(Neuf heures trente-sept minutes)
Le Président (M. Copeman): Alors, bon matin, tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare ouverte cette séance de la Commission des affaires sociales. Je vous rappelle notre mandat: nous sommes réunis, ce matin, afin de poursuivre la consultation générale et les auditions publiques sur le projet de loi n° 57, Loi sur l'aide aux personnes et aux familles.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. Alors, M. Bachand (Arthabaska) va être remplacé par M. Blackburn (Roberval); M. Charbonneau (Borduas), par M. Girard (Gouin); Mme Richard (Duplessis), par Mme Lefebvre (Laurier-Dorion). Voilà.
Le Président (M. Copeman): Merci. Je vais suspendre les travaux de la commission quelques instants.
(Suspension de la séance à 9 h 38)
(Reprise à 9 h 39)
Le Président (M. Copeman): Excusez-moi. Il s'agissait d'obtenir une clarification de la part de la secrétaire de la commission. Je vous rappelle que l'usage des téléphones cellulaires est interdit pendant les travaux de la commission. Alors, en conséquence, je prierais tous ceux qui en font l'usage de bien vouloir les mettre hors tension.
Je vous rappelle le mandat... l'ordre du jour, pardon. Nous allons recevoir trois groupes, ce matin. Nous allons débuter dans quelques instants avec le Carrefour des savoirs sur les besoins essentiels; il sera suivi, autour de 10 h 30, du Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec; et nous allons terminer la matinée avec la présentation et l'échange avec le Barreau du Québec.
Auditions (suite)
Sans plus tarder, je souhaite la bienvenue aux représentants du Carrefour des savoirs sur les besoins essentiels. J'ai tendance à m'adresser à la personne qui s'assoit au centre. Mme Paradis-Pelletier, c'est bien ça? Bonjour. Je vous explique brièvement nos règles de fonctionnement: vous avez une période maximale de plus ou moins 20 minutes pour faire votre présentation, qui sera suivie par un échange avec les parlementaires, plus ou moins 20 minutes chaque côté de la table. Je vous prierais de présenter les personnes qui vous accompagnent et de débuter votre présentation.
Carrefour de savoirs sur les besoins essentiels
Mme Paradis-Pelletier (Marie-Anne): Merci beaucoup. Bien, bonjour à tous les membres, toutes les membres de la commission. Alors, avec moi, ce matin, il y a Martial Tremblay, Monique Toutant, Evelyne Pedneault et Gilles Tremblay, et moi-même, Marie-Anne Paradis-Pelletier. Nous sommes tous participants, participantes au Carrefour de savoirs sur les besoins essentiels. C'est un groupe composé d'une douzaine de personnes aux situations différentes, dont certaines à l'aide sociale. Ce groupe a été formé à l'initiative du Collectif pour un Québec sans pauvreté, à l'automne 2003, afin de mettre à profit l'expertise des personnes en situation de pauvreté sur les besoins essentiels, dans une approche de croisement de savoirs.
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(9 h 40)
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Nous avons réfléchi sur divers aspects de la couverture des besoins essentiels lorsqu'on vit la pauvreté et qu'on aspire à un Québec sans pauvreté. En prenant le mois de mars 2003 comme mois de référence, nous avons notamment effectué une recherche et produit des outils sur la traversée d'un mois quand on vit la pauvreté.
Nous allons d'abord faire un bref retour sur ce qui se passe dans cette commission qui étudie le projet de loi n° 57 qui viendrait remplacer la loi actuelle sur l'aide sociale. Le ministre responsable aborde la question de l'aide sociale comme si son but était d'inciter à l'emploi les gens qui y ont recours. Il veut démontrer qu'il sera toujours plus payant d'être actif qu'inactif. Il pose à tout le monde les deux mêmes questions: Couvrir ses besoins essentiels, ça veut dire quoi et combien? Et à quoi devrait ressembler la prime de participation prévue dans le projet de loi? Selon nous, le ministre se trompe dans son approche. Le but de l'aide sociale n'est pas d'inciter les gens à quitter l'aide sociale mais plutôt de constituer la mesure prévue par la loi, à l'article 45 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, pour procurer un revenu décent aux adultes de moins de 65 ans qui n'ont pas de revenus suffisants pour couvrir leurs besoins.
Dans l'histoire de l'aide sociale, on a combiné deux façons d'apporter cette aide: une aide directe ou aide financière, appelée aussi sécurité du revenu, soit les prestations; une aide indirecte, sous la forme d'une aide à l'emploi. L'aide directe permet aux personnes de passer à travers pendant qu'elles vivent des temps durs. L'aide indirecte est là pour essayer de permettre aux personnes d'avoir accès à des outils, dont l'emploi, pour en venir éventuellement à se sortir des temps durs et à trouver une place qui nous convient dans la société. Appeler ça des mesures passives et mesures actives comme l'OCDE, c'est se tromper et tromper tout le monde sur le système.
Prenons l'aide financière. En chiffres de 2004, la prestation d'aide sociale mensuelle des personnes jugées avec contraintes sévères à l'emploi est de 771 $ et celle pour les personnes jugées sans contraintes à l'emploi est de 533 $. Sur l'aide financière ou aide directe, tout le monde dit, depuis le début de cette consultation en commission parlementaire, qu'il n'est pas acceptable d'indexer seulement à moitié les prestations des personnes sans contraintes à l'emploi parce que ça signifie dévaluer les prestations. Le ministre répond immanquablement qu'une demi-indexation, c'est mieux que rien. On va essayer de vous expliquer ce qui ne marche pas.
Nous allons vous illustrer la prestation d'aide sociale avec un oignon. Imaginons que cet oignon représente la prestation d'aide sociale d'il y a 20 ans. Pendant plusieurs années, il n'y a pas eu d'indexation. Cela a fait que la prestation s'est dévaluée, comme nous le démontrons en enlevant des couches à l'oignon. Comparée à la prestation d'aide sociale d'il y a 20 ans, la prestation actuelle des personnes dites sans contraintes sévères à l'emploi est comme un oignon plumé de 30 % de ses pelures, autrement dit un revenu qui couvre moins les besoins en 2004 qu'en 1984. Remarquez que c'est difficile d'enlever des pelures et que ça a été fait pareil. Voyez ce qu'il reste maintenant: il ne reste plus que le coeur. Allez-vous nous l'arracher? Et pourquoi cela? Par défaut d'indexation d'année en année. Pourquoi ce défaut? En raison du préjugé envers les prestataires jugés sans contraintes à l'emploi.
La prestation n'est plus que de 533 $ par mois, alors qu'elle devrait valoir plus de 730 $ si on avait maintenu sa valeur de 1984. Le projet du gouvernement est de ne l'indexer qu'à moitié à chaque année, pendant les cinq prochaines années. Une indexation à 1 % au lieu de 2 % par année fait que, dans cinq ans, la prestation ne vaudrait plus que 500 $ en dollars de 2004. Sur le niveau de l'aide financière, nous considérons qu'une prestation de 533 $ est inacceptable dans le Québec de 2004, qu'il est inacceptable de l'indexer à moitié et qu'il est inacceptable de différencier les prestations d'aide sociale selon un critère de contraintes à l'emploi.
Le stress, la pauvreté et la mauvaise santé sont tous liés à l'aide sociale. Tu entres à l'aide sociale en santé, tu en ressors malade. C'est une question de santé publique qui est en jeu ici. On sait que la pauvreté est le premier déterminant de la mauvaise santé et on sait qu'un meilleur revenu est la façon la plus directe de régler la pauvreté. Entre manger et se procurer des médicaments, quel est le bon choix? Améliorez les revenus des plus pauvres et vous améliorerez leur santé; diminuez leurs revenus et vous augmentez leur mauvaise santé. Vivre avec un oignon plumé, autrement dit avec un revenu qui ne couvre pas les besoins, c'est quelque chose qui occupe beaucoup l'esprit parce que le niveau actuel de la prestation fait qu'il est possible d'atteindre le zéro dollar dans ses poches avant que le mois ne soit écoulé. Quand cela arrive, votre vie est menacée. Quand tu es à l'aide sociale, la préoccupation constante est une préoccupation vitale. Combler ses besoins pour survivre, tu penses à ça tout le temps. C'est du stress économique mais aussi du stress qui vient de la bureaucratie, des comptes à rendre. Et, comme le dit si bien Rachel, une autre participante du carrefour, il y a du stress qui amène à la détresse.
Pour bien vous démontrer le lien entre faibles revenus... le faible niveau, pardon, de la prestation et le stress que vivent les gens, imaginez que vous êtes le 1er du mois. Votre revenu total pour le mois est de 533 $ plus 22 $ pour le supplément de TVQ, ce qui vous donne 555 $. Enlevez 300 $ pour le loyer, il reste 255 $ le 1er du mois. Enlevez 55 $ pour le chauffage et l'électricité, il reste 200 $ le 1er du mois. Enlevez 26 $ pour le téléphone, il reste 174 $ le 1er du mois. Enlevez 63 $ pour une passe d'autobus, il reste 111 $ le 1er du mois. Enlevez 15 $ pour la partie mensuelle d'une petite assurance, il reste 96 $ le 1er du mois. Remarquez que vous n'avez toujours pas mangé. Enlevez 25 $, empruntés le mois dernier, pour arriver à rembourser, il reste 71 $ le 1er du mois. Enlevez 37 $ pour une toute petite épicerie, il reste 34 $ le 1er du mois. Combien en reste-t-il pour arriver à manger le reste du mois et pour tous les autres besoins et imprévus? La chose à comprendre est que l'éventualité de n'avoir plus d'argent avant la fin du mois est une préoccupation dès le 1er du mois.
Imaginez que vous tombez malade et que vous devez payer une franchise de 17 $. Ça devient impossible. Que faites-vous? Vous empruntez? Vous vous en passez? Vous attendez? Votre santé physique et mentale en prend un coup. Ce n'est pas pour rien qu'il y a 10 ans d'espérance de vie de moins entre les quartiers riches et les quartiers pauvres. Les recherches montrent qu'indépendamment des habitudes de vie les inégalités de santé sont reliées à un stress proportionnel au niveau du revenu.
Revenons maintenant sur le budget qu'on vient de vous présenter. Sur quoi, sur quelles dépenses, quels besoins couperiez-vous pour compenser une dévaluation de 5 $ en 2005 ou une dévaluation cumulée de 33 $ dans cinq ans, ce qui est l'équivalent de la demi-indexation?
Mme Toutant (Monique): Monique Toutant, c'est moi. Alors, nous avons demandé déjà à M. Séguin de faire le budget à 533 $. On n'a jamais eu de réponse. Quant à vous, vous aurez à payer pour attendre. Avec le plan d'action sorti au printemps, il vous faut maintenant vous demander de remplir le budget à 533 $ à demi indexé. J'aurais des documents à remettre à M. Béchard.
Le Président (M. Copeman): Mme Toutant, on va s'occuper de ça. On va le faire par le biais de notre page. Merci.
Mme Toutant (Monique): D'accord. Et j'espère que nous allons avoir une réponse, ce coup-ci.
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(9 h 50)
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Mme Paradis-Pelletier (Marie-Anne): Et ceci nous amène à vous parler de la couverture des besoins essentiels; en fait, de leur non-couverture. Avec 533 $ par mois, les besoins sont sévèrement à découvert. Quand on parle de couverture des besoins essentiels, on parle habituellement de se nourrir, se loger, se vêtir et se soigner. Ce qu'une personne tente de couvrir en premier, ce sont ses dépenses fixes. Se loger et se conformer aux standards de sa société telle qu'elle est, une grande partie du revenu y passe. Se nourrir vient en dernier sur ce qu'il reste. Se vêtir, on n'y pense pas autrement que dans les vestiaires. Se soigner est impensable. Et il y a tout le reste. Une vie sans roses est comme une nuit sans rêves: on ne peut en vivre beaucoup sans devenir fou. Un besoin mentionné par plusieurs personnes dans le groupe est celui de pouvoir dormir tranquille.
Ce qu'on a constaté sur l'aide financière, c'est que la prestation de base ne permet pas de s'en sortir. Les gens prennent sur leur vie. Dévaluer ces prestations serait ôter de la vie à des personnes. Ce qui fait la différence entre arriver à zéro le 8 ou le 21 du mois, c'est une allocation au logement, un HLM, un loyer subventionné, un coussin dans son compte en banque, le 113 $ de plus qu'apporte l'allocation pour contraintes temporaires à l'emploi ou, encore mieux, le 248 $ de plus qu'apporte l'allocation pour contraintes sévères à l'emploi.
Nous allons ici vous présenter l'expérience de Martine. C'est Martial qui va nous la présenter.
M. Tremblay (Martial): Martine n'est pas ici, aujourd'hui, parce que sa santé s'est détériorée, entre autres à cause de ses années de lutte. Elle sent l'usure installée dans son corps. Elle dit que, même si on travaille fort, fort pour s'en sortir, on n'y arrive jamais. L'an dernier, Martine est passée du statut avec contraintes temporaires à celui d'avec contraintes sévères à l'emploi. Avec la rétro, ça lui a permis de combler certains besoins, comme un lit articulé, un déambulateur et un triporteur, le tout de seconde main. Elle sent que son stress a diminué, même si ce n'est pas toujours facile.
Martine avait demandé la révision de son dossier il y a sept ans. Si elle avait cette contrainte il y a sept ans et que ça a pris tout ce temps pour faire admettre ça au gouvernement, avez-vous pensé à tout ce qu'elle a pris sur elle et sa santé pendant ce temps? Elle nous dit que les fins de mois à 803,95 $ arrivent plus lentement que les fins de mois à 533 $. La différence entre contraintes temporaires et contraintes sévères, c'est qu'on mange mieux et les médicaments sont payés. C'est ça qui lui rend la vie plus facile. On n'a plus peur de ne pas pouvoir les payer, la peur est partie pour les médicaments.
Mme Paradis-Pelletier (Marie-Anne): Donc, sur l'aide financière, nous avons constaté que les besoins essentiels sont les mêmes, peu importent les contraintes à l'emploi. Certaines contraintes de santé entraînent des besoins spéciaux en plus des besoins essentiels, et ce, peu importent les contraintes à l'emploi.
Ceci étant dit, voici nos recommandations pour ce qui est de l'aide financière. Il faut indexer complètement toutes les prestations d'aide sociale. Ce serait porter atteinte à la vie et à la santé des personnes prestataires que de ne pas le faire. Il faut ramener les prestations à un niveau de couverture des besoins plus adéquat, ce qui se fera plus facilement si on cesse de focusser sur les contraintes ou pas à l'emploi, avec toutes les tracasseries médicales et bureaucratiques que ça impose. Ramener les prestations au niveau des prestations des personnes avec contraintes sévères à l'emploi doit être fait le plus rapidement possible. Nous l'avons vu avec l'exemple de Martine, il n'y a aucune raison d'attendre pour le faire. Ça coûtera plus cher à la société de ne pas le faire que de le faire et ça ne demande aucune étude de plus. Une fois réglée l'urgence d'augmenter le niveau des prestations des personnes les plus pauvres, l'expertise des personnes en situation de pauvreté est un prérequis à toute décision qui établira une méthode et un seuil de couverture des besoins essentiels. Il faut permettre aux gens de garder un coussin en banque, et ce, dès l'admission à l'aide sociale. Ça fait une énorme différence. Il faut plus de logements sociaux. Il faut rétablir la gratuité des médicaments prescrits pour tous les prestataires.
Gilles va maintenant vous présenter ce que nous avons à dire sur l'aide à l'emploi.
M. Tremblay (Gilles): Lorsque le ministre dit que les gens seraient des inactifs à activer en les incitant, il s'agit d'un préjugé. Parfois, derrière un préjugé, il y a une peur. Est-ce que ça pourrait être la peur que les personnes à l'aide sociale ne participent pas à la production de la richesse et qu'elles se trouvent en fait à recevoir sans donner? Si c'est ce qui se cache derrière la philosophie du ministre, nous voulons le rassurer, car ce n'est pas notre expérience.
Monique va nous présenter son expérience.
Mme Toutant (Monique): Malgré un projet de compagnonnage vers l'emploi que j'ai fait il y a environ deux ans, je n'ai pas pu garder mon emploi. Après la fin du programme, mon emploi a terminé. Je n'ai pas plus réussi non plus à me trouver un autre emploi. J'aimerais me réorienter dans une autre tâche que la cuisine, car c'est rendu trop dur pour ma santé, à cause d'un problème à un genou.
À l'aide sociale, mon agent me dit qu'on ne peut plus m'offrir des cours parce qu'on m'en a déjà payé. En juin, j'ai reçu une lettre pour me dire que je devais me présenter à une participation d'une journée à une recherche d'emploi. C'est des démarches que j'avais déjà faites auparavant. Pendant ce temps, bien je m'active, je m'implique dans mon milieu, je rends des services, mais ma santé se détériore toujours. Puis je trouve que le gouvernement est en train de rendre les aptes inaptes.
M. Tremblay (Gilles): Et voici mon expérience. J'ai déjà été à l'aide sociale. Je travaille présentement comme ouvrier dans une entreprise manufacturière. La véritable incitation, c'est le salaire, ce n'est pas les coupures. La job, je l'ai trouvée grâce à un organisme qui donne de l'aide pour la recherche d'emploi. Ce n'est pas les coupures qui m'ont encouragé quand j'étais à l'aide sociale. Tout ce que la dureté du régime a réussi à me faire, c'est de m'enrager.
Si j'avais un conseil à donner sur l'incitation au travail, je pense que ce serait plutôt des services qu'il faudrait donner, offrir du travail. Pas de l'esclavage, un emploi qui conduit à un autre. Il y a une image qui me vient: plus quelqu'un est fier, plus il relève la tête, plus il voit loin. Ce n'est pas en écrasant et en abaissant quelqu'un qu'on le rend plus fier. Quand est-ce qu'on est fier? Quand on peut subvenir à ses besoins, quand on peut nourrir sa famille, quand on se sent apprécié, quand on a l'estime de soi et des autres, quand tu ne te sens pas jugé. Être jugé, sentir les préjugés, ça contribue à t'écraser. Je trouve ça assez important, venir vous dire ça, que je perds une journée de travail aujourd'hui.
Pour continuer à vous expliquer que les gens ne font pas rien, dans notre enquête, il y avait cette question: Dans le mois de mars, la société aura-t-elle été plus riche de moi? Toutes les personnes du groupe on jugé qu'en 2004 la société s'est enrichie par elles. Elle s'est enrichie dans la circulation monétaire classique, qu'on appelle le PIB. Comme l'a dit Jacques, prestataire sans contraintes à l'emploi, à la fin du mois, tout l'argent reçu par lui, au début du mois, s'est trouvé retourné dans la société, où il a circulé plusieurs fois. En plus, chacun de ces dollars a été investi dans l'économie locale et a constitué un vote pour la consommation de base. C'est ce qu'un autre carrefour de savoirs, qui a travaillé sur les finances publiques il y a quelques années, a fait comprendre avec son concept de dollars vitaux, qui sont des dollars locaux qui circulent plusieurs fois dans l'économie.
La société s'est aussi enrichie de toutes les activités, implications, réparations, coups de main, coups de pouce, recyclages produits par les gens du groupe. Ces contributions sont toutefois de l'ordre de ce que le Carrefour de savoirs sur les finances publiques a appelé le produit intérieur doux, ou PID, soit toute la richesse produite sans laisser de traces monétaires. Cette richesse est très difficilement comptabilisable parce qu'on ne peut pas suivre la vie de chaque personne à la loupe avec un compteur. Elle peut difficilement être attribuée spécifiquement à des personnes. C'est une activité informelle qui demande à rester en bonne partie informelle. Alors, quand le ministre prétend reconnaître ça par une allocation de participation, il raisonne mal, il ne reconnaît pas la réalité. Il ferait beaucoup mieux de considérer, comme le dit la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, que chaque personne est déjà à l'oeuvre pour s'en sortir et contribuer à ses proches et à la société. La meilleure façon de reconnaître ça, c'est d'allouer une prestation de base qui permet à chacun et à chacune de couvrir ses besoins dans la dignité, sur une base de droits communs à tous et à toutes.
Sur l'aide à l'emploi, nous constatons donc plusieurs éléments. Quand elle est pervertie par les préjugés, ceux du ministre ou de l'agente, l'aide à l'emploi est facilement vécue comme un harcèlement ou comme une offre incompétente par les personnes qu'on veut aider ou qu'on aide mal. Quand les gens ont déjà été incités et qu'ils se sont ramassés quand même à l'aide sociale ensuite, le résultat réel est qu'il sont désincités. Ce n'est pas l'incitation mais un emploi durable et raisonnable par rapport à ce qu'on peut et veut faire qui fait qu'on va rester en emploi. Même s'il y a de bons programmes qui marchent bien, on est très loin d'une offre de service suffisante et de qualité au niveau de l'aide à l'emploi.
C'est donc pourquoi nous faisons les recommandations suivantes: il faut libérer le système d'aide sociale des préjugés qui empêchent d'organiser de meilleurs services à l'emploi et considérer que, quand il est question d'avoir de meilleures conditions de vie, il n'est pas nécessaire d'y inciter les gens; il faut pouvoir donner de bons services à l'aide à l'emploi aux gens qui en demandent et hausser de beaucoup les budgets de l'aide à l'emploi au lieu de les diminuer à chaque année; les allocations d'aide à l'emploi doivent servir à couvrir les frais supplémentaires occasionnés par les formations, les stages et l'insertion en emploi et non à couvrir les besoins essentiels; il faut laisser tomber les allocations de participation et améliorer l'aide financière de base de tout le monde à la place, en considérant que la contribution des gens à la société est là, même si elle n'est pas visible en argent, puisqu'ils et qu'elles n'en ont pas. Si vous voulez inciter du monde, incitez les employeurs à donner de bons emplois. L'aide à l'emploi sera meilleure et plus adaptée si elle est conçue, mise en oeuvre et évaluée avec les personnes en situation de pauvreté.
Evelyne va maintenant nous présenter le financement de l'aide sociale.
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(10 heures)
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Mme Pedneault (Evelyne): Combien ça coûte, aller dans le sens du respect de la vie des personnes et non dans celui des préjugés? Pourquoi et comment on devrait payer tout ça? Ça coûte un bras. O.K. La question, c'est de savoir lequel. Ce n'est pas parce que le gouvernement ne mettra pas de l'argent dans l'aide sociale qu'il n'y aura pas de coût. La question qui doit être posée est la suivante: Survivre au quotidien, est-ce que ça doit être pris dans l'abondance de notre richesse collective ou pris dans la vie des personnes les plus pauvres, autrement dit dans leur espérance d'une vie heureuse et en santé, dans leur espérance de vie tout court? Il y a une urgence d'améliorer la mesure prévue par la loi pour garantir le droit à un revenu décent au niveau de l'aide sociale, parce qu'on est interdépendants, interdépendantes, et nous pouvons y arriver en réduisant les inégalités.
Pendant qu'on n'indexait pas les prestations de 1997 à 2000, c'est-à-dire en quatre ans, le cinquième le plus riche des familles du Québec a vu son revenu net s'améliorer d'environ 15 000 $. C'est l'équivalent d'un salaire minimum à temps plein, ça. Si au Québec on avait été une société attentive et soucieuse de s'assurer que ça va bien pour tout le monde, ces familles auraient trouvé normal d'attendre, pour s'enrichir, que tout le monde soit logé comme il faut et puisse manger à sa faim. À la place, les gouvernements ont réduit leurs impôts.
Les moyens sont là. S'il y a une dépense plus prioritaire au Québec que de s'assurer que les besoins essentiels des personnes les plus pauvres soient couverts, dites-nous-le, on va en discuter. Mais, en attendant, vous avez un devoir civique à accomplir. Faites-le.
Pour terminer cette présentation, on aimerait vous rappeler une image que nous avons beaucoup utilisée l'an passé, celle des escaliers roulants. Ce sont deux escaliers roulants, un en bas qui va vers le bas et un autre en haut qui va vers le haut. Les personnes en situation de pauvreté se retrouvent en bas de celui du bas. Les autres sont dans celui qui monte, elles regardent les personnes en bas essayer de monter, mais elles sont si loin qu'elles n'arrivent pas à voir pourquoi c'est si difficile de monter pour les personnes d'en bas. Aujourd'hui, nous avons voulu vous prêter des lunettes d'approche pour vous permettre de mieux voir ce qui se passe en bas et vous faire comprendre qu'il faut renverser le sens de l'escalier du bas et non l'accélérer comme vous le faites avec la demi-indexation ou avec les mesures prévues dans le projet de loi n° 57. Et cela veut peut-être signifier ralentir celui du haut, autrement dit ramener à plus d'égalité. Les sociétés en santé, les recherches le montrent, ce sont des sociétés qui partagent des valeurs d'égalité. L'argument de l'incitation à l'emploi en même temps qu'on diminue les conditions faites aux personnes, c'est continuer de dire à des gens de monter dans un escalier qui descend. Il faut que vous vous occupiez des escaliers. Il faut rétablir le bon fonctionnement des escaliers, c'est-à-dire un fonctionnement qui est équitable pour tous et toutes.
On vous le répète, on est tous interdépendants et interdépendantes. Pour le prouver, une citation de Howard Cutler: «Songeons à tous...» Et je commence la citation: «Songeons à tous les gens concernés par la confection d'une chemise. Imaginons d'abord le fermier qui cultive son coton, puis le concessionnaire auprès duquel le fermier a acquis son tracteur, et les centaines, voire les milliers de personnes impliquées dans la fabrication de ce tracteur, puis celles qui ont extrait le minerai nécessaire à la fabrication de chaque pièce de l'engin, jusqu'à ses concepteurs, et ensuite, évidemment, les gens qui ont transformé ce coton, qui ont tissé l'étoffe, l'ont coupée, teinte et cousue, les dockers et les camionneurs qui ont livré cette chemise au magasin et le commerçant à qui nous l'avons achetée. Une pensée nous envahit: pratiquement tous les aspects de notre vie dépendent des autres.» Fin de la citation.
Mais j'ajouterais que cette citation-là ne relève que l'activité habituellement reconnue dans un produit intérieur brut. Ajoutons-lui le produit intérieur doux, ceux et celles qui ont nourri les travailleurs et travailleuses, qui ont bercé les petits et les petites qui sont devenus les travailleurs, ceux et celles qui les ont soignés, ceux et celles qui ont lavé et repassé les chemises, ceux et celles qui les ont remises en état dans les vestiaires où elles sont arrivées aux personnes parmi nous qui n'ont pas les moyens de s'acheter des chemises neuves.
Pendant que vous faites vivre les plus pauvres au dollar près en les poursuivant au dollar près, sur cette planète la richesse se concentre comme jamais dans les coffres d'un petit nombre. Votre devoir de législateur dans une société qui croit à l'égalité en droit est de faire exister une décence de vie pour tout le monde, parce que nous dépendons les uns des autres et aussi parce que vous n'avez pas compris coudon que c'est épuisant?
En terminant, on vous rappelle que faire une demi-indexation, c'est comme éplucher un oignon: on ne peut pas remettre les pelures, une fois qu'on les a enlevées. Rappelez-vous du coeur des gens et ne faites pas ça en janvier 2005. Et, si nous avons besoin de rajouter... nous sommes complètement d'accord avec la position du collectif sur le projet de loi n° 57, le Collectif pour un Québec sans pauvreté.
Le Président (M. Copeman): Merci beaucoup, messieurs dames. Compte tenu que nous avons dépassé de quelque peu le temps pour la présentation, il va falloir que nos échanges soient un peu plus courts, pas dramatiquement, mais un tout petit peu. Alors, afin de débuter l'échange, M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
M. Béchard: Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour à vous tous et à vous toutes, bienvenue à la commission parlementaire sur le projet de loi n° 57. La présentation que vous nous faites, je dirais, est beaucoup plus large que le projet de loi n° 57, c'est une présentation sur l'ensemble du système de sécurité du revenu, sur lequel vous avez un certain nombre de critiques, un certain nombre de points qui sont directement reliés aussi aux prestations, au niveau des prestations, aux prestations de base, lesquelles, vous mentionnez, ne sont pas assez élevées, devraient être plus élevées.
J'ai une série de questions, parce qu'il y a des points sur lesquels évidemment vous êtes en désaccord, mais j'aimerais ça voir un certain nombre de points sur lesquels, j'imagine, vous êtes en accord, par exemple le fait qu'on soit passé d'un régime punitif à un régime qui enlève les punitions pour le refus de participation ou le refus d'un emploi. Parce qu'on parle beaucoup du 533 $, mais il ne faut pas oublier que, dans le régime actuel, c'est-à-dire ce qui n'est pas dans le projet de loi n° 57, avant ce changement-là... Vous allez probablement me revenir avec le 100 $ du dernier règlement, là, qui est, je pense... De bonne foi, on peut l'avouer, on n'est pas sur la même base, on n'est pas sur la même raison. Mais, d'être passé d'un... d'avoir enlevé les pénalités en cas de refus d'emploi, j'imagine que, ça, vous n'êtes pas contre cet élément-là.
L'autre point aussi sur lequel je veux vous entendre d'abord, là, puis on passera aux critiques aussi après, mais, sur Prime au travail, Soutien aux enfants, j'imagine que vous n'êtes pas contre ces mesures-là non plus, parce que vous mentionnez, quelque part dans votre exposé, que le 2,5 milliards annoncé dans le dernier Plan de lutte à la pauvreté, dans le dernier budget, pour les prochaines années, n'ajoutera malheureusement aucun investissement neuf à l'aide sociale, c'est-à-dire pour les plus pauvres. Peut-être que pour certaines personnes c'est plus que pour d'autres, mais est-ce qu'on peut s'entendre au moins que, sur ces mesures-là, ces trois éléments-là, c'est-à-dire le régime punitif, Prime au travail, Soutien aux enfants, est-ce qu'on peut s'entendre que ce sont quand même des points positifs, qui ne vous satisfont pas entièrement, mais est-ce qu'on peut s'entendre sur le fait que c'est quand même un point de départ?
Mme Pedneault (Evelyne): Je vais répondre. Je vais d'abord commencer à répondre, puis les autres ajouteront des éléments s'ils le veulent. D'abord, sur l'incitation, effectivement c'est un bon point qu'il faut reconnaître, l'abolition des pénalités. Cependant, la loi n° 112, la loi visant à réduire la pauvreté et l'exclusion sociale, exigeait l'abolition des pénalités pour sanction mais aussi pour compensation. Donc, vous avez seulement fait un pas là-dessus et vous avez encore du chemin à faire.
Et, quand on parle d'incitation, effectivement il n'y aura plus de pénalité, mais, pour parler d'incitation comme vous le faites, vous êtes sur l'a priori, vous avez comme prémisse que les gens à l'aide sociale sont là parce que c'est tripant d'être à l'aide sociale, puis parce qu'ils choisissent de le faire, puis parce qu'ils n'ont pas du tout envie de chercher autre chose. Hier, quand on a rencontré vos collègues, lors d'une rencontre avec les parlementaires, il y a un de vos collègues qui nous a dit: Coudon, c'est vrai, vous n'avez jamais de plaisir, vous, dans la vie, et il avait raison. Parce qu'en décomptant la prestation comme on a pu le faire hier... C'était seulement une simulation qui était très loin de la réalité, et même la simulation lui a fait comprendre que ce n'était vraiment pas intéressant d'être à l'aide sociale. Donc, si on dit que les gens doivent être incités à sortir de là, c'est dire que les gens aiment ne jamais avoir de plaisir dans la vie.
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(10 h 10)
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Changeons d'a priori pour mieux coller à la réalité. Les gens ne sont pas à l'aide sociale par choix puis les gens veulent s'en sortir, mais c'est le système qui leur met des bâtons dans les roues. Vous avez un peu changé effectivement la logique en passant des pénalités à l'incitation, mais, si on met un bâton ou une carotte dans une roue, ça a le même effet. L'effet est que la personne tombe quand même et se retrouve souvent par terre. Avec 533 $ par mois, toutes les énergies passent à se débrouiller, à courir les ressources, à courir les Saint-Vincent-de-Paul, les comptoirs alimentaires, à trouver des solutions pour des problèmes qui pour nous ne sont pas des problèmes.
Hier, on avait l'exemple ? encore une fois, à l'heure du déjeuner avec les parlementaires ? d'un frigo qui casse le 5 ou le 8 du mois. Si, vous et moi, notre frigo casse, on va appeler l'électricien ou on va simplement aller en acheter un. Puis, on a accès au crédit, ça paraîtra à peine dans notre revenu mensuel. Pour une personne à l'aide sociale, si son frigo casse, ça veut dire trouver un voisin pour pouvoir placer ses aliments pour le temps où elle va trouver une solution. Ça veut dire courir les Saint-Vincent-de-Paul ou les comptoirs pour essayer de trouver un frigo à 20 $, à 25 $ par mois. Ça veut dire peut-être trouver quelqu'un qui veut lui passer le 20 $ ou 25 $ par mois, le 20 $ ou 25 $ le 8 du mois, parce que, on l'a vu hier, le 8 du mois, on est souvent rendu à zéro. Ça veut dire trois ou quatre jours de démarches pour un simple imprévu qui peut nous arriver comme il nous en arrive presque à tous les jours. Donc, avec 533 $ par mois, on n'a pas le temps d'être incité, on n'a pas les énergies pour être incité.
Il suffirait simplement d'augmenter cette prestation de base là pour donner aux gens les moyens de s'en sortir par eux-mêmes, parce qu'ils veulent s'en sortir. Donc, et on l'a vu hier, le jeu n'est pas intéressant pantoute. Alors, il faut simplement donner les moyens avec une prestation de base, sans jugement, sans préjugé, et, l'incitation, on n'aura plus besoin d'en faire, que ce soit par un bâton ou par une carotte.
Pour la Prime au travail, effectivement il y a des trucs intéressants dans ça. Mais la Prime au travail doit... On l'a vu dans la présentation qu'on vient de faire, il faut distinguer l'aide financière de l'aide à l'emploi. La Prime au travail, les mesures d'employabilité, il y a des bons programmes, effectivement, mais ces programmes-là ne peuvent pas remplacer la couverture des besoins essentiels, qui, elle, est indispensable pour toute personne qui vit dans notre société et qui doit... avec une prestation de base suffisante. La Prime au travail ne peut pas remplacer cette prestation de base là, d'autant plus qu'il y a à peu près 17 000 mesures présentement pour 166 000 personnes aptes au travail. Alors, qu'est-ce qu'on fait avec les autres? On les abandonne? C'est de cette incitation-là dont vous nous parlez.
Pour ce qui est du Soutien aux enfants, effectivement c'est une bonne mesure. Mais, les trois quarts, il y a 349 000 ménages, sur 394 000 ménages qui sont à l'aide sociale, qui sont des personnes seules, donc qui ne sont absolument pas touchés par ces mesures-là. Ici, aujourd'hui, on parle d'aide sociale et non des autres mesures, et c'est en ce sens-là qu'on conteste également le 2,5 milliards, parce qu'effectivement c'est des mesures qui sont peut-être intéressantes mais qui ne touchent pas les gens à l'aide sociale. Ici, on parle d'aide sociale.
Le Président (M. Copeman): M. le ministre.
M. Béchard: Bien, je m'excuse, mais Soutien aux enfants, ça touche les gens qui sont sur l'aide sociale aussi.
Mme Pedneault (Evelyne): ...les enfants.
M. Béchard: Oui, mais il y en a qui ont des enfants, qui sont sur l'aide sociale. C'est parce que c'est juste... Il faut faire attention. Je suis d'accord qu'il y a certains points sur lesquels certaines personnes, au niveau de la sécurité du revenu, vont être plus avantagées que d'autres, mais il faut faire attention pour ne pas généraliser à tout le monde. C'est juste ça que je veux... Je veux être très prudent, ce matin, là-dessus.
Et, quand vous me parlez de Prime au travail ou prime à la participation, là vous avez amené plus la prime à la participation, et, je vous dirais, sur la prime à la participation, c'est justement suite à certaines rencontres dans lesquelles j'avais, entres autres, rencontré Mme Toutant, qui me parlait de son implication communautaire, son implication dans différents milieux. Et prime à la participation, c'est ça, c'est de faire en sorte que Mme Toutant, qui participe dans différentes activités dans son milieu, dans sa communauté, puisse avoir la prime à la participation.
Mais j'aimerais savoir. C'est parce que les réponses sont quand même un petit peu longues, alors je veux ramener deux, trois questions dans la même. Vous avez appuyé la loi n° 112, vous étiez d'accord avec la loi n° 112. La loi n° 112 prévoyait non pas un barème qui couvre les besoins essentiels, mais un barème plancher. Mais vous avez appuyé la loi n° 112.
L'autre élément sur lequel je veux revenir, c'est dans la page 1, quand vous dites: «Selon nous, le ministre se trompe dans son approche. Le but de l'aide sociale n'est pas d'inciter des gens à quitter l'aide sociale.» C'est parce que, moi, je crois, puis peut-être que je me trompe, mais, moi, je crois sincèrement que le but, c'est justement d'inciter les gens à faire en sorte qu'ils se sortent de l'aide sociale, de la sécurité du revenu. Alors, c'est pour ça que je comprends un petit peu mal cette phrase-là de votre présentation. Si le but de l'aide sociale, ce n'est pas d'inciter les gens à quitter l'aide sociale...
Je comprends que c'est une aide de dernier recours, c'est une aide pour les aider, mais il me semble qu'on... Il n'y a personne qui souhaite que quelqu'un demeure, quelqu'un qui n'a pas de contraintes, qui est sans contraintes sévères, demeure au niveau de la sécurité du revenu. Alors, c'est pour ça que j'aimerais avoir quelques explications là-dessus et une réponse qui est relative à la présentation que M. Tremblay a faite ou... Oui, c'est M. Tremblay. Quelle est la meilleure façon de lutter contre l'exclusion sociale, selon vous?
M. Tremblay (Gilles): D'après moi, c'est de couvrir les besoins essentiels.
M. Béchard: O.K.
M. Tremblay (Gilles): Si on a ça, en tout cas, là on peut s'en chercher, du travail, on a les moyens de le faire. Parce que c'est bien beau, mais, à 533 $, là, on n'a pas vraiment les moyens de s'en chercher, du travail, parce qu'on ne peut pas souvent même prendre l'autobus pour aller chercher un emploi.
Dans mon expérience, j'ai été jusqu'à Magog pour me trouver de l'emploi, puis heureusement que j'avais quelqu'un pour me prêter de l'argent pour pouvoir y aller, parce que mes remboursements arrivaient par après. Mais, déjà le 15 du mois, impossible d'y aller si je n'ai pas quelqu'un pour m'en prêter.
Mme Paradis-Pelletier (Marie-Anne): Bien, vous parlez de la loi n° 112. Pour la loi n° 112, oui, dans la loi n° 112, on dit que les personnes sont les premières à agir pour s'en sortir. Donc, sur ça, on est d'accord. Mais là il faut voir qu'est-ce qu'on parle quand on parle d'un barème plancher. Nous, ce qu'on dit, c'est qu'un barème plancher, comme Gilles vient de le dire, c'est de couvrir les besoins essentiels.
M. Béchard: Ce n'était pas dans 112. On s'entend que, sur la définition de 112, ce n'était pas ça.
Mme Pedneault (Evelyne): Juste sur la position, le Carrefour de savoirs sur les besoins essentiels n'avait pas pris position sur la loi n° 112 puisqu'il n'existait pas.
Mais, juste pour revenir sur la position du collectif, la position du collectif était très claire lors du dépôt de la loi n° 112: pour nous, c'était un oui mais. Oui, c'est un très bon pas ? et le collectif a toujours eu pour principe de reconnaître les bons pas qui ont été faits ? sauf que ça ne donnait pas, absolument pas, ça ne vous donnait absolument pas le droit de ne pas continuer à avancer vers un Québec sans pauvreté.
Et, pour revenir à la loi n° 112, elle vous oblige, entre autres, à amener le Québec, en 10 ans, parmi les sociétés où il y a le moins de pauvreté. Ce n'est pas avec le projet de loi n° 57 et les autres mesures, qu'on doit quand même analyser quand on regarde ce qui se passe à l'aide sociale cet automne... Parce que, vous l'avez dit, c'est dans votre philosophie, c'est dans une même continuité. Donc, on ne peut pas prendre le projet de loi n° 57 en excluant les autres mesures, et ces mesures-là ne nous permettraient pas d'arriver, dans les 10 prochaines années, dans une société où il y a le moins de pauvreté au monde.
M. Béchard: Ça va aller.
Le Président (M. Copeman): Ça va?
M. Béchard: Oui.
Le Président (M. Copeman): Monsieur, je présume, le député de Vachon et porte-parole de l'opposition officielle en matière d'emploi, de solidarité sociale et de la famille.
M. Bouchard (Vachon): Merci, M. le Président. Alors, bonjour, mesdames. Bonjour, messieurs. Peut-être un petit mot pour vous remercier de la qualité, de la rigueur et de l'élégance de votre présentation. On voit que dans votre groupe il y a une analyse sérieuse et en profondeur des situations dans lesquelles se retrouvent les personnes en situation de grande pauvreté. Et chapeau aussi sur le fait que vous mettez à contribution tous les talents et les connaissances expertes des personnes qui vivent la pauvreté. C'est toujours très important, je pense, et on va se le faire rappeler par d'autres personnes ce matin, là, que les personnes qui vivent cette expérience-là puissent participer à l'analyse des problèmes puis à la construction des solutions. Alors, merci pour votre contribution.
Merci aussi pour nous rappeler que le problème de la pauvreté est un problème qui concerne tout le monde et qui a un impact sur tous les aspects de notre vie, y compris tous les aspects de la vie d'un gouvernement ou des actions d'un gouvernement. Ce que vous me dites à matin, c'est qu'il y a un grand absent autour de cette table, dans le fond, et ce n'est pas un reproche, là, qu'on peut lui faire, à cette personne-là, parce que ce n'est pas dans son mandat que de venir siéger ici, mais c'est sûr que ce que vous dites ce matin intéresserait beaucoup le ministre de la Santé. Et ce que vous nous dites, c'est que les impacts de la pauvreté, en ce qui concerne la santé, sont à ce point importants que...
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(10 h 20)
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Dans le fond, ce que vous dites aux parlementaires puis au gouvernement, c'est: on vous met au défi de faire le vrai calcul. Est-ce que ça coûte plus cher de couvrir les besoins essentiels ou de ne pas les couvrir, étant donné les impacts sur la pauvreté? Et vous nous livrez suffisamment de témoignages pour penser que quelque part, là, c'est une question très, très, très importante à poser et pour laquelle vous devez avoir déjà des éléments de réponse, j'imagine, dans votre analyse. Alors, j'aimerais vous entendre plus longuement là-dessus, si c'est possible.
Mme Paradis-Pelletier (Marie-Anne): Bien, juste pour débuter une réponse, effectivement ce qu'on dit, c'est que, quand la pauvreté touche une personne, c'est tous les aspects de sa vie qui sont touchés et c'est toute la société qui en souffre. On a fait un exercice, au carrefour, qu'on a appelé Notre vie dans l'échelle. On voit, bien, rouge, jaune, vert. On a situé le rouge: une situation de pauvreté et de non-couverture des besoins essentiels. Quand on arrive dans le jaune, c'est quand on peut couvrir ces besoins essentiels. Et, quand on arrive dans le vert, c'est quand on sort de la pauvreté. Alors, on a un exemple ici, c'est un vrai exercice d'une vraie personne, une vraie vie, qui n'a jamais sorti du rouge de toute sa vie. Donc, c'est sûr que les impacts, on vous l'a dit dans notre mémoire, les impacts sur la vie, le stress, c'est toute la vie qui est englobée là-dedans.
Il y a Evelyne qui voudrait ajouter quelque chose.
Mme Pedneault (Evelyne): Juste un petit ajout là-dessus. J'ai participé, il y a quelques semaines, à un colloque qui regroupait des chercheurs de différentes universités au Québec, des chercheurs en santé publique, que ce soit à la chaire de l'UDM, à l'UQAM, ou il y a un groupe de recherche aussi qui est en train de se former sur la question ici, à l'Université Laval, et ils étaient tous unanimes sur les effets aggravants de la pauvreté sur la santé, et, eux, ils sont très clairs pour dire que les recherches, elles sont là, que ce soient des recherches de Marmot, par exemple, ou leurs propres recherches, qui sont très claires sur cette question-là que la pauvreté est le premier facteur dans les inégalités de santé et le premier déterminant dans la santé. Ces recherches-là, elles existent, il suffit juste d'aller chercher l'information et d'agir en conséquence.
Mme Toutant (Monique): Eh bien, moi, ce que je voudrais ajouter, c'est que, quand tu ne peux pas couvrir tes besoins essentiels, quand tu ne peux pas te nourrir adéquatement, quand tu essaies d'aller sur le marché du travail, comme moi, par exemple, puis que tu te fais toujours refuser, que tu te fais toujours dire: Bien, pour l'instant, on n'en a pas besoin, ou: Ah! vous êtes assistée sociale? désolé, on ne prend pas des assistés sociaux, ou des choses comme ça, ça fait un impact sur ta santé, ça détériore ta vie. Tu fais une dépression parce que tu essaies, tu essaies, tu essaies, tu essaies, tu essaies puis tu es toujours bafouée, tu es toujours diminuée. Moi, je trouve ça déplorable.
M. Bouchard (Vachon): Est-ce que vous avez soumis votre mémoire au ministre de la Santé?
Mme Pedneault (Evelyne): Non. Mais, si c'est une suggestion, on en fera un.
M. Bouchard (Vachon): Oui. C'est parce que les gens qui sont responsables de gérer la santé d'un gouvernement à l'autre, là, disons-le... Je pense que c'est Marc-Yvan Côté qui parlait à l'origine de son ministère comme un ministère inconséquent, puis il disait: Dans le fond, la facture que doit payer le ministère de la Santé, c'est souvent dû au fait que d'autres ministères ne font pas leur travail correctement. Et, si on avait des gens qui sont en meilleure forme, qui ont un environnement plus soutenant, plus pertinent à leur offrir ce qu'ils ont besoin dans la vie, bien on aurait peut-être moins de problèmes. Si on investissait plus aussi en éducation, on aurait peut-être moins de problèmes. Cette idée-là est très forte lorsque les gens arrivent en position, hein, de gérer le ministère de la Santé, parce que c'est un ministère avec des dépenses extraordinairement élevées.
Alors, je pense que ce que vous soulevez ce matin, c'est un point de vue collectif en même temps. On entend des témoignages de gens qui ont subi la pauvreté et les conséquences qu'elles ont vécues de cette situation-là, mais en même temps votre message, c'est un message à la collectivité qui dit: Bien, il y aurait peut-être un gain net important à faire si on investissait de façon plus diligente, peut-être même plus intelligente à combattre la grande pauvreté.
J'aimerais, avant de passer la parole à une collègue, là, vous poser une autre question que vous avez abordée, en faisant un petit détour cependant au point de départ, là. J'ai cru comprendre, premièrement, que, oui, vous étiez satisfaits à moitié du fait que les pénalités étaient éliminées du système, là, lorsque les gens refusaient un parcours. Désormais, il n'y aura plus de pénalité. Mais vous dites en même temps: Ça ne protège pas le barème plancher. Et ce que, je pense, vous rajoutez à ça, c'est qu'on ne devrait pas remplacer les pénalités par la création d'un système où c'est intolérable pour les personnes et penser que c'est cette situation-là qui va les pousser à sortir de l'aide sociale. Et le témoignage de monsieur, là, est très clair, c'est-à-dire que ce qui aide les gens à sortir de l'aide sociale, c'est des conditions de travail et des conditions d'accompagnement qui sont solides.
Ceci dit, vous êtes aussi très critiques par rapport à la catégorisation des personnes à l'aide sociale, et une des conséquences de la catégorisation, évidemment c'est les préjugés, là, dont vous parlez. Mais vous soulevez quelque chose de très important, c'est sur la question de reconnaître les contraintes sévères à l'emploi, la lenteur du système à reconnaître les contraintes sévères à l'emploi, et ça, ça a été soulevé, hier, par l'OPHQ aussi. Alors, si le ministre persiste dans l'idée de conserver des catégories, les gens qui ont des contraintes sévères à l'emploi et des gens qui en n'auraient pas, quelles suggestions pourriez-vous faire au gouvernement en ce qui concerne ce problème-là de la reconnaissance des contraintes sévères à l'emploi chez des gens qui ont des problèmes qui les empêchent de participer à une formation ou encore au monde du travail?
Mme Paradis-Pelletier (Marie-Anne): Juste pour revenir à la première partie de votre intervention, c'est sûr que, quand on parle de la santé, c'est important, mais ça ne déresponsabilise pas le travail ici qui se fait en commission sur le projet de loi. Et là-dessus il y a aussi une chose qu'on a réalisée au Carrefour de savoirs, c'est l'importance d'avoir un coussin. Quand on parle d'un coussin, c'est d'avoir de l'argent, d'en avoir de lousse. Dans les exemples qu'on a vus, par exemple, hier, c'est tous des exemples de la vie réelle qui ont été présentés aux députés. Un frigo qui se brise, avoir le 50 $ ou le 100 $ pour le réparer, on en parlait tout à l'heure, Monique et moi, moi, ce n'est pas un problème, Monique, c'est toute une histoire. Donc, il y a ça aussi à tenir en compte. Sinon, plus sur les programmes de l'aide sociale, je vais laisser la parole à Evelyne.
Mme Pedneault (Evelyne): J'ai fait énormément d'animation, un peu partout au Québec, sur le projet de loi n° 57 et sur les mesures pour informer les gens et pour leur demander leur avis aussi par rapport à ces mesures-là, des gens qui sont souvent contraintes sévères ou dits contraintes sévères, contraintes temporaires, qui sont à l'aide sociale ou non, et ce que les gens répondaient majoritairement à la question des programmes particuliers et des catégories, c'est d'une part que c'est déjà tellement difficile, cette question-là des catégories, c'est tellement déjà difficile... On l'a vu avec l'exemple de Monique, ça lui a pris sept ans avant de... de Martine, pardon, avant de faire reconnaître qu'elle était incapable d'occuper un emploi. Et, de faire des catégories encore plus fermées sur cette question-là, ce que les gens nous répondent, les gens qui ont l'expérience sur le terrain: d'avoir à dealer ? excusez l'anglicisme ? avec les agents ou avec le système d'aide sociale, c'est que ça va être encore plus compliqué d'entrer et de sortir de ces catégories-là. Parce qu'il y a des gens qui sont dits avec contraintes sévères à l'emploi, et ça ne les empêche absolument pas de participer, mais participer à leur rythme, participer comme ils peuvent.
Et l'autre chose, c'est sur la base de préjugés qu'on installe à ce moment-là. Au lieu de sortir les préjugés de l'aide sociale, on sort une certaine catégorie qu'on juge bons pauvres ou qu'on juge, eux, qu'ils sont corrects, on les sort des catégories où on maintient les préjugés à l'aide sociale. Alors, nous, ce qu'on dit, c'est: enlevez les préjugés à l'aide sociale au lieu de sortir certaines catégories des préjugés.
D'autre part, sur les programmes particuliers, c'est toute la question de la discrétion au ministre, qui décide... Vous semblez, du côté gouvernemental, insister beaucoup sur la philosophie de responsabiliser les gens. Mais qui vous responsabilise, vous, ou votre parti, ou votre gouvernement, en fait, face aux obligations d'un tel projet de loi n° 57? Le ministre peut, mais il n'est pas mentionné que le ministre doit, dans ce projet de loi là. Et donc ça laisse toute la question de la discrétion qui pourrait entourer ces programmes particuliers là.
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(10 h 30)
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Et on revient sur le fait que la solution face aux programmes particuliers, bien c'est de donner une base commune à tout le monde, parce qu'on est tous des humains, on a tous les mêmes besoins essentiels, on est tous égaux en droit, et qu'ensuite, au-dessus de ça, ça ne doit pas venir compenser les besoins essentiels mais correspondre aux besoins spécifiques. On ajoute des prestations pour les besoins spécifiques, mais ça ne doit pas entacher la prestation de base, qui, elle, doit couvrir les besoins essentiels pour tout le monde.
Le Président (M. Copeman): Mme la députée de Laurier-Dorion, pour une première intervention à la Commission des affaires sociales.
Mme Lefebvre: Merci. En fait, d'une façon concise, je me demandais. Si vous rencontrez quelqu'un qui gagne 70 000 $, 90 000 $ par année, comment le convaincre de la nécessité d'investir davantage à l'aide sociale?
Mme Pedneault (Evelyne): Je pense qu'il faut se mettre ? puis on en a eu un bon exemple, je pense que la plupart des parlementaires présents hier ont été sensibilisés ? il faut se mettre dans la situation, il faut sortir de nos paradigmes, il faut sortir de nos préjugés et il faut essayer de voir qu'est-ce que les gens qui vivent les situations en pensent, en vivent. Ce serait une insulte à leur intelligence de ne pas croire qu'est-ce qu'ils nous disent quand ils nous disent qu'est-ce qu'ils vivent, parce qu'ils le vivent à tous les jours et que, vous et moi les premiers, si on était dans leur situation et si on arrivait à se mettre dans leur situation, on aurait probablement les mêmes réflexes qu'eux et les mêmes décisions à prendre qu'eux. Donc, la première chose à faire pour se convaincre, c'est justement de sortir de sa situation de 70 000 $ à 90 000 $ et d'essayer de changer de paradigme, de croire à l'intelligence des gens, de leur faire confiance, et c'est eux, les experts, finalement.
Le Président (M. Copeman): Ça va, M. le député? Non? Oui?
M. Bouchard (Vachon): Oui.
Le Président (M. Copeman): Allez-y. Il reste deux minutes à peu près.
M. Bouchard (Vachon): Dans la réponse que vous venez de donner, là, l'idée de se mettre dans les souliers de l'autre, je pense, est un élément important, mais vous avez aussi, je pense, mentionné longuement, dans votre exposé, que les conséquences de ne pas s'occuper de la pauvreté, ça a des effets aussi, hein, sur les personnes qui ont 60 000 $, 70 000 $ ou 80 000 $ de revenus. Je pense qu'il faut se rappeler ça aussi.
J'aimerais tout simplement, avant qu'on termine, vérifier si j'ai bien compris votre position par rapport à la prime à la participation. Est-ce que vous nous dites ceci, là? Je vérifie, et le ministre va écouter voir si j'ai bien compris aussi. Est-ce que vous nous dites: Si vous avez de l'argent à investir dans le système, n'investissez pas dans les primes à la participation, qui ne couvrent que 16 000 possibilités sur 160 000, renoncez à ça, mais augmentez, améliorez les prestations de base? Est-ce que c'est ça qu'il faut comprendre?
Mme Paradis-Pelletier (Marie-Anne): C'est exactement ça. Ce qu'on dit, dans le fond, c'est qu'il faut couvrir les besoins essentiels, il faut augmenter la prestation puis il ne faut pas considérer que les gens doivent participer pour avoir accès à ça, parce que les gens participent de toute façon.
Mme Toutant (Monique): C'est ça. On le fait déjà en essayant d'aller... Comme moi, par exemple, là, présentement, je suis en contraintes temporaires parce que j'ai dû me faire opérer dans un genou suite à un problème à un genou qui d'ailleurs n'est pas réglé encore. Et là je vais probablement être obligée de me réorienter parce que je ne pourrai plus faire la cuisine. C'est une chose qui pour moi est très difficile à prendre. Je ne sais pas comment que mon agent d'employabilité va dealer avec ça, parce que j'ai déjà demandé d'aller me faire réorienter, parce que je voulais aller en autre chose, et on m'avait répondu que, non, c'était dans la cuisine que je devais aller parce que j'étais diplômée en cuisine. Alors, je me demande, moi, qu'est-ce que je dois faire maintenant, comment, moi, je dois me sentir face à ça puis comment je vais être face à mon agent quand je vais lui dire ça, que je ne peux plus m'en aller en cuisine.
Le Président (M. Copeman): Mme Paradis-Pelletier, Mme Pedneault, Mme Toutant, MM. Tremblay, merci beaucoup d'avoir participé à cette commission parlementaire au nom du Carrefour de savoirs sur les besoins essentiels.
J'invite les représentants du Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec de prendre place à la table et je suspends les travaux de la commission quelques instants.
(Suspension de la séance à 10 h 34)
(Reprise à 10 h 37)
La Présidente (Mme Charlebois): Maintenant, nous allons entendre le Mouvement d'éducation populaire d'action communautaire du Québec, qui sont représentés par Mme Langlois et M. Émond. Alors, je vais vous dire nos règles de fonctionnement: vous avez 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire, qui va être suivie d'une période d'échange avec les parlementaires. Alors, si vous voulez procéder.
Mouvement d'éducation populaire
et d'action communautaire
du Québec (MEPACQ)
Mme Langlois (Julie): Bonjour à tous les membres de la commission. Je vais vous rappeler un peu qui est le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec. En fait, c'est un des plus vieux regroupements nationaux intersectoriels d'action communautaire autonome au Québec. Il regroupe 11 tables régionales en éducation populaire qui desservent 15 des 18 régions administratives du Québec. Ces 11 tables régionales là regroupent à leur tour environ 400 groupes de base. Elles se sont donné l'éducation populaire autonome comme moyen d'action pour bâtir une société plus juste et plus démocratique.
Pour nous, l'éducation populaire autonome est un moyen, pour les personnes qui contrôlent peu ou pas leurs conditions de vie et de travail, c'est un moyen pour qu'elles puissent prendre la parole, chercher des solutions et les proposer afin d'abolir les injustices dont elles sont trop souvent victimes.
En cette journée du Souvenir, j'aimerais vous rappeler qu'un des rôles importants du gouvernement, ce n'est pas de couper dans des programmes qui sont dédiés à des personnes qui sont déjà dans le rouge. C'est pour cette raison-là qu'on porte d'ailleurs le petit ruban rouge. Donc, c'est important de se souvenir de ça.
Dans notre mémoire, essentiellement, on aimerait situer le projet de loi n° 57 dans un contexte plus large, c'est-à-dire dans la mouvance du néolibéralisme et dans le cadre des droits sociaux individuels. Et, en bout de piste, nous allons vous expliquer pourquoi on veut le retrait du projet de loi n° 57. Donc, je passe la parole à mon ami Steeve Émond.
La Présidente (Mme Charlebois): Allez-y, M. Émond.
M. Émond (Steeve): Bonjour. Donc, pour nous, le projet de loi n° 57 fait partie d'un ensemble de mesures prises par le gouvernement du Québec qui remet en question le modèle québécois. Il redéfinit le rôle de l'État et, par le fait même, responsabilise individuellement les citoyens et les citoyennes. Le projet de loi n° 57, nous, on le critique, on critique son fond parce qu'il vise justement l'intégration à tout prix des pauvres, des personnes en situation de pauvreté, sur le marché du travail. Pour nous, le gouvernement veut forcer les plus mal pris de notre société à se responsabiliser et à se trouver un emploi. Nous doutons que les mesures proposées à l'intérieur du projet de loi n° 57 améliorent significativement leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Nous craignons qu'elles visent davantage à créer un bassin de main-d'oeuvre à bon marché.
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(10 h 40)
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Et, en faisant un lien avec le plan d'action gouvernemental contre la pauvreté, on fait référence... Et je cite: «Ce plan d'action est bâti autour des deux principes suivants: l'emploi est la première solution pour assurer la sécurité économique et l'inclusion [...] des personnes. La valorisation du travail, par la mise en place de mesures incitatives à l'emploi et d'aide aux travailleurs à faible revenu, constitue donc le principe fondamental de ce plan d'action.» Alors, ce qu'on doit en comprendre, c'est que le projet de loi n° 57, de même que le plan d'action, met, comme principale solution afin de se sortir de la pauvreté, l'insertion au travail et l'emploi.
On va plus loin là-dedans. Le projet de modernisation du gouvernement actuel, ce qu'on appelle la réingénierie, s'inscrit dans cette même logique néolibérale. Il localise ou municipalise certains services publics de santé, d'éducation collégiale ? dans le cadre de sa réforme de décentralisation ? ou de services sociaux.
Le projet de loi n° 57 s'actualise en ouvrant des services autrefois octroyés par l'État à différents partenaires, et cela, dans le cadre d'ententes particulières où le ministre détermine les normes applicables audit projet. Dans l'article 8 ? je cite ? «le ministre peut conclure, notamment dans le cadre de projets-pilotes, des ententes avec toute personne, association, société ou organisme afin de susciter la réalisation de projets spécifiques favorisant l'implication sociale [ou] communautaire des personnes et des familles». Le pouvoir discrétionnaire du ministre, qui est accru dans ce cas-ci, applicable dans le cadre de mesures de programmes et de services d'aide à l'emploi, échappe au règlement et ouvre peu à peu, pour ne pas dire de beaucoup, la porte au marché privé. Alors, pourquoi les personnes assistées sociales n'auraient-elles pas le même droit à la protection minimale qu'on retrouve dans les normes du travail? Parce qu'à l'intérieur de ce projet de loi là il y a des exemptions par rapport aux normes du travail.
Pour nous, le projet de loi n° 57, tout comme le Plan d'action gouvernemental de lutte contre la pauvreté, aura un impact immédiat sur le milieu communautaire que nous représentons. Tout à l'heure, on faisait référence à plusieurs centaines d'organismes communautaires dans tout le Québec. Les organismes communautaires sont au coeur de la stratégie gouvernementale de privatisation. Ces organismes, au même titre que les entreprises privées, ce qu'on appelle les PPP, ont été identifiés à titre de partenaires privilégiés dans le plan de modernisation de l'État déposé par la présidente du Conseil du trésor, votre collègue, Mme Monique Jérôme-Forget, en mai dernier.
Mme Langlois (Julie): Un autre aspect qu'il est important de nommer, c'est qu'il faut situer dans le fond le projet de loi n° 57 dans un contexte de droits sociaux et individuels. Au tournant des années soixante, le Québec s'est inscrit dans un mouvement sans précédent, désignant l'État à titre de véhicule privilégié pour le développement des collectivités. Par la suite, la Révolution tranquille a donné naissance à un État fort et interventionniste qui nous a permis de jeter les bases d'un nouveau contrat social qui existait déjà dans la plupart des sociétés modernes d'après-guerre.
De façon générale, on peut dire que l'État était le véhicule privilégié pour réduire les inégalités entre les citoyens et citoyennes, c'est sûr, par la mise sur pied de programmes et de services publics universels, dont l'aide sociale en 1969. L'aide sociale permet, entre autres choses, de réaliser un certain transfert de la richesse. Il y a d'autres mesures aussi fiscales, notamment par un régime d'imposition progressif... on réussit à faire ce transfert de la richesse.
J'aimerais vous rappeler que le Canada et le Québec ont signé certaines ententes pour la préservation des droits sociaux et individuels. Durant cette même période de l'avant-guerre, l'État s'était imposé comme garant de droits individuels, notamment comme garant des droits humains des personnes en situation de pauvreté, en signant, par exemple, la Déclaration universelle des droits de la personne, dont l'article 25.1. Cet article-là stipule que «toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment par l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que [...] les services sociaux nécessaires» et compagnie. Je pense que vous connaissez de toute façon cet article.
Dans la même veine, je vous rappelle que le Canada et le Québec ont adopté le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, le PIDESC. Ça a été élaboré, entre autres, pour commémorer le 25e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de la personne. Ces articles-là stipulent que «chacun des États parties au présent pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus [par] le présent pacte, y compris en particulier par l'adoption de mesures législatives.
«Les États parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille...» Donc, grosso modo, c'est ça.
Sinon, dans la même année, on vous ramène aussi à la Charte des droits et libertés qui a été adoptée en 1976, où est-ce qu'on stipule que «toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent».
Et finalement je vous ramène à l'adoption de la loi contre la pauvreté et l'exclusion sociale, dans laquelle le gouvernement provincial s'est engagé dans la perspective d'atteindre éventuellement un Québec sans pauvreté. Je vous rappelle l'article 1 plus précisément: «Considérant que, conformément aux principes énoncés par la Charte des droits et libertés de la personne, le respect de la dignité de l'être humain et la reconnaissance des droits et libertés dont il est titulaire constituent le fondement de la justice et de la paix[...], la présente loi vise à guider le gouvernement et l'ensemble de la société québécoise vers la planification et la réalisation d'actions pour combattre la pauvreté, en prévenir les causes, en atténuer les effets sur les individus et les familles, contrer l'exclusion sociale et tendre vers un Québec sans pauvreté.»M. Émond (Steeve): Et on aimerait vous rappeler que cette loi-là qui vise à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale a été adoptée à l'unanimité par la Chambre, ici.
Le projet de loi n° 57 dont il est question, aujourd'hui, pour nous doit être retiré pour les raisons suivantes, en plus de ce que l'on vient de vous dire précédemment: le projet de loi n° 57 ne répond pas aux engagement nationaux et internationaux du gouvernement du Québec envers les personnes en situation de pauvreté; il ne respecte pas les engagements de la Déclaration universelle des droits de la personne, ni du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ni de la Charte québécoise des droits de la personne, ni de la loi québécoise contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Plus concrètement, cette demande du retrait du projet de loi s'appuie également sur les raisons suivantes. Premièrement, le projet de loi nous fait assister à un retour à un régime basé sur le mérite. Ce n'est plus un droit, maintenant, mais c'est un mérite. La division des bons pauvres et des mauvais pauvres demeure. La saisie des chèques par les propriétaires est toujours inscrite dans la loi en vigueur, qui est la n° 186, et le projet de loi n° 57 ne précise pas de mesures correctives à ce sujet. Donc, on voit ici une approche de discrimination envers les personnes assistées sociales qui est non justifiée et inspirée par des préjugés qui sont inacceptables.
Finalement, le gouvernement ne prévoit pas indexer adéquatement les prestations de base. On parle de lutter contre la pauvreté ici. En fait, il prévoit seulement une indexation partielle ? pourquoi partielle? ? pour les non-aptes, ce qui a pour conséquence d'appauvrir significativement les personnes assistées sociales.
Mme Langlois (Julie): Nous aimerions apporter des amendements à la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale. Donc, je vous les nomme: un renforcement de l'approche basée sur les droits décrits dans les accords signés par le Québec et le Canada et dans la loi québécoise pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale; l'abolition des catégories aptes et non-aptes; le retrait de l'article 32 concernant la saisie des chèques des personnes assistées sociales par les propriétaires; et une pleine indexation de la prestation de base en fonction du coût de la vie pour toutes les catégories de personnes assistées sociales.
n(10 h 50)n En plus et au minimum, d'autres amendements sont à prévoir dans la présente loi: une couverture d'assurance médicaments ? je vous rappelle que c'était d'ailleurs une des promesses électorales ? une clause empêchant que les pensions alimentaires ne soient déduites de la prestation de base, une instance adéquate pour le traitement des plaintes. En fait, nous voulons que le gouvernement du Québec refasse ses devoirs afin d'apporter des amendements importants à la loi existante pour que celle-ci reflète la volonté exprimée par l'Assemblée nationale, à savoir de mettre le pays sur la voie d'un Québec sans pauvreté.
Donc, une réelle réforme de l'aide sociale, respectueuse de l'esprit des engagements du Québec en matière de lutte contre la pauvreté, devrait comporter les éléments que nous avons nommés précédemment. C'est pour cette raison que nous demandons le retrait du projet de loi n° 57. Je pense que nous ne sommes pas les seuls à vous l'avoir demandé.
La Présidente (Mme Charlebois): Ça va?
Des voix: Oui.
La Présidente (Mme Charlebois): Merci. M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
M. Béchard: Oui. Merci, Mme la Présidente. Bonjour et bienvenue à cette commission. On a écouté avec beaucoup d'attention chacun des propos que vous avez évoqués, et je vous dirais, de façon très, très gentille, que nous avons, dans chacun des points que vous avez soulevés...
Il y a une interprétation qui est toujours là. Quand on présente une loi, on peut faire en sorte de voir la loi telle qu'elle est ou d'interpréter la loi tel qu'on pense qu'elle sera. Et, dans l'interprétation du tel qu'on pense qu'elle sera, à un moment donné, il y a toujours les bons et les mauvais côtés, les bonnes et les mauvaises perceptions. Et, je le dis avec beaucoup d'humour depuis le début de la commission, ce que j'entends de la part de plusieurs groupes, c'est dire que peut-être qu'ils font confiance à moi, mais ils ne font pas confiance à mes successeurs éventuels. Alors, c'est sûr qu'au niveau des pouvoirs discrétionnaires, et tout ça, les gens ont beaucoup de questions.
Mais je vous dirais qu'il y a une chose que je ramène toujours parce que c'est selon moi bien important. Quand on parle de la loi n° 112, la loi qui visait à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, je comprends que, la loi n° 112, vous savez, on lui prête un caractère très, très vertueux dans certains cas, et là on arrive avec la loi n° 57 et on dit: Bien, voici, la loi n° 57, là, c'est épouvantable, c'est le goulag ou presque, et finalement le Plan de lutte à la pauvreté, même s'il y a 2,5 milliards qui est mis, ce n'est rien, puis ça n'aidera personne, puis ça ne vaut pas la peine.
Alors, je veux juste ramener quelques points, au niveau de l'article 7 entre autres, où il est clair que, dans les buts poursuivis par la stratégie, les actions menées par l'ensemble de la société québécoise et par le gouvernement, dans la mesure prévue par la loi ou aux conditions qu'il détermine, doivent s'articuler autour de cinq orientations, dont favoriser l'accès à l'emploi et valoriser le travail, et c'est ce qu'on fait dans la loi n° 57, c'est ce qu'on fait aussi dans le Plan de lutte à la pauvreté et l'exclusion sociale.
Et vous avez un peu remis en question... en disant qu'on amène le fait que pour nous la meilleure façon de se sortir de la pauvreté et de lutter contre l'exclusion sociale, c'est l'emploi. Oui, même la loi n° 112 amène ça, le plan de lutte amène ça, à peu près tout ce qu'on voit, toutes les stratégies qu'on met en place. C'est de favoriser le retour à l'emploi. Plusieurs personnes le mentionnent. Alors, vous remettez un peu ça en question. Et, quand vous mentionnez que le projet de loi n° 57 remet en question le modèle québécois puis le plan de lutte aussi, oui, il le remet en question. Savez-vous pourquoi? Parce qu'avant c'était un régime basé sur les punitions, sur le fait que, si on disait non, on était puni, on se faisait couper.
Alors, je suis très fier, dans ce cas-là, oui, de le remettre en question, ce fameux modèle québécois au niveau de la sécurité du revenu, ça fait des années qu'on coupait puis que tout le monde disait que ce n'était pas bon de couper si les prestataires refusaient de retourner en emploi ou d'accepter un parcours. Alors, oui, là-dessus, c'en est une, remise en question.
Et l'autre chose que je veux aussi ramener avant de passer aux questions, c'est que, quand on fait l'interprétation des pactes et on dit que finalement le projet de loi n° 57 va à l'encontre des pactes et des ententes internationales que nous avons, on a eu ici la Commission des droits de la personne et de la jeunesse et on a fait quelque chose d'assez intéressant avec eux, c'est que ? parce qu'il y a des jugements de la Cour suprême, et tout, qui sont là ? on a fait une différence entre l'interprétation idéale et l'interprétation juridique et réelle. Oui, dans le cadre de l'interprétation idéale, c'est sûr que tout le monde voudrait avoir le plus possible, et c'est ça, l'esprit, mais en même temps il y a certains pays que de fournir des besoins essentiels, c'est de fournir de l'eau. On n'en est pas là, au Québec et au Canada. Alors, c'est pour ça qu'il faut toujours faire attention avec l'interprétation idéale et l'interprétation réelle et juridique qui est amenée. Et, dans ce cas-là, c'est peut-être moins évident que le projet de loi n° 57 et que le plan de lutte vont à l'encontre de ces pactes-là.
L'autre point sur lequel je veux aussi revenir, c'est sur le fait, et vous le soulevez dans votre mémoire, que vous demandez d'amender la loi actuelle pour abolir ? à la page 9 ? les catégories aptes et non-aptes ou avec contraintes et sans contraintes. Et peut-être que tantôt j'aimerais ça que le député de Vachon nous fasse part de sa position aussi là-dessus. Est-ce qu'il est pour ou contre cette abolition-là? Parce qu'on en parle, on questionne, mais, moi... On veut le garder. Ma position est très claire, oui, on veut le garder, entre autres parce qu'il y a certains groupes, dont, hier, l'OPHQ, qui sont venus nous dire: Bien, oui, bravo, au niveau de Solidarité sociale, ça va assouplir la vie des personnes qui vivent avec un handicap, par exemple. Et ce n'est pas discriminatoire pour eux. Ils disent: À la limite, si c'est discriminatoire, ça pourrait être discriminatoire de façon positive. Même chose au niveau d'Alternative jeunesse. Je ne vois pas comment on peut dire qu'Alternative jeunesse est discriminatoire, on parle d'un régime de base. Oui, il l'est. Positivement, il l'est, discriminatoire.
Alors, là-dessus, je veux vous entendre sur le fait d'abolir les catégories aptes et non-aptes, donc de revenir avec un seul et même régime. C'est ça que vous nous proposez. Donc, ce qu'on propose de plus au niveau d'Alternative jeunesse, ce qu'on propose comme assouplissement au niveau de Solidarité sociale, il faudrait enlever ça pour en arriver à la même chose pour tout le monde.
Mme Langlois (Julie): Mais malheureusement je ne peux pas commenter les présentations ni les mémoires d'Alternative jeunesse et de l'OPHQ. Par contre, je sais qu'en ce qui concerne la revendication de la division entre bons et mauvais pauvres, c'est-à-dire aptes et inaptes, je pense que nous ne sommes pas les seuls à le demander. Puis, comme ça a été mentionné précédemment, c'est loin d'être clair que c'est facilitant, le fait de demander toujours aux personnes assistées sociales de justifier leurs conditions puis de faire en sorte aussi qu'on juge un peu la condition des personnes. C'est-à-dire, si tu es une personne apte, si tu fais une demande à l'aide sociale, on considère grosso modo que tu dois sortir de l'aide sociale, que tu dois faire des démarches vers l'emploi. Puis je crois qu'il y a certains préjugés qui supposent ça, c'est-à-dire que, si tu es à l'aide sociale et apte, tu es un peu paresseux, en fait. Je ne suis pas certaine que ça aide beaucoup les personnes lorsqu'on les étiquette de cette manière-là.
M. Émond (Steeve): Moi, je compléterais en mettant justement l'emphase sur quelques pistes qui ont été amenées par M. Béchard. Si la loi n° 112 est si vertueuse que ça, pourquoi l'avoir adoptée à l'unanimité?
Au niveau des orientations dans l'article 7, le fait de prioriser l'insertion au travail, le fait de responsabiliser davantage les personnes sur leurs propres conditions de vie, c'est punitif en soi. Il ne faut pas voir juste la punition comme une coupure, mais on peut punir quelqu'un de plein de façons et pas juste par une coupure sur son chèque.
Vous avez fait allusion au niveau de comparer par rapport à d'autres provinces ou d'autres régions. Je pense qu'à se comparer on vient qu'on se console. Mais pourquoi ne pas être porteur d'un projet de société? Pourquoi ne pas être unique en soi? Arrêtons de se comparer avec les autres et soyons plutôt fiers de pouvoir avancer des choses pour une plus grande justice sociale.
Considérant les aptes et les non-aptes ? puis même encore ces termes-là, c'est déjà péjoratif en soi ? oui, il y a toujours une notion de discrimination, parce qu'au niveau de l'indexation, quand on parle d'indexation partielle pour une catégorie et l'indexation totale pour une autre, c'en est, de la discrimination. Alors, on ne viendra pas me faire accroire ici que, de la discrimination, il n'y en a pas, ce n'est pas vrai.
n(11 heures)n Au niveau de l'interprétation, tout peut être interprété d'une façon ou d'une autre, mais, nous, on vous présente ce qu'on voit là-dedans, on vous présente les analyses qu'on fait. Et les revendications que l'on porte, ce sont des revendications qui sont justifiées et justifiables. Quand on parle d'une approche basée sur des droits, l'aide sociale, c'est un droit, ce n'est pas un privilège et ce n'est pas non plus un mérite. Ce n'est pas un bonbon qu'on donne à quelqu'un, là, parce qu'il est fin ou qu'il est de la bonne famille, ce n'est pas du tout ça. Et ça va complètement à l'encontre d'une mission du Québec pour lutter contre la pauvreté. Ce qu'on veut aussi, c'est une pleine indexation. Quand on parle d'indexer, le fait de ne pas indexer, c'est une punition en soi. Donc, ça, c'est sûr que, nous, on est contre ça.
La gratuité des médicaments, ça, on y revient, on tape là-dessus parce qu'on trouve que c'est important. Puis les gens qui ont présenté un mémoire avant nous, ce matin, vous ont fait quand même une démonstration avec un budget: quand vient le temps de choisir entre se nourrir ou se soigner, il y a un problème.
Au niveau de la possibilité de saisie des chèques par le propriétaire, ça aussi, c'est une forme de punition. Et la non-inclusion des pensions alimentaires dans la détermination des prestations d'aide sociale, le fait qu'il y a une partie encore qui soit reconnue comme étant un revenu, ça aussi, c'est punitif. Alors, c'est sûr que, les revendications que l'on porte, on continue de les porter, bien que le projet de loi n° 57, il soit à mon avis vertueux autant que vous présumez que la loi n° 112 est vertueuse.
Mme Langlois (Julie): En fait, pour peut-être compléter qu'est-ce que mon collègue vient juste de dire, on parlait de lutter contre l'exclusion sociale tantôt, puis la voie privilégiée, c'est l'intégration au niveau du marché du travail. Je pense que la meilleure façon de le faire pour les personnes assistées sociales, c'est d'augmenter le salaire minimum, ce n'est pas dans le fond de leur proposer des projets spécifiques dont on connaît plus ou moins le contenu et dont les conditions de travail vont être négociées en deçà des normes minimales du travail. Je ne pense pas que ça va améliorer les conditions de travail de ces personnes-là.
Autre chose, c'est que, considérant le fait que la prestation est très minimale, ça aussi, ça amène une détérioration des conditions de vie, puis, comme la présentation précédente nous en a fait la démonstration, le fait qu'elle soit insuffisante, ça permet aux personnes de faire des démarches d'emploi parce qu'elles ont de la difficulté à survivre tout simplement.
Donc, nos recommandations, ce serait une indexation complète pour toutes les catégories au niveau de l'aide sociale et d'augmenter le salaire minimum en fait en ce qui concerne une véritable insertion sociale sur le marché du travail. Mais là je pense qu'on aborde d'autres questions que celle de l'aide sociale lorsqu'on parle de ça.
Une voix: Mais on parle de lutte à la pauvreté.
Mme Langlois (Julie): On parle de lutte à la pauvreté globale.
M. Béchard: Je veux juste revenir sur un point. Au niveau de l'indexation, quand vous parlez de discrimination, c'est sûr que c'est beaucoup moins discriminatoire d'indexer à zéro, de ne pas indexer. À la limite, on n'a pas à se poser la question de la discrimination quand on n'indexe pas.
Là, un autre point sur lequel je veux revenir avec vous, c'est: Qu'est-ce que vous pensez des services offerts par les carrefours jeunesse-emploi, les autres organismes, les autres partenaires, là, les clubs de recherche d'emploi qui sont reliés à l'emploi, par exemple, les entreprises de travail, travail adapté, ces partenaires-là qu'on a avec nous au niveau de la Sécurité du revenu, là, et avec lesquels on travaille? Qu'est-ce que vous pensez des services qui sont offerts par ces organismes-là?
Mme Langlois (Julie): Bien, en fait, qu'est-ce que, moi, je trouve important, c'est qu'on garde des balises nationales, au niveau de l'aide sociale, pour garantir l'accessibilité et l'équité dans les programmes. Et je ne connais pas les ententes spécifiques qu'on a avec les carrefours jeunesse-emploi, par contre je...
M. Béchard: Je vous parle des services en général, là.
Mme Langlois (Julie): Les services en général?
M. Béchard: Vous devez en entendre parler. Comment vous trouvez qu'ils travaillent, les carrefours jeunesse-emploi, là?
M. Émond (Steeve): On n'est pas ici pour commenter les services des carrefours jeunesse-emploi. Je pense que la commission, c'est sur un projet de loi qui touche l'aide sociale. Je vous ferai remarquer que, l'an dernier, il y a quand même eu une coupure de 740 emplois, au niveau des centres locaux d'emploi, par rapport à des traitements des plaintes et des recours possibles. Donc, je veux dire, je me verrais très mal commenter les services d'un carrefour jeunesse-emploi qui offre des services x, comparativement à des coupures de postes et de services qui sont directement reliées aux personnes assistées sociales. Je pense qu'on ne rentrera pas dans ce débat-là qui à mon avis peut être complètement... Ça nous fait perdre de précieuses minutes, et on n'est pas ici, là, pour parler des carrefours jeunesse-emploi et du service qu'ils peuvent offrir, parce que, là, je sens qu'on nous enlise dans une trajectoire que, nous, on ne veut pas suivre.
M. Béchard: Bien, écoutez, c'est parce que vous venez nous dire noir sur blanc, dans votre mémoire, que vous avez peur d'une privatisation de l'aide sociale, que vous avez peur qu'on en vienne à avoir des partenariats, avec des intervenants, qui vont mener à une privatisation de la sécurité du revenu, et je vous donne juste des exemples de partenariats qu'on a. On en a avec les carrefours jeunesse-emploi, on en a avec la ville de Montréal, on en a avec les MRC, que ce soit au Témiscouata, en Haute-Gaspésie, on en a avec des entreprises de travail adapté et même avec des employeurs et des syndicats dans le cas de certains programmes de subvention salariale. Alors, je ne vous amène pas... mon but n'est pas de vous amener nulle part.
Vous dites que les ententes... Vous avez peur qu'on signe des ententes qui mènent à une privatisation. Moi, je vous dis: On en a déjà. Je voudrais avoir votre perception. Vous devez en entendre parler, vous êtes des spécialistes du terrain, que ce soit au niveau de l'éducation populaire, des groupes communautaires, les gens avec qui vous travaillez. Et c'est juste pour vous dire qu'il y en a déjà, de ces ententes-là, qui sont là. Alors, la question est bien simple: Est-ce que vous voulez qu'on mette fin à toutes ces ententes-là ou est-ce que vous trouvez que c'est une façon de faire qui peut être acceptable, et qui peut être intéressante pour l'avenir, et qui est porteuse?
Mme Langlois (Julie): Bien, en fait...
M. Émond (Steeve): Ce qu'on ne veut pas, c'est des ententes qui nous font...
La Présidente (Mme Charlebois): Juste une petite seconde, s'il vous plaît. On va y aller en alternance. Vous aviez fini votre intervention? Mme Langlois.
Mme Langlois (Julie): Oui. En fait, on n'a pas procédé à des études d'impact importantes sur cette façon de faire des services. Par ailleurs, j'aimerais rappeler le rôle du gouvernement actuel, qui est d'offrir des services publics accessibles, équitables, sans discrimination, pour toutes les catégories au niveau de l'aide sociale. Moi, c'est ça un peu qui m'interpelle puis qui nous inquiète.
En fait, c'est que dans le fond, qu'on donne des contrats ou qu'on ait des collaborations avec différents partenaires, on noie un peu les grandes balises nationales au niveau de l'aide sociale, au niveau de la distribution et de la gestion. On peut rappeler, par exemple, que, dans le projet de loi n° 57, pour ce qui est des programmes Alternative jeunesse et aussi au niveau des projets spécifiques, il n'y a pas de droit de recours pour les personnes assistées sociales qui sont sur ces programmes. Il me semble que ça, c'est un recul au niveau du droit.
M. Béchard: Bien, juste pour vous rassurer là-dessus, c'est peut-être un problème de perception, mais il y a exactement les mêmes recours que les autres programmes offerts par Emploi-Québec. On va peut-être l'écrire plus clairement pour que ce soit plus clair, mais il y a les mêmes recours. Même à la limite il y a un avantage par rapport à Solidarité jeunesse: actuellement, il n'y a vraiment aucun recours. Alors, avec le projet de loi n° 57, il va y en avoir pour Solidarité jeunesse. Peut-être que c'est un problème de perception, mais en tout cas on va l'éclaircir. Mais je ne veux pas qu'on laisse cette affirmation-là, qu'il n'y a pas de recours sur la table, parce que ce n'est pas le cas. Alors, on va l'éclaircir.
Maintenant, je vous pose la question au niveau, entre autres, d'Alternative jeunesse ? puis vous en parlez ? parce que les réseaux de carrefours jeunesse-emploi, le Comité aviseur-jeunes sont venus nous dire que c'était bon, que c'était une bonne approche puis que c'est ce qu'ils souhaitent, avoir ce genre de programme là. Et, quand vous me dites vous-mêmes que vous souhaitez qu'on ait des grandes balises nationales, on les a avec Alternative jeunesse. Donc, je comprends que vous êtes d'accord avec le programme Alternative jeunesse, d'avoir une prestation de base, des programmes de base et d'offrir plus, dans certains programmes pour les jeunes, selon les besoins qu'il y a dans les régions. Les besoins au Saguenay?Lac-Saint-Jean ne sont peut-être par les mêmes que chez nous, au Bas-Saint-Laurent, ou que dans un quartier du centre-ville à Montréal.
Alors, sur Alternative jeunesse, là, j'imagine que vous êtes plutôt favorables à ce genre de programme là et d'expérience là, comme le sont les réseaux de carrefours jeunesse-emploi et le Comité aviseur-jeunes aussi?
M. Émond (Steeve): Des partenaires comme, bon, le carrefour jeunesse, et tout ça... Mais, je veux dire, le grand malaise qu'on a, c'est toute la dimension privé, la dimension de privatiser. Je veux dire, quand Julie faisait référence aux balises nationales, c'est que ça donne un droit de regard, puis, je veux dire, c'est le rôle de l'État de s'assurer que les services soient offerts de façon équitable, de façon correcte et de façon accessible à tout le monde. Le fait d'entrer le privé là-dedans, à notre avis l'État vient de se couper complètement de cette marge de manoeuvre là, et de ce rôle, et de sa responsabilité. Le privé n'est pas nécessairement mieux, là, ce n'est pas une panacée.
Mme Langlois (Julie): Loin de moi de dire que finalement le MEPACQ est en accord avec les programmes Alternative jeunesse, pour les raisons suivantes: on se rend compte que finalement il y a un pouvoir accru du ministre, dans le cadre de ce programme-là, et que finalement il y a beaucoup de règlements qui vont venir baliser ce programme-là. Donc, je ne peux vraiment pas me prononcer sur un programme dont je connais plus ou moins le contenu. Ça, c'est une chose.
Puis l'autre chose que je pourrais mentionner, c'est les conditions que le ministre va pouvoir négocier au niveau des conditions de travail, dans le cadre de ces projets-là, c'est-à-dire en deçà des normes du travail, si je ne me trompe pas.
n(11 h 10)nM. Béchard: Voyons! on n'ira pas en bas des normes du travail, voyons donc! Le ministre ne se mettra pas à négocier des emplois qui sont en bas des normes du travail ou du Code du travail, là. Il faut faire attention.
Mme Langlois (Julie): ...
M. Béchard: Oui, oui. Il faut faire attention là-dessus, là. Ça va.
La Présidente (Mme Charlebois): Il reste un petit bloc de 30 secondes. Vous avez une intervention rapide, M. le député de Rouyn-Noranda?Témiscamingue?
M. Bernard: Oui. Bien, merci, Mme la Présidente. On parle souvent... Je vais vous faire une intervention. J'aurais posé la question, mais juste une intervention. On parle souvent que le projet de loi ou plusieurs intervenants... puis le gouvernement entretient des préjugés, puis je veux simplement dire... Parce que j'aurais posé la question sur les propriétaires, parce que souvent il y a des mémoires aussi... que les gens entretiennent des préjugés. Puis, juste dans votre libellé à la page 9, quand vous dites, entre autres, que, concernant le logement, c'est aux mains des spéculateurs du marché privé, je tiens à dire tout simplement: Ce n'est pas tous des propriétaires qui sont des spéculateurs à cet égard-là.
Puis juste pour dire que, la semaine dernière, il y a un propriétaire qui est venu à mon bureau de comté, comme par hasard, puis effectivement il est venu me demander quoi faire, parce qu'au cours des dernières années ? il m'a amené le document ? il a perdu des sommes parce qu'effectivement il y avait des gens sur l'aide sociale qui n'avaient pas payé leur loyer. Il est venu me voir puis il a dit: Quoi faire à cet égard-là? J'ai dit effectivement que c'était une problématique. Mais, moi, je ne peux pas dire au propriétaire quoi faire.
Puis, oui, effectivement, peut-être le retrait de l'article, parce que plusieurs le demandent. Il va falloir aussi trouver un moyen pour aider des propriétaires qui ne se font pas payer. Puis ce n'est pas nécessairement des spéculateurs. Tous, ce sont des gens, souvent des honnêtes citoyens, qui s'achètent une maison avec deux ou trois loyers à revenus, et ils font le mieux possible, ils louent à des gens. Alors, il va falloir trouver une solution à cet égard-là, j'en conviens, mais il faut aussi aider tous les gens concernés avec le projet de loi. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Charlebois): Merci. Très, très, très rapidement.
Mme Langlois (Julie): Très rapidement, juste pour terminer sur les personnes assistées sociales, il n'y a aucune étude sérieuse qui confirme que les personnes assistées sociales sont une catégorie de mauvais payeurs au niveau de leur loyer. Donc, c'est dans ce sens-là que mon intervention allait.
La Présidente (Mme Charlebois): D'accord. M. le député de Vachon et porte-parole en matière d'emploi, de solidarité sociale et de famille.
M. Bouchard (Vachon): Mme Langlois, M. Émond, bonjour. Deux ou trois petites observations avant d'entamer une conversation sur un certain nombre de questions plus précises, là. Mais tout simplement une commission parlementaire, c'est fait dans le fond pour faire évoluer la pensée des parlementaires en rapport à un projet qui est présenté par le gouvernement. On espère que les parlementaires des deux côtés de la table puissent évoluer dans leurs façons de voir les choses.
Le ministre m'interpellait tout à l'heure. Je n'en ferai pas une conversation avec lui, mais simplement pour situer que, lorsqu'on pose la question de la catégorisation, il nous faut, nous, lorsque vous affirmez, vous, que ça porte un ferment important de discrimination, il nous faut, nous, refaire l'historique: D'où on est partis? Comment se fait-il que sont apparues des catégories? Qu'est-ce qu'on a fait dans le temps avec ce concept-là et à quoi on aboutit? C'est ça que vous posez comme questions aux parlementaires lorsque vous faites une observation comme celle-là. Et je pense que le ministre, lorsqu'il me pose la question: Qu'est-ce que vous en pensez, vous? lui, il est en train de réfléchir aussi, là. Et on en discutera plus avant lorsqu'on sera entre nous, je ne veux pas faire une conversation avec le ministre, mais je pense que vous soulevez des problèmes importants lorsque vous faites ça, et vous nous demandez de réfléchir d'une façon rigoureuse et systématique à la question.
Moi, je me rappelle, en tous les cas, que, lorsqu'on a introduit les catégories, c'était en pleine récession économique, que le gouvernement faisait face à des problèmes importants de liquidités, que les catégories qui ont été créées n'étaient pas nécessairement des catégories malfaisantes, mais on pouvait même avoir une motivation à se dire: Il faut protéger au moins les personnes qui sont les plus sévèrement atteintes, quitte à mettre peut-être les autres à risque. Peut-être que c'est ça qui s'est passé. Il faut revenir là-dessus et voir si le contexte actuel nous mènerait à des mêmes conclusions et nous encouragerait à poursuivre dans cette voie-là.
Et il y a d'autres questions. Vous soulevez des questions de droit et vous nous dites: Il n'y a plus un droit à la sécurité du revenu dans la Loi de la sécurité du revenu. C'est ça que vous nous dites. Et vous n'êtes pas les seuls à nous dire ça. Et ça, ça nous interpelle aussi directement. Est-ce qu'on a une loi sur la sécurité du revenu, une loi à l'aide sociale ou une loi d'intégration à l'emploi? Le principal de votre message, me semble-t-il, ou un des principaux aspects de votre message, me semble-t-il, va dans cette direction-là. Et c'est une interrogation sérieuse, à laquelle il nous faut répondre en tant que parlementaires, je pense. C'est important.
Sur la question des pénalités, moi, je vous le dis, là, j'ai été, depuis le début, un opposant aux pénalités, peu importe la couleur du parti. Le ministre les fait disparaître. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec la position de l'article de loi, dans le projet de loi, parce que je pense que c'est trop restrictif, puis on va discuter de ça. Mais, moi, j'avais espoir que le projet de loi n° 57 ? et c'est ce que j'entends aussi, là, des groupes qui viennent ici, de votre groupe ? j'avais espoir que le projet de loi n° 57 élimine les pénalités et nous parle d'incitation en améliorant les conditions de formation et d'emploi. Mais ce n'est pas ça qui arrive. On a fait des coupures à Emploi-Québec, et, vous nous le répétez, c'est 140 personnes, et aussi des coupures dans les budgets d'accompagnement. Mais ce qui arrive, c'est qu'on remplace les pénalités par la construction progressive d'une situation intolérable pour les personnes parce qu'on indexe à moitié les prestations. Donc, on remplace dans le fond une incitation négative par une autre incitation négative. C'est ce que vous nous dites, ce matin, je pense.
Maintenant, je veux aborder avec vous un problème que vous soulevez, c'est le Bureau des renseignements et plaintes. Vous êtes inquiets de la disparition du Bureau des renseignements et plaintes dans le projet de loi n° 57. Est-ce que vous pouvez, s'il vous plaît, nous faire part de l'analyse que vous faites de cette disposition-là qui n'existerait plus dans la Loi de l'aide sociale?
La Présidente (Mme Charlebois): Mme Langlois.
Mme Langlois (Julie): Oui. Bien, en fait, qu'est-ce qui nous inquiète, c'est qu'il y a un ensemble d'éléments couplés aussi à cette annonce-là qui nous inquiètent. C'est-à-dire que dernièrement on a fait une sortie publique avec les responsables régionaux du SFPQ qui nous disaient en fait qu'il y avait eu 740 emplois à temps plein qui ont été coupés... ou qui vont être coupés dans la prochaine année, puis ça avait un impact important sur la qualité des services, donc autant dans le réseau du MESSF que du réseau Emploi-Québec et de la Sécurité du revenu. Donc, en termes de qualité de services qui, il me semble, était un cheval de bataille au niveau du plan de modernisation de Mme Monique Jérôme-Forget, il me semble qu'il y a quelque chose, là, à aller vérifier à cet endroit-là.
Donc, de part et d'autre, les fonctionnaires qui donnent les services constatent qu'il y a eu une dégradation importante de ces services-là, puis du côté des personnes assistées sociales aussi. Donc, qu'est-ce qui a été nommé entre autres choses, c'est qu'on avait de la difficulté à communiquer avec son agent par téléphone, on se heurtait souvent à des messageries vocales, à une allonge des délais avant d'obtenir une décision finale, lors du dépôt d'une nouvelle demande. Donc, ce n'est pas rien. Donc, si on couple ça, si on veut, au pouvoir discrétionnaire accru du ministre, au retrait du Bureau des renseignements et des plaintes puis à la dégradation des services, il me semble qu'on augmente la notion d'arbitraire pour ces personnes-là.
On constate que ce n'est pas facile. Je pense que, la présentation juste avant nous, on a eu certains témoignages à cet effet-là, que ce n'était pas facile, autant au niveau des mesures d'employabilité qu'au niveau de prouver qu'on est bel et bien une personne inapte avec contraintes sévères à l'emploi et compagnie. Donc, il me semble qu'un minimum pour rétablir un tantinet l'équité et la démocratie, ce serait de maintenir en fait le Bureau des renseignements et des plaintes plutôt que de le laisser à la discrétion du ministre.
La Présidente (Mme Charlebois): M. le député.
M. Bouchard (Vachon): Mme la Présidente, le ministre a plusieurs fois répondu à cette question-là en disant de ne pas s'inquiéter, que les règlements allaient éventuellement clarifier cette situation-là. Est-ce que ça vous rassure?
Mme Langlois (Julie): Oui, ça... Ça ne me rassure pas tant que ça, parce qu'en fait c'est un des problèmes généraux de cette loi-là, c'est que cette loi-là est trop... est en fait une coquille vide, puis il y a trop de choses qui sont dans les règlements, ce qui nous empêche souvent de nous prononcer sur l'essence de la loi. Puis ça, je pense, c'est un problème auquel... On devrait tenter de remettre les choses à leur place, parce qu'en fait, au niveau de la démocratie, ça aussi, c'est un problème. Puis ça se fait un peu, tu sais, à tâtons, en fait, là. En tout cas, j'ai l'impression qu'on n'a pas toujours les éléments pour se positionner par rapport à qu'est-ce qui se passe. Mais, si ce Bureau des plaintes là... des renseignements et des plaintes apparaît dans le projet de règlement, tant mieux. Mais ça aurait été bien de l'inscrire dans la loi.
n(11 h 20)nM. Bouchard (Vachon): Vous êtes... Est-ce que je peux toujours continuer, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Charlebois): Allez-y.
M. Bouchard (Vachon): Vous êtes impliqués très fortement, évidemment, auprès de 400 organismes qui font de l'éducation populaire. Enfin, d'autres parleraient de conscientisation, là. Quel est le principal problème ou avantage que pose la loi n° 57 eu égard à votre mission? Est-ce que ça va vous donner plus de travail auprès des gens, en termes d'éducation populaire? Est-ce que vous allez devoir alerter les gens davantage ou au contraire est-ce que vous allez être en mesure de les rassurer?
Mme Langlois (Julie): Bien, je pense que, si on lit notre mémoire, ça ne nous rassure pas, ce projet de loi là n° 57, en fait. Puis, c'est sûr, dans une perspective de détérioration des droits sociaux individuels, ça ne nous met pas dans une position où est-ce qu'on est rassurés, pas du tout, non plus, en lien avec nos groupes membres. En fait, même déjà, les groupes de défense des droits des personnes assistées sociales constatent une dégradation des conditions de vie de ces personnes-là. Donc, on n'accueille pas favorablement le projet de loi n° 57, ça, c'est clair.
M. Bouchard (Vachon): Oui, mais ça, ce n'est pas à peu près, là, parce que vous demandez de le retirer, donc... Ha, ha, ha!
Mme Langlois (Julie): Oui.
M. Bouchard (Vachon): C'est intéressant, parce qu'il y a deux façons de voir les trucs. Peut-être pas mal plus que deux façons, mais très souvent on évoque, autour de cette table ? pas moi particulièrement, mais quelqu'un d'autre ? l'idée que dans le fond le problème qui se pose avec le projet de loi, à plusieurs endroits, c'est un problème de perception. Et, quand on dit que c'est un problème de perception, bien on espère que les gens pourront lire le projet de loi autrement et changer leur perception, hein?
Cependant, j'ai un petit peu de difficultés avec cette approche-là parce que, notamment sur la question de la protection des droits, le ministre nous dit: C'est une question de perception, on va essayer de voir qu'est-ce qu'on pourrait faire pour clarifier les choses. Mais, moi, je vous invite peut-être éventuellement à rajouter à votre analyse une note écrite auprès du ministre sur comment il faut interpréter l'article 96 du projet de loi qui dit que toute personne qui est visée par une décision du ministre rendue en vertu de la présente loi peut en demander la révision. Toutefois, une décision rendue en vertu du titre I, de l'article 40 et des chapitres III et IV ? les chapitres III et IV, c'est Alternative jeunesse et les programmes spécifiques ? n'est pas révisable. Alors, moi, je pense que je n'ai pas un problème de lecture, mais il peut aussi y avoir un problème d'écriture.
Alors, je pense que c'est important que vous souleviez la question à nouveau parce que, même si beaucoup de groupes l'ont soulevée avant vous, c'est comme si, à un moment donné, on arrivait à saturation d'information dans cette salle, là, puis on se disait: On l'a déjà entendue, celle-là. Mais c'est important de resouligner ces choses-là parce que les changements, les modifications que le ministre pourrait apporter à son projet de loi dépendent de la constance, de la qualité, souvent de la répétition de ce que les gens peuvent amener dans cette salle.
Alors, dernier petit point, si vous voulez, Mme la Présidente, la question des pensions alimentaires. Vous soulevez dans votre mémoire ce problème à l'effet que, les pensions alimentaires, il y a une partie importante des pensions alimentaires qui continue à être soustraite de l'aide reçue à titre de prestation à l'aide sociale. Alors, j'aimerais vous entendre un petit peu plus longuement là-dessus.
Mme Langlois (Julie): Oui. Tu peux y aller, si tu veux.
M. Émond (Steeve): Bien, concernant les pensions alimentaires, parce que bon vous avez quand même fait deux interventions différentes ? on va commencer par celle-là, puis je pourrais revenir avec votre première ? au niveau des pensions alimentaires, c'est que, justement, au moment où on se parle, il y a un montant de 100 $ qui est permis, et le reste est déduit du montant. Quand on regarde au niveau fiscal, la pension alimentaire, elle n'est pas considérée comme un revenu, au niveau de l'imposition, tandis qu'à l'aide sociale c'est considéré comme un revenu. Et on sait très bien, autant vous que nous, que les pensions alimentaires, c'est pour les enfants, dans la majorité des cas, pour ne pas dire tous les cas.
Alors, pour nous, c'est évident qu'on ne peut pas être en accord avec un principe où est-ce qu'il y a un montant de pension alimentaire qui est déduit de la prestation, vu que c'est censé aider les enfants à se nourrir, à s'habiller, pour l'école, pour se soigner, etc. Alors, c'est sûr que pour nous l'absence d'une clause qui empêche que les pensions alimentaires soient déduites de la prestation de base, pour nous c'est un recul majeur, ce n'est même pas une avancée, il n'y a rien là-dedans, il n'y a aucune garantie.
Par rapport à votre première intervention, c'est sûr qu'au niveau du Bureau des plaintes, et tout ça, bon, nous, tant mieux si ça demeure, mais, au niveau des perceptions, de l'interprétation ? puis je pense que Julie en a fait mention ? le projet de loi n° 57, il est plein d'énoncés où est-ce qu'on finit de lire le projet de loi et on se pose beaucoup plus de questions qu'auparavant. Je veux dire, on avait déjà une loi, il y avait déjà quelque chose en place, il y a un plan d'action qui est sorti, avec déjà des reculs majeurs, et on arrive avec une réforme. Alors, si on se met dans la peau de personnes qui vivent la situation de pauvreté, c'est difficile et c'est très insécurisant parce que ça les touche personnellement et on les pointe encore du doigt.
Et, depuis plusieurs, plusieurs années, depuis 1969, à chaque fois qu'il y a eu une réforme de l'aide sociale, les gens se sont appauvris. Et on ne me fera pas croire que les minces indexations qu'il y a eu au cours des prestations ont fait en sorte que ces gens-là, au niveau de leur pouvoir d'achat, sont plus riches. C'est complètement faux. À chaque fois qu'il y a une réforme en cours, les gens s'appauvrissent, celle-ci comprise.
Mme Langlois (Julie): Oui. Je pourrais peut-être ajouter qu'au niveau des pensions alimentaires le mouvement des femmes a lutté longtemps pour ce droit-là, puis, avec finalement qu'est-ce qui est inscrit dans la loi n° 57, le fait de ne pas exclure la totalité de la pension alimentaire, on renie ce droit-là.
M. Bouchard (Vachon): Alors, merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Charlebois): Ça va? Merci beaucoup, Mme Langlois, M. Émond, pour la présentation de votre mémoire.
Maintenant, j'inviterais les gens du Barreau du Québec à bien vouloir prendre place et je vais suspendre quelques instants.
(Suspension de la séance à 11 h 27)
(Reprise à 11 h 30)
La Présidente (Mme Charlebois): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous recevons maintenant les gens du Barreau du Québec. Vous avez 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire. Je vais vous demander de vous identifier. Ça va être suivi ensuite d'échanges avec les parlementaires.
Barreau du Québec
M. Sauvé (Marc): Merci, Mme la Présidente. M. le ministre, Mmes, MM. les membres de cette auguste Assemblée, bien, qu'il me soit permis d'abord de me présenter. Mon nom, c'est Marc Sauvé, je suis directeur du Service de recherche et législation au Barreau du Québec. Et je suis accompagné, pour la présentation du Barreau, d'abord, à ma gauche, de Me Jean-Guy Ouellet, qui est aussi président du Comité du Barreau sur les droits de la personne, et Me Ouellet est un des experts au Québec et un des rares experts, je devrais dire, en pratique privée de droit social; à ma droite, je suis accompagné de Sylvie Champagne, Me Sylvie Champagne, qui est avocate au Service de recherche et de législation.
Le Barreau, vous le savez, c'est un ordre professionnel dont la mission est la protection du public, et c'est essentiellement à la lumière de ce mandat, de cette mission sociale qu'on intervient, en commission parlementaire, sur divers projets de loi, et le projet de loi qui est devant nous suscite des préoccupations ou des inquiétudes qui vont vous être exprimées et qui ont fait partie... qui sont dans la lettre finalement qui vous a été transmise, lettre adressée au ministre responsable, au mois de septembre, le 22 septembre, lettre du bâtonnier.
Pour commencer, je pense qu'il est important de revenir aux sources en matière de législation d'aide sociale, et j'aimerais vous citer un passage du comité Boucher. C'est vrai que ce n'est pas tout à fait récent, mais ce n'est pas parce que ça date des années soixante que c'est nécessairement non pertinent. Je pense que c'est très, très pertinent.
Alors, le Barreau estime important, au moment où le gouvernement entend mettre en oeuvre un programme de lutte à la pauvreté, de se rappeler l'analyse du comité Boucher quant au rôle d'une loi générale d'aide sociale: «Auparavant, on considérait que, si une personne était pauvre, c'était de sa faute. Aujourd'hui, on saisit mieux que la pauvreté est souvent due à des facteurs économiques ou sociaux sur lesquels l'individu seul ne peut exercer aucun contrôle. [...] Le principe même de la dignité du citoyen en démocratie justifie la responsabilité de la société à son égard. Tous les pays modernes acceptent l'existence d'une telle responsabilité du groupe envers chacun de ses membres. [...] L'individu, comme citoyen et comme membre de la société, a donc droit à une assistance financière de la part de l'État si lui-même ou sa famille sont dans le besoin. L'ignorance d'un tel principe conduit fatalement à l'irréalisme. Le fait de ne pas l'expliciter ouvertement, lorsqu'on sait qu'il existe, équivaut presque à priver les citoyens d'un droit fondamental.
«La reconnaissance explicite de ce droit marquerait l'acceptation par le gouvernement du Québec du principe dont il s'inspire implicitement depuis que les circonstances l'ont amené à jouer un rôle dans l'assistance sociale, particulièrement dans l'assistance chômage. Elle ferait ainsi disparaître la notion latente et inadmissible de charité publique dont l'État risque toujours de s'inspirer dans l'élaboration de sa politique sociale, pour la remplacer par celle, beaucoup plus exacte et beaucoup plus conforme aux faits, de justice sociale. L'application de ce concept éloignerait tout danger d'arbitraire, ce qui n'est pas le cas tant et aussi longtemps qu'on s'imagine, par une législation ou des règlements, satisfaire au principe de la charité. L'État n'a pas à se préoccuper d'être charitable; il a cependant le devoir d'être juste. C'est pourquoi il importe qu'il reconnaisse clairement le droit du citoyen à l'assistance lorsque celui-ci est dans le besoin, quelle que soit la cause immédiate ou éloignée de ce besoin.» Par la suite, évidemment, l'Assemblée nationale a adopté la Charte des droits et libertés de la personne et en particulier l'article 45 qui prévoit que «toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d'assistance financière et [...] des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent». L'absence d'une déclaration générale de garantie de prestation minimale susceptible d'assurer aux personnes dans le besoin et à leurs familles un niveau de vie décent constitue certainement un sujet d'inquiétude important quant au respect des droits de la personne. Cette inquiétude est d'autant plus grande que les niveaux d'aide et mécanismes d'indexation différenciés de certains d'entre eux ne se différencient pas substantiellement des niveaux d'aide actuels qui ont fait l'objet d'analyses démontrant leur insuffisance à assurer un niveau de vie décent.
Le Barreau partage par ailleurs les inquiétudes exprimées par de nombreuses organisations de défense des droits quant au maintien de la structure des barèmes basés sur l'aptitude au travail. Ces préoccupations du Barreau rejoignent les commentaires de la Commission des droits de la personne et de la protection de la jeunesse formulés en 1988 à l'égard de cette structure de prestation de nature à véhiculer des stéréotypes et des préjugés envers les personnes devant recourir au régime d'assistance sociale.
Le Barreau est préoccupé par les dispositions législatives qui permettent, par voie réglementaire ou par des directives ministérielles, de multiplier les exceptions aux règles générales prévues par le projet de loi. En effet, on peut constater un important pourvoir de réglementation, prévu au projet de loi, qui fait en sorte qu'un contenu important de normes ne se situe pas dans la loi elle-même mais dans des règlements dont on n'a pas évidemment de projet devant nous. On constate aussi qu'il y a d'importants pouvoirs discrétionnaires dans ce projet de loi. Alors, ces réalités font que cela ne répond pas aux critères de transparence que l'État doit assurer pour permettre aux citoyens et aux citoyennes de saisir adéquatement leurs droits, d'autant plus que celles-ci s'adressent aux groupes les plus vulnérables de la population. Cette préoccupation s'étend également à la conditionnalité de la bonification du barème de base qui dépend de mesures non sujettes à appel.
De plus, le Barreau note que l'accès à ces mesures permettant la bonification du barème de base apparaît en partie sujet aux résultats de négociations fédérales-provinciales relativement à l'utilisation et au transfert de fonds du compte de la Loi sur l'assurance-emploi. Le Barreau est d'autant plus inquiet que la structuration d'une loi visant à garantir un droit aussi fondamental, tel que le droit à un niveau de vie décent, dépende du succès de négociations fédérales-provinciales, d'autant plus que la constitutionnalité de telles dépenses au sein du régime d'assurance chômage canadien fait actuellement l'objet d'une contestation judiciaire devant les tribunaux, notamment en ce que les sommes consacrées découlent des restrictions à ce même régime.
Enfin, le Barreau constate le maintien, dans le projet de loi, d'une possible saisie des prestations pour versement à des locateurs et la remise en question de l'insaisissabilité des prestations. Le Barreau du Québec s'était déjà opposé à une disposition du projet de loi 37, en 1988, qui autorisait le ministre à payer certains créanciers à même les prestations sociales, assimilant cette disposition à une mise en tutelle. Le Barreau avait reçu, de la part du ministre de l'époque, M. André Bourbeau, la confirmation du retrait de cette disposition.
Une mesure comparable mais beaucoup moins générale a également fait l'objet, depuis son adoption dans la Loi sur la Régie du logement en 1998, d'une critique sérieuse de la part de la Commission des droits de la personne ainsi que d'une dénonciation faite par le Comité d'experts du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels en 1998, comme contraire aux engagements internationaux du Québec. Ces critiques avaient eu pour effet la non-mise en vigueur d'une telle disposition. Me Champagne aussi aura l'occasion, dans quelques minutes, de traiter de certains aspects reliés aux droits de la personne et des ordonnances de la Régie du logement qui pourraient finalement être contraires ou en tout cas porter atteinte au droit à la vie privée.
Le Barreau constate également que la participation des personnes directement concernées et des organisations les représentant n'est pas prévue au projet de loi, comme la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale le prévoyait initialement. Cette lacune prive ce projet fondamental pour notre société d'un élément essentiel et reconnu comme tel dans la mise en oeuvre des droits de la personne.
n(11 h 40)n Alors, sur un autre registre, le Barreau du Québec reconnaît que la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels permet aux ministères et aux organismes publics la possibilité de conclure des ententes afin d'échanger des renseignements personnels sur autrui. Il s'agit essentiellement des articles 75-76 du projet de loi. Néanmoins, la protection des renseignements personnels et le maintien de leur confidentialité constituent des droits fondamentaux pour les citoyens. Étant donné que certains ministères et organismes n'ont pas toujours respecté scrupuleusement les ententes intervenues dans le passé, le Barreau croit nécessaire de rappeler les recommandations émises pas la Commission d'accès à l'information après avoir fait ce constat. Alors, vous trouvez, aux pages 5 et 6, le bilan général et les recommandations de la Commission d'accès à l'information.
Alors, le Barreau du Québec souligne que les ministères et organismes d'une autre gouvernement, notamment le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences du Canada, ne sont pas assujettis à la Loi sur l'accès du Québec. On peut donc s'interroger sur la contraignabilité de ces entités au respect des ententes qui interviendront avec le ministère. Ces échanges de renseignements personnels revêtent-ils un caractère indispensable? C'est-à-dire, sont-ils nécessaires à l'exercice des attributions de ce ministère ou à la mise en oeuvre des programmes dont il a la gestion? Dans l'affirmative, il serait plutôt préférable d'obtenir le consentement de la personne concernée... serait-il préférable d'obtenir le consentement de la personne concernée à l'échange de ces informations confidentielles?
Enfin, le Barreau comprend que le ministère se dotera de mécanismes de sécurité performants afin que seules les personnes qui ont légalement accès puissent recueillir les renseignements confidentiels sur autrui
Je passe maintenant la parole à Me Jean-Guy Ouellet.
Le Président (M. Copeman): Me Ouellet.
M. Ouellet (Jean-Guy): Bonjour. Le Canada, le 4 octobre 2004, vient de déposer son rapport au Comité d'experts du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels, et le gouvernement du Québec, dans la partie du rapport qui le concerne, indique clairement que la Loi d'aide sociale, au paragraphe 1646 de ce rapport, au paragraphe... que la loi actuelle, la Loi du soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité, est le mécanisme de mise en oeuvre du droit à un niveau de vie suffisant prévu à l'article 45.
Elle dit ainsi, dans ce paragraphe: «Les modifications législatives apportées [...] à le rendre plus équitable et à l'arrimer à la réorganisation des services publics[...]. Cette loi définit l'actuel régime d'aide qui repose sur des valeurs de solidarité, de justice et d'équité. Elle s'appuie sur l'article 45 de la Charte québécoise qui garantit à toute personne dans le besoin le droit à des mesures d'assistance financière prévues par la loi et susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent.» À cet égard, par rapport à cette loi, le Comité d'experts, en 1998, avait déjà fait des commentaires indiquant que non seulement les mesures de sanction prévues, que le projet de loi n° 57 abolit, étaient contraires aux engagements internationaux du Québec en vertu du pacte, mais également le niveau. Alors, je vous inviterai à relire le paragraphe 30 du rapport du Comité d'experts qui parle également du niveau d'aide, qui éventuellement est une manière de forcer des gens à être privés de la liberté de choix du travail dûment choisi pour sortir de la pauvreté.
D'autre part, il est clair que la Cour suprême s'est prononcée sur la portée de l'article 45, et j'ai lu les échanges entre le ministre et la Commission québécoise des droits de la personne. Ceci dit, cette décision est dans un contexte qui était avant l'adoption de la loi n° 7 visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Il apparaît assez clair que l'interprétation qui pourrait être faite par la Cour suprême devra tenir compte du nouveau cadre juridique et plus particulièrement de la nouvelle loi-cadre.
D'autre part, pour bien connaître cette décision de la Cour suprême, seul l'article 45 était invoqué à l'époque dans ce dossier, alors qu'éventuellement, 20 ans ou 19 ans après l'entrée en vigueur de toutes ces mesures d'employabilité, d'insertion, une évaluation peut-être plus approfondie permettrait... Et tous les débats que vous avez eu le bénéfice d'entendre sont assez critiques sur ces mesures éventuellement de véritable intégration au marché du travail, et, à cet égard-là... d'un débat qui pourrait faire référence au droit à l'égalité et à tous les autres droits qui sont violés, comme l'indique la Commission des droits de la personne du Québec. Eh bien, ça pourrait apporter une nouvelle lecture de la portée de l'article 45 autant que d'autres motifs.
Alors, je vous soumets donc que, dans ce cadre-là, lorsque, et c'est la critique principale par rapport au projet de loi n° 57, lorsqu'on vise à tendre vers l'élimination de la pauvreté, il s'agit de mettre en oeuvre des principes qui reconnaissent les besoins essentiels et certainement qui ne poursuivent pas ou ne perpétuent pas des mécanismes d'appauvrissement des mêmes personnes, puisque, comme vous l'avez si bien entendu de nombreuses fois depuis 1989, il apparaît assez clairement que la valeur des sommes qui sont remises aux personnes assistées sociales au Québec a été, très dévaluée, et plus particulièrement par rapport à cette catégorisation des aptes, et que seules éventuellement les personnes avec contraintes sévères ont pu obtenir une indexation adéquate.
M. Sauvé (Marc): Maintenant, sur la question, je dirais, plus particulière de la protection des renseignements personnels, Me Champagne.
Mme Champagne (Sylvie): Bonjour. Je désire attirer votre attention sur la portée que pourrait avoir l'article 53, l'article 53 qui prévoit la possibilité d'obtenir de la Régie du logement une saisie que le ministre pourrait transmettre directement au locateur, le paiement du loyer.
Je sais qu'il y a eu un commentaire qui a été fait, ce matin, par rapport à cet article 53 et je veux assurer le ministre que le Barreau est sensible à la problématique que rencontrent certains propriétaires. Mais d'un autre côté le Barreau du Québec est aussi inquiet par rapport à la portée que pourrait avoir l'article 53 quant au droit fondamental de chacun des citoyens, c'est-à-dire le droit au respect de sa vie privée. Et à cet égard il faut voir que bien évidemment un locateur peut exiger de son futur locataire de déterminer s'il a la capacité de payer. Nous ne revenons pas sur cette question-là.
Mais d'un autre côté, si vous regardez ce que la Commission d'accès à l'information recommande sur son site Internet et sur ses fiches destinées au public, c'est de promouvoir le fait que les personnes qui se cherchent un logement fournissent volontairement de l'information sur leur capacité de payer, ce qui ferait en sorte qu'il n'y aurait pas des expéditions de pêche, des collectes de renseignements non pertinents par rapport à une personne qui cherche un loyer, ce qui m'amène à vous dire, aujourd'hui, que la portée que pourrait avoir l'article 53 ferait en sorte qu'il y aurait un danger de violer le respect de la vie privée des personnes qui sont bénéficiaires d'aide sociale, parce que, par exemple, les ordonnances de la Régie du logement sont publiques. Elles sont disponibles de façon publique depuis, m'a-t-on informée ce matin, depuis cinq ans, ce qui fait en sorte qu'il y a un risque réel que l'information circule et qu'on puisse même monter une banque de données disant que monsieur X, monsieur Z, madame B a fait l'objet d'une ordonnance de la Régie du logement et ramener à ça le fait que cette personne est prestataire d'aide sociale.
Cette banque de données échapperait à tout contrôle et ne serait pas nécessairement mise à jour, ce qui pourrait faire en sorte que monsieur X, monsieur Y, madame B pourrait, dans un an, deux ans, faire l'objet de discrimination parce qu'elle n'arriverait pas à se trouver un logement, parce qu'on aurait été voir sur cette banque de données là et on aurait eu comme information que cette personne est prestataire d'aide sociale, et donc il y aurait un refus pour elle, alors que l'information ne serait plus à jour.
Alors, je n'ai pas de solution miracle à vous proposer, ce matin, par rapport à la problématique que vivent certains locateurs, mais je pense qu'il y a un effet secondaire, un effet indirect, et il faut réfléchir à la portée que pourrait avoir l'article 53 si on l'adoptait tel quel. C'est tout.
Le Président (M. Copeman): Fini? Terminé?
Mme Champagne (Sylvie): Pour ma part, oui.
Une voix: C'est tout.
Le Président (M. Copeman): C'est tout? Parfait. M. le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.
n(11 h 50)nM. Béchard: Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci aux membres du Barreau d'être là ce matin. Merci pour votre présentation et votre mémoire. D'abord, d'entrée de jeu, je veux dissiper une mauvaise interprétation ou un malentendu. Quand vous dites que les mesures... certaines mesures seraient assujetties, dont la bonification du barème de base, aux négociations fédérales-provinciales, ce n'est pas du tout le cas. C'est peut-être un problème d'interprétation ou le fait que les deux textes se suivent dans le plan de lutte, à la page 43, où on parle de l'intensification de l'aide à l'emploi et qu'à l'intérieur de ça on parle des fonds fédéraux, là, mais l'un n'est pas assujetti à l'autre. La preuve, c'est qu'on procède à une indexation, bien que certains soient d'accord ou pas et apportent certains commentaires dessus, on procède à l'indexation au-delà des résultats attendus ou des discussions avec le gouvernement fédéral. Alors, je veux être bien clair là-dessus.
Deuxièmement, inutile de vous dire que je trouve extrêmement intéressant ce que vous avez amené, M. Ouellet, au niveau de l'interprétation ou des discussions qu'on a eues avec la Commission des droits de la personne et de la jeunesse. Dans le fond, là, je ne suis pas avocat, mais ce que je comprends de ce que vous nous dites, c'est que finalement le jugement de la Cour suprême serait remis en question en raison de la nouvelle loi n° 112. Est-ce que c'est ce que je dois en comprendre? Ou comment interpréter votre... Parce que, selon...
M. Ouellet (Jean-Guy): Ce qu'essentiellement j'indique, c'est que la nouvelle réalité législative... Et les tribunaux sont là pour interpréter la volonté des législateurs. Le législateur s'est engagé dans une loi-cadre à éliminer la pauvreté dans les 10 prochaines années et donc à tendre vers cette élimination de la pauvreté. Par conséquent, la Cour suprême devra tenir compte de cette loi-cadre pour éventuellement analyser une contestation qui pourrait survenir par rapport au projet de loi n° 57, si le projet de loi est adopté tel quel.
Tout ce que je dis, c'est essentiellement que les tribunaux doivent interpréter en fonction de ça. Et je rappelle, parce que ça n'a pas été précisé par la commission, qu'à l'époque l'article 45 avait été invoqué seulement. L'article 10 de la Charte québécoise, le droit à l'égalité, n'avait pas été invoqué puisque c'était une contestation sur l'âge, et qu'expressément l'article 10 excluait cette possibilité d'invoquer la contestation sur l'âge, et que, dans ce cas-ci, tous les paramètres de la commission et du Conseil de la famille, de l'ordre professionnel, des travailleurs sociaux qui sont venus dire qu'éventuellement les personnes et les catégorisations véhiculaient des préjugés, des stéréotypes par rapport aux personnes assistées sociales pourraient être certainement des données importantes pour éclairer la cour sur éventuellement des accusations de discrimination qui pourraient être portées par rapport à l'adoption du projet de loi n° 57.
Ceci dit, j'aimerais juste rajouter que, par rapport à la Commission québécoise des droits de la personne, la Charte québécoise va bientôt fêter son 30e anniversaire. Il serait peut-être intéressant, comme l'indique la commission à sa première recommandation de son bilan, que le législateur s'interroge sur la possibilité de rendre effective l'application de l'article 52 quant aux droits économiques et sociaux.
M. Béchard: Juste pour continuer de nous éclairer là-dessus, parce qu'on veut profiter de votre présence pour nous éclairer sur un certain nombre de points, à l'article 16 de la loi n° 112, Loi visant à lutter contre la pauvreté, et non pas à éliminer, là, Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, l'article 16, on indique que «les conditions, les modalités et les échéanciers de réalisation des activités prévues au plan d'action, de même que ceux reliés à l'atteinte des cibles d'amélioration du revenu, sont déterminés par le gouvernement ou, le cas échéant, prévus par la loi, en tenant compte des autres priorités nationales, de l'enrichissement collectif et des situations particulières dans lesquelles se trouvent les personnes et les familles concernées».
Si on n'y va pas par certaines, je dirais, catégorisations ou autres ou certains programmes plus distincts ou autres, comment... Parce que ce que je j'entends, c'est que la meilleure façon de nous protéger contre une possible discrimination, quelle qu'elle soit, c'est d'avoir un régime. Comment à la fois, dans un seul régime, on peut justement tenir compte des situations particulières sans... Quelque part, oui, il faut tracer la ligne sur certaines situations. Alors là, comment répondre à l'article 16 de la loi n° 112, qui nous dit justement de tenir compte de situations particulières, et en même temps en arriver à l'objectif que vous nous dites, c'est que dans le fond, pour être sûr, ce serait d'avoir un régime plus large, plus généreux et sans catégorie?
M. Ouellet (Jean-Guy): L'objet d'une loi est, comme le gouvernement l'a indiqué, d'assurer un niveau susceptible d'assurer un niveau de vie décent. Il apparaît des témoignages que vous avez entendus que les barèmes qui ont été mis en place à partir de 1989 n'assurent pas ce niveau de vie décent. On en est à 41 % du seuil de faibles revenus de Statistique Canada et à 51 % de la mesure du panier de consommation. Alors, il est clair que possiblement il s'agirait peut-être de viser à atteindre minimalement les besoins essentiels.
Ceci dit, quant aux problèmes spécifiques, la mère monoparentale avec un enfant et qui est confrontée à des horaires coupés et prise avec des problèmes spécifiques... Les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont prises avec des problèmes spécifiques, mais à l'époque, en 1969, on indiquait que ces problèmes spécifiques devaient être traités par des sommes attribuées à des besoins spéciaux. Le système de base devait assurer l'ensemble des besoins essentiels, et par la suite les problèmes spécifiques. Et c'est clair qu'il faut que le législateur soit très sensible aux problèmes spécifiques, mais, comme vous ont indiqué les représentants de la COPHAN, qui est un organisme regroupant des organisations de personnes handicapées, il apparaît assez clairement que toutes les personnes qui sont sur l'aide sociale ou bien qui sont arrivées à ce niveau-là de vulnérabilité économique ont des problèmes spécifiques.
Je pratique en matière d'assurance chômage principalement et, moi, je vois la dégradation avant d'arriver sur le régime d'aide sociale. Et j'ai déjà dit à des gens, en raison de la valeur de leur maison, qu'ils n'avaient pas droit à l'assurance chômage parce que ça faisait deux ans qu'ils étaient sur la CSST et que, vu la valeur de la maison qu'ils avaient, eh bien, il faudrait qu'ils la vendent immédiatement, puisque les règles faisaient en sorte qu'ils n'étaient pas payables à l'aide sociale. Donc, potentiellement... Et je constate cette vulnérabilité des personnes, et elles sont confrontées... Et je vous soumettrais ce qu'une de mes consoeurs a dit à mon bureau, qui, elle, ne défend que des personnes assistées sociales, c'est sa pratique essentielle. Elle dit que le législateur devrait s'assurer que les personnes qui sont en train de se noyer puissent avoir la tête au-dessus de l'eau et après penser à leur donner les moyens de nager, mais que pour l'instant les gens sont en train de se noyer.
M. Béchard: C'est bien. C'est parce que je veux bien... Puis je ne remets pas en question du tout... C'est parce que, comme députés, on rencontre aussi beaucoup de gens, dans nos bureaux de comté, qui vivent des situations assez particulières et dramatiques, là, et je ne veux pas remettre en question les témoignages, mais je veux profiter de votre présence aussi. Les témoignages, inquiétez-vous pas, je les entends depuis un mois ou presque et on les prend tous en considération. Mais ce que je veux voir avec vous, c'est: oui, il y a les témoignages et il y a les besoins qui nous sont proposés, mais il y a la réalité légale aussi dans laquelle nous sommes. Je veux bien qu'on me dise que le projet de loi n° 57 n'atteint pas les objectifs idéaux, et c'est un peu ça, le sens de la discussion qu'on a eue avec la Commission des droits de la personne et de la jeunesse aussi, oui, il y a certains niveaux idéaux qu'on souhaite tous atteindre, mais il y a une réalité législative et légale qui est là. Par exemple...
C'est parce que je veux revenir sur la question de la loi n° 112 parce que, sur la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, à l'article 15, on indique «d'introduire le principe d'une prestation minimale, soit un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application des sanctions administratives, de la compensation ou du cumul de celles-ci». On ne parle pas d'une prestation minimale visant à couvrir les besoins essentiels dans la loi n° 112.
Alors, par rapport à ce que vous me disiez tantôt face au jugement de la Cour suprême, je veux voir si on avait indiqué... Puis, je vous le dis, là, je ne suis pas avocat, il y a peut-être beaucoup de subtilités légales qui m'échappent, mais, quand je le regarde comme ça, je me dis: Si, dans la loi n° 112, on indiquait «une prestation minimale visant à couvrir les besoins essentiels», à ce moment-là, oui, directement, là, probablement que les questions reliées au jugement de la Cour suprême remettraient tout ça en question. Mais, dans la loi n° 112, on ne l'a pas défini non plus, qu'est-ce que c'est, la base de couverture des besoins essentiels. On dit qu'on va viser à l'atteindre, mais on a beaucoup de difficultés.
Alors, j'aimerais voir de votre côté. Si vous aviez un avis légal à me donner ce matin, là, me dire: M. le ministre, là, à tel niveau, vous êtes blindé, il n'y a aucun problème, quel serait ce niveau-là?
M. Ouellet (Jean-Guy): Je vous dirais que vous n'êtes pas blindé.
M. Béchard: Même à ce niveau-là?
M. Ouellet (Jean-Guy): Même à ce niveau-là.
M. Béchard: Donc, il n'y a aucun niveau qui peut me blinder?
n(12 heures)nM. Ouellet (Jean-Guy): Essentiellement, ce que je vous indiquerais, c'est qu'il a clairement été exprimé de façon unanime par l'Assemblée nationale que... Ce n'est pas une déclaration qui a été adoptée, là, comme à la Chambre des communes par rapport à la pauvreté des enfants, là, qu'on va éliminer la pauvreté des enfants dans 10 ans, c'est une loi qui a été adoptée, et cette loi-là vise l'élimination de la pauvreté dans les 10 prochaines années, donc à tendre vers cette élimination-là. Il faut donc que toutes les mesures qui sont adoptées dès lors tendent à éliminer cette pauvreté. Et la pauvreté, au sens du droit international, c'est l'assumation des besoins essentiels. L'article 45 se réfère à l'article 11 du pacte et à la Déclaration universelle. Bon, le MEPACQ vous a parlé de ça tantôt, les représentants du MEPACQ vous en ont reparlé essentiellement.
Donc, pour l'instant, ce que je vous dirais, c'est que vous semblez aller dans le sens de l'élimination de cette pauvreté mais que l'outil actuel ne met pas de côté les barrières. Ce que je vous dirais, c'est qu'essentiellement, comme la Commission des droits de la personne vous l'a dit, toutes les mesures de prime à la participation, toutes ces mesures qui semblent indiquer que les personnes assistées sociales sont en partie responsables de leur propre situation véhiculent des préjugés, des stéréotypes, alors que toutes les personnes que vous avez entendues, que j'ai lues, vous ont expliqué leurs cas personnels, et elles sont arrivées dans cette situation-là non pas par rapport au fait qu'elles ne voulaient pas s'en sortir, mais par rapport à des situations particulières et individuelles.
Et toute cette bonification pour atteindre même pas le niveau des besoins essentiels, parlant de prime à la participation, semble véhiculer ? et, pour un juriste comme moi, semblerait véhiculer, si je serais devant la Cour suprême... ? semblerait véhiculer des stéréotypes qui vont à l'encontre du droit à un niveau de vie suffisant.
M. Béchard: O.K. Mais même là-dessus, comme vous le mentionnez, il faut prendre l'ensemble des mesures. Donc, si on regarde, par exemple, Soutien aux enfants, si on regarde Prime au travail, qu'on ne peut pas isoler, même s'ils ne sont pas dans la loi n° 57, parce que ce n'est pas une loi fiscale ? ils sont dans une autre loi du ministère du Revenu ? donc on devrait les prendre en considération aussi, ces mesures-là, on devrait prendre en considération... Puis encore une fois je vous dis: Je suis bien conscient que ces mesures-là, cette année, n'éliminent pas complètement la pauvreté, ne règlent pas entièrement les problèmes. Mais, quand on parle de tendre vers, est-ce que la mise en place de ces mesures-là vous permet de croire que, oui, on tend vers l'élimination de la pauvreté?
M. Ouellet (Jean-Guy): La structure de la loi maintient les barrières auxquelles sont confrontées les personnes assistées sociales, elle maintient que ces personnes sont responsables de leur situation et que c'est par leur agir personnel qu'elles pourront s'en sortir, alors que de fait c'est une responsabilité sociale. Les gens qui perdent leur emploi dans telle région et dont la région est déficitaire en termes d'emplois ne sont pas responsables de cette situation-là. S'ils veulent demeurer dans leur région, éventuellement ils vont connaître peut-être une période temporaire sur l'aide sociale. Ces gens-là ne sont pas responsables.
En droit international, la responsabilité repose sur l'État, ça repose sur la notion de droit au travail. L'État doit assurer, en matière de déclaration universelle, là, le plein-emploi, lorsque vous regardez la plénitude du plein-emploi, la plénitude du travail. Et, à défaut du droit au travail, il doit assurer des programmes de sécurité sociale, l'assurance chômage, et, à défaut d'assurer l'assurance chômage ? et là je peux vous dire que je reconnais que le fédéral vous a pelleté pas mal de monde qui ne devrait pas être sur le régime d'aide sociale depuis de nombreuses années ? mais, à défaut d'assurance sociale, dans la philosophie des droits de la personne, assurer un droit à un niveau de vie décent par le régime d'assistance sociale.
M. Béchard: Donc, il y aurait aussi beaucoup d'États qui vont à l'encontre de ces... qui ne remplissent pas ces conditions-là.
M. Ouellet (Jean-Guy): Ce que je vous répéterai, c'est le paragraphe 3 du Comité d'experts, en 1998, dans son rapport, qui dit que la société canadienne, ayant été première, pendant cinq ans, au niveau du PNUD, est certainement une des sociétés qui peuvent garantir à tous le niveau de vie décent.
M. Béchard: Si j'en comprends bien votre présentation, là, au niveau des préjugés et des barrières qui sont entretenus, dans le fond ce que vous nous proposez, c'est très large. Le régime a toujours été basé sur, je dirais, une certaine contrepartie: l'État fait des choses, l'individu doit faire des choses aussi. Le régime de sécurité du revenu, là, est basé sur cette contrepartie-là. Avant ça, il était appliqué de façon punitive. Je veux dire, si vous ne faites pas ça, vous êtes puni; si vous refusez tel parcours, vous êtes puni. On a changé, on y va d'une contrepartie, je dirais, plus incitative. Et ce que vous nous dites, c'est que, tant que le régime sera basé sur cette contrepartie-là, c'est l'ensemble de la philosophie du régime qui doit être revu.
M. Ouellet (Jean-Guy): Premièrement, le régime n'a pas été basé depuis toujours sur la théorie de la réciprocité ? en 1969, ce n'était pas le cas ? à l'exception éventuellement des moins de 30 ans, où on a, à partir de 1984, mis des projets pilotes en branle. Mais, dans un deuxième temps, cette réciprocité, en présumant qu'elle soit possible au plan légal, la réciprocité nécessite nécessairement une obligation de la part du citoyen et de l'État. Et, à cet égard-là, je rejoindrais les propos de plusieurs organisations qui vous disent qu'à ce moment-là ce n'est pas le «peut» pour les mesures actives qui devrait être dans le projet de loi n° 57, mais ce serait toujours des «doit». S'il y a réciprocité, il y a obligation de l'État à assurer à tous l'accès à ses mesures et donc un processus d'appel si ces mesures-là leur sont refusées, et qu'elles soient librement choisies. Et là on parle de toutes les modalités, là, de l'Organisation internationale du travail sur le travail librement choisi et les mesures d'employabilité qui sont à cet égard-là.
M. Béchard: Donc, vous remettez aussi en question, dans votre présentation, la question des programmes particuliers, et tout ça, au niveau, entre autres, d'Alternative jeunesse. Je vous dirais que je suis relativement embêté, parce qu'au niveau des programmes particuliers c'est justement une demande que plusieurs nous font. Oui, il y a des gens qui ne sont pas d'accord, mais il y a, comme vous avez pu l'entendre, le Réseau des carrefours jeunesse-emploi et le Comité aviseurs-jeunes, d'autres groupes qui sont venus nous dire qu'au niveau des programmes plus particuliers pour les jeunes on garantit le même niveau que le reste du programme, le programme général, mais on ajoute certains éléments, et qu'on devrait avoir cette approche-là, et que c'est une approche qui fonctionne.
Alors, les doutes que vous soulevez à ce niveau-là sont reliés à la réglementation, au pouvoir discrétionnaire et tout, mais, comme philosophie, comme approche, est-ce que vous êtes d'accord avec l'approche que pour certains groupes, justement pour tenir compte des situations particulières, comme nous le dit la loi n° 112, la mise en place de certains programmes plus avantageux ou plus particuliers est souhaitable?
M. Ouellet (Jean-Guy): Ce que je vous indiquerais sur l'approche particulière: il y a des problèmes particuliers, il y a donc des approches particulières qui devront être entamées. Cependant, il apparaît assez clairement que, si les personnes ne s'inscrivent pas dans ces approches particulières, elles sont sanctionnées par une prestation de base qui est très clairement en deçà des seuils de faibles revenus ou encore de la nouvelle mesure de panier de consommation. Et, par rapport à cette évaluation-là, je vous indiquerais qu'il y a beaucoup de débats juridiques sur le respect, par ces mesures, du droit au travail librement choisi, leur rôle dans ce cadre du droit au travail librement choisi.
Et d'autres sociologues ou politicologues s'interrogent sur leur portée ou leurs effets préjudiciables quant au gel ou à la dévaluation du salaire minimum et à l'organisation, là, de la société, de la rémunération en général. Alors, je ne peux pas vous dire que je suis pour ou contre, ce que je vous dis, c'est qu'il y a des débats là-dessus.
M. Béchard: O.K. Il ne reste pas beaucoup de temps, juste une dernière question à Me Champagne, parce que sur l'article 53 vous avez soulevé plusieurs doutes. J'en ai plusieurs puis je voudrais les mentionner publiquement. Je n'ai pas l'intention de mettre en vigueur cet article-là, puis on verra si on le retire carrément ou pas, mais je cherche une solution. Vous l'avez dit, vous n'avez pas de solution miracle à nous proposer, mais il y a une autre situation qui est celle que beaucoup de gens viennent nous dire ? puis on le voit, on l'a vu encore dernièrement dans l'actualité ? ils ne sont pas capables de se trouver un logement parce que, du côté des propriétaires, on ne veut pas ou on exerce un certain refus dû à la situation des personnes qui sont sur la sécurité du revenu. Et j'ai compris que vous n'aviez pas de solution miracle, mais est-ce que vous auriez le début d'une solution qui peut-être ne serait pas miracle mais serait le début d'une solution pour voir l'autre côté aussi de la médaille, de gens qui justement... Peut-être que plus ça va aller avec la situation du logement... On a beau mettre en place des logements sociaux, mais cette réalité-là va se vivre de plus en plus aussi, les gens qui refusent de louer parce que les gens sont sur la sécurité du revenu. Alors, si vous étiez à ma place et que... Je veux juste une solution qui ne serait pas miracle, là, juste une solution. Qu'est-ce que vous nous proposeriez?
n(12 h 10)nMme Champagne (Sylvie): Au niveau de la capacité de payer, je pense que c'est de faire connaître aux gens leurs droits, c'est-à-dire qu'effectivement les locateurs ont le droit de vérifier leur capacité de payer, ce qui ne veut pas dire qu'ils ont droit à toute l'information, à tout l'historique, et d'y aller sur une base purement discriminatoire. Et je pense que c'est au niveau de l'information. L'information doit circuler. La Commission d'accès à l'information a un site Internet, a émis une fiche contact, mais peut-être que les gens prestataires d'aide sociale n'ont pas vraiment accès à cette information-là, se posent beaucoup de questions. Je sais qu'il y a des organismes de soutien, pour ces personnes-là, qui essaient justement d'aider et je pense qu'il faudrait mettre avant tout l'emphase sur l'information, accompagner ces organismes de soutien là et voir si l'information pourrait circuler.
Maintenant, par rapport à la perception des loyers par les propriétaires, je n'ai vraiment pas réfléchi à cette problématique-là et donc je ne peux pas vous suggérer de solution miracle.
M. Béchard: C'est une mesure qui pourrait être contestée.
Mme Champagne (Sylvie): Oui.
Le Président (M. Copeman): Très succinctement, s'il vous plaît, maître.
M. Ouellet (Jean-Guy): Essentiellement, une chose est certaine, c'est d'annoncer que d'une part, comme la Commission des droits de la personne l'a indiqué, il n'est pas démontré que les personnes assistées sociales sont de mauvais payeurs, et éventuellement le gouvernement, en retirant cet article-là et surtout en faisant une campagne pour bien démontrer que de fait ces personnes-là ne sont pas des mauvais payeurs... De fait, habituellement, elles se privent de manger, comme vous l'avez entendu, elles se privent de tous les autres bénéfices, de tous leurs autres besoins essentiels pour garder un toit, parce que c'est la chose qu'elles gardent le plus. Alors, essentiellement, je pense que ce serait davantage de se joindre à une campagne non pas s'interrogeant ou laissant entendre que les personnes assistées sociales sont de mauvais payeurs, mais plutôt de dire: Non, ce ne sont pas de mauvais payeurs, et d'aller dans le sens contraire.
Le Président (M. Copeman): Merci. M. le député de Vachon et porte-parole de l'opposition officielle en matière d'emploi, de solidarité sociale et de famille.
M. Bouchard (Vachon): Me Champagne, Me Ouellet, Me Sauvé, bonjour. Lorsque le ministre référait, tout à l'heure, à l'idée que la contrepartie avait toujours été dans l'environnement légal et philosophique de la Loi de l'aide sociale au Québec, vous lui avez répondu: Non, non, non, écoutez, ça existait en 1969, on a commencé tranquillement à lâcher du lest là-dedans en 1984. Ça me rappelait un incident que j'ai vécu avec un écologiste, un très grand écologiste du Québec, M. Pierre Dansereau. Alors que je rentrais dans un ascenseur à l'UQAM, j'ai dit: Bonjour, M. Dansereau. Comment allez-vous? Ça va bien, mais j'ai bien peur que mes étudiants souffrent de paléontophobie. Ah oui? Comment ça? Bien, si on a publié quelque chose avant les années quatre-vingt, mon cher ami, on ne s'en souvient plus. Et, me disait-il, je regrette que les informations qui ont été consignées avant les années quatre-vingt ne soient plus des informations valables, et utilisables, et pertinentes dans le contexte de la science contemporaine.
Et c'est peut-être un peu la même chose qu'on fait, finalement, nous, les parlementaires, avec la Loi de l'aide sociale, c'est qu'on ne retourne peut-être pas assez loin sur le cheminement qu'a fait la société québécoise à l'égard de la couverture des besoins des personnes les plus pauvres. Me Ouellet, vous nous le rappeliez, au point de départ, concernant le rapport Boucher. C'est très important, je pense, que l'on puisse resituer ça dans son contexte historique, et ça, je vous en remercie beaucoup.
Par ailleurs, le contexte contemporain, le contexte légal contemporain, puisque nous avons trois avocats pour le prix de zéro... C'est bénévole, votre contribution, ce matin, on va en profiter. L'article 15 qu'invoque le ministre, dans la loi n° 112, nous dit ceci: «Le plan d'action doit également [...] introduire le principe ? ça, c'est le paragraphe 2°, introduire le principe ? d'une prestation minimale, soit un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application des sanctions administratives, de la compensation [et] du cumul de celles-ci.» Il y a comme, me semble-t-il, dans cet article-là, dans ce paragraphe-là, une notion d'une prestation minimale, là, sur laquelle on devrait éventuellement s'entendre. Le ministre dit: Oui, mais on n'évoque pas là-dedans la question des besoins essentiels et de la couverture des besoins essentiels.
Je vous ramène par ailleurs à l'article 9 de la même loi, qui dit ceci ? et là je pense que le ministre va écouter ça attentivement parce que ça fait partie de la réflexion que l'on mène, depuis le point de départ, sur la question de la couverture des besoins essentiels:
«Les actions liées au renforcement du filet de sécurité social et économique doivent notamment viser à:
«1° rehausser le revenu accordé aux personnes et aux familles en situation de pauvreté, en tenant compte notamment de leur situation particulière et des ressources dont elles disposent pour couvrir leurs besoins essentiels.» Donc, le législateur fait référence explicitement à la question de la couverture des besoins essentiels, et le ministre nous dit, dans le fond: Ce pour quoi je maintiens des catégories, c'est notamment pour respecter les situations particulières. Donc, il pourrait invoquer l'article 9 de la loi n° 112 pour dire: La loi n° 112 m'invite à faire ça. Mais il ne peut pas par ailleurs, si je comprends bien ? là, je veux votre avis là-dessus ? ignorer la deuxième partie du premier paragraphe de l'article 9, qui dit ceci: ...en tenant compte des ressources dont elles disposent pour couvrir les besoins essentiels, donc rehausser le revenu. En fonction de ça, est-ce que ça ne vient pas inviter le législateur à rehausser le revenu vers la couverture de besoins essentiels?
M. Ouellet (Jean-Guy): Votre question contient sa réponse.
M. Bouchard (Vachon): Est-ce que vous pouvez me répéter la réponse?
M. Ouellet (Jean-Guy): Essentiellement...
M. Bouchard (Vachon): Mais ça m'a surpris que vous n'invoquiez pas 9 tout à l'heure. C'est pour ça que je...
M. Ouellet (Jean-Guy): Je vous indiquerais que nous avons fait une analyse pas article par article. Le Barreau s'est attardé à regarder en général les principes qui sous-tendent sa... On n'a pas voulu... Et essentiellement le message qu'on envoie, c'est que, si l'intention ? et on ne met pas en doute l'intention du ministre ? c'est d'aller vers l'élimination de la pauvreté, l'outil qu'il a déposé n'est pas l'outil adéquat.
M. Bouchard (Vachon): Mais à première vue, là, est-ce que le paragraphe 1° n'est pas pertinent dans la discussion, à savoir si la loi n° 112 fait référence, oui ou non, à la couverture des besoins essentiels?
M. Ouellet (Jean-Guy): Ça me semble... C'est marqué puis c'est écrit. Alors, lorsqu'il n'y a pas de question, on regarde «dont elles disposent pour couvrir leurs besoins essentiels». Et les actions qui devront être entreprises doivent couvrir les besoins essentiels. Et la perception de cette loi par tous, c'est que, dans 10 ans, il n'y aurait plus de pauvres au Québec.
M. Bouchard (Vachon): Mais est-ce que ça peut vouloir dire, selon l'interprétation légale, qu'on pourrait faire du projet de loi n° 57, étant donné l'article 9, paragraphe 1°, de 112, est-ce que ça peut vouloir dire que 57 contrevient à 112?
M. Ouellet (Jean-Guy): Ça pourrait être un débat intéressant à faire.
M. Bouchard (Vachon): Est-ce que vous pourriez...
Le Président (M. Copeman): C'est une réponse de politicien, ça.
M. Ouellet (Jean-Guy): C'est une réponse de juriste, à savoir qu'essentiellement, lorsqu'un client se présente dans nos bureaux, on peut dire que vous avez éventuellement une perspective juridique qui permet d'envisager une interprétation dans le sens que M. Bouchard vient de dire, mais éventuellement on ne peut pas vous l'assurer.
M. Bouchard (Vachon): On peut comprendre que, dans un bureau d'avocats, on ne peut pas nous assurer le résultat final, mais ce que je peux comprendre aussi, c'est que la cause serait suffisamment intéressante, et pertinente, et gagnable pour vous. Vous ne me référeriez pas à un autre de vos collègues, autrement dit, vous me garderiez. Je pourrais être un client intéressant.
M. Ouellet (Jean-Guy): Vous pourriez être un client intéressant, oui.
M. Béchard: ...
M. Bouchard (Vachon): Bon. Ha, ha, ha! Alors, le ministre fait référence à une menace qui lui pèse dessus, là, mais c'est quasiment une cause sub judice, alors je n'irai pas dans cette direction-là.
M. Béchard: ...expliquer qui va amener les oranges, là.
M. Bouchard (Vachon): Alors, vous évoquez aussi dans votre mémoire, trêve de plaisanterie... Mais je pense que c'est très important, ce qu'on vient de faire là, parce que finalement on vient de faire un pas de plus dans l'interprétation possible des conséquences de l'adoption du projet de loi n° 57 en vertu de la loi n° 112. On n'a jamais été aussi loin dans nos conversations que ce matin concernant les possibilités que 57 puisse contrevenir à la loi n° 112. Et c'est très important parce qu'il y a plusieurs groupes qui viennent ici avec la conviction que 57 pourrait contrevenir mais qui l'abordent d'un point de vue plus, disons, philosophique que d'un point de vue d'une référence aux articles de loi comme tels. Alors, vous nous donnez l'occasion de faire ça.
Bon, ceci dit, vous évoquez aussi la question des droits de recours dans votre mémoire. Vous vous inquiétez du fait que des programmes spécifiques pourraient ne pas offrir les droits de recours ou assurer les droits de recours. Le ministre répond: C'est une question de perception, on s'organisera pour que la perception soit réajustée quelque part. D'où tenez-vous cette inquiétude?
n(12 h 20)nM. Sauvé (Marc): Bien, écoutez, tantôt, quand on est venus s'asseoir ici, vous avez fait référence à l'article 96. Et savoir comment on devait interpréter 96... Mais, je veux dire, il n'y a pas beaucoup de marge de manoeuvre, là, à partir de «toutefois, une décision rendue en vertu du titre I de l'article 40, des chapitres III et IV [...] n'est pas révisable». Donc, je pense qu'il n'y pas beaucoup de marge de manoeuvre à ce niveau-là.
C'est certain que la question des recours, c'est quelque chose qui préoccupe le Barreau, parce que, lorsqu'on est en pleins pouvoirs discrétionnaires ? et Dieu sait qu'il y en a dans cette chose-là ? il n'y a pas beaucoup de marge de manoeuvre pour un juriste. Donc, c'est ça, ces préoccupations générales là. Je sais que dans la lettre, et Me Ouellet y faisait peut-être référence, où on disait qu'il n'y avait pas d'appel de certaines décisions... Attendez. Où est-ce qu'on...
M. Bouchard (Vachon): Donc, votre inquiétude est exprimée de façon assez diffuse, mais on sent que vous êtes quelque part préoccupés par l'idée que les droits de recours pourraient ne pas être assurés.
M. Sauvé (Marc): C'est ça. Exactement.
M. Bouchard (Vachon): Bon. Alors donc, vous nous dites: Dans le fond, si on regarde 96, là, ça ne laisse pas beaucoup de place à un problème de perception. Ce serait plutôt un problème de quoi, alors?
M. Ouellet (Jean-Guy): Nous sommes des juristes, pas des juges. Mais, à la lecture de cet article-là, comme, dans la loi actuelle, il apparaît assez clairement que ? 96, alinéa deux ? les décisions prises en vertu du titre I et des chapitres III et IV du titre II ne sont pas révisables. Je comprends qu'il y a des révisions administratives, mais ce n'est pas en vertu, là... Pour régler les problèmes, ce n'est pas nécessairement un droit qui leur est reconnu, en tout cas à l'article 96, alinéa deux.
M. Bouchard (Vachon): Merci. M. le Président, j'ai du temps encore?
Le Président (M. Copeman): Oui.
M. Bouchard (Vachon): Merci. Combien?
Le Président (M. Copeman): Neuf minutes.
M. Bouchard (Vachon): Merci beaucoup, M. le Président. Alors, vous soulevez, en page 3 de votre mémoire, un problème que plusieurs autres groupes ont évoqué devant cette commission. Vous dites ceci: «Le Barreau estime qu'il est difficile de procéder à une analyse du projet de loi et de son contenu normatif sans connaître en même temps le contenu de l'importante réglementation qui y sera associée.» Qu'est-ce que vous suggérez exactement? Parce que vous vous situez d'un point de vue de l'analyse juridique du texte, là. Et est-ce que vous pouvez nous expliquer, étant donné votre expertise dans le domaine, ce qu'ajoute l'examen de la réglementation, vu d'un point de vue juridique, dans notre capacité de juger de la pertinence du projet de loi lui-même? Autrement dit, est-ce que vous nous dites: C'est absolument impossible de juger de la portée juridique si on n'a pas les règlements?
M. Ouellet (Jean-Guy): On vous dit que le débat démocratique est certainement difficile, puisqu'une grande partie de ce projet de loi là passe par voie réglementaire et qu'il y a tout le processus réglementaire, là, qui devra entourer la discrétion du chapitre IV de la partie II, qui sont les projets spécifiques, et tout ça. Donc, le débat est difficilement tenable. Et habituellement, compte tenu qu'une grande partie de ces projets de loi sociaux passe souvent par la réglementation, les grands principes sont énoncés dans la loi. Et maintenant, de plus en plus, on énonce la poutine dans les règlements, mais les grands principes sont énoncés dans le projet de loi. Et là c'est sur ça que le Barreau a insisté, c'est qu'éventuellement les principes énoncés ne nous apparaissaient pas aller dans le sens d'une atteinte à un niveau de vie décent.
Et l'absence de règlement handicape certainement une analyse plus fouillée des données ou de la portée du projet de loi. Ça aurait facilité peut-être le travail du ministre si on avait eu le règlement pour éventuellement voir toutes ces choses-là. D'autre part, il faut se rappeler que l'absence de cette information-là, par rapport à des groupes vulnérables, ça les handicape.
M. Bouchard (Vachon): Alors, il est évidemment trop tard pour souhaiter l'avoir durant cette présente commission, mais nous allons procéder éventuellement, si le ministre ne se rend pas au souhait de plusieurs de retirer le projet, à l'analyse du projet de loi, une fois l'adoption de principe faite, là, ce qui n'est pas évident encore. Qu'est-ce que vous recommandez alors aux parlementaires? Que l'on sursoie à l'analyse du projet de loi article par article jusqu'à ce qu'on ait les projets de règlement en main?
M. Sauvé (Marc): Bien, ça arrive. Quand on a un texte législatif comme celui-là qui comporte des pouvoirs réglementaires extrêmement importants, où on voit qu'il va y avoir des normes, il va y avoir des principes qui normalement pourraient être dans la loi elle-même, il pourrait être déposé pour étudier le projet de loi, un projet, à tout le moins, même si ce n'est pas absolument définitif, un projet pour préciser exactement où est-ce qu'on s'en va avec tout ça, parce que la réglementation, c'est de la législation déléguée. Alors, à toutes fins pratiques, c'est un peu comme si on déléguait à l'exécutif une partie du pouvoir qui normalement pourrait être exercé par le législateur lui-même dans la loi, par l'entremise de la loi. Donc, oui, il pourrait y avoir un projet de texte réglementaire déposé pour avoir beaucoup plus de précisions sur où est-ce qu'on s'en va avec l'ensemble de ce projet.
M. Bouchard (Vachon): Très bien. M. le Président, j'aimerais revenir sur la page 3 du mémoire, en bas de page. Le ministre a ouvert la conversation avec vous à partir de cet extrait. J'aimerais revenir là-dessus et je vais lire très rapidement: «De plus, le Barreau note que l'accès à ces mesures ? c'est-à-dire les mesures de soutien, d'offre à l'emploi, etc., là ? permettant la bonification du barème de base, apparaît en partie sujet aux résultats de négociations fédérales-provinciales relativement à l'utilisation et au transfert [...] du compte de la Loi sur l'assurance emploi. Le Barreau est d'autant plus inquiet, que la structuration d'une loi visant à garantir un droit aussi fondamental, tel que le droit à un niveau de vie décent, dépende du succès de négociations fédérales-provinciales...» L'esprit de votre intervention, là, c'est de dire: Dans le fond, comme les prestations sont insuffisantes ? vous avez mentionné 52 %, tout à l'heure, ou 51 % de la mesure du panier de consommation ? comme les mesures sont insuffisantes, les gens doivent pouvoir éventuellement améliorer leur sort à partir de mesures que l'on pourrait offrir en termes de formation, accompagnement, insertion à l'emploi, etc. Et vous dites: Ça nous apparaît très dangereux de procéder de la sorte parce qu'on n'a pas le contrôle là-dessus. C'est ça que vous voulez dire, dans le fond, et que donc les droits sont mis en péril, là.
M. Ouellet (Jean-Guy): Ce n'est pas ça qu'on a dit. Ce que l'on indique, c'est que 560 millions actuellement de ce qui finance les mesures actives, qui vient de la caisse d'assurance-emploi, environ 560 millions, est actuellement sujet à un recours et que de baser le futur projet de loi, qui doit assurer un niveau de vie décent à tous, sur éventuellement un budget qui est peut-être aléatoire ne nous apparaît peut-être pas adéquat.
M. Bouchard (Vachon): Donc, si je comprends bien votre expression, moi, je considère que, lorsque quelque chose est aléatoire, c'est loin d'être sous notre contrôle.
M. Ouellet (Jean-Guy): Ça va être sujet à la Cour d'appel du Québec très bientôt et, j'imagine, à la Cour suprême du Canada.
M. Bouchard (Vachon): Dernier item, si vous permettez, M. le Président. Vous vous inquiétez, dans votre mémoire, du fait qu'il y a une grande absente de ce projet de loi là, à savoir la participation des premiers concernés dans l'élaboration des mesures, etc. C'est intéressant, cette observation-là, venant de juristes. Pourquoi un juriste devrait-il s'en inquiéter? Est-ce que vous vous en inquiétez d'un point de vue strictement d'efficience juridique ou d'un point de vue démocratique?
M. Ouellet (Jean-Guy): On s'en inquiète par rapport au respect des droits de la personne. On se réfère à un document de Me Lamarche qui indique que la construction des droits de la personne doit insérer la participation des citoyens et qu'à cet égard-là, dans cette construction et dans le respect des droits de la personne, maintenant au plan international autant que local, c'est un élément essentiel à la mise en place des politiques en question.
M. Bouchard (Vachon): Dans votre texte, de fait, vous faites référence au fait que la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale prévoit la participation des premiers concernés à la construction dans le fond de l'environnement légal, respectueuse de leurs droits. C'est ça, dans le fond?
n(12 h 30)nM. Ouellet (Jean-Guy): C'est-à-dire que, comme il était prévu, il me semble, l'observatoire permettait d'intégrer les personnes directement visées par les mesures à la réflexion et éventuellement d'éduquer, je pense, autant les juristes que les législateurs, que tout le monde. Ils sont certainement les meilleurs experts de l'analyse de leur situation, et c'est ce qui me semble avoir été reconnu dans le projet de loi n° 112.
M. Bouchard (Vachon): Merci.
Le Président (M. Copeman): Le ministre me signale qu'il aurait aimé posé une question, de consentement, sur le même sujet. Je ne sais pas s'il y a consentement.
M. Béchard: Très rapide.
Le Président (M. Copeman): Très rapide.
M. Béchard: Question rapide.
M. Bouchard (Vachon): Oui, oui, oui, oui. Certainement.
Le Président (M. Copeman): Oui. Allez-y.
M. Béchard: Est-ce qu'à votre avis... C'est parce que vous parlez de la participation des premiers intervenants, mais à votre avis est-ce qu'une commission parlementaire large, publique comme celle-là, avant même l'adoption du principe d'un projet de loi, n'est pas une consultation des premiers intervenants, des premiers concernés? Parce que, vous avez vu comme moi, on entend plusieurs groupes, des personnes qui sont directement... Vous avez vous-mêmes dit tantôt que ces gens-là viennent parler de leur situation à eux. Alors, n'est-ce pas là une façon de faire participer les gens?
M. Ouellet (Jean-Guy): C'est certainement une des façons, mais ce n'est pas la seule.
M. Béchard: Parfait.
Le Président (M. Copeman): Me Sauvé, Me Ouellet, Me Champagne, merci beaucoup d'avoir participé à cette commission parlementaire au nom du Barreau du Québec. Et j'ajourne les travaux de la commission jusqu'à demain, 10 heures, afin d'exécuter un autre mandat que lui a confié l'Assemblée. Merci.
(Fin de la séance à 12 h 31)