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(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Rodrigue): À l'ordre, s'il vous
plaît;
La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et
de la sécurité du revenu reprend ses travaux. Je rappelle que le
mandat de la commission est d'entendre les personnes et organismes relativement
à l'examen des moyens d'améliorer le régime de
négociations dans les secteurs public, parapublic et péripublic
et, de façon plus particulière, à l'étude des
moyens qui permettraient d'améliorer le maintien des services essentiels
lors des conflits de travail dans ces secteurs.
Les membres de la commission sont les députés suivants: M.
Bisaillon (Sainte-Marie), VI. Brassard (Lac-Saint-Jean), M. Dauphin
(Marquette), M. Dean (Prévost), Mme Dougherty (Jacques-Cartier), M.
Rivest (Jean-Talon) - M. Gratton est remplacé par M. Rivest (Jean-Talon)
- Mme Harel (Maisonneuve), M. Lavigne (Beauharnois), M. Marois
(Marie-Victorin), M. Perron [Duplessis), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie).
Les intervenants à cette commission sont les
députés suivants: M. Chevrette (Joliette), M. Gauthier
(Roberval), M. Hains (Saint-Henri), M. Pagé (Portneuf), M. Leduc
(Fabre), M. Mailloux (Charlevoix), M. Paquette (Rosemont), M. Polak
(Sainte-Anne) et M. Rochefort (Gouin).
Au cours de cette journée, nous entendrons les mémoires
des organismes suivants: l'Union des municipalités, le mémoire
30; l'Association des hôpitaux du Québec, le mémoire 5; la
Fédération des centres locaux de services communautaires du
Québec, le mémoire 6; la Fédération de l'âge
d'or du Québec, le mémoire 21; l'Intersyndicale, le
mémoire 37; la Fédération canadienne de l'entreprise
indépendante, le nnémoire 35; le Syndicat des agents de la paix
de la fonction publique, le mémoire 43; la Clinique du peuple de
Saint-Henri, le mémoire 31 et, finalement, l'Association des
médecins du Québec pour le respect de la vie, le mémoire
49.
Je signale aux membres de la commission que nous avons également
reçu les mémoires suivants pour dépôt seulement:
mémoire de M. Pierre Beaulieu, mémoire 14; mémoire de la
Fédération des unions de familles, no 19; Mmes Huguette
Gaudreault et Carmen Coallier, mémoire 17; l'Ordre des
infirmières et infirmiers du Québec, mémoire 47,
mémoire qui sera envoyé aux membres et intervenants de la
commission lorsque le secrétariat l'aura reçu de l'organisme
concerné.
Union des municipalités du
Québec
J'invite donc maintenant les représentants de l'Union des
municipalités à prendre place et à nous présenter
leur mémoire. Le représentant de cet organisme est M. Jean
Pelletier, vice-président, et maire de Québec. M. Pelletier, je
vous invite à nous présenter la personne qui vous accompagne.
M. Pelletier (Jean): M. le Président, M. le ministre, Mmes
et MM. les membres de la commission, je voudrais vous présenter M.
Gilbert de Gagné, qui est conseiller en relations de travail à
l'Union des municipalités qui m'accompagne.
J'imagine, M. le Président, qu'il y a lieu de lire le
mémoire et de répondre ensuite aux questions.
Le Président (M. Rodrigue): Je voudrais simplement vous
préciser que, de façon générale, nous tentons de
consacrer 20 minutes à la présentation du mémoire, 20
minutes aux questions du parti ministériel et 20 minutes à
l'Opposition.
M. Pelletier: Je vous remercie beaucoup. Voici le mémoire
de l'Union des municipalités, M. le Président, sur le
problème des services essentiels.
Le milieu municipal, comme l'ensemble des secteurs public et parapublic,
tend, depuis un certain nombre d'années, à assainir le climat des
relations que les autorités entretiennent avec leurs employés.
Les négociations sont, hélas, régulièrement ardues
et complexes et la cristallisation des oppositions amène trop souvent
à l'impasse, soit à la grève ou au lock-out. Il s'ensuit
donc que certains services auxquels la population a droit et pour lesquels elle
paie de justes deniers sont, du fait même de la grève et du
lock-out, interrompus pour des périodes plus ou moins longues, ce qui
cause évidemment des préjudices certains. C'est ce qui constitue
le poids d'un arrêt de travail dans la dialectique de la
négociation... Par
ailleurs, l'on sait que, parmi les services dispensés à la
population, certains sont reconnus comme essentiels en soi par toutes les
parties en cause et le législateur, en privant, par exemple, les
policiers et les pompiers du droit de grève - l'article 105 du Code du
travail - accrédite cette notion. Mais il est d'autres secteurs qui, de
toute évidence, méritent aussi que l'on légifère
spécifiquement et c'est à cette fin que l'Union des
municipalités du Québec entend intervenir une fois de plus.
Par la promulgation en juin 1978 de la loi 59 modifiant le Code du
travail et créant le Conseil sur le maintien des services de
santé et des services sociaux, le législateur reconnaissait
encore en droit la notion de services essentiels tout en se
référant à l'économie générale du
Code du travail. Les municipalités embauchent près de 100 000
employés et consacrent plus de 1 000 000 000 $ de leurs budgets en
salaires. Leurs représentants groupés au sein de l'Union des
municipalités du Québec sont élus par plus de 80% de la
population du Québec. Il nous semble, dès lors, tout à
fait indiqué que les législateurs fassent écho à
une préoccupation qui habite, à plusieurs titres, les
porte-parole de cet organisme.
L'Union des municipalités du Québec n'en est d'ailleurs
pas à son premier mémoire sur la question. Dès 1977,
l'union présentait au nouveau gouvernement du Québec ses
recommandations en matière de maintien des services essentiels. En
décembre de la même année, l'union émettait ses
commentaires à la Commission d'étude et de consultation sur la
révision du régime des négociations collectives dans les
secteurs public et parapublic: la commission Martin-Bouchard. Plus
récemment, en novembre 1979, l'union remettait aux ministres du Travail
et des Affaires municipales un mémoire portant sur la législation
du travail en milieu municipal, traitant spécifiquement du
problème des services essentiels à la population. Ces
recommandations ont été rendues publiques en janvier 1980 par le
président de l'Union des municipalités, M. le maire de
Sherbrooke, M. Jacques O'Bready, lors d'un colloque portant sur ce sujet
organisé par la Corporation des conseillers en relations industrielles
du Québec.
Notion des services essentiels: Nous avons précédemment
établi que nous considérons que certains services à la
population ne peuvent être suspendus. Pour l'Union des
municipalités du Québec, en effet, les services essentiels
dispensés par une corporation municipale sont ceux dont l'interruption
pourrait porter atteinte à la santé et à la
sécurité du citoyen. Par santé, nous entendons
l'intégrité physigue et mentale des individus. Sous le vocable
sécurité, il faut comprendre la protection contre les agressions
publiques, la protection de la propriété, celle contre les
incendies ou tout autre sinistre et enfin le maintien de l'ordre et de la paix.
Il est acquis, nous l'avons écrit déjà, que les services
de police et de pompiers sont absents du débat actuel. Par ailleurs,
nous ne croyons pas qu'il soit pertinent, pour un organisme comme le
nôtre, de définir ce qui est ou n'est pas essentiel, à
l'extérieur du cadre des opérations strictement municipales. Nous
nous en tiendrons donc à ce cadre très précis des affaires
municipales.
Il importe pour nous de démontrer que l'on doit considérer
comme essentielles l'opération des usines de filtration et de pompage,
les réparations de bris d'agueduc et d'égout. Nous
considérons, en effet, que l'opération des usines de filtration
et de pompage des eaux est absolument essentielle à la santé et
à la sécurité publique. Ces services doivent être en
opération 24 heures par jour, 7 jours par semaine et ils
nécessitent la présence d'employés
expérimentés en tout temps, pour assurer leur bon fonctionnement.
On peut facilement imaginer les dangers que représentent, pour le
bien-être des citoyens, une usine de pompage ou de filtration à
l'arrêt: l'eau contaminée et les risques d'épidémie,
l'impossibilité de faire fonctionner le système sanitaire et
d'égout, l'impossibilité de combattre les incendies;
l'impossibilité d'assurer les services essentiels dans les
hôpitaux, etc.
Par ailleurs, il ne faudrait pas négliqer que l'arrêt des
machines risque d'endommager gravement les installations. Or, par l'article
109. 3 du Code du travail, le législateur reconnaît qu'un
employeur peut prendre "les moyens nécessaires pour éviter la
destruction ou la détérioration grave de ses biens meubles ou
immmeubles. "
D'autre part, nous considérons que les réparations de bris
d'égout ou d'acqueduc sont urgentes et ne peuvent être
retardées au risque de graves dommages pour la population.
Enfin, l'Union des municipalité du Québec estime que, dans
certaines circonstances, le service de la voirie peut s'avérer
absolument indispensable. Que l'on songe seulement aux conséquences
d'une tempête de neige qui pourrait empêcher la circulation des
ambulances, des camions à incendie, des voitures de police, etc.
Outre le strict sens commun qui démontre hors de tout doute
raisonnable la nécessité absolue de ces services, la
jurisprudence émanant de la Loi sur les cités et villes, qui
régit les municipalités, leur fait une obligation de maintenir
ces services aux citoyens; ceux-ci sont donc en droit de les exiger.
Droit de grève. Alors que le Code du travail interdit la
grève à certains corps de métier, dans le cas des
employés oeuvrant
dans des usines de filtration ou de pompage, dans les services
d'acqueduc, d'égout ou de voirie, la grève est permise, comme
à tout autre salarié, moyennant un simple préavis de huit
jours au ministre du Travail. Ce mécanisme ne garantit donc pas le
maintien des opérations.
En contrepartie, l'Union des municipalités ne croit pas qu'il
soit du ressort syndical de déterminer, par liste ou autrement, quels
sont les employés qui doivent demeurer au travail en cas de conflit.
L'administration d'une municipalité ne doit, sous aucune
considération, se comparer à la gérance d'une entreprise.
Il ne saurait être question ici de la notion de profit. Les conseils de
ville ont à fournir des services qui sont d'ordre public, qui se situent
exactement dans le cadre de ce que le Code du travail définit en son
chapitre V. Les "administrateurs municipaux" sont élus par des citoyens
qui leur confient le mandat de pourvoir au bien-être public. Ce mandat ne
devrait en aucun moment cesser d'être exécutoire pour passer aux
mains d'une association syndicale, fût-elle dûment
accréditée. Par contre, l'Union des municipalités du
Québec ne croit pas que l'abolition du droit de grève pour les
syndicats regroupant, notamment, les employés requis pour les services
d'eau constitue une solution réaliste pour arriver à assainir le
climat trouble des relations de travail. La société
québécoise a accumulé quinze années d'histoire,
depuis que les employés des secteurs public et parapublic ont acquis ce
droit de grève, et nous sommes d'avis qu'il est illusoire et
rétrograde de rêver de renverser cette orientation. De même,
le recours systématique à l'injonction, en vertu de l'article 111
du Code du travail, qui prévoit l'établissement d'une commission
d'enquête dans les cas où une grève
appréhendée ou en cours met la santé ou la
sécurité publique en danger et, dès lors, permet
l'injonction, n'est pas un moyen approprié de règlement de
conflit, sans compter que des relations qui sont parfois orageuses sont
envenimées ipso facto par ce recours à la Cour
supérieure.
Pourtant, n'est-ce pas là la seule issue raisonnable lorsque
survient brusquement un litiqe et que les services indispensables ne sont pas
garantis de façon absolue, ceci dans le cadre de la législation
actuelle?
Régie des services essentiels. Dès lors, plutôt que
d'en arriver à l'interdiction du droit de grève aux syndicats de
cols bleus, de cols blancs, etc., l'Union des municipalités du
Québec suggère qu'un mécanisme obliqatoire de
négociation et d'entente sur le maintien des services dits essentiels
soit défini et qu'il s'inscrive au Code du travail.
Essentiellement, nous exiqeons du législateur un régime
d'exception qui se justifie d'ailleurs absolument, compte tenu de l'urgente
nécessité d'agir lorsque surgit un conflit de travail qui menace
le bien-être public. L'union propose donc, en outre, lacréation d'une régie des services essentiels relevant de
l'Assemblée nationale, à laquelle incomberait la
responsabilité d'assurer à la population tous les services
essentiels de santé et de sécurité par tout moyen
administratif ou judiciaire: pouvoir de décret et moyens de le faire
respecter.
Déjà, en 1977, la Commission d'étude et de
consultation sur la révision du régime des négociations
collectives dans les secteurs public et parapublic, la commission
Martin-Bouchard, recommandait la formation d'un comité protecteur des
bénéficiaires. Le législateur, croyons-nous, a
réagi timidement en formant le comité Picard qui n'avait, par
ailleurs, qu'un pouvoir consultatif. Nous maintenons qu'une régie
permanente est une solution nettement supérieure.
En conclusion, M. le Président, l'Union des municipalités
du Québec est d'avis que, malgré l'économie du droit
prévalant en cette matière, soit que les parties doivent d'abord
tendre à solutionner elles-mêmes tout conflit, esprit qui se
cristallise dans les faits historiques des quinze dernières
années, il est du devoir du législateur de même que des
autorités politiques ou administratives qu'il investit de certains
pouvoirs de veiller à la santé et à la
sécurité des citoyens. Dès lors, lorsque survient une
situation d'urgence, le législateur doit avoir établi des
mécanismes qui le mettent à l'abri de toute pression, qu'elle
soit syndicale ou politique.
L'Union des municipalités du Québec convient que la
commission Picard a démontré que, lors des derniers conflits dans
les secteurs public et parapublic, des ententes soit intervenues dans un grand
nombre de cas. Mais il demeure, à notre avis, que là où la
négociation achoppe le mécanisme de la liste syndicale ne
constitue aucunement une garantie que les services essentiels seront
maintenus.
Nous croyons donc que les services dits et reconnus comme essentiels
doivent être négociés, mais qu'en l'absence de consensus
une forme d'arbitrage universel doive être consentie à ce
chapitre. L'union a suggéré et réitère qu'entre les
sixième et troisième mois avant l'échéance d'une
convention collective les parties pourraient s'entendre sur les effectifs
nécessaires au maintien des services de base. Si elles ne s'entendent
pas, une régie constituée de membres neutres et impartiaux
pourrait, après expertise et consultation, entre le troisième
mois et la fin de la convention, statuer ponctuellement et devenir le
mécanisme incorruptible qui tranche un débat trop souvent
chargé d'émotions ou d'intérêts divers.
L'Union des municipalités du Québec croit qu'une telle
mesure, dépassant les enjeux politiques, permettrait enfin aux
parties de négocier dans un climat assaini et plus
civilisé. Il ne s'agit nullement de renier aux syndicats municipaux leur
droit à la grève. De toute façon, en déposant leurs
listes d'employés affectés au maintien de certains services, les
unités syndicales reconnaissent le bien-fondé du concept de
services indispensables. La mise sur pied d'une régie ne fait
qu'extraire une part des objets d'un arrêt de travail, soit ce qui ne
saurait être interrompu. L'Union des municipalités du
Québec réclame du gouvernement qu'il intervienne de façon
catégorique afin de décharger l'atmosphère des relations
de travail qui s'alourdit malheureusement au fur et à mesure que se
raidissent les parties. Les autorités municipales croient, en effet, que
les mesures ici proposées s'inscrivent dans une démarche morale
et que c'est encore la règle de la civilité qui doit
s'imposer.
Nous avons réitéré notre sentiment en ce qui a
trait aux injonctions auxquelles les municipalités sont
évidemment forcées d'avoir recours lorsque, dans le cadre des
lois actuelles, les conditions l'imposent. Nous sommes foncièrement
convaincus qu'un mécanisme neutre, telle une régie, saurait
rasséréner les échanges parfois explosifs entre les
employés et l'État et conférerait à la population
le sentiment de la sécurité à laquelle elle aspire et
à laquelle, à notre avis, elle a parfaitement droit.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants de l'Union des municipalités. J'invite maintenant
M. le ministre du Travail, à entamer nos discussions sur cette
question.
M. Marois: Merci, M. le Président. Je voudrais tout
d'abord remercier l'Union des municipalités du Québec de son
mémoire et remercier son porte-parole.
Avec votre permission, M. le Président, je céderais
immédiatement la parole à mon collèque, le
député de Prévost, adjoint parlementaire, qui a
particulièrement examiné ce mémoire et qui aurait un
certain nombre de remarques et de questions à poser en notre nom.
Le Président (M. Rodrigue): M. Dean (Prévost).
M. Dean: Merci, M. le Président. D'abord, il y a un petit
manque de précision ou de compréhension de notre part. Vous
mentionnez quelque part une procédure d'arbitrage. Ma première
question serait pour que vous clarifiiez ce point: Cette procédure
d'arbitrage à laquelle vous référez est-elle la
décision du conseil des services essentiels que vous préconisez,
ou de la régie, une décision qui serait arbitraire? Est-ce cette
décision, à défaut d'une entente sur les services
essentiels, qui serait l'arbitrage auquel vous référez dans le
mémoire?
M. Pelletier: Nous croyons que la régie des services
essentiels, qui serait un organisme relevant de l'Assemblée nationale
pour la démarquer complètement du ministère du Travail
qui, lui, doit continuer à jouer son rôle à
l'intérieur des conflits et de la procédure de la
négociation, de la conciliation et autres, à toutes fins utiles,
servirait d'arbitre. Sa décision, qui serait sous forme d'un
décret, serait somme toute une décision d'un arbitre. C'est la
notion que nous voulons faire ressortir. Je ne veux pas faire de
sémantique mais, quand on parle d'arbitrage, c'est le rôle que
jouerait la régie en tant qu'arbitre entre les parties qui, finalement,
décide.
M. Dean: Maintenant, à la page 6, en parlant de la
régie, vous dites: "... à laquelle incomberait la
responsabilité d'assurer à la population tous les services
essentiels de santé et de sécurité par tout moyen
administratif ou judiciaire". (10 h 30)
M. Pelletier: Ce que nous voulons souligner par là, c'est
qu'il ne sert à rien de donner à une régie le pouvoir de
décréter ce qui doit être, une fois qu'elle a
consulté, qu'elle a reçu les avis pertinents et qu'elle s'est
faite une opinion, si elle n'a pas non plus les pouvoirs de faire respecter sa
décision. Il faudrait que la régie, si on la crée, ne soit
pas investie seulement du pouvoir de dire, mais qu'elle ait aussi celui de
faire respecter ce qu'elle a dit puisqu'elle est l'orqanisme ultime de
décision. C'est ce qu'on veut dire quand on dit "par tout moyen
administratif ou judiciaire". On laisse aux savants juristes qui conseillent le
gouvernement le soin de déterminer les voies et moyens, mais ce que nous
voulons dire, c'est qu'il faut qu'un décret puisse être
respecté et que l'organisme qui l'a rendu puisse faire respecter sa
propre décision.
M. Dean: En quoi un tel décret différerait-il,
d'après votre organisme, de l'injonction qui, comme vous le dites, ne
sert qu'à envenimer les relations patronales-syndicales dans votre
mémoire?
M. Pelletier: Sans vouloir faire de remarques
désagréables, je dirai qu'à mon sens, c'est une question
de compétence. La régie des services essentiels, on y aurait
nommé des gens particulièrement au courant des relations de
travail, du problème des services essentiels, ce que ne sont pas
toujours les savants juges des tribunaux qui ont des compétences bien
diverses. On croit qu'une régie risquerait d'avoir à son service
des réqisseurs plus spécialisés en la matière et
capables de rendre peut-être une décision
plus éclairée et plus cohérente d'un cas à
l'autre.
M. Dean: Maintenant, vous dites dans votre mémoire que
cette régie aurait le pouvoir de statuer trois mois à l'avance.
Plusieurs des parties qui sont venues devant la commission parlementaire ont
expliqué la nature évolutive de la situation des services
essentiels, comment, avec le passaqe du temps, de jour en jour, de semaine en
semaine, selon la saison de l'année, selon un certain nombre de
considérations, la situation des services essentiels peut
évoluer. En d'autres termes, ce qui est peut-être essentiel cette
semaine le serait moins la semaine suivante ou encore davantage une autre
semaine après. De quelle façon une commission qui statue trois
mois avant l'expiration d'une convention peut-elle être assurée
que sa décision soit à propos au moment du déclenchement
effectif et possible d'une grève trois mois plus tard?
M. Pelletier: M. le Président, ce qu'on a
suggéré, c'est qu'à toutes fins utiles, six mois avant
l'expiration de la convention, le Code du travail oblige les parties à
négocier. Elles ont trois mois pour le faire. Si, au bout de ces trois
mois et, à ce moment, il reste encore trois mois avant l'expiration de
la convention, il n'y a pas eu d'entente négociée possible,
à ce moment, c'est la régie qui entre en cours. La régie a
trois mois. Dans les trois mois, elle doit rendre sa décision. La
décision de la régie doit intervenir avant que la convention
collective en cours se termine. Ce n'est pas nécessaire que ce soit
absolument trois mois avant, cela peut aussi être deux semaines avant;
à elle de juger le moment opportun de rendre sa décision. Ce que
nous nous disons, c'est qu'à mon sens, évidemment, il y a dans
votre question une sorte de présomption que les grèves puissent
être longues puisqu'elles pourraient peut-être, si j'ai bien
compris votre question, s'étendre sur plusieurs saisons; si c'est
prévu que la grève puisse être longue, à ce moment,
que la décision de la régie tienne compte de l'évolution
du calendrier, si jamais le calendrier est pris à partie par une longue
grève; à ce moment, qu'elle détermine au fur et à
mesure ce qui est nécessaire ou non.
Si, évidemment, vous avez une grève en plein
été, on ne parlera pas de l'enlèvement de la neiqe. Mais
si la grève peut durer jusqu'au mois de décembre, à ce
moment, il faudra que la décision de la régie tienne compte que,
si jamais on est encore en grève au mois de décembre, à ce
moment, il y a des services qui deviennent essentiels et qui ne le sont pas en
plein été.
M. Dean: Ce n'était pas dans le sens de dire que les
grèves peuvent être longues, mais que, de jour en jour ou de
semaine en semaine, une situation de services essentiels à maintenir
peut évoluer; ça peut être différent dans les
municipalités. Plusieurs des intervenants des deux parties à la
table de négociations ont insisté sur le fait que parfois les
services évoluent. Évidemment, même si on est au mois de
novembre, s'il n'y a pas de neige, on n'a pas besoin de déblayage, et
une décision peut être rendue par un tribunal dans le sens qu'il
n'y a pas de neige. Il arrive une grosse tempête, la situation peut
évoluer, comme le lendemain d'un dégel complet où la neige
disparaît, cela évoluerait dans l'autre sens. C'est dans ce sens
qu'on parlait, parce que plusieurs autres intervenants ont insisté sur
cet aspect changeant des services essentiels à maintenir à un
moment donné.
M. Pelletier: M. le Président, à ce
moment-là, il faudra que la loi prévoie certains
mécanismes de souplesse propres à s'adapter à
l'évolution de la situation. Je pense que c'est le devoir du
législateur de prévoir ces choses.
M. Dean: J'ai trois autres questions. Je ne veux pas prendre trop
de temps. Pensez-vous que toutes les municipalités, si une telle
régie existait, auraient recours à ce conseil ou est-ce qu'il y
en a quand même qui iraient en injonction? Et si la régie ne
répondait pas selon leurs ententes, est-ce qu'elles continueraient
à utiliser l'injonction?
M. Pelletier: M. le Président, on sent dans le monde
municipal une certaine qêne à recourir à l'injonction mais,
étant donné que c'est la seule arme à notre disposition,
on est bien obligé de s'en servir. Mais personne n'est heureux de le
faire dans le monde municipal, je pense que c'est acquis globalement. S'il y
avait, à notre avis, une façon un peu plus civilisée de
faire les choses - et c'est l'esprit de la proposition qu'on fait - on a
l'impression qu'à toutes fins utiles le recours à l'injonction,
si la loi continuait à le laisser possible, serait vraiment très
exceptionnel.
M. Dean: Deux questions pour terminer. Un grand nombre
d'intervenants ont insisté sur le fait que, quel que soit le cadre
juridique des négociations dans les secteurs public et parapublic, le
comportement des deux parties ou même les trois parties, si on veut
ajouter le gouvernement, est aussi une chose importante. On a souvent entendu
dire, parlant du secteur public, qu'il y a des administrations de ce secteur
qui trouvent qu'une petite grève fait du bien, parce que cela permet
d'économiser sur le budget, d'éponger des déficits en
ménageant les salaires. Une telle idée fait-elle son chemin dans
le monde municipal? La dernière
question est la suivante: Votre organisme est-il d'accord que, si une
telle régie était instituée avec des pouvoirs coercitifs,
cela exigerait un sens beaucoup plus grand des responsabilités de la
part des négociateurs patronaux aussi pour qu'ils n'ambitionnent pas,
comme on dit, sur la situation des syndiqués?
M. Pelletier: M. le Président, il y a dans la question -
je m'excuse de le dire -un certain cynisme. Je pense que les administrateurs
publics municipaux ne sont pas cyniques au point de vouloir créer des
conflits de travail ou de faire durer des conflits de travail simplement pour
soulaqer la facture du contribuable dans son compte de taxes. Je suis convaincu
que le gouvernement raisonne de la même façon quand il y a des
grèves dans le secteur hospitalier, par exemple, qui ont
été régulières depuis dix ans, mais je pense que
les grèves n'ont pas été dessinées pour soulager la
facture du ministre des Finances. Là-dessus, je me dois de dire que j'ai
suffisamment confiance dans le sens de responsabilités des élus
municipaux pour croire et affirmer que, lorsqu'il y a une grève, ce
n'est pas pour soulaqer un budget, c'est parce qu'il y a des enjeux qui, de
l'avis raisonné des parties, mènent parfois à un
arrêt de travail.
On nous demande si cette situation va amener un plus grand sens de
responsabilités de la part des négociateurs patronaux. Je ne sais
pas si M. le député infère dans sa question que parfois,
on en a déjà manqué. Quant à moi, je ne connais pas
de cas qui illustreraient cette pensée.
M. Dean: Si vous me permettez, il y a seulement deux petits
points. Ce n'était nullement du cynisme qui motivait mes remarques,
monsieur, mais seulement 28 ans d'expérience de négociations
collectives, y compris avec les muncipalités, dans les années
soixante, qui me font dire ces choses.
M. Pelletier: Je m'incline devant votre expérience. Je
n'en ai que cinq.
M. Dean: Je répète aussi une conviction que j'ai
que cela prend deux personnes pour faire une chicane comme cela en prend deux
pour faire une entente. Tous les torts ne sont sûrement pas du
côté des travailleurs.
Le Président (M. Rodrigue): M. Rivest (Jean-Talon).
M. Rivest: M. le Président, si vous n'y voyez pas
d'objection, je vais demander à mon collèque de Sainte-Anne de
prendre ce mémoire.
Le Président (M. Rodrigue): M. Polak
(Sainte-Anne).
M. Polak: M. Pelletier, je dois d'abord vous dire que c'est
seulement depuis le mois d'avril que je viens régulièrement dans
la ville de Québec et je trouve que c'est une ville fantastique. Je suis
en amour avec votre ville. Je vous parle sans doute maintenant au niveau du
maire de la ville de Québec, mais il doit s'agir d'une très belle
et bonne administration, parce que j'ai trouvé jusqu'à maintenant
que c'était fantastique. Je vous félicite de votre ville et de la
manière dont vous vous en occupez. On peut le constater tout de
suite.
M. Pelletier: Mon seul souhait, c'est que votre avis soit
partagé par tous les membres de cette commission.
M. Polak: Vous et votre conseil.
Maintenant, M. Pelletier, je pense que votre association, l'Union des
municipalités, était un peu modeste; j'apprécie bien cela,
mais je pense que le grand public doit savoir qu'il s'agit ici, comme vous
l'avez dit dans votre mémoire, de 100 000 employés. C'est tout de
même un nombre très intéressant, très fort et il y a
un budget de 1 000 000 000 $ de salaires. Donc, on ne parle pas ici d'un petit
groupement. On parle vraiment ici d'un organisme qui doit avoir beaucoup
d'influence par son opinion. J'espère que le ministre portera attention
à ce qui se trouve dans le mémoire.
Maintenant, quand vous parlez des services essentiels, vous l'expliquez
très bien dans votre mémoire, vous donnez des exemples des usines
de filtration et de pompage, de réparations de bris d'aqueduc et
d'égout. Par la suite, à la page 4, vous parlez même des
services essentiels dans le domaine de la voirie, par exemple, une
tempête de neige, et vous avez parfaitement raison. Par exemple, dans mon
comté, j'ai l'île des Soeurs; il y a une petite route
d'accès de la ville de Verdun à l'île des Soeurs, à
une voie. Si jamais cette route était bloquée, on aurait un
désastre au point de vue de la circulation des ambulances, des camions
d'incendie, des voitures de police, etc. L'exemple existe même dans mon
comté et je suis certain que cela existe ailleurs partout dans la
province.
Donc, je suis d'accord avec vous que, même si, dans le domaine des
malades, le problème est peut-être plus concret devant nous, dans
le domaine des municipalités, c'est aussi qrave et aussi important.
C'est un domaine différent, mais les services essentiels sont aussi
importants.
Je voudrais savoir de vous - ma première question - si vous avez
eu, vous ou d'autres municipalités, des problèmes pour maintenir
ces services essentiels que j'ai décrits: usines de filtration, pompage,
etc.,
auparavant, pendant les grèves. Est-ce qu'il y a des exemples
où le système actuel n'a pas marché du tout?
M. Pelletier: Effectivement, je n'ai pas ici la liste des cas
précis, M. le député, mais il y a eu des cas au
Québec où, en cas d'arrêt de travail, on a
été obligé, vu que les services essentiels normaux ne se
sont pas mis en branle assez rapidement, devant l'urgence de la situation, de
faire appel à des entreprises privées, ce qui ne nous semble pas
désirable. Cela crée une effervescence désagréable.
Tout le monde pense qu'on veut briser la grève, qu'on a recours à
des mesures dilatoires pour passer à côté des obligations
de la loi, alors qu'en définitive les administrateurs publics veulent
simplement, dans ce cas, pallier à une situation d'urgence. C'est pour
cela que nous voudrions bien clarifier la situation de façon que ces
contextes désagréables et frustrants pour tout le monde ne
puissent pas se revoir dans notre vie municipale.
M. Polak: Maintenant, est-ce que ces problèmes que vous
mentionnez sont assez sérieux pour dire que vous n'acceptez plus le
statu quo?
M. Pelletier: II y a déjà un certain temps, M. le
député, que nous avons fait savoir, l'Union des
municipalités, que la notion de services essentiels dans les
municipalités devait être révisée et qu'elle devait
dépasser les services de police et de pompiers pour englober, tel qu'on
le répète ici, les services de stations ou d'usines de filtration
et de pompage, les services d'aqueduc et d'égout et, occasionnellement,
de voirie. On croit que la vie municipale fourmille d'exemples très
concrets pour illustrer la nécessité d'une redéfinition
très réaliste des services essentiels dans le monde
municipal.
M. Polak: À la page 5 de votre mémoire, vous dites
que cette liste - moi, j'appelle cela cette fameuse liste syndicale -il faut
changer cela, à votre suggestion. D'ailleurs, on retrouve cela dans
beaucoup d'autres mémoires qui critiguent cette liste syndicale. J'ai
entendu dire très souvent que le problème avec cette liste
syndicale, c'est qu'on laisse le syndicat, qui est en même temps partie,
devenir juge; à un moment donné, il y a un conflit
d'intérêts. On peut dire: Nous sommes responsables, nous sommes
des professionnels, nous savons très bien ce que cela veut dire,
services essentiels, mais, tout de même, à un moment donné,
sur quelle chaise est-on assis? L'élément personnel de la
grève du travailleur ne vient-il pas en conflit avec son devoir public
d'assurer les services essentiels? Est-ce que c'était plus ou moins la
raison pour votre organisme de présenter ce mémoire, comme
d'ailleurs beaucoup d'autres mémoires n'émanant pas des
syndicats? (10 h 45)
M. Pelletier: M. le député, j'abonde dans le sens
de votre remarque. Autant il nous apparaîtrait qu'il ne faille pas
laisser à la partie syndicale le soin de déterminer la liste,
autant la contrepartie, qui aurait été de laisser à la
partie patronale le soin d'établir la liste, ne nous apparaît pas
non plus souhaitable. C'est justement pour que la décision soit prise
par une entité qui ne soit pas une des parties en cause dans le conflit
que nous avons demandé que ce soit, en définitive, si la
négociation échoue entre les parties, un organisme neutre, donc
la régie des services essentiels, qui prenne la décision.
M. Polak: On arrive donc à votre suggestion de
créer une régie des services essentiels, une régie
permanente. Comment voyez-vous cette régie? Je comprends très
bien que, dans votre domaine, cette régie pourrait presque
déterminer les règles du jeu qui s'appliquent à tout le
monde, mais dans le secteur hospitalier ça peut varier
énormément d'un endroit à l'autre; il y a des changements
qui dépendent de la nature des services qu'on offre. Est-ce que vous
voyez une régie qui s'occupe de tous les domaines, y compris le secteur
de l'éducation, parce que même là il y a des services
essentiels, ou est-ce que vous voyez des secteurs, comme un secteur pour les
municipalités, un autre secteur pour le domaine hospitalier, etc., dans
cette régie? Avez-vous pensé à ça?
M. Pelletier: M. le Président, nous avons bien dit dans
notre mémoire que nous nous cantonnions uniquement au monde municipal;
nous n'avons pas voulu déborder le cadre municipal, ce qui ne serait pas
de notre compétence. Le législateur verra s'il veut confier
plusieurs secteurs à cette régie, ça sera son choix. Nous,
on pense que ce remède que nous proposons serait un meilleur cadre pour
régler le problème dans le monde municipal, laissant aux autres
intervenants d'autres milieux qui comparaîtront devant vous de faire les
commentaires pertinents sur leur milieu à eux.
M. Polak: Quant à cette régie ou cet organisme,
qu'est-ce que vous pensez de l'idée - je crois que c'est très
important -d'avoir une représentation directement de l'usager, du
public? Même dans le cas des municipalités, ce sont les
contribuables qui en souffrent, par exemple, qui tombent dans une rue où
il n'y a pas de sel et se cassent la jambe; ou encore, pour les usines de
filtration, ce sont eux qui connaissent très bien les services requis.
Donc, que pensez-vous de l'idée que le public soit
représenté,
de quelque manière que ce soit, au sein de cette régie
permanente?
M. Pelletier: M. le Président, je vous ferai remarquer que
nous avons relié la régie proposée à un statut
d'organisme relevant directement de l'Assemblée nationale. Je pense que
c'est très indicateur de notre idée que les gens nommés
à la régie doivent être absolument indépendants de
tout pouvoir, même gouvernemental. Est-ce que la régie voudrait
qu'il y ait un mécanisme de consultation du public qui interfère
à un moment de l'examen d'une question par la régie?
Peut-être. Nous ne sommes pas opposés à ça, mais
nous croyons que la décision qui doit être rendue par des
régisseurs doit l'être par des personnes qui sont dans leur
"statut d'employé public", soit des gens comme le Vérificateur
général, le Directeur général des élections
ou d'autres employés émanant de l'Assemblée nationale. Il
faut qu'ils soient parfaitement à l'abri de toute pression,
complètement sécurisés quant à quelque partie que
ce soit, incluant la partie gouvernementale. C'est un choix que nous avons
fait. Nous aurions pu dire que cette régie aurait pu dépendre,
par exemple, du ministre du Travail, mais du ministre du Travail
dépendent aussi les services de conciliation, les services d'arbitrage,
enfin tout le mécanisme qui encadre et assiste le mécanisme de la
négociation et des relations de travail en général. Nous
avons voulu faire de la régie un organisme bien à part, de
façon que son indépendance ne puisse pas être mise en doute
par qui que ce soit et qu'il y ait une garantie maximale de liberté pour
ceux qui, membres de la régie, rendront les décisions.
M. Polak: Sans doute vous serez d'accord avec la suggestion que
cet organisme doit avoir, disons, des dents. Il faut que ses décisions
soient exécutoires tout de suite, qu'il n'y ait pas d'appel possible
devant les tribunaux, qu'on ne laisse pas traîner cela de sorte
qu'à un moment donné on est en grève et que le tribunal
n'a pas encore décidé si c'est juste de qualifier tel et tel
service d'essentiel. Est-ce que vous êtes d'accord avec la suggestion que
cet organisme doit tout de même avoir une structure, disons, quasi
judiciaire, être organisée de manière que ses
décisions soient exécutoires, qu'elles lient et qu'il ait des
dents?
M. Pelletier: Nous sommes parfaitement d'accord pour que la
régie ait non seulement le devoir de rendre des décisions, mais
qu'elle ait le pouvoir de les faire respecter, avec ce que cela implique au
plan des dents que la loi devrait comporter.
M. Polak: Je vous remercie.
Le Président (M. Rodrigue): Mme Harel (Maisonneuve).
Mme Harel: M. Pelletier, vous allez me permettre de
réitérer la question posée par mon collègue de
Sainte-Anne, M. Polak. Évidemment, devant cette commission, vous avez
vous-même noté que nous sommes au Québec, depuis guinze
ans, dans un régime où le droit à l'exercice du droit de
grève existe pour des dizaines de milliers d'employés des
municipalités et vous recommandez ce que vous considérez
être une solution supérieure pour régler un problème
grave. Mais je pense qu'il nous serait avantageux de connaître
l'importance de la maladie. Je réitère donc la question
concernant des cas concrets et réels qui se sont
présentés. Considérez-vous, d'une part, que ce
problème du maintien des services essentiels s'est aggravé dans
les municipalités où les employés ont eu recours à
la grève et pouvez-vous nous citer des cas où on pourrait
évaluer l'importance de la maladie avant d'examiner le recours que vous
préconisez?
M. Pelletier: Je vais demander à M. de Gaqné, si
vous voulez, de répondre à cette question.
M. de Gagné Gilbert: Les endroits où on a mieux
connu ces difficultés, c'est dans la région de Montréal.
Il est arrivé régulièrement, dans les dix dernières
années en particulier, à l'occasion de grèves en hiver -
on en a connu plusieurs; l'Assemblée a eu à se pencher sur la
toute dernière grève des cols bleus en hiver - que le
système d'eau ait eu des bris et il s'agissait, à ce
moment-là, de faire des coupes dans la chaussée. À chacune
des grèves, on a connu des dizaines de cas où le travail a
dû se faire en tous lieux de la ville. C'est là que les
difficultés et les risques d'en venir aux mains interviennent puisque ce
n'est pas à l'intérieur d'un édifice, ce n'est pas une
production protégée, c'est partout sur la chaussée, et les
entrepreneurs privés qu'on est obligé de faire venir ne sont
certainement pas les bienvenus. Alors, c'est là particulièrement
que cela se vit, mais cela se vit également dans l'ensemble des
municipalités du Québec.
Mme Harel: Dans l'ensemble! Plus précisément, il y
a 1300 municipalités; vous êtes au fait des problèmes,
est-ce que vous pouvez nous en identifier quelques-uns?
M. de Gagné: II faudrait d'abord préciser que
l'Union des municipalités du Québec couvre les
municipalités qui sont régies par la Loi sur les cités et
villes. Donc, cela nous ramène à 250 municipalités. Dans
les 250 municipalités, je crois que des
municipalités comme Black Lake ont eu des difficultés
l'année passée à faire fonctionner leur usine de
distribution d'eau. Je crois que la ville de Québec elle-même,
même si M. le maire ne veut pas le signaler, a certainement eu à
régler des problèmes semblables. Je crois que la ville de
Saint-Jérôme dans une grève importante a eu des
problèmes semblables. Ce sont les exemples qui me viennent
immédiatement à l'esprit.
Mme Harel: Est-ce que cela vous semble être un
problème général ou si vous notez plutôt des cas
particuliers?
M. de Gagné: Le problème qui nous apparaît
général, c'est le risque très grave. L'expertise qu'on a
jusqu'à présent, advenant le bris du système d'eau ou du
système d'aqueduc, c'est que nous avons de très grandes
difficultés et que de nombreuses heures s'écoulent avant qu'on
puisse mettre le système en marche. C'est contre ce risque de ne plus
pouvoir distribuer d'eau qu'on recommande la définition d'un certain
nombre d'employés.
Mme Harel: Est-ce que cela s'est déjà
présenté dans une municipalité?
M. de Gagné: Je pense que vous vous souviendrez des
difficultés qu'il y a eu autour de l'incendie qui s'est produit à
la chapelle Sacré-Coeur, si ma mémoire est bonne, à
Montréal, l'église Notre-Dame. C'était pendant une
grève et le système d'eau était impliqué.
Mme Harel: Voulez-vous laisser entendre que le système
d'eau ne l'aurait pas été s'il n'y avait pas eu recours à
la grève à ce moment-là?
M. de Gagné: Non. Je pense que cette question a
été réglée par ailleurs. Je crois qu'elle a
même été devant les tribunaux et elle a été
réglée.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants de l'Union des municipalités de s'être
présentés devant nous.
J'invite maintenant les représentants de l'Association des
hôpitaux du Québec à prendre place et à nous
présenter leur mémoire.
Je veux signaler aux membres de cette commission que le groupe qui
devait présenter un mémoire en huitième position
aujourd'hui, soit la Clinique du peuple Saint-Henri, nous a informés
qu'il ne se présenterait pas devant la commission aujourd'hui, de sorte
qu'à la place nous entendrons le mémoire de la Centrale des
syndicats démocratiques. Le mémoire porte le no 50.
Association des hôpitaux du
Québec
Le mémoire de l'Association des hôpitaux du Québec
nous sera présenté par M. Jacques Nadeau. Est-ce exact?
M. Leclerc (Marc): Inexact.
M. Nadeau (Jacques): Le mémoire sera
présenté par M. Marc Leclerc, président de l'Association
des hôpitaux du Québec.
Le Président (M. Rodrigue): Par M. Marc Leclerc,
président de l'Association des hôpitaux du Québec.
Merci.
M. Leclerc, je vous invite à nous présenter les personnes
qui vous accompagnent et à nous présenter votre
mémoire.
M. Leclerc: Merci, M. le Président. Je veux d'abord
m'excuser si nous dépasserons légèrement le temps
alloué à la présentation du mémoire.
J'espère cependant que nous aurons amplement le temps de répondre
à toutes les questions que vous voudrez bien poser.
J'ai ici, m'accompagnant, M. Claude Desjardins, vice-président de
l'association, M. Jacques Nadeau, directeur général, M. Claude
Boutin, directeur des ressources humaines, et M. Michel Cléroux,
responsable des communications à l'AHQ.
M. le Président, madame, MM. les membres de la commission, au nom
de l'Association des hôpitaux du Québec, je tiens à vous
dire que nous apprécions cette occasion de venir vous livrer la teneur
des recommandations contenues dans notre mémoire portant sur le
régime de négociations dans les secteurs public et parapublic et
le maintien des services essentiels lors de conflits de travail dans les
centres hospitaliers.
Pour des raisons évidentes, l'organisme que je représente
est éminemment concerné par le présent débat,
puisque depuis au-delà d'une vingtaine d'années nous intervenons
à titre de porte-parole des centres hospitaliers à l'occasion des
négociations pour le renouvellement des conventions collectives avec
différents groupements de salariés oeuvrant dans nos
établissements.
De par ses actions et prises de position, l'AHQ a donc contribué
à orienter le régime de relations du travail dans les centres
hospitaliers publics et, en particulier, à l'occasion des travaux de la
commission Martin-Bouchard.
Maintenant que les lois de 1978 ont marqué une autre étape
dans l'évolution du rapport de forces entre les centrales syndicales et
le gouvernement auguel nous sommes associés, nous pouvons dire que sur
plusieurs points les nouvelles règles du jeu se sont
avérées positives.
Toutefois, ces améliorations sont plutôt d'ordre accessoire
par rapport à la problématique plus fondamentale dont il doit
être ici question, et, par conséquent, nous sommes loin de
partager l'opinion de certains intervenants, qui, depuis le début des
travaux de cette commission, laissent entendre qu'il suffirait d'ajustements
mineurs pour que les conflits de travail auxquels donnent lieu les
négociations pour le renouvellement des conventions collectives se
règlent d'une manière plus civilisée et prennent davantage
en considération l'intérêt public.
S'il est un sujet où les intérêts sont divergents,
c'est bien celui-ci et, évidemment, nous sommes ici pour faire valoir
ceux des conseils d'administration d'hôpitaux à qui est
confiée la mise en oeuvre des services de santé à
être dispensés à ceux qui en ont besoin.
Les centres hospitaliers sont aussi des employeurs, et, dans les
circonstances, nous ne pouvons ignorer que nos propos risquent d'être
davantage perçus comme émanant d'une organisation patronale ayant
surtout comme objectif de s'en prendre à ceux qui ont comme seule
préoccupation la promotion de la classe ouvrière et de la chose
syndicale.
Notre longue expérience des relations de travail au niveau
national, de même que notre connaissance du vécu quotidien des
relations syndicales-patronales en milieu hospitalier nous permettent
d'affirmer qu'en général la situation n'a cessé de se
détériorer et nous avons trouvé pour le moins surprenantes
certaines déclarations à savoir que, finalement, depuis 1978, les
choses avaient été moins graves qu'avant et que ceux qui
prétendaient le contraire devaient être qualifiés
d'alarmistes. (11 heures)
En ce qui nous concerne, nous croyons utile de mentionner que notre
réflexion fut inspirée entre autres par les indications contenues
dans l'un des discours du premier ministre du Québec qui, à
l'occasion de l'inauguration de la session législative en novembre
dernier, déclarait ce qui suit et je cite: "Le gouvernement a aussi
l'intention de donner suite prochainement à l'ordre adopté par
cette Assemblée lors de la dernière session, et de faire
siéger la commission parlementaire du travail et de la main-d'oeuvre
pour examiner l'exercice du droit de grève dans les secteurs public et
parapublic. Il s'agit là d'une question à la fois délicate
et cruciale que nous avons le devoir, comme société, de discuter
à fond. Il y a peu de Québécois, s'il en est, qui soient
satisfaits de la tournure qu'a prise la dernière ronde de
négociations dans le secteur public. Même si les perturbations et
les dégâts n'ont pas atteint l'ampleur des rondes
précédentes, le traumatisme de grèves
répétées et, apparemment, inévitables dans des
services aussi vitaux que les hôpitaux et les écoles, a vraiment
pris l'allure d'un mal incurable. "Par ailleurs, la négociation
elle-même est devenue une affaire hautement bureaucratique où les
citoyens, et même les travailleurs, ont énormément de
difficultés à faire la part des choses. Quant aux services
essentiels, nous n'avons pas encore trouvé le moyen ni de les
définir correctement ni d'en garantir vraiment le maintien. Il faut
profiter de la période qui nous sépare de la prochaine ronde de
négociations pour revoir de fond en comble le système qui
prévaut chez nous depuis une quinzaine d'années. Cela doit
être une entreprise conjointe de tous les intéressés et le
gouvernement, pour sa part, s'y préparera avec une conscience aiguë
de ses responsabilités. "
Les membres de la commission voudront donc considérer que nos
propos visent les éléments essentiels des rapports du travail
dans les secteurs public et parapublic et que, dans les circonstances, nous
avons volontairement omis de traiter de certains aspects plus secondaires ou
qui, de toute évidence, n'entraient pas dans le cadre des travaux de la
commission, telle une remise en cause pure et simple du droit de
grève.
Cette question du droit de grève ne fait donc pas comme telle
l'objet d'une prise de position même si, en principe, nous avons dû
en étudier les fondements de même que ses implications en relation
avec le droit au maintien et à l'accessibilité des services de
santé.
Soulignons enfin que les orientations proposées ont fait l'objet
d'une large consultation auprès de nos membres et que c'est dans la
recherche de moyens pour permettre aux travailleurs de la santé de
maintenir des conditions de travail justes et équitables tout en
assurant d'abord la protection des droits de la population au maintien et
à l'accessibilité des services de santé que s'inscrivent
les recommandations mises de l'avant par l'Association des hôpitaux du
Québec. "
Tout d'abord, vous me permettrez de vous souligner quelques aspects de
l'évolution des relations de travail au Québec. Ces
dernières années, nous avons été témoins de
la transformation du syndicalisme d'affaires en un syndicalisme plus
idéologique et, ce qui est plus important, à une remise en cause
des perspectives de collaboration patronale-ouvrière au profit
d'interventions à caractère plus politique visant l'ordre social
dans son ensemble.
Alors qu'au début des années soixante, le droit de la
population au maintien des services de santé de même que les
droits de gérance paraissaient choses admises, nous en sommes
arrivés à une situation où les luttes de pouvoir, tant au
plan local que provincial, donnent lieu à des affrontements dont les
motifs dépassent largement les seuls droits des salariés
à des conditions de travail justes et équitables. À
plusieurs égards, l'arbitraire patronal, même positif, a fait
place à une réglementation rigoureuse des droits de
gérance et, plus globalement, à un régime de contestation
ouverte de la légitimité des droits de direction en
matière de politiques de gestion des ressources humaines et de
réglementation.
En plus de l'acquisition du droit de grève, l'adhésion et
le précompte syndical obligatoires, de même que la
libéralisation de l'action syndicale sous différentes formes et
dans les différents domaines de la vie sociale, économique et
politique, ont contribué à conférer aux centrales
syndicales une force telle qu'elle peut permettre de défier le
gouvernement et même d'y assujettir la population tout entière
à l'occasion des grèves dans les services publics.
Les exemples sont nombreux et le président de la CSN
déclarait devant vous, encore la semaine dernière, que ne serait
pas respecté un régime d'imposition des services essentiels. Il
faut être conscient que l'exercice du droit de grève s'est
progressivement libéralisé jusque dans
l'illégalité. Nous en sommes arrivés à composer
avec cette tendance à la désobéissance civile. Dans un
autre ordre d'idées, il devient de plus en plus évident dans la
conjoncture économique actuelle que le coût des conventions
collectives met en cause la possibilité pour le gouvernement
d'accroître et même de maintenir l'ensemble des programmes de
services à la collectivité.
Aux dispositions des conventions collectives s'est ajouté un
ensemble de mesures législatives souvent difficiles à concilier
et qui globalement assurent aux travailleurs à travers une multitude de
droits et de recours, une protection qui apparaît maintenant
disproportionnée par rapport aux mesures visant à assurer la
santé et la sécurité publique lors des conflits de
travail. Il est depuis longtemps admis que les travailleurs des secteurs public
et parapublic disposent globalement de conditions et d'avantages nettement
supérieurs à ceux de l'ensemble des autres travailleurs au
Québec. Par ailleurs, il est devenu particulièrement difficile et
complexe dans ces mêmes secteurs d'administrer à la fois
correctement et de façon compatible avec la multitude de dispositions
législatives et conventionnelles visant les droits des travailleurs et
des prérogatives syndicales.
Selon nous, le régime de négociations et l'exercice abusif
du droit de grève ne sont certainement pas étrangers au fait que
non seulement avons-nous dépassé le point de comparaison avec
l'ensemble des travailleurs au Québec, mais que dans une large mesure
ces avantages supérieurs furent obtenus au détriment de la
collectivité tout entière et en particulier lorsque furent
compromis le maintien et l'accessibilité des services de
santé.
C'est donc en regard de cette problématique bien
spécifique que nous traiterons ce que nous croyons être le mandat
de la commission.
Le droit aux services de santé et le droit de recours à la
grève. Nous convenons tous en principe qu'il y a lieu de distinguer
entre, d'une part, le droit fondamental et normalement inaliénable que
constitue le droit à l'intégrité physique et à la
santé et, d'autre part, la possibilité pour un groupe particulier
de recourir à la grève comme moyen de pression pour obtenir le
droit des conditions de travail toujours supérieures, compte tenu de
celles déjà décrétées par le
législateur, que ce soit à titre de normes minimales de travail,
de la protection de la santé et de la sécurité au travail,
de non-discrimination dans l'emploi et ce, pour l'ensemble des travailleurs du
Québec.
Il est en effet incontestable que le droit à la santé
constitue un droit inaliénable que notre société a depuis
longtemps situé au premier plan des valeurs humaines. De ce droit
découle le devoir et l'obligation pour l'État de s'assurer du
maintien et de l'accessibilité des services de santé
adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social
avec continuité et de façon personnalisée.
Cela dit, notre société s'est aussi donné les
moyens de favoriser entre autres l'aménagement ordonné des
rapports du travail. La négociation collective constitue à
l'intérieur de la législation actuelle la voie normale de la
détermination des conditions de travail et le recours à la
grève fait généralement partie du processus de
négociation. Lorsque, en 1964, le léqislateur accordait le droit
de grève dans les services de santé et des services sociaux, l'on
avait estimé que cette hiérarchisation des droits serait
respectée, et c'est parce qu'elle était menacée que le
gouvernement a légiféré en 1975 et en 1978 pour
réglementer ledit exercice du droit de grève. Nous savons tous
que tout le dilemme provient de l'incompatibilité des droits respectifs
des bénéficiaires et des travailleurs lorsqu'il s'agit de
réglementer l'exercice du recours à la grève pour assurer
le maintien et l'accessibilité des services tout en conservant son
caractère à la libre négociation.
Comme on le sait, le rapport de forces est au coeur même de la
négociation collective et le Code du travail établit des
règles permettant entre autres aux parties le recours à des
moyens de pression pour forcer un règlement dans un sens ou dans l'autre
sur la base du compromis. C'est ainsi qu'au droit de grève correspond le
droit au lock-out. Contrairement au secteur privé où les
effets d'une grève sont presque exclusivement économiques,
le fait est que dans les services publics le rapport de forces s'exerce surtout
sinon exclusivement, en fonction des coûts politiques qu'engendrent les
inconvénients créés à la population à
l'occasion d'un arrêt de travail réel ou appréhendé.
C'est donc l'opinion publique qui doit normalement servir de mécanisme
régulateur susceptible de maintenir l'équilibre du rapport de
forces entre les parties à défaut, pour les établissements
de santé, d'avoir recours au lock-out. Nous réalisons toutefois
que ce mécanisme régulateur qu'est l'opinion publique ne joue que
lorsque la situation devient intenable, étant compris qu'il est toujours
possible d'influencer le seuil de tolérance de la population.
Dans le secteur des affaires sociales, le cadre juridique actuel
confère aux syndicats une force qui peut facilement devenir exorbitante
puisqu'ils ont ultimement le pouvoir de déterminer en pratique tant la
nature que la quantité des services qui seront maintenus en temps de
grève, sans compter que cette possibilité comporte pour
l'employeur l'obligation de réduire proportionnellement les services, et
ce même en situation de grève appréhendée en raison
du court préavis de deux jours auquel les syndicats sont astreints.
Puisque, normalement, il appartient aux professionnels de la santé et
plus particulièrement aux médecins de juger de l'état et
de la nécessité pour un malade de recevoir des soins ou
d'être hospitalisé, comment, à l'occasion d'un conflit,
peut-on laisser à d'autres le soin de décider que l'admission
d'un patient peut être différée ou que les services
diagnostiques ne seront qu'exceptionnellement disponibles, sans risquer, du
même coup, de compromettre la vie et la santé de personnes qui, le
plus souvent dans l'anonymat, ont eu à souffrir des effets des
grèves à différents degrés"? C'est ce que le
premier ministre appelait, après l'expérience de 1978, se mettre,
comme société, la corde au cou.
Si l'on considère, de plus, qu'une décision de faire la
grève peut être prise par une minorité de salariés
et qu'en l'occurrence une telle décision se transforme en une
interdiction de travailler pour l'ensemble des membres d'un syndicat, l'on
constate que, finalement, nous sommes en présence de presque tous les
éléments pour rendre quasi illégaux, si on le voulait de
notre part, le maintien et l'accessibilité des services de santé,
en particulier lorsqu'une liste syndicale est nettement insuffisante. Pour des
raisons évidentes, aucune alternative au droit de recourir à la
grève ne représente un pouvoir de négociation aussi
efficace et à moins que l'on ne prenne des dispositions pour arriver
à un consensus sur la nécessité de s'assurer avant tout de
la protection du public, il y a risque que les services de santé
continuent d'être occasionnellement compromis et que le gouvernement soit
tenté d'adapter la législation au comportement syndical sous
prétexte que les lois risquent d'être défiées comme
elles le furent dans le passé.
L'AHQ considère que dans la mesure où les travailleurs
auront des garanties raisonnables quant au respect de leur droit à des
conditions de travail justes et équitables, le recours à la
grève comme corollaire à la libre négociation deviendra un
moyen excessif dans les services de santé, à moins que l'exercice
n'en soit autrement réglementé et que, pour des
considérations humanitaires, les syndicats n'assument leur part de
responsabilités sociales en se soumettant à une telle
réglementation.
Tout en étant conscient que cette question du droit de
grève s'intègre dans une problématigue plus globale et que
les centrales syndicales doivent être en mesure d'influencer les
orientations gouvernementales en matière de législation
ouvrière, en particulier, nous croyons que cette influence ne peut
être déterminante au point d'éclipser l'opinion des autres
groupements sociaux et politigues qui composent la société
québécoise. Au cours des dernières années, les
modifications apportées à la législation ouvrière
et en particulier aux conventions collectives dans les secteurs public et
parapublic ont contribué à mettre en évidence cette
influence grandissante des syndicats et auront permis que leurs exigences
fassent maintenant l'objet de fort nombreuses concessions. À la
lumière de l'expérience, il s'agit, selon nous, d'évaluer
à ce moment-ci les résultats et de proposer des formules par
lesquelles droits et responsabilités pourraient davantage
s'équilibrer. (11 h 15)
Cette remise en cause de la réglementation sur le droit de
grève nous incite donc à préconiser que l'utilisation en
soit réservée au seul recours ultime pour lequel il avait,
à l'origine, été envisagé. C'est dans cette optique
que nous soumettons aux membres de la commission les considérations qui
suivent.
Jusqu'à maintenant, toutes les formules visant à
réglementer l'exercice du droit de grève dans les services de
santé et les services sociaux se sont avérées des
échecs, en ce sens qu'elles n'ont généralement permis que
de concilier, d'une manière fort artificielle, le droit de recours
à la grève et le droit au maintien et à
l'accessibilité des services de santé.
Puisque ce sont les instances locales, tant patronales que syndicales,
qui héritent de cette lourde responsabilité de concilier les
droits des salariés avec les droits des bénéficiaires,
nous estimons qu'avec un
minimum d'encadrement et de bonne foi, il y a encore possibilité
que, dans la majorité des établissements, de telles ententes
interviennent sur la base de la négociation et aussi qu'elles puissent
être compatibles d'une unité syndicale à l'autre, ce qui,
dans le passé, a causé de sérieuses
difficultés.
Toutefois, il est bien connu que la façon de disposer des
mésententes influence les attitudes et les positions des parties
à l'occasion de telles négociations. Pour cette raison, la
possibilité qu'un tiers intervienne s'avère indiquée dans
ce processus particulièrement conflictuel.
L'AHQ estime donc nécessaire que soit mis sur pied un organisme
spécialement chargé de déterminer ultimement et en cas de
mésentente au niveau local la nature des services à maintenir en
cas de conflit.
Le Président (M. Rodrigue): M. Leclerc, je me dois de vous
signaler que les 20 minutes qui vous sont allouées sont
déjà écoulées. Cependant, s'il y a consentement des
membres de la commission, je pense qu'on pourrait vous allouer encore 5 minutes
pour conclure. Si vous pouviez, s'il vous plaît, résumer la suite
et conclure.
M. Leclerc: Ayant d'abord comme responsabilité
d'édicter des lignes directrices devant servir lors des
négociations locales, cet organisme devrait établir des normes
qui tiendraient compte, entre autres, de la situation géographique de
certains établissements et des ressources alternatives, du degré
de captivité ou de dépendance de certaines catégories de
bénéficiaires, dont ceux requérant des soins
prolongés ou des soins psychiatriques, du nombre de cas électifs
et ceux admis par l'urgence au cours d'une période de
référence en relation avec leur pathologie respective.
Je passe maintenant à la création d'un centre de
données. Dans le but de démystifier les enjeux de
négociations qui sont à la base des conflits dont la population
devra inévitablement faire les frais, l'AHQ recommande que soit mis sur
pied un centre de données destiné à recueillir dans des
conditions d'impartialité et d'exactitude scientifique tous les
renseignements d'ordre statistique jugés pertinents dans le cadre des
négociations touchant les secteurs parapublic et public. Nous avions
déjà fait cette recommandation à la commission
Bouchard.
Pour réaliser son mandat, le centre de données devrait
tirer profit des ressources qui oeuvrent déjà dans le domaine des
études des conditions de travail.
Nous voulons aussi que le partage des responsabilités entre
l'État et les partenaires patronaux soit respecté. Bien qu'il
revienne au gouvernement de définir les grands paramètres d'une
politique salariale et de conditions de travail dans les secteurs public et
parapublic, des considérations d'un ordre supérieur nous
indiquent que l'État ne devrait pas être impliqué
directement dans les négociations, ne serait-ce que pour mieux
intervenir au besoin en tant que législateur et gardien public.
Pour que soit sauvegardée la souveraineté de l'Ftat en
matière de pouvoirs législatif et exécutif, le
gouvernement doit éviter, autant que possible, de se placer en situation
de conflit d'intérêts que représente, sur le plan
politique, une négociation avec les quelque 300 000 travailleurs des
secteurs public et parapublic et les organismes gouvernementaux.
Devraient être également prévus, dans le processus
de négociation, la publication éventuelle des offres et des
demandes, le moment où interviendrait un conseil de médiation,
les étapes de son intervention et l'acquisition du droit de grève
comme recours ultime. Ces derniers éléments sont l'objet de
recommandations spécifiques que nous traiterons plus loin.
Puisque c'est dans le respect des droits et des obligations des parties
que devraient s'élaborer les mandats de négociation, il serait
certainement utile que la politique gouvernementale délimite le champ
des matières négociables et surtout que l'on évite cette
remise en cause périodique de l'ensemble des dispositions des
conventions collectives.
J'en arrive au conseil de médiation. En plus de constater
l'état des négociations et de tenter de rapprocher les parties,
le conseil de médiation devrait, au moment de son retrait
éventuel, rendre public un exposé des positions respectives des
parties sur chacune des matières litigieuses et formuler des
recommandations.
Nous croyons qu'il est suffisamment démontré qu'il y a
lieu de faire du droit de grève un recours ultime et vraiment
exceptionnel, de manière que soit exclue toute possibilité
d'utilisation à des fins stratégiques plus
précisément.
L'AHQ estime que, dans les services de santé, un vote de
grève devrait être représentatif d'une décision
majoritaire de l'ensemble des membres du syndicat.
Enfin, nous préconisons que l'exercice du droit de grève
soit précédé d'un préavis de rigueur d'au moins
sept jours et que l'on envisage obtenir obligatoirement des indications, tant
sur la portée que sur la durée du travail.
Nous tenons à attirer, ici, votre attention sur le fait
qu'à l'occasion des derniers conflits les situations de grève
appréhendée, qui ont duré plusieurs mois, ont forcé
les établissements à réduire considérablement leur
taux d'occupation durant de longues périodes au cours desquelles le
réseau fonctionnait à environ 50% de sa capacité, alors
qu'il aurait fallu
organiser des loisirs pour occuper pleinement notre personnel.
Toutes ces recommandations n'ont d'autre but que de civiliser le rapport
de forces à l'occasion des négociations dans les secteurs public
et parapublic et nous sommes conscients qu'elles peuvent s'interpréter
comme une remise en cause de la libre négociation.
Cependant, ces solutions avancées peuvent paraître comme
des changements radicaux. Nous soumettons respectueusement aux membres de la
commission que ces changements nous semblent être à la mesure des
difficultés démontrées, espérant qu'ils seraient de
nature à influencer les attitudes et les comportements dans le sens
d'une prise de conscience sur la nécessité de s'orienter
résolument vers des rapports plus civilisés.
Comme d'autres, les administrateurs d'hôpitaux ont à
contribuer à l'assainissement de la situation. Nous invitons ceux qui
prétendent que le mauvais climat de relations de travail nous est
imputable à faire leur propre examen de conscience.
M. le Président, Mmes et MM. les membres de la commission, voici
résumé l'essentiel de la pensée des centres hospitaliers
publics en ce qui concerne les problèmes reliés au renouvellement
des conventions collectives dans leur milieu. Nous sommes maintenant à
votre entière disposition pour discuter avec vous des principes et des
dispositifs que contient notre mémoire. Je vous remercie de votre bonne
attention, en m'excusant du prolongement.
Le Président (M. Rodrigue): Je vous remercie de l'effort
que vous avez fait pour résumer, M. Leclerc. J'invite maintenant le
ministre du Travail à vous adresser la première question.
M. Marois: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier
l'Association des hôpitaux du Québec de son mémoire. C'est
un volumineux mémoire, il contient plus d'une vinqtaine de
recommandations. Je voudrais vous assurer qu'on va prendre attentivement
connaissance des recommandations, comme ce sera d'ailleurs le cas des
recommandations contenues dans tous et chacun des mémoires qui nous sont
soumis.
Vous aviez raison d'évoquer, en conclusion, la
nécessité d'une prise de conscience. On a eu l'occasion de dire
que la présente commission parlementaire était un des forums par
excellence, duquel forum j'espère voir ressortir suffisamment de choses
concrètes, réalisables, susceptibles de favoriser une prise de
conscience; il est plus que temps que tous et chacun, tous et chacun je dis
bien, on prenne conscience de nos responsabilités en ce qui concerne
l'ensemble des problèmes humains qui sont derrière ce dont on
parle. Par voie de conséquence, il faut être prêt aussi
à assumer nos responsabilités, car je ne crois pas, encore une
fois, que la population du Québec décidera un jour, à
défaut d'une prise de conscience des responsabilités de tous et
de chacun, que chaque partie prendra elle-même les décisions.
Ceci étant dit, je voudrais surtout m'attacher à poser un
certain nombre de questions sur des éléments de fait ou sur les
évaluations d'éléments de fait que vous pourriez avoir
vécus et qui vous amènent à conclure, je présume,
dans le sens que vous le faites. Vous nous faites toute une série de
recommandations qui visent à modifier en profondeur non seulement le
régime de négociations, les mécanismes de
négociations, mais également toute la question des services
essentiels.
Les membres de votre association ont eu à vivre, durant la
dernière ronde de négociations, le nouveau régime qui veut
que les parties s'entendent sur des services essentiels et qu'à
défaut d'ententes, il y ait la liste syndicale qui soit
déposée. Si tant est que vous avez procédé à
une évaluation et que vous avez consulté vos membres, j'aimerais
connaître l'évaluation que vos membres font de ce
mécanisme, de son fonctionnement tel qu'il a été
expérimenté, du taux de satisfaction de vos membres non pas
tellement à leur propre égard, mais plutôt à
l'égard des citoyens, des malades, des bénéficiaires,
comme on dit dans le jargon. Je voudrais savoir si, selon l'évaluation
de vos membres, ce mécanisme mérite une amélioration. Mais
si, selon l'évaluation de vos membres, il est satisfaisant, est-ce que
c'est plutôt l'évaluation de vos membres que, comme certains l'ont
laissé entendre, certaines administrations qui
préféreraient négocier des ententes à rabais? Donc,
laisser entendre que certaines administrations avaient, en bonne partie,
abandonné une part de leurs responsabilités par crainte, nous
disait-on, de se voir imposer une liste syndicale qui aurait donné,
selon certaines appréhensions, des taux de services essentiels moins
suffisants... Ou alors, quel est votre autre élément
d'évaluation? D'autres nous ont dit que l'inverse avait même pu se
produire, à savoir que l'administration, sachant qu'une liste allait
être déposée, ne voulait pas porter l'odieux d'une entente
qui aurait pu être perçue insatisfaisante par certains.
Dans les faits, quelle est l'évaluation que vous faites et que
vos membres font de cela? C'est ma première question. J'en ai un certain
nombre, M. le Président. Je peux peut-être tout de suite en poser
une deuxième, si vous me le permettez, qui serait reliée, en un
certain sens, à celle-là.
Cette question a déjà été
évoquée ici devant la commission et je tiens à vous la
poser. On l'a posée à certains représentants
syndicaux, en particulier des porte-parole de groupes d'infirmiers et
d'infirmières. Est-ce qu'on peut, selon vous, selon votre
expérience, faire l'affirmation suivante - ce n'est pas moi qui la fais
- à savoir qu'un infirmier, une infirmière-cadre dans un centre
hospitalier est en mesure, de façon générale, de dispenser
des soins, des services, des traitements directs aux malades, aux
bénéficiaires, de même qualité qu'une
infirmière ou un infirmier diplômé qui est en situation de
conflit, donc en grève, et qui n'est pas là? Ce sont mes deux
premières questions.
Le Président (M. Rodrigue): M. Leclerc.
M. Leclerc: Je vais répondre à la première
question qui est assez vaste. Nous avons fait un état de la situation
d'octobre 1979. D'abord, quand j'ai parlé, dans le mémoire, de
compatibilité syndicale, c'est parce qu'il ne faudrait pas oublier que
dans les hôpitaux il n'y a pas un, deux ou trois syndicats, cela va
parfois jusqu'à quinze. Alors, les ententes peuvent parfois être
conclues avec un et ne pas être compatibles avec un autre.
Alors, il y a eu 261 ententes, 387 listes. Donc, au total, 648 cas
relevés par la CSN, le SPIIQ, le COPS; enfin, toute la liste, il y en a
ici douze. Cela représente donc en nombre 40% des ententes, 60% des
listes. Concernant les listes, 48 ont été déclarées
satisfaisantes, ce qui fait 261 ententes plus 48 listes satisfaisantes, ce qui
établit à 48% par rapport à 339 listes insatisfaisantes,
52%. Alors, ce ne sont pas les 65% qu'on a entendus. Quand on parle de 52%, de
48% ou de 35%, il faut se rappeler que dans le monde des hôpitaux, cela
prend pas mal de patients.
Vous me permettrez de citer des cas concrets puisque cela illustre...
Vous avez parlé de la difficulté; ce ne sont pas seulement des
nombres. Centre hospitalier du Christ-Roi, 208 lits dont 28 chroniques, 40
cadres: on a fourni 5% de l'effectif; c'est pas mal.
Une voix: 17 sur 350. (11 h 30)
M. Leclerc: On a fourni 5% de l'effectif, c'est pas mal. 17 sur
350.
Le centre hospitalier Saint-François d'Assise, 602 lits, 60
chroniques, 91 cadres, 689 employés qui en ont fourni 14. Donc, 2% du
personnel.
Le centre hospitalier Notre-Dame qui a 1048 lits, 225 cadres; 30
employés sur 3000, 1%.
Philippe-Pinel, 300 patients psychiatriques, 70 cadres, pas un seul
employé.
M. Marois: Je m'excuse de vous interrompre. Les chiffres que vous
nous donnez là, est-ce que ce sont des chiffres qui ressortent des
papiers? Est-ce que ce sont des chiffres qui ressortent des ententes
écrites ou de listes écrites, déposées? C'est bien
ça?
M. Nadeau: De listes déposées. M. Leclerc: De
listes déposées.
M. Marois: Très bien. On connaît passablement ces
chiffres-là. Déjà, on les a dans les rapports... Enfin, on
peut prendre les détails des listes. On a déjà l'essentiel
du tableau de l'écrit. Ce qui me préoccupe, et c'est là le
sens de ma question, je ne veux pas vous empêcher de répondre sur
l'écrit, le nombre de documents déposés, combien cela
comportait... Ce qui me préoccupe, au-delà du papier, c'est la
réalité.
Quand vous dites "qui nous paraissaient satisfaisantes" ou "qui nous
paraissaient insatisfaisantes", ce que je veux savoir, parce qu'on nous a dit
que les situations pouvaient évoluer dans les faits, même par
rapport à des ententes écrites ou par rapport à des listes
déposées... Il y a eu des listes déposées de
zéro dans certains endroits et, effectivement, dans certains endroits,
les services ont été assurés. Dans certains cas, on nous
dit "de façon satisfaisante" et, dans certains cas, on nous dit "de
façon tellement insatisfaisante" que c'était cruel comme
traitement pour les malades.
Le papier, je veux bien, c'est important, et si les membres de la
commission sentent le besoin de disposer de cette information-là, ce
n'est certainement pas moi qui vais empêcher qu'on la mette sur la table,
mais ma préoccupation porte plus, à ce moment-ci de nos travaux,
sur les faits, l'évaluation que vous faites des faits, la façon
dont les choses se sont passées. Quand vous dites "satisfaisantes",
"insatisfaisantes"...
M. Leclerc: II me vient à l'idée un souvenir.
À un endroit, la liste comprenait deux ou trois membres, cinq membres
qui allaient à la mécanique de réfrigération. Je
n'ai pas l'impression que cela aidait beaucoup les cadres à assurer les
services aux malades.
Il y a quantité d'exemples, je pourrais demander à M.
Nadeau... Enfin, je tiens à vous siqnaler qu'étant un
bénévole, mais au courant depuis treize ans du milieu des
hôpitaux, j'en connais passablement dans le vécu quotidien. Je
pense que je peux demander à M. Nadeau, qui est du milieu, de vous citer
des exemples.
M. Nadeau: M. le Président, la liste à laquelle se
référait le président tout à
l'heure, c'est la liste des hôpitaux qui étaient en
situation difficile au moment où le gouvernement se préparait
à retirer, de façon sélective, le droit de
grève.
Vous vous rappelez le 19 octobre, c'était la liste qui avait
été faite le 18 octobre.
Ce sont donc des cas concrets vécus dans les
établissements en date du 18 octobre, des situations difficiles.
M. Marois: Si je comprends, c'est la liste que vous aviez
préparée...
M. Nadeau: Oui, c'est la liste qui avait...
M. Marois:... à ce moment-là, c'est
l'évaluation que vous faisiez à cette date-là.
M. Nadeau:... été préparée par
l'Association des hôpitaux du Québec, soumise au ministre des
Affaires sociales pour fins d'intervention au niveau du Conseil des ministres
dans le cadre d'un retrait sélectif du droit de grève. Et
là, il y a eu la loi qu'on connaît.
M. Marois: D'accord. Si je comprends bien, pour qu'il n'y ait
d'ambiguïté, c'est l'évaluation que vous faisiez, à
une date donnée, indépendamment des ententes écrites ou
des listes déposées.
M. Nadeau: C'est exact.
M. Marois: De la mécanique... C'est l'évaluation
que vous faisiez et c'est à partir de l'évaluation que vous avez
faite que vous avez préparé une liste, comme association, liste
qui a été communiquée au ministre responsable. C'est
cela?
M. Nadeau: Oui. Maintenant, M. le ministre, en ce qui concerne la
deuxième partie de votre question: Est-ce que les
infirmières-cadres peuvent généralement assurer des
services de qualité au niveau des soins infirmiers je dois vous dire
que, généralement, oui. Cependant, il faut tenir compte du
facteur suivant: Au fur et à mesure que la grève progresse, vous
savez, les patients entrent par l'urgence et ça demande de plus en plus
de soins spécialisés. Les infirmières-cadres ne sont Das
toutes formées à donner des soins spécialisés aux
patients.
Généralement oui, mais ce n'est pas si facile que cela.
Cela dépend beaucoup de la nature de la maladie des patients que nous
avons au moment où la grève est en cours.
M. Marois: Merci. Je reviens maintenant à votre liste du
18 octobre qui était l'évaluation de la situation que vous
faisiez, à un moment donné...
M. Nadeau: Oui.
M. Marois:... encore une fois, indépendamment des ententes
intervenues entre les parties patronales et syndicales, indépendamment
des listes syndicales déposées, à partir de
l'évaluation de la réalité, de votre point de vue.
Comment, dans les jours qui ont suivi -les 19, 20. et 21 - la situation
a-t-elle changé? Est-ce que la situation est restée la
même, a-t-elle évolué un peu, beaucoup,
passionnément? Si oui, dans quel sens?
M. Nadeau: Si on se rappelle bien, M. le ministre, on pense que
cela a très peu évolué dans les jours qui ont suivi, les
jours immédiats. Il v a eu des difficultés durant un certain
nombre de jours.
M. Marois: De façon qénérale?
M. Nadeau: En particulier dans ces centres dont on parle.
M. Marois: Bien. Est-il exact que votre association a
compilé des données durant les conflits et que vous auriez fait
une étude sur le taux des services essentiels assurés dans les
faits durant la dernière ronde de négociations? Si tant est que
c'est exact, quelles sont les qrandes conclusions de cette étude de
données? Quelles sortes de comparaisons faites-vous par rapport à
des situations antérieures et par rapport, selon votre point de vue, aux
besoins du monde en vie, aux besoins des malades, des
bénéficiaires? Si tant est qu'une telle étude a
été faite, serait-il possible d'en obtenir une copie?
M. Nadeau: C'est exact, une étude a été
faite au niveau des listes déposées, au niveau des ententes. Nous
n'avons pas cette liste avec nous ce matin mais, M. le ministre, il nous fera
plaisir de la mettre à la disposition des membres de la commission.
Essentiellement, si on compare les résultantes de la
négociation des services essentiels de la dernière ronde de
négociations par rapport à l'autre, c'est sûr qu'il y a eu
un nombre d'ententes, dans l'ensemble, un peu supérieur à celui
de la ronde précédente. Cependant, il faut dire dans quelles
circonstances...
M. Marois: Excusez-moi, vous parlez du nombre d'ententes ou de
la...
M. Nadeau: Non, globalement, indépendamment de la
qualité de ces ententes; en parlant du nombre, de la quantité, il
y en a peut-être eu un peu plus. Cependant, il faut dire dans quel sens,
dans quel contexte ces ententes ont été réalisées.
Vous y avez fait allusion tout à l'heure et je
pense que c'est important. Les établissements qui
négociaient des ententes avec la partie syndicale avaient comme spectre,
en arrière, la liste syndicale. Je peux vous assurer que dans un certain
nombre de cas, ils ont fait des compromis pour en arriver à des ententes
qui, probablement, étaient plus qénéreuses que ne
l'auraient été les listes syndicales déposées. Vous
y avez fait allusion tout à l'heure, c'est vrai.
Le fait qu'il n'y ait pas de personne qui, ultimement, en cas de
mésentente, puisse déterminer les services essentiels, cela a un
peu chanqé la façon de négocier ces services essentiels.
Globalement, dans l'ensemble, on a vécu dans les établissements,
avec cette formule, le même genre de problèmes que ceux qu'on
avait vécus avant.
M. Marois: Excusez-moi, si ma mémoire est bonne,
c'était dans le rapport Picard, je crois, sous réserve de me
tromper.
M. Nadeau: Oui.
M. Marois: Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition ou de
cette hypothèse que soient négociés un ou des - peu
importe, selon les secteurs, peut-être - protocoles-cadres concernant les
services essentiels, si je comprends bien, une hypothèse étant
que des associations patronales, avec les centrales, néqocient des
protocoles-cadres avant qu'on tombe dans le détail de l'entente?
M. Nadeau: Nous y faisons un peu allusion dans notre
mémoire quand on parle d'un organisme qui serait chargé
d'établir un certain nombre de normes et de règles du jeu. Cela
pourrait être un peu dans le même sens que ce que vous dites, M. le
ministre, et cela me paraîtrait important. On croit encore que dans un
certain cadre, avec des orientations un peu plus précises, il serait
très souhaitable, et sûrement réalisable, que les parties
puissent s'entendre. Ce sont sûrement des choses qui pourraient faire
progresser la négociation d'ententes.
M. Leclerc: Est-ce que je pourrais ajouter un commentaire, M. le
ministre? Lors de la dernière ronde, je me rappelle avoir
rencontré le précédent ministre. On avait dit qu'il y
avait 25% des services qui étaient assurés et que c'était
bien. Il faut bien se méfier de n'importe quel chiffre parce que cela ne
veut pas dire la même chose suivant les qenres d'institutions que l'on a.
C'est pour cela qu'on mentionne dans notre rapport qu'il est important que des
normes correspondant au genre de soins que l'on donne d'une institution
à l'autre, à la situation géographique, soient
établies à l'avance pour que les règles du jeu soient
connues de tous ceux qui ont à les négocier sur le plan
local.
Le Président (M. Rodrigue): Est-ce que ça va, M. le
ministre?
M. Marois: Non. Si vous le permettez, M. le Président,
j'aurais encore deux questions. Une première porte sur la
différence de taille, je pense bien, en tout cas de nature, à
tout le moins, entre ce qu'on appelle - je ne me souviens pas du jargon - des
centres hospitaliers de soins prolongés où, à toutes fins
utiles, résident des malades chronigues - ce sont des résidences
comme telles en un certain sens, des hôpitaux qui ont des
départements ou des ailes pour chroniques - puis tout le bloc, comme on
dit maintenant dans le jargon, des centres hospitaliers de courte durée.
Ici, en commission parlementaire, même certains représentants
syndicaux nous ont dit que, de leur point de vue - je me souviens d'un
témoignage en particulier; je ne voudrais pas tronguer ou mal
interpréter le témoignage; il faudrait le relire, le cas
échéant - dans des hôpitaux, notamment, des hôpitaux
de courte durée, si j'ai bien compris, il semblait important d'assurer
dans certains services ou unités - c'est une représentante
syndicale qui nous disait cela - 100% des services qui correspondaient à
l'essentiel des soins directs nécessaires.
Quelle est votre évaluation en ce qui concerne la
réalité telle qu'elle a été vécue, en
faisant les nuances qui s'imposent parce que - je pense que vous avez raison de
l'introduire - il y a une différence de taille selon la nature
même des établissements? Il y a des différences
importantes, j'en ai évoquées; il y a tout de même des
hôpitaux de courte durée où il y a des malades chroniques
et il y a des hôpitaux ou des résidences pour malades chroniques.
Quelle est votre évaluation? Est-ce qu'il est exact que les services
essentiels ont été assurés à un pourcentage
beaucoup plus élevé dans les hôpitaux de soins
prolongés par rapport aux hôpitaux de courte durée? Est-ce
qu'il est exact que même dans les hôpitaux de courte durée,
dans certaines unités ou départements, les services ont
été assurés presque entièrement?
M. Leclerc: Vous dites qu'ils ont été
assurés presque entièrement?
M. Marois: Oui.
M. Leclerc: Je pense que, si c'est le cas, c'est la petite
exception.
M. Marois: Vous parlez de quel type d'établissements?
M. Leclerc: Les établissements de soins
de courte durée.
M. Marois: De courte durée. M. Leclerc: Oui.
M. Marois: Donc, à votre connaissance, c'étaient
des exceptions. Dans le cas de ce qu'on appelle des centres de soins
prolonqés je pense que c'est ça l'expression consacrée,
mais enfin - où se trouvent des malades qui résident là,
dans les centres d'accueil ou de soins prolongés?
M. Leclerc: Je pense que vous avez eu des témoiqnaqes la
semaine dernière qui nous dispensent d'y répondre. Vous les avez
eus de ceux qui les ont vécus.
M. Marois: Oui, mais de votre point de vue, à vous autres?
On était très heureux d'entendre le point de vue des autres.
J'aimerais bien avoir votre point de vue, à vous.
M. Nadeau: Je pense qu'on peut dire que
qénéralement c'est vrai que, dans certaines unités, il
doit y avoir un peu plus de personnel au niveau des services essentiels. Quand
on pense aux soins intensifs, quand on pense à la salle d'urqence, quand
on pense à des unités de psychiatrie, quand on pense à
l'hémodialyse, c'est évident qu'il y en a probablement eu un
petit peu plus que dans autres unités. Par contre, c'est assez difficile
de préciser cela, de placer cela dans des catégories bien
précises parce que vous savez, en temps de grève, l'hôpital
est complètement chambardé. Les patients se retrouvent
très souvent regroupés et vous avez dans ces unités des
patients qui nécessitent des soins intensifs, qui sont dans des
unités générales au moment de conflits. C'est difficile
à établir clairement. Ce qui est certain, c'est que cela
nécessite au niveau des soins prolongés, au niveau de la
santé mentale, au niveau de certains services de soins aigus des
services essentiels qui sont beaucoup plus importants que dans d'autres
unités. Je pense que c'est clair. (Il h 45)
M. Marois: Je reviens sur une chose que vous avez dite, M.
Leclerc. Il se peut que j'aie mal compris et je veux être certain de bien
comprendre. Parlant, il y a quelques minutes, des centres hospitaliers, des
hôpitaux de courte durée, vous avez dit qu'à votre
connaissance les endroits ou départements ou unités où les
services qui ont été assurés presque à 100%
étaient, à votre connaissance, des cas d'exception. Me dites-vous
par là que, de façon générale, il aurait
été vécu une situation telle que, dans les centres
hospitaliers de courte durée, l'urgence et les soins intensifs
n'auraient pas été assurés pour l'essentiel?
M. Leclerc: Ce n'est pas ce que j'ai dit. Les soins
intensifs...
M. Marois: C'est pour cette raison qu'il me semblait important de
revenir. Je ne veux pas tronquer votre pensée.
M. Leclerc: Non, non. Les soins intensifs et l'urgence, on s'en
est occupé, mais ce qui fait que... Il ne faut pas oublier d'abord que
quand il y a grève ou grève appréhendée, tout de
suite, les directions d'hôpital tâchent d'évacuer le plus de
personnes qui peuvent être retournées chez elles. Si quelqu'un a
été opéré et que normalement il aurait passé
une semaine à l'hôpital, il va être là quatre ou cinq
jours et il va être retourné dès que c'est possible.
Évidemment, tous les cas électifs sont refoulés, ce qui
fait qu'on baisse à environ 50% l'occupation et que là on a des
malades proportionnellement d'une plus grande acuité au point de vue des
maladies. Les services essentiels, on tâche de les assurer, mais on les
assure à moins de gens, parce qu'on n'a pas le personnel disponible.
M. Marois: Je m'excuse. Je veux être certain que je
comprends bien. Deux choses: La première, quand vous dites: Les
directions d'hôpital, on décide de réduire, de qui
parle-t-on? Parle-t-on des médecins? Qui décide, autorise que M.
Marois est suffisamment bien après trois jours pour entrer chez lui et
doit s'en aller? Qui décide cela? Qui prend la décision? Ce
serait ma première question.
M. Leclerc: Ce sont les médecins.
M. Marois: Ma deuxième question est la suivante. Je
comprends bien que vous nous avez expliqué le mécanisme qui fait
que dans les hôpitaux de soins de courte durée le pourcentaqe
d'occupation ou le taux, comme on dit dans le jargon, diminue. Je reviens avec
ma question: En ce qui concerne l'urgence, les soins intensifs, quelle a
été la situation vécue? Quelle a été
l'ampleur, la taille et la portée des services essentiels
assurés? Personne ne peut quantifier cela. S'il y a un accident
catastrophique d'automobile qui arrive sur le boulevard Métropolitain,
qu'il y a six ou huit blessés -je n'invente rien, c'est un cas qui s'est
produit durant le dernier conflit - il peut fort bien arriver que se
présentent en ligne quatre ou cinq ambulances au même
hôpital. Personne n'est capable de prévoir cela, normes, pas
normes, protocole, pas protocole, sauf la clause du sens purement humain
d'assumer les responsabilités normales pour des gens qui sont du
métier, dans ce domaine. Je reviens, je m'excuse d'insister, mais je ne
veux vraiment pas qu'il y ait
d'ambiguïté ou qu'on interprète mal votre
témoignage. Ce sont mes deux questions, et j'en aurai une
dernière après, M. le Président.
M. Leclerc: M. le ministre, je demanderais à M. Claude
Desjardins, qui est directeur général d'un hôpital, de vous
répondre sur une situation de fait, comment cela s'est vécu.
M. Desjardins (Claude): M. le Président, à la
question qui décide des congés à l'hôpital, c'est
assurément le médecin qui décide des conqés, dans
certains cas, c'est bien sûr, par une présence physique ou par
téléphone. Je prends à titre d'exemple un cas qu'on a
vécu. Si, à minuit, on a un débrayage qu'on n'avait pas
prévu et que le médecin n'est pas là sauf le
médecin à l'urgence, qui n'a pas le temps de faire les visites,
on communique avec les spécialistes ou le médecin consultant qui
suivent le cas et on demande: Cela fait trois jours, qu'est-ce qu'on fait?
Alors, on peut lui donner un conqé, mais c'est toujours une
décision médicale.
M. Marois: Vous m'avez bien dit "par
téléphone"?
M. Desjardins: Dans certains cas, en cas...
Il y a toujours un médecin présent à l'urgence
à l'hôpital, mais par ailleurs, le problème se pose en
situation de débrayage. Je ne parle pas du jour ou même en
soirée, cela va assez bien, mais là où on a vécu
des situations assez dramatiques, je pense à la situation de
Montréal. Les débrayaqes commençaient toujours à
minuit une minute et les spécialistes n'étaient pas
nécessairement là; il a fallu faire des consultations à ce
niveau, contresiqnées par le médecin à l'urgence. Il y a
toujours eu au moins un ou deux médecins qui ont vu le cas, pour donner
le congé.
Les situations les plus dramatiques qu'on a vécues ont
été la nuit.
M. Marois: Je m'excuse, M. le Président, je ne veux
vraiment pas prolonqer la séance, mais je veux être sûr
qu'on comprend bien. Il me semble qu'on parle de deux choses en même
temps et je vous avoue que je ne suis plus très bien.
Je comprends que c'est un médecin qui décide, il est sur
place, il n'est pas sur place, c'est par téléphone, c'est un
médecin qui décide de la sortie comme de l'admission
d'ailleurs.
Une voix: C'est cela.
M. Marois: Là, vous me parlez d'une situation, en
répondant à ma question, où il se produit un
débrayaqe imprévu, une nuit, ou une journée, peu importe.
Mais tantôt, on parlait de la réduction des taux d'occupation dans
la perspective d'un débrayage ou d'un conflit appréhendé.
C'est la même situation, c'est la même façon de
procéder dans ces cas aussi?
Il peut arriver que cela se fasse par téléphone?
M. Desjardins: Non, mais j'illustrais par un exemple que, souvent
- cela a d'ailleurs fait l'objet d'une note du mémoire - on nous
prévient qu'il va y avoir un débrayage, mais on ne sait pas
à quel moment. On nous fait l'annonce, mais on ne nous met pas d'heure,
de date nécessairement, puis cela va se passer, on nous donne l'avis. Au
ministère du Travail, on donne un avis, mais on est sur une tension, on
commence déjà à libérer certains lits; quoique dans
la région de Montréal certains hôpitaux ont fait attention
à ce niveau, parce que l'expérience a montré que souvent
les avis étaient donnés, mais n'étaient pas
exécutés dans certains centres hospitaliers. Or, on ne voulait
quand même pas jouer avec cela. Mais à un moment donné,
à minuit une minute, on découvre que tout le monde est à
la maison, pouf! on sort. C'est à cet exemple que je
référais où les situations sont très
dramatigues.
M. Marois: D'accord.
M. Desjardins: À la deuxième question, à
savoir: Est-ce que l'association fait le portrait par département,
l'étude par département, par certains secteurs, comme l'urgence,
soins intensifs, l'hémodialyse? II n'y a pas d'étude à ce
niveau qui a été faite par l'association, mais je peux vous dire
qu'au niveau de la région Montréal métropolitain, la
région 6 A, parce qu'on avait des rencontres, les directeurs
généraux dans les hôpitaux, pour l'avoir vécu moi
personnellement dans notre centre hospitalier, les services d'urgence, les
services essentiels n'étaient pas assurés, les soins intensifs
n'étaient pas assurés, sauf l'hémodialyse où on m'a
assuré les services. Mais, aux services de l'urgence et aux soins
intensifs, à l'occasion, cela a été uniguement des
cadres.
M. Marois: Excusez-moi. Est-ce que je peux vous demander à
quel hôpital?
M. Desjardins: Au centre hospitalier de Verdun.
M. Marois: Merci, je prends note.
M. Desjardins: Je peux vous dire que cette expérience que
nous avons vécue chez nous, s'est vécue dans beaucoup de centres
hospitaliers comme Notre-Dame et Sacré-Coeur.
M. Marois: D'accord. Une dernière question, M. le
Président. Je m'excuse d'avoir pris tant de temps.
On nous a parlé ici en commission parlementaire d'un
système PRN, projet de recherche nursinq. On nous a expliqué que
c'était mis en marche - mais je reviendrai sur l'expression "en marche"
- sur la base de décision des administrations hospitalières,
selon chaque centre. C'est à ce niveau que la décision de
recourir à ce procédé a été prise.
Je voudrais savoir ceci. Je comprends qu'il s'agit d'une technique
d'étude de temps et de mouvement qui devient par la suite
transposée dans la réalité, sans caricaturer. Je
reprendrai l'exemple que quelqu'un ou un membre de cette commission a
utilisé pour illustrer que cela prend tant de minutes pour effectuer tel
qeste médical, donner une injection intraveineuse ou je ne sais quoi.
Est-ce bien cela, premièrement?
Deuxièmement, est-ce que c'est bien exact que c'est au niveau des
administrations hospitalières que la décision est prise de
l'introduire ou pas?
Troisièmement, est-ce que c'est vraiment un projet de recherche?
En d'autres termes, concrètement, est-ce que c'est à
l'état de recherche théorique, est-ce que c'est à
l'état de recherche expérimentée dans le concret?
Quatrièmement, est-ce que c'est plutôt rendu à
l'état de la pratique, c'est-à-dire qu'on a transposé dans
la pratique les résultats de certaines recherches? Si oui, qu'est-ce que
c'est et quelle ampleur cela a-t-il? Avez-vous une idée du nombre de
centres hospitaliers? Est-ce que ce sont particulièrement des centres
hospitaliers de soins prolonqés ou est-ce que ce sont
particulièrement des centres hospitaliers de courte durée?
Où cela se pratique-t-il et dans combien d'établissements?
Pouvez-vous nous donner des indications et quel est ultimement le but qui est
recherché par ce programme?
M. Leclerc: Si vous le permettez, je vais refiler la question
à M. Desjardins qui a justement vécu l'expérience,
étant un de ceux qui ont fait la première expérience.
M. Desjardins: Peut-être pas un de ceux qui ont fait
l'expérience comme telle du PRN, mais on va y revenir tout à
l'heure dans les commentaires.
D'abord, le PRN, ce n'est pas un objectif en soi, c'est un instrument de
gestion. C'est un instrument qui répond à quel problème?
Le problème, c'est que les besoins des patients, à
l'intérieur d'un hôpital ou d'un centre d'accueil, sont
chanqeants, compte tenu de l'évolution de l'état du patient.
Compte tenu des ressources qu'on a, on essaie de trouver un instrument qui nous
permettra de voir à allouer le personnel en fonction des besoins des
patients.
Si vous vous rappelez, historiquement, les hôpitaux faisaient
l'allocation d'une façon très statique. On dit: II y a une
unité de chirurqie, il y a 35 patients, il y a X infirmières,
auxiliaires, aides et c'est fixe. Or, l'expérience nous a
démontré que ce n'est pas vrai. À titre d'exemple, je peux
prendre chez nous. Actuellement, j'ai une unité de chirurqie où
il y a 50% de malades de soins prolonqés; demain, ça peut
être 60%; dans deux semaines, ça peut être 30%. Donc, ce
qu'on recherchait, c'était un instrument qui nous permettrait
d'évaluer les besoins des patients et d'allouer le personnel en fonction
de ces types de besoins.
Le problème qui s'est posé dans le PRN, c'est qu'on a trop
focalisé sur l'instrument en disant que c'est un temps et mouvement, et
on revient à la méthode de Taylor. Dans le fond, c'est un
problème de mise en oeuvre de ce programme. Je ne vous cache pas
qu'effectivement il y a eu des problèmes d'application dans certains
centres hospitaliers. Moi, j'y crois à cet instrument, quel que soit le
terme qu'on utilise. D'ailleurs, on a trop insisté sur la terminoloqie.
Chez nous, on n'appelle pas ça PRN, je n'utilise pas les formules PRN,
mais je m'inspire des principes du PRN, à savoir que les besoins sont
chanqeants, qu'on fait une nomenclature des activités ou des actes a
poser pour répondre aux besoins du patient. On arrive à une
certaine équation, on qarde une banque de personnel en réserve et
on fait l'allocation en fonction des besoins. On n'appelle pas ça PRN
chez nous, mais dans certains hôpitaux on a appelé ça PRN
et il y a eu toute la question de la politisation reliée à ce
dossier.
Qui décide? Effectivement, c'est l'administration qui
décide de l'utilisation du PRN; je pense que nos instruments de gestion,
ça va de soi, il appartient à l'administration d'en
décider. Il faut comprendre, encore là, que l'administration...
Regardez la formation du conseil d'administration: on a des
représentants du personnel clinique, des représentants non
cliniques. Or, il y a déjà une certaine consultation qui est
faite à ce niveau.
De vous dire que, dans certains endroits, il n'y a pas eu certains
problèmes d'application; possiblement. Est-ce que c'est un projet de
recherche? Il faut distinquer deux choses; il y a le qrouoe de
l'Université de Montréal qui en a fait un projet de recherche,
qui a d'ailleurs été financé comme projet de recherche,
mais en ce qui concerne les hôpitaux l'AHQ n'a jamais fait son
étude. Il faut bien comprendre que le PRN, c'est un dossier qui a
été expérimenté à l'Université de
Montréal, mais que certains hôpitaux l'ont utilisé.
Combien de centres hospitaliers
l'utilisent actuellement? Je ne pourrais pas vous dire, mais ce n'est
pas si général que ça et, compte tenu de toute la
politisation reliée à ça, je peux vous dire que beaucoup
d'hôpitaux, sans appeler ça PRN, ont trouvé d'autres modes
d'adaptation, en concertation à l'intérieur, pour pouvoir
réaliser les mêmes objectifs, sans appeler ça un PRN.
Le dernier élément utilisé dans
l'aqqlomération montréalaise par le Conseil régional des
services de santé et des services sociaux, c'est un formulaire,
inspiré de la méthode PRN, pour évaluer les besoins des
personnes âgées en demande de placement dans les centres d'accueil
pour s'assurer que les centres d'accueil vont avoir réellement le
personnel et les patients qu'ils doivent recevoir. On l'appelle la formule
CTMSP qui est inspirée, encore là, du PRN et qui, d'ailleurs, est
un projet de recherche du groupe Tilquin. (12 heures)
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest: M. le Président - M. Le Président,
dois-je m'adresser à vous en partant? - cela ne s'adresse pas
spécifiquement au mémoire de l'Association des hôpitaux,
mais une des difficultés des travaux de notre commission parlementaire,
c'est qu'on a à poser un diagnostic d'une situation. Est-ce que
l'exercice du droit de grève, en particulier dans le domaine des
hôpitaux, met ou non en danger la santé et la
sécurité des personnes? Chacun de l'ensemble des mémoires
y va de ses solutions sur le plan juridique: régie ou pas régie,
régie avec pouvoir judiciaire. D'autres proposent l'abolition purement
et simplement du droit de grève. D'autres disent que cela va
relativement bien, qu'il y a juste à raffiner un peu les
mécanismes. D'un autre côté, sur le diaqnostic de la
situation vécue, depuis le début de nos travaux - c'est dans ce
sens-là, je tiens à le dire en ce moment - j'ai l'impression que
les travaux de notre commission tournent, finalement, un peu en rond. Sans
vouloir être injuste pour l'une ou l'autre des catégories des
intervenants, je retiens que les représentants des syndicats sont venus
nous dire qu'il y a eu certains inconvénients - c'est le terme qu'on a
employé - pour les malades. Fort bien. Le rapport Picard a dressé
une liste de situations à partir des listes, des ententes. Certaines
situations ont été évoquées où il y a eu des
cas assez dramatiques, mais où le jugement de valeur du rapport Picard
est pour le moins contestable et très souvent extrêmement
superficiel.
Par ailleurs, d'autres associations comme celle des consommateurs
viennent témoigner ici et nous donnent des cas que, de toute
façon, on ne retrouve pas dans le rapport Picard, d'autres cas, de la
correspondance qu'elles reçoivent d'individus. L'opinion publique et les
sondages sont là. Le jugement de l'opinion publique, d'une façon
massive, peut être exaqéré sur le plan de l'information. En
tout cas, on ne peut certainement pas reprocher au public ce jugement, d'autant
plus que je trouve que notre commission, jusqu'à présent, n'a pas
réussi à établir cela. Mais pour l'opinion publique, c'est
facile. C'est inadmissible le droit de grève à 80%, selon les
sondages. De la part des malades, on a vu M. Brunet; il est venu nous
décrire des situations vécues et nous apporter le point de vue
humain.
Ce matin, l'Association des hôpitaux avance un peu, arrive avec un
mémoire très détaillé sur la mécanique
où il y a quand même des jugements de valeur, mais c'est
difficile, comme pour les autres mémoires -en tout cas, je parle pour
moi pour l'instant - d'apprécier quand vous dites, au début de
votre mémoire, que la situation n'a cessé de se
détériorer et que vous avez trouvé pour le moins
surprenantes certaines déclarations, à savoir que, finalement,
depuis 1978, les choses avaient été moins pires qu'auparavant.
C'est une première chose que vous nous dites.
Deuxièmement, vous nous dites - c'est une chose que j'apprends et
que je veux bien reconnaître - que pour ce qui est des listes, enfin,
dans les 52%, peu importe le chiffre, cela a été insuffisant et
que même pour certaines ententes, étant donné la
façon dont c'est négocié, avec un pouvoir final de veto
qui a été accordé par la loi aux syndicats, les
administrateurs sont obligés de siqner une entente en sachant que s'il
n'y avait pas l'entente, il y aurait une liste de toute manière et que
le syndicat pouvait avoir raison.
Ensuite, il y a une chose que j'aimerais bien savoir. Vous aviez
commencé, avant que le ministre vous interroge, à
énumérer certaines situations concrètes, vécues
dans des hôpitaux. Je ne sais pas si on retrouve ces situations dans
l'ensemble des monographies qui ont été données, des
expertises qui ont été livrées par le conseil sur le
maintien des services. Probablement que ce sont encore d'autres cas qui
prouvent des situations inédites.
On nous parle, entre autres, d'une façon très
concrète, d'une évaluation de la situation que l'Association des
hôpitaux aurait transmise au ministre des Affaires sociales. Cette liste,
pour ma part, je ne l'ai jamais vue. Je ne sais pas si cette liste a
été rendue publique et dans quelles circonstances, peu importe.
Mais ce qui m'apparaît important, c'est que le gouvernement a
porté un jugement probablement pas seulement en fonction de cette liste,
la fameuse liste du 18 octobre, mais que quelques jours après le
dépôt de cette liste, de fait, il y a eu une loi que le
gouvernement, que le Conseil des ministres a adoptée, qui a eu
pour effet d'abolir le droit de grève pour une période
déterminée. C'est donc que le gouvernement a déjà
porté un jugement très sévère sur la situation
puisque la loi 62 est survenue dans les jours qui ont suivi le 18 octobre.
Ce que je voudrais vous demander, quitte à ce qu'on prenne le
temps pour le faire... Jusqu'à maintenant, malgré toutes les
structures et les constructions que nous-mêmes, d'ailleurs - remarquez
que je n'en fais pas un reproche à l'un ou l'autre des intervenants
à cette commission - essayons de faire en vue d'orqaniser un
système civilisé de l'exercice du droit de grève dans les
secteurs public et parapublic et singulièrement dans le domaine
hospitalier, on n'arrive pas ou, en tout cas, on arrive drôlement
difficilement à avoir objectivement des éléments
d'information suffisamment larges pour porter un jugement.
Je vous avoue qu'au moment où je vous parle j'ai
déjà lu quand même un nombre considérable - je sais
que mes collègues l'ont fait également - de rapports
émanant du Conseil sur le maintien des services essentiels, où
j'ai constaté que, dans certains cas, selon le rapport Picard, cela
avait très bien marché, mais que, dans d'autres cas, il y a eu
des situations tout à fait inacceptables. M. Leclerc, ce matin vous avez
commencé à nous donner des cas. Le ministre, en vous demandant
une information additionnelle, vous a plus ou moins - sans doute pas
volontairement, je ne veux pas l'accuser de ça - interrompu.
C'étaient des cas dont j'entendais parler pour la première fois,
du moins quant à moi.
Les associations de consommateurs nous ont lu des lettres et des
témoiqnaqes d'individus qui ont dit: Non, ça ne marche pas aussi
bien que cela. Les syndicats, en développant la thèse de
l'exercice de la libre négociation, du droit d'association et du droit
de grève, admettent qu'il y a eu des inconvénients. Quand on leur
cite un cas précis au niveau du conseil, ils ont toutes sortes
d'explications qui sont sans doute justifiables à leur point de vue,
mais qui ne chanqent en rien la réalité concrète des
malades.
On vient de nous donner le cas de l'hôpital de Verdun dans le feu
de la discussion. À votre connaissance - vous êtes les
administrateurs des hôpitaux; cela veut dire que vous avez fait des
bilans, des évaluations - est-ce qu'il y aurait moyen qu'à cette
commission-ci on puisse disposer des faits avant qu'on discute et qu'on se
perde en discussions philosophiques ou enfin qui risquent d'être
très philosophiques sur la façon d'aménaqer un principe
que tout le monde reconnaît, à savoir qu'il doit y avoir une
priorité accordée au droit à la santé et à
la sécurité des malades sur le droit, par ailleurs reconnu aux
travailleurs, de négocier librement leur convention collective? Si on
n'a pas cet élément-là clairement établi, en
prenant le temps de l'établir... À ce sujet-là,
d'ailleurs, le ministre des Affaires sociales n'est pas une espèce
d'être de raison ou un corps complètement étranger aux
discussions qu'on a ici dans le domaine hospitalier. Laissons de
côté l'éducation, laissons de côté même
toutes les grandes politiques du Conseil du trésor, les politiques
salariales et tout ça. Mon Dieu, il me semble qu'on sent tous que le
problème est centré sur la question des hôpitaux et on
n'arrive pas - je n'en fais pas reproche aux intervenants de ce matin, mais je
tiens à le dire au ministre -à savoir quelle a été
la situation réellement vécue par les malades. C'est
là-dessus qu'on doit se prononcer, c'est là-dessus
qu'éventuellement le ministre aura à faire des recommandations au
Conseil des ministres puisque le gouvernement a déjà agi. Ce qui
m'étonne, c'est que le gouvernement a effectivement aqi sur une
évaluation de la situation qui lui venait soit de l'Association des
hôpitaux ou d'autres sources, peu importe, et qu'il a
décidé de suspendre le droit de grève.
Les déclarations qui sont faites publiquement qu'il n'est pas
question de suspendre le droit de grève, fort bien, mais cela doit
reposer sur un jugement. Quand vous dites cela, M. le ministre, ça
implique que vous portez un jugement sur une situation. Or, depuis le
début des travaux de la commission, on n'a pas pu avoir les
éléments de la situation. On en a eu des bribes ici et là
au fil des discussions.
Ce que je voudrais demander aux représentants de l'Association
des hôpitaux, c'est ceci: Ces documents-là que vous avez, est-ce
que cette commission-ci - peut-être que cela a été rendu
public à l'occasion de conférences de presse ou autrement
pourrait en avoir une connaissance officielle, un dépôt ou je ne
sais trop, pour qu'on puisse savoir la situation vécue et qu'on puisse
se former un jugement là-dessus?
M. Leclerc: M. le député, tout à l'heure, M.
Nadeau a dit - je pense que c'était en réponse à une des
questions du ministre - que ce document vous serait envoyé. Nous le
ferons parce que c'est un document qui a déjà été
produit et qui a déjà été à la disposition
du gouvernement dans le passé. Il faut vous représenter qu'il est
difficile de quantifier à la tête ou au malade. Un ou des
individus parlent de leur cas particulier, mais quantifier la totalité
des résultats, c'est difficile.
Il reste un fait, c'est pour cela qu'on vous fait des recommandations
pour modifier ce qui existait à la commission Picard. On disait que tout
allait bien, parce qu'on avait respecté la liste ou l'entente.
C'était se
bercer d'illusions, car cela ne voulait pas dire qu'automatiquement les
malades étaient bien soignés parce qu'on avait respecté
l'entente. Cela n'a pas été le cas partout, il y a des ententes
qui n'ont pas été respectées. Même là
où on les a respectées, si cette liste était insuffisante,
nécessairement, les malades n'étaient pas traités dans les
meilleures conditions.
M. Rivest: Excusez-moi, M. Leclerc, mais cette liste qui a
été transmise au ministre des Affaires sociales, je n'ai pas
très bien compris, est-ce qu'elle a été transmise
uniquement au ministre des Affaires sociales et au gouvernement, qui ont
porté un jugement? Est-ce qu'on peut avoir cette liste, est-ce qu'elle
existe? Je suppose que cette liste décrit des situations qui ont
existé dans les hôpitaux? On en a signalé quelques-unes,
vous aviez commencé à citer certaines situations. Est-ce que,
dans cette liste, il y a des faits qu'on ne retrouve pas dans les rapports
d'expertise de la commission Picard?
M. Nadeau: Je ne sais pas s'il y a des faits qu'on ne retrouve
pas à la commission Picard; ce que je peux vous dire, c'est que, lorsque
les ententes ont été négociées, lorsque les listes
ont été déposées, nous avons fait une
évaluation globale et une appréciation de ces listes et de ces
ententes, et nous avons un document que nous mettrons à la disposition
de la commission.
M. Rivest: Est-ce que c'est la première fois que ce
document va être rendu public?
M. Nadeau: Ce document a été rendu public à
l'occasion d'une conférence de presse.
M. Rivest: Pendant le conflit?
M. Nadeau: Pendant le conflit, en effet, pendant la
période des négociations.
M. Rivest: Si cela a été rendu public pendant le
conflit, à ce moment-là, évidemment, cela a
été interprété... Vous avez sans doute... Je ne
présume pas. Ce qui m'inquiète une peu - c'est peut-être
une question qui s'adresse davantage au ministre c'est que, venant de
l'Association des hôpitaux, cette évaluation qui aurait
été rendue publique pendant le conflit, j'imagine que la partie
syndicale a dû, à l'époque - je ne veux pas lui
prêter des intentions, je peux me tromper, je veux garder mes
réserves -dire que c'était considérablement
exagéré.
Ce que je retiens, M. le ministre, c'est que le gouvernement, à
partir de cette liste ou d'autres informations que le gouvernement pouvait
avoir - s'il y en a d'autres, j'aimerais bien qu'on l'établisse devant
la commission - a effectivement suspendu le droit de grève dans les
hôpitaux avec la loi 62. Est-ce que je fais erreur en faisant une
pareille interprétation?
M. Marois: Vous faites erreur. M. Rivest: Bon!
M. Marois: Je remercie le député de Jean-Talon,
connaissant sa bonne foi naturelle et son sens de la recherche de la
vérité, de me permettre, en me posant une question, d'intervenir
très rapidement à ce moment-ci. Je me permets de rappeler que
j'ai moi-même invité tantôt les membres de l'Association des
hôpitaux du Québec à retransmettre, s'ils l'acceptaient,
aux membres de cette commission le résultat de leurs études, y
compris la liste dont on parle.
Le député de Jean-Talon, je le comprends, ne suivait
peut-être pas d'aussi près les dossiers à l'époque,
c'est normal, les choses évoluent. Le projet de loi no 62 n'a pas
été établi et n'a pas été
déposé à l'Assemblée nationale sur la base des
constats faits par le ministre responsable des Affaires sociales. Le
gouvernement, à partir de cette liste fournie par l'AHQ, mais bien
plutôt de l'évaluation qu'il se faisait de l'ensemble de la
situation des négociations dans tous les secteurs, a estimé
à l'époque qu'une période de trêve suspendant le
droit de grève permettrait d'en arriver à une entente.
C'était l'évaluation faite à l'époque.
Je me permets de rappeler qu'effectivement la loi 62 ne portait pas sur
le secteur hospitalier comme tel, mais la loi 62 portait sur l'ensemble,
s'appliquait à tous les secteurs: soutien, scolaire, enseignement,
hôpitaux, etc. Donc, je pense qu'il faut simplement replacer les choses
dans leur perspective réelle et complète. (12 h 15)
M. Rivest: Je ne veux pas engager de débat avec le
ministre à ce moment-ci, je veux bien admettre ce que le ministre vient
de nous indiquer, mais il reste que, dans le secteur des affaires sociales - il
y avait la fonction publique et l'éducation dans la loi 62 - vous n'avez
pas fait cette trêve par une espèce de gratuité ou alors je
demanderais au ministre ou je ne sais pas à qui - malheureusement,
encore là, devons-nous reqretter que le ministre des Affaires sociales
ne dise absolument rien dans le cadre de ces travaux - quelle a
été l'évaluation du ministre des Affaires sociales ou du
gouvernement des informations qui lui ont été transmises par
l'Association des hôpitaux? Est-ce que le gouvernement a trouvé la
situation sérieuse, quelles mesures a-t-il prises, quelle autre mesure
que la loi ou la suspension du droit de grève si des situations
mettaient en danger la santé et la
sécurité? Il y a des problèmes de fond
là-dedans. Si ce jugement a été exercé à
l'époque, il me semble que c'est difficile pour nous autres, au niveau
de la commission, qui ne participons pas bien sûr à l'ensemble du
processus de décision du gouvernement, mais, si cette liste indique des
situations inadmissibles qui ont été vécues, il faut le
connaître. Il faudrait que le ministre des Affaires sociales ou quelqu'un
d'autre l'établisse et dise: Voici, il y a telle ou telle chose, en
outre de ce que les documents officiels de la commission Picard
établissent, en outre de ce que l'opinion publique pense, en outre de ce
que les uns et les autres...
Quand est-ce que cela va être possible d'avoir l'ensemble des
données disponibles, même si cela fait plaisir ou non aux uns et
aux autres? Quand est-ce qu'on va pouvoir avoir cela, pour porter le jugement,
à savoir si on doit aller sur la voie d'une restriction du droit de
grève - parlons du secteur des affaires sociales - ou bien si on doit
aller purement sur la voie d'un raffinement des mécanismes actuels -
l'Association des hôpitaux porte dans son mémoire un jugement
là-dessus - ou bien si on doit maintenir plus ou moins un guasi statu
quo en accordant un caractère permanent sans autres pouvoirs à un
éventuel conseil du maintien des affaires sociales?
C'est là le sens de mon intervention de ce matin, au début
des travaux, cette semaine. Cela s'impose. Sans ça, je reqrette, mais
j'ai bien l'impression que les travaux de la commission auront permis aux uns
et aux autres de décrire l'ensemble avec des formules et on n'a pas le
vécu du concret des situations. C'est ça qui importe pour porter
le diagnostic. Est-ce que le ministre a...
M. Marois: Vous me posez une question?
M. Rivest: Je voudrais savoir: Est-ce que le gouvernement dispose
actuellement d'autres informations sur la situation que celles qui sont... Il
pourrait peut-être s'informer auprès de son collègue des
affaires sociales. Il y a les rapports d'expertise de la commission Picard;
l'Association des hôpitaux nous dit: On a transmis une liste de
situations. Est-ce qu'il y a autre chose? Est-ce que, quelque part, à un
moment donné, on va pouvoir disposer de l'ensemble des situations? Cela
va nous permettre d'apprécier des affirmations qui sont
évidemment le fait de l'Association des hôpitaux qui vit dans le
milieu hospitalier, à savoir que c'est une détérioration
continue de la situation, des éléments d'information que nos
invités de ce matin nous donnaient et d'apprécier
également les témoignages des syndicats qui disent que non, au
plus des inconvénients, il y a eu certains cas. Quand est-ce qu'on va
avoir la réalité pour pouvoir porter un jugement?
M. Marois: M. le Président, si le député me
pose une question, je vais y répondre très clairement et
très simplement, très rapidement aussi. Premièrement, tous
les documents qui nous ont été demandés - le
député de Jean-Talon, j'en suis certain, l'admettra volontiers -
même plus que les documents qui nous ont été
demandés ont été fournis à l'Opposition. Alors
qu'on ne nous demandait que des résumés, on a offert de fournir
les rapports d'expertise au complet. Je crois que c'est exact. Il faut quand
même remettre les choses dans leur juste et correcte perspective. Je suis
certain que ce n'est pas l'intention du député de Jean-Talon de
laisser entendre qu'il peut y avoir des documents cachés plus ou moins
et le reste, qu'on ne sort pas. Vraiment, je sais bien que ce n'est pas son
intention et je ne l'accepterais pas, parce que cela ne serait vraiment pas
conforme. Le député de Jean-Talon serait le premier à
pouvoir témoigner de l'ouverture d'esprit qu'on a eue, même dans
nos contacts préparatoires aux travaux de cette commission.
Deuxièmement, lorsqu'un membre de cette commission... Je sais que
la députée de L'Acadie, par exemple, nous a formulé des
demandes sur des renseignements, des tableaux, le nombre d'ententes, le nombre
de listes, si ma mémoire est bonne, le nombre de
journées-personnes perdues, enfin les données qu'on pouvait avoir
et qui sont de l'écrit sur du papier, des données statistiques.
Je crois que tout cela a été fourni. S'il y a d'autres
éléments qu'on aurait du oublier, si n'importe quel membre de
cette commission estime qu'il a besoin de données additionnelles - je ne
vois pas très bien lesquelles - qu'on pourrait avoir en main, cela me
fera plaisir de regarder et de mettre cela à la disposition de cette
commission. Je pense que c'est l'attitude que le gouvernement a adoptée
par mon entremise depuis le début de nos travaux.
Troisièmement, je voudrais dire que, quand même on admettra
que c'est le gouvernement, par mon entremise, qui vient de demander et de
rappeler par le fait même aux membres de cette commission qu'une
étude avait été faite par l'AHQ, et l'AHQ dans son
témoignage - je tiens à la remercier dans ce sens - rappelle
elle-même que cette liste dont elle parle, les faits qui y sont
évoqués ont été rendus publics par
conférence de presse par l'AHQ. Ce ne sont quand même pas des
données secrètes qui sortent du placard tout d'un coup. En plus,
de ma propre initiative, je la demande à l'AHQ qui dit: Oui, volontiers,
on est prêt à la fournir à tous les membres de la
commission parlementaire. Ce ne sont donc
pas des données nouvelles. Elles étaient là dans le
paysage. Ce qui m'intéresse aussi, plus nos travaux avancent, ce sont le
vécu et les témoignages qu'on peut entendre. Il y a des choses
qu'on entend. Par définition, on est dans un secteur où il y a
des choses... On peut bien chiffrer tout ce qu'on voudra, mais une fois tout
chiffré, une fois tous les papiers compilés, toutes les ententes,
tous les écrits compilés, ce qui me préoccupe, c'est la
réalité. Chacun assumera les responsabilités de ses
témoignages, de ses interventions. Je pense que c'est ainsi qu'on
fonctionne dans une société démocratique. L'Opposition
tirera sa ligne. Le gouvernement tirera aussi la sienne, prendra ses
responsabilités et procédera aux ajustements qu'il croit
pertinent d'apporter pour assurer que si les droits des uns doivent être
respectés, il y a aussi les droits fondamentaux des autres, ce que j'ai
évoqué depuis le début de nos travaux.
M. Rivest: M. le Président, j'ai une dernière
question. Quand le ministre dit: Le gouvernement tirera sa ligne, j'accorde
foi, en tout cas jusqu'à preuve du contraire, à ce que le premier
ministre disait au sujet des services essentiels, qu'il s'aqissait, quant aux
services essentiels, et je pense que M. Leclerc de l'Association des
hôpitaux du Québec... Le premier ministre doit dire cela en
connaissance de cause, j'imagine. C'est dans le message inaugural. Ce n'est pas
une interview. Le premier ministre dit: "Quant aux services essentiels, nous
n'avons pas encore trouvé le moyen ni de les définir correctement
- cela veut dire que le système de listes et d'ententes, en tout cas,
peut être remis en question - ni d'en garantir le maintien. "
C'est-à-dire qu'on ne sait pas encore si cela prend un organisme pour
assurer cela ou enfin, il y a une critique. C'est le premier ministre qui
parle: "II faut profiter de la période qui nous sépare de la
prochaine ronde de négociations pour revoir -le premier ministre va
quand même assez loin - de fond en comble le système". Cela veut
dire qu'il y a quelque chose, quelque part, qui ne marche pas. Le premier
ministre le sait, parce qu'il s'engage à revoir de fond en comble le
système. Cela va quand même pas mal loin, cette
chose-là.
Deuxièmement, vous me permettrez de demander... Je ne veux pas
embarrasser outre mesure M. Leclerc, mais ce qui m'a fait un peu sursauter dans
votre mémoire et qui m'a fait un peu avoir cet échange que je
viens d'avoir avec le ministre, c'est quand, dans le mémoire il y a une
nouvelle version, mais au moins dans le mémoire - de l'Association des
hôpitaux du Québec, à la page 11, je lis, M. le ministre,
et c'est l'Association des hôpitaux qui le dit, à la page 11,
troisième paragraphe: "Or, à en juger par leurs
déclarations publigues, l'on constate une tendance marquée des
gouvernements et des syndicats à faire preuve de complicité pour
camoufler les effets des grèves dans les hôpitaux, et ce jusqu'au
moment ultime où, la situation devenant intenable, un règlement
intervient pour rétablir la paix sociale, et ce à des conditions
généralement excessives si considérées sur le plan
du bien commun. " C'est ce qui m'a fait faire l'intervention. Après
cela, on sait que du côté des malades, on a parlé d'une
espèce de complicité du silence également, parce que ce ne
sont pas tous les malades qui vont aller raconter ce qui leur arrivé
pendant une grève à un expert qui arrive on ne sait d'où,
dans leur perspective à eux, pour raconter guelle situation humaine ils
ont vécue. Il y a d'autres cas qui nous arrivent de partout. Le point,
c'est cela. Si on veut que nos travaux aient un sens, faisons tous les efforts
et qu'on sente de la part du gouvernement ou de ceux qui sont en
autorité, y compris d'ailleurs les administrateurs d'hôpitaux, une
volonté de mettre cartes sur table et de dire: La situation qu'on a
vécue, non seulement d'ailleurs lors de la dernière ronde de
négociations, mais dans les rondes antérieures, c'est ça,
et après ça, on pourra poser un diagnostic qui me semble
raisonnable. Puis-je demander à M. Leclerc, comme dernière
question en ce qui me concerne - je m'excuse d'avoir été si long
-ce qu'il a voulu dire par cette affirmation qu'il fait: L'on constate une
tendance marquée des gouvernements - ne prenez pas cela pour vous, M. le
ministre, c'est "des" -et des syndicats - on ne sait jamais avec eux, il faut
être prudents - à faire preuve de complicité...
Une voix:... gants blancs.
M. Rivest: Oui, je vais mettre mes gants blancs. À faire
preuve de complicité pour camoufler - c'est une expression forte et
c'est ce que l'opinion publique pense à bien des égards - les
effets des grèves dans les hôpitaux. Qu'avez-vous voulu dire par
cela?
M. Leclerc: On n'a rien à retirer de ce qui est
écrit là. Je vais vous répondre clairement, on n'a rien
à retirer de ce qui est écrit là. Je vais demander
à M. Nadeau de vous donner des détails.
M. Rivest: C'est cela que je veux.
M. Nadeau: J'aimerais faire deux commentaires, M. Rivest, d'abord
sur votre premier point concernant les inconvénients que dure une
grève. Vous dites: On tourne un peu en rond, tout cela. Je veux vous
sensibiliser au fait que ce n'est pas facile de quantifier les
inconvénients d'une grève. Si
vous n'avez pas des choses tout à fait "clean cut" et bien
claires, c'est parce qu'il y a de l'interprétation là-dedans.
Nous, comme association d'établisssements, on sent le besoin de
vous mettre au courant d'un certain nombre de faits qu'on évalue en
situation difficile. Peut-être que d'autres porteraient un jugement sur
une même situation et diraient un peu différemment. Il y a un
jugement de valeur qui est posé par des individus et même les
médecins ne sont pas en mesure d'établir de façon
très très "clean cut" ces situations. Alors, on est dans des
domaines difficiles et c'est pour cela que ce n'est pas très
tranché.
Le dernier point que vous venez de soulever fait particulièrement
référence au phénomène où on dit en
période de négociation: Écoutez, la sécurité
du public n'est pas menacée, la liste des services essentiels est
respectée. Je pense que vous avez eu l'occasion de jaser de cela en
commission. J'ai entendu les discussions de la commission, je les ai
regardées à la télévision, vous avez eu l'occasion
de discuter amplement de cette question, de dire que le public est
protégé parce que les listes des services essentiels ou les
ententes sont respectées, indépendamment de l'évolution de
la situation. Je pense que cela n'est pas nécessairement dire la
vérité a la population.
M. Rivest: D'accord.
Le Président (M. Rodrigue): Cela va? M. Paquette
(Rosemont)
M. Paquette: M. le Président, pour enchaîner avec la
discussion qui vient de se faire, je pense qu'au départ notre
préoccupation à tous, sans priver les syndiqués de leur
droit de pression, leur droit de grève, l'exercice de ce droit, est
d'assurer prioritairement le droit fondamental aux services de santé
à la population. À ce point de vue, il est toujours difficile de
porter un jugement. Est-ce que les syndicats et les gouvernements ont tendance
à minimiser l'impact de la situation et est-ce que d'autres ont tendance
à l'exagérer?
Je vais vous citer un cas particulièrement troublant qui va
peut-être permettre de nuancer ce qu'on vient de dire, soit qu'on
camouflerait des choses de part et d'autre. Je pense qu'il y a eu des
exagérations peut-être dans l'autre sens. Vous vous rappelez cette
déclaration du Dr Jacques Lambert, qui est président de
l'Association des conseils de médecins et dentistes, qui disait que
trois enfants seraient morts à cause de la grève? Le lendemain,
le Dr Lambert a nuancé ses affirmations et, finalement, le ministre des
Affaires sociales, après enquête, a découvert - c'est ce
qu'il affirme - que la direction de l'hôpital mentionné par le Dr
Lambert, c'est-à-dire l'hôpital Laval de Québec,
n'était au courant de rien, pas plus que le coroner qui doit être
avisé de toute mort de nature suspecte dans les 24 heures. Autrement
dit, cela semble être une affirmation qui a été faite
à un moment donné sans aucune espèce de fondement.
En tant qu'association - et on a tous cette responsabilité, votre
association en particulier - connaissant la fraqilité, le sentiment
d'être menacé - souvent, avec raison et probablement encore plus
souvent à tort - au moment d'une grève, qu'on fasse circuler une
rumeur comme celle-là sans la démentir immédiatement,
dès qu'on s'en aperçoit, c'est jeter de l'huile sur le feu et
compliquer les négociations, créer un sentiment de panique dans
le public. évidemment, votre association n'est pas responsable de ce
fait, ce n'est pas ce que je veux dire, mais en tant qu'association vous devez
avoir eu des contacts ou des discussions avec l'hôpital Laval au moment
de cet incident. D'après vous, est-ce que l'hôpital ne devait pas
démentir immédiatement cette déclaration, puisqu'il
n'était pas au courant des faits mentionnés par le Dr Lambert?
C'est une question de responsabilité face au public. (12 h 30)
M. Nadeau: C'est certain que c'est un événement
malheureux et je pense qu'il a été largement commenté par
les journaux. C'est un exemple qui a démontré que c'était
possible d'exagérer l'évaluation des services essentiels.
Évidemment, je comprends que vous voulez vous servir de cet
exemple pour démontrer que la complicité ne vient pas seulement
des gouvernements. C'est évident que vous avez un point. Il est
sûr qu'il y a d'autres personnes que les gouvernements et les syndicats
qui peuvent alarmer la population, mais je peux vous dire que, quand on balance
les déclarations qui auraient pu aller dans un sens ou dans l'autre, je
pense que les autres déclarations dépassent largement
celle-là. Je pense que, sur cette question, les journaux ont fait le
point et je peux vous dire que, si l'association n'avait pas été
d'accord avec le point qui a été fait dans les journaux pour
rétablir les faits, nous, comme association d'établissements,
serions revenus à la charge pour dire: Nous regrettons, ce sont les
faits. Mais ce n'était pas le cas et nous ne sommes pas revenus à
la charge.
M. Paquette: Je pense que ça met en évidence que
les négociations, particulièrement dans un secteur
névralgique comme les hôpitaux, suscitent toujours des
réactions où chacun a tendance a tirer la couverture de son
côté. Vous mentionnez la
complicité; je n'irais pas jusqu'à employer le terme
complicité dans ce cas, mais je pense que régulièrement
à l'Assemblée nationale, et c'est normal, c'est le rôle de
l'Opposition, on avait peut-être tendance à exaqérer un peu
et, du côté du gouvernement, à minimiser un peu. Cela nous
laisse avec le problème entier de savoir où est exactement la
vérité; elle est probablement dans le milieu, c'est-à-dire
qu'effectivement il y a eu des cas où il y a eu problème, mais il
faut se demander si ce sont des cas d'exception ou un problème
généralisé.
Vous dites, dans votre mémoire, que la situation se
détériore d'année en année, selon vous, dans les
négociations dans le secteur des hôpitaux en particulier. Si je me
rappelle bien, en 1975 sous l'empire de la loi 253, d'abord les
négociations avaient duré beaucoup plus longtemps, pratiquement
le double de ce qu'elles ont duré en 1975; le nombre de jours de
grève dans les hôpitaux, sans interruption, avait
été d'à peu près une vinqtaine. Cette année,
cela a été quatre jours à la suite du dépôt
de la loi 62; je tiens à le mentionner, sans complaisance pour notre
gouvernement. Également, je pense que les autres moyens de pression ont
quand même été moins fréquents.
Est-ce que, selon votre opinion - sans que ce soit le paradis, loin de
là, il y a des améliorations à apporter, tout le monde le
reconnaît, et de grandes améliorations - la situation ne s'est pas
quand même un peu améliorée? Et, sur le plan des services
essentiels, est-ce que vous avez l'impression - indépendamment, comme
vous le dites, des listes ou des ententes - qu'ils ont été dans
l'ensemble davantage respectés en 1979 qu'en 1975?
M. Nadeau: Si vous dites que les listes ou les ententes ont
été davantage respectées...
M. Paquette: Non, les services essentiels, que j'ai
demandé.
M. Nadeau: S'ils ont été davantage respectés
à partir de 1975?
M. Paquette: Oui.
M. Nadeau: Je ne le sais pas. Je ne peux pas parler de normes au
pourcentage près, mais ce que je peux dire, c'est que, globalement, on a
vécu peut-être sur une période un peu moins courte...
Malgré que cette année il faut penser à la grève du
syndicat SPHQ, le COPS, qui a quand même été longue. On
n'avait jamais vu une grève d'infirmières aussi longue que
ça, particulièrement dans la région de Québec, en
dehors de Montréal. À Montréal, au niveau des
infirmières, il y a eu des grèves en rotation qui ont
été également assez longues. Je ne peux pas dire,
globalement, quand je fais l'appréciation de ça, que ça
été mieux; ça n'a pas été mieux qu'avant,
globalement, je ne pense pas qu'on puisse affirmer ça.
M. Paquette: II y a eu quand même moins de jours de
grève.
M. Nadeau: II y a eu moins de jours de grève, la
négociation s'est réglée plus rapidement, ça, c'est
un autre point. Je suis très heureux que la négociation se soit
réglée plus rapidement et les administrateurs aussi, c'est
évident. Mais je vous dis que, au niveau des services essentiels, je ne
suis pas certain et j'ai des doutes que la situation ait été
meilleure qu'antérieurement. C'est-à-dire que les services
assurés à la population en cas de conflit aient été
meilleurs qu'ils l'avaient été lors de la ronde
précédente, j'ai des doutes là-dessus.
M. Paquette: Alors, pour lever ces doutes, est-ce que vous avez
fait, en 1975, un rapport analoque à celui que vous avez fait en 1979,
qui nous permettrait de comparer la situation dans les deux cas?
M. Nadeau: On va demander cela au vieux routier de l'association;
moi, je n'y étais pas. Michel, tu étais là à ce
moment.
M. Paquette: Ce serait intéressant de l'avoir.
M. Cléroux (Michel): Effectivement, il y a une analyse qui
a été faite, mais qui n'était peut-être pas aussi
détaillée que celle dont on parle pour 1979. M. le
député, j'aimerais simplement vous souligner, pour
éclairer les membres de la commission, que le problème de base,
si vous me le permettez, qui confrontait les administrateurs d'hôpitaux
sur cette question des services essentiels... C'est simplement une indication
des paramètres avec lesquels ils devaient vivre. D'abord, la
difficulté importante pour un établissement de soins aiqus de
réduire, à une date donnée, son taux d'occupation au
niveau négocié dans l'entente plusieurs semaines ou plusieurs
mois auparavant; c'est négocié, disons, X mois avant, vous
prévoyez un taux d'occupation de 40, 35 ou 60%, vous avez un avis de
grève qui a lieu ou qui n'a pas lieu, parce que c'est un point qui a
été mentionné et qui est important... On recevait, par
exemple, des syndicats du SPHQ, un avis du ministère du Travail disant:
"Nous avons l'intention de déclarer la grève à compter des
16, 17 et 18... " On faisait la même chose, sauf que la grève
avait lieu ou n'avait pas lieu, selon évidemment la décision
syndicale. Si un hôpital réduisait son taux d'occupation pour
tenir compte de l'avis de grève formel qui lui avait été
envoyé et
qu'il n'y avait pas de grève, il était qualifié
d'alarmiste par le syndicat. S'il ne réduisait pas son taux de
grève, parce qu'il ne voulait pas tomber dans ce penchant, et qu'il y
avait grève, il était traité d'irresponsable; cela, c'est
un premier point.
Problème. La capacité d'un centre hospitalier pour soins
aigus de réduire rapidement son taux d'occupation - je pense qu'il faut
reqarder les faits comme ils se présentent, selon ce que nos gens nous
ont dit - est directement conditionnée par des variables comme le bassin
de population desservi, le degré de spécialisation, la situation
géoqraphique, le fait que tous les centres hospitaliers d'une même
région soient en grève ou non, la possibilité de
transférer des patients, le nombre de patients admis quotidiennement,
etc.
Autre volet important, le caractère général ou non
de la grève. Par exemple, plusieurs de nos membres nous ont dit, nous
ont indiqué le caractère assez aléatoire de l'entente
advenant un débrayage général. C'est vrai que, dans le cas
de COPS, de SPIIQ et de FQII, le taux d'entente est quand même
remarquablement plus élevé que dans d'autres cas. Dans le cas de
FQII, autour de 65% et de SPIIQ, autour de 75 ou 78%. Remarquez bien le
problème suivant. Lorsqu'il y avait un débrayage
général ou l'équivalent, impliquant simultanément
les employés qénéraux, les infirmières, les
paramédicaux, étant donné qu'il y avait été
sinon impossible, à tout le moins très rare pour un employeur
donné de convenir avec l'ensemble de ces syndicats d'une entente commune
applicable à toutes les unités syndicales... Vous savez,
certaines directions hospitalières nous ont dit: II semblerait que, pour
certains syndicats, le maintien des effectifs minimaux en cas de grève
soit l'affaire exclusive des cadres ou des autres syndicats. Autrement dit, par
exemple, la FQII va dire: Nous autres, on négocie une entente, taux
d'occupation Y; on fournit tant d'effectifs en posant comme hypothèse
que ceux de la CSN ne seront pas en grève. Il y aura des auxiliaires,
des aides qui prendront la relève, et la même chose se fait vice
versa; c'est un premier problème.
La durée de la grève. D'autres directions
hospitalières nous ont souligné l'importance de la variable temps
sur la qualité des services maintenus. C'est sûr qu'une
grève de 24 heures et de 48 heures, cela n'a pas le même impact
qu'une grève de 5, 10 ou 15 jours. Les cadres, évidemment,
malgré toute leur bonne volonté, ne peuvent pas travailler 16 ou
20 heures par jour de façon indéfinie et maintenir des standards
minimaux. En d'autres termes, plus la grève dure, plus le centre
hospitalier a tendance à se transformer graduellement en centre de soins
intensifs, puisque que les seuls patients admis le sont par l'urgence. Il en
résulte forcément un fardeau accru pour les cadres et les
employés en place avec les résultats que l'on sait.
Parlons rapidement, si vous le voulez, du fonctionnement des
comités ad hoc. Il a été mentionné, vous êtes
sûrement au courant, que les ententes sur les services essentiels
comportaient ce que l'on appelle des comités ad hoc, des espèces
de comités paritaires charqés d'évaluer la situation
prévalant au centre hospitalier lors du déclenchement effectif de
la grève, puis de procéder, le cas échéant,
à un réajustement de personnel. En soi, c'était
très sain et très valable. Mais, encore une fois,
l'expérience a démontré, nos membres nous ont
mentionné que ces comités ad hoc, si utiles soient-ils en
principe, étaient essentiellement tributaires de la bonne foi
syndicale.
En d'autres termes, les grèves récentes nous ont
démontré que, dans plusieurs cas, la propension syndicale
à recourir aux comités ad hoc était inversement
proportionnelle è la durée de la grève. Je m'explique.
Plus la grève dure, plus les relations ont tendance à se
cristalliser et plus certains syndicats ont tendance à adopter une ligne
raide pour en finir rapidement. Ils refusent d'octroyer du personnel
supplémentaire, de façon à accroître la pression au
maximum. On ne peut pas dire évidemment que tous les syndicats ont agi
de la même façon. Ce qui s'est produit assez souvent, c'est
surtout en période de crise aiquë; il y avait quand même des
directives qui émanaient d'en haut, du grand frère, qui disaient
aux syndicats locaux: Écoutez, il n'est plus question d'ajouter du
personnel par le truchement des comités ad hoc, on fonctionne comme on
est et c'est ça. On en accorde un certain nombre, mais pas suffisamment
pour tenir compte de la variation dans l'état des patients
hospitalisés.
Quant aux listes déposées, je pense qu'on pourra, dans les
documents qu'on vous a remis, élaborer de façon assez claire le
problème qu'on a souliqné, à savoir que les listes
étaient totalement insuffisantes pour tenir compte du caractère
évolutif des grèves qui se sont présentées.
M. Paquette: M. le Président, personne ne va
prétendre que les relations de travail dans un secteur
névralqique comme la santé sont une chose facile. Effectivement,
notre préoccupation est de déterminer s'il y a eu ou non
amélioration de 1975 à 1979 de façon à savoir s'il
s'agit de compléter, de modifier les mécanismes actuels ou, dans
le cas contraire, s'il y a eu détérioration, de prendre une tout
autre voie, une tout autre approche. Je pense que c'est cela notre
préoccupation fondamentale ici. Dans ce sens-là, j'inviterais
l'Association des hôpitaux du Québec à nous faire parvenir
aussi le
rapport de 1975 et celui de 1979 de façon qu'on ait un meilleur
tableau d'ensemble de la situation.
D'autre part, concernant vos recommandations, je veux vous poser une
question. Vous proposez toute une série de balises, enfin, vous avez
hésité entre nous proposer d'interdire le droit de grève
ou mettre des balises à l'exercice du droit de grève. Vous optez
pour la deuxième solution, je pense, et vous dites, à la page 12
de votre mémoire: " L'AHQ considère que, dans la mesure où
les travailleurs auront des garanties raisonnables quant au respect de leur
droit à des conditions de travail justes et équitables, le
recours à la grève, comme corollaire à la libre
négociation, deviendra un moyen excessif dans les services de
santé et les services sociaux, à moins que l'exercice en soit
autrement réglementé... "
C'est une opinion qu'on peut très certainement partager. La
question que je me pose est à partir du fait que j'ai
dénoté cinq types de balises au droit de grève qui nous
font poser la question: À ce compte-là, pourquoi ne pas proposer
l'abolition du droit de grève?
Je ne dis pas qu'elles ne sont pas intéressantes. Toutes et
chacune sont intéressantes et méritent d'être
étudiées. C'est l'ensemble qui me fait me poser cette
question-là.
Dans la première, vous dites: que le droit ne peut s'exercer que
30 jours après qu'ont été rendus publics un rapport de
médiation et un certain nombre de mécanismes pour les avis
préalables, etc. En soi, c'est une suggestion intéressante, et ce
n'est pas la seule.
Ensuite vous dites qu'il faut une commission parlementaire sur la
politique salariale et que l'Assemblée nationale fixe le cadre de la
négociation, limite maximale des coûts directs et indirects.
Autrement dit, c'est l'Assemblée, donc, le gouvernement, dans notre
régime parlementaire, à toutes fins utiles, qui fixe la masse
salariale maximale qui va risquer de devenir minimale probablement.
Vous dites, troisièmement, que c'est le gouvernement qui
détermine le champ des matières négociables. Dans certains
cas, c'est lui qui décide. Il décide sur quoi il décide
et, dans d'autres cas, c'est considéré comme
négociable.
Vous parlez, quatrièmement, de renforcer les délais pour
le partage des matières négociables et le dépôt des
offres et demandes. Cela aussi est intéressant mais, ajouté
à tout le reste, ça fait beaucoup.
Cinquièmement, vous préconisez la mise sur pied d'un
conseil des services essentiels exécutoires, qui détermine
ultimement en cas de mésentente entre les parties la nature des services
à maintenir, formé de spécialistes indépendants des
parties sous la responsabilité de l'ombudsman. Il y a la Commission des
droits de la personne qui va intervenir à cet égard aussi.
Encore une fois, toutes et chacune de ces suggestions sont
intéressantes. Ne craiqnez-vous pas que l'ensemble soit tel que cela
revienne pratiquement à nier l'exercice du droit de grève auquel
cas, pourquoi ne pas le proposer? À ce moment-là, on retombe avec
des problèmes qu'on connaît ailleurs. Dans certaines
sociétés, où le droit de grève n'est pas permis, il
y a quand même des qrèves parce que, à un moment
donné, à tort ou à raison, les employés pensent que
leurs droits fondamentaux sont lésés dans une situation de
travail et ils se sentent obligés d'exercer des moyens de pression.
Actuellement, en Nouvelle-Écosse, où le droit de
grève n'est pas permis, il y a une grève nécessairement
sauvage puisqu'elle n'est pas encadrée par le Code du travail; c'est une
grève illégale, donc, une grève sauvage, sans
préavis, trois semaines avant les élections. Je pense qu'on peut
s'imaginer pourquoi; il y a tout le phénomène politique aussi qui
joue là-dedans. Je ne sais pas comment cela va tourner là-bas,
mais une chose est certaine, on peut souhaiter que cela n'arrive pas ici, au
Québec.
Je me demande si, en mettant autant de balises, vous n'arriverez pas
finalement à une situation où c'est tout comme si le droit de
grève était impossible à exercer, donc, à toutes
fins utiles illégal, et si on ne se retrouverait pas dans la même
situation que si on abolissait le droit de grève.
M. Nadeau: C'est certain qu'on a analysé les fondements
mêmes du droit de grève. Si le droit de grève n'existait
pas aujourd'hui et qu'on devait se poser la question à savoir si on doit
l'introduire dans les établissements de santé, on vous dirait
probablement: Non, ne l'introduisez pas. Mais il existe, et on ne pense pas
qu'on doive revenir en arrière pour créer une espèce de
chaos social autour de cela. On dit: II est là, il cause un certain
nombre de préjudices, essayons de corriger les préjudices.
On a lu récemment que beaucoup de gens pensent qu'un dernier
effort peut être fait pour sauvegarder le droit de grève dans le
secteur des affaires sociales et dans celui de la santé. Nous
souscrivons à cet effort et nous pensons qu'en instaurant un certain
nombre de mécanismes on pourra le préserver. Évidemment -
vous avez raison -on en rend l'exercice un peu plus difficile, mais c'est le
choix qu'on a à faire. Ou bien on en rend l'exercice un peu plus
difficile ou bien on l'abolit. Nous choisissons d'en rendre l'exercice un peu
plus difficile.
Les salariés, dans le processus qu'on prévoit, pourront
utiliser le droit de grève, lorsque le conseil de médiation,
pendant une
période qui aura été déterminée, aura
fini son mandat, aura essayé de rapprocher les parties, aura fait un
rapport public des différents points de divergence qui existent entre
les parties en négociation, aura fait ses recommandations. À ce
moment-là, le droit de grève sera acquis et les gens pourront
l'utiliser. Ou bien les parties pourront continuer à travailler
ensemble, le conseil de médiation pourrait peut-être
également continuer d'essayer de rapprocher les parties, mais s'il n'y
parvenait pas, on dit: À la toute fin et si l'intérêt
public le commande, l'Assemblée nationale déterminera ultimement
les conditions de travail.
Bien sûr, dans un certain nombre des mécanismes qu'on
prévoit, cela ajoute des mécanismes mais, on pense qu'ils sont
importants. Quand on parle de créer un centre des données, c'est
un centre qui va pouvoir éclairer tant la partie syndicale que la partie
patronale, tant les membres de l'Assemblée nationale que les membres de
la commission parlementaire. C'est un grand nombre d'informations qui sont
disponibles sur l'ensemble des conditions de travail qui existent partout. Je
pense que c'est nécessaire et ça donne quand même un
certain nombre d'alignements. Quand on reqarde ce portrait un petit peu, cela
peut nous permettre de voir qu'on est peut-être rendu assez loin ou
peut-être pas assez loin. J'aurais plutôt tendance à penser
le contraire, mais en tout cas cela nous permet d'avoir un bon portrait. La
commission parlementaire entend tous les intéressés pour
débattre un petit peu ce que devraient être les enjeux de la
négociation. L'Assemblée nationale en est saisie et
détermine un cadre qlobal qui aboutit à une politique
gouvernementale. Je pense que dans une période comme celle qu'on vit
à l'heure actuelle, où il y a des contraintes sur les masses
monétaires qui sont disponibles dans les services à la
copulation, c'est particulièrement important que l'Assemblée
nationale se penche là-dessus, sur ce qu'elle veut donner à ses
salariés.
On dit que c'est 50% du budget de l'État. Moi, je pense que s'il
y a un domaine où l'Assemblée nationale doit être
impliquée, c'est bien là-dedans. C'est d'autant plus important
dans la période qu'on vit à l'heure actuelle que, si les
conditions de travail sont exaqérées pour les salariés, il
faudra pour cela couper des budgets d'établissement parce qu'on est
à une période où on a des ressources limitées et
des choix à faire. Moi, je pense que c'est indispensable que
l'Assemblée nationale soit saisie de cette question. Après cela,
le conseil de médiation intervient. Ce sont des experts qui vont essayer
de rapprocher les parties, qui vont rendre publiques les conclusions de la
négociation. Ce sont des aliqnements qui vont drôlement
conditionner les résultats. Si les parties ne peuvent pas s'entendre
ultimement, l'Assemblée nationale pourra tenir compte de tous ces
éléments qui ont suivi le processus; du rapport de conciliation,
du rapport du conseil de médiation, des recommandations qui ont
été faites à l'Assemblée nationale, à la
commission parlementaire.
Je pense que tout cela permet au gouvernement, ultimement, de prendre
des décisions. Je veux dire que quand l'intérêt public le
commande et que le gouvernement le juge à propos, il doit le faire.
M. Paquette: M. le Président, j'aurais encore beaucoup de
questions, mais je vais me restreindre. Cela fait déjà un bout de
temps. Simplement, en conclusion à la fin de votre exposé, vous
avez lancé une phrase: Ceux qui nous attribuent la responsabilité
des problèmes dans les hôpitaux devraient faire leur propre examen
de conscience. Je le souhaite comme vous. Je pense que les syndicats doivent
faire leur examen de conscience, le gouvernement aussi et j'espère que
l'Association des hôpitaux n'en sera pas exempte.
Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Si vous me
permettez, je voudrais simplement relever une affirmation du
député de Rosemont, à savoir qu'en temps de grève -
on parlait de la grève dans les services de santé - l'Opposition
avait tendance à dramatiser. J'étais le porte-parole de
l'Opposition officielle et, sauf le député de Rosemont, je n'ai
jamais entendu qui que ce soit dire qu'on avait dramatisé. Si on avait
voulu dramatiser, M. le Président, on a des caisses de rapports
d'experts. On aurait pu prendre les 50 heures que nous passons ici en
commission parlementaire pour justement dramatiser, mais je pense que depuis le
début, on s'en est abstenu. Je pense que les deux seuls cas qui ont
été donnés en détail ce sont les deux qui ont
été donnés par le ministre et qui d'ailleurs touchaient
les administrations hospitalières.
Ceci étant dit, il y a une autre remarque que je voudrais faire.
Je me demande si on ne part pas, dans toute cette discussion, d'une
espèce de prémisse fausse. On essaie de savoir, les uns et les
autres, si les bénéficiaires ont reçu des services
adéquats ou pas tout à fait satisfaisants ou assez satisfaisants.
C'est vraiment un jeu extrêmement sérieux qu'on joue. C'est comme
si on se disait: Si on peut se convaincre qu'on peut quantifier les services
qui ont été prodiqués comme assez satisfaisants pour la
santé des gens, mon Dieu, on peut faire juste quelques petites
améliorations de maquillage et cela va être
correct. Cela, je ne le dis pas uniquement pour le gouvernement, je le
dis pour nous autres aussi. Je me demande si o ne joue pas avec quelque chose
d'extrêmement plus important.
J'aimerais référer mes collègues à la page
8. Je trouve cela extrêmement intéressant. Vous reconnaissez le
droit fondamental et normalement inaliénable que constitue le droit
à l'intégrité physique et à la santé et,
d'autre part, la possibilité pour un groupe particulier de recourir
à la grève comme moyen de pression pour obtenir le droit à
des conditions de travail toujours supérieures, compte tenu de celles
déjà décrétées par le législateur.
C'est ce qui est intéressant: Compte tenu de celles déjà
décrétées par le législateur, que ce soit à
titre de normes minimales de travail, de protection de la santé et de la
sécurité au travail et de non-discrimination dans l'emploi et ce,
pour l'ensemble des travailleurs du Québec.
Je pense que le gouvernement, quand il s'est agi de faire adopter la loi
sur la santé et la sécurité des travailleurs s'est dit...
Il y a des dispositions et je pense que le ministre est beaucoup plus familier
que je ne le suis avec ces dispositions. Il me corrigera. Quand un travailleur
pense ou voit qu'il y a des risques pour sa sécurité, je ne sais
pas s'il y a des modalités mais en tout cas il peut refuser de continuer
à remplir cet emploi ou, enfin, de l'exercer pour un moment donné
jusqu'à ce que les conditions qui comportent des risques pour sa
sécurité soient corrigées. Je pense que dans l'esprit je
ne me trompe pas en affirmant cela.
Je pense que tout le monde, que ce soient nos invités, que ce
soit nous, on souscrit à ce principe, mais quand arrive la question de
savoir si les malades, eux, courent plus ou moins de risques que ceux qui
attendent à la porte des hôpitaux, qui n'y sont pas admis,
là, on essaie de se réconforter en disant: II y a toujours de la
subjectivité dans l'évaluation de cela, que ce soit de la part de
la partie patronale, que ce soit de la part des syndicats, que ce soit de la
part du gouvernement ou de la part de l'Opposition. Je me demande si vraiment
on n'aborde pas le débat d'une façon un peu faussée, parce
que si on reconnaît ce principe de santé et de
sécurité et de droit, comme il est reconnu dans la Charte des
droits et libertés de la personne, ce droit à
l'intégrité physigue... Je n'y reviendrai pas. L'autre jour, je
ne me suis pas fait remettre à l'ordre, mais j'avais
dépassé mon temps. Il y a trois articles très
précis qui se réfèrent à ce droit fondamental des
gens à l'intégrité physique. Je pense qu'il y en a un pour
les handicapés. Il y en a un pour les droits des enfants. Nous autres,
on dit: Si c'est un peu moins mal qu'en 1978, peut-être qu'on pourrait
encore faire quelques petites corrections et là, cela serait correct.
C'est le commentaire général que je voulais faire.
Je sens - et c'est une interprétation subjective - dans le
mémoire de l'AHQ, qu'on a évidemment beaucoup discuté de
la question de l'abolition du droit de grève ou non. Quand vous lisez la
page 14 du premier document, je vous assure qu'on se demande comment il se fait
que vous n'arrivez pas à une conclusion d'abolition du droit de
grève. C'est très clair. Quand vous faites l'énoncé
du principe que je viens de lire, on se dit: Est-ce que vous ne devriez pas
arriver à ce type de conclusion?
Qu'on regarde la page 13: "Le soin de décider que l'admission
d'un patient peut être différée ou que les services
diagnostiqués ne seront qu'exceptionnellement disponibles sans risquer
du même coup de compromettre la vie et la santé de personnes qui,
le plus souvent dans l'anonymat, ont eu à souffrir des effets des
grèves à différents degrés. " Je comprends que vous
soyez arrivés avec des recommandations qui peuvent apparaître
assez restrictives, mais je pense que si on laisse s'exercer pleinement le
droit de grève - je ne sais pas si les recommandations que vous faites
au plan technique sont applicables, je ne suis pas spécialiste - il va
certainement falloir se pencher sur la question et non pas simplement penser
à créer une régie. C'est peut-être bon en soi, mais
il va falloir qu'il y ait une volonté politique de faire appliquer les
mécanismes qu'on aura mis en place. Sans cela, tout cet exercice ici est
futile et on le recommencera dans quatre ans.
Il y a deux guestions que je voudrais vous poser. Si les chiffres que
vous avez commencé à nous donner ne sont pas à
l'intérieur du rapport que vous devez nous envoyer, j'aimerais bien les
obtenir parce que je ne les ai jamais eus en détail.
Une première question: À la page 13 ou 15, soit dans l'un
ou dans l'autre - c'est à la page 15 - vous dites qu'il devrait y avoir
un organisme spécial qui édicterait des lignes directrices devant
servir lors des négociations locales. Cet organisme devrait
établir des normes qui tiendraient compte, entre autres, de la situation
géographigue, des ressources alternatives, du degré de
captivité ou de dépendance de certaines catégories. Tout
le monde, évidemment, pense aux hôpitaux pour soins
prolongés et aux centres d'accueil. Est-ce que, dans votre esprit, cet
organisme pourrait arriver à la conclusion que, dans ce type
d'établissements, tous les services sont essentiels?
M. Leclerc: C'est fort possible qu'il puisse arriver à
cela. Il y a certainement des institutions où ça pourrait fort
bien être presque total et il y en a d'autres où ça
pourrait être une proportion plus ou moins élevée.
Mme Lavoie-Roux: À ce moment-là, dans les faits,
tous les services seraient essentiels, il n'y aurait pas exercice du droit de
grève, mais il faudrait qu'il y ait une formule compensatoire. Je pense
que ce serait négocié; par exemple, une formule telle que les
bénéfices obtenus pour les travailleurs dans telle
catégorie d'institutions seraient étendus à ceux qui
n'auraient pas pu exercer leur droit de grève à la suite d'une
déclaration de services essentiels en totalité dans certains
types d'institutions. Est-ce que je vous interprète bien ou si je tire
des conclusions qui ne sont pas les vôtres?
M. Nadeau: C'est une chose qui est possible.
Mme Lavoie-Roux: Je pense que vous avez établi très
clairement - et il y en a d'autres qui l'ont fait avec vous - la question de la
détermination des soins essentiels à partir de listes syndicales.
Ce n'est pas que les syndicats soient méchants, mais je pense que c'est
une tentation, dans ce rapport de forces entre le gouvernement ou la partie
patronale et le syndicat, de l'utiliser comme un objet de pouvoir. C'est
ça qui rend cette formule de liste syndicale assez risquée si les
gens ne se sont pas entendus. (13 heures)
II y a une recommandation que vous faites à la toute fin, parmi
vos nombreuses recommandations - je pense que le député de
Rosemont en a soulevé quelques-unes - celle d'une commission
parlementaire pour discuter des conditions de travail. Je comprends que c'est
dans un effort de mettre les cartes sur la table - tout le monde souhaite que
les cartes soient mises sur la table le plus possible de part et d'autre - mais
est-ce que vous ne trouvez pas que ça pourrait créer une
situation un peu provocatrice? C'est évident que si on amène les
syndicats à établir leurs conditions de travail, d'une part, et
le gouvernement d'autre part, ou la partie patronale, qui pourrait être
vous ou d'autres associations, finalement, on va arriver à une
commission parlementaire où cela va être une surenchère,
une provocation? Vous, vous allez dire: Compte tenu de la qualité des
services, on veut une modification dans les conditions de travail qui soit de
tel ordre. Le syndicat va dire: Moi, je ne veux pas renoncer à des
droits acquis. Je ne suis pas sûre que la formule soit très
pratique. L'avez-vous examinée? Quelle est votre réaction?
M. Nadeau: En fait ce dont on parle devant une commission
parlementaire, c'est le niveau des conditions de travail, par exemple, des
salariés du secteur public par rapport aux salariés du secteur
privé. Il ne s'agit pas d'entrer, au niveau de la commission
parlementaire, dans le détail des conditions de travail. C'est au niveau
de grandes balises qui permettraient d'éclairer l'Assemblée
nationale et le gouvernement dans sa politique à la veille de la
négociation. Cela lui permettrait d'avoir des données, tant du
côté syndical, du côté patronal que du
côté des corps intermédiaires, sur l'impact de certaines
mesures dans le milieu industriel, par exemple. Je suis certain que c'est
important de savoir cela, quand on pense aux conditions de travail des
salariés du secteur public.
Cela permettrait au gouvernement et à l'Assemblée
nationale d'avoir un portrait de l'ensemble de la situation avant d'orienter
une politique des conditions de travail de ses salariés ou des
salariés du secteur parapublic.
Mme Lavoie-Roux: Une dernière question. Dans votre
mémoire, vous faites allusion à un désir d'une plus grande
participation, je pense, des autres membres de la table patronale. Ce n'est pas
dit comme cela, mais vous parlez de négociation au niveau sectoriel et
ainsi de suite. Est-ce que vous désirez que, localement, il existe une
plus grande latitude dans la discussion des conditions de travail pour que ce
soit mieux adapté aux besoins des institutions respectives? Croyez-vous
que, dans le passé, quels que soient les gouvernements, vous n'ayez pas
été mis beaucoup à contribution ou que vous ayez plus ou
moins été écartés quand est arrivé le moment
de décider des conditions plus définitives des conventions
collectives?
M. Nadeau: En fait, Mme Lavoie-Roux, c'est qu'on a le mandat
d'administrer correctement les établissements. Je pense qu'il y a moyen,
à l'intérieur de balises qui seraient convenues ou de qrandes
orientations au niveau de la convention collective qui seraient
aqréées à l'échelle nationale, d'avoir une place
pour certaines modifications au niveau local qui tiennent compte des
réalités vécues au niveau local.
Je pense que c'est important qu'on puisse adapter un peu. Il ne s'agit
pas de recommencer la négociation et d'avoir des grands
paramètres de négociation au niveau local, comme cela se fait
dans le secteur de l'éducation, parce que l'expérience qu'on vit
là, c'est que la négociation recommence. Il ne s'agit pas de
cela. Il s'agit, par exemple, de clauses sur le rappel au travail, sur la
garde, la disponibilité des salariés, les listes de rappel. Il y
a un certain nombre de choses où on pourrait être plus souple au
niveau local et faire un peu plus d'adaptations qui tiennent compte du contexte
vraiment local. C'est le sens de notre recommandation.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie
beaucoup.
M. Nadeau: M. le Président, maintenant, si vous me
permettez, j'aimerais insister sur ce que Mme Lavoie-Roux vient de nous
mentionner, et c'est un désir de l'ensemble de nos membres. On l'a
vécu à l'occasion de la grande tournée qu'on a faite pour
consulter nos membres sur le sujet, c'est que, quelles que soient les
règles qu'on se donne au niveau de la négociation, au niveau des
services essentiels, il est absolument nécessaire qu'il y ait une
volonté gouvernementale de faire respecter ces règles. Sans cela,
cela n'a aucun sens. Je pense que cela est à la base même du
système.
Le Président (M. Rodrigue): M. le ministre du Travail, de
la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.
M. Marois: M. le Président, je voudrais, en remerciant les
membres de l'Association des hôpitaux du Québec de leur
mémoire, me permettre quelques petites remarques. Cela me frappait
particulièrement en entendant certains témoignaqes ce matin,
comme des témoignages d'autres jours, cela me frappait aussi en
entendant certains commentaires de membres de cette commission parlementaire,
en particulier l'intervention de la députée de L'Acadie, pas
seulement celle-là, mais celle-là en particulier. C'est vrai que
ce n'est jamais facile, et c'est même difficile pour les humains, qu'ils
soient parlementaires ou pas, d'évaluer des choses surtout dans des
domaines comme ceux dont on parle ici, à cette commission, même en
ayant toutes les données les mieux chiffrées, quantifiées,
tout le papier empilé sur la table, parce qu'il y a du non-quantifiable
là-dedans, par définition, dans le domaine de l'humain. On en a
encore eu un exemple ce matin. On a reçu le mémoire de
l'association. Elle nous a dit que, si je comprends bien, la situation a
été pénible, de son point de vue et ça suppose -peu
importe le qualificatif - des améliorations, si on veut, mais, de votre
point de vue, cela a besoin d'être substantiel. Vous dites en plus: II y
a besoin d'une volonté que la substance de changements soit
accompagnée d'une volonté de les faire respecter.
En même temps, j'écoutais attentivement M. Cléroux
et les chiffres qu'il nous citait: pendant cette période de
grèves sporadigues où la Fédération - je pense que
ce sont vos propres chiffres - des syndicats professionnels
d'infirmières et d'infirmiers du Québec aurait assuré,
jusqu'à concurrence de 65% les services essentiels, que les syndicats
professionnels d'infirmières et infirmiers du Québec aurait
assuré jusqu'à 78% des services essentiels. Je comprends que
c'est une moyenne, cela a pu être un peu plus ou un peu moins selon les
coins, selon les établissements, il y a toute une série de
nuances à introduire et, pendant cette période de grèves
sporadiques, d'autres syndicats étaient à l'intérieur.
Donc, c'est vrai que ce n'est pas simple, peu importent les chiffres.
Ce qui est encore plus difficile pour les humains - il va falloir qu'on
le fasse - c'est de transposer leurs principes, leurs idéaux, leurs
qrandes idées généreuses, fondamentales. Il faut qu'on
conserve ces idées, cette générosité, en ce qui
concerne les valeurs et les droits fondamentaux qui s'expriment à cette
table, qui s'expriment dans les témoiqnages qu'on entend. Mais ce qui me
paraît plus important, c'est que, tout en maintenant ces principes -
qu'on les qualifie de principes, de valeurs, de droits fondamentaux - on n'est
pas ici parce qu'on estime que tout va pour le mieux dans le meilleur des
mondes et que tout va sur des roulettes, on ne serait pas ici, si tel
était le cas.
Ce n'est donc pas l'évaluation que le gouvernement fait,
certainement pas. Ceci étant dit, il va falloir trouver les moyens
concrets de transposer dans la réalité à la fois ce droit
qui est reconnu - que le gouvernement ne conteste pas, qu'il n'a pas
l'intention de retirer, j'ai déjà expliqué pourquoi - et
qui est le droit de négociation et le droit de grève, mais, en
même temps, de prendre les moyens réels - on appellera ça
comme on voudra - pour améliorer un peu, beaucoup, passionnément,
pour changer les choses fondamentalement.
Peu importent les mots, ce qui m'importe, c'est la
réalité, pour faire en sorte que le droit fondamental des hommes
et des femmes en vie à leurs soins, à leurs services directs
puisse correspondre à une réalité. Bien sûr,
ça doit être accompagné, non seulement - chacun tirera sa
ligne, encore une fois, aussi bien l'Opposition que le gouvernement - notre
travail ici, guant à nous, à l'aide des témoignages qu'on
entend, des suggestions et des recommandations qui nous sont formulées,
c'est d'essayer de trouver les meilleurs moyens, des moyens qui soient
réalistes.
Il faut tenir compte de la réalité; la
réalité, c'est une société, ce sont des humains, il
y a des réalités sociales, culturelles, économiques; on ne
peut pas balayer cela. Il faut y aller de façon réaliste, mais en
même temps de façon responsable et avec la volonté qu'il
faut pour y arriver. Je suis très heureux, en passant, de prendre acte
de la déclaration de la députée de L'Acadie qui nous
confirme, aujourd'hui, que ce n'était peut-être pas une si
mauvaise idée que ça pour le gouvernement d'introduire la loi 17,
de reconnaître le droit aux hommes et aux femmes qui travaillent
d'exercer un droit de
refus, si leur santé et leur sécurité sont mises en
cause.
Je suis content de voir que parfois les choses évoluent. C'est le
droit normal des humains de changer d'idée et d'évoluer, parce
que, à l'époque, si ma mémoire est bonne, ce
n'était pas l'opinion qui était partagée de l'autre
côté de la table, mais je pense que...
M. Rivest: J'ai cité le député de Portneuf,
rappelez-vous.
M. Marois:... les mentalités évoluent et les
idées aussi. Le travail n'est pas facile, mais en ce qui nous
concerne...
Mme Lavoie-Roux: C'est du charriage!
M. Marois: Non, je ne crois pas que ce soit du charriage, ce sont
strictement les faits. C'est un fait, je suis certain que la
députée de L'Acadie ne veut pas me forcer à rappeler les
votes de l'Opposition sur ce projet de loi, malgré le travail
remarquable, colossal d'accompagnement, de façon très positive,
que certains collègues - notamment le député de Portneuf -
avaient apporté aux travaux de la commission à l'époque,
comme je pense que c'est encore possible pour les travaux de la présente
commission. Moi, je suis très heureux des recommandations, des
suggestions qui nous sont faites et qui seront évaluées au
mérite pour faire en sorte qu'on puisse trouver, comme
société, les moyens d'assurer que, dans le concret, les droits
des autres aussi soient pleinement respectés.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants de l'Association des hôpitaux du Québec.
La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et
de la sécurité du revenu suspend ses travaux jusqu'à 15
heures, cet après-midi. Nous entendrons alors les porte-parole de
l'Association des CLSC du Québec.
(Suspension de la séance à 13 h 10)
(Reprise de la séance à 15 h 12)
Le Président (M. Rodrigue): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et
de la sécurité du revenu reprend ses travaux. Je rappelle que le
mandat de cette commission est d'entendre les personnes et organismes
relativement à l'examen des moyens d'améliorer le régime
de négociations dans les secteurs public, parapublic et
péripublic et, de façon plus particulière, l'étude
des moyens qui permettraient d'améliorer le maintien des services
essentiels lors des conflits de travail dans ces secteurs. J'invite...
M. Polak: M. le Président, j'ai une question de
procédure à soulever. Je vois qu'il reste encore sept
mémoires pour aujourd'hui et je constate que si on en entend trois cet
après-midi et quatre ce soir, même en leur accordant une
période d'une heure, on sera encore ici à minuit. Je ne m'oppose
pas à cela, on a déjà été ici à 23 h
30 ou minuit, mais je voudrais suggérer qu'on se restreiqne à une
heure, en périodes de 20 minutes, pour entendre les mémoires. Il
y a des mémoires fort intéressants, c'est vrai, mais on
dépasse le temps alloué et on ne pourra entendre que cinq
mémoires; on ne finira jamais. Je ne sais pas ce que les autres membres
de la commission en pensent, je n'ai discuté avec personne
là-dessus, mais il faudrait peut-être donner au président
le pouvoir de contrôler le temps. Si cela prend une heure, ça
prend une heure, un point, c'est tout. Je serais d'accord avec cela.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Sainte-Anne, si les membres de la commission sont d'accord, je pourrai quand
même informer les membres de la commission, s'il y a lieu, qu'ils ont
effectivement dépassé la période de temps qui leur est
allouée. Cependant, je dois vous signaler qu'il n'y a pas de
règle stricte dans nos règles de procédure qui me permet
d'interrompre un député qui a des choses à dire et qui
veut les dire. À ce moment-là, c'est plutôt une question de
discipline de groupe, de chaque côté de cette table, pour faire en
sorte que le temps alloué à chaque mémoire soit
respecté.
Association des CLSC du Québec
Si vous voulez, on va enchaîner là-dessus en accueillant
l'Association des CLSC du Québec. Je demande aux représentants de
cet organisme de prendre place. Si mes informations sont justes, ce
mémoire devrait nous être présenté par M. Pierre
Ouimet, son président. M. Ouimet, si vous voulez nous présenter
les personnes qui vous accompagnent. Je vous rappelle, compte tenu des
remarques que nous venons de faire, que nous allouons 20 minutes pour la
présentation du mémoire et, autant que possible, 20 minutes pour
la période de questions de chaque côté.
M. Ouimet (Pierre): M. le Président, je vous remercie. On
va essayer de tenir compte de vos remarques et de raccourcir la
présentation de notre mémoire.
M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les membres de la
commission, je vous présente d'abord la délégation de la
Fédération des CLSC du Québec: À ma
droite, M. Maurice Charlebois, directeur général de la
fédération; à ma gauche, M. Gilles Gauthier, directeur des
ressources humaines; à sa gauche, M. Jacques Welkins, directeur des
communications.
La Fédération des CLSC du Québec est heureuse
aujourd'hui de pouvoir participer à cette réflexion collective
sur les moyens d'améliorer le régime de la négociation
dans les secteurs public et parapublic. Toutefois, notre contribution se
situera plus au niveau d'une réflexion sur certaines
problématiques de la négociation qu'au niveau d'une proposition
à caractère purement technique visant à modifier a nouveau
le cadre de la négociation en espérant ainsi régler tous
les problèmes. En effet, à notre point de vue, compte tenu du
caractère de la négociation dans notre secteur, de sa dynamique,
du nombre d'acteurs et des enjeux, il est illusoire de penser qu'il existe des
solutions miracles au problème. Plus on écoute les
mémoires, plus on se rend compte qu'il n'y a pas de solution miracle et
on n'a pas de lapin dans notre chapeau. Cela n'enlève pas la
nécessité quand même de se prêter à des
exercices d'évaluation et nous souhaitons que notre mémoire
contribue quand même à faire progresser modestement les
discussions sur un sujet qui est fort difficile, qui engendre de nombreuses
polémiques autant dans notre milieu que dans la population. Compte tenu
du temps limité dont on dispose, je ne livrerai pas le rapport au
complet, mais j'essaierai d'en dégager les principales lignes.
D'abord, on tiendrait peut-être à rappeler ici certaines
réflexions que nous avions déjà présentées
à la commission Martin-Bouchard et qui nous apparaissent toujours
pertinentes au débat. Notre mémoire faisait ressortir deux
considérations qui nous semblent extrêmement importantes. La
première, c'est qu'il faut d'abord réaliser que la
négociation collective, c'est un système essentiellement de
l'ordre du conflictuel, de l'opposition des intérêts et c'est
axé sur la confrontation. À ce moment, il ne faut pas se
surprendre si ce système engendre périodiquement des conflits. Il
en sera, nous pensons, toujours ainsi tant que notre société
privilégiera et acceptera la négociation collective comme
processus de détermination des conditions de travail des
salariés. La deuxième chose, c'est qu'il faut également
réaliser que les facteurs déterminant la dynamique de la
négociation, et donc le conflit dans les secteurs public et parapublic,
sont davantage de nature politique qu'économique et ce, contrairement au
secteur privé.
Quant à nous, cela s'explique par la présence de
l'État, par le nombre considérable de salariés
impliqués, la nature des services touchés par une
éventuelle interruption et les conséquences sur la population en
général. La conjugaison de tous ces éléments
déplace souvent la négociation sur des enjeux sociaux importants,
non seulement pour les salariés concernés, mais
particulièrement pour tous les citoyens et appelle par le fait
même une intervention de l'État qui déborde souvent de son
rôle d'employeur.
Dans la négociation collective avec ses employés, les
interventions de l'État sont conditionnées en fonction de son
double rôle de législateur et d'employeur. Ce fait est connu, mais
il nous apparaît essentiel de le rappeler, parce qu'il éclaire
toute la dynamique de la négociation dans les secteurs public et
parapublic.
Il y a une série de questions qu'on peut se poser: l'État,
à titre d'employeur, doit-il offrir des conditions de travail
supérieures, égales ou inférieures aux employés du
secteur privé?
L'État doit-il se servir de son rôle d'employeur pour
introduire des politiques sociales d'envergure telles la sécurité
d'emploi, les droits parentaux, les régimes de retraite ou ne doit-il
pas plutôt réserver cela pour une législation
universelle?
L'État employeur doit-il s'appuyer sur les mêmes
critères de rentabilité que l'entreprise privée ou ne
doit-il pas plutôt rechercher une rentabilité sociale et ce,
à titre de responsable du bien-être général de la
population?
L'État, dans le processus de négociation, se trouve-t-il
toujours dans une position plus avantageuse du fait qu'il fixe par
législation les règles du jeu de cette négociation et
qu'il a en plus le pouvoir de les modifier à tout moment? Cela ne
rend-il pas illusoire la négociation dans les secteurs public et
parapublic?
L'État employeur, partie à une négociation, peut-il
facilement s'élever au-dessus du conflit et se réclamer
responsable du bien-être de la population et porte-parole de cette
dernière sans fausser le jeu?
Finalement, le gouvernement peut-il facilement faire abstraction des
considérations électorales dans la négociation, le
conflit, l'interruption des services?
Poser ces guestions permet de faire ressortir une partie de la
complexité de la négociation dans les secteurs public et
parapublic. Elles permettent d'entrevoir la difficulté de la
définition des rôles des partenaires du gouvernement à la
négociation, ce sur quoi d'ailleurs nous reviendrons plus loin. Elles
permettent d'imaginer les stratégies syndicales.
En effet, le syndicat, de son côté, tente de créer
à travers la négociation une conjoncture telle que l'État
sera amené dans une situation politique si délicate que la force
de ses moyens législatifs lui sera d'un recours limité: l'issue
devenant alors la réconciliation des intérêts.
À chacune des rondes, le syndicat
risque, par cette stratégie, d'engendrer une situation où,
à la suite des pressions exercées par l'opinion publique, le
gouvernement serait tenté de prendre des mesures qui auraient pour effet
d'affaiblir sa crédibilité. C'est évidemment un risque. Il
est réel et, croyons-nous, intégré à la
stratégie syndicale.
C'est évident que quinze ans de négociation ont
développé forcément chez les syndicats un sens du seuil de
tolérance de la population. Pour le syndicat, l'expérience a
été positive en termes d'amélioration des conditions de
travail; donc, il y a eu incitation à continuer, d'autant plus que les
sanctions prévues pour non-respect des lois et des règlements,
s'il y a lieu, sont habituellement non appliquées, comme cela a
été souligné à plusieurs reprises. L'encadrement
technique et l'encadrement législatif deviennent alors un cadre de
référence, une balise, un esprit plutôt qu'une
véritable contrainte formelle.
Par ailleurs, au niveau des enjeux, la négociation est, pour le
syndicat, l'occasion de la formulation de revendications sociales fort
importantes. Elle n'a donc plus le caractère privé de la
négociation habituelle et elle devient, de ce fait,
d'intérêt public. Le syndicalisme au Québec, en plus de
demeurer un agent de revendications socioprofessionnelles, tend à
s'affirmer de plus en plus manifestement comme un agent dynamique de
transformation sociale.
Une chose importante que nous voulons faire ressortir, c'est que, dans
ce contexte, les interventions de l'État sont conditionnées par
une multitude de facteurs politiques. Ces interventions peuvent
apparaître parfois contradictoires et incompréhensibles, car dans
le processus dynamique de la négociation, les rôles d'employeur et
de législateur se confondent, entraînant ainsi des frustrations
pour les principaux acteurs de la négociation ainsi que pour la
population. Mais peut-il en être autrement? Doit-on rechercher des
modifications au cadre juridique qui permettront une séparation claire
des rôles? Nous croyons que non. Nous croyons également que tout
exercice en ce sens est stérile parce que les enjeux d'une
négociation dans les secteurs public et parapublic en font un
événement politique majeur qui ne trouve ultimement sa
réponse qu'au niveau de l'État.
La conclusion que nous venons de faire au sujet de ce processus de
négociation dans les secteurs public et parapublic nous amène
donc à ne pas remettre en question la centralisation de ces
négociations. Le cadre juridique existant à l'heure actuelle
confirme cette centralisation et nous ne croyons pas qu'il nécessite
vraiment de modifications majeures.
Toutefois, à la suite de l'expérience vécue lors de
la dernière ronde de négociations, il nous paraît tout de
même judicieux de soumettre quelques recommandations quant à
certains éléments du cadre de négociation. D'abord,
concernant la loi 59, le calendrier prévu à l'article 99h du Code
du travail s'est avéré fonctionnel et ne devrait pas être
modifié; il pourrait toutefois, tel que nous l'avons déjà
recommandé à la commission Martin-Bouchard, prévoir,
à la date d'échéance des conventions collectives,
l'intervention d'un conseil de médiation ou d'un médiateur.
Celui-ci ferait un rapport public dans les 3D jours de son intervention;
après quoi, un vote sur ce rapport devrait être pris. Le droit de
grève ne serait acquis qu'après ce vote.
D'aucuns savent que, qénéralement, les seules informations
sur la négociation diffusées par les médias revêtent
un caractère de sensationnalisme afin de rencontrer évidemment
des objectifs de marketing. Par surcroît, on sait aussi que les
journalistes spécialisés préfèrent de beaucoup
s'approvisionner directement aux sources. C'est pourquoi nous "questionnons" le
rôle du conseil d'information en temps de négociation. La
publication du rapport de médiation, tel que nous venons tout juste de
le proposer, pourrait fournir au public une information sur l'état de la
négociation et sur les positions respectives des parties et ce, au
moment où les votes de grève pourraient être pris.
Le droit de grève. Tout comme nous le recommandions il y a trois
ans à la commission Martin-Bouchard, nous croyons qu'il n'y a pas lieu
de remettre en question le droit de grève dans les secteurs public et
parapublic. Cette mesure s'avère, quant à nous,
irréaliste, du moins pour le moment. Notre société a
consenti à ce droit et il serait très difficile de l'enlever,
mais surtout il nous semble utopique de vouloir ramener la paix dans les
secteurs public et parapublic par cette seule mesure. La grève, de toute
façon, se fait indépendamment du droit de la faire. Qu'on pense
à la situation avant 1964 dans les hôpitaux du Québec,
à la situation vécue dans plusieurs pays - plusieurs y ont fait
allusion - qui n'ont pas accordé ce droit, dont l'Ontario
récemment.
Un peu plus haut, tantôt, nous avons soumis que le droit de
grève ne devrait être obtenu qu'après un vote sur le
rapport de médiation soumis 30 jours après
l'échéance des conventions collectives. Nous ne voyons vraiment
pas d'autres modifications à apporter sur les procédures.
Les services essentiels. Dans la mesure où nous
préconisons le maintien du droit de grève, nous
considérons que notre société, de par l'évolution
générale au niveau des valeurs qui la guident, accepte de
tolérer une certaine désorganisation sociale résultant des
conflits de travail.
La nature des services touchés par ces
conflits affecte directement son degré de tolérance au
point de provoquer, dans certains cas, une limite ou des balises au droit de
grève.
De par l'évolution de notre forme d'organisation sociale,
l'État produit directement, et ce à la demande de la population,
un grand nombre de services qui sont monopolistiques. Ceux-ci sont parfois
essentiels à la satisfaction des besoins élémentaires et
au maintien d'une organisation sociale harmonieuse. Il en résulte un
état de dépendance du citoyen qui rend automatiquement toute
interruption de ces services problématique ou même dramatique
selon leur degré de nécessité.
Notre incapacité collective à nous réorganiser pour
satisfaire ces besoins momentanément sans réponse contribue
à déterminer le caractère essentiel des services. C'est ce
qui fait qu'une grève atteint des proportions alarmantes ou non: une
grève des péagistes de l'autoroute est socialement plaisante,
elle est difficile dans les transports en commun, intolérable dans les
CHSP.
En conséquence, nous croyons qu'il faut maintenir des
mécanismes pour limiter les effets d'une interruption de services dits
essentiels. La loi prévoit actuellement un mécanisme qui devrait
être amélioré. En effet, le droit consenti aux syndicats de
déterminer unilatéralement les services essentiels nous semble
avoir été une erreur, principalement parce que toute
décision à ce sujet repose essentiellement sur un jugement de
valeur et qu'un tel jugement, comme tout jugement, doit être fait dans
les meilleures conditions d'objectivité et de neutralité. Les
syndicats, de par leur rôle dans la négociation, ne peuvent
prétendre à cette objectivité; on les place dans la
situation où ils sont juge et partie. En l'occurrence, on demande
à l'une des parties à la négociation de concilier le droit
de la population en général à la santé par rapport
à son droit de grève. On sait que le rapport de forces syndical
dépend d'une façon directement proportionnelle du degré de
désorganisation sociale engendrée par la grève. (15 h
30)
Certains croient d'abord qu'il appartiendrait au gouvernement de
décider ce qu'il est souhaitable de maintenir comme services essentiels
en temps de conflit puisqu'il est le représentant légitime de la
population. À cet égard, nous croyons que sa
responsabilité consiste plus à prévoir des moyens
ordonnés pour éviter des situations socialement inacceptables
qu'à intervenir directement dans le processus de détermination
des services essentiels.
En conséquence, nous proposons très
concrètement:
Que les services essentiels soient déterminés par voie de
négociation locale entre les parties;
Que cette négociation se déroule en dehors de la
période active de négociation des conventions collectives afin
d'éviter que cette opération fasse l'objet de jeux
stratégiques;
Qu'à défaut d'entente entre les parties le conseil sur le
maintien des services essentiels, formé en vertu de l'article 111 du
Code du travail, décide des services à maintenir mais en optant
exclusivement pour la dernière position syndicale ou la dernière
position patronale;
Que l'entente néqociée ou la décision de la
commission tienne compte également des variations éventuelles
dans les services offerts en temps de conflit;
Enfin, que le conseil sur le maintien des services essentiels ait un
caractère permanent.
Nous ne croyons pas que le système proposé ci-haut
constitue une panacée mais il force, croyons-nous, les parties à
adopter des positions réalistes.
Notre proposition vise à forcer finalement la
négociation.
Les pénaltés. Il arrive peu souvent que les auteurs
d'infractions commises lors de grèves illégales, notamment pour
le non-respect d'ententes sur les services essentiels, soient poursuivis et ce,
principalement à cause du fait que la négociation du
règlement final entre les parties prévoit la cessation des
poursuites. Il s'agit là d'une autre conséquence du double
rôle État employeur, État législateur.
Par ailleurs, les amendes imposées dans le passé
s'avéraient totalement irréalistes. Plusieurs sont alors
tentés de conclure qu'il n'y a aucun mécanisme approprié
pour régulariser cette situation.
La population, qui est directement victime des conflits, accepte de
moins en moins, on s'en rend compte, d'être privée des services
dits essentiels. Nous désirons attirer l'attention sur un
phénomène nouveau, qui devrait écarter pour le moment les
arguments en vue d'un retrait du droit de grève ou d'une intervention
plus vigoureuse de l'État pour empêcher toute infraction.
Exaspérés par le nombre sans cesse croissant de
grèves dans les secteurs publics et continuellement exclus du processus
de la négociation, tout en étant utilisés par les parties,
les bénéficiaires des services commencent à se prendre en
main. Rappelons-nous les poursuites intentées par des usagers dans le
cas de la grève illégale à la CTCUM, de la grève au
cégep de Saint-Jérôme et, finalement, de la grève
à l'hôpital Saint-Charles-Borromée.
Cette prise en charge de la part des bénéficiaires
modifiera, croyons-nous, infailliblement le comportement des parties lors d'une
éventuelle grève ou lock-out illégal dans les services
publics. Ce nouveau
phénomène permet d'intégrer le public
bénéficiaire dans le processus de négociations. Nous
croyons que cette prise en charge, qui est d'ailleurs facilitée par de
récentes modifications législatives concernant le recours
collectif et les petites créances, apportera, dans le domaine du
maintien des services essentiels en cas de grève illégale, des
solutions efficaces, du moins plus efficaces que les pénalités
habituellement prévues dans nos diverses lois régissant le droit
de grève.
Les syndicats ne pourront plus alors tenir pour acquis l'abandon des
poursuites judiciaires lors de la signature des protocoles de retour au
travail, la population n'étant tout simplement pas partie à ces
protocoles. De cette façon, les parties devront agir avec plus de
maturité et faire preuve d'un degré minimum de conscience
sociale.
En conséquence, il ne nous paraît pas utile de
réviser en profondeur les pénalités actuellement
prévues au Code du travail en cas de grève ou de lock-out
illégal, compte tenu de l'émergence de ce nouveau
phénomène. Ce phénomène a plus de chance d'amener
chez les parties un respect des bénéficiaires des services tout
au cours de la négociation qu'une batterie de mesures coercitives.
Quant à la loi 55, cette loi, dans la foulée de la loi 95
de décembre 1974, a constitué un pas de plus vers la
centralisation au niveau gouvernemental des négociations dans les
secteurs public et parapublic. Plusieurs considèrent que cette
centralisation constitue une erreur et qu'il y a lieu de redonner aux parties,
soit au niveau local, soit au niveau régional, soit, enfin, à des
niveaux sectoriels, la coordination et les responsabilités de la
négociation des conditions de travail des salariés.
On voit, dans cette solution, une possibilité de
dépolitiser ces négociations ainsi que les conflits en
soustrayant l'État du processus de négociations. Pour
réaliser cette décentralisation, l'hypothèse la plus
souvent avancée actuellement par différents intervenants consiste
à retirer du champ de la négociation la masse salariale. Il y a
trois ans, devant la commission Martin-Bouchard, nous avions défendu
l'idée que la masse salariale devait entrer dans le champ du
négociable. C'est toujours notre opinion.
Compte tenu de ce qu'englobe la masse salariale - la
rémunération, les bénéfices marginaux, les
avantages sociaux - et des débats politiques que cela sous-tend, il va
de soi que la négociation doit être centralisée au niveau
gouvernemental. L'introduction de paliers intermédiaires de
négociation, par rapport aux dispositions financières des
conventions collectives n'est pas souhaitable. Cela aurait pour effet de placer
ces intervenants à ces niveaux en situation d'incompétence
puisque la partie syndicale ferait rapidement appel à ceux qui
décident vraiment.
Par contre, des paliers intermédiaires de négociation sont
nécessaires pour régler les sujets se rapportant plus directement
aux relations employeurs-employés dans les établissements de
même que tout ce qui se rapporte à l'organisation du travail et
aux responsabilités qui sont actuellement dévolues aux
comités patronaux sectoriels.
Nous croyons donc qu'il ne faut pas modifier les dispositions relatives
à l'organisation des parties prévues dans la loi 55 même
s'il y eut certaines difficultés d'application au niveau du partage des
responsabilités lors de la dernière ronde de
négociations.
Nous sommes d'avis que le cadre juridique prévu à la loi
55 a quand même permis aux représentants des conseils
d'administration des établissements du réseau une participation
significative aux négociations. Par rapport aux dispositions à
caractère financier, ils ont pu agir à titre de consultants
auprès du gouvernement mettant ainsi à contribution leur
expertise. En ce qui a trait aux dispositions normatives, ils ont pu poursuivre
leurs principaux objectifs.
Il est évident que la convention collective forme un tout et
qu'il est difficile de tracer une ligne de démarcation claire entre les
clauses strictement normatives et les clauses salariales. Ce qui nous
apparaît important de maintenir dans le processus de négociation,
du côté de la partie patronale, c'est l'idée du partnership
où les principaux acteurs peuvent faire valoir leur point de vue dans un
processus consensuel.
En conclusion, nous estimons que certaines améliorations
pourraient être apportées au niveau du fonctionnement des
comités patronaux et que cela peut se faire dans le cadre des protocoles
prévus à l'article 12 de la loi. Il n'y a donc pas
nécessité selon nous d'en modifier les dispositions.
Il y a à peine trois ans, par le biais de la commission
Martin-Bouchard, une réflexion majeure a été
effectuée sur les phénomènes entourant les
négociations dans les secteurs public et parapublic. Des modifications
législatives relativement importantes s'ensuivirent. Depuis lors, une
ronde de négociations a été tenue. Force nous est de
constater que des améliorations sensibles ont été
réalisées notamment au niveau de la durée des
négociations.
Il reste certainement plusieurs autres améliorations à
apporter et nous en avons signalé quelques-unes, et nous croyons que
cela peut se faire dans le cadre actuel. C'est pourquoi nous nous en sommes
tenus à des recommandations visant à apporter des correctifs
relativement mineurs à la législation actuelle. La
négociation collective
est guidée en grande partie par les attitudes des acteurs en
présence, de telle sorte que les révisions de structures ne sont
pas nécessairement garantes du règlement de tous les
problèmes. Nous vous remercions.
Le Président (M. Rodrigue): M. le ministre du Travail.
M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier
l'Association des CLSC du Québec de son mémoire. Avec votre
permission, je voudrais céder immédiatement mon droit de parole
à mon collègue, le député de Prévost, qui
est l'adjoint parlementaire. Il aurait un certain nombre de questions à
poser en notre nom.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Merci, M. le Président. Je vais essayer de poser
mes questions rapidement et tout d'un bloc pour que vous puissiez y
répondre.
Premièrement, je voudrais savoir si j'ai bien compris qu'à
la suite de l'intervention du médiateur, il doit rendre son rapport
public. Est-ce que cela serait le remplacement du conseil d'information, selon
la loi actuelle? Ce rapport remplirait-il la fonction d'informer la population,
d'après votre rapport?
Aussi, au bas de la page 12, vous écrivez, en parlant du
rôle du gouvernement: "À cet égard, nous croyons que sa
responsabilité consiste plus à prévoir des moyens
ordonnés pour éviter des situations socialement inacceptables
qu'à intervenir directement dans le processus de détermination
des services essentiels. " Quels sont ces moyens ordonnés auxquels vous
référez?
De plus, dans le processus des services essentiels, vous parlez de
négociation locale exclue de la période de négociation.
Seriez-vous d'accord avec l'idée d'un protocole-cadre qui pourrait
être négocié à l'avance par les sommités des
négociations sur une base sectorielle?
Autre question: Quand vous parlez de la décision du conseil sur
le maintien des services essentiels, ce conseil décide des services
à maintenir, en optant exclusivement pour la dernière position
syndicale ou la dernière position patronale. D'après vous, quel
serait l'avantage de cette formule?
Ensuite - c'est peut-être nous qui comprenons mal un point - vous
parlez de pénalités pour des grèves illégales, mais
le texte ne fait pas le lien avec le rapport du conseil du maintien des
services essentiels. Cette décision sur la dernière position
syndicale ou patronale serait-elle une décision obligatoire qui
enlèverait le droit de grève à un établissement
tant qu'on n'aurait pas respecté cette décision? Est-ce là
que vous faites le lien avec des sanctions pour des grèves
illégales par la suite?
Une avant-dernière question. Lors des dernières rondes
dans les CLSC, les services essentiels ont-ils été effectivement
maintenus ou non et, dans les deux cas, quels étaient les services
essentiels au niveau des CLSC?
Finalement, vous êtes des administrateurs d'une partie du
réseau public, les CLSC. Vous ne préconisez pas l'abolition du
droit de grève dans les secteurs public et parapublic. Pourquoi? C'est
tout, M. le Président.
Le Président (M. Rodrigue): M. Ouimet.
M. Ouimet: Je ne savais pas qu'il fallait, une aussi bonne
mémoire pour comparaître devant une commission parlementaire, pour
retenir les sept questions. On va faire un effort.
Quant à la première question: Est-ce que le conseil de
médiation, dans notre esprit, remplacerait le conseil d'information. Il
reprendrait en partie certaines fonctions du conseil d'information, à
savoir qu'il rendrait publiques un certain nombre d'informations là
où en sont rendues les négociations. Dans ce sens, il accomplit
des fonctions d'information, mais cela va plus loin que ça. Dans son
rôle de médiation, je ne crois pas que le conseil d'information
avait un rôle de médiation à jouer. (15 h 45)
À votre deuxième question, à la page 12, nous
disons que nous ne croyons pas que ce soit la responsabilité du
gouvernement d'intervenir directement dans le processus de détermination
des services essentiels, mais que nous croyons plutôt que sa
responsabilité consiste à prévoir des moyens
ordonnés pour éviter des situations socialement inacceptables.
Finalement, dans les recommandations que nous déposons, c'est un certain
nombre de moyens que le gouvernement pourrait mettre en place. Ce serait sa
façon à lui de contribuer à prévoir des moyens
ordonnés. Quant au protocole-cadre, on pourra y revenir
tantôt.
Je reprendrais peut-être la dernière question, à
savoir pourquoi nous, qui sommes des administrateurs, ne recommandons pas
l'abolition du droit de grève. J'ai dit, à un moment
donné, que, pour le moment, nous ne recommandons pas l'abolition du
droit de grève. Évidemment, dans les mémoires qui ont
été déposés, dans les discussions que nous
entendons à cette commission, le dilemme semble être de concilier
ou d'harmoniser deux droits. Ce qui semble sauter aux yeux, c'est que, du
côté du droit des travailleurs, non seulement nous reconnaissons
ce droit, mais nous avons également des lois qui garantissent l'exercice
de ce droit. Concernant le droit des
bénéficiaires, nous chantons hautement les louanges de ce
droit, mais nous n'avons aucune loi, ou très peu, qui en garantisse
l'exercice.
Pour le moment, nous croyons qu'il serait trop tôt pour tirer sur
la rose afin de la faire pousser plus vite, ce n'est peut-être pas le
temps. Compte tenu des petits pas, mais des pas que nous faisons dans la bonne
direction, supprimer le droit de grève serait une solution
peut-être radicale, qui ne réglerait pas nécessairement ce
problème. Nous préconisons plutôt de discipliner ce droit
de grève, non pas pour enlever ce droit aux travailleurs, mais pour
tenir compte également du droit des usagers, puisque tout le monde sait
que mon droit se termine au moment où le droit de l'autre commence.
Il y a d'autres questions concernant les pénalités, etc.,
je ne les ai pas toutes retenues. Probablement que mes collègues en ont
pris note, et j'invite M. Charlebois à répondre à d'autres
questions.
M. Charlebois (Maurice): Quant aux moyens ordonnés que
l'État pourrait mettre en place, essentiellement, il s'agit là
d'un passage pour introduire notre proposition. Les moyens ordonnés
auxquels on pense, c'est, par rapport à la détermination des
services essentiels, d'introduire un mécanisme d'arbitrage, mais,
finalement, qui offre à l'arbitre uniquement le choix entre l'une ou
l'autre des positions.
Une autre de vos questions: Quel est l'avantage de cette formule?
À notre point de vue, cela forcerait les deux parties à des
positions réalistes. Le risque serait trop grand pour une partie
patronale, par exemple, de demander 100% des effectifs ou pour une partie
syndicale d'en demander zéro puisque, à défaut d'entente,
l'arbitre choisit l'un ou l'autre.
Ce qui est sous-jacent à notre proposition, c'est que les
services essentiels doivent être négociés. Si on introduit
ce mécanisme comme règlement d'un éventuel litige sur la
détermination des services essentiels, on pense que c'est un
mécanisme qui force les parties à négocier peut-être
plus loin, donc qui réduirait le nombre de cas où il y a
mésentente. Si on se réfère à la situation de
1978-1979, ce matin, l'Association des hôpitaux évoquait que, dans
60% des cas, les services essentiels étaient maintenus sur la base d'une
liste déposée, donc, il y avait seulement 40% de cas d'entente;
c'est à peu près la même situation qui a été
vécue dans les CLSC.
En regardant ces chiffres, on peut dire que, dans la majorité des
cas, les parties ne réussissent pas à s'entendre, et on
souhaiterait un système où le maintien des services essentiels,
où la quantité des services essentiels serait le résultat
d'une entente entre les parties. Notre option, c'est que, finalement, c'est
dans le contexte d'une entente négociée qu'il y a le plus de
chances que la grève, si elle doit avoir lieu, se déroule d'une
façon civilisée.
De la même manière, on souhaite que la négociation
sur les services essentiels se fasse en dehors de la période
conflictuelle, en dehors de la période de négociation de la
convention collective. C'est une autre mesure pour "déconflictualiser"
d'une certaine manière la détermination des services
essentiels.
La négociation locale ou provinciale d'un protocole-cadre, on
pense que c'est effectivement une piste qui est à explorer, dans la
mesure où on invite les parties, localement, ou même la
commission, à tenir compte d'éventuels fluctuations de services.
Le gros problème dans la détermination des services essentiels
c'est cette question. Si on néqocie six mois avant la grève,
peut-être qu'au moment où la grève va se produire, il va
arriver un phénomène quelconque qui va obliger à
réviser la décision. Il faut donc prévoir une
espèce de mécanisme de révision de l'entente sur les
services essentiels. Cela peut se négocier dans un protocole-cadre. Il
pourrait y avoir des "guide lines" au niveau provincial. Effectivement, quant
à nous, c'est une piste à explorer.
Quant au lien entre les pénalités et notre proposition,
disons que les pénalités interviennent lorsqu'il y a grève
illégale. Quand on parle de notre proposition sur la
détermination des services essentiels, dans la mesure où les
parties se sont entendues, ou dans la mesure où il y a une sentence
arbitrale et qu'elle est respectée, il n'y a pas lieu d'y avoir de
pénalités. C'est une grève tout a fait légale. Les
pénalités, on les évoque dans le cas de grève
illégale ou dans le cas de non-respect de l'entente sur les services
essentiels. Il n'y a donc pas directement de lien entre notre passage sur les
pénalités et notre passage sur le mécanisme de
détermination des services essentiels.
M. Dean: La décision du conseil serait
exécutoire.
M. Charlebois: La décision du conseil, quant à
nous, devrait être exécutoire. Est-ce que cela répond
à l'ensemble de vos questions, M. le député de
Prévost?
M. Dean: Oui, merci.
Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée
de Jacques-Cartier.
Mme Dougherty: Merci, M. le Président.
M. Ouimet, votre mémoire présente une excellente analyse
de la complexité des négociations, de la confusion des
rôles et des jeux politiques qui sont engendrés.
Vous avez soulevé une foule de questions très pertinentes,
surtout à la page 6, sur le rôle de l'État, mais je suis
surprise de trouver dans vos recommandations une certaine attitude de
tolérance, même de pessimisme qui vous a amenés à
recommander des ajustements au lieu de changements substantiels dans le
système actuel. Selon ma perspective, la chose la plus importante, c'est
d'assurer que le bien-être public soit mieux servi.
J'ai quatre questions axées sur le besoin primordial de
protéger l'intérêt public, non pas seulement dans le
processus des négociations, mais dans ses résultats.
Ma première question est: Compte tenu du conflit social et
politique engendré par les négociations et la tendance que vous
avez soulignée à la page 8, soit que "le syndicalisme au
Québec tend à s'affirmer de plus en plus manifestement comme un
agent dynamique de transformation sociale", compte tenu de cette tendance,
comment peut-on protéger l'intérêt public dans cette
affaire? Nous avons entendu une recommandation la semaine dernière
disant qu'on doit avoir un ombudsman pour représenter
l'intérêt public à la table de négociations. Je me
demande si c'est une bonne idée. Est-ce que vous avez des idées
là-dessus?
M. Ouimet: Au chapitre de ce qu'on appelle des
pénalités, on souligne le phénomène nouveau de la
prise en charge de la population de ses propres intérêts. C'est
effectivement nouveau et cela est permis à la population à cause
de certains outils comme le recours collectif. Certains organismes l'ont
souligné. Je viens d'entendre la Coalition des malades. Elle dit avoir
utilisé cet outil, mais souhaite que l'utilisation de cet outil soit
rendue plus facile; et on décrit comment c'est assez compliqué
d'utiliser ça finalement, simplement de trouver des
requérants.
Par ce biais, nous croyons que la population pourra revendiquer ses
droits, à la condition - et nous le suggérons implicitement,
même si nous n'avons pas développé cet aspect - que le
législateur facilite à la population le recours à des
mécanismes comme ceux-là, plus spécifiquement dans le cas
des problèmes qui se posent lors des négociations dans les
secteurs public et parapublic. On pense que ça peut devenir un frein
pour les parties, que ça peut les inciter à devenir
peut-être plus raisonnables, sachant que non seulement il y a une opinion
publique, mais qu'il y a aussi une population qui va disposer d'outils pour se
faire justice.
Possiblement aussi qu'il pourrait y avoir, à cette régie
ou à cette commission permanente des services essentiels, des
représentants des bénéficiaires, des usagers, comme on en
retrouve à nos conseils d'administration des CLSC, composés avec
une représentation majoritaire ou prépondérante des
usagers, de façon à faire valoir plus explicitement ce point de
vue des usagers.
Mme Dougherty: La recommandation était faite par les
consommateurs, je crois, ce n'était pas uniquement pour
déterminer les services essentiels, c'était le fait qu'on devait
avoir un Protecteur du citoyen à la table des négociations. Je
sais très bien que c'est plus compliqué que ça, mais leur
recommandation est qu'on doit avoir ce Protecteur du citoyen parce que c'est
l'intérêt du public qui est en jeu ici.
M. Ouimet: Si vous le permettez, je crois que M. Charlebois
aurait des commentaires à faire à ce sujet.
Mme Dougherty: Oui.
M. Charlebois: Par rapport à cette question précise
d'un Protecteur du citoyen, qu'il soit présent à la table des
négociations, moi, je ne vois pas trop de quel côté de la
table il va s'asseoir. S'il est là pour veiller à
l'intérêt public, on ne l'aborde pas dans notre mémoire, il
ne faut pas oublier qu'il y a une instance à l'heure actuelle qui a
cette responsabilité, et c'est le gouvernement. La loi et le Code du
travail prévoient que le gouvernement peut en tout temps, s'il juge que
la santé et la sécurité de la population sont en danger,
suspendre le droit de grève. D'ailleurs le gouvernement a utilisé
cette mesure lors de la dernière négociation.
On ne l'a pas évoqué dans notre mémoire. Ce qu'on a
simplement introduit dans notre mémoire, c'est qu'il y a un nouveau
courant social qui se développe, c'est-à-dire que la population,
à travers des organisations de bénéficiaires, commence
à suivre de plus près ses intérêts et commence
à faire des revendications qui vont forcément avoir un impact sur
l'attitude des parties. Qu'on pense simplement à ce qui se produit aux
États-Unis à l'heure actuelle, le phénomène
où le corps médical est absolument traumatisé par les
poursuites qu'il peut avoir, c'est un comportement de citoyens qui a
amené une modification de l'attitude d'un corps professionnel.
Dans les négociations des secteurs public et parapublic, ce
phénomène d'autant plus que les citoyens auront un accès
plus facile à des recours - il est bien évident que ça va
influencer le comportement des parties, mais tout ça, c'est dans le cas
de grève illégale, dans le cas où on ne se situe pas dans
le cadre légal dans lequel on fonctionne. Il reste que, au-delà
de ça, il y a une instance responsable de la sécurité et
de la santé, et c'est déjà prévu dans notre cadre
juridique à l'heure
actuelle. C'est pour ça qu'on n'a pas jugé bon de revenir
là-dessus; le gouvernement l'a déjà utilisé en
1978, il l'a déjà utilisé en 1975 et il pourra l'utiliser
encore une prochaine fois. Dans ce sens-là, cela ne nous amenait pas
à faire d'autres recommandations, à remettre, par exemple, au
conseil sur le maintien des services essentiels, ou à remettre à
un ombudsman ou à n'importe quelle autre créature du
gouvernement, une responsabilité que le gouvernement a
déjà. (16 heures)
II est bien clair que lorsqu'on arrive au point de vouloir suspendre le
droit de grève, c'est qu'on est à un niveau de perturbation
sociale qui ne peut faire appel qu'au législateur. Quel que soit le
gouvernement, ils ont utilisé ce moyen-là. Quant à nous,
c'est inscrit dans nos lois. Je n'ai pas de recommandation à faire
là-dessus.
Mme Dougherty: Selon les négociations, les périodes
de négociations et les résultats que nous avons connus depuis
plusieurs années, l'intérêt public n'était pas
toujours protégé. C'est là le problème.
Cela m'amène à ma deuxième question. À la
page 16 vous avez parlé de la masse salariale: "... la masse salariale
devait entrer dans le champ du négociable". Est-ce vraiment dans
l'intérêt public de négocier la masse salariale? C'est la
bourse publique qui est en jeu. Est-ce qu'on ne risque pas d'arriver à
des ententes qui engagent le gouvernement à payer au-delà de sa
capacité financière? C'est ce qui est arrivé la
dernière fois.
Donc, je me demande pourquoi vous dites que la masse salariale devrait
être négociable?
M. Charlebois: Nous pensons que si on retire la masse salariale
du champ de négociation, on retire en grande partie l'utilité de
la négociation. Qu'on enlève la masse salariale, je ne vois pas,
dans la mesure où les centrales syndicales vont continuer à
exister, vont continuer à réunir 300 000 salariés et vont
continuer à avoir une capacité de mobiliser tout ce
monde-là, comment le gouvernement pourra se défiler de
négocier sa masse salariale.
Même si on disait: II y a une commission parlementaire qui
décide que la masse salariale est X, les gens s'en vont en
négociation et il est bien évident qu'il va y avoir un autre
momentum où la commission parlementaire se réunira
peut-être de nouveau. La masse salariale ne se négociera
peut-être pas à la table de négociations, mais, ultimement,
elle va finir par se négocier quand même.
Toute la question est de savoir si, dans notre société, on
accepte que les syndicats puissent négocier leurs conditions de travail
et déclencher un processus de revendication. Dès l'instant qu'on
accepte cela, il est bien clair qu'il va y avoir une pression. La pression ne
doit pas se rendre jusqu'à la masse salariale. Je ne vois pas comment on
peut rendre cela opérationnel.
Il y a une autre chose qu'il faut ajouter. Quand le gouvernement
négocie sa masse salariale, cela affecte une très grande partie
de son budget, mais il ne faut pas oublier que cela n'affecte pas totalement
cette partie, en ce sens que s'il y a 50%, par exemple, du budget de
l'État qui consiste en salaires, lorsqu'on arrive en négociation,
on ne négocie pas ces 50%, on négocie la marge qui est à
augmenter ou à diminuer.
Mme Dougherty: La marge qu'on n'a pas quelquefois.
J'aurais une troisième question. Sur les services essentiels,
vous avez proposé, à la page 13, un système
d'établissement des services essentiels. C'est intéressant, parce
que c'est la première fois qu'on propose une espèce de "final
offer selection" pour établir les services essentiels quand il n'y a pas
d'entente entre les deux parties. Vous avez suggéré que compte
tenu des variations éventuelles dans les services à offrir en
temps de conflit... cela veut dire qu'on doive accepter une certaine souplesse
dans cette entente. J'aimerais avoir une certaine clarification sur cette
recommandation.
Je me demande, par ailleurs, si la proposition que vous avez faite est
vraiment dans l'intérêt public. Croyez-vous que cette
recommandation répond vraiment au meilleur intérêt du
public?
M. Ouimet: Comme on le disait au tout début, on ne croit
pas, jusqu'à présent, qu'il y ait une solution miracle, qui soit
parfaite et qui réponde adéquatement à la fois à
l'intérêt du public, au droit du public de recevoir des services
et également au droit des travailleurs; on n'en a pas trouvé.
Donc, toutes les solutions qu'on va proposer auront sûrement un certain
nombre de faiblesses. C'est évident que, concernant le droit du public,
cela contribue, à notre avis, à le protéqer davantage.
Est-ce que cela le protège complètement? On ne se fait pas
d'illusion, on croit que non, mais cela va sûrement contribuer à
l'améliorer.
Si je comprends bien votre question, quand vous citez "que l'entente
négociée ou la décision de la commission tienne compte des
variations éventuelles dans les services à offrir en temps de
conflit", vous vous demandez un peu ce qu'on veut dire par là. Supposons
que la liste ait été déterminée par le conseil dans
une situation donnée, prenons l'exemple, pour les CLSC, du maintien
à domicile. Le maintien à domicile et plus
particulièrement les soins infirmiers à domicile sont pour nous
des services
essentiels. Le patient à qui on doit changer un pansement ou une
sonde tous les jours ne peut pas attendre sept jours avant qu'on le fasse. Si
c'est une grève générale, on ne peut pas dire: II ira
à l'hôpital le plus proche. Il sera en grève lui aussi. Il
faut tenir compte de la situation globale. Si un certain secteur est en
grève pendant que l'autre ne l'est pas, il se peut fort bien que la
liste, à ce moment-là, soit juste et que d'autres puissent, en
attendant, assurer les services, mais, si tout le monde est en grève en
même temps, il se peut fort bien qu'on soit obligé de
réviser la liste. C'est ce qu'on entend par une certaine souplesse dans
les variations éventuelles dans les services à offrir en temps de
conflit.
Mme Dougherty: Est-ce le conseil qui va la réviser selon
les besoins?
M. Ouimet: Oui, il pourrait avoir le pouvoir d'adapter sa
décision compte tenu de la conjoncture.
M. Charlebois: Lors de la dernière négociation, il
y avait des ententes locales, sur la détermination des services
essentiels, qui prévoyaient justement une espèce de comité
conjoint qui pouvait réviser la situation au jour le jour; c'est un peu
ce à quoi on se réfère. Dans l'hypothèse d'un
protocole-cadre, par exemple, si on explorait cette piste, on pourrait imaginer
de tels mécanismes. Il est bien évident qu'il faut prévoir
cela. Si une grève se fait dans les hôpitaux et que les
hôpitaux réduisent considérablement leur taux d'occupation,
cela a un impact chez nous, les CLSC, au niveau des soins à domicile,
c'est clair; au moment où on a déterminé les services
essentiels, il pouvait y avoir un niveau X de clientèle et, dans une
autre situation, c'est artificiellement gonflé à cause soit d'un
conflit ou d'une autre situation. Ce peut être aussi autre chose. Je
pense que cela se veut simplement une soupape pour assurer la souplesse des
ententes.
Mme Dougherty: Merci beaucoup.
Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée
de Maisonneuve.
Mme Harel: Deux aspects m'intéressent
particulièrement dans votre mémoire. D'abord, un peu comme l'a
fait mon collègue de Prévost, je dois vous dire que ce qu'on
retrouve à la page 12, concernant la responsabilité,
c'est-à-dire que vous attribuez à l'État, en ce qui me
concerne, je pense que vous avez vraiment mis le doigt sur ce qui me semble
être cette responsabilité beaucoup plus de prévoir les
moyens ordonnés pour éviter des situations socialement
inacceptables que de s'introduire ou d'intervenir directement pour
infléchir le processus de détermination.
Mes questions, en fait, sont les suivantes: À l'ouverture de
votre mémoire, vous faites état de dangers ou de perspectives
sociales qui vous semblent être en arrière-plan des
négociations qui ont amené dans le passé le recours
à la grève. Notamment, vous posez une question et vous n'y
répondez pas. Moi, je vais vous demander d'y répondre. Vous
demandez: Est-ce que l'État doit se servir de son rôle d'employeur
pour introduire des politiques sociales d'envergure, tels la
sécurité d'emploi, les droits parentaux, les régimes de
retraite, ou bien réserver cela pour une loi universelle?
Ma question est la suivante: Vous avez dans le passé, comme
Fédération des CLSC, je pense, recommandé, il y a quelques
années de cela - tout récemment encore vous avez
réitéré cette demande - un sommet social au Québec.
Est-ce que c'est dans cette perspective que vous posez cette question? Vous
m'excuserez, votre collègue tantôt parlait de pressions
nécessaires dans le cadre d'une négociation sur des
revendications légitimes. Pensons par exemple aux congés de
maternité. Est-ce que vous pensez qu'un État peut par
législation... Quelles seraient les pressions qui donneraient lieu
à des lois? Je vais par analogie vous rappeler que dans le conflit des
postes, une des revendications principales était le congé de
maternité et qu'il a donné lieu à une grève qui,
économiquement, a été difficile pour un bon nombre de nos
concitoyens. Quelles sont ces pressions qui seraient susceptibles d'amener des
lois universelles?
Ma deuxième question c'est encore une fois votre troisième
question. Vous vous demandez si l'État employeur doit rechercher des
critères de rentabilité sociale plutôt que de s'appuyer sur
des critères de rentabilité de l'entreprise privée.
J'aimerais vous demander qu'est-ce que vous considérez comme
critères de rentabilité sociale. Pour vous, qui
représentez un secteur des affaires sociales, est-ce que la notion
d'urgence sociale vous apparaît adéquatement reprise dans
l'activité gouvernementale ou l'opinion publigue, et quels sont ces
critères dont vous faites état? S'il reste du temps, j'aurais
ensuite une autre question sur les services essentiels, si le président
me le permet.
M. Ouimet: Concernant votre question en ce qui a trait à
notre deuxième question: Est-ce que l'État doit se servir de son
rôle d'employeur pour introduire des politiques sociales d'envergure
telles que sécurité d'emploi, etc., nous considérons -
qu'on le veuille ou non, c'est une constatation - que l'État est un
très gros employeur. Or, on demande habituellement aux gros employeurs
ou on s'attend à ce que les gros employeurs assument un certain
rôle de leadership dans
une société, qu'ils fassent preuve d'une certaine
conscience sociale. Si on le demande aux gros employeurs et qu'on dit que le
gouvernement ou l'État est aussi un gros employeur, on devrait
s'attendre qu'il assume cette responsabilité sociale comme employeur
important.
Concernant le sommet social, je ne suis pas sûr d'avoir bien
compris votre question.
Mme Harel: Qu'il le fasse sans pressions. C'est bien le cas? Vous
vous attendez qu'il le fasse sans pressions. Qu'il le fasse sans qu'il y ait
des pressions qui soient exercées.
M. Ouimet: Est-ce que vous me soufflez la réponse?
Mme Harel: Je vous la demande.
M. Charlebois: Vous annoncez une décision. Quand on parle
des pressions sociales qui sont exercées, des pressions qui sont
exercées sur le gouvernement par rapport à des objectifs de
négociations qui ont un caractère social, on essaie simplement de
décortiquer la dynamique de la négociation, mais il est bien
évident que si le gouvernement s'engage dans des régimes assez
avant-gardistes sur le plan des droits parentaux, sur le plan de l'indexation
des salaires ou sur le plan de la sécurité d'emploi, compte tenu
que c'est un très gros employeur, c'est un peu la locomotive qui peut
entraîner de telles conditions de travail ou généraliser de
telles conditions de travail. C'est une dynamique qui se produit, qu'on le
veuille ou qu'on ne le veuille pas. Cela se produit avec le gouvernement du
Québec, cela se produit avec le gouvernement fédéral et
cela se produit avec tous les gouvernements. Cela se produit aussi dans la
grande industrie. Il suffit qu'il y ait des quantités fort importantes
de travailleurs pour que ces travailleurs aient un rapport de forces et s'en
servent pour mettre de l'avant des conditions de travail.
Maintenant, on ne dit pas qu'à travers ces revendications...
enfin, là-dedans, ce qu'on ne dit pas, c'est que les syndiqués
sont en train, en faisant de telles représentations, d'introduire une
législation. C'est un peu autre chose.
Mme Harel: Écoutez, j'ai peut-être mal posé
ma question. Je la reprends. Il ne s'agit pas du tout d'évaluer entre
vous et nous si ces revendications sont légitimes ou non. Je me
demandais si vous aviez des recommandations en termes de mécanismes de
rechange pour la négociation, puisque vous avez dit au tout début
que cette centralisation des négociations donnait toujours lieu à
des affrontements. Vous dites dans votre mémoire que si vous aviez des
mécanismes de rechange pour donner lieu éventuellement à
des législations de cette nature. (16 h 15)
M. Charlebois: Je ne sais pas si je comprends bien. Si je
comprends bien votre question, ce serait, par exemple, de retirer une partie du
champ du négociable comme les congés de maternité puisque
cela deviendrait une loi universelle. Je ne suis pas sûr. Même si
cela se fait, il existe des conditions minimales de travail. Il existe une Loi
sur la santé et la sécurité du travail. Il existe d'autres
formes de réglementation et cela n'empêche pas les parties lors
d'une négociation d'introduire des conditions à la hausse. Je ne
fais pas nécessairement de lien entre les deux. Il est possible, parce
que dans le secteur public on a quatre semaines de vacances ou les droits
parentaux, qu'éventuellement il y ait une loi d'application universelle,
mais les conditions de travail pour le personnel syndiqué, comme on le
voit presque toujours, vont généralement continuer à
être supérieures. Il n'y a pas de mécanisme alternatif
qu'on voit.
Mme Hamel: J'en conclus que vous ne récidivez pas avec
votre recommandation d'un sommet social.
M. Charlebois: II ne faut pas conclure cela. C'est parce qu'on
l'a demandé ailleurs et on ne veut pas nécessairement le demander
partout. La question du sommet social ne porte pas sur les conditions de
travail des employés spécifiquement. La demande que la
Fédération des CLSC a faite ou que l'Association des
hôpitaux du Québec a également faite, c'est un peu de tenir
un vaste débat sur l'organisation des services, eu égard aux
sommes qui y sont investies. Cela déborde largement les conditions de
travail des employés syndiqués.
Le Président (M. Rodrigue): Le temps alloué aux
ministériels étant épuisé, si vous me le permettez,
je vais céder la parole à M. le député de
Saint-Henri.
M. Hains: M. Ouimet, je vais vous en poser deux ou trois petites
vite, on me dit que le temps passe rapidement. Premièrement, vous dites
dans votre mémoire que vous êtes définitivement contre
l'abolition du droit de grève et vous jugez que cette mesure serait
irréalisable et irréaliste. Pensez-vous que, dans certains
hôpitaux où les soins urgents sont de tous les instants, les
travailleurs de ces hôpitaux pourraient être privés de leur
droit de grève tout en profitant, après le règlement de
cette grève, des avantages sociaux et aussi des avantages
budgétaires que leurs confrères auraient réussi à
décrocher de ces négociations?
Je vais vous les poser tout de suite toutes les trois. Vous parlez aussi
des pénalités qui n'ont souvent pas de suite à la suite
des négociations et des abus qu'il y a eu et vous parlez d'un nouvel
intervenant, les usagers. Vous rappelez, à ce moment-là, le cas
de l'hôpital Saint-Charles-Borromée. Je vous demande ce que vous
pensez de cette nouvelle prise en main des bénéficiaires.
Pensez-vous que cela va vraiment être le frein aux abus possibles des
grèves surtout illégales et iriez-vous jusqu'à dire qu'ils
seraient l'agent modérateur que nous recherchons tous dans la
prévention de ces abus? Une dernière question. Je crois que les
CLSC répondent vraiment aux besoins nouveaux de notre population. Je
vous demande, en terminant, si vous êtes actuellement en nombre suffisant
pour répondre à tous les besoins de notre population.
M. Ouimet: Je vais peut-être commencer par la
dernière question.
Des voix: Ah! Ah!
M. Ouimet: Peut-on être sélectif dans le choix des
questions? Nous pensons que nous sommes en nombre insuffisant puisqu'il y a
actuellement une centaine de CLSC au Québec qui desservent environ 3 000
000 de Québécois. Cependant, nous avons été
très heureux d'apprendre au printemps dernier que l'intention du
gouvernement, du ministère des Affaires sociales était vraiment
de parachever le réseau des CLSC. Par ailleurs, la question que nous
nous posons est de savoir dans quel délai et, avec les récents
événements dont on ne peut, paraît-il, parler à
cette commission concernant les compressions budgétaires...
Une voix: II va y avoir des coupures?
M. Ouimet: C'est cela? Cela s'appelle comme ça? Des
coupures, c'est ça... on se pose de plus en plus la question de
l'échéancier. Voici pour la troisième question.
Quant à la deuxième, si on considère que les
usagers vont vraiment être un frein efficace et vont servir d'aqent
modérateur, on ne se fait pas, non plus, d'illusions là-dessus.
Ce qu'on essaie d'indiquer dans notre document, c'est que ce
phénomène nouveau, les parties devront en tenir compte. Elles ne
pourront pas négocier en faisant abstraction de cela, ce qui va
sûrement modifier les négociations qui s'en viennent, à cet
égard du moins. Elles ne seront pas les mêmes que celles qu'on a
vécues en 1979, lors de la dernière ronde de
négociations.
L'autre question, je l'ai oubliée... C'est l'abolition du droit
de grève sélectif, si j'ai bien compris, dans certaines
institutions comme les CHSP...
M. Hains: Les centres d'accueil, les établissements pour
soins prolongés.
M. Ouimet: Nous, évidemment, ce n'est pas ce qu'on
recommande. On ne recommande pas l'abolition du droit de grève,
même pas l'abolition sélective du droit de grève, on
recommande des mécanismes plus sérieux, plus vigoureux pour
assurer le respect du maintien des services essentiels. C'est ça qu'on
recommande pour le moment. S'il y a des abus, comme on l'a mentionné
tantôt, il reste que le gouvernement a quand même le pouvoir, quand
il s'aperçoit que la santé et la sécurité du public
sont en danger, de suspendre le droit de grève, et c'est sa
responsabilité.
Le Président (M. Rodrigue): Le temps que nous avons
convenu d'allouer aux périodes de questions est épuisé. Je
remercie l'Association des CLSC du Québec.
J'invite maintenant les représentants de la
Fédération de l'âge d'or du Québec à prendre
place.
Mme Lavoie-Roux: Me permettriez-vous de faire une correction
auprès du porte-parole?
Le Président (M. Rodrigue): Pendant que les
représentants de la Fédération de l'âge d'or
prennent place, Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, M. Ouimet, tout à
l'heure, disait que nos lois prévoyaient le droit de grève, que
nos lois du travail prévoyaient la protection des droits des
travailleurs, enfin, jusqu'à un certain point - je trouve qu'il y a
là aussi place à amélioration - mais qu'elles n'avaient
pas eu la même préoccupation pour les services de santé
à la population. Cela m'étonne du porte-parole des CLSC parce
qu'il doit connaître au moins autant que moi, et probablement mieux, la
Loi sur les services de santé et les services sociaux. À
l'article 4, on dit: "Toute personne a droit de recevoir des services de
santé et des services sociaux adéquats sur les plans
scientifique, humanitaire et social avec continuité et de façon
personnalisée. "
Vous avez également la Charte des droits et libertés de la
personne. Je citerai uniquement l'article 1 qui, justement, dit: "Tout
être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la
sûreté, à l'intégrité physique et à la
liberté de sa personne. " À l'article 39, notamment à
l'article 48, on dit: "Toute personne a droit à la protection et
à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les
personnes qui en tiennent lieu. " Je trouve cela particulièrement
intéressant dans le contexte des hôpitaux pour soins
prolongés
où, en fait, c'est l'État qui prend la
responsabilité totale de ces personnes, ou dans certains centres
d'accueil pour les enfants, et se susbstitue presque... Ils sont en totale
dépendance de l'État.
C'était simplement pour faire cette mise au point parce qu'il
existe, en fait, des...
M. Ouimet: Je n'ignorais pas ces articles, ce droit est
accordé aux usagers de par ces articles de la loi, mais ce n'est pas
aussi élaboré que ce qu'on peut retrouver au niveau du droit du
travail. Les droits des usagers peuvent plus facilement être mis en
cause.
Je pense que M. Charlebois a des commentaires
supplémentaires.
M. Charlebois: Vous citez deux lois, mais il y en a d'autres, le
Code du travail et la loi sur les négociations dans les secteurs public
et parapublic qui, elle, donne le droit de grève et l'exercice...
Mme Lavoie-Roux: J'ai dit qu'elles existaient, mais c'est parce
que j'avais cru comprendre que M. Ouimet disait: II y en a dans le monde du
travail, mais il n'y en a pas pour la protection de la population. Il y en a
qui sont très explicites, et même la Charte des droits et
libertés de la personne doit avoir priorité sur toute autre loi
postérieure, à moins qu'elle n'indique une disposition contraire.
C'est la loi qui a priorité sur toute autre loi.
Fédération de l'âge d'or
Le Président (M. Rodrigue): Cette mise au point
étant faite, j'invite les représentants de la
Fédération de l'âge d'or du Québec à prendre
place et à nous présenter leur mémoire. Le mémoire
de la fédération nous sera présenté par son
président, M. Patrice Tardif. Je vous inviterais, M. Tardif à
nous présenter d'abord les personnes qui vous accompagnent et à
présenter votre mémoire.
M. Tardif (Patrice): Comme on vient de le dire, je suis le
président de la Fédération de l'âge d'or du
Québec, qui regroupe près de 1000 clubs pour un total d'environ
160 000 membres. À mes côtés, il y a M. Norbert
Labbé, qui est membre du conseil d'administration de la
fédération, Mme Berthe B. Fournier, vice-présidente du
conseil régional de Québec, et Mme Rita Cambron, agent au
développement à la Fédération de l'âge d'or
du Québec.
Je veux tout de suite remercier très sincèrement le
gouvernement, qui nous permet de réitérer ce que nous croyons
être la meilleure façon d'envisager cette difficile question des
relations de travail en ce qui concerne les services hospitaliers.
Nous sommes un organisme, comme tout le monde le sait, j'imagine,
à but non lucratif, c'est à base de bénévolat dans
une proportion de 99, 99%. Nous sommes de ces rares administrateurs qui
demandent beaucoup moins cher que certains autres, mais ce n'est pas un
reproche.
Je vous ferai grâce de la lecture. J'imagine que vous en avez
suffisamment et je ne suis pas certain que chacun de vous va lire tout ce qui
s'est présenté sur la table depuis ce matin avant de se coucher
ce soir. Je ne suis pas sûr que vous allez lire tout cela.
De toute façon, j'ai un peu d'expérience des affaires
publiques et je constate avec beaucoup de plaisir que l'atmosphère qui
règne ici aujourd'hui est une atmosphère à la fois
accueillante et qui est de nature à simplifier - si l'expression est
juste - un peu la situation.
Une des premières questions que j'aborderai très
brièvement, c'est qu'il y a déjà quelques mois, le premier
ministre de la province de Québec, dans une déclaration publique,
avait dit qu'il fallait absolument humaniser les qrèves dans le secteur
public, particulièrement dans le service hospitalier. Il avait dit, si
ma mémoire est bonne, qu'il fallait civiliser et humaniser et diminuer
un peu ce pouvoir qu'il avait appelé du chantage dans certains cas. Il
était allé jusque-là, si ma mémoire est
fidèle.
Pour ma part, j'ai été un peu surpris de la
déclaration du ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, il y a quelques jours, qui a dit qu'il n'est
pas question d'enlever le droit de grève. Je pensais qu'on venait ici
justement pour discuter cela, mais si les décisions sont prises,
qu'est-ce qu'on vient faire ici? Ce n'est pas un reproche non plus.
Je connais M. Marois et je sais que c'est assez facile d'habitude de se
comprendre avec lui. Il ne dit pas toujours comme nous autres, c'est entendu,
mais on ne s'attend pas à cela non plus.
Je veux donc dire qu'il ne faudrait pas non plus que l'attitude de la
commission et du gouvernement cherche à mettre le premier ministre de la
province en contradiction avec ses déclarations. Il veut humaniser et il
veut civiliser cela, mais, de grâce, qu'on l'aide. Je pense que ce serait
une bonne chose de l'aider. Cela me paraît évident qu'il y a eu
sûrement abus de ce droit de grève.
Je me rappelle que, quand cela a été accordé en
1965, je siégeais au Conseil législatif. Je me rappelle
très bien que les chefs syndicalistes disaient: On vous demande cela,
c'est une arme. Nous sommes des humains, vous savez bien qu'on ne l'utilisera
pas. Vous savez bien qu'on va tenir compte que les malades, cela ne peut pas
se
remettre à demain. On vous demande cela, c'est une arme, mais
cela ne veut pas dire que cela servira. Dieu sait si, depuis ce temps, ils se
sont servis de l'arme et elle est chargée à bloc. Tout cela pour
dire que je ne suis pas sûr qu'on ait utilisé ce droit avec
modération.
Je voudrais dire cependant, en passant, que je ne cherche pas de
coupables. Je n'essaierai pas, dans les quelques minutes à ma
disposition, de départager les responsabilités et de trouver que
le gouvernement est en faute, que les syndicats sont en faute ou que les
administrateurs d'hôpitaux ou de centres de services sociaux ou de foyers
pour vieillards le sont. Je ne cherche pas de coupables. Notre position
à la fédération est une position ferme, une position que
nous voulons conciliante et qui se base sur des choses possibles; nous ne
cherchons pas à embêter qui que ce soit. (16 h 30)
Nous sommes en faveur - on a appelé cela le retrait du droit de
grève de l'abolition du droit grève, mais j'aimerais plutôt
remplacer le droit de grève par un tribunal, qu'on l'appelle
régie, qu'on l'appelle tribunal du travail, qu'on l'appelle tribunal
d'arbitrage; mais un tribunal qui serait présidé par deux ou
trois juges. Des juges. C'est important. J'ai confiance en nos cours de
justice; je ne dis pas que c'est parfait, mais, la perfection, ce n'est pas de
ce monde paraît-il. Ce n'est peut-être pas parfait, mais seulement
les juges, en général, et nos cours de justice - je le dis avec
plaisir - nous font encore honneur et c'est encore ce que nous avons de plus
stable. Les personnes qui y siègent, que ce soient des hommes ou des
femmes, sont responsables, ce sont des gens qualifiés, en
général, et ils n'ont pas à se faire élire; c'est
commode ça. J'ai connu les deux et je vous assure que, quand on n'est
pas obligé de penser: Si je dis ça, l'autre va penser ça
et quelle réaction ça va avoir. C'est bien commode, vous savez,
les juges y vont selon leur conscience, point.
J'ai écouté tout ce qui s'est dit aujourd'hui,
c'était très intéressant; il y a eu un paquet de
raisonnements absolument sensés, de bonne foi, etc., mais on tourne
autour du pot parce qu'on a peur des mots. On a peur des mots, disons-le
franchement, on a peur de passer pour antisyndicalistes. Je suis habitué
à ça - je ne sais pas ce qu'on appelle dans certains cas des
syndicalistes -moi, j'ai toujours cru être un syndicaliste convaincu,
même si ça peut en faire rire certains; je sais que c'est
ça, parce que je suis un des promoteurs des caisses populaires
dès les premières heures en 1932, 1933, 1934, j'étais un
des propagandistes; l'UPA, qui s'appelait dans ce temps l'UCC, l'Union
catholique des cultivateurs, alors qu'aujourd'hui c'est l'Union des producteurs
agricoles, je suis un des promoteurs de ça encore. Je suis encore
carrément en faveur du syndicalisme, mais du syndicalisme responsable.
Sous prétexte d'être syndicaliste, il ne faut pas qu'on mette le
feu aux bâtisses, comme ça c'est fait il y a deux ou trois ans; je
n'accuse personne évidemment, mais c'est un fait qui a été
réglé par la cour. Cela n'est pas du syndicalisme, ce n'est pas
un acte syndical non plus, et ce n'est pas parce qu'il était
syndicaliste qu'il a été traduit en cour, c'est parce qu'il avait
posé un acte criminel. Je fais donc une distinction entre les actes
syndicalistes et les actes criminels; ce n'est pas la même chose. On peut
être un fervent syndicaliste et n'être pas un criminel. Par contre,
on peut être un criminel sans être syndicaliste, ce sont deux
choses que je sépare; je fais des distinctions.
Maintenant, pour ce qui concerne les services essentiels. Je voudrais en
dire seulement un mot. Vous savez, les services essentiels, c'est relatif. Ce
qui me paraît essentiel, ça ne veut pas dire que mon voisin va
penser que c'est essentiel, ça ne veut pas dire non plus qu'un tel chef
syndical va trouver ce service essentiel.
Si je suis un malade - comme on l'a dit tout à l'heure - qui
nécessite des soins prolongés - peut importe le nom qu'on lui
donne - pour moi, ce qui est essentiel, c'est d'avoir ce dont j'ai besoin,
d'être lavé à peu près à tous les jours. Si
l'autre dit: Quand bien même il ne serait lavé que deux fois par
semaine, peut-être, quand il était chez lui, ne se lavait-il pas
plus souvent. À ce compte là, on peut dire n'importe quoi, on
peut dire: Les services essentiels, ça n'existe pas, parce que c'est
relatif.
Pour moi, dans les hôpitaux et dans les centres d'accueil, les
foyers, tous les services sont essentiels, parce que les gens qui sont dans les
hôpitaux, ce n'est jamais pour rire. Ces gens sont dépourvus, ne
sont pas capables de se défendre. Ah! les solutions sont bien simples.
Les contrats collectifs, je suis bien pour ça, mais je remarque que
quand deux parties discutent de contrats collectifs ou d'ententes, il y a deux
personnes qui sont face à face, d'un côté, le patron - en
l'occurrence, parfois, c'est le gouvernement - de l'autre côté,
les syndicats qui représentent leurs membres, mais les grands
oubliés, ce sont justement les malades, ils ne sont pas à la
table, alors qu'on discute et qu'on s'entend sur leur dos. Mais eux, qu'ont-ils
eu à dire à ça? Et, pardessus le marché, on les lie
par des décisions qui sont prises sur leur compte et tout le monde est
au courant sauf ces derniers. Je ne dis pas que c'est mal, mais je dis que
c'est loin d'être parfait.
Par conséquent, les services essentiels et les contrats
collectifs, je suis bien pour ça, jusqu'à ce qu'on trouve mieux.
Je ne
crois pas non plus et nous ne croyons pas, à la
fédération, que le gouvernement doit arriver avec des lois... Ce
n'est pas mathématique, c'est ça et ça. Il y a presque
autant de cas qu'il y a de malades dans la province et dans le pays. C'est pour
ça qu'on parle d'un tribunal du travail qui apprécierait les cas,
c'est lui qui essaierait de trouver les solutions.
Je remarque que M. le ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu a répété deux ou trois
fois aujourd'hui, et ça m'a fait plaisir, que ce qui
l'intéressait, ce n'était pas ce qu'il y avait sur le papier,
c'est la réalité. Je considère que c'est un langage
très sensé. La réalité, c'est que personne n'est
satisfait et plusieurs de vous autres l'ont dit aujourd'hui et plusieurs
intervenants ici aussi. Tout le monde cherche des modalités plus
satisfaisantes. Actuellement, ce n'est pas satisfaisant. La preuve que ce n'est
pas satisfaisant, c'est que le gouvernement ordonne une commission
parlementaire pour entendre les opinions, les objections et les
suggestions.
Ce serait justement le rôle que pourrait jouer un tribunal du
travail. Et en passant, je pense que le gouvernement actuel, le gouvernement du
Québec, comme ceux qui lui succéderont ou ceux qui l'ont
précédé... Nous, à la fédération,
nous sommes, comme vous le savez, un organisme absolument apolitique, nous
travaillons de bonne foi avec ceux qui sont là et ça nous fait
plaisir de le faire. Je dirai, en passant, que le présent gouvernement
du Québec, jusqu'ici, ne nous a pas maltraités, loin de
là. On apprécie cela et on apprécie également,
comme je l'ai dit il y a un instant, que nous ayons ici l'occasion de nous
expliquer un peu.
Il n'en reste pas moins que, puisque tout le monde n'est pas satisfait,
que personne n'est satisfait ou à peu près... Au fond, ce sont
les malades, les personnes âgées, les handicapés, ce sont
eux qui servent de cobayes pendant que l'on cherche des solutions. Ils sont
victimes de décisions parfois prises par une minorité. Je n'ai
pas besoin de vous dire que, pour les déclenchements de grève,
s'ils étaient toujours obligés d'obtenir l'assentiment de la
majorité des membres, il n'y en aurait pas souvent. Mais ce n'est pas
cela qui se passe. C'est souvent une minorité qui prend les
décisions et c'est la majorité qui suit. Je pense que personne ne
peut nier cela.
Or, cela n'est pas tout à fait normal. Est-ce que cela peut se
faire autrement? Je ne veux pas discuter de cela, c'est trop compliqué
et je sais que ce n'est pas simple non plus. La tâche que le gouvernement
a à remplir actuellement, comme toujours d'ailleurs, n'est pas une
tâche facile. Ce n'est pas moi qui vais distribuer les blâmes et
qui va attaquer tout le monde à ce sujet- là. Ce n'est pas facile
et je l'admets. Cela va prendre une bonne dose de courage tout de même
pour dire une fois pour toutes - et là, je m'adresse au gouvernement -
nous allons légiférer du mieux que nous pourrons et nous allons
prendre les moyens pour faire respecter nos lois. Tout est là. Un
gouvernement qui n'est pas capable de faire respecter ses lois, il s'en va
directement à l'anarchie, ça ne peut pas être autre
chose.
Il faut que les lois que le gouvernement adopte soient
respectées. Je n'ai pas été tout à fait
enthousiasmé de lire dans les journaux, la semaine passée, que
certaines personnes ont dit: On ne tolérerait pas que nous soit
enlevée une virqule de nos droits acquis. C'est presque un appel
à la révolte. Depuis quand faut-il que le gouvernement se plie
aux décisions des gouvernés? Je n'admets pas cela. Je n'admets
pas que les gouvernés donnent des ordres aux gouvernants.
Encore une fois, je sais que ce n'est pas facile, mais il faudra des
lois avec des dents. Que l'on ne vienne pas me dire -c'est un argument que je
trouve tout à fait fallacieux - même si on n'a pas le droit de
grève, on va la faire quand même. A ce compte-là,
arrêtons de défendre les hold-up; ils les font quand même.
C'est un fait, il y en a à tous les jours. Le revolver sous le nez...
Cela ne sert à rien de défendre ça, il y en a un, deux ou
trois par jour dans la province. Arrêtons de défendre une foule de
choses, parce que... Non, ce n'est pas ça qu'il faut dire. Il ne faut
pas que la société accepte ce qui n'est pas acceptable.
Le sens de la responsabilité, auquel a fait allusion ce matin M.
le ministre du Travail, on n'insistera jamais assez là-dessus. Il faut
que les syndicats soient des organismes responsables. Qu'ils aient le droit de
grève dans certains cas, c'est peut-être une bonne chose, mais
à la condition qu'ils soient responsables. Dans le domaine des services
hospitaliers, tous les services sont essentiels. Pour répondre à
votre question, on n'est pas malade quand on veut; on est malade quand on peut
et on aimerait mieux n'être jamais malade.
Tous ceux qui nous gouvernent aujourd'hui - non seulement le
gouvernement provincial, je ne fais aucune allusion, mais aussi au niveau
municipal, les syndicats, les CLSC, les CRSSS, etc. - sont, en
général, des gens qui ont une cinquantaine d'années, une
quarantaine d'années ou quelque chose comme cela. C'est très
bien, ce n'est pas un défaut d'être jeune, loin de là. J'ai
moi-même des enfants, ma femme et moi avons des enfants dont une fille
qui a 56 ans. Par conséquent, ceux qui nous gouvernent actuellement sont
nos enfants. Est-ce que nos enfants vont nous refuser une protection à
laquelle nous avons droit à cause des droits acquis? Est-ce que nous,
les parents,
n'avons pas de droits acquis? Depuis quand les droits seraient-ils
acquis seulement pour les autres?
Cela me fait penser à un fait que m'a raconté un type il y
a plusieurs années. Je ne sais pas si c'était une boutade.
C'était un éleveur de renard. À un moment donné, il
y a une femelle renard qui a eu quatre petits qu'elle cherchait à
dévorer et on les lui a enlevés. Il y avait une chatte qui venait
d'avoir des petits chats; on a sacrifié les petits chats et donné
la chatte aux renardeaux. La chatte les a élevés, elle les a
adoptés et quand ils ont eu six, sept ou huit semaines, les petits
renards sont devenus pas mal gros et un de ces bons matins, la chatte
était disparue. Les petits renards avaient mangé la chatte! Ils
avaient mangé leur nourrice! Cela n'a pas été prisé
beaucoup. Elle n'a pas été tellement bien
récompensée pour le service qu'elle leur avait rendu.
Je ne voudrais pas que la même chose arrive aux personnes
âgées, et que ceux à qui nous avons donné le jour
nous sacrifient parce qu'ils ont apparemment des droits acquis. Nous, nos
droits, où sont-ils? C'est comme cela que je raisonne, à tort ou
à raison, mais en tout cas...
Je pense, mes chers amis, que le premier geste que doit poser le
gouvernement est de prendre une décision. Le gouvernement décide
qu'il va temporiser X semaines ou X mois pour mettre sur pied un organisme
responsable - que ce soit une régie ou un tribunal du travail - qui sera
chargé de regarder toutes les facettes de ce problème. Vous allez
avoir un paquet de mémoires, on va en faire l'analyse et des
synthèses vont en résulter. Des renseignements utiles seront
sortis et là, on va suggérer une réglementation qui
deviendra loi. Ce ne sera peut-être pas parfait en partant, mais ce sera
sûrement plus parfait que ce qui existe actuellement.
Si vous avez d'autres choses à ajouter, allez-y; moi, j'ai
fini.
Le Président (M. Rodrigue): Merci. M. le ministre du
Travail.
M. Marois: Je voudrais, bien sûr, remercier la
Fédération de l'âge d'or du Québec de son
mémoire, de son témoignage; je voudrais remercier, en
particulier, son président, M. Tardif. Je voudrais vous remercier aussi
particulièrement de votre témoignage du côté humain.
Je pense que, sur le fond des choses, vous reflétez très bien les
préoccupations de l'ensemble des citoyens. Il s'agit de voir quels sont
les meilleurs moyens possible, compte tenu du contexte actuel, pour faire en
sorte que les choses changent, que les droits des uns soient respectés,
bien sûr, mais que les droits des autres le soient aussi. Comme vous
l'avez évoqué, c'est vrai que ce n'est pas facile; vous l'avez
dit, c'est difficile.
En même temps, en vous écoutant, on constate que vous avez
déjà participé au travail parlementaire. Je
m'aperçois que le côté parlementaire, quand on le touche
une fois, ça ne se perd pas. Je m'aperçois que vous
maîtrisez encore très bien cette verve parlementaire. Vous avez
aussi évoqué l'atmosphère, le climat qui règne dans
les travaux de cette commission. Des témoignages comme le vôtre
contribuent à le maintenir, quelles que soient les solutions ultimes qui
seront retenues par le gouvernement.
M. le Président, nous aurions un certain nombre de questions
précises à poser et de remarques à faire. Avec votre
permission, je céderai immédiatement mon droit de parole au
député de Beauharnois, qui a particulièrement
examiné ce mémoire. (16 h 45)
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Beauharnois.
M. Lavigne: Merci, M. le Président. M. Tardif, je me joins
aux propos du ministre Marois quand il a parlé du ton sur lequel vous
êtes intervenu. Je pense que cela contribue, effectivement, à
conserver cette bonne entente qui existe depuis le début de nos travaux
en commission parlementaire. Vous avez souvent fait allusion à la
nécessité de négocier de bonne foi à chaque fois
qu'on est dû pour parafer nos conventions collectives. J'en suis, bien
sûr, parce que c'est une base essentielle sur laquelle il faut commencer
nos travaux de négociations. S'il fallait qu'au début même
d'une négociation on ne semble pas de bonne foi, ni d'un bord ni de
l'autre, on serait voués à un chaos social ou à un
échec à peu près certain.
Maintenant, en dépit de cette bonne foi, c'est difficile de
présumer que l'autre partie n'est pas de bonne foi, et vice versa. Je
pense que c'est tout à fait normal que chacune des parties tienne pour
acquis qu'au début des négociations chacun est de bonne foi, et
même au cours des négociations, mais le danger est toujours le
même, c'est bien sûr. Le climat tout au long de la
négociation risque des fois de s'envenimer quand, surtout, les
écarts entre les demandes et les offres sont trop grands. On appelle
cela une négociation et, à mon avis, une négociation,
ça signifie essentiellement de mettre en cours de route un peu d'eau
dans son vin de part et d'autre pour arriver à peu près à
mi-chemin entre les demandes et les offres et essayer de parafer, finalement,
une convention qui pourrait convenir aux deux parties.
La situation que je décris est à peu près la
situation idéale. Comme vous le disiez vous-même, ce qu'on craint
comme gouvernement - c'est là la difficulté et c'est pour
ça, d'ailleurs, qu'on a invité toutes les
parties intéressées à venir nous présenter
des mémoires pour faire au gouvernement des suggestions de modifications
dans les structures déjà existantes de nos conventions
collectives. Nous avons mis sur pied déjà dans le passé
des moyens et, parmi ces moyens ou ces mécanismes déjà
existants, il y a effectivement le droit de grève qui existe depuis le
temps de M. Lesage - vous l'avez dit vous-même - dans les années
1964, 1965. M. Lesage l'avait dit et tout le monde était un peu
consentant, c'était une arme qu'il donnait aux syndicats et les
syndicats disaient: Écoutez, c'est une arme psychologique. On ne
l'utilisera pas. Laissez-nous la, mais on va la tenir dans notre poche et on ne
l'utilisera pas.
On sait très bien qu'en cours de route, les choses étant
ce qu'elles ont été, les syndicats l'ont finalement
utilisée. De là est venue cette espèce de
négociation ou entente sur les services essentiels. Effectivement, cela
s'est fait un peu sur le dos des malades, comme vous le disiez vous-même.
Maintenant, c'est un peu une impasse pour le gouvernement aujourd'hui de
prendre une décision qui m'apparaît un peu radicale, et même
passablement radicale, avec tout le respect que j'ai pour le mémoire que
vous avez présenté. Quand vous parlez de l'abolition pure et
simple du droit de grève dans les services publics, on a donné
des exemples, dans les mémoires qui nous ont été
présentés, d'endroits où ils n'ont pas le droit de
grève. Vous avez répondu à cela: Est-ce qu'on va donner le
droit de grève aux bandits parce qu'ils font, de toute façon, des
hold-up même s'ils n'ont pas le droit?
M. Tardif (Patrice): Je n'aurais pas d'objection à ce que
les bandits fassent la grève.
M. Lavigne: Je vous comprends. Je pense, M. Tardif, qu'enlever un
droit de grève, c'est très difficile. On ne règle pas par
le fait même la situation parce que je suis à peu près
certain que, de toute façon, il y aurait quand même des
grèves. Si le droit de grève n'existait plus, on ne
préparerait pas les grèves. Le syndicat ne présenterait
pas sa liste de services essentiels et on risquerait d'avoir des grèves
peut-être plus draconiennes, plus sévères. N'ayant pas
déposé une liste syndicale au niveau des services essentiels
à maintenir pendant la grève, cela ferait peut-être encore
plus mal. C'est pour ça qu'avant de prendre une décision qui
m'apparaît radicale, comme celle d'enlever le droit de grève, il y
a encore de la réflexion à faire, encore un paquet de
considérations à prendre.
Vous avez parlé du tribunal du travail. Je vois aussi que vous
vous associez au mémoire de la Coalition pour le droit des malades,
parce que, quand on regarde les deux mémoires, il y a beaucoup de choses
qui se recoupent, qui se retouchent. Essentiellement, je pense que vous
préconisez à peu près les mêmes choses. Le fameux
tribunal d'arbitrage ou la commission, peu importe le nom...
M. Tardif (Patrice): Tribunal du travail. C'est cela.
M. Lavigne:... lui donnez-vous un pouvoir juridique? Après
l'évaluation du travail d'arbitrage en question, laissez-vous au
gouvernement, le pouvoir de trancher ou si vous donnez à ce tribunal le
pouvoir de trancher? C'est une question à laquelle je voudrais avoir une
réponse. Je voudrais aussi vous entendre expliquer de quelle
façon vous aimeriez voir le principe de l'offre finale, comme on
l'explique un peu dans le mémoire de la Coalition pour le droit des
malades. Je sais que ce mémoire a parlé un peu de l'offre finale.
Vous ne faites à peu près qu'effleurer le principe de l'offre
finale. J'aimerais, si c'était possible, vous entendre parler d'une
façon un peu plus précise sur l'offre finale, comme on la
pratique dans l'Ohio.
M. Tardif (Patrice): D'abord, le premier volet, ce n'est pas
d'abolir le droit de grève à partir de demain matin. La
première affaire, c'est la décision qui viendrait
subséquemment, qui serait annoncée d'ailleurs et la formation
d'un organisme que j'appelle - je pense que c'est le meilleur mot, la meilleure
définition - tribunal du travail, composé de juges qui
examineraient toute la situation et qui feraient rapport au gouvernement de ses
constatations et là, le gouvernement déciderait de
légiférer de telle et telle façon, parce que cela aura
été étudié dans les détails. Ce n'est pas
n'importe qui qui peut fouiller là-dedans. Ce ne sont pas des questions
faciles. Quand vous touchez à une affaire, cela rebondit là et,
si cela rebondit là, cela rebondit ailleurs. On connaît cela et on
sait que c'est ainsi. La réponse, c'est cela, un tribunal du travail qui
examinerait tout cela, qui ferait rapport au gouvernement qui déciderait
de légiférer ou de ne pas légiférer ou d'amender le
rapport qui lui serait soumis et, après cela, ça marche. Un
tribunal.
M. Lavigne: Quant à ma deuxième question en ce qui
a trait à l'offre finale, pouvez-vous nous en parler? Comment voyez-vous
la mise en pratique de cette offre finale?
M. Tardif (Patrice): Je ne me suis pas arrêté
tellement à cela, parce que encore là, je considère que le
tribunal du travail serait en mesure d'apprécier cela. Ce n'est pas une
affaire que vous réglerez cet après-midi,
vous pouvez en être sûr. Et moi non plus, je ne m'attends
pas à m'en retourner chez moi ce soir et que l'affaire soit dans le sac.
Le tribunal du travail examinera cela. Ce sont des hommes de loi qui seront
là, des hommes d'expérience, qui feront rapport au gouvernement.
L'histoire des offres finales, la masse salariale, les coupures dans les
budgets, tout cela embarque dans cela. Le gouvernement va être
obligé de prendre ses responsabilités. À un moment
donné, cela va virer ainsi. Cela ne sert à rien de se conter des
peurs ou de rêver en couleur. Tôt ou tard, le ministre du Travail
et le gouvernement sont appelés à trancher. Cela a toujours
été vrai. Quand ce n'est pas cela, c'est l'anarchie. Vous n'avez
pas le choix. Quand on accepte d'être député et
d'être ministre, cela veut dire qu'on a décidé de faire
face à la situation qui se présentera. Je comprends cela ainsi,
mais j'imagine que c'est la même chose pour vous. Je tiens pour acquis
que les personnes qui sont au gouvernement, que ce soit à tous les
niveaux, fédéral, provincial, municipal ou ailleurs, sont, en
général, de bonne foi. Il peut y avoir des exceptions, mais c'est
très rare. Les gens qui sont au gouvernement sont de bonne foi. Ils
travaillent pour que cela aille le mieux possible. Tout le monde n'a pas la
même attitude. Tout le monde n'a pas le même point de vue. Tout le
monde n'a pas les mêmes renseignements et n'a pas, non plus, la
même capacité de gouverner. C'est une autre histoire, ça,
mais tout le monde est de bonne foi.
On vous rend de petits témoignages cet après-midi. Cela ne
vaut peut-être pas cher, mais vous êtes certains d'en avoir pour
votre argent, parce qu'on ne "charge" rien. Vous ne pouvez pas vous
plaindre.
Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier
le président de la Fédération de l'âge d'or du
Québec et les personnes qui l'accompagnent d'être venus en
commission parlementaire faire valoir le point de vue de la
fédération et des clubs qu'elle regroupe. Je pense - on s'y
attendait - que cela vous touche au premier chef, les services de santé.
Je voudrais en profiter pour vous remercier du travail extrêmement
constructif que vous faites au plan social et au plan humain et qui ne serait
comblé par personne d'autre, si vous ne le faisiez pas. Vous disiez que
vous alliez retourner chez vous sans avoir la solution dans le sac. Je pense
que vous êtes arrivé en sachant que même la proposition que
vous faisiez avait été éliminée au point de
départ, et vous l'avez signalé, M. Tardif.
M. Tardif (Patrice): Oui, mais ce n'était pas
définitif, le ministre du Travail avait dit ça comme ça,
mais...
Mme Lavoie-Roux: En tout cas, si vous aviez des doutes, c'est
confirmé, je pense.
Le député de Beauharnois, tout à l'heure, disait -
je voudrais que vous me le confirmiez - que vous étiez pour l'abolition
du droit de grève dans le secteur public. Je pense que ce n'est pas ce
que vous avez dit; vous avez dit dans le domaine de la santé.
M. Tardif (Patrice): Dans les services publics essentiels,
c'est-à-dire que ça comprend l'hospitalisation, ça peut
même comprendre le transport en commun, tout ce qui nuit aux petits, aux
humbles, aux faibles. C'est trop facile de s'entendre sur le dos des faibles,
vous savez.
Mme Lavoie-Roux: Vous avez dit - et j'en conviens fort bien - que
vous êtes un organisme totalement autonome puisque vous travaillez
bénévolement, à 99, 99% et, dans ce sens, peut-être
que c'est plus facile pour vous de vous détacher à la fois de la
partie patronale et de la partie syndicale.
M. Tardif (Patrice): Oui.
Mme Lavoie-Roux: On a entendu ici des plaintes au sujet du
non-respect des services essentiels, et tout cela. Quand les plaintes vous
arrivent au moment de ces grèves, est-ce qu'il vous arrive
également des plaintes quant à de mauvais jugements ou à
une mauvaise organisation des services de santé qui seraient la
responsabilité des administrations hospitalières ou de la partie
patronale à l'intérieur des établissements?
M. Tardif (Patrice): Oui, ce sont des choses qui peuvent se
produire occasionnellement. M. Labbé voudrait répondre à
cela?
M. Labbé (Norbert): Certains d'entre nous font partie de
certains conseils d'administration. On a subi des grèves. Dans mon cas,
disons que ça s'est réglé tant bien que mal. Les services
essentiels ont été assumés par les cadres. Le personnel
était sorti au complet. C'était malheureux. Il y a un
médecin qui a répondu à cela cet après-midi. Quand
on sait qu'il va y avoir une grève, quand ils sont prévenus, ils
sortent les malades à pleines portes pour en diminuer le nombre. Les
gens s'en vont chez eux. S'il y en a un ou plusieurs qui meurent, ils ne sont
pas ici, aujourd'hui, en commission parlementaire, pour dire: Je suis mort
prématurément parce que je n'ai pas pu rester à
l'hôpital assez longtemps. Ils ne sont pas ici, aujourd'hui, pour nous
dire ça, mais j'imagine que les ossements se révoltent quand ils
entendent des choses comme ça.
C'est sûr qu'il y a eu des gens qui, à l'occasion des
grèves, ont souffert et c'a dû avancer certaines personnes pour
aller trouver notre Père céleste, mais on n'a pas de preuve de
cela. Ceux qui sont morts ne viennent pas nous dire: Moi, je suis mort à
cause de cela. On peut supposer que c'a n'aide pas quand on a besoin
d'être hospitalisé et qu'on nous envoie chez nous parce qu'une
grève se prépare. On ne s'imagine pas que ça aide.
Mme Lavoie-Roux: Sur ce point particulier, on était un peu
au courant, parce qu'il y a eu plusieurs témoignages ici. Je me le
demandais justement, dans l'évacuation des établissements de
santé au moment des grèves, votre perception des choses est
peut-être que les administrations procèdent trop rapidement ou
qu'il y a peut-être un élément remarquez bien que je
pourrais le comprendre - de panique et que peut-être on pourrait
s'organiser autrement sur le plan administratif pour que ce soit
minimisé davantage que ce qu'on a connu au cours des dix
dernières années de conflits.
M. Tardif (Patrice): Je ne pourrais pas tellement donner de
précisions. J'ai eu personnellement connaissance, à deux
reprises, de cas absolument pitoyables. Un type qui était un de mes
amis, un cancéreux qui a d'ailleurs vécu trois ou quatre ans avec
son cancer, a brusquement été renvoyé chez lui pour le
temps de la grève. Il suivait un traitement tous les jours. Il me
racontait ça et il pleurait. Il disait: Je vais payer de ma vie ce qui
se passe là. C'était plus ou moins vrai. Je ne sais pas
jusqu'à quel point c'était vrai, s'il aurait vécu un mois
de plus ou un mois de moins, mais je sais que c'était cela qu'il
pensait. C'est sûr qu'il avait des traitements à tous les jours et
il a été je ne sais combien de semaines sans traitement; c'est
bien certain que cela ne l'aidait pas. C'étaient des cas inhumains,
c'est le temps de le dire. (17 heures)
Mme Lavoie-Roux: J'ai deux dernières questions que je
voudrais poser. Vous avez abordé tout à l'heure l'argument du
chaos social, que tout le monde nous prédit, si on devait restreindre
davantage au moins dans certains secteurs particuliers le droit de
grève. J'aimerais savoir quelle est votre réaction exacte
à cette menace de chaos social et de non-obéissance aux lois.
La deuxième chose, puisque vous êtes devant nous, et je
pense que c'est la première fois que j'ai l'occasion en commission
parlementaire de rencontrer la Fédération des clubs de
l'âge d'or, pourriez-vous nous dire, en temps ordinaire, quand il n'y a
pas de grève, si vos membres, ou enfin des personnes qui ne sont pas
nécessairement de vos membres mais que vous rencontrez, se plaignent des
difficultés d'admission aux hôpitaux pour les personnes du
troisième âge? Cela n'est pas relié aux syndiqués ou
quoi que ce soit, mais d'une façon générale.
M. Tardif (Patrice): Oui, madame, très souvent. Il y a des
délais qui sont absolument inadmissibles, des demandes d'hospitalisation
qui traînent trois, quatre et cinq mois. Dans nos 1000 clubs, cela arrive
souvent. On ne peut pas faire grand-chose, mais cela se produit très
souvent.
Mme Lavoie-Roux: M. Tardif, je savais quant aux délais,
mais moi je veux dire quand les gens sont rendus aux salles d'urgence. En temps
de grève, un reproche qu'on fait, on dit: Les gens sont peut-être
refusés à la salle d'urgence ou les gens n'osent pas se
présenter, mais en temps ordinaire, quand des personnes du
troisième âge se présentent aux salles d'urgence, est-ce
qu'il y a là aussi des problèmes d'admission ou de soins?
M. Tardif (Patrice): C'est pénible de répondre
à votre question, mais la réponse est oui encore une fois. Il y a
un médecin qui me disait il y a quelque temps, un médecin d'un
certain âge, je n'ai pas demandé de précision: Vous n'avez
pas idée combien nous avons de la difficulté avec certains
médecins. Il faut faire une distinction, il n'a pas dit: Tous les
médecins, mais avec certains médecins, nous avons de la
difficulté à faire admettre les personnes âgées pour
qu'elles aient leur place dans les hôpitaux. Ils nous répondent:
Ils ont fait leur vie, qu'ils donnent donc la place aux jeunes. Ce n'est pas
intéressant pour ceux qui ont payé pour construire les
hôpitaux, qui ont payé de leur vie pour bâtir. Ils ont
bâti toute leur vie, ils ont bâti les villes, ils ont bâti le
pays en quelque sorte à la suite de ceux qui étaient là
avant eux également. Ce n'est pas très intéressant de se
faire répondre comme cela par ceux à qui nous avons donné
la vie. C'est ce qu'on appelle des réponses sauvages, et je suis
poli.
Mme Lavoie-Roux: L'autre question que je vous avais posée,
c'était sur la menace du chaos social, vous vouliez réagir
à cela.
M. Tardif (Patrice): Vous savez, Mme Roux, ce serait un sujet qui
serait pas mal long. Je considère, moi, personnellement, et nous
constatons à la fédération qu'il y a eu une
démission générale. Le chaos social, cela englobe pas mal
large. Je résume cela dans une phrase qu'a dite d'ailleurs M. le
ministre du Travail ce matin, le sens de la responsabilité a l'air de
s'évaporer, c'est un laisser-aller. Dans certains cas, les juges sont
insultés en pleine cour. Cela n'a pas de bon sens. La
société plie le cou. Ce sont les
vols, ce sont les viols et cela ne tourne quasiment à rien. Il y
a un paquet de lois qui ne sont pas assez sévères et, encore une
fois, ce n'est pas un blâme. Ce n'est pas facile de gouverner, je le
sais. C'est pour cela que cela me fait plaisir cet après-midi de dire
aussi aux députés de l'Opposition, qu'il faudrait que, dans des
questions comme cela, il n'y ait plus de parti, pas une miette; il n'y a qu'un
parti, c'est le parti de la patrie, le parti de l'humanité, le parti du
bon sens. Je sais que vous allez être capables et j'ai confiance en
cela.
Nous sommes des personnes âgées, des malades, des
handicapés. Il y en a peut-être dans vous autres qui s'imaginent
être jeunes, et ils peuvent avoir une crise cardiaque demain matin et se
ramasser sur le perron de l'hôpital parce qu'il y a une grève;
cela peut arriver. On travaille aussi pour les préretraités. Il y
a des gens qui se retrouvent à la retraite plus vite qu'on le pense;
surtout quand il y a une élection, il y a des gens qui sont mis à
la retraite bien plus vite qu'ils pensaient. On travaille pour vous autres, il
faut que vous nous aidiez.
Mme Lavoie-Roux: Vous ne nous souhaitez pas de perdre une
élection et d'être malades en plus, toujours?
M. Tardif (Patrice): J'espère que non.
Mme Lavoie-Roux: Merci beaucoup, M. Tardif.
M. Tardif (Patrice): Bienvenue, madame.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: M. Tardif, d'abord, vous avez dit que vous avez 160 000
membres, je pense que le plus grand nombre demeure chez nous, parce que dans le
comté de Sainte-Anne, il y en a des clubs de l'âge d'or et
j'admire leur travail, j'y vais et j'apprends même la danse, je suis
sérieux dans mon affaire.
Je vous appelle le syndicat des grands oubliés, parce que
n'oubliez pas qu'avec 160 000 - il y a des syndicats qui aimeraient avoir
autant de membres que vous avez - il faut vous écouter. Chaque fois que
j'ai besoin de sonder l'opinion publique, je vais aux clubs de l'âge
d'or, je parle avec les membres et je dois vous dire que je trouve là le
gros bon sens commun. Pour moi, c'est très important.
Concernant le contenu de votre mémoire, je l'ai
étudié en détail, et il y a une certaine évolution,
peut-être une progression d'idées, parce que, à l'automne
1979, votre fédération a demandé une commission arbitrale,
sans appel et neutre; c'était la position à ce moment. Ensuite,
il y a eu le congrès de 1980 - donc six mois plus tard - et vous
demandez une nouvelle formule de négociation. Vous dites, en même
temps que tous les soins sont essentiels. On tombe ensuite au 21 octobre 1980
et à la suite d'une assemblée du comité exécutif de
votre organisation vous dites: Là, on demande l'abolition du droit de
grève dans les services publics.
Donc ça peut être une progression, du moins c'est une
évolution, parce qu'on voit clairement que vous avancez de plus en plus
dans vos idées, pour finalement arriver à la conclusion que
ça va mal, et que les personnes âgées sont tannées
des grèves; c'est probablement pour ça que vous demandez
l'abolition.
Mais vous avez entendu le ministre, qui vous a remerciés pour
votre mémoire; vous êtes fantastique, vous avez un style
parlementaire éloquent, mais il vous envoie chez vous sans aucun
résultat.
Je me demande si on ne pourrait pas essayer de soumettre au moins au
gouvernement une formule qui soit acceptable. Donc, disons que la formule
d'abolition, je ne connais pas les idées du ministre, mais il a
déjà dit carrément qu'il n'accepterait pas ça,
même pas dans le secteur hospitalier.
M. Tardif (Patrice): II va y repenser.
M. Polak: II l'a dit et répété chaque jour.
Mais il dit en même temps: On va prendre soin des services essentiels. Il
n'a pas encore résolu son dilemme, il n'y a aucune formule sur la
table.
Mais je voudrais vous demander ceci: Seriez-vous prêts à
mettre un peu d'eau dans votre vin et de retourner à votre position de
1979, alors que vous réclamiez - le gouvernement aurait dû vous
écouter avec un peu plus d'attention - une commission arbitrale, sans
appel, neutre, et vous ajoutez, aujourd'hui, avec des dents? Seriez-vous
prêts à accepter ça comme une formule acceptable?
M. Tardif (Patrice): La réponse est très simple.
Lorsque la décision aura été prise et que les juges de
l'organisme seront nommés, là, ils vont étudier l'affaire,
ils vont étudier tous vos mémoires, ils vont étudier tout
ce qui s'y est dit. Il y a un paquet de renseignements là-dedans, il y a
toute sorte de choses; ça va être condensé, d'habitude
c'est ce qui se passe, et il y a une synthèse qui sort de tout
ça. Ils vont faire une recommandation au gouvernement et dire: Nous, ce
qu'il nous faudrait pour marcher, c'est telle et telle législation.
Ne me demandez pas trop ce qu'ils vont décider. J'imagine que ce
sont des gens assez intelligents qui seraient nommés et ils vont...
M. Polak: II faudra les forcer avant de décider.
M. Tardif (Patrice): Oui, c'est ça.
M. Polak: Une dernière question. Vous dites dans votre
documentation... Je trouve ça très intéressant parce que
c'est daté du 1er décembre 1979, il y a presque deux ans. C'est
pour ça, M. le ministre, que c'est important d'entendre peut-être
plus sérieusement la parole de persones qui ont l'expérience de
la vie. Vous dites: "II est grandement temps qu'on remplace les rapports de
forces par des rapports de justice. " C'était votre thèse et
c'est encore votre thèse aujourd'hui.
M. Tardif (Patrice): Et vous ne vous y opposez pas?
M. Polak: Quant à moi, pas de problème, je n'ai
rien à dire, c'est lui qui décide.
M. Marois: C'est le nouveau programme du Parti libéral,
ça?
M. Polak: Non, ce n'est pas le nouveau programme, mais on va
forcer le gouvernement à prendre une position; pas faire de belles
déclarations à tout le monde, vouloir satisfaire tout le monde,
parce qu'à un moment donné, il faut résoudre le
dilemme.
M. Tardif (Patrice): Si vous le permettez, je voudrais seulement
suggérer -je l'ai dit un peu tout à l'heure - que si, à un
moment donné - ça peut se produire, l'Opposition avait des
comptes à régler avec les messieurs du gouvernement, je n'ai pas
d'objection à ce que vous régliez ça, mais, s'il vous
plaît, pas sur notre dos.
M. Polak: M. Tardif, je suis tout à fait d'accord avec
ça. Merci, M. le Président.
L'Intersyndicale
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants de la Fédération de l'âge d'or du
Québec. J'invite maintenant les représentants de l'Intersyndicale
à prendre place et à nous présenter leur
mémoire.
M. Tardif: Je vous remercie.
Le Président (M. Rodrigue): Je voudrais informer les
membres de la commission, pendant que les représentants de
l'Intersyndicale s'installent, que le mémoire que devait nous
présenter la Clinique du peuple de Saint-Henri a été
déposé au secrétariat des commissions et, même si le
mémoire n'est pas présenté ici en commission, ce
mémoire est inclus dans la série de mémoires que la
commission a reçu pour étude et il sera considéré
au même titre que les autres.
J'aimerais d'abord qu'on m'indique qui va présenter le
mémoire au nom de l'Intersyndicale. M. Norbert Rodrigue. Si vous voulez
d'abord nous présenter les personnes qui vous accompagnent et ensuite
présenter le mémoire.
M. Rodrigue (Norbert): M. le Président, M. le ministre,
membres de la commission, je vous remercie. D'abord, je voudrais effectivement,
à votre invitation, vous présenter ceux qui m'accompagnent. Je
les ai autour de moi. En commençant par ma gauche, de la
Fédération des infirmières et infirmiers unis,
Hélène Wavrock; à ses côtés, Ronald Asselin
de la SAQ; à mes côtés, à gauche, Jean-Louis
Harguindeguy du Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec;
à ma droite, Ginette Gosselin de la FQII, Robert Gaulin de la Centrale
de l'enseignement du Québec; Harvey Weiner de l'Association provinciale
des enseignants protestants, et je voudrais aussi signaler la présence,
bien sûr, du Syndicat de professionnels du gouvernement, la contribution
de la Confédération canadienne des syndicats nationaux qui ne
sont pas présents ici mais qui sont associés au mémoire
et, finalement, je pense bien ne pas en oublier, la CSN, comme centrale
syndicale aussi, qui se joint à ce mémoire.
Je voudrais d'abord, M. le Président, signaler aussi un autre
groupe qui n'est pas dans la liste. Il s'agit de la FAPUQ, des professeurs
d'universités, qui, d'ailleurs, vous a informé par lettre, je
pense, de son appui au mémoire, en soulignant qu'elle désirait
discuter, dans un cadre éventuel plus large, du Code du travail, de la
question de la grève et du lock-out en particulier.
Je voudrais aussi présenter la présidente de cette
organisation qui est parmi nous, Mme Marie-Andrée Bertrand; elle
était quelque part ici en arrière. Je voudrais aussi signaler, M.
le Président, que tous les participants à l'Intersyndicale...
D'abord, signaler le fait que c'est historique, à mon avis, qu'un aussi
grand nombre de syndicats se regroupent pour présenter un certain nombre
de revendications au gouvernement et vous dire aussi que la perspective de ce
mémoire est la suivante: Nous sommes très conscients que beaucoup
de revendications dans ce mémoire portent sur des amendements au Code du
travail.
Nous avons cependant tenu quand même à présenter
à cette commission parlementaire cet ensemble d'amendements parce que,
d'abord, nous croyons que c'est important de le faire immédiatement et,
deuxièmement, nous croyons aussi que, pour l'ensemble des travailleurs,
indistinctement, il ne doit y
avoir qu'un seul Code du travail et, finalement, nous pensons que les
relations de travail qui existent dans le secteur privé influencent de
toute façon, c'est-à-dire en termes de conditions, d'exercice, de
droits, etc., les règles pour le secteur public. (17 h 15)
Je voudrais aussi souligner très brièvement que le
processus que nous avons suivi comme organisation est un processus
démocratique où nos instances respectives ont eu à
discuter sur les revendications, etc; je voudrais aussi ajouter que dans ces
revendications, vous constaterez qu'il y en a qui ne sont pas nouvelles. Ce ne
sont pas des revendications d'hier; notamment, certaines d'entre elles
originent de 1977, à l'occasion de la présentation d'un
mémoire commun CEQ-CSN au gouvernement.
Les organisations syndicales présentes devant vous revendiquent
en quelque sorte le respect intégral des droits des travailleurs,
notamment, le droit de se constituer en syndicat démocratique, le droit
de négocier, le droit d'exiger le respect des conditions de travail
négociées, le droit de pouvoir recourir à la grève
comme moyen d'établir des conditions de vie décentes et des
conditions de travail respectueuses de leurs aspirations. Les organisations
syndicales proclament qu'il ne doit exister, comme je le disais, aucune
distinction entre les travailleurs du secteur public et ceux du secteur
privé. Le présent mémoire s'applique donc indistinctement
à tous les secteurs. De plus, il cherche et il touche, bien sûr,
les services essentiels dans le secteur des affaires sociales.
Les organisations syndicales veulent préciser finalement que les
réformes proposées sont partielles et qu'une véritable
modification du code s'impose afin de garantir les droits à la
syndicalisation, à la négociation, au respect des organisations
de travailleurs et de travailleuses, à l'exercice des droits sans
ingérence gouvernementale ni interférence des appareils
judiciaires.
Nous allons vous résumer le mémoire, M. le ministre et Mme
la Présidente, de la manière suivante. Nous avons regroupé
en cinq chapitres les amendements que nous suggérons aujourd'hui. Il
s'agit des limitations à l'exercice du droit de grève, des
contraintes judiciaires illégales, des services essentiels, de la
négociation et de l'impunité de l'administration. Ma camarade
Gosselin et mon camarade Gaulin s'associeront à moi pour
présenter le mémoire.
Je voudrais d'abord signaler que dans les limitations nous estimons,
tenant compte du grand nombre d'intervenants qui font valoir que les
travailleurs et les travailleuses utilisent la grève comme seul moyen de
pression pour résoudre un conflit d'intérêts, sans
prétendre que la grève soit devenue périmée, que
d'autres moyens d'action, dans des circonstances précises, pourraient
contribuer au dénouement d'un conflit d'intérêts. Nous
voulons signaler que pour se le permettre, il faudra rendre légal le
recours à d'autres moyens que la cessation concertée du travail
parce que, actuellement, le seul moyen légal reconnu dans le Code du
travail, c'est la grève. Nous revendiquons, en conséquence,
l'abrogation de l'article 108 du Code du travail.
En ce qui concerne le droit de grève comme tel, nous voulons
aussi rappeler une revendication de l'ensemble des organisations, qui est en
quelque sorte l'élargissement du droit de grève afin qu'il soit
permis en tout temps et sans contrainte. Nous estimons que
l'égalité entre les parties est illusoire dans les circonstances
actuelles. Les employeurs, par exemple, qui modifient les conditions de travail
en cours de convention collective à tout moment et qui, parfois, par le
biais des changements technologiques, transforment totalement les situations
réelles après avoir négocié un contrat de travail,
il nous apparaît que ces employeurs ont effectivement non seulement
beaucoup de droits, mais tous les droits; par conséquent, il faudrait
rétablir une certaine égalité.
Je voudrais dire que ce que nous pensons là-dessus,
fondamentalement - à tort ou à raison, on est convaincu de cela -
est que cette perspective pourrait, sur le plan social, sur le plan
économique et sur le plan politique, atténuer beaucoup de
problèmes qui s'accumulent, qui se perpétuent et qui, finalement,
dégénèrent concrètement en conflits. En
conséquence, nous revendiquons que la grève soit permise en tout
temps et sans contrainte. Non pas dans l'objectif de faire la grève
mais, au contraire, pour essayer d'aplanir un certain nombre de
problèmes.
Nous demandons aussi la reconnaissance du piquetage. Le fait de
permettre le piquetage par définition négative au Code criminel
ou par les interprétations contradictoires, obscures même, des
tribunaux a pour effet, quant à nous, de criminaliser les relations de
travail. L'intervention des appareils répressifs nie parfois
carrément l'exercice de la liberté de piquetage en refusant, par
exemple, à des travailleurs et à des travailleuses en
grève dont l'employeur est situé dans un complexe commercial
d'accéder aux portes de l'employeur, puisque le complexe, dit-on, est
propriété privée.
Je voudrais citer ici les effets, quant à nous, de la
reconnaissance du droit au piquetage dans un code du travail. Pour nous, cela
aurait l'effet d'abord d'empêcher et d'éliminer un certain nombre
d'injonctions dans la situation concrète actuelle. Ce sont des
injonctions, parfois - pour citer deux exemples - qui nous conduisent dans des
situations aberrantes, comme à Beauharnois, Stanchem, où
l'injonction nous ordonnait de faire du piquetage dans un rayon X et
où
cela nous conduisait physiquement dans le lac Saint-Louis pour piqueter.
Il y a aussi, à la Gypsum de Joliette, où les travailleurs, s'ils
avaient voulu respecter l'injonction, auraient été obligés
de déménager parce que leur demeure était dans un rayon
inférieur à un mille et il était défendu aux
travailleurs de se promener autour de la compagnie à un mille à
la ronde. Vous comprenez que ce sont des situations qu'on veut discuter et
qu'on met en cause dans les circonstances actuelles.
Nous abordons aussi un autre point. Il s'agit des employeurs
liés. Très fréquemment, surtout depuis les mesures
antibriseurs de grève, à l'occasion d'une grève ou d'un
lockout, les employeurs, parmi lesquels le gouvernement, d'ailleurs, ont
recours à des sous-contrats pour poursuivre la production de biens et de
services ou divertissent carrément leur production. Nous
considérons et nous revendiquons sur cette question que le Code du
travail reconnaisse la notion d'employeurs liés entraînant la
reconnaissance de tous les droits syndicaux résultant à cette
alliance économique.
Ce n'est pas un droit et une invention nouvelle en Amérique du
Nord. Cela existe sous certaines formes au Canada. Dans le système
actuel, le pouvoir économique nous impose un certain nombre de
conditions et nous estimons que les entreprises trichent quand il s'agit des
règles qu'elles nous forcent à adopter elles-mêmes dans
plusieurs circonstances quand elles s'entendent sur le plan des marchés,
à l'occasion d'une grève, ou quand elles s'entendent tout
simplement sur la question de la clientèle, etc., ou la diversification
ou le transport de la production vers une autre usine que cette entreprise a au
Québec ou vers une multinationale, par exemple, ailleurs. Dans ces
circonstances, nous pensons qu'il faut absolument que cette notion apparaisse
au Code du travail.
En ce qui concerne le lock-out, nous voulons aussi préciser, un
peu comme dans le cas du droit de grève en termes
d'élargissement, que seuls les travailleurs, au moment où on se
parle, sont obligés de négocier leurs salaires. Les employeurs ne
sont pas obligés de négocier et de parlementer pour fixer les
salaires. Dans les circonstances actuelles, nous estimons que le lock-out trop
souvent sert à de la provocation, surtout quand les entreprises ont
accumulé des stocks et cela conduit même parfois à des
situations comme, par exemple, dans une entreprise comme l'Alcan où la
provocation conduisant soit à une grève ou à un lock-out
permet à l'Alcan tout simplement, au bout de la course, de
réaliser un objectif qui est celui de faire augmenter les prix et,
après une grève ou un conflit assez long, profiter de tous les
avantages et de la récupération et aussi des augmentations de
prix.
En ce qui concerne - un dernier point pour ma part, ensuite, Ginette
prendra la parole pour résumer une autre partie du mémoire - les
préavis prévus au Code du travail de grève dans le secteur
public, nous considérons que ces avis constituent une entrave à
l'exercice du droit de grève et peuvent même, dans la mesure
où les conditions existent avant d'envoyer un deuxième avis ou
préavis, obliger les associations accréditées à
recourir à la grève. On a même vu des associations ici,
cette semaine ou la semaine dernière, soutenir dans leurs
mémoires que lorsqu'on envoie un avis, il faudrait nous obliger à
aller au bout et à faire la grève. On pense que ce n'est pas la
meilleure solution.
Quant à nous, on reconnaît la nécessité,
l'utilité de donner un préavis public, mais on aimerait que le
code prévoie et laisse une certaine latitude quant aux formes que nous
estimons appropriées. En conséquence, nous revendiquons
l'abrogation de l'obligation légale et ses conséquences
juridiques parce que, souvent, c'est utilisé aussi pour créer
artificiellement ou autrement des illégalités en ce qui concerne
les relations de travail. Comme cela conduit à cette situation, nous
vous présentons cette revendication. Avec votre permission, je
demanderais à Ginette de poursuivre.
Le Président (M. Rodrigue): Mme
Gosselin.
Mme Gosselin (Ginette): Concernant les contraintes judiciaires et
légales à l'exercice du droit de grève, plus
précisément l'utilisation de l'injonction, l'expérience
nous a démontré que le recours aux injonctions avait par le
passé modifié le rapport de forces et créé toujours
des droits à l'avantaqe de l'employeur, sans parler de situations un peu
loufoques comme celle que relatait Norbert Rodrigue tout à l'heure.
Parce qu'en plus il affecte la crédibilité du système
judiciaire, parce que le recours à l'injonction criminalise les
relations de travail, nous revendiquons le retrait de l'injonction du domaine
des relations de travail.
Les dispositions antibriseurs de grève sont nouvelles, mais on a
déjà pu les pratiquer lors des dernières
négociations, que ce soit dans le secteur privé ou dans le
secteur public. On a vu qu'elles contenaient des lacunes. Une des lacunes qu'on
soulève principalement, c'est le fait que, lorsque le gouvernement
lui-même ou une de ses sociétés ne respecte pas les
dispositions antibriseurs de grève, le code prévoit qu'il paie
une amende au trésor public. En conséquence, nous revendiquons
qu'en cas d'infraction commise par les employeurs ceux-ci soient tenus de
verser une indemnité
au bénéfice de l'association de salariés contre qui
l'infraction est commise.
Concernant l'interdiction même de faire la grève, parce que
nous sommes convaincus que le droit de grève est finalement le droit
réel de négocier et que ce droit doit être reconnu à
tous les travailleurs, nous revendiquons la reconnaissance du droit de
grève pour tous les syndiqués sans aucune exclusion.
Concernant les pouvoirs de l'exécutif de suspendre l'exercice de
la grève, nous croyons que là arrive le conflit entre le
gouvernement employeur et le gouvernement législateur. Le gouvernement
peut alors utiliser ses pouvoirs pour déplacer, encore une fois, les
positions des parties en période de négociation. En
conséquence, on revendique l'abrogation du troisième paragraphe
de l'article 111 et l'abrogation du deuxième paragraphe de l'article
111. 12 du Code du travail qui prévoient spécifiquement ces
droits de suspendre l'exercice de la grève et nous revendiquons que
cesse l'utilisation du Parlement pour avantager l'employeur et modifier les
règles du jeu.
Quant à la question des services essentiels, les organisations
syndicales estiment, de même que l'avait estimé le Conseil sur le
maintien des services essentiels, que le bilan est positif et qu'il devrait
même s'appliquer à toute la fonction publique. En ce sens, nous
revendiquons que soit maintenu le mécanisme actuel et qu'il soit
étendu à la Loi sur la fonction publique.
Quant au Conseil sur le maintien des services essentiels, nous croyons
que, s'il a pu rendre service au cours de la dernière
négociation, agir dans certains cas comme médiateur entre les
parties, c'est parce qu'il reproduisait exactement au sein du conseil la
composition des protagonistes. En ce sens, comme nous avons tout à
l'heure revendiqué que soient maintenus les mécanismes, nous nous
opposons également à la constitution d'une régie ou d'un
conseil qui serait constitué de prétendus experts et
là-dessus, on se base sur les expériences qu'on a connues. (17 h
30)
M. Gaulin (Robert): Le chapitre 4 aborde plus directement la
conduite des négociations comme telles et le premier
élément que nous voulons soulever touche les matières
négociables. On est passé d'une pratique de détermination
des conditions de travail d'autorité ou par la tradition à une
pratique de négociation dans le secteur public. On pense que, sur la
base de l'expérience acquise, il n'y a pas lieu, pour certaines
catégories de salariés, de soustraire du négociable un
certain nombre de conditions de travail qui sont des éléments
tout à fait essentiels tels que l'évaluation, l'affectation, la
promotion, la classification, le régime de retraite, le régime de
pension.
Il y a donc là quelque chose de fondamental. Nous pensons qu'il
faut reconnaître aux travailleurs le droit de négocier l'ensemble
de leurs conditions de travail.
En ce qui regarde les interventions d'un tiers dans le cours des
négociations, nous avons expérimenté différentes
formules. Certains intervenants, ici, ont fait des suggestions de formules
à expérimenter ou autres. Nous avons connu le conseil
d'information, nous avons vécu l'époque de certaines commissions
d'enquête. Nous avons les mécanismes habituels de conciliation du
Code du travail qui ne sont pas praticables en ce qui regarde les grandes
négociations du secteur public où le gouvernement est directement
à la table de négociation. Nous croyons qu'il y a lieu, pour
aider le fonctionnement de la négociation, qu'il y ait une intervention
de tiers, mais nous croyons que cette intervention devrait se faire à la
demande de l'une ou l'autre des parties, selon l'acceptation des parties. C'est
dans ce cadre qu'on pourrait convenir d'une médiation publique, mais
à la condition, bien sûr, que le médiateur ne soit pas un
fonctionnaire de l'État, ce qui rendrait ce processus inefficace.
En ce qui regarde le partage des objets de négociation, ce qu'on
revendique, c'est la prérogative de déterminer l'objet des
négociations locales selon le processus qui est en cours dans le Code du
travail. S'il y a une négociation locale acceptée par les
parties, que ça puisse se faire selon le régime actuel du Code du
travail, et il appartient aux parties de discuter de la
nécessité, de la volonté qu'il y ait négociation ou
pas.
Également, le point 4. 4, reconnaissance d'une association. Il y
a actuellement certaines associations, les hôpitaux, l'éducation,
la fonction publique, qui se voient reconnaître un régime de
négociation nationale par le biais de la législation. Nous
pensons que ce régime pourrait être étendu à
d'autres groupes à partir de demandes formulées par ces groupes
et que le gouvernement, qui rémunère d'autres catégories
de travailleurs, devrait permettre que ces travailleurs, ces associations
syndicales, si elles le désirent, puissent transporter leur
négociation au niveau national, comme ça existe actuellement dans
le secteur des commissions scolaires, des cégeps, des hôpitaux,
des centres d'accueil.
Les point 4. 5, ingérence dans la démocratie syndicale.
Nous croyons qu'on expérimente tout un régime de contraintes
où on essaie de rendre, par le biais de dispositions du Code du travail
ou autres, illégal ce qui est légal, et que ce régime de
contrainte ne favorise d'aucune manière le bon déroulement des
négociations. Il y aurait lieu de changer de perspective et travailler
dans le sens d'élargir, de respecter le plein
exercice des libertés syndicales, éliminer les
interventions indues, les contraintes et les pratiques de surveillance des
organisations syndicales de la part de la police.
Le cinquième point, rapidement, l'impunité de
l'administration. Nous vivons un régime de négociation où,
du côté patronal, il y a, à la table, le gouvernement, il y
a des administrations locales, il y a des associations patronales du type
national. Ces groupes interviennent d'une manière ou d'une autre dans le
processus de négociation, prennent parfois des décisions de
nature locale qui peuvent provoquer des conflits, rendre ces conflits plus
difficiles. Il y a certaines utilisations politiques, aussi, qui sont faites
par des associations, des situations de négociation, et nous croyons
qu'il faudrait placer certains administrateurs en situation d'assumer les
conséquences des décisions qu'ils prennent, et non pas se
blanchir ou se cacher, quand arrivent les coups durs, derrière le
gouvernement ou derrière l'administration publique.
Également, en ce qui regarde la transparence, je crois qu'il y a
une série de décisions. Bien sûr, on met souvent en doute
la démocratie syndicale. On dit que ça doit être de telle
ou telle manière, et le Code du travail est intervenu pour fixer des
contraintes. Nous croyons que, du côté des administrations
publiques, il devrait y avoir une plus grande transparence et qu'un certain
nombre de décisions, de documents, de résolutions, de budgets
devraient être mis à la disposition du public et des associations
syndicales.
Je crois qu'en conclusion générale de tout cela, on a le
choix, on a utilisé la voie de la contrainte, on a
développé des pratiques de restriction, des objets de
négociation ou des règles présidant à la conduite
des négociations dans le secteur public. Je pense que plus il y a
d'embûches, plus il y a de modalités, plus les négociations
sont difficiles, plus les négociations se prolongent, et plusieurs
intervenants ont souligné la longueur et la difficulté des
négociations dans le secteur public. Nous pensons que plus on va aller
dans le sens de ces contraintes, plus les conflits vont être
pénibles, difficiles à régler et qu'il y a donc lieu
peut-être d'établir des règles les plus simples possible et
s'en remettre à la responsabilité des parties pour la bonne
conduite des négociations dans le secteur public.
En terminant, on a oublié tout à l'heure de souligner la
présence des SPIIQ, le syndicat des infirmières, et la
présidente Élaine Pelletier est ici aussi dans la
délégation de l'Intersyndicale.
Le Président (M. Rodrigue): Cela va? M. le ministre du
Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.
M. Marois: M. le Président, merci.
J'avoue que je ne comprends pas. Le mandat de notre commission, c'est le
mandat suivant, qui est public, qui est connu depuis déjà
plusieurs mois, l'examen des moyens susceptibles d'améliorer le
régime de négociations dans les secteurs public, parapublic et
péripublic, et, d'une façon plus particulière,
l'étude des moyens qui permettraient d'améliorer le maintien des
services essentiels lors des conflits de travail dans ces secteurs.
Le gouvernement du Québec, par mon entremise, a fait
connaître publiquement et a répété ici à
cette commission, depuis le début de nos travaux, que nous ne pensions
pas, de notre point de vue à nous - je ne prétends pas avoir la
vérité absolue - qu'il y avait là une piste valable de
solution à des problèmes réels, cruels, vécus,
inacceptables par des humains, dans la perspective de l'abolition du droit de
grève, mais que, ceci étant dit, il y avait cependant des
problèmes réels, cruels, vécus par des humains du
côté en particulier des services essentiels, qu'on pensait et
qu'on pense que la limite des droits des uns, c'est là où
débute le droit des autres, et le droit des autres, c'est le droit des
humains à avoir leurs soins, leurs services essentiels directs.
Un des porte-parole de l'Intersyndicale a qualifié d'historique
le regroupement et la présentation. Je ne sais pas, peut-être. Il
y a une chose que je sais et qui est de l'histoire, c'est que c'est la
première fois, à ma connaissance, qu'on a l'occasion ensemble
comme société, d'avoir ouvertement et publiquement un
débat de fond sur ce sujet. C'est la première fois, me
semble-t-il, de mémoire, sous réserve que je me trompe, qu'un
gouvernement prend la responsabilité d'ouvrir un tel débat.
Autrefois, il y a eu des débats effectivement à l'occasion
de projets de loi, à l'occasion de rencontres, de contacts par une
commission qui s'appelait, par exemple, la commission Martin-Bouchard, mais
c'est la première fois que cela se pose dans ces termes. C'est le droit,
bien sûr, des individus, des organismes, des groupes de venir rencontrer
notre commission, de faire valoir leur point de vue. Ce droit, en
démocratie, est quelque chose qui est respecté
profondément. C'est le droit aussi des parlementaires de pouvoir
exprimer librement leurs opinions, je crois.
Sur une liste de onze organismes syndicaux qui sont présentement
devant nous, j'en ai relevé - il se peut que je me trompe neuf sur onze
qui sont déjà venus témoigner ou qui doivent venir
témoigner aujourd'hui, ou demain. Je ne comprends pas. Je ne comprends
pas, ou, alors, on a estimé qu'il était important de mettre
l'accent sur certaines revendications qui apparaissaient déjà
dans l'un ou l'autre des mémoires, qu'on
a vus ou qu'on entendra, ou alors on a pensé important de mettre
l'accent sur des choses qui n'apparaissent pas dans les mémoires qu'on a
vus ou dans ceux qu'on va entendre, provenant des mêmes groupes. J'avoue
que je ne comprends pas.
Il y a beaucoup de revendications dans le mémoire, qui est devant
nous, couvrant le secteur privé et le secteur public, essentiellement
des revendications. On revendique le droit de grève permanent sans
contrainte. On revendique notamment que lorsque des infractions sont commises
par des employeurs, les indemnités soient versées au
bénéfice des associations de salariés.
Je ne vois rien dans le mémoire - on me dira que ce n'est pas la
responsabilité de ces groupes de nous faire des suggestions -indiquant
ce qui arriverait, dans cette perspective, dans le cas d'abus ou d'infractions
commises par des associations de salariés. Parce que, des abus, il y en
a des deux côtés dans notre société. Il faut se dire
les choses franchement, nettement et clairement entre nous. S'il n'y en avait
pas, si tout allait sur des roulettes, on ne serait certainement pas ici.
On revendique. On écrit ceci à la page 13: "Nous
revendiquons que cesse l'utilisation du Parlement pour avantager l'employeur et
modifier les règles du jeu. " En d'autres termes, si je comprends bien,
on revendique que plus jamais un gouvernement ne dira: Étant
donné une situation, selon l'analyse et l'évaluation que j'en
fais, je me dois de saisir l'Assemblée nationale pour qu'elle se
prononce à partir d'un projet de loi donné. Cela, j'avoue, je
vous le dis franchement comme je le pense, je trouve ça
irresponsable.
Des problèmes. Le mot problème, je l'ai vu deux fois
à la page 14 du mémoire: "Nous affirmons que le maintien des
services essentiels a posé moins de problèmes qu'aux
négociations précédentes". S'il en a posé moins,
c'est qu'il en a quand même posé. "Les problèmes ont pu
être rapidement évalués et corrigés par les
organisations syndicales. "
Nous avons ici entendu des témoignages provenant de certains
porte-parole syndicaux qui se trouvent d'ailleurs à nouveau
présentement à la table, je ne veux absolument pas tronquer la
pensée ou l'expression d'opinion de qui que ce soit qui s'est
présenté devant nous - dire que des services essentiels devaient
être assurés à 100%, dans certaines unités ou dans
certains départements de centres hospitaliers.
Le seul élément de solution à ces problèmes,
on a dit que cela a pu être évalué et corrigé
rapidement par les organisations syndicales. "En conséquence, nous
revendiquons le maintien du mécanisme actuel et son extension à
la Loi de la fonction publique. "
Quelle autre contribution - alors que l'on retrouve dans les
mémoires des mêmes organismes des recommandations, des suggestions
et que des recommandations et des suggestions sont aussi venues dans les
échanges verbaux qu'on a pu avoir avec certains porte-parole de certains
groupes qui ont déjà comparu devant nous - à cet effort
que la société cherche à faire présentement,
à l'occasion du forum qui se tient ici, quelle sorte de contribution
chacun est prêt à apporter, quels sont les éléments
de solution, quelles sont les pistes valables?
J'avoue que je n'en ai pas vu dans le mémoire qui est
présentement devant nous. Je ne vous le cacherai pas, je dirai, au
minimum, que je le regrette.
J'ajouterais une chose, en terminant, ce sera ma dernière
remarque. Je n'ai pas vu mentionné dans le mémoire - sous
réserve de me tromper - le mot "malade", c'est-à-dire des hommes
et des femmes qui ont aussi des droits dans le respect fondamental des droits
des autres, mais qui ont aussi les leurs. Il me semble que c'est notre
responsabilité, dans une perspective où les choses
s'améliorent - je ne veux pas verser dans le sensationnalisme d'un
côté ou de l'autre, en dédramatisant à
l'excès ou en surdramatisant à l'excès ou en
surdramatisant à l'excès. Les choses ne sont pas faciles à
évaluer, on peut les quantifier et, sur une base de quantification, il
nous semble que s'est ouverte une perspective d'amélioration des choses
au Québec. Mais il y a des choses qui ne sont pas quantifiables. (17 h
45)
II y a eu des abus. Il me semble qu'on est capable, comme
société, qu'on a cette capacité, ce ressort et ce sens des
responsabilités suffisamment développé pour être
capable de trouver, peut-être pas les mécanismes parfaits -
quelqu'un l'a déjà dit: La perfection, tu peux toujours chercher,
tu rencontres rarement cela au coin de la rue -mais il me semble qu'il y a
moyen d'ouvrir des pistes d'amélioration. D'ailleurs, on a eu des
témoignages et des suggestions qui me paraissent être des pistes
qui méritent d'être examinées très
sérieusement pour que, dans le respect des droits des uns, ils aient le
droit de négocier, d'améliorer leurs conditions de travail, ce
qui implique le droit de grève aussi. Que soit profondément
respecté le droit des hommes et des femmes à obtenir, encore une
fois, les soins et les services directs essentiels.
M. Rodrigue (Norbert): M. le Président, d'abord, je
voudrais souligner à la présente commission parlementaire
qu'effectivement nos organisations respectives sont venues exprimer des points
de vue, leur point de vue particulier et spécifiqgue sur la question au
cours des séances de la commission.
Je voudrais souligner aussi qu'en ce qui
concerne l'Intersyndicale, nous sommes venus ici avec l'intention de
soumettre à cette commission parlementaire une vision plus globale de la
situation, parce que nous estimons que, par exemple, quant aux moyens
d'améliorer les négociations et les services essentiels, c'est
aussi le Code du travail qui donne existence aux négociations et qui
peut aussi amener, par des changements, un meilleur fonctionnement.
C'est vrai que ces revendications tournent davantage sur le Code du
travail et il faut préciser aussi que ces questions-là sont
urgentes parce qu'à notre avis, les conditions qui existent dans la
législation dans le secteur privé, comme le disait le ministre,
existent aussi, ont de l'influence dans le secteur public.
Il y a effectivement eu des débats en 1975 sur la loi 253, il y
en a eu en 1977 devant la commission Martin-Bouchard et il y en a cette fois-ci
devant cette commission. Quant aux services essentiels, si vous me le
permettez, M. le Président, les droits des uns et des autres, nous
réitérons que seule l'entente entre les parties... Nous avons
voulu exprimer devant cette commission parlementaire, l'ensemble des
associations, que la dernière expérience avait été
positive, quant à nous.
Je rappellerais devant cette commission parlementaire, avec votre
permission, que le comité sur les services essentiels qui était
présidé par M. Gérard Picard et composé par des
représentants de la partie patronale qui étaient le Dr Bacon de
Montréal, Mme Ginette Rodgers de l'hôpital Notre-Dame et M.
Légaré du CRSSS de Québec, ont convenu unanimement et ont
conclu unanimement de cette expérience qu'elle avait été
positive. Il nous semble important d'insister et de le souligner à
nouveau devant cette commission parlementaire.
Quant aux autres questions, celle des abus par exemple, M. le ministre,
j'aimerais, avec votre permission toujours, M. le Président, parler
juste un peu, à peu près deux minutes, de cette question des
abus.
J'ai été étonné ce matin d'entendre l'AHQ
soutenir qu'à l'hôpital Notre-Dame de Montréal, il y aurait
eu 30 personnes affectées aux services essentiels. Je trouvais cela un
peu faible. En conséquence, j'ai donc téléphoné
à l'hôpital Notre-Dame, au syndicat, pour connaître la
situation de fait et voir, comme vous posez vous-même la question, la
réalité. La réalité, à l'hôpital
Notre-Dame, était la suivante, à ce moment-là. Les listes
prévoyaient effectivement 30 personnes, mais il y a un total de 3000
salariés et, quotidiennement, à peu près 2500 travaillent
parce que les autres sont soit en congé hebdomadaire, en congé de
maladie, en congé de maternité, etc. Le lundi 19 octobre, il y
avait 178 salariés qui travaillaient à l'hôpital
Notre-Dame; le mardi 20 octobre, il y en avait 293; le mercredi 21 octobre,
384; le jeudi 22 octobre, 451 et le vendredi 23, 441. À ces
salariés, il faut ajouter, selon les estimations du syndicat et incluant
les médecins, 1000 personnes, cadres, médecins, etc. À
cela, il faut ajouter entre 80 et 100 bénévoles. Je tenais
à préciser que c'était la réalité au moment
où la question se posait.
L'autre question soulevée par l'AHQ, je voudrais aussi la
signaler. Un autre exemple: le Christ-Roi de Québec. Je voudrais dire
que l'AHQ prétend qu'il n'y avait que 5% des effectifs, soit 17
salariés sur 350. Là aussi, j'ai vérifié avec le
syndicat et le taux d'occupation était à 50%. Il y a eu des
rencontres - je voudrais le dire ici, devant la commission parlementaire - sur
les services essentiels tous les jours. Ces rencontres se faisaient entre trois
salariés et le directeur médical, le directeur du nursing et le
directeur du personnel qui, quotidiennement, formulaient leurs demandes.
Quotidiennement. Jamais aucune demande n'a été refusée par
le syndicat, sauf une secrétaire à la radiologie alors que tous
les techniciens étaient au travail, et ils étaient 15, et un
autre poste d'une secrétaire au laboratoire alors que tous les
techniciens étaient au travail, et ils étaient 12. Je voudrais
signaler à la commission qu'il n'y avait pas de patient dans ces deux
départements du laboratoire et de la radiologie.
Jamais le patron, à notre connaissance, ne s'est plaint de cette
situation. Je tenais à dire cette réalité, M. le ministre,
parce qu'il nous semble, à nous, que la voie que nous avons connue ou
choisie la dernière fois sur les services essentiels est la meilleure et
qu'il faut faire confiance aux parties, et je dirais aussi a la conscience
professionnelle des travailleurs québécois. Je voudrais dire que
négocier des conditions de travail et faire des qrèves pour les
arracher, on pense que ce n'est pas totalement inhumain de le faire pour
essayer d'arracher des conditions de travail raisonnables. On pense que
l'action syndicale n'est pas diriqée contre les malades. Notre objectif
n'a jamais été de priver les malades; notre objectif a
été d'exercer nos pressions contre les partenaires du
gouvernement, M. le ministre, et le gouvernement.
Je voudrais souligner, en ce qui concerne les partenaires du
gouvernement, que j'ai vu, devant cette commission parlementaire, les
médecins, qui ont toujours prétendu être des experts,
être représentés par deux procureurs juridiques pour
défendre leur position. À quels experts avons-nous affaire? J'ai
vu aussi des associations patronales vous appeler, M. le ministre et le
gouvernement, à légiférer pour cadrer les modalités
salariales, pour cadrer l'ensemble des conditions de négociation et vous
demander de fixer, de déterminer les
services essentiels. Je ne suis pas fâché, c'est juste un
constat que je veux faire -que tous ceux qui ont soutenu ici - les patrons, les
partenaires - qu'il fallait des experts pour les services essentiels, qu'il
fallait des experts pour le PRN dans les hôpitaux, pour évaluer la
rentabilité, etc., qu'il fallait d'autres types d'experts pour ju-qer
les travailleurs et encore d'autres types d'experts pour tirer d'autres
conclusions sur les négociations entre les parties, soit par le biais de
l'arbitrage ou autrement, je vous soumets respectueusement que ça me
fait penser qu'on n'aurait peut-être pas besoin tant que ça de ces
gestionnaires. En conséquence, on pourrait peut-être
négocier directement, les associations patronales et le gouvernement, et
on obtiendrait probablement des résultats positifs sur les
délais, par exemple, en négociations et on pourrait
peut-être s'entendre, en exerçant nos moyens de pression
réciproques, sur une réalité qu'on est capable de
saisir.
Je voulais faire cette petite mise au point. Je trouvais ça
important, vous savez. Les abus d'un bord, une petite claque icitte, une petite
claque là, je suis capable de prendre ça, mais quand la claque
vient tout le temps et qu'elle laisse présager ou prévoir que les
travailleurs québécois seraient des êtres irresponsables,
inhumains, qu'ils soient dans l'éducation ou les services sociaux ou les
services hospitaliers, vous comprendrez que ça nous chatouille un peu
les intestins et qu'on réagira et qu'on va continuer à
réagir parce qu'on estime être capables de prendre un certain
nombre de responsabilités. D'ailleurs, je voudrais terminer en disant,
concernant le législatif et l'exécutif, que le Parlement est
toujours souverain.
L'Assemblée nationale peut toujours agir et décider, mais
ce que nous disons et ce dont nous sommes convaincus c'est que, dans le
passé, on a trop eu d'expériences comme celle-là et il
faut effectivement avoir des conditions qui favoriseront la négociation
entre les parties dans l'avenir, pour essayer de résoudre le
problème et trouver des perspectives nouvelles.
M. Gaulin: Si vous me permettez, je ne veux pas abuser de notre
droit de parole. Sur cette question de l'intervention du Parlement, cela n'a
pas été tellement soulevé dans les mémoires
antérieurs, mais je crois que c'est l'occasion, devant cette commission
parlementaire qui étudie la question du régime de
négociations dans le secteur public, de se la poser carrément et
franchement. On ne dit pas qu'on revendique que jamais, d'aucune
manière, le Parlement ne puisse être saisi d'un problème,
on dit: Que cesse l'utilisation du Parlement, ses différentes
interventions, pour avantager l'employeur et modifier les règles du jeu.
On pourrait faire l'histoire de toutes les lois spéciales qui sont
arrivées à chacune des rondes de négociations à
raison d'une, deux et parfois trois lois spéciales par ronde de
négociations, et se poser franchement la question: Est-ce que c'est
essentiel, est-ce que c'est une règle à établir dans le
cadre de notre régime de négociation. Après avoir pris le
temps de faire les débats démocratiques dans cette enceinte, au
Parlement et ailleurs sur le régime de négociation qui devrait
être convenu dans le secteur public, est-ce normal qu'au moindre
accrochage, au moindre problème, il y ait une intervention parfois
très rapide du Parlement qui vote la première, la deuxième
et la troisième lecture en l'espace de quelques heures et qui pense, de
cette manière, régler le problème? L'histoire des
négociations du secteur public nous a aussi appris que ces interventions
n'ont pas réglé le problème de manière
satisfaisante. Si on prend un exemple d'ailleurs, si on regarde l'histoire des
postes, ce n'est pas parce qu'il y a eu des lois spéciales aux postes
que cela a réglé le problème. Cette année, ils ont
négocié. Il n'y a pas eu de loi spéciale. Ils ont
signé une convention collective et espérons que cela puisse
améliorer le fonctionnement de ces établissements.
Pour l'autre point: est-ce qu'on n'a pas fait de suggestions pour savoir
où nous envoyer les factures en certaines circonstances, je pense bien
que vous connaissez nos adresses et que vous savez qu'ayant assumé des
responsabilités à un moment donné il y a encore des
factures qui nous arrivent de temps en temps pour des décisions qui ont
été prises par les années passées. Je pense bien
que c'est le ministre de la Justice ou le ministre des Finances qui encaisse
cela quelque part. On ne souhaite pas et on n'a jamais privilégié
les dépassements des cadres qui sont fixés, mais on pense que ce
n'est pas, non plus, en ajoutant des contraintes, en faisant en sorte que ce
qui est légal une journée soit illégal le lendemain, que
ce qui est considéré comme légal par l'ensemble des
travailleurs soit jugé illégal par un juge parce que l'avis est
en retard ou que telle procédure n'a pas été tout à
fait conforme au Code du travail, qu'on va régler les
problèmes.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest: Oui. Il y a un côté, évidemment,
surprenant à votre mémoire. Je pensais à une boutade d'un
ancien ministre du Travail, M. Bellemare, parce que vous "drivez"
allègrement dans vos revendications. M. Bellemare pourrait dire qu'il y
a du "swing" dans le manche dans vos revendications. Mais il y a quand
même un certain nombre de choses, en tout cas, que vous n'avez pas
inventées en présentant
votre mémoire, parce que cela fait longtemps - en tout cas,
certainement depuis la commission Martin-Bouchard et bien antérieurement
à cela - qu'on discute de la matière négociable, entre
autres, dans le domaine de la fonction publique et pour les professionnels, du
champ des exclusions.
Le problème du piquetage, c'est un problème dans le
domaine des relations de travail qui existe. Le problème de toute la
présence du judiciaire et des injonctions, bien sûr, cela ne m'a
pas étonné, la nature des revendications. Je pense même que
sur ce dernier sujet il y a des engagements ou des expressions d'intention qui
ont été manifestés, si je ne m'abuse, par le ministre du
Travail lui-même, de revoir ce problème, tout le problème
des préavis. Dans votre mémoire, il y a beaucoup de choses,
finalement, il y a peut-être un peu trop de choses.
Ce qu'il y a d'étonnant - et, là-dessus, je rejoins le
ministre - c'est que votre mémoire ne fait aucune espèce de
référence au problème spécifique des services
essentiels et, en particulier, de l'exercice du droit de grève dans les
hôpitaux. Ma réaction est un peu analogue. Je pense qu'il y a un
problème. L'argumentation in absentia parce que l'Association des
hôpitaux a affirmé des choses que M. Rodrigue ne pouvait pas
contester sur le champ, des affirmations qui ont été faites ce
matin. Il amène des informations ou des corrections qui lui sont
fournies par des représentants syndicaux de l'hôpital Christ-Roi
et de l'hôpital du Saint-Sacrement. On ne sait, au moment où on se
parle, si l'Association des hôpitaux n'est pas en train d'appeler les
directeurs médicaux de ces deux hôpitaux pour venir demain matin,
si jamais elle revient dans un "interpatronal", je ne sais trop, contester ces
chiffres. (18 heures)
Cela illustre ce que j'ai dit ce matin. Au fond, il y a une chose que
cette commission n'est pas encore parvenue à établir d'une
façon claire. Je comprends les mémoires et toutes les
démarches que les syndicats ont faites, toute la logique du droit de
négociation des travailleurs, etc., et toutes les conséquences
avec le droit de grève, fort bien. Mais on ne sait pas, ce que j'ai dit
ce matin à l'Association des hôpitaux, si vous avez effectivement
raison de dire que le droit de grève dans les hôpitaux ne cause
que des inconvénients, selon le vocable que tous vos mémoires ont
utilisé, ou si, effectivement, comme d'autres nous l'ont dit, ce sont
des abus extrêmement graves.
L'opinion publique, là-dessus, a porté son jugement, elle
l'a manifesté, à tort ou à raison. Nous, bien sûr,
avec tous les défauts et toutes les carences qu'on peut avoir, on peut
nous prêter toutes les intentions comme membres de l'Assemblée
nationale, on est sensibles à ce problème, à cette
perception que l'opinion publique a de l'exercice du droit de grève dans
le secteur hospitalier. On ne peut pas l'écarter d'une façon
aussi générale que ce mémoire l'a fait. Quand vous
êtes venus, les syndicats d'infirmières, la CSN ou quelques autres
qui sont dans le secteur, bien sûr, à l'occasion, on a eu à
vous poser des questions spécifiques. Vos mémoires particuliers
étaient, la plupart du temps, beaucoup plus nuancés sur cet
aspect que cette présentation que vous faites.
Pour les fins de notre commission, je trouve que cela ne règle
pas le problème, cela ne nous apporte pas d'information précise
à savoir si, oui ou non, les mécanismes actuels pour fournir les
services essentiels sont ou non adéquats.
Je vous avoue qu'après maintenant quatre jours, je n'en ai pas eu
la démonstration. L'un vient dire une chose et on peut quasiment savoir
d'avance ce que les autres vont dire, et je sais qu'il n'y a pas de
données objectives là-dedans. Cela me prendrait autre chose que
des affirmations générales pour me convaincre qu'il n'y a pas de
problème ou bien qu'il y en a un et qu'il est catastrophique. On va
devoir, après cela, comme membres de l'Assemblée nationale,
arriver à apprécier la décision du gouvernement. Or, ce
matin, l'Association des hôpitaux dit avoir remis une liste, un
état de la situation dans les établissements hospitaliers quelque
part à la mi-octobre et que, trois semaines après, le
gouvernement est arrivé avec la loi 62, une loi dite de sursis, à
notre époque, c'est une loi-matraque, une loi dite de sursis ou de
suspension du droit de grève, enfin une loi qui enlevait le droit de
grève à toutes fins utiles. Moi, j'ai dit au ministre que le
gouvernement portait un jugement comme quoi il y avait des abus.
L'Association des hôpitaux est censée nous transmettre ce
document, je ne sais pas si c'est parvenu à nos bureaux, là on ne
le sait pas. Cet aspect, M. Rodrigue, vous le jetez par-dessus bord, parce que
je n'ai pas compris le sens de votre mémoire, si ce n'est que de
réitérer, au niveau de l'ensemble du Code du travail, une
série de revendications syndicales que vous aviez déjà
faites au moment de l'adoption, au moment de l'étude du rapport Bouchard
et sur lequel le gouvernement n'a pas donné suite à certains
types. Est-ce le sens de votre intervention de l'Intersyndicale cet
après-midi?
M. Rodrigue (Norbert): Juste un élément de
réponse, je voudrais dire d'abord et répéter ici que la
question des services essentiels dans les services publics, on n'a jamais
prétendu, je pense, personne, au niveau des organisations syndicales n'a
prétendu qu'il fallait qu'une grève fasse mal aux patients, pour
qu'on ait des effets.
Jamais on n'a prétendu cela, mais on a admis cependant qu'on
était préoccupé par les dérangements que cela
pouvait causer. Par conséquent, la proposition que nous faisons
unanimement ici, à la présente commission parlementaire du
travail, c'est effectivement la reconduction de l'expérience
antérieure et sur les autres aspects du Code du travail, on admet qu'on
touche à d'autres questions du Code du travail, mais on pense qu'il y a
une contribution concrète pour améliorer aussi les relations de
travail dans le secteur public, parce que cela a des effets.
Je voudrais vous le dire respectueusement, M. Rivest, vous pouvez tenter
de ridiculiser l'Intersyndicale et de faire rire en disant: L'Interpatronale
peut se présenter demain et contredire M. Rodrigue. On est
habitué à se faire mépriser et on ne se décourage
pas pour autant. Mais je voudrais vous dire cependant qu'en ce qui concerne
l'Intersyndicale, sa contribution est voulue, une contribution globale sur
l'ensemble de la problématique des relations de travail, et, notamment,
dans le secteur public, parce qu'on le dit explicitement, quant à nous,
quel est notre jugement.
Nous pensons, encore une fois ceci: Se pourrait-il, M. Rivest, que du
côté patronal, il y ait des idéologues, il y ait une
idéologie aussi, se pourrait-il qu'il n'y ait pas seulement dans les
syndicats que ça existe l'idéologie? Par conséquent, tous
ceux qui cherchent à restreindre l'exercice du droit de grève ou
qui cherchent à faire en sorte qu'on soit soumis à des arbitres,
quel est leur objectif ultime? Serait-il ultimement d'entacher nos droits
généraux sur le plan des droits des travailleurs, y compris la
syndicalisation?
Or, dans cette perspective, si le patronat est capable de soutenir,
devant cette présente commission parlementaire, que les travailleurs du
secteur public sont les mieux traités, les ronds de cuir du public,
comme vous nous appelez souvent, par rapport au privé, est-ce que
ça se peut qu'on vienne soutenir ici qu'il n'y a pas de
différence sur le plan de la législation qui doit exister et
qu'effectivement les comparaisons utilisées par le patronat ne sont pas
toujours justifiées, quand on compare le public et le privé?
Peut-on soutenir ça devant vous, M. Rivest?
C'est la question fondamentale qui se pose pour les travailleurs
québécois. Et, quand on regarde les fermetures d'usines, quand on
regarde des forestiers qui ont fait une grève d'un an et quand on
regarde d'autres situations qui traînent, nous, on pense que ces
situations ont des conséquences sur l'ensemble de la
société québécoise et, par conséquent, on
appelle le gouvernement et l'Opposition à faire en sorte que, dans
l'avenir, il n'y ait pas de mesures coercitives qui fassent verser les parties
dans un éternel recommencement d'affrontement, de rapport de forces sur
des questions qui sont fondamentales comme les services essentiels et où
on estime qu'on doit faire les efforts pour s'entendre.
M. Rivest: Ce que, M. Rodrigue, je cherche à comprendre,
c'est que, quand j'ai fait allusion aux faits qui sont absolument
contradictoires, d'ailleurs, depuis le début, des situations, c'est que,
je vous avoue, je n'accorde pas plus de crédibilité à ce
que l'association des hôpitaux ou à ce que vous nous dites, mais
sauf que, où va-t-on la prendre la vérité exacte de la
situation vécue dans les situations... C'est la première
chose.
Je sais que ce que j'ai voulu dire, c'est que ça pouvait
continuer ad infinitum et finalement le problème qu'on a à
diagnostiquer, les éléments d'information, où se
trouvent-ils? On sait les affirmations de principe, on sait que, ce que vous
avez appelé les idéologies, existent, elles sont tout à
fait légitimes et elles appartiennent aux gens qui y croient et qui ont
foi, ça, c'est incontestable. Mais les données de faits pour nous
permettre de juger, ça va être l'Assemblée nationale,
à tort ou à raison, mais enfin c'est l'Assemblée
nationale, tant qu'on n'aura pas trouvé quelque chose de mieux, qui va
le faire. C'est ça le sens de ma préoccupation.
M. Rodrigue (Norbert): Un dernier élément de
réponse, en ce qui me concerne; d'autres pourront ajouter autre chose.
Je voudrais dire à M. Rivest, très respectueusement, que
ça va faire cinq jours demain que la commission siège. Ca fait
deux fois que je viens ici répondre à des questions, ça
fait deux fois que je répète les faits, M. Rivest, les faits
concrets.
Vous en avez appelé souvent aux faits au cours de cette
commission. Qu'est-ce que c'est, les faits concrets? Pendant quinze ans, cela a
été le bordel. On se le dit franchement. La dernière fois,
cela a mieux été. Le concret, c'est ça. Cela a
été plus positif. On a avancé et, en conséquence,
continuons d'avancer. C'est ça qu'on dit.
M. Rivest: M. Rodrigue ou quelqu'un d'autre, quand, dans votre
mémoire, vous avancez l'idée d'une uniformisation des
systèmes, enfin de tout le régime de négociation entre le
public et le privé -c'est ce que je crois comprendre de votre
mémoire - par exemple quand vous réclamez la grève, le
droit de grève en tout temps, par exemple, quand vous réclamez
ça dans votre mémoire, objectivement, dans les hôpitaux,
est-ce qu'une telle disposition... Est-ce qu'il ne faut pas y penser deux fois
avant de reconnaître une telle disposition
par rapport à ce qui risque de se passer dans une entreprise
commerciale ou industrielle? Est-ce que les conséquences, pour une
chaîne de production et pour un hôpital, des mesures que les
administrateurs nous disent qu'ils doivent prendre lorsqu'ils
appréhendent une grève, c'est-à-dire de réduire le
taux d'occupation... Est-ce qu'il y a à ce point une identité
entre le secteur public et le secteur privé pour qu'on puisse, de cette
manière-là, prévoir un régime de relations de
travail qui soit analogue? Je comprends qu'il y aura les services essentiels,
mais pour le droit de grève en tout temps, par exemple, est-ce que vous
ne voyez pas des distinctions, des nuances ou des éléments qui
pourraient nous aider à porter un jugement sur une telle
revendication?
M. Rodrigue (Norbert): Je voudrais juste souligner, avant que
Robert réponde plus exhaustivement, et dire ceci - et je vous le dis
pour longtemps, à part cela - Ce n'est pas parce que le droit de
grève n'existe pas qu'il n'y aura pas de grève.
La réponse n'est pas là, premièrement.
Deuxièmement, sur l'élargissement du droit de grève,
ça ne veut pas dire des grèves n'importe quand. On ne veut pas
avoir ici et on ne demande pas à la société
québécoise de nous reconnaître le droit de faire la
grève n'importe quand, dans n'importe quelles conditions, pour n'importe
quoi. On s'est dit responsable et on pense l'être. Sauf que, dans des
situations concrètes, on pense qu'effectivement... Il y a des
grèves, M. Rivest, actuellement, qui se présentent, subito
presto, spontanément. Les employeurs sont avertis plusieurs semaines
d'avance parce que les relations de travail pourrissent. Ils savent que
ça s'en vient; il y en a, ça arrive. En conséquence, on
dit: Pourquoi ne pas fixer des règles qui feraient en sorte que les
parties seraient obligées de régler les problèmes quand
ils se présentent, plutôt que de les accumuler? C'est un principe
de base. Robert va ajouter sur les autres dimensions, les autres aspects.
M. Gaulin: Je n'ai pas tellement de choses à ajouter. Je
crois que la règle de base, le principe qui est là, c'est de ne
pas laisser pourrir des situations, ou ne pas laisser s'accumuler des conflits,
ou ne pas concevoir les relations de travail comme étant: Tu signes une
convention collective pour trois ans, les travailleurs sont liés par le
contrat, ils doivent respecter la convention collective, mais l'employeur peut
agir, peut changer ces conditions de travail en échange d'une
procédure de griefs qui, au niveau des grands groupes, est rendue d'une
inefficacité exemplaire. Quand un travailleur est suspendu, est
congédié et que ça prend deux ans avant que son
problème soit réglé, à savoir si l'employeur avait
raison ou pas, c'est rendu des situations absolument inacceptables. C'est une
mécanique qui pouvait peut-être fonctionner à certains
niveaux et qui ne fonctionne pas ailleurs.
On dit qu'il y aurait lieu, par conséquent, si l'employeur ou si
les circonstances amènent des changements de conditions de travail ou
des modifications, que ça ouvre sur de la négociation. C'est dans
le cadre d'une ouverture, d'une acceptation d'une négociation qu'il
pourrait y avoir ouverture sur une grève éventuelle. Ce n'est pas
l'instauration d'un régime de sauvagerie où, demain matin, c'est
à qui s'essaie. C'est dans une perspective où il y a des
règles à établir, des processus d'avertissement, des
invitations à la négociation, de manière que les conflits
qui sont réels se solutionnent et qu'on évite l'accumulation de
conflits inutiles qui ne font que rendre les conflits plus importants, avec
plus d'impact, créant des problèmes de la nature que ceux que
vous soulevez à l'occasion des services essentiels. Onze organisations,
ici, admettent l'importance de la question des services essentiels. Je crois
que c'est une admission de poids, une admission fondamentale. On pense que la
solution est du côté de l'expérience qui a
été faite. Il y aura peut-être des abus, et c'est
malheureux. Il faut faire en sorte de les régler le plus rapidement
possible. Ce n'est pas en réglant aujourd'hui les abus, s'il y en a eu
en 1979, qu'on va trouver la solution, mais on pense que c'est par
l'intervention des parties, en faisant remonter l'information du syndicat
à la centrale de l'association patronale à l'association
nationale, par l'intervention de ces agents, qu'on pourra corriger le plus
rapidement possible les situations. Cela a été
expérimenté, cela aussi, et on pense que cela aide à
corriger les situations. Ce n'est tout de même pas en faisant une
commission parlementaire le troisième jour d'une grève dans le
secteur public, pour additionner, pour écouter tout le monde à
savoir s'il y a des abus, s'il n'y a pas d'abus, faire le tour de l'ensemble
des hôpitaux, qu'on va trouver la solution adéquate. Je crois que
les gens les mieux placés, ce sont ceux qui sont un peu en
autorité ou en relation avec leur "membership. " Je crois et les
associations croient davantage à l'intervention d'un responsable d'une
organisation nationale auprès de son affilié - la même
chose du côté patronal - qu'au recours à des experts ou
à des pseudo-tribunaux pour entendre et recueillir l'information, puis
savoir quatre jours après s'il y avait un abus ou s'il n'y en avait pas.
(18 h 15)
M. Rodrigue (Norbert): Pour se parler franchement, en Australie,
ils ne l'ont pas le droit de grève, mais les qars et les filles font la
grève sur les sentences arbitrales,
parce qu'ils ne sont pas satisfaits.
M. Rivest: Si vous permettez, je ne veux pas prolonger mais il y
a un autre aspect également sur lequel je voudrais avoir des
commentaires additionnels de la part de M. Rodrigue ou de quelqu'un d'autre.
Quand on parle de conditions de travail, bien sûr, on soumet cela
à la libre négociation. Puis survient une grève. Au niveau
de l'intervention de l'Assemblée nationale - la façon dont c'est
rédigé est un peu curieuse -on dit, à la page 13: "Par le
Code du travail, le gouvernement employeur s'est conféré un
pouvoir extraordinaire de suspendre la grève qu'entreprendraient ses
employés. " En fait, je pense que vous convenez, en vous
référant au Code du travail, que c'est l'Assemblée
nationale qui a mis cela dedans. Donc, l'autorité de l'Assemblée
nationale sur le plan des principes est restée, c'est l'Assemblée
nationale qui a mis cela dans le Code du travail. Mais, sur l'intervention de
l'Assemblée nationale, je pense, M. Rodrigue, que vous avez dit que,
contrairement peut-être à ce qui apparaît à la
première lecture, prima facie, de votre texte, si une situation
très grave se manifeste, il faut quand même prévoir que
l'autorité de l'Assemblée nationale ne peut pas
disparaître. Ce que vous contestez dans votre réclamation, c'est
que l'Assemblée nationale confie cette décision au gouvernement
que vous dites employeur, mais en fait au Conseil des ministres. Vous dites
à chaque fois, si jamais cela se passe - compte tenu de
l'expérience, c'est arrivé très souvent dans le
passé, on en convient - ces cas très exceptionnels, il faudra
toujours que cela vienne par une loi et non pas par un décret
ministériel. Est-ce que c'est le sens de votre revendication à la
page 13?
M. Rodrigue (Norbert): C'est le sens, et on dit qu'il ne faut pas
abuser de cela, ce pouvoir là. On est dans une société
démocratique, bien sûr, mais il ne faut pas abuser de cela. On a
connu trop de lois spéciales dans le passé.
Je voudrais vous retourner le problème, M. le
député de Jean-Talon. Pendant que votre parti était au
pouvoir, je me souviens personnellement d'avoir demandé au
ministère des Affaires sociales de l'époque de fermer une
institution à Thetford Mines parce que les enfants étaient
maltraités et votre représentant du ministère des Affaires
sociales n'avait même pas eu le courage de venir jusqu'au
troisième étage avec moi pour la visiter. Ce sont les
travailleurs qui ont décidé de mettre fin à leur propre
emploi et de revendiquer la fermeture de l'institution parce qu'il n'y avait
pas d'autre moyen de corriger la situation des enfants. Après ça,
on va venir me parler des travailleurs qui ne sont pas conscients, des
travailleurs qui ne respectent pas l'être humain, etc? Eh, que je ferais
donc attention à votre place avant de parler comme ça trop
longtemps!
M. Rivest: M. Rodrigue, remarquez, il y a trois semaines, dans un
centre pour jeunes détenus à Québec, j'ai reçu
moi-même des représentants des syndicats; vous êtes
probablement au courant, je pense que ce sont vos syndiqués qui ont
soulevé un problème absolument analogue. Personne ne va remettre
ça en cause. Sauf qu'à un moment donné l'Assemblée
nationale comme telle et le gouvernement doivent tracer la ligne, il n'y a pas
d'autre arbitre de l'intérêt public dans une société
dite démocratique que le gouvernement. Le gouvernement lui-même,
comme vous le soulignez, a ses idéologies qui peuvent ne pas être
partagées par tellement de monde. Mais tant et aussi longtemps qu'on va
fonctionner dans une société qui est celle-là et, comme je
le disais tantôt, qu'on n'aura pas trouvé de mécanisme
meilleur que celui de l'Assemblée nationale, il va bien falloir que
ça existe et qu'on vive avec ce régime qui est à la base
même de notre démocratie. Cela me semble incontestable, c'est la
seule mise au point que je veux faire.
M. Rodrigue (Norbert): Quelque gouvernement que ce soit, on pense
que l'Assemblée nationale ne doit pas exercer sa souveraineté
pour des questions électorales, pour quelque élection partielle
que ce soit.
M. Rivest: Oui, mais le point, c'est que l'Assemblée
nationale est aussi responsable vis-à-vis de l'ensemble de la
population. Les gens se prononcent si elle l'exerce mal.
M. Rodrigue (Norbert): On ne met pas la démocratie en
cause, on est soucieux de la démocratie, justement. On dit qu'il ne faut
pas l'utiliser de n'importe quelle manière et à outrance, parce
que ç'a toujours des limites, l'utilisation à outrance des
mesures coercitives comme les lois spéciales. C'est ce qu'on dit. Vous
avez constaté ça dans votre expérience.
M. Gaulin: À un moment donné, ça devient
inefficace. Des lois spéciales, même si elles sont
spéciales, ne sont pas respectées, parce que c'est trop facile
aussi. Bien sûr, c'est la démocratie. Nous vivons dans une
démocratie ouverte. Mais nous vivons dans un régime parlementaire
qui a ses règles du jeu, qui fait qu'il y a un Conseil des ministres qui
est à la fois responsable des offres patronales aux tables de
négociation, responsable de la préparation des lois et
responsable, d'une certaine manière, de la majorité. Quand la
majorité est acquise, on présente un projet de loi
devant l'Assemblée nationale. Les débats ne se font pas
toujours après audition des deux points de vue, par exemple, parce qu'il
y a deux points de vue en cours de négociation, et les choses se votent
assez rapidement.
Il y a cela aussi dans l'histoire. Je ne sais pas à combien on
est rendu, si c'est le no 12 ou le no 13, depuis 1967, en termes de lois
spéciales. Mais il y a des gens qui ont dit: Avec tout le respect qu'on
doit au Parlement et au régime parlementaire dans lequel on vit,
regardez, attention, il y a un recours facile et abusif, une pratique
d'utilisation facile du Parlement pour se donner l'impression qu'on
règle des problèmes. Et on ne les a pas toujours
réglés.
Je crois que, s'il y a nécessité d'utiliser le Parlement,
ce devrait être certainement placé dans un contexte de ne pas
avantager l'employeur et de ne pas rechercher, comme objectif, de modifier les
règles du jeu parce qu'elles ne font plus notre affaire en
négociation.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants de l'Intersyndicale. La commission élue permanente
du travail, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu
suspend ses travaux jusqu'à 20 heures alors que nous reprendrons avec
l'audition du mémoire de la Fédération canadienne de
l'entreprise indépendante.
(Suspension de la séance à 18 h 22)
(Reprise de la séance à 20 h 09)
Le Président (M. Rodrigue): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre et
de la sécurité du revenu reprend ses travaux. Je rappelle que le
mandat de cette commission est d'entendre les personnes et organismes
relativement à l'examen des moyens d'améliorer le régime
de négociations dans les secteurs public, parapublic et
péripublic et, de façon plus particulière, l'étude
des moyens qui permettraient d'améliorer le maintien des services
essentiels lors des conflits de travail dans ces secteurs.
Fédération canadienne de l'entreprise
indépendante
Ce soir, nous entendrons en premier lieu le mémoire de la
Fédération canadienne de l'entreprise indépendante et
j'invite les représentants de cette fédération à
prendre place à l'avant et à nous présenter leur
mémoire. Le mémoire sera présenté par M.
Clément, si je ne m'abuse. Si vous voulez nous présenter la
personne qui vous accompagne et procéder à la présentation
de votre mémoire, M. Clément.
M. Clément (Pierre-Richard): M. le Président, M. le
ministre, mesdames et messieurs de la commission, il me fait plaisir, tout
d'abord, de vous présenter M. Brian Gray, qui est à ma droite,
directeur des affaires provinciales de la fédération.
La Fédération canadienne de l'entreprise
indépendante est un organisme d'action politique non partisan qui
regroupe 60 000 petites et moyennes entreprises au Canada, dont 12 000 au
Québec. La fédération fait fonction de porte-parole
auprès des organismes publics en vue de représenter les
intérêts des propriétaires de petites et moyennes
entreprises, que ce soit au niveau provincial ou au niveau
fédéral. Sans plus tarder, je vais lire le mémoire qu'on
vous a déposé.
Les relations de travail dans les secteurs public, parapublic et
péripublic au Québec, depuis l'adoption en 1964 du Code du
travail qui accordait à ces secteurs le droit à la libre
négociation et à la grève, n'ont jamais été
des plus harmonieuses. En effet, depuis 1966, les rondes de négociations
ont donné lieu à des affrontements patronaux-syndicaux et
à des conflits prolongés causant parfois des torts
irréparables à certains individus et à l'économie
en général. Les perspectives d'avenir ne sont guère plus
reluisantes puisque le nombre de grèves, le nombre de travailleurs en
grève et le temps perdu en conflits de travail dans ces secteurs
augmentent constamment.
Ces nombreux arrêts de travail ont un impact sérieux et
direct sur la petite et moyenne entreprise. Par contre, certaines grèves
dans le secteur public n'affectent pas le milieu des affaires de la même
manière ni avec la même sévérité. De loin,
les grèves successives des postes sous juridiction
fédérale ont causé les plus sérieux dommages.
Les grèves dans le secteur public sont généralement
accompagnées du retrait des services essentiels, c'est-à-dire les
services jugés comme minimum impliquant une très grande
responsabilité vis-à-vis du public tout en étant
assurés par un monopole supporté par les impôts des
contribuables. Donc, paradoxalement, à l'inverse du secteur
privé, ce sont les usagers qui en subissent les conséquences.
D'une façon plus significative, quand les employés du secteur
public font la grève, ils privent le public qu'ils servent plutôt
que l'employeur. C'est là, croyons-nous, une distinction
fondamentale.
Les différents groupements des secteurs public, parapublic et
péripublic, bien que diversifiés, partagent des
caractéristiques qui les distinguent du secteur privé en ce qui
concerne les relations de travail et les négociations collectives. Ces
organisations du
secteur public représentent un monopole de services tout en
jouissant d'une plus grande sécurité d'emploi et de
bénéfices marginaux plus étendus que nous retrouvons
généralement dans le secteur privé, surtout chez les
PME.
Leurs conditions de travail font qu'aujourd'hui ces employés
constituent une classe privilégiée en ayant obtenu en surplus les
salaires les plus élevés. Ce statut provoque dans le secteur
privé, non seulement un effet d'entraînement, mais surtout un
effet démobilisateur que ce soit par la non-création d'emplois ou
les mises à pied. Cette situation a pour effet de rendre
incohérente l'économie tout en stimulant l'inflation et le
chômage.
En fait, il est pratiquement impossible de chiffrer et de quantifier les
effets négatifs que des conflits prolongés provoquent sur
l'économie québécoise tellement leurs implications sont
nombreuses. Mais du moins, toutes les parties s'entendent pour dire que
l'esprit du régime de négociation dans les secteurs public et
parapublic est négatif puisqu'il consiste en des affrontements
persistants.
Donc, le consensus est clair, dix-sept ans après l'adoption du
Code du travail québécois, on constate la désuétude
du régime de négociations collectives dans le secteur public
qu'on avait calqué sur celui qui prévalait dans le secteur
privé. Peut-être aura-t-il fallu que la crise économique
que nous connaissons actuellement rende la situation urgente pour que les
autorités se ressaisissent et lancent le mot d'ordre de la
concertation.
Ici nous allons faire un tour d'horizon de ce qui existe dans d'autres
pays. Presque tous les pays industrialisés ont connu depuis 1960 des
relations de travail pour le moins mouvementées dans le secteur public.
La plupart ne reconnaissent pas le droit de grève pour leurs
employés ne permettant même pas la libre négociation
collective dans son sens le plus large.
Cette situation reflète un principe généralement
admis que le gouvernement est souverain et représente la seule
autorité devant contrôler son budget et son administration. (20 h
15)
Le Japon est sûrement unique dans ce concert de nations sur au
moins deux aspects. On a accordé le droit de grève très
brièvement après la seconde guerre aux employés du secteur
public et aux travailleurs des industries nationalisées pour le leur
retirer en 1946 et en 1958. De plus, les arrêts de travail dans certains
secteurs ont été suivis par des mesures disciplinaires
très sévères. L'Angleterre également est une
exception, car on n'y fait pas de distinction entre le secteur public et le
secteur privé quant aux relations de travail. De tout temps, les
négociations collectives dans le secteur public viennent en conflit avec
les politiques économiques et administratives des gouvernements. Le
Québec et le Canada sont sûrement les plus libérales parmi
les nations permettant le droit de grève dans le secteur public, les
autres pays ne reconnaissant que de facto le droit de grève sans une
garantie légale et formelle. Même en Grande-Bretagne, les
employés du secteur privé n'ont pas le droit de faire la
grève, mais un droit de facto existe.
Il semble bien, selon tous les témoignages entendus depuis
plusieurs années, que les relations de travail dans le secteur public
soient dominées par une ligne de conduite commune, un rapport de forces
politique. Nous ne ferons aucunement état des causes et des effets
appuyant cette assertion. D'autres l'ont déjà fait avant nous.
Cependant, si on se place au niveau des principes mis en cause par cette
donnée fondamentale dans le débat en cours, il est possible de
dégaqer certains corollaires acceptés dans toute
société qui se dit sociale-démocrate. Ainsi, le rapport
Martin-Bouchard formule le principe que ne serait aucunement fondée,
selon l'économie de nos lois du travail, une intervention dont l'objet
serait d'abord et avant tout, explicitement ou implicitement, d'altérer
unilatéralement l'équilibre des forces en présence. Nous
ne comprenons pas la logique d'une telle attitude.
Les syndicalistes, eux, au contraire, ont réussi à
capitaliser sur ce pseudo-équilibre en négociant
unilatéralement en leur faveur comme, par exemple,
l'établissement d'un front commun négociant la masse salariale.
On ne voit pas pourquoi le législateur n'en ferait pas autant, surtout
quand les conditions socio-économiques s'y prêtent admirablement
bien.
Un rapport de forces politique suppose des assises structurées
qui engagent un certain consensus dans la société ou des groupes
représentés. Quelquefois, la faiblesse de l'un est la force de
l'autre. À d'autres occasions, la conjoncture est favorable a une ligne
de conduite des affaires de la cité qui est en complète
contradiction avec les intérêts d'un groupe donné. Nous
estimons que le gouvernement est en mesure aujourd'hui de corriger les
tendances exercées par certains leaders qui - il faut le souligner ici -
avaient peut-être raison dans le passé d'agir de la sorte. Le
gouvernement a aussi droit à la libre négociation s'il croit
légitimement qu'il y va de l'intérêt de la
communauté.
Par ailleurs, nous ne croyons pas que les travailleurs qui choisissent
d'exercer leur métier ou leur profession dans un domaine où leur
mission est publique et d'intérêt général ont les
mêmes droits et obligations que ceux ou celles dont la fonction est de
nature plus
économique et productive. On sait que le fonctionnaire doit
prêter un serment d'allégeance et de loyauté
vis-à-vis de l'État, donc, des contribuables. Cette
allégeance à l'autorité constituée repose davantage
sur des motifs d'ordre public que sur des motifs de simple efficacité
administrative.
On pourrait d'ailleurs en dire autant de toutes les obligations de
service de la fonction publique. Elles ont valeur de règles de conduite
minimales en raison principalement du caractère unique de la mission de
l'État. L'essence de ces obligations qui conditionnent tout le statut
juridique de la fonction publique transparaît dans les serments
d'allégeance, d'office et de discrétion que les fonctionnaires
doivent, pour la plupart, prêter dès leur entrée en
service.
Ainsi, l'État n'est pas un employeur ordinaire, tout autant que
ses employés. Si l'exclusion de la notion de salarié était
étendue à tout employé rendant des services à la
société, lesquels constituent un quasi monopole, nous croyons que
les droits et obligations de chacune des parties pourraient être
définis autrement.
Nous pouvons noter à cet égard que certains vont
jusqu'à dire que l'une des obligations dévolues à
l'État dans un tel contexte est d'assurer la stabilité de
l'emploi. Cette notion est concordante d'une telle définition dans la
mesure où ces employés, eu égard à leur fonction,
n'auraient plus la liberté d'association, de négociation dans un
cadre similaire au secteur privé. Rien n'empêche les
employés de former une association vouée à la protection
de leurs droits et devoirs face à un pouvoir politique qui pourrait
devenir autocratique.
Donc, la mission des employés détenant un monopole dans un
service public est différente en soi de celle des travailleurs du
secteur privé où la loi du marché et la
productivité, dans son sens le plus étroit, constituent les bases
d'une entente essentiellement économique. Établie sur cette base,
la notion du droit de grève deviendrait caduque.
Les dirigeants impligués dans la gestion des ressources humaines
sont aux prises avec un imbroglio quant au droit de gérance battu en
brèche dans les conventions collectives.
Il est immensément souhaitable que la productivité dans
son sens le plus large soit rétablie au sein de la fonction publique.
Nous nous interrogeons, à cet égard, à savoir si le droit
de gérance peut être absolu dans une situation où
l'employé, dont la raison d'être tient à son engagement au
service de l'ensemble de la collectivité, n'est pas plus en mesure
d'établir avec ses supérieurs sa classification, son classement,
le cheminement de sa carrière, etc. Surtout, dans un contexte où
le gouvernement tient à une forme de décentralisation et de
rapprochement avec les besoins des citoyens, peut-être qu'une
participation plus grande des employés à la définition de
leurs tâches rétablirait un climat de confiance et
d'émulation dans leur milieu de travail.
La FCEI s'est déjà prononcée contre le droit de
grève dans le secteur public. 95% de nos membres se sont
prononcés contre ce droit. La solution quelquefois proposée est
celle de l'arbitrage obligatoire où les paramètres devant mener
à une entente sont choisis en relation étroite avec le secteur
privé, que ce soit aux niveaux québécois, canadien et
même international.
Il est évident qu'il existe des difficultés
inhérentes à l'arbitrage obligatoire. Il est certes plus facile
pour un arbitre de porter un jugement sur les salaires que sur les clauses
normatives ou bénéfices marginaux, telles les conditions de
travail, les promotions, les vacances, etc. En effet, si la
comparabilité représente un principe de justice et
d'éguité, il est loin d'être aisé dans son
application. Est-ce que les comparaisons doivent être fondées sur
la moyenne générale dans le secteur privé, qu'on soit
syndiqué ou non, dans une grande ou une petite entreprise?
Quel que soit le moyen choisi, les difficultés demeurent.
Cependant, nous croyons que les citoyens seraient plus en mesure de juger des
conditions prévalant à un climat plus harmonieux des relations de
travail dans un contexte où les partenaires socio-économiques
seraient représentés à une même table et feraient
acte de concertation afin d'établir une certaine éguité
dans tous les groupes de la société.
Toutes les solutions envisagées par la fédération,
que ce soit la conciliation ou l'arbitrage, par un tribunal obligatoire, sont
loin d'être parfaites. Cependant, il est temps que le gouvernement prenne
ses responsabilités, afin de définir un nouvel encadrement
régissant les conditions de travail qui sont propres à la
fonction publique. C'est pourquoi nous proposons les étapes suivantes,
dont un moratoire permettant à toutes les parties impliquées de
redéfinir leur position.
Nous avons scindé en deux nos recommandations; d'abord, à
court terme, tel que je vous le présente actuellement:
Que le gouvernement établisse, en concertation avec tous les
agents socio-économigues du Québec, un moratoire de trois ans sur
toute grève dans les secteurs public, parapublic et péripublic;
retire la masse salariale du champ des négociations; confie à un
conseil économique et social le soin de déterminer les
paramètres d'une telle masse salariale sur une base consultative; confie
aux organismes patronaux et syndicaux la mission d'en négocier les
applications au niveau sectoriel; modifie la détermination des
services essentiels par ceux des services minimaux, opérés
par une régie permanente formée d'experts de différents
milieux des deux parties; décrète que les articles 19b et 19c du
Code de travail, c'est-à-dire le vote secret, soient officiellement
inclus dans la loi 95.
Les recommandations à long terme se lisent comme suit:
Que le gouvernement établisse clairement la mission des
employés du secteur public et abolisse la notion de salarié;
accorde la priorité à une saine gestion des ressources humaines;
abolisse le droit de négociation collective et le droit de grève
dans tous les secteurs, à certaines exceptions près; permette
à ses employés de participer à la gestion administrative
de leurs tâches.
Enfin, en termes de conclusion, à chaque époque
troublée, les forces vives de toute nation dont les leaders sont le
moindrement éclairés se regroupent afin de corriger les tendances
néfastes à son développement harmonieux.
Dans les années soixante, les employés de l'État se
sont regroupés à la faveur du renouveau qui balayait le
Québec d'un passé ombrageux. Il y avait un immense fossé
à combler. C'est, en fait, l'État et ses nombreuses constituantes
créées durant ces deux décennies qui ont donné
l'impulsion économique et sociale dont le Québec avait un grand
besoin. Cette nouvelle génération de leaders et de technocrates
qui ont pris les commandes a su remplacer le manque de leadership
qénéralisé du monde des affaires québécois
et imprégner une évolution plus conforme à ce qui se
produisait ailleurs dans les autres pays industrialisés.
Mais aujourd'hui, la conjoncture est totalement différente et les
citoyens qui ont supporté cette marche en avant sont essoufflés.
Nous devons reprendre des forces ailleurs, ayant acquis des bases solides dans
le secteur public.
C'est pourquoi nous nous interrogeons sur la déclaration du
président du Conseil du trésor qui justifie la réduction
des dépenses publiques dans le contexte de la présente
récession économique par ces mots: "II ne s'agit pas de favoriser
l'entreprise privée dans un désengagement de l'État, mais
plutôt de maintenir et consolider le rôle du gouvernement comme
"moteur émancipateur des Québécois" par un contrôle
serré des finances. "
Les indépendants croient que l'heure est arrivée au
Québec où c'est maintenant l'entrepreneurship qui prendra la
relève et donnera cette seconde impulsion visant à un
mieux-être de la population.
Le rôle du gouvernement est dorénavant d'appuyer sur les
freins tout en favorisant les énergies nouvelles qui se sont fait jour
dans la société québécoise.
Le Président (M. Rodrigue): Merci. M. le ministre du
Travail.
M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier la
Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Si
vous me le permettez, M. le Président, comme mon collègue, le
député de Roberval, a particulièrement examiné ce
mémoire, je lui céderai immédiatement la parole. Je sais
qu'il a un certain nombre de remarques et de questions à poser en notre
nom.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Roberval.
M. Gauthier: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier
la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante
d'avoir présenté, dans un document aussi complet, son point de
vue sur le sujet qui nous intéresse tous ici.
À première vue, je dois dire que c'est pour le moins
étonnant de voir certaines remarques qui sont incluses dans ce
mémoire, non pas que c'est dénué de tout
intérêt, bien au contraire, mais je trouve que le jugement que
vous portez parfois sur le système public et parapublic est
particulièrement sévère. C'est très certainement le
jugement le plus sévère qu'il nous a été
donné d'entendre ici lors des travaux de cette commission.
J'aurais quelques questions à vous poser et vous pourriez les
noter pour m'apporter une réponse globale.
D'abord vous faites état, à la page 4 de votre document
plus précisément, du statut particulier du secteur public que
vous dites avoir un effet démobilisateur, si j'ai bien compris, sur
l'ensemble des autres travailleurs du système privé. J'aimerais
que vous expliquiez davantage cet énoncé qu'on retrouve à
la page 4 de votre document.
Enfin, au bas de la page 4 de votre document, vous parlez
d'affrontements persistants dans les domaines public et parapublic, ce qui
m'étonne un peu - et j'imagine que vous avez suivi les travaux de cette
commission - quant au nombre de jours de grève et à la
dureté des affrontements qui ont eu lieu dans les systèmes public
et parapublic. Au dire des rapports qui nous sont soumis et au dire même
de certaines associations patronales qui ont eu à subir directement les
conflits, les grèves ont été moins difficiles à
régler, les ententes au niveau des services essentiels ont semblé
se faire en plus grand nombre, possiblement de meilleure qualité. Enfin,
ce sont des idées qui ont été véhiculées
lors de témoignages précédents.
J'aimerais savoir à partir de quels documents, de quels travaux
vous avez pu dégager un énoncé comme celui-là sur
les affrontements. De la façon dont cela est présenté, on
a l'impression que c'est de plus
en plus difficile alors que l'idée contraire se dégageait
des témoignages précédents.
Vous faites également état très largement dans
votre document de ce qui se passe ailleurs, dans d'autres pays, et vous ne
semblez aucunement tenir compte - en tout cas je ne l'ai pas vu dans le
document, je ne l'ai pas senti - d'une réalité sociologique qui
est peut-être différente de celle de certains pays qui sont
mentionnés ici à titre d'exemple. Encore là, il faut
peut-être être prudent sur des affirmations comme celles que vous
faites puisqu'on a fait état également, dans les jours
précédents, qu'à certains endroits où on avait
retiré un droit de grève qui était déjà
acquis, cela avait créé plus de problèmes, puisque
c'étaient souvent des grèves sauvages que les employés
faisaient et c'était véritablement au détriment de
l'ensemble de la société. (20 h 30)
Enfin, il y a également, à la page 11 de votre document,
un paragraphe qui me laisse un peu songeur - a priori, c'est empreint d'une
certaine naïveté - quand on fait état du serment de
loyauté, du serment d'allégeance, de fidélité,
etc., de l'ensemble des fonctionnaires de l'appareil gouvernemental. Je me pose
des questions dans la réalité d'aujourd'hui, en 1981, à
savoir s'il n'y a pas effectivement certains problèmes sociaux, certains
problèmes syndicaux, certains problèmes personnels qu'on
relègue parfois au second plan ou auxquels on accorde moins d'importance
qu'on devrait en accorder pour parler de ce soi-disant serment
d'allégeance et de fidélité. Cette notion m'a
frappé, je la trouve empreinte d'une certaine naïveté de
penser que ce serment d'alléqeance pourrait peut-être
régler bien des problèmes des secteurs public et parapublic. Cela
fait plutôt bizarre. J'aimerais avoir des explications là-dessus,
peut-être avez-vous une vision différente de la mienne à ce
propos.
À la page 13 de votre document, vous dites: "Quel que soit le
moyen choisi, les difficultés demeurent. " C'est le troisième
paragraphe. "Cependant, nous croyons que les citoyens seraient plus en mesure
de juger des conditions prévalant à un climat plus harmonieux des
relations de travail dans un contexte où les partenaires
socio-économiques seraient représentés à une
même table et feraient acte de concertation afin d'établir une
certaine équité chez tous les groupes de la
société. "
C'est lié, je pense, à une de vos recommandations. En tout
cas, j'aimerais avoir des explications là-dessus et j'aimerais que vous
nous expliquiez plus en détail de quelle forme de concertation il est
question là-dedans. S'agirait-il de négocier avec le
système privé, de négocier la convention du système
public avec des gens de l'entreprise privée? Je ne sais pas si j'ai bien
compris ce qu'il y avait derrière cette recommandation ou cette
phraséologie, mais cela demanderait un peu plus d'explications pour la
bonne gouverne de cette commission.
Enfin, à la page 14 de votre document, vous recommandez d'abord
clairement d'enlever le droit de grève dans les secteurs public et
parapublic et vous donnez comme cinquième recommandation: "Modifier la
détermination des services essentiels par ceux des services minimaux
dirigés par une régie permanente formée d'experts de
différents milieux et des deux parties. " Il y a quelque chose qui me
paraît un peu étonnant. S'il n'y a plus de droit de grève,
qu'est-ce que cette recommandation - si je la comprends bien - qui concerne les
services essentiels vient foutre dans le décor?
Vous pouvez toujours commencer à répondre à ces
questions et on verra par la suite.
M. Clément: J'aimerais tout de suite commencer par une de
vos dernières questions sur la naïveté de notre proposition
face au serment d'allégeance ou de loyauté des employés du
secteur public. Quand on regarde les mémoires présentés
jusqu'à présent à cette commission depuis quatre jours, on
peut s'interroger pour savoir qui est le plus naïf dans les circonstances.
Je prends ici le journal des Débats de la première
journée, c'est-à-dire du mardi 15 septembre. M. Rodrigue,
textuellement, y dit ce qui suit en réponse à une question de M.
Marois: "Deuxièmement, si vous me le permettez, l'autre
élément est que la régie proposée par le Conseil du
patronat, je peux déclarer ici que, pour nous, c'est une loi qui, si
elle devait être adoptée, ne serait pas respectée parce
que, encore une fois, il y a quelqu'un qui va se substituer aux parties
impliquées. "
On a fait état ici pendant cinq jours des droits de chacune des
parties où très peu souvent des responsabilités incombent
à ces parties. Dans un tel contexte, quand on vient nous dire que si on
enlève le droit de grève, les syndicats vont faire la
grève quand même, je pense que c'est vraiment un arqument qui,
dans la société d'aujourd'hui, ne devrait jamais être
avancé, surtout par le gouvernement, quand on sait que les lois sont
là pour être respectées par tout le monde, qu'elles fassent
son affaire ou non. Il s'agit d'un rapport de forces politiques, ces
négociations dans le secteur public. On le sait très bien. Alors,
qui est le plus fort dans la société? Est-ce que ce sont les
syndicats ou le gouvernement qui représente les citoyens, non pas
seulement un groupe dans la société, mais tous les groupes? Nous
croyons, aujourd'hui, qu'il existe une certaine forme d'injustice par rapport
à d'autres groupes dans la société, où ces
employés sont rendus à avoir des avantages vraiment en dehors des
normes, mais quand on dit que
cela a un effet démobilisateur, c'est ça qu'on veut
dire.
N'allez pas demander à un entrepreneur de petite et moyenne
entreprise de payer une secrétaire au même niveau que celle du
secteur public. Il n'est pas capable de faire cela. Ce n'est pas parce qu'il ne
voudrait pas ou qu'il ne veut pas lui donner des conditions de travail.
Écoutez, le Conseil du patronat s'est déjà
prononcé contre le droit de grève et maintenant il a viré
capot, si on peut dire, mais il s'attarde au mécanisme, à la
tuyauterie d'une régie des services essentiels. On peut s'interroger
là-dessus aussi. Le Conseil du patronat ne représente pas les
petites et moyennes entreprises, il représente de grosses corporations.
Les cadres des grandes corporations aujourd'hui sont aussi bien payés
que ceux des secteurs publics. Pour eux, cela ne représente pas un
problème de compétitivité.
L'effet démobilisateur existe. La naïveté, c'est de
croire qu'on peut remettre entre les mains d'un groupe donné la
responsabilité de gérer, dans un moment de crise, des services
qui sont payés par des contribuables, et ces services, ils n'ont pas le
choix d'aller ailleurs. Un employé qui choisit d'aller travailler dans
le secteur public sait dans quel cadre il s'en va, pourquoi on lui donnerait le
droit de faire la grève lui aussi. Écoutez, nos membres ne sont
pas contre le droit de grève dans le secteur privé, ils se sont
déjà prononcés pour le droit de grève dans le
secteur privé, mais ils sont contre le droit de grève dans le
secteur public parce qu'ils font une distinction fondamentale. Je pense que
ça c'est très important.
Concernant votre question sur la recommandation à court terme -
page 14 -on sait très bien que le gouvernement actuellement n'est pas en
faveur d'abolir le droit de grève dans le secteur public. C'est
évident qu'on a mis cette recommandation de créer une
régie permanente si jamais le gouvernement ne décrétait
pas de moratoire dans le secteur public.
M. Gauthier: Ces recommandations, si je comprends bien, vous en
avez mis pour à peu près toutes les situations. C'est ce que vous
êtes en train de me dire. Si on accorde le droit de grève, on
prend celui qui s'applique et si on ne l'accorde pas, on prend les
autres...
M. Clément: Naturellement, cette recommandation, c'est
dans la mesure où il n'y a pas de concertation et il n'y a pas de
moratoire de décrété. On aimerait que la
détermination des services essentiels soit... Mais on ne veut pas entrer
dans ce mécanisme. Depuis cinq jours, on parle ici à la
commission du mécanisme des services essentiels. Pour nous, il y a des
questions plus fondamentales encore.
M. Gauthier: Si vous me permettez, à tout hasard, cette
recommandation serait sensiblement la régie des services essentiels dont
le Conseil du patronat nous proposait la mise sur pied.
M. Clément: C'est ça. À peu près dans
un cadre similaire.
M. Gauthier: D'accord.
M. Clément: Je ne sais pas, est-ce que cela répond
à vos questions?
M. Gauthier: II y en a quelques-unes qui semblent avoir
été laissées de côté. Je vous ai
demandé, entre autres choses - vous parlez des affrontements persistants
dans le secteur public - je voudrais savoir si vous avez eu des sources de
référence pour affirmer qu'il n'y avait aucune
amélioration dans les affrontements, parce que l'ensemble des groupes
qui ont paru ici nous avaient laissé voir qu'il y avait eu des
améliorations, autant au niveau des ententes qu'au niveau de la
difficulté à gérer le conflit. J'aimerais savoir quelles
sont vos sources.
M. Clément: En 1980, il y a eu au-delà de 4 000 000
de jours-personnes perdus. Cela a été l'année record
après celle de 1976. Je ne vois pas une amélioration marquante de
ce côté. Ces 35, 9% de jours-personnes perdus proviennent du
secteur public et c'est un taux beaucoup plus élevé que celui de
1976, alors que c'était seulement 22%. On voit une progression
très forte des conflits dans le secteur public à l'encontre du
secteur privé. Regardez les statistiques. On l'a mis en annexe à
notre document. En 1977, dans le secteur public sous juridiction provinciale,
il y a eu 14 000 travailleurs de touchés; en 1978, 66 000; en 1979, 113
000 et en 1980, il y en a eu 200 000.
M. Gauthier: Ce sont les personnes touchées par le
conflit. Ce ne sont pas des jours-hommes de travail perdus.
M. Clément: Non, non, les travailleurs touchés.
M. Gauthier: D'accord, parce que là, il y a quand
même une nuance.
M. Clément: Dans les jours-personnes perdus, il y a une
progression constante depuis 1976. Il y a eu un sommet en 1976, mais, de 1977
à 1980, cela a augmenté. Â chaque ronde de
négociations, la situation empire. Peut-être que la
mécanique s'améliore avec le temps, mais pourquoi les citoyens
sont-ils aujourd'hui contre le droit
de grève à 85%? Je pense que cela dénote quand
même une insatisfaction généralisée dans l'opinion
publique face à une situation intenable et qui crée une injustice
chez d'autres groupes dans la société.
M. Gauthier: Vous avez recommandé l'abolition du droit de
grève purement et simplement. On a fait état, dans les jours
précédents, qu'il y avait eu, à des endroits où,
justement, on avait retiré ce droit de grève ou tout simplement
chez des groupes d'emploi où le droit de grève n'était pas
reconnu, des grèves sauvaqes qui ont été
particulièrement dommageables. Vous avez sûrement
écouté les témoiqnages à cet effet. Je voudrais
savoir si cela ne vous a pas porté à réfléchir
quelque peu sur cette recommandation d'enlever purement et simplement le droit
de grève.
M. Clément: On peut quand même adopter une attitude
qu'on pourrait qualifier de dure, c'est-à-dire qu'on peut se dire que,
si on enlève le droit de grève et que les syndicats exercent ce
même droit de grève quand même, on peut arriver à des
conclusions et dire: On peut enlever la personnalité syndicale, enlever
l'accréditation. On peut même les congédier. C'est plein de
jeunes chômeurs instruits qui attendent que la porte s'ouvre pour
remplacer ces gens.
M. Gauthier: Une solution à la Reagan, si je comprends
bien.
M. Clément: Non, non, mais, sans aller dans des situations
comme celle-là, je pense que, dans un contexte juridique où tout
est clair, quand la grève est illégale, elle est illégale;
à ce moment-là, il y a des recours juridiques qui peuvent
s'exercer d'une façon beaucoup plus simple, beaucoup plus facile que
dans un contexte où la grève est légale et où, de
toute façon, les syndicats viennent vous dire ici que le droit de
grève existe seulement en théorie, parce que, de toute
façon, le gouvernement adopte des décrets pour abolir ce droit de
grève. Pourquoi ne pas jouer franc-jeu et déterminer un contexte
de négociation collective qui soit propre vraiment à ces
employés qui ont une mission, dans la société,
complètement différente de celle des autres travailleurs?
M. Gauthier: Je pense qu'il n'y a pas eu de réponse
à ma question. On parlait des partenaires socio-économiques du
gouvernement dans la négociation. J'aimerais que ce soit
explicité davantage. Quels mécanismes prévoyez-vous et les
partenaires socio-économiques, c'est qui? C'est à la page 13 de
votre document, au troisième paragraphe. (20 h 45)
M. Clément: En fait, il s'agit d'un conseil
économique et social, lequel a déjà été
proposé par le ministre d'État au Développement
économique et qui tarde à être créé depuis un
an. Ce conseil économique et social doit regrouper les principaux agents
socio-économiques du Québec, soit les secteurs syndical,
patronal, gouvernemental. Je pense qu'un organisme comme celui-là est
peut-être en mesure d'établir des paramètres qui,
justement, vont amener une certaine équité dans la
société, c'est-à-dire qu'il va être en mesure de
juqer des demandes syndicales dans le secteur public qui soient quand
même en relation avec ce qui existe ailleurs dans la
société.
M. Gauthier: Ce que vous préconisez, c'est de
déterminer les conditions de travail des gens des secteurs public et
parapublic à partir d'une comparaison avec le secteur privé, ce
que, effectivement, on essaie de faire en général. Les conditions
de travail seraient déterminées par un conseil
socio-économique, par ce conseil dont vous venez de nous parler?
M. Clément: C'est cela.
M. Gauthier: Merci beaucoup.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président.
Également, au nom de l'Opposition, nous aimerions vous remercier
pour votre mémoire.
Concernant ma première question, je pense que vous l'avez un peu
abordée, c'est-à-dire que pour des raisons que vous avez
justifiées dans votre mémoire, les conséquences de
l'exercice du droit de grève dans le secteur privé et dans le
secteur public, naturellement, ne sont pas les mêmes. Dans le secteur
privé cela a des conséquences plutôt pécuniaires sur
l'employeur, tandis que dans le secteur public cela a des conséquences
sur la qualité des services aux citoyens.
Ma première question, vous pourriez peut-être
l'étayer un peu plus, mais je me réfère à une
déclaration du ministre du Travail, il y a quelque temps, à
savoir que l'abolition du droit de grève dans le secteur public nous
mènerait à un chaos social, c'est-à-dire le non-respect
des lois. Évidemment, vous en avez discuté un peu
tantôt.
Concernant ma deuxième question, sans s'embarquer trop dans la
tuyauterie mais simplement sur une question de principe, vous dites dans vos
recommandations à court terme que la détermination des services
essentiels serait effectivement faite par une régie permanente, avec les
deux parties. Si je comprends bien, naturellement, au
préalable, les deux parties au niveau local tenteraient, je
présume, d'en arriver à une entente sur la détermination
des services essentiels, et si jamais cela achoppait, à ce moment, la
régie entrerait en ligne de compte. Je pense que c'est cela que j'ai
compris, vous pourrez nous répondre.
J'aurais une troisième question. Dans vos recommandations
à long terme vous dites qu'il faudrait éventuellement en arriver
à l'abolition du droit de négociation collective et du droit de
grève des employés dans tous les secteurs, à certaines
exceptions près. Au niveau du secteur privé comme, par exemple,
la distribution du gaz ou des choses comme cela, je présume que vous
avez la même interprétation face à ces services qui sont en
fait publics, mais gérés de façon privée. Je
voudrais que vous me donniez votre opinion là-dessus.
M. Clément: Sur la première question qui revient
toujours, le chaos économique, le chaos social appréhendé
face à une mesure comme l'abolition du droit de grève, les
policiers et les pompiers n'ont pas le droit de grève et on n'a pas de
chaos social de ce côté. Pourquoi? Je vais vous poser la question
et j'aimerais que le ministre y réponde. Pourquoi ne pas permettre aux
policiers et aux pompiers de faire la grève eux aussi? Est-ce qu'ils ne
font pas partie du secteur public? Est-ce qu'ils ne sont pas des citoyens comme
les autres? Est-ce que ce ne serait pas parce, dans le fond, le gouvernement,
dans son essence, serait en danger de tomber si la police faisait la
grève? Est-ce que c'est vraiment un secteur plus essentiel que les
malades, comme tel? J'aimerais que le ministre me réponde à
cela.
M. Marois: M. le Président...
Le Président (M. Rodrigue): M. le ministre du Travail, de
la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.
M. Marois:... volontiers, sans abuser, sans prendre trop de
temps, parce qu'il y a d'autres collègues qui veulent intervenir, je
peux bien m'expliquer à nouveau pour la énième fois.
Il y a une différence fondamentale, à moins qu'on ne
tienne pas compte des réalités. Je vous donne mon opinion, elle
vaut ce qu'elle vaut, mais j'avoue que, jusqu'à maintenant, rien m'a
amené à me convaince du contraire. Chacun peut avoir ses
évaluations et ses appréhensions; ce qu'on cherche, c'est
d'améliorer les choses; je pense que personne ne veut qu'on se retrouve
dans des situations pires. On peut appeler cela le chaos ou pas le chaos,
chacun a ses expressions et j'ai aussi les miennes. Donc, il y a une
différence fondamentale entre des gens à qui, en 1964, on a
accordé un droit, qui est le droit de négociation, et le droit de
grève. Il y a des gens qui ne l'ont pas.
C'est une chose que d'examiner la possibilité de retirer un droit
pour le remplacer par autre chose et c'est une autre chose que de faire le
constat qu'un certain nombre de personnes n'ont pas ce droit. Les
conséquences ne sont pas les mêmes du tout. À mon avis, si
on retire une chose qui est là, il faut mesurer la portée du
qeste quand on sonqe à faire des changements fondamentaux comme
ceux-là. Il faut quand même, me semble-t-il, qu'on ait un minimum
de garanties au moins en conscience, que la situation va s'améliorer et
non pas se détériorer.
Vous me permettrez de vous rappeler -on ne remonte quand même pas
au déluge -qu'il y a eu une fin de semaine dont certains citoyens et
citoyennes, ayant cruellement vécu la situation, ne sont pas près
d'oublier, ça s'est appelé le week-end rouge; ce n'étaient
pas des gens qui avaient le droit de grève, pourtant. Il y a eu, dans la
dernière ronde de négociations - on l'a rappelé depuis le
début de nos travaux - des gens qui pourtant avaient prêté
le serment d'Hippocrate, qui n'avaient pas le droit de grève et qui
l'ont fait quand même. Ce n'est pas une raison... Je ne préconise
pas et je ne prêche pas l'anarchie, bien au contraire, il faut être
suffisamment responsable et conséquent pour trouver les moyens de faire
en sorte, comme cela a été évoqué durant les
travaux de notre commission, que les lois que se donne une
société par son Parlement soient respectées, mais on ne
peut pas non plus, du revers de la main, balancer des situations de fait et,
à mon avis, faire comme si. Je pense que ce n'est pas si simple que
ça.
Je pourrais allonger la liste. Présentement, au moment on se
parle, il y a une grève en Nouvelle-Écosse qui implique du
personnel infirmier, etc. Ils ont un droit légal de grève,
d'après les renseignements que j'ai, il n'y a rien de prévu dans
les règles ou le - entre guillemets - "code du travail" de la
Nouvelle-Écosse en ce qui concerne le maintien, comment on assure,
comment on garantit les services essentiels dans ces conditions. On a eu des
contacts encore aujourd'hui avec les gens du ministère du Travail de la
Nouvelle-Écosse. Ce n'est pas particulièrement rigolo ce qui se
passe là et je ne nous le souhaite pas.
La dernière fois qu'il y a eu une grève du genre en
Nouvelle-Écosse, vous savez combien de temps elle a duré? Deux
mois. Je ne dis pas que je nous souhaite ça et, en plus, c'est
compliqué par un contexte X, Y, Z. Chacun a son contexte social et
économique, c'est ce que je dis. Il y a des nuances de taille quand on
remet en question des choses pour, dans le fond, quel objectif?
Un objectif fondamental qui a, à mon avis, deux volets. Un:
trouver les formules permettant de mettre un terme à des abus, quel
qu'en soit le nombre. Je suis d'accord avec le député de
Jean-Talon qui dit et répète, depuis le matin, que c'est
difficile à quantifier et à cerner. C'est vrai, il y a des choses
qui sont difficiles à quantifier quand ça touche les humains, il
y a des abus; qu'il y ait un, deux, cinq, dix cas, c'est un, deux, cinq, dix
cas de trop. Il me semble que, comme société, on doit être
capable de trouver les moyens pour faire en sorte que ces abus ne se produisent
pas pour que, deuxièmement - et c'est ça qui est fondamental - ce
que j'appelle le droit des autres, le droit des hommes et des femmes d'avoir
accès aux soins, aux services essentiels directs, leur soit garanti dans
une société qui se respecte.
M. Clément: J'aimerais peut-être ajouter à
ça qu'il y a beaucoup de personnes responsables dans la
société qui ont participé, depuis quinze ans, aux
négociations dans le secteur public, qui ont été
impliquées d'une façon assez proche dans ces négociations
et qui en sont venues à la conclusion qu'il n'existait pas d'autre moyen
civilisé de régler la situation. Ce n'est pas qu'elle soit
parfaite. C'est évident qu'il pourra toujours y avoir des qrèves
même s'il n'y a pas de droit de grève. Ils en sont arrivés
à la conclusion qu'au moins dans le secteur des affaires sociales - vous
le savez très bien, M. le ministre - il fallait l'enlever parce que la
situation n'est pas contrôlable. Est-ce que le chaos peut être plus
grand quand les services essentiels ne sont pas donnés lorsqu'il y a une
grève légale que quand il y a une grève qui est
illégale? De toute façon, les services essentiels ne sont pas
donnés. Mais au moins dans un cadre juridique différent, cela
permet d'avoir une vision plus claire de qui sont les parties et de qui est
responsable finalement.
Cet après-midi, le député de Jean-Talon
s'interrogeait à savoir qui dit la vérité. Est-ce que ce
sont les patrons qui viennent dire que les services essentiels ne sont pas
donnés, qu'il n'y avait pas assez d'employés dans tel
département ou si c'est le syndicat? Écoutez, que le patron ou
les syndicats disent deux choses différentes, ce sont les citoyens qui,
eux, croient qu'ils n'ont pas les services essentiels. Que ce soit dans le
secteur de l'hydroélectricité, que ce soit dans le secteur du
gaz, comme vous le mentionniez tout à l'heure, ils n'ont pas le choix de
se brancher ailleurs et ils paient pour cela. Alors, c'est un contexte
complètement différent. Pourquoi tenter de rendre le
régime semblable au secteur privé alors qu'il est
différent dans son essence? On s'en ira toujours dans un cul-de-sac tant
qu'on n'aura pas une société idéale où tout le
monde sera responsable et prendra ses responsabilités.
Encore une fois, je le répète, les syndicalistes qui sont
venus ici à la commission n'ont pas démontré tellement, je
pense, une ouverture d'esprit pour améliorer le régime dans le
sens que le gouvernement voudrait bien le voir. Tout à l'heure, j'ai dit
que les personnes qui avaient été impliquées dans le
secteur public, vous le savez très bien, vous ont recommandé
d'enlever le droit de grève dans le secteur des affaires sociales et
même d'enlever la personnalité syndicale de ces syndicats qui ne
respecteraient pas ce droit. Je pense que ces gens-là sont quand
même assez en mesure de juger des implications et des difficultés
inhérentes à un tel régime. En fait, c'est notre
vision.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest: Si vous me le permettez, avant de passer la parole
à mon collègue de Marguette. M. Clément, vous
référez au fait que c'est difficile d'avoir des données -
c'est ce que j'ai dit - vérifiables ou quantifiables. On se bat à
savoir s'il y avait 50 personnes ou s'il y en avait 25 dans un
établissement. On essaie de réfléchir dans cette
perspective. On sait qu'il y a eu des cas d'abus, qu'il y a eu des cas
où les services essentiels... Cela est clair. Malqré ce que les
syndicats peuvent dire, j'ai acquis la conviction profonde qu'il y a eu des
situations inacceptables, 5, 10, 15, 20, je ne sais trop, mais certainement
trop nombreuses et, à tous égards, comme le disait le ministre,
une est déjà un problème extrêmement important.
Finalement, la décision qu'on doit prendre - je pense que c'est
un peu le plaidoyer que les malades ont fait et même M. Tardif, cet
après-midi, au nom des personnes âgées est venu nous le
dire -c'est: Est-ce que, comme société, on doit introduire - je
réfléchis actuellement là-dessus - quand il s'agit de
malades... Je parle uniquement dans le domaine hospitalier. Est-ce que le
risque que l'on fait courir à des personnes qui se trouvent
malheureusement dans la conjoncture dans un établissement et qui
arrivent en plus victimes d'une situation de... Est-ce qu'on a le droit, comme
société... Au fond, c'est au niveau des principes et des valeurs
profondes que l'on a. On peut affirmer le principe de la primauté de la
santé et de la sécurité sur d'autres choses. Même
là on arrive difficilement à obtenir des accords là-dessus
de certains porte-parole syndicaux, à obtenir l'affirmation de ce
principe. Sans doute le font-ils par le biais des mécanismes de services
essentiels, mais, quand on reqarde la pratique des services essentiels, ce
qu'on en sait, ce qu'on peut évaluer, la question que
je me pose et que nous nous posons en ce qui nous concerne, pour
conclure à un raffermissement des pratiques et des systèmes dans
ce domaine-là, c'est: Est-ce qu'on a le droit, comme
société, moralement, d'exposer des personnes à des dangers
au niveau de leur santé et de leur sécurité? (21
heures)
Ma collègue, la députée de L'Acadie, l'a
évogué ce matin, lorsqu'elle rappelait au ministre du Travail, de
la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu que dans le domaine
de la santé et de la sécurité des travailleurs, en vertu
de la nouvelle loi qui a été adoptée, si un travailleur
croit que sa santé ou sa sécurité est en danger par un
travail qu'on lui fait faire, il a le droit -enfin, il y a bien des
modalités, mais le principe c'est ça - de refuser de faire ce
travail. On donne cela à une personne qui dispose de tous ses moyens,
etc., qui est en pleine santé. Mais la question que nous nous posons, et
elle est extrêmement sérieuse quant à nous, c'est: Est-ce
qu'on a le droit d'exposer des gens qui arriveront dans les urgences ou
n'importe où, qui devront se battre sur les lignes de piquetage, qui,
étant dans les établissements hospitaliers, verront leurs soins
comptés au compte-gouttes et surtout qu'ils verront déterminer
comme étant la résultante d'un rapport de forces où on va
négocier les services essentiels? Je me le pose comme ça et je
pense que c'est l'idée de mes collègues, est-ce qu'on a le droit
de maintenir un tel système? Nous avons de très sérieuses
interrogations là-dessus et je pense que c'est un peu ce que l'opinion
publique exprime lorsqu'on lui demande d'une façon un peu simple:
Êtes-vous pour ou contre le droit de grève? L'opinion publique,
à quelque 80%, je ne sais trop, répond: On est pour l'abolition
du droit de grève.
Ce que les gens veulent signifier par là, beaucoup plus que les
mécanismes de relations de travail, les gens veulent dire: Cela n'a pas
d'allure qu'on expose la santé et la sécurité des gens
à l'occasion d'un conflit de travail.
Est-ce que c'est un peu la perspective que vous essayez de
développer et que vous évoquiez dans votre...
M. Clément: En fait j'élarqirais votre question.
Est-ce qu'on a le droit d'exposer les gens à une situation vraiment
dangereuse? Est-ce que cela est plus dangereux dans un contexte où on a
le droit de faire la grève ou dans un contexte où on n'a pas le
droit de faire la grève? Dans le fond, c'est cela la question. Si on a
déjà le droit de grève, c'est là que c'est
peut-être plus difficile de revenir en arrière, mais la
conjoncture est complètement différente aujourd'hui de ce qu'elle
était il y a quinze ans. La société évolue,
j'espère qu'elle évolue et je pense qu'elle évolue. Autant
dans le passé les employés du secteur public étaient des
pions avec lesquels on jouait à tout bout de champ selon le bon vouloir
politique, autant, aujourd'hui, ces gens-là ont un pouvoir que je
qualifierais d'immense par rapport à ce qu'ils font dans la
société - je ne veux pas minimiser leur travail - par rapport
à ce qu'ils représentent et à ce qu'ils amènent
comme élément à la collectivité.
Est-ce que ce sont eux qui doivent diriger le gouvernement ou si c'est
le gouvernement qui doit dire: Ecoutez, les barèmes, maintenant, c'est
ça? Dans tel encadrement, vous allez négocier maintenant. Je
pense qu'il y a beaucoup de ces membres, de ces syndicats qui s'interrogent
là-dessus maintenant. Je connais des gens qui sont syndiqués, qui
sont venus à la conclusion maintenant que le régime doit
être modifié. Même nous proposons une mesure assez
progressiste, je pense, de permettre aux employés de participer à
la gestion de leur tâche. Je pense que c'est quand même assez
évolutif comme proposition. Cela amène encore un pas en avant
vers un mieux-être des employés qui sont là pour servir les
citoyens et qui veulent avoir quand même aussi des conditions de travail
qui sont potables.
Les conditions de travail qu'ils ont aujourd'hui sont immensément
supérieures à celles d'autres groupes et les autres les regardent
comme ça en l'air et se disent: Qu'est-ce que nous faisons
maintenant?
M. Rivest: Je m'excuse, j'aurais peut-être une autre
question. Il y a une chose assez évidente. Vous avez parlé
tantôt - je pense que c'est vous ou un autre intervenant - de la
nécessité, à un moment donné, pour le gouvernement
d'intervenir. Vous étiez probablement ici au moment où on a
rencontré l'Intersyndicale alors que, pour ma part, j'ai dit: II faut
que le gouvernement, qui est le seul gardien de l'intérêt public,
puisse intervenir.
Vous avez évoqué la possibilité, et je pense que
vous avez posé la question: Est-ce plus dangereux pour un malade une
grève qui est faite dans la légalité, c'est-à-dire
où il y a droit de grève, qu'une grève qui est faite dans
l'illéqalité? Là-dessus, un élément de
réflexion, je pense que la réponse est assez claire.
J'émets une opinion personnelle, mais vous soulevez la question, il me
semble que les malades ont plus de sécurité dans le cas d'une
grève qui serait faite dans la légalité parce que la
légalité suppose un régime de droit au niveau de la
définition des services essentiels, à tout le moins au
Québec, aussi imparfaits qu'ils soient, et je suis convaincu qu'ils sont
profondément imparfaits actuellement, sauf que le gouvernement, à
ce titre, a développé des expertises d'évaluation.
J'étais au gouvernement - et je le disais à quelqu'un
pendant la suspension - en 1972 alors que cela a vraiment été
quelque chose d'épouvantable. Je dis épouvantable, mais en 1972,
un des problèmes - et je suis convaincu que c'était la même
situation vécue par les centrales syndicales, par les syndicats -
était que le qouvernement vivait pour la première fois à
l'échelle provinciale un conflit de cette envergure. Le ministère
des Affaires sociales était loin d'être équipé pour
faire au jour le jour une évaluation vraiment concrète, une
expertise vraiment juste et efficace des situations réelles qui se
développaient. Je suis aussi tout à fait convaincu que, du
côté syndical, c'était la même chose. On affirmait
allègrement et on défendait par des manifestations, des
débrayages et tout ce que vous voudrez le droit de qrève, le
droit à la libre négociation, les mécanismes
derrière la mise en place des services essentiels, c'est-à-dire
comment on répond rapidement, comment on amène trois
infirmières dans un service lorsque besoin il y a, etc. Je suis
convaincu que ces choses se sont améliorées.
On parle d'"amélioration", entre guillemets - de 1968 à
1972, de 1972 à 1976 et de 1976 à 1979. Il y a eu une maturation,
de part et d'autre, c'est indiscutable, mais, malgré cela - je pense que
c'était le sens de la question du ministre - quel est le risque qu'il
faut mesurer - je pense qu'il faut l'évaluer - quel est le risque que le
malade court dans une situation de grève illégale par rapport
à une situation de grève légale?
C'est la question que je vous pose. On a acquis cette expérience
au prix d'un coût humain que je ne voudrais pas qualifier, mais d'un
coût humain considérable en termes de santé et de
sécurité; on a exposé nos gens, mais on l'a acquis, comme
société, à un coût sans doute exorbitant et on l'a
maintenant. Nous allons réfléchir à cela et, pour
l'instant, notre opinion n'est pas tout à fait arrêtée de
ce côté.
J'aimerais que vous explicitiez votre affirmation. Vous dites ou vous
semblez dire - vous me corrigerez si j'ai tort - qu'il y a moins de risques -
finalement, c'est un peu à cela que revenait votre affirmation - pour
les malades dans le cas d'une qrève illégale que dans le cas
d'une qrève légale. Si vous voulez ma première impression,
je serais plutôt d'avis contraire. À moins que j'interprète
mal votre opinion, corrigez-moi s'il y a lieu, mais je voudrais que vous
répondiez à cette question: D'après vous, y a-t-il plus de
risques pour le malade dans le cas d'une grève légale que dans le
cas d'une grève illégale?
M. Clément: La question n'est peut-être pas de
savoir s'il y a moins de risques dans un contexte de grève, c'est de
savoir s'il y a un risque de qrève plus prononcé lorsqu'elle est
illégale. Ce peut être la première question qu'on peut se
poser.
M. Rivest: C'est cela. Le risque est inadmissible dans les deux
cas, j'en conviens.
M. Clément: Si on se place dans un contexte où la
grève est illégale, cela va sûrement ralentir les
élans syndicaux d'une manière assez importante, mais, s'il y a
une grève, de toute façon, qu'elle soit léqale ou
illégale, il y a toujours des risques pour les malades. On a vécu
le cas en Ontario récemment lors de la grève des hôpitaux.
La grève était illéqale, elle a duré plusieurs
jours mais, au moins, les citoyens sentent que, dans un tel contexte, ils ont
des recours qui peuvent être quand même assez sévères
si la loi, pas seulement sur le plan pécuniaire, je pense que si le
qouvernement lui-même met un cadre rigide dans un contexte de
grève illégale, ce n'est pas seulement les malades ou les
citoyens qui n'ont pas les services, mais aussi les syndiqués qui sont
dans une situation un peu plus risquée. Vous comprenez ce que je veux
dire.
M. Rivest: Oui, mais cela ne change rien pour la situation
objective du malade. Sa santé est menacée ou non, peu importe les
recours qui existent. C'est ce qu'il faut protéger, la santé et
la sécurité.
M. Clément: Oui, d'accord.
M. Rivest: Qu'il y ait toutes sortes de recours ancillaires...
cela ne change rien, si à un moment donné, il y a une personne
qui souffre dans sa santé et sa sécurité, qu'il y ait un
recours qui lui donne des compensations pécuniaires...
M. Clément: Écoutez, je vais vous poser la
question. Si les syndicats sont si responsables, comme ils le disent, ce sont
des gens qui viennent jouer au martyre. L'Intersyndicale est venue jouer au
martyre cet après-midi, avant le dîner. D'ailleurs, j'ai bien
aimé la remarque du ministre à cet éqard. Il était
vraiment temps que le gouvernement mette un peu les points sur les "i"
Mais, dans un contexte de qrève illégale, les qens qui
subissent cette qrève ne seront pas mieux que dans une situation de
grève illégale ou légale. Est-ce gu'on peut poser la
question aux syndicats? Est-ce que vous seriez prêts à rendre les
services essentiels dans un contexte où vous n'auriez même pas le
droit de qrève et vous la feriez la grève? On peut se poser cette
guestion. Vous êtes tellement responsables que vous êtes
prêts à mettre 50% des gens dans un département parce que
vous croyez que c'est
très important le droit des citoyens à avoir le minimum de
services.
Si vous faites la grève qui est illégale, allez donc quand
même travailler. Posez donc la question pour voir ce qu'ils vont vous
répondre. On peut donner les services essentiels dans un contexte de
grève illégale. C'est un cadre juridique. On parle ici de
responsabilité en tant que citoyen dans la société.
J'aimerais bien avoir la réponse à une telle question.
M. Rivest: Je ne veux pas prolonger le débat. Dans un
contexte de grève illégale, guelles que soient les intentions des
syndicats, il reste que c'est dans ce sens en tout cas que la réflexion
qu'on a eue... Par exemple, le mémoire du Conseil du patronat, dans un
contexte, s'oppose à enlever le droit de grève. Il réserve
sa position, mais il dit: Comme on ne veut pas se lancer dans cette voie, on
propose une régie avec des pouvoirs quasi judiciaires, etc.
Sans vouloir déformer la pensée des membres de la
Fédération de l'âge d'or, c'est ça aussi. C'est
qu'il y a un tiers dans le cas d'une grève légale qui peut
n'avoir que des problèmes qu'un mandat de constat de la situation, comme
le conseil actuel. Le syndicat demande le statu quo là-dessus. Je trouve
que c'est nettement insuffisant. J'ai des doutes considérables. Il reste
que sur la liste syndicale, je pense que cela est inadmissible.
Mais il reste que la formule du Conseil du patronat ou un tiers, dans le
cas d'une grève légale, il y a un tiers qui s'appelle un conseil
muni de pouvoirs X, Y, Z, mais de pouvoirs qui vont faire en sorte que les
ententes qui vont être négociées localement, qui seraient
négociées localement, et peut-être homologuées par
cet organisme... mais un organisme tiers qui émanerait d'un organisme
gouvernemental, soucieux de l'intérêt public, va faire en sorte
que dans le cadre d'une grève légale, il y a plus de garanties
que dans le cas d'une grève illégale où il n'y a rien par
définition qui est prévu dans notre législation. On ne
peut faire une loi et dire: On abolit le droit de grève. Les pompiers et
les policiers, selon le Code du travail, n'ont pas le droit de
grève.
Il n'y a rien dans le Code du travail, M. le ministre, à moins
que je me trompe, je serais surpris du contraire, qui prévoit la
façon dont les pompiers et les policiers doivent assurer les services
essentiels dans le cas de grève, parce que le Code du travail leur
interdit la grève. Quand on vit telle situation à
Montréal, quand les pompiers, à cause d'une sentence arbitrale,
n'ont pas accepté la sentence, le monde s'est trouvé devant un
vide juridique. Cela a l'air un peu simple de dire que c'était un vide
juridique; il n'y avait aucun mécanisme sur lequel des critères
objectifs voyaient à l'assurance des services essentiels, situation qui
serait tout à fait contraire dans le cas de la proposition du Conseil du
patronat. La proposition du Conseil du patronat du Québec dit: Nous
voulons une régie avec des pouvoirs quasi judiciaires pour faire en
sorte que les ententes conclues localement, dans le cas du mémoire, qui
seraient homologuées par le conseil, le conseil aura à y voir.
Là, il y a plus de protection. C'est ce que je veux dire. Ce n'est pas
autre chose que cela. (21 h 15)
Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée
de Maisonneuve.
Mme Harel: M. Clément, je n'ai pas très bien saisi
si vous recommandiez au gouvernement de déclarer la grève
illégale dans le secteur public pour le bien des malades ou si
c'était plutôt parce que les PME que vous représentez
n'étaient pas capables de payer les salaires, par exemple, aux
secrétaires - vous en avez parlé - qui leur sont payés
dans le secteur public. Vous avez beaucoup parlé de la gestion
coûteuse de l'État. Je me demande si vous nous proposez le
modèle de gestion des PME en vous rappelant que, dernièrement, il
a été rendu public que, sur 20 nouvelles PME, 19 devaient fermer
dans les dix années de leur fondation à la suite d'une mauvaise
gestion.
M. Clément: Mme Harel, je pense que c'est faire peu de cas
du déterminisme, de la détermination des entrepreneurs qui se
lancent en affaires et qui veulent réussir, mais qui, très
souvent, dans une conjoncture économique très difficile et aussi
dans une conjoncture où des salaires très élevés
payés dans d'autres secteurs ne leur permettent peut-être pas
d'avoir souvent des employés en nombre suffisant pour gérer leur
entreprise ou réussir à faire ce qu'ils devraient faire pour
réussir. Je n'ai pas tellement compris votre première question,
à savoir si notre mémoire serait basé, vu que les PME ne
sont pas en mesure de payer des employés au même niveau que...
Mme Harel: En d'autres termes, vous nous dites que les
employés des PME sont malchanceux. Faisons en sorte que tous les
employés du secteur public le deviennent. C'est ça?
M. Clément: Ce n'est pas ce que j'ai... Je ne pense pas
que ce soit dans mon mémoire, Mme Harel. J'aimerais bien que vous
m'expliquiez cette cogitation que vous avez eue là.
Mme Harel: À de nombreuses reprises, M. Clément,
quand il était question du bien des malades et des services essentiels,
vous avez répondu en faisant constamment allusion aux conditions de
travail plus avantageuses
des employés du secteur public.
M. Clément: Ne constatez-vous pas que les employés
du secteur public ont des conditions superavantageuses par rapport à ce
qu'on appelle même des patrons?
Mme Harel: Quel lien faites-vous entre la question des services
essentiels et les conditions normales, à mon point de vue, qui sont
faites par l'Ftat québécois comme employeur à ses
employés?
M. Clément: Vous voulez dire en pratico-pratique? Le fait
de permettre à des employés de ne pas se déplacer à
plus de 50 kilomètres... S'il y a un nombre trop élevé
d'employés dans un secteur, on ne peut pas les déplacer. Je veux
dire qu'il y a un paquet de clauses au niveau du secteur public qui sont
vraiment surévaluées par rapport à ce qui se passe dans le
secteur privé. Je ne dis pas que les conditions dans le secteur
privé ne peuvent pas être améliorées. Au contraire.
Il existe des syndiqués et des syndicats dans le secteur privé.
Nos membres sont d'accord pour le droit de grève dans le secteur
privé. Ils sont d'accord à une majorité des membres. Nous,
quand on fait voter nos membres, on fait voter tous les membres de
l'association par un bulletin à tous les mois sur différents
sujets. Ils se sont prononcés en faveur du droit de grève dans le
secteur privé. Ils se sont prononcés contre le droit des
employés à refuser un travail jugé dangereux par
eux-mêmes. Je ne pense pas qu'ils aient vraiment une attitude
rétrograde ou réactionnaire face à un encadrement des
relations de travail, mais ils sont capables de faire la distinction entre la
mission d'un employé de l'État et la mission d'un employé
du secteur privé. Quelles que soient les conditions de travail, notre
mémoire n'est pas basé sur les conditions de travail, mais sur
les principes fondamentaux qui devraient exister dans toute
société civilisée.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants de la Fédération canadienne de l'entreprise
indépendante.
Syndicat des agents de la paix de la fonction
publique
J'invite maintenant le Syndicat des agents de la paix de la fonction
publique à nous présenter son mémoire.
Le mémoire du Syndicat des agents de la paix de la fonction
publique nous sera présenté, si je ne m'abuse, par M. Marcel
Catellier.
M. Anderson (Jean-Guy): M. Maurice Corriveau.
Le Président (M. Rodrigue): Par M. Maurice Corriveau.
M. Corriveau, si vous vouliez nous présenter les personnes qui
vous accompagnent et par la suite présenter votre mémoire.
M. Corriveau (Maurice): M. le Président, M. le ministre,
honorables membres de cette commission, je voudrais tout d'abord vous
présenter les officiers de mon syndicat qui m'accompagnent. À ma
gauche, M. Jean-Guy Anderson, à ma droite, Me François
Côté qui est notre conseiller juridique, ainsi que M. Marcel
Catellier et, à mon extrême droite, M. Alain
Préfontaine.
J'aimerais vous préciser également que le Syndicat des
agents de la paix n'a pas la prétention d'avoir préparé un
mémoire sur le droit de grève dans les services essentiels, mais
peut-être plutôt d'apporter à cette commission un
témoignage: le témoignage d'un syndicat de la fonction publique
qui est accrédité depuis au-delà de quinze ans, qui n'a
jamais eu le droit de grève et qui a vécu et vit encore
présentement des situations très pénibles et très
difficiles.
Le Syndicat des agents de la paix de la fonction publique existe en
vertu de la Loi sur la fonction publique du Québec et regroupe dans ses
rangs environ 2700 membres, soit les surveillants en établissements de
détention, les agents de conservation de la faune, les constables
spéciaux du ministère des Travaux publics et de
l'Approvisionnement et de l'Assemblée nationale, les inspecteurs des
transports, les agents de pêcheries et enfin les constables du Tribunal
de la jeunesse.
Comme vous le savez sans doute, les agents de la paix n'ont pas le droit
de grève. Historiquement, cela remonte à 1966 et, depuis ce
temps, les agents de la paix n'ont plus de pouvoir de négociation. Il
peut vous paraître étrange qu'un syndicat qui n'a pas le droit
à la grève fasse une intervention devant une commission
parlementaire qui, justement, étudie la possibilité d'enlever ce
droit à d'autres travailleurs des secteurs public et parapublic.
Notre intervention se veut une mise en garde pour ces syndicats car nous
ne voyons pas de quelle façon ils pourraient négocier de futures
conventions collectives. Les gouvernements précédents et celui-ci
n'ont jamais été capables dans le passé de trouver un
substitut au droit de grève et, aujourd'hui, on veut faire croire qu'il
est possible de remplacer ce droit à la grève par un autre
pouvoir de négociation.
Si tel est le cas, nous, nous faisons savoir notre désarroi, car,
faut-il le répéter, depuis quinze ans les agents de la paix
attendent le Messie. Cela fait quinze ans que le Syndicat des agents de la paix
tente d'obtenir pour ses membres des conditions de
travail convenables, quinze ans qu'à chaque négociation le
même scénario se répète, quinze ans que les agents
de la paix essaient de trouver le moyen de convaincre le gouvernement du
bien-fondé de ses demandes.
Alors que le syndicat étale ses arguments les plus convaincants,
le gouvernement répond toujours par: Vous ne m'avez pas convaincu. Nous
nous sommes tellement fait répéter cette phrase que nous croyons
que le gouvernement devrait rééditer le disque, car le premier
est un peu usé et nous donne l'impression que l'aiguille s'est
arrêtée sur cette phrase.
N'ayant pas de pouvoir de négociation, le Syndicat des agents de
la paix de la fonction publique a toujours été à la
remorque des autres groupes d'employés de l'État. Heureusement
que ces groupes avaient le droit de grève, car nous en serions encore
à notre point de départ sur des clauses mineures. Même avec
une grève de quelques semaines chez les fonctionnaires provinciaux, par
exemple, qui aurait pour résultat de meilleures conditions de travail,
cela n'arrangerait en rien la situation chez les agents de la paix.
Alors, depuis quinze ans, sans aucun pouvoir de négociation, les
agents de la paix n'ont jamais - nous le disons bien - jamais été
capables d'obtenir des conditions valables pour leurs membres. Si le
gouvernement croit que l'arbitraqe d'une convention collective est la solution,
nous devons aviser nos confrères des autres organisations syndicales
impliquées que cela est complètement faux. Nous en parlons avec
expérience car, en 1973, nous avons tenté par ce moyen d'obtenir
ce qui semblait impossible par la voie d'une négociation normale. Mal
nous en prit, car nous avons goûté à la médecine de
ce système et nous ne sommes plus intéressés à y
retourner.
Que reste-t-il comme moyens de négociations? Peut-être que
les hommes politiques ont trouvé la solution à cette nouvelle
ère de négociations. Nous sommes impatients de connaître
cette nouvelle façon de négocier. Il faut également
ajouter que, sans droit de grève, les membres du Syndicat des agents de
la paix de la fonction publique n'ont pas le droit à des journées
d'étude ou à des ralentissements de travail. De plus, lorsque ses
membres se permettent des moyens de solidarité comme, par exemple, le
port du jeans pour tous les agents de la paix, le gouvernement répond
immédiatement par des menaces de relève provisoire. Imaginez un
peu la situation. Pas de droit de grève, pas de journées
d'étude, pas de ralentissement de travail, aucun moyen de faire savoir
son mécontentement. Le moindre petit geste posé par les agents de
la paix, même si le travail régulier n'est pas affecté, est
immédiatement réprimandé par les autorités.
Dans notre cas, le gouvernement a beau jeu, car il sait qu'il est en
présence d'agents de la paix, c'est-à-dire de personnes
chargées d'appliquer des lois, et que la formation professionnelle de ce
personnel les rend modérés dans leurs réactions. Mais la
modération a ses limites et, après quinze ans d'attente, de
frustration, de mécontentement, d'échecs, de refus successifs,
voilà qu'aujourd'hui l'employeur, dans toute sa magnificence, annonce
qu'il enlèvera le droit de grève, ce qui signifie pour les
travailleurs la perte de leur pouvoir de négociation.
Si la solution trouvée par le gouvernement est la même que
celle qui invite Ottawa à négocier avec les provinces, on ne
pourra pas la qualifier de trouvaille du siècle, car on en connaît
les résultats.
Pour que le gouvernement puisse se faire la main et mettre à
l'essai sa nouvelle formule de négociation, nous, du Syndicat des agents
de la paix de la fonction publique, nous nous offrons pour agir comme cobayes.
Mais nous vous avisons que le défi sera grand, car nos membres veulent
reprendre le terrain perdu, c'est-à-dire que cette nouvelle formule
miracle devra permettre un rattrapage de quinze ans.
Les observateurs seront les membres des syndicats des secteur? public et
parapublic; d'observateurs qu'ils seront, ils deviendront vite des juges. Un
syndicat regroupant 2700 membres, tous des agents de la paix, sans droit de
grève, c'est facile à mater, mais un syndicat de 40 000 à
50 000 membres, c'est une autre paire de manches car, sans droit de
grève, ces grands syndicats vont finalement se fatiguer de discuter dans
le seul but de déplacer des courants d'air. Mais au moins ils pourront
se consoler de n'avoir jamais eu à subir des lois matraques.
En conclusion, nous formulons deux souhaits. Dans un premier temps, que
le gouvernement démontre sa bonne foi envers un groupe qui, lui, n'a
jamais eu de pouvoir de négociation et, deuxièmement, nous
souhaitons que les syndicats impliqués ne se laissent pas leurrer pour
finir dans la même situation que nous. Merci.
Le Président (M. Perron): Merci, M. Corriveau, pour la
présentation de votre mémoire. M. le ministre du Travail, de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité sociale.
M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier le
Syndicat des agents de la paix de la fonction publique de son mémoire.
Je veux remercier son porte-parole pour sa présentation et, avec votre
permission, je céderais mon droit de parole à mon collègue
de Lac-Saint-Jean, qui a examiné le mémoire et qui aurait un
certain nombre de remarques à formuler et de questions à
poser.
Le Président (M. Perron): M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Merci, M. le Président. Je voudrais, moi
aussi, remercier le Syndicat des agents de la paix pour la présentation
de son mémoire et surtout - vous le souligniez d'ailleurs au
début, M. Corriveau - sous le témoignage extrêmement
intéressant que vous apportez devant les membres de cette commission
dans le sens suivant. Depuis déjà quatre jours, cette commission
entend des mémoires provenant de divers organismes et on a pu constater
que plusieurs organismes proposent et proposaient comme leur apparaissant une
solution ou un remède quasiment universel au problème de la
négociation de conventions collectives dans les secteurs public et
parapublic, c'est-à-dire l'arbitrage. Il y a plusieurs organismes qui
ont défilé ici, devant cette commission, qui ont clairement
proposé l'arbitrage obligatoire ou quelque autre formule s'y rapprochant
comme étant vraiment la solution aux problèmes vécus dans
les secteurs public et parapublic. Cela leur apparaissait le remède
quasiment universel à ces problèmes-là et, par
conséquent, bien sûr, cela s'accompagnait d'une demande
d'abolition du droit de grève dans ces secteurs-là. (21 h 30)
Votre témoignage est intéressant dans le sens que vous
arrivez devant nous et vous nous dites: Nous, nous sommes un syndicat sans
droit de grève; le droit de grève ne nous est pas reconnu depuis
quinze ans, comme vous le dites dans votre mémoire, et nous sommes donc
comme syndicat - c'est ce que vous nous dites - soumis à un
régime qu'on peut qualifier de particulier. Votre conclusion d'une
expérience de quinze ans, c'est de dire que, sans droit de grève,
le droit de négociation est pratiquement réduit à
néant. Enfin, j'espère que je fais la synthèse correcte de
votre point de vue. Sans droit de grève, le droit de négocier
vous apparaît quelque peu illusoire. Dans ce sens-là, c'est un
témoignage qui m'apparaît extrêmement intéressant et
une expérience vécue dont les membres de cette commission doivent
tenir compte et qu'ils doivent prendre en considération.
À la page 3 de votre mémoire, par exemple, vous nous
révélez que l'expérience de l'arbitrage, vous l'avez
tentée en 1973. Au troisième paragraphe de la page 3 de votre
mémoire, vous dites: "Nous avons tenté par ce moyen d'obtenir ce
qui semblait impossible par la voie d'une négociation normale. Mal nous
en prit car nous avons goûté à la médecine de ce
système et nous ne sommes plus intéressés à y
retourner. " Donc, votre jugement est sans éguivoque possible. La
solution de l'arbitraqe, le mécanisme de l'arbitrage obligatoire, c'est
absolument inefficace et cela ne donne pas les résultats
escomptés.
J'aimerais que vous nous parliez de cette expérience de
l'arbitrage en 1973. Je pense qu'il serait intéressant d'avoir votre
point de vue sur cette expérience vécue. C'est surtout
là-dessus que ma question porte: essayer d'identifier le
caractère, à votre point de vue, inefficace de cette formule, de
cette solution de l'arbitrage que beaucoup d'organismes, actuellement,
considèrent comme étant la solution qu'on doit
généraliser et imposer à tout le secteur, pas uniquement
à votre syndicat. Cela m'apparaît important de connaître le
point de vue et l'expérience vécue par un syndicat qui, lui, est
soumis à cette mécanique de l'arbitrage depuis quinze ans.
J'aimerais que vous expliquiez vraiment à cette commission votre point
de vue, votre jugement sur cette expérience. Votre conclusion, c'est que
cela a échoué, que c'est un échec total. Mais j'aimerais
que vous précisiez davantage les raisons de cet échec. Pourquoi,
à votre point de vue, rien de bon peut-il sortir d'une telle
formule?
M. Corriveau: Je pense que le but ultime de tout syndicat qui se
respecte c'est de négocier une convention collective et d'en venir
à la conclusion normale d'une signature de convention dans une situation
normale. Jusqu'en 1973, effectivement, nous n'avions jamais réussi
à obtenir gain de cause dans des demandes très essentielles et le
syndicat a décidé de se prévaloir de ce droit à
l'arbitrage et même après les résultats se sont
avérés négatifs. Même avec l'arbitrage nous n'avons
pu faire le rattrapage sur d'autres groupes avec des fonctions similaires et
nous accusons encore de nombreux retards.
M. Brassard: Comment s'est fait l'arbitrage? Comment l'arbitre
était-il choisi? Est-ce que les deux parties devaient...
M. Corriveau: II faudrait peut-être à ce moment-ci
demander à M. Marcel Catellier d'y répondre...
M. Brassard:... être d'accord pour le choix d'un arbitre?
Comment est-ce que cela fonctionnait?
M. Corriveau:... parce que c'est un membre qui faisait partie de
l'unité d'accréditation au moment de l'arbitrage de 1973.
M. Catellier (Marcel): II y a quand même un historique, M.
le député. On a dit que depuis 15 ans on n'avait pas le droit de
grève. Effectivement on n'a pas le droit de grève, mais en 1972
on s'est permis une petite incursion d'un mois. Effectivement il y a eu
grève illégale et cela a conduit à un
gain, si on peut appeler ça ainsi, dans le temps on appelait cela
un gain. Dans la convention collective le gouvernement nous a accordé le
droit à l'arbitrage non exécutoire. C'est une recommandation.
Il y a eu tout un mécanisme qui s'apparente un peu à celui
du Code du travail d'aujourd'hui, c'est-à-dire une proposition d'une
partie, une proposition de l'autre partie, mésentente. Le ministre du
Travail et de la Main-d'Oeuvre du temps propose un arbitre, M. Bouchard, qu'on
a revu un peu plus tard dans le rapport Martin-Bouchard. Effectivement, votre
question est intéressante parce qu'on a écouté ici des
personnes, même si cela ne nous préoccupe pas au niveau de la
régie permanente des services essentiels. On disait: Cela devrait
être des experts dans la matière qui décident dans un
certain secteur.
C'est un peu ça qu'on a vécu. Il y avait une personne
là, pour qui j'ai beaucoup de respect en passant, qui s'y connaissait
beaucoup dans le milieu probablement public, mais qui ne s'y connaissait pas
beaucoup au niveau des établissements de détention au
Québec, des gardes-chasse au Québec et de tous les autres groupes
d'agents de la paix. Nous avons tenté en 1973 de lui prouver qu'un
surveillant en établissement de détention au Québec, cela
n'a rien de similaire avec une secrétaire au gouvernement du
Québec. Mal nous en prit parce qu'on n'a jamais été
capable de lui prouver cela.
On est sorti de là perdants, évidemment, parce que dans la
recommandation qu'il faisait au gouvernement, je le répète
c'était une recommandation, ce n'était pas exécutoire...
Le gouvernement du temps a dit: Écoutez, c'est bien beau et on va le
prendre. Nous, on essayait de s'apparenter beaucoup plus à des corps
similaires, la Sûreté du Québec, les policiers municipaux
ou même ceux des Etats limitrophes au Québec, en Ontario ou au
Nouveau-Brunswick. On n'a jamais été capable de démontrer
à cet arbitrage-là qu'effectivement un surveillant en
établissement de détention effectuait un travail beaucoup plus
dangereux qu'une secrétaire au gouvernement du Québec. Encore
là, avec tout le respect que je porte aux employés du
gouvernement du Québec.
Cela nous a laissé un goût amer. On a dit: Si on n'a pas
été capable de prouver cela, et il me semble qu'on avait les
arquments convaincants... Vous pourriez nous dire: Vous n'aviez pas
d'arguments. Il y a quand même des notes, je pense qu'il y a 800 ou 900
pages avec des références, etc., etc. On parle de certains
groupes d'agents de la paix, par exemple, qui effectuent les mêmes
travaux avec les mêmes pouvoirs juridiques que la Sûreté du
Québec. Peut-être qu'il y a un groupe qui protège les
animaux et un autre groupe qui protège le public.
On parle de niveau juridique, de niveau de formation, de normes
d'embauche et de classification; tout cela, c'est du pareil au même, mais
on n'a pas été capable. Je le répète, est-ce qu'on
va nous accuser de ne pas avoir employé les arguments qu'il fallait pour
convaincre cette personne? Nous croyons plutôt que ce n'était
peut-être pas la personne appropriée justement pour faire la
distinction entre un surveillant d'établissement de détention et
une secrétaire ou un employé qui travaille de neuf heures
à cinq heures. Tout cela nous a laissé un goût assez amer
pour dire qu'on n'est pas trop intéressé d'y aller, on n'est pas
intéressé plus qu'il ne le faut. On n'a pas été
capable, à notre avis, et je le répète en terminant, de
convaincre une tierce personne qu'effectivement il y avait et vous l'avez
signalé, un travail à caractère un peu particulier. On n'a
pas été capable de la convaincre.
Si on n'est pas capable, à l'arbitrage, de convaincre des
personnes, je me demande où on va aller pour obtenir un pouvoir de
négociation, si ce n'est d'être à la remorque des autres
groupes. C'est un peu l'historique de ce qui est arrivé en 1973.
M. Brassard: Si je comprends bien - je ne suis pas très
familier avec votre situation - la formule d'arbitrage est venue d'une entente
entre les parties résultant de la convention collective de 1972-1973,
est-ce cela?
M. Catellier: C'est un article de la convention collective...
M. Brassard: Ah bon!i
M. Catellier:... ce n'est pas le Code du travail.
M. Brassard: Mais le droit de grève ne vous est cependant
pas reconnu explicitement par le Code du travail.
M. Catellier: C'est la Loi de la fonction publique.
M. Brassard: C'est la Loi de la fonction publique qui vous
interdit de faire la grève, mais vous n'êtes soumis à un
mécanisme d'arbitrage obligatoire par aucune loi; cela provenait de
votre convention collective comme telle.
M. Catellier: C'est cela.
M. Brassard: Donc, vous n'avez pas le droit de grève, mais
vous n'avez pas non plus de régime d'arbitrage obligatoire prévu
soit par la Loi de la fonction publique ou le Code du travail. C'est ce qui
vous fait
conclure que vous êtes dans une situation d'impuissance en
matière de négociation. C'est un témoignage
intéressant, je le répète, et on en prend bonne note.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Oui. M. Corriveau, avant de vous poser deux courtes
questions, je note, à la page 2, que vous dites: "Nous, les agents de la
paix, on attend le Messie. " Peut-être, cette fois-là, le Messie
va-t-il être une femme qui s'appelle Denise LeBlanc-Bantey, je ne le sais
pas. En tout cas, je pense que vous espérez.
Voici ma question. Vous dites, à la deuxième page: "On a
toujours été à la remorque des autres groupes
d'employés de l'État. " Si, dans les services similaires
où il existe le droit de grève, il y a une convention
négociée, est-ce que vous bénéficiez des clauses de
cette convention dans votre groupe ou si le gouvernement dit: Cela n'a rien
à faire avec vous autres, on a le droit de négocier avec vous des
conditions différentes? Quel est le système actuel?
M. Corriveau: Ce qu'on n'accepte pas, c'est que nous sommes,
à l'intérieur de la Fonction publique, le seul groupe qui n'a pas
le droit de grève. Nous remplissons des fonctions très
particulières et nous ne pouvons jamais négocier nos propres
conditions parce que tout fait partie d'un pattern. Donc, ce que nous
demandons, c'est justement d'être soustraits à la Loi de la
fonction publique, regroupés d'une manière autonome
spécifiquement comme agents de la paix et là, dans un groupe
analogue à celui de la Sûreté du Québec, par
exemple, nous pourrions négocier nos conditions particulières de
travail.
Nous le réclamons déjà depuis longtemps à
grands cris. J'ai entendu, entre autres, le ministre répéter
souvent ici, aujourd'hui ou durant les quatre jours qu'a duré la
commission, qu'on voulait respecter les lois et les droits; on a bien
hâte, quant à nous, que cette politique soit respectée par
le gouvernement parce que, probablement que d'ici demain, nous devrons
peut-être demander une injonction contre le gouvernement pour qu'il
respecte ses propres lois parce que la bataille que nous faisons
présentement n'en est pas une sur certaines clauses que nous avons des
difficultés à négocier, mais bien pour qu'il respecte ses
propres lois et s'assoie avec nous pour négocier une convention
collective, qu'il s'assoie avec le syndicat accrédité.
M. Polak: Maintenant, ma deuxième et dernière
question. Vous savez que le mandat de la commission est justement d'essayer de
résoudre les problèmes qui existent. Vous dites dans votre
mémoire: Nous, on n'a même pas le droit de grève. Vous ne
suggérez pas de solution. Si vous aviez le droit de grève, si on
parle, par exemple, des surveillants en établissements de
détention -vous avez entendu d'autres mémoires où on a
beaucoup parlé des services essentiels - ne croyez-vous pas que les
surveillants en établissements de détention font partie d'une
autre sorte de services essentiels? Je parle en profane. Je vois ces gens,
s'ils font la grève, qui va prendre leur place? Est-ce que ce sera la
Sûreté du Québec? Ce ne sera certainement pas
l'armée, parce qu'elle ne croit plus en cela.
Comment réagissez-vous à cela? Est-ce que j'ai tort quand
je dis que je considère cela comme un service essentiel et que,
même si vous avez un droit de grève, dans ce secteur, il faut
trouver un moyen pour que vous ne puissiez pas exercer ce droit? Pourriez-vous
clarifier ce point? (21 h 45)
M. Corriveau: Vous avez sûrement remarqué, dans
notre exposé, que nous n'avions pas effectivement le droit de
grève et que nous n'en discutons pas plus que cela. La majorité
des syndicats sont venus devant cette commission pour demander d'élargir
le droit à la grève. Le gouvernement, l'Opposition ou les gens
d'autres milieux ont voulu le restreindre de beaucoup ou l'éliminer. Ce
que nous demandons au gouvernement, c'est d'instituer des mécanismes
pour permettre aux groupes qui n'ont pas le droit de grève de pouvoir
négocier des conventions collectives.
On se rend compte aujourd'hui que, partout dans le monde du travail,
tous les gains qui ont été obtenus l'ont été au
prix de longues et dures luttes. Je crois que c'est un manque flagrant autant
du gouvernement actuel que de ceux qui l'ont précédé de
n'avoir jamais prévu de mécanismes adéquats pour les
groupes qui, eux, n'ont pas le droit de grève.
M. Polak: Mais qu'est-ce qu'on pourrait faire dans le cas des
établissements de détention? Disons que le droit de grève
existe, est-ce que vous considérez leur tâche comme un service
essentiel? Est-ce que vous suivez le même raisonnement que les syndicats
dans l'affaire des hôpitaux en disant: Si on avait le droit de
grève, on aurait soin d'avoir sur place un minimum d'employés,
parce qu'on sait que notre tâche est considérée comme
service essentiel? Avez-vous déjà pensé à cela, aux
conséquences?
M. Corriveau: Quand on regarde l'histoire des agents de la paix,
on peut dire que ces travailleurs ont toujours respecté leurs
obligations. Il n'est jamais arrivé de catastrophe dû au fait que
les surveillants en
établissements de détention ont quitté leur travail
ou quoi que ce soit. Mais, chose assez paradoxale, l'été dernier,
à un certain moment, les agents de la paix décident, dans un acte
de solidarité, que tout le monde allait porter le "jeans", tous les
agents de la paix, pour démontrer leur mécontentement devant
l'inertie du gouvernement à commencer la négociation. Un groupe
entre autres, les inspecteurs de transport, sont arrivés au travail et
on les a retournés chez eux; donc, c'était une forme de lock-out.
Pourtant, on crie que tous les agents de la paix font partie des services
essentiels et c'est pour cela qu'ils n'ont pas le droit à la
grève.
Pour le gouvernement, qu'est-ce qui est essentiel, que les inspecteurs
de transport portent l'habit ou qu'ils soient à leur poste? On les a
retournés chez eux pendant deux jours.
M. Polak: II y a même des députés qui portent
des jeans, savez-vous. Merci, c'est tout.
Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée
de Jacques-Cartier.
Mme Dougherty: J'aurais une question d'information pour le
ministre. Pourquoi les agents de la paix de la fonction publique n'ont-ils pas
le droit de grève? Quelles sont les considérations qui ont
amené le gouvernement à interdire la grève?
M. Marois: Je pense qu'il y en a un certain nombre et je pense
que, dans un certain sens, notre collègue et votre collègue de
Jean-Talon serait...
M. Rivest: Ce n'est pas ma faute.
M. Marois:... mieux placé que moi pour répondre,
historiquement.
M. Rivest: Cela finit toujours par être ma faute, cette
affaire-là!
M. Marois: Historiquement.
M. Polak: C'est la faute du fédéral.
M. Rivest: Je suis trop vieux, moi.
M. Marois: Historiquement, les raisons d'ailleurs viennent
d'être assez bien résumées par les porte-parole
eux-mêmes. Il y a une nature de fonctions d'un type très
particulier. Effectivement, pensez au cas de... Je peux illustrer. On n'a
qu'à prendre la première page du mémoire: surveillants en
établissements de détention, constables spéciaux du
ministère des Travaux publics et de l'Approvisionnement, constables
spéciaux de l'Assemblée nationale, inspecteurs des
Transports, constables du Tribunal de la jeunesse. Quant aux agents de
pêcheries, j'avoue que là, je ne suis pas informé. Je ne
connais pas tous les angles, tous les coins. Quant aux agents de conservation
de la faune, je pense qu'on vient de nous en donner un exemple. Historiquement,
c'est la nature particulière des fonctions qui l'explique.
Mme Dougherty: Oui, mais il me semble que les mêmes
considérations ne s'appliquent pas à chaque secteur, comme vous
l'avez indiqué, par exemple les constables du ministère du
Loisir, de la Chasse et de la Pêche. C'est tout simplement pour
m'informer, parce que j'ai été surprise que... Il y a
évidemment plusieurs secteurs. Il y a des précédents; il y
a certains secteurs qui n'ont pas le droit de grève, même au
Québec.
M. Marois: Je pense, si j'ai bien compris le témoignage
des porte-parole qui nous expliquent les problèmes que pose pour eux
l'arbitrage, qu'ils ont expligué clairement les problèmes
vécus. D'autre part, ils nous ont aussi bien expliqué la nature
particulière de leurs tâches. Dans le domaine des pêcheries
ou même dans le domaine de la conservation de la faune, à moins
que je ne sois mal informé, ce qui est fort possible -je ne connais pas
le dossier en détail -même là, "chargés de
l'application et de faire respecter des lois". On nous a bien expliqué
qu'il y avait des équivalences de fonctions - je pense que c'est
l'expression qui a été utilisée - avec la
Sûreté du Québec. Historiquement, c'est cela. Tous ces
membres, présentement, dans les faits, sont regroupés dans une
unité. Jusqu'à maintenant, ils ont toujours été
regroupés dans une seule unité d'accréditation.
Mme Dougherty: Si c'est justifié dans ces secteurs, c'est
au moins aussi justifié dans le secteur hospitalier, protéger les
malades au lieu des pêches. On peut soulever plusieurs questions
justifiables, je crois.
M. Marois: Est-ce que je comprends, M. le Président, que
la députée recommande non pas l'abolition du droit de
grève, mais l'extension du droit de grève?
Mme Dougherty: Peut-être, dans certains cas.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest: M. le Président, si vous me permettez une
question. Dans votre témoignage, M. Corriveau, je voudrais bien
comprendre. Vous avez semblé évoquer que votre syndicat voulait
peut-être obtenir un
contexte juridique de négociation analogue à celui des
agents de la Sûreté du Québec. Si j'ai bien compris, vous
n'avez pas le même système de négociation, le même
pouvoir de négociation que les agents de la Sûreté du
Québec?
M. Corriveau: Nous sommes un groupe particulier, nous faisons
partie de la fonction publique, ce que nous voudrions...
M. Rivest:... c'est vous sortir...
M. Corriveau:... c'est de sortir de la fonction publique de la
même façon que la Sûreté du Québec et ne pas
être restreints à certains patterns de la fonction publique qui ne
sont absolument pas applicables aux...
M. Rivest: C'est cela que j'avais compris. Je voudrais vous
demander que sont les patterns auxquels vous vous référez? Je
vais essayer de percevoir concrètement, qu'est-ce qui vous... parce
qu'on en a causé avec certains membres de votre syndicat, il y en a ici
à l'Assemblée nationale, et je voudrais que vous expliquiez
à la commission ce qui vous gêne effectivement le plus - il ne
s'agit pas d'entrer dans les moindres détails - du fait que vous faites
partie de l'encadrement de la fonction publique.
Que gagneriez-vous à sortir du cadre de la fonction publique et
obtenir un statut de négociation analogue à celui des agents de
la Sûreté du Québec?
M. Côté (François): II s'agit peut-être
d'un renseignement un peu plus technique. Dans le système actuel, je
prends l'exemple du régime de retraite. Le régime de retraite est
régi au niveau de la fonction publique par une loi. Notre convention est
silencieuse sur cette question du régime de retraite. Nous sommes
assujettis évidemment à la loi, au même titre que
l'ensemble des fonctionnaires. Voici ce qu'il y a encore de particulier dans
notre situation. On disait, tantôt, à une réponse du
député du Lac-Saint-Jean, que nous avons dû négocier
le droit d'arbitrage et, ayant négocié le droit d'arbitrage, nous
avons été contraints, à l'époque, d'accepter un
système d'arbitrage qui pourrait traiter de toutes questions
reliées à des conditions de travail, sauf celles qui sont
prévues d'après une loi. Alors, on tourne en rond. Cela veut dire
qu'étant assujettis au concept de la fonction publique, le régime
de retraite n'est, à toutes fins utiles, pas négociable, c'est
une distinction.
M. Rivest: Alors que les agents de la Sûreté du
Québec peuvent le négocier.
M. Côté: Je pense qu'on a tous lu les journaux
dernièrement.
M. Rivest: Évidemment. D'accord, ça va quant
à moi.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Saint-Henri.
M. Hains: M. Corriveau, vous nous dites que vous cherchez
toujours le Messie. Je ne prétends pas l'avoir trouvé pour vous
autres, mais je pensais à ceci tout à l'heure. Comme nous n'avons
pas de tribunal permanent où on retrouverait les mêmes
commissaires qu'en 1977, pourquoi n'êtes-vous pas
intéressés à retourner tout de même à la
médiation? Vous connaissez le vieux proverbe: "II ne faut jamais dire:
Fontaine je ne boirai pas de ton eau". Avec de nouveaux médiateurs, avec
un système dorénavant mieux rodé, ne pensez-vous pas qu'il
serait valable pour vous de prendre une nouvelle expérience au lieu de
vous laisser comme ça mourir de désir pour le nouveau
Messie"?
M. Côté: Je me permets d'intervenir pour
préciser votre question ou peut-être pour vous retourner votre
question, M. le député. Quand on parle de médiation,
personnellement, je fais une distinction entre la médiation et
l'arbitrage.
M. Hains: D'accord.
M. Côté: La médiation, qui pourrait
être un acte volontaire des parties, tout aussi bien que la conciliation
sont des services qui sont à notre disposition, mais ça ne
règle pas nécessairement le conflit, en ce sens que ce n'est pas
automatiquement le terminus du litige. Il se peut fort bien, dans les
discussions que nous aurons au cours des prochaines années avec
l'employeur, que nous juqions bon d'utiliser les services d'un conciliateur ou
d'un médiateur qui pourrait être mis à notre disposition
par le ministère du Travail. Je pense que ça ne règle pas
le fond de la question qui est à l'étude. Après la
médiation, si les parties ne s'entendent pas, qu'est-ce qui arrive? On
est encore une fois confronté avec le problème de l'arbitrage.
L'arbitrage se distingue de la médiation en ce sens que c'est vraiment
un mécanisme de résolution du conflit que les parties s'imposent
elles-mêmes et qui est exécutoire, contrairement au concept de
médiation spéciale ou de conciliation.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants du Syndicat des agents de la paix de la fonction
publique.
Centrale des syndicats démocratiques
J'invite maintenant les représentants de la Centrale des
syndicats démocratiques à prendre place et à nous
présenter leur mémoire. Je crois que c'est son président
M.
Jean-Paul Hétu, qui nous le présentera. M. Hétu,
dès que vous pourrez vous installer, vous nous présenterez les
personnes qui vous accompagnent.
M. Hétu (Jean-Paul): M. le Président, à ma
droite, Mme Denise Bourassa, puéricultrice au Centre hospitalier de
Repentigny; M. Clément Janelle, à l'extrême gauche, du
syndicat du Pavillon Laforest; M. Roger Duquette, cuisinier, du syndicat du
Centre d'accueil de Rouville; M. Jacques Langlois, pas trop loin de moi,
opérateur, du syndicat du Haut-Richelieu-Saint-Jean et M. Michel Bisson,
cuisinier, du Centre hospitalier d'Asbestos et, bien sûr, ici, le
négociateur ou le conseiller syndical qui est assigné au dossier
du réseau des affaires sociales.
M. le Président, c'est la première fois que nous nous
présentons devant cette commission parlementaire et je tiens à
vous affirmer immédiatement que nous ne reviendrons pas, sous aucune
forme que ce soit, d'ici la fin de vos travaux. Pourquoi? Je vais vous donner
une raison. C'est qu'on ne se prend pas pour d'autres. Comment cela se fait-il
qu'on ne se prenne pas pour d'autres? C'est que, comme organisation syndicale,
la CSD, dans le secteur des affaires sociales, compte bien 4000 membres qui
sont répartis dans 22 établissements du réseau des
affaires sociales.
À cause de ce nombre et aussi un peu à cause de notre
histoire et de ce qu'on veut être, nous sommes, dans le régime des
négociations du secteur public, des syndicats qui sont à la fois
étrangers à la négociation, parce que nous ne participons
pas à ce qu'on appelle la table centrale, mais à la fois
familiers parce que nous participons à la table sectorielle du
réseau des affaires sociales. Nous participons aussi à une autre
table du côté des employés municipaux. Cependant, nous
appliquons, nous vivons concrètement dans les établissements et
les diverses institutions où nous avons des syndicats ce qui nous a
conduit à vivre, depuis 1972, une expérience particulière.
Je ne dis pas unique parce que c'est prétentieux. (22 heures)
En quoi est-elle particulière, cette expérience? À
deux points de vue. Premièrement, parce que dans le secteur des affaires
sociales nous avons des syndicats qui ont vécu des mauvaises
expériences syndicales alors qu'ils étaient dans d'autres
centrales syndicales et qui en sont sortis pour pouvoir dépasser ces
expériences. Bien sûr, depuis que nous existons à la CSD,
il y a de nouveaux syndicats qui sont venus se joindre à ces syndicats
fondateurs et qui sont associés à la recherche qui se fait
concrètement dans les établissements. La deuxième raison,
c'est que les syndicats affiliés à la CSN en 1972 ont fait la
scission en particulier à cause de la grève de 1972. À ce
moment-là, alors que nous avions fondé la CSD, nous avions
refusé de marauder les syndicats pendant cette période-là.
L'histoire nous dira si nous avons commis une erreur, mais nous
prétendons encore naïvement que non.
Pour ces deux raisons, nous avons, depuis 1972 jusqu'à
aujourd'hui, tenté d'expérimenter des choses. Nous avons
réfléchi et c'est un peu le résultat de cette recherche,
de cette pratique qu'on veut vous soumettre. La piste qu'on a choisi de vous
présenter, c'est celle où on a une compétence, c'est celle
qui a trait aux relations de travail dans le secteur des affaires sociales.
Pour nous, l'état chaotique que l'on associe à la
grève lors de chaque négociation n'est pas causé par la
grève dans le secteur des affaires sociales. En s'attaquant au droit de
grève - et je pense que là-dessus le gouvernement l'a compris -
on vise la mauvaise cible. Le mal est plus global, pour nous, et la
grève n'en est qu'une manifestation. Ce que ce débat nous
démontre, ce qu'on a entendu aujourd'hui, c'est que l'on a confondu les
racines du problème lié à la polémique sociale qui
a toujours eu cours sur la question des services essentiels.
À la lumière d'une analyse, on doit constater que ce n'est
pas le maintien des services essentiels en cas de grève qui doit
être mis en cause, mais plutôt la difficulté concrète
qu'ont les parties à s'entendre sur les services de santé et leur
organisation.
Juste quelques cas pratiques qu'on a vécus. Pour vous donner un
exemple, dans un centre hospitalier - cela va sans doute vous paraître
bizarre - le syndicat a demandé à l'employeur, dans sa demande
des services essentiels, de maintenir au travail 100% des employés.
C'est-y assez fort? En plus, à chaque cinq nouveaux
bénéficiaires, l'employeur devait mettre un employé de
plus. L'employeur a refusé. C'est-y assez fort? Bien sûr,
après, il était d'accord.
Dans un contexte où il y a plusieurs syndicats, l'unité
que nous avions au niveau des infirmiers auxiliaires, puéricultrices, la
proposition qu'on a faite a été de maintenir tout le monde au
travail. L'employeur a refusé. On a déposé la liste
syndicale.
Dans un autre CH, l'employeur nous a demandé - écoutez
bien celle-là, et pour ne pas vous le nommer, c'est le CH d'Asbestos -
de diminuer le personnel au nursing, mais il voulait garder le même
nombre d'employés de bureau à l'administration. Nous avons dit
non. On a dit: Tu vas diminuer le nombre d'employés à
l'administration et tu vas maintenir le même nombre d'employés au
nursing.
Dans un CA on a demandé - il y a eu une entente entre le syndicat
et l'employeur
- que dans la buanderie - par CA j'entends un centre d'accueil pour
personnes âgées - il n'y ait personne qui travaille là. On
a demandé que dans l'entretien, il n'y ait pas de service là. On
a dit: Dans la cuisine on va en laisser un sur quatre, dans le nursinq, aucune
diminution le soir et la nuit. Le jour on a diminué cela d'un sur
quatre. Là, on s'est entendu.
Dans un hôpital, il y a eu un désaccord. Savez-vous
pourquoi? L'employeur voulait conserver les réceptionnistes, le syndicat
a refusé. On a déposé notre liste. Je pourrais continuer,
mais ce sont des faits vécus.
En dépit de ces difficultés, d'après nous, comme
observateurs dans l'ensemble des négociations, dans le réseau des
affaires sociales, il y a deux causes qui expliquent cette difficulté
des parties à s'entendre sur la fixation des services essentiels. C'est
que la fixation des services essentiels est subordonnée au rapport de
forces, non seulement syndicales, mais aussi patronales,
déclenché par le processus de négociation. Ce qui est
inévitable, c'est que la liste des services essentiels serve dans ce
contexte aux parties comme arme stratégique. D'accord?
La difficulté de s'entendre - mais ce n'est pas tout - sur les
services essentiels pour nous est indissociable du conflit social
généralisé qui caractérise le milieu des affaires
sociales. Il n'y a plus de consensus social sur l'orientation et l'organisation
du travail dans les services de santé. Si vous n'avez pas d'objection,
je vais vous donner notre diagnostic là-dessus. On parlera ensuite de
certaines propositions qu'on qualifie de réforme partielle et d'autres
qu'on qualifie de réforme globale.
D'après nous, le conflit social qui caractérise la
négociation dans le secteur des affaires sociales porte sur quatre
dimensions: les relations de travail, la dimension économique, la
dimension sociale et la professionnalisation.
Qu'entendons-nous par les relations de travail? D'après nous,
c'est que le caractère centralisé de la négociation dans
les secteurs public et parapublic nous conduit invariablement depuis 1972
à des affrontements stéréotypés qui ne sont pas
sans effet multiplicateur sur l'évolution d'un climat de relations de
travail déjà envenimées. Ce mode de négociation
aboutit à la standardisation des conventions collectives à
l'échelle provinciale. Cette standardisation est à la base de
plusieurs phénomènes perturbateurs des relations de travail. Elle
a donné lieu à des conventions collectives qui ne peuvent tenir
compte des spécificités propres aux divers et multiples
établissements. Les conventions collectives y souffrent actuellement
d'un embonpoint. Cet état de fait trouve son écho dans la
croissance effrénée des qriefs et des arbitrages causés
par des conflits d'interprétation de la convention.
Je vais vous donner certains chiffres qui sont propres à notre
milieu quant au nombre de qriefs en cours, c'est-à-dire de janvier 1981
à aujourd'hui. Nous avons 50 griefs dont 10 ont été
réglés en arbitrage et 40 hors l'arbitrage. Mais il y en a 75
actuellement en suspens. En 1980, il y a eu 152 griefs et on en a
réglé 30 en arbitrage.
L'économie. La détermination de la masse salariale, quant
à nous, a toujours donné lieu à des affrontements lors de
la négociation. C'est là une des particularités majeures
du secteur public, c'est-à-dire la difficulté de définir
une politique salariale selon les critères habituels de concurrence et
de productivité. Historiquement, les revendications salariales du front
commun, qu'on se rappelle, exigeaient 100 $ par semaine minimum, en 1972; 165 $
par semaine minimum, en 1975; 265 $ en 1979.
Ce qu'on constate, c'est que la négociation aboutit toujours
à un débat politique fondamental, dès que les parties
abordent la question du niveau de vie, minimum décent, et des
échelles de salaire. Dès lors, la négociation
entière vire à l'impasse et donne lieu à une confrontation
politisée.
Le social. Les politiques de rationalisation des établissements,
dans le réseau des affaires sociales, au cours des dernières
années, ont contribué largement à la
dégénérescence des relations de travail dans le milieu.
Ces politiques ont eu une incidence négative directe sur l'ensemble des
travailleurs. La spécialisation des fonctions, la parcellisation des
tâches ont créé un vaste foyer de frustrations et
d'insatisfactions que la hiérarchisation du processsus de
décision et de commandement n'a pu qu'amplifier.
On retrouve dans les conventions collectives du secteur public des
exemples outranciers de parcellisation de tâches.
Dans le cas des centres hospitaliers, dans notre convention, pas dans
celle des autres, on dénote 103 types d'emploi dont 47 reliés aux
emplois de services et ouvriers et 24 reliés aux emplois de bureau.
J'exclus tous les postes d'infirmiers et d'infirmières.
Les politiques de restriction budgétaire - je ne parle pas des
coupures budgétaires qui sont exercées depuis le gouvernement
Bourassa - ont eu un effet similaire en plus d'accroître sensiblement les
charges de travail. Ce qu'on constate, c'est que le modèle
d'organisation du travail propre au milieu des affaires sociales est de plus en
plus ouvertement contesté par les travailleurs. Je ne parle pas des
syndicats, je ne parle pas des centrales, je parle des travailleurs.
Il n'y a pas d'autres façons
d'interpréter certains phénomènes à
l'origine de plusieurs changements qu'on a tenté de faire dans les
services de santé. Par exemple, pour faire face aux conséquences
d'un taux d'absentéisme élevé, on a
développé les équipes volantes, les emplois sur appel.
Selon une étude qu'on a faite auprès de 19 établissements,
toujours dans le réseau des affaires sociales, où il y a un
syndicat affilié à la CSD, 5 établissements ont un taux
d'employés à temps partiel et d'employés occasionnels
supérieur à 50%. Sur ces 19, 8 voient ce taux se situer entre 40%
et 50% du nombre d'employés total. En ce qui concerne les six autres, le
taux moyen est de 24%.
L'organisation actuelle du travail révèle plusieurs
dysfonctionnements sérieux qui affectent directement la qualité
des services, qui affectent les malades et qui coûtent cher. Les
absences, les départs, griefs et arbitrages, les accidents du travail
dans les hôpitaux, grève sur le tas, il y en a...
Le climat de travail est tendu parce que les travailleurs contestent les
changements pour ce qu'ils sont. Manifestation d'un système
décisionnel qui leur impose, au bout du compte, une surcharge de travail
et un appauvrissement de leurs tâches.
L'évolution culturelle des travailleurs est au coeur de ces
phénomènes de dysfonctionnements. Ils sont de plus en plus
instruits et capables d'identifier eux-mêmes les facteurs qui affectent
positivement ou négativement leur qualité de vie au travail.
Cependant, le modèle d'orqanisation du travail suit une évolution
qui va à l'encontre de cette donnée. Changements proposés
et imposés comme le PRM, temps partiel, veulent répondre à
des conséquences de dysfonctionnements.
Un exemple. En avril 1979, un centre d'accueil de la région de
Montréal procédait à une rationalisation, comme on
appelle, de ses services, à la suite de directives du MAS. Pour les
syndiqués, cette rationalisation n'était autre chose qu'un
accroissement net de la charge de travail. (22 h 15)
Pour évaluer cette hypothèse, nous avons calculé le
nombre de jours de maladie imputables aux accidents du travail pour les huit
mois précédant puis suivant ladite rationalisation. Les
résultats furent terrifiants. Avant la rationalisation chaque
syndiqué avait en moyenne 1/10e de jour de maladie
payé par mois par la CAT, aujourd'hui la CSST; après la
rationalisation, le taux moyen est passé à 1/4 de jour. Les
épargnes escomptées par la rationalisation furent donc
sérieusement effritées; les jours de maladie payés par la
commission ont plus que doublé; la direction a été dans
l'obligation de faire appel plus que jamais au surtemps pour remplacer les
absents.
Toute une série de gestionnaires passent leur temps à
corriqer ce genre de mauvais fonctionnement, remplacer les absents, les
départs volontaires, etc., plutôt que de s'attaquer à la
source des problèmes. Et on appelle cela de la rationalisation.
D'autre part, le mode de gestion des établissements n'est pas
démocratique, ce que révèle la hiérarchisation
poussée des lignes décisionnelles et de commandement, même
si on a permis aux travailleurs de participer aux conseils d'administration des
établissements du réseau des Affaires sociales.
Professionnalisation: Un autre phénomène dont il faut
tenir compte. La première caractéristique de la
professionnalisation est de retirer le caractère négociable de
plusieurs tâches du champ de la négociation collective. Cette
caractéristique cause plusieurs phénomènes de perturbation
et de frustration collectives à l'intérieur du cadre des
relations de travail.
Quels sont-ils? Prenons comme premier exemple le volet de l'acte
médical qui compte trois niveaux hiérarchiques: le
médecin, l'infirmière et l'infirmière auxiliaire. On va
parler des choses qu'on connaît.
Dans le cas des infirmières auxiliaires, le contenu de leurs
tâches a été déterminé par règlement
ministériel, lequel, à la suite d'une commission parlementaire,
stipule la possibilité d'aménagements pratiques dans la fonction,
au niveau de chaque institution, entre les parties. Vous voyez cela?
Pour suivre le mouvement de la professionnalisation, les infirmiers
auxiliaires se sont regroupés dans une corporation pour
réglementer, par exemple, le droit de pratique, la formation
professionnelle, etc.
Quant à la convention collective, elle réglemente les
salaires et les conditions de travail. Les choses deviennent
compliquées, n'est-ce pas?
La professionnalisation conduit également à la
déprofessionnalisation et à la reprofessionnalisation. C'est un
autre facteur de perturbation. Prenons le cas des puéricultrices. On a
convenu de faire disparaître cette tâche professionnelle
c'était à la table centrale - pour la fusionner avec une autre,
l'infirmière auxiliaire spécialisée auprès des
bébés et des enfants.
La professionnalisation crée aussi des plans de carrière
ayant des horizons de promotions dites plafonnées. Par exemple, les
infirmiers auxiliaires sont dirigés par des infirmières
licenciées et ils ne peuvent pas être promus à la
tête de leur département. Pour accéder à une
promotion, ils doivent suivre un cours d'infirmier spécialisé et
changer de classification.
Réforme partielle: Je vais passer assez rapidement
là-dessus, juste pour parler de la
fixation des services essentiels.
Quant à nous, on dit que les parties doivent s'entendre sur cette
question. En cas de désaccord, la liste préparée par le
syndicat doit être retenue.
Je vous ai donné des exemples tantôt, je vous ai
expliqué pourquoi.
Pour favoriser une entente entre les parties, cependant, nous croyons
que les parties doivent convenir, dans un protocole-cadre, des critères
devant servir à la fixation des services essentiels (tel que
proposé par le rapport Picard).
Je vous prierais de ne pas rejeter cette solution-là. Je pense
que l'État a convenu, à un moment donné, de confier
à des gens d'étudier ce phénomène-là. Ils
ont étudié -et le rapport fait mention de cela - et ils ont
déterminé - je vous prierais de bien faire attention à
cela - à la suite d'études, de réflexions,
d'expériences vécues, un protocole cadre. Je pense qu'il est
vraiment important pour nous de pouvoir nous y référer pour le
négocier. Je vous ai mentionné un cas tantôt. Lorsqu'on
arrive, on s'assoit à la table. L'employeur dit: Je veux qu'on diminue
cela et le syndicat dit non. Mais ce n'est pas cela, la difficulté des
services essentiels. Voyez-vous, c'est un exemple et on pourrait en citer
d'autres.
Le conseil sur le maintien des services essentiels, nous
prétendons qu'il doit être maintenu sur une base permanente.
Le droit de grève: Pas de changement.
La conciliation. Bien sûr, au niveau de la conciliation, je pense
qu'il faut des conciliateurs qui ne sont pas à l'emploi du gouvernement.
De toute façon, on a bien ri lors de la dernière
négociation. On a fait appel à eux et ils nous ont dit: Eh!
Qu'est-ce que nous allons aller faire là? Mais qu'on structure donc
celai Ce n'est pas compliqué, c'est simple.
Griefs et arbitrages. Nous revendiquons un système d'arbitrage
très expéditif. Actuellement, savez-vous combien de temps cela
prend pour régler les cas de griefs en arbitrage? De six mois à
deux ans. Vous viendrez, ensuite, parler des services essentiels. Vous viendrez
parler de réglementer le droit de grève. Les gens qui attendent
de six mois à deux ans, ils sont-Comment dirait-on cela? Je ne dirai pas
le mot "écoeurés", parce que cela ne serait pas
élégant à cette commission parlementaire. On dit qu'il
faudrait un système de griefs expéditif. J'ai
négocié au port de Montréal parce qu'on trouvait que les
grèves coûtaient trop cher. On a trouvé un système,
celui d'avoir un arbitre sept jours par semaine qui interviendrait en 24 heures
pour régler. Pourquoi ne le ferait-on pas dans le domaine de la
santé? Bien sûr, le blé, c'est important. Cela aide
à nous maintenir en santé, n'est-ce pas?
Solution globale. Nous croyons qu'il est illusoire - c'est toute notre
philosophie - de souhaiter que le conflit social qui mine les relations de
travail et le bon fonctionnement des services de santé sera
conjugué autrement que par une réforme globale qui est
axée sur les parties, c'est-à-dire une volonté politique.
Je pense que vous étiez mêlés, vous disiez que vous ne
saviez pas où vous vous en alliez. Je pense que vous avez une voie qui
est toute tracée: celle de confier aux parties le soin de prendre en
charge leur sort. Pourquoi vouloir chercher des solutions et tenter de
raisonner par le haut, alors qu'il y a des gens qui sont là et qui
vivent avec des malades, par exemple, quotidiennement? Pourquoi ne pas tenter
de trouver des solutions dans cette voie?
On dit qu'il y aurait trois qrands axes de cette réforme globale.
Il faut un mécanisme de fixation du salaire minimum dans les secteurs
public et parapublic. Il faut un mode de négociation nouveau. Il faut
une stratégie de changement, parce qu'on n'introduira pas cela du jour
au lendemain. Vous en avez entendu un échantillon cet
après-midi.
Mécanisme de fixation du salaire minimum. Ce que la CSD propose,
c'est l'institution d'une base de référence pour la fixation du
niveau de vie minimum et des échelles salariales. J'ai rappelé
dans le diagnostic que, depuis 1972, cela a toujours été un
problème. Nous autres, dans le fond, par cette démarche, nous
visons tout simplement à faire en sorte que les parties engaqent ce
débat de fond en dehors de la négociation. Je vais vous indiquer,
par la deuxième proposition, ce que nous entendons par cela.
On va vous faire une proposition. Vous voulez prendre des
responsabilités; nous autres aussi. Nous allons vous proposer, comme
base de référence salariale, que soit accordé aux
travailleurs le salaire minimum correspondant à la moyenne des salaires
versés dans la grande entreprise. Tout de suite, vous allez dire: II est
fou ce gars-là. Très bien. Mais c'est en se parlant entre fous
parfois - je ne réfère pas à vous -qu'on se comprend.
Pour établir et maintenir à jour cette base de
référence, nous proposons la création d'un institut de
recherche sur les salaires pour les secteurs public et parapublic. On pourrait
discuter de cela. On pourrait faire une proposition comme celle-là.
Nous, on la situe tout simplement à la suite des débats qui ont
eu lieu depuis 1972. On les suit... Merci bien, je vais
accélérer.
Donc, tout de suite, on indique dans notre document qu'il y a toutes
sortes de problèmes qu'il faut résoudre. Quant à
l'institut sur les salaires, on dit tout simplement qu'il faut qu'il y ait un
comité paritaire auquel participeront le monde patronal et le monde
syndical.
Un nouveau mode de négociation. Nous proposons une structure de
négociation à trois niveaux. À l'échelle nationale,
par exemple, on pourrait négocier "le monétaire", ce qu'on
appelle la table centrale. À l'échelle sectorielle
institutionnelle, on pourrait discuter du cadre général:
méthode de règlement des griefs, sécurité
syndicale, ancienneté, promotion, sécurité d'emploi; des
choses d'ordre général, pas des choses concrètes et
pratiques qui vont tenter de résoudre tous les problèmes qui
surviennent dans les établissements. On dit: Non. À
l'échelle locale, on devrait laisser la liberté, le droit, le
pouvoir de négocier entre les parties pour qu'elles résolvent
leurs problèmes à leur niveau d'établissement.
On propose, par exemple, santé et sécurité au
travail, l'adaptation du travail aux hommes, aux femmes et la gestion
démocratique sur les lieux du travail.
Cadre législatif. Me reste-t-il encore du temps? Je vais juste
donner une idée là-dessus.
Le Président (M. Rodrigue): Poursuivez, mais je
vous...
M. Hétu: Je vais rouler.
Le Président (M. Rodrigue): S'il vous plaît,
oui.
M. Hétu: II faudrait modifier quant à nous deux
lois. Premièrement, nous proposons de changer la conception sous-jacente
de la loi des services sociaux et de santé et du Code du travail, qui
considèrent le travailleur comme un exécutant dans le
système d'organisation et de gestion. On dit que l'article 62 devrait
reconnaître formellement le droit de participation des travailleurs, Dans
le secteur des affaires sociales, au sein du comité administratif, pas
du conseil d'administration.
L'article 43a devrait être amendé de telle sorte que le
plan d'organisation de l'établissement soit soumis aux travailleurs de
l'établissement pour étude, etc.
J'espère vous faire plaisir, M. le Président,
j'accélère, à un point tel que je dis tout simplement
qu'avant de songer à introduire cela, il faut avoir une stratégie
d'implantation. Il faudrait permettre aux syndicats de négocier des
accords sur la base des établissements. Je vais vous donner un exemple
pratique. Quand je vous dis cela, ce n'est pas du rêve. On a tenté
de négocier avec l'AHQ la possibilité de négociation, ils
ont refusé. On leur a joué un tour, on a signé - je vais
vous le dire à vous, je suis convaincu que vous ne direz pas aux autres
que c'est illégal - on a négocié la possibilité
d'établir la gestion démocratique sur les lieux du travail. C'est
illégal, mais ne le dites pas, on essaie d'établir cela.
Voilà, on dit qu'il faut qu'on ait cette possibilité de le
faire sur une base volontaire, qu'on ait de l'aide, ainsi de suite.
M. le Président, j'espère que je vous satisfaits. Il n'a
pas l'air d'accord là-dessus. Il est fatigué.
Le Président (M. Rodrigue): À l'heure qu'il est!
Rien n'empêche que vous avez fait un bel effort. Par ailleurs, votre
mémoire était quand même volumineux. Effectivement, vous
avez accéléré, mais je pense que vous avez quand
même pu transmettre aux membres de cette commission les idées que
vous vouliez leur transmettre. J'espère que ce but est atteint pour
vous.
J'invite le ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu à entamer la période de
questions.
M. Marois: M. le Président, je veux remercier la Centrale
des syndicats démocratiques de son mémoire et son porte-parole,
le président, M. Jean-Paul Hétu. C'est un mémoire qu'on a
eu en main hier, si ma mémoire est bonne. Il est non seulement
volumineux, mais je pense que c'est un mémoire qui constitue un apport
très intéressant pour les membres de cette commission. Je
voudrais tout de suite vous dire, comme je l'ai parcouru, j'en ai fait une
première lecture rapide qui est, bien sûr, insatisfaisante, qu'on
a l'intention de regarder cela très attentivement, pour un certain
nombre de raisons.
Vous nous présentez dans votre mémoire - vous l'avez
résumé en plus, mais votre mémoire est beaucoup plus
détaillé -ce que vous appelez votre diaqnostic et les
éléments d'analyse, les constats basés sur les faits que
vous avez vécus et, partant de là, cette approche que vous
résumez dans votre synthèse ou dans votre résumé.
Vous dites: Ce ne sont pas des droits incompatibles, parlant des droits des uns
et des droits des autres, et c'est justement autour de la notion de services
essentiels qu'on retrouve la compatibilité entre les deux droits. Par la
suite, vous enchaînez en soulignant le fait qu'il y a dans la pratique
difficulté entre les parties de s'entendre sur leur fixation des
services essentiels et non sur le maintien en soi. (22 h 30)
Je pense que vous introduisez là une notion qui n'est
certainement pas un détail. Je ne pense pas. Partant de là, vous
nous proposez dans le temps - si je comprends bien, je ne veux pas être
injuste à l'égard de votre mémoire - deux phases: une
phase de réforme partielle qui pourrait être faite et s'ajuster,
le cas échéant, je présume, pour la prochaine ronde de
négociations. Vous nous dites: Ce sera insatisfaisant, ce ne sera pas
suffisant; il y a possibilité d'aller plus loin à la
lumière d'un examen de la réalité que
vous avez fait du potentiel des aspects positifs. Il y a dans cette
réalité des aspects négatifs et vous essayez de
déceler, à travers tout cela, les éléments
potentiels positifs et quelle sorte de perspective ça ouvre; d'où
la proposition d'une réforme plus globale, beaucoup plus en
profondeur.
J'aurais une série de questions, M. le Président, à
poser. Je vais certainement me retenir pour ce soir, mais je vais en poser
quand même un certain nombre sous réserve d'établir des
contacts additionnels pour, le cas échéant, avoir des
précisions sur peut-être certains points.
Sur les éléments à plus court terme ou ce que vous
appelez la réforme partielle, vous nous proposez, d'une part, en un
certain sens, le statu quo quant à la façon de déterminer
les services essentiels, c'est-à-dire entente entre les parties sur une
base locale; s'il n'y a pas d'entente, liste. Cependant, vous ajoutez un
certain nombre d'éléments; vous dites à la page 5 du
résumé: À la condition que la flixation survienne de
façon permanente en dehors de la période de négociation.
Je voudrais que vous nous précisiez d'une part, le plus
concrètement possible, ce que vous voulez exactement dire par "en dehors
de la période de négociation".
Peut-être que je pourrais me permettre de débouler ma
série de questions et ça vous permettrait de répondre
parce que les éléments s'enchaînent d'un à
l'autre.
D'autre part, vous nous proposez d'introduire cette notion de permanence
du conseil. Je pense que votre recommandation est claire. Cependant, sur la
base du protocole-cadre préalable - j'ai lu, encore une fois,
très rapidement votre mémoire qui est beaucoup plus explicite que
le résumé -vous nous référez à la
proposition qui était contenue dans le rapport Picard. À moins
que je ne l'interprète mal, je n'ai pas cru comprendre que le rapport
Picard nous proposait de mettre dans une loi le cadre du protocole. Je ne crois
pas que ce soit le sens de la recommandation du rapport Picard, à moins
que je n'aie mal compris. Je ne crois pas, d'ailleurs, que ce soit ce que vous
nous recommandez. Ce que je comprends, c'est que vous nous dites que ça
nous apparaît être une clé - dans ce sens, vous insistez en
disant: Ne rejetez pas ça du revers de la main sans reqarder cette
idée - qu'entre les parties intervienne ce protocole-cadre à
partir de la base proposée par le rapport Picard.
Comment, d'après vous, ça pourrait se réaliser?
Est-ce que ce serait un protocole-cadre qui pourrait être
négocié, par exemple - je jette une hypothèse sur la table
- par centrale syndicale et par secteur, par exemple, secteur hospitalier,
centres d'accueil, réseau des affaires sociales au sens peut-être
plus large? C'est sûr que les problèmes ne sont pas les
mêmes que dans le secteur de l'éducation ou dans le secteur de la
fonction publique. Est-ce à cela que vous pensez ou à autre
chose? Je pense que ce serait intéressant que vous puissiez nous
préciser ça.
Deuxième élément, vous nous proposez un service
d'information. Je ne suis pas certain de bien saisir votre recommandation.
Est-ce qu'il s'agit de ce qu'on appelait le conseil d'information? Je ne me
souviens plus très bien du nom.
M. Hétu: On trouve que c'est inutile.
M. Marois: J'ai plutôt cru comprendre que c'était
ça, la piste. Vous pensez vraiment à quelque chose d'autre,
disposant de moyens bien différents, conçu sur une base
différente aussi. Je pense qu'il serait intéressant que vous
puissiez développer un peu cette idée. Il y a une chose sur
laquelle, je pense, vous avez fait une démonstration qui
m'apparaît éloquente, d'autant plus que vous avez pris comme point
de comparaison les ports, si ma mémoire ne me trompe pas, cela me
rappelle des choses, et c'est vrai que ce n'est pas rêver en couleur.
Comment est-ce que cela pourrait être mis sur pied relativement
rapidement pour atteindre les objectifs? Il me semble que vous avez raison de
mettre le doigt sur le fait que, d'une part, l'accumulation des qriefs, plus le
laps de temps que cela prend pour les régler, l'addition des deux
facteurs combinés en plus, cela n'est certainement pas de nature
à favoriser une amélioration du climat.
Le facteur humain est un facteur extrêmement important quand on
parle en particulier du secteur hospitalier, ou, alors, je ne comprends plus
rien.
C'étaient les trois premières questions que j'avais
à poser.
Sur la réforme plus globale ou la perspective que vous ouvrez de
ce côté-là, il y aurait certainement beaucoup de choses
à dire, certainement beaucoup de questions à poser. Il y a
certainement certains éléments qui sont des pistes qui
méritent réflexion, et je me demande si la démarche de la
société québécoise ne nous mènera pas vers
ces hypothèses-là dans les faits, pour un certain nombre de
raisons, notamment celles que vous avez évoquées.
Une des questions que je me pose c'est au sujet de la structure à
trois niveaux que vous proposez. Est-ce que vous ne pensez pas que cela risque
d'alourdir la négociation et est-ce que, dans votre esprit, puisque
c'est trois niveaux, et là, je ne veux pas être injuste, je veux
être certain qu'on comprend bien votre proposition... Quand on parle de
niveaux, dans l'esprit du monde et souvent dans notre propre esprit à
nous autres, on pense au deux niveaux du secteur de l'éducation. Dans
les faits, quand on parle de
niveaux dans l'esprit du monde, je pense en particulier au secteur de
l'éducation, on donne souvent l'exemple des deux niveaux. Quand on parle
aux parents ou aux enfants, ils nous disent: On pensait que c'était
réglé et il semble que tout recommence au deuxième
niveau.
En d'autres termes, est-ce que cela laisse la porte ouverte à
chacun de ces niveaux-là, si cela se déroule dans le temps, la
porte ouverte aux conflits et à l'exercice du droit de grève? Je
pense que c'est très important que vous puissiez nous donner votre point
de vue là-dessus.
Je m'arrêterai là pour l'instant, M. le Président.
Il y aurait encore beaucoup à dire, je pense. Je suis certain que mes
collègues auront d'autres questions à poser, mais je tiens tout
de suite à remercier encore une fois la Centrale des syndicats
démocratiques de son apport. Je pense que ce n'est pas un exercice de
style que vous avez fait. Vous n'écartez pas les difficultés du
revers de la main, vous n'avez pas fait comme s'il n'y avait pas de
problème. Je pense que vous apportez une contribution positive à
nos travaux et je tiens à le signaler.
Le Président (M. Rodrigue): M. Hétu.
M. Hétu: M. le Président, il est exact qu'on vous a
remis le mémoire hier. Je vais vous dire pourquoi, sans cachette,
à tout le monde. Vous voulez qu'on parle franchement. On avait un
mémoire préparé pour la dernière ou
l'avant-dernière - je ne sais plus laquelle - commission parlementaire,
avant les élections, qui, à notre avis - quand je dis "notre" ce
n'est pas seulement le mien - ne correspond... C'était toutes de
vieilles affaires qui n'apportaient pas une contribution au débat.
Quand on a appris que la commission parlementaire siégeait, on
l'a appris par la bande, c'est plate, mais quand on l'a appris on s'est mis
à l'ouvrage. On vous a contacté - quelqu'un de votre cabinet - et
on a dit: On va être en retard. C'est aussi simple que ça.
Nous avons réfléchi à partir des conditions
concrètes que les travailleurs qui sont membres de syndicats chez nous
vivent. Cela a pris un peu plus de temps et on est arrivé en retard. Je
comprends bien cela, c'est la raison.
M. Marois: Remarquez, M. Hétu, que je ne vous en fais pas
grief.
M. Hétu: Non, non, non...
M. Marois: On va prendre de notre côté le temps
qu'il faut pour rendre justice au mémoire...
M. Hétu: Même si vous en faisiez un grief, on
trouverait un moyen pour le résoudre.
Une voix: Dans les 24 heures.
M. Hétu: Oui, expéditif. La première
question, les services essentiels, en dehors de la négociation
collective. L'établissement des services essentiels, d'après
l'expérience qu'on a, il n'est pas possible qu'on puisse régler
cela - parce que c'est assez complexe, vous le savez, tout le monde vous l'a
dit - dans un contexte de négociation collective. Cela n'est pas
possible.
On dit: Si cela n'est pas possible, d'après l'expérience
que nous avons eue... Vous savez, on est arrivé à des solutions
qui, parfois, ne sont pas les meilleures, on en convient. On dit: Est-il
possible dans un centre hospitalier, par exemple, d'établir ce que
c'est, à froid, ce que cela prend pour assurer les services essentiels,
par exemple, dans les cas d'opérations qui sont graves? Combien de
personnes faut-il pour opérer de manière essentielle? Enfin, il y
a différentes situations, il y a différents cas même dans
un hôpital donné. Qu'est-ce que cela prend comme personnel pour
résoudre ce problème?
Nous, on part de l'idée que le droit à la santé est
fondamental et il faut le reconnaître. Il faut arrêter de jouer
avec cela. On part aussi de l'idée que le droit de grève n'est
pas incompatible à cela. Comprenez-vous? Il s'agit de l'organiser. Si on
veut civiliser fondamentalement la négociation dans les services
publics, il faut l'organiser. En tout cas, chez nous, il n'y a pas un
travailleur qui veut empêcher que quelqu'un, quand il y a une urgence, se
fasse soigner, reçoive des soins. Il n'y en a pas un. Que ces
gens-là qui travaillent quotidiennement dans une institution des
affaires sociales alors qu'arrive un conflit, deviennent des sauvages, cela
n'est pas vrai, il n'y en a pas un. Devant cela, on se dit: Si cela est vrai -
pour nous, on le croit fondamentalement - qu'on essaie donc de le
résoudre entre les négociations. Il est possible de le faire,
mais de manière ordonnée, dans un cadre donné.
La référence qu'on prend, par exemple, celle qu'on
connaît, c'est celle du rapport Picard. Il y en a une là.
Celle-là ou une autre, on pourrait peut-être la raffiner, on
pourrait peut-être enlever des éléments. Je ne discute pas
le contenu, mais je dis quand même que, pour une fois, une institution
publique, après étude... Feu Picard, c'était un gars qui
connaissait cela, qui était respectueux d'un paquet de choses et c'est
l'expérience pour lui, dans le fond... L'expérience nous
suggère cela et on définit ce protocole.
À l'intérieur de cela, on dit qu'il doit être
possible de discuter, de tenter de s'entendre à partir d'une
série de démarches
qu'il faut faire. Or, il propose un tas de critères
là-dedans. C'est cela qu'on dit tout simplement. C'est possible de le
faire. Si, dans deux ans, on ne le fait pas, cela veut dire qu'il y a quelque
chose qui ne marche pas. Je ne pense pas qu'on puisse arriver à des
désaccords. J'ai foi en les parties. Je pense que l'État, depuis
1972, a eu foi en les parties. Il doit continuer sa marche et progresser vers
cela.
On s'est référé souvent, dans le débat,
à la Loi sur la santé et la sécurité au travail,
quand vous parliez de droits. Mais il y a une chose qu'il faut bien comprendre,
c'est que la société a évolué. Aujourd'hui, en
matière de santé et de sécurité du travail -ce sont
toutes des connaissances qui ne sont pas tellement vieilles au Québec -
il y a des connaissances qui disent qu'un travailleur qui est exposé
à des gaz, qui est exposé à ceci et à cela, s'il
demeure exposé à cela pour une période de temps, peut
perdre connaissance. On sait qu'après dix ans, ses poumons seront
affectés. On sait cela. Cela veut dire que la base, actuellement, de la
réglementation dit qu'en bas de cela, ce n'est pas dangereux. Il y a une
balise et je pense que le mérite fondamental de la loi, c'est d'avoir
reconnu cela.
Donc, je reviens à toute l'expérience qui a
été vécue dans la négociation. Je vais parler des
affaires sociales. Il y a une expérience et on ne peut la rejeter du
revers de la main. Déjà, où en est-on rendu dans les
services essentiels? On est rendu où est le rapport Picard, qui l'a dit
de manière générale. Mais, au niveau des institutions, au
niveau des syndicats, il y a des institutions et des syndicats qui sont rendus
plus loin et qui ont démontré qu'ils sont capables de faire
quelque chose pour respecter les gens qui sont malades, pour permettre le droit
à la santé. Déjà, cela existe. Alors, qu'on
continue d'aller plus loin. C'est dans ce cadre qu'on se situe, tout
simplement. (22 h 45)
On dit: L'État n'a pas le droit de mettre de côté
cette richesse qu'il a acquise. Si on parle de 1972, ce n'est pas ça du
tout. Le rapport Picard est clair. Il identifie à partir d'une
grève appréhendée -j'utilise ses termes - les journaux ont
fait croire, ont pratiquement ameuté la population parce qu'il y aurait
une grève. Non, ce n'était pas cela, c'était une
grève appréhendée de 24 heures. Déjà, on
commençait à démystifier des choses. On a une
expérience. Partant de cette expérience, qu'on sorte des
négociations collectives la définition concrète en vue
d'organiser les services essentiels. Qu'on sorte cela et qu'on essaie de
travailler là-dessus.
Concrètement, on dit que ça va prendre un conseil de
services essentiels qui serait là sur une base permanente et qui agirait
comme guide. C'est dans ce contexte-là, voyez-vous?
M. Marais: Si je comprends bien, le conseil sur le maintien des
services essentiels, qui serait là sur une base permanente, pourrait en
quelque sorte agir comme animateur pour amener les parties à convenir
d'un protocole-cadre.
Je ne veux pas prolonger le débat, ni abuser du temps, parce que
je sais que d'autres veulent intervenir, mais est-ce que, d'après vous,
la perspective que cela ouvre serait un protocole-cadre qui serait possiblement
négocié par centrales syndicales, par secteurs?
M. Hétu: Sortez les centrales de là, d'accord?
Elles ont assez d'ouvrage ailleurs. Est-ce assez clair? Que les travailleurs
qui sont membres d'un syndicat ou d'une union -pour être juste pour tout
le monde au Québec - règlent avec l'établissement leurs
affaires.
M. Marois: Par établissements?
M. Hétu: Oui, ce sont eux qui sont concernés. Ce ne
sont pas les centrales, je regrette, mais ce n'est pas vrai. Ce n'est pas la
fédération non plus, ce n'est pas l'union mère, ce sont
les travailleurs. Qu'ils soient membres d'un local, qu'ils soient membres d'un
syndicat, ce sont eux qui doivent résoudre les problèmes. Ce sont
eux qui savent ce qui se passe dans l'établissement, ils vivent avec le
monde, ils connaissent tel vieillard, etc. Même si j'entre dans ces
détails, vous seriez sans doute meilleurs que moi pour découvrir
cela.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Jean-Talon.
M. Hétu: Je n'ai pas parlé du service d'information
et d'autres choses, je sais que le temps passe et je n'ai pas envie de vous
faire passer la nuit ici. Je n'ai jamais passé la nuit avec des
députés, je ne sais pas ce que ça donne. Excusez-moi.
M. Marois: J'avais posé une question sur le service
d'information. J'avais parlé du service d'information pour qu'on voie
bien ce que vous proposez. J'avais aussi une autre question faisant allusion
à vos éléments de proposition de réforme globale,
les trois niveaux de négociation.
M. Hétu: Cela est relié à l'idée des
services essentiels. Vu que l'État joue un rôle, si le conseil
vous dit: Cela peut se régler. À ce moment-là,
l'État pourra intervenir parce que c'est lui qui est le qardien - je
prends votre expression - de l'intérêt public. J'ai fini
là-dessus.
Les structures à trois niveaux. Dans le
fond, le seul changement qu'on propose aux deux premiers niveaux
auxquels je réfère, c'est pour rendre moins lourdes les
négociations. Je m'explique. À la table centrale - en passant, de
laquelle on est exclu, je vous l'ai dit tout à l'heure et je le
répète, j'ai des marottes comme ça - on va discuter des
choses pécuniaires, c'est clair.
Au niveau sectoriel, pour rendre cela plus léger, plus souple,
moins long, on discute des choses d'ordre général. Il y a des
droits majeurs qui peuvent être discutés là, les
mécanismes de grief, toutes les choses d'ordre général,
mais non pas des trucs qui ont trait aux établissements, non pas des
trucs qui ont trait au fonctionnement de la boîte. ... On se dit que ces
affaires-là, c'est le propre fondamental des hommes et des femmes qui y
travaillent. Eux autres, ils doivent ensemble s'entendre pour résoudre
cela; c'est cela qu'on dit. Alors, on sépare cela de la
négociation générale où tu vas avoir des
spécialistes qui vont parler de salaires, qui vont parler de ci, qui
vont parler des grandes clauses, des griefs; il y a un tas d'affaires, il y a
des spécialistes, des gars qui sont compétents, et je fais
confiance aux gars des centrales syndicales.
Mais, quand tu arrives aux clauses relatives aux conditions de travail,
pas dans le sens économique, mais les conditions de travail dans un sens
nouveau, qui touchent à la fois la qualité des soins et la
quantité des soins, parce que les travailleurs qui sont là, le
petit préposé qui va faire manger un malade vit cela à
tous les jours, la quantité et la qualité des soins; qu'on leur
permette de discuter sur un pied d'égalité avec leur employeur de
ces questions, mais pas à la table centrale, faire un grand canal en
vertu duquel on va faire des petits qui ont tous le même visage, etc.;
qu'on fasse régler cela à la base, c'est cela que l'on dit, faire
confiance à la base. À ce moment-là, on change toute
l'allure des négociations.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest: M. le Président. C'est mon collègue de
Sainte-Anne qui a étudié votre mémoire, mais je veux quand
même vous signaler, M. Hétu, que vous nous jouez presque un tour,
enfin, vous nous avez dit que les travaux de la commission sont uniquement
centrés sur l'exercice du droit de grève, ses conséquences
ou ses non-conséquences...
M. Hétu: J'ai pris ça en note.
M. Rivest:... mais vous avez considérablement
élarqi nos horizons en proposant les perspectives que vous
évoquez et qui avaient été mentionnées d'ailleurs,
pour être juste, dans certains autres mémoires. Je me rappelle,
par exemple, que l'abbé Gérard Dion a parlé du fameux
problème de la centralisation à tous azimuts des
négociations et des difficultés que cela... Et sans doute
d'autres intervenants.
Mais je vais faire un peu comme le ministre. Peut-être, en
connaissance de cause, aviez-vous parlé de la fixation des services
essentiels, peut-être pensiez-vous à la fixation que cette
commission, sur cette fameuse question...
Il y a une chose, juste pour compléter, avant de passer la parole
à mon collègue. À la page 2, je vais vous poser une
question. Vous dites, quand vous avez évalué les deux causes
majeures sur les services essentiels, que la fixation des services essentiels
actuellement est subordonnée au rapport de forces - vous en avez
reparlé, d'ailleurs, vous avez précisé votre pensée
en réponse à la question du ministre - déclenché
par le processus de négociation, ce qui est inévitable. J'imagine
que ce que vous donnez comme diagnostic de départ, vous voulez le
corriger en disant, à la page 16: La fixation des services essentiels,
on va la sortir du contexte des négociations. C'est le sens, je pense,
de ce que vous évoquez, pour ne pas en faire une arme
stratégique. Dans des interventions, en lisant certains rapports
d'experts de la commission Picard, on a vu qu'à l'occasion, enfin il y a
eu quelques cas où effectivement les services essentiels ont
été utilisés comme arme de représailles contre un
geste de l'administration, à tort et à raison, mais les gens, en
fin de compte, se sont retrouvés pendant un certain temps, pas
extrêmement long, sans services essentiels.
Or, il y a aussi une autre notion qui a été
apportée dans le cours du débat, je suis sûr que vous en
convenez et c'est là-dessus que j'aimerais avoir vos commentaires.
Remarquez que j'endosse, enfin je comprends très bien cela, vous en avez
fait le point fort là-dessus, que, finalement, la question des services
essentiels ne peut pas venir d'en haut parce que cela doit se faire par les
parties au niveau local. Je pense qu'à peu près tout le monde...
D'ailleurs, quand le Conseil du patronat est venu présenter sa solution
de la régie, en tout cas, je me rappelle avoir posé la question
à M. Dufour: Comment voulez-vous qu'un gars à Québec ou
quelque part puisse décider des services essentiels dans un
hôpital à Sept-Îles ou bien à Montréal ou quoi
que ce soit? Cela fait pas mal loin pour décider de cela. Et ce
principe-là, je pense, en tout cas, moi je le trouve tout à fait
fondamental; je ne vous le reproche pas, bien au contraire, je suis bien
satisfait que vous ayez insisté à ce point-là.
Mais il y a aussi l'autre dimension. C'est que, si vous les fixez ou
tentez de les fixer en dehors du cadre de négociation, pour que ce ne
soit pas une arme
stratégique, c'est qu'au niveau de chaque établissement
également, cette notion, et cela a été dit je ne sais pas
combien de fois, est évolutive lorsque le conflit existe, parce que vous
pourriez décider que... Par exemple, le ministre, cet après-midi,
parlait d'un cas qui est survenu, un accident en chaîne sur le boulevard
Métropolitain où, à un moment donné, trois, quatre
ou cinq ambulances se présentent à un établissement. Cette
dimension, vous ne l'avez pas évoquée, mais pas pour des urgences
évidentes, parce que je suis tout à fait d'accord, le personnel
est conscient de ses responsabilités à ce plan-là et il ne
jouera pas avec cela, est-ce qu'à ce moment-là... Mon
inquiétude, c'est que... Les établir à froid en dehors des
périodes de négociations, fort bien. J'insiste là-dessus
et je voudrais que cela soit ainsi, mais en pratique est-ce que dans
l'administration de cette fixation des services essentiels, cela ne retombera
pas, en situation de conflit, dans le jeu des rapports de forces?
Comprenez-vous ce que je veux dire?
M. Hétu: Oui, oui, je comprends très bien ce que
vous voulez dire et je ne le pense pas. Je ne le pense pas, parce que la base
des services essentiels va être établie.
Deuxièmement, s'il y a, par exemple, grève, où il y
a des services essentiels, les parties vont se parler; s'il y a des urgences
comme cela, elles vont se parler.
J'ai en mémoire un fait qui m'a été raconté
par le président du plus grand centre hospitalier montréalais. On
était en grève, tout le monde était dehors, et qu'est-ce
qu'il racontait? À un moment donné ses spécialistes
arrivent et disent: On a justement des cas d'urgence qu'il faut opérer.
Le président demande - il me contait cela la semaine passée -
combien il y a de cas. Ils disent tant. Très bien. Voici la solution que
je vais proposer, je vais demander au syndicat d'ouvrir les lignes de
piquetage. Il a fait des appels, le syndicat était d'accord pour ouvrir
les lignes de piquetage. Cependant, le même président de
l'hôpital est revenu et il a discuté avec les spécialistes
et là les spécialistes ne voulaient plus passer. Ils voulaient
que l'État intervienne par une loi spéciale, après quoi
ils auraient dit: Là, on va opérer. Cela est un homme qui est
très bien connu au Québec, et il me disait cela tout bonnement
comme cela. Il me donnait un autre son de cloche que je ne connaissais pas
parce que je n'ai jamais été administrateur d'une boîte,
mais quand même j'ai déjà été sur des lignes
de piguetage.
Dans le cas auquel il se référait, c'est moi qui
dirigeais, sans qu'il le sache, ces lignes de piquetage. Mais ce n'est pas
à moi qu'ils ont eu affaire. Moi, on m'a dit: Tu fais cela, et on les a
ouvertes, etc. Mais voyez-vous le problème qui se pose? Ce que je veux
dire par cet exemple-là, c'est qu'il n'y a pas seulement le syndicat qui
est en cause, il y a beaucoup de personnes qui sont en cause. Mais si on a
établi - je reviens là-dessus - déjà les services
essentiels de base et s'il y a des situations qui sont plus critiques, il peut
y avoir un feu, par exemple, cela serait qrave, etc., peu importe les
situations, cela peut faire partie de ce que l'on appelle l'organisation des
services essentiels. Alors, dans le protocole, il pourrait y avoir justement
une question relative à cela, à savoir qu'il y ait des
responsables de nommés, qui se rencontrent et qui en discutent.
Expérimentalement, chez nous, quand on a discuté de ces
questions, les travailleurs, avec les institutions, ont prévu cela dans
bon nombre de cas. Si tu as des problèmes qraves, on s'asseoit, on
regarde qu'est-ce que cela prend et on y va.
M. Rivest: Je ne veux pas abuser. Cette réponse, en fait
de même nature, dispose peut-être d'une autre interrogation que
l'on a soulevée à maintes reprises sur la nature des pouvoirs du
conseil des services essentiels. Vous lui donnez finalement, vous
l'évoquez dans votre mémoire, un pouvoir de surveillance, enfin,
de constat. Le ministre parlait d'animation au niveau de la
détermination des services essentiels, hors des contextes de
négociation et de conflit. En période de conflit, au moins des
pouvoirs de surveillance et de constat et vous dites: On ne veut pas avoir de
pouvoirs coercitifs là-dessus, mais tantôt dans la discussion
-j'en ai perdu un petit bout - à un moment donné vous avez
évoqué le gouvernement. Est-ce qu'à ce moment là -
je ne sais pas -dans la discussion, vous avez dit: Si jamais il se
développe des situations, parce qu'il y a toujours la
sécurité des patients ou en fait du public? S'il se
développait des situations exceptionnelles, enfin, très graves ou
à un moment donné, il pourrait arriver des problèmes entre
les administrateurs et les syndiqués, peu importe, à ce
moment-là, ceux qui verraient, au fond, à ce que les ententes
locales, quitte à ce que ce soit encadré par un protocole et tout
cela, soient respectées, cela ne serait pas le conseil, mais le
gouvernement. Est-ce que je vous comprends bien là-dessus? Si l'entente
n'était pas respectée, qu'il y avait une situation grave qui se
produisait au niveau d'un établissement, une situation de conflit, qui
verrait à trancher le litige qui surviendrait? (23 heures)
M. Hétu: Nous disons qu'il faut maintenir le statu quo sur
ce point temporairement. C'est le dépôt de la liste syndicale.
Il faudrait voir les cas pratiques et concrets, il en faudrait de cela,
pour savoir quand les travailleurs ont refusé après avoir
convenu, par le dépôt d'une liste syndicale,
d'établir les services essentiels. Vous demandez un tas d'exemples, mais
il faudrait vérifier ces choses aussi. Dans ce cadre, je ne crois pas,
je n'en connais pas.
Je dis que l'État peut intervenir parce qu'il est le gardien dans
le sens suivant. Supposons qu'il n'y ait pas d'entente; s'il n'y a pas
d'entente, il y a le dépôt de la liste syndicale et l'État
va intervenir dans une situation qui est beaucoup plus générale.
Par exemple, s'il y a vraiment un blocage au niveau salarial.
Généralement, c'est là qu'il y a un problème, parce
qu'il n'y a pas d'entente au niveau salarial. Au niveau global, c'est
habituellement là qu'est le problème. À ce moment, parce
que c'est quand même dans son budget, etc., ce serait à
l'État de résoudre ce problème. Mais quand il y a des
conflits à l'intérieur, je trouve qu'il faut procéder non
pas par loi spéciale, mais essayer de connaître la source
réelle des problèmes qu'il y a dans ces établissements ou
dans un secteur. Si cela ne concerne pas la question salariale, si cela ne
concerne pas les services essentiels, cela devient des cas d'espèce.
C'est parce qu'il y a des problèmes au niveau des relations internes
tout simplement.
On a déjà eu un gouvernement, le gouvernement Johnson, qui
avait mis les hôpitaux en tutelle. Il ne faut jamais oublier cela, parce
que dans ce cas il y avait un maudit problème qui venait de quelque
part. L'interlocuteur, soit les administrateurs d'hôpitaux, bloquait pour
que le premier ministre d'alors, feu Daniel Johnson, décide
d'intervenir, pas par une loi spéciale, il a évoqué des
articles que vous connaissez très bien, d'ailleurs, et il a dit: Vous
autres, vous ne toucherez plus à cela, II a nommé Pratte pour
négocier avec les syndicats et cela s'est réglé. Je dis:
Qu'on étudie concrètement ce qui devient des cas d'espèce
et qu'on les résolve, ces cas d'espèce.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Duplessis.
M. Perron: Merci, M. le Président.
Concernant votre mémoire, M. Hétu, je dois vous avouer
franchement que j'y porte un intérêt tout spécial. J'ai eu
l'occasion d'en lire une bonne partie jusqu'à la page 23. Le reste, je
l'ai lu en diagonale, mais je pense que cela vaut vraiment la peine de le
regarder sur le fond. Selon moi, en tout cas, et probablement selon tous les
membres de la commission, des recommandations tout à fait nouvelles nous
sont apportées.
Pour votre information, seulement dans le cadre de la réforme
partielle, j'ai noté six recommandations nouvelles qui n'étaient
venues ni des associations ni des syndicats. Je n'ai pas eu le temps de lire la
réforme globale au complet, mais je pense que cela vaut vraiment la
peine que le gouvernement, ainsi qu'une éventuelle commission
parlementaire, regarde cela par la suite, lorsqu'on aura une loi ou quelque
chose qui viendra amender ou des règlements qui amenderont effectivement
sur le fond.
Maintenant, j'aurais plusieurs questions à vous poser. À
la page 16, lorsque vous parlez de la fixation des services essentiels, vous
mentionnez - et je relève ce que disait le ministre tout à
l'heure sur sa question à lui, j'étais parfaitement d'accord sur
votre réponse, parce qu'elle était assez détaillée,
mais je voudrais ajouter un élément - un protocole-cadre des
critères devant servir à la fixation des services essentiels. Je
me suis posé comme question, en voyant cette partie de la recommandation
que vous faites, si cela voulait dire que vous croyez que les services
essentiels dans certains établissements, par exemple, devraient
être définis comme étant à 100% ou à 50%. Je
prends l'exemple des centres hospitaliers de soins prolongés, des
centres d'accueil et des endroits où on donne des services à des
handicapés physiques et mentaux, ou encore dans le cours des services
d'urqence. C'est ma première question.
Pour ce qui a trait à la permanence que vous mentionnez dans
votre dernier point de la page 16, est-ce que vous pourriez dire aux membres de
cette commission de quelle façon on pourrait établir un tel
mécanisme? Je crois que le gouvernement devra regarder de très
près cette recommandation que vous faites.
Je vais poser mes questions en série, j'en ai sept au total. M.
le Président, si vous le permettez, considérant que ce
mémoire apporte tellement de faits nouveaux, je pense qu'il y a lieu de
prendre le temps requis pour regarder de près plusieurs sujets qui sont
soulevés et qui sont vraiment intéressants.
À la page 17, deux autres éléments nouveaux. Vous
mentionnez un mandat de surveillance du dépôt et d'un mandat de
surveillance du maintien. Je me reporte à ce que le Conseil sur le
maintien des services essentiels fait actuellement ou faisait, si vous voulez,
en 1979 et 1980; il regardait les ententes, il s'assurait que les ententes
étaient rentrées, il regardait les listes et il faisait juste
regarder le maintien. Ma question est celle-ci: Puisque, différentes
associations nous ont soulevé qu'il devrait y avoir, à certains
moments, des pouvoirs quasi judiciaires pour le Conseil sur le maintien des
services essentiels, est-ce que vous croyez que ce conseil devrait avoir des
pouvoirs quasi judiciaires pour rencontrer les objectifs que vous mentionnez
dans votre mémoire en parlant du mandat de surveillance du
dépôt et du mandat de surveillance du maintien?
À la page 18, c'est bien sûr que je n'ai
pas vu dans votre mémoire, comme l'ont mentionné des
associations et des syndicats, le fait que le gouvernement avait l'intention
d'enlever le droit de grève dans les secteurs public et parapublic. Je
crois que vous vous souvenez très bien de la déclaration du
ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du
revenu, dès le début. Vous vous rappelez très bien aussi
une certaine déclaration qu'on a faite durant toute la campagne
électorale d'avril et mars derniers, en rapport avec le maintien du
droit de grève dans les services public et parapublic.
Considérant que vous avez remarqué ça, je vais passer
là-dessus; c'était juste un commentaire que je voulais faire.
M. Hétu: C'est pour ça qu'on l'appuie.
M. Perron: Merci. À la page 20, dans la conciliation, vous
revendiquez des conciliateurs indépendants, c'est-à-dire qui ne
soient des salariés d'aucune des parties. La question des conciliateurs
indépendants que vous mentionnez me semble très importante.
À un certain moment, lorsqu'on a des conciliateurs gouvernementaux dans
des questions gouvernementales, en rapport avec les différents
ministères ou même avec le Conseil du trésor, on peut
considérer pratiquement ça comme juge et partie. Est-ce que vous
pourriez nous dire de quelle façon on pourrait établir cette
liste de conciliateurs neutres - parce que vous savez que c'est très
difficile d'obtenir des conciliateurs neutres par les temps qui courent - qui
serait, selon votre mémoire, déposée au Conseil
consultatif du travail et de la main-d'oeuvre? De quelle façon vous
voyez qu'on devrait procéder afin obtenir une telle liste?
À la page 21, vous parlez des griefs et de l'arbitrage. J'en
conviens avec vous et, d'ailleurs, tous les syndicalistes qui se sont
présentés devant nous et même certaines associations ont
revendiqué du gouvernement que les griefs soient réglés
avec des mécanismes imposants que ça se règle pour que ne
s'accumulent pas 2000, 3000, 4000 griefs sur une période de trois ou
quatre ans. On sait que, quand on arrive à un table centrale,
très souvent, il n'y a pas seulement la question monétaire, mais
on se ramasse aussi avec la question des griefs qui sont en suspens depuis de
nombreuses années. Est-ce que, dans le cadre de l'arbitre qui pourrait
rendre jugement sur le banc - et je pense que vous savez, M. Hétu, qu'on
en a déjà parlé tous les deux, de cette question d'arbitre
qui rendrait un jugement sur place; cela me semble drôlement important
pour accélérer le processus - vous croyez que les parties
devraient avoir le pouvoir d'aller en appel lorsque le jugement de l'arbitre
serait rendu? Là je vous mentionne que certaines causes sont entendues
par des arbitres. Cela s'en va au Tribunal du travail, qui très souvent
sanctionne la décision de l'arbitre et à un moment donné
on se ramasse à la Cour supérieure et à un moment
donné à la Cour suprême. On a mentionné des cas lors
de la rencontre qu'on a eue au niveau de certains échanges.
Maintenant, quant à la réforme globale. Dans votre projet
de réforme globale, que faites-vous des services essentiels? Je n'ai pas
remarqué dans cette partie sur la réforme globale que vous ayez
mentionné la question des services essentiels. Doit-on penser que le
conseil sur le maintien des services essentiels conserve sa place, dans la
réforme globale toujours? La dernière question: Croyez-vous qu'il
soit réaliste de penser arriver au consensus dont vous parlez dans votre
réforme globale? J'ai vu cette partie où vous parlez de
consensus. Vous savez, dans le cadre des négociations, c'est très
difficile d'arriver à un consensus à moins de négociations
par-dessus négociations. Ce sont les questions que je pose, M. le
Président. Je sais très bien que M. Hétu, avec son verbe
très facile, pourra répondre à mes sept questions.
Le Président (M. Rodrigue): M. Hétu.
M. Hétu: La seule chose que je vais essayer de ne pas
faire, c'est d'escamoter vos questions. Première question: Les services
essentiels doivent-ils être définis par la loi? Je réponds:
Non. Si les parties ont eu de la misère dans le passé, je vois
mal des fonctionnaires ou des technocrates, qu'on les appelle comme on voudra,
à l'emploi du gouvernement qui auront à légiférer
ou tout au moins à définir la législation, je vois mal
comment ils vont pouvoir le définir. Quels mécanismes permanents
pour réaliser ça? Mécanismes permanents, j'ai l'impression
que vous voulez dire que c'est en rapport avec le conseil sur les services
essentiels et les parties.
M. Perron: Toujours dans le cadre de la fixation des services
essentiels.
M. Hétu: Des services essentiels. Je pense que par
règlement il faudrait prévoir un mécanisme, pas dans la
loi. Dans la loi on pourrait dire de manière très
générale ce qui est l'intention générale. Par
règlement, on devrait l'établir. D'abord, il y aurait une
série de points que le règlement pourrait couvrir et les
délais pour que cela se fasse vraiment en dehors de la
négociation collective. C'est la procédure entre le conseil et
les syndicats. Il faudrait parler ensuite du protocole, tout au moins les
différents points qui devraient en faire partie, mais laisser encore
là au niveau du protocole une certaine souplesse en rapport avec la
capacité des parties de résoudre. Ce
serait un genre de canevas, et ainsi de suite. Mandat de surveillance de
dépôt. Vous référez à des pouvoirs
judiciaires. Là-dessus, on répond: Non. C'est déjà
un pas de franchi. Vous avez remarqué que c'étaient deux choses
nouvelles. Très bien, qu'on le fasse, mais pas avec des pouvoirs
judiciaires.
M. Perron: Si je vous ai posé cette question, M.
Hétu, c'est parce que je voulais que ce soit clair entre nous parce
qu'il me semblait possible d'avoir une certaine ambiguïté dans le
texte qui nous est proposé.
M. Hétu: Je suis très heureux de voir que vous nous
suggérez de préciser. Alors, on dit: Non. Déclaration de
Marois, ça va. Conciliation. Comment établir cette liste de
conciliateurs? Il y a actuellement des gens qui sont spécialisés
ou qui sont suggérés aux parties dans le cadre de la liste
à noter des griefs, mais on n'en connaît pas qui sont
spécialisés - on en connaît, mais on en connaît par
la pratique; il faudrait qu'il soit établi clairement lesquels sont
spécialisés notamment dans l'arbitrage des griefs. Dans
l'arbitrage de griefs, ces gens acquièrent une expérience, une
compétence. Il y a dans tout quelque chose qui enrichit, qui est fort.
Ces personnes seraient en mesure d'aider parce qu'elles ont une connaissance et
une pratique, et les personnes, notamment, qui seraient acceptées par le
Conseil consultatif de la main-d'oeuvre... (23 h 15)
Toutes les parties sont là même si on n'y est pas. Encore
là, on dit: On va leur faire confiance, même si on n'y est pas.
J'ai hâte que le ministre, en passant, se décide et nous
reconnaisse. Excusez cet aparté, mais, dans ce cadre, on pourrait fort
bien définir et décrire ceux qui ont cette compétence
spécifique et qui pourraient, lors d'un conflit ou lors de
difficultés au niveau de la négociation, être choisis et
acceptés par les parties, parce qu'ils ont cette compétence qui
aura été prouvée par leurs interventions
antérieures dans l'application de la convention collective.
L'arbitrage et les arbitres sur le tas. Actuellement, je vais vous dire
qu'on a eu un ou deux arbitrages accélérés. On l'a
utilisé une fois. Dans un cas, cela a pris 60 jours. On a fait une
première expérience. On a demandé un arbitre à
cause d'un type de problème donné dans un établissement.
Il est venu rapidement et cela a pris 60 jours pour résoudre le
problème et là, il est allé vite Évidemment, les
autres bouts...
M. Perron: La partie dont je vous parlais lorsque je mentionnais
la question de l'arbitre qui pourrait rendre le jugement sur le banc, cela veut
dire lorsqu'il est présent sur place, dans les 24 heures ou les 48
heures qui suivent. La question que j'avais posée était comme
ceci: Permettriez-vous que les parties puissent se servir du mécanisme
d'appel, comme cela se fait dans beaucoup de cas?
M. Hétu: Rapidement, d'après mon expérience,
je dis non.
Les services essentiels, qu'en faites-vous dans la réforme
globale, lorsqu'elle sera appliquée? Je pense qu'on va avoir un autre
bout de franchi et peut-être qu'on n'en parlera plus, parce que ce sera
peut-être réglé. Je suis cabotin quand je dis cela, mais,
dans la réforme globale, évidemment, on dit qu'on va commencer
par vivre. Je ne sais pas dans quel sens le Parlement va s'orienter, dans quel
sens il va faire des propositions. On ne le sait pas, mais, de toute
façon, une chose qu'on sait, c'est que le Parlement n'est pas plus
bête que les syndicats ou pas plus bête non plus que certains
patrons, pas tous, et il va proposer quant à l'organisation des services
essentiels des solutions permettant aux parties de faire un proqrès.
Rendu là, on pourra en parler.
Quand on parle de réforme globale, on est bien conscient,
d'après notre pratique, que ce n'est pas pour l'an prochain. Pour quand?
Je ne le sais pas. Il y a bien des choses dans la réforme globale. Je me
réfère plutôt au deuxième volet de la gestion
démocratique. Avant de vous embarquer là-dedans, je pense que
votre premier réflexe va être d'être prudents. Nous nous
disons tout simplement que si, à ce stade-ci, le gouvernement
permettait, notamment, de faire des expériences avec ceux qui le veulent
et que si le ministère du Travail, dans ce cadre, à la suite de
cette permission, fournissait des services qu'il n'a pas actuellement pour
réaliser ces expériences, ce serait un investissement vraiment
valable.
M. Perron: Nous parlez-vous à ce moment-là, M.
Hétu, d'un genre de projet pilote dans un certain établissement
ou certains établissements qui pourrait servir par la suite à un
nouveau mode de négociation et à un nouveau mode pour
établir des listes de services essentiels, pour établir la
conciliation et ainsi de suite?
M. Hétu: Oui, c'est exact.
M. Perron: Je vous remercie beaucoup, M. Hétu. Mon plus
grand souhait est... Je vais vous donner un exemple ici de ce que j'ai
vécu il y a peut-être quatre ans passés. Il y avait un
hôpital de mon comté avec un directeur d'administration qui n'est
plus là aujourd'hui - et j'en suis très satisfait - et les griefs
s'accumulaient et s'accumulaient. Lorsque le nouveau directeur est
arrivé, en l'espace d'une journée, il a réglé
environ
95% des griefs et il en restait deux qui ont mis cinq jours à
être réglés. C'est parce que les deux parties ont
démontré leur bonne foi. Je maintiens que, à un moment
donné, on est capable, ensemble, d'arriver à de la bonne foi. Je
vous remercie, M. Hétu, de vos réponses.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Hétu: Si vous me permettez, M. le Président,
j'aimerais apporter une réponse à une question posée par
le ministre concernant le service d'information. Je serai très bref.
Par rapport au service d'information, nous, négociant
après la CSN, après la FTQ dans les secteurs, on aimerait bien
avoir de l'information sur ce qui a été réglé
là. Je ne dis pas que les patrons essaient de nous jouer dans les
pattes, mais on trouve anormal que le patronat, notamment ceux qui ont
négocié avec les groupes de la CSN ou de la FTQ, soit le seul
canal par lequel nous puissions obtenir de l'information.
Quant au règlement, je pense qu'il est important de savoir les
points qui ont été négociés, nous, on passe en
troisième. On ne s'en fait pas, on est minoritaire, mais on n'a pas
l'intention de l'être tout le temps.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: M. Hétu, comme le ministre et tous les autres
membres de la commission, j'ai reçu, ce matin, votre mémoire, et
j'en ai fait une lecture rapide. Mais étant donné que je ne suis
pas ministre, je dispose d'un peu plus de temps. J'ai constaté que ce
mémoire semblait différent des autres mémoires syndicaux
qu'on a reçus. J'ai lu tous les autres mémoires syndicaux, et
tous avaient pour titre Pourquoi maintenir le droit de grève, et
parlaient du droit de grève, tandis que votre mémoire s'intitule:
La CSD propose un changement du régime de négociations.
Alors, pendant l'heure du dîner, j'ai relu votre mémoire un
peu plus attentivement. Heureusement que M. Perron s'est arrêté
à la page 26, parce que moi, je l'ai lu jusqu'à la page 35;
j'imagine que mes questions vont porter un peu plus sur les pages 26 à
35 pour avoir quelque chose de nouveau.
Je dois vous faire part de mon impression personnelle. Vous êtes
un peu comme la fameuse annonce de la compagnie de location d'automobiles qui
emploie le slogan: "We are number two, we try harder".
M. Hétu: We are not number two, we are number three, I
want to tell you that.
M. Polak: We are number three, we try harder, vous comprenez. Je
dois vous dire que, personnellement, il y a énormément de notions
très positives dans votre mémoire. Cet après-midi, quand
on a entendu le mémoire de l'Intersyndicale, je me demandais comment il
se faisait que la CSD n'avait pas souscrit. Je pense que je commence à
comprendre.
Vous avez fait une comparaison, à un moment donné, avec la
Loi sur la santé et la sécurité du travail. Pourriez-vous
me dire, comme question préliminaire, si votre syndicat est
représenté auprès de la CSST dans les plus hautes
instances? Vous siégez au bureau de direction parce que... J'aimerais
savoir ça.
M. Hétu: Non, et je ne veux pas en parler tout de suite
parce que je ne pense pas que...
M. Polak: Je voudrais vérifier, parce que je me le
rappelle, au mois de mai, quand on examinait les crédits du
ministère de M. Marois, j'avais sugqéré de nommer
quelqu'un de la CSD. Je trouvais un peu bizarre que ce syndicat ne soit pas
représenté du tout. On m'a dit que les gens seraient
peut-être nommés la prochaine fois, etc.
Vu que, ce soir, le ministre a montré tellement
d'intérêt à votre mémoire, il a même dit qu'il
voulait reprendre contact plus tard - mais il a quitté
momentanément -j'espère qu'il retiendra ma suggestion,
étant donné que tout le monde semble être
impressionné par votre mémoire - du côté
ministériel aussi - peut-être le gouvernement peut-il commencer
par un très bon qeste et dire: Ces gens sont responsables - d'ailleurs,
les autres syndicats sont responsables aussi -peut-être
méritent-ils d'être dans les plus hautes instances. Cela,
c'était un petit à-côté.
M. Hétu: De toute façon, pour vous informer, quand
le ministre a annoncé la composition de la Commission de la santé
et de la sécurité du travail, nous nous étions
réunis, le ministre et les représentants de la CSD, pour discuter
de cette question. À ce moment-là, il nous avait siqnifié
son désir, soit, éventuellement, de nous proposer de
siéger à cette commission. Je suis convaincu, s'il était
ici, qu'il me dirait spontanément: Oui, je vais y donner suite.
M. Polak: Disons que c'est à l'étude.
M. Hétu: C'est exact Bob? Le ministre dirait
ça?
M. Dean: On va laisser le ministre parler pour
lui-même.
M. Hétu: C'est bien.
M. Oean: Quand il quitte la pièce, c'est toujours à
ce moment qu'il se passe quelque chose, peut-être par accident, mais
peut-être par dessein aussi.
M. Polak: Je pose des questions même si le ministre est
ici. Cela ne fait pas de différence pour moi. Maintenant, dans votre
mémoire, à la page 2, vous dites: La liste des services
essentiels sert, dans ce contexte, aux parties comme arme stratégique.
Je ne veux pas me servir de votre syndicat pour faire la preuve contre les
autres syndicats. Pendant des jours, on a essayé d'avoir des
renseignements objectifs pour savoir s'il y a un problème qui existe,
oui ou non. Les syndicats nous ont répondu unanimement qu'il n'y avait
pas de problème du tout. Le rapport Picard est positif. Votre
déclaration semble dire, quand vous dites "comme arme
stratéqique", que vous commencez un peu à douter de
l'objectivité du système actuel. Est-ce que c'est vrai? Est-ce
que j'ai bien compris?
M. Hétu: Que nous doutons du sytème actuel? De quel
système?
M. Polak: Le système actuel des listes syndicales tel
qu'il existe.
M. Hétu: On ne doute pas de cela. Au contraire, on
voudrait que cela se continue.
M. Polak: Vous suggérez tout de même des
changements.
M. Hétu: Oui, mais qu'on le fasse en dehors de la
négociation.
M. Polak: D'acord. Vos changements apportent une
amélioration au système actuel qui existe. C'est sans doute,
parce que vous dites: Les parties s'en servent comme arme stratégique.
Cela veut dire qu'elles se servent de cela parce qu'elles ont leurs
intérêts. À ce moment, peut-être que le secteur des
usagers en souffre.
M. Hétu: Et aussi la partie patronale. Je ne porte pas de
jugement, à savoir lequel des deux l'utilise le plus comme arme
stratégique, mais les deux parties le font.
M. Polak: À la page 6, peut-être pourriez-vous
m'expliquer cela, quand vous dites que les parties les plus
représentatives, la CSN et la FTQ, monopolisent à leur gré
l'information sur le cours des négociations. Alors, il se
développe des problèmes sérieux d'inégalité.
Pourriez-vous expliciter cela un peu? Est-ce que cela veut dire que, parce que
les deux "gros" s'en occupent, tout le monde en souffre?
M. Hétu: C'est pourquoi nous avons suqgéré
qu'il existe un service d'information, comme je vous l'expliquais tantôt,
ayant à négocier dans le secteur des affaires sociales ou du
côté des employés municipaux, etc. Lors des
négociations avec l'AHQ, le fait que nous n'ayons pas ces
renseignements, l'AHQ s'en sert à sa faveur. Si on avait l'information
par un canal officiel, à ce moment, on pourrait être sur un pied
d'égalité avec l'AHQ, par exemple, ou l'Union des
municipalités. C'est pourquoi nous demandions un service d'information,
un canal officiel, qui nous fasse part des règlements, des conclusions
auxquelles on en est arrivé lors des négociations.
M. Polak: À la page 16, vous parlez de la fixation des
services essentiels et là, vous arrivez avec de nouvelles idées.
D'abord, vous répétez qu'il faut que ce soit fait localement
entre deux parties, ensuite vous parlez des protocoles-cadres et de la fixation
de ces services qui doit être déterminée en dehors des
périodes de négociation, sur une base permanente. Ensuite, vous
continuez, à la page 17, en faisant la relation avec le Conseil sur le
maintien des services essentiels. Ma question sur ces deux pages, 16 et 17, est
la suivante: Vous n'acceptez pas un conseil qui devient une sorte de
régie permanente, en dehors des parties, qui règle la situation
une fois pour toutes. Vous dites, à la page 16, que le conseil ne
dispose d'aucun pouvoir coercitif. Donc, est-ce que votre recommandation,
quoiqu'elle ouvre la porte, n'est pas un peu faible? Est-ce qu'on ne pourrait
pas aller un peu plus loin en disant: En cas de différend, c'est le
conseil qui décide et tranche le débat?
M. Hétu: II faut éviter d'être trop
général. Il faut être très concret, comme la
commission le veut et le manifeste par ses questions. On a fait un bout de
chemin depuis 1972. Qu'on continue un autre bout de chemin, mais en dehors du
cadre coercitif. On l'a fait jusqu'à maintenant, alors qu'on le
continue, mais qu'on se raffine un peu, qu'on développe des outils.
C'est ce qu'on suggère. Qu'il y ait des outils additionnels de fournis
aux parties pour qu'elles puissent progresser vers le grand objectif que vous
poursuivez, c'est-à-dire la civilisation des rapports entre les parties
lors de négociations. (23 h 30)
M. Polak: Pour résumer votre position en termes simples,
on pourrait dire qu'elle est un peu entre la position des syndicats et celles
de beaucoup d'autres organismes qui sont venus ici suggérer un conseil
avec des dents. Vous êtes entre ces deux-là.
M. Hétu: On est opposé au conseil "avec des dents",
pour prendre votre expression.
M. Polak: À la page 20, sur la conciliation, vous parlez
de conciliation neutre. Pouvez-vous me dire la situation actuelle? J'apprends
aussi, en parlant avec tout le monde et avec vous. Est-ce qu'actuellement ces
conciliateurs sont des personnes au service du gouvernement?
M. Hétu: Dans l'expérience qu'on a eue, on s'en
doutait. Je ne dis pas que c'était un piège qu'on tendait, mais
on a placé la demande comme normalement on doit le faire lorsqu'il y a
mésentente avec l'employeur. On s'est adressé au service de
conciliation. Là, on nous a répondu qu'on ne voulait absolument
pas toucher à cela. En d'autres termes, on disait que c'était une
patate chaude et de trouver un autre moyen pour résoudre le
problème. On s'est dit: Avec qui? Comment? Ma foi, si le service de
conciliation gouvernemental ne veut pas s'en occuper, qu'on ait quelqu'un
d'autre sur qui on peut se fier, qui soit accepté par les parties.
À ce moment-là, lorsqu'on aura des problèmes, on pourra
recourir à sa compétence...
M. Polak: Si j'ai bien compris, vous suggérez...
Excusez-moi, continuez.
M. Hétu:... comme tierce partie pour nous aider à
les résoudre. Cela va.
M. Polak: Si j'ai bien compris, vous suggérez la formation
d'une sorte de banque composée de personnes qualifiées avec de
l'expérience, mais neutres et acceptables aux deux parties.
M. Hétu: Exact.
M. Polak: Je trouve que c'est une suggestion fort
intéressante et très positive, comme d'ailleurs beaucoup
d'autres. À la page 21, vous parlez de griefs et d'arbitrages. Vous
dites, à la fin de la page qu'il faudra diviser les arbitres en deux
groupes, un pour le secteur privé et un pour le secteur public. Quelle
était la raison de la division? Est-ce une question de
spécialité des arbitres?
M. Hétu: Actuellement, une liste est
déterminée pour fins d'arbitrage par le Conseil consultatif du
travail et de la main-d'oeuvre. Cette liste est publiée dans ce qu'on
appelle la liste annotée des arbitres de griefs. On se dit tout
simplement, au lieu de se fier à une expérience qu'on a cas par
cas avec des arbitres, que ce conseil puisse déterminer, indiquer
lesquels ont dans leur histoire ou dans leur expérience une
compétence de développée pour qu'on puisse les
connaître concrètement et qu'on les sépare. Qu'on l'indique
tout simplement.
M. Polak: II ne me reste pas beaucoup de questions, M. le
Président, seulement trois ou quatre. Je suis déjà rendu
à la page 25, à la fixation du salaire minimum. Vous parlez du
salaire minimum strictement dans les secteurs public et parapublic, n'est-ce
pas? Vous dites: On va prendre la moyenne dans l'industrie privée, et
vous donnez des barèmes, des critères, le nombre
d'employés, la nature des services, etc. Pourquoi avez-vous pris cette
formule? J'ai toujours pensé que le secteur public était
passablement bien compensé. Ne pourrait-on pas constater que la moyenne
est peut-être moindre que ce qu'on pensait avoir?
M. Hétu: Généralement, dans le passé,
au cours tout au moins des trois dernières négociations, ce qui a
été connu beaucoup plus du public, quand on débattait la
question salariale, ce qui était mis de l'avant, c'était le
niveau de vie décent minimal. On parlait, par exemple, de 100$, etc.
C'est dans ce cadre qu'on fait la proposition de la moyenne. Cette base a
toujours fait l'objet de conflits. Par exemple, les 100 $, etc., ont toujours
fait l'objet de conflits, parce qu'on ne s'entendait pas là-dessus. Sur
quelle base allions-nous négocier les augmentations salariales? On
parlait de niveau de vie décent et on parlait aussi d'augmentation
salariale pour les autres catégories. Or, c'est dans ce contexte qu'on
fait la proposition que vous venez de mentionner.
M. Polak: À la page 29, vous parlez du deuxième
niveau de négociation, l'échelle sectorielle institutionnelle.
Ai-je bien compris que vous dites, comme d'ailleurs d'autres mémoires
l'ont dit qu'il faut diviser cela en secteurs, comme l'éducation, comme
le ministre, je pense, l'avait dit? Est-ce bien l'idée en arrière
de cela parce que les problèmes sont spécifiques à chaque
secteur?
M. Hétu: Exactement.
M. Polak: Autre bonne suggestion. De la page 31 à la page
34, si j'ai bien compris votre mémoire, je pense que vous parlez un peu
de ce que j'appelle un syndicat d'esprit européen, où on parle un
peu, en termes américains, de "co-management", parce que vous
suggérez plus ou moins - je trouve cette formule intéressante -
que les travailleurs participent à l'organisation du travail,
l'établissement de la politique du personnel, la planification. Vous
demandez vraiment une participation beaucoup plus grande que ce qui existait;
ces gens vont agir de manière responsable. Est-ce que c'est la formule
dont vous parlez?
M. Hétu: C'est l'idée générale.
M. Polak: Avez-vous des exemples où
cela existe? Par exemple, est-ce que cela existe dans l'industrie
privée ici, à Québec? Est-ce que cela fonctionne
très bien, cette formule?
M. Hétu: Dans les affaires sociales, nous avons
commencé, initié de telles démarches.
M. Polak: Et quels ont été les résultats
jusqu'à maintenant?
M. Hétu: C'est en pleine négociation, en pleine
discussion, en particulier dans un établissement, mais peut-être
que les coupures budgétaires vont nous jouer des tours.
M. Polak: Ma dernière question, M. le Président.
À la page 34, vous parlez de la stratégie d'implantation et vous
dites: "la recherche d'un consensus social à la base". Je trouve cela
intéressant, parce qu'il y a d'autres mémoires qui ont
parlé, par exemple, d'un nouveau contrat social. Encore ici, est-ce que
cela fait partie de cette nouvelle formule de coopération entre les deux
parties, pour vraiment connaître mutuellement les problèmes
majeurs?
Dans la même page, vous dites: "Tout accord doit reposer
uniquement sur la bonne foi des parties et l'une d'entre elles peut le
discontinuer en tout temps. " Comment suggérez-vous qu'on puisse le
discontinuer? On commence la formule, mais vous donnez le droit à
chacune des parties de dire: Cela ne fonctionne plus, je m'en vais. Qu'est-ce
qui arrive avec l'expérience, à ce moment-là?
M. Hétu: Cette proposition est faite dans le cadre de la
loi actuelle. La loi actuelle ne permet pas, en particulier la loi des services
sociaux, de discuter si le directeur général ne le veut pas, par
exemple, parce que dans la loi c'est une de ses responsabilités
spécifiques. Si un établissement, par le biais de son directeur
général, est d'accord pour qu'on fasse une telle
expérience, à ce moment-là, il est évident que,
dans sa nature même, elle sera illégale. Il faudra tout simplement
un accord qui n'est pas dans le cadre, hélas, de la convention
collective, mais un accord entre les deux parties pour qu'on fasse ces
choses.
En dépit de cela, nous avons quand même
négocié, dans des ententes locales, comme je vous l'ai dit au
tout début, cette possibilité de le faire.
M. Polak: M. le Président, j'ai terminé mes
questions. J'aurais juste une remarque finale au ministre, parce qu'il
était absent temporairement quand j'ai posé ma première
question, concernant la représentation de ce syndicat dans les plus
hautes instances de la
CSST.
Vous vous rappelez peut-être que c'est moi qui ai demandé,
quand on a étudié les crédits de votre ministère,
comment il se faisait que ce syndicat n'est pas représenté. J'ai
dû comprendre ce soir du président que c'est sous
délibéré. Cela va être à considérer.
Je ne voudrais pas vous prendre par surprise, mais vous faire part du fait
qu'on a soulevé ce problème et peut-être avez-vous des
bonnes nouvelles déjà. Je ne le sais pas.
M. Marois: D'ailleurs, M. le Président, je tenais à
l'oeil le député de Sainte-Anne puisque, tout en étant
absent de la salle, je regardais les travaux par le biais de la
télévision, dans l'autre salle.
M. Polak: Excusez-moi. Vous avez bien compris?
M. Marois: J'ai pris bonne note de vos commentaires.
M. Hétu: Et que j'ai bien répondu en votre nom.
M. Polak: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie les
représentants de la Centrale des syndicats démocratiques et
j'invite maintenant les représentants de l'Association des
médecins du Québec pour le respect de la vie à prendre
place et à nous présenter leur mémoire.
J'informe les membres de la commission qu'il est 23 h 43. Il est
possible que nous ayons à dépasser un peu minuit qui,
normalement, met fin aux travaux des commissions. Je demande donc le
consentement des membres de la commission pour poursuivre, si
nécessaire, au-delà de minuit. Est-ce qu'il y a consentement?
Des voix: Cela va.
Association des médecins du Québec pour
le respect de la vie
Le Président (M. Rodrigue): II y a consentement. Dr
Jutras, c'est vous qui présentez le mémoire. J'aimerais, d'abord,
vous inviter à nous présenter les personnes qui vous accompagnent
et, ensuite, à nous présenter votre mémoire.
M. Jutras (René): À ma droite, le Dr Jacques
Tremblay et, à ma gauche, le Dr Benoît Légaré qui
est le deuxième vice-président de l'association.
La CSD était le "number three" et nous sommes le "number eight".
Alors, vous allez nous excuser si on allonge ainsi cette journée, mais
je dois vous confesser que mon
groupe et moi-même sommes ici depuis dix heures ce matin, tel
qu'on nous a demandé de le faire. Nous allons essayer d'aller
très vite. Notre rapport n'est pas long, il est court. J'avais promis un
rapport de sept minutes quand on m'a donné la permission de venir et on
va essayer de le maintenir dans ces sept minutes, si possible. Nous arrivons
avec des opinions assez différentes de ceux qui nous ont
précédés; j'espère que personne n'en sera
blessé et que tout le monde va accepter au départ que nous sommes
de bonne foi.
M. le Président, nous venons témoigner devant vous,
aujourd'hui, au nom de l'Association des médecins du Québec pour
le respect de la vie. Vous comprendrez que le sujet sur lequel se penche votre
commission nous concerne et nous préoccupe au plus haut point. D'autre
part, n'étant pas une organisation syndicale, n'ayant aucun
intérêt politique ni pécuniaire à promouvoir, nous
croyons que notre association est bien placée pour exprimer ici une
opinion et formuler des suggestions qui reflètent un large et
majoritaire consensus parmi nos confrères médecins. Par ailleurs,
permettez-nous de vous dire que nous sommes très familiers avec le
problème que vous étudiez présentement, en particulier le
lecteur de ce mémoire, qui est attaché à l'hôpital
qui a connu le plus grand nombre de grèves générales au
Canada, soit six en dix ans, sans compter de nombreux débrayages subits
et guelques parades intra muros. Nous passons l'éponge.
Le soin des malades n'a jamais été, n'est pas et ne sera
jamais un travail à la chaîne. La particularité de la
personne soignée s'imposera toujours pour modifier la standardisation
sans cesse convoitée. C'est pourquoi il est anormal qu'il soit
traité sous l'angle des relations de travail, de la même
façon ou avec la même approche que pour les autres secteurs de la
fonction publique.
À l'appui de cette affirmation, disons d'abord que le travail du
professionnel de la santé, à tous les échelons, mais
surtout pour le médecin, comporte une portion qui relève de l'art
et n'est pas quantifiable monétairement. En corollaire, le
médecin et ses collaborateurs ne sauraient donc faire du gain
monétaire un objectif plénier et absolu au point de recourir
à la grève pour l'atteindre. Quand ils le font, ils renient une
partie d'eux-mêmes.
Mais notre propos va plus loin. En effet, le secteur hospitalier se
distinque nettement des autres du fait qu'une forte proportion de son embauche
concerne des personnes qui sont déjà liées par un code
d'éthique et un serment professionnel, lesquels sont incompatibles avec
le recours à la grève dans leurs légitimes revendications
salariales. C'est le cas des médecins, des infirmières et
infirmiers et, à un degré moindre, des infirmières
auxiliaires.
Le respect du code d'éthique par ces deux groupes professionnels
est d'importance vitale tant pour le climat moral d'une société
que pour les malades. Ainsi, quand le ministre du Travail - il y a
peut-être une réserve ici, on l'a peut-être mal compris
-parle de conflit entre deux droits égaux, celui de grève pour
les employés et celui de service pour le citoyen, sa remarque ne peut
pas s'appliquer au secteur hospitalier; si évidemment il a dit
ça. Nous avons peut-être confondu avec des déclarations du
Dr Pierre-Marc Johnson à ce sujet.
Il n'y a aucun rapport d'égalité entre le médecin
nanti et dominateur que vous croyez que nous sommes, la "gorgeous" et
prospère infirmière qui l'accompagne et le malade, blanc comme
ses draps, à demi mort de peur. Nous caricaturons un peu, mais nous
sommes certains que l'honorable ministre sera d'accord avec nous pour proclamer
la priorité évidente des droits des malades en cas de conflit
hospitalier. Or, dans toutes les grèves que nous avons vécues,
cette priorité du droit des malades a été
entièrement bafouée et nous ne voyons pas du tout qu'il puisse en
être autrement dans les autres à venir. (23 h 45)
II y a aussi une autre motivation qui justifie davantage l'abolition du
droit de grève et qui ne semble pas entrer dans votre façon de
pondérer les enjeux: les prodromes et les épilogues. Les
prodromes sont les manifestations syndicales à l'intérieur des
hôpitaux durant les deux ou trois mois qui précèdent une
grève. Ils servent principalement à conditionner les futurs
grévistes pour le jour J. La sérénité du personnel,
la tranquillité des malades et la qualité des soins en prennent
toujours toujours toutes pour leur rhume.
Quant aux épilogues, il s'agit des conséquences à
long terme des grèves. Ils se produisent à deux niveaux: sur le
plan thérapeutique et sur le plan cohésion du travail. Dans le
premier plan, il s'agit du retard inévitable du traitement de maladies
dont le dépistage a été différé. Dans le
deuxième plan, il s'agit du syndrome collectif du lendemain de la
fête. Nous voulons dire toutes les envies, toutes les haines, toutes les
malices et tous les harcèlements qui continuent, après la
rentrée au travail, à déchirer les équipes
soignantes tant féminines que masculines. Il a souvent fallu plus d'un
an, à l'hôpital où je suis attaché en particulier,
pour récupérer un climat de travail serein.
Je conviens qu'il est difficile d'évaluer exactement l'importance
de ces effets à long terme des grèves, mais il n'en sont pas
moins une donnée qui doit figurer dans vos éguations car c'est
toujours le malade qui en souffre.
Quant à nous, nous avons appris qu'une grève en milieu
hospitalier est essentiellement une manifestation de barbarie et nous croyons
que ce droit à la grève doit être tout simplement aboli.
Par contre, nous souscrivons aux différents mécanismes de
règlements qui ont été suggérés ici par
d'autres groupes pour compenser un indéniable affaiblissement de la
force de frappe de la partie syndicale si elle perd son droit de
grève.
La suppression du droit de grève pourrait être
préparée graduellement sur deux plans. Nous savons que cela ne
peut pas se faire immédiatement. Le premier plan, c'est le plan
pédagogique. Au plan pédagogique, on devrait informer dès
l'inscription les élèves dans les cégeps qui se dirigent
vers les sciences de la santé pour devenir infirmiers,
infirmières ou médecins que leur syndicalisation future sera
démunie du droit de grève. Au plan de l'embauche, toute personne,
infirmier, infirmière, médecin et autre participant à
l'action thérapeutique postulant un emploi dans un hôpital,
devrait signer un contrat individuel par lequel elle s'engage à renoncer
au droit de grève en cas de conflit syndical.
Toutefois, M. le Président, en raison de multiples contingences
politiques que nous comprenons, nous sommes conscients que, très
malheureusement, pour une longue période, il faudra probablement
s'accommoder du droit de grève dans les hôpitaux. Il faut donc,
pour l'immédiat, rechercher des mesures palliatives. À ce
chapitre, l'histoire des soins essentiels, malheureusement, nous avons perdu la
foi, nous n'y croyons pas. Nous avons vécu l'expérience plus que
toute autre personne dans cette salle. Si cette expérience avait
été positive, elle aurait prouvé que 90% du personnel
hospitalier est de trop. C'est mathématiquement impossible.
D'autre part, en matière de soins hospitaliers, qui peut
déterminer ce qui est essentiel ou non? Personne. Ni les
médecins, ni les infirmières, encore moins les "laïcs",
encore moins les commissions et encore moins les syndicats. Il n'y a qu'une loi
qui tienne en cette matière: Toujours faire le mieux possible, toujours
viser l'excellence avec les moyens du bord. À cet égard, je dois
rappeler que, lors des grèves en milieu hospitalier, c'est toujours le
personnel-cadre qui a pris la relève à main levée et tant
bien que mal. Les malades ont été soignés, mais ils ont
payé nécessairement de leur personne. C'est automatique, il ne
faut pas rêver; une grève, cela blesse les malades tout le temps
et je vous expliquerai plus loin pourquoi.
Le problème des soins essentiels a toujours été une
source continuelle de disputes, d'injonctions, de chicanes qui ont toujours
mené à rien. Or, au lieu de rêver à une
éventuelle entente sur les soins essentiels que personne ne peut
exactement définir et de rêver plus profondément - c'est
presque du somnambulisme - que cela va être respecté, au lieu de
créer une régie permanente telle que suggérée par
le patronat, nous suggérons au ministre du Travail, de la Main-d'Oeuvre
et de la Sécurité du revenu de repenser plutôt la
définition de "cadre" dans le milieu hospitalier et de rouvrir le
dossier avec les syndicats.
Le personnel hospitalier dans les unités de soins est très
insuffisamment hiérarchisé dans les hôpitaux du
Québec. Des postes d'assistantes hospitalières chefs devraient
être créés sur les trois "chiffres" - excusez l'anglicisme;
c'est un mot courant chez nous - et ces postes devraient être
considérés comme cadres. Il est tout à fait anormal qu'au
Québec, dans une unité où oeuvrent 22 infirmières
et infirmières auxiliaires, il n'y ait qu'un seul cadre, soit
l'infirmière-chef. Je parle de cadre clinique.
Nous estimons qu'il devrait y avoir un cadre clinique par cinq ou six
professionnels au travail dans ce département. Si on augmentait le
nombre de cadres cliniques, avec une bonne négociation avec les
syndicats, quand surviendrait une grève, tout serait réglé
d'avance, les cadres prendraient la relève comme d'habitude et
l'essentiel de ce qui peut être fait le mieux possible se ferait. Il n'y
aurait pas lieu d'avoir des négociations sur le champ de bataille,
pendant que la bataille fait rage, ce qui rend les négociations
très difficiles.
Cette formule que nous vous suggérons comporte des avantages. Il
y a peut-être des inconvénients, mais j'énumère les
avantages. Premièrement, elle est très peu coûteuse pour le
gouvernement, parce qu'un cadre clinique coûte moins cher qu'un cadre
administratif. Un cadre clinique est beaucoup plus efficace auprès des
malades qu'un cadre administratif, lequel est perdu dans les
départements. On l'a vu, on a vécu ces choses. Un cadre clinique
serait plus rassurant pour les malades car, souvent, ils se connaissent
déjà.
La négociation sur le nombre de cadres cliniques nous
paraît plus facile parce que plus concrète que la
négociation sur les soins essentiels que personne ne peut définir
exactement. La diminution récente et substantielle des cadres
administratifs, que nous applaudissons, dans le vaste programme de restrictions
budgétaires, devrait disposer les chefs syndicaux à rouvrir le
dossier de la définition de cadre pour l'élargir à celle
de cadre clinique.
D'autre part, dans le présent contexte social où le
retrait du droit de grève dans les hôpitaux semble impossible ou
très difficile, nous demandons tout au moins, au gouvernement de
réglementer son exercice pour le rendre plus démocratique et
réduire
à sa juste importance l'action des forts-en-gueule et des
forts-à-bras. Il n'y a pas seulement Dédé Desjardins qui a
un comité exécutif opérant!
Nous estimons, étant donné la gravité des enjeux,
qu'un vote de grève dans un hôpital devrait recueillir au moins
75% des suffrages totaux des membres d'un syndicat, non pas seulement des
membres présents, pour être valide et autoriser une grève
légale.
Nous estimons que ce vote doit se dérouler sous la surveillance
d'un comité composé d'un membre du Conseil des médecins et
dentistes, d'un membre délégué du personnel-cadre de
l'hôpital, du représentant des malades et d'un membre
délégué du ministère du Travail.
Nous estimons que ce comité doit procéder conjointement
à la compilation des bulletins de vote avec les dirigeants
syndicaux.
C'est peut-être à ce point que je tiendrais le plus, les
autres sont discutables, mais nous estimons que le gouvernement devrait limiter
le piquetage à deux personnes par entrée à l'hôpital
et interdire toute obstruction au passage des proches parents des malades et
toute intimidation. L'hôpital, je vous le rappelle, est un bien du peuple
et, dans le passé, le piquetage des syndiqués s'est
avéré une véritable confiscation des lieux.
En terminant, nous réitérons notre demande au gouvernement
d'abolir le plus tôt possible le droit de grève dans les
hôpitaux. Messieurs les membres de la commission, M. le Président,
nous vous remercions d'avoir daigné nous recevoir à la
dernière minute.
Le Président (M. Rodrigue): Je vous remercie, M. Jutras,
et je cède la parole au ministre du Travail.
M. Marois: M. le Président, je voudrais remercier
l'Association des médecins du Québec pour le respect de la vie et
son porte-parole, le Dr Jutras, de leur mémoire et d'avoir bien voulu
venir nous rencontrer. Avec votre permission, je céderais mon droit de
parole à mon collègue de Beauharnois, qui a examiné le
mémoire.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Beauharnois.
M. Lavigne: Merci, M. le Président. Dr Jutras, tout
d'abord, j'aimerais savoir combien votre association regroupe de membres. C'est
ma première question.
M. Jutras: Au-delà de 4000 membres de l'association ont
signé le manifeste de Jérôme Lejeune. Je dois vous dire
qu'il y a beaucoup plus de médecins qui adhèrent à notre
façon de voir. Je suis convaincu que la majorité des
médecins y adhère. Cela ne veut pas dire qu'on a
l'unanimité, mais je crois qu'on a un consensus majoritaire.
M. Lavigne: Quand on examine votre mémoire, Dr Jutras, on
voit qu'il est à peu près complètement opposé ou
même radicalement opposé à presque tout l'ensemble des
mémoires qu'on a reçus. Cela ne veut pas dire que vous n'avez pas
droit de cité et qu'on ne prendra pas le temps de l'examiner comme il
faut...
M. Jutras: J'en suis convaincu.
M. Lavigne: La démocratie, essentiellement, c'est de
permettre à chacun et chacune de pouvoir s'exprimer,
particulièrement lors d'une commission parlementaire comme celle-ci.
Il y a quand même à la page 2 une différence
très marquée entre l'appréciation que vous faites des
services essentiels par rapport à ce que d'autres en font. Je n'ai pas
lu exactement, mais vous ne croyez pas finalement, aux services essentiels.
Vous dites qu'en temps de grève les malades sont bafoués, qu'il
n'y a à peu près rien de respecté.
Quand, par contre, on a interrogé d'autres intervenants avant
vous, la semaine dernière et en début de journée, il y a
eu plusieurs questions insistantes là-dessus de la part de l'Opposition.
Je sais que M. Rivest et Mme Lavoie-Roux ont insisté sur ce point. Je
voudrais savoir exactement et concrètement comment cela se passe dans un
hôpital en période de grève.
Des gens nous ont à peu près assurés, à part
quelques cas isolés, certains rapports ont pu noter que les services
essentiels, finalement, étaient respectés et que les malades
n'étaient pas bafoués ni privés de soins, comme vous
semblez le mentionner dans votre document.
Avez-vous des cas bien particuliers à nous citer pour essayer de
nous démontrer, sur le terrain, parce que vous y êtes, comment
cela se passe exactement et à quel point les malades sont privés
de services et bafoués en temps de grève? Voilà ma
première question.
Quand vous parlez et vous insistez... vous semblez laisser le morceau
vers la fin de votre mémoire, quand vous nous demandez d'abolir le droit
de grève. Vous semblez presque, à la fin de votre mémoire,
dire: Tenant compte des conjonctures, vous ne croyez pas à la
possibilité de cela et vous essayez de faire un
réaménagement.
Je voudrais vous poser la question, je l'ai posée à
d'autres. Il y a quand même un travail qui s'est organisé, depuis
un certain nombre d'années, à partir des expériences
vécues. Un mécanisme s'est établi. Or, je me pose
sérieusement cette question. Je vous la
pose à vous aussi: Est-ce que ce ne serait pas plus risqué
de s'aventurer vers l'abolition du droit de grève pour, finalement,
connaître - je ne le souhaiterais pas - des qrèves
illégales, non organisées, non planifiées, avec aucun
service essentiel prévu? Le cas échéant, j'aurais
l'impression que les malades risqueraient beaucoup plus gros que si le droit de
grève est maintenu et qu'un mécanisme se huile d'une convention
à une autre et s'améliore semble-t-il au dire de plusieurs
intervenants.
Quand on compare les grèves passées à la
dernière, plusieurs ont insisté sur le fait qu'il y avait eu de
grandes améliorations, même si tout n'est pas parfait. C'est une
inquiétude que j'aurais, personnellement, de prendre une décision
aussi radicale que celle d'enlever le droit de grève dans les centres
hospitaliers, de peur, justement, qu'on pourrait outrepasser la loi qui
enlèverait le droit de grève et de s'aventurer dans une
grève où on mettrait la clé dans la porte et on s'en va,
les malades, on les laisse là.
Par contre, il y en a qui disent, du côté des syndicats et
des syndiqués, que ce sont des gens qui ont une conscience
professionnelle et qu'ils ne feraient peut-être pas cela ainsi,
même s'ils n'avaient pas le droit de grève.
C'est un gros point d'interroqation qui m'inquiéterait si on
décidait d'enlever le droit de grève. J'aimerais vous entendre
commenter là-dessus tout à l'heure.
Quand on tourne la page et qu'on arrive à la page 3, vous parlez
du retour des employés après la grève. Vous citez
même l'exemple d'un hôpital dans lequel vous avez travaillé
- l'hôpital d'Arthabaska - où il a fallu près d'un an avant
que le climat ne revienne à la normale et que les gens puissent arriver
à se regarder et à se sourire. (minuit)
Je vois un peu, dans le texte, le portrait que vous en faites.
Maintenant, je me dis qu'advenant le cas où il n'y a pas droit de
grève et que, finalement, il y a une convention collective qui est
signée sans qu'elle soit à l'entière satisfaction des
employés, pensez-vous que, le lendemain de la signature d'une nouvelle
convention collective qui ne satisferait pas l'ensemble des travailleurs, on ne
risquerait pas, là aussi, d'avoir un mécontentement
généralisé dans l'hôpital ou dans les centres
d'accueil, avec des employés qui sont plus ou moins prêts à
faire un bon travail et que même, je pense, sans la grève, sans
vivre une grève, il suffirait qu'une convention collective ne satisfasse
pas les employés pour vivre peut-être un peu cette situation?
Donc, c'est encore là pour moi un point d'interrogation. Ce qui me fait
dire aussi la même chose, c'est-à-dire que ce n'est pas
nécessairement en enlevant le droit de grève qu'on aurait des
visages souriants le lendemain d'une convention collective.
Quand on lit un peu plus bas, vous nous dites: Quant à nous, nous
avons appris qu'une grève en milieu hospitalier est essentiellement une
manifestation de barbarie et nous croyons que ce droit à la grève
doit être tout simplement aboli. Par contre, nous souscrivons aux
différents mécanismes de règlement qui ont
été suggérés ici par d'autres groupes. Vous
souscrivez aux mécanismes. Il y a eu plusieurs formes de
mécanismes qui ont été suggérés par d'autres
groupes, mais vous ne spécifiez pas, dans votre texte, si vous en
privilégiez un plutôt qu'un autre. Est-ce qu'à ce moment,
vous avez un mécanisme ou une forme que vous privilégiez
plutôt qu'un autre?
Ensuite, quand on regarde la préparation graduelle de l'abolition
du droit de grève, j'ai de la difficulté à imaqiner que,
par exemple, les jeunes infirmières ou les jeunes qui sont au niveau de
leurs études, qui se préparent à aller travailler dans les
hôpitaux, qui se préparent à donner des soins de
santé à une population, on pourrait leur faire signer,
préalablement à leur certificat, avant même qu'ils entrent
dans le milieu du travail, si j'ai bien compris votre texte, une espèce
de contrat à travers lequel ils accepteraient de ne pas
reconnaître le droit de grève dans leur travail ou leur
association.
Maintenant, advenant le cas où on mettrait ça en vigueur,
j'essaie d'imaginer de jeunes infirmières qui ont signé ce
contrat et qui, après leur cours d'étude, s'amènent dans
un hôpital. Elles sont, au bout d'un certain temps, 10, 15, 20 ou 30
personnes, infirmiers, infirmières, peu importe à quel niveau
elles travaillent. Comment ces gens aqiraient-ils advenant le cas où il
y aurait une grève qui se déclencherait? Les anciens
employés, ayant encore le droit de grève, font la grève et
les nouveaux employés qui auraient signé ce contrat, est-ce
qu'ils s'en iraient chez eux pour ne pas avoir l'air de "scabs" auprès
de leurs confrères? Est-ce qu'ils continueraient à travailler?
J'aimerais que vous puissiez me définir, me dire comment ça se
passerait advenant le cas où ça se présenterait.
Ici, c'est encore un peu la même chose. Cela recoupe les "scabs".
J'aimerais cela aussi que vous me définissiez un peu plus le cadre -
comment l'appelez-vous? - clinique. Quelle est exactement, pour un profane
comme moi, la différence entre un cadre clinique et un cadre tout court?
Qu'est-ce que cela viendrait chanqer advenant le cas où on
privilégierait des cadres cliniques plutôt que des cadres tout
courts au moment d'une grève? Est-ce que le cadre clinique ferait partie
de l'entente ou de la liste syndicale qui serait déposée pour
assurer les services essentiels? Si oui, je comprendrais
qu'un cadre clinique a une formation professionnelle lui permettant de
donner davantage des soins de santé aux patients plutôt que
simplement une secrétaire ou une téléphoniste qui ne
connaît pas ce qu'est une injection ou comment soigner un malade. Je
comprendrais, si c'est ça que vous voulez dire, qu'on pourrait favoriser
peut-être les cadres cliniques plutôt qu'une personne qui ne serait
pas ou qui serait moins bien habilitée à donner des soins de
santé.
Ce sont là, Dr Jutras, les quelques interrogations, les quelques
questions que je me suis posées à la lecture de votre document.
J'aimerais que vous puissiez les commenter.
M. Jutras: Vous allez m'aider un peu parce que je ne peux pas me
souvenir de toutes vos questions. La première question que vous m'avez
posée exactement, parce que là vous êtes rendu loin et je
ne fournissais pas d'écrire... il me fallait écrire et
écouter en même temps.
M. Lavigne: II s'aqissait de commenter. Parce que par rapport
à d'autres personnes qui sont venues ici, quand vous parlez des services
essentiels en temps de grève, vous ne reconnaissez pas qu'il y en a. Ou
s'il y en a, de toute façon, les malades sont bafoués, tout cela,
quand en fait d'autres sont venus ici qui disaient que les services essentiels
étaient quand même respectés.
M. Jutras: Voici, vous parlez des services essentiels, puis j'ai
remarqué dans vos discussions depuis le début de la
journée que vous accordez beaucoup d'importance, M. Rivest en
particulier, aux détails sur des malades qui auraient pu souffrir ou
même mourir à la suite du manque de services essentiels dans
l'hôpital. Il aurait aimé avoir des cas et des statistiques. Je
pense que je ne les trouverai jamais, ces statistiques; ce n'est pas trouvable.
On ne peut pas se souvenir de tout ce qui est arrivé. C'est depuis 1966
que je connais le problème vous savez.
Quand il y a une grève dans un hôpital, il reste les
cadres, quelques infirmières, quelques "scabs" qui ne veulent pas faire
la grève non plus. Il y en a pour qui c'est peut-être par
intérêt et pour d'autres c'est par conscience professionnelle. Il
faut donner le bénéfice du doute à tout le monde. Et puis,
il y a un piquetage qui s'installe autour de l'hôpital. La petite fille
de quatre ans qui recevait son père tous les jours, qui venait la faire
souper, là il ne peut plus venir. La patiente adulte est coupée
de sa parenté au moment où elle a subi une opération
peut-être importante. Est-ce des soins essentiels la visite des parents?
Personne ne va dire qu'on a besoin de cela pour quérir. Mais qui paie
dans ce temps-là? C'est le malade. Vous créez une situation de
fait qui est absolument anormale. Il faut voir la détresse d'un enfant,
moi je l'ai vécu. J'ai vu des dizaines d'enfants qui étaient
privés soudainement... Allez donc leur expliquer qu'est-ce qui se passe
à ces enfants de trois ans, quatre ans, cinq ans, six ans. Ce n'est pas
le manque de remèdes, ce n'est pas le manque d'infirmières, si
vous voulez. Mais la grève les coupe de leur lien parental
extérieur. C'est la même chose pour les malades dans les
départements, les malades mentaux qui ont besoin de la visite de leur
entourage quand le psychiatre autorise qu'ils viennent. Puis banc! c'est fini,
ils ne peuvent plus recevoir personne et ils ne savent pas pourquoi. Ils n'ont
peut-être pas toujours accès au téléphone pour
pouvoir communiquer avec la famille. C'est un des gros problèmes du
piquetage et un des gros problèmes de la grève, un effet qui
passe inaperçu pour tout le monde. C'est pour vous prouver que n'importe
quelle grève, arrangez-la comme vous voudrez, cela va blesser les
malades. C'est impossible qu'il en soit autrement.
Ensuite, faites un peu de mathématiques avec moi. Il y a 1200
employés qui travaillent à Arthabaska, il y a 303 lits de malades
dont 30 sont des lits à long terme. Les soins ordinaires, cela prend
1200 personnes. Tout d'un coup on déclare la grève. C'est
sûr que les hôpitaux, aujourd'hui, voient venir les coups et ils
demandent aux médecins de ralentir puis de vider et de vider le plus
possible. On vide l'hôpital, on retarde les admissions, on retarde des
investigations. Et si on faisait enquête sur ce qui s'est passé,
on verrait des gens qui devaient venir subir une opération... Par
exemple, un malade qui doit subir une ablation partielle de l'estomac parce
qu'il y avait un ulcère qui ne voulait pas guérir, ou autre
chose, deux ou trois mois après la grève, il vient subir une
ablation de l'estomac parce que là c'est un cancer qu'il a. Alors, ce
n'est plus la même affaire. Quel tort la grève lui aura fait
subir? Difficile à évaluer. Peut-être que ce n'est pas
à cause de la grève que cela a retardé, peut-être
que c'est à cause de la grève. Bien des gens n'ont pas
consulté le médecin parce que cela ne sert à rien d'y
aller, l'hôpital est fermé. Alors, ils retardent. C'est cela le
dépistaqe retardataire des maladies. Ce n'est pas une bonne affaire pour
personne.
Mais le point principal - sur lequel j'insiste, moi - c'est surtout la
ligne de piquetaqe, parce que j'ai vu des scènes assez
déplorables, des scènes qui ont failli se terminer devant le
tribunal. L'enfant qui arrive dans une ambulance, puis qui se fait stopper,
parce que les qrévistes veulent inspecter l'ambulance pour voir s'il n'y
a pas des infirmières de cachées dedans. Cela a pris 15 minutes
et il a failli mourir dans la salle d'urqence parce que c'était un
accidenté et il saignait comme un cochon. Est-ce assez clair? Il
a été sauvé. Le père était furieux, moi je
l'ai calmé. Je lui ai dit: Ton enfant a tout eu à temps, c'est
pas 15 minutes qui auraient fait la différence. Je lui ai dit:
Tranquillise-toi, il est sauvé et cela va bien aller. Supposons qu'on ne
l'aurait pas eu à temps, que notre pinte de sanq ne serait pas
arrivée assez vite? C'est cela. C'est dangereux. On joue avec le feu
quand on fait une grève. On joue avec le feu, autant nous, quand on
s'implique, que le gouvernement et aussi les grévistes qui jouent avec
le feu. Vous ne pouvez pas arranqer cela autrement.
Je ne pense pas que 75 personnes peuvent, du jour au lendemain, assurer
des soins convenables. Je ne parle pas de soins essentiels, je parle de soins
convenables. C'est le plus qu'on puisse faire quand il y a une grève.
Des soins essentiels; je vous le dis, il n'y a pas de définition de
soins essentiels. Il n'y en aura jamais. On ne sait pas ce qui peut être
essentiel et ce qui ne l'est pas dans le soin des malades. Mettez-vous cela
dans la tête. C'est un calcul abstrait que vous faites. Vous avez un
terme concret que personne ne peut concrétiser. Je vous parle de malades
que j'ai vus sur les départements, des bébés que j'ai vu
pleurer, des jeunes enfants que j'ai vu pleurer. Ils ne savent pourquoi leur
père vient et dans cela, il y a tous les drames familiaux qui s'y
mêlent. Aujourd'hui, la vie familiale, ce n'est pas de toute
tranquillité. Ce n'est pas toujours rose. Il y a des parents qui ne
vivent pas ensemble. Le père vient voir son enfant et le lendemain,
c'est la mère qui vient, parce qu'ils ne vivent pas ensemble. Tout
à coup, c'est fini. Le petit gars n'a plus de visite. Personne ne
vient.
Il faudrait, si vous voulez que cela blesse moins, qu'il n'y ait pas de
liqnes de piquetage. Les grévistes ont dit: Si on n'a pas de liqnes de
piquetage, c'est comme si on n'avait pas le droit de grève. Ce n'est pas
de la grève. Il faut bien qu'ils surveillent les entrées de
l'hôpital pour savoir si les briseurs de grève sont passés.
Vous savez cela comme moi. Ils vont crier au bris de leur droit. Vous
n'êtes pas capables. Je vous mets au défi. Faites toutes les
recherches que vous voudrez pendant des années, vous ne trouverez jamais
une façon humaine de faire une grève dans les hôpitaux.
C'est impossible. Mes deux mains dans le feu. C'est impossible. Ne rêvez
pas.
Vous êtes en face d'une réalité. On a donné
le droit de grève. J'en ai vécu six en moins de dix ans dans mon
hôpital. On a parlé d'humanisme. Je vous ferai remarquer une
chose. Je pense que je suis pas mal plus vieux que vous tous ici. Ceux qui ont
fait la grève à l'hôpital d'Arthabaska en 1966... La
première grève au Canada dans un hôpital s'est faite chez
nous, une grève sauvage, sans avertissement. À 11 heures du soir,
un soir de janvier, par un froid de 40 en bas de zéro, l'administration
reçoit un appel: Les ouvriers débraient à minuit. Il y
avait 303 malades dans l'hôpital. C'était paqueté de grands
malades et, en pédiatrie, on était surchargé. J'ai
été appelé de nuit. Je suis arrivé à
l'hôpital. On a rejoint les médecins. Les médecins sont
venus prêter secours la nuit. Ils n'ont pas hésité.
Parfois, ils sont humains, les médecins. Je vous dis cela en passant
parce qu'on est souvent l'objet d'accusations de toutes sortes,
dernièrement. C'est le temps aussi qu'on pense que les médecins
peuvent être humains parfois.
En tout cas, on était là. On a pris la relève.
C'est la grève la plus sauvaqe qui ait été faite au
Canada. Cela a été une urgence extrême. Il a fallu noliser
environ 50. ambulances, de nuit, pour pouvoir transporter les malades à
Drummondville, à Thetford-Mines, à Sherbrooke et quelques-uns
à Sainte-Justine, les plus qraves qu'on avait en pédiatrie, un
grand dérangement, une scène d'Apocalypse. Ce n'est pas
compliqué. Si vous aviez vu le monde qu'il y avait là. Les
parents arrivaient en détresse pour sortir leur enfant. Cela a
été un fouillis total. Cela a été pire un peu que
les autres, parce que c'est la première fois qu'il se faisait une
grève dans un hôpital. Tout le monde a été pris par
surprise, parce que personne ne pensait que c'était possible. Je le
sais. Je reviendrai sur ce sujet tout à l'heure.
Vous m'avez parlé d'illégalité. Il y a deux
façons de voir les choses. Celle que vous voyez, vous avez peur qu'il y
ait des grèves illégales, qui pourraient être pires que des
qrèves léqales, parce que vous pensez que la grève
illéqale va venir subitement comme celle que je viens de vous raconter.
Ce n'était pas légal de faire des qrèves dans ce
temps-là, c'est-à-dire que c'était légal de faire
des grèves, ils avaient le droit de faire des grèves, mais ils
n'avaient pas respecté les délais. Ils l'ont faite d'une
façon sauvage. C'est ce qui était illégal.
M. Lavigne: Je m'excuse de vous interrompre un peu, Dr Jutras.
C'est cela, peut-être, la différence entre la grève que
vous venez de nous décrire en 1166, parce que les gens des
hôpitaux venaient d'obtenir le droit en 1965 ou en 1964...
M. Jutras: Exactement. (0 h 15)
M. Lavigne:... et il ne s'était pas
développé cette espèce de mécanique dont je vous ai
parlé, qui s'est développée depuis le temps et qui fait
qu'à mon avis... En tout cas, je ne sais pas si en décrivant la
grève d'Arthabaska de 1966, par rapport à la dernière
grève qu'on a eue, sans prendre parti pour un côté ou pour
l'autre et sans avoir vécu moi-même dans les hôpitaux
comme vous y avez vécu, je pense que, honnêtement et
objectivement, ça n'a pas été aussi sauvage, ça n'a
pas été aussi dramatique à cause du fait qu'il y a cette
espèce, je dirais, d'habitude. C'est à cause d'une meilleure
compréhension dont on a tellement parlé que s'est
développée cette espèce de mécanisme qui fait
qu'aujourd'hui on n'est plus pris à brûle-pourpoint, comme vous
l'avez mentionné dans le cas d'Arthabaska en 1966, ça s'est
préparé d'avance et des services essentiels ont été
planifiés.
M. Jutras: Vous avez raison quand vous dites que c'est moins
traqique et que c'est moins pire; on s'habitue à tout. Mais ça ne
chanqe pas le caractère des choses, ça demeure inhumain à
cause de ce que je vous ai décrit. Cette blessure insidieuse à
chaque malade, dans un hôpital, qui perd soudainement sa
sécurité, qui ne sait pas ce qu'il va advenir de lui, et au jeune
enfant qui, lui, ne comprend rien et qui perd son contact familial, vous
n'êtes pas capable d'arranger ça.
Je reviens à l'histoire de ta grève illégale. Je
prétends que, nous, les médecins, on a un serment d'office
à respecter et qu'on n'a pas le droit de faire une grève dans les
hôpitaux, ni même dans notre pratique en groupe. Si on n'est pas
content, qu'on s'en aille ailleurs; d'accord, on a le droit de faire ça,
mais, si on est en place, on a un serment d'office qui nous lie et la grande
majorité des médecins le respectent. Les infirmières aussi
ont un serment d'office. Il y a une bonne proportion des infirmières qui
croient au serment d'office. Peut-être les plus âgées y
croient-elles plus que les plus jeunes. Peut-être qu'on ne l'a jamais
montré aux plus jeunes. Dans les cégeps, ce n'est pas la
même chose que dans les écoles d'infirmières qu'on avait
autrefois; la mentalité est différente. Il reste qu'il est
là quand même, ce serment d'office.
Je me dis que, si la grève est illéqale, si le
gouvernement décide que, dorénavant, dans le secteur hospitalier,
les qrèves seront illégales, ce sera beaucoup plus difficile pour
les syndiqués de recourir à la grève. Cela peut bien
arriver qu'ils aillent quand même en grève, bien sûr, mais
ce sera très décourageant pour eux d'en faire une. De plus, je
prétends que le recours à la grève chez les
syndigués est peut-être un peu moins populaire qu'avant. Les
conditions de travail dont ils bénéficient les découragent
peut-être encore plus maintenant de faire une grève, parce qu'il
faut convenir entre nous qu'ils sont bien traités. Tout de même,
il y a des limites. Ils sont tellement bien traités que les histoires de
piquetage à l'entrée des hôpitaux, je vous avertis, c'est
dangereux. Il y a des gens qui sont plus méchants que d'autres, il y a
des gens qui sont plus coléreux que d'autres. C'est là que les
émeutes commenceront.
Je me mets dans la peau d'un petit ouvrier de Victoriaville qui
travaille dans une manufacture de meubles à un salaire, peut-être,
de 6 $ l'heure, alors que le qréviste, à la porte,
l'infirmière, l'infirmier ou encore l'homme de ménage qui a un
plantureux salaire à côté de lui veut s'interposer entre
lui et son fils, qui est en haut, au neuvième étaqe en
pédiatrie. C'est danqereux. C'est là qu'éclateront les
bagarres. Il y en a déjà eu, d'ailleurs, à Arthabaska, la
bagarre a failli éclater. Ce n'est pas tout le monde qui aime se faire
barrer la porte.
Je vais vous rappeler une chose. Vous parlez de démocratie, mais
il y a des maudites limites, comprenez-vous? À qui appartiennent ces
hôpitaux? Qui a payé pour construire ces hôpitaux? Qui paie
les salaires de ces employés qui sont bien traités? C'est le
temps de se poser des questions un peu. C'est le temps d'arrêter de jouer
aux qrands démocrates. Les hommes, les pères de famille, je dis
qu'ils ont le droit de voir leurs enfants tant qu'ils le veulent. Depuis 1968,
mon département de pédiatrie est ouvert 24 heures par jour aux
parents. Cela a été le premier département de
pédiatrie au Québec à faire ça. Le père qui
quitte son quart de travail à minuit a le droit de venir en
pédiatrie embrasser son enfant qui dort. À 4 heures, sa
mère a le droit de venir le faire souper si elle veut; ils peuvent venir
le matin, s'ils le veulent. Il n'y a pas d'heure; c'est ouvert 24 heures par
jour. Notre affaire est limpide en pédiatrie. C'est la plus belle
affaire qu'on ait jamais faite. On n'a jamais eu d'encombrement de
départements; au lieu de voir arriver une foule à ? heures pour
partir à 4 heures; il en vient tout le temps et on ne s'en
aperçoit pas. Les gens viennent travailler avec les infirmières,
les parents viennent aider. J'ai vu 1000 fois des mères bercer un autre
enfant que le leur dans les corridors.
C'est de cette façon que ça marche en pédiatrie.
Quand vous arrivez avec un mécanisme, que vous voulez rendre humain
trouvez-moi une patente pour supprimer le piquetage. Il y a beaucoup de
problèmes à ce niveau. Une patente qui éviterait de faire
du piquetage, et ils pourraient faire leur grève quand même.
Trouvez vite un truc parce qu'à la prochaine grève je suis
certain que les gens auront lu plus, seront plus instruits et ils
connaîtront plus leurs droits. Ils s'apercevront qu'il y a des limites.
Si le Québec est une terre de liberté, comme disait autrefois
Jean-Jacques Bertrand, il faudrait que les pères de famille et les
mères de famille voient leurs enfants quand ils veulent et n'importe
où. Ce sont les droits des parents et les droits des enfants; c'est
là que commence la démocratie. Quand un corps public veut
s'imposer dans ces
droits, il est en dehors de la voie; je proteste de toutes mes forces,
je n'accepterai jamais ça. Vous ne rendrez jamais une grève
humaine dans les hôpitaux; ça ne se peut pas, c'est une antinomie,
ça ne peut pas marcher.
J'ai admiré les travaux qui ont été
présentés aujourd'hui, il y a beaucoup de mérite. J'ai, en
particulier, apprécié celui de la CSD, qui est passée
avant nous; elle est arrivée avec quelque chose d'assez constructif. Il
y a des choses qui se rejoignent avec moi et avec notre système, quand
ils ont parlé des cadres, par exemple.
J'en reviens à mon idée qu'il va falloir que le
gouvernement fasse aussi attention. Je m'adresse un peu à M. Marois.
Votre déclaration, au début des journées, en a surpris
plusieurs. Je vous avertis, vous avez, sans le vouloir, donné
l'impression d'un gouvernement qui tremble, qui a peur de quelqu'un qui est
plus fort que lui. C'est pour ça que je n'ai pas osé le
préciser dans mon rapport, quand j'ai parlé des contingences
politiques, c'est un peu à ça que je voulais en venir. Le monde
n'aime pas ça parce que c'est une façon qui est dangereuse pour
votre leadership, et encore plus dangereuse pour les projets futurs que vous
avez. Vous compromettez d'autre chose en arrière de ça, et on se
rejoint dans nos objectifs, M. Marois. Pour accomplir de grands projets, il
faut que vous inspiriez confiance à vos futurs administrés. Il
faut que vous donniez l'impression que vous ne tremblez pas. Je reviens
à votre deuxième question.
M. Lavigne: Après un grand écart.
M. Jutras: Excusez-moi. C'est une opinion que je tenais à
dire. J'ai de l'admiration pour M. Marois parce que je l'ai vu diriger, je l'ai
vu parler aujourd'hui. Je pensais qu'il avait des partis pris et je me suis
rendu compte qu'il n'en avait pas tellement. La manière dont il en a
rossé quelques-uns, je l'ai trouvé pas mal droit. Je vous
félicite, M. Marois, à ce sujet.
M. Lavigne: Pour vous rappeler la question qui suit, Dr Jutras,
c'était le climat dans l'hôpital suite à une grève.
Je disais que même s'il n'y a pas de grève, quand les
employés retournent après une signature de convention collective
qui ne les satisfait pas, il risque d'y avoir le même climat. Est-ce que
c'est à cause de la grève?
M. Jutras: Je vous répondrai à ceci en disant que
ça fait longtemps que je lis les journaux, vu l'âge que j'ai, et
je n'ai jamais vu une convention collective qui a été
adoptée à l'unanimité; ça n'existe pas. Cela ne
change pas le problème, ça n'a jamais été
accepté à l'unanimité une convention collective. Il y a
toujours un groupe qui n'est pas content.
M. Lavigne: C'est pour ça que j'en viens au paragraphe de
la page 3. Vous semblez attribuer le mécontentement au fait qu'il y a eu
une grève.
M. Jutras: Je vais vous expliquer pourquoi. Quand il y a une
grève, il y a toujours des "scabs". Il y a des "scabs" de deux natures,
ceux qui sont des profiteurs et ceux qui sont de bonne foi. Les "scabs"
profiteurs sont ceux qui restent au travail pour faire une piastre, et
ça s'est fait à la dernière grève de 1966. Il y a
un bon nombre qui restent par fidélité professionnelle, et je les
connais assez pour le savoir. Ces personnes ont été l'objet de
persécution, et je comprends aussi les syndiqués qui ont
été dehors. Je comprends qu'ils soient mécontents et
qu'ils les persécutent. Je ne veux pas prolonger, mais je pourrais vous
raconter ce qui est arrivé dans mon service de pédiatrie et cela
nous conduirait à 1 heure du matin. Je vais vous en faire grâce
et, s'il vous plaît, on va passer à une autre question, parce que
ce n'est pas le matériel qui me manquerait. Mais je voudrais revenir
à mon histoire de cadres.
M. Lavigne: Les cadres cliniques?
M. Jutras: C'est parce que, voyez-vous, nous, les
médecins, on est pris dans les hôpitaux avec des cadres
épais de même pardessus la tête, les cadres administratifs,
et cela ne nous fout rien. On sait que cela coûte une fortune au
gouvernement, cela qratte du papier. Quand on a vu que M. Parizeau et M.
Bérubé décidaient de faire la coupure et de réduire
les cadres administratifs, on a dit: C'est parfait, c'est la meilleure affaire
qui pouvait arriver. Chez nous, à Arthabaska, les cadres administratifs
ont baissé de 65 à 45. C'est une belle baisse. Mais, par contre,
vous jouez avec le droit de grève, vous autres, actuellement. Vos
services essentiels ne sont pas encore organisés et vous ne les
organiserez jamais car, vous ne savez pas ce que c'est, des services
essentiels, personne ne le sait.
Actuellement, s'il y avait une grève, l'administration serait
poiqnée les culottes baissées avec juste 45 cadres pour prendre
la relève. Elle est en position de faiblesse comme elle ne l'a jamais
été. Moi, je me dis une chose: Vous êtes dans une
ère de restrictions budgétaires, on le comprend et les gens le
comprennent, vous seriez surpris de voir que les gens le comprennent plus que
vous ne le pensez, M. Marois. Ce n'est pas le populo qui va chialer le plus.
Vous avez remarqué que ce n'est pas lui qui chiâlait le plus non
plus jusqu'à maintenant, ceux qui
chialent sont ceux qui ont un intérêt personnel direct.
Pour en revenir à ce que je vous expliquais sur les restrictions
budgétaires des cadres cliniques, les cadres cliniques, ce sont des
infirmières ou des infirmières auxiliaires, qui travaillent et
qui participent aux décisions de l'hospitalière, de
l'infirmière-chef. Quand il y a un département qui contient
environ 34 lits comme celui de la pédiatrie à Arthabaska et qu'il
y a 22 personnes réparties sur les trois quarts de 24 heures, il y a
juste une hospitalière qui est cadre. Il devrait y avoir au moins une ou
deux assistantes sur les autres quarts et sur son quart à elle, ce qui
ferait six personnes. S'il y a une grève, elles restent dans
l'hôpital, elles sont cadres. Mais ce qu'il faudrait rouvrir, c'est la
convention syndicale, parce qu'il y a eu de la chicane là-dessus,
à la dernière négociation sur la définition des
cadres. Il faudrait vous entendre avec la partie syndicale dans une
négociation. Ces cadres cliniques coûtent bien moins cher en
salaires que les cadres administratifs, qui sont dispendieux. C'est 30 000$, 32
000 $ de salaires que ces cadres coûtent habituellement. Les auxiliaires
cliniques, je pense que c'est entre 18 000 $ et 20 000 $. C'est tout de
même une économie substantielle.
J'ai donné l'avantage d'avoir ces cadres cliniques plutôt
que les cadres administratifs. Les cadres administratifs, dans un cas de
grève, ce n'est pas tellement efficace, mais on est pris avec. Les
infirmières qui nous restent sont les meilleures infirmières du
département, c'est parfait. J'ai l'impression que vous pourriez
négocier cela avec les syndicats, parce que, voyez-vous, on a
éliminé des cadres administratifs et ils savent qu'on les a
éliminés. Pourquoi ne pas élargir la notion de cadre aux
infirmières assistantes et aux hospitalières assistantes? Cela me
paraît très avantageux, cela me paraît concret.
Les soins essentiels, non, ce sont les soins les mieux possible qu'on
aura avec les moyens du bord, avec la crème du personnel pratiquement.
On fait une approche différente de celle que vous voulez faire. C'est
plus compliqué, vos affaires, avec l'histoire des services essentiels,
avec une commission qui va se réunir, c'est archicompliqué,
tandis que nous, nous vous proposons un système qui est moins
dispendieux, qui ne suppose pas de commission, d'autres fonctionnaires qui vont
venir encore s'asseoir sur notre tête, on en a déjà assez,
mais qui peut régler sur place et, pendant que la bataille n'est pas
commencée, pendant que tout le monde est calme.
Vous prenez des dispositions en cas d'un accident - une grève, on
appelle cela un accident - mais qu'il soit légal ou illégal,
c'est un accident. Vous créez des prédispositions, en fait les
boyaux contre le feu sont déjà installés; quand la
grève arrive, il n'y a pas de problème, il n'y a pas besoin de
négocier avec le syndicat, il n'y a pas besoin de faire des
réunions de comité et faire venir un expert de Québec
comme d'habitude qui vient nous faire sur la tête et ne connaît
rien de ce qui se passe chez nous. Là, on rejoint un peu la CSD, quand
elle vous suqgère de négocier localement certains points comme
les services essentiels. (0 h 30)
Les services essentiels, on pourrait les négocier avec une
entente du gouvernement et les centrales syndicales que localement. Ils
autorisent leur syndicat à négocier avec l'administration de
l'hôpital, alors qu'on est en temps de paix, une nouvelle
définition des cadres, une nouvelle délimitation qu'ils
pourraient consentir. Entre nous, cela peut se faire. Là on est un peu
proche de ce que la CSD vous a servi tout à l'heure. Je lui rends
hommaqe. Elle a fait un beau travail. Ces gens se sont certainement
dépensés beaucoup à faire ce qu'ils ont fait.
Maintenant, pour les cadres, est-ce que cela vous satisfait le
système que l'on vous propose? Vous avez compris comme il faut ce que
l'on vous propose et qui pourrait être fait.
J'en reviens à la pédaqogie. On ne demande pas aux
étudiants de signer un contrat quand ils entrent aux études, on
les informe - c'est ce qui est écrit dans mon texte - en disant:
Ecoutez, vous pouvez venir, mais n'oubliez pas qu'en tant qu'infirmière,
que médecin ou qu'infirmière auxiliaire, n'oubliez pas, dans
votre vie syndicale, qu'il n'y aura pas de droit de grève. Alors, il n'y
a pas de fausse représentation. Maintenant, le droit de grève
existe encore, mais on les prévient qu'il n'y en aura plus de droit de
grève. Vous allez avoir une première promotion qui va arriver sur
le marché du travail, qui va entrer dans les hôpitaux. Le droit de
grève existe, mais ils ont quand même été
informés, ils savent, ils ont accepté de faire leurs
études, d'aller travailler, avec l'idée que leur syndicat n'avait
pas le droit de grève. Ils seront disposés à accepter
mentalement une loi qui pourra entrer en vigueur dans cinq six ans
peut-être, alors qu'il y aura trois, quatre ou cinq
générations d'infirmières qui seront entrées sur le
marché du travail.
En ce qui concerne les employés d'hôpitaux...
M. Lavigne: Là-dessus, Dr Jutras, je vous interromps. Vous
avez, admettons, dix nouvelles infirmières qui ont été
préparées à refuser le droit de grève, finalement.
Elles sont dans l'hôpital au moment où une grève se
déclenche; toutes les autres infirmières embarquent dans la
grève. Qu'est-ce qu'il advient de ces dix infirmières?
M. Jutras: Elles ont le choix, selon leur conscience, de
décider de rester au travail pour respecter leur serment, leur contrat
ou de sacrer le camp avec les autres. Cela les regarde. C'est leur conscience;
qu'elles agissent selon leur conscience. La liberté de conscience, c'est
cela.
Alors, au point de vue pédaqoqique, on se comprend. On
prépare les étudiants à cette éventualité.
Au point de vue de l'embauche, les nouveaux employés, on devrait les
préparer à ce système. A ce moment-là, c'est une
question d'affaires. Je ne connais pas tous les mécanismes, je ne sais
pas si c'est un rêve ou si c'est possible d'avoir un contrat individuel,
pour chaque employé. Moi, je trouve que la personne humaine
mérite un contrat individuel puis une entente collective; je n'ai rien
contre cela. Je trouve que cela aurait du bon sens qu'il s'engaqe à
renoncer au droit de grève. Alors, ils ne sont pas la majorité
dans le syndicat, mais peut-être qu'il y en a déjà dans le
syndicat qui sont contre les grèves; il y a beaucoup
d'infirmières qui sont contre les grèves. D'ailleurs on a
parlé d'une disposition pour les votes de grève; ce n'est pas
pour des prunes qu'on vous a parlé de cela. On sait ce qui s'est
passé à Arthabaska, puis on sait ce qui s'est passé dans
bien d'autres hôpitaux, parce que cela se ressemble d'une place à
l'autre, ces affaires-là.
Le Président (M. Rodrigue): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest: M. Jutras, je ne veux pas non plus prolonger
indûment. Dans l'évaluation des performances de 1966-1968 ou
1972-1976 ou 1976-1979, on a cherché à savoir des faits aussi
quantifiables qu'ils soient, mais on s'est vite aperçu qu'il fallait les
apprécier en termes de qualité en fonction des malades, puis
qu'il n'y avait pas d'autre point de référence finalement. Dans
le mémoire de la coalition, on a introduit une notion de santé et
de sécurité; M. Brunet l'avait élargie au bien-être.
Vous l'avez encore élargie en parlant de services de pédiatrie,
vous avez insisté, je pense qu'on vous a très bien compris, sur
le plan des lignes de piquetage, les dangers que cela pouvait comporter. C'est
plus large que le bien-être, cela devient une question
profondément humaine, une question de choses minimales que l'on doit
faire.
Vous vous êtes exprimé, de toute façon, comme
d'habitude, très clairement, sans avoir peur des mots. On a eu plusieurs
réserves, en tout cas, de divers membres de la commission sur le mot
"inconvénients"; on a cherché à savoir, pour ma part,
désespérément, je dois vous le dire, ce que pouvait cacher
le mot "inconvénients" qui est employé surtout par les parties
syndicales qui ont comparu, mais je pense qu'on a suffisamment de
témoiqnaqes pour savoir ce que cela veut dire et en mesurer la
gravité. Je pense que c'est clair pour la commission.
Une affaire très simple que je vais vous demander très
brièvement. Une des affirmations qui ont été faites et qui
est probablement verifiable - je n'ai malheureusement pas pu poser la question
aux administrateurs d'hôpitaux - c'est que plusieurs des situations qui
ont été évoquées au moment des conflits de travail,
au niveau des malades - vous en avez vous-même cité d'une
façon sans doute extrêmement réaliste, mais je suis
convaincu qu'elles étaient absolument vraies - on nous dit qu'à
plusieurs reprises, même au moment où on se parle, où il
n'y a pas de conflit dans les hôpitaux, des situations analogues se
passent. Moi, j'ai essayé de leur expliquer, étant donné
les listes d'attente... Vous avez parlé d'une personne qui avait un
ulcère d'estomac, on retardait de trois mois. Vous avez même dit:
Cela peut exister en dehors. Ce que j'ai essayé de dire, c'est que, si
des situations comme celles-là existent dans le quotidien de
l'administration des hôpitaux, des erreurs de gestion, des vices, des
faiblesses de la gestion - cela existe également, il y a les syndicats,
il y a l'exercice du droit de grève, il y a aussi pas mal de
problèmes de gestion - cela ne pouvait pas servir de justification pour
provoquer des situations analogues par l'exercice du droit de grève.
C'est cela qu'on a essayé d'établir.
M. Jutras: Oui, je comprends.
M. Rivest: J'aimerais brièvement avoir votre commentaire
là-dessus.
M. Jutras: C'est vrai que, sans grève, il y a des erreurs
qui se font quelque part. Dans les plus beaux et les plus grands hôpitaux
comme dans les plus petits, même dans les qrands hôpitaux
universitaires, parfois ils se trompent de jambe pour mettre un plâtre.
C'est arrivé, on le sait.
Ce que je veux vous dire, c'est que cela arrive que les médecins
se trompent, cela arrive aussi qu'on n'apprécie pas à leur juste
valeur les symptômes qu'un patient nous présente, qu'on retarde un
peu l'investigation; on pense qu'elle n'est pas nécessaire tout de
suite. Cela arrive que les médecins économisent pour le
gouvernement, ne font pas des examens inutiles. Cela nous arrive de faire cela.
Des fois, cela nous arrive de trop le faire et on se fait passer une affaire
entre les mains.
Cela ne veut pas dire, parce que cela nous arrive, que cela arrive aux
patients en général, cela ne veut pas dire que cela justifie les
syndicats d'en faire plus de leur côté avec les qrèves.
Comprenez-vous? C'est déjà assez que cela nous arrive de
même, on
est assez malheureux quand cela nous arrive et c'est assez malheureux
pour les patients qui en sont les victimes, bien, désespoir, n'allons
pas organiser un autre système qui va en faire dix fois plus. Voyons
donc! C'est une question de bon sens, cette affaire-là. Il y a assez
d'erreurs humaines qu'on commet, nous, les médecins, parce qu'on n'est
pas parfaits, et on n'a pas la science infuse. Je ne connais pas de
médecins qui n'ont pas fait d'erreur, même les plus grands. On
n'est pas venu ici pour se vanter. N'allons pas organiser un autre maudit
système qui va être encore dix fois pire que celui qu'on a
déjà. On a assez des erreurs qu'on commet et, quand cela se
ramasse en cour de justice, vous savez combien cela nous coûte.
M. Rivest, pour répondre à la question que vous avez
posée depuis le matin à tout le monde: Avez-vous des faits
concrets qui nous disent comment ils ont souffert, est-ce qu'il y en a qui sont
morts ou s'il y en a qui ont eu quelque chose? C'est un peu le genre de
question. Vous voulez avoir des faits concrets.
Je vais vous répondre...
M. Rivest: C'est-à-dire, M. Jutras, je pense que c'est
notre rôle, parce qu'il y a l'opinion publique.
M. Jutras: Je vous approuve.
M. Rivest: On veut que ce soit étayé comme
argumentation. Cela n'entache en rien ma conviction personnelle sur l'endroit
où on doit mettre la priorité et je pense que c'est la conviction
personnelle d'à peu près tout le monde que la priorité
doit être le bien-être, la santé et la
sécurité des patients. Mon effort depuis le matin, c'est
d'essayer d'arracher de nos intervenants des faits pour qu'on puisse les
étayer.
M. Jutras: Vous avez travaillé avec beaucoup de
persévérance, je vous ai admiré et je ne vous blâme
pas.
M. Rivest: Je n'ai pas réussi beaucoup, remarquez.
M. Jutras: Pour vous donner une idée
d'appréciation, je prendrais l'exemple de ce qui s'est passé dans
le règlement hors cour de la réclamation de M. Brunet contre la
CSN. Il a été siphonner à peu près 140 000 $ dans
ce règlement hors cour; cela vous donne une idée à peu
près de la qravité qu'il peut y avoir dans les qrèves dans
les hôpitaux, dans les institutions hospitalières de malades
chroniques; ce sont les endroits les plus vulnérables. Les malades
chroniques touchent bien du monde. Il y a des gens qui sont venus vous parler
cet après-midi au nom des vieillards.
J'ai ma vieille mère qui est dans une institution à
Victoriaville, dans un centre d'accueil; elle a 91 ans, elle ne voit plus
clair, elle n'entend presque plus, elle n'a presque plus conscience, mais je
n'aimerais pas qu'il y ait une grève et que je ne sois pas sûr
qu'elle a eu ses trois repas dans la journée. J'aimerais bien passer
à travers la ligne de piquetage pour aller lui faire prendre son repas,
à ma mère, et je n'aimerais pas qu'on me fasse de l'obstruction.
Si je suis comme ça, je pense que tous les autres hommes en ville, qui
ont leurs parents là, sont comme ça. Sauf un certain cas. Je vais
vous le conter et je vais me taire après ça, je ne parlerai
plus.
Quand on a vidé les hôpitaux pour malades chroniques, en
1974, en prévision de la grève qui s'en venait, j'étais
membre du conseil d'administration du centre d'accueil où est ma vieille
mère présentement. Mais quand elle y est entrée, j'avais
démissionné un an avant du conseil d'administration; je n'aime
pas les conflits d'intérêts. C'est plus tard qu'elle a
été admise par d'autres personnes, sans mon intervention; on
essaie d'être démocratique de temps en temps, du moins on s'en
donne l'illusion, toujours. Donc, on a vidé le centre d'accueil, on a
envoyé des malades à Longueuil et un peu partout, loin de leur
région. Les vieillards, ce sont des gens qui sont fragiles. Je m'occupe
des enfants, mais je m'occupe un peu des vieillards, je suis un peu au courant
de ce qu'ils font. Ils sont comme les petits enfants et comme les petits
animaux qu'on déplace. Ils vont faire de la diarrhée au moindre
déplacement, au moindre changement de routine; changez-les de chambre et
ils vont faire de la diarrhée ou des vomissements. On les a
transportés partout, dépaysés complètement en
prévision de la grève qui s'en venait. Il y avait en tout cas des
menaces de grève. Le jour du départ, il y avait un vieillard
d'environ 80 ans qui était assis sur les marches du centre, dehors. Il
était cinq heures et personne de sa famille n'était venu le
chercher. Il était abandonné de ses cinq enfants, parce que ce
n'était pas possible qu'il reste dans une maison privée, il avait
trop besoin de soins primaires; vous comprenez ce que je veux dire. J'ai vu cet
homme assis sur les marches de l'entrée de l'hôpital, le regard
perdu; ce n'était pas un malade mêlé, mais il n'avait pas
le contrôle de ses sphincters. C'est une chose qui tire les larmes.
Là, j'avoue que ce ne sont pas les qrévistes, c'est la
famille qui avait besoin d'une leçon de civisme ou d'éducation,
mais c'était criant de voir ça. Il y a eu une espèce de
complicité involontaire, les futurs qrévistes menaçaient
l'hôpital, il a fallu vider les lieux, mais lui est resté sur le
carreau et à cinq heures on s'est rendu compte que personne
n'était venu le réclamer.
II a fallu trouver un foyer d'accueil d'urgence avec des
infirmières pour s'occuper de cet homme. C'est une des scènes,
dans ma carrière - ça fait au-delà de 25 ans que je
pratique - les plus pénibles que j'aie vues, qui se compare à mes
petits enfants de pédiatrie qui criaient, qui pleuraient et qui,
à un moment donné, arrêtaient de pleurer et ne parlaient
plus à personne. Je ferai la même chose, je ne parlerai plus.
Le Président (M. Rodrigue): Mme la députée
de Jacques-Cartier.
Mme Dougherty: Dr Jutras, vous avez souligné, dans votre
mémoire, deux aspects que je trouve très importants.
Premièrement, le conflit qui existe, pour un travailleur, entre
son devoir professionnel et sa loyauté syndicale. Je crois que c'est la
première fois que nous avons entendu discuter de ce conflit dans un
mémoire. Peut-être ai-je manqué quelque chose; mais est-ce
vrai que le code d'éthique... Vous avez parlé, à la page
2, du serment professionnel. Est-ce que le professionnel s'engage à ne
pas avoir recours à la grève... (0 h 45)
M. Jutras: Le serment professionnel...
Mme Dougherty:... à renoncer à ce droit?
M. Jutras:... ce n'est pas de cette façon qu'il l'exprime.
Quand la déclaration de Genève a été
acceptée par les Nations Unies, en 1948, pour moderniser un peu le
serment d'Hippocrate qui avait toujours servi jusqu'à ce
moment-là, les grèves dans les hôpitaux, personne ne
connaissait cela. Alors, ils n'en ont pas parlé. Ils ont parlé
simplement des relations du médecin avec le malade. Il est bien dit dans
le serment que le médecin n'abandonnera pas son malade et
l'infirmière n'abandonnera pas son malade tant qu'elle ne sera pas
sûre qu'une autre main pourra en prendre soin adéquatement. C'est
de là qu'on dit que les médecins ne peuvent pas, en groupe,
quitter la ligne de travail pour aller faire du piquetage. Nous croyons que les
infirmières sont solidaires avec nous autres dans ce domaine. Les
infirmières veulent avoir de plus en plus de responsabilités et
je les approuve, mais il faut qu'elles les prennent aussi comme nous autres. On
les prend nos responsabilités et on ne fait pas de grève.
Pour ceux qui sont curieux, on va parler de la grève de 1970. M.
Marois en a parlé hier de 1970. Pour votre information, M. Marois, je
n'ai pas fait la grève de 1970. Je suis un spécialiste et j'ai
refusé de la faire. J'ai refusé directement au président
du syndicat qui m'avait appelé et j'ai dit: Tu as menti; je suis contre
la grève et je n'en ferai pas. Mon département est le seul qui
est resté ouvert dans la province de Québec. Le
département de pédiatrie, en 1970, n'a pas fermé. On a
continué de fonctionner. J'avais prévu qu'un jour j'aurais
à parler dans ce domaine parce que j'avais vu la grève de 1966.
Je me suis dit: Si je fais le niaiseux et que je fais la grève avec les
spécialistes, je vais être obligé de me fermer la queule
ensuite. Non, je n'ai pas fait de grève et cela me donne mon droit de
parole aujourd'hui.
Je vais vous dire une chose. La grande majorité de mes
confrères et de mes amis qui ont fait la grève en 1970 l'ont tous
reqretté et je suis certain qu'ils n'en feront jamais une autre. Je peux
vous dire cela. Les chefs syndicaux le savent. Lors de la négociation de
1979, on s'est réuni à Trois-Rivières et on a dit au chef
de notre syndicat: Négocie de bonne foi avec le gouvernement et du mieux
que tu peux; montre-nous que tu es habile, mais on ne veut pas que tu parles de
grève à personne et on ne veut pas que tu te serves du mot
grève pour négocier avec le gouvernement. Ce sont les
instructions qu'on a données à notre représentant
syndical. C'est tout de même pas si pire pour des médecins. On ne
peut pas dire que notre affaire a été un gros succès, mais
personne n'est mort et personne ne crève de faim non plus. Les
médecins, on n'est pas venu brailler pour avoir des augmentations de
salaires, quoiqu'on aimerait en avoir comme tout le monde, on aime l'argent. Il
n'y a personne qui n'aime pas l'argent.
Pour la grande majorité du corps professionnel des
médecins, le serment, c'est quelque chose. Je connais des
médecins qui ont regretté amèrement d'avoir fait la
grève en 1970, quand on connaît tous les détails et la
conclusion de cette grève. Quand Pierre Laporte s'est fait tuer, ils
cherchaient une raison pour revenir au Québec au plus sacrant. Ils en
ont trouvé une avec cela. Ils ont dit, quand ils sont revenus au pays:
Le pays était à l'envers; ils sont revenus au pays et ils se sont
remis au travail. Ce n'est pas la loi qui les a fait revenir. C'est l'incident
de Pierre Laporte. C'est une chose qui vous échappe peut-être,
mais il y a un lien direct entre les deux. Cela s'est fait en même
temps.
Avez-vous d'autres questions?
Mme Dougherty: Deuxièmement, j'aimerais tout simplement
vous remercier d'avoir démystifié cette question des services
essentiels dans le milieu hospitalier.
M. Jutras: Vous êtes bien gentille. Vous avez compris,
vous, et je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Rodrigue): Je remercie
les représentants de l'Association des médecins du
Québec pour le respect de la vie de leur longue patience.
Il est maintenant près d'une heure, ce mercredi matin, 23
septembre. La commission élue permanente du travail, de la main-d'oeuvre
et de la sécurité du revenu suspend ses travaux jusqu'à
dix heures ce matin, alors que nous entendrons tour à tour les
représentants du Comité de parents de la Commission scolaire de
Trois-Rivières, de la Fédération des commissions scolaires
catholiques du Québec et également de l'Association provinciale
des enseignants protestants du Québec, le Centre des dirigeants
d'entreprise qui nous a soumis un mémoire pour dépôt
seulement, les représentants du Mouvement d'animation pour le
redressement du Québec, les représentants de l'Association
féminine d'éducation et d'action sociale, les
représentants de la ville de Montréal, du Syndicat des
employés de magasins et de bureaux de la Société des
alcools du Québec et, finalement, de l'Association des cadres scolaires
du Québec.
La commission suspend ses travaux jusqu'à dix heures ce
matin.
(Fin de la séance à 0 h 50)