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(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de la culture se réunit en consultation
générale sur le statut économique de l'artiste et du
créateur. Mme la Secrétaire, est-ce qu'on a des
remplaçants? Je pense que Mme la députée de Chicoutimi
remplace M. le député de Mercier. C'est bien cela?
Mme Blackburn: Jusqu'à son arrivée.
Le Président (M. Trudel): Nous en prenons bonne note,
madame. Du côté du gouvernement, les membres semblent bien
présents. Je veux simplement, en vous souhaitant la bienvenue - je le
ferai une nouvelle fois tantôt - rappeler aux membres les ententes qui
sont intervenues au cours de la réunion de travail de la semaine
dernière.
La séance de ce matin, qui est la séance d'ouverture de la
commission, sera consacrée pour environ 90 minutes à des
remarques préliminaires des membres de la commission. Nous avons convenu
que Mme la ministre des Affaires culturelles aurait environ 20 minutes, que le
député de Saint-Jacques et porte-parole officiel de l'Opposition
en matière culturelle aurait également 20 minutes, qu'à
titre de président de la commission je prendrais environ 15 minutes
-probablement un peu moins - et qu'on consacrerait 20 minutes de plus aux
remarques préliminaires des membres de la commission.
Par la suite, nous céderons avec grand plaisir la parole à
ceux qui sont venus nous exposer leur situation en commençant, bien
sûr, ce matin, par l'Union des artistes.
Mme Bacon: M. le Président...
Le Président (M. Trudel): Oui, madame.
Mme Bacon: ...si vous me le permettez, avant de commencer les
travaux de cette commission, j'aimerais faire une motion -que j'appellerais une
motion non annoncée -de félicitations à l'endroit de Denys
Arcand qui a reçu le Prix international de la critique pour son film,
"Le Déclin de l'empire américain". Je pense que ce matin, c'est
la première chose que nous devons faire avant de débuter.
Le Président (M. Trudel): Sans plus tarder, je vous
cède la parole, Mme la ministre, pour vos remarques
préliminaires.
Remarques préliminaires Mme Lise Bacon
Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais souhaiter la
bienvenue à tous ceux et celles qui démontrent un
intérêt aux travaux de cette commission et qui sont ici en grand
nombre ce matin, vous dire le plaisir que j'ai de vous revoir pour certains et
certaines d'entre vous et de faire la connaissance d'autres au cours des
travaux de cette commission.
Je pense que votre grand nombre ici démontre les besoins et non
seulement les besoins, mais l'intérêt que vous portez aux travaux
de cette commission. Comme parlementaires, nous en sommes très
heureux.
Dans "Maria Chapdelaine", il y a une phrase que j'ai retenue. "Rien n'a
changé au pays du Québec. Et au cours de ma vie j'ai vu tout
changer au pays du Québec". Cette réflexion est de la
regrettée Marthe Thierry qui fut l'une de nos grandes
comédiennes.
En effet, M. le Président, beaucoup de choses ont changé
au Québec dans le dernier quart de siècle. 25 ans, c'est
l'âge du ministère des Affaires culturelles, comme c'est aussi,
à une année près, l'âge de la Révolution
tranquille. Dans ce dernier quart de siècle, je crois qu'on peut
affirmer sans prétention que tout a changé au pays du
Québec en matière culturelle. Et l'action gouvernementale,
pendant cette période, a dû toucher à tous les domaines de
la culture, en appuyant ou privilégiant un secteur ou l'autre, selon les
modes ou les gouvernements en place.
Nous voilà rendus en 1986 où la production culturelle a
atteint un seuil qui nous la fait qualifier d'industrie culturelle majeure au
Québec. Nos institutions d'enseignement forment des centaines
d'étudiantes et d'étudiants chaque année. Artistes,
créateurs, animateurs et administrateurs dans ce domaine se comptent par
milliers et, quant aux consommateurs, on peut dire tous les
Québécois* Car les moyens de communication de masse ont rendu
accessibles nos produits culturels à tous et à chacun de
nous.
Qu'est-ce que consomment les Que-
bécois en matière culturelle? Ils consomment les disques
de Martine St-Clair, "Rocky I, II, III" jusqu'à IV, "Peau de banane",
"Dallas", "Croc", "Pilote", l'OSM, Zamfir, "Le matou", et j'en passe. Je
pourrais ainsi défiler une longue liste de vedettes, de "best-sellers",
dans tous les secteurs de la création et où apparaîtraient
autant de noms d'ici que d'ailleurs. C'est bien là un signe que les
temps ont changé, que nous sommes passés d'une
société rurale fermée à une société
ouverte, éclatée au plan culturel.
Un tel envahissement de notre culture, de notre territoire culturel est
un enrichissement, soutiendront les uns. Mais ce peut être aussi un
terrain glissant pour notre identité culturelle. Le produit
séduisant, fignolé, mis en marché à
l'échelle internationale entre très vite dans nos maisons, dans
nos goûts, dans notre imaginaire. Nous sommes à l'ère de la
culture en forme de mosaïque où les messages proviennent de partout
et se juxtaposent simultanément. Dans un tel contexte, quelle place
occupe notre production, celle des créateurs québécois? Le
dernier relevé des cotes d'écoute de la télévision
fait encore et toujours une place d'honneur aux productions
québécoises. Mais on ne peut, malheureusement, en dire autant de
tous les autres secteurs de la création artistique. C'est-à-dire
qu'il y a une situation de concurrence, une concurrence dure entre nos produits
et les produits étrangers, une concurrence face à laquelle nos
créateurs et nos artistes ne sont pas toujours préparés ni
armés pour lutter à armes égales. C'est pourquoi,
aujourd'hui, le gouvernement auquel j'appartiens a jugé opportun et
urgent de convoquer une commission parlementaire sur ce sujet bien
spécifique du statut de l'artiste et du créateur.
En tant que ministre des Affaires culturelles, je me sens,
évidemment, concernée et intéressée plus que tout
autre parlementaire. Je crois que tous les membres de cette commission, eux
aussi, se sentent chargés d'une mission auprès de leurs
collègues à l'Assemblée nationale.
Pour ma part, j'aimerais vous situer dans quel état d'esprit je
me trouve en ce matin du premier jour d'audiences. J'aimerais vous dire dans
quelle perspective mes collègues et moi-même nous vous
écouterons et accueillerons le fruit de vos réflexions sur ce
sujet. Car je présume, si vous me permettez de paraphraser Jacques Brel,
que, si nous ne sommes pas toujours du même bord, nous allons tous au
même port. Ce port, c'est une identité culturelle
québécoise propre, affirmée et en santé. Et c'est,
par voie de conséquence, un contexte de travail et de production
équitable pour nos créateurs comparativement aux conditions de
travail des autres citoyens québécois.
Nous vous écouterons donc pour sentir et comprendre le sens, la
direction que vous souhaiteriez que l'Etat adopte pour jouer pleinement son
rôle auprès de cette clientèle spécifique que sont
les artistes et créateurs. Ce rôle de l'État, peut se
concrétiser sous trois formes d'intervention. Une première
consisterait en des ajustements, des abolitions ou des créations de
programmes. Un second niveau d'intervention serait celui d'un État
animateur auprès d'autres intervenants, que ce soit d'autres
ministères, d'autres paliers de gouvernement ou l'entreprise
privée. Enfin, une troisième forme d'intervention se situe au
niveau de la législation.
Toutefois, qu'importent les formes d'intervention que nous retiendrons,
il est acquis que nous n'adopterons pas une attitude protectionniste et encore
moins paternaliste. Nous ne voulons pas faire du Québec un grand
pensionnat qui, à partir du moment où vous y êtes inscrit,
vous assure une sécurité tous azimuts si vous vous soumettez,
évidemment, aux règlements de la maison.
Nous croyons que la première valeur que nous devons respecter
chez l'artiste ou le créateur, c'est sa liberté, cette
liberté nécessaire et propre à la création. Mais
cette liberté comporte des risques: risques de réussite ou
d'échec inhérents à tout métier et contre lesquels
il n'existe pas d'assurance tous risques. On ne pourra jamais encadrer et
sécuriser les gens de la création, comme cela est -possible pour
certains métiers, techniques ou professionnels, où la performance
en termes de volume ou de production est garante de la réussite.
Bien sûr, l'État continuera de développer des
programmes de soutien à la création et à la recherche, et
je compte sur vos commentaires pour nous aider à les améliorer.
Mais il serait fallacieux de prétendre que l'essentiel des
problèmes du statut économique de l'artiste se résoudra
miraculeusement par la simple bonification des programmes de soutien. C'est
pourquoi nous chercherons avec vous à identifier la nature et la
portée des obstacles qui affectent votre situation
socio-économique et juridique, et nous tâcherons d'en
déterminer les causes.
Comme vous le savez, l'amélioration et la revalorisation du
statut de l'artiste est une priorité de mon ministère et la tenue
de cette commission parlementaire s'inscrit comme un instrument pour dresser un
état de la situation socio-économique des artistes et des
créateurs, et pour susciter aussi la concertation et, si possible,
dégager des consensus concernant des solutions.
À ma connaissance, c'est la première fois qu'un
gouvernement du Québec offre aux créateurs et aux
interprètes une occasion de parler publiquement à des élus
réunis en commission parlementaire. Ainsi, non seulement aurez-vous
l'occasion de nous présenter
les questions qui vous préoccupent, mais aussi vous aurez une
sorte de tribune pour mettre en évidence et faire valoir votre
contribution à la société dans toutes ses composantes.
L'objet de cette commission ne concerne pas que les affaires
culturelles, mais le gouvernement comme tel. J'ai, d'ailleurs, demandé
expressément à dix de mes collègues de
déléguer des observateurs à cette commission et mon
sous-ministre a fait une démarche semblable auprès des siens.
Ceci pour vous indiquer à quel point j'estime essentiel qu'ils sachent
qui vous êtes, ce que vous faites et qu'ils soient aussi conscients que
nous de l'importance et de la valeur de votre apport à la culture et
à l'économie du Québec.
C'est l'État comme tel qui doit examiner ses politiques, ses
programmes, voir ses lois et règlements afin d'harmoniser ses actions
envers les arts et les industries de la culture. Dans divers secteurs, le
gouvernement entreprend un semblable travail de rationalisation. Aussi je ne
vois pas pourquoi nous tolérerions des incohérences, s'il y en
avait, dans le champ des arts et de la culture, ni pourquoi nous devrions jouer
à l'autruche devant certains problèmes qui vous sont propres
parce que tout simplement l'État ne s'en était pas encore
préoccupé. Car, comme je le disais précédemment, le
Québec a bien changé dans le dernier quart de siècle.
Il appartient toutefois au ministère des Affaires culturelles
d'être la conscience du gouvernement en matière de culture. Le
ministère des Affaires culturelles a, en effet, un rôle de leader
à jouer au sein du gouvernement pour tout ce qui touche sa mission. Mais
qui dit leader dit aussi équipe. Il revient donc à mon
ministère de définir, en collaboration avec le milieu des arts et
principalement ses piliers, les créateurs et les interprètes, nos
objectifs en matière culturelle et à l'égard du statut qui
doit être reconnu à l'artiste. Je dis bien reconnu et non pas
conféré. Il ne s'agit pas de créer un artefact, mais bien
de reconnaître une réalité concrète: l'inestimable
contribution que les créateurs et interprètes nous apportent
depuis toujours sur les plans de la culture et de l'économie et, ne
l'oublions pas, du rayonnement du Québec à l'échelle
internationale.
L'élaboration des objectifs en matière culturelle et leur
validation nous incombent. Il serait illusoire cependant, et même
malsain, de penser qu'il revient au ministère des Affaires culturelles
seul de mettre en oeuvre tous les moyens pour réaliser ces objectifs.
Nous comptons sur nos partenaires: ministères et organismes
gouvernementaux. Nous comptons aussi sur les administrations municipales et sur
le secteur privé.
Je vous rappelle que la politique culturelle de notre gouvernement a
pour titre: un outil de développement économique et social. Les
retombées du travail créateur profitent à l'ensemble de la
société. Il est donc équitable que les secteurs public et
privé apportent aussi leur contribution. On ne saurait exploiter quelque
secteur que ce soit sans se préoccuper d'assurer le bien-être et
l'avenir des artistes qui sont à l'origine de notre développement
culturel.
Il ne s'agit pas d'inventer des principes de gestion particuliers
à l'intention du monde des arts, mais d'y appliquer, en les adaptant au
besoin, les mêmes principes et modes de gestion qui guident nos actions
dans d'autres secteurs de la vie économique. Par exemple, on ne saurait
bien gérer l'exploitation forestière sans politique de
reboisement. On ne saurait exploiter une société publique ou
privée sans politique de gestion des ressources humaines. Ainsi, on ne
saurait exploiter le talent des créateurs et interprètes sans se
soucier de leur accorder des droits et les moyens de les faire respecter et
sans développer un environnement propice à l'exercice de leur
discipline.
L'idéologie populaire voulant qu'une situation économique
difficile soit un stimulant pour l'artiste relève du sophisme. Ce qui
est vrai, cependant, c'est que la liberté créatrice peut
commander à l'artiste un renoncement à certaines valeurs
matérielles mais c'est là, je crois, une question de choix
personnel. Il revient à chaque créateur de déterminer la
marge de compromis qu'il estime admissible dans le cadre de sa démarche,
de sa recherche.
Ce n'est pas faire injure à la création et à
l'expression artistique que de lui accoupler des chiffres et des
données. Au contraire, il est temps que nous prenions collectivement
conscience de la contribution économique du secteur des arts et des
industries culturelles.
Qui niera la contribution de cette merveilleuse bande des quatre, que
nous appelons encore les Beatles, à l'économie britannique? Si
mon souvenir est bon, même la reine les a décorés pour
service rendu à la nation. Prenons un exemple plus près de nous,
du moins géographiquement, New York. En sérieuses
difficultés financières il y a quelques années, New York a
misé sur les arts et les industries culturelles pour renflouer son
économie. (10 h 30)
Permettez-moi de vous citer quelques données produites en 1983
par "The Cultural Assistance Center" et "The Port Authority of New York and New
Jersey": "The arts are a larger industry than advertising, or hotel and motel
operations, or management consulting or computer and data processing services."
The arts constitute a major "export" industry. An estimated 1,6 $ billion is
generated by the expenditure of visitors."
Les arts représentent un impact de 5 600 000 000 $ pour la
région métropolitaine de New YorkNew Jersey. De ce montant,
2 000 000 000 $ vont aux traitements de 117 000 emplois. Comme quoi le mot
"affaires culturelles" a plus d'un sens.
Chez nous, selon les données fournies par la Conférence
canadienne des arts, qui sera présente à notre commission, la
contribution directe des industries culturelles au produit intérieur
brut en 1980 était supérieure à 6 300 000 000 $, soit
environ 2,4 % du produit intérieur brut. Cela dépasse les
industries du textile, du meuble, de la chimie et correspond à peu
près à la contribution des mines, de la métallurgie, de
l'électricité et de l'alimentation au produit intérieur
brut. Si on y ajoute la contribution directe des industries de la culture, on
obtient un total de 16 800 000 000 $.
Une étude commandée par le gouvernement ontarien, le
rapport Macaulay, indique que le revenu des taxes reliées au monde des
arts et des industries culturelles est probablement plus considérable
que la somme des subventions que les gouvernements consacrent aux arts. Ces
données sont comparables à celles que l'on retrouve au
Royaume-Uni. Les industries directement reliées au droit d'auteur y
représentaient à elles seules 2,6 % du produit intérieur
brut. Aux États-Unis, l'ampleur des industries culturelles
dépasse celles de l'agriculture et de l'automobile. Pourtant,
malgré ces milliards de dollars qui circulent grâce au dynamisme
des arts et des industries culturelles, les revenus moyens des travailleurs de
la culture, des auteurs et interprètes sont inférieurs à
la moyenne des revenus des autres travailleurs, quand ils ne sont pas sous le
seuil de la pauvreté.
Les experts de l'Organisation internationale du travail et de l'UNESCO
ont eu recours à une formule imagée pour décrire ce
paradoxe. En effet, écrivent-ils, la structure du monde des arts "se
présente comme celle d'une pyramide inversée dans laquelle
l'artiste, placé au bas de l'édifice, supporterait le poids de
l'industrie en question, tout en étant celui qui partage le moins les
profits de l'affaire." Il y a là un problème sur lequel on doit
se pencher sérieusement et mon ministère s'y emploie
déjà, d'ailleurs.
Il faut, cependant, être conscient de la taille et de l'ampleur de
ce à quoi nous nous attaquerons. Il n'existe pas d'éden pour les
auteurs et les intreprètes. Dans tous les pays, on retrouve cet
écart entre la contribution économique des artistes à la
société et les revenus qu'ils en retirent. Seul un infime
pourcentage d'auteurs et d'interprètes parviennent à vivre
uniquement de l'exercice de leur art. Les autres doivent exercer un, deux et
trois métiers d'appoint, souvent sans relation avec leur discipline,
pour subvenir à leurs besoins.
Il n'y a pas de solution magique, de recette toute faite ou de
prêt-à-porter dans le domaine qui préoccupe la commission
et le ministère des Affaires culturelles. Aussi, allons-nous être
attentifs aux suggestions, recommandations et propositions que vous nous ferez
au cours des prochains jours.
Ce n'est pas parce qu'un problème est difficile qu'il faut
s'abstenir de s'y attaquer. En tout cas, ce n'est pa3 ma façon de voir
les choses, au contraire. Nous savons que nous ne réglerons pas la
question du statut de l'artiste en un jour, pas plus que nous ne transformerons
la condition socio-économique des créateurs par une loi.
L'amélioration et la revalorisation du statut de l'artiste
viendront plutôt des effets conjugués de politiques et mesures
diverses, de changements d'attitudes et de mentalités et surtout de
l'interaction de multiples agents et partenaires socio-économiques. Et
vous êtes sur la première ligne. Le dicton qui veut qu'on ne soit
jamais si bien servi que par soi-même a son sens, aujourd'hui, à
une époque où l'on assiste à la transformation de
l'État-providence en État-catalyseur. "C'est au milieu culturel
lui-même, c'est-à-dire aux artistes, aux producteurs, qu'il
appartient de se réaliser." Telle est la première phrase de la
politique culturelle que nous avons diffusée en novembre dernier. Cela
signifie que c'est le milieu culturel luir même qui est le mieux
indiqué pour placer les balises de son développement. Encore une
fois, il n'est pas question que l'État joue au grand pensionnat
sécurisant et sclérosant. L'Etat est là pour faciliter
l'actualisation de la liberté créatrice et non pour l'amenuiser
ou l'assujettir.
En vertu de la loi constitutive de son ministère, la ministre des
Affaires culturelles a le mandat de favoriser l'épanouissement des arts
et des lettres au Québec et leur rayonnement à
l'extérieur. Mon ministère offre déjà de nombreux
programmes pour soutenir la création et diffuser au Québec et
à l'étranger les productions culturelles. Il lui faut maintenant
s'intéresser d'une manière plus intense au statut même de
l'artiste dans notre société et à sa condition
socio-économique en tant que telle.
Heureusement, nous ne partons pas à zéro. Le
ministère, notamment par son service gouvernemental de la
propriété intellectuelle et du statut de l'artiste, s'est
intéressé au respect, à la promotion et à la
défense des droits des créateurs. Ce service s'est
également employé, en travaillant étroitement avec les
organismes concernés, à dresser des états de la situation,
à cerner certains problèmes et à faire ressortir des
solutions pour améliorer la condition socio-économique de
l'artiste sur divers plans, que ce soit la formation et le
perfectionnement, le droit d'auteur, la fiscalité, la
législation du travail, la sécurité sociale, la
santé et la sécurité du travail, les recours juridiques et
le reste.
En matière de formation, nous sommes conscients, entre autres, de
lacunes relativement à la gestion de la carrière artistique,
ainsi qu'en ce qui a trait à l'administration des arts. Dans un contexte
de forte compétition non seulement entre les artistes et
créateurs d'ici, mais aussi avec ceux d'ailleurs, sur notre territoire
et à l'étranger, nou3 devons être en mesure de tirer le
maximum possible des talents et de la compétence que nous cherchons
à développer dans nos établissements d'enseignement
spécialisés. La survie de notre culture est aussi liée
à son rayonnement international. Nous serons compétitifs si nous
réussissons à maîtriser tous les aspects qui contribuent
à la mise en valeur du talent artistique.
Bien qu'il s'agisse d'une question sous la juridiction immédiate
du gouvernement fédéral, le Québec se préoccupe du
droit d'auteur. L'attitude de notre gouvernement est de faire respecter par le
fédéral les priorités établies par les artistes et
les créateurs québécois en matière de culture. La
loi canadienne sur le droit d'auteur protège mal les créateurs et
n'offre aucune protection aux interprètes en ne reconnaissant pas leurs
droits dits voisins du droit d'auteur. Les restrictions, exceptions ou
non-applications de la Loi sur le droit d'auteur portent préjudice aux
créateurs en les privant d'une rémunération qui, en
principe, doit faire l'objet d'une libre négociation entre le titulaire
de droits et les utilisateurs.
Le Québec demande que toutes les oeuvres de l'esprit soient
protégées, quels que soient leur nature, champ d'application,
forme, support, caractère ou mérite, y compris les dessins
industriels, les oeuvres d'art appliqué, les contributions des artistes
interprètes et exécutants. Nous rejoignons ainsi les positions de
17 associations de créateurs et de créatrices, ainsi que celles
des sociétés de perception de droits d'auteur.
Pour notre part, nous continuerons è accorder aux auteurs toute
l'expertise dont dispose mon ministère pour qu'ils puissent
défendre leurs droits dans ce domaine. Nous intensifierons nos efforts
pour que des conventions soient négociées entre les titulaires de
droits et les établissements d'enseignement du Québec concernant
la reproduction de toutes les catégories d'oeuvres
protégées par la Loi sur le droit d'auteur.
La fiscalité est un autre objet de vos préoccupations. Le
gouvernement analysera vos demandes avec la plus grande attention. Notre
objectif est de faire en sorte que le régime fiscal du Québec
vous traite aussi équitablement que les autres catégories de
contribuables et cela, en tenant compte des particularités
inhérentes à l'exercice de vos disciplines.
La question des relations du travail dans le domaine des arts est
délicate. C'est, d'ailleurs, à cause de problèmes dont
vous nous avez fait part, principalement l'Union des artistes, que j'ai
demandé la tenue de cette commission parlementaire. À ce stade,
personne n'a de solution simple à mettre de l'avant dans le cadre des
codes québécois et canadien du travail. Loin d'être une
raison pour éviter de discuter de ce problème, nous devons
ensemble, pour la première fois, commencer par l'analyser à fond
sous tous ses angles et dans toutes ses composantes. Cet exercice ne peut
qu'être utile et prometteur.
La question de l'accessibilité des artistes è certains
programmes de sécurité sociale, notamment
l'assurance-chômage, sera aussi à l'ordre du jour des travaux de
la commission. Une fois de plus, nous nous situons dans un domaine de
juridiction fédérale. Nous examinerons comment le Québec
pourra soutenir les revendications de ses créateurs en regard de
l'assurance-chômage et de l'accès au Régime de pension du
Canada.
La prévention en matière de santé et de
sécurité du travail dans le domaine des arts ne saurait, non
plus, nous laisser indifférents. On ne saurait se préoccuper de
l'amélioration de la condition des travailleurs de la culture sans
examiner ce qui peut être fait concernant leur santé et leur
sécurité. Déjà, certaines démarches ont
été entreprises par mon ministère avec la Commission de la
santé et de la sécurité du travail. Voyons ensemble ce
qu'il nous reste à faire.
Nous aborderons également le problème des recours devant
la justice pour faire respecter vos droits ou recouvrer des sommes dues en
vertu de la Loi sur le droit d'auteur. C'est une question tout à fait
pertinente et importante. Il faudra s'assurer que les artistes et
créateurs aient le même accès aux tribunaux que l'ensemble
des citoyens.
D'autres problèmes seront soulevés devant cette
commission. Nous les examinerons au mérite avec la plus grande ouverture
d'esprit.
Je suis pleinement consciente qu'en tenant cette commission
parlementaire nous créons des attentes. Ce sont là les risques
d'un sain exercice démocratique. Nous ne craignons pas d'examiner
lucidement Ies réalités que vous vivez, mais il faut convenir que
le gouvernement, quel qu'il soit, ne saurait résoudre tous les
problèmes et supprimer toutes les contradictions.
Par ailleurs, quelles que soient les conclusions, les voies de solutions
que nous identifierons et que nous présenterons ultérieurement,
disons nous que le fait de nommer publiquement les choses, de dire et
comprendre les problèmes constitue un premier pas dans la bonne
direction pour en arriver à des solutions adéquates et
équitables.
La tenue même de cette commission parlementaire sur le statut de
l'artiste est la démonstration que nous sommes disposés, dans la
mesure de nos moyens et de nos compétences, à travailler avec
vous à la nécessaire amélioration de votre statut
socio-économique et à la pleine reconnaissance de ce que vous
faites pour le Québec.
La lecture de vos mémoires m'a démontré que vous ne
manquez ni d'arguments ni de talent pour faire valoir les intérêts
que vous défendez. Votre venue à cette commission ajoutera
à votre argumentaire une dimension d'échanges qui nous permettra,
des deux côtés de la table, de mieux comprendre les enjeux en
cause.
Avant d'aborder les pistes de solutions, il me paraît essentiel
que nous sachions être attentifs aux attentes réciproques. Je suis
persuadée que nous y parviendrons. Permettez-moi cet emprunt à un
auteur de chez nous: "C'est une "question de feeling". Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre des
Affaires culturelles. Tel que convenu, je cède maintenant la parole au
député de Saint-Jacques.
M. André Boulerice
M. Boulerice: Mme la ministre, M. le Président, chers
collègues de la commission parlementaire, durant quelques jours, au
profit de la culture, nous allons vivre, gouvernement et Opposition, "le temps
d'une paix".
Je tiens donc à saluer celles et ceux qui nous permettent cette
trêve et cette réflexion. Je tiens à souligner
également l'importance que revêt à nos yeux la tenue de
cette commission parlementaire sur le statut de l'artiste. C'est un
événement capital puisque, pour la première fois,
l'ensemble des artistes s'adresse au peuple du Québec par
l'intermédiaire des élus que nous sommes afin de lui faire part
de leurs revendications concernant leur place au sein de notre
société. Ainsi, vais-je tenter d'être le plus bref
possible. Cette tribune est d'abord et avant tout la leur.
Point de société sans culture: C'est la pierre angulaire
qui façonne notre spécificité et notre personnalité
en tant que seul peuple majoritairement francophone en terre d'Amérique.
La culture constitue un volet essentiel de la qualité de vie de nos
concitoyens et de nos concitoyennes. Quotidiennement, la culture
reflète, interprète, exprime nos valeurs, nos
préoccupations, nos façons d'être, notre sensibilité
particulière.
Au-delà de l'acte de création ou d'interprétation,
la culture est aussi un produit impliquant d'importantes retombées
économiques pour l'ensemble de notre société. Force
économique croissante dont le dynamisme ne cesse d'étonner, les
statistiques reconnaissent de plus en plus la contribution du secteur culturel
dans l'essor de notre économie. L'industrie culturelle a
généré au Québec, en 1981, des revenus totaux
d'environ 1 900 000 000 $, incluant des rémunérations
s'élevant à 608 000 000 $ et employant plus de 56 000
travailleurs et travailleuses. En tenant compte des retombées
économiques indirectes, notamment au chapitre des services, l'industrie
culturelle représente une injection de 3 000 000 000 $ dans notre
économie. Ces quelques chiffres témoignent à eux seuls de
l'apport de la culture, non seulement sur le plan de la qualité de la
vie, mais aussi en termes de développement économique. (10 h
45)
Et pourtant, l'on constate que l'artiste, premier intervenant en
matière de culture, est aux prises avec des conditions de vie et de
travail nettement défavorables et déficientes. L'absence de
reconnaissance d'un statut spécifique et l'absence de valorisation de sa
contribution au progrès social et économique de notre
société en sont les principales causes. L'État doit
intervenir pour corriger cette réalité afin que l'artiste
obtienne la juste part à laquelle il a droit et qu'il réclame
à juste titre.
La tenue de cette commission parlementaire sur le statut de l'artiste
constitue une étape très importante dans le processus
d'élaboration de moyens d'action qui permettront une reconnaissance
réelle du statut de l'artiste. En plus de permettre aux membres de cette
commission de mieux connaître la réalité
socio-économique, les artistes, par le biais de leurs
représentants, pourront proposer directement au gouvernement des
éléments de solution visant à bonifier leur statut. Cette
commission permettra de sensibiliser la population à la
nécessité d'un statut de l'artiste qui soit conforme à son
apport à la qualité de vie de notre collectivité.
Plusieurs études menées depuis quelques années nous
ont permis de mieux connaître la réalité de nos artistes.
À cet égard, je désire souligner la contribution
essentielle du Service gouvernemental de la propriété
intellectuelle et du statut de l'artiste. Ce service doit poursuivre, voire
même intensifier ses recherches en vue d'en arriver à une
connaissance approfondie de la réalité complexe que constituent
nos artistes et nos industries culturelles.
Ces études, auxquelles je faisais référence,
mettent en relief une réalité souvent méconnue. Ces
études démontrent que la majorité des artistes vivent sous
le
seuil de la pauvreté et que leurs revenus se situent parmi les
plus bas de l'échelle salariale de notre société.
Exerçant sa profession sur une base essentiellement contractuelle
n'offrant aucun caractère de permanence, l'artiste doit souvent recourir
à un emploi secondaire pour faire face à ses besoins essentiels.
Cet état de fait peut entraver le cheminement de l'artiste en le privant
d'une part importante qu'il pourrait autrement consacrer à des
activités de création et d'interprétation.
Le principal facteur qui explique cette situation demeure l'absence d'un
statut juridique propre à l'artiste qui, sur la base d'un certain nombre
de droits, lui offrirait la juste part des bénéfices
rattachés à ses oeuvres qui sont ses biens propres. L'absence
d'un tel statut entraîne actuellement des difficultés pour
l'artiste à faire valoir ses droits, notamment au niveau du droit
d'auteur, de la sécurité sociale, des obligations contractuelles
et des relations du travail.
La reconnaissance d'un statut juridique garantissant des droits
fondamentaux à l'artiste constitue un préalable à toute
démarche visant à améliorer et à revaloriser le
statut de l'artiste.
La révision de la Loi sur le droit d'auteur doit faire l'objet
d'une attention privilégiée du gouvernement
québécois. Le Québec doit multiplier les pressions sur le
gouvernement fédéral afin que la révision de la Loi sur le
droit d'auteur se traduise par un renforcement réel du droit de l'auteur
sur l'utilisation de ses oeuvres par la mise en place des mécanismes
d'application, de surveillance et de gestion appropriés.
Dans le même ordre d'idées, il faut évaluer la
possibilité d'instaurer des mesures parafiscales afin de
dédommager les artistes pour des pertes encourues lors d'utilisations
non autorisées de leurs oeuvres et plus particulièrement dans les
cas de reproduction. Il faut aussi étudier des modalités de
redevances pour le prêt d'oeuvres dans les bibliothèques publiques
et les musées d'État. Ces mesures pourraient avoir un impact
significatif sur le développement des arts visuels, de la chanson et du
livre.
Les artistes éprouvent régulièrement des
difficultés à toucher leur rémunération parce
qu'ils assument souvent seuls les négociations de contrats aux formes
variées et avec une multiplicité d'employeurs et de producteurs.
Le contrat demeure la formule privilégiée qui détermine
les conditions de travail et de rémunération liant, pour une
période donnée, l'artiste et le producteur ou le diffuseur.
Fréquemment, ce contrat, pour diverses raisons, n'est pas
respecté. L'artiste doit alors recourir à certains
intermédiaires pour espérer toucher ce qui lui est dû.
La diversité des formes de contrats, ainsi que les limites quant
à leur valeur posent problème. Il faut envisager des mesures
visant à accroître le respect des conditions fixées dans
les contrats. Il faudrait évaluer la possibilité de mettre au
point un contrat comportant des éléments standards qui
garantirait des conditions minimales quant au respect de son contenu, tout en
prévoyant des espaces adaptés aux besoins diversifiés des
différentes catégories d'artistes.
Dans la même optique, divers moyens doivent être
envisagés pour favoriser le regroupement des artistes entre eux dans le
but de leur permettre de mieux faire valoir leurs droits et
intérêts. Ces regroupements ou associations d'artistes devront
disposer d'une capacité réelle de défense des
intérêts de leurs membres. Il faut procéder à une
évaluation des dispositions actuelles des lois du travail en rapport
avec la réalité propre de l'artiste et les associations le
représentant.
Bon nombre de revendications des artistes se rapportent au traitement
fiscal qui leur est réservé. Il nous apparaît opportun
d'apporter des modifications qui favoriseront une amélioration de la
situation économique de l'artiste. Toute la question des
déductions fiscales reliées aux dépenses effectuées
dans le cadre des activités professionnelles de l'artiste devrait faire
l'objet d'une attention particulière avec les autorités
concernées du ministère du Revenu. Une analyse
détaillée des implications sous-jacentes au statut de travailleur
autonome et d'employé salarié selon les diverses
catégories d'artistes s'impose.
Le rythme intermittent et irrégulier des contrats place
fréquemment l'artiste en situation d'insécurité
économique. De plus en plus, en raison de conditions de travail
particulières, l'artiste a très peu de possibilités
d'être admissible à l'assurance-chômage. L'artiste, comme
l'ensemble des autres travailleurs, doit pouvoir bénéficier d'un
minimum de protection sociale lorsqu'il éprouve des difficultés
à se trouver du travail. Il nous apparaît nécessaire que
les principaux intervenants concernés se penchent sur la mise sur pied
possible d'un régime d'assurance-chômage adapté aux besoins
des artistes. Un tel régime doit être intégré
à l'intérieur d'une réforme globale visant à
améliorer le statut socio-économique de l'artiste. En termes de
protection sociale, l'artiste doit également pouvoir compter sur un
revenu décent au moment où il atteint l'âge de la retraite.
À ce chapitre, deux possibilités s'offrent aux artistes: la
participation aux régimes de rentes publiques ou la mise sur pied de
caisses de retraite administrées et gérées par leur
association.
Un autre volet de protection sociale concerne la santé et la
sécurité du travail. Réalité largement
méconnue en regard des
activités de l'artiste, l'on doit procéder à une
évaluation générale des conditions dans lesquelles
l'artiste fait oeuvre de création ou d'interprétation.
La formation de l'artiste constitue un autre élément
majeur qui doit faire partie d'une réforme du statut de l'artiste. Avant
d'en arriver à créer ou à interpréter une oeuvre,
l'artiste doit maîtriser un certain nombre de connaissances et de
techniques qui lui permettront de donner cours aux réalités qu'il
sent le besoin d'exprimer. Le volet de la formation et de l'enseignement nous
apparaît d'autant plus important ici au Québec, que l'artiste doit
faire face à une concurrence étrangère envahissante dans
un marché intérieur, rappelons-le, aux possibilités
restreintes. La formation doit mettre un accent particulier sur la connaissance
du marché québécois, mais aussi des marchés
extérieurs dans un contexte culturel qui se mondialise chaque jour
davantage. Il faut dès aujourd'hui préparer la relève
à des stratégies de mise en marché agressives afin qu'elle
puisse concurrencer plus efficacement la production étrangère ici
au Québec et à l'extérieur de ce dernier. Les techniques
de gestion et de marketing deviennent des outils de plus en plus essentiels
à la survie et à l'épanouissement de nos industries
culturelles.
L'introduction de nouvelles technologies, dont la conception artistique
assistée par ordinateur, devra être prise en compte dans la
définition d'une politique globale de formation de l'artiste. Il nous
apparaît important de procéder à l'évaluation des
programmes de formation pour les artistes à tous les niveaux, en
s'assurant la collaboration du ministère de l'Éducation afin de
rendre ces programmes mieux adaptés aux besoins des artistes.
Des actions doivent être menées en parallèle pour
favoriser l'accès de nos artistes au marché
québécois mais aussi aux marchés extérieurs.
Certains gestes ont déjà été posés en ce
sens par le précédent gouvernement québécois, dont
l'intégration des arts à l'architecture des édifices
publics et la création de la Banque d'oeuvres d'art.
Le gouvernement du Québec doit intensifier ses actions en
matière de promotion et de diffusion des produits des artistes d'ici.
Une campagne nationale de sensibilisation sur l'apport de l'artiste à la
qualité de notre vie culturelle doit être poursuivie. Le
ministère des Affaires culturelles doit continuer d'investir dans le
soutien à l'artiste, notamment dans l'accès è des
équipements culturels permettant à celui-ci de se produire.
Le ministère des Affaires culturelles devra convaincre le
gouvernement fédéral de la nécessité d'une mise en
oeuvre d'actions susceptibles d'améliorer et de revaloriser le statut de
l'artiste. En effet, bon nombre de ces actions concernent des champs de
juridiction partagés par les deux paliers de gouvernement. Le
ministère devra prendre ainsi les moyens nécessaires pour
impliquer dans ce projet de réforme les municipalités et le
secteur privé. De plus, en toute équité, ce projet de
réforme devra avoir un souci constant à l'égard de la
situation des artistes vivant en régions.
Conscient de la complexité de la problématique du statut
de l'artiste, mais aussi conscient de la nécessité d'agir pour
améliorer et revaloriser ce statut, c'est avec beaucoup d'espoir et
d'ouverture que je participe aux travaux de cette commission. J'éprouve
aussi une certaine fierté à constater que bon nombre des
organismes que nous entendrons durant cette commission ont pignon sur rue dans
le comté de Saint-Jacques. Ces travaux nous permettront de mieux
connaître la réalité de nos artistes, mais aussi de
recevoir leurs propositions quant aux moyens à mettre en oeuvre pour
réaliser cette réforme du statut de l'artiste.
En terminant, je tiens, à titre personnel et au nom de ma
formation politique, à assurer la ministre de notre collaboration dans
ce dossier puisqu'il a toujours revêtu beaucoup d'importance pour la
formation politique que je représente à l'Assemblée
nationale. Des gestes ont d'ailleurs été posés dans ce
sens.
Je prendrai bonne note des échanges que nous aurons avec les
représentants des artistes. Je tiens à les assurer de notre
vigilance quant au suivi des travaux de cette commission et,
particulièrement, à l'endroit du projet de loi sur le statut
évoqué par la ministre.
J'ose espérer enfin que le peuple du Québec et ses
élus, à travers les propos qui seront tenus lors de cette
commission, seront convaincus que la culture n'est pas un luxe que l'on ne
s'offre qu'en temps d'opulence, mais qu'elle, comme je le disais
précédemment, est un volet essentiel de notre qualité de
vie. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques. Je dois maintenant, assez curieusement
puisqu'on a décidé de la chose il y a dix jours, me céder
moi-même la parole, ce que je fais à l'instant.
Le Président "C'est à l'estime que porte un peuple
à ses artistes qu'on peut'juger du degré de sa maturité.
Les artistes sont la conscience d'un peuple: à la fois sages et voyants,
ils et elles nous guident vers une meilleure connaissance de nous-même et
de la société."
C'est sur cette constatation du Conseil régional de la culture
des Laurentides, que je fai3 d'ailleurs mienne, qu'il m'est agréable de
vous souhaiter la bienvenue à cette première
séance de la commission de la culture de l'Assemblée
nationale qui, à la demande de la ministre des Affaires culturelles,
tient une consultation générale sur le statut économique
de l'artiste et du créateur. En d'autres mots, la commission a
reçu le mandat de réfléchir avec vous sur le statut de
l'artiste dans notre société.
Il s'agit d'une première au Québec, laquelle s'inscrit
bien dans une suite d'actions importantes dans la reconnaissance officielle du
métier ou de la profession d'artiste. En juin 1944 et peut-être
même avant cette date, les artistes ont marché sur Ottawa.
À vous voir aujourd'hui ici, on peut presque dire que les artistes ont
marché sur Québec en 1986.
Lors de cette manifestation estivale à Ottawa, les artistes ont
réclamé du gouvernement fédéral la reconnaissance
de leur profession et l'établissement d'un système d'aide
financière. Quelques années plus tard, la Commission royale
d'enquête Massey-Lévesque était chargée de revoir
les normes qui régissaient cette profession et la situation que l'on
réservait à celui qui oeuvrait dans les principales disciplines
connues et reconnues comme faisant partie de la grande famille des arts. (11
heures)
En 1956, un premier conseil des arts voyait le jour, le Conseil des arts
de la région métropolitaine de Montréal. Il naissait
quelques mois seulement avant celui de Victoria, à l'autre bout du pays.
Son rôle: harmoniser et coordonner la vie artistique de Montréal
en investissant dans les compagnies qui travaillaient à Montréal.
Mais je me rends compte que le vocabulaire que j'emploie est celui de 1986. En
1956, on ne parlait pas d'investissement mais d'aide aux artistes. On parlait
de campagnes de souscription et non de campagnes de financement. Heureux signe
des temps qui a permis une amélioration du vocabulaire allant de pair
avec celle de la profession!
Depuis 1956, il nous faut rappeler plusieurs dates encore. D'abord, 1957
et la fondation du Conseil des arts du Canada, puis 1961, année de la
création du ministère des Affaires culturelles du Québec
que l'on doit à la détermination d'un homme que l'on
connaît trop peu chez nous et dont on n'apprécie pas le rôle
énorme parce que précurseur qu'il a joué: je veux parler
de Georges-Emile Lapalme.
Depuis 1961, des programmes culturels, des programmes de soutien aux
artistes, des programmes de création, des programmes de diffusion, des
programmes de formation se sont multipliés. Les écrivains sont
subventionnés, les éditeurs sont subventionnés, comme le
sont les bibliothèques, les musiciens, les compositeurs, les danseurs,
les hommes et les femmes de théâtre, les chansonniers, les
chanteurs, les cinéastes, les sculpteurs, les peintres, les graveurs,
enfin tous les artistes, tous les créateurs sont subventionnés
par l'État, que celui-ci soit fédéral ou provincial. Et
pourtant, selon la Division de l'éducation, de la culture et du tourisme
de Statistique Canada, en ne comptant que les revenus de ceux et celles qui
travaillent à temps plein au Canada, le revenu moyen d'un artiste en
arts visuels était de 7600 $ en 1977 et seulement 50 % de ce chiffre
représentait le montant reçu de la vente de ses oeuvres. Le
revenu moyen des écrivains était de 12 500 $ en 1978 et un peu
plus de 50 % provenait de leurs écrits. Le revenu moyen des acteurs et
actrices en 1979, au Canada, était de 20 000 $ et 80 % de ce montant
était gagné en faisant du théâtre, de la
télévision ou du cinéma. En 1982, le revenu moyen d'un
musicien ou d'une musicienne était de 18 000 $; environ 75 % venait de
la musique. Je rappelle ici qu'il s'agit du revenu moyen de ceux et celles qui
travaillaient à temps plein. Toujours selon Statistique Canada, 56 % des
artistes en arts visuels y travaillaient à temps plein. Telle
était aussi la situation pour 50 % des acteurs et actrices, 32 % des
musiciens et musiciennes et 28 % des écrivains.
Au Québec - la plupart d'entre vous l'avez souligné dans
vos mémoires respectifs la situation semble encore plus catastrophique.
On parle d'un revenu de 2000 $ pour l'artiste en arts visuels. On parle d'un
revenu moyen de 5000 $ pour le musicien ou le comédien. On parle d'un
revenu dérisoire pour le compositeur et l'écrivain. On souligne
la misère dans laquelle doivent se débattre quotidiennement nos
danseurs et nos danseuses.
Pourtant, face à cette situation certes peu enviable de
l'artiste, on reconnaît que l'industrie culturelle représentait au
Canada, en 1982-1983, un actif de 8 000 000 000 $, c'est-à-dire une
contribution de 8 000 000 000 $ au produit intérieur brut. Il s'agit,
toujours selon Statistique Canada, dans une étude, "Les arts et la
culture: un portrait statistique-1985 - Mme la ministre l'a mentionnée
tout à l'heure - "d'une contribution légèrement
supérieure à celle des industries du tabac, du caoutchouc, du
plastique, du textile, du vêtement, des produits du pétrole et du
charbon et des produits chimiques. Elle est presque à l'égal des
mines et des métaux et à celle de l'industrie de l'énergie
et du gaz." On dit aussi que tout dollar investi par le gouvernement dans
l'industrie culturelle engendre jusqu'à 2,60 $ d'activité
économique directe et 4 $ d'activité économique
indirecte.
Alors, dites-moi, comment se fait-il que l'artiste ne réussisse
pas ou réussisse si peu à vivre de son métier? Comment se
fait-il que l'artiste soit si économiquement faible?Pourquoi
ne peut-on pas vivre décemment au
Québec quand on professe le métier d'artiste? Pourquoi
formons-nous des artistes qui ne trouveront pas de travail en sortant de nos
grandes écoles et qui devront toute leur vie recourir à un
système de subventions de l'État?
En définitive, y a-t-il trop d'artistes pour le marché qui
est le leur? Sommes-nous entrés pour de bon dans une ère
où seule la quantité prévaut au détriment de la
qualité? Pourquoi a-t-on si facilement accès au métier
d'artiste? Pourquoi, à la rigueur, peut-on s'improviser artiste et
entrer si facilement sur le marché des industries culturelles? Pourquoi
l'artiste est-il le plus grand subventionner de notre activité
culturelle? L'art est-il un luxe? Pourquoi l'artiste doit-il être
payé? Il est là pour séduire et charmer. 11 ne travaille
pas, il s'amuse puisqu'il amuse les autres. Autant de questions qui vous font
frémir tout autant que moi. Autant de questions que l'on entend encore
un peu partout dans notre société nord-américaine et qui
témoignent de la situation dans laquelle se trouve celui qui exerce ce
métier.
D'où vient cette situation? Est-elle le résultat d'un
manque ou, pis encore, d'une absence totale d'intégration de l'artiste
dans son milieu social? Est-elle la conséquence d'un défaut de
communication entre celui qui se définit comme tâche de
questionner le futur et celui qui essaie de consolider ses acquis? Est-elle
l'effet d'une carence de connaissances du métier lui-même avec son
lot de contingences, de difficultés, de discipline? Enfin, est-elle le
contrecoup d'une incompatibilité entre le grand principe de notre
société, le mieux-être, qui s'oppose totalement au "plus
être" que recherche l'artiste?
Nos créateurs se préoccupent-ils de ceux à qui ils
destinent leurs oeuvres puisqu'il faut bien le dire les artistes n'ont pas
d'autre clientèle que le public en général, qui peut
accepter ou ne pas accepter de recevoir le produit d'une démarche
créatrice? Le produit artistique est-il vraiment consommable par la
population en général? Le produit artistique et l'artiste ont-ils
leur place dans notre société? Sont-ils vraiment
nécessaires? "L'art constitue l'un des facteurs de santé
individuelle et de la qualité de l'environnement", nous rappelle avec
raison le mémoire de la Faculté des arts de l'Université
Laval qui poursuit en disant ceci: "Par conséquent, le contact avec Ies
arts doit être offert à chaque citoyen avec d'autant plus
d'insistance que nous vivons une époque où la culture
générale se rétrécit et où la
société, de plus en plus spécialisée, impose cette
spécialisation de plus en plus tôt dans les programmes
d'entraînement."
Les compositeurs, les auteurs répondent pour leur part: "Notre
problème en est un, tout simplement, de survie financière. Dans
tout le processus, nous sommes les tout premiers à travailler et les
tout derniers à être payés." (Mémoire de la
Société professionnelle des auteurs et compositeurs du
Québec, page 2.)
Les danseurs, de leur côté, nous disent: "Tant et aussi
longtemps que les artistes ne seront pas considérés par la
société et au premier chef par les individus qui la composent
comme une valeur essentielle et une nécessité organique pour le
développement harmonieux de la société, l'État et
les communautés artistiques devront tout faire pour favoriser une mise
en commun des ressources disponibles et une utilisation maximale de celles-ci.
L'enjeu du soutien à la création artistique et à la
diffusion des arts, c'est la qualité de vie d'une
société." (Mémoire du Regroupement des professionnels de
la danse du Québec, page 1.)
Les professionnels du cinéma, quant à eux,
déclarent qu'une "partie des problèmes liés au statut de
l'artiste et de l'ensemble des professionnels d'un secteur comme le
cinéma tient au fait qu'on s'inonde et se laisse inonder de produits
sans penser à la culture générale des consommateurs.
L'État aura beau soutenir la production, imposer des quotas et vouloir
améliorer le statut de l'artiste, il risque d'investir à fonds
perdus s'il oublie que l'artiste ne gagne pas sa vie sans public."
(Mémoire de l'Institut québécois du cinéma, page
7.)
Enfin, les sculpteurs affirment que "dans une société qui
les connaît mal, qui ne réussit pas à analyser leur
rôle, leur importance et leur utilité, les créateurs et les
créatrices constituent cet élément marginal qui essaie de
survivre et de se créer envers et contre tout. En très grande
majorité, ils et elles doivent exercer un autre métier pour
survivre et financer leurs recherches." (Mémoire du Conseil de la
sculpture du Québec, page 7.)
Bref, on n'en sort pas. Pour se développer, les arts doivent
s'intégrer à l'ensemble des activités d'une
société qui a, d'autre part, le strict devoir de
"démarginaliser" l'artiste.
Nul ne saurait nier que quelques progrès ont été
réalisés depuis 40 ans. Il est toutefois pénible de
constater que les artistes et les créateurs figurent encore au sein du
groupe des travailleurs les moins payés, qu'ils se butent à des
difficultés importantes quand elles ne sont pas carrément
insurmontables dans la recherche d'une place dans la société,
qu'ils veulent exercer leur métier, leur profession, de façon
normale et régulière sans y parvenir. Peut-être y a-t-il
des choses à changer dans notre société. Je pose
simplement la question.
Manifestement, les problèmes que pose depuis longtemps le statut
de l'artiste sont nombreux. Ils sont bien enracinés, ils sont
complexes. Ils ne sont pas de ceux qu'une solution unique ou simple
permettra de faire disparaître du jour au lendemain. Le gouvernement
s'est engagé à écouter tous ceux que cette question
concerne et, au premier chef, évidemment, les artistes et
créateurs eux-mêmes. Nous comptons sur eux pour nous fournir les
orientations générales et les éléments d'action
particulière qui nous aideront à façonner ensemble une
stratégie globale.
Je me permets, en terminant, de vous citer, M. le président de
l'Union des artistes, vous qui déclariez récemment aux membres de
la Conférence canadienne des arts - et sans doute le
répéterez-vous aujourd'hui devant nous - : "les artistes
n'attendent certainement pas de la société, de leurs
gouvernements, qu'on les définisse, mais bien plutôt qu'on les
reconnaisse". Nous sommes ici pour vous écouter et vous entendre.
Tel que convenu, j'ai reçu des signaux de part et d'autre de
membres de la commission intéressés à faire des remarques
préliminaires. Je reconnaîtrai d'abord le député de
Sherbrooke.
M. André J. Hamel
M. Hamel: M. le Président, comme l'a souligné Mme
la ministre dans son excellent texte d'introduction, c'est à titre de
membre de cette commission, mais aussi à titre personnel que je me sens
chargé de cette mission de rendre justice aux artistes. À titre
personnel, puisque j'ai étudié chez François Rozet - comme
mon vieil ami, Jean Besré, que je salue cordialement - il y a
déjà quelques années. Je puis donc vous assurer que je
serai à l'écoute de vos représentations et que je
travaillerai activement avec mes collègues à la recherche de
solutions concrètes afin que l'artiste ait des conditions de travail
décentes, favorisant son art et assurant son public d'un produit de
qualité. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Sherbrooke.
Mme la députée de Maisonneuve, pas de remarques?
Mme la députée de Chicoutimi, on m'a fait signe que vous
seriez peut-être intéressée à...
Mme Jeanne L.
Blackburn
Mme Blackburn: Je m'en voudrais beaucoup de prendre le temps qui,
normalement - en tout cas, je le souhaite -devrait être davantage
laissé aux différents intervenants. J'aurais peu à dire,
finalement, qui n'ait déjà été dit. Je souhaiterais
simplement qu'au cours des différents échanges il puisse se
dégager suffisamment de consensus pour constituer ce que serait une
politique de reconnaissance et d'aide au statut de l'artiste.
Vous me permettrez, étant d'une région, de souhaiter que
cette réforme tienne compte également des différentes
situations que connaissent les artistes dans les régions. Je voudrais
simplement, parce qu'il me semble que c'est, je dirais, la seule omission de
toutes les interventions, souligner que les différents pays qui
connaissent une croissance économique relativement remarquable ont
investi et continuent d'investir dans le soutien et le développement des
différentes manifestations culturelles; ils reconnaissent qu'il y a un
rapport étroit entre le dynamisme et la vitalité des
différents secteurs de la culture et la capacité d'un pays de se
développer au plan économique. J'espère que ce sera aussi
la lecture qu'on fera tantôt et qu'on s'assurera, comme Etat, de donner
à nos artistes et à nos créateurs le meilleur soutien, le
soutien le plus adéquat, en même temps qu'une reconnaissance qui
leur permette justement cette vitalité et cette vivacité qui
assurent à un peuple le développement de sa culture et de son
économie. Merci. (11 h 15)
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
députée de Chicoutimi. Mme la députée de
Matane.
Mme Claire-Hélène Hovington
Mme Hovington; Oui, M. le Président. Je voudrais d'abord
souhaiter la bienvenue à tous les artistes présents ce matin et
à toutes les associations d'artistes qui ont présenté un
mémoire à cette commission parlementaire de la culture.
II est sûr qu'ici, au Québec, nous avons une
créativité extraordinaire. L'appellation artiste signifie
créateur, et qui dit créateur dit marginal aussi, donc quelqu'un
qui vit en marge d'une société. Il est vrai qu'aujourd'hui le
rôle de l'État change. De l'État-providence, on va passer
à l'État de soutien. L'État, en ce sens, a sûrement
un rôle à jouer dans le soutien de la créativité,
dans le soutien des artistes créateurs, dans le soutien de la mise en
marché des produits culturels et aussi dans le soutien de l'ouverture de
nouveaux marchés situés à l'extérieur du
Québec.
J'ai vécu dans un milieu artistique depuis plusieurs
années mais j'ai connu surtout, M. le Président, le milieu des
artistes peintres. Je dois dire que les artistes peintres professionnels vivent
peut-être de leur art, mais ils sont préoccupés aussi par
une mise en marché de leurs oeuvres qui est difficile au Québec,
parce que le marché est restreint, et difficile aussi à
l'extérieur, parce que trop onéreux pour l'artiste qui est
souvent obligé de subvenir à ses propres
besoins, de subvenir aux frais de transport de ses oeuvres, à ses
frais de séjour, à ses frais de marketing, à ses frais de
publicité à l'extérieur du Québec.
L'artiste peintre est aussi soumis aux lois du marché naturel,
c'est vrai. Mais ces lois sont souvent fixées aussi par des galeries ou
par des marchands de tableaux. Certaines de ces galeries vont peut-être
profiter un peu d'un artiste, par exemple, pour faire un petit peu de
spéculation certaines fois sur les oeuvres de l'artiste, tout cela
peut-être à l'insu de l'artiste lui-même. Alors, l'artiste
peintre n'est pas protégé contre certaines de ces situations face
aux lois naturelles du marché.
Alors, le gouvernement a sûrement un rôle de soutien
à jouer en ce sens. Il est sûr que c'est quand même aux
artistes eux-mêmes qu'il appartient de se réaliser, mais, en tant
que gouvernement, nous avons un très grand rôle à jouer.
Soyez sûrs que nous serons à l'écoute de vos suggestions
pour améliorer le sort réservé à l'artiste afin
qu'il puisse exercer son art dans des conditions optimales de réussite,
que ce soit au Québec ou à l'extérieur du Québec.
Alors, nous vous écoutons. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
députée de Matane. Maintenant, M. le député de
Viger a exprimé le désir d'intervenir.
M. Cosmo Maciocia
M. Maciocia: Merci, M. le Président. La ministre a dit
tantôt qu'elle-même, ainsi que tous les membres de cette
commission, se sentent chargés d'une mission auprès de leurs
collègues à l'Assemblée nationale.
Cette mission, quelle est-elle? Dans un premier temps, d'écouter
avec attention et avec sensibilité les groupes qui témoigneront
devant cette commission. Leur objectif fondamental est de faire
reconnaître aux artistes et interprètes un statut juridique
particulier, économique et social, et nous sommes réceptifs
à cette idée. Dans un deuxième temps, de réaliser
que la culture n'est pas uniquement l'expression sensible et profonde d'une
société, mais également un moteur économique
important qui produit des bénéfices essentiels et substantiels.
Cela, nous devons le réaliser.
L'important ici est, comme la ministre l'a mentionné, que nous
soyons attentifs aux attentes réciproques. Pour cela, il ne faut pas
uniquement écouter les revendications et les constatations qui seront
exprimées par les groupes qui témoigneront devant nous dans les
jours à venir. L'important, c'est d'être sensible à leurs
attentes pour être, par la suite, en mesure d'agir dans le respect de
leurs droits.
La tenue de cette commission parle- mentaire apparaît comme un
moment privilégié de notre inspiration culturelle. Permettez-moi
également, M. le Président, de citer Jacques Brel: "Mon coeur,
c'est des navires ennemis partant ensemble pour pêcher la tendresse."
Cette pensée forte et juste nous fait réaliser une chose
essentielle: la nécessaire recherche d'un consensus entre des
intérêts parfois divergents. La tenue de cette commission est une
occasion unique d'établir cette dimension consensuelle. Je crois que
nous sommes là pour la saisir. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Viger. Je cède maintenant - et je pense que ce
sera le dernier intervenant au niveau des remarques préliminaires - la
parole au député d'Arthabaska.
M* Laurier Gardner
M. Gardner; Merci. Mme la ministre, M. le Président, je
suis très heureux de participer à cette commission parlementaire
qui est un précédent au Québec. Je suis heureux d'autant
plus que je viens d'une région qui n'a malheureusement pas le plaisir de
rencontrer les artistes tous les jours. C'est justement pour cela que je tiens
à faire quelques remarques au début de cette commission. Nous ne
vous voyons pas assez vous les artistes dans nos régions. Bien
sûr, nous vous voyons à la télévision, nous sommes
très heureux de vous voir. Il y en a quelques chanceux qui passent
à la télévision et d'autres qui ne passent pas, mais nous
ne vous voyons pas assez en régions. C'est peut-être une question
qui va revenir souvent cette semaine.
J'ai rencontré, en fin de semaine, un artiste peut-être pas
au niveau professionnel comme vous l'entendez, qui me disait: Lorsqu'on accepte
d'être artiste, on accepte de vivre à bas salaire. Je ne partage
pas tellement cette idée et j'espère, à la fin de cette
commission, que je ne partagerai pas du tout cette idée. Bien sûr,
être artiste, c'est peut être une vocation. Vous vous souvenez de
votre latin, "vocare: appeler, être appelé", comme ce fut le cas
pour les prêtres un jour, comme ce fut le cas pour les enseignants un
jour d'être appelés. Bien sûr qu'il faut être
appelé, qu'il faut être de bons artistes, mais il faut surtout
vivre de notre art.
Vous êtes adulés. C'est ça que je ne comprends pas*,
vous êtes tellement adulés, on vous aime tellement, mais, c'est
drôle, on ne vous paie pas. C'est un peu comme les députés,
peut-être, mais j'ai été très surpris de constater
dans votre rapport qu'à peine 10 % gagnaient plus de 20 000 $. Cela m'a
vraiment surpris. Je vois qu'il n'y a pas que des René Simard dans votre
groupe. J'en suis très déçu. Il faudrait que tout le
monde
gagne autant que lui.
Je me pose toutes sortes de questions sur les arts et tout cela. Je vais
en apprendre beaucoup cette semaine. Je vais avoir beaucoup de questions, je
vous avertis d'avance, dont une, entre autres, qui est celle-ci: Quand
devient-on vraiment professionnel? Je sais que, lorsqu'on devient enseignant,
on a un diplôme qui nous reconnaît professionnellement. Mais, quand
on est artiste, quand devient-on professionnel? J'aurai beaucoup de questions
aussi sur le fait que bien des artistes finissent leurs jours dans la
pauvreté. On a remarqué cela. En tout cas, on a vu quelques
reportages là-dessus tout récemment à la
télévision. Cela me désole de voir qu'une classe que nous
aimons tant finit sa vie dans la pauvreté.
J'aurai certainement des questions sur l'école de formation et le
perfectionnement des artistes, sur les salaires, sur les droits d'auteur
où on devrait éviter les abus, sur les dispositions fiscales
aussi, sur les conditions dans lesquelles s'exerce la profession. Je voudrais
terminer mes quelques remarques en disant ceci: Lorsqu'on a des droits, on a
aussi des devoirs. Il ne faudrait pas les oublier surtout. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député d'Arthabaska. Je ne veux pas surprendre mon
collègue, l'ex-ministre, le député de Mercier, que je
salue à son arrivée, en lui demandant si, à froid comme
cela - nous terminons cette période de remarques préliminaires -
il aurait des remarques préliminaires pendant quelques minutes à
nous faire.
M. Godin: ...à Montréal. Je suis venu pour
écouter.
Le Président (M. Trudel): Puisque le député
de Mercier va faire comme nous tous qui sommes ici pour vous écouter, il
m'est fort agréable de céder maintenant la parole, en constatant
que, lors de la préparation de cette commission, nous avions
prévu entendre l'Union des artistes vers 11 h 30 et il est 11 h 24.
C'est signe que nous sommes déjà en avance. C'est bon signe,
compte tenu du nombre de mémoires que l'on doit entendre au cours des
prochaines journées. Il me fait plaisir de vous saluer, M. le
président de l'Union des artistes ainsi que votre groupe à
l'exécutif, les gens de l'Union des artistes. Nous savons tous
jusqu'à quel point ce dossier vous tient à coeur, combien vous y
avez mis d'énergie au cours des dernières années, combien
de personnes vous avez tenté de convaincre de votre point de vue avec,
je dois le dire, beaucoup de succès.
Il m'est agréable de vous céder maintenant la parole. Tel
que convenu avec le secrétariat de la commission, vous avez une heure
pour entretenir les membres de la commission.
Auditions Union des artistes
M. Turgeon (Serge): M. le Président, Mme la ministre,
mesdames et messieurs de la commission de la culture, vous le voyez, nous
sommes à votre rendez-vous. Un rendez-vous historique - plusieurs
d'entre vous l'ont déjà souligné - puisque c'est la
première fois dans notre histoire à nous, dans l'histoire du
Québec, que les artistes, auteurs, compositeurs, créateurs
montent jusqu'à vous, parlementaires, montent sur cette colline pour
défendre une cause qui, cette fois, leur appartient en propre, une cause
qui est ta leur: la reconnaissance professionnelle de ce qu'ils sont. Certes
vous avez déjà vu des artistes épouser ou appuyer toutes
sortes de causes, de la question nationale à la paralysie
cérébrale, mais aujourd'hui pas de représentation. Nous
sommes ici sans masques, sans artifices, sans rien d'autre qu'une
volonté ou qu'un désir, comme citoyens à part
entière, de nous faire reconnaître par cette société
qui est la nôtre pour ce que nous sommes.
Vous entendrez au cours de la semaine des groupes, des associations, des
individus qui tenteront de vous démontrer, chacun à sa
façon, que nous sommes en quelque sorte des êtres à part,
des êtres fragiles parce que malléables, parce que sans cesse en
mouvement, parce que trop souvent indéfinissables, parce que nos
produits, qu'ils soient de bronze, de pierre, de marbre ou de papier, qu'ils
soient palpables ou non, sont issus du seul domaine de la pensée.
Constamment, depuis que notre société s'est structurée,
constamment de gouvernements en ministères, de droits en devoirs, nos
réalités à nous, artistes et créateurs, nos
réalités sociales, économiques, juridiques, voire
même politiques se sont heurtées à trop de malentendus,
à trop d'interprétations étroites et mesquines, à
trop d'injustices.
Voilà pourquoi - je tiens à le dire dès le
départ - nous sommes reconnaissants à ce gouvernement d'avoir
manifesté une volonté politique de faire disparaître toute
confusion, toute ambiguïté quant au vide juridique devant lequel
nous nous sommes toujours trouvés. Ceci a fait trop souvent de nous des
êtres amers parce que désemparés, d'où certains
malaises, certains désarrois et, pour beaucoup trop d'entre nous,
certains exils.
Mais qu'on se le dise et qu'on le comprenne bien, mesdames, messieurs
les ministres et députés, nous ne laisserons pas au seul
législateur, pas plus qu'aux seuls fonctionnaires le soin de nous
définir. C'est bien comme cela que nous comprenons le sens de cette
commission parlementaire, de
cette consultation. On ne définira pas sans nous, ni
au-delà ni en deçà de nous, ce que nous sommes.
Cela dit, permettez-moi maintenant de vous présenter ceux qui
m'accompagnent au nom des artistes-interprètes et qui, plus tard cet
après-midi, répondront à vos questions. À ma
droite, d'abord, M. Serge Demers. M. Demers est le directeur
général de l'Union des artistes; à ma gauche, notre
conseiller juridique, Me Marc Trahan, de la maison Trahan et Leduc, et,
à mon extrême droite, notre conseiller fiscal, M. Serge Chevalier,
de la maison Raymond Chabot, Martin Paré et Associés.
Nous accompagnent également, vous les avez reconnus, des visages
connus et aimés et dont la présence ici ce matin est l'expression
de milliers et de milliers d'artistes-interprètes. J'ai dit des visages
non seulement connus, mais aimés, si l'on en croit en tout cas un
récent sondage dont les résultats ont été
publiés dans la Presse, samedi dernier, un sondage qui dit que, oui, les
artistes et leurs oeuvres c'est important dans notre société.
Pour 81 % des Québécois, les artistes c'est important dans leur
vie de tous les jours.
Alors, à l'heure de notre rendez-vous historique, cet appui sans
équivoque de la société québécoise dans
notre démarche pour l'obtention d'un statut véritable nous
confirme donc dans nos options et dans nos prétentions. Ce sont
d'ailleurs quelques-unes de ces options et de ces prétentions qui vous
sont illustrées par ce présentoire qui, d'un coup d'oeil, vous
amène au coeur des activités auxquelles se consacre de
façon générale l'UDA et ses membres. Léo
Ferré l'a dit: Tout est affaire de décor. (11 h 30)
Ce que nous vous présentons donc, aujourd'hui, mesdames et
messieurs de la commission, c'est le fruit d'une longue et profonde
réflexion sur la nature même de l'artiste-interprète
pigiste. Peut-être Pavez-vous déjà remarqué à
la lecture de notre proposition de projet de loi que nous vous avons soumis en
annexe de notre mémoire, nous nous sommes grandement inspirés
pour ce faire - et cela a été d'ailleurs la base sur laquelle
nous nous sommes appuyés - de ce que nos amis agriculteurs avaient
réclamé et obtenu du gouvernement libéral, Il y a une
bonne dizaine d'années, une loi qui devait créer l'Union des
producteurs agricoles, jusqu'alors l'UCC. Peut-être que certains d'entre
vous s'étonneront de ce rapprochement mais nous le croyons tout à
fait de mise puisque l'UPA, tout comme l'UDA, est reconnue selon la Loi sur les
syndicats professionnels, ce qui nous amène à penser, comme le
disait le célèbre philosophe américain B.T. Washington, au
début de ce siècle, qu'"aucune race ne peut prospérer si
elle n'apprend qu'il y a autant de dignité à cultiver un champ
qu'à composer un poème."
Ainsi, donc, le projet de loi que nous vous présentons dans sa
version définitive, aujourd'hui, est le fruit d'un long travail de
planification et de concertation. Le mémoire, qui en est la phase
préliminaire, a été largement distribué dans le
milieu et il a reçu de façon générale l'assentiment
des organes gouvernementaux et culturels. Mais comprendre, cependant, les
demandes qui y sont formulées ne peut se faire sans rappeler
brièvement les étapes au cours desquelles l'Union des artistes
s'est imposée comme un syndicat professionnel chargé de
défendre les droits et les intérêts de ses membres qui sont
tous artistes-interprètes pigistes.
Pour cela, il faut remonter à 1937, il y a donc près de 50
ans. À cette époque, un groupe de chanteurs lésés
dans leur droit le plus fondamental, qui est celui d'être payé
pour leur travail, ressentaient alors le besoin de créer une union
à caractère social et d'en assurer la stabilité. Des
annonceurs, des comédiens, des bruiteurs même, se sont joints
à eux pour négocier des conditions de base décentes,
essentielles à l'exercice de leur métier. Le local de
Montréal de l'American Federation of Radio Artists était
créé. Il constituait la première entité juridique
de l'union. Dès janvier 1938, des échelles de cachet minimum sont
votées et, en février, une charte du comité
américain de New York de l'AFRA était accordée. En 1940,
un noyau de membres se formait à Québec et s'affiliait au local
de l'AFRA à Montréal.
Ces artistes travaillant au Québec éprouvèrent
bientôt le besoin de donner à l'Union des artistes lyriques et
dramatiques des assises provinciales. Aussi, en 1942 obtiennent-ils pour leur
union le statut d'un syndicat professionnel qui, par la volonté de ses
membres, ira chercher des juridictions. En 1960, les artistes de la
région d'Ottawa fondent le Syndicat du spectacle. En 1968, le Syndicat
du spectacle de Hull-Ottawa fusionnait avec l'Union des artistes. En 1973,
s'effectuait la fusion de la Société des artistes de
Québec et de l'Union des artistes et, en 1976, un nouveau point de
service et une nouvelle section voyaient le jour à Toronto.
Dès le départ, cette histoire a été
jalonnée de droits lésés qu'il faut surveiller, de cachets
minimums à réclamer, de marché du travail à
protéger par un principe, un seul, celui de ne travailler qu'avec des
membres en règle et avec un contrat syndical que noua appellerons
contrat UDA. Les avantages sociaux, les caisses de secours en 1938, les fameux
galas des artistes dans les années quarante, tout cela concourt à
assurer la survie de l'union, seul moyen de garantir la défense des
droits fondamentaux des artistes-interprètes.
Cette histoire se répète encore de nos
jours. La liste des droits lésés est
décidément sans fin. À ce titre, nous devons rappeler l'un
des épisodes les plus douleureux qu'ait connus l'Union des artistes
depuis ses quatre dernières années: les problèmes de
travail vécus par ses membres sous contrat de pigistes à
Radio-Canada en 1982. Ces problèmes, en fait, sont au coeur de
l'ambiguïté qui entoure aujourd'hui le statut juridique de
l'artiste-interprète pigiste. En enlevant à l'Union des artistes
bon nombre de catégories de membres précédemment sous sa
juridiction, en les transférant à des accréditations
syndicales reconnues au sens du Code canadien du travail, le Conseil canadien
des relations du travail, le CCRT, a contraint quelques centaines de membres de
l'Union des artistes à accepter le statut d'employé.
Or, la presque totalité des membres UDA, aujourd'hui sous la
juridiction du SCFP, n'ont jamais, mais jamais voulu le statut d'employé
et le refusent toujours.
Bon nombre d'entre eux ont été privés de leurs
acquis, entre autres des bénéfices d'assurances auxquels ils ont
droit lorsqu'ils sont sous contrat de pigiste. Ces personnes, qui dans la
réalité de leur profession, demeurent des
artistes-interprètes pigistes, sont quotidiennement lésées
dans leurs droits lorsqu'elles exercent leur métier en vertu de cette
décision du CCRT, à Radio-Canada.
En voulant assurer la paix industrielle, le CCRT a brouillé la
situation. D'ailleurs, le juge de la Cour fédérale d'appel,
l'honorable James Huggesen, a été le premier à
reconnaître le caractère inopportun et inapplicable de cette
décision. M. le juge disait ceci: "II se peut évidemment que la
décision attaquée soit inopportune, qu'elle aille même
à l'encontre des objectifs du code ou qu'elle soit difficile ou
impossible d'interprétation et d'application". "La décision du
conseil est longue, très longue. Elle compte, dans sa seule version
française, 272 pages. Elle est pleine de déclarations et de
digressions dont la pertinence et la justesse sont douteuses. Elle donne prise,
inutilement à mon sens - dit toujours M. le juge - à des attaques
de la nature de celles qui ont été débattues devant nous.
Peut-être le conseil sent-il le devoir de mener une certaine campagne
d'éducation et de politique dans le sens le plus large de ces mots,
auprès de sa clientèle. Cela est tout à son honneur. Mais,
- conclut le juge Huggesen - il ne faut pas perdre de vue que le premier devoir
du conseil, comme de cette cour, est de trancher avec précision et
concision les litiges qui lui sont présentés". Fin de la
citation.
Forts de cet exemple et convaincus du bien-fondé de notre
revendication visant à faire reconnaître, une bonne fois pour
toutes, le statut juridique de l'artiste-interprète pigiste, nous nous
sommes engagés, dès l'été 1983, à renforcer
le discours en ce sens. L'Union des artistes rencontrait alors le ministre des
Affaires culturelles du temps, M. Clément Richard, pour lui faire part
de son intention de travailler à un projet qui garantisse ce statut.
Nous sommes en mars 1983. L'équipe dirigeante à l'UDA,
élue sous la bannière "La fierté de ce que nous sommes",
s'engageait, dans le cadre d'un mandat électoral, d'abord à
adapter les législations du travail à la nature
particulière des activités de ses membres et, ensuite, à
faire reconnaître par législation le caractère de pigiste
de ses membres.
En octobre 1983, la direction élue de l'Union des artistes
créait une commission ad hoc du conseil d'administration, commission
intitulée "Commission sur le statut de l'artiste". D'octobre 1983
à juillet 1984, la commission a réalisé ses travaux de
recherches, de discussions et de rencontres dans le milieu artistique afin
d'obtenir un statut juridique, social et fiscal. À cet égard, une
date est à retenir, c'est celle de juin 1984 alors que le conseil
d'administration de l'union adoptait le projet de loi dans sa version
définitive et le remettait au ministre Clément Richard.
De septembre à décembre 1984, la Commission du statut de
l'artiste a rédigé ensuite un mémoire qui devait appuyer
la demande d'une loi. Ces travaux ont d'ailleurs bénéficié
d'une subvention du ministre Clément Richard. En novembre 1984,
apparaît l' ex-ministre Claude Charron. Il est mandaté par le
ministre pour consulter le milieu sur le projet de loi déposé par
l'Union des artistes. En décembre 1984, le mémoire de l'Union des
artistes appuyant notre projet de loi était remis à M.
Clément Richard et un mois plus tard - en janvier 1985 - le mandataire
du ministre, M. Claude Charron, remettait son rapport sur sa consultation du
milieu.
Depuis lors, pas de nouvelles du rapport, bien que nous l'ayons
réclamé à plusieurs reprises. Début 1985, l'Union
des artistes et ses représentants s'emploient à ce que toutes les
personnes directement ou indirectement reliées à la culture
soient informées de leurs objectifs. C'est alors que nous rencontrons
des producteurs, des associations de producteurs, des responsables
gouvernementaux, des responsables d'associations professionnelles. Les membres
de la presse et la population sont également informés de nos
revendications.
C'est dans cet esprit qu'en novembre 1985 - vous vous en souvenez, ce
n'est pas si loin - à l'occasion de la dernière campagne
électorale, tous les groupes d'artistes, de créateurs et
d'artisans réaffirmaient publiquement que l'artiste
québécois doit bénéficier d'un statut juridique
adéquat et demandaient aux partis politiques
de se prononcer sur trois points: d'abord, un encadrement juridique des
secteurs d'activité où oeuvrent les membres
artistes-interprètes pigistes par le biais d'ententes collectives qui
prévoient des conditions minimales de travail; ensuite, une
reconnaissance par législation du statut de pigiste, entrepreneur
indépendant, pour ses membres et, troisièmement, la
reconnaissance d'un statut fiscal adapté à l'exercice de la
profession et au statut de pigiste, entrepreneur indépendant.
Le Parti libéral s'engageait alors, dans son document sur la
culture, à tenir une commission sur le statut de l'artiste, commission
dont, Mme la ministre, vous avez annoncé la mise sur pied le 9 avril
dernier à notre grande satisfaction. C'est donc dans ce cadre propice de
fructueux échanges que nous sommes heureux de vous présenter
aujourd'hui notre projet de loi et l'argumentation qu'il sous-tend. Nous
souhaitons que les membres de la commission concluent, évidemment, dans
le sens de nos recommandations, à la nécessité d'une loi
reconnaissant le statut juridique de l'artiste-interprète pigiste.
L'abrégé qui vous a été
présenté a été rédigé dans le respect
le plus scrupuleux du mandat de votre commission et il reprend donc l'essentiel
de notre position sur le statut de l'artiste et contient les recommandations de
l'Union des artistes. Mais, tout en comprenant et en respectant l'orientation
de la commission, permettez-nous d'émettre quelques réserves
quant à la vision analytique qu'elle propose. Les mesures que prendra le
gouvernement pour améliorer le mieux-être social,
économique et fiscal de l'artiste doivent, selon nous, s'insérer
dans une vision globale où la reconnaissance juridique de
l'artiste-interprète ne fera plus défaut. C'est à cette
seule condition, pensons-nous, que l'artiste-interprète pigiste,
entrepreneur indépendant, acceptera l'insécurité toujours
inhérente à son métier. Nous exigeons donc l'adoption
d'une loi qui consacrera le statut de pigiste pour nos membres et qui permettra
à notre association de les représenter dans toutes les
sphères d'activité où ils oeuvrent déjà et
où ils seront appelés à oeuvrer par la suite à
titre d'artistes-interprètes pigistes. Ce droit doit être
également reconnu à toutes les associations représentant
les créateurs et les artisans du milieu artistique qui le
solliciteront.
Soyez assurés, dans le cadre de cette démarche et à
la suite de l'adoption d'une loi, que nous collaborerons avec les
différents ministères pour déterminer les mesures
nécessaires à son application et ce, sous tous les angles
énumérés aux questions soumises par votre commission
parlementaire. À cet effet, nous tenons à vous préciser
que les diverses appellations utilisées dans votre avis de consultation
générale, aux points 2, 3 et 4 - cela parle de salaires, de
conventions de travail, de santé et de sécurité du travail
- que ces appellations ne sont pas toujours propres à qualifier les
conditions de travail de l'artiste-interprète pigiste et que, dans la
mesure du possible, nous nous sommes employés, nous, dans notre
mémoire, comme dans cet abrégé, à vous
démontrer pourquoi.
L'Union des artistes ne représente que des
artistes-interprètes pigistes, qu'on peut aussi appeler entrepreneurs
indépendants. Elle entend par là toute personne,
artiste-interprète, dont la profession s'exerce sur une base
contractuelle, non permanente et non exclusive, dans un ou plusieurs des
domaines suivants, comme la télédistribution, la
câblodistribution, le doublage, les annonces publicitaires, la
scène, le cinéma, etc. Rares sont nos membres qui ne travaillent
que dans un seul secteur. Un artiste-interprète pigiste s'inscrira
à plusieurs secteurs, tant à celui de la scène, à
Radio-Canada qu'au secteur des annonces. Il signera donc
régulièrement plusieurs contrats avec des producteurs
différents et il négociera avec eux non pas des salaires, mais
des cachets. (11 h 45)
Quant aux critères de professionnalisme, disons que l'Union des
artistes ne représente que des professionnels, c'est-à-dire des
pigistes qui peuvent justifier de plusieurs prestations artistiques. Ces
conditions d'admissiblité sont d'ailleurs clairement établies
dans nos statuts; elles sont objectives, stables et vérifiables.
Quelles sont maintenant les conditions d'exercice de la vie artistique?
Voilà la grande question. Notre société reconnaît
à l'artiste un rôle essentiel à la vie culturelle et
économique du pays. Les déclarations philosophiques et
élogieuses ne manquent pas. Les gouvernements, et vous l'avez
répété ce matin, sont les premiers à affirmer que
les créateurs ajoutent à la valeur d'une société en
même temps qu'ils l'expriment et la reflètent. Ce sont eux qui
font les sociétés vivantes et dynamiques. La vision est
généreuse, certes, mais elle ne reflète pas pour autant la
réalité de la vie artistique dont nous allons maintenant faire
état quelque peu.
Selon Statistique Canada, en 1981, il y a tout juste cinq ans, la
contribution totale du secteur culturel au produit intérieur brut a
dépassé les 2 700 000 000 $. C'est environ 1 % du produit
intérieur brut. Ces chiffres faisaient alors dire au ministre de
l'époque au gouvernement fédéral, M. Francis Fox, dans son
document "Culture et Communication": "Ce secteur (culturel) a contribué
presque autant à l'économie que les industries textile,
aéronautique et chimique réunies." Mais, cependant, nulle part,
dans ce document, il n'est fait mention de la faiblesse des revenus
gagnés par l'artiste. Aussi, les experts internationaux lors d'une
réunion mixte de l'Organisation
internationale du travail et de l'UNESCO ont-ils souligné le
caractère paradoxal de cette situation, et c'est ce que Mme Bacon nous
rappelait ce matin - je pense qu'il est important de le redire: "Le monde des
arts est structuré au même titre que n'importe quelle industrie et
l'on peut dire que sa structure se présente comme celle d'une pyramide
inversée dans laquelle l'artiste, placé au bas de
l'édifice, supporterait le poids de l'industrie en question tout en
étant celui qui partage le moins les profits de l'affaire."
Une étude de statistiques réalisée par la firme
Sobeco est venue confirmer ces dires en révélant le portrait de
la situation économique de nos membres pour 1984. Sur un total de 3200
membres à l'Union des artistes - M. le député trouvait
cela aberrant - 1515 gagnaient moins de 2000 $, 640 gagnaient de 2000 $
à 5000 $, 730 gagnaient de 5000 $ à 20 000 $ - cela vous
étonne mais c'est la vérité - 317 seulement gagnaient 20
000 $ et plus. Cela veut dire à peine 10 % de notre membership.
Dans le rapport Disney sur la fiscalité fédérale et
les artistes au Canada, cette situation difficile a d'ailleurs fait l'objet
d'une attention toute particulière. On écrit ceci dans ce
rapport: "La nature même de leur profession - la nôtre - fait que
de nombreux artistes-interprètes ont des revenus faibles. Les cachets
sont particulièrement bas au théâtre. Par exemple, si l'un
des artistes les mieux cotés du Canada pouvait travailler 52 semaines
par an au théâtre, il gagnerait, en cachets bruts, entre 20 000 $
et 25 000 $. Les cachets pour la radio et la télévision sont
peut-être plus élevés, mais très peu d'acteurs - dit
toujours le rapport -sont employés tout le temps."
Le constat ne s'arrête pas là. En plus de ses revenus
faibles, l'artiste-interprète pigiste doit assumer des frais
considérables qui, toujours selon le rapport Disney, représentent
une partie importante de son revenu. Car, pour exercer son métier,
l'artiste-interprète pigiste doit signer plusieurs contrats sur une base
individuelle avec différents producteurs et ce, simultanément ou
successivement, selon les cas. Mais, pour gagner décemment sa vie, il
lui faut continuer à promouvoir son talent et son image auprès
d'autres producteurs susceptibles de retenir ses services. Cette recherche
constante de nouveaux contrats nécessite donc de sa part des
déboursés importants. Ce sont, par exemple, des frais de
photographie, de représentation, de correspondance, d'interrurbains,
l'achat et l'entretien d'un répondeur automatique et le reste.
Dans l'exercice même de son métier,
l'artiste-interprète pigiste doit assumer lui-même des
dépenses qui ne sont - et, sur cela, comprenez-nous bien - ni
remboursées ni remboursables par les producteurs et qui varient
constamment selon la nature du contrat que nous avons obtenu. Ce sont par
exemple des coûts de maquillage, d'hébergement, de
déplacement et d'habillement. Par ailleurs, il est fréquent que
l'artiste qui joue dans un téléroman ou une dramatique produit
par le secteur privé et qui se déroule dans un cadre contemporain
ait à fournir sa propre garde-robe - cela peut vous étonner mais
c'est comme cela - et qu'il ait aussi à en changer fréquemment.
Ce sont là, n'en doutez pas, des déboursés assez
considérables.
Puis l'artiste-interprète pigiste assume des frais directement
liés et occasionnés par son métier. Ce sont notammeqt des
coûts de secrétariat, d'administration, de conseiller juridique,
de comptable - nous aussi on en a besoin - d'abonnement à des
publications spécialisées, de cours de perfectionnement -diction,
chant, expression corporelle - de cours de promotion, d'agents, de rencontres
publiques pour la recherche de contrats. Tous ces exemples illustrent
quelques-unes seulement des particularités qui sont liées au
statut de pigiste. Ces exemples démontrent clairement à notre
sens la différence qu'il y a entre le pigiste et le salarié.
La permanence relative du lien entre l'employeur et le salarié
permet à ce dernier, surtout s'il est syndiqué, de
négocier éventuellement avec son employeur une prise en charge
globale ou partielle de ses dépenses, alors que le pigiste est seul
à les assumer. Cette distinction fondamentale du salarié par
rapport au pigiste est loin d'être claire surtout au moment de
l'interprétation de nos rapports d'impôt. La confusion naît
du vide qui entoure le statut de l'artiste-interprète pigiste. Les
artistes-interprètes pigistes ont le droit de déduire certaines
dépenses inhérentes à leurs activités, mais ils
constatent bien souvent que ce droit leur est contesté pour un oui ou
pour un non. Tantôt nous sommes considérés comme des
travailleurs autonomes et puis soudainement, pour un contrat donné, on
nous déclare employés. Tantôt on nous permet
l'étalement de nos revenus, mais, si le régime est modifié
ou aboli sans avertissement, alors l'étalement des revenus n'est plus
possible. Tantôt on nous reconnaît déductibles les frais de
représentation, de maquillage, de vêtements, les frais
téléphoniques et puis, sans raison aucune et souvent, ces
dépenses nous sont refusées et, croyez-moi, de façon peu
respectueuse par le ministère du Revenu.
À la suite de nos propos exposés aux membres du
sous-comité fédéral sur l'imposition des créateurs
et des interprètes, à Ottawa en juin 1984, ces derniers ont
affirmé que ces dépenses devaient être déductibles,
mais sans préciser cependant que les gouvernements devraient avoir une
politique définitive et stable à ce sujet. Tous
les revenus que créent les activités diverses de nos
membres sont des revenus d'artistes pigistes entrepreneurs indépendants.
Les membres du sous-comité à Ottawa l'ont d'ailleurs reconnu, en
concluant à notre grande satisfaction, que le simple fait d'assurer des
dépenses importantes créait une présomption de travail
autonome pour tous les artistes de la scène. Nous reconnaissons
qu'à la suite de ce rapport certaines mesures ont été
prises par le ministère fédéral des Finances pour corriger
cette situation. Cela est fort bien, mais cela ne suffit pas.
L'artiste-interprète pigiste n'a toujours pa3 de statut juridique
approprié et, partant, n'a toujours pas de statut fiscal. Donc, absence
de statut fiscal et aussi protection sociale déficiente.
L'artiste-interprète pigiste exerce son métier d'une
façon qui lui est propre. Contrairement à la majorité des
salariés, il n'a pas de permanence d'emploi; il lui faut donc pour
gagner sa vie et, nous ne le répéterons jamais assez, multiplier
contacts et contrats. C'est le fondement même de son métier, c'est
la définition la plus exacte de ses activités d'entrepreneur
indépendant. À ce titre, l'artiste n'est pas admissible aux
prestations d'assurance-chômage. Nous tenons cependant à
préciser que jusqu'au moment de la fusion administrative de
l'assurance-chômage et de revenu national en 1972, un grand nombre
d'interprètes autonomes étaient admissibles à
l'assurance-chômage, bien qu'ils fussent fiscalement
considérés comme des travailleurs autonomes. Après 1972 la
notion de double statut a été rejetée et les
interprètes indépendants ont cessé d'être
admissibles à l'assurance-chômage. Il n'en reste pas moins que les
artistes-interprètes pigistes constituent un contingent important de la
main-d'oeuvre canadienne et québécoise et qu'ils exercent leur
métier sans aucune sécurité financière.
Un système, non pas d'assurance-chômage, mais de
prestations compensatoires viendrait pallier l'insécurité
quotidienne liée à l'exercice de notre profession et assurer un
moyen de subsistance, surtout aux plus démunis d'entre nous. Ce
principe, nous l'avons soutenu en janvier dernier devant la commission Forget,
commission d'enquête sur l'assurance-chômage. Mais qu'on veuille
bien voir là une demande en faveur d'une politique de chômage qui
reconnaisse à nos membres un statut d'artistes-interprètes
pigistes, entrepreneurs indépendants, et qui leur permette de
bénéficier d'un régime de prestations compensatoires qui
leur soit adapté.
En juin 1984, le sous-comité sur l'imposition des
créateurs avait d'ailleurs conclu d'une façon qui se rapproche
sensiblement de la nôtre, puisque ses membres recommandaient unanimement
"que les artistes de la scène soient admissibles à
l'assurance-chômage, quel que soit leur statut fiscal."
La femme artiste-interpète pigiste, elle, n'a droit à
aucune compensation gouvernementale pour perte de revenus à la suite
d'une maternité. Pourquoi? Parce qu'elle ne peut se qualifier à
l'assurance-chômage. Voilà donc ce qui a forcé l'Union des
artistes à mettre en place, par l'intermédiaire de sa caisse de
sécurité du spectacle, un système d'allocations de
maternité pour remédier à l'absence de politique sociale
concernant les femmes artistes-interprètes pigistes.
L'artiste-interprète pigiste ne bénéficie
actuellement que d'une protection extrêmement hypothétique en
matière de santé et de sécurité. Nous estimons
qu'il y a là une lacune à combler et que la Commission de la
santé et de la sécurité du travail pourrait, grâce
à une structure particulière, satisfaire aux besoins des
entrepreneurs indépendants des milieux de la culture. Il va de soi que
l'Union des artistes est prête à collaborer avec la CSST pour
mettre en place des mesures destinées à instaurer un
régime de santé et de sécurité du travail qui rende
justice au métier d'artiste et aux risques qu'il comporte. Le
fonctionnement de la CSST dans le domaine culturel devrait être
basé, pensons-nous, comme dans les autres secteurs, sur une structure
paritaire, producteur-syndicat.
En conclusion, le constat relié à la situation de
l'artiste-interprète pigiste met en lumière l'absence de statut
juridique propre, l'inexistence du droit à un régime de relations
de travail approprié et, par conséquent, l'absence de statut
fiscal et socioprofessionnel. Il faut bien comprendre que
l'artiste-interprète pigiste ne demande pas de traitement de faveur. Il
désire simplement qu'on respecte ce qu'il est et que l'on tienne compte
de l'originalité de sa profession, cette profession qui présente
un caractère unique et qui s'exerce selon des modalités
particulières qui entraînent des dépenses tout aussi
particulières. Or, reconnaître de votre part ce caractère
unique, c'est reconnaître aussi un statut fiscal qui lui soit
approprié.
Les conditions d'admissibilité prévues par nos statuts
à l'UDA sont suffisamment exigeantes pour garantir que l'Union des
artistes ne représente que des professionnels pigistes. Nous soumettons
donc que le critère, aux fins de la fiscalité, qui permet de
déterminer qui est un artiste-interprète pigiste soit un
critère soustrait à toute possibilité
d'interprétation. Ce critère, selon nous, ne peut être que
l'appartenance à un syndicat professionnel d'artistes-interprètes
pigistes. Dans ce contexte, les dépenses admissibles dans le cadre du
statut fiscal de l'artiste-interprète pigiste sont celles
engagées dans l'exercice de sa profession comme pigiste membre de
l'association
professionnelle, ce qui élimine l'ambiguïté du double
statut pigiste-salarié. (12 heures)
En ce qui concerne l'assurance-chômage, nous affirmons, tout comme
nos camarades de l'ACTRA l'avaient fait, que, si nous avions à choisir
entre l'accessibilité à l'assurance-chômage et notre statut
d'entrepreneur indépendant, nous choisirions de conserver notre statut.
Cependant, nous estimons que les conditions liées à l'exercice
même de notre profession, c'est-à-dire multiplicité des
contacts et des contrats, insécurité constante liée
à l'exercice de notre profession, exigent en retour une forme de
sécurité sociale que nous appellerons "prestations
compensatoires" adaptée à nos besoins propres.
Si l'assurance-chômage est la pierre angulaire de toute
législation sociale, nous estimons en toute bonne foi pouvoir en
être, nous aussi, les bénéficiaires par le biais d'un
régime de prestations compensatoires qui nous soit approprié.
Donc, nous exigeons l'adoption et la promulgation d'une loi qui,
premièrement, reconnaisse le statut juridique de
l'artiste-interprète pigiste, entrepreneur indépendant, qui
régisse les relations entre les artistes-interprètes pigistes et
ceux qui, dans l'industrie, achètent leurs services, et l'adoption et la
promulgation d'une telle loi qui harmonise l'aspect juridique, donc fiscal et
social, de notre vie professionnelle.
Au chapitre de la défense de la vie professionnelle, je vous
rappelle que l'Union des artistes est un syndicat professionnel qui a
été créé en vertu de la Loi sur les syndicats
professionnels le 15 septembre 1942, que son siège social est à
Montréal, que l'UDA regroupe et représente les 3200
artistes-interprètes pigistes francophones du Canada et que ses statuts
définissent comme artiste "toute personne s'exécutant, ou
appelée à être vue ou entendue, sur scène, au
cinéma, à la radio, à la télévision, sur
disque, en personne ou par le biais de tout procédé de
transmission et/ou de communication."
En tant que syndicat professionnel, l'Union des artistes veille à
défendre les droits et les intérêts de ses membres
auprès des producteurs et des diffuseurs dans des domaines aussi
variés que la télédiffusion, la câblodistribution,
les annonces, la scène, le cinéma, le doublage, etc.
Gérée sous la surveillance de 21 administrateurs
élus, l'Union des artistes prépare les ententes collectives selon
les mandats donnés par ses membres. Elle négocie pour eux ces
ententes collectives. Elle conseille ses membres dans l'application de leurs
contrats individuels avec des producteurs ou des diffuseurs. Elle veille au
respect des contrats et, à ce titre, elle assure, selon le cas, les
réclamations requises pour ses membres ou la défense des griefs
déposés en vertu des ententes collectives. Elle informe,
évidemment, régulièrement ceux qui viennent à ses
bureaux, et, quotidiennement, l'Union des artistes assure le traitement
informatique des données qui concernent ses membres.
Cependant, nous tenons à vous souligner, et c'est bien important,
que, contrairement à l'Union des producteurs agricoles qui
bénéficie d'une loi qui est venue préciser sa
reconnaissance de syndicat professionnel, l'Union des artistes et ses membres
ne bénéficient actuellement d'aucun cadre juridique garantissant
les juridictions acquises au fil de son existence. Vous le constaterez
vous-mêmes, d'ailleurs, par ce qui suit.
Pour exercer sa juridiction, l'Union des artistes doit identifier les
producteurs d'un domaine donné et leur faire respecter cette
reconnaissance de juridiction. Certains producteurs se regroupent en
associations et c'est alors que l'entente collective fixant les conditions
minimales de travail de l'artiste-interprète est négociée.
En plus de l'entente collective, l'artiste-interprète doit
négocier et signer un contrat individuel établissant des
conditions pouvant être, évidemment, supérieures au minimum
de l'entente collective. L'entente collective et le contrat individuel
demeurent donc les seuls liens juridiques qui assurent une protection à
l'àrtiste-interprète pigiste dans l'exercice de son
activité artistique. Sans ces deux éléments, aucun recours
ultérieur n'est possible pour l'artiste lésé.
Il arrive fréquemment qu'un de nos membres se voie offrir un
contrat, mais, parce qu'il exige l'application de l'une ou de l'autre des
ententes collectives UDA, ce contrat lui est refusé. Alors, l'UDA, dans
ce cas, n'a qu'un seul recours, c'est de déclarer le producteur
irrégulier. L'artiste, quant à lui, est placé devant un
choix vraiment cornélien: ou bien travailler au noir ou bien refuser le
contrat. Dans le premier cas il contrevient aux statuts et règlements de
l'union. Il ne peut alors plus compter sur la protection de son syndicat
professionnel. Et, dans le deuxième cas, il se prive d'une certaine
somme d'argent nécessaire à sa subsistance. Bref, vous le voyez,
dans tous les cas, l'artiste est lésé.
Par ailleurs, certains producteurs apparaissent et disparaissent comme
par enchantement, des "fly-by-night". D'autres se regroupent volontairement en
associations pour négocier avec l'Union des artistes, mais la loi -
c'est cela qu'il faut comprendre - ne les oblige nullement à se
regrouper. En disparaissant du jour au lendemain, ces associations volontaires
se soustraient automatiquement à la juridiction de l'Union des artistes.
Alors, l'union n'a plus de juridiction sur le secteur concerné et
ses
membres n'en sont que plus démunis. Si certaines ententes sont
conclues rapidement, d'autres font l'objet de tiraillements et sont obtenues
à l'arraché, si je puis dire, à force et à bout de
bras, dans un climat de tension souvent bien pénible.
La reconnaissance de notre syndicat professionnel par un producteur
n'est pas un fait de loi comme pour les syndicats de salariés,
comprenez-le bien. Elle fait l'objet d'un rapport de forces brut qui
amène le producteur à une reconnaissance "volontaire" de l'union.
Dans des domaines comme la danse, dans des domaines comme le disque, les
artistes-interprètes n'ont pu faire reconnaître la juridiction de
l'Union des artistes. Or, cette non-reconnaissance maintient des conditions de
travail extrêmement injustes. Le secteur de la danse, par exemple, est
universellement reconnu comme celui où les interprètes, tout
particulièrement les pigistes, sont le plus exploités et hommes
et femmes y subissent les conditions de travail les plus difficiles.
L'Union des artistes fait aussi face à un certain nombre de
stations de télévision et de producteurs de théâtre
en province, en régions comme vous dites, avec lesquels aucune entente
n'a pu être conclue. Ces stations et ces producteurs ont, pourtant,
recours à des artistes-interprètes dans leurs productions. Nous
affirmons qu'il est injuste de faire peser sur les artistes, individuellement,
la responsabilité d'aller seuls négocier les conditions minimales
décentes de leurs ententes contractuelles. Des secteurs entiers de
l'activité culturelle peuvent ainsi se retrouver dans une situation
critique parce qu'aucune loi ne régit les relations entre les
artistes-interprètes pigistes, d'une part, les producteurs et les
diffuseurs, d'autre part. Seule une loi garantira aux artistes la
capacité de négocier des conditions minimales de travail. Ce
droit fondamental, d'ailleurs, il est reconnu aux autres citoyens.
L'Union des artistes administre aussi, vous le savez sans doute, pour
ses membres, leurs droits voisins, ce qu'on appelle aussi dans notre jargon
droits de suite, qui sont prévus seulement par entente collective, dans
le cas d'une prestation originale qui fait l'objet de plusieurs reprises ou de
ventes sur d'autres marchés. Si l'on prend le cas d'un comédien
ou d'une comédienne qui tourne un film avec l'Office national du film et
que, quelques années plus tard, ce film est acheté par un
réseau de télévision privé, d'État ou par la
câblodistribution, ce film, s'il est en demande, va passer et repasser
fréquemment. Si le versement des droits voisins est prévu dans
l'entente collective que nous avons négociée et qui a
été conclue avec l'ONF, alors, le comédien ou la
comédienne recevra certaines sommes d'argent, mais, si ces droits ne
sont pas clairement établis, l'artiste ne recevra pas un sou vaillant
puisque ce principe n'est pas reconnu dans la loi canadienne sur les droits
d'auteur. Si ces droits voisins étaient versés par les secteurs
de production qui, actuellement, ne reconnaissent pas la juridiction de l'Union
des artistes, on peut dire que la condition économique des
artistes-interprètes pigistes serait grandement améliorée,
leurs revenus à venir seraient, en somme, garantis et, par
conséquent, ils seraient d'autant moins à la charge de
l'État et de la société. Ne pas reconnaître les
droits voisins ou droits de suite aux artistes-interprètes, c'est leur
voler, oui, leur voler, la part qui leur revient, ce qu'on a déjà
appelé chez nous "la juste part d'un créateur".
Nous avons une caisse de sécurité du spectacle, oui.
L'Union des artistes, en vextu de la Loi sur les syndicats professionnels, a
créé une caisse de sécurité du spectacle pour
administrer les versements des producteurs et des membres de l'UDA. Ces
versements permettent d'instaurer ou de maintenir l'ensemble des avantages
sociaux dont peuvent bénéficier ses membres. Ce sont les
bénéfices d'assurances, comme l'assurance-vie,
l'assurance-invalidité de courte et longue durée,
l'assurance-médicaments, les soins dentaires ou les allocations de
maternité. Les artistes-interprètes pigistes membres de l'UDA
cotisent à un fonds d'assurance collective qui les indemnise en cas
d'invalidité de courte ou de longue durée. Ces
bénéfices d'assurances sont proportionnels à la moyenne
des revenus accumulés au cours des cinq dernières
années.
Pour pallier l'absence de politique sociale correspondant à la
situation des femmes artistes-interprètes pigistes enceintes, eh bien,
l'Union des artistes a prévu les dispositions suivantes: depuis le 1er
février dernier, et dans les cas de maternités sans
complications, les prestations relèvent aussi de l'assureur et selon les
mêmes règles de prestations habituellement versées par les
assurances dans les cas de maternités avec complications. Vous
conviendrez avec nous que c'est là une situation anormale et socialement
injustifiable.
De plus, les femmes artistes-interprètes pigistes
bénéficient d'un supplément de 1000 $ qui est remis
à chaque membre féminin de l'union dont les revenus sous
juridiction union, au cours des cinq dernières années, ont
été de 4000 $ ou plus et ce, évidemment, sur production
d'un certificat de naissance.
Ce système d'allocations de maternité n'est, en fait,
qu'une mesure compensatoire. Il vient combler un vide législatif
à défaut d'une véritable politique sociale qui ne
considérera " plus les femmes artistes-interprètes pigistes comme
des citoyennes de seconde classe, mais comme des citoyennes à part
entière. Il faut bien comprendre que la
totalité de ces primes d'assurances sont payées par des
membres artistes-interprètes dont !e revenu moyen, je vous le rappelle,
est inférieur à 10 000 $ par année. Ce ne sont pas tous
les artistes-interprètes qui travaillent à temps plein.
Nous avons des fonds de retraite qui sont constitués des sommes
accumulées dans un régime, enregistré ou non,
d'épargne-retraite, ou dans tout nouveau programme équivalent
pouvant être instauré par les ministères du Revenu, et ce,
dans le but d'assurer un certain revenu aux bénéficiaires au
moment de la retraite, le tout conformément aux lois régissant de
tels régimes. Quant à notre fonds de congés payés
pour l'artiste, eh bien, il administre les sommes accumulées pour fins
de vacances pour les membres qui y ont droit.
Mais il faut bien comprendre que la structure de l'Union des artistes
diffère des structures syndicales qui regroupent des syndicats au sens
du Code du travail. Nos membres ont besoin de services individualisés
car leurs contrats sont variés et portent souvent des clauses
particulières. Nous administrons pour eux les droits voisins, les droits
de suite, prévus par entente collective dans le cas d'une prestation
originale qui fait l'objet de plusieurs reprises ou qui fait l'objet de vente
sur d'autres marchés. La mise en place de cette structure exige donc un
personnel de conseillers et de préposés qui équivaut
à environ un employé pour cent membres. Cette gestion
personnalisée des ententes collectives conclues avec les producteurs
prouve, une fois de plus, qu'un régime spécifique de relations du
travail doit être reconnu aux artistes-interprètes pigistes.
La formation professionnelle, mais comment donc nous y sommes sensibles!
L'Union des artistes affirme sa volonté de participer à tout
comité chargé de définir les critères d'attribution
des bourses et des subventions de l'État dans le cadre de la formation
professionnelle. Elle estime qu'il est de son droit de représenter ses
membres au même titre que toute association ou groupement professionnel
pour une répartition équitable et une transparence des montants
alloués.
Quant à la formation de base des artistes-interprètes,
l'UDA laisse le soin aux représentants des écoles et des
conservatoires existants d'exprimer devant vous leurs besoins en ce sens.
Cependant, l'union souhaite être consultée dans le cadre de
l'établissement de programmes au titre de la formation
professionnelle.
Nos recommandations? Eh bien, nous réclamons une loi qui
reconnaisse ce qu'est un professionnel artiste-interprète pigiste et,
plus particulièrement, un cadre de négociation à
l'intérieur duquel les producteurs et les diffuseurs du domaine
artistique devront négocier de bonne foi des conditions minimales
respectueuses des droits de l'artiste-interprète pigiste. Par
conséquent, nous réclamons un statut fiscal approprié au
futur statut juridique qui sera reconnu à l'artiste-interprète
pigiste.
Nous croyons qu'il est essentiel d'accorder à
l'artiste-interprète pigiste et à son association professionnelle
reconnue des assises juridiques qui protégeront ses acquis en
matière d'avantages sociaux, c'est-à-dire son fonds d'assurances
collectives, son fonds enregistré d'épargne-retraite, son fonds
de congés payés. Nous pensons aussi qu'un régime de
prestations compensatoires - non pas d'assurance-chômage, de prestations
compensatoires - et qu'un régime d'allocations de maternité
devraient être créés pour assurer à
l'artiste-interprète pigiste, entrepreneur indépendant, une
sécurité financière pour la période où cet
artiste se trouve de façon critique ou temporaire sans contrat de
travail. (12 h 15)
Puis-je maintenant souligner brièvement que quelques-unes de nos
réflexions et de nos démarches, celles qu'on vous expose ce
matin, ont été appuyées par la Fédération
internationale des acteurs, la FIA? La FIA a été
créée en 1952 et regroupe les syndicats
d'artistes-interprètes de 40 pays. Son siège social est à
Londres. Cette organisation internationale a pour but de protéger et de
favoriser au plan professionnel exclusivement les intérêts
artistiques, économiques, sociaux et légaux des acteurs et
artistes lyriques, chorégraphiques, artistes de variétés
et du cirque, metteurs en scène, chorégraphes et le reste. Sa
représentativité, donc, est reconnue formellement par
l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, par
l'Organisation internationale du travail et aussi par la Commission
européenne.
L'exécutif de la FIA appuie sans réserve les
revendications de l'UDA pour l'obtention d'un statut juridique pour
l'artiste-interprète pigiste. Cet appui, il nous a été
donné, dans un premier temps, lors du treizième congrès de
la Fédération internationale des acteurs qui a eu lieu à
Athènes, l'automne dernier. À cette occasion, la FIA a
assuré les représentants de l'union de son appui total dans leurs
démarches auprès des gouvernements fédéral et
provincial visant à faire reconnaître, par l'adoption d'une loi,
un statut juridique devant définir le cadre de la négociation
d'ententes collectives pour les artistes-interprètes pigistes. La FIA,
d'ailleurs, a confirmé cet appui par un télégramme,
signé par son président et son secrétaire
général. Elle y affirmait qu'il était urgent et
nécessaire de reconnaître le statut de l'artiste-interprète
et demandait, en conséquence, et à Marcel Masse, à Ottawa,
et à Clément Richard, à Québec, que des mesures
soient prises immédiatement en ce
sens.
Après le juridique et après le social, il y a, bien
sûr, le fiscal et, brièvement, je vais tenter de vous
résumer les principales revendications de l'Union des artistes sur le
statut fiscal des artistes-interprètes pigistes. Il faut, pour cela,
vous référer à l'analyse qui a été
effectuée, pour le compte, d'ailleurs, du ministère des Affaires
culturelles, par André Lareau, professeur, en septembre 1985, vous
référer également à l'analyse qui a
été effectuée pour le compte du Secrétariat
d'État par Touche Ross, comptables agréés, en 1977. Tout
cela pour bien comprendre les difficultés que présente pour
l'artiste-interprète la fiscalité canadienne et
québécoise.
Les principales revendications pour les artistes-interprètes sont
les suivantes: une caractérisation du revenu provenant d'un contrat
régi par l'Union des artistes, une déductibilité des
dépenses - et là, il faudra revoir vos bulletins
d'interprétation - un étalement du revenu et, enfin, la
création d'un comité consultatif artistes et ministère du
Revenu.
Qu'est-ce que tout cela veut dire? Dans le premier cas, la
caractérisation du revenu provenant d'un contrat régi par l'UDA.
C'est qu'il soit reconnu que le revenu d'un artiste-interprète
tiré d'un contrat régi par une entente collective entre l'UDA et
un ou des producteurs en soit un d'entreprise et non d'emploi. Lorsqu'un
artiste est un employé, par exemple, les employés permanents de
Radio-Canada, bien, sachez-le, l'Union des artistes n'intervient aucunement
dans son contrat d'emploi. Une telle règle, à notre sens,
simplifierait énormément la vie, aussi bien des
artistes-interprètes que nous sommes que des fonctionnaires des
ministères du Revenu dans la caractérisation du revenu
d'entreprise versus le revenu d'emploi. On éviterait ainsi les nombreux
litiges qu'a amené cette fine distinction entre les deux genres de
revenus.
Pour ce qui est de la déductibilité des dépenses,
les nombreuses difficultés que rencontrent les
artistes-interprètes pigistes pour faire admettre leurs dépenses
relatives à leur revenu d'entreprise proviennent du fait qu'une grande
partie de ces dépenses sont facilement assimilables à des
dépenses personnelles. On n'a qu'à citer, par exemple, les
dépenses de costumes, de promotion, de déplacement, de
maquillage, de coiffure, de soins dentaires ou médicaux.
Or, le bulletin d'interprétation du ministère du Revenu -
c'est important que vous le sachiez - traite des dépenses
déductibles par les artistes-interprètes, mais le texte du
bulletin semble teinté d'un préjugé vraiment
défavorable à l'égard des artistes. Voici quelques
exemples de frais déductibles. Dans ce bulletin, on dit: "coût
d'un maquillage spécial qu'un artiste doit se faire faire pour
paraître en public, mais qui ne convient pas à d'autres fins". Ou
encore; "les frais de location de costumes confectionnés aux fins d'un
spectacle donné et qui ne sont pas utilisés à d'autres
fins".
Il faudrait se rendre compte une fois pour toutes que les
artistes-interprètes ne sont pas des clowns qui portent des costumes et
des maquillages extravagants. L'action des émissions de
télévision, des pièces de théâtre et des
films se situe en très grande partie, en bonne partie en tout cas, dans
notre époque; cela exige des costumes et du maquillage de notre temps.
Cela n'empêche pas qu'un artiste doive nécessairement
dépenser pour ses vêtements, maquillage, beaucoup plus que
n'importe quel individu moyen.
Des voix: Bravo.
M. Turgeon: Un autre exemple du préjugé
défavorable se retrouve à un autre paragraphe de ce même
bulletin d'interprétation et porte sur les frais de déplacement.
Il n'est fait mention que des frais de déplacement dans le cadre d'un
engagement. Mais qu'en est-il des frais de déplacement pour obtenir un
engagement?
Ces quelques exemples suffisent pour démontrer l'urgence,
l'urgence d'une révision des bulletins d'interprétation, qui
devraient être corrigés dans le sens d'un préjugé
favorable à l'égard des artistes.
Compte tenu aussi de la difficulté, dans le cas des
artistes-interprètes, de distinguer les dépenses d'entreprise des
dépenses personnelles, nous demandons que soit introduite dans la Loi
sur les impôts une mesure permettant aux artistes-interprètes
pigistes de pouvoir déduire une somme forfaitaire, par exemple - n'ayez
pas peur -30 % des revenus provenant de la profession d'artiste. Un plafond
pourrait être instauré, par exemple 20 000 $. Une telle mesure,
d'ailleurs, je vous le signale, existe en France et au Danemark, notamment.
L'artiste-interprète pigiste aurait alors le choix de réclamer la
déduction forfaitaire, sans avoir à produire des pièces
justificatives, ou de réclamer les dépenses réelles
faites, selon la méthode actuelle.
Quant è l'étalement du revenu, vous souvenez-vous de ce
que disait le professeur Lareau? "C'est un fait connu de tous que le revenu des
artistes est aussi imprévisible que la météo." Mais la
méthode actuelle d'étalement exige que l'artiste paie un
impôt remboursable immédiatement sur le revenu étalé
et ce, au taux maximum d'impôt qui e3t d'environ 59,5 % en 1986. Or,
très peu d'artistes gagnent suffisamment de revenus pour payer le taux
marginal d'impôt le plus élevé. Cela prend un revenu
imposable de plus de 62 000 $. Je vous rappelle que 60 % des acteurs
professionnels, des artistes-
interprètes, ont gagné moins de 10 000 $ en 1979. Et c'est
toujours Lareau qui le disait.
La formule d'étalement actuel est donc presque totalement
inutilisable par les artistes dans sa forme actuelle. Nous proposons le retour
à la rente à versements invariables qui existait avant le 12
novembre 1981. Cette mesure avait fait ses preuves pendant près de dix
ans, de 1972 à 1981, et permettait à l'artiste de se créer
un minimum de sécurité.
Enfin, dans le but de favoriser une meilleure compréhension entre
les artistes et les représentants du ministère du Revenu, nous
recommandons que soit mis sur pied un comité consultatif qui
regrouperait des représentants de différentes associations
d'artistes, ainsi que des hauts fonctionnaires du ministère du Revenu, y
compris, évidemment, le sous-ministre.
Le comité se réunirait une journée par année
- ce n'est pas beaucoup, mais c'est suffisant - pour discuter des
problèmes courants qui sont rencontrés par les artistes dans
leurs relations avec le ministère, pour discuter de problèmes
reliés aux bulletins d'interprétation, pour discuter de
problèmes reliés à leur application concrète, et le
reste.
Voilà donc, résumées, M. le Président, en
moins d'une heure, des années, devrais-je plutôt dire des vies,
d'angoisse, d'incertitude, d'insécurité, hélas, bien
inutiles et qui ne sont guère créatrices. Ras le bol de tout
celai Nous aussi, nous avons le droit de vivre dignement de ce que nous sommes
et de ce que nous produisons et qui nous survivra.
Quelle société pour qui la culture et ceux et celles qui
la nourrissent représentent une réalité économique
avec laquelle il faut de plus en plus compter, quelle société,
dites-moi, peut laisser en marge et dans l'inconfort le plus total ceux et
celles qui mettent leur coeur et leur âme à refléter cette
même société, c'est-à-dire tout ce que
collectivement nous sommes et tout ce que collectivement nous voulons
être?
Enfin - et je terminerai là-dessus -nous voici face à
nous-mêmes, artistes et créateurs du Québec, à
nouveau aujourd'hui soulevés d'espoir. Cela aussi, c'est historique. Si
nous avons reconnu chez certains d'entre vous une volonté politique de
bien faire, nous espérons vivement pouvoir parler bientôt de votre
courage politique, convaincus plus que jamais - et je le dis bien humblement -
que, sans nous, aujourd'hui, demain ne sera pas, convaincus qu'une
société sans artistes, c'est un monde sans âme. Et je ne
peux le dire qu'avec toute la fierté de ce que nous sommes.
Des voix: Bravo! Bravo! Bravo!
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le président.
Vous m'aviez dit une heure et je dois admirer votre exactitude.
Évidemment, avec votre expérience, l'art de voir un "eue", vous
avez fini en très exactement 63 minutes et je vous en
félicite.
Tel que convenu, nous allons maintenant ajourner les travaux sine die.
Ils reprendront après la période des affaires courantes cet
après-midi, qui devrait se terminer autour de 15 h 15.
(Suspension de la séance à 12 h 28)
(Reprise à 15 h 21)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît! M. le député de Saint-Jacques, s'il vous
plaît!
Tel que convenu à l'ajournement des débats ce midi, la
commission de la culture reprend ses travaux. Il s'agit d'une consultation
générale sur le statut de l'artiste et du créateur. Au
moment où on s'est quitté ce midi, aux applaudissements de
l'assistance, la parole était à l'Union des artistes. Je vais
maintenant la céder pour une période de questions d'environ une
heure. Je vais céder la parole à Mme la ministre, tout en
m'excusant immédiatement de devoir vous quitter temporairement
tantôt. Je dois participer dans une salle à côté
à un débat sur une question également délicate qui
s'appelle Radio-Québec. Je demanderai à Mme la
députée de Maisonneuve et également vice-présidente
de La commission de me remplacer pour une vingtaine de minutes
tantôt.
Mme la ministre des Affaires culturelles, s'il vous plaît.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais d'abord
féliciter et remercier l'Union des artistes qui, depuis sa
création, effectue un travail sérieux et au fil de son histoire a
eu à rencontrer des problèmes sérieux. Elle a tenté
de faire le nécessaire pour le maintien d'une qualité de vie de
ses membres et des stagiaires qu'elle compte dans ses rangs. Nous voyons que
c'est une longue démarche des représentants des artistes pigistes
qui aura permis à l'Union des artistes d'exister sur le plan juridique.
Comme syndicat professionnel et en défendant les droits et les
intérêts de ses membres, j'estime que l'UDA contribue à une
meilleure qualité de vie culturelle pour l'ensemble des
Québécois. Quant au sérieux et à l'acharnement
même de votre travail, il suffit de prendre connaissance des annexes
à votre dossier pour saisir toute la portée du mandat que l'UDA
s'était engagée à remplir jusqu'au texte du projet de loi
lui-même. Si j'ai bien compris l'essence des propos, des affirmations ou
même des recommandations que l'on retrouve dans votre mémoire, il
est clair que le statut de l'artiste-interprète
pigiste ne saurait être mieux défini que si l'on tient
compte d'une double dimension du problème: d'une part, on se confronte
au problème de reconnaissance de l'UDA et, par extension, les
artistes-interprètes en subissent les conséquences.
Dans votre mémoire, les limites de votre action dans
différents secteurs d'activités culturelles à incidence
économique et juridique sont clairement illustrées. En fait, vous
ne dites pas de façon claire et précise qu'exception faite de vos
propres statuts rien ne garantit à l'artiste-interprète le droit
à la juste part du créateur.
La démarche en vue de la rédaction du projet de loi a
été ponctuée par plusieurs réunions de travail ou
de consultations, mais j'ai quand même quelques interrogations. Vous me
permettrez d'en avoir cet après-midi et d'avoir un échange avec
vous. En regard de l'objet de votre projet de loi, lequel a pour but de
clarifier le statut de l'artiste, est-ce que vous estimez que l'application
d'une telle loi éventuelle entraînera une lourde bureaucratie?
Est-ce que vous vous êtes penchés sur le genre de bureaucratie
dont on aurait besoin pour appliquer le projet de loi que vous nous
soumettez?
M. Turgeon: Si vous permettez, Mme Bacon, je me suis fait
accompagner de personnes-ressources ici, notre conseiller juridique, notre
conseiller fiscal et notre directeur général, et, à l'une
ou l'autre de vos questions, on va essayer de diviser et vous allez avoir
là un nouvel éclairage, si vous voulez, de
l'interprétation. Je pense qu'à cette question M. Demers,
directeur général, a la réponse.
M. Demers (Serge): Nous ne croyons pas que le projet qui est
soumis engendre ou nécessite une administration très lourde et
d'ailleurs, dans la réflexion qui nous a animés pendant ces longs
mois, c'est une des préoccupations que nous avions constamment à
l'esprit. En fait, à l'exception d'une espèce de tribunal
administratif qui aurait éventuellement à reconnaître l'UDA
comme représentante des artistes-interprètes et des groupes de
producteurs dans des secteurs d'activité et, éventuellement,
à décréter une première entente collective si la
négociation n'aboutissait pas dans un premier temps, à part ces
trois éléments qui ressortent de notre projet, je ne crois pas
qu'il soit nécessaire, et nous ne croyons pas qu'il soit
nécessaire d'avoir un appareil administratif lourd. Nous assumons la
gestion des avantages sociaux de nos membres, nous assumons l'application des
ententes collectives et les groupes de producteurs avec lesquels nous
négocions actuellement s'occupent aussi de leur partie. Alors, je ne
crois pas que cela nécessite un appareil très lourd.
Mme Bacon: C'était surtout en regard du tribunal
administratif que je posais ma question aussi.
M. Turgeon: Me Trahan a peut-être un élément
de...
M. Trahan (Marc): Peut-être pour compléter: Au
niveau du tribunal administratif, on s'est rendu compte la semaine
dernière que, par exemple, les juges de la Cour provinciale
siégeaient en moyenne sept heures par semaine. Donc, je pense bien que
déjà le gouvernement dispose d'une main-d'oeuvre
sous-utilisée et, lorsque nous parlions d'un tribunal administratif, il
nous apparaîtrait très possible, comme il y a eu des amendements
à la loi de la Cour provinciale, par exemple, dans le domaine des
contestations électorales, dans le domaine de l'expropriation, de donner
une juridiction complémentaire à un tribunal déjà
existant.
Mme Bacon: J'aurais une double question. D'abord, avez-vous
été capable de trouver le nombre et combien d'artistes, selon
vous, semblent privés du statut de travailleurs indépendants en
ce moment? Et ajouté à cette question: L'Union des artistes
a-t-elle aussi consulté toutes les catégories de personnes ou
organismes qui sont susceptibles d'être sous le parapluie syndical de
l'Union des artistes? Quel serait, d'après vous, l'impact d'un tel
encadrement de l'UDA sur la notion de liberté d'association des
individus à un groupe plutôt qu'à un autre? Autrement dit,
à partir des principes de ce projet de loi que vous nous soumettez,
voyez-vous quelque restriction au droit de liberté de la personne?
M. Demers (Serge): Si vous permettez, je prendrai le dernier
volet de votre question pour débuter. Nous croyons que la
mécanique qui est suggérée dans notre projet respecte les
principes fondamentaux du droit d'association et de la liberté
d'association-Nous avons prévu un mécanisme à partir
duquel, tous les trois ans, la juridiction du syndicat reconnu peut être
remise en cause par un autre syndicat, dans la mesure où ce dernier peut
démontrer sa majorité pour représenter les
artistes-interprètes du milieu. Alors, déjà cette garantie
étant formelle, je pense qu'il n'y a aucune difficulté et que
cela répond aux normes internationales du droit d'association. Nous
avons cependant refusé un peu le modèle de la construction
où plusieurs organisations syndicales représentent, en même
temps, des groupes de travailleurs d'un même secteur. Nous avons
rejeté ce modèle parce que, selon nous, les résultats sont
peu probants quant à son
efficacité, alors que le modèle retenu, qui est celui de
l'Union des producteurs agricoles, qui lui aussi fonctionne sur cette base,
donne d'excellents résultats. Je pense que la capacité et le
droit de changer d'allégeance syndicale est un droit fondamental et,
dans notre projet, on insiste pour que ce droit soit respecté.
En ce qui a trait au nombre d'artistes-interprètes, si nous
incluons no3 confrères et consoeurs de la Guilde des musiciens qui sont
à peu près 3000, l'Union des artistes, 3200, chez les
interprètes, on peut dire que c'est entre 6000 et 7000, on n'a pas fait
de décompte exact; je ne parle que des interprètes. Il est
évident que la loi, telle qu'elle a été formulée,
pourrait avoir une juridiction plus étendue et englober d'autres
groupes. Nous avons eu des consultations avec d'autres groupes et les gens ont
des positions qu'ils vont d'ailleurs vous exprimer eux-mêmes, dans la
mesure où ils seront entendus, allant d'un accord près total
jusqu'à, je ne dirais pas des réticences, mais des points sur
lesquels ils voudraient rediscuter pour adapter peut-être certains
aspects de la loi à une réalité qui peut être
légèrement différente de la nôtre. Mais il est clair
que nous avons tenu compte de deux grands secteurs, celui des arts visuels et
celui des arts d'interprétation, parce qu'on pense que ce sont au
départ deux problématiques différentes. (15 h 30)
Mme Bacon: Vous avez fait mention, ce matin, des
expériences qui sont vécues ailleurs. Est-ce que vous avez
été en mesure d'en connaître davantage sur ce qui est
vécu ailleurs dans le monde depuis la rédaction de votre projet
de loi? Ce n'est quand même pas très récent, vous avez
passé une certaine période à regarder ce qui se
faisait.
Les principes qui sont mis de l'avant dans votre projet de loi
peuvent-ils se retrouver ailleurs, par exemple, dans d'autres pays, ou
seraient-ils inspirés par d'autres expériences? Est-ce que vous
vous êtes inspirés de ce qui se fait ailleurs ou si vous avez
voulu innover entièrement un projet de loi qui ne colle qu'à
notre réalité à nous ou peut-être avez-vous
regardé sur la scène canadienne ce qui se fait dans d'autres
provinces? Quand on pense à ailleurs, on pense au Canada et à
l'étranger.
M. Demers (Serge): Nous avons observé la
réalité étrangère. Malheureusement, pour des
raisons habituellement d'ordre législatif, les réalités
sont complètement différentes des nôtres. Nous avons, entre
autres, observé et discuté avec nos camarades français du
modèle qui s'applique à eux. Or, les artistes-interprètes
français doivent avoir un statut de salarié pour pouvoir
bénéficier de certaines lois sociales qui, chez nous, par
exemple, sont accessibles à l'ensemble de la population. Je donne,
à titre d'exemple, l'assurance-maladie. Il faut avoir le statut
d'employé ou de salarié pour pouvoir bénéficier de
ces avantages. Notre problématique à nous, notre Code du travail
et l'économie de notre code sont complètement
différents.
Après avoir discuté avec les Belges, les Français,
les Suisses et avoir regardé ce qui se faisait en Angleterre, on a
conclu qu'il fallait créer, inventer un modèle à partir de
notre réalité et en fonction de notre réalité. Pour
ce qui est du reste du Canada, à notre connaissance, dans les autres
provinces, il n'existe pas de loi comparable à celle que nous vous
demandons.
Mme Bacon: Combien y aurait-il de personnes en ce moment qui sont
considérées comme employées et qui deviendraient des
travailleurs autonomes couverts par la juridiction de l'UDA? Est-ce qu'il n'y a
pas une situation monopolistique qui ferait que vous pourriez accaparer le
monopole comme institution?
M. Demers (Serge): Oui, mais l'argument du monopole, selon nous,
ne tient pas pour les raisons suivantes: l'argument du monopole serait valable
dans la mesure où il y a impossibilité de changer
d'allégeance. À notre connaissance, le Code du travail et les
lois du travail, en Amérique du Nord, sont basés, dans les faits,
sur l'exercice du monopole syndical. Lorsqu'un syndicat démontre, dans
une entreprise, dans un hôpital, dans n'importe quel secteur
d'activité chez un employeur, qu'il a une majorité
d'adhérents par rapport au nombre d'employés, il devient le seul
et unique représentant pendant un laps de temps donné. Or, nous
prétendons aujourd'hui représenter la majorité des
artistes-interprètes pigistes qui oeuvrent dans nos industries
culturelles. A ce titre, nous prétendons pouvoir les représenter
et négocier en leur nom. Je ne pense pas qu'il y ait de
différences fondamentales entre le régime qui existe pour les
salariés et celui que nous demandons présentement.
Mme Bacon: M. Demers, vous avez mentionné le Code du
travail à quelques reprises. On sait que votre demande concerne quand
même deux Codes du travail. Est-ce que vous avez évalué la
part des revenus de vos membres qui provient d'entreprises ou d'organismes qui
relèvent du gouvernement fédéral et celle qui
relève d'organismes ou de sociétés qui sont assujettis au
Code québécois du travail? Est-ce que cette recherche a
été faite?
M. Demers (Serge): Oui. Nous avons les chiffres. Les revenus de
nos membres provenant de la juridiction fédérale sont
légèrement supérieurs à ceux provenant de la
juridiction du Québec. À titre d'exemple, ce sont les
radiodiffuseurs, les télédiffuseurs et quelques revenus, mais
à peu près pas, de la câblodistribution. Or, il y a une
part importante de nos revenus qui proviennent du secteur des annonces
publicitaires qui sont de la juridiction du Québec, du
théâtre et du doublage, entre autres. C'est sensiblement la
même chose, avec peut-être un peu plus de revenus du
côté de la juridiction fédérale.
Mme Bacon: D'accord. Aux pages 31 et 32 de votre mémoire,
vous mentionnez qu'en dépit des recommandations d'organismes ou
d'instances internationaux on se retrouve dans une situation fort
délicate lorsqu'on arrive à la conclusion que, nulle part, dans
aucun pays capitaliste, les gouvernements n'en sont arrivés à
légiférer globalement sur le statut officiel de l'artiste.
D'autre part, que ce soit à partir des expériences
françaises ou anglaises - on vient d'en parler - l'artiste ne
bénéficie pas véritablement d'une loi qui lui soit propre.
En glanant des morceaux de juridictions dites-vous en page 32, la protection de
ces gens est quand même meilleure que la nôtre. Est-ce que vous
estimez que l'adoption de votre projet de loi constituerait une protection
globale de l'artiste-interprète ou s'il constitue une sorte de parapluie
juridique plutôt, qui aurait pour but d'améliorer quelque peu la
situation actuelle de l'artiste?
M. Demers (Serge): En fait, je pense que c'est un projet de loi
qui ne règle pas tous les aspects de la problématique globale que
nous voulons développer. Je pense qu'il y a des aménagements
à certaines lois: loi sur la fiscalité, possiblement la loi qui
crée la CSST par exemple, qui sont nécessaires pour
concrétiser et parachever cette approche globale. Mais nous pensons et
nous croyons fermement que la pierre angulaire de cette approche globale
consiste à permettre, à favoriser et à donner le droit aux
artistes-interprètes pigistes de se regrouper collectivement pour
s'assurer des conditions minimales de travail négociées dans tous
les secteurs d'activité. Le reste s'ajoute, complète, mais ne
peut remplacer cet aspect fondamental de la question.
Mme Bacon: Toujours en page 35 de votre mémoire, vous
dites que le projet de loi favoriserait la paix industrielle en
précisant la nature des relations entre les syndicats professionnels
regroupant les artistes pigistes et les producteurs. Sans essayer de se lancer
dans la prospective, quel type de problèmes croyez-vous rencontrer dans
l'application d'une telle loi? Parce qu'il peut y en avoir quand même et
je pense que cela ne réglera pas tous les problèmes. Quel type de
relations naîtrait entre l'État par le biais des ministères
intéressés - il y en a plusieurs - l'UDA et les membres qui sont
représentés? Si on veut faire un peu de prospective.
M. Demers (Serge): Nous croyons que le projet de loi qui est
devant vous aurait sûrement pour effet d'assurer un dynamisme aux
industries culturelles qui seraient visées par ce projet de loi. Nous
croyons qu'assurer aux artistes-interprètes des conditions minimales,
décentes, d'exercice de leur métier ne peut que favoriser
l'émergence du talent, ne peut que favoriser la création et, par
conséquent, ne peut que bénéficier aux industries qui
retiennent actuellement les services de nos membres. Si 1500, et je prends
l'exemple des comédiens et comédiennes - nous ne
représentons pas que les comédiens et comédiennes - mais
si 1500 comédiens peuvent aller chercher annuellement un revenu
décent de leur travail comme comédiens et comédiennes, il
est évident que la possibilité pour de grands talents
d'émerger est beaucoup plus grande que s'il y en a seulement 300 qui
peuvent vivre de leur métier. Actuellement, la difficulté que
nous et nos membres éprouvons, c'est cette incapacité dans
plusieurs secteurs d'activité d'aller chercher une protection minimale
qui leur assure, non seulement le revenu à la fin de la semaine, mais
aussi les protections minimales qui doivent graviter autour des cachets,
c'est-à-dire des assurances, un régime de retraite, un
congé de maternité et tout ce qui est nécessaire à
l'exercice du métier pour n'importe quel citoyen, ce qui est vrai aussi
pour nos membres.
Dans ce sens-là, nous ne croyons pas que l'adoption de cette loi
va nécessairement régler tous les problèmes. Il y aurait
sûrement dans l'application des mésententes et des litiges qui
pourraient survenir, comme dans l'application de n'importe quelle loi. Il n'y a
pas une loi qui est exempte de ces contestations ou de ces difficultés
d'interprétation en cours de route, mais, ceci dit, le principe
fondamental doit être reconnu. Dans notre recherche nous avons surtout
effectué une réflexion visant à trouver les correctifs aux
problèmes actuels plutôt que de penser aux problèmes qui
pourraient survenir dans le cadre de l'application future.
Mme Bacon: Quel est le rôle du ministère de"s
Affaires culturelles quand on pense à l'ensemble des ministères
qui sont touchés par votre loi? Est-ce un rôle de coordination ou
plus que cela?
M. Demers (Serge): C'est un rôle fondamental. Nous croyons
que c'est du ministère des Affaires culturelles que doit émerger
la volonté politique de donner cette protection aux
artistes-interprètes de la
même façon que c'est du ministre de l'Agriculture qu'est
sortie cette volonté politique de donner une loi à l'Union des
producteurs agricoles. Nous croyons que nous sommes d'une certaine façon
sous le chapeau du ministère des Affaires culturelles et c'est pourquoi
dans toutes nos démarches nous avons toujours essayé de nous
coordonner au maximum avec votre ministère, y inclus lorsqu'il
s'agissait d'aller discuter avec vos confrères du Revenu ou d'autres
ministères.
Mme Bacon: C'est un peu un rôle de locomotive.
M. Demers (Serge): Oui. Si vous me le permettez, j'ajouterai un
détail. Après avoir discuté avec votre ex-collègue,
Normand Toupin, lors d'une conversation récente pour essayer de
connaître un peu l'histoire de sa loi à lui pour voir les
embûches que nous pourrions rencontrer, il nous disait que la question du
monopole a été soulevée à peu près de la
même façon et on peut retourner dans les journaux de
l'époque pour voir que c'était un débat très
intéressant. La question de l'intervention gouvernementale et de la
bureaucratie a aussi été soulevée. Une des questions
fondamentales qui ont été soulevées - même à
l'intérieur de son parti à l'époque - était le fait
de créer un précédent. On lui disait: "Normand, il
n'existe rien comme cela nulle part dans le monde." Sa réponse
était de dire: "Cela va exister au Québec." Finalement, le parti
a décidé de faire adopter cette loi et les résultats sont
là pour démontrer le bien-fondé de la démarche de
l'époque.
M. Turgeor: Mme la ministre, on est convaincus que cela prend
effectivement une certaine volonté politique pour procéder. Nous
sommes d'ailleurs convaincus que la reconnaissance d'un statut de l'artiste
s'inscrit dans une véritable politique culturelle. À ce
moment-là, cela dépend vraiment de vous.
Mme Bacon: Je voulais vous l'entendre dire, cela m'aide un peu,
merci.
Le Président (M. Trudel): Est-ce que c'est...
Mme Bacon: Cela va.
Le Président (M. Trudel): J'ai oublié de rappeler
l'entente intervenue entre les deux côtés de la Chambre à
l'occasion d'une réunion de travail de la commission. Mme la ministre
commence la période de questions, M. le député de
Saint-Jacques poursuit, j'interviens ensuite puis ce sont les autres membres de
la commission. Messieurs de l'Union des artistes, je n'aurai malheureusement
pas le temps de vous poser les quelques questions que j'avais, mais je pense
que le terrain a déjà été pas mal couvert par Mme
la ministre et je suis absolument sûr que mon collègue de
Saint-Jacques va couvrir le reste. M. le député de Saint-Jacques,
je vous cède la parole.
M. Boulerice: M. le Président, merci. J'aimerais vous
remercier et vous féliciter, vous et vos collègues, pour
l'extraordinaire qualité du mémoire que vous nous avez
présenté, autant dans son contenu que dans sa
présentation. Quand on connaît la composition de l'UDA on sait que
vous n'aviez pas le choix vous étiez tenus à l'excellence. Ceci
dit, j'aimerais aller dans des questions très spécifiques parce
qu'il faut régler un problème que vous avez soulevé. Je
pense qu'il faut aller, comme on dit en langage courant, s'attaquer à
l'os immédiatement. Vous avez fait des remarques extrêmement
pertinentes face à votre profession et à la CSST,
c'est-à-dire la Commission de la santé et de la
sécurité du travail du Québec. J'aurai trois questions
à vous poser à ce sujet. La première est: Quelles sont les
normes qui régissent vos membres en matière de santé et de
sécurité au travail? La deuxième est: Quels sont les
principaux problèmes et risques rencontrés par vos membres en
matière de santé et de sécurité au travail?
Forcément la troisième par déduction est: Pourriez-vous me
dire quelles sont les mesures que vous souhaiteriez voir dans un régime
de santé et de sécurité qui serait adapté aux
besoins de vos membres?
M. Demers (Serge): Pour commencer, je répondrai aux points
deux et trois de votre question. En ce qui a trait au problème
vécu par nos membres en matière de santé et de
sécurité au travail, je dois vous dire bien honnêtement que
nous n'avons pas eu l'occasion d'effectuer beaucoup de recherches et de nous
pencher en profondeur sur ces questions. Nous connaissons quelque-uns des
problèmes, mais il n'y a pas eu de travail -c'est malheureux, nous
n'avons pas les moyens, nous espérons nous les donner -effectué
par secteur pour déterminer en profondeur l'ensemble des
problèmes vécus par nos membres en cette matière. J'arrive
au troisième point de votre question. C'est pourquoi nous souhaitons
développer avec la CSST une approche adaptée à notre
milieu. Nous souhaitons que la CSST ait du personnel spécialisé
dans les problèmes vécus au niveau des arts
d'interprétation et que nous puissions élaborer avec ces
personnes des cahiers de recherches, former un comité de travail, faire
un inventaire des problèmes vécus par le milieu et être
capable par la suite de trouver et d'élaborer des solutions avec la
commission. Mais, actuellement, je vous dirais que presque tout est à
faire dans
ce dossier. (15 h 45)
M. Trahan: En ce qui a trait...
Le Président (M. Trudel): Oui, Me Trahan.
M. Trahan: ...à la première partie de votre
question, lorsqu'on se penche sur la Loi sur les accidents du travail, à
l'article 2 nous avons une définition de travailleur autonome qui se lit
de la façon suivante: "Une personne physique qui fait affaires pour son
propre compte, seule ou en société, et qui n'a pas de travailleur
à son emploi". Un peu plus loin, à l'article 9, on donne une
autre définition du travailleur autonome qui est un peu plus
complète. Cependant, nous avons eu l'occasion de communiquer avec les
personnes responsables à la CSST et à notre grand
étonnement elles n'étaient pas conscientes du problème que
les pigistes pouvaient rencontrer puisqu'il y avait un problème
administratif et un problème juridique d'application de la loi de la
CSST. Tenant compte de ces circonstances, la solution est une solution
strictement pratique. Il y a déjà à l'intérieur de
la loi une approche légaliste et administrative qui ouvre des portes. Il
s'agit de s'asseoir avec le personnel de la CSST pour que cette loi couvre
l'artiste-interprète, entrepreneur indépendant. Lesdéfinitions qui y sont contenues renferment tellement
d'ambiguïtés qu'elle est difficilement applicable à l'heure
actuelle, à cause des faits que je viens d'énumérer.
M. Boulerice: Dans un autre ordre d'idées, est-ce que vous
pourriez me donner un résumé des principes de fonctionnement et
des résultats qui découleraient de la mise sur pied de la Caisse
de sécurité du spectacle dont vous avez parlé?
M. Demers (Serge): La Caisse de sécurité du
spectacle existe depuis l'été dernier avec un statut juridique
qui est lié à la Loi sur les syndicats professionnels, aux
articles 9 et 13 de la loi des syndicats professionnels. Les membres de l'Union
des artistes, en référendum, ont adopté les statuts qui
régissent la Caisse de sécurité du spectacle. Celle-ci a
un conseil d'administration qui est différent de celui de l'Union des
artistes. Ce conseil est désigné par l'Union des artistes avec un
mandat de deux ans. Les administrateurs de la caisse voient avec les
différents intervenants, selon les fonds... Si, par exemple, nous
prenons les régimes enregistrés d'épargne-retraite, ces
régimes sont gérés par la Fiducie du Québec qui a
un contrat de service avec l'Union des artistes et la caisse de
sécurité et il y a, à l'intérieur de cette entente
avec la fiducie, plusieurs possibilités ou véhicules pour nos
membres pour placer leur caisse de retraite.
Ils peuvent investir dans des fonds d'épargne-logement, dans des
fonds d'hypothèque, dans des fonds autogérés. Il y a une
série de fonds et chacun de nos membres effectue un choix pour placer sa
caisse de retraite. Les membres du conseil d'administration vérifient
les opérations effectuées par la Fiducie du Québec,
rencontrent des représentants de la Fiducie du Québec à
périodes et intervalles réguliers, de façon à
s'assurer que la gestion et le contrat de service soient respectés.
Nous avons aussi une négociation qui se fait avec une compagnie
d'assurances pour établir une police collective pour couvrir l'ensemble
de nos membres. Ces assurances s'appliquent par tranches de revenus. Selon la
moyenne des revenus de nos membres pour les cinq dernières
années, ils peuvent avoir accès à l'une ou l'autre des
formules du plan d'assurance qui est offert.
En plus de cela, nous avons ce que nous appelons un fonds de
congés payés pour l'artiste, À partir de contributions de
producteurs, nous inscrivons au compte individuel de chacun de nos membres les
montants versés pour chaque engagement et à la fin de
l'année, à la période du mois de juin, nous redistribuons
sous forme de chèques à nos membres ces montants qui doivent
servir à leur assurer la possibilité de prendre des vacances
décentes.
La Caisse de sécurité du spectacle, par son conseil
d'administration, fonctionne avec des ressources qui sont celles du personnel
de l'Union des artistes, c'est-à-dire la structure administrative de
l'union. La structure administrative s'assure de ta perception des montants
versés et qui sont dus par les producteurs à partir des contrats
individuels négociés par nos membres. Alors, la première
démarche, c'est de s'assurer que les producteurs versent bien les
pourcentages prévus et négociés pour la caisse de
sécurité.
La deuxième étape, c'est de s'assurer d'effectuer les
réclamations lorsqu'il y a défaut de paiement et de s'assurer que
les montants sont acheminés directement aux différents fonds dans
lesquels ils doivent être comptabilisés. Les rapports sont faits
de façon périodique au conseil d'administration de la caisse qui,
lui, voit à modifier et à changer les politiques selon,
évidemment, l'évolution de la situation. Nous venons de
procéder récemment à une réforme, par exemple, de
nos assurances. Après 17 ans, il fallait réévaluer les
moyennes d'assurances en fonction de changements de la situation-et nous avons
effectué aussi certains réaménagements de l'assiette des
assurances, de façon à favoriser, notamment, des groupes qui
reçoivent de moindres revenus, à l'union.
M. Boulerice: Et quelles seraient les modalités du
système de prestations compensatoires dont vous parlez?
M. Demers (Serge): Le modèle de prestations
compensatoires, on fait référence à ce que nous proposons
en alternative à l'assurance-chômage, c'est cela?
Une voix: Oui.
M. Demers (Serge): Bon. Actuellement -nous l'avons très
bien expliqué ce matin -nous n'avons accès à rien. Nous
croyons que, pour qu'un régime puisse être applicable à
notre réalité, les règlements et les normes doivent
être complètement différents de ce qui existe actuellement
dans l'assurance-chômage. Parce que établir quand et à quel
moment un artiste-interprète est sans travail est beaucoup plus
difficile, è cause de la nature du métier et à cause du
fait que nous sommes des pigistes, que pour un salarié où la
cessation d'emploi fait foi de tout.
Alors, il faut - et nous le croyons -que le système soit
basé sur une moyenne de revenus de la même façon que pour
nos assurances collectives. Nous croyons que c'est la méthode la plus
facile à administrer, la plus facile à contrôler et, comme
elle est liée aux revenus des individus, elle assure une certaine forme
d'équité pour tout le monde. Nous sommes même
disposés - pour éviter de créer de nouveaux appareils
d'administration lourds et puisque nous en avons actuellement la
capacité - à gérer un tel programme selon des directives
et des normes qui seraient et qui pourraient être élaborées
par le gouvernement. Je pense que c'est sa responsabilité. Mais nous
avons déjà l'appareil administratif qui permettrait d'assurer la
gestion de ces fonds. Nous savons, par exemple, que dans certains pays, entre
autres la Belgique, les prestations de chômage sont gérées
en bonne partie par les organisations syndicales.
M. Boulerice: Je sais que mes collègues veulent intervenir
de part et d'autre. Je vais vous poser une dernière question: Quels sont
les problèmes que l'on constate actuellement au chapitre des droits
voisins et des droits de suite?
M. Demers (Serge): Les problèmes sont multiples. Ce qui
nous touche plus directement depuis quelques années, ce sont,
évidemment, les changements technologiques, la révolution
technologique qui touche le domaine des communications: l'entrée, par
exemple, sur le marché - et cela de façon massive, le sondage que
nous avons fait effectuer le démontre - de la vidéocassette et
l'introduction de satellites pour diffuser des émissions vers
l'étranger. Tous ces changements technologiques font en sorte que nous
avons de plus en plus de difficultés à contrôler la
perception et la vente des droits de suite, à cause de la
complexité des marchés. Nous venons, avec une commission de
membres de l'union, de préparer et de soumettre à notre
assemblée générale un rapport pour établir une
nouvelle politique en matière de droits de suite, une politique globale,
qui touche l'ensemble des secteurs d'activités de l'Union des artistes
et qui est beaucoup plus adaptée à l'évolution des
marchés et aux changements technologiques. Et c'est à partir de
cette nouvelle politique que nous allons reprendre, dans les prochains mois,
les négociations avec les producteurs dans différents secteurs
d'activité. Mais c'est vraiement le changement technologique qui,
actuellement, est un problème fondamental.
Le deuxième c'est, évidemment, le fait que le droit de
suite ou les droits voisins ne soient reconnus de façon légale
dans aucune loi existante. Pour nous, la reconnaissance de ce droit par les
producteurs est essentiellement et toujours une question de rapport de forces.
En d'autres termes, si nous ne réussissons pas de façon
coercitive à imposer à un ou des producteurs la
négociation de droits de suite avec nous, il n'y a rien sur lequel on
peut s'appuyer pour faire reconnaître ce droit.
M. Boulerice: Mme la Présidente, je vais me raviser et
poser une dernière question. Dans votre mémoire, vous avez
parlé très explicitement de la multiplicité des contrats
qui doivent être faits entre les artistes et les différents
producteurs, diffuseurs, etc. Ce matin, dans mon énoncé, je vous
parlais d'une certaine standardisation. Lorsque je parlais de cela, je songeais
à une mesure qui a été prise - mon Dieu, tout le monde la
connaît parce qu'on la vit - celle du bail type qui a été
présentée aux Québécois, dont on fait maintenant
usage et que l'on peut modifier. Il y a une standardisation. Dans quelle mesure
accueilleriez-vous un contrat type standardisé qui pourrait permettre
les ajustements nécessaires en fonction des différentes
catégories d'artistes que vous représentez?
M. Demers (Serge): Actuellement, les contrats, et nous souhaitons
conserver cette formule, nous les négocions avec les producteurs
individuellement ou avec les groupes de producteurs avec lesquels nous avons
des relations. Nous croyons que cette négociation nous amène
à établir des formulaires qui répondent beaucoup plus aux
besoins des deux parties, finalement. Nous n'avons pas beaucoup de
difficulté lorsqu'il y a possibilité de négociation
à établir ces contrats types, qui ne sont pas très
différents, de toute façon, d'un secteur d'activité
à l'autre, mais qui varient en fonction des différences qu'il y a
dans les ententes collectives. Le contrat que nous élaborons, en
général, répond aux besoins spécifiques du secteur
dans lequel nous intervenons. Les besoins peuvent être
radicalement différents selon que l'on a un contrat individuel
pour faire du travail de doublage ou que l'on a un contrat individuel, par
exemple, pour être à la scène, pour jouer au
théâtre. Ce sont deux problématiques très
différentes, avec des mécanismes d'application des ententes
collectives très différents, donc, qui nécessitent des
formulaires très différents. Nous souhaitons et nous
préférons que ces contrats soient négociés pour que
l'on puisse les faire évoluer de la même façon que nos
marchés évoluent actuellement.
La Présidente (Mme Harel): C'est terminé, M. le
député de Saint-Jacques? Oui, Me Trahan.
M. Trahan: Comme le soulignait le directeur général
de l'union, la formule d'un contrat type est la première étape
d'une solution. La seconde étape, et je pense que c'est l'essence
même de ce projet de loi, c'est le rapport de forces inexistant. Ce qui
se produit, qu'il existe quelque contrat type que ce soit, c'est que, lorsqu'un
membre de l'Union des artistes n'ayant pas de reconnaissance juridique s'assoit
face à un producteur, il est toujours en position de faiblesse. Il faut
tenir compte que le marché est quand même énorme. Lorsque,
par exemple, vous avez besoin de dix artistes-interprètes à
l'intérieur d'une continuité, vous avez un bassin de 3000 ou de
1500 personnes qui peuvent faire partie de cette continuité.
Malheureusement, nous avons vécu des expériences absolument
déplorables où certains artistes-interprètes ont eu le
courage de se réunir, de vouloir négocier un contrat type, comme
vous le suggériez, et où le producteur disait carrément,
en pleine face: Écoutez, si vos exigences financières sont trop
fortes, il est très facile, au prochain épisode, que, subitement,
le personnage meure. Cela s'est produit d'une façon
régulière.
Une voix: Oui! (16 heures)
M. Trahan: De plus, je dois vous le dire, je pense que vous
touchez au fond du problème et que nous n'avons pas à avoir peur
des mots. Si on fait un relevé statistique des cachets payés pour
les continuités à la télédiffusion canadienne et
québécoise et qu'on remonte à il y a 20 ans, les cachets
payés à l'heure actuelle sont inférieurs de 300 % au
coût de la vie et à l'indexation, tandis que les revenus
publicitaires, pendant la même période, ont augmenté de
3600 %. C'est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire qu'il
existe, dans un sens d'harmonie, une relation juridique où les
artistes-interprètes ne soient pas à la merci des droits voisins,
comme le soulignait M. Demers, où, sur les réseaux de
câblodistribution certains comédiens se voient 40, 50 et 60 fois
par année et ne reçoivent pas un sou et n'ont aucun pouvoir.
Si cette relation juridique n'existe pas, elle crée un autre
problème qui est la loi des coalitions, qui est un droit qui appartient
au syndicat. L'artiste-interprète, qui est un citoyen comme un autre,
n'est pas à l'abri de cette menace; elle a déjà
été mise en place à une époque de l'histoire de
l'Union des artistes. Donc, ce que nous demandons, c'est d'être des
partenaires et de ne pas être à la merci de gens qui nous
considèrent comme des boîtes de conserve.
La Présidente (Mme Harel): C'est terminé, M. le
député de 5aint-Jacques? Je vais donc immédiatement
intervenir. Cela aurait été le tour de M. le député
de Bourget, s'il avait été ici en ce moment, et je l'aurais suivi
immédiatement. Après mon intervention, il y aura l'intervention
du député d'Arthabaska qui a demandé la parole; par la
suite, la députée de Chicoutimi; s'il n'y a pas de
député ministériel, je donnerais... Oui, Mme la
députée de Matane et, par la suite, M. le député de
Mercier.
Comme d'autres l'ont fait avant moi, je veux vous dire avec quel
intérêt, presque avec quelle passion nous allons suivre les
débats de cette commission. M. le président de l'union et vous
qui l'accompagnez, je sais que toute cette question, à savoir
salarié ou pigiste, fait l'objet d'une intense, profonde et, je pense,
parfois douloureuse réflexion au sein des rangs de l'union, et que vous
avez maintenant très largement, me dit-on, convenu entre vous qu'il
fallait, le plus rapidement possible, obtenir cette reconnaissance d'un statut
de pigiste.
J'ai cru comprendre des travaux de ce matin que présentement la
réalité, c'est que vous n'êtes ni l'un, ni l'autre: ni
salariés, ni pigistes. C'est ce vide que, au fil des années, vous
avez pu, parfois, combler - et je reprends les termes mêmes, je pense, de
votre mémoire - par un rapport de forces, donc un rapport de fait. J'en
conclus que vos recommandations visent à instaurer un rapport de droit.
Essentiellement, c'est un rapport de forces ou un rapport de fait, qui doit
certainement exiger énormément d'énergie de la part de vos
adhérents. Vous réclamez donc ce rapport de droit pour faire
reconnaître vos droits. On en est là, en fait.
Également, toujours au niveau des constats, il y a quelque chose
que j'ai trouvé fort intéressant dans votre mémoire. Vous
dites: L'insécurité sera toujours inhérente au
métier quelles que soient les lois qui seront en vigueur, mais pas la
misère. En fait, c'est ce que je retiens. L'insécurité,
oui, mais pas la misère. En tout cas, grosso modo, c'est ce qui me
semble être la conclusion de votre mémoire. Je crois que vous avez
pu voir par
les interventions qui se sont faites de ce côté-ci que, si
nous participons, pour la plupart, à l'analyse, le diagnostic, la
médecine n'est peut-être pas partagée de la même
façon.
J'aimerais savoir si on parle beaucoup des libertés individuelles
et donc, peut-être, de cette crainte face à des recommandations
comme celles que vous faites, qui pourraient venir, d'une certaine
façon, réduire ces libertés. La liberté
d'association, le droit d'association, c'est un droit, au même titre que
d'autres droits dans notre société. Est-ce que vous êtes en
mesure de nous dire si ce droit d'association est une réalité ou
s'il est battu en brèche actuellement dans le milieu des artistes?
M. Demers (Serge): Depuis que l'Union des artistes existe, je
pense qu'à plusieurs étapes de son histoire il y a eu, au sein de
l'union, des débats internes très sérieux. À
l'Union des artistes, il y a un exercice de la démocratie qui existe;
cette démocratie est très vivante depuis les tout débuts
de la création de l'union. Nous avons des structures
démocratiques, des statuts qui garantissent à l'ensemble de nos
membres le droit de parole, le droit de décider dans des
assemblées compétentes de chacun des sujets qui doivent
être traités. Par exemple, nous avons des assemblées qui
décident des ententes collectives dans chacun des secteurs de travail.
Les membres enregistrés dans ce secteur de travail sont les seuls
à pouvoir décider des mandats à donner à ceux qui
auront à les représenter. Nous avons, à l'interne, une
structure démocratique, donc qui permet les débats, l'expression
des courants d'opinion les plus divers.
Actuellement, je pense que, si l'Union des artistes pour les
artistes-interprètes pigistes dans notre juridiction est le seul
syndicat professionnel qui représente les francophones, c'est que nous
devons conclure que les artistes sont satisfaits du travail de leur union.
Comme nous n'avons aucun statut juridique qui garantit notre monopole, monopole
qui existe de fait actuellement dans certains secteurs, n'importe qui aurait pu
se former un syndicat à côté et obtenir une reconnaissance
ou tenter d'obtenir une reconnaissance par les producteurs. En effet, les
cadres de la loi étant inexistants, la présence de syndicats
concurrents était très facile et même en très grand
"nombre, sauf qu'il y a quand même une conscience d'un besoin de
solidarité. Les gens, membres de l'union, les artistes comprennent que,
sans cette solidarité, c'est la loi de la jungle qui s'instaure dans le
milieu et c'est au détriment de l'exercice de la profession, ainsi que
des conditions d'exercice du métier pour tout le monde.
Donc, actuellement, il y a possibilité d'existence d'autres
organisations syndicales, mais il n'en existe pas. Nous avons une division
linguistique de juridictions avec ACTRA. C'est un héritage historique de
l'évolution de l'Union des artistes et d'ACTRA. Nous nous entendons
très bien avec nos confrères anglophones. Nous avons des contacts
fréquents avec eux. Nous croyons que les mécanismes que nous
avons introduits dans le projet qui vous a été soumis
garantissent ces droits individuels à l'expression, au choix de
l'organisation syndicale, et le droit d'association.
La Présidente (Mme Harel): Vous allez peut-être me
permettre de vous dire ceci. En vous écoutant, j'ai eu la nette
impression que, d'une certaine façon, vous nous appeliez à
refuser une sorte de résignation qui laisserait entendre qu'il en va
ainsi et qu'il ne peut pas en être autrement, que les lois du
marché ne jouent pas en faveur du meilleur, mais du plus fort et que,
dans la situation où nous sommes, nous pourrions être les
meilleurs, mais nous ne serions vraisemblablement pas les plus forts.
On a parlé de protectionnisme. Mme la ministre a fait
référence à cette crainte d'un protectionnisme qui
viendrait comme alourdir ou imposer une chape sur les activités
culturelles. Il me semble, évidemment, avec la proposition que vous
faites, que vous avez une tout autre interprétation. Vous semble-t-il
que cette reconnaissance du statut aurait un effet quelconque sur le volume ou
la nature des activités culturelles?
M. Demers (Serge): Sur le volume et la nature, je ne crois pas.
Mais nous sommes toujours surpris d'entendre cette crainte du monopole
syndical, alors qu'il est la base, dans les entreprises, de toute
accréditation syndicale de salariés. Je ne vois pas en quoi ce
serait plus dangereux pour les industries de la culture d'avoir à
reconnaître un syndicat majoritaire que cela l'est dans n'importe quel
autre secteur de l'industrie.
Actuellement, dans notre société, il existe des
régimes de négociations particuliers pour tenir compte aussi de
certaines réalités. Je pense, par exemple, à certains
régimes qui existent pour les policiers, je pense à certains
régimes qui existent pour les médecins, je pense à
différents régimes où on se trouve, effectivement,
à avoir des interlocuteurs en situation de monopole temporaire et
relatif. Le monopole dont il est question dans notre loi est un monopole
temporaire et relatif pour une période donnée. Mais il est
important de comprendre que nos membres ne peuvent pas se scinder en dix ou
quinze entités différentes. Ce sont les mêmes personnes qui
vont jouer au théâtre le soir, vont aller répéter
pour une série télévisée le lendemain
après-midi, vont aller enregistrer un
commercial entre 9 heures et 10 heures le matin et, possiblement, vont
aller faire un peu de doublage. Là, je vous parle d'un chanceux ou d'une
chanceuse qui travaille beaucoup. Mais ce sont les mêmes personnes;
alors, leurs droits voisins, leurs droits de suite, c'est dans tous les
secteurs qu'ils s'exercent.
La profession est unique, mais elle a des facettes d'expression
différentes selon les secteurs. C'est pourquoi on ne peut pas envisager
un morcellement de l'Union des artistes en fonction des types d'industries. Il
y a un morcellement de prise de décisions et c'est pour cela que nos
structures permettent qu'on puisse décider une chose au
théâtre avec des membres qui sont touchés et qui exercent
leur métier au théâtre et qu'on puisse prendre des
décisions pour l'industrie du doublage avec des membres qui peuvent
être les mêmes, mais qui ne sont pas nécessairement les
mêmes pour pouvoir décider de ce qu'on va discuter avec
l'industrie du doublage. Mais le risque n'est pas plus grand - je le
répète, je pense que c'est fondamental - que ce qu'on retrouve
dans une entreprise ou dans un hôpital de 3000 salariés où
on va négocier pour des infirmières auxiliaires, des
électriciens, des gens qui s'occupent du nettoyage, des cuisiniers,
l'ensemble des corps de métiers qui exercent leur profession dans un
hôpital. Il y a un monopole syndical.
La Présidente (Mme Harel): Alors, je vais inviter...
Oui.
M. Trahan: Quand on parle de ce risque, la réalité
ne correspond pas à la théorie. On se rend compte, par exemple,
pour ce qui est des chanteurs et des auteurs-compositeurs, que plusieurs
d'entre eux ont négocié leur talent en échange de
pochettes en couleur et de 0,03 $ ou 0,04 $ le 45 tours au de 0,20 $ le 33
tours parce qu'il n'existait pas de rapport de forces. Je fais le
parallèle avec ce que M. Demers disait: Dans le domaine de la
santé, dans le domaine de l'éducation, il y a eu un énorme
rattrapage et personne n'a crié, haro. Dans le domaine des
activités artistiques, il n'y a pas eu ce rattrapage parce qu'il n'y
avait pas de rapport de forces. Cette situation est démontrée
statistiquement par le discours de notre président, ce matin. Il est
incroyable de se rendre compte des revenus. Lorsqu'on se promème dans la
rue, les gens ont l'impression que les artistes sont millionnaires. Mais, dans
les faits, quand on regarde la proportion du revenu, par exemple, sur un
produit, elle est tellement basse qu'il est absolument nécessaire
d'établir ce rapport de forces, sinon la situation ne fera que
perdurer.
Je termine sur un point qui m'apparaît extrêmement important
et qui est une réalité. Nous comptons, à l'Union des
artistes, des artistes de tout âge et, du fait qu'il n'existait pas de
reconnaissance juridique, plusieurs d'entre eux se retrouvent, soit
bénéficiaires de l'aide sociale ou reçoivent l'aide
d'organismes charitables parce que leur interlocuteur ne leur a pas
donné ce qui est essentiel, des caisses de retraite pour pouvoir vivre.
J'ai à l'esprit des noms extrêmement connus qui, dans la
tête du public, vivent des retraites dorées et qui, au contraire,
attendent leur chèque d'aide sociale pour aller faire leur
épicerie le vendredi.
La Présidente (Mme Harel): Écoutez, je pense que
nous allons avoir dans les jours qui viennent l'occasion de poursuivre. C'est
extrêmement intéressant. Je vais inviter le député
d'Arthabaska. Nous avons encore, je pense, une quinzaine de minutes pour
compléter nos travaux. (16 h 15)
M. Gardner: Merci, Mme la Présidente. Je pense que
l'intervenant a bien préparé mes questions. J'ai
mentionné, ce matin, que j'ai été très surpris de
voir le tableau de la page 11 de votre mémoire où il est
mentionné que 61 % des membres de l'UDA ne gagnent même pas 5000
$. Je sais que, quand on fait venir un artiste hors de Montréal, on paie
cher. J'ai quelques questions sur le financement. Est-ce que je dois les poser
toutes et on y répondra ensuite?
La Présidente (Mme Harel): Pourquoi pas, M. le
député d'Arthabaska. Je suis certaine que les membres de l'UDA
peuvent les prendre en note et y répondre globalement.
M. Gardner: Quand on fait venir de Montréal, chez nous,
une artiste comme Nicole Martin, cela nous coûte cher. Quelle serait la
part qui va à l'artiste et où va l'autre part? C'est ma
première question. Ma deuxième questions Quand on dit que 10 %
gagnent plus de 20 000 $, se peut-il que l'on soit fortement enclin à ne
pas déclarer des revenus?
Des voix: Ah! Ah!
M. Gardner: Non? Je pose la question. J'aimerais bien avoir une
réponse. On a parlé tout à l'heure de travail au noir. Je
pose la question, j'espère avoir une bonne réponse. Une autre
question toujours sur les salaires. Comment pouvez-vous vivre avec si peu? Une
dernière question: Quel serait le revenu raisonnable d'un artiste
très bien ou bien coté? N'ayez aucune crainte, je ne suis pas
contre vous!
M. Trahan: Si vous me le permettez,
Mme la Présidente. Pour répondre à votre
troisième question, M. le député d'Arthabaska, a savoir
comment les artistes font pour joindre les deux bouts, je dois vous dire
qu'hier soir, accompagné du président et du directeur
général de l'union, nous étions dans un restaurant de
Québec et le chauffeur de taxi que nous avons pris était membre
de l'Union des artistes.
En ce qui a trait à votre première question, il est
évident que, lorsque dans une tournée un artiste
extrêmement connu se rend dans votre comté ou dans le comté
d'un de vos collègues, il agit la plupart du temps à titre
d'artiste-interprète, mais il y a un producteur. Dans les coûts de
production il y a des dépenses inhérentes qui sont
extrêmement coûteuses, telles que les dépenses
d'éclairage, de scène, de location de salle, etc. Tout
réside dans le pouvoir de négociation. Ce que je peux vous dire
d'une façon générale, parce qu'il est difficile de
particulariser, c'est qu'il existe à peine de 15 à 20 artistes ou
comédiens qui ont ce pouvoir de négociation pour s'assurer des
revenus décents et valables. En ce qui a trait à votre crainte
que les artistes travaillent au noir, bien au contraire, ceux qui ont des
revenus suffisants ont subi des enquêtes de l'impôt et 197 d'entre
eux ont été cotisés au cours des trois dernières
années. Grâce à nos interventions au comité
parlementaire fédéral, ces cotisations ont été
révisées et dans 90 % des cas ont été
redressées en faveur de l'artiste.
Donc, généralement, pour répondre à vo3
quatre questions d'une façon globale, il est évident que les
artistes qui coûtent cher ne sont pas les bénéficiaires des
revenus qui sont générés par leurs spectacles. Il existe,
par exemple, une compagnie théâtrale qui avait trois
théâtres l'année dernière - un dans la région
de Québec, un dans la région de Sainte-Adèle et un sur la
rive sud de Montréal - qui sont en faillite aujourd'hui. Il est
évident qu'il n'y a pas de travail au noir. Il est évident que le
salaire à viser est extrêmement difficile à établir.
Je pense qu'à ce niveau cela devient une question théorique.
C'est une question pratique que vivent les artistes tous les jours et que le
président de l'union a vécue. Je vais lui laisser la parole sur
ce qui serait un revenu décent pour un artiste-interprète.
M. Turgeon: Tout cela est, évidemment, très
relatif. Voulez-vous me dire quel est le revenu décent pour un
médecin? Quel serait le revenu décent pour un avocat, pour un
député ou un ministre? Vous avez parlé de Mme Nicole
Martin. Tout à fait par hasard, il se trouve que Mme Martin est avec
nous. À votre question, vous allez avoir une réponse. Mais je
vous souligne, M. le député d'Arthabaska - et cela va
peut-être vous faire tomber en bas de votre siège - que Mme Martin
est une grande artiste du Québec. En presque 20 ans de métier -
je ne veux pas la vieillir, elle a l'air jeune -Mme Martin a endisqué 6
000 000 de disques, cela fait beaucoup de zéros. Là, il n'y a pas
de quoi tomber en bas de votre siège. Pour 6 000 000 de disques, elle a
touché, en 20 ans, 16 000 $. Et cela lui a coûté 6000 $ de
sa poche en plus. Alors, à votre question, à savoir pourquoi cela
coûte si cher d'avoir Nicole Martin dans votre région, je pense
que, Nicole, tu peux répondre.
Mme Martin (Nicole): Je vais vous répondre, mais je dois
vous dire que j'ai une extinction de voix terrible.
La Présidente (Mme Harel): Ce n'est pas grave, on vous
entend bien.
Mme Martin: Oui, d'accord. Je travaille beaucoup. Je suis dans le
métier depuis 24 ans. Je suis obligée d'investir moi-même
dans mes disques parce qu'il n'y a pas vraiment de producteurs, et je suis
tellement tannée de me faire voler que j'investis moi-même. On
vérifie mes impôts, car on pense que je suis millionnaire; je paie
beaucoup d'impôts aussi. Il me faut de beaux costumes, car j'ai la
réputation d'être une fille charmante, distinguée,
possédant de belles robes de qualité et tout cela.
Quand je fais un spectacle, je demande un prix. Je ne vous dirai pas
combien parce qu'il y a tellement de gens ici et je ne voudrais pas qu'on sache
mes cachets, mais si je travaille avec quatre musiciens - je parle d'un
spectacle ordinaire - supposons au festival du moustique, je ne sais trop
où, car il y a beaucoup de festivals...
Une voix: À Arthabaska.
Mme Martin: À Arthabaska. J'ai quatre musiciens et il faut
quand même que je les paie le prix de l'union, le prix que les musiciens
demandent et cela coûte très cher. Il y a les
répétitions pour les musiciens. Cela prend aussi un
éclairagiste pour le système d'éclairage et un gars pour
faire fonctionner le son.
Si je travaille beaucoup, je dois vous dire qu'après 23 ans de
carrière - et je signe des autographes partout - je ne suis pas
tellement riche et je suis obligée d'être mon propre
régisseur, mon propre "gars de son" et mon propre éclairagiste.
Et je chante après tout cela et c'est pour cela que je n'ai plus de voix
aujourd'hui.
La Présidente (Mme Harel): Merci, Mme Martin. M.
Turgeon.
M. Turgeon: Oui.
La Présidente (Mme Harel): Je vous demanderai d'être
bref, parce qu'il ne nous reste à peine...
M. Turgeon: Très bref, si vous me le permettez.
La Présidente (Mme Harel): Très bien.
M. Turgeon: Je vais citer notre ami, Jacques Godbout, auteur,
cinéaste, réalisateur, etc. Ce qu'il disait se rapporte au monde
du livre, mais je pense qu'on peut le rapporter aussi au monde du spectacle:
"C'est drôle comment l'industrie du livre réussit à faire
vivre des typographes, des graphistes, des imprimeurs, des fabricants de
papier, des libraires, mais rarement son auteur."
La Présidente (Mme Harel): Mme la députée de
Chicoutimi. Suivront, Mme la députée de Matane, M. le
député de Mercier et M. le député de Beauce-Nord,
puis nous allons clore nos travaux. Nous devrions terminer à ce
moment-ci, mais je crois bien que tout le monde conviendra de permettre
à chacun et chacune de ceux et celles qui ont demandé la parole
de la prendre brièvement.
Mme Blackburn: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais me
joindre à mes collègues pour souligner la qualité du
mémoire, mais également de la prestation de M. le
président. Avec une voix comme celle-là, vous feriez probablement
fureur en Chambre.
M. Turgeon: Je serais probablement ministre.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Mme Blackburn: Cela n'étonnera pas mes collègues,
peut-être vous un peu davantage, mes questions tournent plutôt
autour de la relève de l'Union des artistes et de ce que vous êtes
en mesure de faire ou de ne pas faire pour la relève.
J'ai trouvé dans votre mémoire deux définitions de
l'artiste - interprète pigiste. Je dois dire que je pense avoir compris
que cela excluait les députés, même s'ils font une heure
par jour de télévision.
Une voix: Pas tous.
Mme Blackburn: Pas tous? Non. À la page 9, je retrouve:
"L'Union des artistes ne représente que des professionnels,
c'est-à-dire des pigistes qui peuvent justifier de plusieurs prestations
artistiques. Ces conditions d'admissibilité sont clairement
établies dans ses statuts. Elles sont objectives, stables et
vérifiables".
Ensuite, à la page 17, deuxième paragraphe, je retrouve -
car je voulais savoir à quel moment l'on reconnaît que quelqu'un
est professionnel - ceci: "toute personne s'exécutant, ou appelée
à être vue ou entendue, sur scène, au cinéma,
à la radio, à la télévision, sur disque, en
personne ou par le biais de tout procédé de transmission et/ou de
communication". Je me demandais à quel moment vous leur reconnaissez un
statut de professionnels; au premier contrat, au deuxième contrat ou
après plusieurs prestations?
Ensuite, je pensais, par rapport à votre projet de loi, au moment
où vous auriez à négocier pour des jeunes artistes qui
sont en train de faire leurs débuts. Vous le savez sûrement, il y
a actuellement des jeunes metteurs en scène ou des jeunes
chorégraphes qui produisent à perte. J'entendais justement, en
fin de semaine, un groupe qui me disait qu'il travaillait à peu
près à 0,25 $ l'heure. Alors, négocier dans ces
conditions-là avec l'UDA, c'est à toutes fins utiles fermer la
porte à ce genre d'expérience qui permettra tantôt à
ces artistes d'être reconnus alors qu'ils sont en train de se former.
À quel signe reconnaissez-vous qu'un artiste est professionnel?
J'imagine que votre projet ne vise pas à contingenter l'entrée
dans les métiers même si, tantôt, on a parlé de
monopole.
C'était beaucoup autour de ce que vous pouvez faire pour les
jeunes, pour la relève. Je relie à cela un paragraphe qui porte
sur le perfectionnement, à la page 24. Vous dites que vous devriez
être des interlocuteurs au moment où on établit les
critères d'attribution des bourses et des subventions. On sait que la
relève - on le souhaite aussi - est admissible à certaines.
bourses en particulier et à quelques petites subventions. Ma question
tourne autour de tous ces détails.
M. Demers (Serge): En ce qui concerne l'admissibilité, les
membres de l'Union des artistes, les membres actifs, le sont parce qu'ils ont-
réussi à accumuler, par des contrats d'exercice de leur
métier, ce qu'on appelle trente permis. Pour devenir membre actif de
l'Union des artistes, il faut donc accumuler trente permis. Ces permis
s'accumulent de façons différentes et selon des critères
différents de temps, selon les secteurs de travail. Je prends l'exemple
de la télévision: un permis équivaut à une
demi-heure à la télévision. Donc, avec trente demi-heures,
la personne devient membre actif et est considérée de plein droit
comme un professionnel, à partir de ce moment-là.
Ceux qui ne sont pas membres actifs peuvent s'inscrire comme stagiaires,
ce qui leur permet d'accumuler leurs permis et d'obtenir éventuellement,
selon une période qui peut être très longue ou très
courte, les
trente permis nécessaires.
Ceux qui veulent travailler sous notre juridiction, mais ne tiennent pas
à devenir membres parce qu'ils n'envisagent pas de faire une
carrière de professionnels sont les permissionnaires. Ils ont un permis
de travail qui leur garantit l'application de l'entente collective et une
représentation de l'union pendant l'exercice de leur travail. Mais ces
permis ne sont pas accumulables pour qu'ils puissent devenir membres actifs.
Ceci couvre la partie admissibilité comme membre actif à
l'union.
En ce qui a trait à l'autre volet de votre question où
vous faites référence à la relève et à la
difficulté, dans certains milieux, de respecter les normes de l'union,
dans le cas où il y aurait des problèmes d'ordre financier, ce
que je peux vous dire, c'est qu'il existe actuellement différentes
possibilités, pour ceux qui veulent exercer le métier et qui
considèrent que nos conditions sont peut-être un peu trop
onéreuses, de quand même exercer leur métier et de faire du
travail sous notre juridiction. Je prends l'exemple du théâtre
autogéré. Nous avons une procédure qui a été
négociée avec les directeurs de théâtres, dans le
secteur du théâtre, et qui permet à des groupes de se
former en cellules d'autogestion et d'exercer leur métier, de monter des
spectacles, de présenter des spectacles. À ce moment-là,
ils sont exclus de l'application des normes ou des conditions minimales
négociées pour le secteur de la scène. Je vous donne cela
à titre d'exemple. (16 h 30)
II existe aussi des compagnies dites permanentes, au
théâtre, de gens qui se forment en compagnies permanentes et qui
se donnent un salaire. Ils sont des salariés, ils peuvent accumuler et
recevoir de l'assurance-chômage. Pour nous, c'est tout à fait
normal que ces différences qui existent dans l'exercice du métier
puissent continuer d'exister. En d'autres termes, nos conditions - il faut
toujours le rappeler - sont des minima, mais si ces minima, pour un certain
groupe d'artistes, sont une entrave, il y a des moyens qui existent qui leur
permettent de s'organiser et d'exercer leur métier de la même
façon.
Sauf qu'il faudrait aussi comprendre l'autre volet, c'est que nos minima
sont très bas, ce sont vraiment des minima. Si on prend le secteur de la
danse, par exemple, je trouve scandaleuses les conditions dans lesquelles le
métier doit s'exercer dans ce secteur. Il faut comprendre que, dans
notre société, les spectacles de danse peuvent difficilement
réussir à s'autofinancer, de la même façon qu'on
peut difficilement penser que l'opéra puisse s'autofinancer. Il existe
des modes d'expression qui sont presque impossibles à autofinancer et,
si on veut que nos artistes-interprètes puissent continuer d'exercer ces
métiers dans ces secteurs d'activité, je pense qu'il faut
effectivement envisager une aide Importante. Autrement, on crée des
situations où on force les artistes à aller en deçà
des minima qui sont déjà à peine décents. Je ne
comprends pas que, dans une société comme la nôtre qui
accorde de l'importance à ces modes d'expression culturelle, on ne
corrige pas la situation en leur assurant un minimum décent.
La Présidente (Mme Harel): Merci. Mme la
députée de Chicoutimi.
Mme Blackburn: J'aurais des commentaires sur le
perfectionnement...
La Présidente (Mme Harel): Oui, je vais rappeler aux
membres de cette commission que nous devions terminer les travaux en regard de
l'étude du mémoire de l'UDA à 16 h 20. Nous poursuivons,
mais vous comprenez tous qu'il serait certainement désagréable
pour le groupe qui doit suivre d'avoir peu de temps à sa disposition
pour exposer son point de vue. J'inviterais Mme la députée de
Matane, rapidement.
Mme Hovington: Oui, merci, Mme la Présidente. J'ai une
question très technique, pour le bénéfice aussi, je
l'espère, des membres de la commission parlementaire, à propos du
statut fiscal de l'artiste-interprète pigiste. À la page 29, vous
parlez d'un étalement du revenu. Je sais que vous nous renvoyez à
l'étude de Touche Ross, en 1977, mais c'est loin. Est-ce qu'on ne
pourrait pas avoir quelques informations concernant l'étalement du
revenu, tel que vous voulez que ce soit et que vous espérez que ce soit,
sur la façon dont cela pourrait être fait?
M. Chevalier (Serge): D'abord, la méthode actuelle de
l'étalement du revenu donne la liberté à l'artiste, et
cela est spécifié dans la loi de l'impôt, de prendre une
partie de son revenu et de payer un impôt remboursable. Par exemple, si
quelqu'un gagne 20 000 $ une année et l'année suivante 50 000 $,
on lui dit: On peut prendre 10 000 $ du revenu et payer un impôt
remboursable là-dessus, un jour remettre ces 10 000 $ dans son revenu et
avoir le remboursement de l'impôt pour payer suivant le nouveau taux. Le
problème avec cette formule, c'est que, lorsqu'on choisit
d'étaler un revenu, on doit faire ce choix en payant l'impôt au
taux maximum. Quelqu'un qui a revenu de 50 000 $ va peut-être payer 45 %
d'impôt, à son taux marginal, alors que le taux maximum est de 60
%. Donc, pour pouvoir faire un étalement du revenu, l'artiste qui,
normalement, ne paierait que 4500 $ devra payer 6000 $ sur ses 10 000 $ de
revenu. C'est une formule qui peut être bonne pour des athlètes,
par
exemple, qui gagnent 200 000 $ par année; ils remettront cela
dans leur revenu le jour où ils sortiront de la compétition
active. Ce qu'on propose, en fait, plutôt que cette méthode, c'est
le. retour à ce qui existait auparavant, c'est-à-dire la rente
à versements invariables. À ce moment-là, un artiste
pouvait mettre de côté un certain montant de son revenu en
achetant une rente et cela lui permettait de recevoir des paiements pendant
plusieurs années, une période maximum de quinze ans.
Mme Hovington: Style rente viagère.
M. Chevalier: Cela pouvait être aussi rente viagère,
garantie maximum de quinze ans. C'est ce qui existait jusqu'au 12 novembre
1981, lors du budget MacEachen. Cela a été aboli et le
Québec a suivi.
La Présidente (Mme Harel): M. le député de
Mercier.
M. Godin: M. Demers, ma question porte sur la caisse du
spectacle. Je comprends que l'employeur verse sur chaque cachet une partie du
cachet à la caisse du spectacle, un peu comme dans la construction ou
dans d'autres domaines. Est-ce que je comprends bien? C'est ce qui se
passe?
M. Demers (Serge): Oui, il y a un pourcentage qui est
négocié, qui est versé par le producteur; cela peut varier
d'une entente à l'autre. Il est versé avec les cachets pour
chaque membre et il y a un pourcentage qui est prélevé sur le
cachet du membre qui vient s'ajouter à cette contribution du producteur
pour financer les assurances et la caisse de retraite.
M. Godin: Est-ce que l'union entrevoit la caisse du spectacle
comme étant un instrument essentiel de la libération des artistes
dans l'avenir?
M. Demers (Serge): Je pense que c'est fondamental.
M. Godin: C'est cela, oui.
M. Demers (Serge): C'est fondamental.
M. Godiru Est-ce que la loi devrait porter partiellement sur
l'obligation pour l'employeur de verser sur chaque cachet une partie plus
importante encore que ce qu'il verse maintenant pour que la caisse ait un
fonds, un actif plus important que celui qu'elle a maintenant?
M. Demers (Serge): Nous souhaiterions que la loi oblige les
producteurs à négocier des conditions minimales. Pour ce qui est
des pourcentages, on souhaite que ce soit le libre jeu do la négociation
qui les détermine. D'ailleurs, actuellement, il y a des
différences d'un secteur à l'autre, Mais, c'est l'obligation de
reconnaître l'Union des artistes, lorsqu'on retient les services
d'artistes-interprètes pigistes professionnels qui est la pierre
angulaire. Le reste, on va réussir à le négocier, je
pense.
M. Godin: Quel est l'actif de la caisse du spectacle,
actuellement? L'actif actuel?
M. Demers (Serge): Globalement, c'est d'environ 30 000 000 $.
M. Godin: 30 000 000 $. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Harel): M. le député de
Beauce-Nord, vos questions sont relatives à l'aspect fiscal, je
crois.
Je vais demander à Mme la ministre de conclure. Par la suite,
vous aurez l'occasion de conclure nos travaux sur l'étude de vos
recommandations.
Mme Bacon: Très rapidement, Mme la Présidente, je
voudrais remercier et féliciter à nouveau l'Union des artistes du
sérieux de son mémoire et aussi de sa détermination, de
son acharnement même, dans cette longue démarche qui est la
sienne.
Nous espérons voir ensemble la lumière bientôt. Je
pense que nous devons poser un geste de concertation. Nous Pavons
déjà fait au cours de certaines rencontres. Nous avons pu
échanger de la façon la plus positive possible. La concertation,
c'est la voie que je privilégie à titre de ministre des Affaires
culturelles. C'est aussi la voie vers une solution qui sera fondée sur
un échange réciproque entre tous les intervenants pour aborder
franchement et clairement les problèmes qui sont vécus de part et
d'autre.
C'est aussi la voie que préconise le gouvernement afin que nous
puissions, dans des délais raisonnables, améliorer la
qualité de la vie culturelle des artistes, laquelle qualité
contribuera, évidemment, à l'enrichissement tant individuel que
collectif des personnes que vous représentez.
Comme mot de la fin, je veux tout simplement vous dire que je vais lire
attentivement la Loi sur les producteurs agricoles.
La Présidente (Mme Harel): M. le président de
l'union.
M. Turgeon: Mme la ministre, je veux vous remercier pour
l'ouverture que vous avez créée en instituant cette étude
via la commission de la culture. Je veux vous remercier, mesdames et messieurs
de la commission, pour l'écoute attentive que vous
avez manifestée envers nous. Plusieurs d'entre vous ont
parlé du sérieux qui nous animait à l'Union des artistes.
On veut tout simplement vous dire que, pour nous, les affaires culturelles,
c'est ce qu'il y a de plus sérieux, convaincus qu'il s'agit d'affaires
-comme le dit notre affiche - d'identité, de liberté et de
dignité. Je vous remercie.
La Présidente (Mme Harel): J'inviterais maintenant les
représentants de la Conférence des conseils régionaux de
la culture à prendre place.
Je vais inviter les membres de la commission, de même que nos
invités à prendre place dans cette salle en s'y asseyant ou
à la quitter pour continuer leurs délibérations à
l'extérieur.
Conférence des conseils régionaux de la
culture
J'invite donc les représentants de la Conférence des
conseils régionaux de la culture à nous présenter leur
mémoire, mais je vais d'abord leur demander de se présenter. Il
s'agit, je pense, de M. Daniel Hébert qui est directeur
général. M. Hébert, vous êtes
accompagné...
M. Hébert (Daniel): De M. Marcel Duchesne, qui est
président du Conseil de la culture du
Saguenay-Lac-Saint-Jean-ChibougamauChapais et qui représente ici,
aujourd'hui, la Conférence des conseils de la culture.
La Présidente (Mme Harel): Alors, bienvenue M. Duchesne.
Je crois comprendre que c'est vous qui allez nous présenter le
mémoire?
M. Duchesne (Marcel): Oui, c'est moi.
Mme la Vice-Présidente, Mme la ministre des Affaires culturelles,
mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs, le
texte que nous allons utiliser est un texte révisé et
accepté par la Conférence des CRC en fin de semaine
dernière. Nous nous excusons pour ce contretemps; seulement, les
changements sont minimes en ce qui concerne les recommandations. Si on n'avait
pas eu à traverser le parc, le texte serait encore chaud. (16 h 45)
La Conférence des conseils de la culture regroupe onze organismes
ayant leurs assises dans le milieu culturel des différentes
régions du Québec, exception faite de Montréal. À
travers huit années d'existence, les conseils de la culture se
définissent par une action concertée de planification et de
développement de l'espace culturel québécois. Cette action
concertée permet à la conférence des conseils de traduire
et de transmettre à la ministre des Affaires culturelles et au
gouvernement les attentes et les besoins des artistes oeuvrant en
régions. À ces préoccupations régionales se greffe
celle du développement culturel à l'échelle nationale et
la conférence a établi différents mécanismes qui
lui permettent d'intervenir en cette matière auprès des instances
gouvernementales concernées, transmettant ainsi avis et recommandations
à la ministre des Affaires culturelles.
Approche globale de la question. La condition sociale et
économique des artistes s'achemine ces dernières années
vers un mieux-être auquel, malheureusement, un trop grand nombre ne
participe pas encore et qui fait que les artistes s'inscrivent toujours dans le
"no man's land" des groupes à faible revenu. Ces problèmes
auxquels se heurtent les artistes ne sont pas spécifiques à une
discipline ou à un contexte régional particulier. Ils sont
vécus dans toutes les disciplines et ce, à la grandeur du
Québec. Il est urgent que l'État québécois
intervienne de manière significative en reconnaissant aux artistes
professionnels un statut juridique et social particulier, par le biais de
mesures législatives adéquates.
De plus, il s'avère de toute première
nécessité pour notre propre bénéfice sur le plan du
développement culturel et économique d'assurer à l'artiste
un statut économique décent. À cet effet, la
Conférence des conseils régionaux de la culture recommande,
premièrement, que toutes les mesures soient prises pour que le
développement et le rayonnement de la vie artistique ne comportent pas
qu'un label "pure laine montréalaise", mais s'attachent à une
identité québécoise s'alimentant de toutes les
disciplines, de toutes les régions et de toutes les cultures;
deuxièmement, que l'État reconnaisse la situation
spécifique de l'artiste en lui accordant un statut juridique
particulier.
Formation et perfectionnement de l'artiste. L'établissement de
nouvelles structures telles que les commissions de formation professionnelle et
le développement universitaire dégage des perspectives meilleures
quant à l'accès et aux possibilités de raffiner la
formation des artistes. Cependant, force nous est de constater que ces
structures éprouvent certaines difficultés à desservir au
même titre gens des régions périphériques et gens
des centres urbains, au détriment des régions.
Les nouvelles technologies et leur développement
accéléré imposent un nouveau rythme d'adaptation auquel
doit s'ajuster l'artiste avec plus ou moins de bonheur, selon les moyens mis
à sa disposition. Or, une formation plus poussée nécessite
un déplacement vers des centres spécialisés situés
dans les grands centres. Il n'y a que Bell Canada où la distance n'a
aucune
importance. Ailleurs, cela signifie frais supplémentaires de
déplacement et de subsistance, sans parler des pertes de revenu
qu'occasionne une absence de son chez-soi plus ou moins prolongée.
Des statistiques récentes indiquent que non seulement les
artistes ont atteint des degrés plus élevés de
scolarisation, mais que, proportionnellement à d'autres secteurs
d'activité, ils comptent parmi les groupes les plus scolarisés.
Malgré tous ces efforts d'articulation intellectuelle et sociale, les
artistes demeurent dans l'ombre d'une société qui semble les
considérer inaptes à participer à son progrès.
Il est vrai que l'environnement dans lequel évolue l'artiste ne
manque pas de complexité. Aussi aurait-il avantage à obtenir
à l'intérieur de sa formation artistique de base un
complément portant sur la gestion, l'administration et la promotion afin
de mieux cerner sa réalité.
À cet effet, la Conférence des conseils régionaux
de la culture recommande: 1 De faciliter aux artistes l'accès à
des centres de formation reconnus dans les diverses disciplines des arts, soit
en implantant des centres de formation spécialisés dans les
disciplines appropriées? en offrant un revenu compensatoire aux artistes
en formation dans des centres spécialisés éloignés.
2 De faciliter aux artistes l'accès au perfectionnement en augmentant
l'aide financière et l'accessibilité aux programmes permettant
aux artistes d'aller se perfectionner dans d'autres régions ou hors du
Québec; en identifiant les personnes ressources du milieu
immédiat pouvant agir comme formateurs; en s'assurant de la transmission
à tous les artistes de l'information relative aux sessions de
perfectionnement offertes par les centres spécialisés et ce, dans
des délais raisonnables. 3 D'assurer, parallèlement à la
formation des artistes en gestion et marketing, celle de gestionnaires
culturels professionels en préparant un programme d'études
universitaires axé sur la gestion, la promotion, la mise en
marché de l'art correspondant aux réalités de notre milieu
culturel.
La relève joue un rôle important dans une dynamique de
développement. Or, dans le domaine des arts, tout comme dans les autres
secteurs d'activité, les jeunes professionnels trouvent difficilement
à se tailler une place sur le marché du travail. Ce
phénomène se traduit par un taux élevé de
chômage chez ces jeunes, ce qui entraînera forcément une
stagnation du développement de la culture et, par la suite, un
appauvrissement. À cet effet, la Conférence des conseils
régionaux de la culture recommandes 1° de mettre sur pied un
programme d'emploi similaire au programme canadien de planification de l'emploi
pour permettre l'insertion de jeunes artistes sur le marché du travail;
2° que le ministère de l'Industrie et du Commerce subventionne
l'engagement de jeunes diplômés en administration ou autres
disciplines connexes par des organismes culturels, consolidant ainsi la
structure financière de ces entreprises.
L'éducation artistique est le moyen privilégié de
développer l'appréciation et le goût de l'art. Les
programmes d'enseignement des arts dans les écoles, tout
particulièrement la musique, sont en perte de vitesse. Une intervention
urgente s'impose. À cet effet, la Conférence des conseils
régionaux de la culture recommande: 1° que le ministère des
Affaires culturelles intervienne auprès du ministère de
l'Éducation afin de réinstaurer l'enseignement des arts aux
niveaux primaire et secondaire; 2° de privilégier une
présence soutenue des artistes en milieu scolaire; 3° de
développer des activités pédagogiques en concertation avec
les musées, les centres d'art, les galeries, les ateliers d'artistes,
les bibliothèques et les salles de spectacles.
Les sources de revenus. L'absence de reconnaissance et de valorisation
du statut de l'artiste, la quasi-absence de promotion du produit culturel
québécois, le marché restreint et le manque de
débouchés dans l'emploi limitent considérablement les
possibilités des artistes de tirer un revenu décent de la
pratique de leur art.
Leurs faibles revenus et leur inadmissibilité à des
programmes, tel celui de l'assurance-chômage, forcent plusieurs artistes
à exercer un métier secondaire et ainsi à mettre en
veilleuse, pour subvenir à leurs besoins, leurs activités de
création.
Les artistes récipiendaires de bourses ou détenteurs de
contrats de courte durée se retrouvent dans une situation souvent
hasardeuse. En effet, doivent-ils, dès l'obtention de ces bourses ou de
ces contrats, quitter leur emploi secondaire pour se consacrer à
l'exercice de leur art et vivre ainsi sans sécurité et avantages
permanents. Une étude récente commandée par le
gouvernement fédéral démontre que la part la plus
importante des investissements en art est fournie par les artistes. Donc, ce
sont eux qui financent leur carrière et son développement. Par
ailleurs, d'autres études font état du fait que la
majorité des artistes vît sous le seuil de ta pauvreté. Ils
sont donc, pour le moins, enfermés dans le cercle vicieux de petit
revenu, petite carrière.
Cette condition sociale générale de l'artiste prend des
nuances différentes selon qu'il pratique son art en régions ou
dans les centres fortement urbanisés. En effet, la concentration du
marché, des associations
professionnelles et de l'ensemble des équipements professionnels
dans les deux grands centres, Québec et Montréal, constitue un
facteur important de majoration des coûts de production des artistes en
régions, sans parler de la difficulté d'accès pour ceux-ci
à ces services. Pourtant, n'apparaît dans les divers programmes
d'aide destinés aux artistes aucune disposition permettant
d'évaluer et de tenir compte de cette réalité. C'est
généralement le contraire. À projet égal, les
artistes des grands centres reçoivent plus. On observe une grande
disparité entre les programmes régionalisés et les
programmes nationaux. L'ensemble des programmes d'aide destinés aux
artistes devraient être offerts dans toutes les régions du
Québec.
Quant aux contrats et conventions qui lient les artistes, seules les
associations nationales d'artistes professionnels devraient être
habilitées à en négocier les termes, qu'il s'agisse de la
vente d'une oeuvre ou de l'utilisation de services. À cet effet, la
Conférence des conseils régionaux de la culture recommande: 1 Que
les subventions accordées dans le cadre du programme de soutien aux
artistes professionnels aient la même valeur que celles accordées
dans le cadre du programme de bourses du Québec, afin de
reconnaître aux artistes en régions la même valeur
qu'à ceux qui se présentent au jury national. 2 Que soit
établie une juste répartition des subventions entre celles
à caractère national et celles à caractère
régional afin de tenir compte des disparités régionales et
du poids réel des régions, en termes de bassin d'artistes
professionnels. 3 Que soient décentralisés dans les
régions les programmes nationaux s1 adressant aux artistes
professionnels. 4 Que soit développée l'analyse statistique au
sein du ministère des Affaires culturelles, afin d'évaluer
l'impact et les effets des programmes destinés aux artistes. 5 Que soit
mis sur pied un programme d'aide à la diffusion pour les artistes
professionnels. 6° Que le ministère du Revenu reconnaisse aux
artistes leur juste part d'investissement dans la culture, en comptabilisant
leur investissement dans leurs créations ou leurs productions comme
capital de risque déductible d'impôt. 7 Que le gouvernement
soutienne et encourage la création de fondations administrant des fonds
publics et privés voués au financement des arts. 8° Que l'on
soutienne de façon générale la mise en marché de
produits culturels par l'établissement d'un réseau adéquat
d'équipements culturels, par l'établissement d'une politique de
prix d'achat d'oeuvres par le gouvernement, ses sociétés et ses
institutions, non pas inflationniste, mais qui tienne compte des données
du marché. 9 Que le ministère des Affaires culturelles utilise
les médias électroniques et tout particulièrement
Radio-Québec pour promouvoir l'activité et le produit culturel
québécois par la production de messages publicitaires et de
documentaires d'actualités. 10 Que le ministère des Affaires
culturelles élabore une politique de mise en marché du livre
québécois et de soutien à l'animation littéraire
dans les bibliothèques publiques. 11 Que. le ministère des
Affaires culturelles, en concertation avec le ministère des Affaires
intergouvernementales, établisse une politique d'exportation et de
promotion des produits culturels québécois.
Fiscalité et sécurité sociale. Le statut de
l'artiste, parce que particulier et mal ou non reconnu, désavantage
actuellement l'artiste professionnel si on le compare aux autres
catégories de travailleurs en termes d'avantages sociaux et certaines
mesures fiscales attestent cette réalité. Ainsi, la
non-admissibilité des frais de perfectionnement acquis auprès des
maîtres, des troupes ou des studios privés, la double imposition:
taxe sur le matériel et taxe sur l'oeuvre, l'imposition des bourses de
soutien aux artistes professionnels et au perfectionnement qui crée un
manque à gagner. Les artistes doivent continuellement supporter des
frais afférents à leur création, leur production ou leur
diffusion, lesquels ne sont pas automatiquement déductibles. À
cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la culture
recommande: 1° D'étudier la possibilité de reconnaître
à l'artiste un statut hybride, à la fois celui de travailleur
autonome pour fins d'impôt et celui d'employé donnant
accès à l'assurance-chômage. 2° De réviser les
mesures fiscales afin de privilégier les artistes: en admettant comme
frais de scolarité pour fins d'impôt le perfectionnement acquis
à l'extérieur d'un établissement scolaire, soit
auprès de maîtres, de troupes ou de studios privés
reconnus; en abolissant l'imposition des bourses de soutien aux artistes
professionnels et au perfectionnement; en abolissant la taxe de vente sur les
objets d'art. 3° Étudier la possibilité de mettre sur pied
des services-conseils de fiscalistes. Ces services pourraient être
offerts via les regroupements d'artistes.
Investissement dans les arts. Les incitatifs fiscaux peuvent
s'avérer très efficaces comme moyen de financement autant des
activités culturelles que des organismes ou des associations
professionnelles. Toute mesure positive mise de l'avant concourrait à la
stabilisation et à l'autonomie financière du milieu culturel.
À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la
culture recommande:
1° Que tout acheteur d'oeuvres d'art québécoises
acquises dans des galeries reconnues jouisse des mêmes avantages fiscaux
que ceux actuellement réservés aux corporations. 2° Que soit
établi un mécanisme permettant aux consommateurs de
déduire de leur revenu l'achat de biens culturels
québécois, c'est-à-dire livres, disques, produits de
métiers d'art, etc. 3° Que soit instauré un crédit
d'impôt à l'investissement culturel pour un individu ou un
organisme qui soutient financièrement la carrière d'un artiste ou
la production artistique en général. (17 heures)
Statut d'organisme de bienfaisance. Les organismes d'artistes sans but
lucratif peuvent produire une demande d'obtention de statut d'organisme de
bienfaisance. Ce statut est fort appréciable pour toute organisation
d'artistes. Il semble, cependant, régner une certaine confusion quant
à la manière dont sont appliqués les critères
régissant ce statut particulier, le rendant ainsi difficile a obtenir.
Un assouplissement des règles et des modalités d'acception
s'impose. À cet effet, la Conférence des conseils
régionaux de la culture recommandes 1° Que le ministère des
Affaires culturelles étudie, en collaboration avec le ministère
du Revenu du Québec, la possibilité d'accorder un statut
particulier aux organismes artistiques aux fins de la Loi de l'impôt sur
le revenu. Ce statut serait analogue à celui dont jouissent
déjà les groupes oeuvrant dans le sport amateur, mais les
critères devraient tenir compte plus spécifiquement des objectifs
artistiques visés par ces organismes. 2° Que soient
acheminées, advenant la possibilité de la reconnaissance d'un tel
statut, des recommandations à Revenu Canada afin que la loi soit
amendée en ce sens.
Santé et sécurité. La pratique des arts visuels et
des métiers d'art exige régulièrement l'emploi de produits
toxiques dont les effets peuvent affecter la santé et menacer la
sécurité de l'artiste. Également, si l'on songe aux
danseurs, ceux-ci sont souvent forcés d'interrompre
prématurément leur carrière en raison de blessures, de
fatigue musculaire ou d'usure prématurée. Or, les artistes n'ont
pas les moyens financiers de se doter d'ateliers sécuritaires conformes
aux normes minimales requises par la Commission de la santé et de la
sécurité du travail.
Quant à l'information à distributer sur la santé et
la sécurité au travail, la conférence est reconnaissante
au Service gouvernemental de la propriété intellectuelle du
ministère des Affaires culturelles de s'être impliqué
activement dans ce dossier en consultant des artistes, des artisans et des
membres de la CSST pour cerner les problèmes vécus par les
artistes. II serait, cependant, intéressant que les régions
soient aussi associées à ce processus et que l'information ainsi
obtenue puisse être plus complète.
Enfin, l'artiste qui ne dispose d'aucune sécurité
d'emploi, d'aucune garantie de revenu et, généralement, d'aucun
régime de retraite ne bénéficie pas, non plus, d'un
régime d'indemnisation des accidents de travail, à moins de
cotiser à son propre plan d'assurance, ce qui s'avère non
seulement très onéreux, mais à peu près impossible.
À cet effet, la Conférence des conseils régionaux de la
culture recommande: 1° Que l'information sur les normes de santé et
de sécurité dans le domaine artistique soit l'objet d'une
diffusion large dans toutes les régions du Québec. 2° Que
l'on ajoute un volet spécial au programme d'équipements culturels
qui permette aux artistes de réaménager leur lieu de travail
selon les normes de santé et de sécurité du travail,
telles qu'établies. 3° Que l'on crée des programmes de
recyclage pour les artistes professionnels qui doivent abandonner leur
profession pour des raisons de santé liées à la pratique
de celle-ci. 4° Que l'on étudie la possibilité d'instaurer un
régime d'indemnisation des accidents de travail pour aider les artistes
victimes de ceux-ci.
Promotion et défense de la vie professionnelle. La population et
les différents milieux socio-économiques ne sont pas suffisamment
sensibilisés aux conditions de travail des artistes et aux
réalisations actuelles. Ils ne sont familiers qu'avec certaines
expressions de l'art le plus souvent stéréotypées.
L'absence de campagnes nationales de promotion aide au maintien des bonnes
vieilles habitudes.
Nous avons exposé, tout au long de notre intervention, une
série de problèmes vécus par les artistes, tant sur le
plan de la formation ou du perfectionnement que sur le plan des sources de
revenus, des contrats et des conventions de travail, que sur le plan des droits
sociaux et économiques, de la sécurité sociale, de la
sécurité au travail et de la protection de la santé. Nous
pourrions parler longuement des situations particulières propres aux
chorégraphes, aux peintres, aux musiciens, aux acteurs et aux
compositeurs.
Nous jugeons indispensable que les artistes professionnels se donnent
des moyens de contrôler leur développement en formant des
regroupements et des associations professionnelles, mais ce, dans la mesure
où l'État entend les supporter adéquatement pour
répondre aux besoins de leurs membres. À cet effet, la
Conférence des conseils régionaux de la culture recommandes
1° De soutenir dans les régions, de façon convenable, les
regroupements régio-
naux d'artistes professionnels. 2 De déterminer, en collaboration
avec les associations, les syndicats et les regroupements d'artistes, les
critères de définition du statut professionnel de l'artiste dans
les différentes disciplines; 3 De mettre sur pied des campagnes de
sensibilisation faisant état de l'importance et de la richesse de
l'activité culturelle dans toutes les régions du Québec,
autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du
Québec; 4 De faire réaliser, par l'intermédiaire des
médias électroniques, des émissions faisant état
des principales activités et réalisations culturelles.
En conclusion, nous vous remercions d'avoir reçu les
recommandations de la Conférence des conseils régionaux de la
culture. Nous avons exprimé à cette commission parlementaire les
préoccupations et les problèmes que nous ont
véhiculés les artistes confrontés quotidiennement à
la réalité d'une pratique exercée en régions. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Trudel): Je vous remercie, M. le
président. Je m'excuse d'avoir manqué le début de votre
exposé. J'étais pris, dans la salle d'à côté,
dans un débat. Je vais céder la parole à Mme la ministre
des Affaires culturelles pour une période de questions. Comme il reste
une heure, ou à peu près, avant la suspension pour le
dîner, on va essayer, sans accélérer trop, de donner la
chance à tout le monde pour pouvoir discuter avec un autre organisme
à partir de 17 h 30, si les membres de la commission sont d'accord.
Mme la ministre.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais
remercier M. Hébert et M. Duchesne de leur présence à
cette commission. Il est évident que le point de vue de la
Conférence des conseils régionaux de la culture du Québec
m'apparaît précieux et aussi enrichissant parce que les
intervenants doivent, par leur mandat et par leur rôle, être
branchés sur le milieu. En touchant à des thèmes aussi
importants que la relève, par exemple, pour nous prouver jusqu'à
quel point la jeunesse vous tient à coeur, vous avez compris toute
l'importance de l'avenir de la vie culturelle au Québec. Peut-être
seriez-vous sécurisés si je vous souligne que, lors de
l'élaboration de son programme ou dans le cadre de ses discours, notre
formation politique a particulièrement insisté sur la
nécessité de tenir compte de cette relève dans le secteur
culturel. Votre mémoire rejoint en cela plusieurs préoccupations
qui font partie de l'environnement quotidien des artistes. Je vous
félicite d'avoir su enclencher dans vos propres rangs cette
réflexion qui rejoint en cela plusieurs des préoccupations de
groupes ou d'organismes qui viendront faire entendre leurs mémoires et
nous dire ce qu'ils pensent tout au long de ces audiences.
Dans votre mémoire, j'ai particulièrement
apprécié la partie qui concerne la formation et le
perfectionnement. Quant aux actions que les conseils régionaux de la
culture ont entrepris à l'échelle de leur région, est-ce
que vous avez travaillé avec les administrateurs municipaux, par
exemple? Est-ce qu'on peut vérifier le degré d'implication des
administrateurs municipaux au niveau culturel et pour l'amélioration du
statut de l'artiste? Est-ce que vous avez eu cette concertation avec les
milieux municipaux?
M. Duchesne: Je laisserai à M. Hébert le soin de
répondre à cette question.
M. Hébert: Je pense que c'est une préoccupation qui
est constante chez les conseils régionaux de la culture de sensibiliser
les administrateurs municipaux à investir dans le milieu culturel de
chacune des régions. À ce titre, je pense que la majorité
des conseils de la culture a déposé dernièrement, lors de
la commission Parizeau sur les municipalités, un mémoire qui
indique les intentions des conseils et les relations que doit entretenir la
municipalité avec le milieu culturel. Également, je pense que,
dans la plupart des régions où se sont tenu des sommets
économiques, jusqu'à présent, une intervention importante
a été menée par les conseils de la culture auprès
des municipalités quant à leur rôle
prépondérant dans le développement culturel surtout en ce
qui concerne l'utilisation des équipements, bien sûr, et le
financement des organismes qui proviennent de leur milieu propre. Je pense que
cette sensibilisation est présente dans les régions du
Québec depuis sûrement quelques années.
Mme Bacon: Est-ce que vous avez engagé aussi une dynamique
avec les entrepreneurs, avec les gens d'affaires de votre milieu
immédiat ou avec des administrateurs scolaires, par exemple, en fait,
avec les leaders de votre région?
M. Hébert: Je pense que, sur ce plan aussi, il y a eu des
relations très étroites dans des régions plus que dans
d'autres avec les entreprises privées. Mais je pense que,
là-dessus, il faut aussi faciliter les choses. C'est pourquoi on
demande, dans le mémoire, au gouvernement de prendre des mesures
fiscales face à l'entreprise privée qui investit dans le milieu
culturel. Par exemple, un organisme à but non lucratif n'a pas la
possibilité d'émettre un reçu pour fins d'impôt
à une entreprise qui investit dans son milieu, parce qu'elle n'est pas
reconnue comme un organisme de bienfaisance. Des
mesures semblables peuvent aider énormément les organismes
culturels à but non lucratif à aller chercher des fonds dans
l'entreprise privée.
L'entreprise privée investit aussi dans des régions. Par
exemple, il y des régions où les caisses populaires ont suivi le
mouvement du gouvernement, c'est-à-dire, lors de constructions, elles
ont construit une oeuvre d'art près de leur siège social.
Plusieurs entreprises privées ont fait la même chose, ont des
collections privées.
Nous voudrions également sensibiliser la commission au fait que
l'entreprise privée a des reconnaissances fiscales intéressantes
lorsqu'elle contribue à un organisme qui est reconnu comme un organisme
de bienfaisance. Un individu n'a pas cette reconnaissance-là. Il nous
semblerait pertinent qu'une personne, un individu qui contribue à un
organisme culturel, qui, lui, peut lui remettre un reçu pour fins
d'impôt, soit, lui aussi, capable d'inscrire cela dans des mesures
pouvant affecter ses paiements d'impôt. On souhaiterait que cette mesure
s'élargisse à l'individu ou à des groupes d'individus qui
ne sont pas nécessairement des compagnies.
Mme Bacon: Je vais revenir, M. le Président, aux
municipalités et aux milieux d'affaires, administrateurs scolaires et
autres: Quand on pense à améliorer la reconnaissance sociale des
artistes, quels sont les résultats que vous obtenez quand vous allez
demander à ce milieu de s'impliquer avec vous? Peut-on dire que ce sont
des résultats positifs, négatifs ou...
M. Hébert: Pour nous, l'expérience, à ce
jour, démontre que c'est en croissance, l'implication municipale. Nous,
on dit que les années 1980 sont les années du
développement culturel au niveau des municipalités. Je pense que
c'est une question de sensibilisation qui n'a pas été faite dans
le passé. Actuellement, la majorité des conseils de la culture
considère comme une priorité l'intervention auprès des
municipalités.
En ce qui concerne l'entreprise privée, je pense que plusieurs
régions ont, à cet égard, obtenu des résultats
drôlement intéressants. Si on prend des exemples - moi, je suis
plus familiarisé avec les exemples de notre région - je pense que
des compagnies comme l'Alcan, la Fédération des caisses
populaires, Price investissent régulièrement dans le milieu
culturel.
En ce qui a trait aux commissions scolaires et à ces
institutions, pour ne donner qu'un exemple, au niveau des salles de spectacles,
l'apport du gouvernement, du ministère des Affaires culturelles dans le
financement du spectacle dans les régions au Québec, c'est 6 % de
leurs revenus. Dans une région comme chez nous, c'est peut-être 3
000 000 $; si on prend une moyenne rapide au Québec, c'est 30 000 000 $.
L'apport d'investissement du ministère des Affaires culturelles est de 6
%. Donc, la majorité vient soit des municipalités, soit du milieu
scolaire ou soit de l'individu qui participe au spectacle et qui paie son
spectacle. Donc* à ce titre, je pense que, si on faisait un calcul
rapide des investissements gouvernementaux en régions face à
l'apport du milieu, ce serait, je pense, drôlement intéressant de
vérifier que cela se maintient dans ces moyennes.
Mme Bacon: Vous avez, dans vos conseils d'administration, des
conseillers municipaux, par exemple, ou des gens d'affaires; je pense à
des gérants de caisses populaires. J'assistais dernièrement
à des rencontres dans une région en particulier où on
voit, dans certains domaines des arts, par exemple, l'implication de
gérants de caisses populaires qui assurent à des groupes
culturels une espèce de stabilité quand on pense à aller
chercher les sommes nécessaires, à un moment donné, de
l'entreprise privée ou du milieu pour faire progresser les affaires
culturelles.
M. Hébert: Effectivement, la majorité des conseils
de la culture ont des représentants, à leur conseil
d'administration, du milieu municipal, du milieu de l'enseignement, du milieu
institutionnel, scolaire, ont des représentants de l'ensemble des
disciplines culturelles, ont des représentants du milieu des affaires.
Bien sûr, chaque conseil a une charte qui lui est particulière,
mais, en majorité, ils ont ces représentants dans leur conseil
d'administration. (17 h 15)
Mme Bacon: Dans votre mémoire, vous souhaitez que le
ministère de l'Éducation et celui des Affaires culturelles se
concertent pour développer un plus grand nombre d'activités dans
les musées, par exemple, dans les centres d'art, les galeries, les
ateliers d'artistes. Est-ce que vous croyez qu'une augmentation de
crédits serait nécessaire à ce moment-là ou si on
pourrait penser à une simple allocation de ressources'?
M. Hébert: Au sujet des modalités, on ne s'est pas
prononcé de façon formelle. Je pense qu'il existe actuellement
deux expériences intéressantes au Québec, une au
Saguenay~Lac-Saint-Jean et une en Abitibi-Témiscamingue, où on a
lié le ministère des Affaires culturelles et le ministère
de l'Éducation pour faire une expérience dans le milieu scolaire,
à partir de regroupements de créateurs ou d'organismes qui font
une intervention dans le milieu scolaire, dans des commissions scolaires
précises. À ce titre-là, il y a eu des subventions
attitrées de façon précise, un montant qui était
réparti dans la
région entre deux ou trois organismes. Le système
d'allocation de ressources n'a pas été appliqué lors de
l'expérience qui a été vécue. Ce qui a
été expérimenté pour l'instant s'est
révélé tout à fait intéressant pour le
milieu scalaire et pour le milieu culturel.
En ce qui concerne le milieu artistique aussi, bien entendu, on
recherche à instaurer davantage une présence culturelle dans le
milieu scolaire. Mais il nous semble tout à fait important de
réinstaller les programmes d'enseignement des arts, qui existaient aux
niveaux primaire et secondaire. Vous n'êtes pas sans savoir
qu'actuellement il y a un dépérissement important de
l'enseignement culturel, de l'enseignement des matières
élémentaires, soit de la musique, des arts plastiques au niveau
primaire. Il nous semblerait tout à fait important que le
ministère des Affaires culturelles et le ministère de
l'Éducation voient à réinstaurer de3 programmes
réguliers pour répondre à une clientèle culturelle
québécoise au Québec dans l'avenir.
Mme Bacon: Lorsque vous recommandez dans votre mémoire une
meilleure distribution des subventions, entre celles à caractère
national et régional, qui tienne compte de la réalité des
créateurs, des artistes qui oeuvrent dans les régions, est-ce que
vous estimez que les critères actuels ne correspondent pas à la
réalité ou qu'ils sont insatisfaisants? Ou y a-t-il d'autres
raisons?
M. Hébert; Je ne penserais pas qu'on ait des
difficultés avec des critères ou des normes. Je pense que c'est
plutôt sur une répartition, un équilibre entre ce qui se
retrouve dans les régions et ce qui se retrouve dans ce nous appelons
une enveloppe nationale. Je pense que c'est à ce niveau que cela se
situe et également il y a la reconnaissance de ce qui se fait dans les
régions sur le plan professionnel. Pour donner des exemples, dans des
régions, vous avez des troupes de théâtre qui sont
professionnelles, et leur volonté, c'est d'accéder le plus
rapidement possible à un statut de troupe nationale pour aller chercher
un revenu supplémentaire, parce que dans leur situation actuelle, dans
leur région, les ressources ne sont' pas présentes. C'est un peu
ce genre de situation qu'on vit. Au sujet des critères ou d'une
reconnaissance à savoir si un artiste en régions a droit à
cela ou pas selon une norme, je pense que c'est un peu réparti de
façon égale au Québec; c'est plus en termes d'enveloppes
budgétaires et d'équilibre.
Dans le domaine de la danse, également, on a des exemples assez
importants dans des régions où se situe un bassin important de
danseurs. Les revenus pour ce bassin de danseurs dans une région sont
complète disproportionnés par rapport à ceux d'un autre
organisme qui a la même vocation, mais dans un grand centre. On demande,
d'ailleurs, au ministère de faire une évaluation et
d'étudier une meilleure répartition des ressources
gouvernementales.
Mme Bacon: Vous n'avez pas d'exemple chiffré, de chiffres
précis?
M. Hébert: Nous pourrions vous déposer
éventuellement des exemples chiffrés. Nous avons tenu, en
commission parlementaire, à ne pas montrer les tableaux que nous
avons.
Mme Bacon: Lorsque vous préconisez un soutien concret
à l'exportation des produits culturels du Québec, est-ce que les
structures actuelles gouvernementales ne suffisent pas à exporter nos
produits? Est-ce que c'est ce que vous voulez dire? Par exemple, le mandat
confié au ministère du Commerce extérieur, est-ce que ce
rôle vous apparaît suffisant ou si vous allez plus loin que
cela?
M. Hébert: II nous apparaissait intéressant de
maintenir le rôle des délégations du Québec à
l'extérieur, également, de mettre des programmes qui viseraient
directement l'exportation de produits culturels sur des marchés cibles
qui seraient analysés auparavant. Je pense que là-dessus on ne
s'est pas aventuré en détail, mais c'est ce qui était
visé par la conférence lorsqu'on traitait de ce sujet.
Mme Bacon: Toujours dans votre mémoire, lorsque vous
recommandez d'étendre à tout acheteur d'oeuvres d'art les
avantages fiscaux actuellement réservés aux corporations - on
revient encore là-dessus -pourriez-vous nous dire comment sera
établie la liste dite d'oeuvres d'art? Est-ce que vous vous êtes
arrêté à cela ou est-ce plus vaste que ce que vous voulez
dire dans votre texte?
M. Hébert: Pour nous, lorsqu'il y a oeuvre d'art,
nécessairement, il y a artiste. Actuellement, au Québec, je pense
qu'il y a assez d'associations professionnelles pour reconnaître qui est
artiste professionnel et qui ne l'est pas. On pensait, tout à l'heure,
à l'Union des artistes qui a ses membres. Il y a également la
Conférence des associations de créateurs, que vous entendrez
sûrement, qui déposera son mémoire. Elles aussi ont leurs
normes et leurs critères pour la sélection d'artistes
professionnels. Nous pensons qu'à ce titre la conjoncture serait
favorable à statuer là-dessus, sur les critères du
professionnalisme pour que, finalement, l'ensemble du Québec soit au
diapason et que par la suite les objets d'art qui suivraient dans le courant
soient beaucoup pius faciles
à identifier comme étant faits et fabriqués par des
artistes professionnels au Québec. Je pense que c'est une
démarche qui suit celle de la reconnaissance d'association et de la
reconnaissance du statut professionnel.
Mme Bacon: Cela va.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Je suis très heureux de la présence
de la Conférence des conseils régionaux de la culture du
Québec. Je pense que, quand il y a huit ans la décision s'est
prise de créer les conseils régionaux de la culture au
Québec, on a, d'une part, voulu déconcentrer à la fois le
débat et, surtout, les implications au niveau de la culture.
Cette déconcentration a permis, sans aucun doute, une certaine
forme de concentration par l'établissement des directions
régionales du ministère dans les régions. Ce qui a permis,
sans aucun doute, d'apporter un éclairage particulier sur les
réalités que vous vivez. Donc, la présence des
régions dans le débat de la culture au Québec nous
apparaît extrêmement intéressante. À ce niveau, il y
a un discours que nous employons depuis quelque temps: À quoi cela
sert-il de nourrir une tête et un coeur, si on laisse les membres
s'atrophier? Je pense que, si la culture n'a pas sa place dans les
régions, le corps que constitue le Québec sera atrophié de
ses membres qui sont les régions.
Il est un peu prétentieux de croire que tout ce qui se fait
à Montréal est originaire de Montréal, comme tout ce qui
se fait à New York, Paris, Berlin, Rome vient de Berlin, Paris, Rome. Au
contraire, je pense que cela provient de villes de moindre importance. Je
pourrais vous donner un exemple très évident. Le meilleur
spectacle de danse qui était donné vendredi soir, à
Montréal, était donné par une danseuse originaire de la
région du Saguenay~Lac-Saint-Jean. Donc, cela prouve bien que ce qui
arrive en grands centres urbains a, très souvent, pris naissance dans
les régions que vous représentez.
Dans le cas particulier de votre région, il y a des choses
intéressantes qui se font, surtout au niveau du théâtre
avec le centre socioculturel à Jonquière. Il y a du
théâtre, aussi, d'importance, qui se fait à Chicoutimi et
à l'université. Et puisqu'on parlait de la danse, tantôt,
je pense qu'à Alma on fait des choses. Il se fait également des
choses en musique avec l'option musique qui est donnée à Alma.
Ceci dit, l'importance des régions est une chose qui doit être
reconnue.
Dans votre mémoire, à la page 10, je lisais dans les
recommandations: Établir une juste distribution des subventions entre
celles à caractère national et celles à caractère
régional qui tienne compte de la réalité des
créateurs, créatrices et artistes qui oeuvrent dans les
régions et décentraliser dans les régions les programmes
nationaux s'adressant aux artistes professionnels créateurs,
créatrices. Est-ce que vous pourriez m'expliquer très à
fond la situation que vous vivez actuellement?
M. Hébert: C'est qu'en ce qui concerne les artistes
professionnels, pour leur création, en régions, il n'existe qu'un
seul programme qu'on connaît sous le nom de "Soutien à la
création". Depuis quelques années, il est apparu un nombre
important de programmes dit nationaux pour faciliter davantage l'accès
aux artistes professionnels à des bourses, à des frais de
déplacement, à des frais de subsistance pour leur production,
pour leur diffusion. On trouve cela tout à fait intéressant et,
même, on est d'accord pour que le gouvernement intervienne avec des
programmes nouveaux. Ce que l'on dit, c'est que, quant à ces programmes
nouveaux qui apparaissent depuis quelques années en ce qui a trait
à l'aide à la création, aux artistes professionnels, les
bourses du Québec -plusieurs programmes nouveaux sont apparus depuis
quelques années - on souhaite que, lorsqu'un programme est mis sur pied
par le ministère des Affaires culturelles ou par le gouvernement et qui
touche les artistes professionnels, il soit également accessible dans
les régions dans le sens où ces budgets sont
régionalisés. Il peut y avoir, bien sûr, un budget pour le
national, mais que les budgets soient régionalisés pour les
artistes qui vivent dans les régions et qu'ils appliquent ces programmes
en régions. C'est dans cet esprit que l'on parle.
M. Boulerice: Vous avez apporté également une
idée extrêmement intéressante concernant un programme
d'étude qui est axé sur la gestion, la promotion et la mise en
marché de l'art. Est-ce que vous pourriez me donner davantage
d'informations sur ce programme? Est-ce qu'on peut envisager de
l'intégrer à un programme particulier de la commission de
formation professionnelle?
M. Hébert: C'est-à-dire que déjà,
actuellement, on peut même offrir, par le biais de ta commission de
formation professionnelle, des sessions intensives pour des artistes, pour des
individus qui souhaitent se perfectionner sur le plan de la gestion. Ce que
l'on indique ici, c'est précisément de faciliter davantage un
apprentissage, pour les artistes eux-mêmes, de la gestion et de
l'administration de leurs affaires. On parle également de mettre sur
pied un programme ou d'améliorer ceux qui peuvent exister actuellement
au Québec au niveau universitaire ou de le perfectionner vers une
meilleure concentration sur l'administration,
sur la gestion, sur le marketing de l'art au Québec.
M. Boulerice: Vous avez introduit aussi une notion qui
m'intéresse particulièrement quand vous avez parlé de
reconnaissance d'équivalences d'après les connaissances acquises
dans la pratique pour le métier ou l'art de l'artiste. Est-ce que vous
avez une idée des critères de reconnaissance de ces
équivalences?
M. Hébert: Je pense qu'il y aurait avantage à
examiner en profondeur cette situation. Nous pensons que des années
d'expérience peuvent s'évaluer en fonction de cours de niveau
collégial ou universitaire. Ici, on pourrait entrer dans une foule de
détails, mais il serait sûrement possible, par le biais de
professionnels qui se pencheraient sur la question, de mettre des
critères qui placeraient l'artiste en situation de vérifier,
d'après son expérience de cinq ans, dix ans, sa valeur au niveau
universitaire ou collégial. On pourrait aussi faire en sorte que les
cours qu'il a suivis dans des studios privés ou près de
maîtres reconnus puissent être identifiés par le
ministère des Affaires culturelles ou une commission pour donner des
équivalences à ces enseignements qu'ils ont suivis.
M. Boulerice: En page 14, vous parlez d'instaurer un
crédit d'impôt à l'investissement culturel pour un individu
ou un organisme qui soutient financièrement la carrière d'un
artiste ou la promotion artistique en général. Or, dans le cas de
la carrière d'un artiste, ce serait une espèce de "tutorat"
fiscal que vous proposeriez, quelque chose comme cela. (17 h 30)
M. Hébert: C'est le même principe qu'une compagnie
qui est sollicitée par un individu ou par un organisme et qui remet une
bourse ou une subvention. La compagnie peut appliquer cela aux fins
d'impôt. C'est le même principe qui pourrait exister pour un
individu qui finance de façon périodique ou de façon
ponctuelle un artiste. Il pourrait également appliquer ce financement
aux fins de l'impôt sur le revenu. On ne retrouve pas cette mesure pour
l'individu.
M. Boulerice: Vous faites allusion, comme vos collègues
qui vous ont précédés, aux normes de santé et de
sécurité du travail. Est-ce qu'il existe des normes de
santé et de sécurité spécifiques pour votre
milieu?
M. Hébert: Actuellement, on pense que, si la Commission de
la santé et de la sécurité du travail entrait dans
certains ateliers de gravure ou d'artisan, on fermerait lesdits ateliers, car
ils sont dans des situations tout à fait dangereuses et cela affecte la
santé des artistes. En ce qui concerne... On n'a pas actuellement,
à la Commission de la santé et de la sécurité du
travail, des normes précises, entre autres, pour les artisans et pour
les artistes dans des milieux comme la sérigraphie et la gravure. Il en
existe pour certains milieux précis.
Vous savez que la Commission de la santé et de la
sécurité du travail est assez complexe. Pour plusieurs milieux,
la commission n'intervient pas. On précise l'une des modalités
qui serait importante, il s'agit de donner un volet spécial au programme
d'équipements culturels, car ce programme n'est maintenant
orienté que sur les corporations. C'est un programme très utile
pour les corporations et pour lequel on pourrait ouvrir un volet spécial
pour doter les artistes qui ont des ateliers professionnels, soit d'artisanat,
de gravure ou d'autres disciplines, d'équipements qui rendraient
l'atelier sécuritaire et qui correspondraient davantage aux normes de
santé et de sécurité au travail.
M. Boulerice: Je vous remercie.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques. Est-ce que d'autres membres de la
commission ont des questions à poser au représentant?
Mme Harel: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: J'aimerais connaître des représentants du
conseil le type de fondation qu'ils souhaitent voir mise en place. À la
page 9 de votre mémoire, vous recommandez au gouvernement d'encourager
et de soutenir la création de fondations, dites-vous, administrant des
fonds publics et privés voués au financement des arts. Est-ce que
vous avez déjà expliqué un peu plus ce que pourraient
être ces fondations? Est-ce que vous avez en tête des exemples
ailleurs qu'au Québec? Est-ce que vous avez tout au moins
travaillé parfois avec ce type de fondation? Quelle est votre expertise
sur cette question?
M. Hébert: À ce titre, on peut penser à deux
pratiques, celle de la fondation qui est une corporation indépendante
d'un organisme. Par exemple, un conseil de la culture pourrait avoir sa propre
fondation pour intervenir dan3 le milieu culturel. Également, un conseil
de la culture pourrait avoir un statut spécial lui permettant d'obtenir
un statut privilégié quant à la loi de l'impôt sur
le revenu pour émettre des reçus, ce qu'on appelle un organisme
de
bienfaisance. Les deux sont possibles.
Quant à nous, des expériences ont été
vécues dans plusieurs régions; ce qu'il nous apparaissait
important de vous préciser, c'étaient les difficultés que
les organismes ont à obtenir cette fondation, à avoir le
numéro et tout ce que cela comporte, les règlements, la charte et
tout cela versus le gouvernement fédéral ou provincial, ou le
statut d'organisme de bienfaisance. C'est l'obtention du permis ou du
numéro qui permettra à cet organisme d'oeuvrer au plan de
l'émission des reçus. Les organismes ont de la difficulté
à obtenir ce statut.
Mme Harel: Donc, c'est plus la difficulté
rencontrée avec les appareils gouvernementaux que la difficulté
dans le milieu de susciter l'intérêt pour former une telle
fondation.
M. Hébert; Oui, c'est exact, dans ce sens qu'il y a plusieurs
organismes qui ont pris jusqu'à un an, deux ans avant d'obtenir le
statut qu'ils souhaitaient. Dans leur milieu, nous pensons que la
majorité était capable d'agir soit par le biais d'une fondation
ou d'un organisme de bienfaisance.
Mme Harel: M. le Président, le conseil recommande aussi au
gouvernement de soutenir la mise en marché de produits culturels - c'est
toujours à la page 9 -particulièrement par l'établissement
d'un réseau adéquat d'équipements culturels. C'est une
recommandation pour l'avenir. Est-ce que le réseau vous apparaît
actuellement déficient? Qu'est-ce que vous identifiez comme
difficultés rencontrées à ce sujet-là?
M. Hébert: Pour les régions au Québec, on ne
retrouve presque nulle part des salles de spectacles intermédiaires, par
exemple, un réseau où la relève pourrait diffuser ses
spectacles.
Sur le plan de plusieurs galeries, boutiques, selon les secteurs, on
retrouve des équipements de diffusion manquants dans les régions
du Québec, comparativement à ce qu'on peut retrouver dans un
grand centre où on va avoir une panoplie de lieux de diffusion qui vont
varier soit, par exemple, des salles de spectacles de 200 à 2000 places.
Dans les régions, vous n'avez habituellement que des salles de
spectacles de 1000 places.
Mme Harel: Qui sont des salles d'établissements scolaires,
en général?
M. Hébert: Des salles d'établissements scolaires,
souvent. À ce titre-là, dans les régions, les
équipements culturels sont drôlement importants si on veut penser
à la diffusion culturelle et à la mise en marché du
produit.
Mme Harel: Est-ce qu'il peut même y avoir un soutien de
l'entreprise privée? Tantôt vous énumériez un
certain nombre de grandes entreprises de votre région qui avaient une
politique, semble-t-il, efficace ou énergique. Est-ce qu'elles seraient
éventuellement désireuses d'être associées ou
d'associer leurs noms à la construction de salles ou
d'équipements de cette nature?
M. Hébert: Je pense qu'il est toujours souhaitable
d'associer l'entreprise privée au développement culturel dans
toute la mesure du possible. Je pense que là-dessus on est très
ouvert. Cependant, on peut prendre la question du réseau des
bibliothèques publiques où, dans plusieurs régions, on
fait face à des difficultés importantes parce que la
bibliothèque ne correspond pas aux normes minimales du ministère.
Dans plusieurs régions aussi, les BCP au Québec n'ont pas
terminé leur implantation. On aurait des listes assez longues à
vous énumérer en ce qui concerne les équipements culturels
qui ne sont pas conformes aux normes du ministère dans les
régions du Québec.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
députée de Maisonneuve. Est-ce que d'autres membres de la
commission veulent poser des questions? Si personne n'a de question à
poser, il me reste à vous remercier, MM. Duchesne et Hébert, pour
votre comparution de cet après-midi. Vous nous avez appris des choses
intéressantes. Je suis convaincu que cela va aider Mme la ministre
à prendre les bonnes décisions, le moment venu. Merci bien.
Conseil régional de la culture des
Laurentides
Nous passons maintenant, tout en prenant maintenant deux ou trois
minutes, au Conseil régional de la culture des Laurentides, à qui
nous accorderons plus que les vingt minutes qu'il reste avant 18 heures.
Mesdames, il m'est agréable de vous souhaiter la bienvenue
à ces audiences de la commission de la culture de l'Assemblée
nationale. Je vous disais tantôt qu'il nous reste vingt minutes. Nous
devrons ajourner nos travaux très précisément à 18
heures puisque, à 18 h 15, se tient ici même une autre
réunion. Nous reprendrons ces travaux avec vous à 20 heures.
L'après-midi se terminera avec vous et la soirée commencera avec
vous. Sur ce, je vous cède la parole avec grand plaisir.
Mme Démidoff-Séguin (Tatiana): Mme la ministre,
Mmes et MM. les députés, je. vais céder la parole à
la directrice du conseil, Mme Lucette Lupien, pour vous lire le
mémoire.
Mme Lupien (Lucette): D'abord, je voudrais préciser que
nous sommes très heureux de venir témoigner devant vous et de
présenter notre mémoire sur le statut de l'artiste. J'aimerais
préciser, concernant ce mémoire, qu'on n'a pas parlé
beaucoup du statut fiscal et juridique de l'artiste parce qu'il y a des
organismes nationaux qui se préoccupent beaucoup de cette question et
qui sont beaucoup mieux habilités que nous à le faire. Cependant,
un organisme culturel provenant d'une région a une vision de la culture
et des arts qui est un peu différente. Il peut témoigner au nom
des artistes en régions, qui vivent souvent un problème
d'éloignement face aux sources d'information et face au marché.
Il peut aussi parler au nom de la population puisque, comme organisme culturel,
on est aussi représentant de la population qui désire avoir
accès à cette culture que fabriquent nos artistes. C'est un peu
dans ce sens que nous avons préparé notre mémoire que nous
vous présentons aujourd'hui.
Je vais commencer le texte maintenant. Le Conseil régional de la
culture des Laurentides se préoccupe de la défense et de la
promotion des droits et des intérêts des quelque 500 artistes qui
vivent ou plutôt tentent de vivre de leur création et des 330 000
personnes qui habitent ce territoire et qui ont ou qui devraient avoir
le privilège, sinon le droit, d'avoir accès à cette
création. C'est à ce titre que le conseil soumet à la
commission de la culture ce mémoire sur le statut de l'artiste.
C'est à l'estime que porte un peuple à ses artistes qu'on
peut juger du degré de sa maturité. Les artistes sont la
conscience d'un peuple. À la fois sages et voyants, ils et elles nous
guident vers une meilleure connaissance de nous-mêmes et de notre
société. Malheureusement, il n'est pas toujours facile
d'écouter la voix de la conscience. C'est tellement plus simple de
regarder le hockey à la télévision ou des émissions
comme Dallas que l'on voit continuellement. L'art a aussi un rôle
primordial à jouer au niveau de la qualité de la vie. Il est
source d'enrichissement et d'épanouissement intellectuel et social. Il
permet de lutter contre les inégalités sociales et
économiques, et constitue un palliatif efficace aux contraintes et aux
pressions qu'exerce le milieu du travail.
Par ailleurs, l'impact économique de l'art sur l'économie
en général ne doit plus être minimisé, voire
ignoré. L'industrie artistique du Québec a assuré en 1981
des revenus totaux de 1 900 000 000 $ et des salaires et traitements de 608 000
000 $ pour 56 930 000 travailleurs. Selon un multiplicateur provincial de 1,6,
l'effet multiplicateur des revenus de l'industrie des arts du Québec sur
l'économie provinciale a été de 3 000 000 000 $. De plus,
il est important de rappeler qu'en 1985 chaque dollar investi par le
gouvernement dans l'industrie du spectacle lui rapporte 1,60 $ en impôt
et taxes directes, tout en générant une activité qui
représente quatre fois la somme des investissements des trois paliers de
gouvernement.
En somme, il est très important pour un gouvernement de prendre
au sérieux l'industrie culturelle pour quatre raisons: son rôle de
conscience sociale, son impact sur la qualité de la vie, son importance
dans le développement économique du Québec, les
retombées fiscales qu'elle génère, sans compter l'image de
marque et d'excellence du Québec que cette culture véhicule
à l'étranger et l'investissement qu'elle suppose à moyen
terme dans l'industrie de l'avenir, qui est l'imagination, la
créativité et le développement de la matière grise,
ce que l'on appelle aujourd'hui l'or gris.
Or, où se situe l'artiste dans tout cela? Il demeure le
laissé-pour-compte de toute cette industrie. Selon M. Harry
Hillman-Chartrand, directeur de la recherche au Conseil des arts du Canada,
malgré l'importance des retombées économiques de
l'industrie artistique, les artistes sont la catégorie occupationnelle
la moins payée au Canada, à l'exception des personnes
retraitées. (17 h 45)
M. Turgeon citait tantôt Jacques Godbout, on peut aussi citer
l'artiste Jocelyne Aird-Bélanger qui dit: "Enfin, comme de plus en plus
de personnes vivent aujourd'hui à partir de la production des artistes:
vendeurs de matières premières, de cadres, de papier, de
matériaux d'art; muséologues, professeurs d'histoire de l'art,
directeurs de revues sur les arts, directeurs de galeries, coordonnateurs et
directeurs d'associations professionnelles, fonctionnaires, critiques; bref,
toute une foule qui serait sans travail sans la production artistique en arts
visuels comme dans tous les autres arts d'ailleurs, comment se fait-il que
l'artiste, lui, n'arrive que difficilement à vivre?
Pour relever le statut économique de l'artiste, il faut trois
choses, à notre avis: élargir le marché de l'art favoriser
l'excellence du "produit" artistique, ouvrir le marché aux artistes
québécois.
Élargir le marché de l'art. Selon les études du
service de planification du ministère des Affaires culturelles, plus les
gens sont instruits, plus ils s'intéressent aux arts. Or, il y a lieu
d'être inquiets quand on lit dans les journaux: "En compétition
avec l'Europe francophone, les élèves du Québec arrivent
au dernier rang... Ils étaient moins nombreux que les Européens
à savoir que Christophe Colomb a découvert l'Amérique il y
a environ 500 ans!"
Il y a là un problème majeur. On n'a pas l'impression,
à lire ces titres, que le
public du Québec sera de plus en plus instruit. Par ailleurs, la
tendance actuelle à surspécialiser les gens, formule d'ailleurs
chaudement recommandée par notre astronaute national, Marc Garneau, ne
nous semble pas du tout souhaitable. Dans les écoles, de nombreuses
matières, dont certaines sont déjà obligatoires,
s'ajoutent au niveau des options, et ces ajouts compromettent le principe de la
formation générale et de l'accessibilité à la
formation artistique. On remplace maintenant les cours de musique par un
"supplément de mathématiques ou une autre matière
obligatoire.
Nous appuyons la position du Conseil pédagogique
interdisciplinaire du Québec qui a déjà proposé au
ministère de l'Éducation une grille-matière qui saurait
respecter les quatre champs du savoir, soit les humanités, les sciences,
les arts et la technologie.
D'ailleurs, selon une enquête menée par l'Association des
agences de placement des collèges et universités du Canada, "les
diplômés en sciences humaines sont plus recherchés que ceux
qui sortent des facultés d'informatique, d'agriculture, de foresterie et
que les titulaires de maîtrises en administration des affaires". En
effet, ces personnes sont plus flexibles, plus polyvalentes, plus aptes
à communiquer avec la clientèle, donc de meilleurs-meilleures
gestionnaires.
Pour élargir le marché de l'art, il est donc
recommandé: que la grille-matière des écoles respecte les
quatre champs du savoir, soit les humanités, les sciences, les arts et
la technologie; que la formation en arts fasse partie du développement
intégral de la personne et que des cours d'initiation aux arts et
à l'histoire de l'art soient inscrits au programme des écoles
primaires et secondaires; que les sorties scolaires des enfants soient
prioritairement consacrées à l'art et à la culture; que
les visites scolaires dans les ateliers d'artistes soient encouragées -
concernant les sorties scolaires, on a vu des professeurs amener des enfants au
McDonald; que les artistes soient invités à rencontrer les
étudiants-étudiantes dans le cadre de conférences et de
journées d'animation; que les professeurs qui ont une formation en arts
obtiennent priorité pour les enseigner.
Ainsi, toute la population aura été sensibilisée
à l'art, aura une image de l'artiste beaucoup plus valorisante et
constituera un marché potentiel informé des pratiques culturelles
actuelles.
Favoriser l'excellence du "produit" artistique. La plupart des artistes
bénéficient aujourd'hui d'une solide formation de base; il est,
en effet, presque normal parmi la nouvelle génération d'avoir
effectué des études universitaires pour se dire artiste
professionnel. Cependant, la formation ne s'arrête pas là. Il est
essentiel en art de parler de formation permanente. L'artiste doit se tenir au
courant des dernières manifestations artistiques nationales et
internationales suceptibles d'alimenter sa réflexion et de modifier ses
perspectives. De plus, la compétition devenant de plus en plus forte,
toutes sortes de connaissances pratiques connexes à la création
deviennent maintenant une nécessité: connaissance du
marché de l'art, du marketing, de la présentation d'un dossier,
d'un "portfolio", lecture de plans d'architecte, traitement de textes,
création par ordinateur. Il y en a beaucoup de cela.
Dans les régions périphériques aux grands centres,
Ie3 deux moyens privilégiés de formation permanente sont sans
doute le programme d'aide à la création du ministère des
Affaires culturelles, axé surtout sur la création et les
échanges d'artistes, et le programme de formation de la commission de
formation professionnelle, axé surtout sur des stages de formation
pratique. Nous croyons qu'il faut assurer la survie et le développement
de ces deux programmes. Dans le cas particulier de la commission de formation
professionnelle, il faut assouplir les règles afin de répondre
plus facilement aux véritables besoins exprimés par les artistes
et élargir les domaines artistiques touchés par la CFP.
Dans le but de favoriser l'excellence du "produit" artistique, il est
recommandé: que le ministère des Affaires culturelles encourage
les échanges nationaux et internationaux entre artistes et entre
ateliers d'artistes; que les stages en ateliers, ou la formation par
apprentissage, fassent partie intégrante des études
universitaires en art; que les institutions d'enseignement supérieur
mettent l'accent sur la compétence artistique des professeurs, tout
autant sinon plus que sur leur compétence pédagogique; que les
artistes majeurs soient consacrés "trésor national" - c'est une
pratique courante au Japon - et que le gouvernement leur assure un revenu
adéquat pour qu'ils forment les plus jeunes; que le ministère des
Affaires culturelles élargisse le programme "Ressources techniques" des
institutions d'enseignement aux ateliers d'artistes reconnus; que les
commissions de formation professionnelle assouplissent davantage leurs
règles et leurs normes afin de répondre plus adéquatement
aux besoins des artistes; que le ministère des Affaires culturelles
crée un centre de documentation pour les artistes sur les techniques,
ressources et produits existants; que les commissions de formation
professionnelle offrent leurs services à toutes les disciplines
artistiques, selon les besoins exprimés; que les ministères
concernés encouragent la reconnaissance de métiers d'art rares ou
raréfiés pour ramener cette expertise au Québec et que,
par ailleurs, ils
encouragent la formation d'artisans-techniciens qui puissent assurer la
production et la réalisation technique des créations des artistes
en arts visuels.
Ouvrir le marché aux artistes québécois, c'est
assurer l'accès de la population à la production culturelle des
artistes d'ici. Tout d'abord, il est important, pour la
crédibilité de l'artiste dans la population en
général, pour encourager les entreprises à investir dans
le domaine des arts et pour que les ministères du Revenu reconnaissent
les artistes comme des professionnels, que des critères de
professionnalisme soient définis et appliqués de façon
uniforme.
Ouvrir le marché, c'est aussi s'assurer de l'existence de lieux,
d'organismes et de fonds pour faire le lien entre les artistes et la
population. C'est un problème particulièrement crucial en
régions: manque de salles professionnelles pour accueillir les
spectacles de tournée, manque de gestionnaires professionnels pour
gérer ces équipements, manque de centres d'exposition aux moyens
suffisants pour présenter des expositions d'envergure, manque de
programmes de promotion et de diffusion, etc.
Par ailleurs, alors que, d'ici à l'an 2000, la croissance de la
population sera de 1,1 % par année, la participation à des
activités artistiques croîtra de 2 % par année pour les
musées et les galeries, de 1,6 % par année pour les
bibliothèques, de 1,6 % par année pour le théâtre
et, malheureusement peut-être pour les sportifs, de seulement 0,8 % pour
la télévision et de 0,8 % pour les pratiques sportives. On peut
donc s'attendre à une très nette augmentation de la
clientèle aux événements artistiques.
Afin d'ouvrir le marché aux artistes québécois, il
est recommandé: qu'un comité national se penche sur la notion de
professionnalisme de l'artiste et qu'un système national
d'accréditation des artistes professionnels soit établi en vue
d'être appliqué de façon uniforme au Québec; que le
ministère des Affaires culturelles favorise l'implantation
d'équipements culturels professionnels de diffusion dans toutes les
régions du Québec; que le ministère des Affaires
culturelles incite les autorités concernées à créer
un programme de formation en gestion des arts; que le ministère des
Affaires culturelles crée un programme d'aide au fonctionnement des
salles de spectacles, basé sur le même principe que celui du
fonctionnement des bibliothèques; que le ministère des Affaires
culturelles crée un programme régionalisé d'aide à
la promotion et à la diffusion des arts; que le ministère des
Affaires culturelles favorise la création de structures de mise en
marché souples et légères et ne craigne pas la
compétition entre elles; que le ministère du Revenu favorise
l'investissement en art par la publicité et l'amélioration des
abris fiscaux aux entreprises et aux particuliers; que le ministère du
Tourisme se dote d'un programme de promotion du tourisme culturel; que le
ministère des Affaires municipales encourage, par des mesures fiscales,
les municipalités à appliquer la politique du 1 % qui s'appelle,
en fait, l'intégration des arts à l'architecture.
Et, au niveau international, il est recommandé que les
délégations du Québec à l'étranger soient
dotées d'attachés culturels dont la tâche sera de
promouvoir l'art et la culture du Québec à l'étranger,
d'assister les artistes du Québec sur le marché international et
d'entretenir des liens suivis avec le milieu de l'art au bénéfice
de nos artistes; que les délégations du Québec à
l'étranger soient dotées de lieux convenables pour
présenter les produits artistiques du Québec et qu'un
réseau soit mis sur pied pour présenter des spectacles, des
expositions et des événements itinérants; que le
ministère des Relations internationales mette sur pied, dans les plus
brefs délais, le comité d'orientation des relations culturelles
internationales qui était prévu pour janvier 1985 et qu'un
représentant de la Conférence des conseils de la culture y
siège en compagnie des représentants de regroupements nationaux
d'artistes; que le ministère des Affaires culturelles accorde une
attention particulière à la question du libre-échange et
accorde son appui à la Conférence des industries culturelles et
des communications.
En conclusion, nous croyons que ces mesures, en revalorisant le statut
de l'artiste, en rendant la population fière de ses artistes, en ouvrant
le marché de l'art au Québec et à l'étranger aux
artistes québécois, permettront à la population d'accorder
une oreille attentive, et même un oeil attentif, aux messages que veulent
livrer les artistes et permettront aux artistes d'arriver à vivre plus
facilement de leur création.
Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la directrice
générale. Comme il ne reste que cinq minutes, je vais suspendre,
si vous n'y voyez pas d'objection, immédiatement. Je vais suspendre les
travaux jusqu'à 20 heures de façon que l'on puisse
préparer la salle pour l'autre réunion.
Alors, mesdames, nous vous reverrons, avec grand plaisir, a 20
heures.
(Suspension de la séance à 17 h 55)
(Reprise à 20 h 7)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission de la culture reprend ses travaux suspendus à
17 h 55. Le
mandat, vous le savez maintenant tous, c'est une consultation
générale sur le statut économique de l'artiste et du
créateur.
Au moment où nous nous sommes quittés, nous nous
apprêtions à poser des questions au Conseil régional de la
culture des Laurent ides, et je cède immédiatement la parole
à Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier
les représentantes du Conseil régional de la culture des
Lau-rentides pour le mémoire qu'elles nous ont présenté et
aussi de l'implication dans le milieu des personnes qui sont avec nous
aujourd'hui.
En étudiant votre mémoire, j'ai constaté que vous
abordez la question du statut de l'artiste dans des dimensions qui ont,
évidemment, attiré mon attention. D'une part, vous nous formulez
des recommandations en vue de favoriser l'excellence du produit artistique, et
c'est évidemment une des conditions nécessaires, sinon
essentielles en vue d'une meilleure qualité de vie culturelle au
Québec.
En abordant cette question sous l'angle de l'excellence, vous rejoignez
une de mes préoccupations - et j'en ai parlé abondamment dans mes
visites, surtout dans les régions. Comme vous le dites dans votre
mémoire, les artistes contribuent de façon importante à
l'économie québécoise et cette marche vise à offrir
au public québécois un produit marqué au coin de
l'excellence, ce qui aura pour effet de créer une dynamique dans ce
qu'il est convenu d'appeler la loi des marchés, ou si on
préfère, cette adéquation entre l'offre et la demande des
produits culturels.
Dans votre mémoire, vous recommandez différentes mesures
en vue d'ouvrir le marché aux artistes québécois. Aux
pages 8 et 9 de votre mémoire, vous faites intervenir différents
ministères, comme le Tourisme, le Revenu, les Affaires municipales et
plusieurs autres ministères à vocation internationale, dans une
perspective d'ouverture et de diffusion de la culture.
J'aimerais vous entendre et entendre votre point de vue sur le
rôle qu'aurait à jouer à ce moment-là, ou qu'aurait
à assumer le ministère des Affaires culturelles, compte tenu de
la vocation que nous avons. En somme, souhaitez-vous que le ministère
des Affaires culturelles entame des discussions avec les autres
ministères qui sont concernés pour ensuite coordonner l'action de
chacun des ministères entre eux? Ou souhaitez-vous, au contraire, que
les artistes fassent appel séparément à chacun des
ministères que vous avez mentionnés dans votre mémoire,
sans que le ministère des Affaires culturelles n'intervienne lors des
démarches, sinon qu'il pourrait peut-être alors jouer un
rôle de conseiller auprès des artistes qui doivent
véritablement affronter des machines administratives, s'ils doivent
aller à chacun des ministères? Pourriez-vous peut-être
préciser là-dessus?
Mme Lupien: À notre point de vue, c'est le
ministère des Affaires culturelles qui doit assurer la concertation
entre les différents ministères concernant la politique
gouvernementale face au développement culturel et au statut de
l'artiste. Ne serait-ce que parce que vous êtes beaucoup mieux
placé que n'importe quel des regroupements d'artistes ou de conseils de
la culture ou d'autres organismes pour connaître les rouages de cette
machine administrative et faire en sorte que les ministres se parlent
déjà, que les hauts fonctionnaires se parlent ensuite, alors que
cela finit toujours par revenir. Si nous on fait des pressions par en bas et
vous par en haut ça ne peut pas finir autrement que par éclater
quelque part. Je pense que c'est la tâche du ministère des
Affaires culturelles de faire en sorte que la politique gouvernementale soit de
favoriser le développement de la culture et des arts au
Québec.
Mme Bacon: En page 6 de votre mémoire vous mentionnez que
dans le cas particulier du programme' de la Commission de formation
professionnelle, il faut assouplir les règles et répondre plus
facilement aux véritables besoins exprimés par les artistes.
Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples de rigidité auxquels
les artistes doivent faire face?
Mme Lupien: Oui, le programme de la Commission de formation
professionnelle est un programme assez souple en général. Au
départ, par exemple, la Commission de formation professionnelle
n'organise des cours que pour des groupes de quinze personnes, dans le cas des
programmes de formation dans les arts, et particulièrement dans les
métiers d'art. Pour le moment, en ce qui nous concerne, la commission
accepte de descendre à des groupes de cinq ou six, parce qu'on ne peut
pas former quinze joailliers dans chacune des régions du Québec,
cela est tout à fait logique. Dans ce sens il y a déjà
beaucoup de souplesse quant au nombre de participants nécessaires pour
ouvrir un cours. Par ailleurs, on aimerait beaucoup que ces cours puissent
faire appel à des ressources régionales, dans le sens qu'il
existe dans toutes les régions du Québec, je pense, des artistes
professionnels qui peuvent donner ces cours eux-mêmes, des experts, donc,
qui ont eux-mêmes des ateliers. Avant d'aller faire nécessairement
appel à des ressources de Montréal ou d'ailleurs, on pourrait
utiliser déjà les ressources en place.
Troisièmement, la Commission de
formation professionnelle, avec laquelle on travaille chez nous dans les
Laurentides présentement, est très ouverte à l'idée
d'organiser des cours de gestion et de marketing pour les artistes et les
artisans. Cependant, il arrive que, par exemple, les Hautes Études
commerciales donnent des cours exprès pour les artistes et les
gestionnaires en art, mais présentement il n'y a pas moyen de
transférer les fonds de façon que les artistes puissent aller aux
HEC suivre ces cours. On aimerait qu'il y ait de la souplesse dans ce
sens-là, qu'on puisse profiter à brève
échéance de tout ce qui existe comme formation, que ce soit
beaucoup plus souple dans ce sens. Ensuite, j'aimerais rappeler qu'au niveau de
la gestion et de la formation des gestionnaires en art, on en parlait un petit
peu tantôt dans le mémoire de la Conférence des conseils de
la culture... Je pense que lorsque vous étiez venue dans les
Laurentides, Mme Bacon, on en avait glissé un mot.
Par exemple, pour former des gestionnaires en art ou en administration
de l'art il faut aller à Banff, et à Banff c'est 3000 $ et c'est
trois semaines, un stage. Alors c'est extrêmement difficile pour les gens
d'ici de bénéficier d'un cours très sérieux, bien
organisé sur les arts. Donc, il faudrait qu'on puisse avoir ça
ici au Québec. D'ailleurs, on n'aurait pas seulement le marché
francophone, mais je suis sûre qu'on pourrait avoir tout le marché
de l'Est des États-Unis.
Mme Bacon: Vous insistez beaucoup sur le contrat
élève-artiste. Est-ce que vous avez tenté des
expériences dans votre région à cet égard?
Mme Lupien: Je m'excuse je n'ai pas compris... le contact?
Mme Bacon: Vous insistez beaucoup sur la relation ou le contact
élève-artiste, la relation élève-artiste. Il y a
des contacts qui s'établissent entre les élèves et les
artistes, est-ce que vous avez tenté des expériences à cet
égard?
Mme Lupien: Oui, il y a une expérience qui a
été tentée. On avait convaincu les représentants du
ministère des Affaires culturelles de la région de
Montréal, le bureau régional de Montréal, de mettre de
côté sur l'enveloppe du ministère allouée à
notre région une somme pour le soutien à l'animation et à
la promotion culturelle. On avait reçu des projets provenant de divers
organismes du milieu, qui proposaient des projets dans ce cadre-là.
Entre autres, il y avait eu un projet provenant des créateurs
associés de Val-David qui, à la suite d'une expérience qui
avait été tentée à Pompidou, permettait aux jeunes
enfants de travailler avec un artiste dix samedis matin. Ce n'était
jamais les mêmes artistes et les enfants ont pu apprendre à
manipuler de la pierre, du verre et même du néon avec André
Fournelle. Donc, pour les enfants c'était toute une découverte,
un nouveau monde que de travailler avec des artistes. Dans ce sens, à ce
moment-là, les artistes ne sont pas quelque chose
d'éloigné, de très officiel ni de très plat. C'est
quelque chose de très concret et Ils apprennent à faire des
échanges. Tout contact qui favorise ce regroupement est un bienfait, non
seulement pour les artistes et pour les enfants, parce que les artistes y
trouvent beaucoup d'intérêt et ont des réactions
immédiates à la façon dont ils font leurs oeuvres, mais,
en plus, cela nous forme aussi un auditoire pour l'avenir.
Mme Bacon: Quand vous mentionniez que des artistes devraient
être consacrés trésor national, est-ce que vous pouvez
faire une évaluation du nombre d'artistes majeurs qui pourraient - et je
reviens à ce que vous indiquez dans votre mémoire - être
consacrés trésor national? Est-ce qu'eux-mêmes seraient
intéressés à être consacrés trésor
national?
Mme Lupien: C'est une "pogne". Je ne sais pas combien d'artistes
pourraient être consacrés trésor national, je ne sais pas
si...
Mme Démidoff-Séguin: II y a déjà des
programmes, au ministère, il y a les bourses du Québec. On a
déjà une façon de...
Mme Bacon: Nous les consacrons déjà.
Mme Démidoff-Séguin: On commence à avoir des
trésors, de petits trésors.
Mme Lupien: D'ailleurs, les prix du Québec sont une forme
de reconnaissance et ils ne sont pas très nombreux.
Mme Démidoff-Séguin: Mais, cela s'arrête
peut-être là. Cela s'arrête au fait qu'ils aient un prix,
tandis qu'au Japon cette expérience et cette reconnaissance servent
puisque cet artiste fera des conférences ou rencontrera d'autres
élèves et c'est important, parce qu'il y a un suivi.
Mme Bacon: Quand vous comparez le Québec au Japon, est-ce
que vous comparez aussi l'aide ou les subventions accordées par
l'État au milieu des artistes ou faites-vous ressortir davantage ce
dossier?
Mme Démidoff-Séguin: Ce qui arrive aussi, c'est que
l'artiste, quand il est consacré trésor national,
c'est-à-dire quand on a reconnu vraiment que son rayonnement est
important, a maintenant le reste de sa
vie, si l'on peut dire, assuré, parce qu'il a une rente
jusqu'à la fin de sa vie. Il ne s'assoit pas sur ses lauriers, il
continue à diffuser son art aux autres, mais il a maintenant l'assurance
de pouvoir vivre aisément jusqu'à la fin de sa vie, ce qui n'est
pas le cas ici. Un artiste peut recevoir un prix du Québec et ensuite ne
plus avoir de contrat, ne pas pouvoir vivre. C'est là la
différence.
Mme Bacon: On sait que votre région est une région
touristique importante. Vous mentionnez dans votre mémoire aussi la
promotion du tourisme culturel dans votre région. Est-ce que vous
pourriez nous dire quelle forme pourrait prendre cette promotion ou quelle
forme pourrait prendre un programme de promotion du tourisme culturel?
Mme Lupien: Cela peut prendre toutes sortes de formes. D'abord,
il nous faut des équipements qui permettent aux touristes de venir dans
la région pour les expositions qui s'y déroulent. Par exemple,
déjà on a les Créateurs associés et l'Atelier de
l'île, de Val-David qui font des stages l'été. Il vient
là des gens de partout au Canada et même de l'Ouest des
États-Unis. Ce sont des choses qui nous sont propres et qui devraient
être développées. Toutes les caractéristiques
spécifiques à chacune des régions sont une forme de
tourisme culturel, le patrimoine, le développement des musées
dynamiques. On pourrait avoir un musée des sciences qui serait un
musée de la culture, mais aussi dynamique que le Musée des
sciences qu'il y a à Toronto, par exemple. Il y a plein de choses comme
cela à développer.
Il y a aussi tous les programmes de promotion du ministère du
Tourisme qui s'adressent à l'étranger et qui, dans notre
région particulière, ne vendent que les chambres d'hôtel et
les pentes de ski. Alors, on fera difficilement venir des gens dans les
Laurentide3 seulement en vantant les pentes de ski, puisque, maintenant, il y
en a partout au Québec, dans l'Est des États-Unis et en Ontario.
On en est vraiment à vendre notre spécificité culturelle
qui est une grande ressource touristique.
D'ailleurs, juste pour vous rappeler -j'ai l'impression de me
répéter puisque je vous avais aussi dit cela lorsque vous
étiez venue - il y a quelques années, le premier
théâtre d'été au Québec était à
Sun Valley, dans les Laurentides. Peut-on parler aussi de la
Butte-à-Mathieu qui est le début de la chanson
québécoise, finalement. Il y a eu toutes sortes
d'événements culturels dans les Laurentides qui en ont fait la
réputation, sauf que cela s'est désintégré un peu
à la longue et cela n'existe plus aujourd'hui. Cela correspond tout
à fait à la grande époque du tourisme dans les
Laurentides.
Mme Bacon: Est-ce que le Conseil régional de la culture
des Laurentides a déjà fait des pressions ou des démarches
auprès du ministère du Tourisme dans ce sens, pour faire
reconnaître le milieu culturel?
Mme Lupien: Pas de façon très directe, que je me
souvienne, mais nous participons, comme organisme, au conseil d'administration
du nouveau comité qui est responsable du plan de développement
touristique des Laurentides. C'est un plan qui est en train de se faire dans
deux ou trois régions du Québec et où le ministère
du Tourisme investit quelque chose comme 185 000 $. On espère qu'avec ce
plan on va pouvoir développer des programmes à long terme qui
vont être bénéfiques.
Mme Bacon: Je peux peut-être revenir avec la question que
je posais cet après-midi aux membres du conseil régional.
L'implication du milieu est importante dans un dossier culturel. Quelles sont
les démarches que le Conseil régional de la culture des
Laurentides a faites ou a entreprises auprès des municipalités,
auprès des chambres de commerce, auprès des Commissions scolaires
pour les intégrer davantage dans ce mouvement de recherche de solutions
quant à l'avenir de la culture dans la région, ou les
possibilités culturelles de la région?
Mme Lupien: Les conseils de la culture ont en moyenne cinq ans
d'existence. Ils ont d'abord travaillé de très près avec
le ministère des Affaires culturelles pour s'assurer qu'il y ait de
l'argent pour nos artistes en régions. Vous êtes notre premier
interlocuteur. Ensuite, on a travaillé beaucoup avec les artistes pour
les convaincre de l'importance de se regrouper dans une instance
régionale et de parler à des instances culturelles, si on peut
dire. Par exemple, les directrices et directeurs des bibliothèques et
des organismes de cet ordre. Cela a été les premiers pas qu'on a
faits. Cependant, dans notre région, on a travaillé beaucoup
à créer des outils. On a un document qui s'appelle "La part de la
culture" et qui a recensé les dépenses municipales en culture en
comparaison avec le budget municipal et le budget de loisirs. Il permettait aux
95 municipalités de la région des Laurentides de vérifier,
par rapport à leur budget municipal ou la population qu'elles avaient,
comment elles se comparaient avec d'autres municipalités. D'ailleurs,
Mme la ministre, je peux déjà vous dire que les
municipalités des Laurentides dépensent 1,9 % de leur budget pour
la culture alors que le ministère, si j'ai bien compris, dépense
0,7 % du budget du gouvernement pour la culture. Donc, les municipalités
sont plus avancées, quoique loin
derrière le sport qui va chercher 5,4 % des budgets municipaux.
On a fait un document de cet ordre-là. L'année dernière,
on a publié un document qui s'appelle "Les municipalités
régionales de comté et la culture" pour s'assurer que dans les
schémas d'aménagement des MRC il y aurait la partie de la
culture. Cela a été suivi d'une rencontre dans chacune des neuf
MRC de la région. On a un petit budget de 1Q4 000 $ par année,
mais on va avoir un animateur à mi-temps qui va travailler auprès
des municipalités pour qu'elles aient un appui quand elles ont
l'intention d'investir dans la culture.
Mme Bacon: Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: J'ai beaucoup de plaisir à accueillir moi
aussi les gens du Conseil régional de la culture des Laurentides. Votre
mémoire apporte des dimensions qui m'apparaissent extrêmement
intéressantes. La toute première en tout cas que j'ai
notée est que l'attrait à la culture se fait, mais à
condition qu'on ait créé au préalable un environnement
proprice. À ce sujet, les remarques que vous faites quant à
l'implication au niveau scolaire, par exemple, que les sorties scolaires des
enfants soient prioritairement consacrées à l'art et à la
culture - on en a discuté un peu en aparté lorsqu'on a suspendu
tantôt - sont des choses effectivement qui coûtent peu mais qui,
à la longue, sont extrêmement rentables, puisque ce sont des
consommateurs d'art potentiels, les enfants qui fréquentent nos
maternelles, nos écoles primaires et nos écoles secondaires.
Vous apportez aussi une autre dimension intéressante qui est
l'implication du ministère du Tourisme. C'est bien entendu que le
ministère du Tourisme ne supplantera jamais dans le domaine de la
culture le ministère de la Culture, sauf que vous rejoignez une
étude qui a été faite assez récemment par des
spécialistes américains et qui prouvait hors de tout doute que
les touristes américains qui viennent ici nous visiter, comme le disait
un ministre du gouvernement précédent, ne viennent pas voir nos
belles rivières canadiennes françaises et catholiques, mais
viennent plutôt voir nos villes, c'est-à-dire ce qu'offrent nos
villes et ce que peuvent offrir nos villages. Donc, il y a une dimension
culturelle de plus en plus prononcée dans le domaine du tourisme. Vous
souhaitez une implication. J'aimerais seulement vous rappeler qu'il y a
déjà eu des implications du ministère du Tourisme dans la
promotion d'événements culturels qui, certes, n'étaient
peut-être pas en régions, mais c'était une première
tentative d'implication du ministère et cela s'est fait de façon
assez récente. Cela a été fait notamment pour le Festival
des films du monde. Cela a été fait pour le Festival
international du jazz - que vous connaissez sans doute très bien - et
pour un événement en arts plastiques qui a fait
l'étonnement de tous, l'été dernier, qui a
été les Cent jours d'art contemporain.
Donc, le ministère du Tourisme s'implique, puisque le tourisme au
Québec, comme partout ailleurs, est de plus en plus culturel. Je pense
que c'est là donner une dimension intéressante.
Maintenant, quant aux autres recommandations que vous faites, j'aurais
certaines questions précises à vous poser. Vous avez parlé
du dialogue que vous avez actuellement avec les municipalités. Les
municipalités sont des administrations par délégation.
Historiquement, il faut le voir, on a demandé aux municipalités,
depuis des années, de se préoccuper des problèmes de
trottoirs, de voirie, d'aqueduc et tout récemment de loisir, surtout en
termes de sport. C'est très récent nos demandes aux
municipalités dans le domaine culturel. Certaines s'y prêtent de
bonne grâce. Je ne sais pas si cela est relié à qui occupe
les fauteuils à ces endroits ou aux ressources financières. Dans
le dialogue que les conseils régionaux de la culture sont en train
d'amorcer - et particulièrement le vôtre -avec les
municipalités, quel est le rôle que vous donnez au
ministère des Affaires culturelles? Tantôt, lors d'une question
qui était posée à votre conseil national, on avait une
espèce de vision un peu ferroviaire des affaires culturelles. On se
disait: Est-ce que c'est un chef de gare, est-ce que c'est une locomotive? Et
très spontanément, on a répondu qu'on attendait du
ministère des Affaires culturelles qu'il soit une locomotive dans le
domaine de l'art. J'aimerais que vous puissiez me situer les interventions, le
niveau d'interventions que vous souhaiteriez du ministère des Affaires
culturelles dans le dialogue que vous avez avec les municipalités.
Mme Lupien: J'ai deux ou trois choses à dire
là-dessus. Un autre dossier que j'ai oublié de mentionner,
tantôt, concernant notre implication avec les municipalités, c'est
que depuis quatre ans nous avons créé des comités
culturels dans les municipalités des Laurentides. Cela n'était
pas une idée de nous. D'ailleurs, cela se faisait déjà
dans l'Est du Québec. Là-bas, ils les appellent les
comités de développement culturel, les CODEC. Donc, chez nous, ce
sont des comités culturels. Dans le fond, ce qu'on a essayé de
faire, ce sont de petites entités qui ressemblent à
l'entité du conseil de la culture, mais qui sont aussi un lobby culturel
municipal. On a trouvé que si les gens du
sport étaient si habiles à se faire un lobby auprès
des conseils municipaux, la culture pouvait prendre le sport en exemple dans
ses aspects les plus positifs et peut-être prendre cette place et
insister auprès des conseils municipaux pour qu'ils donnent une
importance particulière à la culture.
La deuxième chose est qu'on a aussi présenté un
mémoire à la commission des municipalités, à la
commission Parizeau, et, entre autres choses, ce qu'on a dit c'est qu'on se
retrouve souvent avec un conseil municipal qui nous dit: Vous voulez faire des
spectacles? grand bien vous fasse! installez-vous dans le sous-sol de
l'hôtel de ville ou dans le sous-sol de l'église. Le
ministère des Affaires culturelles a une politique pour les salles de
spectacles qui est de grande qualité. Cela veut dire que dans une ville
de 5000 habitants qui voudrait se construire une salle de spectacle, c'est
autour de 1 700 000 $, si on respecte les normes du ministère.
Alors, entre le sous-sol d'église et 1 700 000 $ pour 5000
habitants, il devrait y avoir moyen, quelque part, de s'entendre de
façon que les municipalités ne rejettent pas d'emblée tout
investissement culturel, parce que c'est trop onéreux, et de
façon aussi que les gens puissent en faire un espace qui leur
appartienne bien. Dans ce sens-là, je pense que l'Union des
municipalités, lors de son dernier congrès -ou était-ce
l'Union des MRC, je ne sais plus laquelle - parlait beaucoup du faire faire.
Donc, de confier à des entreprises ou à d'autres organismes le
soin de faire pour elle. (20 h 30)
Je considère que le ministère des Affaires culturelles
pourrait travailler de très près avec les conseils de la culture
pour faire une espèce de lobby auprès des municipalités,
dans le sens que le ministère devrait utiliser ce "faire faire", avec
cette expertise que l'on a en régions, mais assouplir ses normes et
être capable de voir la capacité des municipalités de faire
du développement. Elles sont très loin de parler de
développement, à part les municipalités qui ont autour de
100 000 habitants. En bas de cela, c'est extrêmement difficile. Je vous
parlais tantôt de la part de la culture; cela passe dans une
municipalité qui a en bas de 30 000 habitants, c'est quelque chose comme
5 $ per capita. Dès que la municipalité a autour de 30 000
habitants, cela monte d'emblée à 25 $ per capita. Donc, il y a
une très grande difficulté dans la majorité des
municipalités du Québec à faire face à des
dépenses importantes de capitalisation au niveau du développement
culturel.
M. Boulerice: En page 8, vous parlez d'ouverture des
marchés... Oui, je m'excuse, un complément?
Mme Démidoff-Séguin: J'aimerais ajouter quelque
chose aussi. C'est que les municipalités reçoivent des
subventions gouvernementales et on sait que la majorité des
municipalités n'est pas tellement sensibilisée à la
culture. C'est beaucoup plus facile pour elles de réaliser des
investissements dans le sport, parce qu'elles ont déjà des
exemples. Elles ont moins d'exemples en culture. Ce serait intéressant
aussi que le ministère des Affaires culturelles puisse avoir un
rôle auprès du gouvernement pour que ces subventions soient
données de façon conditionnelle, c'est-à-dire qu'il y ait
un certain pourcentage qui aille automatiquement à la culture, que cela
soit séparé. Quand elles reçoivent une subvention globale,
elles vont avoir tendance à la mettre du côté du sport,
parce que c'est une habitude. Alors, nous, on fait des pressions de notre
côté, on rencontre les MRC, on fait toutes ces pressions, mais ce
serait intéressant aussi que, du côté gouvernemental, il y
ait une volonté très nette. On n'a pas de modèles, mais
vous pouvez les trouver vous-mêmes pour les inciter à investir
dans la culture.
M. Boulerice: En page 8, vous parlez d'ouvrir le marché
aux artistes québécois. Vous dites: "Ouvrir le marché,
c'est aussi s'assurer de l'existence de lieux, d'organismes et de fonds pour
faire le lien entre les artistes et la population. (...) C'est un
problème particulièrement crucial en régions: manque de
salles professionnelles pour accueillir les spectacles de tournée,
manque de gestionnaires." Vous avez fait allusion aux sous-sols
d'églises qui ont servi à toutes les sauces, c'est bien entendu.
Pouvez-vous nous décrire la situation en régions, en ce qui a
trait aux salies professionnelles, notamment la vôtre?
Mme Lupien: Horrible. Je vais vous donner l'exemple de la
capitale régionale des Laurentides, qui est Saint-Jérôme,
où il y a une salle dans une polyvalente, de 900 places, qui peut donc
accueillir des spectacles assez importants. Cependant, cela a été
prévu comme un auditorium et il n'y a pas de possibilité de
rentrer les décors sur la scène. 11 faudrait donc créer un
débarcadère ou, comme disent les gens de l'île aux Coudres,
un "débarque à terre" et permettre une plus grande
qualité.
Maintenant, l'autre problème, c'est qu'il n'y a pas de foyer
devant la salle qui permettrait aux gens de se retirer à l'entracte.
Ensuite, ce qui se passe, c'est que, tant que cela demeure une gestion faite
par la commission scolaire, par la polyvalente, la priorité va aller
à l'éducation. À ce moment-là, c'est sûr
qu'on va prêter la salle à des organismes comme... Je ne me
souviens plus du nom de la firme qui fait cela dans les Laurentides, mais elle
fait
venir, par exemple, Jean Lapointe parce que Jean Lapointe va remplir 900
places.
Mais, quand une municipalité prend une gestion de salle, elle
réinvestit dedans. Elle fait venir Jean Lapointe et, avec les profits,
elle fait venir une troupe de danse qui est moins connue ou des choses qui sont
moins accessibles comme du théâtre un peu plus audacieux, un peu
plus novateur, ce qui permet aux gens d'avoir accès à ces
choses-là. Mais la commission scolaire n'a pas un mandat de
développement culturel; donc, elle loue la salle, cela lui coupe ses
frais. D'ailleurs, les fauteuils sont souvent un peu brisés par les
jeunes qui les utilisent à longueur de journée; donc, cela ne
fera jamais une vraie salle de spectacles. Tant que l'on n'aura pas une gestion
sérieuse par un organisme municipal, on n'aura que des spectacles de
Jean Lapointe et de Ginette Reno, qui vont toujours attirer des foules, mais
jamais de réinvestissements pour avoir accès à d'autres
formes de spectacles que ceux-là. Est-ce que je réponds à
la question?
M. Boulerice: Donc, vous êtes en train de nous dire que le
théâtre, en tout cas dans la région des Laurentides, ne
s'exerce que dans les fameux théâtres d'été qui sont
nos vieilles granges recyclées. S'il fait beau en juin, tant mieux!
Mme Lupien: Et qui ferment, comme le Théâtre de Sun
Valley, pour insalubrité ou parce qu'ils ne répondent plus aux
normes. D'ailleurs, cela veut dire que la population des Laurentides, qui,
elle, est au service du tourisme l'été, qui a peu de temps pour
avoir accès à ces pièces de théâtre, se
retrouve à l'automne disponible, mais n'ayant plus rien à voir
parce que les théâtres sont repartis. C'est un des
problèmes des régions en général, j'ai
l'impression.
Le Président (M. Trudel): Est-ce que je peux intervenir en
disant, Mme la députée de Chicoutimi, qu'au cours de notre
réunion de travail la semaine dernière nous avions convenu que
Mme la ministre poserait les premières questions, le
député de Saint-Jacques les questions suivantes et que, si j'en
avais, je les poserais et que, par la suite, on aurait des échanges
parmi les membres de la commission* Cela vous va bien?
Mme Blackburn: Je ne vais pas bouleverser votre entente, cela me
convient.
Le Président (M. Trudel): Merci. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: J'aimerais que vous m'explicitiez une chose. Je
m'excuse, mais je n'ai pas compris le trésor national.
Mme Démidoff-Séguin: Eh bien, c'est simplement un
des aspects du statut de l'artiste, c'est-à-dire que, quand un artiste a
une carrière, qu'il a créé des oeuvres majeures, qu'il est
reconnu par son pays comme un artiste qui a créé des oeuvres
valables, il reçoit des récompenses ou des signes qui le lui
prouvent. Mettons ici au Québec, l'artiste qui va recevoir la plus haute
récompense qui existe va recevoir le Prix du Québec. Il y en a
cinq qui sont distribués chaque année. Mais quand l'artiste a
reçu son prix et qu'il a reçu sa récompense, quand le pays
lui dit: On reconnaît ce que vous avez fait, c'est fini,
C'est-à-dire que l'artiste, même quand il est reconnu comme
professionnel, comme artiste important, continue à avoir tous les
problèmes qu'ont tous les artistes de toute façon. J'avais
donné un exemple. Un de nos Prix du Québec l'année
dernière, c'est Charles Daudelin, qui est l'un des plus grands
sculpteurs du Québec à l'heure actuelle. Cela fait
peut-être deux ans qu'il vit de son art. 11 n'est pas certain de pouvoir
vivre de son art l'année prochaine, ni dans cinq ans, parce qu'il peut
passer des grandes périodes sans avoir aucun contrat. Donc, tous les
artistes sont à la merci de cela, et tout au long de leur
carrière. On donnait un peu cet exemple parce qu'au Japon, quand
l'artiste est reconnu, quand il a déjà atteint un stade où
on dit que c'est quelqu'un d'important au point de vue de la création,
de ce qu'il a eu à dire, l'État va le lui prouver, d'abord en lui
permettant de vivre décemment tout au long de sa vie et aussi, parce que
c'est dans les structures mêmes, on va lui permettre de communiquer son
art, de stimuler d'autres plus jeunes en parlant d'art, en leur enseignant ce
qu'il sait. C'est quelque chose d'important et cela crée une notion
aussi qu'à un moment donné l'artiste, arrivé à un
certain stade, est reconnu comme dans n'importe quelle profession. Mais les
artistes sont toujours remis un petit peu en question; alors, c'est un petit
peu cela qu'on a voulu montrer.
M. Boulerice: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Compte tenu de l'heure qui
avance et du fait qu'il y a trois groupes qu'on doit encore entendre ce soir,
dont deux qui nous viennent de Montréal, je suis tout à fait
prêt à laisser la parole à la députée de
Chicoutimi si elle avait des questions à poser.
Mme Blackburn: Je n'ai plus de questions, je ne prolongerai pas
indûment les débats. Je trouve que votre mémoire. est
particulièrement intéressant. Il nous apporte des
éléments de solutions pertinents et réalisables. Ce n'est
pas complètement décroché, cela ne veut pas solutionner
tout
en même temps. Je trouve que votre document est intéressant
et, je le répète, facilement applicable.
Je me permettrai, cependant, un petit commentaire; ensuite, deux
brèves questions. En page 4 de votre mémoire, vous faites
état d'un sondage qui avait été réalisé par
la Presse sur les connaissances des jeunes Québécois en
comparaison avec quelques pays d'Europe. Il faut dire que nos jeunes
étaient au dernier rang. C'est effectivement vrai pour les
mathématiques et le français. Mais, ils étaient au premier
rang pour la créativité et l'imagination. On se demande parfois
dans ces milieux: Qu'est-ce qui sera le plus utile demain matin, dans dix ou
vingt ans: avoir beaucoup d'imagination et beaucoup d'esprit de
créativité ou savoir écrire correctement son
français? Je pense que la question se pose.
Quant aux recommandations que vous faites touchant ce que pourrait
être le profil de formation des jeunes, je partage tout à fait
votre avis là-dessus. Effectivement, il ne faudrait pas tomber dans le
piège de la technique et de la science comme étant la
panacée à tous les maux, y compris le chômage au
Québec.
Ma question touche les programmes. À la page 6, vous parlez de
perfectionnement et vous parlez en particulier de la Commission de formation
professionnelle. Est-ce que, de façon générale, lorsque
vous parlez de la Commission de formation professionnelle, c'est pour des cours
qui sont généralement reconnus? Vous parlez de traitement de
texte, de marketing ou d'administration, pensez-vous que la Commission de
formation professionnelle devrait aussi pouvoir offrir des cours sur mesure
pour répondre à des besoins particuliers, par exemple,
maîtriser une nouvelle technique, faire venir des spécialistes
pour des sessions intensives de travail?
Mme Lupien: Comme vous dites, c'est très juste que les
Québécois avaient une avance concernant la
créativité, mais la créativité alliée aux
connaissances fait quelque chose qui éclate et cela fait l'état
de nos artistes aujourd'hui. Si on veut que cela continue, il faut s'assurer
qu'on puisse remonter le niveau de connaissances au niveau de la
créativité, je crois.
Mme Blackburn: II ne faut pas vous en faire, je suis toujours en
train de défendre les jeunes.
Mme Lupien: Concernant la Commission de formation
professionnelle, il faut quand même vous dire une chose. Le genre
d'intervention qu'ils font est assez limité, dans le sens que ce sont
des cours, en général, faits sur mesure, mais ce sont des cours
de 45 heures. Alors, on ne va pas là se chercher un bac en
administration ou quoi que ce soit. C'est tout à fait ponctuel, tel que
demandé par les artistes. C'est l'intérêt de ce centre de
formation, d'ailleurs.
Mme Blackburn: Pour ce qui est de l'autre programme, le programme
d'aide à la création du ministère des Affaires
culturelles, est-ce que, dans les autres ministères comme le
ministère de l'Industrie et du Commerce, il y a des programmes que vous
pouvez utiliser ou que les artistes ou les créateurs peuvent utiliser,
par exemple, dans le cadre du soutien à la création d'emplois ou
est-ce particulièrement ou exclusivement par le biais des programmes
d'aide à la création du ministère des Affaires
culturelles? En fait, ma question est la suivante: Est-ce vraiment reconnu
comme étant une industrie culturelle? Est-ce que les artistes ou les
artisans qui veulent fonder une entreprise, une école ou un service
quelconque sont traités de la même façon que quelqu'un qui
voudrait ouvrir une fabrique de chaises? Est-ce qu'on a tendance à
recevoir de la même façon ces demandes ou est-ce encore quelque
chose qui n'est pas vraiment considéré comme étant du
développement économique?
Mme Lupien: À partir du moment où l'artiste a
prouvé que cela peut être une industrie culturelle, mais une
industrie tout de même, oui, la demande va être
étudiée de la même façon, mais au départ,
effectivement, on n'y pense pas. On dit: Si ce sont des artistes, ils peuvent
créer, mais on oublie à quel point c'est vraiment une industrie.
C'est, d'ailleurs, pour cela que, présentement, on a fait une demande au
ministère des Affaires culturelles pour faire évaluer l'impact
économique de la culture dans notre région. Cela nous permettra
de faire face aux directeurs de caisses populaires et de banques et aux
fonctionnaires des autres ministères qui investissent, comme au
ministère de l'Industrie et du Commerce ou à l'Office de
planification et de développement du Québec ou même
à d'autres niveaux, de façon que cela soit plus pris au
sérieux qu'on ne le fait présentement.
Mme Blackburn; D'accord. Â la page 7 de votre
mémoire, vous demandez à la toute fin, au dernier paragraphe, que
les ministères concernés encouragent la renaissance des
métiers d'art rares ou raréfiés. À quoi pensez-vous
en particulier? (20 h 45)
Mme Lupien: Peut-être que Mme Démidoff-Séguin
pourra compléter. Jean-Paul Riopelle habite la région des
Laurentides, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Il se plaint toujours de
ne pas trouver ici des techniciens
artisans, des graveurs. Ici, on a beaucoup développé la
créativité: On a des graveurs, mais qui ne gravent que leurs
propres oeuvres. On n'a pas de graveurs artisans qui pourraient aller
travailler avec Riopelle chez lui et reproduire ses oeuvres. Lui ne
considère pas qu'il est un expert en gravure. Il préfère
faire affaires avec un graveur ou une graveuse professionnelle. Mme
Séguin pourra vous parler des problèmes pour la fonderie, etc. Il
y a certains métiers comme ça qui sont complètement
disparus au Québec et qui font que, quand Riopelle veut travailler, il
retourne en France parce que là il trouve les services qu'il ne trouve
pas ici.
Mme Démidoff-Séguin: Ce sont soit des
métiers qui ont disparu, soit des métiers qui n'ont jamais
été acquis complètement. Il faudrait qu'on ait des
écoles ou des formateurs qui puissent enseigner les métiers
traditionnels et vraiment une technique à fond. Il est évident
que Ies créateurs vont s'en servir pour leurs propres créations,
mais il y a aussi beaucoup de personnes qui vont apprendre ces métiers
et qui vont les mettre au service des artistes pour créer certaines
oeuvres ou certaines parties d'oeuvres. On a un problème pour les
fonderies au Québec parce que nous n'avons pas de fonderies qui
répondent à des critères d'excellence, ici, au
Québec. On fait venir quelqu'un de Toronto qui prend les commandes et
qui rapporte les oeuvres, mais tous les artistes voudraient avoir accès
à une fonderie, mais une fonderie qui ferait un prix définitif et
dont le produit fini serait parfait, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cela
est un exemple mais c'est un exemple qu'on peut retrouver dans tous les corps
de métier. On a vraiment besoin d'avoir cette excellence dans les corps
de métier.
Mme Blackburn: À la page 8, vous avez une recommandation
qui touche la notion de professionnalisme de l'artiste. Vous demandez qu'un
comité national se penche sur la notion de professionnalisme de
l'artiste et qu'un système national d'accréditation des artistes
professionnels soit établi en vue de l'appliquer d'une façon
uniforme au Québec. Il me semble que ce soit un problème de
taille?
Mme Démidoff-Séguin: C'est un problème
énorme parce que définir le professionnalisme n'est pas facile.
Actuellement, il y a des critères internationaux qui sont assez vagues.
C'est d'autant plus crucial que cela se présente plus souvent dans les
arts visuels mais cela existe dans toutes les disciplines. Qui est un artiste
professionnel et qui ne l'est pas? On s'en aperçoit le plus quand on a
affaire à la fiscalité parce que le ministère du Revenu
veut absolument savoir qui est un artiste professionnel pour pouvoir appliquer
ou créer des lois qui soient applicables pour ces artistes-là,
sinon demain on aura 6 000 000 d'artistes au Québec. Pour pouvoir
définir ces critères de professionnalisme, il y a
énormément d'organismes qui se penchent sur la question. Cela va
être long et quand on demapde que les gouvernements s'impliquent c'est
parce qu'il va falloir vraiment travailler la-dessus, mais on n'a pas toujours,
quand on est des artistes ou des regroupements d'artistes, les moyens
financiers non plus pour travailler. C'est une grande partie de
bénévolat et c'est très difficile et c'est très
long aussi.
Mme Lupien: II va falloir y arriver de toute façon parce
qu'il y a des programmes par lesquels, par exemple, comme l'intégration
des arts à l'architecture, on s'assurerait davantage une grande
qualité d'oeuvres si seuls les artistes professionnels étaient
admissibles à ce programme-là. Aussi, au niveau de la
fiscalité, j'aimerais ajouter un exemple que M. Michel
Brûlé donnait récemment en disant: "Un professeur, qui, la
fin de semaine, fait des toiles ou des sculptures chez lui, est-ce que c'est un
artiste professionnel ou est-ce qu'on parle d'un artiste qui enseigne à
l'occasion à l'université ou cégep? Quelle est la
différence entre les deux et comment établir cela pour qu'un
artiste soit reconnu comme professionnel?". Ce n'est pas facile du tout, mais,
si on ne s'attaquait qu'aux choses faciles, on éviterait l'essentiel,
j'ai l'impression.
Mme Blackburn: Une petite question. Je n'ai pas vu dans votre
mémoire - je l'ai lu très rapidement, cependant... Vous parlez
beaucoup du manque de salles de spectacles adéquates. Je n'ai pas vu
d'endroit où vous parliez de lieux qui seraient mis à la
disposition des artistes, des artisans, pour leur permettre de s'exercer ou de
se produire dans des petites salles parallèles ou moins grandes, moins
vastes que ces grands amphithéâtres de polyvalentes ou de
collèges?
Mme Lupien: Quand on parle de lieux, on n'a pas à
identifier la grandeur des salles. Cela se fait par rapport à la
population à desservir dans une municipalité. Il existe des
expériences qui ont été tentées comme à Amos
où on a une salle de spectacles qui se transforme: tous les
sièges montent au plafond et cela devient une salle d'exposition. Cela
peut servir pour des expositions industrielles, donc, on peut rendre des lieux
plus polyvalents tout en les gardant très professionnels. Ces salles ont
souvent des murs qui peuvent permettre de faire qu'une salle soit plus petite
et que deux activités aient lieu simultanément. Ces
choses-là peuvent se faire, mais cela prend
déjà une politique où l'on dit que la population a
droit à des spectacles et a droit à avoir accès à
ce qui se fait à Montréal ou à Québec. À
partir de ce moment-là, on règle les problèmes, je pense.
D'ailleurs, les salles qui sont polyvalentes et qui peuvent permettre des
expositions industrielles sont beaucoup plus intéressantes pour une
municipalité. La municipalité écoute davantage cette
façon de voir.
Mme Démidoff-Séguin: Aussi, cela revient plus cher
et on n'a pas forcément les moyens de le faire. Il faudrait
peut-être envisager, aussi, dans certains lieux, des salles plus petites.
Actuellement, le ministère des Affaires culturelles a des normes et
c'est très bien. Ce sont des normes d'excellence. On est tout à
fait d'accord avec des normes d'excellence. Cela demande beaucoup d'argent. On
vient d'avoir un sommet, chez nous, et on s'est aperçu en "priorisant"
un réseau de salles... D'abord, on en a "priorisé" peu pour
pouvoir répondre à des coûts qui seraient
réalistes... Cela va se faire, mais doucement. Il y a d'autres lieux qui
ne sont pas entrés dans ce circuit, parce qu'on savait bien qu'on ne
pouvait pas en demander pour toutes les régions. Il faudrait voir,
peut-être, aussi, à aménager des lieux déjà
existants à moindre coût pour permettre ce que vous dites,
c'est-à-dire des répétitions, des petites
représentations, pour pouvoir après aller dans d'autres lieux qui
répondent vraiment aux normes du ministère. Tout cela c'est une
question d'argent.
Mme Pelchat: Mais, en établissant un système
national d'accréditation, est-ce que vous n'avez pas peur de
créer des classes à part, ce qu'on peut appeler des salons de
refusés?
Mme Démidoff-Séguin: Pour les artistes?
Mme Pelchat: C'est-à-dire de faire une classe
privilégiée...
Mme Démidoff-Séguin: C'est toujours difficile, mais
de toute façon il faut en arriver quand même à
définir certaines choses. Par exemple, un artiste ou une artiste peut
répondre à certains critères: avoir fait des expositions
importantes, avoir été sélectionné par des jurys
très importants, recevoir des prix. Toutes ces choses-là. Cela,
il faut que ce soit quantifié et qu'on puisse le voir. Et ce n'est pas
pour créer des ghettos, pour dire qu'il y en a une partie qui ne sont
pas bons, mais cela va permettre, d'abord,, d'aller chercher au niveau de la
fiscalité, au niveau des ministères qui demandent non pas des
choses floues, mais très très précises,
déjà...
Mme Pelchat: La définition fiscale de l'artiste et une
définition disant ce qu'entend la société par le mot
"artiste", cela est très différent. Quand peut-on inclure
l'artiste dans une espèce d'académie...
Mme Démidoff-Séguin: Il faut que cela reste
très libre, mais il faut quand même que l'on puisse le
définir. On ne peut pas, non plus, dire simplement, parce que n'importe
quelle personne va faire un petit gribouillage le dimanche; Voilà, cette
personne a le droit de s'exprimer, c'est évident, elle est peintre. Cela
ne se fait pas de cette façon. Ce n'est quand même pas aussi
simple. Il faut quand même répondre à des critères,
comme dans tous les domaines. On ne devient pas chirurgien, non plus,
simplement parce qu'on a de beaux talents. Personne n'irait se faire
opérer par quelqu'un qui a le goût de faire ces choses-là.
On irait quand même chercher quelqu'un qui a fait ses preuves. Je pense
que c'est à ce niveau-là de demander aux gens de faire leurs
preuves pour accéder à certains paliers. Ce qui n'empêche
pas du tout tous les autres d'accéder à ces paliers. Il faut
laisser la liberté de création. Parce que cela non plus ce n'est
pas mis en cause.
Mme Pelchat: D'accord.
Mme Lupien: Vous savez, on a pas idée de l'état de
la culture dans les régions du Québec. Voici un exemple qui m'est
cher parce qu'il exprime exactement ce qui se passe. II y a un professeur de
danse dans les Laurentides qui faisait partie du conseil d'administration, il y
a quelques années. Elle donnait, à la fin de l'année, avec
ses enfants, un spectacle dans les écoles pour initier les enfants
à la danse. Les enfants regardaient cela. Ils regardaient les enfants
danser et à la fin ils disaient: Quand vont-ils parler? Ils ne
connaissaient même pas, j'imagine, l'existence de la danse comme art,
comme expression artistique. Cela c'était à 50 milles de
Montréal. Je ne sais pas si cela peut être pire un peu plus loin..
Mais, il y a énormément de travail à faire. Les organismes
nationaux nous appellent le tiers monde de la culture, au Québec. C'est
vrai.
Le Président (M. Trudel): En soulignant que j'ai beaucoup
aimé ce que vous avez écrit et ce que vous avez dit depuis une
heure devant nous sur le rôle de l'école, notamment sur le
tourisme culturel, j'aurais beaucoup aimé avoir un échange,
justement, sur le libre-échange avec vous. Malheureusement, il est 20 h
55. Nous avons trois autres groupes à entendre. Alors, Mmes
Démidoff-Séguin et Lupien, je vous remercie, au nom de la
commission, de vous être présentées devant nous aujourd'hui
pour éclairer notre lanterne. Merci beaucoup.
Mme Lupien: Merci à vous de nous avoir si bien
écoutées. Je rappellerai juste que c'est à l'estime que
porte un peuple à ses artistes que l'on peut juger du degré de sa
maturité. Je nous souhaite la maturité à très court
terme.
Le Président (M. Trudel): Merci beaucoup. À
l'intention à la fois des membres de la commission et des prochains
intervenants, il est presque 21 heures et je pense que nous allons devoir
dépasser 22 heures, mais de peu. Je demanderais, si c'était
possible, aux trois prochains intervenants, étant donné que les
mémoires ont été reçus dans ces trois
cas-là, il y a déjà quelques jours - dans certains cas, il
y a déjà plusieurs jours - qu'ils ont été lus,
qu'ils ont été résumés tant par le personnel de la
commission que par le personnel attaché à Mme la ministre, et, je
pense, aussi attaché à M. le député de
Saint-Jacques, si c'était possible aux intervenants d'en faire
simplement un résumé plutôt qu'une lecture. Il y a surtout
certains mémoires qui sont plus longs que d'autres. Alors, sans vouloir
imposer cette façon de travailler, de façon à donner la
chance à tous, j'inviterais les prochains intervenants, qui sont les
représentants de la Faculté des arts de l'Université
Laval, d'essayer, dans la mesure du possible, de résumer leur
mémoire, résumé d'ailleurs dont ils ont fait parvenir une
copie à la commission, il y a déjà quelques jours.
Faculté des arts de l'Université
Laval
Mme Paré-Tousignant (Élise): M. le
Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs, je suis Élise
Paré-Tousignant, doyenne de la Faculté des arts de
l'Université Laval. Ce soir, m'accompagnent, pour la présentation
du mémoire, mon collègue François Demers, vice-doyen du
département d'information et de communication, et Claude Simard, de
l'École des arts visuels, qui est secrétaire de la
faculté. Je viens, moi, de l'école de musique dont vous
retrouvez, au niveau de la représentation, les trois unités de la
faculté.
À la suite de votre demande, je voudrais insister sur le fait que
la Faculté des arts de l'Université Laval a jugé essentiel
d'apporter sa contribution, même si elle est modeste, à votre
commission parce que nous sommes trè3 préoccupés des
débouchés pour nos étudiants et aussi de l'importance de
relever le défi de l'intégration des nouvelles technologies
à nos enseignements. Nous sommes aussi, par contre, très inquiets
de la situation de l'enseignement des arts dans le système scolaire du
Québec, en particulier au niveau primaire et au niveau secondaire.
M. Demers (François): Je pense que cela résume
assez bien ce pourquoi nous nous sommes présentés ce soir. Si on
devait aller plus dans le détail, j'ajouterais - vous voyez, je
procède rapidement - deux considérations. Il y a d'abord, dans ce
mémoire, une approche que l'on pourrait qualifier de philosophique. Nous
avons essayé de prendre le vent et de considérer que, dans les
circonstances, s'il était question - et je pense qu'il en est fortement
question -d'inciter les artistes à aller davantage du côté
du libre marché de l'art, du côté de l'entrepreneurship, du
côté de l'artiste en tant qu'acteur économique,
l'État se devait quand même de favoriser, par un certain nombre de
mesures indirectes, le développement de ce marché de l'art, si
bien que vous pouvez lire les considérations générales sur
une correspondance entre la capacité pour des entrepreneurs ou des
artistes, sur une base individuelle, de vendre des produits, de
développer des marchés, et une atmosphère, une culture
qui, par toutes sortes d'instruments, serait stimulée du
côté de la consommation de biens culturels et de services
culturels entendue au sens très large. Nous estimons que les efforts, de
ce côté, n'ont pas été suffisants, peut-être
parce que pendant les 20 dernières années l'intervention directe
de l'État a été plus considérable, les efforts
n'ont pas été suffisants, si bien que c'est de ce
côté qu'il faudrait mettre la priorité. (21 heures)
Par ailleurs, et là, je vous réfère directement
à nos recommandations, notre principale contribution - et c'est pour
cela qu'on parlait de modestie tout à l'heure - à l'animation du
milieu, au moins dans la région 03, sur la base de quelques
expériences que nous avons menées, c'est de proposer des
microactions dont le contenu reste, en grande partie, à discuter et qui,
bien sûr, nécessiteraient une intervention financière du
ministère des Affaires culturelles, du gouvernement, si jamais on devait
aller du côté de ces microactions. Vous avez constaté, par
ailleurs, que nous sommes aussi préoccupés par une fonction qui
est directement rattachée à la Faculté des arts,
c'est-à-dire la dimension recherche au niveau universitaire. Cette
dimension a comme priorité, à l'heure actuelle, bien sûr,
dans les grands mots, l'arrimage de la vie artistique au virage technologique
ou, si on veut, l'introduction des nouvelles technologies dans l'art ou encore,
disons-le autrement, l'appropriation par les artistes de nouvelles
possibilités au plan des technologies. Bien sûr, si on est dans un
contexte où, par suite de la rationalisation des ressources, l'accent
serait mis davantage, pour parler dans notre jargon, vis-à-vis de
l'ouest du campus, c'est-à-dire des vraies sciences, des sciences dures,
ce volet-là chez nous pourrait se
rabougrir, d'une certaine façon. Encore là, s'il est
question de faire davantage appel au marché, à l'entreprise
privée, nous souhaitons, de la part du gouvernement, des interventions
au moins indirectes qui nous faciliteraient les choses pour aller chercher
différents types de subventions du côté de l'entreprise
privée: que ce soit pour le développement de notre recherche et
des équipements dont on a besoin dans ce domaine-là ou au niveau
des microactions pour associer, dans les programmes de relations publiques de
certaines entreprises privées, par exemple, les entreprises
privées dans des interventions d'animation du milieu. Pour le reste,
vous pouvez constater que l'on a regroupé cela sous forme de quatre
recommandations. Je pense que cela fait un peu le tour.
Le Président (M. Trudel): Est-ce que cela va? Mme la
ministre, s'il vous plaît.
Mme Bacon: Merci de votre mémoire qui est fort
intéressant. Je pense qu'il y a des recommandations qu'on nous fait qui
sont pertinentes. Je me chargerai d'y intéresser certains de mes
collègues, sûrement. À la page 8 de votre mémoire,
vous suggérez d'adopter des mesures pour encourager peut-être les
entreprises à s'associer à différentes opérations
pour appuyer le développement des arts. C'est évident que des
entreprises jouissent déjà de mécanismes pour
déduire ce type de contribution. Comment expliquez-vous que les
entreprises ne s'impliquent pas davantage? Parce que vous suggérez, dans
le dernier paragraphe de votre page 7, qu'il y ait des mécènes ou
des compagnies qui s'associent financièrement à des
opérations par le biais de leur budget de relations publiques, par
exemple. Comment expliquez-vous qu'ils ne le fassent pas davantage? Il y a
quand même certaines grandes compagnies qui le font. Quand on pense, par
exemple, à la PME qui réussit bien dans plusieurs domaines, on
n'a pas encore réussi à percer ce mur, je ne dirais pas
d'indifférence, mais peut-être de méconnaissance du milieu
culturel.
M. Demers (François): C'est un ensemble de facteurs, mais
on pourrait en énumérer deux au moins. Le premier tient à
nos propres carences: pendant une certaine période d'une relative
abondance de subventions, on n'était peut-être pas porté
à se tourner vers les autres. Le deuxième, c'est, je pense, quand
on va au niveau de la PME en général, le volet image de la PME,
donc le volet relations publiques, le volet "sponsorings" divers, c'est nouveau
à ce niveau de développement de la PME. Je pense que, là
aussi, il y a quelque chose à développer. Jusqu'à il y a
quelques années, je pense que, au niveau de la PME, on ne se
préoccupait pas tellement de l'image de telle ou telle entreprise. On ne
fait que commencer à développer des budgets reliés
à ce qui pourrait nous servir éventuellement de subvention pour
des opérations. Je pense que les deux vont ensemble. C'est un peu le
changement du vent qui force, d'une part, les PME à occuper une place
plus grande sur la scène publique et, donc, à développer
des budgets et un intérêt pour leur image et, d'autre part, notre
intérêt, à nous, d'aller à leur rencontre.
Mme Bacon: Est-ce que d'une manière
générale, votre faculté a des contacts, par exemple, avec
le secteur privé comme ça se pratique dans d'autres
facultés? Est-ce que vous en avez avec la Faculté de commerce,
est-ce qu'il y a une concertation entre les différentes facultés
par rapport à vos dossiers et à vos besoins?
Mme Paré-Tousignant: À l'Université Laval,
on nous force à développer des stratégies de planification
triennale et nous sommes, à l'heure actuelle, en pleine phase de
planification pour 1987-1990 où vraiment il va y avoir un effort
très très marqué pour établir des collaborations
avec les autres facultés, en particulier, avec l'administration pour
tout le volet de la publicité dans le programme de communications
publiques, le marketing, etc. et aussi avec d'autres facultés
susceptibles de nous apporter une aide valable. C'est encore un peu en
état de devenir,,
Mme Bacon: La question de gestion de carrière, du
marketing des arts, si on peut l'appeler comme cela, est-ce qu'elle est
abordée dans les programmes d'enseignement de votre faculté?
Mme Paré-Tousignant: Très peu à l'heure
actuelle. La seule tentative qui a été faite, et nous sommes en
poste depuis un an, cela a été une approche au niveau du MBA de
la Faculté des sciences de l'administration pour pouvoir décider
de certains cours qui toucheraient à la gestion des arts. On n'en est
encore qu'à des balbutiements. Il y a au niveau des baccalauréats
en musique un cours qui s'appelle industrie de la musique où on les
initie rapidement à toutes les facettes du marché et je pense
qu'on en est encore, à l'Université Laval, à nos
débuts dans ce domaine comparativement aux HEC.
M. Simard (Claude): II y a présentement des cours en
développement à l'école des arts visuels qui vont traiter
des problématiques de gestion.
Mme Bacon: D'accord.
M. Demers (François): II faudrait peut-
être ajouter que jusqu'à tout récemment la tendance
de développement des programmes à l'Université Laval
était d'offrir le menu le plus large et d'imposer le moins de
contraintes possible à l'étudiant, si bien que l'étudiant
était un peu libre d'aller chercher des. cours complémentaires,
si on veut, dans des facultés qui pouvaient lui convenir. Le vent est en
train de tourner légèrement, c'est-à-dire qu'il va y avoir
davantage de choses imposées et une des choses qui peuvent être
imposées dans cette direction-là, c'est la gestion. Je pense que
c'est valable non seulement pour les artistes, mais pour beaucoup d'autres
disciplines.
Mme Bacon: Merci.
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Saint-Jacques, s'il vous plaît.
M. Boulerice: M. le vice-doyen, je vais ajouter à votre
modestie en disant que, pour ma part, j'estimais souhaitable que notre
première université intervienne dans le débat. Dans votre
mémoire, en page 5, puisqu'on parle beaucoup de l'intervention du
secteur privé, j'apprécie la mise en garde que vous dressez en
disant: "À cet égard, la Faculté des arts croit que l'on
peut difficilement trancher la question aussi gaillardement que le font
certains représentants du milieu artistique et du milieu des affaires
qui confrontent, en fait, les mentalités européenne et
américaine". Je pense que cela répondait un peu à la
question de notre collègue, tantôt à savoir: Comment se
fait-il que l'entreprise privée s'implique peu? Je pense que c'est
relié un peu à l'état de richesse du pays, dans un sens.
Dans l'autre, c'est une question de culture. On n'a pas développé
cette culture-là, contrairement à nos voisins américains
avec certaines fondations- Traditionnellement, je ne mets pas le fait en doute,
mais il était usuel, d'habitude, il y a quelques années,
lorsqu'on était riche, de léguer à certaines
sociétés nationales l'argent qu'on avait, non pas
nécessairement à un musée, à une
bibliothèque, etc. Cela explique, sans aucun doute, une partie de la
réalité qu'on vit aujourd'hui.
Une question qui me préoccupe, parce que vous en avez fait
état. Vous avez parlé des nouvelles technologies. Vous êtes
sans doute au courant qu'il y a un débat qui se fait dans le milieu de
la culture face aux nouvelles technologies, un débat qui s'apparente
peut-être un peu à un refus global II, du moins, actuellement, un
débat qui se fait au département des arts de l'Université
du Québec à Montréal, qui est géographiquement
près de moi, où je suis. Alors, c'est effectivement dans
Saint-Jacques. Que voulez-vous, ce n'est pas ma faute si la culture se donne
rendez-vous là!
J'aimerais connaître la nature des travaux de recherche qui sont
actuellement effectués chez vous en matière d'arrimage entre la
création artistique et la culture informatique.
Mme Paré-Tousignant: II y a, à l'heure actuelle, au
niveau de la musique, des recherches importantes sur l'intégration de
l'informatique à tout le développement de la perception auditive
pour que les élèves travaillent de ce
côté-là. Il y a des projets de recherche assez importants
pour développer cette facette chez les musiciens. C'est une étude
qui a été entreprise sur une base de trois ans et dont les
résultats seront connus à la fin de l'année actuelle.
C'est vraiment dans cette facette des nouvelles technologies,
particulièrement en musique, que cela est développé.
Maintenant, du côté des communications graphiques, mon
collègue, Claude Simard, pourra vous parler de ce qui se fait à
l'heure actuelle.
M. Simard: Les programmes d'enseignement en rapport avec les
nouvelles technologies sont en cours de développement
présentement, mais, évidemment, sont absolument essentiels en
regard de la pratique et des techniques employées en pratique. Il est
impossible de produire des gradués en communication visuelle, par
exemple, en 1986, qui vont encore travailler avec des instruments qui
appartiennent au siècle dernier. Il faut, nécessairement, que ces
gens-là soient familiers avec les outils de notre époque.
Mme Paré-Tousignant: Je voudrais seulement ajouter qu'en
septembre prochain, après une entente déjà signée
avec le département d'informatique de la Faculté des sciences et
de génie, les étudiants du programme de communication graphique
auront accès à des cours de dessin par ordinateur, donnés
par ce même département de l'informatique. Donc,
déjà, chez nous, l'harmonisation est commencée. Je pense
qu'elle est bien amorcée.
M. Boulerice: Est-ce que vous pourriez me donner plus de
détails concernant le programme de perfectionnement ou de recyclage que
vous proposez pour les artistes en cours de carrière?
Mme Paré-Tousignant: À l'heure actuelle, le
programme de perfectionnement qui existe est pour les maîtres en
exercice, pour accroître leurs connaissances dans un autre domaine d'art
que celui qui leur est propre.
Par contre, on n'a pas encore fait grand-chose pour les artistes
actuellement sur le marché du travail, pour leur permettre d'avoir
accès à ces nouvelles technologies.
On en est plutôt à la phase de fondation initiale pour nos
étudiants et, selon le degré de succès de cette
intervention, on pourra envisager, à travers notre plan pour 1987-1990,
une plus grande ouverture envers ces artistes déjà à
l'oeuvre.
M. Boulerice: Est-ce que vous pourriez me donner plus de
détails au sujet des modalités du programme de perfectionnement
pour les finissants des établissements universitaires, un peu comme un
outil de transition entre la formation scolaire et le travail professionnel?
Quand vous parlez de cela, faites-vous allusion à une forme de stage de
fin d'études?
Mme Paré-Tousignant: La seule recommandation très
précise a été abordée via la musique et via,
particulièrement, le domaine de l'opéra. Nous avons
développé, à l'atelier d'opéra à
l'École de musique, une expertise qui date, quand même, de cinq
ans et l'atelier fonctionne très bien. D'autre part, le conservatoire,
aussi, a un atelier qui fonctionne tout aussi bien, sauf que, de part et
d'autre, on s'aperçoit que nos étudiants auraient besoin,
à la suite de leurs études de maîtrise ou d'un premier prix
du conservatoire, d'avoir un lieu commun, qu'ils pourraient partager avec
l'opéra à Québec, c'est-à-dire développer
une spécifité au niveau même de la ville pour leur
permettre de faire une transition plus harmonieuse avec le marché du
travail. Ils ont acquis, bien sûr, une expérience, chez nous ou au
conservatoire, mais on voudrait que cette expérience soit
prolongée.
M. Boulerice: D'accord. En terminant, si vous me le permettez, je
ne peux retrouver l'endroit précis du mémoire ou vous l'abordez,
mais cela m'a sauté aux yeux tout de suite, lorsque je l'ai lu: Vous
attachez beaucoup d'importance à l'initiation à la musique pour
les enfants. J'avais le goût, spontanément, comme cela, de porter
à votre attention une expérience extraordinaire qui a lieu
actuellement en banlieue de Montréal, c'est-à-dire à
Saint-Lambert, au Centre d'art de Préville, où en collaboration
avec les professeurs de musique des universités de la région
métropolitaine et même du niveau collégial, il y a une
initiation à la musique auprès des enfants des écoles
primaire et secondaire, en termes de classe de fin de semaine et de sessions
d'été; cela est très intéressant. Je vous dis cela
comme cela, parce que j'ai eu l'occasion de vivre cette expérience
extraordinaire qui était dirigée par Mme Belva Thomas. Je pense
qu'elle allait dans la philosophie que vous développez dans votre
mémoire. Je dis cela comme cela. Cela va, M. le Président. (21 h
15)
Le Président (M. Trudel): Merci. J'ai été
fort impressionné, je dois le dire, par votre mémoire que je me
suis permis de citer ce matin dans mes remarques préliminaires. J'ai
été particulièrement intéressé par
l'importance que vous attachez à la sensibilisation du public à
l'art et à la culture, notamment quand vous dites que c'est d'abord une
question d'éducation au sens large du terme et qu'à court terme
cela signifie inviter la population à pratiquer l'art,
c'est-à-dire lui offrir des lieux où le faire. Je remarque que
vous avez mis beaucoup d'emphase dans votre mémoire sur cet aspect.
Enfin - on en est malheureusement là - vous dites que l'enseignement des
arts devrait être obligatoire au même titre que l'éducation
physique. Je dois dire que je vous suis parfaitement Ià-dessus.
La première question que j'avais à vous poser, mon
collègue, le député de Saint-Jacques, l'a fait.
J'étais tout à fait curieux de vous entendre expliciter un peu ce
que vous appelez la culture informatique. Je dois dire que la réponse
que vous avez donnée me satisfait. Je vais donc revenir à une
question beaucoup moins philosophique, mais qui témoigne de
l'intérêt que j'ai pris dans ce que vous appelez l'enseignement de
l'art dans la rue et des exemples que vous avez donnés d'application
dans la région 03, donc dans la région de Québec. Vous
proposez vous-même de vous en charger dans cette région-ci. Qui,
pensez-vous, devrait s'en charger dans les autres régions? Quel serait,
selon vous, le coût d'une telle organisation dans le territoire? Je ne
demande pas cela au sou près.
Mme Paré-Tousignant: Nous n'avons pas la prétention
de parler pour les autres régions. Je pense qu'on a
développé une sorte de dynamique dans notre région dans
laquelle on est très impliqué. Je n'oserais sûrement pas
prétendre que la région de Québec pourrait en montrer aux
autres régions de la province. Je me refuse à cet exercice.
Je pense quant aux sommes - c'est-à-dire quand je parle de notre
région spécifique - pour ces microactions que ce ne sont pas des
montants tellement importants. Je ne saurais les quantifier, mais ce ne sont
certainement pas des sommes qui seraient très très
importantes.
M. Demers (François): II s'agirait préalablement
d'établir, un menu de ces actions. On a été très
modeste, on a parlé de quelque chose un peu sur une base
expérimentale. Peut-être que les relais pour élargir cette
expérience sont les organismes en place et à fonctions
régionales. J'entendais tout à l'heure le Conseil régional
de la culture des Laurentides; on pourrait songer, si on en fait un programme
plus
statutaire avec des menus bien établis d'actions possibles,
à des organismes.
Nous en parlions d'abord et avant tout parce que ce seraient des actions
ponctuelles, des actions pilotes avec lesquelles on pourrait partir tout de
suite et voir ce que cela donne vraiment eg termes de coordination avec les
autres institutions, avec les commissions scolaires et les cégeps.
Le Président (M. Trudel): C'est ma dernière
question. Est-ce que vous voyez dans ce domaine comme dans d'autres que vous
avez mentionnés un apport important de l'entreprise privée?
M. Demers (François): Là encore, il faudrait aller
tendre la main, prospecter. Il y a tout un travail. Dans le fond, c'est un
programme d'action que nous nous donnions à nous-mêmes,
indirectement, avec ce mémoire, dans le sens qu'il y a un certain nombre
de ces opérations que, de toute façon, nous allons faire. On
parlait tout à l'heure d'arrimage à la culture informatique.
Déjà, des décisions importantes ont été
prises en termes de parcs de micro-ordinateurs et d'intégration de ces
micro-ordinateurs dans les enseignements non seulement du côté de
la communication, mais aussi des arts graphiques.
Il y avait déjà des ordinateurs, et cela se
développe de ce côté, en musique, pour toutes sortes de
fins donc celles que nous avons mentionnées. Cela veut dire qu'il y a un
certain nombre de choses que nous allons faire de toute façon. Et ce
virage vers l'entreprise privée, notre intention d'être davantage
présents, notre intention de solliciter, c'est une déclaration
que nous * faisions là-dessus. De toute façon, nous allons le
faire. Nous aimerions, cependant, que les PME, on leur pousse cela un peu dans
le dos.
Le Président (M. Trudel): Est-ce que d'autres membres de la
commission ont des questions à poser? Mme la députée de
Chicoutimi.
Mme Blackburn: Peu, finalement, parce que je trouve votre
mémoire particulièrement intéressant. Il porte un jugement
relativement sévère et probablement assez justifié sur la
qualité de la formation dans différents établissements et
à différents niveaux d'enseignement.
Je remarque une chose, en particulier, que je tiens à souligner.
C'est à la page 9 où vous dites: "La vulgarisation de l'art est
nécessaire à la sauvegarde de la créativité et ce,
dans quelque métier que ce soit." Vous faites un rapport entre cette
créativité et la capacité des individus de s'approprier
leur travail. Je disais ce matin, en réaction à un autre
mémoire, que les pays qui connaissent actuellement une croissance
économique, une performance économique plutôt remarquable,
investissent beaucoup dans les arts et dans la culture.
Je me suis souvent fait la réflexion que les seuls modèles
qu'on proposait aux jeunes au Québec étaient
généralement sportifs, quand ce n'était pas exclusivement
le hockey dont les joueurs étaient étrangers. Cela pour dire
qu'on leur proposait rarement d'autres modèles, qu'il s'agisse
d'artistes, de créateurs, d'écrivains. C'est ainsi que ce que la
télévision leur propose, quand ce sont des chanteurs, ce sont
souvent des chanteurs américains et pas très souvent
québécois. Je me demandais ce qu'on était en mesure de
faire. Vous proposez un certain nombre d'actions qui sont intéressantes
et pertinentes, mais que pourrait-on faire pour, progressivement et assez
rapidement, proposer d'autres modèles à nos jeunes au
Québec?
M. Simard: C'est là qu'il faut un programme, madame, c'est
à cet endroit qu'il faut mettre nos énergies. Le problème
ne se pose pas exclusivement au niveau des jeunes. On parlait tantôt avec
Mme la ministre de la problématique d'intéresser les PME à
la chose culturelle, à l'investissement en art. La raison fondamentale
pour laquelle la PME n'investit pas en art, c'est qu'elle n'est pas d'abord
connaissante, intéressée, formée à la chose. De la
même façon que le jeune n'a pas d'intérêt... Alors,
il faut élaborer un programme et c'est une tâche importante.
Mme Blackburn: La PME n'y voit pas encore de
rentabilité.
M. Simard: La PME, non seulement n'y voit pa3 encore de
rentabilité, mais la PME n'y voit pas, point.
M. Demers (Français): Une des choses qu'on pourrait faire,
en ce qui nous concerne... Il faut supposer que l'université, en.
particulier la Faculté des arts, est un milieu très
préoccupé d'excellence. L'une des actions qu'il faudrait mener,
c'est de le faire savoir et sans doute de proposer des modèles
d'excellence, un peu sur le modèle de la publicité qui se fait
pour les sportifs par exemple... Il y a tout un discours public qui se
construit autour d'un modèle d'excellence, mettons Gretzky ou d'autres.
Il faut, dans le domaine des arts aussi, construire un certain nombre' de
personnages de référence. Dan3 notre cas, il y a - il suffirait
qu'on s'en donne la peine - des profils que l'on pourrait exposer publiquement;
d'où, dans le mémoire, une allusion à des campagnes de
publicité non seulement pour inciter les gens à faire de l'art de
participation, mais sans doute aussi pour développer des historiettes
qui
montrent des profils d'excellence.
Mme Blackburn: J'aime bien votre expression "PEPS culturels".
Cela exprime bien votre idée. C'est tout.
Le Président (M. Trudel): Est-ce que les membres de la
commission ont d'autres questions à poser?
Madame et messieurs, je vous remercie, au nom de la commission, de
votre... J'aimais le mot comparution, mais étant un peu fatigué
ce soir, j'en cherche un meilleur, si quelqu'un peut m'en suggérer
un.
Une voix: Prestation?
Le Président (M. Trudel): Votre prestation. Cela se dit
bien dans le milieu des arts, votre prestation. Elle est aussi gratuite que la
plupart des autres prestations. Je vous remercie de votre prestation devant
nous ce soir et je vous souhaite une bonne fin de soirée.
Ballet de Montréal Eddy Toussaint
Nous allons accueillir maintenant et, en l'accueillant, j'accueille,
quant à moi, un viel ami, M. Eddy Toussaint, du Ballet de
Montréal, qui est accompagné de Mme Renée Hébert,
directrice de production. M. Toussaint, à mon avis, peut être
considéré comme le symbole de l'enthousiasme créateur, de
la persévérance, du courage, aussi, et j'ajouterais même de
l'amour du métier.
M. Toussaint, ayant lu votre mémoire, je vous invite à
résumer ce qui est déjà un mémoire fort court, mais
fort au point.
M. Toussaint (Eddy): M. le Président, Mme la ministre,
messieurs et mesdames de la commission, je pense que vous avez tous lu le petit
mémoire que je vous ai préparé, petit par rapport aux
autres. C'est vrai que notre compagnie est un exemple assez frappant, comme le
disait M. le Président, de persévérance et de gens de la
culture qui croient en ce qu'ils font. Le Ballet de Montréal Eddy
Toussaint existe depuis douze ans déjà. Nous nous étions
promis de former des danseurs québécois, nous avons
réussi. Nous nous étions promis de créer des oeuvres
d'appartenance québécoise, nous avons aussi réussi. Une
chose qu'on n'a pas réussie, cependant, c'est de donner à nos
artistes la fierté qui va avec ce métier. Il ne faut pas oublier
que le ballet est né de la cour des rois et, malheureusement, au
Québec, on peut dire que nos artistes ne sont pas très bien
traités. Ce qui est assez frappant, c'est que, lorsque nous passons les
frontières et que nous allons à l'étranger, c'est vraiment
incroyable la différence de rémunération qui nous est
attribuée. Je demande en gros aux
Affaires culturelles, si c'était possible, d'exiger du Conseil
des arts une certaine reconnaissance de notre compagnie. C'est évident
que je parle maintenant sur un plan très personnel, mais, après
douze ans et après avoir apporté au pays une certaine
reconnaissance internationale, je pense qu'il y a un gros problème au
niveau des subventions qui sont attribuées au Québec face au
Conseil des arts. C'est seulement en vous de la commission de la culture que
j'ai encore un espoir.
Si vous voulez de l'information, je reste à votre
disposition.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. Toussaint. Mme la
ministre.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais d'abord vous
féliciter, M. Toussaint, de la justesse de vos propos que nous
retrouvons dans votre mémoire. Ces propos sont le fruit d'une riche
expérience personnelle dans le secteur de la danse, mais
également reflètent à un degré intense votre
engagement à défendre avec détermination et aussi avec
vigueur les intérêts de votre secteur d'activité. Lorsque
vous insistez sur le besoin d'arriver à un équilibre entre la
rémunération et les valeurs artistiques, c'est sûrement un
souhait et un objectif à atteindre. C'est un souhait de tous les
participants à cette commission parlementaire d'arriver à trouver
des voies, d'arriver à trouver aussi des moyens de tendre vers cet
objectif. Je peux vous assurer qu'à titre de ministre des Affaires
culturelles votre préoccupation rejoint la mienne en ce que je crois que
l'excellence du produit culturel ne pourra être mieux atteinte que si une
telle condition est remplie.
En rapport avec votre première proposition en page 5 de votre
document -et vous venez encore de la mentionner -j'aimerais savoir si vous
souhaitez, de la part du gouvernement du Québec, qu'il mène
auprès du gouvernement canadien une démarche marquée
peut-être au coin de l'agressivité ou si vous souhaitez que ce
soit plutôt une concertation entre les deux paliers gouvernementaux.
M. Toussaint: J'irais même à l'agressivité,
parce que, je vais vous dire, il y a un système au Conseil des arts:
l'argent nous est attribué par des jurés. Nous sommes
jugés par nos pairs, sauf qu'il existe dans la danse, au Conseil des
arts, trois grandes compagnies de ballet et nous sommes la quatrième et,
assez différente, je dois l'avouer, des trois autres grandes compagnies.
Et je ne vois pas l'issue du malaise qui existe entre nous, parce que les pairs
qui nous jugent sont très différents de nous. Même si on a
des critiques de l'extérieur,
même si nous avons vu rentrer des critiques, par exemple, de
France, cela n'a aucune valeur pour eux. Il faut vraiment que ce soient mes
pairs canadiens. Sauf que nous sommes différents et, à ce
moment-là, cela crée un problème. C'est pour cela que
j'ose vous demander d'agir en notre faveur. (21 h 30)
Mme Bacon: En ce qui a trait à votre seconde proposition
relativement à la formation de base et à la formation
professionnelle, pourriez-vous peut-être expliquer davantage la
nécessité d'adapter cette formation aux besoins de chacun?
M. Toussaint: Je pense que notre école et ma compagnie en
sont un exemple frappant. Je ne sais pas si vous le savez, Anik Bissonnette,
Louis Robitaille et tous ceux que je nomme dans le document, sont des artistes
qui voyagent énormément à l'étranger; qui sont
demandés un peu partout dans le monde. Ils ont été
formés à une école différente de tout ce qui se
fait au Canada, non pas à l'École nationale de ballet à
Toronto, ni aux Grands Ballets, ni au ballet de Winnipeg. Ils ont
été formés, spécialement, chez nous. À ce
moment-là, je me dis qu'il faut peut-être permettre à
l'étudiant ou au futur danseur de choisir, et et non pas de
standardiser, non pas donner une seule formation pour tout le monde. Je pense
que le Québec - et on en a parlé tout à l'heure - est
tellement créateur et tellement innovateur qu'il faut laisser,
justement, l'enfant choisir le genre de formation qu'il veut avoir et non pas
standardiser dans un lieu, je ne sais pas.
Mme Bacon: Est-ce que vous pourriez l'expliquer davantage pour
faire ressortir les failles du système actuel?
M. Toussaint: Avec le système actuel, nous avons quoi? Il
y a l'École supérieure de danse qui est à Montréal.
Il y a l'école chez nous, sauf que, par exemple, notre école, qui
est une école privée, n'a jamais reçu d'aide du
gouvernement du Québec, ni du gouvernement d'Ottawa. Nous avons fourni
les danseurs, mais nous n'avons jamais reçu d'aide. Je pense qu'il
serait intéressant que, dans la province, il y ait différentes
écoles reconnues par le ministère des Affaires culturelles et le
ministère de l'Éducation, mais qui soient aidées afin de
fournir de bons danseurs. C'est dans ce sens-là que je pense qu'il* y a
quelque chose à améliorer.
Mme Bacon: Est-ce que vous sentez le besoin de concertation entre
les différentes écoles ou est-ce que cela existe en ce
moment?
M. Toussaint; Cela n'existe pas. Vous savez, la danse est un art
très complexe.
Pour vous faire comprendre, seulement pour l'enseignement du ballet, il
y a au moins trois ou quatre méthodes: la russe, la française,
l'italienne et tout ce que vous voulez. Et on se bat tout le temps. Il faut
dire la vérité, c'est le monde de la danse. Mais, les
résultats sont importants. Je pense qu'il faut laisser une certaine
liberté; justement, peut-être qu'il n'y aurait pas eu de Louis
Robitaille, aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu mon école.
Peut-être qu'il n'y aurait pas eu d'Anik Bissonnette, non plus. Parce que
l'enfant doit être dans un contexte qui lui plaît. II faut qu'il
soit motivé et parfois certaines écoles, très bonnes,
très valables, ne conviennent pas à l'identité de
l'étudiant en question. C'est pour cela que je dis qu'il faut laisser un
choix, très varié.
Mme Bacon: Ce que je veux dire, tout en respectant le choix de
l'école, est-ce qu'il n'y a pas une possibilité - on voyait cet
après-midi l'Union des artistes, par exemple, qui regroupe 3000
personnes d'avoir un regroupement des écoles de danse? Est-ce que cela
est possible, faisable?
M. Toussaint: Oui, c'est une chose possible. Je pense que cela
prendra beaucoup de temps. Oui, c'est une chose possible.
Mme Bacon: Qu'est-ce qui empêche le regroupement ou la
concertation d'exister entre les écoles de danse? Est-ce que c'est
à cause des différences? Est-ce que c'est tellement
différent qu'on ne peut pas se concerter?
M. Toussaint: Parce que cela est différent et parce
qu'aussi, historiquement parlant, il y a les Grands Ballets canadiens et les
autres. Vous voyez. Alors, les autres, on se démerde comme on peut.
C'est vraiment deux paliers très différents. On a
déjà essayé dans le passé. Je sais qu'il existe
même le regroupement professionnel qui sera ici demain, mais je pense que
le problème vraiment, c'est que, vous le dites, il n'y a pas vraiment de
communications entre nous. Je pense que chaque école tient à
garder son authenticité. C'est cela qui est un problème
aussi.
Mme Bacon: Vous croyez que la concertation enlèverait
cette authenticité? Vous ne pensez pas que cela donnerait une plus
grande force?
M. Toussaint: Je pense que cela donnerait une plus grande force
à partir du moment où tous les intervenants seraient sur le
même pied, ce qui n'est jamais le cas, ce qui ne peut pas être le
cas.
Mme Bacon: Merci.
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Saint-Jacques, avez-vous des questions à poser?
M. Boulerice: Oui. M. Toussaint, je suis heureux de vous
accueillir. Je ne peux malheureusement pas me réclamer de votre
amitié, comme en bénéficie M. le député de
Bourget mais je peux vous dire que j'ai énormément d'admiration
pour le travail que vous faites: Comme on le dit en langage populaire, je crois
que vous avez mis, dans le domaine de la danse, Montréal et le
Québec sur la "map". Je pense qu'on vous doit beaucoup.
Il n'y a pas, M. Toussaint, de petit mémoire ni de grand
mémoire. Je pense que votre mémoire est un grand mémoire,
sauf qu'à sa lecture, au dernier paragraphe de la page 3, on sent chez
vous une grande tristesse et un certain désarroi quand vous dites: "Une
chose que je n'ai pas encore réussie, c'est de leur donner le statut
économique reflétant l'image de marque qu'ils ont atteint au
niveau artistique." Il y a effectivement, je pense, beaucoup de tristesse dans
cet énoncé.
Je ne vous cacherai pas que j'ai énormément
d'intérêt face à la danse, surtout lorsqu'on a eu un de vos
collègues que vous connaissez comme professeur, Hugo de Pot. J'aimerais,
puisque nous abordons la danse, vous poser des questions très
spécifiques. J'aimerais, d'une part, puisque vous avez mentionné
le Conseil des arts, que vous nous précisiez quels sont les obstacles
qui empêchent la reconnaissance de votre compagnie par le Conseil des
arts?
M. Toussaint: Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est le
système de jury. C'est un gros problème. Ma compagnie existe,
comme vous le savez, depuis douze ans et, chaque année, on demandait au
Conseil des arts d'envoyer des juges pour nous attribuer une somme d'argent
quelconque.
Le problème est très grand, car les juges, la
majorité de ceux qui viennent, sont des éléments - soit
d'anciens danseurs, des chorégraphes, ou des directeurs administratifs;
j'ai tout eu - des trois autres compagnies, c'est-à-dire les trois
grandes compagnies du Canada: les Grands Ballets canadiens, le Ballet national
et le Winnipeg Ballet. Chaque fois qu'ils viennent nous voir, il y a toujours
quelque chose qui ne fonctionne pas dans la balance. Je pense que vraiment, sur
le plan culturel, nous sommes différents. Si je puis me permettre, je
suis chorégraphe. Je sais que, quand j'ai envie de dire quelque chose...
Si - excusez l'expression - j'ai envie de mettre ma main sur un sein, je vais
le faire, parce que je suis Français et que je pense comme cela. Mes
collègues anglophones prendront un petit peu de détours,
subtilité qui est bien, mais qui est différente et que je
respecte énormément. J'aimerais bien parfois être
jugé pour ce que je suis. C'est cela le problème.
Je pense aussi qu'il y a assurément une mauvaise foi de la part
du Conseil des arts. Comme vous le savez, la première compagnie que j'ai
fondée c'est les Ballets Jazz, qui fonctionne très bien encore.
Lorsque j'ai décidé de fonder une compagnie de ballet,
peut-être que cela a été très mal vu. On aurait
peut-être souhaité que je reste au jazz. C'est ce qui m'a
donné la force de passer le temps et de garder la compagnie au niveau
qu'elle est.
M. Boulerice: M. Toussaint, vous avez mentionné dans votre
mémoire qu'il existait des écarts entre le Québec et
l'Ontario en matière de subventions accordées par le gouvernement
fédéral dans le secteur de la danse. Est-ce que vous ou votre
collègue pouvez me préciser quelle est l'étendue de ces
écarts?
M. Toussaint: Nous avons fait faire, en 1982, par la maison
SECOR, une étude dont Mme Hébert pourrait peut-être vous
glisser un mot.
Mme Hébert (Renée): Cette étude avait
été commandée par le conseil d'administration du Ballet de
Montréal pour mettre les gens du conseil à jour sur ce
qu'était la compagnie dans son contexte canadien sur plusieurs plans. Il
était ressorti de cette étude dont se servent beaucoup de
personnes aujourd'hui que, même totalement, la différence quant
aux subventions que l'Ontario recevait par rapport au Québec
était immense.
Comme ce rapport date de 1983, j'ai aujourd'hui voulu m'assurer que la
situation était toujours la même et j'ai fait une petite
recherche. Un rapport de l'année 1984-1985 montre que le Conseil des
arts a donné 10 282 000 $ au total aux arts. J'ai sorti que, dans la
danse, l'Ontario avait reçu 3 546 000 et quelques sous et, le
Québec, 1 231 000 $. Quant au nombre de compagnies: en Ontario, il y
avait tout de même Desrosiers Compagnie, la compagnie Danny Grossman, le
groupe de la Place royale, National Ballet, le Théâtre Ballet, le
Toronto Dance Theater}, au Québec, c'est Fortier Danse Création
et les Grands Ballets canadiens. Il y avait sûrement eu d'autres projets,
mais qui ne faisaient pas partie de cette étude. Tout de même,
l'écart flagrant demeure encore.
M. Boulerice: M. Toussaint, j'aimerais que vous me donniez des
précisions sur vos revendications en matière de formation de base
et de formation professionnelle.
M. Toussaint: Je pense que ce serait
intéressant. Nous avons un projet pour les étudiants, pour
les enfants au collège des Eudistes. Juste pour vous donner une
idée. C'est un collège qui est venu nous voir et qui nous a
demandé si on pouvait diriger la formation des enfants, les suivre au
secondaire I, II, III, IV et V et ensuite au cégep. Je trouve cela sain,
dans une communauté comme la nôtre, qu'il y ait différentes
approches de la danse. C'est pour cela que je dis de ne pas standardiser. Je
n'aimerais pas qu'il n'y ait qu'une école. J'aimerais qu'il y ait
plusieurs écoles reconnues d'utilité publique. C'est dans ce
sens. Au niveau professionnel, la même chose.
M. Boulerice: Est-ce que vous pourriez me brosser un tableau des
problèmes qui sont rencontrés dans la danse en matière de
santé et de sécurité au travail? Tout le monde sait qu'un
accident de travail, dans le domaine de la danse, peut signifier la fin d'une
carrière.
M. Toussaint: J'aimerais préciser ici que la
carrière d'un danseur, je ne sais pas si vous le savez, est très
courte. Quinze ou vingt ans, c'est le maximum. Je pense qu'il serait
intéressant qu'on se penche vraiment sur le statut des danseurs sur ce
point. On serait tenté, comme plusieurs compagnies américaines,
d'avoir un bon masseur avec nous, d'avoir des gens qui vont toujours faire
attention à ce corps qui est vraiment l'outil de cet artiste.
Évidemment cela paraîtrait comme un luxe. Mais c'est très
important. Si on veut garder cette excellence, il faut qu'on fasse attention
à ces choses. Le danseur n'est pas protégé, s'il a un
accident, un tendon qui est brisé, il n'a rien devant lui. Il faut toute
une période de recyclage encore. Rien ne protège l'artiste, le
danseur.
M. Boulerice: Absolument rien? M. Toussaint: Rien.
M. Boulerice: Je vais terminer, M. Toussaint. Mais, avant de
terminer ma question, je vais me tourner vers Mme la ministre. Je pense,
à mon point de vue, qu'il y a discrimination face à votre
compagnie au Conseil des arts quant aux écarts qui existent entre
l'Ontario et le Québec, concernant le secteur de la danse. Puis-je
compter, Mme la ministre, sur vos interventions auprès du Conseil des
arts et, d'autre part, auprès du gouvernement fédéral-pour
que les considérants que nous apporte M. Toussaint obtiennent une
réponse plus justifiée?
Mme Bacon: Vous connaissez mes possibilités
d'agressivité, M. le député de Saint-Jacques!
M. Boulerice: Si elles sont égales aux miennes, je m'en
réjouis.
Mme Bacon: Je peux les utiliser avec exactement la même
férocité avec le Conseil des arts ou le gouvernement
fédéral.
M. Boulerice: Vous m'en voyez réjoui. Merci, Mme la
ministre. M. Toussaint, je vous remercie. Merci madame.
Le Président (M. Trudel): M. Toussaint, étant le
troisième à parler, je ne répéterai
évidemment pas ce que Mme la ministre et mon collègue de
Saint-Jacques ont dit du fond de votre mémoire. Je pense ce qu'ils en
pensent. Quand on vous connaît comme je vous connais, tout vous est
contenu dans ces trois pages. J'aimerais quand même vous entendre, si
vous le voulez bien, reparler de ce dont vous avez traité tantôt,
c'est-à-dire la concertation dans le domaine de la danse. La question
que je me posais en vous écoutant - tout en connaissant de façon
générale les problèmes qui peuvent se poser dans votre
domaine - c'était pourquoi, dans le domaine de la danse, de la
création en danse, cette concertation est-elle plus difficile que dans
d'autres domaines de la création?
M. Toussaint: L'art est complexe, c'est vrai, mais je pense que
la danse est encore plus complexe. Je pense qu'on a essayé dans le
passé - je dis bien dans le passé, je ne sais pas à quel
point en sont mes collègues maintenant - de tenir des tables rondes, de
se rencontrer entre compagnies et tout cela. C'est extrêmement difficile
parce qu'il y a une autre grande compagnie, les Grands Ballets canadiens, que
nous respectons tous, et les petites. Je me trouve dans le milieu. C'est
très difficile de dialoguer.
Le Président (M. Trudel): Vous êtes en train de me
dire que c'est une question de situation. Vous sembliez dire tantôt que
la concertation en danse était à peu près impossible et,
maintenant, vous me dites que c'est plus difficile au Québec parce qu'on
est en présence de très petites compagnies, d'une part, d'une
très grosse compagnie, d'autre part et, au milieu, voici... (21 h
45)
M. Toussaint: C'est cela. Il y a la grande compagnie que vous
connaissez, qui est les Grands Ballets canadiens. Il y a les Ballets Jazz, il y
a nous et il y a plusieurs petites compagnies de danse moderne très
importantes aussi pour l'avant-garde et tout cela. Mais le vrai dialogue est
difficile parce qu'on n'a pas tous exactement les mêmes besoins. On a des
besoins qui sont communs, mais on n'a pas la même force de dialoguer. Les
Grands Ballets sont là depuis plus
longtemps que nous. Ils sont reconnus par le Conseil des arts.
Le Président (M. Trudel): D'accord. Une dernière
question. On connaît les difficultés, vous les avez
soulignées, celles de vos danseurs étoiles, les vôtres, sur
le plan financier. On sait par ailleurs - on l'a mentionné, je pense, ce
matin, quelque part dans un des premiers mémoires ou dans les
exposés préliminaires des membres de la commission - que,
notamment dans le domaine de la danse, il fallait pratiquer au moins trois
métiers pour pouvoir faire un salaire que j'appellerais indécent,
autour de 11 000 $. Est-ce que la situation qui prévaut au
Québec, qui prévaut chez vous, petite troupe qui réussit
fort bien - situation absolument catastrophique, terrible et indécente -
prévaut également dans les autres compagnies au Québec et
au Canada?
M. Toussaint: Moi personnellement, je trouve cela
indécent. Je trouve cela incroyable que des artistes soient
chéris, appréciés et encouragés
énormément dans les pays étrangers et que, lorsqu'on
revient chez nous, on doit aller à l'assurance-chômage. Je trouve
cela absolument indécent pour une société comme la
nôtre.
Le Président (M. Trudel): Est-ce que d'autres membres de
la... Je pense que Mme la députée de Chicoutimi m'avait fait
signe tantôt qu'elle voulait intervenir.
Mme Blackburn: En fait... Bonsoir, M.
Toussaint.
M. Toussaint: Bonsoir, madame.
Mme Blackburn: Ma question a été en partie
posée par le député de Saint-Jacques. Elle avait trait aux
risques élevés d'accidents du travail pour les danseurs. Est-ce
que je dois comprendre, dans la réponse que vous faites au
député de Saint-Jacques, que comme employeur de danseurs vous
n'êtes pas couvert par la Commission de la santé et de la
sécurité du travail?
M. Toussaint: Oui, oui. Nous sommes couverts comme tout le monde.
Mais on n'a pas... Si un danseur se blesse, par exemple, on a les moyens
normaux de sécurité. Mais, comme le corps est vraiment notre
outil, je pense qu'il faudrait peut-être vraiment s'asseoir et
établir une politique face à ce besoin-là. Il faudrait
poursuivre encore plus loin. On est beaucoup plus susceptible d'avoir des
accidents que d'autres.
Mme Blackburn: Autrement dit, aller davantage du
côté de la prévention.
M. Toussaint: La prévention et aussi...
Mme Blackburn: Des bons masseurs, des...
M. Toussaint: ...pendant la durée de l'accident et tout
cela, oui.
Mme Blackburn: C'était l'information que je voulais. Je
vous remercie.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
députée de Chicoutimi.
M. Toussaint, Mme Hébert, je vous remercie de votre
présence. Je pense que cela a été court et cela a
sûrement beaucoup aidé les membres de la commission. Cela ajoute
un témoignage dramatique de plus à ceux que l'on a entendus
aujourd'hui.
Avant d'accueillir la Conférence canadienne des arts et de
revoir, entre autres, M. Demers, j'aimerais dire aux membres de la
Conférence canadienne des arts et à ceux qui sont encore parmi
nous que, si jamais vous entendez des cloches, ce n'est pas parce que vous
êtes fatigués ni qu'il y a un début d'incendie. Il y a
possibilité de vote à l'Assemblée nationale dans la salle
à côté, avant 22 heures, auquel cas vous verriez les
parlementaires disparaître rapidement et nous reviendrions
immédiatement après pour terminer avec les représentants
de la Conférence canadienne des arts. Je les accueille avec plaisir et
je leur souhaite la bienvenue, notamment Mme Fortier, la présidente, que
j'ai eu le plaisir de rencontrer quelques fois dans ma courte carrière
et, la dernière fois, lors de l'assemblée de la Conférence
canadienne des arts qui s'est tenue à Ottawa, en compagnie de mon
collègue de Saint-Jacques. J'accueille à nouveau en fin de
journée celui que nous avions accueilli en début de
journée. M. Demers aura eu, comme Mme la ministre et M. le
député de Saint-Jacques, une journée aussi longue et aussi
bien remplie que la nôtre.
Alors, madame et monsieur, la parole est à vous.
Conférence canadienne des arts
Mme Fortier (Claudette): Merci. En parlant de cloches, l'an
dernier, quand nous avons présenté notre mémoire sur le
droit d'auteur, mes collègues et moi, nous avons été
retardés trois fois par la cloche à Ottawa. Alors,
j'espère que ce soir cela ne nous arrivera pas.
Nous avons effectivement eu le plaisir de vous accueillir Iors de notre
assemblée générale au début du mois de mai qui
avait pour thème le statut de l'artiste. Alors, nous avons divisé
notre mémoire en quatre grands points: le droit d'auteur, la
fiscalité, la stabilisation du revenu, les associations professionnelles
et la santé et la sécurité au travail. Cela fait cinq, je
m'excuse.
J'aimerais également vous signaler qu'à cause du temps
très court qui nous a été accordé notre
mémoire est un survol de l'ensemble des problèmes qui ont
été soulevés. J'aimerais également vous signaler
qu'au niveau du "membership" de la Conférence canadienne des arts qui
regroupe plusieurs associations, organismes et membres individuels 20 % des
membres se retrouvent au Québec et nous avons une section
québécoise qui est très très active. Nous avons eu,
d'ailleurs, le plaisir de rencontrer Mme Bacon il y a quelque temps et il a
été question, entre autres, des arts et de l'éducation, et
on a parlé de certains problèmes qui nous préoccupaient au
niveau du financement municipal du CACUM. Nous serons également
présents au Sommet économique de la ville de Montréal.
Alors, on attend vos questions si vous en avez.
Le Président (M. Trudel): Mme la ministre.
Mme Bacon: J'aimerais vous féliciter -vous avez dit que
vous avez eu peu de temps - pour l'excellent mémoire que vous nous avez
présenté. C'est une très bonne synthèse des
principaux problèmes des diverses familles artistiques; je pense que le
texte est concis, équilibré, trè3 sobre et excellent. J'ai
l'impression que... On a mentionné tantôt la Conférence
annuelle sur le statut de l'artiste en mai 1986, mais c'était
peut-être une pratique pour cette commission parlementaire et ce n'est
certainement pas étranger à l'équilibre des propos de
votre mémoire. Parmi les six recommandations, il y en a cinq qui se
retrouvent dans certains autres mémoires. Il y a une recommandation au
sujet de laquelle j'aimerais peut-être vous poser la première
question. En page 8 de votre mémoire, vous suggérez qu'un artiste
qui a exercé sa profession pendant 25 ans au plus d'après les
registres de Revenu-Québec soit admissible aux rentes maximales
mensuelles du Régime de rentes à ses 65 ans, nonobstant ses
contributions à ce régime lors de sa carrière. À
quel nombre estimez-vous les artistes qui auraient ainsi droit aux rentes
maximales? Est-ce que vous avez fait des études dans ce sens-la? Est-ce
que vous avez des chiffres précis?
Mme Fortier: On n'a malheureusement pas fait d'étude,
c'est une propositon qui a été faite à l'assemblée
générale. Comme le revenu des artistes est tellement bas, leur
contribution est minime au Régime de rentes du Québec et comme
ils sont souvent, également, des employeurs autonomes, c'est encore plus
difficile. Alors, on n'a pas de chiffres, Mme la ministre, mais on pense que
cela pourrait les mener d'un montant minimal à au moins le maximum qui
est accordé maintenant.
Mme Bacon: D'accord. Comme la Conférence canadienne des
arts travaille à l'échelle canadienne, comment comparez-vous la
situation générale des artistes québécois par
rapport aux artistes des autres provinces? Est-ce que vous avez
déjà fait des comparaisons? Est-ce que vous avez des
études ou des chiffres précis?
Mme Fortier: La situation est exactement la même dans la
plupart des autres provinces. Les artistes ont des revenus bas. Ils ont des
problèmes de santé et de sécurité au travail. Les
membres de cette commission qui étaient là ont entendu
l'énoncé de Mme Dixon à l'ouverture de la
plénière. C'est une artiste en arts visuels, elle disait que,
faute de renseignements, elle a les poumons brûlés par des
matières toxiques et il n'y a aucune contrainte, aucune directive,
aucune mise en garde. Quand il y a des ateliers à la Conférence
canadienne des arts, les mêmes problèmes sont soulevés par
les artistes partout au Canada. D'ailleurs, il y a également une
commission qui vient d'être annoncée, provenant du gouvernement
fédéral, et je pense que M. Masse est également conscient
des problèmes du statut de l'artiste.
Mme Bacon: À la page 5 de votre mémoire vous
indiquez: "Nous recommandons à la commission qu'elle étudie la
possibilité d'établir, en consultation avec le milieu culturel du
Québec, des critères de professionnalisme en ce qui concerne les
artistes, pour fins d'impôt, et que ces critères soient reconnus
par les deux niveaux de gouvernement." Quelles seraient vos recommandations
quant aux critères?
Mme Fortier: Je ne sais pas, peut-être que M. Demers
pourrait en parler.
M. Demers (Serge): Oui. Il y a eu des discussions à
l'assemblée annuelle entre les groupes d'artistes pour tenter de
dégager une grille qui pourrait contenir plusieurs points par lesquels
on pourrait faire des recoupements pour permettre de qualifier les gens en tant
que professionnels.
Je vais immédiatement faire la distinction encore une fois entre
les arts visuels et les arts d'interprétation. Dans les arts visuels, la
structuration, l'organisation des artistes n'est pas faite sur la même
base que celle des arts d'interprétation. Pour permettre à un
artiste qui n'est peut-être pas membre d'une association professionnelle
de pouvoir se qualifier, il peut y avoir plusieurs critères comme des
études, comme des bourses qui ont été obtenues, comme
d'avoir fait un certain nombre d'expositions dans des galeries, etc. Il y a
tout un
ensemble de critères que l'on peut établir et à
partir desquels on peut faire un regroupement pour déterminer qui peut
se qualifier ou non pour être un professionnel'.
Dans les arts d'interprétation, les organisations syndicales sont
souvent beaucoup plus structurées. C'est souvent par les
mécanismes d'adhésion, dans la plupart des cas, que l'on peut
déterminer ou définir des critères. Mais, encore une fois,
ce n'est pas une vérité applicable à tout le monde. C'est
moins vrai, par exemple, chez les auteurs où les critères
d'admission peuvent être différents que chez les
artistes-interprètes. Mais c'est de tenter dans la mesure du possible de
dégager une grille par laquelle on peut qualifier les gens de
professionnels ou non.
Mme Bacon: On dit souvent que le ministère des Affaires
culturelles est un ministère où il y a trop de normes, mais quand
il y a plusieurs programmes il faut souvent faire de3 normes pour ceux-ci.
Quand vous comparez avec les autres provinces, est-ce que les programmes sont
plus généreux au Québec que dans les autres provinces ou
s'ils sont moins généreux ou en nombre moindre, si vous pouvez
les comparer par rapport aux programmes de subvention, j'entends?
Mme Fortier: Je pense qu'en Ontario les programmes de subvention
sont très généreux. Dans les provinces de l'Est, ils sont
moins généreux. Cela dépend, certaines provinces ont
beaucoup d'avance, mais je ne crois pas qu'il y ait...
Mme Bacon: Est-ce qu'il y a autant de normes dans d'autres
provinces qu'au Québec? On nous reproche souvent d'avoir trop de normes
à appliquer à nos programmes.
M. Demers (Serge): Je n'ai pas l'impression, si vous permettez,
qu'il y a tellement de différences. Disons que l'approche culturelle,
dans les provinces à majorité anglophone, dans le reste du
Canada, est différente dans une certaine mesure à cause de la
proximité des États-Unis et de l'impact de la
pénétration de la culture anglophone américaine
directement dans leurs populations. Donc, les politiques culturelles de ces
gouvernements provinciaux sont axées souvent pour tenter de freiner
l'envahissement culturel et pour faire en sorte que les artistes demeurent au
Canada et dans leur province plutôt que d'être attirés par
la force centripète des Américains. Notre approche au
Québec a toujours été un peu différente à
cause de la différence de la langue, je pense, et aussi de la question
de notre survie comme francophones qui nous amène à voir les
choses d'une façon très différente.
Somme toute, on s'en rend compte avec les débats qui s'amorcent
sur le libre-échange, l'unité de pensée ou la
communauté de pensée entre les artistes francophones et
anglophones, du Québec et du reste du Canada, sur certaines questions
dont celle-là, n'a jamais été aussi grande.
Mme Bacon: Merci.
Mme Fortier: Mme la ministre, concernant les normes, je crois
aussi qu'au Conseil des arts du Canada les normes sont beaucoup plus grandes
qu'au ministère des Affaires culturelles.
Mme Bacon: Elles sont plus rigides.
Mme Fortier: Oui. (22 heures)
Mme Bacon: En même temps que l'on discute du statut de
l'artiste et du créateur, je pense qu'on peut parler aussi de
changements possibles au ministère des Affaires culturelles, si on veut
s'adapter les uns aux autres. C'est un reproche qu'on nous a fait souvent, de
se compliquer la vie au ministère parce qu'on en avait trop, et de
compliquer évidemment la vie des autres.
M. Demers (Serge): Si vous me permettez, j'aimerais faire un
commentaire là-dessus parce que ces temps-ci la question des normes, de
la réglementation, est une question très à la mode
à tous les niveaux de gouvernement et dans tous les ministères
d'ailleurs, et autant au niveau municipal et provincial qu'au gouvernement du
Canada.
En ce qui concerne notre secteur, je dirais que les normes en soi, ce
n'est jamais ni bon ni mauvais. Il peut se développer tout au long des
années une problématique de normes tatillonnes qui n'ajoutent et
n'enlèvent rien, mais qui ne font que paralyser, ralentir et compliquer
les choses. Si ce sont ces normes-là qu'on vise, je dirais: Oui,
certainement. Il y a certainement moyen de vivre avec un corset un peu moins
serré sur le corps, avoir un peu plus de marge de manoeuvre, un peu plus
d'espace pour créer, pour inventer; mais, d'autre part, nous sommes
aussi convaincus que les normes et une certaine réglementation sont
essentielles. Je vais simplement faire un petit parallèle avec la
réglementation de la musique francophone en ondes pour comprendre qu'il
s'agit là d'une norme essentielle et fondamentale. Lorsqu'on parle de
normes, il y en a peut-être un peu plus ici; il s'agirait de savoir
jusqu'à quel point, une à une, elles sont pertinentes ou pas.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques, je suppose que vous avez quelques
questions
à poser.
M. Boulerice: Oui. Bonsoir, Mme Portier. Permettez-moi de nouveau
de vous féliciter pour votre récente élection à
titre de présidente du Conseil canadien des arts.
Mme Fortier: Merci beaucoup.
M. Boulerice: M. Demers, "rebonsoir".
M. Demers (Serge): "Rebonsoir".
M. Boulerice: Mme Fortier, j'ai lu votre mémoire avec
beaucoup d'attention. À la page 5 il m'est venu, immédiatement
après votre recommandation, une question: Quelles sont les implications
sous-jacentes à l'octroi du statut d'organisme charitable
appliqué aux organismes culturels?
Mme Fortier: Cela permettrait aux associations de se tourner vers
le secteur privé, d'aller chercher des fonds et de pouvoir
émettre des reçus aux fins d'impôt. Au niveau des normes,
il faut être un organisme aux fins charitables pour avoir la
possibilité d'émettre des reçus pour fins
d'impôt.
M. Boulerice: En page 6, vous faites état d'une situation,
et j'aimerais que vous fassiez un tableau des problèmes qui ont
été observés au niveau des organismes culturels qui sont
subventionnés en partie ou en totalité par les fonds publics et
qui ne rémunèrent pas les artistes à des taux
professionnels. Est-ce une pratique qui a une étendue
considérable?
Mme Fortier: Dans certains domaines, oui. On sait que la culture
est très largement subventionnée à même les fonds
publics. Nos interlocuteurs ne reconnaissent pas souvent les associations, ce
qui prive les créateurs et les artistes de normes de travail
décentes, de conditions négociées avec leur association et
souvent également de droits d'auteur. On signe des contrats de louage de
services, ce qui amène la cession complète de droits.
M. Demers (Serge): II existe actuellement des secteurs comme le
cinéma qui sont très subventionnés et ce, par les deux
paliers de gouvernement. Or, il arrive que des organisations ou de3
associations professionnelles représentant des créateurs ou des
artisans du milieu tentent de se faire reconnaître pour
représenter leurs membres et négocier des conditions minimales,
et ce, depuis plusieurs années. Quand je dis plusieurs années,
dans certains cas, cela va jusqu'à six, sept ou huit ans. Comme on
revient toujours au problème du vide juridique, ces gens-là n'ont
aucun levier juridique pour se faire reconnaître et, dans certains cas,
ils ne peuvent pas exercer de pression directement sur les producteurs. Je
prends l'exemple d'un scénariste. Si quelqu'un arrête
d'écrire pour protester parce qu'on ne reconnaît pas son
association professionnelle, il peut demeurer sans écrire pendant
longtemps parce qu'il y a d'autres gens qui peuvent fournir des
scénarios, on peut aller chercher des scénarios à
l'extérieur, etc. Donc, ces professionnels, ces créateurs se
retrouvent dans une situation intenable. Nous croyons que les gouvernements
devraient exiger de ces producteurs ou de ceux qui bénéficient de
subventions que, à tout le moins, ils respectent, reconnaissent et
acceptent de négocier des conditions minimales d'exercice du
métier pour les professionnels.
M. Boulerice: Qu'est-ce qui empêche actuellement les
associations professionnelles de créer ou de gérer les caisses de
stabilisation de revenus de leurs membres?
Mme Fortier: Dans le même paragraphe on voit que les
associations elles-mêmes n'ont pas toutes les mêmes structures,
n'ont pas toutes le même personnel pour gérer de telles caisses.
Souvent, ces caisses proviennent d'ententes négociées avec les
producteurs. Alors, avec les usagers de leurs oeuvres, avec les "producteurs",
entre guillemets, s'il n'y a pas d'argent qui rentre, qui est versé au
niveau d'ententes collectives, bien sûr il n'y a pas de caisse, il ne
peut pas y avoir de caisse. Pour préciser, à l'organisme pour qui
je travaille, nous avons des ententes négociées avec certains
producteurs. Alors, il y a des rentrées qui se font au niveau de la
caisse de sécurité des auteurs -mais, là où nous
n'avons pas d'entente négociée, il n'y a rien qui rentre.
Individuellement il ne peuvent pas négocier.
M. Boulerice: Vous allez jusqu'à souhaiter une loi dans ce
domaine?
Mme Fortier: Bien sûr. M. Boulerice: D'accord.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député. S'il n'y a pas d'autres questions, Mme la
députée de Chicoutimi, mesdames et messieurs de la commission, je
vais remercier les représentants de la Conférence canadienne des
arts. Mme Fortier vous voulez ajouter quelque chose?
Mme Fortier: Je voudrais rajouter quelque chose.
Le Président (M. Trudel): Cela me fait plaisir de vous
redonner la parole.
Mme Fortier: C'est une demande bien précise à Mme
Bacon. À la réunion des ministres des Affaires culturelles qui
est prévue au mois de septembre, je vous demande de faire inscrire le
statut de l'artiste au programme, afin que les ministres responsables des
autres provinces se penchent également sur la question du statut de
l'artiste.
Mme Bacon: Je vais sûrement le faire. Nous devons,
d'ailleurs, commencer des discussions pour le programme de cette journée
ou ces deux jours que nous aurons en septembre et je vais transmettre votre
message.
M. Boulerice: Vous appliquez le code Morin, M. le
Président, je vais donc vous seconder pour cette proposition.
Le Président (M. Trudel): Étant présent, je
peux déclarer la motion acceptée a l'unanimité. Mme
Fortier, Mme la présidente, merci beaucoup. M. le directeur
général de l'autre organisme et néanmoins membre de la
Conférence canadienne des arts, à demain peut-être.
La commission ajourne ses travaux jusqu'à demain, 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 8)