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Version finale

32e législature, 5e session
(16 octobre 1984 au 10 octobre 1985)

Le vendredi 8 février 1985 - Édition spéciale

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de la Coalition pour les droits des malades


Journal des débats

 

(Quinze heures onze minutes)

Le Président (M. Lachance): À l'ordre, s'il vous plaît! La sous-commission du budget et de l'administration de l'Assemblée nationale se réunit avec le mandat de procéder à l'audition de la Coalition pour les droits des malades. Cela se fait dans le cadre de la consultation générale portant sur l'avant-projet de loi traitant du régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.

La commission du budget et de l'administration a formé une sous-commission composée des membres suivants: M. Clair (Drummond), ministre délégué à l'Administration et président du Conseil du trésor, M. Lachance (Bellechasse), M. Pagé (Portneuf). Je souhaite également la bienvenue à un certain nombre de collègues de l'Assemblée nationale qui sont présents ici comme intervenants. Sans plus tarder, je voudrais dire à M. Brunet et aux personnes de son groupe qui sont ici que notre sous-commission est heureuse de s'être déplacée à Montréal à leur demande pour les entendre à la suite du mémoire qui a été présenté.

J'inviterais immédiatement M. Claude Brunet, le porte-parole de la Coalition pour le droit des malades à nous présenter les personnes qui l'accompagnent et ensuite procéder à son exposé.

Exposé du président de la Coalition M. Claude Brunet

M. Brunet (Claude): M. le Président, MM. de la sous-commission, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs des médias d'information, à ma gauche, Mlle Lucie Forget, conseillère et collaboratrice à la Coalition pour les droits des malndes. Près de moi, M. l'abbé Gérard Dion, professeur en relations industrielles et relations du travail. À ma droite, le Dr Paul David, fondateur de l'Institut de cardiologie.

M. le Président, j'aimerais exprimer, tout de suite, au nom de la Coalition pour les droits des malades, notre profonde satisfaction devant l'effort de rapprochement et de compréhension que manifeste cette commission en acceptant de venir de Québec à Montréal à notre rencontre. Permettez-moi cependant de souhaiter vivement que ce souci d'ouverture à l'égard des droits et des difficultés des malades s'étende à ce qui arrive concrètement dans la vie des malades en période de grève ou de menace de grève.

Depuis quelques semaines, cette commission a donné lieu à toutes sortes de débats et de commentaires concernant notamment les droits acquis, les rapports de forces, les écarts milliardaires, les graves déchirements causés à la société du Québec par les affrontements syndicats- gouvernement, etc. Mais on n'a pas entendu la voix des malades. On n'a pas entendu parler de leurs droits, de leur besoin vital et constant de toutes sortes de soins de prévenance, d'attention. On n'a pas donné d'explication sur leur fragilité, sur leur dépendance, sur les contraintes et les souffrances qu'ils subissent dans les centres d'accueil et les centres hospitaliers où ils se trouvent; contraintes et souffrances que toute grève ou même toute menace de grève vient accentuer et multiplier.

On n'a vraiment pas idée, M. le Président, quand on est bien portant, des situations d'isolement et de frustration de ces malades et de ces personnes âgées hospitalisés. C'est pourquoi je crois qu'il suffirait que nos ministres et nos députés aient autant de contacts, de rencontres et d'échanges avec les malades qu'ils en ont avec des représentants syndicaux et patronaux pour qu'ils aient tous une attitude beaucoup moins tolérante envers la grève. Nous pensons qu'il n'y a pas de communes mesures entre les revendications de citoyens en bonne santé ou normalement actifs et les problèmes de santé de ces gens hospitalisés. Nous pensons que lorsqu'il y a opposition entre le droit du syndiqué d'améliorer ses conditions de vie par la grève et le droit du malade à être soigné avec continuité, dans la dignité, c'est de toute évidence le droit du plus faible et du plus démuni qui doit prévaloir.

Nous ne prétendons pas qu'il faille nier le droit des salariés pour autant. Nous n'avons jamais exigé l'abolition pure et simple du droit de grève, c'est le remplacement de la grève que nous préconisons depuis cinq ans déjà, depuis 1980. Nous avons fait des recherches sur certains mécanismes de règlement des conflits utilisés dans des provinces canadiennes et des États américains où la grève est interdite. Or, des études démontrent que non seulement l'on peut recourir à un mécanisme qui exclut la grève et qui est à la fois respectueux des droits des malades et équitable envers les

salariés mais que dans l'ensemble, les syndicats sont satisfaits des décisions arbitrales. Et surtout, il n'y a pas de grève, ce qui évidemment est capital pour les malades.

M. le Président, est-ce qu'il serait possible de hausser un peu le son pour tous nos malades à l'arrière? Merci. Nous sommes heureux des efforts entrepris pour modifier le régime de négociation du secteur public. Néanmoins, nous aimerions que cette réforme soit poussée beaucoup plus loin afin d'assurer son efficacité et ainsi une meilleure protection au malade. Dans cet esprit nous désirons porter à l'attention de cette commission nos recommandations relativement, premièrement, au droit de grève dans les établissements de santé; deuxièmement, au mode de règlement des conflits; troisièmement, aux moyens de dissuasion de tout recours à la grève; quatrièmement, à la détermination de la rémunération.

En ce qui concerne le droit de grève dans les établissements de santé, nous recommandons que le secteur de la santé fasse l'objet d'un régime de négociation particulier et que le droit de grève soit retiré totalemement si nécessaire. Que l'on tienne un référendum sur la question. Nous trouvons inacceptable que l'on retire le droit de grève uniquement sur les questions locales ou régionales et sur les questions de rémunération et qu'on le maintienne encore sur les questions négociées ad niveau provincial ou national. Messieurs, on apprécierait beaucoup que vous nous répondiez précisément tout à l'heure sur la question à savoir quelles seront les matières sur lesquelles le personnel hospitalier aura encore la permission de faire la grève. Dans notre mémoire présenté en septembre 1981 à la commission parlementaire convoquée pour réexaminer le régime de négociation du secteur public - voyez-vous, en 1981 on a en quelque sorte fait le travail de cette commission, bien que la commission présente prétende faire des efforts vraiment nouveaux et plus valables. Mais, on trouve dommage un peu que ces commissions doivent se répéter alors qu'il y a tellement d'efforts qui sont déployés pour faire avancer les choses. De toute façon, en 1981, nous étions là un peu comme nous le sommes tous ici même, aujourd'hui, sur cette question et nous demandions le remplacement du droit de grève dans les établissements de santé au nom des droits humains de la personne. Nous disions et je cite: "Augmenter les souffrances des malades des personnes déjà affaiblies psychiquement et physiquement, frapper des gens qui sont déjà à terre est pour nous proprement immoral. Or, c'est malheureusement, ce qu'une grève dans les établissements de santé, tend à faire. Car si la grève ne faisait pas mal aux malades, elle serait carrément inefficace, d'où notre manque de confiance total envers la thèse de la grève symbolique. Une grève qui ne fait pas mal, c'est une grève qu'on n'accepte pas, une grève inefficace. "

J'aimerais brièvement employer une définition du Larousse, au sujet du mot "inhumain". Dans ce dictionnaire, on définit le mot "inhumain" par "celui qui reste insensible aux souffrances des autres, qui ne veut pas les soulager ou qui se plaît même à les faire naître". Fin de la citation. Voilà ce que fait une grève, à notre avis, dans les hôpitaux et les centres d'accueil et ce qui fait que la grève, pour nous, est essentiellement inhumaine. Loin de vouloir soulager les malades, on leur inflige délibérément, sciemment, un surcroît de souffrances morales et physiques.

Notre mémoire de 1981 en donnait plusieurs illustrations: des malades qu'on laisse dans leurs excréments et dans leur urine parce que le personnel est insuffisant; des malades qu'on expose à des plaies de lit purulentes parce qu'ils ne sont pas tournés aussi souvent qu'ils devraient l'être; le problèmes des plaies. Combien d'autres problèmes dont nous pourrions, nous ici, si on donnait la parole à des malades, vous donner des informations absolument inacceptables! Peut-on se représenter quelles difficultés on a à guérir une plaie de lit, seulement une plaie de lit? Et combien de plaies de lit ont été causées par diverses grèves?

Il y a aussi tous ces malades qui, à cause des grèves ou des menaces de grève -entendez bien: menace de grève ou grève appréhendée, car ces choses-là, on les a vécues pendant tout l'automne de 1982, puis en janvier et février 1983. Une grève appréhendée c'est presque aussi désastreux qu'une grève déclenchée. La menace de grève est absolument inacceptable. On pourrait vous donner des détails là-dessus.

Il y a aussi tous ces malades qui doivent attendre plus longtemps encore, dans l'inquiétude, avant d'être hospitalisés et traités. Il y a tous ceux qui sont retournés précocement chez eux, parce que le personnel en place est insuffisant et débordé, avec risque de complications sérieuses, voire même fatales. Il y a également ceux dont l'opération est reportée à plus tard et qui doivent vivre plusieurs fois les heures angoissantes précédant une intervention chirurgicale.

Dans la lettre que nous adressions, le 10 septembre dernier, au président du Conseil du Trésor, M. le ministre Michel Clair, relativement à son document intitulé: "À la recherche d'un nouvel équilibre", nous réitérions notre position au droit de grève dans le secteur de la santé et nous dénoncions l'approche des services essentiels qui implique qu'il puisse être acceptable de priver les malades de certains services jugés

moins essentiels.

Pour des personnes déjà diminuées par la maladie, tous les services sont essentiels. L'angoisse que cause chez eux la menace de grève constitue déjà, en soi, une atteinte inacceptable à leur droit à la sécurité. Puisque la grève, M. le Président, dans les établissements de santé porte atteinte aux droits fondamentaux de la personne, elle est donc immorale en soi, elle doit être reconnue illégale en tout temps et non pas seulement sur des questions locales ou des questions de rémunération. On ne saurait envisager de compromis là-dessus et tenter de trancher la poire en deux.

Comme nous le disions en 1981, une loi ne saurait jamais sanctionner et légitimer ce qui est immoral, même s'il peut y avoir transgression de la loi. Il y a des meurtres, malheureusement, qui se commettent toutes les semaines et on sait bien que le législateur n'a jamais l'intention de rendre de tels crimes légaux. Il y a des vols chaque jour: vols à main armée, vols d'automobile, etc., et bien sûr, il n'est pas question de légaliser de telles choses.

Nous sommes convaincus, M. le Président, que la population du Québec réprouve, très majoritairement, la grève dans les hôpitaux et si l'on en doute, nous croyons que le peuple devrait être consulté directement par voie de référendum sur une question qui touche aussi éminemment le caractère moral et humain de toute une société.

En ce qui concerne le mode de règlement des conflits, nous recomandons que pour toute matière négociable, à l'exclusion de la masse salariale qui, elle, doit être plutôt objet de constatations, mais non de négociations, que l'on prévoie un processus de règlement des conflits, avec un échéancier plus précis et aboutissant à un arbitrage obligatoire et exécutoire, s'il n'y a pas d'entente.

L'avant-projet de loi, M. le Président, reconnaît que l'organisation du travail et la mobilité du personnel doivent être négociées localement et qu'à ce niveau, toute grève est interdite, ce dont nous nous réjouissons. Mais cette abolition du recours à la grève doit s'étendre à toute négociation au niveau provincial, comme au niveau local et régional.

À la commission parlementaire de 1981, nous avions suggéré que le mécanisme de l'offre finale, "final offer selection", pourrait être un bon substitut à la grève, puisqu'il exerce une pression sur les parties pour qu'elles négocient de façon réaliste et soumettent des propositions raisonnables. En 1981, on haussait les épaules lorsque nous parlions de l'offre finale. Aujourd'hui, on en parle de plus en plus et, même, un important parti politique vient de l'adopter.

L'avant-projet de loi, donc, n'exclut pas entièrement cette formule, puisqu'elle prévoit que les parties peuvent s'entendre sur le mode de règlement de leur désaccord. À défaut de cette entente, la loi privilégie la médiation-arbitrage et fixe les délais du processus, une fois enclenché, mais uniquement au niveau local et régional.

À cet égard, M. le Président, nous aurions plusieurs remarques à faire. Nous souhaiterions que la loi soit plus précise sur la durée obligatoire des négociations. À l'article 31, la loi fait mention de trois séances de négociation avant qu'il puisse y avoir recours à la médiation-arbitrage. Mais si l'une des deux parties a intérêt à faire traîner les négociations, elle pourrait constamment reporter les séances de négociation, de sorte qu'un temps trop long pourrait s'écouler entre chaque séance.

Mieux vaudrait préciser le nombre de jours à partir du début de la négociation. En outre, on devrait préciser les délais à l'intérieur desquels l'arbitre doit rendre sa décision, ce que l'actuel avant-projet ne fait pas.

Il nous paraît également désirable, une fois que le processus de médiation-arbitrage est mis en branle, que l'arbitrage soit obligatoire et exécutoire, si les parties ne s'entendent pas, au lieu de laisser cette décision à la discrétion du médiateur-arbitre. Si la médiation-arbitrage demeure facultative, il nous semble qu'il pourrait y avoir danger que le conflit s'éternise et pourrisse avec détérioration du climat à l'intérieur de l'établissement ou que certains services de l'hôpital ne puissent s'ajuster aux besoins des patients, ce qui, bien sûr, ne pourrait être qu'au détriment du malade.

De même, nous croyons, M. le Président, que ce mécanisme doit s'appliquer obligatoirement à tous les désaccords survenant dans les négociations à l'échelle provinciale, remplaçant ainsi le recours a la grève qui est si massivement réprouvé pour des raisons humanitaires. D'autre part, il importe que la décision de l'arbitre soit vraiment exécutoire, y compris pour le gouvernement.

La crédibilité d'un mécanisme d'arbitrage exige que le gouvernement accepte de se soumettre aux arrêts des arbitres, même s'ils ne correspondent pas toujours à ce qu'il aurait souhaité. Étant donné l'implantation d'un régime de négociation permanente, n'y aurait-il pas lieu de prévoir dans la loi une procédure d'arbitrage qui améliorerait la disponibilité des arbitres, assurerait l'objectivité du processus de nomination et leur sélection, en fonction de leurs connaissances du milieu? (15 h 30)

N'y aurait-il pas lieu, également, d'ouvrir la voie à une profession d'arbitre, en leur accordant un mode de rémunération et un statut analogue à ceux des juges afin de

garantir leur indépendance et leur impartialité?

En ce qui concerne les mesures dissuasives face au recours à la grève, premièrement, que la loi prévoie des pénalités automatiques en cas de violation; deuxièmement, que la loi interdise à l'employeur public et aux organisations syndicales de négocier la suspension ou la modification des pénalités prévues sous peine de sanctions très sévères; troisièmement, que tout citoyen, même s'il n'est pas affecté par le conflit, puisse obtenir une injonction de la cour en cas de violation ou même de simple menace de violation.

On doit déplorer encore une fois que l'approche de la loi en soit une de permissivité et ne soit pas du tout dissuasive. On donne certains pouvoirs au conseil sur les services essentiels pour intervenir après coup, mais on ne cherche pas à prévenir les méfaits et les violations de la loi.

Il y a lieu de s'interroger aussi sur la portée de l'amendement au Code du travail, article 111. 17, qui donne au Conseil sur les services essentiels le pouvoir de fixer la valeur monétaire du préjudice subi par le citoyen en raison d'une grève, d'un lock-out ou d'un ralentissement d'activité.

Est-ce à dire que les victimes des interruptions voulues de services n'auront plus droit au recours collectif? Si les malades ont été aussi souvent victimes de grèves sauvages au Québec, nous croyons que c'est dû au manque de fermeté de nos gouvernements. Encore récemment, la faiblesse de l'État a été mise à nu dans les conflits à l'hôpital Saint-Julien de Saint-Ferdinand et d'Urgences-santé à Montréal. Vu cette triste expérience, il est d'autant plus important que la loi elle-même prévoie des pénalités applicables sur-le-champ qui feront réfléchir et inciteront à un comportement plus responsable vis-à-vis des malades.

Comme nous le rappelions dans notre mémoire en septembre 1981, si les syndicats sont si puissants aujourd'hui, c'est grâce aux lois qui garantissent la sécurité syndicale, notamment l'accréditation et la déduction des cotisations à la source. Il serait donc normal qu'on leur retire ces privilèges si eux-mêmes ne se conforment pas aux lois grâce auxquelles les syndicats existent.

Dans le cas des individus, l'expérience nous a démontré que les amendes sont inefficaces et que le congédiement immédiat et définitif est une mesure qui les induirait davantage à être plus respectueux des lois. De plus, la loi devrait prévoir des sanctions contre tout employeur public qui négocie la modification ou la suspension des pénalités prévues. Elle devrait également donner toute latitude aux citoyens vigilants et courageux d'avoir recours aux tribunaux en cas de violation ou de menace de violation. De telles dispositions législatives existent déjà, par exemple, dans l'État d'Iowa aux États-Unis. Vous verrez qu'une copie de ce texte législatif est en annexe de notre mémoire. Si ces dispositions étaient adoptées ici, au Québec, un grand pas serait fait, selon nous, pour changer chez nous la mentalité anarchisante que la faiblesse de nos gouvernements a engendrée au cours des années.

En ce qui concerne la détermination de la rémunération, premièrement, pour inspirer confiance et jouir de toute la crédibilité nécessaire, l'Institut de recherche de la rémunération devrait être composé de personnes impartiales et indépendantes de toute affiliation politique, patronale ou syndicale et désignées par l'Assemblée nationale après consultation. Deuxièmement, lorsqu'il y a plusieurs critères de comparaison possibles pour une catégorie d'emplois, le champ d'investigation de l'Institut de recherche devrait être élargi pour inclure une analyse de l'impact de chaque option sur le budget de l'État. Troisièmement, sur la base du rapport de l'Institut de recherche et après consultation des parties, le gouvernement devrait soumettre un avant-projet de règlement à une commission parlementaire devant laquelle les associations syndicales auraient la chance de défendre leur position, de même que d'autres groupes de citoyens.

Si l'objectif recherché par la création d'un institut de recherche est d'éliminer toute controverse sur des données de base, le modèle proposé dans l'avant-projet de loi ne saurait y répondre à notre avis, puisque la composition du conseil d'administration sera partisane: six membres suggérés par les associations syndicales et six membres suggérés par les représentants de l'employeur. Donc, les discussions à l'intérieur du conseil auront lieu, en toute probabilité, selon l'alignement des parties et des intérêts, avec risque de bataille rangée et d'échec.

La réalité est toujours plus complexe qu'on le voudrait. Pour plusieurs catégories d'emplois, il faut reconnaître qu'il puisse exister plusieurs critères de comparaison, chacun produisant des résultats plus ou moins avantageux. Il va de soi que la partie syndicale favorisera le critère qui l'avantage et l'employeur aura tendance à privilégier celui qui s'avérera le moins coûteux.

Prenons par exemple le personnel directement relié au service des malades: infirmières, aides-auxiliaires, préposés aux soins. Cette catégorie d'emploi est peu représentée dans le secteur privé. Le critère de comparaison devra-t-il être la rémunération globale versée dans une autre province pour des tâches analogues? Mais quelle province? La province qui paie le mieux? celle qui paie le moins? La capacité

de payer n'entre-t-elle pas alors en ligne de compte? On peut voir que la cueillette de données de base implique des décisions qui peuvent être sujettes à controverse d'où l'importance d'un conseil d'administration composé d'un personnel absolument impartial.

Pour les mêmes raisons d'impartialité et d'efficacité, il est important d'élargir le mandat de l'institut pour inclure l'évaluation des diverses options possibles en tenant compte de l'impact budgétaire et de la capacité de payer.

L'avant-projet de loi propose, à la suite de la publication du rapport de l'Institut de recherche, la négociation de la rémunération avec les associations de salariés. Comme en cas d'échec, le Conseil du trésor a le dernier mot, c'est une négociation purement théorique.

Nous pensons que les intérêts de la population et des employés syndiqués seraient servis de façon plus équitable si on leur offrait une possibilité d'aller défendre leur position devant une commission parlementaire.

Voici ce que la loi pourrait prévoir. Après remise du rapport de l'Institut de recherche et consultations des parties intéressées, le Conseil du trésor soumettrait ces propositions à une commission parlementaire où les associations de syndiqués et autres groupes de la population pourraient faire valoir leur point de vue. Ce n'est qu'après la tenue d'une telle commission parlementaire, et en tenant compte de ses recommandations, que le gouvernement pourrait déposer devant l'Assemblée nationale son projet de règlement de la rémunération pour l'année en cours.

Avant de terminer, nous aimerions demander au président de nous donner une réponse précise sur les deux questions que nous avons posées à savoir les matières qui seront réservées à la négociation provinciale et l'impact de l'amendement 111. 17 sur les recours collectifs.

Mesdames, messieurs de cette commission, voilà 20 ans que la société québécoise est secouée et traumatisée par les grèves dans le secteur de la santé. Nous sommes venus à cette commission pour vous demander, encore une fois, de retirer complètement le droit de grève dans les établissements de santé et d'adopter des mesures énergiques afin que jamais plus des personnes malades ou âgées ne soient prises en otage et se voient dénier leurs droits fondamentaux à la vie et à la sécurité.

Les associations syndicales ont décidé de boycotter votre commission et exigent le maintien du droit de grève dans le secteur de la santé. Nous croyons que ce qui est visé, consciemment ou non, c'est l'utilisation de la souffrance humaine pour continuer à extorquer des avantages bien supérieurs à ceux de la plupart de leurs concitoyens. Nous vous disons: Allez donc voir ce que le peuple en pense! Pourquoi mesdames et messieurs une consultation générale de la population comme celle que permet un référendum ne serait-elle pas un facteur déterminant de prise de décision face à un problème aussi grave que celui de la grève dans les établissements de santé?

Nous demandons instamment aux membres de cette commission et aux députés qui les accompagnent de faire preuve d'un principe élémentaire de justice et d'humanité, celui de toujours tenir particulièrement compte des personnes qui, du seul fait qu'elles sont sans défense, sont facilement et outrageusement pénalisées ou lésées. Mesdames, messieurs, vous devrez choisir entre les intérêts particuliers des appareils syndicaux ou les intérêts vitaux des malades et du monde ordinaire. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lachance): Merci beaucoup, M. Brunet, pour votre exposé. Nous entreprenons maintenant la partie d'échange de propos entre les représentants du groupe la Coalition pour les droits des malades (Montréal) ainsi que les porte-parole des deux formations politiques qui sont représentées. J'inviterais d'abord le président du Conseil du trésor à vous faire part de ses commentaires et à vous poser ses questions dans un premier temps. Par la suite ce sera au tour du député de Portneuf et porte-parole de l'Opposition. M. le ministre.

M. Clair: Si j'ai bien compris, M. le Président, nous nous partagerons le temps d'abord en blocs de 20 minutes.

M. Pagé: C'est cela.

Commentaires du ministre

M. Michel Clair

M. Clair: Parfait. M. le Président, je voudrais d'abord souhaiter la plus cordiale bienvenue à M. Brunet et aux gens qui l'accompagnent de la Coalition pour les droits des malades (Montréal) et les remercier d'avoir accepté de prendre connaissance de l'avant-projet de loi, de nous formuler aujourd'hui des commentaires dont plusieurs sont particulièrement intéressants en ce qui concerne les quatre grands thèmes qui sont abordés dans le mémoire de la Coalition pour les droits des malades (Montréal).

Je voudrais d'abord dire aussi que c'est par une décision unanime de la commission parlementaire du budget et de l'administration qu'a été prise la décision de créer la sous-commission qui est formée de mon collègue, le député de Portneuf, du

député de Bellechasse et de moi-même, pour venir entendre ce mémoire do la Coalition pour les droits des malades (Montréal). Je pense que c'est dire tout l'intérêt des parlementaires pour cette question mais aussi toute l'importance qu'ils accordent à l'opinion et aux opinions qui peuvent être émises par un des organismes représentatifs des bénéficiaires des services publics, soit la Coalition pour les droits des malades (Montréal) qui, depuis plusieurs années déjà, joue un rôle extrêmement positif dans notre société en termes de valorisation des droits humains comme l'a si bien dit, M. Brunet.

Je remercie d'autant plus la Coalition pour les droits des malades (Montréal) de s'être penchée sur l'avant-projet de loi parce que non seulement elle se penche sur la question des droits des malades, des bénéficiaires de ces services de santé, des services publics en général, mais elle pousse plus loin son analyse et justement propose toute une série de moyens qui sont tout aussi défendables les uns que les autres. J'en donne simplement un exemple pour vous faire état des mes réflexions en ce qui concerne l'un des sujets abordés dans le mémoire de la Coalition, la question de la rémunération. Je pense, par exemple, que l'idée d'amener une convocation annuelle d'une commission parlementaire pour donner l'occasion aux syndicats du secteur public et parapublic de venir faire valoir son point de vue devant l'Assemblée nationale est une excellente suggestion. Sans en prendre l'engagement aujourd'hui même, je peux d'ores et déjà vous indiquer qu'il est fort possible que cette recommandation de votre mémoire fasse finalement partie du projet de loi lorsqu'il sera déposé. En tout cas, j'ai l'intention de soumettre cette proposition à mes collègues du Conseil des ministres. Je le donne simplement à titre d'exemple. (15 h 45)

Dans le premier bloc de 20 minutes qui m'est alloué, M. le Président, je voudrais aborder, telle qu'elle est présentée dans le mémoire, l'épineuse question du droit de grève dans le secteur de la santé. Je pense que tout le monde s'entend sur l'objectif: le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à la sécurité, sont des droits inaliénables et en conséquence les droits d'accréditation, de représentation des intérêts des travailleurs dans le domaine de la santé, comme dans celui des autres domaines de l'activité humaine d'ailleurs, doivent être aménagés en fonction du respect de ce droit fondamental qu'est le droit à la santé, le droit à la vie, le droit à la sécurité. Je pense que c'est une valeur sur laquelle il est inutile de tenir un référendum. Je serais fort déçu si on en était rendu, comme société, à devoir se poser cette question quant à savoir si on considère qu'il s'agit-là de droits fondamentaux inaliénables qui pourraient être soumis à d'autres droits. Je pense qu'il y a un consensus très évident au Québec quant à l'objectif qu'on doit atteindre comme société, soit d'utiliser tous les moyens et surtout les meilleurs moyens possible pour faire en sorte qu'il n'y ait plus de grève dans le secteur de la santé, et à tout le moins, que si de telles grèves peuvent continuer à se produire, qu'elles aient, comme c'est le cas dans l'immense majorité des autres sociétés civilisées, une portée uniquement symbolique, de sorte que soit vraiment inscrit dans nos mentalités que le recours à la grève générale illimitée totale dans le secteur de la santé est une aberration. Cela, je pense que tout le monde est d'accord là-dessus. Il reste à s'entendre sur les meilleurs moyens à utiliser.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le législateur, que le gouvernement a non seulement une responsabilité, mais des pouvoirs réels également pour faire en sorte que ce que je viens d'indiquer devienne la réalité et le soit de plus en plus au Québec. Donc, le recours à la loi, à l'intervention législative, est certainement quelque chose de réel et d'important dans la poursuite de cet objectif. Je pense que pour atteindre cet objectif, au-delà de l'utilisation du pouvoir législatif et exécutif, il y a tout le champ des mentalités. Comment faire évoluer les mentalités suffisamment pour qu'effectivement des grèves, comme je les décrivais tantôt, générales, totales illimitées ne soient plus possibles et même plus que cela, que la grève n'ait plus, à toutes fins utiles, que l'effet d'une semonce à l'égard du gouvernement et qu'elle ne soit qu'un symbole, un moyen d'alerter l'opinion publique aux préoccupations de ses travailleurs? Je pense donc que, oui, l'Assemblée nationale est responsable des dispositions législatives mais aussi, elle est responsable et nous sommes responsables de favoriser l'évolution des mentalités.

Questions et réponses

Ma première question à M. Brunet ou aux gens qui l'accompagnent - il peut répartir les questions comme il le souhaite -c'est au fond celle-là. Ce que le gouvernement propose dans l'avant-projet de loi, c'est toute une série de mécanismes auxquels on pourrait ajouter d'excellentes suggestions qui nous ont été faites mais qui visent à faire en sorte qu'à toutes fins utiles le droit de grève devienne un recours symbolique et cherche à éviter que par un autre geste symbolique, soit celui d'abolir purement et simplement le droit de grève, on casse cette courbe positive, je pense, de l'évolution des mentalités que nous avons connue à cet égard dans le milieu des travailleurs de la santé au cours des cinq ou six dernières années. Ma première question à

M. Brunet sera celle-ci: En quoi le retrait, l'abolition légale, je dirais, du droit de grève viendrait-elle, mieux que les mécanismes prévus, favoriser l'évolution des mentalités et nous assurer que, dans les faits, l'objectif que nous partageons tous soit atteint au niveau le plus satisfaisant possible.

Je ne sais pas si ma question est assez claire, mais c'est ce qu'on cherche tous. C'est quoi le meilleur moyen à prendre? Comment vous êtes-vous convaincus que cela était le meilleur moyen?

M. Brunet: Ne parlons pas de meilleurs moyens tout de suite, étant donné que la question est quand même très complexe, mais disons que, en tout cas, la grève dans les établissements de santé, c'est inhumain, immoral, inacceptable. Il faut que ça cesse. Nous parlons de mécanismes de remplacement. D'accord, il y aura une évolution difficile quant au respect total des lois ou de la loi interdisant toute grève, mais nous savons que tant que la grève est le moindrement permise, on prend prétexte de ça.

On a eu un exemple de ça en 1982, alors que le Conseil sur les services essentiels était supposé mieux surveiller les situations et mieux intervenir. Or, il est arrivé des choses absolument inacceptables, pendant la seule journée de grève, le 10 novembre 1982. Mais il y a eu beaucoup de menaces de grève pendant l'automne et les deux mois, au début de 1983.

Ce qui arrive, c'est que lorsque la grève est permise, on a beaucoup plus de difficultés à recevoir des amis bénévoles ou des parents dans le centre hospitalier où on pense bien être chez soi, surtout dans le cas des personnes âgées et des malades qui sont là toute l'année. Aussi, des employés non syndiqués se font interdire l'entrée.

Alors, il y a toutes sortes de mesures d'intimidation qui accompagnent ou précèdent la grève et qui font que l'établissement de santé est un peu en état de siège. Mais j'aimerais aller plus loin et demander au Dr David de nous donner sa perception des effets des grèves concrètement sur les malades, parce que, quand on voit combien c'est inhumain, combien c'est désastreux, combien c'est effroyable, je pense que, là, il y a une action beaucoup plus énergique. Il y a une volonté politique qui s'affirme beaucoup plus.

Je donnerai la parole, si vous me permettez, M. le Président, au Dr. David.

M. David (Paul): Je répondrai à votre question, M. le ministre, à deux points de vue: au point de vue proprement médical -et j'inclus dans mon point de vue médical les internes, les résidents, les médecins et les employés de l'État - je pense que si le droit de grève peut être supprimé, il doit être supprimé pour toute personne qui reçoit une rémunération quelconque pour le soin qu'il donne à des malades.

Je pense que la grève - nous en avons subi plusieurs expériences - a considérablement démontré l'inefficacité de notre système. Je suis heureux de vous entendre dire que vous partagez le point de vue que c'est la plus mauvaise solution pour régler des problèmes de la santé.

On s'est imaginé pendant longtemps que la couverture des services essentiels devait être suffisante pour protéger la vie d'un malade. Peut-être les services essentiels ont-ils protégé quelques vies. Ils n'ont sûrement pas protégé la survie de beaucoup de malades que pendant cette période de grève on n'a pas pu examiner, on n'a pas pu faire un diagnostic précoce, on n'a pas pu traiter la maladie au moment où il aurait fallu le faire.

Je pense que les systèmes de santé ont tellement évolué depuis quelques années que tous les services - hospitaliers, tout au moins - sont devenus essentiels. M. Brunet référait tout à l'heure aux plaies de lit. Pour un homme en bonne santé, comme je le suis présentement - j'espère le demeurer, mais qui sait - la plaie de lit, c'est banal. Cependant, pour celui qui souffre d'une plaie de lit et quand on voit des plaies de lit qui prennent des mois à guérir, c'est une souffrance presque de 24 heures qui oblige à donner souvent des thérapeutiques inutiles, dans le sens que s'il n'y avait pas de plaies de lit, ces thérapies ne seraient pas données et des calmants, par exemple, ne seraient pas donnés.

Je prends justement l'exemple de la banalité pour montrer à quel point quelque chose qui est anodin, en soi, peut occasionner de souffrances chez un malade.

M. Brunet mentionnait, par exemple, les opérations retardées. Je suis certain que tous les membres qui sont dans cette salle aujourd'hui et qui savent qu'ils doivent être opérés, disons, la semaine prochaine, si on remettait de la semaine prochaine à l'autre semaine, à un mois, etc., souffriraient des journées et des semaines d'angoisse parce que la chirurgie, quelle qu'elle soit, présente, qu'on le veuille ou pas, un certain risque.

Je crois que le retrait de la grève... Vous parlez d'une grève qui deviendrait purement symbolique, mais où commence le symbole et où se termine la réalité? Je pense qu'à partir du moment où quelque chose est possible et sachant qu'on ne peut pas faire souffrir indéfiniment les malades, on ira jusque-là pour obtenir gain de cause. Pour répondre à votre question, je ne vois pas d'autre solution que l'abolition pure et simple du droit de grève pour tout le monde, y compris les médecins, et son remplacement par des mécanismes déjà prouvés dans d'autres pays ou dans d'autres parties du

monde, mécanismes qui vont d'ailleurs permettre des dialogues positifs entre les parties concernées, et à travers ce dialogue, qui devrait se poursuivre toute l'année, peut-être que les employeurs et les employés acquerront une certaine maturité dans la façon de discuter.

Des voix: Bravo!

M. Brunet: M. le Président, je suis conscient que M. le ministre est toujours dans ses 20 minutes; soit après soit maintenant, si vous le permettez, M. l'abbé Gérard Dion aimerait commenter un peu, en réponse à M. le ministre, maintenant ou quand vous le permettrez...

M. Clair: Surtout dans la mesure où ce serait une réponse qui porterait sur le fond de ma question. Cela ne veut pas dire que ce que M. le docteur et vous-même, M. Brunet, avez dit n'est pas fondamental, mais tenez pour acquis que, par exemple, sur la question des conséquences quant à l'exercice du droit de grève chez les malades, chez les bénéficiaires des services de santé, et même l'appréhension de la grève on a eu l'occasion d'en discuter en commission parlementaire, et tant mon collègue, le député de Portneuf, que moi-même sommes sensibilisés à cette question - il va de soi que la simple appréhension dans un centre d'accueil ou dans un hôpital de l'exercice d'une grève crée des problèmes souvent aussi importants que ceux de l'exercice de la grève.

Mais la question que je posais, c'était plutôt de vous demander, dans la mesure où nous partageons collectivement, je pense, comme société, les mêmes objectifs, qu'est-ce qui vous amène à conclure que, dans les faits, le moyen proposé, soit l'abolition pure et simple du droit de grève, pour employer les mots du Dr David, est préférable à une approche qui vise à faire en sorte que, à toutes fins utiles, il n'y en ait plus, mais snns poser le geste législatif de l'abolition, toujours en référence à l'évolution des mentalités?

Je pense encore une fois que pour l'une des parties du problème, c'est une question de mentalité. Comment les faire évoluer? L'Association des hôpitaux du Québec, par exemple, les dirigeants des hôpitaux du Québec de même que ceux de l'Association des centres d'accueil du Québec sont venus nous dire, bien sûr, qu'ils partagent la volonté qu'il n'y ait plus de grève dans leur réseau, mais sont venus nous dire: Nous pensons qu'il y a une évolution des mentalités et qu'il y aurait un risque de susciter une large mobilisation si le geste de l'abolition était posé. Il peut y avoir des opinions pour, des opinions contre, je voulais connaître la vôtre sur cette question. En termes de favoriser l'évolution des mentalités, est-ce que vous y renoncez?

M. Brunet: M. l'abbé Dion, vous avez parlé à beaucoup de ministres, durant les dernières cinquante années, pouvez-vous répondre au fond du fond à la question de M. le ministre? Approchez le micro, s'il vous plaît. (16 heures)

M. Dion (Gérard): II n'y a pas de solution miracle. Je ne crois pas, non plus, qu'on doive se fier uniquement sur la législation pour amener les changements de mentalité. Ceci étant bien établi, je crois qu'aussi longtemps qu'on laissera une porte ouverte et une possibilité d'utiliser ce moyen, les gens vont s'en servir. Quand je dis cela, ce n'est pas que je suis antisyndical, ce n'est pas non plus que je prétende qu'on ne doive pas prendre tous les moyens nécessaires pour que les travailleurs, dans le domaine de la santé, aient justice et aient des conditions de travail qui soient humaines et favorisant, chez eux, une satisfaction au travail pour qu'ils puissent donner aux bénéficiaires les meilleurs services possible.

Mais, on ne changera pas la nature des choses. Peut-être que dans 20 ans, les mentalités seront changées. On a déjà 20 ans d'expérience. Cela a peut-être évolué, mais je ne pense pas qu'il soit humain d'attendre encore 20 ans et, périodiquement, d'être soumis à des menaces de grève ou à des grèves que le gouvernement ou les gouvernements successifs, qui ont été au pouvoir depuis ces 20 ans, ont été obligés de régler avec des lois spéciales et même des lois spéciales qui ont été violées.

C'est la raison pour laquelle, dans une certaine mesure, j'accepte les responsabilités des modifications qui ont été apportées à la loi en 1964. À cette époque, nous étions tous très optimistes. Les dirigeants syndicaux nous avaient dit: On veut avoir cela dans la loi, mais on ne s'en servira pas. Je n'ai pas à vous rappeler ce qui s'est passé depuis 20 ans, quels que soient les gouvernements qui étaient au pouvoir, à partir de M. Johnson, M. Bertrand, M. Bourassa et le gouvernement actuel. C'est la raison pour laquelle je pense qu'on doit purement et simplement abolir le droit de grève.

C'est la semaine dernière, je pense, qu'un futur candidat, ancien président de la Fédération des affaires sociales disait: Abolir le droit de grève ne règle rien. Je suis d'accord avec lui. Ce n'est pas simplement l'abolition du droit de grève qui va régler les problèmes et ce n'est pas simplement l'abolition du droit de grève qui va empêcher des grèves illégales. Si on veut vraiment faire disparaître que ce soit symbolique ou pas... On le savait en 1964, l'utilisation du droit de grève dans les services de santé de

même que chez les fonctionnaires et le reste, cela n'affecte pas le gouvernement lui-même. C'est pourquoi on disait que c'était seulement pour attirer l'attention de l'opinion publique sur un problème de telle sorte que le gouvernement se penche et le règle. Mais cela n'a pas fonctionné comme cela.

Voilà pourquoi, si on veut avoir quelque chose d'efficace, il faut, premièrement, que lorsqu'il y a des grèves qui sont illégales, il y ait des sanctions. Une loi sans sanctions, tout le monde sait cela, c'est une loi inutile et même parfois une loi dangereuse parce que c'est contagieux, lorsqu'on viole impunément la loi et qu'on sait que c'est payant et puis qu'on ne sera pas obligé d'en subir les conséquences, les sanctions. D'ailleurs cela a été dit par un président de centrale syndicale au mois de décembre dernier, il faut qu'il y ait des sanctions appropriées, des sanctions efficaces.

Il y a encore une autre condition et qui est aussi importante, quelles que soient les choses que l'on mette dans la loi, c'est qu'on ait la volonté de les appliquer. L'histoire est là. Dans le passé, dans certaines lois on a mis des sanctions qui étaient assez draconiennes. Aucun gouvernement ne les a appliquées, pour toutes sortes de raisons. C'est pourquoi, quand j'étais membre de la commission Woods en 1967, 1968 et 1969, nous avions préconisé une recommandation à cette époque qui n'a pas été acceptée par le gouvernement fédéral et qui n'a pas été reprise non plus par des gouvernements provinciaux, à savoir que devrait être créé un poste de fonctionnaire - appelez-le comme vous le voulez - avec des pouvoirs d'un procureur général, pour prendre les poursuites. Ce procureur général affecté aux violations de la loi dans le domaine des relations du travail, et particulièrement dans le cas des grèves illégales, devrait être désigné par l'Assemblée nationale pour un certain nombre d'années de telle façon qu'il soit complètement indépendant des pressions politiques tout en laissant la possibilité à ceux qui sont intéressés de pouvoir prendre des poursuites, si ce procureur général spécial ne le fait pas.

Regardez ce qui s'est passé dans ces derniers mois; on a l'a présent à l'esprit. Et reportez-vous en 1982 et reportez-vous à chaque fois qu'il y a eu de grèves illégales, cela a toujours tombé là. Je suis convaincu que tant qu'on n'aura pas une volonté politique de faire appliquer la loi cela ne sert à rien de la changer, on perd notre temps. Maintenant, des sanctions efficaces qu'on sait qui seront appliquées, c'est bien de valeur de le dire, c'est, en ce moment, le seul moyen qu'il nous reste pour faire l'éducation et accélérer l'éducation des gens de telle façon que dans les conflits du travail dans le domaine de la santé, on hâtera cette éducation dont vous, M. le ministre, avez parlé.

M. le ministre, je vous écoutais à la télévision hier soir où, parlant des sanctions, vous avez dit qu'il ne fallait pas que ce soit un musée d'horreurs - est-ce bien cela que vous avez dit?

M. Clair: Je ne pourrais pas avoir le mot à mot mais ce que j'ai indiqué c'était...

M. Dion: Musée d'horreurs!

M. Clair:... simplement que je pense qu'il ne faut pas compter seulement sur les sanctions - ce n'est pas l'approche du projet de loi d'ailleurs - mais sur des mesures préventives. Peut-être ai-je employé l'expression recours au musée d'horreurs, c'est possible.

M. Dion: Justement, une sanction appropriée et efficace que l'on sait qui sera appliquée, c'est une mesure préventive.

M. Clair: La crainte de l'exemplarité de la peine.

M. Dion: Exactement.

Le Président (M. Lachance): À ce moment-ci, je voudrais indiquer qu'on a déjà - c'est très intéressant - 27 minutes depuis le début de la période d'échange de propos.

M. Clair: M. le Président, si vous me donniez trois minutes, on pourrait fonctionner par blocs de 30 parce que j'oublie.

Le Président (M. Lachance): Je n'ai pas d'objection, il s'agit de vous entendre.

M. Clair: C'est juste de répondre à deux questions très rapidement.

Le Président (M. Lachance): Oui.

M. Clair: Oui, vous m'entendez? Les deux questions qui étaient posées à savoir les matières sur lesquelles le personnel hospitalier aurait la permission de faire la grève. L'Institut de recherche s'occuperait uniquement des salaires et des échelles de salaires. Au niveau local, sans droit de grève, seraient traités les droits, les questions des droits syndicaux, le mouvement de personnel et l'organisation du travail. Le droit de grève continuerait donc à exister factuellement, juridiquement sur les autres questions. Quant à la préoccupation de savoir si la possibilité pour le Conseil des services essentiels d'imposer des mesures médiatrices, est-ce que cela aurait un impact sur le recours collectif? Je ne pense pas, mais je peux vous assurer que nous allons prendre les moyens pour que tel ne soit pas le cas, que

le recours collectif ne soit pas affecté. Alors, je pense que j'ai pris mon trois minutes, je vais laisser.

Le Président (M. Lachance): Oui, madame.

Mme Forget (Lucie): Pour être sûr que le droit au recours collectif soit maintenu, il faudrait que ce soit précisé dans la loi, que ceci n'empêche pas le droit au recours collectif.

M. Clair: C'est ce qu'un de mes avocats indiquait, qu'il pensait que c'était nécessaire.

Le Président (M. Lachance): Très bien. C'est maintenant au tour du porte-parole de l'Opposition, le député de Portneuf, M. Page.

Commentaires de l'Opposition M. Michel Pagé

M. Pagé: Merci, M. le Président. M. Brunet, Mlle Forget, M. Dion, Dr David, mes premières paroles seront tout d'abord, non seulement pour vous saluer, mais aussi pour vous indiquer que nous sommes heureux d'être ici, plus près de vous à Montréal, pour avoir l'occasion d'échanger des propos sur l'avant-projet de loi qui a été déposé à l'Assemblée nationale au mois de décembre dernier. Je voudrais, en même temps, remercier les députés de la majorité, finalement, qui ont accepté la motion que j'ai proposée au nom de mon groupe politique de l'Opposition à l'Assemblée nationale, visant à faire en sorte que notre commission parlementaire devienne une sous-commission pour avoir l'occasion de discuter ensemble aujourd'hui. Je dois vous dire que Mme Dougherty, députée de Jacques-Cartier, M. Polak, député de Sainte-Anne, M. Bissonnet, député de Jeanne-Mance, M. Pratt, député de Marie-Victorin, M. Parent, député de Sauvé, M. Fortier, député d'Outremont, M. Johnson, député de Vaudreuil-Soulanges et moi-même sommes bien heureux d'être avec vous aujourd'hui.

C'est non seulement avec beaucoup d'intérêt qu'on a pris connaissance de votre mémoire, qu'on l'a entendu et qu'on entend aujourd'hui vos représentations, c'est aussi et surtout avec beaucoup de respect. Vous savez, lorsqu'on siège à l'Assemblée nationale, qu'on a à étudier les projets de loi, les actions gouvernementales visent ou touchent toujours le citoyen. Ces consultations, ces projets de loi entraînent des mécanismes et des processus de consultation où, plus souvent qu'autrement, ce sont les groupes organisés, ce sont, comme vous le disiez, le patronat, les syndicats, les différentes associations qui se font entendre mais il est rare et même exceptionnel qu'on ait la chance d'échanger des opinions avec les représentants des citoyens qui ont à recevoir des services en qualité donnée et en quantité donnée de la part de leur gouvernement. À cet égard, c'est un moment important dans le cheminement des travaux de cette commission et de cette sous-commission qu'on vit aujourd'hui.

Vous avez abordé comme premier point de votre mémoire, un point qui vous a touché, qui a fait mal non seulement aux bénéficiaires, non seulement à ceux et celles qui reçoivent et qui ont le droit de recevoir des services essentiels, mais qui a fait mal, finalement, à toute la société québécoise depuis plus de vingt ans, soit l'exercice du droit de grève et le recours à la grève, plus particulièrement dans les services de santé.

Je me permettrai un commentaire parce que je n'ai pas eu l'occasion ni l'opportunité - j'ai eu l'occasion de le faire, évidemment, à Québec, à l'Assemblée nationale mais je veux le réitérer et vous le réitérer. Pour notre groupe politique, il nous apparaît qu'en 1964, comme le disait M. Dion tout à l'heure, nous étions à l'amorce, au début de la révolution tranquille, le Québec se devait de se doter d'une administration publique, plus grosse, plus compétente, plus dynamique, compte tenu des responsabilités que l'État s'était donné ou voulait se donner. (16 h 15)

La lecture de l'époque nous indique qu'on avait un certain rattrapage à faire pour les employés de l'État, comparativement aux employés du secteur privé, que ce soit au niveau de la rémunération, des avantages sociaux, etc. Cela a été fait. Le droit à la grève a été accordé. Le droit à la grève a été - même s'il ne devait pas être utilisé -utilisé dans le cadre légal et, malheureusement, trop souvent, dans des cadres d'illégalité.

Après vingt ans, on doit retenir que le Québec, comme société, par la voie des gouvernements qui se sont succédé, a décidé de donner une meilleure qualité de vie, une meilleure qualité de services aux citoyens, et ce, par des efforts, entre autres, dans le domaine de la santé. Qu'il nous suffise de citer quelques chiffres. C'est 6, 3% du produit intérieur du Québec qui est affecté aux dépenses dans le domaine de la santé. C'est près de 6 000 000 000 $ du budget du Québec. C'est donc dire que comme société, par la voie des hommes politiques, que les Québécois ont élus, on a voulu se donner une qualité de services donnés. Or, force nous est de constater que ces services ont trop souvent été perturbés par des conflits. Nous en venons à la conclusion, quant à nous, que l'action du gouvernement, que le projet de loi actuel devrait prévoir la primauté du

droit des citoyens à la santé et à la sécurité. Ce droit, en toutes circonstances, doit primer et passer avant tout autre droit et en particulier le droit de grève qui est consenti à des groupes organisés de travailleurs.

Nous ne croyons pas que le gouvernement puisse maintenir une structure qui s'identifie comme un système vraiment conflictuel. Qu'il nous suffise de référer à quelques points particuliers. Exemple: Tous les mécanismes de négociation sur les services essentiels comme on les connus depuis quelques années. C'est tellement systématisé que les gens devaient s'asseoir pour négocier ensemble la façon dont la lutte se ferait.

Qu'il nous suffise de nous rendre dans les établissements, entre autres, dans les centres d'accueil du Québec pour voir la déception, autant chez les administrateurs que chez les travailleurs ou les travailleuses, parce que, autant les uns comme les autres, ils n'ont pas l'impression d'avoir participé aux régimes de négociation qui sont en place. On ne fait pas de farce ni de parodie, lorsqu'on dit que dans les centre d'accueil, dans certains hôpitaux, les administrateurs doivent se promener avec des cahiers de normes à respecter, leur grand livre des normes venant de Québec et les travailleurs, eux, se promènent avec leur convention collective et ça fait des griefs et ça crée un climat malsain.

Pour nous, notre intention... On est bien conscient, sur l'abolition pure et simple du droit de grève, ce n'est pas par une mesure législative où on dirait, il n'y aura plus, qu'on va régler tous les problèmes. Pour nous, la première démarche du gouvernement devrait être de réévaluer les allocations budgétaires aux différents secteurs ou différents types d'établissements dans le monde de la santé. Le ministre des Affaires sociales lui-même, cette semaine, confirmait nos affirmations que 75% à 80% des griefs ou des objets de récrimination dans le domaine de la santé, c'est davantage le vécu des conventions collectives que des conditions de rémunération, des avantages sociaux ou des choses comme celles-là.

C'est d'ailleurs dans ce sens que notre groupe est actuellement en tournée pour voir dans chacune des régions, analyser les budgets des établissements, les services, la quantité et la qualité de services donnés dans chacune des régions et dans les différents types ou catégories d'établissement.

Une fois que cela sera fait, le droit de grève devra être aboli de façon législative. Cela devra cependant être accompagné de mode de règlement des différents. À cet égard, vous proposez un mécanisme d'arbitrage. Le Conseil du patronat est venu témoigner devant nous et nous a proposé un conseil d'arbitrage. On sait que le projet de loi contient les éléments intéressants, entre autres la médiation préventive. Vous êtes d'accord avec la possibilité que le rapport du médiateur se transforme en décision, éventuellement.

Nous sommes persuadés qu'il y a moyen de substituer au recours à la grève des modes bien précis, bien encadrés de règlement des différends qui feront en sorte que les travailleurs et les travailleuses du domaine de la santé seront traités équitablement et avec justice. De toute façon, selon nous, c'est un droit qui est illusoire. Je m'explique. Il n'est pas illusoire, évidemment, pour des gens comme vous, les gens que vous représentez, qui sont affectés non seulement par les grèves, mais aussi et surtout trop souvent par l'appréhension d'un conflit. Cela, tant le ministre que moi, comme il le disait, on est bien au fait que la grève appréhendée peut faire, parfois, beaucoup plus mal que la seule journée de grève qui qui a lieu.

Cependant, il est illusoire et inadmissible, selon nous, de croire qu'on peut garder un droit de grève symbolique, des choses comme ça. Il faudra que le gouvernement s'asseoie avec les travailleurs, qu'il leur parle, et que tout le monde comprenne que, finalement, ce recours à la grève a fait mal à tout le monde, même aux travailleurs eux-mêmes parce que, comme le disait M. Dion tout à l'heure, dès qu'une grève était déclenchée dans le domaine de la santé, quelque gouvernement que ce soit se sentait dans l'obligation d'intervenir par une loi spéciale. Les règles du jeu étaient là, avec un droit à la grève, mais dès le moment où elle était déclenchée, c'était évidemment la commission parlementaire, dépôt d'un projet de loi spécial à l'Assemblée nationale. On est aussi bien, au milieu de cette décennie 80, après 20 ans d'exercice, de s'asseoir. Nous sommes persuadés, quant à nous, qu'il y a assez de maturité, autant chez les travailleurs qu'au gouvernement, pour que tout le monde soit unanime à constater que ça doit être remis en question et que le droit des citoyens doit primer tout autre droit.

Cela, c'est notre position. Évidemment, si on devait la voter cet après-midi, ce serait adopté parce qu'on est plus, mais à l'Assemblée nationale, on n'est pas plus, on est moins. On a à discuter d'un avant-projet de loi qui a été déposé en décembre et qui, très probablement, sera déposé comme projet en première lecture à la reprise de la session et il est possible - à moins que des événements surviennent avant - que le projet de loi sera étudié en deuxième lecture au mois de mai, au mois de juin. M. le ministre pourra peut-être le préciser au moment de la conclusion de nos travaux, soit la semaine prochaine, très probablement. C'est donc dire

que, en principe, on peut avoir un projet de loi comme celui-là adopté par la majorité au mois de juin prochain.

Questions et réponses

La première question, M. Brunet, vous acceptez quand même plusieurs des éléments qui sont contenus au projet de loi actuel. Il y a un élément principal et particulier, quant à nous, qui n'y est pas, soit l'abolition du droit de grève dans le secteur de la santé, c'est, là aussi, dans le même sens que vont vos représentations. À défaut pour le gouvernement d'accepter vos propositions et nos propositions, nous sommes ici pour vous écouter. Est-ce que vous recommanderiez au législateur de l'adopter quand même, ce projet de loi?

M. Brunet: Nous pensons que le projet de loi ne va vraiment pas assez loin. À notre avis, la seule protection valable pour les milliers de malades et de personnes âgées hospitalisées pour une courte durée ou qui vivent toute l'année - il y en a 60 000 qui vivent toute l'année, dans les centres d'accueil, dans les hôpitaux psychiatriques, dans les hôpitaux de longue durée - c'est le remplacement du droit de grève et l'adoption de mesures dissuasives très fortes.

N'oublions pas que - j'ai mentionné un peu tout à l'heure, des inconvénients qu'il y avait à ce qu'une grève légale puisse être déclenchée - lorsque la grève est illégale, il y a quand même la possibilité, même si cette possibilité est fort difficile, pour un individu ou un groupe de malades, d'avoir recours aux tribunaux, ce n'est pas agréable, mais c'est quand même une possibilité pour aider les malades à se protéger ou à se défendre contre ces abus qui sont faits sur leur personne.

J'aimerais demander à Mlle Forget de nous donner des commentaires ou des informations qu'elle a recueillis elle-même auprès de nombreux malades depuis 1979.

Mme Forget: Oui. La grève pour les malades, c'est quelque chose de désastreux. On l'a mentionné beaucoup. Le Dr David a rendu un beau témoignage là-dessus. J'aimerais aussi qu'on s'étende un peu sur les menaces de grève parce qu'en 1982 et en 1983, j'étais en contact avec plusieurs malades et pour eux, ce furent des semaines très pénibles, très angoissantes parce que, constamment, on brandissait la menace de grève générale illimitée. On la fixait à une date: on va la faire à cette date; on ne la faisait pas, on allait la faire à une autre date, on ne la faisait pas et pendant à peu près deux mois, en novembre, décembre, il y a eu cette menace constante que l'on tenait comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des malades. Cela, c'est absolument inhumain, inacceptable et aucun conseil sur les services essentiels ne peut empêcher cela, quand on reconnaît le droit de grève, parce que la seule chose que le conseil sur les services essentiels peut faire, c'est qu'il a un droit de regard sur les listes et ententes qui sont déposées et s'il juge les services insatisfaisants, il peut faire des recommandations. Il n'impose pas de changements aux listes et il doit faire un rapport au gouvernement et là, le gouvernement décide si cela va affecter la santé et la sécurité publique.

M. le ministre, qu'est-ce que vous entendez par la santé et la sécurité publique? Est-ce à dire que, s'il y a plusieurs malades qui vont être bafoués dans leur droit individuel mais la santé de toute la population ne sera pas affectée en même temps, à ce moment, la grève va être permise? Est-ce que c'est cela que vous voulez dire par la santé et la sécurité publique? Est-ce qu'il faut attendre qu'il y ait un cahot et qu'il y ait des dizaines de milliers de morts avant qu'on suspende l'exercice du droit de grève?

Tantôt, vous parliez d'une question d'évolution des mentalités. On sait très bien que les lois conditionnent cette évolution des mentalités. En 1964, quand on a reconnu le droit de grève, parce que les chefs syndicaux disaient: on ne l'utilisera pas, cela va être uniquement symbolique, on sait ce qui est arrivé. Il y en a eu chaque fois. Là, non seulement on a eu des grèves légales qui se sont multipliées, mais on a eu des grèves illégales. Nous, pourquoi on s'est penché là-dessus? C'est un lieu commun parce qu'il n'y a pas eu de volonté politique pour faire respecter les lois et que les mesures n'étaient pas suffisamment dissuasives.

On a fait un peu de recherche. Comme vous le savez, on est un petit groupe de bénévoles. Pour nous, on n'a pas, surtout depuis le dépôt de cette loi juste avant les fêtes, poussé très loin, mais quand même on a pu déterminer, corroborer ce que la réflexion nous avait amenés à conclure. Premièrement, dans les choses sur lesquelles on a fait des recherches, on a vu des conclusions à l'effet que les amendes, ce n'est pas très efficace comme mesure. On a également trouvé une étude qui a été faite -je peux vous donner l'annotation - où on a regardé - c'est une étude américaine - dans les États américains, dans les juridictions américaines ce qui se passait, quel était le rapport entre les grèves et les pénalités? On s'est rendu compte que dans les juridictions où la grève est illégale et où on applique les pénalités, il y a très peu de grèves comparativement aux autres juridictions. Dans les juridictions où même si la grève est illégale on n'applique pas les pénalités il y a beaucoup de grèves. Si jamais vous êtes intéressés à cette étude je vous en donnerai

l'annotation.

Vous parliez - je ne vous ai pas entendu - mais je viens de l'entendre de la bouche de M. Dion - d'un musée des horreurs. Je ne sais pas si vous faisiez allusion aux mesures que l'on préconise mais on préconise ces mesures après réflexion parce qu'on s'est rendu compte que si on veut que les pénalités soient dissuasives... Remarquez que ces pénalités sont juste dissuasives, elles ne s'appliquent pas si l'on respecte la loi. Or, quand le législateur adopte une loi est-ce que ce n'est pas parce qu'il veut la faire respecter. S'il veut faire respecter sa loi est-ce qu'il ne doit pas prévoir les mesures pour la faire respecter? Nous, en regardant ce qui s'est passé au Québec - et là on se tient dans le contexte québécois - M. Larose, président de la CSN, tout le monde a sûrement entendu son témoignage. Les grèves sont payantes au Québec. On ne veut pas que le droit de grève disparaisse elles sont payantes, même les grèves illégales. Pourquoi sont-elles payantes? Parce que le législateur n'a jamais eu la volonté de faire appliquer ses lois et de mettre des pénalités suffisamment dissuasives. (16 h 30)

Pour vous donner un exemple comme une mesure appropriée peut être dissuasive, en 1983, quand on parlait de faire des grèves dans le secteur de la santé, le gouvernement n'est pas arrivé avec une déclaration publique mais il a laissé flotter une rumeur qu'il y aurait des congédiements massifs chez ceux qui ne rentraient pas dans les hôpitaux et dans les centres d'accueil. À ce moment, vous aviez beaucoup de syndiqués qui ne voulaient pas faire la grève parce que là, ils étaient touchés individuellement par leur job. Alors ce qui est arrivé, c'est que la Fédération des affaires sociales - comme tout le monde se le rappelle - a tenu un vote et le vote est allé contre eux. On a décidé de ne pas défier la loi et de rentrer au travail.

C'est un exemple pour vous démontrer comme une mesure peut être dissuasive. Je pourrais dire - oui, je vais l'admettre publiquement - on a été choqués par la façon dont on a réglé deux conflits dernièrement. Lorsqu'on a appliqué des mesures de congédiement, on a négocié pardessus la tête d'un directeur d'hôpital avec le président de la CSN pour obtenir la réintégration de ces gens jusqu'à ce que l'on discute de leur cas devant un tribunal d'arbitrage. Ce sont des choses comme cela qui donnent le feu vert et qui donnent un encouragement à faire des grèves illégales, à désobéir à la loi et à continuer à maintenir cette mentalité anarchisante. Vous parlez d'évolution des mentalités, mais si vous n'appliquez pas les lois vous encouragez cette mentalité à demeurer, M. le ministre! Les lois conditionnent les mentalités - on revient là-dessus - et si vous avez des mesures de dissuasion vous pouvez être sûrs que les mentalités - comme l'abbé Dion a dit - vont changer vite et que cela va hâter le processus.

M. Dion: Messieurs, vous qui êtes les législateurs, il faut que vous vous protégiez vous-mêmes. L'expérience nous a démontré, quels que soient les gouvernements - je ne veux pas attaquer ni celui-ci, ni celui-là -vous vous êtes mis avec la loi tel qu'on l'a dans le passé, même dans les cas de lois spéciales, vous vous êtes mis dans une situation bien embarrassante. Il faut que vous preniez les mesures pour vous protéger vous-mêmes, quel que soit le gouvernement au pouvoir. On a vu des ministres de la Santé dans de très bonnes dispositions - tout ce que vous voulez - et des pressions ici, des pressions là et à la fin dans le passé votre comportement même a encouragé les gens à faire des grèves illégales. L'histoire est là! Protégez-vous vous-mêmes et protégez aussi les bénéficiaires.

Juste pour répondre à la question de M. Pagé, c'est un avant-projet de loi qui est déjà mieux que ce qui existait avant mais je le considère seulement comme un avant-projet de loi. Si M. le ministre a décidé d'utiliser cette méthode de présenter un avant-projet de loi et le faire discuter, c'est qu'il n'est pas complètement arrêté sur ces questions-là. On pourra voir d'une façon beaucoup plus claire, ce qu'il en sera lorsqu'il nous présentera son projet de loi. Je dirais que c'est déjà un progrès mais il y aurait beaucoup d'améliorations à faire. Ici, nous sommes seulement pour la santé, mais il y a ailleurs aussi et puis je ne pense pas que ce soit l'endroit d'en parler. Merci.

Mme Forget: Est-ce que je pourrais avoir les commentaires de M. Clair sur cet aspect de dissuasion des pénalités et leur influence sur l'évolution des mentalités, s'il vous plaît?

Le Président (M. Lachance): Mlle Forget, si vous n'avez pas d'objection, comme on est sur le temps de parole du député de Portneuf, M. Clair pourra revenir à votre réponse tantôt. M. le député, si vous voulez continuer.

M. Pagé: Merci, Mlle Forget.

M. Clair: J'ai failli céder à la tentation.

M. Pagé: Bien oui. On va vous donner tout le temps qu'il faut. Merci M. Dion. Nous sommes d'accord avec vous quand vous dites que des modifications ou des suppressions du recours à la grève ou de l'exercice du droit de grève dans le secteur

de la santé feraient en sorte de protéger non seulement les bénéficiaires, ceux qui ont le droit légitime et fondamental à une quantité et à une qualité de services constantes, régulières et soutenues mais aussi qui protégeraient les gouvernements parce que les gouvernements sont devenus vulnérables. Il faut s'interroger finalement et à la lumière de ces interrogations, il faut conclure. Est-ce qu'au milieu de cette décennie 1980, après vingt ans d'exercice, on peut continuer, au Québec, à permettre que des lois adoptées par l'Assemblée nationale du Québec soient défiées?

Nous sommes bien conscients des écueils et c'est ce pourquoi on espère que le ministre pourra prendre des éléments de notre proposition et l'inclure dans son projet lorsqu'il sera déposé, c'est: 1) suppression du droit de grève dans le secteur de la santé; 2) révision budgétaire par établissement parce que les coupures ont eu beaucoup d'effets; 3) dégager des modes pour s'assurer que le règlement des différends puisse être réglé de la façon la plus équitable et la plus juste possible, modes auxquels on a référé tantôt et, évidemment, des sanctions qui devront viser les organismes comme groupes collectifs, les syndicats et aussi faire en sorte que les travailleurs et les travailleuses se sentent responsables eux et elles aussi. Cela pourra vouloir dire la suppression de la formule Rand, cela pourra vouloir dire des congédiements mais il faudra que cela soit très, très clairement exprimé et que les règles du jeu soient établies avant le début de la partie et qu'elles soient respectées.

Vous avez référé - et c'est là, ma dernière question, mes collègues d'Outremont et de Vaudreuil-Soulanges auront d'autres questions - à la possibilité que pour s'assurer que la loi soit respectée, il n'y ait pas de grève symbolique, qu'il n'y ait pas de grève sur le tas. Exemples: ralentissement de travail, fermeture d'un département, la buanderie dans un établissement de santé, des choses comme celles-là. Vous avez référé à la possibilité que l'Assemblée nationale désigne - cela pourrait devoir recueillir la majorité aux deux tiers comme c'est le cas pour désigner souvent des personnes qui ont des responsabilités importantes dans notre société - vous avez recommandé qu'on ait un procureur spécial. Dois-je comprendre, selon votre proposition, qu'on trouve très intéressante, que ce ne serait pas le procureur général qui aurait ultimement à décider, mais bel et bien ce procureur spécial qui aurait, évidemment, le mandat de l'Assemblée - par conséquent et par la suite, le mandat du procureur général - mais qui aurait entière juridiction pour décider des poursuites à entreprendre pour l'application des sanctions automatiquement prévues dans la loi?

M. Dion: Oui. Cependant, il faudrait que les intéressés aient la possibilité de prendre ces poursuites, si le procureur général, ce procureur spécial, pour une raison ou une autre, refuse de le faire.

M. Pagé: Merci. J'aurai l'occasion de revenir plus tard, au cours de la séance. Il y avait M. le député d'Outremont...

Discussion générale

Le Président (M. Lachance): En vertu de l'alternance, je pense qu'on peut y aller avec M. le ministre.

M. Clair: Oui, Merci, M. le Président. Une voixs Mes deux minutes?

Le Président (M. Lachance): S'il veut prendre deux minutes, je n'ai pas d'objection. Il restait deux minutes de droit de parole.

Une voix: On aime autant attendre après.

M. Clair: Oui, d'accord. La question soulevée par Mme Forget est très intéressante et constitue, effectivement, l'une des dimensions de l'approche, dans la mesure où l'on se situerait dans une perspective d'abolition du droit de grève. N'importe qui se pose la question: Quelles seraient les sanctions qui suivraient? Il y a deux approches possibles, à ce moment, si on se situe dans cette perspective, une approche de sanctions automatiques individuelles ou encore une approche de sanctions collectives.

Je n'essaierai pas de me souvenir de toutes mes données de criminologie. Malheureusement, le temps passe et la mémoire est une faculté qui oublie. La force dissuasive de sanctions, oui, ça peut être un instrument très puissant d'incitation au respect des lois, mais je me souviens, par exemple - et c'est pour ça que je serais très intéressé à prendre connaissance de l'étude que vous avez faite - d'un sujet au moins aussi controversé que celui du droit de grève dans le secteur de la santé: la question de la peine de mort.

Aux États-Unis, comme on le sait, la peine de mort - en tout cas, à l'époque où je m'intéressais à ces questions - relevait des États et non pas du gouvernement fédéral américain. Il n'y avait aucune corrélation entre la présence, dans un État, de la peine capitale et le nombre de meurtres ou de crimes passibles de cette peine capitale. La corrélation était même inversée, si ma mémoire est fidèle. Ce que l'on découvrait, c'était bien davantage un taux de corrélation assez élevé avec différents facteurs sociaux et de tradition de violence dans des États, par rapport à

d'autres États, dans le milieu rural ou le milieu urbain - même si je ne veux pas faire de discrimination entre les ruraux et les urbains. Je serais très intéressé à prendre connaissance de l'étude que vous avez faite là-dessus. Le grand risque...

Mme Forget: Excusez-moi, je voudrais juste vous corriger. C'est une étude qui a été faite aux États-Unis, pas pour nous. C'est une information qu'on a eue avec l'annotation de l'étude. Je pourrais vous donner la référence, d'accord?

M. Clair: Parfait. J'y suis intéressé, de toute façon. Parlons, par exemple, du cas de Saint-Ferdinand et du cas des ambulances à Montréal. Plusieurs personnes ont affirmé que c'était le caractère de sanctions individuelles qui avait mené à une solidarisation des autres individus du groupe et entraîné un mouvement massif qu'on a connu. Est-ce que votre approche en est une de dire: Nous pensons que les sanctions doivent être dirigées vers l'individu ou vers le collectif?

Vous faites référence dans votre mémoire, par exemple, à la responsabilité qu'engage le fait pour les syndicats d'avoir, au Québec, le monopole syndical, l'accréditation, la formule Rand. Cela, c'est une approche. La question des amendes, des suspensions ou d'un congédiement est davantage reliée à l'individu. Vos réflexions là-dessus vous amènent à conclure quoi?

Mme Forget: Je crois qu'il faut les deux. Il faut la perte du privilège de la déduction des cotisations a la source. Il faut également des pénalités individuelles. Je vais vous donner quelques illustrations de ça. Cela nous a réconfortés beaucoup dans la dernière ronde de négociation. Il y a des syndiqués d'hôpitaux qui ont pris contact avec nous, de leur propre initiative, pour nous aider dans l'organisation de notre opposition à l'exercice du droit de grève. Ils nous ont donné de fichus bons conseils et ils ont été très efficaces dans l'aide qu'ils nous ont donnée.

Ils nous faisaient rapport de ce qui se passait dans les assemblées syndicales. On nous disait: Vous savez, on nous dit: II y a des amendes, mais occupez-vous pas de ça, vous n'aurez pas à les payer. Quand vous allez voter pour la grève, ce n'est pas une considération dont vous devez tenir compte. Cela, je trouve que ça dit beaucoup. Cela montre que si l'individu ne se sent pas affecté personnellement, il peut être influencé dans une atmosphère échauffée d'une assemblée syndicale à donner un vote en faveur d'une chose à laquelle peut-être, s'il était dans l'isoloir, à froid, il ne donnerait pas son consentement. Il y a le fait que les pénalités individuelles peuvent avoir beaucoup d'impact.

(16 h 45)

En ce qui concerne la perte du privilège de la déduction des cotisations à la source, si, dans l'ensemble, beaucoup de membres d'un syndicat donné ne sont pas d'accord vraiment avec ce que le syndicat fait... Il y a beaucoup de manipulation. Laissez-moi vous dire que je connais un cas où on a tenu quatre assemblées syndicales pour pouvoir obtenir un vote de grève. Chaque fois que le vote allait contre la grève, on tenait une autre assemblée la semaine suivante ou deux jours plus tard. Ce qui veut dire que même si le syndicat est très militant et qu'il y a un groupe, un noyau autour de lui de gens très militants, il faudrait qu'il coure longtemps pour avoir la majorité de ses cotisations s'il perdait le privilège de la déduction à la source. Donc, il faut les deux types de pénalité.

Maintenant, il y a une autre chose, aussi, qu'on préconise dans le mémoire. Sur la base de l'expérience québécoise, mais en s'inspirant - je dois le reconnaître - d'une législation d'Iowa - je crois que vous l'avez vue en annexe - on s'est rendu compte que pas seulement votre gouvernement, mais d'autres gouvernements passés ont eu tendance à passer l'éponge une fois que le conflit est terminé. On se dit: II faudrait que ce soit absolument interdit, et comme l'abbé Dion le notait, il faut que ce soit fait avant que la loi soit adoptée avant qu'on soit en pleine négociation pour que les parties connaissent très bien les règles du jeu.

Or, on préconise comme mesure, dans la loi, qu'on interdise à l'employeur public comme aux associations syndicales de négocier la suspension ou la modification des pénalités sous peine d'infraction sévère. Ce qui veut dire que ceux qui l'ont fait dans le passé auraient pu être coupables d'emprisonnement, fut-il un ministre. Cela, c'est bon, parce que tout le monde doit être traité sur le même pied dans une société démocratique.

Nous, à cause de l'expérience québécoise qui est vieille de vingt ans où on passe continuellement l'éponge, on trouve que c'est une mesure qui devrait se retrouver dans la loi. Également, toujours sur la base de notre expérience dans le contexte québécois, on a vu que très souvent, ce sont des citoyens courageux qui ont pris des mesures pour essayer d'enrayer une grève tellement désastreuse pour les malades.

Donc, on préconise que, dans la loi, tout citoyen qui voit qu'on est sur le point de violer une loi ou qu'on a violé la loi puisse prendre des recours devant les tribunaux.

Le Président (M. Lachance): Deux minutes.

M. Clair: Deux minutes? Cela va être rapide, j'aurais eu un préambule à faire, mais je ne le ferai pas. Concernant le substitut au droit de grève, il y en a plusieurs, il y a le conseil d'arbitrage, par exemple, du type qui est proposé par le Conseil du patronat, il y a la médiation-arbitre, il y a l'arbitrage de l'offre finale. Il semble que l'Opposition se dirige vers...

Une voix:...

M. Clair: Je serais moins sûr de ça.

Je sais que l'Opposition se dirige vers la proposition de l'arbitrage de l'offre finale "final section offer". Qu'est-ce qui vous amène à privilégier cette formule plutôt qu'une autre? Est-ce qu'il y a des raisons fondamentales particulières qui font que vous privilégiez cette approche plutôt qu'une autre comme substitut au droit de grève?

M. Brunet: Vous nous posez la question à nous, M. le ministre?

M. Clair: Oui.

M. Brunet: Mlle Forget, voulez-vous répondre, s'il vous plaît, donner cette annotation américaine afin qu'on la retrouve dans le Journal des débats?

Mme Forget: En ce qui concerne les pénalités et l'incidence des grèves, la référence, c'est Olson, Stern, Najita and Weisberger - excusez-moi, je ne sais pas comment prononcer très bien ces noms - le titre: "Strikes and Strike Penalties in the Public Sector, Labor Management Services Administration, United States Department of Labour, March 1981".

M. Brunet: Voulez-vous répondre à la question de M. Clair?

Mme Forget: Oui. En ce qui concerne le mécanisme de remplacement qu'on privilégiait, cela remonte à plusieurs années déjà. En 1981 on se préparait pour une commission parlementaire et comme M. Brunet le dit, on ne voulait pas tout simplement demander l'abolition du droit de grève parce qu'on trouvait que les travailleurs avaient le droit à avoir certains recours pour faire valoir leur point de vue et qu'ils ne devaient pas se retrouver démunis face à l'État employeur.

On a fait beaucoup de recherches et ces recherches nous ont amenés à ce mécanisme de l'offre finale. Ce qui nous intéressait beaucoup dans ce mécanisme, c'est que, sans représenter tout à fait la même force de pression qu'une grève - parce qu'une grève dans les hôpitaux c'est nucléaire, c'est absolument aberrant - elle exerce une force, une pression sur les parties pour être raisonnables. Parce que dans le cas de l'arbitrage, quand les parties n'arrivent pas à s'entendre, l'arbitre, contrairement à l'arbitrage conventionnel, ne peut pas faire de compromis entre les propositions patronales et les propositions syndicales. Il doit choisir, soit les propositions syndicales, soit les propositions patronales, ce qui veut dire que l'une ou l'autre des parties qui n'est pas raisonnable va être obligée de vivre avec les propositions de la partie adverse pendant trois ans que dure la convention collective. Chacun est intéressé à vouloir que ce soit ses propositions qui soient choisies par l'arbitre de sorte que cela les amène plus vers une consensus, plus sur un terrain d'entente.

Maintenant, on a remarqué que, dans la loi, vous privilégiez la médiation-arbitrage. Est-ce que, à mon tour, je pourrais vous demander pourquoi vous avez privilégié la médiation-arbitrage?

M. Clair: Ce que je peux indiquer, le grand inconvénient de l'arbitrage de l'offre finale - j'espère que l'image ne me nuira pas - c'est un peu la roulette russe, dans le sens qu'on ne sait pas en fin de compte, ce qu'on va retrouver dans l'une ou l'autre des deux propositions finales. Je fais une hypothèse qui est un peu caricaturale, mais je la fais quand même. Le syndicat propose le gel des salaires et finalement fait une percée importante dans ce qu'il propose sur du normatif avec des incidences financières très importantes. De son côté, le gouvernement, dans sa dernière proposition, dans son offre finale, était prêt à donner, je ne sais pas, l'équivalent d'une masse de 3% en salaire et peu de choses sur le normatif. Cela pourrait être tentant, quand on connaît le fonctionnement de l'arbitrage, que s'il y a un rapprochement, que finalement ce soit toujours vers la hausse.

Nous, on pense que pour les questions qui seraient soumises ou qui seraient décentralisées au niveau local, la formule du médiateur-arbitre, même si elle ne met personne à l'abri de quoi que ce soit - quand on accepte de confier le litige à un tiers, c'est un tiers qui intervient, c'est sûr - il nous semble que, a cause de la nature des objets qui sont décentralisés au niveau local, cette formule offre de meilleures garanties. Mais, il n'y a pas de garantie absolue ni dans l'une, ni dans l'autre des formules.

Mme Forget: À ce niveau, par exemple, vous pourriez avoir un mécanisme d'offre finale mitigé, si on peut dire. C'est qu'au lieu que ce soit le "complete package", que ce soit sur chaque question litigieuse qu'est l'offre finale.

M. Clair: C'est une formule alternative, vous avez raison.

Le Président (M. Lachance): ... remarquer.

M. Dion: "Issue by issue". M. le Président, excusez-moi, juste un petit mot.

Le Président (M. Lachance): Je voudrais quand même remarquer...

M. Dion: "Issue by issue" et ensuite à l'intérieur de certains critères prédéterminés par le gouvernement.

M. Clair: Je comprends.

M. Dion: Je pense que c'est de nature à tenir compte de vos appréhensions si on ajoute ces deux choses.

M. Clair: II y a tout un dégradé possible, c'est sûr, et des modulations différentes de cela, c'est certain.

Mme Forget: II y a un autre point sur lequel on s'interrogait. Dans la loi, vous laissez à la discrétion du médiateur-arbitre d'imposer un règlement ou seulement faire des recommandations. Cela n'est plus de l'arbitrage, ce n'est plus obligatoire. C'est que l'arbitre va pouvoir décider si oui ou non il va imposer un règlement. Pour quelle raison? Pourquoi vous avez laissé cette discrétion, cette ouverture? Ce n'est pas dans le Code du travail. La sentence arbitrale de l'arbitre lie les parties. Pourquoi dans le cas de la négociation, au niveau des questions locales, vous laissez cette porte ouverte?

M. Clair: Je vais (aisser le temps à l'Opposition parce que je pense que je vais me faire gronder.

Mme Forget: Je m'excuse!

Le Président (M. Lachance): M. le député de Vaudreuil-Soulanges a demandé la parole. M. le député.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. Dans ces présentations depuis déjà plusieurs semaines, le ministre et ses collègues nous ont parlé de l'évolution des mentalités. On voit un processus qui a été décrit par le gouvernement comme progressif, gradualiste, donc modeste dans certains cas. Qu'on parle de l'évolution des mentalités, moi, je veux bien, mais je n'ai pas encore compris ou on ne m'a pas dit de l'évolution des mentalités de qui il s'agit. Je suis élu comme tous les gens qui sont ici; nous nous rejoignons quant au caractère inhumain de la cessation des services de santé. On alimente également notre réflexion qui appuie concrètement nos principes parce que les gens, à ma connaissance, ont également le même sentiment que cela fait longtemps que c'est inadmissible de même considérer qu'il peut y avoir une interruption des services de santé. À mon sens, ce n'est certainement pas l'évolution de la mentalité de la population qui est en cause.

On a pu accepter en 1964 que ce droit, qui supposément ne serait pas exercé, ait été donné aux employés du secteur public. Il a été exercé à de nombreuses reprises. La population a réclamé - vous l'avez fait remarquer - à bon droit que cela cesse d'une façon ou d'une autre et on asouligné que les gouvernements ne sont pas allés jusque-là. La population réclame qu'il faille commencer à un temps T et nous y sommes. Quant à nous, c'est de cette façon que nous sommes arrivés à notre proposition de retrait du droit de grève dans les services de santé.

Il y a des absents. On a déploré l'absence des employés du secteur public devant cette commission. Il y a un syndicat représentant des travailleurs qui est venu nous expliquer pourquoi ils ne venaient pas devant nous débattre de ces choses. À leur face même les arguments qui nous ont été rapportés par la voie des journaux ou autrement ne dénotent pas l'évolution des mentalités des représentants syndicaux des travailleurs du secteur public. Il y a un autre gros groupe dans cela - le plus gros et le plus intéressé - celui des travailleurs du secteur public. Est-ce qu'on parle de l'évolution des mentalités des gens qui travaillent dans les hôpitaux et dans les centres d'accueil? J'aimerais faire remarquer deux ou trois choses à ce sujet. Selon mon expérience de traiter avec des gens qui travaillent dans les centres d'accueil, dans les centres de santé, à la voirie, dans les bureaux du gouvernement, dans un ministère ou dans un autre, à ma connaissance, ce n'est pas indifférent pour quelqu'un de vouloir être chauffeur de camion à la voirie ou de vouloir travailler dans un hôpital. Ce n'est pas indifférent à tout le problème, à mon sens, qu'on retrouve une majorité de femmes dans les hôpitaux. On a prétendu que les gestes antisyndicaux du gouvernement ou ses gestes possibles contre les syndicats étaient essentiellement des tentatives de brimer le droit des femmes, etc. On a évoqué à l'époque qu'il y avait beaucoup de femmes dans les services publics. Selon moi, ce n'est pas indifférent qu'on ne puisse pas taxer cette moitié de la population d'être particulièrement égoïste devant la souffrance humaine.

Ceci m'amène à demander soit au Dr David ou à M. Brunet ou aux deux, compte tenu de leur expérience dans le milieu qui nous préoccupe à titres différents, évidemment, comme bénéficiaires ou dispensateurs de soins, quelle est la mentalité des gens qui travaillent dans les hôpitaux. Quant à moi, j'ai l'impression très

nette que, même si côtoyer la souffrance tous les jours peut porter non pas à s'y habituer, mais à se barder, à se donner une armure pour pouvoir fonctionner de façon normale devant la souffrance humaine, ces gens ne sont pas, pour autant, devenus insensibles à la souffrance des bénéficiaires. Il m'apparaît parfaitement normal, je dirais naturel, que cela ne leur passe pas par l'esprit lorsqu'ils décident d'aller travailler de leur plein gré dans les services de santé qu'un jour ils vont arrêter de soigner ces gens, qu'ils vont arrêter de se préoccuper de la propreté des lieux, à quelque titre que ce soit qu'ils travaillent dans ces milieux-là. (17 heures)

La question est donc, oui, on parle de l'évolution des mentalités. Quant à moi, la population a très clairement indiqué son choix. Les centrales syndicales ou leurs porte-parole semblent également, pour l'instant, demeurer attachés au statu quo quant à l'abolition du droit de grève. Je voudrais demander à deux des quatre personnes qui sont ici présentes, si elles le désirent, de nous éclairer sur la mentalité de ces travailleurs qui, oui, peuvent être chauffés dans une assemblée syndicale, on l'a déjà vu, dans toutes sortes de contextes. Cela tient aux règles de fonctionnement, cela tient à toutes sortes de choses. Mais en vérité, est-ce que ces travailleurs considèrent que pour eux, il est normal, compte tenu qu'ils côtoient la souffrance humaine, d'envisager de ne pas donner ces services-là?

Le Président (M. Lachance): Dr David, s'il vous plaît.

M. David: L'évolution des mentalités c'est une question extrêmement difficile, mais extrêmement intéressante. Les mentalités peuvent évoluer dans deux sens, que ce soit pour les travailleurs ou les travailleuses des hôpitaux: vers le mieux ou vers le pire. Lorsqu'il y a un conflit d'intérêts - parce que l'intérêt, c'est une motivation importante - vous pouvez facilement glisser vers le pire, plutôt que glisser vers le mieux.

Je ne crois pas que les employés d'hôpitaux soient différents de I'ensemble de la population du Québec. Je pense qu'ils sont excellents, mais ils peuvent être influencés par des pénalités ou par des impressions qui leur sont données par d'autres. C'est pourquoi j'ai pris la précaution d'inclure Ies médecins, les internes et les résidents dans mon plaidoyer du début. S'il y a un homme au monde qui doit se préoccuper de fournir des soins, en tout temps et en tout lieu, c'est bien le médecin. Pourtant, même le médecin, lorsqu'il est placé en conflit d'intérêts, a eu la tentation, et il l'a démontré, de ne pas offrir ses soins à des malades qui en avaient besoin, si l'on exclut l'urgence.

Je pense qu'entre les positions qui sont exprimées autour de cette table, du retrait pur et simple du droit de grève, avec, évidemment, un mécanisme de compensation - je tiens cela pour acquis, bien sûr - et la grève symbolique, il n'y a pas une distance extraordinaire qui vous sépare. Si c'est vraiment symbolique, tel que je l'entends, on rend la grève impossible à faire. À ce moment-là, cela devient comparable aux loteries de Loto-Québec, c'est-à-dire qu'il y a une chance sur un million de gagner un gros lot quelconque. Je me méfie terriblement des symboles et j'ai l'impression que, du moment qu'on offre à quelqu'un une possibilité de gagner un intérêt quelconque par une action quelconque, on sait très bien où cela peut nous conduire. À ce point de vue-là, j'ai l'impression que, si unanimement la Chambre, dans toute cette question-là -nous ne parlons que de la santé aujourd'hui parce que c'est notre intérêt principal et, en ce qui me concerne, presque mon unique intérêt - ne pense qu'aux malades et exclut tout le reste, on va supprimer le droit de grève. À ce moment-là, qu'on parle de médiation-arbitre, qu'on parle d'offre finale ou qu'on parle d'un compromis entre les deux, je vais être parfaitement d'accord, à partir du moment où le principe est accepté qu'en aucune circonstance un malade ne doit souffrir à cause de l'inaction ou des grèves de ses frères ou de ses soeurs.

M. Brunet: Si vous le permettez, M. le député, M. Johnson, dans les hôpitaux, on remarque qu'il y a beaucoup d'employés qui nous disent qu'ils sont tannés, écoeurés des moyens de pression, de se préparer pour une grève, de faire la grève et peut-être d'aller contre leur gré, plus ou moins à une assemblée syndicale. Si vous le remarquez, le taux de participation à beaucoup d'assemblées syndicales dans les hôpitaux est très faible en général. Ce qui va arriver, c'est que des employés masculins et surtout féminins vont nous dire: On trouve que c'est désastreux, inhumain, inacceptable, mais pour ne pas avoir de trouble, on suit.

Merci, mon Dieu, pour la présence des femmes dans nos hôpitaux et nos centres d'accueil parce que, même s'il y a des hommes très dévoués et très compréhensifs qui sont les meilleurs amis des malades et des personnes âgées tellement on reçoit des services et des soins importants d'eux, ce sont en général les femmes qui donnent le ton, qui donnent ce quelque chose d'humain, de dévouement, d'affection et de chaleur humaine qui influence les hommes et qui nous aide énormément.

Il y a aussi le fait que des patients sont très réticents, dans beaucoup de cas -et plus on est dépendant, plus on est réticent, dans l'ensemble - à s'exprimer

clairement contre la grève, parce qu'on a peur de froisser telle infirmière ou tel préposé aux soins qui est si dévoué. On sait qu'il y a des syndiqués qui ne se gênent pas pour dire: Écoute, tu n'as pas d'affaire à être contre nous autres, toi. Tu vas voir que, si tu veux nous faire la "baboune" comme ça, si tu n'es pas de notre bord, tu vas attendre la prochaine fois. C'est comme ça dans les hôpitaux.

Aussi, qu'est-ce qui va aider un patient à s'affirmer avec respect et à dires Moi, je te remercie beaucoup pour tes soins, mais je suis contre la grève? Qui va les aider? C'est des parents et des bénévoles qui, eux, ne sont pas soumis à un ensemble d'influences et d'interactions dans l'hôpital, influences et interactions générées surtout par tel ou tel syndicat très militant, pour ne pas dire extrémiste. Ces parents et ces bénévoles viennent dire aux patients: J'ai entendu le Comité provincial des malades, la Fédération de l'âge d'or, la Coalition pour les droits des malades ou Claude Brunet parler pour vous autres pour qu'il n'y ait pas de grève, mais pour que les employés soient bien traités, quand même, par l'État. Là, des patients ne se gênent pas pour avoir plus confiance et mieux exprimer leur désir qu'il n'y ait pas de grève.

Mais vous voyez qu'il y a un ensemble de contraintes. Les infirmières et les employés - il y en a beaucoup qui sont très dévoués, très consciencieux, consciencieuses -qui ne veulent pas la grève vont, dans bien des cas, pour avoir la paix, pour ne pas se faire achaler, suivre un peu, à certaines assemblées syndicales ou même à une assemblée de vote, même si plusieurs d'entre eux peuvent voter contre. Aussi des patients subissent une certaine complicité du silence pour ne pas manquer de soins. C'est dur, ça, quand vous avez besoin d'être nourri, d'être lavé, d'être nettoyé dans les oreilles, d'être amené à la toilette, d'avoir un employé ou une infirmière qui fait la "baboune" parce qu'on a osé dire qu'il ne fallait pas faire la grève. Donc, vous voyez, il y a ça.

Mais on pense que beaucoup d'employés sont très encouragés par les efforts qui se font pour empêcher les chefs syndicaux de continuer le renforcement de cette machine de guerre - de guerre nucléaire - qu'est la grève. J'aimerais mentionner que, en pratique, lorsqu'une grève commence, même si c'est un débrayage de trois heures ou encore une journée de grève, ce qui arrive, c'est que, insensiblement, on devient inhumain, très rapidement, même des bons citoyens ou certaines bonnes infirmière. Insensiblement, on se fait dire: Écoutez, si vous voulez que notre grève réussisse ou que notre avertissement de 24 heures réussisse, il faut s'enligner. Il faut que la grève finisse au plus sacrant. Il faut que le gouvernement comprenne. Là, on n'a pas le temps de penser aux malades. Que le gouvernement les fasse soigner, les malades. Si on sort, c'est de la faute du gouvernement. Enlignons-nous au plus sacrant et faisons la grève dure. Ce que je vous dis là, c'est vécu par nos malades ici et par bien d'autres, des milliers.

Ce qui arrive aussi, c'est que, même après quelques heures de grève, on devient inhumain. Par exemple, le 10 novembre 1982, pendant la seule journée de grève réelle de la dernière ronde de négociations dans les hôpitaux, j'entends - mais c'en était toute une; cela a été énormément pénible pendant les jours qui ont précédé et qui ont suivi -un directeur d'un centre accueil de plus de 200 lits a constaté que plusieurs personnes âgées étaient très inquiètes, angoissées du fait que la grève avait commencé et que le déjeuner avait eu lieu à 9 h 30 au lieu de 8 heures et que le dîner n'était pas encore servi à 2 heures, etc. Donc, la direction a pris sur elle de faire entrer cinq bénévoles, non pas pour faire du travail à la place des syndiqués, mais simplement pour tenir compagnie à ces dames, les rassurer. Or, le syndicat a entendu la chose, a constaté la chose. Immédiatement, il a pris la décision de faire sortir cinq préposés aux soins. Voyez-vous comment ça peut être inhumain? Dans un hôpital de soins de longue durée, le syndicat a dit à la direction: Si vous faites entrer une seule bénévole, pour quelque raison que ce soit, nous, on va sortir le seul préposé à la chaufferie qu'on laisse. C'était en hiver.

Quelques mots seulement sur le Conseil sur les services essentiels. On s'attendrait -je m'excuse si je suis plutôt long, est-ce que je peux juste terminer brièvement? - que le Conseil sur les services essentiels manifeste ce noyau si important d'humanité, soit un rempart contre la violence, les manques d'égard ou les manques de soins nombreux qui surviennent auprès des malades quand il y a une grève qui commence. Or, pendant la dernière ronde, le Conseil sur les services essentiels a été un gâchis total en ce qui concerne les soins qui étaient dus aux malades. Voyez-vous, c'est bien beau de dire que le conseil a certains pouvoirs élargis, mais qu'est-ce qu'on fait quand on défie l'ordonnance du Conseil sur les services essentiels? On défie même l'Assemblée nationale, on ne s'occupe même pas des tribunaux qui, eux, ont une très importante tradition chez nous. Quelle force morale, quelle emprise morale va avoir un conseil avec des pouvoirs élargis? Déjà, cela a été un fiasco, à notre avis, le Conseil sur les services essentiels et il semble - corrigez-nous si vous le pouvez, mais dans les faits c'est ce qu'on a constaté - que, lorsqu'une grève illégale est déclenchée, le conseil régional, c'est une marionnette, c'est un fantoche, il ne peut absolument rien faire. Ce qu'il fait, c'est tâcher de faire enquête,

(dévaluer, d'étudier, de consulter et, pendant ce temps, on a le temps de mourir ou d'être pas mal "maganés". C'est l'expérience qu'on a eue de ce Conseil sur les services essentiels.

Le Président (M. Lachance): M. le député d'Outremont, je crois que vous aviez une brève question a poser.

M. Fortier: Oui. J'écoutais tout à l'heure l'abbé Dion nous dire que le droit de grève avait été donné en 1964, au début de la révolution tranquille. Ce matin, je suis allé aux funérailles de Georges-Émile Lapalme qui était député comme moi et je pensais que lui, qui a tellement lutté pour la justice sociale au Québec, sûrement ne pouvait pas croire, à ce moment-là, à toutes les conséquences qui sont survenues par la suite.

Dans ce débat, bien sûr, on parle de l'évolution des mentalités, on parle du droit à la santé. On en parle beaucoup cet après-midi et je pense bien que tout le monde accepte ce droit. Si les syndicats étaient venus nous faire des représentations, ils auraient parlé également du droit des syndicats à négocier. Il y a une chose dont on ne parle pas et, dans un sens, je crois que la réponse du Dr David à la question de mon collègue de Vaudreuil-Soulanges y faisait allusion. Dans le fond, il y a une lutte de pouvoir parce que, s'il s'agit de faire des ajustements 25 ans après la révolution tranquille, les ajustements qu'on doit faire, ce n'est pas uniquement dans le domaine des négociations dans les secteurs public et parapublic; c'est également dans d'autres domaines, dans le domaine économique. Je me suis penché moi-même sur la question des sociétés d'État. Il y a toutes sortes d'ajustements qu'on doit faire en 1985, 25 ans après la révolution tranquille. On l'a dit, il s'agit pour nous de faire ces ajustements et de maîtriser l'avenir. Donc, la réflexion a assez duré. On continue quelque peu notre réflexion à cette commission parlementaire, mais il s'agit de tirer la ligne et de prendre les décisions qui s'imposent.

En parlant des droits - je crois que c'est important - personne n'a fait allusion, cet après-midi, au fait qu'il y a une lutte de pouvoirs. Il y a les syndicats qui, dans le passé, ont abusé de leurs pouvoirs. Dans la mesure où les partis politiques ou le gouvernement désirent limiter leurs pouvoirs, bien sûr, ces personnes s'insurgent parce qu'elles vont perdre un gros pouvoir face à un pouvoir de l'État qui, trop souvent dans le passé, n'a pas été respecté. Vous avez dit, M. l'abbé Dion, que peut-être les politiciens - je crois que ça s'adressait à tous les partis politiques qui ont été au pouvoir depuis 25 ans - ou les représentants des partis politiques n'ont pas eu la main assez ferme et peut-être aussi voulaient-ils donner la chance au coureur, du moins au tout début. Cette lutte de pouvoir qui a existé dans le passé s'exprime encore publiquement et on ne semble pas en parler. Pourquoi n'en parle-t-on pas? (17 h 15)

L'autre facteur: on a parlé de l'évolution des mentalités, ce qui est un fait. J'aimerais peut-être que l'abbé Dion dise un mot là-dessus. Comment se fait-il qu'au Québec on semble avoir un record de désobéissance civile beaucoup plus prononcé qu'ailleurs? Est-ce que mon énoncé est faux ou vrai et comment se fait-il que, dans d'autres juridictions, que ce soit en Europe ou ailleurs, malgré le fait qu'il n'existe pas de loi empêchant la grève, les syndicats décident de ne pas faire de grève dans les hôpitaux et dans les endroits où on donne des soins de santé? Est-ce que vous auriez un commentaire à faire à ce sujet en ce qui concerne le pouvoir et la désobéissance civile?

M. Dion: C'est vrai qu'en Europe où il n'y a pas de législation qui prohibe cela, en France, par exemple, on va faire des grèves symboliques; la grève va durer seulement une journée et c'est suffisant. Encore là, dans ces pays, concernant les hôpitaux, la direction a un pouvoir de congédier des gens qui n'obéissent pas à un ordre. On a vu à la radiotélévision française et en Hollande quelque chose comme cela. J'aurais besoin de deux minutes pour donner une illustration de cela. Il y a un certain nombre d'années, en Hollande, on a fait la grève dans les canaux, une grève illégale. Les gens ont continué de faire la grève. La direction des canaux de la Hollande a décidé de congédier une vingtaine de personnes, les dirigeants syndicaux. On est allé devant les tribunaux et on a dit: Vous faites de la discrimination, congédiez tout le monde étant donné que tout le monde a violé la loi. Ils sont allés devant les tribunaux pour dire: II y a une discrimination. Savez-vous ce que les tribunaux ont décidé? Les plus hauts tribunaux en Hollande ont décidé que c'était normal que l'on congédie, pas tout le monde, mais seulement un certain nombre, ceux qui étaient les dirigeants et les responsables de la grève.

Nous, on est un pays jeune. Après 1960, cela a été la rupture du barrage. Un charriage d'un bord et de l'autre, c'était un peu normal. Au début de la révolution tranquille, tous les gens étaient optimistes. On se fiait au rôle de l'opinion publique, on se fiait à la responsabilité des hommes politiques, on se fiait à la responsabilité des syndicats et on s'est rendu compte, après coup - on a une expérience de 20 ans - que cela ne fonctionne pas.

Maintenant, j'écoutais dernièrement le

président de la coalition des syndicats dire: Nous ne négocierons jamais le retrait du droit de grève. Il a raison. M. Charbonneau, quand il a dit cela, avait raison. C'est une question qui ne se négocie pas. C'est à l'Assemblée nationale de consulter, de voir ce qu'il y a à faire et de prendre une décision politique purement et simplement. M. Charbonneau a raison, cela ne se négocie pas. Cela peut se discuter, mais cela ne se négocie pas.

M. Fortier: Vous êtes d'accord avec moi que, face à cette coalition, c'est une lutte de pouvoirs dans un sens.

M. Dion: C'est une lutte de pouvoirs et l'État a accordé des pouvoirs aux syndicats. De même qu'il a accordé ces pouvoirs, l'État a aussi le pouvoir de les retirer. On a, là comme ailleurs, dit aux syndicats: Voici mon revolver, tire-moi. Finalement, il nous dit: Passe-moi ton revolver que je tire. C'est bête, on lui donne. C'est sûr que c'est une lutte de pouvoir. Il faut admettre qu'il y ait des intérêts divergents qui sont légitimes. Cependant, l'arbitre de cela, c'est le gouvernement et c'est au gouvernement de prendre ses responsabilités en tenant compte des principes que vous, M. Clair, avez énoncés tantôt et sur lesquels à peu près tout le monde est d'accord, sauf ceux qui se refusent à ouvrir les yeux et à admettre la réalité. Il y en a qui font cela.

Alors, qu'est-ce qu'il faut faire dans les circonstances? Il ne s'agit pas de partir en guerre contre qui que ce soit, mais il s'agit de prendre ses responsabilités et de les prendre en utilisant des moyens qui peuvent nous aider nous-mêmes contre notre propre faiblesse. Je parle de la faiblesse non seulement du pouvoir législatif, mais surtout du pouvoir exécutif, quel qu'il soit et quel que soit le pouvoir actuel ou dans les années qui viennent.

Le Président (M. Lachance): Vous êtes un homme prudent, M. Dion.

M. le ministre, vous avez la parole.

M. Clair: M. le Président, je pense que, du côté de l'Opposition, il n'y a pas d'autres questions. Je prendrai les quelques minutes qui me restent pour, d'abord, répondre un peu plus à Mme Forget sur la question du médiateur-arbitre. L'énorme avantage du médiateur-arbitre, c'est que, contrairement à un arbitre au sens strict du terme qui intervient à la toute fin du conflit, le médiateur-arbitre est impliqué plus tôt dans la négociation et peut d'autant plus favoriser un règlement à l'amiable qu'il est informé depuis le début du déroulement des négociations, donc des positions respectives des parties. Dans la mesure où il peut avoir à arbitrer le différend, la pression est d'autant plus grande à ce moment sur les parties pour forcer, au sens positif du mot, le règlement. Par contre, s'il n'y a pas d'entente et si on n'a pas prévu qu'il y avait arbitrage obligatoire, c'est qu'on a voulu... Remarquez que c'est discutable; il n'y a pas de vérité absolue dans cela. Si les parties lui demandent d'arbitrer, à ce moment normalement il doit trancher le différend; c'est sûr que c'est le rôle de l'arbitre. Si on lui a ménagé la possibilité de ne pas trancher, à ce moment il pourrait faire un rapport public quand même et indiquer pourquoi il ne tranche pas, et également contribuer à faciliter en quelque sorte de cette manière l'atteinte d'un consensus, d'un règlement, d'un rapprochement entre les parties. Mais, encore une fois, c'est discutable. La seule chose qui m'inquiète, comme je vous le dis, dans l'arbitrage de l'offre finale, c'est qu'on demande à un tiers qui n'a pas fait de conciliation ou de médiation dans le dossier de rentrer, de lire deux documents et de dire: C'est celui-là plutôt que l'autre. Je trouve qu'il y a un aspect dangereux de roulette russe dans cela qui peut désavantager les parties, mais encore une fois il n'y a pas de vérité absolue sur cela.

Mme Forget: Est-ce que je peux revenir au rapport public?

M. Clair: Oui.

Mme Forget: Là vous parlez de négociations locales. Donc, ce serait un médiateur-arbitre qui interviendrait dans un établissement donné. Quel impact pensez-vous que cela peut avoir sur la population? Croyez-vous que les médias d'information vont être à l'affût des rapports publics présentés par le médiateur-arbitre pour l'hôpital Saint-Joseph ou pour le Centre Henri-Bradet? Pensez-vous que cela puisse influencer l'opinion publique et, par le truchement de l'opinion publique, faire pression sur les parties pour en arriver à un règlement?

M. Clair: Écoutez, au fédéral, dans au moins un cas dont je me souviens, celui d'une grève aux postes, on a vu qu'un rapport public de médiation peut souvent forcer les parties; surtout si on y ajoute des mécanismes comme des périodes de refroidissement "cooling off period" ou autres délais, je pense que oui. Encore une fois, il n'y a pas - je pense que c'est l'abbé Dion qui l'a dit tantôt - de solution miracle, il n'y a pas de vérité absolue. L'important, je pense, c'est qu'on avance et qu'on essaie d'autres choses à la limite, en étant convaincus que ce que l'on veut tous voir naître, c'est un meilleur régime que celui que nous avons présentement.

M. le Président, sur cela, je pense qu'il y a un consensus au niveau de la classe politique au Québec, c'est évident qu'il faut réformer le régime de négociation. Nous avons maintenant eu l'occasion d'entendre plusieurs témoignages en commission parlementaire. Nous avons voulu manifester, par une sous-commission qui s'est déplacée à Montréal pour venir entendre la Coalition pour les droits des malades, que tous les parlementaires étaient également préoccupés par le point de vue des bénéficiaires de la santé. En ce qui concerne le gouvernement, je tiens à vous assurer qu'il sera adéquatement informé par moi-même des recommandations que vous avez faites ici aujourd'hui et qu'elles seront prises en très sérieuses considérations, mais avec toujours dans la tête ce que l'abbé Dion disait tantôt: II n'y a pas de solution miracle. Je pense qu'il appartient aux législateurs d'assumer leurs responsabilités, au gouvernement, à l'exécutif de le faire et d'essayer d'atteindre les meilleurs résultats possible.

M. le Président, il ne me reste donc, quant à moi, qu'à remercier M. Brunet, le Dr David, l'abbé Dion et Mme Forget d'avoir bien voulu nous rencontrer cet après-midi pour cette séance de travail qui a été des plus enrichissantes. Encore une fois, j'insiste pour vous souligner qu'au-delà de la question stricte du droit de grève, qui en soi est fondamentale, je le reconnais, j'apprécie beaucoup que vous vous soyez également penchés sur les substituts, que vous ayez travaillé sur les autres parties de l'avant-projet de loi parce qu'il y a là des recommandations qui sont fort intéressantes et il me fait plaisir de le dire. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre. M. le député de Portneuf.

M. Pagé: M. le Président, comme le ministre, je voudrais remercier M. Brunet, le Dr David, M. Dion et Mlle Forget de leur contribution à nos travaux dans le cadre de cette commission et vous réitérer ce que je formulais au début: tout le respect que commandent, chez nous, les recommandations que vous nous faites aujourd'hui. Il est exceptionnel, il est très rare, comme je vous le disais, qu'on ait la chance, les législateurs en commission, d'échanger des idées avec ceux qui directement sont concernés par des lois comme celles qu'on étudie à l'Assemblée. La dimension que vous avez apportée, c'est une dimension humaine. Votre argumentation est d'autant plus forte que c'est le vécu quotidien, finalement, des bénéficiaires dans les réseaux de santé du Québec que vous avez porté à notre attention aujourd'hui.

Encore une fois, non seulement nous partageons vos opinions, mais nous les appuyons. Nous osons croire, mes collègues et moi, que cet avant-projet de loi pourra, possiblement, être réécrit - on espère franchement et loyalement qu'il pourra être réécrit - et qu'il pourra prévoir une modification et un changement d'attitude significatif de la part du gouvernement afin qu'il fasse sien, finalement, le constat de tous les intervenants et de la très grande majorité des citoyens dans ce sens-là. Je peux d'ores et déjà indiquer que, si le gouvernement, au début de la session, modifiait le projet de loi en regard des représentations que vous et que nous lui avons faites, on appuierait le projet de loi. Merci de votre contribution.

Le Président (M. Lachance): M. Brunet.

M. Brunet: M. le Président, si vous me le permettez, j'aurais juste quelques mots à dire, mais peut-être que le Dr David, l'abbé Dion ou Mlle Forget ont quelque chose à ajouter. Pas pour le moment.

J'aimerais simplement mentionner qu'on était conscients que la tenue d'une commission parlementaire aussi importante que celle-ci et toutes les autres est habituellement, même toujours, sauf de très rares exceptions, l'apanage de l'Hôtel du Parlement et de notre belle ville de Québec. C'est quelque chose qui nous émeut, que nous apprécions énormément de voir que la commission de l'Assemblée nationale a accepté à l'unanimité de venir nous rencontrer.

Je l'ai dit déjà en 1981, je l'ai dit déjà au ministre Pierre-Marc Johnson qui nous honore de sa présence: Le fait, pour vous les députés et les ministres, pour toutes sortes de besoins, de choses nécessaires et importantes, d'avoir fréquemment des contacts, des rencontres, des échanges avec toutes sortes de personnes du monde syndical ou du monde patronal, il n'y a pas à dire, psychologiquement, cela vous conditionne beaucoup. On est convaincu que, si vous aviez les mêmes contacts - chose qui est quand même difficile - les mêmes rencontres en aussi grand nombre avec des malades, des personnes âgées hospitalisées, votre vision des choses sur une question aussi grave que la grève dans les services de santé serait, je crois, fort différente.

C'est dire combien on apprécie énormément le fait que des députés et des ministres aient bien voulu venir nous rencontrer et nous entendre patiemment. C'est un grand encouragement pour nous. On va continuer à défendre très fortement les idées qu'on a exprimées cet après-midi et on espère que le gouvernement actuel et les députés des deux côtés de la Chambre vont être de plus en plus sensibles à nos préoccupations qui ne sont pas, je pense, des préoccupations corporatistes, ni des

préoccupations a connotation antisyndicale, mais des préoccupations simplement humanitaire pour des gens qui, dans la très grande majorité, sont sans défense, sans amis, sans argent, sans prestige, qui ont besoin d'être protégés constamment, surtout à cause de leur dépendance et de leur grande fragilité.

Donc, au nom de la Coalition pour les droits des malades, je vous dis mes plus profonds remerciements et, on espère, au revoir. Merci.

Le Président (M. Lachance): À titre de président de la commission, je voudrais moi-même vous remercier. Vous avez compris qu'il était assez exceptionnel qu'une commission parlementaire siège à l'extérieur de l'édifice du Parlement. Mais sachez que cela a été agréable de vous entendre. Je tiens à vous remercier de votre contribution aux travaux de la commission. J'espère vivement que ce que vous nous avez livré comme témoignage va se traduire dans la législation que les députés auront à adopter.

Comme président, je ferai rapport des travaux de cette sous-commission à une séance subséquente de la commission permanente du budget et de l'administration. Comme la sous-commission s'est acquittée du mandat qui lui avait été confié, elle ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 17 h 32)

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