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Version finale

32e législature, 5e session
(16 octobre 1984 au 10 octobre 1985)

Le mercredi 16 octobre 1985 - Vol. 28 N° 23

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation particulière sur les amendements proposés au projet de loi 20 - Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens


Journal des débats

 

(Dix heures treize minutes)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît! La sous-commission des institutions se réunit avec le mandat de procéder à des consultations particulières sur les amendements proposés aux articles 703 à 716 de l'article 2 du projet de loi 20, Loi portant réforme au Code civil du droit des personnes, des successions et des biens. Nous entendrons ce matin le Barreau du Québec et l'Association québécoise de planification fiscale et successorale. Oui, M. le député de D'Arcy McGee, vous avez...

M. Marx: Oui, M. le Président, j'ai deux remarques à faire: Premièrement, est-ce que le nouveau ministre de la Justice a été avisé qu'il pourra faire partie de cette sous-commission s'il le veut? Ce ne sera pas nécessaire pour lui de recevoir des gens dans une autre salle. Mais nous sommes très heureux avec son adjointe parlementaire, la députée de Maisonneuve, qui connaît bien le dossier, qui l'a bien piloté. Cependant le ministre peut toujours assister et poser des questions le cas échéant.

Mme Harel: Le ministre est actuellement retenu en séance du Conseil des ministres, mais il sait que sur ce projet de loi il peut fort bien siéger avec nous à cette sous-commission.

M. Marx: Est-ce qu'on va avoir un autre ministre après cette séance du Conseil des ministres?

Mme Harel: Cela, M. le député de D'Arcy McGee, il faudrait poser la question à quelqu'un d'autre qu'à moi.

M. Leduc (Saint-Laurent): Elle est porte-parole, mais pas là-dedans.

Le Président (M. Gagnon): Voilà. Oui...

M. Marx: Un deuxième point, M. le Président. J'aimerais demander le consentement des députés pour que M. Ryan siège aujourd'hui en tant que membre de cette sous-commission.

Le Président (M. Gagnon): C'est ce que j'allais faire, demander à la sous-commission si elle est d'accord pour que le député d'Argenteuil ait le droit de parole sans droit de vote. Il n'est pas membre, mais il peut siéger avec un droit de parole. Êtes-vous d'accord, madame...

Mme Harel: Oui, tout à fait.

Le Président (M. Gagnon): Est-ce qu'il y avait d'autres remarques, M. le député de D'Arcy McGee?

M. Marx: Non, merci.

Le Président (M. Gagnon): Cela val M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements ce matin.

Le secrétaire: II y a un remplacement, M. Bédard (Chicoutimi) est remplacé par Mme Harel (Maisonneuve).

Le Président (M. Gagnon): Je souhaite la bienvenue au Barreau du Québec. Nous entendrons Me Vadboncoeur, Me Trudel, Me André Prévost et Me Luc Plamondon, est-ce cela?

M. Trudel, vous êtes un habitué de la commission parlementaire. Nous accordons une enveloppe de 55 minutes, soit environ 20 minutes pour faire lecture de votre mémoire et 35 minutes d'échange avec les membres de la commission. Je vous souhaite la bienvenue et je vous laisse le micro.

Barreau du Québec

M. Trudel (Clément): M. le Président, madame et messieurs les députés, mesdames et messieurs. Le Barreau du Québec est encore une fois heureux de répondre à l'invitation de la sous-commission des institutions et de présenter ses commentaires sur une portion très importante de ce que sera notre nouveau droit des successions après l'adoption du projet de loi 20.

Le Barreau tient à vous remercier de lui fournir l'occasion d'exprimer ses vues sur la possibilité d'introduire dans notre droit civil une notion qui nous est encore étrangère, la réserve héréditaire.

Notre corporation professionnelle a eu, dans le passé, l'occasion de transmettre au ministère de la Justice son opinion sur le sujet. C'est pourquoi nous voudrions aujourd'hui nous limiter à soulever, pour le bénéfice des membres de cette commission et de la population en général, les dangers et les difficultés pratiques que pourrait

engendrer au Québec l'application de la réserve héréditaire.

Un des rôles du Barreau, comme vous le savez, consiste à mettre à la disposition des élus et du public son expertise comme institution et les connaissances de ses membres principalement en matière de législation. Notre démarche aujourd'hui se veut très positive, très objective, ne recherche en rien la protection des champs de pratique des avocats et ne constitue pas non plus de la prospection pour en découvrir de nouveaux.

La liberté de tester constitue un principe cher aux Québécois et aux Québécoises. Dans la grande majorité des cas, ils en ont usé avec respect et discernement. Malheureusement, il nous faut déplorer certaines lacunes qui, même si à notre avis elles sont peu nombreuses, font en sorte que l'on s'interroge aujourd'hui sur l'opportunité de maintenir ce droit ancestral comme l'un des principes de base régissant notre société. Si certains ont été et sont encore victimes de la liberté de tester - on réfère ici plus particulièrement à certains conjoints survivants - l'on ne peut cependant se soustraire à l'obligation de replacer ce problème dans la perspective plus globale de l'égalité des conjoints. La réserve héréditaire constitue-t-elle le seul moyen d'atteindre cette égalité? À notre avis, il ne s'agit pas uniquement d'un problème de droit successoral. Tout l'équilibre des régimes matrimoniaux et du partage des biens relié à chacun d'eux est également en cause. La réserve, tout en voulant corriger certaines situations que l'on considère par ailleurs réelles, risquerait de par son application générale et obligatoire de susciter des problèmes d'une toute autre nature et d'engendrer d'autres types d'injustice dans la grande majorité des familles québécoises à qui la situation actuelle ne cause aucun préjudice.

Le mémoire du Barreau met en lumière non seulement les problèmes d'application reliés à la réserve héréditaire mais il relève aussi les nombreux litiges qu'elle pourrait susciter et qui devraient vraisemblablement être tranchés par les tribunaux.

Le Barreau du Québec veut donc, par sa présentation d'aujourd'hui, mettre le législateur en garde contre l'adoption prématurée, peut-être même improvisée, d'un mécanisme visant à restreindre la liberté de tester. L'introduction dans notre droit civil de ce type d'institution ne doit pas servir de palliatif à l'insuffisance du système de partage équitable des biens entre époux. L'on doit en examiner sérieusement toutes les conséquences et en analyser toutes les incidences, notamment sur le droit existant, sur l'institution du mariage et sur les règles de la dévolution successorale avant d'arriver à cette solution ultime.

M. le Président, je voudrais maintenant vous présenter quelques représentants de ceux et celles qui ont travaillé à l'élaboration du mémoire du Barreau. À ma gauche, Me André Prévost qui est président de la commission permanente du Barreau du Québec sur la révision du Code civil et est associé à l'étude Clarkson, Tétrault de Montréal. À l'extrême droite, Me Luc Plamondon qui est membre de la sous-commission du Barreau du Québec sur le droit des successions et directeur du contentieux pour la province de Québec de la compagnie Sun Life du Canada. À ma droite, Me Suzanne Vadboncoeur qui est avocate au service de recherche et de législation du Barreau du Québec et secrétaire de la commission permanente et des sous-commissions du Barreau sur la révision du Code civil, qui nous livrera le contenu du mémoire. Mme Vadboncoeur.

Mme Vadboncoeur (Suzanne): Merci, Monsieur le bâtonnier. Madame, messieurs les députés, mesdames, messieurs, comme c'est l'habitude dans les mémoires du Barreau, je vous livrerai le contenu du mémoire qui a été préparé et qui se divise en deux parties, soit une première partie qui soulève des considérations de fond et une deuxième partie qui se veut une analyse article par article du projet d'amendement qui nous a été soumis par le ministère.

Nous sommes heureux de constater, comme Barreau et comme corporation professionnelle, le souci du gouvernement de procéder à des consultations encore plus poussées sur cette fameuse notion de réserve héréditaire qui, peut-être, sera introduite dans notre droit civil. Il nous paraît peut-être opportun de souligner les diverses étapes qui ont mené à cette réforme qui nous est proposée aujourd'hui. Lors d'une première consultation, en 1982, le Barreau s'était prononcé sur des questions d'orientation où l'on soulevait l'opportunité d'instituer la réserve héréditaire. Le Barreau à ce moment-là s'était prononcé contre et avait plutôt opté pour la créance alimentaire, dans l'hypothèse évidemment où on devait limiter la liberté de tester. Le projet de loi 107 qui a été préparé, par la suite, et déposé en décembre 1982 ne retenait aucune restriction à la liberté de tester. Donc, le Barreau s'était déclaré favorable à cette position.

Par la suite, le projet de loi 20 qui a remplacé le projet de Ici no 107, lui, introduisait une restriction à cette liberté de tester, mais c'était la créance alimentaire et, comme vous le savez, le Barreau du Québec, toujours dans l'hypothèse où il fallait adopter une restriction à la liberté de tester, s'était déclaré favorable, au printemps dernier, aux dispositions qui prévoyaient la créance alimentaire.

Aujourd'hui, on constate que les

nouveaux amendements suggérés, soit les articles 703 à 716, prévoient l'introduction non plus d'un, mais de deux mécanismes qui visent à restreindre la liberté de tester, soit la réserve héréditaire, d'une part, et la créance alimentaire, d'autre part.

Nous nous limitons aujourd'hui à souligner certains dangers reliés à l'application de la réserve héréditaire, notre position sur la créance alimentaire étant déjà connue.

Le premier point des considérations générales concerne l'inadéquation entre le but recherché et la solution proposée. Nous avons analysé le document qui nous a été soumis par le ministère de la Justice et qui donnait les inconvénients et les avantages des diverses solutions, soit la créance alimentaire, la réserve, le partage des biens familiaux, etc.

On s'est rendu compte que le document explicatif avait un souci de protection alimentaire, à l'égard de la famille immédiate du défunt, sauf que la solution qui a été retenue - la réserve héréditaire -répond davantage à une notion de protection du patrimoine familial qui n'existe à peu près pas ici, d'autant plus que cette réserve héréditaire et cette notion de protection du patrimoine familial s'appliquent sans égard aucun aux besoins alimentaires de la famille du défunt.

Nous allons, d'ailleurs, expliquer et donner quelques exemples pouvant démontrer que la réserve héréditaire, la façon dont elle est proposée dans la législation suggérée, s'applique sans considération aucune pour les besoins alimentaires de la famille immédiate.

On prend par exemple une personne qui laisse deux enfants majeurs: l'un est sur le marché du travail, gagnant un salaire tout ce qu'il y a de plus raisonnable et même peu élevé, alors que l'autre est à l'université, donc encore à charge. On constate que le second, celui qui est étudiant et dont on peut s'attendre qu'il gagne un revenu plusieurs fois supérieur à l'autre dans un temps assez rapproché, a droit à la réserve héréditaire, alors que celui qui est déjà sur le marché du travail et qui gagne un petit salaire n'aura pas droit à sa part réservataire. Pourtant, même s'il n'est pas à charge, celui qui est sur le marché du travail, il n'en reste pas moins que ses besoins alimentaires sont là, mais on n'en tient pas compte.

Un deuxième exemple. Le de cujus laisse trois enfants dont deux sont à l'université et l'un est infirme. Les trois auront droit à leur part réservataire, alors qu'il serait légitime pour le testateur de vouloir laisser la totalité de ses biens, ou à peu près, à l'enfant qui est infirme. Encore là, on ne se soucie guère des besoins alimentaires; c'est plutôt la notion de conservation et de transmission du patrimoine familial qui est en jeu.

La même inadéquation entre le but recherché, qui est la protection alimentaire, et la solution proposée: un autre exemple nous vient à l'esprit, quand on considère soit qu'un enfant ou que le conjoint survivant dispose déjà d'une fortune personnelle qui peut venir de différentes sources. Encore là, le conjoint survivant aurait droit à une portion minimale, ainsi que l'enfant déjà indépendant de fortune, même si, justement, ses besoins alimentaires sont absolument inexistants.

La limite arbitraire de la majorité nous pose des interrogations également. On a un enfant de 17 ans et l'autre de 18 ans. Normalement, leurs besoins sont à peu près les mêmes. Or, un aura droit à sa part réservataire, légalement, et l'autre n'y aura pas droit à moins qu'il puisse prouver devant le tribunal qu'il est, effectivement, à charge. Donc, on se dit finalement que c'est une limite, la limite de la majorité, qui est tout à fait arbitraire et, encore une fois, qui ne tient pas compte des besoins alimentaires qui représentent quand même le souci majeur recherché par le ministère de la Justice dans son document.

Donc, la réserve successorale légale ne répond absolument pas aux besoins alimentaires des membres survivants de la famille. Il y a donc une méprise au niveau des objectifs poursuivis et le Barreau du Québec aimerait bien être fixé justement sur l'objectif que le gouvernement poursuit. S'il veut assurer la conservation et la transmission du patrimoine du défunt, à ce moment-là la réserve est un moyen approprié; même si elle ne correspond pas tout à fait à la société nord-américaine, c'est un mécanisme approprié. Mais, à ce moment-là, il faudrait que la réserve ne s'applique qu'aux enfants. D'ailleurs, en France, la réserve héréditaire ne s'applique pas au conjoint survivant. Le conjoint survivant a une créance alimentaire. Si, par ailleurs, l'objectif est purement alimentaire, comme cela semble être le cas, d'après le document du ministère, la réserve n'est pas le bon véhicule. Il faut recourir, à ce moment-là, à un recours alimentaire, rester dans le domaine alimentaire, et adopter la créance alimentaire qui est d'ailleurs déjà prévue dans les amendements suggérés. Ne serait-il pas approprié, à ce moment-là, d'étendre ce recours alimentaire déjà prévu à tous ceux que le législateur voudrait protéger? (10 h 30)

La deuxième considération générale touche le but recherché, que nous répétons être un but alimentaire d'après le document que nous avons étudié, c'est donc de protéger la famille immédiate du défunt en lui assurant une part minimale de la succession du défunt. Cette préoccupation alimentaire cherche donc à maintenir un

sain équilibre matériel entre les différents membres de la famille et nous sommes d'accord avec ce but visé. Cependant, est-ce que la réserve héréditaire constitue le moyen idéal pour y arriver? En droit actuel, les enfants à charge bénéficient de l'obligation alimentaire que les parents assument à leur égard. Leur protection alimentaire n'est pas mise en péril. La réserve n'est pas nécessaire pour leur assurer une protection alimentaire. C'est peut-être le conjoint survivant qui a vécu un peu plus de difficultés à ce niveau. Est-ce que le problème ne se trouve pas plutôt au niveau de l'égalité des conjoints? Par exemple, dans le cas de deux ou trois mariages consécutifs, la réserve héréditaire peut peut-être régler, jusqu'à un certain point, la situation du dernier conjoint survivant, mais elle ne touche pas les deux premiers mariages. Cela ne règle absolument pas le problème. Je pense que le noeud du problème est vraiment l'égalité du conjoint qu'on doit tendre à assurer du vivant du couple et non pas nécessairement au décès de l'un des deux conjoints. D'ailleurs, cette égalité du couple est tout à fait conforme à l'esprit de la récente réforme du droit de la famille.

On devrait encourager, justement, cette égalité des conjoints par diverses mesures. L'une des mesures serait sans doute d'encourager par une publicité adéquate les futurs époux à adopter le régime de la société d'acquêts. Les statistiques nous démontrent que les gens favorisent, encore aujourd'hui, le régime matrimonial de la séparation de biens alors qu'il faudrait peut-être souligner aux futurs époux les avantages de la société d'acquêts. Un deuxième moyen serait, évidemment, d'assurer un meilleur partage des biens entre époux. Il pourrait y avoir aussi des mécanismes tendant à revaloriser le travail de la femme au foyer. Tout le système des régimes matrimoniaux est lié. La solution serait peut-être de revoir tout le système des régimes matrimoniaux avec le système de partage des biens qui est relié à chacun d'eux. Un autre mécanisme qui pourrait être suggéré serait d'assurer aux conjoints, au moment de la rupture du mariage - donc, encore une fois, pas nécessairement au moment du décès - une part relative dans les bénéfices d'un régime d'épargne ou de rente auquel a participé son conjoint.

Si diverses réformes sont apportées pour assurer l'égalité des conjoints de leur vivant, tant pendant la vie commune qu'au moment de la rupture du mariage, des mesures comme la réserve héréditaire ne seront plus nécessaires. C'est important de voir que la réserve héréditaire ne doit pas servir de palliatif à l'insuffisance du système de partage de biens parce que c'est là qu'est le problème; il n'est pas ailleurs.

Le troisième point concerne un des arguments avancés par le document du ministère contre la créance alimentaire. Le ministère craint en effet que la créance alimentaire judiciarise le règlement des situations, mais est-ce qu'on a vraiment pensé à tous les litiges qu'entraînerait l'application de la réserve héréditaire? La créance alimentaire susciterait sans doute quelques litiges, c'est clair, mais je pense -et nous le pensons tous - que le nombre de litiges entraînés par la réserve serait encore plus élevé. J'en énumère quelques-uns aux pages Il et suivantes du mémoire. L'interprétation de l'expression "à charge"; quand est-ce qu'on pourra définir une personne à charge par rapport à une autre? Tout majeur devra justement, à moins qu'il y ait consentement - mais en matière de succession, il est bien rare qu'on trouve des consentements - s'adresser au tribunal pour faire déterminer s'il est à charge ou pas. Le calcul des libéralités réductibles et la masse successorale fictive que l'on retrouve dans le document dans les amendements suggérés va aussi attirer des litiges. La capitalisation des avantages de la succession payables à une date future va aussi amener des litiges devant les tribunaux.

L'appréciation du caractère exagéré des libéralités selon l'article 714 va aussi en amener. Les actions en partage vu la situation d'indivision créée par la réserve, vous pouvez tout de suite imaginer, quand il va y avoir des enfants mineurs, les fonds de terre, par exemple, qui seront détenus en copropriété indivise, comment va-t-on administrer ces biens? Il va y avoir là-dedans le Conseil de tutelle qui devra donner son autorisation. Il y aura le tribunal qui, obligatoirement, devra donner son autorisation également en vertu de l'article 230 du projet de loi 20, qui devra donner, donc, son consentement à toutes les formes d'aliénation de ce bien immobilier. Il va y avoir aussi des actions en partage qui seront demandées. Ce n'est pas certain que les gens voudront rester dans une situation d'indivision pendant des années. Donc, les mésententes relatives à l'administration du bien indivis.

On peut également s'imaginer, quand le conjoint survivant ne sera pas le parent des enfants, qu'il risque d'y avoir des conflits d'intérêts. Donc, il va y avoir un tuteur aux biens de nommé et un tuteur aux bien3 doit être nommé par le tribunal. C'est un autre recours devant le tribunal et ensuite, tous les litiges découlant de l'administration de ce bien, cela va, encore une fois, susciter des litiges devant le tribunal. Et enfin, les recours devant la Commission de protection du territoire agricole. Vous savez comme moi que le morcellement des héritages est interdit. Encore une fois, dans ces biens, ces fonds de terre qui seront détenus en copropriété indivise, on devra recourir à la Commission de protection du territoire

agricole pour en demander le morcellement. On peut donc constater que tous les litiges -en fait, je parle des principaux - que pourra susciter l'application de la réserve, je ne pense pas que cela soit une économie de procès, loin de là, comparativement à la créance, en tout cas.

L'application pratique de la réserve héréditaire. On mentionne, aux pages 13 et suivantes du mémoire, quelques problèmes pratiques. Le premier qui y est mentionné est celui du conjoint séparé de corps ou de fait. Le conjoint séparé de corps, depuis quinze ou vingt ans, aura droit à sa part réservataire; ce qui nous semble un peu une anomalie à tout le moins. Celui qui a eu un jugement de séparation de corps et qui ne veut pas divorcer pour une raison ou pour une autre n'a pas à recevoir sa part réservataire, je pense. D'autant plus que, s'il était marié sous un régime communautaire, le partage des biens aurait déjà eu lieu.

Considérons le financement des petites et moyennes entreprises, qu'elles soient des entreprises agricoles ou des entreprises commerciales. Ces entreprises qui seront détenues en copropriété indivise, comment allons-nous en assurer le financement? Justement, peut-être, à cause des difficultés de financement, que l'on devra en venir à vendre ces entreprises. Est-ce vraiment le but du législateur?

Au sujet du morcellement des héritages et des chaînes de titres absolument infinis après quelques générations, vous pouvez vous imaginer que si cela est détenu en part indivise selon une certaine fraction et que chacun des enfants une fois adulte, s'il n'y a pas d'action en partage de son vivant, une fois adulte, donc, sa part à lui sera divisée en portion indivise à ses descendants et à son conjoint, et ainsi de suite pendant plusieurs générations. On peut s'imaginer tout de suite la chaîne de titres absolument époustouflante. Il n'y aura absolument pas moyen de se retrouver dans aucun bureau d'enregistrement.

Je parlais tout à l'heure des difficultés d'administration. C'est un problème pratique que l'on va vivre. Par exemple, s'il y avait un immeuble à logements qui serait détenu en copropriété par le conjoint survivant et par les enfants à charge ou les enfants mineurs, qui décidera alors d'apporter des améliorations ou des réparations à cet immeuble? Est-ce que ce sera le conjoint survivant comme tuteur légal? Est-ce qu'il faudra faire nommer un tuteur aux biens aux enfants mineurs pour éviter tout conflit d'intérêts? Comment fera-t-on pour faire renoncer un mineur à sa part réservataire? Encore là, il va falloir faire nommer un tuteur ad hoc. Cela va vraiment poser des difficultés pratiques.

En droit international privé, qu'est-ce qu'il arrivera au sujet des immeubles situés au Québec mais appartenant à des personnes non domiciliées au Québec? On n'a pas encore la réponse. La fameuse clause testamentaire, qui est largement utilisée au Québec, soit celle qui dit "au dernier vivant les biens", n'y pensez plus non plus. Cela ne pourra plus se faire. Les enfants auront droit à une part minimale de la succession. On voit cette clause dans la majorité des testaments faits dans les familles québécoises; le conjoint survivant reçoit tout et, à même ces fonds, il se charge de l'entretien et de l'éducation de ses enfants. Cela ne sera plus possible, cela non plus. Encore là, c'est une clause qui est répandue parce que l'on considère que le conjoint survivant est mieux placé, par rapport à un tuteur qui serait un étranger, par exemple, pour assurer l'éducation et l'entretien de ses enfants.

Ce genre de clause, dans les petites successions, peut faire la différence. Si le conjoint survivant reçoit 40 000 $, par exemple - il y en a beaucoup de petites successions de ce montant; encore une fois, c'est la majorité au Québec - et si on lui enlève le quart de la succession, cela peut faire toute une différence pour lui. Cela peut le mettre dans un état de quasi-pauvreté et ce même quart, par ailleurs, divisé entre les enfants à charge ou mineurs, sera complètement dérisoire.

Enfin, comme huitième problème pratique, cela peut être un facteur de dissuasion au mariage. Lors de la récente réforme du droit de la famille, les communiqués de presse insistaient sur l'importance de la cellule familiale. Cela risque de décourager les mariages, particulièrement les seconds mariages ou les mariages de personnes d'un certain âge. Si les gens, de part et d'autre, ont déjà élevé leur famille ou ont acquis une certaine autonomie financière, ils voudront dans la plupart des cas - cela se voit a l'heure actuelle - avantager la famille immédiate plutôt que d'avantager le conjoint. Encore une fois, cela sera interdit avec la réserve héréditaire. Ces couples opteront beaucoup plus pour l'union de fait, qui n'est pas réglementée, comme vous le savez, que pour le mariage.

Cela va évidemment aussi engendrer une augmentation effarente du nombre de divorces. Vous savez comme moi que bien des couples peuvent se séparer de fait ou judiciairement sans nécessairement aller jusqu'au divorce. Bien sûr, les gens iront maintenant jusqu'au divorce afin de pouvoir contourner cette contrainte légale qu'est la réserve. Plusieurs personnes ayant des fortunes assez considérables seront peut-être également tentées d'aller s'établir à l'extérieur du Québec plutôt que de se soumettre à ces contraintes, encore une fois, de la réserve héréditaire.

(10 h 45)

Enfin, le projet ne fait aucune distinction basée sur les régimes matrimoniaux. On ne distingue pas, par exemple, la situation d'un couple marié sous le régime de la séparation de biens de celle d'un couple marié sous le régime de la société d'acquêts ou de la communauté de biens. Lorsque arrive te partage des biens, la dissolution de la communauté ou de la société d'acquêts - ce qui peut arriver d'ailleurs du vivant des parties sans nécessairement qu'il y ait un divorce; les gens peuvent vouloir partager leurs biens de leur vivant - supposons que cette dissolution se fasse un an avant le décès, cela voudra dire que le conjoint survivant aura eu sa part du régime communautaire un an avant le décès. Il pourra donc, au moment du décès, aller chercher sa part réservataire dans la part communautaire de son ex-conjoint, de son conjoint décédé et peut-être même à la limite aller chercher une prestation compensatoire. C'est absolument disproportionné, précisément, par rapport aux conjoints qui sont mariés sous le régime de la séparation de biens. Là-dessus, le projet de loi souffre d'une lacune majeure.

Cinquièmement, la prémisse. Le document du ministère semble vouloir mettre fin, par la réserve héréditaire, à des abus sérieux et fréquents de la part des testateurs dans l'application du principe de la liberté de tester. Nous aimerions bien connaître les données dont se sont servis les rédacteurs de ce rapport, les données et les sources. Est-ce qu'on a rencontré beaucoup de gens qui ont été victimes de la liberté de tester? Est-ce qu'il y a des statistiques? On ne connaît absolument pas les sources et on aimerait bien les connaître parce que, selon l'expérience de tous et chacun qui ont travaillé au mémoire - vous pourrez constater qu'on était assez nombreux - il s'agit d'un faux problème. Il n'y en a pas tant que cela d'abus. Il peut y en avoir, oui, mais ce n'est pas généralisé comme on semble le laisser croire dans le document. On aimerait bien savoir sur quoi on se base pour vouloir à ce point affirmer et dénoncer les abus en question. On se demande précisément s'ils sont à ce point fréquents et à ce point sérieux qu'ils justifient la mise en place d'un mécanisme qui est quand même assez lourd et assez contraignant.

Enfin, l'incidence sur les régimes matrimoniaux, j'en ai parlé un peu tout à l'heure. Il est assez étonnant de constater qu'en 1966, le comité des régimes matrimoniaux, qui faisait rapport à la Commission de réforme du Code civil et qui, à ce moment-là, songeait à établir comme régime légal la séparation de biens, à laquelle d'ailleurs il aurait joint ou, enfin, il aurait pensé joindre un mécanisme limitant la liberté de tester, la réserve, par exemple - j'ai une citation à la page 17 - a préféré adopter le régime de la société d'acquêts comme régime légal sans chambarder tout le système de droit successoral. Aujourd'hui, c'est quand même étrange, on a le système légal de la société d'acquêts et, en dépit de cela, on se sent obligé d'instituer un mécanisme tel que la réserve héréditaire. C'est quand même assez étonnant. C'est donc qu'il y a quelque chose qui fonctionne mal dans notre système légal de société d'acquêts. Il y aurait donc lieu de s'interroger sur toute cette question des régimes matrimoniaux, sur les causes de la désaffection qu'elle connaît - parce que effectivement elle connaît une certaine désaffection depuis 1970 - et, finalement, de réétudier en profondeur tout le système des régimes matrimoniaux et du partage des biens. Évidemment, le Barreau du Québec offre comme toujours sa collaboration dans cette importante étude. Il faut donc réfléchir à toutes les conséquences que la mise en place de la réserve héréditaire imposerait dans la vie des Québécois et voir s'il n'y aurait pas d'autres solutions qui seraient plus avantageuses pour l'ensemble des Québécois.

La deuxième partie, j'y passerai assez vite parce que c'est beaucoup plus technique. D'ailleurs, je pense qu'on est plus sur les arguments de fond que sur les arguments de technique à l'heure actuelle. C'est peut-être préférable de passer tout de suite aux commentaires ou aux questions.

Le Président (M. Gagnon): C'est parce que vous êtes rendus à 30 minutes, mais si les membres de la commission sont d'accord pour qu'on prenne plus de temps... Cela va?

Une voix: Oui. Consentement.

Le Président (M. Gagnon): Alors, allez pour la deuxième partie.

Mme Vadboncoeur: Alors, l'article 703. On constate que c'est un droit successoral, la réserve héréditaire est un droit successoral, mais à aucun endroit le statut du réservataire n'est précisé. Est-ce que c'est un héritier? Est-ce que c'est un légataire? Est-ce que c'est un créancier? Si c'est un héritier, est-ce que c'est un héritier ab intestat ou testamentaire? On ne le sait pas. Ce serait peut-être bon de le préciser, d'autant plus que si le réservataire est un héritier il ne fait pas partie de l'ordre de paiement qui est prévu à l'article 868 du projet de loi 20. Il vient après tous les autres créanciers et tous les autres légataires particuliers. Je ne sais pas si on veut effectivement le faire venir après tout ce monde et le faire concourir avec les autres héritiers de la succession.

J'ai déjà parlé de la limite arbitraire. L'interprétation de l'expression "à charge"

aussi. Cela va susciter des débats. On voudrait également à ce niveau, à l'article 703, peut-être prévoir d'exclure la réserve pour éviter le morcellement d'une petite succession au profit de réservataires dont les actifs personnels sont considérables. Encore là, c'est une preuve de la confusion des objectifs; même si quelqu'un est immensément riche, on lui donne sa part réservataire sans égard aux besoins alimentaires.

L'article 704 a suscité chez nous quelques interrogations. Il faut le considérer avec l'article 713. Tout ce qu'on craint c'est que cet article 704 puisse être interprété de façon à inclure dans la masse successorale fictive toute forme de libéralité, ayant pour terme le décès, faite par le défunt par acte entre vifs, par exemple, le produit d'une police d'assurance dont le bénéficiaire serait désigné plus de trois ans avant le décès à cause de la formulation de l'article 704 qui est quand même assez large.

Article 705. Pour diminuer l'impact négatif que la réserve héréditaire aurait sur le mariage, on suggère que les futurs époux puissent y renoncer par contrat de mariage. Cette hypothèse a été soulevée dans le document du ministère et on l'a rejetée parce qu'on a peur que cette renonciation devienne une clause de style dans les contrats de mariage. Vous avez vu comme moi le sondage publié par SORECOM la semaine dernière. La majorité est encore en faveur de la liberté de tester. Si effectivement cette renonciation devient une clause de style dans les contrats de mariage, ce sera la preuve que la majorité des couples québécois ne désire pas la réserve héréditaire.

On se demande comment se fera la renonciation d'un mineur ou d'un majeur qui est sous régime de protection. Le projet de loi est muet là-dessus. Il y aura lieu de le préciser.

L'article 706. Le premier alinéa nous semble insuffisant. Le Barreau aimerait que soit également imputés sur la part d'un réservataire les avantages découlant de son régime matrimonial ou de son contrat de mariage. Il nous semble que les avantages découlant de ces deux situations constituent des données essentielles pour évaluer justement les besoins alimentaires. Il y aurait donc un amendement à apporter au premier alinéa.

Au deuxième alinéa, on parle d'un contrat d'assurance de personnes auxquelles le défunt était partie, mais d'un régime de rentes ou de pension de rentes contractées par le défunt. Habituellement, le mot "régime" vise des rentes collectives. Donc, le texte nous apparaît fautif parce que dans les rentes collectives, la personne n'est jamais le contractant. Il participe à un régime collectif, mais il n'est pas le contractant. Donc, il y aurait peut-être lieu d'utiliser la même terminologie pour les deux cas. On a une suggestion à l'amendement à la page 24. Quant au mot "sommes", on préférerait aussi le voir remplacer par le mot "avantages" pour refléter des cas que l'on mentionne d'ailleurs comme exemple. Il y a donc, à la page 24, une suggestion d'amendement quant au deuxième alinéa de l'article 706.

Le premier alinéa, également, comporte une difficulté d'interprétation par rapport au calcul des avantages procurés par la succession. Si un testament crée une fiducie, par exemple, qui est en faveur d'un certain nombre d'enfants, trois ou quatre enfants, et où les revenus sont payables au conjoint survivant, il est absolument impossible de savoir au moment du décès quels sont les avantages d'un de ces enfants, vu que son droit n'est pas immédiat.

Les articles 707 à 712, cela va.

L'article 713, à la page 27 du mémoire, est là pour concrétiser en matière d'assurances et de rentes l'objectif de l'article 704, qui est de réunir fictivement à la masse successorale certaines libéralités qui sont consenties par le défunt depuis moins de trois ans à des personnes autres que le réservataire. On ajoute, en vertu du premier alinéa, à la succession les assurances individuelles ou collectives et les rentes qui n'en font pas partie en raison de la désignation d'un bénéficiaire dans les trois ans. On ajoute ces rentes individuelles ou collectives à la masse successorale fictive. On établit, à la page 28 - c'est un peu technique -différents cas et on se demande pourquoi notamment ne viser dans le deuxième alinéa que les primes et les contributions. On a trois exemples qui sont donnés ici et on suggère également des amendements à la page 29. L'article 713 devrait être remplacé par celui qui est suggéré ici. Je vous fais grâce des raisonnements techniques, à moins qu'il y ait des questions là-dessus. On pourra y revenir.

À l'article 714.1, les règles devraient s'appliquer également aux assurances et aux rentes. Il s'agit peut-être d'une lacune à ce sujet.

À l'article 715, nous constatons, oui, que le ministère a suivi notre recommandation.

L'article 715.1, encore là on dit qu'en vertu du deuxième alinéa, en cas d'insuffisance de l'actif successoral, le réservataire sera payé avant le créancier alimentaire qui lui-même est préféré, d'ailleurs, au légataire particulier en vertu de l'article 868 du projet de loi 20 dont je vous parlais. On ne sait pas où se situe le réservataire par rapport à cela. Je vous mentionnais, tout à l'heure, qu'il faudrait peut-être établir son statut par rapport à la succession. S'il est simple héritier, il n'est même plus à l'article 868. Il vient au moment du partage de la succession. C'est

un autre motif qui nous force à demander au législateur de préciser le statut de réservataire.

À l'article 716, on se demande ce qu'on vise par l'expression "droits des successibles", à part, évidemment, le droit du réservataire. Peut-être que certaines personnes du ministère pourraient nous répondre là-dessus. L'ancien article 705 du projet de loi initial parlait "des besoins et facultés des héritiers et des légataires particuliers", ce qui est tout à fait différent de l'expression "droits des successibles". Compte tenu, justement, que le paiement des dettes et des legs particuliers s'effectue avant le partage de la succession et compte tenu que ce même article 716 précise qu'on doit prendre en considération l'actif de la succession, il nous semble que l'obligation de tenir compte des droits des successibles, à moins que cela ne vise quelque chose qu'on n'a pas vu, n'est pas nécessaire. (Il heures)

Finalement, il y a lieu d'ajouter un dernier article, que l'on a appelé l'article 714.2, pour exclure de l'application de ces articles 703 à 716 les avantages conférés par les régimes d'État, en l'occurrence le Régime de rentes du Québec. En résumé, c'était la partie technique de notre mémoire.

Le Président (M. Gagnon): Merci, Me Vadboncoeur. Mme la députée de Maisonneuve, est-ce que... Je sais que le député de D'Arcy McGee devra nous quitter dans...

M. Marx: Cinq minutes. Je vais juste poser une question.

Mme Harel: Oui, consentement.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les représentants du Barreau pour avoir présenté leur mémoire: le bâtonnier Trudel, Me Vadboncoeur, Me Prévost et Me Plamondon. C'est un mémoire intéressant. J'aimerais juste poser une question. Je pense que dans vos mémoires antérieurs, vous avez reconnu qu'il y a quelque chose à faire pour ces personnes qui devraient avoir droit à une créance alimentaire. Dans le projet de loi 20 tel que déposé, on a parlé d'une créance alimentaire et cela a été modifié pour la réserve successorale.

Pensez-vous que les personnes mineures, par exemple, les personnes à charge devraient avoir droit à une créance quelconque? Quel est le mécanisme qu'on va utiliser? On veut protéger les personnes envers qui le défunt avait une obligation alimentaire. C'est cela l'objectif, d'accord?

Est-ce que vous êtes toujours d'accord avec l'objectif ou...

Mme Vadboncoeur: Si vous permettez. Le Barreau s'est toujours prononcé, depuis des années, en principe pour la liberté de tester parce que cela ne cause pas de problèmes aussi sérieux qu'on veut bien le laisser croire. Il existe, à l'heure actuelle, pour les descendants, un droit alimentaire. Il existe ce droit. Il n'est pas contre la succession, mais il est contre le conjoint survivant. Cela revient au même.

Dans le projet de loi 20, étant donné la volonté du législateur de limiter cette liberté de tester, on s'est dit: S'il faut absolument apporter une limite à la liberté de tester, la créance alimentaire qui est suggérée dans le projet de loi 20 nous est fort acceptable. À ce niveau oui, s'il faut absolument protéger d'une façon limitative en restreignant la liberté de tester, oui on est d'accord qu'il y ait un recours pour ceux qui ont droit à une protection alimentaire.

M. Marx: Sur la créance... Oui, je m'excuse.

Le Président (M. Gagnon): Me

Plamondon.

M. Plamondon (Luc): Le point que j'aimerais souligner, c'est que dans la mesure où on a pu constater des abus de cette liberté illimitée de tester dans notre société, je pense qu'elle a lieu conjoint contre conjoint. On ne constate pas, dans notre expérience, qu'il y a eu des abus de cela à l'égard des enfants. Ils sont constamment protégés par le testateur. Les abus, c'est au niveau de conjoint à conjoint.

M. Marx: Aujourd'hui, supposons que le père décède et laisse des enfants de huit à quinze ans. Il a fait un testament et il laisse tout à une tierce personne. Est-ce que les enfants ont droit à quelque chose?

M. Prévost (André): Dans l'état actuel du droit, l'enfant n'aurait un recours que contre son parent survivant, le conjoint qui est survivant.

M. Marx: C'est cela, mais...

M. Prévost: C'est pourquoi, excusez-moi, M. Marx, le Barreau a toujours été d'accord pour garder, au chapitre des successions, un recours alimentaire tant des enfants que des conjoints envers la masse successorale pour les besoins qu'ils ont.

M. Marx: Ce n'est pas là empiéter sur la liberté de tester, c'est faire en sorte qu'il y ait un mécanisme par lequel le défunt réponde à ses obligations. Me Vadboncoeur a

donné l'impression que c'est une limite à la liberté de tester. Je ne vois pas cela de cette façon. Aujourd'hui, il n'y a pas de mécanisme pour empêcher le père de tout laisser à sa maîtresse et de ne rien laisser à ses enfants et à sa femme, donc, de se soustraire complètement de cette obligation élémentaire. Est-ce que j'ai raison de dire cela?

M. Prévost: Je crois que vous avez raison, M. Marx.

M. Marx: Si j'ai raison de dire ça, le but législatif recherché c'est de protéger les personnes à charge. Il y avait le mécanisme de la créance alimentaire. Je crois que le gouvernement a rejeté ce mécanisme et la sous-commission aussi parce qu'on a dit que c'était un nid à procès, et même nos députés avocats praticiens étaient tous en désaccord. Donc, on revient avec la réserve successorale. Supposons qu'on rejette la réserve successorale, qu'est-ce que vous allez suggérer pour résoudre ce problème?

M. Plamondon: On revient à la créance alimentaire post mortem en faveur des enfants. Mais le cas que vous soulignez, M. Marx, du testament entièrement en faveur d'une maîtresse ou d'un amant à l'encontre des enfants mineurs du testateur, c'est justement le genre de situation que nous ne voyons pas en pratique. L'exhérédation des enfants mineurs ne se fait pas en faveur d'un nouveau conjoint du père ou de la mère dont on parle. L'exhérédation va se faire conjoint contre conjoint, mais on ne déshérite pas dans les faits et dans la réalité de notre connaissance les enfants, surtout mineurs.

M. Marx: Comment est-ce que vous savez ça puisque c'est la liberté de tester complète? On ne voit pas ce que les gens font.

M. Plamondon: On le voit par l'ensemble des successions. Je représente une industrie qui paie des millions et des millions à des successions constamment. Ce ne sont pas des situations que l'on voit du tout.

M. Marx: Donc, vous me dites que dans le régime actuel il n'y a pas de problème en ce qui concerne les enfants. Il n'y a rien à changer parce que tout le monde se comporte d'une façon correcte et civilisée.

M. Prévost: Je pense qu'on...

M. Marx: C'est cela la conclusion? Je veux savoir.

M. Plamondon: Quand est-ce que le besoin d'intervention du législateur se fait sentir dans une situation? C'est là la question qui se pose. On dit que c'est lorsqu'il y a des abus. Quant à nous, on estime que ces abus sont tellement minimes en ce qui concerne les enfants qu'on peut se demander si l'introduction d'un jeu de règles objectives, impartiales, inéluctables, est la solution pour les petits cas d'abus qu'il pourrait y avoir. Une réserve c'est un jeu de règles objectives et impartiales. Cela fonctionne dans une société qui est homogène et qui n'est pas en devenir constant. Je pense que nos cellules familiales maintenant sont très hétérogènes et sont en devenir constant. Dans des cas comme cela l'équité ne se légifère pas, elle se décide ponctuellement. C'est pour cela que nous préférons la créance alimentaire qui est une décision ponctuelle d'équité dans un cas donné lorsqu'il y a eu abus.

M. Marx: D'accord, mais pour le...

Le Président (M. Gagnon): Me Prévost vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Prévost: Je voulais simplement dire qu'en fait la question que M. Marx nous pose, c'est celle que nous on pose depuis qu'on a reçu ce projet. Pour changer l'état actuel des choses, est-ce que le législateur a constaté des abus? Ce qu'on essaie de vous dire aujourd'hui c'est qu'en tant qu'avocats praticiens, nous on n'a pas constaté dans le passé d'abus, surtout en ce qui concerne les enfants. En ce qui concerne les conjoints c'est une autre paire de manches.

M. Marx: D'accord. Donc, j'ai compris ce que Me Plamondon et vous-même avez dit. En ce qui concerne les enfants, c'est rare qu'il y ait des abus et il faut avoir une intervention ponctuelle pour régler cette situation le cas échéant. Mais vous admettez qu'il y a un problème en ce qui concerne les conjoints?

M. Prévost: Assurément.

M. Marx: Pour les conjoints qu'est-ce que vous proposez?

M. Prévost: En fait, ce qu'on est en train de vous dire c'est qu'on croit que la réserve héréditaire est un cataplasme sur un problème qui est beaucoup plus important et fondamental, c'est le problème des régimes matrimoniaux en tant que tels.

M. Marx: On a justement réformé cela et il ne faut pas intervenir. On a justement réformé les régimes matrimoniaux.

M. Prévost: On a consulté quelques statistiques sur lesquelles on a pu mettre la main, et on s'est aperçu que les gens

continuent à opter majoritairement pour un régime de séparation de biens, alors qu'en 1970 on a tenté de mettre en vigueur un nouveau régime légal. Il pouvait être complété évidemment par contrat, modifié ou adapté par contrat. On s'aperçoit que les gens n'ont pas opté, dans la plupart des cas, pour ce nouveau régime qui, lui, présente une égalité des conjoints. Ce qu'on se pose comme question c'est que, finalement, par la réserve héréditaire on essaie d'appliquer post mortem un régime d'égalité, alors qu'on croit qu'il est bien plus fondamental d'appliquer un régime d'égalité du vivant du couple. À ce moment-là, on pourrait probablement, par beaucoup plus d'information envers les gens en général, faire avancer, ou peut-être aussi en rationalisant ou en polissant un peu plus le régime légal, on pourrait probablement régler la situation.

J'aimerais juste apporter un dernier commentaire à ce niveau-là. Il ne faut pas oublier que la réserve héréditaire comme concept, c'est un concept de protection du patrimoine. On s'aperçoit, en France entre autres, que cela va ascendant-descendant, cela ne va même pas au conjoint. Au conjoint, on laisse le recours alimentaire. Donc, nous, on essaie de combler un besoin alimentaire par un concept ou une philosophie qui n'est pas alimentaire à la base.

M. Marx: Donc, si je résume la position du Barreau, pour les enfants on peut avoir une intervention ponctuelle pour des cas d'abus; pour les conjoints, il serait souhaitable de faire une campagne de publicité, le cas échéant, ou de retoucher les régimes matrimoniaux.

M. Prévost: On laisse, en tant que position du Barreau, le recours alimentaire pour les cas où le besoin s'en ferait sentir pour le conjoint également.

M. Marx: La créance alimentaire telle quelle, mais on nous a dit que ce serait un nid à procès, que cela va causer beaucoup de problèmes, que cela n'est pas efficace. Je pense que même le Barreau était de cet avis, quand vous êtes venus, il y a un an: cela soulève beaucoup de problèmes et cela va soulever beaucoup de litiges. Tout le monde nous a dit cela, peut-être pas les avocats mais...

Mme Vadboncoeur: Là-dessus, c'est sûr que cela va en soulever. Sauf que ce qu'on que, quand on aura apporté vraimendit c'estt un correctif à la situation du partage des biens du vivant du couple et à l'égalité des conjoints du couple pendant la durée de la vie commune et lors de la rupture du mariage, on n'aura plus besoin de créance alimentaire ni de réserve héréditaire.

L'égalité de facto sera créée du vivant du conjoint. Mais, ce qu'on dit aussi...

M. Marx: Voulez-vous qu'on légifère l'égalité? Êtes-vous d'accord pour qu'on légifère l'égalité?

Mme Vadboncoeur: On légifère l'égalité, c'est-à-dire qu'on l'a fait un peu avec la réforme du droit de la famille.

M. Marx: Bien, est-ce que vous voulez que le régime soit l'égalité pour tout le monde?

Mme Vadboncoeur: C'est-à-dire que c'est par des mesures...

M. Marx: Incitatives.

Mme Vadboncoeur: Le régime primaire, par exemple, qui donne les obligations des conjoints dans le mariage, n'est pas ce qu'il était. L'administration des biens dans le mariage, cela a évolué énormément aussi depuis bien des années. La prestation compensatoire est insuffisante à ce stade-ci, mais c'est une mesure législative, une mesure ponctuelle également, qui peut aider à l'égalité des conjoints. On mentionne, dans le mémoire, à peu près 7 ou 8 moyens de favoriser l'égalité des conjoints du vivant du couple.

Mais, ce sur quoi je veux revenir, c'est que la créance alimentaire peut effectivement susciter des litiges devant les tribunaux mais que la réserve héréditaire, cela va peut-être en causer encore plus de litiges devant les tribunaux. Parlez à n'importe quel praticien du droit, faites-lui lire les cas de litige que l'on soulève dans le mémoire et il n'y a personne qui pourra nier cela.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Mme la députée de Maisonneuve. (Il h 15)

Mme Harel: Merci, M. le Président. D'abord, vous soulignez que l'absence de Me Cossette qui nous a accompagné durant tous les travaux de la sous-commission s'explique par sa présence, actuellement, à Pékin.

Il semble que les Chinois de la Chine populaire s'intéressent beaucoup à notre droit notarial. Il y a donc une délégation de notaires qui se sont rendus à Pékin et qui y séjournent présentement pour faire connaître le droit civil québécois.

Une voix: ...pour que la clientèle soit la bonne.

Mme Harel: ...vous dire, d'abord, M. le bâtonnier et Me Vadboncoeur et ceux qui vous accompagnent, que j'apprécie beaucoup le ton et les réflexions qu'on retrouve dans votre mémoire. C'est évident qu'il y a une

balance d'inconvénients - et c'est ce que le législateur a à apprécier - et qu'il n'y a pas de solutions idéales non plus. Vous nous parliez, il y a quelques minutes, d'une égalité du vivant du couple. Là aussi, on peut penser à des mesures... Je ne sais trop si vous avez en tête la copropriété légale, etc. Mais, là aussi, cela peut avoir des conséquences. Je pense que tout geste a des conséquences. Vous en décriviez quelques-unes en regard de la réserve, à savoir la diminution des mariages, etc., mais que ce soit du vivant ou post mortem, je pense que toute intervention a des conséquences, alors cela nécessite certainement une réflexion approfondie que la sous-commission a poursuivie depuis maintenant, je dirais, presque plusieurs mois, sur ce mécanisme successoral.

M. le bâtonnier, vous nous avez dit, avec raison, qu'il fallait rechercher un équilibre entre les régimes matrimoniaux et le partage des biens dans l'étude d'un mécanisme comme la réserve, dans l'étude d'un mécanisme successoral, et vous avez fait mention - je veux simplement le rappeler - que le projet prévoit que, dans le cas du cumul, il ne pourrait quand même y avoir pour le conjoint survivant possibilité de recueillir, même par l'addition des avantages du régime matrimonial ou encore par l'addition et des avantages et de la réserve, plus de la moitié de la valeur de la succession.

Donc, selon les régimes matrimoniaux -société d'acquêts, communauté ou séparation - ce cumul ne pourrait équivaloir à plus de la moitié en valeurs de la succession. Il y a là un plafond qui vient, d'une certaine façon, compenser les inconvénients que vous signaliez.

Dans ce mémoire, vous avez beaucoup fait état des difficultés inhérentes à la part réservataire des enfants à charge, particulièrement. Je dois vous dire que, devant cette commission, les groupes qui se sont succédé, l'ensemble des organismes représentatifs des femmes du Québec - je pense à l'AFEAS, à l'Association des femmes collaboratrices, au Conseil du statut de la femme ou à la Fédération des femmes du Québec - ont plaidé en faveur d'une réserve pour le conjoint survivant.

Chaque fois, je pense qu'on leur a posé la question, elles nous répondaient n'être pas mandatées par leur organisme pour examiner cette question. Vous, vous avez surtout insisté sur les difficultés inhérentes à la part réservataire des enfants à charge. Est-ce que l'hypothèse, par exemple, d'une réserve en usufruit pour les enfants vous agréerait mieux ou a été étudié par votre comité?

Le Président (M. Gagnon): Me

Plamondon.

M. Plamondon: On n'a pas étudié particulièrement une autre forme de réserve que celle que nous suggérait le législateur. La réaction initiale, c'est que toutes les objections que nous avions à la réserve en pleine propriété s'appliqueraient, et en surplus, à une réserve en usufruit.

Mme Harel: Vous savez les groupes de femmes sont venus plaider ici au nom de l'égalité des conjoints. Ce qu'elles réclament comme droit automatique à une partie de la succession - je relisais un très récent communiqué du Conseil du statut de la femme -c'est dans le cadre et au nom de l'égalité des conjoints dans le couple. Vous nous avez fait une liste impressionnante des litiges que pourrait entraîner l'application de la réserve. Par ailleurs, est-ce que cette liste ne pourrait pas d'autant s'allonger s'il s'agissait d'une créance qui, dans tous les cas, théoriquement, pouvait supposer un recours contre la masse?

Le Président (M. Gagnon): Me

Vabdoncoeur.

Mme Vadboncoeur: D'abord, je voudrais répondre à la première remarque que vous avez faite. En vertu du projet qui nous a été soumis, la part qui serait versée au conjoint survivant ou à un enfant à charge est égale, en vertu de l'article 704, à la moitié de la part à laquelle il aurait pu prétendre si cette masse avait été dévolue suivant les règles de la dévolution légale. Je ne pense pas qu'il s'agisse de la moitié de la succession.

Deuxièmement, vous avez parlé du cumul. Justement, c'est un des reproches que l'on fait à l'article 706 de ne pas tenir compte du régime matrimonial et du contrat de mariage. C'est une de nos demandes.

Mme Harel: Me Vadboncoeur, en fait, il s'agit d'un article qui se trouve dans le document qui a été transmis aux organismes qui se présentaient devant la sous-commission, mais il s'agirait d'un article introduit dans le projet de modification.

Mme Vadboncoeur: Ah bon, alors il n'existe pas à l'heure actuelle. Deuxièmement, vous avez parlé de divers groupes de femmes qui ont plaidé en faveur de la réserve héréditaire, l'AFEAS, les femmes collaboratrices, etc. C'est sûr que dans l'état actuel du droit et dans l'état actuel des choses, elles préfèrent avoir ça plutôt que rien du tout. Si vous donnez à toutes ces femmes - particulièrement les femmes collaboratrices, je pense que ça fait des années qu'elles revendiquent ça - l'égalité matérielle, l'égalité de droits du vivant du couple, elles seront les premières à ne plus vouloir la réserve héréditaire. C'est précisé-

ment là-dessus qu'on insiste. Le bobo n'est pas à la recherche d'un équilibre matériel après le décès du conjoint, il est du vivant du couple. C'est là-dessus qu'il faut insister.

Mme Harel: Comment le voyez-vous, du vivant du couple, par une copropriété légale?

Mme Vadboncoeur: Pas nécessairement. Évidemment, ce serait à étudier, je ne pense pas qu'on puisse dès aujourd'hui vous suggérer des régimes nouveaux, mais je pense que la Conférence sur la sécurité économique des Québécoises a déjà commencé à toucher ce problème et y touchera encore davantage au mois de décembre. Il y aura sûrement des propositions intéressantes qui sortiront de là. Il est sûr que certaines mesures qu'on suggère dans le mémoire peuvent être des moyens, mais il y en a sûrement d'autres.

Vous parliez de recours, la liste des recours judiciaires qu'on mentionne dans le mémoire par rapport à la réserve. En ce qui concerne la créance, vous me dites: Est-ce qu'il n'y aurait pas également tous ces recours? Sûrement pas, parce que vous n'auriez pas, d'abord, un recours dans tous les cas, nécessairement; ce serait, encore une fois, dans les cas d'abus. Il peut y avoir consentement, également. Le liquidateur peut suggérer un montant avec l'assentiment des héritiers et des légataires particuliers, et si tout le monde s'entend, il n'y a pas de recours devant les tribunaux.

Deuxièmement, étant donné qu'on ne sera pas dans une situation d'indivision impliquant des enfants mineurs, il y aura déjà tous ces recours qui seront éliminés. Les recours au conseil de tutelle, les recours du tuteur au tribunal pour obtenir l'autorisation de faire quoi que ce soit avec le bien qui est en propriété indivise et tous les recours relatifs à l'administration de ces biens désignés en copropriété indivise, tout ça disparaît. On mentionnait le recours à la Commission de protection du territoire agricole, cela aussi disparaît, C'est toute la situation d'indivision, finalement, et de mineurs qui sont impliqués là-dedans qui suscite la grande majorité des recours qui s'appliqueraient avec la réserve.

Le Président (M. Gagnon): Me Plamondon.

M. Plamondon: Je pense, Mme Harel, que, quant à moi, vous nous posez des questions que je trouve très embarrassantes pour la raison suivante. C'est qu'on nous a demandé de nous pencher sur la réserve. Dans un sens, nous disons que la question est mal posée. La réponse devrait venir dans un autre domaine et vous nous demandez tout de suite quelle est notre position dans cet autre domaine. J'avoue bien humblement que nous ne l'avons pas étudié. Nous ne sommes pas venus avec une contre-proposition directe en dehors du cadre des successions. Pour moi, il y a des mystères, il faut en accepter dans la vie. Quelle est la raison de ce rejet de la société d'acquêts comme régime légal? Je viens de prendre connaissance, il y a à peine quelques instants, de cette note du RAIF. Cela me semblait presque un plaidoyer en faveur de la société d'acquêts. Or, la majorité des mariages maintenant se terminant du vivant des conjoints et non au décès, c'est marginaliser le problème que de le centrer dans le droit successoral.

Mme Harel: Concernant la société d'acquêts, Me Longtin me transmet les chiffres les plus récents. C'est un rapport qui a été établi en 1983, je crois, c'est bien cela? Enfin, c'est un rapport récent qui nous donne un peu l'évolution du régime depuis son application en 1971. Il y avait environ 39 % des mariages, en 1971, qui étaient sous le régime de la société d'acquêts et, en 1983, on en avait 51 %. Ce n'est pas vraiment un rejet.

Une voix: On n'a pas les mêmes statistiques.

M. Leduc (Saint-Laurent): Est-ce qu'on va prendre Ies vôtres ou celles-là?

Mme Harel: On pourrait les comparer.

M. Trudel: Elles viennent du ministère de la Justice.

Mme Harel: Cela vient du ministère également. On aura peut-être l'occasion tantôt d'échanger nos statistiques. Parmi les groupes qui sont venus devant nous, certains ont fait état de cas d'abus. Je pense, en particulier, à la représentante du groupe du Saguenay—Lac-Saint-Jean qui faisait valoir que plusieurs de ces cas n'étaient pas vraiment connus parce que les femmes, en fait - en l'occurrence, les exemples qu'ils nous ont donnés concernaient des femmes -étaient les victimes d'un certain chantage qui consistait à les menacer de les déshériter, elles et les enfants, si elles ne se conformaient pas de leur vivant, du vivant du couple, à certaines façons de voir du conjoint. On nous faisait valoir que, du vivant du couple, un certain nombre - en fait, il y avait là des exemples qui nous étaient apportés - de femmes se conformaient, je dirais, de façon muette, mais dans la douleur, en fait, à ces contraintes. Quand on fait état avec raison d'une recherche de l'égalité du vivant du couple, cela va, je crois, pour l'avenir, mais c'est en fait dans la réalité présente qu'il nous faut, d'une certaine façon, travailler.

Tantôt, je faisais état de ce qui pourrait être inclus dans la part réservataire

en faisant valoir que, déjà, il était prévu que cette part ne puisse équivaloir à plus de la moitié de la valeur de la succession dans tous les cas de régimes matrimoniaux. Mais la part serait aussi imputée des avantages conférés, par exemple, par un contrat d'assurance de personne, un régime depension ou de rente. Le testateur pourrait aussi satisfaire à la part réservataire au moyen d'un legs ou par la désignation d'un réservataire comme bénéficaire du produit d'un contrat ou autre, en fait. Il y a tout un mécanisme d'application qui peut être prévu.

Me Longtin me faisait, justement, valoir qu'en Ontario, même s'il y a eu une réforme des régimes matrimoniaux en 1977, il y en a une nouvelle en 1985 qui vient d'être proposée. On peut croire que l'évolution est telle que, même si la réforme est récente ou souhaitable elle peut amener des modifications. Vous formuliez, notamment dans la conlusion, la recommandation d'un partage statutaire des biens dits familiaux. Vous vous référez, j'imagine, à l'expérience de l'Ontario? (11 h 30)

Mme Vadboncoeur: C'est-à-dire que oui, on s'y réfère sans nécessairement l'adopter in extenso. Mais on pourrait étudier la possibilité d'un partage des biens familiaux en définissant, évidemment, ce que comprennent les biens familiaux lors de la rupture du mariage, quelles que soient les circonstances de la rupture. Par exemple, la prestation compensatoire pourrait s'appliquer aux biens non familiaux. Ce serait l'une des hypothèses que l'Ontario vit. Mais, comme je vous l'ai dit, on n'a pas vraiment fait d'étude détaillée pour pouvoir dire: Oui, on prend le régime ontarien et on l'applique au Québec. Cela, c'est certain. Il y aurait des nuances à apporter. Mais l'ossature serait celle du régime ontarien.

Le Président (M. Gagnon): Je pense que Me Prévost voulait ajouter quelque chose.

M. Prévost: Je voudrais faire quelques commentaires. La réaction des différents groupes féministes me surprend un peu et je vais vous faire une confidence. À la première réunion qu'on a eue à la suite de la transmission de ces projets d'articles 703 à 716, on a fait un tour de table et il en est ressorti que, majoritairement, on trouvait que la femme était très peu protégée par la réserve héréditaire. C'est à partir de cette base qu'on a commencé à travailler. J'aimerais simplement vous dire qu'il y a deux cas qu'on va voir dans les faits. Ou bien un ménage qui va bien et où le mari décède... De façon générale, je crois qu'actuellement les biens sont légués à l'épouse lorsqu'il y a de jeunes enfants; c'est la femme qui hérite de 100 %, du petit commerce familial, s'il y a lieu, et qui va l'administrer pour le mieux-être de sa famille et le sien. Ou bien cela va mal dans le couple et, à ce moment-là, ce qu'on donne à l'épouse, c'est 25 % - on me dit que, maintenant, c'est peut-être 50 % - une fraction uniquement, sans considération - et c'est cela qui est important - de ses besoins. Vous avez posé la question suivante: Est-ce que, finalement, il n'y aura pas autant de litiges au niveau de la créance ou du recours alimentaire qu'il y en aurait sous la réserve héréditaire? Je vous dirais que, même si on arrivait à la conclusion qu'il va y avoir autant de litiges d'un côté que de l'autre, avec la réserve héréditaire vous ne réglez pas le problème. Vous allez peut-être régler les 25 % ou 50 % qui seront dévolus à la femme, mais finalement vous n'aurez probablement pas résolu le problème en entier, parce qu'il ne lui en restera pas suffisamment pour vivre et pour faire vivre ses enfants. Tandis que, dans le cas du recours alimentaire, vous allez régler la question, car celui qui décidera, en définitive, de ce qui doit être fait prendra en considération le tableau complet. C'est pour cela que, finalement, je suis un peu surpris de la réaction de ces groupes. Je reviens un peu à ce que Me Vadboncoeur disait: II passe actuellement un projet de loi et on peut peut-être en tirer quelque chose et, probablement, considère-t-elle que ce n'est pas l'idéal, non plus. Ce qu'on vous dit, c'est qu'on devrait peut-être aller vers l'idéal et aller mettre le doigt sur le bobo.

Le Président (M. Gagnon): Merci, Me Prévost. Merci, Mme la députée de Maisonneuve. M. le député de Saint-Laurent, en vous rappelant qu'on a déjà consacré une heure trente aux membres du Barreau du Québec et qu'on a un autre groupe à entendre ensuite.

M. Leduc (Saint-Laurent): Merci, M. le Président. Je dois vous dire que je partage vos réserves quant à la réserve héréditaire. Je pense que ce n'était peut-être pas nécessaire d'aller aussi loin. J'ai tout de même pratiqué à titre de notaire d'une façon assez intense pendant au-delà de 20 ans. Les cas pathétiques qu'on nous rapporte, je veux bien admettre que, bien sûr, cela se passe de cette façon, mais ce n'est pas dans la majorité des cas que c'est vraiment tragique pour le conjoint survivant. Or, l'expérience nous a montré que ta liberté de tester était utilisée d'une façon sage. Je dirais que c'est vrai dans 98 % des cas. Je l'ai dit et je le répète: J'ai l'impression qu'on est en train de légiférer pour l'exception. On ne pense qu'à ces cas-là.

Je veux bien que des organismes féministes fassent des représentations, mais je me demande si cela ne serait pas plus utile qu'ils éduquent les couples, particulière-

ment les femmes. Ils pourraient leur dire: Vous avez des droits, vous participez à l'enrichissement - pour ne pas utiliser le terme de la prestation compensatoire - du patrimoine familial. À ce moment-là, prenez donc des précautions. Assurez-vous donc que les biens soient détenus en copropriété. Je pense que, dans la plupart des cas, l'autre conjoint va accepter. C'est peut-être dans ce sens qu'elles devraient travailler, ces femmes, qui veulent absolument protéger l'ensemble des femmes au Québec.

Je veux bien qu'on protège le conjoint. Je pense qu'il y a des façons de le faire. Si on est marié en société d'acquêts, je pense bien que le conjoint ou la conjointe a une bonne protection. S'ils sont mariés en communauté de biens, c'est la même chose. Il reste le cas de la séparation de biens. Je pense - je l'ai dit également - que, maintenant, les gens sont beaucoup plus informés. Ils voient à obtenir une meilleure protection. D'autant plus que, si on regarde la protection qui existe pour les personnes en union libre, c'est quoi? C'est strictement rien. Aujourd'hui, cela représente 25 % de l'ensemble des unions. En 1980-1981, je pense que c'était 20 %. Maintenant, je pense que c'est tout près de 25 %. Qu'est-ce qu'on fait pour ces 25 %? C'est peut-être plus. En effet, comment voulez-vous qu'on évalue, qu'on compte le nombre d'unions libres? Ce n'est pas facile. En tout cas, on les établit peut-être aux environs de 25 %. C'est peut-être 30 %. Pour ces gens en union libre, aucune protection. Et on ne semble pas du tout vouloir les protéger, alors que, pour les autres qui ont déjà une protection en vertu de la loi, on veut en rajouter. Je pense - j'y reviens - qu'on devrait bien informer les gens, les éduquer, voir à ce qu'ils se protègent.

En ce qui concerne, maintenant, la réserve héréditaire pour les enfants, je suis carrément opposé à la réserve en faveur des enfants. À mon sens, on doit faire un choix. On doit donner une part égale à tous les enfants. Moi, mes enfants sont tous sur le même pied. Il n'y a pas des enfants, à mon sens, dans ma famille, qui vont avoir plus que d'autres, sauf s'il y a des raisons pour que j'en donne plus à certains. Mais qui va être mieux placé pour le faire que moi-même? Ce n'est pas l'État qui va décider que mon enfant qui est à l'université, lui, et pour qui j'ai dépensé je ne sais pas combien d'argent pour en faire un médecin ou, je ne sais pas, un professionnel, un ingénieur et un notaire, peut-être - bien sûr, à ce moment-là, j'aurai dépensé des sommes énormes, très importantes - aura, lui, une part héréditaire, alors que l'autre qui aura pris sa boîte à lunch à 18 ans et qui sera allé travailler, lui, il aura quoi? Il n'aura rien parce que, malheureusement, il ne sera pas un enfant à charge. C'est, à mon sens, une injustice inqualifiable. Il y a également la question de savoir ce qu'est un enfant à charge. C'est une maudite bonne question à poser, à mon sens. Il va falloir l'établir. On parle de judiciarisation et de déjudiciarisation. À mon sens, cela fait, justement partie de ces problèmes. Je pense que les enfants, c'est un ou l'autre: on donne une part égale à tout le monde ou bien on enlève la réserve héréditaire pour les enfants.

Et qu'est-ce qu'on fait également de la protection? Si on veut donner de l'argent aux enfants ou une part, quelle protection leur donne-t-on s'ils sont mineurs? Imaginez-vous, dès qu'ils vont devenir majeurs, dès qu'ils vont atteindre 18 ans, ils vont pouvoir dilapider l'argent au complet. Dans les trois premiers mois après l'atteinte de 18 ans, ils vont pouvoir disposer de l'argent ou des biens comme ils l'entendent. Je pense que ce n'est pas sage du tout. Il faudrait que les parents puissent établir un mécanisme pour protéger les enfants de façon que cet argent soit remis sur une période peut-être de cinq ou dix ans. C'est les protéger, à mon sens. Ce sont des points qui sont très importants dans la pratique.

Qu'on vienne me dire: Écoutez, c'est simplement au Québec et en Afrique du Sud qu'on a la liberté de tester. Il faudrait qu'on me dise également qui veut changer cela. Comme vous le disiez, je pense, très judicieusement: Qui a demandé cela? Je ne le sais pas. Moi aussi, je me pose cette question. Je suis dans le bureau de huit ou neuf notaires. On a discuté de ce problème et on a dit: Est-ce qu'il y a eu des abus? En tout cas, à notre connaissance, pas tellement, pour ne pas dire à peu près pas. Qu'on ait la liberté de tester au Québec exactement comme en Afrique du Sud, je ne pense pas que cela soit un argument pour dire qu'il faut changer cela. Est-ce que cela a été si mauvais? Si c'est vraiment mauvais, d'accord. On a peut-être des raisons de le faire.

Je dois vous dire que je vous rejoins sur la question de la créance alimentaire. Au début, j'étais carrément contre, mais je reconnais que la réserve héréditaire crée également de gros problèmes qui ne sont pas tellement loin de ceux de la créance alimentaire. Dire que je favoriserais la créance alimentaire, non, parce que je me méfie un peu du tribunal. Est-ce qu'on doit toujours s'en remettre au juge ou au tribunal pour en décider? Je pense que les personnes, les citoyens du Québec sont assez sages pour décider comment ils peuvent distribuer leur argent ou comment remettre leur argent à leurs héritiers, lors de leur décès. Cela résume un peu ma pensée.

Le Président (M. Gagnon): II n'y a pas de questions là-dedans. Merci, M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Non, car je partage leur opinion.

Le Président (M. Gagnon): Vous avez bien fait de donner votre opinion.

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est tout ce que j'ai dit depuis...

Le Président (M. Gagnon): M. le bâtonnier, une courte réponse, même s'il n'y avait pas de questions.

M. Trudel: Si vous me le permettez, M. le Président, 30 secondes. Mme Harel faisait état des représentations qui vous avaient été faites par les groupes féminins. En remontant dans le temps, on s'aperçoit que les groupes féminins ont fait des efforts pour que le régime de la communauté de biens ne soit plus le régime légal en 1966. Vingt ans après, on s'aperçoit que les gens qui sont les plus protégés ou que les femmes qui sont les mieux protégées sont celles qui se sont mariées sous le régime de la communauté de biens. Je ne lance pas la pierre à ces mouvements, mais je constate qu'on a peut-être manqué d'information au moment où on a fait toutes ces démarches.

Aujourd'hui, ces mêmes mouvements viennent demander l'application de la réserve héréditaire. À la page 14 du mémoire, vous avez mon cas personnel, ce que j'ai vécu quand mon père est décédé à l'âge de 48 ans. Chez nous, nous étions trois enfants et ma mère a pu garder le bien familial qui était un commerce, un magasin général en campagne. Ils avaient une clause "au dernier vivant les biens". Ils étaient mariés sous le régime de la communauté de biens et elle a pu faire fructifier ses biens pour nous faire instruire. Si elle avait eu une réserve héréditaire, cela aurait été catastrophique chez nous.

Les mouvements comme l'AFEAS qui viennent vous voir, je peux vous dire que je les connais. Je vis avec eux. Je pratique le droit à Joliette où ces mouvements tel l'AFEAS sont très forts. Je pense que, si on est venu vous dire cela, il y avait peut-être un manque d'information de leur part.

Je voudrais vous laisser sur cette note, à savoir qu'il faudrait peut-être que les corporations professionnelles, la Chambre des notaires, le Barreau du Québec et le ministère de la Justice, préparent des programmes d'information aux futurs époux de façon à mieux les renseigner au moment du choix du régime matrimonial. Ils pourraient peut-être prendre des régimes de communauté conventionnelle de biens, des régimes de Société d'acquêts afin d'éviter ce régime de la séparation de biens qui est le plus catastrophique, à toutes fins utiles, pour la femme et les enfants.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le bâtonnier. M. le député de D'Arcy McGee, 30 secondes.

M. Marx: Oui, deux minutes, sans poser de questions. Ce sera la fin de mon intervention. Le Barreau a soulevé toutes sortes de problèmes. II y a toujours des problèmes et il serait impossible de légiférer pour empêcher tout litige. Il va toujours y avoir des litiges. Il va toujours y avoir une façon de contester des lois. Je pense que tout le monde est d'accord là-dessus. Quand le Barreau a soulevé le problème de l'enfant de 17 ans par rapport à l'enfant de 18 ans et que le député de Saint-Laurent a bien soulevé le problème d'un enfant de 17 ans qui est héritier et qui dépense tout à 18 ans, eh bien, ce qu'on peut faire à ce sujet, c'est mettre l'âge de la majorité à 45 ans. On serait alors sûrs et certains qu'il n'y aurait pas d'abus. Il y a toujours cela. Ma fille a 15 ans et elle aimerait conduire la voiture. Elle doit attendre encore un an. On peut se marier à un certain âge, mais pas avant. On tranche toujours comme cela dans les lois. Cela n'impressionne pas beaucoup quand on dit 17 ans ou 18 ans, ce n'est pas la même loi qui s'applique aux deux, mais c'est la loi. Je pense que tout le monde est d'accord, le Barreau et les groupes féminins, comme le bâtonnier les a étiquetés, qu'il faut protéger les personnes qui ont droit à une pension alimentaire. Tout le monde est d'accord avec cela. (Il h 45)

En ce qui concerne les enfants, le Barreau a dit qu'il y a peu d'abus; cela arrive de temps à autre. En ce qui concerne les conjoints, le Barreau a dit qu'il y a peu d'abus là aussi. Il y a même d'autres groupes, comme les notaires, qui sont venus nous dire que, de toute façon, les hommes lèguent à leur femme, que tous les Québécois sont bons, qu'il y a très peu d'abus. Les Québécois lèguent rarement à leurs amants; donc, pas de problème là, sauf des abus de temps à autre.

On nous demande donc de choisir entre la créance alimentaire et la réserve successorale. Même le Barreau nous demande de choisir entre ces deux possibilités. Finalement, cela revient à cela.

M. Trudel: Comme Me Plamondon vous l'a dit tantôt, nous ne sommes pas préparés, ce matin, pour vous offrir une autre option. Si on doit - et on s'est toujours fait un devoir de collaborer avec l'Assemblée nationale - regarder d'autres avenues possibles, il nous fera plaisir de travailler en collaboration avec vous, mais on ne peut pas dire, ce matin, que notre solution est la créance alimentaire.

M. Marx: Mais une intervention

ponctuelle, c'est ce que vous avez dit: Je vois la créance alimentaire comme une intervention ponctuelle et je vois le choix pour la sous-commission et pour le gouvernement entre la créance alimentaire et la réserve successorale. Entre les deux, il me semble que la réserve successorale est plus souhaitable. Il y a des problèmes avec la réserve successorale, c'est sûr, il va y en avoir avec la créance alimentaire, si on ne légifère pas. Il y a toujours des problèmes mais, à un moment donné, il faut trancher, faire un choix. Nous pensons légiférer pour le bien-être de la grande majorité des citoyens.

Le Président (M. Gagnon): M. le bâtonnier, je vous laisse le mot de la fin.

Mme Vadboncoeur: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Me

Vadboncoeur.

Mme Vadboncoeur: Si vous pouviez me permettre une dernière remarque. Voira avez mentionné que l'on veut protéger les personnes qui ont droit à une pension alimentaire; donc, vous reconnaissez que le but est d'assurer une protection alimentaire. Or, la réserve ne tient absolument pas compte, mais en rien du tout, des besoins alimentaires des gens à qui elle s'adresse.

M. Marx: Est-ce que M. Pineau...

Le Président (M. Gagnon): Oui, Me Pineau. Tout ce que je vous demande, c'est que la commission soit d'accord pour prolonger jusqu'à 13 heures, s'il le faut, parce qu'il y a un groupe qui attend depuis Il heures.

Des voix: Oui, oui, pas de problème.

Le Président (M. Gagnon): Cela va. Me Pineau.

Me Pineau (Jean): M. le Président, je n'interviens pas sur le fond comme tel, je n'ai pas à me prononcer, à dire si je suis favorable à l'un ou à l'autre des systèmes, au principe de la liberté de tester ou à la réserve. Or, le Barreau a affirmé certaines choses, la Chambre des notaires également, relativement à cet aspect qui vient d'être mentionné par Me Vadboncoeur, des observations au terme desquelles il semblerait que la réserve soit dépourvue de toute idée alimentaire. Or, ceci est totalement inexact. Si on lit les auteurs classiques de droit civil et si on lit l'évolution du droit successoral, on se rend compte qu'en droit romain il y avait le principe de la liberté de tester et que les Romains, à l'époque classique, déjà, ont institué ce qu'ils ont appelé la légitime.

La légitime, ce n'est pas autre chose qu'un droit de créance; c'est une créance alimentaire, la légitime, n'est-ce pas? Bon. À cette légitime, qui était connue dans les pays du Sud, s'opposait la réserve coutumière issue des droits barbares et la réserve coutumière était un droit successoral.

En France, à la révolution et après la révolution, lors de la codification, qu'on relise les auteurs et on verra que les codificateurs français ont fait une oeuvre de transaction entre les pays du Midi et les pays du Nord, donc, entre la légitime et entre la réserve coutumière. S'il est vrai de dire que la réserve du droit français actuel, c'est un droit successoral - c'est ce qu'on a appelé la pars hereditatis - eh bien, elle contient des mesures qui relèvent de la légitime, n'est-ce pas, des pays du Midi, des pays du Sud, à aspect alimentaire. Tous les auteurs écrivent cela. Donc, c'est inexact de dire que cela n'a pas d'aspect alimentaire, car ce sont les parents les plus proches qui ont droit à cette succession précisément parce que le défunt avait un devoir d'assistance à l'égard des proches qu'il laissait dans le deuil.

Le Président (M. Gagnon): Le mot de la fin.

M. Trudel: M. le Président et membres de la commission, je pense qu'on a légèrement dépassé notre temps. Cela prouve que le sujet était important et que nos discussions feront progresser le dossier. Merci infiniment.

Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie M. le bâtonnier, Me Vadboncoeur, Me Plamondon et Me Prévost, du Barreau du Québec. J'invite maintenant l'Association québécoise de planification fiscale et successorale à prendre place. Nous allons suspendre nos travaux pour cinq minutes.

(Suspension de la séance à Il h 52)

(Reprise à 12 heures)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!

Je souhaite la bienvenue à l'Association québécoise de planification fiscale et successorale. Je demande au porte-parole du groupe de s'identifier et de nous présenter les gens qui l'accompagnent en vous disant que, normalement, nous consacrons environ une heure par mémoire, soit un maximum de 20 minutes pour faire lecture du mémoire et le reste du temps pour échanger des propos avec les membres de la commission. Je vous laisse le micro.

AQPFS

M. Barnard (Pierre): Merci, M. le Président. Tout d'abord, je me présente, Me Pierre Barnard. Je suis avocat en pratique privée et je suis président de l'Association québécoise de planification fiscale et successorale. J'ai à ma gauche Me Esther Gagnon, notaire et directrice des services professionnels à l'association; à ma droite, Me Georges Garneau, notaire en pratique privée et directeur du comité de législation de l'association; finalement, M. Yvon Caron, à mon extrême droite, assureur-vie et directeur général et vice-président exécutif de l'association.

Avec votre permission, avant de présenter notre mémoire dont je crois qu'on vient de vous remettre copie, je voudrais résumer brièvement ce qu'est l'Association québécoise de planification fiscale et successorale. C'est une assocciation qui a dix ans d'existence et qui compte maintenant plus de 2000 membres qui proviennent, en très grande majorité, de cinq professions, à savoir: comptables, notaires, avocats, assureurs-vie et administrateurs fiduciaires. Comme vous pouvez le voir, ce sont tous des professionnels qui oeuvrent quotidiennement dans le domaine de la planification successorale et dans le domaine de la rédaction de testaments ou de l'exécution de testaments. Je voudrais aussi ajouter que nous sommes une association totalement indépendante, qui n'est absolument pas subventionnée par qui que ce soit et qui considère donc ne pas avoir d'intérêts particuliers à défendre.

Maintenant, comme notre mémoire est quand même assez court - nous avons essayé d'être succincts - je vais me permettre de vous en faire la lecture, en faisant peut-être quelques apartés ici et là.

En commençant au bas de la page 1, l'étendue du problème. Disons qu'avant de nous prononcer sur l'à-propos de la mesure suggérée, à savoir la réserve héréditaire, nous croyons qu'il importe de nous pencher sur le problème qui a suscité le débat, c'est-à-dire les abus qui peuvent résulter de la liberté absolue de tester.

D'un point abstrait et théorique, nous reconnaissons que la liberté absolue de tester peut mener à des abus et que le législateur devra peut-être intervenir à ce niveau, mais nous croyons que l'on doit prendre conscience du fait qu'en pratique, dans la société québécoise de 1985, les cas d'abus sont exceptionnels. Je dois vous dire que, même si on n'a pas fait de sondage en bonne et due forme, nous avons quand même rencontré plusieurs personnes, notamment au sein de notre conseil d'administration qui est très représentatif. Les cas d'abus qui ont pu être soulevés étaient vraiment dans une proportion infime.

Je crois qu'on peut expliquer ce fait, au moins en partie, par la protection dont le conjoint survivant, qui est évidemment la personne la plus susceptible de subir de pareils abus, bénéficie déjà, des mesures qui lui assurent une protection, à savoir le partage du régime matrimonial en cas de communauté de biens ou de société d'acquêts et la prestation compensatoire. Même si ces mesures sont d'application restreinte - on reconnaît cela, évidemment - elles limitent davantage le nombre de cas-problèmes. Je dois aussi ajouter qu'il faut tenir compte des réalités sociales du Québec auxquelles je faisais référence. Je crois que, compte tenu de notre société, les cas où les gens se permettent de déshériter leur conjoint et, encore plus, leurs enfants à charge, à cause des pressions sociales, sont extrêmement rares.

Nous croyons donc que la réserve ne répond à aucun besoin sociologique suffisamment important pour justifier ce que nous appelons une législation draconienne, à savoir une législation d'application générale et arbitraire. Même si des exceptions peuvent nous paraître d'une injustice criante, il faut admettre que les cas d'exhérédation du conjoint et des enfants sont rarissimes au Québec. Les mariages pouvant y conduire sont presque toujours suivis d'un divorce. Or, la réserve ne sera pas faite pour les gens divorcés.

Maintenant, compte tenu de cette prise de conscience au niveau du problème, nous voulons examiner les deux solutions que nous jugeons les principales, savoir, la réserve héréditaire et le recours alimentaire. Nous croyons que le rapport de la sous-commission, dont nous avons évidemment pris connaissance, identifie assez bien les avantages et les inconvénients de chacune de ces deux mesures.

Le principal reproche que l'on adresse au recours alimentaire, c'est de judiciariser le règlement des successions, mais on lui reconnaît, par contre, la faculté de s'adapter d'une façon plus souple aux besoins réels de ceux que l'on veut protéger. À l'inverse, on insiste sur la facilité d'application de la réserve héréditaire. Or, comme cette dernière constitue une mesure d'application générale et automatique, on reconnaît qu'elle souffre de rigidité.

Je crois que c'est là que le débat doit se situer et c'est là-dessus que nous voulons nous prononcer. À notre connaissance, c'est la première fois qu'en matière civile l'appareil législatif semble mettre en cause l'appareil judiciaire et que ce même appareil législatif préconise une solution globale, générale et sans nuances, de préférence au principe du recours judiciaire qui se présente, par opposition, comme un système de réponses à la carte et individualisé. Évidemment, on exclut les cas d'assurance automobile qui constituaient une primeur dans ce domaine, mais où les circonstances étaient complètement différentes.

Nous croyons qu'il s'agit d'un changement de philosophie qui peut avoir de nombreuses répercussions sur le plan social. Quant à nous, en dépit de tous les reproches que l'on peut faire à notre système judiciaire, nous croyons fermement que, règle générale, le recours au tribunal dans les situations d'exception - parce que c'est ça qu'on vise à guérir ici, des situations d'exception - demeure préférable à l'imposition d'une loi qui risque fort de s'apparenter à un lit de Procuste.

Mon collègue, Me Garneau, m'a appris qu'un lit de Procuste, dans la littérature, c'est un lit qui est d'une grandeur définie et qui ne correspond aux besoins de personne, qui est soit trop court, soit trop grand pour les usagers. Nous croyons que c'est ce qui va arriver avec la réserve hériditaire, à savoir, on attribue au conjoint survivant une part fixe de la succession du défunt. Je dirais que, dans la très grande majorité des cas, cette part fixe qu'on lui attribue va être insuffisante pour répondre à ses besoins, si on tient compte, disons, de la moyenne des successions laissées par les Québécois. Dans une autre très grande partie des cas, elle risque d'être supérieure à ce que le défunt aurait voulu laisser, qu'il s'agisse d'un remariage ou d'autres circonstances qui peuvent s'appliquer.

En revenant au texte, il nous paraît étrange que, pour contrer la suggestion du recours alimentaire, le législateur évoque le fait qu'elle pourrait donner lieu à une judiciarisation extrême et coûteuse pour le conjoint survivant, alors qu'une étude la moindrement attentive des trois livres de la loi 20 et du livre de la famille, notamment dans les cas de divorce, nous révèle que ce même législateur y a considérablement augmenté le nombre de recours au tribunal sans manifester le même scrupule.

On note aussi que le législateur a préféré le recours au tribunal, dans les cas où il y a bris du mariage, à savoir, le divorce, alors qu'il lui aurait été tout aussi facile d'imposer le partage automatique des actifs et des revenus des conjoints. Je pense que les arguments que l'on utilise au niveau de la judiciarisation de la protection, on les utilise pour justifier la réserve héréditaire au décès. On pourrait tout aussi bien les utiliser pour justifier un partage automatique des revenus et des actifs lors d'un divorce. Je pense que cette mesure serait tout aussi inacceptable sur le plan social que semble l'être la réserve héréditaire.

Ce recours à une règle générale semble d'autant plus injustifié que, de par sa nature, il risque de ne pas régler les cas pour lesquels elle serait édictée. En effet, au terme de la proposition qui nous a été soumise, le conjoint survivant n'aurait droit qu'à une fraction minime de la succession. On parle d'un sixième ou d'un quart, selon les cas. Nous croyons que cette fraction risque d'être nettement inadéquate pour assurer la subsistance du conjoint survivant. Un recours alimentaire adéquat serait, pour cette raison, de beaucoup préférable puisqu'il permettrait d'évaluer les besoins réels du conjoint et d'y remédier d'une manière souple.

Aux pages Il et 12 du rapport de la sous-commission, on aborde certains facteurs qui, à notre avis, devraient faire pencher la balance vers une appréciation subjective et, donc, judiciaire de la condition des parties dans le cadre du recours alimentaire.

Je peux peut-être vous résumer certains de ces éléments qui paraissent aux pages Il et 12 du rapport. Premièrement, il y a la discrimination entre les conjoints en instance de divorce et ceux qui viennent d'obtenir un divorce. Comment justifier que, dans le premier cas, la réserve s'applique et qu'elle ne s'applique pas dans le second? Il y a la discrimination entre les conjoints séparés de fait qui, eux, ont droit à la réserve héréditaire et ceux qui ont choisi d'obtenir un divorce; la discrimination que vivent les conjoints de fait; les cas de deuxième mariage qui peuvent susciter des difficultés énormes si on adopte une réserve héréditaire; la notion d'enfant à charge qui, en elle-même, est susceptible de créer plus de conflits que celle d'un recours alimentaire. Qu'est-ce qu'un enfant à charge? Mes collègues du Barreau faisaient allusion tout à l'heure au cas où certains enfants quittent la maison pour aller travailler et où d'autres y restent, soit parce qu'ils font des études, soit parce qu'ils préfèrent ne pas travailler. Ce seraient des enfants à charge qui auraient droit automatiquement à une part de la succession alors que ceux qui sont allés travailler n'y auraient pas droit. Comment va-t-on définir "enfant à charge" et comment va-t-on prévenir les abus? Est-ce que ce n'est pas là une cause de conflit en soi?

Finalement, il y a la discrimination entre les enfants mineurs et majeurs. Pourquoi celui qui a 17 ans va-t-il hériter d'un quart de la succession tandis que celui qui en a 19 va peut-être devoir attendre qu'une fiducie pour le bénéfice du conjoint vienne à terme? Il y a aussi la discrimination entre ce que j'appelle les successions riches et les successions pauvres où, dans un cas, la quote-part qui est allouée risque d'être supérieure aux besoins du conjoint et où, dans un autre cas, elle risque d'être nettement inférieure.

Nous croyons que tous ces facteurs font nettement pencher la balance vers un recours qui laisse la place à une appréciation subjective de la condition des parties, donc un recours judiciaire. Mais, à ma grande surprise - je parle là en mon nom personnel - le rapport prétend qu'il n'est pas sûr que le tribunal soit vraiment en mesure

d'apprécier ces facteurs à leur juste valeur. Je peux vous dire que je suis étonné d'une telle constatation. Je pense que c'est une remise en cause de notre système judiciaire qui, même s'il n'est pas parfait - je suis le premier à le reconnaître pour avoir oeuvré devant les tribunaux - reste encore le meilleur outil que l'on ait pour voir à la justice. Dans la mesure où on essaie de remplacer ce système judiciaire par une règle arbitraire et d'application générale, je crois qu'on fait une erreur sur le plan social. Comme je le disais, est-ce qu'il est sensé que le législateur puisse imposer une règle arbitraire et automatique, sans égard à ta situation des parties? Cela toujours dans la mesure où on cherche à apporter un remède à un problème et que ce problème, ce sont les abus de la liberté absolue de tester qui peuvent laisser le conjoint survivant dans le besoin. Évidemment, si ce qu'on cherche à faire, c'est une autre forme de partage des actifs de la succession, à ce moment-là, la question est tout autre. Mais je pense que, comme on vous l'a souligné tout à l'heure, c'est au niveau des régimes matrimoniaux que l'effort doit être fait.

Nous répétons que le recours ponctuel au tribunal, par l'institution du recours alimentaire, tel que proposé aux articles 703 et suivants du premier projet de loi 20, se révèle le meilleur remède possible aux cas d'exception existant dans notre société. Je crois que le point suivant est très important: la simple institutionnalisation de ce recours dans le Code civil serait puissamment dissuasive d'exhérédation puisqu'un testateur au fait de son existence s'empêcherait volontairement de déshériter complètement son épouse ou ses enfants. Je crois qu'un testateur qui veut déshériter ses proches, normalement, ne prend pas de risque et va voir un conseiller: notaire, avocat ou autre. Ce conseiller, au fait de la loi, va l'informer qu'il risque de mettre sa succession dans une situation périlleuse, à savoir de susciter un recours alimentaire de la part des proches. Je crois qu'une fois informé de ce recours possible, le testateur va prendre ses précautions et, comme il est peut-être celui qui est le mieux en mesure de juger des besoins de ses dépendants, va y pourvoir. Dans la mesure où ce recours est institutionnalisé, fait partie de nos lois, je crois que de sa seule présence, il va limiter de beaucoup son utilisation. Les gens, une fois avertis, vont faire ce qui est nécessaire pour pourvoir aux besoins de leurs dépendants, ce qui va en soi éviter, peut-être pas complètement mais au moins limiter la judiciarisation que le législateur dit tellement craindre. (12 h 15)

Nous nous permettons, avant de terminer cet aspect civil, un certain nombre de critiques précises à l'endroit de la réserve telle que formulée dans les articles de loi accompagnant la proposition de la sous-commission en date du 10 juillet. Pour la très grande majorité des Québécois, la première clause, sinon la seule des testatements entre conjoints se résume à un legs au dernier vivant. Souvent, c'est même fait par voie de contrat de mariage. S'il faut prendre au pied de la lettre le premier article proposé sur la réserve héréditaire, cette clause si simple et si ancrée dans nos moeurs pourra faire l'objet d'une contestation de la part des enfants mineurs ou à charge puisqu'ils seront déshérités. Pour ma part, je crois que la réserve en faveur des enfants mineurs est une erreur importante. Je peux vous dire que, avec l'inflation et les différents actifs qu'on peut accumuler de son vivant, il va y avoir plusieurs cas où des successions importantes vont se voir attribuées en partie à des enfants mineurs. Pour ma part, en prenant un chiffre hypothétique de 1 000 000 $ ou 2 000 000 $ de succession, je m'oppose formellement à ce que mes enfants mineurs héritent à 18 ans de montants de 250 000 $ ou de 500 000 $ sans aucune réserve. Cela va contre mes principes d'éducation, et je ne vois pas pourquoi le législateur m'imposerait cette obligation de léguer des sommes importantes en pleine propriété à des enfants mineurs. Je crois que les parents sont encore les premiers placés pour juger de la capacité de leurs enfants et de leurs besoins. Il y a des institutions dans notre droit, a savoir la fiducie et l'usufruit, qui nous permettent de voir aux besoins de nos enfants. Je ne crois pas que la réserve au profit des enfants dans sa forme actuelle soit souhaitable.

Deuxièmement, puisque, en certains cas, des enfants mineurs devront nécessairement hériter, il faudra, lorsque le testament n'y suppléera pas, procéder à la mise sur pied de tutelles et de conseils de tutelle, formalités qu'un testateur prudent jugerait bon auparavant d'éviter à cause, précisément, d'une certaine judiciarisation du processus. Un testateur de type conventionnel avait pris le parti dans notre société de tout léguer à son conjoint, soit directement ou soit par l'entremise d'une fiducie, en faisant confiance à ce dernier. Avec la loi 20, cette discrétion ne sera plus accordée à ce testateur. On va automatiquement se retrouver avec des tuteurs et des conseils de tutelle dans chaque succession où il va y avoir des enfants mineurs.

Troisièmement, un point qui est peut-être un peu plus technique. L'introduction de la réserve héréditaire dans notre droit risque d'inciter les testateurs à créer systématiquement des fiducies, des usufruits ou des substitutions rédigés de telle sorte qu'un conjoint subséquent du conjoint survivant, donc, en cas de remariage... On va créer ces institutions, à savoir des fiducies, de façon à

s'assurer que le nouveau conjoint, lors du remariage, ne puisse se voir conférer des droits dans les actifs familiaux du premier mariage. Une telle pratique risquerait de compliquer le règlement des successions en faisant intervenir des fiduciaires qui, autrement, ne seraient pas nécessaires.

Prenons mon exemple particulier. Je serais très heureux de laisser tous mes biens directement à mon conjoint survivant en sachant qu'elle va veiller aux besoins des enfants. Mais par contre, avec la réserve héréditaire, je sais que si je fais cela et que mon conjoint se remarie, automatiquement, le nouveau mari va, par le mécanisme de la réserve héréditaire, acquérir un droit sur les biens que j'aurais voulu voir passer à mes enfants. Pour éviter cela, je vais créer un fiducie et cette fiducie va compliquer encore le règlement des successions, de concert évidemment avec la nomination de tutelles et de conseils de tutelle, comme on l'a vu tout à l'heure. Je crois que ces mécanismes qui vont devenir automatiques vont alourdir le processus de règlement des successions. Le conjoint survivant va perdre beaucoup de sa liberté d'action et il va finalement être pénalisé.

Quatrièmement, en prenant à nouveau les articles proposés au pied de la lettre, pourrait-on seulement léguer la totalité de ses biens à une fiducie, même au seul bénéfice de son conjoint survivant et de ses enfants? Si les fiducies déjà créées par le testament ou déjà existantes deviennent propriétaires des biens légués, leur droit de propriété, même si on le dit sui generis, exclut a priori celui du conjoint et des enfants, ce qui paraît inconciliable avec le principe de la réserve, à moins que l'on établisse hors de tout doute que la possession et la propriété fiduciaires restent compatibles avec cette nouvelle institution. Le projet de loi tel que rédigé ne laisse pas de place à la fiducie, du moins pour la part qui est sujette à la réserve.

On va voir tout à l'heure qu'au sujet des impôts, de la fiscalité, cela peut créer des difficultés substantielles. Je crois que, dans la mesure où le système de réserve est adopté, même si nous nous y opposons, le projet de loi va devoir être refondu pour qu'on laisse la place à la fiducie, notamment à la fiducie exclusive au bénéfice du conjoint que l'on connaît dans notre droit fiscal.

Ces facteurs nous forcent à conclure que la réserve héréditaire constituera, dans la très grande majorité des cas, un net recul pour le conjoint survivant, à cause du fardeau d'administration qu'on va lui imposer. Les femmes seront les premières victimes de ce recul, compte tenu de leur espérance de vie supérieure.

Je voudrais maintenant aborder brièvement les incidences fiscales de la réserve héréditaire. Nous sommes tout à fait conscients, même si nous sommes une association qui regroupe de nombreux fiscalistes, que l'aspect fiscal des mesures étudiées vient évidemment en second lieu. Il doit laisser la première place à l'aspect social. Mais nous nous contentons quand même de soulever certaines difficultés dans le domaine fiscal, compte tenu surtout de l'allégation qui est contenue dans le rapport indiquant que le recours alimentaire alourdirait la planification sucessorale. Nous croyons que c'est faux.

Comme je vous le disais tout à l'heure, nous sommes confrontés tous les jours à ces problèmes de planification. Nous croyons que le recours alimentaire ne sera invoqué que dans de très rares cas et que tout testateur qui sera normalement conscient des besoins de ses proches pourra planifier pour prévoir justement ces besoins, sauf s'il est de la plus complète mauvaise foi, ce qui sera encore plus rare.

Nous croyons que la planification successorale peut très bien se faire avec un recours alimentaire. Par contre, la réserve, puisqu'elle sera d'application générale et dépourvue de toute nuance, empêchera très souvent un testataire et sa succession de recourir à certaines dispositions des lois fiscales qui accordent des exemptions à l'occasion de certains transferts de biens. À l'heure actuelle, la loi fiscale prévoit un transfert libre de tout impôt, lorsque les biens passent au conjoint survivant ou encore à une fiducie qu'on appelle exclusive pour le bénéfice du conjoint. On parle d'une fiducie dans laquelle le conjoint a le droit de son vivant à tous les revenus de la fiducie. Évidemment, dans ces fiducies, normalement, les enfants auront droit au capital, au décès du conjoint. C'est une mesure qui est fortement ancrée dans nos lois fiscales et qui, je crois, correspond à notre société.

Évidemment, la part qui sera dévolue aux enfants mineurs, en vertu de la réserve, ne pourra pas tomber sous le coup de ces transferts libres d'impôt. Donc, automatiquement, dans la mesure où les biens qui vont être transférés aux enfants mineurs vont, par exemple, être des biens dépréciables ou des biens amortissables au sens des lois fiscales ou encore, par exemple, des actions de compagnies, des biens qui peuvent donner lieu à un gain en capital, il va y avoir au moment du décès des impôts à payer sur ces biens qui sont transférés aux mineurs, contrairement à ce qui existe dans les autres provinces où on peut effectuer ce transfert libre d'impôt indirectement par voie d'une fiducie pour le bénéfice du conjoint avec le capital légué aux enfants.

Je crois qu'en adoptant ta réserve héréditaire dans sa forme actuelle, on alourdit encore le fardeau fiscal de la famille québécoise. Je crois que l'on complique aussi de beaucoup le transfert de

nos entreprises québécoises, notamment dans les cas de remariage. Qu'est-ce qui se produit quand une personne à sa retraite, par exemple, ou une personne plus âgée se remarie et que ses enfants ont travaillé toute leur vie pour bâtir leur entreprise familiale? Cette personne ne peut plus laisser en pleine propriété l'entreprise familiale à ses enfants parce que le nouveau conjoint obtient des droits en vertu de la réserve héréditaire. Je crois qu'en soi, cela peut empêcher de nombreux remariages ou encore peut créer de nombreuses frictions dans les familles parce que, évidemment, les enfants ne verront pas d'un bon oeil que leur père ou leur mère se remarie et que le nouveau conjoint acquière des droits dans la succession qu'ils croyaient leur.

Pour ces raisons, nous croyons que l'existence d'une réserve héréditaire pourrait créer un morcellement de succession et nuire au transfert d'une entreprise familiale à la génération suivante. Par voie d'exemple, pour ajouter un autre exemple, vous avez des cas où il y a un enfant majeur, deux enfants mineurs et un conjoint par voie de remariage. L'enfant majeur oeuvre dans l'entreprise familiale, les deux enfants mineurs sont à l'université et font des études de médecine, de droit ou de notariat ou quoi que ce soit. Comme le père ne peut plus laisser l'entreprise en pleine propriété à son fils majeur, même si celui-ci a mis beaucoup de ses efforts pour bâtir cette entreprise, automatiquement, la moitié de l'entreprise doit passer aux enfants mineurs et au conjoint survivant. Évidemment, si on parle d'un deuxième conjoint, la situation est encore empirée. Pour moi, c'est une situation inacceptable.

En conclusion, l'AQPFS se prononce catégoriquement contre l'introduction dans notre droit de la réserve héréditaire. Toute restriction s'évertuant à prévoir un mécanisme quelconque d'équilibrage au décès brimerait le sens des responsabilités des individus dans la mesure où cette nouvelle règle est d'application automatique et arbitraire.

Le rôle de l'État lui permet-il de s'immiscer dans la vie privée des citoyens en créant des institutions qui les incitent à éviter le mariage ou encore à divorcer quand ils se seraient contentés d'une simple séparation? Je vous rappelle un peu, en guise de conclusion, la situation qui existait il y a quelques années avec le supplément du revenu garanti, alors que les gens ne voulaient pas se remarier. On sait que notre population devient de plus en plus âgée. Il y a quelques années, les gens ne voulaient pas se remarier parce qu'ils risquaient de perdre le supplément du revenu garanti ou, en tout cas, il y avait une différence de quelques dizaines de dollars qui faisait que les gens préféraient vivre en concubinage. En introduisant une réserve héréditaire, est-ce qu'on n'introduit pas une nouvelle mesure qui aura exactement le même effet? Encore une fois, les enfants vont s'opposer à ce que leurs parents se remarient de façon à éviter l'application de la réserve héréditaire et les conjoints eux-mêmes peuvent décider de leur propre chef de ne pas se remarier justement pour éviter cette réserve, parce que l'on sait, selon la proposition, qu'on ne peut pas y renoncer par voie de contrat de mariage.

Je crois que ce sont nos commentaires, à moins que mes collègues aient quelque chose à ajouter.

Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie et je vais inviter vos collègues à répondre aux questions qui peuvent leur être adressées car on a déjà pris 28 minutes environ pour le dépôt du mémoire. Je vous remercie, Me Barnard, et j'invite Mme la députée de Maisonneuve à prendre la parole.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Comme je vous le mentionnais, nous avons reçu votre mémoire lors même de nos travaux ce matin; nous en avons pris connaissance au moment où vous nous l'exposiez. Je dois vous dire, Me Barnard...

M. Barnard: C'est cela.

Mme Harel: ...que, comme sociologue et avocate, je ne peux pas souscrire au jugement définitif et sans nuance que vous portez sur le fait que la réserve ne répond à aucun besoin sociologique. Je ne veux pas ici argumenter sur cette question ou non de l'arbitraire du tribunal plutôt que l'arbitraire d'une mesure à l'intérieur du code, mais bien plus sur le fait que vous nous dites qu'il n'y a pas d'abus, tout compte fait, et que s'il y a abus, vous préféreriez de beaucoup qu'il y ait créance et donc, recours par les personnes pour faire valoir ce droit devant le tribunal. (12 h 30)

Je vous dirais que sur le plan sociologique, s'il y a une réalité qui est non seulement constatée mais reconnue, c'est que très souvent les personnes - et en particulier les femmes - ne souhaitent pas envenimer des situations elles sont très souvent victimes. Ma propre expérience m'a démontré qu'un certain nombre ne réclame même pas la pension alimentaire à laquelle un jugement leur a fait droit pour ne pas envenimer des situations. Bon nombre de celles qui sont victimes de violence conjugale ne poursuivent même pas leur conjoint assaillant. Je pense qu'on pourrait multiplier les exemples dans ce sens. Quant au fait de penser que la créance est une solution un peu magique, d'une certaine façon, compte tenu justement de la réalité sociologique, je pense qu'il y a là de sérieuses questions à se poser.

Vous avez fait état - je crois que la sous-commission va prendre en sérieuse considération les problèmes d'application que vous lui posez - de cette réalité très répandue de léguer au dernier vivant les biens dans les testaments. Vous faisiez aussi état des difficultés qui seraient inhérentes si une réserve, dans un cas de remariage par exemple, permettait au nouveau conjoint de bénéficier de ce qui serait obtenu avec la réserve. Que je sache, puisque cette coutume de léguer au dernier vivant les biens est très répandue, il s'agit donc du même problème puisque le nouveau conjoint, dans un cas de remariage, peut aussi bénéficier des biens. Vous nous mentionniez que cela pourrait inciter certains enfants à s'opposer au remariage, si tant est qu'il y avait une part réservataire. Si cela est si répandu - cette coutume de laisser au dernier vivant les biens l'est, d'ailleurs - on peut se poser le même type de questions à l'égard d'un remariage ou d'un second mariage.

Vous nous mentionniez, avec raison je pense, les difficultés inhérentes à la part réservataire aux enfants à charge. Je voudrais simplement vous rappeler que, dans le cadre des modifications apportées, les parents deviennent tuteurs légaux de leurs enfants et que cela peut certainement simplifier l'administration pour le conjoint survivant.

Par ailleurs, cela est inclus dans le mémoire qui était transmis dans ce projet qui vous a été communiqué par le ministère de la Justice, le testateur pourrait en tout temps satisfaire personnellement la part d'un réservataire au moyen de toute espèce de legs ou, encore, en le désignant comme bénéficiaire d'un produit d'un contrat dans le cas, par exemple, d'une entreprise qui serait administrée par un majeur avec des enfants mineurs qui seraient à la charge.

Je veux simplement vous remercier pour toutes les considérations dont vous nous avez fait part, mais vous dire que la recherche d'une protection pour la famille immédiate semble souhaitable et souhaitée par un très grand nombre de nos concitoyens.

Le Président (M. Gagnon): Me Barnard.

M. Barnard: Je peux peux-être répondre à certains des points que vous avez soulevés. Mes collègues voudront peut-être le faire aussi par la suite. Tout d'abord, notre position n'est pas à savoir qu'il n'y a pas d'abus. Elle est à savoir que les abus ne sont peut-être pas aussi fréquents qu'on pourrait être porté à le croire. Nous sommes conscients, comme n'importe quel citoyen du Québec, qu'il y a des abus.

Nous ne croyons pas non plus que la créance alimentaire soit une solution magique. Nous sommes conscients de certaines difficultés d'application. Nous croyons toutefois que les difficultés d'application de la créance sont moindres que celles de la réserve héréditaire parce que, justement, on s'en rapporte à l'argument que, premièrement, les citoyens étant conscients de l'existence de ce recours pourvoiront aux besoins de leur conjoint et, évidemment, de leurs enfants à charge et que, deuxièmement, le tribunal, à défaut de ce faire, sera en mesure de mieux pourvoir aux besoins de ceux qui ont été déshérités, qu'une règle que j'appelle arbitraire en ce sens qu'elle s'applique à tous, indépendamment de leur situation particulière...

Troisièmement, au sujet du nouveau conjoint, vous avez souligné avec raison que, dans notre droit actuel avec un testament au dernier vivant les biens, un nouveau conjoint pourrait effectivement hériter de certains biens de la première famille, mais compte tenu de la liberté absolue de tester, il faudrait quand même que le conjoint survivant ou le premier conjoint ait légué ces biens-là à son nouveau conjoint plutôt que de les avoir légués aux enfants du couple. Je disais qu'il ne sera plus possible pour un conjoint survivant de léguer la totalité des biens, disons plus que les trois quarts des biens, à ses enfants, même dans les cas où ces biens proviennent d'un premier mariage et que le nouveau conjoint n'y ait pas fait d'apport.

Quatrièmement, vous avez aussi souligné la possibilité de pourvoir autrement à la réserve. Je dois admettre que j'ai peut-être certains préjugés à ce sujet parce que ma pratique, c'est surtout au niveau des PME et je peux vous dire que, normalement, le cas classique, c'est que la PME va constituer la très grande proportion du patrimoine d'un entrepreneur québécois si on excepte évidemment la résidence familiale et certains autres actifs. Souvent, ces PME ont besoin de toutes les liquidités dont elles disposent, et même plus. On peut, dans plusieurs cas, grever nos PME d'un fardeau additionnel, à savoir désintéresser le conjoint survivant. Évidemment, dans le cas d'un remariage, je pense que la situation familiale est aggravée et on peut aussi désintéresser des enfants mineurs. Souvent, cela peut mener à la vente de l'entreprise.

Je ne sais pas si mes collègues veulent ajouter...

Le Président (M. Gagnon): Me Garneau.

M. Garneau (Georges): J'aimerais aborder un aspect différent du problème, mais auparavant je voudrais rappeler à Me Harel qu'à l'AQPFS, quand nous avons dit qu'il n'y a pas de besoin sociologique réel, c'était relatif. C'était en rapport avec l'application d'une loi qui s'appelle la réserve. Évidemment, la question que nous nous posons, que nous nous permettons de

poser aux législateurs, c'est: À partir de quel nombre d'abus peut-on imaginer qu'un législateur intervienne? Avec tout le respect que je vous dois, Me Harel, je dois dire que vous vous retranchez derrière des statistiques incontrôlables. Vous dites: Beaucoup de personnes pensent. Nous sommes d'accord, mais si c'était possible éventuellement, d'une façon ou de l'autre, de le savoir, cela nous éclairerait peut-être et cela pourrait peut-être nous permettre de corriger notre tir car nous pensons que le besoin ne justifie pas une loi aussi draconienne.

Ce n'est pas l'aspect principal sur lequel je voudrais intervenir. Je ne voudrais intervenir qu'une fois - mais sur l'aspect de la division de la réserve entre le conjoint et les enfants. Évidemment, des intervenants nous ont précédés. J'ai entendu un peu ce que le Barreau disait ce matin, mais je crois comprendre - on m'arrêtera immédiatement si je me trompe - que la réserve existera à la fois pour le conjoint et pour les enfants. Je me demande pourquoi. Je suis notaire de profession et plutôt conservateur de nature. Je me dis: Comment comprendre une chose semblable? Pourquoi changer une formule qui fonctionne pour une formule dont on ignore tout? On l'a dit, on l'a répété, je pense: ou les gens décèdent sans testament, auquel cas la réserve est là par la dévolution légale, ou bien ils font un testament et, dans la très grande majorité des cas, les maris qui font des testaments lèguent tous leurs biens à leur femme. Je ne peux pas croire que les maris le font par intimidation; ils sont très libres quand ils font un testament. S'ils donnent tous leurs biens à leur femme, c'est très volontaire dans à peu près 99 % des cas. Partant de là, je me dis: Comment se fait-il qu'au moment où un mari commence, enfin, que les hommes - c'est nous - commencent enfin à comprendre que leur femme est assez fine pour hériter de tous leurs biens, que ce soit dans les milieux modestes ou les milieux aisés, comment se fait-il qu'au moment où les gens aisés sont disposés à laisser la pleine propriété de leur entreprise à leur conjoint, le législateur arrive pour dire: Non, c'est fini, une partie de votre succession va aller à vos enfants, on vous l'impose? Je pense qu'à l'AQPFS et dans ma clientèle, on se pose aussi la question: Pourquoi, alors que les maris, en général - parce que ce sont eux, selon les statistiques - meurent les premiers l'inverse doit être vrai aussi - comment se fait-il qu'on veuille ainsi empêcher les maris de pouvoir tout léguer à leur femme? J'ai cru comprendre ce matin par une intervention qu'on a peu parlé de la réserve en faveur des enfants, que ce sont des mouvements de femmes qui ont demandé la chose, pour la protection des femmes. Je les comprends. Remarquez que je ne suis pas d'accord avec la réserve, mais je me dis que je la comprends encore moins si on complique le problème par des choses faites pour des enfants qui, peut-être, n'en demandent pas tant.

Je pense en conclusion de cela que beaucoup de problèmes seraient réglés si -encore une fois, je parle à titre personnel et... pas dans l'AQPFS. Je pense que si cette réserve n'existait pas pour les enfants, on éviterait tous les problèmes fiscaux que mon collègue Barnard vient de mentionner; on éviterait aussi aux gens l'obligation de faire des testaments qui vont coûter plus cher et des planifications et des règlements de succession qui vont également coûter plus cher. Et là je parle de la masse des gens. C'était là le but de mon intervention.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: M. le Président, le dernier paragraphe à la page 1 m'a surpris un petit peu parce que vous avez écrit: "D'un point de vue abstrait et théorique, la liberté absolue de tester donne l'apparence de mener à des abus que le législateur se doit d'empêcher." La députée de Maisonneuve a déjà soulevé le point qu'il y a une réserve successorale partout dans le monde occidental, sauf en Afrique du Sud.

M. Garneau: La Californie.

M. Marx: En Californie... C'est cela. Il y a un système. Ce n'est peut-être pas une réserve successorale comme on l'a envisagée dans notre projet de loi, mais il y a une certaine protection. Donc, il y a des protections dans l'État de New York, dans l'État de Kentuckey, en Floride où beaucoup de Québécois passent leur hiver, et ainsi de suite. Cela n'est pas tellement exagéré de dire que nous sommes comme les autres de ce point de vue, qu'il y a peut-être un certain problème ici. Mais, de toute façon... Je ne pense pas que c'est tellement radical de légiférer en prévoyant une réserve successorale. Vous avez parlé de loi draconienne. Je pense que ce n'est pas si draconien que cela de toute façon.

Vous avez dit que la plupart des maris lèguent à leur femme. Si c'est le cas, on n'enlève rien à ces personnes, parce qu'ils lèguent de toute façon. On va prévoir un petit peu dans la loi. Ils peuvent léguer davantage parce qu'on va leur laisser une marge.

M. Garneau: Mais pas la totalité.

M. Marx: C'est cela. Ils lèguent. On ne va pas dans la réserve successorale. Ce serait une partie, disons que ce serait 20 %, qui seraient transmis par la loi.

M. Garneau: Non, mais un testateur ne pourra plus léguer tous ses biens à sa femme.

M. Marx: Pourquoi?

M. Garneau: Parce que les enfants ont droit...

M. Marx: Ah'. D'accord. J'y reviens. J'y reviens. J'y reviens. J'y reviens. Mais, en ce qui concerne la femme, ce serait possible pour lui de léguer une autre partie.

Maintenant, en ce qui concerne les enfants. Vous avez soulevé un point intéressant. Peut-être serait-il souhaitable qu'on supprime la réserve successorale pour les enfants et qu'on augmente la part du conjoint, parce que le conjoint survivant aurait la responsabilité pour prévoir aux aliments de ces enfants. C'est là une possibilité.

M. Garneau: Ce n'est pas ce que j'ai suggéré.

M. Marx: Non. Ce n'est pas ce que vous avez suggéré, mais si on adopte une réserve successorale en supprimant les enfants, on enlèverait les soi-disant problèmes que vous avez soulevés.

M. Garneau: C'est exact, mais il n'est pas nécessaire pour cela d'augmenter la réserve de l'épouse.

M. Marx: Supposons qu'on garde la réserve du conjoint telle quelle dans le projet, on supprime les enfants parce qu'on va éviter les problèmes que vous avez soulevés, que le Barreau a soulevés entre les enfants de 17 ans et 18 ans, que mon collègue le député de Saint-Laurent a soulevés aussi, et on prévoit une réserve successorale pour le conjoint qui va pourvoir aux enfants parce que ce sera une des responsabilités qui incomberont à cette personne en vertu de la loi. Je ne vois pas d'objection maintenant de votre part. Étant donné que vous avez dit que les maris lèguent à leurs épouses, s'ils font cela en tellement grande majorité, j'imagine que ceux qui ne le font pas, ce sont des abus pour un certain nombre. (12 h 45)

M. Garneau: Me Marx, il ne faudrait pas nous enfermer dans une dialectique qui n'est pas la mienne. Je n'ai pas dit que, parce que la réserve se résumerait à l'épouse, tous les problèmes sont réglés, quand même. Il y en a peut-être d'autres qui ont été soulevés, voyez-vous?

M. Marx: Quel serait le problème maintenant?

M. Garneau: Entre autres, par exemple, est-ce qu'on a mentionné, je ne sais, l'espèce de distorsion qu'on crée de plus en plus entre les gens mariés et les gens en union libre? On se demande si on veut tellement favoriser le mariage, en haut lieu. Maintenant qu'il n'y a plus de droits de succession, par exemple, qu'il n'y a plus d'impôt sur les dons, on peut se demander pourquoi se marier d'autant plus qu'hier soir encore, je m'excuse, mais hier soir encore on me disait: Moi j'étais séparé. Je viens de lire dans le journal - un de mes bons clients - je viens de lire dans le journal que, mon Dieu, il y a une réserve. Alors un homme qui vivait séparé de fait depuis huit ans ou de droit de sa femme, a dit: Je n'ai qu'un recours, il faut divorcer. Il ne voulait pas que son conjoint, son ex-conjoint, divorcé depuis huit ans, hérite automatiquement d'une part de sa succession.

On amplifie la distorsion entre les gens mariés, d'une part, et les gens qui sont en séparation de biens ou qui sont en union libre. Cela aussi est une objection.

M. Marx: Entre les personnes mariées et entre les personnes en union libre, il y a toujours des différences. Par exemple, les personnes mariées peuvent enregistrer...

M. Garneau: Est-ce qu'on veut favoriser l'union libre?

M. Marx: ...sur la résidence familiale. Pardon?

M. Garneau: Est-ce qu'on veut favoriser l'union libre? C'est un peu la question qu'on se pose quand on voit ce genre de loi.

M. Marx: Je veux juste revenir... Je pense qu'il y a des différences entre les personnes mariées et les personnes qui sont dans une union libre. Je veux revenir sur un petit point. Vous avez dit que la grande majorité des maris lèguent à leurs femmes... Est-ce que c'est ça?

M. Garneau: C'est exact.

M. Marx: Supposons qu'on a la réserve successorale, on écarte les enfants. Donc, qu'est-ce qu'on change? La grande majorité des maris lèguent à leurs femmes. Pour ceux qui sont différents de la grande majorité, on va leur imposer un minimum. Je ne vois pas de problème avec ce principe, quitte à refaire tout le mécanisme, toute la plomberie de la loi. Vous dites qu'on le fait, donc, on ne change absolument rien.

M. Barnard: Je peux peut-être répondre à cela. Moi, je vois une difficulté qui me vient à l'esprit. Même si j'avoue qu'on élimine plusieurs problèmes en sortant les

enfants du cadre de la réserve, j'y vois quand même une difficulté au niveau d'un deuxième mariage. Dans notre société, un deuxième mariage est très fréquent. Qu'est-ce qu'on fait pour les enfants du premier mariage?

M. Marx: Est-ce que les maris lèguent seulement à leur première femme et non à leur deuxième?

M. Barnard: Cela dépend... Une voix: À aucune.

M. Marx: Aucune! Quelqu'un dit: à aucune. Bon, cela...

M. Barnard: ...des cas, M. le député. C'est pour cela que la liberté de tester...

M. Marx: Non, ce n'est pas cela. Vous avez dit que la grande majorité des maris lèguent à leurs épouses. J'ai pris cela comme les première, deuxième, troisième et quatrième.

M. Garneau: Vous avez mal compris.

M. Marx: Donc, cela veut dire que les maris lèguent seulement à leur première épouse et que la deuxième...

M. Barnard: II y a quand même des cas d'exception de second et de troisième mariage, il faut le comprendre. Mais la loi est générale; elle est absolue; c'est un lit de Procuste, on vous l'a dit, c'est fait pour tout le monde, sans exception, sans nuance. C'est cela, le problème.

M. Marx: Oui, mais...

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee, je crois que Me Gagnon voudrait ajouter quelque chose.

Mme Gagnon (Esther): Cela fait plusieurs fois que vous répétez: La grande majorité des maris lèguent à leur femme.

M. Marx: ...

Mme Gagnon: Je suis certaine que Me Garneau a voulu dire: La grande majorité des conjoints se lèguent mutuellement leurs biens. Ce serait plus...

M. Marx: C'est cela. Moi, je l'ai cité et il n'a pas dit cela. Je n'ai pas voulu...

Mme Gagnon: Non. La grande majorité des conjoints se lèguent mutuellement leurs biens.

M. Marx: D'accord. Je préfère ce langage, mais ce n'est pas ce qu'il avait dit et le Barreau non plus.

M. Garneau: Je me rallie.

Mme Gagnon: Je connais mon confrère et je crois que c'est ce qu'il a voulu dire.

M. Garneau: Dans le feu de la discussion, on oublie les nuances de vocabulaire.

M. Marx: Voilà comment on peut évoluer en commission parlementaire!

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Marx: Si on reprend: La grande majorité des conjoints lèguent à leur conjoint. Donc, je ne vois pas vraiment de problème en prévoyant une réserve successorale. Dans les cas d'un deuxième mariage, j'imagine qu'on lègue dans le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième... Non? On lègue seulement dans le premier mariage?

M. Barnard: Je peux peut-être vous faire part d'une expérience personnelle que j'ai vécue dans ma pratique récemment. Vous allez peut-être comprendre un peu mieux ce dont on parle. Un homme d'affaires est venu me consulter pour faire son testament. Il avait une entreprise qui avait beaucoup de valeur et dans laquelle son fils travaillait depuis plusieurs années. Cet homme s'est remarié avec une personne assez âgée et elle avait des ressources personnelles importantes. Dans son testament, il a fait un legs à sa femme, mais il ne lui a pas légué 50 % de sa succession. Elle n'en avait pas besoin. Par contre, il voulait que son entreprise soit transmise à son fils. Ce n'est pas un cas exceptionnel. On ne nie pas qu'il y ait des problèmes. Vous avez peut-être attaché trop d'importance au paragraphe que vous avez cité tout à l'heure. On dit que les cas-problèmes ne sont peut-être pas aussi importants qu'on pourrait le croire, compte tenu de la notion de liberté absolue de tester. Ce qu'on dit, c'est que, compte tenu du fait que ce sont des cas d'exception, on est peut-être mieux de résoudre ces cas d'exception par un recours ponctuel, pour utiliser l'expression de mes collègues du Barreau tout à l'heure, qui va permettre au tribunal d'apprécier la condition des parties: que ce soit le fait que, par exemple, dans une succession de 200 000 $, ce qui est quand même fréquent, le conjoint n'ait pas assez du sixième ou du quart de la succession pour vivre. Dans les autres cas, la même chose. Vous nous avez dit tout à l'heure que, à part l'Afrique du Sud, le Québec et la Californie, les autres États ont tous une réserve héréditaire. Je ne crois pas

que ce soit exact. Tous les États de "common law", si je me fie aux mémoires préparés pour la sous-commission, ont adopté presque sans exception la créance alimentaire et je crois que le système juridique des États de "common law" est un système juridique assez avancé. Nous ne voulons quand même pas jouer aux autruches. Nous croyons qu'il y a un problème et nous disons que dans la mesure où on décide de légiférer la créance alimentaire est un recours beaucoup plus efficace et qui va créer beaucoup moins de difficultés que la réserve héréditaire. C'est essentiellement notre position. On va voulu ponctuer par des exemples cette position.

M. Marx: Donc, vous êtes pour la créance alimentaire et pas pour la réserve successorale parce que c'est plus efficace et plus juste.

M. Barnard: C'est cela.

M. Marx: II y en a d'autres qui sont venus devant la commission. Des députés avocats praticiens, comme je les ai qualifiés pour faire la distinction avec les députés avocats non praticiens, nous ont dit que la créance alimentaire était un nid à procès. Cela va donner ouverture à beaucoup de litiges et, s'il faut choisir, choisissez la réserve successorale, ont-ils dit. Sur ce point, ce n'est pas sûr que la créance alimentaire soit le régime le plus efficace.

M. Barnard: Si je peux répéter ce qu'on a dit dans le mémoire, c'est exactement à ce niveau que le débat se situe. Est-ce qu'on préfère faire confiance au système judiciaire, quitte à introduire certaines mesures qui le rendront plus efficace, par exemple, des mesures provisoires, comme cela existe dans les cas de divorce, soit faciliter le recours par des mesures administratives, créer une chambre spéciale, offrir une certaine aide pour défrayer les coûts dans les cas où c'est nécessaire? Je pense qu'il y a toutes sortes de mesures qu'on peut envisager pour rendre plus efficace le recours judiciaire, dans les cas d'exception où on devra l'utiliser, parce que n'oublions pas, comme nous l'avons soutenu, qu'il s'agit d'une situation d'exception et que Ies testateurs, conscients de l'existence du recours, vont normalement pourvoir aux besoins de leurs dépendants encore plus qu'ils ne le faisaient. Dans les cas d'exception, je crois qu'on pourrait toujours utiliser ce recours et cela risque peut-être d'être moins un nid à procès que, par exemple, les recours par des soi-disant enfants à charge qui sont majeurs.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: En fait, je constate qu'il y a quand même un consensus sur le fait qu'il faut rechercher une mesure de protection. Comme vous le disiez, les pays de droit anglais choisissent habituellement la créance alimentaire mais les États de tradition civiliste optent habituellement pour la réserve.

Je crois que vous posiez avec raison la question: Y a-t-il des abus? Par ailleurs, certains groupes qui se sont présentés devant cette sous-commission ont donné quelques exemples, mais ils ont particulièrement insisté sur ces abus qui ne sont pas connus. Car bien des personnes vivent dans une menace d'exhérédation sans pour autant que cela se produise, mais c'est une menace qui les contraint dans un climat qui nous a été décrit durant la sous-commission. Cela dit, je pense que l'objectif de plusieurs organismes qui se sont présentés et qui plaidaient pour étaient plus d'argumenter pour l'égalité des conjoints dans le couple.

Dans ce sens-là, je crois que c'est important, quand vous parliez des unions de fait. Mais le mariage, indépendamment de la relation intime entre les personnes, qui peut exister autant dans les unions de fait que dans le mariage, quand c'est un contrat qui engage les parties l'une envers l'autre... Dans une union de fait, aucun conjoint ne doit des aliments à l'autre, même de son vivant; il y a un choix qui se fait du vivant et, conséquemment, post mortem. Tandis que dans le mariage il y a un contrat du vivant qui donne des obligations. Je crois qu'il ne faut pas qu'il y ait de zones d'ombre, que les choix puissent se faire dans un contexte juridique clair, de façon que les personnes qui, dans notre société, choisissent les unions de fait de leur vivant, sachant qu'elles n'ont pas d'obligation d'aliments l'une envers l'autre, mais qu'elles peuvent pallier de façon différente, si elles le jugent à propos, par une copropriété ou par bien d'autres formules qu'elles vont trouver plus appropriées, sachent qu'elles n'ont pas cette protection que donne le contrat de mariage.

M. Garneau: Est-ce que le mariage empêche les gens de continuer à être vigilants? Nous voyons beaucoup de cas...

Mme Harel: Au contraire.

M. Garneau: La vie de tous les jours nous montre quoi? Que ce soient des gens en union libre, des gens mariés en société d'acquêts, des gens mariés en séparation de biens, de plus en plus que voyons-nous? Ce sont des achats conjoints, en copropriété, parce que l'éducation se fait et monte lentement dans les couches de la société. C'est la seule façon probablement de régler définitivement le problème, comme on l'a mentionné.

Mme Harel: Ce serait vraiment intéressant si c'était le cas, mais on est venu nous démontrer en commission que parfois, dans certains milieux urbains, dans certains milieux il y a eu évolution rapide des mentalités mais que ce n'était pas nécessairement le cas.

Indépendamment de cette réalité qui évolue, je pense que le choix du législateur -c'était un choix conforme aux recommandations qui ont été faites devant les commissions qui ont siégé - était de bien distinguer entre l'union de fait et le mariage, de façon que l'on sache sans nul autre doute quelles sont les obligations à l'égard de son conjoint dans un cas comme dans l'autre. (13 heures)

M. Barnard: Seulement une intervention.

Le Président (M. Gagnon): Le mot de la fin.

M. Barnard: D'accord. Je trouve intéressante la distinction que vous faites entre les conjoints qui décident de je marier et ceux qui décident de demeurer en union de fait, conscients des conséquences, mais est-ce qu'on ne peut pas faire le même raisonnement quant au choix du régime matrimonial? Les conjoints qui veulent une protection plus grande que celle que le simple mariage leur donne - cette protection, c'est un recours d'aliments - peuvent choisir un régime de communauté de biens ou un régime de société d'acquêts. Dans la mesure où, conseillés par un professionnel, ils choisissent un régime de séparation de biens, qui procure quand même certains avantages, si on tient compte des risques de saisie ou quoi que ce soit, est-ce qu'on ne doit pas les laisser assumer la conséquence de ce choix?

Mme Harel: Dans le projet qui est déposé devant la sous-commission, on prend en considération les avantages du régime matrimonial puisque le cumul ne pourrait pas équivaloir à plus de la moitié de la valeur de la succession.

M. Garneau: II s'agit d'un texte que nous n'avons pas avec nous, je pense.

Mme Harel: Je crois que oui, il vous avait été acheminé. Il était dans les recommandations.

M. Garneau: Nous avons celles de juillet.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Saint-Laurent, est-ce que vous...

M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous me permettez un petit moment, j'aurais simplement une question, madame.

Le Président (M. Gagnon): Est-ce que la commission est d'accord... Un instant, s'il vous plaît! Comme il est rendu 13 heures, je dois vous demander si vous êtes d'accord à poursuivre. M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je veux simplement revenir sur ce point. Si vraiment les gens ont la possibilité de vivre en union libre et que, dans ce cas, on ne leur impose aucune obligation, pourquoi les gens qui décident de se marier n'ont-ils pas le même privilège? Ils n'ont pas le droit de décider d'être mariés en séparation de biens. On leur dit: Vous avez décidé, librement, de vous marier, volontairement, vous avez fait cela en toute connaissance de cause. Non l'État doit intervenir et doit réglementer votre union. Si vous avez décidé d'être en union libre, à ce moment, vous êtes libres, faites ce que vous voulez. Déshéritez-vous, pas de pension, aucune protection. Vous pouvez avoir vécu 30 ou 40 ans ensemble, il n'y en a pas.

Le Président (M. Gagnon): Je vous ferai remarquer, M. le député de Saint-Laurent...

M. Marx: ...

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est évident que je ne peux pas être d'accord avec cela.

Le Président (M. Gagnon): ...que vous revenez sur un débat qu'on a déjà eu en commission parlementaire au tout début. M. le député de D'Arcy McGee, à vous.

M. Marx: J'ai juste voulu demander au député de Saint-Laurent s'il est pour l'abrogation du Code civil. Tout le monde serait sur un pied d'égalité.

Le Président (M. Gagnon): Me Barnard, définitivement, le mot de la fin.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je suis pour qu'on intervienne le moins possible dans les affaires des citoyens.

M. Barnard: Le dernier mot, tout simplement une remarque à M. Marx. Dans la mesure où on croit que le choix de certains individus de vivre en union libre est un choix éclairé, mais par contre que le choix de choisir le régime de séparation de biens ne l'est pas, est-ce qu'on ne devrait pas tout simplement abolir le régime de séparation de biens entre conjoints?

Le Président (M. Gagnon): Me Gagnon.

Mme Gagnon: J'aimerais ajouter quelque chose. Peut-être abolir le régime de la séparation de biens ou élargir les critères qui existent actuellement concernant la prestation compensatoire, selon lesquels le conjoint

a le fardeau de la preuve pour prouver l'enrichissement du patrimoine. Les tribunaux, le juge sont très restreints pour rendre une décision éclairée. Je reprends ce que Mme Harel a dit: II est gênant - et je suis d'accord avec vous - pour une femme de provoquer un procès, d'aller en cour, de provoquer une certaine chicane, parce qu'elle a le fardeau de la preuve. Elle doit rassembler de nombreuses factures, etc., pour démontrer qu'elle a droit à la prestation compensatoire. Ma question: Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, à ce moment, d'élargir ces notions, les critères actuels de la prestation compensatoire plutôt que s'éverturer à introduire dans notre droit une réserve héréditaire tel qu'exposé actuellement dans le rapport?

Le Président (M. Gagnon): Me Pineau.

M. Pineau: M. le Président, c'est une simple observation. Je constate que les plus fervents défenseurs du principe de liberté de tester se prononcent contre le principe de la liberté des conventions matrimoniales et veulent imposer à tous les époux québécois un même régime statutaire concernant le rapport pécuniaire.

M. Leduc (Saint-Laurent): Ce n'est pas ce qu'ils proposent.

M. Barnard: Je ne crois pas que c'est ce que j'ai dit, M. Pineau. J'ai dit que j'avais l'impression que la sous-commission était prête à respecter le choix, soi-disant éclairé, de certaines personnes de vivre en union libre. On considérait que c'était un choix éclairé et qu'on n'avait pas à intervenir à ce sujet. Je me demande pourquoi, quand les conjoints font le choix éclairé de se marier, font le choix d'autant plus éclairé de choisir la séparation de biens - je dis d'autant plus éclairé parce qu'ils sont, à ce moment, conseillés par un notaire - on ne respecte pas leur choix de la séparation de biens et qu'on leur impose une législation qui les ramène au décès en état de communauté.

Le Président (M. Gagnon): Je remercie l'Association québécoise de planification fiscale et successorale, Me Barnard, Me Garneau, M. Caron et Me Gagnon de l'éclairage que vous avez apporté à cette commission. Avant de déclarer que nous avons terminé nos travaux, je voudrais mentionner que la Chambre des notaires nous a fait parvenir... Il y a quelqu'un ici pour nous donner les comptes rendus du sondage que la Chambre des notaires a effectué. Nous allons l'inscrire au procès-verbal et nous allons l'accepter comme dépôt à la commission. Est-ce que cela va? Je pense aussi qu'avec le compte rendu on a la méthodologie et ainsi de suite.

La commission, ayant procédé au mandat qu'on lui avait donné, soit de procéder à des consultations particulières sur les amendements proposés aux articles 703 à 716 de l'article 2 du projet 20, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens, ajourne donc ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 13 h 6)

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