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(Dix heures onze minutes)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La sous-commission des institutions se réunit avec le mandat de
procéder à l'étude détaillée du projet de
loi 20, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
personnes, des successions et des biens. M. le secrétaire, voulez-vous
faire connaître les membres de la sous-commission et leurs
remplaçants, s'il y lieu?
Le Secrétaire: Les membres de la sous-commission des
institutions sont M. Bédard (Chicoutimi), M. Gagnon (Champlain), M.
Johnson (Anjou), M. Leduc (Saint-Laurent) et M. Marx (D'Arcy McGee). Les
remplaçants sont M. Blouin (Rousseau), qui remplace M. Bédard
(Chicoutimi), et Mme Harel (Maisonneuve), qui remplace M. Johnson (Anjou).
Le Président (M. Gagnon): J'inviterais
immédiatement Mme la députée de Maisonneuve et adjointe au
ministre de la Justice à déposer les textes ou enfin à
prendre la parole.
Proposition sur les droits
du conjoint survivant et
des enfants dans la succession
Mme Harel: Merci, M. le Président. Je dois dire que je
suis contente de me retrouver parmi vous en sous-commission pour terminer les
travaux que nous avons entrepris en mai dernier.
M. le Président, je crois comprendre que tous les membres de la
commission ont reçu ce rapport de la question de la créance ou de
la réserve héréditaire. C'est donc un rapport très
complet, très substantiel qui, je pense bien, nous permet un tour
d'horizon complet de la question du droit actuel jusqu'aux propositions que
nous déposons ce matin devant la sous-commission.
Souhaiteriez-vous que je fasse lecture de la proposition avant de faire
le dépôt des amendements? Pour les fins de nos travaux, serait-il
utile que cela soit enregistré?
Le Président (M. Gagnon): Je le laisse à votre
discrétion. Ici, on avait pensé que, effectivement, vous
déposiez les amendements peut-être en donnant des explications, et
qu'il y aurait aussi des questions de la part des autres membres de la
sous-commission. Je laisse à votre discrétion le fait d'en faire
la lecture ou non. Oui, M. le député D'Arcy McGee.
M. Marx: M. le Président, je pense qu'il est très
important que non seulement les articles, mais toutes les explications se
trouvent au Journal des débats. J'aimerais seulement soulever un petit
point: on parle d'une réserve héréditaire, je pense que
c'est plutôt une réserve successorale, peut-être faudrait-il
changer le nom...
Mme Harel: ...et la terminologie. M. Marx: ...et la
terminologie, oui.
Le Président (M. Gagnon): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: M. le Président, on pourrait peut-être
procéder comme suit: je vais faire la lecture de la proposition,
c'est-à-dire la lecture de ce qu'on retrouve aux pages 26 et 27. Je
ferais formellement la lecture de ce texte. Nous pourrions par la suite faire
la lecture, pour que cela soit enregistré, des amendements que nous
apportons aux articles 703 à 716. Par la suite, peut-être, avec
les membres de la commission, pourrions-nous reprendre chacun des articles ou
bien tout simplement répondre aux questions des membres de la
commission, si tant est qu'il y en ait...
M. Marx: Est-ce que vous allez lire les pages 1 à 26?
Non?
Mme Harel: Non. Je ferai seulement la lecture des pages 26 et 27.
Si vous le voulez, on pourrait ensuite faire un survol des questions qui sont
traitées dans le document.
M. Marx: D'accord. Parfait!
Le Président (M. Gagnon): Cela va?
M. Marx: Oui.
Le Président (M. Gagnon): Parce qu'on pourrait
considérer...
M. Marx: Parce que les pages 1 à 26 font état de
l'historique et cela serait utile pour ceux qui lisent le Journal des
débats.
Le Président (M. Gagnon): Est-ce que vous êtes
d'accord pour que l'on considère cela comme lu?
Mme Harel: Et que cela soit inscrit au Journal des débats,
à ce moment-là.
Le Président (M. Gagnon): Oui, que cela soit inscrit au
Journal des débats.
M. Marx: Est-ce que c'est possible, M. le Président?
Le Président (M. Gagnon): Oui, c'est possible.
M. Marx: Oui. Parfait:
Le Président (M. Gagnon): Oui, c'est possible. En fait, ce
n'est pas un dépôt de document qui est inscrit au Journal des
débats, mais on considère que ledit document a été
lu. (Voir annexe)
M. Marx: Au lieu de répéter...
Le Président (M. Gagnon): C'est cela. Voilà.
M. Marx: J'aimerais souligner que cela a été
très bien fait par nos légistes. C'est excellent. Vraiment. Je
pense qu'il faut maintenant laisser au gouvernement le soin de prendre ses
responsabilités, mais le travail est bien fait.
Mme Harel: Le travail est très bien fait...
M. Marx: On va voir ce que sera la conclusion.
Mme Harel: ...le ton est très pédagogique.
M. Marx: C'est pourquoi je l'aime.
Mme Harel: La proposition se lit donc comme suit. Ensuite, je
ferai le dépôt des amendements. "Après l'étude des
diverses hypothèses avancées, de leurs avantages et
inconvénients respectifs ainsi que des questions qu'elles
soulèvent, et compte tenu des orientations privilégiées
par les organismes consultés et la sous-commission des institutions, il
est proposé de retenir la réserve héréditaire comme
mécanisme de protection des membres de la famille immédiate du
défunt contre l'exercice abusif de sa liberté de tester. "La
réserve héréditaire ainsi proposée serait
établie en faveur du conjoint survivant, des enfants mineurs du
défunt et de ceux qui, sans être mineurs, étaient à
sa charge au jour du décès. Ces personnes ont paru être les
seules qui méritaient effectivement une protection de la nature de celle
proposée. Quant aux autres personnes qui dépendaient du
défunt à l'époque de son décès, il est
suggéré de leur accorder le droit à une contribution
financière pour leur tenir lieu d'aliments, contribution dont le montant
serait limité cependant à la valeur de six mois d'aliments.
"Calculée sur une masse fictive constituée de l'actif réel
de la succession et de certaines libéralités faites par le
défunt avant le décès et ce, afin de ne pas rendre
illusoire la protection recherchée, la réserve
préconisée pour le conjoint ou l'enfant serait égale
à la moitié en valeur de la part à laquelle l'un ou
l'autre aurait pu prétendre si cette masse avait été
dévolue suivant les règles de la dévolution légale
des successions. "L'étendue de la protection ainsi accordée a
également paru correspondre ici à ce qui est
généralement admis dans les systèmes qui connaissent la
réserve héréditaire, pour assurer une protection efficace
sans affecter outre mesure la liberté de tester d'une personne. "La part
d'un réservataire serait, dans tous les cas, imputée des
avantages que lui conférerait la succession, de même que des
sommes qui lui seraient payables en vertu d'un contrat d'assurance de personne,
de régime de pension ou de rente contractée par le défunt.
Le testateur pourra donc toujours satisfaire personnellement la part d'un
réservataire au moyen de toute espèce de legs ou par la
désignation de ce réservataire comme bénéficiaire
du produit de tels contrats. "Concernant le conjoint survivant, il est
proposé de maintenir la possibilité qu'il puisse cumuler les
avantages lui résultant de son régime matrimonial et de la
succession. Cependant, ce cumul ne pourrait jamais lui permettre de recueillir,
par l'addition des avantages du régime matrimonial et la réserve,
plus de la moitié en valeur de la succession.
Par ailleurs, lorsque l'actif réel de la succession serait
insuffisant pour satisfaire la part d'un réservataire, en raison de
certaines libéralités faites par le défunt avant son
décès, il serait prévu un mécanisme de
réduction de ces libéralités. Dans l'essentiel, cette
réduction serait faite à l'amiable entre les parties ou, à
défaut, par le liquidateur de la succession sur homologation judiciaire
d'une proposition de réduction. "Enfin, s'il n'a pas paru opportun de
permettre de renoncer à la protection légale à l'avance,
notamment par contrat de mariage, il serait cependant possible, pour tout
réservataire, de le faire après l'ouverture de la succession. Une
telle
renonciation n'emporterait pas en principe renonciation à la
succession de façon à laisser place à
l'appréciation de l'héritier qui jugerait suffisants les
avantages que lui procure la succession même s'ils ne suffisent pas
à combler sa part réservataire. "En conclusion, cette proposition
d'une réserve héréditaire en faveur du conjoint et des
enfants, proposition d'ailleurs présentée de façon plus
détaillée dans le projet dont je vais faire lecture
immédiatement, demeure évidemment susceptible de discussions,
donc de modifications. Elle tend néanmoins à réunir tous
les éléments de ce qui a paru constituer un mécanisme de
protection qui soit le plus apte à rencontrer les objectifs
visés, compte tenu des circonstances sociales actuelles."
Les amendements à l'article 2 du projet de loi 20 consistent
à remplacer le chapitre quatrième intitulé "De la survie
de l'obligation alimentaire", comprenant les articles 703 à 716, par les
deux chapitres et les articles qui suivent." Chapitre quatrième "De la
réserve héréditaire". "Article 703. La réserve
héréditaire est un droit successoral d'ordre public qui vient
limiter la portion des biens dont une personne peut disposer par
libéralités." "Elle est établie au profit du conjoint
survivant, des enfants mineurs du défunt et de ceux qui, sans être
mineurs, étaient à sa charge au jour du décès."
"Article 704. La réserve héréditaire se calcule sur une
masse constituée de l'actif de la succession, auquel est réunie
fictivement la valeur des libéralités faites par le défunt
par acte entre vifs dans les trois ans précédant le
décès ou ayant pour terme le décès. "La
réserve au profit du conjoint ou d'un enfant est égale à
la moitié de la part à laquelle il aurait pu prétendre si
cette masse avait été dévolue suivant les règles de
la dévolution légale." "Article 705. Le réservataire peut
renoncer à sa part. Cette renonciation n'emporte pas renonciation
à la succession, à moins qu'elle ne soit expressément
stipulée." "La part de celui qui renonce n'accroît pas aux autres
réservataires." "Article 706. Doivent être imputés sur la
part d'un réservataire tous les avantages que lui procure la succession
ainsi que la valeur des libéralités qui lui ont été
faites par le défunt par acte entre vifs dans les trois ans
précédant le décès ou ayant pour terme le
décès." "Doivent également être imputées sur
la part d'un réservataire les sommes qui lui sont payables en vertu d'un
contrat d'assurance de personne auquel le défunt était partie, de
même que celles qui le sont en vertu d'un régime de pension ou de
rente contracté par le défunt." "Article 707. Lorsque l'actif de
la succession est insuffisant pour acquitter entièrement la part d'un
réservataire, en raison des libéralités faites par acte
entre vifs dans les trois ans précédant le décès ou
ayant pour terme le décès, il est procédé à
la réduction de ces libéralités." "Toutefois, les
libéralités auxquelles le réservataire a consenti ne
peuvent être réduites." "Article 708. La réduction des
libéralités n'a lieu qu'en faveur des réservataires ou de
leurs héritiers; elle ne profite ni à leurs créanciers ni
à ceux de la succession." "Article 709. La réduction des
libéralités est faite par le liquidateur de la succession. Il y
procède dans l'ordre et suivant les proportions que les
bénéficiaires de ces libéralités conviennent entre
eux." "À défaut d'accord entre les intéressés, le
liquidateur réduit les libéralités proportionnellement
à leur valeur dans la mesure nécessaire pour payer les parts
réservataires. Dans ce dernier cas, il doit faire homologuer par le
tribunal la proposition de réduction." "Article 710. La réduction
des libéralités n'a pour objet que la valeur des biens
nécessaire au paiement des parts réservataires; elle n'a pas lieu
en nature. "Le bénéficiaire de la libéralité peut
soit se libérer par la remise du bien, soit verser en argent le montant
de la réduction, avec intérêts depuis la demande qui lui
est faite." "Article 711. Le paiement de la réduction se fait, à
défaut d'accord entre les parties, aux conditions que le tribunal
détermine et suivant les modalités de garantie et de paiement
qu'il fixe." "Article 712. Est présumée être une
libéralité toute alinénation, sûreté ou
charge consentie par le défunt pour une prestation dont la valeur est
disproportionnée par rapport à celle du bien au temps où
elle a été faite." "Article 713. Sont assimilées à
des libéralités réductibles les sommes exigibles en vertu
d'un contrat d'assurance de personne, lorsque ces sommes auraient fait partie
de la succession ou auraient été versées aux
réservataires n'eût été la désignation d'un
propriétaire subsidiaire ou d'un bénéficiaire dans les
trois ans précédant le décès. "Les primes et les
contributions versées par le défunt à un régime de
pension ou de rente dans les trois ans précédant le
décès le sont aussi." "Article 714. À moins qu'ils n'aient
été manifestement exagérés, eu égard aux
facultés du défunt, les frais d'entretien ou d'éducation
et les présents d'usage ne sont pas considérés comme des
libéralités." "Article 714.1. Les biens s'évaluent suivant
leur état à l'époque de la libéralité
et leur valeur à l'ouverture de la succession; si un bien a
été aliéné, on considère sa valeur à
l'époque de l'aliénation ou, en cas de remploi, la valeur du bien
substitué au jour de l'ouverture de la succession. "Les
libéralités en usufruit, en droit d'usage, en rente ou en revenus
d'une fiducie sont comptées pour leur valeur en capital au jour de
l'ouverture de la succession." "Chapitre cinquième. "De la
créance alimentaire contre la succession. "Article 715. "Celui qui n'a
pas droit à une part réservataire mais qui, à
l'époque du décès, recevait du défunt une pension
alimentaire, s'en était fait reconnaître le droit contre lui ou
était à sa charge peut, dans l'année du
décès, réclamer contre la succession une contribution
financière pour lui tenir lieu d'aliments." "Article 715.1. La
contribution est attribuée sous forme d'une somme forfaitaire payable au
comptant ou par versements; elle est fixée en accord avec le liquidateur
de la succession agissant avec le consentement des héritiers et des
légataires particuliers ou, à défaut d'entente, par le
tribunal. "Elle ne peut affecter les droits d'un réservataire ni
excéder la valeur de six mois d'aliments. "Article 716. Pour fixer la
contribution, il est tenu compte des besoins et facultés du
créancier, des circonstances dans lesquelles il se trouve et des
avantages que lui procure la succession. "Il est tenu compte également
de l'actif de la succession, des droits des successibles ainsi que du droit
d'autres personnes à des aliments."
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai deux commentaires. Je vais commencer avec le fonds.
Dans le projet d'amendement, je pense qu'il manque un article sur le cumul
parce que, dans le document, on parle des cumuls et jusqu'à quel point
on peut cumuler les avantages et la réserve successorale, mais ce n'est
pas traduit dans les articles. L'article manque sur cette question.
Remarque. On peut expliquer cela. Me Longtin?
Le Président (M. Gagnon): Maître Longtin? Mme la
députée de Maisonneuve?
Mme Harel: Oui, en fait, M. le Président, le
député de D'Arcy McGee a tout à fait raison, mais on
pourrait, je pense, déposer à la commission les articles?
M. Marx: II n'y a pas de problème. On pourrait les
déposer lors de l'étude article par article. On n'a pas
d'objection. Tout ce qu'on a voulu, c'est soulever cette question.
Mais, dans le document que le ministre de la Justice nous a fait
parvenir avec sa lettre d'explication, il nous a expliqué pourquoi et
comment il veut tergiverser dans ce dossier. Malheureusement, le ministre n'est
pas ici aujourd'hui. Il s'occupe de ses autres préoccupations.
Une voix: II est bien représenté.
Mme Harel: Trouvez-vous qu'il est bien représenté,
M. le député de D'Arcy McGee?
M. Marx: Mais, si vous voulez ma réponse à cela, je
pense qu'il aurait dû vous laisser mener tout le dossier au lieu de nous
envoyer des lettres pour expliquer pourquoi il ne veut pas prendre de
décision ce mois-ci. À deux reprises, il nous envoie des lettres
pour expliquer sa grande politique de tergiversation, ce qu'on appelle le
"stâlage".
Dans sa lettre, le ministre nous a dit: "II faut faire des
consultations". Dans le document, à partir de la page 23, on voit que
nous avons déjà consulté, par exemple, le Conseil du
statut de la femme, qui s'est prononcé pour la réserve
successorale et l'Association des femmes collaboratrices qui était aussi
d'accord. Le RAIF, soit le Réseau d'action et d'information pour les
femmes, était aussi d'accord. La Chambre des notaires a voulu qu'on
garde la liberté complète de tester, mais elle a dit: "Si on fait
des modifications, elles sont plutôt à la réserve
successorale". Je me demande ce que d'autres consultations vont ajouter
à ce dossier. Tout le monde a déjà eu l'occasion de se
prononcer. Je pense que c'est au gouvernement de prendre ses
responsabilités et de trancher dans ce dossier. (10 h 30)
D'autre part, cette sous-commission, d'une façon unanime, a
exprimé son point de vue que nous sommes d'accord avec la réserve
successorale. Il y a, bien sûr, des ajustements à apporter aux
articles, le cas échéant, mais, je pense que si je me souviens du
Journal des débats, qui est maintenant public, la sous-commission s'est
exprimée de cette façon.
Le Président (M. Gagnon): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci. Je pense bien que tous les membres de la
sous-commission vont reconnaître qu'on a travaillé sans
relâche pour activer le dossier. En début de juillet, on
était un peu moins nombreux à suivre assidûment les travaux
et on a terminé ces travaux le 5 juillet, justement en s'entendant sur
le fait qu'il nous fallait procéder à une étude assez
exhaustive de l'ensemble des modalités qui devaient conduire à
une
modification aussi majeure dans notre droit. Il faut savoir que l'on a
examiné toutes les législations étrangères et il
n'y a que le Québec, qui est, je pense, une exception, celle de la
Californie est parmi les 20 législations, je pense,
étudiées dans le cadre de nos travaux, il n'y a que le
Québec, dis-je, qui demeure un des rares endroits où
prévaut actuellement la liberté et l'unité de tester.
Je voudrais rappeler au député de D'Arcy McGee qu'à
la suite des recommandations de la sous-commission, le ministre de la Justice a
procédé, comme nous le souhaitions, à une étude
exhaustive de l'ensemble de la question, en faisant parvenir, dans les
délais prévus aux membres de la sous-commission et l'étude
et les amendements qui sont maintenant déposés. Je ne pense pas
qu'il y ait eu de tergiversation dans le dossier dans la mesure où, ce
matin, nous déposons des amendements. Je pense que l'orientation du
ministre est maintenant connue, c'est donc celle que j'ai fait connaître
tantôt à la commission.
Vous savez, c'est à bon droit que vous faites état de la
commission parlementaire qui a siégé sur le projet de loi 107. Il
faut quand même se rappeler qu'à l'origine, dans le projet de loi
107, on maintenait la liberté absolue de tester. Lorsque les organismes
et les groupes sont venus déposer des mémoires en commission, ils
n'avaient pas devant eux un projet qui était autre chose que la
disposition toujours en vigueur dans le code. Quand Ils sont intervenus pour
faire connaître les positions qu'on retrouve à la page 24 du
rapport, ils l'ont fait à l'initiative du ministre de la Justice qui,
sur place, en commission, leur demandait de réagir à
l'opportunité de prévoir ou non un mécanisme de protection
dans le cas où il aurait pu y avoir abus du droit de tester. C'est donc
dire que ce n'est que la Chambre des notaires et, je pense, le Barreau qui ont
pu formellement venir dans le cadre de nos travaux et, cette fois, faire
connaître leur position sur l'ensemble du chapitre concernant les
personnes, les biens et les successions et toujours en ayant, cette fois,
devant eux des dispositions qui étaient à l'effet d'introduire
une créance alimentaire.
À ma connaissance, c'est la première fois qu'il y a
formellement dépôt d'une proposition de réserve
successorale et des diverses modalités qu'on sait extrêmement
importantes qui s'y rattachent. Cela va être la première fois
qu'on demande aux organismes qui se sentent concernés au premier chef de
réagir sur cette proposition. Quant à l'unanimité au sein
de notre sous-commission, je souhaite que ce consensus se maintienne. Il me
semble qu'il a fléchi à quelques reprises après
s'être exprimé lors d'une séance de nos travaux sur
notamment le fait d'introduire une certaine nuance quant à la
liberté absolue de tester ou de réduire, ou, en tout cas, tout au
moins d'introduire des mesures de protection. Je pense qu'il y avait consensus.
Quant à prétendre qu'il y a consensus sur les modalités,
je pense qu'il y a loin de la coupe aux lèvres.
La proposition qui est sur la table ce matin va justement permettre aux
membres de la sous-commission de réagir, non seulement sur le principe
mais sur les modalités. Je crois qu'il est souhaitable, pour mieux
connaître le point de vue des groupes qui vont avoir à vivre avec
ces dispositions ou tout au moins à en faire la publicité, je
pense même qu'il est important de connaître leur position.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Juste un mot sur les remarques de la
députée de Maisonneuve. J'ai mon calendrier ici. Je me souviens
bien que, le 4 juillet, le ministre est venu à cette sous-commission
pour nous expliquer toute sa politique dans ce domaine. Il a dit: Je vais
déposer des articles, je vais déposer des amendements. On a
prévu que la sous-commission siégerait le 27 août pour les
adopter. Quand le ministre est venu, le 4 juillet, en 3ous-commission, il n'a
jamais dit - c'est au Journal des débats - qu'on irait en consultation;
il a dit qu'en revenant au mois d'août -on a précisé le 27
- le gouvernement déposerait des amendements et qu'on les adopterait;
qu'on allait terminer avec le projet de loi 20 à la fin du mois
d'août. Entre le 4 juillet et quelques semaines plus tard, le ministre a
décidé de ne pas faire adopter le projet de loi 20 le 27
août.
Quant à moi, je soupçonne qu'il a trouvé que la
patate était un peu chaude, il a voulu refiler cela à quelqu'un
d'autre pour que la décision soit prise par un autre, quand il ne serait
pas ministre de la Justice et pas avant la course à la "chefferie" et
tout cela. Pour moi, c'est évident. Pourquoi est-ce qu'entre le 4
juillet...
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee, cette discussion a déjà eu lieu...
M. Marx: Avec qui?
Le Président (M. Gagnon): ...ici, en séance de
travail, vous avez fait valoir ces arguments. Je n'ai pas d'objection à
ce que vous les repreniez, mais je sais que vous avez déjà fait
valoir ces arguments. Mme...
M. Marx: M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): Vous voulez terminer? Oui?
M. Marx: J'ai terminé, mais il y a une différence
quand c'est à huis clos, que je parle seulement aux
députés et au président, et lorsque c'est
enregistré au Journal des débats. Donc, je voulais ...
Mme Harel: Écoutez, M. le Président...
M. Marx: ...faire état de mes soucis à la
population en général.
Le Président (M. Gagnon): Cela va. Mme la
députée de Maisonneuve, après, ce sera le
député de Saint-Laurent.
Mme Harel: M. le Président, je crois comprendre que, lors
de sa séance de travail, la commission des institutions a discuté
de cette question, mais une majorité, m'a-t-on dit - je ne participais
pas à cette séance -se dégageait nettement de part et
d'autre pour mener une telle consultation particulière. Voyez, je...
M. Marx: On n'a pas le choix, la majorité est
là.
Mme Harel: Mais semble-t-il que c'était aussi
partagé par certains de vos collègues. Dans le domaine qui nous
intéresse, il ne faut pas faire de procès d'intention. La
question, c'est: Est-il sage de mener une telle consultation
particulière à ce moment-ci? Est-ce sage? Quelles que soient les
autres considérations que vous pouvez attribuer aux uns et aux autres,
est-ce sage...? Quand on répond oui, c'est parce qu'il est sage,
à mon point de vue, que ces dispositions qu'on jugeait à ce point
importantes soient les seules que la sous-commission, à part une ou deux
autres qu'on n'a pas cru bon d'adopter immédiatement parce que nous
considérions avoir besoin d'un tour d'horizon plus vaste. Nous avons eu
besoin de consulter les législations étrangères. Nous
avons eu besoin de connaître l'état des juridictions dans les
autres pays. C'est donc parce que c'est là une question assez
fondamentale. Cela va évidemment modifier assez substantiellement le
droit en vigueur depuis 1868.
M. Marx: Le gouvernement est-il pour la réserve
successorale, oui ou non?
Mme Harel: Oui, nous avons déposé les amendements
ce matin.
M. Marx: Ah! Vous êtes pour cela? Bon, on a
déjà réglé ce problème.
Mme Harel: Voila! Nous allons justement... Nous avons
déposé des amendements à cet effet.
M. Marx: Je ne pensais jamais...
Mme Harel: Je pense que c'est sage. Vous auriez raison si nous
retardions indûment cette consultation particulière, mais je pense
que nous sommes prêts à la mener. À l'invitation des
membres de la commission qui veulent y participer, nous serions prêts
à la mener assez rondement. Je ne sais pas si nous le pourrions
immédiatement, parce qu'il faudra d'abord examiner quels sont les
groupes que nous souhaitons consulter...
Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, mais cela va se
faire en séance de travail, Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Ah bon!
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous permettez, M. le
Président, mon collègue a parlé de tergiversation, moi, je
parlerais plutôt de tourner en rond. J'ai nettement l'impression qu'on va
tenir cette consultation absolument inutilement.
J'ai ressenti dès le départ que le ministre avait fait son
lit. Il voulait sûrement instituer une réserve successorale ou
héréditaire. Pour moi, c'était très clair
dès le début, même si des grands organismes qui, je pense,
ont beaucoup à dire là-dessus, par exemple le Barreau,
s'étaient prononcés contre pour dire - je vais simplement citer
un bout de phrase - "de plus, le principe -c'est le Barreau qui parle - de la
liberté de tester établi depuis des siècles n'a pas
vraiment causé de préjudice sérieux". Le Barreau a dit
dès le départ: "Nous ne voulons pas de cette réserve".
C'est très clair. Bien sûr, ensuite, il a senti qu'il fallait
peut-être se résigner ou qu'il fallait peut-être qu'il
l'accepte, il a alors proposé la créance alimentaire.
Ensuite, il y a eu également la Chambre des notaires qui est
venue nous dire: Non. Nous pensons qu'il faut maintenir la liberté
illimitée de tester, qu'il n'y a pas eu de dommage sérieux, que
c'est maintenant peut-être plus important qu'auparavant, alors que le
divorce n'était peut-être pas aussi facilement accessible qu'il
l'est aujourd'hui. On avait des situations qui pouvaient être
ambiguës et pas faciles à régler lorsque les conjoints
devaient continuer à cohabiter alors qu'ils auraient peut-être
préféré divorcer. Mais, à cette époque, ce
n'était pas facile. Maintenant, dès qu'il y a un problème,
le divorce intervient. Quand les conjoints ont à faire un testament
entre eux, c'est parce que, habituellement, cela fonctionne très bien.
Je pense qu'ils font un testament qui est logique. L'État n'a pas
à intervenir pour leur dire qu'il faudrait peut-être qu'ils en
donnent plus à un et moins à l'autre, sans tenir compte qu'il y a
peut-être des besoins
pour certains enfants qui peuvent avoir des déficiences. Il
faudrait peut-être alors leur en donner plus qu'à d'autres. Mais
on dit: Non, un instant; l'État va décider pour vous. Puis, on
nivelle.
Je me pose vraiment la question de la nécessité de cette
consultation alors que le gouvernement - Mme la députée de
Maisonneuve vient de le dire - a fait son lit, a décidé qu'il y
aurait une réserve successorale. Je ne suis peut-être pas
complètement d'accord. Par contre, je suis peut-être d'accord pour
accorder une certaine protection à un conjoint, mais je ne suis pas
prêt à aller aussi loin. Qu'on regarde le document soumis, les
amendements, et qu'on les étudie. Je pense qu'on perdra beaucoup moins
de temps et que l'on pourrait peut-être utiliser le temps des
députés à d'autres fins, à des fins peut-être
plus profitables.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Fabre.
M. de Bellefeuille: M. le Président, est-ce que...
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Deux-Montagnes, je regrette, vous n'avez pas le droit de parole à la
sous-commission.
M. de Bellefeuille: Je vous demande la parole, M. le
Président, pour demander à la sous-commission si elle
m'accorderait le droit de parole aux fins de faire une simple intervention.
Le Président (M. Gagnon): Mme la députée de
Maisonneuve?
Mme Harel: M. le Président, je pense que ni le
député de Fabre, ni le député de Deux-Montagnes ne
sont membres de la sous-commission.
Le Président (M. Gagnon): C'est vrai. Voilà:
Mme Harel: Je pense que, pour...
Le Président (M. Gagnon): Cela prend le consentement
unanime pour...
Mme Harel: Cela prend le consentement, mais aussi...
M. de Bellefeuille: C'est le but de ma remarque, M. le
Président. C'est pour demander ce consentement.
Mme Harel: Nous en aurons l'occasion en commission, ce matin,
où l'ensemble des membres pourront intervenir...
Le Président (M. Gagnon): En séance de travail,
effectivement...
Mme Harel: En séance de travail de la sous-commission, je
pense que cela est prévu à l'ordre du jour.
M. Marx: M. le Président, je n'ai pas objection, si nos
collègues ont quelque chose de pertinent à dire. Je ne veux pas
les priver de parler...
Le Président (M. Gagnon): Si je comprends bien, je
remarque que ni le député de Deux-Montagnes, ni le
député de Fabre n'ont le droit de parole à cette
commission. Vous aurez l'occasion de vous exprimer en séance de travail,
tantôt.
M. de Bellefeuille: Mais, M. le Président, vous pourriez
peut-être demander à la commission si elle consent.
Le Président (M. Gagnon): Ce que j'ai fait, mais je...
M. de Bellefeuille: Est-ce qu'il y a eu objection?
Le Président (M. Gagnon): II m'a paru. M. de
Bellefeuille: De la part de qui?
Le Président (M. Gagnon): Alors, je le demande fermement.
Est-ce qu'il y a objection? (10 h 45)
M. Leduc (Fabre): Mais, M. le Président, rapidement, il me
semble que la discussion commencée par le député est
justement un des points à l'ordre du jour des travaux de la commission.
C'est pour cela que je voudrais intervenir. Je suis intervenu à la
dernière réunion comme membre de la commission.
Le Président (M. Gagnon): Non, je m'excuse...
M. Leduc (Fabre): Le député soulève des
problèmes, des questions, des points qui ont été
soulevés lors de la discussion en commission.
Le Président (M. Gagnon): II y a objection.
M. Leduc (Fabre): Alors, je voudrais intervenir.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Fabre, il y a objection à vous accorder le droit de parole.
Effectivement, la discussion qui a été entreprise, c'est celle
que nous aurons tantôt en séance de travail. On va effectivement
passer dans les heures, dans les minutes qui suivent, à une
séance de
travail.
M. de Bellefeuille: J'ai une toute petite remarque. J'ai
l'impression qu'en séance de travail, nous allons discuter de
consultations particulières et de questions de ce genre alors que
l'intervention que je voulais faire a plutôt trait au contenu. Elle a
trait à la réserve que nous sommes en train de discuter.
Le Président (M. Gagnon): II y a objection. On m'a dit que
je n'avais pas l'unanimité des membres de la sous-commission pour donner
le droit de parole à d'autres membres que ceux de la
sous-commission.
Mme la députée de Maisonneuve.
Mme Harel: M. le Président.
M. de Bellefeuille: Je prends note, M. le Président. Je
mets cela dans ma pipe.
Le Président (M. Gagnon): C'est ce que j'ai fait moi
aussi.
Mme Harel: M. le député de Saint-Laurent soumet
à la commission que nous devrions procéder immédiatement
à l'étude des amendements qui sont soumis. Il ne voit pas,
dit-il, la nécessité d'une consultation. Je crois pour ma part
qu'il faudrait vraiment voir avec les organismes qui se sentent
concernés par cette question s'ils ne considèrent pas utile,
précisément, d'être consultés pour nous faciliter
l'étude des amendements soumis. Les amendements sont soumis, ils vont
donc être rendus publics immédiatement, et les membres de la
sous-commission de même que les membres de la commission qui voudront
participer à nos travaux - j'invite le député de
Deux-Montagnes à le faire à ce moment-là -auront
certainement intérêt à connaître le point de vue non
seulement des organismes qui représentent les professionnels du droit,
mais également des organismes qui se sentent concernés par ces
modifications majeures à notre droit. Je pense que c'est dans
l'intérêt de nos travaux d'entendre les points de vue qui peuvent
être exprimés. Cela peut nous permettre de procéder
rapidement, si nous souhaitons tenir cette consultation rapidement, ce qui est
mon cas.
M. Marx: M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous me le permettez.
M. Marx: Oui, allez-y!
Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le député
de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Bien sûr, je suis pour qu'on
consulte le plus de gens possible, mais on me dit ce matin que le gouvernement
a décidé qu'il y aurait une réserve
héréditaire ou successorale et que c'est décidé.
Est-ce que ce n'est pas là une consultation bidon, inutile, qu'on va
faire? Si vous me dites vraiment: Écoutezl le gouvernement a
décidé, il va y avoir la réserve
héréditaire. Bon, allons-y, étudions...
Mme Harel: M. le député de Saint-Laurent, vous
êtes un parlementaire chevronné.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
Mme Harel: Vous êtes un parlementaire chevronné,
vous savez très bien que ces amendements sont soumis pour adoption et
qu'ils ne sont pas décidés. Les membres de la sous-commission et,
par la suite, les membres de la commission auront à en disposer.
M. Leduc (Saint-Laurent): Ils engagent le gouvernement.
Mme Harel: Cela engage le gouvernement à les faire
étudier par la commission et je pense que c'est dans notre
intérêt de connaître le point de vue des organismes.
Le Président (M. Gagnon): Je vais mettre fin à la
sous-commission; ce ne sera pas trop long. J'accorde le droit de parole au
député de D'Arcy McGee, mais les autres qui ne sont pas membres
n'ont pas le droit de parole.
M. Marx: M. le Président, si je comprends bien ce que
l'adjointe parlementaire au ministre de la Justice a dit, au nom du
gouvernement, c'est que le gouvernement a décidé de faire adopter
un chapitre sur la réserve successorale, mais qu'il veut aller en
consultation. La consultation portera seulement sur les modalités, sur
les points techniques, mais pas sur le principe. Est-ce que j'ai bien compris
qu'il n'est pas question pour des gens de venir nous dire s'ils sont pour ou
contre la réserve successorale, parce que le gouvernement a
déjà fait son lit et que le gouvernement a décidé
qu'il est pour la réserve successorale? La consultation, ce sera
seulement sur les questions techniques, les modalités, etc?
Le Président (M. Gagnon): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: II en va de ces propositions
d'amendement comme c'est la tradition dans nos travaux,
c'est-à-dire que, lors de l'étude du projet de loi 107, le
gouvernement a entendu les points de vue qui étaient exprimés et
je vous rappelle que le projet de loi 107 ne contenait aucune disposition
à cet effet. Le projet de loi 20 contenait des dispositions portant sur
une créance. Je vous soumets des amendements de la part du gouvernement
ce matin en sous-commission de façon à étudier maintenant
une réserve successorale ou héréditaire. La consultation
particulière porterait sur ces amendements.
M. Marx: M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: ...Le gouvernement a prévu dans la loi 107 un
chapitre sur la créance alimentaire.
Mme Harel: Le projet de loi 20.
M. Marx: Au projet de loi 20, tel que déposé, dans
sa sagesse, le gouvernement a proposé la créance alimentaire. La
sous-commission, dans sa sagesse, a dit au gouvernement: La créance
alimentaire, cela ne fonctionnera pas bien. Donc, le gouvernement, encore une
fois dans sa sagesse, a décidé de retirer le chapitre sur la
créance alimentaire et d'y substituer un chapitre sur la réserve
successorale.
Si je comprends bien, l'adjointe parlementaire au ministre de la Justice
nous parle aujourd'hui au nom du gouvernement et nous dit que, quoi qu'il
arrive à la course à la "chefferie" et quel que soit celui que
l'on aura comme nouveau premier ministre du Québec, le gouvernement a
décidé de faire en sorte que le chapitre qu'on adoptera dans le
projet de loi 20 sera un chapitre sur la réserve successorale. Le
gouvernement veut aller en consultation sur les mécanismes, sur les
modalités, sur les points et les virgules. C'est cela? Ai-je raison?
Le Président (M. Gagnon): Mme la député de
Maisonneuve.
Mme Harel: Et donc de soumettre à l'étude de la
sous-commission ces amendements concernant les chapitres 4 et 5 et de mener une
consultation particulière sur ces amendements.
M. Marx: Quand on ira en consultation, peut-on préciser
aux organismes qu'on invitera qu'on ne veut pas les entendre sur
l'à-propos d'adopter un chapitre sur la réserve successorale mais
leur demander qu'ils nous livrent leurs opinions sur les modalités d'une
telle institution, sur les techniques, etc. Ai-je bien compris?
Mme Harel: Le député de D'Arcy McGee a tout
à fait raison puisqu'on a déjà, à l'occasion de la
commission parlementaire portant sur la loi 107, entendu plusieurs de ces
organismes sur le besoin ou non de prévoir un tel mécanisme. Je
pense que l'intérêt est de les entendre maintenant sur les
modalités qui sont, on le sait ici pour en avoir fait l'étude,
d'une importance quand même fondamentale, donc, sur les modalités
de telles dispositions.
Le Président (M. Gagnon): Avant de donner la parole au
député de Saint-Laurent pour la dernière fois, je voudrais
informer ceux qui me l'ont demandé tantôt que les documents que
Mme la députée de Maisonneuve vient de déposer seront
disponibles dans quelques minutes.
M. Marx: Ces documents seront reproduits dans le Journal des
débats.
Le Président (M. Gagnon): Voilà, aussi: M. le
député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais poser une question à
la députée de Maisonneuve. Je voudrais qu'elle m'assure qu'il
serait possible, à la suite de cette consultation, que le gouvernement
change d'idée.
Mme Harel: M. le député de Saint-Laurent, si on
mène une consultation, ce n'est pas parce qu'au point de départ
tout est figé et rigide. On a mené des consultations au moment de
l'étude de la loi 107, et du projet de loi 20, et on les mène
encore sur ces amendements. C'est donc parce qu'il y a possibilité de
modifications, sinon le processus qui consiste à consulter est
vicié à sa base.
M. Leduc (Saint-Laurent): Donc, c'est seulement un document de
travail qu'on nous a soumis ce matin.
Mme Harel: Ce sont des amendements que l'on vous soumet pour
étude.
M. Leduc (Saint-Laurent): ...c'est la seule hypothèse?
Mme Harel: Voilà!
M. Leduc (Saint-Laurent): II n'y a pas d'autres hypothèses
que celle-ci.
Le Président (M. Gagnon): Voilà: La sous-commission
des institutions ajourne ses travaux sine die. Nous reprendrons tantôt en
séance de travail. Je précise immédiatement qu'en
séance de travail le public n'est pas admis.
(Fin de la séance à 10 h 55)
ANNEXE
LES DROITS DU CONJOINT SURVIVANT ET DES ENFANTS DANS
LA SUCCESSION
Projet de loi 20 portant réforme au Code civil
du Québec du droit des personnes, des successions et des biens
I. ÉTAT DES QUESTIONS
Dans le cadre de l'étude détaillée du projet de loi
précité et tenant compte des consultations faites depuis le
dépôt du projet de loi, il s'avère nécessaire de
décider d'un mécanisme de protection de la famille
immédiate du défunt, afin d'éviter que les membres de
celle-ci - le conjoint survivant ou les enfants - ne se voient injustement
déshériter ou attribuer une part de la succession que d'aucuns
pourraient considérer inacceptable ou discriminatoire à leur
égard.
Le mécanisme de protection recherché doit donc tendre
à assurer aux membres de la proche famille du défunt une part
minimale de sa succession, part qui se voudrait soit la reconnaissance de leur
participation à la vie familiale, soit aussi la concrétisation,
après le décès, de l'obligation alimentaire qu'avait le
défunt envers eux. Il doit aussi être simple, facilement
applicable et susceptible de favoriser un règlement rapide et harmonieux
des successions.
II. DROIT ACTUEL
Le droit actuel pose le principe de la liberté absolue, pour une
personne, de tester de ses biens dans les limites de l'ordre public. La
protection de la proche famille du défunt relève donc de son
entière discrétion et le droit ne prévoit aucun
mécanisme destiné spécifiquement à prémunir
le conjoint survivant ou les enfants du défunt contre l'exercice
malencontreux ou abusif de sa liberté de disposer de ses biens comme il
l'entend. Même l'obligation de secours que lui impose le droit actuel
envers ses créanciers alimentaires s'éteint avec son
décès.
Seule l'application des règles relatives aux régimes
matrimoniaux pourrait, à la rigueur, être considérée
comme une limite indirecte à ce principe de la liberté de tester
d'une personne. Ces règles permettent en effet au conjoint survivant de
partager dans les acquêts du défunt ou dans la communauté
de biens qui a pu exister entre lui et le défunt, en plus de profiter de
l'usufruit légal sur les acquêts ou sur les biens de la
communauté qui sont échus à ses enfants du chef du
défunt. Elles lui permettent aussi, le cas échéant, de
bénéficier du droit à une prestation compensatoire.
Mais, mise à part la prestation compensatoire, ces avantages
découlant du régime matrimonial ne sont ouverts au conjoint qui
concourt avec certains héritiers que s'il en fait le choix de
préférence aux avantages que lui procure la succession. Cette
option que doit faire le conjoint entre ces avantages résultant de son
régime matrimonial et ceux découlant de la succession, et donc
l'impossibilité actuelle pour lui de les cumuler, démontre bien
que l'application des règles relatives aux régimes matrimoniaux
n'est pas destinée à assurer au conjoint une protection contre la
liberté de tester du défunt.
De plus, la protection indirecte qu'elle accorde paraît nettement
insuffisante, eu égard aux objectifs visés:
Les règles relatives aux régimes matrimoniaux n'assurent
la protection que du seul conjoint survivant et non celle des enfants du
défunt.
La protection accordée risque d'être très minime si
le régime matrimonial est celui de la séparation de biens et que
le conjoint ne l'encontre pas les conditions requises pour
bénéficier de la prestation
compensatoire.
En cas de second ou de troisième mariage, il est plausible de
penser qu'une part importante des actifs du défunt auront
été acquis avant le mariage, et donc exclus du partage en
société d'acquêts ou en communauté de biens.
Là encore, la protection accordée demeure aléatoire.
Les conditions spécifiques qui sont requises pour
bénéficier de la prestation compensatoire ne sont pas toujours
rencontrées.
Le défunt peut toujours écarter par testament l'usufruit
légal du conjoint survivant.
III. HYPOTHÈSES
Les hypothèses de solution à la nécessité
d'accorder une protection efficace au conjoint survivant et aux enfants du
défunt contre l'exercice abusif ou malencontreux de sa liberté de
tester sont nombreuses. La nature, les avantages et les inconvénients de
celles qui ont été le plus souvent avancées peuvent se
résumer comme suit.
1.
La créance alimentaire
La créance alimentaire est un droit reconnu au conjoint, aux
enfants et aux autres créanciers alimentaires du défunt, voire
même aux personnes à sa charge à l'époque du
décès, de réclamer des aliments contre la succession. Son
exercice obéit essentiellement aux règles habituelles du recours
alimentaire; il est donc fondé sur les besoins du demandeur et les
facultés de la succession. Suivant le degré d'efficacité
que l'on veut donner à ce recours et la qualité des
créanciers, on peut limiter son exercice à la masse réelle
de la succession ou constituer une masse fictive comprenant les
libéralités faites par le défunt dans les mois ou
années précédant son décès.
L'avantage majeur de la créance alimentaire est de permettre
d'éviter dans la loi la fixation de parts strictes et de laisser place
à l'appréciation des besoins réels des demandeurs,
conjoints, enfants ou autres. Sans besoin, elle n'existe pas. En ce sens, elle
constitue un mécanisme de protection ponctuel qui ne vise qu'à
corriger les cas d'abus.
Conçue comme la continuation d'un devoir moral de secours
imposé au défunt envers ses dépendants, la créance
alimentaire offre un type de protection permettant d'atteindre non seulement
les personnes qui étaient légalement les créanciers
alimentaires du défunt de son vivant, mais aussi, au besoin, toute
personne qui dépendait de lui dans les faits. Enfin, la créance
alimentaire donne une certaine discrétion au testateur pour
évaluer de son vivant les besoins de ses héritiers.
Toutefois, la créance alimentaire ne tient compte que des besoins
existants lors de l'ouverture de la succession et elle n'a pas d'effet
préventif. Les héritiers peuvent par ailleurs être
maintenus dans l'incertitude quant à leurs droits jusqu'au jugement
définitif sur le recours alimentaire: le recours peut ainsi retarder
notablement le règlement des successions. Enfin, l'inconvénient
majeur de la créance alimentaire est qu'elle judiciarise le
règlement des successions, qui pourra donner lieu à des multiples
procès. Elle place ainsi le demandeur dans la situation difficile
d'avoir à établir la nature et l'étendue de ses besoins
devant des tiers ou des parents, au risque de le décourager d'exercer
ses droits ou d'entraîner des déchirements au sein de la famille.
Elle rend par ailleurs toute planification successorale difficile, les droits
éventuels des créanciers alimentaires étant
aléatoires et incertains.
2.
La réserve en pleine
propriété
La réserve, qui se veut la traduction d'un droit aux biens du
défunt, est une institution qui établit au profit de ses proches,
normalement ses seuls conjoint et enfants, une part fixe et
réservée dans sa succession pour compenser non seulement
l'obligation alimentaire mais aussi la contribution de tous à la vie
familiale. Elle limite par le fait même la portion des biens
qu'une personne peut léguer ou qu'elle peut donner entre vifs
dans une période déterminée avant son décès
à des personnes autres que son conjoint et ses enfants.
La réserve se calcule donc sur une masse fictive, composée
de biens que le défunt laisse dans son patrimoine ainsi que des
libéralités qu'il a faites dans les mois ou années
précédant son décès. Elle s'exerce tant dans les
successions testamentaires que légales.
Il est reconnu que la réserve prévient les abus et la
liberté illimitée de tester et qu'elle constitue un bon
mécanisme de protection de la famille immédiate du défunt.
En plus, elle n'oblige pas à avoir recours aux tribunaux ou à
faire valoir contre des tiers ou même des parents l'étendue de ses
besoins. En ce sens, la prédétermination objective des droits et
obligations de chacun aide à préserver la paix familiale. De
plus, contrairement à un droit de créance alimentaire, la
réserve permet au testateur de connaître exactement la
portée de ses droits et obligations envers ses héritiers et de
planifier correctement sa succession.
Cependant, la réserve, parce qu'elle constitue un type de
protection objectif qui ne tient pas compte des besoins, présente
l'inconvénient majeur d'être d'application générale
et automatique dans toute succession et de ne pas limiter conséquemment
la protection recherchée aux seuls cas d'abus. En fixant des parts
dévolues à chacun sans égard à leurs besoins
réels, la réserve prive encore une personne de sa liberté
de créer des inégalités souhaitables à
l'intérieur de la famille immédiate, comme par exemple envers un
enfant atteint d'une infirmité ou d'un conjoint incapable.
Conçue comme la concrétisation d'un droit
préexistant sur les biens dont le défunt est titulaire, la
réserve est par ailleurs difficilement applicable de ce fait à
d'autres personnes qu'au conjoint et aux enfants du défunt.
La réserve en pleine propriété constitue enfin une
atteinte directe à la liberté absolue de tester puisqu'elle
affecte la propriété même des biens de la succession d'une
personne. Parce qu'elle assure le droit à une part successorale, en
pleine propriété, fixée dès l'ouverture de la
succession, la réserve laisse en soi peu de place à une gradation
basée sur l'âge des héritiers.
3. La réserve en usufruit
S'inspirant des règles du droit actuel sur l'usufruit
légal du conjoint survivant, la réserve en usufruit s'articule
à la base comme la réserve en pleine propriété en
ne conférant cependant au conjoint et aux enfants du défunt
qu'une part en usufruit sur les biens de la succession. La
propriété de ces biens demeure donc intacte entre les mains des
héritiers légaux ou désignés par le
défunt.
Afin d'accorder toute la souplesse voulue à ce mécanisme
de protection, l'usufruit conféré - dont la durée peut par
ailleurs être modulée suivant qu'il est exercé par le
conjoint ou les enfants - peut en tout temps être rachetable ou
convertible en rente soit à la demande de l'héritier
nu-propriétaire, soit à celle du conjoint ou de l'enfant
usufruitier. Comme pour la réserve en pleine propriété, la
réserve en usufruit peut non seulement affecter l'actif réel de
la succession, mais aussi les biens donnés ou légués dans
les mois ou années précédant le décès.
Le principal avantage de la réserve en usufruit est qu'elle ne
porte atteinte à la liberté de tester qu'en regard de la
jouissance des biens de la succession sans affecter directement le droit de
propriété sur ces biens: le testateur peut donc léguer la
propriété de ses biens comme il l'entend, celle-ci devenant
complète à l'expiration de l'usufruit conféré ou
suite au rachat de l'usufruit ou à sa conversion en rente.
L'usufruit constitue par ailleurs un droit dont la nature se prête
bien aux modulations de durée basées sur l'âge de
l'usufruitier. La possibilité de capitaliser la valeur de l'usufruit
pour le convertir en rente ou pour en
effectuer le rachat permettrait enfin non seulement de libérer le
nu-propriétaire de l'usufruit grevant son bien, mais aussi d'accorder au
conjoint ou aux enfants une protection plu3 palpable et
intéressante.
Toutefois, l'usufruit comme mécanisme de protection existe
déjà au profit du conjoint survivant et n'est pratiquement jamais
exercé. Dans les successions de peu d'importance, l'usufruit, même
rachetable ou convertible, risque de ne présenter qu'un
intérêt fort minime pour le conjoint ou l'enfant et de ne leur
accorder qu'une protection insuffisante.
4.
La réserve en fiducie ou en
rente
La réserve en fiducie ou en rente ne constitue qu'une variante de
la réserve en pleine propriété, dont elle ne
diffère qu'en ce que la part réservataire n'est attribuée
que sous la forme de revenus d'une fiducie ou de rentes.
L'avantage qu'elle présente par rapport à la
réserve en pleine propriété est de permettre, dans tous
les cas, d'étaler le versement de la part réservataire sur une
période prolongée, ce qui allège l'obligation des
héritiers chargés du paiement de la réserve. Elle se
prête bien aussi aux modulations de durée basées sur
l'âge des réservataires, ce qui peut être utile en regard
des enfants du défunt.
Inversement, son inconvénient résulte du fait que le
conjoint ou l'enfant ne bénéficie pas d'une part qui lui soit
immédiatement transmise en totalité. Dans le cas d'une succession
de peu d'importance, la protection accordée peut s'avérer moins
intéressante, en raison des versements minimes qu'elle implique
alors.
5. L'attribution de biens familiaux: résidence,
meubles meublants, automobile
Une autre hypothèse de solution à la
nécessité d'accorder une protection efficace au conjoint
survivant et aux enfants du défunt consisterait à leur
réserver automatiquement le droit à la propriété
des biens familiaux que sont la résidence familiale, les meubles
meublants et la voiture affectés à l'usage de la famille.
Cette solution permettrait d'assurer une protection respectable des
membres de la proche famille du défunt sur des biens usuels de la
famille.
Cependant, cette protection n'est viable que dans la mesure où de
tels biens existent dan3 le patrimoine du défunt, ce qui n'est pas
toujours le cas. Elle est difficilement applicable aux enfants du
défunt, considérant que le conjoint survivant jouit
déjà d'une droit de préférence sur ces biens
lorsqu'ils font partie de l'actif partageable du régime matrimonial ou
qu'ils lui sont attribués par testament et que le paiement de la
protection compensatoire peut être accordé par l'attribution de
droits sur ces mêmes biens.
Il n'est pas facile par ailleurs de justifier une telle protection en
regard d'enfants nés d'un premier mariage du défunt et pour qui
ces biens ne sont pas toujours à proprement parler des biens
familiaux.
La valeur de ces biens peut enfin être minime et ne
présenter qu'une protection bien aléatoire en raison de leur
état à l'époque du décès.
6.
Les options multiples
Une dernière hypothèse de solution consisterait enfin
à offrir des options multiples au conjoint et aux enfants quant aux
biens susceptibles d'assurer leur protection. Le conjoint ou l'enfant pourrait
alors avoir le choix entre l'une ou l'autre des options suivantes: i) les
bénéfices ou avantages que lui procure le testament. ii) la
pleine propriété de la résidence familiale, des meubles
meublants et de la voiture affectés à l'usage de la famille. iii)
la pleine propriété des biens de la succession d'une valeur
égale à la moitié de la part légale du conjoint ou
de l'enfant. iv) l'usufruit sur les biens de la succession d'une valeur
égale à la
totalité de la part légale du conjoint ou de l'enfant. v)
le plein bénéfice du régime de pension ou de retraite
contracté par le défunt. vi) le plein bénéfice du
produit d'assurances de personne contractées par le défunt sur la
vie.
L'option retenue par le conjoint ou l'enfant lui tiendrait lieu de
réserve. Afin que le choix soit éclairé et puisse
être porté à la connaissance des tiers
intéressés, il devrait être fait par acte notarié en
minute et faire l'objet d'une publication au bureau d'enregistrement. Il
devrait aussi être exercé dans un certain délai depuis
l'ouverture de la succession, afin de fixer rapidement les droits de chacun des
biens de la succession.
Cette hypothèse présente l'avantage d'offrir au conjoint
ou à l'enfant la possibilité de choisir, parmi les diverses
options, celle qui lui paraît être la plus avantageuse dans les
circonstances ou qui est la plus susceptible de rencontrer ses
préférences.
Elle pose cependant des difficultés d'application lorsque
plusieurs héritiers portent leur choix sur les mêmes biens,
à moins d'établir des règles d'attributions
préférentielles. Son principal inconvénient réside
dans ce qu'elle porte atteinte à la liberté de tester sur
pratiquement tous les plans, puisque les options offertes couvrent l'ensemble
des biens du défunt. L'existence d'options rend par ailleurs
impraticable toute tentative de planification successorale.
IV. QUESTIONS SOULEVÉES
Les principales questions qui se soulèvent dans
l'établissement du mécanisme de protection souhaitable portent
sur les points suivants:
1. Les personnes à protéger
Compte tenu des objectifs visés, il ne fait pas de doute que les
premières personnes qui méritent d'être
protégées contre les abus du défunt dans l'exercice de sa
liberté de tester sont les membres de sa famille immédiate: son
conjoint et ses enfants. Par extension, le mécanisme recherché
pourrait aussi viser des personnes qui, sans faire partie de la proche famille
du défunt, étaient à sa charge à l'époque du
décès.
i) Le conjoint survivant
Concernant le conjoint survivant, sa position privilégiée
au sein de la famille du défunt lui confère une place prioritaire
parmi les personnes susceptibles de bénéficier d'une protection
légale. Aussi la nécessité de lui accorder le droit
à cette protection n'est généralement pas remise en
question. Elle se justifie d'ailleurs en raison de la contribution du conjoint
au bien-être de la famille et de l'obligation alimentaire qu'avait le
défunt envers lui.
Certains facteurs, tels la durée plus ou moins longue du mariage
ayant uni le défunt au conjoint ou le fait que des procédures de
divorce aient été entreprises à l'époque du
décès, pourraient théoriquement être pris en
considération dans l'appréciation de l'étendue de la
protection à accorder au conjoint, voire de l'opportunité
même de cette protection. Mais l'application pratique de tels facteurs
serait très difficile puisque plusieurs variables sont alors
susceptibles d'entrer en ligne de compte.
Déterminer l'importance de la participation d'un conjoint au
bien-être "familial" du défunt en termes de durée de cette
participation s'avère pour le moins hasardeux, considérant que
cette durée n'est pas nécessairement un gage de
l'intensité ou de la qualité de cette participation, lesquelles
sont également difficilement évaluables. Par ailleurs, tant que
le divorce n'est pas prononcé, tes époux demeurent toujours
liés et leur réconciliation toujours possible. Doit-on retirer
toute protection au conjoint qui a participé à la vie familiable
du défunt depuis, disons trente ans, au motif que des procédures
en divorce avaient été entreprises? Doit-on tenir compte du fait
que ces
procédures aient été ou non entreprises à la
demande du conjoint survivant?
Les diverses variables susceptibles d'entrer en ligne de compte font en
sorte que ces facteurs ne devraient pas être considérés, du
moins dans une conception objective du mécanisme de protection
recherché (réserve). Ils le pourraient peut-être dans une
conception subjective d'un tel mécanisme (créance alimentaire),
mais encore là, il n'est pas sûr que le tribunal soit vraiment en
mesure de les apprécier à leur juste valeur.
Par ailleurs, les situations de remariage ou de mariage entre personnes
d'un âge plus ou moins avancé posent la question de savoir si une
protection légale ne risque pas de contrer la volonté des
époux désireux d'avantager exclusivement leurs familles
respectives et, conséquemment, de dissuader ces mariages.
À cet égard, il serait possible d'entrevoir une solution
qui permettrait aux époux de renoncer à la protection
légale par contrat de mariage. Toutefois, cette solution présente
le danger qu'une telle renonciation ne devienne une clause de style des
contrats de mariage. Elle irait d'ailleurs à l'encontre de la politique
établie en droit de la famille qui veut que tout pacte sur succession
future ou non ouverte soit interdit. Il demeure cependant que le conjoint
survivant pourra toujours renoncer à cette protection au moment de
l'ouverture de la succession et qu'une telle possibilité est
peut-être celle qui doit être préférée.
ii) Les enfants
La question de savoir si les enfants du défunt doivent pouvoir
bénéficier d'une protection légale suscite plus de
discussion.
À première vue, rien ne semble justifier que les enfants
majeurs du défunt puissent être admis a revendiquer le droit
à une protection légale. Certes, celle-ci est chose courante dans
les systèmes de droit européen, mais elle est alors en accord
avec une certaine conception de la famille et du patrimoine familial.
Cependant, la conception qui semble prévaloir au Québec veut que
les enfants majeurs soient autonomes et n'aient pas de droits stricts aux biens
de leurs parents. À leur égard, on présume que le
défunt a déjà contribué à leur installation
dans la vie et que ces enfants sont normalement à même d'assurer
leur propre autonomie. Parmi les enfants majeurs du défunt, seuls donc
ceux qui seraient dépourvus d'une autonomie suffisante ou à la
charge du défunt à l'époque du décès
mériteraient une protection légale. Le critère d'enfant
"à charge" demeure cependant susceptible de litiges, mais il permet bien
de couvrir les personnes visées.
Par contre, les enfants mineurs du défunt paraissent nettement
mériter une protection légale contre les abus possibles du
défunt, ne serait-ce que parce que le droit a toujours cherché
à les protéger, soit par le biais de la responsabilité des
parents quant à leur entretien, leur éducation ou leur
bien-être, soit encore par le biais des régimes de tutelle.
Des distinctions pourraient être faites suivant que les enfants
sont ou non aussi les enfants du conjoint survivant. Dans l'affirmative, la
nécessité d'assurer leur protection devient moins importante
à première vue, dans la mesure où ils ont toujours une
créance alimentaire contre le conjoint survivant, lequel
bénéficierait par ailleurs de la protection légale.
Cependant, il faut bien admettre que les recours alimentaires d'enfants contre
leurs parents s'avèrent peu réalistes en pratique. Aussi de
telles distinctions ne paraissent-elles pas souhaitables.
Par ailleurs, la possibilité pour le défunt d'exclure
exceptionnellement l'application de la protection légale pour des motifs
sérieux et légitimes, notamment dans le but d'avantager
exclusivement l'un de ses enfants qui est infirme, pourrait être
envisagée. Là encore cependant, le critère des motifs
sérieux et légitimes pourrait être une source de litige.
Notons que la protection légale s'envisageant comme un droit
successoral, la question de savoir si le défunt pourrait exclure des
enfants pour causes d'indignité ou d'inhabilité de plein droit se
résout par l'affirmative puisque la loi prévoit
déjà ces causes d'exclusion, qui sont d'ailleurs applicables
à tout héritier ou
successible.
iii) Les personnes à charge
Si la protection des membres de la proche famille du défunt
paraît nécessaire, celle des personnes qui, sans faire partie de
la famille immédiate du défunt, étaient à sa charge
à l'époque du décès, l'est moins. Aussi, dans la
mesure où une protection leur serait accordée, celle-ci ne
devrait pas dépasser les limites de ce qui serait nécessaire pour
leur permettre de pallier la cessation de soutien alimentaire que provoque le
décès du défunt. Dans tous les cas, cette protection ne
devrait pas nuire à celle, prioritaire, qui serait
conférée aux membres de la famille immédiate du
défunt.
2. L'étendue de la protection
accordée
Bien que l'étendue de la protection légale puisse
dépendre de la nature du mécanisme adopté, suivant qu'il
soit basé sur une conception objective (réserve) ou subjective
(créance alimentaire) - en raison de la notion de "besoins" que cette
dernière implique - certaines constantes demeurent présentes
quelle que soit la conception retenue.
Ainsi, afin de ne pas rendre illusoire la protection recherchée,
celle-ci devrait être établie à partir non seulement de
l'actif réel de la succession, mais aussi des libéralités
qui ont pu avoir été faites par le défunt dans les mois ou
années précédant le décès.
De plus, les avantages retirés de la succession par le
bénéficiaire du mécanisme de protection devraient dans
tous les cas être considérés, qu'il s'agisse des
bénéfices tirés d'un régime de rentes, d'un contrat
d'assurance ou d'une fiducie.
Enfin, il y aurait lieu de fixer une limite en valeur à la
protection accordée, afin de ne pas restreindre indûment la
liberté de tester du défunt. Cette limite serait un maximum dans
une conception subjective de la protection, mais constituerait un minimum dans
une conception objective de la protection recherchée.
Sur ce point, deux avenues sont plausibles. Une première
consisterait à fixer l'étendue en valeur de la protection
légale par référence à une fraction - la
moitié, le tiers, le quart - de la part de la succession à
laquelle le bénéficiaire aurait pu prétendre, s'il avait
hérité conformément aux règles de la
dévolution légale des successions.
Une seconde serait de chiffrer l'étendue de la protection
à une valeur arbitraire de 10 000 $, 30 000 $ ou 60 000 $ selon le
degré de protection désiré. Cette dernière
possibilité présente cependant des inconvénients majeurs.
Elle présuppose en effet que l'on puisse évaluer avec assez de
justesse la valeur de la protection souhaitable par rapport à la valeur
moyenne des successions, ce qui est pratiquement impossible à faire sans
créer des injustices. Dans le cas des successions peu importantes, le
montant fixé risque d'absorber la totalité de la succession et de
rendre illusoire l'exercice de la liberté de tester pour le testateur
moins fortuné. De plus, la fixation d'un montant pose le problème
de son indexation.
3. Le cumul des avantages découlant du
régime matrimonial et de la succession
Le projet de loi déposé a prévu de façon
claire que le droit des successions devrait obéir à une autre
problématique que le droit de la famille. C'est pourquoi il
considérait que les droits successoraux du conjoint survivant devraient
être traités distinctement de ses droits matrimoniaux, car si le
droit successoral vise la dévolution des seuls biens du défunt,
la liquidation du régime matrimonial vient concrétiser les
résultats de la vie commune et de l'association qui existe entre
conjoints. Ainsi, la prestation compensatoire tout comme le partage des
acquêts ou de la communauté visent à rétablir
l'égalité entre les conjoints et à reconnaître leur
participation à l'enrichissement de l'autre. Conséquemment, le
cumul des avantages découlant du régime matrimonial et de la
succession devrait être
ouvert au conjoint survivant.
Cependant, un tel cumul peut, dans certaines circonstances et sous
certains régimes, faire en sorte que le conjoint puisse recueillir
près des trois quarts des actifs partageables du défunt, ce qui
peut être considéré excessif non seulement en regard de la
liberté de tester du défunt, mais aussi quant à l'assiette
de la protection légale accordée aux enfants.
Cette situation pourrait effectivement se produire sous le régime
de la communauté de biens ou de la société d'acquêts
lorsque les acquêts sont plus importants que les propres et constituent
les principaux actifs du défunt, ce qui, est susceptible d'être le
cas pour la majorité des couples mariés sous ces
régimes.
Notons, cependant, que le problème soulevé ne se pose pas
en regard des donations faites par contrat de mariage. Les donations qui
pourraient avoir un effet ici sont celles qui ont pour terme le
décès: or, ces donations sont assimilées à des
dispositions testamentaires et seraient conséquemment
considérées dans la valeur de la protection légale. Il ne
se pose pas non plus sous le régime de la séparation de biens, ni
même à la rigueur sous le régime de la communauté ou
de la société d'acquêts lorsque les époux se sont
mariés sous ces régimes alors que leur fortune personnelle
était déjà en grande partie accumulée - et donc
soustraite de la liquidation du régime - ce qui est possiblement le cas
des seconds mariages ou de mariages contractés à un âge
avancé.
Devant le problème que pose le cumul, trois solutions peuvent
être avancées. Une première consisterait à
écarter la possibilité du cumul et d'imposer un choix au conjoint
survivant, comme en droit actuel. Cette solution est cependant difficilement
acceptable, considérant la distinction très nette qui existe
entre les droits successoraux du conjoint survivant et ses droits
matrimoniaux.
Une deuxième possibilité serait d'attribuer une protection
moindre au conjoint survivant dont le régime matrimonial serait celui de
la communauté ou de la société d'acquêts. Mais cette
solution conduirait à pénaliser, lors de la succession, le
conjoint pour avoir choisi un régime matrimonial plutôt qu'un
autre et opérerait une discrimination non souhaitable entre les divers
régimes offerts.
Une dernière solution, qui minimiserait les inconvénients
des deux premières, serait d'admettre le cumul, mais de limiter ses
effets de façon à ce que la protection légale
accordée au conjoint ne puisse jamais lui permettre de recueillir en
valeur plus de la moitié ou des six dixièmes de la masse
successorale de la masse à partager. Conséquemment, le conjoint
dont les avantages matrimoniaux excéderaient en valeur celle de cette
part de la succession se verrait privé du mécanisme de
protection.
4. L'étalement de la protection
légale
Parmi les questions que soulève l'instauration d'un
mécanisme de protection se trouve celle de savoir s'il serait possible,
pour le testateur, de satisfaire aux exigences de la protection légale
tout en prévoyant le paiement différé ou
échelonné de la valeur des droits que confère cette
protection. Le testateur peut en effet avoir un intérêt certain
à ce que ses enfants, par exemple, ne se voient attribuer que
graduellement les biens qui leur sont dévolus, notamment s'ils sont en
bas âge.
Sauf dans la mesure où le mécanisme de protection accorde
aux bénéficiaires la possibilité de choisir l'attribution
de biens spécifiques de préférence aux avantages que lui
confère la succession, la réponse à cette question doit
être affirmative. Il faut comprendre en effet qu'en dehors de ce type de
mécanisme, la protection légale ne vise qu'à assurer au
bénéficiaire une valeur minimale de la succession du
défunt, indépendamment de la nature des biens qui lui sont
effectivement transmis.
Rien ne s'oppose donc à ce que le testateur puisse satisfaire les
exigences des autres mécanismes de protection au moyen de legs de
toute
espèce, et notamment de legs en usufruit, en revenus d'une
fiducie ou en rentes, par exemple, pourvu seulement que la valeur
capitalisée de ces avantages soit au moins équivalente à
celle que le mécanisme de protection reconnaîtrait au conjoint ou
à l'enfant.
Conséquemment et sauf dans le cas d'un mécanisme à
options multiples, il sera toujours possible pour un testateur de se conformer
aux exigences de la protection légale tout en conservant le droit de
prévoir le versement différé ou étalé des
avantages qu'il désire conférer à ses héritiers
pour leur tenir lieu de protection. À cette fin, il pourra
procéder soit à la création d'une fiducie, soit encore par
le biais d'instructions données au liquidateur de la succession.
Cependant, compte tenu que la réserve héréditaire veut
aussi partiellement répondre à des préoccupation de nature
alimentaire, il ne faudrait pas que le versement soit différé de
manière à faire échec aux objectifs poursuivis.
5. Les incidences fiscales de l'introduction d'un
mécanisme de protection
De tous les mécanismes de protection envisagés, seul celui
de la créance alimentaire présente des incidences fiscales
nouvelles ou susceptibles de l'être. Dans les autres cas, l'attribution
des biens en paiement de la protection légale n'emporterait aucune
incidence fiscale nouvelle par rapport au régime d'imposition actuel que
prévoit la Loi sur les impôts, loi qui demeure incidemment la
seule applicable, compte tenu de l'abolition récente de la Loi sur les
droits successoraux. En effet, le droit fiscal ne distingue pas suivant que les
biens dévolus a un conjoint ou à un enfant le sont en vertu des
dispositions testamentaires du défunt ou par suite de l'application des
règles de la dévolution légale des successions,
règles tout de même fixées par la loi.
Quant au mécanisme de la créance alimentaire
exercée après le décès, son introduction pose en
droit fiscal la question de savoir si un paiement effectué par la
succession à titre de pension alimentaire sera déductible par la
succession et imposable dans les mains du créancier alimentaire ou si un
tel paiement ne devrait pas plutôt n'emporter aucune conséquence
fiscale.
Or, cette question demeure sans réponse certaine en droit actuel
puisque, l'obligation alimentaire d'une personne s'éteignant avec son
décès, la Loi sur les impôts n'est réellement
conçue que pour couvrir le cas des pensions alimentaires versées
principalement du vivant du débiteur. Aussi, cette question devra-t-elle
faire l'objet d'une évaluation globale par les autorités
fiscales, pour le cas où le mécanisme de protection adopté
serait celui de la créance alimentaire contre la succession.
V. DROIT COMPARÉ
Si l'on examine les législations étrangères, il est
clair que le Québec demeure l'un des rares endroits où,
actuellement, prévaut la liberté illimitée de tester. En
fait, sur au-delà de vingt juridictions examinées, seul un
État, la Californie, a préservé cette liberté
absolue. Et encore, il y est expressément prévu que, sauf
disposition explicite ou contraire du défunt, un testament qui
n'avantage pas tous les enfants et le conjoint survivant peut être
révoqué partiellement.
Les pays de droit anglais choisissent habituellement la créance
alimentaire comme mode de protection, alors que les juridictions de tradition
civiliste optent généralement pour la réserve. L'usufruit
du conjoint survivant est aussi utilisé à l'occasion. Le plus
souvent toutefois, il est accompagné d'une réserve en pleine
propriété en faveur des enfants. D'ailleurs, plusieurs
législations comptent différents régimes de protection et
ne se limitent pas à une seule forme de mesures.
Il ressort également de la législation
étrangère que, dans la très grande majorité des
cas, les enfants du défunt sont les premiers protégés. De
plus,
rares sont les juridictions qui établissent une distinction entre
les enfants majeurs ou mineurs ou ceux qui au moment du décès
étaient à la charge du défunt. Subséquemment, vient
le conjoint. Il faut par contre noter que certains pays vont l'exclure des
mesures de protection, quand ce n'est pas de la succession légale, soit
que l'on considère comme suffisantes les règles de dissolution du
régime matrimonial légal, soit que l'on attache une importance
particulière au patrimoine familial et que, le conjoint étant un
héritier par alliance, l'on préfère attribuer des droits
de propriété aux descendants, quitte à accorder à
l'époux un usufruit viager ou temporaire sur les biens du défunt.
Certaines juridictions vont également protéger les ascendants,
alors que d'autres accordent même à tout dépendant du
défunt un droit de regard sur sa succession. Bien sûr, dans la
majorité des cas, un mécanisme de révision des
transactions effectuées quelque temps avant le décès est
établi, afin d'éviter les fraudes à la loi.
1.
La créance alimentaire
C'est le choix, entre autres, des provinces anglaises canadiennes. Elle
est accordée aux enfants du défunt, à son conjoint et,
souvent, au conjoint de fait ou même à tout dépendant.
On laisse généralement au tribunal une assez grande
latitude. À titre indicatif souvent, on lui soumet certains
critères à prendre en considération, tels les donations,
le régime matrimonial, l'état des relations familiales, etc.. Il
jouit également d'une bonne discrétion pour établir le
besoin réel et peut ordinairement combler celui-ci par l'attribution de
la propriété de certains biens, par le paiement d'une pension ou
le versement d'une somme globale. 2. La réserve
II est difficile de résumer le droit comparé quant aux
législations ayant choisi la réserve comme mode de protection. Il
s'agit d'une quote-part fixe de la succession qui varie d'un pays à
l'autre en fonction des différents régimes matrimoniaux, des
mentalités et du choix effectué de limiter un peu ou beaucoup la
liberté de tester.
Elle est parfois égale à la moitié de la succession
pour un enfant, des deux tiers ou des trois quarts suivant que le défunt
laisse deux ou trois enfants et plus. C'est le cas entre autres de la France et
de la Belgique.
D'autres pays par contre la réduisent a la moitié de la
part à laquelle auraient eu droit les héritiers
réservataires dans une succession légale. C'est le choix de
l'Allemagne, de l'Autriche et du Luxembourg. Dans ce dernier cas cependant, le
conjoint n'est pas un héritier réservataire et il doit se
contenter d'un usufruit minime.
Ce ne sont là cependant que quelques exemples. Outre ceux-ci, il
existe une foule de combinaisons diverses. Certains pays établissent des
quote-parts moins élevées mais permettent le cumul des avantages
matrimoniaux. Ainsi, le Danemark n'octroie à l'épouse que le
sixième de la succession à titre de réserve, mais lui
permet de conserver ses avantages matrimoniaux.
Il faut noter cependant que plusieurs pays ne permettent pas le cumul
des donations, des dispositions testamentaires et de la réserve. En
outre, celle-ci se paie généralement en argent ou alors, par
l'attribution de certains biens privilégiés comme la maison, les
meubles du ménage, etc.
Il est permis à l'occasion au testateur d'affecter
spécifiquement un bien au paiement de la réserve, mais,
règle générale, ce bien doit être libre de toute
dette. Il est parfois possible d'effectuer une donation de son vivant et de
l'imputer expressément sur la réserve.
Il est généralement interdit de renoncer à l'avance
à une réserve. Le défunt conserve toutefois souvent le
droit de déshériter complètement un héritier
réservataire, mais seulement pour des motifs graves. Enfin, l'usufruit
qui est à l'occasion accordé à certains héritiers
est, dans la majorité des cas, convertible en rente, quelquefois
à l'initiative de ceux-ci, parfois au gré
des légataires.
3. Le plafond
Aucune législation n'enraie complètement la liberté
de tester. Il arrive parfois que les créances alimentaires aient ce
résultat, mais ce n'est qu'exceptionnellement et qu'en présence
d'énormes besoins ou de sérieuses discriminations de la part du
testateur.
Certaines législations ont prévu certains plafonds. Ainsi,
l'Écosse, qui a un régime de protection particulier, accorde au
conjoint, en priorité sur tous les autres héritiers, la
propriété de la résidence familiale et des meubles
meublants jusqu'à concurrence de montants respectifs de 30 000 et 8000
livres. Cette protection peut toutefois être écartée par
testament. L'État de New York accorde au conjoint le tiers de l'actif
net de la succession en présence de descendants, mais ce tiers ne doit
jamais dépasser la somme de 10 000 $.
La majorité des législations étrangères
n'établissent cependant pas de plafonds fixes et préfèrent
stipuler des quote-parts réservataires ou laisser toute
discrétion au tribunal pour établir le montant des
créances alimentaires accordées.
VI. ORIENTATIONS PRIVILÉGIÉES
Les orientations privilégiées par les divers organismes ou
associations consultés de même que par la sous-commission des
institutions chargée de procéder à l'étude
détaillée du projet de loi 20 ont été les
suivantes:
1. Les organismes consultés
Lors de la commission parlementaire qui a suivi le dépôt du
projet de loi 107, lequel proposait le maintien de la liberté absolue de
tester, les organismes présents ont été invités par
le ministre de la Justice à donner leur opinion sur l'opportunité
de prévoir un mécanisme de protection contre l'exercice abusif de
cette liberté, de même que les grandes orientations qui pourraient
être retenues dans l'élaboration d'un tel mécanisme de
protection.
En réponse à l'invitation qui leur avait été
faite, les organismes se sont montrés globalement favorables à
l'introduction d'un mécanisme de protection de la famille
immédiate du défunt. Les orientations privilégiées
par chacun des organismes dans l'établissement d'un mécanisme ont
été les suivantes:
Le Conseil du statut de la femme s'est prononcé en faveur d'une
réserve d'ordre public et en pleine propriété par le
conjoint survivant, jusqu'à concurrence de la moitié de la
succession. Il recommandait que cette réserve s'applique
indépendamment des avantages que procure au conjoint son régime
matrimonial.
L'Association des femmes collaboratrices était aussi en faveur de
l'établissement d'une réserve pour le conjoint survivant. Le
Réseau d'action et d'information pour les femmes réclamait une
part réservataire pour le conjoint survivant et voulait, réserve
ou pas, que la maison familiale et les meubles meublants soient toujours
dévolus au conjoint survivant.
L'Association québécoise de planification fiscale et
successorale ne favorisait pas, pour sa part, l'établissement d'une
réserve mais préférait le recours alimentaire. Le Barreau
du Québec était également défavorable à
l'instauration d'une réserve et prônait plutôt un recours
alimentaire pour le conjoint et les enfants. La Chambre des notaires, à
l'époque, ne favorisait pas la réserve, mais un recours
alimentaire en précisant toutefois que si le législateur retenait
éventuellement la réserve, celle-ci devrait être
limitée au quart de la succession.
Devant la sous-commission des institutions chargée cette fois
d'étudier le projet de loi 20, le Barreau du Québec et la Chambre
des notaires ont eu l'occasion de se prononcer à nouveau sur ces
questions. Le Barreau du Québec a alors maintenu la position qu'il avait
déjà exprimée et s'est dit
satisfait de la proposition contenue au projet de loi d'établir
un mécanisme de créance alimentaire contre la succession.
La Chambre des notaires est, pour sa part, revenue sur sa position
antérieure et s'est nettement prononcée cette fois en faveur de
la liberté absolue de tester. Si toutefois cette position devait ne pas
être retenue, la Chambre des notaires favoriserait alors la
réserve plutôt que la créance alimentaire. Cette
réserve, qui serait en pleine propriété, devrait
être limitée au seul conjoint survivant et être égale
à la moitié de sa part légale de la succession. La Chambre
des notaires recommandait également que la réserve ne puisse
être inférieure à 60 000 $ et que les avantages
découlant du régime matrimonial soient pris en
considération dans le calcul de cette réserve.
2. La sous-commission des institutions
Sur l'opportunité de prévoir un mécanisme de
protection de la proche famille du défunt contre l'exercice abusif de sa
liberté de tester, les membres de la sous-commission des institutions se
sont unanimement prononcés en faveur de l'introduction d'un tel
mécanisme.
Sur le genre de protection souhaitable, la sous-commission favorise par
ailleurs nettement l'adoption d'une réserve héréditaire
plutôt qu'un mécanisme de créance alimentaire. Elle estime
en effet que la créance alimentaire présente
l'inconvénient de judiciariser le règlement des successions et de
le retarder pour des périodes importantes, en outre de susciter
d'importants conflits familiaux et d'être fort onéreuse pour la
succession et les personnes en cause.
La sous-commission recommande donc plutôt l'adoption d'un
mécanisme de protection simple et facilement applicable qui permette au
testateur de connaître précisément les limites à sa
liberté de tester et un règlement rapide de la succession sans
recours aux tribunaux.
Concernant les personnes à protéger et l'étendue de
la protection, un consensus semble s'établir en faveur d'une
réserve pour le conjoint survivant et les enfants du défunt, en
pleine propriété et fixée par référence a
une fraction de la part successorale à laquelle ils auraient pu
prétendre suivant les règles de la dévolution
légale des successions.
Quant aux autres modalités de la protection recherchée,
elles n'ont fait l'objet d'aucun consensus lors des travaux de la commission et
les questions soulevées au présent document demeurent
également à décider.