par la volonté même des syndiqués. Plus de provocation non plus de la part de la partie patronale. Des communications constantes, soutenues, valables, des consultations véritables, bref, un changement d'attitude complet. " Je sais parfaitement bien, pour avoir travaillé pendant une vinqtaine d'années à Hydro-Québec et considérant les relations syndicales-patronales qui laissent énormément à désirer, que ce serait très difficile d'en arriver là.

Cependant, j'aimerais que vous précisiez ce que vous avez mentionné spécifiquement. D'autre part, je voudrais vous demander comment vous articulez ce changement d'attitude au moment des frictions éventuelles lors de rencontres de négociation. N'envisagez-vous pas l'utilisation d'un palliatif quelconque de la part des parties pour exprimer leur mécontentement lorsqu'il y a négociation?

Mme Delage: À cette réunion du mois de janvier 1981, je vous ai mentionné tout à l'heure qu'il y avait vraiment une majorité de gens impliqués dans le milieu syndical. Ce sont des syndiqués actifs au sein de leur milieu. Il y avait surtout une majorité de gens qui venaient du secteur hospitalier. Tous nous ont dit, les uns après les autres, qu'ils n'étaient pas intéressés aux confrontations, qu'ils n'étaient pas intéressés aux qrèves, qu'en fait ils étaient des citoyens tout aussi responsables que les gens qui ne sont pas dans cette situation précise et que, dans les circonstances, ils seraient bien plus heureux s'il n'y avait pas, justement, de grèves.

Alors, on a poussé la discussion assez loin et on est allé au bout de cette logique. On a dit: Si, effectivement, nous sommes sur la même longueur d'onde, nous les consommateurs qui sommes de l'autre côté de la clôture et vous qui dites n'avoir en tête que le bien-être des gens, que vous ne souhaitez absolument pas ces confrontations, que vous ne visez absolument pas le malaise dans la société et que ce qui vous intéresse d'abord et avant tout, ce sont les bons soins, alors pourquoi ne pourriez-vous pas aller jusqu'au bout de cette prise de conscience de votre part, de cette déclaration de principe et de bonnes intentions et dire: II y a des choses qu'on va cesser de faire? Par exemple, des qrèves illégales, il n'y en aura plus, de par notre propre volonté, nous les syndiqués, et puis certaines autres choses que vous allez refuser de faire parce que vous estimez que véritablement cela perturbe trop la société et que cela donne des résultats qui ne sont pas valables compte tenu du prix qu'il faut payer. Voilà pourquoi on dit cela. De par la volonté même des syndiqués, étant donné qu'ils nous ont soutenus considérablement pendant trois heures, on pense, qu'ils avaient vraiment ce sentiment. Alors, qu'ils abandonnent certains moyens de pression.

Maintenant, nous sommes également conscients que la partie patronale a ses problèmes et tout cela et qu'à ce moment, bien souvent, on l'accuse de provoquer les conflits ou les mésententes. Une chose qui s'est également dégagée de cette rencontre -c'est une impression qui n'a fait qu'être confirmée à la fin de la réunion qui a duré trois heures - c'est que la population se sent non informée. Alors, on se dit: II y a ce manque de communication entre tous ces participants et la population. Il y a certainement un manque de communication entre les deux parties concernées, c'est-à-dire les patrons et les syndiqués. Je pense que cela devient une lapalissade de dire cela. Dans les circonstances, il y aurait lieu que cette dimension du problème soit améliorée considérablement. Voilà pourquoi on poursuit en disant: Plus de provocation de la part de la partie patronale, des communications constantes, soutenues, valables, des consultations véritables, bref, un changement d'attitude complet. Comme je vous le dis, à la lumière des consultations que nous avons faites, nous sommes convaincus qu'il y a des tas de problèmes qui pourraient se régler si les gens se parlaient davantage. Cela peut sembler idéaliste de notre part, mais je pense que c'est notre rôle, à nous, d'être objectifs, de ne pas nous impliquer et d'essayer de faire en sorte que la situation s'améliore pour le bien de tout le monde. On a tenté d'être très objectifs et très réalistes dans ces propositions.

M. Perron: Madame, à la deuxième partie de ma deuxième question, je vous parlais de l'utilisation d'un palliatif quelconque de la part des parties pour exprimer leur mécontentement. Est-ce que vous auriez une idée de la façon dont on pourrait établir ce palliatif?

Mme Delage: II y avait deux propositions que nous avons faites. Nous avons utilisé l'analoqie avec ce qui se passe dans le milieu de la consommation et, pour aller plus loin, de la protection du consommateur. Dans les litiqes qui opposent les consommateurs et les commerçants, de plus en plus, on recourt à l'arbitrage, c'est-à-dire qu'il se crée des comités où les consommateurs vont se présenter pour expliquer le problème auquel ils ont à faire face avec le commerçant et le commerçant est également invité à venir exprimer son point de vue. Il est entendu au point de départ - d'ailleurs, ce sont les règles du jeu de l'arbitrage - que toute décision rendue par l'arbitre devra être appliquée par les parties, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'appel, il n'y a pas de discussions. C'est cela, ce n'est pas d'autre chose. On a dit: Par voie d'analogie, pourquoi n'y aurait-il pas ce mécanisme qui nous paraît valable? (12 heures)

Mais on a également précisé qu'il n'est pas question d'arbitrage obligatoire, parce que c'est une tautologie en soi, un arbitrage c'est obligatoire. Plus loin, on a dit: Pour représenter les intérêts des consommateurs, pourquoi ne pas étudier le concept du Protecteur du citoyen qui existe dans plusieurs pays, qu'on a ici à différents niveaux et, s'il y a lieu - pour éviter une multiplicité de personnes, d'intermédiaires, d'organismes, parce que la quantité de gens qui sont mêlés à tous ces processus commence à nous troubler profondément -pourquoi ne pas faire de ce Protecteur du citoyen un arbitre? Réunir les deux rôles en un seul, je ne le sais pas. Cela nous apparaît peut-être un élément de solution. Ce que nous voudrions c'est évidemment rétrécir les distances, couper les délais et faire en sorte que les consommateurs y trouvent leur compte. Finalement, ce sont eux qui paient pour ces services; ils doivent en attendre quelque chose.

La contrepartie de cela, c'est bien entendu, comme nous l'avons dit, que les consommateurs soient réalistes, qu'ils soient responsables et qu'ils soient conscients que ce qu'ils attendent du gouvernement cela se paie; il y a un prix à tout. À ce moment-là, s'ils ont à attendre des interventions du gouvernement, il va falloir qu'ils y mettent du leur, c'est-à-dire payer de leurs poches. Entre ces deux extrêmes, n'y a-t-il pas une solution?

M. Perron: Je voudrais maintenant vous faire une remarque, madame, c'est que vous avez apporté effectivement plusieurs éléments nouveaux à l'intérieur de votre mémoire et en particulier celui de la présence du Protecteur du citoyen dans certains cas. Je pense qu'il faudrait regarder cela attentivement.

J'aurais à vous poser une autre question. Dans votre mémoire vous dites qu'il y aurait lieu, selon votre organisme, de penser à la nomination d'une personne désiqnée comme représentant officiel du public, voyant à la bonne marche des négociations et aux intérêts des citoyens contribuables. Ce que je voudrais savoir, c'est très court, c'est qui nommerait ce tiers, parce qu'en fait, c'est une tierce personne.

Mme Brisebois: C'est au gouvernement de la nommer, parce qu'il faut que ce soit quelqu'un qui soit officiel et qui représente le public. Notre inquiétude, c'est que, dans tout le processus de négociation, comme cela fonctionne maintenant, le gouvernement est très bien organisé de son côté, les syndicats le sont aussi et nous les consommateurs, les citoyens, car nous sommes des citoyens bénévoles, nous avons toujours l'impression de ne pas être représentés dans toute cette négociation. On en paie le prix et on en paie aussi les privations. La suggestion du Protecteur du citoyen, cela pourrait être une personne ou même deux ou trois personnes, mais cela devrait être un Protecteur du citoyen qui représenterait le public entre le gouvernement et le syndicat, afin que nous sachions aussi ce qui se passe et qu'on soit informés. Comme vous avez lu, on a sugqéré aussi que les négociations se fassent à la télévision de façon que le public soit informé. Aujourd'hui, ce sont des possibilités qui existent; on peut se servir de ce média. Aussi bien les syndiqués que le public ont besoin d'être informés, parce que souvent même le syndiqué ne sait pas trop ce qui se passe pendant ces négociations quand c'est fait privément. Ce serait une façon de nous tenir au courant et d'être sûrs de voir qui n'est pas de bonne foi ou comment les choses se passent de façon que nos droits soient aussi respectés.

M. Perron: Merci, madame. Ma dernière question se rapporte effectivement aux services essentiels. Comme vous le savez, il y a eu la loi 253 qui donnait l'obliqation des services essentiels dans la majorité des secteurs. Il y a eu par la suite, sous notre gouvernement, la loi 59 où on s'implique au niveau des services esssentiels. Je n'ai pas remarqué, à moins de me tromper, une allusion au fait que la loi 59 n'a pas réglé tous les problèmes, mais qu'elle a nettement,

par exemple, amélioré la situation dans les secteurs public et parapublic, surtout dans le secteur parapublic, se rapportant à la liste que devaient fournir les deux parties à la suite d'une négociation ou encore la liste syndicale. Pourriez-vous, de ce côté-là, me dire, premièrement, si vous croyez, en tant qu'organisme qui, en fait, est pour la protection des consommateurs, que la loi 59 a amélioré les choses et, deuxièmement, pourriez-vous ajouter, si possible, des recommandations pour améliorer le système que nous avons établi en 1978, par la loi 59?

Mme Delage: Une première chose, M. Perron, c'est que nous ne nous sommes pas attardés tout particulièrement à ce secteur pour la bonne et simple raison que nous savions que d'autres organismes allaient le faire. Nous, nous étudions la situation globale et tous les secteurs, en réalité, celui de l'éducation, celui du transport, celui de l'hôpital, celui de la téléphonie, etc.

S'il est vrai que nous avons eu l'occasion de discuter de la loi 59, cela n'a pas été une préoccupation majeure et on n'a pas fait de recommandations précises à ce sujet. Ce que je puis vous dire cependant, c'est qu'à l'occasion de nos consultations, personne n'était satisfait de cela, pour différentes raisons. Chacun a sa perception des événements. Chose certaine, c'est qu'en matière d'information, il y avait de grosses lacunes, et le conseil qui avait été formé, je crois que lui-même à l'intérieur, les membres étaient extrêmement frustrés parce que nous avons eu l'occasion de leur parler, parce que leur mandat n'était pas très clair, et, deuxièmement, en regard de ce que la population pouvait tirer de l'information qui lui était ainsi communiquée, cela demeurait encore trop compliqué. Pour les gens, il faut que les choses soient vulgarisées pour qu'ils soient en mesure de les apprécier vraiment pour ce qu'elles sont.

Ce qui donc nous a davantage motivés dans la rédaction de notre mémoire, c'était de souligner ce mangue d'information par rapport à la population, le souhait que nous formulions de voir cette lacune corrigée.

Pour ce qui est plus précisément de la question que vous m'avez posée, de la liste syndicale, je répète encore une fois que cela a peut-être amélioré des choses par rapport à ce qui existait auparavant, mais le sentiment que nous avons tiré, non seulement de nos membres, mais de ceux qui sont venus se joindre à nous à l'occasion de ces discussions, c'est que ce n'était pas satisfaisant.

Et sans m'attaguer à une partie plus qu'à l'autre, je crois que beaucoup de consommateurs s'inguiétaient de voir que c'était une partie en particulier au conflit -c'est-à-dire les syndigués - qui devait se prononcer dans ces circonstances. Cela les tracassait énormément. Ce n'est pas un sentiment antisyndical qui les animait quand ils ont dit cela, c'est tout simplement qu'étant donné que ce sont eux qui ont vécu les privations, étant donné les témoignages que nous avons eus par écrit, on sait que les gens ne sont pas satisfaits de la situation.

Quelque mécanisme qui ait existé, qui ait peut-être pu améliorer la situation, mais qui ne l'a pas amélioré pour donner satisfaction aux consommateurs, ce n'est pas un mécanisme valable, s'il ne donne pas des résultats qu'on pense atteindre quand on l'utilise. Voyez-vous ce que je veux dire?

M. Perron: Oui, madame. Merci beaucoup, madame. Deux courts commentaires. Lors de votre exposé, vous avez mentionné la distribution des chèques aux assistés sociaux. Je peux vous assurer que, lors de la grève des postes, le ministre m'a confirmé, puisgue vous l'avez mentionné, qu'il n'y avait eu aucune plainte reçue au ministère du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, en rapport avec l'émission des chèques, et les chèques sont parvenus à temps aux bénéficiaires. C'est un point.

Le deuxième commentaire que je voudrais faire, je pense qu'il y a lieu de vous remercier de votre présentation, pare que vous nous avez donné toute l'information - à moi et à tous les membres de la commission - sur le bien-fondé de votre mémoire et, de plus, vous avez répondu très concrètement, bien entendu, à toutes les questions que j'ai posées. Merci, madame.

Le Président (M. Rodrigue): M. le député de Marguette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. Tout d'abord, au nom de l'Opposition, je voudrais également vous remercier de votre excellent mémoire. J'aimerais revenir, tenant pour acguis que le droit de grève doit être maintenu dans le secteur hospitalier, au niveau du secteur public, à la mécanique des services essentiels. On en a un peu discuté tantôt. À l'heure actuelle, si les deux parties ne s'entendent pas sur la détermination des services essentiels au sein de l'hôpital, c'est le syndicat qui, au moyen de la liste syndicale, présente la liste des services essentiels.

J'aimerais savoir votre opinion sur la création, la permanence d'une régie qui déterminerait les services essentiels, au lieu de la liste syndicale, et qui aurait effectivement ce pouvoir, j'aimerais juste avoir votre opinion là-dessus, pour avoir un représentant des usagers, on en a discuté aussi tantôt, un représentant de la partie patronale et un représentant de la partie syndicale. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.

Mme Brisebois: Comme vous voyez, dans notre mémoire, on vous fait part que pour nous l'hôpital est essentiel, pas seulement pour les malades qui sont là, mais pour ceux qui sont en dehors aussi, qui sont malades, et qui ne peuvent pas accéder à l'hôpital.

Pour ma part, c'est une expérience personnelle, mais c'est valable parce que ces choses, c'est alors que vous en avez vous-même l'expérience que vous pouvez en parler vraiment. J'ai eu connaissance l'été dernier de ce qu'étaient les soins essentiels, parce que j'ai une personne de ma famille qui est allée dans un hôpital où il y avait une grève illéqale, parce qu'il y avait eu une altercation entre un patient et une garde-malade. Alors j'ai vu en quoi consistaient les soins essentiels organisés par les syndicats au moment où tous les patients étaient gardés aux soins intensifs, en bas, à l'urgence, au lieu d'utiliser tout l'hôpital. Je dois vous dire que c'était très pénible pour tous les malades et pour nous qui voyions nos parents dans ces conditions, couchés sur des qrabats et non pas sur des lits, à peu près à cinq ou six pouces de distance. Je dois écourter la chose, parce que je pourrais vous en parler, j'ai été bien frappée de ce qui s'est passé à ce moment. La personne est entrée le mercredi et nous avons demandé qu'elle soit sortie de l'hôpital. Nous avons réussi à la sortir de l'hôpital; heureusement, d'autres hôpitaux n'étaient pas en grève. J'ai trouvé que c'était pénible pour les malades et c'était aussi pénible pour les infirmières -je ne comprends pas - qui acceptaient de travailler dans ces conditions.

Quand on dit que ces services sont organisés ou décidés par les syndicats, je trouve qu'on y perd, parce que sûrement le personnel n'est pas en position de prendre toutes les possibilités qu'il y aurait. C'était absolument inacceptable de la façon que c'était organisé. J'ai vu des choses là, vraiment que je ne peux pas vous raconter, mais enfin. D'après nous, et d'après mon expérience personnelle, je suis d'accord qu'on devrait avoir certainement un organisme qui déciderait ce que devraient être les soins essentiels, avec toutes les possibilités, que ce soit les meilleurs soins et non pas comme j'ai décrit savoir des gens très malades installés dans un coin d'une urgence, alors que l'hôpital était vide en haut.

Si vous me permettez deux lignes, quand je suis allée au département coronarien, j'ai vu une note où on disait: Limitez les visites, limitez le nombre de médecins. Cela m'a vraiment renversée.

C'est tout. Nous sommes d'accord qu'un organisme devrait décider ce que doivent être les soins essentiels. D'après nous, l'hôpital, c'est essentiel; l'éducation c'est essentiel. Tous les biens sont essentiels.

Mme Delage: C'est-à-dire qu'on s'est prononcé d'une façon définitive sur l'hôpital qui nous paraît un service essentiel. Il n'y avait qu'un pas que nous n'avons pas franchi, mais que nous étions bien tentés de franchir, à décréter que tous les autres services que nous avions étudiés étaient essentiels aussi.

Tirez-en vos conclusions, mesdames et messieurs.

M. Dauphin: D'accord, merci.

J'aurais une deuxième petite question. Ma collègue ici en a une ou deux, je crois.

À votre recommandation no 17, vous dites de fait "Que le public freine, de lui-même, ses exigences, et qu'il soit alerte, responsable, conscient des enjeux et de ses propres responsabilités face à ces derniers, et qu'il soit réaliste. Qu'il rappelle à l'ordre ses représentants qui ne jouent pas leur rôle. "

Naturellement, je suis d'accord avec vous là-dessus, mais je me demande sur le plan pratique comment vous pourriez voir cela.

Mme Brisebois: Peut-être bien qu'on pourrait dire aussi que cela prend du couraqe à un syndiqué de dire qu'il n'est pas d'accord sur ce qui se dit et qu'il ait le courage de le faire.

On entend très souvent des syndiqués dire qu'ils ne sont pas d'accord avec ce que leur syndicat fait. Pour nous, c'est assez difficile de comprendre quand ils sont un grand nombre contre quelques dirigeants, que ces gens aient le courage de leurs opinions. On les encourage à prendre en main leur syndicat et aussi à montrer de la bonne volonté de façon qu'ils n'aillent pas en grève illéqalement pour des raisons insuffisantes. (12 h 15)

Mme Delage: M. Dauphin, si vous me permettez un commentaire. Il y a des secteurs dans la vie qui ne sont couverts par aucune loi et dont personne n'a jamais parlé parce que, tout à coup, c'est devenu quelque chose qui s'est présenté et qui fait qu'on se trouve dépourvu face à leur événement.

Ce que nous disons aux consommateurs qui nous écrivent pour se plaindre d'un problème qui n'est pas réqi par une loi et au sujet duquel il n'y a pas de point de repère, c'est qu'ils doivent se plaindre, bien sûr, mais que la personne la plus apte à représenter leur point de vue, c'est évidemment leur député. Nous avons le sentiment qu'il doit y avoir des communications entre les consommateurs et les gens qui les représentent au Parlement et, dans cette perspective, vous admettrez avec nous que la raison pour laquelle il y a eu des associations de consommateurs qui se sont développées, qui sont devenues militantes dans certains cas, très vociférantes et tout ce que vous voudrez,

c'est tout simplement parce que les gens ont dit, à un moment donné: Mais que font donc nos élus? Ne sont-ils pas là pour nous représenter? Est-ce que notre point de vue est débattu? Est-ce qu'on prend la peine d'en parler ou est-ce qu'une fois qu'on est installé au Parlement - les problèmes sont considérables, c'est sûr - on ne perd pas le contact avec la réalité quotidienne vécue par les gens?

Voilà pourquoi cette recommandation fait partie de notre mémoire. Nous estimons que les gens doivent se rapprocher de leurs députés, leur parler et leur dire ce qu'ils ont en tête, leur demander d'intervenir en leur nom, d'attirer l'attention de leurs collègues de l'Assemblée nationale, pour qu'une situation soit corrigée et qu'à l'occasion, des lois qui existeraient déjà puissent être amendées pour contenir des dispositions qui fassent face à des problèmes très réels qui existent et auxquels on n'avait pas pensé auparavant, mais qui sont là, et auxquels il faut se confronter.

M. Dauphin: Je vous remercie beaucoup et je tiendrais à vous dire, en terminant, que je souscris entièrement à votre dernier commentaire; effectivement, c'est le rôle du député de faire valoir tous ces points. Merci.

Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée de Jacques-Cartier.

Mme Dougherty: J'aimerais poursuivre un peu cette question des services essentiels, parce qu'il y a une ambiguïté dans votre mémoire.

Vous avez admis qu'il y a peut-être une différence entre les hôpitaux, l'éducation et l'électricité, mais, quand même, à votre avis, si je comprends bien, ce sont tous des services essentiels.

Croyez-vous que le gouvernement puisse faire une différence? Le public accepterait-il une différence d'importance entre, par exemple, les hôpitaux et l'éducation?

Mme Delage: D'après ce que nous en savons, Mme Dougherty, le public ne fait pas la différence; pour lui, tout ce qui le touche de très près devrait être considéré comme essentiel. C'est vraiment le consensus qui s'est dégagé de ces consultations que nous avons eues.

Je l'ai mentionné précédemment, nous avons tenté d'être réalistes et d'être objectifs; voilà pourquoi nous nous sommes attardés à certains secteurs plus qu'à d'autres, parce que ça semblait être nécessaire de le faire. Si vous me demandez de tenir un référendum, demain, pour savoir si tout le monde veut que tout soit services essentiels, je pense bien que la réponse sera un magistral oui. Mais je pense qu'il appartient aussi au gouvernement de déterminer, compte tenu de la situation et des facteurs qu'il connaît mieux que la population, ce qui doit être décrété services essentiels. Pour ce qui est de la population, tout est essentiel.

Mme Dougherty: Oui, mais comme critères, vous avez souvent parlé dans votre mémoire de la santé et de la sécurité du public. Pensez-vous que, par exemple, en éducation, la sécurité des enfants est en danger?

Mme Delage: Je vais vous répondre de la façon suivante: Quand on parle de la protection du consommateur, on reconnaît facilement aux consommateurs qu'ils ont des droits. Alors, ils ont le droit à la santé, ils ont le droit à la sécurité, ils ont le droit à l'information, ils ont le droit au choix, ils ont le droit d'être entendus s'ils ont des questions qui les préoccupent.

Prenons le cas de l'éducation. Qu'est-ce que l'éducation sinon de bâtir un être humain, d'en faire un être responsable, de lui donner tous les outils dont il a besoin pour pouvoir faire face à la vie?

En termes d'éducation à la consommation, nous ne pouvons que reqretter tout ce qui peut mettre un frein ou tout ce qui peut arrêter ce processus d'évolution de l'individu qui est appelé à prendre en main ses responsabilités tôt ou tard. Dans ce sens, on peut vous dire qu'effectivement l'enfant a le droit d'être éduqué dans les meilleures conditions possible et que c'est un service essentiel.

Mme Dougherty: Merci. Voici ma deuxième question. Vous avez suggéré un ombudsman et votre première recommandation se référait au rôle d'un arbitre beaucoup plus fort que ce qui existe maintenant. Est-ce que vous voyez une certaine contradiction entre le rôle d'un ombudsman qui représente le public, l'intérêt du public, et le rôle d'un arbitre? L'arbitre n'est pas là, selon moi, pour représenter l'intérêt du public. Il est là pour arriver à une entente, une position, un moyen juste pour les deux parties en négociation.

Mme Delage: La définition traditionnelle de l'ombudsman, la réalité vécue - enfin, c'est ce que les gens ont compris - c'est qu'il représentait nécessairement les intérêts du public. Mais dans mon esprit, en tout cas, je le vois comme quelqu'un qui est au-dessus des consommateurs, des syndiqués. Le public, la notion du public en général à ce moment-là, transcende tout le reste, c'est-à-dire que cette personne est en mesure d'évaluer une situation pour ce qu'elle est. Il ne représente pas nécessairement les intérêts de l'un ou de l'autre et il est au-dessus de cela. Donc, il

peut se permettre en toute liberté, en toute connaissance de cause, en ayant les coudées franches, de prendre position et, à ce moment-là, de ramener les gens sur le plancher des vaches et de leur dire: Voici.

Mme Dougherty: Mais n'y a-t-il pas la possibilité que son rôle et l'information qui est diffusée par l'ombudsman au public sur ce qui se passe dans les négociations pourraient être contredits, dans un certain sens, ou compromis par les décisions de l'arbitre?

Mme Delage: Écoutez! La solution à ce problème est peut-être dans ce que nous avons proposé vers la fin de notre mémoire. C'est que l'ombudsman, étant cet être un peu idéal auquel on songe, soit également l'arbitre. Nous avons établi cette possibilité parce que nous concevons qu'effectivement il y a peut-être des problèmes d'ajustement ou d'organisation. Dans notre esprit, parce que c'est une chose que nous avons vécue dans le domaine de la protection du consommateur, un arbitre est une personne qui est appelée à trancher. Pour nous, c'est important qu'il y ait quelqu'un qui, à un moment donné, tranche.

Mme Dougherty: Merci.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie l'Association des consommateurs du Québec. J'invite les représentants de la Fédération des infirmières et infirmiers unis à prendre place et à nous présenter leur mémoire.

Pendant que les représentants de cet organisme prennent place, pour les fins de l'enregistrement de nos débats, je veux souligner que les membres de cette commission sont: M. Chevrette (Joliette), M. Brassard (Lac-Saint-Jean), M. Dauphin (Marquette), M. Dean (Prévost), Mme Dougherty (Jacgues-Cartier), M. Rivest (Jean-Talon), Mme Harel (Maisonneuve), M. Lavigne (Beauharnois), M. Marois (Marie-Victorin), M. Perron (Duplessis), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie).

Les intervenants à cette commission sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Gauthier (Roberval), M. Hains (Saint-Henri), M. Pagé (Portneuf), M. Leduc (Fabre), M. Mailloux (Charlevoix), M. Paquette (Rosemont), M. Polak (Sainte-Anne), M. Rochefort (Gouin).

Fédération des infirmières et infirmiers unis

Le mémoire de la Fédération des infirmières et infirmiers unis sera présenté, si je ne m'abuse, par Mme Debora Robinson ou Mme Wavroch.

Mme Wavroch (Hélène): Mme Wavroch.

Le Président (M. Rodrigue): Mme Wavroch, si vous voulez nous présenter la personne qui vous accompagne et présenter votre mémoire.

Mme Wavroch: D'accord. M. le Président, M. le ministre, membres de la commission et messieurs et mesdames de l'auditoire, j'aimerais avant tout présenter Mlle Debbie Robinson qui est conseillère syndicale au sein de notre fédération. Comme on vous l'a dit, je suis Hélène Wavroch - vaque de la roche pour les besoins de la province - et je suis présidente de la Fédération des infirmières et infirmiers unis.

J'aimerais avant tout vous signaler que, normalement, j'aurais dû être en présence de deux infirmières syndiquées qui ont participé à la rédaction de notre mémoire; malheureusement, elles sont absentes parce qu'elles doivent couvrir les services essentiels à l'urgence de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. Je tenais à vous le signaler.

Au moment de la rédaction de notre mémoire, l'orientation qu'on avait adoptée le faisait porter sur le droit à la grève. Depuis ce temps, nous avons eu confirmation que le droit de grève serait maintenu. Alors, il y a peut-être certains aspects de notre mémoire qui seront une répétition pour cette commission. Je me permets quand même d'en faire lecture et de faire des commentaires au fur et à mesure.

La Fédération des infirmières et infirmiers unis, fondée en 1967, représente 8000 membres travaillant dans des centres hospitaliers, des centres d'accueil et des CLSC du Québec, mais principalement localisés dans le grand Montréal et dans les Cantons de l'Est. La FIIU a négocié, en 1975 et en 1978, à l'intérieur du Cartel des organismes professionnels de la santé, COPS, aqent négociateur regroupant 12 syndicats de professionnels de la santé.

En 1975, notre groupe a dû recourir à la grève après six mois de vaines négociations. En 1978, face aux offres non acceptables du gouvernement, la FHU essayait de modifier la définition traditionnelle de la grève en utilisant un système qui mettait une pression économique sur la partie patronale sans léser la population dans son droit aux services de santé. Ce système prévoyait que l'employeur devait engager et rémunérer plus de personnel façon temps normal. C'est en considérant le passé et en envisageant le futur que la FIIU présente ce mémoire à la commission parlementaire sur le droit de grève et les services essentiels.

Les objectifs finals d'un syndicat sont de promouvoir et de faire respecter les intérêts socio-économiques de ses membres par le biais de la négociation d'une convention collective et c'est en rencontrant ces objectifs qu'il devient un agent de

changement social majeur pour le bénéfice, d'ailleurs, de toute la population.

Tout en reconnaissant que le droit à la grève doit être réglementé dans le secteur de la santé, la FIIU ne peut que constater que le droit à l'exercice de la grève est lié à l'existence même de la vie syndicale. Suggérer que la libre négociation peut exister lorsqu'une des parties n'a aucun pouvoir de faire valoir sa position est absurde, car enlever le droit de grève équivaut à enlever le droit à la libre négociation, le principe de l'équilibre des forces étant la base même de notre système de relations de travail.

Ayant déjà vécu dans un état de subordination, les membres de la FIIU, composée majoritairement de femmes, refusent pour elles-mêmes et pour tous les Québécois d'effectuer un retour en arrière et, ainsi, de redevenir un groupe de travailleurs de seconde classe soumis aux décisions gouvernementales sans aucun moyen de contestation et de revendication. Comment, d'ailleurs, une société dite démocratique peut-elle souscrire à une telle antinomie sociale?

Dans le secteur privé, les conflits de travail se règlent par les pressions économiques, la grève et le lock-out. Dans les secteurs public et parapublic, le gouvernement ayant un double rôle, employeur législateur, utilise largement ce dernier pouvoir pour régler les litiges en prétextant la sauvegarde de la sécurité publique. Par un savant dosage de l'information, il réussit à créer un climat de panique dans la population, adopte par la suite une loi spéciale et réussit à être considéré comme le sauveur de ceux à qui il demandera un jour de le réélire. (12 h 30)

II y a contradiction dans l'attitude gouvernementale face à l'exercice du droit de grève: d'une part, il réglemente et renforce l'efficacité d'un arrêt de travail dans le secteur privé (loi "antiscab"), d'autre part, il retire aux secteurs public et parapublic tout moyen de pression par l'adoption de lois spéciales. Les services dits essentiels à la population ne sont pas tous des secteurs public et parapublic. Nul ne peut affirmer que le secteur privé est secondaire pour cette même population.

Je me permets d'arrêter, d'ailleurs c'est un des problèmes auxquels on fait face souvent en négociation, la communication. Je ne parle pas lorsque quelqu'un est en train d'intervenir. C'est pour cela que je le dis, alors je reprends.

L'État, superpatron, se donne le contrôle de toute la négociation par l'utilisation des lois spéciales, s'arroqe tous les droits et ne se reconnaît aucun devoir: ce qui a progressivement détérioré le climat des relations de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec.

La bonne foi est la base de toute entente, et aussi la communication, entre deux parties. Or, le gouvernement n'en a pas fait preuve lors des négociations antérieures. En 1975, pourquoi avoir attendu une grève pour effectuer le dépôt des offres salariales? Ici, j'aimerais vous citer l'expérience vécue en 1975. Nous avons attendu six mois pour les offres salariales, offres dont le gouvernement nous avait dit dans le temps qu'il était pour présenter. Nous avons, en 1975, soumis un ultimatum au gouvernement pour le dépôt de ces fameuses offres salariales. L'ultimatum était du 1er septembre au 17 septembre 1975. Le gouvernement n'a pas répondu à cet ultimatum, et c'est à ce moment qu'en octobre, le 9 octobre, pour être plus précis, nos membres ont recouru à la grève. Je tiens à vous dire que nous avons obtenu au 16 octobre, soit quelques jours après notre grève, les offres salariales qu'on nous avait promises depuis six mois. C'est ce genre de problème qui fait en sorte que les syndiqués qui attendent après le gouvernement deviennent frustrés. Il y a juste une patience X qu'on peut avoir. Je pense qu'après près de sept mois d'attente c'est quand même louable.

En 1978, les amendements au Code du travail établissaient les étapes précises des prochaines négociations. Pourquoi le gouvernement a-t-il refusé d'établir volontairement un tel échéancier pour négocier avec le COPS, dont nous étions membres, pour qui les dernières dispositions du code ne s'appliquaient pas encore? En 1979, le gouvernement ne respecte même pas ses propres délais prévus par la loi spéciale 62, concernant le dépôt final des offres patronales à l'Assemblée nationale.

Seule la menace ou l'exercice même de la grève parvient à faire bouger la partie patronale et à faire accélérer le processus de négociation. Ce ne sont pas des modifications aux règles de négociation fixées au niveau du Code du travail qui amèneront les parties à s'entendre, mais bien le respect par la partie patronale des règles et délais déjà établis.

La Fédération des infirmières et infirmiers unis n'a pas attendu la loi sur les services essentiels pour les déterminer et respecter et ceci dès 1975.

En 1976, après l'adoption de la loi 253, la Fédération des infirmières et infirmiers unis signait des ententes dans 90% de ses institutions. Dans l'ensemble du secteur des affaires sociales, 500 ententes furent signées sans l'intervention des commissaires. En 1979, les syndicats assumaient leur responsabilité face aux services à maintenir, en déposant des listes raisonnables et en les respectant.

La Fédération des infirmières et infirmiers unis considère que ses membres

sont les mieux placés pour déterminer les besoins des services à maintenir en cas de conflit et qu'ils ont tout intérêt à assurer un niveau acceptable de personnel face à leurs responsabilités professionnelles.

Les syndicats sont accusés de mettre en danger la sécurité des bénéficiaires en diminuant les services de santé lors des conflits de travail. Le gouvernement, par contre, réduit désormais les services de façon majeure et définitive par des coupures radicales qui affecteront tout le secteur de la santé dans ses moindres détails.

Les coupures budgétaires ne sont que les manifestations les plus récentes de la volonté du gouvernement de restreindre les services de santé. Le système PRN, l'élimination graduelle de postes, la mobilité du personnel, voici des exemples de décisions prises il y a près de dix ans, qui affectent et la qualité et la guantité de soins dus à la population.

La Fédération des infirmières et infirmiers unis revendigue le maintien du droit de grève, le maintien de la loi actuelle qui permet au syndicat de déterminer les services à maintenir en cas de conflit de travail et la cessation du recours aux lois spéciales.

Nous considérons que le problème des négociations dans les secteurs public et parapublic n'est pas relié à l'exercice du droit de grève, ni à la loi actuelle. Mais c'est bien le manque de bonne foi du gouvernement, la politisation de la totalité du processus de négociation et l'utilisation des lois spéciales qui nous obligent à défendre notre droit de grève devant cette commission.

J'aimerais ajouter, faisant suite à certaines des discussions qui ont eu cours ici déjà ce matin, façon 1975, lorsque notre groupe a dû recourir à la grève, nous avons maintenu nous-mêmes les services essentiels et sans incident. Si les employeurs, à ce moment-là, pensaient avoir des problèmes, ils n'avaient tout simplement qu'à régler ceci au niveau local avec les infirmières sur place.

Je voulais partager avec vous la petite histoire du temps, qui n'a pas fait un gros boum, mais qui, selon moi, représente justement l'attitude de nos employeurs relativement aux services essentiels. Un hôpital - il se retrouve d'ailleurs dans la région de M. Polak, à Sainte-Anne - lors d'une grève, avait appelé le syndicat pour exiger l'entrée au travail de ses 98 infirmières, prétendant que ces infirmières faisaient partie des services essentiels. Je tiens à vous dire, chers membres de la commission, qu'en temps normal, en tout temps, en comptant toutes les infirmières, qu'elles soient permanentes ou à temps partiel, il n'y en avait que 64. Je pense que cette histoire, qui est vraie et verifiable -d'ailleurs, on en a fait état dans le temps, parce que cela nous avait bouleversées -démontre jusqu'à quel point les administrateurs des hôpitaux ne sont non seulement pas au courant souvent de leurs effectifs, mais ne peuvent pas être sensibles à ce qu'est un service essentiel. Pour nous, il est important que les syndiqués, qui ont à faire le travail et qui sont quand même des personnes responsables de leurs actes, puissent avoir en tout temps l'occasion de faire part de ce qui les préoccupe relativement aux services essentiels. C'est pour cela qu'on croit que la loi, telle qu'elle est présentement, en est une relativement juste à ce niveau. C'est tout.

Le Président (M. Perron): Merci, Mme la présidente. Je donnerais maintenant la parole à M. le ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, M. Marois.

M. Marois: M. le Président, je voudrais, bien sûr, remercier la Fédération des infirmières et infirmiers unis de son mémoire, d'être venue nous rencontrer. Vous signalez dans votre mémoire que le gouvernement lui-même n'a pas respecté certains des délais prévus dans la loi, prévus par le législateur. Je crois qu'il faut être franc. Ce n'est pas parce qu'il s'agit du gouvernement - on a parlé beaucoup des comportements et des attitudes - que c'est plus excusable pour autant. Vous avez parfaitement raison de le signaler. C'est un des coins où, parmi tant d'autres, il y a des comportements et des attitudes qui doivent être corrigés.

Ceci étant dit, M. le Président, avec votre permission, je céderais mon droit de parole à mon collègue, le député de Lac-Saint-Jean, qui a particulièrement examiné ce mémoire, qui ferait immédiatement un certain nombre de remargues en notre nom et qui poserait aussi un certain nombre de questions.

Le Président (M. Perron): Le député du Lac-Saint-Jean, M. Brassard.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Je constate d'abord que, dans votre mémoire, vous avez une vision très simple des choses, c'est-à-dire que le gouvernement non seulement semble responsable de tous les problèmes ou de tous les conflits qui ont pu surgir dans le secteur, mais, selon votre point de vue, détient le monopole de la mauvaise foi. Votre mémoire a été, semble-t-il, rédigé avec la crainte - du moins, c'est ce qu'on constate à sa lecture - que le gouvernement manifestait ou pourrait manifester l'intention d'abolir le droit de grève dans les secteurs public et parapublic, crainte qui m'apparaît non fondée. Il suffisait de prendre connaissance des

positions du gouvernement dans le passé, de prendre connaissance aussi des positions du Parti québécois qui sont très claires à ce sujet, sans équivoque possible. Il n'a jamais été question, ni au gouvernement, ni au sein du parti comme tel, d'abolir de quelque façon que ce soit le droit de grève dans les secteurs public et parapublic. C'est pourquoi je trouve que la crainte qu'on peut déceler, à la lecture de votre mémoire, m'apparaît absolument non fondée.

Cela dit, j'en viendrais surtout à la question des services essentiels. Cela a préoccupé presque tous les organismes qui ont défilé devant nous depuis deux jours. Si on analyse votre point de vue à ce sujet, on se rend compte que vous êtes satisfaits des mécanismes prévus par la loi actuelle en matière de détermination des services essentiels, à savoir que ces derniers fassent d'abord l'objet d'une entente au niveau des établissements, sinon c'est la liste syndicale qui prévaut.

Je constate en passant que vous êtes un des rares organismes à avoir appliqué avec succès la loi 253. Cela ne semble pas être le cas du tout des autres qui sont venus témoigner devant la commission. La loi 253 a été un échec selon presque tout le monde et je me rends compte que vous avez appliqué avec succès cette loi.

Donc, en matière de services essentiels, vous affirmez que ce qui existe présentement est suffisant. Depuis deux jours, au contraire, les organismes qui témoignent font toute une série de propositions, de suggestions, de recommandations, au chapitre des services essentiels, donc indiquant par là qu'ils ne sont pas satisfaits de ce qui existe présentement.

Ma question est très claire à ce sujet. Vous ne sugqérez aucune amélioration à propos des mécanismes actuels en matière de services essentiels. Dans votre esprit, il n'y a absolument rien qui peut être amélioré. Les mécanismes actuels sont adéquats. Vous estimez que s'il n'y a pas entente, la liste syndicale sera sûrement suffisante pour assurer les services essentiels dans les établissements? Vous êtes convaincus que ce mécanisme va fonctionner adéquatement? C'est ma première question. Je veux être bien sûr que, pour vous, le fonctionnement actuel prévu par la loi est adéquat.

Ma deuxième question est à propos de ce qu'on peut appeler la contre-grève, ce que vous avez appliqué en 1979. Déjà là, on se rend compte que vous avez utilisé un moyen assez original. Cela indique peut-être que vous êtes soucieux, conscients, que les services essentiels risquent, en cas de conflit ou de grève, de n'être pas toujours assurés dans tous les établissements du réseau puisque vous avez utilisé un moyen justement qui va à l'encontre de la grève traditionnelle, ce que vous appelez la contre- grève. Est-ce que ce moyen que vous avez utilisé avait pour objectif de ne pas nuire aux bénéficiaires, donc que vous étiez conscientes que la grève pouvait faire en sorte que les services essentiels ne soient pas assurés dans certains cas et qu'à ce moment, vous avez envisaqé ce moyen? Donc, est-ce que c'est par souci de ne pas nuire aux bénéficiaires dans les établissements ou est-ce que ce qui vous préoccupait surtout, c'était d'utiliser un moyen de pression visant directement l'employeur? (12 h 45)

Je voudrais que vous me parliez un peu de cette expérience. Comment cela s'est-il déroulé? Quels ont été les résultats? Est-ce que vos membres sont satisfaits de cette expérience assez originale de contre-grève que vous avez utilisée récemment? C'est ma deuxième question.

Ma troisième question. On parle depuis deux jours et demi, très souvent, des fameuses compressions budgétaires qui n'assureraient pas toujours, selon certains témoignages, les services essentiels dans les établissements du réseau. Mais, dans votre cas particulier à vous, dans votre organisme, les abolitions de postes, est-ce que cela vous touche beaucoup? Est-ce qu'il y a beaucoup de postes qui ont été abolis parmi vos membres? Est-ce que les compressions budgétaires ont vraiment cet effet d'abolir des postes directement reliés aux bénéficiaires? Il me semble que c'est important de le déterminer. Il ne s'agit pas simplement d'affirmer que les compressions budgétaires ont des effets négatifs sur les services rendus aux bénéficiaires. Il faudrait peut-être voir où cela s'appligue. Et, dans votre cas, vous êtes des infirmières et infirmiers, donc vous rendez des services directement aux bénéficiaires, est-ce que vous avez eu beaucoup de postes abolis dans votre cas bien spécifique?

Ce sont les trois questions que j'aimerais vous poser.

Mme Wavroch: Vos questions ne sont pas de simples visions de notre mémoire, M. Brassard. J'aimerais avant tout indiquer que notre mémoire, selon M. Brassard, présentait une certaine crainte, comme si on craignait l'abolition du droit de grève. J'aimerais dire qu'en ce qui me concerne, la confirmation officielle, je dis bien officielle, a été faite par M. Marois seulement avant-hier qu'il n'en était pas question; toutes les discussions qu'il y a eu depuis un bout de temps laissaient planer la possibilité qu'on pouvait amender le Code du travail pour faire en sorte que le droit de grève soit aboli. Sur cela, je m'en tiens à mardi de cette semaine où M. Marois a annoncé officiellement qu'il n'en était pas question du tout.

M. Brassard: Si vous me permettez, M. le Président et madame, juste un petit commentaire à ce sujet. C'est que, pendant la campagne électorale, un des engagements très précis et...

M. Paquette (Rosemont): Et très peu populaire.

M. Brassard:... très peu populaire, comme le dit mon collègue de Rosemont, c'était loin de coïncider avec l'opinion publique, un des engagements très précis du Parti québécois en période électorale, c'était justement de ne pas toucher au droit de grève dans les secteurs public et parapublic, mais, par contre, comme c'est justement l'objet de cette commission, d'essayer de faire en sorte que les services essentiels soient le plus adéquatement assurés; ça, c'était très clair.

Mme Wavroch: Vous permettez toujours, M. le Président? Je ne ferai pas un débat politique ici en disant: Je vous ai élus pour faire ceci, mais tout est possible, il y a seulement les fous qui ne changent pas d'idée. Des promesses électorales, dans les années passées, on en a vu qui ne se sont pas réalisées. Je n'en ferai donc pas un débat. C'est votre travail, je sais déjà que ce n'est pas facile, ce n'est certainement pas moi qui vais venir en ajouter.

Pour répondre à votre deuxième question, à savoir si on est satisfaites du mécanisme qui existe présentement relativement aux services essentiels, j'aimerais avant tout vous donner un historique pour nous situer davantage relativement à la loi 59.

Premièrement, la loi 59, ce n'est pas la loi des services essentiels, c'est la loi des services à maintenir en cas de conflit de travail. C'est très important de faire la nuance. D'ailleurs, nulle part dans votre loi retrouve-t-on le mot "essentiels". Nulle part.

Alors que d'après cette loi nous devrions négocier avec nos employeurs, nos employeurs ont interprété cette loi comme voulant dire les services à maintenir en cas de conflit de travail. Or, je n'ai peut-être pas besoin de vous dire que, en ce qui concerne les employeurs d'hôpitaux, tout l'hôpital, tout le centre d'accueil, n'importe quoi voulait dire "services à maintenir en cas de conflit de travail". Il n'était pas question des services essentiels.

Sur ce que M. Brassard appelle contre-grève, je tiens à vous dire encore là - on prendra le dictionnaire Larousse - que nous, la Fédération des infirmières et infirmiers unis, on n'a jamais appelé ça contre-grève; on a appelé cela antigrève. Contre veut dire contre; anti c'est une autre histoire, et encore là on se référait au dictionnaire. Et là encore, c'est important ce mot. Nous avons utilisé notre antigrève comme tactique, comme stratéqie, si vous voulez - là, je veux utiliser les mots auxquels je suis habituée, je n'essayerai pas de me faire parlementaire -pour niaiser la loi 59, parce que c'est une loi que, somme toute juste par le fait même qu'elle ne parlait pas de services essentiels, nos employeurs avaient interprétée comme portant sur les services à maintenir en cas de conflit de travail. Or, ils voulaient que tous les services dont ils disposaient dans leur centre hospitalier soient maintenus. On a dit: Si c'est comme ça, nous, on estime que présentement les services qu'on donne à nos patients ne sont pas adéquats; déjà ils ne sont pas adéquats, les services à maintenir. C'est pour ça, vous remarquerez, que toutes nos listes ont été déposées avec des surplus d'infirmières dans chacun de nos centres hospitaliers. Cela était fait pour vous démontrer que nous estimions qu'on manquait d'infirmières. Cela rentrait en ligne de compte, M. Brassard, avec les coupures budgétaires, parce que notre liste, croyez-le ou non, reflétait le nombre d'infirmières qu'il y avait en 1972 et 1973. Or les statistigues qu'on retrouvait sur cette liste, c'est-à-dire l'augmentation, dans les gros centres hospitaliers, de 20%, 30%, peut-être 40%, ce sont les effectifs infirmiers qu'il avait en 1972 et 1973.

Ma réponse est reliée à votre troisième question, à savoir combien de postes on peut réclamer avoir été abolis par les compressions budgétaires. Par attrition, par le non-remplacement, on est capable de vous soumettre qu'il y a eu, depuis 1972 jusqu'à 1979, 20% de postes perdus. Maintenant, avec le redressement qu'on va devoir vivre cette année - de 1979 jusqu'à présent, nos statistiques ne sont pas complétées - je suis pas mal sûre que le pourcentage va être davantage auqmenté et, cette fois-ci, on va voir effectivement des fermetures totales de postes. Avant, l'abolition de postes, on peut dire, se limitait tout simplement à l'attrition et au non-remplacement. D'accord?

Toujours relativement à l'antigrève, malheureusement - je dis bien malheureusement - on n'a même pas eu la chance de pouvoir évaluer la signification de notre antigrève parce qu'on n'a jamais eu la chance de faire la grève lors de la dernière négociation. Quand je dis la chance, c'est-à-dire que le gouvernement a répondu à nos aspirations dans les douze heures avant que nous ayons décidé d'entreprendre cette action et on ne l'a pas reprise par la suite. Alors, je ne peux pas honnêtement vous dire quel est le bilan positif ou négatif à la suite de la tactique que nous avons utilisée dans le temps.

Quant aux membres, est-ce qu'ils sont pour ou contre? Les membres de la Fédération des infirmières et infirmiers unis, ce sont eux qui ont voté cette tactique

relative à la loi des services à maintenir en cas de conflit de travail. Ils ont été majoritairement pour. Le bilan qu'ils ont fait aujourd'hui, c'est le même que je fais. C'est qu'on n'a jamais eu l'opportunité de voir si cette tactique pouvait fonctionner ou pas. On l'a utilisée, d'une part, parce que votre loi, qui est une loi de services à maintenir et non une loi de services dits essentiels, ne répondait pas à la réalité du temps; deuxièmement, parce qu'on estimait que, déjà, il manque des effectifs infirmiers et c'était aussi une façon de faire valoir ceci en négociation; en troisième instance, on voulait utiliser ce mécanisme pour vous rendre, au niveau du gouvernement, sensibles au fait que votre loi, de la façon dont elle est rédigée, peut être interprétée. On aurait aimé sérieusement poursuivre un débat juridique sur la notion des services à maintenir en cas de conflit de travail versus les services essentiels. Le temps ne nous l'a pas permis. Peut-être que vous changerez votre loi. Peut-être qu'on aura l'opportunité d'utiliser cette méthode. On le saura dans le temps et on saura, chacun de notre côté, à quoi s'en tenir.

M. Brassard: M. le Président, si je comprends bien, votre antigrève, comme vous dites, était une réaction à la loi 59. Par conséquent, la loi 59 n'a pas donné lieu, dans votre cas précis, à des ententes au niveau des établissements. Est-ce que je comprends bien?

Mme Wavroch: C'est bien ça, nous avons déposé des listes en surplus.

M. Brassard: C'est donc dire que la loi 253, vous l'avez appliquée. Cela a donné lieu, dans 90% des cas, à des ententes. Pour la loi 59, vous avez décidé d'une nouvelle stratégie, d'une nouvelle tactique que vous appelez l'antigrève, qui consistait à déposer des listes comportant plus de postes qu'il y en avait dans l'établissement. Donc, si je comprends bien, vous n'êtes pas satisfaite de la loi tel qu'elle existe présentement. C'est ce que je voulais dire tantôt. On aurait aimé que vous suggériez, dans votre mémoire, un certain nombre de recommandations ou de modifications aux mécanismes actuels, ce que vous ne faites pas. Je constate que vous n'êtes pas satisfaite des mécanismes de la loi actuelle, entre autres parce qu'elle définit mal ou pas du tout la notion de services essentiels. C'est ce que je voulais dire tantôt. J'aurais aimé que, dans votre mémoire, on trouve un certain nombre de recommandations positives pour améliorer les mécanismes actuels.

Mme Wavroch: M. le député, vous avez une façon de faire une synthèse de ce que j'ai dit, c'est très intéressant, mais ça ne reflète pas du tout ce que j'ai voulu exprimer. Si je vous ai donné l'historique de l'antigrève, c'était pour essayer de vous situer dans le contexte parce que vous essayiez, selon votre deuxième intervention, ni plus ni moins, de dire que la Fédération des infirmières unies était contre la grève. Elle n'était pas contre la grève. C'est le premier point, très important.

Deuxièmement, je vous ai bien indigué que, si nous avions utilisé l'antigrève, c'était une forme de tactique, si vous voulez; nos employeurs, eux, interprétaient la loi, qui était la loi des services à maintenir en cas de conflit de travail; ce sont eux qui l'ont interprétée en disant que tous les services devaient être maintenus. Mais eux ne parlaient pas de services essentiels; nous, on parlait de services essentiels. Vu que l'attitude adoptée à ce moment-là par l'ensemble de nos employeurs était celle-ci, nous avons réagi à cette attitude.

C'est tout simplement pour vous dire que, en ce qui nous concerne, la loi telle qu'elle est là nous convient. Mais si elle doit faire face encore de la part de nos employeurs à une interprétation voulant que les services à maintenir, ce sont tous des services, qu'il n'est pas question de notion d'essentiel ou de notion de minimum. Je pense qu'il vous revient d'interpréter et de régler ceci, pour qu'on puisse tous avoir la même interprétation de la loi.

Mais je précise qu'on a dit dans notre mémoire, et on aura d'ailleurs l'occasion d'y revenir, toujours devant cette commission, la semaine prochaine, qu'en ce qui concerne la loi, nous en sommes satisfaits, telle qu'elle est.

Le Président (M. Rodrigue): Mme

Lavoie-Roux, députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux également remercier la Fédération des infirmières et infirmiers unis Inc., de son mémoire.

Il me semble évident...

Le Président (M. Rodrigue): Avant que vous ne procédiez à vos questions, j'aimerais signaler aux membres de la commission qu'il est 13 heures et je demande le consentement pour qu'on poursuive la séance - je pense que vous serez probablement la dernière à poser des questions - jusqu'à ce qu'on ait épuisé le sujet avec le groupe qui est présentement devant nous. Il y a consentement. Veuillez continuer, s'il vous plaît.

Mme Lavoie-Roux: Je vais essayer de passer directement aux questions sans plus de commentaires, compte tenu de l'heure. (13 heures)

Vous dites dans votre tout dernier

paragraphe: "Nous considérons que le problème de négociations dans les secteurs public et parapublic n'est pas relié à l'exercice du droit de grève... c'est le manque de bonne foi du gouvernement, la politisation de la totalité du processus de négociation... " Je voudrais m'en tenir juste à ce membre de phrase "la politisation de la totalité du processus de négociation". Je pense, sans me tromper, qu'à peu près chaque organisme qui est venu devant nous, particulièrement peut-être les représentants de groupes syndicaux, quand ils ont fait une analyse du processus de négociations dans les secteurs public et parapublic, ont toujours dit que, de toute façon, c'était un processus hautement politisé. Même si, à ce moment-ci, vous dites que c'est surtout le gouvernement, je pense qu'il peut y avoir aussi une politisation des deux parties. D'ailleurs, les autres l'ont exposé dans le sens d'un rapport de forces, d'une utilisation politique, de la part tant des syndicats que de la partie patronale, de ce processus de négociations dans le secteur public.

Le gouvernement dit: Nous n'abolirons pas le droit de grève, et nous avons parlé dans le même sens, sauf que nous avons des réserves à l'égard de certaines catégories particulières de patients, en particulier ceux dans les centres de soins prolongés, les centres d'accueil, etc., mais il reste que ceci est quand même basé sur une confiance que le droit de grève va être conservé - il ne sera pas utilisé - d'une façon extrêmement symbolique. En tout cas, j'imagine que c'est ce que les gens de cette commission souhaitent. Cela m'inquiète. Quand toujours les organismes qui viennent devant nous mettent beaucoup l'accent dans leur analyse sur cette politisation du processus qui semble inévitable, parce que d'une part c'est l'employeur à la fois législateur qui établit les règles du jeu, comme vous le signalez ailleurs au nom de la sécurité publique, il a un devoir de le faire d'ailleurs, je me dis que je ne suis pas sûre qu'on va s'acheminer vers un processus plus facile que ce qu'on a connu dans le passé. On ne peut presque plus parler de changement, de modification de comportement, parce que toujours les gens le situent dans ce rapport politique utilisé par les uns et les autres. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

Mme Wavroch: Disons que, d'une part, ce que vous dites est vrai. Mais lorsqu'on réfère surtout à la politisation, on entend justement toutes les règles du jeu qui changent à chaque négociation. À chaque négociation, nous avons des lois quelconques qui changent les règles du jeu. C'est surtout à ce niveau qu'on s'oppose. Qu'on établisse les règles une fois pour toutes et qu'elles ne changent pas pour essayer de faire ce qu'on appelle du "patchwork", ou boucher les trous, à la suite de l'expérience vécue, sans avoir fait une analyse profonde.

Pour nous, lorsque je réfère à la politisation, au dernier paragraphe, c'est surtout au niveau du fait que les lois changent soit avant les négociations ou pendant les négociations. Que ce soit une règle du jeu convenue dès le début et qu'on s'en tienne à elle.

Mme Lavoie-Roux: II semble quand même que durant la dernière ronde de négociations, les règles du jeu n'aient pas changé durant la négociation. Évidemment, on est intervenu avec des lois spéciales dans le but de protéger l'intérêt public; mais il reste que la population a le droit d'exiger de ses gouvernements, quels qu'ils soient - ils peuvent se tromper dans leurs jugements, remarquez bien - si elle juge la sécurité publique en jeu, qu'ils interviennent. Vous dites non, il ne faudrait pas intervenir même si la situation se détériore et qu'on juge la santé publique en danger.

Mme Wavroch: Corrigez-moi si j'ai tort, mais entre autres la loi 62, lorsque vous dites qu'il y a des lois spéciales pour les protéger, vous les protégez avant qu'il y ait eu du mal, à ma connaissance. C'est pourquoi on dit: Ce n'est pas correct. On avait quand même certains droits, on n'a même pas eu la chance d'exercer ces droits et le gouvernement se permet d'adopter une loi qui vient nuire au processus dit normal de négociation.

Mme Lavoie-Roux: Je pense que le cas de la loi 62, et peut-être davantage à l'égard de l'éducation, avait vraiment quelque chose pour le moins particulier. Il n'y avait même pas, à ce moment-là, menace de grève en éducation. Ils avaient à peine...

Une voix:...

Mme Lavoie-Roux: Oui, mais on a englobé tout le monde. Je suis d'accord avec vous. D'ailleurs, nous l'avons nous-mêmes déploré, mais, compte tenu des problèmes de la santé, il ne faut pas oublier qu'il y avait quand même eu des débrayages sporadiques dans des hôpitaux. Votre groupe n'en avait peut-être pas fait, mais il y avait des membres à l'intérieur du COPS qui avaient débrayé. Il y avait eu de léqers débrayages, des débrayages d'autres associations ou d'autres groupes. Je pense qu'à ce moment-là, dans le domaine de la santé, il y avait quand même eu des problèmes.

En tout cas, c'est une réflexion que je me fais, parce que je me dis: On semble trouver naturel que ce soit un processus politique qui doit amener inévitablement presque une confrontation. On ne jauqe pas les choses de la même façon. On ne jauge

pas que le danger est arrivé au même moment ou que la nécessité de l'État d'intervenir est vue de la même façon par les gens.

Vous accusez le gouvernement de toujours retarder et je pense qu'à cet égard, vous avez raison. Encore une fois, je parle de tous les gouvernements. Je pense qu'à cette ronde-ci, il y a quand même eu un effort, avec la loi 59, d'établir un échéancier. Vous avez dit: Nous, du COPS, on n'a pas voulu s'assujettir à l'échéancier de la loi 59 et les offres patronales ne sont pas venues assez rapidement. Il reste que les offres patronales sont venues quand même, à un moment donné, et que vous avez retardé la signature de la convention collective jusqu'à ce que tout soit réglé, jusqu'au moment où tout soit réglé dans les secteurs public et parapublic. Là, je me demande si c'est vraiment le gouvernement, qui était peut-être en retard au début, est-ce lui, à la fin, qui était en retard ou n'était-ce pas vous qui causiez les délais?

Mme Wavroch: Premièrement, je ne me placerai pas dans la position de parler au nom de l'ensemble du COPS. Je représente seulement un groupe du COPS, mais je tiens à vous rappeler que le COPS avait commencé à négocier un an avant l'ensemble du secteur dans le temps. D'accord? On n'a pas retardé le processus. Quand on a eu toutes nos offres finales, les autres commençaient à négocier. D'accord? Nous autres, cela faisait déjà un an. C'était effectivement un problème. Je ne pense pas qu'on puisse nous accuser d'avoir retardé le processus ou d'avoir voulu attendre les autres. C'était quelque chose que votre gouvernement croyait et cela n'a peut-être jamais été dit officiellement, mais, en ce qui concernait le COPS dans le temps, il n'attendait personne pour conclure la convention collective, mais le gouvernement, lui, voulait attendre pour voir peut-être -encore là je ne devrais pas me permettre de parler en votre nom - quelle serait la réaction des autres syndicats du secteur public avant de continuer à notre table.

Mme Lavoie-Roux: Vous avez l'impression que c'est le gouvernement qui, là aussi, a attendu?

Mme Wavroch: Oui, seul vous détenez la réponse à ceci.

Mme Lavoie-Roux: Pas nous, pas nous. À la page 5, vous parlez, dans les coupures budgétaires, du problème de la mobilité du personnel. Pourriez-vous développer un peu? Je pense que dans les conventions collectives antérieures ou peut-être même la dernière que vous avez signée, je ne suis pas au courant, cette mobilité ou non-mobilité du personnel, devrais-je dire, vous l'avez obtenue jusqu'à une certain point. J'aimerais quand même que vous développiez un peu parce que vous pensez que ça va revenir avec la question des coupures budgétaires.

Mme Wavroch: II y a déjà une stipulation à l'intérieur des conventions collectives qui prévoit - j'appelle ça mobilité, c'est réaffectation, d'accord ceci...

Mme Lavoie-Roux: Oui.

Mme Wavroch:... et le syndicat peut exercer un certain contrôle, mais ce qui arrive dans la réalité ou la pratique, c'est que nos employeurs, au lieu d'utiliser les ressources disponibles en vertu des conventions collectives, que ce soit une liste de disponibilité, une équipe volante ou quoi que ce soit, utilisent des personnes que, pensant peut-être que c'est "slack", ils envoient ailleurs. Vous allez me dire, qu'on a un recours. C'est sûr qu'on a un recours; on a un recours de grief et si on n'est pas satisfaites, on a un recours d'arbitrage qui prend un an et dans certains cas plus longtemps. Le problème a eu le temps de se poser longuement avant qu'on puisse avoir un contrôle. C'est cette notion... Je ne sais pas si vous voulez que je vous dise pourquoi nous sommes contre la mobilité.

Mme Lavoie-Roux: Oui, j'aimerais.

Mme Wavroch: Parce que c'est un sujet de négociation. C'est depuis 1972 que je négocie et depuis ce temps on en parle. C'est tout simplement parce que ça peut se présenter comme une situation dangereuse pour les patients. Une infirmière, par exemple - d'ailleurs j'ai eu vent d'un cas tout récemment qui s'est produit à ce niveau - a été déplacée d'une salle d'opération pour aller aider les infirmières à l'unité coronarienne. Cela fait guinze ans que cette infirmière est en salle "d'op", elle n'a jamais travaillé dans une unité hautement spécialisée. Il y a eu beaucoup de développements, vous savez, on a beaucoup de machines, beaucoup d'ordinateurs qui remplacent le personnel. Alors, elle ne se sentait pas à l'aise et elle s'est vue dans l'obligation de refuser, ne se sentant pas capable de donner des soins adéquats en vertu de tout l'équipement qui entourait les patients dont elle devait avoir soin. C'est surtout des cas comme ça et il y en a beaucoup. Vous allez me dire qu'une infirmière est une infirmière, c'est vrai, mais avec le temps il y a des spécialités qui se développent et ce n'est pas toutes les infirmières qui connaissent les spécialités d'un endroit à l'autre. Alors, cela a été une situation de contestation pour nous, tout

simplement à cause des dangers que cela peut présenter.

Mme Lavoie-Roux: Oui. Bon, écoutez, je trouve cela fort intéressant, ce que vous venez de dire dans le cas des services essentiels, parce qu'on sait fort bien que vous pouvez établir correctement votre liste de services essentiels. Ce n'est pas cela que je veux remettre en question. Vous pouvez même arriver à une entente avec la partie patronale et avoir une entente signée. Alors, ce n'est pas cela le problème. Mais, compte tenu de la façon dont se fait le rappel des infirmières qui vont venir assumer des tâches pour répondre aux besoins des services essentiels, est-ce que vous n'exposez pas les patients au même problème que celui que vous venez de décrire? Parce que je pense que le rappel se fait conjointement par la partie patronale et la partie syndicale, quand vous rappelez les infirmières pour revenir combler les postes qui sont requis pour répondre à la liste des services essentiels. À ce moment-là, vous pouvez fort bien avoir quelqu'un qui est dans une unité de soins, qui tout à coup se retrouve aux services intensifs et là, je pense que c'est d'une façon beaucoup plus importante que le problème que vous venez de décrire peut se présenter.

D'ailleurs, le même raisonnement vaudrait quand on nous dit: Bien, écoutez, les cadres peuvent aussi travailler. Non, ce n'est pas vous qui nous avez dit cela, mais on a entendu cela ici hier: Les cadres peuvent venir et prendre la place. On sait fort bien qu'un cadre administratif d'hôpital, qui travaille à l'administration - qui a peut-être été une excellente infirmière dans son temps, comme on dirait, au moment où elle pratiquait comme infirmière, mais qui depuis, je ne sais pas, moi, sept, huit ou dix ans prépare des horaires pour les infirmières ou, enfin, pour l'ensemble du personnel - tout à coup sera peut-être obligée d'assumer une fonction alors qu'elle est devenue rouillée ou peut-être n'est même plus à point. Vous attachez beaucoup d'importance à la non-mobilité du personnel ou à une mobilité intelligente du personnel. Je suis d'accord avec vous, mais il semble que cette règle là saute au moment où on est dans des conflits hospitaliers ou dans un régime de services essentiels.

Mme Wavroch: Si vous le permettez, dans un régime de services essentiels, il faut dire quand même que vous négociez les services service par service; vous ne négociez pas l'hôpital x. Alors, il y a, premièrement, cet aspect-là auquel on fait attention. Par exemple, si je vais négocier les soins intensifs, je négocie le personnel normalement qui est affecté aux soins intensifs et je diminue selon ce qu'on devrait établir comme services dits essentiels. D'accord?

Premièrement, l'expérience qu'on a vécue nous dans le temps, c'est qu'on a fait ceci à la première étape. On a aussi une liste d'infirmières spécialisées dans certains endroits. Je prends par exemple dans l'hémodialyse, où la majorité des infirmières ne savent pas vraiment travailler. Pour ces endroits, on avait une liste de personnes disponibles, on avait déterminé bien longtemps à l'avance le recours à cette possibilité et on ne pouvait pas envoyer n'importe qui. Cela demandait quelqu'un qui était habitué à cet endroit. Je n'arrive pas à comprendre la portée de votre question, parce que en néqociant les services essentiels vous néqociez les services couverts par des personnes qui sont normalement habituées et habilitées à travailler dans les endroits où elles travaillent.

Mme Lavoie-Roux: Je reprends, mais je vais essayer de faire brièvement et plus clairement. Comme le disait quelqu'un, quand nos questions ne sont pas comprises c'est parce qu'elles sont mal exprimées. Dans le cas des cadres, je pense que j'ai été très clair. Ce n'est peut-être pas le cas dans le vôtre, mais si vous aviez été ici hier ou avant-hier... On sait fort bien, d'ailleurs je pense que tout le monde va être d'accord là-dessus dans la salle, qu'on demande aux cadres d'assumer des responsabilités qui ne sont plus leurs responsabilités quotidiennes et des responsabilités dont ils ou elles ont été éloignés depuis un certain temps. Cela c'est une catégorie.

La deuxième question que je vous ai posée est: Comment se fait le rappel des infirmières sur la liste? Je me suis laissé dire - et si vous pouvez infirmer cela, tant mieux - que le rappel des infirmières pour venir remplir les tâches dans les hôpitaux se faisait à partir d'une liste et il faut observer cette liste en descendant ou en montant. À ce moment, une personne peut être rappelée pour venir aux services intensifs qui, normalement, est en salle d'opération. Il y a des infirmières qui sont responsables et qui vont dire: Écoutez, cela fait trop longtemps que je ne suis pas allée aux services intensifs; ce que vous venez de décrire, je reqrette, mais je passe mon tour. Mais il y en a d'autres qui, peut-être, hésitent moins ou peut-être même n'y pensent pas ou quoi que ce soit. À ce moment, vous pouvez vous retrouver aux services intensifs non pas avec un qroupe habitué, mais avec un groupe assez disparate quant aux qualifications pour donner les services. (l3 h 15)

Mme Wavroch: Premièrement, je pense qu'il faut faire la nuance entre le temps normal et le temps des services essentiels. En temps normal, nous avons tous ces

mécanismes déjà tous prévus dans nos conventions collectives. En temps de services essentiels, il est sûr que parfois on est obligé de dévier, d'accord. Au moment de la négociation des services essentiels, certains des grands centres hospitaliers à Montréal ont déjà des listes de personnes déterminées qui sont spécialisées, c'est-à-dire des équipes volantes spécialisées pour des endroits où la majorité des infirmières ne sont pas habilitées ou habituées d'y aller. C'est à ces listes qu'on réfère, que ce soit en temps normal ou en temps des services essentiels, selon les mécanismes prévus.

Si vous essayez de me sensibiliser au fait que ce n'est pas une de nos préoccupations en temps de grève, oui, c'est une de nos préoccupations, c'est sûr, le fait que les personnes qui doivent assumer les services doivent être habilitées pour pouvoir le faire. D'ailleurs, c'est pour ça qu'en ce qui concerne la Fédération des infirmières unies, on ne s'est jamais bien préoccupé des cadres, parce qu'on estimait que, dans certains cas, ils présentaient un cas dangereux plutôt que de pouvoir aider la situation.

Le Président (M. Rodrigue): M. le député de Rosemont.

Mme Lavoie-Roux: Écoutez, M. le Président...

Le Président (M. Rodrigue): Vous n'aviez pas terminé, madame?

Mme Lavoie-Roux: Non, je voudrais quand même ajouter un mot. Madame nous dit que, dans le cas de la Fédération des infirmières unies, ce n'est pas le cas, et je prends sa parole, mais la situation peut certainement se présenter, la situation que je viens de décrire.

Mme Wavroch: Cela se pourrait, oui. Mme Lavoie-Roux: Bon, merci.

Le Président (M. Rodrigue): M. le député de Rosemont.

M. Paquette: M. le Président, je trouve - tout comme mon collègue du Lac-Saint-Jean - assez originale cette notion d'antigrève dont on a parlé tout à l'heure.

Si on essaie de résumer la situation, en 1975, sous la loi 253, vous avez fait des ententes pour le maintien des services essentiels dans 90% des cas, mais vous avez été forcés de faire la grève à un moment donné et il y a eu risque, réel ou non - ça resterait à déterminer - pour le maintien des services essentiels.

En 1978, en vertu de la loi 59 - parce que là, en cas de non-entente, la liste devait être établie par le syndicat, c'était la liste syndicale qui prévalait - vous avez présenté des listes qui comportaient plus de postes que ceux qui étaient effectivement remplis avant la grève. C'est la possibilité de dépôt de la liste syndicale qui permet à un syndicat soit de choisir de mettre moins d'employés qu'il n'y en a normalement sur la liste syndicale ou d'en mettre plus. Vous avez opté pour en mettre plus et c'est pour ça que vous qualifiez ce mécanisme d'antigrève.

Je trouve ça extrêmement intéressant, parce qu'il y a deux différences importantes avec la grève, c'est-à-dire le fait qu'il y ait plus d'employés qu'en temps normal. La pression sur l'employeur est économique, à ce moment, plutôt que politique, parce que l'employeur doit chaque jour débourser des sommes supplémentaires à ce qu'il serait normalement obligé de débourser, si la liste était acceptée. Evidemment, ça n'a pas pu être mis en application, on l'a dit tout à l'heure.

Quand il y a moins de postes sur la liste que ce qui est prévu pour un exercice normal la pression est politique parce qu'il y a menace pour les services essentiels et les pressions s'exercent sur le gouvernement pour qu'il règle. Mais dans le cas où il y a plus de personnel, la pression est économique, donc plus immédiate, parce que, chaque jour, le patron doit débourser plus de fonds que ce qui est prévu normalement pour maintenir les services.

Il y a une autre différence aussi importante. Au niveau de la population, au niveau des patients, il y a non seulement le maintien des services, mais il y a, en principe, augmentation des services puisqu'il y a plus de postes que d'habitude, au lieu d'une menace sur les services essentiels.

C'est drôle, j'ai l'impression que ce genre de mécanisme est un moyen de pression beaucoup plus efficace en principe -on n'a pas eu la chance de l'essayer - que la grève. Je trouve cela extrêmement intéressant de fouiller cette hypothèse. Est-ce que, selon vous, le fait que le gouvernement ait réglé en douze heures -c'était après le dépôt des listes syndicales -est l'effet de ce moyen de pression? Comment expliquez-vous que, tout à coup, cela s'est réglé très rapidement?

Mme Wavroch: Sérieusement, je ne pourrais pas dire que c'est à cause de cela. Publiquement, la méthode est connue. Lorsqu'on a présenté cette méthode antigrève, il y a des gens ici, autant devant que derrière moi, qui ont trouvé que cette méthode était plutôt enfantine, niaise, stupide, gaga, parce qu'on ne l'a pas comprise. Je suis contente de voir, M. Paquette, que vous êtes un de ceux qui ont compris ce à quoi elle rimait.

Une voix: II n'est pas le seul d'ailleurs.

Mme Wavroch: Mais à savoir si c'est une tactique, une stratégie, un moyen qui peut être efficace ou non, si vous voulez, donnez-moi la chance de le faire demain et je vous en reparlerai dans un mois. Je ne sais réellement pas, parce qu'on n'a jamais pu peser l'ampleur de cela. Est-ce que ce serait un moyen à penser au niveau de l'ensemble du secteur? Il faudrait que vous en parliez aux autres syndicats, mais j'ai l'impression que leur opinion n'est certainement pas la nôtre, à savoir que cette possibilité existe.

Je dois aussi vous dire que, vous savez, la grève, les services essentiels, ce ne sont pas des sujets nouveaux. Cela se discutait avant que je naisse. Ma mère en parlait dans le temps. On a beaucoup de colloques -d'ailleurs il y a beaucoup de gens qui s'enrichissent avec ces colloques - pour parler de la grève, des services essentiels, et on n'arrive jamais à trouver de solution, on n'arrive jamais à en proposer. On a voulu en proposer une au risque public, parce que c'était un gros risque non seulement au niveau de notre orqanisation, mais au niveau de toute personne qui pourrait regarder ceci. On était prêt à offrir une solution. Malheureusement, on n'a jamais eu la chance de l'exercer et de pouvoir dire: Voyez-vous, voici une possibilité.

Le contexte est aussi différent aujourd'hui. Est-ce que ce serait toujours applicable? Je n'en sais rien.

M. Paquette: M. le Président, je voulais soulever ce point-là parce que notre préoccupation ici n'est pas celle de l'État employeur, c'est celle de l'État législateur. Je pense que notre préoccupation n'est pas de priver les syndiqués de leurs moyens de pression, mais de faire en sorte que les moyens de pression qu'ils se sentent obligés d'utiliser à certaines occasions ne pénalisent pas les patients dans les services les plus essentiels auxquels ils ont droit.

Dans ce sens-là, je suis certain que, si on découvrait que ce genre de solution que vous avez envisagé était plus efficace que l'autre, ce ne serait sûrement pas très intéressant pour l'État patron, mais, pour l'État législateur, ce serait certainement très intéressant.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vos gens étaient payés à ce moment-là?

Mme Wavroch: S'ils avaient eu la chance de recourir à ceci, oui.

Mme Lavoie-Roux: Oui.

Mme Wavroch: Par les différentes lois qui intervenaient.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentants de la Fédération des infirmières et infirmiers unis Inc.

Je vous informe que la commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu suspend ses travaux jusqu'à 15 h 15.

(Suspension de la séance à 13 h 24)

(Reprise de la séance à 15 h 21)

Coalition pour le droit des malades

Le Président (M. Rodrigue): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu reprend ses travaux. Comme premier groupe cet après-midi, nous entendrons les représentants de la Coalition pour le droit des malades, représentée par M. Claude Brunet. M. Brunet, je vous invite à présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous n'entendez pas? Est-ce que les micros sont défectueux ou si... Cela va? J'invite M. Brunet à nous présenter les personnes qui l'accompagnent et à bien vouloir présenter le mémoire de son association.

M. Brunet (Claude): Je vous remercie, M. le Président. À ma gauche ici, en fauteuil roulant, M. Jean-Marc Chabot, secrétaire-général du comité de liaison des handicapés physiques du Québec. Ensuite, Mlle Lucie Forget, collaboratrice du comité provincial des malades. Ensuite, M. l'abbé Gérard Dion, professeur en relations industrielles.

M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs les députés, la Coalition pour le droit des malades croit que la tenue de cette commission parlementaire et la formulation même de son mandat sont des indices non équivoques de l'échec lamentable des mécanismes mis en place pour assurer le respect d'un des droits les plus fondamentaux des citoyens, celui de bénéficier des services de santé que quinze ans de reconnaissance du droit de grève ont fréquemment rendu illusoire, humiliant, déqradant même pour des milliers de personnes. Vous savez, dans un contexte de grève, je sais que pour des gens bien portants, des gens très actifs, c'est difficile de se rappeler les choses, mais essayons de les imaginer un peu. Dans un contexte de grève, il y a d'abord beaucoup de soins qui ne sont pas donnés, ce qui est déjà une offense et une atteinte à la dignité de la personne malade, mais les soins qui peuvent encore être donnés le sont d'une façon telle ou dans une ambiance telle, une ambiance de

tension, d'inquiétude, de frustration, qu'ils deviennent pour beaucoup de malades des causes de chagrin, d'inquiétude, de frustration, de découragement ou encore de révolte. C'est pourquoi on dit que ces soins sont non seulement une atteinte à la personne, mais, dans certains cas, sont même dégradants, car on amène des malades à se sentir encombrants et de trop dans l'hôpital et dans la société où ils se trouvent.

Pour nous, M. le ministre et pour quelque 83% des Québécois, le droit de grève dans les services de santé est incompatible avec le droit de toute personne malade à être secourue et bien soignée. C'est un droit qui a été reconnu par le grand Hippocrate et ses disciples qui ont vécu 400 ans avant Jésus-Christ. Je vous lis quelques mots seulement du serment d'Hippocrate: "Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, selon mes forces et mon jugement et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. " En d'autres mots, pour ces gens, c'était le malade avant tout. Notre gouvernement du Québec est sans doute assez proche de ce mot d'ordre, si on peut dire, puisqu'il nous a souvent dit et répété par une certaine publicité que c'est "la personne avant toute chose. "

Pour ramener le malade à la santé ou, à tout le moins, adoucir ses souffrances, tous les soins sont essentiels pour nous, y compris ceux qui sont destinés à répondre à ses besoins les plus élémentaires, comme lui donner la bassine à temps pour lui épargner l'humiliation de salir ses draps et de rester dans ses excréments pendant un laps de temps plus ou moins long, le laver aussi et le baigner régulièrement pour qu'il ne sente pas mauvais et qu'il soit confortable, le tourner dans son lit autant de fois dans la journée que son état le reguiert pour empêcher la formation de plaies de lit purulentes, lui servir des repas de façon régulière et personnalisée dans une atmosphère de calme aussi afin de stimuler son appétit et d'entretenir son goût de vivre. Augmenter les souffrances des malades, des personnes déjà affaiblies psychiquement et physiquement, frapper des gens qui sont déjà à terre est pour nous proprement immoral. C'est malheureusement ce qu'une grève dans les établissements de santé tend à faire car, si la grève ne faisait pas mal aux malades, elle serait inefficace. C'est bête, mais c'est comme cela et les syndicats ont toujours refusé de limiter leur grève aux services qui n'affectent pas les malades, par exemple, les services de comptabilité.

Permettez-moi de vous rappeler un moment assez pénible. Au mois de mai dernier, il y a eu grève illégale de 27 jours au centre d'accueil Laprairie, près de Montréal. Là, il y a eu toute la gamme des manquements, des violations, des comportements irresponsables et irrationnels absolument incroyables, des choses qu'on a retrouvées fort bien, malheureusement, au cours des grèves de 1966, 1972, 1975, 1976 et 1979.

Entre autres choses, à cette grève de 27 jours du mois de mai dernier, il y a eu ceci: Au vu et au su de plusieurs bénéficiaires et même de plusieurs employés non syndigués et syndigués - je dis bien syndigués, parce qu'il y en a qui ont refusé de faire la grève - des piqueteurs ont tout fait, à plusieurs reprises, pour empêcher une ambulance de venir chercher différents bénéficiaires qui devaient être conduits dans un hôpital. La même chose a été faite pour plusieurs camions d'approvisionnement, surtout pour la nourriture. Selon les témoignages recueillis, en particulier des bénéficiaires eux-mêmes, les piqueteurs avaient l'intention avouée d'affamer les bénéficiaires et le personnel de secours, qui s'efforçait tant bien que mal de donner le plus de soins possible.

M. le Président, je voudrais que vous compreniez la difficulté pour des représentants de malades de ressentir de la sympathie pour certains militants syndicaux qui, en plus d'être des instigateurs de tels désordres et de telles injustices, ont le culot de se plaindre de tout ce qu'ils n'ont pas et de se poser en martyre et de revendiquer fortement des avantages et des privilèges au détriment, sans doute, de beaucoup d'autres groupes de Québécoises et de Québécois qui sont loin d'avoir les conditions que le gouvernement accorde à ses employés dans les hôpitaux.

En passant, je vais vous raconter quelque chose de cocasse qu'il ne faudrait quand même pas prendre trop au sérieux. J'ai entendu, il y a deux jours, notre ami Norbert Rodrigue faire un appel à tout le monde parce qu'il voulait avoir le numéro de plaque de la fameuse ambulance qui se promène, paraît-il, depuis cinq ans et jamais personne n'a pu lui donner le numéro. J'ai un petit moyen personnel, secret, pour communiquer avec M. Rodrigue; je me suis empressé de lui parler. Je lui ai dit: Voici, M. Rodrigue, le numéro de plaque de l'ambulance. M. Rodrigue était pas mal occupé et m'a dit nerveusement: Pour éviter toute erreur et toute ambiguïté, il va me falloir le numéro de série de l'ambulance. (15 h 30)

Blague à part. M. le Président, quand nous reconnaissons le droit de grève, nous enlevons au malade tous ses droits: droit à être bien soigné en tout temps et droit d'obtenir devant les tribunaux un redressement pour les préjudices subis. On a souvent tenté de justifier le droit de grève en disant: Si on l'enlève, on l'exercera quand même. Nous pensons que cet argument est fallacieux pour plusieurs raisons.

Premièrement, une loi ne serait jamais

sanctionnée et légitimée, ce qui est immoral, même s'il peut y avoir transgression de la loi. Il y a des meurtres malheureusement qui se commettent toutes les semaines et on sait bien que le législateur n'a jamais l'intention de rendre de tels crimes légaux; il y a des vols chaque jour, vols d'automobile, de bicyclette, vols à main armée, mais, bien sûr, il n'est pas question de légaliser de telles choses.

Deuxièmement, pour le malade, il y a une différence très importante entre une grève légale et une grève illégale. Lorsque la grève est légale, le malade peut subir les torts les plus graves et n'a absolument aucun recours en justice, mais, la grève est illégale, il peut poursuivre et recevoir compensation. En plus, bien sûr, c'est que, lorsque la grève est illégale, il y a beaucoup d'employés non syndigués et syndigués mais appartenant à d'autres syndicats qui ont moins de difficulté à traverser les lignes de piquetage.

Si la grève avait été légale en octobre 1978 et en novembre 1979, il y a des malades de l'hôpital Saint-Charles-Borromée qui n'auraient jamais eu le droit de poursuivre en recours collectif les syndicats coupables d'avoir causé des préjudices aux patients de cet hôpital. Comme vous le savez, ce droit de poursuite en cas de grève illégale a été reconnu par toutes les instances judiciaires et confirmé par la Cour suprême en janvier dernier. C'est alors, on le sait ça aussi, que la CSN a proposé un règlement hors cour visant à dédommager les malades pour le surcroît de souffrances qu'ils ont eu à endurer à cause de ces grèves illégales.

Troisièmement, le fameux argument de désobéissance civile - sauf tout le respect que nous devons à nos gouvernants - ne fait à nos yeux que masquer le manque de courage et de fermeté de nos gouvernants. Lorsqu'un gouvernement se fait élire, il reçoit le mandat, il me semble, de gouverner, et gouverner, pour nous, c'est d'abord faire respecer les lois. Un gouvernement qui a cette volonté politique ne manque pas de moyens pour remplir ce mandat. Nous avons eu récemment des exemples frappants dans d'autres juridictions, en Ontario, par exemple, où l'État, se souciant de son rôle de gardien du bien commun, a pris ses responsabilités vis-à-vis des groupes qui ont voulu défier la loi. Ces groupes qui causaient de graves injustices à des parties innocentes et qui risquaient de saper les fondements de la démocratie.

Quatrièmement, en substituant à la grève un autre mécanisme de règlement et en faisant preuve de fermeté vis-à-vis de tout défi à la loi, il y a de fortes chances que les grèves soient moins nombreuses et moins étendues et peut-être même qu'elles n'aient pas lieu du tout.

Je viens de faire allusion à l'Ontario. On pourrait en parler beaucoup de l'Ontario, on en a d'ailleurs souvent parlé. À chaque fois, on nous dit: Regardez, en Ontario, il n'y a pas le droit de grève, mais il y a pourtant des grèves quand même. J'ai eu la chance au mois de février dernier d'assister à une réunion de quatre heures à Ottawa. C'était la première fois de ma vie que j'allais là, j'étais bien content. J'étais intéressé à obtenir d'un bureau de statistiques fédérales les chiffres suivants. Je les donne très brièvement: En 1978, en Ontario, nombre de personnes-jours perdus, zéro. Au Québec, en 1978, nombre de personnes-jours perdus, 73 720. En 1979, nombre de personnes-jours perdus, en Ontario, 10 950; au Québec, 424 510. En 1980, nombre de personnes-jours perdus, 25 380 en Ontario; au Québec, 51 540. On pourra reparler de l'Ontario si vous le désirez.

On entend souvent dire, dans certains milieux, qu'on pourrait accorder un droit de grève symbolique. En réalité, cette idée nie la raison d'être de toute grève, qui est de faire pression sur l'employeur. Cela, à notre avis, équivaut à dire aux employés d'hôpitaux: On vous donne le droit de grève, mais ne vous en servez pas. À juste titre, les syndiqués pourront considérer qu'on se moque d'eux. Il est beaucoup plus honnête, à note avis, de reconnaître que le droit de grève ne peut pas exister dans le domaine de la santé et de proposer un mécanisme de rechange en vertu duquel les employés d'hôpitaux pourront faire valoir leur demande sur un pied d'égalité avec l'employeur, à l'intérieur de normes fixées par l'Assemblée nationale.

Nous croyons qu'un nouveau mode de règlement des impasses rendra davantage justice aux employés d'hôpitaux qu'un droit de grève symbolique. Nous avons, quant à nous, proposé l'offre finale, une forme d'arbitrage, mais avec cette particularité qu'elle ne permet pas à l'arbitre de faire un compromis entre les positions de la partie syndicale et les positions de la partie patronale. En vertu de cette méthode, lorsque les parties ne réussissent pas à s'entendre, chacune doit soumettre ses propositions finales sur les points litigieux à une tierce partie neutre. Celle-ci doit choisir l'une ou l'autre des propositions qui lui paraît la plus raisonnable, mais sans pouvoir la modifier d'aucune façon. C'est cet aspect qui incite les parties à négocier de bonne foi et de la façon la plus réaliste possible, car la partie qui refuse de faire des concessions risque fort de voir ses propositions rejetées par l'arbitre et de se faire imposer les propositions de l'autre partie. Cette méthode de l'offre finale a été expérimentée dans six États américains, soit Eugene, en Orégon, le Wisconsin, le Michigan, le Massachusetts,

l'Iowa et San Bernardino, en Californie.

Sur la base des informations que nous avons obtenues, l'expérience s'avère un succès. Les procédures élaborées dans chacun de ces États ne constituent nullement, je vous prie de le remarquer, une entrave à la libre négociation; bien au contraire, dans un très grand nombre de cas, les parties s'entendent sans avoir recours à l'intervention d'une tierce partie et très peu doivent se rendre jusqu'à l'arbitrage.

Je crois qu'on vous a tous remis une chemise de presse en notre nom. L'annexe 2 de notre mémoire présente un tableau comparatif des procédures de choix d'offres finales. L'annexe en question est dans notre mémoire qui vous a été remis précédemment, ce n'est donc pas dans la chemise de presse.

Nous aimerions attirer votre attention d'une façon plus particulière sur l'État d'Iowa où la loi s'applique à tous les employés du secteur public. On sait que la population de l'Iowa est d'un peu plus de 3 000 000. Il y a là 141 hôpitaux publics, comprenant 216 000 lits. Nous avons tenté de dégager de cette expérience les principales caractéristiques dans un tableau synoptique. Vous avez cela dans votre chemise de presse. Ce tableau de même que la correspondance que nous avons eue avec cet État sont dans votre chemise de presse. La grève, dans cette législation, est interdite et des pénalités très sévères sont prévues en cas d'infraction, allant jusqu'au congédiement de l'employé coupable et, pour l'organisme syndical, la perte d'accréditation. Dans un article sur l'expérience de l'Iowa, M. Loihl, membre de la commission des relations de travail de cet État, conclut que le mécanisme prévu a été un substitut très efficace à la grève, en permettant un équilibre des forces entre les parties de nature à assurer la négociation de bonne foi et la continuité des services de l'État aux citoyens.

Dans la lettre qu'il nous adressait, il se dit convaincu que la procédure de négociation de l'Iowa peut être appliquée dans d'autres juridictions.

M. le Président, la Coalition pour le droit des malades croit que cette méthode mérite d'être approfondie et est disposée à apporter sa collaboration à toutes les parties concernées. Nous invitons le gouvernement et les autres intéressés à pousser leurs recherches dans cette voie qui nous paraît mener à un régime de relations de travail plus conforme à une société humaine et fraternelle. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie M. Brunet qui a présenté le mémoire au nom de la Coalition pour le droit des malades. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais, bien sûr, remercier la Coalition pour le droit des malades de son mémoire. Je voudrais remercier en particulier M. Brunet d'avoir bien voulu venir lui-même nous rencontrer en commission. Je pense bien, et vous vous en doutez, que votre mémoire était attendu par tout le monde, certainement par tous les citoyens et toutes les citoyennes et, bien sûr, par tous les membres de cette commission, puisque vous êtes le premier qroupe susceptible, par votre témoignage, de nous présenter un point de vue qui est propre à ceux et celles qui vivent, d'un point de vue différent d'autres personnes, les problèmes en périodes conflictuelles et même dans certaines situations qui sont des situations conflictuelles, mais pas nécessairement en périodes de grève. En ce sens, je pense que c'est non seulement un point de vue différent, mais un point de vue certainement complémentaire et qui est plus qu'utile aux travaux d'une commission comme la nôtre.

Je pense que nous sommes ici, en toute honnêteté, pour nous parler très franchement. Vous avez relevé, dans votre exposé, encore plus largement dans votre mémoire, qu'on a tous et toutes lu attentivement, bon nombre de comportements, de gestes, d'attitudes. Nous en avons nous-mêmes, les membres de cette commission, relevé d'autres qui sont des comportements, des attitudes et des gestes non seulement inacceptables dans une société qui se prétend responsable, mais certainement en violation fondamentale avec les droits des hommes et des femmes à des soins et à des services directs, essentiels pour des citoyens et des citoyennes qui sont malades.

II y a eu des cas d'abus, de négligence. Ce n'est pas acceptable et cela doit être corrigé. Je voudrais vous dire tout de suite, pour qu'il n'y ait aucune espèce d'ambiguïté entre nous, quels que soient les moyens pris, que c'est l'intention du gouvernement de faire tout ce qui est humainement possible -il n'y a pas de solution miracle, je ne crois pas, quelles que soient les formules - soit par des ajustements de textes - c'est une chose, cela doit être fait et ce sera fait -mais d'abord par ses propres comportements à lui, comme gouvernement, dans les rondes de négociations, pour les mentalités évoluent et qu'on retrouve partout ce sens de responsabilité fondamental qui, s'il n'existe pas, contribue certes à bafouer les droits des autres. Je voudrais que cela soit très clair entre nous.

Ceci étant dit, je voudrais formuler quelques commentaires concernant le mémoire et poser un certain nombre de questions. Peut-être que je peux me permettre de faire l'ensemble de mes commentaires et de débouler ma série de questions. Je présume que vous en prendrez

note et je vous laisserai par la suite la possibilité d'intervenir.

C'est peut-être le côté de mon vieux métier qui refait surface en vous écoutant, M. Brunet, mais cela m'a frappé en lisant votre mémoire. Vous faites allusion au recours civil et, en particulier, au recours collectif. Vous dites que ce recours existe seulement dans le cas de grève illéqale. C'est mon côté juriste - cela vaudrait la peine que vous en consultiez d'autres, parce que, quand on ne pratique plus depuis un certain nombre d'années, on se rouille - mais je crois qu'il faudrait nuancer votre affirmation. Je crois que, même en période de grève léqale, il y aurait ouverture à des recours civils, notamment à une procédure qui est le recours collectif que je connais assez bien, dans les cas, notamment, peut-être pas exclusivement, où il y aurait non-respect des ententes ou des listes sur les services essentiels. (15 h 45)

Par ailleurs, vous citez dans votre mémoire un certain nombre de personnes, notamment Me Lucien Bouchard qui a fait connaître par le moyen qu'il a juqé pertinent - c'est normal et légitime - sa façon de voir les choses aujourd'hui et qui s'est prononcé pour l'abolition du droit de grève dans les secteurs public et parapublic. Vous évoquez aussi le chanoine Jacques Grand'Maison qui, lui, cependant - je pense bien que vous le savez - d'ailleurs, dans le même ouvrage, si ma mémoire est bonne que vous évoquez - à tout le moins, je me souviens d'une entrevue, je crois que c'était à l'émission Antenne 10, sur le réseau TVA ou le canal 10 en septembre dernier - qui se prononçait contre l'abolition du droit de grève, mais qui ajoutait, cependant, qu'il fallait encore tenter de trouver d'autres voies à l'intérieur du système pour que les droits fondamentaux que vous évoquez soient pleinement et complètement garantis. Il le disait à sa façon. Mais quelques cas d'abus de quelque partie que ce soit - on en a relevé ici à cette commission parlementaire depuis le début de nos travaux qui venaient des deux parties d'ailleurs, patronale et syndicale - ce sont des cas de trop. Il faut trouver le moyen de faire en sorte qu'il n'y en ait plus.

Il ajoutait aussi - je voudrais y revenir un peu plus loin sous forme d'une question; je pense que c'est à peu près la formulation qu'il utilisait - que la population locale doit retrouver son pouvoir. J'y reviendrai; en fait, je vais y revenir tout de suite. Durant le cours de nos travaux, c'est la Fédération des travailleurs du Québec, si ma mémoire est bonne, qui nous a formulé une recommandation, une suggestion, dans la perspective d'une commission permanente concernant le maintien des services essentiels, peu importent l'ampleur et les pouvoirs d'une telle commission. Je ne voudrais pas tronquer ou mal traduire leur recommandation, mais, si je l'ai bien comprise, ils nous proposaient de trouver des formules pour y impliquer et y faire participer des représentants des bénéficiaires. J'aimerais avoir votre réaction à cette suggestion. C'est pour cela que je l'accrochais à cette notion de reprise du pouvoir par la population locale qu'évoquait et qu'a évoquée à plusieurs reprises le chanoine Grand'Maison.

D'autre part, dans un autre chapitre de votre mémoire - cela m'apparaît important qu'on s'y arrête un peu; vous êtes probablement les premiers à soulever cette question - vous parlez des bénévoles à qui on empêche l'entrée des hôpitaux ou des centres d'accueil, peu importe, en temps de grève. D'après les rapports que j'ai pu voir - je n'ai certainement pas tout vu et je n'ai surtout pas tout vécu; là, il y a une nuance de taille - il semble que les bénévoles, règle générale, ont eu le droit de pénétrer à l'intérieur des hôpitaux en temps de grève. J'aimerais bien vous entendre là-dessus: ce que vous avez vécu réellement, ce qui s'est passé réellement. Qu'est-ce qu'un bénévole? Qu'est-ce qu'un bénévole fait? Quelle importance un bénévole a dans la vie d'un malade? Le rôle d'un bénévole? Il me semble que cela serait important pour les membres de cette commission de vous entendre là-dessus.

Vous faites état, à la page 4 de votre mémoire - je pense que c'est à peu près l'expression que vous utilisez - de la mort de personnes dont on a retardé les traitements, etc., à cause de grèves successives, évidemment, vous conviendrez avec moi que, quand on mentionne une chose comme celle-là, c'est extrêmement délicat parce que ce n'est pas facile d'en faire la preuve. J'aimerais bien, le cas échéant, que vous puissiez nous dire sur quoi vous fondez cette affirmation qui est contenue dans votre mémoire.

À la page 3, je vous pose cette question additionnelle parce qu'il me semble que c'est important que vous puissiez nous expliquer, vécues d'en dedans, comment les choses se passent, quels sont les éléments de différence pour les bénéficiaires, en particulier ceux qui sont des résidents, entre ces périodes dites des conflits et ces périodes dites de paix relative.

En page 3, vous parlez de la dureté de coeur. Pouvez-vous nous expliquer comment se comportent, de la façon dont vous avez vécu les problèmes, les salariés qui assurent les services essentiels, envers les malades en particulier? Par exemple, chez vous, à Saint-Charles-Borromée ou ailleurs, selon votre connaissance, est-ce la même attitude qu'en temps normal? J'imaqine que, peut-être que je me trompe, chez les résidents, il doit s'établir au fil des jours, des mois, des années parfois, des formes de complicité, des

formes de camaraderie avec le personnel. À la même page, d'ailleurs, vous dites que, même en temps normal, il y a des situations humaines qui sont touchées. Là, vous avez peut-être en tête des exemples concrets.

Vous nous recommandez l'abolition du droit de grève. J'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais et ce que nous pensions, par ailleurs, de ce droit fondamental des bénéficiaires. Cependant, vous nous formulez une proposition qui est celle de la formule américaine, de certains États américains, de l'offre finale.

Ce n'est certainement pas moi qui vais dire que, de façon générale, les choses qui se passent aux États-Unis ou des expériences menées aux États-Unis, de façon générale, dans quelque domaine que ce soit, bien sûr ne sont pas automatiquement transposables, mais ce n'est certainement pas moi qui vais dire que ce n'est pas transposable du tout. J'ai été un de ceux qui, par exemple, avec des équipes, ont réussi a trouver les façons de transposer dans la réalité québécoise ce qu'on appelle le recours collectif, qui est d'abord un concept américain, et c'était d'abord même un concept qui origqinait d'Angleterre, le "class action" et cela a pris du temps pour trouver les ajustements à la réalité québécoise. Mais il s'agissait d'une procédure pour permettre à des gens d'exercer des droits qui resteraient sur le papier si une procédure comme celle-là n'existait pas. Je crois même qu'il y aurait lieu maintenant, à la suite de l'expérience, d'améliorer encore cette procédure-là.

Cela étant dit, dans le cas de l'offre finale, ce que vous nous proposez là, c'est évidemment une modification fondamentale du régime même de la négociation, puisque c'est une forme d'arbitrage - vous l'avez bien expligué, je crois - mais très balisée. L'arbitre ne peut pas s'en aller dans n'importe quelle direction, il a le choix entre telle chose ou telle chose et, s'il y a eu enquête, comme troisième possibilité, le rapport de l'enquêteur.

Seulement, premièrement, comme c'est une forme d'arbitrage, la question que je me pose est la même que dans d'autres formes d'arbitrage. Est-ce que ce n'est pas remettre entre les mains d'un tiers des décisions qui portent sur les deniers publics, c'est-à-dire le budget de l'État?

D'autre part, dans le domaine des relations de travail, il ne s'agit pas là d'une pure et simple procédure comme le cas du recours collectif ou du "class action", il s'agit d'un mode ou d'un régime de négociations. Quand on procède à des changements fondamentaux d'un régime de négociations dans le but - et je sais fort bien que c'est le but que vous recherchez - de viser à améliorer les choses, il faut être certain ou, en tout cas, avoir des garanties, me semble-t-il, comme gouvernement, qu'on ne va pas se retrouver en fin de compte, en chambardant fondamentalement des choses, dans une situation qui risque d'être pire que celle qu'on vivait antérieurement. En d'autres termes, ou on s'en va dans la piste de l'amélioration des choses en mettant un accent clé sur des choses essentielles, ou alors on l'aborde par le biais d'un chambardement fondamental, qui est la piste que vous nous proposez.

Il faut quand même, vous en conviendrez avec moi, avoir, il me semble -sans ça, je pense que, comme gouvernement, on ne serait pas responsable - des garanties qu'on ne va pas se retrouver dans une situation pire.

Or, dans le domaine des relations de travail, quand on procède à des modifications fondamentales d'un régime, il me semble qu'il y a une condition de base essentielle qui est celle d'un consensus vers ces formules ou cette perspective de changements, parce que s'il n'y a pas de consensus, on risque fort de se retrouver dans une situation pire que celle qu'on veut corriger et qui est inacceptable.

Vous évoquiez le serment d'Hippocrate, il y a eu des conflits, je ne prendrai pas mes exemples en Ontario, au Québec, qui ne datent pas de si longtemps, par des gens qui avaient prêté le serment d'Hippocrate, par des gens qui étaient des professionnels dans notre société, qui n'avaient pas le droit de grève et qui l'ont pourtant faite. Je pense que personne ne souhaiterait vivre des périodes comme celle-là.

Voilà, M. le Président, je m'excuse d'avoir pris autant de temps au point de départ, mais ce sont les premières remarques et questions que je voulais formuler.

Le Président (M. Rodrigue): M. Brunet ou une personne qui vous accompagne.

M. Brunet: Au sujet du conseil des bénéficiaires que certains représentants syndicaux seraient disposés à accepter dans le cadre d'une espèce de négociation de liste des services à maintenir, nous croyons que pour la très grande majorité des bénéficiaires, il est très difficile de commencer à se mêler de négociation et d'avoir à s'entendre ou à composer sur des choses aussi vitales que les services requis par leur état. Déjà, dans beaucoup d'établissements, certains militants syndicaux, tout naturellement, vont dire aux personnes âgées ou à des malades moins âgés, mais qui sont très dépendants pour un tas de choses, se laver, manger, se peigner, se déplacer d'une chambre à une autre: Qu'est-ce que vous avez à vous plaindre? Nous autres, on est là pour vous aider. Soyez donc de notre bord. Malheur aux bénéficiaires qui osent dire: Nous autres, on veut tous les soins. On ne veut pas que vous fassiez la grève. On

veut que vous ayez de bonnes conditions de travail. C'est le silence, c'est la complicité de la peur qui existe dans beaucoup d'endroits.

Je crois que c'est très difficile de demander à un conseil de bénéficiaires d'être un peu un qroupe tampon entre les négociateurs gouvernementaux et la partie syndicale pour dire: Écoutez, là vous nous demandez d'accepter de renoncer à 70% de nos soins. Donnez-nous-en au moins... Ôtez-en la moitié au moins.

Je pense que cela est inacceptable de la part d'un gouvernement qui sait que des soins sont tellement importants pour des personnes démunies, sans défense, seules, dans bien des cas; parce que, bien sûr, il y a les hôpitaux de courte durée, mais il y a surtout l'immense population des gens en hôpital psychiatrique, en centre de soins prolonqés, en centre d'accueil qui vivent là à longueur d'année. Je pense que ceux-là, il faut y penser beaucoup aussi. Mais pour tous les centres, je crois que l'idée d'un conseil des bénéficiaires qui aurait une participation semblable à celle-là, on pourrait accepter de renoncer au tiers ou à la moitié ou aux trois-quarts des services et soins qui sont tellement nécessaires. Je ne crois pas qu'on puisse accepter cette idée telle qu'elle nous est présentée.

Deuxièmement, est-ce que je peux passer une deuxième réponse?

M. Dion (Gérard): Je pourrais ajouter quelque chose...

M. Brunet: Je vous en prie, M. l'abbé Dion.

M. Dion:... sur cette question. Je pense, avec raison, M. le ministre, tout à l'heure, que vous avez dit que personne, non pas personne, il y en a qui sont satisfaits de la situation actuelle, ils ne veulent rien changer... mais le gouvernement a décidé et, à plusieurs reprises, par la voix du premier ministre et vous-même, comme vous l'avez dit au début de cette réunion, qu'il faut trouver quelque chose d'autre qui existe aujourd'hui.

Avec raison aussi, vous avez dit tout à l'heure que lorsqu'on apporte des modifications, sans en avoir absolument la certitude, mais au moins il faut avoir la probabilité que cela va améliorer la situation. Cela ne sert à rien de chanqer une loi pour se retrouver dans une situation semblable ou même dans une situation pire. (16 heures)

Moi, je pense, en ce qui regarde cette suggestion qui a été faite, d'une participation et des bénéficiaires ou d'une participation locale comme M. Grand'Maison l'a dit, que c'est encore se tourner vers une solution tout à fait illusoire, d'abord, en ce qui regarde la participation des bénéficiaires, comme M. Brunet vient de le dire. C'est vrai d'abord en ce qui regarde les institutions où les bénéficiaires sont là en permanence et c'est encore beaucoup plus vrai dans une institution ordinaire où les bénéficiaires passent. Comment vont-ils être orqanisés? Comment vont-ils s'organiser pour faire quoi que ce soit d'efficace? De plus, en ce qui regarde la participation de la communauté, je pense qu'il y aurait peut-être une possibilité de tirer quelque chose là, lorsqu'il s'agit d'hôpitaux ou d'institutions qui sont en dehors des villes, mais on sait fort bien, par exemple, que la loi a été modifiée pour amener une participation de la communauté aux conseils d'administration. Vous savez fort bien, M. le ministre - et nous le savons tous dans la population -jusqu'à quel point cela fonctionne, et cela ne fonctionne pas beaucoup. Une suggestion semblable m'apparaît tout à fait illusoire.

M. Marois: Je m'excuse, même pour les bénévoles, dans votre esprit?

M. Dion: Non, là, c'est une autre question, les bénévoles.

M. Marois: Non, mais toujours sur l'idée d'une forme quelconque de participation à l'évaluation des choses, je disais: Vous avez bien...

M. Dion: Oui, en ce qui reqarde les bénévoles, la question que vous avez soulevée tout à l'heure, M. le ministre, c'est une question qui est extrêmement intéressante. On sait déjà - l'expérience nous l'a prouvé dans les quinze ans que nous venons de passer - jusqu'à quel point, dans beaucoup de cas, il y a eu des gestes cruels pour empêcher quelqu'un de passer la ligne de piquetage, même lorsque les gens étaient malades. Si, dans la loi, on fait quelque exception par rapport aux bénéficiaires... Vous allez être repris avec votre problème et votre loi antibriseurs. Comment allez-vous vous orqaniser pour cela? D'après la loi 45, une personne ne peut pas en remplacer une autre dans le travail. Qu'est-ce que c'est qu'un bénéficiaire? Pouvez-vous permettre qu'il vienne, par exemple, une heure, deux heures, trois heures, une journée ou d'une façon continuelle, etc. ? Vous vous embarquez dans un dédale. Vous avez déjà des difficultés pour faire appliquer votre loi. Cela va être encore pire.

M. Brunet: Pour répondre à votre deuxième question, la présence des bénévoles dans les établissements, le bénévolat, notre gouvernement en a beaucoup parlé. Il a favorisé le bénévolat. Tranquillement, le bénévolat devient plus nombreux, plus présent, plus utile, bien sûr, plus apprécié

dans les centres, même apprécié, parce qu'il y a des îlots de résistance importants, même vis-à-vis des bénévoles. Il y a des directeurs qui n'aiment pas cela. Il y a des employés qui n'aiment pas cela, parce que cela fait plus de gens, plus de vie et les patients sont mieux. On dirait que cela change les habitudes et c'est vrai que le bénévolat n'est pas bien admis dans plusieurs endroits. Tout de même, il y a des choses qui s'améliorent et, quand on parle de bénévoles, ils ne viennent pas donner les bains, changer les lits ou distribuer les plateaux. Ils viennent, ils rencontrent quelques bénéficiaires qu'ils connaissent pour les aider à lire leur journal, entendre une cassette, aller au casse-croûte ou simplement pour leur tenir compagnie; des petites choses bien simples comme en ferait un parent. Les bénévoles constituent une présence humanitaire, bienfaisante et stimulatrice extrêmement importante. Donc, en période de grève, beaucoup de syndiqués, un peu... Il y a un comportement dont je veux vous parler un peu; le comportement pendant une grève d'un groupe de syndiqués est absolument méconnaissable par rapport au comportement qu'ont les individus. En période de grève, on craint comme l'enfer que des gens viennent tranquillement, pas vite, dans les centres et se mettent à faire manger un peu mieux les patients, à changer un peu mieux les lits et à donner plus de soins que prévu et que, tout à coup, ça contribuerait à faire durer la grève plus longtemps. C'est sûr que les employés sont impatients et veulent que la grève se règle au plus vite. Le seul moyen, pour eux, c'est de garder la pression, la tension, la force de frappe, si vous voulez, aussi dure que possible.

Nos bénévoles, en temps de grève, sont très importants. Ce ne sont pas eux qui vont vraiment augmenter le nombre de soins, mais comme présence, comme aide occasionnelle pour de toutes petites choses - dont ils sont privés, d'ailleurs, parce qu'il n'y a personne qui peut s'occuper de ça - c'est sûr que les bénévoles sont très importants, même si elles et eux ne remplissent pas la fonction de préposés aux soins comme tels. Cela, c'est sûr.

Je peux passer à la troisième question? Dans notre mémoire, nous avons des témoiqnages écrits de personnes qui ont bien voulu aller jusqu'au bout pour dire: C'est ça qui est arrivé, notre famille, mes amis, moi-même, on est prêts à témoigner n'importe quand. Mais dans la très grande majorité des cas - vous êtes au courant de ce qui arrive dans les hôpitaux et les centres d'accueil -on dit: Moi, je vous le dis, et regardez, lui, il a vu ça, mais n'en parlez à personne. Dernièrement, un ministre qu'on considère beaucoup nous disait: Cela n'a pas de sens, ce n'est pas acceptable, ça ne se peut pas que des malades continuent à dire: On a peur, on ne veut pas en parler. Oui, c'est ça, les êtres humains sont comme ça quand ils sont bien portants, et c'est encore bien pire quand on est dans un lit ou une chaise roulante et que le lendemain, pour s'asseoir un peu droit dans son lit, pour être chanqé quand on est sale ou pour placer un bras à gauche plutôt qu'à droite, il faut demander à telle infirmière ou à tel infirmier. Si on ne veut pas qu'il fasse la baboune, mais qu'il soit un peu de bonne humeur, on n'est pas pour dire les choses qui se passent pendant la grève parce que ça va nous retomber sur la tête. Alors, on aime mieux ne pas parler.

C'est triste, mais c'est la complicité du silence qui est un peu inévitable. C'est un silence qui est d'autant plus pénible que, dans beaucoup d'endroits, les directeurs et le personnel cadre, comme pour se donner à eux-mêmes la satisfaction d'avoir accompli une tâche peut-être au-dessus de leurs forces, se plaisent à dire, dans beaucoup de cas: On a réussi, nos malades sont contents, on a tout fait le travail. Cela n'est absolument pas conforme aux faits. Je sais bien que ce personnel a travaillé de façon démesurée, qu'il a travaillé énormément et avec beaucoup de dévouement, mais les malades ont manqué de beaucoup de soins. Quand on constate ça, on est déçu. C'est tout ça, il y a plusieurs exemples de complicité, de silence et de crainte vis-à-vis des comportements menaçants, d'intimidation ou de représailles de certains militants syndicaux.

Une autre question. Vous me disiez: Qu'est-ce qui se passe, concrètement, sur la ligne de piquetage? Qu'est-ce qui se passe pendant la grève sur la ligne de piquetage? Il me semble que vous me demandiez... J'ai noté: Qu'est-ce qui se passe, concrètement, quand la grève est éclatée et que la ligne de piquetage fait de l'obstruction?

M. Marois: Et comment ça se passe en dedans, le comportement des salariés en temps, comme on dit entre guillemets, "normal", par rapport au comportement pendant les périodes de conflit, en dedans, parce qu'il y a des gens qui entrent pour donner certains services.

M. Brunet: En temps normal...

M. Marois: Je le rattachais à ce que vous mentionnez en page 3, je crois, de votre mémoire. Vous parlez - c'est l'expression que vous utilisez - de la dureté de coeur, etc.

M. Brunet: En temps normal...

M. Marois: Je m'excuse infiniment, M. Brunet, mais vous parlez même de situations inhumaines en temps normal.

M. Brunet: En temps normal, à ce point de vue, les relations humaines sont peut-être meilleures en général dans les hôpitaux de soins prolongés et les centres d'accueil que dans les hôpitaux de courte durée. Dans les hôpitaux de courte durée, il y a l'inconvénient que le personnel et les bénéficiaires ne se voient pas longtemps; ça change souvent. Ce sont, la plupart du temps, des grosses boîtes; les gens ne se connaissent pas, c'est plus chacun pour soi, ça ne se parle pas. Dans les petits centres ou les endroits où c'est de l'héberqement et des soins prolongés pour de longues périodes, les relations humaines, en général, sont meilleures.

Presque tous nos employés, infirmières, préposés masculins et féminins, sont très précieux pour les malades, ce sont nos meilleurs amis. Quand tu as besoin de traitements compliqués pour la vessie, les intestins, manger, nettoyer les oreilles, un bon lavage de tête, etc., c'est ta vie, tu as besoin de ces gens-là et c'est très important. Donc, tu t'en fais des amis et tu essaies de rendre un service quand tu peux. Moi-même, j'en connais 50 à 100, des employés, et je les salue. Quand je peux, je leur rends un service. Ils me connaissent comme ça. Il y en a qui ne m'aiment pas trop, par exemple, mais ça ne fait rien, on se dit bonjour pareil. Donc, ces employés sont très précieux. En temps normal, surtout entre malades lucides, un peu actifs, et ces employés, il y a des relations cordiales. C'est à notre avantage des deux côtés.

Si on parle - là, on pourrait en dire long - des malades plus ou moins lucides ou très dépendants, qui ne peuvent pas s'exprimer, là vous avez des comportements même en temps normal... Cela peut dépendre, dans plusieurs cas, en partie du moins, de la direction qui manque de surveillance, d'incitation, de motivation, de formation de son personnel. Dans plusieurs cas, vous avez certains individus qui ne sont pas du tout à leur place. Parce qu'il faut qu'ils gagnent leur vie, sans s'en rendre compte, ils font souffrir des malades. La convention est telle que c'est quand même important que les employés, que ce soit des hommes ou des femmes, professionnels ou non, ne puissent pas être congédiés pour un rien. L'expérience nous démontre qu'il y a des malades qui sont négligés, maltraités, parfois frappés et puis ces employés sont toujours auprès de nous autres. Il y en a qui sont ici et ils le savent. On disait que c'était facile d'envoyer un syndiqué mais c'est très difficile; c'est facile de faire sortir un directeur général. Donc, en général, en temps normal, ça va bien avec nos employés, on les aime et on a besoin d'eux.

Venons-en temps de grève. On a parlé de dureté de coeur. Lorsque la grève se déclenche, il faut que ça grouille. Les gars, enliqnez-vous si vous voulez qu'on gagne cette grève et que ça finisse au plus sacrant. Arrêtez de dire: On n'est pas pour laisser nos malades. Restez sur la ligne et faites ce qu'on vous dit. Il faut que ça marche comme ça et il faut que ce soit raide. Dès qu'on est en groupe, on ne reconnaît plus nos bonnes femmes et nos bons amis parce que ça sacre, ça chante. Une telle qui vient régulièrement pour aider se fait dire: Non, madame, vous ne rentrez pas ici. Il y a un comportement tout à fait différent selon que vous voyez ces personnes employées d'hôpitaux ou de centres d'accueil sur un plan individuel ou que vous les voyez agir en qroupe dans un contexte où les esprits sont chauffés à blanc pour que le gouvernement et la direction plient au plus sacrant. J'espère que j'ai répondu assez là-dessus. Voulez-vous d'autres détails?

M. Marois: Je pense que vous nous avez bien expliqué en période de conflit le comportement tel que vous le percevez quand les gens sont à l'extérieur. Je pensais, en partie, au comportement de ces mêmes personnes qui, durant ces mêmes périodes de conflit, sont en dedans, ceux et celles qui sont en dedans pour donner les services. Est-ce qu'il y a là des différences de comportement par rapport aux périodes normales? Si oui, de quel ordre? J'ai cru comprendre, à moins que j'aie mal interprété votre mémoire, que vous faisiez aussi allusion à ça quand vous parliez de dureté de coeur. (16 h 15)

M. Brunet: Ce qui se produit en temps normal avec certains individus que la convention protège et que les syndicats protègent aussi, c'est que des individus plus ou moins motivés, qui font mal leur travail, il y en a partout. Quand il y en a auprès des malades, je vous assure que ce n'est pas drôle. Quand ils viennent faire leurs quatre ou huit heures de temps, parce que cela se divise parmi les employés par ordre d'ancienneté, il y a tellement de travail qu'il faut que le gars ou la fille courre tout le temps. Il y en a, et je vous assure que ce n'est pas drôle. Celui qui fait déjà mal son travail nuit plus qu'autre chose. En temps de grève, personne n'aime le voir là. En temps de grève, pour des employés qui font normalement bien leur travail, qui sont bien vus des bénéficiaires, qui sont sympathiques déjà, on est content qu'ils soient là, mais il y a tellement de travail que les patients qui voient tout ce qu'il y a à faire se disent: Je ne lui demanderai rien parce qu'il y a tant à faire pour les pauvres vieux ou pour les autres qui ne peuvent bouger ni leurs bras, ni leur tête. Ils les aident, mais il y a tellement de choses à faire que, quand on a du coeur un peu, on n'ose pas leur demander quelque chose, on attend pour leur demander

le plus pressant. Donc, c'est un peu cela qui se passe.

À ce sujet, M. l'abbé Dion dirait quelque chose, si vous permettez.

M. Dion: M. le Président, me permettez-vous d'ajouter quelque chose? J'aimerais, au départ - ici, on parle seulement des institutions d'hospitalisation -rappeler une vérité que tout le monde connaît, mais que souvent on oublie en cours de route, à savoir qu'une institution d'hospitalisation, ce n'est pas une manufacture, ce n'est pas une usine. C'est admis par tout le monde, pour les personnes malades, handicapées, il ne s'agit pas seulement de soigner le petit bobo, mais la personne totale qui comprend non seulement son corps, son esprit et sa réaction... C'est pourquoi dans ces institutions il est absolument indispensable, si on veut que les services soient rendus, qu'il y ait une atmosphère de calme, une atmosphère de sérénité. Je pense que tout le monde est d'accord sur une chose semblable. Ceux qui ont de l'expérience comme vous, M. le ministre, comme M. Dean aussi et quelques autres ici, dans le domaine des relations de travail, savent que le recours à une grève nécessite de la préparation, nécessite du côté des travailleurs, comme c'est normal, un appel à la solidarité parce qu'on est sûr que, s'il n'y a pas de solidarité, il ne peut pas y avoir de grève déclenchée, ni même de vote des travailleurs favorables à la grève. Par conséquent, quand on parle d'une grève dans ce genre d'institutions, ce n'est pas seulement au moment où la grève est déclenchée, mais dans la période préparatoire aussi qui a un effet sur ce climat de sérénité, ce climat de calme indispensable dans le service personnel. Dans une manufacture, que l'on fasse de l'embouteillage ou que l'on fabrique de la chaussure, que les dispositions psychologiques des travailleurs soient bonnes ou mauvaises, cela a peu d'effet. Cela peut avoir des efets, mais c'est sur la production même, tandis que, dans ce genre d'institutions ce sont constamment des rapports personnels. Par conséquent, cela ne peut pas ne pas avoir un effet sur la psychologie des individus et les rapports entre les personnes qui s'y trouvent.

De plus, comme le signalait M. Brunet, il y a une autre considération dont il faut tenir compte, c'est qu'il faut distinguer entre la psychologie individuelle et la psychologie collective, entre le comportement individuel et le comportement collectif. Quand on lit l'histoire, on se pose toujours des guestions. On se dit: Comment se fait-il qu'au cours de la révolution française des gens qui pourtant étaient humains, bons pères de famille, qui s'occupaient des moindres petites choses des malades, en soient arrivés comme groupe à poser des gestes aussi cruels? On s'est posé la même question sur l'Allemaqne. On l'a vu dans les procès de Nuremberg, des individus bons pères de famille qui revenaient calmes à la maison mais qui, dans la journée, posaient des gestes complètement inhumains. Quand on parle de grève dans ce genre d'institutions, il faut tenir compte de ces données que je viens de fournir.

Par conséquent, on aurait tort, dans les calculs des effets de la grève, quand il y a deux ou trois jours de grève, voyons donc, d'oublier qu'il y a toute la période préparatoire et le moment où la grève est déclenchée et où elle est maintenue. Je crois qu'en envisageant cette question de grève dans les hôpitaux, il faut tenir compte de ces données qui sont des données réelles.

M. Brunet: Si vous me permettez de revenir à une question du ministre ou à une objection, vous disiez: Peut-on accepter de remettre à un tiers le soin de décider des deniers publics? J'aimerais que M. l'abbé Dion parle de la masse salariale, mais je dirais ceci en passant: C'est que, lorsqu'on accepte la négociation avec, à l'arrière-plan ou tout le tour de nous autres, la présence omnipuissante de la grève dans le secteur hospitalier, effectivement, les responsables des deniers publics sont obligés parce qu'il y a l'arme nucléaire de la grève dans les hôpitaux et que c'est grave, il faut que cela se règle, de négocier des masses salariales importantes avec des employés du secteur public, du secteur des hôpitaux, qui forment à peine 3% de toute la population du Québec. Si vous le permettez, sur la masse salariale, M. l'abbé Dion ajouterait quelque chose.

M. Dion: Quand on parle d'arbitrage dans une question semblable, c'est vrai en ce qui regarde les hôpitaux, tout le secteur gouvernemental et paragouvernemental. Je suis d'accord - je l'ai exprimé plusieurs fois pour dire et soutenir que la masse salariale, en y incluant tous les coûts financiers, n'est pas une affaire négociable. C'est la responsabilité de l'Assemblée nationale, c'est la responsabilité de l'administration de prévoir son budget, c'est la responsabilité de l'Assemblée nationale de l'adopter.

Par conséquent, un Parlement qui se respecte ne va pas négocier - il peut sans doute en discuter - avec un groupe de citoyens ou un autre groupe de citoyens de ses priorités budgétaires et, en somme, de sa politique générale. On a des élections pour régler ces problèmes. Des fois, cela ne règle pas grand-chose, mais cela ne fait rien.

Par conséquent, il n'y a aucun doute que la masse salariale ne peut pas être négociable. Il appartient au gouvernement, au Parlement, à l'Assemblée nationale, de la fixer. Peut être négociable cependant à

l'intérieur, d'une enveloppe l'attribution de telle chose à tel endroit et de telle autre chose à tel autre endroit. C'est possible.

Maintenant, est-ce qu'on peut s'en remettre aux tiers pour cela? Oui et non. On va vous donner d'abord une exception à ce cas-là, à l'intérieur d'une enveloppe. Dans le cas des expropriations, par exemple, le gouvernement ne recourt-il pas aux tiers pour déterminer le coût d'une expropriation? Je ne vous dis pas qu'on doit le faire ailleurs, c'est une autre chose. Mais il ne faudrait pas en arriver à un principe absolu. Dans beaucoup de pays - on a parlé tantôt de la négociation collective, du droit de grève - entre nous autres, si la négociation collective, le droit de grève, comme je le considère, dans un pays démocratique, doit être un moyen normal de déterminer les conditions de travail de même que les salaires dans les rapports du travail, il faut bien se mettre dans la tête que cela n'a pas toujours existé. Et même actuellement, cela n'existe pas partout. D'ailleurs la négociation collective, dans l'ensemble... Cherchez les pays en dehors de l'influence européenne. Même dans les pays comme l'Europe, en France, on ne négocie pas la masse salariale; en Allemagne non plus. Mieux que cela, on ne néqocie même pas les salaires. Ils sont déterminés par le gouvernement, par arrêtés en conseil, après consultation.

La négociation collective, comme la grève, ce sont des droits fondamentaux, mais ce ne sont pas des droits absolus. Par conséquent, on doit, comme dans toute échelle de valeurs ou toute échelle de droits, accorder une priorité à certains droits sur d'autres. Et si on n'est pas capable d'en arriver à concilier non seulement le droit de grève, mais même le droit de négociation collective, avec un droit aussi fondamental que celui des bénéficiaires dans nos institutions, à mon sens, le droit des bénéficiaires doit passer avant. On n'a pas été capable de trouver des méthodes, le droit des bénéficiaires passe avant. Qu'on trouve un autre moyen pour accorder justice aux travailleurs et faire en sorte que les bénéficiaires puissent obtenir les services auxquels ils ont droit. Il en est de même également pour l'ensemble de la population.

M. Brunet: M. le ministre, est-ce que j'ai répondu à pas mal de vos questions? Je peux répondre davantage si vous le désirez.

M. Marois: J'avais quelques questions additionnelles qui touchaient davantage l'hypothèse de l'offre finale - mais vous l'avez déjà abordée en bonne partie - de l'expérience américaine. Mes doutes quant à une transposition, indépendamment de la partie arbitrage qui pose le problème budgétaire auquel l'abbé Dion vient de répondre, mes doutes quant à la transposition possible, dis-je, de ce modèle de négociation dans un contexte social, économique, culturel qui est quand même bien différent, c'est vrai qu'on peut faire des transpositions dans certains cas, je donnais moi-même l'exemple du recours collectif, c'en est un, mais j'ai mes doutes, et mes doutes les plus profonds sont ceux que j'ai évoqués. Quand on fait ce genre de changement profond, en particulier dans le domaine des relations de travail, d'un régime de négociations, il faut, il me semble, avoir comme gouvernement, une bonne garantie que les choses, en faisant ce genre de changement, dans l'application concrète, ne vont pas donner un résultat pire que ce qu'on a vécu et que ce qu'on veut corriger. C'est cela ma préoccupation fondamentale. (16 h 30)

M. Brunet: Est-ce que vous permettez que M. Dion dise quelque chose en réponse?

Le Président (M. Rodrigue): Allez-y, M. Dion.

M. Dion: Vous avez raison de dire que, si on fait une modification, c'est pour que ce ne soit pas la même situation, mais que ce soit mieux et certainement pas pire.

D'abord, si on regarde l'expérience que nous avons depuis quinze ans, c'est loin d'être satisfaisant. C'est clair et net. Moi, je me dis ceci: Tant en ce qui regarde la passé façon ce qui regarde les nouvelles modalités, les nouvelles méthodes que l'on pourrait apporter pour régler ces problèmes... Il y a peut-être une autre question qu'on devrait se poser et qui est fondamentale en ce qui regarde le passé, le présent et l'avenir. Ce qu'on craint, vous ne l'avez pas exprimé ouvertement cet après-midi, mais vous l'avez déjà dit en d'autres circonstances, c'est que, si l'on fait une modification, cela ne changera rien, il va y avoir des grèves illégales et on va être pris avec le même problème.

D'ailleurs, j'ai été étonné de lire dans le journal une déclaration qui a été faite ici avant-hier en réponse à la suggestion qui a été faite par le Conseil du patronat, avec une régie, etc. On a dit: Que la régie fasse n'importe quels règlements, on ne les suivra pas. Écoutez, dans une société civilisée, voici une chose qui n'est pas admissible.

Il me paraît que, du moment qu'on a un régime juridique de relations du travail -on a un régime général et on discute cet après-midi du régime particulier à l'intérieur du régime général, dans le cas particulièrement des institutions d'hospitalisation - il faut se mettre dans la tête qu'il y a des possibilités de violation. Mais, on sait fort bien - vos études en droit, M. le ministre, vous l'ont appris - qu'une loi sans sanction, ce n'est plus une loi, ce sont des recommandations, ce sont des conseils et que l'on juge de la volonté et de

l'importance que le législateur apporte à une loi et de la volonté du législateur de faire appliquer cette loi aux sanctions qui y sont accrochées, en cas de violation.

Le problème des sanctions en relations du travail est un problème extrêmement difficile. Je me souviens que, quand j'étais membre du Conseil de la justice, nous avons étudié ce problème. Je pense qu'au même moment, au Conseil supérieur du travail, dans ce temps-là, on étudiait aussi ce problème. Je sais, par exemple, qu'il n'est rien sorti de cela, mais il y a une chose qui me paraît claire et nette: s'il n'y a pas de sanction, c'est inutile d'adopter des lois.

Les sanctions doivent être appropriées, elles doivent être justes et elles doivent être efficaces. Il ne suffit pas qu'une sanction, dans le domaine des relations du travail, possède ces qualités, il faut qu'il y ait une volonté chez les représentants de l'autorité publique de la faire appliquer. On connaît une expérience depuis quinze ans sur ce sujet. On sait aussi que, dans le régime tel que nous l'avons actuellement, avec un ministre de la Justice, un Procureur général, etc., dans l'application des sanctions peuvent facilement se mêler des considérations d'ordre politique et tout ce que vous voudrez. On sait aussi que, si les sanctions juridiques sont poussées par l'employeur, cela amène de graves inconvénients, parce que l'employeur, lui, doit continuer à vivre avec les travailleurs.

Voilà pourquoi, non seulement il faut qu'il y ait des sanctions du genre de celles que je viens d'exprimer, mais aussi que l'on trouve un moyen de faire appliquer ces sanctions, d'une part, en les dépolitisant et, d'autre part, en ne mettant pas sur l'employeur le fardeau d'exiger ces sanctions.

Quand j'étais membre de la commission Woods en 1967 - nous avons fait notre rapport en 1968 - nous avions préconisé, mis de l'avant, à cette époque, un mécanisme qui n'a été retenu ni par le gouvernement fédéral ni par aucune des provinces, à savoir, en ce qui regarde les relations du travail, la nomination par le Parlement d'un procureur général spécial, nommé pour une période de cinq ans, dix ans, par conséquent imperméable aux influences politiques, qui serait chargé de l'application des sanctions dans le domaine des relations du travail. Cela n'a pas été retenu. Par exemple, dans la législation de l'Iowa dont on a parlé, il y a des sanctions qui m'apparaissent assez efficaces. Là, n'importe quel citoyen a le droit, de par la loi, de requérir d'un tribunal l'imposition d'une injonction sans être obligé de prouver qu'il est personnellement affecté dans cette affaire. C'est une précaution pour forcer le procureur général à faire quelque chose. Maintenant, je n'ai pas de suggestion à vous faire, mais je dis une chose, par exemple: s'il n'y a pas de sanctions ou des sanctions telles que celles qu'on a eues jusqu'à ce jour et qu'on ne les applique pas davantage, vous vous réunissez pour rien, vous modifiez la loi pour rien. Ce qui est arrivé dans le passé va continuer à arriver à l'avenir.

Le Président (M. Rodrigue): Mme

Lavoie-Roux (L'Acadie).

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier la Coalition pour le droit des malades et, d'une façon plus spéciale, son porte-parole, M. Brunet, pour le mémoire qu'il vient de présenter à cette commission. Ce sont, comme le mentionnait le ministre tout à l'heure, les premiers usagers qui viennent devant cette commission. J'imagine que si cette commission avait été tenue plus tôt -je n'en fais pas reproche au gouvernement; peut-être est-ce plus sage qu'elle ait été tenue à ce moment-ci pour que les choses soient vues dans une perspective plus objective - si elle avait été tenue l'an dernier, comme le ministre Johnson en avait parlé à ce moment-là, nous aurions sans doute eu beaucoup d'autres témoignages d'usagers qui venaient de vivre de plus près les problèmes d'une grève. Je dois dire, néanmoins - je me suis abstenue de les lire ici à cause de la présence de la télévision pour ne rien dramatiser - que j'ai eu quand même plusieurs témoignages écrits ou même oraux de personnes qui nous ont fait parvenir leurs remarques sur des situations qu'elles ont vécues.

Je veux remercier d'une façon particulière la Coalition pour le droit des malades pour la qualité de son mémoire et reconnaître la somme de travail que cela représente pour un organisme qui, je pense, fonctionne - non seulement je pense, mais j'en suis certaine - d'une façon tout à fait bénévole.

M. Brunet n'a pas lu tout son mémoire parce qu'il est très volumineux, mais je pense qu'il y a beaucoup de situations qui sont rapportées dans ce mémoire qui auraient peut-être eu des effets bénéfiques, mais qui auraient aussi provoqué certains organismes qui auraient dit qu'on dramatisait les choses. J'ai déjà vu que la presse avait commencé à rapporter certaines des situations qui sont présentées ici et je pense que cela vient compléter les cas isolés dont nous avons parlé à cette commission parlementaire pour, justement, ne pas nous faire accuser d'être trop alarmistes ou de dramatiser les choses.

Je veux également signaler que nous apprécions beaucoup ce souci de la Coalition pour le droit des malades d'avoir voulu - je sais que cela part d'une conviction profonde quand même trouver et s'efforcer de présenter une solution alternative à la grève. Je pense que ces gens sont quand même

soucieux des droits des travailleurs et de la justice qui doit être exercée à l'égard de ces droits et ils nous présentent la formule de la sélection des offres finales avec les différents modèles qui leur sont parvenus à la suite des études qu'ils ont faites.

Je voudrais reprendre ici deux remarques que le ministre a faites à plusieurs reprises. La première, non, vous ne l'avez pas faite à plusieurs reprises, mais la deuxième, oui. D'abord, vous référant au paragraphe du mémoire de la Coalition pour le droit des malades où on parle des mortalités qui auraient pu survenir parce que les gens n'ont pas été admis à l'hôpital ou qu'ils n'ont pas subi leur traitement comme ils auraient dû l'obtenir en période normale, vous dites qu'on ne peut pas tirer de conclusion parce qu'on ne peut pas établir de cause à effet ou qu'il est très difficile de faire la preuve que la mortalité est le résultat d'une non-admission à l'hôpital ou d'un manque de traitements.

J'ai déjà entendu l'ancien ministre des Affaires sociales, le docteur Lazure, affirmer cette même chose en Chambre. Strictement parlant, c'est vrai, parce qu'il n'y a que dans le cas de mort brutale, lors d'un accident d'auto que je pense, on peut, à peu près hors de tout doute, dire que l'un est l'effet de l'autre. Mais j'aimerais simplement souligner qu'à partir de cela on prend des risques extrêmement considérables si on s'appuie sur un raisonnement comme celui-là pour dire: Écoutez, comme on ne peut pas établir cette preuve-là, ceci nous limite dans les actions qu'on pourrait prendre. Je pense que, personnellement, saurions-nous qu'un de nos proches, qu'un de nos enfants ou notre voisin peut être exposé à un risque important que peut-être un accident mortel surviendrait pour lui, nous ne prendrions pas ce risque-là. Je pense qu'on ne le prendrait pas. Pourtant, dans les cas qui nous sont signalés et dont le ministre est bien conscient, c'est ce genre de risque qu'on prend, mais on se dit quand même: Non, on n'est pas tout à fait sûr. Même si on n'est pas tout à fait sûr qu'un accident n'arrivera pas, on s'assure qu'on ne prend aucun risque. C'est ma première remarque.

La deuxième, et celle-là revient assez souvent... Je comprends, quand même, la préoccupation du ministre quand il répète -et il l'a répété plusieurs, plusieurs fois, il l'a même déclaré publiquement - Si nous enlevons le droit de grève - entendons-nous bien, on parle toujours du secteur de la santé; pour les autres, je pense qu'il n'y a jamais eu de discussion là-dessus - ou si on le limite trop dans le secteur de la santé, on va faire face à un chaos social. Ceci a été dit à d'autres occasions, je pense, par le ministre Johnson; en tout cas, on l'a vu dans les mémoires. Je me demande si, à force de répéter ceci, on ne met pas la population devant, je dirais, en quelque sorte, deux faits accomplis. D'abord, que nécessairement on s'en va vers cette alternative et qu'en conséquence la population dit: Mais c'est vrai, il faut arrêter de penser à l'abolition du droit de grève parce qu'on s'en va vers le chaos social. Ceci a été dit et redit à plusieurs reprises et je m'interroge sérieusement, à savoir si c'est là une pédagogie très constructive.

La deuxième chose, je pense que c'est aussi une expression d'un manque de confiance à peu près total à l'égard de la responsabilité des syndiqués ou des syndicats; on pense que nécessairement, s'il y a une loi dans ce sens, on va la transgresser. Je trouve que c'est aussi une démarche qui dans le fond est un peu dangereuse au plan de l'opinion publique. Je me demande si elle ne permet pas d'écarter l'examen plus en profondeur des moyens qu'on va prendre pour corriger les malaises - quand je parle de malaises, je pourrais parler d'inconvénients graves ou de problèmes graves - auxquels la société guébécoise a été confrontée depuis quinze ans dans la négociation de ses conventions collectives dans le domaine de la santé et des services sociaux. (16 h 45)

Je voudrais mettre en opposition... Ce n'est peut-être pas bon de le mettre en opposition. Je ne le fais pas, je pense, d'une manière agressive. C'est ce que la coalitation rapporte à la page 14 en fonction des témoignages que le côté ministériel nous a apportés. En Australie, il n'y a pas beaucoup de grèves. Je ne le mets pas en doute. Ils n'ont pas le droit de grève. En Ontario, on a fait la grève et ils n'ont pas le droit de grève. Enfin, le ministre se souviendra des exemples dont on a parlé durant les deux derniers jours. Pourtant, en page 14, la coalition dit: Avant 1964, il y a eu des débrayages illégaux, mais d'une durée très courte. Depuis 1966, les grèves se sont multipliées tant légales qu'illégales, de portée très grave, etc.

Ma première question serait de demander à M. Brunet s'il pense que cette crainte que le ministre a, si le droit de grève est limité, au moins en regard de certains secteurs beaucoup plus névralgiques, va se réaliser et qu'il va y avoir des qrèves de toute façon. Si tel est le cas, qu'est-ce qui s'est produit dans l'évolution des mentalités de la société québécoise pour que nous en arrivions à considérer des lois, qui sont extrêmement importantes puisqu'elles conditionnent la vie même des citoyens, comme des lois qu'on peut contourner comme certains prennent des risques aux feux de circulation au coin d'une rue dans une ville? En relation avec ceci, est-ce que vous avez des chiffres plus précis sur l'Ontario et sur les provinces canadiennes ou les provinces où on n'a pas le droit de grève dans les

secteurs de la santé et des services sociaux? Cela est ma première question.

Le Président (M. Perron): À vous la parole, M. Brunet.

M. Brunet: Quant à la première question qui se rapportait, si j'ai bien compris, à une crainte qu'on ressent - je ne veux pas dire que c'est ça que le ministre pense ou ressent - en tout cas, c'est une crainte que le ministre semble avoir face à un droit de grève qui, s'il est limité ou aboli, va causer de qraves injustices ou de graves désordres. C'est bien ça, Mme Lavoie-Roux? C'est bien sûr que cela causerait un remous important. Il y a une chose que nous avons constatée depuis plusieurs années et qui nous semble de plus en plus évidente; ce matin encore, j'étais dans un hôpital et des employés me disaient en passant que la grève, cela ne les paie pas et cela ne les intéresse pas parce que c'est loin d'être populaire, une grève dans un hôpital. Nous pensons qu'un mécanisme accompaqné d'un ensemble de pénalités qui pourraient s'appliquer à une désobéissance civile amènerait un soulagement chez un grand nombre d'employés syndiqués qui diraient: Là, même si temporairement il y a une ligne de piquetage, nous autres on rentre et c'est fini les folies de perdre notre salaire. On rentre! D'ailleurs, nous croyons que deux des raisons pour lesquelles des représentants syndicaux s'opposent tant à ce que le droit de grève soit remplacé par quelque chose d'autre, c'est que, justement, ils réalisent eux-mêmes, à notre avis, que la majorité de la base ne les suivrait pas du tout, à supposer qu'on dise: La grève, on la fait. C'est illégal, mais on ne s'occupe pas de la loi et on la fait. Donc, une des raisons pour lesquelles ils s'opposent tant à ce que la loi, par exemple, oblige un vote à 75% ou 80% de l'ensemble des syndiqués appartenant à un syndicat avant qu'il y ait grève, c'est que, justement, ils ont peur. Ils réalisent que la base n'est pas pour la grève, l'immense majorité des employés. C'est pour la même raison qu'on tient tant à une loi antibriseurs de plus en plus restrictive. On ne se fie pas à la base, qui est de moins en moins avec les chefs. C'est parce qu'on veut y obliqer par des lois.

Quant à la question de chiffres en Ontario, Mlle Lucie Forget va en parler.

Mlle Forqet: Les chiffres que nous avons obtenus, nous les avions demandés pour toutes les provinces. On s'était informé pour savoir si, dans chaque province, ou avait ou pas le droit de grève. Dans la plupart des provinces, on a le droit de grève, mais cela a toujours été exercé avec une très grande responsabilité. Seulement, au Québec, on a une mentalité différente. On a peut-être oublié les valeurs de nos ancêtres au temps de Jeanne Mance où la valeur était d'aller aux plus souffrants. Au lieu de faire souffrir ceux qui ont besoin d'être secourus et réconfortés, on a mis sur pied des institutions justement pour alléger leurs souffrances. Aujourd'hui, je ne comprends pas le phénomène qui s'est produit, comment il se fait qu'on se soit éloigné de ces valeurs, mais on doit regarder les statistiques des qrèves qu'il y a eu depuis seize ans et constater qu'il y a sûrement eu un changement de mentalité. Évidemment, pour la majorité des syndigués - on le croit, M. Brunet vient de le dire - c'est probablement un phénomène de contrainte qui est exercée sur eux. On parle toujours du secteur hospitalier, parce que ce sont des vies humaines et aussi une question de dignité humaine qui sont en jeu. On pense qu'il y a des méthodes de harcèlement employées par une minorité qui force les gens à la suivre, mais que, pour un très grand nombre d'entre eux, si le gouvernement, par des mesures appropriées, voyait à faire respecter les violations au Code criminel, les violations aussi de ses propres lois réglementant les relations de travail, ce serait une grande amélioration.

Donc, pour en venir aux autres provinces où il y a droit de grève, les statistiques semblent indiquer que cela a été exercé avec une très grande responsabilité, contrairement au Québec. Dans le cas de l'Ontario, il n'y a pas de droit de grève. Les statistiques qu'on nous a fournies sont dans le moment les seules que nous ayons à notre disposition. Ce sont des statistiques de source fédérale. Je crois que cela vient du ministère fédéral du Travail.

En ce qui concerne la dernière grève en Ontario, on s'est informé également. On a posé diverses questions, par exemple dans quelle proportion des syndiqués ont traversé les lignes de piguetage, ont refusé de faire une grève illégale et quelles ont été les pénalités imposées à la suite de ces grèves, etc. On a eu des chiffres officieux, mais on attend toujours des renseignements officiels de la part des organismes responsables qui ont fait la cueillette des données.

Mme Lavoie-Roux: Je sais que mes collègues veulent poser des questions. Je voudrais énumérer trois questions très courtes. Elles sont d'importance inégale. Il y en a une qui est vraiment seulement une question d'information. Durant les grèves, les visiteurs, à votre connaissance, ont-ils un accès libre à leurs parents qui sont hospitalisés, que ce soit dans un centre hospitalier de soins prolongés ou de courte durée? La deuxième question a trait au recours collectif. D'ailleurs, c'est le ministre qui est ici et qui a piloté ce projet de loi qui, je pense, a certainement servi dans le cas de la coalition des malades. Ma question

est la suivante: Est-ce très facile, d'abord, d'utiliser cette loi, d'avoir recours à cette loi et, à votre avis, dans le cas des malades qui sont à l'intérieur des centres de soins prolongés ou des centres d'accueil, est-ce que c'est une démarche qui peut être facilement à la disposition des patients? Dans le sens de toute l'énergie que ça prend, les ressources humaines ou techniques, etc., vous l'avez exercé, vous avez obtenu réparation, mais est-ce que c'est une chose qui pourrait être facilitée davantage pour les bénéficiaires dans d'autres centres?

J'aimerais demander également - c'est peut-être relié davantage à la question de l'offre finale - si vous pensez que la sélection des offres finales... M. Dion a dit tout à l'heure: Je comprends le ministre, on veut être sûr avant de faire un changement considérable... ou c'est le ministre qui le disait. Est-ce une formule, à votre point de vue, suffisamment valable pour qu'elle puisse être utilisée au moins dans certains secteurs qu'on circonscrirait, qui nous apparaissent des secteurs plus névralgiques? À l'égard de l'Opposition, il n'y a aucun doute, particulièrement dans tous les centres d'accueil, que ce soit pour enfants, adultes et autres, et dans les hôpitaux de soins prolongés. Est-ce que, sur le plan technigue -je ne suis pas spécialiste des relations de travail - il est possible de concevoir que, au moins, il y ait des expériences faites?

J'avais entendu parler de cette formule avant, je sais qu'elle a été un succès avec des pompiers, je ne me souviens plus où, aux États-Unis. Là, vous avez des données beaucoup plus précises, c'est quand même relativement nouveau. Est-ce que ce serait possible? Ce sont là mes trois questions.

M. Brunet: Quant à votre première question, pendant les grèves, les visiteurs n'ont pas toujours un accès libre. Dans plusieurs cas, par exemple, s'il y a deux ou trois personnes qui viennent nous visiter, le premier obstacle, dans plusieurs situations, c'est qu'à la ligne de piguetage, on fait un interrogatoire: Qui êtes-vous? Quel est votre nom? Qui venez-vous voir? Pourquoi venez-vous? Dans plusieurs cas, on va dire: Vous êtes trois, restez deux avec nous, que l'autre personne monte pour le temps qu'elle le voudra et elle redescendra pour que les deux autres, ou une à la fois, montent. On fait des restrictions semblables, dans plusieurs cas.

Il est aussi vrai que, dans plusieurs institutions - quand on parle d'une grève générale, ça veut dire à peu près 100, 150 ou 200 établissements - surtout dans les petits endroits, la ligne de piquetaqe n'est pas aussi restrictive ou obstructionniste.

Quant à votre deuxième question du recours collectif, j'aimerais dire quelque chose. Jean-Marc Chabot, ici, qui connaît bien le domaine, en particulier, des soins à domicile, va répondre concernant le recours collectif.

J'aimerais seulement dire ceci. Le ministre Marois a dit tout à l'heure qu'il n'est pas sûr qu'il ne serait pas possible d'utiliser le recours collectif même quand la grève est légale, parce qu'on n'a qu'à se référer aux ententes et aux listes. Si les ententes ou les listes n'ont pas été respectées, il y aurait probablement moyen d'arranger ça. Ma réaction à ça - c'est aussi une question de Mme la députée de L'Acadie - c'est que c'est très difficle de passer par un recours collectif. Il y a deux malades de Saint-Charles-Borromée qui viennent de le faire; on était déterminé à aller jusqu'à quatre ans, cinq ans, dix ans, pourvu que Dieu nous prête vie, mais c'est très difficile. On pourrait écrire un livre là-dessus, peut-être qu'un jour ce sera fait. (17 heures)

II y a eu, par exemple, six grèves illégales, depuis 1978, qui sont venues à notre connaissance. Dans deux cas seulement, les bénéficiaires ont accepté d'être requérants; dans les autres cas, ils ne veulent rien savoir, ils ont peur. Ils savent que c'est leur droit, mais ils ont peur. Quant à utiliser le recours collectif même en période de grève légale, non seulement c'est difficile de se mettre à être impligué, d'embarquer dans des procédures affligeantes à plusieurs points de vue, mais c'est déjà achalant pour des bien portants; imaginez ce que ça peut être pour des grands malades.

L'idée de l'entente ou de la liste, ça se réfère à quoi? Le rapport Picard n'a jamais prétendu se prononcer sur la qualité et la quantité des services objectivement requis par des malades. Le conseil Picard - on nous l'a dit souvent au téléphone, à nous autres -vérifie si les listes et les ententes ont été respectées. Ces listes et ces ententes étaient faites en vertu d'une loi qui, elle-même, ne voulait absolument pas qu'on fasse un jugement de valeur dans des cas particuliers pour que les soins réels reguis par l'état des malades soient assurés. Quand on se réfère au rapport Picard, à des listes ou à des ententes, je vous assure que c'est une référence, à notre avis, à quelque chose de très imprudent et irréaliste, pour ne pas dire presque malhonnête. Cela ne tient pas debout du tout; ce sont des listes, des ententes qui ne tiennent pas du tout compte des vrais besoins des malades. Quand le rapport Picard dit qu'il conclut avec un bilan positif, on se demande comment on peut parler comme ça; il faut être joliment loin des malades. En ce qui concerne le recours collectif, si vous permettez, M. Jean-Marc Chabot prendra la parole.

M. Chabot (Jean-Marc): J'aimerais juste renchérir un peu sur les difficultés que

mentionnait Claude par rapport à la possibilité d'utiliser le recours collectif. C'est déjà très difficile à utiliser, comme il le dit, pour des personnes qui sont bien portantes, imaginez-vous comment ça peut être difficile à utiliser pour des enfants qui sont dans un centre d'accueil et qui n'ont pas les services dont ils ont besoin. Nous sommes actuellement à tenter l'expérience d'essayer d'utiliser le recours collectif pour un certain nombre d'enfants qui, dans un centre d'accueil, à Montréal, ont eu des difficultés et ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin. Juste pour l'étude du dossier, voir si c'est possible de faire un recours collectif pour aider ces enfants, ça va coûter au comité de liaison dont je fais partie 1500 $ d'étude juridique. Ce n'est même pas avec la certitude que le juge qui va entendre notre demande de recours collectif va l'accepter. Ce n'est même pas avec la certitude que le fonds du recours collectif va nous aider par la suite. C'est un moyen, mais il est très limité et très difficile à utiliser, quant à moi.

M. Brunet: Pour la troisième question de madame, concernant l'offre finale, Mlle Lucie Forqet, s'il vous plaît.

Mme Forget: M. Dion va en parler.

M. Dion: Une petite précision; on parle de sélection des offres finales, "final offers selection arbitration"; en français, ce n'est pas comme ça que ça se dit, c'est le choix des propositions finales; il y a une offre et une demande.

Mme Lavoie-Roux: Merci.

M. Dion: II y a plusieurs formules de choix des propositions finales. Il y en a qui ont fonctionné, d'autres n'ont pas fonctionné. La formule que l'on trouve dans la loi de l'Iowa m'apparaît intéressante pour la raison suivante. C'est sûr que, lorsque l'arbitre est limité dans son choix entre la proposition patronale et la proposition syndicale qu'il est obligé d'accepter d'une façon globale, c'est embarrassant et je ne l'accepterais pas. Pour régler les problèmes, je pense que ça pourrait être injuste. La formule de l'Iowa est intéressante à cause des modalités suivantes, c'est qu'avant de passer à l'arbitrage des propositions finales, il y a d'abord ce qu'ils appellent à tort un "fact finding board"; en somme, c'est de la conciliation publique qui fait seulement une recommandation, ce n'est pas obligatoire de la suivre. Par conséquent, il y a déjà là un filtrage; ensuite, quand l'arbitre, sur le choix des propositions finales, intervient, il n'intervient pas avec des propositions globales, c'est-à-dire une enveloppe globale, un tout, mais proposition par proposition, sur chaque point particulier. Par conséquent, sur un point, il peut prendre la demande syndicale et, sur un autre point, l'offre patronale.

Cette formule me paraît moins injuste. D'après le dossier que j'ai eu entre les mains, dans beaucoup de cas, parce que l'arbitre est dans une situation assez embarrassante - c'est tout ou rien - il s'est reporté à la recommandation qui avait été faite par la commission de conciliation dans laquelle étaient représentés l'employeur et le syndicat.

Maintenant, là comme ailleurs, il n'y a pas de garantie, comme disait le ministre antérieurement, il n'y a pas de formule magique qui donne la sécurité pour régler tous les problèmes. C'est une formule. Sans doute, si on adoptait une formule semblable, il faudrait, pour ceux qui ne s'y conformeraient pas par la suite, qu'il y ait des sanctions appropriées, justes, etc., comme je l'ai dit tout à l'heure. Si vous n'avez pas de sanctions, cela ne servirait à rien; ne changez pas la loi, vous perdez votre temps.

Mme Forget: Ce qui m'a paru intéressant aussi dans la formule de l'Iowa... On a parlé beaucoup de la loi 59 et surtout en ce qui concerne les services essentiels. Il y avait un autre aspect dans la loi 59, c'était le régime des négociations. Je pense que, pour la première fois, par exemple, la loi obligeait les parties à commencer la négociation six mois avant l'expiration des conventions collectives. D'ailleurs, c'est M. Laberge, hier, qui disait que, sans qu'aucun syndicat n'ait proposé quoi que ce soit pour améliorer le régime des négociations, ils se sont quand même plaints de leur lenteur. Or, dans le cas de l'Iowa, dans la procédure de règlement des conflits, on prévoit diverses étapes et un échéancier très rigoureux. Cela ne veut pas dire qu'au Québec on doive le transférer tel quel, mais on peut quand même s'en inspirer. D'abord, le début des négociations doit avoir lieu avant les prévisions budgétaires du 15 mars. C'est la période de certification des budgets en Iowa, mais on peut, par exemple, au Québec, dire qu'au lieu de six mois avant l'expiration, ce sera un an. Rien ne nous empêche de modifier cet aspect. Ensuite, pour la médiation, encore une fois, on prévoit un délai très strict. On dit: Quand il y a impasse, la médiation doit débuter 120 jours avant le 15 mars, soit autour du 15 novembre. Maintenant, la durée de la médiation est seulement de dix jours. Si la médiation échoue, immédiatement, vous avez la nomination d'un enquêteur par le Public Employment Relations Board. Cet enquêteur doit faire ses recommandations en dedans de quinze jours. Ensuite, il les soumet aux parties qui ont dix jours pour prendre en

considération les recommandations de l'enquêteur. Si elles n'y donnent pas suite, à ce moment, sur la demande d'une des parties, c'est l'arbitrage obligatoire.

Maintenant, dans le cas de la remise de l'offre de chaque partie sur les questions litigieuses, il est fort possible qu'on se soit entendu sur un très grand nombre de questions. D'ailleurs, dans l'enquête qu'on a faite auprès des États américains, plusieurs nous disent que, quand il y a arbitrage, souvent le nombre des questions litiqieuses est considérablement réduit à travers tout un processus de négociations. À ce moment, les parties, sur les questions litigieuses, doivent soumettre leur offre avant l'audience de l'arbitre. Elles ne peuvent plus la modifier du tout. Chaque partie dit... Disons qu'il y a trois questions litigieuses qui restent, réduction des heures de travail, congé annuel et salaire. À ce moment, chaque partie fait ses propositions sur chacune des trois questions. C'est soumis à l'arbitre. L'arbitre n'a que quinze jours, et même, dans l'Iowa, ce court laps de temps avait été contesté, et la cour a rendu une décision. Il fallait que l'arbitre soumette sa décision dans les quinze jours. Quand il soumet sa décision, c'est sur chacune des questions, comme l'a signalé l'abbé Dion. Cela peut être, sur une des questions, la proposition du syndicat; sur une autre question, la proposition de l'employeur; tout dépend de ce qui paraît le plus raisonnable comme proposition à l'arbitre.

Un autre point intéressant dans la procédure de l'Iowa, comme le signalait l'abbé Dion, c'est que vous avez l'étape de l'enquête. L'enquêteur fait une recommandation. Si l'arbitre trouve que ni la proposition patronale sur une des questions litigieuses, ni la proposition syndicale ne lui paraissent raisonnables, il a toujours la troisième possibilité de choisir la recommandation de l'enquêteur.

Les conséquences de cette procédure, une loi qui a été adoptée en Iowa en 1974, c'est qu'évidemment il n'y a pas eu de grève sous le régime de cette loi. Il faut dire aussi qu'il y a des pénalités très sévères prévues dans cette loi. Non seulement prévoit-on des pénalités, mais on inscrit la suprématie de la loi dans la loi elle-même. On dit que l'employeur lui-même, s'il viole la loi, s'il ne se conforme pas à ce qui est prévu dans certaines dispositions de la loi, devient passible soit d'une amende de 10 000 $ par jour, soit d'une peine de prison de six mois ou les deux à la fois, de sorte que l'employeur ne peut pas jouer; ne peut pas dire: On va passer l'éponqe, on va négocier la suspension des pénalités, etc. Il ne peut pas le faire. S'il le fait, il est lui-même en non-conformité avec la loi et il est pénalisé.

Parmi les résultats, il n'y a pas eu de grève sous le régime de cette loi; ce mode de règlement n'a pas nui à la libre négociation - je tiens bien à insister là-dessus - parce que, dans environ 50% des cas, les parties se sont entendues sans avoir recours à l'intervention d'une tierce partie. D'autres ont eu à passer à travers l'étape de la médiation, mais il y a eu seulement 5% des cas qui se sont rendus jusqu'à l'arbitraqe, c'est-à-dire où les parties n'ont pas été capables de s'entendre elles-mêmes.

Il y a aussi un autre fait intéressant. À cause de l'échéancier très rigoureux des étapes de la négociation, la nouvelle entente en Iowa est conclue environ cent jours avant l'expiration de la convention collective en vigueur.

Parlons maintenant de la réaction des parties au sujet de cette procédure. Les syndicats sont généralement satisfaits de cette procédure. Il peut y avoir guelque réticence de la part de l'employeur, mais la plupart des employeurs du secteur public reconnaissent que cette procédure est efficace pour régler les impasses de la négociation sans grève. Mme Lavoie-Roux, est-ce que cela vous satisfait?

Mme Lavoie-Roux: Oui. Je vous remercie.

Le Président (M. Rodrigue): M. Rivest, Jean-Talon.

M. Rivest: Je serai bref, parce que la plupart des questions ont passablement couvert le point de vue. Je veux simplement dire que, comme à peu près tout le monde ici - on l'a déjà évoqué dans les remarques préliminaires aux travaux de cette commission - on ne peut pas s'empêcher de dire et de le dire le plus simplement possible, d'une façon publique, que l'ensemble de nos concitoyens doit bien se sentir, comme nous, un peu mal à l'aise. En ce moment, au fond, ce que l'on fait comme exercice, dans l'ensemble de la société québécoise, c'est peut-être de se demander où on en est rendu quand, dans notre société, les malades doivent maintenant dire publiquement et rappeler d'une façon extrêmement sobre et extrêmement pertinente, comme l'a fait M. Brunet, à travers tout le jeu des intérêts économiques et des intérêts de travail des uns et des autres, syndicats, administrateurs et gouvernement: Nous aussi, nous avons des droits. Je pense qu'au-delà de toutes les technicités et de tout le juridisme qui entourent cette question il y a une question de fond qui est posée à notre société et à laquelle, comme je l'indiquais, tout le monde doit certainement réfléchir et en tirer les conséquences.

Pour ne pas allonger le débat, je voudrais, M. Brunet, si vous me le permettez, adresser une question à l'abbé

Dion. Je sais que ma question est terriblement complexe et je ne veux pas être injuste envers M. Dion qui connaît l'ensemble de la quest dans les hôpitaux de soins aigus par rappion et qui devra nécessairement y répondre brièvement, mais on a beaucoup parlé du droit de grève. On a parlé de ce qui se passeort aux situations qui sont vécues par M. Brunet, en particulier, dans le domaine des hôpitaux de soins prolongés, pour personnes handicapées, où les gens ont une identification beaucoup plus personnelle de ces institutions que ceux qui sont aux soins aigus. (17 h 15)

Mais évaluons les 15 dernières années, M. Dion, si vous le permettez, en particulier dans le domaine des affaires sociales et des affaires de la santé. On a parlé des délais, d'autres formules possibles de solution mais, quant au caractère extrêmement centralisé du processus de négociation des conventions collectives, est-ce que vous avez une conclusion? Je sais que vous ne pourrez pas la nuancer dans le cadre de la discussion, mais quelle est votre réaction? Je me rappelle, je pense que vous êtes certainement bien au fait, qu'en 1965, M. Lesaqe, qui a accordé à l'époque le droit de grève, m'a dit, et je pense qu'il l'avait d'ailleurs déjà dit publiquement... Il ne faut pas oublier qu'au moment où le droit de grève a été accordé, en 1965, il n'y avait pas cette centralisation dans les institutions. Et M. Lesage disait: S'il y a une grève à l'hôpital Saint-Sacrement, ici à Québec, il va y avoir l'Hôtel-Dieu qui pourra prendre la relève. Mais le régime de négociation a fait que, par la suite, on a eu toute cette centralisation.

Quelle est votre réflexion, M. Dion, sommairement, appliquée à la centralisation actuelle du régime de négociation et appliquée spécifiquement au domaine de la santé et des services sociaux?

M. Dion: Une première remarque. Je vais essayer d'être bref. C'est très vrai ce que vous venez de dire. Quand le droit de grève a été accordé, en 1965, il y a beaucoup de conditions qui existaient à cette époque et qui n'existent plus aujourd'hui, dont celle-ci. À cette époque, les négociations se faisaient hôpital par hôpital. On n'était donc pas pris avec un grand problème d'envergure provinciale.

Est venue cette centralisation de la négociation. C'est venu à la fois pour des besoins d'ordre financier du gouvernement, pour savoir quelle était l'enveloppe globale, et c'est venu aussi à la demande des syndicats. Est-ce qu'on peut retourner en arrière? Je crois que, sur certaines questions, c'est extrêmement difficile de retourner en arrière.

Déjà, il y a des matières qui sont de négociation provinciale et d'autres, locale. Mais, entre nous, cela n'a toujours pas de sens qu'aux trois ans on négocie un document comme cela à l'échelle provinciale. Il devrait y avoir certains points particuliers réservés à l'ensemble de la province et, pour l'application, revenir à la décentralisation.

Comment y parvenir? C'est une question qu'on ne peut pas discuter ici cet après-midi, mais c'est assez difficile. Je pense qu'avec de la bonne volonté et de l'imagination on pourrait peut-être y parvenir.

Le Président (M. Rodrigue): M. Lavigne, Beauharnois.

M. Lavigne: Très brièvement, M. le Président. Je voudrais savoir si Mme Forget est au courant du régime qu'ils avaient en Iowa avant l'implantation de l'offre finale, pour essayer de comprendre si de passer a l'offre finale a été un changement majeur, radical. Êtes-vous en mesure aussi de nous parler de la réaction des deux parties à partir de cette procédure? Est-ce que les syndicats ont mal ou bien réaqi, ainsi que la partie patronale? Est-ce qu'il y a eu des heurts? Quand on parle d'enlever le droit de grève, le ministre prévoit - il n'est pas le seul à le prévoir, à le penser - que cela pourrait être un chaos social si on arrivait à chambarder, d'une façon trop radicale, les moyens qu'on a ici présentement. Est-ce que le passage d'une méthode à une autre a été un passage relativement doux ou si cela a été un passage vraiment draconien?

Mme Forget: En ce qui concerne ce qui se passait avant dans l'Iowa, on a commencé un échange de correspondance. On a eu de la difficulté à faire parvenir nos lettres. On leur a écrit au début de l'été et, comme vous le savez tous, je pense que vous vous en souvenez, il y avait une grève des postes. On a pris des moyens pour faire acheminer notre correspondance à partir des États-Unis, mais il n'y avait aucun moyen pour que les Américains nous fassent parvenir leurs réponses au Canada; on était en grève, de sorte qu'on a eu des réponses à la fin du mois d'août et au début de septembre et, encore la semaine dernière, on en a eu. Il y a beaucoup de questions que je me posais encore en rapport avec la documentation qu'on a reçue et qui devrait être poursuivie, mais on se disait: Cela ne nous donne pas le temps d'écrire à la commission parlementaire, cela va prendre neuf jours avant qu'elle ait notre lettre et ensuite neuf jours avant qu'on reçoive la correspondance désirée.

En ce qui concerne le régime de négociation qui prévalait avant 1974, en Iowa, je n'ai pas d'informations détaillées.

M. Dion: On n'avait pas le droit de grève et on n'avait pas le droit de négociation dans à peu près tous les États des États-Unis et la même chose ici au Canada, sauf en Saskatchewan. On n'est pas passé d'un retrait de droit de grève.

Par conséquent, c'était plus facile, lorsque tu n'as pas de négociation et que tu n'as pas de droit de grève, de dire: On établit un régime avec celui-là. Il n'y a aucun doute là-dessus.

Maintenant, quant à la satisfaction des parties, il semble que les parties actuellement sont satisfaites et que cela donne de bons résultats.

Mme Forget: Est-ce que je pourrais ajouter une remarque sur ce que vous disiez? Vous disiez que, si on essayait d'implanter un nouveau mécanisme, il pourrait en résulter un chaos social pire que ce que l'on connaît. Je me demande, quand il y a des rondes de négociations qui sont suivies par des périodes de grève et que vous voyez dans des hôpitaux, par exemple, comme l'hôpital Notre-Dame, qu'on ne laisse que quinze infirmières en hémodialyse et aucune aux soins intensifs, aucune au bloc opératoire, aucune dans les unités de soins, comment la situation peut-elle être pire.

Deuxième remarque, j'ai l'impression que le gouvernement a un rôle de leadership à exercer, en ce sens que, quand on parle... D'ailleurs, je dois vous dire que j'ai eu beaucoup de contacts avec des employés d'hôpitaux, des infirmières, qui m'ont tous dit qu'eux souhaitent le remplacement de la grève par autre chose. Ils voudraient bien qu'on l'enlève ce droit de grève, mais ils ne sont absolument pas informés d'autres mécanismes qui existent. Il y a donc un rôle d'animation et d'information. Je pense que le gouvernement a un rôle à jouer là-dedans, il a un rôle de leadership, soit que lui-même fasse des recherches et qu'ensuite il prenne les moyens d'informer tous les agents qui oeuvrent, par exemple, dans le secteur hospitalier, d'organiser des séances d'animation et d'information. C'est une opinion. Je pense que cela vaudrait le coût qu'on se penche là-dessus, parce que moi, j'ai l'impression que, même au niveau gouvernemental, on n'est pas trop au courant de ce qui se passe ailleurs, des expériences qu'on a faites ailleurs. J'ai l'impression que, quand j'ai écrit à des États américains, on était peut-être les premiers à les pressentir pour avoir des renseignements sur leur expérience. Je ne sais pas, peut-être que le ministre du Travail ou son ministère a fait les mêmes recherches que nous et qu'il a reçu la même documentation. Je n'en sais rien, mais j'ai plutôt l'impression qu'on était les premiers à les pressentir.

Le ministre l'a mentionné dans le cas du recours collectif, il a fait les recherches, il a éduqué la population et il a finalement fait adopter sa loi. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose dans le cas des lois du travail?

Le Président (M. Rodrigue): Cela va?

M. Dion: M. le Président, est-ce que je pourrais ajouter une chose? Cela ne sera pas long, parce que je vois que l'heure avance très rapidement.

La commission parlementaire a pour mandat d'étudier les améliorations au régime des relations de travail dans son ensemble. À mon sens, il me paraît clair et net qu'on doit cesser d'avoir une loi uniforme et globale qui couvre tous les secteurs à l'intérieur de l'appareil gouvernemental et paragouvernemental et avoir des dispositions particulières qui tiennent compte des besoins de chacune des sections à l'intérieur. Je pense que vous devriez vous pencher sur cela et dire: Les hôpitaux, les institutions des affaires sociales, c'est autre chose que les fonctionnaires, c'est autre chose que les enseignants et c'est autre chose que le transport en commun dans une ville, que ce soit la ville de Québec ou la ville de Montréal, mais avoir des dispositions particulières, par conséquent, une loi qui soit plus adaptée, plus juste et plus applicable.

Le Président (M. Rodrigue): M. Polak, Sainte-Anne.

M. Polak: Merci, M. le Président.

Comme toujours, une brève question avec une courte introduction.

D'abord, M. Brunet, je dois vous dire que j'ai suivi un peu votre carrière dans les journaux et je suis très impressionné, du fait que nous sommes toujours en face de grands organismes: l'État et les syndicats. Ils sont très puissants, et le simple individu n'est pas puissant. Vous représentez les malades, mais je crois certainement que l'opinion publique est derrière vous en ce qui concerne le problème. Les gens le savent. Au moins, ils sont au courant du problème.

On doit vous féliciter pour le travail que vous avez fait. J'espère que vous allez continuer dans cette voie parce que parfois cela prend un troisième organisme pour réveiller les deux autres.

Voici la question que je veux poser. On est en face d'un grand dilemme. Je me mets un peu dans la peau du ministre, mais je ne suis pas encore rendu à ce point-là. Je l'ai entendu depuis hier, savez-vous, et...

M. Marois: Voulez-vous essayer? M. Polak: Non, cela va venir après. Des voix: Ah!

M. Polak: Le ministre a dit ce qui suit: II y a le grand principe et je respecte les droits acquis, le droit de grève. Évidemment, c'est une très bonne nouvelle pour les syndicats parce que tous les syndicats ont soumis des mémoires de 42 pages dont 40 sur le droit de grève. Donc, ils ont eu de bonnes nouvelles dès le début de nos séances.

Ensuite, il dit, trente secondes après: Cependant, il y a un principe aussi important et essentiel. C'est le principe de protéger les usagers dans les services essentiels. Là, il y a un problème, il y a un dilemme et c'est le suivant. On ne peut pas gager sur les Expos et Saint-Louis en même temps et le même argent, parce qu'il faut gagner quelque part. Il faut mettre un peu plus ici, un peu plus là. On ne peut pas mettre le même argent parce que, dans ce cas, c'est le jeu pour rien. Donc, si nous ne sommes pas venus ici pour ce qu'on appelle un "window-dressing" et si nous sommes vraiment venus ici pour trouver une solution, il faut choisir une priorité, aussi pénible que ce soit. Le ministre doit choisir. C'est lui qui a 80 chaises et nous n'en avons que 42.

Une voix: Pour la somme de...

M. Polak: Ce que je veux dire, c'est ce qui suit: Quand on doit faire un choix pénible, vous autres, vous le faites. Vous avez dit: Écoutez! Pour nous, tous les services sont essentiels; il n'y a pas de différence. Vous le dites carrément et, ensuite, vous arrivez à la conclusion: C'est malheureux, c'est regrettable, mais il faut abolir le droit de grève dans le secteur hospitalier parce qu'une grève d'un jour, c'est une grève symbolique. Une grève, pour réussir, doit faire mal, comme cela a été dit hier par plusieurs personnes.

C'est une attitude qu'on peut prendre. J'ai l'impression que le ministre ne va pas prendre cette attitude. Il ne va pas la recommander à son Conseil des ministres. Il y a peut-être des députés qui vont l'appuyer un peu ici et là. Mais j'ai l'impression qu'il ne prendra pas cette attitude de dire: On va l'abolir dans le secteur hospitalier ou dans un secteur comme celui-là.

Donc, le choix devient le suivant: Qu'est-ce qu'on va faire avec...

M. Marois: M. le Président, je m'excuse d'interrompre. Je suis certain que le député de Sainte-Anne n'est pas en train de me prêter à l'avance des décisions que j'aurai à prendre éventuellement.

M. Polak: Non. Je veux vous forcer à une bonne conclusion. On est là pour vous aider à en arriver à une conclusion.

M. Marois: Très bien. Continuez à m'éclairer.

M. Polak: On va mettre les cartes sur la table. Le dilemme devient encore plus aiqu pour vous.

La deuxième possibilité, ce qu'on appelle les services essentiels. Il faut donc installer toutes sortes de systèmes. On a eu toutes sortes de recommandations, par exemple, un organisme, une tierce partie qui va dire: Ça, ce sont les services essentiels; on va donner cela aux hôpitaux, etc., et au moins les malades seront moins dérangés pendant une grève. Il n'y a pas de doute là-dessus; cela n'a peut-être pas été dit carrément, mais c'est une restriction du droit de grève. Il n'y a pas de doute là-dessus et je n'ai pas encore entendu un syndicat dire: Nous sommes prêts à accepter cette formule.

Mais il y a des mémoires qui ont parlé d'un autre sujet que je trouve très intéressant. Il s'agit d'un nouveau contrat social. C'est peut-être parce que je suis un Européen, je viens des Pays-Bas, où on croit beaucoup en un nouveau contrat social. Là-bas, les syndicats, le gouvernement et le côté patronal se mettent ensemble et disent: À un moment donné, le bien commun prime, et ils font de petits sacrifices.

Je vous pose maintenant la question, M. Brunet. Disons que, dans la vie, on ne peut pas tout avoir. Si c'est impossible d'accepter votre formule d'abolition, qui est une formule claire et nette, très bien... Mais disons que, sur le plan pratique, cela ne marche pas. Seriez-vous content, avec cette solution d'une tierce partie qui va régler les problèmes dans ce secteur des services essentiels, mais d'une manière riqoureuse, avec un appareil composé de personnes qui puissent discuter les décisions un peu dans le sens de l'abbé Dion, où, à un moment donné, on va les forcer à respecter ces décisions? Là, vous aurez moins que ce que vous demandez. Pensez-vous que cela sera acceptable? Si vous dites oui, je poserai la même question plus tard aux syndicats et, ensuite, je vais demander au ministre son opinion là-dessus.

M. Brunet: Au sujet de la possibilité qu'une espèce de régie ou de conseil mieux organisé, mieux conçu, mieux préparé, puisse déterminer les services qui sont véritablement dus aux malades et faire en sorte que ces services soient rigoureusement dispensés, nous avons de grandes réticences à pouvoir penser qu'un tel organisme puisse être efficace et agir avec la rapidité qu'il faut. (17 h 301

Dans la très grande majorité des cas, premièrement, il est très difficile de cerner ce qui se passe auprès des malades parce que, à part les malades dans un hôpital, il y a la partie patronale qui, dans un sens, a quand même l'ultime responsabilité de la

gestion du personnel et de la dispensation des soins, mais, pour d'autres, c'est le patron, et il y a l'autre partie, la partie syndicale.

Que vous vous informiez à l'une ou l'autre de ces parties, à moins d'aller uniquement au bénéficiaire, vous allez voir des versions pas mal différentes et les services vont être beaucoup demandés dans un cas et, dans l'autre, on va dire qu'il y en a trop. Donc, la question d'un conseil ou d'une régie, on a beaucoup de doutes, on n'y croit pas vraiment. Pour vous montrer la difficulté de s'entendre sur les services essentiels, je vais vous donner un exemple. Je sais que vous avez énormément de travail à faire aujourd'hui, mais, s'il y avait, entre les malades et vous autres, les ministres et députés, autant d'occasions d'échanger, de se parler et de discuter que vous en avez, les députés et les ministres, avec des représentants syndicaux, je vous garantis que le gouvernement n'aurait pas la même attitude.

Fatalement, chaque jour, il y a des problèmes, des contacts téléphoniques, des lettres, des rencontres. Il faut que les représentants syndicaux vous parlent, vous questionnent, vous tirent l'oreille, enfin, fais ceci, fais cela, de sorte que ces contacts-là ont un impact psychologique important. Les revendications des représentants syndicaux, vous en entendez parler de tout bord et de tout côté, mais les problèmes, les questions, les dilemmes, les inquiétudes, les aspirations des malades, quand est-ce que vous avez des contacts fréquents pour être au courant de cela?

Prenez la question des services essentiels. On voyait M. Laberge, hier, qui disait: Je vais vous donner un exemple pour vous montrer que nos femmes et nos gars ont autant de conscience professionnelle ou de conscience sociale que n'importe qui d'entre vous autres, les députés et les ministres. Il a donné le cas d'un soir à Louis-H. Lafontaine où c'était le tour des employés non professionnels de débrayer et voilà que, malheureusement, un incendie se déclare. Un exemple qu'on a vraiment une conscience sociale et professionnelle, c'est que tout le monde est entré immédiatement pour éteindre le feu et secourir les malades d'abord, évidemment. Mais là, vous avez un cas où on prend pour héroïque, pour très valable, un comportement qui est tout à fait normal. Qui est-ce qui, voyant des gens en danger de mort, ne se fendrait pas en quatre pour aider?

Les services essentiels, selon la mentalité syndicale, et c'est la même qu'on voit dans le rapport Picard, ce n'est pas grave si des malades souffrent un peu plus, s'ils connaissent plus d'angoisse et plus d'inquiétude, pourvu qu'ils n'en meurent pas. Quand on est en danger de mort comme dans un incendie, là, c'est normal, c'est bon, il faut le faire.

Il y a un autre critère de services essentiels pour des gens qui ne sont pas d'accord avec nous, évidemment. C'est qu'on dit - M. Laberge et M. Rodrigue l'ont bien dit - Nos services essentiels, ce sont les services et le personnel qu'on assure, qu'on a pendant les fins de semaine et aux jours de fête.

Attendez un peu, s'il vous plaît! Il y a 210 hôpitaux de soins de courte durée - c'est M. le ministre qui disait ça - et là, il y a quelque chose de différent de ce qui se passe dans les autres centres. Il y a à peu près 175 hôpitaux de soins prolongés pour soins physiques et soins psychiatriques. Il y a à peu près 350 centres d'accueil et d'hébergement où, en fin de semaine et aux jours de fête, le personnel n'est pas réduit. Dans les hôpitaux de courte durée, on nous dit: Cela fait des années qu'on dit ça, mais, quand des malades assistent à nos réunions et voient cela, les bras nous tombent. Mais pour qui prend-on les gens? Est-ce qu'on est des valises pour venir nous dire cela? Dans les hôpitaux de courte durée, le personnel, en fin de semaine et les jours de fête, c'est un personnel un peu réduit. Tout le monde est en congé. Il y a beaucoup de gens en congé. Mais c'est beaucoup plus que celui qu'on accorde pendant les grèves. On veut probablement dire: Nous on accorde... Si on prend tous les gens qui sont dans les laboratoires, les surveillants et les cadres à la cuisine ou dans les bureaux et si on les met dans les unités de soins, cela fait presque autant de personnel en fin de semaine et les jours de congé, mais ce n'est pas du tout acceptable pour les malades parce que vous n'avez pas du tout le même service avec des gens qui sont habituellement dans des laboratoires ou des bureaux ou qui font de la gestion de personnel ou des réunions presque chaque jour pendant plusieurs heures.

Les malades ont besoin du personnel régulier qui connaît les malades et que les malades connaissent. Un autre exemple de l'importance que les malades s'expriment de plus en plus là-dessus. On a fait référence à la récente encyclique de Jean-Paul II. J'en ai lu plusieurs extraits hier et là aussi le pape Jean-Paul II dit bien que la grève ne doit pas venir en contradiction avec les exigences du bien commun. Je pense que pour les questions qu'on débat actuellement, les exigences du bien commun sont joliment mises en cause quand on laisse une grève se déclencher dans les hôpitaux et les centres d'accueil.

M. Polak: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Rodrigue): Mme

Dougherty (Jacgues-Cartier).

Mme Dougherty: J'aimerais aussi féliciter la coalition pour son excellent mémoire. J'appuie dans ce sens les commentaires de mes collègues, Mme Lavoie-Roux et M. Polak. J'ai simplement quelques commentaires que j'ai voulu faire il y a une heure, mais naturellement ce n'était pas possible. C'est quelques commentaires sur la réaction du ministre, qui m'a inquiétée beaucoup parce que, premièrement, le ministre a parlé, dans sa réaction à chaque mémoire presque, de comportements inacceptables, d'abus, de contraventions aux lois et du non-respect des listes de services essentiels qu'on ne peut plus supporter. Je crois que tout le monde est d'accord. Cela va sans dire. Nous avons entendu, d'autres groupes, plusieurs recommandations pour améliorer la situation.

Deuxièmement, le ministre a insisté sur une meilleure façon d'établir la liste des services qu'on doit garder en temps de grève. La nécessité d'impliquer les usagers dans cet exercice est une très bonne idée. Encore là, je crois que nous sommes tous d'accord qu'un meilleur mécanisme, plus juste, doit être trouvé pour établir la liste des services à garder, parce que dans ce contexte on parle naturellement des situations quand on accepte le fait de la grève.

Troisièmement, au sujet de la suggestion d'offre finale, le ministre s'y est opposé parce que c'était une suggestion radicale. Oui, c'est une suggestion radicale. D'abord, je crois que l'objection qu'on joue avec la masse salariale est fausse pour toutes les raisons données tout à l'heure par M. Dion et je ne veux pas discuter cette situation, mais je crois qu'une solution radicale dans le meilleur sens du mot est exactement ce qu'on cherche ici.

M. Marois: M. le Président, je m'excuse d'interrompre Mme la députée. Je suis sûr qu'elle ne veut pas me prêter indûment des propos que je n'ai pas tenus. Je ne me suis pas opposé à la formule...

Mme Dougherty: Ce n'est peut-être pas un bon mot.

M. Marois: Si madame permet, M. le Président, que je termine mon intervention. Je veux bien qu'on me prête toutes sortes de propos, mais je ne m'y suis pas opposé parce que la formule est radicale. Ce n'est pas moi qui vais m'opposer à des changements qui peuvent être radicaux. Pour obtenir le plus d'éclaircissements, afin de donner la chance à ce comité qui vient ici nous expliquer pourquoi il pense que tel droit doit être aboli et qui a fait d'énormes recherches sur une proposition alternative, il me semblait légitime de poser un certain nombre de questions et de soulever un certain nombre d'inquiétudes pour permettre à ce groupe de nous expliquer davantage la formule. Je ne me suis jamais opposé parce que c'est radical.

Le Président (M. Rodrigue): Si vous me le permettez, je voudrais profiter de cette occasion pour signaler aux membres de la commission qu'en commission parlementaire il n'y a pas une chose telle qu'une question de privilège. Cependant, il est toujours loisible à un membre de la commission d'intervenir à un moment donné pour rectifier des faits qu'il juge non conformes ou des opinions qui ont été émises et qu'il juge non conformes. Je vais demander à Mme Dougherty de compléter son intervention et, par la suite, M. le ministre, si vous voulez clore le débat sur cette question, je vous céderai la parole. Mme Dougherty.

Mme Dougherty: Merci, M. le ministre, pour votre clarification.

Je veux vous dire franchement que j'ai été un peu scandalisée par votre réaction, parce que j'ai senti une certaine réticence a discuter ce qui est pour moi la question fondamentale cet après-midi: Va-t-on tolérer le droit de grève dans les hôpitaux ou non? Doit-on interdire les qrèves dans le secteur hospitalier inconditionnellement ou doit-on tolérer les grèves conditionnelles? Y a-t-il des droits de santé fondamentaux qui priment sur tout droit et privilège syndical et patronal? Il faut discuter et reconnaître ce problème fondamental; autrement, on va fausser notre travail. J'espère que, dans notre tâche, nous allons continuer d'attaguer ces problèmes d'une manière ouverte et honnête.

M. Marois: M. le Président, je ne prêterai pas d'intention ni ne communiquerai aucunement les sentiments que j'éprouve à entendre parfois certains membres de l'Opposition. Je crois qu'ils sont libres de leurs interventions et j'essaie de respecter leurs interventions le plus pleinement possible. Je ne les qualifie pas.

Le Président (M. Rodrigue): Est-ce que ça termine la période des questions? Je remercie la Coalition pour le droit des...

Je m'excuse. M. Brunet, je vous en prie.

M. Brunet: M. le Président, j'aimerais souligner le fait que la présente commission a fait preuve d'une patience extraordinaire et qu'on l'apprécie beaucoup. Même si on a accordé une heure trente-cinq minutes à la CSN et une heure guarante minutes à la FTQ, ça fait deux heures et vingt minutes qu'on est avec vous. On vous remercie beaucoup et on espère vous reparler bientôt.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentants de la Coalition pour le droit des malades. Étant donné qu'il est maintenant tout près de 17 h 50, nous allons suspendre la séance de la commission jusqu'à 20 heures, alors que nous procéderons à l'audition des mémoires suivants: Le mémoire de la Fédération des syndicats professionnels des infirmières et infirmiers du Québec, le mémoire du Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec et, finalement, nous entendrons le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec.

La commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu suspend ses travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 47)

(Reprise de la séance à 20 h 051

Le Président (M. Rodrigue): À l'ordre s'il vous plaît! La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu reprend ses travaux.

En début de séance, nous entendrons le mémoire de la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et infirmiers du Québec. J'invite les représentants de cette fédération à prendre place à la barre. Si je ne m'abuse, le mémoire sera présenté par Mme Elaine Pelletier. Mme Pelletier, je vais vous demander de nous présenter les personnes qui vous accompagnent et de présenter votre mémoire.

Fédération des syndicats

professionnels d'infirmières

et infirmiers du Québec

Mme Pelletier (Élaine): M. le Président, mesdames, messieurs, je vais présenter les gens qui sont avec moi ce soir. À ma gauche, Mme Gennie Skene, infirmière à l'hôpital de l'Enfant-Jésus et membre du conseil fédéral, Mme Louise Turcotte, conseillère à la fédération, ainsi que Mme Aline Michaud, qui est à ma droite, conseillère à la Fédération des SPIIQ.

Avant de commencer la lecture du mémoire, j'aimerais souligner que, ce matin, il y a eu une intervention de M. Brassard, je crois, à savoir que le gouvernement, semble-t-il, n'aurait jamais eu l'intention d'enlever le droit de grève, ainsi que le Parti québécois. Nous, de la Fédération des SPIIQ, avons quand même retenu certains propos qui nous portaient à croire que l'exercice du droit de grève pouvait être limité. C'est dans ce sens que nous avons préparé notre mémoire, qui porte sur la défense du libre exercice du droit de grève. La Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec regroupe quelque 15 000 membres syndigués répartis à travers la province. Si nous avons décidé de nous faire entendre aujourd'hui par cette commission parlementaire chargée de se pencher sur le droit de grève dans les secteurs public et parapublic, c'est pour bien faire comprendre à l'État québécois et à son gouvernement que jamais les membres de la Fédération des SPIIQ ne toléreront quelque limitation que ce soit à leur droit de grève. Ce n'est pas sur le dos des travailleurs et des travailleuses que le gouvernement devrait chercher à se faire du capital politique, mais plutôt en cherchant à réduire toujours davantage les inéquités sociales.

Le droit à la grève et à la libre négociation. Il serait impérieux que l'État reconnaisse aux travailleurs et aux travailleuses, notamment du secteur de la santé, le droit permanent à la grève et à la libre négociation, au lieu de chercher à voir s'il est possible de limiter ce droit de grève dans les secteurs public et parapublic. Ce droit, nous l'avons déjà eu, perdu, puis regagné de haute lutte. Avant 1939, en effet, année où fut votée la loi relative à l'arbitrage des différends entre certaines institutions de charité et leurs employés, loi qui touchait essentiellement les hôpitaux, nous avions droit à la grève. Non satisfait d'avoir retiré leur droit de grève à un grand nombre de travailleurs et de travailleuses de la santé, l'État décida, guelques années plus tard, en 1944, par sa loi sur les différends entre les services publics et leurs salariés, de retirer leur droit de grève au reste des travailleurs et travailleuses de la santé en même temps qu'à l'ensemble des autres travailleurs et travailleuses des secteurs public et parapublic. Ce n'est qu'en 1964, après de multiples débrayages, de nombreuses grèves illégales et de luttes continues que nous avons recouvré notre droit.

En tant que travailleurs et travailleuses de la santé, nous n'accepterons jamais que notre droit à la grève et à la libre négociation soit remis en question. L'époque du "jamais la reine ne néqociera avec ses sujets" est révolue au Québec. La Fédération des SPIIQ et ses membres n'accepteront pas qu'un quelconque gouvernement tente de le ressusciter sous guelque forme que ce soit.

La population en otage. Nous ne pouvons non plus accepter qu'à chaque ronde de négociations dans les secteurs public et parapublic, particulièrement en ce qui concerne le secteur de la santé, le gouvernement prenne la population en otage. Nous disons bien le gouvernement, car c'est lui, par ses déclarations alarmistes, ses artifices législatifs et ses arabesques judiciaires qui réussit à faire croire à la population que sa santé et sa sécurité sont mises en danger lorsque nous exerçons notre droit de grève.

La santé et la sécurité de la population

sont mises en danger, certes, non pas par les travailleurs et les travailleuses, mais bel et bien par le gouvernement lui-même qui, en particulier, depuis quelques années, néqlige son rôle fondamental de gérer la santé en prospective, dans un but de mieux-être de l'ensemble de la population et de chacun de ses individus.

Le poids de l'action gouvernementale quotidienne sur la santé et la sécurité de la population est immensément plus lourd que celui de l'exercice parcimonieux du droit de grève. Nous ne citerons en exemple que les compressions budgétaires. Elles résultent en des réductions de postes, l'émiettement des tâches, la dégualification du travail, la mobilité du personnel, etc.

Les conséquences. Les infirmières sont empêchées de consacrer le temps requis auprès des bénéficiaires, et en plus, elles sont souvent obligées de se disperser dans leur travail. L'aspect important des relations humaines s'en trouve lourdement taxé d'une part, au niveau de l'accueil, et, d'autre part, au niveau du suivi auprès des bénéficiaires. La population, bénéficiaire potentiel, se sent insecure face à l'impossibilité d'obtenir des services adéquats auxquels elle a droit et se sent de plus en plus menacée dans son intégrité physique et psychique; l'aspect curatif de la santé, déjà compromis, prime sur l'aspect préventif qui, à long terme, est l'élément le plus important de la santé.

Aux effets déjà déshumanisants des conséquences des compressions budgétaires vient s'ajouter le PRN, c'est-à-dire le minutage du travail infirmier, dont l'effet déshumanisant est au moins aussi grand. Ce système vient en contradiction avec le concept "nursing" découlant de l'acte infirmier lui-même en ce qu'il évacue le geste de l'objectif. L'instauration massive du PRN fait en sorte que le bénéficiaire devient un numéro sur une chaîne de montage.

Nous n'accepterons pas que le gouvernement fasse porter l'odieux de ses décisions politiques en ce qui concerne la santé et la sécurité du public par les travailleurs et les travailleuses de la santé, lorsque ceux-ci exercent leur droit de grève.

Les services essentiels. La Fédération des SPIIQ reconnaît d'emblée le droit du public au maintien des services essentiels lors de conflits dans le secteur de la santé.

D'ailleurs, lors de la grève générale de 1966, ce sont les syndicats qui ont pris l'initiative de négocier les services essentiels et ce sont les employeurs qui ont refusé, préférant recourir aux injonctions. De nouveau, en 1972, les syndicats tentèrent de négocier les services essentiels avec à peine plus de résultats. Et alors qu'en 1976, les commissaires arbitres ne rapportaient qu'une quarantaine d'ententes, plus de 500 étaient négociées par les syndicats lors de la dernière ronde de négociations. Dans son rapport de juin 1980, le Conseil sur le maintien des services de santé et des services sociaux souligne en outre: "II y a eu des exceptions, mais nos services ont rapporté que, dans l'ensemble, les services essentiels avaient été assurés conformément aux ententes et aux listes déposées. "

Compte tenu que les syndicats ont toujours été les premiers conscients de l'importance de maintenir les services essentiels en cas de conflit dans le secteur de la santé et du peu de cas que l'État et ses partenaires patronaux semblent faire de la santé et de la sécurité du public, il est donc vital que ce soient les syndicats qui aient et continuent d'avoir la juridiction exclusive en cette matière.

Pour ces raisons, nous ne pourrions tolérer qu'en exploitant démagogiquement l'inquiétude par ailleurs léqitime du public, l'État employeur renforce indûment sa position d'employeur en légiférant en sa faveur sur la question des services essentiels.

Lois spéciales et injonctions. Dans le milieu des années soixante, les travailleurs et travailleuses des secteurs public et parapublic ont été sans cesse matragués par des lois spéciales et des injonctions. Quatorze lois spéciales en seize ans, plus précisément en six négociations, c'est beaucoup. (20 h 15)

Le droit de ces travailleurs et travailleuses à la libre négociation et à la grève, pourtant reconnu par une loi d'ordre public, a été sans cesse bafoué par le pouvoir politique qui, pour arriver à ses fins, ne s'embarrasse pas de la légitimité des revendications et des droits des salariés. Ces lois spéciales sont, officiellement du moins, décidées à la dernière minute et adoptées à la vapeur, mais seulement après que le gouvernement ait réussi par tous les moyens, déclarations ministérielles, campagnes de publicité, à manipuler l'opinion publigue en exacerbant le climat d'inquiétude propre à ce genre de conflit, au point de rendre légitime l'adoption de lois qui seraient autrement jugées iniques.

Le gouvernement fait ainsi d'une pierre deux coups. D'une part, il renforce sa crédibilité au niveau politique en faisant croire qu'il est un bon gouvernement et, d'autre part, il réussit comme employeur à tout diriqer et contrôler en contournant de la sorte les mécanismes de négociation prévus au Code du travail.

De la même manière, les recours à l'injonction créent des droits au bénéfice de l'employeur, en plus de criminaliser les relations de travail.

En conséquence, nous revendiquons que le gouvernement et ses partenaires patronaux négocient sérieusement avec les travailleurs et les travailleuses des secteurs public et parapublic et que les recours aux injonctions

et aux lois spéciales soient bannis du domaine des relations de travail.

Code des professions. L'inqérence du gouvernement dans les relations de travail se poursuit par le biais des corporations professionnelles dont l'existence relève du Code des professions. Par le code de déontoloqie (règlement adopté en vertu du Code des professions), les infirmières et les infirmiers se voient souvent pénalisés lorsqu'ils exercent un recours prévu au Code du travail, notamment leur droit à la grève. À la suite de plaintes formulées relativement à l'exercice de leur profession sous prétexte de commission d'actes dérogatoires, ils se voient imposer des mesures disciplinaires injustifiées qui n'ont en réalité rien à voir avec l'exercice de la profession, mais plutôt avec l'exercice de leurs droits comme travailleurs et travailleuses, ce qui a comme conséquence de court-circuiter le processus normal des relations de travail en maintenant une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

L'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec n'a pas à intervenir lorsque les infirmières et les infirmiers posent des gestes prévus par le Code du travail. La loi doit donc être modifiée de manière que nos travailleurs et travailleuses de la santé puissent exercer leurs droits syndicaux sans ingérence corporatiste.

En conclusion, parce que le droit à la grève est un droit inaliénable, parce que le droit à la grève et l'exercice de ce droit sont fondamentaux, parce que le droit à la grève est indissociable du droit à la liberté d'association et du droit à la libre négociation, parce que la décision quant à l'opportunité de recourir à la grève appartient aux seuls travailleurs et travailleuses, parce que le recours à l'injonction et aux lois spéciales constitue une négation du droit de grève et, conséquemment, du droit à la libre négociation, parce que la décision quant à l'opportunité de tempérer leurs recours appartient de même source aux seuls travailleurs et travailleuses, nous revendiquons: la pleine reconnaissance du droit à la grève en tout temps pour tous les travailleurs et travailleuses, la reconnaissance du droit au libre exercice du recours à la grève par les travailleurs et travailleuses en tout temps, le retrait des injonctions du champ des relations de travail, l'abandon du recours aux lois spéciales qui ont pour effet d'empêcher ou d'entraver le libre recours à la grève et, conséquemment, de nier le droit à la libre négociation, l'abolition du recours au code de déontologie pour réduire le libre exercice du droit de grève et la libre négociation des services essentiels par les travailleurs et les travailleuses de la santé.

Le Président (M. Rodrigue): Je vous remercie. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec. Je vais, avec votre permission, M. le Président, immédiatement céder mon droit de parole au député de Rosemont qui, je le sais, a des remarques et des questions à poser en notre nom.

Le Président (M. Rodrigue): M.

Paquette (Rosemont).

M. Paquette: M. le Président, comme vous le savez, je suis un farouche partisan du respect et du libre exercice du droit de grève. Cependant, je dois vous dire que je suis assez soufflé par ce mémoire qui m'apparaît faire de l'exercice du droit de grève un absolu. Il y a quand même le droit à la vie et à la santé des malades aussi qui est important. Vous dites vous-mêmes dans votre mémoire, à un moment donné, qu'il y a des inquiétudes légitimes dans la population. Est-ce que c'est faire de la démaqoqie que de dire: Le droit de grève n'est pas un droit illimité?

À la page 1 de votre mémoire vous dites: "On veut faire comprendre à l'État québécois et à son gouvernement que jamais les membres de la Fédération des SPIIQ ne toléreront quelque limitation que ce soit à leur droit de grève. " Est-ce que cela signifie que vous souhaitez l'abolition du Code du travail, l'abolition de la loi 59, le fait qu'on n'ait plus à établir des ententes pour les services essentiels? Est-ce que cela va aussi loin?

Dans la conclusion de votre mémoire, également, je retrouve "libre négociation" "exercice libre du droit de grève". La liberté des uns s'arrête où celle des autres commence. Il y a des libertés qui oppriment.

J'ai l'impression que vous réagissez -j'espère que c'est ça - de façon viscérale à des critiques qui sont très répandues dans la population, on en est tous conscients, qui sont justifiées très souvent par des cas particuliers dont on fait une règle générale. Quant à nous, de ce côté-ci, je pense que vous devez être conscientes qu'on n'embarque pas dans ce jeu-là. On n'embarque pas dans le jeu de généraliser des cas particuliers et dire: Les syndiqués sont des irresponsables, il faut leur enlever le droit de grève. Pas du tout, on a des cas très précis, au contraire, où les syndiqués - je dirais même que c'est la règle générale - ont fait preuve de responsabilité. Mais il y a des exceptions.

Je pense que notre rôle à tous, qu'on soit de l'autre côté ou dans d'autres partis politiques ou dans des corps intermédiaires, notre responsabilité c'est de trouver le moyen de concilier le droit de grève avec le droit à la santé et à la sécurité.

II ne s'agit pas de mettre des entraves à la libre négociation, mais il s'agit aussi de s'assurer que les cas d'exception qu'on a connus - parce qu'il y en a eu - ne se reproduiront plus à l'avenir.

La première question que je vous pose est la suivante: Quand vous dites aucune limitation au droit de grève, est-ce que ça veut dire qu'on ne doit plus s'occuper des services essentiels? Qu'est-ce que vous entendez exactement par ça?

Mme Pelletier: M. Paquette, à la page 5 du mémoire on parle des services essentiels, on reconnaît d'emblée le droit du public au maintien des services essentiels. On parle quand même de la dernière ronde où la négociation des services essentiels a été beaucoup plus fructueuse que par le passé. On parle du plus grand nombre d'ententes.

Le mécanisme qui est prévu actuellement, que les services essentiels ce sont les travailleurs et travailleuses qui peuvent les négocier et où c'est impossible de déposer une liste, je pense que, dans l'ensemble, cela a très bien fonctionné lors de la dernière négociation. D'ailleurs, de ce côté, nous avons eu de nombreuses ententes et, d'un autre côté, il y a eu des listes qui ont été déposées. Il y a eu des cas d'exception. Vous me dites: II faut prévoir ces cas d'exception. À travers ces cas d'exception, c'est peut-être à partir de cela qu'on va tenter de limiter, d'une certaine façon, l'exercice du droit de grève peut-être en imposant des mécanismes différents.

Dans ces cas d'exception, on a cité entre autre l'hôpital Laval. Je voudrais qu'on prenne le temps de le regarder de très près. On parlait d'une liste d'attente et c'était un cri d'alarme de 50 patients à ce moment. Aujourd'hui, il y en a 150. On n'est pas en temps de conflit et on n'entend rien. C'est là que je dis qu'il faut mesurer et doser. Il y a peut-être d'autres cas d'exception qui ont été rapportés, mais est-ce qu'on a vraiment analysé ce qui se passait dans ces cas?

Il y a des intérêts quand il y a des conflits dans le secteur de la santé aussi. Qui crie souvent qu'il y a des situations d'alarme? Je pense qu'il y a des médecins qui ont des intérêts financiers importants en jeu. Dans ce sens, je dis: Si on veut légiférer ou restreindre au niveau des services essentiels, il faut, à mon avis, être très prudent, parce que, pour ce qui a été fait lors de la dernière négociation sur le maintien des services essentiels, nous sommes d'accord et là-dessus, notre mémoire le dit: II faut dans le secteur de la santé assurer des services essentiels.

M. Paquette: Avant de revenir sur certains des cas d'exception pour nous aider un peu à mieux comprendre la situation, je partage votre opinion évidemment quand vous dites façon temps de grève les gens sont plus sensibles à ce qui se passe et il peut arriver façon dehors des périodes de grève, il y ait des situations extrêmement difficiles et que personne n'y porte attention. Je suis d'accord avec vous que c'est vrai que cela arrive.

Je voudrais simplement relever certaines remarques de votre mémoire qui m'ont fait un petit peu sursauter. Vous dites à un moment donné que le gouvernement cherche à se faire du capital politique. Vous dites que c'est le gouvernement par "ses déclarations alarmistes, ses artifices législatifs et ses arabesgues judiciaires qui a réussi à faire croire à la population que sa santé et sa sécurité sont mises en danger lorsque nous exerçons notre droit de grève. "

Il y a plein de remarques comme ça dans le document. Je suis certain que vous êtes incapable de me démontrer cela. Moi, j'étais en Chambre. Presgue chague jour le critigue de l'Opposition posait des guestions au ministre des Affaires sociales et, je pense qu'on a tous été témoins de cela, pas une seule fois, le ministre des Affaires sociales n'a fait des déclarations alarmistes. Au contraire. Il était même accusé de faire des déclarations trop rassurantes à certaines occasions. Cela s'est passé en Chambre devant les caméras de la télévision. Beaucoup de gens l'ont vu. Au contraire, le gouvernement visait à faire en sorte que la population ne panigue pas, qu'on puisse traiter les situations au mérite. S'il y avait abus dans certains coins, qu'on intervienne, s'il y avait danger pour la population, qu'on intervienne. Mais dire qu'on a, par des déclarations alarmistes, fait croire à la population que sa santé et sa sécurité étaient manacées, non. C'était un sentiment profond dans la population qui vient de frustrations accumulées et qui sont souvent exagérées, mais l'attitude du gouvernement, pendant toute cette période, a été au contraire d'apaiser ou d'éviter que la population ne panique.

Si on en vient aux cas particuliers, on a mentionné le cas du centre hospitalier Laval. Sur 158 unités d'accréditation, vous avez obtenu 118 ententes et il y a eu 37 listes syndicales. À votre connaissance, y a-t-il eu des cas - ce n'est pas une honte que de le dire, on est capable de comprendre que dans des situations de conflit, à l'occasion, tout ne soit pas facile pour assurer les services essentiels, même quand le syndicat veut, de bonne foi, les faire respecter - où les listes syndicales, où l'entente n'a pas été respectée en termes du nombre de travailleurs qui étaient censés être sur les lieux, soit d'après la liste, soit d'après l'entente? Y a-t-il eu des cas où il y avait moins de travailleurs que prévu?

Mme Pelletier: Je suis d'accord avec

vous, M. Paquette, qu'il n'y a pas de honte si parfois cela arrive dans un milieu qu'il ait pu y avoir à un moment donné une liste ou une entente non respectée. Il y a un cas à l'hôpital du Saint-Sacrement où l'enquêteur a été demandé et, dans le rapport, on parle des difficultés rencontrées au niveau de la gestion de l'entente au régime des parties elles-mêmes qui ont, de part et d'autre, violé cette entente.

Par ailleurs, à ma connaissance, je peux affirmer aussi que le nombre de salariés n'a jamais été modifié, sauf ce qui a pu, d'une unité de soins à l'autre, être changé, dans le sens qu'il faut avoir trois personnes de prévues à un centre d'activités et qu'il y a eu des modifications. Dans le rapport, on explique que, de part et d'autre, ces modifications ont été difficiles.

Dans ce centre, il y avait des conflits, des situations qui existaient depuis déjà quelques années qui ont fait en sorte que lorsqu'une grève est arrivée, cela n'a pas réglé la situation. Mais l'entente, quant au nombre de salariés, a été respectée. Je dis qu'on a la preuve dans ce sens que le tribunal d'arbitrage, lors de l'audition de griefs, a reconnu, lors de l'objection préliminaire, que le syndicat avait respecté les services essentiels. Dans ce sens, on peut dire, malgré ce qui a été dit dans le rapport, que le nombre a été respecté. (20 h 30)

M. Paquette: Quand le rapport dit - je pense que c'est bien ça - "Le taux d'occupation prévu à l'entente n'a pas été respecté", c'est un jugement, autrement dit, que vous contestez. Vous dites que ce n'était pas le cas. On dit: "le taux d'occupation". Je ne connais pas le sens exact des termes "taux d'occupation".

Mme Pelletier: Le taux d'occupation, c'est que, lorsque les services essentiels ont été négociés, autant l'employeur que le syndicat s'étaient dit: II faut quand même que le taux d'occupation diminue. Lorsqu'on négocie des services essentiels, on les négocie en fonction d'un taux d'occupation moindre qu'en temps normal.

M. Paquette: Le taux d'occupation des lits.

Mme Pelletier: Ici, l'hôpital dit: On n'a jamais pu baisser le taux en bas de 51%. Dans le rapport, lorsqu'on dit qu'on n'était pas capable d'assurer les services essentiels, c'est compte tenu que les taux d'occupation sont demeurés trop élevés. Ce n'est pas la liste ou l'entente qui n'a pas été respectée.

M. Paquette: Votre mémoire, vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, c'est un mémoire qui est orienté en fonction d'une crainte que vous aviez concernant la possibilité d'enlever le droit de grève. Cela m'étonne beaucoup que presque tous les mémoires qui proviennent des groupes du secteur de la santé soient uniquement axés sur cette question. Je trouve normal que des syndiqués disent: On va défendre le droit de grève, il y a énormément de bonnes raisons pour ça. Je pense que le droit de grève est très certainement un acquis de notre société qu'il faut préserver. Mais, comme je le disais tantôt, il n'est pas le seul.

C'est assez étonnant parce que je n'ai pas entendu à une seule reprise un membre quelconque du gouvernement dire qu'on abolirait le droit de grève. En campagne électorale, et non seulement la, mais dans notre conseil national élargi au parti, avant, on a voté des résolutions. Il y a eu des engagements; des gens, en pleine campagne électorale, ont dit: Non, on n'abolit pas le droit de grève. J'ai eu des assemblées dans mon comté où on m'a posé la question, et j'ai dit: Non, ce n'est pas une solution, abolir le droit de grève, ce n'est pas un remède, ce n'est pas ça qui va régler le problème. Après l'élection, il y a eu des déclarations très claires. Il y a eu une déclaration officielle du ministre il y a quelques jours, et on dirait qu'on a besoin d'entretenir cette idée. J'aimerais qu'on essaie de se concentrer sur les solutions.

Est-ce que vous pensez que, dans les mécanismes actuels de négociation, il y a des modifications à faire? En ce qui concerne la loi 59, est-ce que vous en recommandez le maintien? Est-ce que vous recommandez des modifications? Je pense que vous avez dû réfléchir à toutes ces questions.

Mme Pelletier: M. le député, vous savez sûrement que, pour nous, la dernière négociation a été très longue. Nous faisons partie du qroupe dont les conventions sont devenues échues le 30 juin 1978. Je pense que, lorsque nous avons fait la grève, on était rendu, quand même, en mai; c'est après avoir attendu longtemps des offres à la table de négociation, offres, finalement, qu'on a reçues de façon globale en juin et qui ne nous ont pas satisfaits pour autant. Quand vous me demandez si, dans la loi, il y a des mécanismes qui devraient être modifiés, je pense que, quels que soient les mécanismes, il y a une question de négociation qui doit être faite. Je pense que M. le ministre a parlé d'attitude et de comportement. Si on arrive quand même à déposer des offres qu'on pourrait peut-être appeler satisfaisantes... Mais quand ce sont des offres où il y a des reculs inqualifiables, ça ne peut que provoquer, je pense, les syndiqués, les salariés.

Quand vous parliez des modifications concernant les services essentiels, je dois vous dire qu'on n'a pas parlé de

modifications concernant la loi sur les services essentiels, les mécanismes qui ont été, pour la première fois, explorés et essayés lors de la dernière négociation. On est prêt à s'enqaqer dans une autre négociation mais à condition, évidemment, qu'on dise qu'il y a une négociation de bonne foi. Quand on parle d'attitudes et de comportements, c'est sûr que c'est de part et d'autre, on est d'accord, mais reqardons la négociation de 1978. Je pense qu'on peut facilement déterminer où était la responsabilité lorsque le conflit est survenu en mai 1979.

Dans ce sens, je dis qu'avec la loi qui est là présente, il y a possibilité quand même d'en arriver à avoir une négociation. S'il y a un rapport de forces qui doit être exercé, sur les services essentiels tels qu'ils sont prévus, nous disons qu'il est possible d'assurer des services de qualité è la population. La quantité doit être diminuée, c'est certain, mais la qualité peut être là. Pendant les périodes d'été, pendant deux ou trois mois, de nombreux lits sont vides parce qu'on dit: C'est les vacances. Il y a des gens qui sont prêts à travailler, mais on dit qu'il n'y a pas d'argent pour les payer. Quand arrive une grève, c'est catastrophique. Dans une négociation, on le sait, il y a des intérêts qui sont opposés. Les travailleurs et travailleuses ne souhaitent pas la grève mais, un jour, ils sont parfois obligés de l'utiliser. Dans ce sens, il ne faut pas non plus penser qu'une négociation va nécessairement déboucher sur une grève, mais c'est un droit qui doit être là et que les travailleurs, s'il le faut, vont utiliser.

Le Président (M. Rodrigue): M. Polak, député de Sainte-Anne.

M. Polak: Mme Pelletier, on a reçu plusieurs groupes avec plaisir qui nous ont indiqué qu'il y avait des femmes dans leur délégation; je note, aujourd'hui, que les infirmiers ne sont pas bien représentés parmi vous. Peut-être que ça prend justement des femmes pour trouver des solutions. On est venu ici pour trouver des solutions, donc, on veut travailler.

J'ai lu d'abord votre mémoire très attentivement. Il porte le titre Mémoire sur le droit de grève. Si je prends le texte du mandat - la raison d'être de notre existence ici - il se lit comme suit: Examiner les moyens d'améliorer le régime de négociations, premièrement; deuxièmement, améliorer le maintien des services essentiels. Ces mots disent clairement que si on ne devait pas les améliorer il n'y aurait pas de problème. Donc, apparemment il y a un problème, autrement on ne serait pas ici. D'ailleurs, le premier ministre a pensé ça parce que c'est son texte qu'on retrouve ici, le mandat de la commission, et, deuxièmement, on n'a rien à cacher, on est ici depuis trois jours et il y a des problèmes très graves. Plus on entend les mémoires, plus on s'informe, plus on voit que ce n'est pas tellement une affaire en noir sur blanc. Je parle à titre personnel, je suis un homme assez raisonnable, objectif, et si je vous pose des questions qui sont peut-être un peu dures, s'il vous plaît, n'interprétez pas ça comme une attaque contre vous ou votre organisme. Je respecte énormément le travail des syndicats. Trop souvent on a vu nous autres ici des gars qui ne comprenaient rien mais nous, on comprend beaucoup et eux autres mêmes commencent à comprendre.

J'aurais tout de même quelques questions sur cette fameuse liste syndicale. Vous n'êtes pas le premier groupe qui fait face à ce problème parce qu'il y a beaucoup de syndicats qui sont venus ici. Les syndicats disent - et je suis d'accord avec ce raisonnement - que le gouvernement est dans une position carrément contradictoire parce que, d'un côté, il est partie en cause en négociant et, à un moment donné, pendant le conflit, il devient juge, arbitre et adopte une loi qui vous force à retourner au travail. Vous avez raison, c'est contradictoire à 100%. Mais je crois qu'également que vous êtes dans la même contradiction carrément. En effet, quand on parle de la liste syndicale, le système est le suivant: vous néqociez, comme partie, avec la partie patronale pour déterminer quels sont les services, combien d'employés ici et là. Vous vous assoyez autour de la table pour arriver à un résultat. Je sais que très souvent cela fonctionne bien, vous arrivez à un résultat. S'il n'y a pas de résultat, la loi dit: À ce moment, la liste syndicale produite par vous prime. Vous n'êtes plus partie en cause, vous devenez juge. Vous êtes exactement dans la même position contradictoire que le gouvernement. Cela a tout de même des conséquences graves. Je me place du point de vue de la population, du simple monde, je ne suis pas un expert en infirmières; j'aime bien vous rencontrer, mais pas dans un hôpital et certainement pas en temps de grève où comme l'abbé Dion l'a dit, on peut chanqer d'attitude. Comment expliquez-vous cela quand vous dites: On ne veut aucune atteinte au droit de grève, rien? Vous dites: Aucune limitation et restriction que ce soit. C'est à la page 1 de votre mémoire. Pour moi, il y a une contradiction qui est très qrave et qui a de néfastes conséquences.

Mme Pelletier: Dans votre question, vous dites qu'on est placé dans la même position que le gouvernement quand on négocie nos services essentiels, en ce sens qu'on est juge et partie.

M. Polak: C'est cela.

Mme Pelletier: Vous dites que cela n'a

pas de bon sens.

M. Polak: Cela n'a pas de bon sens. Vous critiquez le gouvernement et, à juste titre, vous dites: Vous autres, vous néqociez et, à un moment donné, si l'affaire ne fonctionne pas, vous devenez juge et vous décidez. Mais vous faites exactement la même chose avec la fameuse liste syndicale. Il y a des mémoires qui nous ont été présentés où les gens nous ont dit carrément que c'était plus ou moins une sorte de chantage, d'une façon décente. On n'aime pas se servir de ce mot. En d'autres termes - je posais la même question hier à M. Rodrigue - à un moment donné, vous dites: L'affaire ne fonctionne pas, on impose notre liste. Vous avez un pouvoir énorme d'agir unilatéralement comme juge; vous décidez qui va être là, quels sont les services essentiels. Vous avez vu le résultat? M. Brunet en a parlé.

Mme Pelletier: Concernant la négociation des services essentiels et les endroits où il n'y a pas entente avec le patron, je pense qu'on a affirmé, et je le réaffirme, que ce sont les travailleurs et travailleuses qui ont à dispenser les soins qui sont les mieux placés pour les évaluer. Ce sont elles et eux qui journalièrement donnent ces soins. Vous faites référence au témoignage de M. Brunet qui dit: En temps de conflit, c'est invivable, c'est une situation intolérable. Je respecte les propos de M. Brunet, tout en ne les partageant pas entièrement. M. Brunet exprime que finalement, uniquement en temps de conflit, semble-t-il, cela va très mal. M. Brunet ne parle jamais que, dû à des compressions budgétaires, il y a un manque de services. On n'entend jamais dire que, journalièrement, il y a des situations pénibles qui se vivent. Pourquoi toujours centrer ces situations difficiles uniquement en temps de conflit de travail? Cela n'existe pas 365 jours par année. Je pense qu'il faudrait ramener cela aussi à une proportion un peu plus juste. Je rappelle que, quand on a cité l'hôpital Laval avec ses 50 cas d'urgence, c'était grave et qu'aujourd'hui il y en a 150 sur une liste d'attente et ce n'est pas critique.

M. Polak: Nous sommes tous d'accord sur le fait - pas tous, parce que, de l'autre côté, ils ne sont pas d'accord là-dessus peut-être que quelques-uns commencent déjà à l'être un peu - que les coupures budgétaires vont probablement causer plus de tort qu'une grève. Mais nous ne sommes pas ici pour discuter des coupures budgétaires, quoique j'aurais bien aimé cela, mais pour parler d'améliorations et du maintien des services essentiels. Je reviens au même problème. Si le gouvernement, dans sa sagesse, décide à un moment donné de changer le système des services essentiels, parce que cela n'a pas fonctionné - il y a un problème, il faut améliorer cela; donc, on va en venir avec un organisme, une tierce partie qui va peut-être représenter directement le public, les usagers, un organisme qui a beaucoup de dents, qui a une force de décision judiciaire, etc., il y a toutes sortes de modalités possibles - est-ce que vous considérez cela comme une atteinte grave à votre droit de grève absolu?

Mme Pelletier: M. Polak, j'ai l'impression que vous voulez revenir avec la loi 253. Je pense que l'expérience a été faite de cette loi qui n'a pas été tellement bien appréciée et qui n'a pas donné d'heureux résultats. (20 h 45)

Revenons aux services essentiels. Je pense qu'on oublie que, lorsqu'on négocie ces services essentiels, c'est en fonction d'un taux d'occupation qui va être diminué. C'est sûr, vous allez me dire: II y a des endroits où ce n'est pas possible. Quand on dit qu'un taux d'occupation peut être diminué, c'est souvent dans les centres pour soins de courte durée. Qu'on parle de centres d'accueil ou de soins prolonqés, c'est une situation qui n'est peut-être pas comparable aux soins de courte durée. Mais il y a quand même dans ces centres du personnel-cadre. C'est sûr qu'en temps de conflit on ne dit pas qu'il n'y aura rien qui va se passer de différent par rapport à une situation normale, on l'admet. Il faut se rappeler aussi que le milieu hospitalier, par lui-même, c'est un milieu d'anxiété. Il ne faut pas se conter d'histoire, quand un patient, un malade se présente dans un centre hospitalier, c'est déjà inquiétant. Quand c'est en temps de conflit, je vous dis que le patient hospitalisé reçoit des soins et des soins de qualité, sauf qu'il y a des gens qui sont sur des listes d'attente qui n'entreront pas tout de suite. On est d'accord là-dessus. Mais ce qu'on exprime également c'est que, si, pendant qu'on n'est pas en situation de conflit, tous les lits étaient occupés, si on donnait du personnel pour que ces lits soient occupés, il y aurait peut-être des listes d'attente moins longues.

M. Polak: Vous dites, Mme Pelletier: On vit dans un milieu d'anxiété. Je suis bien d'accord avec cela. D'ailleurs, vous êtes professionnelle et vous le savez très bien. Mais cela n'est-il pas une raison de plus pour dire que ce milieu devrait être traité d'une manière différente des autres milieux? Cela veut dire en même temps que les droits que vous avez ne sont peut-être pas des droits tout à fait absolus et qu'il faut peut-être, dans ce secteur, accepter quelques limitations que vous appelez une attaque à vos droits absolus - je le comprends bien -mais peut-être que le grand public est prêt à

dire: II faut installer une sorte de système de contrôle, de restrictions justement parce qu'il s'agit d'un milieu d'anxiété. Seriez-vous prêt, comme syndicat - j'ai posé la même question à M. Brunet cet après-midi - à dire: On va mettre un peu d'eau dans notre vin? Cela n'est peut-être plus une affaire purement syndicale. Nous sommes, comme vous dites, dans un milieu d'anxiété; donc on va faire un pas de plus que dans d'autres secteurs?

Mme Pelletier: M. Polak, on parle de maintenir des services essentiels; c'est justement parce qu'on est dans le secteur de la santé qu'on est conscientes qu'il faut qu'il y ait des services essentiels. Je ne pense pas qu'aucune organisation syndicale n'ait remis en doute ce droit, la nécessité du maintien des services essentiels. Déjà là, je pense qu'on fait une différence avec d'autres milieux. Dans ce sens, je dis: On est prêt, et on l'a démontré d'ailleurs à la dernière grève.

M. Polak: II y a peut-être une différence d'opinion sur cela entre vous et moi, parce que, personnellement, je crois que cela n'a pas marché les services essentiels. Il y a eu énormément de plaintes, de problèmes et d'anxiété. Je ne pense pas seulement à M. Brunet, mais d'autres mémoires, d'autres témoignages qui ont été envoyés disent que le monde en général n'est pas content, non pas à cause de la mauvaise publicité, rien de cela, mais le public en général se sent très mal à l'aise. Je pense que l'opinion générale est de dire: Cela n'a pas marché, il faut faire quelque chose. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle nous sommes ici. On peut dire: Le statu quo, on va continuer avec cela. Selon moi, ce n'est pas la solution. Ou dites-vous: II n'y a pas de problème; il faut continuer le statu quo, parce que cela a très bien marché?

Mme Pelletier: II y a eu quelques cas d'exception qui ont été rapportés, mais je dis: Quand on a eu à négocier, nous étions présents dans 135 unités d'accréditation; doit-on remettre actuellement le système en cause concernant la négociation des services essentiels et le maintien des services essentiels pour les quatre ou cinq cas qui ont été rapportés? Je dis: Prenons le temps de regarder - je parle pour nos unités d'accréditation et on en a 135 - ces cas. Malgré qu'il y a eu des rapports d'experts, que ce soit l'Hôtel-Dieu de Québec, où il a été admis que des infirmières en très grand nombre ont été ajoutées à la liste, à l'hôpital Laval également, où il y a eu des infirmières qui ont été ajoutées, prenons le temps, avant de vouloir modifier le système qui existe, de regarder si, véritablement, il y a eu autant de problèmes qu'on semble vouloir le laisser paraître.

M. Polak: Mais sans doute avez-vous eu des échos de la part des usagers, de la population? Avez-vous eu l'impression que le monde a dit en général: II y a quelques exceptions où cela ne marchait pas, mais, en général, on était très content?

J'ai totalement l'impression du contraire, j'ai l'impression que cela a mal marché, que le monde n'était pas heureux du tout.

Mme Pelletier: M. Polak, quelle que soit la grève, dans n'importe quel secteur, que ce soit dans le secteur du transport, que ce soit dans le secteur de l'éducation, que ce soit dans le secteur de la santé, que ce soit au niveau des postes, je pense que cela nous dérange comme citoyens, mais, à travers cela, on dit: II y a des droits des travailleurs et des travailleuses qui sont en cause aussi. Ces droits qui sont défendus à l'intérieur d'une négociation dans le secteur public, il y en a d'autres qui en bénéficient aussi. Dans ce sens, on dit: C'est sûr que cela occasionne des difficultés, on ne le nie pas, mais, par ailleurs, on dit: II ne faut pas nier non plus aux travailleurs et travailleuses le droit qu'ils ont. Si on le leur enlève ou si on le leur restreint de telle façon qu'il devient inopérant, cela n'a plus aucun sens.

M. Polak: Dernière question, M. le Président. On a parlé du chaos social en disant que si on commence même à limiter le droit de grève, le résultat en pourrait être un chaos social. Sans doute que vous en avez parlé entre vous, mais quelle sorte de réaction avez-vous vis-à-vis de ce problème?

Mme Pelletier: Si je m'en tiens à des propos de M. Paquette ou de M. Marois, il semble qu'on ne veuille pas restreindre le droit de grève et on n'aurait pas trop à craindre à ce moment de chaos social. Moi, je ne veux pas parler de chaos social. Mais, il est certain que si le droit de grève était limité, je veux dire que si on le rendait tellement difficile qu'il devienne inopérant, j'en demeure convaincue, les travailleurs et les travailleuses du secteur de la santé et du secteur public et tous les travailleurs en général ne l'accepteront pas.

On ne peut pas retourner des années en arrière. Ce droit, ils l'ont acquis. Je pense qu'ils ont démontré qu'ils étaient responsables, qu'ils étaient capables d'assumer en temps et lieu leurs responsabilités. On peut me rapporter des cas d'exception, il est vrai, mais je pense qu'il ne faut surtout pas généraliser et faire en sorte de finalement créer des situations beaucoup plus difficiles que ce qu'on a vécu.

Le Président (M. Rodrigue): M. Lavigne

(Beauharnois).

M. Lavigne: M. le Président, ma première réaction en prenant connaissance du document - et vous me le pardonnerez, j'espère - cela m'a rendu agressif. Chacun a ses sensibilités, a sa façon de voir les choses. Je vais essayer d'expliquer pourquoi il m'a agressé. C'est qu'en fait, dans tout ce monde des négociations, il y a différentes parties. Il y a les syndicats, il y a les travailleurs, il y a les malades, il y a le gouvernement, il y a les conseils d'administration des centres hospitaliers. Quand on lit en gros, en tout cas, le texte que vous nous présentez, c'est comme si tout ce beau monde était tout croche, que tous les torts étaient du même côté et qu'il y aurait seulement votre groupe qui agirait de façon correcte et irrépréhensible.

Cela me rend agressif, parce que je suis membre d'un gouvernement et je fais donc partie assez directement du monde des négociations des secteurs public et parapublic. C'est dans ce sens que je vous dis que cela me rend agressif. Vous parlez du droit de grève, à la page 1, deuxième chapitre et dites: "Si nous avons décidé de nous faire entendre aujourd'hui par cette commission parlementaire charqée de se pencher sur le droit de grève dans les secteurs public et parapublic, c'est pour bien faire comprendre à l'État québécois et à son gouvernement que jamais les membres de la fédération ne toléreront quelque limitation de ce droit de grève. À partir du moment où vous acceptez - vous l'avez dit dans les discussions et vous le dites aussi dans votre texte - de considérer les services essentiels et d'en donner à la population, ne trouvez-vous pas que, déjà, vous minimisez, vous diminuez et vous mettez une limite à votre droit de grève directement proportionnelle à la quantité et à la qualité des services essentiels que vous allez fournir à la population?

Donc, il y a une espèce de contradiction. Ce qui me faisait peur quand j'ai lu le premier chapitre en question, c'est comme si vous vouliez avoir un droit de grève absolu et à 100%. À partir de ce moment-là, cela veut dire que vous fermez la porte de l'hôpital quand vous êtes en conflit, quand il y a impasse, vous quittez et vous revenez quand c'est terminé. Donc, j'aurais besoin d'être rassuré là-dessus. C'est une première réflexion.

Deuxièmement, la commission parlementaire que nous tenons ici aujourd'hui démontre déjà la bonne foi du gouvernement à essayer de trouver ensemble s'il n'y a pas moyen d'améliorer la situation. De votre côté, comme du côté du gouvernement, comme du côté des conseils d'administration des hôpitaux, enfin, tous les gens concernés et l'Opposition, comprennent que les mécanismes que nous avons, avec lesguels nous vivons à chaque ronde de négociations, sont loin d'être parfaits. J'accepte cela. C'est d'ailleurs à partir du moment qu'on comprend que c'est imparfait qu'on se dote d'une commission parlementaire pour pouvoir venir en discuter ensemble et voir s'il n'y a pas lieu d'améliorer les mécanismes en question.

Cela me choque aussi, cela m'agresse quand vous écrivez au troisième paragraphe de votre première page: "Ce n'est pas sur le dos des travailleurs et des travailleuses que le gouvernement devrait chercher à se faire du capital politique, mais plutôt en cherchant à réduire toujours davantage les inéquités sociales. "

Si on n'était pas de bonne foi, si on n'avait pas accepté de permettre cette commission parlementaire, peut-être que vous auriez eu raison d'écrire cela. Mais le jour où on accepte d'en discuter ensemble, c'est inacceptable de lire un passage comme celui-là. Je ne pense pas qu'on travaille actuellement à se faire du capital politique ni sur le dos de l'un, ni sur le dos de l'autre. Au contraire, on essaie de donner le plus d'équité possible à tout le monde, autant aux syndiqués, aux travailleurs qui sont dans les centres hospitaliers, à la population qui a besoin de ces services et à nous-mêmes, comme gouvernement, qui avons, lors d'une impasse, à trancher. Plus les mécanismes vont être corrects et vont correspondre aux désirs de tout le monde, moins le gouvernement aura à subir des impasses et à trancher par des lois spéciales. J'aimerais qu'on en arrive à trouver le mécanisme assez parfait pour que jamais plus le gouvernement ait à trancher par une loi spéciale, mais que ce mécanisme permette, à chaque ronde de négociations, à toutes les parties, de pouvoir s'entendre et de signer une convention qui convienne à tout le monde.

Mais ce n'est pas cela la réalité, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Mais de profiter de difficultés que nous avons, autant de votre côté que de notre côté, pour dire qu'une de ces parties profite de situations d'impasse pour se faire du capital politique sur le dos de l'un ou de l'autre, comme membre d'un gouvernement, je ne le prends pas et cela m'agresse. C'est dans ce sens-là que je vous disais tout à l'heure que votre document m'agresse.

Ce sont des remarques. Si vous voulez commentez là-dessus pour me "désagresser", je serais bien content.

Il y a quand même deux points que je voudrais souligner. À l'hôpital du Saint-Sacrement, lors de la dernière ronde de négociations, il y avait eu une liste syndicale de déposée. On me dit que deux infirmières devaient se rendre à l'unité no 2 et que, quand elles sont arrivées à l'unité no 2, elles

se sont rendu compte que cette unité de l'hôpital était en réparation et que les malades étaient rendus à l'unité no 3. Les deux infirmières auraient dit: On nous a demandé de venir travailler à l'unité no 2; nous restons ici. Et elles ne sont pas allées à l'unité no 3. Je ne connais pas la véracité de ces faits. Si vous pouvez me donner des explications là-dessus, cela me rassurerait.

Quand il s'agit de restrictions budgétaires - vous en avez glissé un mot tout à l'heure - c'est bien sûr que cela ne règle pas tous les problèmes, mais je pourrais vous rassurer en ce qui a trait aux hôpitaux pour malades chroniques. Que je sache, les restrictions budgétaires ou les compressions budgétaires - appelez-les comme vous voudrez - ne permettent pas la diminution du personnel durant les fins de semaine, les journées de congé, ou les vacances dans les hôpitaux pour malades chronigues. Donc, si cela peut vous rassurer... (21 heures)

Une voix:...

M. Lavigne: Non, écoutez, il ne faut pas dramatiser non plus quand il n'y a pas de drame. Il y a assez là où ça fait mal sans être obligé de dire que ça fait mal partout. Cela ne règle pas les autres problèmes, mais celui-là au moins.

Une dernière remarque, c'est quand on compare... Nous sommes placés devant différents groupes qui viennent nous rencontrer, différents mémoires. On en a encore pour deux autres jours la semaine prochaine, on achève la troisième journée de cette semaine et il y a des versions bien diversifiées et même très disparates. Je crois que les gens qui sont venus ici, je l'espère en tout cas, nous présentent leur mémoire avec le plus d'honnêteté, le plus de sincérité possible.

Cet après-midi, juste avant le souper, le groupe Coalition pour le droit des malades, qui est venu présenter le mémoire avant vous, m'a quand même impressionné par l'honnêteté qui transpirait à travers l'attitude des gens. Je vous assure que, quand on s'arrête à leur document et qu'on le compare au vôtre... Comme législateur et faisant partie d'un gouvernement, je me devrai, à un moment donné, avec mes collègues, de trancher et je serai tiraillé par toutes ces propositions parce qu'il y a 38 intervenants et vous ne dites pas tous la même chose.

Où le gouvernement tranchera-t-il? On va bien espérer être éclairé le plus possible par le Saint-Esprit, faire le moins de gaffe possible et arriver le plus justement possible à trancher de la façon la plus éguitable, mais, de toute façon, vous pouvez vous dire d'avance qu'on ne pourra jamais et aucun gouvernement à mon avis ne pourra jamais trancher de façon à pouvoir satisfaire tout le monde.

Dans la façon qu'on tranchera, peut-être que vous serez frustrés, peut-être que ce sera la Coalition pour le droit des malades qui sera frustrée ou peut-être un autre groupe, mais, de toute façon, et j'ai vite appris cela dès mon premier mandat, un gouvernement ou un député, quand vient le temps de trancher des questions aussi compliquées que les négociations dans les secteurs public et parapublic, ne pourra jamais contenter tout le monde.

C'est dans ce sens-là qu'on fait appel aux citoyens, à tous les groupes concernés, qu'on fait appel à leur bonne foi et à leur compréhension. Il ne faut pas, dans une situation comme celle-là, que chacune des entités ou chacun des groupes passe son temps à se regarder le nombril et n'accepte pas de composer avec les composantes, avec les autres, avec les personnes avec lesquelles il aura à faire affaires.

Donc, c'étaient les remarques... On me signale ici le fait... C'est dans le rapport d'expertise, la question des deux infirmières, c'est dans le rapport d'expertise.

C'étaient les quelques propos que je voulais tenir.

Mme Pelletier: M. Lavigne, quand vous me dites que vous avez été "agressé" à la lecture du mémoire... Quand vous prenez le deuxième paragraphe, où on dit que " jamais les membres de la Fédération des SPIIQ ne toléreront quelque limitation que ce soit à leur droit de grève, probablement que le texte porte à interprétation puisque, même si on disait plus loin qu'on était d'accord avec le maintien des services essentiels, tout texte porte à interprétation.

Quand on dit: " ne toléreront quelque limitation ", je pense qu'il faut faire référence aussi, comme la dernière fois, à la loi 62. C'était une limitation du droit de grève. Je pense que cela est un point important.

Qu'on arrive avec de nouvelles limitations, ce n'est pas dans le sens que les services essentiels tels qu'ils sont... Ils sont admis et on le reconnaît à l'intérieur de notre mémoire.

Quand vous signalez le cas de l'hôpital Saint-Sacrement, les deux infirmières dont il est fait mention dans le rapport, ou une, au deuxième des dames, au 2D, c'est un fait qu'il y a des infirmières qui sont restées là. Lorsque les services essentiels ont été négociés en décembre, ce département devait être ouvert et, lorsqu'on a fait la grève, il devait y avoir des patients à ce département. L'employeur a choisi, pendant la période de grève, de faire la rénovation de ce département et les infirmières n'ont pas accepté d'être réaffectées à une autre unité de soins. Ce qui est rapporté dans le

rapport est réel, mais la situation qui a prévalu, l'entente qui avait été négociée de ce côté a été respectée. Cela n'a pas été dévier à l'entente qui avait été négociée.

Le Président (M. Rodrigue): Madame... Allez-y, je vous en prie.

Mme Pelletier: Juste pour préciser. C'est pourquoi d'ailleurs quand on dit que des deux côtés il y a eu non-respect total, même si on ne parle pas de violation réelle, c'est qu'effectivement de son côté l'employeur n'a pas respecté davantage l'entente en fermant un département et en le restructurant, ce qui n'était pas compris dans l'entente.

Le Président (M. Rodrigue): Mme

Lavoie-Roux (L'Acadie).

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je voudrais juste revenir sur le dernier point que vous venez de faire valoir. Vous dites: C'est vrai qu'à strictement parler, l'administration n'a pas respecté l'entente puisqu'elle a décidé de faire des réparations, je ne sais trop. Je pense que si tout le monde s'accroche de façon aussi stricte à des données comme celle que vous venez d'évoquer, on n'arrivera jamais, même avec quelque mécanisme que ce soit, quelque législation ou règlement qu'on puisse penser, ce que vous voudrez, à assurer les services essentiels. D'autres groupes sont venus nous dire que, journée après journée, période après période, on réévaluait et qu'à ce moment il y avait des réaffectations de personnel. Est-ce que ces deux personnes ont été réaffectées immédiatement après?

Mme Pelletier: Dans le cas précis de Saint-Sacrement, ces deux personnes n'ont pas été réaffectées. J'ai parlé au début de l'hôpital Saint-Sacrement, des situations difficiles qui y avaient été vécues. Malgré qu'il y avait un comité conjoint qui se rencontrait maintes et maintes fois, les échanges - c'est dit à l'intérieur du rapport - étaient froids. Il n'était pas possible de discuter entre les parties. C'était dû à une situation de conflit depuis un an ou deux. Il y a des situations qui se détériorent pendant des années et dont on n'a pas les moyens léqaux de sortir. Quand on revendique dans notre mémoire le droit permanent à la grève, on dit: Qu'est-ce qu'on peut faire en dehors d'une période de négociation de convention collective pour être capable, à un moment donné, de régler les problèmes? Il n'y a rien de prévu actuellement. Les membres qui pendant deux ans traînent des problèmes n'ont pas d'autres moyens pour les régler que le grief, or on sait à quelle situation cela mène les griefs. De plus en plus les conventions ne sont pas respectées, les griefs sont faits, ils sont gagnés, les employeurs ne respectent pas les sentences, ce qui fait que les travailleurs et les travailleuses, à un moment donné, dans une situation comme cela, deviennent beaucoup moins tolérants.

Je pense que l'hôpital Saint-Sacrement est le cas type et il passe à la tête pour les situations vécues où on dit: II y avait un dialogue de sourds entre les deux parties. C'était autant du côté syndical que du côté patronal qu'il n'y avait pas possibilité d'échanqes: On dit que ces deux infirmières n'ont pas été réaffectées, mais le syndicat a donné d'autres infirmières pour l'unité des soins intensifs, pour le département d'obstétrique, malgré que l'employeur, parfois, retardait les comités conjoints de trois heures avant de décider si une fille pouvait être ajoutée. Ce sont des situations qui ont été vécues à l'hôpital Saint-Sacrement. On ne peut pas les cacher et on n'a pas à les iqnorer non plus.

Mme Lavoie-Roux: J'avais l'intention de revenir sur le cas de Laval parce que vous l'avez soulevé. Vous avez fait valoir qu'il y avait 50 personnes sur la liste d'attente, et -vous n'avez peut-être pas, indiqué de chiffres - que de toute façon en période ordinaire peut-être qu'aujourd'hui il y a 150 personnes sur la liste d'attente. Quand on regarde le rapport de l'expert, il disait qu'il y avait 50 cas sur la liste d'attente. Il aurait pu y en avoir davantage si on avait continué de les noter. Mais ce qui inquiétait, c'était des cas très précis ou - j'imagine que ce sont des gens qui connaissaient leur affaire - vu la condition cardiaque particulière de ces gens, une attente qui dépassait un mois ou quatre semaines, même les malades souffrant d'anqine sévère et nécessitant un triple pontage sont des candidats à un infractus aigu du myorcarde qui peut être fatal ou comprendre la chirurgie. Ils ne demandaient pas l'admission pour les 50, mais ils la demandaient pour les quatorze. Si vous voulez commenter après, vous commenterez. Voici les questions précises que j'ai; un peu plus loin dans votre mémoire, vous faites allusion à l'intervention de la corporation de l'Ordre des infirmières qui, selon vous, n'a pas à intervenir pour imposer des mesures disciplinaires injustifiées. J'aimerais savoir de quel ordre - vous avez certainement des exemples en tête - ont été ces mesures disciplinaires et pourquoi elles ont été imposées. Vous avez dit, d'une part, que vous n'êtes pas du tout sûre que le gouvernement doive même intervenir par législation. Je ne reviens pas sur la question de la restriction du droit de grève que vous ne voulez pas plus grande, mais non plus vous ne voulez pas que l'ordre intervienne s'il y a une faute grave de déontologie. Cela peut arriver en temps de grève comme cela peut arriver en

temps ordinaire. Je ne vois pas pourquoi, si une telle chose se produit en temps de grève - je ne sais pas si la sanction ou le reproche est arrivé durant la grève ou après - on ne serait pas obligé de respecter les devoirs créés par la déontologie en temps de grève comme en autre temps.

Mme Pelletier: Puisque vous avez rappelé le cas de l'hôpital Laval, quand on a lancé le cri d'alarme, c'était le 22 mai. Nous avions commencé les débrayages. Il y avait eu une journée en mars. Il y avait eu le 1er mai. Ensuite, cela a été au 19 mai et, le 22 mai, il y avait déjà une situation d'alarme. Il faut, je pense, se rappeler qu'à l'hôpital Laval les salles d'opération au niveau de la cardiologie - je ne pourrais pas vous dire le nombre de jours précis, mais il me semble que c'est environ deux semaines -ont dû être fermées pour un cas d'infection. Il y avait eu du staphylocoque et les salles d'opération pour le coeur ont dû être fermées de façon temporaire. Cela aussi précédait la grève des infirmières. Je pense que cette situation, quand cela s'est produit, n'a pas fait les manchettes des journaux non plus. Je voudrais aussi signaler qu'à l'hôpital Laval, par la suite, il y a eu une nouvelle entente qui a été négociée entre l'employeur et le syndicat grâce à laquelle des infirmières ont été ajoutées.

Le Code des professions. On dit que l'ordre ne doit pas intervenir lors d'un conflit de travail; le code de déontologie, on le précise, on le relit strictement lors de conflits de travail, lors de l'exercice du droit de grève, lorsque l'employeur utilise cette arme. Souvent il l'utilise par chantage, mais il l'utilise aussi dans les faits pour porter plainte à l'ordre qui, par la suite, évidemment, à cause des pouvoirs que lui donne le Code des professions, fait enquête et peut soit retirer pour une période de temps le permis de pratique ou imposer d'autres sanctions. Ce sont des cas qui se produisent et qui se sont produits lors de la dernière grève, que ce soit parce que les infirmières, pour une raison qui selon nous peut être très justifiable, considèrent que lorsqu'elles ont terminé leur quart elles peuvent quitter leur travail, alors que l'employeur dit qu'elles doivent rester là. Ce sont des points que l'employeur utilise et qui pèsent continuellement sur la tête des infirmières. Je pense que l'anxiété qu'on crée du côté des gens qui sont membres des corporations lorsqu'ils exercent leur droit de grève n'aide pas non plus à régler les situations. Ce sont ces cas qui se produisent et nous disons qu'en temps de conflit, on ne devrait tout de même pas utiliser le code de déontoloqie. Quand les travailleurs et travailleuses ont négocié les services essentiels et qu'ils se sont engagés à les assurer, on ne voit pas qu'on arrive avec une autre arme que ce qui est déjà prévu au Code du travail pour, finalement, presque donner une double sanction. (21 h 15)

Mme Lavoie-Roux: Vous ne rejetteriez pas la possibilité que, pour un cas, par exemple, de mauvaise pratique, le code de déontologie s'applique? C'était plutôt dans l'autre sens?

Ma dernière question. Vous avez entendu à plusieurs reprises la suggestion de la création d'une régie permanente de services essentiels, du moins, telle qu'elle a été suggérée, avec des pouvoirs importants, une régie qui pourrait intervenir lorsqu'elle juqerait que les services essentiels qui ont été négociés ne sont pas respectés. En dépit de ce qu'il y a dans votre mémoire - je ne veux pas y revenir, je pense que les députés du côté ministériel y ont mis le paquet -est-ce que vous rejetez cette hypothèse?

À ce moment-là, il faut bien vous dire que ce ne serait plus le gouvernement, qu'on accuse d'être toujours en conflit d'intérêts, qui interviendrait, mais un tiers qui, lui, n'a pas à dire: II faut que j'économise des sous, que je gagne des votes ou quoi que ce soit, toutes les mauvaises intentions qu'on peut, parfois à raison, parfois à tort, attribuer à un gouvernement. Est-ce que, même cette possibilité, vous la rejetez complètement?

Mme Pelletier: II a été question, lors de cette commission parlementaire, de comité permanent ou de régie. On ne sait pas exactement quel en serait le rôle. En temps de conflit de travail, je vois actuellement qu'il y a un comité permanent. Quel serait son mandat en dehors de telles périodes? Je ne pense pas que cela ait été tellement élaboré. On est prêt à regarder cette possibilité, mais il ne faudrait certainement pas s'en aller avec un rôle qui serait fait quand même des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires. Il faut être prudent.

On est prêt à regarder des possibilités, sauf que, dans ce qui a été soulevé, je n'ai peut-être pas entendu tous les mémoires, mais je ne pense pas qu'on ait suffisamment précisé pour nous permettre de voir jusqu'où iraient les pouvoirs de cette régie. Dans ce sens, la réserve que je laisse, c'est qu'il ne faudrait certainement pas que ça débouche sur du judiciaire.

Mme Lavoie-Roux: Merci bien, Mme Pelletier.

Le Président (M. Rodrigue): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: Juste une petite question, si vous permettez. Le conseil sur le maintien des services essentiels, les ententes, la liste syndicale, au bout du compte, quand tout le

monde a fait son rapport, il y a peu de cas, il y a beaucoup de cas, de toute façon, il y a toujours trop de cas, sans doute, où les services essentiels n'auront pas été assurés, et c'est un peu le jugement de la population.

M. Brunet, cet après-midi évoquait certains faits d'ailleurs, j'ai lu également des articles dans la Presse, ce n'étaient pas des articles à sensation, mais des articles d'analyse, au fond, tout tourne sur des rapports et, finalement, chacun peut s'échanger des rapports des experts. Très concrètement, vous qui vivez dans le milieu hospitalier, quand un malade subit des inconvénients, comme, généralement, les syndicats qualifient la chose - les malades parlent davantage d'anxiété, d'angoisse, peu importent les termes - ce malade, qui a subi un inconvénient - pour prendre la formule usuelle - voit arriver un expert, celui que la loi ou que notre jargon qualifie d'expert, mais qui ne l'est peut-être pas, qui va l'interroger. Dans plusieurs rapports, on a vu que certains experts, peut-être pas tous, mais un grand nombre interrogent les bénéficiaires pour savoir quels ont été les inconvénients qu'ils ont subis durant la grève. Ne croyez-vous pas possible qu'un malade, je pense surtout aux malades chroniques évidemment, je ne parle pas des hôpitaux psychiatriques ou des handicapés, mais parlons des malades chroniques - ait une certaine réticence, qui se comprend sur le plan humain, à raconter à une personne qu'il ne connaît pas, qui est un fonctionnaire qui arrive de quelque part, les problèmes qu'il a vécus?

Je vous pose cette question parce que bien en dehors des rapports d'experts et ce qui est arrivé sur la liste, ce qui a été retenu ou pas, une des choses qui alimentent l'opinion publique, je pense que c'est un groupe antérieur...

Vous savez, quant aux rapports d'experts, je suis convaincu que l'Association des consommateurs de Montréal, la dame qui accompagnait Mme Delage a lu des lettres -elle en a lu trois ou quatre - à titre d'illustration. Je n'ai pas fait une étude détaillée des fameux rapports d'experts pour affirmer qu'il y a quatre ou cinq cas dans votre syndicat qui ne sont peut-être pas consignés dans le rapport des experts. On doit faire une évaluation des conséquences qu'une situation de grève a sur le malade.

Est-ce que vous ne croyez pas qu'en dehors des positions syndicales qui sont affirmées et très bien étayées et finalement, l'argumentation est toujours - vous venez d'en faire la démonstration - très étanche à toute brèche que nous pourrions essayer de faire, ce qui est très bien, on comprend ça, c'est tout à fait légitime, est-ce que vous ne croyez pas, dis-je, qu'il peut y avoir plus que ce que les papiers très officiels et ce que les organisations et les systèmes qui sont incarnés par des experts et des fonctionnaires peuvent nous permettre d'évaluer?

Autrement dit, est-ce que vous ne croyez pas qu'il y a plus que ce beau système et ces belles déclarations qu'on voit et qui sont sans doute tout à fait légitimes -je ne conteste pas leur légitimité - mais sur le plan strictement humain, s'il n'y avait pas la caméra de télévision, si je n'étais pas un député et je vous rencontrais comme ça et si vous n'étiez pas une représentante syndicale et qu'on en causait simplement ensemble... est-ce que vous ne feriez pas un peu plus de chemin que vous en faites au moment de votre témoignage?

Mme Pelletier: Vous me posez la question à savoir si ce n'est pas pire finalement au point de vue humain...

M. Rivest: Je ne veux pas que vous me disiez que c'est épouvantable et je ne veux pas le dire non plus.

Mme Pelletier: Au niveau humain, je pense que je l'ai dit tantôt, d'une certaine façon, l'hôpital est un lieu, au départ, d'anxiété. Vous demandez si, en temps de grève, c'est encore pire. En temps de conflit, on ne l'a pas nié, c'est possible. Vous mentionnez les hôpitaux à long terme, ces gens-là subissent un peu plus d'anxiété. Si je vous disais que quand le système PRN arrive dans les hôpitaux où on laisse cinq minutes par huit heures pour la conversation avec les patients que ça règle le problème, non. Ce qu'on a affirmé et ce qu'on continue d'affirmer, je ne travaille pas dans des soins à long terme mais je travaillais dans des soins à court terme, c'est qu'il est possible, en temps de conflit, d'assurer des services essentiels de qualité. On n'a jamais nié qu'il y avait des inconvénients, sauf que la question que vous me posez a savoir s'il n'y en a pas plus...

M. Rivest: Ma question est spécifique. Est-ce que la nature du milieu, est-ce que ça peut exister ce qu'on a qualifié de conspiration du silence, c'est-à-dire que certains patients peuvent être extrêmement réticents à raconter les expériences qu'ils ont vécues parce que des informations sur les situations qui sont arrivées, il nous en arrive... Par exemple, la représentante, Mme Delage et sa compaqne, nous en ont cité trois cas spécifiques. Ces gens qui ont écrit à l'Association des consommateurs, disons qu'ils sont de bonne foi, qu'ils n'ont pas raconté des histoires. Je n'ai pas vérifié, mais il est bien possible qu'on ne les retrouve pas dans les fameux rapports d'experts, mais la réalité humaine a quand même été vécue dans l'établissement hospitalier.

Mme Pelletier; Qu'il existe une conspiration du silence, c'est possible, mais elle n'existe pas plus en temps de grève qu'en temps de situation normale. Je peux vous affirmer aussi qu'à venir jusqu'à maintenant, les infirmières et les infirmiers n'ont peut-être pas tellement dénoncé les situations qui existent dans les hôpitaux, mais je pense que cette période est terminée. Le temps qu'on prenne notre place, qu'on affirme et qu'on dise ce qui se passe dans le milieu, est arrivé. Je pense que ces choses, comme des conspirations du silence, il y en a et je pense qu'elles sont plus nombreuses en temps normal qu'en temps de conflit.

M. Rivest: Est-ce que vous iriez jusqu'à dire qu'elles ne sont pas plus acceptables en temps normal qu'en temps de conflit?

Mme Pelletier: Je n'arrive pas à interpréter votre question.

M. Rivest: Je veux simplement dire qu'étant donné que notre perspective ne justifie pas les conditions humaines... le fait que les mêmes situations existent en tant que conflit, en temps normal, c'est-à-dire en dehors des conflits, par suite des coupures, etc., cela ne justifie pas l'existence et les conditions qui sont faites en période de grève.

Mme Pelletier: Non, je ne dis pas que cela ne les justifie pas, mais je vous dis que je ne pense pas que ce soit pire en temps de conflit qu'en temps normal.

M. Rivest: En fait, je pense qu'on va s'entendre pour dire que le problème qu'on essaie de voir, c'est-à-dire améliorer finalement la qualité des soins, on doit non seulement s'en préoccuper lors d'un conflit de travail, mais également sur une base permanente. Là-dessus, le Québec... Peut-être que ce n'était pas dans le mandat de la commission, mais pour ma part, et mes collègues des deux côtés ont été... C'est un point fort qui est sorti de la commission. Actuellement, au Québec, quels que soient les efforts qu'on a faits pour se donner des services de santé, on vit depuis quelques années sous les coupures et peut-être que, par suite de l'inertie du système qu'on a créé ou de la bureaucratisation du système qu'on a créé, on a au Québec, à tous égards, en période de conflit comme en période normale, un très sérieux problème de qualité de soins. Vous allez être d'accord là-dessus.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentants de la Fédération des syndicats professionnels des infirmiers et des infirmières du Québec.

Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec

J'invite maintenant les représentants du Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec à prendre place et à nous présenter leur mémoire.

Le mémoire du Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec sera présenté par M. Roger Lecourt, président.

M. Lecourt (Roger): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Rodrigue): Je vous invite à présenter les personnes qui vous accompagnent.

M. Lecourt: M. le Président, madame et messieurs les députés, je voudrais d'abord vous présenter quelques uns de vos employés qui sont par ailleurs représentants du SPGQ. À ma gauche, Céline Dominque, de la Commission de la santé et de la sécurité du travail; Johanne Ouellette, du ministère de la Justice; Marcel Théberge, du ministère des Affaires sociales; Louis-André Cadieux, de la Régie de l'assurance-automobile du Québec, et Robert Hardy, du Conseil du statut de la femme. Je suis moi-même du ministère du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

En nous présentant ici, nous nous sommes interrogés, et d'ailleurs nous nous interrogeons encore, sur le statut précis des personnes à qui nous nous adressons, parce que vous êtes à la fois nos patrons ou nos aspirants patrons et en même temps le législateur. Lors de la précédente intervention, celle de la Fédération des SPIIQ, j'ai été heureux d'entendre un des membres de la commission nous indiquer que le gouvernement se préoccupait de l'équité du régime de négociations. Dans le cas qui nous concerne, nous avons répondu à l'invitation, tout particulièrement parce qu'il était question des moyens d'améliorer le régime de négociations des employés du secteur public, ceux qu'on appelle habituellement les fonctionnaires. (21 h 30)

Le problème que nous voulons soulever ce soir, que nous reprenons dans notre mémoire, est le suivant: Les fonctionnaires du gouvernement du Québec, au cours de la prochaine ronde de négociations, seront-ils ou non régis par le même Code du travail que l'ensemble des travailleurs et travailleuses québécois puisque, actuellement, nous sommes régis par deux codes du travail? Il ne s'agit pas du code fédéral, il s'agit de la Loi sur la fonction publique qui, à son chapitre concernant le régime syndical, constitue, pour sa plus grande part, le code du travail qui s'applique aux fonctionnaires et qui,

quant à nous, est inéquitable non pas au niveau des conditions de travail - je veux bien faire la distinction - mais au niveau du régime des négociations.

La meilleure façon, je pense, d'illustrer cette situation et de vous permettre de juger du bien-fondé des recommandations contenues au mémoire, c'est de vous faire un bref résumé de la situation qui a été vécue par notre syndicat au cours des dernières négociations. Vous parlez à la fois de l'aspect institutionnel - j'espère le faire aussi un peu - et du coeur de cette négociation en termes de la sensibilité qui l'a entourée. Cela a été mentionné ce matin, je crois, par M. Dean, c'est un aspect fort important des relations de travail.

Notre dernière négociation a duré 19 mois, 19 mois entre le moment du dépôt des demandes syndicales et la signature d'une convention collective. Ce n'est pas trop long pour nous, parce que c'est l'habitude. Cela varie entre 18 et 24 mois, depuis 1966.

Quand on a commencé à négocier, quelle était la situation du point de vue du droit du travail? Du point de vue du droit d'association, 20% des professionnels du gouvernement du Québec n'ont pas le droit d'association. C'est un cas un peu spécial; parce qu'ils travaillent dans certains organismes, ils n'ont pas droit à l'association. Ce sont pourtant des salariés qui sont syndiqués dans le parapublic ou dans le privé. 20% de gens aussi - c'est la plupart d'entre eux - sont réputés "confidentiels", une notion qui n'existe pas, du moins en termes législatifs, ailleurs. En partant, cela enlève quelques membres et cela diminue un peu le rapport de force.

Parmi les syndiqués, un certain nombre - vous allez dire une petite minorité, mais c'est quand même quelque chose d'un peu surprenant, peut-être inconnu ici - de professionnels n'ont pas le droit de grève: les gens de la protection civile et, assez curieusement, les gens qui font la carte électorale. Remarquez que c'est un service essentiel, mais il n'y a pas tout le temps des élections. Des lois particulières enlèvent à ces deux groupes d'employés le droit de grève. Dans le cas de la protection civile, il n'y a pas un cataclysme tous les jours.

D'autre part, il y a un régime particulier de services essentiels pour les autres qui dit ceci: II est interdit de faire la grève, tant que vous ne vous êtes pas entendus sur les services essentiels, à défaut de quoi, pour avoir le droit de faire la grève si vous ne vous êtes pas entendus, allez au Tribunal du travail qui va trancher le litiqe. Il y a donc arbitrage - on en parle un peu ces jours-ci - sur les services essentiels.

Je ne parlerai pas plus longtemps sur la question, mais je serai heureux de répondre à des questions sur notre évaluation de cette expérience. On n'a pas encore commencé à négocier, mais on est près de la négociation, sauf qu'un certain nombre de conditions de travail sont non négociables. C'est notre code du travail spécial qui le dit. Pour n'en mentionner qu'une, la classification des emplois. Je n'entrerai pas ici dans de grandes technicités si ce n'est pour vous souligner que cela a une certaine importance, parce que cela touche les descriptions de tâches, la rémunération, le statut des employés dans les services. Cela a donc un effet sur le genre de travail que les gens font et sur ce qu'on appelle la carrière ou le système d'avancement. Ceci est non négociable. Ce n'est pas une loi qui date du Moyen Âge, c'est une loi qui date de juin 1978, alors qu'on avait fait deux jours et demi, trois jours de grève illégale; on a quand même adopté la loi. La négociation commence. Premier incident, un bon matin, le comité de négociation syndicale - puisque notre syndicat a une particularité peut-être, il n'a pas d'employés permanents, du moins au niveau des conseillers syndicaux, ce sont des fonctionnaires... Un bon matin, après sept ou huit mois de discussions inutiles et arides sur le régime de libération qui allait prévaloir pour le comité de négociation, refus de l'employeur de libérer les membres du comité de négociation. Cela n'aide pas tellement la communication.

Le fond du litige est assez simple, le syndicat demandait le même régime que celui qui prévaut depuis des années dans le parapublic pour les libérations syndicales, entre autres, chez des professionnels qui, à peu de choses près, font le même travail.

L'employeur par le biais d'un ex-sous-ministre - qui, je peux simplement le souligner en passant, va bientôt faire l'objet par vous, les membres de l'Assemblée nationale, d'une étude pour déterminer s'il est devenu suffisamment neutre pour être nommé membre de la Commission de la fonction publique à titre d'arbitre - nous indique que la raison pour laquelle on refuse de nous accorder un régime de libération qui, par ailleurs, prévaut chez des employés du même gouvernement, c'est qu'on ne veut pas que la fonction publique devienne un "open bar" comme l'éducation et les affaires sociales.

Toujours est-il qu'à la suite d'une menace de grève on a signé - pour avoir le droit de faire la grève et le droit de négocier - une entente sur les services essentiels; disons que de 1976 à 1979 le nombre d'employés déclarés services essentiels s'est accru de 55%. Nous avions besoin du droit de grève pour au moins pouvoir négocier dans un cadre qu'on peut qualifier généralement de décent. Finalement, sous la menace d'une grève il y a eu entente.

Les négociations tournent essentiellement autour de deux axes

principaux. La classification des emplois. L'employeur, qui s'est prémuni par une loi la rendant non négociable, a décidé qu'il changeait le régime de classification qu'on connaissait depuis 1966. Il l'a changé radicalement. C'était assez difficile d'en discuter à la table des négociations puisque l'employeur nous disait que c'était non négociable. Pourtant on a fini par le négocier, on a fini par obtenir des engagements, des lettres d'intention disant: On va changer la loi dans tel sens, on va changer les règlements dans tel sens. On a négocié le non-négociable, finalement.

L'autre aspect, la sécurité d'emploi. Ce qu'on demandait c'était fort simple, c'était d'avoir le même régime que celui qui avait été négocié dans le secteur de l'éducation et dans le secteur des affaires sociales, notamment la sécurité d'emploi régionale. On l'a finalement obtenue, mais on verra par la suite ce qui est arrivé.

Donc, il y a une entente, le 15 mai 1980 - je n'ai pas besoin de vous situer cette date, elle était à cinq jours près d'un événement qu'on va se rappeler longtemps, je pense. C'était quelque temps après que la majorité des groupes eut réglé. Il y a eu au passage guelques incidents, neuf jours et demi de grève. Je voudrais ici souligner un aspect qui est traité dans notre mémoire sous forme de revendication, mais je voudrais expliquer pourquoi elle est là, lorsqu'on parle d'une intervention policière. Je vais simplement expliquer ce que nous avons vécu et vous laisser y songer.

À compter de décembre 1979, particulièrement à Québec, mais aussi un peu partout en région, à l'exception de la ville de Montréal où la police de Montréal est fort jalouse de ses prérogatives, nous avons vu intervenir à compter de six heures le matin ce que, dans notre jargon, nous appelions les petits hommes verts. Ne me demandez pas pourquoi on les appelait les petits; genre de personnes qui partaient de Québec, de Charlevoix, de la Beauce à minuit le soir en temps supplémentaire et qui travaillaient sous la haute autorité du ministre de la Justice. Ces personnes étaient là, j'imagine, pour informer nos syndiqués de certaines de leurs conditions de travail, je ne sais trop; toujours est-il qu'elles étaient là où il y avait des lignes de piquetage. Cela s'est soldé par plusieurs arrestations, par des condamnations pour avoir exercé, quant à nous, le droit au piquetaqe.

Ce que je voudrais souligner ici, c'est que les petits hommes verts - je ne veux pas être paranoïaque - ce n'était pas une agence de sécurité privée. Je pense que vous me comprenez.

Finalement, on négocie. Il y a aussi un petit élément cocasse, en passant. Il y a des poursuites actuellement - je n'en parlerai donc pas très longtemps - pendantes pour usage de briseurs de grève, c'est-à-dire forcer des employés à exécuter des tâches un jour de grève. Cependant, si on gagnait la cause, il y a un problème: c'est que l'amende est payable au Trésor public. Enfin! C'est pour cela que je pense que peut-être en tout cas, à tout le moins dans notre cas, mais aussi dans d'autres cas apparentés, ce ne serait pas une mauvaise idée que ce soit versé à l'association accréditée ou même à toute autre oeuvre de bienfaisance quelconque. Mais le Trésor public, enfin!

Je continue. Donc, il y a un règlement. Les suites de la négociation. Cela fait un an que la convention collective est signée. Les fameux engagements - vous en avez sûrement discuté il n'y a pas très longtemps avant les vacances - ont quelque peu tardé à se traduire en lois et en règlements, etc. Toujours est-il que le sujet sur lequel nous avons réglé pour le maintien du statu quo et une légère amélioration sur la classification des emplois, ce régime est bloqué depuis deux ans, de sorte que vous avez actuellement 3000 de vos employés sur les 8000 professionnels qui, dans certains cas, attendent depuis deux ans leurs examens d'avancement. C'est un drôle de climat de négociation tout cela. Je vous ferai remarquer en passant qu'étant donné qu'on a négocié le non-négociable, c'est un peu difficile d'aller devant un arbitre pour réclamer l'application de la convention puisque celui-ci aurait déclaré: Peut-être, mais les parties se sont comportées dans l'illégalité la plus totale en négociant le non-négociable, puisgue, autre particularité du régime de la fonction publique, les arbitres sont des juges de la Cour provinciale et, évidemment, ils se comportent en juristes. Ils utilisent donc, les textes à la lettre.

Finalement, nous avions - je vous l'ai indiqué et je termine là-dessus le tour d'horizon de la négociation - négocié le régime de sécurité d'emploi régional. Nous avions confié à certaines des parties le soin, comme cela se fait dans les autres conventions collectives, d'appliguer le régime. Un amendement tout à fait inattendu à la Loi sur la fonction publique survient au printemps de cette année et fait en sorte, en transférant la juridiction de la sécurité d'emploi par une subtilité léqale que je n'expliquerai pas ici, que notre convention sur la sécurité d'emploi n'est plus valide, et ce n'est pas l'opinion des procureurs du syndicat uniquement, mais celle des procureurs du ministère de la Justice. Toujours est-il qu'une loi a été votée et que, pour l'instant, elle n'est pas promulguée, puisqu'elle violerait carrément notre convention collective. Alors, il y a quelques questions à se poser. Ce qui est à souligner ici, c'est que, pour obtenir que lesdits articles de la loi ne soient pas promulgués, ceux qui mettaient la hache ou qui pouvaient

le faire dans notre régime de sécurité d'emploi, ne les ont pas promulgués à la suite d'une journée de grève illégale de notre syndicat. Pour compléter le tableau des neuf jours et demi, cela en a fait dix. C'est la raison pour laquelle, entre autres, nous pensons qu'un employeur qui a les moyens de fixer par la loi - nous ne voulons pas les lui enlever - les droits de gérance - c'est assez inusité, c'est un avantage très net - devrait au moins laisser une contrepartie - c'est quand il change les règles du jeu parce qu'il a le pouvoir de le faire - et ne pas déclarer illégaux les gestes que ses employés posent, parce que, évidemment, nous sommes passibles de poursuite, etc. Vous connaissez toute la situation en cas de grève illégale. Je voudrais que ce soit clair ici. Lorsgue nous demandons le droit de grève permanent - cela existe dans plusieurs pays - il n'est pas question, guant à nous, de ne pas assurer les services essentiels. Ce n'est pas cela la question.

Je termine là-dessus. Il y a donc deux choses qui nous préoccupent. J'ai parlé de la question du droit de grève permanent. La seconde, c'est la question à laquelle nous souhaiterions avoir une réponse ce soir: Est-ce que la commission permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu, et le ministère du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu qui est chargé de voir à la présentation et à l'application de lois du travail entendent faire en sorte qu'au cours des prochaines semaines ou des prochains mois, des changements soient apportés pour que le régime syndical particulier des fonctionnaires soit aboli et que nous soyons assujettis au même Code du travail que tout le monde, en termes de droit d'association, de services essentiels, de droit de grève, de droit de négocier toutes les conditions de travail?

Merci. (21 h 45)

Le Président (M. Lavigne): Merci, M. Lecourt.

M. le ministre.

M. Marais: M. le Président, je voudrais remercier le Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec de son mémoire, de sa présentation. Avec votre permission, je céderai immédiatement mon droit de parole à l'adjoint parlementaire, le député de Prévost, qui a examiné ce dossier, qui aurait un certain nombre de remarques à faire et de questions à poser.

Le Président (M. Lavigne): M. le député de Prévost.

M. Dean: Merci, M. le Président. Après trois jours d'audition de mémoires présentés par les groupes, on a ce soir une autre facette du problème qui nous permet d'orienter la discussion vers un autre domaine de problèmes de relations de travail, d'une autre définition des services essentiels, d'autres considérations, de négociation de la convention collective et de l'exercice du droit de grève.

Vous avez bien souligné que le régime qui vous régit est pour le moins différent des autres qui touchent tous les groupes de syndiqués qui sont venus donner leur point de vue sur les questions devant la commission.

On est un peu mal pris de ne pas pouvoir répondre, surtout à une question qui est primordiale pour vous, par le fait que la ministre responsable de la Loi de la fonction publigue est en train de mettre en branle une étude approfondie de cette loi. Elle demande aux différents groupes impliqués de faire connaître leurs points de vue et leurs revendications en ce qui regarde cette loi.

Quant à moi, je ne suis pas en mesure de vous dire, ce soir, que cela va amener une solution à votre problème, mais vos suggestions sur cette question seront étudiées attentivement par la commission ici présente et des consultations seront tenues avec la ministre qui administre cette loi pour le moment.

Deuxièmement, pour ce qui est des lenteurs des mécanismes de négociations, j'ai déjà eu l'occasion de dire à d'autres groupes, depuis mardi matin que les lenteurs et les complexités des mécanismes de négociations étaient les principales raisons de la frustration des travailleurs et que si on veut que la négociation collective, qui doit normalement tôt ou tard amener la signature d'une convention collective... tout le monde souhaite que ça amène la signature de conventions collectives sans grève et si ça se faisait on aurait moins de problèmes avec des grèves dans les services essentiels... Ce qui s'applique à d'autres organismes patronaux qui sont passé devant nous, guant à nous, cela s'applique aussi au gouvernement comme tel comme négociateur. Si les mécanismes de négociations sont défectueux, et d'après tous les rapports il est certainement question de longs retards, il est sûr et certain qu'il va falloir qu'on étudie attentivement la question du côté du gouvernement et de ses partenaires en vue d'accélérer le processus de négociation et de le rendre efficace et significatif pour les différents groupes.

Vous avez aussi parlé - j'espère que j'ai bien compris parce que j'essayais de revérifier le texte - de 20% d'exclus de votre unité de négociation. J'aurais une question d'information plutôt qu'autre chose. Est-ce que ces exclus le sont par l'exercice ou par l'application de la loi 50 ou pour d'autres raisons?

Finalement, sur les services essentiels on aimerait peut-être vous demander, même si les services essentiels sont très différents

des autres services essentiels qu'on discute depuis trois jours, comment fonctionne le système de détermination des services essentiels, et surtout on aimerait que vous nous parliez de vos expériences devant le Tribunal du travail, qui a pour fonction de trancher les mésententes ou les défauts d'entente, parce qu'il y en a qui pensent que pour les autres secteurs des employés publics, un tribunal ou un qroupe extérieur pourrait avoir les pouvoirs de trancher et de décider des services essentiels. Il y a même eu des suggestions que la loi devrait définir les services essentiels. On a déjà exprimé nos réserves et plusieurs groupes devant nous ont déjà exprimé leurs réserves là-dessus. On aimerait donc connaître quelques exemples de vos expériences devant le Tribunal du travail en cette matière.

M. Lecourt: Cela va?

Le Président (M. Laviqne): M. Lecourt.

M. Lecourt: Oui. M. Dean. MM. les membres de la commission, une première remarque sur l'intervention de base de M. Dean.

On a vu cela dans les journaux, la ministre de la Fonction publique nous a annoncé la création, notamment, d'un groupe de députés pour revoir la Loi sur la fonction publique. En temps opportun, nous ferons connaître notre point de vue là-dessus. Il y a deux aspects, je pense, qu'il faut distinguer dans cette loi, les aspects administratifs, les aspects de la structure de l'organisation de la fonction publique, de la répartition des pouvoirs et ce n'est pas à la commission parlementaire du travail et de la main-d'oeuvre qu'il faut en discuter, mais cela s'adonne que cette loi contient un chapitre qui s'appelle le régime syndical. On peut très bien, par une loi, des amendements au Code du travail, par exemple, ou une loi particulière, qu'importe, c'est une technicité, s'attaquer immédiatement à un problème, je ne dirais pas vieux comme le monde, mais vieux comme la syndicalisation dans la fonction publique - cela date de 1964 à 1966 - et sortir de cette loi un régime syndical qui n'a pas d'affaire là. Je pense que ce n'est pas en traitant avec le ministère de la Fonction publique, notre employeur, qu'on va régler cette question. Je pense que c'est une question qui touche la législation du travail. Autant on a pu, en 1978, en adoptant la Loi sur la fonction publique, modifier par le fait même le Code du travail - parce que cette loi modifie le Code du travail, l'a modifié en 1978 pour le régime de reconnaissance syndicale - autant on peut faire l'inverse. Je ne voudrais pas qu'on fasse comme c'est souvent le cas dans le secteur public, une promenade bureaucratique d'une institution à l'autre pour finalement ne rien faire, parce que ce problème date d'il y a longtemps.

D'autre part, sur les exclusions, les exclus le sont en vertu du Code du travail, lequel a été amendé par la fameuse loi, et le régime particulier est le suivant: Sont privés du droit d'association et n'ont pas le statut de salariés les employés qui travaillent pour certains organismes qui sont clairement des organismes de gestion de personnel qui, par une décision d'un commissaire du travail, le seraient de toute façon. D'autres organismes. Une boîte du conseil exécutif, par exemple; il n'y a pas de raison que les gens n'aient pas le droit d'association. C'est le cas du personnel du cabinet du sous-ministre, par exemple. Pourquoi ces gens n'auraient-ils pas le droit d'association? Ils sont quand même des salariés, quant à nous. Ce ne sont pas leurs fonctions qui leur font avoir ou pas le droit d'être syndiqués.

S'il y a des litiges, le Code du travail y pourvoit, il y a tout un réseau de commissaires du travail, allant jusqu'au Tribunal du travail, pour décider des exclusions et des inclusions. Pourquoi avoir un régime spécial, qui exclut nommément des gens par l'appartenance à un organisme, ou encore qui introduit un concept qui existe dans d'autres lois, mais qui n'existe pas au Québec, celui de confidentialité?

Vous savez que les fonctionnaires sont, en grande partie, appelés à prêter un serment de discrétion qui dit qu'ils vont être punis de la peine de mort, du congédiement s'ils révèlent quoi que ce soit qu'ils ont connu dans l'exercice de leurs fonctions. Cela nous semble suffisant pour ne pas y ajouter l'exclusion du droit d'être syndiqué, comme si avoir le droit de se syndiquer, c'était en opposition avec le fait qu'on puisse faire un travail qu'on appelle confidentiel. Confidentiel au sens des relations de travail, ça va, mais là, cela s'étend au sens beaucoup plus large.

C'est ainsi, par exemple, pour vous citer un cas, que des gens ont été exclus du droit de se syndiquer parce qu'ils travaillaient dans des services informatiques à la Régie de l'assurance maladie; ils préparent la paie des médecins. Ils ont été exclus pendant la période de négociation avec les médecins. Il n'y a absolument aucun rapport entre notre syndicat et les fédérations de médecins. Entre vous et moi, voulez-vous me dire ce que ça faisait? Pendant les périodes de négociation, on sait que les médecins sont payés comme ils le sont en dehors des périodes de négociation. Dans ces cas, qu'est-ce qu'il faut faire? Il faut aller au Tribunal du travail.

Nous avons actuellement un certain nombre de causes pendantes sur ces exclusions en raison de l'aspect confidentiel du travail et vous savez ce que ça coûte. Ce qu'on dit chez nous, c'est qu'on va chercher les membres un par un. Ce n'est peut-être

pas la meilleure façon. C'était un petit commentaire pour vous préciser un peu la question des exclusions.

Enfin, la question des services essentiels. Ce que nous demandons, finalement, c'est d'être assujettis au régime de services essentiels qui prévaut actuellement dans le Code du travail, à la suite de l'adoption, en 1978 ou 1977, de la loi 59. Notre régime est simple: Nous demandons de rencontrer l'employeur, nous tentons de négocier, l'employeur commence, dans un premier temps, par nous fournir une liste, il y a discussion, etc. Il y a toujours eu des ententes, on n'est jamais allés au Tribunal du travail. J'y reviendrai tantôt et dirai pourquoi, et, finalement, le droit de grève est acquis. Dans l'expérience des dernières négociations, et c'est important de nous situer dans notre propre contexte, il n'y a pas ce caractère dramatique des services essentiels qu'on retrouve ailleurs. Il y avait chez nous en 1979 2, 5% des gens qui étaient déclarés de par entente services essentiels, dont un certain nombre sur appel.

Comme je l'ai souliqné, de 1976 à 1979, le nombre en est passé de 127 à 198, donc à 200, grosso modo. Une augmentation de 55%, alors que les effectifs des professionnels syndiqués, avaient augmenté pendant cette période d'un peu moins de 30%. Quelle est l'explication à ça?

Celle que nous y avons trouvée est la suivante. Le 1er juillet 1979, le lendemain de l'échéance de notre convention collective, nous avions le droit de grève en vertu du Code du travail. Ce n'est que le 20 août que l'employeur nous a transmis ces demandes de services essentiels pour la moitié des ministères où on les requérait. Finalement, fin septembre, nous avons eu l'ensemble du portrait, donc trois mois après l'obtention du droit de grève. Il y a eu discussion en octobre et l'incident que je rapportais tantôt en termes de libération syndicale, qui est un élément important pour nous, est survenu. La seule façon de régler ce problème, guant à nous, c'était une menace de grève, pas une grève générale. Il fallait avoir le droit de l'exercer parce que, contrairement à ce que certains prétendent, les syndiqués et leurs syndicats ne sont pas tous des fous. J'ai entendu des choses aujourd'hui au passage un peu curieuses, de la part de certains intervenants qui étaient installés ici. Toujours est-il que nous avons réglé vite et c'est la seule explication que nous y trouvons.

La raison pour laquelle on n'est jamais allé au Tribunal du travail, c'est une raison un peu apparentée aux problèmes qu'on vit actuellement, si vous savez que les délais sont parfois un peu longs. Le Tribunal du travail entend autre chose, il n'y a pas un juge du tribunal qui nous attend pour juger les services essentiels. D'autre part, la fonction publique, c'est assez complexe, 30 ministères, des gens qui font toutes sortes de choses, où il y a 30 corps d'emploi différents; on n'a jamais voulu se lancer -compte tenu de l'importance relative du nombre de services essentiels - dans un débat de sept ou huit mois devant le Tribunal du travail, alors qu'on était en période de règlement d'une convention collective. Voilà en gros la situation. Ce qu'on a vécu jusqu'à présent, la dernière négociation l'illustre, c'est une inflation de la part de l'employeur de demander des services essentiels. (22 heures)

Je vais vous citer quelques cas, y compris des cas que nous avons acceptés. Les services essentiels, d'après le Code du travail, c'est la protection de la santé et de la sécurité du public. Cela ne se passe pas au Basutoland ou dans l'État de l'Iowa, ça se passe au Québec. On a demandé, à l'Assemblée nationale, 25 professionnels pour les services essentiels. La demande était justifiée par le motif suivant: "Assurer le fonctionnement de la Chambre, particulièrement assurer aux membres de l'Assemblée nationale, la cueillette de l'information dont ils ont besoin pour exercer leur tâche. " Après analyse, on s'est aperçu que sur les 25 services essentiels, il y avait 8 personnes qui étaient en train de reconstituer de vieux dossiers d'archive. On n'a pas vu de file de membres de l'Assemblée nationale attendant que la reconstitution se termine. Résultat net, six ont été accordés.

Quelques autres cas de santé et de sécurité du public au ministère de l'Agriculture. Je ne vous lirai pas le tout parce que c'est un peu compliqué: Assurer la continuité de recherches scientifiques qui ne peuvent être différées. Il s'agit d'études bioécoloqiques sur les insectes et sur l'épidémiologie des maladies. Cela porte sur le caractère cyclique de ces différents phénomènes sur les plantes, etc.

Services essentiels permanents au ministère de l'Agriculture toujours: "Les laboratoires d'expertise et d'analyse alimentaire doivent être en mesure de faire face à des situations imprévues, à caractère toxicologigue, susceptibles d'avoir des conséguences néfastes sur la santé des consommateurs. " Il y a des situations imprévues, alors pourquoi permanents, pourquoi pas sur appel.

Un autre cas au ministère de l'Aqriculture parle de soins à assurer aux chevaux. Je vous en cite guelgues autres, on les achève, il y en a qui sont vraiment des services essentiels, alors je les ai passés.

Au ministère du Revenu, ministère essentiel s'il en est un: "Apporter les correctifs au logiciel de base. " Cherchez ce que ça veut dire, c'est probablement pour la perception des impôts. Ce n'est pas certain

que la santé du public ait été en cause dans ce cas-là.

Un autre cas, la régie de prêts agricoles, j'oublie le nom de l'organisme, Régie de l'assurance-récolte, assurer les services auprès des agriculteurs. C'est un service essentiellement bureaucratique, il n'y a pas de catastrophe; c'est le service régulier, la santé et la sécurité du public ne sont pas en cause dans ce cas.

Dans le cas des agents de probation, ce sont les personnes qui s'assurent du suivi des individus en libération conditionnelle ou en probation. En 1975, l'ensemble des personnes ont été requises comme services essentiels permanents, en vertu d'un article de la loi qui dit: "Une personne doit se rapporter, à certains intervalles, à son agent de probation. " En pratique, ce qui se fait depuis toujours, c'est que la personne vient signer un registre une fois par semaine ou une fois par mois, selon les cas. On avait requis tout le monde pour faire ça. La dernière fois ça a été légèrement modifié, c'était sur appel; j'imagine que c'était quand la personne ne trouvait pas la feuille pour signer.

C'étaient quelques cas. Il y en aurait d'autres, mais ça montre le régime tel qu'on l'a connu. La raison pour laquelle je vous donne cette liste, parfois un peu cocasse, qu'on a dû consentir c'est qu'elle illustre qu'elle n'a pas grand-chose à voir avec la santé et la sécurité du public. On l'a consentie - après avoir réduit d'au moins le tiers les demandes patronales - parce qu'il fallait qu'on exerce notre droit de grève -c'était notre perception - un droit qui normalement devait pouvoir s'exercer à compter du mois de juillet, donc quatre ou cinq mois avant qu'on veuille l'exercer. C'est la raison pour laquelle on pense que le régime qu'on a est inapproprié. Si on veut appliquer un régime de ce type ailleurs, je suis loin d'être certain que ça règle les problèmes. Je ne veux pas me prononcer sur les situations d'ailleurs en détail; notre expérience n'est pas extraordinaire, mais on a cité abondamment l'expérience de la loi 253 aussi.

M. Dean: Je dois ajouter qu'au ministère du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, on fera connaître à la ministre de la Fonction publique notre point de vue sur vos revendications après les avoir étudiées. C'est tout ce que j'ai.

Le Président (M. Rodrigue): M. Rivest (Jean-Talon).

M. Rivest: Je pense que votre témoignage est un peu particulier. En tout cas dans l'économie générale de la démarche qu'on a suivie depuis le début des travaux. À plusieurs occasions il a été question des affaires sociales. Il ne s'agissait pas de faire le débat sur l'ensemble des affaires sociales, mais j'avais une suggestion, au début de la commission, au ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu au sujet du mécanisme de l'organisation de la négociation dans le secteur public. J'avais demandé qu'il y ait peut-être un porte-parole du Conseil du trésor, au niveau ministériel ou enfin au niveau de la fonction publique, pour discuter avec nous, parce que plusieurs points ont été soulevés par les parties syndicales.

Au niveau des affaires sociales, on a vu qu'il était à maintes reprises question finalement de questions qui n'étaient pas directement reliées à l'exercice du droit de grève dans le secteur, mais qui mettaient en cause drôlement le ministre des Affaires sociales. Ce soir, vous-mêmes et le Syndicat des fonctionnaires, qui va vous suivre, votre interlocuteur, celle qui devrait vous entendre... Bien sûr, on lui communiquera tout cela et elle lira sans doute le journal des Débats, mais il me semble qu'il aurait été - je n'en fais un reproche ou un drame au ministre actuel - drôlement utile que la ministre de la Fonction publique, qui peut-être n'aurait pas été prête à prendre des engagements au niveau de la commission, pas plus que le ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu n'en a pris au niveau des intervenants concernant les lois dont il est responsable, soit ici ou qu'il y ait au moins quelqu'un du ministère de la Fonction publique pour entendre les représentations du Syndicat des professionnels et du Syndicat des fonctionnaires. Elle n'est pas là. L'adjoint parlementaire du ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu dit qu'il va les lui transmettre, très bien.

J'arrive, comme député de l'Opposition, dans l'ensemble de ce dossier. Cela fait à peu près un mois que c'est ma responsabilité pour ce qui est de notre groupe. Ce que je peux vous dire - je le dis d'ailleurs non seulement comme député, mais aussi comme personne qui a eu l'occasion un peu de loin de vivre, au moment où j'étais au bureau du premier ministre, de 1970 à 1976, les problèmes avec les professionnels et également avec les fonctionnaires - ma conclusion personnelle là-dessus, c'est la recommandation que j'ai l'intention de faire au niveau de notre groupe parlementaire. On n'est pas au gouvernement et on ne se prendra pas pour d'autres. J'ai lu, bien sûr, votre mémoire, et les recommandations du rapport Bouchard. J'ai déjà rencontré le Syndicat des professionnels, entre autres, quand vous avez rencontré les députés, je pense, de la région de Québec pour exprimer certains aléas de ce que vous avez...

Ma conclusion, c'est que la Loi de la fonction publique et le Code du travail, enfin certainement tout ce qui est la partie

concernant les relations de travail des professionnels et des fonctionnaires, doit être revue de fond en comble. Je pense qu'il n'y a pas d'élément... Mon attitude, malheureusement... Je cherchais le mandat qui a été donné par la ministre de la Fonction publique au qroupe de députés. Il y a toutes les questions de la fonction publique en tant que telle, mais parlons uniquement relations de travail. Vous avez cité les aléas de vos déclarations, mais il y a vraiment des choses à ce point exorbitantes au niveau de la fonction publique, dans le régime de négociation en particulier, qui ont peut-être leur raison d'être, étant donné que c'est l'État, qu'il va falloir regarder, bien sûr, parce que l'État, c'est l'État employeur. Il y a certainement des choses. Demander d'avoir un régime qui s'orienterait complètement sur le secteur privé... On essaie d'ailleurs, dans le domaine de la santé, de trouver peut-être, à l'intérieur même des secteurs public ou parapublic - c'est notre préoccupation - un régime qui collerait plus au milieu, mais une chose certaine, c'est que les exclusions de la fonction publique, compte tenu de l'expérience qui arrive... Tout le domaine de la classification, la promotion, etc., est exclu par la Loi de la fonction publique, et on se rend très bien compte qu'une convention collective étant signée, il y a des choses qui sont encadrées qui deviennent négociables et des choses qui ne sont pas encadrées qui ne le sont plus. Il y a toute une série de problèmes. La loi était là. Le gouvernement l'a amendée en 1978, mais encore - je sais que les professionnels et les fonctionnaires le vivent - il y a des choses très importantes. Il faudra vraiment se poser des questions de fond, je pense. Je vous le dis simplement à titre de commentaire. Pour chacun des éléments exclus, il va falloir le mettre sur la table. J'espère que le gouvernement est prêt à faire cela.

Nous, comme parti d'Opposition, je ne dis pas, et je ne vous dirai pas certainement pas pour l'instant et je ne suis pas en mesure de vous le dire - que je suis parfaitement d'accord avec toutes les prétentions du syndicat. Bien au contraire, car j'ai aussi certains atavismes de mon passage au gouvernement et je sais qu'il y a d'autres raisons. Mais je veux vous dire ce soir que nous croyons, enfin ce que je crois, comme porte-parole de l'Opposition dans le domaine, qu'on doit mettre l'ensemble de ces questions sur la table, pour les regarder froidement et examiner toutes les hypothèses. Il ne doit pas y avoir de prérequis ou de choses retenues à l'avance. Je pense qu'on devrait pouvoir le faire. Il y a un contexte de négociation qui arrive - ou qui continue, dans votre cas, bien sûr, c'est cela - mais, sur le plan parlementaire, il me semble qu'on devrait être capable de s'entendre sur cette question, compte tenu de l'expérience absolument chaotique et irrégulière qui a été vécue par les fonctionnaires et les professionnels, et aussi par l'administration publique à cause des aléas du ministère de la Fonction publique, entre autres. On a structuré, restructuré, c'est un ministère où les ministres passent à un rythme absolument fantastique, sous tous les gouvernements. Je veux vous dire cela comme première prise de position.

La deuxième, si vous me le permettez, comporte un examen un peu plus particulier. Vous avez parlé du droit d'association qui n'est pas reconnu à certains, vous avez parlé de 20% et ensuite de 20% dont le travail est de nature confidentielle, au niveau des professionnels. Est-ce que cela s'ajoute? Est-ce que cela veut dire que c'est 40%, ou si c'est inclus dans les 20%? Est-ce que vous pouvez répondre à cela?

M. Lecourt: Grosso modo, il y a 10 000 professionnels, dont 8000 syndiqués et 2000 exclus. La majorité des exclusions, c'est à cause du travail confidentiel ou motifs apparentés.

M. Rivest: Ma deuxième question - et je ne veux pas étirer inutilement le débat -concerne le rapport Martin-Bouchard. Sur chacun des aspects, autant au niveau du régime syndical qu'au niveau de ce qui est matière négociable, chose sur laquelle vous tenez beaucoup à discuter, qu'au niveau des services essentiels, il fait des recommandations que j'ai vues et qui, à première vue, m'apparaissent - je ne veux pas discuter du mérite du rapport Bouchard... Il faudra faire plus que le rapport Bouchard, parce que ce que le rapport Bouchard a recommandé, en gros, ressemblait pas mal au statu quo. Est-ce que c'est votre sentiment? Quelle a été la réaction de votre syndicat aux recommandations du rapport Bouchard?

M. Lecourt: Essentiellement - et je voudrais revenir un peu, tout à l'heure, sur ce que vous avez souligné au début - la position que nous vous transmettons aujourd'hui, à peu de choses près, on la véhicule depuis un bon bout de temps et on la véhiculait sur le fond, le droit d'association, le droit des matières négociables, un même code pour nous, autrement dit. Le rapport Bouchard faisait des progrès sur certaines questions, mais maintenait, pour une raison dite d'intérêt public - cela s'expliquait plus ou moins - le statu quo sur d'autres questions et, au niveau des concepts aussi - on dirait que c'est tellement compliqué à la Fonction publique que c'est difficile de s'y comprendre -mêlait des choses en termes de matières néqociables, notamment.

Ce que je veux souligner, c'est que globalement ce n'était pas satisfaisant pour

nous. Mais ce qui est encore plus insatisfaisant, c'est que rien n'a été apporté comme suite au rapport Bouchard. On a assisté - je ne reprendrai pas cela - à une véritable mascarade en juin 1978, à un projet de loi 53 rebaptisé loi 50. Prenez le texte et virez-le à l'envers. C'est exactement la même chose. On n'a même pas retenu le peu d'ouverture qu'il y avait dans le rapport Bouchard.

Maintenant, un commentaire d'ordre général. C'est bien beau. Il s'adresse peut-être plus à ceux et celles qui peuvent changer des choses, qui se situent plutôt de l'autre côté, actuellement du moins, en termes de projets de loi, etc. On peut dire qu'on va transmettre à la ministre de la Fonction publique des recommandations et tout cela. Mais il nous apparaît assez clairement - c'est pour cela que j'ai dit au début, dans le préambule, qu'on se sentait un peu dans une position pas très claire en nous présentant ici. À qui a-t-on affaire vraiment? Cela ne sera jamais tranché au couteau, parce qu'on a déjà vu que c'était interrelié. Il me semble que le régime syndical n'appartient pas à une personne qui négocie avec nous directement, en termes de recommandations. Peut-être que la personne qui est chargée de la gestion de la fonction publique, ça lui appartient de faire une loi en fonction de ça ou d'en proposer une. (22 h 15)

Dans ce sens, il me semble que la commission aurait des recommandations à faire, si elle se préoccupe, pas uniquement des travailleurs du privé, du parapublic et du péripublic, mais aussi ceux de la fonction publique. Je comprends qu'on vous surprend avec notre mémoire mais, pour nous, on parle de choses qui existent depuis pas mal de temps.

M. Rivest: M. Lecourt, juste...

M. Lecourt: Je termine pour souligner une chose qu'on trouve curieuse dans tout ça, à savoir si vraiment c'est clair qu'on s'adresse à une commission parlementaire qui se préoccupe du travail et qui essaie un peu de se tenir loi de son rôle de patron. Ce matin, un organisme d'État se présentait ici et faisait valoir son point de vue, Hydro-Québec. Cela a été le cas de l'Association des hôpitaux du Québec, et ça va être le cas de l'Association des centres de services sociaux. Comment se fait-il que le ministère de la Fonction publique ne se soit pas inscrit pour donner son point de vue? On me dira peut-être que c'est complètement farfelu, c'est vraiment l'intérieur du gouvernement. Il n'y a pas très longtemps j'étais ici en commission parlementaire sur l'accès à l'information gouvernementale, et des ministères, des organismes directement gouvernementaux ont témoigné. Là-dessus, je me surprends de ne pas voir le ministère de la Fonction publique donner son point de vue, s'expliquer. Remarquez que c'est une politique que l'on connaît depuis fort longtemps.

M. Rivest: Sur ce point particulier, je l'ai demandé au début des travaux de la présente commission. Deuxièmement, vous savez, il y a bien des groupes qui sont venus, mais je pense qu'il faut être juste. Sur la question que vous avez posée au niveau du rôle de cette commission parlementaire, il faudrait que nos commissions parlementaires aient été réformées; le député Vaugeois et le gouvernement ont des projets qui ont déjà été communiqués à l'Opposition. Je ne veux pas parler au nom de mon collègue de Prévost qui a déclaré qu'il dirait ce qui s'est dit ici à la ministre de la Fonction publique, mais une fois qu'on aura entendu tous les mémoires, cette commission parlementaire ne se réunira pas - pas que je sache, selon notre pratique habituelle, à huis clos ou en public - pour formuler des recommandations.

On est dans cette situation également; c'est qu'une fois que les travaux de cette commission auront été terminés, lorsque le dernier mémoire aura été entendu - à moins que la pratique ait changé à ce point que je ne l'aie pas noté - on rentre chez nous tout simplement et on ne va pas plus loin. On peut comme groupe parlementaire - on a peut-être l'intention de le faire - dégager nos conclusions à nous, qui sommes de l'Opposition. Les conclusions de la commission parlementaire de tout ce qu'on aura entendu, ce sera la responsabilité du ministre du Travail, avec ses collègues députés ministériels, qui consignera ça - je ne veux pas parler pour lui - dans un mémoire au Conseil des ministres qui, lui, décidera. Vous ne pourrez jamais avoir un document qui dira: La commission parlementaire pense qu'il faudra faire telle ou telle chose pour améliorer le régime syndical et il faudra faire telle ou telle chose pour améliorer la question des services essentiels. À moins que le ministre ait des choses à ajouter, je ne pense pas que ce soit le sens de la commission; c'est pour ça qu'on ne peut pas aller plus loin.

M. Marois: M. le Président, je pense que l'intervention du député de Jean-Talon est complète, si je dois ajouter par-dessus ce que le député de Prévost, qui est mon adjoint parlementaire, a dit. J'ai écouté attentivement votre présentation, vos arguments et on fera nos devoirs de notre côté aussi. Je ne peux pas régler tous les problèmes et faire tous les changements en même temps. Vous avez soulevé, en réponse à une question qui vous a été posée ou en réaction à une remarque formulée, qu'on

peut bien - comme ça s'est déjà fait par la Loi sur la fonction publique - amender le Code du travail. On peut parfois faire l'inverse aussi. Je dis que cela mérite considération, une remarque comme celle-là. Ce que je peux vous dire, c'est que, partant de là, on va examiner attentivement le document que vous nous avez remis, vos commentaires aussi, et je vais avoir l'occasion d'en parler avec ma collèque, la ministre responsable de la Fonction publique pour voir, le cas échéant, comment les choses pourraient être faites.

M. Lecourt: Permettez-moi un dernier petit commentaire; je serai très bref. Je voudrais simplement souligner que la prochaine ronde de négociations prévoit, je pense, que le 1er août 1982, on doit déposer nos demandes. Le régime syndical à l'intérieur duquel on va fonctionner conditionne quelque peu les demandes. Je comprends que vous ne pouvez pas tout faire en même temps, mais c'est un vieux problème qu'on traîne et les négociations s'en viennent assez vite.

M. Marois: Je crois que vous comprenez que je comprends.

M. Lecourt: Oui. Je voudrais dire seulement deux choses en terminant. C'est une remarque purement d'ordre général, cette fois-ci. J'ai été personnellement fort surpris d'entendre des propos aujourd'hui. Je ne veux pas critiquer les gens qui les ont tenus, mais je voudrais dire deux choses, au nom de notre syndicat, et je peux parler au nom d'autres syndicats, je pense. Lorsqu'on se fait fort de souligner que les syndiqués, c'est une chose, et que les syndicats, c'est une autre chose, je pense qu'on tient là un langage que je qualifierais de démaqoqique, mais je ne veux pas ajouter à des choses démagogiques que j'ai entendues aujourd'hui. Je pense qu'il y a des gens autant de ce côté-ci que des gens de votre côté qui connaissent assez bien le milieu syndical pour savoir que, dans l'immense majorité des syndicats, c'est démocratique, que les cas d'abus, on les connait, et qu'on ne peut pas en trouver des centaines sur la place publique. Quand on essaie de toujours dissocier les syndiqués des syndicats, je trouve que c'est pousser un peu loin.

La deuxième remarque que je vais faire, c'est que, quand on lance la balle aux syndicats, on oublie souvent que le mouvement syndical a mené - je n'ai pas besoin de rappeler les dates - de longues luttes, en termes de revendications qui font qu'aujourd'hui, je pense, les malades, entre autres, ou les gens qui ont recours aux services de santé ont de meilleurs services qu'ils n'en avaient il y a 25 ans. Ils ont des services, je pense, meilleurs et ils ont des services, alors qu'il y a 25 ans, beaucoup de gens - on n'entendait pas de drame sur la place publique - crevaient, parce qu'ils n'avaient pas de services. C'est en bonne partie, je pense, à cause de revendications du mouvement syndical. C'est tout simplement une opinion personnelle pour rétablir certains faits. Merci.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentants du Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec et j'invite maintenant les représentants du Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec à s'avancer et à nous présenter leur mémoire.

Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec

Le mémoire du Syndicat des fonctionnaires provincaux du Québec nous sera présenté par M. Jean-Louis Harquindeguy, son président.

M. Harguindeguy (Jean-Louis): C'est bien cela.

Le Président (M. Rodrigue): Je vous invite, M. Harquindeguy, à nous présenter les personnes qui vous accompaqnent.

M. Harguindeguy: En commençant par ma droite, c'est Danielle-Maude Gosselin, vice-présidente, pour les fonctionnaires; Normand Duguay, secrétaire général; à ma gauche, Roland Saint-Jean, vice-président, pour les ouvriers; Denise Dion, vice-présidente, pour les fonctionnaires; Georges Nadeau, vice-président, pour les fonctionnaires, et Denis Gaudreau, vice-président, pour les ouvriers.

M. le Président, mesdames, messieurs les députés, il nous fait plaisir, malgré l'heure tardive, de venir vous entretenir de notre situation. J'ose espérer que vous allez nous apporter l'attention qu'on mérite, puisque, si les gouvernements réussissent parfois à assurer des services à la population, c'est bien grâce à leurs fonctionnaires.

Je commence donc. Le premier ministre a annoncé, dans son allocution prononcée lors de l'ouverture de la dernière session, que le gouvernement avait l'intention de donner suite prochainement à l'ordre adopté par l'Assemblée nationale, lors de la dernière session, de faire siéger la commission parlementaire du travail et de la main-d'oeuvre, pour examiner l'exercice du droit de grève dans les secteurs public et parapublic.

Le premier ministre déclarait qu'il s'agissait là d'une question délicate et cruciale, mais dont les membres de l'Assemblée nationale avaient le devoir,

comme ils s'y étaient engagés, de discuter à fond comme société.

Le premier ministre déclarait entre autres: "II n'y a pas beaucoup de Québécois, s'il en est, qui soient satisfaits de la tournure qu'a encore prise la dernière ronde de négociations dans le secteur public. "Même si les perturbations et dégâts n'ont pas atteint l'ampleur des rondes précédentes, ces grèves répétées et apparemment inévitables dans les services aussi vitaux que les hôpitaux, les maisons d'héberqement ou les centres d'accueil et les écoles, ont vraiment pris l'allure chez nous d'un mal incurable. "Par ailleurs, la négociation elle-même est devenue une affaire hautement bureaucratique où le citoyen, et même souvent les syndiqués, ont énormément de difficulté à faire la part des choses. "Quant aux services qu'on appelle services essentiels, nous n'avons pas encore trouvé collectivement un moyen, ni de les définir correctement, ni d'en qarantir vraiment le maintien. "Il faut profiter de la période qui nous sépare de la prochaine ronde de négociations pour revoir de fond en comble le système qui prévaut chez nous depuis une quinzaine d'années. Il faut que ce soit une entreprise conjointe de tous les intéressés et, pour sa part, le gouvernement s'y préparera avec une conscience aiguë de ses responsabilités. "

Ce n'est donc pas d'aujourd'hui que les négociations dans les secteurs public et parapublic font l'objet de discussions.

Dans l'histoire syndicale, ce n'est pas la première fois que le gouvernement répond par la répression, car à chaque fois que les travailleurs ont voulu faire un pas en avant pour obtenir des conditions de travail plus favorables ou améliorer leur sort dans la société, le gouvernement a répliqué par l'adoption de lois qui ont fait partie, avec d'autres interventions, de mesures répressives et ce, dans le cadre d'une stratégie visant à briser l'action syndicale qui, à certaines occasions, a paru innover et forcer la main du gouvernement.

On n'a qu'à songer aux lois suivantes pour constater l'éventail des lois répressives adoptées dans ce domaine. Je ne les énumérerai pas, mais tous les gouvernements sont inscrits au tableau d'honneur.

Le droit de grève, dans les secteurs public et parapublic fut reconnu en 1965, mais l'obtention de ce droit ne s'est pas fait sans difficulté, puisque même à cette époque le premier ministre du temps, l'honorable Jean Lesage, avait déclaré que "la reine ne néqocie pas avec ses sujets".

Le gouvernement actuel pourrait également être tenté, tout comme en 1973, de déposer un projet de loi visant à assurer le bien-être de la population en cas de conflit de travail, qui pourrait à toutes fins utiles, supprimer le droit de grève dans les services publics, en laissant soit au gouvernement ou à certains tribunaux, l'arbitraire entier de permettre ou de refuser un droit qui a pourtant été consacré et qui est reconnu comme naturel et inaliénable pour la plupart des pays industrialisés, ainsi que par des organismes respectables et universellement reconnus comme l'Organisation internationale du travail.

Le gouvernement pourrait également être tenté de réglementer l'exercice d'un droit par ailleurs reconnu comme nécessaire, selon les fondements mêmes de notre régime économique et notre système de relations de travail, mais on pourrait également le supprimer comme droit et en faire un privilège, selon le bon plaisir du prince, c'est-à-dire le gouvernement, qui est par ailleurs lui-même employeur, tout au moins dans notre cas.

Une telle intention, qui pourrait être confirmée par un projet de loi, vicierait à sa base même le concept et le processus normal de la négociation collective.

La négociation libre repose sur le principe de l'éqalité des parties en présence. Or, advenant l'abolition ou la réglementation du droit de grève dans la fonction publique, les représentants syndicaux auraient beau s'asseoir à une table de négociation et discuter aussi longtemps qu'ils voudront, la partie patronale n'aura aucun intérêt à modifier ses positions, puisqu'elle pourra s'assurer, à toutes les étapes de la procédure, que ses positions ne sont pas en danger, les mécanismes jouant en sa faveur.

Le gouvernement pourra donc dire au syndicat: Je vous consulte sur mes propositions, j'entends vos représentations et, si vous êtes d'accord, nous signons la convention collective, sinon je décréterai vos conditions de travail.

Une telle loi nierait donc le droit fondamental des travailleurs de participer à la définition de leurs conditions de travail, ce qui implique nécessairement la liberté de travailler ou de cesser de travailler.

À ce sujet, il est peut-être important de retenir les positions adoptées, tant par le Parti québécois que l'Union Nationale, suite au dépôt, par le gouvernement du temps - le Parti libéral - du projet de loi no 89, Loi assurant le bien-être de la population en cas de conflit de travail, pour constater le changement d'attitude à ce propos.

Nous croyons également nécessaire de vous soumettre - vous les avez en annexe -les mécanismes de négociation que nous avions suggérés à l'époque, lesquels pourraient encore fort bien trouver leur application actuellement.

Le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec ayant à coeur l'amélioration du système de négociation dans la fonction publique, afin de créer de

meilleures relations de travail, a d'ailleurs soumis un mémoire à la commission Martin-Bouchard, ainsi qu'un mémoire au ministre de la Fonction publique quant à la réforme à apporter à celle-ci.

On ne peut sûrement se vanter, à l'heure actuelle, que nos recommandations aient été sérieusement prises en considération.

Le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec estime donc que la commission parlementaire du travail et de la main-d'oeuvre devrait beaucoup plus examiner le comportement du gouvernement lors des dernières négociations qui a d'ailleurs été identique au comportement des gouvernements précédents, que d'examiner l'exercice du droit de grève dans les secteurs public et parapublic. (22 h 30)

Le gouvernement n'a-t-il pas voulu sciemment traumatiser la population pour que celle-ci réclame maintenant l'abolition du droit de grève dans les services publics, faire croire que la population en a assez des grèves et que les difficultés rencontrées lors des négociations précédentes découlent uniquement du comportement de la partie syndicale? Le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec estime que discuter de l'abolition du droit de grève dans les secteurs public et parapublic est un faux problème. Nous serions tentés de faire un parallèle avec une situation que nous venons de vivre. Il faut quand même se rappeler que le mémoire a été déposé au cours du mois de mars, et que nous n'avons pas juqé à propos de le modifier depuis ce temps puisque le fond du problème demeure entier.

En effet, lors des 444 jours de captivité des ex-otages américains, le seul sujet qui a défrayé diverses discussions dans la population a porté sur la libération de ces mêmes otages; jamais nous n'avons entendu parler du problème de fond qui a amené une telle prise d'otaqes. Nous ne pouvons assurément être d'accord sur le qeste posé par les Iraniens, qui est contraire au mode de vie d'un peuple démocratique. Cependant, c'est un peu la même situation qui prévaut actuellement au Québec lorsqu'on parle des négociations dans les secteurs public et parapublic. On parle beaucoup plus de la fin que des moyens. Nous ne croyons pas non plus que l'abolition pure et simple du droit de grève ou l'encadrement plus sévère d'un tel exercice, en prétextant que la population, de façon générale, désire l'abolition du droit de grève, solutionnera les problèmes rencontrés puisque le fait que des travailleurs n'aient pas droit de grève ne garantit d'aucune façon que ces mêmes travailleurs ne l'exerceront pas un jour. On n'a qu'à constater la situation qui prévaut en Poloqne depuis déjà quelques mois, où les travailleurs n'hésitent pas à faire des qrèves, même illégales, pour obtenir des droits essentiels. Loin de nous l'idée de vouloir comparer notre système politique à celui qui prévaut en Iran ou en Pologne.

Tout récemment, encore, l'absence du droit de grève n'a pas empêché que des infirmières de l'Ontario entreprennent une grève pour revendiquer des droits qu'elles considéraient comme essentiels. La situation pourrait être identique au Québec advenant le cas où le gouvernement déciderait d'abolir un tel droit.

Nos commentaires se limiteront à notre situation particulière. Même si nous n'acceptons aucunement le principe que le droit de grève puisse être retiré dans un des secteurs visés, puisque nous ne nous n'estimons pas les mieux qualifiés pour justifier les commentaires touchant les autres secteurs, nous croyons également qu'à tout le moins le gouvernement devrait faire la distinction de l'exercice du droit de grève entre les secteurs public et parapublic. Une distinction qui nous caractérise par rapport aux autres secteurs est le champ du négociable. Selon les dispositions de la Loi sur la fonction publique, certaines matières qui sont actuellement négociables dans les secteurs hospitalier et scolaire ne le sont pas pour les fonctionnaires du gouvernement du Québec. Il en est ainsi notamment de la classification et de la réglementation concernant les normes d'éthigue et de discipline, ainsi que d'une série de pouvoirs et de réglementations accordés tant au ministre de la Fonction publique, à l'Office du recrutement et de la sélection qu'au Conseil du trésor. Une question se pose: Est-ce que le gouvernement et les partis politigues qui composent le Parlement sont conscients de l'impact social que va être un affaiblissement des syndicats dans les secteurs public et parapublic, ces secteurs ayant un effet d'entraînement sur les conditions de travail des employés du secteur privé et des citoyens les moins bien nantis de notre société?

Comportement du gouvernement. Nous avons dit précédemment que le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec estimait que la commission parlementaire devrait beaucoup plus se questionner sur le comportement du gouvernement. Afin de permettre aux honorables membres de cette commission d'examiner l'ensemble du problème, nous estimons approprié de faire une certaine rétrospective des événements que nous avons vécus au cours des deux dernières années. Dans un premier temps, il est important de noter que le processus et les mécanismes de négociation qui nous réqissaient, lors des dernières négociations n'étaient pas fondés sur les modalités adoptées par les projets de loi 55 et 59, notre convention collective venant à échéance le 30 juin 1978. Malgré le fait que le Syndicat

des fonctionnaires provinciaux du Québec n'était pas assujetti à ces dispositions, ceci ne nous a pas empêchés d'effectuer le dépôt global de nos demandes syndicales le 8 février 1978, soit près de 5 mois avant la date d'échéance de la convention collective. Même si, à cette époque, le gouvernement avait adopté comme principe que les parties en négociation devaient faire preuve de diligence, ceci n'a pas empêché ce même gouvernement de retarder indûment le dépôt de ses propositions, puisque ce n'est que trois jours avant l'acquisition du droit de grève, soit le 20 octobre 1978, qu'il a déposé ses premières offres monétaires.

Par ses premières offres, le gouvernement n'a-t-il pas voulu sciemment créer une situation de conflit en proposant, pour la quasi-totalité de nos membres, une augmentation de 0%, le 1er juillet 1980, tout en prévoyant l'abolition pure et simple de la clause d'indexation pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie qui était déjà prévue dans nos conventions collectives depuis 1968 et dont le syndicat voulait maintenir le principe? Malgré certaines contre-propositions de la partie syndicale et de nouvelles propositions comportant des changements mineurs au cours des mois de mars et avril 1979 et à la suite de l'exercice de moyens de pression depuis le mois de juin 1979, ce n'est qu'au cours du mois de novembre 1979, soit près de 21 mois après le dépôt des demandes syndicales et plus de 15 mois après l'échéance de la convention collective, que le gouvernement a daigné nous soumettre une proposition d'ordre salarial acceptable.

Quels objectifs le gouvernement poursuivait- il également en proposant, au cours de la négociation, des modifications à la Loi sur la fonction publigue? Qui ne se souvient pas des débats qu'a amenés le dépôt du projet de loi no 53 et également des moyens de pression et journées de grève qui ont suivi le dépôt par le gouvernement du projet de loi no 50, qui a été adopté à la vapeur, sans consultation des syndicats concernés? Certains de nos commentaires ont d'ailleurs été repris par le Conseil du statut de la femme, notamment sur la discrimination qui prévalait et qui prévaut toujours dans la fonction publique quant à l'élément féminin. Au cours des dernières négociations, le gouvernement n'a même pas respecté ses propres lois ou, à tout le moins, les principes établis par celle-ci.

Nous venons de décrire précédemment la lenteur des négociations que nous avons eu à subir et ce, même si les lois 55 et 59 déterminaient des échéanciers de négociation et des obligations à remplir de part et d'autre, ainsi qu'une meilleure identification des intervenants et leur responsabilité face à l'opinion publique. Même le comité d'information sur le déroulement des négociations dans les secteurs public et parapublic s'est également plaint du manque de collaboration de la partie patronale pour informer adéquatement la population sur le conflit en cours. Dans notre cas, le gouvernement n'a même pas respecté les dispositions du Code du travail, puisqu'il n'a pas daiqné donner suite à la demande de conciliation que nous avions formulée conformément aux dispositions du Code du travail.

Le gouvernement n'a pas hésité non plus à utiliser des procédures qui sont pourtant reprochées aux autres employeurs du Québec, en utilisant à outrance la force policière tant municipale que celle de la Sûreté du Québec sur les diverses lignes de piquetage sans compter celle de sa propre police, soit les agents de sécurité du ministère des Travaux publics. Le gouvernement avait également amendé le Code du travail, afin de prévoir l'impossibilité pour un employeur de faire usage de briseurs de grève. Or, le gouvernement a été l'un des premiers à transgresser cette même loi, comme l'indique le rapport de Me Gravel.

Sur l'information, le syndicat estime que le gouvernement a fait preuve d'ingérence dans les affaires syndicales en sanctionnant la loi 62, nous forçant à reprendre le travail au cours du mois de novembre 1979, le gouvernement ayant alors tenté de justifier sa position en prétextant que les votes avaient été pris à la vapeur sur des questions biaisées lors d'assemblées auxquelles les membres n'assistaient pas, sans compter l'utilisation de reportages télévisés où des syndiqués affirmaient qu'ils suivraient la consigne syndicale, mais qu'ils espéraient avoir la version gouvernementale des choses pour pouvoir porter un jugement.

Le gouvernement n'a pas hésité non plus à s'ingérer dans le domaine de l'information aux membres du syndicat en transmettant certaines informations par l'entremise des enveloppes de paie et également en retenant la cotisation syndicale qu'il devait, selon les dispositions de la convention collective, verser au syndicat et ce, possiblement afin de limiter nos moyens financiers.

Quant au Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec, nous avons tout mis en oeuvre afin que les membres soient adéquatement informés des développements survenant dans la négociation. À cet effet, une structure particulière de responsables à l'information a été créée au sein de laquelle plus de 8500 personnes recevaient des bulletins d'information qui étaient publiés hebdomadairement ou dès que des séances de négociation étaient tenues. Plus de 50 bulletins ont ainsi été transmis à ces 8500 responsables. Au cours de cette même période, nous avons également publié dix

documents particuliers traitant de la négociation. Certains comportaient plus de 200 pages et chacun des textes déposés par la partie patronale à la table de négociation était ainsi porté à la connaissance des membres du syndicat. Il en a été de même pour chacune des propositions salariales.

On peut cependant avoir des doutes sur les objectifs poursuivis par le gouvernement lors de certaines émissions télévisées, notamment celle dans laquelle le premier ministre du Québec, M. René Lévesgue, prétendait que le gouvernement ne pouvait continuer à prévoir dans les dispositions de la convention collective une clause d'indexation au coût de la vie et à accorder une augmentation pour tenir compte de la productivité nationale. Pourtant, près de deux jours après cette émission, une telle déclaration n'a pas empêché ce même gouvernement de déposer une offre qui a finalement été acceptée par les membres et qui comportait une indexation au coût de la vie ainsi qu'une augmentation pour tenir compte de la productivité nationale.

Sur la participation aux assemblées, nous estimons que le gouvernement pourrait également être tenté de songer à exiger des taux de participation minimale lorsque les travailleurs seront appelés à prendre une décision majeure. Pourtant, une telle exigence n'est actuellement pas reguise pour l'élection de nos représentants à l'Assemblée nationale et ce, malgré que les décisions qui y sont prises soient sûrement aussi importantes que l'acceptation ou le rejet d'une convention collective.

Quant à nous, des dispositions particulières dans nos statuts prévoient l'obligation que plus de 60% des membres qui ont participé au vote acceptent ou rejettent une convention collective pour que le syndicat puisse agir en conséguence. Le syndicat s'est ainsi imposé des critères supérieurs à ceux exigés par l'actuel Code du travail.

Le syndicat, conformément à ses règlements, a également adopté un mode de consultation, qui a été porté à la connaissance de nos membres, tant sur l'acceptation des demandes syndicales que sur celle des propositions du gouvernement. D'ailleurs, la participation de nos membres aux diverses assemblées tenues tant sur le rejet des propositions du gouvernement au cours du mois de mai 1979 que sur l'acceptation des offres du gouvernement au cours du mois de novembre 1979 a été de l'ordre de 50%.

Le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec tient à mettre également en garde le gouvernement sur le prétexte du non-respect des services essentiels pour éventuellement justifier son attitude. Pourtant, il n'a sûrement pas à se citer en exemple, puisque lors des lock-out qu'il a décrétés, notamment au ministère des Transports, ainsi qu'à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à l'époque la Commission des accidents du travail, il ne s'est pas privé pour mettre également en lock-out les employés qui pourtant avaient été considérés comme services essentiels, selon les accords intervenus avec le syndicat.

D'ailleurs, dans notre cas particulier, nous avons, au cours de chacune des négociations précédentes, convenu des services essentiels à maintenir et ce, sans l'intervention de tiers.

L'accord intervenu prévoyait également une possibilité de révision advenant une grève prolongée, et aussi la possibilité de faire appel au Tribunal du travail en cas de désaccord sur une demande additionnelle.

Un tel accord n'a cependant pas empêché le gouvernement de ne pas respecter ces mêmes services essentiels et également de déposer une injonction, plutôt que de demander au syndicat de convenir de services essentiels additionnels dans le cas des mécaniciens du ministère des Transports.

Même si le gouvernement a déjà tenté de se justifier, guant à la sanction du non-respect des services essentiels, une fois qu'ils ont été déterminés, en évoguant la suspension de l'accréditation, ainsi que l'émission d'injonctions ou d'amendes sévères, allant même jusqu'à l'emprisonnement, guant à nous, il serait nécessaire que le gouvernement, ainsi que ses mandataires, soient également assujettis aux mêmes dispositions.

En conclusion, le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec estime qu'il est nécessaire d'amorcer la réflexion dans le sens de l'application des structures et des processus de négociation elle-même, ainsi que l'échéancier d'une telle négociation. Plutôt que de parler d'abolition du droit de grève dans les secteurs public et parapublic, à notre sens il faudrait reprendre tout le débat autour des mandats de négociation accordés aux représentants patronaux.

Quant à nous, la solution au problème de la négociation n'est sûrement pas uniguement l'arbitrage obligatoire, ni la suspension du droit de grève. Nous estimons que le gouvernement devra lui-même faire le débat sur l'assouplissement de ses appareils de négociation, afin que ceux-ci collent plus à la réalité vécue localement et, par l'utilisation des ressources internes compétentes guant à la matière à négocier, minimiser la lourdeur et les coûts de la négociation.

Le gouvernement devra donc nécessairement simplifier sa prise de décision afin que la recherche du mandat des divers porte-parole gouvernementaux soit plus rapide et permette éventuellement que la négociation se rende à terme dans un délai raisonnable.

Cette même lourdeur administrative n'est-elle pas responsable également des difficultés d'application de cette même convention, qui a fait en sorte que, depuis près de quinze ans, plus de 51 000 griefs ont été déposés par les membres du syndicat et ce, sans compter les quelque 8000 appels de classement qui ont été déposés par les membres suite à l'intégration de 1972 et 1973?

Qu'arriverait-il si le syndicat ne possédait aucun recours valable lui permettant, lors des négociations, de trouver des solutions à ces mêmes problèmes?

Le gouvernement devra également accepter de devenir plus sensible aux moyens de pression en leur donnant un sens et en refusant que les premiers mouvements soient des coups d'envoi plutôt que des signaux d'alarme. Il est à souhaiter, comme le proclamait le premier ministre le 5 novembre dernier, que le gouvernement se préparera aux prochaines négociations avec une conscience aiguë de ses responsabilités et qu'une fois pour toutes il acceptera de se considérer au même titre que tout autre employeur du Québec.

En définitive, le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec estime que l'abolition du droit de grève serait une attaque directe à la démocratie et aux droits des travailleurs pour ce même secteur de travail, car de ce fait, le rapport de forces des parties serait inégal et annulerait toute négociation possible entre les parties. Ainsi, nous pourrions vivre des situations anarchiques qui verraient les travailleurs devoir entreprendre une grève illégale pour obtenir satisfaction dans leurs justes revendications.

De plus, le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec estime que, si l'on veut améliorer les négociations dans le secteur public, il est essentiel d'amender la Loi sur la fonction publique, afin de rendre négociable l'ensemble de nos conditions de travail.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentants du Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec d'être venu nous rencontrer et nous présenter son mémoire. Avec votre permission, je céderai mon droit de parole au député de Lac-Saint-Jean, qui a scruté le mémoire et qui aurait un certain nombre de remarques et de questions en notre nom.

Le Président (M. Rodrigue): M. Brassard (Lac-Saint-Jean).

M. Brassard: Merci, M. le Président. Encore une fois, on se retrouve devant un mémoire qui part de l'hypothèse que le droit de grève dans les secteurs public et parapublic est menacé et on y retrouve à ce moment-là toute l'arqumentation qu'on a déjà entendue maintes et maintes fois depuis trois jours maintenant, visant à défendre le droit de grève. (22 h 45)

Encore une fois, tous ces arguments portent à faux, en quelque sorte, puisque, répétons-le, on ne peut pas, dans ces divers mémoires, s'appuyer sur des positions gouvernementales ou du Parti québécois dont est issu le gouvernement pour justifier le moindrement cette hypothèse, à savoir que le droit de grève est menacé. Quand je lis le titre de votre mémoire Opération survie, Droit de grève, une caricature où un personnage est menacé de noyade, et c'est le droit de grève qui est la bouée de sauvetage, je dis que ce n'est pas du tout justifié, ni fondé une pareille argumentation.

Je ne sais pas pourquoi on retrouve cela dans presque tous les mémoires des organismes syndicaux sans qu'on retrouve cependant à l'intérieur des éléments de preuve qui démontrent le moindrement que le gouvernement manifeste la plus petite intention de toucher au droit de grève dans les secteurs public et parapublic.

C'est le contraire qui est vrai. On n'a qu'à regarder les engagements électoraux du Parti québécois, les déclarations ministérielles, les articles du programme même du Parti québécois pour se convaincre du contraire. Le droit de grève dans les secteurs public et parapublic est loin d'être menacé avec le gouvernement en place.

Je ne sais pas pourquoi on procède de cette façon. Peut-être que c'est une hypothèse aussi, une opinion. Peut-être que c'est parce que l'arsenal des arquments en faveur du droit de grève est très efficace, est très élaboré, que cela porte et qu'à ce moment, c'est utile de poser l'hypothèse que le droit de grève est menacé pour pouvoir énoncer et exposer toute la série des arquments solides et très efficaces pour la défense du droit de grève.

C'est une remarque préliminaire. On retrouve cela partout dans votre mémoire, cette possibilité que le droit de grève soit menacé de disparaître, que le gouvernement aurait des intentions de l'abolir. Ce n'est absolument pas fondé. Je pense qu'il faut de nouveau répéter ce propos.

Cela étant dit, j'aurais deux questions à poser. L'une est à propos des services essentiels. C'est évident que, dans votre cas, la question des services essentiels - on l'a souligné tantôt - est loin d'être aussi dramatique que dans le réseau des affaires sociales c'est bien clair. Vous êtes régis, en matière de services essentiels, par des

dispositions de la Loi de la fonction publique, comme c'était le cas du Syndicat de professionnels. On voit en annexe de votre mémoire que vous reproduisez un mémoire que vous aviez soumis à la commission Martin-Bouchard en 1977.

En matière de maintien des services essentiels, à la page 23 de votre mémoire, vous dites: "Les modalités prévues au paragraphe 2 de l'article 75 de la Loi de la fonction publique continueraient à s'appliquer aux salariés de la fonction publique puisque l'application passée de cet article est garante de l'avenir. " En preuve, on peut retrouver un peu plus loin dans votre mémoire copie de l'entente intervenue entre le gouvernement et le syndicat de la fonction publique en matière de services essentiels.

On sait que la loi prévoit aussi que s'il n'y a pas entente entre les parties, c'est le Tribunal du travail qui doit trancher en cette matière. Donc, c'est à une tierce partie, avec des pouvoirs judiciaires, qu'appartient dans votre cas le pouvoir de déterminer les services essentiels. Dans votre mémoire, à la commission Martin-Bouchard, vous vous montrez - semble-t-il, du moins, c'est ce qu'on peut conclure - satisfaits de ce régime, de ce mécanisme en vue de déterminer les services essentiels.

Or, on constate de votre part une sorte de revirement à ce chapitre et j'aimerais que vous m'en parliez - c'est là-dessus que porte ma question - puisque vous faites partie du regroupement des centrales syndicales et que vous avez endossé le mémoire commun qu'on étudiera la semaine prochaine, dans lequel une des recommandations est que les associations visées à la Loi de la fonction publique soient soumises au mécanisme actuel prévu pour les autres syndicats, c'est-à-dire entente, négociation entre les parties, et, s'il n'y a pas entente, dépôt d'une liste syndicale.

Il y a là une sorte de revirement de votre part, malgré le fait que vous ayez réussi, selon le régime en vigueur actuel, à vous entendre avec le gouvernement au chapitre des services essentiels. Vous semblez faire un virage à ce sujet, puisque vous voulez désormais être soumis aux mêmes règles que les autres syndicats des secteurs public et parapublic. Je voudrais savoir ce qui explique ce revirement, ce changement important de votre position en matière de services essentiels. Est-ce que votre expérience vous incite à réclamer, à revendiquer un changement en cette matière? Voulez-vous justifier votre position?

Ma deuxième question, je vous la pose tout de suite, vous répondrez en même temps. On a vu tantôt que le Syndicat de professionnels du gouvernement a réclamé qu'en matière syndicale, il soit soumis au Code du travail, comme tous les autres syndicats, donc qu'il n'y ait pas un régime syndical spécial en quelque sorte pour lui. Est-ce là également votre position?

M. Harguindeguy: M. le Président, je voudrais faire référence à l'appréhension du député du Lac-Saint-Jean concernant le droit de grève. Ce qu'il est important de retenir, c'est qu'il ne faudrait pas que ce droit de grève soit apparent. Si on se fie à notre expérience en tant que groupe, selon la dernière négociation, en 1978-1979, qui s'est terminée en 1980 finalement, nous avions droit à la grève. Nous avions convenu des services essentiels que nous avons maintenus dans tous les secteurs où des moyens de pression ont été exercés. On se pose de drôles de guestions, à savoir ce qui a justifié l'adoption par le gouvernement du projet de loi 62 qui nous a forcés à retourner au travail, et finalement à accepter - on n'avait pas le choix - les propositions formulées par le gouvernement en date du 21 novembre 1979.

Or, on avait un droit de grève qu'on n'a pu finalement utiliser. C'est ce qu'on veut porter à l'attention des membres de la commission. C'est peut-être bien beau de dire: On vous laisse le droit de grève, il n'est pas question de vous l'enlever, sauf que si on adopte des mécanismes qui font en sorte qu'on restreint la possibilité d'utiliser ce droit de grève, cela revient, à toutes fins utiles, à l'abolir. On est aussi bien de dire carrément: Vous n'aurez plus le droit à la grève, que d'imposer toutes sortes de restrictions et que, dès le moment où on utilise les recours qui nous sont permis, les droits que nous reconnaissent autant le Code du travail que la Loi sur la fonction publique, il y a toujours des interventions d'ordre léqislatif qui nous forcent à retourner au travail.

Les deux seules fois où nous avons fait la grève, il y a eu, à chaque occasion, une loi qui nous a forcés à rentrer au travail, en 1972 et en 1979. Le droit de grève veut dire quoi? À toutes fins utiles, il ne veut absolument rien dire. Je comprendrai que si nous, les fonctionnaires, n'avions pas respecté les services essentiels qui étaient convenus, le gouvernement se soit senti dans l'obligation de légiférer, mais cela n'a pas été le cas en 1979, même en 1972. C'est pour cela que quand on dit qu'on veut se battre pour conserver le droit de grève, on veut avoir un vrai droit de grève et on fait référence à toutes les restrictions qui nous ont été imposées et les mesures répressives.

Pour répondre à votre première question concernant les services essentiels, quant à nous, il n'y a pas de revirement comme tel, puisque notre expérience personnelle a démontré que nous n'avons jamais eu à faire appel à une tierce partie, donc nécessairement de ne pas avoir à

établir nous-mêmes une liste syndicale de services essentiels, ce qui fait qu'étant partie d'un groupe, on s'est rallié à la majorité qui fait face à des problèmes d'une nature assez importante - cela a été exposé - concernant la détermination des services essentiels.

Pour nous, si on applique le principe qui est demandé par la partie syndicale, c'est qu'il y ait négociation, ou entente et, à défaut, qu'il y ait une liste. Dans le cas pratique qu'on a vécu des cinq négociations, à chaque fois, il y a eu négociation et entente. Nous n'avons pas eu à procéder plus loin. Donc, pour nous, accepter ou épouser la recommandation formulée par l'intersyndical ne présente aucune difficulté et ne remet pas en question l'opinion qu'on a soumise à la commission Martin-Bouchard.

Quant à l'autre question, ce qu'on désire, à toutes fins utiles - on vous le demande aussi - c'est d'être assujettis, au niveau des régimes des négociations et au niveau de la détermination des conditions de travail, aux dispositions du Code du travail. Comme les professionnels vous le demandent, comme on l'a déjà demandé - cela a été peine perdue - on veut être en mesure, en tant qu'employés de l'État, de négocier tout ce qui touche nos conditions de travail. Malheureusement, ce n'est pas possible. Ce qu'on souhaite, si on vient à cette commission, c'est peut-être un peu sensibiliser l'ensemble des députés sur nos revendications, parce qu'on ne peut quand même pas dire qu'avec ce qu'on a déjà fait lorsque la Loi sur la fonction publique a été adoptée, et encore tout dernièrement au mois de juin quand vous avez adopté le projet de loi no 12, les revendications qu'on a formulées ont été étudiées à leur juste valeur. Je pense bien qu'on n'a même pas été consultés. Malgré les tentatives de représentations qu'on a formulées, il n'y pratiquement pas eu de commentaires. Cela a été adopté tel quel. Quand même, cela restreignait des droits que nous avions antérieurement. C'est comme cela qu'on le vit. On semble être des laissés pour compte, les fonctionnaires de l'État, quand arrive la négociation ou la détermination des conditions de travail.

Un dernier exemple avec le projet de loi 12. Je pense que vous avez légiférer peut-être à la course. Il y avait peut-être des besoins urgents, on ne sait pas lesquels parce qu'on attend encore les règlements qui doivent nécessairement suivre la loi. Vous avez décidé d'intégrer certains inspecteurs de l'Office de la construction du Québec. Je ne pense pas que vous ayez regardé trop loin l'impact de la décision que vous avez prise, parce que ces gens avaient une convention collective, avec des conditions de travail qui sont tombées à l'eau du jour au lendemain. Ils se sont retrouvés seulement avec la convention collective des fonctionnaires. Donc, le gouvernement a fait fi même de l'esprit de la loi ou du Code du travail, qui prévoit que quand il y a un nouvel employeur, il s'engage à respecter les conventions collectives déjà existantes. Le gouvernement ne le fait même pas pour ses propres employés. C'est cette situation qu'on veut dénoncer. On souhaite - c'est quand même depuis 1965 que des revendications sont formulées - qu'une fois pour toutes, on puisse quand même convenir de nos conditions de travail, ce qui n'est malheureusement pas le cas à l'heure actuelle.

M. Brassard: En matière de régime syndical, est-ce que vous avez la même opinion que le Syndicat de professionnels?

M. Harguindeguy: Nous n'avons pas les mêmes difficultés que le Syndicat de professionnels. Même la Loi de la fonction publique permet, à certaines périodes reconnues comme des périodes de maraudage, qu'il y ait aussi un changement d'accréditation syndicale qui se fasse. Notre regroupement de famille est peut-être différent de celui des professionnels.

Le Président (M. Rodrigue): M. Rivest (Jean-Talon).

M. Rivest: Très brièvement, si vous permettez M. Harguindeguy, j'ai donné un peu la perspective dans laquelle nous nous situons comme groupe parlementaire. Je pense que vous étiez là, M. Harguindeguy, quand j'ai dit - c'est une évaluation personnelle - que, malgré les recommandations et l'étude qui avait été faite de l'ensemble de la Loi de la fonction publique et des dispositions du Code du travail, enfin, pour tout ce qui concerne les employés de la fonction publique, ainsi que les professionnels, en particulier sur le régime syndical et sur le contenu, enfin ce qui fait l'aire des négociations et les réserves qui sont faites à l'intérieur de la Loi de la fonction publique, je souhaitais que le gouvernement n'hésite pas - je sais qu'il y a peut-être le contexte des négociations - à faire une réforme de la Loi de la fonction publique en profondeur sur ce plan. Il y a eu une expérience vécue qu'on ne peut pas ignorer.

J'ai vu, bien sûr, votre mémoire. J'aurais peut-être une question, si vous permettez, et mon collègue de Sainte-Anne en a d'autres. Vous avez dit - je pense que c'est exact - que les ententes... Je ne veux pas que vous portiez de jugement de valeur sur les attitudes des autres, mais dans certaines autres unités de négociations - il n'y a pas juste des unités d'autres syndicats - il est difficile d'en arriver à une entente

pour maintenir les services essentiels. Au niveau du Syndicat des fonctionnaires, c'est facile. Est-ce que cela tient plus, d'après vous, à une différence de nature des services? Par exemple, dans les hôpitaux, on sait que c'est terriblement difficile d'arriver à une entente. À ce moment, est-ce que cette idée d'uniformiser complètement le régime de la fourniture des services essentiels dans la fonction publique et dans les hôpitaux... Est-ce qu'il n'y a pas une différence de nature dans les services aussi essentiels les uns que les autres, mais dans les services offerts à la population? (23 heures)

M. Harquindeguy: C'est sûrement selon la nature des services offerts. Les services que nous considérons essentiels vont quand même plus loin - on les accepte - que les dispositions mêmes du Code du travail. On ne se limite pas seulement à la santé et à la sécurité du public, parce que les services donnés par le gouvernement sont quand même d'un ordre différent, ils sont en tout cas plus globaux que ceux que donnent les hôpitaux et les commissions scolaires. C'est peut-être différent.

Je ne veux pas dire non plus qu'on s'entend facilement, il y a quand même des demandes aussi qui nous apparaissent exagérées de la part de certains ministères. Si on écoute certains ministères, tout le monde est essentiel; c'est sûr que, si on est là, c'est pour quelque chose, mais quand on veut respecter l'esprit de la loi, c'est autre chose. Je peux difficilement répondre pourquoi. Il y a une question de comportement peut-être aussi des individus qui néqocient. Cela dépend ce qu'on recherche. Comme le gouvernement a une possibilité additionnelle que n'ont pas les hôpitaux et les commissions scolaires, parce qu'il y a des mesures législatives qui peuvent intervenir, même des mesures administratives aussi, c'est peut-être pour cela que c'est plus facile; le gouvernement est peut-être prêt à concéder de ne pas considérer certains groupes comme essentiels, parce qu'il a d'autres moyens pour arriver à ses fins. Il y a les employés "confidentiels" dont les représentants des professionnels ont parlé; il y a aussi des employés contractuels qui sont parfois embauchés avant; il y a aussi les lock-out. On peut se poser des questions sur la nature des services. Quand on convient, comme à la CAT, de 36 personnes essentielles sur un total de 1200 et que, parce qu'on a des moyens de pression qui modifient quelque peu la nature des services ou la méthode utilisée pour donner des services, comme les chèques aux accidentés, on se fait menacer de lock-out et qu'effectivement, parce qu'on ne plie pas devant la menace, on est mis en lock-out, même les services essentiels, on peut se poser des questions à savoir si réellement ces 36 personnes sont essentielles. C'est ce qu'on vit dans la pratique courante.

M. Rivest: Une petite question sur le régime de négociation, enfin le droit de grève, les services essentiels. Est-ce que vous voyez d'une façon générale à peu près pas d'inconvénient que le régime soit le même dans l'ensemble du public, parapublic et même péripublic?

M. Harguindeguy: Non. Nous demandons d'ailleurs que le droit de grève soit maintenu et on néqocie les mêmes... De toute façon, à toutes fins utiles, est-ce qu'on peut parler qu'effectivement chacun des groupes est autonome au point de vue de la négociation? Je pense bien qu'avec les mécanismes actuels où c'est quand même le Conseil du trésor qui décide et le Conseil des ministres en arrière, comme les décisions sont applicables partout selon les dispositions de la loi, comme le gouvernement a toujours la possibilité de légiférer, ce qui arrive dans toutes les négociations, on a une certaine limite à nos négociations. On peut difficilement prétendre que, même avec ce qu'on revendique, on négocie totalement comme l'entreprise privée peut le faire. On est dans une situation déjà particulière sauf qu'en plus nous, les fonctionnaires, on a encore un régime d'exception qui prime sur les dispositions du Code du travail. Dans certaines matières, on peut difficilement parler de réelle négociation.

Le Président (M. Rodrigue): M. Polak (Sainte-Anne).

M. Polak: Merci, M. le Président. Seulement deux courtes questions. Excusez-moi si peut-être je ne suis pas très familier en la matière, mais on est ici aussi pour apprendre. M. Harguindeguy, avez-vous les mêmes problèmes, comme cités dans le mémoire précédent, des contractuels?

M. Harguindeguy: Oui.

M. Polak: Vous n'avez pas parlé de cela dans votre mémoire. Je n'ai pas eu la chance de poser la question lors de l'étude du mémoire précédent. Je voudrais savoir si vous avez des statistiques sur ces contractuels. Est-ce que cela existe?

M. Harquindeguy: Cela existe. Il y a particulièrement un organisme qui les utilise à outrance actuellement, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, où on contourne les dispositions autant de notre convention collective que de la Loi sur la fonction publique en embauchant des contractuels. Normalement, l'esprit de la Loi sur la fonction publique faisait en sorte que tous les fonctionnaires, fonctionnaires au sens

légal du terme, devaient être assujettis à la convention collective, à moins qu'ils ne soient considérés comme "confidentiels" ou qu'ils soient exclus par une décision du ministre.

Cependant, la CSST, semble-t-il, ayant un statut particulier au sein du gouvernement, utilise fréquemment maintenant des contractuels qui ne sont pas assujettis à la convention collective, même si l'organisme assume ou assure pratiquement les mêmes conditions, sauf qu'il n'y a pas de recours possible, ni de représentation par le syndicat. Il y a d'autres ministères également. Ce qui arrive fréquemment - de toute façon, vous allez sûrement en entendre parler au cours de l'automne qui vient -c'est le transfert de responsabilités à des contractuels sur la base de sous-contrats. Certains travaux qui auparavant étaient effectués par les fonctionnaires sont maintenant donnés à des entreprises privées. On revient à l'ancienne méthode pour l'entretien des routes, dans tous les domaines, la réparation de l'équipement. C'est cette forme de contractuels que nous avons assez fréquemment.

M. Polak: Est-ce qu'il y a aussi des contractuels qui travaillent à côté des permanents?

M. Harguindeguy: Oui, il y en a.

M. Polak: Est-ce que cela influence l'atmosphère, le climat de travail? Est-ce que cela crée une certaine friction qui a comme résultat qu'on a moins de productivité de part et d'autre? Est-ce que ce problème existe?

M. Harguindeguy: II y a sûrement certaines frictions; les contractuels ont moins de latitude, parce qu'ils ont les mains moins libres vis-à-vis de leur employeur.

M. Polak: Ma dernière question. Dans le mémoire précédent, on a mentionné l'exclusion de certaines catégories de personnel qui ne peuvent pas adhérer au syndicat. Est-ce que vous acceptez les restrictions qui existent? Je pense à nos propres secrétaires. Je ne savais pas qu'elles n'avaient pas le droit d'être membres du syndicat. Il y a toutes sortes d'autres catégories également. Vous ne revendiquez rien sur ce plan. Est-ce que cela veut dire que vous êtes contents de la situation?

M. Harguindeguy: Non. On revendique de pouvoir être assujettis aux dispositions du Code du travail, donc de négocier toutes les conditions, ce qui présuppose que cela se fait dans l'entreprise privée également. Dans l'entreprise privée, le syndicat et l'employeur conviennent parfois que certains employés ne sont pas couverts par la convention collective, ce qui pourrait se faire aussi au gouvernement, sauf qu'au gouvernement c'est une décision administrative. Si nous ne sommes pas satisfaits, nous allons au Tribunal du travail, ce que nous faisons assez régulièrement, puisgue dans notre syndicat nous avons près de 3000 personnes qui sont considérées comme confidentielles. Parfois, on se demande si cela vaut la peine d'aller au Tribunal du travail pour avoir gain de cause. Dernièrement, il y a près d'un an et demi, nous avons eu gain de cause pour certaines catégories d'employés qui travaillaient aux bureaux de personnel. Le Tribunal du travail a statué qu'ils devaient être syndicables, parce que la nature du travail n'était pas confidentielle. Mais le gouvernement a modifié la loi pour rendre ces catégories de personnes confidentielles, dans la loi. Donc, on a été au Tribunal du travail pour rien.

M. Polak: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Rodrigue): Mme

Lavoie-Roux (L'Acadie).

Mme Lavoie-Roux: Cela va être très court. J'imagine qu'on peut poser des questions sur tout le mémoire.

M. Harguindeguy: Nous sommes à votre disposition, madame.

Mme Lavoie-Roux: Dans les pages 32 et suivantes, on a des tableaux sur les offres gouvernementales et les augmentations que cela représentait en pourcentage. Si je prends la page 32 en ce qui touche les agents de bureau, il y a une augmentation de tant de pourcentage en 1978-1979 et, en 1980, c'est zéro tout le long.

Si on va un peu plus loin - et cela c'est dans les salaires horaires - dans l'entretien domestique, les conducteurs d'ascenseurs, les aides à la buanderie et les couturiers, c'est toujours zéro d'augmentation pour la troisième année.

Dans les faits, pouvez-vous m'expliquer pourquoi à peu près les seules catégories qui ne recevaient pas d'augmentation la troisième année étaient les gens qui avaient les plus bas salaires? Est-ce que, au bout de la ligne, cela a été corrigé? D'abord, pourquoi ne leur offrait-on rien en troisième année, alors qu'on en offrait à tout le monde? Et est-ce que cela a été corrigé?

M. Harguindeguy: Heureusement, cela a été corrigé quelque peu, dans le sens des pourcentages d'augmentation, parce qu'ils ne sont pas demeurés à zéro. Mais c'est plutôt une indication. La proposition nous avait été formulée trois jours avant que nous ayons acquis le droit à la grève. Les agents de

bureau représentent 10 000 fonctionnaires au gouvernement. C'est donc presque le tiers des fonctionnaires que nous représentions.

C'est sûr que c'était la politique salariale adoptée à l'époque par le gouvernement, ce qui faisait en sorte qu'estimant que nous étions trop payés nous devions nous serrer la ceinture en 1980. Par contre, l'augmentation qui a été obtenue représente, simplement pour l'aqent de bureau, au maximum, par rapport à la proposition originale, celle qui finalement a été payée, 2200 $ de plus, parce que le salaire maximal est rendu, en 1980, à 15 816 $. Mais ce qui est demeuré au niveau de la rémunération, ce sont certaines catégories d'employés des corps d'emplois où les employés féminins sont en majorité; elles sont demeurées, avec une différence de salaire par rapport à d'autres corps d'emploi de conditions similaires. Et ce, encore aujourd'hui, au moment où on se parle.

Mme Lavoie-Roux: Là-dessus, je dois vous dire que l'ancienne ministre d'État à la Condition féminine, à qui j'avais demandé s'il y avait des clauses discriminatoires dans la convention qui avait été signée avec la fonction publique, m'avait dit - et c'est dans le journal des Débats, à l'étude des crédits du Conseil du statut de la femme, au ministère de la Condition féminine - qu'elle s'était informée à ses collègues ministres pour savoir s'il y avait des clauses discriminatoires et que ses collègues ministres l'avaient assurée qu'il n'y en avait pas. Dans les faits, il en reste. Merci.

M. Harguindeguy: Vous allez en entendre parler, de toute façon, dans un prochain mémoire, au mois d'octobre. Merci.

Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les représentants du Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec.

La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu a terminé ses travaux pour aujourd'hui. Elle les ajourne au mardi 22 septembre, 10 heures.

(Fin de la séance à 23 h 11)

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