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(Dix heures onze minutes)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît:
La commission de la culture reprend ses travaux remplissant ainsi son
mandat de consultation générale sur le statut économique
de l'artiste et du créateur. Ce matin, nous rencontrons trois groupes
qui sont, dans l'ordre, le Conseil des artistes peintres du Québec, le
Conseil québécois du théâtre et le Centre d'essai
des auteurs dramatiques.
Je demanderais à Mme Suzanne Joubert, qui représente le
Conseil des artistes peintres, de bien vouloir prendre place devant nous, dans
ce qu'on appelait autrefois le banc des témoins. Oui, madame, en face de
moi, s'il vous plaîtl Mais, comme on est en commission parlementaire sur
la culture, moi qui n'ai jamais rêvé de devenir juge de toute
façon, je dis bien jamais rêvé de devenir juge...
Mme Joubert (Suzanne): ...distance.
Le Président (M. Trudel): C'est le seul défaut de
cette pièce qui, par ailleurs, est remplie d'histoire. Mais j'admets
avec vous que nous sommes loin l'un de l'autre. Nous allons nous rapprocher par
la pensée et la parole. Alors, je vous la cède
immédiatement en vous souhaitant la bienvenue parmi nous.
Vous n'étiez pas présente hier lorsque j'ai
expliqué les règles du jeu. Étant donné que, d'une
part, nous avons trois mémoires à étudier ce matin et que,
d'autre part, nous avons trois heures pour le faire, nous allons consacrer
entre 50 et 60 minutes à chaque organisme de façon à
ajourner nos travaux à 13 heures. Madame, à moins que vous ne
souhaitiez rester debout, je pense que vous devriez vous asseoir pour vous
adresser à la commission. Il n'y a rien de très formel chez
nous.
Mme Jaubert: D'accord.
Le Président (M. Trudel): Madame, nous vous
écoutons.
Mme Joubert: Je suis très remuante de nature et
habituée à enseigner. C'est peut-être pour cela.
Le Président (M. Trudel): Remarquez que, si vous
êtes plus à l'aise debout, je n'ai pas d'objection.
Mme Joubert: Je me lèverai dans le feu de l'action.
Le Président (M. Trudel): D'accord. Allez-y.
Conseil des artistes peintres du Québec
Mme Joubert: Je suis Suzanne Joubert. Je représente ici le
Conseil des artistes peintres du Québec. Je crois qu'il est significatif
que le CAPQ ait pu demander à une artiste résidant en
région de venir le représenter devant vous. Cela aurait
été, je pense, impossible ou impensable il y a seulement quinze
ans et cela témoigne de l'extraordinaire épanouissement culturel
qu'ont connu les régions du Québec dans les dernières
années, grâce à la mise en place progressive d'une
infrastructure de base et à la gestion locale, enfin largement locale,
de l'enveloppe budgétaire. Je reviendrai à cette
introduction.
Je n'ai pas participé à la rédaction
générale du mémoire que vous avez devant vous car je ne
fais pas partie du conseil d'administration du CAPQ - j'en ai
déjà fait partie, il y a déjà de nombreuses
années dans le temps que c'était la SAPQ - mais j'ai largement
participé, par contre, à la définition des recommandations
que je puis donc défendre avec conviction. Si vous me permettez,
j'aimerais reprendre une à une ces recommandations en les étayant
au besoin de quelques chiffres ou références ou en
répondant à vos questions, à moins, M. le
Président, que vous ne pensiez qu'il est bien utile de revenir sur le
préambule mais je ne le crois pas personnellement.
Le Président (M. Trudel): Non. Allez-y comme bon vous
semble, mais je pense que vous avez une excellente suggestion de faire la
revue...
Mme Joubert: Oui, ce sera plus pratique.
Le Président (M. Trudel): ...des recommandations que fait
votre organisme.
Mme Joubert: En fait, les
recommandations 1, 2 et 3 portent sur la formation de diverses
façons. Par exemple, je vous lis la recommandation 1, on en discutera
après: Que les enfants qui fréquentent les niveaux primaire et
secondaire soient mis en présence d'oeuvres d'art contemporaines
québécoises, soit dans leur environnement, soit par des moyens
audiovisuels et que ces contacts ou que ces rencontres soient animés,
dans la mesure du possible, le plus souvent possible, par un spécialiste
ayant une formation appropriée.
Cette recommandation vient de3 constatations, des conclusions qu'on tire
de la dernière période. J'ai connu le rapport Parent, la
transformation de l'éducation et l'époque où on a
introduit les arts plastiques dans les écoles avec beaucoup
d'enthousiasme d'ailleurs, en disant qu'il était important que les
enfants en fassent. Mais, comme, je pense, tout le monde le sait, le
problème est qu'on a à peu près pas ou très peu ou
rarement ou seulement de façon irrégulière de
véritables spécialistes dans les écoles. Je ne voudrais
insulter personne, mais je pense que le fait est qu'il se fait du bricolage
dans les écoles, plus souvent qu'autrement. Cela peut être un
bricolage très créateur dans certains cas mais, très
fréquemment, ça tient du loisir. Même si ce sont
réellement des activités créatrices et de qualité,
comme c'est le cas parfois, il reste que les enfants, dans un domaine qui est
prioritairement visuel, n'en voient pas, ou à peu près pas. On
peut passer toutes ces années du primaire et du secondaire sur les bancs
de l'école à peu près sans jamais voir, à moins que
ce ne soit chez soi, une oeuvre d'art contemporaine, une oeuvre d'art de
qualité, fût-elle ancienne, une oeuvre d'art
québécoise.
Or, dans nos écoles, nous avons à la fois les futurs
artistes et le futur public. Je vous ferai remarquer que si cette suggestion
qui peut s'appliquer pratiquement, parce que... Si, par exemple, les
bibliothèques d'école sont bien fournies en livres, pourquoi ne
seraient-elles pas bien fournies en reproductions et pourquoi n'y aurait-il pas
une politique d'exposition d'oeuvres d'art sur les murs des écoles
plutôt que de "cartoons" de Walt Disney? Cela contrebalancerait, je
crois, le poids des classes sociales, parce qu'on continue à avoir des
élites là encore, malgré tous les efforts qui ont
été faits pour l'égalité des chances dans le
domaine des arts. Les enfants qui ont la chance peut-être d'en voir chez
eux sont privilégiés par rapport à ceux qui n'en voient
pas. Nous croyons que les écoles devraient jouer un rôle
là.
Avant que je passe au point 2, est-ce qu'il y aurait des questions ou
des contradictions? Est-ce que quelqu'un désirerait...
Le Président (M. Trudel): Madame, la façon de
travailler de cette commission, c'est de laisser l'invité exposer ou
résumer son mémoire et les membres de la commission, par la
suite, reviennent sur chacun des points.
Mme Joubert: D'accord.
Le Président (M. Trudel): J'avais précisé
hier à ceux qui étaient parmi nous que, de toute façon,
tous les membres de la commission ont lu tous les mémoires qui ont
été présentés. Ces mémoires leur ont
été, de plus, résumés et une série de
questions a été préparée par chacun des membres.
Normalement, on laisse les gens procéder. Je vous laisserai
procéder et, par la suite, on vous posera des questions.
Mme Joubert: Très bien. La recommandation 2 dit ou, enfin,
recommande que les programmes de formation universitaire - il s'agit de
programmes de formation cégep, université, au niveau moyen,
disons, de l'enseignement ou au niveau supérieur - soient
complétés par des cours de gestion-administration, de mise en
marché, santé et sécurité, comptabilité et
conservation. Je pense qu'on pourrait appeler cela un cours de
gestion-administration qui s'ajouterait à la formation actuelle
axée sur la créativité qui ne développe,
évidemment, qu'un aspect de la réalité de l'artiste, un
aspect fort important, certes, mais qui ne le prépare pas à se
défendre et à fonctionner dans le cadre actuel de la
société. À la louange des régions, je vous signale
avec plaisir, au passage, que le module des arts visuels de l'Université
du Québec en Outaouais est probablement l'un des premiers dans la
province à offrir, dès le mois de septembre, un cours de gestion
des arts à l'usage des élèves au baccalauréat en
arts visuels. Nous croyons que cela devrait être un cours
généralisé et non pas seulement une initiative locale.
La recommandation 3 parle de faciliter l'accès pour -
évidemment, je parle au nom du Conseil des artistes peintres du
Québec, donc prioritairement, je pense aux peintres -tous les artistes
en arts visuels à des programmes de bourses de perfectionnement. Si vous
allez consulter vos statistiques publiées l'année dernière
au sujet du programme de l'intégration des arts à l'architecture,
le programme du 1 %, vous allez découvrir, dans le portrait
démographique des artistes, que les peintres sont ceux qui font le moins
de stages de perfectionnement. Je n'ai pas pu étudier très
longuement cette question. Cela peut être une question d'ouverture.
Peut-être y a-t-il moins de stages offerts aux peintres qu'on n'en offre
aux artisans ou à d'autres gens mais c'est un fait, les peintres, en
particulier, sont ceux qui font le moins de stages de perfectionnement.
C'est un point très intéressant.
Le deuxième, toujours dans vos propres statistiques, c'est ce
document-ci sur l'intégration des arts à l'architecture. Il est
remarquable que, parmi les artistes qui sont retenus pour des contrats du 1 %,
il y a davantage d'artistes ayant fait des stages de perfectionnement. En
d'autres mots, il semble y avoir une corrélation plus ou moins grande
entre les stages de perfectionnement et le "succès", entre guillemets,
tout au moins socialement parlant, pour ce qui est de l'intégration des
arts ou de la banque d'oeuvres d'art, la banque de prêts d'oeuvres d'art.
Donc, il s'agit de faciliter l'accès à . des programmes de
bourses de perfectionnement. C'est bien large et bien flou comme
recommandation, mais je pense que nous avons dans nos manches un tas de
détails qui pourraient être discutés dès lors que le
principe sera accepté.
Nous passons au point 4. "Nous croyons qu'il serait important
d'élaborer un code d'éthique où l'artiste pourrait se
référer à une liste tarifaire lorsqu'il doit poser un
geste professionnel. C'est pourquoi nous recommandons de donner aux
associations les moyens réels d'élaborer ce code d'éthique
et de voir è son application."
Je pense qu'il faudrait préciser un peu. Il est question d'un
code d'éthique relié aux honoraires et aux salaires. Par exemple,
vous seriez étonnés du nombre de fois dans une année
où les artistes professionnels vont être appelés à
siéger à un jury, à donner une causerie, à avoir
à donner un cours un peu spécial dans une université,
à rencontrer des étudiants, bref, à poser toutes sortes de
gestes en tant que spécialistes. C'est très souvent pour des
institutions. Je salue le ministère des Affaires culturelles. Ce n'est
pas à lui que je m'adresse. Je pense qu'en tant que jurés, en
tout cas, les artistes sont fort bien payés. Mais, comme il n'existe
aucun code d'éthique qui prévoit un cachet, de façon
universelle, de façon connue, de façon générale -
un peu comme cela se fait à l'Union des artistes pour les musiciens;
pour les gens de théâtre, je ne sais pas, je pense que pour les
musiciens, il existe un code ou une espèce de barème tarifaire -
on nous offre généralement un cachet qui ne joue qu'un rôle
honoraire, qui n'a réellement pas de poids.
J'ai des exemples en tête. Même des universités vont
donner - et cela m'est arrivé, d'ailleurs, à moi-même assez
récemment - 50 $ à un artiste pour donner un cours de trois
heures dans le cadre d'un programme régulier, par exemple, un programme
régulier où on invite des spécialistes de
l'extérieur. Si l'artiste refuse en disant: Non, vraiment, 50 $, vous
n'êtes pas sérieux, cela ne peut pas passer, je ne peux pas
travailler pour cela, pour trois heures de cours, combien d'heures de
préparation, hé bien! on ira en chercher un autre parce qu'il
n'existe pas de barème et de système tarifaire. Il faut en
établir un. Ce n'est pas facile. C'est pourquoi nous demandons de donner
aux associations les moyens réels d'établir ce code
d'éthique.
Il s'agit, bien sûr, de moyens financiers et on me répondra
peut-être qu'à l'Union des artistes, par exemple... Je ne sais pas
quel est le système de contribution gouvernementale à l'Union des
artistes. Peut-être l'union est-elle infiniment plus autosuffisante que
nous, mais je vous réfère à la situation économique
des artistes en arts visuels dont il est dit - attendez un peu que je me
souvienne de ma référence, je voudrais bien la retrouver - dans
les statistiques du Conseil des arts du Canada... Ce sont des statistiques qui
datent de 1983 dans le domaine culturel. Je retrouve, en page 28, Statistiques
diverses sur les arts, Conseil des arts du Canada, troisième
édition, 1983. On y constate que les artistes en arts visuels
constituent la classe sociale la plus faiblement rémunérée
après celle des retraités. Il est donc très difficile
d'attendre des artistes en arts visuels qu'ils puissent faire vivre une
association par des cotisations suffisantes, et il y a un besoin. C'est un peu
un cercle vicieux; on n'en sort pas.
J'arrive à la recommandation 5. Nous demandons, mais vraiment
nous le demandons de façon très insistante, la création
d'un fonds de retraite pour les artistes qui soit administré
conjointement par les associations et le gouvernement. Selon les derniers
rapports de la Conférence canadienne des arts, publiés l'automne
dernier - et je vous recommande d'aller les consulter, si vous ne l'avez
déjà fait - je pense que je ne me trompe pas en disant que
l'artiste contribue très largement non seulement au développement
de la société, à son prestige culturel, mais même
à la circulation de l'argent. Cependant, il ne dispose d'aucune
sécurité sociale. Il y a beaucoup de points légaux
à ajuster. Nous sommes bien conscients de la difficulté de mettre
cela en place, mais nous y tenons très fort et nous croyons que, si le
principe est reconnu, la chose peut certainement être discutée et
établie en détail. Je vous rappelle aussi que la
Conférence canadienne des arts, lors de sa rencontre récente
à Ottawa justement sur le sujet du statut de l'artiste, a fait une
recommandation dans le même sens. (10 h 30)
Notre sixième recommandation demande que l'artiste puisse
bénéficier d'un statut particulier auprès du
ministère du Revenu. Cela, c'est une vieille histoire, vieille
déjà de deux ou trois ans maintenant, mais il reste que le
Québec affiche un léger retard de ce côté-là
et je pense qu'il est urgent de
faire des ententes entre le ministère des Affaires culturelles et
le ministère du Revenu afin que vous ne nous repreniez pas d'une main ce
vous nous donnez de l'autre.
Toujours à ce sujet du revenu, je voudrais amener une
recommandation qui a été discutée par après et qui
ne figure pas dans notre mémoire. Ce serait d'élaborer, de rendre
possible des abris fiscaux pour les particuliers qui achèteraient, dans
certaines conditions, des oeuvres d'artistes québécois vivants.
Je pense que c'est très important qu'ils soient vivants, pour que cela
ne devienne pas trop de la spéculation; cela en est toujours un peu.
J'imagine qu'il est également important pour vous que ce soient des
artistes québécois. En disant cela - parce qu'il y aura des zones
d'ombre, des zones marginales, ce sera très difficile de distinguer ce
qu'est une oeuvre d'art, est-ce que cela a été importé de
Hong Kong -peut-être qu'en parlant d'artistes québécois
vivants on éviterait une partie des difficultés.
Je vais continuer avec une recommandation qui n'est pa3 non plus
présente, qui a été précisée par
après et qui n'est pas dans notre mémoire. C'est que l'on assure
une présence féminine égalitaire dans les tous les jurys,
pour bourses, achat d'oeuvres d'art, banque d'oeuvres d'art et projet du 1 %.
Vos statistiques de 1985 sur les artistes et le programme d'intégration
des arts à l'architecture 1981-1985 nous font découvrir tout au
long la présence insuffisante des femmes qui ne représentent, je
pense, que 32 % et quelque des artistes qui reçoivent des contrats
d'intégration à l'architecture et un tout petit peu plus, je
crois, autour de 39 %, pour les achats de la banque de prêts. Ce document
est très intéressant, très bien fait. On y recense les
artistes de toutes les manières, mais il y a deux trous dedans. On ne
nous parle à aucun moment de la constitution des jurys. On nous parle du
pourcentage des artistes, hommes ou femmes, qui reçoivent des contrats
ou qui n'en reçoivent pas, mais on ne nous parle pas des pourcentages de
présence féminine à des jurys.
Or, il y a une étude qui a été faite en 1980 pour
CAR, Canadian Artist Representation, ou le Front des artistes canadiens, qui a
été publiée dans les journaux à l'époque.
J'ai ici justement une copie de ce journal. Vous pouvez d'ailleurs vous
procurer ce document en vous adressant à CAR. Cette enquête, qui a
été faite à partir des chiffres du Conseil des arts du
Canada, prouve une corrélation irréfutable entre la
présence des femmes dans les jurys et la présence des femmes
recevant des bourses ou des contrats. Je ne dis pas - je ne peux le dire, je ne
le sais pas, je n'ai pas les chiffres, je ne peux pas l'affirmer pour l'instant
- que les femmes ne sont pas représentées de façon
égalitaire dans les jurys, mais je l'infère. Enfin, je pense que
cela pourrait être le cas et qu'il serait intéressant de faire une
étude statistique à ce sujet.
Je vous signale également un autre document qui établit le
même type de corrélation. Il s'agit d'une étude non
publiée, mais dont on parle dans un texte publié, faîte par
l'artiste Hélène Roy. Même si l'étude est non
publiée, si on fait une étude comparative des statistiques ici,
on reconnaît que c'est vrai. Plus la bourse est importante et plus
l'achat est important, plus le pourcentage de femmes diminue. Vous pouvez
retrouver cela dans un article de la revue Possibles, volume 7, no 1, 1982, les
auteurs étant Francine Couture et Suzanne Lemerise. Je pense que, comme
les jurys sont très souvent forcément à nombre impair, il
y aurait peut-être lieu de renverser de temps en temps les
proportions.
Je voudrais passer à une autre recommandation qui n'est pas dans
ce mémoire, qui ne figurait pas au mémoire écrit. Je vous
ai dit au début que j'étais une artiste résidant en
région. Le Conseil des artistes peintres du Québec, qui s'est
étendu vers les régions, de façon très efficace
d'ailleurs au cours des dernières années, demande avec moi que
l'on maintienne à tout le moins à leur niveau actuel - c'est le
minimum, déjà cela constituerait un retard parce que la
société progresse - les structures culturelles régionales
et que les économies que tout le monde veut faire et que tout le monde
doit faire, semble-t-il partout dans les gouvernements, soient assumées
par l'ensemble du Québec et ne se fassent pas sur le dos des
régions.
Je vous renvoie encore une fois à votre document "Arts visuels,
les artistes et le programme de l'intégration des arts à
l'architecture 1981-1985". C'est la collection de Prêt d'oeuvres d'art
1983. En page 14, nous avons une répartition graphique des artistes
inscrits à la collection de Prêt d'oeuvres d'art en 1983. C'est
encore pire quand il s'agit des artistes retenus. Mais vous allez constater que
les artistes... Pardon, j'ai ici les artistes inscrits et les artistes retenus.
À gauche de ce graphique nous voyons que 66 % de tous les artistes
inscrits à la banque de prêts d'oeuvres d'art du Québec
viennent de Montréal, 15,8 % viennent de Québec et 18,2 % de
toutes les autres régions du Québec mises ensemble. Si on regarde
les artistes retenus c'est 12,1 % provenant des régions. Pourtant 12,1 %
constitue un progrès énorme. C'est un progrès
énorme par rapport à 1975. S'il y avait eu une banque d'oeuvres
d'art à l'époque, on aurait eu 0,001 % d'artistes des
régions. Ce progrès énorme s'est fait quelque part entre
le milieu des années soixante-dix et le milieu des années
quatre-vingt sur une
période de dix ans, puisque ces chiffres datent de 1983,
grâce donc aux structures mises en place dans les régions.
Si on se met à couper ces structures, on va vider encore une fois
- c'est l'exode des cerveaux - les régions de tout contenu culturel
valable. Pour que les artistes qui sont "bons", entre guillemets, restent dans
les régions, encore faut-il d'abord que ce ne soit pas trop
dévalorisant et, deuxièmement, qu'ils puissent y gagner leur vie.
Il y a là un cercle vicieux. On a amorcé un mouvement très
positif; encore faut-il ne pas le bloquer.
Vous allez me dire: Mais pourquoi dites-vous cela? Cela va très
bien dans les régions. Si je vous dis cela, c'est qu'on sent la question
des resserrements budgétaires, on sent cela venir. On vient de nous
couper en Outaouais notre station régionale de Radio-Québec.
C'est une forme, n'est-ce pas, de dérégionalisation et le conseil
des peintres s'inquiète que cette dérégionalisation puisse
continuer.
Le Président (M. Trudel): Madame, est-ce que je peux me
permettre de vous interrompre...
Mme Joubert: Oui.
Le Président (M. Trudel): ...quelques secondes pour vous
faire remarquer qu'il y a près de 20 à 25 minutes maintenant que
vous parlez, ce qui est fort intéressant. Puisque vous deviez partir
rapidement, je vous ai fait passer en premier.
Mme Joubert: Oui.
Le Président (M. Trudel): Je voudrais bien que les deux
autres groupes aient aussi une heure. Alors, tout le temps que vous prenez
à nous parler, vous vous enlevez et vous nous enlevez également
l'occasion de vous poser des questions et d'engager avec vous...
Mme Joubert: Rassurez-vous, j'ai terminé.
J'en arrive à la dernière recommandation. Je me suis
étendue sur ces deux-là parce qu'elles n'étaient pas au
mémoire que vous avez reçu. J'en arrive à la
dernière qui, elle, y est et qui demande de donner aux associations -
c'est un peu une répétition, cela a déjà
été dit - les moyens d'assurer leur action à tous les
niveaux. C'est-à-dire que pour pouvoir appliquer toutes les
recommandations précédentes, encore faut-il que les associations
puissent - et la nôtre, la nôtre en particulier, le Conseil des
artistes peintres - s'assurer d'une certaine permanence administrative. Quand
tout repose sur des bénévoles, il est très difficile de
faire un travail sérieux. Par exemple, pour mettre au point la question
de la sécurité sociale des artistes, cela se fait à ce
moment-là à notre détriment. Voilà, j'ai
terminé.
Le Président (M. Trudel): Merci, madame. Je cède la
parole à. Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Bacon: Merci beaucoup, M. le Président. Mme Joubert,
en vous remerciant de votre présence ici, j'aimerais vous dire que votre
mémoire m'apparaît intéressant parce qu'on y retrouve des
problèmes qui me semblent fondés sur des réalités
quotidiennes qui sont vécues par les membres que vous
représentez. Par ailleurs, les esquisses de solutions que vous nous
présentez, ce matin, sont intéressantes à plusieurs
égards, notamment celles relatives à la formation, à la
gestion de carrière.
Également, à titre de ministre des Affaires culturelles,
je m'interroge sur le contact qui devrait s'établir entre nos jeunes et
toutes les formes d'art. Depuis le début de nos audiences, ce
problème, qui est un problème délicat, a été
soulevé plus d'une fois. Je conviens que le gouvernement
québécois et, plus particulièrement, le ministère
des Affaires culturelles, a une responsabilité à assumer quant au
développement culturel chez les jeunes. On a beau vouloir construire des
équipements culturels adéquats, si on n'a pas la population, dans
les années qui viennent, pour utiliser ces équipements, je pense
qu'il ne sert à rien de le faire.
Par ailleurs, on conviendra que l'État ne peut pas imposer - je
sais que c'est délicat de dire cela - quelque mode de vie culturelle et
cela, au nom de la liberté d'expression. Également, au nom de ce
droit, il s'agit d'acquérir librement toute forme d'art qui correspond
aux goûts et besoins de tous et chacun des Québécois et des
Québécoises.
Quant aux revendications qui sont reliées aux
préoccupations de vos membres, j'aurais certainement quelques questions
qui concernent votre suggestion d'abord de créer un fonds de retraite
pour les artistes. J'aimerais savoir: Par qui serait administré ce fonds
de retraite? Et, surtout, comment serait alimenté ce fonds de retraite?
Qui pourrait y avoir accès et qui pourrait décider qui peut avoir
accès à ce fonds-là?
Mme Joubert: La réponse est très complexe. On va
essayer de la prendre par petits morceaux. Qui pourrait l'administrer? Je pense
qu'il serait un peu indécent, socialement, que les artistes aient l'air
de jouir de privilèges indus. Alors, il n'est pas question de
privilèges indus. Ce serait juste une question de les ramener à
peu près au niveau des journaliers, disons, dans les
industries. Cela serait déjà trè3 très bien.
Si je regarde du côté de l'industrie, par exemple, je vois comment
les fonds de retraite sont gérés. J'imagine - ou, enfin, je
pense, je ne suis pas très sûre, je vous avoue que mes
connaissances sont un peu limitées dans ce domaine-là - que,
d'une part, les ouvriers eux-mêmes cotisent. D'autre part, la compagnie
ou l'Industrie qui les emploie cotise et, finalement, le gouvernement joue un
rôle là-dedans. Est-ce que je me trompe? C'est à peu
près comme cela probablement, plus ou moins, à gauche ou à
droite. (10 h 45)
Je pense que la même chose pourrait sensiblement se faire, mais de
manière un peu différente. C'est-à-dire que je ne crois
pas qu'il faille repousser ou rejeter que les artistes cotisent. Cependant,
comme vous le savez, les artistes ont des revenus extrêmement bas. Ils
ont généralement... Je parle d'artistes à plein temps,
bien entendu; s'il s'agit de gens qui ont des postes de professeur à
plein temps et qui sont artistes par surcroît, le problème ne se
pose pas. Mais, dans le cas d'artistes à plein temps et gagnant leur vie
à la pige, qui n'ont donc, à cause de cela, finalement, droit
à aucune sécurité, je pense qu'il est pensable que les
artistes cotisent et que, peut-être, cette cotisation, au lieu
d'être retenue à la base sur un salaire inexistant, puisse
être fixée -cela pourrait être étudié avec des
avocats -à partir, par exemple, de leurs revenus. Il pourrait
peut-être y avoir une contribution des artistes au prorata de leurs
revenus. Je pense que la gestion pourrait se faire par des associations
d'artistes. Cela leur donnerait d'ailleurs un rôle très important
-je pense que ce serait excellent - un rôle très
sérieux.
Finalement, je pense que, de même que l'État joue un
certain rôle dans les fonds de retraite des Québécois en
général, il pourrait également jouer un rôle dans ce
domaine. Cela entraînerait toutes sortes de détails comme, par
exemple, si ce sont les associations qui gèrent un programme comme cela,
la question du membership, la définition du statut de l'artiste, etc. Je
pense que, si on discutait de tout cela ce matin, on en aurait pour pas mal de
temps.
Mme Bacon: Vous vous êtes quand même penchés
sur cette question pour faire la recommandation.
Mme Joubert: Oui.
Mme Bacon: Est-ce que vous avez des chiffres? Avez-vous fait une
étude ou si c'est une recommandation parce que cela vous tient à
coeur pour assurer l'avenir de vos membres et que vous voulez que nous soyons
saisis de cette recommandation pour que cela fasse un bout de chemin ou si vous
vous êtes vraiment penchés sur toutes ces modalités?
Mme Joubert: Mme la ministre, nous espérons que vous
reconnaîtrez la justesse du principe et que, par la suite, notre
association pourra bénéficier d'un appui lui permettant de faire
l'étude détaillée qui s'impose avec des avocats. Vous
réalisez bien que nous n'avons pas les moyens de nous payer des avocats.
Nous n'avons même pas les moyens, de temps à autre, de nous payer
une secrétaire. Si je faisais cette étude moi-même, je ne
sais pas comment je gagnerais ma vie.
Mme Bacon: Non, je voulais savoir où était rendu
votre dossier, parce que vous faites une recommandation. Est-ce que vous
accepteriez qu'un pourcentage - c'est toujours hypothétique, parce que,
encore une fois, lorsqu'on considère le bout de chemin qui reste
à faire, c'est un long cheminement - des bourses que reçoivent
les artistes soit versé dans ce fonds ou seulement les cachets qu'ils
reçoivent sur la vente de leurs oeuvres ou sur les contrats qu'ils
peuvent avoir?
Mme Joubert: Je pense que c'est une question qui devrait
être posée à la base, parce que je vois mal que je puisse
m'avancer au nom de tous mes collègues et répondre avec beaucoup
d'assurance. Je risquerais de me faire couper le coui Je ne sais pas. Il
faudrait, je pense, étudier cette question. Je parlais du prorata des
revenus. Je pense que ce serait peut-être plus juste, parce qu'il y a des
artistes qui ont des bourses une année et. ce ne sont pas
nécessairement les artistes dont le revenu est supérieur. Il
vaudrait peut-être mieux que les gens cotisent en proportion de leur
revenu réel plutôt qu'en proportion d'une bourse qui tombe comme
une manne dans l'année pour un artiste qui a subi une perte
l'année précédente.
Mme Bacon: D'accord. Lorsque vous demandez que les associations
puissent avoir les moyens d'assurer une continuité afin d'être
plus efficaces - et c'est normal - dans leur action, est-ce que vous pensez
à des moyens financiers ou à toute autre forme d'aide possible
qui corresponde à vos objectifs?
Mme Joubert: Je pense qu'il y aurait deux réponses
à cela. Il y en a une qui est très certainement financière
parce que, les revenus des artistes étant ce qu'ils sont,
c'est-à-dire de moins de 5000 $ par année -je vous renvoie aux
statistiques; pardon! je me suis trompée, c'est légèrement
plus de 5000 $ mais encore largement en dessous du seuil de pauvreté -
il est à peu près impossible pour une association
actuellement
de demander à ses membres une cotisation qui serait de nature
professionnelle, mais on en discute tous les ans. On ne peut même pas
songer à leur demander 100 $ par année. Ils ne paieront pas ou
ils ne pourront pas payer ou an va perdre... Donc, si l'association ne peut pas
être supportée exclusivement par ses membres, où va-t-elle
aller chercher ses revenus? C'est pourquoi nous nous adressons à
vous.
Cela, c'est la moitié de la réponse. L'autre
moitié, c'est que dans notre société les moyens financiers
vont avec le prestige. Les deux, malheureusement, sont très liés
et les gens, les associations qui n'ont pas de moyens financiers n'arrivent pas
à se faire respecter beaucoup. Je pense que non seulement nous avons
besoin de votre support financier, mais nous aurions également bien
besoin d'être, dans l'optique que j'ai décrite tout à
l'heure, reconnus comme une partie importante, si vous voulez, de la gestion de
la culture, de la gestion de la sécurité sociale des artistes, et
je pense que l'un ne va pas sans l'autre.
Mme Bacon: Lorsqu'on parie d'associations d'artistes, on pense
aussitôt à un regroupement possible de ces associations en vue de
garantir leurs droits et cela, d'une façon plus efficace. Est-ce que
vous croyez possible un tel regroupement, ne serait-ce que sur le plan
administratif? On vient de parler des difficultés de s'administrer quand
on est un groupe de gens qui ont à gagner leur vie en môme temps.
Il y a énormément de bénévolat, mais il y a une
limite à tout ça. Est-ce que c'est possible qu'il y ait un
regroupement d'associations d'artistes, comme le vôtre, sur le plan
administratif? Est-ce que vous pourriez expliquer pourquoi ce serait possible
ou pourquoi ce ne serait pas possible?
Mme Joubert: Moi, je crois que c'est possible. Je suis
peut-être trop optimiste, mais je crois vraiment que c'est possible. Je
pense que, si les associations d'artistes ont été - au
Québec, elles ne sont pas bien anciennes, une vingtaine d'années,
et surtout le Conseil des artistes peintres, qui a d'abord été la
SAPQ - flottantes et un peu floues, cela tenait surtout au fait que, justement,
elles ne jouaient pas - elles le jouent de plus en plus, mais elles ne le
jouaient pas, à l'origine, et elles ne le jouent peut-être pas
encore - un rôle social reconnu, suffisant, si bien que beaucoup
d'artistes se demandent, de toute façon, à quoi cela sert de
faire partie de l'association.
Évidemment, on rigole quand on parle des associations d'artistes
parce qu'on pense toujours aux chicanes incroyables, qui étaient
généralement des chicanes philosophiques. Quand on a des
questions pratiques à résoudre, c'est incroyable comme on
s'entend mieux parce qu'en général, là, curieusement, on
est beaucoup plus d'accord. Je vous cite à titre d'exemple le
regroupement canadien qui s'appelle le Front des artistes canadiens, CAR, qui,
parce que les cultures et les façons de penser sont différentes,
s'est donné, lui, dès le début, une espèce de
vocation de syndicat et ne se préoccupe, mais alors à peu
près pas, de philosophie ni d'expositions, d'ailleurs, ni de promotion
culturelle, mais s'occupe de questions pratiques: la sécurité,
les dangers pour la santé, les contrats, les cachets etc., et il a
atteint très rapidement un pouvoir considérable. CAR a un pouvoir
considérable au Canada parce qu'il s'est occupé de questions
pratiques et financières. Je pense que c'est la clé de notre...
Est-ce que j'ai répondu à votre question?
Mme Bacon: Oui, un regroupement administratif est donc possible,
sur le plan administratif.
Mme Joubert: Je crois même que cela faciliterait le
regroupement.
Mme Bacon: Vous avez mentionné aussi vos
préoccupations quant à la décentralisation des
activités du ministère des Affaires culturelles. Il y a quand
même des bureaux régionaux, il y a les conseils régionaux
de la culture. Est-ce que vous voulez nous indiquer par ce fait-là que
tout cela devrait être repensé ou est-ce que l'allocation des
ressources devrait se faire différemment?
Mme Joubert: Non. Pour l'instant, Mme Bacon, nous sommes dans les
régions bénéficiaires des structures que votre
ministère a mises en place et, évidemment, il n'y a pas que le
ministère des Affaires culturelles, il y a toutes sortes de choses qui
se sont passées dans les régions. L'Université du
Québec a essaimé, mais tout cela se tient. Radio-Québec
également avait des bureaux régionaux, des stations
régionales. Tout cela se tient, c'est un édifice qui a
provoqué dans les régions, ces dix dernières
années, un extraordinaire épanouissement. Je ne sais pas combien
de gens des régions se trouvent ici, mais, comme vous voyez, avec mes
cheveux grisonnants, j'étais dans les régions avant qu'il y ait
quelque structure que ce soit et je puis vous dire que c'était le
désert. C'était un désert absolu. Dans l'Outaouais, il y a
15 ou 20 ans, nous étions 3, peut-être étions-nous 5, tous
isolés et sans aucun autre lien que personnel avec le centre. Bien
entendu, il n'était pas question d'intégration des arts à
l'architecture en région. Il n'était question de rien de tout
cela. Cela a été fait et je ne veux pas le remettre en question,
je vous en félicite. Ce qui nous inquiète et l'inquiétude
que j'ai
voulu exprimer, ce serait au contraire une recentralisation qui serait
subséquente à des coupures de budget. L'inquiétude s'est
éveillée, d'abord, bien entendu, avec les resserrements qu'on
sent partout et, également, avec la fermeture de certaines stations
régionales de Radio-Québec. Pour nous, en région, c'est
une catastrophe. Je ne parle pas que de l'Outaouais, je parle de toutes les
régions. Est-ce que vraiment on veut retourner à l'époque
où il y avait Montréal et la brousse? C'est là notre
inquiétude, mais maintenir...
Mme Bacon: ...maintenir les conseils régionaux et le
bureau.
Mme Joubert: Maintenir la régionalisation des
structures.
Mme Bacon: Oui, nous avons des bureaux régionaux dans les
dix régions.
Mme Joubert: Oui. Les conseils régionaux font un excellent
travail, je crois. II y a eu des chicanes entre les bureaux du ministère
et les conseils de la culture, c'est vrai, mais, mon Dieu, c'est la vie.
L'Opposition et le gouvernement se chicanent tout le temps, mais il est
important qu'il y ait une opposition, n'est-ce pas? C'est le principe de la
balance du pouvoir et je pense que, dans les régions, les conseils de la
culture jouent le rôle de balance du pouvoir. C'est très bien.
Mme Bacon: Nous subventionnons notre opposition.
Mme Joubert: Mais oui, c'est fort bien. Mme Bacon: Merci,
Mme Joubert. Des voix: Ah! Ah! Ah!
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre.
M. le député de Saint-Jacques, je sens que vous avez
là beaucoup de matière à intervention.
M. Boulerice: Oui. Mme Joubert, vous avez failli faire rompre ce
qu'on s'était promis au début de vivre durant cinq ou six jours
entre gouvernement et Opposition, le temps d'une paix au profit de la culture.
Mais je pense que la volonté de le faire est solide et on ne la brisera
surtout pas ce matin, n'est-ce pas, Mme Bacon?
Mme Joubert, vous avez touché un point qui m'intéresse
particulièrement. Vous avez demandé: Est-ce qu'il y a ici des
gens qui viennent des régions? À cela, je réponds: Oui,
moi, je viens d'une région qui s'appelle Montréal.
Le Président (M. Trudel): L'est de Montréal.
M. Boulerice: Et mon collègue de Bourget dit: Une
région qui s'appelle l'est de Montréal. D'accord.
Le Président (M. Trudel): Que nous partageons,
d'ailleurs.
M. Boulerice: Que nous partageons en franche camaraderie, il faut
le dire. Sauf que, mon Dieu, pour la majorité de la population de
Montréal, les gens de Montréal ne sont pas nécessairement
des gens qui y sont nés, qui sont à Montréal depuis des
générations. Ils viennent des régions. Donc,
effectivement, je pense que les régions sont extrêmement
importantes et j'emploie, depuis quelque temps, une phrase qui résume
bien l'opinion que ma formation politique a face aux régions quant
à son développement sous toutes les formes, qu'il soit
économique, social, culturel, politique, etc., qui est: A quoi cela
sert-il de nourrir un corps et une tête si on laisse les membres
s'atrophier? Pour nous, les membres sont les régions, effectivement.
Quand vous parlez de la banque de prêts d'oeuvres d'art, vous
dites que 66 % des artistes inscrits viennent de Montréal, qui est,
disons, la région numériquement la plus importante, avec au moins
2 500 000 personnes. Après, vous parlez de 15,8 % pour Québec et
18,2 % pour l'ensemble des autres régions. Quel serait, d'après
vous, le pourcentage qui répondrait le plus à une certaine
équité? (11 heures)
Mme Joubert: J'aimerais répondre à votre question
en commençant par le commencement. Vous me dites que vous venez de la
région de Montréal, que vous venez aussi d'une région.
J'ai entendu fréquemment cette argumentation-là.
Montréal est peut-être, théoriquement, une
région, mais je pense que vous savez fort bien de quoi je parle et que
la comparaison ne peut pas se faire. Les régions sont extrêmement
fragiles à tous les points de vue et la justice ici ne consiste pas
à donner la même chose à tout le monde mais à aider,
pour un temps du moins, les plus faibles afin de briser le cercle vicieux qui
fait que, si les artistes ne peuvent pas gagner leur vie en région, ils
doivent, bien entendu, se diriger vers Montréal, ce que d'ailleurs ils
font en très grand nombre.
Quant au pourcentage que nous considérerions comme juste - je ne
me suis jamais arrêtée à y penser - je ne l'ai pas
cité pour déplorer qu'il ne soit pas plus grand, mais pour vous
faire constater à quel point la situation des régions est fragile
et qu'on ne peut, en tout cas, le faire diminuer.
M. Boulerice: Je pense qu'au niveau des arts le Québec est
fragile de par sa situation et sa population. Bien entendu; au niveau des
régions, la fragilité est peut-être plus accentuée
qu'en milieu métropolitain et j'entends par là peut-être
Québec ou Montréal.
Tantôt, vous avez parlé de Radio-Québec et de la
fermeture de certaines de ses antennes et de ses centres de production et de
diffusion. Vous avez parlé de "déculturalisation". Je pense
qu'effectivement Radio-Québec avait ou devait avoir un rôle
extrêmement important au niveau véhicule de l'art et de la
connaissance de l'art québécois. Est-ce que vous pourriez me
tracer un portrait de la promotion et de la diffusion des arts visuels en
région actuellement? Peut-être pourrions-nous prendre comme
exemple la région d'où vous venez. C'est une région
frontalière, avec des conditions qui sont particulières puisque
vous avez, d'une part, une région que je vous ai nommée
tantôt et qui comporte une métropole sur son territoire et, en
face, une autre ville qui est quand même très importante et qui
véhicule aussi une culture peut-être différente de la
nôtre.
Mme Joubert: Je suis un peu gênée de
m'étendre autant sur une question qui, évidemment, touche les
régions de façon particulière, bien que j'y croie
énormément. Enfin, j'espère que le CAPQ ne me reprochera
pas d'avoir autant mis l'accent sur ce point.
Pour répondre à votre question, la promotion ou la
diffusion des arts visuels en Outaouais je ne peux pas vous parler des autres
régions, je ne les cannais pas - se fait, pour l'instant,
malheureusement, en partie, quand elle se fait. Si vous me permettez, je vais
vous parler des arts visuels, puisque je représente le Conseil des
artistes peintres. Elle se fait par un journal, un journal franco-ontarien qui
s'appelle Le Droit. Nous n'avons pas, dans la région de l'Outaouais, un
seul journal important publié chez nous. Il y a de très petits
journaux locaux - ce sont presque des bulletins - qui circulent dans
différentes petites villes, mais nous n'avons pas un grand journal dans
l'Outaouais québécois. Cela n'existe pas. C'est le Droit qui fait
cela.
Je vais vous faire rire. Cela fait du bien de rire un peu de temps en
temps. J'ai participé à cela, il y a un certain nombre
d'années. Je faisais la critique des arts pour le Droit. Après
l'avoir fait - mon Dieu, c'est effrayant, ils vont me jeter des roches si je
raconte cela en commission parlementaire, mais c'est vrai - après deux
ans et demi, à 45 $ par semaine, pour la critique des arts, soit dix ou
douze heures de travail, je leur ai demandé une augmentation de 5 $ et
ils ont dit non. Alors, j'ai cessé de la faire.
Depuis ce temps, ce sont des étudiants ou des gens qui, donc,
acceptent des miettes et qui font ce travail. Je ne veux pas les noircir, mais
ce n'est pas très fort. Cela, c'est pour la presse écrite.
Evidemment, il y a une espèce de petit journal qui s'appelle le
Régional de l'Outaouais, qui est publié grâce à des
commandites incroyables - ce n'est que de la publicité qu'il y a
là-dedans - et qui fait des petites choses de temps en temps aussi. Ce
n'est pas très prestigieux. On n'oserait pas trop mettre cela dans notre
CV.
Côté médias électroniques, eh bien! il y
avait donc Radio-Québec, II y a également une ou deux petites
stations privées, des petits postes communautaires et, encore une fois,
il y a surtout ce qui se passe à Ottawa, c'est-à-dire que c'est
Radio-Canada à Ottawa, c'est Skyline Cablevision, ce sont les
médias d'Ottawa qui couvrent ou qui font le plus gros de la promotion de
ce qui se passe dans l'Outaouais québécois. C'est très
important, dans le domaine de la presse écrite ce qui se fait de mieux
dans l'Outaouais québécois, cela se fait à Ottawa, c'est
The Citizen, un journal anglophone d'assez bonne qualité publié
à Ottawa, qui a une critique d'art dévouée qui traverse la
rivière et qui vient chez nous voir ce que nous faisons pour en parler
dans The Citizen, en anglais. Voilà.
M. Boulerice: Je vais vous demander, s'il vous plaît, de
raccourcir un peu vos réponses; sans cela, vous allez brûler les
questions qu'il me reste à vous poser.
Mme Joubert: D'accord.
M. Boulerice: On vient de parler de la promotion, mais pour ce
qui est de la diffusion en termes d'équipement, dans la région de
l'Outaouais, quelle est la situation des galeries d'art, surtout des galeries
d'art contemporain et de la muséologie?
Mme Joubert: II n'y a pas de musée. M. Boulerice:
II n'y a pas de musée.
Mme Joubert: Nous avons deux galeries d'art tout nouvellement
accréditées grâce à Mme Bacon, merci. Il
était temps, nous en sommes bien heureux.
M. Boulerice: Vous m'écoutez bien, je suis content.
Mme Bacon: Non, c'est parce qu'il pensait que rien n'avait
été fait, madame.
Mme Joubert: Nous avons...
M. Boulerice: Une bonne influence.
Mme Joubert: ...donc deux galeries d'art nouvellement
accréditées qui s'occupent d'art contemporain, qui sont des
galeries à but non lucratif. Nous avons une galerie municipale
d'excellente qualité, tenue par la ville de Mull.
M. Boulerice: Ce n'est pas suffisant, bien entendu.
Mme Joubert: II y a peut-être deux petites galeries
commerciales dont je préfère ne pas parler.
M. Boulerice: D'accord.
Mme Joubert: On me comprendra.
M. Boulerice: Vous êtes la deuxième, peut-être
la troisième intervenante à mentionner ce point. Je ne suis pas
intervenu aux deux premiers, voulant m'assurer que si le sujet était
pour revenir... Vous avez parlé tantôt d'abris fiscaux lors de
l'achat d'oeuvres d'art. Est-ce que vous voyez cela comme un genre de REA,
régime épargne-art?
Mme Joubert: Tiens!
M. Boulerice: Si oui, comment allons-nous procéder pour
cela? Est-ce qu'on va être obligés, après, d'établir
peut-être une espèce de commission des valeurs mobilières
de l'art, de façon à pouvoir coter le véritable prix d'une
oeuvre d'art, accréditer les artistes comme on accrédite,
à la Commission des valeurs mobilières, les compagnies
émettrices de bons, etc.?
Mme Joubert: Je pense que ce n'est pas si compliqué que
cela. D'abord, il est relativement facile d'établir la cote d'un
artiste, on n'a qu'à se référer à deux ou trois
listes d'expositions et, tout de suite, on a une idée des prix
réellement demandés par un artiste dans des expositions
réelles, tout cela pour éviter - je ne sais pas - la
possibilité de fraude. Je pense, en deuxième lieu, que les
associations d'artistes, dont la nôtre, pour lesquelles nous demandons un
peu plus de pouvoirs réels et administratifs, pourraient jouer un
rôle très important là-dedans également.
M. Boulerice: Est-ce que vous partagez mon point de vue à
savoir que si on établissait une espèce de régime
d'épargne-art qui permettrait... De toute façon, il ne faut pas
se le cacher, l'art pour l'art est très intéressant, mais de plus
en plus de citoyens considèrent également l'art comme un
investissement et c'est tout à fait légitime. Si on
établissait un régime d'épargne-art qui permettrait
à celui qui achète d'avoir certains abris fiscaux, qui
permettrait à celui qui produit de vendre et si on établissait
forcément peut-être une espèce de commission de valeurs
mobilières de l'art qui permettrait de coter, on en arriverait
peut-être à créer au Québec - ce qui serait
exceptionnel parce que je ne pense pas que cela se fasse ailleurs, cela aurait
peut-être l'avantage de se faire chez nous -une bourse des arts. Quand je
parle de bourse, je ne parle pas de bourse dans le sens de...
Mme Joubert: J'ai bien compris.
M. Boulerice: ...un "stock exchange" de l'art, au Québec.
Est-ce que ce serait, d'après vous, un moteur, un élément
extrêmement dynamique pour la peinture, pour les arts plastiques au
Québec?
Mme Joubert: Je pense que s'il existait sous cette forme, qui
m'apparaît très innovatrice et imaginative et qu'il faudrait
étudier en détail avant de s'avancer, ou sous une forme
légèrement modifiée ou sous une autre forme, quelque chose
représentant un abri fiscal, je crois que cela serait une incitation
considérable à l'achat d'oeuvres d'art.
M. Boulerice: Je vous remercie pour le qualificatif
d'innovatrice. Ma formation politique n'assumera pas les droits de suite ou les
droits d'auteur là-dessus. Quiconque voudra bien le prendre et
l'appliquer aux arts aura notre accord.
Une toute petite dernière, Mme Joubert. Tantôt, vous avez
parlé d'un sentiment de discrimination quant aux jurys.
Mme Joubert: D'une possibilité.
M. Boulerice: D'une possibilité. D'accord. Sans en faire
une question, je vais vous répondre que s'il y a possibilité,
s'il y a sentiment, je pense que cela est peut-être suffisant pour
regarder de plus près au principe du droit à
l'équité.
Je vais vous quitter là-dessus en vous remerciant beaucoup
d'avoir voulu répondre à mes questions.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques.
Madame, j'aurais eu quelques questions, à mon tour, à vous
poser, mais malheureusement le temps avance rapidement et nous avons encore
deux groupes à entendre ce matin. Nous devons absolument ajourner nos
travaux à 13 heures. Donc, je me contenterai de vous remercier
d'être venue nous voir ce matin. Je vous souhaite un bon voyage de
retour. Rendant publique une conversation, malheureusement très rapide,
que nous avons eue tantôt, je vous prierais de transmettre, au nom de la
commission, nos meilleurs
voeux à votre fils qui se marie, m'avez-vous dit, demain. Bon
voyage de retour, madame.
Mme Joubert: Merci.
Le Président (M. Trudel): Nous accueillons maintenant le
Centre d'essai des auteurs dramatiques. Je n'ai pas le bon. Je m'excuse. Nous
accueillons maintenant le Conseil québécois du
théâtre à qui je souhaite la bienvenue. Par qui est-il
représenté ce matin?
Conseil québécois du
théâtre
Mme Begin (Catherine): Par Catherine Begin, M. le
Président.
Le Président (M. Trudel): Mme Catherine Bégin et M.
Pierre Rousseau.
Mme Bégin (Catherine): M. Pierre Rousseau,
vice-président du Conseil québécois du
théâtre. Notre directrice générale par
intérim, Mme Marie-Christine Larocque, devait être avec nous.
Malheureusement, un problème de santé le lui a interdit. Nous
aurons donc peut-être tout à l'heure, selon la circulation sur le
pont Pierre-Laporte... Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais il y
a des tas de problèmes pour les gens qui arrivent de Montréal.
Nous avons été bloqués une heure.
Le Président (M. Trudel): Est-ce qu'il y en a pour ceux
qui désirent en sortir rapidement? Vous ne savez pas?
Mme Bégin (Catherine): Je l'ignore. De ce
côté-là, je crois que cela va. Il est donc possible que
nous ayons avec nous notre secrétaire général, M. Pierre
Paquet, s'il arrive à nous rejoindre.
Le Président (M. Trudel): Madame, je vous souhaite la
bienvenue et vous cède immédiatement la parole pour vos remarques
préliminaires.
Mme Bégin (Catherine): Merci, M. le Président. Je
me contenterai tout simplement de relire ce bref énoncé de
principe. Nous ne soumettons pas de mémoire.
Le Conseil québécois du théâtre a pour
principale fonction de représenter, promouvoir et défendre les
intérêts du milieu théâtral
québécois.
Élu par un congrès biennal réunissant tous ceux et
celles qui oeuvrent en théâtre à titre de professionnels,
le Conseil québécois du théâtre se compose de quinze
membres. Sept d'entre eux sont délégués par les
associations professionnelles reconnues par le congrès, qui sont: les
Théâtres associés Inc., l'Association des professionnels
des arts de la scène, l'Association québécoise du jeune
théâtre, le Centre d'essai des auteurs dramatiques, l'Union des
artistes, la Maison québécoise du théâtre pour
l'enfance et la jeunesse et l'Association québécoise des
marionnettistes. Quatre autres membres, élus lors du congrès,
représentent des compagnies théâtrales de statures et de
missions artistiques différentes. Enfin, quatre autres membres
élus équilibrent la composition de ce conseil et
représentent les intérêts des artisans du
théâtre, mais, cette fois, en tant qu'individus.
L'évolution du Conseil québécois du
théâtre est marquée par trois grandes manifestations qui
recoupent sa jeune histoire, soit, en 1981, les États
généraux du théâtre professionnel du Québec,
qui ont abouti à la formation du Conseil québécois du
théâtre, et, en 1983 et en 1986, respectivement, les premier et
deuxième congrès québécois du théâtre.
Ces événements ont, chacun, accueilli au-delà de 200
professionnels du théâtre de toutes tendances et de pratiques
diverses. Les recommandations qui suivent sont donc essentiellement
inspirées des résolutions adoptées lors de ces trois
manifestations largement démocratiques.
Dans le cadre de l'enquête du gouvernement québécois
sur le statut de l'artiste, le Conseil québécois du
théâtre trouve nécessaire de mettre en lumière le
cadre général de société qu'il croit propre
à favoriser l'épanouissement de l'exercice théâtral
au Québec. Un tel cadre appelle une amélioration du statut de
l'artiste tenant compte de la pluralité des pratiques, de la
variété des métiers de théâtre et de la
valorisation des structures et des compagnies de théâtre
essentielles à la continuité d'une bonne pratique
théâtrale. Nos recommandations reposent sur trois axes: le
politique, l'économique et les équipements culturels. (11 h
15)
Le politique. L'appui offert aux artistes par nos dirigeants
québécois doit émaner d'une pleine confiance des
gouvernants face à chacun de ces citoyens productifs et doit
correspondre à une empathie de bon aloi face au travail risqué et
aux conditions éphémères propres à l'exercice du
métier d'artiste.
Le Conseil québécois du théâtre redemande au
gouvernement -du Québec, plus particulièrement au
ministère des Affaires culturelles, de s'engager définitivement
à réaliser sa politique de soutien au théâtre,
puisque cette politique est le fruit d'une longue consultation auprès du
milieu théâtral et correspond dans son ensemble aux aspirations
exprimées par le milieu.
Pour accentuer la volonté d'harmonisation des rapports qui se
dessine de plus en plus nettement entre les
structures gouvernementales et le milieu des arts et pour raffermir
l'action tant des gouvernants que des créateurs, nous demandons la mise
sur pied de mécanismes de consultation étroite et suivie entre le
ministère des Affaires culturelles et le milieu du théâtre
(un comité du suivi des politiques): entre le ministère des
Affaires culturelles et les autres ministères et organismes parapublics
concernés de près ou de loin par les milieux artistiques; enfin,
entre le MAC et les stuctures correspondantes aux deux autres niveaux de
gouvernement, municipal et fédéral.
Nous demandons que la province de Québec, à titre de
maître d'oeuvre de la culture au Québec, veille à
encourager et même à inciter les trois niveaux de gouvernement
à prendre leurs responsabilités face au soutien financier des
arts au Québec, de telle sorte que ni le provincial, ni le
fédéral, ni le municipal ne prétendent pouvoir s'exclure
de leurs devoirs face aux affaires culturelles.
Nous demandons que le gouvernement reconnaisse l'importance fondamentale
du théâtre en région et favorise, par les investissements
économiques, sociaux et politiques nécessaires, la
professionnalisation et le rayonnement du théâtre dans toutes les
régions du Québec.
L'économique. Nous demandons que le gouvernement du Québec
reconnaisse un statut particulier à l'artiste professionnel et tienne
compte, dans l'élaboration de sa politique fiscale, de la
pluralité des pratiques et des métiers dans le domaine
théâtral.
Étant donné l'absence de tradition d'une contribution
significative du milieu des affaires dans le développement des arts
ainsi que la multiplication des pressions gouvernementales auprès des
organismes artistiques afin que ces derniers développent des liens
étroits avec le secteur privé, nous demandons que des incitatifs
fiscaux et des mesures législatives soient mis en place dans les plus
brefs délais afin de stimuler la participation financière des
entreprises privées et des individus dans le domaine des arts.
Nous demandons au gouvernement de stopper la décroissance des
fonds et le régime de contraintes budgétaires qu'il impose au
milieu artistique afin d'assurer aux artistes et aux praticiens de
théâtre des rémunérations décentes; de
permettre aux compagnies et aux structures de survivre autrement que dans
l'indigence; de rendre justice aux nombreux projets artistiques qui ne peuvent,
à l'heure actuelle, voir le jour à cause du manque chronique de
fonds nécessaires à la création.
Si, au cours de la présente enquête, nous
préférons laisser à chacune de nos associations membres le
soin de faire valoir les différents aspects de sa pratique
professionnelle et la conception même d'un statut de l'artiste qui en
découle, nous croyons toutefois essentiel de faire valoir les conditions
générales de travail qui permettraient à tous les artisans
d'améliorer leur pratique du théâtre.
À ce chapitre, et tel que préconisé dans les
nombreux rapports sur le sujet, les équipements culturels (salles,
camions, éclairages, encadrements publicitaires, etc.) doivent
être considérés comme des outils de travail essentiels aux
artistes et aux compagnies professionnelles et devenir à court terme une
priorité sans équivoque du ministère des Affaires
culturelles. En effet, il faut que l'indigence dont souffrent les
équipements culturels au Québec soit résorbée
rapidement par des politiques adéquates, ce qui implique, entre autres,
l'amélioration des salles déjà existantes, l'ouverture de
nouvelles salles, l'organisation d'un réseau de tournées pour les
professionnels des arts de la scène à l'échelle
provinciale.
Enfin, nous souhaitons vivement que le gouvernement
québécois puisse favoriser l'intégration des rêves,
des recherches, des visions et des productions de nos artistes dans la
société québécoise et qu'il sache bannir la
médiocrité et la suspicion de ses engagements face au milieu des
arts. Ce serait la manière la plus juste, à notre avis, d'assurer
aux artistes de notre société un statut honorable.
En résumé, afin d'améliorer le statut de l'artiste
dans la société, le Conseil québécois du
théâtre, propose, entre autres pistes, la mise en application
immédiate de la politique de soutien au théâtre du
ministère des Affaires culturelles, la consultation suivie du
ministère avec le milieu des artistes, avec les autres ministères
concernés de près ou de loin par les arts et avec les deux autres
niveaux de gouvernement, la reconnaissance du travail théâtral en
région, l'établissement d'une politique fiscale
particulière aux artistes qui tienne compte de la pluralité des
métiers et des tendances de la pratique théâtrale, la mise
sur pied d'abris fiscaux pour les compagnies privées et les individus
afin de favoriser le financement privé dans le domaine des arts et la
mise en oeuvre rapide d'une politique des équipements culturels au
Québec. Je vous remercie, M. le Président.
Le- Président (M. Trudel): Je vous remercie, Mme la
présidente. Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. En vous souhaitant la
bienvenue, Mme Bégin, M. Rousseau, j'aimerais vous remercier pour votre
travail de réflexion dont l'idée maîtresse repose
évidemment sur cette nécessité de réaliser une
politique de soutien du théâtre. Je veux bien partager votre
point
de vue et, comme vous, j'estime qu'une confiance doit régner
entre les dirigeants tant gouvernementaux que ceux des secteurs culturels en
général. Comme vous, je suis également d'avis qu'une telle
politique doit être le fruit d'une longue consultation auprès du
milieu théâtral. Vous savez bien qu'aujourd'hui je ne suis pas en
mesure de vous fixer des échéanciers précis, relativement
à un tel projet. Néammoins, je vous félicite pour votre
mémoire. Il nous propose des fondements intéressants quant
à une nouvelle politique de soutien au théâtre.
En page 2 du mémoire, vous identifiez les ministères et
les instances gouvernementales avec lesquels le ministère des Affaires
culturelles devrait tenir des consultations en vue d'une éventuelle
politique de soutien au théâtre. Est-ce que cette
énumération constitue des étapes à franchir de
façon successive ou bien si votre idée serait plutôt de
réunir tous ces intervenants sous un même parapluie?
M. Rousseau (Pierre): Notre objectif, naturellement, n'est pas de
faire, je dirais, une liste comme ça. Effectivement, an vise
plutôt quelque chose d'horizontal, qu'une communication réelle se
fasse entre les différents ministères, entre les organismes et
également entre les différents paliers subventionnaires. La
plupart des compagnies dépendent toujours de deux ou trois paliers
subventionnaires. Au-delà des subventions qui sont appliquées
directement au fonctionnement des compagnies, aux projets artistiques, il y a
également tous les programmes de création d'emplois du
gouvernement fédéral, par exemple, où il nous semble
important que le Québec puisse dire son mot pour qu'il y ait une
réelle concertation, qu'il y ait vraiment une politique de fond qui
s'établisse et qu'on permette effectivement de soutenir un petit peu
mieux les compagnies qui existent, principalement les jeunes compagnies qui,
très souvent, dépendent beaucoup de ces programmes de
création d'emplois.
Au Québec, entre les ministères, bien naturellement, il y
a des consultations qui nous semblent importantes à tenir entre, par
exemple, le ministère de l'Éducation du Québec et le
ministère des Affaires culturelles concernant toute la question du
théâtre dans les écoles. Même chose au niveau
minicipal. On traite un peu de la question municipale car il nous semble qu'il
serait temps que tout le monde mette l'épaule à la roue dans la
question des municipalités qui, au niveau des affaires culturelles,
très souvent semble un des aspects un peu délaissés. Si on
pouvait, dans les années qui viennent, faire des pressions en ce sens,
on pourrait en arriver au fameux 1 % - dont tout le monde parle toujours -des
budgets de n'importe quel niveau de gouvernement qui devrait aller aux
activités artistiques professionnelles.
Naturellement, il y a toujours la question dite "culturelle", entre
guillemets, versus les activités professionnelles artistiques. Nous
faisons une démarcation pour éviter le conflit dont fait l'objet,
à l'heure actuelle, le budget du Conseil des arts à la CUM sur la
question du montant d'argent pour les activités culturelles à la
ville de Montréal. Or, aux activités artistiques
professionnelles, il n'y en a pas tant que cela, quand on enlève
l'aquarium et toutes ces choses-là. C'est un peu notre objectif. On n'a
pas d'échéancier, à savoir que, d'ici à deux ans,
il faudrait que telle ou telle chose soit faite. On pense qu'il doit commencer
à régner une espèce d'ère de concertation,
disons.
Mme Bégin (Catherine): Vous me permettez, M. le
Président.
Mme Bacon: Et que ces intervenants...
Mme Bégin (Catherine): Pardon, Mme la ministre.
Mme Bacon: Je voulais dire que ces intervenants-là soient
sous un même parapluie, au fond, qu'ils travaillent tous ensemble.
M. Rousseau: C'est ce qu'on souhaite. On pense que, dans le fond,
c'est pour l'amélioration des arts, d'après ce que j'ai compris
tout à l'heure de l'intervention du député de
Saint-Jacques, M. Boulerice, qui disait que vous faisiez la paix pour le temps
de la commission. Nous souhaitons que cette paix règne pour les
années à venir autant entre les gens de l'Assemblée
nationale, ici, qu'entre le Québec et le fédéral et les
municipalités. Pour nous, le développement des arts, cela
dépasse le simple fait du Québec, d'Ottawa, etc.
Mme Bacon: D'accord. Oui, Mme Bégin.
Mme Bégin (Catherine): C'était pour revenir
à votre question, Mme la ministre. En fait, il ne s'agit donc pas d'un
procédé d'étapes, mais bien d'une état de
cohésion que nous souhaitons voir exister et perdurer.
Mme Bacon: D'accord. Vous demandez au gouvernement de tenir
compte de la pluralité des pratiques et des métiers dans le
domaine théâtral lors de l'élaboration de sa politique
fiscale. Est-ce que vous pouvez nous mentionner quelques situations
vécues dans votre milieu qui font que vous exigiez ou que vous demandiez
de tenir compte de la pluralité des pratiques et des métiers?
Mme Bégin (Catherine): II existe, dans
des petites compagnies théâtrales, par exemple, des
interprètes qui fonctionnent à l'année, appartenant
à leur propre compagnie de théâtre comme des
salariés parce qu'ils n'exercent pas que le métier
d'interprète. Ils s'occupent également de brosser les
décors, ils conduisent le camion pour aller en tournée, Ils
travaillent au bureau, ils font la publicité, etc. Leur statut en tant
qu'artiste interprète ne peut être considéré comme
tel, uniquement, comme celui d'un artiste interprète qui fonctionnerait
en entrepreneur indépendant. Nous regroupons également des
créateurs qui ne peuvent pas, pour l'instant, voir recouper leur statut
au même titre que celui de l'artiste interprète. Par exemple, un
metteur en scène, un scénographe, un auteur ne relèvent
pas du même statut artistique que celui de l'artiste interprète.
Je ne sais pas s'il y a des anecdotes plus précises que nous pourrions
donner. Enfin, je vous mets sur cette voie tout au moins.
Mme Bacon: D'accord. Merci. La plupart de vos demandes sont
reliées évidemment aux activités qui ont des incidences
économiques et financières; je ne veux pas minimiser cela.
Cependant, j'aurais quand même aimé entendre quelques
réflexions sur la qualité du travail théâtral et
principalement, puisqu'on en a parlé beaucoup ici, sur la question de la
formation des jeunes qui constituent la relève et le
développement. On a parlé beaucoup de formation depuis le
début de cette commission parlementaire.
Mme Bégin (Catherine): Nous avons, au Conseil
québécois du théâtre, un comité qui a
été formé à la suite d'une résolution du
congrès et du précédent congrès. C'est donc dire,
Mme la ministre, qu'il s'agit, chez nous, d'un souci très important, la
formation professionnelle. Nous avons au Québec plusieurs écoles
où la diffusion de l'art dramatique risque de se recouper à plus
ou moins brève échéance. Il n'existe pas non plus de
contingentement sur le marché scolaire professionnel. Il est donc
très important de vérifier quelle serait peut-être une
solution face à ce problème de la formation.
Pour ce qui est de la qualité du travail artistique, nous
pouvons, je crois, affirmer que si ce n'est académiquement, à
l'heure présente, depuis une bonne dizaine sinon une bonne quinzaine
d'années, les artistes de la scène au théâtre chez
nous sont véritablement des professionnels et la qualité de leur
travail, c'est grâce, d'une part, à leur formation et à
leur pratique. Mais j'aimerais faire le point sur une situation qui se produit
chez nous. Nous ne sommes pas le seul pays où elle se produise, mais
elle est dramatique chez nous. La qualité de l'exercice de notre
métier relève également, bien sûr, du soutien
financier. C'est donc dire que c'est très fréquemment sur la vie
même de l'artiste, sur sa santé, que reposeront les
énergies qu'il apporte à l'exercice de son métier parce
qu'il lui faudra pallier lui-même au manque, justement, de moyens
pécuniaires. (11 h 30)
M. Rousseau: J'ajouterais, Mme Bacon, pour ce qui est de la
formation, qu'effectivement nous avons un comité qui travaille à
cette question. Nous nous sommes donné un échéancier de
six à huit mois pour préparer quelque chose. Nous désirons
intervenir sur cette question. Nous nous excusons de ne pas être
prêts pour la présente assemblée.
À ce sujet, le précédent conseil, qui était
présidé par Jean-Luc Bastien, avait suivi les travaux d'un
comité interministériel chez vous entre les fonctionnaires du
ministère des Affaires culturelles et ceux du ministère de
l'Éducation du Québec. Jean-Luc Bastien avait participé
à une ou deux rencontres exploratoires à ce sujet.
Nous savons qu'à l'heure actuelle la question des écoles
de théâtre est une question qui revient, qui se promène
beaucoup parce que, à chaque année, plusieurs jeunes nouveaux
acteurs et actrices sortent des écoles avec plus ou moins de
possibilité de trouver de l'emploi, le marché étant
très réduit. Cette question nous préoccupe
énormément. Nous comptons bien, dans les prochains mois,
intervenir là-dessus et aimerions aussi savoir ce qui se passe avec ce
comité qui existait il y a quelques mois. Est-ce qu'il existe toujours?
Est-ce que ses travaux vont continuer? Où en est la question? Comme je
sais que la question de la formation et du perfectionnement est à
l'ordre du jour, est-ce que vous comptez sur la commission parlementaire pour
intervenir là-dessus? Ce sont des choses que nous souhaiterions aussi
savoir, bien entendu.
Pour ce qui est de la qualité, je me permettrai d'apporter une
précision là-dessus. Également, au Québec, nous
avons invité depuis plusieurs années pour des stages de
perfectionnement, soit par les universités, soit par nos associations,
différents artistes, metteurs en scène, etc., de
l'étranger qui venaient soit pour travailler ici avec des
comédiens ou... Tous nous disaient que, vraiment, au niveau de la
qualité d'interprétation, ils étaient très heureux
de voir le bassin d'acteurs et d'actrices, qu'il y avait ici de grandes
qualités, sauf qu'ils soulignaient tous que c'était incroyable de
voir la pauvreté des moyens dont disposent ici les compagnies. C'est
pour cela que nous insistons sur l'aspect financier pour permettre un
encadrement plus important parce que, depuis plusieurs années, plusieurs
compagnies de théâtre sont réduites à employer deux
ou trois acteurs.
C'est très récent que nous ayons pu
voir sur les scènes de Montréal tout à coup des
distributions de dix ou quinze personnes. Cela fait donc du bien de voir des
comédiens qui peuvent pratiquer leur métier parce que, pendant
quelques années, pendant les années de la crise récente,
c'était très rare. Pour nous, cela fait partie de nos
préoccupations également de faire en sorte qu'il y ait de
l'emploi pour les comédiens d'ici.
Mme Bégin (Catherine): Si je peux me permettre, Mme la
ministre, voilà quelque chose de très grave et peut-être de
particulier aux arts d'interprétation. C'est que le manque de moyens ne
fait pas seulement que moins d'artistes peuvent exercer leur métier, ce
qui est déjà rogner les ailes à la
créativité, mais aussi, pour ceux-là qui peuvent encore le
faire, que la production théâtrale va être amenuisée.
Donc, la créativité en soi est profondément
affectée, profondément, par le manque de moyens et non seulement
le nombre d'artistes.
Mme Bacon: D'accord. À la page 4, vous parlez de
l'amélioration de salles existantes, de l'ajout de nouvelles salles. Le
regroupement des professionnels de la danse a demandé des salles dans
les principaux centres régionaux du Québec. Les musiciens ont des
souhaits analogues. Comme, dans bien des cas, une même salle pourrait
servir pour le théâtre, la danse, la musique, y a-t-il
concertation entre les groupes de ces trois secteurs et les conseils
régionaux de la culture, par exemple, pour effectuer des pressions
auprès des élus municipaux? Lorsque dans une ville
régionale on parle de se doter d'un centre culturel, est-ce qu'il est
possible de regrouper tous ces secteurs d'activité avec nos bureaux
régionaux? On parlait de régions tantôt, on revient encore
aux régions. Mais quand, dans une ville régionale, on parle de se
doter d'un centre culturel, comme c'est le cas dans certaines régions,
est-ce qu'il est possible de regarder cela ensemble pour pouvoir utiliser une
salle qui soit multidisciplinaire?
Mme Bégin (Catherine): II faut absolument que ce soit
ensemble, effectivement, que la chose soit étudiée. Si vous me
permettez, Mme la ministre, de vous répondre à titre d'individu,
je dirai que je ne sache pas qu'une salle puisse être multidisci-plinaire
de façon aussi aisée que cela. Le théâtre a des
besoins particuliers, la musique également. Nous avons eu, en
métropole, l'exemple d'une politique qui a été
appliquée avant que le milieu soit consulté. Nous verrons les
résultats de divers établissements, par exemple, face au profit
de la chose artistique. Pour ce qui est du théâtre même, je
reste, pour l'heure, dubitative.
M. Rousseau: Pour ce qui est des régions, j'ajouterais
qu'effectivement la consultation doit être possible. Je crois même
que, d'après mon expérience des conseils régionaux de la
culture, on a plus ou moins le choix, en région, de se concerter.
Effectivement, les équipements sont restreints, etc. Pour ce qui est de
Montréal, je crois que c'est différent. J'ai pris connaissance
rapidement des données du rapport PLURAM qui a été fait
pour le ministère et le Conseil des arts de la CUM et je pense
qu'à Montréal, c'est clair que cela prend des salles distinctes
et que, surtout, il faut se protéger contre toute nouvelle salle
Félix-Leclerc, un genre de projet qui a été fait
rapidement et qui ne répond pas aux besoins des gens ni de la danse, ni
du théâtre. Je croîs qu'à l'avenir il faudra
être plus prudent, sans toutefois retarder aux calendes grecques tout
nouvel aménagement ou encore toute nouvelle construction de salle.
Pour ce qui est des régions, puisque les conseils
régionaux de la culture regroupent les différentes pratiques, la
consultation peut se faire là. Sauf que, quand on parle de centre
culturel, très souvent on se retrouve avec une grande salle - les gens
voient grand - de 600 à 800 places qui, malheureusement, ne peut
accueillir que des manifestations qui viennent de Montréal et qui sont
assez publicisées pour remplir ladite salle. Les activités
régionales, les pratiques qui se font en région, n'ont pas le
même genre de publicité, n'ont pas le même genre
d'engouement auprès du public et ne peuvent pas se produire dans ces
grandes salles. Je pense que le problème est beaucoup plus là.
Quand on parle de salles de 200 à 300 places, pour ce qui est du jeune
théâtre, que ce soit à Montréal ou en région,
c'est nécessaire d'en arriver à ce quota du nombre de
sièges parce que c'est ce que peuvent attirer ces jeunes compagnies.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Mme Bégin, je suis très heureux de
vous accueillir et je vais en profiter pour vous féliciter à
nouveau pour votre récente élection à la présidence
du conseil québécois.
Mme Bégin (Catherine): Merci, M. Boulerice.
M. Boulerice: Je vais commencer par une introduction, et suivront
une ou deux questions. À la page 3, vous dites: "Nous demandons que la
province de Québec, à titre de maître d'oeuvre de la
culture au Québec, veille à encourager et même à
inciter les trois niveaux de gouvernement à prendre leurs
responsabilités face au soutien
financier des arts au Québec, de telle sorte que ni le
provincial, ni le fédéral, ni le municipal ne prétendent
pouvoir s'exclure de ses devoirs face aux affaires culturelles."
À une question posée à d'autres intervenants qui
vous ont précédés quant à l'importance du
ministère des Affaires culturelles, il s'est développé ce
que j'ai appelé avec un certain humour une vision ferroviaire des
affaires culturelles auxquelles on demandait d'être une locomotive et non
un simple wagon ou la cabane de fin de queue. Donc, face à cette
concertation provinciale-fédérale-municipale, ma position - je ne
sais pas si vous la partagez - serait que le ministère des Affaires
culturelles ne se borne pas à être le témoin de ce possible
mariage, mais bien plutôt la marieuse, pour que cela se fasse avec une
plus grande et une plus immédiate efficacité.
Vous dites: "Nous demandons que le gouvernement reconnaisse l'importance
fondamentale du théâtre en région et favorise, par les
investissements économiques, sociaux et politiques nécessaires,
la professionnalisation et le rayonnement du théâtre dans toutes
les régions du Québec." Je vais vous demander si vous pourriez
peut-être nous parler un peu plus de ces investissements et quels sont
les critères de professionnalisme auxquels vous voulez faire allusion
dans cette assertion?
M. Rousseau: À ce moment-ci, quand on parle du
théâtre en région... Le théâtre de pratique
professionnelle en région a connu, au cours des années
soixante-dix, une effervescence - si on peut dire - dans le sens où
plusieurs jeunes compagnies ont vu le jour en région. Par contre, depuis
quelques années, ce qui s'est passé, c'est que, faute de moyens
financiers, ces compagnies ont énormément de difficultés
à vivre. La plupart de ces compagnies, bien qu'installées, pour
l'ensemble, dans une région précise, sont des compagnies de
tournée. Je crois qu'elles n'ont pas le choix.
Une seule région, à l'heure actuelle, dans le contexte
économique que nous vivons, ne pourrait pas, je crois, faire vivre une
compagnie. Enfin, c'est à voir. Il y a, bien sûr, le cas de
Québec, qui est peut-être une région à part, bien
qu'elle fonctionne sur le même principe qu'un conseil régional de
la culture, contrairement à Montréal. Mais, quand on se retrouve
en Estrie, dans le Bas-Saint-Laurent, au SaguenayLac-Saint-Jean ou en
Abitibi, cela est très différent. La plupart des compagnies qui
sont là ne peuvent pas uniquement se suffire et dire: Voilà, on
va jouer nos douze représentations annuelles à Rouyn-Noranda. Je
pense que cela est impossible.
Il y a eu, pendant quelques années, certaines difficultés,
étant donné que la répartition budgétaire
fonctionnait par tête d'habitant, tout simplement. Alors, s'il y avait
tant d'habitants dans la région, il y avait tant d'argent pour les
affaires culturelles. Ce qui faisait très peu d'argent, pour les
professionnels en région, à séparer entre eux. Il y a eu
des rectifications de faites au cours des années, principalement pour
les compagnies à vocation nationale qui tournent beaucoup au
Québec ou encore, plus largement, au Canada ou même à
l'étranger. Sauf qu'on en arrive à une étape où,
tout de même, quelques-unes de ces compagnies sont rendues à
l'étape où elles pourraient mieux s'enraciner dans la
région, si on veut. Elles ont pu développer aussi, au cours des
années, quand même, un public, que ce soit dans une ville en
particulier ou dans la région en particulier. À ce
moment-là, elles auraient besoin de salles.
Je ne pense pas qu'une compagnie demande une salle exclusive. Par
contre, en Estrie, une salle de 200 ou 300 places serait vraiment la bienvenue
dans une ville comme Sherbrooke, par exemple. Elle pourrait servir pour la
danse et elle pourrait servir pour le théâtre, bien entendu; il
suffit de l'aménager intelligemment. À ce moment-là, cela
permettrait à des compagnies qui sont en région de justement
développer, avec le temps, un public qui s'attacherait à sa
compagnie, parce qu'elle est professionnelle. Cela permettrait à cette
compagnie d'en venir à un meilleur dosage, si on peut dire, entre la
tournée, que ce soit dans la région ou hors la région
nationale, et une présence dans la municipalité principale de la
région.
On peut retrouver le cas à Rimouski. On peut également
retrouver le cas, j'imagine, à Rouyn, au SaguenayLac-Saint-Jean et
dans des régions comme l'Estrie ou Hull-Outaouais. Ce sont toutes des
régions où il y a des compagnies permanentes professionnelles qui
existent mais qui ne disposent pas de salle qui leur permettrait, justement, de
mieux s'enraciner. Quand on parle, dans ce petit paragraphe, d'investissements,
je crois que c'est d'essayer d'appuyer les démarches qui se font.
Je sais, par exemple, qu'en Estrie, des pressions se font
également au niveau de la municipalité de Sherbrooke pour avoir
une salle d'une telle capacité. Elles se font au niveau de la
municipalité, elles se font au niveau du Conseil régional de la
culture et elles doivent également, je crois, se faire au niveau
fédéral. Je pense qu'on n'y échappe pas. Donc, à ce
moment-là, c'est pour cela qu'on demande au ministère des
Affaires culturelles d'appuyer les démarches qui sont faites
auprès des municipalités et de faire en sorte que si tout le
monde met un peu de soi là-dedans, finalement, il va se faire des
choses.
M. Boulerice: Le Conseil des arts de Montréal, par la voix
de son président
d'ailleurs, je crois, disait que la vie culturelle s'étiolait
à Montréal et que Montréal était en train de
perdre, peut-être d'une façon irrémédiable, son
rôle de métropole culturelle au Canada. En regard du
théâtre, est-ce que cette affirmation se vérifie?
Mme Bégin (Catherine): À travers les
siècles, voilà une chose que l'on a entendue et que l'on a pu
lire toujours. D'abord, pour ce qui est du culturel, à Montréal,
c'est l'affaire de chaque citoyen si la culture s'étiole. Pour ce qui
est de l'artistique, pour lequel nous parlons, je doute encore que cette
affirmation soit exacte quant aux produits théâtraux, quant au
nombre d'interprètes qui subsistent et persistent à faire ce
métier, en dépit du bon sens. Pour ce qui est de la
création elle-même, oui, il est un fait très grave: nos
compagnies de théâtre et parfois même parmi les plus
grandes, celles dont on aurait pu attendre des productions plus spectaculaires
- ce qui est un besoin chez le public et qui est une obligation dans le
répertoire - ont dû aller fréquemment vers des productions
du type monologue. C'est une forme de théâtre, il ne faudrait pas
que cela devienne une forme obligatoire de théâtre. En ce sens,
oui, il y a eu rétrécissement de la créativité, en
ce seul sens. (11 h 45)
M. Rousseau: Sur cette question, la fameuse notion de
métropole culturelle, je pense que c'est une notion qui a trait à
une dimension touristique. Paris est une métropole culturelle
effectivement parce que les gens qui vont à Paris, pour plusieurs, y
vont pour fréquenter les musées, aller voir des pièces de
théâtre. Je me souviens d'avoir fait la file à Paris pour
une pièce qui se donnait en français, de Corneille, et, dans la
file où on attendait pour acheter les billets, je me demande s'il y
avait plus de dix personnes d'expression française. Cela parlait
anglais, cela parlait allemand, suédois, à peu près toutes
les langues possibles, et ces gens attendaient pour aller voir un
spectacle.
Il y a beaucoup de cela dans cette notion de métropole
culturelle, sauf qu'à Montréal, dans les grands
théâtres ou les grands ensembles, que ce soit l'OSM,
l'opéra, etc., le Québec peut en compter difficilement plus d'un
ou deux par catégorie. Là où peut-être on fait mal
la "job" au niveau du CACUM ou des gouvernements, c'est de ne pas mettre
l'accent suffisamment sur tout ce qui est notre "off Broadway" à
Montréal. Je crois qu'à Montréal on a beaucoup plus de
compagnies qui seraient beaucoup plus proches de ce qu'on pourrait appeler un
"off Broadway" qu'un Broadway. Si on rêve d'avoir notre Broadway à
Montréal, cela risque de prendre beaucoup d'années et beaucoup
d'argent risque d'être perdu en investissements peut-êtres
inutiles, alors qu'il y a à Montréal énormément de
jeunes compagnies professionnelles qui font beaucoup de création, qui'
sont malheureusement peu aidées.
C'est le fameux saupoudrage dont nous parle M. Drapeau à propos
de l'argent du Conseil des arts de la CUM. Il dit que le conseil a
été créé pour soutenir les grandes compagnies et
que, si on se met à donner aux petites, on fait du saupoudrage, sauf que
la force artistique, culturelle et de création, malheureusement, c'est
là qu'elle est, dans la plupart des cas, dans les petites compagnies. Il
faudrait peut-être être plus conscients de cela et se dire: Oui, il
y a là effectivement des choses. Si on les soutient, si on permet aussi
qu'il y ait des salles et si on fait un meilleur travail de promotion
artistique, culturelle, à l'étranger, peut-être qu'on sera
intéressé à venir voir ce qui se fait ici, parce que ce
sont ces jeunes compagnies qui, pour la plupart, depuis quatre ou cinq ans,
voyagent le plus au plan international. Elles sont invitées dans des
festivals un peu partout dans le monde. C'est donc que le travail qui se fait
ici doit être de calibre pour pouvoir se frotter à d'autres
productions d'autres pays. Il faut voir aussi que ce ne sont pas des
productions comme en font M. Sthreler ou M. Brook à Paris; bien entendu,
c'est différent.
M. Boulerice: Lorsque vous parlez d'"off Broadway" dans le sens
de petites compagnies de création qui poussent, cela me fait penser
immédiatement à un petit théâtre que vous connaissez
sans doute bien et qui est la Licorne. Je rattache cela à l'assertion
que vous avez faite, à savoir l'amélioration des salles
déjà existantes et l'ouverture de nouvelles salles. Est-ce que,
chronologiquement, vous pouvez situer le besoin de cela? Est-ce que c'est un
besoin qui, pour le théâtre, vous paraît urgent, très
urgent, pour avant-hier même?
Mme Bégin (Catherine): Pour le siècle passé,
oui.
M. Boulerice: Le siècle passé.
Mme Bégin (Catherine): C'est vital, c'est notre outil de
travail. C'est vital.
M. Rousseau: Vous mentionnez la Licorne. On pourrait ajouter le
Théâtre d'aujourd'hui qui, depuis des années, souffre de ce
petit espace. C'est le seul théâtre qui se consacre uniquement
à la création québécoise. Cela fait des
années qu'effectivement il est pris dans une petite salle d'une centaine
de places. À la Licorne, c'est la même chose, il y a beaucoup de
création qui s'y fait. On pourrait ajouter le Théâtre de
Quat'Sous qui n'est pas un très
gros théâtre et qui fait constamment des prolongations. Si
on avait une salle de plus grande capacité, on pourrait faire plus de
création au cours de l'année, parce que chacune irait chercher
son public avec plus de possibilités de sièges, etc.
M. Boulerice: D'accord. Moi, je fais une distinction entre les
troupes professionnelles, entre ce que vous venez d'appeler le "off Broadway"
et ce qui est véritablement du théâtre amateur comme tel.
Premièrement, est-ce que ma distinction est bonne? Je ne prétends
pas avoir la vérité. Si oui, quelle est la situation de ce
théâtre amateur actuellement au Québec?
M. Rousseau: Le théâtre amateur a son association
qui est l'Association québécoise du théâtre amateur.
Il y a regroupement également à Montréal. Le
théâtre amateur, naturellement, n'a pas du tout les mêmes
conditions. Je crois qu'on ne peut pas mêler les choses, sauf que je vous
dirais qu'en certaines régions ce sont des compagnies amateurs qui sont
obligées d'assurer, si on veut, une présence
théâtrale et culturelle. Je pense à la Côte-Nord; je
crois qu'il y a là une compagnie qui est soutenue par le
ministère des Affaires culturelles. À Thetford-Mines il y a
également une compagnie qui est soutenue par le ministère des
Affaires culturelles et peut-être en d'autres régions, je ne sais
pas, le Saguenay -Lac-Saint-Jean, l'Abitibi. C'est fort possible parce
qu'à certains moments il y a peu de possibilités de faire une
tournée dans certaines régions et il n'y a pas de place pour
qu'une compagnie professionnelle s'installe. À Sept-îles, par
exemple, ce serait un peu illusoire. Donc, il y certaines compagnies de
théâtre amateur qui assurent, si on veut, un relais, mais je pense
qu'au niveau des grands centres, c'est comparer des pommes avec des oranges. Je
ne mettrais pas ça dans le même panier.
Mme Bégin (Catherine): Nous faisons, nous, une grande
distinction entre l'amateurisme et le professionnalisme étant
donné qu'il y en a un des deux qui donne sa vie à son
métier; en fait, un métier et un art» Mais je tiendrais
à apporter une précision quant aux avenues qu'emploie parfois le
théâtre amateur. Nous aurons vu au Québec une situation
indécente se produire, à savoir dans le marché scolaire
pour le jeune théâtre, où des troupes hautement
professionnelles, structurées, organisées, avec des circuits de
tournées, ayant déjà fait leurs preuves et tout et tout,
se sont fait répondre, soit par des individus responsables de la chose
ou des commissions scolaires, carrément qu'on leur
préférerait dorénavant des productions émanant du
milieu amateur parce que offertes à des prix effarants, pour ne pas
carrément parler de dumping.
M. Boulerice: Mme Bégin, M. Rousseau, je vous remercie
beaucoup d'avoir répondu à mes questions. J'espère qu'on
pourra poursuivre ce dialogue dans un autre temps et peut-être un autre
lieu. Merci.
Mme Bégin (Catherine): Merci, M. le
député.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député. J'aurais bien eu quelques questions, mais le temps
s'envole trop rapidement malheureusement, d'autant plus que M. le
député de Saint-Jacques a abordé une question qui
m'intéressait fortement, c'était la situation du
théâtre à Montréal. On a -évoqué le
rôle du Conseil des arts de la CUM dont je suis membre; donc, je me
sentirais un peu juge et partie dans cette discussion. J'éviterai d'y
entrer et me contenterai de vous remercier, madame, de vous être
déplacée, monsieur, et j'aurai moi aussi certainement l'occasion
de vous revoir. Je vous ai vus collectivement pendant la campagne
électorale alors que l'ex-ministre des Affaires culturelles, M. Godin,
et moi avions échangé des propos. Ce qui devait être un
débat n'a pas eu lieu puisque M. Godin et moi avions, de façon
générale, les mêmes idées sur les sujets que nous
avions abordés. Encore une fois, madame, monsieur, merci.
Mme Bégin (Catherine): Merci, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Au plaisir de vous revoir. Et
nous terminerons cette longue mais fort passionnante semaine, à moins
que nous ne fassions une pause de cinq minutes... Oui, M. le
député de Saint-Jacques, une pause de cinq minutes. Et nous
entendrons, pour terminer cette passionnante semaine, le Centre d'auteur des...
Pardonnez-moi le lapsus, le Centre d'essai des auteurs dramatiques.
(Suspension de la séance à 11 h 54)
(Reprise à 12 h A)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaîti
M. le député de Saint-Jacques étant en train de
distribuer des bonbons...
Une voix: Subventions à distribuer...
Le Président (M. Trudel): ...aux membres de la commission
et à tout le personnel technique, nous accueillons maintenant, pour
terminer la semaine en beauté, les représentants du Centre
d'essai
des auteurs dramatiques, à qui je souhaite la bienvenue...
Mme Dumas (Hélène): Merci.
Le Président (M. Trudel): ...et à qui je demande de
se présenter, parce que j'ai un nom sur ma liste et je constate que j'ai
deux personnes en face de moi.
Centre d'essai des auteurs dramatiques
Mme Dumas: Hélène Dumas, je suis
coordonnatrice.
Le Président (M. Trudel): Que j'avais reconnue. Bienvenue,
Mme Dumas.
Mme Dumas: Bonjour tout le monde. Je suis accompagnée de
Michel Garneau, qui est auteur dramatique et président du Centre d'essai
des auteurs dramatiques.
Le Président (M. Trudel): Cela me fait plaisir de vous
souhaiter la bienvenue, M. Garneau.
M. Garneau (Michel): Merci.
Le Président (M. Trudel): Pour respecter, madame et
monsieur, les règles du jeu, on vous demanderait de nous faire un court
résumé de votre position de façon à nous laisser le
temps de vous poser les questions qu'on a à vous poser. Je serai, je le
dis aux membres de la commission, très strict, devant vraiment ajourner
nos travaux à 13 heures, ce qui nous laisse très exactement 55
minutes. Madame, monsieur, à vous la parole.
Mme Dumas: Je vous ferai grâce de la lecture du document
qui est assez bref et dont vous avez dû pouvoir prendre connaissance. Je
rappellerai simplement que le centre d'essai est un organisme qui regroupe des
auteurs dramatiques, donc qui a toutes les raisons du monde d'être ici
à une commission qui traite du statut de l'artiste. Mais on a
abordé un élément en particulier, un des points
d'étude de la commission qui est la défense des conditions et de
la vie professionnelle des auteurs dramatiques, mais d'un point de vue un peu
plus global, laissant un peu de côté l'individu auteur dramatique
pour regarder son insertion dans l'ensemble de l'activité
théâtrale, puisqu'un auteur dramatique est un écrivain un
peu spécial et ne peut rien faire sans toute une machine
théâtrale qui implique plusieurs personnes, plusieurs
intervenants, des moyens et toute une organisation. C'est pour cela qu'on s'est
attardé à l'élément vie professionnelle en
revendiquant un principe et un sujet de réflexion à partager avec
vous qui est celui de la création.
En effet, on pense que, pour améliorer la situation d'un auteur
dramatique, il faut bien davantage penser à ce qui se passe à
l'origine des projets que penser à comment on va trouver des
remèdes aux symptômes qui seraient celui de l'auteur pauvre,
méconnu, ignoré, délaissé, ce qui serait finalement
le résultat d'une mauvaise organisation sociale qui ne permettrait pas
à un auteur dramatique de gagner sa vie et d'être un
créateur. Au lieu de s'attarder à comment on va lui offrir des
rentes ou comment on va le subventionner, lui, individu qui a du mal à
gagner sa vie, on est allé au début, à l'origine qui est
celle de l'organisation du théâtre et, plus largement, parce qu'on
parle d'auteurs dramatiques, on s'intéresse à la question de la
création des nouvelles oeuvres dans notre société.
À partir de ces considérations générales, on
a donc pris ce parti pris plus dynamique de parler de la création. Je
vais laisser la parole à Michel Garneau qui, en tant qu'auteur, peut
vous glisser quelques mots de sa situation, de ses réflexions et des
réflexions des auteurs dramatiques sur la question.
M. Garneau: Si on croit, au centre d'essai, que la
création est la priorité, c'est qu'on rêve que des
conditions soient créées pour qu'un jour il y ait un
théâtre de répertoire québécois, qu'il y ait
un héritage. Qu'il n'y ait pas seulement une dépense, une
consommation de textes dramatiques mais que s'installe progressivement et mieux
que cela ne se fait actuellement, car cela se fait tout de même, une
dramaturgie québécoise qui finisse par constituer notre
mémoire théâtrale, si on veut.
Pour arriver à cela, c'est évident qu'il faut que la
profession d'auteur dramatique devienne. Elle n'existe pas actuellement.
Quelques personnes sont auteurs dramatiques à peu près à
temps plein. Tous les autres sont peu ou prou des écrivains du dimanche.
Ils doivent gagner leur vie autrement. Je ne crois pas qu'aucun de ces auteurs
dramatiques voudrait qu'on lui donne de l'argent, mais tous voudraient pouvoir
travailler, en faire. Moi, personnellement, c'est comme cela que je me
sens.
Je dois vous parler personnellement. Il y a une situation assez
invraisemblable, je suis un auteur qui a été joué. J'ai
écrit une quarantaine de textes dont une trentaine ont été
joués. J'ai même eu, une fois, six textes joués dans la
même année. Cela a créé un nombre de malentendus
extraordinaire. Il y a des gens qui ont pensé que j'étais en
train de devenir riche parce que j'étais joué au
théâtre. Je vais être très indiscret. Six
succès dans cette année m'avaient rapporté 6000 $,
environ, 1000 $ chacun, parce que ces succès étaient au
Théâtre d'aujourd'hui, au Théâtre de Quat'Sous, au
Centre d'essai de l'Université de Montréal, au petit
théâtre
des Voyagements, des choses comme cela, rendant le métier, la
profession à temps plein impossible.
Donc, l'écrivain de théâtre - et la plupart le font
- se subventionnent autrement. Ce qui se produit - il y a des statistiques
atterrantes là-dessus - c'est qu'à mesure que le temps passe les
écrivains de théâtre cessent d'écrire, sauf
quelques-uns. J'étais là, j'étais dans le portrait, comme
on dit, mais j'étais présent même, je crois, à la
deuxième année du Centre d'essai des auteurs dramatiques. Je
pense que j'ai payé ma cotisation à peu près chaque
année depuis. Je connais bien le centre. Moi, je connais une situation
tragique. La plupart de mes camarades du début n'écrivent plus
depuis longtemps déjà. La plupart se sont tus parce que ce
n'était pas viable. Ce n'était pas viable particulièrement
avec une famille, des enfants, etc. Il y en a qui sont allés faire
carrément autre chose et qui ont oublié tout cela. Il y en a qui
ont réussi à écrire une pièce de temps en temps.
Cela ne crée pas une production et cela ne permet pas à un auteur
d'être vraiment un auteur dramatique.
Il faut absolument comprendre ce mécanisme et le comprendre
à l'intérieur de la situation du théâtre. L'auteur
n'est pas tout seul. Il apporte beaucoup, il apporte du travail parfois, quand
il peut écrire. C'est un ensemble de "jobs", le théâtre.
Mais si les conditions ne sont pas créées pour que ce soit viable
aux auteurs dramatiques, il se produit une espèce de
phénomène qu'actuellement, il y a beaucoup de gens de 20 ans qui
écrivent, il y en a beaucoup moins de 30 ans et il y en a très
peu de 40 ans; de 50 ans, on n'en parie plus. C'est profondément anormal
et profondément tragique que des générations après
des générations finissent par se taire parce que les conditions
ne permettent pas de parler. (12 h 15)
L'apport culturel d'un auteur dramatique ne peut pas se faire sans
l'appui de la collectivité. On met l'auteur dramatique devant le spectre
de la rentabilité, dans ce cas. On se retrouve
régulièrement avec cette chose absurde qui nous poursuit tout le
temps où on veut produire de nouveaux auteurs et on veut continuer
à créer ce fameux répertoire théâtral et on
nous dit que le public n'est pas intéressé à ce qui n'est
pas encore là ou que le public est déjà fatigué de
telle ou telle forme de théâtre. On se retrouve -moi, c'est ce qui
m'affole le plus à propos du théâtre
québécois - dans une espèce de série de
consommation et de "consumation" de textes et d'auteurs, finalement. Il
s'écrit et il se fait beaucoup de textes. Un mois dans un petit
théâtre et c'est fini. S'il n'y avait pas, par exemple, le travail
du centre d'essai, beaucoup de ces textes disparaîtraient physiquement et
n'existeraient même plus parce que cela reposerait strictement sur
l'énergie des auteurs de les distribuer quasiment de main à main.
Pour contrecarrer cette espèce de "consommationconsumation", je crois
qu'il faut une conscience, un désir qu'il se crée une dramaturgie
québécoise et, éventuellement, un répertoire auquel
on puisse revenir comme les vraies nations le font, par exemple. On pourrait
revenir en arrière quelquefois et rejouer des textes de la dramaturgie
québécoise et pas juste un ou deux, mais des dizaines.
En terminant, je voudrais dire qu'une dramaturgie ne se fait pas sur
deux ou trois auteurs ou autrices qui ont la tête dure et qui ne veulent
pas lâcher. Cela ne fait pas une dramaturgie; cela fait des cas
d'exception, finalement, dans une espèce de désert. Pour qu'une
dramaturgie existe, il faut des textes nombreux. Les têtes dures n'en
écriront que mieux, si elles sont entourées, si elles sont, d'une
certaine façon, soutenues par une grande et belle quantité
d'écritures. Dans ce cas, pour garantir la qualité, il faut
assurer une certaine quantité.
Mme Dumas: On serait intéressé à
connaître vos vues sur tout cela.
Le Président (M. Trudel): Merci, madame. Mme la ministre
des Affaires culturelles.
Mme Bacon: M. le Président, j'ai vivement
apprécié les propos du mémoire et ce que je viens
d'entendre de M. Garneau et de vous, Mme Dumas, et également votre
action qui est menée sur le terrain - au fond, on peut dire cela comme
ça, comme vous le mentionnez en préambule - et je voudrais rendre
hommage au travail du Centre d'essai des auteurs dramatiques.
Pour parvenir à mener à bien votre mission, vous devez
collaborer étroitement avec les compagnies et avec les auteurs du milieu
théâtral. En ce sens, votre démarche et votre proposition
pour une politique de création constituent certainement pour tous les
membres de cette commission un enrichissement dont nous ne saurions nous
passer. C'est vraiment l'importance que votre mémoire prend pour
nous.
Vous avez dit, M. Garneau, qu'on ne revient pas - si j'ai bien saisi ce
que vous venez de dire - sur des textes qui pourraient constituer le
répertoire québécois. Une fois qu'on a joué un
auteur, souvent, on le délaisse pour en chercher un autre. C'est un peu
notre société de consommation, au fond. Est-ce qu'il y a des
raisons pour lesquelles les troupes ne reviennent pas sur les pièces
qu'elles ont déjà jouées ou si c'est tout simplement parce
que cela fait partie de notre façon de vivre, qu'une fois qu'on a
utilisé une chose on la remise, on la met de côté
pour chercher ailleurs? Est-ce que cela fait partie de notre façon de
vivre?
M. Garneau: Oui, c'est un énorme phénomène
culturel, oui, cette sorte d'amnésie, cette sorte de
méconnaissance de notre propre mémoire. J'entendais Pierre
Rousseau parler tout à l'heure du théâtre en région
et, hier, avec Hélène, on parlait, par exemple, de certaines
expériences qui ont été menées au Québec. Je
pense à la troupe Les gens d'en bas qui ont travaillé dans le
Bas-du-Fleuve et une partie de la Gaspésie pendant dix ans et qui ont
fait des choses absolument étonnantes. Je disais à
Hélène: Dans tout autre pays, il y aurait quinze ouvrages
d'écrits, publiés, étudiés sur l'aventure, par
exemple, de cette petite troupe absolument exemplaire qui a fait un travail
époustouflant. Quand, en Europe, on fait le dixième de cela, on
en écrit un témoignage et des gens s'y intéressent. On n'a
pas l'habitude de regarder et de se regarder - de regarder ce qu'on fait. Je ne
sais pas exactement le pourquoi... En fait, j'en sais un peu, mais ce serait
très long de s'embarquer là-dedans, mais c'est double. Si on ne
crée pas, si on n'y pense pas, si on n'invente pas ce désir du
répertoire québécois, si toujours on oppose
création à répertoire, le répertoire sera toujours
d'ailleurs.
Quand on parle de théâtre de répertoire, par
exemple, cela veut dire: théâtre français de France. Jamais
personne ne va penser spontanément: théâtre de
répertoire... Ah! Marcel Dubé! Tant qu'on n'aura pas
créé la conscience d'un répertoire proprement
québécois... Évidemment, les petites troupes trouveront
cela plus simple d'écrire leurs propres pièces, c'est bien
correct, mais que jamais on ne puisse retourner ou que ce soit tellement
exceptionnel que cela n'existe pas vraiment, que ce soit toujours une
exception, là, il y a quelque chose de profondément anormal. Mais
le paradoxe, en encourageant la création, le problème, on peut le
dire d'une façon bête, c'est qu'il y a très peu de gens,
outre les jeunes, qui font de la création. C'est tellement
risqué, ce n'est tellement pas intéressant, tu ne peux tellement
pas élever tes enfants avec cela que les gens arrêtent de faire de
la création à un moment donné.
J'ai eu le curieux privilège de voir une pièce
créée par des jeunes au grand âge de 40 ans et de me
retrouver dans la salle même, au théâtre. Je pense que
j'étais le plus vieux au-delà de 20 ans. La création,
c'est un phénomène de jeunes, ce n'est pas sérieux, on ne
peut pas gagner sa vie avec cela. Cet ensemble fait qu'il y a un tas de petits
théâtres, oui, qui font de la création pendant un certain
temps et que c'est très difficile. Ce qu'il faut comprendre et ce que je
défends ou que j'espère, c'est que ce soit possible qu'il y ait
des écrivains de théâtre professionnels qui mènent
une aventure d'écriture théâtrale comme cela se fait
ailleurs. Qu'on n'ait pas cette espèce de déperdition. À
chaque année, on perd un auteur, c'est assez invraisemblable. Il reste
quelques personnes. Heureusement qu'on a Tremblay qui ne lâche pas et que
ça marche un peu. Ensuite, on tombe tout de suite... Wop! Cela
écrit moins, c'est plus difficile. Nous sommes quelques-uns - on peut
les compter sur les doigts de la main - des gens qui écrivons depuis 20
ans et qui sommes joués une fois de temps en temps. Si on veut
créer une dramaturgie québécoise, il faut que cela soit
viable; donc, il faut que les conditions théâtrales soient
viables. Tout se recoupe. Nous voulons parler de la création parce que
c'est le noyau, c'est le centre, c'est le coeur, c'est l'âme; tout se
recoupe.
On parlait tout à l'heure de la nécessité d'avoir
des salles. Le Théâtre d'aujourd'hui, par exemple, c'est
extraordinaire qu'il ait existé, mais mon Dieu, quel piège! C'est
un théâtre qui, en fait, contient très
précisément 99 personnes quand il est bien plein. Cela fait que,
pour un auteur, il n'est pas rentable. Quand même que le
Théâtre d'aujourd'hui ne jouerait que mes pièces pendant un
an, cela ne me permettrait pas de vivre: il n'est pas rentable, il est trop
petit. D'ailleurs, il ne sera jamais rentable comme cela. La Licorne qui est un
endroit merveilleux, délicieux, dont on parlait tout à l'heure,
où se retrouvent les forces vives du théâtre à
Montréal, c'est un endroit de rencontre, on y monte de bons spectacles
et tout cela, c'est aussi un théâtre qui, pour les auteurs, n'est
pas viable. Tu ne gagnes pas ta vie en faisant jouer des pièces à
la Licorne, c'est trop petit. Il y a cette espèce de
phénomène. On a une littérature théâtrale
où il y a quelques survivants qui continuent après 40 ans - si
cela vous intrigue, j'en ai 47 - et les autres se taisent. Après 30 ans,
cela commence à se taire. Cela continuera tant que le
théâtre de création ne sera pas plus rentable.
Mme Dumas: II y a aussi l'importance morale qu'on accorde
à la création et c'est malheureusement encore le cas. On pense
que la création, c'est un violent besoin de s'exprimer qui nous
possède jusqu'à 40 ans et qu'après on se range, on
s'assoit, on devient sérieux et on fait du beau théâtre.
C'est épouvantable que les institutions, qui sont là pour
représenter la conscience imaginaire d'une société,
puissent très bien continuer de fonctionner en parallèle avec la
société, c'est-à-dire en ne regardant pas ce qui se vit,
ce qui s'écrit, ce qui se produit. Faire de la création, cela
coûte de l'argent. Ce n'est pas prendre trois petits bouts de bois
et un morceau de toile, se mettre des masques et un nez rouge et vogue
la galère! C'est terriblement frustrant que d'entendre dire que le
répertoire coûte cher et de mettre un point. Tout ce qui a une
valeur, rendu sur scène, cela implique des centaines d'heures de
travail, des dizaines de personnes et cela se monnaie. Quand on voit, par
exemple, que la France est connue outre-frontières parce que Peter Brook
monte le Mahabharats, alors que Mnouchikne commande à une auteure
contemporaine un texte sur la vie de Sihanouk... On sait que ces gens ont deux
ans pour créer un spectacle. Pendant ce temps, on dépense de
l'argent. Ce sont des conditions de création qui font qu'en fin de.
compte prendre un texte publié chez Bordas, on sait qu'on l'a, on n'est
pas obligé de s'inquiéter de l'auteur, de comment il va vivre et,
au guichet, on vient de faire une économie. Je pense qu'il y a des
mesures dont on n'a pas parlé nécessairement dans notre
mémoire. Je pense que, quand une compagnie monte un Molière, si
elle avait à mettre 10 % ou 12 % de ses ventes au guichet dans un fonds
pour la création, elle pourrait également commander des
pièces et arrêter d'opposer l'intérêt de son public,
comme si l'expression des artistes d'une société
n'intéressait pas le public. C'est mettre dos à dos des notions
qui sont presque aberrantes.,
Mme Bacon: Je serais tentée, nous pourrions en discuter
des heures et des heures, de vous demander comment créer cette
conscience de répertoire.
Mme Dumas: Je pense qu'il y a des politiques qui ont
montré le bout du nez, il y a quelques années, et qui ont
été oubliées. Je pense que les gens du
théâtre connaissent bien le centre d'essai et ses
éternelles demandes, recommandations, etc. On dit: II faut que cela
commence dans les théâtres.
L'auteur, même s'il est représenté par un organisme
qui fait de la promotion, le pouvoir, ce qui est montré au public, ce
qui est proposé au public, il y a quand même des individus qui le
décident. Tant qu'il y aura des moyens disponibles d'offerts, des
initiatives de la part des artistes sont aussi possibles. Après que le
public aura eu accès à dix, quinze ou vingt productions de
création, mais dans des conditions justes... Il ne s'agit pas que le
répertoire ait des salles confortables où on se rend en
métro et où on peut s'asseoir sans tomber de son siège et
où on voit des comédiens professionnels avec des décors et
des moyens. À comparer avec la création qui se fait dans des
locaux très défavorisés matériellement, dans des
conditions matérielles... S'il y avait des chances égales pour
tout le monde, je pense que l'accessibilité du public ferait qu'il y
aurait une véritable dynamique. En ce moment, parce que les
possibilités d'offrir en grand nombre le répertoire
québécois et la création contemporaine sont si
limitées, le véritable jeu démocratique pour le public, ce
n'est pas possible de le jouer. II faut des mesures concrètes pour qu'il
y ait un répertoire québécois. Je pense que, bien
modestement, on a pensé à certaines choses et le programme des
mesures pour inciter, on est derrière et on dit: Oui, mais encore, et
plus et plus.
Mme Bacon: Justement, vous souhaitez dans votre première
proposition que le ministère des Affaires culturelles réduise
l'écart entre les budgets des compagnies, de troupes vouées
à la création, et aux autres compagnies. Est-ce que vous pourriez
nous en dire davantage ou même quelques mots, si vous voulez, sur la
structure de financement - on va être obligé de parler de cela -
ou les sources de revenus des compagnies en question? (12 h 30)
Mme Dumas: Le problème des compagnies qui font de la
création, c'est qu'une fois sur deux elles n'ont pas de structure
permanente tout simplement parce qu'elles ont 40 000 $, 50 000 $, 70 000 $ par
année pour faire deux spectacles. Elles sont soumises à des
impératifs de fonctionnement qui n'ont rien à voir avec la
création. Quand vous êtes obligés, justement, comme le
mentionnait Pierre Rousseau, à la fois de faire la comptabilité,
de chercher des commanditaires parce qu'on dit que c'est là qu'il faut
aller voir, faire un programme, faire une réflexion dramaturgique, je
pense qu'il y a des troupes qui se trouvent piégées. Pour faire
de la création, il faut prendre le temps de réfléchir, de
s'asseoir, il ne faut pas avoir l'obligation, pour renouveler sa subvention de
fonctionnement, de créer deux spectacles, par exemple. C'est un
piège. Les problèmes des compagnies, on en est bien sûr un
peu informé, mais je ne voudrais pas préciser davantage, sinon
pour dire que, là, il y a peut-être huit ou neuf feux et je ne
sais pas lequel il faudrait éteindre en premier. Pendant qu'on est assis
ici, il y a des gens qui se demandent s'ils vont continuer demain, s'ils vont
faire un autre spectacle.
Il y a toujours la génération spontanée, il n'y a
plus de mémoire. Vous le savez probablement, ce qui est aberrant, c'est
qu'il y a X compagnies dites institutionnelles avant, qui ont des lieux, qui
ont une certaine espérance de continuité et on a vu, l'an
dernier, que le TNM était très menacé. Il y a toutes les
autres qui, bon an mal an, sont formées d'individus qui sortent des
écoles de théâtre ou un auteur qui vient d'écrire
une pièce et qui s'est fait dire non partout, mais il y a 25 artistes,
metteurs en scène, comédiens qui lui ont dits C'est
génial! Qu'est-ce qu'il fait? Il dit: Bien, on va la
monter. On fait de "l'autogestion et de l'autogestion, c'est de la
création à la petite semaine. Cela confirme aux gens qui ne sont
pas intéressés par la création que c'est bien
précaire et que, finalement, c'est un épiphénomène
et que la stabilité est ailleurs. Pendant ce temps-là on
recommence toujours.
Mme Bacon: Dans votre seconde recommandation, vous nous
suggérez évidemment, on vient d'en parler encore - de donner aux
compagnies, aux troupes qui sont vouées a la création un
accès à des salles adéquates pour qu'elles puissent
présenter leurs productions. Est-ce que ce constat, qui vous a conduits
à cette recommandation, vous l'avez pour l'ensemble du Québec ou
pour la région métropolitaine? Est-ce qu'il y a des
régions qui sont dans une situation plus précaire que d'autres au
Québec?
M. Garneau: Bien, mon Dieu, oui. Il y a certaines régions
où... Moi, je passe mes étés dans les Cantons de l'Est,
Pierre en parlait tout à l'heure, cela adonne comme cela. Il y a
là toute une région qui est absolument défavorisée
à tous les points de vue, d'ailleurs, sur le plan culturel. Si vous me
permettez de dire cela, sur le pian symbolique, j'ai déjà
passé deux jours à essayer de trouver un journal Le Devoir...
Une voix: ...à Beebe.
M. Garneau: À Beebe, on ne sait pas, il y a
peut-être bien des choses à Beebe. C'est une région qui,
culturellement, est incroyablement défavorisée et il y en a
d'autres, évidemment.
J'aimerais revenir à quelque chose. Quand je dis
"défavorisée", les gens auxquels je pense, ce sont des jeunes qui
réussissent à faire des choses malgré tout. Ce n'est pas
mort culturellement, ces coins-là, mais les moyens... À ce
moment-là, on sombre, dans beaucoup de cas, dans un ridicule
extrêmement douloureux, car les moyens sont inexistants. On arrive
toujours à se fâcher un peu parce que ce n'est pas l'argent qui
manque, parce qu'on voit de l'argent être distribué par d'autres
ministères, évidemment, mais à d'autres fins. Moi, je
trouve cela toujours merveilleux, dans ces coins-là, que ce soit
à Dolbeau ou à Beebe, que tout à coup il y ait de l'argent
pour telle ou telle affaire, généralement très
surréaliste par rapport à la culture. Là-dessus, je me
pose toutes sortes de questions, mais ma question tourne toujours autour de ce
phénomène.
La notion de création, d'abord au niveau de l'écriture et
au niveau du théâtre, ce n'est pas une notion qui est
valorisée. Il se produit le même phénomène partout
au Québec où les jeunes s'engagent dans l'aventure de faire du
théâtre dans une espèce d'innocence extraordinaire, dans
une espèce de manque de mémoire ne sachant pas, mais le
goût de créer est là. On en a la preuve
régulièrement, les gens s'embarquent dans des aventures
complètement folies et qui sont parfois merveilleuses, qui sont parfois
exemplaires mais qui systématiquement ne durent pas. Chaque
année, il y a une espèce de vague de créativité qui
renaît. La réflexion doit se faire aussi bien au niveau
régional qu'au niveau périphérique autour de
Montréal. Il y a un désert culturel, par exemple, absolument
époustouflant où les pauvres gens sont pris dans une
espèce de situation extraordinaire. Ils sont trop près de
Montréal pour se faire leur propre culture et quand ils sont rendus
là ils sont bien fatigués, ce qui fait qu'ils ne reviennent pas
à Montréal. D'accord, ils regardent la télévision
et ils louent des vidéocassettes, mais les jeunes qui voudraient faire
quelque chose dans ces périphéries n'ont aucun moyen, cela
n'existe pas.
Je reviens toujours à cette espèce de conscience de la
créativité elle-même, finalement, qui doit informer tout le
reste. Je vous parle comme cela, je ne suis pas un spécialiste des
façons et des modalités, j'écris des pièces et je
fais d'autres affaires. Je sens que cette chose est profondément
incomprise et qu'il y a cette espèce de... D'un côté, il y
a le vrai théâtre, le théâtre de répertoire
qui est étranger. C'est très curieux parce que dans le
répertoire il y a Arnold Wesker, écrivain anglais qui a mon
âge. Il est du répertoire parce qu'il est Anglais. Il peut
appartenir au répertoire. Il y a cette différence. Il y a le
théâtre de répertoire, le vrai théâtre, et le
théâtre étranger qui est toujours mystérieusement du
vrai théâtre et le théâtre de création qui est
un sous-théâtre. Cela donne une espèce de
sous-prolétariat du théâtre, c'est-à-dire toutes ces
petites troupes qui travaillent pour rien par amour de l'art et ce
phénomène que l'on s'arrête à un moment
donné. On perd le théâtre. Le théâtre perd de
ses forces vives. Je travaille dans une école de théâtre,
je les connais, les forces vives, je vis dedans, elles sont vraiment vives,
elles sont extraordinaires, mais l'essoufflement qu'on peut voir sur dix ans...
Je ne crois pas que ce soit juste la grosse vie méchante qui fait qu'il
y ait autant d'abandons. Je crois que notre culture ou notre façon
à nous de vivre ces espaces culturels fait que les gens
étouffent, qu'ils ne sont plus capables et qu'ils en sortent. Donc, on
revient à cette tension. On se retrouve dans une création
incessante de nouveaux textes mais sans durée de troupes qui partent,
qui meurent et qui recommencent.
Mme Dumas: Pour un; Jean-Pierre Ronfard, qui fait oeuvre de
création dans les domaines dramaturgique et scénographique dans
des nouvelles approches et dans le développement de lieux, il y en a dix
à qui on a le droit de pardonner d'être essoufflés. La
création, ce n'est pas juste écrire une pièce et la passer
par la moulinette, puis l'oublier. C'est un travail à long terme et
c'est là qu'on parle d'argent. On parle des lieux: les lieux, ce sont
les contenants qui sont essentiels. Ce que je souhaite, finalement, c'est que
la conscience culturelle d'un peuple, que doit être le ministère
des Affaires culturelles, se fasse dans un esprit d'ouverture.
Je comprends qu'un gouvernement dise: On ne veut pas être
interventionniste; cela pourrait être mal interprété. Mais
alors, à ce moment, il faut qu'il soit complètement ouvert et
suprasensible è ce qui se brasse dans la société, chez les
artistes, chez les créateurs, et réponde à la demande sans
s'inquiéter que le phénomène X de création, par
exemple, que ce soit dans le domaine pictural ou peu importe, ait des chances
de peut-être être éphémère et ne se
concrétise pas dans une institution qu'on reconnaîtra
jusqu'à la fin des temps. Il faut prendre ce risque. Il faut qu'il se
prenne là aussi. S'il y a plus d'accessibilité à toutes
sortes de nouvelles formes, de nouvelles idées, que soit en
littérature, en art dramatique ou peu importe, c'est le public qui va
être gagnant. C'est nous tous qui allons élever progressivement
notre niveau de conscience et on va soutenir notre culture.
On n'a qu'à regarder comment les peuples qui ont une longue et
vieille tradition derrière eux fonctionnent. C'est pour cela que les
solutions doivent venir de tous les côtés, avec un esprit
d'ouverture à la création. Les questions de rentabilité et
d'intérêt du public nous apparaissent les pièges les plus
dangereux, parce que c'est réducteur et c'est peut-être une forme
de paternalisme qu'on a intérêt à oublier rapidement, tant
envers les artistes qu'envers le public.
Mme Bacon: Vous nous dites que la création dramatique sur
les scènes du Québec est une situation de parent pauvre, au fond.
Qu'en est-il de la création dramatique dans les autres provinces, si on
veut faire une comparaison? Parce qu'il faut que nous ayons une meilleure
conscience et éveiller la conscience des gens, conscientiser les gens.
Mais est-ce que dans les autres provinces, cela va mieux qu'ici?
Mme Dumas: Ils ont la chance d'avoir un pays à couvrir, ce
qui fait que Sharon Pollock peut avoir une production de sa nouvelle
pièce à Vancouver, deux semaines ou trois semaines après,
cela ouvre à
Edmonton, ensuite, au Nouveau-Brunswick, six mois pius tard, on la fait.
Juste comme cela, je pense qu'elle a un peu plus de chances, à
pièces égales, de gagner sa vie.
Comment la situation de la création s'exerce-t-elle
quotidiennement, en termes de moyens à la disposition des artistes et
tout cela? Je ne peux pas dire qu'on connaisse réellement bien ce
terrain, mais sur le plan de la diffusion elle a certainement plus de chances
de gagner un peu plus sa vie par des revenus de droit d'auteur, par
exemple.
Mme Bacon: Ils sont plus conscients du répertoire.
Mme Dumas: Je pense qu'ils font face à des
problèmes différents, parce qu'ils ont l'immense bassin de la
dramaturgie anglo-saxone de l'autre côté de la frontière,
en Angleterre et tout cela.
M. Garneau: Les dramaturges canadiens-anglais sont pris un peu,
à un certain niveau, avec le même problème que les
dramaturges canadiens-français. C'est qu'une pièce anglaise
semble aux gens de culture généralement plus une vraie
pièce qu'une pièce canadienne. Je sais que des auteurs
intéressants et passionnants même - je pense à James Reany
- ont eu, au départ, énormément de difficultés
à intéresser des gens à leur théâtre, pas le
public. Je veux dire des producteurs, des salles de théâtre et
tout cela, qui trouvaient que c'était risqué.
La notion de contenu canadien dont les Canadiens parlent tout le temps -
ils ne peuvent rien faire sans avoir cette fatale obligation qu'il y ait du
canadien dans leur affaire - c'est le même genre, finalement,
d'aliénation que celle avec laquelle on est aux prises ici parfois.
C'est profondément anormal que les sections de certaines librairies...
Du côté anglais, cela s'appelle "Canadiana"; quand tu vas acheter
un Margaret Atwood, tu t'en vas dans la section "Canadiana" et quand tu vas
acheter Jacques Ferron, tu vas dans la section d'une librairie qui est
délicieusement marquée "Littérature
québécoise", qui est mise à part. Dans certaines
librairies, c'est très frappant, d'ailleurs, parce que c'est grand comme
cela, à peu près. On se sent bien comme cela! (12 h 45)
Je pense que, oui, il y a des choses qui sont semblables. Par contre,
comme dit Hélène, il y a cette différence fondamentale de
la grandeur, de la largeur du public canadien. Mais je suis certain que le
jeune dramaturge d'Alberta ou de Saskatchewan n'est pas tout de suite sorti du
bois.
Le Président (M. Trudel): Mme Dumas et M. Garneau, je dois
absolument partir, je m'en excuse. Je dois être à Montréal
à 15 heures, ce qui me paraît hautement
improbable compte tenu de la surveillance des routes, d'une part, et de
la température, d'autre part. Mais je vais quand même essayer d'y
être aussi près que possible de 15 heures. Je m'en excuse et je
vais céder la présidence, si vous me le permettez M. le
député de Saint-Jean et Mme la ministre, à mon
collègue de Sherbrooke. Je vous remercie de vous être
déplacés aujourd'hui. Je lirai avec grand plaisir le reste de
votre intervention. J'aurais bien eu quelques questions à voua poser,
mais je me reprendrai bien une autre fois. Merci beaucoup.
Mme Bacon: Une dernière question, si vous permettez. Vous
nous dites que les politiciens ne devraient pas se laisser piéger par le
syndrome de la rentabilité et celui de l'intérêt du public.
À votre avis, quelle serait l'unité de mesure ou peut-être
le facteur principal à considérer pour déterminer une
juste enveloppe à l'égard de la création dramatique. On
arrive à cela, à un moment donné, en fin de compte, il
faut aussi cela; il faut quantifier.
Mme Dumas: Que voulez-vous dire par "une juste enveloppe"?
Mme Bacon: II y a des sommes qu'on doit mettre à la
disposition, que ce soit pour les salles, pour les troupes de
théâtre ou pour la création. C'est pour cela que je dis
"à l'endroit de la création dramatique." C'est la base même
- vous nous l'avez dit, je pense, tantôt, si ma mémoire est
fidèle et est-ce là qu'on devrait faire porter l'aide
gouvernementale?
Mme Dumas: Dans une situation normale, il y aurait des projets
artistiques solides, stimulants, articulés et d'autres moins stimulants,
moins articulés et on devrait pouvoir les juger comme cela. Le
problème, c'est qu'on a du rattrapage à faire parce que,
idéalement, on ne devrait pas catégoriser une création
québécoise comme valant X points, additionner les points et
associer celui-ci à celui-là. Je ne sais pas vraiment bien
comment cela fonctionne, la distribution d'enveloppes, mais je vois... Il me
semble que les critères ne devraient pas être aussi facilement
compartimentés. Sauf que le problème en ce moment, c'est que la
compagnie formée de dix créateurs qui, chaque fois, doit trouver
un lieu pour s'héberger, vous arrive avec un budget qui dit quoi? On va
répéter cinq semaines comme toutes les compagnies. On va louer la
salle tant, on va donner 10 % des recettes à la porte à l'auteur,
on va fonctionner avec les mêmes critères et, en fin de compte,
cela lui fait une petite subvention de 35 000 $, et petit train va loin... Non,
le petit train va s'arrêter dans quelques années,
essoufflé.
En ce moment, on est obligé de fonctionner par comparaison. Il y
a des théâtres qui fonctionnent normalement, qui ont des sous, qui
ont un lieu et du personnel. Il y a des critères de qualité, au
ministère, je suppose, de direction, on regarde le cheminement, on
regarde comment cela se passe avec le public et non pas seulement combien il y
a de personnes assises dans la salle mais quel est l'impact de ce
théâtre sur la vie culturelle. Cette démarche artistique en
inspire-t-elle d'autres? Cela draine-t-il une énergie créatrice?
II me semble que cela se voit à l'oeil nu au fil des saisons.
Qu'est-ce qui attire des créateurs? Un projet artistique
articulé attire des créateurs. Si vous avez 1000 $ à
donner à quelqu'un pour qu'il travaille à une mise en
scène, vous ne pouvez pas lui demander de travailler six mois, ce n'est
pas possible. Ou bien il fait cela, il fait une réalisation à
Radio-Canada et qu'il donne un cours ici et un cours là. Tout s'ensuit.
Mais, en ce moment, les compagnies se disent: Est-on mieux d'arrêter tout
de suite ou bien de continuer à faire des shows en se croisant les
doigts pour que ce soit un miracle, qu'on ait créé malgré
tout quelque chose de fort, qu'il y ait eu une rencontre avec une vision, avec
des formes et un public, qu'il se soit passé quelque chose même si
on a eu 18 000 $ pour monter le show. On le fait quand même et on ne peut
pas les blâmer de le faire quand même. Sauf qu'on peut regarder ce
que cela a donné depuis dix ans. C'est pour cela que je suis mal
à l'aise pour répondre à ce genre de questions, j'ai peur
qu'il y ait un trou...
Mme Bacon: Vous le faites bien.
Mme Dumas: ...un nid-de-poule dans la route et je ne voudrais
pas...
Mme Bacon: Cela va bien.
Mme Dumas: Je ne sais comment faire, mais il faut au moins le
dire. Je pense qu'un gouvernement peut dire qu'il veut que la santé de
ses citoyens soit meilleure. Un gouvernement peut aussi dire que le peuple pour
lequel il travaille, au service duquel il est, doit pouvoir avoir accès
à ses propres images, à son propre imaginaire. Cela veut dire des
images en deux ou trois dimensions, des sons, une musique, un
théâtre, des livres, une littérature, cela veut dire cela.
Après, sî vous l'avez dit et que vous le pensez vraiment, on va
s'asseoir, on va trouver des solutions ensemble et on va brasser des cages
où il y a des gens qui se sont enfermés trop vite. Il me semble
que ce pourrait être comme cela.
Le Président (M. Hamel): Cela va! Merci, Mme la ministre.
Je reconnais maintenant le député de Saint-Jacques en lui
rappelant qu'il nous reste 9 minutes et 30 secondes.
M. Boulerice: C'est très peu pour un sujet d'une
densité aussi grande que celle que vous apportez, Mme Dumas, M. Garneau.
Si vous aviez été ici hier, je pense que les gens de l'industrie
du disque nous apportaient sensiblement les mêmes considérations
que les vôtres. Ils nous laissaient peut-être avec le même
malaise qu'on ressent actuellement où se glissent à la fois,
peut-être un peu de pessimisme, peut-être un peu d'angoisse,
sûrement de l'anxiété parce que la question qui se pose,
c'est: Est-ce que c'est critique, mais non désespéré ou
est-ce que c'est désespéré? On a atteint un point critique
où on risque peut-être de ne pas s'en sortir?
Ceci dit, sur le fond du mémoire, j'aurais une question
très précise à vous poser qui m'est venue à sa
lecture. Vous demandez la clarification des critères de
professionnalisme, et l'établissement d'une liste de ces
critères. Je vous demande quels devraient être, d'après
vous, les principaux critères de professionnalisme si on
considère que toute oeuvre de création en est une de recherche et
d'essai de nouvelles formes? Cela m'apparaît difficile de clarifier
cela.
Mme Dumas: J'avoue que vous nous interrogez sur une question qui
est presque mineure dans notre mémoire. On a voulu appuyer la
proposition d'un regroupement d'associations de créateurs qui souhaitent
que le statut fiscal des artistes soit amélioré. On a
adopté une position de principe pour cette recommandation de la
conférence des associations de créateurs et de créatrices.
C'est l'esprit de cette proposition qui nous a semblé juste et
légitime. La clarification des critères de professionnalisme,
l'établissement d'une liste de critères, c'est une
démarche qu'il faudrait mettre en train.
En ce moment, je pense qu'il y a des critères qui sont
très flous: parfois, c'est payant et, d'autres fois, ce n'est pas
payant. Si on met des critères, je pense que cela peut juste permettre
aux artistes de savoir s'ils sont, sur le côté de la
clôture, payants ou pas payants. C'est une remarque tout à fait
personnelle que je fais là. S'il y avait une question de posée
aux auteurs dramatiques sur quels seraient les critères
d'établissement de la notion de professionnalisme pour la question
fiscale, il faudrait s'arrêter, y penser un peu. Pour le moment, je ne
saurais quoi vous dire.
M. Boulerice: Vous avez beaucoup parlé de l'apport du
ministère des Affaires culturelles, je pense que c'est normal et
légitime puisque, d'ailleurs, c'est une commission de la culture en
présence du ministère des Affaires culturelles. Il y a par contre
des interventions au niveau de l'entreprise privée, vous y avez fait un
peu allusion tantôt en parlant de recherche de commanditaires, etc.
J'aimerais que vous développiez un peu, que vous nous précisiez
les difficultés qui sont éprouvées, peut-être le
niveau d'incompréhension - je ne porte pa3 de jugement, je pose la
question - peut-être une certaine incompréhension ou un
désintéressement face à l'aide à l'industrie
culturelle. Comment le vivez-vous, en tout cas?
M. Garneau: Là, il y a quelque chose. Moi, j'ai
travaillé plusieurs fois, il n'y a pas tellement longtemps, avec des
groupes très jeunes où les gens, justement, font cela. S'ils vont
en tournée par exemple, ils font tout et, en cours de production, ils
vont chercher de l'argent dans l'industrie privée. Ils vont vendre de la
publicité eux-mêmes, et tout cela. Il s'agit
généralement des acteurs qui font cela, les jeunes acteurs qui
veulent que le spectacle soit, pour la bonne raison que, s'il n'y a pas de
spectacle, ils n'ont pas de travail, s'il n'y a pas de spectacle qu'ils
suscitent eux-mêmes, ils se retrouvent à faire, oui, 36
métiers, 36 misères dont ce métier-là d'aller
contacter de grosses compagnies, quelquefois de moyennes compagnies, de petites
compagnies pour demander de l'aide, pour quêter de l'aide, pour aller
chercher 200 $ ici, 300 "$ là, etc. Moi, je leur dis toujours:
Faites-le, ce n'est pas mauvais pour la santé, cela se passe dans la
réalité, dans le réel. Allons-y, faisons-le!
En même temps, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y a
là quelque chose de profondément anormal. Des gens, par exemple,
sortent des écoles de théâtre, l'année
d'après c'est une grande partie de leurs activités que d'essayer
de se monter un spectacle. II y a des problèmes au niveau de la
création qui font... D'autre part en théâtre, on sort
beaucoup d'interprètes des écoles et là aussi - mais on
entrerait dans un autre domaine - il y a des choses assez curieuses qui se
passent. En tout cas! Cette chose-là existe. Elle existe aussi à
d'autres niveaux selon la grosseur du théâtre, il y a des
alliances que vous connaissez bien entre certains théâtres,
compagnies et autres. Je trouve cela correct si c'est dynamique. Dans le cas
des grosses compagnies c'est, je suppose, plus que correct. Dans le cas de
petites troupes où les acteurs et les actrices sont obligés de
sacrifier... J'ai fait cela avec eux. On sacrifiait du temps de
répétition à la recherche d'argent. Là, il y a
quelque chose de profondément anormal, disons.
On parle de deux choses. Je crois que dans le domaine public, les
grosses compagnies et tout cela, si elles le peuvent
et elles le peuvent souvent, jouent un rôle extrêmement
important en fournissant de l'argent. C'est très bien au niveau des
institutions et tout cela, mais au niveau du jeune théâtre, j'ai
tendance à trouver que c'est un peu effroyable que les gens soient
obligés de faire cela. C'est un peu triste.
M. Boulerice: Une dernière question, si vous me le
permettez. Enfin, auteur dramatique, c'est pour le théâtre et le
théâtre, cela peut s'exercer sur différentes scènes
- vous allez voir où je veux en venir - visibles ou non. Notre radio est
de plus en plus musicale, elle est tellement musicale d'ailleurs qu'elle se
qualifie elle-même de "nonstop". Le drame, c'est qu'elle est,
également, musicalement beaucoup moins française. -Il y avait -
je ne sais pas si c'est parce que je l'écoute moins, je ne sais pas,
j'ai le sentiment qu'il y en a moins actuellement - sur un réseau bien
particulier, en tout cas, qui est intéressant, une forme de
théâtre radiophonique qui apparaissait un médium
intéressant pour le théâtre et qui, je crois, existe
très peu maintenant. Nommons-les puisqu'il faut les nommer. Le
réseau...
M. Garneau: II y a une heure dramatique par semaine à
Radio-Canada, au réseau français, c'est tout.
M. Boulerice: C'est tout. Un intervenant qui vous a
précédé - c'était un rêve, je lui disais
qu'en une nuit mille rêves se font et peuvent se réaliser -
parlait d'une radio de Radio-Québec. Présentant une chose comme
celle-là, est-ce que ce serait une avenue intéressante pour
résoudre non pas l'entité des problèmes des auteurs
dramatiques, mais une certaine partie des problèmes des auteurs
dramatiques?
M. Garneau: C'est sûrement une avenue. Je suis toujours
dans mes Cantons de l'Est, l'été, et j'écoute NPR,
National Public Radio, qui est le réseau de radio publique
américaine où il y a du théâtre radiophonique.
J'écoute cela et cela me permet de redevenir petit et d'écouter,
de la même façon que j'écoutais le
radiothéâtre Ford quand j'étais petit, du
théâtre radiophonique écrit pour la radio. C'est un
médium absolument magnifique. C'est évident que c'est un
médium actuellement qui est mort. Il existe de ces demi-heures
dramatiques dont je parle, qui sont des demi-heures qui frisent souvent le
monologue où, disons, on ne se force pas beaucoup sur la production. Il
y a cet exemple de nos braves voisins où il se fait de la radio
dramatique extrêmement intéressant, des pièces de deux
heures à la radio, des commandes radiophoniques, des classiques, etc.
C'est évident que, si cela existait, les écrivains de
théâtre pourraient écrire pour ce médium.
M. Boulerice: Un auteur me l'a dit: Au-delà de cette
limite, mon ticket n'est plus valide.
Le Président (M. Hamel): Mme Dumas et M. Garneau, je vous
remercie. Le temps qui nous était alloué est déjà
épuisé. Je vous remercie sincèrement de votre
participation aux travaux de la commission. Comme le disait mon
prédécesseur, je vous souhaite bon voyage. J'ajourne sine die.
Merci, au revoir.
(Fin de la séance à 13 h 3)