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(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission de la culture reprend sa consultation
générale sur le statut économique de l'artiste et du
créateur. C'est le début d'une autre longue journée que
nous devons présumer au départ intéressante, comme toutes
celles que nous avons connues la semaine dernière.
Nous recevons ce matin l'Institut québécois du
cinéma. J'inviterais ses représentants à se
présenter à la table en face de nous, cette table qui est
très loin. Nous allons nous rapprocher en ce qui a trait aux
idées. S'il n'y a pas de changements, je présume que nous avons
le plaisir d'accueillir Mme Monique Champagne et M. Bernard Boucher.
Mme Champagne (Monique): Oui, c'est cela.
Le Président (M. Trudel): ïl me fait plaisir de vous
souhaiter la bienvenue. Je rappelle une fois de plus - c'était en
début de semaine, à la reprise des travaux - les règles
qui ont été convenues entre le parti ministériel et le
parti de l'Opposition et surtout dans les circonstances actuelles où on
doit rencontrer neuf groupes aujourd'hui et trois autres demain matin. On
demanderait aux organismes qui se présentent devant nous de
résumer leur mémoire, lequel a été lu par chacun
des membres de la commission. Donc, on connaît bien dans l'ensemble vos
mémoires et on vous demande de les résumer.
L'ordre est le suivant: Mme la ministre pose les premières
questions, M. le député de Saint-Jacques, critique officiel de
l'Opposition en matière d'affaires culturelles pose les suivantes, j'en
pose quelques-unes et les autres membres de la commission en posent. On accorde
environ - je dis bien environ - une heure à chaque groupe qui se
présente devant nous.
Mme la ministre, nous avons un peu de souplesse mais ce matin nous
devons quand même ajourner nos travaux vers 12 h 30, ce qui laisse un peu
moins d'une heure, compte tenu du léger retard accumulé. Ceci
dit, madame et monsieur de l'Institut québécois du cinéma,
je vous cède la parole avec grand plaisir.
Institut québécois du
cinéma
Mme Champagne: D'abord, je tiens à remercier le
président et tous les membres ici de nous recevoir. Nous sommes, comme
vous l'avez dit, représentants de l'Institut québécois du
cinéma qui a été créé en 1983 pour
conseiller le ministre des Affaires culturelles sur l'élaboration et la
mise en oeuvre de la politique du cinéma.
Notre organisme est composé de représentants de tous les
secteurs de la profession. Nous sommes ici... Oui?
Le Président (M. Trudel): Je m'excuse, Madame, mais on
vous entend mal ici. Comme vous pouvez difficilement approcher le micro de
vous, pouvez-vous alors vous approcher du micro, s'il vous plaît?
Mme Champagne: D'accord. Cela va mieux comme cela?
Le Président (M. Trudel): C'est parfait.
Mme Champagne: Je vous remercie, M. le Président et tous
les membres de cette commission, de bien vouloir nous écouter ce matin.
Nous sommes représentants de l'Institut québécois du
cinéma qui, comme vous le savez, a été créé
en 1983 pour conseiller le ministre des Affaires culturelles sur
l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique du cinéma.
Notre institut est composé de représentants de tous les
secteurs de la profession. Nous voulons faire valoir aujourd'hui
l'extrême importance de la formation et du perfectionnement de tous les
membres de notre profession dans le cinéma. Je pense que nous avons
réussi à créer une industrie du cinéma à
force du poignet, en faisant des stages et en travaillant sur le tas. Il est
temps, je crois, d'avoir une formation plus sérieuse et plus profonde.
Je vais demander à M. Boucher de résumer notre
mémoire.
M. Boucher (Bernard): M. le Président, mesdames et
messieurs les membres. Le mémoire de l'institut a été
rédigé, à partir d'un postulat ou d'une équation
qui est la suivante, c'est-à-dire qu'il y a entre la maîtrise des
savoir-faire et des connaissances et la qualité des oeuvres un rapport
étroit. Il faut considérer que la
formation et le perfectionnement sont partie intégrante des
moyens qui vont améliorer le statut socio-économique de
l'artiste. En conséquence, il faut accorder à ce besoin de
formation et de perfectionnement une orientation, un encadrement et un soutien
qui permettront à notre objectif de se réaliser.
Le cinéma est à la fois un art et une industrie. Son
résultat, le film, le produit de la production cinématographique,
c'est l'amalgame que sauront réussir les artistes, les administrateurs
et les techniciens de chacun des métiers. En conséquence, la
réunion de toutes ces forces demande aussi la réunion de leurs
compétences.
Un bref rappel de ce qui a déjà été fait en
cinéma concernant la question de la formation. En 1981, la Commission
d'étude sur le cinéma et l'audiovisuel, dans son rapport qui,
à notre avis, conserve une grande partie de son actualité,
faisait état de la question concernant les programmes existants et le
genre de formation qu'ils offrent. Les programmes offerts dans les institutions
et qui ont comme objectif de donner une formation générale. Nous
avons fait une mise à jour plutôt rapide récemment, mais
quand même une mise à jour de ce qui s'offre en formation dans les
différentes institutions universitaires et collégiales, et on
croit que la situation n'a pas changé sur le fond. Disons que certaines
institutions ont peut-être mis davantage l'accent sur la formation
pratique, mais la base générale de la formation demeure la
même. Nous constatons également qu'il s'est
développé, parallèlement aux institutions
rattachées au système d'enseignement, des formules de stages de
diverses natures qui viennent répondre aux besoins de perfectionnement
des gens de la profession.
Si les conditions qui étaient réunies en 1981 demeurent,
il faut croire que la recommandation de la commission de l'époque, qui
était la création d'une école supérieure du
cinéma et de la vidéo, indépendante, financée par
les deux ordres de gouvernement, située à Montréal et dont
le "curriculum" et la pédagogie seraient axés sur la notion
d'oeuvre et le processus de création, nous faisons donc la
déduction que cette recommandation demeure valable.
Nous voulons, entre parenthèses, distinguer entre enseignement du
cinéma et éducation cinématographique pour dire que
l'enseignement du cinéma, c'est la formation des professionnels qui font
le cinéma et l'éducation cinématographique, c'est
l'éducation des publics. C'est la formation des goûts et
l'éducation au sens de la création d'un public qui sera
connaisseur et averti. Nous disons, dans notre mémoire, que
l'État aura beau soutenir la production, imposer des quotas et vouloir
améliorer le statut de l'artiste, il risque d'investir à fonds
perdus s'il oublie que l'artiste ne gagne pas sa vie sans public.
Nous revenons à l'objectif principal de notre mémoire qui
est l'enseignement, donc, les connaissances et le savoir-faire qui doivent
être à la hauteur des standards de l'industrie. Nou3 savons que
l'industrie cinématographique québécoise a connu, depuis
les vingt dernières années, une évolution et un
professionnalisme évident, mais, pour maintenir ce rythme et maintenir
le niveau des standards, on ne peut plus compter que sur l'autodidactie et la
formation sur le tas. D'autant plus que la production du cinéma ayant
développé son caractère un peu plus industriel, les
moments pour la formation dans l'action sont de moins en moins possibles et la
formation dans la pratique devient, jusqu'à un certain point, un fardeau
pour les gens qui l'assument.
Nous voulons également signaler qu'il y a des écoles de
cinéma de niveau supérieur à travers le monde - il y en a
54 réunies dans une association - et que, parmi toutes ces
écoles, il y en a plusieurs qui accueillent des professionnels, des
Québécois et des Québécoises qui vont chercher leur
formation à l'étranger. La formation en cinéma n'est pas
non plus dissociée ou en marge de la formation dans les autres domaines
qui touchent au cinéma, que ce soient l'art dramatique et la musique,
par exemple. Une école nationale de théâtre, un
conservatoire d'art dramatique et un conservatoire de musique, lors des
contacts que nous avons eus avec leurs représentants, se sont
montrés très ouverts à l'idée d'une collaboration
et d'une formation en complémentarité.
En gros, les objectifs sont de pouvoir assurer une formation et un
perfectionnement pour garantir la vitalité de l'industrie, de susciter,
tant que le recyclage et pour le perfectionnement, l'arrivée de
nouvelles ressources compétentes, c'est-à-dire des gens qui,
dès le sortir de leur formation, seront prêts à faire du
cinéma et n'auront pas besoin d'un stage supplémentaire pour y
arriver. Nous considérons donc cet aspect fondamental.
Nous croyons aussi que la présence d'une école
supérieure aurait pour effet de créer une sorte de concertation,
de créer un point de référence qui permettrait
probablement aux institutions universitaires ou collégiales de mieux se
situer pour jouer leur rôle en relation avec une école de
formation destinée à la préparation des professionnels.
Nous croyons aussi qu'une école de cinéma doit se faire par
l'utilisation des ressources en place, doit mettre à profit les lieux et
les ressources qui sont à l'usage des professionnels. Il ne s'agirait
pas ici d'investir dans le béton et dans les structures, mais d'utiliser
à la fois les personnes ressources et les moyens déjà
existants pour fonder cette école supérieure. De même, il
serait sûrement possible de
faire des ponts avec les institutions en place pour faire entrer
l'aspect théorique ou esthétique dans la formation
professionnelle.
En conclusion de ce mémoire, nous croyons aussi que la formation
aurait pour effet de renforcer les relations entre les secteurs qui
travailleraient en complémentarité, mais surtout par
reconnaissance de leur professionnalisme réciproque. Je crois que les
intervenants du monde du cinéma, que vous allez entendre, vont aussi
faire valoir l'intérêt d'une école du cinéma. Donc,
comme recommandation formelle, nous désirons que la commission
considère ce projet parmi les moyens à retenir en vue de
l'amélioration du statut de l'artiste, soit le projet d'une écple
supérieure du cinéma.
Le Président (M. Trudel): Merci, monsieur. Je cède
maintenant la parole à Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais d'abord
remercier Ie3 représentants de l'Institut québécois du
cinéma pour cette présentation. Il est évident que la
question de la formation et du perfectionnement a déjà
été abordée dans le cadre de cette commission
parlementaire, mais c'est important de voir jusqu'où il est
intéressant de remarquer la sagesse que vous avez de revenir sur le
sujet. Je pense qu'il est important de voir votre préoccupation.
Effectivement, la formation est la clé de voûte de la recherche de
l'excellence. On n'y échappe pas. Il faut en féliciter l'institut
de revenir sur ce dossier.
Tout en me réjouissant de votre intérêt pour la
formation et le perfectionnement comme moyens d'améliorer le statut
socio-économique de l'artiste, j'aurais peut-être aimé que
vous alliez plus loin dans votre démarche, que vous puissiez vous
prononcer sur les relations contractuelles, sur les droits d'auteur des
différents auteurs en regard du producteur, par exemple, ce que je n'ai
pas retrouvé dans votre mémoire. Toutefois, vous revenez, en page
4 de votre document, et vous rappelez que la Commission d'étude 3ur le
cinéma et l'audiovisuel avait le mandat d'examiner la possibilité
de créer une école du cinéma au Québec; je pense
que vous l'avez mentionné tantôt dans vos remarques
préliminaires.
Est-ce que, en 1986, la situation vous amène encore à
constater les effets négatifs de l'absence de l'école
supérieure du cinéma et de la vidéo? Vous l'avez
mentionné dans vos remarques préliminaires, mais j'aimerais
peut-être que vous alliez plus loin. Est-ce que c'est vraiment le constat
d'effets négatifs qui vous amène à ramener le sujet de la
formation d'une école? Est-ce que vous avez été à
même de constater des effets négatifs?
Mme Champagne: Je n'irai pas jusqu'à constater des effets
négatifs, mais je crois que, comme on a senti, à un moment
donné, le besoin de créer un conservatoire de musique et d'art
dramatique, au 'cinéma, nous sommes au même point en 1986,
c'est-à-dire que nous avons créé... Comme les
comédiens avaient créé un théâtre de chez
nous et les musiciens s'étaient fait valoir même à
l'étranger, il était temps de leur donner la chance de se servir
davantage de leurs talents, c'est-à-dire de pouvoir aller plus loin. Je
pense qu'au cinéma c'est la même chose. Nous avons, comme je le
disais au tout début, créé une industrie du cinéma,
depuis 20 ans, à la force du poignet. On pourrait continuer, mais je
pense que nous en sommes, comme nous l'étions en 1980, au même
point, c'est-à-dire qu'on tient l'édifice, mais on a besoin de
structures pour pouvoir continuer et s'améliorer.
Vous savez que nous avons de plus en plus de coproductions et
d'échanges. Nous sommes considérés comme des techniciens
et des professionnels, mais il faut nourrir cela de bases solides.
Particulièrement, le perfectionnement de tous ceux qui oeuvrent dans le
cinéma ne pourrait qu'agrandir...
Mme Bacon: Verriez-vous cette école comme une école
tout à fait indépendante de ce qui existe actuellement, du
système scolaire? Il faut quand même inclure dans un cheminement
le ministère de l'Éducation. Est-ce que vous la voyez
indépendante du ministère de l'Éducation?
Mme Champagne: C'est encore à l'état
d'élaboration. II faudrait qu'il y ait une certaine forme
d'indépendance.
M. Boucher: Les démarches qui avaient été
faites pour imaginer un modèle d'école du cinéma tentent
de la situer à un niveau "post-graduate". En fait, c'est un peu comme
l'École nationale de théâtre, c'est-à-dire une
école qui a un corpus autonome, qui a une démarche qui ne conduit
pas nécessairement à une "diplomation" qui s'inscrit dans le
système d'enseignement scolaire. C'est vu comme un lieu de formation de
professionnels. C'est à la fois autonome, et en même temps
interrelié, comme on a tenté de le montrer dans le mémoire
par exemple avec les écoles existantes du type conservatoire ou
école nationale ou avec les institutions d'enseignement universitaire
qui ont développé des cours théoriques ou des cours sur
l'esthétique du cinéma, lesquelles pourraient faire le pont. Mais
dans son concept principal, dans son mode de fonctionnement et, selon ce que
l'on a pu comprendre du voeu exprimé dans la profession, oui c'est une
école autonome, en ce sens-là.
Mme Bacon: Et vous la verriez orientée vers les besoins de
l'industrie, par exemple, comme vous dites: Une sorte de conservatoire?
M. Boucher: Oui, en ce sens que ce soit ses lieux de travail, que
ce soit les professionnels qui y donnent la formation, que ce soit
l'identification des besoins de formation à donner, tout cela devrait se
faire en relation étroite avec la profession.
Mme Bacon: Y aurait-il des prérequis pour accéder
à cette école? Pensez-vous que nous avons en ce moment le bassin
d'enseignement requis pour une telle école, compte tenu des disciplines
qui pourraient y être enseignées, par exemple?
Mme Champagne: D'abord je crois que, comme disait M. Boucher, il
faut se servir de toutes les ressources existantes; pour moi c'est prioritaire.
Premièrement, il s'agit de coordonner tout cela et de commencer par le
perfectionnement plutôt que l'apprentissage, dans le moment
présent. Je pense que c'est peut-être commencé à
rebours, mais je pense que c'est là que nous en sommes, le
perfectionnement, se servir de tout ce qui existe.
Nous avons, je pense, des ressources importantes ici, mais il ne serait
pas exclu d'avoir des gens qui viendraient, comme à l'école
nationale ou au conservatoire pour des sessions de X temps qui seraient
accessibles à nos techniciens, à nos réalisateurs,
à nos metteurs en scène, à nos ingénieurs du son.
II faut que cette "école", entre guillemets, soit très flexible,
à mon avis, dans le moment. Je répète ce que le
mémoire dit - et M. Boucher - c'est que nous ne sommes pas à la
recherche de briques ou de béton, mais surtout nous essayons de prendre
ce qu'il y a, de le coordonner, de le mettre en ordre et de permettre à
nos techniciens d'avancer ou de perfectionner leur métier.
Mme Bacon: L'expérience qu'on peut constater dans d'autres
pays, comme l'Angleterre, la Pologne, la France, par exemple, est-ce que cela
peut servir à l'élaboration d'un tel dossier? Est-ce qu'on peut
se baser... Est-ce que ces expériences ont été
heureuses?
Mme Champagne: Actuellement, en France, ils sont à
refondre et à repenser l'enseignement du cinéma. J'y suis
allée il y a un mois et j'ai rencontré des gens qui
étaient d'accord avec notre intention de rendre les choses plus
flexibles, plus adaptées à la réalité du
cinéma. Donc, je pense qu'ils peuvent nous apporter beaucoup. En France,
actuellement, il y a toute une recherche qui devrait aboutir à
l'automne. Nous avons l'intention de reprendre contact pour voir ce qu'eux ont
fait et peut-être nous en servir à notre avantage. (10 h 30)
Mme Bacon: D'accord.
M. Boucher: D'ailleurs, si vous permettez...
Mme Champagne: Oui.
M. Boucher: ...on parle d'une école des métiers du
cinéma à ce moment-ci en France. Donc, c'est pour montrer le
caractère pratique qu'on veut donner à la formation.
Mme Bacon: ...discipline serait envisagée.
Mme Champagne: Oui.
M. Boucher: C'est cela. Vous vous posez une question sur les
prérequis. En fait, il faudrait identifier des prérequis.
À ce moment-ci il est peut-être un peu trop tôt, mais je
pense qu'il faut parler d'une connaissance suffisante et même d'un niveau
d'expérience minimal qui fait qu'à un examen d'entrée,
quelqu'un ne s'inscrit pas à une école supérieure pour
faire ses débuts, mais pour aller plus loin.
Mme Bacon: II y a différentes questions qui ont
été abordées ici jusqu'à maintenant et que vous
n'abordez pas dans votre mémoire. J'aimerais profiter de votre
présence pour connaître votre point de vue sur l'état des
relations contractuelles entre les techniciens, les producteurs et les
réalisateurs. Cela nous a été mentionné à
plusieurs reprises dans les mémoires. Est-ce que l'institut peut se
prononcer? Quel jugement portez-vous sur cette situation? Est-ce qu'on devrait
imposer des contraintes dans les relations contractuelles?
M. Boucher: Vous savez que l'institut, c'est à un niveau
restreint, mais c'est un forum de la profession où tous les secteurs
sont représentés. Depuis ses débuts, l'institut a toujours
fait valoir l'importance de l'harmonisation des secteurs et de
l'équité des rapports entre les intervenants par sa propre
dynamique et par, disons, l'espoir que cette dynamique se répercute au
sein des associations d'où proviennent les membres. On a toujours
misé sur le fait que le forum à un niveau restreint allait se
traduire par des comportements ou des réalités
différentes. En tant que tel, l'institut a toujours choisi de ne pas
s'immiscer dans les rapports entre les associations, mais de contribuer,
à sa manière, à faire en sorte qu'en prônant
l'idée d'équité et d'harmonie, on en arrive à ce
que cela se fasse dans les
faits. Pour l'instant, an se fie à la possibilité que les
associations professionnelles établissent l'Interaction, la
négociation, la dynamique, qui vont donner les résultats
attendus.
Mme Bacon: II y a un autre dossier qui a été
abordé par la grande majorité, c'est le dossier du
libre-échange. Est-ce que l'Institut québécois du
cinéma a commencé à regarder ce dossier de près?
Est-ce qu'il y a une position qui s'amorce par rapport à toute la
discussion du libre-échange dans le cinéma, par exemple?
M. Boucher: Pour vous dire que l'institut partage les craintes
qui ont été manifestées en général dans le
milieu de la culture, oui. Dans l'industrie du cinéma, on connaît
les différents rapports qui ont été publiés sur te
sujet, que ce soit sur le contrôle de la distribution, que ce soit sur
tous les risques inhérents au fait que le cinéma ne
bénéficie pas des retombées de sa propre exploitation au
Québec. En ce sens-là, l'institut s'est déjà
prononcé, a déjà affirmé ses positions. Il n'y a
pas eu de renouvellement récent sur le sujet, mais les positions
demeurent, oui, effectivement.
Mme Bacon: Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Mme Champagne, M. Boucher, je suis très
heureux de vous rencontrer. Il y a un grave défaut, mais je pense qu'il
faut vivre avec cela à cette commission, c'est qu'on est obligé
d'utiliser le chronomètre. Alors, malheureusement, volontairement, il
faut se limiter et je vais essayer d'être très bref.
Dans votre mémoire, il y a un commentaire que j'ai
apprécié puisque je le vois comme une constante chez tous les
intervenants précédents. À mon point de vue, cela est
très rassurant, car vous insistez dans votre mémoire sur les
volets de formation et de perfectionnement à l'égard de la
qualité de nos productions cinématographiques. Vous faites
également un constat qui m'apparaît extrêmement pertinent,
quand vous dites en page 9, je crois: L'enseignement du cinéma doit
être envisagé comme un des moyens de base pour assurer la
vitalité de l'industrie. Nous ne pouvons plus compter sur les
méthodes traditionnelles de transmission de connaissance pour assurer
l'avenir. Cela vient donc sous-entendre, cela vous le disiez au paragraphe 10,
- qu'en réponse à ce besoin, il apparaît toujours
nécessaire de créer une école supérieure du
cinéma.
La question que j'aimerais vous poser, découlant des remarques
que vous avez écrites dans votre mémoire: Quel est l'avenir que
vous préconisez pour la douzaine de programmes en création et en
études cinématographiques qui sont actuellement dispensés
dans les universités et les cégeps du Québec?
Mme Champagne: Je pense qu'en insistant sur l'importance du
perfectionnement de ceux qui oeuvrent dans le cinéma, on n'exclut pas ce
qui existe. Une des premières choses à . faire, serait de
coordonner - comme je le disais et je le répète - ce qui existe
et de voir jusqu'à quel point on peut échanger avec eux; mais il
faut une tête. Il faut que tous ceux qui oeuvrent à la formation
soient consultés et nous aident à former, disons, encore une
fois, une "école", entre guillemets. On ne veut pas les exclure, on veut
les inclure dans notre démarche.
M. Boucher: J'ajouterais aussi que la formation qui est
donnée, que ce soit au niveau collégial ou au niveau
universitaire, vise à former des gens qui vont vers des marchés
différents et non pas nécessairement à la production
cinématographique. Il y a une complémentarité dans les
cours, par exemple, avec la formation en lettres ou en arts ou en
communications ou en journalisme. Ce qui fait que les acquisitions de
connaissances identifiées au cinéma qui se font au cégep
ont plus pour fonction de donner le goût du cinéma, et aussi des
acquis à des gens qui vont oeuvrer dans des secteurs à la
périphérie du cinéma ou qui vont travailler là
où il est impartant d'avoir une certaine connaissance de base des
mécanismes au des rouages de la production, mais qui ne sont pas
directement les premiers sur la ligne de production ou qui ne sont pas
nécessairement dans l'industrie à proprement parler.
Mme Champagne: Ni des scénaristes, ni des
réalisateurs, ni des...
M. Boulerice: Vous dites qu'il y a des objectifs
différents. Les objectifs que vous préconisez pour
réorienter ces programmes, de quelle façon spécifique se
situent-ils?
M. Boucher: II m'apparaît que votre question est plus
précise que l'état de notre réflexion sur le sujet. Ce que
nous voulons faire - nous le disons dans le mémoire -c'est
développer un modèle et nous avons commencé à
travailler, à consulter les gens qui font de l'enseignement dans les
différents types d'institutions. Par exemple, nos contacts avec les
universités, cela a été d'abord pour bien comprendre la
portée et le sens du travail qu'ils font et pour voir s'il y a justement
des possibilités de rattachement de certains types de leurs
enseignements à des enseignements nécessaires dans une
école
supérieure. De là, à dire comment nous proposons
à ce moment l'orientation éventuelle de ces institutions!
Là où c'est affirmatif, c'est que nous savons qu'une école
supérieure aurait comme un effet de cristallisation, c'est-à-dire
un pôle de références à partir duquel des
enseignements qui ne sont pas nécessairement destinés à
former des professionnels du cinéma pourrait mieux se régler. De
là, à aller dire aux institutions d'enseignement comment nous
voyons leur orientation! Nous pensons en général qu'elles
devraient continuer dans le sens où elles vont, parce que nous
constatons qu'elles ne forment pas nécessairement des professionnels du
cinéma. Donc, il n'y aurait pas nécessairement
d'interférence avec le travail d'une école supérieure.
M. Boulerice: Ce qui va m'amener à vous poser une
deuxième question, M. Boucher. Quels sont effectivement les rapports
entre les professionnels du cinéma et les institutions qui sont
actuellement responsables des programmes en création ou en études
cinématographiques?
M. Boucher: Généralement, quand certains sont
engagés à titre de pigistes ou de professeurs, cela crée
un rapport direct. Souvent, on va demander à certains professionnels
d'agir à titre de chargés de cours dans des institutions.
Autrement...
Mme Champagne: C'est inexistant.
M. Boucher: ...il n'y a pas de rapports directs. Lorsque vous
aurez l'occasion de rencontrer les associations professionnelles, vous pourrez
leur poser cette même question et je crois que vous pourrez mesurer la
portée directe ou indirecte des relations.
M. Boulerice: En page 6, M. Boucher ou Mme Champagne, vous
déplorez la déficience du système de l'éducation en
matière de sensibilisation à la culture cinématographique,
à l'exception de certains cours complémentaires dans certains
cégeps. Quelle solution avez-vous pour pallier cet état de
fait?
Quand je l'ai lu, la première interprétation que j'ai eue
est également peut-être cette sensibilisation à la culture
cinématographique. Ma génération malheureusement, je suis
obligé de me "chronologer" de cette façon - était celle de
l'émergence à la fois dans les écoles secondaires, les
collèges et les cégeps, d'une présence très forte
et très active des ciné-clubs qui étaient un moyen
d'entraîner une culture cinématographique. C'est mon
interprétation, sauf qu'à la question bien précise,
j'ajoute: Quelles solutions avez-vous pour pallier cet effet?
M. Boucher: Nous avons fait cette parenthèse pour deux
raisons: d'une part, pour bien marquer la différence entre
l'éducation cinématographique et l'enseignement du cinéma.
Quant à la question de l'éducation cinématographique, nous
voulions attirer l'attention sur le fait qu'il n'existe pas de profession sans
public, c'est-à-dire qu'il n'existe pas d'art cinématographique
sans qu'un public soit là pour aussi le faire exister.
L'éducation des publics se retrouve de la même
manière que dans les écoles, il y a une éducation ou une
initiation aux arts visuels, à la musique et à la
littérature. Dans un monde où l'audiovisuel a tellement de place,
où l'image est tellement présente, on comprend mal qu'il n'y ait
pas de cours de sensibilisation, de cours d'initiation ou de cours
d'éducation générale à la culture
cinématographique ou au langage visuel.
Donc, lorsqu'on déplore que les gens se
désintéressent du cinéma ou de la salle en particulier, et
que l'appréciation des Québécois envers leur cinéma
peut parfois être décevante, on se dit qu'une part des
responsabilités est peut-être due au fait que l'enseignement en
général ne tient pas compte de cette dimension.
Lorsque des études ou des enquêtes statistiques sont faites
sur les comportements des Québécois en matière
d'activités culturelles de loisirs et qu'on regarde cela sur de longues
années, on se rend compte que le cinéma a toujours eu une
présence très grande. Cela fait partie intégrante de la
vie des gens, mais cela ne fait absolument pas partie de leur système de
formation et d'enseignement. 11 nous semble donc y avoir un hiatus quelque
part. L'éducation des publics, on n'insistera jamais assez, c'est ce qui
fait qu'un art et une industrie sont capables de vivre.
Mme Champagne: Dans le mémoire, c'était une
parenthèse. C'est tout à fait différent de notre
démarche de formation et de perfectionnement, mais on avait l'intention
de le souligner, car, comme le disait M. Boucher, il nous faut aussi un
public.
M. Boulerice: Dans votre mémoire, vous parlez des
négociations. Je ne vous le dis pas méchamment, je vous le dis
comme je le pense, car on est en relation d'aide aujourd'hui à cette
commission, vous ne l'avez peut-être pas développé aussi
intense . ment que je l'aurais souhaité. Est-ce que vous pourriez
peut-être me dresser le bilan actuel des négociations dans le
domaine du cinéma? Surtout les éléments contractuels, car
ma lecture de votre mémoire date de la semaine dernière et il se
peut que ma mémoire défaille, mais vous faites allusion, je
pense, à des liens contractuels, à la
signature de contrats et vous semblez privilégier une sorte de
contrat standard. Est-ce que je me trompe en disant cela?
M. Boucher: Je ne crois pas que nous ayons abordé ce sujet
dans notre mémoire.
Mme Champagne: Non, pas du tout.
M. Boulerice: C'est peut-être un autre mémoire.
Mme Champagne: Ah oui! Ce n'est pas le nôtre.
M. Boulerice: II y en a 45 qui nous été soumis.
M. Boucher: Dans les prochains qui viennent, je crois que vous
allez...
Mme Champagne: Oui. (10 h 45)
M. Boulerice: La question qui serait probablement la
dernière que j'aimerais vous poser... Vous savez que c'est le sujet de
l'heure. Comme le disent les jeunes: C'est bien branché, si on est
capable d'en parler. Très souvent, je pense qu'on en parle sans savoir
exactement ce qu'il en est et surtout ce qui va en résulter. Je fais
allusion - vous vous en doutez, Mme Champagne, je vois votre sourire, vous me
voyez venir - au libre-échange. Quelle est la position de l'Institut
québécois du cinéma face au libre-échange? Il y a
déjà des réflexions qui ont été faites
à ce sujet, d'ailleurs, par l'ancien titulaire du ministère des
Affaires culturelles, M. Clément Richard, qui nourrissait les plus
sérieuses, les plus grandes réserves face au libre-échange
des produits culturels et, notamment, dans le secteur de l'industrie
cinématographique.
Vous savez comme moi que le budget moyen de production d'un film
américain est... Mon Dieu, quoi? trois fois, quatre fois, le prix moyen
d'un film québécois. Le prix du film québécois va
jusqu'à inclure la promotion, ce que n'a pas le film américain.
Nos voisins américains ont des habitudes de consommation
télévisuelle en cinéma qui sont d'un hermétisme que
toute statistique va corroborer. C'est 99,99 %. De temps en temps, il y a un
Australien ou un Britannique qui se glisse sur l'écran de CBS ou NBC.
J'aimerais voir comment vous vous situez face à ces discussions
concernant le libre-échange dans l'industrie
cinématographique.
Mme Champagne: Comme disait M. Boucher tout à l'heure, je
pense que nous ne sommes pas tout à fait d'accord. Nous avons fait
valoir notre opinion, il y a déjà quelque temps. Il pourrait
reprendre plus précisément.
M. Boucher: Vous faites allusion au fait que les
Américains consomment à peu près exclusivement de la
production américaine. Lorsqu'une population ou un peuple consomme
à 97 % sa production, lorsqu'il contrôle à peu près
dans les mêmes proportions la distribution d'un marché canadien ou
québécois, il faut chercher à quelle place
s'écrivent les mots "libre" et "échange".
Ce qu'il faut essayer de voir, c'est quels seraient les avantages qu'en
tirerait la profession au Québec. Si les Américains viennent
tourner au Québec, ils font affaires avec les professionnels de chez
nous. Cela ne s'inscrit pas dans un processus de libre-échange. Cela
s'inscrit tout simplement dans un processus de production en territoire
étranger.
L'objectif du libre-échange, c'est de faire en sorte qu'il y ait
une meilleure circulation, mais la meilleure circulation doit reposer sur des
conditions et les conditions actuelles sont: comment peut-on changer la
mentalité des Américains, comment peut-on changer le comportement
du peuple américain dans la consommation du cinéma
étranger, pour en arriver à l'objectif qui concerne davantage le
cinéma québécois?
En tout cas, je ne vois pas là, strictement sous cet angle,
tellement d'intérêt. Quant à l'aspect des retombées
économiques pour le Québec venant de la distribution au
Québec, je pense qu'il y a tellement de choses qui ont été
dites là-dessus; vous connaissez le discours. Le point de vue de
l'institut, c'est qu'il faut trouver, au plus tôt, les moyens de faire en
sorte que l'industrie québécoise contrôle la plus grande
partie de la distribution qui se fait sur son territoire, pour que l'argent
revienne à la production.
Mme Champagne: C'est un problème qui date de bien des
années. Le "libre" et l'"échange", comme on le disait, ne se sont
pas encore fait valoir dans notre industrie. Les Américains viennent
ici. Il est très rare que nous puissions aller tourner, nous, dans les
mêmes conditions qu'eux, ici, malgré tous nos efforts,
malgré les chiens de garde que nous avons.
M. Boulerice: Pour conclure, je ne sais pas si on va rater le
bateau dans le domaine cinématographique, mais je me rends compte que
l'Institut québécois du cinéma est assez jeune: depuis
1983. Vous allez vous rendre jusqu'à 1989, j'en suis persuadé,
justement parce que vous faites sans doute partie de cette flottille dont on
avait besoin avant de se construire un bateau!
Je vous remercie, Mme Champagne et M. Boucher, de votre présence
à cette commission et des commentaires que vous avez apportés en
formulant le voeu que l'on puisse se rencontrer de nouveau et discuter plus
à fond parce que, comme je vou3 l'ai
dit, le chronomètre nous limite et la liste des questions est
supérieure au temps que notre strict président m'accorde. Je vous
remercie beaucoup encore une fois.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques. Suivant votre exemple, je me contenterai
d'une seule petite question, étant donné justement le temps qui
court. Votre mémoire est très bien fait, à mon avis. Ma
question concerne un point du mandat, celui de la formation. Qui dit formation
dit préparation au marché du travail et éventuels
débouchés sur le marché du travail.
La question que je me suis posée en lisant votre mémoire
est celle-ci: Est-ce que l'absence ou la relative carence de
débouchés sur ce marché ne serait pas accentuée par
une école de formation qui va envoyer des gens sur le marché du
travail, sûrement mieux qualifiés, mais un surplus?
Mme Champagne: Votre question est très pertinente et le
fait existe. Par contre, je pense que les gens qui veulent faire du
cinéma, qui sont prêts à faire du cinéma
actuellement, qui sont prêts à l'apprendre de toutes les
façons possibles sont les mêmes que ceux qui iraient dans une
école de perfectionnement où ils apprendraient vraiment leur
métier. Au lieu d'avoir des gens qui prendraient cinq ou dix ans pour
avoir une formation solide dans le domaine du cinéma, on aurait des gens
solides beaucoup plus rapidement. Cela ne veut pas dire qu'il y aura plus ou
moins d'emplois, cela veut simplement dire que le métier sera
assuré d'une façon plus solide et pourra donc,
éventuellement, donner des productions d'autant plus valables et
peut-être davantage puisqu'on sera plus solides et, disons, meilleurs.
Par le fait même, peut-être qu'on aura davantage de
cinéma.
Le Président (M. Trudel): Merci. Est-ce que d'autres
membres de la commission auraient des questions à poser à Mme
Champagne et à M. Boucher?
Madame et monsieur, il me reste à vous remercier de vous
être déplacés pour venir nous rencontrer ce matin et lancer
ainsi une deuxième semaine de consultation de la commission. Je vous
souhaite un bon retour à Montréal, si vous choisissez de rentrer
immédiatement. Merci beaucoup.
Nous poursuivons nos travaux en recevant maintenant l'Association des
réalisateurs et réalisatrices de films du Québec, qui,
dois-je le souligner immédiatement, nous a fait parvenir son
mémoire dans ce qu'on appelle un temps record. Il y a quand même
pas mal de temps qu'on a reçu ce mémoire, ce qui nous a
donné amplement le temps de le lire et parfois de le relire, ce qui
m'est arrivé en fin de semaine, parce que, d'une semaine à
l'autre, le sujet étant le même, mais les approches souvent
différentes, on doit se rafraîchir la mémoire. Ce sont MM.
Paret et Gélinas, s'il n'y a pas eu de changements. Je constate que vous
nous soumettez ce matin une annexe. J'imagine que vous allez en parler, en
traiter devant nous. Je vous souhaite la bienvenue et je vous cède
immédiatement la parole, en vous demandant de vous limiter autant que
possible. On a encore, malgré ce que le député de
Saint-Jacques semble dire, un peu de souplesse, mais je vous demande de vous
limiter, si c'est possible, à dix minutes pour votre exposé. Si
vous avez besoin de plus de temps, allez-y, mais, règle
générale... Je vous cède donc la parole, messieurs.
ARRFQ
M. Gélinas (Pascal): Je vous remercie. J'aimerais
simplement préciser, au sujet des délais dont vous parlez, qu'on
a cru important ce matin d'apporter une annexe à notre mémoire.
Considérant le délai entre la remise de notre mémoire et
notre comparution ce matin, il se passe tellement de choses dans nos
têtes et dans nos vies qu'il était impératif pour nous
d'ajouter certains points pour souligner cette recherche qui se fait et qui
nous semble très importante à cette commission.
Je veux simplement vous rappeler rapidement que l'ARRFQ, l'Association
des réalisateurs et réalisatrices de films du Québec,
regroupe près d'une centaine de réalisateurs et
réalisatrices. Certains sont assez connus: les Carle, Arcand, Léa
Pool, Mankiewicz; d'autres travaillent plus dans le secteur éducatif,
télévisuel ou documentaire.
Notre condition financière est souvent précaire, comme on
vous le dit dans notre mémoire, selon une étude qui date de 1981,
mais je pense que le rôle que l'ARRFQ mène sur la scène du
cinéma depuis le début des années soixante, a
été très important. Évidemment, à ce
moment-là, on portait un autre nom; mais, à partir de 1973, cela
regroupait uniquement des réalisateurs. On a soumis quantité de
mémoires. On a participé, entre autres, à l'occupation du
Bureau de surveillance en 1973; cela avait, je pense, activé le
processus d'adoption d'une loi-cadre sur le cinéma. C'est une des
actions que l'on cite souvent, mais il y en a eu bien d'autres,
évidemment, qui étaient moins radicales que celle-là.
Essentiellement, nous sommes une association, mais nous sommes en voie
de syndicalisation, puisque nous essayons d'en arriver à une entente de
base avec le secteur de la production. Alors, grosso modo, pour ce qui est des
conditions de travail des réalisateurs de films, elles dépendent
essentiellement de la maison de production avec laquelle nous faisons affaires.
Chaque
fois, c'est totalement différent d'un endroit à l'autre.
Par exemple, un endroit aussi auguste que l'ONF nous fait telles conditions de
travail qui peuvent varier totalement d'un individu à l'autre. Si l'on
travaille pour une maison privée qui fait un film en coproduction avec
Radio-Canada ou Radio-Québec, par exemple, là aussi, on est
totalement soumis à l'arbitraire, autant en ce qui concerne les
conditions de travail que pour la négociation des droits d'auteur ou de
suites afférentes à notre travail.
Ceci est le point majeur que l'on aimerait amener à cette
commission. Évidemment, il y a d'autres points. Il y a l'annexe assez
courte que je voudrais vous lire, mais, essentiellement, il y a ce
problème de conditions de travail qui sont totalement aléatoires
dans notre cas". Pourtant, on pourrait se plaire à dire que le
réalisateur est l'architecte principal d'un film et de beaucoup de
produits pour la télévision. Donc, je pense que notre rôle
est essentiel. On connaît également la tendance qu'il y a ici pour
du cinéma d'auteur où, là, le réalisateur prend
encore plus d'importance, au niveau souvent de l'écriture pure et simple
du scénario. Mais, encore une fois, il faut que chacun négocie
selon sa réputation, selon son expérience et ainsi de suite.
Alors, i'ARRFQ, essentiellement, depuis quelques années,
travaille sur ce problème, celui d'un contrat de base ou d'une entente
collective. Puisque, évidemment, l'on doit faire affaires dans un
contexte multipatronal, c'est ce genre de négociations qu'on
privilégie. Donc, il peut y avoir, selon les endroits, des ententes
différentes.
C'est assez facile de comprendre qu'il y a énormément de
frais encourus dans l'exercice de notre travail. Un peu, j'imagine, comme pour
les comédiens, souvent pour Ies techniciens, pour différentes
catégories, les scénaristes également. Enfin, dans notre
cas, c'est particulièrement évident: on a de nombreux
déplacements à faire; on a des outils de travail. Je pense qu'au
niveau fiscal, il serait important que les réalisateurs de films
puissent avoir le choix entre le statut d'employé et ce qui en
découle ou celui d'entrepreneur indépendant, puisque vraiment
nous vivons avec les deux réalités. Il y a, pour beaucoup de nos
membres, une importance cruciale de pouvoir profiter des programmes sociaux
lors de certaines périodes creuses, lesquelles, malheureusement,
reviennent trop souvent. Également, il y a beaucoup de nos membres qui
travaillent à titre d'entrepreneurs et qui, je pense,
mériteraient un statut fiscal approprié.
Donc, je reviens au point principal du mémoire, qui est le
suivant: En fait, il serait opportun de privilégier un contrat de
travail entre I'ARRFQ et les différents producteurs avec lesquels nous
faisons affaires. Je pense que pour ce qui est de l'obtention des fonds publics
qui proviennent de la Société générale du
cinéma, de Téléfilm Canada pour ce qui est du
fédéral, souvent de Radio-Québec aussi et de Radio-Canada
évidemment, cesdits fonds ne peuvent pas être laissés
à la gouverne des producteurs qui vont établir, dans le fond, de
façon très arbitraire les conditions de travail, les conditions
de détention des droits également, puisque, je vous le rappelle,
au niveau juridique, nous ne sommes pas les auteurs de nos films. Ce sont les
producteurs qui sont reconnus comme étant les auteurs d'un film, ce qui
est évidemment une aberration complète. Autant le
réalisateur ou la réalisatrice est l'auteur de son film, de la
même façon le scénariste est l'auteur de scénarios
et ainsi de suite. L'auteur de la musique, c'est le compositeur et, dans notre
cas, il faudrait rectifier ce point-là. (11 heures)
Évidemment, c'est du ressort du fédéral, mais c'est
important de le mentionner pour que l'on comprenne dans quel contexte
évolue notre profession. Actuellement, les interlocuteurs uniques des
institutions, comme la Société générale du
cinéma qui alloue des fonds pour les projets, ce sont les producteurs,
lesquels doivent aller chercher une entente avec un télédiffuseur
ou éventuellement un distributeur. Alors, qui sommes-nous dans ce
contexte-là? II se développe toute une tendance pour
privilégier un cinéma de producteur, un cinéma où
le producteur a une idée, engage un scénariste pour
l'écrire, engage ensuite un réalisateur, des interprètes
et ainsi de suite. Cela donne souvent un cinéma à recettes,
incolore et inodore et qui ne reflète pas, je pense, la tradition
très vigoureuse qui caractérise le Québec.
Alors, permettez-moi rapidement de lire l'annexe puisque vous n'avez pas
pu avoir ce texte. Comme je vous ai fait un peu état de nos
revendications économiques, disons, on pourrait passer à un
niveau un peu plus philosophique. Alors simplement pour dire: l'État
québécois finance, par le biais de nos taxes, la
Société générale du cinéma, laquelle
investit dans chacun des maillons de la production. C'est également le
gouvernement qui a créé et financé l'institut
québécois, forum de la profession où se débattent
les politiques et programmes en matière de cinéma. L'ARRFQ
souhaite vivement que le gouvernement, par le biais de son ministère des
Affaires culturelles, conserve aux représentants désignés
par chaque secteur de cette industrie un rôle actif et significatif dans
le processus de réflexions et de débats sur ces politiques
cinématographiques. Il serait trop facile, dans un contexte de coupures,
de troquer ce dynamisme issu de la pratique pour l'inertie chronique du
fonctionnariat. L'évolution des
programmes actuels qui visent à conjuguer talent et
économie risquerait d'en être gravement perturbée.
L'ARRFQ croit également qu'une majorité de programmes
octroyant de l'argent à la formation et à la production doivent
être accessibles aux individus dont la compétence et
l'expérience auront été reconnues, qu'ils soient
scénaristes ou réalisateurs. II importe de ne pas confier le
droit de vie ou de mort de notre cinématographie aux distributeurs et
aux télédiffuseurs avec lesquels le producteur aura réussi
à faire alliance, parce qu'il faut comprendre que, dès le moment
où un scénariste ou un réalisateur fait une demande pour
simplement écrire un synopsis de film, si on le force à
s'adjoindre un producteur, un télédiffuseur, un distributeur, sur
une simple idée, on risque d'en arriver à un nivellement de la
production très dramatique et d'en arriver à un cinéma
uniquement axé sur le box-office.
En donnant accès à l'individu à certaines
étapes des programmes, on garantit la survie du documentaire et du
cinéma d'auteur. Ce ne sont pas les compagnies ou les producteurs qui
supportent l'effort d'oeuvres moins rentables économiquement, mais dont
la teneur culturelle est novatrice; ce sont en général des
individus investissant une bonne portion de leur salaire pour démarrer
ces projets et les concrétiser parfois jusqu'à une phase
très avancée. C'est ce type de cinéma qui,
périodiquement, prend la relève et innove là où
l'industrie s'essouffle et se sclérose. C'est le cinéma qui nous
a fait connaître au monde; il doit demeurer vivant, grandir et rejoindre
un public toujours plus large. Déjà pourtant, avec une diffusion
restreinte et avec des moyens modestes, ce cinéma rapporte le plus haut
retour selon l'investissement financier de l'État. Ce ne sont donc pas
les grosses productions, style "Bonheur d'occasion", "Maria Chapdelaine" ou "Le
Matou" qui rapportent au prorata du dollar investi, mais plutôt les
petites productions qui, elles, coûtant moins cher évidemment, ont
beaucoup plus de chance de rapporter selon l'investissement que l'État y
fait.
Nous aimerions également faire écho au mémoire
présenté par l'Institut québécois du cinéma
qui faisait état de la nécessité d'une école
professionnelle de cinéma et de télévision. Nous ne
saurions trop insister à notre tour sur l'urgente
nécessité d'une école de cinéma digne de ce nom.
L'État a déjà mis sur pied d'excellentes écoles
pour former des acteurs, des musiciens, des compositeurs, des écrivains,
mais il n'y a rien pour le cinéma. Pourtant, c'est un des média
les plus coûteux et qui rejoint la plus large audience. D'ailleurs, ce
n'est pas uniquement par la création d'une école de cinéma
que l'on stimulera notre cinématographie, mais égale- ment en
instaurant, de concert avec le ministère de l'Éducation, une
politique visant un usage régulier et précis des films à
l'intérieur des cours et des activités de nos écoles. Il
faut, par nos films, rejoindre l'étudiant, qu'il soit du primaire ou du
cégep, lui donner le goût du bon cinéma, celui où il
se retrouve, s'émeut et réfléchit. L'école, la
vraie, est à cet égard un milieu d'intervention indispensable. Je
pense que, si une politique comme celle-là était mise sur pied,
on s'assurerait de développer au Canada français, au
Québec, un public très averti, un public qui aime le
cinéma.
Songeons simplement à ce que ferait dans le coeur des
Québécois et des Québécoises, par exemple, "La
Guerre des tuques" qui a été vue dans" beaucoup d'écoles.
Si cette habitude se prenait de fréquenter un cinéma
destiné à notre public, il est évident qu'on aurait, dans
un certain nombre d'années, un public beaucoup plus averti, beaucoup
plus sensible à nos réalités et qui pourrait faire un
choix plus judicieux, devant l'invasion, par exemple, des produits
américains.
Je terminerai en citant une réflexion que le producteur Pierre
David faisait au Devoir récemment où il disait à peu
près ceci: L'avenir est aux cinémas nationaux des petits pays,
puiqu'il y a essoufflement dans les grosses structures comme Hollywood, et le
financement de l'État est indispensable dans ce type de
cinéma.
Souhaitons que le gouvernement du Québec accorde une juste valeur
à cet ambassadeur unique qu'est notre cinéma, lequel doit se
développer dans toute sa multiplicité et rejoindre d'abord le
public d'ici. À cet égard, nous mentionnons, en terminant,
l'urgente nécessité de l'application de tous les articles de la
loi 109 sur le cinéma. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci. Mme la ministre des
Affaires culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais
féliciter l'Association des réalisateurs et réalisatrices
pour son mémoire. Vous êtes un peu les doyens parmi les
regroupements de créateurs. Votre implication en matière de
promotion et de défense des droits des créateurs est vraiment
remarquable et a souvent été remarquée, d'ailleurs, au
cours des années passées.
Vous nous faites part, dans votre mémoire, d'une situation
particulière et difficilement vécue dans le milieu, la situation
des réalisateurs et des réalisatrices. Plusieurs de vos
revendications, comme vous disiez vous-même tantôt, sont à
incidence économique. Je retiens tout de même, dans vos propos, un
genre de ligne directrice à savoir que, si vos demandes trouvaient des
réponses positives, la qualité de vie
professionnelle des réalisateurs et réalisatrices s'en
trouverait améliorée.
Aussi, dans la logique de vos propos, vous affirmez, en page 5 de votre
document, que seules une volonté politique et une intervention politique
peuvent rétablir l'équilibre existant entre le producteur et le
réalisateur. Je pense que la volonté politique, nous l'avons eue,
de vouloir discuter sur la place publique de tous ces problèmes au cours
de cette commission parlementaire. L'intervention politique suivra cette
volonté politique que nous avons eue de tenir la commission
parlementaire.
En page 3 de votre mémoire, vous mentionnez qu'il est très
difficile de privilégier un statut parmi les différentes
possibilités, soit un statut de salarié, un statut de travailleur
autonome, un statut d'entrepreneur indépendant. Souvent, on passe d'un
statut à l'autre très rapidement et sans qu'on s'en rende trop
compte. En fonction des demandes que vous formulez, principalement celle
relative au droit de la négociation collective, est-ce que le choix de
statut de vos membres se fait plus facilement? Si oui, quel genre de statut
privilégieriez-vous?
M. Gélinas: Je pense que, comme je le mentionnais tout
à l'heure, nos membres sont, selon les occasions, selon le type de
travail et de conditions même de création qui leur sont offertes,
employés, évidemment aussi, très souvent entrepreneurs
indépendants et même parfois producteurs eux-mêmes. On avait
fait un sondage qui révélait, à une certaine
époque, qu'un tiers de nos membres, par exemple, possédaient une
maison de production. Ceci ne fait pas de notre association une association de
producteurs, Dieu merci! D'ailleurs, nous avons plusieurs points en litige,
mais il évident que, pour nos membres, on ne peut pas tracer une ligne
de démarcation et dire: Nous sommes tous d'un côté.
Il y a vraiment la réalité qui... Si vous regardez un peu
nos chiffres, par exemple, la moitié de nos membres doivent exercer une
autre fonction, à l'intérieur du cinéma ou ailleurs, pour
survivre. Donc, à ce moment, il faut tenir compte de cette
réalité et avoir un statut fiscal qui serait souple qui, dans le
fond, se baserait sur la réalité de chacune des années des
gens qui produisent. En somme, une année on peut être
employé, comme une autre année on peut travailler à son
propre film. Dieu sait que cela prend du temps souvent, compléter la
structure financière. Je pense qu'il faut tenir compte de tout cela.
C'est pour cela qu'on a tenu, après une longue discussion, à ne
pas trancher pour dire: Nous ne voulons qu'un seul statut. Je crois que
celui-ci est soumis aux conditions d'exercice de notre métier.
Mme Bacon: Toujours à la page 3 de votre document, vous
réclamez une loi qui viserait à émettre des directives
claires, qui imposerait peut-être des critères, des conditions de
travail comme celles proposées par votre association. Pourriez-vous nous
dire si vos propositions s'appliqueraient à votre seul secteur
d'activité ou si les formules de d'autres associations vous
satisferaient? En d'autres termes, vos propositions constitueraient-elles un
cas unique?
M. Gélinas: Je suis heureux de la question puisque, comme
vous en êtes sans doute informée, nous faisons partie d'une
coalition qui regroupe en somme toutes les forces créatrices dans le
domaine du cinéma. Qui a-t-on pour faire un film? On a essentiellement
des comédiens, des techniciens artisans, on a également des
réalisateurs, des producteurs et an a des scénaristes - j'allais
oublier cette composante essentielle. Donc, tous ceux qui sont créateurs
là-dedans, je pense que les artistes, dans le fond, ce sont les
scénaristes, les réalisateurs, les techniciens et les
comédiens. Je n'irais pas jusqu'à dire que ce sont les
producteurs, bien que je ne les empêcherais pas de venir participer
à cette commission. Ces quatre associations se sont regroupées en
coalition pour revendiquer vraiment cette idée que, lorsqu'on
dépense des fonds publics, que ce soit par Radio-Québec,
Radio-Canada ou une institution comme la Société
générale du cinéma, on n'a pas le droit, en somme, de
laisser ces fonds à l'arbitraire d'un certain "Far West" qui s'est
établi dans le milieu et qui fait des producteurs vraiment les
interlocuteurs uniques de ces institutions. Ce sont les seuls à qui on
demande des comptes et ce sont les seuls, également, qui peuvent
négocier les droits afférents aux oeuvres. Cette coalition, je
pense, est là pour souligner l'importance de ce que nous vivons
tous.
La SARDEC essaie depuis quatre ou cinq ans d'en arriver à une
entente avec les producteurs. L'Union des artistes en a déjà une,
mais évidemment elle est souvent remise sur le métier comme on
dit. Il y a le STCQ, comme vous le savez, qui a des problèmes
énormes depuis plusieurs années à faire renouveler sa
convention collective. Qu'y a-t-il de plus fondamental dans un milieu du
cinéma, que justement, comme le citait M. Bernard Boucher,
l'équité des rapports entre les intervenants et l'harmonisation
des secteurs?
Personnellement, d'ailleurs, je pense que l'Institut
québécois du cinéma devrait avoir le droit d'intervenir un
peu plus précisément dans ce type de dossier puisque nous le
vivons tous. Actuellement, je pense que le type de rapport qui est
établi pour l'attribution des fonds publics est axé sur ce
modèle: on fait du producteur le "one man
show" et tout se discute avec le producteur. Pourtant, d'après
les chiffres de la Société générale du
cinéma, les producteurs investissent à peine 5 % des budgets sur
l'ensemble des quatorze ou quinze films qui peuvent se faire dans une
année et qui passent évidemment par la SGC.
Je pense qu'il faudrait peut-être revenir sur terre un peu plus et
ne pas vivre le secteur du cinéma comme on vit peut-être les
relations du travail dans un atelier de vêtement. Il faudrait, je pense,
que, lorsqu'on parle d'attribution de fonds publics, on énonce certaines
règles, qu'on impose qu'il y ait des ententes collectives qui soient
finalisées et normalisées.
Mme Bacon: En page 4 de votre mémoire, vous demandez que
les réalisateurs et réalisatrices bénéficient d'un
pourcentage des retombées économiques de la distribution et de
l'exploitation d'un film. Pourriez-vous préciser un peu plus cette
demande que vous faites? Est-ce en fonction de la situation actuelle ou en
fonction d'une situation qui serait souhaitable? (11 h 15)
M. Paret (Roland): Ce qui se passe, c'est que, comme le disait
Pascal tout à l'heure, nous ne disposons pas de nos droits d'auteur. Le
réalisateur d'un film n'est pas considéré comme l'auteur
de ce film. Il faudrait, à ce moment-là, que vous nous permettiez
d'introduire une distinction qui n'est pas si subtile que cela, de distinguer
entre le droit d'auteur et le droit d'exploitation. Vous savez sans doute que,
lorsqu'un film passe à la télévision, il y a ce qu'on
appelle certaines retombées qui bénéficient à
certains participants qui ont collaboré à la production de ce
film. Le réalisateur, quand il signe un contrat avec un producteur, le
premier alinéa qui lui est spécifié et qui lui est
imposé - il n'a pas le choix s'il veut faire ce film - c'est qu'il
cède pour toujours, pour l'éternité et pour à peu
près toutes les formes utilisées pour la diffusion de ce film, on
droit d'auteur. Ce que nous prétendons en tant qu'auteur
véritable d'un film - quoique du point de vue juridique, on ne soit pas
l'auteur de ce film, c'est le producteur qui l'est - c'est qu'on
bénéficie des retombées, des retours qui peuvent
bénéficier au producteur de ce film. Il me semble que c'est une
revendication tout à fait honnête et pas exagérée du
tout.
M. Gélinas: On peut sans doute ajouter le modèle
des sociétés de perception dont certaines sont déjà
en action ici. Concernant ce modèle, plusieurs s'entendent d'ailleurs
pour dire que ce serait peut-être la façon la plus simple de
rectifier cette situation. Donc, cela ne demande pas d'inventer une structure.
Dans le fond, on revendique ce qui existe dans plusieurs pays dont la
cinématographie est vigoureuse. Il s'agirait simplement de normaliser
cette situation et non pas d'inventer un contexte tout à fait
nouveau.
Mme Bacon: Je reviens encore au libre-échange. Je pense
qu'on en discute chaque fois que nous rencontrons différents groupes
ici. Est-ce que vous avez adopté une position concernant le dossier du
libre-échange? Avez-vous une position précise en ce moment? Quel
est l'état de votre position?
M. Gélinas: Mme la ministre, je crois
peut-être...
M. Paret: Nous avons préparé une réflexion,
elle a abouti et elle tient en quelques mots. Nous sommes résolument et
avec acharnement contre.
M. Gélinas: Oui. Je pense que notre empressement à
répondre à cette question, le souligne un peu. M. Bernard Boucher
et Mme Champagne tout à l'heure ont exprimé assez bien cette
situation. Il est impensable de considérer qu'un secteur qui s'appelle
le cinéma au Québec consomme 97 % de produits américains
et renvoie 97 % de la cagnotte de l'autre côté de la
frontière et que cela s'arrête là. Il y a un maigre 3 %
à 4 % qui réussit à s'insérer sur l'écran.
Lorsqu'il y a eu enquête, d'ailleurs, sur la culture récemment par
la Presse et l'UDA, je crois que s'il y avait une cote d'amour un peu moins
haute pour le cinéma, c'est essentiellement dû à cette
situation. Le public n'a pas accès aux films, donc, c'est dramatique.
À ce moment-là on est complètement envahi par un produit
qui conditionne, je crois, les visées culturelles de tant de monde. On
en vient à fléchir et, à la rigueur, à s'embrasser
comme on le fait dans les films américains, puisque c'est tellement
répandu. De quel libre-échange parie-t-on exactement? Il nous
semble, au contraire, qu'on devrait aller dans le sens de la loi 109 et
vraiment forcer le géant américain à respecter certains
principes qui prévalent partout ailleurs, comme en France par exemple ou
en Italie. Si la France a réussi à s'en sortir, c'est
certainement à travers ce type de loi. Il nous semble que la loi 109
serait justement un rééquilibrage même modeste, mais
très important surtout en ce qui a trait aux principes, pour autant,
évidemment, que les distributeurs de films ne deviennent pas les
maîtres à penser de notre cinéma. Dans la mesure où
on remplace ceux qui étaient les télédiffuseurs d'avant
pour qu'une structure financière se complète et qu'on place les
distributeurs à leur place et qu'ils ont à dire oui ou non sur
tel projet de film, on risque, comme je le mentionnais tout à l'heure,
d'en arriver à un nivellement très grave. Ceci n'est pas le
problème qui
nous occupe.
M. Paret: Par ailleurs, M. le Président, il ne faut pas
oublier que le cinéma québécois est essentiellement un
cinéma subventionné. M. Pascal Gélinas faisait allusion
tout à l'heure au fait que le producteur privé investit à
peine 5 % du budget général d'un film dans la production de ce
film, le reste pour l'essentiel vient des différentes instances
financières qui desservent le cinéma, la Société
générale du cinéma, Téléfilm Canada, etc.
Vous savez que le principe sacro-saint du libre-échange est
l'élimination totale de toute subvention à toute industrie
existante. Nous ne pourrions guère exister. Nous ne pourrions même
pas comparaître devant vous officiellement, s'il y avait
libre-échange. Vous n'auriez pas de rapport avec nous et nous ne
pourrions même pas vous soumettre nos petits bobos.
En ce sens, ce serait l'élimination de la Société
générale du cinéma, l'élimination de toute courroie
de transmission entre le gouvernement et les producteurs de signes que nous
sommes et le cinéma. Il n'y aurait même pas de
libre-échange, il n'y aurait pas de cinéma
québécois, c'est simple, clair, net et précis.
Mme Bacon: Dans l'annexe que vous nous avez distribuée
tout à l'heure, au chapitre du rôle et de la profession, vous
indiquez qu'il serait trop facile, dans un contexte de coupures, de troquer ce
dynamisme issu de la pratique pour l'inertie chronique du fonctionnariat.
Pouvez-vous préciser un peu?
M. Gélinas: Oui. J'espère que nous n'avons pas
été trop méchants dans la formulation de notre annexe.
Mme Bacon: Ce n'est pas un reproche; je voudrais savoir ce que
vous voulez dire.
M. Gélinas: Je suis moi-même représentant des
réalisateurs à l'Institut québécois du
cinéma, donc j'en parle un peu plus en connaissance de cause. Je vis ce
forum où chaque secteur de la profession est représenté.
Vous savez qu'il y a environ huit secteurs, en passant par les industries
culturelles, les industries techniques entre autres, plus les voix du public.
À ce moment, un forum déborde vraiment ces questions à la
lumière de ce que chacun des secteurs vit.
Il est bien évident que vis-à-vis des distributeurs ou des
producteurs, on a des prises de bec. On a des échanges parfois hautement
philosophiques, mais aussi bassement terre-à-terre qui reflètent
vraiment la pratique que l'on vit et la réflexion constante que l'on se
fait sur un sujet aussi simple que combien peut coûter un film par
rapport au marché auquel on a accès. Est-ce qu'on ne devrait pas
viser des films de 1 000 000 $ plutôt que de 4 500 000 $ et ainsi de
suite? Est-ce qu'une certaine déflation n'est pas utile? Bref, il y a
là un questionnement que je trouve extrêmement valable.
À mon propre point de vue, par contre, je pense que la courroie
de transmission entre l'IQC et la SGC n'est pas très bien huilée.
Il n'est pas toujours facile d'appliquer à la lettre ce qui est dit dans
la loi 109 quant au rôle de chacune des institutions, en bout de ligne,
lorsque les programmes sont publiés. Mais, tout compte fait, je pense
que, si on permet à la profession d'exercer un rôle important dans
l'élaboration et les politiques qui sont ensuite suggérées
à votre ministère, on ira chercher un "input" direct sur ce qui
se fait vraiment, sur les conditions dans lesquelles on doit les faire et ce
sera sûrement, à long terme, un autre son de cloche que des
politiques issues tout simplement d'un fonctionnariat qui ne peut pas
bénéficier de cette réalité tangible et palpable.
Dans le fond, un échange doit être fait entre les deux secteurs.
Pourquoi ne pas profiter de cette expertise qui coûte très peu -
d'ailleurs le budget de l'IQC est assez modeste - et qui rapporte beaucoup en
termes d'audace et d'économie des moyens pour en maximiser les
résultats?
Mme Bacon: Est-ce que vous êtes d'accord avec moi qu'il
faut - et je pense connaître la raison pour laquelle vous indiquez cela
dans votre mémoire - quand même revoir le fonctionnement et - vous
venez vous-même de le dire - peut-être les courroies de
transmission entre les différents organismes? Il faut peut-être
revoir cette façon de fonctionner.
M. Gélinas: Evidemment, là vous me posez une
question énorme. Je ne saurais trouver de solution ou en suggérer
une ce matin.
Mme Bacon: Mais êtes-vous d'accord avec moi qu'il serait
peut-être temps de regarder cela avant d'aller plus loin?
M. Gélinas: Encore là, je me permettrai une opinion
personnelle. Premièrement, il y a des programmes, il y a des fonds
à la Société générale du cinéma qui
ne sont certainement pas trop élevés. 3e pense que l'État
ne dépense pas trop d'argent dans le cinéma, contrairement
à ce qu'on a pu dire récemment. Deuxièmement, la
façon dont est géré cet argent pourrait peut-être
être revue. Évidemment, on dit souvent que, dans un organisme
d'État, pour chaque dollar dépensé il y en a trois qui le
sont en surveillance de l'administration de ce dollar.
II ne s'agirait pas d'en arriver à une nouvelle
structure "ONFienne". Il y a des choses qu'on a de la difficulté
à s'expliquer quant à la limpidité, par exemple, des
budgets de certains films, quant à la rénovation du parc de
salles, où on investit beaucoup d'argent. Souvent, c'est tout simplement
sur réception de facture que tout cela se fait.
Je ne voudrais pas m'avancer dans le détail de tout cela, mais on
a parfois l'impression d'une lourdeur extrême et, à d'autres
moments, une façon un peu cavalière d'engager des sommes
imposantes. Il y a deux organismes et il n'y a pas une cote d'amour très
élevée entre les deux, malheureusement. C'est très triste,
parce qu'on ne peut pas nier la nécessité de gérer ces
fonds, mais on ne peut pas non plus nier la nécessité de penser
constamment à l'amélioration des programmes et c'est vraiment le
rôle de chaque institution, tel que la loi 109 le définit.
Si cela n'est pas respecté à l'intérieur des
organismes, que faire? Qu'est-ce qu'un pauvre représentant des
réalisateurs peut faire?
Mme Bacon: Vous apportez un éclairage important au
ministre quand même. Merci.
M. Gélinas: Ceci dit, je pense que si on demande à
la profession de gérer ces sommes, on irait peut-être un peu trop
loin, parce qu'il y a une certaine neutralité utile.
Le Président (M. Trudel): Merci Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: MM. Paret et Gélinas, vous nous dites tout
de suite, à l'entrée en matière et sans ambages - je pense
que cela est très naturel - que vous avez pour objet la défense
et la protection des intérêts socio-économiques et moraux
de vos membres. À ce sujet, j'aurais quelques questions à vous
poser.
Vous dites en page 10, que, malheureusement, la multiplication de
diverses options reliées à la cinématographie aboutit
souvent à la désillusion en raison des limites du marché
en matière d'emplois, des conditions souvent déplorables de
travail et de l'absence totale de sécurité d'emploi. Vous
poursuivez en disant qu'il s'avère de plus en plus urgent de
procéder à une rationalisation de la formation
professionnelle.
Vous en arrivez, finalement, à votre première
recommandation qui est la création d'une véritable école
de cinéma qui permettrait d'assurer une formation professionnelle de
haute qualité. Ces constats m'amènent è vous poser
d'autres questions. Est-ce que les cours qui sont donnés actuellement
dans les cégeps et les universités sont satisfaisants dans le
domaine des connaissances acquises? Est-ce plutôt parce qu'ils produisent
trop d'étudiants et, cela, sans leur montrer les vraies conditions de
travail qui les attendent?
M. Paret: M. le député de Saint-Jacques, bien que
le mémoire que vous venez de lire soit le fruit en réalité
des réflexions de la STCQ, le Syndicat des techniciennes et techniciens
de cinéma, l'Association des réalisateurs et réalisatrices
est d'accord à 150 % avec ce qu'ils ont écrit. Nous sommes
peut-être en mesure d'y répondre, mais nous
préférerions leur laisser, puisqu'il s'agit du mémoire du
Syndicat des techniciens et techniciennes de cinéma, le soin de
répondre, sur ce plan précis, à une question qui, comme je
le soulignais, est dans leur mémoire.
M. Boulerice: Suis-je en train de me tromper de
mémoire?
M. Paret: Par ailleurs, monsieur...
Le Président (M. Trudel): II faut croire qu'il a des
problèmes ce matin!
M. Boulerice: II faut croire que la commission a des
problèmes de "mémoires".
M. Paret: Absolument pas, il n'y a pas de danger.
Le Président (M. Trudel): Je vous ferais remarquer que
c'est le député de Saint-Jacques qui semble avoir...
M. Paret: Sur ce plan, M. le député, vous n'avez
pas à piétiner des parterres incongrus.
M. Boulerice: ...il cite...
M. Paret: Nous sommes tout à fait d'accord mais, par
contre, nous avons peut-être une petite idée, effectivement, sur
le problème que vous soulevez, à savoir le problème de
l'école de cinéma. Le cinéma est un métier, c'est
une profession. Comme toute profession, cela demande à être
maîtrisé et appris selon les manières qui sont en vigueur
dans toute société, c'est-à-dire une école ou une
université.
Je ne sais pas si vous préférez passer à une autre
question ou si on répond.
Le Président (M. Trudel): On pourrait
peut-être...
M. Boulerice: La méprise bien involontaire que j'ai eue
est sans doute le fait que je vous aime tous d'un amour égal et que je
vous avais tous condensés dans le même dossier. Je vais quand
même avoir des affections particulières. Donc, mes questions sont
revenues quant à...
Mme Pelchat: Les Foufounes électriques?
M. Boulerice: Est-ce que vous pourriez me donner davantage de
détails concernant le contrat modèle entre réalisateur et
producteur que votre association souhaite en pages 3 et 4? (11 h 30)
M. Gélinas: Certainement. Depuis plusieurs années
déjà, notre objectif principal, tel que voté en
assemblée générale, c'est l'obtention d'un contrat de
travail. Pardon! Vous n'aviez pas terminé?
M. Boulerice: Non. Ce sont les bruits de fond.
M. Gélinas: Ah! Je m'excuse. Donc, ce contrat de travail
est en somme une entente qui se signe entre le réalisateur ou la
réalisatrice et le producteur ou la productrice et qui, dans le cas de
l'APFVQ, c'est-à-dire l'Association des producteurs de films et
vidéo du Québec, est établie sur la base d'un pourcentage
du budget du film. Évidemment, quand on en arrive à des budgets
astronomiques, le pourcentage est transformé en montant forfaitaire
mais, essentiellement, il s'agit là de la philosophie de ce contrat de
travail.
Il y aura éventuellement un contrat de droits d'auteur qui sera
également débattu mais, actuellement, c'est uniquement le contrat
de travail qui est une entente de base, minimale. Évidemment, par
exemple avec l'Office national du film, si on en arrivait à une
convention collective, comme la SARDEC, la Société des auteurs,
recherchistes, documentalistes, écrivains et compositeurs, a
réussi à l'obtenir, cela ne peut pas être basé sur
un pourcentage dans notre cas puisque, à l'QNF, les budgets augmentent
automatiquement. Il y a donc trop de facteurs qui interviennent. Mais je pense
que ce qui est important pour nous, c'est avec les producteurs privés
qui, en fait, constituent la plus grande association. C'est là
où, dans le fond, se négocient les vraies choses puisque, lorsque
l'ONF ou même Radio-Québec ou Radio-Canada participe en
coproduction à un film, il y a quand même un producteur
privé qui, lui, a obtenu une partie des fonds de la part des
institutions que l'on a nommées à plusieurs reprises.
Ce que l'on voudrait dire quand même, c'est que ce contrat de
travail est dans les mains des producteurs depuis un certain temps. Lorsque
l'on constate les lenteurs de négociation et les aberrations qui se
passent aussi au sujet de leur attitude envers les techniciens, par exemple,
lorsque l'on voit les années d'attente que les scénaristes sont
obligés d'encourir sur ce type de question, on se demande, et cela
répond peut-être à une question posée
précédemment, si on devra vraiment attendre qu'une espèce
de guerre d'usure se termine dans cinq ou six ans ou si on n'acceptera pas
plutôt d'intervenir au chapitre d'un art qui se pratique essentiellement
avec les fonds publics.
D'ailleurs, la Société générale du
cinéma a déjà une copie de ce contrat. Dans l'ensemble, je
pense qu'elle nous a donné une réaction assez favorable.
M. Boulerice: Au-delà du contrat type
négocié, quelle est la nature des véritables
problèmes qui ont été observés par les
réalisateurs et réalisatrices concernant les contrats qu'ils
signent avec les différents producteurs? Quels sont les cas patents qui
soulignent la nécessité d'un contrat type?
M. Gélinas: II est inutile de citer des noms mais je
pense, par exemple, au fait que, si on engage un réalisateur ou une
réalisatrice à l'Office national du film, pour réaliser un
film dont cette personne a fait le scénario, la recherche et ensuite le
tournage et qu'elle supervise le montage, c'est donc, grosso modo, une
année de travail puisqu'il s'agit d'un long métrage et que la
personne le fait, par exemple, pour à peine plus de 20 000 $. Il s'agit
ià de l'Office national du film et il s'agit d'un travail qui sera
exécuté beaucoup plus rapidement que dans les structures
internes. Vous avez là un exemple.
Les autres exemples sont ceux-ci: Pour faire affaires avec un producteur
- M. Paret pourra commenter ensuite - et obtenir des fonds de la
Société générale du cinéma ou de
Téléfilm Canada, on doit céder nos droits dans leur
totalité au producteur. Évidemment, cette attitude peut se
modifier bientôt mais, jusqu'ici, la façon de faire des
institutions est de revendiquer qu'un seul détenteur des droits
négocie avec eux, donc, le producteur. Vous voyez un peu dans quel
contexte on se trouve inféodés alors que, la plupart du temps,
les réalisateurs ont eu l'idée du film. Dans plusieurs
circonstances, ils ont écrit le scénario, bien que cela ne soit
pas généralisé et ils le réalisent ensuite et le
signent. Où s'en va tout ce beau produit, finalement? Il est
négocié par quelqu'un qui gère des fonds publics et qui a
beaucoup de travail. Évidemment, on ne veut pas du tout dénaturer
le rôle du producteur mais il faut quand même voir que 90 %
à 95 % des fonds sont publics et que cette personne fait un travail de
gestion essentiel, mais elle ne devrait pas être propriétaire de
l'oeuvre comme telle. Est-ce que...
M. Paret: Oui. Il faut savoir aussi, M. le député,
que lorsqu'on entreprend un film, très souvent, lorsqu'on arrive devant
le producteur privé - je souligne "privé", parce que, tout
à l'heure, M. Gélinas a fait allusion à la situation du
réalisateur face à une maison publique comme l'ONF - le plus
souvent, on a déjà fait toute la scénarisation et
toute la recherche, c'est-à-dire qu'on a déjà investi
énormément d'argent et de temps dans la fabrication du film, dans
une espèce de préproduction, si vous vouiez, d'une part. D'autre
part, parce qu'on est des paranoïaques et qu'on veut absolument
réaliser notre film, on accepte très souvent des conditions qui
ne nous sont pas du tout favorables; dans le jargon de notre métier, on
appelle cela des différés. On accepte, par exemple, d'investir
dans le film en tant que réalisateur et de scénariste,
d'être payé la moitié de notre salaire par exemple, et de
recevoir un différé, c'est-à-dire d'être payé
un an ou deux ans plus tard, quand les poules auront des dents, puisqu'au
Québec, en général, le cinéma ne rapporte pas
immédiatement.
Par ailleurs, puisque nous n'avons pas de droits d'auteur... Même
plus, M. le député, nous n'avons même pas le contrôle
sur la comptabilité du film; quand ce dernier sort de nos mains, on ne
sait pas combien de personnes ont été le voir, se sont
bidonnées, ont pleuré ou ont ri; on ne sait pas cela. On est
obligé d'accepter les chiffres que nous avance le distributeur par
l'intermédiaire du producteur. Par conséquent, aussi paradoxal
que cela puisse vous paraître, les investisseurs les plus importants dans
le cinéma québécois, ce sont les réalisateurs, les
techniciens, les comédiens, parce que ce sont eux qui, très
souvent ou le plus souvent, véritablement investissent de leur temps et
de leur argent dans le cinéma québécois. C'est beaucoup
plus que 5 %. Il y a des chiffres qui ont été cités, je ne
les ai malheureusement pas en mémoire, mais on pourrait très
rapidement vous les faire parvenir à votre bureau. C'est beaucoup plus
que 5 %, ce qui est investi par les producteurs privés.
M. Boulerice: M. Paret, vous parlez de contrats, cela suppose des
négociations. Est-ce que vous pourriez développer un peu plus la
notion à laquelle vous faites allusion, celle de l'accréditation
multipatronale dans le processus des négociations collectives chez
vous?
M. Paret: Bien sûr, M. le Président. Le fait est
que... On le disait tout à l'heure, quand un réalisateur
travaille pour une maison - M. le député - de production,
il...
M. Boulerice: C'est une anticipation que vous faites là,
à ce moment-là.
M. Paret: ...n'est pas maître des règles du jeu.
Selon qu'on travaille pour une maison de production ou pour une autre, on
change immédiatement de règles du jeu. Nous n'édictons pas
ces règles du jeu. Le producteur est le seul maître à bord.
En réalité, le producteur qui gère des fonds publics se
comporte très exactement comme un entrepreneur privé
vis-à-vis de nous. Ce qu'on voudrait, c'est d'établir une
position moyenne, une espèce de cohérence d'action et des
règles qui régissent la profession, ce qui ferait qu'on saurait,
que l'on aille dans telle ou telle maison de production, que les règles
sont les mêmes, tout simplement.
M. Gélinas: C'est cela, je n'ai rien à ajouter.
M. Paret: Tout simplement. Qu'on ne soit pas obligé de...
Parce que dans le petit cabinet où l'on est face à face avec
l'ogre et où l'on doit essayer en même temps de faire semblant
que... Parfois, on a faim, on arrive devant ce producteur et on veut faire le
film à tout prix, on accepte n'importe quelles conditions pourvu qu'on
fasse le film, vous comprenez?
M. Gélinas: II faut peut-être ajouter que,
justement, il s'est développé, au long de3 années, avec la
tradition du cinéma d'auteur, où la personne... Que ce soit
Michel Brault ou Jutras ou Carle, au tout début, évidemment, ils
entreprenaient un film et ils réussissaient péniblement à
réunir les conditions pour le réaliser. Il s'est institué
cette notion que, finalement, faire un film, c'est une faveur que l'on vous
concède. Je pense qu'également, compte tenu de la participation
importante de l'État dans le financement de ce septième art,
cette participation importante a fait que souvent on a remis en question cette
notion de financement d'État, mais elle est fondamentale pour tout pays
qui, en fait, a une population qui se compare à la nôtre. On a
également beaucoup d'exemples, il n'y a pas seulement la Suède,
de pays équivalant au nôtre qui ont un système très
équitable de fonctionnement.
Il serait important, et je pense que la vitalité de la culture
cinématographique connaîtrait un essor considérable s'il
s'établissait un climat de solidarité, par exemple, un climat de
collaboration entre producteurs, réalisateurs et ainsi de suite, entre
les institutions aussi où, au lieu d'en arriver à un rapport de
force strictement "privé", entre guillemets, on aurait tous conscience
d'administrer des fonds qui appartiennent à la collectivité et
pour lesquels on désire évidemment qu'il y ait un traitement
équitable. C'est vraiment l'idée majeure que l'on veut essayer de
faire valoir ici, que des fonds publics ne peuvent pas s'administrer comme on
le ferait avec les profits d'une usine de chaussures.
M. Boulerice: On ne doit pas avoir une vision comptable de la
culture, si je comprends bien ce que vous dites. Effective-
ment, la participation de l'État est fondamentale. Vous avez
demandé qu'elle ne soit pas réduite; il n'y a qu'un pas pour dire
qu'elle doit être augmentée, c'est bien entendu.
M. Gélinas: ...
M. Boulerice: Dans un autre ordre d'idées, M.
Gélinas ou M. Paret, samedi, en faisant ma traditionnelle lecture du
journal Le Soleil, j'arrivais au cahier F à la page 5, et j'y lisais
quelque chose d'un peu triste. Je lisais; "Le cinéaste Richard Lavoie
s'établit à Montréal, disait-il, sur la rue Panet". Vous
devez bien comprendre que le député de Saint-Jacques était
très heureux de voir arriver M. Lavoie sur la rue Panet, sauf que
l'en-tête se poursuivait en disant: "Québec, ville mourante
artistiquement11. Bien entendu, on reliait le qualificatif
"artistiquement" à l'industrie du cinéma dans la ville de
Québec. Pouvez-vous brièvement me tracer un programme de la
production cinématographique à l'extérieur du grand centre
métropolitain qu'est Montréal?
M. Gélinas: Ce que Richard Lavoie a mentionné dans
le Soleil est effectivement un constat assez dur et assez amer de quelqu'un qui
a fait un travail énorme et remporté plusieurs prix à la
suite de ses oeuvres. Il l'a fait effectivement à Québec, donc
sûrement qu'à Montréal il aurait été plus
favorisé, bien que je me permettrais de mentionner que ce que Richard a
mentionné se vit à Montréal chez beaucoup de nos membres.
Loin de nous l'idée de véhiculer l'image que nous sommes tous
sans le sou, mais c'est un fait assez évident que, ballotté par
les demandes des télédiffuseurs et certaines exigences des
institutions, il est très difficile d'exercer ce métier, surtout
en dehors de Montréal. Il se fait un peu de production au
Lac-Saint-Jean; il s'en fait aussi un peu dans la région de Rimouski,
sûrement aussi à Sherbrooke et dans l'Outaouais. Je sais que
l'Institut québécois du cinéma vient de terminer une
tournée régionale dans le but de répondre à la
question que vous posez, d'établir un constat de ce qui peut se passer
en dehors des grands centres et ce que - vous me permettrez de le mentionner -
l'institut a noté, c'est une vitalité assez marquée et
aussi un sentiment d'être étranger à un certain processus,
puisque la régionalisation dans ce domaine est à peu près
inexistante.
Donc, comment obtenir à Sherbrooke ou au Lac-Saint-Jean, par
exemple, la crédibilité que l'on demande aux producteurs, aux
réalisateurs, l'expérience? Si on veut, dans ces régions,
avoir accès à de la fiction, c'est très difficile
puisqu'on n'en a pas fait encore une fois avant. On a peut-être fait
beaucoup de documentaires, mais je me permettrais d'ailleurs de mentionner que
les coupures exercées sur Radio-Québec sont dramatiques pour
toute la production privée où, dans chacun de ces centres, vous
aviez de petites compagnies qui produisaient, à la demande de
Radio-Québec, différents types de documents. (11 h 45)
II y a un fonds de 3 000 000 $ qui semble avoir été
conservé à cette fin, mais on se demande vraiment comment il sera
administré, à partir de quels critères. On risque, encore
une fois, avec ce type de fonds, de se retrouver dans la situation où
Radio-Québec Montréal fera affaires avec un producteur de
Montréal qui, lui, peut-être enverra ses équipes en
région pour faire les tournages. Enfin, il faudrait être vigilant
pour s'assurer que ce montant, qui était le même, à toutes
fins utiles, avec les quatre bureaux régionaux, stimule une production
régionale.
Si on néglige cet aspect, je pense qu'on s'en tient à un
cinéma urbain qui est très limitatif. Si on pense à la
France et à la variété de couleurs de pinceaux qui nou3
sont arrivés au fil des années, justement parce que le
cinéma est produit dans différentes régions - surtout
à Paris, mais quand même - il y a là une
réalité dont il faut se préoccuper absolument. Il en va de
même pour la distribution des films. Les villes, comme le notait
l'étude de Michel Houle, sont très favorisées et
très actives au niveau de la présence d'un public dans les
salles, mais au niveau des campagnes, c'est la vidéocassette de
série B qui provient des États-Unis. C'est ce qui prend le
marché.
M. Boulerice: Une toute dernière question à M.
Gélinas. Vous avez parlé de la production
cinématographique en région, donc de très grands risques
pour nous de voir quitter une expertise en production cinématographique
dans des régions qui déjà se sentent très
appauvries. Comment évaluez-vous la performance de Radio-Québec
quant à la promotion et à la diffusion du cinéma
québécois à partir de son antenne nationale?
M. Gélinas: Vous me posez là une question qui est
intéressante. Je pense que Radio-Québec fait un peu plus que les
autres stations, c'est-à-dire une autre, en ce qui a trait au
cinéma québécois. Je dis bien un peu plus puisqu'à
Radio-Québec il y a certains créneaux. Par exemple, un de mes
films était dans le créneau télédocument, on ne
mettait même pas le titre du film, mais... Il n'en demeure pas moins
qu'on a à Radio-Québec, je pense, une certaine
préoccupation à ce niveau qui, à Radio-Canada, est
beaucoup plus abstraite et capricieuse ou clandestine. Ce n'est vraiment pas
suffisant. On ne peut pas dire qu'actuellement le rendement de la
production
indépendante à Radio-Québec est suffisant, que la
présence, le nombre de ces productions - je dirais même les sommes
versées à cette production - est suffisant. Il ne faut pas
oublier que, lorsque Radio-Québec investit dans une production du
secteur privé, cela lui en coûte beaucoup moins pour obtenir la
même production faite à l'intérieur de ses murs. C'est bien
connu un peu partout, d'ailleurs, à Radio-Canada aussi. C'est
nécessaire, je pense, pour avoir une enveloppe budgétaire
vraiment suffisante. On ne peut plus se passer de la télévision,
c'est un fait, c'est connu en France, c'est connu ailleurs. La
télévision joue un rôle fondamental dans l'existence d'un
certain cinéma. Ici, c'est la même chose et je pense que la
télévision a permis à plusieurs films qui sont
allés en salle précédemment d'exister, mais cet effort
devrait être beaucoup plus cohérent et majoré.
M. Boulerice: M. Paret, M. Gélinas, je témoigne ma
vive appréciation pour votre audition à notre commission. Je
pense que vous nous laissez là un portrait très fidèle de
la situation qui se pose et des interrogations auxquelles nous devrons
répondre très prochainement. Je vous remercie beaucoup encore une
fois.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques.
M. Gélinas, j'aurais beaucoup de questions parce que votre
mémoire fourmille de suggestions et de commentaires intéressants
sur lesquels j'aimerais revenir. Cependant, les limites de temps étant
ce qu'elles sont, je me contenterai de revenir sur un sujet que vous avez
abordé tantôt. À moins d'avoir mal compris votre
réponse, ce qui est toujours possible, je vais vous demander de la
reformuler. Il s'agit de la réponse que vous avez donnée sur le
choix ou le "non-choix", pour reprendre votre expression, des statuts, à
la page 3 de votre mémoire. Vous écrivez qu'il est difficile de
choisir entre deux statuts. Vous avez répondu tantôt à la
question de Mme la ministre dans le même sens. Je pense que vous savez
comme nous, puisque vous avez sûrement lu le mémoire de l'Union
des artistes, que celle-ci prend position en disant à peu près
ceci. Je ne veux pas citer textuellement, je n'ai pas le texte devant moi, mais
on dit: Si, nous, on avait le choix, si on était obligé de faire
un choix entre le statut X et le statut Y, on choisirait tel statut. Je
comprends bien la diversité de votre milieu, mais pourquoi ne serait-il
pas possible pour vous et ceux que vous représentez, devant la
nécessité de faire un choix si cette nécessité se
présentait, de faire un choix?
M. Gélinas: On va, je pense, tous les deux répondre
à cette question assez importante. Il ne faut pas oublier que l'ARRFQ
regroupe essentiellement des pigistes, donc les réalisateurs
indépendants des permanences des boîtes, c'est-à-dire qu'on
n'exclut pas de notre "membership" les permanents des boîtes, mais
règle générale, comme ils sont syndiqués à
l'intérieur de ces boîtes, ils ne font pas partie de l'ARRFQ comme
telle. Donc, on a des gens qui, vraiment, ont une réalité
totalement changeante.
Il peut très bien se passer ceci, par exemple, qu'un
réalisateur ou une réalisatrice soit à l'emploi d'une
boîte qui produit différents types de documents qui peuvent
être commerciaux, mais qui peuvent être aussi éducatifs, qui
peuvent être promotionnels et, sur cette base, le réalisateur
accepte de plein gré d'être un employé puisqu'il ne
réalisera pas nécessairement des oeuvres d'auteur ou, enfin, il
ne s'inscrira pas nécessairement dans une production que l'on qualifie
d'indépendante. À l'opposé, vous avez aussi beaucoup de
nos membres qui vont vraiment travailler sur un ou deux projets qu'ils ont
à coeur. Ils vont faire tous les efforts et souvent, même,
être enregistrés sous forme de compagnie pour en arriver à
leurs fins. Il me semble assez simple de déterminer la différence
entre les deux, lorsqu'on voit les rapports d'impôt des gens, lorsqu'on
voit le type de T-4 qui est en cause. Est-ce que la personne a travaillé
à temps plein pour une compagnie donnée ou si la personne a
essayé de produire différentes choses ou a eu des engagements
ponctuels à différents endroits? Pourquoi à ce moment
décréter qu'il y aurait un seul statut et qu'une partie de nos
gens seraient lésés, etc.?
M. Paret: M. le Président, comme nous le soulignions tout
à l'heure, l'Association des réalisateurs et réalisatrices
de films du Québec est une association essentiellement de pigistes,
c'est-à-dire de schizophrènes. Nous avons tous une conscience
éclatée et très souvent notre activité est double.
Cela veut dire que, puisque nous avons des défauts absolument
rédhibitoires dont nous n'avons jamais pu nous guérir comme, par
exemple, manger au moins une fois par jour, très souvent, nous
travaillons pour une boîte de production, pour un producteur privé
ou un producteur d'État. Mais, par ailleurs, nous avons toujours un
projet à nous, ce qu'on appelle nos films d'auteurs qu'on mène.
Alors, selon qu'on travaille pour cette maison de production en même
temps, lorsqu'on travaille pour cette maison de production où l'on gagne
notre pain quotidien et béni, on est à ce moment employé.
Mais quand on entre le soir, à cinq heures de l'après-midi, et
qu'on s'installe à notre table de travail qui très souvent n'est
pas déduite des
impôts, qu'on travaille à notre petit projet auquel on
tient plus qu'à la mamelle de Tirésias, à ce moment, on
est considéré comme un petit entrepreneur privé. Si le
"computer" du service des impôts pouvait s'ajuster à cette
dichotomie, à cette schizophrénie, nous sommes tout prêts
à fournir les chiffres pour l'aider.
Le Président (M. Trudel): Merci. Il y a deux autres
députés qui ont demandé la parole. Je vais retenir l'envie
que j'ai de vous poser d'autres questions. M. Gélinas, puis-je vous
demander quand même si vous pourriez déposer au Secrétariat
des commissions une copie de votre contrat type ou du projet de contrat dont
vous parliez tantôt? Cela aiderait les membres de la commission dans les
réflexions qu'ils devront poursuivre après la consultation
générale.
M. Gélinas: Avec plaisir.
Le Président (M. Trudel): Merci. Je cède
maintenant la parole au député de Viger et, par la suite,
à la députée de Maisonneuve.
M. Maciocia:; Merci, M. le Président. J'aurais une
question à vous poser. Je ne sais pas si elle a déjà
été posée durant mon absence, mais je vais la
répéter. À la page 4 de votre mémoire, vous
demandez que le réalisateur ou la réalisatrice
"bénéficie des droits de suite inhérents à cette
distribution et à cette exploitation". On parle toujours d'un film
évidemment. Selon l'Association des producteurs de films et vidéo
du Québec, à la page 5, toujours concernant la question des
droits de suite et des droits d'auteur: "Présentement, le producteur
doit verser aux artistes et aux créateurs la totalité de ces
droits avant même que l'oeuvre ne soit complétée".
Mes questions sont les suivantes: Premièrement, avez-vous une
entente collective de travail avec l'Association des producteurs de films et
vidéo du Québec? Deuxièmement,
bénéficiez-vous vraiment, comme l'affirme l'association des
producteurs, de ces droits de suite et droits d'auteur? Troisièmement,
est-ce que vous appuyez l'association des producteurs dans sa demande de
reconnaissance d'un statut juridique?
M. Paret: M. le député, la citation que vous venez
de faire du mémoire de l'association des producteurs prouve, s'il en
était besoin, que nous ne sommes pas les seuls à manier
l'imaginaire.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Paret: En ce sens, ils sont aussi artistes, puisqu'ils
comparaissent devant cette commission. À ma connaissance - et je prie M.
Gélinas de me contredire si nécessaire -et selon ce que me
racontent mes collègues, mes copains et mes copines du milieu, je n'ai
jamais oui dire que, avant même l'exploitation et la production d'un
film, on reçoive de l'argent quelconque. Peut-être à ce
moment-là étais-je anesthésié et que, dans
l'exultation du moment, je n'ai pas remarqué qu'on me donnait de
l'argent. Mais, je vous assure, M. le député, que je n'ai jamais
profité de cette manne non pas céleste mais productrice. Pour ma
part, c'est non.
M. Gélinas: Je pense que l'explication de cette
énigme troublante provient de la confusion créée dans leur
mémoire entre cachets et droits. Évidemment, ils veulent dire
qu'ils versent des cachets. Bien sûr, 15 % ou 20 % d'un budget peuvent
être comptabilisés en cachets à l'équipe: cachets
aux comédiens, cachets au réalisateur ou au scénariste.
C'est une évidence, en fait, une lapalissade. Effectivement, nous avons
des cachets. Souvent, on en diffère une bonne partie, les techniciens
aussi, et c'est malheureux. Mais c'est la situation de notre
cinématographie. Or, ces cachets ne sont absolument pas des droits
d'auteur ou des droits de suite et, à moins, que je ne me trompe, je
pense que même l'Union des artistes essaie de faire valoir ce point
auprès des producteurs privés, alors que dans d'autres
sociétés cette reconnaissance est acquise de fait. Donc, il y a
là confusion entre deux réalités et je ne pense pas qu'un
salaire proprement dit pour un travail donné peut être confondu
avec toute la synthèse du talent de quelqu'un qui permet d'en arriver
à signer une oeuvre. Là, ce sont deux choses complètement
différentes et je m'inscris en faux contre ce type de déclaration
qui est faite dans leur mémoire.
M. Maciocia: En réalité, cela m'a frappé,
parce que vous dites des choses et les autres disent complètement le
contraire.
M. Gélinas: Oui. La situation est la suivante: II n'y a
absolument aucun contrat de base qui existe entre les deux associations. Nous
essayons, nous, de simplement démarrer la discussion sur notre projet,
ce qui semble déjà très laborieux. Mais que voulez-vous?
Ils sont tellement débordés, ces producteurs, par les multiples
négociations qu'ils semblent aimer faire traîner, qu'ils n'ont pas
le temps, probablement, de s'en occuper.
Mais, essentiellement, il n'existe rien et il doit y avoir une vision
beaucoup plus conforme à la réalité de ces fonds.
M. Maciocia: Ma dernière question, M. le Président,
c'est: Croyez-vous que la
reconnaissance d'un statut légal de l'Association des
réalisateurs et réalisatrices du Québec et de
l'Association des producteurs de films et vidéo du Québec est
susceptible de mener... je dirais plutôt de créer un climat de
négociation d'égal à égal? (12 heures)
M. Gélinas: Je pense que c'est certainement une chose
souhaitable, puisque autant eux que nous - c'est la même chose pour le
STCQ, l'UDA et la SARDEC - nous représentons tous les composantes du
secteur que nous représentons. Nous sommes les représentants les
mieux désignés. À ce chapitre, il serait excellent qu'il y
ait une reconnaissance des associations. Ce serait également une
reconnaissance du travail que les réalisateurs ont fait
bénévolement depuis de nombreuses années sur ces
questions, indépendamment de leur intérêt personnel.
Ceci dît, si on en arrive à une situation où
l'entente est simplement bona fide ou qui peut être jetée
par-dessus bord à tout bout de champ par un producteur qui dit par
exemple: Je n'appartiens plus à mon association mais j'ai tellement
d'expérience que je vais quand même aller chercher les fonds dont
j'ai besoin, à ce moment-là, toute entente vient de sauter. C'est
quand même une étape que l'on souhaite mais l'on sait aussi que
cela n'est pas suffisant. Un décret, c'est la même chose. Un
décret a une courte vie parfois. Donc, une loi est évidemment
beaucoup plus stable et durable.
M. Maciocia: Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Viger. Avant de céder la parole à Mme la
députée de Maisonneuve, il n'y a pas que le député
de Saint-Jacques qui semble mêlé ce matin. J'ai
réalisé soudainement, enfin, il y a cinq minutes, qu'on
n'était pas mardi mais bien mercredi et que les affaires courantes ne
reprenant qu'à 15 heures, nous siégerons jusqu'à 13 heures
plutôt qu'à 12 h 30.
Je voyais nos amis les techniciens, qui sont d'ailleurs avec nous depuis
un bon moment, depuis la semaine dernière, commencer à
s'impatienter. Comme il nous reste encore une heure, nous avons tout le temps
voulu pour vous entendre.
Mme la députée de Maisonneuve.
Mme Harel: M. le Président, une question m'est venue
à l'esprit à la suite des questions du député de
Viger. Vous disiez donc que M. Denys Arcand était un des membres de
l'association. Vous savez peut-être que l'Assemblée nationale l'a
honoré d'une motion de félicitations la semaine dernière,
à la suite de la présentation de ladite motion par Mme la
ministre, justement. Je me suis demandé si M. Denys Arcand a
été tenu également de céder ses droits d'auteur. Le
croyez-vous?
M. Gélinas: Peut-être qu'on donne l'impression
qu'absolument tout se fait d'une certaine façon. Il faut bien comprendre
qu'entre tout et 88 %, il y a une petite marge. Le reste est rempli, je pense,
par ces cinéastes qui ont vraiment su s'imposer avec le temps. Je pense
qu'on ne pourra plus - je ne sais pas comment cela s'est fait par le
passé - demander à M. Denys Arcand de signer n'importe quoi. Tant
mieux! II en va de même sûrement pour Léa Pool ou pour
plusieurs de nos cinéastes qui s'imposent vraiment de plus en plus. Cela
nous réjouit.
Par contre, il est évident que pour Denys Arcand qui
réalisait Le crime d'Ovide Plouffe, ce n'est pas la même chose que
pour Denys Arcand qui réalisait Le déclin de l'empire
américain, parce que dans un cas, on accepte un travail où il est
possible qu'on soit prêt à céder les droits d'une chose.
Par exemple, je ne pense pas qu'un réalisateur qui fait une annonce
publicitaire de Coke diète serait intéressé à
percevoir les droits d'auteur. Il y a donc des réalités
différentes.
Ce que l'on met de l'avant c'est que, au fond, pour toute oeuvre de
fiction ou documentaire qui est signée par un réalisateur, il y a
là une paternité évidente. Comment, doit-elle se
négocier? Ce que l'on constate, c'est que, règle
générale, on ne prend pas du tout en considération les
droits du réalisateur ou de la réalisatrice. Il y a donc
là une tendance générale qui est dramatique. Mais,
heureusement, il y a certains de nos fleurons qui réussissent à
émerger. Dieu merci!
Mme Harel: Je voulais faire part aux représentants de
l'association que, ce matin, vous avez abordé une question qui, vous ne
le savez probablement pas, est controversée d'une certaine façon
présentement. C'est celle des conditions de réalisation en
régions, entre autres. Dois-je vous dire que c'était assez
rafraîchissant de vous entendre, parce qu'on a l'impression qu'il y a
parfois une sorte d'impérialisme culturel montréalais qui est un
peu comme le modèle ou le reflet de l'impérialisme culturel
américain. Je ne sais pas si M. André Melançon est un
autre de vos membres...
M. Gélinas: Oui.
Mme Harel: Mais je me rappelle avoir lu...
M. Gélinas: Ils le sont tous.
Mme Harel: Ah bon! ...une entrevue assez récente d'il y a
deux ou trois semaines environ, où il racontait que pour vendre La
guerre des tuques, il avait organisé des séances de visionnement
pour des
distributeurs américains, aux États-Unis, mais en ne
mentionnant jamais que le film avait d'abord été fait en
français. Il expliquait qu'à ce moment-là, personne ne
serait venu. Il a vendu ensuite aux distributeurs américains son film La
guerre des tuques, en anglais, parce qu'ils pensaient tous que le film avait
d'abord été produit en anglais. Cela m'a fait croire qu'il y
avait sans doute un problème au-delà des conditions objectives
ordinaires du commerce. Il y a une sorte de comportement, culturel profond
qu'on ne peut pas imaginer contrer par des interventions en matière
culturelle.
J'ai une question à ce moment-ci qui a deux volets. Compte tenu
de tous les propos que vous nous avez tenus, j'ai pensé vous demander si
vous aviez déjà fait ou si vous entendiez faire ou
suggérer peut-être qu'il soit fait une sorte d'étude
d'impact économique des sommes investies par les artisans
créateurs, techniciens donc, des sommes rémunérées
ou non rémunérées consacrées par les artisans des
films dans la production de films? Il y a une sorte d'étude d'impact qui
n'est pas, à mon point de vue, connue, si elle a été
faite. Est-ce qu'elle a été faite? Ce serait peut-être
intéressant de demander au ministère qu'elle soit faite ou
à l'institut qu'elle soit faite.
M. Gélinas: Je pense que vous soulevez un point
très important. Comme on le mentionnait et comme sûrement
peut-être les techniciens vont vous le mentionner, la part et des
artisans et, à l'occasion, des comédiens, des réalisateurs
sûrement, est importante en termes d'investissement. Comment
comptabiliser ces sommes, comment en faire un tableau assez juste?
Cela a été fait récemment à la
Société générale du cinéma, de façon
informelle, sur la base d'une année. On sait qu'il y a quatorze ou
quinze films qui sont financés dans une année donc, on a... C'est
de là que j'ai sorti mon chiffre de 5 %. Ce ne sont pas des documents
publics, mais que Mme Robert, qui était présidente...
Une voix: Denise Robert. Une voix: Nicole Boisvert.
M. Gélinas: ...Nicole Boisvert nous avait cités
à l'Institut québécois du cinéma, c'est cela. Dans
cette étude, on faisait mention également des autres sommes que
l'on appelle différées qui peuvent être, à
l'occasion, des sommes différées d'un laboratoire technique ou
d'une compagnie de location d'équipement, mais qui, en
général, sont vraiment des sommes différées qui
proviennent des individus créateurs.
Nous n'avons pas nécessairement les moyens pour réaliser
ce type d'étude bien qu'il faudrait essayer de s'y pencher pour soulever
cette réalité. Il faut bien voir que les budgets ne sont pas
accessibles. Il y a un secret professionnel qui interdit, à qui que ce
soit, de connaître le budget et le détail du budget
dfun film. Souvent, le réalisateur n'a pas le droit de
connaître le budget de son film. Évidemment, il va connaître
le nombre de jours auxquels il a droit s'il aura du temps supplémentaire
après 9 heures ou ainsi de suite. Qu'est-ce qui arrive si on fait
travailler les techniciens en temps supplémentaire? Il y a toutes sortes
de sonnettes d'alarme qui partent.
Au niveau de l'ensemble du budget, il n'y a pas vraiment de transmission
limpide des informations. C'est assez difficile pour nous de faire cette
étude, mais les institutions sont en place pour le faire et l'Institut
québécois du cinéma pourrait, au niveau de la recherche,
apporter des précisions là-dessus. On a les outils, je pense, au
niveau institutionnel pour le savoir. On serait surpris de la quantité
de capitaux qui proviennent de ces sources.
M. Paret: Je pourrais peut-être ajouter un petit mot, Mme
la députée. Il y a une réalisatrice, qui par ailleurs est
aussi productrice, qui un jour a fait paraître un petit document - vous
pourrez l'interroger cet après-midi - Mme Louis Carré a fait
paraître une fois un document sur la différée qu'elle a eue
sur son film. Elle est de l'association des producteurs.
M. Gélinas: Et également des
réalisateurs.
Mme Harel: Compte tenu des propos que vous avez tenus, je crois
de plus en plus que cette étude d'impact est indispensable et qu'elle va
faire bien voir la contribution que les artisans et les créateurs
apportent au produit cinématographique québécois. D'une
certaine façon, j'ai l'impression que cela pourrait améliorer
votre rapport de négociation.
M. Gélinas: Sûrement. Je pense que la
Société générale du cinéma et l'Institut
québécois du cinéma ont tout en main pour le faire. Il
suffirait d'une directive, ce serait très simple. D'ailleurs, ils ont
commencé à établir ces chiffres et cela contribue vraiment
à éclairer tout le monde sur la réalité,
comparativement à l'imaginaire, qu'on peut retrouver dans certains
mémoires.
Mme Harel: Vous savez, on a des directives. D'abord, on me fait
"time out"...
M. Boulerice: Et non pas "take five".
Mme Harel: Cela vient de mon propre collègue qui me
demande de souligner aussi que Pierre Perrault a été
honoré par
l'Université de Montréal qui lui a décerné
un diplôme de doctorat honoris causa pour sa production, pour l'ensemble
de son oeuvre. J'aurais aimé vous faire parler un peu plus sur ce que
l'on n'a peut-être pas abordé, soit comment rendre possible
l'accès à des programmes qui ne le sont que lorsqu'il y a
justement cette espèce de triple alliance avec un
télédiffuseur et un distributeur. Vous n'en avez pas beaucoup
parlé, mais est-ce là une clé? Dans les entrevues qu'il a
accordées, Denys Arcand faisait une très sévère
critique sur les critères qui président à l'attribution
des subventions, invoquant qu'on cherchait systématiquement à ne
pas courir de risque peut-être en simplifiant ce qu'il disait, mais
c'était l'essentiel de son propos. Est-ce là une des clés
pour un cinéma d'auteur qu'un accès possible à des
programmes, sans nécessairement cette triple alliance?
M. Gélinas: Ce point est fondamental. On ne doit pas
encarcaner le cinéma dans une structure industrielle à tout prix,
à tout moment, pour tout projet. On doit permettre aux auteurs, qu'ils
soient scénaristes ou réalisateurs, d'écrire des oeuvres
qui seront ensuite tournées évidemment avec un producteur, un
distributeur, un télédiffuseur, puisqu'à ce
moment-là la structure de production normale l'exige. Si on
inféode le réalisateur dès le début de son
idée à une structure industrielle qui, elle, est très
limitative, que ce soit au distributeur ou que ce soit malheureusement
même aux télédiffuseurs, cette variété, cette
innovation que l'on recherche constamment ne sera certainement pas le
critère qui les distingue entre tous. En permettant aux individus...
D'ailleurs, c'est ce qui existait dans le passé et depuis deux ans, il y
a eu tendance à limiter cet accès aux individus. À
Téléfilm Canada, cela n'existe à peu près pas, mais
à la SGC qui, d'ailleurs, se distingue de toutes les autres provinces
parce qu'elle attribue des fonds en principe à partir de l'excellence
des projets, il y a là une nécessité essentielle. Il faut
que les individus aient accès à certaines étapes du
programme, justement parce que, lorsqu'ils font une recherche ou
écrivent une oeuvre, ils n'ont pas à se vendre. Selon une
compétence reconnue et une certaine imputabilité, on leur
reconnaît le droit de créer une oeuvre et ensuite ils peuvent la
négocier. Une fois qu'elle est écrite ou presque écrite,
ils peuvent la négocier avec un producteur et la présenter
à toutes les instances. Mais c'est un ferment essentiel.
Le Conseil des arts du Canada, par exemple, avec quelques centaines de
milliers de dollars à chaque concours de production - il y en a trois
par année, je pense - réussit à investir de petits
montants dans plusieurs films qui sont en général
complètement mis de l'avant par des individus. Alors, à ce
moment-là, on voit l'impact que cela a. Évidemment, au niveau du
Conseil des arts, on parle de sommes souvent minimes mais qui sont souvent des
démarreurs essentiels et tout cela est attribué à
l'individu. C'est à mon avis un point essentiel.
Le Président (M. Trudel): M. Gélinas et M. Paret,
c'est une discussion passionnante depuis presque une heure vingt minutes,
à laquelle je suis obligé de mettre un terme parce que je ne
voudrais pas que l'autre association, le syndicat, qui va vous suivre, vous
reproche d'avoir pris trop de son temps et qu'en plus des problèmes
financiers et des autres dont vous nous avez entretenus tantôt, vous ayez
d'autres problèmes sur les bras.
Je vous remercie de nous avoir consacré tout ce temps. J'ai
beaucoup apprécié la connaissance profonde que vous avez de ce
dossier et la pertinence de vos propos. Je vous souhaite un bon retour à
Montréal et, puisqu'il nous reste 46 minutes et quelques secondes,
j'invite immédiatement les gens du Syndicat des techniciens du
cinéma, en rappelant pour le bénéfice de mon ami, le
député de Saint-Jacques, que nous sommes à l'étude
du document no 48M, afin qu'il n'y ait pas de méprise.
M. Gélinas: Merci énormément.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. Gélinas.
M. Boulerice: En cette journée du jeudi, n'est-ce pas, M.
le Président? (12 h 15)
Le Président (M. Trudel): Bientôt vendredi! Si mes
renseignements sont toujours justes, nous accueillons M. Michel La Veaux,
président, que nous avons avec nous depuis la semaine dernière
comme observateur, M. Pierre Duceppe, vice-président et Me Claude
Mélançon, que j'ai cru reconnaître tantôt à
cette table. Messieurs, bienvenue. Je vous cède immédiatement la
parole en vous disant qu'il nous restera très exactement, au moment
où je finirai de parler, 45 minutes.
Syndicat des techniciennes et des techniciens du
cinéma du Québec
M. La Veaux (Michel): M. le Président, je veux saluer Mme
la ministre d'abord, M. le Président et les membres de la commission.
Vous m'évitez de faire les présentations. Je gagne
déjà quinze secondes puisque vous l'avez fait. Je tiens à
souligner, cependant, que nos camarades réalisateurs auront une
conversation avec nous plus tard quant au temps qu'ils ont pris. Cependant, je
dois aussi faire remarquer que la présentation de M. Gélinas et
de M. Paret correspond exactement à des croyances et à
des perceptions que nous avons du milieu. Nous sommes entièrement
d'accord avec ce qui a été dit par ces représentants.
Je vais tenter de faire ce que vous avez dit au début,
c'est-à-dire être bref et passer rapidement pour profiter de la
période des questions. Cependant, je vais me référer
directement au mémoire qui constitue vraiment la majeure partie de nos
revendications.
En ce qui concerne le STCQ, par rapport à sa présentation,
il est vrai que nous sommes 700 techniciens et que nous regroupons près
de 96 % des ressources humaines et techniques de cette industrie. Une
précision: les 4 % qui pourraient rester sont plutôt des
techniciens de laboratoire qu'on ne couvre pas qui font un métier
différent, ainsi que quelques techniciens de productions
cinématographiques entreprises lors d'ententes de coproduction
officielles, donc, des étrangers qui ont, bien sûr, le droit, de
le faire puisque ces ententes de coproduction sont signées entre deux
pays, soit le Canada et la France. Je crois qu'il y a sept ententes qui
existent en ce moment.
Le STCQ est né le 23 août 1983 à la suite de la
fusion de deux syndicats qui existaient à l'époque, soit le
Syndicat national du cinéma et l'APCQ (l'Association des professionnels
du cinéma du Québec). Nous nous sommes regroupés en 1983
avec la ferme intention de cesser d'être victimes de ce qu'on appelle la
loi du "diviser pour régner" que les producteurs entretenaient
vis-à-vis de notre situation chacun de notre côté.
Le STCQ a, bien sûr, comme toutes les associations qui se sont
présentées ici, pour objet de défendre et de
protéger ses membres. Nous sommes régis par une convention
collective signée avec l'association des producteurs en 1979 et qui se
termina en juillet 1981. Elle est échue depuis cinq ans maintenant.
Le STCQ - c'est très important qu'on vous le souligne - est
membre de la Fédération canadienne des guildes et syndicats du
cinéma et de la télévision qui regroupe la majorité
des organismes qui font du cinéma au Canada en ce qui a trait aux
techniciens et aux réalisateurs. Il est surtout membre d'une
fédération internationale trè3 connue qui s'appelle la
FISTAV (la Fédération internationale des syndicats des
travailleurs de l'audiovisuel). Cette fédération regroupe 40 pays
au monde et plus d'une centaine d'organisations. Nous, nous avons
été élus au congrès l'année dernière,
à Athènes, comme représentants de l'Amérique du
Nord au sein de cette fédération internationale. Nous sommes donc
membres de l'exécutif international. D'ailleurs, le prochain
exécutif international se tient à Montréal très
bientôt, du 8 au 11 juin 1986, et je pense que vous avez
été formellement invitée, madame, à venir nous
voir. Le STCQ est aussi membre de la Conférence canadienne des arts et
aussi dernièrement membre du Conseil canadien du cinéma et de la
télévision.
Le syndicat est consulté par des organismes aussi divers que:
Emploi et Immigration Canada, Téléfilm Canada, la
Société générale du cinéma, l'Institut
québécois du cinéma, le Conseil des arts du Canada etc.
Sans en réduire la portée, nous intervenons également
directement auprès de ces organismes et de différents niveaux de
gouvernement et des médias sur des dossiers d'intérêt pour
nos membres, tels la qualité de la production cinématographique,
la fiscalité, la formation professionnelle, le statut juridique des
pigistes, l'emploi et plusieurs autres thèmes. Le STCQ, par la
compétence professionnelle de ses membres dont certains sont reconnus
internationalement, par le soutien qu'il apporte à la formation
professionnelle de ses membres contribue à rehausser la qualité
de notre cinématographie.
Qui sont les gens qui font partie de notre syndicat? Vous avez la liste
dans le mémoire. Je ne la donnerai pas au complet, sauf qu'on peut les
voir regroupés dans sept différents secteurs afin que vous
compreniez que les producteurs peuvent piger dans un bassin complet autant pour
les périodes dites de préproduction, c'est-à-dire avant le
tournage, de production, pendant, et après, la postproduction. Donc, il
y a sept secteurs importants: la réalisation, donc la structure qui
accompagne le réalisateur; la régie, le secteur du montage, la
scénographie, le secteur technique, le secteur du son et, bien
sûr, celui de la caméra. Donc, sept secteurs qui contiennent 57
métiers différents pour fournir la main-d'oeuvre aux
producteurs.
Dans un ordre plus concret, avec des statistiques que vous connaissez
bien, dans un bassin de 414 000 travailleurs des arts, soit 4 % de la
population du Canada, au Québec, les industries culturelles
représentent un chiffre d'affaires annuel de 2 000 000 000 $, la masse
salariale étant aux environs de 610 000 000 $ partagés entre 57
000 travailleurs. Nous sommes 700 de ces 57 000 et nous avons touché, en
1983, un total de 5 100 000 $ en salaires et, en 1984, près de 7 500 000
$.
Le salaire annuel moyen du technicien de cinéma en 1983
était de près de 14 000 $ et, en 1984, de 17 000 $. Cependant, je
voudrais tout de suite vous apporter une précision parce que, afin de ne
pas fausser ces statistiques, les salaires moyens ont été
comptabilisés au syndicat à partir de deux critères
essentiels. Pour la compréhension, d'une part, nous avons
comptabilisé les salaires de nos membres actifs, c'est-à-dire les
techniciens qui ont travaillé au moins deux semaines dans
l'année; donc, les techniciens qui n'ont pas travaillé ne
font pas partie de la moyenne. Pour un pigiste, travailler deux semaines dans
une année, c'est quelquefois même difficile. Je tiens à le
préciser parce que cela ne fait pas appel au bassin complet.
À des fins de statistiques encore, disons que les deux tiers de
nos membres sont des hommes et l'autre tiers, bien sûr, des femmes. La
moyenne d'âge se situe entre 28 et 35 ans, donc, aux alentours de 33 ans.
La durée de la carrière de nos membres est très courte car
ils doivent souvent travailler six jours par semaine, à raison de 12
à 14 heures, sinon même 16 heures par jour. II va sans dire que ce
genre d'horaire - cela peut vous faire sourire - favorise un très grand
stress, nuit aux relations familiales stables et engendre de nombreux
problèmes de santé.
Le Président (M. Trudel): Je vous comprends parfaitement
comme député, monsieur.
M. La Veaux: Vous comprenez?
Le Président (M. Trudel): Ce que vous dites peut
s'appliquer mutatis mutandis, sauf les conditions de salaires.
M. La Veaux: Oui. Les principaux secteurs d'activités de
nos techniciens, ce sont bien sûr, comme vous le savez, les longs
métrages, les commerciaux, les productions documentaires, les courts
métrages, la production vidéo, autant les commerciaux en
vidéo que les films industriels, et une apparition, bien sûr, du
vidéoclip qui est appelé à s'étendre.
Cependant, l'année 1986 s'annonce très riche en production
cinématographique. Si on pense seulement au secteur du long
métrage, on va vers une production de 15 à 17 longs
métrages cette année au Québec. On a plus de 40 films de
produits télévisuels pour les séries de
télévision. On a de nombreux documentaires et quelques courts
métrages, Même au niveau de la production des commerciaux,
malgré l'exode de certains producteurs et malgré l'exode de
certains produits vers Toronto, on sent une remontée vers
Montréal. Donc, l'industrie cette année semble de plus en plus
favorable. L'année dernière, on a connu une année
exceptionnelle et je pense qu'on va en connaître une autre de ce
type-là, et peut-être un peu meilleure même.
Face au mandat de la commission, qu'ont à dire les bras du
cinéma, comme on appelle souvent les techniciens? Après avoir
entendu surtout les réalisateurs, les camarades cervicaux du
cinéma, nous, c'est les bras; alors, on va vous dire ce qu'on vient
faire ici. On n'est pas très larges, mais on a quand même des
bras. La présente commission s'étant vu donner le mandat
d'étudier le statut économique de l'artiste et du
créateur, il nous est apparu utile de vous faire part de certains
problèmes vécus tant par les artistes et les créateurs que
par les artisans et les salariés de l'industrie, c'est-à-dire
nous. Sans vouloir lancer un débat sur la définition des termes
"artiste" et "créateur", nous croyons qu'une partie de nos membres sont
compris dans ces vocables. Ainsi en est-il, par exemple, des titres, à
travers les 57 que je vous ai nommés plus tôt, de directeurs
artistiques, directeurs de la photographie, peintres décorateurs,
créateurs de costumes. Je pense que cela laisse plus ou moins de jeu. On
sent bien que ces postes sont liés à la notion artistique.
D'autre part, plusieurs de nos techniciens ont acquis une
réputation internationale pour leur talent artistique et leur
créativité. Je fais référence, entre autres,
à un article du Devoir où Mme Warren parle de Pierre Mignot;
c'est un membre chez nous, un caméraman, directeur photo du STCQ. Je
pense que vous connaissez très bien le cinéaste américain,
le réalisateur Robert Altman, qui parle de M. Mignot en ces termes:
Pierre Mignot est tout simplement un grand artiste, affirme Robert Altman. Il a
l'ego à la bonne place et il apprend constamment, et je m'en sers aussi
souvent que c'est possible parce que, maintenant, j'en ai bien peur, je vois
mes films et le cinéma à travers les yeux de Pierre Mignot. Je
pense que c'est assez précis et assez clair, ce qu'un réalisateur
de cette réputation peut dire d'un de nos techniciens.
De plus, le processus de création de l'oeuvre artistique dans
notre domaine exige des liens très étroits et une
interdépendance continuelle entre les artistes et les techniciens.
Pourquoi? Parce que nous avons tous les mêmes employeurs ou groupes
d'employeurs, d'une part, et que nous vivons des problèmes communs.
C'est pourquoi le STCQ est convaincu qu'une étude du statut
économique et juridique de l'artiste et du créateur exige, dans
notre secteur d'activité, une approche globale qui tienne compte des
besoins et des spécificités de chacun»
À ce moment-ci, plusieurs groupes d'artistes et de
créateurs vous ont déjà présenté des
mémoires expliquant leurs problèmes et leurs besoins
spécifiques. Parmi ceux-ci, l'Union des artistes s'est
particulièrement distinguée en présentant et en soumettant
un projet de législation. Le STCQ, aujourd'hui, tient à exprimer
son appui total aux revendications formulées par l'UDA, au nom de ses
membres. Ce n'est, d'ailleurs, pas la première fois que le Syndicat des
techniciens du cinéma se regroupe ou se retrouve aux mêmes places
et aux mêmes endroits que l'UDA pour affirmer et appuyer ce projet.
Autant, au début, lors
des consultations de M. Claude Charron pour le ministre des Affaires
culturelles de l'époque, autant à la commission Forget, le STCQ a
toujours appuyé le projet de l'Union des artistes et tient à vous
le souligner de nouveau. C'est très important.
Une autre question dont on a parlé beaucoup - j'essaie d'aller un
peu plus vite -Mme Champagne vous en a parlé, c'est l'école de
cinéma. La formation et le perfectionnement; on y tient beaucoup comme
techniciens puisque nous sommes les premiers touchés par les changements
technologiques. La majeure partie de nos membres, comme vous l'avez entendu
plus tôt, ont acquis leur formation professionnelle sur le tas, lors de
la production de films. Cependant, leur haut niveau de compétence
chèrement acquis au cours des années et sauvent
internationalement reconnu ne peut se perpétuer qu'avec une pratique
constante.
On a vu, dans la dernière décennie, beaucoup d'options
reliées à la cinématographie dans les institutions
publiques d'enseignement - cégeps, universités -au Québec.
Mais, malheureusement, la multiplication de ces options aboutît à
un leurre, à un plus grand rêve de faire du cinéma que la
réalité, c'est-à-dire qu'une fois arrivé dans le
milieu, dans le marché, c'est la désillusion totale par, d'une
part, les conditions de travail et, d'autre part, la place qu'il y a dans ce
milieu. On forme beaucoup plus des gens qui peuvent avoir un aperçu et
une connaissance du langage cinématographique ou de l'histoire, mais,
dans les maisons d'enseignement, on ne forme pas les techniciens. Donc, le STCQ
croit qu'il est de plus en plus urgent - et il est, bien sûr, d'accord en
ce sens avec la position de l'Institut québécois du cinéma
-de créer une école de cinéma.
Il suffit de constater aussi le nombre croissant de plateaux de tournage
de calibre international au Québec pour réaliser que l'excellence
de la réputation de nos techniciens dépasse les
frontières. Croyez-le ou non, encore une fois, dans le journal de samedi
dernier, Christopher Reeves, que vous connaissez bien par ses exploits puisque
c'est Superman, a même écrit un article où il souligne que
Montréal a été choisie pour un facteur économique;
en outre, il a été absolument étonné de la
compétence de l'équipe technique qui se trouvait à
Montréal. Cela venant de la part de Superman, on va le prendre!
Je vais donc continuer, puisqu'il y a une recommandation très
précise du syndicat au sujet de la formation. Le STCQ recommande donc la
création d'une véritable école du cinéma. Cette
école pourrait permettre non seulement d'assurer une formation
professionnelle de haute qualité à la relève, mais aussi
elle permettrait aux techniciennes et techniciens reconnus de transmettre leurs
connaissances et leur compétence si chèrement acquises par
l'expérience dans l'industrie. Cette recommandation n'est pas nouvelle,
je vous l'ai dit tout à l'heure.
En matière de perfectionnement, la part du syndicat en tant que
telle vis-à-vis de ses membres est assez grande et assez claire, surtout
depuis 1985, puisqu'un comité a été formé et qu'il
a reçu des projets de ses membres pour la formation et le
perfectionnement. En tout, 22 projets ont été soumis et sept
projets ont été retenus; cinq à caractère
individuel et deux de groupe; donc, deux secteurs complets de l'industrie en
ont bénéficié. (12 h 30)
Un cas très important à souligner: un des projets que le
syndicat a acceptés, pour lequel il a payé et fourni la structure
nécessaire pour qu'il se réalise, est dans le secteur de la
caméra. Un technicien de chez nous, un caméraman qui s'appelle
Daniel Jobin, a développé un appareil qui s'appelle un
latensificateur d'image, qui permet de jouer avec la sensibilité des
diverses pellicules. Cet appareil a été acheté par
Panavision, qui est le plus grand fabricant de caméras au monde et ce,
avec le plus grand respect vis-à-vis de la technologie que M. Jobin a
apportée. Cet appareil sera donc mis en marché d'ici un an dans
le monde entier. C'est une conception québécoise, celle d'un de
nos techniciens. C'est à souligner.
Nous croyons fermement donc que les producteurs et les bailleurs de
fonds de l'industrie doivent, eux aussi, attacher une grande importance
à la question de la formation et du perfectionnement. C'est pourquoi le
STCQ suggère qu'une partie des fonds, tant publics que privés,
injectés dans l'industrie devrait être consacrée à
la formation et au perfectionnement des techniciennes et des techniciens, et
des autres créateurs, artistes ou artisans qui oeuvrent dans cette
importante industrie culturelle.
Nous arrivons maintenant au chapitre le moins rose. Vous en avez eu
quelques bribes des réalisateurs quant à leur situation. Je pense
que la nôtre est tout aussi semblable. Il s'agit de
l'établissement des conditions de travail. Malgré le fait que le
cinéma soit une industrie très jeune, qu'elle se soit
développée au fur et à mesure par la force des poignets,
comme Mme Champagne l'a dit tout à l'heure, et que chaque individu,
à l'époque, faisait en sorte que les conditions de travail
puissent être changées, selon les producteurs ou les productions,
en 1969, on verra s'amorcer une approche collective dans l'établissement
des conditions de travail.
À cette époque, on connaissait un développement
rapide et anarchique. À cette époque, beaucoup de nos techniciens
réussissaient à survivre avec le strict minimum, tout en
travaillant de façon
disproportionnée, parfois par bourrées saisonnières
et parfois au rythme des fantaisies de la production. Ensuite, c'est le
Syndicat national du cinéma qui est arrivé.
Dans les années qui suivirent, des conventions de travail furent
signées à la pièce, de plateau en plateau, mais rien
n'obligeait les producteurs à reconnaître le syndicat et à
négocier avec lui. Ce n'est qu'en 1976, que les producteurs arrivent
à signer une première convention collective. C'est l'association
des producteurs qui y est arrivée. Par la suite, des conventions de
travail furent signées entre l'APFQ, d'une part, et le SNC ou
l'Association des professionnels du cinéma, d'autre part.
Nous ne croyons pas opportun de ressasser les souvenirs amers
laissés par les guerres de plateaux et les luttes de cette
époque. Qu'il suffise de rappeler que les problèmes de
reconnaissance mutuelle des interlocuteurs dans une industrie donnée
entraînent rarement des effets bénéfiques, tant pour les
producteurs que pour les salariés concernés.
Le STCQ souhaite vivement ne pas être contraint de revenir
à ces affrontements pour assurer sa reconnaissance en tant que
représentant des techniciennes et des techniciens de cinéma et
pour obtenir de justes conditions de travail pour ses membres.
Le contexte actuel n'est cependant pas des plus encourageants. Au moment
d'écrire ces lignes, notre dernière convention de travail date de
1979 et est échue depuis juillet 1981. Depuis cette date, elle se
renouvelle de jour en jour parce que, bien sûr, il y a une clause de
renouvellement qui est la clause 13.03 de notre convention collective. C'est la
situation qu'on vit.
Une reconnaissance légale du statut des interlocuteurs
représentatifs de l'industrie, tant du côté des producteurs
que du côté des groupes spécifiques distincts participant
à la production, s'impose. Il est étonnant de constater les
difficultés qu'on éprouve face aux producteurs locaux, souvent
subventionnés et majoritairement subventionnés. Les producteurs
étrangers, eux, n'hésitent pas à reconnaître le
syndicat comme interlocuteur valable par rapport aux producteurs locaux. Les
producteurs américains voient même comme un critère de
sélection du site du Québec pour y travailler leurs productions
le fait qu'il n'y ait qu'un seul syndicat. On comprend mal que les producteurs
locaux ne comprennent pas.
Un producteur très connu, d'un groupe de production
américain les plus puissants, le groupe Cannon Productions, M. Evzen
Kolar, en production actuellement à Montréal, spécifie
dans le journal qu'en plus de tous les avantages qu'apportent la ville de
Montréal et le territoire du Québec il y a une chose très
importante pour lui: alors qu'aux États-Unis et à Toronto on
retrouve cinq, six ou sept différents syndicats pour négocier et
pour travailler, à Montréal, il n'y en a qu'un et c'est
très facile de travailler dans ces conditions. Alors, il ne faudrait
peut-être pas l'oublier.
Le STCQ recommande donc qu'on assure une reconnaissance légale
adéquate à chaque association ou syndicat représentatif
d'un groupe distinct, qu'il s'agisse d'artistes ou de salariés, oeuvrant
dans l'industrie du cinéma. Cette reconnaissance devrait être
assortie de l'obligation légale pour les associations d'employeurs et
les syndicats représentatifs de négocier de bonne foi les
conditions de travail applicables aux individus oeuvrant dans l'industrie,
qu'ils soient artistes, artisans, entrepreneurs indépendants,
salariés ou pigistes.
Pour ce qui est de la fiscalité, on en a parlé
déjà. Les réalisateurs en ont parlé. Notre
participation à nous au développement de l'industrie du
cinéma est indéniable. Notre bonne foi ne peut être remise
en question par l'histoire du cinéma, si vous voulez. Combien de
productions cinématographiques n'auraient pu voir le jour si l'ensemble
des techniciennes et des techniciens n'y avaient pas contribué
financièrement?
On serait très surpris du total des investissements des
techniciennes et des techniciens dans l'industrie du cinéma
québécois depuis le début, si on les avait
comptabilisés. On en parle, on en a parlé. Je pense qu'à
ce moment il serait temps et il y aurait lieu de faire l'étude dont vous
parliez tout à l'heure. On pourrait peut-être même demander
une subvention au ministère des Affaires culturelles pour
compléter cette édude, puisque cela coûte des sous,
réaliser une étude semblable.
Je pourrais, cependant, vous citer un exemple des plus pertinents. Le
nombre de titres de films dans lesquels les techniciens, en plus de donner
leurs talents et d'être souvent mal payés, ont investi la
moitié de leur salaire pour pouvoir faire le film - pas à regret;
souvent, les techniciens ont investi leur salaire parce qu'ils croient au
cinéma, parce qu'ils croient à la production nationale et ils
l'ont fait volontairement - le nombre de titres, dis-je, serait imposant. Pour
citer un film très connu maintenant, le film qui a mérité
le Prix de la critique, donc, le meilleur long métrage
québécois en 1985, s'appelle "Jacques et Novembre", et il est
reconnu partout dans les festivals. Ce film n'aurait jamais été
tourné si les techniciens n'y avaient pas laissé 50 % de leur
salaire. Cela représente un total d'environ 60 000 $. S'ils ne l'avaient
pas fait, le film n'aurait jamais été tourné. Mais ce
film, aujourd'hui, a une carrière internationale et est reconnu comme
étant le film de l'année 1985.
Il y a une chose qui nous caractérise vis-à-vis de la
fiscalité, c'est que nos
emplois sont divers et on peut travailler soit sur des commerciaux ou
des longs métrages pour des durées tellement extrêmes d'une
production à l'autre. C'est-à-dire que la production d'un
commercial peut prendre une journée ou quelques jours. La production
d'un long métrage, elle, se situe habituellement entre six et huit
semaines.
Dans une même semaine, un technicien peut être appelé
à travailler pour trois producteurs de commerciaux, trois
différents employeurs. Certains d'entre nous doivent produire
jusqu'à 40 formules T4 et même 50 par année, après
une année financière, et fournir cela, bien sûr, avec le
rapport d'impôt. On comprend facilement les problèmes encourus, ne
serait-ce que pour obtenir ces formules T4, parce qu'une fois que les
producteurs ont terminé il se peut fort bien qu'elles n'existent
même plus et qu'ils ne puissent même pas nous les fournir.
Nos revenus varient considérablement selon les périodes de
l'année. Ainsi, une semaine, nous pouvons être imposés sur
une base salariale de 30 000 $ et plus et, la semaine suivante, sur une base de
salaire de 10 000 $ et être sans travail pendant les semaines qui
suivent. Ce sont les conditions générales des techniciens.
En conséquence, le STCQ recommande que les ajustements
nécessaires soient apportés au niveau fiscal de manière
à traiter équitablement les techniciens du cinéma, compte
tenu des contraintes spécifiques inhérentes à l'industrie
où nous oeuvrons et à notre statut de pigistes.
J'achève, les questions vont arriver. Financement et fonds
publics, notions capitales autant pour le Syndicat des techniciens ' du
cinéma que pour les réalisateurs. Nul n'est sans savoir que les
fonds publics constituent la majeure partie du financement dans la production
cinématographique. Nombreux sont les producteurs dont la principale
source de revenu - c'est très important - provient de l'argent des
contribuables. Certains producteurs sont en voie de devenir non seulement les
gérants de notre culture cinématographique, mais aussi les
principaux bénéficiaires de l'industrie qu'elle engendre.
Le STCQ recommande donc que, dorénavant, l'obtention de fonds
publics ou de dégrèvements fiscaux pour la production d'oeuvres
cinématographiques soit conditionnelle à la reconnaissance par
les producteurs du rôle primordial qui revient aux artistes, aux artisans
et aux salariés de cette industrie et à la négociation de
bonne foi de leurs conditions de travail avec les interlocuteurs
représentatifs qu'ils se seront choisis démocratiquement. Je
pense que cela vous a déjà été dit par l'UDA, la
SARDEC et l'ARFQ. Je pense qu'il y a consensus évident face à
cela.
Comme conclusion, à l'occasion des auditions tenues par cette
commission parlementaire, le STCQ jugeait utile de mettre pn lumière
certains de nos problèmes vécus autant par les membres du STCQ
que les artistes et les créateurs. La solution à ces
problèmes et l'essor de notre industrie passent nécessairement
par la reconnaissance d'un statut juridique spécifique aux artistes,
créateurs et artisans qui y oeuvrent, ainsi que par une reconnaissance
véritable du rôle des associations représentatives dont ils
se sont dotés pour la défense de leurs droits sociaux et
économiques.
Nous osons espérer que les consultations de la présente
commission auront pour effet de provoquer entre les principaux partenaires
concernés une véritable prise de conscience de leur
interdépendance dans le processus de création de l'oeuvre
cinématographique. Voilà.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le président.
Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. J'aimerais, d'abord,
remercier les représentants du Syndicat des techniciens du cinéma
pour la qualité de leur mémoire. Je pense que vous l'avez fait
clair, précis et concis. À mon avis, vous avez cerné les
principaux problèmes qu'éprouvent vos membres" et je vous en
félicite.
L'objet de vos préoccupations nous fait certainement
réfléchir sur les voies et les moyens sur lesquels le
gouvernement du Québec peut établir des bases de travail qui
seront intéressantes pour atteindre les objectifs à court et
à moyen termes en vue de valoriser ou de revaloriser le statut de
l'artiste.
En fait, les quelque 700 techniciens et techniciennes du cinéma -
vous l'avez mentionné à plusieurs reprises - que vous
représentez ne semblent pas vivre dans une situation de vie
professionnelle que l'on pourrait qualifier d'idéale. Votre
mémoire nous le rappelle à plusieurs occasions. J'aimerais donc
vous assurer que le ministère des Affaires culturelles tiendra
sûrement compte des points que vous soulevez dans votre mémoire,
que ce soit au chapitre des conditions de travail ou au chapitre de la
fiscalité ou du perfectionnement. Le travail accompli par les membres de
votre syndicat mérite certainement un examen attentif des propositions
que vous formulez dans votre mémoire. Je vous remercie de la
contribution que vous apportez aux travaux de cette commission.
Pour revenir à votre mémoire, à la page 11, vous
recommandez la création d'une véritable école de
cinéma. Cette recommandation nous a été formulée
également par d'autres groupes qui vous ont
précédés, encore ce matin, et par le rapport
Fournier. J'aimerais quand même savoir quels seraient les
objectifs qui pourraient être poursuivis. Est-ce que ce serait en
fonction du marché du travail? Est-ce que ce serait au niveau
collégial ou universitaire? Est-ce qu'on peut penser à un
réseau d'établissements d'enseignement? Quel serait le
ministère titulaire? Est-ce qu'on pense au ministère des Affaires
culturelles, au ministère de l'Éducation et même au
ministère des Communications? Est-ce qu'on va aussi loin que de dire qui
aurait accès à cette école? Est-ce qu'il y aurait des
prérequis? On en a discuté ce matin, mais j'aimerais quand
même avoir votre opinion là-dessus.
M. La Veaux: On en a discuté beaucoup dans plusieurs
comités formés par le syndicat sur cette question. La majeure
partie des membres de notre syndicat ont été formés sur le
tas, comme on dit; donc, ils ont la pratique du métier avant même
d'avoir acquis une compétence ou une connaissance de leur métier
dans quelque autre formation que ce soit. C'est mon cas. Le cas de M. Pierre
Duceppe, à côté de moi, est différent puisqu'il est
passé, lui, par une école reconnue internationalement en
Belgique. Sauf qu'une chose est claire: il y a beaucoup de désespoir. Ce
sont des espoirs, si vous voulez, qui deviennent du désespoir dans cette
industrie, II y a des gens qui sont prêts à payer de leur poche
pour faire du cinéma. Il y a des gens qui rêvent de cela à
n'en plus finir. Ils sortent de l'Université Concordia. Ils sortent de
l'UQAM. Les gens veulent faire du cinéma, on n'en revient pas. Il y a un
bassin effrayant, un potentiel effrayant.
Sauf qu'une fois qu'ils ont touché au concret de ce qu'est la
production cinématographique au Québec ils ont souvent envie de
retourner à l'école ou de faire autre chose parce que ce qu'on
leur a appris ne colle pas du tout à la réalité. Cela
colle à une réalité intellectuelle. Cela colle à
une réalité d'apprentissage cinématographique
vis-à-vis de la critique cinématographique peut-être, mais
vis-à-vis du métier, cela ne peut pas fonctionner puisqu'il n'y a
pas de professionnels du cinéma qui enseignent les différents
métiers techniques à l'intérieur de ces maisons.
On peut apprendre que le cinéma américain, dans
l'histoire, a telle ou telle signification mais cela ne fait pas de vous, une
fois rendu sur un plateau, quelqu'un qui soit capable de fonctionner avec des
appareils qui coûtent des fortunes la plupart du temps. Les écoles
ne possèdent pas les appareils. Elles ne possèdent pas les
professeurs, non plus. Elles ne possèdent absolument rien. La structure
n'existe pas. (12 h 45)
C'est pourquoi le syndicat, pour faire face à ce rêve qui
devient souvent un cauchemar, favorise la création d'une école
reconnue, d'une école plutôt académique, d'une
académie, disons, je ne sais pas, il y a des exemples faciles à
citer en Europe. Ainsi, les gens qui sortent de cette école sauraient
vraiment de quoi il est question sur une production, c'est-à-dire qu'ils
étudieraient avec les vrais appareils, les vrais instruments et,
surtout, avec des vrais professeurs. Nos membres, comme Mme Champagne qui
était là tout à l'heure qui est la scripte la plus connue
au Québec et qui a elle-même écrit des livres qui sont
vendus en Europe, pourraient enseigner facilement. Michel Breault pourrait
enseigner facilement la direction de la photo. Il y a plein de nos membres qui
ont une expérience qui vaut une fortune et qui ne sert à rien
actuellement.
Mme Bacon: Vous suggérez en page 12 qu'une partie des
fonds, tant publics que privés, injectés dans l'industrie
cinématographique devrait être consacrée à la
formation et au perfectionnement. Est-ce que vous suggérez, à ce
moment, que nous prenions des fonds déjà existants ou des fonds
supplémentaires, des crédits supplémentaires? Quelle
pourrait être la part de l'industrie et des syndicats? À quel
secteur de l'industrie songez-vous? Est-ce que ce seraient des producteurs, des
distributeurs, des exploitants?
M. La Veaux: Je pense que, au moyen d'un organisme comme la
Société générale du cinéma, le syndicat a
déjà fait des demandes pour nous aider à participer au
financement de nos programmes de perfectionnement et de formation
professionnelle. La recommadation demande qu'il y ait un fonds
supplémentaire. La richesse qui existe en ce qui concerne les
techniciens et les artistes, pas seulement nous, mais les réalisateurs
et les artistes, devrait faire en sorte que, autant la société
générale au niveau du Québec que Téléfilm
Canada au niveau du fédéral et que les producteurs qui
bénéficient amplement et au maximum de notre compétence
s'impliquent. Quand quelqu'un engage Pierre Mignot comme directeur de la photo,
n'importe quel producteur a un acquis, n'importe quel producteur obtient le
talent, la créativité, la réputation. Jamais il ne
participe à ce que ces techniciens ou même les acteurs et actrices
aient une formation véritable.
C'est pourquoi on dit: Bien sûr, le gouvernement du Québec
devrait, soit par la société générale ou par le
ministère de l'Éducation - c'est à lui de vérifier
cela peut-être, on pourrait en discuter - pousser et amener cette
participation financière dans ces différents métiers qui
sont tous des métiers de pigistes et qui font appel à un
anarchie complète envers notre formation. On en acquiert un bout
là, on en acquiert un autre là. Je pense qu'il est temps de vous
impliquer.
Mme Bacon: Pour aborder peut-être un dossier plus
délicat qui est le dossier des relations du travail, vous en avez
parlé beaucoup, vous faites état des difficultés que vous
rencontrez avec les producteurs et qui concernent la signature d'une entente
collective. Est-ce que vous pourriez nous dire ce qui fait qu'on n'est pas
arrivé à une entente depuis cinq ans? Est-ce que vos
collègues des autres provinces, parce qu'on essaie de se comparer, qui
sont dans la même situation que vous connaissent les mêmes
problèmes que vous connaissez? Est-ce que c'est strictement au
Québec qu'on connaît ces problèmes?
M. La Veaux: Je vais d'abord vous dire que, sans vouloir faire la
négociation avec les producteurs ici aujourd'hui, avec vous, je peux
peut-être...
Mme Bacon: Je ne le veux pas, non plus. Je vous ai même dit
que c'était délicat comme sujet.
M. La Veaux: ...effectivement vous renseigner. C'est très
délicat comme question. Je vais vous donner quand même un
aperçu.
Le STCQ est arrivé avec un comité de négociation de
l'APFVQ, il y a de cela un an, à un projet commun en juillet, un projet
qui, enfin, après trois ans de négociation, pouvait satisfaire
les deux parties. Une fois présenté à leur
assemblée, il semblait que leur assemblée n'acceptait pas. Nous
sommes donc retombés à zéro avec une contreproposition
patronale tout à fait différente d'une entente qu'il nous a pris
quatre ans à négocier. C'est la raison pour laquelle on est dans
cette situation.
Je vous renseignerais aussi à savoir que, actuellement, les
conditions de travail sur les plateaux - et il y a plusieurs plateaux en ce
moment, il y en aura plusieurs jusqu'à la fin de l'année - se
négocient à la pièce, c'est-à-dire que le syndicat,
puisqu'il n'arrive pas à avoir une entente avec l'association des
producteurs, s'est vu forcé de faire de la négociation
directement avec chacun des producteurs sur les films. Cela implique beaucoup
de travail, beaucoup d'efforts et beaucoup de discussions qu'une convention
collective signée nous éviterait à tout le monde; les
producteurs ont autant à faire face à ces problèmes que
nous.
Au Canada anglais, à Toronto entre autres, il y a six
différents syndicats. Ils ne connaissent pas la même situation que
nous, ils ne vivent pas la même situation que nous puisqu'ils ne font pas
appel à une association représentative de producteurs. Les
techniciens torontois sont répartis en plusieurs syndicats. Ils font
appel à une négociation, eux aussi, plus à la
pièce. Un syndicat de techniciens à Toronto va vers un producteur
et lui vend sa marchandise et le producteur décide s'il va vers
celui-là ou vers un autre. Il y a plus de diversité et c'est
pourquoi les producteurs américains choisissent - c'est un
critère maintenant pour eux - de venir vers Montréal parce qu'ils
n'auront pas un problème de guerre syndicale entre plusieurs
intervenants. Cependant, malgré tout cela, ces gens-là ont des
conditions de travail meilleures que les nôtres et ont, bien sûr,
un salaire beaucoup plus élevé. Nous sommes les techniciens au
Canada les moins bien payés. Nous sommes les techniciens en
Amérique du Nord les moins bien rémunérés, que ce
soit aux États-Unis ou au Canada.
Mme Bacon: Vous avez parlé tantôt aussi de la
multiplicité des syndicats ou des organismes aux États-Unis et en
Europe. Est-ce qu'on peut comparer aussi ce qui se passe aux États-Unis
avec ce qui se passe en Europe?
M. La Veaux: Absolument pas, parce qu'en Europe la
syndicalisation est un domaine tout à fait différent. Aux
États-Unis, on assiste presque à l'obligation syndicale si on
veut fonctionner dans le milieu de la production cinématographique avec
un syndicat très reconnu comme IATSE. Cependant, en Europe, en France
entre autres, c'est par choix que l'on se syndicalise. Le milieu n'est pas
réglementé comme cela. Plusieurs techniciens en Europe ne sont
pas syndiqués, cela n'est pas la même situation.
Mme Bacon: Pour ce qui est de la fiscalité, vous faites
état de variations qui sont assez considérables de vos revenus au
cours d'une même année et vous dites que cela entraîne des
problèmes avec l'impôt. Quelle serait la mesure qui pourrait
corriger les inconvénients qui sont créés par cela? Les
musiciens nous ont aussi fait part de la concurrence qu'ils subissent. Est-ce
que les mesures que vous pourriez mettre de l'avant pourraient corriger les
inconvénients qui sont créés par ces variations?
M. Mélançon (Claude): Nous avons actuellement, au
syndicat, un comité assez récent qui est chargé
d'étudier les divers problèmes fiscaux de nos membres.
Naturellement, un des plus évidents - je pense que d'autres groupes qui
sont passés avant nous, ici, ont dû soulever le même
problème - c'est effectivement la variation dans le revenu au cours
d'une année donnée
ou d'une année à l'autre.
La première des solutions qui est envisagée ou qu'on tente
d'élaborer, c'est de trouver un mécanisme permettant, si on veut,
d'étaler ou d'équilibrer le pourcentage d'impôt
perçu sur chacune des productions pour équivaloir plus au revenu
annuel moyen du technicien qu'à ses revenus variables. Naturellement,
cela pose des problèmes. On en est conscient. Si, sur une production
donnée, un technicien, pour une semaine donnée, est payé
1200 $, disons, et qu'on ne le cotise que sur la base de 300 $ à 400 $,
il devra cotiser lui-même un jour ou l'autre avant la fin de
l'année. Il y a déjà des solutions qui existent pour
d'autres groupes de contribuables, comme, entre autres, les professionnels qui
peuvent faire des avances provisionnelles basées sur leurs revenus des
années antérieures. Cependant, cela pose certaines
difficultés parce qu'actuellement, au niveau des lois fiscales, le
statut des techniciens en est clairement un de salariés et la plupart
d'entre eux ne sont pas considérés comme des entrepreneurs
indépendants et encore moins comme des professsionnels.
On pense qu'il y aurait lieu de créer de nouvelles formules et,
comme ce problème n'est pas particulier aux techniciens du
cinéma, on devra trouver une solution dans un avenir assez
rapproché. On le vit chez les artistes-interprètes, chez les
réalisateurs et chez les auteurs. Alors, on pense qu'il y aura lieu
d'innover en cette matière pour permettre à tout le monde un
étalement de l'impôt, en plus de permettre, dans les cas qui le
justifient, - je pense que l'Union des artistes a des suggestions
précises là-dessus - de tenir compte des dépenses
encourues pour obtenir l'emploi. Et elles sont fréquentes dans cette
industrie particulière, tant chez les artistes-interprètes que
chez le technicien. N'oublions pas que plusieurs techniciens fournissent du
matériel ou auront à fournir une partie de leur
équipement. On fait beaucoup de représentations pour avoir les
emplois sur les plateaux.
Mme Bacon: Vous avez... Excusez-moi.
M. Mélançon: Si vous voulez me permettre de
compléter, dans votre question précédente, vous vous
demandiez, à juste titre, comment il se faisait que, dans cette
industrie, on ne semble plus capables d'arriver à des ententes de
fonctionnement et surtout ces dernières années. La SARDEC vous en
a fait part, les réalisateurs vous en ont fait part et on vous en fait
part. Une des choses qu'on semble oublier, c'est peut-être le mode de
fonctionnement ou le financement dont jouissent les producteurs. J'entends par
producteur le producteur local puisque, curieusement, comme Michel vous l'a dit
tout à l'heure, on a assez peu de problèmes avec le producteur
international. Il arrive ici et, au prix que l'on coûte et à la
vitesse à laquelle on négocie, vous seriez surpris de voir que
les employeurs se présentent à nos bureaux - on n'a même
pas besoin d'aller les voir - avec les contrats déjà
signés. Les minimums sont tous amplement dépassés
financièrement. On n'a pas de problèmes à faire
reconnaître ce que l'on tente de faire reconnaître comme conditions
de travail avec les producteurs locaux. C'est ce qui explique peut-être
le comportement des producteurs locaux, d'une part.
Vous savez, quand vous avez à utiliser de l'argent qui n'est pas
le vôtre et que vous êtes peu tenus de rendre compte de
l'utilisation, tant et aussi longtemps qu'on ne vous y forcera pas par les lois
du marché, comme un arrêt de travail, par exemple, les chances
sont qu'on ne négociera pas. Que l'on transpose cela simplement dans
l'industrie du vêtement ou de la chaussure: si les gens étaient
subventionnés à 90 % comme c'est souvent le cas de nos
producteurs, et cela peu importe qu'ils aient négocié ou pas des
conditions de travail homogènes, vous pouvez être sûrs qu'il
n'y aurait pas beaucoup de décrets et qu'il n'y aurait pas beaucoup de
conventions de signées. Alors, c'est peut-être un des
éléments les plus importants, en plus du fait qu'il semble y
avoir un certain glissement du côté des producteurs quant à
leur propre représentativité ou à la
nécessité qu'ils ont d'agir collectivement étant
donné que, de toute façon, individuellement ils
bénéficieront des subventions.
Mme Bacon: Merci. Nous parlons avec beaucoup de plaisir, je
pense, de la qualité de nos techniciens. Je ne poserai pas de question
sur le libre-échange parce que cela va nous entraîner dans une
discussion qui peut être plus longue. Je veux laisser la parole à
mes collègues. Est-ce que les techniciens américains, par
exemple, pourraient venir travailler facilement sur une production canadienne?
Est-ce que vos techniciens pourraient aller travailler facilement aux
États-Unis ou en Europe? Est-ce un problème pour vous?
M. La Veaux: Vous amenez la notion de libre-échange.
Actuellement, au Syndicat des techniciens du cinéma, on a la
réflexion suivante qui est très courte: On vit déjà
une situation où on est envahis en ce qui concerne la distribution. En
ce qui a trait à la production, c'est un autre niveau. Il y a
effectivement un article dans le journal, encore, qui' parle d'un envahisseur
léger que sont les producteurs américains. Il y a des techniciens
américains qui viennent tourner, bien sûr, sur les productions
américaines actuellement. Pourquoi? Parce que le
producteur en général qui est intéressé
à venir tourner sur notre territoire fait toujours appel à un
réalisateur et à des postes-cadres qu'il connaît bien. Il
fait confiance à une équipe qui l'entoure, soit un directeur de
la photo, des effets spéciaux, un réalisateur, un
assistant-réalisateur. Il y a comme une équipe ou un noyau qui se
forme autour de ce producteur et il nous demande si on donnerait notre accord.
Il est obligé de passer par la Loi sur l'immigration. Les gens de
l'immigration nous consultent. Par la loi ils sont obligés aussi de
consulter les associations et les syndicats locaux pour obtenir leur opinion et
leur accord pour faire entrer ces gens. Il arrive que nous ne soyons pas
d'accord. Il arrive que les postes que l'on nous demande, on puisse les
combler. La compétence de nos techniciens est à toute
épreuve vis-à-vis de cela et quelquefois on accorde le
privilège du doute au producteur américain et on le laisse
entrer. Cependant, on est toujours consultés. S'ils entrent, c'est parce
qu'on donne un accord.
Il arrive qu'on s'en fait passer quelques-uns. À titre d'exemple,
je me rappelle, entre autres, avoir, malheureusement, si vous voulez, fait
passer un week-end en prison à un directeur de la photo de Los Angeles
parce qu'on m'a appelé vendredi soir à 16 h 45 pour me demander
la permission de laisser entrer quelqu'un. J'ai dit: Écoutez, à
16 h 45 un vendredi, sans dossier, je regrette! Le monsieur a passé le
week-end en prison à Mirabel.
On est normalement consultés systématiquement. On accepte,
si les postes qu'on nous demande, nous ne pouvons pas les combler,
c'est-à-dire si le travailleur canadien ne peut faire - car c'est une
loi fédérale - le travail ici. Par exception, on est d'accord.
(13 heures)
Pour nous, aller travailler aux États-Unis, c'est impensable,
c'est impossible. C'est inimaginable, sauf pour deux techniciens,
François Prota quelquefois et Pierre Mignot, qui travaille avec M.
Altman comme vous l'avez vu tout à l'heure. Le libre-échange est
impossible. Quel avantage un producteur canadien aurait-il,
premièrement, à aller tourner aux États-Unis, à New
York, avec un dollar à 1,35 $? Les producteurs américains
auraient tout avantage à venir travailler à 0,73 $. D'ailleurs,
ils comptent effectivement très bien leur budget en fonction de ce que
cela leur rapporte.
Les productions américaines que l'on retrouve le plus
fréquemment à Montréal sont faites dans le cadre d'un mode
qui s'appelle "Movie of the week", c'est-à-dire une production de long
métrage dans un délai raccourci, une période de trois
semaines, cinq jours par semaine, et cela va très rapidement chez le
diffuseur. C'est fait pour la télévision. Avec un budget de 1 300
000 $ à 1 500 000 $ américains en moyenne, ces gens se retrouvent
à Montréal dans des décors et dans des situations beaucoup
plus intéressantes, souvent, que chez eux avec un budget de 2 000 000 $.
Ces gens-là sont très très bien traités ici et ils
ne cessent de confirmer le talent de nos équipes.
Mme Bacon: Merci beaucoup.
Le Président (M. Trudel): Avec le consentement unanime des
membres de la commission, puisqu'il est très exactement treize heures,
je céderai la parole au député de Saint-Jacques, ayant
fait une entente parallèle pour un maximum de quinze minutes. Est-ce que
cela vous va, Mme la ministre? M. le député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: J'ai essayé de trouver d'où venait
mon errance tantôt. Je voulais arriver rapidement à votre
mémoire au détriment de vos prédécesseurs. C'est
probablement l'extraordinaire expérience que j'ai vécue la
semaine dernière en assistant au tournage de "Vengeance", tournage qui
m'a privé de stationnement, d'entrer chez moi et d'aller chez mon
dépanneur préféré. Mais cela a été
extraordinaire! J'ai été en mesure de voir le travail que font
les techniciens et techniciennes de cinéma.
Cela dit, puisqu'on a quinze minutes, je vais aller droit au but.
Tantôt, Mme la ministre vous a parlé et vous lui avez
répondu, au sujet de l'école ou de l'académie de
techniciens. Vous disiez que les cours devraient être donnés par
des techniciens et des techniciennes reconnus. Admettons que l'hypothèse
soit retenue, qu'il y ait une école et que les cours soient
donnés par des techniciens et des techniciennes reconnus de chez vous,
qu'arrive-t-il des cours actuellement offerts dans les cégeps et les
universités?
M. La Veaux: Je pense qu'il faudrait tout simplement les resituer
et les placer dans leur véritable cadre: l'option cinéma au
niveau collégial ne correspond pas à un avenir de technicien de
cinéma. Moi-même, j'ai vécu cette expérience
collégiale du cours de cinéma. Je pouvais montrer à mon
professeur comment charger une caméra professionnelle, ce qu'il ne
savait même pas. Par contre, on m'a appris que les genres
cinématographiques étaient différents et que l'histoire du
cinéma américain était très importante dans
l'ensemble des cinématographies mondiales.
On peut resituer, effectivement, le programme des cours. Une
école de type académie, comme en Europe, en Belgique ou en
France, permettrait aux élèves qui en sortent d'être de
véritables techniciens. On
doit être enseigné par de vrais techniciens. Je ne sais pas
si je réponds tout à fait...
M. Boulerice: J'aurais une question pour vous, M. La Veaux.
Actuellement, dans les cégeps et les universités, est-ce que ce
sont des techniciens reconnus par votre syndicat qui donnent ces cours?
M. La Veaux: Absolument pas.
M. Boulerice: Absolument pas. D'accord. Donc, c'est plus qu'une
question de programme, c'est aussi une question de compétence
pédagogique.
M. La Veaux: C'est une question de programme. D'ailleurs, ce
programme devrait peut-être même être appliqué plus
tôt dans l'éducation des jeunes. On devrait parler de
cinéma et apprendre aux étudiants du secondaire ce qu'est le
cinéma québécois, la place qu'il occupe dans le monde et
l'importance du cinéma québécois, comment il a
influencé les autres cinematographies nationales. Je vous défie
de demander à un étudiant, même de cégep, de nommer
les cinq cinéastes les plus connus au Québec. Il serait incapable
de vous répondre.
M. Boulerice: Vous avez parlé, à la page 11 de
votre mémoire, d'un comité de perfectionnement
indépendant, mais formé par votre syndicat. Quels sont les
critères et les objectifs qui ont été établis par
le comité? J'aimerais que vous me parliez des sept projets qui avaient
été retenus.
M. La Veaux: Le comité a établi ses critères
en fonction de ce que le projet peut apporter à la collectivité,
à l'ensemble des membres. C'est-à-dire que les projets de type
voyage pendant trois semaines en Europe ne sont pas nécessairement
retenus, le principal critère du comité étant les
retombées et les compétences vis-à-vis de l'ensemble des
techniciens. Si on accorde un projet à un preneur de son chez nous, il
faut qu'il s'engage - et c'est formel dans les critères - à
donner un cours de formation après avoir acquis l'expérience
ailleurs à l'étranger. C'est vraiment en fonction de donner les
nouvelles expériences aux membres de son secteur, à l'ensemble
des techniciens.
Sur les sept projets deux ont été de groupe. Au secteur du
montage, un projet de groupe a été accepté en montage
assisté par ordinateur. Vous savez que, les techniciens, si nous ne
sommes pas à la fine pointe de la technologie, nous sommes les premiers
à être touchés et nous perdons notre
crédibilité. Donc, huit de nos monteurs sont allés suivre
un stage avec un expert des États-Unis sur une machine conçue par
ordinateur pour faire du montage. Le secteur de la coiffure aussi.
Tout le secteur de la coiffure du syndicat a profité d'un projet
de formation et de perfectionnement avec les meilleures instances en la
matière, les meilleurs coiffeurs pour le cinéma. Les projets
individuels ont été, en plus de celui de M. Jobin que je vous ai
nommé, que Panavision a acheté, celui de Serge Beauchemin qui est
un preneur de son reconnu en cinématographie, ici et même à
l'étranger, qui est allé faire des expériences de son
multipistes avec deux des meilleurs preneurs de son français à
Paris. Il y a eu un M. Charron qui est allé en Allemagne et en Suisse
pour parler de la conception d'un microphone que lui-même avait à
présenter chez les plus grands fabricants d'appareils sonores, chez
NAGRA et chez Schoeps qui sont des fabricants d'appareils
cinématographiques professionnels. La participation de M. Charron
à ces deux maisons en Europe a laissé beaucoup de marques puisque
c'est vraiment chez les fabricants les plus reconnus que M. Charron s'est
permis de critiquer les équipements et même de leur demander de
créer de nouveaux types de microphones et ils sont en train de se mettre
au travail là-dessus aussi. Il y a eu d'autres projets. Il y a eu des
projets en photo où un membre de chez nous, un directeur de photo est
allé étudier en stage à Los Angeles pendant une semaine
avec les meilleurs directeurs de photo là-bas, etc. Voilà.
M. Boulerice: J'aimerais vous entendre de nouveau sur l'assertion
que vous faites au sujet de votre inquiétude sur l'essor du pouvoir
décisionnel qu'ont les commerçants de l'industrie du
cinéma sur l'évolution de notre culture
québécoise.
M. La Veaux: Nous, on a la forte impression qu'on a
collaboré et qu'on a mis sur pied une industrie du cinéma au
Québec par notre participation, par notre talent et par notre argent. On
trouve étonnant qu'il n'y ait pas de critères pour devenir
producteur de film. Vous pourriez délaisser l'Assemblée nationale
et devenir producteur de film si cela vous intéresse et il n'y a
personne qui va le contester, que vous soyez capable ou non. On n'a donc pas
nécessairement affaire à des gens tous impliqués dans le
cinéma ou qui connaissent leur métier. Alors, du jour au
lendemain, ces gens-là peuvent devenir producteurs de films et ont droit
à 90 % de budget subventionné pour faire des films, font faillite
et délaissent quelquefois la production. On est victime
d'investissements de nos salaires parce que la production marche mal. La
gérance n'est pas claire et, une .fois que c'est établi, ces
gens-là peuvent changer de nom, disparaître et revenir sous une
autre raison sociale et de nouveau redemander des
fonds publics et des montants d'argent leur sont accordés pour
faire des films. Nous, il nous suffit d'une seule erreur, et ce n'est pas
seulement les techniciens, les artistes, les réalisateurs, une seule
erreur, et le pigiste dans chacun de ces secteurs est fait, il est fini, il ne
peut plus travailler.
Ces gens utilisent 90 % de notre argent pour faire des films et peuvent
faire patate et revenir Tannée d'après et ils sont de bons
producteurs parce qu'ils ont changé de nom. Ces gens-là n'ont pas
de comptes véritables à rendre et c'est épouvantable.
M. Boulerice: C'est cela qui vous faisait dire qu'ils
étaient non seulement les gérants, mais * qu'ils étaient
en train de devenir les principaux bénéficiaires de
l'industrie.
M. La Veaux: II ne faut pas se cacher que le revenu des
producteurs de films est constitué de 15 % à 20 %
d'administration sur un budget. Si je suis producteur et que je fais un film de
1 500 000 $, j'ai 15 % de 1 500 000 $ pour gérer cet argent. Du fait que
j'existe, j'ai 15 % ou 20 %. J'investis quoi? J'investis, comme Pascal
Gélinas vous le disait tout à l'heure, 5 % au maximum. Ce n'est
même pas de l'argent liquide quelquefois. C'est un bureau, un
téléphone et une administration.
Les conditions dans lesquelles ces producteurs oeuvrent et la
facilité avec laquelle ils obtiennent des fonds, par rapport au vouloir
et aux intentions de réglementer et d'essayer de faire en sorte que
l'industrie soit réglementée, c'est inadmissible. Cela fait cinq
ans que les techniciens essaient d'avoir des conditions de travail. Je
regrette, mais les techniciens ne sont pas payés par les producteurs,
ils sont payés par l'État. Il ne faut pas se le cacher. Si vous
enlevez la participation de l'État sur le plan financier dans la
production cinématographique, c'est terminé, l'industrie
cinématographique n'existe plus.
Alors, nous sommes payés par un producteur qui reçoit de
l'argent de l'État. Donc, les contribuables paient, le producteur
gère et lui, il vit de 15 % à 20 % de l'argent de l'État
pour nous repayer après.
M. Boulerice: Est-ce que vous partagez les mêmes propos que
vos collègues précédemment quant à l'expertise en
régions? S'il n'y a plus de producteurs, s'il n'y a plus de maisons de
production, il n'y aura donc plus de techniciens et de techniciennes reconnus
en régions.
M. La Veaux: Absolument. Il y a quelques années, il y
avait déjà beaucoup plus de techniciens en régions. On
pouvait voir, à l'intérieur de notre bottin officiel de membres,
des gens avec des adresses soit en
Abitibi, au Lac-Saint-Jean ou à Québec. Cette
année, je pense qu'on retrouve six techniciens de Québec à
travers 700. C'est déplorable. On n'assiste à une production
cinématographique en régions que pour les locations. On utilise
l'Abitibi pour ses sapins et on utilise Québec pour le
Vieux-Québec. Le potentiel de travailleurs dans ces régions
diminue. On assiste effectivement à un monopole montréalais.
M. Boulerice: Vous avez parlé tantôt de l'importance
du cinéma québécois dans le monde. Je pense qu'on en a eu
un exemple, somme toute, merveilleux très récemment à
Cannes. Je sais que le ministre précédent des Affaires
culturelles a toujours attaché beaucoup d'importance et je pense
même qu'il a donné tes appuis nécessaires pour vos
activités internationales. La preuve, vous venez de nous faire l'annonce
tantôt et on va accueillir avec beaucoup de plaisir, les gens du
bureau... je ne sais pas si on l'appelle mondial ou international, peu importe.
La présence de ce bureau, ici, au Québec, comment va-t-elle
permettre de situer l'activité cinématographique au
Québec?
M. La Veaux: La fédération internationale a une
préoccupation majeure qui est les différentes cinematographies
nationales à travers le monde. C'est un point majeur que l'on discute
autant dans les congrès internationaux que dans le cadre des
exécutifs internationaux. En quoi les Soviétiques, les Bulgares,
les Italiens, la Grande-Bretagne et la France vont-ils faire en sorte que le
Québec peut avoir une importance? Je pense que, du fait que nous vivons
également dans des cadres dits de coproduction, les gens
concernés à l'intérieur de la Grande-Bretagne sont
représentés à la FISTAV, les gens concernés par la
France sont représentés également à la FISTAV. Je
pense qu'il n'y a rien de plus naturel que d'arriver à établir
les ressemblances, les difficultés et les joints possibles à
faire dans l'industrie. Si on arrive à s'entendre entre nous,
travailleurs des différents pays, je pense que même les
producteurs y gagnent, parce que la situation des coproductions sera d'autant
plus favorisée.
M. Boulerice: Votre participation ne doit pas être
circonstancielle. C'est capital pour l'industrie cinématographique
québécoise que vous ayez une participation continue sur ce
plan.
M. La Veaux: Absolument. Vous avez absolument raison. Notre
présence au sein de la FISTAV - c'est quand même assez
récent, le fait que le STCQ soit membre de la FISTAV - les
retombées en sont déjà assez précises et assez
évidentes, d'autant plus que
nous avons été élus au sein de l'exécutif
pour représenter l'Amérique du Nord. Effectivement, notre
participation à la FISTAV n'était pas comme simples observateurs
ou comme petit pays participant, mais nous voulions, bien sûr, assurer
notre place au sein de l'exécutif et nous l'avons eue.
M. Boulerice: Comme disait un personnage célèbre,
qui était la Sagouine; "À part entière".
M. La Veaux: Peut-être. Il faudrait que je réentende
ce que vous avez dit, je n'ai pas tout à fait compris.
M. Boulerice: Et elle disait autre chose, d'ailleurs, vous
pourriez peut-être en faire un leitmotiv dans vos revendications, elle
disait: "J'savions ce que j'voulions, j'voulions toute",
M. La Veaux: Exactement. Je pourrais en faire une phrase
personnelle.
M. Boulerice: Effectivement. Écoutez, je pense que le
petit carreau sur l'écran de nouveau apparaît: Fin.
Malheureusement, c'est tout le temps que j'ai. Je n'avais peut-être pas
les bonnes questions tantôt, mais j'estime avoir, en posant au bon moment
les bonnes questions, les bonnes réponses.
M. La Veaux: Effectivement.
M. Boulerice: Je vous en remercie beaucoup»
M. La Veaux: Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques, d'avoir respecté, à la
seconde près, ce dont nous avions convenu. M. le président, M. le
vice-président et Me Mélançon, merci; encore une fois, une
excellente discussion et un mémoire fort bien fait. J'aurais aimé
vous poser des questions, mais, comme le veut la tradition, je vais ajourner
les travaux sine die, ce qui veut dire jusqu'après la période des
affaires courantes de cet après-midi. Merci.
M. La Veaux: Merci. (Suspension de la séance à 13 h
16)
(Reprise à 16 h 18)
Association des producteurs de filins et de
vidéo du Québec
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de la culture reprend sa consultation
générale sur le statut économique de l'artiste et du
créateur en recevant comme premier invité cet après-midi
l'Association des producteurs de films et de vidéo du Québec.
Mesdames, si vous voulez vous approcher de cette grande table
très éloignée de la nôtre, malheureusement.
Nous accueillons, cet après-midi, toujours si mes renseignements
sont exacts, Mme Louise Baillargeon, directrice générale...
Mme Baillargeon (Louise): C'est cela.
Le Président (M. Trudel): ...et Mme Louise Carré,
producteur.
Mesdames, je vous rappelle les règles du jeu que je rappelle
régulièrement en début de séance. Il est quelques
minutes passé 16 h 15, nous devons ajourner les travaux à 18
heures très précisément pour les reprendre à 20
heures et nous avons deux groupes à rencontrer cet
après-midi.
Donc, je vous demanderais de résumer le mémoire que vous
nous avez envoyé plutôt que de le lire pour la bonne et simple
raison que tous les membres de la commission l'ont lu et en ont fait un
résumé. À ce moment-là, cela nous permettrait une
plus longue période de questions.
Mme la présidente, je vous cède la parole. Par la suite,
ce sera Mme la ministre et M. le député de Saint-Jacques.
Mme Baillargeon: Mme la ministre et tous les autres membres de la
commission parlementaire, nous tenons d'abord à vous remercier de nous
recevoir. Je vais essayer de résumer, mais je ne voudrais pas non plus,
au nom de l'association, trop résumer. Je voudrais être bien
certaine qu'on a couvert les points que les membres de l'association des
producteurs ont pris beaucoup de temps à étudier.
Je pense que je vais passer par-dessus la création de
l'association des producteurs, vu que vous êtes pressés. Je
voudrais seulement rappeler que nous sommes 72 membres, dont 64 maisons de
production spécialisées en long métrage,
téléproduction, documentaire, message publicitaire, film
industriel et commandité et 8 laboratoires et maisons de services. C'est
le regroupement de producteurs le plus ancien du Canada et le regroupement de
producteurs francophones le plus important en Amérique du Nord.
En 1985, pour rappeler un peu le travail qui a été fait
par l'APFVQ, ils ont produit 30 longs métrages, 21 en français et
9 en anglais. Ces films totalisaient des budgets de 60 000 000 $, soit en
moyenne 2 000 000 $ par film.
Maintenant, il est reconnu que, selon les calculs qui ont
été faits, 20 % du budget d'un film est versé soit au
scénariste, aux comédiens, au compositeur de la musique et au
réalisateur; 20 % pourrait couvrir les
frais d'administration et de production générale et 60 %
irait, bien sûr, aux techniciens, à la pellicule, aux frais de
laboratoire et à couvrir toutes les autres normes de budget. Cela veut
dire qu'en 1985 les membres de l'APFVQ auront versé environ 12 000 000 $
aux membres de l'Union des artistes, de la SARDEC, de la Guilde des musiciens
et de l'Association des réalisateurs. C'est un apport qui est quand
même loin d'être négligeable.
Le producteur indépendant, depuis des années, a toujours
joué un rôle crucial dan3 le développement de l'industrie
cinématographique. Il a mis de l'avant les projets, encouragé le
scénariste et le réalisateur, développé des
ressources techniques, négocié les meilleures ententes de
distribution et fait la promotion de ses productions sur le marché local
et à l'étranger. Donc, il a porté le film sur ses
épaules du début à la fin, très souvent en
solitaire.
On vous rappellera un peu la petite histoire du cinéma
québécois. Il y a des titres qui vous rappellent des souvenirs,
tels que "Red", "La Vraie nature de Bernadette", "Le Martien de Noël",
"Kamouraska", "Deux femmes en or", "Les Plouffe", "Bonheur d'occasion", "Maria
Chapdelaine", "La Guerre des tuques", et des films que peut-être vous
connaissez moins, mais qui pour nous, dans l'industrie, ont eu beaucoup
d'importance, des films tels que "Jacques et novembre", "Sonatine", "Au clair
de la lune" et, tout récemment, le bien célèbre "Anne
Trister" de Léa Pool et "Le Déclin de l'empire américain",
lequel remportait un prix à Cannes, récemment. Ce sont des films
dont le succès revient souvent au réalisateur et qui n'auraient
jamais vu le jour sans un producteur confiant, entêté, persistant
et tenace - les adjectifs ne me manqueraient pas si je continuais - lequel a
investi ses énergies, beaucoup de temps et d'argent, souvent son argent
personnel.
Pourtant, le producteur québécois est sans doute le moins
gâté des maillons de la chaîne. La preuve, c'est qu'il
existe dans le moment, autant à Téléfilm Canada
qu'à la Société générale du cinéma du
Québec, des programmes pour aider les auteurs et les réalisateurs
désireux de développer leurs projets et d'autres programmes pour
récompenser les distributeurs à succès, et qu'il n'y a
rien dans le moment qui permette aux producteurs de travailler dans la
continuité. Les producteurs sont ceux qui prennent le plus de risques,
ceux qui ont le plus d'ancienneté. Pour réussir à monter
un projet de film et à le voir jusqu'à sa copie zéro, cela
prendra entre trois et cinq ans. Il y aura des rapports qui dureront
après cela toute une vie. Alors, il faut dire que si les primes existent
pour tous les autres il est bien dommage qu'il n'y en ait pas pour les
producteurs.
Les mythes ont la vie dure. Celui du producteur milliardaire, gros
cigare et grosse voiture à l'appui, est l'un des plus résistants.
La réalité est tout autre chose.
Une autre réalité qui est très difficile à
accepter, mais avec laquelle il faut absolument composer - elle est pour nous
difficile à accepter et elle est souvent difficile à comprendre
pour les politiciens et pour les citoyens en général - c'est la
spécificité du marché québécois. Il s'agit
d'un marché de 6 000 000 d'habitants, donc d'un marché
très exigu, qui a, de plus, la caractéristique d'être
francophone, donc particulièrement isolé au milieu de 250 000 000
d'anglophones. Ceci nous impose des obligations qui sont vraiment de taille. Il
y en a deux surtout. Nous avons des obligations en termes de budget. Un long
métrage au Québec peut difficilement dépasser - et
coûte assez rarement 2 000 000 $. En espérant que le film remporte
un très gros succès, le producteur récupérera
peut-être 30 % de son investissement. Je dis bien "peut-être" parce
qu'il y a encore, à tous les niveaux, énormément
d'intervenants qui se paient au fur et à mesure des rentrées;
alors, ce qui reste au producteur est vraiment très minime. L'autre
partie, 70 %, devra nécessairement être
récupérée sur les marchés étrangers avec
toute la limitation qu'on sait que cela veut dire.
D'autres obligations aussi que nous avons, ce sont celles de la
qualité. Bien sûr, il faudrait définir le mot
"qualité", ce qui serait encore bien long. Pour percer sur les
marchés extérieurs, nous devons non seulement être
supérieurs à la moyenne, mais nous devons être
différents sur toute la ligne. Pour vous donner une idée, qu'on
pense seulement que, sur les 150 films qui sont produits annuellement en
France, à peine une dizaine parviennent à sortir des
frontières. C'est la même proportion, au maximum un sur dix, quand
on pense au cinéma italien, au cinéma Scandinave et au
cinéma anglais. Au Québec, par exemple, nous sommes très
fiers parce qu'on peut rapporter que deux à trois films sur douze,
récemment, ont impressionné les publics étrangers. Nous en
sommes rendus à attendre rien de moins du cinéma
québécois. Alors, nous sommes donc condamnés non seulement
à la qualité, mais à une qualité qui se doit
d'être rentable.-
Ceci dit, il est encore possible, apparemment, de faire des films
importants et qui rapportent, avec des budgets modestes. Un exemple que tout le
monde comprend assez vite, c'est "Trois hommes et un couffin", qui a
remporté le succès que l'on sait récemment en France et
sur tous les autres marchés francophones, mais aussi aux
États-Unis, un marché qu'on dit impénétrable. Ce
succès international d'un
film à petit budget a donné l'exemple pour beaucoup
d'autres qui, nous l'espérons, viendront. C'est dans ce contexte que
l'APFVQ suit avec grand intérêt les travaux de la commission
parlementaire sur le statut de l'artiste et du créateur et qu'elle est
heureuse d'y trouver l'occasion de faire entendre ses points de vue.
Il y a deux points sur lesquels nous nous sommes déjà
prononcés, mais que nous tenons à rappeler. Nous sommes d'avis
que les artistes et les créateurs, tels qu'ils sont formés
actuellement par les institutions d'enseignement, ne répondent
absolument pas aux besoins spécifiques du cinéma et de la
télévision. Les acteurs issus des écoles de
théâtre ne connaissent rien ou presque aux questions de
caméras, d'objectifs, de plans et de profondeur de champs. De
même, les auteurs n'ont jamais fait de découpage, n'ont jamais
écrit de dialogues de télévision, n'ont jamais
créé en fonction de personnages, de décors, de costumes,
forcément limitatifs et surtout limitatifs en fonction de budgets
limités. Ceux qui connaissent les exigences du médium les ont
apprises sur le tas, souvent aux dépens des producteurs qui, eux,
doivent payer.
Cette lacune avait été relevée à deux
reprises dans le passé par la commission . Fournier et par le
comité Applebaum-Hébert et chacun de ces comités avaient
recommandé la même solution, à savoir la création
d'une école de cinéma et de télévision. On le sait,
le rapport Applebaum-Hébert réclamait que l'ONF soit
transformé en école. Nous avons plutôt approuvé "la
création d'une École supérieure du cinéma et de la
vidéo, indépendante, financée par les deux paliers de
gouvernement, située à Montréal, et dont le curriculum et
la pédagogie seront axés sur la notion d'oeuvre et sur le
processus de création". Nous réalisons qu'il y a
déjà en place des écoles qu'on devrait peut-être
rassembler et qu'on devrait y travailler. C'est certain qu'on réalise
aussi les coûts importants de cette école, mais on pense qu'elle
est indispensable. Nous croyons qu'il est grandement temps de donner suite
à ces recommandations.
Maintenant, les salaires, les honoraires, les droits pécuniaires
liés aux droits d'auteur, les contrats, les conventions de travail.
L'argent, dont il faut parler...
Les artistes et les créateurs sont-ils si mal payés? Il
est vrai que les statistiques mises de l'avant par l'Union des artistes, par
exemple, sont catastrophiques. Mais est-il juste de mettre sur le même
pied les comédiens chevronnés et en demande, d'une part, et,
d'autre part, les magiciens ou les maîtres de cérémonie qui
travaillent à peine quelques soirs par année? Cela ne risque-t-il
pas de fausser la réalité? Le problème ne se situe pas
vraiment à ce niveau. Il ne s'agit pas de déterminer si les
artistes et les créateurs québécois gagnent bien ou mal
leur vie. Il s'agirait plutôt de voir dans quelle mesure leurs
rémunérations correspondent au produit et au marché d'ici.
Le comédien qui joue dans un film québécois peut-il exiger
le même salaire que celui qui joue dans un film français ou
américain? Nous avons mentionné plus haut la
spécificité du marché québécois. Cette
spécificité est telle que le producteur qui dépense 2 000
000 $ pour un film ne peut espérer récupérer plus de la
moitié sur le marché local - et là nous sommes très
généreux. Il lui est à toutes fins utiles impossible de
miser plus que ces 2 000 000 $.
Si les producteurs se voient forcés d'augmenter les budgets pour
répondre aux demandes des artistes et des créateurs, ils devront
se résoudre à tourner en anglais pour augmenter leur part du
marché. Ceci est inévitable, soyons-en tous conscients, c'est une
décision qui se prendra collectivement. Les artistes et les
créateurs auraient intérêt à s'aligner sur le
marché québécois plutôt que sur le marché
américain ou européen. À l'occasion, quand on
vérifie, on réalise souvent que, finalement, les techniciens
européens travaillent à meilleur marché qu'ici et les
créateurs et les auteurs également. (16 h 30)
Un autre problème d'importance, c'est la question des droits de
suite et des droits d'auteur. Présentement, le producteur doit verser
aux artistes et aux créateurs la totalité de ses droits avant
même que l'oeuvre ne soit complétée. Le producteur porte
seul le fardeau. Il serait plus juste d'imaginer un système selon lequel
les droits seraient perçus au fur et à mesure de la vie de
l'oeuvre, par des sociétés de perception de droits d'auteur
efficaces, auprès des différents utilisateurs, qu'il s'agisse de
télévision, de vidéocassettes ou d'autres marchés.
Le système actuel favorise les situations déraisonnables et
ridicules. Juste pour vous donner un exemple: un regroupement de stations de
télévision de Nouvelle-Angleterre serait intéressé
par une production québécoise. Le producteur devrait payer 50 %
du cachet de base aux comédiens, ce qui veut dire, par jour, à
peu près 350 $ plus 175 $, quelque chose comme 525 $, sous
prétexte qu'il s'agit d'une vente aux États-Unis. Il serait
tellement plus logique de mettre sur pied un système de pourcentage sur
les ventes qui ne léserait ni les producteurs ni les comédiens.
Mais ceci ne peut se faire sans la collaboration de tous les
intéressés.
Sur la question des dispostions fiscales, des droits moraux, des lois du
travail, de la sécurité sociale, de la santé et de la
sécurité du travail, les membres de l'APFVQ adoptent une attitude
prudente. S'il est
indéniable que certains droits doivent être
respectés, il faut toutefois éviter le piège du
fonctionnarisme. On a vu jusqu'à quel point la situation confortable des
grandes boîtes comme l'Office national du film du Canada, Radio-Canada ou
Radio-Québec peut paralyser la créativité des
employés. Les exemples sont nombreux d'auteurs qui ont donné le
meilleur d'eux-mêmes une fois sortis du cocon protecteur de ces bottes et
inversement, de créateurs qui se sont endormis dans la
sécurité des gros cachets. L'insécurité n'est pas
une condition essentielle à la créativité, mais elle est
le lot du producteur québécois indépendant. Ceci ne l'a
pas empêché de faire tous les efforts pour développer notre
industrie cinématographique.
En conclusion, l'APFVQ souhaite que les droits des artistes et des
créateurs soient reconnus, mais qu'on reconnaisse également les
droits des producteurs. Il faut que cesse cette hostilité qui monte les
groupes Ies uns contre les autres. La promotion et la défense de la vie
professionnelle des uns ne devraient pas se faire aux dépens de celles
des autres et de celles de la survie du cinéma québécois
surtout francophone. Le dynamisme de l'industrie est fonction des efforts de
tous les artistes et créateurs, y compris les producteurs, et de
l'intégration de leurs énergies. Plus l'industrie sera dynamique,
plus les artistes et créateurs y auront un statut solide. Je vous
remercie.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la directrice
générale. Je cède maintenant la parole à Mme * la
ministre des Affaires culturelles.
Mme Bacon: Merci, M. le Président. Je tiens à
remercier Mme Baillargeon et Mme Carré du travail de réflexion
qu'elles ont mené au nom des producteurs que vous représentez ici
aujourd'hui. Si nous avons voulu tenir cette commission parlementaire, c'est
justement peut-être, pour reprendre vos propres paroles, pour que cesse
cette hostilité et que chacun des groupes vienne ici s'exprimer au
meilleur de ses connaissances et vienne publiquement, sur la place publique,
dire à ses élus ce qu'il pense du statut de l'artiste et du
créateur et nous faire aussi les propositions qu'il juge
nécessaires afin d'améliorer ce statut.
En page 4 de votre document, vous vous prononcez en faveur d'une
recommandation du rapport Fournier qui préconisait la création
d'une école supérieure du cinéma et de la vidéo. Le
rapport Fournier précisait que cette école devrait être
financée par les deux paliers de gouvernement. Est-ce que vous croyez
que le secteur privé serait disposé à s'impliquer dans un
projet pour cette école?
Mme Baillargeon: Oui, nous estimons également, par
exemple, que les stages ou les études ne devraient pas seulement
être au niveau théorique et que les producteurs privés
à ce moment-là pourraient participer aux stages, tout comme
Radio-Canada, Radio-Québec et l'Office national du film du Canada. On
pense qu'on aurait aussi un avantage à participer à cette
école.
Mme Bacon: Vous dites aussi évidemment que les
établissements d'enseignement ne répondent pas à vos
besoins en matière de formation et que ceux qui ont appris les
techniques adéquates les ont apprises aux dépens du producteur.
Quel est votre avis sur la responsabilité du secteur de la production
concernant la formation des artisans?
Mme Baillargeon: Je pense qu'on en a une, surtout dans le moment,
mais qu'elle est très difficile à réaliser parce qu'il y a
toutes sortes de limitations. Dès qu'on sort du corps professionnel, on
risque d'avoir de gros problèmes avec les syndicats. Cela doit se faire
souvent à notre corps défendant, tandis que, si cela devient
vraiment une politique qui pourrait compléter la formation de
l'école, cela deviendra probablement pratique courante et on pourra le
faire plus facilement.
Mme Bacon: Entre une école du cinéma tel que vous
le souhaitez et l'état actuel de la situation, qu'est-ce qui pourrait
être fait, à très court terme, pour améliorer la
situation? Quels sont les besoins les plus urgents? Est-ce l'école
elle-même?
Mme Baillargeon: Vous voulez parler au niveau de...
Mme Bacon: Toujours quant à la formation et au
perfectionnement.
Mme Baillargeon: À court terme.
Mme Carré (Louise): Je pourrais dire que ce sont les
stages de formation pratique, car dans les écoles de cinéma que
nous avons actuellement, en général, les élèves ne
sont pas appelés à pratiquer de façon intensive, soit
leurs techniques, soit leur métier. S'ils pouvaient, avec l'accord des
différents syndicats, participer à des stages avec des
producteurs indépendants ou avec les grandes boîtes de production
que sont les télédiffuseurs ou l'Office national du film, il y
aurait sûrement une amélioration apportée à leur
formation à ce moment.
Mme Bacon: Vous nous dites aussi que les producteurs devraient se
résoudre à tourner en anglais s'ils acceptent les
demandes des artistes et des créateurs. Comme nous nous penchons
sur le statut de l'artiste et du créateur, votre affirmation est
importante pour nous. Est-ce que vous croyez vraiment que l'acceptation de
certaines demandes de la part des créateurs et des artistes soit le
facteur déterminant concernant le tournage en anglais d'un film? Est-ce
que le facteur de l'exiguïté du marché ne serait pas plus
lourd encore que les demandes qui nous sont faites?
Mme Baillargeon: Non, c'est évident que, dans le moment,
avec les restrictions que semblent nous imposer les boîtes comme
Téléfilm Canada et la Société
générale du cinéma du Québec, qui veulent
plutôt restreindre les budgets... Encore une fois, il y a une question de
dire: Est-ce normal de dépenser 2 000 000 $ pour avoir si peu de
rentabilité? C'est assez difficile, pour les gens qui sont en dehors du
cinéma, de comprendre que les films coûtent si cher que cela.
C'est certain que, dans l'état actuel des choses, les coûts
augmentent. C'est toujours le producteur qui doit payer, car il est
obligé de payer. On paie même les droits de suite automatiquement
en tournant. C'est toujours le producteur qui doit payer et la seule personne,
dans le moment, qui doit investir si elle veut lancer un projet, c'est le
producteur. Quand on a un film de 1 400 000 $ et que 20 % sont dirigés
vers la boîte de production, les producteurs qui ont travaillé
entre trois et cinq ans sur un projet et qui se voient obligés de
prendre le risque de tout investir avant de commencer un film - cela arrive
constamment, c'est régulier - sont dans une situation
intolérable. Si, par entente syndicale ou autre, les coûts
augmentent - la pellicule Kodak ne diminuera pas non plus et il faut la payer
ainsi que le laboratoire - c'est toujours le producteur qui écope. Si on
se fait limiter les budgets - et on le veut un peu aussi, car on ne peut pas
vraiment rentabiliser des films qui coûtent trop cher - cela devient
intolérable. La situation actuelle est assez critique. Souvent, on
s'adresse à des gens qui voient les budgets, qui sont dans des
boîtes, mais qui n'ont jamais vraiment vécu ce qu'est faire un
film. Nous, les producteurs, nous sommes aussi passionnés et aussi
tenaces que le réalisateur ou l'auteur. Nous voulons le faire. On part
en disant: Cela n'a pas de bon sens. Ils vont réaliser que cela ne se
fait pas.
Dans le moment, la situation est critique pour le petit producteur
québécois qui ne fait pas de coproduction anglophone. Alors, on
est maintenant obligés continuellement de rêver à avoir une
vedette française et une vedette américaine pour vendre les
films. Par ricochet, ils gagneront peut-être un peu plus cher, mais, par
contre, on devra utiliser les comédiens de l'étranger pour
pouvoir vendre les projets, parce que la rentabilité va devenir une
question obligatoire dans les projets.
C'est assez triste dans le moment, car on va faire du tort; et il va
falloir presque acheter la technique ou l'auteur dont le nom est connu
internationalement pour pouvoir vendre nos produits. Je pense qu'à la
longue ces augmentations de coûts peuvent nous coûter très
cher.
Mme Carré: Ce qu'on souhaiterait également, si vous
le permettez, c'est que les artistes et les auteurs participent à la vie
économique de l'oeuvre en ce sens que, si on acceptait le principe d'une
société de redevance plutôt que de demander aux producteurs
de verser avant le tournage d'un film les droits de suite, si on acceptait de
participer au pourcentage des revenus du film, une fois le film tourné
et une fois sa vie économique en jeu, cela pourrait aider les
producteurs à démarrer de plus nombreux projets.
Mme Bacon: Si je comprends bien, vous me dites que dans la
situation actuelle le producteur verse immédiatement les droits de
suite. Cela se fait-il couramment?
Mme Carré: Oui. Cela peut aller à 60 % des cachets
donnés au moment de la production pour un passage à la
télévision ou pour une vente dans un pays étranger. Cela
varie selon les syndicats, bien sûr. En général, le
producteur verse soit aux scénaristes, soit aux comédiens. Il
achète des droits au moment du tournage, avant le tournage du film. Cela
coûte moins cher comme cela actuellement, mais il
préférerait payer autrement, c'est-à-dire associer les
créateurs à la vie économique de l'oeuvre une fois que
l'oeuvre est terminée.
Mme Bacon: Suivant les succès ou les insuccès?
Mme Carré: Oui.
Mme Bacon: Certains pourraient être étonnés
par vos déclarations, en ce sens qu'il n'y a rien qui permette aux
producteurs de travailler dans la continuité. Je me réfère
à la page 2 de votre mémoire. La prime à la
qualité, la prime de 100 000 $ que le bénéficiaire
reçoit pour des fins d'investissement dans une production
subséquente, n'est-ce pas là une mesure qui favorise la
continuité?
Mme Baillargeon: Disons que la prime revient dans le moment aux
scénaristes ou aux réalisateurs, à un ou deux
réalisateurs. Elle ne revient pas aux producteurs. Par exemple, elle
permet au réalisateur de dire: Pour le prochain film, au lieu de me
payer
75 000 $, vous allez me payer 125 000 $. Comme moi, j'ai le 100 000 $,
il n'y a pas de problème, cela peut être acceptable. Cela devient
certainement un outil de chantage, mais en soi peut-être pas si
négatif que cela. Je pense que bien des réalisateurs ont besoin
à l'occasion d'un coup de pouce. C'est juste que cela prouve le peu
d'intérêt ou le peu de reconnaissance que le gouvernement a envers
les producteurs. C'est un peu comme si on se faisait dire: Ce n'est pas
important, vous faites tellement d'argent que vous n'êtes pas admissibles
à une prime à la continuité. Pas nécessairement par
des primes, mais il y aurait peut-être un autre moyen de
considérer la continuité sans qu'on doive à chaque projet
se battre continuellement. Pour le moment, c'est une situation assez
critique.
Mme Bacon: II faut dire que cette prime doit être
réinvestie. Ce n'est pas un cadeau.
Mme Baillargeon: Non, non.
Mme Bacon: C'est un réinvestissement qui est fait dans le
cinéma.
Mme Baillargeon: Disons que c'est un bon outil pour un
réalisateur pour commencer un autre film.
Mme Bacon: Sur un budget de production, disons, de 2 000 000 $ -
je reprends les chiffres que vous mentionniez dans votre mémoire - quel
serait l'apport financier d'un producteur? Quel serait le pourcentage des
montants qui sont réellement investis, en regard de l'argent qu'ils
reçoivent de la Société générale de
cinéma par exemple, de Téléfilm Canada, des diffuseurs
d'Etat comme Radio-Québec ou Radio-Canada?
Mme Baillargeon: Pour ne pas me tromper, je viens de terminer un
film qui a coûté 1 000 000 $ sur un budget de 1 400 000 $. J'ai
dû investir 329 000 $ comme j'étais l'auteur, le
réalisateur et que c'était ma maison de production. Nous avons
investi pour tous les coûts. Il y avait 15 000 $ payés à la
scénarisation et le reste a tout été investi au
départ dans la production. Nous avons donc dû vivre à
quatre personnes dans un bureau et le bureau lui-même doubler le travail,
c'est-à-dire prendre des postes que nous aurions pu donner à
d'autres, en plus de notre travail pour être capables de gagner 19 000 $
l'année dernière. C'est la situation. Je donne cet exemple parce
que je suis au courant. Je ne suis pas la seule comme cela. Il y a
énormément de petites et de moyennes entreprises qui doivent
prendre ce genre de risques pour démarrer des projets.
Mme Bacon: Est-ce du capital, de l'argenc comptant ou des
services quand vous parlez de cela?
Mme Baillargeon: Pour les gens, c'est une question que je trouve
tellement bizarre. Si on gagne 50 000 $ par année, on ne se le prend
pas... Pour moi, c'est de l'argent comptant. Alors, c'est de l'argent, c'est le
coût de la maison de production, c'est le coût de quatre personnes,
c'est le coût d'avoir écrit pendant deux ans et d'avoir
essayé de monter un projet. Pour moi, c'est de l'argent comptant.
Peut-être que si nous étions payés raisonnablement on
dirait: On va enlever les 100 000 $ et, si on a juste l'autre partie, on peut
vivre quand même, on peut survivre. Mais, pour le moment, cela oblige des
maisons de production à se poser des questions pour voir si elles
doivent continuer à faire des longs métrages francophones. (16 h
45)
Mme Bacon: La pratique de demander aux artistes et aux
créateurs d'investir une partie de leur rémunération dans
une production est-elle courante ou si ce sont des choses auxquelles on
s'attend dans un avenir rapproché? Qu'est-ce que représentent ces
sommes différées dans un budget de production? Qu'est-ce qui
arriverait si la production ne connaissait pas un succès commercial?
Mme Baillargeon: Avant, c'est comme cela que beaucoup de projets
ont été montés. C'est peut-être comme cela aussi
qu'on en est venu à mal s'entendre. Il y a beaucoup de comédiens,
beaucoup d'artistes qui ont été frustrés parce qu'on leur
disait toujours: Vous allez gagner 5000 $ et on va en différer 15 000 $.
Dans leur tête, le fait de différer les rendait certains qu'ils
reverraient leurs 15 000 $ et ils ne les ont jamais revus. Je ne pense pas que
c'était de la mauvaise volonté de la part des producteurs mais
c'était la seule façon à ce moment parce que la masse
d'argent était beaucoup plus minime.
Aujourd'hui, c'est quelque chose qui se fait beaucoup moins au
cinéma francophone. On doit payer les artistes. Les seules personnes
à qui on peut demander d'investir, c'est nous, c'est le producteur,
c'est la maison de production, ce sont les gens avec qui nous travaillons.
Autrement, maintenant avec les syndicats, c'est très difficile. Je pense
qu'une autre façon serait par les dispositions fiscales. Dans le moment,
quand on parle de déductions fiscales, on pense toujours aux gens riches
qui doivent devenir plus riches. On dit: Si les gens riches pouvaient investir
dans le cinéma, etc. C'est toujours la façon qu'on envisage.
Pourquoi ne pourrait-on pas penser que les artistes pourraient devenir plus
riches et évaluer un
système d'avantages fiscaux qui leur permettrait d'investir dans
le cinéma, autant les techniciens ou les artistes, les créateurs
et nous? À chaque fois qu'on parle "de déductions fiscales, il
s'agit de savoir qui s'enrichira: le courtier, l'avocat, le fiduciaire et la
personne riche qui doit ne pas payer d'impôt au gouvernement. On est
plusieurs à trouver que cette situation est un peu bizarre. Pourquoi ne
verrait-on pas à ce qu'ils aient vraiment des avantages fiscaux pour les
impliquer directement dans les projets? Ils pourraient peut-être devenir
riches un jour et on pourrait être très fier.
Mme Bacon: Est-ce que vous suggéreriez qu'on fasse la
même chose qui est faite pour les producteurs? La déduction
fiscale de 15 %, par exemple, qui est accordée...
Mme Baillargeon: Dans le moment, oui. Dans le moment, la
déduction fiscale est presque... Si je devais gagner 75 000 $ dans un
film, c'est très avantageux parce que j'en gagnerai seulement 25 000 $,
j'aurai droit à une déduction de 50 000 $... C'est
complètement ridicule parce que je dois dire que j'ai gagné 75
000 $ et je déduis 50 000 $. Au provincial, parce que c'est 100-50, cela
peut être avantageux, mais au fédéral c'est 50-50 et cela
ne devient plus avantageux. On ne peut même pas s'en servir, ce n'est
vraiment pas avantageux. je ne suis pas une fiscaliste, mais je pense qu'il y
aurait des personnes assez savantes pour trouver des moyens qui font que,
finalement, quand on dit à un artiste: On te paie 15 000 $, les 10 000 $
seront investis, que ce ne soit pas juste dire: Sur ton impôt tu peux
gagner 25 000 $ et déduire 15 000 $. Il faudrait trouver une autre
façon parce que cette façon n'est absolument pas avantageuse pour
les personnes impliquées. Elle est avantageuse pour la personne qui est
riche et qui doit trouver tous les moyens pour avoir des déductions,
mais pas pour les gens dans la situation actuelle.
Mme Bacon: Dans le cas de la révision de la Loi sur le
droit d'auteur, le Québec a demandé au gouvernement
fédéral que les personnes ayant contribué à une
oeuvre audiovisuelle soient les bénéficiaires du droit d'auteur
selon leur contribution respective sous réserve de la reconnaissance
législative au producteur d'une licence exclusive d'exploitation de
l'oeuvre audiovisuelle pour les fins négociées. Le producteur
serait alors le gérant de l'ensemble, des droits sur la production
audiovisuelle. Comment réagissez-vous à cette position?
Mme Baillargeon: Je pense que cela revient encore à ce que
les auteurs, les scénaristes, plus particulièrement, et les
réalisateurs sont tellement certains qu'on fait de l'argent qu'ils se
battent pour cela. C'est un peu cela. C'est tellement difficile à
expliquer, quand on n'a pas la bosse des chiffres, de dire aux gens: Si vous
avez fait quelque chose qui coûte 500 $, vous devez faire 200 $ de
profit, 700 $... Pour faire de l'argent, il faut que vous le vendiez 800 $.
Avant cela, vous ne faites pas un sou.
Quand un film a coûté 2 000 000 $, pour dire qu'on fait de
l'argent, il faudrait faire 2 000 001 $. On ne le fait jamais. La
récupération est entre 5 % et 7 % dans le moment. D'expliquer
cela j'ai essayé souvent jusqu'à temps de dire: C'est fini. Je
compte et tu réalises, tu produis ou tu écris; sans cela, on n'en
finit pas. Je pense que, finalement, c'est un peu cela. C'est là qu'est
le problème. Ce serait peut-être avantageux, quand ils seront
attachés à l'oeuvre et qu'il y aura des revenus, de dire qu'ils
reçoivent l'argent, mais on le fait continuellement. On se débat
dans des contrats pour leur expliquer qu'il ne faut pas trop perdre de temps
parce que, probablement, on va se partager 5,00 $ à trois. Ne perdons
pas trop de temps. Je sais que le droit d'auteur, présentement - parce
que je suis aussi réalisateur et j'écris - mais je ne veux pas
perdre trop de temps là-dessus, parce qu'une foi3 que tu as
reçu... Sur un film de 2 000 000 $, on peut recevoir entre 50 000 $ et
100 000 $ pour écrire, quelque chose dans le genre. Je pense
qu'après cela il n'y aura plus beaucoup d'argent qui va venir;
peut-être de petits montants. Je pense que, de dire aux producteurs
qu'ils seront gérants et que cela va être et l'auteur et le
réalisateur, et, ensuite, il y aura le compositeur, et ensuite il y aura
le comédien, et ensuite il y aura le technicien qui diront! Nous autres,
on va vous dire quoi faire... Je pense qu'une fois que tu es producteur tu as
gagné une certaine crédibilité d'organisation, de
planification et d'administration. Je crois que cela devrait être
respecté.
Mme Bacon: Est-ce que les possibilités d'aide venant de la
SGC, par exemple, sont suffisantes par rapport aux besoins du milieu?
Mme Baillargeon: Disons qu'elles sont douloureuses. C'est le
premier adjectif qui me vient. Je pense que le plus difficile, c'est certain
que nous sommes des clients de la Société générale
du cinéma du Québec en tant que producteurs, mais il faut
toujours recommencer et on a l'impression, dans le moment, avec la masse
monétaire qui a augmenté autant à Téléfilm
Canada qu'à la Société générale du
cinéma du Québec, que tout le monde produit. Nous, notre travail,
il est quintuplé, car on doit le refaire avec la
télévision, on doit le refaire avec la
Société générale du cinéma, qui est d'une
couleur différente de Téléfilm Canada.
Dans le moment, le travail du producteur est assez intolérable,
parce que tout le monde dans ces sociétés voudrait produire. Ils
ne sont pas là pour produire, ils sont là pour voir si on a une
crédibilité, si on a été accepté en tant que
maison de production. On a l'impression, dans le moment, d'être vraiment
tous un peu malhonnêtes et qu'on est surveillé comme des gens
malhonnêtes.
Mme Bacon: ...
Mme Baillargeon: Je pense que, dans le moment, on a acquis une
certaine compétence et, selon nos maisons, on peut avoir accès
à une certaine limite d'argent, mais, une fois que c'est entendu, qu'on
nous laisse faire notre travail. Dans le moment, on se perd dans une
infinité de détails, de rencontres. Les gens veulent parler aux
scénaristes, aux réalisateurs, et le scénariste et le
réalisateur sont complètement mêlés. Dans le moment,
la situation devient assez difficile à vivre pour les producteurs parce
qu'on doit répondre à trop d'intervenants.
Mme Bacon: Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Mme Baillargeon, Mme Carré, j'écoute
attentivement ce que vous nous dites et j'ai lu votre mémoire. Je
comprends, je pense bien, les problèmes que vous vivez, qui sont surtout
des problèmes de risques. Je pense que vous l'avez cerné de
façon assez éloquente. Mais, à mon point de vue, ce que
vous décrivez quant aux problèmes de risques, n'est-ce pas
exactement ce que vivent également les auteurs, les acteurs?
Mme Baillargeon: Est-ce que vous trouvez que notre risque est
différent de celui de l'auteur?
M. Boulerice: Je dis que l'auteur et l'acteur vivent
également des risques de même intensité. Est-ce que vous
pourriez m'indiquer, pour chaque dollar que vous investissez, le pourcentage de
subvention que vous recevez pour une production?
Mme Baillargeon: Le pourcentage qui va au...
M. Boulerice: Pour chaque dollar que vous investissez...
Mme Baillargeon: Oui?
M. Boulerice: ...dans une production, quelle est la part de la
subvention qui vous est accordée?
Mme Baillargeon: Récemment, sur les projets auxquels je
peux penser... Vous voulez dire l'investissement par subvention. C'est ce que
vous voulez dire, les investissements de la société
Téléfilm Canada? Notre investissement peut aller facilement au
cinquième du budget.
M. Boulerice: D'accord.
Mme Carré: II faut comprendre aussi que, lorsqu'un
producteur montre le financement d'un long métrage, il s'adresse bien
sûr aux deux grandes sociétés d'État, soit
québécoise ou fédérale. II doit également,
la plupart du temps, s'adresser à des investisseurs privés pour
lui aider à compléter ce financement qu'il est personnellement
incapable de faire, puisque ça lui demande des sommes trop
énormes. C'est également du travail acharné qu'il doit
faire pour se trouver des investisseurs dans le privé qui investissent
dans le cinéma grâce aux allocations de coût en capital,
c'est-à-dire que c'est profitable pour eux, pour l'impôt, si vous
voulez.
M. Boulerice: Vous dites dans votre mémoire que, si un
film devient un très gros succès, le producteur
récupérera au maximum 30 % de son investissement, ceci à
cause du marché restreint, et que l'autre 70 % devrait être pris
sur le marché extérieur ou étranger, peu importe comment
on l'appelle. Vous dites que, récemment, deux ou trois films
québécois ont impressionné les publics étrangers
à cause de leur grande qualité. La question que je vous pose est
celle-ci: Est-ce qu'ils ont fait leur frais pour autant?
Mme Baillargeon: Jamais de la vie.
Mme Carré: Si on parle de récemment, il est trop
tôt pour pouvoir porter un jugement sur les frais parce que cela prend au
moins cinq ans avant de pouvoir analyser le rendement des films. Mais
dernièrement, je pense que le succès dont on peut parler, c'est
"La Guerre des tuques", et il faudrait voir. Je pense qu'il y a des chiffres
là-dessus qui sont rentrés et qui commencent à être
assez complets parce que la plupart des télévisions
intéressées l'ont déjà acheté. Mais, quand
il s'agit de sortir les films en salle à l'étranger, c'est
très rare. Les sorties en salle à l'extérieur du pays sont
très rares comme nous, vice versa, c'est aussi très rare. Qu'un
film hongrois fasse un succès en salle ici, par exemple, c'est
très rare. Il reste la télévision qui paie très
peu, quand même.
M. Boulerice: La télévision paie très peu.
Exception faite des productions des cinq dernières années,
puisque cela semble être le temps qu'il faut pour mesurer les
retombées, au préalable, d'après vous, combien de films -
je ne vous demande pas de me dire qu'il y en a exactement 4 ou 22, mais un
ordre de grandeur quand même - ont une carrière assez importante
pour pouvoir apporter des bénéfices aux producteurs?
Mme Baillargeon: Je pense que le seul film que je connaisse est
"Deux femmes en or" qui, apparemment, a coûté très peu
d'argent parce qu'à ce moment-là les comédiens
étaient payés assez peu et que faire un film, c'était un
peu une aventure entre amis. Alors, le coût de cette aventure a
été très peu élevé. Seulement, c'est
là, peut-être, que les artistes peuvent se sentir
lésés parce que les profits, comme les ententes étaient
bien différentes, ne sont revenus ni aux comédiens, ni aux
techniciens. On n'a pas dit: Maintenant qu'on fait de l'argent, on va vous
redonner de l'argent. S'ils ne l'avaient pas signé, c'était
terminé. C'est tout. C'est peut-être le producteur qui a fait
l'argent là-dessus.
M. Boulerice: Oui.
Mme Baillargeon: Mais, à ma connaissance, je pense que
"Deux femmes en or", parce que cela a coûté très peu
d'argent, a été un des seuls films qui a eu une certaine
rentabilité.
M. Boulerice: Mme Baillargeon, à la page 4, vous avez dit
que, si les producteurs se voyaient contraints d'augmenter les budgets pour
répondre aux demandes des artistes et des créateurs, il n'y
aurait pas d'autres solutions pour eux que de tourner en anglais pour augmenter
leur part du marché. Vous dites que c'est inévitable. Je m'excuse
de l'interruption. Pourquoi, à ce moment-là, ne parlez-vous pas -
je ne pense pas que se tourner vers la production anglaise soit uniquement la
seule solution - de coûts de production ou de la possibilité de
doublage peut-être pour élargir le marché?
Mme Baillargeon: Est-ce que vous m'adressez la parole?
M. Boulerice: Bien, à vous ou à votre
collègue. (17 heures)
Mme Baillargeon: Soit moi ou Mme Carré. Je pense que
tourner en anglais, cela revient à une question de rentabilité.
Si les coût augmentent à 3 000 000 $, 4 000 000 $ ou 5 000 000 $,
on sait que, dans le moment, on n'a pas de vedettes qui peuvent nous rapporter
une rentabilité. On ne peut, sur une vedette ici... On n'a même
pas de "star system". On l'a déjà eu et, après, cela a
été assez éliminé. Alors, il faut engager une
vedette américaine pour avoir accès... Bien sûr, à
côté, on a les États-Unis avec leurs 250 000 000 de
population et c'est très tentant de tourner en anglais parce que les
coûts de base seront les mêmes, et là on court une chance de
faire plus d'argent et de vendre plus facilement. Alors, vraiment, certains
producteurs, qui sont pour la plupart tous bilingues, peuvent monter une
production, mais ce serait dommage pour les comédiens francophones. Ce
n'est pas notre souhait, mais on en vient vraiment à cette
réalité. On se fait même dire à l'occasion:
Peut-être un anglais et deux francophones, et on va peut-être s'en
tirer. Personnellement, je vis au Québec et j'aimerais bien continuer
à tourner des films en français et je ne suis pas la seule.
M. Boulerice: II n'y a pas d'ouverture en coproduction, ni de
possibilité de doublage?
Mme Baillargeon: J'ai envie de répondre: Pour ce qui est
du doublage, nos voisins les Américains, qui sont 250 000 000, refusent,
la plupart du temps, d'acheter des films doublés, que ce soit pour la
télévision ou le marché de salle. Le premier film vraiment
doublé qui a réussi à percer le marché
américain est "La guerre des tuques". C'était vraiment une
percée, c'était un exploit pour un producteur
québécois de doubler un film en anglais et de réussir
à le vendre aux États-Unis. On espère que cela va ouvrir
la voie. Cela demeure du film pour toute la famille. Si on parle des
réseaux de télévision américains qui, eux,
achètent beaucoup surtout de nos voisins ontariens, ils refusent, pour
la plupart, d'acheter des versions doublées. C'est le marché.
M. Boulerice: Vous parlez de nos voisins américains. Je me
rappellerai toujours cette anecdote pour le Québec: Si loin de Dieu et
si près des Américains.
Mme Carré: La France également demande de doubler
les films. "Le matou" doit être doublé en France. C'est absolument
incroyable! Ils n'acceptent pas.
M. Boulerice: Quand on a parlé tantôt d'assumer...
Ce sera ma dernière question, M. le Président, parce que je vois
les signes que vous me faites.
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Saint-Jacques, je changeais de position sur mon fauteuil; je ne vous faisais
pas de signe du tout. Vous avez tout le temps dont vous avez besoin.
M. Boulerice: Je m'excuse de vous
avoir mal interprété. Vous voyez ce monde des
interprétations quelquefois qui vont vers la subtilité. N'est-ce
pas, M. le député de Beauce-Nord?
Quand on parlait tantôt de partage de risques, vous avez
relié cela aux droits de suite, aux droits d'auteur, en disant - si je
me rappelle bien, c'est en page 5, c'est cela - que "le producteur doit verser
aux artistes et aux créateurs la totalité de ces droits avant
même que l'oeuvre ne soit complétée." Vous avez
répondu à Mme la ministre, si ma mémoire est
fidèle, que vous préfériez plutôt un pourcentage.
C'est cela?
Mme Carré: Oui. Un pourcentage qui serait perçu au
moment des ventes. Autrement dit, quand on fait une vente on pourrait payer les
droits à ce moment-là. Présentement, on les paie à
l'avance. Dans le moment, surtout avec les ententes qu'on a avec les artistes,
on paie au moment du tournage.
M. Boulerice: Il y aurait donc une compensation similaire
après.
Mme Carré: Oui, si on vend. Bien sûr.
M. Boulerice: C'est vrai que cela revient encore à cela,
mais, comme vous avez parlé de ceux qui sont plus près de nous
que de Dieu, en quoi est-ce déraisonnable qu'un producteur paie 50 % des
cachets dé base aux comédiens lorsqu'il s'agit d'une vente aux
États-Unis?
Mme Carré: Bon, c'est ce qu'on...
M. Boulerice: Vous avez bien précisé aux
États-Unis à ce moment-là.
Mme Carré: Oui. Disons que la télévision en
Nouvelle-Angleterre paiera peut-être une bagatelle pour acheter un film,
mais pourquoi négliger de vendre en Nouvelle-Angleterre?
Déjà, on fait une vente aux États-Unis, on voudrait bien
le vendre, mais si on le vend à CBS ou à NBC, c'est une autre
histoire. Si on vend à un petit groupement de la Nouvelle-Angleterre et
qu'on doit payer la même chose que si on vendait à NBC ou à
CBS, à ce moment-là, on trouve cela déraisonnable. On
voudrait pouvoir revenir aux artistes et dire: On peut faire une vente à
tant, à 5000 $ ou 6000 $, ce sont des montants qui sont assez minimes,
et on pourrait déposer tant à votre association de perception, si
vous voulez. On pourrait s'entendre là-dessus, mais si, pour le faire,
on doit payer 50 % des cachets, cela va revenir plus cher que le prix de la
vente; alors, on ne fera pas la vente, ce qui est un peu dommage.
M. Boulerice: D'accord. Je vous remercie beaucoup, mesdames.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques.
Mesdames, même si vous dites que les mythes ont la vie dure,
à vous voir cet après-midi, on n'a pas devant nous,
évidemment, des producteurs milliardaires, avec un gros cigare. Les
grosses voitures, je ne saurais en juger, puisque je n'ai pas vu vos
voitures.
Cela étant dit, je reprends, aux pages 2 et 6, deux de vos
commentaires. Le premier, quand vous dites: "Et pourtant, le producteur
québécois est sans doute le moins gâté des maillons
de la chaîne", on a déjà entendu cela, mais venant de la
part d'autres groupes que de celui des producteurs. Vous dites au même
paragraphe: "II n'y a rien qui permette aux producteurs de travailler dans la
continuité". Et, à la fin, à la page 6, dans votre
conclusion, tout en souhaitant que les droits des artistes et des
créateurs soient reconnus, vous souhaitez "qu'on reconnaisse
également les droits des producteurs."
J'aimerais vous entendre sur cela. Vous l'avez fait depuis le
début, mais il me semble - je me permets de le dire peut-être
brutalement - que vous noircissez une situation qui, dans mes vues
béotiennes sur le sujet, m'apparaît, tout au plus, une situation
grise.
Mme Carré: Non, je ne pense pas qu'elle soit si grise que
cela. Je pense qu'il y a de gros producteurs, enfin en apparence; on ne sait
jamais s'ils sont vraiment gros ou pas gros, mais il y en a qu'on
connaît. Les gens reviennent toujours avec cela. Je pense qu'ils ont une
raison d'exister et qu'ils apportent certainement beaucoup de masse salariale
dans le milieu. Les gens qui veulent travailler pour ces gens-là sont
libres de le faire.
Je pense que la plupart des producteurs québécois ont
à coeur de faire un film de qualité, que le gouvernement est fier
d'envoyer dans les festivals pour le représenter. Le ministère
des Affaires intergouvernementales se sert continuellement de nos produits pour
faire la publicité du Québec. On est quand même une ligne
de politique qui n'est pas inintéressante. Mais la plupart des petits
producteurs, s'ils ont la chance d'avoir un budget complet pour un film,
c'est-à-dire en ayant obtenu l'apport des courtiers ou en ayant
réussi à réunir la Société
générale du cinéma, Téléfilm Canada et
l'Office national du film du Canada, cette année-là -
peut-être pour 18 mois - seront moins malheureux parce que cela leur
permet d'avoir leur bureau, de se développer et de continuer. Pour la
plupart des autres producteurs qui sont jeunes - il y en a plusieurs qui sont
jeunes dans le métier, c'est quand même un métier qui
s'est
beaucoup développé - qui ont de bonnes
possibilités, de bonnes idées, c'est très difficile parce
que, continuellement, tu as l'angoisse de te demander si les trois personnes
qui travaillent avec toi, à un moment donné, tu ne seras pas
obligé de leur dire: Bonjour - ces jeunes tu les as formés,
entraînés - on est obligé de fermer. À un moment
donné, on n'est pas bêtes, on pourrait aller travailler, nous
aussi, dans d'autres boîtes et se faire des salaires drôlement plus
intéressants. Je pense que la notion de risque, la notion de
rentabilité pour la plupart des producteurs, dans le moment, est
très difficile.
Maintenant, vous allez avoir un producteur qui fait de la pub. C'est un
autre métier, c'est un autre domaine qui est très rentable pour
le comédien. Comme je n'en fais pas personnellement, je ne peux pas
exactement vous le dire, mais c'est un domaine qui est très
intéressant pour les comédiens. Mais, pour le long métrage
francophone de cinéma, ce n'est vraiment pas le cas.
Le Président (M. Trudel): Cela m'amène à une
autre question, parce que vous venez d'y toucher. Tout au long de votre
mémoire, on constate, à la lecture, que vous parlez à peu
près uniquement, sauf erreur - je l'ai relu tantôt, tout en vous
écoutant - de longs métrages. Vous avez parlé tantôt
de publicité, je peux vous parler de vidéo, de vidéoclips
et de tout cela. Je rattacherais cette question à une dernière
qui est celle de la formation.
On a parlé - s'il y a vraiment un sujet qui fait
l'unanimité dans le milieu du cinéma, c'est bien cette question
de la formation, d'une école et de tout cela - de cette formation, de
cette école comme devant former des cinéastes, etc. On pense
aussi à tout le domaine du vidéo qui est plus nouveau, qui est un
domaine d'avenir.
Mme Carré: Je pense qu'il est entendu qu'on
désirerait une école de cinéma et de vidéo. Je
pense que maintenant on ne peut pas négliger la
télévision. La télévision, pour les gens qui en
font, c'est parfois très rentable - cela pourrait être rentable,
c'est une autre question - si on fait une émission de
télévision, une série qui peut intéresser
l'étranger. Il y a des émissions de télévision qui
doivent être faites et qui n'intéressent que le public
québécois, mais qui coûtent le même prix à
faire ou presque. Ce n'est quand même pas un domaine qu'on devrait
négliger. Je pense qu'il y a des spécificités qu'on ne
devrait pas négliger quand on fait des produits.
Pour ce qui est de la publicité, il est certain que c'est un
domaine rentable. Je ne pense pas que vous verrez des artistes se plaindre de
faire de la publicité. Ils aimeraient mieux faire les mêmes
montants d'argent en faisant du cinéma, bien sûr; je suis certaine
de cela.
Pour ce qui est de l'école, dans le moment, en tant que
producteurs, on s'aperçoit qu'il y a un manque parce que, malgré
le peu d'argent qu'on fait, nous sommes presque devenus l'ONF dans le
privé, mais non payés. Énormément d'auteurs, de
jeunes réalisateurs viennent et ils ont du talent. Ils nous apportent
des choses qui sont vraiment... Mais si on doit dépenser 5000 $ ou 3000
$ pour essayer de leur en avoir 2000 $ peut-être pour travailler,
à un moment donné, nous aussi ne sommes plus capables. Comme nous
n'avons pas une espèce de continuité, que nous n'avons pas un
fonds, dans le moment nous sommes incapables de faire cela. On refuse en
disant: Allez vous plaindre à la Société
générale du cinéma, plaignez-vous pour que les gens
réalisent qu'il y a un manque; sans cela, c'est nous qui allons faire du
service social. Dans le moment, c'est certain que j'ai énorment de
sympathie pour les jeunes auteurs parce qu'ils n'ont pas de place. Le pire,
c'est quand ils nous arrivent des écoles, on dit: Oh non! Ils ne vont
pas nous arriver avec un film de Concordia encore! Alors, qui est-ce qu'on
forme? On forme des gens pour, après, les envoyer travailler dans la
construction? Il y a certainement un grand malaise de ce
côté-là. L'école et l'industrie privée ont un
rôle à jouer pour que, quand quelqu'un sort d'une école, il
soit au moins respecté. Dans le moment, on se demande où on va
les envoyer. On dit: Cela, c'est un film d'étudiant. C'est
négatif. On n'a jamais vu cela en Tchécoslovaquie ou des gens qui
sortent de l'IDHEC ou de l'école de Bruxelles. Dans le moment, c'est
à ce point-là. Je pense que la situation est quand même
assez critique pour les jeunes et je pense que plus tard ils nous en voudront
de ne pas avoir eu plus de vision.
Le Président (M. Trudel): Merci. J'ai une dernière
question. Je vous redonnerai la parole, M. le député de
Saint-Jacques. Les réalisateurs réclamaient, dans leur
mémoire que vous avez sans doute lu, d'être
considérés comme les auteurs de leurs films. J'aimerais avoir vos
commentaires.
Mme Carré: Je n'ai pas d'objection si je pouvais leur
donner toutes les responsabilités et aussi les risques. Mais tout
simplement, lorsque nous, en tant que producteurs, devons vendre un film, il
faut en être l'auteur ou on ne pourra pas le vendre. Personnellement, je
suis réalisateur aussi et je participe à l'occasion, mais comme
je suis producteur, parfois c'est ambigu, on peut difficilement se prononcer.
Moi, je n'ai jamais compris. Je n'ai pas d'objection à ce que les gens
soient reconnus
comme auteurs sur le papier, mais si on n'a pas les droits d'auteur, on
ne peut pas vendre le film. Alors, c'est quoi, être un auteur? Bien
sûr que, pour moi, un auteur, c'est le réalisateur. La plupart des
producteurs sont conscients de cela. La preuve, c'est que, lorsque le film est
bon, c'est le film du réalisateur; quand il est mauvais, c'est
ordinairement celui du producteur. Je pense que vraiment, on n'a pas
d'objection à ce que, en principe et en théorie, le
réalisateur soit l'auteur. Je pense que sur papier, légalement,
il nous faut les droits pour pouvoir vendre. La Société
générale du cinéma et Téléfilm Canada ne
nous donneront pas la possibilité de produire le film si on n'a pas les
droits pour le faire. II y a une espèce d'ambiguïté et
parfois j'aimerais questionner les gens qui disent cela. Maintenant, je le
pense encore, c'est peut-être une question monétaire; je ne
comprends pas. Je n'ai pas d'objection à ce qu'ils soient auteurs, mais
pour moi le réalisateur a toujours été l'auteur d'un film.
Cela en vient à des détails. Quand vous payez un auteur 250 000 $
- cela s'est vu dernièrement - est-ce que le producteur qui s'implique
financièrement, qui risque sa maison et qui risque
énormément peut dire: Écoutez, si avec tel montant, je ne
peux pas vendre le film, je me garde le droit de faire des corrections? Je
pense que c'est du gros bon sens, comme le dirait ma grand-mère. Je
trouve cela assez compliqué, cette question et pas compliqué en
même temps.
Le Président (M. Trudel): Moi aussi, madame. C'est pour
cela que je vous pose des questions. Merci. M. le député de
Saint-Jacques, est-ce que vous voulez toujours poser les questions que vous
aviez tantôt?
M. Boulerice: Mme la députée de
Vachon voulait poser une question. Alors, je n'ai aucune objection
à attendre qu'elle pose sa question.
Mme Pelchat: D'accord. Mme Carré, j'aimerais que vous
m'expliquiez comment on devient producteur ou productrice.
Mme Carré: Aujourd'hui, c'est un peu comme les auteurs.
C'est un peu un concours de..
Mme Pelchat: C'est-à-dire?
Mme Carré: On a appris, on est des autodidactes, nous
aussi. Je pense que certaines personnes ont travaillé dans d'autres
métiers. Il y en a qui ont été directeurs de la photo ou
plutôt du côté de la régie ou de l'assistanat. Ils se
sont vu une facilité pour devenir administrateurs et producteurs
finalement et ils ont choisi de le faire. D'autres ont travaillé
à l'ONF, comme je l'ai fait, ont travaillé en production
énormément et ont pris la chance d'aller dans l'industrie
privée parce que, finalement, on trouvait les boîtes un peu
difficiles à bouger et on a voulu faire des choses. (17 h 15)
Mme Pelchat: Qu'est-ce qui était attirant au plan de la
production?
Mme Carré: Je pense que, en tant que cinéaste au
féminin, c'est tout simplement que les gars n'étaient pas
tellement intéressés à nos affaires et on s'est dit: Si on
ne le fait pas, qui va le faire? Personnellement, j'ai ouvert la boîte
pour cela; pour les autres, je pense que c'est une passion pour le
cinéma. Je pense que la plupart des producteurs que je connais aiment
beaucoup le cinéma et, finalement, comme ils ont des facilités
dans la planification, dans l'administration et tout ça, ils se sont
dirigés vers ce domaine, ne se sentant pas particulièrement
intéressés par la direction de la photo ou la réalisation
ou la scénarisation.
Mme Pelchat: Est-ce que vous pensez que les problèmes que
vivent les producteurs sont dus au trop grand nombre de producteurs? Est-ce que
la concurrence est trop grande?
Mme Carré: .Dans notre pays, où on est cinq
millions, où on n'est pas finalement des gens qui ont vécu
économiquement d'autres métiers ou de façon technique, je
pense qu'on s'est inscrit dans cette Amérique du Nord en tant que
francophones en disant: On existe, on est là. Pour le faire, je pense
qu'on a écrit plus que n'importe qui, on a chanté plus que
n'importe qui et probablement qu'on produit plus que n'importe qui. C'est notre
façon d'exister, je pense; en tout cas, c'en est une bonne. Quand on se
promène dans le monde avec nos films, je dois dire que c'est une
façon de s'installer dans le monde dont on peut être fiers.
Mme Pelchat: Ce matin, M. Gélinas, représentant des
réalisateurs, à une question du député de Viger, M.
Maciocia, a expliqué qu'il y avait probablement confusion quant aux
producteurs en ce qui a trait à la définition des droits
d'auteur. À la page 5 de votre mémoire, quand vous dites que vous
devez verser d'avance les droits d'auteur -il en a été question
avec Mme la ministre et le député de Saint-Jacques - M.
Gélinas prétendait que vous confondiez les droits d'auteur et les
cachets. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Carré: Les droits d'auteur de 50 % à la page 5
se réfèrent actuellement aux comédiens et non pas aux
auteurs-réalisateurs. Dans le moment, avec les
réalisateurs, on paie ordinairement une somme globale qui n'est
quand même pas assez élevée pour les années qu'ils y
passent et le peu de films qu'ils font. C'est certain que
réfléchir sur une situation, la représenter au
cinéma, attendre son tour pour pouvoir faire son film et gagner 40 000 $
- quand on le gagne - ce n'est quand même pas beaucoup. Je suis d'accord
avec le réalisateur sur la difficulté de réaliser plus.
Les gens doivent faire un peu d'autres métiers et n'ont souvent pas le
temps de réfléchir autant et aussi bien qu'ils l'aimeraient sur
la situation. C'est une question probablement d'être plusieurs. C'est une
jungle un peu.
Mme Pelchat; Merci.
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Saint-Jacques assez brièvement, s'il vous plaît.
M. Boulerice: Dans la tradition parlementaire, M. le
Président, une brève question additionnelle.
Le Président (M. Trudel): Sans préambule, M* le
député.
M. Boulerice: Sans préambule. Ce matin, je faisais
état d'un article intéressant, mais décevant, somme toute
quand même, du journal Le Soleil du samedi 24 mai, où Richard
Lavoie, qui est un cinéaste que vous connaissez bien, déclarait
qu'il s'établissait à Montréal et disait: "Québec,
ville mourante artistiquement". J'aimerais connaître de votre part
l'évaluation que vous avez de la situation en régions en regard
de votre profession.
Mme Carré: Je connais Richard Lavoie et je le comprends
d'avoir de l'amertume, parce que c'est certain que, quand on a travaillé
à Québec et qu'on doit s'en aller à Montréal pour
continuer son métier qui ne sera pas plus facile, c'est quand même
assez triste. Mais je pense aussi que, dans le petit pays que nous avons,
établir et avoir différents postes de production, cela voudrait
dire, dans le fond, des laboratoires. Être loin de tout cela, je trouve
cela quand même difficile. Je pense qu'il y a certains sacrifices, une
certaine discipline qu'on doit s'imposer en tant que Québécois
pour nous permettre d'exister et de survivre. Si Richard s'en vient à
Montréal, je pense et j'espère qu'il pourra trouver la
façon de tourner à Québec et de tourner en régions.
Ça, c'est un autre problème, d'aller voir le Québec
ailleurs qu'à Montréal. Parce que, dans le moment, c'est
ça; pour économiser, on dit: On va tourner dans la cour chez
nous, on n'a pas besoin de payer de per diem, on n'a pas besoin de payer de
transport. Ce serait une autre façon d'encourager les régions.
Plutôt que de dire: On va ouvrir des centres de production ailleurs,
peut-être pourrait-on quand même avoir le centre à
Montréal, mais voir à ce que les régions, dans nos films,
soient représentées et que les jeunes artistes qui s'y trouvent
puissent participer à ces projets.
Vous verriez difficilement quelqu'un s'installer à Hearst, en
Ontario, ou dans une petite place aux États-Unis pour faire du
cinéma. Si tu veux faire du cinéma, tu te diriges soit vers New
York ou vers Los Angeles. Même à Chicago ou à Boston, ce
sont des choses difficiles à faire.
Je pense qu'il y a certains sacrifices à faire, et on essaiera de
souhaiter la bienvenue à Richard à Montréal.
M. Boulerice: Peut-être pour le cinéma dans son sens
- vous allez m'excuser d'employer le mot - hollywoodien, dans le sens de grand
film, mais, puisque vous représentez quand même la vidéo,
pour ce qui est de la vidéo, je pense que la situation est
peut-être un peu différente et on ne peut pas appliquer le
même raisonnement que vous faites. Il est peut-être utile d'avoir
une expertise en régions et de ne pas se concentrer dans un centre de
production unique.
Mme Carré: Mais je pense que, dans le moment, il y a quand
même des centres -c'est dommage, à Radio-Québec, on entend
dire que vous allez en fermer - et pour être de la région de Sorel
où je vois la télévision communautaire s'installer, je
pense qu'elle a une raison d'exister. Je pense que les gens veulent s'y voir;
ils veulent communiquer à travers cette télévision. Je
pense qu'elle a un rôle social important à jouer. En
régions, c'est certainement une chose qu'on peut très bien
pratiquer. Je ne connais pas assez la situation à Radio-Québec
pour me prononcer plus que cela.
M. Boulerice: D'accord. Je vous remercie, madame.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques.
Mme Bacon: Avez-vous besoin d'aide pour Radio-Québec?
M. Boulerice: Pardon?
Mme Bacon: Avez-vous besoin d'aide pour Radio-Québec?
M. Boulerice: Je n'ai pas besoin d'aide. Le Québec est
derrière nous, madame.
Le Président (M. Trudel): Je pense, Mme la ministre et M.
le député de Saint-
Jacques, que ce débat se poursuivra devant cette commission - on
parle pour ceux qui n'ont pas entendu l'échange sur Radio-Québec
- à compter de 15 h 30, demain après-midi, pour, paraît-il,
quelques jours.
Mme Baillargeon et Mme Carré, je vous remercie de vous être
déplacées pour venir rencontrer la commission et je vous souhaite
un bon retour. Merci bien.
M. Boulerice: Bon retour dans Saint-Jacques!
Le Président (M. Trudel): Dans Saint-Jacques,
paraît-il, encore une fois.
Mme Baillargeon: Merci, M. le Président et Mme la
ministre.
M. Boulerice: 1600 De Lorimier, c'est dans Saint-Jacques.
Le Président (M. Trudel): Tantôt, à la
reprise des travaux, j'ai mentionné que nous accueillions deux groupes
cet après-midi. Ce n'était pas tout à fait juste, parce
que notre prochain invité n'est pas un groupe, c'est un individu, mais
un individu qui est devenu, je le dis avec beaucoup de sérieux et non
dans le sens péjoratif du mot, une institution. C'est M. Pierre
Tisseyre, des Éditions du renouveau pédagogique, que j'invite
à prendre place devant nous.
En accueillant M. Tisseyre, je répète ce que j'ai dit
devant les gens de l'Union des écrivains québécois la
semaine dernière, à savoir que je regrette personnellement, pour
avoir été impliqué longuement dans ce milieu, l'absence,
à une heureuse exception près du côté des
éditeurs, M. Tisseyre, et du côté de l'Union des
écrivains, du milieu du livre. On a reçu presque tout ce qui
bouge, qui grouille et qui a des idées dans le domaine de
l'édition, du théâtre, de la danse et des arts visuels et
je déplore l'absence des bibliothécaires et des
éditeurs.
M. Boulerice: Est-ce qu'il n'y a pas des bibliothécaires
d'arrivés, M. le Président?
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Saint-Jacques, quand vous parlez, je ne vous interromps pas.
J'apprécierais terminer mes remarques et on pourra revenir aux
vôtres tantôt.
Ce que je disais la semaine dernière en accueillant M. Eddy
Toussaint, en parlant de courage et de ténacité dans la lutte
pour une idée, je pense que je pourrais facilement le
répéter aujourd'hui en accueillant M. Tisseyre dont la
réputation n'est plus à faire et à qui, je pense, la
littérature et l'édition québécoises doivent
beaucoup. M. Tisseyre s'est battu pour l'édition au Québec et, en
lui cédant la parole, je ta cède à la fois à un
ancien concurrent qui est, néanmoins, demeuré un ami, qui
était, au départ, un maître de l'édition.
M. Tisseyre, si vous vouiez résumer votre excellent
mémoire, car il est quand même long et le temps file rapidement,
de façon que Mme la ministre, M. le député de
Saint-Jacques, les autres membres de la commission et moi-même ayons le
plus de temps possible pour vous poser des questions.
Éditions du renouveau
pédagogique
M. Tisseyre (Pierre): Mme la ministre, M. le Président,
mesdames et messieurs, je résume donc ce mémoire que vous avez
reçu dont la première partie consistait surtout à attirer
votre attention sur le fait qu'il n'y a pas qu'une seule forme
d'écrivains ou d'auteurs. II y autant de sortes d'auteurs qu'il y a de
sortes de livres et, par conséquent, leur sort est différent.
Je vous ai dit dans ce mémoire - je pense que c'est assez facile
à démontrer -que les plus pauvres parmi les plus pauvres sont les
poètes et les romanciers. Les autres écrivains sont un peu moins
mal logés. Par exemple, les auteurs de livres pour enfants, les auteurs
de livres utilitaires et les auteurs de manuels scolaires sont peut-être
du point de vue financier les mieux placés. Par contre, on demande d'eux
des efforts sur le plan humain qui sont absolument épouvantables, parce
que vous ne composez pas un manuel scolaire comme un roman, vous avez un
calendrier rigide qu'il faut respecter. Si vous arrivez trois semaines en
retard pour la rentrée de septembre, le manuel ne se vendra que
l'année suivante et, dans l'année qui s'écoulera, les
commissions scolaires achèteront d'autres livres. Par conséquent,
vous allez à un échec, là où vous iriez a une
réussite si le manuel paraissait à temps. Les auteurs de manuels
scolaires sont donc obligés de travailler dans des conditions tellement
effrayantes que nous en connaissons plusieurs à qui ça a valu la
rupture de leur mariage ou une situation de santé épouvantable.
Alors, toucher des droits d'auteur, c'est très beau, mais, si vous devez
sacrifier votre ménage ou sacrifier votre santé, ce n'est
peut-être pas une bonne solution.
Dans la deuxième partie du mémoire, j'ai tenu tout d'abord
à attirer votre attention sur ce que j'appelle une idée fausse et
qui est quelque chose que vous avez certainement entendu dire
déjà maintes fois, c'est-à-dire que, si les auteurs sont
pauvres, c'est parce que les éditeurs s'enrichissent sur leur dos. C'est
une idée tellement fausse que j'ai tenu à vous souligner que,
sauf dans des cas extrêmement rares de ventes de droits à forfait,
l'auteur est lié au succès de son oeuvre puisqu'il touche des
droits selon un pourcentage du prix de vente du livre. J'ai attiré votre
attention aussi sur la façon dont
le dollar dépensé par le consommateur, par l'acheteur de
livres, se répartît. Le libraire en prend 40 %, le distributeur 15
%, l'auteur 10 % et, sur les 35 % qui restent à l'éditeur, il
faut qu'il paie l'imprimeur. Si c'est un petit tirage, la part de l'imprimeur
sera de 25 % ou 27 % ou 28 % et l'éditeur aura le reste. C'est la raison
pour laquelle au Québec avec le marché que nous avons,
l'édition culturelle n'est pas commercialement viable. Elle ne peut
vivre que si elle est aidée par des subventions, ce qui depuis une
vingtaine d'années, d'ailleurs, est le cas.
Dans la deuxième partie, je vous ai proposé un certain
nombre de solutions ou d'aide au sort des auteurs. Pour les poètes, je
vous ai dit qu'il me paraissait qu'il y avait deux moyens relativement simples
de les aider: l'un, ce serait de donner des subventions spéciales aux
éditeurs de recueils de poésie et l'autre, ce serait d'exiger des
magazines, des revues que vous subventionnez qu'ils fassent une place aux
poètes et qu'ils paient, évidemment, au poète un prix
raisonnable. Je vous disais que, si un magazine ou une revue publie, par
exemple, deux poèmes et qu'il donne 50 $ à chacun des auteurs, ce
n'est pas les 100 $ de plus que lui coûtera ce numéro qui risquent
de le mettre en faillite.
Et puis, je vous propose pour les romanciers un plan qui m'est
très cher et j'espère qu'il vous intéresse, celui des
achats de livres. Le problème des achats de livres, c'est qu'on ne sait
pas quoi faire des livres qu'on achète. Cela a été fait
par le Conseil des arts. Il a, pendant des années, acheté des
livres et, finalement, il y a renoncé parce que c'était tellement
compliqué et parce que la distribution était un grave
problème. La province de Québec, il y a un certain nombre
d'années - cela a été créé par Pierre
Laporte, donc cela remonte assez loin - avait eu l'assurance-édition. Au
titre de cette assurance-édition, on a acheté des livres. Aux
dernières nouvelles - quand je dis dernières nouvelles, cela date
d'une dizaine d'années - les livres croupissaient quelque part dans une
cave, parce qu'on n'avait pas su quoi en faire.
Alors, ce que je vous propose, c'est d'associer les membres de
l'Assemblée nationale à cette distribution et de les associer
d'une façon plus ou moins rigide, c'est-à-dire qu'ils peuvent,
s'ils le veulent, choisir eux-mêmes parmi leurs électeurs des
gens, probablement surtout des femmes, qu'ils connaissent, qui
s'intéressent à la littérature et qui pourraient
être le centre d'un petit foyer de promotion, si on leur envoyait
gratuitement des livres sélectionnés par un jury. Il y a des
variantes; le député pourrait simplement demander des
candidatures de gens que cela intéresserait. Par conséquent, il
serait moins directement lié non pas au choix des livres, mais au fait
qu'on envoie ces livres à ces gens. Il y a des tas de variantes. (17 h
30)
Ce qui importe, c'est cette répartition géographique qui
résulterait du fait que chaque député, dans son
comté, enverrait ou ferait envoyer des livres ou susciterait les
candidatures d'une vingtaine de personnes. Cela produirait un nombre de
lecteurs de ces livres qui serait tellement important; se produisant au
même moment, que cela aurait une vertu d'entraînement pour la vente
en librairie. Je vous ai donné des exemples, dont un qui est tout
récent où j'ai vendu à Québec-Loisirs un livre
d'Alice Parizeau qui s'appelait "Côte des neiges". J'en avais vendu 6000
en librairie, ce qui est un très gros succès.
Québec-Loisirs en a vendu 68 000 et, pendant qu'il vendait ces 68 000,
cela m'en a fait vendre 2000 de plus parce qu'il y avait 68 000 personnes qui,
l'ayant reçu et lu, en avaient parlé autour d'elles. La
clé du succès d'un livre, ce n'est pas la publicité qu'on
fait, c'est la publicité de bouche à oreille.
Donc, ce projet dont je vous ai parlé -je vous ai donné
des chiffres - peut se faire de plusieurs façons. Si le gouvernement
décide de respecter la loi 51, bien que Mme la ministre ait le pouvoir
de faire des exceptions, il faudrait que ce soit les libraires qui les vendent.
À ce moment, l'éditeur enverrait non pas le livre, mais il
enverrait un bon d'achat. Ce bon d'achat serait présenté dans une
librairie agréée et ces bons d'achat seraient
récupérés et payés par le gouvernement. D'une
façon très simple, on chargerait l'Association des libraires du
Québec de cette administration, si bien que le ministère n'aurait
qu'un seul chèque à envoyer et les libraires du Québec
pourraient distribuer cela. Donc, cela peut se faire de quantité de
façons.
Je souhaite simplement que les députés aient le
désir de s'associer à une promotion qui transformerait
complètement le sort des romanciers au Québec parce qu'on
finirait de ne vendre que 200 ou 300 exemplaires d'un livre parfaitement
valable et qui disparaît des librairies au bout de six semaines parce que
les libraires préfèrent, et c'est normal, tenir des livres
français qu'ils vendent alors qu'ils vendent très peu de romans
québécois.
C'est un projet que je vous soumets et je vous demanderais, pour les
auteurs de manuels scolaires, qu'on insiste auprès des commissions
scolaires pour qu'elles les libèrent de façon qu'ils aient le
temps de travailler à des manuels sans y sacrifier leurs soirées,
leurs week-ends et leurs vacances. Les commissions scolaires font cela, mais
elles font cela dans le cas de ce qu'on appelle des livres maison. On voit une
commission scolaire qui va libérer deux ou trois professeurs, ils vont
se mettre au travail et, comme ils ne sont pas guidés,
comme ils n'ont pas auprès d'eux un éditeur professionnel
qui leur dit quoi faire, avec une certaine naïveté, ils prennent
une paire de ciseaux ils coupent les illustrations dans un livre, ils coupent
des pages, ils coupent des paragraphes sans se rendre compte que c'est du
plagiat et qu'ils violent la loi des droits d'auteur. Nous nous trouvons
parfois en face de livres qui ont été faits de cette façon
par des commissions scolaires qui ont libéré des auteurs, des
professeurs. Ce sont de purs plagiats, à tel point que, tout
récemment, le ministère a dû intervenir pour faire retirer
du commerce un livre de ce genre. Il y a bien d'autres façons qui,
à l'heure actuelle, sont étudiées.
Ce sont les propositions que je vous ai faites pour aider les auteurs.
J'espère que vous en retiendrez un certain nombre.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. Tisseyre. Mme la
ministre.
Mme Bacon: M. Tisseyre, au risque de blesser votre modestie, je
pense que je vais continuer avec les fleurs que vous lançait
tantôt le président de la commission pour vous dire qu'en prenant
connaissance de votre document on se rend compte que vous avez,
évidemment, une expérience professionnelle marquée au coin
de la richesse et tout autant passionnante. La façon dont vous articulez
votre mémoire reflète bien la vigueur et la rigueur. Je vous
dirai aussi que cette rigueur rend la lecture de votre mémoire
très agréable et que vous y empruntez un style cohérent
où l'absence d'ambiguïté enrichit cet art
d'écrire.
De plus, votre mémoire nous apparaît instructif du fait que
vous nous brossez un tableau complet des types d'auteurs. On se rend ainsi
compte que les situations varient d'un type d'auteur à l'autre, mais
que, somme toute, il semble ne pas exister, évidemment, de situation
idéale et, même si Ton tend vers une situation idéale,
c'est difficile de l'atteindre.
À la page 17 de votre mémoire, on retrouve un tableau
relatif à la répartition des dollars payés par un acheteur
de livres et l'auteur, écrivez-vous, y reçoit 10 %. Vous
précisez que ce pourcentage, ainsi que les autres rapportés
s'appliquent partout dans le monde depuis de nombreuses années et
qu'aucune pression sérieuse ne s'exerce pour les modifier. Vous croyez
utopique qu'un jour le sort de l'auteur puisse être
amélioré en lui donnant un pourcentage plus important du montant
des ventes et que la seule solution, pour les auteurs, consiste donc à
élargir leur marché. J'aimerais savoir si cette conclusion vous
porte à croire qu'il n'y a pas de solution à court terme et
même à moyen terme.
M. Tisseyre: Mme la ministre, je crois qu'il n'y a pas de
possibilité de donner une part plus grande à l'auteur de l'argent
payé par le consommateur sans entraîner une augmentation
importante du prix du livre. Parce que, évidemment, tout est possible.
Si on disait qu'on va donner à l'auteur 15 %, il faudrait revoir toutes
les proportions de façon que l'éditeur, quand même,
conserve une part suffisante pour qu'il puisse fonctionner. Il y a des cas,
mais à un seul niveau, où l'auteur a 15 % non pas du prix de
détail, mais du prix net, ce qui, pour un manuel scolaire, est environ
80 %. Mais, ils touchent 15 % lorsqu'il s'agit d'un livre au niveau
collégial où les ventes ne peuvent pas être très
importantes parce que nous n'avons pas une population étudiante
considérable. C'est la même chose aux États-Unis,
d'ailleurs, où ils ont une population étudiante plus grande, mais
ce sont des livres très coûteux.
Dans ce cas, l'auteur reçoit 15 %. Mais, pour un manuel scolaire,
c'est relativement plus facile parce que l'éditeur de manuels n'est pas
astreint à donner 40 % au libraire. Il lui donne au maximum 30 %. Donc,
il y a une marge supplémentaire et c'est le seul cas que je connaisse
où l'auteur touche plus que 10 % ou 12 % après le dixième
mille.
Il y a eu, en France, à une certaine époque, Delly, cet
auteur de romans d'amour, qui était tellement connu, qui avait un tel
succès, qu'un livre de Delly se tirait à 100 000 exemplaires.
Delly avait 20 %.
Mme Bacon: Si, pour vous, la solution d'un marché
élargi demeure la plus accessible, est-ce que vous estimez que les
structures actuelles du ministère des Affaires culturelles ou d'autres
ministères, comme celui du Commerce extérieur, par exemple, ou
des Relations internationales, sont suffisamment efficaces pour combler les
besoins des auteurs?
M. Tisseyre: Excusez-moi, je n'ai pas compris.
Mme Bacon: Est-ce que les structures du ministère des
Affaires culturelles...
M. Tisseyre: Oui?
Mme Bacon: ...et les structures du ministère du Commerce
extérieur, par exemple, ou des Relations internationales sont
suffisamment efficaces pour combler les besoins des auteurs quand on pense que
la solution d'un marché élargi demeure la plus accessible?
M. Tisseyre: Nous n'avons pas de marché. Le
problème fondamental, c'est celui-là. Le Québec a un
marché qui n'est pas suffisant pour soutenir l'édition
littéraire.
C'est suffisant pour soutenir une édition scolaire parce que dans
chaque classe, il y a, à l'heure actuelle, entre 60 000 et 65 000
enfants. Donc, un manuel scolaire qui prend une grosse partie du marché
peut être viable. Mais, dans le livre "littéraire", le
marché est tellement petit qu'il est impossible, absolument impossible
d'espérer que les auteurs puissent gagner suffisamment d'argent à
moins qu'on ne trouve des moyens de remplacer le marché inexistant.
Mme Bacon: En page 19 de votre mémoire, vous
suggérez des subventions spéciales aux éditeurs qui
publieraient des recueils de poèmes. Est-ce que vous pourriez nous en
dire un peu plus sur les modalités de versement ou sur les
critères qui devraient guider un tel programme?
M. Tisseyre: Pour les poètes? Mme Bacon: Oui, oui.
M. Tisseyre: II me semble que, lorsqu'on donne une subvention
quelconque, celui qui donne la subvention peut y attacher des conditions. Par
exemple qu'on dise à une revue subventionnée: Vous avez cette
subvention, mais, en échange, nous vous demandons de publier un ou deux
poèmes par numéro et, évidemment, de payer à
l'auteur un montant raisonnable. Je parle de 50 $. 50 $ pour un poème,
cela me semble une chose qui n'est ni extraordinaire en n'étant pas
assez, ni extraordinaire en étant trop. Enfin, disons 100 $ de plus,
lorsque vous publiez un magazine qui coûte des milliers de dollars
à imprimer, cela ne changerait pas beaucoup la structure des prix. C'est
peut-être un tout petit peu plus cher, mais cela n'est pas grand-chose.
Ce serait une simple exigence que de dire: Vous avez une subvention et, en
échange, nous vous demandons cela.
Mme Bacon: D'accord. Votre proposition de faire acheter une
vingtaine d'exemplaires d'un roman qui serait sélectionné par un
jury et remis aux députés est sûrement une idée
généreuse, mais cela m'inquiète un peu quand on pense
à la loi que nous avons adoptée ici au Québec.
Peut-être aussi que, dans certains milieux, et je vous exclus, on
voudrait voir disparaître cette loi, alors que, dans d'autres provinces
au Canada, on envie notre législation. Est-ce qu'il y a d'autres pays,
d'autres endroits au monde où on fait ce genre de distribution, par
exemple, quand vous parlez d'une vingtaine d'exemplaires qui pourraient
être distribués?
M. Tisseyre: Non, je n'en connais pas. Il y a très peu de
pays, sauf les pays Scandinaves, qui sont dans notre situation. Prenez la
Belgique, par exemple, qui a une population francophone à peu
près du même ordre, elle a à sa porte le marché
français. Les Belges, très habilement, ont abandonné
l'édition littéraire, l'édition de romans. En une heure,
vous allez de Bruxelles à Paris, mais ils ont eu un créneau, ils
ont pris, par exemple, les bandes dessinées ou des types de livres que
les éditeurs français ne faisaient pas. Leur marché
principal est la France. Nous avons des rapports avec l'éditeur de
Grevisse, Duculot, et il nous a confié que ses ventes en Belgique des
ouvrages de Grevisse n'étaient même pas le dixième de ce
qu'il vendait en France, ce qui correspond à la population. Du
Québec, cela n'est pas possible. On peut vendre des droits, mais nous
n'avons... Le fédéral a essayé, cela a été
une catastrophe. On ne peut pas vendre directement des ouvrages
québécois en les distribuant simplement en France, cela ne marche
pas.
Mme Bacon: Est-ce que vous pensez que ce programme-là
pourrait remplacer d'autres programmes d'aide à l'édition, par
exemple?
M. Tisseyre: Excusez-moi, je ne comprends pas.
Mme Bacon: Est-ce que vous pensez que ce programme pourrait
remplacer d'autres programmes d'aide à l'édition?
M. Tisseyre: Certainement. Ce serait possible parce que, du
moment que vous avez un programme qui aide tous les participants, depuis
l'auteur jusqu'au libraire, l'éditeur en profite. Les retombées
d'un programme comme celui-là seraient très intéressantes
pour l'éditeur. Je peux vous donner un exemple très simple: mon
édition culturelle, Éditions Pierre Tisseyre. Si je n'ai pas dans
l'année un roman qui est un succès, c'est-à-dire qui se
vende à 5000 ou 6000 exemplaires, je suis obligé d'ajouter de
l'argent de ma poche pour simplement tenir ma tête hors de l'eau. Quand
Alice Parizeau, qui a vraiment une clientèle, me donne un nouveau roman,
je me frotte les mains en me disant: Cette année, je m'en tire. Alors,
on aurait deux - ou trois livres qui, automatiquement, seraient montés
à ce niveau-là que cela suffirait pour permettre
d'équilibrer certaines maisons d'édition.
Mme Bacon: Ce que je pense, c'est qu'il pourrait y avoir d'autres
secteurs des industries culturelles qui pourraient nous demander de faire la
même chose, le disque, par exemple, ou le vidéo. Est-ce que vous
considéreriez ces situations comme similaires à la situation
actuelle de l'édition?
M. Tisseyre: Je connais mal le marché du vidéo. Je
ne sais pas du tout. Je ne
voudrais pas me prononcer sur ce que je ne connais pas
personnellement.
Mme Bacon: Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Avant de
passer la parole au député de Saint-Jacques, je dois
rétablir la vérité. Je me suis rappelé qu'on avait
reçu -je m'excuse de ce que j'ai dit tantôt - de l'Association des
bibliothécaires du Québec un court mémoire, jeudi de la
semaine dernière, portant spécifiquement sur un sujet qui est le
nouveau programme fédéral. Je dois quand même à la
vérité de le souligner.
Maintenant, je cède la parole à M. le député
de Saint-Jacques.
M. Boulerice: M. Tisseyre, si j'allais reprendre les
éloges que le président et Mme la ministre, éloges
très mérités d'ailleurs, vous ont faits, je pense que,
spontanément, vous me répondriez: N'en jetez plus, la cour est
pleine. Je ne vous écouterai pas et je vais vous dire que votre
présence ici est, forcément, très appréciée,
d'une part, à cause de votre compétence, mais, d'abord et avant
tout, à cause de cet amour passionné de la littérature que
vous avez toujours eu et qui fait votre renommée.
M. Tisseyre, j'aimerais aller droit au but avec certaines questions qui
me sont venues lorsque j'ai lu votre mémoire. Dans les solutions que
vous préconisez pour améliorer les conditions de vie des
romanciers, vous parlez de l'exemple danois -parce que l'exempte
québécois est, malheureusement, différent - où les
bibliothèques publiques disposent de moyens permettant d'acheter un
volume important de livres. Vous en parlez en page 20, je crois. Pourriez-vous
m'apporter plus de détails, s'il vous plaît? (17 h 45)
M. Tisseyre: Tous les pays Scandinaves ont un réseau de
bibliothèques publiques très développé. Je pense,
d'après les chiffres que j'ai vus, et je les ai vus au moment où
le Conseil des arts... Il y a quelques années, je faisais partie d'une
commission qui étudiait la possibilité d'une compensation pour
les auteurs, du prêt en bibliothèque. C'est à ce
moment-là que nous avions eu des chiffres qui venaient directement de
ces pays et qui montraient que le Danemark a une bibliothèque publique -
j'ai mis 432, mais je vous avoue que je ne me rappelle plus si c'est 432 ou
452, mais c'est dans les 400 habitants - par 400 habitants. Cela veut dire que,
pour une première édition, un premier tirage, les
bibliothèques publiques vont en prendre 2000 ou 2500 exemplaires. Le
problème est résolu. L'éditeur tire à 3000 ou 3005
exemplaires, il n'en vend peut-être que quelques centaines en librairie,
mais l'auteur touche ses droits d'auteur et l'éditeur peut faire un
tirage suffisant pour que le prix du livre soit raisonnable et qu'il ait sa
part.
En Suède, ils ont un réseau également. En
Norvège, ils ont également un réseau de
bibliothèques publiques assez important. Ce n'est pas tout à fait
autant qu'au Danemark, mais c'est quand même considérable. C'est
plusieurs milliers de bibliothèques publiques.
M. Boulerice: Quant aux bibliothèques publiques
québécoises, quelle évaluation pourriez-vous me donner de
l'achat de livres québécois?
M. Tisseyre: Quand vous en vendez 150 exemplaires aux
bibliothèques publiques du Québec, c'est qu'elles en ont toutes
pris ou presque.
M. Boulerice: Est-ce que vous allez, M. Tisseyre, suggérer
de peut-être prévoir une enveloppe spécifique plus
étendue pour pourvoir à l'achat de livres
québécois?
M. Tisseyre: Écoutez, on ne peut pas savoir exactement
comment les bibliothèques publiques vont en acheter, puisque, à
cause de la loi 51, elles achètent par les libraires
agréés. Mais il y a un fait: pour certains romans de
qualité - sans cela, on ne les publierait pas - qui n'ont pas
été salués par des articles de critiques importants,
où les distribuer? On a une grille. On en envoie deux, trois, quatre,
cinq à toutes les librairies qui ont accepté ce système
et, quand les retours reviennent, il y a des cas fréquents où le
total des ventes ne dépasse pas 200 exemplaires. Donc, les
bibliothèques en ont peut-être pris 100 ou 120 au maximum,
peut-être moins.
M. Boulerice: M. Tisseyre, à la page 9 de votre
mémoire, quant aux auteurs dramatiques, vous dites: "Enfin l'oeuvre
dramatique se prête bien plus facilement à une exploitation
à la télévision que le roman ou la nouvelle." De la
télévision, il n'y a qu'un pas à franchir pour aller
à la radio. C'est un fait que ce n'est pas la mode du jour
d'évoquer cette hypothèse, mais l'avenir durera longtemps, et il
ne faut jamais exclure quelque hypothèse que ce soit. Des intervenants
précédents ont mentionné l'hypothèse de la
création d'une radio de Radio-Québec, une radio culturelle, un
peu dans le style de ce que nous connaissons chez nos amis d'outre-Atlantique,
France-Culture. Quel serait, d'après vous, l'impact au niveau de
l'écriture dramatique de la présence d'une radio de
Radio-Québec?
M. Tisseyre: La radio aurait un impact un peu moins grand,
évidemment, que la télévision, mais, quand on pense, quand
on voit les exemples français, un programme comme Apostrophes, par
exemple, à la
télévision française, il est certain qu'il suffit
que Pivot mentionne un livre à la télévision pour qu'il se
vende à plusieurs centaines d'exemplaires dans les jours qui suivent.
Cela fait 20 ans que nous demandons à Radio-Canada de nous donner un
programme, non pas comme Apostrophes, parce qu'il y a 20 ans Apostrophes
n'existait pas. Moi, j'en ai même proposé des types
complètement détaillés, avec des systèmes qui
auraient probablement pu intéresser, la dramatisation d'un chapitre d'un
livre, par exemple. Radio-Canada n'a jamais voulu. Nous avons également
abordé Radio-Québec. Il y a des conversations qui se continuent,
mais cela ne s'est pas fait.
Le livre québécois, le roman québécois n'est
pas soutenu par les médias. Vous avez deux critiques qui ont un certain
poids, celui de la Presse et celui du Devoir. Ils ont 52 semaines chacun par
an, cela fait donc une possibilité de 104 livres; en fait, ils parlent
à peu près des mêmes et ils consacrent un nombre
relativement important de leurs articles à des livres de France. Par
conséquent, au maximum, sur cent et quelques romans qui sont
publiés au Québec, on ne parle dans la Presse ou le Devoir que de
quinze ou vingt. Les autres tombent dans le vide.
M. Boulerice: M. Tisseyre, vous vous réjouissez, et
ça je vais le partager avec vous, de la prochaine programmation du
Théâtre du Rideau Vert. Quel moyen pourrait-on envisager pour
inciter davantage les troupes de théâtre d'ici à jouer,
justement, des textes d'auteurs dramatiques québécois?
M. Tisseyre: Je crois que, là encore, vous donnez des
subventions, vous êtes les maîtres des conditions que vous posez.
Si les subventions que vous donnez étaient assorties d'un petit
astérisque, en disant: C'est tant s'il n'y a pas de pièces
québécoises, c'est tant s'il y en a, vous verriez que,
immédiatement, toutes les troupes de théâtre
professionnelles s'arrangeraient pour avoir le nombre de pièces de
théâtre québécoises qui serait souhaitable.
M. Boulerice: Une toute dernière, si vous me le permettez,
parce que nous devons suspendre à 18 heures et sans doute que l'un de
mes collègues aimerait intervenir. Quels sont les problèmes qui
sont constatés actuellement pour les professeurs qui sont engagés
dans la rédaction et l'élaboration de manuels scolaires pour le
compte d'un éditeur professionnel?
M. Tisseyre: À l'heure actuelle, c'est malheureusement
quelque chose qui semble se développer, il y a des commissions scolaires
qui s'imaginent qu'elles peuvent être éditeur et qui
libèrent les professeurs qui ont peut-être de très bannes
idées. Cela peut être vraiment quelque chose de parfaitement
valable. Mais, au lieu d'aller trouver un éditeur professionnel pour lui
dire: Voilà, nous avons l'idée d'un projet de livre - si c'est
solide, si c'est sérieux, ils trouveront certainement une oreille
attentive - la commission scolaire libère les professeurs.
Évidemment, cette libération n'apparaît pas dans le
coût du livre; par conséquent, le livre semble ne pas coûter
très cher et ils réalisent des livres qui, dans neuf cas sur dix,
à notre connaissance, sont des plagiats entiers ou partiels. Donc, cela
va entraîner soit des poursuites judiciaires, soit l'obligation de
retirer ces ouvrages du marché.
M. Boulerice: M. Tisseyre, je vous remercie beaucoup d'avoir
répondu à ma question.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques. M. Tisseyre, j'aurais,
évidemment, beaucoup de questions à vous poser, mais on aurait
tous deux l'impression de se répéter, je pense, et nos
conversations des dernières années se répéteraient.
Je vais vous en poser simplement deux. La première: un intervenant
privé que nous entendrons ce soir recommande, entre autres, à la
commission que les éditeurs québécois fassent appel
à l'entreprise privée. Or, je sais que, d'une certaine
façon, dans votre carrière, vous y avez fait appel, notamment
pour les prix littéraires et ce genre de choses. J'aimerais entendre vos
commentaires sur les relations possibles entre l'entreprise privée et
les éditeurs.
M. Tisseyre: Entre qui et les éditeurs?
M. Boulerice: Entre l'entreprise privée, quant au
financement ou les subventions que l'entreprise privée pourrait accorder
aux éditeurs.
M. Tisseyre: C'est de l'argenti Cela dépend; si c'est un
éditeur littéraire, il faudrait qu'il y ait des compensations
fiscales. Si vous permettez à un éditeur, qui est
généralement une société, de
bénéficier des dons par exemple, je pense qu'il pourrait
effectivement trouver de l'aide. Mais autrement, placer de l'argent chez un
éditeur littéraire alors qu'on sait qu'il ne peut pas gagner
d'argent, que ce n'est pas possible, que le marché n'est pas suffisant,
je ne vois pas comment on pourrait l'obtenir, à moins que ce ne soit du
mécénat pur et simple, par charité alors
peut-être.
Le Président (M. Trudel): Ou comme les prix
littéraires qui sont commandités ou qui
étaient commandités, quelques-uns étaient
commandités par l'entreprise privée. On pense chez vous au prix
Esso à l'époque, au prix Molson, dans le comté de
Saint-Jacques, d'ailleurs.
M. Tïsseyre: C'est un peu différent. Un prix
littéraire, il y a quand même un peu de bruit autour; par
conséquent, il y a des retombées pour la compagnie qui fait
ça. Ce sont des retombées d'ordre moral, car ce ne sont pas des
retombées financières, mais je pense que c'est peut-être
plus facile d'obtenir des subventions pour des prix littéraires, encore
que, quand on les multiplie, chacun d'eux perd de son importance.
Le Président (M. Trudel): Deux courtes questions qui sont
reliées toutes les deux au ministère de l'Éducation. La
première, M. le député de Saint-Jacques l'a abordée
tantôt, c'est la question de la libération de certains professeurs
pour éditer et écrire des manuels scolaires. C'est une
idée que je partage avec vous. J'ai, à d'autres époques de
ma carrière, essayé de réussir ce coup-là, je ne
l'ai pas réussi. Est-ce que la Société d'éditeurs
de manuels scolaires et le ministère de l'Éducation ont
déjà discuté sérieusement de cette question?
M. Tisseyre: La Société des éditeurs de
manuels scolaires proteste avec véhémence chaque fois qu'on lui
met sous le nez un livre qui a été composé à coup
de ciseaux et qui est un plagiat. Elle proteste et demande au ministère
au moins d'exiger de ces commissions scolaires qu'elles remplissent les
mêmes formalités que l'édition privée,
c'est-à-dire que l'ouvrage soit au moins soumis à l'approbation.
Mais, jusqu'à présent, on n'est pas allé plus loin.
Le Président (M. Trudel): Donc, vous n'avez pas encore
discuté avec le ministre de l'Éducation de la possibilité,
d'une certaine façon, d'inciter les commissions scolaires à
libérer des professeurs pour rédiger des manuels scolaires?
M. Tisseyre: Non. On ne l'a pas encore fait, mais, comme je le
demande dans ce mémoire, peut-être réussirai-je à le
leur faire demander.
Le Président (M. Trudel): Je vous le souhaite. Une
dernière question. Je partage avec Mme la ministre des Affaires
culturelles sa curiosité à l'égard du programme que vous
nous suggérez, mais j'ai certaines interrogations quant à la
réaction des autres composantes de l'industrie culturelle, le disque, le
vidéo et tout cela. Connaissant, par ailleurs, une autre des
idées que vous avez défendues avec beaucoup de force au cours des
dernières années, soit la remise à l'honneur des prix de
fin d'année - c'est pour cela que je parlais tantôt du
ministère de l'Éducation - qu'en est-il de cette suggestion que
vous avez déjà faite quelquefois, à la fois au ministre
des Affaires culturelles et, possiblement, autant que je me souvienne, au
ministère de l'Éducation, ce qui est une autre façon, pour
les éditeurs, de vendre leurs livres?
M. Tisseyre: Nous avons, par lassitude, cessé de le
réclamer, parce que nous l'avons réclamé pendant un grand
nombre d'années. Je continue personnellement à croire qu'il n'y a
pas de meilleur moyen d'intéresser les enfants à la lecture que
de leur donner des livres en fin d'année, car ils se composent leur
petite bibliothèque personnelle et, quand un enfant de 9, 10, 11 ou 12
ans a sa bibliothèque, ses livres à lui et les livres qu'il a
gagnés parce qu'ii a bien travaillé à l'école,
c'est lui donner un goût qu'il ne perdra pas de sa vie entière. II
deviendra un lecteur neuf fois sur dix. Alors, il est certain que ce serait un
merveilleux moyen d'encourager à la lecture et, par conséquent,
évidemment, d'encourager les auteurs et les éditeurs.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. Tisseyre. Est-ce que
d'autres membres de la commission auraient des questions? M. Tisseyre, on vous
remercie de votre visite de fin d'après-midi à Québec et
on vous souhaite un très bon retour à Montréal.
Je souligne aux membres de la commission que nous avons quatre
mémoires à entendre ce soir. Donc, nous allons non seulement
essayer, mais nous allons commencer précisément à 20
heures, de façon à ne pas trop prolonger la soirée. Sur
ce, j'ajourne les travaux...
Une voix: Vous les suspendez.
Le Président (M. Trudel): Je les suspends plutôt. Merci,
Mme la secrétaire. Je suspends les travaux de cette commission
jusqu'à 20 heures ce soir.
(Suspension de la séance à 17 h 58)
(Reprise à 20 h 8)
Le Président (M. Trudel): II est 20 h 9 minutes. La
commission reprend ses travaux de consultation générale sur le
statut économique de l'artiste et du créateur. Nous accueillons
comme seul groupe ce soir - nous accueillerons trois personnes individuellement
par la suite - l'Association des créateurs et des intervenants de la
bande dessinée avec M. Pierre Fournier, son président et M.
Normand Viau, le secrétaire.
Messieurs, vous n'étiez pas avec nous au cours de la
journée. Enfin, moi, je ne vous ai pas vus, peut-être
étiez-vous ici. Je vais rappeler très rapidement les
règles du jeu de façon qu'on puisse avoir le plus de temps
possible pour vous poser des questions.
Votre mémoire a été lu par tous les membres de la
commission. Un résumé en a été fait pour les
membres de la commission. On vous demanderait de nous en faire vous-mêmes
un résumé et d'insister sur les points que vous jugez les plus
importants de façon à nous donner plus de temps pour vous poser
des questions. Les interventions sont limitées normalement entre 45 et
60 minutes. On va essayer de se maintenir à l'intérieur de ce
barème. Je vous souhaite la bienvenue à la commission de la
culture et je vous cède, M. le président, immédiatement la
parole, ou alors à M. Viau.
ACIBD
M. Viau (Normand): C'est cela. Je suis Normand Viau,
secrétaire de l'ACIBD, celle-ci étant l'Association des
créateurs et des intervenants de la bande dessinée. C'est une
association qui regroupe des professionnels; c'est une toute nouvelle
association, bien que la bande dessinée au Québec existe
déjà depuis 50 ans. C'est une association qui regroupe des
scénaristes, des dessinateurs, des coloristes, qui regroupe
également des intervenants, des professeurs, des journalistes, des
libraires, des distributeurs et des éditeurs. L'Association des
créateurs et des intervenants de la bande dessinée, l'ACIBD, a
pour but d'encourager la réalisation, l'édition, la diffusion et
la promotion de la bande dessinée québécoise et
canadienne.
La démonstration que j'aimerais vous faire, malheureusement,
n'est pas très rose. Ce que j'aimerais vous démontrer, c'est que
la bande dessinée au Québec est l'un des domaines culturels au
Québec - je ne dirais pas le seul, malheureusement - où nous
sommes le plus dominés par les étrangers, par les
Américains d'abord qui, à travers leur "comic books"... Ce qu'on
appelle des "comic books" on a apporté de la - documentation, même
si vous êtes loin, on peut vous la montrer de loin - ce sont des
publications américaines en langue originale mettant en vedette des
héros, c'est-à-dire Superman, Captain America, Spiderman, etc.,
C'est ce qui nous arrive au Québec, c'est ce qui est vendu en librairie.
On retrouve également la production américaine à travers
la traduction. Alors, Snoopy est traduit, on peut l'obtenir ici au
Québec dans des formats comme ceux-là. On retrouve aussi la
production américaine traduite. J'ai apporté le journal La Presse
d'hier et, en page F-4 de la Presse, vous avez ce que l'on appelle des
"strips", c'est-à-dire des bandes dessinées. Vous en avez douze
et ce sont douze bandes dessinées américaines; il n'y a pas de
produit québécois.
Dans la Presse de dimanche dernier également, si vous regardez au
centre, il n'y a qu'une seule bande dessinée québécoise,
les aventures d'Adamus. C'est la seule bande dessinée
québécoise que l'on retrouve dans les journaux et dans les
publications. Les Européens, eux, les Français et les Belges
surtout, exportent ici principalement des périodiques,
c'est-à-dire Pilote, Tintin et plusieurs autres, qui sont vendus en
librairie. On retrouve également des albums, c'est-à-dire
Astérix, Lucky Luke, Gaston Lagaffe, des albums qui se vendent. Si on
prend Astérix aux Jeux olympiques, enfin, ce qui paraît dans la
série d'Astérix, 100 000 exemplaires environ par album, 100 000
exemplaires vendus au Québec, ce qui veut dire qu'au Québec - des
études l'ont déjà démontré - nous sommes
l'un des peuples, l'un des endroits au monde où il se consomme per
capita le plus de bandes dessinées.
Ce que je viens de vous démontrer rapidement constitue environ 99
% du marché de la bande dessinée au Québec; la production
américaine en langue originale est traduite et la production
française et belge. Ce qu'on retrouve au Québec dans le 1 % qui
reste, c'est de la publication québécoise principalement dans
Croc, un magasine d'humour et aussi de bandes dessinées, qui consacre 30
% de son contenu à la bande dessinée. Il existe aussi, comme je
le disais dans la Presse - c'est le seul quotidien qui accepte de publier une
bande dessinée québécoise - une fois par semaine, le
dimanche, il y a une bande dessinée québécoise.
Vous avez également des albums de bandes dessinées qui
sont édités par deux seules maisons d'édition
québécoises: les Éditions Ovale, à Québec,
et Ludcom, qui produit également Croc à Montréal. J'en ai
apporté quelques-uns: Les aventures de Michel Risque, Red Ketchup. Vous
avez Humphrey Beauregard, qui est détective privé; c'est
publié chez Ovale. Il y a également les aventures de Ray Gliss.
Il y a aussi ce qu'on appelle des fanzines, qui ont de petits tirages de 150
exemplaires au maximum.
Quand je parlais d'album tantôt, par exemple, l'album Fraude
Électrique a été tiré à environ 6000
exemplaires. Il y en a environ 2500 qui ont été vendus alors que
le seuil de rentabilité est de 10 000 albums vendus.
Le Président (M. Trudel): Je m'excuse de vous interrompre,
si j'ai bien compris, vous avez dit que c'était publié à
150 exemplaires?
M. Viau: Oui, ce sont des fanzines, ce
que j'appellerais des petites publications qui ne sont pas
éditées à grand tirage mais qui constituent souvent la
seule façon pour les professionnels de la bande dessinée de
s'exprimer. Ce sont de petits tirages qu'on retrouve dans certaines librairies
spécialisées, qui sont tirés à 150 exemplaires.
Le Président (M. Trudel): Seulement.
M. Viau: Environ. Pour ce qui est des ouvrages publiés en
album, je vous parlais de Fraude Électrique, de Michel Risque ou des
aventures d'Humphrey Beauregard. Ce sont des albums qui sont tirés
environ à 6000 exemplaires. On peut dire - je prends l'exemple
d'Humphrey Beauregard ou de Fraude Électrique - qu'il y a environ 2500
à 3000 albums qui sont vendus lors d'une parution. Le seuil de
rentabilité, je le répète encore, est de 10 000 albums
vendus, c'est-à-dire qu'à chaque fois que l'éditeur vend
un album il perd de l'argent de même que les auteurs.
Je peux vous donner mon exemple personnel. Humphrey Beauregard a
coûté à Yves Perron et à moi, puisque j'en suis le
scénariste, 8000 $ à produire, pour les deux premiers albums.
J'ai ici le premier; le deuxième sort dans quelques semaines. Cela
comprend les frais de coloriste, les frais de recherche, les frais de mise en
marché, les entrevues qu'on a accordées, les déplacements
qu'on a faits dans toute la province pour promouvoir l'album.
Qu'est-ce qu'on peut faire vis-à-vis d'une situation comme cela?
C'est la question que tout le monde se pose. C'est évident que la bande
dessinée au Québec existe depuis déjà une
cinquantaine d'années. Elle est malheureusement très peu
publiée. Il y a énormément d'auteurs. II y a des auteurs
qualifiés qui sont capables d'en produire mais, malheureusement, le
marché ne nous est pas ouvert.
Alors, dans les recommandations que nous vous faisons, je pense qu'il y
a un principe important. D'abord, la première recommandation, c'est que
le gouvernement reconnaisse l'importance artistique et culturelle de la BD en
créant, à travers un programme nouveau ou par le biais des
programmes déjà existants, un secteur parfaitement distinct des
autres et disposant d'une enveloppe budgétaire séparée,
d'un fonctionnement autonome et de jurys spécifiques.
Je prends l'exemple des subventions. La subvention, par exemple, qui
s'adresse aux auteurs, qui est disponible au ministère des Affaires
culturelles et qui s'appelle Soutien à la création. Vous avez,
dans la présentation du projet, à la première page de la
formule, les arts d'interprétation, les arts visuels, la
littérature et les métiers d'art. La bande dessinée ne
peut entrer dans aucune de ces catégories.
La bande dessinée se retrouve à la fois dans la
littérature et dans les arts visuels, ce qui, à notre avis, cause
un certain préjudice lorsque les jurys ont à décider
à qui doivent être attribuées les subventions parce que, en
fin de compte, nous sommes vraiment entre deux catégories. Je pense
qu'il serait important, dans un premier temps, que le gouvernement reconnaisse
spécifiquement l'existence de la bande dessinée
québécoise. On ne peut pas parler d'industrie de la bande
dessinée québécoise. Ce serait faux de le faire à
l'heure actuelle. On peut parler de... j'allais dire de naissance, mais la
bande dessinée québécoise existe déjà depuis
plusieurs années. Comment, maintenant, mettre sur pied une industrie de
la BD québécoise? Sûrement pas en subventionnant uniquement
les auteurs. En tant qu'auteur, moi, je n'aurais rien à faire d'une
subvention de 5000 $ ou 10 000 $ qui ne me permettrait pas de mettre un livre
en librairie et de le voir se vendre. Même si le livre atteint la
librairie et qu'il est empilé derrière une pile de "Que sais-je?"
ou dans le fond de la librairie, cela ne sert absolument à rien. Je
pense qu'il faut travailler de concert lors de l'attribution de montants
globaux qui peuvent être donnés dans le domaine de la bande
dessinée à l'élaboration de politiques où l'argent
servira et pour la création et pour l'édition et pour la
diffusion et pour la distribution et la promotion.
Je pense que c'est un principe important. Je pense qu'il faut
établir, en tout cas, nous, de l'ACIBD, on s'offre, j'allais dire comme
partenaires, c'est peut-être prétentieux, mais on s'offre à
établir avec le gouvernement, en concertation, des programmes où
l'argent ne servira pas uniquement à être remis au créateur
sans voir, en fin de compte, un produit fini. Je pourrais continuer dans toutes
les recommandations, mais je pense, comme vous l'avez dit, M. le
Président, que le mémoire vous a été
résumé. Je vais peut-être vous laisser nous poser des
questions auxquelles nous pourrons répondre. C'est évident que,
dans les autres recommandations, à partir de la recommandation 3, vous
avez les formes d'aide gouvernementale à la création et à
l'édition, ainsi qu'à la diffusion et à la promotion. Il
n'y a rien qui peut se faire, encore une fois, directement au niveau de la
création si on ne pense pas qu'en fin de compte ce n'est pas vendu. Cela
ne servira à rien. Ce sera de l'argent jeté à l'eau. Je ne
sais pas si Pierre a quelque chose à ajouter que je n'aurais pas
mentionné dans mon intervention.
M. Fournier (Pierre): Au niveau de la reconnaissance de la bande
dessinée dans les formules de subventions, par exemple, cela
existe présentement en France.
M. Viau: Lors d'un séjour qu'on a fait à
Angoulême l'année dernière par le biais de l'Office
franco-québécois pour la jeunesse qui a organisé un stage
pour des dessinateurs et dessinatrices de bandes dessinées au Festival
de la bande dessinée d'Angoulême, nous avons mis la main... Nous
sommes allés à Paris. Nous sommes allés au
ministère de la Culture et, là-bas, il y a le FIAC, le Fonds
d'incitation à la création. Ils ont des programmes très
spécifiques qu'il me fera plaisir de vous laisser visant l'aide
individuelle à la création et les bourses de séjour et de
recherche. Ces programmes s'adressent aux artistes plasticiens, aux
photographes, aux créateurs industriels, aux artisans créateurs
et" aux créateurs en bandes dessinées.
Là-bas, en France, en Europe, c'est un domaine qui est
spécifiquement reconnu par l'État. D'ailleurs, lorsqu'on y
était, M. le président de la République, M.
François Mitterrand a lui-même procédé à
l'inauguration du Salon de la bande dessinée à Angoulême.
Je vous laisse peut-être avec des questions sur le mémoire.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. Viau. Je vais
céder la parole à Mme la ministre, dans un premier temps.
Mme Bacon: M. Viau, M. Fournier, j'aimerais vous remercier de
votre contribution dans le cadre des travaux de cette commission parlementaire.
Les commentaires et suggestions que vous formulez dans votre mémoire
nous apportent sûrement un éclairage intéressant. Vous nous
brossez aussi un tableau instructif de la bande dessinée au Canada et
aussi au Québec.
Je dois vous remercier pour l'apport aux travaux de cette commission.
C'est peut-être une facette différente de ce que nous avons
entendu depuis le début de cette commission parlementaire. Votre dossier
est bien structuré pour ce qui est de l'argumentation, ce qui en a rendu
la lecture plus facile.
Je retiens un constat auquel sont raccrochés nombre de
commentaires et les vôtres spécialement selon lesquels la bande
dessinée est une production qui est considérée comme
essentiellement récréative et qui jouit de peu de
considération esthétique ou culturelle. Je me
réfère à la page 5 de votre mémoire.
J'avais une question et vous me l'avez enlevée en nous parlant de
concertation, parce que ma question était: Est-ce que vous ne pensez pas
que la concertation peut venir à bout du problème
d'éparpillement des programmes et aussi des problèmes des parties
de programmes qui sont offerts? Je pense que vous avez donné la
réponse: Oui, avec beaucoup plus de concertation, on pourrait
peut-être arriver à trouver des solutions adéquates qui
pourraient régler le problème de la bande dessinée.
En page 28 de votre mémoire, vous suggérez qu'une
étude soit menée en vue de dresser l'état de la situation
de la bande dessinée au Québec et au Canada, dont le rapport
devrait servir à étayer un énoncé de politique en
cette matière. Parmi la multitude de mesures que vous proposez,
lesquelles seraient les plus prioritaires et pourraient faire peut-être
l'objet d'intervention de la part des gouvernements, disons, à court
terme ou moyen terme?
M. Viau: Au niveau de l'intervention ou d'une étude, Mme
la ministre?
Mme Bacon: Des gouvernements.
M. Viau: Au niveau d'une intervention du gouvernement ou d'une
étude que le gouvernement...
Mme Bacon: Non, vous suggérez qu'une étude soit
menée...
M. Viau: Oui.
Mme Bacon: ...dont le rapport devrait servir à
étayer un énoncé de politique en cette matière.
Mais vous avez sûrement une idée...
M. Viau: Oui,
Mme Bacon: ...de ce que cela pourrait être.
M. Viau: Je pense que principalement, ce que nous envisageons,
c'est une aide spécifique - nous en avons discuté - aux auteurs
déjà établis, aux auteurs qui publient déjà
auprès d'éditeurs comme Ovale, ou Ludcom. Je pense qu'il faut
arriver à aider ces auteurs à aller au-delà des
empêchements... Le problème, c'est que la bande dessinée au
Québec... Je m'excuse, Mme la ministre, je me suis complètement
étouffé.
M. Fournier: II y a un point important, c'est de lier la
création à l'édition et à la diffusion de la bande
dessinée. Il y a des auteurs établis au Québec. Je pense
par exemple à Rémy Simard qui a fait l'album Fraude
Électrique. Il demande des subventions pour compléter le
deuxième album. Les subventions lui sont refusées, alors qu'un
éditeur est prêt et qu'il attend la livraison de l'album pour le
publier. Je pense que, prioritairement, on recommanderait que les auteurs qui
ont déjà un contrat ou une entente avec un éditeur soient
privilégiés pour les demandes de subventions. On voit
énormément d'aide accordée à des jeunes,
souvent des débutants - on pense à des jeunes de 12 ou 13 ans qui
font un peu de bande dessinée - qui sont fortement encouragés -
II y avait un article dans les journaux cette semaine, hier ou aujourd'hui,
à ce sujet - et on oublie trop souvent les auteurs qui sont
établis. Il y a des gens, ici au Québec, qui font de la bande
dessinée à temps plein depuis quinze ans.
M. Viau: Je pense qu'il faut "prioriser" les auteurs
établis, il faut leur donner l'occasion de continuer. Ce que j'allais
vous dire, c'est peut-être une image, mais donnez-nous l'occasion de
produire un Matou. Donnez-nous l'occasion de produire un succès de
librairie. Je pense que ce succès de librairie va servir de locomotive
à la bande dessinée québécoise.
Trop d'énergies sont éparpillées à gauche et
à droite, des petits tirages, des auteurs talentueux qui ne peuvent pas
suffisamment s'exprimer, faute de fonds, parce que l'éditeur n'a pas
suffisamment de possibilités de faire ce qu'on appelle un office, une
mise en marché suffisante pour couvrir le réseau des librairies
et le réseau des dépanneurs, etc., pour que l'album soit en
vue.
S'il y avait possibilité d'avoir une aide à ce
moment-là pour les auteurs qui sont établis, qui sont
déjà en marche et qui ont déjà des albums sur le
marché, pour qu'ils arrivent à percer et qu'ils produisent un
effet d'entraînement qui fera que d'autres éditeurs pourront
s'intéresser à la bande dessinée, cela ferait en sorte que
d'autres auteurs pourraient être publiés, les libraires
s'apercevraient que la bande dessinée québécoise se vend,
que c'est bon, aussi bon que les produits étrangers et pourquoi ne la
mettrait-on pas en vitrine? C'est cela le problème souvent de la bande
dessinée québécoise.
Souvent je vais faire le tour des librairies et mon album est en
arrière. On a eu mauvaise presse à cause de mauvaises
expériences et on pense que, maintenant, comme toujours d'ailleurs, ce
n'est pas parce qu'il y a eu des mauvaises expériences que le produit,
fondamentalement, n'est pas bon. On pense qu'on a des auteurs capables de
remplir la commande et d'atteindre les tirages. Quand vous pensez qu'ici, au
Québec, chaque fois que sort un Astérix, il s'en vend 100 000
copies, je ne demanderais pas, en tant qu'auteur de la bande dessinée,
d'en vendre 100 000. Je demanderais peut-être d'en vendre au moins 10 000
pour couvrir les frais. Je ne demande pas... Je trouve dommage de faire de la
bande dessinée et d'investir, chaque album que je crée, 4000 $ ou
5000 $. Si je peux au moins arriver à couvrir mes frais, ce sera
déjà plus encourageant. J'ai lu dans les journaux que plusieurs
artistes sont venus vous dire que plusieurs de leurs membres ne gagnaient pas
suffisamment d'argent. Nous, on peut dire que la plupart de nos membres ne
gagnent à peu près pas d'argent. Je pense qu'il y a trois ou
quatre membres qui vivent de façon professionnelle de la bande
dessinée au Québec, ce qui est à mon avis une situation
tout à fait inadmissible.
Mme Bacon; Je reviens à la première question que je
n'ai peut-être pas posée. Est-ce qu'il y a moyen, est-ce qu'il y a
possibilité d'une meilleure concertation? On parle
d'éparpillement et ça existe, l'éparpillement. S'il y
avait une meilleure concertation, est-ce que vous pourriez atteindre un certain
seuil de rentabilité? Si vous faites seulement vos frais, vous ne
pourrez pas en faire indéfiniment, je pense que vous ne pourrez pas
produire des bandes dessinées indéfiniment.
M. Viau: Certainement. Je pense à l'ACIBD qui regroupe des
éditeurs. Jacques Hurtubise, président-directeur
général de Croc, était au conseil d'administration
provisoire. Il a dû céder sa place à cause de ses
obligations professionnelles, mais il était au conseil d'administration
provisoire de l'ACIBD. Il y a Jacques Samson, qui est professeur; il y a
Jean-Pierre Langlois, qui est libraire; il y a des auteurs, il y a des
créateurs, il y a des journalistes même. Je pense que, si tous ces
gens qui font déjà partie de l'ACIBD, avec les fonctionnaires du
gouvernement, avec les responsables du ministère dont vous occupez la
direction, pouvaient se rencontrer, Mme la ministre, on pourrait arriver
à des solutions. Il y a certainement des sous qui sont
dépensés. Peut-être que l'éditeur pourrait vous
dire: Les programmes qui me sont alloués pourraient être
attribués de façon différente, ou si, par exemple,
j'engage un auteur talentueux, qui a eu une subvention de votre
ministère, je vais être assuré d'avoir de l'aide tout le
long du chemin. Ce qu'on va vous dire, c'est ça. Je pense qu'avec une
espèce de collaboration entre tous les intervenants, il y a
sûrement moyen. Ce qu'on vous demande, c'est de nous donner le contenant;
nous, on va s'occuper du contenu. On estime avoir la capacité
professionnelle de le faire. Pour l'instant, le train va trop vite pour qu'on
monte à bord. On demande juste que vous établissiez une
espèce de passage à niveau pour qu'on puisse prendre le train. Le
reste, on pense être capable de s'en occuper.
Mme Bacon: J'allais dire un encadrement, mais on résiste
toujours à un encadrement, c'est peut-être la technique, aussi, en
même temps que l'aide financière.
M. Viau: C'est évident que les Européens et les
Américains sont difficiles à rejoindre. Ils ont beaucoup,
beaucoup d'avance sur nous. En tout cas, dans le domaine de la bande
dessinée, c'est incroyable. Je pense qu'il y a moyen de les rattraper
lentement, mais sûrement, mais il faut commencer. Plus ça va, plus
l'écart se creuse. Plus ça va, plus les gens se
découragent, plus les gens, les bédéistes, se retournent
du côté de la littérature, se retournent du
côté des arts graphiques. À mon sens, c'est une industrie,
un domaine culturel qui s'éteint ou, en tout cas, qui se renouvelle
mai.
Mme Bacon: Dans votre mémoire, la majorité de vos
suggestions ont surtout trait à l'accès de vos membres aux
programmes gouvernementaux. On vient encore d'en discuter. Les
difficultés que vous rencontrez ne seraient-elles pas reliées au
statut même des membres que vous représentez? J'aimerais, en
même temps, avoir votre point de vue sur le statut de l'artiste et du
créateur, quand on' pense au mandat que s'est donné cette
commission, qui est un mandat très vaste et important.
M. Fournier: J'allais dire... Je crois que le sens de notre
intervention, surtout les deux premiers points, vise à ce que la BD soit
reconnue comme un art à temps plein. Et si on pouvait arriver à
cela, je crois qu'il existe déjà un tas de programmes pour aider
les artistes. Le statut de l'auteur de la bande dessinée, quand on dit
que la bande dessinée québécoise part de loin pour
concurrencer les Européens... Je crois que les auteurs de bande
dessinée, les artistes, les scénaristes de la bande
dessinée partent de loin aussi à l'intérieur du pays pour
rejoindre les autres artistes et auteurs. On n'est pas, souvent ou même
toujours, encore considérés comme des auteurs, comme des artistes
à temps plein. (20 h 30)
Mme Bacon: Vous nous dites qu'à première vue, les
éditeurs de journaux n'ont aucun intérêt économique
à rémunérer les créateurs d'ici. Est-ce le seul
obstacle à la pénétration de la bande dessinée dans
les journaux et les périodiques? C'est un des obstacles?
M. Viau: La prépublication est un véhicule
important, vous savez, et cela à deux niveaux. La prépublication
est importante pour l'artiste parce qu'elle lui permet de recueillir des fonds,
un salaire, parce que les droits d'auteur sont retirés sur l'album, mais
dans la prépublication, il y a un 200 $ ou 250 $ qui peuvent être
alloués à l'artiste.
Mme Bacon: Vous demandez aussi au gouvernement qu'il encourage la
création d'un syndicat québécois et canadien de bande
dessinée. Êtes-vous déjà entré en relation
avec la Société de développement des industries de la
culture et des communications, ce que l'on appelle la SODICC? Avez-vous des
contacts ou des communications avec la SODICC?
M. Viau: Pas encore, Mme la ministre, puisque notre association
étant toute nouvelle...
Mme Bacon: Oui.
M. Viau: ...nous commençons. C'est notre première
intervention publique.
Mme Bacon: Ah bon! Vous réussissez bien. Vous avez
l'intention de le faire?
M. Viau: Oui, sûrement.
Mme Bacon: Avez-vous déjà consulté la
Bibliothèque nationale de Québec? Avez-vous fait des
démarches en ce sens depuis votre formation?
M. Viau: Non, pas encore.
Mme Bacon: Vous proposez, évidemment, un projet
d'étude, je reviens là-dessus, sur la situation des bandes
dessinées au Québec et au Canada. Êtes-vous capable
d'évaluer le coût d'une telle étude?
M. Viau: Je n'aurais pas de chiffres mais... Je pense que cela
pourrait certainement être fait. M. Jacques Samson, qui est l'auteur du
mémoire, est présentement en Espagne à un colloque sur la
bande dessinée, n'est pas ici ce soir, mais je pense que cette
réponse-là, Mme la ministre, pourrait vous être fournie
très rapidement.
Mme Bacon: Connaissez-vous des études équivalentes
dans d'autres pays ou...
M. Viau: Je m'excuse, je n'ai pas entendu...
Mme Bacon: Connaissez-vous des études équivalentes
dans d'autres pays, cela existe-t-il ailleurs?
M. Viau: En France, sûrement, Mme la ministre. En France,
d'ailleurs mon collègue et moi avons regardé ce qui se fait comme
étude ailleurs, et c'est assez impressionnant en France. On se
préoccupe beaucoup de ce marché-là parce que c'est un
marché qui est très important, autant culturellement
qu'économiquement. C'est un marché énorme, je dirais
même, en Europe. Il y a des études, il y en a de nombreuses, qui
sont faites.
Mme Bacon: Concernant aussi la
conservation, la mise en valeur de la bande dessinée originale ou
de collections privées de bandes dessinées, vous faites
état d'expériences dans le domaine de la caricature, du dessin
d'humour. Est-ce qu'il y a des précédents?
M. Viau: En bande dessinée? Non. À notre
connaissance, non.
Mme Bacon: Non. Dans la conservation et la mise en valeur?
M. Fournier: Pas au Canada. M. Viau: II y a... Vas-y.
M. Fournier: II n'y a pas de précédent au
Québec ou au Canada mais en Europe, par exemple, justement à
Angoulême où il y a le festival de la bande dessinée chaque
année, ils sont en train de construire une école de la bande
dessinée et il y a un musée de la bande dessinée. Aux
États-Unis aussi, il y a des musées de la bande
dessinée.
Mme Bacon: J'ai l'impression que nous aurons sûrement
l'occasion d'en discuter ensemble. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: M. Fournier, M. Viau, au risque d'agacer mes
collègues, j'ai toujours plaisir à saluer des gens qui sont de la
rue Rachel Est. J'ai lu avec beaucoup d'attention et surtout avec une
très grande sympathie, parce que c'est un genre littéraire - on
s'en parlait un peu tout à l'heure en aparté - qui me plaît
énormément... C'est vrai qu'il y a un contenu d'humour qui nous
détend, qui nous ravit. Par contre, aussi, dans la bande
dessinée, il y a une portée sociale qui est très
importante et qui n'est pas négligeable. Pour le faire, malheureusement,
je suis obligé de prendre un exemple étranger mais que vous
connaissez bien, qui est celui de Mafalda, où on voit, justement, toute
l'étendue de cette portée sociale, on pourrait même dire
l'étendue d'une portée politique, ce qui fait que la bande
dessinée, hors de tout doute, a connu une expansion. Je
préfère, je l'avoue, sa version européenne à sa
version américaine. C'est une question de point de vue mais, si on en
est à discuter de plaisir personnel, je vous répète que,
moi, je préfère son contenu européen et son contenu
québécois, prioritairement peut-être au contenu
américain.
Je pense qu'effectivement, c'est un domaine au Québec qui est
récent et c'est un domaine qui doit être aidé. Vous avez
d'ailleurs donné un exemple à propos de Croc, qui fait nos belles
heures et le désespoir du maire de Drummondville, sans doute, mais en
tout cas, qui n'a pas demandé la tutelle gouvernementale durant X
années et qui a tout simplement demandé un coup de pouce en
disant: Donnez-nous le coup de main nécessaire de départ et,
après, on va vous prouver qu'on va être bon, surtout qu'on va
être drôle et qu'on va réussir. Effectivement, aujourd'hui,
je pense que c'est une entreprise qui est assez intéressante, qui est
créatrice d'emplois et, surtout, créatrice d'idées. Ce qui
fait que, d'emblée, j'ai le goût de vous dire que - c'est du
mauvais français, mais c'est une expression courante - "j'achète"
la majorité des recommandations que vous faites quant à une aide
à apporter à la bande dessinée, à la bande
dessinée québécoise.
Avant d'aller plus loin dans les voies et les moyens, il y aurait deux
ou trois questions que j'aimerais vous poser. J'aimerais savoir comment
fonctionnent actuellement les contrats qui impliquent des auteurs de bandes
dessinées au Québec, surtout en ce qui concerne leurs droits
d'auteur comme tels.
M. Viau: Je peux dire que les droits d'auteur que j'ai
négociés avec Ovale sur l'album que j'ai publié, Les
aventures d'Humphrey Beauregard, cela s'établit à 8 % du prix de
vente, c'est-à-dire 4 % pour Yves Perron, qui est dessinateur, et 4 %
pour moi, qui est scénariste, ce qui veut dire - on a vendu environ 3000
albums - qu'on a reçu environ 750 $ chacun en droits d'auteur depuis 16
mois sur l'investissement que l'on a fait, que l'on continue de faire depuis ce
temps et qui totalise, comme je vous le disais, tout près de 8000 $.
Pour ce qui est de la prépublication, comme je le mentionnais
tantôt, ce ne sont pas des droits d'auteur mais des formes d'honoraires
qui peuvent s'établir entre 200 $ et 250 $ la page, qui constituent
justement pour l'auteur une part importante de son revenu et qui servent aussi
à publiciser. C'est une partie importante, les Européens l'ont
compris depuis longtemps. Les périodiques à suivre comme Tintin,
Pilote, c'est un peu une forme de locomotive, cela sert à faire vendre
le personnage, l'histoire, l'intrigue, l'album qui sera ultérieurement
mis en marché. Ce sont les deux sources de revenus que nous avons. Pour
l'instant, le problème des droits d'auteur se pose plus ou moins de
façon pressante pour nous dans la mesure où ce qu'on demande,
c'est d'être publié. C'est d'abord cela. Pour certaines autres
associations, peut-être qu'on serait rendu à dire: On veut
renégocier les droits d'auteur, on a des problèmes à ce
niveau. Ce qu'on a, nous, ce n'est pas un problème avec les droits
d'auteur, on a strictement le problème d'être publié, de se
retrouver en librairie.
M. Fournier: Je pourrais ajouter qu'on est assez bien
traité chez Croc. Je travaille chez Croc et je fais une série
avec Real Godbout.
Le Président (M. Trudel): ...vos commentaires aussi durant
la dernière campagne électorale à mon sujet; vous pouvez
continuer.
M. Fournier: Chez Croc, on achète les droits de la
première publication. On est payé pour cela, ensuite, l'album
paraît et on perçoit 10 % sur la vente des albums. Il faut dire
que tant chez Ovale que chez Appartenance, qui ont publié un ou deux
albums de BD dans le temps, ou chez Croc, on est bien traité pour ce qui
est des droits d'auteur. On garde nos droits sur nos planches, nos originaux
nous sont remis, c'est une situation assez intéressante pour nous. C'est
aussi assez exceptionnel.
Moi, je reçois la grande partie de mes revenus en bandes
dessinées des États-Unis. Je travaille pour la firme Marvel
Comics où je fais de l'encrage. Aux États-Unis, la bande
dessinée, c'est ce qu'on appelle du "work for hire", c'est-à-dire
qu'on a un contrat, on est payé pour l'exécution d'une planche et
tous les droits, la création des personnages et même l'original
des bandes dessinées appartiennent à l'éditeur. En Europe,
c'est à mi-chemin entre les deux, cela dépend du contrat que l'on
peut dénicher avec l'éditeur. Donc, pour l'instant, parce qu'on a
si peu d'éditeurs, on peut dire que les auteurs sont bien traités
ici.
M. Boulerice: Vous parlez de marchés, du marché
européen, du marché américain, le marché
européen étant moins homogène que le marché
américain. Quand on parle de marché, bien entendu, on parle de
consommation. Si on veut parler de consommation, je pense qu'il y a des
habitudes de consommation à créer. Il y a une intervenante au
cours de la commission, justement en parlant de l'habitude de consommation, qui
avait fait une analogie humoristique avec la saucisse Hygrade: Plus on en
mange, plus on l'aime et plus on l'aime, plus on en mange. Donc, je crois qu'il
y a une habitude de consommation de bandes dessinées
québécoises à créer si l'on veut que ce
marché devienne rentable pour nous. En regard de cela, j'aimerais
connaître la situation de la bande dessinée
québécoise dans les bibliothèques publiques du
Québec.
M. Viau: Dans les?
M. Boulerice: Dans les bibliothèques publiques du
Québec.
M. Viau: Pour ma part, je sais fort bien, par mon éditeur,
que dans les biblio- thèques publiques du Québec la bande
dessinée, en tout cas Humphrey Beauregard, celle que j'ai
créée, s'y retrouve. Il y a des achats qui ont été
faits et on la retrouve, cette bande dessinée. Je pense que la plupart
des titres québécois, les albums aussi publiés par Ludcom,
les albums publiés par Ovale se retrouvent dans les bibliothèques
publiques municipales, à Montréal. En tout cas, on la retrouve
à la bibliothèque municipale de Montréal
également.
M. Boulerice: Oui. À part les deux compagnies
éditrices que vous avez nommées, est-ce qu'il y a d'autres
compagnies qui éditent au Québec des bandes dessinées
disons européennes et qui refuseraient d'éditer un produit
québécois?
M. Fournier: Non, je n'en connais pas. Je dois même dire,
au crédit de Croc qu'il y a des maisons d'édition
européennes qui ont offert à Croc des séries de bandes
dessinées gratuitement pour profiter du tirage des ventes de Croc pour
faire connaître leur produit. Cela a été refusé.
Croc tient à ce que le contenu soit à 100 %
québécois.
Mais il y a quelques petits éditeurs au Québec qui
publient aussi de la BD. Il y a l'Appartenance qui a publié l'album
Carcajou. Ce sont des contes amérindiens en bandes dessinées.
C'est fait ici. À l'occasion, il y a un auteur qui va trouver à
publier chez un des petits éditeurs. Il faut dire qu'Ovale, qui publie
les albums de Normand, est d'abord un éditeur de livres pour enfants qui
a ouvert une succursale BD, qui a publié deux ou trois titres en BD.
M. Viau: Cinq.
M. Fournier: Bon, cinq.
M. Boulerice: D'accord. Cela va. Je vous remercie.
Le Président (M. Trudel): M. Fournier et M. Viau, deux
questions. La première assez générale et la seconde,
très précise. La première, générale, c'est:
Vous parlez, en pages 25 et 26, de "dumping" de matériel
étranger, notamment évidemment la BD américaine. Vous
proposez des mesures voulant notamment que la BD soit vendue sur les
marchés québécois et canadien au même prix
qu'ailleurs. Cela m'amène à vous poser une question qu'on a
posée à plusieurs intervenants au cours de la dernière
semaine et aujourd'hui à savoir vos vues, si vous en avez, sur la
question du libre-échange, parce que vous avez beaucoup parlé
dans votre mémoire du phénomène de la BD
américaine, de sa pénétration sur les marchés
canadien et québécois. J'aimerais avoir vos vues sur le
libre-échange dont on parle beaucoup depuis plusieurs semaines, sinon
plusieurs mois.
M. Viau: J'allais vous répondre, peut-être un peu
ironiquement, que cela ne pourrait pas être pire, M. le Président.
Je pense que le libre-échange ne changerait rien ou à peu
près rien, avec les Américains en tout cas, au statut de la BD
québécoise. La bande dessinée québécoise -
je pense que M. Boulerice le soulignait tantôt - au Québec, celle
qu'on lit davantage.» C'est vrai que les Américains vendent aussi
beaucoup de bandes dessinées au Québec, traduites surtout dans
les quotidiens comme la Presse sous forme de "strips" mais, principalement, la
bande dessinée qu'on Ht au Québec, c'est la bande dessinée
de ce type, c'est-à-dire la bande dessinée cartonnée,
couverture rigide, tradition européenne. On est vraiment, au
Québec, majoritairement je dirais - Pierre me corrigera - mais de
tradition européenne. (20 h 45)
Alors, le libre-échange avec les États-Unis pour la BD
cela ne créera pas, selon moi, de préjudice marqué. Nos
concurrents, principalement, puisque nous sommes francophones, ce sont les
Français et les Belges; lis publient des albums sous forme
cartonnée. Les Américains vont surtout publier des choses du
genre "lisez et jetez", à peu près. Les Européens ont une
tradition de bandes dessinées qu'on garde en bibliothèque, qu'on
prête et qu'on relit avec plaisir plusieurs années plus tard. Le
problème, c'est que cela coûte cher à produire. Un album
comme cela coûte environ 4 $ à produire. Ici on en produit peu et
on en produit peu parce qu'on en vend peu. Je serais porté à
répéter le principe de la saucisse, cela a déjà
été plaidé, enfin. C'est la situation.
Le Président (M. Trudel): Cela m'amène directement
- c'est vous qui m'y amenez -sans que je sois obligé d'introduire ma
deuxième question, qui porte sur la production. Je suis un ancien
éditeur, c'est-à-dire que je demeure toujours éditeur dans
l'âme, mais mes fonctions actuelles m'empêchent de faire un autre
métier. Dans un domaine très particulier, qui était celui
du manuel scolaire, on avait tenté, dans la maison où
j'étais et où Jean-Pierre Langlois se trouve maintenant,
d'intéresser le ministère à l'application de certains
programmes à la BD, cela n'a pas très bien réussi. La
question: Vous insistez, à la page 15 de votre mémoire en mettant
l'accent, dites-vous, sur le développement de la production plutôt
que sur le marketing, la publicité et tout cela: je suis tout à
fait d'accord. Le problème que je vois - je ne sais pas si vous voyez le
même problème que moi - est basé sur les faibles tirages au
Québec; le coût de production est énorme, d'une part. Cela
est une question d'opinion sur laquelle j'aimerais vous entendre vous
exprimer.
Vous dites vous-même que vous faites face à des concurrents
qui sont très sérieux, notamment, les Belges et les
Français. Surtout tes Belges qui ont pris ce créneau parce qu'ils
étaient incapables de concurrencer la France sur les autres
créneaux. Au plan de la qualité de la bande dessinée
québécoise, j'aimerais vous entendre vous exprimer
là-dessus. On parle de la séparation des couleurs... Je ne veux
pas être trop technique pour les autres membres de la commission - on
pourrait poursuivre cette discussion une autre fois dans un autre lieu - mais
sur la question de la séparation des couleurs, ce genre de choses,
est-ce que ce qu'on commence à produire au Québec, selon vous, se
compare avantageusement ou peu ou pas du tout?
M. Viau: Sans parler du contenu puisque le contenu, c'est une
question de goût.
Le Président (M. Trudel): II y a du contenu.
M. Viau: Je pense que le contenant est là... Pierre me
permettra peut-être... Si quelqu'un veut vous apporter l'album que j'ai
produit, M. le Président, je pense que c'est un contenu... Lorsque je
l'ai apporté à Angoulême, les Européens, sans voir
le contenu, c'est un contenant qui satisfait sans aucun doute aux normes
européennes. Je pense qu'on est capable de produire, ici, la même
qualité. C'est évident qu'on a besoin de se perfectionner. Je
pense, par exemple... Je vais vous donner notre expérience; le dessin
était fait par Yves Perron, la couleur... Lorsqu'on est arrivé au
stade de la couleur - pour ma part, dans le style d'album que j'écris,
que je produis, qui est vraiment d'inspiration européenne - j'ai
remarqué que les Européens étaient très forts dans
ce domaine, c'est-à-dire des dégradés, des façons
d'amener la couleur au niveau de la technique assez particulière et
assez intéressante. Cela plaît à l'oeil.
Le coloriste qu'on a engagé, à ce moment, était
Français et était établi au Québec. Le
problème qu'on a, c'est que, maintenant, on doit continuer avec lui,
puisqu'il a donné une espèce d'image à notre album et il
est retourné en France. On doit maintenant transiger avec lui. Ce qu'on
voudrait également, ici, au Québec, quand on parle de programme
de formation, c'est que des coloristes soient formés ici au
Québec afin qu'ils puissent prendre la relève. Il n'y a rien que
j'aimerais mieux que de donner à un Québécois les 2000 $
que je donne à ce coloriste. Encore faut-il qu'il y en ait de
qualifiés. Je pense que cela ne serait pas très compliqué
avec les bourses de séjour, des bourses d'études, d'obtenir ici,
d'avoir des coloristes québécois qualifiés pour produire
des albums au niveau du contenant,
toujours, de même qualité, de qualité égale
aux produits européens.
Le Président (M. Trudel): L'aide gouvernementale que vous
attendez serait d'ordre financier, mais de quelle façon pourrait se
réaliser cette aide puisque vous dites, à la page 15, qu'il
faudrait mettre l'accent dans les programmes gouvernementaux sur la
production?
M. Viau: Quand je parle de production, je répète un
peu ce que j'ai dit tantôt: Moi, je suis créateur. Je dis: Dans un
premier temps... C'est sûr, je travaille; je pratique le droit. J'ai la
chance de pouvoir gagner ma vie autrement. Je suis conscient que la bande
dessinée, pour moi, ce n'est pas un hobby, c'est une partie importante
de ma vie et de mes activités. Je ne voudrais pas parler uniquement pour
moi en tant qu'auteur; par exemple, si j'arrivais à couvrir mon
déficit, je serais bien content. Si j'arrivais à faire du profit,
je serais encore plus content. Je ne voudrais pas parler pour les autres
intervenants. Que dirait un éditeur à qui vous poseriez la
question? Que dirait un distributeur à qui vous poseriez la question?
Que dirait un libraire à qui vous poseriez la question? Je ne sais pas.
Je pense qu'il y a un travail de concertation à faire. Je pense
qu'autour d'une même table, il doit y avoir des auteurs, il doit y avoir
des éditeurs, il doit y avoir des distributeurs, des libraires qui, avec
les membres du gouvernements vont voir comment les sous, les montants d'argent
vont pouvoir être affectés pour que le produit au départ,
celui créé par l'auteur, se retrouve en librairie.
Je pense qu'il faut axer l'intervention sur le fait que les
créateurs ont besoin de vivre pour créer mais aussi, il faut axer
l'intervention pour que, peut-être, en fin de compte, une fois le produit
fini, il puisse être publicisé, que l'éditeur puisse avoir
du fric pour l'annoncer dans des journaux, que le libraire accepte,
peut-être en étant aidé financièrement... Je pense
que le libraire est un commerçant aussi. C'est évident que si un
album prend plus de temps à décoller, il n'acceptera pas de le
garder en vitrine une semaine ou deux. Mais, c'est peut-être cela que
ça nous prend, que l'album reste en vitrine une semaine ou deux. Il y a
certainement des moyens... Je pense que s'il y avait des présentoirs de
bandes dessinées québécoises en librairie, cela pourrait
être aussi un moyen pour que la bande dessinée
québécoise soit mieux vue de la part du lecteur. Je pense qu'avec
tous les intervenants, si on s'assoyait et on en discutait, si on voyait
comment répartir les fonds publics, il y aurait certainement moyen, M.
le Président, de trouver des solutions.
Le Président (M. Trudel): Je vous remercie. Est-ce que
d'autres membres de la commission auraient des questions à poser?
Or, messieurs, il me reste à vous remercier et à vous
féliciter pour un excellent mémoire portant sur un sujet peu
connu qui s'éloignait aussi de façon générale du
sujet plus vaste qu'on avait traité depuis une semaine. Je pense que
cela a été une discussion utile et qui va nous permettre de
poursuivre une réflexion. Quant à moi, sur le plan personnel,
j'aimerais vous revoir un jour. Si on ne discutait pas de bande
dessinée, on pourrait discuter de droit.
Je vous remercie de vous être déplacés pour venir
rencontrer la commission ce soir.
M. Viau: C'est nous qui tenons à remercier la commission.
Pour nous, c'est -j'allais dire un miracle - une occasion unique de faire
valoir notre point de vue. On ne pensait pas que cela pourrait se
réaliser si tôt, puisque notre association est toute jeune. Nous
vous remercions de votre écoute et de nous avoir accueillis.
Le Président (M. Trudel): On a été
très heureux de pouvoir vous donner si rapidement le baptême du
feu. En vous souhaitant les meilleurs succès, merci beaucoup.
Notre prochain invité est M. Richard Tremblay qui est un peintre
de Montréal, je crois.
M. Tremblay, si vous voulez vous avancer seul ou avec d'autres
pour parler cinéma, cette fois. Est-ce que les rues Martineau.. Est-ce
que M. le député de Saint-Jacques fait encore... M. le
député de Saint-Jacques, est-ce que la rue Martineau est dans
votre comté? Est-ce que la rue Martineau est dans votre
comté?
M. Boulerice: Heureusement pour moi et malheureusement pour
vous.
Le Président (M. Trudel): C'est la question que je vous
posais pendant que vous saluez...
M. Tremblay, bienvenue.
M. Tremblay (Richard): Merci.
Le Président (M. Trudel): Vous connaissez les
règles du jeu. On les a exposées tantôt.
M. Tremblay (Richard): Non, je n'étais pas ici, je suis en
retard. J'étais...
Le Président (M. Trudel): Vous venez d'entrer. Alors, pour
me résumer très rapidement, tous les membres de cette commission
ont lu votre mémoire. Les principaux points ont été
résumés par différentes équipes pour chacun des
membres de la commission. Ce que je vous demanderais, de façon à
nous
donner le plus de temps possible pour vous poser des questions, ce
serait de résumer aussi rapidement que possible les principaux points
dé votre mémoire, ceux sur lesquels vous voulez insister le plus.
Par la suite, il y aura une période de questions et d'échange de
vues. Cela vous va? Je vous cède la parole.
M. Richard Tremblay
M. Tremblay (Richard): Je tiens à dire que les solutions
que j'apporte individuellement dans le dossier sont des solutions vraiment peu
matérialistes. Ce sont des solutions plutôt humaines à un
problème qui a déjà été analysé de
toutes les façons, c'est-à-dire le problème du
créateur, de l'investissement, de son adaptation sociale et de la
vérité quotidienne de quelqu'un qui doit subir chaque jour cette
angoisse que j'appelle toujours la douleur du raisonnable. Je ne veux pas
nécessairement, puisque vous avez lu mon dossier, parler de mes
solutions, parce que, pour l'instant, je préférerais attendre vos
questions. Je travaille beaucoup professionnellement avec tout ce qui m'est
accessible dans le système, c'est-à-dire que j'ai
déjà fonctionné dans tout ce qui était adaptable
à ma forme personnelle de découverte de l'art, en
compétition universelle, et je dois dire que mon cas est le cas de
plusieurs autres artistes individuels, qui doit se faire voir plutôt
comme un sportif à qui les gouvernements et les associations sont
capables de donner quelque chose pour représenter universellement un
sport dans lequel son gouvernement et ces gens croient. Je parle de sport,
parce que les Canadiens, individuellement, sont beaucoup mieux traités
que nous, les artistes, on l'est individuellement.
Maintenant, quand des présentations sont faites au gouvernement
fédéral disant des choses aussi répugnantes pour
l'individu qui les lit, sachant que, chaque jour, il doit aussi les endurer, et
que les solutions ne viennent pas et ne sont pas là - je le sais, je
participe à toutes ces choses - quand on voit qu'une enquête
révèle de nombreux cas où les oeuvres des artistes furent
l'objet de malversations, dans la majorité des cas, les artistes n'ont
aucun recours pour revendiquer leurs droits. Ils n'ont signé aucun
contrat. L'entente était verbale ou ils ne possédaient, pour tout
contrat, qu'un simple reçu de consignation.
Voilà ce que l'artiste, dans la société,
représente aux yeux du gouvernement, aux yeux des médias qui
couvrent tous nos sportifs et qui négligent une compétition
universelle où l'art perd de la valeur. C'est tellement répugnant
dans un pays riche comme le nôtre que c'en est vexant même d'en
parler. C'est triste aussi de voir que peu d'artistes connaissent leurs
possibilités d'agir sur le plan contractuel, ce qui les place dans une
situation où ils sont susceptibles d'être
désavantagés dans leurs efforts de vendre et de diffuser leurs
oeuvres.
Nous sommes des machines à nous faire regarder d'une
façon... utilisés comme une espèce d'antenne. Comme je
l'ai dit une fois à un directeur de musée: Mon cher monsieur, je
me suis déplacé parce que vous m'avez honoré de toute la
belle bureaucratie du gouvernement où je suis finaliste et, finaliste
par-dessus finaliste, en tant qu'autodidacte finaliste, et, vraiment,
aujourd'hui, je sais que je suis finaliste. Mais, écoutez, mon cher
monsieur - parce qu'il était tellement prétentieux - ce sont .les
artistes qui font les musées, non pas les musées qui font les
artistes. Alors, quand vous me ferez venir à votre bureau, connaissez au
moins mon dossier. Qu'est-ce que j'ai, moi, à l'âge de 30 ans, en
tant qu'individu? Un bien-être social de 180 $ par mois. Combien d'autres
ont la même chose? Avec mon chèque de bien-être social, je
paie l'électricité et Hydro-Québec me charge des
intérêts comme si c'était une carte Master Card.
C'est le quotidien de l'artiste. Une chance pour moi, j'ai l'esprit
d'entrepreneur. Une chance pour moi, j'aime la politique. Une chance pour moi,
j'aime travailler. Je n'aime pas qu'on me marche sur la tête et je ne me
laisse pas marcher sur la tête. Mais combien d'autres artistes vivent
cela? Chaque jour, je sais, j'ai un maître d'art, un universitaire de
l'Université McGill, le premier artiste en résidence de
l'Université McGill. C'est mon éducation d'être allé
chercher autre chose. Un pauvre artiste qui a un curriculum vitae à
faire pleurer n'importe qui. Mais on me dit que ce n'est pas une qualité
d'aller chercher, à part des académies, d'autres sortes de
formation. Mon argent, je l'ai investi à voyager dans le monde entier.
J'en connais probablement plus sur l'art que n'importe qui avec qui je fais
affaires, parce que c'est ma vie et ma profession. Mais comment le justifier
sur papier? Toujours sur papier? J'ai besoin de professionnels autour de moi
pour m'aider. Pourquoi ne pas fonder - tout à l'heure, j'y pensais dans
l'auto - l'association... Je l'ai écrit ici, parce qu'il y a tellement
d'associations pour les autres, pourquoi ne pas en avoir une pour nous? Ce
serait l'association des mécènes pour la protection de la culture
québécoise. C'est aussi simple; pourquoi pas? (21 heures)
Le gouvernement, on sait qu'il s'en fout, les galeries, on sait qu'elles
s'en foutent. Pourquoi ne pas se servir des gens qui veulent vraiment nous
aider? Ce sont les mécènes, ce sont les gens qui croient à
l'art, ce sont les collectionneurs d'art qui nous aident. Donnez-leur à
eux la chance, à des
hommes d'affaires qui peuvent nous aider, des gens qui croient en nous.
Donnez-leur à eux la formule de régler le problème. Ce
sont des gens qui bénévolement sont intéressés
à nous aider, ils sont intéressés à croire en nous
et ce sont des gens qui au moins ont le courage de nous faire sentir qu'on vaut
quelque chose et qu'on mérite un peu de gratification une fois de temps
en temps. J'arrive de Toronto où je vais avoir une exposition culturelle
pour représenter le Québec parce que j'ai déjà eu
des expositions subventionnées par le gouvernement. Maintenant, j'en
suis au point où je n'ai plus d'argent pour suivre le rythme de la vie
et je dois moi-même aller représenter le Québec à
Toronto. Et quand je vais me présenter là-bas je vais avoir
dépensé tout cet argent. Là, on va me donner une
exposition, on va me fournir mes encadrements et tout. Qui vous
représente, vous, le Québec à l'étranger? Les
artistes commerciaux? Non, c'est le cercle international des artistes pour la
culture et n'importe où à travers le monde les galeries
parallèles font leur chemin. Ce n'est pas à travers les galeries
commerciales que vous allez attirer une culture réelle, mais à
travers nous, les individus qui sommes capables de faire quelque chose de
rationnel en étant si peu matérialistes au point de risquer notre
vie. Nous ne sommes pas matérialistes, on risque notre vie et vous nous
faites sentir toujours que l'argent c'est l'argent mais la culture elle est
dans l'égout parce que l'égout peut-être nous appartient.
J'aimerais passer à la période de questions.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. Tremblay. Mme la
ministre.
Mme Bacon: M. Tremblay, dès le début de votre
mémoire, vous nous faites une affirmation qui, je crois, constitue
peut-être une des réalités les plus implacables du
métier de créateur qui, dites-vous, accepte de se marginaliser;
c'est dans votre mémoire. D'ailleurs, l'ampleur et la portée des
revendications des intervenants qui se sont succédé depuis le
début de nos travaux reflètent bien cette constatation et
j'espère que la façon dont le gouvernement a mené ses
travaux aura au moins altéré ce sentiment que vous exprimez dans
votre mémoire, que c'est d'abord au niveau des attitudes que le
créateur se sent dévalorisé. Vous dites que le
gouvernement s'en fout, je ne suis pas tout à fait d'accord avec
vous.
M. Tremblay (Richard): II s'en fout aujourd'hui parce que, moi,
je travaille professionnellement* avec des lettres du gouvernement. Je
travaille, je me considère professionnel, non pas parce que je suis
resté chez moi à m'admirer dans le miroir, mais j'ai
participé et j'ai la chance d'avoir des lettres de finalistes.
Voulez-vous un dossier de tout ce que j'ai? J'en ai, mais combien d'argent j'ai
eu à travers tout ce tralala! C'est là que le gouvernement doit
agir. Je dis que financièrement il s'en fout, on dirait. Mais je sais
que le gouvernement...
Mme Bacon: Sentimentalement ou émotivement il ne s'en fout
pas, M. Tremblay...
M. Tremblay (Richard): Mais quand on parle...
Mme Bacon: Voulez-vous m'écouter un petit peu?
M. Tremblay (Richard): Mme la ministre, je m'excuse.
Mme Bacon: Sentimentalement ou émotivement il ne s'en fout
pas puisqu'il a décidé de faire cette commission parlementaire;
c'est la première fois que nous avons une commission parlementaire qui
permet à nos artistes de venir publiquement dire ce qu'ils ressentent,
ce qu'ils sentent et ce qu'ils vivent. Ça, c'est de
l'émotivité, c'est de l'émotion, c'est ce qu'on essaie de
faire passer comme message. Je pense que les artistes qui sont venus nous
rencontrer ont tous plus ou moins des problèmes et c'est pour ça
qu'on a tenu cette commission parlementaire, pour travailler davantage à
améliorer le statut de l'artiste et du créateur, ce qui
était le but premier de cette commission parlementaire.
En ce qui concerne le gouvernement, nous avons l'intention de faire
l'effort suprême pour modifier des attitudes. Je pense que cette
commission parlementaire, qui a été très bien couverte par
les médias, a réussi à sensibiliser une partie de la
population qui n'était peut-être pas sensibilisée au statut
de l'artiste et du créateur. C'est heureux que ce soit comme ça
et que les médias aient donné autant de possibilité de
couverture à cette commission pour faire connaître cela à
la population et la sensibiliser, la conscientiser au statut de l'artiste et du
créateur. C'est de cette façon qu'on peut modifier les attitudes
et conscientiser aussi les autres ministères. Je pense que le
ministère des Affaires culturelles fait amplement son travail en ce
moment pour la conscientisation des autres, mais le fait aussi en même
temps pour conscientiser les autres ministères qui peuvent apporter des
solutions au statut de l'artiste et du créateur. Les Affaires
culturelles ont fait un bout de chemin, mais je pense que les autres aussi
devront faire la. même chose avec nous dans les mois qui viennent pour
arriver à des solutions qui répondent aux besoins des uns et des
autres. Je pense que c'est important que cela soit
dit aussi et on essaie de le faire sans aucune prétention. On
essaie de le faire avec la plus grande compréhension des
problèmes de chacun et vous avez très bien affirmé, dans
votre dossier - et on s'excuse de vous avoir fait préparer un dossier,
mais c'est la façon dont il faut le faire - vous l'avez très bien
fait dans le dossier et vous avez vraiment bien revendiqué. Cette
revendication est tout à fait adéquate et tout à fait
importante dans le cadre même de notre commission parlementaire.
J'aimerais quand même - on va vous poser des questions -
j'aimerais quand même vous demander, quand vous parlez d'une carte
d'identification professionnelle, si vous pourriez m'en dire davantage.
M. Tremblay (Richard): Oui. Ce serait tellement utile pour moi.
Par exemple, j'entre chez Orner De Serres, d'accord? L'étudiant a un
escompte. Tout le monde qui a une carte étudiante a un escompte.
J'aimerais cela pouvoir profiter d'un escompte, mais je ne peux pas prouver que
je suis un artiste professionnel. J'aimerais aller au Musée aussi pour
"m'éduquer". Je n'ai pas les moyens d'aller faire trois musées,
alors je me prive de ces choses-là. C'est surtout une carte qui
identifierait l'artiste comme étant quelque chose.
Mme Bacon: Son statut.
M. Tremblay (Richard): C'est cela, qui refléterait... mais
après que l'artiste ait fait ses preuves. On ne dit pas qu'un artiste
mérite une carte si lui-même ne fait pas partie d'un
système qui est le nôtre, la culture québécoise et
ce que l'on essaie de faire avancer ensemble. D'ailleurs je trouve que votre
commission a tellement de bon sens, cela arrive tellement au bon moment parce
que les Québécois, c'est bon que l'on s'identifie et il y a
tellement une grande richesse là-dedans. Alors si moi je pouvais avoir
quelque chose au lieu d'être "monsieur rien du tout". J'ai
travaillé toute ma vie; j'ai découvert l'art, pour moi c'est un
handicap. C'est vrai que c'est émotionnel, Mme la ministre, l'art.
Mme Bacon: Et c'est très bien que cela soit comme
cela.
M. Tremblay (Richard): II y a une chose aussi qui est
peut-être moins émotionnelle, c'est que quand on parle de l'art,
on dit de l'artiste, sa propriété intellectuelle. Ce n'est pas
nécessairement... c'est un cadre. On dit aussi: L'art visuel. C'est
tellement relatif que c'est sûr que ce sont juste des sentiments.
L'artiste qui se fait dire - c'est pas un cas personnel, parce que moi je ne
suis qu'une antenne de la peinture; pour moi c'est beaucoup un handicap, parce
que je préférerais peut-être avoir autre chose, mais je
suis possédé par cela, comme plusieurs autres ont fini par
être possédés par cela. C'est quelque chose qu'on mange
tellement que c'est tout ce que l'on digère. C'est surtout cela. Je
tiens à préciser que ce ne sont peut-être pas les
émotions personnelles ou quoi que ce soit, ce sont plutôt vraiment
les propriétés intellectuelles dans lesquelles on se les arrache
ou on manipule. C'est cela, on subit tellement toutes sortes de choses. La
carte d'identité, c'est tellement une chose utile, c'est certainement
utile.
Mme Bacon: Est-ce qu'elle devrait être utilisée
seulement... Vous parliez d'entrer dans les musées par exemple, pour
vous permettre... Pourrait-elle être utilisée seulement au niveau
des arts, au niveau de la culture, ou si vous pensez à une utilisation
dans d'autres domaines?
M. Tremblay (Richard): Je pense que...
Mme Bacon: Disons, qui vous permettrait d'aller dans les
musées, qui vous permettrait d'aller à des concerts.
M. Tremblay (Richard): Oui, je pense que ce serait plutôt
pour d'autres domaines, profiter vraiment... Moi, par exemple, je n'aurai
jamais de pension de vieillesse car je ne travaille pas. Je ne profiterai
d'aucun des plans qu'on offre quand on travaille. Alors, cette carte-là,
pour moi, c'est déjà un petit peu profiter des avantages que
j'abandonne en chemin, de profiter tout de suite de d'autres avantages que je
n'aurai pas, comme des rentes de travail. J'abandonne ma pension, j'abandonne
tout pour cela. C'est plutôt profiter une peu de tout ce que l'on n'aura
pas plus tard, des déductions dans nos domaines. Comme si je voulais
acheter un livre d'art, je veux dire, je suis aussi bien de vendre ma bague
parce que je ne peux vraiment pas me le payer. Si je pouvais avoir, je ne sais
pas, même 30 %, c'est déjà plus que rien du tout.
Mme Bacon: D'accord. Vous suggérez aussi
l'émergence d'une véritable forme d'expression
québécoise dans le cadre d'échanges culturels dans la
dernière proposition de votre résumé. Avez-vous des
exemples précis pour illustrer ces propos. Pourquoi, d'après
vous, le réseau culturel actuel, parce qu'il y en a un, n'est-il pas
suffisamment intégré à celui qui existe au Canada ou
à l'étranger?
M. Tremblay (Richard): Peut-être parce qu'il n'est pas
assez séparé, qu'il n'est pas assez concentré quelque
part. Mon orientation culturelle, c'est M. Pellan. Je travaille l'acrylique et
j'essaie d'inventer une technique d'acrylique en même temps.
L'acrylique est une matière nouvelle. Tous les
académiciens travaillent l'acrylique comme l'huile. Les
académiciens ne travaillent pas l'acrylique comme elle devrait se
travailler; c'est un nouveau produit. À travers la découverte de
ma technique dans l'acrylique, c'est ce vers quoi j'évolue
individuellement comme autodidacte. Je me reflète dans Pellan beaucoup,
parce que Pellan a des couleurs, de la vie, quelque chose de
québécois, un message où on se reconnaît. Mon
objectif au début, c'est le non agressif. Moi, je travaille le non
agressif. C'est déjà un reflet de la société
québécoise, toute cette ouverture. Les Québécois
sont reconnus pour être très ouverts, très
tolérants. Dans notre art, cela se reflète aussi. Pellan a
peut-être été remarqué pour cela. C'est sûr
que j'ai subi des influences extraordinaires, comme celle de Chagal. Chagal
pour moi, je vais faire un lien - Chagal m'influence, je suis un
Québécois - celui d'être latin. C'est cela que je veux dire
par identifier notre art. On en a une, évidente, mais on est
obligé de trop la relier à d'autres, la comparer... On a vraiment
ici quelque chose d'extraordinaire.
Mme Bacon: Vous suggérez aussi l'établissement d'un
programme d'aide à la formation d'une durée de cinq ans qui
serait donné à l'intention des jeunes créateurs.
Évidemment, il y a toujours plus d'appelés que d'élus dans
ces domaines. Est-ce que vous auriez des critères de sélection
pour un programme comme celui-là ou si vous l'ouvririez à tout le
monde? On parle souvent de critères de sélection mais je pense
que vient un temps où il faut faire la sélection.
M. Tremblay (Richard): Oui, c'est difficile, la sélection.
Mme la ministre, quand on donne une bourse de courte durée à
quelqu'un, on a un retour de tout ce qu'il a fait avec cette bourse. Ensuite,
vous lui accordez une bourse de six mois, la bourse B, par exemple. Vous avez
les résultats qui vous permettront de choisir si l'artiste sera
méritant d'une bourse de longue durée, pas nécessairement
après dix ans mais après un continu de trois mois, ensuite de six
mois et de cinq ans selon ce que l'artiste vous rapportera. Je pense que ce
serait la façon la plus sélective de respecter toutes les
normes.
Mme Bacon: Est-ce que vous exigeriez je reviens aux
critères parmi les possibilités de faire des choix - des
exigences de temps par rapport à la carrière de l'artiste ou du
créateur?
M. Tremblay (Richard): Pardon?
Mme Bacon: Est-ce que cela pourrait s'exprimer dans le temps
suivant les expériences de quelqu'un? Par exemple, si quelqu'un a fait -
je ne dirais pas a vécu de son art, parce que c'est très rare -
de la peinture pendant cinq ou dix ans, pendant un an ou deux, est-ce que vous
y verriez la même possibilité pour lui d'avoir droit à ce
programme de cinq ans?
M. Tremblay (Richard): Disons que chaque fois qu'une bourse est
accordée, il y a un jury qui juge de la qualité, ce qui
élimine déjà en partant, le temps.
Mme Bacon: Vous n'en avez pas contre les jurys?
M. Tremblay (Richard): Non, au contraire, mot, si j'étais
finaliste pendant trois années consécutives et que je m'en
flattais beaucoup, quand les jurys avaient fini avec moi, ce qui était
un processus juste -on était 10 finalistes sur 4500 - il y avait cette
bourse. J'avais été choisi par un ensemble d'artistes et
là où je bloquais, c'est que ce sont ceux qui avaient l'argent
qui étaient choisis parmi les 10 plutôt que 4500 un peu plus
favorisés sur les montants et tout... C'est là le problème
au niveau des bourses, parce qu'il s'il y en avait 10 de choisis et qu'on
donnait des bourses de 20 000 $, si j'avais pu avoir... On était 4500.
Il y a toutes sortes de choses comme cela.
Mme Bacon: Une plus juste répartition des choses.
M. Tremblay (Richard): Moi, je crois que les jurys,
habituellement, sont assez justes mais ils ne peuvent pas aller jusqu'au fond.
Ils sont obligés de plaire à quelqu'un. Mais, habituellement,
pour la qualité d'art, ils se rapprochent... Moi, en tant
qu'autodidacte, pour m'accepter comme finaliste, c'est qu'ils n'ont aucun
préjugé, du moins certains.
Mme Bacon: Je vous remercie beaucoup, surtout d'avoir eu le
courage de venir nous expliquer ce que vous ressentez.
M. Tremblay (Richard): Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques, vous allez vous adresser à votre
électeur. (21 h 15)
M. Boulerice: On pourra peut-être me permettre de rompre un
peu le protocole de ce Parlement et dire que je suis très heureux de
votre présence ici, Richard, ce soir. Depuis le début de la
commission, nous avons rencontré des organismes, des associations, des
corps constitués avec des
ordinateurs qui pouvaient produire des rapports d'une qualité
typographique exceptionnelle avec, forcément aussi, beaucoup de
personnel de recherche qui pouvait articuler la décision et voilà
qu'un individu, un individu qui m'est cher, se présente avec
effectivement, comme l'a dit Mme la ministre, le courage que cela comporte de
se présenter dans un salon où le décor est impressionnant
et peut-être un peu figeant pour nous lancer un cri qui, à mon
point de vue, est un signal de détresse parce qu'il y a une
solitude.
C'est de Gaulle, je pense, qui disait: Parlez-moi de la France, mais
laissez-moi écouter les Français. J'aime bien qu'on me parle de
peinture, mais j'aime beaucoup plus qu'un peintre vienne me parler de la
peinture comme telle, ce qui fait que votre participation, pour nous, donne une
dimension à la culture, devant la commission de la culture, à
laquelle on ne s'attendait peut-être pas et que l'on voit ce soir. Pour
ma part, en tout cas, je m'en réjouis énormément.
Dans le mémoire que vous avez présenté - j'aurai
sans doute l'occasion de discuter plus à fond au 1889, Amherst, dans les
jours qui viennent - deux choses ont retenu mon attention, car je sais que
notre temps est limité. Pourriez-vous me parler -vous y avez fait
allusion avec un peu d'agressivité; quand je dis "agressivité",
je ne la condamne pas parce que je sais que ce n'est pas facile - des
problèmes que connaissent les artistes dans les rapports qu'ils ont avec
les galeries d'art? J'aimerais que vous en parliez un peu plus.
M. Tremblay (Richard): C'est assez intéressant parce que,
justement, les galeries d'art m'ont forcé à abandonner beaucoup
de choses, beaucoup de mes idées aussi. Par exemple, pour un artiste qui
est finaliste au Conseil des arts du Canada, c'est facile, avec sa lettre, de
susciter l'aide d'une galerie. D'après le système, une galerie
peut prendre trois finalistes du Conseil des arts ou du ministère des
Affaires culturelles et aller chercher une subvention de 10 000 $. Ce qui m'est
arrivé, c'est que la personne est allée chercher une subvention
de 10 000 $ pour présenter mes choses, c'était la première
fois que je faisais une galerie commerciale et j'avais beaucoup de
préjugés. Mais à la fin, on m'a quand même pris 40 %
de mes revenus. Cette personne, c'est un cas parmi tant d'autres, parce que ce
sont des exemples comme cela qui me viennent à l'idée, il me
faudrait un peu plus de temps. C'est l'exemple des galeries.
Tandis que les galeries parallèles... Si j'ai un peu d'argent et
eux aussi, on n'en a jamais beaucoup, mais on finit par faire des choses
tellement merveilleuses avec un rien. En plus, les galeries parallèles
sont fréquentées par des gens de New York, par des Allemands, par
des Français; ils ne vont pas se ramasser nécessairement dans une
galerie commerciale, ils n'ont pas les moyens, ce sont habituellement des
critiques d'art au des gens du genre, ils vont plutôt dans des galeries
parallèles. Je suggère qu'il y ait beaucoup plus
d'investissements à ce niveau. C'est surtout cela.
M. Boulerice: Pourriez-vous me donner plus de détails,
Richard, sur la formule prêt et bourse garantie pour assurer le soutien
de l'artiste par un mécène? Je crois en reconnaître un dans
la salle, d'ailleurs.
M. Tremblay (Richard): C'est la dépendance fiscale que
l'on a vis-à-vis ces gens. Mon ami François Beaulne est l'un des
vice-présidents de la Banque Nationale, c'est un collectionneur d'art,
c'est une personne très sensible à l'art qui a fait plus de mille
et une choses pour les artistes. Cette personne ne peut cependant pas me
déduire de ses impôts, elle ne peut me faire paraître nulle
part. Les gens qui vont investir dans le cinéma vont avoir 150 % de
déduction, pourquoi pas quelqu'un qui aide un simple artiste? Il
faudrait, aujourd'hui, vraiment, avec les mécènes et tout, relier
le parallèle gouvernement, galeries et tout par ces gens parce que ce
sont des gens qui pourraient nous déduire d'impôt avec plaisir,
nous conseiller dans nos affaires. Ce sont des gens qui sont très
proches, ce sont des hommes d'affaires intéressés à nous
aider, qui nous fournissent même les machines a dactylographier, leurs
secrétaires et tout.
Alors, si eux pouvaient déduire pendant cinq ans un appui qu'ils
fournissent à un artiste sous forme de prêt-bourse, c'est comme un
cosignataire à la banque. Je suis obligé de passer par la banque
pour avoir un cosignataire. Pourquoi ne passerais-je pas par le gouvernement?
Je serais capable de payer quand même ma dette, mais j'aurais un
prêt-bourse et je ferais le prêt quand je ferai un peu plus
d'argent, quand j'aurai fait des expositions tandis que, là, je n'ai pas
les moyens de penser ni à ceci, ni à cela. Je n'ai pas les moyens
de faire quoi que ce soit. J'aimerais être capable d'avoir une
sécurité de cinq ans et que ce soit déductible
d'impôt. Je trouve que c'est important. Au moins, cela me valoriserait
vis-à-vis de ceux qui nous aident vraiment. Au lieu de dire merci, mea
culpa, on dit merci, mea culpa toujours.
M. Boulerice: Avec la complicité de ma collègue,
Mme la ministre de la culture, je vais tricher et poser une dernière
question, mais toute petite. Il y a de grands débats qui se font. Ils se
faisaient d'ailleurs un peu à Montréal durant la dernière
fin de semaine au sujet des musées, à savoir quelle
était
leur vocation. Certains disaient: Bof! Les musées doivent
être de grandes galeries. D'autres disaient: Les musées doivent
être des "kuntshalle". Quelle est votre position face aux musées
quant à la jeune peinture? Quel rôle cela doit-il jouer?
M. Tremblay (Richard): Pour la jeune peinture, de façon
définitive, dans les musées, elle a déjà une
très bonne fonction parce qu'elle fait paraître ce qu'on a
déjà acquis. Mais il faudrait automatiquement consacrer toujours
une salle pour encourager les artistes justement, les artistes qu'on
connaît, sans nécessairement mettre des artistes à vendre
et attendre qu'ils aient atteint la gloire ou quoi que ce soit mais que nous
considérons. Dans nos musées, on est content de montrer le jeune
futur ou l'innovation. Qu'ils aient une salle consacrée à
l'innovation, à un cheminement de nos idées, à quelque
chose de jeune, pas quelque chose de sauvegardé. Ce serait là la
fonction des musées. Les musées fonctionnent très
bien.
Il y avait une exposition l'année passée au Musée
d'art contemporain. Je fréquentais beaucoup les gens. J'ai
demandé au directeur du musée: Comment avez-vous fait la
sélection des meilleurs artistes québécois dans cette
salle? Il a dit: J'ai pris les plus connus. Alors, je lui ai dit: C'est
évident, mon cher ami. Tandis que, moi, je suis sûr que dans le
sous-sol du Musée d'art contemporain il y avait des choses qui avaient
beaucoup plus de valeur que des gros titres mais, malheureusement, c'est tout
ce qu'il y avait sur les murs.
M. Boulerice: Merci, Richard. À bientôt,
j'espère.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député. M. Tremblay, je n'ai pas de question à vous poser
compte tenu du temps qui avance, encore une fois, malheureusement trop
rapidement. J'ai été très impressionné par le cri
du coeur que vous avez lancé, que vous avez écrit d'abord. Quand
on a décidé de vous convoquer, je me mettais à
espérer que ce qu'on lisait on le réentendrait, et ce n'est pas
toujours vrai. On peut écrire des choses et je me disais: Est-ce qu'on
aura toute cette émotion qu'on a ressentie dans votre mémoire? Je
pense qu'on l'a eue et je pense que cela a été important de vous
entendre, tant pour la ministre que pour le critique officiel de l'Opposition,
que le président de la commission et les membres de la commission.
Je vous remercie infiniment de vous être déplacé de
Montréal. Je vous souhaite la meilleure chance dans votre
carrière. Je sais que vous avez, en M. le député de
Saint-Jacques, un allié. Vous en aurez sûrement d'autres de ce
côté-ci de la table de la commission. Merci infiniment et
très bonne chance.
M. Tremblay (Richard): Merci beaucoup. Je suis vraiment heureux,
ce soir, d'avoir vraiment été écouté, comme le
disait mon télégramme. Merci beaucoup.
Le Président (M. Trudel): Merci. Au revoir.
Le prochain invité de la commission est M. Bernard Lajoie. Je ne
pense pas que M. Lajoie soit encore parmi nous. Je vois que M. Pleau est au
fond de la salle. Alors, je vais immédiatement l'inviter à venir
s'asseoir à cette grande table afin de nous résumer son
mémoire qui porte, pour le bénéfice des membres de la
commission qui l'ont quand même lu, le numéro 23M plutôt que
13M qui était le précédent. M. Pleau est conseiller en
affaires publiques, et un ex-agent d'information au ministère des
Affaires culturelles, au Musée de la civilisation.
M. Pleau, bienvenue presque chez vous finalement. La parole est à
vous...
Une voix: Pour quelques minutes
Le Président (M. Trudel): ...dix minutes, et, par la
suite, nous vous poserons des questions.
M. Maurice Pleau
M. Pleau: Bonsoir tout le monde. Je vais présenter juste
brièvement certains aspects que je considère plus essentiels dans
ce que j'ai pu raconter dans ce mémoire. La première qui est sur
le statut de l'artiste, j'ai suivi dans les journaux que les associations
demandaient de se voir reconnaître le statut d'entrepreneur
indépendant. Dans mon mémoire, je présente
brièvement à la fois ce statut et celui de salarié. Je
conclus en disant que le gouvernement devrait aller dans le sens des
associations, que c'est aux artistes de décider eux-mêmes quel
statut ils veulent se voir reconnaître. Moi, je pense qu'il faut leur
donner cette chance de vivre avec un statut et des mesures fiscales qui vont
avec le statut.
J'ai quand même une certaine réflexion à faire sur
cela. Je ne suis pas sûr que ce soit le statut d'entrepreneur qui soit le
seul statut viable, puisque le statut de salarié également
correspond à une certaine vision de la société. Le statut
qui est demandé correspond à notre mentalité
nord-américaine d'entrepreneurship. Moi, je dirais que cela correspond
un peu à l'offre où les artistes, comme l'entreprise, offrent
leurs services. Le statut de salarié pourrait leur être
accordé également où Ies différents contrats qui
leur sont donnés deviendraient des espèces d'accréditation
multipatronale et il
correspond un peu à l'autre facette du marché qui est
celui de la demande où les artistes vivant en tant que salariés
demandent à des patrons de les engager.
Même s'il a semblé y avoir un certain consensus de la part
des associations - et je trouve cela agréable de la part de ces
associations de présenter un certain consensus sur une demande - ce
n'est pas la seule façon de voir le métier d'artiste que selon
cette forme. Je pense qu'en leur accordant les mesures qui vont avec un statut
comme cela, les artistes vont vivre un certain temps, vont expérimenter
cette forme de travail, mais vont, à un moment donné,
s'interroger à nouveau sur les programmes sociaux et toute l'aide
financière qui est aussi rattachée au statut de salarié.
C'est évident que, malgré qu'une réforme soit urgente, le
débat va recommencer sûrement dans quelques années. Mais
là, je ne dis pas cela pour être pessimiste. C'est juste pour
présenter un peu les deux façons de voir où, malgré
un consensus, il y a quand même aussi des qualités et une
façon de concevoir la société, derrière le statut
de salarié. Je soutiens les artistes dans leurs demandes. C'est eux qui
veulent le vivre. C'est eux qui veulent travailler avec cela. Moi, je pense
qu'il faut le leur donner.
L'autre aspect que je trouve important, c'est ce que je pourrais mettre
ensemble, le développement régional et l'implication
régionale des directions du ministère des Affaires culturelles.
Juste présenter des lois ou des règlements qui améliorent
le statut de l'artiste ou qui améliorent les contrats qui sont
signés par les artistes, c'est une facette qui correspond à la
réalité actuelle qui va se transformer avec le marché,
avec la demande, avec les nouveaux produits qui vont arriver. L'un des
problèmes, c'est qu'il y a quand même beaucoup d'artistes
comparativement aux emplois disponibles. La où il y a une
possibilité d'avoir un marché qui se développe, de
l'agrandir à l'intérieur du Québec, c'est dans les
régions. Ce n'est pas en concentrant tout à Montréal qu'on
va développer la culture et qu'on va donner de l'emploi à ceux
qui essaient d'en vivre. C'est en donnant la possibilité aux
régions de s'implanter et d'avoir des infrastructures culturelles. (21 h
30)
À ce sujet, moi je voyais beaucoup la participation des
directions régionales du ministère là-dedans en termes de
leadership, de concertation, à la fois de concertation entre les
différents intervenants politiques, artistiques et industriels, à
la fois au plan de l'étude des possibilités d'exploitation des
différents produits culturels. Au plan des services offerts, ce que
j'appelle les services d'incubation d'entreprises, les services de
secrétariat, les conseils financiers comme les conseils de marketing
pourraient être offerts aux associations artistiques qui vivent dans les
régions. Il me semble qu'une espèce de décentralisation
serait nécessaire pour conserver la dynamique qui est entreprise par
cette commission-ci sur le statut de l'artiste et sur l'amélioration de
sa situation économique.
Le dernier point sur lequel je pourrais insister, c'est que la vie de
l'artiste n'est pas seulement réglementée par le gouvernement
provincial, mais également par le gouvernement fédéral.
À ce niveau-là, je pense que le gouvernement provincial devrait
faire front commun avec les associations d'artistes et de créateurs
quant à la révision du droit d'auteur au fédéral.
Au moins, autant que possible, essayer, pour les gens impliqués, de
demander à peu près la même chose. Malgré que le
ministre Masse se prépare à présenter une charte du droit
d'auteur, c'est évident que cela ne correspondra pas tout à fait
à ce que les gens demandent. Cela va demander d'être ajusté
avec les années, avec les nouveaux produits et les nouvelles formes de
culture et d'art, de produits culturels qui vont se développer. Le droit
d'auteur est quelque chose qui va toujours être à réviser.
À ce moment-là, un front commun et une concertation entre le
gouvernement provincial et les associations d'artistes sont essentiels pour
toujours être à l'affût de ce qui se passe à Ottawa
à ce niveau-là.
Ce sont là les quelques points que je trouve importants.
Le Président (M. Trudel): Très bien. Merci, M.
Pleau. Mme la ministre, est-ce que vous avez des questions?
Mme Bacon: Oui. Merci, M. Pleau. J'aimerais vous remercier de vos
commentaires et de vos suggestions. Il y a dans votre mémoire des
idées, des suggestions fort intéressantes qui ne manqueront
sûrement pas de soulever des débats lorsque viendra le moment
d'assurer le suivi des dossiers parce que nous tiendrons compte de tous les
mémoires qui ont été soumis depuis le début des
travaux de cette commission. Vous souhaitez que le ministère des
Affaires culturelles assume son rôle de leadership en matière de
culture. Je pense bien avoir prouvé, comme ministre des Affaires
culturelles, mon intention de prendre partie en faveur de l'artiste lorsque
j'ai suggéré la mise sur pied de la commission parlementaire qui
se tient encore aujourd'hui.
À la neuvième recommandation - je prendrai peut-être
la synthèse de toutes vos recommandations - vous suggérez de
renforcer et favoriser les regroupements d'artistes. Je résume, car
c'est dans votre résumé. J'aimerais en savoir plus long sur ce
genre de conseil que vous voulez mettre sur pied parce que, depuis le
début des travaux
de cette commission parlementaire, on n'a pas vraiment senti un
désir de regroupement. Il ne semblait pas que cela nous ait
été manifesté d'une façon aussi claire et
précise que dans votre mémoire. Peut-être en fonction des
intérêts qui étaient défendus par les uns et les
autres dans les différents secteurs d'activité culturelle et
souvent, aussi, en raison même de la nature des activités, il m'a
semblé, en tout cas - peut-être que je me trompe - qu'il y avait
plutôt la notion d'invidualisme qui s'était manifestée ou
qui était favorisée par plusieurs personnes qui sont venues
s'exprimer devant nous. J'aimerais savoir comment on peut favoriser ces
regroupements que vous recommandez et qui doit aider à favoriser ces
regroupements? Par qui cela doit-il être fait?
M. Pleau: Oui, c'est évident sur le sentiment ou le genre
de personnalité plus individualiste à la fois des artistes
eux-mêmes et des associations. Cela transparaît. Il y a certaines
professions qui sont plus ainsi.
Il y a quand même quelque chose qui est remarqué et que
cela ne soit pas sorti, tant pis, mais je ne suis pas sûr que les
artistes connaissent toujours les moyens de s'y prendre pour vraiment essayer
de profiter au maximum, économiquement, des produits de leur
création.
Un des aspects que j'avais aussi soulevés dans mon mémoire
- et il me revient - c'est celui d'un cours qui serait nécessaire pour
les étudiants dans les différentes disciplines artistiques, comme
le stage pratique, pour leur faire voir un peu quel est le marché dans
lequel ils s'embarquent. Qu'ils ne s'en aillent pas comme cela, par centaines,
essayer d'exercer toutes sortes de métiers avec lesquels la plupart ne
réussiront pas à vivre.
Je pense que cet aspect de leur métier n'est pas tellement connu.
D'une part, il y a les grandes associations qui sont assez fortes pour se
débrouiller; en tout cas, elles en donnent l'impression. Mais d'autre
part, un aspect sur lequel j'insiste, c'est celui du développement
culturel régional. Cela ne me semble pas être vraiment une des
priorités des associations qui sont surtout basées à
Montréal et qui se développent surtout aux environs de
Montréal.
Que les artistes ne ressentent pas le besoin de se regrouper et
d'échanger leurs points de vue sur leur condition matérielle, sur
leur condition d'affaires et sur leur condition d'exercice, je suis d'accord,
ils n'en ressentent pas nécessairement le besoin, mais ce regroupement
est une condition essentielle pour qu'ils arrivent à faire quelque chose
dans leur région. Pour qu'ils arrivent à vivre le plus possible
de cela, il faut qu'ils se regroupent et qu'ils discutent de ce qui se passe:
comment ils vivent, quelles sont leurs conditions de droits d'auteur et quels
sont les conditions ou les contrats qu'on leur fait signer, pas
individuellement, mais qu'ils arrivent à discuter là-dessus.
Pourquoi est-ce que je dis que le ministère devrait être le
maître-d'oeuvre? Parce que le ministère n'est pas seulement un
ministère qui s'occupe d'affaires culturelles et d'expositions. C'est un
ministère qui administre et qui a comme objectif de développer la
culture au Québec. Je ne vois pas qui, pour l'instant, dans les
régions, peut vraiment favoriser une implantation culturelle, si ce ne
sont les directions régionales. Qu'elles ne réussissent pas tout
le temps à le faire, je suis d'accord aussi, et je ne suis même
pas sûr - dans ma recommandation, c'est présenté
généralement - mais je pense que le ministère pourrait
l'essayer dans deux ou trois régions administratives, évidemment
pas è Montréal, et tenter le rapprochement à la fois entre
les artistes et ensuite entre les artistes et les intervenants avec lesquels
ils travaillent, et où c'est parfois cahoteux, que ce soit dans les
municipalités ou les MRC.
Mme Bacon: Vous passez sous silence le rôle des conseils
régionaux de la culture. Est-ce volontaire?
M. Pleau: Non, ce n'est pas volontaire. Ce sont des organismes
que je ne connais pas beaucoup.
Mme Bacon: Vous ne leur voyez pas un rôle important dans le
regroupement?
M. Pleau: Sauf si c'était à eux qu'on donnait le
mandat que je donne aux directions régionales. Pour moi, ce ne sont que
des titres. L'important, c'est ce qui se fait. Je propose que le service de
propriétés intellectuelles ait un mandat élargi et qu'il
change de nom. Quand je relisais moi-même mon propre mémoire, je
me disais: Pourquoi créer deux autres services, alors que ce qui est
présenté là pourrait être adapté aux
structures actuelles. Je me disais: Le nom est secondaire, pour autant que ces
tâches se fassent et que ce leadership soit assumé par le
ministère.
Mme Bacon: J'aimerais savoir si votre quinzième
recommandation, standardiser les contrats dan3 le sens des
intérêts des associations d'artistes, est conditionnelle au
regroupement d'artistes que vous souhaitez.
M. Pleau: Oui, je pense que ce sont les associations qui doivent
présenter les contrats qu'elles aimeraient voir signés. Je prends
l'exemple de l'UNEQ qui a son contrat-type qu'il offre aux maisons
d'édition, mais les maisons d'édition le prennent
ou ne le prennent pas. Quand je parle de standardiser, ce serait un peu
comme les baux types de logement, c'est un exemple. Mais si les associations
développent un contrat, que ce soit ce contrat qui soit utilisé
par les industries culturelles. À ce moment-là, les industries
culturelles ne vivraient pas seulement de l'argent qu'elles font avec ou sur le
dos des artistes, mais surtout avec le service qu'elles offrent en plus du
contrat aux artistes.
Mme Bacon: Qu'est-ce qui arrivera aux artistes qui ont envie ou
qui désirent négocier sur une base individuelle si on ne fait que
du regroupement pour négocier?
M. Pleau: Je ne pense pas qu'il ne faille que faire du regroupement
parce qu'il faut quand même permettre aux gens d'être libres
d'adhérer ou non aux regroupements et d'en comprendre eux-mêmes la
nécessité ou l'importance d'adhérer ou non à un
regroupement. D'ailleurs, ce n'est pas parce qu'un regroupement existe qu'il
travaille en fonction de ses membres. Les membres doivent être capables
de contester l'orientation d'un regroupement. L'Union des artistes et d'autres
groupes qui sont venus ont proposé certaines mesures fiscales, certains
moyens, certaines améliorations aux droits d'auteur pour aider les
artistes. Je propose certaines conditions de concertation et de regroupement
qui me semblent minimales. Cela me semble être les voies les plus
générales qui ne s'adaptent pas à tous les cas
individuels, mais les plus générales, celles qui apportent au
moins une certaine dynamique qui ne s'arrête pas. Que les artistes
choisissent ou non d'adhérer à un regroupement, de participer ou
non à une concertation, c'est leur choix, d'autant plus qu'il y ade toute façon d'autres mesures pour l'amélioration de leur
statut, mais ils doivent rester libres, c'est évident.
Mme Bacon: Votre troisième recommandation suggère
une présence accrue de la culture québécoise à
l'étranger et, sur ce point, je pense bien que tous les membres de la
commission sont d'accord avec vous. J'aimerais quand même savoir quel est
le rôle que vous voulez voir dévolu aux délégations
du Québec. Est-ce que le rôle qu'elles jouent en ce moment n'est
pas suffisant pour accroître notre présence? Est-ce que vous
préconisez d'autres types spécifiques d'actions qui pourraient
être entreprises?
M. Pleau: Je remarque plutôt certaines carences en
matière de production, c'est-à-dire ce qu'une
délégation à l'étranger peut produire. Oui, il y a
des efforts qui sont faits, mais ce qu'il faut remarquer, c'est que
l'exportation n'est pas encore arrivée à son maximum
d'exploitation. Il n'y a pas vraiment de politique de traduction de nos
oeuvres, d'adaptation de nos oeuvres ou de présence accrue. Cela entre
dans les moyens. Oui, les délégations jouent un rôle, mais
il y a peut-être l'aspect industriel où les aspects de
coopération, de codiffusion, de coproduction qui ne sont pas
suffisamment travaillés.
Mme Bacon: Avec l'étranger?
M. Pleau: Oui, et je pense qu'étant donné qu'on est
un petit pays de 6 000 000 de francophones - je nous compare à d'autres
pays qui ont à peu près les mêmes problèmes
linguistiques que nous autres - une des façons d'arriver à
enrichir nos créateurs quant aux droits d'auteur, c'est l'adaptation de
leurs oeuvres et les traductions, à la fois quant aux livres, des
chansons, une plus grande présence de nos arts visuels à
l'étranger. Étant donné qu'on n'a pas les moyens de le
faire seuls, il faut se partager les profits à la fois à
l'étranger et ici.
Mme Bacon: Puisque vous demandez au gouvernement d'augmenter ou
de diversifier les différents programmes d'aide qui sont accessibles aux
artistes et aux organisations, est-ce que vous seriez d'accord pour que le
ministère des Affaires culturelles examine d'abord les programmes d'aide
existants et s'assure de leur cohérence, peut-être même
pourrait-on dire de leur pertinence? Parce qu'il y a certains programmes qui
sont critiqués par le milieu artistique. Peut-être aussi
pourrait-on analyser les carences et les besoins à combler, faire en
sorte que cette démarche-là nous amène peut-être
à arriver à avoir des programmes qui collent plus à une
réalité qui est vécue par les artistes, par exemple. Les
programmes actuels sont-ils suffisants ou si vous trouvez qu'il serait
pertinent de les revoir pour qu'ils collent plus à la
réalité des artistes, des créateurs?
M. Pleau: Je pense, de toute façon, que la révision
est déjà un peu commencée depuis un certain temps. Je
pense qu'avec les années, le ministère a tendance à
réviser ses programmes, à les fondre ou à les diviser.
Oui, moi, je suis absolument d'accord avec ce que vous dites. Il faut d'abord
voir ce que l'on a avant d'en ajouter. (21 h 45)
Mme Bacon: Merci, M. Pleau.
Le Président (M. Trudel): Je m'excuse, Mme la ministre.
Merci, Mme la ministre. Le député de Saint-Jacques est prêt
à poser des questions?
M. Boulerice: M. Pleau, croyez-vous qu'il soit possible
d'atteindre l'objectif social du plein emploi? Ce plein emploi toucherait-
il tous les artistes, en ce sens qu'il faudrait définir
entièrement forcément le terme "artiste" et parler d'un
marché de libre concurrence qui engendre une situation chez l'artiste,
sans revenir sur le mythe de l'artiste, qu'il doit être pauvre pour
créer, et qui fait ressortir du groupe leur véritable talent?
M. Pleau: D'accord. Est-ce que le plein emploi est possible?
M. Boulerice: C'est la question que je vous pose.
M. Pleau: Je pense que c'est un objectif à long terme qui
est inévitable. On ne peut pas indéfiniment marcher avec la
structure de chômage actuelle. Les droits politiques et sociaux, autant
des individus que des sociétés, ont tendance à se
développer avec la conscience que les gens en prennent et avec la
demande qui se fait. Le plein emploi est un droit social dont on parle de plus
en plus et on va y arriver. Moi, je fais le lien avec les artistes. C'est que
les artistes commencent quand même toujours à travailler à
temps partiel, les artistes commencent généralement toujours
tranquillement. Est-ce qu'ils veulent individuellement travailler à
temps partiel toute leur vie? C'est leur choix, on n'a pas à
s'ingérer dans leur choix de vie. Cependant, il y en a plusieurs qui
cherchent à vivre de leur art mais qui n'arrivent quand même pas
à se trouver autre chose. Je faisais un peu le lien entre les deux pour
cette raison-ci: C'est qu'il y a plus de monde qui veulent vivre de l'art qu'il
y a généralement d'offres de travail, et ce sera toujours comme
cela. Là seule façon pour que les gens aient le plus de chance
possible d'exploiter leur talent et de le mettre en valeur, c'est d'avoir la
possibilité de bien vivre. Et moi, je voyais cela un peu comme une
espèce de transfert de temps où quelqu'un, par ses choix, passe
tranquillement de son temps partiel artistique, s'il réussit, à
un temps plein, mais qu'il ne reste pas toute sa vie à temps partiel
comme artiste et toujours sous le seuil de la pauvreté. C'est de cette
façon que je faisais le lien.
M. Boulerice: Est-ce que vous croyez vraiment que les artistes ne
sont pas conscients des conditions du marché? Croyez-vous que, apprenant
les conditions du marché, un artiste pourrait ou devrait changer son
orientation et, possiblement, renier sa sensibilité première?
M. Pleau: Je pense qu'un bon nombre d'artistes qui commencent ne
connaissent pas la situation. Ils la découvrent, ils découvrent
comment cela marche, comment leurs droits d'auteur ne sont pas respectés
ou comment leurs droits d'auteur ne leur rapportent pas grand-chose; ils
découvrent les lois du marché, pourquoi cela ne paie pas,
pourquoi on est obligé de travailler et être payé en
dessous de la table pour avoir un peu d'argent. Ils apprennent cela
tranquillement. Est-ce qu'en le sachant avant, il y a des gens qui changeraient
d'idée? Moi, je pense que oui. Cela ne veut pas dire que je ne veux plus
qu'ils travaillent. Mais je veux que les gens sachent dans quoi ils
s'embarquent. C'est uniquement cela. Mais est-ce qu'ils sont conscients? Non,
je ne pense pas, pas tous. Pour la plupart, non, parce que c'est pour la
même raison qu'ils s'y embarquent: ils sont passionnés, ils vivent
de cela. L'important, c'est de vivre de sa passion, ce n'est pas les conditions
du marché dans lequel on s'en va. L'argent, cela n'a pas tellement
d'importance, au début quand on est jeune, quand on a 16 ans, 20 ans, 21
ans. On est plein d'énergie, on est plein de force. Sauf qu'ils se
ruinent beaucoup la santé.
M. Boulerice: Une toute petite dernière question. Vous
avez énoncé l'idée d'une syndicalisatton
québécoise des artistes. Vous n'êtes pas sans savoir que
c'est une ligne de force dans le mémoire que nous avons reçu, au
début, qui est celui de l'UDA. Qu'en pensez-vous?
M. Pleau: Je ne connais pas le contenu du mémoire de
l'Union des artistes. Moi, ce dont je parlais, c'était d'une
syndicalisatton québécoise en matière d'adaptation des
conditions de travail en fonction des possibilités régionales
d'emploi de façon que des normes édictées par les
métropoles ou même par l'étranger ne soient pas
nécessairement appliquées partout de la même façon,
parce que les gens ne peuvent pas les appliquer. Des syndicalisations
régionales ou uniquement québécoises permettent d'adapter
les contrats et les règlements d'exécution aux
possibilités du marché.
M. Boulerice: D'accord. Vous me permettez une toute
dernière question, puisqu'il semble que notre intervenant
subséquent ne se présentera pas et que vous allez
apprécier la question. Est-ce que vous pourriez préciser les
incitations à une plus grande implication des médias
électroniques à produire des émissions locales ou
nationales? Je pense que, en page 10, vous faites référence
à Radio-Québec. Quelle pourrait être l'implication du
ministère des Affaires culturelles à ce niveau?
M. Pleau: C'est une bonne question. Je n'embarquerai pas
nécessairement dans la question de Radio-Québec.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Boulerice: C'est ce que je...
M. Pleau: Je pense que... Non, je n'embarquerai pas
là-dedans, mais au niveau de l'implication des médias, c'est
assez évident qu'il n'y a pas assez de place et de présence des
artistes de différentes disciplines dans nos médias
électroniques et je dirais même à la radio. Il n'y a pas
suffisamment de comédiens, il n'y a pas suffisamment de
téléséries, il n'y a pas suffisamment de musiciens
engagés, il n'y a pas suffisamment de productions régionales.
Comment inciter les médias? Est-ce qu'ils ne font pas déjà
suffisamment de profits pour leur demander d'en investir au moins un peu dans
l'art plutôt que de l'investir seulement dans leur augmentation de
profits? S'il faut leur donner des mesures fiscales supplémentaires,
faisons-le pour quelques années.
M. Boulerice: D'accord, je vous remercie beaucoup, M. Pleau. M.
le Président...
Le Président (M. Trudel): Je n'ai pas de question, compte
tenu du temps qui avance. Je veux, avant d'ajourner les travaux, vous donner
l'ordre des travaux de demain. M. Pleau, je vous remercie de vous être
déplacé pour venir rencontrer les membres de la commission et
pour le mémoire intéressant que vous nous avez
présenté. On aura sûrement l'occasion d'y revenir. Bonne
fin de soirée.
M. Pleau: Merci, bonsoir.
Le Président (M. Trudel): Aux membres de la commission,
j'aimerais donner un aperçu des travaux de demain. Après entente
entre les parties, entre les leaders, la commission mettra fin à ses
travaux demain entre 12 h 30 et 13 heures. Je vous suggère la
façon suivante de travailler demain matin. J'en ai parlé à
Mme la ministre et j'en ai glissé un mot à M. le
député de Saint-Jacques. Nous aurons trois intervenants demain
matin; essayons, de part et d'autre, de limiter nos questions. Le
président le fera en n'en posant pas ou, du moins, je ne pense pas.
À 45 minutes par intervenant, cela devrait nous mener à 12 h 15.
M. le député de Saint-Jacques fera des remarques finales pendant
environ 15 minutes, m'a-t-il dit. Mme la ministre me faisait savoir
tantôt qu'elle avait des remarques finales pour environ de 20 à 22
minutes et, en moins de trois minutes, je remercierai tout le monde de
façon qu'on puisse terminer à 13 heures au plus tard les travaux
de la commission.
Ce sera dur pour vous, M. le député d'Arthabaska, de ne
pas poser de question. Oui, en effet. Mme la ministre.
Mme Bacon: Est-ce que l'ordre des intervenants est le même
que sur le dossier que nous avons déjà devant nous? Ce serait
peut-être bon de le rappeler.
Le Président (M. Trudel): L'ordre des intervenants, demain
matin, sera: le Conseil québécois de l'estampe...
M. Boulerice: Ah! bon, je me trompe de dossier. Ah! Ah! Ah!
Le Président (M. Trudel): ...le Conseil des arts textiles,
la Société des décorateurs ensembliers du Québec.
M. le député de Saint-Jacques, dans l'ordre, les mémoires
sont numérotés 34, 38 et 7. J'imagine que, demain étant un
autre jour...
M. Boulerice: M. le Président, quant à la
proportion du temps alloué à la fois à Mme la ministre et
aux représentants...
Le Président (M. Trudel): Vous m'avez dit quinze minutes;
si vous avez besoin de vingt minutes... J'essaierai, à 12 h 15, de
mettre fin à nos travaux et je vous demande votre collaboration, parce
que trois mémoires en un peu plus d'une heure trente, c'est
beaucoup.
Sur ce, la commission ajourne ses travaux à demain matin, 10
heures.
(Fin de la séance à 21 h 55)