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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le mardi 20 mai 1986 - Vol. 29 N° 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le statut économique de l'artiste et du créateur


Journal des débats

 

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de la culture se réunit en consultation générale sur le statut économique de l'artiste et du créateur. Mme la Secrétaire, est-ce qu'on a des remplaçants? Je pense que Mme la députée de Chicoutimi remplace M. le député de Mercier. C'est bien cela?

Mme Blackburn: Jusqu'à son arrivée.

Le Président (M. Trudel): Nous en prenons bonne note, madame. Du côté du gouvernement, les membres semblent bien présents. Je veux simplement, en vous souhaitant la bienvenue - je le ferai une nouvelle fois tantôt - rappeler aux membres les ententes qui sont intervenues au cours de la réunion de travail de la semaine dernière.

La séance de ce matin, qui est la séance d'ouverture de la commission, sera consacrée pour environ 90 minutes à des remarques préliminaires des membres de la commission. Nous avons convenu que Mme la ministre des Affaires culturelles aurait environ 20 minutes, que le député de Saint-Jacques et porte-parole officiel de l'Opposition en matière culturelle aurait également 20 minutes, qu'à titre de président de la commission je prendrais environ 15 minutes -probablement un peu moins - et qu'on consacrerait 20 minutes de plus aux remarques préliminaires des membres de la commission.

Par la suite, nous céderons avec grand plaisir la parole à ceux qui sont venus nous exposer leur situation en commençant, bien sûr, ce matin, par l'Union des artistes.

Mme Bacon: M. le Président...

Le Président (M. Trudel): Oui, madame.

Mme Bacon: ...si vous me le permettez, avant de commencer les travaux de cette commission, j'aimerais faire une motion -que j'appellerais une motion non annoncée -de félicitations à l'endroit de Denys Arcand qui a reçu le Prix international de la critique pour son film, "Le Déclin de l'empire américain". Je pense que ce matin, c'est la première chose que nous devons faire avant de débuter.

Le Président (M. Trudel): Sans plus tarder, je vous cède la parole, Mme la ministre, pour vos remarques préliminaires.

Remarques préliminaires Mme Lise Bacon

Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux et celles qui démontrent un intérêt aux travaux de cette commission et qui sont ici en grand nombre ce matin, vous dire le plaisir que j'ai de vous revoir pour certains et certaines d'entre vous et de faire la connaissance d'autres au cours des travaux de cette commission.

Je pense que votre grand nombre ici démontre les besoins et non seulement les besoins, mais l'intérêt que vous portez aux travaux de cette commission. Comme parlementaires, nous en sommes très heureux.

Dans "Maria Chapdelaine", il y a une phrase que j'ai retenue. "Rien n'a changé au pays du Québec. Et au cours de ma vie j'ai vu tout changer au pays du Québec". Cette réflexion est de la regrettée Marthe Thierry qui fut l'une de nos grandes comédiennes.

En effet, M. le Président, beaucoup de choses ont changé au Québec dans le dernier quart de siècle. 25 ans, c'est l'âge du ministère des Affaires culturelles, comme c'est aussi, à une année près, l'âge de la Révolution tranquille. Dans ce dernier quart de siècle, je crois qu'on peut affirmer sans prétention que tout a changé au pays du Québec en matière culturelle. Et l'action gouvernementale, pendant cette période, a dû toucher à tous les domaines de la culture, en appuyant ou privilégiant un secteur ou l'autre, selon les modes ou les gouvernements en place.

Nous voilà rendus en 1986 où la production culturelle a atteint un seuil qui nous la fait qualifier d'industrie culturelle majeure au Québec. Nos institutions d'enseignement forment des centaines d'étudiantes et d'étudiants chaque année. Artistes, créateurs, animateurs et administrateurs dans ce domaine se comptent par milliers et, quant aux consommateurs, on peut dire tous les Québécois* Car les moyens de communication de masse ont rendu accessibles nos produits culturels à tous et à chacun de nous.

Qu'est-ce que consomment les Que-

bécois en matière culturelle? Ils consomment les disques de Martine St-Clair, "Rocky I, II, III" jusqu'à IV, "Peau de banane", "Dallas", "Croc", "Pilote", l'OSM, Zamfir, "Le matou", et j'en passe. Je pourrais ainsi défiler une longue liste de vedettes, de "best-sellers", dans tous les secteurs de la création et où apparaîtraient autant de noms d'ici que d'ailleurs. C'est bien là un signe que les temps ont changé, que nous sommes passés d'une société rurale fermée à une société ouverte, éclatée au plan culturel.

Un tel envahissement de notre culture, de notre territoire culturel est un enrichissement, soutiendront les uns. Mais ce peut être aussi un terrain glissant pour notre identité culturelle. Le produit séduisant, fignolé, mis en marché à l'échelle internationale entre très vite dans nos maisons, dans nos goûts, dans notre imaginaire. Nous sommes à l'ère de la culture en forme de mosaïque où les messages proviennent de partout et se juxtaposent simultanément. Dans un tel contexte, quelle place occupe notre production, celle des créateurs québécois? Le dernier relevé des cotes d'écoute de la télévision fait encore et toujours une place d'honneur aux productions québécoises. Mais on ne peut, malheureusement, en dire autant de tous les autres secteurs de la création artistique. C'est-à-dire qu'il y a une situation de concurrence, une concurrence dure entre nos produits et les produits étrangers, une concurrence face à laquelle nos créateurs et nos artistes ne sont pas toujours préparés ni armés pour lutter à armes égales. C'est pourquoi, aujourd'hui, le gouvernement auquel j'appartiens a jugé opportun et urgent de convoquer une commission parlementaire sur ce sujet bien spécifique du statut de l'artiste et du créateur.

En tant que ministre des Affaires culturelles, je me sens, évidemment, concernée et intéressée plus que tout autre parlementaire. Je crois que tous les membres de cette commission, eux aussi, se sentent chargés d'une mission auprès de leurs collègues à l'Assemblée nationale.

Pour ma part, j'aimerais vous situer dans quel état d'esprit je me trouve en ce matin du premier jour d'audiences. J'aimerais vous dire dans quelle perspective mes collègues et moi-même nous vous écouterons et accueillerons le fruit de vos réflexions sur ce sujet. Car je présume, si vous me permettez de paraphraser Jacques Brel, que, si nous ne sommes pas toujours du même bord, nous allons tous au même port. Ce port, c'est une identité culturelle québécoise propre, affirmée et en santé. Et c'est, par voie de conséquence, un contexte de travail et de production équitable pour nos créateurs comparativement aux conditions de travail des autres citoyens québécois.

Nous vous écouterons donc pour sentir et comprendre le sens, la direction que vous souhaiteriez que l'Etat adopte pour jouer pleinement son rôle auprès de cette clientèle spécifique que sont les artistes et créateurs. Ce rôle de l'État, peut se concrétiser sous trois formes d'intervention. Une première consisterait en des ajustements, des abolitions ou des créations de programmes. Un second niveau d'intervention serait celui d'un État animateur auprès d'autres intervenants, que ce soit d'autres ministères, d'autres paliers de gouvernement ou l'entreprise privée. Enfin, une troisième forme d'intervention se situe au niveau de la législation.

Toutefois, qu'importent les formes d'intervention que nous retiendrons, il est acquis que nous n'adopterons pas une attitude protectionniste et encore moins paternaliste. Nous ne voulons pas faire du Québec un grand pensionnat qui, à partir du moment où vous y êtes inscrit, vous assure une sécurité tous azimuts si vous vous soumettez, évidemment, aux règlements de la maison.

Nous croyons que la première valeur que nous devons respecter chez l'artiste ou le créateur, c'est sa liberté, cette liberté nécessaire et propre à la création. Mais cette liberté comporte des risques: risques de réussite ou d'échec inhérents à tout métier et contre lesquels il n'existe pas d'assurance tous risques. On ne pourra jamais encadrer et sécuriser les gens de la création, comme cela est -possible pour certains métiers, techniques ou professionnels, où la performance en termes de volume ou de production est garante de la réussite.

Bien sûr, l'État continuera de développer des programmes de soutien à la création et à la recherche, et je compte sur vos commentaires pour nous aider à les améliorer. Mais il serait fallacieux de prétendre que l'essentiel des problèmes du statut économique de l'artiste se résoudra miraculeusement par la simple bonification des programmes de soutien. C'est pourquoi nous chercherons avec vous à identifier la nature et la portée des obstacles qui affectent votre situation socio-économique et juridique, et nous tâcherons d'en déterminer les causes.

Comme vous le savez, l'amélioration et la revalorisation du statut de l'artiste est une priorité de mon ministère et la tenue de cette commission parlementaire s'inscrit comme un instrument pour dresser un état de la situation socio-économique des artistes et des créateurs, et pour susciter aussi la concertation et, si possible, dégager des consensus concernant des solutions.

À ma connaissance, c'est la première fois qu'un gouvernement du Québec offre aux créateurs et aux interprètes une occasion de parler publiquement à des élus réunis en commission parlementaire. Ainsi, non seulement aurez-vous l'occasion de nous présenter

les questions qui vous préoccupent, mais aussi vous aurez une sorte de tribune pour mettre en évidence et faire valoir votre contribution à la société dans toutes ses composantes.

L'objet de cette commission ne concerne pas que les affaires culturelles, mais le gouvernement comme tel. J'ai, d'ailleurs, demandé expressément à dix de mes collègues de déléguer des observateurs à cette commission et mon sous-ministre a fait une démarche semblable auprès des siens. Ceci pour vous indiquer à quel point j'estime essentiel qu'ils sachent qui vous êtes, ce que vous faites et qu'ils soient aussi conscients que nous de l'importance et de la valeur de votre apport à la culture et à l'économie du Québec.

C'est l'État comme tel qui doit examiner ses politiques, ses programmes, voir ses lois et règlements afin d'harmoniser ses actions envers les arts et les industries de la culture. Dans divers secteurs, le gouvernement entreprend un semblable travail de rationalisation. Aussi je ne vois pas pourquoi nous tolérerions des incohérences, s'il y en avait, dans le champ des arts et de la culture, ni pourquoi nous devrions jouer à l'autruche devant certains problèmes qui vous sont propres parce que tout simplement l'État ne s'en était pas encore préoccupé. Car, comme je le disais précédemment, le Québec a bien changé dans le dernier quart de siècle.

Il appartient toutefois au ministère des Affaires culturelles d'être la conscience du gouvernement en matière de culture. Le ministère des Affaires culturelles a, en effet, un rôle de leader à jouer au sein du gouvernement pour tout ce qui touche sa mission. Mais qui dit leader dit aussi équipe. Il revient donc à mon ministère de définir, en collaboration avec le milieu des arts et principalement ses piliers, les créateurs et les interprètes, nos objectifs en matière culturelle et à l'égard du statut qui doit être reconnu à l'artiste. Je dis bien reconnu et non pas conféré. Il ne s'agit pas de créer un artefact, mais bien de reconnaître une réalité concrète: l'inestimable contribution que les créateurs et interprètes nous apportent depuis toujours sur les plans de la culture et de l'économie et, ne l'oublions pas, du rayonnement du Québec à l'échelle internationale.

L'élaboration des objectifs en matière culturelle et leur validation nous incombent. Il serait illusoire cependant, et même malsain, de penser qu'il revient au ministère des Affaires culturelles seul de mettre en oeuvre tous les moyens pour réaliser ces objectifs. Nous comptons sur nos partenaires: ministères et organismes gouvernementaux. Nous comptons aussi sur les administrations municipales et sur le secteur privé.

Je vous rappelle que la politique culturelle de notre gouvernement a pour titre: un outil de développement économique et social. Les retombées du travail créateur profitent à l'ensemble de la société. Il est donc équitable que les secteurs public et privé apportent aussi leur contribution. On ne saurait exploiter quelque secteur que ce soit sans se préoccuper d'assurer le bien-être et l'avenir des artistes qui sont à l'origine de notre développement culturel.

Il ne s'agit pas d'inventer des principes de gestion particuliers à l'intention du monde des arts, mais d'y appliquer, en les adaptant au besoin, les mêmes principes et modes de gestion qui guident nos actions dans d'autres secteurs de la vie économique. Par exemple, on ne saurait bien gérer l'exploitation forestière sans politique de reboisement. On ne saurait exploiter une société publique ou privée sans politique de gestion des ressources humaines. Ainsi, on ne saurait exploiter le talent des créateurs et interprètes sans se soucier de leur accorder des droits et les moyens de les faire respecter et sans développer un environnement propice à l'exercice de leur discipline.

L'idéologie populaire voulant qu'une situation économique difficile soit un stimulant pour l'artiste relève du sophisme. Ce qui est vrai, cependant, c'est que la liberté créatrice peut commander à l'artiste un renoncement à certaines valeurs matérielles mais c'est là, je crois, une question de choix personnel. Il revient à chaque créateur de déterminer la marge de compromis qu'il estime admissible dans le cadre de sa démarche, de sa recherche.

Ce n'est pas faire injure à la création et à l'expression artistique que de lui accoupler des chiffres et des données. Au contraire, il est temps que nous prenions collectivement conscience de la contribution économique du secteur des arts et des industries culturelles.

Qui niera la contribution de cette merveilleuse bande des quatre, que nous appelons encore les Beatles, à l'économie britannique? Si mon souvenir est bon, même la reine les a décorés pour service rendu à la nation. Prenons un exemple plus près de nous, du moins géographiquement, New York. En sérieuses difficultés financières il y a quelques années, New York a misé sur les arts et les industries culturelles pour renflouer son économie. (10 h 30)

Permettez-moi de vous citer quelques données produites en 1983 par "The Cultural Assistance Center" et "The Port Authority of New York and New Jersey": "The arts are a larger industry than advertising, or hotel and motel operations, or management consulting or computer and data processing services." The arts constitute a major "export" industry. An estimated 1,6 $ billion is generated by the expenditure of visitors."

Les arts représentent un impact de 5 600 000 000 $ pour la région métropolitaine de New York—New Jersey. De ce montant, 2 000 000 000 $ vont aux traitements de 117 000 emplois. Comme quoi le mot "affaires culturelles" a plus d'un sens.

Chez nous, selon les données fournies par la Conférence canadienne des arts, qui sera présente à notre commission, la contribution directe des industries culturelles au produit intérieur brut en 1980 était supérieure à 6 300 000 000 $, soit environ 2,4 % du produit intérieur brut. Cela dépasse les industries du textile, du meuble, de la chimie et correspond à peu près à la contribution des mines, de la métallurgie, de l'électricité et de l'alimentation au produit intérieur brut. Si on y ajoute la contribution directe des industries de la culture, on obtient un total de 16 800 000 000 $.

Une étude commandée par le gouvernement ontarien, le rapport Macaulay, indique que le revenu des taxes reliées au monde des arts et des industries culturelles est probablement plus considérable que la somme des subventions que les gouvernements consacrent aux arts. Ces données sont comparables à celles que l'on retrouve au Royaume-Uni. Les industries directement reliées au droit d'auteur y représentaient à elles seules 2,6 % du produit intérieur brut. Aux États-Unis, l'ampleur des industries culturelles dépasse celles de l'agriculture et de l'automobile. Pourtant, malgré ces milliards de dollars qui circulent grâce au dynamisme des arts et des industries culturelles, les revenus moyens des travailleurs de la culture, des auteurs et interprètes sont inférieurs à la moyenne des revenus des autres travailleurs, quand ils ne sont pas sous le seuil de la pauvreté.

Les experts de l'Organisation internationale du travail et de l'UNESCO ont eu recours à une formule imagée pour décrire ce paradoxe. En effet, écrivent-ils, la structure du monde des arts "se présente comme celle d'une pyramide inversée dans laquelle l'artiste, placé au bas de l'édifice, supporterait le poids de l'industrie en question, tout en étant celui qui partage le moins les profits de l'affaire." Il y a là un problème sur lequel on doit se pencher sérieusement et mon ministère s'y emploie déjà, d'ailleurs.

Il faut, cependant, être conscient de la taille et de l'ampleur de ce à quoi nous nous attaquerons. Il n'existe pas d'éden pour les auteurs et les intreprètes. Dans tous les pays, on retrouve cet écart entre la contribution économique des artistes à la société et les revenus qu'ils en retirent. Seul un infime pourcentage d'auteurs et d'interprètes parviennent à vivre uniquement de l'exercice de leur art. Les autres doivent exercer un, deux et trois métiers d'appoint, souvent sans relation avec leur discipline, pour subvenir à leurs besoins.

Il n'y a pas de solution magique, de recette toute faite ou de prêt-à-porter dans le domaine qui préoccupe la commission et le ministère des Affaires culturelles. Aussi, allons-nous être attentifs aux suggestions, recommandations et propositions que vous nous ferez au cours des prochains jours.

Ce n'est pas parce qu'un problème est difficile qu'il faut s'abstenir de s'y attaquer. En tout cas, ce n'est pa3 ma façon de voir les choses, au contraire. Nous savons que nous ne réglerons pas la question du statut de l'artiste en un jour, pas plus que nous ne transformerons la condition socio-économique des créateurs par une loi.

L'amélioration et la revalorisation du statut de l'artiste viendront plutôt des effets conjugués de politiques et mesures diverses, de changements d'attitudes et de mentalités et surtout de l'interaction de multiples agents et partenaires socio-économiques. Et vous êtes sur la première ligne. Le dicton qui veut qu'on ne soit jamais si bien servi que par soi-même a son sens, aujourd'hui, à une époque où l'on assiste à la transformation de l'État-providence en État-catalyseur. "C'est au milieu culturel lui-même, c'est-à-dire aux artistes, aux producteurs, qu'il appartient de se réaliser." Telle est la première phrase de la politique culturelle que nous avons diffusée en novembre dernier. Cela signifie que c'est le milieu culturel luir même qui est le mieux indiqué pour placer les balises de son développement. Encore une fois, il n'est pas question que l'État joue au grand pensionnat sécurisant et sclérosant. L'Etat est là pour faciliter l'actualisation de la liberté créatrice et non pour l'amenuiser ou l'assujettir.

En vertu de la loi constitutive de son ministère, la ministre des Affaires culturelles a le mandat de favoriser l'épanouissement des arts et des lettres au Québec et leur rayonnement à l'extérieur. Mon ministère offre déjà de nombreux programmes pour soutenir la création et diffuser au Québec et à l'étranger les productions culturelles. Il lui faut maintenant s'intéresser d'une manière plus intense au statut même de l'artiste dans notre société et à sa condition socio-économique en tant que telle.

Heureusement, nous ne partons pas à zéro. Le ministère, notamment par son service gouvernemental de la propriété intellectuelle et du statut de l'artiste, s'est intéressé au respect, à la promotion et à la défense des droits des créateurs. Ce service s'est également employé, en travaillant étroitement avec les organismes concernés, à dresser des états de la situation, à cerner certains problèmes et à faire ressortir des solutions pour améliorer la condition socio-économique de l'artiste sur divers plans, que ce soit la formation et le

perfectionnement, le droit d'auteur, la fiscalité, la législation du travail, la sécurité sociale, la santé et la sécurité du travail, les recours juridiques et le reste.

En matière de formation, nous sommes conscients, entre autres, de lacunes relativement à la gestion de la carrière artistique, ainsi qu'en ce qui a trait à l'administration des arts. Dans un contexte de forte compétition non seulement entre les artistes et créateurs d'ici, mais aussi avec ceux d'ailleurs, sur notre territoire et à l'étranger, nou3 devons être en mesure de tirer le maximum possible des talents et de la compétence que nous cherchons à développer dans nos établissements d'enseignement spécialisés. La survie de notre culture est aussi liée à son rayonnement international. Nous serons compétitifs si nous réussissons à maîtriser tous les aspects qui contribuent à la mise en valeur du talent artistique.

Bien qu'il s'agisse d'une question sous la juridiction immédiate du gouvernement fédéral, le Québec se préoccupe du droit d'auteur. L'attitude de notre gouvernement est de faire respecter par le fédéral les priorités établies par les artistes et les créateurs québécois en matière de culture. La loi canadienne sur le droit d'auteur protège mal les créateurs et n'offre aucune protection aux interprètes en ne reconnaissant pas leurs droits dits voisins du droit d'auteur. Les restrictions, exceptions ou non-applications de la Loi sur le droit d'auteur portent préjudice aux créateurs en les privant d'une rémunération qui, en principe, doit faire l'objet d'une libre négociation entre le titulaire de droits et les utilisateurs.

Le Québec demande que toutes les oeuvres de l'esprit soient protégées, quels que soient leur nature, champ d'application, forme, support, caractère ou mérite, y compris les dessins industriels, les oeuvres d'art appliqué, les contributions des artistes interprètes et exécutants. Nous rejoignons ainsi les positions de 17 associations de créateurs et de créatrices, ainsi que celles des sociétés de perception de droits d'auteur.

Pour notre part, nous continuerons è accorder aux auteurs toute l'expertise dont dispose mon ministère pour qu'ils puissent défendre leurs droits dans ce domaine. Nous intensifierons nos efforts pour que des conventions soient négociées entre les titulaires de droits et les établissements d'enseignement du Québec concernant la reproduction de toutes les catégories d'oeuvres protégées par la Loi sur le droit d'auteur.

La fiscalité est un autre objet de vos préoccupations. Le gouvernement analysera vos demandes avec la plus grande attention. Notre objectif est de faire en sorte que le régime fiscal du Québec vous traite aussi équitablement que les autres catégories de contribuables et cela, en tenant compte des particularités inhérentes à l'exercice de vos disciplines.

La question des relations du travail dans le domaine des arts est délicate. C'est, d'ailleurs, à cause de problèmes dont vous nous avez fait part, principalement l'Union des artistes, que j'ai demandé la tenue de cette commission parlementaire. À ce stade, personne n'a de solution simple à mettre de l'avant dans le cadre des codes québécois et canadien du travail. Loin d'être une raison pour éviter de discuter de ce problème, nous devons ensemble, pour la première fois, commencer par l'analyser à fond sous tous ses angles et dans toutes ses composantes. Cet exercice ne peut qu'être utile et prometteur.

La question de l'accessibilité des artistes è certains programmes de sécurité sociale, notamment l'assurance-chômage, sera aussi à l'ordre du jour des travaux de la commission. Une fois de plus, nous nous situons dans un domaine de juridiction fédérale. Nous examinerons comment le Québec pourra soutenir les revendications de ses créateurs en regard de l'assurance-chômage et de l'accès au Régime de pension du Canada.

La prévention en matière de santé et de sécurité du travail dans le domaine des arts ne saurait, non plus, nous laisser indifférents. On ne saurait se préoccuper de l'amélioration de la condition des travailleurs de la culture sans examiner ce qui peut être fait concernant leur santé et leur sécurité. Déjà, certaines démarches ont été entreprises par mon ministère avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Voyons ensemble ce qu'il nous reste à faire.

Nous aborderons également le problème des recours devant la justice pour faire respecter vos droits ou recouvrer des sommes dues en vertu de la Loi sur le droit d'auteur. C'est une question tout à fait pertinente et importante. Il faudra s'assurer que les artistes et créateurs aient le même accès aux tribunaux que l'ensemble des citoyens.

D'autres problèmes seront soulevés devant cette commission. Nous les examinerons au mérite avec la plus grande ouverture d'esprit.

Je suis pleinement consciente qu'en tenant cette commission parlementaire nous créons des attentes. Ce sont là les risques d'un sain exercice démocratique. Nous ne craignons pas d'examiner lucidement Ies réalités que vous vivez, mais il faut convenir que le gouvernement, quel qu'il soit, ne saurait résoudre tous les problèmes et supprimer toutes les contradictions.

Par ailleurs, quelles que soient les conclusions, les voies de solutions que nous identifierons et que nous présenterons ultérieurement, disons nous que le fait de nommer publiquement les choses, de dire et

comprendre les problèmes constitue un premier pas dans la bonne direction pour en arriver à des solutions adéquates et équitables.

La tenue même de cette commission parlementaire sur le statut de l'artiste est la démonstration que nous sommes disposés, dans la mesure de nos moyens et de nos compétences, à travailler avec vous à la nécessaire amélioration de votre statut socio-économique et à la pleine reconnaissance de ce que vous faites pour le Québec.

La lecture de vos mémoires m'a démontré que vous ne manquez ni d'arguments ni de talent pour faire valoir les intérêts que vous défendez. Votre venue à cette commission ajoutera à votre argumentaire une dimension d'échanges qui nous permettra, des deux côtés de la table, de mieux comprendre les enjeux en cause.

Avant d'aborder les pistes de solutions, il me paraît essentiel que nous sachions être attentifs aux attentes réciproques. Je suis persuadée que nous y parviendrons. Permettez-moi cet emprunt à un auteur de chez nous: "C'est une "question de feeling". Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre des Affaires culturelles. Tel que convenu, je cède maintenant la parole au député de Saint-Jacques.

M. André Boulerice

M. Boulerice: Mme la ministre, M. le Président, chers collègues de la commission parlementaire, durant quelques jours, au profit de la culture, nous allons vivre, gouvernement et Opposition, "le temps d'une paix".

Je tiens donc à saluer celles et ceux qui nous permettent cette trêve et cette réflexion. Je tiens à souligner également l'importance que revêt à nos yeux la tenue de cette commission parlementaire sur le statut de l'artiste. C'est un événement capital puisque, pour la première fois, l'ensemble des artistes s'adresse au peuple du Québec par l'intermédiaire des élus que nous sommes afin de lui faire part de leurs revendications concernant leur place au sein de notre société. Ainsi, vais-je tenter d'être le plus bref possible. Cette tribune est d'abord et avant tout la leur.

Point de société sans culture: C'est la pierre angulaire qui façonne notre spécificité et notre personnalité en tant que seul peuple majoritairement francophone en terre d'Amérique. La culture constitue un volet essentiel de la qualité de vie de nos concitoyens et de nos concitoyennes. Quotidiennement, la culture reflète, interprète, exprime nos valeurs, nos préoccupations, nos façons d'être, notre sensibilité particulière.

Au-delà de l'acte de création ou d'interprétation, la culture est aussi un produit impliquant d'importantes retombées économiques pour l'ensemble de notre société. Force économique croissante dont le dynamisme ne cesse d'étonner, les statistiques reconnaissent de plus en plus la contribution du secteur culturel dans l'essor de notre économie. L'industrie culturelle a généré au Québec, en 1981, des revenus totaux d'environ 1 900 000 000 $, incluant des rémunérations s'élevant à 608 000 000 $ et employant plus de 56 000 travailleurs et travailleuses. En tenant compte des retombées économiques indirectes, notamment au chapitre des services, l'industrie culturelle représente une injection de 3 000 000 000 $ dans notre économie. Ces quelques chiffres témoignent à eux seuls de l'apport de la culture, non seulement sur le plan de la qualité de la vie, mais aussi en termes de développement économique. (10 h 45)

Et pourtant, l'on constate que l'artiste, premier intervenant en matière de culture, est aux prises avec des conditions de vie et de travail nettement défavorables et déficientes. L'absence de reconnaissance d'un statut spécifique et l'absence de valorisation de sa contribution au progrès social et économique de notre société en sont les principales causes. L'État doit intervenir pour corriger cette réalité afin que l'artiste obtienne la juste part à laquelle il a droit et qu'il réclame à juste titre.

La tenue de cette commission parlementaire sur le statut de l'artiste constitue une étape très importante dans le processus d'élaboration de moyens d'action qui permettront une reconnaissance réelle du statut de l'artiste. En plus de permettre aux membres de cette commission de mieux connaître la réalité socio-économique, les artistes, par le biais de leurs représentants, pourront proposer directement au gouvernement des éléments de solution visant à bonifier leur statut. Cette commission permettra de sensibiliser la population à la nécessité d'un statut de l'artiste qui soit conforme à son apport à la qualité de vie de notre collectivité.

Plusieurs études menées depuis quelques années nous ont permis de mieux connaître la réalité de nos artistes. À cet égard, je désire souligner la contribution essentielle du Service gouvernemental de la propriété intellectuelle et du statut de l'artiste. Ce service doit poursuivre, voire même intensifier ses recherches en vue d'en arriver à une connaissance approfondie de la réalité complexe que constituent nos artistes et nos industries culturelles.

Ces études, auxquelles je faisais référence, mettent en relief une réalité souvent méconnue. Ces études démontrent que la majorité des artistes vivent sous le

seuil de la pauvreté et que leurs revenus se situent parmi les plus bas de l'échelle salariale de notre société. Exerçant sa profession sur une base essentiellement contractuelle n'offrant aucun caractère de permanence, l'artiste doit souvent recourir à un emploi secondaire pour faire face à ses besoins essentiels. Cet état de fait peut entraver le cheminement de l'artiste en le privant d'une part importante qu'il pourrait autrement consacrer à des activités de création et d'interprétation.

Le principal facteur qui explique cette situation demeure l'absence d'un statut juridique propre à l'artiste qui, sur la base d'un certain nombre de droits, lui offrirait la juste part des bénéfices rattachés à ses oeuvres qui sont ses biens propres. L'absence d'un tel statut entraîne actuellement des difficultés pour l'artiste à faire valoir ses droits, notamment au niveau du droit d'auteur, de la sécurité sociale, des obligations contractuelles et des relations du travail.

La reconnaissance d'un statut juridique garantissant des droits fondamentaux à l'artiste constitue un préalable à toute démarche visant à améliorer et à revaloriser le statut de l'artiste.

La révision de la Loi sur le droit d'auteur doit faire l'objet d'une attention privilégiée du gouvernement québécois. Le Québec doit multiplier les pressions sur le gouvernement fédéral afin que la révision de la Loi sur le droit d'auteur se traduise par un renforcement réel du droit de l'auteur sur l'utilisation de ses oeuvres par la mise en place des mécanismes d'application, de surveillance et de gestion appropriés.

Dans le même ordre d'idées, il faut évaluer la possibilité d'instaurer des mesures parafiscales afin de dédommager les artistes pour des pertes encourues lors d'utilisations non autorisées de leurs oeuvres et plus particulièrement dans les cas de reproduction. Il faut aussi étudier des modalités de redevances pour le prêt d'oeuvres dans les bibliothèques publiques et les musées d'État. Ces mesures pourraient avoir un impact significatif sur le développement des arts visuels, de la chanson et du livre.

Les artistes éprouvent régulièrement des difficultés à toucher leur rémunération parce qu'ils assument souvent seuls les négociations de contrats aux formes variées et avec une multiplicité d'employeurs et de producteurs. Le contrat demeure la formule privilégiée qui détermine les conditions de travail et de rémunération liant, pour une période donnée, l'artiste et le producteur ou le diffuseur. Fréquemment, ce contrat, pour diverses raisons, n'est pas respecté. L'artiste doit alors recourir à certains intermédiaires pour espérer toucher ce qui lui est dû.

La diversité des formes de contrats, ainsi que les limites quant à leur valeur posent problème. Il faut envisager des mesures visant à accroître le respect des conditions fixées dans les contrats. Il faudrait évaluer la possibilité de mettre au point un contrat comportant des éléments standards qui garantirait des conditions minimales quant au respect de son contenu, tout en prévoyant des espaces adaptés aux besoins diversifiés des différentes catégories d'artistes.

Dans la même optique, divers moyens doivent être envisagés pour favoriser le regroupement des artistes entre eux dans le but de leur permettre de mieux faire valoir leurs droits et intérêts. Ces regroupements ou associations d'artistes devront disposer d'une capacité réelle de défense des intérêts de leurs membres. Il faut procéder à une évaluation des dispositions actuelles des lois du travail en rapport avec la réalité propre de l'artiste et les associations le représentant.

Bon nombre de revendications des artistes se rapportent au traitement fiscal qui leur est réservé. Il nous apparaît opportun d'apporter des modifications qui favoriseront une amélioration de la situation économique de l'artiste. Toute la question des déductions fiscales reliées aux dépenses effectuées dans le cadre des activités professionnelles de l'artiste devrait faire l'objet d'une attention particulière avec les autorités concernées du ministère du Revenu. Une analyse détaillée des implications sous-jacentes au statut de travailleur autonome et d'employé salarié selon les diverses catégories d'artistes s'impose.

Le rythme intermittent et irrégulier des contrats place fréquemment l'artiste en situation d'insécurité économique. De plus en plus, en raison de conditions de travail particulières, l'artiste a très peu de possibilités d'être admissible à l'assurance-chômage. L'artiste, comme l'ensemble des autres travailleurs, doit pouvoir bénéficier d'un minimum de protection sociale lorsqu'il éprouve des difficultés à se trouver du travail. Il nous apparaît nécessaire que les principaux intervenants concernés se penchent sur la mise sur pied possible d'un régime d'assurance-chômage adapté aux besoins des artistes. Un tel régime doit être intégré à l'intérieur d'une réforme globale visant à améliorer le statut socio-économique de l'artiste. En termes de protection sociale, l'artiste doit également pouvoir compter sur un revenu décent au moment où il atteint l'âge de la retraite. À ce chapitre, deux possibilités s'offrent aux artistes: la participation aux régimes de rentes publiques ou la mise sur pied de caisses de retraite administrées et gérées par leur association.

Un autre volet de protection sociale concerne la santé et la sécurité du travail. Réalité largement méconnue en regard des

activités de l'artiste, l'on doit procéder à une évaluation générale des conditions dans lesquelles l'artiste fait oeuvre de création ou d'interprétation.

La formation de l'artiste constitue un autre élément majeur qui doit faire partie d'une réforme du statut de l'artiste. Avant d'en arriver à créer ou à interpréter une oeuvre, l'artiste doit maîtriser un certain nombre de connaissances et de techniques qui lui permettront de donner cours aux réalités qu'il sent le besoin d'exprimer. Le volet de la formation et de l'enseignement nous apparaît d'autant plus important ici au Québec, que l'artiste doit faire face à une concurrence étrangère envahissante dans un marché intérieur, rappelons-le, aux possibilités restreintes. La formation doit mettre un accent particulier sur la connaissance du marché québécois, mais aussi des marchés extérieurs dans un contexte culturel qui se mondialise chaque jour davantage. Il faut dès aujourd'hui préparer la relève à des stratégies de mise en marché agressives afin qu'elle puisse concurrencer plus efficacement la production étrangère ici au Québec et à l'extérieur de ce dernier. Les techniques de gestion et de marketing deviennent des outils de plus en plus essentiels à la survie et à l'épanouissement de nos industries culturelles.

L'introduction de nouvelles technologies, dont la conception artistique assistée par ordinateur, devra être prise en compte dans la définition d'une politique globale de formation de l'artiste. Il nous apparaît important de procéder à l'évaluation des programmes de formation pour les artistes à tous les niveaux, en s'assurant la collaboration du ministère de l'Éducation afin de rendre ces programmes mieux adaptés aux besoins des artistes.

Des actions doivent être menées en parallèle pour favoriser l'accès de nos artistes au marché québécois mais aussi aux marchés extérieurs. Certains gestes ont déjà été posés en ce sens par le précédent gouvernement québécois, dont l'intégration des arts à l'architecture des édifices publics et la création de la Banque d'oeuvres d'art.

Le gouvernement du Québec doit intensifier ses actions en matière de promotion et de diffusion des produits des artistes d'ici. Une campagne nationale de sensibilisation sur l'apport de l'artiste à la qualité de notre vie culturelle doit être poursuivie. Le ministère des Affaires culturelles doit continuer d'investir dans le soutien à l'artiste, notamment dans l'accès è des équipements culturels permettant à celui-ci de se produire.

Le ministère des Affaires culturelles devra convaincre le gouvernement fédéral de la nécessité d'une mise en oeuvre d'actions susceptibles d'améliorer et de revaloriser le statut de l'artiste. En effet, bon nombre de ces actions concernent des champs de juridiction partagés par les deux paliers de gouvernement. Le ministère devra prendre ainsi les moyens nécessaires pour impliquer dans ce projet de réforme les municipalités et le secteur privé. De plus, en toute équité, ce projet de réforme devra avoir un souci constant à l'égard de la situation des artistes vivant en régions.

Conscient de la complexité de la problématique du statut de l'artiste, mais aussi conscient de la nécessité d'agir pour améliorer et revaloriser ce statut, c'est avec beaucoup d'espoir et d'ouverture que je participe aux travaux de cette commission. J'éprouve aussi une certaine fierté à constater que bon nombre des organismes que nous entendrons durant cette commission ont pignon sur rue dans le comté de Saint-Jacques. Ces travaux nous permettront de mieux connaître la réalité de nos artistes, mais aussi de recevoir leurs propositions quant aux moyens à mettre en oeuvre pour réaliser cette réforme du statut de l'artiste.

En terminant, je tiens, à titre personnel et au nom de ma formation politique, à assurer la ministre de notre collaboration dans ce dossier puisqu'il a toujours revêtu beaucoup d'importance pour la formation politique que je représente à l'Assemblée nationale. Des gestes ont d'ailleurs été posés dans ce sens.

Je prendrai bonne note des échanges que nous aurons avec les représentants des artistes. Je tiens à les assurer de notre vigilance quant au suivi des travaux de cette commission et, particulièrement, à l'endroit du projet de loi sur le statut évoqué par la ministre.

J'ose espérer enfin que le peuple du Québec et ses élus, à travers les propos qui seront tenus lors de cette commission, seront convaincus que la culture n'est pas un luxe que l'on ne s'offre qu'en temps d'opulence, mais qu'elle, comme je le disais précédemment, est un volet essentiel de notre qualité de vie. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Saint-Jacques. Je dois maintenant, assez curieusement puisqu'on a décidé de la chose il y a dix jours, me céder moi-même la parole, ce que je fais à l'instant.

Le Président "C'est à l'estime que porte un peuple à ses artistes qu'on peut'juger du degré de sa maturité. Les artistes sont la conscience d'un peuple: à la fois sages et voyants, ils et elles nous guident vers une meilleure connaissance de nous-même et de la société."

C'est sur cette constatation du Conseil régional de la culture des Laurentides, que je fai3 d'ailleurs mienne, qu'il m'est agréable de vous souhaiter la bienvenue à cette première

séance de la commission de la culture de l'Assemblée nationale qui, à la demande de la ministre des Affaires culturelles, tient une consultation générale sur le statut économique de l'artiste et du créateur. En d'autres mots, la commission a reçu le mandat de réfléchir avec vous sur le statut de l'artiste dans notre société.

Il s'agit d'une première au Québec, laquelle s'inscrit bien dans une suite d'actions importantes dans la reconnaissance officielle du métier ou de la profession d'artiste. En juin 1944 et peut-être même avant cette date, les artistes ont marché sur Ottawa. À vous voir aujourd'hui ici, on peut presque dire que les artistes ont marché sur Québec en 1986.

Lors de cette manifestation estivale à Ottawa, les artistes ont réclamé du gouvernement fédéral la reconnaissance de leur profession et l'établissement d'un système d'aide financière. Quelques années plus tard, la Commission royale d'enquête Massey-Lévesque était chargée de revoir les normes qui régissaient cette profession et la situation que l'on réservait à celui qui oeuvrait dans les principales disciplines connues et reconnues comme faisant partie de la grande famille des arts. (11 heures)

En 1956, un premier conseil des arts voyait le jour, le Conseil des arts de la région métropolitaine de Montréal. Il naissait quelques mois seulement avant celui de Victoria, à l'autre bout du pays. Son rôle: harmoniser et coordonner la vie artistique de Montréal en investissant dans les compagnies qui travaillaient à Montréal. Mais je me rends compte que le vocabulaire que j'emploie est celui de 1986. En 1956, on ne parlait pas d'investissement mais d'aide aux artistes. On parlait de campagnes de souscription et non de campagnes de financement. Heureux signe des temps qui a permis une amélioration du vocabulaire allant de pair avec celle de la profession!

Depuis 1956, il nous faut rappeler plusieurs dates encore. D'abord, 1957 et la fondation du Conseil des arts du Canada, puis 1961, année de la création du ministère des Affaires culturelles du Québec que l'on doit à la détermination d'un homme que l'on connaît trop peu chez nous et dont on n'apprécie pas le rôle énorme parce que précurseur qu'il a joué: je veux parler de Georges-Emile Lapalme.

Depuis 1961, des programmes culturels, des programmes de soutien aux artistes, des programmes de création, des programmes de diffusion, des programmes de formation se sont multipliés. Les écrivains sont subventionnés, les éditeurs sont subventionnés, comme le sont les bibliothèques, les musiciens, les compositeurs, les danseurs, les hommes et les femmes de théâtre, les chansonniers, les chanteurs, les cinéastes, les sculpteurs, les peintres, les graveurs, enfin tous les artistes, tous les créateurs sont subventionnés par l'État, que celui-ci soit fédéral ou provincial. Et pourtant, selon la Division de l'éducation, de la culture et du tourisme de Statistique Canada, en ne comptant que les revenus de ceux et celles qui travaillent à temps plein au Canada, le revenu moyen d'un artiste en arts visuels était de 7600 $ en 1977 et seulement 50 % de ce chiffre représentait le montant reçu de la vente de ses oeuvres. Le revenu moyen des écrivains était de 12 500 $ en 1978 et un peu plus de 50 % provenait de leurs écrits. Le revenu moyen des acteurs et actrices en 1979, au Canada, était de 20 000 $ et 80 % de ce montant était gagné en faisant du théâtre, de la télévision ou du cinéma. En 1982, le revenu moyen d'un musicien ou d'une musicienne était de 18 000 $; environ 75 % venait de la musique. Je rappelle ici qu'il s'agit du revenu moyen de ceux et celles qui travaillaient à temps plein. Toujours selon Statistique Canada, 56 % des artistes en arts visuels y travaillaient à temps plein. Telle était aussi la situation pour 50 % des acteurs et actrices, 32 % des musiciens et musiciennes et 28 % des écrivains.

Au Québec - la plupart d'entre vous l'avez souligné dans vos mémoires respectifs la situation semble encore plus catastrophique. On parle d'un revenu de 2000 $ pour l'artiste en arts visuels. On parle d'un revenu moyen de 5000 $ pour le musicien ou le comédien. On parle d'un revenu dérisoire pour le compositeur et l'écrivain. On souligne la misère dans laquelle doivent se débattre quotidiennement nos danseurs et nos danseuses.

Pourtant, face à cette situation certes peu enviable de l'artiste, on reconnaît que l'industrie culturelle représentait au Canada, en 1982-1983, un actif de 8 000 000 000 $, c'est-à-dire une contribution de 8 000 000 000 $ au produit intérieur brut. Il s'agit, toujours selon Statistique Canada, dans une étude, "Les arts et la culture: un portrait statistique-1985 - Mme la ministre l'a mentionnée tout à l'heure - "d'une contribution légèrement supérieure à celle des industries du tabac, du caoutchouc, du plastique, du textile, du vêtement, des produits du pétrole et du charbon et des produits chimiques. Elle est presque à l'égal des mines et des métaux et à celle de l'industrie de l'énergie et du gaz." On dit aussi que tout dollar investi par le gouvernement dans l'industrie culturelle engendre jusqu'à 2,60 $ d'activité économique directe et 4 $ d'activité économique indirecte.

Alors, dites-moi, comment se fait-il que l'artiste ne réussisse pas ou réussisse si peu à vivre de son métier? Comment se fait-il que l'artiste soit si économiquement faible?Pourquoi ne peut-on pas vivre décemment au

Québec quand on professe le métier d'artiste? Pourquoi formons-nous des artistes qui ne trouveront pas de travail en sortant de nos grandes écoles et qui devront toute leur vie recourir à un système de subventions de l'État?

En définitive, y a-t-il trop d'artistes pour le marché qui est le leur? Sommes-nous entrés pour de bon dans une ère où seule la quantité prévaut au détriment de la qualité? Pourquoi a-t-on si facilement accès au métier d'artiste? Pourquoi, à la rigueur, peut-on s'improviser artiste et entrer si facilement sur le marché des industries culturelles? Pourquoi l'artiste est-il le plus grand subventionner de notre activité culturelle? L'art est-il un luxe? Pourquoi l'artiste doit-il être payé? Il est là pour séduire et charmer. 11 ne travaille pas, il s'amuse puisqu'il amuse les autres. Autant de questions qui vous font frémir tout autant que moi. Autant de questions que l'on entend encore un peu partout dans notre société nord-américaine et qui témoignent de la situation dans laquelle se trouve celui qui exerce ce métier.

D'où vient cette situation? Est-elle le résultat d'un manque ou, pis encore, d'une absence totale d'intégration de l'artiste dans son milieu social? Est-elle la conséquence d'un défaut de communication entre celui qui se définit comme tâche de questionner le futur et celui qui essaie de consolider ses acquis? Est-elle l'effet d'une carence de connaissances du métier lui-même avec son lot de contingences, de difficultés, de discipline? Enfin, est-elle le contrecoup d'une incompatibilité entre le grand principe de notre société, le mieux-être, qui s'oppose totalement au "plus être" que recherche l'artiste?

Nos créateurs se préoccupent-ils de ceux à qui ils destinent leurs oeuvres puisqu'il faut bien le dire les artistes n'ont pas d'autre clientèle que le public en général, qui peut accepter ou ne pas accepter de recevoir le produit d'une démarche créatrice? Le produit artistique est-il vraiment consommable par la population en général? Le produit artistique et l'artiste ont-ils leur place dans notre société? Sont-ils vraiment nécessaires? "L'art constitue l'un des facteurs de santé individuelle et de la qualité de l'environnement", nous rappelle avec raison le mémoire de la Faculté des arts de l'Université Laval qui poursuit en disant ceci: "Par conséquent, le contact avec Ies arts doit être offert à chaque citoyen avec d'autant plus d'insistance que nous vivons une époque où la culture générale se rétrécit et où la société, de plus en plus spécialisée, impose cette spécialisation de plus en plus tôt dans les programmes d'entraînement."

Les compositeurs, les auteurs répondent pour leur part: "Notre problème en est un, tout simplement, de survie financière. Dans tout le processus, nous sommes les tout premiers à travailler et les tout derniers à être payés." (Mémoire de la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec, page 2.)

Les danseurs, de leur côté, nous disent: "Tant et aussi longtemps que les artistes ne seront pas considérés par la société et au premier chef par les individus qui la composent comme une valeur essentielle et une nécessité organique pour le développement harmonieux de la société, l'État et les communautés artistiques devront tout faire pour favoriser une mise en commun des ressources disponibles et une utilisation maximale de celles-ci. L'enjeu du soutien à la création artistique et à la diffusion des arts, c'est la qualité de vie d'une société." (Mémoire du Regroupement des professionnels de la danse du Québec, page 1.)

Les professionnels du cinéma, quant à eux, déclarent qu'une "partie des problèmes liés au statut de l'artiste et de l'ensemble des professionnels d'un secteur comme le cinéma tient au fait qu'on s'inonde et se laisse inonder de produits sans penser à la culture générale des consommateurs. L'État aura beau soutenir la production, imposer des quotas et vouloir améliorer le statut de l'artiste, il risque d'investir à fonds perdus s'il oublie que l'artiste ne gagne pas sa vie sans public." (Mémoire de l'Institut québécois du cinéma, page 7.)

Enfin, les sculpteurs affirment que "dans une société qui les connaît mal, qui ne réussit pas à analyser leur rôle, leur importance et leur utilité, les créateurs et les créatrices constituent cet élément marginal qui essaie de survivre et de se créer envers et contre tout. En très grande majorité, ils et elles doivent exercer un autre métier pour survivre et financer leurs recherches." (Mémoire du Conseil de la sculpture du Québec, page 7.)

Bref, on n'en sort pas. Pour se développer, les arts doivent s'intégrer à l'ensemble des activités d'une société qui a, d'autre part, le strict devoir de "démarginaliser" l'artiste.

Nul ne saurait nier que quelques progrès ont été réalisés depuis 40 ans. Il est toutefois pénible de constater que les artistes et les créateurs figurent encore au sein du groupe des travailleurs les moins payés, qu'ils se butent à des difficultés importantes quand elles ne sont pas carrément insurmontables dans la recherche d'une place dans la société, qu'ils veulent exercer leur métier, leur profession, de façon normale et régulière sans y parvenir. Peut-être y a-t-il des choses à changer dans notre société. Je pose simplement la question.

Manifestement, les problèmes que pose depuis longtemps le statut de l'artiste sont nombreux. Ils sont bien enracinés, ils sont

complexes. Ils ne sont pas de ceux qu'une solution unique ou simple permettra de faire disparaître du jour au lendemain. Le gouvernement s'est engagé à écouter tous ceux que cette question concerne et, au premier chef, évidemment, les artistes et créateurs eux-mêmes. Nous comptons sur eux pour nous fournir les orientations générales et les éléments d'action particulière qui nous aideront à façonner ensemble une stratégie globale.

Je me permets, en terminant, de vous citer, M. le président de l'Union des artistes, vous qui déclariez récemment aux membres de la Conférence canadienne des arts - et sans doute le répéterez-vous aujourd'hui devant nous - : "les artistes n'attendent certainement pas de la société, de leurs gouvernements, qu'on les définisse, mais bien plutôt qu'on les reconnaisse". Nous sommes ici pour vous écouter et vous entendre.

Tel que convenu, j'ai reçu des signaux de part et d'autre de membres de la commission intéressés à faire des remarques préliminaires. Je reconnaîtrai d'abord le député de Sherbrooke.

M. André J. Hamel

M. Hamel: M. le Président, comme l'a souligné Mme la ministre dans son excellent texte d'introduction, c'est à titre de membre de cette commission, mais aussi à titre personnel que je me sens chargé de cette mission de rendre justice aux artistes. À titre personnel, puisque j'ai étudié chez François Rozet - comme mon vieil ami, Jean Besré, que je salue cordialement - il y a déjà quelques années. Je puis donc vous assurer que je serai à l'écoute de vos représentations et que je travaillerai activement avec mes collègues à la recherche de solutions concrètes afin que l'artiste ait des conditions de travail décentes, favorisant son art et assurant son public d'un produit de qualité. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Sherbrooke.

Mme la députée de Maisonneuve, pas de remarques?

Mme la députée de Chicoutimi, on m'a fait signe que vous seriez peut-être intéressée à...

Mme Jeanne L. Blackburn

Mme Blackburn: Je m'en voudrais beaucoup de prendre le temps qui, normalement - en tout cas, je le souhaite -devrait être davantage laissé aux différents intervenants. J'aurais peu à dire, finalement, qui n'ait déjà été dit. Je souhaiterais simplement qu'au cours des différents échanges il puisse se dégager suffisamment de consensus pour constituer ce que serait une politique de reconnaissance et d'aide au statut de l'artiste.

Vous me permettrez, étant d'une région, de souhaiter que cette réforme tienne compte également des différentes situations que connaissent les artistes dans les régions. Je voudrais simplement, parce qu'il me semble que c'est, je dirais, la seule omission de toutes les interventions, souligner que les différents pays qui connaissent une croissance économique relativement remarquable ont investi et continuent d'investir dans le soutien et le développement des différentes manifestations culturelles; ils reconnaissent qu'il y a un rapport étroit entre le dynamisme et la vitalité des différents secteurs de la culture et la capacité d'un pays de se développer au plan économique. J'espère que ce sera aussi la lecture qu'on fera tantôt et qu'on s'assurera, comme Etat, de donner à nos artistes et à nos créateurs le meilleur soutien, le soutien le plus adéquat, en même temps qu'une reconnaissance qui leur permette justement cette vitalité et cette vivacité qui assurent à un peuple le développement de sa culture et de son économie. Merci. (11 h 15)

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la députée de Chicoutimi. Mme la députée de Matane.

Mme Claire-Hélène Hovington

Mme Hovington; Oui, M. le Président. Je voudrais d'abord souhaiter la bienvenue à tous les artistes présents ce matin et à toutes les associations d'artistes qui ont présenté un mémoire à cette commission parlementaire de la culture.

II est sûr qu'ici, au Québec, nous avons une créativité extraordinaire. L'appellation artiste signifie créateur, et qui dit créateur dit marginal aussi, donc quelqu'un qui vit en marge d'une société. Il est vrai qu'aujourd'hui le rôle de l'État change. De l'État-providence, on va passer à l'État de soutien. L'État, en ce sens, a sûrement un rôle à jouer dans le soutien de la créativité, dans le soutien des artistes créateurs, dans le soutien de la mise en marché des produits culturels et aussi dans le soutien de l'ouverture de nouveaux marchés situés à l'extérieur du Québec.

J'ai vécu dans un milieu artistique depuis plusieurs années mais j'ai connu surtout, M. le Président, le milieu des artistes peintres. Je dois dire que les artistes peintres professionnels vivent peut-être de leur art, mais ils sont préoccupés aussi par une mise en marché de leurs oeuvres qui est difficile au Québec, parce que le marché est restreint, et difficile aussi à l'extérieur, parce que trop onéreux pour l'artiste qui est souvent obligé de subvenir à ses propres

besoins, de subvenir aux frais de transport de ses oeuvres, à ses frais de séjour, à ses frais de marketing, à ses frais de publicité à l'extérieur du Québec.

L'artiste peintre est aussi soumis aux lois du marché naturel, c'est vrai. Mais ces lois sont souvent fixées aussi par des galeries ou par des marchands de tableaux. Certaines de ces galeries vont peut-être profiter un peu d'un artiste, par exemple, pour faire un petit peu de spéculation certaines fois sur les oeuvres de l'artiste, tout cela peut-être à l'insu de l'artiste lui-même. Alors, l'artiste peintre n'est pas protégé contre certaines de ces situations face aux lois naturelles du marché.

Alors, le gouvernement a sûrement un rôle de soutien à jouer en ce sens. Il est sûr que c'est quand même aux artistes eux-mêmes qu'il appartient de se réaliser, mais, en tant que gouvernement, nous avons un très grand rôle à jouer. Soyez sûrs que nous serons à l'écoute de vos suggestions pour améliorer le sort réservé à l'artiste afin qu'il puisse exercer son art dans des conditions optimales de réussite, que ce soit au Québec ou à l'extérieur du Québec. Alors, nous vous écoutons. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la députée de Matane. Maintenant, M. le député de Viger a exprimé le désir d'intervenir.

M. Cosmo Maciocia

M. Maciocia: Merci, M. le Président. La ministre a dit tantôt qu'elle-même, ainsi que tous les membres de cette commission, se sentent chargés d'une mission auprès de leurs collègues à l'Assemblée nationale.

Cette mission, quelle est-elle? Dans un premier temps, d'écouter avec attention et avec sensibilité les groupes qui témoigneront devant cette commission. Leur objectif fondamental est de faire reconnaître aux artistes et interprètes un statut juridique particulier, économique et social, et nous sommes réceptifs à cette idée. Dans un deuxième temps, de réaliser que la culture n'est pas uniquement l'expression sensible et profonde d'une société, mais également un moteur économique important qui produit des bénéfices essentiels et substantiels. Cela, nous devons le réaliser.

L'important ici est, comme la ministre l'a mentionné, que nous soyons attentifs aux attentes réciproques. Pour cela, il ne faut pas uniquement écouter les revendications et les constatations qui seront exprimées par les groupes qui témoigneront devant nous dans les jours à venir. L'important, c'est d'être sensible à leurs attentes pour être, par la suite, en mesure d'agir dans le respect de leurs droits.

La tenue de cette commission parle- mentaire apparaît comme un moment privilégié de notre inspiration culturelle. Permettez-moi également, M. le Président, de citer Jacques Brel: "Mon coeur, c'est des navires ennemis partant ensemble pour pêcher la tendresse." Cette pensée forte et juste nous fait réaliser une chose essentielle: la nécessaire recherche d'un consensus entre des intérêts parfois divergents. La tenue de cette commission est une occasion unique d'établir cette dimension consensuelle. Je crois que nous sommes là pour la saisir. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Viger. Je cède maintenant - et je pense que ce sera le dernier intervenant au niveau des remarques préliminaires - la parole au député d'Arthabaska.

M* Laurier Gardner

M. Gardner; Merci. Mme la ministre, M. le Président, je suis très heureux de participer à cette commission parlementaire qui est un précédent au Québec. Je suis heureux d'autant plus que je viens d'une région qui n'a malheureusement pas le plaisir de rencontrer les artistes tous les jours. C'est justement pour cela que je tiens à faire quelques remarques au début de cette commission. Nous ne vous voyons pas assez vous les artistes dans nos régions. Bien sûr, nous vous voyons à la télévision, nous sommes très heureux de vous voir. Il y en a quelques chanceux qui passent à la télévision et d'autres qui ne passent pas, mais nous ne vous voyons pas assez en régions. C'est peut-être une question qui va revenir souvent cette semaine.

J'ai rencontré, en fin de semaine, un artiste peut-être pas au niveau professionnel comme vous l'entendez, qui me disait: Lorsqu'on accepte d'être artiste, on accepte de vivre à bas salaire. Je ne partage pas tellement cette idée et j'espère, à la fin de cette commission, que je ne partagerai pas du tout cette idée. Bien sûr, être artiste, c'est peut être une vocation. Vous vous souvenez de votre latin, "vocare: appeler, être appelé", comme ce fut le cas pour les prêtres un jour, comme ce fut le cas pour les enseignants un jour d'être appelés. Bien sûr qu'il faut être appelé, qu'il faut être de bons artistes, mais il faut surtout vivre de notre art.

Vous êtes adulés. C'est ça que je ne comprends pas*, vous êtes tellement adulés, on vous aime tellement, mais, c'est drôle, on ne vous paie pas. C'est un peu comme les députés, peut-être, mais j'ai été très surpris de constater dans votre rapport qu'à peine 10 % gagnaient plus de 20 000 $. Cela m'a vraiment surpris. Je vois qu'il n'y a pas que des René Simard dans votre groupe. J'en suis très déçu. Il faudrait que tout le monde

gagne autant que lui.

Je me pose toutes sortes de questions sur les arts et tout cela. Je vais en apprendre beaucoup cette semaine. Je vais avoir beaucoup de questions, je vous avertis d'avance, dont une, entre autres, qui est celle-ci: Quand devient-on vraiment professionnel? Je sais que, lorsqu'on devient enseignant, on a un diplôme qui nous reconnaît professionnellement. Mais, quand on est artiste, quand devient-on professionnel? J'aurai beaucoup de questions aussi sur le fait que bien des artistes finissent leurs jours dans la pauvreté. On a remarqué cela. En tout cas, on a vu quelques reportages là-dessus tout récemment à la télévision. Cela me désole de voir qu'une classe que nous aimons tant finit sa vie dans la pauvreté.

J'aurai certainement des questions sur l'école de formation et le perfectionnement des artistes, sur les salaires, sur les droits d'auteur où on devrait éviter les abus, sur les dispositions fiscales aussi, sur les conditions dans lesquelles s'exerce la profession. Je voudrais terminer mes quelques remarques en disant ceci: Lorsqu'on a des droits, on a aussi des devoirs. Il ne faudrait pas les oublier surtout. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député d'Arthabaska. Je ne veux pas surprendre mon collègue, l'ex-ministre, le député de Mercier, que je salue à son arrivée, en lui demandant si, à froid comme cela - nous terminons cette période de remarques préliminaires - il aurait des remarques préliminaires pendant quelques minutes à nous faire.

M. Godin: ...à Montréal. Je suis venu pour écouter.

Le Président (M. Trudel): Puisque le député de Mercier va faire comme nous tous qui sommes ici pour vous écouter, il m'est fort agréable de céder maintenant la parole, en constatant que, lors de la préparation de cette commission, nous avions prévu entendre l'Union des artistes vers 11 h 30 et il est 11 h 24. C'est signe que nous sommes déjà en avance. C'est bon signe, compte tenu du nombre de mémoires que l'on doit entendre au cours des prochaines journées. Il me fait plaisir de vous saluer, M. le président de l'Union des artistes ainsi que votre groupe à l'exécutif, les gens de l'Union des artistes. Nous savons tous jusqu'à quel point ce dossier vous tient à coeur, combien vous y avez mis d'énergie au cours des dernières années, combien de personnes vous avez tenté de convaincre de votre point de vue avec, je dois le dire, beaucoup de succès.

Il m'est agréable de vous céder maintenant la parole. Tel que convenu avec le secrétariat de la commission, vous avez une heure pour entretenir les membres de la commission.

Auditions Union des artistes

M. Turgeon (Serge): M. le Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs de la commission de la culture, vous le voyez, nous sommes à votre rendez-vous. Un rendez-vous historique - plusieurs d'entre vous l'ont déjà souligné - puisque c'est la première fois dans notre histoire à nous, dans l'histoire du Québec, que les artistes, auteurs, compositeurs, créateurs montent jusqu'à vous, parlementaires, montent sur cette colline pour défendre une cause qui, cette fois, leur appartient en propre, une cause qui est ta leur: la reconnaissance professionnelle de ce qu'ils sont. Certes vous avez déjà vu des artistes épouser ou appuyer toutes sortes de causes, de la question nationale à la paralysie cérébrale, mais aujourd'hui pas de représentation. Nous sommes ici sans masques, sans artifices, sans rien d'autre qu'une volonté ou qu'un désir, comme citoyens à part entière, de nous faire reconnaître par cette société qui est la nôtre pour ce que nous sommes.

Vous entendrez au cours de la semaine des groupes, des associations, des individus qui tenteront de vous démontrer, chacun à sa façon, que nous sommes en quelque sorte des êtres à part, des êtres fragiles parce que malléables, parce que sans cesse en mouvement, parce que trop souvent indéfinissables, parce que nos produits, qu'ils soient de bronze, de pierre, de marbre ou de papier, qu'ils soient palpables ou non, sont issus du seul domaine de la pensée. Constamment, depuis que notre société s'est structurée, constamment de gouvernements en ministères, de droits en devoirs, nos réalités à nous, artistes et créateurs, nos réalités sociales, économiques, juridiques, voire même politiques se sont heurtées à trop de malentendus, à trop d'interprétations étroites et mesquines, à trop d'injustices.

Voilà pourquoi - je tiens à le dire dès le départ - nous sommes reconnaissants à ce gouvernement d'avoir manifesté une volonté politique de faire disparaître toute confusion, toute ambiguïté quant au vide juridique devant lequel nous nous sommes toujours trouvés. Ceci a fait trop souvent de nous des êtres amers parce que désemparés, d'où certains malaises, certains désarrois et, pour beaucoup trop d'entre nous, certains exils.

Mais qu'on se le dise et qu'on le comprenne bien, mesdames, messieurs les ministres et députés, nous ne laisserons pas au seul législateur, pas plus qu'aux seuls fonctionnaires le soin de nous définir. C'est bien comme cela que nous comprenons le sens de cette commission parlementaire, de

cette consultation. On ne définira pas sans nous, ni au-delà ni en deçà de nous, ce que nous sommes.

Cela dit, permettez-moi maintenant de vous présenter ceux qui m'accompagnent au nom des artistes-interprètes et qui, plus tard cet après-midi, répondront à vos questions. À ma droite, d'abord, M. Serge Demers. M. Demers est le directeur général de l'Union des artistes; à ma gauche, notre conseiller juridique, Me Marc Trahan, de la maison Trahan et Leduc, et, à mon extrême droite, notre conseiller fiscal, M. Serge Chevalier, de la maison Raymond Chabot, Martin Paré et Associés.

Nous accompagnent également, vous les avez reconnus, des visages connus et aimés et dont la présence ici ce matin est l'expression de milliers et de milliers d'artistes-interprètes. J'ai dit des visages non seulement connus, mais aimés, si l'on en croit en tout cas un récent sondage dont les résultats ont été publiés dans la Presse, samedi dernier, un sondage qui dit que, oui, les artistes et leurs oeuvres c'est important dans notre société. Pour 81 % des Québécois, les artistes c'est important dans leur vie de tous les jours.

Alors, à l'heure de notre rendez-vous historique, cet appui sans équivoque de la société québécoise dans notre démarche pour l'obtention d'un statut véritable nous confirme donc dans nos options et dans nos prétentions. Ce sont d'ailleurs quelques-unes de ces options et de ces prétentions qui vous sont illustrées par ce présentoire qui, d'un coup d'oeil, vous amène au coeur des activités auxquelles se consacre de façon générale l'UDA et ses membres. Léo Ferré l'a dit: Tout est affaire de décor. (11 h 30)

Ce que nous vous présentons donc, aujourd'hui, mesdames et messieurs de la commission, c'est le fruit d'une longue et profonde réflexion sur la nature même de l'artiste-interprète pigiste. Peut-être Pavez-vous déjà remarqué à la lecture de notre proposition de projet de loi que nous vous avons soumis en annexe de notre mémoire, nous nous sommes grandement inspirés pour ce faire - et cela a été d'ailleurs la base sur laquelle nous nous sommes appuyés - de ce que nos amis agriculteurs avaient réclamé et obtenu du gouvernement libéral, Il y a une bonne dizaine d'années, une loi qui devait créer l'Union des producteurs agricoles, jusqu'alors l'UCC. Peut-être que certains d'entre vous s'étonneront de ce rapprochement mais nous le croyons tout à fait de mise puisque l'UPA, tout comme l'UDA, est reconnue selon la Loi sur les syndicats professionnels, ce qui nous amène à penser, comme le disait le célèbre philosophe américain B.T. Washington, au début de ce siècle, qu'"aucune race ne peut prospérer si elle n'apprend qu'il y a autant de dignité à cultiver un champ qu'à composer un poème."

Ainsi, donc, le projet de loi que nous vous présentons dans sa version définitive, aujourd'hui, est le fruit d'un long travail de planification et de concertation. Le mémoire, qui en est la phase préliminaire, a été largement distribué dans le milieu et il a reçu de façon générale l'assentiment des organes gouvernementaux et culturels. Mais comprendre, cependant, les demandes qui y sont formulées ne peut se faire sans rappeler brièvement les étapes au cours desquelles l'Union des artistes s'est imposée comme un syndicat professionnel chargé de défendre les droits et les intérêts de ses membres qui sont tous artistes-interprètes pigistes.

Pour cela, il faut remonter à 1937, il y a donc près de 50 ans. À cette époque, un groupe de chanteurs lésés dans leur droit le plus fondamental, qui est celui d'être payé pour leur travail, ressentaient alors le besoin de créer une union à caractère social et d'en assurer la stabilité. Des annonceurs, des comédiens, des bruiteurs même, se sont joints à eux pour négocier des conditions de base décentes, essentielles à l'exercice de leur métier. Le local de Montréal de l'American Federation of Radio Artists était créé. Il constituait la première entité juridique de l'union. Dès janvier 1938, des échelles de cachet minimum sont votées et, en février, une charte du comité américain de New York de l'AFRA était accordée. En 1940, un noyau de membres se formait à Québec et s'affiliait au local de l'AFRA à Montréal.

Ces artistes travaillant au Québec éprouvèrent bientôt le besoin de donner à l'Union des artistes lyriques et dramatiques des assises provinciales. Aussi, en 1942 obtiennent-ils pour leur union le statut d'un syndicat professionnel qui, par la volonté de ses membres, ira chercher des juridictions. En 1960, les artistes de la région d'Ottawa fondent le Syndicat du spectacle. En 1968, le Syndicat du spectacle de Hull-Ottawa fusionnait avec l'Union des artistes. En 1973, s'effectuait la fusion de la Société des artistes de Québec et de l'Union des artistes et, en 1976, un nouveau point de service et une nouvelle section voyaient le jour à Toronto.

Dès le départ, cette histoire a été jalonnée de droits lésés qu'il faut surveiller, de cachets minimums à réclamer, de marché du travail à protéger par un principe, un seul, celui de ne travailler qu'avec des membres en règle et avec un contrat syndical que noua appellerons contrat UDA. Les avantages sociaux, les caisses de secours en 1938, les fameux galas des artistes dans les années quarante, tout cela concourt à assurer la survie de l'union, seul moyen de garantir la défense des droits fondamentaux des artistes-interprètes.

Cette histoire se répète encore de nos

jours. La liste des droits lésés est décidément sans fin. À ce titre, nous devons rappeler l'un des épisodes les plus douleureux qu'ait connus l'Union des artistes depuis ses quatre dernières années: les problèmes de travail vécus par ses membres sous contrat de pigistes à Radio-Canada en 1982. Ces problèmes, en fait, sont au coeur de l'ambiguïté qui entoure aujourd'hui le statut juridique de l'artiste-interprète pigiste. En enlevant à l'Union des artistes bon nombre de catégories de membres précédemment sous sa juridiction, en les transférant à des accréditations syndicales reconnues au sens du Code canadien du travail, le Conseil canadien des relations du travail, le CCRT, a contraint quelques centaines de membres de l'Union des artistes à accepter le statut d'employé.

Or, la presque totalité des membres UDA, aujourd'hui sous la juridiction du SCFP, n'ont jamais, mais jamais voulu le statut d'employé et le refusent toujours.

Bon nombre d'entre eux ont été privés de leurs acquis, entre autres des bénéfices d'assurances auxquels ils ont droit lorsqu'ils sont sous contrat de pigiste. Ces personnes, qui dans la réalité de leur profession, demeurent des artistes-interprètes pigistes, sont quotidiennement lésées dans leurs droits lorsqu'elles exercent leur métier en vertu de cette décision du CCRT, à Radio-Canada.

En voulant assurer la paix industrielle, le CCRT a brouillé la situation. D'ailleurs, le juge de la Cour fédérale d'appel, l'honorable James Huggesen, a été le premier à reconnaître le caractère inopportun et inapplicable de cette décision. M. le juge disait ceci: "II se peut évidemment que la décision attaquée soit inopportune, qu'elle aille même à l'encontre des objectifs du code ou qu'elle soit difficile ou impossible d'interprétation et d'application". "La décision du conseil est longue, très longue. Elle compte, dans sa seule version française, 272 pages. Elle est pleine de déclarations et de digressions dont la pertinence et la justesse sont douteuses. Elle donne prise, inutilement à mon sens - dit toujours M. le juge - à des attaques de la nature de celles qui ont été débattues devant nous. Peut-être le conseil sent-il le devoir de mener une certaine campagne d'éducation et de politique dans le sens le plus large de ces mots, auprès de sa clientèle. Cela est tout à son honneur. Mais, - conclut le juge Huggesen - il ne faut pas perdre de vue que le premier devoir du conseil, comme de cette cour, est de trancher avec précision et concision les litiges qui lui sont présentés". Fin de la citation.

Forts de cet exemple et convaincus du bien-fondé de notre revendication visant à faire reconnaître, une bonne fois pour toutes, le statut juridique de l'artiste-interprète pigiste, nous nous sommes engagés, dès l'été 1983, à renforcer le discours en ce sens. L'Union des artistes rencontrait alors le ministre des Affaires culturelles du temps, M. Clément Richard, pour lui faire part de son intention de travailler à un projet qui garantisse ce statut.

Nous sommes en mars 1983. L'équipe dirigeante à l'UDA, élue sous la bannière "La fierté de ce que nous sommes", s'engageait, dans le cadre d'un mandat électoral, d'abord à adapter les législations du travail à la nature particulière des activités de ses membres et, ensuite, à faire reconnaître par législation le caractère de pigiste de ses membres.

En octobre 1983, la direction élue de l'Union des artistes créait une commission ad hoc du conseil d'administration, commission intitulée "Commission sur le statut de l'artiste". D'octobre 1983 à juillet 1984, la commission a réalisé ses travaux de recherches, de discussions et de rencontres dans le milieu artistique afin d'obtenir un statut juridique, social et fiscal. À cet égard, une date est à retenir, c'est celle de juin 1984 alors que le conseil d'administration de l'union adoptait le projet de loi dans sa version définitive et le remettait au ministre Clément Richard.

De septembre à décembre 1984, la Commission du statut de l'artiste a rédigé ensuite un mémoire qui devait appuyer la demande d'une loi. Ces travaux ont d'ailleurs bénéficié d'une subvention du ministre Clément Richard. En novembre 1984, apparaît l' ex-ministre Claude Charron. Il est mandaté par le ministre pour consulter le milieu sur le projet de loi déposé par l'Union des artistes. En décembre 1984, le mémoire de l'Union des artistes appuyant notre projet de loi était remis à M. Clément Richard et un mois plus tard - en janvier 1985 - le mandataire du ministre, M. Claude Charron, remettait son rapport sur sa consultation du milieu.

Depuis lors, pas de nouvelles du rapport, bien que nous l'ayons réclamé à plusieurs reprises. Début 1985, l'Union des artistes et ses représentants s'emploient à ce que toutes les personnes directement ou indirectement reliées à la culture soient informées de leurs objectifs. C'est alors que nous rencontrons des producteurs, des associations de producteurs, des responsables gouvernementaux, des responsables d'associations professionnelles. Les membres de la presse et la population sont également informés de nos revendications.

C'est dans cet esprit qu'en novembre 1985 - vous vous en souvenez, ce n'est pas si loin - à l'occasion de la dernière campagne électorale, tous les groupes d'artistes, de créateurs et d'artisans réaffirmaient publiquement que l'artiste québécois doit bénéficier d'un statut juridique adéquat et demandaient aux partis politiques

de se prononcer sur trois points: d'abord, un encadrement juridique des secteurs d'activité où oeuvrent les membres artistes-interprètes pigistes par le biais d'ententes collectives qui prévoient des conditions minimales de travail; ensuite, une reconnaissance par législation du statut de pigiste, entrepreneur indépendant, pour ses membres et, troisièmement, la reconnaissance d'un statut fiscal adapté à l'exercice de la profession et au statut de pigiste, entrepreneur indépendant.

Le Parti libéral s'engageait alors, dans son document sur la culture, à tenir une commission sur le statut de l'artiste, commission dont, Mme la ministre, vous avez annoncé la mise sur pied le 9 avril dernier à notre grande satisfaction. C'est donc dans ce cadre propice de fructueux échanges que nous sommes heureux de vous présenter aujourd'hui notre projet de loi et l'argumentation qu'il sous-tend. Nous souhaitons que les membres de la commission concluent, évidemment, dans le sens de nos recommandations, à la nécessité d'une loi reconnaissant le statut juridique de l'artiste-interprète pigiste.

L'abrégé qui vous a été présenté a été rédigé dans le respect le plus scrupuleux du mandat de votre commission et il reprend donc l'essentiel de notre position sur le statut de l'artiste et contient les recommandations de l'Union des artistes. Mais, tout en comprenant et en respectant l'orientation de la commission, permettez-nous d'émettre quelques réserves quant à la vision analytique qu'elle propose. Les mesures que prendra le gouvernement pour améliorer le mieux-être social, économique et fiscal de l'artiste doivent, selon nous, s'insérer dans une vision globale où la reconnaissance juridique de l'artiste-interprète ne fera plus défaut. C'est à cette seule condition, pensons-nous, que l'artiste-interprète pigiste, entrepreneur indépendant, acceptera l'insécurité toujours inhérente à son métier. Nous exigeons donc l'adoption d'une loi qui consacrera le statut de pigiste pour nos membres et qui permettra à notre association de les représenter dans toutes les sphères d'activité où ils oeuvrent déjà et où ils seront appelés à oeuvrer par la suite à titre d'artistes-interprètes pigistes. Ce droit doit être également reconnu à toutes les associations représentant les créateurs et les artisans du milieu artistique qui le solliciteront.

Soyez assurés, dans le cadre de cette démarche et à la suite de l'adoption d'une loi, que nous collaborerons avec les différents ministères pour déterminer les mesures nécessaires à son application et ce, sous tous les angles énumérés aux questions soumises par votre commission parlementaire. À cet effet, nous tenons à vous préciser que les diverses appellations utilisées dans votre avis de consultation générale, aux points 2, 3 et 4 - cela parle de salaires, de conventions de travail, de santé et de sécurité du travail - que ces appellations ne sont pas toujours propres à qualifier les conditions de travail de l'artiste-interprète pigiste et que, dans la mesure du possible, nous nous sommes employés, nous, dans notre mémoire, comme dans cet abrégé, à vous démontrer pourquoi.

L'Union des artistes ne représente que des artistes-interprètes pigistes, qu'on peut aussi appeler entrepreneurs indépendants. Elle entend par là toute personne, artiste-interprète, dont la profession s'exerce sur une base contractuelle, non permanente et non exclusive, dans un ou plusieurs des domaines suivants, comme la télédistribution, la câblodistribution, le doublage, les annonces publicitaires, la scène, le cinéma, etc. Rares sont nos membres qui ne travaillent que dans un seul secteur. Un artiste-interprète pigiste s'inscrira à plusieurs secteurs, tant à celui de la scène, à Radio-Canada qu'au secteur des annonces. Il signera donc régulièrement plusieurs contrats avec des producteurs différents et il négociera avec eux non pas des salaires, mais des cachets. (11 h 45)

Quant aux critères de professionnalisme, disons que l'Union des artistes ne représente que des professionnels, c'est-à-dire des pigistes qui peuvent justifier de plusieurs prestations artistiques. Ces conditions d'admissiblité sont d'ailleurs clairement établies dans nos statuts; elles sont objectives, stables et vérifiables.

Quelles sont maintenant les conditions d'exercice de la vie artistique? Voilà la grande question. Notre société reconnaît à l'artiste un rôle essentiel à la vie culturelle et économique du pays. Les déclarations philosophiques et élogieuses ne manquent pas. Les gouvernements, et vous l'avez répété ce matin, sont les premiers à affirmer que les créateurs ajoutent à la valeur d'une société en même temps qu'ils l'expriment et la reflètent. Ce sont eux qui font les sociétés vivantes et dynamiques. La vision est généreuse, certes, mais elle ne reflète pas pour autant la réalité de la vie artistique dont nous allons maintenant faire état quelque peu.

Selon Statistique Canada, en 1981, il y a tout juste cinq ans, la contribution totale du secteur culturel au produit intérieur brut a dépassé les 2 700 000 000 $. C'est environ 1 % du produit intérieur brut. Ces chiffres faisaient alors dire au ministre de l'époque au gouvernement fédéral, M. Francis Fox, dans son document "Culture et Communication": "Ce secteur (culturel) a contribué presque autant à l'économie que les industries textile, aéronautique et chimique réunies." Mais, cependant, nulle part, dans ce document, il n'est fait mention de la faiblesse des revenus gagnés par l'artiste. Aussi, les experts internationaux lors d'une réunion mixte de l'Organisation

internationale du travail et de l'UNESCO ont-ils souligné le caractère paradoxal de cette situation, et c'est ce que Mme Bacon nous rappelait ce matin - je pense qu'il est important de le redire: "Le monde des arts est structuré au même titre que n'importe quelle industrie et l'on peut dire que sa structure se présente comme celle d'une pyramide inversée dans laquelle l'artiste, placé au bas de l'édifice, supporterait le poids de l'industrie en question tout en étant celui qui partage le moins les profits de l'affaire."

Une étude de statistiques réalisée par la firme Sobeco est venue confirmer ces dires en révélant le portrait de la situation économique de nos membres pour 1984. Sur un total de 3200 membres à l'Union des artistes - M. le député trouvait cela aberrant - 1515 gagnaient moins de 2000 $, 640 gagnaient de 2000 $ à 5000 $, 730 gagnaient de 5000 $ à 20 000 $ - cela vous étonne mais c'est la vérité - 317 seulement gagnaient 20 000 $ et plus. Cela veut dire à peine 10 % de notre membership.

Dans le rapport Disney sur la fiscalité fédérale et les artistes au Canada, cette situation difficile a d'ailleurs fait l'objet d'une attention toute particulière. On écrit ceci dans ce rapport: "La nature même de leur profession - la nôtre - fait que de nombreux artistes-interprètes ont des revenus faibles. Les cachets sont particulièrement bas au théâtre. Par exemple, si l'un des artistes les mieux cotés du Canada pouvait travailler 52 semaines par an au théâtre, il gagnerait, en cachets bruts, entre 20 000 $ et 25 000 $. Les cachets pour la radio et la télévision sont peut-être plus élevés, mais très peu d'acteurs - dit toujours le rapport -sont employés tout le temps."

Le constat ne s'arrête pas là. En plus de ses revenus faibles, l'artiste-interprète pigiste doit assumer des frais considérables qui, toujours selon le rapport Disney, représentent une partie importante de son revenu. Car, pour exercer son métier, l'artiste-interprète pigiste doit signer plusieurs contrats sur une base individuelle avec différents producteurs et ce, simultanément ou successivement, selon les cas. Mais, pour gagner décemment sa vie, il lui faut continuer à promouvoir son talent et son image auprès d'autres producteurs susceptibles de retenir ses services. Cette recherche constante de nouveaux contrats nécessite donc de sa part des déboursés importants. Ce sont, par exemple, des frais de photographie, de représentation, de correspondance, d'interrurbains, l'achat et l'entretien d'un répondeur automatique et le reste.

Dans l'exercice même de son métier, l'artiste-interprète pigiste doit assumer lui-même des dépenses qui ne sont - et, sur cela, comprenez-nous bien - ni remboursées ni remboursables par les producteurs et qui varient constamment selon la nature du contrat que nous avons obtenu. Ce sont par exemple des coûts de maquillage, d'hébergement, de déplacement et d'habillement. Par ailleurs, il est fréquent que l'artiste qui joue dans un téléroman ou une dramatique produit par le secteur privé et qui se déroule dans un cadre contemporain ait à fournir sa propre garde-robe - cela peut vous étonner mais c'est comme cela - et qu'il ait aussi à en changer fréquemment. Ce sont là, n'en doutez pas, des déboursés assez considérables.

Puis l'artiste-interprète pigiste assume des frais directement liés et occasionnés par son métier. Ce sont notammeqt des coûts de secrétariat, d'administration, de conseiller juridique, de comptable - nous aussi on en a besoin - d'abonnement à des publications spécialisées, de cours de perfectionnement -diction, chant, expression corporelle - de cours de promotion, d'agents, de rencontres publiques pour la recherche de contrats. Tous ces exemples illustrent quelques-unes seulement des particularités qui sont liées au statut de pigiste. Ces exemples démontrent clairement à notre sens la différence qu'il y a entre le pigiste et le salarié.

La permanence relative du lien entre l'employeur et le salarié permet à ce dernier, surtout s'il est syndiqué, de négocier éventuellement avec son employeur une prise en charge globale ou partielle de ses dépenses, alors que le pigiste est seul à les assumer. Cette distinction fondamentale du salarié par rapport au pigiste est loin d'être claire surtout au moment de l'interprétation de nos rapports d'impôt. La confusion naît du vide qui entoure le statut de l'artiste-interprète pigiste. Les artistes-interprètes pigistes ont le droit de déduire certaines dépenses inhérentes à leurs activités, mais ils constatent bien souvent que ce droit leur est contesté pour un oui ou pour un non. Tantôt nous sommes considérés comme des travailleurs autonomes et puis soudainement, pour un contrat donné, on nous déclare employés. Tantôt on nous permet l'étalement de nos revenus, mais, si le régime est modifié ou aboli sans avertissement, alors l'étalement des revenus n'est plus possible. Tantôt on nous reconnaît déductibles les frais de représentation, de maquillage, de vêtements, les frais téléphoniques et puis, sans raison aucune et souvent, ces dépenses nous sont refusées et, croyez-moi, de façon peu respectueuse par le ministère du Revenu.

À la suite de nos propos exposés aux membres du sous-comité fédéral sur l'imposition des créateurs et des interprètes, à Ottawa en juin 1984, ces derniers ont affirmé que ces dépenses devaient être déductibles, mais sans préciser cependant que les gouvernements devraient avoir une politique définitive et stable à ce sujet. Tous

les revenus que créent les activités diverses de nos membres sont des revenus d'artistes pigistes entrepreneurs indépendants. Les membres du sous-comité à Ottawa l'ont d'ailleurs reconnu, en concluant à notre grande satisfaction, que le simple fait d'assurer des dépenses importantes créait une présomption de travail autonome pour tous les artistes de la scène. Nous reconnaissons qu'à la suite de ce rapport certaines mesures ont été prises par le ministère fédéral des Finances pour corriger cette situation. Cela est fort bien, mais cela ne suffit pas. L'artiste-interprète pigiste n'a toujours pa3 de statut juridique approprié et, partant, n'a toujours pas de statut fiscal. Donc, absence de statut fiscal et aussi protection sociale déficiente.

L'artiste-interprète pigiste exerce son métier d'une façon qui lui est propre. Contrairement à la majorité des salariés, il n'a pas de permanence d'emploi; il lui faut donc pour gagner sa vie et, nous ne le répéterons jamais assez, multiplier contacts et contrats. C'est le fondement même de son métier, c'est la définition la plus exacte de ses activités d'entrepreneur indépendant. À ce titre, l'artiste n'est pas admissible aux prestations d'assurance-chômage. Nous tenons cependant à préciser que jusqu'au moment de la fusion administrative de l'assurance-chômage et de revenu national en 1972, un grand nombre d'interprètes autonomes étaient admissibles à l'assurance-chômage, bien qu'ils fussent fiscalement considérés comme des travailleurs autonomes. Après 1972 la notion de double statut a été rejetée et les interprètes indépendants ont cessé d'être admissibles à l'assurance-chômage. Il n'en reste pas moins que les artistes-interprètes pigistes constituent un contingent important de la main-d'oeuvre canadienne et québécoise et qu'ils exercent leur métier sans aucune sécurité financière.

Un système, non pas d'assurance-chômage, mais de prestations compensatoires viendrait pallier l'insécurité quotidienne liée à l'exercice de notre profession et assurer un moyen de subsistance, surtout aux plus démunis d'entre nous. Ce principe, nous l'avons soutenu en janvier dernier devant la commission Forget, commission d'enquête sur l'assurance-chômage. Mais qu'on veuille bien voir là une demande en faveur d'une politique de chômage qui reconnaisse à nos membres un statut d'artistes-interprètes pigistes, entrepreneurs indépendants, et qui leur permette de bénéficier d'un régime de prestations compensatoires qui leur soit adapté.

En juin 1984, le sous-comité sur l'imposition des créateurs avait d'ailleurs conclu d'une façon qui se rapproche sensiblement de la nôtre, puisque ses membres recommandaient unanimement "que les artistes de la scène soient admissibles à l'assurance-chômage, quel que soit leur statut fiscal."

La femme artiste-interpète pigiste, elle, n'a droit à aucune compensation gouvernementale pour perte de revenus à la suite d'une maternité. Pourquoi? Parce qu'elle ne peut se qualifier à l'assurance-chômage. Voilà donc ce qui a forcé l'Union des artistes à mettre en place, par l'intermédiaire de sa caisse de sécurité du spectacle, un système d'allocations de maternité pour remédier à l'absence de politique sociale concernant les femmes artistes-interprètes pigistes.

L'artiste-interprète pigiste ne bénéficie actuellement que d'une protection extrêmement hypothétique en matière de santé et de sécurité. Nous estimons qu'il y a là une lacune à combler et que la Commission de la santé et de la sécurité du travail pourrait, grâce à une structure particulière, satisfaire aux besoins des entrepreneurs indépendants des milieux de la culture. Il va de soi que l'Union des artistes est prête à collaborer avec la CSST pour mettre en place des mesures destinées à instaurer un régime de santé et de sécurité du travail qui rende justice au métier d'artiste et aux risques qu'il comporte. Le fonctionnement de la CSST dans le domaine culturel devrait être basé, pensons-nous, comme dans les autres secteurs, sur une structure paritaire, producteur-syndicat.

En conclusion, le constat relié à la situation de l'artiste-interprète pigiste met en lumière l'absence de statut juridique propre, l'inexistence du droit à un régime de relations de travail approprié et, par conséquent, l'absence de statut fiscal et socioprofessionnel. Il faut bien comprendre que l'artiste-interprète pigiste ne demande pas de traitement de faveur. Il désire simplement qu'on respecte ce qu'il est et que l'on tienne compte de l'originalité de sa profession, cette profession qui présente un caractère unique et qui s'exerce selon des modalités particulières qui entraînent des dépenses tout aussi particulières. Or, reconnaître de votre part ce caractère unique, c'est reconnaître aussi un statut fiscal qui lui soit approprié.

Les conditions d'admissibilité prévues par nos statuts à l'UDA sont suffisamment exigeantes pour garantir que l'Union des artistes ne représente que des professionnels pigistes. Nous soumettons donc que le critère, aux fins de la fiscalité, qui permet de déterminer qui est un artiste-interprète pigiste soit un critère soustrait à toute possibilité d'interprétation. Ce critère, selon nous, ne peut être que l'appartenance à un syndicat professionnel d'artistes-interprètes pigistes. Dans ce contexte, les dépenses admissibles dans le cadre du statut fiscal de l'artiste-interprète pigiste sont celles engagées dans l'exercice de sa profession comme pigiste membre de l'association

professionnelle, ce qui élimine l'ambiguïté du double statut pigiste-salarié. (12 heures)

En ce qui concerne l'assurance-chômage, nous affirmons, tout comme nos camarades de l'ACTRA l'avaient fait, que, si nous avions à choisir entre l'accessibilité à l'assurance-chômage et notre statut d'entrepreneur indépendant, nous choisirions de conserver notre statut. Cependant, nous estimons que les conditions liées à l'exercice même de notre profession, c'est-à-dire multiplicité des contacts et des contrats, insécurité constante liée à l'exercice de notre profession, exigent en retour une forme de sécurité sociale que nous appellerons "prestations compensatoires" adaptée à nos besoins propres.

Si l'assurance-chômage est la pierre angulaire de toute législation sociale, nous estimons en toute bonne foi pouvoir en être, nous aussi, les bénéficiaires par le biais d'un régime de prestations compensatoires qui nous soit approprié.

Donc, nous exigeons l'adoption et la promulgation d'une loi qui, premièrement, reconnaisse le statut juridique de l'artiste-interprète pigiste, entrepreneur indépendant, qui régisse les relations entre les artistes-interprètes pigistes et ceux qui, dans l'industrie, achètent leurs services, et l'adoption et la promulgation d'une telle loi qui harmonise l'aspect juridique, donc fiscal et social, de notre vie professionnelle.

Au chapitre de la défense de la vie professionnelle, je vous rappelle que l'Union des artistes est un syndicat professionnel qui a été créé en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels le 15 septembre 1942, que son siège social est à Montréal, que l'UDA regroupe et représente les 3200 artistes-interprètes pigistes francophones du Canada et que ses statuts définissent comme artiste "toute personne s'exécutant, ou appelée à être vue ou entendue, sur scène, au cinéma, à la radio, à la télévision, sur disque, en personne ou par le biais de tout procédé de transmission et/ou de communication."

En tant que syndicat professionnel, l'Union des artistes veille à défendre les droits et les intérêts de ses membres auprès des producteurs et des diffuseurs dans des domaines aussi variés que la télédiffusion, la câblodistribution, les annonces, la scène, le cinéma, le doublage, etc.

Gérée sous la surveillance de 21 administrateurs élus, l'Union des artistes prépare les ententes collectives selon les mandats donnés par ses membres. Elle négocie pour eux ces ententes collectives. Elle conseille ses membres dans l'application de leurs contrats individuels avec des producteurs ou des diffuseurs. Elle veille au respect des contrats et, à ce titre, elle assure, selon le cas, les réclamations requises pour ses membres ou la défense des griefs déposés en vertu des ententes collectives. Elle informe, évidemment, régulièrement ceux qui viennent à ses bureaux, et, quotidiennement, l'Union des artistes assure le traitement informatique des données qui concernent ses membres.

Cependant, nous tenons à vous souligner, et c'est bien important, que, contrairement à l'Union des producteurs agricoles qui bénéficie d'une loi qui est venue préciser sa reconnaissance de syndicat professionnel, l'Union des artistes et ses membres ne bénéficient actuellement d'aucun cadre juridique garantissant les juridictions acquises au fil de son existence. Vous le constaterez vous-mêmes, d'ailleurs, par ce qui suit.

Pour exercer sa juridiction, l'Union des artistes doit identifier les producteurs d'un domaine donné et leur faire respecter cette reconnaissance de juridiction. Certains producteurs se regroupent en associations et c'est alors que l'entente collective fixant les conditions minimales de travail de l'artiste-interprète est négociée. En plus de l'entente collective, l'artiste-interprète doit négocier et signer un contrat individuel établissant des conditions pouvant être, évidemment, supérieures au minimum de l'entente collective. L'entente collective et le contrat individuel demeurent donc les seuls liens juridiques qui assurent une protection à l'àrtiste-interprète pigiste dans l'exercice de son activité artistique. Sans ces deux éléments, aucun recours ultérieur n'est possible pour l'artiste lésé.

Il arrive fréquemment qu'un de nos membres se voie offrir un contrat, mais, parce qu'il exige l'application de l'une ou de l'autre des ententes collectives UDA, ce contrat lui est refusé. Alors, l'UDA, dans ce cas, n'a qu'un seul recours, c'est de déclarer le producteur irrégulier. L'artiste, quant à lui, est placé devant un choix vraiment cornélien: ou bien travailler au noir ou bien refuser le contrat. Dans le premier cas il contrevient aux statuts et règlements de l'union. Il ne peut alors plus compter sur la protection de son syndicat professionnel. Et, dans le deuxième cas, il se prive d'une certaine somme d'argent nécessaire à sa subsistance. Bref, vous le voyez, dans tous les cas, l'artiste est lésé.

Par ailleurs, certains producteurs apparaissent et disparaissent comme par enchantement, des "fly-by-night". D'autres se regroupent volontairement en associations pour négocier avec l'Union des artistes, mais la loi - c'est cela qu'il faut comprendre - ne les oblige nullement à se regrouper. En disparaissant du jour au lendemain, ces associations volontaires se soustraient automatiquement à la juridiction de l'Union des artistes. Alors, l'union n'a plus de juridiction sur le secteur concerné et ses

membres n'en sont que plus démunis. Si certaines ententes sont conclues rapidement, d'autres font l'objet de tiraillements et sont obtenues à l'arraché, si je puis dire, à force et à bout de bras, dans un climat de tension souvent bien pénible.

La reconnaissance de notre syndicat professionnel par un producteur n'est pas un fait de loi comme pour les syndicats de salariés, comprenez-le bien. Elle fait l'objet d'un rapport de forces brut qui amène le producteur à une reconnaissance "volontaire" de l'union. Dans des domaines comme la danse, dans des domaines comme le disque, les artistes-interprètes n'ont pu faire reconnaître la juridiction de l'Union des artistes. Or, cette non-reconnaissance maintient des conditions de travail extrêmement injustes. Le secteur de la danse, par exemple, est universellement reconnu comme celui où les interprètes, tout particulièrement les pigistes, sont le plus exploités et hommes et femmes y subissent les conditions de travail les plus difficiles.

L'Union des artistes fait aussi face à un certain nombre de stations de télévision et de producteurs de théâtre en province, en régions comme vous dites, avec lesquels aucune entente n'a pu être conclue. Ces stations et ces producteurs ont, pourtant, recours à des artistes-interprètes dans leurs productions. Nous affirmons qu'il est injuste de faire peser sur les artistes, individuellement, la responsabilité d'aller seuls négocier les conditions minimales décentes de leurs ententes contractuelles. Des secteurs entiers de l'activité culturelle peuvent ainsi se retrouver dans une situation critique parce qu'aucune loi ne régit les relations entre les artistes-interprètes pigistes, d'une part, les producteurs et les diffuseurs, d'autre part. Seule une loi garantira aux artistes la capacité de négocier des conditions minimales de travail. Ce droit fondamental, d'ailleurs, il est reconnu aux autres citoyens.

L'Union des artistes administre aussi, vous le savez sans doute, pour ses membres, leurs droits voisins, ce qu'on appelle aussi dans notre jargon droits de suite, qui sont prévus seulement par entente collective, dans le cas d'une prestation originale qui fait l'objet de plusieurs reprises ou de ventes sur d'autres marchés. Si l'on prend le cas d'un comédien ou d'une comédienne qui tourne un film avec l'Office national du film et que, quelques années plus tard, ce film est acheté par un réseau de télévision privé, d'État ou par la câblodistribution, ce film, s'il est en demande, va passer et repasser fréquemment. Si le versement des droits voisins est prévu dans l'entente collective que nous avons négociée et qui a été conclue avec l'ONF, alors, le comédien ou la comédienne recevra certaines sommes d'argent, mais, si ces droits ne sont pas clairement établis, l'artiste ne recevra pas un sou vaillant puisque ce principe n'est pas reconnu dans la loi canadienne sur les droits d'auteur. Si ces droits voisins étaient versés par les secteurs de production qui, actuellement, ne reconnaissent pas la juridiction de l'Union des artistes, on peut dire que la condition économique des artistes-interprètes pigistes serait grandement améliorée, leurs revenus à venir seraient, en somme, garantis et, par conséquent, ils seraient d'autant moins à la charge de l'État et de la société. Ne pas reconnaître les droits voisins ou droits de suite aux artistes-interprètes, c'est leur voler, oui, leur voler, la part qui leur revient, ce qu'on a déjà appelé chez nous "la juste part d'un créateur".

Nous avons une caisse de sécurité du spectacle, oui. L'Union des artistes, en vextu de la Loi sur les syndicats professionnels, a créé une caisse de sécurité du spectacle pour administrer les versements des producteurs et des membres de l'UDA. Ces versements permettent d'instaurer ou de maintenir l'ensemble des avantages sociaux dont peuvent bénéficier ses membres. Ce sont les bénéfices d'assurances, comme l'assurance-vie, l'assurance-invalidité de courte et longue durée, l'assurance-médicaments, les soins dentaires ou les allocations de maternité. Les artistes-interprètes pigistes membres de l'UDA cotisent à un fonds d'assurance collective qui les indemnise en cas d'invalidité de courte ou de longue durée. Ces bénéfices d'assurances sont proportionnels à la moyenne des revenus accumulés au cours des cinq dernières années.

Pour pallier l'absence de politique sociale correspondant à la situation des femmes artistes-interprètes pigistes enceintes, eh bien, l'Union des artistes a prévu les dispositions suivantes: depuis le 1er février dernier, et dans les cas de maternités sans complications, les prestations relèvent aussi de l'assureur et selon les mêmes règles de prestations habituellement versées par les assurances dans les cas de maternités avec complications. Vous conviendrez avec nous que c'est là une situation anormale et socialement injustifiable.

De plus, les femmes artistes-interprètes pigistes bénéficient d'un supplément de 1000 $ qui est remis à chaque membre féminin de l'union dont les revenus sous juridiction union, au cours des cinq dernières années, ont été de 4000 $ ou plus et ce, évidemment, sur production d'un certificat de naissance.

Ce système d'allocations de maternité n'est, en fait, qu'une mesure compensatoire. Il vient combler un vide législatif à défaut d'une véritable politique sociale qui ne considérera " plus les femmes artistes-interprètes pigistes comme des citoyennes de seconde classe, mais comme des citoyennes à part entière. Il faut bien comprendre que la

totalité de ces primes d'assurances sont payées par des membres artistes-interprètes dont !e revenu moyen, je vous le rappelle, est inférieur à 10 000 $ par année. Ce ne sont pas tous les artistes-interprètes qui travaillent à temps plein.

Nous avons des fonds de retraite qui sont constitués des sommes accumulées dans un régime, enregistré ou non, d'épargne-retraite, ou dans tout nouveau programme équivalent pouvant être instauré par les ministères du Revenu, et ce, dans le but d'assurer un certain revenu aux bénéficiaires au moment de la retraite, le tout conformément aux lois régissant de tels régimes. Quant à notre fonds de congés payés pour l'artiste, eh bien, il administre les sommes accumulées pour fins de vacances pour les membres qui y ont droit.

Mais il faut bien comprendre que la structure de l'Union des artistes diffère des structures syndicales qui regroupent des syndicats au sens du Code du travail. Nos membres ont besoin de services individualisés car leurs contrats sont variés et portent souvent des clauses particulières. Nous administrons pour eux les droits voisins, les droits de suite, prévus par entente collective dans le cas d'une prestation originale qui fait l'objet de plusieurs reprises ou qui fait l'objet de vente sur d'autres marchés. La mise en place de cette structure exige donc un personnel de conseillers et de préposés qui équivaut à environ un employé pour cent membres. Cette gestion personnalisée des ententes collectives conclues avec les producteurs prouve, une fois de plus, qu'un régime spécifique de relations du travail doit être reconnu aux artistes-interprètes pigistes.

La formation professionnelle, mais comment donc nous y sommes sensibles! L'Union des artistes affirme sa volonté de participer à tout comité chargé de définir les critères d'attribution des bourses et des subventions de l'État dans le cadre de la formation professionnelle. Elle estime qu'il est de son droit de représenter ses membres au même titre que toute association ou groupement professionnel pour une répartition équitable et une transparence des montants alloués.

Quant à la formation de base des artistes-interprètes, l'UDA laisse le soin aux représentants des écoles et des conservatoires existants d'exprimer devant vous leurs besoins en ce sens. Cependant, l'union souhaite être consultée dans le cadre de l'établissement de programmes au titre de la formation professionnelle.

Nos recommandations? Eh bien, nous réclamons une loi qui reconnaisse ce qu'est un professionnel artiste-interprète pigiste et, plus particulièrement, un cadre de négociation à l'intérieur duquel les producteurs et les diffuseurs du domaine artistique devront négocier de bonne foi des conditions minimales respectueuses des droits de l'artiste-interprète pigiste. Par conséquent, nous réclamons un statut fiscal approprié au futur statut juridique qui sera reconnu à l'artiste-interprète pigiste.

Nous • croyons qu'il est essentiel d'accorder à l'artiste-interprète pigiste et à son association professionnelle reconnue des assises juridiques qui protégeront ses acquis en matière d'avantages sociaux, c'est-à-dire son fonds d'assurances collectives, son fonds enregistré d'épargne-retraite, son fonds de congés payés. Nous pensons aussi qu'un régime de prestations compensatoires - non pas d'assurance-chômage, de prestations compensatoires - et qu'un régime d'allocations de maternité devraient être créés pour assurer à l'artiste-interprète pigiste, entrepreneur indépendant, une sécurité financière pour la période où cet artiste se trouve de façon critique ou temporaire sans contrat de travail. (12 h 15)

Puis-je maintenant souligner brièvement que quelques-unes de nos réflexions et de nos démarches, celles qu'on vous expose ce matin, ont été appuyées par la Fédération internationale des acteurs, la FIA? La FIA a été créée en 1952 et regroupe les syndicats d'artistes-interprètes de 40 pays. Son siège social est à Londres. Cette organisation internationale a pour but de protéger et de favoriser au plan professionnel exclusivement les intérêts artistiques, économiques, sociaux et légaux des acteurs et artistes lyriques, chorégraphiques, artistes de variétés et du cirque, metteurs en scène, chorégraphes et le reste. Sa représentativité, donc, est reconnue formellement par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, par l'Organisation internationale du travail et aussi par la Commission européenne.

L'exécutif de la FIA appuie sans réserve les revendications de l'UDA pour l'obtention d'un statut juridique pour l'artiste-interprète pigiste. Cet appui, il nous a été donné, dans un premier temps, lors du treizième congrès de la Fédération internationale des acteurs qui a eu lieu à Athènes, l'automne dernier. À cette occasion, la FIA a assuré les représentants de l'union de son appui total dans leurs démarches auprès des gouvernements fédéral et provincial visant à faire reconnaître, par l'adoption d'une loi, un statut juridique devant définir le cadre de la négociation d'ententes collectives pour les artistes-interprètes pigistes. La FIA, d'ailleurs, a confirmé cet appui par un télégramme, signé par son président et son secrétaire général. Elle y affirmait qu'il était urgent et nécessaire de reconnaître le statut de l'artiste-interprète et demandait, en conséquence, et à Marcel Masse, à Ottawa, et à Clément Richard, à Québec, que des mesures soient prises immédiatement en ce

sens.

Après le juridique et après le social, il y a, bien sûr, le fiscal et, brièvement, je vais tenter de vous résumer les principales revendications de l'Union des artistes sur le statut fiscal des artistes-interprètes pigistes. Il faut, pour cela, vous référer à l'analyse qui a été effectuée, pour le compte, d'ailleurs, du ministère des Affaires culturelles, par André Lareau, professeur, en septembre 1985, vous référer également à l'analyse qui a été effectuée pour le compte du Secrétariat d'État par Touche Ross, comptables agréés, en 1977. Tout cela pour bien comprendre les difficultés que présente pour l'artiste-interprète la fiscalité canadienne et québécoise.

Les principales revendications pour les artistes-interprètes sont les suivantes: une caractérisation du revenu provenant d'un contrat régi par l'Union des artistes, une déductibilité des dépenses - et là, il faudra revoir vos bulletins d'interprétation - un étalement du revenu et, enfin, la création d'un comité consultatif artistes et ministère du Revenu.

Qu'est-ce que tout cela veut dire? Dans le premier cas, la caractérisation du revenu provenant d'un contrat régi par l'UDA. C'est qu'il soit reconnu que le revenu d'un artiste-interprète tiré d'un contrat régi par une entente collective entre l'UDA et un ou des producteurs en soit un d'entreprise et non d'emploi. Lorsqu'un artiste est un employé, par exemple, les employés permanents de Radio-Canada, bien, sachez-le, l'Union des artistes n'intervient aucunement dans son contrat d'emploi. Une telle règle, à notre sens, simplifierait énormément la vie, aussi bien des artistes-interprètes que nous sommes que des fonctionnaires des ministères du Revenu dans la caractérisation du revenu d'entreprise versus le revenu d'emploi. On éviterait ainsi les nombreux litiges qu'a amené cette fine distinction entre les deux genres de revenus.

Pour ce qui est de la déductibilité des dépenses, les nombreuses difficultés que rencontrent les artistes-interprètes pigistes pour faire admettre leurs dépenses relatives à leur revenu d'entreprise proviennent du fait qu'une grande partie de ces dépenses sont facilement assimilables à des dépenses personnelles. On n'a qu'à citer, par exemple, les dépenses de costumes, de promotion, de déplacement, de maquillage, de coiffure, de soins dentaires ou médicaux.

Or, le bulletin d'interprétation du ministère du Revenu - c'est important que vous le sachiez - traite des dépenses déductibles par les artistes-interprètes, mais le texte du bulletin semble teinté d'un préjugé vraiment défavorable à l'égard des artistes. Voici quelques exemples de frais déductibles. Dans ce bulletin, on dit: "coût d'un maquillage spécial qu'un artiste doit se faire faire pour paraître en public, mais qui ne convient pas à d'autres fins". Ou encore; "les frais de location de costumes confectionnés aux fins d'un spectacle donné et qui ne sont pas utilisés à d'autres fins".

Il faudrait se rendre compte une fois pour toutes que les artistes-interprètes ne sont pas des clowns qui portent des costumes et des maquillages extravagants. L'action des émissions de télévision, des pièces de théâtre et des films se situe en très grande partie, en bonne partie en tout cas, dans notre époque; cela exige des costumes et du maquillage de notre temps. Cela n'empêche pas qu'un artiste doive nécessairement dépenser pour ses vêtements, maquillage, beaucoup plus que n'importe quel individu moyen.

Des voix: Bravo.

M. Turgeon: Un autre exemple du préjugé défavorable se retrouve à un autre paragraphe de ce même bulletin d'interprétation et porte sur les frais de déplacement. Il n'est fait mention que des frais de déplacement dans le cadre d'un engagement. Mais qu'en est-il des frais de déplacement pour obtenir un engagement?

Ces quelques exemples suffisent pour démontrer l'urgence, l'urgence d'une révision des bulletins d'interprétation, qui devraient être corrigés dans le sens d'un préjugé favorable à l'égard des artistes.

Compte tenu aussi de la difficulté, dans le cas des artistes-interprètes, de distinguer les dépenses d'entreprise des dépenses personnelles, nous demandons que soit introduite dans la Loi sur les impôts une mesure permettant aux artistes-interprètes pigistes de pouvoir déduire une somme forfaitaire, par exemple - n'ayez pas peur -30 % des revenus provenant de la profession d'artiste. Un plafond pourrait être instauré, par exemple 20 000 $. Une telle mesure, d'ailleurs, je vous le signale, existe en France et au Danemark, notamment. L'artiste-interprète pigiste aurait alors le choix de réclamer la déduction forfaitaire, sans avoir à produire des pièces justificatives, ou de réclamer les dépenses réelles faites, selon la méthode actuelle.

Quant è l'étalement du revenu, vous souvenez-vous de ce que disait le professeur Lareau? "C'est un fait connu de tous que le revenu des artistes est aussi imprévisible que la météo." Mais la méthode actuelle d'étalement exige que l'artiste paie un impôt remboursable immédiatement sur le revenu étalé et ce, au taux maximum d'impôt qui e3t d'environ 59,5 % en 1986. Or, très peu d'artistes gagnent suffisamment de revenus pour payer le taux marginal d'impôt le plus élevé. Cela prend un revenu imposable de plus de 62 000 $. Je vous rappelle que 60 % des acteurs professionnels, des artistes-

interprètes, ont gagné moins de 10 000 $ en 1979. Et c'est toujours Lareau qui le disait.

La formule d'étalement actuel est donc presque totalement inutilisable par les artistes dans sa forme actuelle. Nous proposons le retour à la rente à versements invariables qui existait avant le 12 novembre 1981. Cette mesure avait fait ses preuves pendant près de dix ans, de 1972 à 1981, et permettait à l'artiste de se créer un minimum de sécurité.

Enfin, dans le but de favoriser une meilleure compréhension entre les artistes et les représentants du ministère du Revenu, nous recommandons que soit mis sur pied un comité consultatif qui regrouperait des représentants de différentes associations d'artistes, ainsi que des hauts fonctionnaires du ministère du Revenu, y compris, évidemment, le sous-ministre.

Le comité se réunirait une journée par année - ce n'est pas beaucoup, mais c'est suffisant - pour discuter des problèmes courants qui sont rencontrés par les artistes dans leurs relations avec le ministère, pour discuter de problèmes reliés aux bulletins d'interprétation, pour discuter de problèmes reliés à leur application concrète, et le reste.

Voilà donc, résumées, M. le Président, en moins d'une heure, des années, devrais-je plutôt dire des vies, d'angoisse, d'incertitude, d'insécurité, hélas, bien inutiles et qui ne sont guère créatrices. Ras le bol de tout celai Nous aussi, nous avons le droit de vivre dignement de ce que nous sommes et de ce que nous produisons et qui nous survivra.

Quelle société pour qui la culture et ceux et celles qui la nourrissent représentent une réalité économique avec laquelle il faut de plus en plus compter, quelle société, dites-moi, peut laisser en marge et dans l'inconfort le plus total ceux et celles qui mettent leur coeur et leur âme à refléter cette même société, c'est-à-dire tout ce que collectivement nous sommes et tout ce que collectivement nous voulons être?

Enfin - et je terminerai là-dessus -nous voici face à nous-mêmes, artistes et créateurs du Québec, à nouveau aujourd'hui soulevés d'espoir. Cela aussi, c'est historique. Si nous avons reconnu chez certains d'entre vous une volonté politique de bien faire, nous espérons vivement pouvoir parler bientôt de votre courage politique, convaincus plus que jamais - et je le dis bien humblement - que, sans nous, aujourd'hui, demain ne sera pas, convaincus qu'une société sans artistes, c'est un monde sans âme. Et je ne peux le dire qu'avec toute la fierté de ce que nous sommes.

Des voix: Bravo! Bravo! Bravo!

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le président. Vous m'aviez dit une heure et je dois admirer votre exactitude. Évidemment, avec votre expérience, l'art de voir un "eue", vous avez fini en très exactement 63 minutes et je vous en félicite.

Tel que convenu, nous allons maintenant ajourner les travaux sine die. Ils reprendront après la période des affaires courantes cet après-midi, qui devrait se terminer autour de 15 h 15.

(Suspension de la séance à 12 h 28)

(Reprise à 15 h 21)

Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Saint-Jacques, s'il vous plaît!

Tel que convenu à l'ajournement des débats ce midi, la commission de la culture reprend ses travaux. Il s'agit d'une consultation générale sur le statut de l'artiste et du créateur. Au moment où on s'est quitté ce midi, aux applaudissements de l'assistance, la parole était à l'Union des artistes. Je vais maintenant la céder pour une période de questions d'environ une heure. Je vais céder la parole à Mme la ministre, tout en m'excusant immédiatement de devoir vous quitter temporairement tantôt. Je dois participer dans une salle à côté à un débat sur une question également délicate qui s'appelle Radio-Québec. Je demanderai à Mme la députée de Maisonneuve et également vice-présidente de La commission de me remplacer pour une vingtaine de minutes tantôt.

Mme la ministre des Affaires culturelles, s'il vous plaît.

Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais d'abord féliciter et remercier l'Union des artistes qui, depuis sa création, effectue un travail sérieux et au fil de son histoire a eu à rencontrer des problèmes sérieux. Elle a tenté de faire le nécessaire pour le maintien d'une qualité de vie de ses membres et des stagiaires qu'elle compte dans ses rangs. Nous voyons que c'est une longue démarche des représentants des artistes pigistes qui aura permis à l'Union des artistes d'exister sur le plan juridique. Comme syndicat professionnel et en défendant les droits et les intérêts de ses membres, j'estime que l'UDA contribue à une meilleure qualité de vie culturelle pour l'ensemble des Québécois. Quant au sérieux et à l'acharnement même de votre travail, il suffit de prendre connaissance des annexes à votre dossier pour saisir toute la portée du mandat que l'UDA s'était engagée à remplir jusqu'au texte du projet de loi lui-même. Si j'ai bien compris l'essence des propos, des affirmations ou même des recommandations que l'on retrouve dans votre mémoire, il est clair que le statut de l'artiste-interprète

pigiste ne saurait être mieux défini que si l'on tient compte d'une double dimension du problème: d'une part, on se confronte au problème de reconnaissance de l'UDA et, par extension, les artistes-interprètes en subissent les conséquences.

Dans votre mémoire, les limites de votre action dans différents secteurs d'activités culturelles à incidence économique et juridique sont clairement illustrées. En fait, vous ne dites pas de façon claire et précise qu'exception faite de vos propres statuts rien ne garantit à l'artiste-interprète le droit à la juste part du créateur.

La démarche en vue de la rédaction du projet de loi a été ponctuée par plusieurs réunions de travail ou de consultations, mais j'ai quand même quelques interrogations. Vous me permettrez d'en avoir cet après-midi et d'avoir un échange avec vous. En regard de l'objet de votre projet de loi, lequel a pour but de clarifier le statut de l'artiste, est-ce que vous estimez que l'application d'une telle loi éventuelle entraînera une lourde bureaucratie? Est-ce que vous vous êtes penchés sur le genre de bureaucratie dont on aurait besoin pour appliquer le projet de loi que vous nous soumettez?

M. Turgeon: Si vous permettez, Mme Bacon, je me suis fait accompagner de personnes-ressources ici, notre conseiller juridique, notre conseiller fiscal et notre directeur général, et, à l'une ou l'autre de vos questions, on va essayer de diviser et vous allez avoir là un nouvel éclairage, si vous voulez, de l'interprétation. Je pense qu'à cette question M. Demers, directeur général, a la réponse.

M. Demers (Serge): Nous ne croyons pas que le projet qui est soumis engendre ou nécessite une administration très lourde et d'ailleurs, dans la réflexion qui nous a animés pendant ces longs mois, c'est une des préoccupations que nous avions constamment à l'esprit. En fait, à l'exception d'une espèce de tribunal administratif qui aurait éventuellement à reconnaître l'UDA comme représentante des artistes-interprètes et des groupes de producteurs dans des secteurs d'activité et, éventuellement, à décréter une première entente collective si la négociation n'aboutissait pas dans un premier temps, à part ces trois éléments qui ressortent de notre projet, je ne crois pas qu'il soit nécessaire, et nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'avoir un appareil administratif lourd. Nous assumons la gestion des avantages sociaux de nos membres, nous assumons l'application des ententes collectives et les groupes de producteurs avec lesquels nous négocions actuellement s'occupent aussi de leur partie. Alors, je ne crois pas que cela nécessite un appareil très lourd.

Mme Bacon: C'était surtout en regard du tribunal administratif que je posais ma question aussi.

M. Turgeon: Me Trahan a peut-être un élément de...

M. Trahan (Marc): Peut-être pour compléter: Au niveau du tribunal administratif, on s'est rendu compte la semaine dernière que, par exemple, les juges de la Cour provinciale siégeaient en moyenne sept heures par semaine. Donc, je pense bien que déjà le gouvernement dispose d'une main-d'oeuvre sous-utilisée et, lorsque nous parlions d'un tribunal administratif, il nous apparaîtrait très possible, comme il y a eu des amendements à la loi de la Cour provinciale, par exemple, dans le domaine des contestations électorales, dans le domaine de l'expropriation, de donner une juridiction complémentaire à un tribunal déjà existant.

Mme Bacon: J'aurais une double question. D'abord, avez-vous été capable de trouver le nombre et combien d'artistes, selon vous, semblent privés du statut de travailleurs indépendants en ce moment? Et ajouté à cette question: L'Union des artistes a-t-elle aussi consulté toutes les catégories de personnes ou organismes qui sont susceptibles d'être sous le parapluie syndical de l'Union des artistes? Quel serait, d'après vous, l'impact d'un tel encadrement de l'UDA sur la notion de liberté d'association des individus à un groupe plutôt qu'à un autre? Autrement dit, à partir des principes de ce projet de loi que vous nous soumettez, voyez-vous quelque restriction au droit de liberté de la personne?

M. Demers (Serge): Si vous permettez, je prendrai le dernier volet de votre question pour débuter. Nous croyons que la mécanique qui est suggérée dans notre projet respecte les principes fondamentaux du droit d'association et de la liberté d'association-Nous avons prévu un mécanisme à partir duquel, tous les trois ans, la juridiction du syndicat reconnu peut être remise en cause par un autre syndicat, dans la mesure où ce dernier peut démontrer sa majorité pour représenter les artistes-interprètes du milieu. Alors, déjà cette garantie étant formelle, je pense qu'il n'y a aucune difficulté et que cela répond aux normes internationales du droit d'association. Nous avons cependant refusé un peu le modèle de la construction où plusieurs organisations syndicales représentent, en même temps, des groupes de travailleurs d'un même secteur. Nous avons rejeté ce modèle parce que, selon nous, les résultats sont peu probants quant à son

efficacité, alors que le modèle retenu, qui est celui de l'Union des producteurs agricoles, qui lui aussi fonctionne sur cette base, donne d'excellents résultats. Je pense que la capacité et le droit de changer d'allégeance syndicale est un droit fondamental et, dans notre projet, on insiste pour que ce droit soit respecté.

En ce qui a trait au nombre d'artistes-interprètes, si nous incluons no3 confrères et consoeurs de la Guilde des musiciens qui sont à peu près 3000, l'Union des artistes, 3200, chez les interprètes, on peut dire que c'est entre 6000 et 7000, on n'a pas fait de décompte exact; je ne parle que des interprètes. Il est évident que la loi, telle qu'elle a été formulée, pourrait avoir une juridiction plus étendue et englober d'autres groupes. Nous avons eu des consultations avec d'autres groupes et les gens ont des positions qu'ils vont d'ailleurs vous exprimer eux-mêmes, dans la mesure où ils seront entendus, allant d'un accord près total jusqu'à, je ne dirais pas des réticences, mais des points sur lesquels ils voudraient rediscuter pour adapter peut-être certains aspects de la loi à une réalité qui peut être légèrement différente de la nôtre. Mais il est clair que nous avons tenu compte de deux grands secteurs, celui des arts visuels et celui des arts d'interprétation, parce qu'on pense que ce sont au départ deux problématiques différentes. (15 h 30)

Mme Bacon: Vous avez fait mention, ce matin, des expériences qui sont vécues ailleurs. Est-ce que vous avez été en mesure d'en connaître davantage sur ce qui est vécu ailleurs dans le monde depuis la rédaction de votre projet de loi? Ce n'est quand même pas très récent, vous avez passé une certaine période à regarder ce qui se faisait.

Les principes qui sont mis de l'avant dans votre projet de loi peuvent-ils se retrouver ailleurs, par exemple, dans d'autres pays, ou seraient-ils inspirés par d'autres expériences? Est-ce que vous vous êtes inspirés de ce qui se fait ailleurs ou si vous avez voulu innover entièrement un projet de loi qui ne colle qu'à notre réalité à nous ou peut-être avez-vous regardé sur la scène canadienne ce qui se fait dans d'autres provinces? Quand on pense à ailleurs, on pense au Canada et à l'étranger.

M. Demers (Serge): Nous avons observé la réalité étrangère. Malheureusement, pour des raisons habituellement d'ordre législatif, les réalités sont complètement différentes des nôtres. Nous avons, entre autres, observé et discuté avec nos camarades français du modèle qui s'applique à eux. Or, les artistes-interprètes français doivent avoir un statut de salarié pour pouvoir bénéficier de certaines lois sociales qui, chez nous, par exemple, sont accessibles à l'ensemble de la population. Je donne, à titre d'exemple, l'assurance-maladie. Il faut avoir le statut d'employé ou de salarié pour pouvoir bénéficier de ces avantages. Notre problématique à nous, notre Code du travail et l'économie de notre code sont complètement différents.

Après avoir discuté avec les Belges, les Français, les Suisses et avoir regardé ce qui se faisait en Angleterre, on a conclu qu'il fallait créer, inventer un modèle à partir de notre réalité et en fonction de notre réalité. Pour ce qui est du reste du Canada, à notre connaissance, dans les autres provinces, il n'existe pas de loi comparable à celle que nous vous demandons.

Mme Bacon: Combien y aurait-il de personnes en ce moment qui sont considérées comme employées et qui deviendraient des travailleurs autonomes couverts par la juridiction de l'UDA? Est-ce qu'il n'y a pas une situation monopolistique qui ferait que vous pourriez accaparer le monopole comme institution?

M. Demers (Serge): Oui, mais l'argument du monopole, selon nous, ne tient pas pour les raisons suivantes: l'argument du monopole serait valable dans la mesure où il y a impossibilité de changer d'allégeance. À notre connaissance, le Code du travail et les lois du travail, en Amérique du Nord, sont basés, dans les faits, sur l'exercice du monopole syndical. Lorsqu'un syndicat démontre, dans une entreprise, dans un hôpital, dans n'importe quel secteur d'activité chez un employeur, qu'il a une majorité d'adhérents par rapport au nombre d'employés, il devient le seul et unique représentant pendant un laps de temps donné. Or, nous prétendons aujourd'hui représenter la majorité des artistes-interprètes pigistes qui oeuvrent dans nos industries culturelles. A ce titre, nous prétendons pouvoir les représenter et négocier en leur nom. Je ne pense pas qu'il y ait de différences fondamentales entre le régime qui existe pour les salariés et celui que nous demandons présentement.

Mme Bacon: M. Demers, vous avez mentionné le Code du travail à quelques reprises. On sait que votre demande concerne quand même deux Codes du travail. Est-ce que vous avez évalué la part des revenus de vos membres qui provient d'entreprises ou d'organismes qui relèvent du gouvernement fédéral et celle qui relève d'organismes ou de sociétés qui sont assujettis au Code québécois du travail? Est-ce que cette recherche a été faite?

M. Demers (Serge): Oui. Nous avons les chiffres. Les revenus de nos membres provenant de la juridiction fédérale sont

légèrement supérieurs à ceux provenant de la juridiction du Québec. À titre d'exemple, ce sont les radiodiffuseurs, les télédiffuseurs et quelques revenus, mais à peu près pas, de la câblodistribution. Or, il y a une part importante de nos revenus qui proviennent du secteur des annonces publicitaires qui sont de la juridiction du Québec, du théâtre et du doublage, entre autres. C'est sensiblement la même chose, avec peut-être un peu plus de revenus du côté de la juridiction fédérale.

Mme Bacon: D'accord. Aux pages 31 et 32 de votre mémoire, vous mentionnez qu'en dépit des recommandations d'organismes ou d'instances internationaux on se retrouve dans une situation fort délicate lorsqu'on arrive à la conclusion que, nulle part, dans aucun pays capitaliste, les gouvernements n'en sont arrivés à légiférer globalement sur le statut officiel de l'artiste. D'autre part, que ce soit à partir des expériences françaises ou anglaises - on vient d'en parler - l'artiste ne bénéficie pas véritablement d'une loi qui lui soit propre. En glanant des morceaux de juridictions dites-vous en page 32, la protection de ces gens est quand même meilleure que la nôtre. Est-ce que vous estimez que l'adoption de votre projet de loi constituerait une protection globale de l'artiste-interprète ou s'il constitue une sorte de parapluie juridique plutôt, qui aurait pour but d'améliorer quelque peu la situation actuelle de l'artiste?

M. Demers (Serge): En fait, je pense que c'est un projet de loi qui ne règle pas tous les aspects de la problématique globale que nous voulons développer. Je pense qu'il y a des aménagements à certaines lois: loi sur la fiscalité, possiblement la loi qui crée la CSST par exemple, qui sont nécessaires pour concrétiser et parachever cette approche globale. Mais nous pensons et nous croyons fermement que la pierre angulaire de cette approche globale consiste à permettre, à favoriser et à donner le droit aux artistes-interprètes pigistes de se regrouper collectivement pour s'assurer des conditions minimales de travail négociées dans tous les secteurs d'activité. Le reste s'ajoute, complète, mais ne peut remplacer cet aspect fondamental de la question.

Mme Bacon: Toujours en page 35 de votre mémoire, vous dites que le projet de loi favoriserait la paix industrielle en précisant la nature des relations entre les syndicats professionnels regroupant les artistes pigistes et les producteurs. Sans essayer de se lancer dans la prospective, quel type de problèmes croyez-vous rencontrer dans l'application d'une telle loi? Parce qu'il peut y en avoir quand même et je pense que cela ne réglera pas tous les problèmes. Quel type de relations naîtrait entre l'État par le biais des ministères intéressés - il y en a plusieurs - l'UDA et les membres qui sont représentés? Si on veut faire un peu de prospective.

M. Demers (Serge): Nous croyons que le projet de loi qui est devant vous aurait sûrement pour effet d'assurer un dynamisme • aux industries culturelles qui seraient visées par ce projet de loi. Nous croyons qu'assurer aux artistes-interprètes des conditions minimales, décentes, d'exercice de leur métier ne peut que favoriser l'émergence du talent, ne peut que favoriser la création et, par conséquent, ne peut que bénéficier aux industries qui retiennent actuellement les services de nos membres. Si 1500, et je prends l'exemple des comédiens et comédiennes - nous ne représentons pas que les comédiens et comédiennes - mais si 1500 comédiens peuvent aller chercher annuellement un revenu décent de leur travail comme comédiens et comédiennes, il est évident que la possibilité pour de grands talents d'émerger est beaucoup plus grande que s'il y en a seulement 300 qui peuvent vivre de leur métier. Actuellement, la difficulté que nous et nos membres éprouvons, c'est cette incapacité dans plusieurs secteurs d'activité d'aller chercher une protection minimale qui leur assure, non seulement le revenu à la fin de la semaine, mais aussi les protections minimales qui doivent graviter autour des cachets, c'est-à-dire des assurances, un régime de retraite, un congé de maternité et tout ce qui est nécessaire à l'exercice du métier pour n'importe quel citoyen, ce qui est vrai aussi pour nos membres.

Dans ce sens-là, nous ne croyons pas que l'adoption de cette loi va nécessairement régler tous les problèmes. Il y aurait sûrement dans l'application des mésententes et des litiges qui pourraient survenir, comme dans l'application de n'importe quelle loi. Il n'y a pas une loi qui est exempte de ces contestations ou de ces difficultés d'interprétation en cours de route, mais, ceci dit, le principe fondamental doit être reconnu. Dans notre recherche nous avons surtout effectué une réflexion visant à trouver les correctifs aux problèmes actuels plutôt que de penser aux problèmes qui pourraient survenir dans le cadre de l'application future.

Mme Bacon: Quel est le rôle du ministère de"s Affaires culturelles quand on pense à l'ensemble des ministères qui sont touchés par votre loi? Est-ce un rôle de coordination ou plus que cela?

M. Demers (Serge): C'est un rôle fondamental. Nous croyons que c'est du ministère des Affaires culturelles que doit émerger la volonté politique de donner cette protection aux artistes-interprètes de la

même façon que c'est du ministre de l'Agriculture qu'est sortie cette volonté politique de donner une loi à l'Union des producteurs agricoles. Nous croyons que nous sommes d'une certaine façon sous le chapeau du ministère des Affaires culturelles et c'est pourquoi dans toutes nos démarches nous avons toujours essayé de nous coordonner au maximum avec votre ministère, y inclus lorsqu'il s'agissait d'aller discuter avec vos confrères du Revenu ou d'autres ministères.

Mme Bacon: C'est un peu un rôle de locomotive.

M. Demers (Serge): Oui. Si vous me le permettez, j'ajouterai un détail. Après avoir discuté avec votre ex-collègue, Normand Toupin, lors d'une conversation récente pour essayer de connaître un peu l'histoire de sa loi à lui pour voir les embûches que nous pourrions rencontrer, il nous disait que la question du monopole a été soulevée à peu près de la même façon et on peut retourner dans les journaux de l'époque pour voir que c'était un débat très intéressant. La question de l'intervention gouvernementale et de la bureaucratie a aussi été soulevée. Une des questions fondamentales qui ont été soulevées - même à l'intérieur de son parti à l'époque - était le fait de créer un précédent. On lui disait: "Normand, il n'existe rien comme cela nulle part dans le monde." Sa réponse était de dire: "Cela va exister au Québec." Finalement, le parti a décidé de faire adopter cette loi et les résultats sont là pour démontrer le bien-fondé de la démarche de l'époque.

M. Turgeor: Mme la ministre, on est convaincus que cela prend effectivement une certaine volonté politique pour procéder. Nous sommes d'ailleurs convaincus que la reconnaissance d'un statut de l'artiste s'inscrit dans une véritable politique culturelle. À ce moment-là, cela dépend vraiment de vous.

Mme Bacon: Je voulais vous l'entendre dire, cela m'aide un peu, merci.

Le Président (M. Trudel): Est-ce que c'est...

Mme Bacon: Cela va.

Le Président (M. Trudel): J'ai oublié de rappeler l'entente intervenue entre les deux côtés de la Chambre à l'occasion d'une réunion de travail de la commission. Mme la ministre commence la période de questions, M. le député de Saint-Jacques poursuit, j'interviens ensuite puis ce sont les autres membres de la commission. Messieurs de l'Union des artistes, je n'aurai malheureusement pas le temps de vous poser les quelques questions que j'avais, mais je pense que le terrain a déjà été pas mal couvert par Mme la ministre et je suis absolument sûr que mon collègue de Saint-Jacques va couvrir le reste. M. le député de Saint-Jacques, je vous cède la parole.

M. Boulerice: M. le Président, merci. J'aimerais vous remercier et vous féliciter, vous et vos collègues, pour l'extraordinaire qualité du mémoire que vous nous avez présenté, autant dans son contenu que dans sa présentation. Quand on connaît la composition de l'UDA on sait que vous n'aviez pas le choix vous étiez tenus à l'excellence. Ceci dit, j'aimerais aller dans des questions très spécifiques parce qu'il faut régler un problème que vous avez soulevé. Je pense qu'il faut aller, comme on dit en langage courant, s'attaquer à l'os immédiatement. Vous avez fait des remarques extrêmement pertinentes face à votre profession et à la CSST, c'est-à-dire la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec. J'aurai trois questions à vous poser à ce sujet. La première est: Quelles sont les normes qui régissent vos membres en matière de santé et de sécurité au travail? La deuxième est: Quels sont les principaux problèmes et risques rencontrés par vos membres en matière de santé et de sécurité au travail? Forcément la troisième par déduction est: Pourriez-vous me dire quelles sont les mesures que vous souhaiteriez voir dans un régime de santé et de sécurité qui serait adapté aux besoins de vos membres?

M. Demers (Serge): Pour commencer, je répondrai aux points deux et trois de votre question. En ce qui a trait au problème vécu par nos membres en matière de santé et de sécurité au travail, je dois vous dire bien honnêtement que nous n'avons pas eu l'occasion d'effectuer beaucoup de recherches et de nous pencher en profondeur sur ces questions. Nous connaissons quelque-uns des problèmes, mais il n'y a pas eu de travail -c'est malheureux, nous n'avons pas les moyens, nous espérons nous les donner -effectué par secteur pour déterminer en profondeur l'ensemble des problèmes vécus par nos membres en cette matière. J'arrive au troisième point de votre question. C'est pourquoi nous souhaitons développer avec la CSST une approche adaptée à notre milieu. Nous souhaitons que la CSST ait du personnel spécialisé dans les problèmes vécus au niveau des arts d'interprétation et que nous puissions élaborer avec ces personnes des cahiers de recherches, former un comité de travail, faire un inventaire des problèmes vécus par le milieu et être capable par la suite de trouver et d'élaborer des solutions avec la commission. Mais, actuellement, je vous dirais que presque tout est à faire dans

ce dossier. (15 h 45)

M. Trahan: En ce qui a trait...

Le Président (M. Trudel): Oui, Me Trahan.

M. Trahan: ...à la première partie de votre question, lorsqu'on se penche sur la Loi sur les accidents du travail, à l'article 2 nous avons une définition de travailleur autonome qui se lit de la façon suivante: "Une personne physique qui fait affaires pour son propre compte, seule ou en société, et qui n'a pas de travailleur à son emploi". Un peu plus loin, à l'article 9, on donne une autre définition du travailleur autonome qui est un peu plus complète. Cependant, nous avons eu l'occasion de communiquer avec les personnes responsables à la CSST et à notre grand étonnement elles n'étaient pas conscientes du problème que les pigistes pouvaient rencontrer puisqu'il y avait un problème administratif et un problème juridique d'application de la loi de la CSST. Tenant compte de ces circonstances, la solution est une solution strictement pratique. Il y a déjà à l'intérieur de la loi une approche légaliste et administrative qui ouvre des portes. Il s'agit de s'asseoir avec le personnel de la CSST pour que cette loi couvre l'artiste-interprète, entrepreneur indépendant. Lesdéfinitions qui y sont contenues renferment tellement d'ambiguïtés qu'elle est difficilement applicable à l'heure actuelle, à cause des faits que je viens d'énumérer.

M. Boulerice: Dans un autre ordre d'idées, est-ce que vous pourriez me donner un résumé des principes de fonctionnement et des résultats qui découleraient de la mise sur pied de la Caisse de sécurité du spectacle dont vous avez parlé?

M. Demers (Serge): La Caisse de sécurité du spectacle existe depuis l'été dernier avec un statut juridique qui est lié à la Loi sur les syndicats professionnels, aux articles 9 et 13 de la loi des syndicats professionnels. Les membres de l'Union des artistes, en référendum, ont adopté les statuts qui régissent la Caisse de sécurité du spectacle. Celle-ci a un conseil d'administration qui est différent de celui de l'Union des artistes. Ce conseil est désigné par l'Union des artistes avec un mandat de deux ans. Les administrateurs de la caisse voient avec les différents intervenants, selon les fonds... Si, par exemple, nous prenons les régimes enregistrés d'épargne-retraite, ces régimes sont gérés par la Fiducie du Québec qui a un contrat de service avec l'Union des artistes et la caisse de sécurité et il y a, à l'intérieur de cette entente avec la fiducie, plusieurs possibilités ou véhicules pour nos membres pour placer leur caisse de retraite.

Ils peuvent investir dans des fonds d'épargne-logement, dans des fonds d'hypothèque, dans des fonds autogérés. Il y a une série de fonds et chacun de nos membres effectue un choix pour placer sa caisse de retraite. Les membres du conseil d'administration vérifient les opérations effectuées par la Fiducie du Québec, rencontrent des représentants de la Fiducie du Québec à périodes et intervalles réguliers, de façon à s'assurer que la gestion et le contrat de service soient respectés.

Nous avons aussi une négociation qui se fait avec une compagnie d'assurances pour établir une police collective pour couvrir l'ensemble de nos membres. Ces assurances s'appliquent par tranches de revenus. Selon la moyenne des revenus de nos membres pour les cinq dernières années, ils peuvent avoir accès à l'une ou l'autre des formules du plan d'assurance qui est offert.

En plus de cela, nous avons ce que nous appelons un fonds de congés payés pour l'artiste, À partir de contributions de producteurs, nous inscrivons au compte individuel de chacun de nos membres les montants versés pour chaque engagement et à la fin de l'année, à la période du mois de juin, nous redistribuons sous forme de chèques à nos membres ces montants qui doivent servir à leur assurer la possibilité de prendre des vacances décentes.

La Caisse de sécurité du spectacle, par son conseil d'administration, fonctionne avec des ressources qui sont celles du personnel de l'Union des artistes, c'est-à-dire la structure administrative de l'union. La structure administrative s'assure de ta perception des montants versés et qui sont dus par les producteurs à partir des contrats individuels négociés par nos membres. Alors, la première démarche, c'est de s'assurer que les producteurs versent bien les pourcentages prévus et négociés pour la caisse de sécurité.

La deuxième étape, c'est de s'assurer d'effectuer les réclamations lorsqu'il y a défaut de paiement et de s'assurer que les montants sont acheminés directement aux différents fonds dans lesquels ils doivent être comptabilisés. Les rapports sont faits de façon périodique au conseil d'administration de la caisse qui, lui, voit à modifier et à changer les politiques selon, évidemment, l'évolution de la situation. Nous venons de procéder récemment à une réforme, par exemple, de nos assurances. Après 17 ans, il fallait réévaluer les moyennes d'assurances en fonction de changements de la situation-et nous avons effectué aussi certains réaménagements de l'assiette des assurances, de façon à favoriser, notamment, des groupes qui reçoivent de moindres revenus, à l'union.

M. Boulerice: Et quelles seraient les modalités du système de prestations compensatoires dont vous parlez?

M. Demers (Serge): Le modèle de prestations compensatoires, on fait référence à ce que nous proposons en alternative à l'assurance-chômage, c'est cela?

Une voix: Oui.

M. Demers (Serge): Bon. Actuellement -nous l'avons très bien expliqué ce matin -nous n'avons accès à rien. Nous croyons que, pour qu'un régime puisse être applicable à notre réalité, les règlements et les normes doivent être complètement différents de ce qui existe actuellement dans l'assurance-chômage. Parce que établir quand et à quel moment un artiste-interprète est sans travail est beaucoup plus difficile, è cause de la nature du métier et à cause du fait que nous sommes des pigistes, que pour un salarié où la cessation d'emploi fait foi de tout.

Alors, il faut - et nous le croyons -que le système soit basé sur une moyenne de revenus de la même façon que pour nos assurances collectives. Nous croyons que c'est la méthode la plus facile à administrer, la plus facile à contrôler et, comme elle est liée aux revenus des individus, elle assure une certaine forme d'équité pour tout le monde. Nous sommes même disposés - pour éviter de créer de nouveaux appareils d'administration lourds et puisque nous en avons actuellement la capacité - à gérer un tel programme selon des directives et des normes qui seraient et qui pourraient être élaborées par le gouvernement. Je pense que c'est sa responsabilité. Mais nous avons déjà l'appareil administratif qui permettrait d'assurer la gestion de ces fonds. Nous savons, par exemple, que dans certains pays, entre autres la Belgique, les prestations de chômage sont gérées en bonne partie par les organisations syndicales.

M. Boulerice: Je sais que mes collègues veulent intervenir de part et d'autre. Je vais vous poser une dernière question: Quels sont les problèmes que l'on constate actuellement au chapitre des droits voisins et des droits de suite?

M. Demers (Serge): Les problèmes sont multiples. Ce qui nous touche plus directement depuis quelques années, ce sont, évidemment, les changements technologiques, la révolution technologique qui touche le domaine des communications: l'entrée, par exemple, sur le marché - et cela de façon massive, le sondage que nous avons fait effectuer le démontre - de la vidéocassette et l'introduction de satellites pour diffuser des émissions vers l'étranger. Tous ces changements technologiques font en sorte que nous avons de plus en plus de difficultés à contrôler la perception et la vente des droits de suite, à cause de la complexité des marchés. Nous venons, avec une commission de membres de l'union, de préparer et de soumettre à notre assemblée générale un rapport pour établir une nouvelle politique en matière de droits de suite, une politique globale, qui touche l'ensemble des secteurs d'activités de l'Union des artistes et qui est beaucoup plus adaptée à l'évolution des marchés et aux changements technologiques. Et c'est à partir de cette nouvelle politique que nous allons reprendre, dans les prochains mois, les négociations avec les producteurs dans différents secteurs d'activité. Mais c'est vraiement le changement technologique qui, actuellement, est un problème fondamental.

Le deuxième c'est, évidemment, le fait que le droit de suite ou les droits voisins ne soient reconnus de façon légale dans aucune loi existante. Pour nous, la reconnaissance de ce droit par les producteurs est essentiellement et toujours une question de rapport de forces. En d'autres termes, si nous ne réussissons pas de façon coercitive à imposer à un ou des producteurs la négociation de droits de suite avec nous, il n'y a rien sur lequel on peut s'appuyer pour faire reconnaître ce droit.

M. Boulerice: Mme la Présidente, je vais me raviser et poser une dernière question. Dans votre mémoire, vous avez parlé très explicitement de la multiplicité des contrats qui doivent être faits entre les artistes et les différents producteurs, diffuseurs, etc. Ce matin, dans mon énoncé, je vous parlais d'une certaine standardisation. Lorsque je parlais de cela, je songeais à une mesure qui a été prise - mon Dieu, tout le monde la connaît parce qu'on la vit - celle du bail type qui a été présentée aux Québécois, dont on fait maintenant usage et que l'on peut modifier. Il y a une standardisation. Dans quelle mesure accueilleriez-vous un contrat type standardisé qui pourrait permettre les ajustements nécessaires en fonction des différentes catégories d'artistes que vous représentez?

M. Demers (Serge): Actuellement, les contrats, et nous souhaitons conserver cette formule, nous les négocions avec les producteurs individuellement ou avec les groupes de producteurs avec lesquels nous avons des relations. Nous croyons que cette négociation nous amène à établir des formulaires qui répondent beaucoup plus aux besoins des deux parties, finalement. Nous n'avons pas beaucoup de difficulté lorsqu'il y a possibilité de négociation à établir ces contrats types, qui ne sont pas très différents, de toute façon, d'un secteur d'activité à l'autre, mais qui varient en fonction des différences qu'il y a dans les ententes collectives. Le contrat que nous élaborons, en général, répond aux besoins spécifiques du secteur dans lequel nous intervenons. Les besoins peuvent être

radicalement différents selon que l'on a un contrat individuel pour faire du travail de doublage ou que l'on a un contrat individuel, par exemple, pour être à la scène, pour jouer au théâtre. Ce sont deux problématiques très différentes, avec des mécanismes d'application des ententes collectives très différents, donc, qui nécessitent des formulaires très différents. Nous souhaitons et nous préférons que ces contrats soient négociés pour que l'on puisse les faire évoluer de la même façon que nos marchés évoluent actuellement.

La Présidente (Mme Harel): C'est terminé, M. le député de Saint-Jacques? Oui, Me Trahan.

M. Trahan: Comme le soulignait le directeur général de l'union, la formule d'un contrat type est la première étape d'une solution. La seconde étape, et je pense que c'est l'essence même de ce projet de loi, c'est le rapport de forces inexistant. Ce qui se produit, qu'il existe quelque contrat type que ce soit, c'est que, lorsqu'un membre de l'Union des artistes n'ayant pas de reconnaissance juridique s'assoit face à un producteur, il est toujours en position de faiblesse. Il faut tenir compte que le marché est quand même énorme. Lorsque, par exemple, vous avez besoin de dix artistes-interprètes à l'intérieur d'une continuité, vous avez un bassin de 3000 ou de 1500 personnes qui peuvent faire partie de cette continuité. Malheureusement, nous avons vécu des expériences absolument déplorables où certains artistes-interprètes ont eu le courage de se réunir, de vouloir négocier un contrat type, comme vous le suggériez, et où le producteur disait carrément, en pleine face: Écoutez, si vos exigences financières sont trop fortes, il est très facile, au prochain épisode, que, subitement, le personnage meure. Cela s'est produit d'une façon régulière.

Une voix: Oui! (16 heures)

M. Trahan: De plus, je dois vous le dire, je pense que vous touchez au fond du problème et que nous n'avons pas à avoir peur des mots. Si on fait un relevé statistique des cachets payés pour les continuités à la télédiffusion canadienne et québécoise et qu'on remonte à il y a 20 ans, les cachets payés à l'heure actuelle sont inférieurs de 300 % au coût de la vie et à l'indexation, tandis que les revenus publicitaires, pendant la même période, ont augmenté de 3600 %. C'est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire qu'il existe, dans un sens d'harmonie, une relation juridique où les artistes-interprètes ne soient pas à la merci des droits voisins, comme le soulignait M. Demers, où, sur les réseaux de câblodistribution certains comédiens se voient 40, 50 et 60 fois par année et ne reçoivent pas un sou et n'ont aucun pouvoir.

Si cette relation juridique n'existe pas, elle crée un autre problème qui est la loi des coalitions, qui est un droit qui appartient au syndicat. L'artiste-interprète, qui est un citoyen comme un autre, n'est pas à l'abri de cette menace; elle a déjà été mise en place à une époque de l'histoire de l'Union des artistes. Donc, ce que nous demandons, c'est d'être des partenaires et de ne pas être à la merci de gens qui nous considèrent comme des boîtes de conserve.

La Présidente (Mme Harel): C'est terminé, M. le député de 5aint-Jacques? Je vais donc immédiatement intervenir. Cela aurait été le tour de M. le député de Bourget, s'il avait été ici en ce moment, et je l'aurais suivi immédiatement. Après mon intervention, il y aura l'intervention du député d'Arthabaska qui a demandé la parole; par la suite, la députée de Chicoutimi; s'il n'y a pas de député ministériel, je donnerais... Oui, Mme la députée de Matane et, par la suite, M. le député de Mercier.

Comme d'autres l'ont fait avant moi, je veux vous dire avec quel intérêt, presque avec quelle passion nous allons suivre les débats de cette commission. M. le président de l'union et vous qui l'accompagnez, je sais que toute cette question, à savoir salarié ou pigiste, fait l'objet d'une intense, profonde et, je pense, parfois douloureuse réflexion au sein des rangs de l'union, et que vous avez maintenant très largement, me dit-on, convenu entre vous qu'il fallait, le plus rapidement possible, obtenir cette reconnaissance d'un statut de pigiste.

J'ai cru comprendre des travaux de ce matin que présentement la réalité, c'est que vous n'êtes ni l'un, ni l'autre: ni salariés, ni pigistes. C'est ce vide que, au fil des années, vous avez pu, parfois, combler - et je reprends les termes mêmes, je pense, de votre mémoire - par un rapport de forces, donc un rapport de fait. J'en conclus que vos recommandations visent à instaurer un rapport de droit. Essentiellement, c'est un rapport de forces ou un rapport de fait, qui doit certainement exiger énormément d'énergie de la part de vos adhérents. Vous réclamez donc ce rapport de droit pour faire reconnaître vos droits. On en est là, en fait.

Également, toujours au niveau des constats, il y a quelque chose que j'ai trouvé fort intéressant dans votre mémoire. Vous dites: L'insécurité sera toujours inhérente au métier quelles que soient les lois qui seront en vigueur, mais pas la misère. En fait, c'est ce que je retiens. L'insécurité, oui, mais pas la misère. En tout cas, grosso modo, c'est ce qui me semble être la conclusion de votre mémoire. Je crois que vous avez pu voir par

les interventions qui se sont faites de ce côté-ci que, si nous participons, pour la plupart, à l'analyse, le diagnostic, la médecine n'est peut-être pas partagée de la même façon.

J'aimerais savoir si on parle beaucoup des libertés individuelles et donc, peut-être, de cette crainte face à des recommandations comme celles que vous faites, qui pourraient venir, d'une certaine façon, réduire ces libertés. La liberté d'association, le droit d'association, c'est un droit, au même titre que d'autres droits dans notre société. Est-ce que vous êtes en mesure de nous dire si ce droit d'association est une réalité ou s'il est battu en brèche actuellement dans le milieu des artistes?

M. Demers (Serge): Depuis que l'Union des artistes existe, je pense qu'à plusieurs étapes de son histoire il y a eu, au sein de l'union, des débats internes très sérieux. À l'Union des artistes, il y a un exercice de la démocratie qui existe; cette démocratie est très vivante depuis les tout débuts de la création de l'union. Nous avons des structures démocratiques, des statuts qui garantissent à l'ensemble de nos membres le droit de parole, le droit de décider dans des assemblées compétentes de chacun des sujets qui doivent être traités. Par exemple, nous avons des assemblées qui décident des ententes collectives dans chacun des secteurs de travail. Les membres enregistrés dans ce secteur de travail sont les seuls à pouvoir décider des mandats à donner à ceux qui auront à les représenter. Nous avons, à l'interne, une structure démocratique, donc qui permet les débats, l'expression des courants d'opinion les plus divers.

Actuellement, je pense que, si l'Union des artistes pour les artistes-interprètes pigistes dans notre juridiction est le seul syndicat professionnel qui représente les francophones, c'est que nous devons conclure que les artistes sont satisfaits du travail de leur union. Comme nous n'avons aucun statut juridique qui garantit notre monopole, monopole qui existe de fait actuellement dans certains secteurs, n'importe qui aurait pu se former un syndicat à côté et obtenir une reconnaissance ou tenter d'obtenir une reconnaissance par les producteurs. En effet, les cadres de la loi étant inexistants, la présence de syndicats concurrents était très facile et même en très grand "nombre, sauf qu'il y a quand même une conscience d'un besoin de solidarité. Les gens, membres de l'union, les artistes comprennent que, sans cette solidarité, c'est la loi de la jungle qui s'instaure dans le milieu et c'est au détriment de l'exercice de la profession, ainsi que des conditions d'exercice du métier pour tout le monde.

Donc, actuellement, il y a possibilité d'existence d'autres organisations syndicales, mais il n'en existe pas. Nous avons une division linguistique de juridictions avec ACTRA. C'est un héritage historique de l'évolution de l'Union des artistes et d'ACTRA. Nous nous entendons très bien avec nos confrères anglophones. Nous avons des contacts fréquents avec eux. Nous croyons que les mécanismes que nous avons introduits dans le projet qui vous a été soumis garantissent ces droits individuels à l'expression, au choix de l'organisation syndicale, et le droit d'association.

La Présidente (Mme Harel): Vous allez peut-être me permettre de vous dire ceci. En vous écoutant, j'ai eu la nette impression que, d'une certaine façon, vous nous appeliez à refuser une sorte de résignation qui laisserait entendre qu'il en va ainsi et qu'il ne peut pas en être autrement, que les lois du marché ne jouent pas en faveur du meilleur, mais du plus fort et que, dans la situation où nous sommes, nous pourrions être les meilleurs, mais nous ne serions vraisemblablement pas les plus forts.

On a parlé de protectionnisme. Mme la ministre a fait référence à cette crainte d'un protectionnisme qui viendrait comme alourdir ou imposer une chape sur les activités culturelles. Il me semble, évidemment, avec la proposition que vous faites, que vous avez une tout autre interprétation. Vous semble-t-il que cette reconnaissance du statut aurait un effet quelconque sur le volume ou la nature des activités culturelles?

M. Demers (Serge): Sur le volume et la nature, je ne crois pas. Mais nous sommes toujours surpris d'entendre cette crainte du monopole syndical, alors qu'il est la base, dans les entreprises, de toute accréditation syndicale de salariés. Je ne vois pas en quoi ce serait plus dangereux pour les industries de la culture d'avoir à reconnaître un syndicat majoritaire que cela l'est dans n'importe quel autre secteur de l'industrie.

Actuellement, dans notre société, il existe des régimes de négociations particuliers pour tenir compte aussi de certaines réalités. Je pense, par exemple, à certains régimes qui existent pour les policiers, je pense à certains régimes qui existent pour les médecins, je pense à différents régimes où on se trouve, effectivement, à avoir des interlocuteurs en situation de monopole temporaire et relatif. Le monopole dont il est question dans notre loi est un monopole temporaire et relatif pour une période donnée. Mais il est important de comprendre que nos membres ne peuvent pas se scinder en dix ou quinze entités différentes. Ce sont les mêmes personnes qui vont jouer au théâtre le soir, vont aller répéter pour une série télévisée le lendemain après-midi, vont aller enregistrer un

commercial entre 9 heures et 10 heures le matin et, possiblement, vont aller faire un peu de doublage. Là, je vous parle d'un chanceux ou d'une chanceuse qui travaille beaucoup. Mais ce sont les mêmes personnes; alors, leurs droits voisins, leurs droits de suite, c'est dans tous les secteurs qu'ils s'exercent.

La profession est unique, mais elle a des facettes d'expression différentes selon les secteurs. C'est pourquoi on ne peut pas envisager un morcellement de l'Union des artistes en fonction des types d'industries. Il y a un morcellement de prise de décisions et c'est pour cela que nos structures permettent qu'on puisse décider une chose au théâtre avec des membres qui sont touchés et qui exercent leur métier au théâtre et qu'on puisse prendre des décisions pour l'industrie du doublage avec des membres qui peuvent être les mêmes, mais qui ne sont pas nécessairement les mêmes pour pouvoir décider de ce qu'on va discuter avec l'industrie du doublage. Mais le risque n'est pas plus grand - je le répète, je pense que c'est fondamental - que ce qu'on retrouve dans une entreprise ou dans un hôpital de 3000 salariés où on va négocier pour des infirmières auxiliaires, des électriciens, des gens qui s'occupent du nettoyage, des cuisiniers, l'ensemble des corps de métiers qui exercent leur profession dans un hôpital. Il y a un monopole syndical.

La Présidente (Mme Harel): Alors, je vais inviter... Oui.

M. Trahan: Quand on parle de ce risque, la réalité ne correspond pas à la théorie. On se rend compte, par exemple, pour ce qui est des chanteurs et des auteurs-compositeurs, que plusieurs d'entre eux ont négocié leur talent en échange de pochettes en couleur et de 0,03 $ ou 0,04 $ le 45 tours au de 0,20 $ le 33 tours parce qu'il n'existait pas de rapport de forces. Je fais le parallèle avec ce que M. Demers disait: Dans le domaine de la santé, dans le domaine de l'éducation, il y a eu un énorme rattrapage et personne n'a crié, haro. Dans le domaine des activités artistiques, il n'y a pas eu ce rattrapage parce qu'il n'y avait pas de rapport de forces. Cette situation est démontrée statistiquement par le discours de notre président, ce matin. Il est incroyable de se rendre compte des revenus. Lorsqu'on se promème dans la rue, les gens ont l'impression que les artistes sont millionnaires. Mais, dans les faits, quand on regarde la proportion du revenu, par exemple, sur un produit, elle est tellement basse qu'il est absolument nécessaire d'établir ce rapport de forces, sinon la situation ne fera que perdurer.

Je termine sur un point qui m'apparaît extrêmement important et qui est une réalité. Nous comptons, à l'Union des artistes, des artistes de tout âge et, du fait qu'il n'existait pas de reconnaissance juridique, plusieurs d'entre eux se retrouvent, soit bénéficiaires de l'aide sociale ou reçoivent l'aide d'organismes charitables parce que leur interlocuteur ne leur a pas donné ce qui est essentiel, des caisses de retraite pour pouvoir vivre. J'ai à l'esprit des noms extrêmement connus qui, dans la tête du public, vivent des retraites dorées et qui, au contraire, attendent leur chèque d'aide sociale pour aller faire leur épicerie le vendredi.

La Présidente (Mme Harel): Écoutez, je pense que nous allons avoir dans les jours qui viennent l'occasion de poursuivre. C'est extrêmement intéressant. Je vais inviter le député d'Arthabaska. Nous avons encore, je pense, une quinzaine de minutes pour compléter nos travaux. (16 h 15)

M. Gardner: Merci, Mme la Présidente. Je pense que l'intervenant a bien préparé mes questions. J'ai mentionné, ce matin, que j'ai été très surpris de voir le tableau de la page 11 de votre mémoire où il est mentionné que 61 % des membres de l'UDA ne gagnent même pas 5000 $. Je sais que, quand on fait venir un artiste hors de Montréal, on paie cher. J'ai quelques questions sur le financement. Est-ce que je dois les poser toutes et on y répondra ensuite?

La Présidente (Mme Harel): Pourquoi pas, M. le député d'Arthabaska. Je suis certaine que les membres de l'UDA peuvent les prendre en note et y répondre globalement.

M. Gardner: Quand on fait venir de Montréal, chez nous, une artiste comme Nicole Martin, cela nous coûte cher. Quelle serait la part qui va à l'artiste et où va l'autre part? C'est ma première question. Ma deuxième questions Quand on dit que 10 % gagnent plus de 20 000 $, se peut-il que l'on soit fortement enclin à ne pas déclarer des revenus?

Des voix: Ah! Ah!

M. Gardner: Non? Je pose la question. J'aimerais bien avoir une réponse. On a parlé tout à l'heure de travail au noir. Je pose la question, j'espère avoir une bonne réponse. Une autre question toujours sur les salaires. Comment pouvez-vous vivre avec si peu? Une dernière question: Quel serait le revenu raisonnable d'un artiste très bien ou bien coté? N'ayez aucune crainte, je ne suis pas contre vous!

M. Trahan: Si vous me le permettez,

Mme la Présidente. Pour répondre à votre troisième question, M. le député d'Arthabaska, a savoir comment les artistes font pour joindre les deux bouts, je dois vous dire qu'hier soir, accompagné du président et du directeur général de l'union, nous étions dans un restaurant de Québec et le chauffeur de taxi que nous avons pris était membre de l'Union des artistes.

En ce qui a trait à votre première question, il est évident que, lorsque dans une tournée un artiste extrêmement connu se rend dans votre comté ou dans le comté d'un de vos collègues, il agit la plupart du temps à titre d'artiste-interprète, mais il y a un producteur. Dans les coûts de production il y a des dépenses inhérentes qui sont extrêmement coûteuses, telles que les dépenses d'éclairage, de scène, de location de salle, etc. Tout réside dans le pouvoir de négociation. Ce que je peux vous dire d'une façon générale, parce qu'il est difficile de particulariser, c'est qu'il existe à peine de 15 à 20 artistes ou comédiens qui ont ce pouvoir de négociation pour s'assurer des revenus décents et valables. En ce qui a trait à votre crainte que les artistes travaillent au noir, bien au contraire, ceux qui ont des revenus suffisants ont subi des enquêtes de l'impôt et 197 d'entre eux ont été cotisés au cours des trois dernières années. Grâce à nos interventions au comité parlementaire fédéral, ces cotisations ont été révisées et dans 90 % des cas ont été redressées en faveur de l'artiste.

Donc, généralement, pour répondre à vo3 quatre questions d'une façon globale, il est évident que les artistes qui coûtent cher ne sont pas les bénéficiaires des revenus qui sont générés par leurs spectacles. Il existe, par exemple, une compagnie théâtrale qui avait trois théâtres l'année dernière - un dans la région de Québec, un dans la région de Sainte-Adèle et un sur la rive sud de Montréal - qui sont en faillite aujourd'hui. Il est évident qu'il n'y a pas de travail au noir. Il est évident que le salaire à viser est extrêmement difficile à établir. Je pense qu'à ce niveau cela devient une question théorique. C'est une question pratique que vivent les artistes tous les jours et que le président de l'union a vécue. Je vais lui laisser la parole sur ce qui serait un revenu décent pour un artiste-interprète.

M. Turgeon: Tout cela est, évidemment, très relatif. Voulez-vous me dire quel est le revenu décent pour un médecin? Quel serait le revenu décent pour un avocat, pour un député ou un ministre? Vous avez parlé de Mme Nicole Martin. Tout à fait par hasard, il se trouve que Mme Martin est avec nous. À votre question, vous allez avoir une réponse. Mais je vous souligne, M. le député d'Arthabaska - et cela va peut-être vous faire tomber en bas de votre siège - que Mme Martin est une grande artiste du Québec. En presque 20 ans de métier - je ne veux pas la vieillir, elle a l'air jeune -Mme Martin a endisqué 6 000 000 de disques, cela fait beaucoup de zéros. Là, il n'y a pas de quoi tomber en bas de votre siège. Pour 6 000 000 de disques, elle a touché, en 20 ans, 16 000 $. Et cela lui a coûté 6000 $ de sa poche en plus. Alors, à votre question, à savoir pourquoi cela coûte si cher d'avoir Nicole Martin dans votre région, je pense que, Nicole, tu peux répondre.

Mme Martin (Nicole): Je vais vous répondre, mais je dois vous dire que j'ai une extinction de voix terrible.

La Présidente (Mme Harel): Ce n'est pas grave, on vous entend bien.

Mme Martin: Oui, d'accord. Je travaille beaucoup. Je suis dans le métier depuis 24 ans. Je suis obligée d'investir moi-même dans mes disques parce qu'il n'y a pas vraiment de producteurs, et je suis tellement tannée de me faire voler que j'investis moi-même. On vérifie mes impôts, car on pense que je suis millionnaire; je paie beaucoup d'impôts aussi. Il me faut de beaux costumes, car j'ai la réputation d'être une fille charmante, distinguée, possédant de belles robes de qualité et tout cela.

Quand je fais un spectacle, je demande un prix. Je ne vous dirai pas combien parce qu'il y a tellement de gens ici et je ne voudrais pas qu'on sache mes cachets, mais si je travaille avec quatre musiciens - je parle d'un spectacle ordinaire - supposons au festival du moustique, je ne sais trop où, car il y a beaucoup de festivals...

Une voix: À Arthabaska.

Mme Martin: À Arthabaska. J'ai quatre musiciens et il faut quand même que je les paie le prix de l'union, le prix que les musiciens demandent et cela coûte très cher. Il y a les répétitions pour les musiciens. Cela prend aussi un éclairagiste pour le système d'éclairage et un gars pour faire fonctionner le son.

Si je travaille beaucoup, je dois vous dire qu'après 23 ans de carrière - et je signe des autographes partout - je ne suis pas tellement riche et je suis obligée d'être mon propre régisseur, mon propre "gars de son" et mon propre éclairagiste. Et je chante après tout cela et c'est pour cela que je n'ai plus de voix aujourd'hui.

La Présidente (Mme Harel): Merci, Mme Martin. M. Turgeon.

M. Turgeon: Oui.

La Présidente (Mme Harel): Je vous demanderai d'être bref, parce qu'il ne nous reste à peine...

M. Turgeon: Très bref, si vous me le permettez.

La Présidente (Mme Harel): Très bien.

M. Turgeon: Je vais citer notre ami, Jacques Godbout, auteur, cinéaste, réalisateur, etc. Ce qu'il disait se rapporte au monde du livre, mais je pense qu'on peut le rapporter aussi au monde du spectacle: "C'est drôle comment l'industrie du livre réussit à faire vivre des typographes, des graphistes, des imprimeurs, des fabricants de papier, des libraires, mais rarement son auteur."

La Présidente (Mme Harel): Mme la députée de Chicoutimi. Suivront, Mme la députée de Matane, M. le député de Mercier et M. le député de Beauce-Nord, puis nous allons clore nos travaux. Nous devrions terminer à ce moment-ci, mais je crois bien que tout le monde conviendra de permettre à chacun et chacune de ceux et celles qui ont demandé la parole de la prendre brièvement.

Mme Blackburn: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais me joindre à mes collègues pour souligner la qualité du mémoire, mais également de la prestation de M. le président. Avec une voix comme celle-là, vous feriez probablement fureur en Chambre.

M. Turgeon: Je serais probablement ministre.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Mme Blackburn: Cela n'étonnera pas mes collègues, peut-être vous un peu davantage, mes questions tournent plutôt autour de la relève de l'Union des artistes et de ce que vous êtes en mesure de faire ou de ne pas faire pour la relève.

J'ai trouvé dans votre mémoire deux définitions de l'artiste - interprète pigiste. Je dois dire que je pense avoir compris que cela excluait les députés, même s'ils font une heure par jour de télévision.

Une voix: Pas tous.

Mme Blackburn: Pas tous? Non. À la page 9, je retrouve: "L'Union des artistes ne représente que des professionnels, c'est-à-dire des pigistes qui peuvent justifier de plusieurs prestations artistiques. Ces conditions d'admissibilité sont clairement établies dans ses statuts. Elles sont objectives, stables et vérifiables".

Ensuite, à la page 17, deuxième paragraphe, je retrouve - car je voulais savoir à quel moment l'on reconnaît que quelqu'un est professionnel - ceci: "toute personne s'exécutant, ou appelée à être vue ou entendue, sur scène, au cinéma, à la radio, à la télévision, sur disque, en personne ou par le biais de tout procédé de transmission et/ou de communication". Je me demandais à quel moment vous leur reconnaissez un statut de professionnels; au premier contrat, au deuxième contrat ou après plusieurs prestations?

Ensuite, je pensais, par rapport à votre projet de loi, au moment où vous auriez à négocier pour des jeunes artistes qui sont en train de faire leurs débuts. Vous le savez sûrement, il y a actuellement des jeunes metteurs en scène ou des jeunes chorégraphes qui produisent à perte. J'entendais justement, en fin de semaine, un groupe qui me disait qu'il travaillait à peu près à 0,25 $ l'heure. Alors, négocier dans ces conditions-là avec l'UDA, c'est à toutes fins utiles fermer la porte à ce genre d'expérience qui permettra tantôt à ces artistes d'être reconnus alors qu'ils sont en train de se former. À quel signe reconnaissez-vous qu'un artiste est professionnel? J'imagine que votre projet ne vise pas à contingenter l'entrée dans les métiers même si, tantôt, on a parlé de monopole.

C'était beaucoup autour de ce que vous pouvez faire pour les jeunes, pour la relève. Je relie à cela un paragraphe qui porte sur le perfectionnement, à la page 24. Vous dites que vous devriez être des interlocuteurs au moment où on établit les critères d'attribution des bourses et des subventions. On sait que la relève - on le souhaite aussi - est admissible à certaines. bourses en particulier et à quelques petites subventions. Ma question tourne autour de tous ces détails.

M. Demers (Serge): En ce qui concerne l'admissibilité, les membres de l'Union des artistes, les membres actifs, le sont parce qu'ils ont- réussi à accumuler, par des contrats d'exercice de leur métier, ce qu'on appelle trente permis. Pour devenir membre actif de l'Union des artistes, il faut donc accumuler trente permis. Ces permis s'accumulent de façons différentes et selon des critères différents de temps, selon les secteurs de travail. Je prends l'exemple de la télévision: un permis équivaut à une demi-heure à la télévision. Donc, avec trente demi-heures, la personne devient membre actif et est considérée de plein droit comme un professionnel, à partir de ce moment-là.

Ceux qui ne sont pas membres actifs peuvent s'inscrire comme stagiaires, ce qui leur permet d'accumuler leurs permis et d'obtenir éventuellement, selon une période qui peut être très longue ou très courte, les

trente permis nécessaires.

Ceux qui veulent travailler sous notre juridiction, mais ne tiennent pas à devenir membres parce qu'ils n'envisagent pas de faire une carrière de professionnels sont les permissionnaires. Ils ont un permis de travail qui leur garantit l'application de l'entente collective et une représentation de l'union pendant l'exercice de leur travail. Mais ces permis ne sont pas accumulables pour qu'ils puissent devenir membres actifs. Ceci couvre la partie admissibilité comme membre actif à l'union.

En ce qui a trait à l'autre volet de votre question où vous faites référence à la relève et à la difficulté, dans certains milieux, de respecter les normes de l'union, dans le cas où il y aurait des problèmes d'ordre financier, ce que je peux vous dire, c'est qu'il existe actuellement différentes possibilités, pour ceux qui veulent exercer le métier et qui considèrent que nos conditions sont peut-être un peu trop onéreuses, de quand même exercer leur métier et de faire du travail sous notre juridiction. Je prends l'exemple du théâtre autogéré. Nous avons une procédure qui a été négociée avec les directeurs de théâtres, dans le secteur du théâtre, et qui permet à des groupes de se former en cellules d'autogestion et d'exercer leur métier, de monter des spectacles, de présenter des spectacles. À ce moment-là, ils sont exclus de l'application des normes ou des conditions minimales négociées pour le secteur de la scène. Je vous donne cela à titre d'exemple. (16 h 30)

II existe aussi des compagnies dites permanentes, au théâtre, de gens qui se forment en compagnies permanentes et qui se donnent un salaire. Ils sont des salariés, ils peuvent accumuler et recevoir de l'assurance-chômage. Pour nous, c'est tout à fait normal que ces différences qui existent dans l'exercice du métier puissent continuer d'exister. En d'autres termes, nos conditions - il faut toujours le rappeler - sont des minima, mais si ces minima, pour un certain groupe d'artistes, sont une entrave, il y a des moyens qui existent qui leur permettent de s'organiser et d'exercer leur métier de la même façon.

Sauf qu'il faudrait aussi comprendre l'autre volet, c'est que nos minima sont très bas, ce sont vraiment des minima. Si on prend le secteur de la danse, par exemple, je trouve scandaleuses les conditions dans lesquelles le métier doit s'exercer dans ce secteur. Il faut comprendre que, dans notre société, les spectacles de danse peuvent difficilement réussir à s'autofinancer, de la même façon qu'on peut difficilement penser que l'opéra puisse s'autofinancer. Il existe des modes d'expression qui sont presque impossibles à autofinancer et, si on veut que nos artistes-interprètes puissent continuer d'exercer ces métiers dans ces secteurs d'activité, je pense qu'il faut effectivement envisager une aide Importante. Autrement, on crée des situations où on force les artistes à aller en deçà des minima qui sont déjà à peine décents. Je ne comprends pas que, dans une société comme la nôtre qui accorde de l'importance à ces modes d'expression culturelle, on ne corrige pas la situation en leur assurant un minimum décent.

La Présidente (Mme Harel): Merci. Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: J'aurais des commentaires sur le perfectionnement...

La Présidente (Mme Harel): Oui, je vais rappeler aux membres de cette commission que nous devions terminer les travaux en regard de l'étude du mémoire de l'UDA à 16 h 20. Nous poursuivons, mais vous comprenez tous qu'il serait certainement désagréable pour le groupe qui doit suivre d'avoir peu de temps à sa disposition pour exposer son point de vue. J'inviterais Mme la députée de Matane, rapidement.

Mme Hovington: Oui, merci, Mme la Présidente. J'ai une question très technique, pour le bénéfice aussi, je l'espère, des membres de la commission parlementaire, à propos du statut fiscal de l'artiste-interprète pigiste. À la page 29, vous parlez d'un étalement du revenu. Je sais que vous nous renvoyez à l'étude de Touche Ross, en 1977, mais c'est loin. Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir quelques informations concernant l'étalement du revenu, tel que vous voulez que ce soit et que vous espérez que ce soit, sur la façon dont cela pourrait être fait?

M. Chevalier (Serge): D'abord, la méthode actuelle de l'étalement du revenu donne la liberté à l'artiste, et cela est spécifié dans la loi de l'impôt, de prendre une partie de son revenu et de payer un impôt remboursable. Par exemple, si quelqu'un gagne 20 000 $ une année et l'année suivante 50 000 $, on lui dit: On peut prendre 10 000 $ du revenu et payer un impôt remboursable là-dessus, un jour remettre ces 10 000 $ dans son revenu et avoir le remboursement de l'impôt pour payer suivant le nouveau taux. Le problème avec cette formule, c'est que, lorsqu'on choisit d'étaler un revenu, on doit faire ce choix en payant l'impôt au taux maximum. Quelqu'un qui a revenu de 50 000 $ va peut-être payer 45 % d'impôt, à son taux marginal, alors que le taux maximum est de 60 %. Donc, pour pouvoir faire un étalement du revenu, l'artiste qui, normalement, ne paierait que 4500 $ devra payer 6000 $ sur ses 10 000 $ de revenu. C'est une formule qui peut être bonne pour des athlètes, par

exemple, qui gagnent 200 000 $ par année; ils remettront cela dans leur revenu le jour où ils sortiront de la compétition active. Ce qu'on propose, en fait, plutôt que cette méthode, c'est le. retour à ce qui existait auparavant, c'est-à-dire la rente à versements invariables. À ce moment-là, un artiste pouvait mettre de côté un certain montant de son revenu en achetant une rente et cela lui permettait de recevoir des paiements pendant plusieurs années, une période maximum de quinze ans.

Mme Hovington: Style rente viagère.

M. Chevalier: Cela pouvait être aussi rente viagère, garantie maximum de quinze ans. C'est ce qui existait jusqu'au 12 novembre 1981, lors du budget MacEachen. Cela a été aboli et le Québec a suivi.

La Présidente (Mme Harel): M. le député de Mercier.

M. Godin: M. Demers, ma question porte sur la caisse du spectacle. Je comprends que l'employeur verse sur chaque cachet une partie du cachet à la caisse du spectacle, un peu comme dans la construction ou dans d'autres domaines. Est-ce que je comprends bien? C'est ce qui se passe?

M. Demers (Serge): Oui, il y a un pourcentage qui est négocié, qui est versé par le producteur; cela peut varier d'une entente à l'autre. Il est versé avec les cachets pour chaque membre et il y a un pourcentage qui est prélevé sur le cachet du membre qui vient s'ajouter à cette contribution du producteur pour financer les assurances et la caisse de retraite.

M. Godin: Est-ce que l'union entrevoit la caisse du spectacle comme étant un instrument essentiel de la libération des artistes dans l'avenir?

M. Demers (Serge): Je pense que c'est fondamental.

M. Godin: C'est cela, oui.

M. Demers (Serge): C'est fondamental.

M. Godiru Est-ce que la loi devrait porter partiellement sur l'obligation pour l'employeur de verser sur chaque cachet une partie plus importante encore que ce qu'il verse maintenant pour que la caisse ait un fonds, un actif plus important que celui qu'elle a maintenant?

M. Demers (Serge): Nous souhaiterions que la loi oblige les producteurs à négocier des conditions minimales. Pour ce qui est des pourcentages, on souhaite que ce soit le libre jeu do la négociation qui les détermine. D'ailleurs, actuellement, il y a des différences d'un secteur à l'autre, Mais, c'est l'obligation de reconnaître l'Union des artistes, lorsqu'on retient les services d'artistes-interprètes pigistes professionnels qui est la pierre angulaire. Le reste, on va réussir à le négocier, je pense.

M. Godin: Quel est l'actif de la caisse du spectacle, actuellement? L'actif actuel?

M. Demers (Serge): Globalement, c'est d'environ 30 000 000 $.

M. Godin: 30 000 000 $. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Harel): M. le député de Beauce-Nord, vos questions sont relatives à l'aspect fiscal, je crois.

Je vais demander à Mme la ministre de conclure. Par la suite, vous aurez l'occasion de conclure nos travaux sur l'étude de vos recommandations.

Mme Bacon: Très rapidement, Mme la Présidente, je voudrais remercier et féliciter à nouveau l'Union des artistes du sérieux de son mémoire et aussi de sa détermination, de son acharnement même, dans cette longue démarche qui est la sienne.

Nous espérons voir ensemble la lumière bientôt. Je pense que nous devons poser un geste de concertation. Nous Pavons déjà fait au cours de certaines rencontres. Nous avons pu échanger de la façon la plus positive possible. La concertation, c'est la voie que je privilégie à titre de ministre des Affaires culturelles. C'est aussi la voie vers une solution qui sera fondée sur un échange réciproque entre tous les intervenants pour aborder franchement et clairement les problèmes qui sont vécus de part et d'autre.

C'est aussi la voie que préconise le gouvernement afin que nous puissions, dans des délais raisonnables, améliorer la qualité de la vie culturelle des artistes, laquelle qualité contribuera, évidemment, à l'enrichissement tant individuel que collectif des personnes que vous représentez.

Comme mot de la fin, je veux tout simplement vous dire que je vais lire attentivement la Loi sur les producteurs agricoles.

La Présidente (Mme Harel): M. le président de l'union.

M. Turgeon: Mme la ministre, je veux vous remercier pour l'ouverture que vous avez créée en instituant cette étude via la commission de la culture. Je veux vous remercier, mesdames et messieurs de la commission, pour l'écoute attentive que vous

avez manifestée envers nous. Plusieurs d'entre vous ont parlé du sérieux qui nous animait à l'Union des artistes. On veut tout simplement vous dire que, pour nous, les affaires culturelles, c'est ce qu'il y a de plus sérieux, convaincus qu'il s'agit d'affaires -comme le dit notre affiche - d'identité, de liberté et de dignité. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Harel): J'inviterais maintenant les représentants de la Conférence des conseils régionaux de la culture à prendre place.

Je vais inviter les membres de la commission, de même que nos invités à prendre place dans cette salle en s'y asseyant ou à la quitter pour continuer leurs délibérations à l'extérieur.

Conférence des conseils régionaux de la culture

J'invite donc les représentants de la Conférence des conseils régionaux de la culture à nous présenter leur mémoire, mais je vais d'abord leur demander de se présenter. Il s'agit, je pense, de M. Daniel Hébert qui est directeur général. M. Hébert, vous êtes accompagné...

M. Hébert (Daniel): De M. Marcel Duchesne, qui est président du Conseil de la culture du Saguenay-Lac-Saint-Jean-Chibougamau—Chapais et qui représente ici, aujourd'hui, la Conférence des conseils de la culture.

La Présidente (Mme Harel): Alors, bienvenue M. Duchesne. Je crois comprendre que c'est vous qui allez nous présenter le mémoire?

M. Duchesne (Marcel): Oui, c'est moi.

Mme la Vice-Présidente, Mme la ministre des Affaires culturelles, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs, le texte que nous allons utiliser est un texte révisé et accepté par la Conférence des CRC en fin de semaine dernière. Nous nous excusons pour ce contretemps; seulement, les changements sont minimes en ce qui concerne les recommandations. Si on n'avait pas eu à traverser le parc, le texte serait encore chaud. (16 h 45)

La Conférence des conseils de la culture regroupe onze organismes ayant leurs assises dans le milieu culturel des différentes régions du Québec, exception faite de Montréal. À travers huit années d'existence, les conseils de la culture se définissent par une action concertée de planification et de développement de l'espace culturel québécois. Cette action concertée permet à la conférence des conseils de traduire et de transmettre à la ministre des Affaires culturelles et au gouvernement les attentes et les besoins des artistes oeuvrant en régions. À ces préoccupations régionales se greffe celle du développement culturel à l'échelle nationale et la conférence a établi différents mécanismes qui lui permettent d'intervenir en cette matière auprès des instances gouvernementales concernées, transmettant ainsi avis et recommandations à la ministre des Affaires culturelles.

Approche globale de la question. La condition sociale et économique des artistes s'achemine ces dernières années vers un mieux-être auquel, malheureusement, un trop grand nombre ne participe pas encore et qui fait que les artistes s'inscrivent toujours dans le "no man's land" des groupes à faible revenu. Ces problèmes auxquels se heurtent les artistes ne sont pas spécifiques à une discipline ou à un contexte régional particulier. Ils sont vécus dans toutes les disciplines et ce, à la grandeur du Québec. Il est urgent que l'État québécois intervienne de manière significative en reconnaissant aux artistes professionnels un statut juridique et social particulier, par le biais de mesures législatives adéquates.

De plus, il s'avère de toute première nécessité pour notre propre bénéfice sur le plan du développement culturel et économique d'assurer à l'artiste un statut économique décent. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommande, premièrement, que toutes les mesures soient prises pour que le développement et le rayonnement de la vie artistique ne comportent pas qu'un label "pure laine montréalaise", mais s'attachent à une identité québécoise s'alimentant de toutes les disciplines, de toutes les régions et de toutes les cultures; deuxièmement, que l'État reconnaisse la situation spécifique de l'artiste en lui accordant un statut juridique particulier.

Formation et perfectionnement de l'artiste. L'établissement de nouvelles structures telles que les commissions de formation professionnelle et le développement universitaire dégage des perspectives meilleures quant à l'accès et aux possibilités de raffiner la formation des artistes. Cependant, force nous est de constater que ces structures éprouvent certaines difficultés à desservir au même titre gens des régions périphériques et gens des centres urbains, au détriment des régions.

Les nouvelles technologies et leur développement accéléré imposent un nouveau rythme d'adaptation auquel doit s'ajuster l'artiste avec plus ou moins de bonheur, selon les moyens mis à sa disposition. Or, une formation plus poussée nécessite un déplacement vers des centres spécialisés situés dans les grands centres. Il n'y a que Bell Canada où la distance n'a aucune

importance. Ailleurs, cela signifie frais supplémentaires de déplacement et de subsistance, sans parler des pertes de revenu qu'occasionne une absence de son chez-soi plus ou moins prolongée.

Des statistiques récentes indiquent que non seulement les artistes ont atteint des degrés plus élevés de scolarisation, mais que, proportionnellement à d'autres secteurs d'activité, ils comptent parmi les groupes les plus scolarisés. Malgré tous ces efforts d'articulation intellectuelle et sociale, les artistes demeurent dans l'ombre d'une société qui semble les considérer inaptes à participer à son progrès.

Il est vrai que l'environnement dans lequel évolue l'artiste ne manque pas de complexité. Aussi aurait-il avantage à obtenir à l'intérieur de sa formation artistique de base un complément portant sur la gestion, l'administration et la promotion afin de mieux cerner sa réalité.

À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommande: 1 De faciliter aux artistes l'accès à des centres de formation reconnus dans les diverses disciplines des arts, soit en implantant des centres de formation spécialisés dans les disciplines appropriées? en offrant un revenu compensatoire aux artistes en formation dans des centres spécialisés éloignés. 2 De faciliter aux artistes l'accès au perfectionnement en augmentant l'aide financière et l'accessibilité aux programmes permettant aux artistes d'aller se perfectionner dans d'autres régions ou hors du Québec; en identifiant les personnes ressources du milieu immédiat pouvant agir comme formateurs; en s'assurant de la transmission à tous les artistes de l'information relative aux sessions de perfectionnement offertes par les centres spécialisés et ce, dans des délais raisonnables. 3 D'assurer, parallèlement à la formation des artistes en gestion et marketing, celle de gestionnaires culturels professionels en préparant un programme d'études universitaires axé sur la gestion, la promotion, la mise en marché de l'art correspondant aux réalités de notre milieu culturel.

La relève joue un rôle important dans une dynamique de développement. Or, dans le domaine des arts, tout comme dans les autres secteurs d'activité, les jeunes professionnels trouvent difficilement à se tailler une place sur le marché du travail. Ce phénomène se traduit par un taux élevé de chômage chez ces jeunes, ce qui entraînera forcément une stagnation du développement de la culture et, par la suite, un appauvrissement. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommandes 1° de mettre sur pied un programme d'emploi similaire au programme canadien de planification de l'emploi pour permettre l'insertion de jeunes artistes sur le marché du travail; 2° que le ministère de l'Industrie et du Commerce subventionne l'engagement de jeunes diplômés en administration ou autres disciplines connexes par des organismes culturels, consolidant ainsi la structure financière de ces entreprises.

L'éducation artistique est le moyen privilégié de développer l'appréciation et le goût de l'art. Les programmes d'enseignement des arts dans les écoles, tout particulièrement la musique, sont en perte de vitesse. Une intervention urgente s'impose. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommande: 1° que le ministère des Affaires culturelles intervienne auprès du ministère de l'Éducation afin de réinstaurer l'enseignement des arts aux niveaux primaire et secondaire; 2° de privilégier une présence soutenue des artistes en milieu scolaire; 3° de développer des activités pédagogiques en concertation avec les musées, les centres d'art, les galeries, les ateliers d'artistes, les bibliothèques et les salles de spectacles.

Les sources de revenus. L'absence de reconnaissance et de valorisation du statut de l'artiste, la quasi-absence de promotion du produit culturel québécois, le marché restreint et le manque de débouchés dans l'emploi limitent considérablement les possibilités des artistes de tirer un revenu décent de la pratique de leur art.

Leurs faibles revenus et leur inadmissibilité à des programmes, tel celui de l'assurance-chômage, forcent plusieurs artistes à exercer un métier secondaire et ainsi à mettre en veilleuse, pour subvenir à leurs besoins, leurs activités de création.

Les artistes récipiendaires de bourses ou détenteurs de contrats de courte durée se retrouvent dans une situation souvent hasardeuse. En effet, doivent-ils, dès l'obtention de ces bourses ou de ces contrats, quitter leur emploi secondaire pour se consacrer à l'exercice de leur art et vivre ainsi sans sécurité et avantages permanents. Une étude récente commandée par le gouvernement fédéral démontre que la part la plus importante des investissements en art est fournie par les artistes. Donc, ce sont eux qui financent leur carrière et son développement. Par ailleurs, d'autres études font état du fait que la majorité des artistes vît sous le seuil de ta pauvreté. Ils sont donc, pour le moins, enfermés dans le cercle vicieux de petit revenu, petite carrière.

Cette condition sociale générale de l'artiste prend des nuances différentes selon qu'il pratique son art en régions ou dans les centres fortement urbanisés. En effet, la concentration du marché, des associations

professionnelles et de l'ensemble des équipements professionnels dans les deux grands centres, Québec et Montréal, constitue un facteur important de majoration des coûts de production des artistes en régions, sans parler de la difficulté d'accès pour ceux-ci à ces services. Pourtant, n'apparaît dans les divers programmes d'aide destinés aux artistes aucune disposition permettant d'évaluer et de tenir compte de cette réalité. C'est généralement le contraire. À projet égal, les artistes des grands centres reçoivent plus. On observe une grande disparité entre les programmes régionalisés et les programmes nationaux. L'ensemble des programmes d'aide destinés aux artistes devraient être offerts dans toutes les régions du Québec.

Quant aux contrats et conventions qui lient les artistes, seules les associations nationales d'artistes professionnels devraient être habilitées à en négocier les termes, qu'il s'agisse de la vente d'une oeuvre ou de l'utilisation de services. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommande: 1 Que les subventions accordées dans le cadre du programme de soutien aux artistes professionnels aient la même valeur que celles accordées dans le cadre du programme de bourses du Québec, afin de reconnaître aux artistes en régions la même valeur qu'à ceux qui se présentent au jury national. 2 Que soit établie une juste répartition des subventions entre celles à caractère national et celles à caractère régional afin de tenir compte des disparités régionales et du poids réel des régions, en termes de bassin d'artistes professionnels. 3 Que soient décentralisés dans les régions les programmes nationaux s1 adressant aux artistes professionnels. 4 Que soit développée l'analyse statistique au sein du ministère des Affaires culturelles, afin d'évaluer l'impact et les effets des programmes destinés aux artistes. 5 Que soit mis sur pied un programme d'aide à la diffusion pour les artistes professionnels. 6° Que le ministère du Revenu reconnaisse aux artistes leur juste part d'investissement dans la culture, en comptabilisant leur investissement dans leurs créations ou leurs productions comme capital de risque déductible d'impôt. 7 Que le gouvernement soutienne et encourage la création de fondations administrant des fonds publics et privés voués au financement des arts. 8° Que l'on soutienne de façon générale la mise en marché de produits culturels par l'établissement d'un réseau adéquat d'équipements culturels, par l'établissement d'une politique de prix d'achat d'oeuvres par le gouvernement, ses sociétés et ses institutions, non pas inflationniste, mais qui tienne compte des données du marché. 9 Que le ministère des Affaires culturelles utilise les médias électroniques et tout particulièrement Radio-Québec pour promouvoir l'activité et le produit culturel québécois par la production de messages publicitaires et de documentaires d'actualités. 10 Que le ministère des Affaires culturelles élabore une politique de mise en marché du livre québécois et de soutien à l'animation littéraire dans les bibliothèques publiques. 11 Que. le ministère des Affaires culturelles, en concertation avec le ministère des Affaires intergouvernementales, établisse une politique d'exportation et de promotion des produits culturels québécois.

Fiscalité et sécurité sociale. Le statut de l'artiste, parce que particulier et mal ou non reconnu, désavantage actuellement l'artiste professionnel si on le compare aux autres catégories de travailleurs en termes d'avantages sociaux et certaines mesures fiscales attestent cette réalité. Ainsi, la non-admissibilité des frais de perfectionnement acquis auprès des maîtres, des troupes ou des studios privés, la double imposition: taxe sur le matériel et taxe sur l'oeuvre, l'imposition des bourses de soutien aux artistes professionnels et au perfectionnement qui crée un manque à gagner. Les artistes doivent continuellement supporter des frais afférents à leur création, leur production ou leur diffusion, lesquels ne sont pas automatiquement déductibles. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommande: 1° D'étudier la possibilité de reconnaître à l'artiste un statut hybride, à la fois celui de travailleur autonome pour fins • d'impôt et celui d'employé donnant accès à l'assurance-chômage. 2° De réviser les mesures fiscales afin de privilégier les artistes: en admettant comme frais de scolarité pour fins d'impôt le perfectionnement acquis à l'extérieur d'un établissement scolaire, soit auprès de maîtres, de troupes ou de studios privés reconnus; en abolissant l'imposition des bourses de soutien aux artistes professionnels et au perfectionnement; en abolissant la taxe de vente sur les objets d'art. 3° Étudier la possibilité de mettre sur pied des services-conseils de fiscalistes. Ces services pourraient être offerts via les regroupements d'artistes.

Investissement dans les arts. Les incitatifs fiscaux peuvent s'avérer très efficaces comme moyen de financement autant des activités culturelles que des organismes ou des associations professionnelles. Toute mesure positive mise de l'avant concourrait à la stabilisation et à l'autonomie financière du milieu culturel. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommande:

1° Que tout acheteur d'oeuvres d'art québécoises acquises dans des galeries reconnues jouisse des mêmes avantages fiscaux que ceux actuellement réservés aux corporations. 2° Que soit établi un mécanisme permettant aux consommateurs de déduire de leur revenu l'achat de biens culturels québécois, c'est-à-dire livres, disques, produits de métiers d'art, etc. 3° Que soit instauré un crédit d'impôt à l'investissement culturel pour un individu ou un organisme qui soutient financièrement la carrière d'un artiste ou la production artistique en général. (17 heures)

Statut d'organisme de bienfaisance. Les organismes d'artistes sans but lucratif peuvent produire une demande d'obtention de statut d'organisme de bienfaisance. Ce statut est fort appréciable pour toute organisation d'artistes. Il semble, cependant, régner une certaine confusion quant à la manière dont sont appliqués les critères régissant ce statut particulier, le rendant ainsi difficile a obtenir. Un assouplissement des règles et des modalités d'acception s'impose. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommandes 1° Que le ministère des Affaires culturelles étudie, en collaboration avec le ministère du Revenu du Québec, la possibilité d'accorder un statut particulier aux organismes artistiques aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce statut serait analogue à celui dont jouissent déjà les groupes oeuvrant dans le sport amateur, mais les critères devraient tenir compte plus spécifiquement des objectifs artistiques visés par ces organismes. 2° Que soient acheminées, advenant la possibilité de la reconnaissance d'un tel statut, des recommandations à Revenu Canada afin que la loi soit amendée en ce sens.

Santé et sécurité. La pratique des arts visuels et des métiers d'art exige régulièrement l'emploi de produits toxiques dont les effets peuvent affecter la santé et menacer la sécurité de l'artiste. Également, si l'on songe aux danseurs, ceux-ci sont souvent forcés d'interrompre prématurément leur carrière en raison de blessures, de fatigue musculaire ou d'usure prématurée. Or, les artistes n'ont pas les moyens financiers de se doter d'ateliers sécuritaires conformes aux normes minimales requises par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

Quant à l'information à distributer sur la santé et la sécurité au travail, la conférence est reconnaissante au Service gouvernemental de la propriété intellectuelle du ministère des Affaires culturelles de s'être impliqué activement dans ce dossier en consultant des artistes, des artisans et des membres de la CSST pour cerner les problèmes vécus par les artistes. II serait, cependant, intéressant que les régions soient aussi associées à ce processus et que l'information ainsi obtenue puisse être plus complète.

Enfin, l'artiste qui ne dispose d'aucune sécurité d'emploi, d'aucune garantie de revenu et, généralement, d'aucun régime de retraite ne bénéficie pas, non plus, d'un régime d'indemnisation des accidents de travail, à moins de cotiser à son propre plan d'assurance, ce qui s'avère non seulement très onéreux, mais à peu près impossible. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommande: 1° Que l'information sur les normes de santé et de sécurité dans le domaine artistique soit l'objet d'une diffusion large dans toutes les régions du Québec. 2° Que l'on ajoute un volet spécial au programme d'équipements culturels qui permette aux artistes de réaménager leur lieu de travail selon les normes de santé et de sécurité du travail, telles qu'établies. 3° Que l'on crée des programmes de recyclage pour les artistes professionnels qui doivent abandonner leur profession pour des raisons de santé liées à la pratique de celle-ci. 4° Que l'on étudie la possibilité d'instaurer un régime d'indemnisation des accidents de travail pour aider les artistes victimes de ceux-ci.

Promotion et défense de la vie professionnelle. La population et les différents milieux socio-économiques ne sont pas suffisamment sensibilisés aux conditions de travail des artistes et aux réalisations actuelles. Ils ne sont familiers qu'avec certaines expressions de l'art le plus souvent stéréotypées. L'absence de campagnes nationales de promotion aide au maintien des bonnes vieilles habitudes.

Nous avons exposé, tout au long de notre intervention, une série de problèmes vécus par les artistes, tant sur le plan de la formation ou du perfectionnement que sur le plan des sources de revenus, des contrats et des conventions de travail, que sur le plan des droits sociaux et économiques, de la sécurité sociale, de la sécurité au travail et de la protection de la santé. Nous pourrions parler longuement des situations particulières propres aux chorégraphes, aux peintres, aux musiciens, aux acteurs et aux compositeurs.

Nous jugeons indispensable que les artistes professionnels se donnent des moyens de contrôler leur développement en formant des regroupements et des associations professionnelles, mais ce, dans la mesure où l'État entend les supporter adéquatement pour répondre aux besoins de leurs membres. À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture recommandes 1° De soutenir dans les régions, de façon convenable, les regroupements régio-

naux d'artistes professionnels. 2 De déterminer, en collaboration avec les associations, les syndicats et les regroupements d'artistes, les critères de définition du statut professionnel de l'artiste dans les différentes disciplines; 3 De mettre sur pied des campagnes de sensibilisation faisant état de l'importance et de la richesse de l'activité culturelle dans toutes les régions du Québec, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Québec; 4 De faire réaliser, par l'intermédiaire des médias électroniques, des émissions faisant état des principales activités et réalisations culturelles.

En conclusion, nous vous remercions d'avoir reçu les recommandations de la Conférence des conseils régionaux de la culture. Nous avons exprimé à cette commission parlementaire les préoccupations et les problèmes que nous ont véhiculés les artistes confrontés quotidiennement à la réalité d'une pratique exercée en régions. Merci beaucoup.

Le Président (M. Trudel): Je vous remercie, M. le président. Je m'excuse d'avoir manqué le début de votre exposé. J'étais pris, dans la salle d'à côté, dans un débat. Je vais céder la parole à Mme la ministre des Affaires culturelles pour une période de questions. Comme il reste une heure, ou à peu près, avant la suspension pour le dîner, on va essayer, sans accélérer trop, de donner la chance à tout le monde pour pouvoir discuter avec un autre organisme à partir de 17 h 30, si les membres de la commission sont d'accord.

Mme la ministre.

Mme Bacon: Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais remercier M. Hébert et M. Duchesne de leur présence à cette commission. Il est évident que le point de vue de la Conférence des conseils régionaux de la culture du Québec m'apparaît précieux et aussi enrichissant parce que les intervenants doivent, par leur mandat et par leur rôle, être branchés sur le milieu. En touchant à des thèmes aussi importants que la relève, par exemple, pour nous prouver jusqu'à quel point la jeunesse vous tient à coeur, vous avez compris toute l'importance de l'avenir de la vie culturelle au Québec. Peut-être seriez-vous sécurisés si je vous souligne que, lors de l'élaboration de son programme ou dans le cadre de ses discours, notre formation politique a particulièrement insisté sur la nécessité de tenir compte de cette relève dans le secteur culturel. Votre mémoire rejoint en cela plusieurs préoccupations qui font partie de l'environnement quotidien des artistes. Je vous félicite d'avoir su enclencher dans vos propres rangs cette réflexion qui rejoint en cela plusieurs des préoccupations de groupes ou d'organismes qui viendront faire entendre leurs mémoires et nous dire ce qu'ils pensent tout au long de ces audiences.

Dans votre mémoire, j'ai particulièrement apprécié la partie qui concerne la formation et le perfectionnement. Quant aux actions que les conseils régionaux de la culture ont entrepris à l'échelle de leur région, est-ce que vous avez travaillé avec les administrateurs municipaux, par exemple? Est-ce qu'on peut vérifier le degré d'implication des administrateurs municipaux au niveau culturel et pour l'amélioration du statut de l'artiste? Est-ce que vous avez eu cette concertation avec les milieux municipaux?

M. Duchesne: Je laisserai à M. Hébert le soin de répondre à cette question.

M. Hébert: Je pense que c'est une préoccupation qui est constante chez les conseils régionaux de la culture de sensibiliser les administrateurs municipaux à investir dans le milieu culturel de chacune des régions. À ce titre, je pense que la majorité des conseils de la culture a déposé dernièrement, lors de la commission Parizeau sur les municipalités, un mémoire qui indique les intentions des conseils et les relations que doit entretenir la municipalité avec le milieu culturel. Également, je pense que, dans la plupart des régions où se sont tenu des sommets économiques, jusqu'à présent, une intervention importante a été menée par les conseils de la culture auprès des municipalités quant à leur rôle prépondérant dans le développement culturel surtout en ce qui concerne l'utilisation des équipements, bien sûr, et le financement des organismes qui proviennent de leur milieu propre. Je pense que cette sensibilisation est présente dans les régions du Québec depuis sûrement quelques années.

Mme Bacon: Est-ce que vous avez engagé aussi une dynamique avec les entrepreneurs, avec les gens d'affaires de votre milieu immédiat ou avec des administrateurs scolaires, par exemple, en fait, avec les leaders de votre région?

M. Hébert: Je pense que, sur ce plan aussi, il y a eu des relations très étroites dans des régions plus que dans d'autres avec les entreprises privées. Mais je pense que, là-dessus, il faut aussi faciliter les choses. C'est pourquoi on demande, dans le mémoire, au gouvernement de prendre des mesures fiscales face à l'entreprise privée qui investit dans le milieu culturel. Par exemple, un organisme à but non lucratif n'a pas la possibilité d'émettre un reçu pour fins d'impôt à une entreprise qui investit dans son milieu, parce qu'elle n'est pas reconnue comme un organisme de bienfaisance. Des

mesures semblables peuvent aider énormément les organismes culturels à but non lucratif à aller chercher des fonds dans l'entreprise privée.

L'entreprise privée investit aussi dans des régions. Par exemple, il y des régions où les caisses populaires ont suivi le mouvement du gouvernement, c'est-à-dire, lors de constructions, elles ont construit une oeuvre d'art près de leur siège social. Plusieurs entreprises privées ont fait la même chose, ont des collections privées.

Nous voudrions également sensibiliser la commission au fait que l'entreprise privée a des reconnaissances fiscales intéressantes lorsqu'elle contribue à un organisme qui est reconnu comme un organisme de bienfaisance. Un individu n'a pas cette reconnaissance-là. Il nous semblerait pertinent qu'une personne, un individu qui contribue à un organisme culturel, qui, lui, peut lui remettre un reçu pour fins d'impôt, soit, lui aussi, capable d'inscrire cela dans des mesures pouvant affecter ses paiements d'impôt. On souhaiterait que cette mesure s'élargisse à l'individu ou à des groupes d'individus qui ne sont pas nécessairement des compagnies.

Mme Bacon: Je vais revenir, M. le Président, aux municipalités et aux milieux d'affaires, administrateurs scolaires et autres: Quand on pense à améliorer la reconnaissance sociale des artistes, quels sont les résultats que vous obtenez quand vous allez demander à ce milieu de s'impliquer avec vous? Peut-on dire que ce sont des résultats positifs, négatifs ou...

M. Hébert: Pour nous, l'expérience, à ce jour, démontre que c'est en croissance, l'implication municipale. Nous, on dit que les années 1980 sont les années du développement culturel au niveau des municipalités. Je pense que c'est une question de sensibilisation qui n'a pas été faite dans le passé. Actuellement, la majorité des conseils de la culture considère comme une priorité l'intervention auprès des municipalités.

En ce qui concerne l'entreprise privée, je pense que plusieurs régions ont, à cet égard, obtenu des résultats drôlement intéressants. Si on prend des exemples - moi, je suis plus familiarisé avec les exemples de notre région - je pense que des compagnies comme l'Alcan, la Fédération des caisses populaires, Price investissent régulièrement dans le milieu culturel.

En ce qui a trait aux commissions scolaires et à ces institutions, pour ne donner qu'un exemple, au niveau des salles de spectacles, l'apport du gouvernement, du ministère des Affaires culturelles dans le financement du spectacle dans les régions au Québec, c'est 6 % de leurs revenus. Dans une région comme chez nous, c'est peut-être 3 000 000 $; si on prend une moyenne rapide au Québec, c'est 30 000 000 $. L'apport d'investissement du ministère des Affaires culturelles est de 6 %. Donc, la majorité vient soit des municipalités, soit du milieu scolaire ou soit de l'individu qui participe au spectacle et qui paie son spectacle. Donc* à ce titre, je pense que, si on faisait un calcul rapide des investissements gouvernementaux en régions face à l'apport du milieu, ce serait, je pense, drôlement intéressant de vérifier que cela se maintient dans ces moyennes.

Mme Bacon: Vous avez, dans vos conseils d'administration, des conseillers municipaux, par exemple, ou des gens d'affaires; je pense à des gérants de caisses populaires. J'assistais dernièrement à des rencontres dans une région en particulier où on voit, dans certains domaines des arts, par exemple, l'implication de gérants de caisses populaires qui assurent à des groupes culturels une espèce de stabilité quand on pense à aller chercher les sommes nécessaires, à un moment donné, de l'entreprise privée ou du milieu pour faire progresser les affaires culturelles.

M. Hébert: Effectivement, la majorité des conseils de la culture ont des représentants, à leur conseil d'administration, du milieu municipal, du milieu de l'enseignement, du milieu institutionnel, scolaire, ont des représentants de l'ensemble des disciplines culturelles, ont des représentants du milieu des affaires. Bien sûr, chaque conseil a une charte qui lui est particulière, mais, en majorité, ils ont ces représentants dans leur conseil d'administration. (17 h 15)

Mme Bacon: Dans votre mémoire, vous souhaitez que le ministère de l'Éducation et celui des Affaires culturelles se concertent pour développer un plus grand nombre d'activités dans les musées, par exemple, dans les centres d'art, les galeries, les ateliers d'artistes. Est-ce que vous croyez qu'une augmentation de crédits serait nécessaire à ce moment-là ou si on pourrait penser à une simple allocation de ressources'?

M. Hébert: Au sujet des modalités, on ne s'est pas prononcé de façon formelle. Je pense qu'il existe actuellement deux expériences intéressantes au Québec, une au Saguenay~Lac-Saint-Jean et une en Abitibi-Témiscamingue, où on a lié le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l'Éducation pour faire une expérience dans le milieu scolaire, à partir de regroupements de créateurs ou d'organismes qui font une intervention dans le milieu scolaire, dans des commissions scolaires précises. À ce titre-là, il y a eu des subventions attitrées de façon précise, un montant qui était réparti dans la

région entre deux ou trois organismes. Le système d'allocation de ressources n'a pas été appliqué lors de l'expérience qui a été vécue. Ce qui a été expérimenté pour l'instant s'est révélé tout à fait intéressant pour le milieu scalaire et pour le milieu culturel.

En ce qui concerne le milieu artistique aussi, bien entendu, on recherche à instaurer davantage une présence culturelle dans le milieu scolaire. Mais il nous semble tout à fait important de réinstaller les programmes d'enseignement des arts, qui existaient aux niveaux primaire et secondaire. Vous n'êtes pas sans savoir qu'actuellement il y a un dépérissement important de l'enseignement culturel, de l'enseignement des matières élémentaires, soit de la musique, des arts plastiques au niveau primaire. Il nous semblerait tout à fait important que le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l'Éducation voient à réinstaurer de3 programmes réguliers pour répondre à une clientèle culturelle québécoise au Québec dans l'avenir.

Mme Bacon: Lorsque vous recommandez dans votre mémoire une meilleure distribution des subventions, entre celles à caractère national et régional, qui tienne compte de la réalité des créateurs, des artistes qui oeuvrent dans les régions, est-ce que vous estimez que les critères actuels ne correspondent pas à la réalité ou qu'ils sont insatisfaisants? Ou y a-t-il d'autres raisons?

M. Hébert; Je ne penserais pas qu'on ait des difficultés avec des critères ou des normes. Je pense que c'est plutôt sur une répartition, un équilibre entre ce qui se retrouve dans les régions et ce qui se retrouve dans ce nous appelons une enveloppe nationale. Je pense que c'est à ce niveau que cela se situe et également il y a la reconnaissance de ce qui se fait dans les régions sur le plan professionnel. Pour donner des exemples, dans des régions, vous avez des troupes de théâtre qui sont professionnelles, et leur volonté, c'est d'accéder le plus rapidement possible à un statut de troupe nationale pour aller chercher un revenu supplémentaire, parce que dans leur situation actuelle, dans leur région, les ressources ne sont' pas présentes. C'est un peu ce genre de situation qu'on vit. Au sujet des critères ou d'une reconnaissance à savoir si un artiste en régions a droit à cela ou pas selon une norme, je pense que c'est un peu réparti de façon égale au Québec; c'est plus en termes d'enveloppes budgétaires et d'équilibre.

Dans le domaine de la danse, également, on a des exemples assez importants dans des régions où se situe un bassin important de danseurs. Les revenus pour ce bassin de danseurs dans une région sont complète disproportionnés par rapport à ceux d'un autre organisme qui a la même vocation, mais dans un grand centre. On demande, d'ailleurs, au ministère de faire une évaluation et d'étudier une meilleure répartition des ressources gouvernementales.

Mme Bacon: Vous n'avez pas d'exemple chiffré, de chiffres précis?

M. Hébert: Nous pourrions vous déposer éventuellement des exemples chiffrés. Nous avons tenu, en commission parlementaire, à ne pas montrer les tableaux que nous avons.

Mme Bacon: Lorsque vous préconisez un soutien concret à l'exportation des produits culturels du Québec, est-ce que les structures actuelles gouvernementales ne suffisent pas à exporter nos produits? Est-ce que c'est ce que vous voulez dire? Par exemple, le mandat confié au ministère du Commerce extérieur, est-ce que ce rôle vous apparaît suffisant ou si vous allez plus loin que cela?

M. Hébert: II nous apparaissait intéressant de maintenir le rôle des délégations du Québec à l'extérieur, également, de mettre des programmes qui viseraient directement l'exportation de produits culturels sur des marchés cibles qui seraient analysés auparavant. Je pense que là-dessus on ne s'est pas aventuré en détail, mais c'est ce qui était visé par la conférence lorsqu'on traitait de ce sujet.

Mme Bacon: Toujours dans votre mémoire, lorsque vous recommandez d'étendre à tout acheteur d'oeuvres d'art les avantages fiscaux actuellement réservés aux corporations - on revient encore là-dessus -pourriez-vous nous dire comment sera établie la liste dite d'oeuvres d'art? Est-ce que vous vous êtes arrêté à cela ou est-ce plus vaste que ce que vous voulez dire dans votre texte?

M. Hébert: Pour nous, lorsqu'il y a oeuvre d'art, nécessairement, il y a artiste. Actuellement, au Québec, je pense qu'il y a assez d'associations professionnelles pour reconnaître qui est artiste professionnel et qui ne l'est pas. On pensait, tout à l'heure, à l'Union des artistes qui a ses membres. Il y a également la Conférence des associations de créateurs, que vous entendrez sûrement, qui déposera son mémoire. Elles aussi ont leurs normes et leurs critères pour la sélection d'artistes professionnels. Nous pensons qu'à ce titre la conjoncture serait favorable à statuer là-dessus, sur les critères du professionnalisme pour que, finalement, l'ensemble du Québec soit au diapason et que par la suite les objets d'art qui suivraient dans le courant soient beaucoup pius faciles

à identifier comme étant faits et fabriqués par des artistes professionnels au Québec. Je pense que c'est une démarche qui suit celle de la reconnaissance d'association et de la reconnaissance du statut professionnel.

Mme Bacon: Cela va.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Je suis très heureux de la présence de la Conférence des conseils régionaux de la culture du Québec. Je pense que, quand il y a huit ans la décision s'est prise de créer les conseils régionaux de la culture au Québec, on a, d'une part, voulu déconcentrer à la fois le débat et, surtout, les implications au niveau de la culture.

Cette déconcentration a permis, sans aucun doute, une certaine forme de concentration par l'établissement des directions régionales du ministère dans les régions. Ce qui a permis, sans aucun doute, d'apporter un éclairage particulier sur les réalités que vous vivez. Donc, la présence des régions dans le débat de la culture au Québec nous apparaît extrêmement intéressante. À ce niveau, il y a un discours que nous employons depuis quelque temps: À quoi cela sert-il de nourrir une tête et un coeur, si on laisse les membres s'atrophier? Je pense que, si la culture n'a pas sa place dans les régions, le corps que constitue le Québec sera atrophié de ses membres qui sont les régions.

Il est un peu prétentieux de croire que tout ce qui se fait à Montréal est originaire de Montréal, comme tout ce qui se fait à New York, Paris, Berlin, Rome vient de Berlin, Paris, Rome. Au contraire, je pense que cela provient de villes de moindre importance. Je pourrais vous donner un exemple très évident. Le meilleur spectacle de danse qui était donné vendredi soir, à Montréal, était donné par une danseuse originaire de la région du Saguenay~Lac-Saint-Jean. Donc, cela prouve bien que ce qui arrive en grands centres urbains a, très souvent, pris naissance dans les régions que vous représentez.

Dans le cas particulier de votre région, il y a des choses intéressantes qui se font, surtout au niveau du théâtre avec le centre socioculturel à Jonquière. Il y a du théâtre, aussi, d'importance, qui se fait à Chicoutimi et à l'université. Et puisqu'on parlait de la danse, tantôt, je pense qu'à Alma on fait des choses. Il se fait également des choses en musique avec l'option musique qui est donnée à Alma. Ceci dit, l'importance des régions est une chose qui doit être reconnue.

Dans votre mémoire, à la page 10, je lisais dans les recommandations: Établir une juste distribution des subventions entre celles à caractère national et celles à caractère régional qui tienne compte de la réalité des créateurs, créatrices et artistes qui oeuvrent dans les régions et décentraliser dans les régions les programmes nationaux s'adressant aux artistes professionnels créateurs, créatrices. Est-ce que vous pourriez m'expliquer très à fond la situation que vous vivez actuellement?

M. Hébert: C'est qu'en ce qui concerne les artistes professionnels, pour leur création, en régions, il n'existe qu'un seul programme qu'on connaît sous le nom de "Soutien à la création". Depuis quelques années, il est apparu un nombre important de programmes dit nationaux pour faciliter davantage l'accès aux artistes professionnels à des bourses, à des frais de déplacement, à des frais de subsistance pour leur production, pour leur diffusion. On trouve cela tout à fait intéressant et, même, on est d'accord pour que le gouvernement intervienne avec des programmes nouveaux. Ce que l'on dit, c'est que, quant à ces programmes nouveaux qui apparaissent depuis quelques années en ce qui a trait à l'aide à la création, aux artistes professionnels, les bourses du Québec -plusieurs programmes nouveaux sont apparus depuis quelques années - on souhaite que, lorsqu'un programme est mis sur pied par le ministère des Affaires culturelles ou par le gouvernement et qui touche les artistes professionnels, il soit également accessible dans les régions dans le sens où ces budgets sont régionalisés. Il peut y avoir, bien sûr, un budget pour le national, mais que les budgets soient régionalisés pour les artistes qui vivent dans les régions et qu'ils appliquent ces programmes en régions. C'est dans cet esprit que l'on parle.

M. Boulerice: Vous avez apporté également une idée extrêmement intéressante concernant un programme d'étude qui est axé sur la gestion, la promotion et la mise en marché de l'art. Est-ce que vous pourriez me donner davantage d'informations sur ce programme? Est-ce qu'on peut envisager de l'intégrer à un programme particulier de la commission de formation professionnelle?

M. Hébert: C'est-à-dire que déjà, actuellement, on peut même offrir, par le biais de ta commission de formation professionnelle, des sessions intensives pour des artistes, pour des individus qui souhaitent se perfectionner sur le plan de la gestion. Ce que l'on indique ici, c'est précisément de faciliter davantage un apprentissage, pour les artistes eux-mêmes, de la gestion et de l'administration de leurs affaires. On parle également de mettre sur pied un programme ou d'améliorer ceux qui peuvent exister actuellement au Québec au niveau universitaire ou de le perfectionner vers une meilleure concentration sur l'administration,

sur la gestion, sur le marketing de l'art au Québec.

M. Boulerice: Vous avez introduit aussi une notion qui m'intéresse particulièrement quand vous avez parlé de reconnaissance d'équivalences d'après les connaissances acquises dans la pratique pour le métier ou l'art de l'artiste. Est-ce que vous avez une idée des critères de reconnaissance de ces équivalences?

M. Hébert: Je pense qu'il y aurait avantage à examiner en profondeur cette situation. Nous pensons que des années d'expérience peuvent s'évaluer en fonction de cours de niveau collégial ou universitaire. Ici, on pourrait entrer dans une foule de détails, mais il serait sûrement possible, par le biais de professionnels qui se pencheraient sur la question, de mettre des critères qui placeraient l'artiste en situation de vérifier, d'après son expérience de cinq ans, dix ans, sa valeur au niveau universitaire ou collégial. On pourrait aussi faire en sorte que les cours qu'il a suivis dans des studios privés ou près de maîtres reconnus puissent être identifiés par le ministère des Affaires culturelles ou une commission pour donner des équivalences à ces enseignements qu'ils ont suivis.

M. Boulerice: En page 14, vous parlez d'instaurer un crédit d'impôt à l'investissement culturel pour un individu ou un organisme qui soutient financièrement la carrière d'un artiste ou la promotion artistique en général. Or, dans le cas de la carrière d'un artiste, ce serait une espèce de "tutorat" fiscal que vous proposeriez, quelque chose comme cela. (17 h 30)

M. Hébert: C'est le même principe qu'une compagnie qui est sollicitée par un individu ou par un organisme et qui remet une bourse ou une subvention. La compagnie peut appliquer cela aux fins d'impôt. C'est le même principe qui pourrait exister pour un individu qui finance de façon périodique ou de façon ponctuelle un artiste. Il pourrait également appliquer ce financement aux fins de l'impôt sur le revenu. On ne retrouve pas cette mesure pour l'individu.

M. Boulerice: Vous faites allusion, comme vos collègues qui vous ont précédés, aux normes de santé et de sécurité du travail. Est-ce qu'il existe des normes de santé et de sécurité spécifiques pour votre milieu?

M. Hébert: Actuellement, on pense que, si la Commission de la santé et de la sécurité du travail entrait dans certains ateliers de gravure ou d'artisan, on fermerait lesdits ateliers, car ils sont dans des situations tout à fait dangereuses et cela affecte la santé des artistes. En ce qui concerne... On n'a pas actuellement, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, des normes précises, entre autres, pour les artisans et pour les artistes dans des milieux comme la sérigraphie et la gravure. Il en existe pour certains milieux précis.

Vous savez que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est assez complexe. Pour plusieurs milieux, la commission n'intervient pas. On précise l'une des modalités qui serait importante, il s'agit de donner un volet spécial au programme d'équipements culturels, car ce programme n'est maintenant orienté que sur les corporations. C'est un programme très utile pour les corporations et pour lequel on pourrait ouvrir un volet spécial pour doter les artistes qui ont des ateliers professionnels, soit d'artisanat, de gravure ou d'autres disciplines, d'équipements qui rendraient l'atelier sécuritaire et qui correspondraient davantage aux normes de santé et de sécurité au travail.

M. Boulerice: Je vous remercie.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Saint-Jacques. Est-ce que d'autres membres de la commission ont des questions à poser au représentant?

Mme Harel: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: J'aimerais connaître des représentants du conseil le type de fondation qu'ils souhaitent voir mise en place. À la page 9 de votre mémoire, vous recommandez au gouvernement d'encourager et de soutenir la création de fondations, dites-vous, administrant des fonds publics et privés voués au financement des arts. Est-ce que vous avez déjà expliqué un peu plus ce que pourraient être ces fondations? Est-ce que vous avez en tête des exemples ailleurs qu'au Québec? Est-ce que vous avez tout au moins travaillé parfois avec ce type de fondation? Quelle est votre expertise sur cette question?

M. Hébert: À ce titre, on peut penser à deux pratiques, celle de la fondation qui est une corporation indépendante d'un organisme. Par exemple, un conseil de la culture pourrait avoir sa propre fondation pour intervenir dan3 le milieu culturel. Également, un conseil de la culture pourrait avoir un statut spécial lui permettant d'obtenir un statut privilégié quant à la loi de l'impôt sur le revenu pour émettre des reçus, ce qu'on appelle un organisme de

bienfaisance. Les deux sont possibles.

Quant à nous, des expériences ont été vécues dans plusieurs régions; ce qu'il nous apparaissait important de vous préciser, c'étaient les difficultés que les organismes ont à obtenir cette fondation, à avoir le numéro et tout ce que cela comporte, les règlements, la charte et tout cela versus le gouvernement fédéral ou provincial, ou le statut d'organisme de bienfaisance. C'est l'obtention du permis ou du numéro qui permettra à cet organisme d'oeuvrer au plan de l'émission des reçus. Les organismes ont de la difficulté à obtenir ce statut.

Mme Harel: Donc, c'est plus la difficulté rencontrée avec les appareils gouvernementaux que la difficulté dans le milieu de susciter l'intérêt pour former une telle fondation.

M. Hébert; Oui, c'est exact, dans ce sens qu'il y a plusieurs organismes qui ont pris jusqu'à un an, deux ans avant d'obtenir le statut qu'ils souhaitaient. Dans leur milieu, nous pensons que la majorité était capable d'agir soit par le biais d'une fondation ou d'un organisme de bienfaisance.

Mme Harel: M. le Président, le conseil recommande aussi au gouvernement de soutenir la mise en marché de produits culturels - c'est toujours à la page 9 -particulièrement par l'établissement d'un réseau adéquat d'équipements culturels. C'est une recommandation pour l'avenir. Est-ce que le réseau vous apparaît actuellement déficient? Qu'est-ce que vous identifiez comme difficultés rencontrées à ce sujet-là?

M. Hébert: Pour les régions au Québec, on ne retrouve presque nulle part des salles de spectacles intermédiaires, par exemple, un réseau où la relève pourrait diffuser ses spectacles.

Sur le plan de plusieurs galeries, boutiques, selon les secteurs, on retrouve des équipements de diffusion manquants dans les régions du Québec, comparativement à ce qu'on peut retrouver dans un grand centre où on va avoir une panoplie de lieux de diffusion qui vont varier soit, par exemple, des salles de spectacles de 200 à 2000 places. Dans les régions, vous n'avez habituellement que des salles de spectacles de 1000 places.

Mme Harel: Qui sont des salles d'établissements scolaires, en général?

M. Hébert: Des salles d'établissements scolaires, souvent. À ce titre-là, dans les régions, les équipements culturels sont drôlement importants si on veut penser à la diffusion culturelle et à la mise en marché du produit.

Mme Harel: Est-ce qu'il peut même y avoir un soutien de l'entreprise privée? Tantôt vous énumériez un certain nombre de grandes entreprises de votre région qui avaient une politique, semble-t-il, efficace ou énergique. Est-ce qu'elles seraient éventuellement désireuses d'être associées ou d'associer leurs noms à la construction de salles ou d'équipements de cette nature?

M. Hébert: Je pense qu'il est toujours souhaitable d'associer l'entreprise privée au développement culturel dans toute la mesure du possible. Je pense que là-dessus on est très ouvert. Cependant, on peut prendre la question du réseau des bibliothèques publiques où, dans plusieurs régions, on fait face à des difficultés importantes parce que la bibliothèque ne correspond pas aux normes minimales du ministère. Dans plusieurs régions aussi, les BCP au Québec n'ont pas terminé leur implantation. On aurait des listes assez longues à vous énumérer en ce qui concerne les équipements culturels qui ne sont pas conformes aux normes du ministère dans les régions du Québec.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la députée de Maisonneuve. Est-ce que d'autres membres de la commission veulent poser des questions? Si personne n'a de question à poser, il me reste à vous remercier, MM. Duchesne et Hébert, pour votre comparution de cet après-midi. Vous nous avez appris des choses intéressantes. Je suis convaincu que cela va aider Mme la ministre à prendre les bonnes décisions, le moment venu. Merci bien.

Conseil régional de la culture des Laurentides

Nous passons maintenant, tout en prenant maintenant deux ou trois minutes, au Conseil régional de la culture des Laurentides, à qui nous accorderons plus que les vingt minutes qu'il reste avant 18 heures.

Mesdames, il m'est agréable de vous souhaiter la bienvenue à ces audiences de la commission de la culture de l'Assemblée nationale. Je vous disais tantôt qu'il nous reste vingt minutes. Nous devrons ajourner nos travaux très précisément à 18 heures puisque, à 18 h 15, se tient ici même une autre réunion. Nous reprendrons ces travaux avec vous à 20 heures. L'après-midi se terminera avec vous et la soirée commencera avec vous. Sur ce, je vous cède la parole avec grand plaisir.

Mme Démidoff-Séguin (Tatiana): Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, je. vais céder la parole à la directrice du conseil, Mme Lucette Lupien, pour vous lire le mémoire.

Mme Lupien (Lucette): D'abord, je voudrais préciser que nous sommes très heureux de venir témoigner devant vous et de présenter notre mémoire sur le statut de l'artiste. J'aimerais préciser, concernant ce mémoire, qu'on n'a pas parlé beaucoup du statut fiscal et juridique de l'artiste parce qu'il y a des organismes nationaux qui se préoccupent beaucoup de cette question et qui sont beaucoup mieux habilités que nous à le faire. Cependant, un organisme culturel provenant d'une région a une vision de la culture et des arts qui est un peu différente. Il peut témoigner au nom des artistes en régions, qui vivent souvent un problème d'éloignement face aux sources d'information et face au marché. Il peut aussi parler au nom de la population puisque, comme organisme culturel, on est aussi représentant de la population qui désire avoir accès à cette culture que fabriquent nos artistes. C'est un peu dans ce sens que nous avons préparé notre mémoire que nous vous présentons aujourd'hui.

Je vais commencer le texte maintenant. Le Conseil régional de la culture des Laurentides se préoccupe de la défense et de la promotion des droits et des intérêts des quelque 500 artistes qui vivent ou plutôt tentent de vivre de leur création et des 330 000 personnes qui habitent ce territoire et qui • ont ou qui devraient avoir le privilège, sinon le droit, d'avoir accès à cette création. C'est à ce titre que le conseil soumet à la commission de la culture ce mémoire sur le statut de l'artiste.

C'est à l'estime que porte un peuple à ses artistes qu'on peut juger du degré de sa maturité. Les artistes sont la conscience d'un peuple. À la fois sages et voyants, ils et elles nous guident vers une meilleure connaissance de nous-mêmes et de notre société. Malheureusement, il n'est pas toujours facile d'écouter la voix de la conscience. C'est tellement plus simple de regarder le hockey à la télévision ou des émissions comme Dallas que l'on voit continuellement. L'art a aussi un rôle primordial à jouer au niveau de la qualité de la vie. Il est source d'enrichissement et d'épanouissement intellectuel et social. Il permet de lutter contre les inégalités sociales et économiques, et constitue un palliatif efficace aux contraintes et aux pressions qu'exerce le milieu du travail.

Par ailleurs, l'impact économique de l'art sur l'économie en général ne doit plus être minimisé, voire ignoré. L'industrie artistique du Québec a assuré en 1981 des revenus totaux de 1 900 000 000 $ et des salaires et traitements de 608 000 000 $ pour 56 930 000 travailleurs. Selon un multiplicateur provincial de 1,6, l'effet multiplicateur des revenus de l'industrie des arts du Québec sur l'économie provinciale a été de 3 000 000 000 $. De plus, il est important de rappeler qu'en 1985 chaque dollar investi par le gouvernement dans l'industrie du spectacle lui rapporte 1,60 $ en impôt et taxes directes, tout en générant une activité qui représente quatre fois la somme des investissements des trois paliers de gouvernement.

En somme, il est très important pour un gouvernement de prendre au sérieux l'industrie culturelle pour quatre raisons: son rôle de conscience sociale, son impact sur la qualité de la vie, son importance dans le développement économique du Québec, les retombées fiscales qu'elle génère, sans compter l'image de marque et d'excellence du Québec que cette culture véhicule à l'étranger et l'investissement qu'elle suppose à moyen terme dans l'industrie de l'avenir, qui est l'imagination, la créativité et le développement de la matière grise, ce que l'on appelle aujourd'hui l'or gris.

Or, où se situe l'artiste dans tout cela? Il demeure le laissé-pour-compte de toute cette industrie. Selon M. Harry Hillman-Chartrand, directeur de la recherche au Conseil des arts du Canada, malgré l'importance des retombées économiques de l'industrie artistique, les artistes sont la catégorie occupationnelle la moins payée au Canada, à l'exception des personnes retraitées. (17 h 45)

M. Turgeon citait tantôt Jacques Godbout, on peut aussi citer l'artiste Jocelyne Aird-Bélanger qui dit: "Enfin, comme de plus en plus de personnes vivent aujourd'hui à partir de la production des artistes: vendeurs de matières premières, de cadres, de papier, de matériaux d'art; muséologues, professeurs d'histoire de l'art, directeurs de revues sur les arts, directeurs de galeries, coordonnateurs et directeurs d'associations professionnelles, fonctionnaires, critiques; bref, toute une foule qui serait sans travail sans la production artistique en arts visuels comme dans tous les autres arts d'ailleurs, comment se fait-il que l'artiste, lui, n'arrive que difficilement à vivre?

Pour relever le statut économique de l'artiste, il faut trois choses, à notre avis: élargir le marché de l'art favoriser l'excellence du "produit" artistique, ouvrir le marché aux artistes québécois.

Élargir le marché de l'art. Selon les études du service de planification du ministère des Affaires culturelles, plus les gens sont instruits, plus ils s'intéressent aux arts. Or, il y a lieu d'être inquiets quand on lit dans les journaux: "En compétition avec l'Europe francophone, les élèves du Québec arrivent au dernier rang... Ils étaient moins nombreux que les Européens à savoir que Christophe Colomb a découvert l'Amérique il y a environ 500 ans!"

Il y a là un problème majeur. On n'a pas l'impression, à lire ces titres, que le

public du Québec sera de plus en plus instruit. Par ailleurs, la tendance actuelle à surspécialiser les gens, formule d'ailleurs chaudement recommandée par notre astronaute national, Marc Garneau, ne nous semble pas du tout souhaitable. Dans les écoles, de nombreuses matières, dont certaines sont déjà obligatoires, s'ajoutent au niveau des options, et ces ajouts compromettent le principe de la formation générale et de l'accessibilité à la formation artistique. On remplace maintenant les cours de musique par un "supplément de mathématiques ou une autre matière obligatoire.

Nous appuyons la position du Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec qui a déjà proposé au ministère de l'Éducation une grille-matière qui saurait respecter les quatre champs du savoir, soit les humanités, les sciences, les arts et la technologie.

D'ailleurs, selon une enquête menée par l'Association des agences de placement des collèges et universités du Canada, "les diplômés en sciences humaines sont plus recherchés que ceux qui sortent des facultés d'informatique, d'agriculture, de foresterie et que les titulaires de maîtrises en administration des affaires". En effet, ces personnes sont plus flexibles, plus polyvalentes, plus aptes à communiquer avec la clientèle, donc de meilleurs-meilleures gestionnaires.

Pour élargir le marché de l'art, il est donc recommandé: que la grille-matière des écoles respecte les quatre champs du savoir, soit les humanités, les sciences, les arts et la technologie; que la formation en arts fasse partie du développement intégral de la personne et que des cours d'initiation aux arts et à l'histoire de l'art soient inscrits au programme des écoles primaires et secondaires; que les sorties scolaires des enfants soient prioritairement consacrées à l'art et à la culture; que les visites scolaires dans les ateliers d'artistes soient encouragées - concernant les sorties scolaires, on a vu des professeurs amener des enfants au McDonald; que les artistes soient invités à rencontrer les étudiants-étudiantes dans le cadre de conférences et de journées d'animation; que les professeurs qui ont une formation en arts obtiennent priorité pour les enseigner.

Ainsi, toute la population aura été sensibilisée à l'art, aura une image de l'artiste beaucoup plus valorisante et constituera un marché potentiel informé des pratiques culturelles actuelles.

Favoriser l'excellence du "produit" artistique. La plupart des artistes bénéficient aujourd'hui d'une solide formation de base; il est, en effet, presque normal parmi la nouvelle génération d'avoir effectué des études universitaires pour se dire artiste professionnel. Cependant, la formation ne s'arrête pas là. Il est essentiel en art de parler de formation permanente. L'artiste doit se tenir au courant des dernières manifestations artistiques nationales et internationales suceptibles d'alimenter sa réflexion et de modifier ses perspectives. De plus, la compétition devenant de plus en plus forte, toutes sortes de connaissances pratiques connexes à la création deviennent maintenant une nécessité: connaissance du marché de l'art, du marketing, de la présentation d'un dossier, d'un "portfolio", lecture de plans d'architecte, traitement de textes, création par ordinateur. Il y en a beaucoup de cela.

Dans les régions périphériques aux grands centres, Ie3 deux moyens privilégiés de formation permanente sont sans doute le programme d'aide à la création du ministère des Affaires culturelles, axé surtout sur la création et les échanges d'artistes, et le programme de formation de la commission de formation professionnelle, axé surtout sur des stages de formation pratique. Nous croyons qu'il faut assurer la survie et le développement de ces deux programmes. Dans le cas particulier de la commission de formation professionnelle, il faut assouplir les règles afin de répondre plus facilement aux véritables besoins exprimés par les artistes et élargir les domaines artistiques touchés par la CFP.

Dans le but de favoriser l'excellence du "produit" artistique, il est recommandé: que le ministère des Affaires culturelles encourage les échanges nationaux et internationaux entre artistes et entre ateliers d'artistes; que les stages en ateliers, ou la formation par apprentissage, fassent partie intégrante des études universitaires en art; que les institutions d'enseignement supérieur mettent l'accent sur la compétence artistique des professeurs, tout autant sinon plus que sur leur compétence pédagogique; que les artistes majeurs soient consacrés "trésor national" - c'est une pratique courante au Japon - et que le gouvernement leur assure un revenu adéquat pour qu'ils forment les plus jeunes; que le ministère des Affaires culturelles élargisse le programme "Ressources techniques" des institutions d'enseignement aux ateliers d'artistes reconnus; que les commissions de formation professionnelle assouplissent davantage leurs règles et leurs normes afin de répondre plus adéquatement aux besoins des artistes; que le ministère des Affaires culturelles crée un centre de documentation pour les artistes sur les techniques, ressources et produits existants; que les commissions de formation professionnelle offrent leurs services à toutes les disciplines artistiques, selon les besoins exprimés; que les ministères concernés encouragent la reconnaissance de métiers d'art rares ou raréfiés pour ramener cette expertise au Québec et que, par ailleurs, ils

encouragent la formation d'artisans-techniciens qui puissent assurer la production et la réalisation technique des créations des artistes en arts visuels.

Ouvrir le marché aux artistes québécois, c'est assurer l'accès de la population à la production culturelle des artistes d'ici. Tout d'abord, il est important, pour la crédibilité de l'artiste dans la population en général, pour encourager les entreprises à investir dans le domaine des arts et pour que les ministères du Revenu reconnaissent les artistes comme des professionnels, que des critères de professionnalisme soient définis et appliqués de façon uniforme.

Ouvrir le marché, c'est aussi s'assurer de l'existence de lieux, d'organismes et de fonds pour faire le lien entre les artistes et la population. C'est un problème particulièrement crucial en régions: manque de salles professionnelles pour accueillir les spectacles de tournée, manque de gestionnaires professionnels pour gérer ces équipements, manque de centres d'exposition aux moyens suffisants pour présenter des expositions d'envergure, manque de programmes de promotion et de diffusion, etc.

Par ailleurs, alors que, d'ici à l'an 2000, la croissance de la population sera de 1,1 % par année, la participation à des activités artistiques croîtra de 2 % par année pour les musées et les galeries, de 1,6 % par année pour les bibliothèques, de 1,6 % par année pour le théâtre et, malheureusement peut-être pour les sportifs, de seulement 0,8 % pour la télévision et de 0,8 % pour les pratiques sportives. On peut donc s'attendre à une très nette augmentation de la clientèle aux événements artistiques.

Afin d'ouvrir le marché aux artistes québécois, il est recommandé: qu'un comité national se penche sur la notion de professionnalisme de l'artiste et qu'un système national d'accréditation des artistes professionnels soit établi en vue d'être appliqué de façon uniforme au Québec; que le ministère des Affaires culturelles favorise l'implantation d'équipements culturels professionnels de diffusion dans toutes les régions du Québec; que le ministère des Affaires culturelles incite les autorités concernées à créer un programme de formation en gestion des arts; que le ministère des Affaires culturelles crée un programme d'aide au fonctionnement des salles de spectacles, basé sur le même principe que celui du fonctionnement des bibliothèques; que le ministère des Affaires culturelles crée un programme régionalisé d'aide à la promotion et à la diffusion des arts; que le ministère des Affaires culturelles favorise la création de structures de mise en marché souples et légères et ne craigne pas la compétition entre elles; que le ministère du Revenu favorise l'investissement en art par la publicité et l'amélioration des abris fiscaux aux entreprises et aux particuliers; que le ministère du Tourisme se dote d'un programme de promotion du tourisme culturel; que le ministère des Affaires municipales encourage, par des mesures fiscales, les municipalités à appliquer la politique du 1 % qui s'appelle, en fait, l'intégration des arts à l'architecture.

Et, au niveau international, il est recommandé que les délégations du Québec à l'étranger soient dotées d'attachés culturels dont la tâche sera de promouvoir l'art et la culture du Québec à l'étranger, d'assister les artistes du Québec sur le marché international et d'entretenir des liens suivis avec le milieu de l'art au bénéfice de nos artistes; que les délégations du Québec à l'étranger soient dotées de lieux convenables pour présenter les produits artistiques du Québec et qu'un réseau soit mis sur pied pour présenter des spectacles, des expositions et des événements itinérants; que le ministère des Relations internationales mette sur pied, dans les plus brefs délais, le comité d'orientation des relations culturelles internationales qui était prévu pour janvier 1985 et qu'un représentant de la Conférence des conseils de la culture y siège en compagnie des représentants de regroupements nationaux d'artistes; que le ministère des Affaires culturelles accorde une attention particulière à la question du libre-échange et accorde son appui à la Conférence des industries culturelles et des communications.

En conclusion, nous croyons que ces mesures, en revalorisant le statut de l'artiste, en rendant la population fière de ses artistes, en ouvrant le marché de l'art au Québec et à l'étranger aux artistes québécois, permettront à la population d'accorder une oreille attentive, et même un oeil attentif, aux messages que veulent livrer les artistes et permettront aux artistes d'arriver à vivre plus facilement de leur création.

Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la directrice générale. Comme il ne reste que cinq minutes, je vais suspendre, si vous n'y voyez pas d'objection, immédiatement. Je vais suspendre les travaux jusqu'à 20 heures de façon que l'on puisse préparer la salle pour l'autre réunion.

Alors, mesdames, nous vous reverrons, avec grand plaisir, a 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 55)

(Reprise à 20 h 7)

Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission de la culture reprend ses travaux suspendus à 17 h 55. Le

mandat, vous le savez maintenant tous, c'est une consultation générale sur le statut économique de l'artiste et du créateur.

Au moment où nous nous sommes quittés, nous nous apprêtions à poser des questions au Conseil régional de la culture des Laurent ides, et je cède immédiatement la parole à Mme la ministre des Affaires culturelles.

Mme Bacon: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier les représentantes du Conseil régional de la culture des Lau-rentides pour le mémoire qu'elles nous ont présenté et aussi de l'implication dans le milieu des personnes qui sont avec nous aujourd'hui.

En étudiant votre mémoire, j'ai constaté que vous abordez la question du statut de l'artiste dans des dimensions qui ont, évidemment, attiré mon attention. D'une part, vous nous formulez des recommandations en vue de favoriser l'excellence du produit artistique, et c'est évidemment une des conditions nécessaires, sinon essentielles en vue d'une meilleure qualité de vie culturelle au Québec.

En abordant cette question sous l'angle de l'excellence, vous rejoignez une de mes préoccupations - et j'en ai parlé abondamment dans mes visites, surtout dans les régions. Comme vous le dites dans votre mémoire, les artistes contribuent de façon importante à l'économie québécoise et cette marche vise à offrir au public québécois un produit marqué au coin de l'excellence, ce qui aura pour effet de créer une dynamique dans ce qu'il est convenu d'appeler la loi des marchés, ou si on préfère, cette adéquation entre l'offre et la demande des produits culturels.

Dans votre mémoire, vous recommandez différentes mesures en vue d'ouvrir le marché aux artistes québécois. Aux pages 8 et 9 de votre mémoire, vous faites intervenir différents ministères, comme le Tourisme, le Revenu, les Affaires municipales et plusieurs autres ministères à vocation internationale, dans une perspective d'ouverture et de diffusion de la culture.

J'aimerais vous entendre et entendre votre point de vue sur le rôle qu'aurait à jouer à ce moment-là, ou qu'aurait à assumer le ministère des Affaires culturelles, compte tenu de la vocation que nous avons. En somme, souhaitez-vous que le ministère des Affaires culturelles entame des discussions avec les autres ministères qui sont concernés pour ensuite coordonner l'action de chacun des ministères entre eux? Ou souhaitez-vous, au contraire, que les artistes fassent appel séparément à chacun des ministères que vous avez mentionnés dans votre mémoire, sans que le ministère des Affaires culturelles n'intervienne lors des démarches, sinon qu'il pourrait peut-être alors jouer un rôle de conseiller auprès des artistes qui doivent véritablement affronter des machines administratives, s'ils doivent aller à chacun des ministères? Pourriez-vous peut-être préciser là-dessus?

Mme Lupien: À notre point de vue, c'est le ministère des Affaires culturelles qui doit assurer la concertation entre les différents ministères concernant la politique gouvernementale face au développement culturel et au statut de l'artiste. Ne serait-ce que parce que vous êtes beaucoup mieux placé que n'importe quel des regroupements d'artistes ou de conseils de la culture ou d'autres organismes pour connaître les rouages de cette machine administrative et faire en sorte que les ministres se parlent déjà, que les hauts fonctionnaires se parlent ensuite, alors que cela finit toujours par revenir. Si nous on fait des pressions par en bas et vous par en haut ça ne peut pas finir autrement que par éclater quelque part. Je pense que c'est la tâche du ministère des Affaires culturelles de faire en sorte que la politique gouvernementale soit de favoriser le développement de la culture et des arts au Québec.

Mme Bacon: En page 6 de votre mémoire vous mentionnez que dans le cas particulier du programme' de la Commission de formation professionnelle, il faut assouplir les règles et répondre plus facilement aux véritables besoins exprimés par les artistes. Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples de rigidité auxquels les artistes doivent faire face?

Mme Lupien: Oui, le programme de la Commission de formation professionnelle est un programme assez souple en général. Au départ, par exemple, la Commission de formation professionnelle n'organise des cours que pour des groupes de quinze personnes, dans le cas des programmes de formation dans les arts, et particulièrement dans les métiers d'art. Pour le moment, en ce qui nous concerne, la commission accepte de descendre à des groupes de cinq ou six, parce qu'on ne peut pas former quinze joailliers dans chacune des régions du Québec, cela est tout à fait logique. Dans ce sens il y a déjà beaucoup de souplesse quant au nombre de participants nécessaires pour ouvrir un cours. Par ailleurs, on aimerait beaucoup que ces cours puissent faire appel à des ressources régionales, dans le sens qu'il existe dans toutes les régions du Québec, je pense, des artistes professionnels qui peuvent donner ces cours eux-mêmes, des experts, donc, qui ont eux-mêmes des ateliers. Avant d'aller faire nécessairement appel à des ressources de Montréal ou d'ailleurs, on pourrait utiliser déjà les ressources en place.

Troisièmement, la Commission de

formation professionnelle, avec laquelle on travaille chez nous dans les Laurentides présentement, est très ouverte à l'idée d'organiser des cours de gestion et de marketing pour les artistes et les artisans. Cependant, il arrive que, par exemple, les Hautes Études commerciales donnent des cours exprès pour les artistes et les gestionnaires en art, mais présentement il n'y a pas moyen de transférer les fonds de façon que les artistes puissent aller aux HEC suivre ces cours. On aimerait qu'il y ait de la souplesse dans ce sens-là, qu'on puisse profiter à brève échéance de tout ce qui existe comme formation, que ce soit beaucoup plus souple dans ce sens. Ensuite, j'aimerais rappeler qu'au niveau de la gestion et de la formation des gestionnaires en art, on en parlait un petit peu tantôt dans le mémoire de la Conférence des conseils de la culture... Je pense que lorsque vous étiez venue dans les Laurentides, Mme Bacon, on en avait glissé un mot.

Par exemple, pour former des gestionnaires en art ou en administration de l'art il faut aller à Banff, et à Banff c'est 3000 $ et c'est trois semaines, un stage. Alors c'est extrêmement difficile pour les gens d'ici de bénéficier d'un cours très sérieux, bien organisé sur les arts. Donc, il faudrait qu'on puisse avoir ça ici au Québec. D'ailleurs, on n'aurait pas seulement le marché francophone, mais je suis sûre qu'on pourrait avoir tout le marché de l'Est des États-Unis.

Mme Bacon: Vous insistez beaucoup sur le contrat élève-artiste. Est-ce que vous avez tenté des expériences dans votre région à cet égard?

Mme Lupien: Je m'excuse je n'ai pas compris... le contact?

Mme Bacon: Vous insistez beaucoup sur la relation ou le contact élève-artiste, la relation élève-artiste. Il y a des contacts qui s'établissent entre les élèves et les artistes, est-ce que vous avez tenté des expériences à cet égard?

Mme Lupien: Oui, il y a une expérience qui a été tentée. On avait convaincu les représentants du ministère des Affaires culturelles de la région de Montréal, le bureau régional de Montréal, de mettre de côté sur l'enveloppe du ministère allouée à notre région une somme pour le soutien à l'animation et à la promotion culturelle. On avait reçu des projets provenant de divers organismes du milieu, qui proposaient des projets dans ce cadre-là. Entre autres, il y avait eu un projet provenant des créateurs associés de Val-David qui, à la suite d'une expérience qui avait été tentée à Pompidou, permettait aux jeunes enfants de travailler avec un artiste dix samedis matin. Ce n'était jamais les mêmes artistes et les enfants ont pu apprendre à manipuler de la pierre, du verre et même du néon avec André Fournelle. Donc, pour les enfants c'était toute une découverte, un nouveau monde que de travailler avec des artistes. Dans ce sens, à ce moment-là, les artistes ne sont pas quelque chose d'éloigné, de très officiel ni de très plat. C'est quelque chose de très concret et Ils apprennent à faire des échanges. Tout contact qui favorise ce regroupement est un bienfait, non seulement pour les artistes et pour les enfants, parce que les artistes y trouvent beaucoup d'intérêt et ont des réactions immédiates à la façon dont ils font leurs oeuvres, mais, en plus, cela nous forme aussi un auditoire pour l'avenir.

Mme Bacon: Quand vous mentionniez que des artistes devraient être consacrés trésor national, est-ce que vous pouvez faire une évaluation du nombre d'artistes majeurs qui pourraient - et je reviens à ce que vous indiquez dans votre mémoire - être consacrés trésor national? Est-ce qu'eux-mêmes seraient intéressés à être consacrés trésor national?

Mme Lupien: C'est une "pogne". Je ne sais pas combien d'artistes pourraient être consacrés trésor national, je ne sais pas si...

Mme Démidoff-Séguin: II y a déjà des programmes, au ministère, il y a les bourses du Québec. On a déjà une façon de...

Mme Bacon: Nous les consacrons déjà.

Mme Démidoff-Séguin: On commence à avoir des trésors, de petits trésors.

Mme Lupien: D'ailleurs, les prix du Québec sont une forme de reconnaissance et ils ne sont pas très nombreux.

Mme Démidoff-Séguin: Mais, cela s'arrête peut-être là. Cela s'arrête au fait qu'ils aient un prix, tandis qu'au Japon cette expérience et cette reconnaissance servent puisque cet artiste fera des conférences ou rencontrera d'autres élèves et c'est important, parce qu'il y a un suivi.

Mme Bacon: Quand vous comparez le Québec au Japon, est-ce que vous comparez aussi l'aide ou les subventions accordées par l'État au milieu des artistes ou faites-vous ressortir davantage ce dossier?

Mme Démidoff-Séguin: Ce qui arrive aussi, c'est que l'artiste, quand il est consacré trésor national, c'est-à-dire quand on a reconnu vraiment que son rayonnement est important, a maintenant le reste de sa

vie, si l'on peut dire, assuré, parce qu'il a une rente jusqu'à la fin de sa vie. Il ne s'assoit pas sur ses lauriers, il continue à diffuser son art aux autres, mais il a maintenant l'assurance de pouvoir vivre aisément jusqu'à la fin de sa vie, ce qui n'est pas le cas ici. Un artiste peut recevoir un prix du Québec et ensuite ne plus avoir de contrat, ne pas pouvoir vivre. C'est là la différence.

Mme Bacon: On sait que votre région est une région touristique importante. Vous mentionnez dans votre mémoire aussi la promotion du tourisme culturel dans votre région. Est-ce que vous pourriez nous dire quelle forme pourrait prendre cette promotion ou quelle forme pourrait prendre un programme de promotion du tourisme culturel?

Mme Lupien: Cela peut prendre toutes sortes de formes. D'abord, il nous faut des équipements qui permettent aux touristes de venir dans la région pour les expositions qui s'y déroulent. Par exemple, déjà on a les Créateurs associés et l'Atelier de l'île, de Val-David qui font des stages l'été. Il vient là des gens de partout au Canada et même de l'Ouest des États-Unis. Ce sont des choses qui nous sont propres et qui devraient être développées. Toutes les caractéristiques spécifiques à chacune des régions sont une forme de tourisme culturel, le patrimoine, le développement des musées dynamiques. On pourrait avoir un musée des sciences qui serait un musée de la culture, mais aussi dynamique que le Musée des sciences qu'il y a à Toronto, par exemple. Il y a plein de choses comme cela à développer.

Il y a aussi tous les programmes de promotion du ministère du Tourisme qui s'adressent à l'étranger et qui, dans notre région particulière, ne vendent que les chambres d'hôtel et les pentes de ski. Alors, on fera difficilement venir des gens dans les Laurentide3 seulement en vantant les pentes de ski, puisque, maintenant, il y en a partout au Québec, dans l'Est des États-Unis et en Ontario. On en est vraiment à vendre notre spécificité culturelle qui est une grande ressource touristique.

D'ailleurs, juste pour vous rappeler -j'ai l'impression de me répéter puisque je vous avais aussi dit cela lorsque vous étiez venue - il y a quelques années, le premier théâtre d'été au Québec était à Sun Valley, dans les Laurentides. Peut-on parler aussi de la Butte-à-Mathieu qui est le début de la chanson québécoise, finalement. Il y a eu toutes sortes d'événements culturels dans les Laurentides qui en ont fait la réputation, sauf que cela s'est désintégré un peu à la longue et cela n'existe plus aujourd'hui. Cela correspond tout à fait à la grande époque du tourisme dans les Laurentides.

Mme Bacon: Est-ce que le Conseil régional de la culture des Laurentides a déjà fait des pressions ou des démarches auprès du ministère du Tourisme dans ce sens, pour faire reconnaître le milieu culturel?

Mme Lupien: Pas de façon très directe, que je me souvienne, mais nous participons, comme organisme, au conseil d'administration du nouveau comité qui est responsable du plan de développement touristique des Laurentides. C'est un plan qui est en train de se faire dans deux ou trois régions du Québec et où le ministère du Tourisme investit quelque chose comme 185 000 $. On espère qu'avec ce plan on va pouvoir développer des programmes à long terme qui vont être bénéfiques.

Mme Bacon: Je peux peut-être revenir avec la question que je posais cet après-midi aux membres du conseil régional. L'implication du milieu est importante dans un dossier culturel. Quelles sont les démarches que le Conseil régional de la culture des Laurentides a faites ou a entreprises auprès des municipalités, auprès des chambres de commerce, auprès des Commissions scolaires pour les intégrer davantage dans ce mouvement de recherche de solutions quant à l'avenir de la culture dans la région, ou les possibilités culturelles de la région?

Mme Lupien: Les conseils de la culture ont en moyenne cinq ans d'existence. Ils ont d'abord travaillé de très près avec le ministère des Affaires culturelles pour s'assurer qu'il y ait de l'argent pour nos artistes en régions. Vous êtes notre premier interlocuteur. Ensuite, on a travaillé beaucoup avec les artistes pour les convaincre de l'importance de se regrouper dans une instance régionale et de parler à des instances culturelles, si on peut dire. Par exemple, les directrices et directeurs des bibliothèques et des organismes de cet ordre. Cela a été les premiers pas qu'on a faits. Cependant, dans notre région, on a travaillé beaucoup à créer des outils. On a un document qui s'appelle "La part de la culture" et qui a recensé les dépenses municipales en culture en comparaison avec le budget municipal et le budget de loisirs. Il permettait aux 95 municipalités de la région des Laurentides de vérifier, par rapport à leur budget municipal ou la population qu'elles avaient, comment elles se comparaient avec d'autres municipalités. D'ailleurs, Mme la ministre, je peux déjà vous dire que les municipalités des Laurentides dépensent 1,9 % de leur budget pour la culture alors que le ministère, si j'ai bien compris, dépense 0,7 % du budget du gouvernement pour la culture. Donc, les municipalités sont plus avancées, quoique loin

derrière le sport qui va chercher 5,4 % des budgets municipaux. On a fait un document de cet ordre-là. L'année dernière, on a publié un document qui s'appelle "Les municipalités régionales de comté et la culture" pour s'assurer que dans les schémas d'aménagement des MRC il y aurait la partie de la culture. Cela a été suivi d'une rencontre dans chacune des neuf MRC de la région. On a un petit budget de 1Q4 000 $ par année, mais on va avoir un animateur à mi-temps qui va travailler auprès des municipalités pour qu'elles aient un appui quand elles ont l'intention d'investir dans la culture.

Mme Bacon: Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: J'ai beaucoup de plaisir à accueillir moi aussi les gens du Conseil régional de la culture des Laurentides. Votre mémoire apporte des dimensions qui m'apparaissent extrêmement intéressantes. La toute première en tout cas que j'ai notée est que l'attrait à la culture se fait, mais à condition qu'on ait créé au préalable un environnement proprice. À ce sujet, les remarques que vous faites quant à l'implication au niveau scolaire, par exemple, que les sorties scolaires des enfants soient prioritairement consacrées à l'art et à la culture - on en a discuté un peu en aparté lorsqu'on a suspendu tantôt - sont des choses effectivement qui coûtent peu mais qui, à la longue, sont extrêmement rentables, puisque ce sont des consommateurs d'art potentiels, les enfants qui fréquentent nos maternelles, nos écoles primaires et nos écoles secondaires.

Vous apportez aussi une autre dimension intéressante qui est l'implication du ministère du Tourisme. C'est bien entendu que le ministère du Tourisme ne supplantera jamais dans le domaine de la culture le ministère de la Culture, sauf que vous rejoignez une étude qui a été faite assez récemment par des spécialistes américains et qui prouvait hors de tout doute que les touristes américains qui viennent ici nous visiter, comme le disait un ministre du gouvernement précédent, ne viennent pas voir nos belles rivières canadiennes françaises et catholiques, mais viennent plutôt voir nos villes, c'est-à-dire ce qu'offrent nos villes et ce que peuvent offrir nos villages. Donc, il y a une dimension culturelle de plus en plus prononcée dans le domaine du tourisme. Vous souhaitez une implication. J'aimerais seulement vous rappeler qu'il y a déjà eu des implications du ministère du Tourisme dans la promotion d'événements culturels qui, certes, n'étaient peut-être pas en régions, mais c'était une première tentative d'implication du ministère et cela s'est fait de façon assez récente. Cela a été fait notamment pour le Festival des films du monde. Cela a été fait pour le Festival international du jazz - que vous connaissez sans doute très bien - et pour un événement en arts plastiques qui a fait l'étonnement de tous, l'été dernier, qui a été les Cent jours d'art contemporain.

Donc, le ministère du Tourisme s'implique, puisque le tourisme au Québec, comme partout ailleurs, est de plus en plus culturel. Je pense que c'est là donner une dimension intéressante.

Maintenant, quant aux autres recommandations que vous faites, j'aurais certaines questions précises à vous poser. Vous avez parlé du dialogue que vous avez actuellement avec les municipalités. Les municipalités sont des administrations par délégation. Historiquement, il faut le voir, on a demandé aux municipalités, depuis des années, de se préoccuper des problèmes de trottoirs, de voirie, d'aqueduc et tout récemment de loisir, surtout en termes de sport. C'est très récent nos demandes aux municipalités dans le domaine culturel. Certaines s'y prêtent de bonne grâce. Je ne sais pas si cela est relié à qui occupe les fauteuils à ces endroits ou aux ressources financières. Dans le dialogue que les conseils régionaux de la culture sont en train d'amorcer - et particulièrement le vôtre -avec les municipalités, quel est le rôle que vous donnez au ministère des Affaires culturelles? Tantôt, lors d'une question qui était posée à votre conseil national, on avait une espèce de vision un peu ferroviaire des affaires culturelles. On se disait: Est-ce que c'est un chef de gare, est-ce que c'est une locomotive? Et très spontanément, on a répondu qu'on attendait du ministère des Affaires culturelles qu'il soit une locomotive dans le domaine de l'art. J'aimerais que vous puissiez me situer les interventions, le niveau d'interventions que vous souhaiteriez du ministère des Affaires culturelles dans le dialogue que vous avez avec les municipalités.

Mme Lupien: J'ai deux ou trois choses à dire là-dessus. Un autre dossier que j'ai oublié de mentionner, tantôt, concernant notre implication avec les municipalités, c'est que depuis quatre ans nous avons créé des comités culturels dans les municipalités des Laurentides. Cela n'était pas une idée de nous. D'ailleurs, cela se faisait déjà dans l'Est du Québec. Là-bas, ils les appellent les comités de développement culturel, les CODEC. Donc, chez nous, ce sont des comités culturels. Dans le fond, ce qu'on a essayé de faire, ce sont de petites entités qui ressemblent à l'entité du conseil de la culture, mais qui sont aussi un lobby culturel municipal. On a trouvé que si les gens du

sport étaient si habiles à se faire un lobby auprès des conseils municipaux, la culture pouvait prendre le sport en exemple dans ses aspects les plus positifs et peut-être prendre cette place et insister auprès des conseils municipaux pour qu'ils donnent une importance particulière à la culture.

La deuxième chose est qu'on a aussi présenté un mémoire à la commission des municipalités, à la commission Parizeau, et, entre autres choses, ce qu'on a dit c'est qu'on se retrouve souvent avec un conseil municipal qui nous dit: Vous voulez faire des spectacles? grand bien vous fasse! installez-vous dans le sous-sol de l'hôtel de ville ou dans le sous-sol de l'église. Le ministère des Affaires culturelles a une politique pour les salles de spectacles qui est de grande qualité. Cela veut dire que dans une ville de 5000 habitants qui voudrait se construire une salle de spectacle, c'est autour de 1 700 000 $, si on respecte les normes du ministère.

Alors, entre le sous-sol d'église et 1 700 000 $ pour 5000 habitants, il devrait y avoir moyen, quelque part, de s'entendre de façon que les municipalités ne rejettent pas d'emblée tout investissement culturel, parce que c'est trop onéreux, et de façon aussi que les gens puissent en faire un espace qui leur appartienne bien. Dans ce sens-là, je pense que l'Union des municipalités, lors de son dernier congrès -ou était-ce l'Union des MRC, je ne sais plus laquelle - parlait beaucoup du faire faire. Donc, de confier à des entreprises ou à d'autres organismes le soin de faire pour elle. (20 h 30)

Je considère que le ministère des Affaires culturelles pourrait travailler de très près avec les conseils de la culture pour faire une espèce de lobby auprès des municipalités, dans le sens que le ministère devrait utiliser ce "faire faire", avec cette expertise que l'on a en régions, mais assouplir ses normes et être capable de voir la capacité des municipalités de faire du développement. Elles sont très loin de parler de développement, à part les municipalités qui ont autour de 100 000 habitants. En bas de cela, c'est extrêmement difficile. Je vous parlais tantôt de la part de la culture; cela passe dans une municipalité qui a en bas de 30 000 habitants, c'est quelque chose comme 5 $ per capita. Dès que la municipalité a autour de 30 000 habitants, cela monte d'emblée à 25 $ per capita. Donc, il y a une très grande difficulté dans la majorité des municipalités du Québec à faire face à des dépenses importantes de capitalisation au niveau du développement culturel.

M. Boulerice: En page 8, vous parlez d'ouverture des marchés... Oui, je m'excuse, un complément?

Mme Démidoff-Séguin: J'aimerais ajouter quelque chose aussi. C'est que les municipalités reçoivent des subventions gouvernementales et on sait que la majorité des municipalités n'est pas tellement sensibilisée à la culture. C'est beaucoup plus facile pour elles de réaliser des investissements dans le sport, parce qu'elles ont déjà des exemples. Elles ont moins d'exemples en culture. Ce serait intéressant aussi que le ministère des Affaires culturelles puisse avoir un rôle auprès du gouvernement pour que ces subventions soient données de façon conditionnelle, c'est-à-dire qu'il y ait un certain pourcentage qui aille automatiquement à la culture, que cela soit séparé. Quand elles reçoivent une subvention globale, elles vont avoir tendance à la mettre du côté du sport, parce que c'est une habitude. Alors, nous, on fait des pressions de notre côté, on rencontre les MRC, on fait toutes ces pressions, mais ce serait intéressant aussi que, du côté gouvernemental, il y ait une volonté très nette. On n'a pas de modèles, mais vous pouvez les trouver vous-mêmes pour les inciter à investir dans la culture.

M. Boulerice: En page 8, vous parlez d'ouvrir le marché aux artistes québécois. Vous dites: "Ouvrir le marché, c'est aussi s'assurer de l'existence de lieux, d'organismes et de fonds pour faire le lien entre les artistes et la population. (...) C'est un problème particulièrement crucial en régions: manque de salles professionnelles pour accueillir les spectacles de tournée, manque de gestionnaires." Vous avez fait allusion aux sous-sols d'églises qui ont servi à toutes les sauces, c'est bien entendu. Pouvez-vous nous décrire la situation en régions, en ce qui a trait aux salies professionnelles, notamment la vôtre?

Mme Lupien: Horrible. Je vais vous donner l'exemple de la capitale régionale des Laurentides, qui est Saint-Jérôme, où il y a une salle dans une polyvalente, de 900 places, qui peut donc accueillir des spectacles assez importants. Cependant, cela a été prévu comme un auditorium et il n'y a pas de possibilité de rentrer les décors sur la scène. 11 faudrait donc créer un débarcadère ou, comme disent les gens de l'île aux Coudres, un "débarque à terre" et permettre une plus grande qualité.

Maintenant, l'autre problème, c'est qu'il n'y a pas de foyer devant la salle qui permettrait aux gens de se retirer à l'entracte. Ensuite, ce qui se passe, c'est que, tant que cela demeure une gestion faite par la commission scolaire, par la polyvalente, la priorité va aller à l'éducation. À ce moment-là, c'est sûr qu'on va prêter la salle à des organismes comme... Je ne me souviens plus du nom de la firme qui fait cela dans les Laurentides, mais elle fait

venir, par exemple, Jean Lapointe parce que Jean Lapointe va remplir 900 places.

Mais, quand une municipalité prend une gestion de salle, elle réinvestit dedans. Elle fait venir Jean Lapointe et, avec les profits, elle fait venir une troupe de danse qui est moins connue ou des choses qui sont moins accessibles comme du théâtre un peu plus audacieux, un peu plus novateur, ce qui permet aux gens d'avoir accès à ces choses-là. Mais la commission scolaire n'a pas un mandat de développement culturel; donc, elle loue la salle, cela lui coupe ses frais. D'ailleurs, les fauteuils sont souvent un peu brisés par les jeunes qui les utilisent à longueur de journée; donc, cela ne fera jamais une vraie salle de spectacles. Tant que l'on n'aura pas une gestion sérieuse par un organisme municipal, on n'aura que des spectacles de Jean Lapointe et de Ginette Reno, qui vont toujours attirer des foules, mais jamais de réinvestissements pour avoir accès à d'autres formes de spectacles que ceux-là. Est-ce que je réponds à la question?

M. Boulerice: Donc, vous êtes en train de nous dire que le théâtre, en tout cas dans la région des Laurentides, ne s'exerce que dans les fameux théâtres d'été qui sont nos vieilles granges recyclées. S'il fait beau en juin, tant mieux!

Mme Lupien: Et qui ferment, comme le Théâtre de Sun Valley, pour insalubrité ou parce qu'ils ne répondent plus aux normes. D'ailleurs, cela veut dire que la population des Laurentides, qui, elle, est au service du tourisme l'été, qui a peu de temps pour avoir accès à ces pièces de théâtre, se retrouve à l'automne disponible, mais n'ayant plus rien à voir parce que les théâtres sont repartis. C'est un des problèmes des régions en général, j'ai l'impression.

Le Président (M. Trudel): Est-ce que je peux intervenir en disant, Mme la députée de Chicoutimi, qu'au cours de notre réunion de travail la semaine dernière nous avions convenu que Mme la ministre poserait les premières questions, le député de Saint-Jacques les questions suivantes et que, si j'en avais, je les poserais et que, par la suite, on aurait des échanges parmi les membres de la commission* Cela vous va bien?

Mme Blackburn: Je ne vais pas bouleverser votre entente, cela me convient.

Le Président (M. Trudel): Merci. M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: J'aimerais que vous m'explicitiez une chose. Je m'excuse, mais je n'ai pas compris le trésor national.

Mme Démidoff-Séguin: Eh bien, c'est simplement un des aspects du statut de l'artiste, c'est-à-dire que, quand un artiste a une carrière, qu'il a créé des oeuvres majeures, qu'il est reconnu par son pays comme un artiste qui a créé des oeuvres valables, il reçoit des récompenses ou des signes qui le lui prouvent. Mettons ici au Québec, l'artiste qui va recevoir la plus haute récompense qui existe va recevoir le Prix du Québec. Il y en a cinq qui sont distribués chaque année. Mais quand l'artiste a reçu son prix et qu'il a reçu sa récompense, quand le pays lui dit: On reconnaît ce que vous avez fait, c'est fini, C'est-à-dire que l'artiste, même quand il est reconnu comme professionnel, comme artiste important, continue à avoir tous les problèmes qu'ont tous les artistes de toute façon. J'avais donné un exemple. Un de nos Prix du Québec l'année dernière, c'est Charles Daudelin, qui est l'un des plus grands sculpteurs du Québec à l'heure actuelle. Cela fait peut-être deux ans qu'il vit de son art. 11 n'est pas certain de pouvoir vivre de son art l'année prochaine, ni dans cinq ans, parce qu'il peut passer des grandes périodes sans avoir aucun contrat. Donc, tous les artistes sont à la merci de cela, et tout au long de leur carrière. On donnait un peu cet exemple parce qu'au Japon, quand l'artiste est reconnu, quand il a déjà atteint un stade où on dit que c'est quelqu'un d'important au point de vue de la création, de ce qu'il a eu à dire, l'État va le lui prouver, d'abord en lui permettant de vivre décemment tout au long de sa vie et aussi, parce que c'est dans les structures mêmes, on va lui permettre de communiquer son art, de stimuler d'autres plus jeunes en parlant d'art, en leur enseignant ce qu'il sait. C'est quelque chose d'important et cela crée une notion aussi qu'à un moment donné l'artiste, arrivé à un certain stade, est reconnu comme dans n'importe quelle profession. Mais les artistes sont toujours remis un petit peu en question; alors, c'est un petit peu cela qu'on a voulu montrer.

M. Boulerice: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Compte tenu de l'heure qui avance et du fait qu'il y a trois groupes qu'on doit encore entendre ce soir, dont deux qui nous viennent de Montréal, je suis tout à fait prêt à laisser la parole à la députée de Chicoutimi si elle avait des questions à poser.

Mme Blackburn: Je n'ai plus de questions, je ne prolongerai pas indûment les débats. Je trouve que votre mémoire. est particulièrement intéressant. Il nous apporte des éléments de solutions pertinents et réalisables. Ce n'est pas complètement décroché, cela ne veut pas solutionner tout

en même temps. Je trouve que votre document est intéressant et, je le répète, facilement applicable.

Je me permettrai, cependant, un petit commentaire; ensuite, deux brèves questions. En page 4 de votre mémoire, vous faites état d'un sondage qui avait été réalisé par la Presse sur les connaissances des jeunes Québécois en comparaison avec quelques pays d'Europe. Il faut dire que nos jeunes étaient au dernier rang. C'est effectivement vrai pour les mathématiques et le français. Mais, ils étaient au premier rang pour la créativité et l'imagination. On se demande parfois dans ces milieux: Qu'est-ce qui sera le plus utile demain matin, dans dix ou vingt ans: avoir beaucoup d'imagination et beaucoup d'esprit de créativité ou savoir écrire correctement son français? Je pense que la question se pose.

Quant aux recommandations que vous faites touchant ce que pourrait être le profil de formation des jeunes, je partage tout à fait votre avis là-dessus. Effectivement, il ne faudrait pas tomber dans le piège de la technique et de la science comme étant la panacée à tous les maux, y compris le chômage au Québec.

Ma question touche les programmes. À la page 6, vous parlez de perfectionnement et vous parlez en particulier de la Commission de formation professionnelle. Est-ce que, de façon générale, lorsque vous parlez de la Commission de formation professionnelle, c'est pour des cours qui sont généralement reconnus? Vous parlez de traitement de texte, de marketing ou d'administration, pensez-vous que la Commission de formation professionnelle devrait aussi pouvoir offrir des cours sur mesure pour répondre à des besoins particuliers, par exemple, maîtriser une nouvelle technique, faire venir des spécialistes pour des sessions intensives de travail?

Mme Lupien: Comme vous dites, c'est très juste que les Québécois avaient une avance concernant la créativité, mais la créativité alliée aux connaissances fait quelque chose qui éclate et cela fait l'état de nos artistes aujourd'hui. Si on veut que cela continue, il faut s'assurer qu'on puisse remonter le niveau de connaissances au niveau de la créativité, je crois.

Mme Blackburn: II ne faut pas vous en faire, je suis toujours en train de défendre les jeunes.

Mme Lupien: Concernant la Commission de formation professionnelle, il faut quand même vous dire une chose. Le genre d'intervention qu'ils font est assez limité, dans le sens que ce sont des cours, en général, faits sur mesure, mais ce sont des cours de 45 heures. Alors, on ne va pas là se chercher un bac en administration ou quoi que ce soit. C'est tout à fait ponctuel, tel que demandé par les artistes. C'est l'intérêt de ce centre de formation, d'ailleurs.

Mme Blackburn: Pour ce qui est de l'autre programme, le programme d'aide à la création du ministère des Affaires culturelles, est-ce que, dans les autres ministères comme le ministère de l'Industrie et du Commerce, il y a des programmes que vous pouvez utiliser ou que les artistes ou les créateurs peuvent utiliser, par exemple, dans le cadre du soutien à la création d'emplois ou est-ce particulièrement ou exclusivement par le biais des programmes d'aide à la création du ministère des Affaires culturelles? En fait, ma question est la suivante: Est-ce vraiment reconnu comme étant une industrie culturelle? Est-ce que les artistes ou les artisans qui veulent fonder une entreprise, une école ou un service quelconque sont traités de la même façon que quelqu'un qui voudrait ouvrir une fabrique de chaises? Est-ce qu'on a tendance à recevoir de la même façon ces demandes ou est-ce encore quelque chose qui n'est pas vraiment considéré comme étant du développement économique?

Mme Lupien: À partir du moment où l'artiste a prouvé que cela peut être une industrie culturelle, mais une industrie tout de même, oui, la demande va être étudiée de la même façon, mais au départ, effectivement, on n'y pense pas. On dit: Si ce sont des artistes, ils peuvent créer, mais on oublie à quel point c'est vraiment une industrie. C'est, d'ailleurs, pour cela que, présentement, on a fait une demande au ministère des Affaires culturelles pour faire évaluer l'impact économique de la culture dans notre région. Cela nous permettra de faire face aux directeurs de caisses populaires et de banques et aux fonctionnaires des autres ministères qui investissent, comme au ministère de l'Industrie et du Commerce ou à l'Office de planification et de développement du Québec ou même à d'autres niveaux, de façon que cela soit plus pris au sérieux qu'on ne le fait présentement.

Mme Blackburn; D'accord. Â la page 7 de votre mémoire, vous demandez à la toute fin, au dernier paragraphe, que les ministères concernés encouragent la renaissance des métiers d'art rares ou raréfiés. À quoi pensez-vous en particulier? (20 h 45)

Mme Lupien: Peut-être que Mme Démidoff-Séguin pourra compléter. Jean-Paul Riopelle habite la région des Laurentides, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Il se plaint toujours de ne pas trouver ici des techniciens

artisans, des graveurs. Ici, on a beaucoup développé la créativité: On a des graveurs, mais qui ne gravent que leurs propres oeuvres. On n'a pas de graveurs artisans qui pourraient aller travailler avec Riopelle chez lui et reproduire ses oeuvres. Lui ne considère pas qu'il est un expert en gravure. Il préfère faire affaires avec un graveur ou une graveuse professionnelle. Mme Séguin pourra vous parler des problèmes pour la fonderie, etc. Il y a certains métiers comme ça qui sont complètement disparus au Québec et qui font que, quand Riopelle veut travailler, il retourne en France parce que là il trouve les services qu'il ne trouve pas ici.

Mme Démidoff-Séguin: Ce sont soit des métiers qui ont disparu, soit des métiers qui n'ont jamais été acquis complètement. Il faudrait qu'on ait des écoles ou des formateurs qui puissent enseigner les métiers traditionnels et vraiment une technique à fond. Il est évident que Ies créateurs vont s'en servir pour leurs propres créations, mais il y a aussi beaucoup de personnes qui vont apprendre ces métiers et qui vont les mettre au service des artistes pour créer certaines oeuvres ou certaines parties d'oeuvres. On a un problème pour les fonderies au Québec parce que nous n'avons pas de fonderies qui répondent à des critères d'excellence, ici, au Québec. On fait venir quelqu'un de Toronto qui prend les commandes et qui rapporte les oeuvres, mais tous les artistes voudraient avoir accès à une fonderie, mais une fonderie qui ferait un prix définitif et dont le produit fini serait parfait, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cela est un exemple mais c'est un exemple qu'on peut retrouver dans tous les corps de métier. On a vraiment besoin d'avoir cette excellence dans les corps de métier.

Mme Blackburn: À la page 8, vous avez une recommandation qui touche la notion de professionnalisme de l'artiste. Vous demandez qu'un comité national se penche sur la notion de professionnalisme de l'artiste et qu'un système national d'accréditation des artistes professionnels soit établi en vue de l'appliquer d'une façon uniforme au Québec. Il me semble que ce soit un problème de taille?

Mme Démidoff-Séguin: C'est un problème énorme parce que définir le professionnalisme n'est pas facile. Actuellement, il y a des critères internationaux qui sont assez vagues. C'est d'autant plus crucial que cela se présente plus souvent dans les arts visuels mais cela existe dans toutes les disciplines. Qui est un artiste professionnel et qui ne l'est pas? On s'en aperçoit le plus quand on a affaire à la fiscalité parce que le ministère du Revenu veut absolument savoir qui est un artiste professionnel pour pouvoir appliquer ou créer des lois qui soient applicables pour ces artistes-là, sinon demain on aura 6 000 000 d'artistes au Québec. Pour pouvoir définir ces critères de professionnalisme, il y a énormément d'organismes qui se penchent sur la question. Cela va être long et quand on demapde que les gouvernements s'impliquent c'est parce qu'il va falloir vraiment travailler la-dessus, mais on n'a pas toujours, quand on est des artistes ou des regroupements d'artistes, les moyens financiers non plus pour travailler. C'est une grande partie de bénévolat et c'est très difficile et c'est très long aussi.

Mme Lupien: II va falloir y arriver de toute façon parce qu'il y a des programmes par lesquels, par exemple, comme l'intégration des arts à l'architecture, on s'assurerait davantage une grande qualité d'oeuvres si seuls les artistes professionnels étaient admissibles à ce programme-là. Aussi, au niveau de la fiscalité, j'aimerais ajouter un exemple que M. Michel Brûlé donnait récemment en disant: "Un professeur, qui, la fin de semaine, fait des toiles ou des sculptures chez lui, est-ce que c'est un artiste professionnel ou est-ce qu'on parle d'un artiste qui enseigne à l'occasion à l'université ou cégep? Quelle est la différence entre les deux et comment établir cela pour qu'un artiste soit reconnu comme professionnel?". Ce n'est pas facile du tout, mais, si on ne s'attaquait qu'aux choses faciles, on éviterait l'essentiel, j'ai l'impression.

Mme Blackburn: Une petite question. Je n'ai pas vu dans votre mémoire - je l'ai lu très rapidement, cependant... Vous parlez beaucoup du manque de salles de spectacles adéquates. Je n'ai pas vu d'endroit où vous parliez de lieux qui seraient mis à la disposition des artistes, des artisans, pour leur permettre de s'exercer ou de se produire dans des petites salles parallèles ou moins grandes, moins vastes que ces grands amphithéâtres de polyvalentes ou de collèges?

Mme Lupien: Quand on parle de lieux, on n'a pas à identifier la grandeur des salles. Cela se fait par rapport à la population à desservir dans une municipalité. Il existe des expériences qui ont été tentées comme à Amos où on a une salle de spectacles qui se transforme: tous les sièges montent au plafond et cela devient une salle d'exposition. Cela peut servir pour des expositions industrielles, donc, on peut rendre des lieux plus polyvalents tout en les gardant très professionnels. Ces salles ont souvent des murs qui peuvent permettre de faire qu'une salle soit plus petite et que deux activités aient lieu simultanément. Ces choses-là peuvent se faire, mais cela prend

déjà une politique où l'on dit que la population a droit à des spectacles et a droit à avoir accès à ce qui se fait à Montréal ou à Québec. À partir de ce moment-là, on règle les problèmes, je pense. D'ailleurs, les salles qui sont polyvalentes et qui peuvent permettre des expositions industrielles sont beaucoup plus intéressantes pour une municipalité. La municipalité écoute davantage cette façon de voir.

Mme Démidoff-Séguin: Aussi, cela revient plus cher et on n'a pas forcément les moyens de le faire. Il faudrait peut-être envisager, aussi, dans certains lieux, des salles plus petites. Actuellement, le ministère des Affaires culturelles a des normes et c'est très bien. Ce sont des normes d'excellence. On est tout à fait d'accord avec des normes d'excellence. Cela demande beaucoup d'argent. On vient d'avoir un sommet, chez nous, et on s'est aperçu en "priorisant" un réseau de salles... D'abord, on en a "priorisé" peu pour pouvoir répondre à des coûts qui seraient réalistes... Cela va se faire, mais doucement. Il y a d'autres lieux qui ne sont pas entrés dans ce circuit, parce qu'on savait bien qu'on ne pouvait pas en demander pour toutes les régions. Il faudrait voir, peut-être, aussi, à aménager des lieux déjà existants à moindre coût pour permettre ce que vous dites, c'est-à-dire des répétitions, des petites représentations, pour pouvoir après aller dans d'autres lieux qui répondent vraiment aux normes du ministère. Tout cela c'est une question d'argent.

Mme Pelchat: Mais, en établissant un système national d'accréditation, est-ce que vous n'avez pas peur de créer des classes à part, ce qu'on peut appeler des salons de refusés?

Mme Démidoff-Séguin: Pour les artistes?

Mme Pelchat: C'est-à-dire de faire une classe privilégiée...

Mme Démidoff-Séguin: C'est toujours difficile, mais de toute façon il faut en arriver quand même à définir certaines choses. Par exemple, un artiste ou une artiste peut répondre à certains critères: avoir fait des expositions importantes, avoir été sélectionné par des jurys très importants, recevoir des prix. Toutes ces choses-là. Cela, il faut que ce soit quantifié et qu'on puisse le voir. Et ce n'est pas pour créer des ghettos, pour dire qu'il y en a une partie qui ne sont pas bons, mais cela va permettre, d'abord,, d'aller chercher au niveau de la fiscalité, au niveau des ministères qui demandent non pas des choses floues, mais très très précises, déjà...

Mme Pelchat: La définition fiscale de l'artiste et une définition disant ce qu'entend la société par le mot "artiste", cela est très différent. Quand peut-on inclure l'artiste dans une espèce d'académie...

Mme Démidoff-Séguin: Il faut que cela reste très libre, mais il faut quand même que l'on puisse le définir. On ne peut pas, non plus, dire simplement, parce que n'importe quelle personne va faire un petit gribouillage le dimanche; Voilà, cette personne a le droit de s'exprimer, c'est évident, elle est peintre. Cela ne se fait pas de cette façon. Ce n'est quand même pas aussi simple. Il faut quand même répondre à des critères, comme dans tous les domaines. On ne devient pas chirurgien, non plus, simplement parce qu'on a de beaux talents. Personne n'irait se faire opérer par quelqu'un qui a le goût de faire ces choses-là. On irait quand même chercher quelqu'un qui a fait ses preuves. Je pense que c'est à ce niveau-là de demander aux gens de faire leurs preuves pour accéder à certains paliers. Ce qui n'empêche pas du tout tous les autres d'accéder à ces paliers. Il faut laisser la liberté de création. Parce que cela non plus ce n'est pas mis en cause.

Mme Pelchat: D'accord.

Mme Lupien: Vous savez, on a pas idée de l'état de la culture dans les régions du Québec. Voici un exemple qui m'est cher parce qu'il exprime exactement ce qui se passe. II y a un professeur de danse dans les Laurentides qui faisait partie du conseil d'administration, il y a quelques années. Elle donnait, à la fin de l'année, avec ses enfants, un spectacle dans les écoles pour initier les enfants à la danse. Les enfants regardaient cela. Ils regardaient les enfants danser et à la fin ils disaient: Quand vont-ils parler? Ils ne connaissaient même pas, j'imagine, l'existence de la danse comme art, comme expression artistique. Cela c'était à 50 milles de Montréal. Je ne sais pas si cela peut être pire un peu plus loin.. Mais, il y a énormément de travail à faire. Les organismes nationaux nous appellent le tiers monde de la culture, au Québec. C'est vrai.

Le Président (M. Trudel): En soulignant que j'ai beaucoup aimé ce que vous avez écrit et ce que vous avez dit depuis une heure devant nous sur le rôle de l'école, notamment sur le tourisme culturel, j'aurais beaucoup aimé avoir un échange, justement, sur le libre-échange avec vous. Malheureusement, il est 20 h 55. Nous avons trois autres groupes à entendre. Alors, Mmes Démidoff-Séguin et Lupien, je vous remercie, au nom de la commission, de vous être présentées devant nous aujourd'hui pour éclairer notre lanterne. Merci beaucoup.

Mme Lupien: Merci à vous de nous avoir si bien écoutées. Je rappellerai juste que c'est à l'estime que porte un peuple à ses artistes que l'on peut juger du degré de sa maturité. Je nous souhaite la maturité à très court terme.

Le Président (M. Trudel): Merci beaucoup. À l'intention à la fois des membres de la commission et des prochains intervenants, il est presque 21 heures et je pense que nous allons devoir dépasser 22 heures, mais de peu. Je demanderais, si c'était possible, aux trois prochains intervenants, étant donné que les mémoires ont été reçus dans ces trois cas-là, il y a déjà quelques jours - dans certains cas, il y a déjà plusieurs jours - qu'ils ont été lus, qu'ils ont été résumés tant par le personnel de la commission que par le personnel attaché à Mme la ministre, et, je pense, aussi attaché à M. le député de Saint-Jacques, si c'était possible aux intervenants d'en faire simplement un résumé plutôt qu'une lecture. Il y a surtout certains mémoires qui sont plus longs que d'autres. Alors, sans vouloir imposer cette façon de travailler, de façon à donner la chance à tous, j'inviterais les prochains intervenants, qui sont les représentants de la Faculté des arts de l'Université Laval, d'essayer, dans la mesure du possible, de résumer leur mémoire, résumé d'ailleurs dont ils ont fait parvenir une copie à la commission, il y a déjà quelques jours.

Faculté des arts de l'Université Laval

Mme Paré-Tousignant (Élise): M. le Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs, je suis Élise Paré-Tousignant, doyenne de la Faculté des arts de l'Université Laval. Ce soir, m'accompagnent, pour la présentation du mémoire, mon collègue François Demers, vice-doyen du département d'information et de communication, et Claude Simard, de l'École des arts visuels, qui est secrétaire de la faculté. Je viens, moi, de l'école de musique dont vous retrouvez, au niveau de la représentation, les trois unités de la faculté.

À la suite de votre demande, je voudrais insister sur le fait que la Faculté des arts de l'Université Laval a jugé essentiel d'apporter sa contribution, même si elle est modeste, à votre commission parce que nous sommes trè3 préoccupés des débouchés pour nos étudiants et aussi de l'importance de relever le défi de l'intégration des nouvelles technologies à nos enseignements. Nous sommes aussi, par contre, très inquiets de la situation de l'enseignement des arts dans le système scolaire du Québec, en particulier au niveau primaire et au niveau secondaire.

M. Demers (François): Je pense que cela résume assez bien ce pourquoi nous nous sommes présentés ce soir. Si on devait aller plus dans le détail, j'ajouterais - vous voyez, je procède rapidement - deux considérations. Il y a d'abord, dans ce mémoire, une approche que l'on pourrait qualifier de philosophique. Nous avons essayé de prendre le vent et de considérer que, dans les circonstances, s'il était question - et je pense qu'il en est fortement question -d'inciter les artistes à aller davantage du côté du libre marché de l'art, du côté de l'entrepreneurship, du côté de l'artiste en tant qu'acteur économique, l'État se devait quand même de favoriser, par un certain nombre de mesures indirectes, le développement de ce marché de l'art, si bien que vous pouvez lire les considérations générales sur une correspondance entre la capacité pour des entrepreneurs ou des artistes, sur une base individuelle, de vendre des produits, de développer des marchés, et une atmosphère, une culture qui, par toutes sortes d'instruments, serait stimulée du côté de la consommation de biens culturels et de services culturels entendue au sens très large. Nous estimons que les efforts, de ce côté, n'ont pas été suffisants, peut-être parce que pendant les 20 dernières années l'intervention directe de l'État a été plus considérable, les efforts n'ont pas été suffisants, si bien que c'est de ce côté qu'il faudrait mettre la priorité. (21 heures)

Par ailleurs, et là, je vous réfère directement à nos recommandations, notre principale contribution - et c'est pour cela qu'on parlait de modestie tout à l'heure - à l'animation du milieu, au moins dans la région 03, sur la base de quelques expériences que nous avons menées, c'est de proposer des microactions dont le contenu reste, en grande partie, à discuter et qui, bien sûr, nécessiteraient une intervention financière du ministère des Affaires culturelles, du gouvernement, si jamais on devait aller du côté de ces microactions. Vous avez constaté, par ailleurs, que nous sommes aussi préoccupés par une fonction qui est directement rattachée à la Faculté des arts, c'est-à-dire la dimension recherche au niveau universitaire. Cette dimension a comme priorité, à l'heure actuelle, bien sûr, dans les grands mots, l'arrimage de la vie artistique au virage technologique ou, si on veut, l'introduction des nouvelles technologies dans l'art ou encore, disons-le autrement, l'appropriation par les artistes de nouvelles possibilités au plan des technologies. Bien sûr, si on est dans un contexte où, par suite de la rationalisation des ressources, l'accent serait mis davantage, pour parler dans notre jargon, vis-à-vis de l'ouest du campus, c'est-à-dire des vraies sciences, des sciences dures, ce volet-là chez nous pourrait se

rabougrir, d'une certaine façon. Encore là, s'il est question de faire davantage appel au marché, à l'entreprise privée, nous souhaitons, de la part du gouvernement, des interventions au moins indirectes qui nous faciliteraient les choses pour aller chercher différents types de subventions du côté de l'entreprise privée: que ce soit pour le développement de notre recherche et des équipements dont on a besoin dans ce domaine-là ou au niveau des microactions pour associer, dans les programmes de relations publiques de certaines entreprises privées, par exemple, les entreprises privées dans des interventions d'animation du milieu. Pour le reste, vous pouvez constater que l'on a regroupé cela sous forme de quatre recommandations. Je pense que cela fait un peu le tour.

Le Président (M. Trudel): Est-ce que cela va? Mme la ministre, s'il vous plaît.

Mme Bacon: Merci de votre mémoire qui est fort intéressant. Je pense qu'il y a des recommandations qu'on nous fait qui sont pertinentes. Je me chargerai d'y intéresser certains de mes collègues, sûrement. À la page 8 de votre mémoire, vous suggérez d'adopter des mesures pour encourager peut-être les entreprises à s'associer à différentes opérations pour appuyer le développement des arts. C'est évident que des entreprises jouissent déjà de mécanismes pour déduire ce type de contribution. Comment expliquez-vous que les entreprises ne s'impliquent pas davantage? Parce que vous suggérez, dans le dernier paragraphe de votre page 7, qu'il y ait des mécènes ou des compagnies qui s'associent financièrement à des opérations par le biais de leur budget de relations publiques, par exemple. Comment expliquez-vous qu'ils ne le fassent pas davantage? Il y a quand même certaines grandes compagnies qui le font. Quand on pense, par exemple, à la PME qui réussit bien dans plusieurs domaines, on n'a pas encore réussi à percer ce mur, je ne dirais pas d'indifférence, mais peut-être de méconnaissance du milieu culturel.

M. Demers (François): C'est un ensemble de facteurs, mais on pourrait en énumérer deux au moins. Le premier tient à nos propres carences: pendant une certaine période d'une relative abondance de subventions, on n'était peut-être pas porté à se tourner vers les autres. Le deuxième, c'est, je pense, quand on va au niveau de la PME en général, le volet image de la PME, donc le volet relations publiques, le volet "sponsorings" divers, c'est nouveau à ce niveau de développement de la PME. Je pense que, là aussi, il y a quelque chose à développer. Jusqu'à il y a quelques années, je pense que, au niveau de la PME, on ne se préoccupait pas tellement de l'image de telle ou telle entreprise. On ne fait que commencer à développer des budgets reliés à ce qui pourrait nous servir éventuellement de subvention pour des opérations. Je pense que les deux vont ensemble. C'est un peu le changement du vent qui force, d'une part, les PME à occuper une place plus grande sur la scène publique et, donc, à développer des budgets et un intérêt pour leur image et, d'autre part, notre intérêt, à nous, d'aller à leur rencontre.

Mme Bacon: Est-ce que d'une manière générale, votre faculté a des contacts, par exemple, avec le secteur privé comme ça se pratique dans d'autres facultés? Est-ce que vous en avez avec la Faculté de commerce, est-ce qu'il y a une concertation entre les différentes facultés par rapport à vos dossiers et à vos besoins?

Mme Paré-Tousignant: À l'Université Laval, on nous force à développer des stratégies de planification triennale et nous sommes, à l'heure actuelle, en pleine phase de planification pour 1987-1990 où vraiment il va y avoir un effort très très marqué pour établir des collaborations avec les autres facultés, en particulier, avec l'administration pour tout le volet de la publicité dans le programme de communications publiques, le marketing, etc. et aussi avec d'autres facultés susceptibles de nous apporter une aide valable. C'est encore un peu en état de devenir,,

Mme Bacon: La question de gestion de carrière, du marketing des arts, si on peut l'appeler comme cela, est-ce qu'elle est abordée dans les programmes d'enseignement de votre faculté?

Mme Paré-Tousignant: Très peu à l'heure actuelle. La seule tentative qui a été faite, et nous sommes en poste depuis un an, cela a été une approche au niveau du MBA de la Faculté des sciences de l'administration pour pouvoir décider de certains cours qui toucheraient à la gestion des arts. On n'en est encore qu'à des balbutiements. Il y a au niveau des baccalauréats en musique un cours qui s'appelle industrie de la musique où on les initie rapidement à toutes les facettes du marché et je pense qu'on en est encore, à l'Université Laval, à nos débuts dans ce domaine comparativement aux HEC.

M. Simard (Claude): II y a présentement des cours en développement à l'école des arts visuels qui vont traiter des problématiques de gestion.

Mme Bacon: D'accord.

M. Demers (François): II faudrait peut-

être ajouter que jusqu'à tout récemment la tendance de développement des programmes à l'Université Laval était d'offrir le menu le plus large et d'imposer le moins de contraintes possible à l'étudiant, si bien que l'étudiant était un peu libre d'aller chercher des. cours complémentaires, si on veut, dans des facultés qui pouvaient lui convenir. Le vent est en train de tourner légèrement, c'est-à-dire qu'il va y avoir davantage de choses imposées et une des choses qui peuvent être imposées dans cette direction-là, c'est la gestion. Je pense que c'est valable non seulement pour les artistes, mais pour beaucoup d'autres disciplines.

Mme Bacon: Merci.

Le Président (M. Trudel): M. le député de Saint-Jacques, s'il vous plaît.

M. Boulerice: M. le vice-doyen, je vais ajouter à votre modestie en disant que, pour ma part, j'estimais souhaitable que notre première université intervienne dans le débat. Dans votre mémoire, en page 5, puisqu'on parle beaucoup de l'intervention du secteur privé, j'apprécie la mise en garde que vous dressez en disant: "À cet égard, la Faculté des arts croit que l'on peut difficilement trancher la question aussi gaillardement que le font certains représentants du milieu artistique et du milieu des affaires qui confrontent, en fait, les mentalités européenne et américaine". Je pense que cela répondait un peu à la question de notre collègue, tantôt à savoir: Comment se fait-il que l'entreprise privée s'implique peu? Je pense que c'est relié un peu à l'état de richesse du pays, dans un sens. Dans l'autre, c'est une question de culture. On n'a pas développé cette culture-là, contrairement à nos voisins américains avec certaines fondations- Traditionnellement, je ne mets pas le fait en doute, mais il était usuel, d'habitude, il y a quelques années, lorsqu'on était riche, de léguer à certaines sociétés nationales l'argent qu'on avait, non pas nécessairement à un musée, à une bibliothèque, etc. Cela explique, sans aucun doute, une partie de la réalité qu'on vit aujourd'hui.

Une question qui me préoccupe, parce que vous en avez fait état. Vous avez parlé des nouvelles technologies. Vous êtes sans doute au courant qu'il y a un débat qui se fait dans le milieu de la culture face aux nouvelles technologies, un débat qui s'apparente peut-être un peu à un refus global II, du moins, actuellement, un débat qui se fait au département des arts de l'Université du Québec à Montréal, qui est géographiquement près de moi, où je suis. Alors, c'est effectivement dans Saint-Jacques. Que voulez-vous, ce n'est pas ma faute si la culture se donne rendez-vous là!

J'aimerais connaître la nature des travaux de recherche qui sont actuellement effectués chez vous en matière d'arrimage entre la création artistique et la culture informatique.

Mme Paré-Tousignant: II y a, à l'heure actuelle, au niveau de la musique, des recherches importantes sur l'intégration de l'informatique à tout le développement de la perception auditive pour que les élèves travaillent de ce côté-là. Il y a des projets de recherche assez importants pour développer cette facette chez les musiciens. C'est une étude qui a été entreprise sur une base de trois ans et dont les résultats seront connus à la fin de l'année actuelle. C'est vraiment dans cette facette des nouvelles technologies, particulièrement en musique, que cela est développé.

Maintenant, du côté des communications graphiques, mon collègue, Claude Simard, pourra vous parler de ce qui se fait à l'heure actuelle.

M. Simard: Les programmes d'enseignement en rapport avec les nouvelles technologies sont en cours de développement présentement, mais, évidemment, sont absolument essentiels en regard de la pratique et des techniques employées en pratique. Il est impossible de produire des gradués en communication visuelle, par exemple, en 1986, qui vont encore travailler avec des instruments qui appartiennent au siècle dernier. Il faut, nécessairement, que ces gens-là soient familiers avec les outils de notre époque.

Mme Paré-Tousignant: Je voudrais seulement ajouter qu'en septembre prochain, après une entente déjà signée avec le département d'informatique de la Faculté des sciences et de génie, les étudiants du programme de communication graphique auront accès à des cours de dessin par ordinateur, donnés par ce même département de l'informatique. Donc, déjà, chez nous, l'harmonisation est commencée. Je pense qu'elle est bien amorcée.

M. Boulerice: Est-ce que vous pourriez me donner plus de détails concernant le programme de perfectionnement ou de recyclage que vous proposez pour les artistes en cours de carrière?

Mme Paré-Tousignant: À l'heure actuelle, le programme de perfectionnement qui existe est pour les maîtres en exercice, pour accroître leurs connaissances dans un autre domaine d'art que celui qui leur est propre.

Par contre, on n'a pas encore fait grand-chose pour les artistes actuellement sur le marché du travail, pour leur permettre d'avoir accès à ces nouvelles technologies.

On en est plutôt à la phase de fondation initiale pour nos étudiants et, selon le degré de succès de cette intervention, on pourra envisager, à travers notre plan pour 1987-1990, une plus grande ouverture envers ces artistes déjà à l'oeuvre.

M. Boulerice: Est-ce que vous pourriez me donner plus de détails au sujet des modalités du programme de perfectionnement pour les finissants des établissements universitaires, un peu comme un outil de transition entre la formation scolaire et le travail professionnel? Quand vous parlez de cela, faites-vous allusion à une forme de stage de fin d'études?

Mme Paré-Tousignant: La seule recommandation très précise a été abordée via la musique et via, particulièrement, le domaine de l'opéra. Nous avons développé, à l'atelier d'opéra à l'École de musique, une expertise qui date, quand même, de cinq ans et l'atelier fonctionne très bien. D'autre part, le conservatoire, aussi, a un atelier qui fonctionne tout aussi bien, sauf que, de part et d'autre, on s'aperçoit que nos étudiants auraient besoin, à la suite de leurs études de maîtrise ou d'un premier prix du conservatoire, d'avoir un lieu commun, qu'ils pourraient partager avec l'opéra à Québec, c'est-à-dire développer une spécifité au niveau même de la ville pour leur permettre de faire une transition plus harmonieuse avec le marché du travail. Ils ont acquis, bien sûr, une expérience, chez nous ou au conservatoire, mais on voudrait que cette expérience soit prolongée.

M. Boulerice: D'accord. En terminant, si vous me le permettez, je ne peux retrouver l'endroit précis du mémoire ou vous l'abordez, mais cela m'a sauté aux yeux tout de suite, lorsque je l'ai lu: Vous attachez beaucoup d'importance à l'initiation à la musique pour les enfants. J'avais le goût, spontanément, comme cela, de porter à votre attention une expérience extraordinaire qui a lieu actuellement en banlieue de Montréal, c'est-à-dire à Saint-Lambert, au Centre d'art de Préville, où en collaboration avec les professeurs de musique des universités de la région métropolitaine et même du niveau collégial, il y a une initiation à la musique auprès des enfants des écoles primaire et secondaire, en termes de classe de fin de semaine et de sessions d'été; cela est très intéressant. Je vous dis cela comme cela, parce que j'ai eu l'occasion de vivre cette expérience extraordinaire qui était dirigée par Mme Belva Thomas. Je pense qu'elle allait dans la philosophie que vous développez dans votre mémoire. Je dis cela comme cela. Cela va, M. le Président. (21 h 15)

Le Président (M. Trudel): Merci. J'ai été fort impressionné, je dois le dire, par votre mémoire que je me suis permis de citer ce matin dans mes remarques préliminaires. J'ai été particulièrement intéressé par l'importance que vous attachez à la sensibilisation du public à l'art et à la culture, notamment quand vous dites que c'est d'abord une question d'éducation au sens large du terme et qu'à court terme cela signifie inviter la population à pratiquer l'art, c'est-à-dire lui offrir des lieux où le faire. Je remarque que vous avez mis beaucoup d'emphase dans votre mémoire sur cet aspect. Enfin - on en est malheureusement là - vous dites que l'enseignement des arts devrait être obligatoire au même titre que l'éducation physique. Je dois dire que je vous suis parfaitement Ià-dessus.

La première question que j'avais à vous poser, mon collègue, le député de Saint-Jacques, l'a fait. J'étais tout à fait curieux de vous entendre expliciter un peu ce que vous appelez la culture informatique. Je dois dire que la réponse que vous avez donnée me satisfait. Je vais donc revenir à une question beaucoup moins philosophique, mais qui témoigne de l'intérêt que j'ai pris dans ce que vous appelez l'enseignement de l'art dans la rue et des exemples que vous avez donnés d'application dans la région 03, donc dans la région de Québec. Vous proposez vous-même de vous en charger dans cette région-ci. Qui, pensez-vous, devrait s'en charger dans les autres régions? Quel serait, selon vous, le coût d'une telle organisation dans le territoire? Je ne demande pas cela au sou près.

Mme Paré-Tousignant: Nous n'avons pas la prétention de parler pour les autres régions. Je pense qu'on a développé une sorte de dynamique dans notre région dans laquelle on est très impliqué. Je n'oserais sûrement pas prétendre que la région de Québec pourrait en montrer aux autres régions de la province. Je me refuse à cet exercice.

Je pense quant aux sommes - c'est-à-dire quand je parle de notre région spécifique - pour ces microactions que ce ne sont pas des montants tellement importants. Je ne saurais les quantifier, mais ce ne sont certainement pas des sommes qui seraient très très importantes.

M. Demers (François): II s'agirait préalablement d'établir, un menu de ces actions. On a été très modeste, on a parlé de quelque chose un peu sur une base expérimentale. Peut-être que les relais pour élargir cette expérience sont les organismes en place et à fonctions régionales. J'entendais tout à l'heure le Conseil régional de la culture des Laurentides; on pourrait songer, si on en fait un programme plus

statutaire avec des menus bien établis d'actions possibles, à des organismes.

Nous en parlions d'abord et avant tout parce que ce seraient des actions ponctuelles, des actions pilotes avec lesquelles on pourrait partir tout de suite et voir ce que cela donne vraiment eg termes de coordination avec les autres institutions, avec les commissions scolaires et les cégeps.

Le Président (M. Trudel): C'est ma dernière question. Est-ce que vous voyez dans ce domaine comme dans d'autres que vous avez mentionnés un apport important de l'entreprise privée?

M. Demers (François): Là encore, il faudrait aller tendre la main, prospecter. Il y a tout un travail. Dans le fond, c'est un programme d'action que nous nous donnions à nous-mêmes, indirectement, avec ce mémoire, dans le sens qu'il y a un certain nombre de ces opérations que, de toute façon, nous allons faire. On parlait tout à l'heure d'arrimage à la culture informatique. Déjà, des décisions importantes ont été prises en termes de parcs de micro-ordinateurs et d'intégration de ces micro-ordinateurs dans les enseignements non seulement du côté de la communication, mais aussi des arts graphiques.

Il y avait déjà des ordinateurs, et cela se développe de ce côté, en musique, pour toutes sortes de fins donc celles que nous avons mentionnées. Cela veut dire qu'il y a un certain nombre de choses que nous allons faire de toute façon. Et ce virage vers l'entreprise privée, notre intention d'être davantage présents, notre intention de solliciter, c'est une déclaration que nous * faisions là-dessus. De toute façon, nous allons le faire. Nous aimerions, cependant, que les PME, on leur pousse cela un peu dans le dos.

Le Président (M. Trudel): Est-ce que d'autres membres de la commission ont des questions à poser? Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Peu, finalement, parce que je trouve votre mémoire particulièrement intéressant. Il porte un jugement relativement sévère et probablement assez justifié sur la qualité de la formation dans différents établissements et à différents niveaux d'enseignement.

Je remarque une chose, en particulier, que je tiens à souligner. C'est à la page 9 où vous dites: "La vulgarisation de l'art est nécessaire à la sauvegarde de la créativité et ce, dans quelque métier que ce soit." Vous faites un rapport entre cette créativité et la capacité des individus de s'approprier leur travail. Je disais ce matin, en réaction à un autre mémoire, que les pays qui connaissent actuellement une croissance économique, une performance économique plutôt remarquable, investissent beaucoup dans les arts et dans la culture.

Je me suis souvent fait la réflexion que les seuls modèles qu'on proposait aux jeunes au Québec étaient généralement sportifs, quand ce n'était pas exclusivement le hockey dont les joueurs étaient étrangers. Cela pour dire qu'on leur proposait rarement d'autres modèles, qu'il s'agisse d'artistes, de créateurs, d'écrivains. C'est ainsi que ce que la télévision leur propose, quand ce sont des chanteurs, ce sont souvent des chanteurs américains et pas très souvent québécois. Je me demandais ce qu'on était en mesure de faire. Vous proposez un certain nombre d'actions qui sont intéressantes et pertinentes, mais que pourrait-on faire pour, progressivement et assez rapidement, proposer d'autres modèles à nos jeunes au Québec?

M. Simard: C'est là qu'il faut un programme, madame, c'est à cet endroit qu'il faut mettre nos énergies. Le problème ne se pose pas exclusivement au niveau des jeunes. On parlait tantôt avec Mme la ministre de la problématique d'intéresser les PME à la chose culturelle, à l'investissement en art. La raison fondamentale pour laquelle la PME n'investit pas en art, c'est qu'elle n'est pas d'abord connaissante, intéressée, formée à la chose. De la même façon que le jeune n'a pas d'intérêt... Alors, il faut élaborer un programme et c'est une tâche importante.

Mme Blackburn: La PME n'y voit pas encore de rentabilité.

M. Simard: La PME, non seulement n'y voit pa3 encore de rentabilité, mais la PME n'y voit pas, point.

M. Demers (Français): Une des choses qu'on pourrait faire, en ce qui nous concerne... Il faut supposer que l'université, en. particulier la Faculté des arts, est un milieu très préoccupé d'excellence. L'une des actions qu'il faudrait mener, c'est de le faire savoir et sans doute de proposer des modèles d'excellence, un peu sur le modèle de la publicité qui se fait pour les sportifs par exemple... Il y a tout un discours public qui se construit autour d'un modèle d'excellence, mettons Gretzky ou d'autres. Il faut, dans le domaine des arts aussi, construire un certain nombre' de personnages de référence. Dan3 notre cas, il y a - il suffirait qu'on s'en donne la peine - des profils que l'on pourrait exposer publiquement; d'où, dans le mémoire, une allusion à des campagnes de publicité non seulement pour inciter les gens à faire de l'art de participation, mais sans doute aussi pour développer des historiettes qui

montrent des profils d'excellence.

Mme Blackburn: J'aime bien votre expression "PEPS culturels". Cela exprime bien votre idée. C'est tout.

Le Président (M. Trudel): Est-ce que les membres de la commission ont d'autres questions à poser?

Madame et messieurs, je vous remercie, au nom de la commission, de votre... J'aimais le mot comparution, mais étant un peu fatigué ce soir, j'en cherche un meilleur, si quelqu'un peut m'en suggérer un.

Une voix: Prestation?

Le Président (M. Trudel): Votre prestation. Cela se dit bien dans le milieu des arts, votre prestation. Elle est aussi gratuite que la plupart des autres prestations. Je vous remercie de votre prestation devant nous ce soir et je vous souhaite une bonne fin de soirée.

Ballet de Montréal Eddy Toussaint

Nous allons accueillir maintenant et, en l'accueillant, j'accueille, quant à moi, un viel ami, M. Eddy Toussaint, du Ballet de Montréal, qui est accompagné de Mme Renée Hébert, directrice de production. M. Toussaint, à mon avis, peut être considéré comme le symbole de l'enthousiasme créateur, de la persévérance, du courage, aussi, et j'ajouterais même de l'amour du métier.

M. Toussaint, ayant lu votre mémoire, je vous invite à résumer ce qui est déjà un mémoire fort court, mais fort au point.

M. Toussaint (Eddy): M. le Président, Mme la ministre, messieurs et mesdames de la commission, je pense que vous avez tous lu le petit mémoire que je vous ai préparé, petit par rapport aux autres. C'est vrai que notre compagnie est un exemple assez frappant, comme le disait M. le Président, de persévérance et de gens de la culture qui croient en ce qu'ils font. Le Ballet de Montréal Eddy Toussaint existe depuis douze ans déjà. Nous nous étions promis de former des danseurs québécois, nous avons réussi. Nous nous étions promis de créer des oeuvres d'appartenance québécoise, nous avons aussi réussi. Une chose qu'on n'a pas réussie, cependant, c'est de donner à nos artistes la fierté qui va avec ce métier. Il ne faut pas oublier que le ballet est né de la cour des rois et, malheureusement, au Québec, on peut dire que nos artistes ne sont pas très bien traités. Ce qui est assez frappant, c'est que, lorsque nous passons les frontières et que nous allons à l'étranger, c'est vraiment incroyable la différence de rémunération qui nous est attribuée. Je demande en gros aux

Affaires culturelles, si c'était possible, d'exiger du Conseil des arts une certaine reconnaissance de notre compagnie. C'est évident que je parle maintenant sur un plan très personnel, mais, après douze ans et après avoir apporté au pays une certaine reconnaissance internationale, je pense qu'il y a un gros problème au niveau des subventions qui sont attribuées au Québec face au Conseil des arts. C'est seulement en vous de la commission de la culture que j'ai encore un espoir.

Si vous voulez de l'information, je reste à votre disposition.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. Toussaint. Mme la ministre.

Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais d'abord vous féliciter, M. Toussaint, de la justesse de vos propos que nous retrouvons dans votre mémoire. Ces propos sont le fruit d'une riche expérience personnelle dans le secteur de la danse, mais également reflètent à un degré intense votre engagement à défendre avec détermination et aussi avec vigueur les intérêts de votre secteur d'activité. Lorsque vous insistez sur le besoin d'arriver à un équilibre entre la rémunération et les valeurs artistiques, c'est sûrement un souhait et un objectif à atteindre. C'est un souhait de tous les participants à cette commission parlementaire d'arriver à trouver des voies, d'arriver à trouver aussi des moyens de tendre vers cet objectif. Je peux vous assurer qu'à titre de ministre des Affaires culturelles votre préoccupation rejoint la mienne en ce que je crois que l'excellence du produit culturel ne pourra être mieux atteinte que si une telle condition est remplie.

En rapport avec votre première proposition en page 5 de votre document -et vous venez encore de la mentionner -j'aimerais savoir si vous souhaitez, de la part du gouvernement du Québec, qu'il mène auprès du gouvernement canadien une démarche marquée peut-être au coin de l'agressivité ou si vous souhaitez que ce soit plutôt une concertation entre les deux paliers gouvernementaux.

M. Toussaint: J'irais même à l'agressivité, parce que, je vais vous dire, il y a un système au Conseil des arts: l'argent nous est attribué par des jurés. Nous sommes jugés par nos pairs, sauf qu'il existe dans la danse, au Conseil des arts, trois grandes compagnies de ballet et nous sommes la quatrième et, assez différente, je dois l'avouer, des trois autres grandes compagnies. Et je ne vois pas l'issue du malaise qui existe entre nous, parce que les pairs qui nous jugent sont très différents de nous. Même si on a des critiques de l'extérieur,

même si nous avons vu rentrer des critiques, par exemple, de France, cela n'a aucune valeur pour eux. Il faut vraiment que ce soient mes pairs canadiens. Sauf que nous sommes différents et, à ce moment-là, cela crée un problème. C'est pour cela que j'ose vous demander d'agir en notre faveur. (21 h 30)

Mme Bacon: En ce qui a trait à votre seconde proposition relativement à la formation de base et à la formation professionnelle, pourriez-vous peut-être expliquer davantage la nécessité d'adapter cette formation aux besoins de chacun?

M. Toussaint: Je pense que notre école et ma compagnie en sont un exemple frappant. Je ne sais pas si vous le savez, Anik Bissonnette, Louis Robitaille et tous ceux que je nomme dans le document, sont des artistes qui voyagent énormément à l'étranger; qui sont demandés un peu partout dans le monde. Ils ont été formés à une école différente de tout ce qui se fait au Canada, non pas à l'École nationale de ballet à Toronto, ni aux Grands Ballets, ni au ballet de Winnipeg. Ils ont été formés, spécialement, chez nous. À ce moment-là, je me dis qu'il faut peut-être permettre à l'étudiant ou au futur danseur de choisir, et et non pas de standardiser, non pas donner une seule formation pour tout le monde. Je pense que le Québec - et on en a parlé tout à l'heure - est tellement créateur et tellement innovateur qu'il faut laisser, justement, l'enfant choisir le genre de formation qu'il veut avoir et non pas standardiser dans un lieu, je ne sais pas.

Mme Bacon: Est-ce que vous pourriez l'expliquer davantage pour faire ressortir les failles du système actuel?

M. Toussaint: Avec le système actuel, nous avons quoi? Il y a l'École supérieure de danse qui est à Montréal. Il y a l'école chez nous, sauf que, par exemple, notre école, qui est une école privée, n'a jamais reçu d'aide du gouvernement du Québec, ni du gouvernement d'Ottawa. Nous avons fourni les danseurs, mais nous n'avons jamais reçu d'aide. Je pense qu'il serait intéressant que, dans la province, il y ait différentes écoles reconnues par le ministère des Affaires culturelles et le ministère de l'Éducation, mais qui soient aidées afin de fournir de bons danseurs. C'est dans ce sens-là que je pense qu'il* y a quelque chose à améliorer.

Mme Bacon: Est-ce que vous sentez le besoin de concertation entre les différentes écoles ou est-ce que cela existe en ce moment?

M. Toussaint; Cela n'existe pas. Vous savez, la danse est un art très complexe.

Pour vous faire comprendre, seulement pour l'enseignement du ballet, il y a au moins trois ou quatre méthodes: la russe, la française, l'italienne et tout ce que vous voulez. Et on se bat tout le temps. Il faut dire la vérité, c'est le monde de la danse. Mais, les résultats sont importants. Je pense qu'il faut laisser une certaine liberté; justement, peut-être qu'il n'y aurait pas eu de Louis Robitaille, aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu mon école. Peut-être qu'il n'y aurait pas eu d'Anik Bissonnette, non plus. Parce que l'enfant doit être dans un contexte qui lui plaît. II faut qu'il soit motivé et parfois certaines écoles, très bonnes, très valables, ne conviennent pas à l'identité de l'étudiant en question. C'est pour cela que je dis qu'il faut laisser un choix, très varié.

Mme Bacon: Ce que je veux dire, tout en respectant le choix de l'école, est-ce qu'il n'y a pas une possibilité - on voyait cet après-midi l'Union des artistes, par exemple, qui regroupe 3000 personnes d'avoir un regroupement des écoles de danse? Est-ce que cela est possible, faisable?

M. Toussaint: Oui, c'est une chose possible. Je pense que cela prendra beaucoup de temps. Oui, c'est une chose possible.

Mme Bacon: Qu'est-ce qui empêche le regroupement ou la concertation d'exister entre les écoles de danse? Est-ce que c'est à cause des différences? Est-ce que c'est tellement différent qu'on ne peut pas se concerter?

M. Toussaint: Parce que cela est différent et parce qu'aussi, historiquement parlant, il y a les Grands Ballets canadiens et les autres. Vous voyez. Alors, les autres, on se démerde comme on peut. C'est vraiment deux paliers très différents. On a déjà essayé dans le passé. Je sais qu'il existe même le regroupement professionnel qui sera ici demain, mais je pense que le problème vraiment, c'est que, vous le dites, il n'y a pas vraiment de communications entre nous. Je pense que chaque école tient à garder son authenticité. C'est cela qui est un problème aussi.

Mme Bacon: Vous croyez que la concertation enlèverait cette authenticité? Vous ne pensez pas que cela donnerait une plus grande force?

M. Toussaint: Je pense que cela donnerait une plus grande force à partir du moment où tous les intervenants seraient sur le même pied, ce qui n'est jamais le cas, ce qui ne peut pas être le cas.

Mme Bacon: Merci.

Le Président (M. Trudel): M. le député de Saint-Jacques, avez-vous des questions à poser?

M. Boulerice: Oui. M. Toussaint, je suis heureux de vous accueillir. Je ne peux malheureusement pas me réclamer de votre amitié, comme en bénéficie M. le député de Bourget mais je peux vous dire que j'ai énormément d'admiration pour le travail que vous faites: Comme on le dit en langage populaire, je crois que vous avez mis, dans le domaine de la danse, Montréal et le Québec sur la "map". Je pense qu'on vous doit beaucoup.

Il n'y a pas, M. Toussaint, de petit mémoire ni de grand mémoire. Je pense que votre mémoire est un grand mémoire, sauf qu'à sa lecture, au dernier paragraphe de la page 3, on sent chez vous une grande tristesse et un certain désarroi quand vous dites: "Une chose que je n'ai pas encore réussie, c'est de leur donner le statut économique reflétant l'image de marque qu'ils ont atteint au niveau artistique." Il y a effectivement, je pense, beaucoup de tristesse dans cet énoncé.

Je ne vous cacherai pas que j'ai énormément d'intérêt face à la danse, surtout lorsqu'on a eu un de vos collègues que vous connaissez comme professeur, Hugo de Pot. J'aimerais, puisque nous abordons la danse, vous poser des questions très spécifiques. J'aimerais, d'une part, puisque vous avez mentionné le Conseil des arts, que vous nous précisiez quels sont les obstacles qui empêchent la reconnaissance de votre compagnie par le Conseil des arts?

M. Toussaint: Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est le système de jury. C'est un gros problème. Ma compagnie existe, comme vous le savez, depuis douze ans et, chaque année, on demandait au Conseil des arts d'envoyer des juges pour nous attribuer une somme d'argent quelconque.

Le problème est très grand, car les juges, la majorité de ceux qui viennent, sont des éléments - soit d'anciens danseurs, des chorégraphes, ou des directeurs administratifs; j'ai tout eu - des trois autres compagnies, c'est-à-dire les trois grandes compagnies du Canada: les Grands Ballets canadiens, le Ballet national et le Winnipeg Ballet. Chaque fois qu'ils viennent nous voir, il y a toujours quelque chose qui ne fonctionne pas dans la balance. Je pense que vraiment, sur le plan culturel, nous sommes différents. Si je puis me permettre, je suis chorégraphe. Je sais que, quand j'ai envie de dire quelque chose... Si - excusez l'expression - j'ai envie de mettre ma main sur un sein, je vais le faire, parce que je suis Français et que je pense comme cela. Mes collègues anglophones prendront un petit peu de détours, subtilité qui est bien, mais qui est différente et que je respecte énormément. J'aimerais bien parfois être jugé pour ce que je suis. C'est cela le problème.

Je pense aussi qu'il y a assurément une mauvaise foi de la part du Conseil des arts. Comme vous le savez, la première compagnie que j'ai fondée c'est les Ballets Jazz, qui fonctionne très bien encore. Lorsque j'ai décidé de fonder une compagnie de ballet, peut-être que cela a été très mal vu. On aurait peut-être souhaité que je reste au jazz. C'est ce qui m'a donné la force de passer le temps et de garder la compagnie au niveau qu'elle est.

M. Boulerice: M. Toussaint, vous avez mentionné dans votre mémoire qu'il existait des écarts entre le Québec et l'Ontario en matière de subventions accordées par le gouvernement fédéral dans le secteur de la danse. Est-ce que vous ou votre collègue pouvez me préciser quelle est l'étendue de ces écarts?

M. Toussaint: Nous avons fait faire, en 1982, par la maison SECOR, une étude dont Mme Hébert pourrait peut-être vous glisser un mot.

Mme Hébert (Renée): Cette étude avait été commandée par le conseil d'administration du Ballet de Montréal pour mettre les gens du conseil à jour sur ce qu'était la compagnie dans son contexte canadien sur plusieurs plans. Il était ressorti de cette étude dont se servent beaucoup de personnes aujourd'hui que, même totalement, la différence quant aux subventions que l'Ontario recevait par rapport au Québec était immense.

Comme ce rapport date de 1983, j'ai aujourd'hui voulu m'assurer que la situation était toujours la même et j'ai fait une petite recherche. Un rapport de l'année 1984-1985 montre que le Conseil des arts a donné 10 282 000 $ au total aux arts. J'ai sorti que, dans la danse, l'Ontario avait reçu 3 546 000 et quelques sous et, le Québec, 1 231 000 $. Quant au nombre de compagnies: en Ontario, il y avait tout de même Desrosiers Compagnie, la compagnie Danny Grossman, le groupe de la Place royale, National Ballet, le Théâtre Ballet, le Toronto Dance Theater}, au Québec, c'est Fortier Danse Création et les Grands Ballets canadiens. Il y avait sûrement eu d'autres projets, mais qui ne faisaient pas partie de cette étude. Tout de même, l'écart flagrant demeure encore.

M. Boulerice: M. Toussaint, j'aimerais que vous me donniez des précisions sur vos revendications en matière de formation de base et de formation professionnelle.

M. Toussaint: Je pense que ce serait

intéressant. Nous avons un projet pour les étudiants, pour les enfants au collège des Eudistes. Juste pour vous donner une idée. C'est un collège qui est venu nous voir et qui nous a demandé si on pouvait diriger la formation des enfants, les suivre au secondaire I, II, III, IV et V et ensuite au cégep. Je trouve cela sain, dans une communauté comme la nôtre, qu'il y ait différentes approches de la danse. C'est pour cela que je dis de ne pas standardiser. Je n'aimerais pas qu'il n'y ait qu'une école. J'aimerais qu'il y ait plusieurs écoles reconnues d'utilité publique. C'est dans ce sens. Au niveau professionnel, la même chose.

M. Boulerice: Est-ce que vous pourriez me brosser un tableau des problèmes qui sont rencontrés dans la danse en matière de santé et de sécurité au travail? Tout le monde sait qu'un accident de travail, dans le domaine de la danse, peut signifier la fin d'une carrière.

M. Toussaint: J'aimerais préciser ici que la carrière d'un danseur, je ne sais pas si vous le savez, est très courte. Quinze ou vingt ans, c'est le maximum. Je pense qu'il serait intéressant qu'on se penche vraiment sur le statut des danseurs sur ce point. On serait tenté, comme plusieurs compagnies américaines, d'avoir un bon masseur avec nous, d'avoir des gens qui vont toujours faire attention à ce corps qui est vraiment l'outil de cet artiste. Évidemment cela paraîtrait comme un luxe. Mais c'est très important. Si on veut garder cette excellence, il faut qu'on fasse attention à ces choses. Le danseur n'est pas protégé, s'il a un accident, un tendon qui est brisé, il n'a rien devant lui. Il faut toute une période de recyclage encore. Rien ne protège l'artiste, le danseur.

M. Boulerice: Absolument rien? M. Toussaint: Rien.

M. Boulerice: Je vais terminer, M. Toussaint. Mais, avant de terminer ma question, je vais me tourner vers Mme la ministre. Je pense, à mon point de vue, qu'il y a discrimination face à votre compagnie au Conseil des arts quant aux écarts qui existent entre l'Ontario et le Québec, concernant le secteur de la danse. Puis-je compter, Mme la ministre, sur vos interventions auprès du Conseil des arts et, d'autre part, auprès du gouvernement fédéral-pour que les considérants que nous apporte M. Toussaint obtiennent une réponse plus justifiée?

Mme Bacon: Vous connaissez mes possibilités d'agressivité, M. le député de Saint-Jacques!

M. Boulerice: Si elles sont égales aux miennes, je m'en réjouis.

Mme Bacon: Je peux les utiliser avec exactement la même férocité avec le Conseil des arts ou le gouvernement fédéral.

M. Boulerice: Vous m'en voyez réjoui. Merci, Mme la ministre. M. Toussaint, je vous remercie. Merci madame.

Le Président (M. Trudel): M. Toussaint, étant le troisième à parler, je ne répéterai évidemment pas ce que Mme la ministre et mon collègue de Saint-Jacques ont dit du fond de votre mémoire. Je pense ce qu'ils en pensent. Quand on vous connaît comme je vous connais, tout vous est contenu dans ces trois pages. J'aimerais quand même vous entendre, si vous le voulez bien, reparler de ce dont vous avez traité tantôt, c'est-à-dire la concertation dans le domaine de la danse. La question que je me posais en vous écoutant - tout en connaissant de façon générale les problèmes qui peuvent se poser dans votre domaine - c'était pourquoi, dans le domaine de la danse, de la création en danse, cette concertation est-elle plus difficile que dans d'autres domaines de la création?

M. Toussaint: L'art est complexe, c'est vrai, mais je pense que la danse est encore plus complexe. Je pense qu'on a essayé dans le passé - je dis bien dans le passé, je ne sais pas à quel point en sont mes collègues maintenant - de tenir des tables rondes, de se rencontrer entre compagnies et tout cela. C'est extrêmement difficile parce qu'il y a une autre grande compagnie, les Grands Ballets canadiens, que nous respectons tous, et les petites. Je me trouve dans le milieu. C'est très difficile de dialoguer.

Le Président (M. Trudel): Vous êtes en train de me dire que c'est une question de situation. Vous sembliez dire tantôt que la concertation en danse était à peu près impossible et, maintenant, vous me dites que c'est plus difficile au Québec parce qu'on est en présence de très petites compagnies, d'une part, d'une très grosse compagnie, d'autre part et, au milieu, voici... (21 h 45)

M. Toussaint: C'est cela. Il y a la grande compagnie que vous connaissez, qui est les Grands Ballets canadiens. Il y a les Ballets Jazz, il y a nous et il y a plusieurs petites compagnies de danse moderne très importantes aussi pour l'avant-garde et tout cela. Mais le vrai dialogue est difficile parce qu'on n'a pas tous exactement les mêmes besoins. On a des besoins qui sont communs, mais on n'a pas la même force de dialoguer. Les Grands Ballets sont là depuis plus

longtemps que nous. Ils sont reconnus par le Conseil des arts.

Le Président (M. Trudel): D'accord. Une dernière question. On connaît les difficultés, vous les avez soulignées, celles de vos danseurs étoiles, les vôtres, sur le plan financier. On sait par ailleurs - on l'a mentionné, je pense, ce matin, quelque part dans un des premiers mémoires ou dans les exposés préliminaires des membres de la commission - que, notamment dans le domaine de la danse, il fallait pratiquer au moins trois métiers pour pouvoir faire un salaire que j'appellerais indécent, autour de 11 000 $. Est-ce que la situation qui prévaut au Québec, qui prévaut chez vous, petite troupe qui réussit fort bien - situation absolument catastrophique, terrible et indécente - prévaut également dans les autres compagnies au Québec et au Canada?

M. Toussaint: Moi personnellement, je trouve cela indécent. Je trouve cela incroyable que des artistes soient chéris, appréciés et encouragés énormément dans les pays étrangers et que, lorsqu'on revient chez nous, on doit aller à l'assurance-chômage. Je trouve cela absolument indécent pour une société comme la nôtre.

Le Président (M. Trudel): Est-ce que d'autres membres de la... Je pense que Mme la députée de Chicoutimi m'avait fait signe tantôt qu'elle voulait intervenir.

Mme Blackburn: En fait... Bonsoir, M.

Toussaint.

M. Toussaint: Bonsoir, madame.

Mme Blackburn: Ma question a été en partie posée par le député de Saint-Jacques. Elle avait trait aux risques élevés d'accidents du travail pour les danseurs. Est-ce que je dois comprendre, dans la réponse que vous faites au député de Saint-Jacques, que comme employeur de danseurs vous n'êtes pas couvert par la Commission de la santé et de la sécurité du travail?

M. Toussaint: Oui, oui. Nous sommes couverts comme tout le monde. Mais on n'a pas... Si un danseur se blesse, par exemple, on a les moyens normaux de sécurité. Mais, comme le corps est vraiment notre outil, je pense qu'il faudrait peut-être vraiment s'asseoir et établir une politique face à ce besoin-là. Il faudrait poursuivre encore plus loin. On est beaucoup plus susceptible d'avoir des accidents que d'autres.

Mme Blackburn: Autrement dit, aller davantage du côté de la prévention.

M. Toussaint: La prévention et aussi...

Mme Blackburn: Des bons masseurs, des...

M. Toussaint: ...pendant la durée de l'accident et tout cela, oui.

Mme Blackburn: C'était l'information que je voulais. Je vous remercie.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la députée de Chicoutimi.

M. Toussaint, Mme Hébert, je vous remercie de votre présence. Je pense que cela a été court et cela a sûrement beaucoup aidé les membres de la commission. Cela ajoute un témoignage dramatique de plus à ceux que l'on a entendus aujourd'hui.

Avant d'accueillir la Conférence canadienne des arts et de revoir, entre autres, M. Demers, j'aimerais dire aux membres de la Conférence canadienne des arts et à ceux qui sont encore parmi nous que, si jamais vous entendez des cloches, ce n'est pas parce que vous êtes fatigués ni qu'il y a un début d'incendie. Il y a possibilité de vote à l'Assemblée nationale dans la salle à côté, avant 22 heures, auquel cas vous verriez les parlementaires disparaître rapidement et nous reviendrions immédiatement après pour terminer avec les représentants de la Conférence canadienne des arts. Je les accueille avec plaisir et je leur souhaite la bienvenue, notamment Mme Fortier, la présidente, que j'ai eu le plaisir de rencontrer quelques fois dans ma courte carrière et, la dernière fois, lors de l'assemblée de la Conférence canadienne des arts qui s'est tenue à Ottawa, en compagnie de mon collègue de Saint-Jacques. J'accueille à nouveau en fin de journée celui que nous avions accueilli en début de journée. M. Demers aura eu, comme Mme la ministre et M. le député de Saint-Jacques, une journée aussi longue et aussi bien remplie que la nôtre.

Alors, madame et monsieur, la parole est à vous.

Conférence canadienne des arts

Mme Fortier (Claudette): Merci. En parlant de cloches, l'an dernier, quand nous avons présenté notre mémoire sur le droit d'auteur, mes collègues et moi, nous avons été retardés trois fois par la cloche à Ottawa. Alors, j'espère que ce soir cela ne nous arrivera pas.

Nous avons effectivement eu le plaisir de vous accueillir Iors de notre assemblée générale au début du mois de mai qui avait pour thème le statut de l'artiste. Alors, nous avons divisé notre mémoire en quatre grands points: le droit d'auteur, la fiscalité, la stabilisation du revenu, les associations professionnelles et la santé et la sécurité au travail. Cela fait cinq, je m'excuse.

J'aimerais également vous signaler qu'à cause du temps très court qui nous a été accordé notre mémoire est un survol de l'ensemble des problèmes qui ont été soulevés. J'aimerais également vous signaler qu'au niveau du "membership" de la Conférence canadienne des arts qui regroupe plusieurs associations, organismes et membres individuels 20 % des membres se retrouvent au Québec et nous avons une section québécoise qui est très très active. Nous avons eu, d'ailleurs, le plaisir de rencontrer Mme Bacon il y a quelque temps et il a été question, entre autres, des arts et de l'éducation, et on a parlé de certains problèmes qui nous préoccupaient au niveau du financement municipal du CACUM. Nous serons également présents au Sommet économique de la ville de Montréal. Alors, on attend vos questions si vous en avez.

Le Président (M. Trudel): Mme la ministre.

Mme Bacon: J'aimerais vous féliciter -vous avez dit que vous avez eu peu de temps - pour l'excellent mémoire que vous nous avez présenté. C'est une très bonne synthèse des principaux problèmes des diverses familles artistiques; je pense que le texte est concis, équilibré, trè3 sobre et excellent. J'ai l'impression que... On a mentionné tantôt la Conférence annuelle sur le statut de l'artiste en mai 1986, mais c'était peut-être une pratique pour cette commission parlementaire et ce n'est certainement pas étranger à l'équilibre des propos de votre mémoire. Parmi les six recommandations, il y en a cinq qui se retrouvent dans certains autres mémoires. Il y a une recommandation au sujet de laquelle j'aimerais peut-être vous poser la première question. En page 8 de votre mémoire, vous suggérez qu'un artiste qui a exercé sa profession pendant 25 ans au plus d'après les registres de Revenu-Québec soit admissible aux rentes maximales mensuelles du Régime de rentes à ses 65 ans, nonobstant ses contributions à ce régime lors de sa carrière. À quel nombre estimez-vous les artistes qui auraient ainsi droit aux rentes maximales? Est-ce que vous avez fait des études dans ce sens-la? Est-ce que vous avez des chiffres précis?

Mme Fortier: On n'a malheureusement pas fait d'étude, c'est une propositon qui a été faite à l'assemblée générale. Comme le revenu des artistes est tellement bas, leur contribution est minime au Régime de rentes du Québec et comme ils sont souvent, également, des employeurs autonomes, c'est encore plus difficile. Alors, on n'a pas de chiffres, Mme la ministre, mais on pense que cela pourrait les mener d'un montant minimal à au moins le maximum qui est accordé maintenant.

Mme Bacon: D'accord. Comme la Conférence canadienne des arts travaille à l'échelle canadienne, comment comparez-vous la situation générale des artistes québécois par rapport aux artistes des autres provinces? Est-ce que vous avez déjà fait des comparaisons? Est-ce que vous avez des études ou des chiffres précis?

Mme Fortier: La situation est exactement la même dans la plupart des autres provinces. Les artistes ont des revenus bas. Ils ont des problèmes de santé et de sécurité au travail. Les membres de cette commission qui étaient là ont entendu l'énoncé de Mme Dixon à l'ouverture de la plénière. C'est une artiste en arts visuels, elle disait que, faute de renseignements, elle a les poumons brûlés par des matières toxiques et il n'y a aucune contrainte, aucune directive, aucune mise en garde. Quand il y a des ateliers à la Conférence canadienne des arts, les mêmes problèmes sont soulevés par les artistes partout au Canada. D'ailleurs, il y a également une commission qui vient d'être annoncée, provenant du gouvernement fédéral, et je pense que M. Masse est également conscient des problèmes du statut de l'artiste.

Mme Bacon: À la page 5 de votre mémoire vous indiquez: "Nous recommandons à la commission qu'elle étudie la possibilité d'établir, en consultation avec le milieu culturel du Québec, des critères de professionnalisme en ce qui concerne les artistes, pour fins d'impôt, et que ces critères soient reconnus par les deux niveaux de gouvernement." Quelles seraient vos recommandations quant aux critères?

Mme Fortier: Je ne sais pas, peut-être que M. Demers pourrait en parler.

M. Demers (Serge): Oui. Il y a eu des discussions à l'assemblée annuelle entre les groupes d'artistes pour tenter de dégager une grille qui pourrait contenir plusieurs points par lesquels on pourrait faire des recoupements pour permettre de qualifier les gens en tant que professionnels.

Je vais immédiatement faire la distinction encore une fois entre les arts visuels et les arts d'interprétation. Dans les arts visuels, la structuration, l'organisation des artistes n'est pas faite sur la même base que celle des arts d'interprétation. Pour permettre à un artiste qui n'est peut-être pas membre d'une association professionnelle de pouvoir se qualifier, il peut y avoir plusieurs critères comme des études, comme des bourses qui ont été obtenues, comme d'avoir fait un certain nombre d'expositions dans des galeries, etc. Il y a tout un

ensemble de critères que l'on peut établir et à partir desquels on peut faire un regroupement pour déterminer qui peut se qualifier ou non pour être un professionnel'.

Dans les arts d'interprétation, les organisations syndicales sont souvent beaucoup plus structurées. C'est souvent par les mécanismes d'adhésion, dans la plupart des cas, que l'on peut déterminer ou définir des critères. Mais, encore une fois, ce n'est pas une vérité applicable à tout le monde. C'est moins vrai, par exemple, chez les auteurs où les critères d'admission peuvent être différents que chez les artistes-interprètes. Mais c'est de tenter dans la mesure du possible de dégager une grille par laquelle on peut qualifier les gens de professionnels ou non.

Mme Bacon: On dit souvent que le ministère des Affaires culturelles est un ministère où il y a trop de normes, mais quand il y a plusieurs programmes il faut souvent faire de3 normes pour ceux-ci. Quand vous comparez avec les autres provinces, est-ce que les programmes sont plus généreux au Québec que dans les autres provinces ou s'ils sont moins généreux ou en nombre moindre, si vous pouvez les comparer par rapport aux programmes de subvention, j'entends?

Mme Fortier: Je pense qu'en Ontario les programmes de subvention sont très généreux. Dans les provinces de l'Est, ils sont moins généreux. Cela dépend, certaines provinces ont beaucoup d'avance, mais je ne crois pas qu'il y ait...

Mme Bacon: Est-ce qu'il y a autant de normes dans d'autres provinces qu'au Québec? On nous reproche souvent d'avoir trop de normes à appliquer à nos programmes.

M. Demers (Serge): Je n'ai pas l'impression, si vous permettez, qu'il y a tellement de différences. Disons que l'approche culturelle, dans les provinces à majorité anglophone, dans le reste du Canada, est différente dans une certaine mesure à cause de la proximité des États-Unis et de l'impact de la pénétration de la culture anglophone américaine directement dans leurs populations. Donc, les politiques culturelles de ces gouvernements provinciaux sont axées souvent pour tenter de freiner l'envahissement culturel et pour faire en sorte que les artistes demeurent au Canada et dans leur province plutôt que d'être attirés par la force centripète des Américains. Notre approche au Québec a toujours été un peu différente à cause de la différence de la langue, je pense, et aussi de la question de notre survie comme francophones qui nous amène à voir les choses d'une façon très différente.

Somme toute, on s'en rend compte avec les débats qui s'amorcent sur le libre-échange, l'unité de pensée ou la communauté de pensée entre les artistes francophones et anglophones, du Québec et du reste du Canada, sur certaines questions dont celle-là, n'a jamais été aussi grande.

Mme Bacon: Merci.

Mme Fortier: Mme la ministre, concernant les normes, je crois aussi qu'au Conseil des arts du Canada les normes sont beaucoup plus grandes qu'au ministère des Affaires culturelles.

Mme Bacon: Elles sont plus rigides.

Mme Fortier: Oui. (22 heures)

Mme Bacon: En même temps que l'on discute du statut de l'artiste et du créateur, je pense qu'on peut parler aussi de changements possibles au ministère des Affaires culturelles, si on veut s'adapter les uns aux autres. C'est un reproche qu'on nous a fait souvent, de se compliquer la vie au ministère parce qu'on en avait trop, et de compliquer évidemment la vie des autres.

M. Demers (Serge): Si vous me permettez, j'aimerais faire un commentaire là-dessus parce que ces temps-ci la question des normes, de la réglementation, est une question très à la mode à tous les niveaux de gouvernement et dans tous les ministères d'ailleurs, et autant au niveau municipal et provincial qu'au gouvernement du Canada.

En ce qui concerne notre secteur, je dirais que les normes en soi, ce n'est jamais ni bon ni mauvais. Il peut se développer tout au long des années une problématique de normes tatillonnes qui n'ajoutent et n'enlèvent rien, mais qui ne font que paralyser, ralentir et compliquer les choses. Si ce sont ces normes-là qu'on vise, je dirais: Oui, certainement. Il y a certainement moyen de vivre avec un corset un peu moins serré sur le corps, avoir un peu plus de marge de manoeuvre, un peu plus d'espace pour créer, pour inventer; mais, d'autre part, nous sommes aussi convaincus que les normes et une certaine réglementation sont essentielles. Je vais simplement faire un petit parallèle avec la réglementation de la musique francophone en ondes pour comprendre qu'il s'agit là d'une norme essentielle et fondamentale. Lorsqu'on parle de normes, il y en a peut-être un peu plus ici; il s'agirait de savoir jusqu'à quel point, une à une, elles sont pertinentes ou pas.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le député de Saint-Jacques, je suppose que vous avez quelques questions

à poser.

M. Boulerice: Oui. Bonsoir, Mme Portier. Permettez-moi de nouveau de vous féliciter pour votre récente élection à titre de présidente du Conseil canadien des arts.

Mme Fortier: Merci beaucoup.

M. Boulerice: M. Demers, "rebonsoir".

M. Demers (Serge): "Rebonsoir".

M. Boulerice: Mme Fortier, j'ai lu votre mémoire avec beaucoup d'attention. À la page 5 il m'est venu, immédiatement après votre recommandation, une question: Quelles sont les implications sous-jacentes à l'octroi du statut d'organisme charitable appliqué aux organismes culturels?

Mme Fortier: Cela permettrait aux associations de se tourner vers le secteur privé, d'aller chercher des fonds et de pouvoir émettre des reçus aux fins d'impôt. Au niveau des normes, il faut être un organisme aux fins charitables pour avoir la possibilité d'émettre des reçus pour fins d'impôt.

M. Boulerice: En page 6, vous faites état d'une situation, et j'aimerais que vous fassiez un tableau des problèmes qui ont été observés au niveau des organismes culturels qui sont subventionnés en partie ou en totalité par les fonds publics et qui ne rémunèrent pas les artistes à des taux professionnels. Est-ce une pratique qui a une étendue considérable?

Mme Fortier: Dans certains domaines, oui. On sait que la culture est très largement subventionnée à même les fonds publics. Nos interlocuteurs ne reconnaissent pas souvent les associations, ce qui prive les créateurs et les artistes de normes de travail décentes, de conditions négociées avec leur association et souvent également de droits d'auteur. On signe des contrats de louage de services, ce qui amène la cession complète de droits.

M. Demers (Serge): II existe actuellement des secteurs comme le cinéma qui sont très subventionnés et ce, par les deux paliers de gouvernement. Or, il arrive que des organisations ou de3 associations professionnelles représentant des créateurs ou des artisans du milieu tentent de se faire reconnaître pour représenter leurs membres et négocier des conditions minimales, et ce, depuis plusieurs années. Quand je dis plusieurs années, dans certains cas, cela va jusqu'à six, sept ou huit ans. Comme on revient toujours au problème du vide juridique, ces gens-là n'ont aucun levier juridique pour se faire reconnaître et, dans certains cas, ils ne peuvent pas exercer de pression directement sur les producteurs. Je prends l'exemple d'un scénariste. Si quelqu'un arrête d'écrire pour protester parce qu'on ne reconnaît pas son association professionnelle, il peut demeurer sans écrire pendant longtemps parce qu'il y a d'autres gens qui peuvent fournir des scénarios, on peut aller chercher des scénarios à l'extérieur, etc. Donc, ces professionnels, ces créateurs se retrouvent dans une situation intenable. Nous croyons que les gouvernements devraient exiger de ces producteurs ou de ceux qui bénéficient de subventions que, à tout le moins, ils respectent, reconnaissent et acceptent de négocier des conditions minimales d'exercice du métier pour les professionnels.

M. Boulerice: Qu'est-ce qui empêche actuellement les associations professionnelles de créer ou de gérer les caisses de stabilisation de revenus de leurs membres?

Mme Fortier: Dans le même paragraphe on voit que les associations elles-mêmes n'ont pas toutes les mêmes structures, n'ont pas toutes le même personnel pour gérer de telles caisses. Souvent, ces caisses proviennent d'ententes négociées avec les producteurs. Alors, avec les usagers de leurs oeuvres, avec les "producteurs", entre guillemets, s'il n'y a pas d'argent qui rentre, qui est versé au niveau d'ententes collectives, bien sûr il n'y a pas de caisse, il ne peut pas y avoir de caisse. Pour préciser, à l'organisme pour qui je travaille, nous avons des ententes négociées avec certains producteurs. Alors, il y a des rentrées qui se font au niveau de la caisse de sécurité des auteurs -mais, là où nous n'avons pas d'entente négociée, il n'y a rien qui rentre. Individuellement il ne peuvent pas négocier.

M. Boulerice: Vous allez jusqu'à souhaiter une loi dans ce domaine?

Mme Fortier: Bien sûr. M. Boulerice: D'accord.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député. S'il n'y a pas d'autres questions, Mme la députée de Chicoutimi, mesdames et messieurs de la commission, je vais remercier les représentants de la Conférence canadienne des arts. Mme Fortier vous voulez ajouter quelque chose?

Mme Fortier: Je voudrais rajouter quelque chose.

Le Président (M. Trudel): Cela me fait plaisir de vous redonner la parole.

Mme Fortier: C'est une demande bien précise à Mme Bacon. À la réunion des ministres des Affaires culturelles qui est prévue au mois de septembre, je vous demande de faire inscrire le statut de l'artiste au programme, afin que les ministres responsables des autres provinces se penchent également sur la question du statut de l'artiste.

Mme Bacon: Je vais sûrement le faire. Nous devons, d'ailleurs, commencer des discussions pour le programme de cette journée ou ces deux jours que nous aurons en septembre et je vais transmettre votre message.

M. Boulerice: Vous appliquez le code Morin, M. le Président, je vais donc vous seconder pour cette proposition.

Le Président (M. Trudel): Étant présent, je peux déclarer la motion acceptée a l'unanimité. Mme Fortier, Mme la présidente, merci beaucoup. M. le directeur général de l'autre organisme et néanmoins membre de la Conférence canadienne des arts, à demain peut-être.

La commission ajourne ses travaux jusqu'à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 8)

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