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Version finale

29e législature, 3e session
(7 mars 1972 au 14 mars 1973)

Le mardi 13 février 1973 - Vol. 12 N° 137

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude du projet de loi no 88 - Loi de l'expropriation


Journal des débats

 

Commission permanente

des transports, des travaux publics

et de l'approvisionnement

Projet de loi no 88 Loi de l'expropriation

Séance du mardi 13 février 1973

(Dix heures dix minutes)

M. LAFRANCE (président de la commission permanente des transports, des travaux publics et de l'approvisionnement): A l'ordre, messieurs!

Ce matin, la commission parlementaire permanente des transports, des travaux publics et de l'approvisionnement prendra connaissance ou discutera du projet de loi 88, c'est-à-dire la Loi de l'expropriation. Avant de commencer, certains membres de la commission auraient des déclarations à faire. Le ministre de la Voirie et des Travaux publics commencera par sa déclaration.

Remarques préliminaires

M. PINARD: M. le Président, messieurs les membres de la commission, chers amis, je voudrais d'abord vous souhaiter la plus cordiale bienvenue à la commission parlementaire qui siège ce matin pour entreprendre l'étude avec vous du projet de loi 88 relatif à la Loi de l'expropriation.

Si vous me le permettez, je voudrais faire des remarques préliminaires pour mieux situer le cadre de notre discussion et aussi pour vous expliquer, en bref, les grands objectifs poursuivis par le gouvernement au moment de la présentation de cette nouvelle Loi de l'expropriation. Pour assurer le progrès social et économique de notre collectivité, les corporations municipales, les commissions scolaires, les cités et villes et les divers organismes du gouvernement de cette province ont dépensé des milliards de dollars, particulièrement au cours de cette dernière décennie.

A cette fin, pour construire les routes, les hôpitaux, les maisons d'enseignement, les édifices publics de toute nature et raser les taudis, ils ont dû, par centaines de millions de dollars, tailler dans le domaine des particuliers par le truchement de l'expropriation. Qui dit expropriation, chez nous, emploie un mot à caractère parfois explosif car, qui que nous soyons dans l'Etat du Québec, nous sommes chèrement attachés à notre petit ou grand patrimoine, quel qu'il soit. Il nous est bien difficile de nous départir, même dans l'intérêt du bien commun. Notre expérience, hélas, nous a enseigné, au cours de ce vaste chantier, que l'expropriation était encore plus douloureuse à supporter pour quiconque à cause de centaines de lois existant dans ce domaine et, il faut bien le dire, parce que le droit à l'indemnisation et la procédure d'expropriation ne sont pas toujours les mêmes suivant qu'on est exproprié par un corps municipal, par les cités et villes ou les divers organismes ou ministères du gouvernement provincial.

Les négociations, il va sans dire, varient elles-mêmes d'un expropriant à l'autre et, quand elles n'aboutissent pas, ce sont même des tribunaux différents qui ont l'obligation de trancher le litige. C'est ainsi qu'actuellement, si c'est une corporation municipale qui exproprie, ce sont des arbitres qui auront charge de déterminer la juste et équitable indemnité.

Si ce sont les cités et villes ou le gouvernement, ce sera la Régie des services publics. Si c'est une expropriation pour fins d'électricité, ce sera la Régie du gaz et de l'électricité. Si c'est la ville de Montréal qui exproprie, ce sera le Bureau des expropriations.

Dès mes premières années, comme ministre de la Voirie, à l'époque de 1960, je me suis vite rendu compte de certaines déficiences de notre système d'expropriation. C'est à mon instigation que le gouvernement Lesage institua, en 1965, un comité chargé de faire la lumière dans ce domaine. Ces préoccupations que j'avais à l'époque étaient également celles de tous les législateurs, de tous les membres des partis d'Opposition.

Le comité Alary déposa alors, trois ans plus tard, soit en 1968, devant le cabinet, un rapport volumineux à la fois élaboré et fort précieux sur le sujet. Je puis dire que depuis cette date nombre de ses recommandations se sont traduites dans les faits. Mais, dès ma reprise en main du ministère de la Voirie, en 1970, il me tardait de présenter une loi-cadre sur l'expropriation. Je demandai à mes experts juridiques et techniques de se mettre à la tâche à cet égard. Aussi suis-je des plus heureux et des plus fiers de vous présenter aujourd'hui cette loi-cadre qui tient à la fois compte des nombreuses recommandations du rapport Alary et des données sociologiques de notre milieu.

Certes, cette loi n'est pas parfaite. Mais elle a le grand mérite de réunir sous un seul toit tout ce qui touche à l'expropriation et d'apporter nombre d'améliorations qui auront l'heur, je l'espère, de plaire à l'ensemble de la population.

Permettez-moi de signaler à votre attention les réformes les plus importantes qu'elle propose. En premier lieu, tout en respectant le pouvoir d'exproprier de chaque palier de gouvernement — car elle se veut démocratique — elle impose à chaque expropriant une procédure uniforme d'expropriation. Ainsi une fois qu'elle sera adoptée, les corporations municipales n'auront plus à exproprier suivant les dispositions du code municipal; la ville de Montréal, selon les prescriptions de sa charte; les cités et villes, le gouvernement et les autres corps expropriants, en suivant les données du code de procédure civile.

Mais tout expropriant quel qu'il soit devra, pour exproprier, suivre la procédure énoncée dans cette unique loi.

En second lieu, cette loi-cadre uniformise le

droit à une indemnisation en ce sens qu'elle place tous les expropriants et tous les expropriés sur un pie_d d'égalité face à l'indemnité à donner ou à recevoir à l'occasion d'une expropriation. A ce chapitre, elle apporte de nombreux bénéfices pour les expropriés. Combien d'entre eux, en effet, ont vu diminuer considérablement la valeur de leur propriété par l'exhaussement d'une route sans pour autant recevoir l'indemnité, vu les restrictions imposées à ce sujet par l'article 97 b) de la Loi de la voirie.

Ceux-ci pourront dorénavant être compensés à cet égard pour les dommages réels prouvés qu'ils auront subis.

Combien d'expropriés se sont vu imposer une servitude de non-accès sans pour autant recevoir de compensation vu la rigueur de l'article 25 de la Loi de la voirie. Cet article disparaît, laissant aux intéressés le soin de prouver les dommages directs qu'ils auraient subi à cet égard et de recevoir une compensation, s'il y a lieu.

Les expropriés n'obtiennent aujourd'hui que 5 p.c. d'intérêt, soit le taux légal sur l'indemnité qui leur est due, mais, grâce à cette nouvelle loi, ils pourront en obtenir davantage.

Que de locataires, dans le passé, faute de bail enregistré, n'ont pu être indemnisés pour des dommages qu'ils avaient réellement subis à l'occasion d'une expropriation. Cette nouvelle loi prévoit des correctifs à cet égard.

En troisième lieu, cette loi-cadre institue pour le gouvernement un système d'imposition de réserve de terrains pour fins d'utilité publique d'une durée de deux ans et de cinq ans, ce qui aura pour effet de lui permettre de planifier ses travaux d'expropriation à court et à long termes.

Enfin, cette loi-cadre substitue aux quatre organismes d'arbitrage existant un unique tribunal d'expropriation à caractère strictement judiciaire et décentralisé pour répondre plus adéquatement aux problèmes du district d'appel de Montréal et du district d'appel de Québec. Il comprendra en effet deux sections: l'une pour le district d'appel de Montréal, comprenant trois divisions de trois membres avec chacune à sa tête un juge de la cour Provinciale et une autre pour le district d'appel de Québec, composé de deux divisions de trois membres avec chacune à sa tête un juge de la cour Provinciale. Cet unique tribunal aura certes pour avantage de nous donner une jurisprudence uniforme dans le domaine de l'expropriation.

En guise de conclusion, je puis affirmer, sans l'ombre d'un doute, que cette loi-cadre fait franchir au Québec un pas considérable dans le domaine de l'expropriation en le dotant d'une loi unique en ce domaine, comportant un droit d'indemnisation égal pour tous, une procédure uniforme pour tous les expropriants et un seul tribunal compétent à disposer de tous les litiges.

Je suis donc assuré qu'elle recevra l'assentiment unanime, je l'espère, de cette commission. Comme la commission parlementaire siège pré- cisément pour permettre aux organismes à caractère public ou privé de faire des représentations au gouvernement, eh bien, vous avez aujourd'hui l'occasion de vous faire entendre.

Je vous invite à le faire avec toute la franchise, la latitude et la liberté que vous désirez obtenir, mais aussi en ayant toujours à l'esprit ce grand souci d'objectivité qui vous a toujours caractérisés par le passé, puisque vous avez été associés directement ou indirectement à cette grande réforme dans le domaine de l'expropriation.

M. le Président, je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. le Président, c'est avec plaisir que nous assistons à cette première réunion de la commission parlementaire chargée d'analyser toutes les implications de ce projet de loi no 88, dit Loi de l'expropriation.

Il faut retenir, bien objectivement, qu'il s'agit d'un pas en avant car, à l'avenir, nous n'aurons qu'un seul tribunal chargé de disposer des différents problèmes d'expropriation sur tout le territoire du Québec.

Je retiens les propos du ministre, alors qu'il a exprimé l'espoir que ce projet de loi reçoive l'appui de tous les membres de cette commission parlementaire et, par voie de conséquence, à l'occasion du rapport, que la Chambre se prononce affirmativement au soutien du principe de cette loi.

Il faut également retenir, cependant, que certaines améliorations, certains amendements s'imposeront à cette loi. Je suis certain que le ministre, comme il en a d'ailleurs fait preuve dans le passé à l'occasion de l'étude de la loi 23, Loi des transports, comme il en faisait preuve, encore récemment, au sujet de l'étude du règlement no 6, concernant le problème du taxi, restera ouvert à certains amendements qui nous viendront de l'autre côté de la table ou des membres de la commission elle-même.

Il faut retenir que M. Alary, qui avait été chargé d'étudier tout ce problème de l'expropriation, au Québec, a préparé un excellent mémoire, un excellent rapport. Il est regrettable que nous ne puissions retrouver certains points importants de son rapport dans ce texte de loi. N'ayant pas été consulté lui-même quant à la rédaction de cette loi, pour des causes que j'ignore totalement, que le ministre connaît sûrement et qu'il n'est pas obligé de nous dévoiler, il reste que M. Alary va beaucoup plus loin dans l'exposé de son rapport que certains textes législatifs que nous retrouvons dans le projet de loi no 88.

Le ministre peut être assuré, ainsi que ceux qui s'adresseront à nous que c'est avec une grande ouverture d'esprit que nous sommes prêts à écouter toutes les suggestions, amendements et mémoires qui nous seront présentés. Je suis certain que, de cette discussion, de cette

période de questions qui suivra la présentation de chacun des mémoires, nous nous orienterons vers un texte de loi qui puisse satisfaire toutes les parties en cause et surtout le contribuable québécois.

Il y a certains traitements de faveur qui sont accordés, par exemple dans la loi à la ville de Montréal et au gouvernement, plutôt qu'à d'autres organismes. Je m'interroge quant aux raisons de telles préférences, mais ce sont là autant de questions qui, j'en suis sûr, nous serons signalées par ceux qui ont des mémoires à nous présenter.

Et avec cette ouverture d'esprit, cette collaboration qui a toujours marqué les différents travaux des commissions parlementaires, nous nous arrêtons sur un texte qui puisse répondre aux besoins et surtout nous pourrons atteindre le grand principe visé par cette loi dans le but d'établir une jurisprudence uniforme, de centraliser la discussion de tous ces problèmes d'expropriation, d'accélérer le mécanisme d'expropriation et de toucher également au règlement de toutes les implications qui résultent d'une expropriation.

A la lecture brève du projet de loi, j'ai constaté que la loi était silencieuse quant aux conséquences indirectes d'une expropriation, mais connaissant l'ouverture d'esprit, la libéralité du ministre qui parraine ce projet de loi, considérant que son séjour avec nous sera maintenant de courte durée, si l'on tient compte des années de services données à la population du Québec, je suis sûr que le ministre chargé d'appliquer cette loi, en attendant peut-être les fonctions lourdes de conséquences de l'interpréter, verra à recevoir d'un bon oeil les recommandations qui nous seront faites.

Comme par le passé, le ministre peut compter sur ma collaboration et sur celle des membres de mon parti pour que nous ayons un texte de loi qui satisfasse aux besoins de la population et, en même temps, qui permette de communier au progrès qu'imposent les différentes constructions dans le domaine de la Voirie ou autres dans le Québec. C'est ainsi que nous aurons la satisfaction de faire oeuvre utile pour la communauté québécoise. Je vous remercie, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: II me fait plaisir à mon tour de saluer les différents organismes qui viennent présenter des mémoires ce matin concernant cette nouvelle loi 88. Il faut bien voir les problèmes épineux et ambigus que présente cette nouvelle loi qui tend à vouloir centraliser encore les pouvoirs qui auront à faire de l'expropriation une loi acceptable. C'est une loi qui avait besoin d'améliorations.

A la lecture des différents mémoires présentés, nous pouvons constater qu'il y a passablement de divergences d'opinions parmi les différents organismes qui viennent ici ce matin. De toute façon, il y a de la place pour beaucoup d'opinions qui seront très valables, je crois, pour orienter cette commission vers la bonification de cette loi qui doit refléter réellement l'idée de la population, satisfaire toutes les exigences de tous les milieux. Je crois que votre témoignage ce matin sera fort apprécié de la commission pour faire en sorte que ce projet de loi soit très acceptable. Merci, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Bourget.

M. LAURIN: M. le Président, le problème de l'expropriation, dans un pays qui aspire à se doter rapidement des infrastructures dont il a besoin et qui vise à une modernisation la plus cohérente et la plus rapide possible, a posé et pose encore des problèmes difficiles qui, de l'avis de tous, n'ont jamais été réglés à la pleine satisfaction des intéressés et encore moins à la lumière du bien public.

C'est la raison pour laquelle le gouvernement qui a précédé celui que nous connaissons avait chargé une commission d'enquête d'étudier le problème. Cette commission d'enquête a très bien travaillé et a produit un rapport qui comptera probablement parmi les meilleurs qui aient été produits au Québec sur quelque sujet que ce soit au cours des dix dernières années.

C'est la raison pour laquelle nous nous sommes beaucoup étonnés, pour notre part, que le gouvernement n'ait jamais pensé, manquant ainsi gravement à son devoir, à rendre ce rapport public. Cependant, nous comprenons un peu mieux pourquoi le gouvernement n'a pas rendu ce rapport public quand nous comparons le projet de loi 88 avec l'essence des constatations, observations et recommandations de la commission Alary et surtout quand nous comparons le projet de loi actuel avec le projet de loi qui avait été suggéré dans le corps même du rapport Alary.

Nous constatons, en effet, une telle divergence entre ces deux projets de loi que nous nous rendons compte que le gouvernement, comme à son habitude d'ailleurs, a reculé devant les mesures qui s'imposaient absolument pour donner satisfaction aux intéressés et, en même temps, préserver le bien public. Sur un très grand nombre de points majeurs aussi bien que mineurs, le projet de loi ou s'écarte sensiblement des recommandations du rapport Alary, ou les atténue de façon à leur faire perdre toute substance ou les met carrément de côté. Ce qui revient à dire que nous nous trouvons, avec ce projet de loi, devant une autre de ces "miniréformettes" qui, au lieu de régler les problèmes, va susciter encore plus d'insatisfaction et va compliquer encore davantage le règlement des litiges qui pourront survenir. C'est la raison pour laquelle nous espérons beaucoup des audiences de cette commission parlementaire.

Nous espérons que les corps publics qui se feront entendre nous transmettront des observations ou des recommandations qui amèneront le gouvernement à repenser complètement son projet de loi, à le retirer, à en faire une nouvelle version qui répondra davantage aux besoins et aux intérêts aussi bien du public que des diverses parties concernées. Car, si le gouvernement persistait à présenter à la Législature le projet de loi qu'il nous a fait connaître sans le modifier, nous nous verrions obligés de voter, et je l'annonce immédiatement, contre le principe même de ce projet de loi.

Nous comptons cependant que le gouvernement aura la sagesse de faire machine arrière et, s'inspirant des recommandations qui lui seront faites, remettra sur la planche à dessin son projet de loi et nous en présentera une version améliorée. Je résume ici l'essentiel de nos positions, mais, pour ceux que la chose intéresserait, je dépose devant la commission un document qu'a préparé mon collègue le député de Maisonneuve, M. Robert Burns. Nous espérons aussi qu'à l'aide de ce mémoire, aussi bien que de tous ceux qui seront présentés, le gouvernement trouvera des raisons au-dessus de toute partisanerie politique, qui l'amèneront à légiférer davantage dans le sens de l'intérêt public.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Je demanderais aux différents organismes qui ont été convoqués de présenter leur mémoire ou le résumé de leur mémoire. Habituellement, aux commissions parlementaires, on accorde plus ou moins vingt minutes. Nous ne sommes pas trop stricts là-dessus mais nous vous demandons d'essayer de vous en tenir à cela. Par la suite, il y aura une période de questions, de la part des membres de la commission, d'une durée d'environ 40 minutes. Si le sujet le requiert, on peut considérer une certaine latitude de ce côté tout en vous demandant, autant que possible, de vous limiter à ce temps.

Le premier organisme qui se fera entendre ce matin est l'Union des conseils de comté. On vous demande de prendre place, s'il vous plaît, messieurs. Pourriez-vous vous identifier?

Union des conseils de comté du Québec

M. VIAU: M. le Président, mon nom est Pierre Viau, avocat, je représente l'Union des conseils de comté du Québec et je suis accompagné de M. Jean-Marie Moreau, président de l'Union des conseils de comté et maire de Verchères. S'il plaît à cette commission, nous pourrions peut-être lire rapidement le mémoire qui n'est pas très long et ensuite fournir certains renseignements ou répondre à vos questions.

Le projet de loi no 88 traite de deux sujets, malgré le titre; la première partie concerne l'expropriation proprement dite, et la deuxième concerne l'imposition de réserve pour fins publiques. La première partie de ce projet de loi modifie substantiellement le code municipal; par contre, la deuxième partie de la loi accorde de nouveaux pouvoirs aux municipalités régies par le code municipal. Sans vouloir critiquer le bien-fondé du contenu des règles et procédures d'expropriation, prévues dans le projet de loi no 88, nous croyons qu'avec une ou deux modifications au code municipal, le résultat serait le même. De plus, les municipalités et les contribuables conserveraient les avantages que leur accorde la procédure du code municipal.

Parmi les avantages que nous voyons dans la procédure prévue au code municipal par rapport à celle prévue dans le projet de loi 88, mentionnons d'abord une économie appréciable, et deuxièmement, une simplicité et une rapidité d'exécution dans le cas d'expropriations. Sauf de façon exceptionnelle et dans des cas bien particuliers, les tribunaux ou organismes publics n'interviennent d'aucune façon dans les expropriations faites en vertu du code municipal. Tout peut se faire avec le concours des contribuables résidant dans les municipalités; par contre, si on remplace les dispositions du code par celles du projet de loi 88, les municipalités devront obligatoirement s'adresser aux tribunaux pour exproprier. Tout le monde sait que dans ce cas celui qui exproprie comme celui qui est exproprié doivent engager des experts: évaluateurs, avocats, arpenteurs-géomètres et autres. En plus des frais judiciaires, les parties doivent assumer les frais des experts ainsi que les frais extrajudiciaires.

A moins qu'on nous démontre que la procédure prévue au code municipal pour exproprier a causé des injustices ou encore ne peut pas rendre justice, nous ne voyons pas l'utilité de remplacer cette procédure par une autre qui coûte beaucoup plus cher. Suivant le projet de loi no 88, les municipalités, comme les expropriés, sont obligées de s'en remettre à des experts lorsqu'il s'agit d'expropriation. Dans le contexte actuel, toutes les municipalités cherchent à réduire les dépenses et à réaliser des économies. Nous ne comprenons pas très bien l'utilité de ce changement.

Dans la plupart des municipalités régies par le code municipal, les biens, qui peuvent faire l'objet d'une expropriation, sont assez connus pour que des évaluateurs locaux soient en mesure d'en fixer le prix.

Le code prévoit même que, si une des parties ne croit pas que les experts locaux ont la compétence suffisante, il peut en appeler devant des arbitres qui, toujours selon la décision des parties, peuvent être des experts.

Cette procédure nous semble beaucoup plus simple et moins coûteuse que celle proposée dans le projet de loi no 88. En comparant les dispositions du code municipal avec celles du projet de loi, nous constatons que la procédure d'expropriation prévue au code peut être beaucoup plus rapide que celle prévue dans le projet de loi. En effet, il n'y a qu'à comparer les

dispositions concernant la façon et le délai exigés pour qu'une municipalité obtienne la possession d'un immeuble exproprié pour s'en convaincre.

Les procédures d'expropriation prévues au code existent depuis 1916, date d'adoption du code. Même si, en 1973, beaucoup de changements se sont opérés, nous croyons que les motifs invoqués par les commissaires chargés de la réforme du code municipal en 1916 sont encore valables aujourd'hui.

Les procédures d'expropriation prévues dans le projet de loi sont à peu près semblables à celles prévues dans le nouveau et dans l'ancien code de procédure civile. Il est intéressant de remarquer que l'article 1066 a) de l'ancien code de procédure civile ainsi que l'article 770 du nouveau code de procédure civile excluent expressément les expropriations en vertu du code municipal.

Les commissaires qui ont préparé le nouveau code de procédure civile, entré en vigueur en 1965, n'ont trouvé aucune raison justifiant l'abrogation des dispositions du code municipal concernant les procédures d'expropriation. Dans leur rapport, ils se contentent de dire que les textes proposés apportent peu de changements au droit existant. A première vue, on pourrait dire la même chose du projet de loi no 88 par rapport aux dispositions dans le code de procédure civile.

La deuxième partie du projet de loi no 88 concerne l'imposition de réserves pour fins publiques. Tel que mentionné précédemment, il s'agit de pouvoirs nouveaux pour les municipalités régies par le code municipal; en effet, contrairement aux cités et villes, les municipalités rurales n'avaient pas le pouvoir d'homologuer des terrains pour fins publiques.

Nous sommes heureux de constater que le législateur accorde de nouveaux pouvoirs aux municipalités régies par le code municipal. Cependant, la procédure prévue dans le projet de loi no 88 pour l'exercice de ces pouvoirs nous semble lourde et onéreuse pour les municipalités rurales.

N'y aurait-il pas lieu de simplifier la procédure pour une municipalité qui voudrait imposer une réserve pour fins publiques? On pourrait aussi avantageusement intégrer la procédure pour la fixation d'une indemnité payable à la suite de l'imposition d'une réserve avec celle déjà prévue au code municipal pour l'expropriation.

En conclusion, nous soumettons qu'avant d'assujettir au projet de loi no 88 les municipalités régies par le code municipal, on devrait examiner les effets de ces changements tant au plan financier qu'au plan administratif. A première vue, nous croyons qu'une ou deux modifications apportées au code municipal seraient suffisantes pour obtenir le même résultat que celui prévu dans le projet de loi. Ceci n'affecterait aucunement les droits des contribuables et permettrait aux municipalités de faire des économies très appréciables.

Si vous me permettez, M. le Président, je vais résumer un peu la procédure que le code municipal prévoit et qui est souvent mal connue, parce que ce chapitre existe depuis très longtemps. C'est qu'on prévoit, dans le code municipal, lors d'une expropriation, que la municipalité peut acquérir de gré à gré, si on veut, par suite de conventions, comme c'est le cas dans la Loi des cités et villes ou le code de procédure civile. On prévoit ensuite que, si les parties ne s'entendent pas, elles nomment des estimateurs. Trois estimateurs sont maintenant spécifiquement nommés pour fins d'expropriation, à tous les deux ans, par les municipalités. Ce ne sont plus les estimateurs qui font les rôles d'évaluation. Ce sont trois estimateurs qui sont nommés à tous les deux ans par les municipalités pour s'occuper de voir ce que vaut le bien exproprié et rendre une décision.

Dans les trente jours du rapport fait par les estimateurs, si les parties ne sont pas satisfaites, elles peuvent nommer trois arbitres: un par la municipalité, un deuxième par l'exproprié et un troisième par les deux arbitres. A ce niveau, si nous sentons le besoin d'avoir des gens pour nous représenter ou des spécialistes, il est facile d'en avoir et de présenter nos arguments devant les arbitres.

Ces arbitres rendent ensuite une sentence. Cette sentence est finale. Je dois souligner aussi que, dans les cas les plus importants d'expropriation — parce qu'il faut bien voir qu'en milieu rural, les cas d'expropriation sont bien différents de ceux des centres urbains, c'est-à-dire que l'on exproprie généralement pour des fins d'aqueducs, d'égouts et de voirie — pour les cas vraiment graves, disons, où les montants sont importants, comme dans les cas d'aqueducs, et d'égouts, on a prévu, à l'article 408 de la loi, que des arbitres sont alors remplacés par la Régie des services publics qui entend la demande.

Or, il nous semble que cette procédure est satisfaisante. Suivant les vérifications que nous avons pu faire dans nos municipalités rurales, il semble que les gens soient satisfaits, pour le moment, de cette procédure, qu'elle répond à leurs besoins, bien que tout le monde soit heureux, comme je l'ai mentionné tantôt, de voir que, par le truchement d'une imposition, d'une réserve maintenant, les municipalités rurales vont pouvoir procéder à ce qu'on appelait une homologation antérieurement et qui est une procédure vraiment utile lorsque l'on veut prévoir le développement d'une municipalité.

En somme, nous croyons que, par des amendements au code municipal, nous pourrions atteindre ce but de préciser peut-être certaines procédures, mais que le principe ou la procédure prévue présentement dans cette loi semble absolument satisfaisante. Comme cela a été le cas lors de la réforme du code de procédure civile, nous croyons que les municipalités régies par le code municipal devraient être exclues.

D'ailleurs, si on voit le nombre d'expro-

priations, on s'apercevra que dans les municipalités rurales où les propriétaires sont expropriés par une municipalité et non pas par une autre autorité gouvernementale, les cas ne sont pas très nombreux et qu'ils sont généralement réglés à leur satisfaction. Selon notre expérience, souvent les cas sont réglés même avant qu'on se rende devant trois arbitres, les gens de l'endroit connaissant bien le milieu et étant assez habiles pour déterminer ce que vaut l'emplacement. Ce genre de procédure nous a rendu des services jusqu'à maintenant et nous pensons qu'il peut nous en rendre encore pendant plusieurs années.

Ajoutons à ceci que, dans les régions rurales, les administrateurs locaux, comme les contribuables — pour avoir travaillé dans des milieux ruraux, vous savez aussi bien que moi que c'est le cas — connaissent bien leur code municipal qui est franchement bien rédigé. Je vais admettre qu'il y a des choses à changer dedans, mais les principes sont bien établis dans le code et cette procédure est bien connue. Ils sont familiers avec cette procédure; elle leur rend service et elle n'est pas coûteuse. Pour cela, nous demandons à cette commission de bien vouloir considérer notre représentation de façon que les municipalités régies par le code municipal soient tout simplement exclues de l'application de la Loi de l'expropriation, c'est-à-dire qu'on maintienne les procédures. Nous visons à maintenir la même procédure que nous avons présentement, quitte à l'améliorer.

Nous sommes d'accord pour dire qu'il y a des améliorations à y apporter. C'est la représentation que nous voudrions faire au nom des 1,250 municipalités rurales de la province.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. Viau, ayant moi-même, en plusieurs circonstances, agi comme conseiller des municipalités, je sais que l'exposé que vous nous avez fait est conforme à la vérité. Les ruraux restent extrêmement attachés aux procédures prévues par le code municipal en matière d'expropriation. Les invitations que vous faites au gouvernement sont excellentes. Mais il ne faut pas oublier que le ministre des Affaires municipales a l'intention, suivant ses déclarations, de présenter une législation qui prévoirait un code unique régissant les municipalités rurales et les cités et villes. Alors, il ne faut pas oublier ce contexte éventuel futur, à mon point de vue, qui minimise les représentations que vous faites ce matin, non pas quant à leur valeur, mais quant à leur recevabilité de la part du ministre, parrain de cette loi.

Cela m'invite à vous demander s'il y a eu consultation par vous, ou par M. Moreau et les membres de l'Union des conseils de comté, avec le ministre des Affaires municipales pour discuter des implications de la loi 88 et pour l'inviter à présenter, en attendant le code unique, les amendements dont vous nous avez parlé.

M. VIAU: II n'y a pas eu de consultation.

M. PAUL: II n'y a pas eu de consultation. Est-ce que votre organisme commence à réagir ou à exercer des pressions pour que les municipalités rurales continuent d'être régies par un code municipal, amendé, si vous voulez, et que les municipalités de ville, les corporations des cités et villes, le soient par la Loi des cités et villes?

M.VIAU: Si vous me le permettez, M. le député, sur cette question, nous continuons — c'est exactement l'exemple que nous apportons, je pense, ce matin — à demander plutôt une modification au code municipal qu'une loi unique, pour la simple et bonne raison que, quant aux municipalités rurales, ce code — je dois le répéter ici — est bien conçu. C'est un code, contrairement à la Loi des cités et villes, qui est un ensemble de dispositions.

Je comprends que nous sommes à l'étude de la Loi de l'expropriation. Je ne voudrais excéder ni mon mandat, ni le débat. Au niveau de la Loi de l'expropriation, nous demandons que les dispositions du code municipal soient maintenues, quitte à être améliorées. Que le gouvernement du Québec le fasse par le truchement d'une loi ou d'une autre, cela ne nous importe pas beaucoup. Ce qui nous tient à coeur, c'est que les dispositions du code municipal soient maintenues, quitte à être rafraîchies, comme je le soulignais tantôt, quant au pouvoir d'homologuer. Nous trouvons vraiment que c'est un grand pas en avant, parce que cela va de pair avec les pouvoirs qui ont été donnés, il y a déjà quelques années, en matière d'urbanisme, par exemple, aux municipalités rurales. Nous étions souvent entravés dans la poursuite d'un plan d'aménagement par le fait que nous ne pouvions pas homologuer.

C'est à cela que nous tenons. En matière d'expropriation, nous croyons que nous avons une procédure relativement simple et peu coûteuse. Comme je le mentionnais tantôt, que cela se fasse par le truchement d'une loi ou d'une autre, ce à quoi nous tenons, c'est que cela se fasse plutôt dans le code municipal que dans une autre loi, parce que le travail, dans un milieu rural, est bien différent du travail dans un centre urbain. Il y a moins de personnes, peut-être, autour des conseils municipaux, pour les aviser. Ils connaissent bien ce code, ils sont familiers avec la procédure. Si on prend la peine de lire les articles du code municipal, au chapitre de l'expropriation, ils sont très clairs. C'est la logique même.

M. PAUL: C'est également rapide.

M. VIAU: C'est rapide aussi. On évite des délais. Et souvent, on en vient pratiquement à des ententes sans même se rendre devant un tribunal. Alors, pourquoi imposer une procédure qui est peut-être valable — je ne parle pas pour les cités et villes, je ne parle pas pour

d'autres organismes; je ne parle que pour les municipalités rurales — dans un centre urbain — là, n'est pas la question, quant à moi — mais, dans un milieu rural, nous pensons que le code, tel qu'il est considéré et rédigé, pourrait être amélioré, d'accord, mais est bien, comme conception, et est utile. Tout est dans le même livre et la procédure est logique.

M. PAUL: M. Viau, je ne vous avais pas invité à dépasser le mandat que vous avez reçu, mais nous, qui sommes constamment dans la fournaise législative, avons entendu des déclarations de l'honorable Tessier qui nous a prévenus qu'il y aurait éventuellement présentation de lois fusionnant la Loi des cités et villes et le code municipal. C'est sur ce point que j'ai voulu attirer votre attention, ce matin, en vous disant que le mémoire, tel que vous nous le présentez et les suggestions que vous nous faites sont excellentes. D'un autre côté, nous, législateurs, à qui vous vous adressez, nous sommes obligés de tenir compte d'autres déclarations qui ont été faites par d'autres ministres, qui auraient pour effet de minimiser et même de rendre tout à fait inutile le mémoire que vous nous présentez ce matin.

C'est sur cet aspect que j'ai voulu attirer votre attention, tout en appuyant grandement sur la logique de vos propos. Je suis sûr que le ministre, une fois qu'il aura une déclaration officielle de la part de son collègue, le ministre des Affaires municipales, pourra aller de l'avant avec sa loi. Si, par hasard, le ministre des Affaires municipales avait l'intention de maintenir encore durant quelques années le code municipal qui régit les municipalités rurales, je suis certain que le ministre, avec la libéralité qu'on lui connaît, l'ouverture d'esprit qui le caractérise quelquefois, voudra bien retenir les propos fort judicieux et appropriés que vous avez tenus ce matin.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre des Transports.

M. PINARD: J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les remarques de Me Pierre Viau, qui défend bien la cause qui lui a été confiée par l'Union des conseils de comté du Québec, et je prends acte aussi des remarques et des propos fort judicieux qui ont été faits par mon collègue de Maskinongé. Cependant, la commission parlementaire chargée de faire l'étude du projet de loi 88 n'est pas ici, je pense, pour mettre en contradiction les ministres en ce qui regarde les pouvoirs qu'ils peuvent avoir dans le domaine de l'expropriation.

Il faut, je pense, admettre que le comité de législation est une entité spécifique. Il n'est attaché comme tel à aucun des ministères, mais il fait le recoupement des lois soumises par les ministères. Il est en mesure de faire la synthèse des amendements qui doivent être apportés à une loi ou à une autre dans un ministère ou dans un autre.

Je tiens pour acquis que ce travail de synthèse a été fait. Mais — comme je l'ai souligné dans mes remarques préliminaires — le projet de loi qui nous est soumis ce matin est un document de travail susceptible de recevoir des amendements, compte tenu de l'expression d'opinions qui sera faite par les organismes qui se présentent devant nous et compte tenu aussi de l'évolution dans le domaine de l'expropriation, en ce qui concerne les municipalités, en particulier les municipalités rurales.

C'est entendu que pour ma part je ferai de nouvelles consultations auprès de mon collègue, le ministre des Affaires municipales, et nous transmettrons copie de votre mémoire au ministre et à ses hauts fonctionnaires, ainsi qu'aux membres du comité de législation. Ainsi, une fois les travaux de la commission parlementaire terminés, nous pourrons faire la synthèse des propositions qui nous auront été faites et nous pourrons en arriver à rédiger des amendements qui tiendront compte des propositions des uns et des autres.

Mais, je vous l'affirme, il faut en faire une loi cohérente, efficace, capable véritablement de régler les problèmes d'expropriation des années soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix, sans pour cela défavoriser qui que ce soit. Il faut mettre de l'ordre dans ce domaine de l'expropriation, qui jusqu'ici — tout le monde l'admet — a manqué de contrôle, de coordination et de barèmes précis.

Cela a été un peu un problème laissé à tous et chacun. Malgré tout, il y a des expressions d'opinions — je les retiens — qui disent que cela n'a pas été si mal, même s'il y a matière à progrès. Il y en a qui se surprennent du fait que les travaux de la commission Alary n'aient pas été déposés de façon globale. Je suis un de ceux qui ont obtenu le dépôt de ce fameux rapport Alary en 1968 ou 1969, mais c'est une étude qui est tellement globale, considérable qu'il nous a paru difficile, dans un premier temps, de coucher toutes ces recommandations du rapport Alary dans un seul texte de loi. Il aurait fallu encore beaucoup plus de temps au gouvernement pour être en mesure de rédiger un projet de loi qui aurait incorporé toutes ces recommandations du rapport Alary, qui aurait permis en même temps de rattraper le temps perdu et de donner certains mécanismes nouveaux pour résoudre des problèmes de caractère urgent.

C'est la réponse que je fais aux remarques du député de Bourget, qui se surprend de ne pas retrouver dans le texte du projet de loi 88 toutes les recommandations du rapport Alary.

Je pourrais dire que j'ai reçu de M. Alary lui-même une lettre qui exprime sa satisfaction relativement au projet de loi 88 et il dit: "En ma qualité d'ex-président du comité d'étude que vous avez parrainé, je retrouve en substance des recommandations du rapport que nous avons par la suite soumis. Je considère que nous avons enfin un instrument de travail efficace et simplifié pour faire valoir les droits des expro-

priés et permettre en même temps aux expropriants une meilleure efficacité administrative. Je note en particulier avec plaisir l'attention du législateur accordée à l'indemnité par suite de l'expropriation de fonds de commerce, de réserve pour fins publiques et la reconnaissance officielle d'indemnité à tout locataire. Je suis toutefois surpris d'une première exception à la loi générale favorisant encore une fois la ville de Montréal, à l'article 55. Je pourrais à cet effet vous faire des commentaires additionnels fort opportuns." J'ai l'impression que ces commentaires viendront soit dans le mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec ou de la Chambre de commerce de Montréal. C'était l'essence de...

M. LAURIN: Est-ce qu'il serait possible d'entendre M. Alary?

M. PINARD : II est invité à se faire entendre. Je ne sais pas s'il viendra lui-même ou s'il le fera par personne interposée. Enfin, toute liberté lui a été accordée. Je voulais dire que, malgré tout ce qu'a dit le député de Bourget, il semble bien que le président Alary, qui a été à la tête de cette commission d'enquête sur les problèmes d'expropriation, se déclare quand même satisfait du contenu du bill 88, même si le gouvernement admet qu'il n'a pas été capable d'incorporer dans les dispositions du bill 88 toutes les recommandations. C'est un projet de loi qui pourrait être suivi d'amendements au fur et à mesure que nous serons en mesure de faire face à la situation sur le plan budgétaire, sur le plan législatif bien entendu et sur le plan administratif. Il faut bien admettre que des réformes globales, si elles sont mises en application trop vite, sans période de transition, causent parfois des blocages qui sont plus douloureux, plus désastreux sur le plan social, sur le plan économique et sur le plan financier que des lois qui ont parfois un caractère ancien et qui, tout de même, à cause de certaines réformes d'ordre administratif, d'ordre interne, ont donné des résultats satisfaisants.

C'est une espèce de mise au point et de mise en garde en même temps parce que je sais que ce matin nous parlons en présence de gens qui connaissent les problèmes de l'expropriation et qui eux-mêmes ont des responsabilités à certains paliers de gouvernement et qui savent aussi comment les choses se sont passées et comment elles devraient se passer. Et quand on apporte des réformes qui sont trop bouleversantes, parfois il y a ce qu'on appelle, dans le langage technocratique ou sociologique savant, un phénomène de refus plutôt qu'un phénomène d'acceptation. Je pense que c'est bon parfois de réfléchir sur les conséquences profondes et très diverses des réformes qui sont trop globales.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: M. le Président, j'entendais monsieur tout à l'heure parler d'un code bien rédigé des municipalités et en marge du renouveau que pourrait apporter le ministre des Affaires municipales, comme le mentionnait le député de Maskinongé. Seriez-vous plus enclin à accepter le bill 88 si une entente à l'amiable était acceptée de la part, avant de diriger ces causes au tribunal d'expropriation, des municipalités et des expropriés?

M. VIAU: Cela existe déjà dans le code municipal. Il y a déjà un chapitre sur l'expropriation, dans le code municipal, qui prévoit tout cela déjà, qui prévoit que les parties peuvent, par convention, régler le problème de l'acquisition d'un bien, qui prévoit tout de suite après que, s'il n'y a pas de convention ou que les parties sont en désaccord, les trois estimateurs nommés par la municipalité fixent un montant — et souvent ça se règle — et qui prévoit par la suite un arbitrage, et dans les questions d'égoûts et d'aqueducs, où c'est directement la Régie des services publics. Tout cela existe déjà.

C'est pour ça que je disais tantôt que nous ne voyons pas pourquoi une autre loi viendrait; ce serait simplement, je pense, compliquer l'administration municipale des municipalités rurales. C'est notre opinion.

M. AUDET: De toute façon...

M. VIAU: Quand on a déjà dans une loi une procédure satisfaisante, avec des délais courts qui ne coûtent pas cher à faire fonctionner, et qui satisfait les parties, pourquoi chercher une autre procédure?

Par exemple, là où on parle de délai, ça se comprend quand on parle de délai dans un centre urbain, parce qu'on sait que les montants en jeu sont considérables et que souvent ce sont des expropriations, quand on parle d'exproprier, par exemple, pour de la rénovation urbaine. A ce moment-là ce sont des blocs, des ensembles de propriétés souvent d'une valeur importante qu'on exproprie et là on voit qu'il faut mettre plus de temps. Il suffit de l'avoir vu de près pour savoir que cela a du bon sens de prévoir d'autres genres de délais et un autre genre de procédure. A titre d'exemple, on dit, dans le projet de loi sur l'expropriation — c'est la procédure prévue au code de procédure civile — que lorsque l'on exproprie, il faut enregistrer l'avis au bureau d'enregistrement.

Cela a du bon sens et ç'a été un gros progrès, à mon point de vue, lorsqu'on a amendé le code de procédure civile et ça se retrouve ici. Mais si on regarde dans le code municipal, on sait que, dans plusieurs municipalités rurales, vous avez de la difficulté à décrire le bien à cause de la situation même des lieux. Par contre, lorsqu'on arrive au bout d'un arbitrage, là où on est allé plus loin qu'une simple entente ou après que les estimateurs ont décidé, on voit que les arbitres

sont obligés de déposer la description du lot.

Autrement dit, on avait prévu cette procédure dans le temps, de sorte que, lorsqu'il y avait vraiment danger d'injustice ou d'erreur, la procédure devenait plus serrée. Lorsqu'il n'y en a pas, la procédure est plus souple. Alors, ça existe déjà, c'est facile, on n'a qu'à le lire, tout le monde comprend ça. C'est facile à comprendre cette procédure et c'est simple. C'est pour ça que je ne vois pas pourquoi on changerait ça de loi, c'est déjà dedans et je ne vois pas ce qu'on peut ajouter.

On peut certainement corriger, on l'a mentionné dans notre mémoire, certains articles du code municipal. Mais est-ce qu'on devrait ajouter un chapitre, dans une loi sur l'expropriation, retranscrivant le chapitre du code municipal? Je vois mal ça. Il me semble que le code est là, c'est là que ça va.

M. AUDET: Vous avez probablement raison de dire que peut-être les lois que nous avons déjà sont bien faites et satisfont, jusqu'à un certain point. Mais l'idée du ministre, je crois, ou de la loi 88 est, en fait, une tendance à regrouper des forces éparses, à centraliser jusqu'à un certain point peut-être des choses qui sont un peu ici et là, à faciliter ce regroupement. Sans vouloir tout le changement que prévoit la loi 88, est-ce que vous accepteriez, par exemple, que la loi 88 soit présentée, mais avec cette différence que les ententes à l'amiable pourraient demeurer acceptables?

M. VIAU: Non, je pense qu'on ne peut pas accepter ça, parce qu'il faudrait, à ce moment-là, entrer dans la loi 88 tout ce qu'on retrouve dans le code municipal sur l'expropriation. Alors c'est faire du double emploi, c'est-à-dire logiquement, puis sur le plan de la technique de rédaction de loi; il me semble qu'on ne transfère pas un chapitre d'un code dans une loi particulière et vice versa.

Je ne vois pas ce que ça donnerait de plus, d'autant plus qu'il y a trois code, vraiment, qui ont de l'âge, dans la province de Québec: le code civil, le code de procédure civile et le code municipal.

M. PAUL: II y a le code criminel qu'il ne faut pas négliger.

M. VIAU: Le code criminel, je vous parle de lois provinciales.

M. PAUL: Oui, c'est très bien.

M. VIAU: Je parle de lois provinciales. Alors, pour avoir pondu un code comme ça, il faut y avoir mis des années. On en est arrivé à certaines notions de base et ensuite on a rédigé une procédure qui collait à cette notion. Dans le code municipal, quand on parle des définitions, par exemple, on se réfère toujours aux définitions du début du code. Cela veut dire que, quand on essaie de transférer un chapitre dans une autre loi, il faut refaire tout le code, voir où on l'amende en cours de route, voir si les définitions concordent. Voyez-vous, c'est beaucoup plus complexe que c'en a l'air de transférer un chapitre d'un code dans une autre loi. C'est pout ça que ce que nous trouvons plus simple, c'est tout simplement d'exclure, comme ç'a été fait dans le code de procédure civile en 1965. A ce moment-là, on a décidé de l'exclure, parce que ce n'est pas le même problème. En milieu rural l'expropriation est un problème tout à fait différent.

M. AUDET: C'est clair que vous voyez dans ce projet de loi un chambardement complet de...

M. VIAU: Au niveau des procédures d'expropriation rurale oui. D'autre part, comme je l'ai mentionné précédemment, il faut bien admettre qu'il y a des choses vraiment utiles dans ce projet de loi. C'est pour ça que nous disons que, s'il y avait une couple d'amendements au code municipal, cela nous aiderait beaucoup. Par exemple, dans le cas d'homologation, c'est évident et nous l'avons souligné.

D'ailleurs — et nous l'avions déjà demandé depuis des années — ce n'est peut-être pas la réponse mais on voyait bien qu'il fallait faire quelque chose sur le terrain et prévoir un parc, par exemple. On ne pouvait pas l'homologuer tout de suite mais on savait qu'avec un développement ça prendrait un parc. Ce pouvoir irait bien au niveau de l'article 392, qui parle d'urbanisme dans le code municipal.

M. AUDET: Si je comprends bien, votre crainte vient surtout du fait que vous croyez que le tribunal de l'expropriation que prévoit le projet de loi 88 devienne surchargé si on lui confie toutes les causes d'expropriation.

M. VIAU: Non, ce n'est pas tellement cela, ce n'est pas que le tribunal va être surchargé.

M. AUDET: II pourrait devenir aussi inefficace.

M. VIAU: La procédure est simple, dans le code municipal, et permet de régler les litiges en cours de route sans avoir nécessairement recours au tribunal et, la plupart du temps, sans même se rendre au tribunal.

M. PAUL: Vous ne voulez pas l'abolition ou la disparition de ce qui existe dans le domaine de l'expropriation municipale et qui a donné jusqu'ici de bons résultats, procédure qui est simple et qui règle les différents problèmes de l'expropriation au niveau des municipalités.

M. VIAU: C'est cela. Pour avoir vu fonctionner un milieu rural, je sais que la loi la plus claire et la plus simple est souvent difficile

d'application souvent simplement à cause des distances. Si on prévoit qu'on doit se rendre à une division d'expropriation pour régler un litige qui se réglait autrefois au niveau de trois arbitres, c'est simplement compliquer la situation pour pas grand-chose de plus. Souvent, cela se réglait localement, à peu de frais et â la satisfaction de tout le monde.

Si on regarde le code municipal, édition de Robert Tellier, et qu'on cherche la jurisprudence dans le chapitre de l'expropriation, il y en a mais souvent c'est de la jurisprudence qu'on est allé pêcher dans les villes par comparaison avec la charte de Montréal ou dans d'autres municipalités pour se faire des exemples. Des gros problèmes d'expropriation en milieu rural, il n'y en a pas une quantité considérable. Ce sont souvent nos municipalités qui font des représentations là-dessus. Quand on a une procédure simple, peu coûteuse et qui règle les litiges là où il faut les régler, on ne voit pas ce que ça ajoute d'en trouver une autre. C'est le but de notre intervention.

LE PRESIDENT: (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.

M. PINARD: Est-ce que je peux vous poser une question, Me Viau?

M.VIAU: Oui.

M. PINARD: Pourquoi, par exemple, une corporation municipale de 4,000 âmes aurait-elle une procédure différente d'expropriation d'une municipalité de 5,000 âmes?

M. VIAU: Probablement parce que la corporation de la municipalité de 4,000 âmes est allée chercher un statut de ville. Au-dessus de 2,000 âmes elle peut en avoir un, tandis que la corporation de 5,000 âmes peut bien être restée avec le code municipal parce qu'elle y voit un avantage et elle suit sa procédure. C'est tout simplement cela.

Cela ne veut pas dire qu'il y aura des injustices du fait que l'une suit le code municipal et l'autre la Loi des cités et villes. Je ne pense pas. La grosseur des municipalités au Québec est bien élastique. Vous avez des municipalités de ville avec une population de 2,500 et des municipalités régies par le code municipal avec une population de 4,500 ou 5,000. Souvent, il y a des raisons bien locales qui ont justifié les contribuables et les conseils municipaux à demander une charte de ville. Je dois dire que ces dernières années plusieurs amendements ont été apportés au code municipal, ce qui fait que les municipalités rurales ont souvent des pouvoirs qu'elles n'avaient pas autrefois. Les gens voulaient avoir un statut de ville parce qu'ils n'avaient pas certains pouvoirs concernant les règlements d'emprunt, par exemple, ou les questions d'urbanisme. Cela a été inclus au code et ça satisfait tout le monde.

M. PAUL: C'est aussi une question de subvention provinciale.

M. VIAU: II y a des raisons assez particulières dans plusieurs cas.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Bourget.

M. LAURIN: M. le Président, avant de poser une question à Me Viau, je voudrais répondre à mon tour brièvement à la mise au point que le ministre a cru bon de faire à la suite de ma déclaration liminaire. Je voudrais juste attirer l'attention du ministre sur les points suivants. Les explications qu'il nous a données ne justifient pas le fait que le gouvernement n'a pas rendu public le rapport de la commission Alary; si un journal n'avait pas eu l'intelligence de trouver ce rapport et de le soumettre à notre attention, il nous aurait manqué un élément très important pour étudier, d'une façon docte et appropriée, le projet de loi 88.

Deuxièmement, je suis bien content que le président de la commission ait fait parvenir cette lettre au ministre.

Mais le ministre me permettra d'accorder plus d'attention au texte même de la commission Alary, qu'à une lettre, de couverture très générale, qui montre l'assentiment du président de la commission sur certains points majeurs.

Je pense que, lorsqu'on étudie un projet de loi, il est mieux de se référer au texte du rapport de la commission plutôt qu'à une lettre générale.

Enfin, troisièmement, je suis bien d'accord avec le ministre que le gradualisme ou la mentalité évolutive dont nous parle le ministre Cloutier peut parfois s'avérer préférable en des matières aussi ardues et complexes. Mais il reste que, lorsqu'un projet de loi s'attaque à des éléments très précis dans un domaine particulier et que, sur ces points particuliers et précis, les conclusions ou les recommandations de la commission Alary ne s'appliquent pas ou sont mises de côté, on n'a pas affaire à un gradualisme, mais à un choix bien défini du ministère qui préfère ne pas donner suite, pour des raisons que nous pouvons discuter d'ailleurs, à l'une ou l'autre des recommandations.

Après ces précisions, cette mise au point, je pose maintenant mes questions à Me Viau. Vous vous êtes félicité de ce que le législateur accorde aux municipalités des pouvoirs nouveaux dont celui de l'homologation, mais vous semblez être moins d'accord sur les modalités que prévoit le législateur pour l'exercice de ces nouveaux pouvoirs d'homologation.

Vous avez dit qu'avant de se rallier à telle ou telle formule ou à telle modalité il faudrait apprécier les changements qui vont en résulter sur le plan financier et sur le plan administratif. Premièrement, pourriez-vous nous préciser les changements qui, selon vous, vont en résulter sur le plan financier ou administratif? Deuxiè-

mement, pour éviter la critique que vous faites d'une procédure qui vous semble, à première vue, lourde et onéreuse, est-ce que vous pourriez nous faire part des recommandations ou amendements que vous soumettriez à l'attention de la commission afin que cette procédure cesse d'être lourde et onéreuse et vous permette d'exercer ces pouvoirs nouveaux à votre satisfaction?

M. VIAU: Nous n'avons pas fait évidemment de rédaction de textes d'amendements à suggérer. Nous pourrions le faire éventuellement. Ce que nous visons, c'est d'intégrer — nous l'avons mentionné un peu plus loin — cette question d'homologation au code municipal. Je pense que cela pourrait certainement avoir sa place près des questions d'urbanisme et aussi au chapitre de l'expropriation quant à la procédure. Nous pourrions en arriver à une procédure à peu près semblable à celle prévue maintenant, quand il s'agit d'expropriation.

Evidemment, nous n'avons pas étudié les modalités de rédaction ou la façon dont cela pourrait s'intégrer à tel article ou à tel chapitre exactement.

M. LAURIN: Vous préféreriez une procédure qui ressemblerait à la procédure actuelle prévue pour fins d'expropriation.

M. VIAU: Le début serait certainement différent puisque, actuellement, on peut exproprier de gré à gré, tandis que l'homologation est un acte d'autorité de la municipalité. Mais certainement on peut trouver une façon de prévoir une homologation simple et l'inclure dans le chapitre de l'expropriation. Nous pouvons certainement faire cela. Cela existe dans la Loi des cités et villes où il y a quelques articles qui concernent le pouvoir d'homologuer. Nous pourrions procéder à peu près suivant la même technique.

D'autre part, je pense, sans avoir approfondi la question, que ce n'est peut-être pas une mauvaise chose qu'on doive maintenant prévoir une indemnité en cas d'homologation, puisque, longtemps, on a vu des homologations traîner indéfiniment, les gens étant incapables de réparer même leur maison. Je pense que c'est un grand progrès dans cette loi où l'on voit qu'on peut prévoir une question d'indemnité là-dessus.

Pour ce qui est des municipalités rurales, cet aspect, surtout à cause de la technique utilisée, nous semble plus coûteux que sous le code municipal. Quant au fait d'indemniser des gens par suite d'une homologation, je pense que cela aussi pourrait être inséré dans un chapitre du code municipal et suivre une procédure qui s'apparente à celle que nous connaissons actuellement.

M. LAURIN: Est-ce que vous avez pris connaissance du rapport Alary?

M. VIAU: Je n'ai pas pris connaissance du rapport Alary. J'ai lu ce que l'on en a vu dans les journaux, mais je ne l'ai pas étudié.

M. LAURIN: Est-ce que vous êtes d'accord sur l'adoption d'une procédure d'expropriation unique pour toutes les autorités dotées d'un pouvoir d'expropriation?

M. VIAU: Nous ne sommes pas d'accord quant aux municipalités régies par le code municipal. C'est le but de notre présentation justement.

M. LAURIN: Donc, c'est une exception que vous voudriez que le législateur...

M. VIAU: ... fasse pour les municipalités régies par le code municipal. Oui.

M. PAUL: C'est déjà prévu dans le code de procédure actuel.

M. VIAU: C'est déjà prévu dans le code de procédure.

M. PAUL: De même que le Bureau des expropriations de la ville de Montréal à l'article 753.

M. VIAU: C'est exact. Un chapitre du code de procédure prévoit que les municipalités régies par le code municipal sont exclues. C'est l'article 773, je pense, qui dit que les dispositions de ce chapitre régissent toutes les expropriations permises par les lois de cette province, sauf celles qui sont faites en vertu des dispositions du code municipal, de la charte de la ville de Montréal ou en vertu des lois de la province adoptées postérieurement au 30 mai 1940 prescrivant une procédure différente en expropriation. C'est ce genre de clause que nous cherchons à obtenir quitte à modifier le code municipal, comme je le mentionnais tantôt, pour y apporter des améliorations.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de l'Assomption.

M. PERREAULT: Me Viau, je pense bien que le principal point que vous avez voulu faire ressortir ce sont les charges financières qui seraient occasionnées aux municipalités si on leur appliquait la loi 88.

M. VIAU: Et la procédure. Les deux.

M. PERREAULT: Et la procédure qui occasionne de grands frais devant les régies et ainsi de suite.

M. VIAU: Oui.

M. PERREAULT: Vous n'êtes pas sans savoir que même dans la Loi des cités et villes il y a

plusieurs municipalités qui ont à peu près la même population que certaines municipalités rurales. A la suite de cela, ne croyez-vous pas qu'il serait opportun à ce moment-ci de penser qu'on pourrait exclure, non pas les municipalités rurales, mais exclure du domaine prescrit par le bill 88 toutes les expropriations qui ne dépasseraient pas un montant donné d'expropriation à l'évaluation municipale? Je donne un exemple: Si l'évaluation municipale est fixée à $10,000 et qu'on veuille acquérir un terrain, à ce moment-là on pourrait soustraire peut-être cette expropriation du domaine du bill 88.

M. VIAU: A première vue, c'est un peu embêtant. C'est une technique qui peut être étudiée, mais il me semble que c'est un peu embêtant parce qu'il y a tellement de lois. Que va-t-on faire avec les chartes à ce moment-là? Je ne sais pas comment ça pourrait fonctionner. C'est une idée qui peut être fouillée, mais je me demande comment on va faire pour appliquer ça d'un statut à un autre dans une expropriation. Quelle procédure suivraient les expropriations d'une ville importante comme Montréal qui seraient d'un faible montant? Je me demande si on ne compliquerait pas la vie à d'autres autorités, d'autres organismes.

Quant à nous, ce que nous visons — comme je l'ai mentionné tantôt je ne veux pas excéder mon mandat ici — ce sont surtout les municipalités régies par le code municipal. En ce qui nous concerne, nous ne voyons pas d'utilité à employer ce nouveau procédé. Mais de là à jouer par le truchement des montants, je me demande si on n'entraînerait pas d'autres sortes de problèmes. Le code de procédure civile, par cette clause, toujours l'article 773, semblait exclure certains cas particuliers; il y en avait deux: la ville de Montréal et le code municipal. Les autres, c'était parce que le législateur en votant une loi après 1940 avait jugé à propos de les exclure. Voyez-vous? Que l'on ramène ça à une même procédure, ce n'est pas à moi de dire si c'est souhaitable ou pas. A première vue, je trouve que c'est toujours utile d'avoir une règle uniforme. D'un autre côté, y aller par le montant, je ne sais pas ce que ça pourrait donner.

M. PERREAULT: Ce que je voulais faire valoir tout à l'heure, c'est qu'il y a des villes sous l'empire de la Loi des cités et villes qui ont à peu près la même population que certaines municipalités rurales. Comme maire, j'ai vu des cas d'expropriation au montant de $5,000 et qui, une fois expropriés, coûtaient $10,000

M. VIAU: II serait peut-être utile d'avoir les dispositions du code municipal à ce moment-là.

M. PERREAULT: Ce qui est le point, c'est de diminuer les charges pour les municipalités.

M. VIAU: Je comprends.

M. PERREAULT: C'était le point, et aussi pour les villes qui n'ont pas une forte population. Le montant de l'expropriation n'est pas élevé et, quand on ajoute les frais de l'évaluateur, de l'avocat et ainsi de suite, souvent on double et on triple le montant qu'on pourrait donner.

M. PAUL: II ne faut pas oublier les frais d'ingénieur, là; vous vous attaquez à un avocat, un instant.

M. PERREAULT: On sait que l'évaluation municipale va être faite suivant la loi, suivant le même barème à l'échelle de la province en vertu du bill 48. A ce moment-là on pourra prendre un montant et dire toute...

M. VIAU: Je ne pense pas, à première vue, toujours. C'est justement un des points qui sont soulevés lorsqu'une municipalité rurale étudie la possibilité d'avoir un statut de ville. Elle dira: Nous avons une procédure qui ne coûte pas cher, qui va bien et là nous allons tomber sous le code de procédure civile. Cela sera plus compliqué à régler qu'autrefois. C'est un des points. C'est pour cela que les municipalités régies par le code municipal disent : Ce que nous avons déjà et qui va bien, nous voudrions bien le garder. Que l'on puisse améliorer la situation des autres, d'accord.

M. PERREAULT: Il s'agit que vous regardiez un peu plus loin que votre clôture.

M. VIAU: C'est que je n'ai pas de mandat passé ma clôture, voyez-vous? Je suis bien prêt à regarder plus loin mais, pour le moment, je suis limité à cela.

M.PAUL: Dans le cas des fusions, je vous promets qu'on procède comme vous venez de le dire, qu'on est très très attentif à toutes les conséquences des fusions, soit municipales ou mixtes.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Viau et M. Moreau, ainsi que l'Union des conseils de comté, nous vous remercions de votre présentation.

M. VIAU: Nous vous remercions de l'attention que vous avez bien voulu apporter à notre mémoire. Merci.

M. PAUL: M. Moreau, avant que vous ne quittiez — cela n'a rien à voir avec le projet de loi à l'étude — quand avez-vous votre rencontre avec l'honorable premier ministre, pour parler des fusions?

M. MOREAU: On attend.

M.PAUL: Vous attendez encore. Très bien, merci.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le deuxième organisme que nous allons entendre, ce matin, c'est les Chemins de fer nationaux. Si vous voulez vous identifier, s'il vous plaît.

Chemins de fer nationaux et Air Canada

M. GAGNON (Edmond): Edmond Gagnon, avocat au contentieux de la province de Québec de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et d'Air Canada.

Nous avons soumis un court mémoire, dans lequel nous nous en sommes tenus principalement à faire, en quelque sorte, de l'exégèse de texte, je pourrais dire. Il peut sembler, à première vue, surprenant que les deux entreprises de services sujettes à juridiction fédérale se présentent devant cette commission. Toutefois, nous faisons l'objet, régulièrement, surtout de ce qu'on appelait autrefois des homologations. Nous avons un intérêt dans ce sens. De plus, nous avons adopté, depuis un certain temps, une politique de présence selon laquelle, d'ailleurs, nous avons fait des représentations au moment de la présentation du bill 48, entre autres. C'est pourquoi nous avons voulu soumettre quelques considérations qui résultaient de l'analyse de textes précis. Nous avons soumis un texte par écrit, il y a un certain temps. J'en ai quelques exemplaires additionnels, s'il en manque.

Comme je l'ai signalé, le mémoire est soumis conjointement au nom des Chemins de fer nationaux et d'Air Canada. Comme je l'ai aussi signalé, notre intérêt réside dans le fait que nous sommes l'objet de ce qu'on appelait autrefois des homologations, assez souvent. De plus, nous avons adopté une politique de présence en vertu de laquelle nous avons, depuis un certain nombre d'années, à maintes reprises, fait des représentations devant les commissions parlementaires. Nous avons procédé essentiellement à l'analyse, à l'exégèse du texte. Notre mémoire, qui est très succinct, ne discute à peu près pas des principes de la loi mais plutôt du texte comme tel.

Par exemple, nous avons constaté, au sujet des articles 45 et 46, qui établissent, en quelque sorte, la substance de la procédure, qu'on procède à ce qui est l'équivalent, devant les tribunaux de droit commun, de l'inscription pour enquête et audition, c'est-à-dire qu'on demande à un tribunal de déterminer une date d'audition avec toute la procédure que ceci implique.

A l'article 46, on prévoit même l'équivalent d'une séance de conciliation, et tout ça à un moment où, strictement selon les termes de la loi, les parties ne se sont pas encore trouvées dans l'obligation de se faire part réciproquement de leurs positions quant à l'indemnité.

Il nous semble ici qu'on devrait peut-être inverser l'ordre des choses, tel qu'il est prévu dans la loi.

M. PAUL: Excusez-moi de vous déranger. Vous ne prévoyez pas que ça peut être une espèce de pression exercée sur les parties, sachant que la cause est inscrite, pour les presser et les amener à une discussion, plutôt que de se rendre jusque devant le tribunal?

M. GAGNON (Edmond): Ce qui nous semble hors de la procédure ordinaire, c'est qu'on n'a pas prévu la solution à l'amiable du litige, même la possibilité de connaître l'attitude respective des parties, ce qui, dans la procédure de droit commun, se fait dans les procédures écrites. On n'a rien prévu de ça avant le moment où on inscrit la cause.

Autrement dit, on pourrait avoir 100 ou 150 procès de fixés, alors que les parties sont susceptibles de s'entendre à l'amiable. Or, elles n'en ont pas eu la chance, en tout cas, elles n'ont pas eu l'obligation d'en discuter à l'amiable.

Cela pour ce qui est des articles 45 et 46, comme nous le mentionnons dans notre court mémoire.

Au sujet de l'article 50 — pour continuer l'exégèse — nous constatons que, lorsqu'il s'agit de proroger le délai de 90 jours, on inclut la possibilité de cette prorogation pour des motifs graves. Dans le second paragraphe, lorsqu'on parle de réduire ce délai, on ne retrouve plus cette notion de motif grave. Il nous semble que ça devrait s'appliquer des deux côtés de la médaille.

L'article 51 nous semble porter à confusion. Sur réception du texte et après en avoir pris connaissance, dans les discussions que nous avons eues en préparant ce mémoire, nous avons communiqué avec un certain nombre de personnes. Les interprétations quant à l'indemnité additionnelle prévue à l'article 51 variaient de l'une à l'autre, à savoir si l'indemnité additionnelle doit être additionnée à celle d'un an de loyer ou si elle doit être additionnée aux trois mois. C'est une question strictement de rédaction, et nous croyons que le texte aurait intérêt à être précisé.

Quant à l'article 56, qui fera sans doute l'objet de nombreux commentaires, nous constatons, comme M. Alary le signalait dans la lettre que le ministre a lue tantôt, que la ville de Montréal se voit favorisée d'un statut particulier équivalant à celui du ministère de la Voirie.

Evidemment, ce statut particulier selon les termes mêmes de l'article 55 ne s'appliquerait que lorsqu'il s'agit d'exproprier plusieurs immeubles. Nous nous permettons de croire que la philosophie qui sous-tend ce statut particulier qui prévoit le paiement de 50 p.c. de l'indemnité, ce doit être, vu que les montants payés sont substantiels lorsqu'il s'agit d'exproprier plusieurs immeubles pour fins d'élargissement de rues, de dire que la ville n'est pas obligée de débourser intégralement dans l'immédiat ces sommes.

Par contre, la ville a les moyens, légalement,

de se protéger et de planifier à l'aide des réserves pour fins publiques. Nous estimons donc que le statut particulier est peut-être moins justifié eu égard à la possibilité que la ville a d'instituer des réserves pour cinq ans et de faire parallèlement ces réserves financières eu égard aux expropriations à intervenir.

Ici encore, nous signalons ce qui nous semble un problème de temps de procédure. C'est que l'article 55 prévoit l'obligation pour la ville de payer la moitié de l'indemnité provisionnelle prévue à l'article 49. Or, si on va à l'article 49, il nous réfère à l'offre prévue à l'article 47. Mais, dans le temps, la ville ne se sera pas encore trouvée dans l'obligation de faire une telle offre.

La chaîne des événements est la suivante — ou des textes, si l'on veut — c'est que l'article 55 nous réfère à l'article 49; l'article 49 nous dit qu'il s'agit de l'offre prévue à l'article 47; mais, si on regarde les articles 60 et suivants, la ville de Montréal, au moment où on lui demande de payer une indemnité égale à la moitié de son offre, n'aura pas encore été dans l'obligation de faire son offre. Il nous semble qu'il y aurait peut-être lieu de faire une correction dans la chronologie, si l'on veut, du processus d'expropriation.

Quant à l'article 68, nous notons qu'il fait référence à une diminution possible du coût de l'expropriation. Un peu plus haut, comme on l'a dit, la notion de motifs graves se retrouve dans un sens, mais non à l'inverse, les deux côtés de la médaille. Ici encore, à l'article 67, on parle de l'avantage de l'exproprié et, à l'article 68, on ne parle pas de ce critère de l'avantage de l'exproprié. Ces deux articles s'appliquant dans des situations identiques, mais d'un côté ou de l'autre de la médaille, il nous semble que la notion d'avantage de l'exproprié devrait aussi se retrouver à l'article 68.

A la lecture de l'article 79, à première vue, il y a ambiguïté sur l'indemnité dont il est fait mention. On parle de l'évaluation de l'indemnité qui doit être établie sans tenir compte de la plus-value résultant de la réserve. S'il s'agit de l'indemnité de réserve, à notre avis, il n'y a pas de problème; mais, s'il s'agit de l'indemnité d'expropriation, il y a un problème et, alors, si l'on ne tient pas compte de la plus-value, on ne devrait pas tenir compte, non plus, de la moins-value. Mais il nous semble bien que ce soit l'indemnité de réserve. Dans ce cas, il n'y a pas de problème, sauf qu'il y aurait peut-être lieu de préciser pour éviter la confusion.

Au sujet de l'article 81, nous avouons devant la commission qu'il nous a été impossible de trouver pourquoi l'exemption de taxes s'appliquerait dans le cas d'une réserve de deux ans et ne s'appliquerait pas dans le cas d'une réserve de cinq ans. Si on enlevait les mots "deux ans", évidemment l'exemption de taxes s'appliquerait dans tous les cas où il y a une réserve et où l'immeuble est vacant et improductif, mais là on ne l'applique que dans le cas d'une réserve de deux ans. Pourquoi pas dans la réserve de cinq ans?

M. PAUL: En mettant un point après le mot "réserve", je pense qu'on résout votre problème.

M. GAGNON (Edmond): Si on met un point après le mot "réserve", exactement. En enlevant les mots "de deux ans". En fait, on s'est demandé s'il y avait derrière cela, encore une fois, une philosophie quelconque qui faisait qu'on ne voulait l'appliquer qu'aux réserves de deux ans. Si on veut l'appliquer aux réserves de cinq ans, comme il nous semble que ça devait être, il n'y a qu'à enlever les mots "deux ans". Au sujet de l'article 86, c'est encore une question d'interprétation ou de clarification. Les autorités appropriées qui ont en main notre mémoire pourront peut-être répondre à la question ou clarifier le texte. L'article 86 prévoit la conversion en réserve de cinq ans de toute réserve de deux ans. Or, la réserve de deux ans peut être prolongée pour une autre période de deux ans. Ce que nous demandons c'est si la réserve prolongée peut à son tour être convertie. L'on se retrouve alors avec une réserve qui n'a plus cinq ans, mais qui aura sept ans: deux ans, deux ans et trois autres années. Le texte sur ce point ne nous semble pas clair. A la lecture de l'article 96, nous comprenons que, lorsqu'une réserve est suivie d'expropriation, on ne prévoit aucune indemnité quant à la réserve elle-même. Or, l'article qui prévoit la nature de l'indemnité au moment de l'expropriation parle des dommages résultant directement de l'expropriation. Ceci ne nous semble pas couvrir l'indemnité ou les dommages qui ont pu résulter de l'existence de la réserve, de sorte que l'individu dont la propriété ferait l'objet d'une réserve et serait subséquemment exproprié par opposition à celui dont la propriété ferait l'objet d'une réserve et qui ne serait pas subséquemment exproprié, le premier ne serait pas indemnisé pour les dommages résultant de l'existence de la réserve durant un certain temps. Et on ne semble pas retrouver la compensation de cette indemnisation incluse dans l'indemnité d'expropriation.

Quant à l'article 97, nous constatons que là on impose au propriétaire qui réclame une indemnité, au cas de réserve, de faire reconnaf-tre, dans un premier temps, son droit à l'indemnité. Or, il nous semble que, si le législateur reconnaît que la réserve constitue une restriction ayant des incidences financières, ce qui est reconnu à travers le texte de loi, il semble qu'il est peut-être un peu onéreux d'imposer au propriétaire le devoir de faire reconnaître son droit à l'indemnité.

Le droit devrait être, à notre avis, automatiquement existant, sujet à ce que le tribunal approprié détermine si l'indemnité vaut $1, c'est-à-dire si les dommages sont compensés adéquatement par $1 ou par $100. Là encore

c'est une question de principe qui semble reconnu à travers la loi. Dans cet article-là en particulier, on impose un fardeau qui nous semble plus lourd qu'il ne le devrait.

Enfin, au sujet de l'article 128, encore ici, nous soumettons respectueusement que le tout s'explique peut-être autrement. On ne peut peut-être pas le voir à la lecture du texte. L'article 128 prévoit un délai dans l'application de l'article 103, lequel article 103 prévoit lui-même l'abrogation de la loi du Bureau des expropriations de Montréal, de sorte que, si on a bien compris, le Bureau des expropriations de Montréal demeurerait en fonction subséquemment à l'entrée en vigueur des autres dispositions de la loi. On parlait tantôt d'un tribunal unique, etc.; il nous semble qu'ici encore on crée un statut particulier qui peut ne pas cadrer dans l'ensemble des fins poursuivies par la loi.

Alors ce sont là les représentations de type exégèse que nous voulions faire à la commission, en mettant notre modeste contribution au travail du législateur. Nous savons, comme on le mentionne au début de notre mémoire, que messieurs les membres de la commission pourront en tenir compte adéquatement. Nous vous remercions de nous avoir entendus.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.

M. PINARD: Vous avez fait des remarques relativement aux articles 45 et 46. Vous avez sans doute oublié les dispositions de l'article 279 du code de procédure civile qui permettent au juge de convoquer les parties avec leurs avocats et de provoquer lui-même une réconciliation des points de vue pour en arriver, dans la mesure du possible, à un règlement à l'amiable. Alors je pense que les articles 45 et 46 tels que libellés dans le projet de loi 88 permettent justement au tribunal d'en arriver, après convocation des parties, à permettre une proposition de règlement à l'amiable.

M. GAGNON (Edmond): Si vous me permettez, M. le ministre, nous sommes bien d'accord sur cet aspect de la conciliation, si l'on veut, mais il ne faut pas oublier qu'en procédure civile, par exemple, cette conciliation va se faire à un moment où le débat a été très bien délimité dans les procédures écrites et où le débat oral, l'audition devant le tribunal n'a pas été faite.

Nous trouvons surprenant que cette conciliation — comme, à l'article 45, la demande de fixation d'une date pour procès — se fait avant que l'une ou l'autre des parties ait été obligée d'informer officiellement l'autre partie de sa position. La conciliation, prévue au code de procédure civile, se fait à un moment où les parties sont au courant de la position de chacune.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maskinongé.

M. PAUL: Me Gagnon, je voudrais attirer votre attention sur les dispositions de l'article 18 de la loi en les reliant à vos commentaires portant sur votre appréciation de l'article 96. A l'article 18, on lit ceci — je parle toujours du cas de l'indemnisation pour réserve. "Le tribunal a pour fonction principale de fixer le montant des indemnités qui découlent de l'imposition des réserves pour fins publiques et de l'expropriation." Cela suppose que la réserve est suivie de l'expropriation.

Si on avait "ou" plutôt que la conjonction "et", je crois que vous auriez parfaitement raison d'attirer notre attention sur les dispositions de l'article 96. Ce n'est pas un reproche que je fais, mais je me demande si le cas que vous exposez à l'article 96 n'est pas couvert par l'article 18.

M. GAGNON (Edmond): Peut-être l'est-il, mais disons que, si à l'article 18 on définit les fonctions du tribunal sur deux points particuliers que vous reliez en disant que ça ne s'applique qu'aux cas de réserve suivis d'expropriation, vous me permettrez de croire que ce n'est peut-être pas l'interprétation qu'on a voulu donner à cet article 18. Si on regarde l'article 96, il prévoit qu'il y a lieu à indemnité, même s'il n'y a pas d'expropriation; lorsque la réserve est annulée, par exemple. L'article 96 va au-delà de l'article 18, à mon avis, parce qu'on prévoit qu'il y aura lieu à indemnité.

M. PAUL: Lorsque la réserve n'est pas exercée.

M. GAGNON (Edmond): Lorsque la réserve n'est pas suivie de l'expropriation.

M. PAUL: C'est cela.

M.GAGNON (Edmond): Mais, si la réserve est suivie de l'expropriation, vous référant à l'article 18, vous dites qu'on est couvert. L'article 96, en termes précis, créant une exception, on se demande si on l'est. Il y aurait peut-être lieu de le clarifier.

M. PAUL: A ce moment-là, il faudrait prendre les règles d'interprétation 1013 et suivantes du code.

M. GAGNON (Edmond): Peut-être.

M. PAUL: C'est ce que vous voulez éviter. C'est une précision de termes de la part du législateur pour éviter une interprétation douteuse ou qui pourrait prêter à des conflits.

M.GAGNON (Edmond): Surtout prêter à confusion sur un point aussi important que l'existence ou non du droit à l'indemnité.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): L'honorable ministre de la Voirie.

M. PINARD: Me Gagnon, pourriez-vous

nous dire quel est l'intérêt des Chemins de fer nationaux du Canada de faire une présentation ce matin relativement aux dispositions du bill 88?

M. GAGNON (Edmond): Entre autres, dans la seule ville de Montréal, nous faisons actuellement l'objet de nombreuses homologations. Je pense, par exemple, à une homologation existant sur la rue McGill College, sur des propriétés de quelques centaines de milliers de dollars. C'est surtout pour ce type de situation que nous avons un intérêt.

Evidemment, nous ne sommes pas ici comme expropriants; nous ne sommes peut-être même pas ici comme expropriés. Nous y sommes comme faisant l'objet d'un type de réserve pour fins publiques.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: Je voudrais faire remarquer, après la question du ministre des Transports, que les Chemins de fer nationaux et Air Canada sont très soucieux du respect des droits de l'homme, des droits de l'individu. C'est peut-être dans ce sens que le mémoire est présenté.

En ce qui concerne l'article 97, ne croyez-vous pas que cet article pourrait être amendé de façon à laisser la liberté à l'exproprié de soumettre un prix ou une évaluation personnelle de la réserve qui lui a été faite?

M. GAGNON (Edmond): Je pense que l'article, dans sa teneur actuelle, prévoit l'obligation pour l'exproprié ou celui faisant l'objet d'une réserve de faire reconnaître son droit. Mais par la même occasion, évidemment, on prévoit aussi, je présume, qu'il devra faire reconnaître non seulement l'existence de son droit, mais la valeur de ce droit, comme vous dites.

M. AUDET: Mais ne voyez-vous pas dans cet article une invitation à cette personne d'évaluer elle-même ou de faire une offre pour ce qu'elle prétend que la réserve lui a coûté?

M. GAGNON (Edmond): Oui, je crois que cet article contient une telle invitation, si vous voulez. Mais il va plus loin, parce qu'il ajoute à l'invitation l'obligation d'abord de faire reconnaître qu'il a un droit à l'indemnité avant d'évaluer son indemnité. Je suis bien d'accord avec vous.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Gagnon, nous vous remercions de votre présentation et soyez assuré que les membres de la commission retiennent votre intervention.

Nous allons entendre le Barreau du Québec, s'il y a des représentants. Etant donné que les membres du Barreau seront ici seulement cet après-midi, nous allons passer immédiatement à l'Hydro-Québec. Nous entendrons les représentants de l'Hydro-Québec.

M. PAUL: Si je comprends bien, vous êtes un des 12,012?

Hydro-Québec

M. LEGAULT: M. le Président, messieurs les députés, mon nom est Gilles Legault. Je suis avocat au contentieux de l'Hydro-Québec. Je suis assisté, ce matin, de M. Lionel Lemay, directeur des propriétés immobilières à l'Hydro-Québec, M. Gaston Bertrand, chef du service des acquisitions pour la direction des propriétés immobilières, M. Raymond Fournier, directeur adjoint à la planification à la direction générale génie, M. Jacques Saint-Cyr, chef du service des relevés techniques à la même direction, M. Denis Lecomte, administrateur de projets à la direction des projets de ligne de transport génie, et M. Jules Saint-Pierre, directeur de la construction de lignes de transport.

Nous avons fait parvenir un mémoire. Si vous me permettez, au lieu de le lire, je voudrais simplement énoncer quelques points qui ont invité l'Hydro-Québec à se présenter devant vous.

Le ministre de la Voirie a exposé plusieurs avantages que le projet de loi apporte à ce qui existe présentement. Nous croyons qu'il est exact qu'il y a beaucoup d'avantages qui sont apportés par ce projet de loi. Toutefois, il faut prendre garde, en améliorant certaines choses, de ne pas oublier certaines autres qui peuvent avoir des conséquences sérieuses sur l'économie provinciale pour l'intérêt public.

Nous croyons que la modification apportée à la procédure suivie jusqu'ici, pour l'Hydro-Québec, offre des conséquences sérieuses dans l'intérêt même de la population. Tout d'abord, il est inutile de vous rappeler que l'Hydro-Québec est un agent de la couronne dont tous les biens sont la propriété de la province de Québec. C'est l'organisme, le moyen choisi par le législateur pour administrer de la meilleure façon possible les ressources que nous avons au Québec en matière d'énergie.

En conséquence, l'Hydro-Québec a dû faire face aux besoins de cette province en énergie électrique. Elle l'a fait malgré une demande de plus en plus accrue, malgré des besoins extrêmement pressants, des besoins qui font qu'en électricité la province double sa consommation à peu près tous les huit ans. Ella a donc dû mettre sur pied des équipes techniques, améliorer constamment ses moyens techniques et hâter la réalisation de ses projets tant dans le domaine de la production que du transport, que de la distribution d'énergie électrique.

Nous croyons que tous, au Québec, nous pouvons être très fiers de notre réussite. Nous croyons que les réalisations de l'Hydro-Québec sont à l'avant-garde de ce qui peut se faire.

Dans la réalisation des projets de l'Hydro-Québec, il y a nécessité d'acquérir un grand nombre de propriétés, mais surtout de droits réels, c'est-à-dire de servitudes. La majorité des expropriations de l'Hydro-Québec, soit 90 p.c,

sont des servitudes. Dans l'acquisition de ces droits par voie d'expropriation, la loi actuelle a prévu que l'Hydro-Québec bénéficierait des privilèges du ministre de la Voirie, privilèges qui permettent d'acquérir des droits réels par dépôt de plans au bureau d'enregistrement, la question de l'indemnité se résolvant subséquemment. Nous croyons que cette procédure, qui est maintenue par le projet de loi pour le ministre de la Voirie, doit l'être au moins tout autant pour l'Hydro-Québec. A l'heure actuelle, Hydro-Québec exproprie, et c'est la prévision pour les cinq prochaines années, environ 2,000 à 2,500 propriétaires par année, et la construction de lignes de transport couvre 600 milles par année, approximativement. Nous croyons que les besoins de l'Hydro-Québec dans l'acquisition de ces droits sont similaires à ceux du ministre de la Voirie.

Il est, en effet, impossible de penser commencer la construction d'une ligne de transport, avec les postes de transformation qu'elle comporte, sans avoir déjà acquis la totalité de la ligne. Il n'est pas possible de procéder par partie. Il n'est pas possible de suspendre, en cours de route, sans encourir des frais considérables. Il y a, évidemment, des investissements appréciables, tant en hommes qu'en appareillage, pour la construction de ces lignes. Et au moment où la construction débute, il faut déjà que l'ensemble des droits ait été acquis.

La planification d'Hydro-Québec se fait de façon extrêmement suivie, mais malgré cette planification, il est impossible de réaliser les constructions nécessaires aux besoins de cette province dans les délais requis si nous ne pouvons procéder par dépôt de plans pour acquérir le droit exproprié. C'est impossible, parce que, à titre d'exemple, la planification simplement normale, prévisible, à l'heure actuelle, pour les cinq prochaines années, suppose qu'il y aura, dans ces cinq années, 637 projets de construction, d'importance diverse évidemment, mais quand même 637 projets de construction de lignes et de postes de transformation.

Cette planification suppose également qu'il y a un rajustement constant, à cause des priorités qui se dessinent, soit parce que certaines municipalités ont des développements plus subits que prévus, que certaines zones d'une même municipalité ont des développements plus subits, qu'il y a des développements industriels à certains endroits, alors que cela n'avait pas été prévu. Il faut, de plus, un rajustement constant pour faire face aux demandes particulières. Hydro-Québec se doit de participer à la planification économique du Québec et lorsqu'on vient lui demander de fournir à une industrie qui doit s'implanter, par exemple, dans les 18 mois ou parfois dans l'année, ou dans deux ans, et que les travaux requièrent normalement trois ans pour être effectués, déjà il faut que l'Hydro-Québec fasse presque des miracles pour réussir à fournir en temps voulu aux industries qui s'implantent l'énergie qu'elles requièrent.

Ce ne sont pas là des choses théoriques. Nous avons des quantités d'exemples d'industries pour lesquelles il a fallu construire des lignes dans des temps record. Il est apparu évident, à l'étude du projet de loi qui est soumis, que si l'Hydro-Québec perd le droit qu'elle possède actuellement d'agir comme le ministre de la Voirie pour l'acquisition de ces droits, elle ne pourra plus faire face, dans les délais requis, aux besoins essentiels de cette province. Que l'on pense simplement aux lignes qui vont être construites pour la baie James.

Il y a encore quantité d'autres lignes. Je vous en mentionne. Je vous dis qu'il y a 637 projets pour les cinq prochaines années. Il est évidemment impossible de pouvoir les faire à temps, les retards pouvant aller facilement jusqu'à deux ans sur les besoins réels de la province.

Maintenant, si l'Hydro-Québec a été consciente de ses responsabilités sur le plan public en vue de la production, du transport et de la distribution de l'énergie requise, elle a été consciente également de son obligation d'éviter de causer un préjudice aux personnes qu'elle exproprie. Déjà, le préjudice est très atténué, si l'on considère que, dans 90 p.c. des cas, il ne s'agit que de servitude, servitude qui ne requiert absolument pas le déplacement du propriétaire, servitude qui fait que, dans nombre de cas, il n'y a même pas de pylônes sur le terrain, puisque sur une terre, évidemment, les pylônes sont espacés et ne se retrouvent pas même sur toutes les terres.

Il y a, de plus, le fait que les indemnités que l'Hydro-Québec est appelée à payer sont minimes dans l'ensemble, puisque ce ne sont que des servitudes sur de faibles parcelles de terrain. Vous avez, à la page 4 du mémoire, au paragraphe 3, l'indication des pourcentages de cas qui requièrent diverses indemnités. On voit, par exemple, que 66 p.c. des expropriations entrafnent une indemnité de moins de $500; 20 p.c, de $500 à $1,000; 10 p.c., de $1,000 à $5,000, et 4 p.c, seulement, au-dessus de $5,000. C'est donc dire que les affectations réelles des propriétaires sont minimes. Nous ne leur causons pas de grands problèmes par nos expropriations.

Vous avez, au paragraphe 2, l'indication de ce que l'Hydro-Québec fait. Lorsque nous acquérons la propriété d'un immeuble, si nous sommes obligés de déplacer, de déposséder physiquement l'exproprié, nous l'indemnisons avant de l'obliger à partir.

Ce sont là, nous pensons, des faits qui démontrent qu'il y a, d'un côté, une nécessité, pour l'Hydro-Québec, de pouvoir, comme, actuellement, le législateur lui a reconnu le droit de le faire, continuer à procéder conformément à ce que le ministre des Transports veut faire, c'est-à-dire déposer un plan général d'expropriation et acquérir ainsi la possession des droits qu'elle exproprie, sans que, d'autre part, les expropriés ne subissent de préjudices réels de la procédure qui est actuellement suivie.

Nous croyons, de plus, que, si la procédure

régulière prévue par le projet de loi no 88 devait s'imposer â l'Hydro-Québec, il y aurait, d'abord, des coûts additionnels considérables et des complications inutiles pour les expropriés. A l'heure actuelle, 99.5 p.c. des expropriations de l'Hydro-Québec se règlent à l'amiable. Il n'y a donc qu'un demi de 1 p.c. qui se rend devant les tribunaux. Les règlements de l'Hydro-Qué-bec, en moyenne, n'exigent que six à huit mois entre le début et le moment du paiement.

Si, effectivement, nous ne pouvions plus bénéficier de la procédure attribuée au ministre des Transports, il faudrait que, dans tous les cas, en pratique, un dossier soit ouvert à la cour Supérieure et au tribunal du travail. Nous croyons que ce serait là une procédure absolument inutile, des frais additionnels qui encombreraient le tribunal, alors que nous avons pu voir que les montants des indemnités sont tellement minimes.

Nous croyons, en conséquence, que les expropriés eux-mêmes subiraient un préjudice de cette procédure, puisqu'au lieu d'attendre simplement la visite du représentant de l'Hydro-Québec, de s'entendre avec lui sur l'indemnité et de recevoir le paiement, ils devraient, à ce moment-là, recevoir un avis qui indiquerait qu'ils ont la possibilité d'aller devant la cour Supérieure et que le dossier, effectivement, sera déposé, quinze jours après, à la cour Supérieure Vous voyez l'exproprié qui, pour une indemnité qui vaut $300, $400 ou $500, dans la majorité des cas, se voit obligé d'aller devant le tribunal. A ce moment-là, il recourra à des avocats. Il sera obligé, même s'il est d'accord, de déclarer auprès du tribunal qu'il est d'accord sur le montant de l'expropriation.

M. PAUL: Dans le cas d'une petite créance en bas de $300, il n'aura pas le droit à un avocat?

M. LEGAULT: Je me demande si la Loi des petites créances couvrirait ce cas. Je serais porté à penser — il faudrait que je regarde car je n'ai jamais regardé la Loi des petites créances dans cette optique — que son montant n'est pas liquidé.

M. PAUL: Vous voulez dire que l'avocat peut toujours souffler la réclamation.

M. LEGAULT: Non, mais...

M. PAUL: Vous voulez que l'avocat joue à l'inflation.

M. LEGAULT: Vous savez par expérience que lorsque nous sommes dépossédés d'un bien, généralement nous avons l'impression qu'on nous enlève un peu plus que la valeur réelle. Alors, il est normal, lorsqu'un individu veut faire vérifier la mesure exacte de son droit, de le situer à un niveau un peu supérieur à ce que ça vaut réellement, quitte à laisser le tribunal le fixer comme il le juge à propos.

Par cette procédure même si chaque exproprié, n'est exproprié que pour une petite lisière de $200 ou $300, du fait de recevoir un avis comme quoi le dossier sera remis à la cour, il devra subséquemment, de toute façon, pour pouvoir retirer son montant, aller à la cour et faire valoir lui-même la valeur de ses droits de propriété.

Nous croyons que cette procédure sera une surcharge inutile dans les circonstances pour l'exproprié dans l'optique du genre d'expropriation effectuée par l'Hydro-Québec, alors que, dans 99.5 p.c. des cas, les problèmes se règlent à l'amiable sans qu'il y ait d'obligation pour l'exproprié d'aller devant le tribunal, et sans qu'il y ait quelque déboursé à faire de sa part. C'est l'Hydro-Québec qui paie à l'heure actuelle pour l'étude des titres qui sont faits par le notaire choisi par l'exproprié lui-même.

Nous croyons que la procédure actuellement suivie par l'Hydro-Québec est une procédure qui est très saine pour l'exproprié et qui est essentielle pour la réalisation du mandat confié à l'Hydro-Québec. Et nous ne voyons pas, à ce moment, d'inconvénient.

Nous mentionnons à la fin du rapport de notre mémoire que la commission Alary a émis deux principes en partant. D'abord, protéger l'exproprié et lui accorder sur un plan d'égalité la compensation rapide du préjudice qui lui est causé, une indemnité provisionnelle devant être payée préalablement à la prise de possession; et deuxièmement, en contrepartie, doter les pouvoirs publics des instruments juridiques modernes indispensable à la réalisation prompte et efficace des fins d'intérêt général qui sont les leurs. Si l'Hydro-Québec perd le droit qu'elle possède à l'heure actuelle, de procéder par dépôt de plan général, comme le ministre de la Voirie, nous croyons qu'elle perd un instrument juridique moderne qui lui est indispensable à la réalisation prompte et efficace des fins d'intérêt général qui sont les siennes.

Nous croyons, par contre, que même en maintenant à l'Hydro-Québec le droit qu'elle possède actuellement, le premier principe émis par la commission Alary de protéger l'exproprié n'est pas enfreint, mais qu'au contraire l'exproprié y trouve lui-même son crédit.

J'ai remarqué, dans la lettre de M. Alary que le ministre lisait tantôt, qu'il semblait s'étonner de l'exception faite pour la ville de Montréal, mais il ne mentionnait pas le ministre de la Voirie. Je pense qu'effectivement on peut comprendre que, lorsqu'un ministère comme celui de la Voirie a à exproprier sur de grandes quantités de terrain pour un même projet, il est utile d'obtenir au point de départ les droits requis.

Nous croyons que pour l'Hydro-Québec ce droit existe tout autant. Il est peut-être même plus important, sans vouloir minimiser l'impor-

tance que cela a pour le ministre de la Voirie. C'est que, pour l'Hydro-Québec, lorsque, effectivement, on lui demande de fournir dans tel délai de l'électricité à un endroit donné, il lui faut absolument dans ce délai avoir construit cette ligne.

Quelqu'un me mentionnait que les automobiles peuvent toujours ralentir, mais que les électrons ne peuvent pas le faire. Ou ils passent ou ils ne passent pas. Il paraît donc que perdre ce droit serait extrêmement préjudiciable pour l'Hydro-Québec, et nous ne voyons pas effectivement de motifs qui pourraient justifier qu'on enlève à l'heure actuelle à l'Hydro-Québec les droits qu'elle possède déjà.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.

M. PINARD: Me Legault, nous allons prendre en considération le contenu de votre mémoire.

Vu l'importance des travaux réalisés et à être réalisés par Hydro-Québec, je vais demander à mes conseillers juridiques et techniques de vérifier immédiatement s'il y a possibilité d'amender le projet de loi 88 dans le sens que vous demandez à l'article 104.

M. LEGAULT: Merci, M. le ministre.

M. PAUL: Vous avez tellement bien plaidé que je ne peux pas concevoir que le ministre responsable du projet de loi ne se rendra pas à vos représentations.

M. LEGAULT: Merci, M. le Président; merci, messieurs.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: M. Legault, ne croyez-vous pas que cette juridiction qu'on voudrait vous enlever, qu'on semble vouloir laisser au ministère de la Voirie serait le résultat de plaintes possibles à la suite de l'acceptation trop rapide peut-être des expropriés vu que vous payez rubis sur l'ongle? Peut-être sont-ils tentés d'accepter immédiatement et, par la suite, ils peuvent faire des contestations quelconques?

M. LEGAULT: Evidemment, c'est une question que l'on peut se poser. A ma connaissance, il n'y a pas de plainte qui ait été formulée de façon directe. Je ne pense pas que ce soit le cas parce que, dans les expropriations qui sont mentionnées dans les règlements qui sont faits, il y a d'abord les cas — et plusieurs — où il y a un évaluateur qui intervient. Il y a, en plus, dans un très grand nombre de cas, dans les milieux ruraux à peu près partout, une consultation entre les dirigeants de la direction des propriétés immobilières de l'Hydro-Québec et les représentants de l'UCC afin de déterminer une catégorie de valeur pour les terres dans ces régions.

Nous croyons que Hydro-Québec recherche vraiment la valeur objective des terrains. Et nous ne pensons pas que jamais nous ayons essayé de faire des règlements qui auraient pour but de causer un préjudice aux individus. Nous essayons évidemment, dans l'intérêt général, de maintenir nos indemnités à une valeur adéquate sans exagération mais nous tendons vraiment à compenser l'exproprié pour les dommages réels qu'il subit.

M. AUDET: Est-ce que vous avez connu un certain pourcentage de cas qui ont dû aller devant le bureau des expropriations, à l'arbitrage?

M. LEGAULT: Oui, il y en a quelques-uns, il y a certains cas. Evidemment, suivant les circonstances, il s'agit toujours d'une cause, mais nous croyons en général et très fréquemment que la marge était logique entre ce qui était offert et ce que les organismes compétents ont jugé à propos de déterminer comme indemnité.

M. AUDET: Est-ce que vous croyez que les expropriés, dans la majeure partie des cas, sont satisfaits des règlements de l'Hydro-Québec?

M. LEGAULT: Nous croyons vraiment qu'ils le sont. M. Lemay, qui est directeur des propriétés immobilières, pourrait peut-être ajouter quelque chose là-dessus. Mais il n'y a personne qui force l'exproprié à régler son problème. Il y a une offre qui lui est faite après étude avec lui de sa situation particulière, après que nous avons écouté ce qu'il a à dire sur les dommages qui lui sont causés; il y a à ce moment-là une appréciation réelle qui est faite et une offre en conséquence. Il sait très bien que s'il n'est pas d'accord il peut toujours consulter un avocat et aller devant la régie.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.

M. PERREAULT: Vous avez mentionné tout à l'heure que vous aviez 2,000 à 2,500 cas d'expropriation par année; est-ce que cela comprend les servitudes?

M. LEGAULT: Cela comprend les servitudes.

M. PERREAULT: A propos de dépôt de plans, est-ce que c'est aussi nécessaire pour les lignes de transport que pour les stations?

M. LEGAULT: M. Saint-Pierre, qui est directeur des projets de construction de lignes, pourrait peut-être le mentionner mais je pense qu'effectivement c'est essentiel. Le poste de transformation fait partie de la ligne; vous avez

beau construire 600 milles de lignes, si vous n'avez pas à différents points les postes de transformation, ces lignes ne pourront pas être utilisées. Lorsqu'on parle d'une ligne de transport d'énergie électrique, les postes de transformation font partie intégrante de ces lignes-là.

M. PERREAULT: Je le mentionnais parce que dans certains cas, pour les lignes de transport, on a affaire à du terrain où il n'y a pas de bâtisse d'érigée. Dans certains autres cas, pour les stations, on doit exproprier des bâtisses pour avoir le terrain nécessaire.

M. LEGAULT: C'est exact.

M. PERREAULT: C'est pour ça, je voyais une différence et me demandais si...

M. LEMAY: Dans tous les cas d'expropriation où il y a des bâtisses, il y a un plan qui est déposé et il y a prise de possession préalable.

M. LEGAULT: Comme je le mentionnais tantôt, dans ces cas, les inconvénients pour l'exproprié sont minimisés par le fait que l'Hydro-Québec les indemnise avant d'exiger leur départ.

M. PERREAULT: Vous parliez de petites créances, tout à l'heure, de l'ordre de $400 à $500. A combien, suivant votre point de vue, estimez-vous que ça coûterait plus cher, suivant la loi 88?

M. LEGAULT: Si nous perdions les droits que nous avons à l'heure actuelle, il est difficile de dire combien ça coûterait de plus, mais il est possible de dire quelles graves conséquences la situation aurait pour les citoyens du Québec. C'est en temps, surtout, que les dommages se situent, parce qu'il ne serait plus possible de réaliser les projets voulus dans le temps voulu.

En ce qui regarde les frais additionnels, je vous avoue que nous ne l'avons pas apprécié de façon précise. Nous avons pensé que les autres inconvénients étaient tellement supérieurs encore à celui-là que nous ne nous sommes pas arrêtés à le calculer, mais il est certain que la préparation de causes devant la cour Supérieure pour chaque cas d'expropriation supposerait des frais supérieurs à ce qui existe à l'heure actuelle.

M. PERREAULT: Une dernière question. Est-ce qu'on pourrait avoir une idée? M. Saint-Pierre, si les cas sont fréquents où vous devez procéder rapidement? J'ai été témoin, dans le passé, de certains cas, mais il semble que c'est assez fréquent que de procéder rapidement pour bâtir une ligne pour livrer l'énergie à un point donné pour l'implantation d'une industrie.

M. SAINT-PIERRE: Je pense que certaines gens ici qui font de l'acquisition ont beaucoup plus de problèmes, parce que pour construire on peut mettre une pression, on peut mettre le volume qu'il faut, on peut mettre l'organisation qu'il faut. Je pense que dans le cas de la voirie, ils ont une certaine planification, par exemple on a les autoroutes à Trois-Rivières, 7, 55, 40, dans le bout de Sorel on a une multitude de demandes de déplacement. Ce ne sont pas des gros travaux, mais au point de vue de la construction de lignes, le fait d'être obligé de les relocaliser amène des acquisitions très rapides, et tout ça ne vient qu'au moment où le projet d'autoroute est prêt et au moment où on peut faire une étude de tracés qui offrent le moins de résistance à la relocalisation. Alors c'est un exemple de la rapidité avec laquelle on doit agir.

Dans les projets d'envergure, je pense que l'Hydro-Québec, et M. Fournier pourrait répondre peut-être là-dessus, a tout intérêt à retarder au maximum la réalisation, aux dernières instances, de façon à prévoir les industries qui pourraient venir se greffer et changer la planification de l'Hydro. On a un exemple particulier, je pense à l'aéroport, où il y avait une planification de lignes qu'on a été obligé de relocaliser. Ces relocalisations sont extrêmement coûteuses.

M. PERREAULT: Avant de passer à M. Fournier, on va attendre; on pourrait conclure, à ce que vous dites, que si la voirie désire procéder rapidement, pour l'aider vous devez pouvoir agir rapidement.

M. SAINT-PIERRE: Si on pouvait avoir le projet deux ans plus tôt, ça irait beaucoup mieux.

M. LEGAULT: En réponse à votre question, M. Perreault, on pourrait arriver à la situation où le ministère de la Voirie nous demanderait de nous déplacer, par exemple, pour pouvoir élargir une route et que nous ne soyons pas en mesure de le faire, sauf un an après le ministère de la Voirie, parce que nous n'aurions pas eu le même droit pour acquérir les droits réels en temps opportun.

M. PINARD: Mais la situation étant ce qu'elle est et les droits ne vous ayant pas encore été enlevés, je me demande pourquoi il y a tant de retard à déplacer certaines de vos lignes alors que notre planification est retardée et l'exécution aussi. Je connais l'exemple d'un pont dont le contrat a été accordé il y a un an et quatre mois et on n'a pas pu procéder aux travaux encore parce que l'Hydro-Québec n'a pas terminé ses travaux.

M. PAUL: J'ai l'information que c'est le ministre qui tarde à signer les documents nécessaires.

M. PERREAULT: J'aimerais entendre M. Lemay nous donner un aperçu.

M. LEMAY: II arrive souvent qu'on ne l'apprend qu'à la dernière minute. Dans certains projets, ça demande pour un déplacement de lignes, quelle qu'en soit l'importance, un minimum de 18 à 20 mois.

M. PINARD: Je ne voudrais pas être malicieux mais...

M. LEMAY: Je comprends. On en a reçu justement cette semaine, sur la ligne Tracy-Sorel, et on nous demande s'il n'y aurait pas possibilité de leur donner une réponse pour hier. Lorsqu'on passera à nos ingénieurs, en ce qui concerne la planification et les plans à préparer pour le déplacement, parce que ce sont des lignes à haute tension, on va demander un minimum de 12 à 14 mois.

M. PINARD: Plus on atteindra à une meilleure coordination avec le bill 88, mieux ce sera pour tout le monde.

M. LEMAY: C'est exact. Nous sommes biens conscients de ce problème parce que nous avons beaucoup plus de communications et de réunions maintenant avec les représentants de la Voirie que nous en avions autrefois.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Legault...

M. PERREAULT: Je lui avais demandé de donner un exemple.

M.FOURNIER: Pour parler de la planification, il y en a deux genres. Il y a la planification normale, qui se fait pour alimenter les charges qui augmentent graduellement partout dans la province; celle-là se fait à long terme. Il ne faut pas oublier que 50 p.c. de toutes les charges de la province de Québec sont des charges industrielles. Dans tous les cas, à peu près sans exception, les grandes industries ne nous donnent jamais le temps voulu pour les alimenter dans les délais normaux.

Les industries — je ne les blâme pas — font leurs études d'implantation, vont étudier plusieurs endroits, comme Sept-Iles, Contrecoeur, Bécancour. Quand elles se décident à faire une implantation, tous leurs plans sont faits. Bien des fois, leur équipement est acheté. Elles viennent nous voir et elles veulent être alimentées dans 21 mois et j'ai même des cas de huit mois, douze mois, dix-neuf mois, treize mois pour des projets comportant des délais normaux de 36 mois, 30 mois, 24 mois. C'est là la moitié des charges de la province de Québec.

Est-ce qu'on peut se permettre de dire à une industrie, qui nous demande de l'énergie dans 18 ou 24 mois: Non, c'est impossible, ça va prendre quatre ans? On ne peut pas. Ce sont là 50 p.c. des charges de l'Hydro-Québec. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. PERREAULT: Oui, ça répond à ma question.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous vous remercions, M. Legault et vos compagnons de l'Hydro-Québec, pour la présentation de votre mémoire.

M. LEGAULT: Nous vous remercions de votre accueil.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous passons à la Société de développement de la baie James.

Société de développement de la baie James

M. GAGNON (François-Michel): M. le Président, messieurs les députés, mon nom est François-Michel Gagnon. Je représente la Société de développement de la baie James. Le secrétaire de la société, Me Jacques Duhamel, devait m'accompagner ce matin, mais un contretemps l'en a empêché à la dernière minute. Il vous prie de l'en excuser. Son absence va m'empêcher de vous présenter des données techniques aussi au point que celles que vous avez pu obtenir des représentants de l'Hydro-Québec. Mais les arguments qui ont été avancés au soutien de la thèse de l'Hydro-Québec militent également, dans la même mesure et pour les mêmes raisons, en faveur de la proposition que la Société de développement vient présenter devant vous.

Il ressort de la loi organique de la société qu'elle exerce, sur le territoire qui lui est assigné, les mêmes pouvoirs que le ministre de la Voirie en ce qui a trait à la construction des routes et à l'exploitation des voies de communication de tous genres. Il ressort aussi de cette loi que c'est à elle, la société, qu'il appartient de procéder aux expropriations requises pour la construction des aménagements hydro-électriques, y compris les lignes de transport d'énergie électrique.

Evidemment, la construction elle-même relève de la Société de l'énergie, filiale de la Société de développement. Mais le fait demeure que la Société de l'énergie n'a pas en elle-même le pouvoir d'exproprier. Alors, s'il est vrai que la société est appelée à exproprier pour des fins de voirie, d'une part, et pour des fins d'aménagement hydro-électrique, d'autre part, y compris le transport de l'énergie hydro-électrique, il faut en conclure qu'elle doit pouvoir exercer ses pouvoirs à cet égard en l'absence de toute entrave et avec la même facilité avec laquelle le ministre de la Voirie peut les exercer en vertu du projet de loi.

Le statut actuel de la société est celui d'un mandataire du gouvernement. Elle a donc, d'après le code de procédure civile, le pouvoir d'obtenir et la propriété et la possession immé-

diate d'un immeuble par le simple dépôt d'un plan, d'une description technique et d'une évaluation du bien à exproprier.

Le projet a pour effet, même s'il ne le dit pas en toutes lettres — je pense que c'est une lacune qu'il y aurait lieu de corriger— d'affecter les droits de la couronne. La Loi d'interprétation stipule qu'aucune loi n'affecte la couronne à moins que les droits de la couronne n'y soient formellement mentionnés. Ce n'est pas le cas ici, mais on peut le déduire du fait que les articles pertinents du code de procédure civile qui traitent de l'expropriation par la couronne sont abrogés ou remplacés.

Mais je pense qu'au point de vue de l'harmonie législative il serait utile qu'une disposition mentionne que la loi vise la couronne et toutes ses expropriations. Il ressort du contexte du projet de loi que l'on veut retrancher la possession immédiate par dépôt d'un plan et la faire devenir une prérogative particulière au ministère de la Voirie.

Le premier point de la société, c'est que les besoins que je dois satisfaire sont comparables sinon identiques à ceux pour lesquels le projet reconnaît déjà qu'il faut une possession immédiate par dépôt d'un plan. Deuxièmement, il y a des raisons particulières qui font que le régime prévu pour l'expropriation, du ministre de la Voirie et de la ville de Montréal, soit modifié jusqu'à un certain point.

Je me réfère maintenant aux dispositions des articles 55 à 61 du projet. On y voit que par dérogation au régime général le ministre et la ville de Montréal, lorsqu'il s'agit d'une expropriation pour ses fins de voirie, peuvent déposer un plan général pour plusieurs immeubles. Alors, le terme "immeubles", le qualificatif de "plusieurs" et ensuite le pluriel tout au long des articles 55 à 61 donnent à comprendre qu'il ne peut y avoir expropriation avec possession préalable immédiate dans le cas d'un immeuble en particulier. Ceci peut causer des difficultés énormes dans le cas de la Société de développement puisque, d'autre part, on n'a pas défini le terme "immeuble". On pourrait prétendre, du côté d'un exproprié, qu'une lisière de 200 pieds par 200 milles dans un territoire virtuellement désertique est un seul immeuble et que, par conséquent, on ne peut pas en avoir une possession préalable immédiate par dépôt d'un plan général.

Alors, nous suggérons que les articles 55 à 61 soient modifiés pour prévoir qu'il peut s'agir d'un seul immeuble, mais il faut aussi prévoir qu'il peut s'agit d'autre chose qu'un immeuble. L'article 18 du projet met en contraste les notions d'immeuble, d'une part, et de droit réel autre que la propriété, d'autre part. On pourrait en conclure, à la lecture de l'article 55, que même le ministre de la Voirie — puisqu'une servitude n'est pas un immeuble au sens du texte — ne peut pas acquérir cette servitude avec possession préalable immédiate.

Evidemment, personne ne lui contestera le pouvoir de devenir propriétaire de la servitude, mais toute la question sera de savoir s'il peut exercer cette servitude de façon immédiate, contrairement au régime général.

En plus, ceci serait justifié par certains termes de la loi organique de la société, qui prévoit qu'elle peut exproprier trois choses distinctes: un immeuble, un droit réel et une force hydraulique. Alors si la société exerce son pouvoir d'expropriation pour acquérir une servitude, on pourra lui dire: Vous ne pouvez pas, en vertu de l'article 55, avoir une possession immédiate. Si elle veut acquérir une force hydraulique, on pourra lui dire: Dommage, mais il n'est pas question d'acquisition avec possession préalable au cas d'une force hydraulique.

Tout ceci m'amène à suggérer et amène ma cliente à suggérer que l'on modifie les articles 55 à 61, de manière qu'on puisse acquérir la possession immédiate par dépôt d'un plan d'un seul immeuble, d'un seul droit réel ou d'une seule force hydraulique, soit que l'on insère, dans la loi, une disposition particulière qui modifiera la loi organique de la société, de manière à lui donner ces pouvoirs, parce que les difficultés d'ordre exégétique que je viens de mentionner sont beaucoup plus graves pour la société que pour d'autres expropriants qui construisent des ouvrages dans des territoires civilisés, cadastrés et domestiqués, où l'identité des propriétaires est facile à établir et où l'identité des immeubles est aussi facile à déterminer.

Les arguments de caractère technique que l'on a mentionnés tantôt, à savoir le fait que, dans le cas de la construction de lignes de transport d'énergie électrique, les dommages à l'exproprié sont minimes et n'entrafnent généralement pas son éviction, militent de la même façon en faveur de la proposition de la société, parce qu'elle sera appelée à faire les mêmes travaux.

Nous suggérons — ceci est en dernière page de notre mémoire — le texte suivant: L'article 29 de la Loi du développement de la baie James est remplacé par le suivant: "Les expropriations permises par la présente loi sont régies par la Loi de l'expropriation, la société est substituée au ministre de la Voirie pour les fins des articles 55 à 61 de ladite loi et elle peut, avec le même effet, déposer le plan spécial ou général d'un seul ou de plusieurs immeubles, droits réels ou forces hydrauliques."

Ceci correspondrait aux distinctions qui sont effectuées, par ailleurs, dans la loi organique de la société. Il est possible que les représentations que je viens de faire amènent une modification des dispositions de base qui traitent du régime spécial fait au ministre de la Voirie et à la ville de Montréal. Dans cette hypothèse, nous serions satisfaits que les dispositions ainsi modifiées s'appliquent à la société.

Je voudrais mentionner, en terminant, qu'il s'est glissé une erreur dans la confection des

copies du mémoire de la société. La page 2 a été omise. Mais je comprends qu'on l'a distribuée aux membres de la commission.

J'en viens maintenant à des observations de détail. Je vais les faire très rapidement. Certaines sont importantes. A l'article 34 — j'en ai déjà parlé — il y aurait peut-être lieu d'ajouter que la présente loi s'applique à la couronne, à cause de la Loi d'interprétation.

Ensuite, à l'article 38, le paragraphe b) parle d'une évaluation. Nous ne voyons pas exactement le rôle que cette évaluation remplit, puisque, par ailleurs, l'article 47 prévoit une offre qui détermine, dans une certaine mesure, l'indemnité provisionnelle à laquelle l'exproprié aura droit. Il serait peut-être avantageux d'éliminer cette notion d'une évaluation préalable qui ne semble pas jouer de rôle précis maintenant. Evidemment, elle avait sa raison d'être sous l'empire du code de procédure civile, mais je ne vois pas à quoi, maintenant, elle pourrait servir.

De toute façon, si on retient la nécessité d'une évaluation, elle pourrait avantageusement être incorporée à l'avis d'expropriation qui est signifié à l'exproprié, parce qu'il n'aurait pas besoin de se rendre au bureau d'enregistrement pour savoir à quoi on évalue de façon préliminaire son indemnité.

A l'article 40, il serait peut-être utile d'ajouter qu'il s'agit du greffe de la cour Supérieure du district où est situé l'immeuble. On l'a fait dans d'autres dispositions.

A l'article 41, on parle de notifier les locataires de l'existence...

Dans plusieurs autres dispositions, on a préféré employer l'expression "notifier les locataires". On notifie quelqu'un de quelque chose et non pas quelque chose à quelqu'un. Alors, il faudrait peut-être dire, pour être plus correct: "notifier les locataires dont les baux ne sont pas enregistrés l'existence des procédures d'expropriation..."

Il serait probablement préférable de prévoir une signification aux locataires dont les baux ne sont pas enregistrés; il ne semble pas y avoir, à première vue, de justification pour distinguer entre le cas du locataire dont le bail est enregistré et celui du locataire dont le bail ne l'est pas. Il y aurait avantage, pour la clarté du texte, de ne pas faire varier la procédure. S'il était question partout de signification, on pourrait dire que dans le cas où on ne peut pas trouver l'exproprié, il y aura un mode spécial de signification.

L'article 47 mentionne ceci: "...indiquant en détail le montant que l'un offre et l'autre réclame..." Ceci est stipulé au sujet d'une déclaration que l'expropriant et l'exproprié doivent faire. On pourrait interpréter ce texte — et je pense que c'est la seule façon de l'envisager — comme signifiant que l'exproprié doit mentionner dans sa déclaration deux choses: ce qu'il offre et ce que l'autre réclame. Or, ceci ne concorde pas, ne cadre pas avec l'inten- tion implicite du texte. Il serait préférable de substituer aux mots "que l'un offre et l'autre réclame", les mots "qu'il offre ou réclame, selon le cas". Alors, l'exproprié n'aura qu'à dire ce qu'il réclame et l'expropriant, ce qu'il offre.

On pourrait aussi, dans l'article 42, parler du loyer plutôt que du prix du bail. On a parlé du prix de chaque bail.

Dans l'article 49, qui traite de l'indemnité provisionnelle, il serait préférable d'employer l'expression "provisoire". On avait autrefois, dans le code de procédure civile, un chapitre intitulé "Des mesures provisionnelles".

Or, les codificateurs chargés de la refonte du code de procédure ont remplacé cette expression, à la suite de recherches dans les dictionnaires, par mesures provisoires.

M. PINARD: Nous nous sommes posé la question nous-mêmes et nos linguistes nous ont fait revenir au mot "provisionnel". Alors, c'est un débat de linguistes!

M. PAUL: La guerre va commencer entre Littré et Larousse.

M. GAGNON (François-Michel): Ce sont les remarques que je voulais présenter. Je remercie les membres de la commission de leur attention et je suis prêt à répondre aux questions qui me seront posées, dans la mesure de mes moyens.

M. PINARD: Me Gagnon, je pense bien qu'à cause de l'importance des travaux qui sont et qui devront être réalisés par votre société il faudrait penser peut-être à vous donner les mêmes pouvoirs que ceux qui ont été réclamés par l'Hydro- Québec.

Maintenant, vous avez affirmé le caractère public de la société que vous représentez. Vous dites même que c'est une société de la couronne ou en tout point semblable. Alors, je vous pose une question: Les routes que vous construisez en ce moment, est-ce que vous leur réservez un caractère privé ou un caractère public pendant le temps de la construction, pendant le temps de leur utilisation et qu'éventuellement, après que les chantiers seront terminés et que les travaux de la baie James auront été mis en marche il y aurait un retour possiblement de ce réseau routier dans le réseau général de la voirie? Est-ce qu'il y aura toujours ce même caractère public ou bien si on tient pour acquis qu'en ce moment il a un caractère privé? C'est très important pour nous de le savoir.

M.GAGNON (François-Michel): Au stade où nous en sommes, je comprends que les routes en voie de construction ou qui sont déjà construites continuent de conserver un caractère privé, parce que ce sont des routes de caractère municipal, la société étant, de par sa loi organique, une municipalité. Le conseil d'administration de la société, en tant que conseil municipal, n'a pas décrété l'ouverture de ces routes.

Dans ce sens-là, on peut dire qu'elles conservent un caractère privé, mais je comprends aussi qu'il y a de nombreux accrocs à cette situation juridique, qui ne peuvent pas être évités parce que les besoins du développement du territoire l'exigent. Quant à la question précise de savoir si la société fera, à un moment donné, l'acte de dédier ces routes au public, je ne peux pas le dire, parce que je n'ai pas de mandat là-dessus.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, Me Gagnon, nous vous remercions et la commission suspend ses travaux jusqu'à deux heures trente. A deux heures trente, on entendra le Barreau du Québec.

(Suspension de la séance à 12 h 37)

Reprise de la séance à 14 h 39

M. LAFRANCE (président de la commission permanente des transports, des travaux publics et de l'approvisionnement): A l'ordre, messieurs!

Cet après-midi, nous allons entendre le Barreau du Québec, représenté par Mme Micheline Audette-Filion, je crois. Si vous voulez bien nous présenter vos collègues, madame.

Barreau du Québec

MME AUDETTE-FILION: M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission parlementaire, mon nom est Micheline Audette-Filion, recherchiste au Barreau du Québec. Je suis accompagnée cet après-midi, à ma droite, de Me Gilles Fafard, de Montréal, de Me Pierre Pinard, de Montréal, de Me Jacques Marquis, de Québec. M. le juge Paul Trudeau a également collaboré aux travaux de notre comité et en a assuré la présidence. Il n'est malheureusement pas avec nous aujourd'hui, puisque, semble-t-il, il a été nommé à des fonctions incompatibles avec la profession d'avocat.

Le Barreau du Québec est très heureux que le législateur ait présenté devant l'Assemblée nationale un projet de loi de l'expropriation, d'autant plus que l'attente a été longue, depuis 1965, alors que le gouvernement avait jugé à propos, vu l'urgence de la situation, de constituer un comité d'étude sur l'expropriation, comité qui a été présidé par Me Alary. Le Barreau du Québec est également généralement d'accord sur le projet de loi comme tel et sur le principe du projet de loi.

En particulier, nous nous réjouissons du fait qu'un grand nombre de recommandations que le Barreau du Québec ou le Barreau de Montréal ont faites au cours des dernières années aient été prises en considération. Nous sommes également très heureux que le projet de loi suive, dans ce domaine, la ligne de pensée du droit français, écartant des principes de droit étrangers qui auraient pu l'influencer et qui ne seraient pas restés dans la ligne de pensée de notre province.

Le projet de loi apporte au domaine judiciaire de l'expropriation des améliorations considérables et ardemment souhaitées par tous les avocats qui oeuvrent dans ce secteur depuis un certain nombre d'années et conserve la procédure usuelle du code et du droit substantif en la matière. Nous avons également de petites réserves à faire sur des articles en particulier ou encore sur le principe de l'exclusion des expropriations pour fins de voirie.

En général, nous sommes très heureux du projet de loi. Je cède la parole à mon confrère, Me Pinard, qui vous expliquera le mémoire plus en détail.

M. PIERRE PINARD: Comme ma consoeur,

Me Audette-Filion, le faisait remarquer, dans l'ensemble, le Barreau se considère satisfait du projet de loi no 88. Nous trouvons qu'il va constituer une nette amélioration sur la situation qui pouvait prévaloir en matière d'expropriation dans cette province.

Une bonne partie de notre mémoire est constituée par des corrections d'ordre technique, c'est-à-dire qu'on suggère certains petits amendements, parce qu'on pense que l'article a une rédaction fautive ou qui pourrait être clarifiée. Notre mémoire est là pour être lu — ceux qui le veulent.

Pour tout résumer, nous avons deux gros points sur lesquels nous estimons que le législateur devrait apporter des modifications importantes. Pour passer au vif du sujet immédiatement, il faut en venir, d'après nous, aux articles 55 à 61, c'est-à-dire certaines expropriations pour fins de voirie.

L'opinion du comité du Barreau à ce sujet est que ces articles doivent être enlevés au complet du projet de loi. La raison principale que nous avons pour appuyer cette affirmation qui, à première vue, peut paraître un peu cavalière, c'est que, dans le préambule du projet, on prend la peine d'affirmer que le but du bill no 88 est d'uniformiser la procédure en matière d'expropriation.

Or, suivant les chiffres et les données que nous possédons, 80 p.c. des expropriations de cette province, et les plus importantes également quant aux montants en litige, 80 p.c, dis-je, de ces expropriations sont entreprises soit par le ministère de la Voirie du Québec, soit par la ville de Montréal. De sorte que les articles 55 à 61 enlèveraient, à toutes fins pratiques, le but principal que cette loi se donne, soit d'uniformiser la procédure.

En d'autres mots, on pense que le projet de loi n'aura pas pour effet de modifier substantiellement la situation qui peut prévaloir en matière d'expropriation, si on fait une exception aussi importante que celle-là pour les deux plus gros corps expropriants de cette province.

En d'autres mots, on trouve que c'est se donner beaucoup de peine pour faire une procédure uniforme pour les municipalités, les commissions scolaires et les villes régies par la Loi des cités et villes, parce que dans notre opinion elles ne représentent pas plus de 20 p.c, suivant les données statistiques qui nous ont été fournies.

Enfin, si on regarde la chose d'un autre angle, de façon pratique, on trouve cela paradoxal d'imposer, par exemple, aux municipalités, aux commissions scolaires et aux autres corps publics une procédure assez complète et assez rigide, alors qu'en fait ces corps publics ne disposent pas d'un service d'expropriation complet et compétent comme celui du ministère de la Voirie ou comme celui de la ville de Montréal. La plupart des villes n'ont pas de contentieux, la plupart des villes n'ont pas de service d'immeubles, la plupart des villes, au point de vue du personnel technique, au point de vue de l'équipement, ne sont peut-être pas aussi bien outillées pour mettre en oeuvre le projet 88, que ne le sont les gros corps publics. Les gros corps publics, comme la ville de Montréal, comme le ministère de la Voirie, disposent d'un service des immeubles ou d'une division de l'expropriation, disposent en outre d'un contentieux.

Alors on comprend mal comment les deux plus gros corps expropriants qui, en théorie et en pratique, sont les mieux équipés pour suivre les prescriptions du bill 88 se voient gratifiés d'une exception qui, comme je le disais, enlève à toutes fins pratiques le but principal du projet de loi, qui est d'uniformiser. Si on se fie à l'expérience des praticiens dans notre profession qui ont l'habitude d'aller devant les tribunaux d'expropriation, pour nous le problème des expropriations, quoique d'une très grande envergure, a des racines qui sont bien simples et fondamentalement c'est peu de chose. C'est qu'il y avait un trop grand nombre de causes pour les tribunaux qui étaient habilités à les entendre et en décider.

Mais il y avait peut-être aussi un problème plus profond et qui n'est pas corrigé par le bill 88, c'est le problème qui consiste pour les corps publics à exproprier, sans avoir les deniers requis ou sans s'assurer à l'avance que le projet que l'on veut faire, à la suite de cette expropriation, est bien couvert ou représenté ou que le budget comporte des disponibilités à cet effet. Je pense qu'en matière de travaux publics on a toujours procédé suivant le principe de "travel now and pay later", expropriez maintenant et payez plus tard.

Je pense qu'avec le bill 88, si on maintient les articles 55 à 61, tout cet aspect, qui est fondamental, dans le problème des expropriations, va subsister. En d'autres mots, si on continue à donner la bénédiction aux corps publics qui ont l'habitude d'exproprier sans s'assurer qu'ils ont un budget convenable pour le faire, on perpétuera le vice. Le vice, évidemment, pour les contribuables, c'était d'attendre d'être payés, d'être expropriés rapidement et d'attendre très longtemps pour être payés. Si une entente n'intervenait pas avec le corps public au sujet de l'indemnité, ils devaient encore attendre, parce que le tribunal d'expropriation qui devait les entendre n'avait pas suffisamment de membres.

De ce côté-ci, on constate qu'il y a une nette amélioration dans le bill 88 mais, pour la première partie du problème, qui consiste à exproprier sans avoir l'argent, je crois que, sur ce point, le bill 88 n'apportera aucun correctif. Au contraire, il va le perpétuer. Il donne sa bénédiction à cet état de choses.

Si on se place d'un autre point de vue et qu'on se demande ce qui se fait en Ontario et ce qui se fait dans le reste du Canada, ceux qui pratiquent le droit d'expropriation savent que le fédéral a adopté une loi en vertu de laquelle il

s'impose des exigences légales qui sont infiniment plus sévères et complexes que celles que le bill 88 préconise. On conçoit mal que le fédéral qui, finalement, au pays, est le plus gros corps public doté de pouvoirs d'expropriation, se doterait d'un mécanisme d'expropriation beaucoup plus complexe, beaucoup plus rigide, qui avantage énormément l'exproprié, à son détriment, que le gouvernement de l'Ontario en fasse ainsi et que seule la province de Québec continue à perpétuer la tradition qui a été jugée inacceptable par les comités d'étude qui ont travaillé sur la loi fédérale ainsi que par les comités d'étude qui ont travaillé sur la Loi provinciale de l'Ontario. On comprend mal, si notre voisin le plus important, l'Ontario, et si le gouvernement fédéral se dotent d'un mécanisme d'expropriation qui est, comme je le disais, infiniment plus sévère vis-à-vis de lui-même et infiniment plus avantageux pour l'exproprié, que la province de Québec, par le bill 88, continue à s'enliser dans le problème qui est le plus fondamental, à savoir qu'on ne devrait pas exproprier ou qu'on ne devrait pas dépenser des deniers publics sans savoir combien cela va coûter.

Si vous maintenez le principe des articles 55 à 61 tel qu'il se trouve, nous prétendons que vous n'avez rien réglé du problème fondamental des expropriations.

Il est peut-être vrai que le tribunal d'expropriation lui-même sera plus efficace que la Régie des services publics actuellement, parce qu'évidemment il comporte plus de membres.

A ce sujet, la suggestion du Barreau est de ne pas forcer le tribunal d'expropriation à siéger en division de trois membres. Nous croyons que l'expérience actuelle de la régie qui siège à deux membres est satisfaisante. Ceci permet, si besoin est, de faire un plus grand nombre de divisions avec le même nombre de régisseurs ou le même nombre de juges au tribunal.

Ce que nous vous suggérons dans notre mémoire, c'est de modifier légèrement les articles qui ont trait à la composition du tribunal, de façon qu'en théorie on puisse avoir six divisions de deux membres qui siégeraient à Montréal et deux divisions de deux membres qui siégeraient pour le district de Québec.

Encore là, si les statistiques qu'on nous a soumises sont exactes et si le sources qui nous ont révélé ces chiffres sont fidèles, nous croyons qu'environ trois causes pour une seraient entendues dans la région de Montréal par rapport à la région de Québec, ceci en nombre de causes jugées et décidées.

Nous croyons également, si les statistiques qu'on nous a données sont exactes, que les montants en litige seraient peut-être dix fois plus élevés dans la région de Montréal que dans la région de Québec, d'où notre suggestion qu'il faut aller là où le problème est le plus aigu, dans la région de Montréal, et lui donner un plus grand nombre de divisions et de régisseurs. Il faudrait avoir un tribunal qui permet une composition de six divisions de deux membres et deux de deux, à Québec, ce qui fait seize.

Nous suggérons une autre modification — c'est là l'opinion du Barreau — qui voudrait que le président de chacune des divisions soit un juge de la cour Provinciale, de façon que si, après une période quelconque, pour un motif ou pour un autre, il ne peut plus siéger au tribunal d'expropriation, il puisse retourner à la cour Provinciale.

Nous sommes également d'opinion que ceci accorde une certaine sécurité au président de chaque division, de façon qu'il puisse se consacrer exclusivement et uniquement aux causes qu'il aura à entendre et de façon que toute tentation qu'il pourrait avoir de décider ou de penser autrement lui soit enlevée pour des motifs de sécurité personnelle ou quoi que ce soit.

On pense que le fait que le président d'une division soit juge serait de nature aussi à maintenir un peu de décorum dans les séances de la régie et qu'une bonne partie des problèmes que la régie aura à résoudre sont des problèmes de droit.

Nous reconnaissons évidemment la nécessité que le président d'une division, tout juge qu'il soit, soit assisté par un assesseur ou un technicien, que ce soit un évaluateur, un comptable, un agronome, suivant la nature des problèmes qui lui sont présentés. On laisse au législateur le soin d'y voir mais on pense que toute division devrait être présidée par un juge de la cour Provinciale.

Ce sont donc, messieurs, en gros, les deux amendements ou changements importants que nous vous suggérons d'apporter au bill 88. Même si, dans son ensemble, nous approuvons parfaitement ce bill, et même si le principe du bill est louable et qu'en théorie il veut mettre un terme à de nombreuses injustices — ceux qui sont dans le domaine de l'expropriation en voient, depuis une dizaine d'années, chaque jour— nous pensons que le problème fondamental ne sera pas réglé si on continue de faire une situation privilégiée à la ville de Montréal et au ministère de la Voirie. Evidemment, si on poursuit cette ligne de pensée jusqu'au bout, aussi bien accorder les mêmes exceptions à tous les autres corps publics et ne pas adopter le bill 88. Cessons de parler d'uniformité. Si vraiment le but du bill est d'uniformiser et d'assurer un minimum de protection à l'exproprié, je pense qu'on ne peut pas, tels que rédigés, accepter que ces articles y demeurent.

Donc, en substance, ce sont nos représentations et nous sommes à votre disposition pour toute question que les membres de cette commission pourraient avoir à poser au sujet des choses que nous venons d'énoncer.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Est-ce que vous avez d'autres interventions avant qu'on vous pose des questions?

M. PINARD (Pierre): Je n'ai pas d'autres interventions. La majeure partie de notre mémoire, comme je le disais tout à l'heure, comporte des corrections d'articles, soit à cause de leur formulation, mais ce sont des problèmes mineurs. Nous venons d'exposer les deux gros problèmes: ce sont les exceptions en faveur de la voirie et de la ville de Montréal et la composition du tribunal.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre de la Voirie.

M. PINARD: Me Pinard, vous dites qu'il ne sert à rien de voter le bill 88, si, d'avance, le gouvernement ne donne pas l'assurance qu'il y aura un fonds budgétaire ou des provisions budgétaires suffisantes pour nous permettre de faire face à la situation. Je pense bien que ce fut un problème très aigu dans le passé. Il y avait plusieurs milliers de dossiers actifs en matière d'expropriation, ce qui faisait que les expropriés étaient victimes de discrimination, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas payés en temps utile et que les dispositions du code civil n'étaient pas respectées.

Je pense bien que, sans avoir d'amendements majeurs à la Loi de la voirie, nous avons procédé quand même à des réformes d'ordre interne, d'ordre administratif. Ceci a fait que le ministère a amendé sa procédure, pour en venir à payer pas tellement longtemps après le dépôt du plan, 50 p.c. et parfois davantage de la valeur municipale des biens expropriés. Ceci pour permettre justement à l'exproprié de refaire sa situation dans la mesure du possible, pour autant cependant que le ministère de la Voirie ait eu l'assurance de ne pas être obligé dans peu de temps, de retraire le plan général de dépôt ou de le modifier, de telle sorte qu'il y aurait eu danger pour le ministère d'avoir payé trop vite et inutilement et, dans certains cas aussi, d'être obligé d'amender le remboursement de l'argent, puisque, effectivement, dans certains cas, une fois le dépôt de plan retrait du Bureau d'enregistrement, il n'y avait plus d'expropriation, sauf à payer des dommages directs qui auraient pu être causés premièrement à la personne expropriée.

Je pense que là ç'a été une nette amélioration et ç'a suivi l'évolution du ministère de la Voirie qui est devenu, je pense bien, parmi tous les corps expropriants du Québec, celui qui a fait le plus en volume, par année, aussi bien au plan du montant global à dépenser qu'au plan du nombre de dossiers actifs à administrer. Je pense que, cette année, nous avons 6,500 dossiers actifs et, en 1972, quitte à faire des vérifications plus spécifiques, je pense que le ministère de la Voirie a dépensé tout près de $50 millions en expropriation.

Cette année, on me dit qu'il y a entre $30 millions et $35 millions qui ont été payés aux expropriés, à ce jour.

Cela signifie que, sans procéder à un amende- ment ou à une réforme globale de la loi, le ministère a quand même modernisé et rendu plus efficaces ses procédures de paiement. Il reste quand même un problème fondamental, c'est celui de payer encore plus rapidement l'exproprié pour lui permettre de refaire rapidement sa situation. A ce point de vue-là je suis d'accord avec ceux qui viennent devant nous exposer la situation parfois difficile et douloureuse qui est faite à l'exproprié.

Je comprends mal, cependant, que le Barreau du Québec demande de retraire du projet de loi 88 toute la section IV intitulée: Certaines expropriations pour fins de voirie, c'est-à-dire les articles 55 à 62 inclusivement. Je ne vois pas comment le ministère pourrait poursuivre une réforme en matière d'expropriation sans la proposition d'une loi organique qui vraiment mettrait de l'ordre dans ce domaine et qui pourrait aussi avoir comme objectif de mieux coordonner toutes les activités des corps expropriants, la création d'un tribunal unique, plutôt que d'avoir plusieurs tribunaux qui se chargent des problèmes d'expropriation. Je me demande si le fait de faire disparaître toute la section IV du bill 88 n'aurait pas pour effet de le déséquilibrer à un point tel que la réforme envisagée par le gouvernement et par tous ceux qui l'ont demandée serait mise en péril. Je voudrais que le Barreau du Québec soit plus spécifique là-dessus par l'entremise des procureurs qui sont devant nous et nous dise pour quelle raison grave il demande de distraire du bill 88 toute la section IV. Qu'est-ce qui pourrait être donné en retour pour assurer que la réforme va se faire de la façon qu'elle a été envisagée et qu'elle a été demandée?

M. PINARD (Pierre): M. le ministre...

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Me Pinard.

M. PINARD (Pierre): Nous concevons le bill 88 comme une réforme judiciaire, pas une réforme administrative. Evidemment, nous sommes au fait qu'il y a eu énormément d'améliorations dans l'administration de la voirie, en ce qui a trait au service de l'expropriation, que les praticiens qui font souvent de l'expropriation connaissent bien. Il y a eu depuis quelques années énormément d'améliorations mais il n'en demeure pas moins qu'il subsiste encore aujourd'hui des lacunes très graves.

Je ne veux pas donner d'exemple spécifique; on n'est pas ici pour parler de cas précis, mais je puis vous assurer qu'il existe actuellement un très grand nombre d'industries et de commerces sur la route transcanadienne, secteur est-ouest, qui crient pour avoir de l'argent et qui sont aux prises avec le problème de la réinstallation. Quel que soit le montant de l'acompte que vous leur donnez, quand vous leur en donnez, c'est totalement insuffisant pour couvrir les frais de la réinstallation.

Là, on tombe dans le secteur administratif

qui ne nous concerne pas. Nous sommes prêts à admettre que plus le service d'expropriation du ministère de la Voirie ou du gouvernement provincial va s'améliorer, mieux ce sera; mais cela ne nous regarde pas, c'est de la régie interne. Ce que nous voulons pour les contribuables que nous représentons, c'est une garantie qu'on ne peut plus faire ces abus. Fini. Nous pensons que, quand vous perpétuez le système du dépôt des plans massifs, c'est là qu'est créé le cercle vicieux dont on ne sort pas. C'est très facile de déposer un tracé de 25 milles de long, d'affecter 5,000 personnes et de dire après: On s'est trompé, on devrait en arranger deux milles, faire un rond-point plus grand que prévu ou l'enlever. C'est facile lorsque tout ce qu'il suffit de faire, c'est partir avec un grand rouleau, s'en aller au bureau d'enregistrement pour dire: Ces 5,000 lots sont affectés.

Nous pensons que ce n'est pas pour rien que le gouvernement fédéral qui, en expropriation, dépense autant d'argent que la province de Québec, s'est lui-même — et à ses services qui ont le droit d'exproprier — imposé une procédure qui est si rigide à son égard que ça ne peut plus se produire. En Ontario, c'est la même chose. Avec la loi fédérale aujourd'hui, même les expropriés, que ce soit en groupe ou seuls, peuvent contester l'expropriation quant à l'endroit où elle passe. C'est peut-être exagéré mais, semble-t-il — c'est là la conclusion des comités d'étude qui ont finalement convaincu le gouvernement fédéral de modifier sa loi — c'est à la suite d'un très grand nombre d'abus.

Nous pensons que, tant que les corps publics ont le pouvoir de déposer une feuille de papier qui va massivement affecter 5,000 ou 6,000 personnes, c'est là que le cercle vicieux commence. Quand on dépose une feuille de papier avec un long tracé qui affecte 5,000 lots ou familles, on ne sait pas combien ça va coûter et c'est bien difficile de le mettre dans le budget. On ne sait pas les dommages qu'on va causer, on ne sait pas jusqu'à quel point on va affecter tout un lot ou la moitié. Si on prend seulement la devanture d'une usine, je pense bien que l'arrière et le milieu de l'usine devront aussi être déménagés. Si un gouvernement a un pouvoir aussi abusif — je ne dis pas que les gens de la voirie ou de la ville de Montréal font exprès pour en abuser — je dis que la tentation est grande d'aller vite et de proposer au bureau d'enregistrement une ligne qui affecte tout le monde sans savoir jusqu'à quel point.

On peut faire une ligne et ne pas toucher à l'usine, mais, si on dépose la ligne et qu'on affecte l'usine, ça peut coûter $5 millions au lieu de coûter $5,000 parce qu'il faut déplacer toute l'usine.

Nous disons que cela ne se peut pas que le gouvernement, finalement, qui administre les deniers publics, ne soit pas mieux organisé que cela afin d'éviter ces choses. Nous disons qu'il y a un bon moyen pour empêcher cela et c'est de leur enlever le droit de déposer des tracés qui peuvent affecter autant de personnes sans savoir ce que cela va coûter. Je trouve ça inouï.

Si vous conservez le principe du tracé, conservez tout le reste, parce que cela va ensemble. Il est évident qu'on ne peut pas demander au service des expropriations, — qui est, par ailleurs, très compétent, avec lequel je fais affaire régulièrement — combien cela va coûter. Il ne sait même pas où la ligne passe exactement. Il devrait le savoir. C'est un problème de personnel, d'équipement. Ce n'est tout de même pas le Barreau qui va aller dire au gouvernement comment administrer ces choses. Cela ne nous regarde pas. Nous ne voulons plus que cela se produise. Pour que cela ne se reproduise plus, nous demandons d'enlever ce droit-là. Ainsi, on répondra: Oui, mais le gouvernement a tellement d'obligations ailleurs créer des routes, etc. qu'il faut quand même qu'il garde un peu de ce système.

A cela, nous répondons que la Voirie de l'Ontario doit être aussi bonne que celle du Québec et que le ministère des Transports fédéral doit avoir des problèmes aussi graves que ceux de la province de Québec. Comment se fait-il qu'en Ontario on accepte même la préenquête? En Ontario, un exproprié peut dire: Je m'oppose à ce que le tracé de l'autoroute passe ici. Comme contribuable, je trouve cela fou. J'aimerais mieux qu'il passe là. On va l'entendre. Le tribunal qui va entendre cette préenquête va rendre une décision. C'est peut-être aller trop loin. On ne demande pas d'inclure la préenquête sur la validité d'un tracé dans le bill no 88.

Tout ce qu'on demande, c'est que les corps publics, le ministère de la Voirie, la ville de Montréal ou n'importe quel autre, soient soumis à la même obligation d'envoyer, ce qui est élémentaire, un avis d'expropriation et une évaluation à l'exproprié. Nous, nous disons qu'il ne pourront pas envoyer un avis d'expropriation à nos clients s'ils ne sont pas capables d'y inclure une description technique qui dise exactement combien de pieds ils prennent et s'ils prennent la maison ou non. Ils vont être obligés de mettre une évaluation parce que c'est dans la loi. Alors, s'ils font une évaluation, c'est plus facile, il me semble, de calculer un budget, quand on a des évaluations détaillées et précises dans chaque cas. On répondra à cela que cela n'a pas de bon sens. Cela va prendre deux ans avant qu'on puisse exproprier. Je ne sais pas. On n'a pas fait l'expérience.

Je me dis que, si c'est possible en Ontario, pourquoi cela ne serait-il pas possible ici? Je ne suis pas partisan de ceux qui pensent qu'en Ontario les gens sont plus fins. Je pense que nous sommes aussi fins que ceux de l'Ontario. A ma connaissance, le service des expropriations du ministère de la Voirie est aussi compétent, sinon plus, que celui des Transports à Ottawa. En tout cas, le personnel est très nombreux comparativement à celui du ministère des Transports.

Pourquoi, puisque le gouvernement du Canada et celui de l'Ontario acceptent de renoncer au principe du tracé préliminaire, ne pourrions-nous pas le faire? Nous allons plus loin. Nous disons que c'est le tracé qui est la source des abus. Tant que vous allez endurer ce tracé, acceptez le reste, parce que cela va suivre automatiquement. Si, sur la foi d'un tracé sommaire, on prévoit que les expropriations pour une section de l'autoroute vont coûter $100 millions, il peut très bien arriver qu'elles coûtent $350 millions. Cela va retarder forcément le paiement aux expropriés.

Côté paiement, disons, nous sommes très conscients des efforts que le ministère de la Voirie a faits. Le ministère de la Voirie n'est pas obligé de donner un acompte à un exproprié tant que la cause n'est pas réglée et il le fait dans tous les cas. C'est très louable. Il n'est même pas obligé et il le donne. Mais cet acompte, nous répondons qu'il est insuffisant. Il serait peut-être suffisant si l'évaluation qui accompagne l'avis d'expropriation était faite au moment où les expropriations sont décidées.

On n'a pas l'impression qu'on demande une chose impossible au gouvernement, quand on lui dit: Faites certains sacrifices puis nous ferons les autres. Le principe, c'est que nous ne voulons pas que le bénéfice des travaux publics soit payé par une minorité de citoyens qui s'appellent les expropriés. On peut nous demander: Quelle est votre conclusion, vous les avocats qui pratiquez en droit d'expropriation depuis une dizaine d'années? Notre conclusion, nous, c'est qu'une minorité de citoyens a payé pour des travaux qui ont bénéficié à toute la population et nous sommes nettement contre. Ils ont payé soit parce que cela a pris trop de temps, ils ont payé soit parce qu'ils n'ont pas reçu suffisamment d'argent. Même s'ils en ont reçu suffisamment, ils l'ont reçu en retard et quand ce n'était pas le temps ou ils ont reçu un intérêt de 5 p.c.

Toutes ces choses ne se seraient pas produites si, dès le début, les offres qui avaient été faites avaient été réalistes et s'il y avait eu un avis d'expropriation montrant exactement quelle était l'ampleur de cette expropriation. A ce moment-là, je ne pense pas qu'on aurait pu arriver avec des projets qui devaient coûter $100 millions et qui en ont coûté $200 millions. Nous disons: Ce n'est pas notre affaire, l'administration d'un ministère, ce n'est pas notre domaine, nous n'avons pas à rentrer là-dedans, nous allons directement à la source du bobo et c'est judiciaire. Cela, par exemple, nous regarde. Nous disons: Nous voulons avoir un bon tribunal et avec cela nous en aurons un. Nous vous suggérons quelques amendements pour le rendre plus efficace. Nous disons que huit divisions de deux, c'est plus pratique que cinq divisions de trois parce que cela peut entendre beaucoup plus de causes, cela peut entendre presque deux fois plus de causes. Nous sommes satisfaits du principe du tribunal uni- que, mais nous disons: Vous ne réglerez jamais le problème des expropriations tant que vous allez endurer le tracé. C'est notre conclusion.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maskinongé.

M. PAUL: Me Pinard, si j'ai bien compris, en résumé, votre mémoire sur la portée des articles 55 à 61, vous vous abstenez de porter jugement sur l'administration de l'expropriation du ministère de la Voirie.

M. PINARD (Pierre): C'est ça.

M. PAUL: Vous nous avisez, en tant que légistes, de la nécessité de créer une loi unique applicable à tous. Vous désirez que tous soient traités sur le même pied. Vous ne voulez pas qu'il y ait d'exception pour la ville de Montréal et le ministère de la Voirie. Vous demandez qu'en même temps que l'avis d'expropriation est envoyé il y ait description technique de l'immeuble exproprié ou de la partie de l'immeuble expropriée et dépôt de 100 p.c. de l'indemnité proportionnelle.

M. PINARD (Pierre): C'est ça.

M. PAUL: C'est tout ce que vous demandez?

M. PINARD (Pierre): C'est tout ce qu'on demande.

M. PAUL: Merci.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maisonneuve.

M. BURNS: Je veux simplement remercier Me Pinard. Je suis heureux de dire que c'est une des premières fois où je suis entièrement d'accord sur les recommandations du Barreau. C'est vrai, c'est déjà arrivé avant, une fois, je pense. Mais, de toute façon, je suis entièrement d'accord sur ce que vous proposez, soyez en certain. En ce qui concerne le parti que je représente, c'est exactement la position que nous entendons défendre. Nous espérons que votre homonyme Me Pinard comprendra vos arguments et qu'il se rendra à ce désir, qui est d'ailleurs exprimé très clairement dans le rapport de la commission Alary.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): L'honorable ministre de la Voirie.

M. PINARD: Je voudrais bien être capable de faire avec vous un débat dans l'absolu, mais je me demande à quelle place on pourrait déboucher sur une solution à la fois efficace et pratique.

Au plan de la conscience sociale, cela me fatigue, moi aussi, la façon dont les choses vont,

dans le gouvernement, en particulier dans le ministère de la Voirie, que j'ai la responsabilité de diriger. Je sais que tous les jours, nos décisions affectent des citoyens, par milliers, dans le cours d'une année. Par contre, il y a aussi d'autres besoins qui nous sont exprimés par la majorité de la population, qui veut avoir des autoroutes, aussi bien en territoire urbain qu'en territoire rural, qui veut avoir des édifices publics, qui veut avoir des chemins de fer, qui veut avoir des pistes d'avion, qui veut avoir des barrages hydro-électriques, pour avoir plus d'électricité, pour mieux industrialiser le territoire, et que sais-je encore.

Devant ces nécessités toujours démontrées de façon plus péremptoire et plus spectaculaire par la population, grâce aux nouveaux media d'information, comment le gouvernement agira-t-il pour satisfaire à la fois les uns et les autres? Je ne dis pas, comme vous l'avez souligné tantôt, que les expropriations doivent se faire sur le dos de quelques milliers de citoyens dans la province. Ce n'est pas là mon propos. Mais j'essaie de réconcilier le point de vue du Barreau, qui demande ni plus ni moins que l'abolition de la section IV, réservée à certaines expropriations pour fins de voirie, par rapport à des besoins qui sont exprimés par l'ensemble de la population. Celle-ci veut avoir de meilleures communications, veut avoir une meilleure décentralisation des services publics dans le territoire, veut avoir une plus grande décentralisation de l'industrie sur le territoire du Québec, veut avoir plus de confort, veut avoir plus facilement l'accès aux richesses naturelles et aux ressources de loisirs. Nous nous en allons dans une civilisation de loisirs, mais comment allons-nous l'atteindre? Comment allons-nous y arriver...

M. BURNS: Vous n'êtes pas capables de planifier un peu?

M. PINARD: ... si vous n'accordez pas au pouvoir public non seulement la responsabilité mais le pouvoir d'exproprier?

M. PAUL: Ils ne veulent pas l'enlever au ministère de la Voirie, ils veulent que le ministère de la Voirie et la ville de Montréal, comme tout ordre d'organisme qui a le pouvoir d'expropriation, soient sur le même pied. Pas de faveur pour le ministère de la Voirie, pas de faveur pour la ville de Montréal. C'est tout ce qu'ils demandent.

M. BURNS: Cela vous demande simplement de planifier un peu plus. C'est ce que cela vous demande de faire.

M. PINARD: Non.

M. BURNS: Voyons donc! Par exemple, Me Pinard a parlé, tantôt, des changements de tracés de l'autoroute est-ouest. Imaginez-vous dans quel dilemme les propriétaires ou les locataires se sont trouvés, que ce soient des commerces, des industries ou des simples locataires — si c'était leur habitation — quand vous avez passé de la rue Rouen à peut-être Notre-Dame et de Notre-Dame peut-être à ailleurs. Imaginez-vous. C'est la situation dans laquelle ils se trouvent.

Ils ne vous demandent pas de vous départir de votre pouvoir d'expropriation. C'est parfaitement normal que le gouvernement ait ce droit. Je serais un des premiers à dire que cela n'aurait aucun sens, si le gouvernement voulait s'en départir. Ce qu'on demande, tout simplement, c'est que cela se fasse décemment et que cela se fasse selon les règles normales. Ce n'est pas parce que c'est le gouvernement, et raison de plus si c'est le gouvernement qui a à le faire, il est peut-être plus équipé que n'importe quel autre organisme, n'importe quelle corporation de la couronne pour planifier à long terme. C'est vrai qu'il y a des besoins et c'est vrai que lorsque vous expropriez, très souvent, vous répondez à des besoins, là-dessus, nous sommes entièrement d'accord. Mais nous vous disons: Ne le faites pas sur le dos de l'individu, comme dirait le Ralliement créditiste, le respect de la personne humaine et toute l'histoire. Je suis d'accord là-dessus et je sais que M. Audet est d'accord avec nous là-dessus.

C'est seulement cela que nous demandons. Ce n'est pas compliqué, cette histoire. Il y a la ville de Montréal, l'Hydro-Québec, et après cela, vous allez en trouver d'autres, vous avez entendu l'Hydro-Québec ce matin, vous aurez la Société de la baie James, qui vous dira la même chose.

M. PINARD : Elle est venue.

M. BURNS: Elle l'a dit. Effectivement, j'étais là, d'ailleurs. Vous allez en trouver d'autres, qui vont dire: Nous sommes pressés, nous autres. Nous avons des échéances et tout cela. Planifiez et vous n'aurez pas de problème.

M. PINARD: Si le problème vous apparaît aussi simple que cela...

M. BURNS: Cela se fait ailleurs.

M. PINARD: ... nous allons de nouveau consulter nos services techniques, pour voir jusqu'à quel point cela peut se réconcilier mais dans toutes les séances d'étude et d'information que nous avons tenues, je pense que les problèmes se présentaient de façon beaucoup moins simple qu'on veut bien l'expliquer cet après-midi. Cela me surprend un peu de voir que des avocats qui ont du métier dans le domaine des expropriations viennent nous simplifier le problème de la façon qu'ils l'ont fait, alors que, parfois, ils représentent le gouvernement et que parfois ils représentent la partie expropriées. Je me demande s'il n'y a pas deux genres de plaidoiries qui se font, à certains moments.

M. PAUL: Vos difficultés, M. le ministre, ne seront pas au niveau des services techniques mais au niveau du ministre des Finances. C'est là que se situe le problème.

M. PINARD: J'admets qu'il y a un problème de ce côté-là. S'il y avait possibilité de constituer un fonds en fidéicommis, comme je l'ai fait à une certaine époque, des années 1960 à 1966 mais de façon illégale, à ce qu'on m'a dit, parce que le vérificateur général des comptes...

M. PAUL: C'est égal. Le gouvernement était quand même plus fort dans ce temps-là qu'aujourd'hui.

M. PINARD: ... m'avait surpris dans cette façon de procéder, sauf qu'il n'y a jamais eu de dépassement budgétaire. On m'a dit que c'était illégal; j'ai admis que c'était illégal. Mais j'ai dit: Devant autant de demandes de paiement, que voulez-vous que je fasse? J'avais mis de l'argent de côté et j'affectais une partie des fonds pour payer plus rapidement les expropriés.

C'est vrai que tout le problème du paiement est posé de façon fondamentale. S'il y a possibilité d'en venir à une formule qui permettrait de constituer un fonds spécial qui ne pourrait être touché par le ministère de la Voirie qu'en fonction des paiements à faire aux expropriés, tant mieux.

Je vais en discuter de nouveau avec le ministre des Finances qui est bien sensibilisé à ce problème et je vais lui remettre non seulement le mémoire du Barreau de la province de Québec, mais également les témoignages qui ont été entendus devant la commission. Mais ça va prendre passablement d'argent.

Les 6,500 dossiers actifs représentent, en valeur, quel montant? Au-delà de $100 millions? Il y a 12,000 dossiers actifs d'une valeur globale de $120 millions, pour lesquels nous avons versé $40 millions. Mais ce sont des dossiers qui ne sont pas tous rendus à terme, en ce sens que toutes les négociations n'ont pas été poursuivies pour en arriver effectivement à un règlement final.

Combien faudrait-il annuellement pour être capables de traiter le plus grand nombre de dossiers de façon humaine, efficace et de façon non discriminatoire? Je pense que les analystes en statistiques peuvent nous faire cette étude au ministère et nous dire quel est le montant minimum qui serait requis annuellement pour permettre au ministère de payer rapidement.

Il reste l'autre problème, à savoir si le ministère doit se donner ce pouvoir de déposer un plan général. Il va y avoir des conséquences considérables si le ministère n'a pas ce pouvoir de déposer un plan général. C'est sûr que ça va affecter de façon très sensible, et parfois de façon grave, sa planification à court terme. A long terme, ça me paraît beaucoup plus facile d'atteindre les objectifs visés par le Barreau et dont a parlé tantôt le député de Maisonneuve.

Mais à court terme, et en vertu de la vitesse acquise relativement aux projets déjà en cours et qui doivent se terminer, est-ce qu'il y a possibilité de modifier notre course ou notre procédure? C'est ce que je me demande.

M. BURNS : La simple suggestion que je vous fais en toute bonne foi, c'est de ne pas faire l'erreur de juger une loi à venir en vertu des problèmes actuels que vous avez, qui sont dans un cadre tout à fait autre. Vous nous parlez des dossiers que vous avez en marche actuellement qui vous posent un certain problème, et je le conçois. Il n'y a aucune espèce de doute là-dessus.

Mais je pense que ce serait une grave erreur de juger de la loi à venir, de l'imposition d'un nouveau mode ou d'une nouvelle structure en matière d'expropriation en vous disant que ce n'est pas possible, à cause des problèmes que vous avez actuellement.

Et je trouve que l'ensemble des citoyens du Québec n'y gagnerait sûrement pas et c'est malheureusement un tic — peut-être un tic bien explicable, mais qu'on a en matière de législation — on se dit qu'on ne peut pas aller dans tel ou tel sens parce que: Regardez le problème qu'on a. Alors que le problème qu'on a, on en a hérité en vertu d'un autre système. Et c'est sur ça qu'il est important qu'on se penche.

Comme disait le député de Maskinongé tantôt, ça va être un problème pour le ministère des Finances. Si ça en est un, on trouvera les moyens de le régler. Mais il y a souvent des moments donnés, au moment d'une loi, où il faut donner un coup de barre sérieux. Je pense que c'est un des coups de barre à donner.

Vous allez me dire que c'est énorme, etc. Je comprends tous vos problèmes. Mais de grâce, ne faites pas l'erreur de juger la réforme que vous voulez faire à la lueur des problèmes que vous avez actuellement.

M. PINARD: Je serais bien d'accord avec le député de Maisonneuve, au plan hypothétique, et avec les représentants du Barreau du Québec pour admettre tous ces faits dont vous parlez.

Si le ministère n'a pas le pouvoir d'homologuer pendant une période assez longue qui lui permette vraiment de planifier pour minimiser tous les effets néfastes dont vous avez parlé et que ce pouvoir d'homologation n'est pas assorti de toutes les autres conditions dont on a parlé tantôt: procédures d'analyse et d'évaluation plus rapides, procédures de paiement plus efficaces et plus rapides également, mise à la disposition du ministère d'un budget minimum annuellement pour faire face aux exigences en matière de paiement, je pense qu'à ce moment-là ça ne serait pas possible pour le ministère d'arriver à la réforme proposée. Je me demande aussi, sur la lancée où nous nous trouvons, s'il ne faudrait pas arrêter purement et simplement toute la machine pour faire le rattrapage, pour permettre de régler les cas qui sont en suspens

et qui sont parfois très douloureux — je l'admets personnellement — quitte à repartir avec une nouvelle procédure.

M. PAUL: Voulez-vous dire que vous seriez dans l'obligation de suspendre tous vos travaux d'expropriation pour une période d'un an ou deux?

M. PINARD: J'aimerais bien vérifier avec mes conseillers juridiques, mais surtout avec les spécialistes de la planification et de la construction pour savoir quelles sont les conséquences pratiques du problème soulevé devant nous et qui pourrait être réglé de la façon qu'on l'a envisagé.

M. BURNS: Vous avez le même problème que l'Hydro-Québec, entre autres, a eu au moment de la nationalisation en vertu d'une décision du gouvernement dont vous faisiez partie à l'époque. Il n'a pas arrêté la construction des barrages qui étaient en cours; au contraire, il y en a même d'autres qui se sont additionnés. Cela demandait une injection financière assez forte, mais c'était un geste nécessaire à l'époque. C'est peut-être comme ça que ça doit être envisagé. Remarquez que je ne vous dis pas comment aller chercher vos fonds ou quoi que ce soit; c'est un problème à régler à l'intérieur du cabinet, mais je pense qu'il n'y a aucune hérésie à penser en ces termes. Je veux dire qu'on n'est pas pour arrêter ce qui est en cours; il faudra trouver des moyens de financement pour y faire face, c'est tout.

M. PINARD: C'est-à-dire que, dans le cas de l'Hydro-Québec, 90 p.c. des dossiers d'expropriation sont relatifs à des acquisitions de servitudes. En volume d'argent, c'est loin de représenter le volume global des transactions d'expropriation faites au ministère de la Voirie sur une base annuelle.

M. BURNS: Je vous parlais de la nationalisation en 1962...

M. PINARD: Oui.

M. BURNS: ... et l'année suivante par rapport aux travaux qui étaient entrepris.

M. PINARD: C'est à cause de l'expropriation des actifs.

M. BURNS: Oui, d'accord, mais...

M. PINARD: Ce n'est pas du tout le même domaine.

M. BURNS: ... si on s'était dit à ce moment-là: II ne faudra pas nationaliser parce qu'on va être obligé d'arrêter les travaux ou on arrête les travaux parce qu'on nationalise, j'ai l'impression qu'on aurait été dans la position du chien qui se court après la queue, tout simplement.

M. PINARD: Ce n'est pas un problème de même nature, vous l'admettrez. A ce moment-là, il y a eu...

M. BURNS: C'est un problème de financement.

M. PINARD: ... un emprunt qui a été fait. Cela a coûté quelque $500 millions pour faire l'acquisition des compagnies hydro-électriques et faire l'expropriation des actifs. A ce moment-là, le gouvernement a pris les moyens qu'il fallait pour faire tout d'un coup ce qu'il aurait pu faire par étapes. Cela a été jugé plus économique de le faire de cette façon. Alors, je n'ai pas à reprendre ces débats. On est ici pour écouter, c'est pour ça que la commission parlementaire siège. Vous avez devant vous un projet de loi, il est vrai, mais qui sert de document de travail pour permettre à ceux qui ont demandé d'être entendus de nous donner leur point de vue et de faire des suggestions. Mais je pense que le Barreau du Québec devrait peut-être approfondir davantage le problème pour aider le ministère à trouver la solution la plus efficace, la plus humaine en matière d'expropriation. C'est assez facile de venir dire ce qui ne va pas dans la société, mais c'est plus difficile de venir dire au gouvernement comment on pourrait corriger des choses qui ne vont pas et comment on pourrait régler des situations qui sont douloureuses au plan individuel et, parfois, au plan collectif. Je pense que le corps social comme tel doit être solidaire. Il y a des législateurs, mais ceux-ci représentent, jusqu'à preuve du contraire, un consensus établi par la population qui décide d'accorder à un gouvernement le pouvoir d'administrer en faveur du plus grand nombre, de l'intérêt public, comme on le dit communément. A moins qu'on ne soit en mesure de prouver que le gouvernement n'administre pas en vertu du consensus établi par l'opinion publique ou par le plus grand nombre.

Dans bien des domaines, que ce soit au niveau provincial, fédéral ou municipal, vous aurez toujours le problème de l'individu qui, lui, est brimé dans ses droits fondamentaux, par une disposition quelconque, par une décision prise par un individu, par un corps public ou par un gouvernement.

Est-ce qu'on peut trouver le régime idéal pour empêcher que ces choses-là ne surviennent? Je pense que c'est le temps d'y réfléchir tous ensemble pour ne pas paralyser quand même toute une société qui se doit d'être progressive.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): A la suite de cet échange entre les membres de la commission, je crois que le Barreau aurait quelque chose à ajouter. Alors, Me Pierre Pinard?

M. PINARD (Pierre): Oui, tout à l'heure on a dit qu'il y avait beaucoup de bon dans le bill 88 et que dans son ensemble, on était d'accord

et ce n'est pas pour rien qu'on a dit ça. Exemple, on pense que le pouvoir d'homologuer ou d'imposer des réserves, ce qui est la même chose, répond précisément à ce problème et à cette question, c'est-à-dire que le tracé qui est déposé de façon massive était peut-être pas mal plus nécessaire auparavant, soit à l'époque où il n'y avait pas de pouvoir de réserver. Mais avec le bill 88, tout corps public peut réserver d'avance pour deux ans, au moins, les immeubles dont il aura besoin, sujet à payer s'il y a lieu certains dommages.

Pour ma part, je pense que ça répond aux problèmes futurs, parce que le bill 88 ne concerne pas les 12,000 cas que vous pouvez avoir en suspens dans vos services d'expropriation, il ne les affectera pas. Les 12,000 cas sont là, il va falloir qu'on vive avec eux, ils sont créés. Alors nous disons que le bill 88 s'applique seulement à l'avenir. Donc, à l'avenir, si vous vous donniez le pouvoir d'homologuer ou d'imposer des réserves, pour deux ans, de vous réserver du terrain, c'est ça qui remplace avantageusement le tracé. Nous sommes parfaitement et pleinement d'accord à tout point de vue sur ça, mais nous n'aimerions pas que vous conserviez les deux armes en même temps, soit celle d'imposer un tracé qui cause pas mal de dommages, parce qu'il est fait vite et empêche de faire des prévisions budgétaires, puis, en même temps, le pouvoir d'imposer des réserves.

Nous disons que si vous avez le pouvoir d'imposer des réserves, vous allez payer un peu plus de dommages, mais vous allez en éviter bien plus, puis ça vous évite le problème de faire des tracés massifs. On pense que la solution est déjà dans le bill.

S'il faut accorder des délais de réserves plus longs allongez-les de 2 à 3 ou de 3 à 5, pour autant qu'il y ait une indemnité, nous ne nous y opposerons jamais. Nous nous opposions aux réserves, aux lignes homologuées alors qu'il n'y avait pas d'indemnité. Le bill 88 dit que dorénavant vous avez le droit d'imposer des réserves moyennant indemnité, s'il y a des dommages. On peut bien mettre cinq ans ou dix ans, ça ne me fait rien; mais je pense que la solution est là. Si on comprend bien le principe du tracé par lignes homologuées ou par réserves, pourvu qu'il y ait indemnité, le problème se trouverait réglé.

Quant à ce bill, je n'ai jamais compris que son but était de régler les 12,000 cas en suspens. Le Barreau et moi avons compris que ce bill était pour l'avenir. Alors nous disons: à l'avenir, ne faites plus de choses comme ça, puis vivons avec les 12,000 cas que nous avons. C'est ma conclusion. On ne veut plus que ça se fasse à l'avenir; puis, quant aux réserves, aux lignes homologuées, tous ceux qui ont eu des cas d'expropriation dans la ville de Montréal notamment savent jusqu'à quel point ça peut avoir causé des dommages, seulement pour une raison, c'est parce qu'on ne payait pas d'indemnité.

Alors, avec le bill, on prévoit une indemnité quand il y a des dommages. Alors quelle est l'utilité d'avoir un tracé préliminaire, si on a, d'autre part, le droit de réserver pour des années à venir les terrains dont on aura besoin? C'est l'équivalent d'un tracé quant à moi, sans les inconvénients. Je n'ai aucune objection, le Barreau n'a aucune objection à ce que vous disiez. Nous réservons le tracé suivant qui est une prochaine autoroute entre la ville de Trois-Rivières et Montréal et voici le tracé probable. Et on réserve les terrains à cette fin.

C'est parfait, vous l'avez votre tracé. Nous ne voulons plus de tracé imposé indépendamment des réserves, par surprise, sans qu'on sache qui ça affecte, jusqu'à quel point, sans qu'on sache combien ça coûte. Nous pensons que le bill 88 a été bien conçu de ce côté-là.

Si on accorde plus d'importance au système de réserve qui est prévu dans ce bill-là, si on l'améliore un peu, peut-être pour vous donner plus de pouvoirs, nous pensons que la nécessité du tracé disparaît. Nous, personne ne nous a démontré la nécessité du tracé contre les arguments que nous apportons. Nous ne connaissons pas les arguments qui font que le tracé est nécessaire, personne ne nous l'a jamais dit. Tout ce que nous savons, c'est pour quelle raison ce n'est pas bon. Nous vous disons pourquoi nous pensons que ce n'est pas bon mais j'aurais bien aimé entendre quelqu'un m'expliquer pourquoi c'était nécessaire d'avoir un tracé préliminaire, obligatoire. Jamais personne ne l'a démontré. On me dit que ce matin l'Hydro a fait un exposé qui était très bien à ce sujet-là. C'est possible que l'Hydro ait des besoins particuliers, mais cela deviendrait une exception qui confirmerait la règle. Nous pensons qu'avec le principe des réserves le problème de l'Hydro, comme celui de la voirie, serait réglé. La ville de Montréal, dans le passé, a abondamment et je dirais presque à mauvais escient utilisé le principe d'homologuer. Aujourd'hui, avec le bill 88, cela ne nous fait plus rien parce que s'ils causent des dommages ils vont être obligés de payer. C'est un outil extraordinaire, ce principe de la réserve, si on sait s'en servir. C'est ce que je prétends.

M. PINARD: Si vous enlevez au ministère de la Voirie, en vertu de l'article 56, le pouvoir de déposer un plan général, est-ce que vous ne croyez pas que cela va encourager la spéculation, qui est déjà un fait bien connu et qui a pu coûter à la province des sommes assez fantastiques?

M. PINARD (Pierre): La réserve, M. le ministre, répond encore à cette question. Si le bien était réservé, il ne pourrait plus y avoir de spéculation sur ce bien. Cela ne coûte rien, pour le moment, au gouvernement d'imposer une réserve. Je trouve cela bon. Cela garantit à l'individu qu'il va avoir une indemnité s'il subit des dommages. Je trouve cela extraordinaire, cette idée-là.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Je crois que Me Fafard a quelque chose à ajouter.

M. FAFARD: C'était dans ce sens-là, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Me Marquis.

M. MARQUIS: J'endosse, évidemment, toutes les remarques du Barreau mais je voudrais attirer votre attention sur un point. Ce qui fait mal, M. le ministre, ce n'est pas tellement le dépôt d'un plan général. Je veux rejoindre une remarque que vous avez faite. Soit cet après-midi, si M. le Président me le permet, ou demain, je vais représenter le Bureau d'assainissement, où l'on procède en vertu des lois de la voirie. Il n'y a pas nécessairement contradiction entre le dépôt d'un plan général ou l'autre. Mais où cela fait mal, c'est le deuxième article, le paragraphe a) de 56. Lui fait mal, parce que vous dites: Le ministère de la Voirie ou l'Hydro ou le Bureau d'assainissement. Plus on est gros, plus on fait mal à l'exproprié, moins on lui donne la chance de se reprendre. Plus il y a de l'expropriation en volume, plus on les assomme. Vous excuserez la franchise de mon langage, mais c'est cela. Si c'est une petite municipalité, qu'elle a besoin d'un petit bout de chemin, elle ne fait pas mal au gars, on dit: Elle va verser 100 p.c. de l'indemnité provisionnelle. Si c'est un gros corps public qui en frappe 300 du coup, on dit: L'Etat n'a pas les moyens, qu'il en donne seulement 50 p.c. C'est seulement cela qui fait mal. Ne vous fatiguez pas, les règles d'exécution, les articles du code de procédure civile qui pourraient nous permettre de saisir l'indemnité après un jugement de la cour Supérieure ou de la cour d'Appel ou de la cour Suprême ne s'appliquent pas à vos ministères. Nous n'avons jamais été capables de vous saisir, depuis 1960 que j'essaie! Je n'ai trouvé aucun moyen d'exécution de jugement contre la couronne. Que vous soyez condamnés par un juge de la cour Supérieure à payer 100 p.c. de l'indemnité provisionnelle ou 50 p.c, donnez donc au moins une chance à l'exproprié d'avoir un jugement et une créance pour aller convaincre son gérant de banque, si vous voulez bien consentir à lui donner un taux d'intérêt normal, à le financer, c'est-à-dire — excusez-moi — à financer le gouvernement. C'est aussi simple que cela. C'est cela qui fait mal.

Ce qui fait mal, c'est le pauvre diable qui ferme son commerce, sa boucherie, son épicerie, son salon de barbier et vous lui donnez 50 p.c. de l'indemnité, quand vous voulez bien le lui donner parce que le jugement n'est pas exécutoire. Vous dites au gars: Va à la banque. Le gérant de la banque dit: Ecoute un peu. Des indemnités d'expropriation on connaît cela. C'est payé quand on veut. Au moins donnez-nous la chance que ce gars-là ait une créance dans ses mains. Qu'il ait quelque chose pour repartir. Vous lui dites: Va-t-en, le gouverne- ment n'a pas d'argent pour te payer, il t'avance seulement $0.50 dans la piastre et va te débattre pour le reste. C'est là que cela fait mal. Je vais vous faire des représentations au nom du Bureau d'assainissement. Elles contredisent un peu celles du Barreau.

M. PINARD: Cela va disparaître. M. MARQUIS: Pardon?

M. PINARD: Cela va disparaître, la contradiction, parce que vous plaidez bien.

M. MARQUIS: Je vais vous arranger cela. On a besoin du dépôt général au Bureau d'assainissement. Je vais consentir au nom de mes clients, le Bureau d'assainissement, si vous nous passez l'indemnité provisionnelle, à la verser à 100 p.c. même si on a des modes d'exécution contre nous. Je trouve que c'est ce bout-là qui n'est pas équitable. Il n'est pas juste de faire porter par l'exproprié ce que la couronne n'est pas capable de payer. Ce n'est quand même pas le problème de Jos Bleau, le long de la route, de financer l'Etat. Je comprends le problème de l'Etat, mais Jos Bleau ne le comprend pas et le gérant de la caisse populaire ne le comprend pas. C'est cela qui est difficile.

Je ne veux pas me dissocier du Barreau; le principe du dépôt du plan général est parfait. Au niveau pratique, je comprends parfaitement l'Hydro-Québec d'avoir fait ses représentations. Je comprends parfaitement les officiers du ministère de la Voirie qui sont chargés de l'exécution de la loi au niveau de l'administration et qui disent: Cela nous prend absolument cela. Je vais comprendre parfaitement cela pour le Bureau d'assainissement que je représente. Cela me permet, si vous voulez, de comprendre cela.

M. PINARD: Vous préparez votre cause de demain.

M. MARQUIS: Presque. De toute façon, ce n'est pas là que ça fait mal. Le dépôt général, qu'on en dépose 300 ou 1 à la fois, ce qui fait mal, c'est de ne pas reconnaître une indemnité ou de la reconnaître à 50 p.c. Ce qui fait mal, c'est de faire attendre un exproprié pendant deux ou trois ans. Ce qui fait mal — je vais me placer au point de vue de l'exproprié et je vais exagérer un peu, je m'en excuse — c'est de le faire mettre à genoux pour aller chercher le reste de sa galette. Cela arrive souvent, M. le ministre, de bonne foi ou de mauvaise foi.

Il y a les lenteurs des tribunaux et l'exproprié attend ses $0.50 dans la piastre selon votre article 56. A un moment donné, il saute dessus et il exige une quittance finale. Un tribunal, ça prend quelquefois un an ou deux, pour un tas de raisons. Pour la galette, on le fait mettre à genoux et ça, ça fait mal. J'ai vu gagner des causes à quatre ou cinq fois l'offre. M. le

ministre, je ne veux pas faire de politique, mais ce n'est pas loin de votre comté — je n'ose pas dire dans votre comté — et c'est le syndic qui a touché l'indemnité. Cela faisait dur. Le syndic a touché l'indemnité, pourquoi?

M. PAUL: Est-ce à cause du retard de la Voirie à payer?

M. MARQUIS: A cause du manque d'acompte. Le gars s'est mis à poser une série de faux gestes. On lui a dit : Déménage ton restaurant. Il est parti et est allé voir un entrepreneur. Il a dépensé $50,000 et il était pris de panique. Il y avait un créancier hypothécaire qui lui poussait dans le dos. Les corporations municipale et scolaire ne voulaient pas reconnaître que les taxes étaient arrêtées et tout le monde lui poussait dans le dos. Il avait une troisième hypothèque là-dessus. Il venait de se bâtir de peine et de misère. Il avait investi une centaine de mille dollars.

La Voirie, avec raison, contestait notre réclamation. Je ne m'obstine pas là-dessus, c'était son droit. Ce n'était cepandant pas avec raison car elle a eu tort dans le jugement. Elle défendait les droits du gouvernement et disait que l'indemnité réclamée n'avait pas de sens. Les créanciers hypothécaires, à 10 p.c. et 12 p.c, ne nous laissaient pas la paix. Mon gars a pris une décision. Il a engagé un autre entrepreneur. Il a déménagé dans un mauvais endroit; il a fait une très mauvaise affaire. Il a repris son restaurant, il est revenu où il était. Il a dépensé $100,000, à part les frais de finance, deux coups de $50,000 pour le déplacement. L'offre de la Voirie, à cette époque, était de $100,000. J'ai reçu le jugement de $225,000 et c'est une des plus belles causes que j'ai jamais gagnée, mais c'est un syndic de Québec qui a touché l'indemnité. C'est aussi simple que cela.

Mon gars, aujourd'hui, est cuisinier assistant, même pas premier cuisinier dans un autre restaurant. Il avait une "business" en or. Un cas d'exception?

M. PINARD: Non, ce n'est pas cela.

M. MARQUIS: Je ne veux pas vous ennuyer, M. le ministre.

M. PINARD: Je le connais bien, moi aussi, ce gars-là.

M. MARQUIS: Je pourrais vous en citer une partie de l'après-midi.

M. PINARD: De mémoire, je pourrais vous donner le nom.

M. MARQUIS: D'accord.

M. PINARD: C'est le frère d'un autre.

M. MARQUIS: Oui. Je peux vous en citer une partie de l'après-midi.

M. PAUL: Tous deux sont les fils de la même mère?

M. MARQUIS: II y a des opérateurs qui se sont retrouvés épiciers-bouchers. Tous des gens dans le commerce.

M. GAGNON: Des propriétaires et d'autres individus, c'est vrai. On pourrait en parler longtemps, je partage votre opinion.

M. MARQUIS: On pourrait en parler tout l'après-midi. J'ai pris un cas facilement identifiable.

M. GAGNON: Ce sont les pouvoirs de la loi.

M. MARQUIS: Que la loi donne des pouvoirs, je suis pour cela, mais que l'Etat se rende à ses obligations.

Vous savez, on part de l'article 407 du code de procédure civile, qui n'était pas si bêtement rédigé. Il dit: "Nul n'est tenu de céder sa propriété si ce n'est que pour fins d'utilités publiques et moyennant juste et préalable indemnité." Là, on en est rendu à des jugements non exécutoires pour 50 p.c. de l'indemnité provisionnelle. On est loin de là. Si on n'était pas si loin du code Napoléon, peut-être que cela aurait plus de sens. C'est ce qui fait mal aux expropriés.

M. GAGNON: Non, mais la Loi de l'expropriation avait été amendée en 1964 ou 1965, je crois.

M. PINARD (Pierre): Pas dans cette optique, M. le député.

M. GAGNON: Non, mais je me rappelle que M. Johnson avait fait une critique dans le genre de celle de monsieur. Le ministre se donnait des pouvoirs énormes. C'est incontestable. D'ailleurs, le rapport du Protecteur du citoyen qui est sorti depuis deux mois, lisez-le donc! Vous allez voir. Ce sont les officiers du gouvernement qui appliquent la loi, en vertu de l'esprit de la loi. La loi est trop considérable et le Protecteur du citoyen a été assez sévère envers le ministère de la Voirie.

Allez voir en Gaspésie. Je peux donner des cas précis au ministre. C'est épouvantable. On n'a pas fait de dépôt de plans aux propriétaires. On a dit: On fera une élévation de terrain. A 35 pieds de la propriété, on a élevé des routes de 15 pieds au-dessus de la propriété. La propriété du type ne vaut plus rien et le gouvernement ne veut pas payer. J'ai dit à ce type: Voyez le Protecteur du citoyen. On a envoyé un rapport sévère au ministère de la Voirie, disant: Un instant!

M. PINARD: M. le Président, je soulève une question de règlement. Je n'accuserai pas le député de faire ce qu'on appelle de l'électoralisme, parce qu'il parle des cas de son comté.

M. GAGNON: Un instant, M. le Président. Ce n'est pas de l'électoralisme...

M. PINARD : II faudrait que le député regarde les dispositions du bill no 88 qui vont mettre précisément fin à cette situation.

M. PAUL: C'est le respect de la personne humaine.

M. PINARD: En cas d'exhaussement de terrain, il va y avoir une indemnité qui va être prévue, qui ne l'était pas en vertu des dispositions de la Loi de la voirie. Les fameux articles 25 et 97 b). Si le député avait lu son projet de loi, il verrait qu'il ne peut pas critiquer le projet de loi comme tel.

M.GAGNON: Non, mais le monsieur a dit tout à l'heure de déposer les plans...

M. PINARD: II parle d'une situation passée par rapport au projet de loi no 88.

M. GAGNON: Je l'ai lu et le ministre s'empresse évidemment d'apporter une correction à la suite des demandes du Protecteur du citoyen. Mais ce que je veux dire, c'est que, quand M. Pierre Pinard a dit...

M. PINARD: Donc, il n'y a pas eu d'amendement à la loi, comme vous l'avez dit, en 1964.

M. GAGNON: ... de déposer des plans, des copies de plans à chaque propriétaire qui va être exproprié, je trouve cela merveilleux. Je crois que vous allez éviter des problèmes qui sont causés au ministère de la Voirie parce que vous ne l'avez pas fait. Les problèmes sont peut-être plus gros que si vous l'aviez fait, en déposant à chaque propriétaire un projet de plan, la grandeur du terrain qui sera prise, l'élévation du terrain et l'indemnité. Je crois que cela résoudrait des problèmes énormes.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous allons entendre, si vous voulez, la voix sage du député d'Abitibi-Ouest qui a demandé la parole depuis un certain temps.

M. AUDET: Merci, M. le Président. Si je comprends bien, après tous ces pourparlers, ce qui fait réellement mal aux citoyens, c'est de ne pas être payé.

M. PINARD (Pierre): C'est ça. Une expropriation bien faite... J'en fais pour le Bureau d'assainissement. J'ai 226 causes réglées. On n'a pas fait de cadeau. Nous prétendons avoir payé une juste et valable indemnité et nous n'avons pas une cause de plaidée. Je suis convaincu que nous n'avons pas fait de cadeau.

M. AUDET: D'après ce que le ministre a dit tout à l'heure, je crois que le fait de ne pas payer à temps, c'est plus à cause du manque d'argent que du fait que la procédure est trop longue. Ne concluez pas trop vite, ce n'est pas ce que je veux dire du tout. Tout à l'heure, le ministre a dit lui-même qu'il s'était formé une réserve, à l'insu de la loi probablement — je ne suis pas au courant — mais vous aviez trouvé cela bien pratique pour payer des cas qui nécessitaient d'être payés immédiatement.

Ne serait-il pas possible de légaliser une façon de se faire certaines réserves, afin d'avancer les paiements ou les retarder le moins possible? Puisque c'est un cas de budget.

M. PINARD (Pierre): C'est payable à même le fonds consolidé. C'est prévu dans la loi. Les indemnités d'expropriation sont payables à même le fonds consolidé. Temporairement. Si c'est pour coûter $50 millions et vous mettre à jour sur 100 p.c. de l'indemnité provisionnelle, allez dans le fonds consolidé et après, vous reviendrez dans le budget.

M. PAUL: La loi parle pour l'année 73/74, à l'article 127 de la loi...

M. PINARD (Pierre): Oui, mais les indemnités d'expropriation, en vertu de la Loi de la voirie, sont payables à même le fonds consolidé.

M. PAUL: Ah! Très bien.

M. PINARD (Pierre): C'est un grand mot qui a toujours voulu dire quelque chose, mais qui n'a jamais servi pour ça, blague à part.

M. PINARD: C'est à même des allocations données à chacun des ministères, une fois fait, le partage des budgets M. Marquis. Vous avez une somme globale à être divisée entre tant de ministères annuellement après une planification budgétaire. C'est clair que le ministre de la Voirie demande toujours beaucoup plus d'argent, et c'est toujours jugé un peu déraisonnable ce qu'il demande.

M. MARQUIS: Alors l'expression "payable à même le fonds consolidé" se confond avec "payable à même le budget du ministère de la Voirie".

M. PINARD: Le fonds consolidé, c'est ce qu'on appelle le budget général de la province, mais une fois qu'il est divisé entre 24 ministères, vous avez chacun une tranche du budget.

M. MARQUIS: Et vous n'avez pas le droit de le défoncer et de demander un douzième supplémentaire.

M. PINARD: Et chaque année le budget de la Voirie augmente très sensiblement par rapport au budget des autres ministères, sauf dans le cas du ministère des Affaires sociales et du ministère de l'Education où il y a eu quand

même réduction sensible du budget afin d'accorder plus de crédits en immobilisation, pour permettre au ministère de la Voirie de rattraper les retards dans le domaine de l'expropriation, entre autres. Mais ce n'est jamais suffisant pour en arriver à la situation idéale que vous avez décrite tantôt où vous dites que 50 p.c, c'est beaucoup mieux qu'autrefois puisqu'on ne l'avait même pas, et que le ministère n'avait aucune obligation légale de déposer les offres équivalant à 50 p.c. de la valeur. On l'a fait simplement par une modification de notre procédure interne, sans attendre la réforme législative.

M. MARQUIS: D'accord.

M. PINARD: Mais vous dites que ce n'est pas suffisant. Si c'est 100 p.c, i faut calculer combien ça coûte annuellement. Ou bien j'anéantis complètement mon programme de construction pour en venir à payer tous les dossiers qui sont en suspens, quitte à repartir avec un budget beaucoup plus considérable à une époque donnée, je ne sais pas laquelle, et avec des nouvelles prévisions budgétaires qui seront incorporées dans la réforme de l'expropriation.

M. MARQUIS : Je ne veux pas engager un débat, M. le Ministre, mais depuis quelques années vous avez versé dans un grand nombre de dossiers des acomptes basés sur sensiblement l'évaluation municipale ou 75 p.c. de l'indemnité offerte. Ce sont des cas fréquents. Honnêtement, aller faire disparaître l'article 56 a), si les chiffres étaient vraiment tablés, des dossiers pour lesquels vous avez des acomptes de versés déjà librement, comme vous dites, parce que le ministère n'avait aucune espèce d'obligation légale, ça s'est fait, et ça s'est fait, moi du moins, je suis obligé de le dire, dans le cas de la majorité des dossiers que j'ai à mon bureau. Je ne sais pas ailleurs, mais je sais qu'il y a un grand nombre de dossiers pour lesquels cela s'est fait: soit l'évaluation municipale, soit 75 p.c. de l'indemnité offerte. Je ne pense pas que le trou que vous prévoyez pour faire le saut de 50 p.c. à 100 p.c. soit si gros que ça, parce qu'à 50 p.c. ainsi de l'évaluation municipale ou de l'indemnité provisionnelle, vous allez avoir des notes de crédit. Je vais vous citer des cas d'édifices sur Dufferin où on a eu la totalité de l'évaluation municipale. Si je prends l'article 56 tel que rédigé, je vais vous envoyer une note de crédit, M. le ministre, dans ce cas-là. Ce sont des faits, ce n'est pas si gros que cela cette affaire-là. Mais le principe serait sauvé et on ne ferait pas porter à un individu les déficits de l'Etat. C'est ça qui est malsain. C'est contre ça surtout qu'on en a. Ce sont les conséquences.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: M. le Président, je crois que le grand malaise fondamental et inévitable, c'est que, chaque année, le gouvernement présente un budget déficitaire, et cela se répercute d'année en année. Ces budgets doivent être comblés par des emprunts qu'on ne remboursera jamais mais sur lesquels on va toujours payer de l'intérêt. C'est clair, c'est vrai.

M. PAUL: Quelle est votre solution?

M. AUDET: Vous la savez. Ce serait beaucoup trop long à expliquer.

M.PAUL: Je ne vous demande pas de l'expliquer, je vous demande juste de nous la signaler une fois de plus.

M. AUDET: J'aurais une autre question, M. le Président.

M. PINARD (Pierre): La raison pour laquelle le Barreau pense que le tracé déposé à l'avance doit être abandonné, c'est précisément ça. On n'a peut-être pas été assez clair, tout à l'heure, quand on a dit que ce qui fait mal, c'est que l'individu ne se fait pas payer. Il ne se fait pas payer, pas parce que les gens de la Voirie ne veulent pas, mais parce qu'ils n'ont pas les disponibilités, il n'y a plus d'argent dans le budget. Nous disons: II n'y a plus d'argent dans le budget parce que l'autoroute qui, au point de vue de l'expropriation, devait coûter $100 millions, coûte $300 millions. Nous disons que c'est ça qui va arriver chaque fois et tant et aussi longtemps que vous allez conserver le tracé, parce que quand vous déposez un tracé, vous n'êtes pas en mesure de dire combien cela va coûter, ce qui veut dire que vous allez perpétuer à l'infini et pendant l'éternité ce système tant que vous allez le conserver. Je suis d'accord avec Me Marquis sur le point que c'est de ne pas se faire payer qui fait mal.

Mais pourquoi les gens ne se font-ils pas payer? Ce n'est sûrement pas parce que le gouvernement ne veut pas. C'est qu'il n'a pas les moyens. S'il n'a pas les moyens, c'est que les expropriations coûtent plus cher que prévu. Si elles coûtent plus cher que prévu, c'est qu'on ne l'avait pas prévu. Si on ne l'avait pas prévu, c'est qu'on a procédé par un tracé qui ne dit pas combien cela coûte. Donc, conclusion: tant que vous aurez le tracé, vous allez défoncer vos budgets; les gars ne seront pas payés et ils vont attendre.

Même si vous disiez: On va payer 125 p.c. à l'article 56 b), vous ne les paierez pas plus que vous ne payez les 75 p.c. ou 50 p.c. à temps parce que l'argent n'est pas là. L'argent n'est pas là parce que, dès la première moitié des règlements de causes, les budgets se trouvent défoncés. Je pense que c'est le vice du système. Le tracé, c'est une procédure facile. C'est facile de dire: On passe là. Combien cela coûtera-t-il à peu près? Mais l'a peu près conduit à tout coup à un budget défoncé, sans mauvaise foi de la part de qui que ce soit.

Nous sommes conscients que le gouvernement veut payer les gens qu'il affecte. Pourquoi ne les paie-t-il pas? C'est toujours la même histoire. C'est que cela coûte plus cher que prévu. Il y a plus de cas que prévu et ceux qui étaient prévus coûtent beaucoup plus cher qu'on ne l'avait dit. Alors, tant qu'on endurera le tracé, on se trouvera... En somme, pourquoi vivre plus haut que ses moyens? Ce n'est pas à moi de faire de la politique. Le Barreau se dit: Nous ne ferons pas de politique, mais nous voudrions avoir un mécanisme qui empêche cela. Le mécanisme, c'est d'ôter le tracé. Vous avez la procédure des réserves, là-dedans. On pense que la solution au problème des prévisions de tracés, à long et à court termes, se trouve dans les réserves. Si vous appliquez bien vos réserves, vous n'aurez plus besoin de recourir à des tracés surprises. Dès que vous arrêterez de recourir à des tracés surprises, vous arrêterez de défoncer les budgets, parce que vous saurez d'avance à peu de choses près ce que cela coûtera.

C'est la seule raison pour laquelle nous nous opposons aux tracés. Ce n'est pas parce qu'administrativement ce n'est pas bon. C'est très bon. C'est l'affaire la plus efficace. C'est le blitzkrieg, c'est la taxe surprise. Avec un tracé surprise, vous ne manquez jamais votre coup. A tout coup, vous défoncez votre budget, cependant. C'est seulement pour cela que nous sommes contre.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: Dans un autre ordre d'idées, pour faire en sorte que tout ne s'éternise pas au niveau du tribunal d'expropriation, qu'il ne se forme pas de listes d'attente de dossiers devant le tribunal, accepteriez-vous que les cas d'entente à l'amiable puissent se faire sans obligatoirement passer devant le tribunal?

M. PINARD (Pierre): En pratique, M. le Président, je pense que c'est un peu ce qui se fait, c'est-à-dire que les causes sont réglées. Celles qui ne sont pas réglées vont à la Régie des services publics, actuellement, ou iront devant le tribunal d'expropriation.

M. AUDET: Avec le bill 88, ce ne serait pas cela.

M. PINARD (Pierre): Nous disons qu'il ne devrait pas y avoir de longues listes d'attente. La liste d'attente ne devrait pas durer longtemps. Cela devrait venir rapidement à terme, si vous nommez un nombre suffisant de gens compétents à ce tribunal. Nous prétendons qu'avec six divisions de deux membres pour la région de Montréal et deux de deux membres pour la région de Québec, le problème devrait être sous contrôle. C'est ce que nous pensons, en nous basant sur les statistiques actuelles de la

Régie des services publics, celles que nous possédons nous-mêmes au Barreau. Je pense bien que la grande majorité des causes sont réglées, de sorte que la régie n'absorbe que le résidu, les 10 p.c. ou je ne sais combien qui ne se règlent pas. Mais il y en a quand même un très grand nombre.

Telle que constituée, actuellement, la régie ne peut pas suffire. C'est clair. Nous disons: Six divisions de deux, à Montréal, avec possibilité de siéger à trois, s'ils le veulent — cela les regarde — et deux de deux, à Québec, devraient suffire. Il ne faut quand même pas créer un tribunal trop gros, non plus. Nous pensons que seize membres, répartis de la façon que nous le suggérons, devraient normalement empêcher qu'un citoyen n'attende six mois, neuf mois ou un an avant que sa cause puisse passer. Peut-être que, dans la première ou deuxième année, à cause de l'accumulation des causes déjà pendantes, cela prendra un petit peu de temps, mais nous croyons que cela se régularisera sur une période d'un an ou deux, si le tribunal est constitué un peu de la façon dont nous le suggérons.

Nous pensons que l'obligation de siéger à trois, ce n'est pas mauvais. Ce peut même être excellent dans certains cas. Mais nous pensons qu'on peut faire plus de divisions avec deux membres qu'avec trois membres.

M. AUDET: Croyez-vous que c'est nécessaire que tous les cas, à 100 p.c, passent devant le tribunal?

M. PINARD (Pierre): Non.

M. MARQUIS: II faut s'entendre. Si l'exproprié n'est pas satisfait de l'offre d'indemnité, la seule arme qu'il a pour faire modifier son offre, c'est d'être devant le tribunal pour faire avancer sa date d'enquête ou d'audition. N'enlevez jamais ce droit à un contribuable exproprié. Je pense que ce serait atroce si on disait qu'on enlève le recours aux tribunaux en expropriation. C'est la seule arme qu'a l'individu. L'arme ne s'exerce pas simplement le matin de l'audition de la cause.

M. AUDET: Mais s'il y a une entente à l'amiable, ce n'est pas nécessaire d'aller au tribunal.

M. MARQUIS: II n'y a pas besoin d'aller en cour, comme pour un accident d'automobile.

M. PINARD : La plupart se règlent à l'amiable.

M. MARQUIS: La plupart, mais n'enlevez jamais cette arme à quelque citoyen que ce soit, exproprié ou pas. C'est la seule arme que nous ayons.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de l'Assomption.

M. PERREAULT: Me Pinard, je crois que vous vous acharnez sur le plan général d'un tracé, et de ce qui a été dit, on peut comprendre que c'est plutôt le financement qui est en cause, parce qu'aujourd'hui, avec le bill 48, sur l'évaluation foncière on peut déterminer la valeur globale d'un tracé assez facilement, car, dans toutes les municipalités, en vertu du bill 48, les terrains et les édifices sont évalués à la valeur réelle.

Il y a à ajouter un facteur de plus-value, si on veut. On peut déterminer facilement — je l'ai fait comme maire précédemment — en vertu des jugements de la régie, établir combien va coûter un tracé. Ce n'est pas difficile à faire. Le problème est d'avoir l'argent en réserve pour le tracé. C'est un autre problème. Mais déterminer combien coûte le tracé...

Parce que le tracé est un outil tout simplement et ça évite la spéculation d'avoir un tracé d'avance. C'est là qu'est le jeu de la spéculation.

M. MARQUIS: Je pense que l'évaluation municipale, si elle est bien faite — et ça reste à voir — ne vous donnera quand même pas le montant des dommages qui sont souvent beaucoup plus considérables que la valeur même de la propriété.

M. PERREAULT: C'est bien évident, mais comme premier versement, j'ai fait plusieurs expropriations quand j'étais maire et le facteur de conversion d'évaluation municipale...

M. PAUL: II paraît que cela coûtait très cher.

M. PERREAULT: Oui, ça coûtait très cher pour de petites causes. J'en parlerai dans ma deuxième question tout à l'heure. Ce que je voulais dire, c'est que le facteur moyen était à peu près à 1.45 p.c. de l'évaluation municipale dans ce temps-là. C'est facile à établir à ce moment-là.

M. PINARD (Pierre): Radio-Canada à Montréal a coûté 2.5 fois l'évaluation municipale.

M. PERREAULT: Oui, parce que l'évaluation municipale n'était pas exacte.

M. PINARD (Pierre): Elle était à 85 p.c, de l'avis de M. Godin, de la valeur réelle de la propriété.

M. PERREAULT: Oui, mais il y a maintenant une loi sur l'évaluation municipale avec manuel d'évaluation. Je ne sais pas si vous avez pris connaissance du bill 48, mais...

M. PAUL: Voulez-vous me dire où est appliqué le bill 48?

M. PERREAULT: II va être appliqué. Il est sanctionné.

M. PAUL: Un instant. On ne l'a appliqué encore nulle part.

M. PERREAULT: Deuxième question, est-ce qu'il n'y aurait pas possibilité, d'une manière similaire au tribunal de petites créances, de créer à l'intérieur du tribunal d'expropriation une section pour les petits montants d'expropriation, pour éviter le tralala judiciaire et les frais encourus?

M. PAUL: Ainsi, les ingénieurs ne pourront jamais être nommés arbitres ou experts.

M. PERREAULT: C'est la question que je vous pose. Ne voyez-vous pas la possibilité qu'il puisse y avoir une section?

MME AUDETTE-FILION: Je crois qu'il n'y a aucun tribunal où une partie ne peut pas se présenter elle-même, si elle le désire.

M. PERREAULT: Je vous demande pardon, parce qu'on m'a refusé déjà de comparaître à la Régie des eaux. Il a fallu que j'aille chercher un avocat, pour moi-même.

M. PINARD (Pierre): Chose certaine, c'est que la majorité des frais — frais légaux ou d'expertise — sont remboursés et sont taxables contre la couronne. Les frais, d'après moi, ne posent pas de problèmes s'ils sont taxables contre la couronne. Et comme actuellement la majeure partie, pour ne pas dire la totalité des frais d'expertise, sont remboursés par la couronne, suivant jugement, ainsi que le mémoire de frais de l'avocat, il n'y a pas trop de problèmes de ce côté-là.

Si le ministère de la Voirie et la ville de Montréal prennent la peine de se munir d'un service juridique et d'experts pour faire leurs causes, je trouve que le citoyen lui aussi devra avoir ce droit élémentaire d'en avoir lui aussi, si ça lui tente, un avocat ou un expert pour ne pas être dans une position défavorable.

Je n'ai jamais vu jusqu'à maintenant un corps public qui ne se faisait pas représenter par des batteries d'avocats et des batteries d'évalua-teurs dans les causes d'expropriation. Pourquoi le simple citoyen n'aurait-il pas ce droit? La question qui se pose c'est: Qui va payer les frais? Si les frais sont payables par la couronne, il n'y a pas de problème.

M. PERREAULT: S'ils sont payés par la couronne et si une partie est payable par l'exproprié, ce sont des frais additionnels qu'il doit payer.

M. MARQUIS: Monsieur, il faudra s'entendre sur ce que vous appelez frais additionnels qu'il doit payer. Je travail à 10 p.c. sur la différence et j'ai dit que la journée où je ne serais plus capable de faire mes frais j'arrêterais de pratiquer sur cette base.

M. PERREAULT: Ce n'est pas la pratique de tous les avocats.

M. MARQUIS: En expropriation, monsieur, ça l'est.

M. PINARD (Pierre): C'est le tarif officiel du Barreau.

M. MARQUIS: C'est le tarif officiel du Barreau. Je ne prétends pas que ce sont des frais additionnels; si on n'est pas capable de justifier ses honoraires dans cette ligne, on n'en fait pas longtemps. Je parle en mon nom personnel et au nom du Barreau.

C'est une des lignes dans lesquelles l'avocat, avec le tarif recommandé par le Barreau, 10 p.c. de la différence entre l'offre et le montant obtenu, gagne sa vie. Et tous les cents de 10 p.c!

M. PERREAULT: Je reviens à cette question, prenons le témoignage de l'Hydro-Québec, lorsqu'il y a des centaines de parties de lots et qu'on doive avoir tout le tralala judiciaire alentour de chaque partie expropriée, c'est là où ça prend du temps. Si on pouvait régler de manière plus simple ces cas-là, on aurait plus de chances que les gens n'en souffrent pas.

M. MARQUIS: Je ne pense pas qu'il soit question pour l'Etat, en plus de ne verser que 50 p.c. — je tiens ça pour acquis — de l'indemnité provisionnelle, de dire aux expropriés: Vous allez faire face à toute notre batterie d'avocats et d'experts sans avoir, vous autres, la permission de venir établir cela. On est quand même en droit immobilier, ce n'est pas un chèque sans provision de $10, cette affaire-là. Le gars, c'est son bien que vous attaquez en expropriation, ce n'est pas un chèque qu'il a donné la veille, ce n'est pas une petite créance. Vous vous attaquez au droit immobilier, n'allons pas trop loin!

M. PAUL: Me Marquis, pouvez-vous nous dire quel est le pourcentage des causes d'expropriation qui vont nécessairement devant la régie?

M. MARQUIS: Un minime pourcentage.

M.PAUL: De quel ordre, 3 p.c, 4 p.c. 5 p.c?

M. MARQUIS: On n'a pas fait de statistiques mais ce n'est certainement pas 10 p.c, quoi, 5 p.c C'est un ordre de grandeur mais il faut vous dire que c'est à même ces causes qui atteignent la régie, que l'on plaide en cour d'Appel, en cour Suprême, qu'on va régler dix, quinze, vingt, trente cas d'expropriation.

M.PAUL: C'est ça.

M. MARQUIS: C'est ça l'idée du tribunal, c'est ça l'idée de l'affaire. C'est en faisant inscrire ses causes à un moment donné que l'on réussit à négocier des indemnités valables, c'est élémentaire en droit. S'il fallait que tous les accidents d'automobile se plaident, s'il fallait que toutes les réclamations présentées devant les tribunaux se plaident, mes confrères qui sont députés ici le savent, on n'aurait même pas le temps d'être avocat, on serait juge tout le monde en partant. Il n'y aurait pas de rouages pour suffire à cela. Mais il y a l'impact du tribunal comme poste de confiance pour un contribuable qui dit: Je vais aller en cour, "I'll see you in court" suivant l'expression anglaise. Les contribuables se plaignent des délais des tribunaux; ce n'est pas mauvais qu'il y ait un certain délai après la prise d'action, la date d'expropriation — je ne parle pas d'un délai exagéré.

Mais s'il fallait que toute les causes d'accidents d'automobile ou toutes les chicanes, tous les procès de bornage se plaident forcément le lendemain que l'action est prise, vous ne seriez jamais capable de bâtir des palais de justice assez grands.

M. PAUL: Cinq ans de retard.

M. MARQUIS: II y a une époque de négociation, vous savez, nous restons des Canadiens français, des latins, c'est normal. Dans la Beau-ce, on me dit que ça dure un petit peu plus longtemps cette époque-là qu'ailleurs, ça aboutit moins souvent à des règlements. Il y a la mentalité mais c'est nécessaire. N'enlevez jamais cela aux individus et surtout aux expropriés, je pense que c'est élémentaire. Je pense bien que ce n'est pas l'intention du gouvernement de faire cela.

M. GAGNON: Si on vous a bien compris, Me Pinard et Me Marquis, ce sont deux points importants que vous débattez: Premièrement, quand le gouvernement fait de l'expropriation, qu'il paie dans des délais raisonnables pour éviter qu'un type se finance à même une institution financière à un taux d'intérêt de 10 p.c. et 12 p.c. et que le gouvernement applique son taux légal. Et, en second lieu, que le bill 88 soit beaucoup plus inspiré de la loi fédérale de l'expropriation, de façon à donner peut-être plus de justice à l'exproprié.

M. MARQUIS: Pas de la totalité de la loi fédérale de l'expropriation, si vous me permettez. Ils n'ont pas fait que des beaux coups; j'aime mieux votre bill 88 dans l'ensemble, personnellement. Au Barreau, nous n'avons pas vraiment fait une étude comparative des deux lois, ce n'est pas notre rôle. Mais, dans ce sens, aller s'inspirer de la loi fédérale, non!

Si vous me demandez sur le champ mon opinion, vous avez là un outil grandement amélioré...

UNE VOIX: Le Barreau est d'accord là-dessus.

M.GAGNON: Mais ce dont M. Pinard a parlé tout à l'heure, savoir que le gouvernement fédéral avait dans sa loi des éléments qui le rendait presque toujours coupable face à une critique... Je ne sais pas trop si j'ai bien saisi.

M. PINARD (Pierre): J'ai dit que dans la loi fédérale, et dans la loi provinciale de l'Ontario, le gouvernement avait renoncé au pouvoir qu'il avait auparavant, soit, justement, de déposer des tracés préliminaires, et qu'il avait multiplié peut-être trop les procédures qui permettaient à un citoyen de contester soit le bien-fondé du tracé, soit le montant, etc.

M. GAGNON: D'accord.

M. PINARD (Pierre): II y a beaucoup de lacunes dans la loi fédérale parce que, notamment, on laisse assez peu de place au juge pour décider de l'indemnité. C'est un catalogue qu'on lui donne avec lequel il fixe des montants presque automatiquement. Mais du côté de la protection accordée à l'exproprié pour éviter des abus criants ou flagrants, ces deux lois ont multiplié des mécanismes pour empêcher ça, notamment elles ont fait disparaître le fameux tracé dont il a été question beaucoup cet après-midi et, également, elles ont prévu que des indemnités provisoires égales à l'offre, enfin... On ne demande pas au gouvernement d'aller aussi loin. Comme Me Marquis disait, on est très satisfait du bill 88 et c'est pour ça qu'on a insisté seulement sur l'aspect qui, d'après nous, demeurait en retard sur ce qui se faisait ailleurs.

On a simplement dit: Si ça peut se faire au ministère de la Voirie de l'Ontario, si ça peut se faire au ministère des Transports fédéral, pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire ici aussi, sans aller dans les multiplications de légalismes qu'on a introduits dans la loi fédérale et dans la loi de l'Ontario ou on y perd son latin quelquefois?

MME AUDETTE-FILION: Ce qui plaît dans le projet de loi, c'est qu'il est fidèle à la philosophie et à la procédure générale qui était la nôtre dans le code de procédure civile. Il reste aussi fidèle au principe de soumettre la solution des litiges au judiciaire et à un tribunal ou à un organisme présidé par un juge, par le judiciaire. Et cela est très important.

LE PRESIDENT (M. Leduc): Alors Me Filion, Me Pinard, Me Fafard et Me Marquis, les membres de la commission vous remercient de votre collaboration et de vos suggestions.

J'inviterais maintenant M. Fernand Dostie, le président du Bureau des expropriations de Montréal.

MME AUDETTE-FILION: Merci de nous avoir entendus.

M. PAUL: M. le Président, avant que Me

Marquis nous quitte, il a mentionné tout à l'heure qu'il avait l'intention de présenter un mémoire demain, alors dois-je comprendre que M. Marquis va se faire entendre?

M. PINARD: Bien j'ai remarqué que demain, la société... comment l'appelez-vous votre cliente?

M. MARQUIS: Voici ce qui est arrivé...

M. PINARD: Elle n'est pas inscrite comme étant...

M. MARQUIS: Les trois corps que je représente relèvent assez directement du ministère des Affaires municipales qui ont contacté le sous-ministre des Affaires municipales pour faire certaines représentations. Quant à moi, j'étais mandaté pour ça et, cet après-midi, c'est par hasard que j'apprends que la commission siège. Les remarques que j'ai à faire dureront trois minutes, sur un point précis. Si vous ne m'arrêtez pas je vais avoir le temps de les dire.

M. PAUL: Je comprends que les mémoires ont été dirigés au ministère des Affaires municipales.

M. MARQUIS: Verbalement, le ministère des Affaires municipales a dit qu'il s'en occupait. Et j'apprends aujourd'hui, par hasard, que la commission siège.

M. PINARD: Oui, mais est-ce que les cas que vous avez à soumettre éventuellement vont être réglés par le ministère de la Voirie ou par le ministère des Affaires municipales?

M. MARQUIS: Bien, le sous-ministre des Affaires municipales...

M. PINARD: A quelle instance vous adressez-vous pour avoir la solution à vos problèmes?

M. MARQUIS: C'est parce qu'un article de la loi a pour effet de faire perdre à la Commission de transport de l'Outaouais, et à la Commission de transport de Québec, ses pouvoirs d'expropriation, et un autre article a pour effet de faire perdre au Bureau d'assainissement des privilèges et avantages du ministère de la Voirie puis de l'envoyer sous la Loi des cités et villes. C'est un cas, le dernier, que vous devez comprendre.

M. PINARD: Oui, mais c'est parce que vous nous demandez le droit de vous laisser faire indirectement ce que vous ne pouvez pas faire directement.

M. MARQUIS: Je ne saisis pas.

M. PINARD: Bien oui, il y a eu des lois constitutives des communautés urbaines de

Québec, de Montréal, et de l'Outaouais. Elles ont obtenu certains pouvoirs.

M. MARQUIS: Oui.

M. PINARD: II y a eu des amendements qui ont été apportés à ces lois-là lorsqu'il y a eu adoption du bill 23, Loi des transports. Vous n'êtes quand même pas pour nous demander d'amender la loi 23 par le biais du bill 88.

M. MARQUIS: M. le ministre, je m'excuse, mais par cette loi-là — je vais être très clair — vous m'enlevez le pouvoir d'exproprier des autobus. Comment vais-je pouvoir continuer, dans la Commission de transport de Québec et dans la Commission de transport de l'Outaouais, à exproprier des autobus? Vous dites ici que les meubles ne sont expropriables que s'ils sont des accessoires des immeubles. Or, moi, complètement à l'inverse, j'ai des compagnies d'autobus dans lesquelles il n'y a aucun immeuble. Au début de ce chapitre-là, vous dites que cela amende toutes les lois inconciliables. Je n'ai plus de pouvoirs à la Commission de transport de Québec pour exproprier les autobus et je n'ai plus de pouvoirs à Hull pour exproprier les autobus. Je ne représente pas Laval, ni la Rive-Sud, mais c'est le même cas.

M. PAUL: Me Marquis, croyez-vous que dix minutes seraient...

M. MARQUIS: J'ai fini, je vous l'ai dit, si vous ne m'arrêtez pas.

M. PAUL: J'y ai bien pensé, mais... C'est un problème.

M. PINARD: Me Marquis, voulez-vous me remettre votre mémoire?

M. MARQUIS: Si vous voulez, je vais retourner à mon bureau et je vais vous faire cela proprement. Je parle vite...

M. PINARD (Bernard): II ne faudrait pas être injuste envers ceux qui ont été convoqués. Aucune de vos clientes n'a été convoquée pour audition demain. Alors, je ne pourrais pas, en toute franchise, vous laisser venir devant la commission. Envoyez-moi votre texte et nous allons l'étudier.

M. MARQUIS: D'accord. Merci.

M. PAUL: M. le Président, j'aimerais bien que le texte de M. Marquis soit inscrit au journal des Débats.

M. PINARD (Bernard): D'accord, pas d'objection.

LE PRESIDENT: Merci, Me Marquis. M. Dostie.

Bureau des expropriations de Montréal

M. DOSTIE: M. le Président, messieurs les membres de la commission, je vous remercie du privilège qui m'est accordé de venir devant vous pour parler d'expropriation. Depuis ce matin, j'ai assisté à toutes les séances. Nous avons entendu parler jusqu'à maintenant de questions juridiques exclusivement, ce qui est tout à fait normal lorsqu'on parle d'une loi, mais je crois qu'il y a un aspect très important dans le domaine des expropriations dont il faut tenir compte, c'est que c'est, tout d'abord, un problème de valeur de terrains, de valeur de bâtisses, de dommages causés à l'exproprié, ce qui implique beaucoup de choses.

Voici un historique très court du Bureau des expropriations de Montréal qui a toujours semblé un point d'interrogation pour bien du monde. On l'a pris, bien souvent, pour un sous-service de l'Hôtel de ville de Montréal; d'autres ont demandé si ce n'était pas une petite cour qui ramassait la monnaie qui était laissée par les autres régies pour qu'on règle certains problèmes. Le Bureau des expropriations de Montréal est un organisme, un tribunal administratif qui avait plutôt le rôle d'un tribunal de première instance dans le domaine des expropriations qui était régi par la charte de la ville de Montréal. De par les causes qu'il a entendues durant les dix dernières années, nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que c'est le tribunal le plus important du genre au Canada, tant par le nombre et l'importance des causes. En effet, on ne touche pas à une expropriation à Montréal sans déplacer une maison et une maison de $10,000 à Montréal, ce n'est rien. Lorsqu'on touche à l'élargissement de rues ou à d'autres expropriations de cette nature, on touche à des commerces. Par conséquent, on parle de finances, de déplacements, de pertes. Ce n'est pas exclusivement une question juridique.

Je me base sur notre expérience et je parle avec beaucoup d'aise du Bureau des expropriations de Montréal, parce que je parle avec toute l'ardeur d'un jeune qui se prépare à prendre sa retraite. J'en parle avec beaucoup d'aise aussi, parce que nous avons entendu à peu près toutes sortes de causes, comme on n'en a pas vu souvent ailleurs. Les avocats qui sont passés ce matin sont passés presque régulièrement devant notre bureau parce que ce sont des experts dans ce domaine.

La moyenne pour régler des causes au Bureau des expropriations se situe à trois mois. Je ne connais pas personnellement une seule cause sur les quelque 20,000 que nous avons entendues qui ait duré plus de six mois. Ma conception d'un tribunal efficace, si vous voulez avoir mon opinion et l'opinion de mes collègues, c'est, tout d'abord, un avocat, parce qu'il faut regarder des textes de loi, il faut interpréter certains contrats. Il faut également un estimateur, une personne qui connaît la

valeur d'un terrain, d'une bâtisse, un gars qui a fait des études spécialisées là-dedans ou un administrateur chevronné. N'oubliez pas, de grâce, messieurs, un comptable agréé parce que, dans la majorité des expropriations, il s'agit d'étudier des bilans financiers, des pertes de commerce et des expertises qui ne se rapportent qu'à des chiffres. Il y a un aspect humain. L'être humain, lorsqu'il est déplacé, est perdu devant la masse juridique; il faut éviter cela le plus possible.

Si notre tribunal a été considéré comme un tribunal de première instance, cela mettait peut-être les gens plus à l'aise. Nous nous sommes efforcés d'enlever tout le système protocolaire de procédure juridique qui fait peur à tout le monde et qui empêche les gens de parler. Nous avons, par expérience, réglé des causes à Montréal, qui se situent, dans certains cas, jusqu'à $7 millions et $8 millions pour un seul cas.

Nous avons réglé des milliers de causes de toute nature, avec des gens de toute nationalité, des gens qui ne parlaient ni anglais, ni français, des Néo-Canadiens en quantité. A Rivière-des-Prairies, par exemple, nous en avons encore. Ce qui veut dire que le problème créé là en était un vrai, c'était une véritable cour des miracles. Avec la collaboration d'experts, avocats ou estimateurs, et ceux de la ville, parce que notre manuel de travail était la charte de la ville de Montréal, je crois que nous nous sommes très bien acquittés de la tâche qui nous a été confiée.

Quels sont les résultats jusqu'à présent? Je puis vous dire, messieurs les membres de cette commission, qu'après dix ans de fonctionnement, aucune cause n'est en suspens, excepté celles qui sont inscrites au rôle présentement pour étude. De 65 p.c. à 70 p.c. des causes qui sont venues devant nous — et nous en avons vu de toutes les couleurs — se sont réglées par conciliation, à discuter. On faisait une table ronde comme on le fait ici et on discutait. Environ 25 p.c. des causes se sont réglées par arbitrage de la part des membres de notre tribunal, de notre bureau, ce qui laisse à peu près 10 p.c. par ordonnance, imposées. Sur ce nombre — les statistiques sont là et il nous fera toujours plaisir de vous les fournir — seulement 5 p.c. des expropriés n'ont pas été satisfaits.

Quelles ont été les causes portées en appel? Il y avait l'appel, mais c'était un grand mot parce que c'était plutôt un procès de novo. La Régie des services publics, qui était notre supposé tribunal d'appel, n'avait pas les pouvoirs d'un tribunal d'appel. Elle ne faisait qu'entendre une nouvelle cause en vertu des mêmes pouvoirs accordés par la charte de la ville de Montréal. Nous avons 1 p.c. de toutes les causes passées au Bureau d'expropriation de Montréal qui ont été portées en appel. Lorsqu'on parle du secteur juridique, j'attire votre attention, messieurs — c'est évidemment essentiel et nécessaire, car nous sommes ici pour parler d'une loi — sur le fait qu'il n'y a pas eu 1/4 de 1 p.c. des quelque 20,000 causes, depuis dix ans, qui sont passées à Montréal, qui ont été portées en appel sur un point de droit. Il ne faudrait pas exagérer sur ce point.

Si vous me permettez, je répondrai à vos questions. Je pense que la meilleure façon de vous fournir les renseignements que vous désirez, c'est de répondre à vos questions. Je vais repasser rapidement ce que nous avons entendu ce matin, en particulier l'Union des municipalités, la présentation qui a été faite par Me Viau et qui était très bien. Lorsqu'on parle de règlement, de grâce, messieurs, un règlement ne devrait jamais passer en dehors d'un tribunal et ce, pour plusieurs raisons. Je vais vous en donner quelques-unes. D'abord, c'est dans l'intérêt de l'exproprié. Les petites causes de $300 ou $400 peuvent se régler très vite. Qu'on les fasse approuver par le tribunal pour qu'il puisse y jeter un droit de regard. Ce tribunal, quel que soit le tribunal au monde, est aussi bon que les membres que l'on nomme à ce tribunal.

Si vous nommez des personnes compétentes et conscienceuses, surtout dans leur domaine, vos problèmes sont réglés. Si vous voulez tout régler par une loi, vous allez en oublier des bouts; c'est très difficile et très compliqué après. La preuve: la charte de la ville de Montréal, qui est peut-être la loi la plus généreuse au Canada, ou une des lois les plus généreuses au Canada, quoi qu'on en dise, revient à tous les ans devant la Législature nationale pour qu'on y apporte des amendements, parce qu'il n'y a rien de parfait. Dans le cas d'un règlement, que ce soit le cas de l'Hydro-Québec ou celui des petites localités, quelle est la valeur réelle au propriétaire? Un bonhomme va dire: J'ai payé ma propriété $10,000 et on m'en offre $25,000; je fais une bonne affaire. Non, monsieur, votre propriété vaut $100,000. Qui est-il pour le savoir? Un règlement n'est pas toujours à l'avantage de l'exproprié.

Quel organisme va pouvoir en déterminer la valeur? Justement, ce tribunal qui est là pour cela. Entendons-nous. Que l'individu vienne seul devant le tribunal, le tribunal est là pour prendre la part de l'exproprié surtout, comme la part de l'expropriant. Le tribunal est là pour conseiller le bonhomme qui est devant lui et lui dire: Acceptez donc cela. Prenez notre conseil, nous pensons que l'affaire est correcte. Le type accepte, s'il se sent appuyé. A l'exproprié, il faut faire connaître là valeur réelle de sa propriété; à l'expropriant, l'expérience des membres du tribunal est à sa disposition. Vis-à-vis des contribuables, c'est la satisfaction de savoir qu'il y a une régularité faite dans cette transaction. Des dépenses? Il n'y a pas de dépenses.

Au bureau des expropriations de Montréal, nous approuvons quelquefois de 50 à 70 ententes intervenues entre les autorités de la ville de Montréal, ou plutôt ses représentants, et des personnes ou des expropriés. Nous les regar-

dons, parce que, si on ne fait pas confirmer une entente par un tribunal, la loi ne fera que répéter les abus qu'il y a eus un peu partout, mais plus particulièrement dans des villes de banlieue de l'îlede Montréal.

Un accord est fait entre deux groupes d'individus. Il faut que l'accord soit présenté à des gens spécialisés pour qu'ils puissent le disséquer et voir s'il est conforme à la valeur réelle et également à l'intérêt des contribuables.

J'entendais, ce matin, les représentants de l'Hydro-Québec. Si tous les problèmes d'expropriation se réglaient comme l'Hydro-Québec les règle, je pense que nous n'aurions pas besoin de la loi que nous avons devant nous aujourd'hui. Mais il y a une chose, cepandant, que l'on oublie — là encore, c'est la même chose — lorsque ce sont des droits de servitude. On dit que 90 p.c. des expropriations à l'Hydro-Québec concernant des droits de servitude. Très bien. Mais n'oubliez pas que l'individu grève son terrain de pilônes. Cela peut être autre chose que des pilônes, mais son terrain est grevé, ce qui veut dire qu'il ne peut l'utiliser qu'en surface. C'est très bien pour le fermier qui a des bêtes à cornes qui vont manger de l'herbe, mais, si cela s'approche des centres urbains, c'est un problème.

Vous allez dire: Qu'est-ce que le Bureau des expropriations vient faire dans les questions de l'Hydro-Québec à l'extérieur? A Montréal, nous avons des terres, des fermes, des rues, le métro, du tréfonds, enfin, nous avons à peu près tout ce qui peut se passer en expropriation. Par conséquent, lorsqu'un pilône ou quelque servitude que ce soit est mise sur un terrain, on dévalue la propriété de l'individu. Il peut être satisfait de l'arrangement initial qui est fait. On dévalue sa propriété pour des projets futurs. Alors, qui pourra l'établir? Il s'agirait, évidemment, de faire approuver cette entente par un tribunal pour protéger les deux. Si l'affaire est normale, cela passe; juste le temps de deux ou trois signatures, c'est tout. C'est confirmé par une ordonnance qui est homologuée ensuite par un juge de la cour Supérieure. Cela devient un jugement de la cour Supérieure.

Là encore, il faut protéger l'exproprié contre lui-même, parce qu'il ne connaît pas la valeur de son bien. Tout à l'heure, Me Pinard proposait, au nom du Barreau, deux membres seulement. Basé sur l'expérience que nous avons depuis dix ans, je crois qu'il serait peut-être opportun de reconnaître qu'une division de ce tribunal proposé par le projet de loi no 88 peut siéger à deux membres, mais pas dans tous les cas. Avec deux membres, s'ils ne s'entendent pas l'un l'autre, qui va décider de la question? On fera décider cela par un président, mais, si le président n'a pas entendu la cause, il faudra qu'il révise le tout. Il faut absolument trois membres dans toute cause, surtout si, à un moment donné, l'expropriation concerne un commerce important. Je parle de Montréal, c'est la région où l'on travaille, que l'on connaît.

Si l'expropriation concerne un commerce important, il se peut fort bien que, sur ce tribunal, vu qu'il s'agit seulement de questions financières, l'on fasse siéger deux C.A., par exemple. S'il ne s'agit que d'évaluer des terrains pour les fins d'une servitude, que ce soit de routes, de métro ou autres, on fait siéger deux experts en expropriation, qui connaissent la valeur des terrains. Si c'est une question purement juridique, on fait siéger deux avocats et même trois, avec un juge qui préside.

J'espère que ce tribunal sera maniable. S'il y a beaucoup de travail à Québec, tout le monde viendra siéger à Québec pendant quinze jours et le problème sera réglé. Si c'est la même chose à Montréal, vice versa. Que ce soit maniable, que le président du tribunal ou le vice-président décide que, si c'est une cause qui ne concerne que des chiffres, des études de bilan, la perte de commerces, ce sera deux C.A., un avocat et un juge.

A mon avis, quinze membres, c'est très bien. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je veux simplement dire que deux membres sur un tribunal, quel que soit le tribunal, si le principe était bon, je pense, messieurs, que dans le domaine du droit, à la cour d'Appel, ce serait basé sur deux et, à la cour Suprême, ce serait basé sur deux.

Il y a une remarque qui a été faite tout à l'heure. On parlait de réserve et de droit de passage. Je ne veux pas parler là-dessus, ce n'est pas mon domaine. Mais une remarque a été faite établissant qu'une réserve éliminait la spéculation. Au contraire! Une réserve n'élimine jamais la spéculation. L'homologation ne fait pas baisser la valeur d'un terrain. Tout ce que l'homologation fait, c'est empêcher de faire des rénovations sur les bâtisses existantes, qui ne sont pas reconnues dans les dommages attribués à l'expropriation. Mais, encore une fois, une réserve n'élimine pas la spéculation.

Si vous me le permettez, avant de vous demander de poser des questions, si vous le jugez opportun, je vais vous proposer, à même le document que j'ai devant moi, certains changements. Il faudrait, à notre avis, et ce, pour éviter des situations ambiguës pour ne pas dire plus, comme celle survenue —je ne mentionne pas l'endroit, mais il y en a plusieurs — dans l'île de Montréal, par exemple, qu'aucune entente, soit achat de terrains ou d'immeubles par un corps public ou parapublic ne soit complétée sans que ladite entente soit déposée et expliquée en détail devant le tribunal.

Messieurs, je n'ai pas besoin de vous faire de dessins pour ce que je vais dire. Les gens s'entendent et viennent devant un tribunal. S'ils ne sont pas obligés, de venir devant un tribunal, évidemment, l'affaire est un accord. Mais, quand on fouille un peu dans cet accord, on s'aperçoit que des prix deux, trois ou quatre fois trop élevés ont été accordés.

A l'article 66 de cette loi, on parle de la plus-value qui "doit être compensée pour autant avec l'indemnité d'expropriation". Il ne

faudrait pas généraliser cette plus-value, car les voisins de l'individu exproprié, qui ne sont pas affectés directement par l'expropriation, bénéficient de cette plus-value. Ils ne sont pas pénalisés.

Laissez le soin au tribunal de déterminer la plus-value qui doit être accordée pour une expropriation. Si on parle dans une loi de plus-value, il faut également parler de la dévaluation d'une propriété par une expropriation, parce qu'il y a des individus qui se sont fait passer des murs dans le visage, des routes qui ont coupé leur affaire, leur terrain ou leur propriété en deux et qui ont été réellement dévalués. Il y a même des personnes qui ne sont pas expropriées, je parle surtout de celles-là, dont la propriété est dévaluée par la suite d'une expropriation pour laquelle ils ne reçoivent aucune indemnité.

Pour être vraiment juste et équitable, et je me base surtout sur l'équité, on devrait, pour les locataires qui exploitent un commerce — je dirais que la catégorie de gens la plus triste dans tout le domaine des expropriations, c'est le locataire-marchand, celui qui exploite un commerce, qui n'a qu'un bail et qui est handicapé vraiment — on devrait, dans toute rénovation urbaine, dis-je, faire ce qui se fait dans plusieurs pays, la Hollande en particulier, soit permettre à la personne expropriée de venir se rétablir au même endroit; sans privilège particulier, on lui donnerait la préférence de se rétablir. Je parle par exemple, d'un barbier, d'un coiffeur, d'un tabaconiste, d'un vendeur de journaux ou autre qui vivait de son pécule et qui vivait très bien à cet endroit-là. On le force à quitter ces lieux. Lorsque la rénovation urbaine est faite, je parle de Place Desjardins et autres endroits de Montréal, un individu aurait la priorité de se rétablir là, s'il veut le faire, aux conditions que le nouveau propriétaire lui imposera. Nous avons surtout constaté à Montréal, dans un autre domaine, que des organismes publics et parapublics, y compris les communautés religieuses, ont tendance à se départir de terrains pour lesquels ils n'ont plus d'utilité et ce parfois à des prix très bas, pour ne pas dire ridicules, alors que, quelque temps après, ces mêmes terrains sont expropriés pour des fins d'utilités publiques. Je me demande si la chose est faisable, pendant qu'on est à étudier un nouveau projet de loi. Je me demande si le tribunal en question ne devrait pas être approché lorsqu'il s'agit de terrains publics et parapublics avant qu'ils soient mis en vente. Ou encore, que cesdits terrains soient d'abord offerts à la municipalité où ils sont ou à la province qui peuvent dire: Nous sommes intéressés ou nous ne sommes pas intéressés. Le tribunal pourrait donner son assentiment à la vente des terrains par voie de soumissions. J'ai à l'esprit des cas que je pourrais vous citer, mais je ne veux pas trop vous retarder. J'ai vu le cas particulier d'un terrain qui a été vendu à Montréal par le CPR, qui a été payé $100,000. Trois semaines ou un mois après, la ville de Montréal l'expropriait pour les fins d'un parc, mais à quel prix? Cela aurait pu être évité.

Je pense qu'il est fait mention dans la loi, à l'article 128, je crois, que le Bureau des expropriations cesserait d'exister sur un ordre en conseil. Je comprends très bien la raison, je vous la donne. Je présume que ce qui motive cet article, c'est que nous avons présentement entre 200 et 250 dossiers ouverts. L'enquête terminée, les audiences terminées ou en cours, nous sommes à étudier pour une valeur de peut-être au-delà de $10 millions en dossiers. C'est peut-être le but — on est obligé de tout recommencer — que nous terminions ça. Mais si on fait ça, et si au lieu de l'article 128, on mentionne l'article 123, et si, pour tout ce qui touche les documents, arrêtés en conseil ou autres des différents organismes qui doivent disparaître, on met le Bureau des expropriations, je suggérerais si on veut continuer cela encore quelque temps pour lui permettre de plier bagages et de terminer ses causes, d'amender également cet article.

Maintenant, messieurs, je suis à votre entière disposition, si vous jugez opportun de me poser certaines questions.

LE PRESIDENT (M. Leduc): M. le ministre.

M. PINARD: En moyenne, M. Dostie, le Bureau des expropriations de Montréal fait annuellement pour quel montant global d'expropriations?

M. DOSTIE: Actuellement, les expropriations, à Montréal, M. le ministre, diminuent de plus en plus. Lorsque la Transcanadienne sera finie, les tréfonds et le métro, je me demande réellement ce que feront les trois tribunaux pour s'occuper. En moyenne, pour répondre à votre question, les grosses années, avant l'Expo, nous faisions peut-être 2,500 causes, 2,400 ou 2,000.

M. PINARD: Pour une valeur globale de combien?

M. DOSTIE: Je dirais, en moyenne, de $10,000 à $15,000 par cause, pour un total de $20 millions à $25 millions environ.

M. PINARD: Comment procédiez-vous pour le paiement rapide des expropriés? Est-ce qu'à la ville de Montréal il y avait un budget spécifique, en fidéicommis ou autrement, dans lequel vous pouviez puiser pour payer rapidement l'exproprié ou s'il devait attendre, comme on l'a souligné tantôt dans le mémoire du Barreau?

M. DOSTIE: Non. Je crois que la ville de Montréal a un système qui est assez bon de ce côté. La ville de Montréal se vote un montant, dans son budget annuel, pour les fins d'expro-

priation. Ce montant est mis de côté. La loi prévoyait que, lors du moment de la prise de possession, l'évaluation municipale devait être faite et déposée. Alors le type pouvait accepter tout de suite et s'établir ailleurs. Il pouvait contester l'offre qui lui était faite ou accepter. Il venait nous voir. Cela passait devant nous et on décidait du montant à être accordé. Tout cela était en dedans de trois mois. Je ne comprendrai jamais pourquoi une cause peut aller au delà de six mois. Je n'ai jamais compris cela. Il y en a qui datent de douze, treize et quatorze ans, ailleurs. Je n'ai jamais compris cela.

Quand on faisait 2,500 causes, M. le ministre, on aurait pu en faire 5,000, si on s'était forcé un peu plus. C'est fantastique ce qu'on peut régler par la conciliation, en expliquant aux gens ce qui se passe et^en leur parlant ouvertement. Avec des rapports bien faits, c'est facile à décider.

M. PINARD: Oui mais après consultation avec des avocats qui ont plaidé devant votre Bureau des expropriations, à Montréal, des experts qui ont aussi été appelés à procéder à des expertises et à les défendre devant votre bureau, j'ai appris que peut-être vous réussissiez tellement bien et tellement vite parce que c'était toujours le plus haut prix qui était le prix de l'entente.

M. DOSTIE: Oh non!

M. PINARD: A ce moment-là, tout le monde était d'accord. Alors, pas tellement de questions de droits à discuter ou à faire trancher par votre bureau ou par la cour. N'y aurait-il pas un peu de vérité là-dedans?

M. DOSTIE: M. le ministre, cela voudrait dire que les autorités de Montréal, la pléiade d'experts qu'elles ont à leur emploi et les fameux avocats dans le domaine des expropriations qu'elles avaient à leur emploi n'auraient pas fait leur devoir et auraient accepté cela les yeux fermés. Je ne le pense pas. C'est qu'on faisait un bon travail, qui donnait satisfaction â tout le monde. Je pense que c'est cela.

Il y a certains avocats qui n'ont pas aimé la procédure, chez nous. Evidemment, remarquez, nous tâchions de couper cela au minimum. Nous coupions la procédure parce qu'en somme c'est une question de payer l'individu le plus vite possible. C'est cela, l'expropriation: Régler le plus vite possible. M. le ministre, j'ai vu qu'on réglait 20 ou 25 causes, le matin, dans l'espace de deux heures. C'est un peu le tribunal des petites créances, si vous voulez, mais les montants sont plus gros.

C'est tout simplement une question de logique et de gros bon sens. Combien demandes-tu pour ta maison? Je demande $22,000 pour ma maison. Nous savons combien il l'a payée, nous avons étudié nos dossiers avant. Vous l'avez payé $12,000. Combien y a-t-il d'années? Cinq ans. Vous avez mis $5,000 dessus, cela fait $17,000. Pourquoi? Le terrain a monté, d'accord. Cela pourrait facilement se régler pour $19,000. On voit l'offre de l'autre, qui est à peu près autour de $19,000. Donc, $19,000, pensez-vous que cela aurait du bon sens? Nous savons parfaitement bien que, s'il était sur le marché libre, il n'aurait peut-être pas eu ce montant. Il aurait eu une couple de $1,000 de moins. Le type dit: Oui, je suis content. Très bien, monsieur, bonjour. Next! Nous passons cela ainsi. Mais si on commence à faire du charabia, qu'on dise: En vertu de tel article, voulez-vous envoyer vos notes et vos factums, monsieur?

Cela dure longtemps, et là ça ne marche plus. Le tribunal de première instance, c'est essentiel, d'après moi.

M. PINARD (Bernard): Vous trouvez qu'il y a trop de juridisme en matière d'expropriation?

M. DOSTIE: J'en parle avec beaucoup d'aise, parce que mes meilleurs amis sont des membres du Barreau, et il y en a ici dans cette Chambre, nous nous connaissons, nous avons toujours été très francs.

Il y a une quantité de membres du Barreau qui viennent devant le bureau des expropriations. C'est une spécialité. Vous pouvez vous en rendre compte. Et ceux qui peuvent en parler avec beaucoup d'aise sont des bonshommes qui connaissent ça, et ça va aller très vite avec ceux qui connaissent ça.

Mais c'est avec celui qui n'est pas spécialisé là-dedans que ça peut être plus long, pour la simple et bonne raison que, lui, va soulever des points de droit ou va vouloir parler de points de droit, alors que c'est une question de cents et de piastres, c'est tout. On demande à un expert: C'est combien? Voulez-vous présenter votre rapport? Monsieur, vous parlez pour rien, c'est réglé. Il n'aime pas ça, le gars.

M. PINARD: Ils ne sont pas payés en vertu du temps qu'ils dépensent pour plaider une cause. Ils seront payés — comme l'a dit Me Marquis — sur la différence entre le montant offert et le montant finalement accordé par le tribunal, ou accepté par l'exproprié.

M. DOSTIE: C'est récent, ça. Excusez-moi, mais à Montréal c'est fait en vertu de la charte de la ville de Montréal. C'est un amendement récent qui a été ajouté il y a un an ou deux où l'avocat et les experts sont à la charge de l'expropriant. Avant, ça allait plus vite. Cela retarde un peu depuis ce temps-là.

Mais nous continuons notre procédure. Evidemment, ça ne fait pas l'affaire de tout le monde.

M. PINARD: Cela va moins vite depuis ce temps-là?

M. DOSTIE: Oui, parce que vous voyez des avocats partout. Vous me posez la question, et j'en parle avec beaucoup d'aise. Vous les voyez partout et il y en a qui prennent des clients dans la salle.

Ce n'est pas ce que je veux dire, mais laissez cela aux personnes spécialisées dans ce domaine, il n'y a pas de problème. On ne s'improvise pas juriste spécialisé dans le domaine des expropriations, surtout si on ne s'en tient qu'à une valeur intrinsèque des terrains, des bâtisses et des dommages, ce qui ne concerne qu'un évaluateur, un comptable et un gars qui a une tête sur les épaules. Cela n'exclut pas l'avocat, évidemment.

M. GAGNON: En somme, vous dites que vous acceptez les ententes verbales (gentlemen agreement) quand vous jugez que l'offre que vous faites et ce qu'il demande peut être raisonnable, sans vous attarder à dire: Le terrain c'est $2,500 que vous l'auriez payé. Vous jugez ça dans son ensemble. La propriété, c'est $12,000; vous demandez $22,000, et vous accepteriez peut-être $19,000. Vous butez sur toutes sortes de petits détails qui engendrent des discussions.

M. DOSTIE: Ce qui arrive, à un moment donné vous regardez quelle est la nature de la propriété. Disons que c'est une bâtisse sur la rue Berri, près de la rue Rachel, à Montréal — je ne sais pas si vous connaissez le quartier — qui peut se situer entre $9,000 et $14,000 pas plus. Cela dépend de la nature et de l'entretien de la bâtisse. L'individu qui va aller réclamer $30,000 tout de suite en partant, il est dans les nuages. On lui dit en partant: Vous rêvez. Vous vous basez sur quoi?

Si le type dit: Moi, j'ai payé ça. Je suis content de l'offre qu'on me fait. On vous fait une offre de $13,000. Si votre propriété vaut $17,000, ne signez pas cette offre. Et c'est au tribunal de prendre l'intérêt de l'individu qui est là. Qu'est-ce que vous voulez? Cela fait dix ans que nous voyons passer les plus grands experts au Canada, les meilleurs juristes en ce domaine, les plus menteurs, les plus grands "schemers". Quand vous faites ça à coeur de jour pendant dix ans, vous regardez un gars et vous savez à quoi vous en tenir. Et certains individus reviennent. On a vu des grands experts qui demandaient $600,000 dans une cause et qui ont réglé pour $200,000, une demi-heure après.

M. GAGNON: Je vais vous poser une question directe: En supposant que vous avez un expropriateur qui s'occupe d'un cas, qui s'entend avec l'exproprié, qui fait signer une formule disant que c'est tel prix. Lorsque la formule vient sur votre bureau, est-ce qu'il arrive assez fréquemment que vous dites: Non, nous n'acceptons pas cela? C'est-à-dire que vous refusez le travail de l'expert qui est allé sur les lieux, qui a vu les lieux, qui a discuté avec l'exproprié, qui a vu toutes les causes premières ou secondes et, lorsque c'est rendu au siège social de l'expropriation, c'est tout refusé. Cela arrive assez souvent au ministère de la Voirie.

M. DOSTIE: Ecoutez, je parle évidemment du Bureau des expropriations de Montréal qui, comme je viens de l'expliquer, est un tribunal administré en vertu de la charte de la ville de Montréal; c'est un organisme provincial qui s'occupe des causes d'expropriation faites en vertu de la charte de la ville de Montréal. Lorsqu'un vérificateur, un expert vient devant le bureau des expropriations, il est d'abord connu, il est membre d'un organisme reconnu, il dépose son rapport et l'expose verbalement. A un certain moment, on dit: C'est combien le pied, le terrain? C'est $4. Quand vous avez entendu à peu près dix ou douze bons experts dont trois ou quatre sont des gars solides, en qui vous avez confiance, dont le prix varie entre $4 et $8, ça ne demande pas un génie pour juger que ça va être autour de $6. Et là, on regarde ce que ça va donner. Le gars vient nous demander $14. Il est hors de question tout de suite, mais c'est très rare. Cela va vite chez nous et les gens qui viennent sont habitués à cette procédure rapide, parce que le secret en expropriation, c'est de régler la cause rapidement et de payer rapidement. Et lorsque les causes s'en viennent, vous avez un rôle le matin de cette longueur, si vous vous attardez sur des points juridiques ou autres — s'il y a des points juridiques, je ne les nie pas — qui n'ont pas de raison d'être discutés, vous bloquez l'entonnoir. Tandis que si vous passez, vous mettez les causes qui vont être discutées. Vous dites: Voulez-vous attendre, s'il vous plaît? Ce ne sera pas long. Les autres, on les règle; ces gens partent et c'est réglé. Vous commencez votre journée. Vous avez peut-être dix, douze ou quinze causes à régler. Il en reste deux ou trois à discuter et, quand c'est un jeune avocat qui débute, on le laisse parler pendant une heure, surtout si son client est là.

LE PRESIDENT (M. Leduc): Le député de l'Assomption.

M. PERREAULT: M. Dostie, je suis bien content d'avoir entendu parler de votre tribunal de première instance. Vous avez mentionné que c'était un peu l'équivalent du tribunal des petites créances. Toute la journée, je crois que je l'ai mentionné à plusieurs reprises, il y aurait lieu de débarrasser le tralala juridique par un tribunal de première instance pour l'expropriation, en particulier pour des causes dont la valeur n'est pas très grande, pour les municipalités rurales et même urbaines dont la population ne dépasse peut-être pas 5,000 ou 10,000, où les budgets municipaux sont réduits. Je crois que votre exemple de fonctionnement du bureau d'expropriation me satisfait pleinement.

LE PRESIDENT (M. Leduc): L'honorable député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: Je crois que votre façon de procéder est de ne pas séparer les dollars en quatre; vous ne risquez pas de dépenser $600 pour en épargner $200, de la façon que vous procédiez, je crois que c'est de la bonne façon. Vous disiez tout à l'heure que vous ne voyez pas d'avantage à ce que toutes les causes passent devant le tribunal. Que dites-vous de l'Hydro-Québec par exemple, qui, en cas de servitude, règle les cas à l'amiable dans 90 p.c. des cas?

M. DOSTIE: A l'Hydro-Québec, je dois vous dire que le travail est très bien fait. Je crois que j'ai mentionné, au tout début, que si tous les organismes publics manoeuvraient comme l'Hydro-Québec, il n'y aurait pas tellement de problèmes. Mais je tiens à vous dire que souvent, dans nos ordonnances, nous avons tenu compte des prix accordés par l'Hydro-Québec, soit pour des achats de terrain ou des servitudes quand ces prix concordent avec ceux de l'offre de l'expropriante et que l'exproprié ne sait pas trop à quoi s'en tenir, ne sait trop quelle est la valeur de son terrain, ne sait pas trop surtout si c'est dans des endroits où il n'y a pas beaucoup d'habitations et que ce n'est pas encore divisé par lots.

Par conséquent, nous accordons des taux. Si, par exemple, dans le cas de l'Hydro-Québec, on dit bien le bonhomme est content, tant mieux mais prenons un cultivateur, je présume qu'on en a sur l'île de Montréal, c'est pour ça que j'en parle: il y a des servitudes de l'Hydro-Québec sur l'île de Montréal, beaucoup même. Donc, vous allez voir un cultivateur et vous dites: On va vous donner un montant de x pour passer des pylônes ou enfin avoir un droit de servitude sur votre terrain. Le type dit: Très bien, les vaches vont pouvoir continuer à y aller, ça va bien, je n'ai pas de problème.

N'oubliez pas ceci, je viens de le dire, je l'ai dit tout à l'heure au début, il n'a plus qu'une valeur de surface, il ne peut plus se servir de ça en hauteur ou quoi que ce soit, ne rien faire, il est limité, mais il ne sait pas dans quelle proportion; surtout s'il est près d'un centre urbain, il ne sait pas dans quelle proportion ça peut affecter son affaire. C'est là que chaque entente devrait être vérifiée par le tribunal, et ça ne retarderait pas trop, pour savoir si le type a ce qu'il faut ou du moins s'il est au courant de ce qu'il accepte.

M. AUDET: Parce que le grand secret, c'est de payer comptant. Le fait d'essayer...

M. DOSTIE: C'est ça, l'expropriation, c'est du comptant.

M. AUDET: ... immédiatement, ça facilite beaucoup les ententes et les négociations.

M. DOSTIE: C'est pour ça que, parfois, l'individu peut dire: J'accepte ça tout de suite, parce que ça fait mon affaire, autrement ça va tramer. Vous savez qu'on s'est servi de ça dans bien des endroits. Si vous allez en cour, si vous allez devant telle ou telle régie, ça va prendre trois ou quatre ans et ça va en coûter. Vous allez dire: J'aime autant perdre $15,000 et l'accepter tout de suite. Moi, j'appelle ça du chantage.

LE PRESIDENT (M. Leduc): Est-ce que les membres de la commission ont d'autres questions à poser à M. Dostie?

M. PINARD: M. Dostie, êtes-vous familier avec la procédure d'expropriation actuellement suivie par le ministère de la Voirie de l'Ontario, Minister of Highways? Est-ce qu'il a une loi vraiment différente de la nôtre, de celle qui prévaut actuellement au Québec ou qui serait tellement différente de celle que propose le bill 88?

M. DOSTIE: M. le ministre, dans le domaine de la voirie, je n'ai pas tellement eu à regarder cela et je n'ai pas étudié la question. Nous étudions les problèmes de voirie à Montréal et dans les environs, mais, en dehors, je n'ai pas eu l'occasion de les étudier.

M. PINARD: Est-ce qu'à Toronto il existe un bureau des expropriations qui serait semblable au Bureau des expropriations de Montréal pour régler les cas qui ont été soumis depuis les dix dernières années?

M. DOSTIE: Le problème ne se pose pas de la même façon. A Montréal, lorsque le Bureau des expropriations a été créé, c'est à la demande des autorités locales. Il y avait à peu près 10,000 causes en suspens. Tout était bloqué, parce qu'à l'époque ces causes-là passaient devant la régie. Je crois qu'un certain montant était accordé aux commissaires qui écoutaient les causes. Il y avait une formule qui ne semblait pas trop bien marcher et il y avait des délais. Alors, on a organisé ce bureau. On a demandé de couper au plus court tout le processus administratif et juridique. Je me souviens, à l'époque, des instructions que j'avais reçues de M. le premier ministre et de son conseiller juridique, lorsque je suis parti à cet endroit-là. On m'avait dit: S'il survient un point de droit, dites-leur que ce n'est pas l'endroit pour en discuter. Qu'on aille ailleurs. On a nommé un avocat avec moi au bureau et cela faisait bien. On a réglé les causes et, jusqu'à maintenant, comme je vous le dis, je mets au défi qui que ce soit, et je répète mon défi, qu'il n'y a pas eu un demi de 1 p.c, depuis dix ans, dans toutes les causes en expropriation dans la ville de Montréal qui a été porté en appel sur un point de droit. Je pense que c'est la formule. Cette formule-là a été trouvée par pur hasard et je pense que cela va bien.

Je me plais à vous le répéter: A cette régie

— j'appelle cela un bureau, mais je crois que le terme est mauvais, parce que cela l'identifie à un service ou à un sous-service de l'Hôtel de ville de Montréal — nous avons cinq employés, trois commissaires, et notre budget est le même depuis dix ans. Cela coûte $150,000 par année et on épargne des millions de dollars aux contribuables.

M. PINARD (Bernard): Nous enregistrons votre témoignage avec beaucoup d'intérêt.

M. DOSTIE: Je vous remercie, messieurs.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. Dostie, nous vous remercions. La commission suspend ses travaux jusqu'à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 16 h 51 )

Séance du mercredi 14 février 1973

(Dix heures neuf minutes)

M. LAFRANCE (président de la commission permanente des transports, des travaux publics et de l'approvisionnement): A l'ordre, messieurs!

Pour la commission, ce matin, M. Jean Perreault, député de l'Assomption, sera le rapporteur officiel. Le premier organisme qui se présente devant la commission permanente des transports, des travaux publics et de l'approvisionnement est la Chambre de commerce du district de Montréal.

Messieurs de la Chambre de commerce du district de Montréal, on vous demanderait de bien vouloir vous identifier.

Chambre de commerce du district de Montréal

M. COTE: Merci, M. le Président. Tout d'abord, nous vous remercions d'avoir accepté de nous rencontrer ce matin et de nous entendre. J'aimerais vous présenter les membres et les directeurs de la chambre qui sont ici avec moi. Mon nom est Bernard Côté, président de la Chambre de commerce de Montréal. A ma gauche, M. Robert Panet-Raymond, président de notre comité des affaires municipales; à sa gauche, Me Marcel Bélanger, président de notre comité des expropriations — qui va se joindre à nous dans quelques instants — et Me Gilles Fafard, membre du comité qui a dirigé nos travaux sur le projet de loi 88. A ma droite, M. Pierre Shooner, directeur général de la chambre, et, à l'extrême gauche, M. Jacques Tremblay, directeur général adjoint.

La Chambre de commerce de Montréal, qui étudie les problèmes de l'expropriation depuis près de dix ans avec l'aide des meilleurs spécialistes en la matière, est capable, croyons-nous, d'aider le législateur à améliorer son projet de loi sur l'expropriation dont nous appuyons le principe.

En 1965, la Chambre de commerce de Montréal présentait un mémoire au gouvernement à propos de l'indemnisation des locataires expropriés. La même année, elle organisait un colloque sur l'ensemble des problèmes causés par les expropriations. C'est à la suite de ce colloque que le gouvernement créait, en décembre 1965, son propre comité d'étude sur le sujet. Nous reconnaissons avec plaisir que le projet de loi 88 s'inspire de ces divers travaux quand il pose le principe d'une loi, d'un tribunal et d'une procédure unique pour tout le Québec.

Cependant, une analyse détaillée du projet de loi nous conduit à vous proposer un certain nombre de corrections que nous jugeons importantes.

Je demanderai à M. Pf net-Raymond de vous présenter les positions de la chambre de commerce, à ce sujet. Merci.

M. PANET-RAYMOND: M. le Président, messieurs les membres de la commission, je serai relativement bref, parce que nous avons apporté passablement de soin à préparer le mémoire qui vous a été soumis et nous espérons recevoir de vous, tout à l'heure, des questions sur les recommandations qu'il contient.

Je voudrais simplement insister sur l'esprit qui nous a animés dans la préparation de ce document. Nous considérons, à la Chambre de commerce de Montréal, que les expropriations sont un mal nécessaire et parfois, même pas un mal, mais quelque chose qui est nettement d'intérêt public.

Nous n'avons pas voulu approcher cette question avec le préjugé que toute expropriation était une action de l'Etat qui pouvait nuire aux citoyens. Bien au contraire, nous croyons que les expropriations peuvent servir l'intérêt public tout autant que celui de certains des citoyens.

Nous avons voulu, cependant, éviter que la nouvelle Loi de l'expropriation ne crée des injustices. Par injustices, nous entendons autant des gestes posés, comme des indemnités insuffisantes, que des retards dans le versement de ces indemnités ou que l'absence de compenser un exproprié pour des délais à recevoir ces indemnités. Donc, c'est un premier souci: assurer que les indemnités sont justes et rapides.

Un second souci — c'est le principe qui sous-tend ce projet de loi — c'est celui d'une loi unique pour régir toutes les expropriations au Québec. M. Côté vient de vous témoigner notre appréciation de ce principe. Je tiens à revenir sur la question pour vous dire que cela nous paraît fondamental qu'il y ait une loi, et une seule, qui régisse toutes les procédures d'expropriation au Québec. Nous vous félicitons, par le projet de loi no 88, d'essayer d'implanter cette loi unique d'expropriation. Bien sûr, nous allons revenir tout à l'heure sur des exceptions qui nous paraissent peut-être pas justifiées.

Avant d'entrer, cependant, dans le corps du texte, je désirerais souligner deux omissions qui nous paraissent sérieuses. D'abord, il n'y a pas de pénalité prévue dans le cas où un expropriant retarde indûment le paiement d'une indemnité. J'ai insisté tout à l'heure sur ce principe de justice qui impliquait, d'après nous, non seulement le paiement d'une juste indemnité, mais le paiement d'une indemnité dans des délais raisonnables.

Nous aimerions trouver dans le projet de loi une pénalité pour le cas où l'expropriant tarde à verser cette indemnité. Nous allons même jusqu'à suggérer que le montant de cette pénalité pourrait être 5 p.c. au-dessus de l'intérêt légal ajusté en fonction de la Loi du ministère du Revenu. C'est là une première mesure qui nous semble avoir été omise dans le projet de loi.

Une seconde concerne les normes d'indemnisation des fonds de commerce. Bien sûr, nous attachons une attention particulière à cette question puisque nous représentons énormé- ment de commerçants et ces gens sont souvent les plus grandes victimes des expropriations. Nous ne trouvons pas dans le projet de loi des normes permettant d'indemniser convenablement les fonds de commerce. Nous aimerions pouvoir en trouver ou, à défaut, à tout le moins qu'on puisse assurer une audition par préférence aux fonds de commerce qui sont expropriés.

Quant aux amendements que nous proposerions dans le corps même du texte, je n'en relèverai que quatre pour l'instant. Je pense que nous ne serons pas les seuls à vous souligner cette question, les articles 55 à 61 établissent des exceptions importantes dans le cas de la ville de Montréal et du ministère de la Voirie. Nous sommes beaucoup trop d'accord sur le principe général d'une loi unique pour accepter à prime abord qu'on y soustraie deux organismes aussi importants que la ville de Montréal et le ministère de la Voirie.

Un second point que j'aimerais souligner, à l'article 42 on parle des baux enregistrés. L'expérience des membres du comité qui sont avec moi ce matin nous permet d'affirmer qu'il existe souvent des cas d'occupants ne possédant pas des baux dûment enregistrés et ces occupants doivent recevoir une indemnité, même s'ils n'ont pas signé un bail en bonne et due forme. Ils devraient avoir droit aux mêmes considérations que les autres locataires possédant un bail enregistré.

Un troisième amendement que j'aimerais souligner touche l'article 77 et touche le principe général. Il nous parait illogique que les montants dus par le gouvernement à des contribuables aient un rendement moindre que les montants qui sont dus au gouvernement. En d'autres termes, il faudrait utiliser l'intérêt fixé par la Loi du ministère du Revenu pour compenser les délais à verser des indemnités et ne pas utiliser l'intérêt légal comme tel, majorer ou ajuster plutôt en fonction de l'intérêt du ministère du Revenu.

Le dernier point que j'aimerais souligner — j'y ai déjà fait allusion — est celui des fonds de commerce. Il nous semble très important de trouver certaines normes pour l'indemnisation des fonds de commerce et, à tout le moins, de s'assurer d'une audition par préférence pour les commerces qui sont expropriés.

Voilà, M. le Président, MM. les membres de la commission, les quelques points sur lesquels je tenais à insister, avant que vous n'entamiez l'étude de ce mémoire. Mes collègues et moi-même sommes à votre disposition pour répondre aux questions. J'espère qu'elles seront nombreuses. Merci.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): M. le ministre.

M. PINARD: M. Panet-Raymond, sur quoi étayez-vous votre demande de faire disparaître la section IV du projet de loi no 88, contenant des dispositions relatives à certaines expropria-

tions pour fins de voirie? Vous en faites la demande mais j'aimerais que vous approfondissiez, devant nous, tout ce problème, pour savoir si vraiment le ministère de la Voirie, en vertu de ses obligations, devrait se départir de pareils pouvoirs.

M. PANET-RAYMOND: J'aimerais, pour répondre à cette question, céder la parole à Me Bélanger. Mais cette section IV compte deux exceptions, celle de la ville de Montréal et celle du ministère de la Voirie. Je voudrais simplement souligner aux membres de la commission qu'en ce qui a trait à la ville de Montréal, ou bill de Montréal, il s'agit de représentations faites depuis fort longtemps par la Chambre de commerce du district de Montréal. Lorsque nous avions développé toute l'argumentation, au printemps dernier, lors de l'audition des amendements à la charte de la ville de Montréal, le comité qui siégeait, à ce moment-là, nous avait dit: Vous savez, c'est prématuré. Nous n'avons pas eu le temps d'étudier les implications. Revenez l'an prochain, lorsque nous étudierons à nouveau les amendements de la ville de Montréal.

Entre-temps survient ce projet de loi. Il nous paraît important de ressortir tout de suite notre argumentation, avant que l'on consacre une exception qui, forcément, aura force de loi et ira contre la charte de Montréal.

Maintenant, pour ce qui est de la voirie proprement dite, je passerai la parole à Me Bélanger, si vous me le permettez.

M. PINARD: Puisque nous sommes là-dessus, il y a également la Société de développement de la baie James et l'Hydro- Québec qui sont venues demander un régime d'exception.

Si le législateur accorde des pouvoirs d'exception à ces deux sociétés pour leur permettre de déposer un plan général, comment voulez-vous que le ministère de la Voirie, qui est le plus grand expropriant pour fins d'utilité publique, ne se donne pas les mêmes pouvoirs qu'il serait prêt à consentir à d'autres?

Il y a quand même un problème de conciliation des intérêts et des obligations dans tout ce domaine.

M. PANET-RAYMOND: Nous serions d'accord avec vous. Si vous donnez des avantages à un, il va falloir en donner aux autres. Mais notre position, c'est qu'il ne faut pas en donner à qui que ce soit.

M. PINARD: II y a des ententes beaucoup plus claires et précises que dans le passé là-dessus.

M. BELANGER: A votre question, M. le ministre, je voudrais souligner ceci: il y a, dans les corps publics que vous avez mentionnés, la ville de Montréal, la Voirie, la Société de la baie James, l'Hydro-Québec et d'autres. Le gros argument de tous ces corps publics, c'est qu'ils ne peuvent pas procéder sans déposer un plan général, sans risquer d'être appelés à payer trop rapidement certaines choses.

Or, présentement, la ville de Montréal procède sans cette exception. Elle dépose des plans parcellaires pour chaque cas et elle est obligée de faire plus que ce que la loi lui permettrait de faire. J'ai l'impression que la ville reculerait. La ville de Montréal est aussi importante dans ce domaine que toutes les autres corporations dont on a parlé. La ville de Montréal, dois-je vous dire, c'est peut-être le corps public qui exproprie avec le plus de facilité et avec le meilleur rendement dans la province.

On se félicite toujours d'avoir à négocier, à faire affaires avec la ville de Montréal. Il y a eu, en 1970 ou 1971, certains amendements qui ont rendu sa position un peu plus spéciale, mais la ville de Montréal présentement est obligée de payer l'évaluation municipale, alors que, là, on lui permettrait de n'en payer que 50 p.c. Il me semble que c'est vraiment reculer.

Si la ville de Montréal peut le faire, je m'explique mal comment tous les corps publics ne pourraient pas le faire. Cela peut évidemment dépendre d'autres raisons de régie interne que nous ne sommes pas en mesure de saisir. Il y a des choses que nous saisissons, il ne m'appartient pas de mettre le doigt dessus. Mais il reste que, si un corps public aussi important que la ville exproprie en aussi grande quantité depuis au moins 25 ans, parce qu'elle a commencé vers 1950, je ne vois pas pourquoi aujourd'hui on dirait: Votre système va trop bien, il protège trop les expropriés, il faudrait reculer un peu pour nous permettre, à nous les autres corporations, de nous situer au même stade. J'ai l'impression que c'est un recul. C'est mon principal argument.

M. PINARD: Le pourcentage des sommes déposées par la ville de Montréal peut-il équivaloir à 100 p.c. de la valeur municipale?

M. BELANGER: A peu près, disons, oui.

M. PINARD: Alors, si c'est un régime qui a fait ses preuves et qui a été jugé satisfaisant, je serais bien prêt à amender la loi pour ne pas les obliger à nous payer 50 p.c. alors que déjà ils paient 100 p.c.

M. BELANGER: Quand la ville de Montréal payait 100 p.c, elle avait vraiment le sens de la justice. Je vois mal les autres qui ne reconnaf-traient pas ce sens de la justice, ou qui se priveraient de l'occasion d'être justes à leur tour, de ne payer que 50 p.c. Je voudrais que tout le monde paie 100 p.c. de l'offre.

Présentement, M. le ministre, je fais pour environ une douzaine de millions d'expropriations pour une université. Nous avons fait des offres et nous avons déposé entièrement l'offre faite. Parce que, enfin, si on revient au début,

c'est toute une question de délais, ce sont toujours les délais qui privent l'exproprié de ce à quoi il a droit et lui fait subir un préjudice absolument irréparable. Il est évident, avec un 5 p.c. d'intérêt, vous comprendrez comme moi qu'après dix ans d'attente, quelle que soit l'indemnité à laquelle il aura droit, il aura perdu des sommes d'argent assez considérables et même la cour ne peut venir à son secours. Ce n'est que la loi qui doit essayer de prévoir une situation aussi dangereuse.

M. PINARD: N'êtes-vous pas d'avis, Me Bélanger, que la ville de Montréal a quand même un excellent instrument d'évaluation entre ses mains qui lui permet fort probablement de payer beaucoup plus rapidement qu'un autre corps expropriant, que le ministère de la Voirie par exemple, parce que la valeur des propriétés à Montréal est faite en vertu d'une évaluation scientifique?

M. BELANGER: D'accord.

M. PINARD: Bon. Tout de suite, ils sont certains de ne pas se tromper, pour autant qu'ils ont l'assurance qu'il n'y aura pas retrait du dépôt du plan général ou qu'il n'y aura pas de modifications à ce point importantes qu'elles pourraient en chambarder totalement le projet d'expropriation.

Dans le cas du ministère de la Voirie, ce n'est pas toujours cette situation qui prévaut parce qu'il y a différents régimes d'évaluation municipale, et, le plus souvent, nos expropriations sont faites en dehors du territoire des grandes agglomérations urbaines, sauf pour l'autoroute est-ouest, par exemple. Vous avez différents régimes d'évaluation. Alors il faut que le ministère soit en mesure de procéder à une expertise, à l'évaluation la plus scientifique et la plus réaliste possible des biens à être expropriés. Et ce sont des instruments qui ne sont pas toujours entre les mains du ministère.

Pour concilier tous ces objectifs, est-ce que vous avez une solution, une proposition à faire pour que le ministère ne se donne pas un régime d'exception, comme vous l'avez souligné tantôt?

M. BELANGER: M. le ministre, tout d'abord vous avez paré de la différence d'évaluation entre les diverses municipalités que vous traversez. Je dois vous dire qu'avec le bill 48 c'est censé se corriger. Le problème va surtout se présenter dans les cas de fermes. Il est évident que, si vous déposez une évaluation municipale, vous n'arriverez pas à payer une somme raisonnable à l'exproprié parce qu'en fait son indemnité s'appliquera beaucoup plus aux dommages qu'à la valeur réelle de l'immeuble.

Seulement avec des évaluateurs compétents — et je sais que la voirie en compte beaucoup — il y a toujours possibilité de faire une évaluation sommaire qui vous permet d'offrir dans un délai raisonnable des sommes d'argent et de savoir à peu près ce que ça va représenter. Je reviens à mon exemple de tout à l'heure, quand nous avons fait des offres pour l'Université du Québec, il est évident que les offres que nous faisions étaient un peu conservatrices parce que, nous aussi, il a fallu travailler un peu plus rapidement, et on reste évidemment sur le côté sûr quitte à ajuster après.

Il est même arrivé des gens qui ont voulu régler sur ma première offre. J'ai refusé puisque j'ai dit: Cela peut quand même être un peu plus élevé. Il y a de ces personnes inquiètes et timides qui n'osent pas aller voir un évaluateur ou un avocat. Il y a possibilité de faire ça. Je vous avoue que pour n'importe quel dossier, quand on a passé une heure, une heure et demie dessus, on est en mesure de dire: Bien écoutez, on peut vous avancer $10,000, $15,000, $20,0000, $50,000 ou $100,000 sans aucun risque.

Il y a une chose bien importante, c'est qu'actuellement l'évolution est tellement rapide qu'on ne peut plus analyser les dommages à un bien, non seulement à un bien meuble, mais à un bien immeuble, comme on le faisait il y a 20 ans. Si vous m'enlevez aujourd'hui mon usine, je ne peux pas tout construire avant une année. Les coûts d'augmentation cette année vont être de 10 p.c. à 15 p.c. Or si vous me payez l'an prochain pour ce que vous m'enlevez cette année, je ne serai pas en mesure d'avoir ce que j'avais, c'est évident. Le gouvernement ne peut pas lui dire qu'il va payer pour l'an prochain; il va être obligé de refaire sa façon de penser pour pouvoir aller jusqu'à dire: Est-ce qu'on ne devrait pas payer le rétablissement de cette usine?

Et là je sors un peu du sujet en disant que le ministère du Commerce, lui, ne sera pas intéressé à voir fermer l'usine. Mais il reste que l'individu dont le pouvoir d'emprunt est arrivé à son maximum, qui est exproprié dans les circonstances actuelles ne peut pas repartir. Il est obligé de fermer, à moins que quelqu'un d'autre, soit le gouvernement ou votre ministère ou un autre ministère puisse intervenir pour dire: Ecoutez, on va vous aider d'une façon ou de l'autre.

Je reviens au plan général dont vous avez parlé tout à l'heure. Les plans généraux déposés, il est évident qu'ils ont eu à être amendés très souvent. Si vous vous en souvenez, M. le ministre, en 1956, lorsqu'on a déposé le plan de l'autoroute Montréal-Saint-Jérôme, c'était dans les premiers grands plans qu'on déposait vraiment et, là, il y en a eu, des amendements! Aujourd'hui, on n'est plus en 1956. Votre ministère, vos gens savent beaucoup plus où ils vont, ce qui est normal. On a corrigé beaucoup de ronds-points. Il y a des ronds-points qui n'étaient pas acceptables il y a dix ans, mais on en fait de nouveaux qui sont beaucoup plus faciles d'accès. Aujourd'hui, on a beaucoup

moins l'occasion d'amender les plans; on sait beaucoup mieux où l'on s'en va.

M. PINARD : Et la planification est mieux faite qu'autrefois.

M. BELANGER: Mon Dieu, oui, M. le ministre!

M. PINARD : Hier, le contraire nous a été dit.

M. BELANGER: Ce que je ne voudrais pas, c'est que vous reculiez après avoir fait un si beau pas.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maskinongé.

M. PINARD : S'il vous plait.

M. PAUL: Excusez-moi, M. le ministre.

M. PINARD : Admettez-vous, Me Bélanger, que sans procéder à une réforme globale du régime de l'expropriation au Québec, surtout en matière de voirie, le ministère, voyant les difficultés sur les plans technique, administratif et sociologique, s'est efforcé de faire de la réforme interne, de réformer ses procédures, de les rendre plus efficaces, plus rapides, de payer plus rapidement sur la base de l'évaluation municipale connue? Cela a même été jusqu'à 75 p.c. et même 100 p.c. du paiement dans des cas, quitte à parfaire la différence qui pouvait subsister entre l'offre et la réclamation de l'exproprié.

Est-ce que cela vous a paru une procédure valable dans les circonstances ou s'il faut en arriver quand même à ce chambardement, à cette réforme globale proposée par le bill 88?

M. BELANGER: La principale raison pour laquelle je pense qu'aujourd'hui vous n'avez plus besoin de ce dont vous aviez besoin avant, c'est justement cette clause de réserve à laquelle vous avez droit maintenant. Quand on peut réserver pendant deux ans, on a quand même le temps de regarder pour voir si le plan doit être amendé ou non. Avant, il y avait l'urgence. Le gouvernement était dépassé par des choses qui auraient dû être faites, mais qui ne l'ont pas été. Aujourd'hui, il a repris le dessus, il est en avance un peu. H ne travaille plus sous la même pression qu'il y a quelques années.

Cette clause de réserve, on peut l'étudier lentement, on a le temps d'y penser. Il n'y a pas de spéculation, il n'y a pas d'argent en jeu. Il y a celui qui est assis et qui dit: Nous avons l'intention de passer là. Nous allons l'étudier lentement et, quand nous serons prêts, nous déposerons la clause de réserve. Là, je pense que vous faites sauter toutes ces difficultés administratives auxquelles vous avez eu à faire face, parce que vous ne les aurez plus.

M. PINARD: Vous savez que, personnellement, j'ai toujours été partisan d'avoir des pouvoirs d'homologation. Comme titulaire du ministère de la Voirie, cela nous a toujours été refusé, alors que c'était accordé à Montréal et à d'autres municipalités, même à d'autres corps expropriants. Je n'ai jamais compris pourquoi. J'ai donné mon opinion là-dessus et je n'ai pas à reprendre ce que j'ai dit.

Par contre, des avocats plaidaient devant les tribunaux, parfois pour le compte du ministère et parfois contre le ministère, parfois pour le compte de la ville de Montréal et parfois contre la ville de Montréal. Les évaluateurs, les expropriés venaient nous dire que la ville de Montréal avait abusé de ses pouvoirs d'homologation. Elle avait gelé des territoires complets sans avoir indemnisé les personnes qui avaient à en souffrir. Qu'est-ce que vous avez à dire là-dessus? Cela s'est quand même passé dans la ville de Montréal.

M. BELANGER: Il y a eu d'abord des améliorations au point de vue de l'homologation, lorsqu'en 1954 on a limité à cinq ans plus cinq ans. Il est évident que la ville a abusé. Plus particulièrement, les cités et villes ont abusé. Présentement, au moins à la ville de Montréal, si vous avez un terrain homologué, il n'est pas imposé. Dans la Loi des cités et villes, il n'y a que le pouvoir qui est donné au conseil d'exempter de taxes ces terrains, ce qu'il ne fait généralement pas. De plus, les villes ont, dans leur règlement de zonage, dans leurs projets et leurs plans directeurs, des districts ou des terrains qui sont réservés pour fins communautaires pendant quinze ans et pour lesquels ont exige des taxes. Il est évident que c'est une injustice incroyable. D'ailleurs, les cours ont eu l'occasion de se prononcer. Mais l'individu qui est pris avec ce problème, le temps de se rendre à la fin d'un procès du genre, qui revient très souvent en appel, il n'a plus son terrain. Je peux vous donner des exemples de centaines de clients qui ont des terrains homologués depuis huit ans et rien ne se fait. Ils paient en plus $10,000, $12,000 de taxes par année.

Il est évident que cette clause de réserve va être énormément avantageuse. Seulement la clause de réserve est faite pour protéger le gouvernement et non pour protéger l'individu. Elle est faite pour protéger le gouvernement, pour éviter que le développement soit trop intense pendant le temps où le gouvernement veut prendre les dispositions nécessaires. Il veut tout de même éviter les pots cassés. Par voie de conséquence, évidemment, l'individu qui aurait eu l'intention de se construire là est obligé, deux ans après, de faire démolir sa construction. Lui aussi retire un intérêt, mais c'est surtout le gouvernement.

Quand vous avez deux ans pour repenser votre plan de réserve, je ne vois pas comment les amendements, au plan général, peuvent être nombreux. J'ai raison quand je dis qu'il y en a

beaucoup moins. J'ai déjà vu 32 amendements sur un même plan. Cela fait longtemps.

M. PINARD: Comment pensez-vous que le ministère peut être capable de prévenir la spéculation éhontée qu'on a connue dans le passé, si le ministère ne se donne pas le pouvoir de déposer un plan général? Même avec toutes les mesures de secret qui peuvent exister on sait que les secrets sont des choses bien mal gardées. Je n'ai besoin de préciser aucun cas, de nommer personne, mais vous avez assez d'expérience dans le domaine de l'expropriation pour savoir à quoi je fais allusion et particulièrement dans la région de Montréal. Il y a eu des fortunes faites avec l'expropriation. Est-ce que vous ne pensez pas que c'est au détriment du bien commun et des mêmes personnes qu'on veut absolument protéger, que ce soit sur l'autoroute est-ouest ou ailleurs?

M. BELANGER: La réserve est justement une des faiblesses de l'homologation. C'est qu'elle n'empêche pas les valeurs d'augmenter. En expropriation, même si un terrain est réservé, comme il était jusqu'à maintenant homologué, il était paralysé, il souffrait en lui-même des dommages. Mais quand arrive le temps de l'expropriation, on oublie qu'il est homologué et on lui donne la même valeur que le terrain voisin. Or, l'homologation peut évidemment déclencher une spéculation, parce que si vous homologuez ou si vous faites une réserve sur un terrain pour l'ouverture d'une rue ou pour l'expropriation d'un terrain pour un parc, pour la voirie ou autres, il est évident qu'on va savoir qu'alentour il y aura peut-être quelque chose à faire.

Je pense qu'on a exagéré cette spéculation éhontée à l'occasion d'expropriations. Il y a eu des spéculateurs qui ont fait de l'argent, mais pour ma part, avec l'expérience que j'ai, j'en connais beaucoup qui ont perdu.

M. PINARD: Toutes proportions gardées, en valeur?

M. BELANGER: En valeur.

M. PINARD: Par rapport au gain?

M. BELANGER: Oui.

M. PINARD: Au gain spéculatif fait par ceux qui ont profité du régime de l'expropriation.

M. BELANGER: Nous n'empêcherons quand même jamais quelqu'un de profiter. Il y en a qui ont plus de flair que d'autres. Il y en a qui ont plus de moyens que d'autres. Mais il reste que, dans l'ensemble, des spéculateurs sur les fermes, les terrains, il y en a peu dans la province de Québec, depuis 1955 environ. Je peux vous dire que vous avez beaucoup de propriétaires de terrains qui sont en faillite et qui ne peuvent pas récupérer. Je pense que la spéculation est un peu comme le jeu. Quand on fait un profit, on le remet dedans en entier et, à un moment donné, cela bloque. La spéculation ne peut pas rester dix ans, quinze ans. Une spéculation vraiment heureuse, on peut lui donner un maximum de cinq ans; autrement, ce n'est plus de la spéculation, parce qu'on ne réalise pas qu'après dix ans on n'a pas fait un sou, même si on pense avoir vendu à des prix fabuleux. En soi, la spéculation est une bonne chose. C'est d'abord une chose essentielle à l'économie d'un pays, d'une ville, de tout. Les commerces font de la spéculation. Quand Eaton achète à l'automne, il spécule pour le printemps, quand même! Même le médecin spécule dans son diagnostic. Ce qui est important, c'est la mauvaise spéculation.

M. PINARD: C'est une spéculation qui reste quand même concurrentielle. Nous avons le choix d'aller acheter chez Dupuis ou chez Eaton ou chez Holt Renfrew. Mais les spéculateurs dont je parle, il n'y a personne qui peut les arrêter. Il n'y a pas de concurrence. Ils transigent entre eux. Ils font monter les prix de façon artificielle pour faire payer le montant le plus élevé possible aux corps expropriants: le gouvernement, la ville de Montréal ou tout autre corps public expropriant. Vous savez de qui je parle, à ce moment-là.

Je dis, ce matin, que c'est le temps de mettre les cartes sur la table. Cela fait tellement longtemps qu'on accuse le gouvernement de spolier ou de défavoriser à toutes fins pratiques, le petit exproprié surtout. A ce moment-là, je me dis: Le Barreau a une responsabilité sociale. C'est son devoir de dire aux législateurs de quelle façon la réforme peut être entreprise pour avoir le régime le plus efficace, le moins discriminatoire possible. Ce n'est pas seulement la responsabilité du législateur de voir à ce problème. C'est à ceux qui se présentent devant nous de venir nous le dire aussi et de ne pas cacher certaines cartes, de les jouer au complet, comme nous essayons de les jouer devant vous. Je vous pose des questions ce matin. Je pense que je ne prends pas beaucoup de précautions; je ne me protège même pas.

M. BELANGER: D'accord.

M. PINARD: Je ne protège même pas mon ministère. Je suis bien prêt à admettre qu'on a commis des erreurs dans le passé. Vous qui êtes des experts en expropriation et qui voulez tellement protéger vos clients, petits, gros et moyens, dites-nous donc comment cela devrait marcher, une fois pour toutes, sans faire de restrictions mentales.

M. BELANGER: Je m'excuse, M. le ministre. Je n'aurai pas de restrictions mentales. Je pense que vous me connaissez assez pour cela. J'ai commencé mes déclarations en vous disant

que la ville de Montréal avait un système qui était applicable partout, n'importe où et avec les mêmes résultats. La spéculation, dans la ville de Montréal, c'est peut-être l'endroit où vous en aurez vu le moins. Et pourtant, ils opèrent. Ils en ont fait. J'en ai fait pour la ville de Montréal, des millions. Et j'en ai fait contre, aussi, des millions. Et je sais que la spéculation n'est pas facile. N'oubliez pas une chose: de 1955 à 1965, il y a eu une spéculation qui était due un peu à la situation économique, à l'après-guerre, etc. Mais c'est pas mal arrêté depuis 1965. Il se fait beaucoup moins de spéculation. C'est exceptionnel. Mais, M. le ministre, nous ne les empêcherons quand même pas toujours. Il y en aura toujours un certain nombre qui profiteront des circonstances pour s'enrichir aux dépens des autres. Je suis bien d'accord avec vous. Actuellement, vous n'avez pas tellement de spéculation.

Le système de la ville de Montréal, à mon avis, est parfait. Et pourtant, on dépose un plan pour chaque immeuble. Quand la ville de Montréal devient propriétaire, dans, je dirais — parce qu'il y a quand même des cas d'exception — 95 p.c. des cas, elle a en main son rapport d'expertise. Elle peut procéder immédiatement.

Je vous donne un exemple, M. le Président. Prenez l'autoroute est-ouest, disons la partie vraiment est, de Papineau. On a pu négocier assez rapidement avec la Voirie, pour des cas, quand même, qui sont considérables, des causes vraiment difficiles. On a pu procéder. Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas toujours le faire.

Le cas le plus difficile, c'est plutôt la ferme, c'est évident. Mais il y a moyen, en quelques heures, de passer à travers. Lorsque vous expropriez dix fermes, cela ne prend pas quinze jours pour savoir ce que cela peut représenter comme dommages, j'entends en restant conservateur, de façon à permettre au bonhomme, qui est mal pris temporairement, de voir ce qu'il peut faire. Mais des injustices, on en commettra toujours en expropriation. Que voulez-vous, c'est une loi qui est à l'encontre même de la démocratie, jusqu'à un certain point. On en causera toujours, parce qu'on ne peut pas aller jusqu'à l'individu. Vous expropriez deux cultivateurs. Il y en a un qui a de l'initiative et se réinstalle le lendemain. L'autre, qui n'en a pas, est fini pour la vie. Mais que peut-on faire là-dessus? Il est évident qu'on ne peut pas aller jusque-là. Mais il reste qu'il faut lui donner le maximum de protection pour qu'il arrive à se tirer d'affaire.

M. PINARD: Ne penzes-vous pas que le gouvernement devrait se donner une période de transition, qui lui permettrait de sortir du régime actuel où il se trouve, avec 12,000 dossiers actifs qui sont négociés avec la procédure que vous connaissez, pour, dans une autre étape, passer carrément dans le cadre de la réforme qui est proposée? Cela me paraît bien difficile, pour le moment, d'obliger le gouvernement ou le ministère de la Voirie à payer, disons, plus que 50 p.c. Il me semble que c'est un pas en avant qui est fait et que, dans des étapes ultérieures, mais dans un délai quand même assez rapproché, nous pourrions en arriver au paiement de 100 p.c, quand nous aurons eu le temps de bien roder l'établissement du régime de réserves pour fins publiques.

Obliger, maintenant, le gouvernement ou le ministère de la Voirie à ne pas déposer de plan général et à payer 100 p.c, je pense que cela risquerait de paralyser toute l'action du ministère pour une période assez longue. A ce moment-là, est-ce que les inconvénients ne seraient pas plus sérieux envers le public en général que les dommages qui peuvent être causés de façon occasionnelle et, quand même, de façon exceptionnelle, à certaines personnes ou à certains groupements de personnes?

Je pense que c'est le problème que nous devons nous poser ce matin.

M. BELANGER: Quand vous parlez de 50 p.c, je comprends que vous mettez dans la loi l'obligation de payer 50 p.c, mais est-ce que la Voirie ne le fait pas déjà sans cette obligation? Elle n'avance pas, elle ne se crée pas un problème avec les 50 p.c, elle fait depuis certainement environ une dizaine d'années.

Elle avance dans à peu près tous les cas, sauf exception, pour des périodes courtes, mais généralement elle avance. Elle ne se crée pas un problème en s'obligeant à payer 50 p.c., elle le fait déjà.

Quand je dis 100 p.c, il s'agit d'une évaluation sommaire. Et un jour, je communiquais avec un représentant qui me disait: J'ai un rapport de $100,000, je serais prêt à vous en verser $50,000. Je lui ai dit: Vous n'avez pas l'impression de vous décerner un certificat d'incompétence en ne m'en offrant que $50,000 si vous avez $100,000. Que vous me disiez $75,000, d'accord, parce qu'on va vite. Mais si après une étude sommaire on arrive à un chiffre X, je trouve que les 50 p.c. ne sont pas suffisants. Et je répète que ça se fait déjà. Nous avons eu même plus que 50 p.c. à ce jour et nous l'avons apprécié grandement, même s'il n'y avait aucune obligation légale de la part de la Voirie de le faire.

Quant au système de transition, il est évident que ça ne pourrait pas se faire du jour au lendemain. Je le crois. Et je me demande si on ne devrait pas continuer ce qui est commencé comme avant, mais quitte, dans un avenir rapproché, à fonctionner d'une autre façon. Je ne peux pas. Devant votre question sur cette petite période de transition — pour autant que ça reste une période de transition — je n'aurais pas personnellement d'objection et la chambre non plus, parce qu'elle se rend bien compte des difficultés.

Nous sommes ici pour vous dire ce que nous en pensons. Cela ne veut pas dire que nous

pensons que vous pensez mal nécessairement. Vous pouvez ne pas penser comme nous.

M. PINARD: Mais si vous pensiez mieux que nous, je voudrais bien que vous soyez clair là-dessus et que vous nous le disiez.

M. BELANGER: Nous ne pensons pas mieux que vous, nous ne pensons pas de la même façon. C'est tout. Parce que nous avons des répercussions qui ne sont pas les vôtres. Nous essayons de mettre devant vous, MM. les membres de la commission, nos réactions et le fruit de nos expériences.

Il est une chose certaine qu'on doit admettre, en expropriation, depuis plusieurs années, il y a eu des injustices commises. Quant au jeu de l'intérêt, nous sommes obligés de régler quand nous savons qu'il faut aller à la cour, à des sommes que nous croyons inférieures à la valeur réelle, parce que, même si nous gagnons à la cour, nous l'aurons perdue par le jeu des intérêts. Et nous avons des cas semblables à longueur d'année.

C'est pour ça que je dis: Si vous donnez un montant supérieur, le jeu de l'intérêt est bien moins important. Les 5 p.c. d'intérêt, quand ils ont été mis dans le code, devaient bien représenter 15 p.c. par rapport à aujourd'hui. C'était une pénalité, ce n'était pas un cadeau. Aujourd'hui, c'est devenu un cadeau. Je comprends que ce n'est pas facile de les changer, mais il faut essayer de les corriger, éviter que des gens en souffrent au maximum.

Et si le paiement préliminaire est supérieur à ce qu'il a été en reste dans la logique, le jeu de l'intérêt jouera sur 15 p.c. ou 10 p.c. de l'indemnité. C'est quand même plus raisonnable.

M. PINARD: A toutes fins pratiques, ce qui a été demandé hier, en particulier par le Barreau du Québec, ne laissait pas beaucoup le choix au gouvernement. Ou bien en vertu du partage budgétaire qui est fait annuellement selon une planification, après que les besoins des ministères ont été établis, et que les allocations budgétaires ont été déterminées et accordées, il reste que le ministère de la Voirie est celui qui reçoit le plus.fort budget d'immobilisation.

C'est une hausse constante du budget d'immobilisation en faveur du ministère de la Voirie par rapport aux autres ministères, mais ce n'est pas suffisant pour arriver à satisfaire les besoins exprimés hier par le Barreau du Québec. Il faudrait arrêter la machine du ministère de la Voirie pendant au moins deux ans pour être capable de faire un nettoyage complet des dossiers actuellement en voie de négociation et en voie de transaction. Si on ne prend pas cette mesure, une autre pourrait s'offrir à nous mais ça me paraît difficile d'y arriver. C'est la constitution d'un fonds d'expropriation, d'un fonds d'indemnisation spécifique dans lequel le ministère pourrait puiser au fur et à mesure des besoins pour hâter la procédure de paiement; 12,000 dossiers actifs représentent en valeur $125 millions à $130 millions.

M. PAUL: Vous avez déjà 50 p.c. de ce montant déposé.

M. PINARD: Nous déposons déjà ce montant, ce qui veut dire qu'en 1972 nous aurons fait probablement $35 millions à $40 millions d'expropriations payées. Cette année, nous aurons dépensé sûrement $50 millions, peut-être davantage parce que nous avons mieux rodé notre procédure et nous avons insisté pour avoir une plus forte proportion du budget consacré aux dépenses d'expropriation. La même chambre de commerce va nous faire des représentations à un autre moment par son mémoire annuel; elle va demander des autoroutes à tel endroit, des infrastructures à tel autre endroit. Mais comment le gouvernement va-t-il faire pour satisfaire tous ces besoins et procéder à tous ces choix budgétaires tout en minimisant, dans la mesure du possible et de la façon la plus idéale possible, les inconvénients qui pourraient être causés aux individus ou groupements d'individus? C'est le défi de l'administrateur public en ce moment face aux exigences de la population. Je vous pose le problème, si vous avez une réponse à me donner, cela me ferait plaisir de l'entendre.

M. BELANGER: M. le ministre, vous parlez des 12,000 dossiers qui existent; je suis d'accord avec vous, cela peut représenter, disons $100 millions pour les besoins de la discussion. Seulement la loi ne s'applique pas à ces 12,000 dossiers; elle va s'appliquer aux nouvelles causes d'expropriation. Quand vous parlez de transition, c'est ce à quoi nous pensons, nous. Si nous essayons d'éliminer ces dossiers comme on les a toujours traités et qu'à l'avenir vous ayez un système qui vous permette de faire disparaf-tre des difficultés, c'est dans ce sens que nos remarques sont faites.

Je sais bien que depuis de nombreuses années le problème du ministre de la Voirie est grave de ce côté parce qu'il se fait beaucoup d'expropriations, il y a beaucoup de dossiers. Mais on pourrait, comme vous disiez tout à l'heure, avoir un fonds pour prévoir les dépenses pour au moins dans le futur. Ce qui est fait on ne peut évidemment pas le défaire, et quand vous parlez de $100 millions je le crois évidemment.

C'est pour l'avenir que nous y voyons un intérêt additionnel et très important. Mon impression personnelle, c'est qu'avec ces amendements le pire problème actuel du ministère de la Voirie existera encore avec la nouvelle loi. C'est mon impression personnelle. Cela ne changera pas, parce qu'il y a des problèmes à régler. Avec la loi actuelle, je pense que la situation sera la même, sauf peut-être les 50 p.c. qui pourraient être améliorés mais prenons-les tels qu'ils sont. Les 50 p.c., au point de vue

légal, c'est une amélioration. En fait ce n'en est pas une puisque cela existait; pour la ville de Montréal, ce n'en est pas une parce que c'est moins que ce qui existait.

Ce qui est passé, réglons-le avec la loi qui existe mais à l'avenir, tâchons d'éviter qu'on soit pris à payer des sommes qu'on n'a pas.

M. PINARD: Je n'ai plus de questions.

M. PAUL: M. le Président, je vais faire plaisir au ministre d'abord, je vais lui dire qu'il est un bon ministre de la Voirie. Partant du compliment que je lui fais, je voudrais maintenant poser...

M. PINARD : Je suis mieux de me guetter.

M. PAUL: ... M. le Président, je vais décevoir le ministre, parce que je ne lui tirerai pas le pot ce matin, je vais le garder en réserve. Voici, M. Lefebvre, votre point de vue est le suivant: vous ne mettez pas d'objection â ce que le ministre de la Voirie dépose des plans d'expropriation, mais ce à quoi vous vous opposez, comme le Barreau et d'autres que nous allons entendre ce matin, c'est ce traitement privilégié que se donne le législateur ou le traitement privilégié qu'il donne au ministre de la Voirie de ne payer que 50 p.c. du montant d'expropriation.

Vous aviez raison de venir ce matin, parce que votre mémoire, de même que celui du Barreau, a ébranlé le ministre. Ce matin, il parle d'une période transitoire, et il faut comprendre les implications financières dont nous a parlé le ministre hier. Je n'en fais pas une recommandation au ministre pour le moment, mais quelle serait votre opinion à vous si la loi prévoyait que, d'ici cinq ans, le ministre de la Voirie devra payer la totalité de l'indemnisation provisionnelle d'expropriation?

M. BELANGER: Vous me posez une question qui demande une réponse très réaliste.

M. PAUL: Oui, oui.

M. BELANGER: Je pense que le contraire est à peu près impossible.

M. PAUL: Mais est-ce que ça atteindrait votre objectif, et croyez-vous réellement que les gens auraient l'impression que le ministre de la Voirie ne se donne pas un traitement de faveur, tout en tenant compte des implications financières, et que ça pourrait permettre au ministre de la Voirie de planifier la création d'un fonds de réserve pour faire face aux indemnités d'expropriation?

M. BELANGER: Je pense que ce serait raisonnable aussi, M. le député, pour autant que ce soit prévu dans la loi comme ça, pour autant que ce soit prévu dans la loi. Je le sais bien, je l'ai dit tout à l'heure, c'est impensable que demain matin, on bouleverse tout, connaissant les obligations actuelles et celles à venir. Mais une période de cinq ans, qu'il y ait une prévision dans la loi de façon qu'on soit obligé de faire l'effort nécessaire pour le matérialiser, je suis d'accord.

M. PAUL: Et par contre, vous ne verriez pas une telle mesure acceptable en faveur de la ville de Montréal, qui, déjà, paye 100 p.c. de l'indemnité provisionnelle?

M. BELANGER: D'accord, et la ville est organisée dans ce sens, d'autant plus que la ville, quand elle exproprie, c'est déjà prévu par un règlement d'emprunt, est obligée d'avoir en main l'argent avant d'exproprier.

M. PAUL: M. le Président, le ministre croyait que j'étais pour lui lancer le pot, mais au contraire c'est avec un grand esprit de collaboration que j'ai voulu poser des questions, vous êtes des experts du métier, pour que nous, profanes que nous sommes, soyons en mesure d'en connaître davantage.

Maintenant, M. Lefebvre ou quelqu'un de la délégation qui est devant nous, j'aimerais vous poser une question qui n'a aucune relation immédiate avec le mémoire que vous nous avez présenté ce matin, mais qui résulte d'un mémoire qui nous fut présenté hier par Me Viau, au nom de l'Union des conseils de comté. Ceux qui pratiquent dans les milieux ruraux ont été à même d'apprécier la valeur des arguments que Me Viau nous a présentés selon lesquels, pour l'expropriation basée sur le code municipal, on devrait faire une exception et maintenir, avec un ou deux amendements, le système qui prévaut actuellement, qui est un système économique, qui est un système rapide et surtout en tenant compte du petit montant en jeu dans maints cas d'expropriation.

Je comprends que vous évoluez dans une grande municipalité vous autres, Montréal, mais vous, Me Lefebvre, avec toute l'expérience que vous avez, est-ce que vous auriez objection à ce que le législateur maintienne le mécanisme déjà en place pour l'expropriation municipale, en l'améliorant quelque peu pour ne pas créer un écart trop grand entre la loi générale d'expropriation et les pouvoirs que l'on pourrait maintenir, donner aux municipalités?

M. PANET-RAYMOND: Je me permettrais simplement de souligner à M. le député que j'ai à ma gauche Me Marcel Bélanger.

M. BELANGER: Je ne sais pas M. le député s'il y a un M. Lefebvre ici, qui est un honorable individu, je suis prêt à prendre son nom si vous...

M. PAUL: Ah vous savez, j'aime toujours mieux Bélanger parce que ça me rappelle le rapport de la commission Bélanger.

M. BELANGER: Ah bon!

M. PAUL: Alors je sais que vous n'étiez pas ce même Bélanger.

M. BELANGER: Non, non.

M. PAUL: D'ailleurs c'est heureux pour vous. Alors je m'excuse...

M. BELANGER: Je ne répondrai pas à cela.

M. PAUL: Vous êtes aussi bien. Nous nous en dirons un mot tous les deux dans le particulier. Je m'excuse si je vous ai honoré du nom de Lefebvre. Pour revenir à la réalité, vous vous appelez Me Bélanger.

M. BELANGER: M. le député, vous me posez une question...

M. PAUL: Pour votre information, je suis le député Paul, en passant.

M. BELANGER: Moi, je le savais.

Vous me posez une question qui me prend un peu par surprise. Dois-je vous dire que, malgré l'expérience que j'ai en expropriation, je n'ai eu que quelques occasions de faire de l'expropriation d'après le code municipal. Selon mon expérience — je parle pour moi parce que je n'ai pas pu consulter les membres du comité ni ceux de la chambre — ça devrait changer. Les quelques cas que j'ai eus m'ont semblé créer des injustices; j'en ai eu cinq ou six tout au plus.

On peut plus mal se défendre parce qu'on se trouve trop près, les expropriants des expropriés, etc, comme vous dites, les montants en jeu ne sont pas énormes, c'est vrai. Pour celui qui est exproprié, le montant en jeu peut être énorme.

M. PAUL: II est important, du moins.

M. BELANGER: Le petit exproprié est généralement celui qui souffre le plus d'une expropriation. Il faut partir du principe fondamental que le petit exproprié est celui qui perd le plus à la suite d'une expropriation, s'il y perd quelque chose, évidemment. Celui qui doit retirer une indemnité de $1 million, s'il en retire $25,000 de moins, ça ne changera pas sa façon de vivre; mais celui qui doit retirer $5,000 et qui en retire $4,500, pour lui, ça peut créer un problème.

M. PAUL: Quand vous parlez de $5,000, ce n'est plus une expropriation en vertu du mécanisme prévu par le code municipal. Alors, c'est la Régie des services publics qui intervient à cause d'une référence faite à la Loi des cités et villes.

Je suis heureux d'avoir pu connaître votre opinion indiquant que la loi devrait être unique et ne souffrir aucune exception.

M. BELANGER: Je suis parfaitement d'accord.

M. PAUL: Messieurs, je vous remercie des renseignements que vous nous avez donnés. Continuez. Nous avons réussi à ébranler le ministre et, comme il est près de son départ du ministère, il verra sans doute à laisser une loi qui puisse répondre aux aspirations ou aux désirs de la très grande majorité de la population si ce n'est de toute la population.

M. TREMBLAY (Sainte-Marie): Je pense que le député de Maskinongé se pense encore ministre de la Justice, vous le nommez juge souvent.

M. PAUL: Je lui ai déjà offert d'être nommé juge à la cour des Commissaires mais il m'a dit qu'elle avait été abolie.

LE PRESIDENT (M. Ostiguy): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: M. le Président, j'ai cru voir, dans les propos du ministre de la Voirie, tout à l'heure, que sa grande et principale crainte réside dans les nombreuses demandes qui parviendront probablement au cours des prochaines années pour des améliorations de la voirie. Il se demandait surtout comment payer cela; en somme, c'est ce qu'il voulait dire. De quelle façon va-t-on pouvoir payer? Je pense que c'est sa crainte fondamentale de ne pas pouvoir payer la somme nécessaire à la réalisation de ces demandes.

D'après le témoignage de M. Bélanger, je crois réellement qu'à Montréal on paie suivant la capacité de payer parce qu'on a l'argent disponible dès le moment de l'expropriation. C'est peut-être justement le fait qui nous prouve que c'est la facilité de payer qui améliore les négociations et qui fait en sorte d'activer les négociations et l'expropriation. Croyez-vous que le gouvernement, ou le nouvel organisme qui est en train de prendre forme, devrait surtout s'appuyer sur le principe de vivre selon ses moyens ou au moins selon ses possibilités d'emprunt puisque nécessairement il sera obligé d'emprunter?

M. PANET-RAYMOND: II me semble de la plus élémentaire justice que, si le gouvernement entame une expropriation, il soit prêt à faire face aux frais que cela va causer et aux indemnités qu'il y aura à verser. C'est tout à fait élémentaire.

Je pense que c'est un argument qui ne souffre aucune contradiction. Si on veut instaurer quelque chose qui met en cause le bien commun, d'une part, d'accord, mais qui met en cause aussi le bien de certains individus qui sont touchés par cette mesure, il faut être en mesure de faire face à ses responsabilités.

Tout à l'heure, on a fait allusion à des

volumes d'argent considérables et à des expropriations à faire dans le futur. Pour ce qui est du futur, nous avons déjà laissé entendre qu'une période de transition nous serait acceptable pourvu que l'on sache dès maintenant quel genre de régime va s'appliquer. Je comprends fort bien, étant administrateur, qu'on ne peut pas, dès demain matin, changer complètement le régime. Qu'il y ait une période de transition, qu'on établisse graduellement cette transition et qu'on prévoie les sommes d'argent nécessaires à ce moment, soit.

M. AUDET: Admettez-vous, M. Panet-Raymond, que la grande différence d'efficacité qui peut exister entre ce que la Voirie a fait jusqu'ici dans ses expropriations et la ville de Montréal, d'après le témoignage de M. Dostie, hier, témoignage fabuleux, c'est justement cette impossibilité de payer immédiatement de la part du ministère de la Voirie, comparativement à la ville de Montréal qui payait immédiatement?

L'accusation, actuellement, est qu'on voit des retards, allant même jusqu'à douze et quatorze ans, de dossiers qui trament en longueur et qui ne sont pas clarifiés. Je crois que la principale raison est le fait de ne pas avoir eu l'argent pour payer immédiatement. C'est la cause principale.

M. BELANGER: Vous me permettez de vous répondre. Tout d'abord, à la ville de Montréal, on impose l'obligation d'avoir l'argent avant d'exproprier. Cette obligation lui est imposée par le gouvernement. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne s'imposerait pas la même obligation. Ce qui est passé, évidemment, c'est passé, mais on dit qu'au moins, à l'avenir, si vous dépensez $10 millions, soyez en mesure de l'avoir entre les mains. Il se produit un non-sens. Le gouvernement, présentement, se finance partiellement avec des expropriés. C'est cette anomalie qu'il faut faire disparaître.

M. AUDET: Justement, le gouvernement devrait être aussi bon payeur que le contribuable lui-même.

M. BELANGER: II est évidemment en aussi bonne finance que la ville de Montréal. Les problèmes financiers existent partout et on oblige quand même la ville à avoir en main les montants d'argent nécessaires avant de commencer.

M. PINARD: Le gouvernement est en mesure de payer ce que les contribuables lui paient. Seulement, pour en arriver à la situation idéale que vous proposez — je n'ai rien contre; au contraire, j'y serais fortement favorable — il va falloir que les Québécois apprennent à se discipliner et à ne pas demander au gouvernement toutes sortes de choses en même temps. Il va falloir que les citoyens apprennent à établir des priorités et permettent au gouvernement d'établir ses priorités. Il va falloir que la chambre de commerce, dans son mémoire annuel, ne vienne pas demander 150 projets prioritaires sans avoir fait elle-même des choix dans ses priorités. Parce que demander, ce matin, au gouvernement de payer 100 p.c. des expropriations qu'il s'apprête à faire et demander, par ailleurs, de lancer d'autres programmes d'infrastructure pour décentraliser l'industrie, alors qu'il n'y aurait pas d'infrastructure en place pour recevoir cette industrie, cela me parait inconciliable pour le moment.

Je pense que nous sommes rendus à la minute de vérité. Il va falloir que quelqu'un décide de se discipliner quelque part et le gouvernement, en ayant ce phénomène d'acceptation de la part de la population et des organismes publics qui viennent présenter des mémoires, aura plus de latitude et plus de liberté pour apporter des réformes dans certains domaines.

M.PANET-RAYMOND: M. le ministre, je pense que c'est justement là l'un des rôles les plus essentiels des administrateurs publics de faire ces choix au nom de la population et en vertu des mandats qui leur ont été confiés par cette population. Bien sûr, ce matin, nous défendons ici un certain point de vue. Il est tout à fait possible et même probable que vous entendiez des points de vue différents venant d'autres organismes qui se présenteront. Mais c'est votre responsabilité, ensuite, de trancher, comme c'est la nôtre de souligner, dans notre optique, ce qui paraît devoir être corrigé.

M. PINARD: Je voudrais que vous compreniez que c'est fait dans un bon esprit. Parce qu'une commission parlementaire, comme vous le constatez, est là, parfois, pour qu'on se dise certaines vérités. Mais c'est un élément qui me paraît nouveau. Cela nous permet de travailler ensemble à la solution de problèmes qui sont cruciaux et qui présentent parfois des caractères très aigus.

M.PANET-RAYMOND: Nous en prenons bonne note et lors de la présentation du mémoire, nous tâcherons d'avoir déjà établi nos priorités.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: A la suite d'une question qui se dirigeait vers le ministre probablement lorsqu'il a mentionné justement le moment de vérité, je vais en profiter, on va parler de vérité un peu. Au sujet de la discipline que le gouvernement devrait se donner à l'avenir pour faire en sorte d'avoir de meilleurs résultats, ce serait peut-être le temps de penser réellement que nous ne devrions pas toujours emprunter à 100 p.c. du coût de nos constructions. Pensez-y. C'est ça qui fait mal.

M. PINARD: Réservez votre débat pour le discours du budget et on en parlera abondamment de ce problème.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.

M. PERREAULT: M. Bélanger, vous avez dit tout à l'heure, dans votre exposé, que tous les corps expropriants devraient payer 100 p.c. de l'évaluation sommaire. Etant donné que nous avons maintenant le bill 48, Loi sur l'évaluation foncière, qui va s'appliquer dans tout le Québec, ne croyez-vous pas que l'on devrait plutôt parler de l'évaluation municipale dans tout le Québec plutôt que de l'évaluation sommaire?

M. BELANGER: Si nous employons le terme "sommaire", c'est que dans certains cas l'évaluation municipale, même amendée par le bill de l'an dernier, n'apportera pas de solution au problème. Je signalais tout à l'heure le problème des fermes. Si vous passez au milieu d'une ferme et vous prenez, je ne sais pas, trois ou quatre arpents, si vous payez ce que ça vaut, si vous donnez comme dépôt préliminaire, ce serait évidemment ridicule par rapport à l'ensemble de l'indemnité, si vous sectionnez la ferme en deux et qu'elle n'est plus utilisable ni d'un côté ni de l'autre... il faut vraiment faire une étude de façon à donner à l'exproprié plus qu'une somme d'argent fixée par la loi générale. A ce moment-là, ça deviendrait injuste.

Dans les centres urbains, il n'y a pas de problème. Et c'est toujours eux, que voulez-vous, quand des fermes sont évaluées à $100 l'arpent et que vous en prenez trois, bien vous allez lui donner $300 de dépôt préliminaire et il peut y avoir $50,000 de dommages. Le propriétaire peut perdre sa ferme parce que s'il a 75 arpents et que vous la sectionnez en deux, il est évident que les deux côtés ne peuvent pas fonctionner comme ferme. C'est une perte totale et plus le temps court, comme l'individu n'a rien en sa possession, il ne peut pas acheter autre chose, il est vraiment pris dans une situation intenable. C'est pour cela que l'on aime mieux dire "sommaire" en ce sens que c'est plus près de la vérité dans les cas où on ne pourra pas obtenir d'avance des chiffres comme ceux de l'évaluation municipale.

M. PERREAULT: Vous parlez de fermes, mais j'avais en vue plutôt des immeubles dans les centres urbains et ruraux.

M. BELANGER: Bien oui, lors d'une évaluation normale, et en vertu de la nouvelle loi quand elle sera en vigueur, l'individu sera couvert par un dépôt raisonnable.

M. PERREAULT: Merci.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. le Président, j'aurais une question additionnelle à poser à Me Bélanger. Est-ce que vous avez pris connaissance des textes de lois relatifs à l'expropriation adoptées par la Législature de l'Ontario et par le Parlement canadien? Est-ce que dans ces textes de lois il n'y a pas eu unanimité ou traitement unique, même en faveur de l'Etat, en matière d'expropriation? C'est-à-dire qu'on ne retrouve pas les clauses d'exception dont vous avez parlé ce matin.

M. BELANGER: II n'y a aucune exception dans la loi de l'Ontario. Tout le monde est traité sur le même pied, dans le sens de la question, remarquez.

M.PAUL: Merci.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, messieurs de la Chambre de commerce du district de Montréal...

M. COTE: Peut-être un mot de la fin. Nous voudrions remercier les membres de la commission parlementaire d'avoir écouté notre présentation et de s'être intéressés au point de poser de nombreuses questions qui nous ont permis peut-être d'éclairer nos prises de position. Elles vous permettront peut-être aussi d'en retenir les points les plus saillants. J'aimerais aussi, par la même occasion, remercier Me Bélanger, M. Robert Panet-Raymond ainsi que Me Fafard d'avoir préparé ce rapport et j'espère qu'il vous sera très utile lorsque vous présenterez une loi.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, messieurs les membres de la commission vous remercient de votre présentation.

Le deuxième organisme à être entendu est la Chambre de commerce de l'a province de Québec.

Chambre de commerce de la province de Québec

M. ALARY : Messieurs les membres, je voudrais d'abord me présenter. Je suis président de la Chambre de commerce de la province de Québec et je vous présente les deux messieurs qui m'accompagnent, MM. Létourneau et Morin, qui sont les permanents de ce même organisme. Evidemment, à travers les commentaires que j'aurai à faire, je ferai certains commentaires personnels, puisque j'ai eu l'immense avantage de travailler, il y a plusieurs années, à la préparation d'un mémoire dont, je pense, on vit actuellement l'aboutissement.

Dois-je commencer tout de suite, messieurs?

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Allez.

M. ALARY: En ce qui concerne la Fédération des chambres de commerce, il faut peut-être insister sur deux points particuliers. Je n'ai

pas l'intention de vous lire in extenso le mémoire que vous avez déjà en votre possession depuis plusieurs jours mais je pense que ce qui nous...

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Si vous voulez m'excuser quelques instants. Quand vous avez présenté M. Létourneau et M. Morin, vous avez omis de vous présenter vous-même. Pour le bénéfice du journal des Débats, c'est Me René Alary, président de la Chambre de commerce de la province de Québec.

M. ALARY : Merci, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Je m'excuse de vous avoir dérangé.

M. ALARY: II n'y a pas de faute. Il faut d'abord dire, en résumé, que la fédération est satisfaite, jusqu'à un certain point, du projet de loi no 88 tel que présenté, dans une bonne proportion. Si nous sommes ici, c'est pour tâcher de corriger ce que nous considérons comme certaines lacunes, en particulier en ce qui concerne les fonds de commerces.

Rien dans la loi ne nous permet d'identifier un fonds de commerce et d'établir que le fonds de commerce est une entité juridique qui doit être traité tout simplement comme un immeuble, comme un terrain vacant ou une bâtisse. Cela, c'est important. On sait que nos commerces expropriés sont nombreux, maintenant, puisque les expropriations se font surtout à l'intérieur des villes, la majorité des expropriations, je dirais. Avec la rénovation urbaine, on frappera davantage, je pense, des fonds de commerce. Ce n'est pas toujours bon d'attendre la jurisprudence pour voir comment sera traité un fonds de commerce. Il faudrait que la loi prévoie qu'un fonds de commerce doit être traité comme un autre bien susceptible d'expropriation.

Les lois auxquelles, tout à l'heure, on a fait allusion, ici, soit la loi ontarienne et la loi fédérale, prévoient ces cas de fonds de commerce et la façon dont ils doivent être traités. Je ne dis pas qu'on doit imiter ces lois, qui sont inspirées de la Common Law, alors que les nôtres sont plutôt d'inspiration française, dans la façon de traiter notre droit, si on veut. Mais je pense que le fonds de commerce doit être traité comme une entité juridique et reconnu comme tel. C'est un premier point que je voudrais faire ressortir devant les membres de cette commission.

Le détermination de l'indemnité, maintenant, suite à la réserve pour fins publiques. On a discuté assez longuement, tout à l'heure, des situations qui étaient créées par le manque de prévision ou de planification. Je pense que le législateur s'est donné, avec la réserve pour fins publiques, le mécanisme parfait pour prévoir, pour planifier.

On se demandait tout à l'heure comment le ministère de la Voirie pouvait agir et pourquoi il devait avoir le pouvoir de déposer le tracé d'une route. D a maintenant ce qu'il faut. Il peut y penser deux ans d'avance et même quatre ans, si nécessaire. Je pense qu'on répond à cette question.

Je voudrais maintenant revenir au transfert des fonds de commerce. La plupart des commerces, dans les milieux urbains et même dans les campagnes, souvent n'existent pas et ne sont pas établis dans l'édifice du propriétaire. Ils sont traités comme locataires.

Le projet de loi actuel prévoit une indemnité forfaitaire préliminaire, provisionnelle, basée sur des mensualités, des paiements de loyer mensuel. Je pense que ce n'est pas réaliste en ce qui concerne les fonds de commerce. Parce que trois mois de loyer pour qu'un fonds de commerce puisse déménager, c'est absolument irréaliste.

La moindre petite entreprise — prenons le cas d'un électricien qui emploie cinq ou six personnes — pour la déménager, cela coûtera au moins $10,000 ou $12,000. On voit que trois mois de loyer ne seraient absolument pas suffisants. Je pense qu'en ce qui concerne les fonds de commerce il faut qu'il y ait des critères absoluments distincts.

A l'article 20 de notre mémoire, nous traitions de l'évaluation. On constate que le projet de loi ne définit pas suffisamment, semble-t-il, des normes d'évaluation. De nombreux articles font mention des expressions d'évaluation, je réfère aux articles 38 et 64. De l'avis de la chambre provinciale, il est essentiel que ces expressions aient la même définition dans le présent projet de loi qu'elles ont dans la Loi sur l'évaluation foncière et que le mot "valeur" soit la "valeur marchande" telle que définie dans les autres lois.

Encore là, on pourrait dire qu'on va s'en remettre à la jurisprudence qui l'a déjà reconnu. Mais de la jurisprudence, ça change; une loi, ça change moins facilement.

Quand un exproprié est obligé d'attendre que la jurisprudence soit faite ou varie pour que son cas soit réglé de façon à lui rendre justice, il peut attendre très longtemps. On se souviendra — et le ministre va s'en souvenir — du cas Adler, un locataire commerçant, dans le cas de Décarie, où on a dû attendre le jugement de la cour d'Appel, et cela a pris trois ou quatre ans avant d'avoir la réponse définitive.

Pendant ce temps, tous les autres locataires commerçants attendaient. Aujourd'hui, d'accord, on a une jurisprudence, mais cette situation n'est pas parfaite. Il faut aller encore à la cour Supérieure et ce n'étaient pas les mêmes juridictions, les mêmes normes d'évaluation, en tous cas, pas les mêmes personnages.

Le problème du droit d'appel. Je présume que le Barreau a dû vous entretenir de ce problème. La chambre provinciale considère qu'un jugement d'expropriation, souvent, comporte d'abord des intérêts personnels et des

intérêts matériels très importants. Je ne vois pas la nécessité d'aller demander la permission à la cour d'Appel, qui pourrait nous être refusée, pour une somme où il y aurait même une différence de $10,000, $20,000 ou $50,000. Pourquoi demander cette permission à deux juges de la cour d'Appel?

S'il y a un problème constitutionnel, gardons le régime actuel où on n'avait pas besoin de le demander. Je pense qu'on pourrait régler ce problème de cette façon. Aux termes de la loi actuelle, on n'a pas besoin de demander la permission à la cour d'Appel; cela a été déjà décidé.

Il y a un problème qui a préoccupé également la Fédération des chambres de commerce — même si nous y reviendrons un peu plus tard dans la journée avec le mémoire de l'UPA — c'est la relocalisation des bâtiments, surtout des bâtiments de ferme. Lorsqu'il s'agit de déplacer un garage ou un hangar en milieu urbain, c'est relativement facile à apprécier. Mais, lorsqu'il s'agit de déplacer ce qui constitue l'un des bâtiments de l'ensemble d'une ferme, je pense qu'il y a un problème majeur et que l'exproprié devrait être consulté de façon immédiate. S'il n'y a pas d'entente, je pense bien que c'est le tribunal qui devrait se prononcer. Parce que c'est le cultivateur, en définitive, qui va vivre avec ces bâtiments et on sait que, dans une ferme, la disposition des bâtiments est importante que ce soit en ce qui concerne le vent, l'amoncellement de la neige, peu importent les raisons.

Je pense que le cultivateur devrait être consulté. S'il est d'accord, l'expropriant n'aura pas d'objection. Mais, s'il oppose une résistance et si on croit qu'elle est mal fondée, qu'on réfère au tribunal. Si on croit qu'elle est bien fondée et qu'on peut s'entendre, tant mieux. Je pense que le cas des déplacements de bâtiments est un problème majeur. Il est relativement facile pour un fonctionnaire qui connaît peu ou presque pas, souvent, la façon dont travaille ce cultivateur — je ne dis pas à l'Agriculture — parce que la Voirie a à son service des gens qui connaissent sûrement les différents domaines. On attribue des spécialistes à diverses fonctions.

Quant à l'exploitation de cette ferme, je pense qu'on doit consulter l'exproprié, et s'il n'y a pas d'entente, qu'on se fasse entendre devant le tribunal, en priorité.

Dans la dernière partie de notre mémoire, nous soulignons qu'il y avait peut-être lieu de tenir compte de certaines normes des lois d'expropriation les plus récentes au pays, soit celle de l'Ontario et la loi fédérale. Nous ne le faisons pas pour dire à cette commission d'imiter ces lois, parce qu'il y a des choses répréhen-sibles mais il y a d'excellentes choses, et nous voudrions insister en particulier sur un problème bien spécifique — et nous en traitons à l'article 27 de notre mémoire — en ce qui concerne les milieux défavorisés surtout et les cas de maisons unifamiliales.

La loi ontarienne prévoit une théorie qui n'est pas reconnue au Québec et qui est la théorie de la réinstallation, du "reinstatement", soit cette différence entre la valeur dépréciée d'une propriété — et j'ai bien spécifié que ça se produisait surtout dans les cas où des expropriations avaient Jieu dans des milieux défavorisés — la différence entre le prix que l'on donne et le prix réel. On dit: Votre maison, monsieur, on regrette infiniment mais elle ne vaut pas plus que $6,000. Mais qu'est-ce que cet exproprié va pouvoir faire avec $6,000; il ne pourra définitivement pas acheter une propriété semblable. Nous avons eu le cas — et M. le ministre va s'en souvenir probablement — d'une ancienne maison à Baie-Saint-Paul où on a construit un pont. C'était une ancienne maison canadienne et, avec la meilleure volonté du monde, les agents du ministère étaient arrivés à une indemnité, je pense, de $7,000. Et c'était payé pierre sur pierre parce que c'étaient des murs de trois pieds de profondeur.

Mais, avec $7,000, que pouvait faire ce cultivateur pour s'établir ailleurs? Il pouvait à peine s'acheter une roulotte et on sait qu'il répugne surtout aux cultivateurs de s'installer dans des roulottes. Evidemment, le ministère, après plusieurs années d'hésitation, a réussi à trouver un moyen pour indemniser convenablement l'individu, en ajoutant, je pense, quelques milliers de dollars. Je le signale justement pour dire qu'on a corrigé des situations comme celle-là, et les pratiques administratives du ministère de la Voirie, depuis dix ans, se sont améliorées -je dis dix ans, c'est peut-être sept ou huit — mais encore là, on est encore assujetti au bon vouloir d'un agent négociateur, ou les recommandations qu'il fera, ou encore des responsables.

Quand c'est dans une loi, je pense qu'il y a une sécurité au départ. Alors, la théorie du "reinstatement" dans le cas des maisons unifamiliales, je pense que ça devrait être inclus dans le présent projet de loi. Il y a dix ans, on n'était pas porté à regarder ces aspects parce que les expropriations se faisaient surtout en dehors des grandes villes. Mais aujourd'hui, surtout lorsqu'on fait de la rénovation urbaine, ce sont ces milieux qu'on affecte. On a le cas justement de la ville de Hull et j'ai ici avec moi un récent jugement de la Régie des services publics où on fait de la rénovation urbaine, où on traitait d'une quarantaine de causes, on avait fait une cause type. Le régisseur évidemment a essayé de trouver le plus possible. On sait qu'à Hull, dans ce milieu, c'étaient de petites maisons de bois à deux étages, locataire au deuxième et propriétaire au premier. Qu'est-ce qu'on pouvait donner à ces gens? Des indemnités de $5,000 et $6,000. Comment s'installer ailleurs? Le régisseur a dit, justement, s'en remettant au droit français — mais encore là, de la jurisprudence ou de la doctrine, cela ne mène pas loin quand on est exproprié: II faut que l'exproprié soit mis à même, autant que possible, de se procurer

au moyen de l'indemnité les mêmes droits et avantages que ceux dont l'expropriation le prive.

Or, même s'il voulait, avec ces $5,000 ou $6,000 s'acheter une petite maison de bois, c'est impossible de le faire. Il faut donc lui donner cette petite différence qui va faire qu'il va pouvoir se réinstaller.

M. PINARD: Me Alary, vous parlez de la loi de l'Ontario, je l'ai entre les mains. Est-ce que vous avez les références des articles?

M. ALARY: Oui, je l'ai.

M. PINARD: Je vois à l'article 14, par exemple, qu'il en est question, mais est-ce qu'il y a d'autres articles plus spécifiques concernant la réinstallation?

M. ALARY: Je pense que la loi de l'Ontario ne considère que les maisons d'habitation unifa-miliale. C'était un commencement. On sait comment le ministère a fait des efforts pour tenter de rétablir les expropriés, leur trouver des logements, des banques de logements ou encore les aider.

Je pense que la meilleure façon de les aider ce serait peut-être qu'ils aient le moyen de se réinstaller et que ce soit prévu dans la loi.

Alors c'est la seule référence à la loi onta-rienne qui considère la réinstallation quand il s'agit de maison d'habitation unifamiliale.

M. PINARD: L'article 14?

M. ALARY: Evidemment l'article 13 et l'article 14 vont de pair. Dans l'énumération des quatre critères d'indemnisation on trouve ce qui est tranquillisant, rassurant pour un exproprié, je parle du petit exproprié. La valeur marchande de sa maison, il n'y a pas de difficulté, on le fait déjà ici. Le dommage attribuable au déplacement, les inconvénients, nous ne l'avons pas dans la loi. On nous le donne au ministère de la Voirie, mais vous savez je parle du ministère de la Voirie comme critère, il y a bien d'autres corps expropriants. On citera plus souvent le ministère de la Voirie parce que c'est peut-être celui qui fait le plus d'expropriation dans la province, mais dans tous les autres cas c'est la même chose.

On trouve également "damage for injurious affection". "Injurious affection" en français ça se dit très mal, c'est cette atteinte défavorable. Nous ne l'avons pas ici, ça se relie un peu aux dommages indirects. Alors vous avez ce type qui est exproprié et son voisin ne l'est pas, mais le voisin va souffrir des dommages de l'expropriation. Chez nous on n'a jamais voulu payer de dommages indirects. Je pense qu'on devrait peut-être ouvrir une petite porte aux dommages indirects, peut-être pas l'ouvrir toute grande, ça viendra assez vite, mais l'ouvrir parce qu'il y a des gens qui subissent des dommages dus à l'expropriation mais ils n'ont aucun droit à l'indemnité parce qu'ils ne sont pas touchés.

Enfin, au paragraphe d) de cet article 13, on parle des difficultés spéciales de relocalisation. Le type qui est obligé de consulter des agents d'immeuble, qui est obligé de parcourir la ville le soir après le travail, c'est consolant pour lui de savoir qu'il aura $300 ou $400, peut-être même $6,000. Il va considérer qu'il n'a pas été frustré dans ses droits par l'expropriation. Alors, relativement à la loi ontarienne, c'était la relation que je faisais avec cette norme d'indemnisation.

La Fédération des chambres de commerce revient avec ce principe qui a été abondamment discuté jusqu'à maintenant, du moins ce matin, puisque j'ai entendu déjà mon confrère en parler, à savoir la loi unique, sans exception. On se souviendra, M. le ministre, que lorsqu'on a étudié la confection du rapport de la commission que vous aviez créée c'était ça le premier problème. Il y avait 300 lois d'expropriation distinctes. Il y avait des exceptions partout, on n'en sortait pas et on disait: Si on pouvait donc finir par avoir une loi unique. J'étais, le premier, très heureux, dans les commentaires qu'on faisait sur le bill 88, de dire: Nous avons une loi unique. Mais quelle n'a pas été ma surprise de trouver déjà une exception pour le ministère et une exception pour la ville de Montréal.

Je pourrai commenter abondamment vos questions là-dessus. Alors c'était là la position d'ensemble de la Fédération des chambres de commerce. Nous sommes à votre disposition pour faire des commentaires, s'il y a lieu.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le ministre.

M. PINARD: Me Alary, si je comprends bien votre mémoire et les remarques que vous avez faites au cours de sa présentation, vous demandez vous aussi, pour le compte de la Chambre de commerce de la province, la disparition de la section IV du projet de loi 88.

M. ALARY: C'est bien ça, M. le ministre. D'ailleurs j'entendais une réflexion à l'effet qu'il pourrait peut-être y avoir une période de transition. Je pense que nous la vivons, M. le ministre, cette période de transition. Depuis quelques années, les pratiques administratives de la Voirie se sont améliorées je dirais à 500 p.c. On a déjà mis en application nombre des recommandations que nous avions dans le mémoire et nombre des prescriptions que nous retrouvons dans le présent projet de loi. Et je pense que nous l'avons vécue cette période de transition.

Il y a un petit calcul que nous avions fait vers l'année 1967 ou 1968, en parlant du nombre de causes. A ce moment-là, on parlait de 20,000 ou 13,000, peu importe. On avait fait un calcul sommaire, si mon souvenir est bon — j'aurais pu apporter la statistique précise,

mais le ministère doit l'avoir — à l'effet qu'il y avait au moins 80 p.c. des cas dont la norme d'indemnité allait de zéro à $5,000. Ce sont de petits cas d'expropriation; cela a peut-être changé, remarquez bien. Mais, lorsqu'on parle de $50 millions, si on a déjà 20 cas qui vont chercher le million, pour les autres, cela diminue sensiblement le montant.

Les gros expropriés, ce ne sont pas eux qui en souffrent, encore une fois; ce sont les petits. Le ministre se souviendra d'un de mes cas où on avait eu une indemnité de l'ordre de $1 million. Il nous avait été demandé d'attendre, car on voulait payer de petits expropriés. Le propriétaire, bénéficiaire de cette indemnité de $1 million, avait convenu, malgré que c'était 5 p.c. et que ça ne faisait pas trop son affaire, d'attendre et d'être payé plus tard. Nous avions été payés, malgré un jugement qui ordonnait le paiement, je pense, six à douze mois plus tard que nous aurions pu l'être normalement.

Je pense que ce sont les petits expropriés qui souffrent du délai de paiement. Lorsque l'on vient avec les 50 p.c, c'est la même chose qui se produit. Encore une fois, ce ne seront pas les gros expropriés qui vont souffrir de la différence parce que, pour eux, retirer $100,000 ou seulement $50,000, cela a moins d'importance. Seulement, si c'est $5,000 et $2,500, ça, c'est plus difficile.

M. PINARD: Me Alary, vous savez fort bien, parce que vous êtes un praticien de l'expropriation aussi bien pour le compte du gouvernement que pour la partie privée, plus souvent pour la partie privée, que, sans attendre la grande réforme du régime de l'expropriation, les directives du ministre au service d'expropriation ont été de payer de préférence les petits expropriés parce qu'il n'ont pas le moyen de se financer, ils n'ont pas le moyen d'attendre pour se relocaliser ou de repartir en affaires et de continuer à faire fonctionner leur commerce, leur ferme, etc.

Nous avons voulu consacrer cela dans une réforme d'ordre juridique. Peut-être n'avons-nous pas réussi de façon idéale. Les questions ayant été posées et des réponses ayant été données, nous allons relire les mémoires, nous allons y réfléchir et nous verrons si vraiment le ministère de la Voirie peut, face à ses responsabilités de tous ordres, se dispenser du pouvoir de déposer un plan général, compte tenu des autres objectifs qu'il faut poursuivre et atteindre.

M. ALARY: M. le ministre, relativement à ce dépôt du plan général, si vous me permettez, tout à l'heure, l'objectif semblait être un problème de spéculation. Je suis du même avis que mon confrère; j'ai agi pour les corps expropriants; entre autres, j'ai fait le boulevard Métropolitain d'un bout à l'autre de l'île de Montréal et j'agis actuellement pour le compte du féféral à l'aéroport de Sainte-Scho- lastique. A ma connaissance, des cas de pure spéculation — on met les cartes sur table — j'en ai connu à peine trois ou quatre qui ont été décelés par le tribunal en quinze ans de pratique en expropriation et seulement en expropriation. Vous déposez un plan, une réserve pour fins publiques et vous dites: Ils vont savoir qu'on s'en va dans le milieu et cela va provoquer de la spéculation. Des reventes, à l'intérieur de 24 heures, d'une semaine ou de quelques mois, au double du prix payé, c'est très facile à constater. Un tribunal alerté va les définir tout de suite et ne donnera même pas la valeur du terrain adjacent s'il n'y a que ces ventes comme critère. Cela s'est fait à plusieurs reprises; nous avons eu le cas à Laval, nous avons eu le cas dans l'île de Montréal. J'ai même agi pour le ministère dans une cause à laquelle le ministre faisait allusion tout à l'heure où il y a eu véritablement des prix fort différents entre une année et l'année suivante, mais ce sont des facteurs qu'on doit accepter à l'occasion.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. Lefebvre, je n'ai pas de question à poser. Pardon, M. Alary.

M. ALARY: Merci, M. Paul.

M.PAUL: C'est parce que j'ai appris que mon prochain adversaire serait un dénommé Lefebvre. Depuis ce temps-là, je suis heureux et j'en n'ai pas dormi la nuit. Excusez-moi, M. Alary, parce que tous les Alary, chez nous, sont de bonnes gens.

M. ALARY: C'est partout pareil dans la province.

M. PAUL: Je vous remercie de votre mémoire qui complète les informations que nous avons reçues depuis le début de l'audition de ces mémoires. Vos explications viennent confirmer l'attitude que nous allons tâcher de tenir pour atteindre les objectifs visés par les intéressés en matière d'expropriation.

Ce qui m'a surtout intéressé, c'est le problème des dommages indirects que vous avez soulevé, ce matin, et que vous avez déjà détaillé dans les journaux.

Ce qui est regrettable, c'est qu'il semble qu'on ne vous ait pas consulté avant la rédaction de la loi. Si on vous avait consulté, je suis convaincu que les mémoires auraient été beaucoup plus courts et peut-être que nous en aurions eu moins, parce que la loi aurait été mieux faite, plus complète. Cependant, je ne veux en aucune façon adresser de reproches aux légistes qui y ont travaillé. Mais, n'ayant pas votre expérience, il s'agit maintenant pour eux de se mettre au même diapason que vous et, surtout, que le ministre comprenne la nécessité et l'urgence de faire disparaître des clauses

restrictives ou d'exception que l'on trouve en faveur du ministère de la Voirie et de la ville de Montréal. Ainsi, j'ai l'impression que tout le monde sera heureux.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Me Alary.

M. ALARY: Merci, M. le député. M. le Président, si vous me le permettez, relativement à l'allusion que le député vient de faire, à savoir que je n'ai pas été consulté. Je pense qu'on n'avait pas besoin de me consulter, nous avions déjà tout dit dans le rapport que nous avions remis. Il n'a jamais été dit que le projet de loi, en tout cas, votre serviteur n'a jamais dit que le projet de loi actuel était rétrograde. J'ai simplement dit — je voyais qu'on montrait une coupure qui faisait probablement allusion à cela — qu'il y avait des normes dans des lois plus récentes que le mémoire auquel on pouvait référer, qui avaient été pensées et, comme on cherche toujours l'idéal, je pense que le présent projet de loi peut également chercher l'idéal.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.

M. PERREAULT: MM. Alary et Létourneau, je suis un peu surpris de certains aspects du mémoire de la Chambre de commerce du Québec, sachant qu'elle représente non seulement les grandes municipalités, mais aussi les petites. Voici ce qui semble, sous certains aspects, dans votre mémoire, nuire grandement. Je vous réfère, par exemple, au paragraphe 17 de votre mémoire: "La détermination de l'indemnité suite à l'annulation d'une réserve devrait tenir compte de la différence entre la valeur marchande telle qu'établie au paragraphe 15 — vente libre — au moment de son imposition et la valeur marchande du même fonds de commerce au moment de son annulation".

Je vais donner un exemple. Pendant dix ans, j'ai été maire d'une petite ville que M. Létourneau connaît. C'est une ville ancienne. Nous avons un centre-ville commercial qui souffre d'étouffement. Nous avons voulu prévoir un futur élargissement de ces rues. Alors, il y a des commerces qui ne sont pas affectés. Ce changement peut avoir lieu d'ici quelques années, mais s'il faut payer tout ce que décrit l'article 17, vous allez supprimer cela complètement. Ainsi, les petites villes ne feront plus de projets d'urbanisme, de rénovations dans leur centre-ville. Cela deviendra une impossibilité.

M. ALARY: M. le député, à mon avis, c'est l'abus des réserves pour fins publiques qui doit être corrigé. Lorsque des villes homologuaient ou réservaient, pendant des périodes de quinze ou vingt ans, et qu'on savait que c'était pour quinze ou vingt ans, on ne s'en faisait pas. Cela continuait quand même. La rue Mont-Royal et les autres rues de Montréal ont été homologuées pendant trente et quarante ans et les gens continuaient d'exploiter des commerces et ils continuaient d'être prospères.

Mais avec la nouvelle loi, on sait maintenant que les réserves pour fins publiques seront de l'ordre de cinq ans, au maximum. Alors, les gens vont dire qu'il y a une expropriation qui s'en vient et vont commencer à vider le quartier. On a l'exemple actuellement, dans les cas de rénovations urbaines, de quartiers qui se vident, de commerces qui se déprécient. Si on abandonnait la réserve, cet exproprié éventuel qu'on a décidé de ne plus exproprier, son commerce a pu baisser subitement et ensuite, il va se retrouver avec un commerce qui n'aura plus de valeur.

M. PERREAULT: Oui, c'est un point de vue.

Le commerce peut prendre de la valeur à cause du marché ou du dynamisme du propriétaire. Je crois que c'est très dangereux de forcer les petites villes à s'embarquer dans votre article 17. Je crois que vous tenez compte de grandes villes et non pas de petites municipalités. Il est malheureux que votre mémoire soit axé quasiment au complet sur celui de la Chambre de commerce de Montréal. C'est une grande métropole. Il faudrait peut-être tenir compte des problèmes dans les petites municipalités. Hier, nous avons eu l'Union des conseils de comté. Vous demandez une loi unique de même application pour tout le monde. Je crois que vous faites fi des demandes de l'Union des conseils de comté.

M. ALARY: M. le député, si vous me le permettez, nous faisions allusion, tout à l'heure, au fait que les expropriations, aux termes du code municipal, en se référant aux conseils de comté, avaient trait surtout à des petites indemnités. Or, je pense qu'il se trouve des cas où les indemnités sont beaucoup plus importantes qu'on peut le penser. Actuellement, dans des municipalités, on a ce qu'on appelle des terrains de camping qui peuvent valoir de $50,000 à $100,000. Ils sont expropriés aux termes du code municipal actuel. Si nous gardons la loi actuelle pour les campagnes ou les conseils de comté, l'indemnité d'un individu va être arbitrée par trois personnes. Il y a un jugement qui n'a pas besoin d'être motivé et il n'y a pas d'appel. Je pense bien que c'est une question de vie ou de mort pour ces gens. Ils seraient mieux protégés aux termes de la loi générale.

M. PERREAULT: M. Alary, lorsque je disais: Tenir compte des demandes, cela ne veut pas dire conserver les choses actuelles. Tout de même, on doit pouvoir trouver les solutions qui vont correspondre aux objectifs de ces gens. Un objectif m'est venu à l'idée à la suite de l'exposé qui nous a été fait hier, par M. Dostie — je ne sais pas si vous étiez ici — du Bureau des expropriations de Montréal, qui est un tribunal de première instance où les causes se règlent

rapidement. Il nous a fait part d'une très grande expérience hier. On peut régler les causes sans le tralala juridique, rapidement et, la plupart du temps, d'une manière adéquate et honnête envers l'exproprié. On diminue les frais, à ce moment4à. On le fait pour la ville de Montréal et les petites municipalités sont acculées à aller devant le tribunal; elles sont exposées à de très gros frais d'expropriation. Ce qu'on va voir à l'avenir — je le dis ici — c'est que nous allons limiter le progrès de beaucoup de petites municipalités qui vont laisser pourrir la situation plutôt que de s'exposer à des frais, parce qu'elles sont prises devant des électeurs qui sont beaucoup plus sensibles à des frais d'expropriation pour moderniser. J'en parle en connaissance de cause. Je me demande si, pour tenir compte de tout cela, il n'y aurait pas lieu de considérer, à l'échelle de la province, un tribunal de première instance pour ces cas. Non pas conserver le code municipal actuel, mais créer un tribunal de première instance. J'aimerais avoir votre avis là-dessus. N'y aurait-il pas possibilité, en même temps, au lieu d'avoir un tribunal à Montréal et à Québec, ce qui serait très loin pour certaines gens de la province, de penser aux offices de révision du bill 48 pour agir comme tribunal de première instance? Ces offices sont formés d'évaluateurs, d'avocats, de comptables. Je me demande si nous ne pourrions pas profiter de la création de ces offices pour en faire un tribunal de première instance.

M. ALARY: M. le député, peut-être que votre suggestion est fort valable, mais m'en tenant au projet de loi actuel, je pense...

M. PERREAULT: Le projet de loi, M. Alary, est un document de travail. C'est mon gouvernement, mais c'est un document de travail pour moi aussi.

M. ALARY: D'accord, mais il y a déjà dans cela une ébauche de mécanisme qui ressemble étrangement à celui que vous proposez. Le président du tribunal peut ordonner aux parties de venir se présenter devant lui. Jusqu'à maintenant, avec la loi actuelle, les parties viennent pour dire: On s'entend sur les bâtisses, on s'entend sur ceci, on s'entend sur cela. Rien n'empêche que ces gens, puisqu'ils sont à la même table... En matière d'expropriation, le gros problème est de se rencontrer et de se voir arbitrer. On l'a déjà dans le projet de loi actuel. Si on voulait le raffiner un peu, cela répondrait exactement aux besoins et on centraliserait en même temps les expropriations. Si on va porter une partie des expropriations sur un autre territoire — vous parlez du champ de l'évaluation municipale — on va avoir un problème immense, parce qu'il y a souvent des conflits entre l'évaluation municipale et l'indemnité qui intervient à la fin. C'est frustrant, pour un évaluateur municipal qui est très près de la négociation, de dire: Mon évaluation n'est pas bonne. Je constate que j'ai fait erreur.

M. PERREAULT: L'office de révision n'est pas formé d'évaluateurs municipaux. Je regrette, ce n'est pas cela qui est dans le bill 48.

M. ALARY: Non, ce sont des gens qui ont droit de regard sur les évaluations municipales.

M. PERREAULT: C'est cela.

M. ALARY: Lorsqu'on arrive en expropriation, on se rend compte que l'évaluation n'est pas du tout faite sur la même base, pas du tout de la même façon que pour les fins d'une évaluation municipale.

M. PERREAULT: Vous êtes un expert, vous avez plaidé des causes. J'y suis allé moi aussi. J'ai eu l'expérience d'aller devant le tribunal de la Régie des services publics. Croyez-vous réellement, sincèrement, qu'il faut garder ça sous la présidence d'un juge, avec tout le tralala juridique qui s'impose? Est-ce que ça diminue les embêtements?

M. ALARY: Oui, avec la façon qui est prévue ici de convoquer les gens à l'avance. C'est un peu le travail du commissaire-enquêteur. Il convoque les gens et dit: Quelle est la différence? Où se situe le litige? Je pense qu'on joue exactement le rôle que le Bureau des expropriations de Montréal a joué au niveau de la ville de Montréal, mais avec des inconvénients. Vous ne me demandez pas quels sont les inconvénients mais je vous dis qu'il y avait des inconvénients, à avoir une juridiction uniquement pour la ville de Montréal et selon la façon dont cela se passait. Je pense qu'il faut rester dans le cadre du tribunal mais lui permettre d'accélérer son travail en convoquant un seul membre. Les parties en cause viendraient seules ou avec leur avocat et diraient: Ecoutez, le litige porte uniquement sur le terrain. Et puis, encore une fois, c'est l'occasion de se rencontrer qui fait qu'on règle des causes d'expropriation.

M. PERREAULT: M. Dostie, hier, nous disait qu'il n'y avait pas 0.5 p.c. des causes qui ont été appelées sur des points de droit.

M. ALARY: Je n'ai pas fait de statistiques, M. le député, mais quant à moi je conteste ce 0.5 p.c. C'est ce que je peux vous dire.

M. PINARD: Quel pourcentage cela pourrait-il être, d'après vous?

M. ALARY: Nous en avons — Me Bélanger et moi-même — manipulé, mais selon qu'on parle en termes de dollars ou en termes de causes il faut être prudent. Avec le Bureau des expropriations de Montréal, vous avez une propriété subdivisée en 25 lots. Ce sont 25 points. Eux autres, ils appellent cela 25 causes. Ce ne sont pas 25 causes mais une seule. Il faut donc être très prudent, de ce côté, avec le

nombre de causes. Si on parle en termes de dollars, je pense bien que le pourcentage sera extrêmement différent de celui qui est mentionné, extrêmement supérieur à cela.

M. PERREAULT: II me fait plaisir de savoir cela. Nous aurons la ville de Montréal, un peu plus tard. Je lui demanderai de nous donner les chiffres. Mais j'aimerais bien que la chambre de commerce se penche sur les problèmes soulevés mais non pas pour les résoudre, comme les conseils de comté le veulent. Que la chambre de commerce, qui représente l'ensemble des chambres de commerce de la province, regarde de plus près les solutions et regarde ce qui vient de la base, soit les chambres de commerce locales.

M. LETOURNEAU: M. le Président, les remarques du député de L'Assomption semblent impliquer que nous n'avons pas considéré les problèmes des petites municipalités et que les municipalités, lorsqu'elles faisaient de l'expropriation, le faisaient complètement à leurs frais. A moins que je ne me trompe, la Société d'habitation du Québec, lorsqu'il est question de rénovation urbaine, appuyée financièrement en cela par la Société centrale d'hypothèques et de logement, apporte une aide assez considérable aux municipalités qui veulent faire de la rénovation urbaine.

Pour préciser la norme, j'aimerais que mon collègue, M. Morin, qui a eu une certaine expérience dans ce domaine, nous apporte les chiffres qu'il a en sa possession, concernant l'assistance qui est fournie aux municipalités qui veulent faire de la rénovation urbaine.

M. PERREAULT: Je regrette, M. Létour-neau, mais ce que j'ai mentionné tout à l'heure n'est applicable à aucun programme de la Société centrale d'hypothèques et de logement ou de la Société d'habitation du Québec. Ce n'est applicable à aucun programme. Ce n'est pas acceptable. H n'y a pas d'aide possible au sujet du cas que j'ai mentionné tout à l'heure.

M. LETOURNEAU: Nous avons travaillé en collaboration avec des chambres de commerce locales, dans la province. Nous le faisons, actuellement, avec les gens de Thetford Mines et je pense qu'à Alma il y a eu des travaux importants de faits dans ce coin, ainsi qu'à Jonquière.

M. PERREAULT: Mais là vous tombez dans des villes moyennes. Je parle de municipalités de 5,000, 6,000, 7,000, 8,000 ou 9,000 de population. Ne m'amenez pas Jonquière, Chicoutimi, Montréal, Sherbrooke ou Trois-Rivières. Ce n'est pas celles-là que je vise.

M. LETOURNEAU: Je ne sais pas si, même en appliquant les normes que nous proposons ici, cela causerait des problèmes d'une telle envergure. Franchement, c'est une bonne question, que nous apprécions.

Nous pourrons regarder comment ça peut être affecté. Nous n'avions pas prévu que l'application des normes que nous recommandons puisse causer un problème majeur ou aussi important que celui que vous semblez nous souligner.

M. MORIN: En appliquant l'article 17 du mémoire, le député, M. Perreault, a raison dans le cas de municipalités de moins de 10,000 habitants qui, actuellement, ont beaucoup de difficultés à faire adopter des programmes de rénovation urbaine. Cependant, il faudrait noter que, d'une part, ça s'inscrit dans le cadre d'une réforme de l'homologation comme telle, création de réserves pour fins publiques, et d'autre part, peut-être justement du fait que les réserves pour fins publiques seraient appliquées à tout le territoire québécois par tous les corps expropriants ou ayant le pouvoir d'exproprier. On pourrait modifier les normes au ministère des Affaires municipales ou à la Société d'habitation quant à l'assistance dont elle pourrait bénéficier dans l'acquisition de fonds de terre pour fins de rénovation publique ou urbaine. Ils ont, en fait, les mêmes problèmes de rénovation urbaine que peuvent avoir de plus grandes grandes municipalités.

Autre point qu'il serait important de souligner, c'est le lien qu'on a pu tracer entre le bill 88 et la loi 48 déjà existante sur l'évaluation, et surtout avec le document de travail qui a été déposé sur l'urbanisme. A long terme, les problèmes d'expropriation devraient être en bonne partie résolus par la loi-cadre d'urbanisme, tant au niveau des réserves pour fins publiques qu'au niveau des expropriations comme telles.

M. PERREAULT: II y a un autre point aussi que je veux souligner, le droit d'appel. Dans l'article 22 de votre mémoire, vous dites: "... ne devrait pas être obligé de demander la permission de deux juges de la cour d'Appel". Dans votre esprit, est-ce que les frais inhérents à ce droit d'appel seront toujours à la charge de l'expropriant?

M. ALARY: C'est celui qui perd à la fin qui paie, c'est toujours le même problème. Il y a un gagnant et un perdant en ce qui concerne le droit d'appel et l'appel proprement dit. Dans la plupart des cas — il faut quand même dire toute la vérité — la partie expropriante paie ordinairement, et depuis quelques années même il est arrivé que les tribunaux ont accordé comme indemnité l'offre du ministère, par exemple, et ils ont quand même condamné le ministère aux frais.

En ce qui concerne les frais, on y a fait allusion un peu plus tôt, depuis quelques années — même quelques mois en ce qui concerne les évaluateurs — les frais sont à peu près entièrement payés par les corps expropriants. Les expropriés n'ont presque plus à assumer de

frais, sauf dans des cas d'exception. Evidemment, si quelqu'un veut contester le droit à l'expropriation c'est son privilège, mais il est obligé d'assumer les frais.

M. PERREAULT: En conclusion, je vous demanderai d'y repenser parce que je crois qu'on a trop fait de l'expropriation une affaire juridique et qu'on n'a pas tenu compte des composantes de l'évaluation, qui est surtout basée sur l'évolution technique, des facteurs de génie et socio-économiques. Et on s'est appliqué surtout à en faire une affaire juridique.

M. ALARY: II faut avoir quand même une base juridique pour indemniser. Si on s'en tient uniquement au principe de l'article 407 du code civil on ne va pas loin, parce que chaque cas d'expropriation est un cas d'espèce. Il faut tâcher d'énumérer un certain nombre de cas d'espèce pour avoir une bonne assise juridique pour ensuite pouvoir, avec des techniques pratiques, établir des montants d'indemnité.

C'est toujours là le problème. On va dire: On ne peut pas t'indemniser, tu ne tombes pas dans cette catégorie, celle qu'on avait l'habitude d'indemniser. Il est tout de suite à côté. C'est toujours le même problème. Si la loi n'est pas assez explicite, et qu'on est obligé d'attendre une jurisprudence, on attend cinq ou dix ans. C'est là le problème.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous remercions la Chambre de commerce de la province de Québec, Me Alary, M. Létoumeau, M. Morin de votre mémoire et de sa présentation.

L'organisme suivant, la Corporation des éva-luateurs agréés du Québec.

Corporation des évaluateurs agréés du Québec

M. ALARY: M. le Président, malheureusement, vous m'avez encore. Maintenant, il s'agit ici d'un organisme spécialisé où nous traitons surtout de problèmes techniques. Je voudrais vous présenter M. Simard, vice-président de la Corporation des évaluateurs agréés du Québec; M. Dion, administrateur de la même corporation, et M. Picard, directeur de cette corporation et aussi président d'une corporation qui s'appelle l'APEEQ, c'est-à-dire des évaluateurs spécialisés en expropriation. Le présent mémoire a été préparé en collaboration avec la Corporation des évaluateurs et son association affiliée, si vous voulez, les évaluateurs spécialisés en expropriation.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, Me Alary, vous êtes le porte-parole du groupe.

M. ALARY: Je suis le porte-parole, encore une fois, du groupe. Merci, M. le Président, de m'y faire penser. Cet après-midi, j'y penserai, ou plus tard ce matin.

Je pense, M. le Président, si la commission est d'accord, qu'il vaut la peine avec ce mémoire de reprendre le projet de loi article par article, c'est-à-dire les articles que nous commentons, parce qu'il s'agit de problèmes assez techniques, à moins que vous ne préfériez procéder tout simplement par questions. Parce que les évaluateurs ont cru bon, étant donné que c'est leur métier d'évaluer, de s'en tenir surtout à des articles qui étaient propres à leur pratique quotidienne.

M. PINARD: Me permettez-vous une suggestion, Me Alary?

M. ALARY: Oui, bien sûr.

M. PINARD: Si, par hasard, votre représentation regroupe sensiblement les représentations déjà faites, peut-être qu'on pourrait éviter la discussion là-dessus et peut-être pourriez-vous vous en tenir seulement à des éléments nouveaux de discussion ou à des éléments de discussion qui pourraient avoir un caractère plus technique et plus spécifique, vu qu'il ne s'agit pas des membres du Barreau qui présentent un mémoire, mais de la Corporation des évaluateurs agréés du Québec.

M. ALARY: Oui, M. le ministre, d'accord. Je prends, à titre d'exemple, notre paragraphe 7 qui se rapporte à l'article 3 où les évaluateurs, parce qu'ils sont quotidiennement devant les tribunaux d'expropriation, souhaiteraient voir porté à 18 le nombre des membres du tribunal siégeant dans la division de Montréal où il y a, évidemment, le plus grand nombre de causes, afin de faire en sorte qu'il n'y ait pas une période d'attente trop longue. Cela, en passant, s'est considérablement amélioré depuis quelques années, il faut le souligner.

M. PINARD: Ce ne sont pas nécessairement des juges qui devraient être nommés ou des assesseurs qui auraient des connaissances plutôt techniques, administratives et comptables?

M. ALARY: M. le Président, à l'article suivant, nous précisons qu'il doit y avoir, parmi, en tout cas, les membres d'une division, un évaluateur agréé. Que ce soit un juge qui préside un tribunal, je pense que c'est souhaitable parce qu'à l'intérieur de toute cause d'expropriation, qu'on le veuille ou non, il se retrouve une référence à une base juridique. A-t-il droit d'être indemnisé, oui ou non? Il faut interpréter. Je pense bien que c'est essentiel, on n'en sortira jamais.

A l'article 37, notre paragraphe 9, on voudrait bien que la loi précise que les biens meubles peuvent être l'objet de l'expropriation. Parce que c'est toujours une bataille à finir. On exproprie une maison de chambres; on a là un locataire, disons, qui exploite une maison de chambres. On a un premier problème parce

qu'il s'agit d'un cas de locataire, il est couvert maintenant par le projet de loi. L'entité juridique de son commerce, ce n'est pas couvert par le projet de loi. Le deuxième problème qui va persister, malgré le projet de loi actuel, c'est que les meubles qu'il y a là, les lits, couvertures et tout le tralala, on dit: On n'exproprie pas ça, on n'a jamais exproprié cela; tout ce qu'on exproprie, c'est un immeuble. On a amélioré en disant: On expropriera les meubles lorsqu'ils seront des accessoires de l'immeuble. Est-ce qu'on va interpréter — là, il va falloir attendre une jurisprudence, probablement — que les meubles qui garnissent les locaux occupés par une maison de chambre, qui n'appartiennent pas au propriétaire, mais appartiennent à une tierce personne, seront compris?

On voudrait bien, mais on sait que ça va faire l'objet d'un procès. Il ne faudrait pas. On peut décider d'exproprier certains biens meubles, il y en a qui doivent l'être. Il peut y avoir des actions, des obligations. Il peut y avoir un nombre considérable de biens meubles qui devraient faire l'objet d'expropriation et non pas faire l'objet de dommages tirés par les cheveux, si on veut.

M. PINARD: II faudrait en arriver à faire des distinctions. On n'est quand même pas pour exproprier un mobilier de chambre qui éventuellement va servir à l'autre endroit où pourrait être relocalisée cette maison de chambres.

M. ALARY: Alors on revient au problème des fonds de commerce. On veut bien maintenir la règle qu'un fonds de commerce peut a priori être déménagé ou relocalisé. Les autres lois, M. le ministre, auxquelles nous faisons allusion, je ne dis pas qu'elles sont meilleures que celles que nous avons et celles que nous aurons, mais on indique au moins que ces commerces on les relocalisera si c'est possible, faisable ("feasible"). Nous, nous n'avons rien. Alors on pourra toujours dire à un commerçant: Monsieur, vous auriez dû déménager, pourquoi avez-vous fermé boutique? Vous auriez dû vous déplacer.

On veut bien la maintenir cette règle du déplacement, de la relocalisation mais il faudrait au moins donner la chance au locataire commerçant — cela peut s'appliquer également au propriétaire — de pouvoir faire la preuve que ce n'était pas possible de déménager.

M. PINARD: Qu'est-ce que la loi de l'Ontario dit là-dessus? Avez-vous l'article, la référence?

M. ALARY: "Feasible". Je pense que c'est l'article 13 encore une fois ou 14, les mêmes articles. Je m'excuse, c'est à l'article 19, dernière phrase, "tourelocate", le mot "feasible" est employé. Pour un locataire ou un commerçant c'est ça le critère. Est-ce que c'est possible de me relocaliser? Si c'est un commerce local que j'ai et qu'on exproprie la Petite

Bourgogne, la Place Radio-Canada, le commerce, il ne se relocalise pas. Je sais bien qu'en pratique on finit toujours par faire reconnaître que son commerce se relocalise ou ne se relocalise pas mais c'est un procès à finir chaque fois. Il faudrait qu'il y ait plus de souplesse de ce côté-là. J'en profite, puisqu'on est dans la loi ontarienne, pour revenir sur un problème qui nous intéressera plus tard en ce qui concerne les baux.

Il y a une certaine norme d'évaluation en ce qui concerne un bail qui se termine. Il arrive souvent qu'un corps public va exproprier et c'est toujours dans le cas de commerces que ça pose un problème. On peut exproprier un commerce qui est à l'avant-dernière année de l'expiration de son bail. Mais ça fait 40 ans que le même commerce existe au même endroit, la possibilité est excellente qu'il continue.

Or, récemment, nous avons eu un jugement d'un tribunal. Cela faisait 40 ans qu'il y avait le même genre de commerce au même endroit. On a dit: II ne vous reste plus qu'une seule année à courir. On coupe l'indemnité en deux. La loi ontarienne prévoyait, disait au juge: Vous allez tenir compte des possibilités de renouvellement. Je me réfère à l'article 18, section II, sous-paragraphe c): "Prospect of renewal". Encore là il y a quelque chose qui se rattache au droit de ce type-là. Il peut dire: Bien moi, j'avais une chance énorme de rester sur place. Ce n'est pas facile.

L'article 42 traite exactement des cas de locataires, dont nous venons de parler. Nous pensons qu'il y aurait eu intérêt à améliorer la définition du mot "locataire" par occupant de bonne foi. Locataire se réfère toujours soit à un bail écrit, soit à un bail verbal, il n'y a pas d'erreur. Mais il y a d'autres gens qui occupent des emplacements ou des logements et ils n'ont pas de ces baux écrits; on ne peut même pas les relier à un bail verbal. Je pense à l'article 1608 de notre code civil qui prévoit exactement le cas de gens qui n'ont pas l'un ou l'autre.

Pensons par exemple à celui qui travaille dans une conciergerie. Pensons également au fils qui habite un logement qui appartient à son père. Il n'y a même pas un bail présumé. Il est un occupant de bonne foi. Je pense qu'on devrait ajouter un mot "locataire" les occupants de bonne foi si on veut couvrir l'ensemble de tous ceux qui occupent sans qu'ils soient propriétaires. Cela se référait à l'article 42 du projet de loi. L'article 51 revient sur le problème imputable au déplacement, au déménagement et sommairement je reviens sur ce que j'ai déjà dit en ce qui concerne les fonds de commerce. L'indemnité forfaitaire de trois mois n'est pas réaliste.

IL faut absolument la revoir pour autant que les commerçants sont concernés et même pour les maisons d'habitation. Surtout dans les quartiers défavorisés, où l'on paie $60 ou $75 de loyer mensuel, trois fois $75, ça n'aide pas beaucoup à se reloger ailleurs.

Evidemment, la corporation s'étonne des exceptions prévues par le projet. En ce qui concerne la ville de Montréal et la Voirie, les raisons ont déjà été abondamment citées et je pense bien qu'on n'a pas à y revenir. L'article 77 — le paragraphe 16 de notre mémoire — traite du taux d'intérêt. Encore une fois, il n'y a pas lieu de répéter que les 5 p.c. sont insuffisants; il faudrait peut-être nous en remettre aux autres lois concurrentes. Sur notre même territoire, le fédéral a osé, même si c'est lui le grand patron de l'intérêt légal, dans son récent texte de loi sur l'expropriation, dire qu'il y aura un intérêt additionnel et qu'il paiera la différence entre les 5 p.c, le taux d'intérêt légal, et le taux de ce que rapportent les bons du trésor. Le fédéral va plus loin, il se pénalise même, par un taux d'intérêt majoré, lorsqu'il y a retard à payer ce que nous appelons l'indemnité provisionnelle ou encore à payer l'indemnité. Je pense que c'est un exemple de magnanimité; peut-être n'a-t-on pas les moyens, nous, d'être aussi magnanimes.

En ce qui concerne l'article 78 et les suivants relativement aux réserves pour fins publiques, il y aurait ici â souligner deux cas majeurs qui créent des injustices dans cette province — il faudrait, en tout cas, se référer au projet de loi si on veut corriger cette situation — c'est l'application de la Loi de la Société de l'habitation du Québec qui prévoit des programmes de rénovation urbaine sur certaines périodes de temps. Cette période de temps équivaut à une réserve pour fins publiques sans qu'on la nomme comme telle. Il se produit actuellement, on le vit dans le cas de la Petite Bourgogne, que la ville va décider que son opération va s'étendre sur cinq ans, elle va avertir les gens, tout le monde sera au courant qu'on va libérer, qu'on va raser le quartier. On se rend compte que les gens partent un à un, ça commence par les locataires, les propriétaires hésitent parce qu'ils sont toujours chez eux, les locaux se vident, les commerçants résistent encore davantage parce que c'est toute leur vie qui est dans leur commerce, et la première chose que l'on sait, le quartier est vide et on n'est pas encore rendu au moment où on va exproprier les commerçants.

Vous savez que, lorsqu'on exproprie un commerçant, ce qui détermine l'indemnité, c'est la valeur du commerce au moment où on la détermine. Parce qu'il n'y a pas de possession préalable ici, ce commerce-là ne vaut plus rien, ou bien le gars a déjà déguerpi et il se retrouve avec rien. On a même vu le cas d'une usine où il y avait de la machinerie qui valait plusieurs centaines de milliers de dollars, tout le monde avait quitté, les employés n'étaient plus à proximité comme c'était le cas dans le passé, ils étaient seuls et sujets à des attaques de toute nature. Ils ont dû déménager leur machinerie à leurs propres frais. Quand la ville est arrivée, elle a dit: II n'y a plus rien dans cet édifice, on ne paie pas de déménagement, vous êtes partis.

Je pense qu'il faudrait que la loi fasse une référence à la Loi de la Société d'habitation du Québec en ce qui touche les plans de rénovation urbaine. La même chose existe — à la page 7 de notre mémoire, au paragraphe b)— là où les municipalités — évidemment avec la Loi sur l'urbanisme — ont des règlements de zonage, le zonage pour fins publiques ou l'utilisation publique. C'est une expropriation déguisée, camouflée.

On a le cas de municipalités, actuellement — on peut les nommer : la ville de Laval, la ville de Longueuil — qui ont ces zonages. Les gens ne peuvent pas aménager leur terrain. Ils vont voir la ville et la ville leur dit: Contestez notre règlement. On conteste le règlement devant la cour Supérieure. Cela prend trois ans à venir et, lorsque la cause vient, ils confessent jugement. Ils disent: C'est vrai, nous avions tort, notre règlement est illégal. Je pense qu'on a un jugement de la cour d'Appel, le jugement Soulat, qui dit qu'un règlement de zonage pour fins publiques est une expropriation déguisée, sans indemnité et est absolument illégal. Mais les municipalités nous amènent jusqu'à la limite, dans chaque cas. J'ai vu le cas d'une de ces municipalités qui a confessé jugement sur la terre X et la terre Y, qui étaient affectées du même zonage. Elle a dû intenter une procédure en cour Supérieure et va attendre encore trois ans avant qu'ils confessent jugement.

Je pense qu'on devrait relever ces anomalies et faire en sorte que ces expropriations camouflées soient corrigées une fois pour toutes.

A l'article 81, nous disions: Cet article "prévoit avec raison qu'aucune taxe foncière, municipale ou scolaire, n'est payable, etc. Toutefois, l'on ne se réfère, à la fin de cette partie, qu'aux réserves de deux ans." Je pense qu'il y a peut-être là une petite anomalie. On dit, dans la présentation du projet de loi, que toutes les réserves pour fins publiques vont donner lieu à une indemnité, évidemment s'il y a des dommages. Le minimum est que celui qui est affecté de cette réserve pour fins publiques doit prouver ses dommages. Mais on semble indiquer que c'est seulement dans le cas où il y a une réserve pour fins publiques de deux ans que l'on paiera des indemnités. Il y a peut-être lieu de raffiner l'article pour couvrir tous les cas, en tout cas, pour ne pas donner ouverture à des contestations sur le sujet.

La Corporation des évaluateurs est évidemment surprise, jusqu'à un certain point, de voir que l'on permet au Bureau des expropriations de Montréal de continuer de fonctionner parce qu'on voulait centraliser, une fois pour toutes, connaître les mêmes décisions administratives, la même jurisprudence. Il faut peut-être comprendre que les causes qui sont en délibéré devant ce même bureau doivent être terminées. Je pense bien que c'est un minimum qu'on peut permettre. Mais, s'il fallait que ce soit une situation qui se continue, on connaîtrait l'imbroglio actuel, et qui persiste depuis toujours, à savoir que, d'un côté, on juge blanc et que, de

l'autre, on juge noir et qu'on ne tient pas du tout compte des décisions qui peuvent être rendues à la juridiction supérieure. C'est vraiment embarrassant pour les expropriés.

Au niveau de ces tribunaux d'arbitrage, le député de L'Assomption, tout à l'heure, à l'occasion de l'autre mémoire, disait qu'il était plus facile de s'entendre lorsqu'on fait cela en famille. Mais cela demande un minimum de décors. Je pense bien que, si on est devant le tribunal, il existera quelqu'un qui déterminera comment cela doit se passer. Il y aura des règles de pratique, de procédure à suivre; sans quoi, on ne se retrouve pas et on peut être traité de différentes façons.

Je reviens sur la norme de dommages indirects. Ce sont les mêmes remarques que j'ai déjà faites dans le mémoire précédent, à savoir qu'il y a des gens qui souffrent de l'expropriation, de façon indirecte. Je vous cite un exemple, cette fois: l'agent d'immeuble qui a une option sur une propriété. Elle est déjà vendue, si on veut, et l'expropriation intervient. Ce bonhomme-là a fait tout son travail et il n'a droit à rien. Je pense qu'on devrait prévoir un cas comme celui-là. C'est peut-être un des quatre ou cinq cas, qu'on avait suggérés dans le rapport du comité autrefois, où il devrait y avoir ouverture à indemnité.

Le retard dans le paiement de l'indemnité. Eh bien, on pourrait commenter longuement. On sait que le ministère fait des efforts de ce côté-là, mais à la fin, c'est l'exproprié qui attend et on sait que les banques, les organismes qui prêtaient facilement autrefois dans les cas d'expropriation — parce qu'ils avaient une certaine sécurité qu'ils seraient remboursés— aujourd'hui, refusent non pas parce qu'ils ne savent pas que l'argent viendra un jour, mais parce qu'ils ne savent pas quand il viendra.

Je me demande si le législateur ne serait pas prêt à aller aussi loin que le gouvernement fédéral et dire qu'il y a des normes précises d'indemnisation et, si on ne les respecte pas, on se pénalisera selon un taux d'intérêt majoré ou d'une autre façon. Cela donnerait au moins satisfaction à celui qui attend de dire: Bien, ce n'est plus 5 p.c. ou 6 p.c, c'est 7 p.c. ou 8 p.c. Ce ne serait pas un facteur financier important pour le ministère, mais l'exproprié en sortirait peut-être content.

M. PINARD : On peut peut-être fixer le moment où il y a vraiment retard à payer.

M. ALARY: Je pense que 90 jours après un règlement ou après un jugement, il n'y a pas de scandale, parce qu'il y a une machine administrative à mettre en marche et on ne s'en surprend pas. Mais je peux vous dire, par expérience, que même après des jugements de la cour où il n'y avait pas d'appel, j'ai déjà attendu une année le paiement d'un jugement, après des représentations gentilles, etc. Et j'ai des cas précis à l'esprit. Tout simplement parce qu'on arrivait à la fin d'une année financière me disait-on, et il n'y avait plus de fonds pour la région de Montréal ou, peu importe la raison, mais j'ai déjà attendu une année.

Et il arrive actuellement que nous attendons souvent plus longtemps à la suite d'une décision du tribunal pour n'être payés que lorsque nous faisons un règlement à l'amiable dans les bureaux du ministère ou ailleurs. Je ne pense pas que ce soit normal, surtout dans le cas de jugements, il me semble qu'il devrait y avoir une norme précise, soit 90 jours, même on peut aller à quatre mois si on pense que ce n'est pas suffisant. Mais c'est le délai qui vient après, qu'on ne peut pas supporter. Nous, comme procureurs ou évaluateurs, nous le supportons bien, mais ce sont les expropriés qui, à la fin, doivent supporter tout cela.

Les fameuses pénalités pour remboursement d'hypothèques avant terme. A ce sujet, nous avons eu des problèmes et ce sont surtout les expropriés, à la fin, qui ont écopé. Le ministère a pris une bonne décision, je pense bien, d'indemniser ce qu'on croyait être une honnête indemnisation. C'est-à-dire qu'on remettait à un créancier hypothécaire une somme, soit $25,000, deux ans plus tôt qu'il ne l'attendait ou $50,000 et puis, il devait, lui, faire des démarches pour la replacer quelque part.

Les gens, avec les retards des règlements des causes d'expropriation, ont pris de l'expérience et en sont venus à aller à l'extrême. Et nous avons retrouvé dernièrement dans un contrat de ce genre, soit celui d'une propriété expropriée, une clause indiquant qu'on devait lui rembourser 18 mois de pénalité s'il y avait une expropriation. C'était manifestement exagéré. Mais encore une fois, c'est l'exproprié qui le paie parce que, lui, pour se faire rembourser, il devra intenter une action en cour Supérieure et dire que c'est vraiment exagéré aux termes d'une prescription du code de procédure civile et dire qu'il a le droit d'être remboursé. C'est lui, entre-temps, qui doit faire les démarches, qui doit subir les frais et tout ce qu'on veut pour récupérer ce qu'on lui a demandé en trop.

Si on dépose l'argent chez un protonotaire, comme cela devrait se faire pour accélérer les choses, le protonotaire va retenir le montant.

Il va dire: C'est dans le contrat. Cela lie les parties. Je retiens le montant. Même le ministère, s'il paye directement l'exproprié, sans tenir compte de la clause de pénalité, pourrait être poursuivi. Pourquoi ne poursuivrait-on pas le ministère pour avoir payé indûment? Ou on va poursuivre l'exproprié. L'exproprié va mettre en cause ou appeler en garantie le ministère. Mais où cela mènera-t-il? Cela va mener à un autre procès. Il y aurait peut-être lieu de le prévoir dans la loi. Ce ne serait pas une grosse difficulté et cela ne frusterait personne d'aucun droit.

Messieurs de la commission, M. le Président,

c'est tout ce que nous avions à dire, pour autant que cette corporation est concernée. Je vous remercie de votre attention.

M. PINARD:Me Alary, quand vous faites référence à la loi de l'Ontario, est-ce que c'est le chapitre 154 intitulé "The Expropriation Act"?

M. ALARY: De quelle année?

M. PINARD: Je n'ai pas l'année. J'ai seulement la référence.

M. ALARY: M. le ministre, évidemment, j'ai obtenu ceci. C'est la deuxième session, 28e Législature, 17 Elizabeth II, 1968-1969. C'est le document final. C'est l'ancien bill 5. C'est en application actuellement.

M. PINARD: Mais je veux savoir si nous parlons...

M. ALARY: De la même chose?

M. PINARD: ... de la même loi, oui. Moi, j'ai le texte qui est intitulé "Chapter 154, The Expropriation Act".

M. ALARY: Quelle Elizabeth, s'il vous plaît, M. le ministre?

M. PINARD: Je ne l'ai pas.

M. ALARY: C'est ce qui nous situe.

M. PINARD: On me dit que ce sont les Statuts refondus de 1970. Alors, c'est la loi la plus à jour.

M. ALARY: Oui, c'est la plus à jour. C'est d'ailleurs la révision de fond en comble qui a fait suite à ce document fondamental sur la révision des droits civils, en Ontario. Je ne me souviens plus du nom du rapport. C'est la loi qui y a fait suite. La loi fédérale, c'est celle qui a été adoptée en 1970, juste après Sainte-Scholastique.

M. PINARD: Oui. Et cela ne règle pas tout.

M. ALARY: Pas du tout, cela ne règle pas tout. Il y a des choses qu'il ne faudrait pas que la loi provinciale adopte.

M. PINARD: II nous a été dit hier que le bill 88 avait plus de portée sociale que la loi fédérale n'en contient.

M. ALARY: C'est possible mais il y aurait encore moyen d'améliorer, sous cet angle-là. Il y a des petits coins qu'il faudrait arrondir.

M. PINARD: Je n'ai pas de questions, M. le Président. Je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député d'Abitibi-Ouest.

M. AUDET: Auriez-vous, par hasard, quelque chose à reprocher au Bureau des expropriations de la ville de Montréal, tel qu'il est actuellement ?

M. ALARY: Vous savez, adresser des reproches à un tribunal, M. le député, c'est ce qu'il y a de plus dangereux au monde, parce qu'un tribunal a toujours raison.

M. AUDET: Ce n'est pas un tribunal c'est un bureau.

M. ALARY: Non, je pense qu'il a la fonction d'un tribunal d'arbitrage.

Il a fait un excellent boulot, parce que nous avions l'occasion de nous rencontrer. Nous faisions de la négociation, et cela avec les membres du tribunal.

Ce même privilège, nous l'avons avec le bill 88. Si on permet au commissaire-enquêteur qui convoque les parties de dire : Où est la difficulté, où se situe le problème? Nous allons obtenir le même résultat.

M. AUDET: Croyez-vous pouvoir être aussi expéditifs que l'organisme en place?

M. ALARY: Avec le nombre de commissaires qui est prévu pour la structure du nouveau tribunal, je pense bien qu'on va pouvoir le faire. Faire venir 50 causes le même jour devant un tribunal, cela s'est fait depuis longtemps. Je me souviens qu'autrefois, lorsque la Régie des services publics ne motivait pas ces jugements, on faisait des rôles de 50 causes la même journée.

On décidait dans une cause et ça s'appliquait aux causes suivantes. C'est la même chose devant toutes les cours. Vous avez un tracé de route qui va couper dix fermes dans un même secteur où on pratique le même genre d'agriculture. On va établir une norme et je pense bien que la norme va s'appliquer. Ce qui va varier, c'est le dommage à l'une par rapport aux dommages à l'autre. Assurément, il va falloir en débattre. Mais, quant au reste, ça va se décider facilement.

M. AUDET: A qui attribuez-vous la grande différence d'efficacité entre ce qui existe à Montréal et ce qui existe dans le domaine de la Voirie?

M. ALARY: Justement, on va donner les moyens au nouveau tribunal de prendre cette accélération en convoquant les gens et en disant: Où est-il, le problème? On peut convoquer dix expropriés de la même section. C'est ce qui se produit avec le Bureau des expropriations de Montréal.

On a un plan. Un plan, c'est ordinairement

localisé dans un même territoire bien délimité. On convoque tous les expropriés la même journée ou à peu près. Le nouveau tribunal d'expropriation peut exactement faire la même chose avec son mécanisme du commissaire-enquêteur qui va regarder le dossier, va demander où est la différence. Je dis au législateur: Donnez donc ce petit privilège au commissaire-enquêteur de pouvoir faire une recommandation.

Les parties ne sont pas obligées de la suivre, comme nous ne sommes pas obligés de suivre la recommandation du BEM, le Bureau des expropriations de Montréal. Le fait, c'est qu'on s'en va devant la Régie des services publics et qu'on commence à nouveau.

M. PINARD: M. Alary, seriez-vous d'accord pour que nous incluions dans la loi l'obligation qui serait faite au tribunal des expropriations d'avoir à se déplacer au besoin et d'aller visiter les lieux mêmes d'une expropriation pour qu'il ait une image plus complète de la situation, sans tenir pour acquis que tous les mémoires d'expertise qui sont présentés représentent exactement la situation?

M. ALARY: M. le ministre, je pense que vous pourriez, avec raison, l'inclure dans la loi mais chaque fois que nous plaidons, nous invitons le tribunal — ordinairement — à visiter les lieux. Comme procureur ou comme évalua-teur, on sait comment on peut se faire jouer en ne visitant pas les lieux, en ne passant pas au moins dans le secteur. Mais il faut quand même dire qu'à ce jour les tribunaux, sans que ce soit peut-être une obligation formelle, l'ont ordinairement fait. Je pense qu'ils l'ont ordinairement fait, c'est satisfaisant mais ce serait plus sûr pour l'exproprié. Parce que l'exproprié s'imagine toujours que sa propriété, on ne la connaît pas. Les tribunaux français d'expropriation ont cette obligation d'aller sur place.

Vous savez, quand on a dans le même secteur 50 ou 100 lots de subdivision, il ne faut pas se déplacer 50 fois; on va se déplacer une seule fois, il n'y a pas d'erreur. Est-ce qu'il y a lieu de faire comme les Français ont fait et dire: Quand on va sur place, on convoque tout le monde? On convoque l'exproprié, s'il y a un procureur, il vient et, s'il y a un évaluateur, il vient. C'est une obligation assez onéreuse. Et le débat ordinairement s'engage sur le champ, les pieds dans l'eau, les pieds dans la neige, ce n'est peut-être pas trop facile.

M. PINARD : On ne peut pas paralyser l'appareil administratif et l'appareil judiciaire. En France, ils ont constitué — c'était bien idéal et c'était bien la chose la plus fantastique — ce qu'on a appelé le fonds des autoroutes françaises et ils n'ont jamais dépensé plus de 30 p.c. de ce fonds. Finalement, la France est le pays le plus arriéré en matière d'autoroutes.

M. ALARY: Parfaitement d'accord.

M. PINARD: Pourquoi? Parce qu'ils se sont empêtrés continuellement dans des procédures du genre que vous venez d'expliquer.

M. ALARY: Ils se sont surtout empêtrés dans la préenquête que vous avez évitée et ce que d'autres législations n'ont pas évitée.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de L'Assomption.

M. PERREAULT: J'aimerais soulever un petit point. Vous avez mentionné un minimum de décor dans votre exposé; ne croyez-vous pas qu'un avocat pourrait maintenir un minimum de décor autant qu'un juge?

M. ALARY: Oui, évidemment, il n'a pas besoin d'être avocat pour présider un tribunal comme tel, si on veut, au strict minimum. Mais un phénomène se produit, si ce n'est pas un tribunal, au sens strict du mot, tel qu'on le reconnaît chez nous, l'exproprié s'y amène et n'est pas sûr de ce qui lui arrive. Il peut être traité de bien des façons. J'ai vécu des situations de petits expropriés qui ont été traités de drôles de façons qui ne correspondaient pas aux règles de procédure que nous connaissons ordinairement. C'est ce qu'il faut éviter, parce qu'un exproprié est un être qui est frappé dans sa personne avant d'être frappé dans ses biens. C'est bien important.

Je ne pense pas évidemment à ces expropriés qui ne se montrent jamais en cour, qui se font représenter par des procureurs, qui ne savent même pas ce qu'est un tribunal de négociation ou d'expropriation. Ce ne sont pas ceux-là. Je pense aux petits qui n'ont qu'une petite propriété, qui n'ont qu'un locataire, qui viennent là, qu'on convoque, parce qu'on leur envoie un avis de convocation, puis, une fois rendu là, on va les traiter comme ceci ou comme cela. On va les interpeler, on va leur dire: Cela marche comme ça, notre décision est prise. Puis bonjour, c'est réglé!

Il y a un minimum de délicatesse à avoir avec des expropriés, qui sont des gens d'abord frappés dans leur personne. Je pense que les tribunaux, d'une façon générale, dans cette province, ont toujours respecté ce fait, à savoir que les gens qui viennent devant le tribunal ne sont pas d'avance dans telle situation ou telle autre; c'est au tribunal de démontrer qu'ils ont un droit et que c'est à cet endroit qu'ils peuvent l'exercer.

M. PERREAULT: Donc, la présence d'un avocat au sein d'une commission de conciliation, d'expropriation, au tribunal de première instance pourrait satisfaire le minimum de décor.

M. ALARY: Oui, si on relie ce tribunal, ou cet arbitrage, au vrai tribunal d'expropriation, pour que tout le monde suive la même filière, les mêmes règles de pratique, les mêmes nor-

mes, qu'on sache qu'à la fin, si on doit plaider la cause parce qu'on ne finit pas, parce qu'on ne s'entend pas, on sait ce qui va se produire, on connaît la règle, on connaît les règles de pratique, c'est ça qui est important. Il ne faut pas qu'il y en ait un qui traite les gens d'une façon, et l'autre, de l'autre. Je ne dis pas que le premier les traitait de mauvaise façon, mais je pense qu'il faut avoir cette loi unique. Il faut qu'elle soit unique partout, tant dans les normes d'évaluation que dans les procédures qui interviennent par la suite.

M. PERREAULT: Dans le mémoire, vous parlez, vous recommandez 18 pour la région de Montréal, ces grandes régions; avec ce nombre que vous recommandez, à combien de mois, en moyenne, estimez-vous le règlement de cas d'expropriation?

M. ALARY: C'est difficile à dire et je pense bien...

M. PERREAULT: En moyenne, parce que moi j'ai une référence, une maison unifamiliale, quand j'étais maire, qui a pris sept ans.

M. ALARY: Ah oui! J'en connais, de douze ou quatorze ans.

M. PAUL: On serait mieux de changer de maire.

M. PERREAULT: J'aimerais savoir. On serait mieux de changer de tribunal.

M. ALARY: M. le député, je pense bien que si le mécanisme de conciliation...

M. PERREAULT: II y a quelqu'un à côté de vous qui est bien au courant, surtout, parce que c'est lui qui était en cause.

M. ALARY: En tout cas, je l'ai déjà eu comme adversaire. Mais je pense bien qu'il serait souhaitable que toute cause d'expropriation se termine dans les deux ans du temps où elle a pris naissance. Je pense que ce serait souhaitable. On peut chercher l'idéal, il peut y avoir des cas d'exception, les douze ans, les quatorze ans, ou les sept ans auxquels on peut référer vous savez, ça s'est réglé facilement à un moment donné.

C'est drôle, ces occasions de se rencontrer auxquelles on se référait. Je me souviens qu'on a parlé ce matin de l'autoroute des Laurentides. Je ne me souviens pas en quelle année, en 1970 peut-être, non, en 1965. On avait demandé à des gens de reconvoquer tous ces expropriés pour voir où se situaient les problèmes. Sur les 40 cas en suspens pour l'autoroute des Laurentides, dix ans plus tard, il y en a au moins 80 p.c. qui étaient réglés, tout simplement parce que les gens ont eu une nouvelle occasion de se rencontrer. Je pense que c'est là le point fondamental en matière de négociation. C'est l'occasion de se rencontrer, mais de le faire dans un décor qui n'est pas partisan, un décor de neutralité, si on veut.

Le comité de conciliation, pour autant qu'il est relié au tribunal, je concède qu'il va faire un excellent boulot. Mais il faudrait qu'il soit relié au tribunal de l'expropriation.

M. PERREAULT: Autre question. Il est question d'une indemnité à un commerce qui, sans être exproprié directement, subit des dommages. Est-ce qu'on pourrait parler aussi de maisons affectées de la même façon?

M. ALARY: Oui, bien sûr.

M. PERREAULT: Je vais citer mon propre cas. En 1958, on a bâti un nouveau pont et de nouvelles approches. On m'a mis dans un trou de six pieds et ça m'a coûté $6,000 pour ramener mon terrain au niveau de la nouvelle route. Je n'ai jamais reçu d'indemnité à ce sujet.

M. PINARD: C'est l'article 97.

M. ALARY: L'article 97. En passant, on l'a amélioré, en disant que les exhaussements vont disparaître. Il y a un petit problème qu'on n'a pas réglé à cette occasion, c'est le problème des détournements de chemin. Non pas en ce qui concerne les fonds de commerce, parce que je ne suis pas partisan de dire que la circulation appartient aux commerçants. Là n'est pas le problème. Je pense que l'individu qu'on va laisser dans un cul-de-sac ou celui qu'on va isoler de la voie publique alors qu'il pouvait y être avant, subit un dommage.

M. PERREAULT: Et l'individu à qui on laisse une section, un petit bout de route en face de chez lui.

M. ALARY : Exactement. Il y a une jurisprudence à cet effet-là. Le cas Loiselle, à l'occasion de la construction de la Voie maritime, où, aux termes de la loi fédérale qui permettait les dommages indirects, de façon discrète — c'est l"'injuris affection" de la loi anglaise — on a pu faire en sorte qu'on a indemnisé ce M. Loiselle qui avait, lui, un garage. Je comprends que la circulation ne lui appartient pas, mais on l'avait laissé dans un cul-de-sac et il perdait tout du jour au lendemain. Il avait bâti sa vie là-dessus. Par le biais de l"'injuris affection", on l'a indemnisé.

Je pense qu'on devrait ouvrir une petite porte aux cas spéciaux de dommages indirects qui relèvent du détournement de chemins...

M. PINARD: Cela se ferait sur une base d'équité ou en vertu d'une obligation légale de le faire?

M. ALARY : Je pense qu'il devrait y avoir une obligation légale, M. le ministre.

M. PINARD: Parce que le ministère le fait sur la base d'un règlement d'équité.

M. ALARY: Oui, le ministère l'a déjà fait. J'en ai eu connaissance. Mais, vous savez, quand il faut attendre la recommandation d'un agent négociateur, ce n'est pas toujours facile. Je ne dis pas en ce qui concerne les fonds de commerce. Je n'irai pas jusque là. Mais dans les dommages à la propriété en tout cas, on devrait commencer par là. Concernant les fonds de commerce, cela viendra peut-être plus tard, parce qu'on pourra peut-être s'en remettre à l'équité.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): D'accord.

M. PERREAULT: Je voudrais poser une question à votre estimateur, M. Picard. Je le reconnais comme un estimateur très compétent. Vous connaissez les offices de révision de l'évaluation foncière qui vont être créés? Vous êtes familier avec cela? Dans votre esprit, est-ce que ces offices ne pourraient pas avoir cette double tâche d'être le premier tribunal, la première instance, le premier endroit pour faire la conciliation entre les expropriés et surtout pour les municipalités de moindre envergure?

M. PICARD (Jean): Je connais plusieurs personnes, parmi celles qui ont été nommées. Il s'agit de personnes qui ont beaucoup d'expérience dans le calcul de la valeur marchande d'une propriété. Pour ce qui a trait au calcul des dommages à l'occupant ou des dommages pour fonds de commerce, je me demande de quelle façon on pourrait établir précisément cette partie de l'indemnité.

M. PERREAULT: Si on nommait des gens qualifiés pour tenir compte de cette double tâche?

M. PICARD (Jean): II est évident que, si on avait des gens qualifiés, ce bureau pourrait le déterminer. Mais s'il existe déjà un autre tribunal, pourquoi en nommer deux? Je ne sais pas.

M. PAUL: II faudrait aussi établir des normes de qualification?

M. PICARD (Jean): Oui.

M. PERREAULT: Dernière question. Ne croyez-vous pas, étant donné le grand nombre de bureaux qui vont être créés, que cela ne rendra pas service à la population des différents districts de la province?

M. PICARD (Jean): Cela permettrait d'avoir des bureaux plus près de la population dans chacun des secteurs. Mais si les tribunaux, les divisions qui se forment actuellement à la faveur du projet de loi, peuvent se déplacer pour aller rencontrer dans un milieu donné les expropriés, je crois que l'alternative pourrait arriver aux mêmes fins.

M. PERREAULT: Ne croyez-vous pas que les frais occasionnés par le déplacement des tribunaux de Montréal et de Québec ne seraient pas beaucoup plus grands?

M. PICARD (Jean): Peut-être. Je n'ai aucune idée de l'envergure des frais.

M. PERREAULT: Un juge ne doit pas se déplacer au même prix qu'un évaluateur, je pense.

M. PICARD (Jean): Cela me surprendrait beaucoup.

M. ALARY: Pour votre information, M. le député, je sais qu'actuellement la Régie des services publics se déplace dans les districts judiciaires, ce qui ne se faisait pas autrefois. Ordinairement, les gens venaient à Montréal ou à Québec, maintenant, ils vont à Saint-Jérôme, à Joliette ou ailleurs.

M. PAUL: A Trois-Rivières.

M. PINARD: De plus en plus, l'obligation sera faite aux tribunaux qui seront susceptibles de réformes, de se déplacer et d'aller juger sur les lieux ou dans la région où la cause prend naissance.

M. ALARY: Dans la région...

M. PINARD: Ce sera le cas de laCommission des transports, entre autres.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Nous remercions la Corporation des évaluateurs agréés du Québec. Le prochain organisme, l'Union des producteurs agricoles. Me Alary, si vous voulez vous présenter à nouveau.

Union des producteurs agricoles

M. ALARY: M. le Président, cette fois, je me présente.

M. PAUL: Cette fois, vous travaillez comme cultivateur.

M. ALARY: Je travaille pour les cultivateurs; c'est bien cela, M. le député. Je présente les gens qui m'accompagnent: M. Moreau, de l'Union des producteurs agricoles; M. Morisset, président de la Fédération de Québec, et M. Fernand Morasse, de la même fédération.

M. le Président, il fallait s'y attendre, le mémoire de l'Union des producteurs agricoles va, évidemment, traiter plus particulièrement du problème des expropriations de fermes. Je n'annonce rien de bien sensationnel. Mais nous avons, à la page 2 du mémoire, énuméré un peu

quelles sont ces normes particulières aux fermes, aux entreprises agricoles en exploitation. Evidemment, nous n'avons pas attiré l'attention de cette commission sur des fermes abandonnées ou sur des terres vacantes. Ce sont surtout des fermes en exploitation, d'où les gens tirent leur vie. Alors, nous souhaiterions que, dans les cas d'expropriation, il soit fait un véritable relevé économique de la ferme. En 1964, on avait demandé cela au ministère de la Voirie, en particulier, qui était le grand expropriateur du temps, et cela s'est fait en partie. Un relevé économique d'une ferme ne se fait pas uniquement en énumérant le nombre de bêtes à cornes ou la quantité d'instruments ou le nom des machines qui existent, à ce moment-là, mais cela va plus loin que cela. Le relevé économique devrait comporter les informations de base, lorsqu'on exproprie une ferme qui fonctionne dans le domaine de l'agriculture. Il devrait aller jusqu'à savoir ce que cette ferme a produit dans les quelques années qui ont précédé l'expropriation.

Le relevé économique, s'il se contente d'énu-mérer le nombre de vaches en lactation au moment où on le fait, le nombre de tracteurs ou la qualité de ces tracteurs, s'ils sont en bonne condition ou pas, je pense que c'est incomplet parce qu'un cultivateur opère ordinairement sur une période d'années qui va de dix à cinquante ans ou de dix à vingt-cinq ans et il est fort important de se demander ce que, dans cette entreprise agricole, on a investi, soit en irrigation ou autrement. On le fait, mais on dit: Vous aviez combien d'acres en irrigation? On ne s'informe pas à quel moment se sont faits ces travaux d'irrigation, on ne s'informe pas des quantités d'engrais chimiques qui ont pu être mis cinq ans auparavant. On a entendu des experts dire, récemment, que pour amener un fonds de terre particulier à produire, disons, du maïs-grain en quantité maximum, cela pouvait prendre jusqu'à dix ou douze ans. Alors cela commence loin, cela, dix ou douze ans.

Je pense que, lorsqu'on parle de relevé économique, on devrait aller jusque là. Et là, évidemment, on s'en remet à des pratiques administratives des corps expropriants. Comment l'insérer dans une loi? Je pense bien que ce n'est pas facile. On dit ici, parce que c'est une autre occasion de le répéter, que le relevé économique doit s'effectuer de façon intensive et pas superficielle.

Le deuxième point s'intitule "Politique de regroupement ou de réaménagement des fermes". Combien de fois nous avons eu des cas d'expropriation faits, en particulier, par le ministère de la Voirie, qui sectionnait des fermes, avec des routes d'accès et des tentatives de regroupement. Ce qu'un cultivateur demande — c'est l'expérience de l'UPA — ce n'est ordinairement pas — il y a des cas d'exception — de recevoir un montant d'argent mais de continuer à exploiter sa ferme. Comme il ne le peut plus, il veut continuer à exploiter une ferme à peu près semblable.

On sait que se trouver une ferme — le problème de la relocalisation va venir — ce n'est pas aussi facile que de se reloger lorsque l'on cherche un logement, même lorsque l'on cherche un site commercial. Parce qu'une terre, cela fait partie d'un être qui est actif pendant nombre d'années. Si on loue un local et qu'on n'en est pas satisfait, on doit passer les trois ou les cinq ans et c'est fini. Mais lorsqu'on s'installe sur une terre, c'est ordinairement pour y vivre pendant 25 ans ou même plus.

Je pense donc que dans chaque cas où il y a sectionnement de ferme, le législateur devrait prévoir des possibilités de réaménagement et devrait se faire l'initiateur de ce réaménagement ou de ce regroupement.

L'indemnité provisionnelle. Je pense que, lorsqu'on touche une entreprise agricole, c'est là que le problème de l'indemnité provisionnelle est le plus sérieux. Si on s'en remet à un terrain vacant en ville, on connaît l'évaluation municipale, on peut faire l'évaluation sommaire très rapidement de ce terrain. Si on sectionne une ferme, on lui enlève — comme on le disait plus tôt — trois ou quatre arpents ou acres, il faudrait s'interroger et établir non pas uniquement la valeur de la parcelle expropriée, mais également les dommages que l'on cause à cette entreprise.

Parce que l'indemnité provisionnelle sur trois ou quatre acres de terre, mettons à $300 l'acre, qu'est-ce que ça donne au cultivateur? Parce que sa ferme est sectionnée, il est obligé, par exemple, d'abandonner de cultiver une partie de 40 ou de 50 acres. Ou parce que sa ferme est sectionnée et que la partie enclavée rend sa ferme non rentable. Je pense bien que l'indemnité provisionnelle devrait le prévoir immédiatement. Parce que si un cultivateur doit s'établir à nouveau, ce n'est pas avec une évaluation municipale ou encore la norme de l'évaluation sommaire de l'emprise qu'il va pouvoir faire un dépôt pour s'acheter une nouvelle ferme. C'est impossible, impensable.

Et je pense que le législateur devrait prévoir spécifiquement ou dire en tout cas au tribunal qu'il y a lieu d'étudier en priorité les cas de fermes qui deviennent débalancées. C'est-à-dire que si, à une ferme de 150 acres — qui est à peu près un minimum de grandeur de ferme pour fonctionner de façon rentable dans la province — on en enlève 50, je pense qu'elle est débalancée et que l'exploitation est foutue. Il faudrait que l'indemnité provisionnelle le prévoie et lui donne ce qu'il faut pour qu'il tente immédiatement de se rétablir.

Il pourra bien patienter un an ou deux. Parce que ça lui prend ordinairement un an ou deux à se trouver une nouvelle ferme. Et pendant ce temps-là, il va subir un préjudice. Je pense qu'on devrait aller jusque-là en ce qui concerne l'indemnité provisionnelle en matière de ferme ou faire un cas de priorité à déterminer si on a rendu non rentable l'entreprise agricole concernée, par une requête spéciale qui pourrait être faite à la cour en disant : L'indemnité provision-

nelle, dans notre cas, ça ne marche pas du tout. La ferme, qui fonctionnait à la limite, va être marginale demain matin. Que voulez-vous que nous fassions? Nous ne pouvons pas nous établir à nouveau.

On devrait avoir ce privilège, pour autant que l'entreprise agricole est concernée.

On demande, encore une fois, que les corps expropriants opèrent de la même façon. Les fermes sont expropriées aujourd'hui par le ministère du Tourisme, par le ministère de la Voirie et par d'autres ministères.

Ce ne sont pas les mêmes normes, ce ne sont pas les mêmes gens, ce n'est pas la même opération, ils sont traités différemment. Ou elles sont expropriées par d'autres corps publics — on a parlé de l'Hydro-Québec hier ou ce matin — et je pense qu'ils doivent être traités de la même façon et devant les mêmes tribunaux: un tribunal unique, une loi unique.

Le projet de loi devrait prévoir, nous semble-t-il, en ce qui concerne l'entreprise agricole, des normes de base, un minimum de normes de base. C'est laissé actuellement au tribunal de dire: Cette ferme-là, on va établir la valeur du terrain que l'on prend et on va établir les dommages. Mais je pense qu'on devrait indiquer au tribunal — un peu comme le fait la loi ontarienne en ce qui concerne les locataires ou les fonds de commerce — que, lorsqu'il s'agit de fermes, soyez prudents et voyez à ce qu'apparaisse dans le dossier un véritable relevé économique. Voyez à ce que les normes de base soient produites devant la cour. Cela devrait être dit au tribunal. Ils le font probablement, mais tous les expropriés n'ont pas les moyens de se payer les gens qui savent, qui peuvent le faire.

M. PAUL: Me Alary, excusez si je vous interromps. Dans la loi, il est prévu que le tribunal peut adopter des règles de pratique. Est-ce que l'on ne pourrait pas se fier à ce que, dans les règles de pratique, il y ait peut-être ces normes dont vous parlez?

M. ALARY: Des règles de pratique, c'est fait pour être changé assez facilement. On le fait en matière de procédure. On dit, par exemple: Vous allez produire vos rapports quinze jours avant la date fixée pour l'audition. On s'aperçoit que quinze jours n'est pas suffisant; deux mois plus tard, on revient et on dit: Non, un mois maintenant. En ce qui concerne les normes, je pense qu'il faut que ce soit quelque chose de plus stable, comme les articles de la loi le sont. On sait d'une année à l'autre que les articles de la loi sont là pour être respectés et les indications que le législateur donne sont là pour être suivies.

Je pense que les règles de pratique sont valables pour autant que les normes de procédure sont concernées. Mais en ce qui concerne la base...

M. PAUL: Pour la bonne marche du dossier, mais non pour en faire une analyse de fond.

M. ALARY : Non, je ne verrais pas. M. PAUL: D'accord.

M. ALARY: Evidemment, la rapidité d'exécution, c'est-à-dire cette façon de traiter l'entreprise agricole rapidement, je pense que c'est encore là un cas de priorité. On le disait dans le cas des commerçants. Evidemment, ce sont tous des cas de priorité, mais vous avez là des gens qui exploitent des entreprises. Lorsqu'on se référait à des commerçants, encore une fois, ce n'est pas à la grande entreprise. Ce ne sont pas des entreprises comme on en a vu au coin de Décarie, Canada Dry ou d'autres, qui sont expropriées. Ce sont de petites entreprises commerciales ou des entreprises agricoles moyennes.

Peut-être que les règles de pratique du nouveau tribunal devraient le prévoir, mais ces cas de commerçants, de locataires, d'entreprises agricoles, devraient, à notre avis tout au moins, si le législateur décide de ne pas l'insérer dans la loi, avoir priorité sur les autres causes, parce qu'on vit à même cette entreprise qui est rentable ordinairement comme on l'indiquait plus tôt à la limite.

Elle peut devenir marginale, tout simplement du fait qu'on a enlevé 25 acres de terre, car, en soi, comme valeur, ce n'est pas ça qui rétablit l'exproprié. Ce n'est pas ça qui va lui permettre de vivre, mais il va devenir déficitaire à partir de ce jour. Il ne pourra pas respecter son quota de lait, il ne pourra pas respecter nombre d'autres obligations où il s'était engagé.

Il faut bien soupçonner que nous demandons la même chose, relativement au chapitre 4, étant donné que nous sommes impliqués, il n'y a rien de neuf là-dessus. En ce qui concerne l'article 72, nous avons choisi intentionnellement une expression pour préciser ce qu'on a déjà dit. Il en est de même dans le cas d'une ferme, si l'expropriation partielle comprenait le moindrement son exploitation. C'est ça qui est important. C'est ça qu'il faut analyser d'abord. Il faut savoir comment cette exploitation est frappée, non pas par les trois acres de terre qu'on lui enlève, ou par le fait du sectionnement de la terre, mais par l'effet général de l'expropriation, par le dommage réel à la fin. Parce qu'enlever trois acres, sectionner tout simplement en prenant trois acres au centre de la terre, puis obliger le type à faire un détour comme on a vu dans la région de Rigaud par exemple, faire un détour de huit ou dix milles pour aller à l'autre bout, à l'autre extrémité de sa terre, ou ce qui en était à peu près la moitié, je pense que ça ça va déséquilibrer, affecter son exploitation, c'est le moins qu'on puisse dire, et il faut en tenir compte immédiatement.

M. PINARD: L'indemnité offerte au cultiva-

teur dont la terre est sectionnée de façon plus ou moins grave, ne tient-elle pas lieu des dommages qui lui permettent de pallier les difficultés qui sont posées, parce que l'indemnité est faite pour ça finalement, pour payer des dommages?

M. ALARY: A la fin, M. le ministre, on va y arriver, mais par le biais de l'indemnité provisionnelle, qu'est-ce qu'on fait ordinairement? On dit: Ce sera ou bien l'évaluation municipale ou l'évaluation sommaire qui sera faite, et la plus élevée des deux. Mais dans le cas des entreprises agricoles, pour ce qui est de l'évaluation municipale, tout d'abord, il n'y a pas lieu d'en tenir compte aux termes mêmes de la nouvelle loi; quant à l'évaluation sommaire, on évalue sommairement les dommages.

On dit: Ce type-là, est-ce qu'il est marginal maintenant ou non, parce qu'on lui a enlevé 40 arpents de terre sur 140?

Je pense que cela mérite considération et ce n'est pas facile à établir. Cela a une priorité parce que, du jour au lendemain, il sera déficitaire. On sait qu'il vivait déjà sur la limite. On a actuellement l'exemple de la région de Sainte-Scholastique, les véritables entreprises agricoles rentables qu'on peut établir en blanc et en noir avec un comptable, on peut les compter. C'est là où je dis que l'évaluation sommaire et l'indemnité provisionnelle doivent se faire de façon immédiate et avec le plus de minutie possible. On n'a pas besoin de faire cela en ce qui concerne une maison d'appartements, un logement X construit depuis dix ou quinze ans, un terrain vacant dans une ville.

M. PINARD: Oui, mais cette indemnité provisionnelle sera estimée en vertu de quels critères? Il va quand même falloir que le cultivateur qui sera exproprié de façon sectorielle puisse produire des chiffres pour prouver qu'il avait une exploitation agricole rentable sur le plan annuel. S'il n'a pas de comptabilité?

M. ALARY: II faut qu'il y en ait un minimum, c'est bien sûr.

M. PINARD: II y a des terres de 150 acres qui restent marginales comme exploitation agricole, soit que le cultivateur ne fasse pas la culture qui vraiment devrait être faite sur cette ferme ou que lui-même réside sur la ferme mais va travailler à la ville, et ne revient que le soir. Il y a quelques vaches, etc. Il y a toute une série de cas comme celui-là.

M. ALARY: Justement, M. le ministre, c'est le problème. Dans cette section, vous allez retrouver des cultivateurs qui ont la même superficie de terre, ce ne sera pas rentable, et ils vont d'ailleurs se foutre de l'indemnité provisionnelle. Par ailleurs, le voisin qui a investi dans son fonds de terre, qui a amélioré son fonds de terre, on ne pourra pas le traiter de la même façon que l'individu X qui travaille en ville, qui revient le soir et qui fait un peu de foin.

M. PINARD: C'est facilement décelable par quelqu'un qui connaît cela. M. André Dionne, qui est un agronome diplômé et qui est maintenant le directeur du service des expropriations, est en mesure de reconnaître une ferme rentable par rapport à une qui ne l'est pas, celui qui l'exploite de façon permanente par rapport à celui qui l'exploite de façon marginale, parce que sa principale source de revenus lui est donnée par son travail dans une usine en ville et qu'il s'en va tout simplement demeurer sur la ferme pour éviter un coût de la vie plus élevé. Ce sont des choses que l'on connaît.

M. ALARY: Le problème est que cela ne se fait pas en matière de ferme agricole de façon superficielle. Vous allez même trouver des fermes dont les bâtiments ont l'air vieillots, ont l'air moins entretenus que chez le voisin, par ailleurs, cette ferme va avoir une meilleure rentabilité que la ferme voisine. Nous avons eu le cas du parc industriel de Saint-Augustin où on avait 27 fermes voisines les unes des autres et où très peu se ressemblaient.

Dans le cas d'entreprises agricoles, il faut aller au fond de la rentabilité de la ferme, du moment qu'on s'aperçoit qu'on touche à son fonctionnement.

M. PINARD: D'accord.

M. ALARY: Immédiatement, l'indemnité provisionnelle devrait le prévoir. Le mécanisme que nous suggérons devrait être, encore une fois, un peu plus raffiné en ce qui concerne l'entreprise agricole en fonctionnement. Je ne veux pas que ce soit la même chose que l'on fasse pour la terre qui appartient à un citadin qui y va une fois par année ou qui n'y va même jamais. On ne ferait pas ces recherches et on n'irait pas voir si le sol est capable de produire 110 minots à l'acre pour autant que le mais-grain est concerné. On ne ferait pas cela.

M. PINARD: Une réforme a été adoptée par le ministère de la Voirie. Je m'excuse de vous interrompre, mais c'est pour mieux préciser la situation qui prévaut en ce moment, à la suite du très grand nombre d'expropriations qui ont eu lieu dans le secteur rural, pour la construction de la route transcanadienne par exemple. Lorsqu'il s'est agi de construire le tronçon de l'autoroute transcanadienne entre la région de Québec et celle de Drummondville en direction de Saint-Hyacinthe, on a fait du morcellement de terres. L'emprise de la route 9 était déjà là. Enfin, il y a eu des sectionnements de terres.

Nous avons eu des consultations avec les représentants de l'UCC. C'est vrai qu'alors nos méthodes d'évaluation étaient moins raffinées, le manuel d'évaluation était moins à jour, etc. Nous avons constitué une espèce de comité de

consultation et finalement nous en sommes arrivés à bâtir ce que nous avons appelé un manuel d'évaluation dans le cas des expropriations dans le secteur agricole.

Cela a donné de bons résultats, parce que, finalement, les cultivateurs se sont aperçus que le ministère les traitait mieux qu'autrefois. De moins en moins, il y a de cas où le ministère n'est pas capable de s'entendre avec les cultivateurs lors de l'expropriation totale de la ferme ou encore de l'expropriation partielle avec sectionnement de la terre qui nécessite un réaménagement de la ferme. C'est de plus en plus rare que le ministère soit obligé, par exemple, d'acheter ou d'exproprier une autre ferme afin de refaire la situation du cultivateur exproprié de façon sectorielle.

Je pense que ce sont des mécanismes que les cultivateurs connaissent bien maintenant, que l'UPA, qui autrefois s'appelait l'UCC, connaît bien. Nous en sommes venus à un modus vivendi qui est beaucoup plus efficace et qui apporte de meilleurs résultats. Je ne dis pas que la situation est parfaite. Enfin, je vois des représentants de l'UPA qui peuvent nous dire ce qu'ils en pensent.

M. MORASSE: Je peux vous rendre ce témoignage qu'il y a eu une amélioration. Mais ce que M. Alary vient de vous dire, c'est ce qu'il faudrait que la loi prévoie lorsque l'exploitation agricole est le moindrement affectée. Aujourd'hui, il n'y a rien qui précise dans la loi à quel moment on va sensibiliser ou on va déterminer que l'exploitation est affectée.

Vous faites allusion à la région de Saint-Apollinaire où on a eu à travailler avec des représentants de votre ministère. On s'est entendu sur des normes de valeur de terrains, de valeur de bâtisses, de valeur de réorganisation de fermes. En plus, il y a l'entreprise agricole comme telle qui apporte un certain revenu. Un exploitant agricole, avec 100 arpents de terre, peut avoir un revenu supérieur à son voisin qui en a 150. Alors, ce n'est pas la grandeur qui détermine la rentabilité. C'est ce point de rentabilité de la ferme.

M. PINARD : Puisque nous sommes là-dessus, il faudrait quand même établir des critères d'ordre objectif et non pas d'ordre subjectif. Vous vous souvenez de la difficulté que nous avons eue à l'époque. Les cultivateurs procédaient en vertu de critères qui étaient tout simplement d'ordre subjectif. Alors, il n'y avait jamais possibilité de les satisfaire, parce que, eux, au plan émotif, au plan strictement humain, ils évaluaient leur exploitation agricole à tel montant. Tous les montants que nous pouvions leur offrir en compensation, ils prouvaient que ça n'atteignait pas la valeur qu'ils exprimaient.

Si vous vous en souvenez, cela avait fâché les dirigeants de l'UCC. Nous avions laissé trop de liberté à l'exploitant agricole de fixer lui-même la valeur de son exploitation. Nous avions pris la peine d'envoyer sur place des personnes qui n'étaient pas identifiées comme des représentants du ministère, de façon que personne ne se sente brimé. Ces personnes demandaient purement et simplement: Monsieur, si vous aviez à vendre votre ferme demain, quel est le prix de vente? Alors, les gens répondaient bien honnêtement: Ma ferme vaut tel montant. Bon, seriez-vous prêt à établir ce montant en vertu d'un document de façon qu'on puisse s'entendre? Personne ne se sentait forcé, ils étaient absolument libres de rester sur leur ferme et de ne pas la vendre. Là, tout simplement, de façon subjective, le cultivateur établissait le prix de sa ferme. Mais, par la suite, quand ils ont su que c'était le gouvernement du Québec qui expropriait, le ministère de la Voirie, pour la construction de la route transcanadienne, là, c'était complètement un monde différent; cela a pris une valeur tout à fait différente.

Voyez-vous comme c'est important d'établir des critères d'ordre objectif et non pas subjectif.

Je ne le rappelle pas pour raviver des plaies — on a connu cette situation, j'étais au ministère à l'époque — mais c'est pour montrer que, quand même, on a fait du chemin en se consultant davantage et en formant des comités bipartites et que nous en sommes quand même arrivés à une procédure d'expropriation, en territoire agricole, qui a rétabli passablement la situation.

M. MORASSE: Evidemment, je ne veux pas engager un débat pour revivre certaines luttes que nous avons eues dans le passé, surtout dans le secteur de Lotbinière, où nous avons eu à travailler à des réorganisations de fermes. Quant à l'aspect émotif que vous soulignez, on trouve que, dans votre loi, il y a beaucoup plus d'humanisme. Evidemment, on tente d'éviter cette frustation, parce que, surtout dans le domaine agricole, le gars peut être exproprié une fois dans sa vie, c'est un accident pour lui et, au moment où cela arrive, c'est la grande misère et il ne sait pas comment s'en sortir. Avec la nouvelle loi, on a pu déceler qu'on tente une nouvelle procédure, qui fera qu'au moins le gars sera un peu plus prévenu de ce qui s'en vient.

Pour en arriver à soulever un peu plus le phénomène de l'exploitation affectée, il est bien sûr que vous faites allusion à des normes qu'il y a déjà eues, bien entendu, dans ces cas. Il n'en reste pas moins que le domaine agricole a changé depuis ce temps. Cela fait déjà sept ou huit ans de cela.

M. PINARD: Et plus.

M. MORASSE: Oui, Avec la loi 48, on payait à 105,000 producteurs le remboursement de la taxe scolaire et ce chiffre tombera à 51,160, parce qu'on dit, dans la loi 48, qu'on

appliquera la définition du producteur prévue dans la loi 64. Nous sommes bien heureux de cela mais il faut, d'autre part, qu'on évolue. S'il y a eu une sélection parmi les producteurs, la sélection, ce n'est pas nous qui l'avons faite. Elle s'est faite par elle-même. De plus en plus, on a, si vous voulez, à peu près 50,000 producteurs dans la province. Ces producteurs sont des gars qui veulent rester dans l'agriculture et qui exploitent des entreprises rentables. C'est pour cela qu'il faut tendre, si vous voulez, à évoluer dans ce domaine, et à évoluer avec des entreprises rentables pour analyser le dommage qu'on cause à une exploitation qui est sectionnée.

Il est sûr que, si on prend deux ou trois arpents à l'extrémité d'une ferme, on vient juste lui enlever une partie de terrain. On ne cause pas le même problème que si on svient le sectionner.

M. ALARY: Brièvement, en ce qui concerne les cas de locataires, il y a maintenant — et ce sera plus fréquent à l'avenir — des locataires fermiers, des gens qui louent des terres pour les exploiter. Je pense bien que les normes que prévoit le projet de loi no 88 ne seront pas suffisantes, en ce qui concerne celui qui exploite une ferme. D'abord, les mensualités n'ont aucun rapport avec le coût de déplacement de cet individu, et l'indemnité provisionnelle qu'on prévoit devrait aller plus loin que cela.

M. PINARD: Me Alary, dans la loi de l'Ontario, parce que c'est quand même une province à caractère agricole — à caractère industriel, bien entendu, mais à caractère agricole aussi — où il se fait beaucoup d'agriculture maraîchère.

Il peut y avoir quand même des prévisions spéciales faites par le législateur en cette matière.

M. ALARY: A mon souvenir, je présume que les affaires l'ont emporté sur l'agriculture. On traite, sur ce plan, de façon plus spécifique, en donnant des indications au tribunal sur la façon dont on voudrait que ça se fasse, uniquement des baux et des entreprises.

Est-ce qu'on peut assimiler à entreprise l'entreprise agricole? Je pense que c'est possible. La question du déménagement, par exemple, lorsque c'est faisable. Le type ferme boutique. Il dit: Ma terre n'est plus rentable, je me décide. Ou bien j'obtiens du tribunal un ordre à l'effet que je ferme boutique demain matin. Je ne trais plus de vaches, j'attends mon indemnité ou je me fais donner une indemnité provisionnelle suffisante et on va aller au bout de la question.

On pourrait peut-être assimiler les dispositions qui s'appliquent à l'entreprise ordinaire à l'entreprise agricole, mais je n'ai rien retrouvé d'applicable à la ferme comme telle.

Un autre petit point, c'est le problème des déplacements de bâtiments. Le législateur se dit que, pour diminuer le coût de l'expropriation, il peut déplacer des bâtiments. C'est normal et souhaitable dans certains cas, mais je pense que, le fermier — je l'ai indiqué plus tôt dans la position de la chambre de commerce, de la fédération — devrait être consulté de façon directe. Je pense qu'on devrait requérir son approbation, sinon en référer au tribunal.

Il y a peut-être des remarques à faire au tribunal qu'il fera aux négociateurs et qui ne seront pas entendues. C'est tellement important pour lui, l'agencement des bâtiments. Je pense que ça devrait faire le cas d'une exception en ce qui concerne les fermes agricoles en exploitation.

Je passe par-dessus toutes ces autres notions qui ne se rapportent pas spécifiquement au problème agricole. Les prescriptions en ce qui concerne les réserves pour fins publiques dans les milieux ruraux seront peut-être plus difficiles d'application et affecteront de façon sensible des exploitations agricoles. Mais est-ce que le législateur doit aller jusqu'à faire une exception à ce chapitre? Je pense que c'est déjà un grand pas de fait d'avoir introduit la réserve pour fins publiques généralisée à travers la province, qui va même bénéficier au ministère, ce qu'il n'avait pas et ce qui va éviter, je pense bien, de pouvoir déposer des plans généraux.

Je pense qu'on ne peut pas faire d'exception nécessairement pour les fermes actuellement, mais l'avenir dira si ça mérite un amendement ou pas.

Les dommages indirects. J'ai cité le cas Loiselle. Je pense bien qu'il y a des fermes qui subissent des dommages à cause de l'expropriation, mais de façon indirecte.

Quant à la notion d'affection difficile, de dommages qui découlent indirectement de l'expropriation, la ferme agricole en exploitation devrait faire l'objet d'une exception.

M. PINARD: Ces dommages indirects sont jugés par le tribunal...

M. ALARY: Oui.

M. PINARD: ... et l'indemnité établie par lui.

M. ALARY: Bien sûr.

M. PINARD: Je ne sais pas s'il existe en Ontario un manuel d'évaluation qui traite des dommages indirects.

M. ALARY: Non, c'est le tribunal. Mais, quand la base de la législation existe dans la loi et qu'on connaît la jurisprudence du tribunal, au niveau des négociations, c'est facile. Je pense bien que 90 p.c. des cas d'expropriation dans la province se règlent. Mais il faut que le législateur ait indiqué au tribunal qu'il y a une possibilité d'indemnisation. Est-ce qu'on mettrait "doit" ou "peut"? On peut peut-être

commencer par "peut" mais je pense bien qu'on va se rendre compte facilement...

M. PINARD: Le mieux que nous pourrions faire, ce serait d'avoir un article de loi qui dirait que, dans le cas de dommages indirects que pourrait réclamer une personne...

M. ALARY: Qui n'est pas affectée par l'expropriation.

M. PINARD: ... qui n'est pas affectée directement par l'expropriation, il y a un recours devant le tribunal.

M. ALARY: D'accord, ce serait satisfaisant.

M. PINARD: Alors, sur une preuve qui serait faite devant le tribunal, celui-ci jugerait.

M. ALARY: C'est une question de preuve et ça aurait réglé le cas du député, tout à l'heure, qui nous mentionnait sa maison.

M. PINARD: Mais ça ne peut pas être fait de façon arbitraire ou discrétionnaire.

M. ALARY: Non, pas du tout.

M. PINARD: Autrement, cela va conduire à des abus, ce sera inévitable.

M. ALARY: M. le ministre, on irait même jusqu'à dire: Limitons le nombre de cas de dommages indirects dans la loi, si on veut, pour commencer. J'ai cité le cas des agents d'immeubles qui avaient déjà un profit de réalisé au terme.

M. PINARD: Cela, c'est la vieille méthode des compagnies d'essence qui multiplient les options avec tout le monde...

M. ALARY: Possible.

M. PINARD: ... et qui nous imposent leurs bâtisses partout à travers la province, en territoire urbain comme en territoire rural. Je trouve que c'est le temps que ça cesse ces folies-là. C'est le ministère de la Voirie qui devrait déterminer combien il doit y avoir de stations d'essence en bordure des routes, pour le service des clients et des automobilistes, et non les compagnies nous imposer leur présence partout où on ne la désire pas.

M. PAUL: Ce n'est pas l'opinion du ministre des Richesses naturelles; il dit que c'est lui qui doit déterminer cela, avec la loi 90 que nous avons votée.

M. PINARD: A ce moment-là, je pense qu'il y a moyen de s'entendre. Le ministre des Richesses naturelles, tout en poursuivant des objectifs d'ordre économique, va admettre aussi qu'il y a d'autres problèmes. En ville, on fait changer les règlements de zonage à peu près n'importe quand, pour autant que la pression est là.

M. ALARY: M. le ministre, un dernier point. Je m'excuse immédiatement de m'être peut-être répété à l'occasion de la présentation de ces trois mémoires, je reviens encore une fois sur ce que j'ai déjà dit en ce qui concerne l'exception pour le ministère de la Voirie quant aux dépôts de plans et indemnités provisionnelles.

Je pense bien qu'au sujet du monde agricole, il n'est pas facile d'accepter que quand on a été exproprié par la voirie on est traité de cette façon, et quand on l'est par 1'Hydro-Québec on l'est d'une autre façon, ou par n'importe quelle autre entreprise ou corps public...

Ce n'est pas facile de faire accepter ça à nos clients, comme avocat, ou comme êvaluateur, et ou à une fédération comme l'UPA lorsqu'il s'agit de ses membres qui vont la voir pour savoir comment il se fait que la voirie nous traite de cette façon et l'autre, de l'autre façon. Alors je pense bien qu'on revient avec la même norme, soit l'uniformité.

Alors, messieurs, je vous remercie de cet accueil et nous espérons un projet de loi plus près de l'idéal.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Le député de l'Assomption aurait une question à vous poser.

M. PERREAULT: Je suis content, dans le mémoire à l'article 72, que vous disiez que, si l'expropriation partielle affecte le moindrement son exploitation... J'ai en mémoire le cas d'un cultivateur qui est venu me voir. On a exproprié une partie de sa ferme et cela a bloqué tout son drainage souterrain. Alors il a fallu qu'il refasse les fossés et le drainage pour pouvoir écouler l'eau sur la partie non expropriée.

Je pense bien que ceci est important à considérer.

M. ALARY: Cela doit lui être payé au niveau de l'indemnité provisionnelle parce qu'il doit faire les travaux pour que le reste de son exploitation agricole fonctionne de même que son drainage.

M. MORASSE : Vous devez ajouter aussi que les productions agricoles sont soumises à des quotas de production. Et le gars qui se voit freiné par une expropriation, qu'il ne peut pas prévoir maintenir sa production parce qu'elle est soumise à un quota, il vient de subir un préjudice et de plus en plus les productions sont organisées...

M. PERREAULT: D'accord.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Alors, messieurs de l'Union des producteurs agricoles ainsi que Me Alary, nous vous remercions de votre présentation.

UNE VOIX: Nous vous remercions au nom de l'Union des producteurs agricoles.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): Cela met fin aux auditions des mémoires sur le projet de loi 88. Je remercie tous les membres de la commission de leur participation, ainsi que tous ceux qui ont voulu présenter des mémoires afin de discuter avec le ninistre des modifications à apporter au projet de loi.

M. PINARD: II n'y a qu'une seule exception, la ville de Montréal n'était pas prête à présenter son mémoire. Alors, j'ai donné l'assurance aux autorités de la ville de Montréal que nous recevrions leur mémoire et çu'il ne sera pas nécessaire de convoquer à nouveau la commission parlementaire; mais je prends des dispositions pour que le mémoire soit envoyé à chacun des membres de la commission. Nous pourrions en faire une étude lors d'une réunion qui ne serait pas comme celle d'aujourd'hui, de façon que nous puissions incorporer possiblement des amendements à la loi.

Je ne voudrais pas que ce soit interprété, c'est pour cela que je le dis publiquement. Je ne voudrais pas que la procédure que nous avons évoquée soit interprétée comme étant une procédure d'exception à l'endroit de la ville de Montréal. Je pense qu'il y a vraiment matière à une étude plus approfondie de leur part parce qu'ils m'ont fait valoir que, face à certains besoins, qui pourraient être exprimés au gouvernement lors de la présentation du projet de loi de la ville de Montréal... Moi, je leur ai demandé d'agir plus vite, parce que le bill 88 concerne l'expropriation. Cela ne concerne pas tous les autres problèmes de la ville de Montréal.

Je leur ai demandé de séparer leurs mémoires afin que les autorités compétentes soient saisies du mémoire spécifique au domaine de l'expropriation. Si vous pensez que c'est un régime d'exception qui vous paraît dangereux, en ce sens qu'il pourrait mettre en danger vos propres intérêts — je parle des intérêts qui ont été défendus par les différents organismes qui se sont présentés devant nous — j'aimerais entendre votre opinion là-dessus. Je pense que le législateur est en tout point capable de prendre ses responsabilités et qu'il ne créera pas de régime d'exception sans avoir de bonnes raisons de le faire.

M. ALARY: M. le ministre, je suis parfaitement d'accord pour dire que le législateur va traiter cela de façon très sérieuse, mais cela me fait étrangement penser au fameux bill 100 qui se répète annuellement. On nous arrive toujours à la dernière minute avec de petites histoires que personne n'attendait. Personnellement, j'aurais souhaité entendre ce que voulait la ville de Montréal, parce que c'est encore un régime d'exception que l'on va proposer. J'en suis sûr d'avance et j'en connais même les détails. C'est pour cela que j'aurais bien aimé l'aborder.

M. PINARD: Là, vous...

M. ALARY: Je connais même certains détails.

M. PINARD: ... affirmez être déjà au courant de la surprise qu'ils pourraient nous faire. Je vais reprendre mes propos et nous allons les convoquer de la façon coutumière.

Mémoire retardé (Ville de Montréal)

M. ALARY: M. le ministre, nous avons su, de façon informelle, que la ville ne pouvait pas être prête. Le procureur nous a indiqué qu'ils abandonnaient même certains privilèges que les législateurs avaient pu leur donner, mais qu'ils demandaient d'être traité d'une autre façon à cause du nombre considérable... Mais attendons que le mémoire soit présenté pour pouvoir en parler en connaissance de cause. Si c'était cela, je dirais: On va traiter la Communauté urbaine de Montréal d'une autre façon, de même la Communauté urbaine de Québec, de même le ministère de la Voirie. C'est le même principe qui est en jeu.

M. PINARD: Ce que je veux faire comprendre, c'est qu'on ne peut quand même pas laisser la commission parlementaire des transports, des travaux publics et de l'approvisionnement ouverte indéfiniment pour attendre les retardataires. C'est ce que j'ai voulu d'abord exprimer. J'ai bien fait savoir mon opinion aux autorités de la ville de Montréal vendredi de la semaine dernière. On m'a donné d'excellentes raisons qui expliquaient le retard à préparer le mémoire.

M. PAUL: Est-ce que le ministre peut nous dire jusqu'à quel délai la ville de Montréal...

M. PINARD: II semble qu'il a été question de la fin de février. Je leur ai dit qu'il y aurait ouverture de la nouvelle session de l'Assemblée nationale, le 10 mars.

M.PAUL: On vous remercie de nous communiquer cette nouvelle.

M. PINARD: Je ne sais pas. Enfin, il n'a pas été question de cela?

M. PAUL: Bien non! Cela ne fait rien. Nous aimons cela avoir des petits secrets de temps en temps.

M. PINARD: De toute façon, nous terminons, Je 20 février, la session déjà en cours.

M. PAUL: Cela fait une bonne date pour des élections générales en septembre. D'accord.

M. PINARD: Enfin, je leur ai dit que cela ne pouvait pas dépasser la fin de février, parce qu'il

faut terminer la session qui est présentement en cours. C'est ce qui est important. Comme notre projet de loi no 88 est déposé en première lecture, il faudrait en disposer en temps utile.

M. PAUL: M. le Président, je suis heureux d'apprendre que, cette année, le gouvernement va procéder à l'ouverture d'une session un samedi. Il va falloir amender nos règlements sessionnels...

M. PINARD: Cela prouve qu'il y a erreur sur les dates...

M. PAUL: ... parce qu'il est prévu qu'elle ne siège pas le samedi.

De toute façon, je me demande si le secrétaire ou le ministre ne devrait pas donner un avis officiel à la ville de Montréal de déposer un mémoire au plus tard, disons, le 3 mars afin d'informer les principaux organismes, qui se sont fait entendre depuis hier, de la date de notre prochaine séance pour qu'ils puissent prendre connaissance des revendications ou des propositions de la ville de Montréal.

Je pense bien que les membres de la commission seraient également intéressés à connaître le point de vue particulier ou privilégié que veut présenter la ville de Montréal.

M. PINARD: J'ai la confirmation de Me Lemieux, le chef du contentieux du ministère de la Voirie, que Me Normandin, le chef du contentieux de la ville de Montréal, serait prêt à soumettre son mémoire d'ici la fin de février.

LE PRESIDENT (M. Lafrance): La commission devait terminer, aujourd'hui, ses travaux, mais à cause du cas d'exception et, comme on dirait dans le langage populaire, étant donné qu'on joue souvent à tous pour un, on va jouer encore une fois.

La commission parlementaire des transports, des travaux publics et des approvisionnements est ajournée sine die.

(Fin de la séance à 13 h 22)

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