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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le vendredi 27 novembre 1987 - Vol. 29 N° 38

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Interpellation: Le recul du français au Québec


Journal des débats

 

(Dix heures sept minutes)

Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de la culture se réunit ce matin pour procéder à l'interpellation du député de Taillon à la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles sur le sujet suivant: Le recul du français au Québec, selon l'avis qui a été donné à l'Assemblée nationale le 19 novembre dernier.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: M. Filion (Taillon) remplace M. Boulerice (Saint-Jacques); M. Charbonneau (Verchères) remplace M. Godin (Mercier) et M. Lemieux (Vanier) remplace M. Hains (Saint-Henri).

Le Président (M. Trudel): Merci. Je pense que vous connaissez, tous, les règles du jeu. L'interpellant a une première période de dix minutes; Mme la ministre a dix minutes pour la réplique. Par la suite, il y a alternance entre le parti ministériel et l'Opposition, cinq minutes chaque fois. Si les cinq minutes ne sont pas utilisées, elles sont perdues, non transférables et non cumulables. Lorsqu'il ne restera que vingt minutes avant la fin, je l'indiquerai; Mme la ministre aura alors dix minutes et l'interpellant aura également dix minutes.

Je reconnais M. le député de Taillon.

Exposé du sujet M. Claude Filion

M. Filion: Merci, M. le Président. En 1977, le gouvernement du Parti québécois, appuyé par un large consensus, avait décidé que Montréal serait une ville française et que le Québec serait un territoire français. Articulé concrètement dans la loi 101, ce projet de société n'aura duré que le temps d'une volonté politique. Depuis décembre 1985, soutenue par une anémie politique insouciante et téméraire, cette tendance lourde, d'abord confuse, se dégage maintenant clairement. Non seulement Montréal est-elle redevenue une ville bilingue, exerçant ainsi une forte pression sur le reste du Québec, mais résolument, inévitablement, le bilinguisme mène à l'unilinguisme anglais.

L'exemple des brochures unilingues anglaises des grandes sociétés comme The Bay, Eaton distribuées aux portes des foyers francophones n'en constitue que le prélude, mais il y a plus. Les 245>000 lettres unilingues anglaises envoyées par ta compagnie Zellers, le catalogue anglais de Sears à Rimouski, la correspondance que nous recevons dans notre courrier, identifiée personnellement à des Gagnon, Tremblay, Boucher, dont le contenu est rédigé exclusivement en langue anglaise. Tout cela constitue des illustrations concrètes d'une réalité pour tous les Québécois et Québécoises, mais qui, curieusement, n'est pas perçue par ceux qui ont la responsabilité du message de volonté politique et d'action politique.

Le but de ta présente interpellation est justement d'ouvrir les yeux de la vice-première ministre, responsable du dossier linguistique, ministre des Affaires culturelles, donc triplement responsable de l'avenir de la loi 101. Le français recule sur tous les fronts au Québec; telle est la réalité. Ce n'est pas l'anglais qui est en danger, mais la survie de la collectivité française pour employer les termes du mémoire du Procureur général en Cour suprême. Les phénomènes linguistiques sont certes une matière difficilement quantifiable, mais heureusement la promulgation de la loi 101 impliquait la mise sur pied de certains organismes qui ont pu être protégés du projet de loi 142 déposé par la ministre et qui charcutait ces organismes et en dénaturait la dynamique.

La Commission de protection de la langue française dépose chaque année un rapport annuel dont le dernier, en 1986-1987, contient les statistiques irréfutables et alarmantes suivantes: augmentation des plaintes en ce qui concerne l'affichage et les raisons sociales: en 1985-1986, 629; en 1986-1987, 1954, augmentation de 210 %; demandes d'enquêtes globales - nous venons de voir l'affichage qui est un phénomène symbolique, mais il y a plus -1584 en 1985-1986, 3912 en 1986-1987, une augmentation de 147 %. Là-dessus, je signale immédiatement à la ministre que sur ces dossiers, simplement 21 dossiers représentaient un dédoublement sur le nombre de dossiers fermés.

Dans le seul secteur des circulaires dont je parlais tantôt, le rapport révèle une augmentation des plaintes du simple au triple, soit de 120 à 360 en 1985-1986. Mais au-delà de ces chiffres il y a une réalité, c'est le témoignage vécu par tous ces gens que nous avons rencontrés au cours de notre récente tournée et qui communiquent avec nous depuis un mois. Au-delà de ces chiffres il y a la réalité d'un organisme gouvernemental québécois qui lui-même enfreint la loi 101. Je veux parler ici de l'état des contributions à un régime de retraite qui fut expédié à 4000 ou 5000 employés du gouvernement du Québec par la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances qu'on appelle la CARRA. "Statement of your contribution to a retirement

plan", envoyé à 5000 employés du gouvernement du Québec.

Le gouvernement ne peut invoquer que son siège social est à Toronto et qu'une erreur d'informatique est à la base de cet envoi. Ou peut-être le gouvernement nous prépare-t-il ou prépare-t-il à ses employés une retraite en anglais. Tout cela n'est pas de la politique-fiction. Cela s'est passé ainsi pour des milliers d'instituteurs, cela s'est passé ainsi pour les employés de la Société immobilière du Québec, cela s'est passé ainsi pour les employés de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et même, nous a-t-on rapporté, pour certains employés du cabinet du premier ministre du Québec.

En ce qui concerne la langue du travail, nous connaissons tous l'affaire Glemaud où un employé fut congédié d'une firme de Montréal pour avoir demandé simplement que son employeur communique avec lui en français.

M. Glemaud fut réintégré à cause des interventions de certains organismes certes, mais pour une personne réintégrée, combien y en a-t-il qui n'osent pas faire valoir leurs droits, combien y en a-t-il qui ne peuvent pas trouver un emploi parce qu'à 55 % et plus l'exigence de l'anglais est devenue pratique courante dans les offres d'emploi dans nos journaux. Il est intéressant de noter à ce sujet que, dans près de la moitié des cas où il y eut enquête, l'Office de la langue française a conclu que la connaissance de l'anglais n'était pas une exigence justifiée par l'emploi.

On peut dès lors imaginer le nombre d'emplois qui s'ouvriraient à cette catégorie de chômeurs et chômeuses québécois que sont les francophones qui ne savent pas parler anglais couramment.

Toujours dans le domaine de la langue du travail, le phénomène de la francisation des entreprises est mis en péril. Alors qu'il faudrait se montrer agressif dans la francisation des entreprises, le gouvernement libéral a décidé de sabrer de 25 % les budgets octroyés aux syndicats pour la mise sur pied de comités de francisation.

La FTQ a les moyens de réagir, mais d'autres centrales syndicales ne peuvent se permettre de continuer l'effort de francisation effectué au sein des entreprises. Si la FTQ peut continuer à publier son bulletin "Travailler en français", la CSD, elle, à cause des coupures intervenues, ne peut pas continuer à le faire. Donc, des syndicats n'ont pas Jes moyens de continuer cette opération de francisation des entreprises.

Enfin, qu'anrive-t-il, Mme la ministre, des entreprises de moins de 50 employés qui ne sont pas couverts par la loi? On ne peut ignorer que les entreprises de haute technologie, que les entreprises d'informatique sont des secteurs d'avenir, mais que ces entreprises sont précisément des entreprises de moins de 50 employés.

S'il faut devoir convaincre davantage la ministre et le gouvernement libéral, j'ajoute à tous ces éléments la réalité vécue par la population montréalaise. Le poste de radio CKAC à Montréal a mené une petite expérience au centre-ville de Montréal, c'est-à-dire sur les commerces s'étalant du complexe Desjardins à la rue Crescent. Je ne parle pas ici de Westmount ou de N.-D.-G. Seulement 54 % des affiches étaient conformes à la loi 101. Mais ce qui est encore plus intéressant, parce que nous ne possédons aucune donnée là-dessus, le journaliste du poste de radio fut abordé en anglais par le personnel de 54 des 150 commerces du centre ville, 36 %.

La Charte de la langue française est pourtant claire à l'article 5: "Les consommateurs de biens et de services ont le droit d'être informés et servis en français." Ce droit figure au chapitre des droits linguistiques fondamentaux de la Charte de la langue française. Si on me dit que c'est à Montréal, dans le centre-ville, ici à Québec, un employé de l'Assemblée nationale du Québec s'est rendu à un restaurant bien connu à Québec, le Saint-Germain, et on lui a remis un menu anglais pour le déjeûner. Ce n'est là qu'un exemple. Cela se passe à des centaines d'exemplaires un peu partout au Québec.

Par ses interventions à l'Assemblée nationale, par l'ensemble de son inaction, le gouvernement libéral tente d'ignorer cette réalité. La ministre des Affaires culturelles, responsable de la loi 101, peut-elle nous expliquer pourquoi elle a censuré, en faisant une distribution plus discrète de la revue Découvrir le Québec publiée par les publications Québec français? Les 7200 exemplaires commandés par le gouvernement du Québec au coût de 28 000 $ étaient destinés à illustrer la réalité culturelle, sociale et économique du Québec. Son malheur était d'inclure un paragraphe qui dénonçait une situation connue de tous, à savoir que le Parti libéral, par son discours, par son comportement et plus encore par son projet de loi, se comportait comme si la loi 101 n'avait été qu'une parenthèse.

Je reviendrai un peu plus tard, tantôt. M. le Président, en conclusion puisqu'il ne reste que 30 secondes, je voudrais vous signaler qu'il est urgent que le gouvernement libéral procède à trois gestes bien précis, outre d'envoyer un message clair à la population québécoise. D'abord, la ministre doit injecter les ressources humaines et financières nécessaires dans la Commission de protection de la langue française. Deuxièmement, pour que cette injection soi! efficace, elle doit nécessairement être combinée avec un désaveu immédiat de la promesse libérale en ce qui concerne l'affichage et, par voie de conséquence, elle doit démanteler le comité des douze chargé de trouver une solution qui n'existe pas.

Finalement, le gouvernement du Québec doit avant la fin de la session appeler et voter le projet de loi 199 afin de soustraire la Charte de la langue française à l'application de la Charte canadienne des droits et libertés. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Taillon. Maintenant, Mme la ministre des Affaires culturelles, vous avez une première

intervention de dix minutes.

Réponse de la ministre Mme Lise Bacon

Mme Bacon: Oui, M. le Président, merci. J'aimerais apporter quelques précisions concernant tes points soulevés par l'Opposition ces derniers temps. D'abord, je remarque que l'Opposition a toujours tenu pour acquis que le fait français du Québec se limite à la seule question de l'affichage commercial et c'est là, à mon avis, une bien courte vue que de se limiter à une seule partie de ce dossier. Bien que je la considère très importante et, particulièrement en ce qui a trait au visage français du Québec. Mais là également, la notion de coresponsabilité doit jouer pour assumer cette cohérence du visage français au Québec. C'est pourquoi dans le but d'en assurer le contrôle et la surveillance, le ministre chargé de l'application de la Charte de la langue française est appuyé par la Commission de protection de la langue française. Le Procureur général a aussi son rôle à jouer à partir du moment où la Commission de protection de la langue française lui transmet un dossier pour qu'il en fasse l'étude et intente, s'il y a lieu, les poursuites pénales appropriées.

Pour bien s'y retrouver dans le dossier du traitement des plaintes relatives à l'affichage commercial, on me permettra d'effectuer une mise au point en ce qui concerne la situation actuelle. À la suite de la réception des 10 000 plaintes ou des 10 000 demandes d'enquête provenant de citoyens ou de groupes de citoyens, la Commission de protection de la langue française a expédié ses demandes à l'Office de la langue française pour être listées par informatique de façon à faciliter leur traitement, puisque - et je le répète l'ancien gouvernement avait oublié d'outiller convenablement la Commission de protection de la langue française.

Cette opération a permis d'établir qu'un nombre maximum de 1774 établissements pouvaient être considérés comme des présumés contrevenants. Le jumelage subséquent de ces plaintes a permis de déterminer que 559 de ces 1774 dossiers étaient déjà en traitement. En clair, cela signifie qu'une telle opération a permis de constater qu'il y avait des dédoublements, c'est-à-dire plusieurs plaintes sur un même établissement. Par conséquent, de ces 10 000 demandes d'enquête il reste une possibilité maximum de 1215 nouveaux contrevenants. Il devient évident qu'au lieu de parler de 10 000 nouvelles demandes d'enquête, la commission fait face à 1215 nouveaux contrevenants dans te dossier; cela doit faire l'objet d'une analyse et suivre leur cours dans le processus normal de traitement de plaintes.

Le rappel d'un rapport chiffré aussi précis s'imposait à ce stade-ci du débat, car au fil des questions posées par l'Opposition, la population ne pouvait qu'être confuse à force de se voir soumettre des chiffres indûment gonflés par l'Opposition. J'insiste ici sur le fait qu'il ne s'agit pas d'excuser tes contrevenants de quelque façon que ce soil; au contraire, le gouvernement du Québec entend continuer, poursuivre son rôle de protecteur du visage français du Québec et de ce fait faire respecter la loi.

Enfin, je rappelle que l'Opposition n'est pas en mesure de donner des leçons au gouvernement aujourd'hui. Souvenons-nous qu'à l'étude des crédits j'avais souligné le fait que des milliers de plaintes avaient été laissées de côté sous l'ancien gouvernement et par conséquent n'avaient pas fait l'objet d'ouverture d'un dossier, encore moins l'objet d'un traitement. Aujourd'hui, je ne veux pas accuser à mon tour l'Opposition, mais il me faut tout de même la rappeler à l'ordre pour indiquer qu'avant de soulever des interrogations de façon intense, comme elle le fait depuis ces dernières semaines, il est important de soumettre à la population le véritable portrait chiffré de la situation.

Lorsqu'on analyse dans son ensemble l'évolution de la question linguistique au Québec, on se rend aisément compte qu'un certain nombre de constats, de faits objectifs doit prédominer. En premier lieu, établissons que l'ensemble des Québécois considèrent que la protection et la promotion du visage français au Québec doivent constituer une priorité pour l'État, bien sûr, mais également pour la totalité des intervenants qui sont concernés de près ou de loin par cette question.

En deuxième lieu, réaffirmons que le rôle de l'État doit en être un de gardien, de promoteur de la langue française dans une société qui se définit comme distincte au sein de la Confédération canadienne et qui demeurera toujours vulnérable aux autres cultures qui l'entourent et même qui l'envahissent dans certains secteurs.

En troisième lieu, cette société distincte doit se doter de voies, de moyens susceptibles de répondre à ces objectifs de développement tout en tenant compte d'une autre caractéristique qui est propre au Québec, soit sa diversité.

En quatrième lieu, la question linguistique va faire l'objet d'un dialogue constant et ce, dans la mesure où elle transcendra les lignes des différentes formations politiques. En effet, la langue française n'est pas l'apanage d'un parti politique, mais elle appartient à tous ceux qui la parlent.

En cinquième lieu, la responsabilité de la protection et de la promotion de la langue française ne revient pas uniquement à un gouvernement quel qu'il soit. Une part importante revient tout naturellement aux organismes socio-économiques ou culturels de notre société et à la limite à chacun des citoyens qui composent ces groupes socio-économiques et culturels du Québec.

En sixième lieu, le gouvernement du Québec a un rôle de gardien et d'animateur en cette matière. En ce sens, je peux affirmer clairement que notre gouvernement a assumé son rôle de catalyseur en matière culturelle dans son ensemble et dans le domaine des questions qui

touchent l'économie en général depuis qu'il a été élu en décembre 1985.

Au cours de cette interpellation, nous aurons l'occasion, M. le Président, de traiter de ce sujet qui passionne tous les Québécois parce qu'il constitue le fondement même de notre spécificité culturelle. Mais d'emblée, j'insiste pour dire que le dossier linguistique n'appartient pas seulement au gouvernement du Québec. Il n'est pas question, bien au contraire, que nous nous défilions de nos responsabilités, mais pour atteindre des objectifs de façon efficace, nos responsabilités doivent être partagées, vécues et acceptées par l'ensemble des Québécoises et des Québécois. Une charte en cette matière, tout en étant rigoureuse et complète, ne peut être parfaitement étanche du fait qu'elle fait appel à de grands principes, à des notions qui sont à la fois vagues et précises telles que la liberté d'expression, la liberté collective ou encore la liberté individuelle.

Et d'ailleurs, pourquoi ne pas profiter de l'occasion aujourd'hui pour ramener ce débat à son point essentiel, soit celui de la liberté d'expression et de cette volonté de la majorité francophone de vivre en français dans son milieu de travail comme à la maison et dans ses loisirs.

Le point de départ de la Charte de la langue française se trouve donc tout naturellement dans son préambule qu'il convient peut-être de citer intégralement, M. le Président. "Langue distincte d'un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d'exprimer son identité. "L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle est donc résolue à faire du français la langue de l'État et de la loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. "L'Assemblée nationale entend poursuivre cet objectif dans un esprit de justice et d'ouverture, dans le respect des institutions de la communauté québécoise d'expression anglaise et celui des minorités ethniques, dont elle reconnaît l'apport précieux au développement du Québec. "L'Assemblée nationale reconnaît aux Amérindiens et au Inuits du Québec, descendants des premiers habitants du pays, le droit qu'ils ont de maintenir et de développer leur langue et culture d'origine. "Ces principes s'inscrivent" dans le mouvement universel de revalorisation des cultures nationales qui confère à chaque peuple l'obligation d'apporter une contribution particulière à la communauté internationale."

Il était bon que je répète cela, M. le Président.

Convenons d'abord que selon les interprétations de l'une ou l'autre des formations politiques, on peut affirmer que les progrès du français au Québec ont été réels depuis fes vingt dernières années. En faisant une telle affirmation, je tiens compte des efforts réalisés par les gouvernements qui se sont succédé, lesquels ont mis en place des lois conformes aux aspirations des

Québécois.

Certes, les modalités d'application des différentes lois ont pu, dans un régime comme dans l'autre, faire l'objet de vifs débats. Mais il reste que si l'on veut être honnête, on doit convenir que la société québécoise a franchi des pas de géant. À titre d'exemple, le volet de la loi portant sur la francisation des entreprises mérite d'être souligné. Il y a là toute une génération de jeunes entrepreneurs, de jeunes cadres francophones qui ont franchi les échelons au sein des moyennes et grandes entreprises québécoises et réussi à inverser des mentalités qui ne cadraient pas toujours avec cette affirmation bien présente d'une société majoritairement francophone.

À cette fin, on me permettra de déposer un tableau avec le consentement de l'Opposition, dans lequel sont illustrés les nets progrès réalisés au chapitre de la francisation des entreprises. Mais le gouvernement du Québec ne peut se satisfaire de ces seuls résultats. Les progrès ont tout de même caractérisé un processus marqué au sceau de la coresponsabilité, en ce que plusieurs intervenants du milieu des entreprises ont de nouveau, volontairement et de façon non coercitive, modifié plusieurs attitudes et comportements pour l'amélioration du français au sein de leur entreprise, aussi bien dans leur structure organisationnelle que dans leur système de communications, pour ne citer que ces lieux d'application.

Oui, M. le Président, cette même coresponsabilité devrait pouvoir se retrouver dans tous les secteurs de la vie sociale, culturelle et économique de notre société pour être valable et efficace. Cette coresponsabilité doit se retrouver dans le secteur de l'immigration.

Depuis plusieurs années, le Québec favorise l'intégration harmonieuse des allophones et anglophones à la société francophone. Le réseau d'accueil et d'immersion des communautés autres que francophones fait l'objet de lois et de politiques administratives qui nous rappellent une fois de plus que l'État assume une responsabilité certaine en matière linguistique.

On parle de plus en plus de ta nécessité de mettre en place une politique familiale qui corresponde aux caractéristiques de notre société distincte. Là encore, il existe un défi de la coresponsabilité qui s'imposera pour l'ensemble des intervenants, sort les gouvernements.

Enfin, je ne veux pas accuser aujourd'hui l'Opposition, mais il faut peut-être les rappeler à l'ordre pour leur indiquer encore une fois qu'avant de soulever des interrogations d'une façon intense, comme elle te fait depuis ces dernières semaines, il est important de soumettre à la population le véritable portrait de la situation.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. J'accepte le dépôt du document dont vous avez parlé tantôt. Je présume que vous en avez également quelques copies pour les membres de l'Opposition. Je reconnais maintenant M. le député de Lac-Saint-Jean.

Argumentation M. Jacques Brassard

M. Brassard: Merci, M. le Président. Quand on écoute le discours de la ministre, on se prend à se poser la question: Dans quel monde vit-elle? Puisqu'à l'écouter, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes sur le plan linguistique au Québec. Or, il est évident, et tout le monde le reconnaît, nous vivons dans une société où l'on constate, en particulier depuis 1982, d'immenses dégâts linguistiques. Tout cela provient, bien sûr, il faut le dire - je m'étonne que la ministre ne le mentionne même pas dans son discours - tout cela découle de l'acte constitutionnel de 1982 comportant, comme on le sait, fa Charte canadienne des droits et libertés.

Il faut se rappeler l'intention de M. Trudeau, le père de cette réforme constitutionnelle. M. Trudeau avait clairement indiqué qu'il souhaitait réduire la portée de la loi 101, que c'était là son objectif en incluant la Charte des droits et libertés dans la constitution. C'est ce qui s'est produit depuis 1982, il faut le dire. Le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes le signalait, alors qu'il était professeur d'université en 1982, en déclarant que ce sont désormais les tribunaux qui au Canada vont faire la politique linguistique. C'est ce qui est en train de se faire depuis 1982. (10 h 30)

Je n'ai pas besoin de vous citer toute une série de décisions des tribunaux inférieurs et supérieurs y compris la Cour suprême, qui ont eu pour effet de démanteler, de démembrer de façon substantielle la portée de la loi 101. Que ce soit au chapitre de la langue, de l'administration, de la justice, de l'État et de la législation, où l'on nous a contraints à revenir aux dispositions de l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Que ce soit en matière d'enseignement où l'on nous a contraints, par voie de décisions des tribunaux, à revenir a la clause Canada, de nous en tenir à cette clause plutôt qu'à la clause Québec. Que ce soit même en matière de travail. Je vous signale une décision de mars 1985 où la Cour d'appel statuait qu'un employeur n'était obligé de communiquer en français avec ses employés que dans la mesure où ceux-ci l'exigeaient expressément. Que ce soit finalement en matière de langue d'affichage où l'on se rappelle la décision de décembre 1986, jour sombre pour les francophones, où cette cour décrète que la règle de l'unilinguisme est contraire à la liberté d'expression en matière d'affichage, ce qui fait que l'objectif de M. Trudeau est atteint. Par le biais de la charte, par le biais des dispositions constitutionnelles, les tribunaux ont contribué à démanteler la loi 101 qui n'a plus la même portée qu'en 1977.

Il est également à signaler que l'entente du lac Meech, cette entente soi-disant historique, ne répare en rien les dégâts linguistiques causés par l'acte constitutionnel de 1982, ne corrige en rien la situation issue des décisions des tribunaux, s'appuyant sur des dispositions constitutionnelles. L'entente du lac Meech, à cet effet, est une mauvaise entente puisqu'elle ne comporte aucune disposition permettant à l'Assemblée nationale de recouvrer ses pouvoirs et ses droits en matière linguistique.

Si au moins le gouvernement avait recours à la clause dérogatoire pour se soustraire en matière linguistique aux dispositions de la charte! Même pas, le gouvernement ne semble pas souhaiter, ne semble pas vouloir, il n'y a pas de volonté politique de ce côté pour permettre aux dispositions de la loi 101 de s'appliquer malgré ta charte. Pourtant dans la charte canadienne elle-même, il y a une clause qui permet au gouvernement de déroger, de se soustraire aux dispositions de la charte en matière linguistique. Au moins s'il y avait cette volonté politique.

Ce serait pourtant bien simple. Il y a un projet de loi devant cette Assemblée nationale. Il suffirait de l'appeler. Il aété présenté à l'époque par M. Johnson; il est maintenant parrainé par M. le député de Taillon. Ce projet de toi est clair. Il permettrait de se soustraire aux dispositions de la charte en matière d'affichage commercial. Ce serait simple. Il ne comporte que deux articles. On pourrait en disposer. Il y aurait consensus de la part de l'Opposition pour faire en sorte que cette loi soit adoptée le plus rapidement possible pour qu'enfin, en matière d'affichage commercial, les dispositions de la loi 101 s'appliquent actuellement au Québec. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. Je vois que votre chronomètre, à dix secondes près, est aussi précis que celui du président. Mme la ministre des Affaires culturelles.

Mme Lise Bacon

Mme Bacon: M. le Président, une mise au point s'impose concernant les dossiers des contrevenants à la loi 101.Récemment, un quotidien titrait que le gouvernement du Parti québécois poursuivait trois fois plus que le gouvernement libéral. On disait dans cet article: Toutes proportions gardées, l'ancien gouvernement a intenté, durant ses deux dernières années de pouvoir, trois fois plus de poursuites contre les contrevenants à la loi 101 que le gouvernement libéral. Le quotidien en question avait pris comme référence le rapport 1986-1987 de la Commission de protection de la langue française et citait une série de statistiques pour en arriver à cette conclusion.

J'aimerais rappeler qu'au cours de l'année 1986-1987 il y a eu renouveau au sein de la commission de protection, année de transition pour cet organisme. Tout d'abord, il faut noter l'arrivée d'un nouveau président de la commission et l'implantation graduelle d'une nouvelle approche positive, laquelle fait davantage appel à un changement de comportement dans un esprit de coopération, lequel constitue, à mon avis, un net progrès par rapport à la situation antérieure.

Je rappelle enfin la conclusion du rapport de la Commission de protection de la langue française. Cette dernière est demeurée plus vigilante que jamais dans l'application de la charte. Elle a également veillé à ce que sa mission soit mieux perçue par les justiciables. En ce qui a trait au rapport statistique présenté dans le rapport annuel ainsi que dans un quotidien, j'aimerais souligner qu'il n'y a pas de relation directe ni nécessaire pour une même année entre le nombre de plaintes déposées, la transmission de dossiers et le nombre de poursuites.

En 1985-1986, le nombre de dossiers transmis au ministre de la Justice par la commission a doublé du fait que la CPLF a décidé d'effectuer un déblayage de ses dossiers des trois dernières années. Donc, par rapport aux statistiques, la courbe normale des dossiers transmis est plus proche du nombre de 123 que de celui de 249.

En ce qui a trait aux statistiques portant sur les poursuites, il faut se rappeler que le ministre de la Justice a décidé de donner suite aux dossiers reçus, c'est-à-dire pour lesquels les poursuites avaient été suspendues au début de 1986 sur la question de l'affichage unilingue anglais à la toute fin de l'année passée. Il n'est donc pas étonnant que les effets de cette décision ne se soient pas reflétés dans les statistiques.

De plus, il est important de rappeler que les poursuites entreprises par le ministère de la Justice ne correspondent pas nécessairement au nombre de dossiers transmis au cours d'un même exercice financier. C'est là un point essentiel pour comprendre les données incluses dans les différents rapports annuels. Notons au passage qu'il arrive que des plaintes soient jugées irrecevables et de ce fait n'apparaîtront pas dans les rapports annuels.

Notons un élément positif par rapport au renouveau effectué à la commission ainsi que l'attitude adoptée par cet organisme. De nombreux dossiers ont été fermés en 1986-1987, soit 1529, dont 947 avaient été ouverts au cours de ce même exercice financier.

On doit noter là un rapport plus que positif en ce qui a trait au traitement des dossiers et d'autre part il importe de souligner que plusieurs présumés contrevenants ont accepté de se soumettre à la loi à la suite justement de l'attitude de la commission visant à amener les contrevenants à se corriger au lieu de recourir à une quelconque attitude de menace.

M. le Président, voilà un exemple concret qui illustre bien l'attitude - je pense que c'est l'attitude qu'on doit avoir - et l'approche nouvelle de la commission de protection.

D'autre part, le but de l'action dans son ensemble est d'amener la population à faire respecter la loi par choix afin qu'elle comprenne le bien-fondé des contraintes législatives, ce qui, à moyen et long termes, diminuera les statistiques de poursuites en cette matière. Au cas où l'Opposition ne l'aurait pas encore remarqué, je soulignerai que c'est là une attitude positive d'éducation, de sensibilisation et de prévention qui a été développée par la commission sous un régime libéral.

On comprendra également que les effets de tels changements sont majeurs quant à l'administration d'une loi aussi complexe et que ces effets se feront sentir de façon plus précise dans les années à venir. C'est tout à l'honneur de la commission ainsi qu'à ceux et celles qui ont conçu et concrétisé des fois linguistiques depuis une quinzaine d'années.

À ce chapitre, j'aimerais faire mention du fait que fa commission, ayant choisi de privilégier une relation d'aide auprès d'entreprises non établies au Québec, par conséquent qui ne sont pas juridiquement soumises à un programme de francisation, a conclu avec des compagnies qui se spécialisent dans la manufacture et la distribution de modèles réduits, une entente à laquelle ces compagnies acceptaient de se conformer - à l'article 51 - sans en être obligées, soit l'emballage de leurs produits qui sont conformes aux exigences de la charte.

On conviendra en cette Chambre que les lois 22 et 101 ont consacré la volonté de parler français au Québec. Que l'on parle de promotion et de protection de la langue française au Québec, que l'on parle de l'administration d'une loi en cette matière, il demeure que le Québec est une société distincte en raison de sa langue, de sa culture, il entend le demeurer et le gouvernement estime vital qu'il en soit ainsi. C'est pourquoi il apparaît très important que le français soit et demeure la langue officielle majoritaire et surtout la langue commune à tous et toutes au Québec.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre.

Je reconnais maintenant M le député de Verchères.

M. Jean-Pierre Charbonneau

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Un peu comme mon collègue, on entend la ministre, mais on a l'impression qu'il n'y a pas de problème. On se promène cependant dans les rues au Québec, particulièrement dans les rues de la grande région de Montréal et on se rend compte que les problèmes sont visibles et qu'il y a une détérioration de la situation. Autrement, on ne serait pas ici pour en parler, n'est-ce pas? Autrement, dans l'actualité au cours des deux dernières années, il n'y aurait pas eu tellement d'échos de l'action que mène actuellement l'Opposition. Si ce qu'on dit n'était pas exact, il n'y a pas beaucoup de gens au Québec qui porteraient intérêt à ce que l'on fait comme débat.

La raison principale de la détérioration, c'est mes collègues l'ont souligné - ['attitude des tribunaux qui a contribué à donner l'impression que la loi 101 était moins importante et moins forte qu'elle ne l'a été. D'autre part, l'attitude du gouvernement qui est finalement une attitude d'une espèce de valse-hésitation. Une journée, il y a un message dans un sens et une autre journée, un message dans l'autre. Et cela s'est poursuivi

depuis l'élection du Parti libéral, il y a maintenant deux ans.

La ministre aime les chiffres. J'ai fait le calcul. Du nombre de mouvements de cette espèce de valse-hésitation, j'en ai dénombré pas moins de 17 et je vais en faire une espèce de nomenclature rapide dans le temps qui m'est imparti.

D'abord au mois de juin 1985, avant la campagne électorale, il n'était pas question d'affichage bilingue dans le programme du Parti libéral. Tout à coup, c'est apparu dans la campagne électorale alors que M. Bourassa, dans les quartiers non francophones de Montréal, a abordé la question et en a fait un engagement électoral, sauf que dans le cas des francophones, quand il s'adressait à eux, c'était surtout pour leur dire que la loi 101 serait préservée. Une fois arrivé au pouvoir, le gouvernement a annoncé que les poursuites dans le domaine de l'affichage bilingue seraient suspendues sous prétexte d'attendre la décision de la Cour d'appel.

Au mois de mars 1986. M. Bourassa a laissé entendre au Devoir qu'il pourrait bien agir sans attendre les tribunaux. Pas plus tard qu'un mois après, le 23 avril 1986, coup de théâtre, le premier ministre avouait à Pierre Bourgault sur les ondes d'une radio à Québec qu'il était coincé avec la loi 101. Il faut dire que le micro était fermé et que le premier ministre ne pensait pas qu'éventuellement ses propos seraient rapportés.

Quelques semaines plus tard, en juin 1986, le conseil général du Parti libéral adoptait une résolution pour revenir à l'affichage bilingue avec priorité au français. On a développé à ce moment le concept du bilinguisme optionnel et conditionnel. Par la suite, M. Bourassa a affirmé à La Presse qu'en fait la priorité du français se résume à la nécessité d'utiliser la langue et qu'il est possible d'amender la Charte de la langue française sans mettre en danger la paix sociale. Au journal The Gazette, à peu près à la même période, il soulignait qu'il entendait ramener le bilinguisme dès l'automne 1986. Un peu plus tard, en fait, quelques jours plus tard après cette entrevue, le premier ministre ajoutait qu'il était possible de modifier la charte uniquement par des voies réglementaires. Il faut dire qu'il s'est fait ramener à l'ordre rapidement par son leader et le Procureur général du Québec. À ce moment, la ministre responsable de l'application de la loi 101 profitait du moment et annonçait la fusion d'organismes créés par la loi 101 et pour modifier les règles d'affichage.

Au mois de septembre 1986, la compagnie Zellers annonce publiquement qu'elle entend délibérément violer la loi. La ministre, qui est devant nous aujourd'hui, dit: Je veux la faire respecter, sauf que le premier ministre, à ce moment-là à Toronto, la rappelle à l'ordre.

En octobre 1986, une date importante parce qu'on remarque un tournant dans l'attitude du gouvernement. Il y a eu un sondage CROP qui pour la première fois contredisait ce que le gouvernement donnait comme impression et laissait entendre à la population. En fait, le sondage indiquait que les francophones voulaient maintenir l'affichage unilingue.

Par la suite, le premier ministre a commencé à invoquer la question des districts bilingues. Et en décembre, il y a eu les premières manifestations violentes à la compagnie Zellers. Il y a eu des bombes qui ont éclaté. Puis le premier ministre a reculé et a dit pour la première fois qu'il fallait tenir compte de la paix sociale.

Au mois de juin de cette année, le premier ministre a affirmé en Chambre que les amendements viendraient après la décision de la Cour suprême, mais il ajoutait un peu plus tard à l'Assemblée nationale qu'il ne faudrait pas exclure une loi à l'automne. Or, on est à l'automne 1987.

Au mois d'octobre, il y a à peine quelques semaines, le caucus libéral en est venu à la conclusion qu'il ne serait pas sage de bouger dans le dossier linguistique. Le premier ministre a dit à ce moment une chose que nous répétions depuis le début. C'est qu'en ce qui concerne les nouveaux immigrants, il faut que le message soit clair. Il faut qu'ils aient intérêt à aller et à comprendre qu'ils ont intérêt à aller du côté français, sinon ils vont aller du côté anglais.

C'est drôle, le Parti québécois, les députés que nous sommes ici, disions cela depuis qu'il est arrivé au pouvoir. Cela ne l'a pas empêché, le 28 octobre, de réaffirmer ici à l'Assemblée nationale que son objectif comme premier ministre et comme chef du gouvernement était de remplir sa promesse électorale. Or, M. le Président, c'est cela le problème. Une journée, le premier ministre dit qu'il est préoccupé par la paix sociale et par les conséquences; une autre journée, il nous annonce et annonce particulièrement aux anglophones du Québec qu'il entend faire respecter la loi 101. Ce message ambigu, cette confusion continuelle dans le vocabulaire, cette espèce de valse-hésitation depuis deux ans, c'est ce qui fait que les commerçants à Montréal et les nouveaux arrivants au Québec comprennent que le gouvernement du Québec actuel n'est pas intéressé à faire du français véritablement la langue officielle du Québec, la langue de communication, la langue de la vie, contrairement à ce que la ministre tente de nous laisser croire par des propos très vertueux, ce matin. (10 h 45)

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Verchères. Avant de passer la parole au prochain intervenant, je dois admettre que le président a fait une erreur en cédant immédiatement la parole à M. le député de Verchères. Afin de réparer et de donner à tous la chance de s'exprimer, je vais, d'abord, reconnaître M. le député de Vanier; par la suite, Mme la ministre et Mme la députée de Vachon. Nous allons revenir à l'ordre normal des choses. Toujours pour des interventions de cinq minutes.

M. Charbonneau:...

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Verchères. M. le député de Vanier.

M. Jean-Guy Lemleux

M. Lemleux: Je vous remercie, M. le Président. Je m'en voudrais de ne pas relever certains propos tenus à la fois par le député de Lac-Saint-Jean et le député de Verchères. D'abord, pour le député de Lac-Saint-Jean, ayant moi-même des affinités de nature géographique avec le député de Lac-Saint-Jean, puisqu'étant originaire d'un tout petit village du Lac-Saint-Jean, qui s'appelle Saint-Coeur-de-Marie, je ne voudrais surtout pas entamer avec lui une polémique de nature juridique. Le député de Taillon qui me regarde attentivement va être en mesure de me suivre. Vous savez, vous avez parlé de l'acte constitutionnel de 1982. Je vous inviterais à lire ce que disait en 1981 une journaliste de La Presse, sous le nom de Lysiane Gagnon. Elle disait que le pire recul que le Québec a connu en matière d'identité nationale, l'année de deuil qu'on a connue et vous le savez fort bien, c'est 1981, ce n'est pas le recul d'une langue, c'est le recul d'un peuple. Je tiens à vous le souligner, ça va vous suivre plus que jamais.

Il y a un autre fait que j'aimerais souligner au député de Verchères, et je peux lui donner immédiatement le projet de loi 140. Lorsque le député de Verchères dit que dans le projet de loi 140 on s'attaquait à l'affichage, il sait fort bien que c'est faux. Le projet de loi 140 ne visait qu'à une restructuration d'organismes. Je le mets tout de suite au défi de me sortir le projet de loi 140 et je peux le lui remettre immédiatement. Dans ce projet de loi, il n'y a aucun article, aucun paragraphe, aucun sous-paragraphe, aucun alinéa qui ne concerne comme tel l'affichage, et il le sait fort bien. M. le Président, sur ce, le défi du Québec en matière de langue officielle n'a pas son pareil au Canada. Il faut quand même tenir compte d'une réalité. Nous devons protéger le français sur notre propre territoire. Nous devons aussi assurer, qu'on le veuille ou non, que ça plaise ou non, le respect des minorités anglophones et aider aussi les minorités francophones hors pays. Tout à l'heure, le député de Verchères nous disait que nous ne voulons pas respecter la langue officielle au Québec. Eh bien, je vais lui rappeler, moi, je vais lui donner quelques leçons d'histoire.

En 1974, c'est sous l'autorité de M. Robert Bourassa qu'on a fait adopter la loi 22. C'était quoi la loi 22? C'était la loi sur les langues officielles au Québec qui faisait du français la seule langue officielle du Québec. Cela n'a pas été facile de faire comprendre cela. Cela n'a pas été facile de faire saisir le droit qu'avait la société québécoise d'affirmer comme telle sa spécificité culturelle. On l'a fait sans bravade, sans exclusivisme, en évitant de faire sortir des placards les fantômes ou les spectres. Pourtant, vous savez, il y avait une province comme le Nouveau-Brunswick qui avait 34 % de ses citoyens qui étaient de langue française, qui a contesté la constitutionnalité de la loi 22.

Je regardais ici des articles du 9 août 1974 où on contestait comme tel le fait du Québec à avoir une langue officielle en français. À cette époque aussi, il y avait des juristes aussi compétents que le député de Taillon dont l'un deux était un éminent juriste, le sénateur Eugène Forsythe, qui qualilait de douteuses certaines parties de la loi du point de vue constitutionnel. Malgré tout cela, malgré toutes ces contestations internes ou externes, on a eu le courage, on a eu la détermination à cette époque de faire du français la langue officielle au Québec. Heureusement, d'ailleurs, parce que c'est même un de vos collègues, l'ancien ministre d'État au Développement culturel, le ministre Laurin, qui disait en septembre 1977: Sans loi 22, il n'y aurait jamais eu de loi 101. Il allait même plus loin que cela. Il disait: Bourassa nous a aidés avec sa loi 22. C'est lui qui a eu le courage de nous donner le premier choc.

Il y a longtemps que nous avons compris, du Parti libéral du Québec, l'importance du fait français au Québec et sa préservation. Je pense qu'on n'a pas de leçon d'histoire à nous donner. Cela risque peut-être d'ennuyer le député de Taillon, dont je reconnais la compétence et son sens de l'histoire. Je pourrais lui dire, cependant, que dans la tradition libérale on pourrait remonter très loin sur le fait français au Québec. On pourrait même remonter et je l'invite à lire la vie d'Honoré Mercier, 1887 à 1891. Il va comprendre que, pour nous aussi du Parti libéral du Québec, le fait français aujourd'hui a aussi une certaine importance. Je vois sourire le député de Lac-Saint-Jean.

Effectivement, on doit se demander ce qu'il en est aujourd'hui. Il y a des accrocs à la loi 101 en matière d'affichage. Oui, il y en a, comme il y en a au Code de la route ou à toute autre loi de nature statutaire, mais aussi il y a eu des progrès. Je pense qu'il est important de le dire et ce, sans partisanerie politique. Je pense que vous devez être conscients que le français au Québec reprend une certaine vigueur et que sa qualité - peu importe... j'entends un peu les paroles du député de Lac-Saint-Jean, même si cela ne fait pas son affaire est quand même remarquable sur certains aspects.

M. le Président, vous me dites que j'ai cinq secondes. Je veux tout simplement vous dire que je reviendrai dans un deuxième temps vous faire état de la politique actuelle du Parti libéral du Québec. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Vanier. Mme la ministre des Affaires culturelles.

Mme Lise Bacon

Mme Bacon: M. le Président, j'aimerais apporter quelques précisions concernant le volet des progrès réalisés au chapitre de la francisation des entreprises. Ce processus constitue un mandat important, sinon majeur, de l'Office de la langue française. À la lumière de l'analyse des progrès réalisés depuis la mise en place de ce programme, on a constaté que le français a fait

des pas de géant comme langue d'usage à l'intérieur des entreprises, mais qu'il reste encore beaucoup à faire pour qu'il devienne la langue normale du travail et la langue des activités économiques et professionnelles des Québécois.

Le processus de francisation des entreprises avait atteint, au 31 mars 1987, environ 50 % de son objectif, lequel visait à faire du français la langue du travail au Québec. Au rythme actuel, il faudra encore une quinzaine d'années pour compléter le processus de francisation. Voilà un secteur où il revient à l'État de coordonner les efforts des différents organismes qui sont chargés de l'application de la langue française, en vue, si besoin est, d'en accélérer le processus.

Pour ce qui est des entreprises employant de 50 à 99 personnes, la situation se présente de la façon suivante. Depuis la mise en place du programme, 70,2 % des 2263 entreprises de cette catégorie ont obtenu un certificat permanent attestant que le français possède le statut recherché par le programme de francisation. Enfin, en ce qui a trait au processus de francisation des organismes de l'administration, on constate qu'il est plus avancé que celui des entreprises: 81,6 % des 4162 organismes appartenant à cette catégorie ont obtenu un certificat permanent attestant que le français possède le statut recherché.

Là encore, les termes sont importants. De ces analyses il ressort que le processus qui a cours maintenant a atteint, dans l'ensemble, 50 % de son objectif, mais il faut faire en sorte que la francisation devienne une opération continue et que le certificat de francisation remis à l'entreprise ne soit pas considéré comme mettant fin au processus. Il faut, au contraire, en arriver à la formule qui permettra de s'assurer que l'entreprise continue à remplir les exigences que lui ont valu l'attribution de son certificat. Nous avons l'intention de travailler à la réalisation de cet objectif de concert avec les gens impliqués.

C'est en ce sens qu'en dépit du fait que des pas importants ont été franchis, beaucoup de travail reste à faire dans ce vaste domaine de fa francisation des entreprises. Toutefois, la volonté du gouvernement a clairement été exprimée depuis qu'il a été élu le 2 décembre 1985. Cette volonté vise, en termes clairs, à promouvoir, à protéger le français partout sur le territoire québécois. Il y a tout lieu de se réjouir des résultats atteints après quelques années d'application de la Charte de la langue française dans le domaine de la francisation des entreprises. Le gouvernement du Québec n'a pas l'intention de s'arrêter là et il continuera à inciter les entreprises, tant privées que publiques, à faire du français la langue du travail, la langue de communication aussi bien que celle de l'État.

S'il est un souhait personnel que je puisse formuler aujourd'hui dans le cadre de cette interpellation, c'est qu'il faut en arriver à accélérer le processus de francisation; il faut en arriver aussi à consolider les acquis du passé pour mieux préparer l'avenir du Québec français dans tous les secteurs et particulièrement celui des entreprises, mais il ne faut pas négliger le volet de la francisation dans l'administration publique. C'est pourquoi, à la suite d'un avis du Conseil de la langue française sur ce sujet, j'ai demandé au président de l'Office de la tangue française et à la présidente de l'Office des ressources humaines d'unir leurs efforts afin d'établir un plan conjoint d'amélioration du français écrit dans l'administration publique québécoise. Les deux présidents ont déjà commencé à travailler sur ce projet.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je reconnais, maintenant, Mme la députée de Vachon.

Mme Christiane Pelchat

Mme Pelchat: Merci, M. le Président. À mon avis, un des plus graves problèmes que doit subir la langue française au Québec est, sans aucun doute, l'utilisation partisane qu'en font certaines personnes et surtout certains porte-parole du Parti québécois. L'évolution de l'opinion publique est très sensible à tout ce qui concerne un changement, soit-il positif, à nos lois spécifiques sur la langue. Comme le note te rapport annuel de la Commission de protection de la langue française, nous pouvons remarquer un changement de perception dans l'opinion publique selon l'intensité des débats dans l'actualité et, évidemment, du traitement que l'on en fait dans les médias.

Je suis certaine que même certains membres de l'Opposition partagent le sentiment que l'avancement et la protection de la langue française doivent se faire avec plus de maturité et de désintéressement politique de la part de tous, y compris de l'Opposition. Le ton et les propos alarmistes et apocalyptiques de certains membres de l'Opposition réapparaissent outranciers et hors de proportion par rapport à la réalité.

L'Opposition devrait, à l'occasion, relire le préambule de la charte qui stipule que la protection du français doit se faire dans un esprit de justice et d'ouverture, dans le respect des institutions de la communauté québécoise d'expression anglaise et celui des minorités ethniques dont l'Assemblée nationale reconnaît l'apport précieux au développement du Québec.

Cela dit, j'aimerais, en quelques minutes, tout simplement faire ressortir que la francisation, entre autres chez les communautés culturelles, est en nette progression. L'intégration des allophones à la majorité francophone constitue une priorité du présent gouvernement. Il n'est certes pas très facile de pénétrer les différentes communautés culturelles et de faire en sorte qu'elles s'intègrent à la majorité. Cela doit se faire délicatement, mais sûrement. Ainsi, depuis dix ans, on peut enregistrer une nette progression, engendrée certainement en partie par les lois sur la langue française, de la fréquentation des écoles françaises par les allophones. Ainsi, cette année, plus de 60 000 élèves allophones fréquentent

l'école du Québec, dont 37 000 fréquentent l'école française. En 1976-1977, 20 % des allophones étudiaient en français, tandis que pour 1986-1987 nous assistons à un revirement systématique, c'est-à-dire 64 % des allophones fréquentent présentement te secteur français.

Comme le notent plusieurs études, fe défi de notre société est de faire en sorte que ces enfants allophones puissent faire l'apprentissage scolaire dans une langue autre que leur langue maternelle sans heurt et surtout en respectant leurs limites.

La langue d'enseignement est certainement l'un des outils les plus importants qui favorisent l'intégration des communautés ethniques à la majorité francophone. Ce sont ces élèves d'aujourd'hui qui garantiront le nombre de parlants français en Amérique du Nord et évidemment ce sont ces derniers qui, espérons-le, seront à même de témoigner de la qualité du français au Québec.

C'est sûrement auprès des jeunes de toutes les origines que l'État doit être vigilant et rendre le français attrayant, puisque ces derniers sont peut-être plus influençables et sensibles aux modes et tendances culturelles américaines. C'est la même chose pour les jeunes francophones. Heureusement, on note que cette influence semble être circonscrite au choix de la musique et, en ce qui a trait aux autres activités culturelles, elles se font en français.

Nous sommes tous conscients que l'avenir de la langue française sera aussi assuré par l'intégration des communautés culturelles qui, depuis plusieurs années, font preuve d'une bonne volonté. Je crois qu'au-delà des lois nous devons adopter des attitudes réceptives. Il faut élargir la base d'adhésion et d'appartenance de la francophonie québécoise, comme le dit si bien le Conseil de la langue française.

Je suis moi-même issue de grands-parents immigrants qui ont fait le choix de s'intégrer et de vivre en français. Je crois que, oui, la francisation des communautés culturelles va bon train et je suis persuadée que cela ira en augmentant pour autant que les francophones puissent les accueillir sans réticence aucune.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la députée de Vachon. Je reconnais maintenant M. le député de Lac-Saint-Jean. (11 heures)

M. Jacques Brassard

M. Brassard: Merci, M. le Président. Je voudrais dire que le Parti libéral utilise de façon très savante ce qu'on pourrait appeler la technique de culpabilisation des francophones. On vient d'en avoir un exemple avec ce que vient de nous dire la députée de Vachon quand elle parle de l'utilisation partisane de la question linguistique de la part du Parti québécois. Elle vient de nous dire, en quelque sorte, que le Parti québécois, quand il parle de langue, quand il sonne l'alerte, quand il sonne l'alarme, fait de la partisanerie. Donc, on devrait se sentir coupables de parler de la langue et de ne pas en parler et elle affirme par la suite qu'il faut faire preuve de désintéressement.

Donc, pour le Parti québécois, faire preuve de désintéressement, c'est ne plus en parler. Ne plus parler de la langue au Québec. C'est là une technique bien connue du Parti libéral, la culpabilisation. On inocule, on injecte dans l'esprit des citoyens un sentiment de culpabilité. L'origine de cela nous vient directement d'Alliance Québec, l'organisme représentatif de la communauté anglaise dont la thèse est très claire. La communauté anglophone au Québec est maltraitée; elle est persécutée. Les droits individuels de ses membres sont violés et foulés aux pieds à cause même de l'existence et de l'application de la Charte de la langue française.

L'objectif, évidemment, c'est de faire en sorte que la majorité francophone se sente coupable vis-à-vis de la communauté anglaise, éprouve des remords en appliquant la Charte de la langue française, en protégeant et en assurant la survie et la conservation de sa langue.

Comme on sait que la communauté anglaise a une influence déterminante au sein du Parti libéral du Québec, je pense que ce n'est pas faire preuve... C'est une simple analyse politique. Il est évident que la communauté anglaise du Québec est très puissante au sein du Parti libéral. C'est son véhicule politique depuis un bon nombre d'années.

Par conséquent, cette influence se traduit de façon subtile, savante, par des affirmations telles que le Parti québécois, les francophones ou les mouvements nationalistes ne font pas preuve de tolérance, que nous sommes intolérants, que nous ne respectons pas les droits individuels, que nous ne respectons les droits des minorités. C'est ce que disait le député de Vanier tout à l'heure.

Il faut quand même prendre en considération le respect du droit des minorités. Il a sous-entendu que nous ne sommes pas sans défauts à ce sujet. Nous pouvons avoir des remords et nous sentir coupables. Pourtant, la réalité est tout autre. La communauté anglaise du Québec est une des minorités les mieux traitées au monde. Tout le monde le reconnaît. Elle dispose de ses institutions culturelles, sociales, de communications, de son système scolaire, universitaire. C'est une des minorités les mieux traitées au monde.

Par conséquent, les droits des minorités au Québec ont toujours été et sont toujours encore présentement scrupuleusement respectés par la majorité. Le problème, c'est que cette communauté anglaise n'a jamais approuvé, n'a jamais appuyé la Charte de la langue française, ses principes, ses orientations fondamentales. Les sondages sont très claires. Il y a eu des sondages qui démontraient que les anglophones au Québec ne sont pas d'accord avec le français comme langue de travail, qu'ils ne sont pas d'accord très majoritairement avec le français comme langue de communication, qu'ils ne sont pas d'accord très majoritairement avec le français comme langue d'enseignement au Québec.

Ils ne sont pas d'accord, ils ne l'ont jamais été et ils ne le sont toujours pas avec les orientations fondamentales de la loi 101. On essaie d'inoculer un sentiment de culpabilité aux francophones. Le meilleur exemple, ce sont les déclarations de la ministre qui s'en est prise, à plusieurs reprises, aux groupes nationalistes qui se sont organisés pour que cesse le recul du français.

La ministre les afflige de tous les maux et à l'entendre ils seraient responsables eux-mêmes de la détérioration du français au Québec. Pourquoi? Parce qu'ils portent plainte, parce qu'ils sont vigilants, parce qu'ils ouvrent les yeux et qu'ils essaient de faire en sorte que la loi 101 soit respectée. L'attitude de la ministre, c'est de faire en sorte qu'ils se sentent coupables et qu'ils se conduisent de façon incorrecte.

M. le Président, je conclurai en disant que le gouvernement aurait intérêt à relire et à apprendre par coeur l'argumentation du Procureur général devant la Cour suprême où l'on stipule très clairement que nous n'avons pas à nous sentir coupables de protéger, de conserver et de promouvoir la langue française au Québec. Nous n'avons pas à avoir de remords, bien au contraire. Nous n'avons pas, par conséquent, je dirais, à réduire la portée de la loi 101 au Québec.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. Je vous félicite de votre autodiscipline. Mme la ministre.

Mme Lise Bacon

Mme Bacon: M. le Président, j'ai déjà insisté sur la nécessité d'améliorer la qualité de la langue française au Québec. C'est un principe qui constitue un élément important de la politique linguistique de notre gouvernement. Ces derniers temps, on a davantage insisté sur les volets de la législation et de la réglementation, mais pas suffisamment sur la qualité de la langue. Pourtant, le volet de la qualité mérite d'être traité avec beaucoup plus de sévérité qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant. Le français mérite d'être protégé, promu, appliqué, dans la mesure où il permettra aux Québécois de vivre le plus intensément possible dans les dimensions sociale, culturelle et économique.

Par le biais d'une approche axée sur l'amélioration de fa qualité du français, le gouvernement du Parti libéral a amorcé un virage important en vue d'une valorisation réelle de notre culture. Mais il reste que le rôle de l'État consiste à assurer aux Québécois la protection de la langue française contre l'envahissement culturel nord-américain. Mais cette protection ne peut être efficace que si les Québécois et les Québécoises font preuve de coresponsabilité et de ce fait partagent cette volonté de fierté de parler une langue française de qualité au Québec.

J'ai déjà rappelé également que les citoyens et citoyennes du Québec avaient des droits, mais qu'ils avaient également des devoirs à accomplir. Sur le plan de la qualité de la langue française, la notion de coresponsabilité prend son véritable sens dans la mesure où il y a cette volonté tant collective qu'individuelle d'améliorer notre langue.

Il faudrait bien sûr résoudre les problèmes qui sont causés par ceux et celles qui ne respectent pas les dispositions de ta charte. À cet égard, je mentionnais aussi tout à l'heure que l'attitude nouvelle de la Commission de protection de la langue française donne de l'espoir. L'espoir qu'une tendance nouvelle se profilera au sein de notre société et incitera aussi à plus de prudence, mais de façon positive cette fois, quant au respect de notre langue. Au-delà des problèmes que je considère comme normaux dans une société en mutation, il y a ce défi toujours actuel dans notre société francophone, celui de la survivance et du développement d'une société minoritaire sur les plans canadien et nord-américain.

Pour relever ce défi, il est nécessaire de mobiliser collectivement toutes les forces actives du Québec en faveur de la qualité de la langue française. Voilà toute une tâche en perspective. Oui, M. le Président. Mais c'est pourquoi le gouvernement du Québec est prêt à mettre à la disposition du Québec dans son ensemble toutes les ressources nécessaires et efficaces en vue d'en arriver à une meilleure promotion de la qualité de la langue française. En corollaire, chacun et chacune des Québécois et des Québécoises doivent faire preuve d'initiative et d'une attitude positive si on veut que la langue française soit le miroir d'une communauté qui se respecte.

En définitive, les Québécois pourront avoir ou pourront se doter de toutes les lois linguistiques imaginables, rien ne vaudra la place prépondérante des parents et autres éducateurs pour apprendre aux enfants à bien parler leur langue, à tomber en amour avec leur langue, s'il le faut. La première mission du gouvernement du Québec consiste donc à conjuguer ses efforts avec ceux des milliers de parents du Québec qui sont les véritables et indiscutables maîtres de la sauvegarde et du développement de la langue française. C'est ce que j'appelle être responsable de la loi, non seulement dans la lettre, mais dans son esprit.

Je demeure persuadée que la population appuie notre démarche marquée par l'équilibre de l'ensemble des valeurs de notre société. Pour ma part, je me rassure à l'idée que cette démarche est fondée sur le voeu de l'ensemble de la population qui désire qu'elle protège le français au Québec, tout en faisant en sorte que la Charte de la langue française soit appliquée en fonction des réalités vécues par les Québécois.

C'est d'ailleurs sur cette base que se poursuivra la démarche de notre gouvernement quant à la poursuite de l'objet d'une langue de qualité au Québec. Cette démarche consistera à poursuivre notre réflexion et nos actions sur ce sujet pour mieux maîtriser l'avenir de la qualité de la langue française. Cette volonté des Québécois et des Québécoises existera toujours pour assurer la qualité, le rayonnement de la langue française,

laquelle doit être de plus en plus et de mieux en mieux exprimée. Je pense que c'est de cette façon que nous devons nous exprimer en 1987 et non reprendre les vieux discours qu'on nous a trop longtemps servis. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je reconnais maintenant M. le député d'Arthabaska.

M. Laurier Gardner

M. Gardner: Merci, M. le Président. Le 14 mai 1986, lors d'un discours fait en cette Assemblée, Mme la ministre des Affaires culturelles du Québec nous conviait à l'excellence dans l'utilisation de la langue française. Elle nous disait que la qualité d'une langue dépend d'abord de la façon dont elle est parlée dans chaque famille, de la façon dont elle est enseignée dans les écoles, de la façon dont elle est utilisée dans les milieux de travail et dans les entreprises de même que par l'État et les médias.

Vous me permettrez d'insister sur les deux premiers points des remarques, toujours d'actualité, de Mme ta ministre. Ce faisant, je veux vous rappeler que l'État seul ne peut certainement pas sauver la langue de Molière en Amérique du Nord. Que nous le voulions ou non, nous conservons à jamais la langue que l'on entend dès notre enfance. Les parents ont alors le rôle le plus important dans la sauvegarde et le développement de la langue française. C'est une vérité de La Palice que si on cessait de parler français à nos enfants, on vouerait à une mort certaine la langue française au Québec.

Encore faut-il que cette langue utilisée dans les foyers québécois qu'on qualifie de française le soit vraiment. Dès le berceau, dès ses premiers pas, l'enfant qui entend des marques d'affection en bon français fera un bel apprentissage dans cette langue. S'il vit dans un milieu respectueux de la langue française, c'est-à-dire un milieu où on possédera et utilisera des livres de lecture, une grammaire et un dictionnaire français, il fera sa vie en français d'abord.

De plus, l'école est te prolongement de l'apprentissage de notre langue. Il revient aux enseignants d'assumer la sauvegarde et le développement de la langue française. À ce titre, ils doivent compléter le travail des parents dans tous les apprentissages des enfants, dont celui de la langue sous toutes ses formes, parlée el écrite. Donne-t-on vraiment ce goût de bien parler, bien lire au sein même de nos institutions scolaires? Il y a lieu de s'interroger sérieusement. Les réformes entreprises depuis plus de 20 ans dans notre réseau d'éducation n'ont pas toutes donné le résultat escompté. D'autre pan, dans un rapport de consultation récent sur la qualité du français écrit et parlé publié par le ministère de l'Éducation, on peut lire: "Finalement, en ce qui concerne l'engagement des nouveaux professeurs, on demande aux commissions scolaires de s'assurer de la qualité de leur français parlé et écrit, et on réclame que le ministère de l'Éducation intervienne auprès des universités pour qu'elles fassent de la maîtrise du français un critère essentiel pour reconnaître l'aptitude d'une personne à l'enseignement."

Que voulez-vous? On en est rendu à demander aux commissions scolaires et aux universités de vérifier si le futur enseignant a un français impeccable. Pourtant il y a quelques années, ce critère d'engagement nous semblait inhérent et ne se posait pas avec autant d'acuité. Il est heureux qu'au gré du relâchement de la qualité du français dans nos écoles, on ait senti le besoin de s'assurer d'un moyen de contrôle et de revenir aux sources. Le système dans son ensemble ne s'en portera que mieux, M. le Président.

Aussi, j'estime qu'il revient à l'État d'inciter tous les intervenants du secteur de l'éducation à avoir cette conscience professionnelle nécessaire et essentielle au maintien et au développement de la qualité du français dans la totalité de notre réseau d'enseignement. Les programmes et mesures annoncés ces derniers mois par le ministre de l'Éducation sont encourageants, mais le milieu doit assurer sa part de responsabilité.

M. le Président, en conclusion, qu'il me soit permis d'espérer que tous les foyers du Québec possèdent des livres de lecture, la grammaire et le dictionnaire français. Qu'il me soit permis d'espérer que tous les parents du Québec s'efforcent de bien donner à leurs enfants ce qu'ils ont eux-mêmes reçu de leurs parents. Qu'il me soit permis d'espérer que toutes les écoles du Québec jouent pleinement leur rôle de promotion de notre belle langue française. Merci, M. le Président.

Le Président (M, Trudel): Merci, M. le député d'Arthabaska. Je reconnais maintenant M. 'le député de Taillon.

M. Claude Filion

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. En fait, je pense que cela prendrait plus d'une interpellation par semaine si on voulait convaincre le gouvernement de la réalité. Il y a plusieurs mises au point que je ferai moi-même en conclusion, mais il y en a une que je ne peux m'empêcher de faire immédiatement, compte tenu du discours de celui qui m'a précédé. On parle de la qualité du français à l'école, on parle de l'importance de l'enseignement du français à nos enfants. Nous sommes d'accord. Le Conseil supérieur de l'éducation est d'accord également et tout le monde au Québec réalise qu'en l'absence d'une volonté ferme et claire du gouvernement libéral, une volonté exprimée dans l'action, il est impossible, parfois très difficile au mieux, de faire pénétrer ce message de qualité du français au Québec à nos propres francophones. C'est cela, la réalité. (11 h 15)

Le Conseil supérieur de l'éducation, dans l'avis qu'il a rendu public le 25 novembre et portant sur la qualité ou la piètre qualité du

français à l'école, rappelait, avec l'Opposition, dans sa recommandation 7, et je le cite textuellement: "Le Conseil supérieur de l'éducation rappelle qu'il appartient au gouvernement du Québec de créer un environnement linguistique et culturel favorable au français et qu'il est de sa responsabilité de garantir l'avenir collectif de la langue française au Québec par un dispositif juridique clair, ferme et respecté." Est-ce assez clair? Tant que le gouvernement ne fera pas respecter la loi 101, tant qu'il ne prendra pas les actions qu'il doit prendre maintenant, que nous avons énumérées tantôt et que nous reprendrons en conclusion, il est impossible d'envoyer le type de message qu'on envoie présentement, que la ministre envoie en disant à nos écoles, à nos commerçants et à toute la population: Agissez maintenant! Non, la responsabilité première revient d'abord au gouvernement du Québec et là-dessus je dois vous dire que l'avenir n'est pas rose.

On connaît déjà les dommages de l'acte constitutionnel de 1982. On connaît l'imprécision téméraire de l'entente sur le lac Meech et on a maintenant à l'horizon le libre-échange. Je voudrais profiter des quelques minutes qui me restent, M. le Président, pour en glisser un mot.

La survie de la Charte de la langue française est menacée par la conclusion d'un accord de libre-échange, à moins, bien entendu, comme nous l'avons dit en Chambre cette semaine, qu'il n'existe des réserves, des clauses de sauvegarde spécifiques et suffisamment étanches.

Le ministre du Commerce extérieur a bien voulu tenter de rassurer les Québécois, mercredi. Le Québec ne signera l'accord que si la loi 101 est respectée. Mais en relisant la transcription des propos du ministre, on peut y lire que l'administration de l'entente devra permettre la protection de la spécificité québécoise. L'engagement est là, mais il est vague. Il devra être respecté, car la menace, elle, est sérieuse.

Il ne suffit pas d'avoir confiance en ta capacité des Québécois à défendre leur langue, encore faut-il qu'ils aient un minimum de moyens pour le faire. Doit-on répéter que les pressions des compagnies américaines seraient intenses si jamais elles venaient à décider que la loi 101 constitue une entrave au commerce? On a pu constater leur pouvoir de négociation dans le cas du bois d'oeuvre. Comment pourrions-nous résister à une attaque concertée à ce sujet? Le droit linguistique et le droit commercial ont plusieurs points de rencontre. À cet égard bien des dispositions de ta Charte de la langue française risquent d'intervenir ou d'influencer directement les principes économiques menant à la libéralisation des échanges commerciaux.

Bien sûr, l'on songe à prime abord à l'article 51 de la loi 101 qui prescrit que toute inscription sur un produit, sur un contenant ou sur son emballage, sur un document ou un objet accompagnant ce produit, y compris le mode d'emploi et les certificats de garantie doivent être rédigés en français. Certains commerçants américains pourraient bien trouver cette obligation carrément excessive, compte tenu que nous ne formons que 2 % de la population en Amérique du Nord.

Pourquoi dépenseraient-ils de grosses sommes pour se plier aux exigences québécoises, alors qu'ils ne le font pas chez eux pour une communauté hispanophone qui est déjà beaucoup plus nombreuse que la nôtre?

Autres dispositions qui pourraient être considérées comme des entraves au commerce: celle affectant les services professionnels. La question de la fréquentation scolaire risque également d'être soulevée puisque les enfants des cadres américains devraient fréquenter l'école française. Une mesure qui risque d'être fort impopulaire. On pourrait penser également au programme de francisation. Bref, la liste pourrait s'allonger.

Et vouloir confier à un tribunal issu d'un traité sur le libre-échange la responsabilité de décider si les droits linguistiques vont à rencontre des droits commerciaux d'un traité, c'est placer la souveraineté linguistique du Québec entre les mains d'un autre tribunal. On connaît déjà la suprématie des tribunaux canadiens là-dessus...

Le Président (M. Trudel): M. le député de Taillon, il vous reste 30 secondes.

M. Filion: ...et maintenant il faudrait y ajouter la suprématie d'un tribunal découlant du traité du libre-échange - je termine là-dessus, M. le Président - et ce serait également inacceptable de la part du gouvernement libéral, compte tenu de l'état déjà charcuté de la loi 101. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Taillon.

Mme la ministre.

Mme Lise Bacon

Mme Bacon: J'aimerais peut-être faire un bilan des aspects démographiques de la situation du français au Québec en 1987 qui est basé sur une des très récentes études de Michel Paille du Conseil de la langue française. Les migrations interprovinciales vers le Québec et hors du Québec ont eu pour effet de contribuer à l'accroissement de l'importance relative des francophones. C'est ainsi qu'entre 1981 et 1986, la proportion des Québécois de langue maternelle française a augmenté de 82,4 % à près de 83 %. On s'attend à ce que cette proportion dépasse les 84 % en l'an 2000.

Quant à la langue d'enseignement, depuis l'adoption de la Charte de ta langue française, la proportion des écoliers non francophones inscrits aux secteurs d'enseignement de langue française n'a cessé d'augmenter. En 1976-1977, les allophones n'étaient que de 20 % étudiant en français. En 1986-1987, la situation était sensiblement modifiée avec 64 % des allophones au secteur français.

Si on exclut les Italiens et les Grecs qui ont

conservé des droits acquis, ce sont 80 % des allophones qui font leurs éludes en français. Quant aux anglophones, ils étaient 17 700 dont environ 6000 ou 7000 librement au secteur français. Notons enfin que les francophones qui étaient 31 000 à étudier en anglais au milieu des années soixante-dix n'étaient plus que de 9500 l'an dernier. Il ne fait aucun doute que la connaissance du français progresse chez les jeunes des ordres primaire et secondaire.

Quant à la connaissance du français, cela fait également partie du progrès dans l'ensemble de la population. Selon les recensements canadiens, la proportion des Québécois qui ne peuvent soutenir une conversation en français a diminué de 11,6 % à 7,5 % entre 1971 et 1981. Il faut attendre la publication complète des données de recensement de 1986 pour vérifier si cette tendance s'est maintenue au cours de 1981 à 1986. On peut estimer qu'il y a eu progrès, mais à un rythme un peu plus lent.

J'en arrive maintenant aux aspects négatifs. À cet égard, je dois faire ressortir une tendance extrêmement préoccupante. L'avenir de la population du Québec apparaît plutôt sombre, essentiellement à cause d'une fécondité trop faible qui n'assure pas, et de beaucoup, le remplacement des générations. A fortiori, l'avenir de la majorité francophone du Québec semble compromis, à moins que le niveau de fécondité des francophones ne croisse substantiellement. Actuellement, l'indice de fécondité se situe entre 1,40 et 1,45 enfant par couple, ce qui est loin d'être le seuil de 2,1 enfants qu'il faudrait pour assurer le renouvellement de la population.

Si la tendance à la baisse se poursuivait encore pour atteindre 1,35 enfant par famille, le nombre de francophones au Québec atteindrait un maximum de 5 700 000 entre l'an 2001 et 2011 pour décliner sous les 5 000 000 entre 2031 et 2041. Un scénario moins pessimiste montre un maximum de 6 200 000 atteint entre 2011 et 2021, suivi d'un déclin sous les 6 000 000 après l'an 2031.

Cependant, ce scénario a été établi dans l'hypothèse d'une fécondité à la hausse qui aurait déjà donné un indice de 1,6 enfant depuis l'an dernier si ce n'est pas le cas. Si les tendances actuelles se maintiennent, le nombre de francophones en Amérique diminuera inéluctablement.

Que faisons-nous pour remédier à cet état de choses? Comme tout le monde le sait, le gouvernement étudie en ce moment la possibilité d'inverser le mouvement en cours par l'implantation d'une vigoureuse politique familiale. Ce n'est pas ici le lieu de parler de ce projet, M. le Président, mais je peux vous assurer que le gouvernement s'est sensibilisé à ce problème et qu'il suit ce dossier de près.

Un autre facteur négatif qu'il faut mentionner est celui-ci. De moins en moins d'immigrants connaissent déjà le français à leur arrivée au Québec. Entre 1981 et 1986, la proportion des immigrants qui connaissaient déjà le français à leur arrivée au Québec a décliné, en passant de 31 % à 21 %, tandis que celle des ressortissants étrangers qui pouvaient converser en anglais a augmenté de 19 % à 31 %. C'était entre 1981 et 1986, pour vous le rappeler.

Depuis, la majorité des allophones qui effectuent un transfert linguistique optent majoritairement pour l'anglais, sauf quelques groupes arrivés au Québec plus récemment. Par ailleurs, il faut aussi reconnaître que le poids de la population québécoise dans l'ensemble du Canada ne cesse de décroître.

Je n'ai pas à minimiser ici l'aspect négatif de ces diverses données. Celles-ci parlent d'elles-mêmes. Faut-il encore savoir les regarder bien en face et en tirer aussi les conclusions qui s'imposent. L'une de ces conclusions est que le danger qui se présente au Québec vient beaucoup moins du fait que nous sommes un îlot francophone dans un océan anglophone que du fait que depuis quelques années nous semblons vouloir nous condamner nous-mêmes à une disparition certaine, à plus ou moins brève échéance. Le temps est venu d'opposer à cette tendance de mort une réaction de saine vitalité à l'instar de ce qu'ont fait en ce domaine nos valeureux devanciers. M. le Président, je pense que notre survie en dépend.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je reconnais maintenant M. le député de Beauce-Nord.

M. Jean Audet

M. Audet: Merci, M. le Président. La première condition pour être fiers de notre langue, c'est de nous assurer que nous disposons d'un outil suffisamment développé et moderne pour la véhiculer, et cela dans tous les domaines de l'activité humaine. Si nos parents étaient fiers de parler la langue française ainsi que l'ont proclamé nos plus éminents écrivains et penseurs, tels Henri Bourassa et le chanoine Groulx, c'est que cette langue était en usage dans leur vie de travail, d'abord. Notre grand défi au Québec, c'est de faire en sorte que la langue française s'adapte aux nouveaux secteurs de développement économique et social. Valoriser la francisation au Québec est et demeurera un pur discours théorique si nous, comme peuple francophone, n'avons pas cette volonté et cette détermination de parler le français dans nos milieux de travail respectifs.

Je pense ici particulièrement au secteur de la haute technologie où la langue d'usage est, à l'échelle internationale, prioritairement l'anglais. D'ailleurs, à ce sujet, d'autres pays francophones, comme la France, par exemple, font face aux mêmes difficultés que nous. Dans un État moderne, dans une société où tout évolue si rapidement, il faut faire face aux défis qui se présentent et s'inscrire en évolution avec elle, sinon les actions entreprises par l'État risquent d'être rapidement déphasées par rapport aux réalités.

Notre gouvernement continuera d'agir en

fonction des intérêts de la population québécoise et de maintenir ce climat de confiance qui a caractérisé nos deux premières années de pouvoir. Nous nous engageons à poursuivre nos efforts en vue d'assurer la prospérité de l'ensemble du Québec, aussi bien sur les plans social, économique que culturel. Nous poursuivons cet élan entrepris depuis décembre 1985 en vue d'assurer la paix linguistique au Québec et d'offrir à toutes tes Québécoises et tous les Québécois une qualité de vie culturelle.

Malgré les critiques apportées par l'Opposition, notre gouvernement maintiendra cette confiance acquise auprès de la population en cherchant à améliorer leur qualité de vie. Cette qualité de vie à son tour passe par l'amélioration du climat économique, politique et social au Québec. Des pas importants ont été franchis depuis le début de notre mandat. D'autres défis s'offriront à nous et notre intention est d'y faire face de façon aussi rationnelle que possible. Voilà ce que j'appelle une orientation claire et précise afin d'assumer nos responsabilités dans le meilleur intérêt de toute la population québécoise.

Quant à la protection du visage français au Québec, je me demande de plus en plus si l'ancien gouvernement a accompli tous ses devoirs. Il a failli à la tâche à maintes reprises et il a réussi à masquer ses failles jusqu'à la fin de son mandat. Nous pourrions citer plusieurs cas. Je crois que la population a parfaitement compris la ligne d'action de notre gouvernement. Elle a très bien saisi notre volonté de maintenir et de renforcer le caractère français au Québec. Somme foute, je suis foin d'être sûr que l'ancien gouvernement ait assumé ses responsabilités comme gardien de notre langue, car il y a une différence énorme entre le fait de proclamer un grand principe, énoncer des objectifs et tout mettre en oeuvre en vue de les faire respecter. Plus progresse le débat, moins la sincérité de l'Opposition me paraît évidente.

C'est dans ce contexte que doivent être saisies les intentions exprimées par notre gouvernement, soit de vouloir rectifier le tir de la politique linguistique du Québec et corriger les lacunes de l'ancien gouvernement. En fin de compte, la population québécoise comprend la portée de nos intentions et ne s'offusque pas de cet effort de redressement et de modernisation de l'application de la Charte de la langue française. Quant au visage français du Québec, le gouvernement du Québec a maintes fois réitéré son intention de le renforcer au niveau de la qualité. Mon collègue d'Arthabaska mentionnait tantôt l'éducation. Je pense que c'est important de le souligner.

Cependant, la protection et la promotion du français au Québec ne sauraient être assumées uniquement par le gouvernement, n'en déplaise au député de Taillon. Ce dernier pourra créer les conditions favorables à l'épanouissement du français au Québec - j'entends bien le gouvernement - dans la mesure où les citoyennes et les citoyens partageront, à titre individuel, cette responsabilité.

En terminant, M. le Président, je ne citerai qu'un passage significatif d'un éditorial du quotidien La Presse lors des grands débats sur le projet de loi 140, par exemple, dans lequel Marcel Adam constatait: II est donc facile pour le Parti québécois d'exploiter à son avantage ce sentiment de méfiance envers le gouvernement en l'accusant de vouloir neutraliser la loi 101 pour mieux bilinguiser le Québec. Quand on sait que l'ex-gouvernement péquiste avait lui-même commencé à édenter la loi 101 pour faire droit aux doléances justifiées des anglophones et qu'il songeait à lui apporter des amendements -toujours dans le contexte de la foi 140 -semblables à ceux que projette le gouvernement libéral. On se dit que c'est de bonne guerre, mais ce n'est pas moins hypocrite pour autant. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Beauce-Nord. Je cède maintenant la parole à M. le député de Verchères.

M. Jean-Pierre Charbonneau

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. J'aurais aimé que le député de Beauce-Nord reste sur le sujet que la ministre a abordé, parce que je pense que c'est un des problèmes fondamentaux, le problème du défi démographique qui confronte actuellement le Québec et qui va nous confronter au cours des prochaines années. D'une certaine façon, on en arrive au coeur même des raisons pour lesquelles la loi 101 a été adoptée. C'était la capacité de faire en sorte que les nouveaux arrivants s'intègrent au Québec français, aux Canadiens français, aux Québécois francophones. Quel que soit le terme qu'on utilise, c'était l'objectif de base, de faire en sorte que les nouveaux arrivants s'intègrent avec les francophones. (11 h 30)

La ministre nous a donné des chiffres intéressants qui nous indiquent que maintenant, avec la loi 101, les immigrants, les nouveaux arrivants, les allophones étudient plus dans les écoles françaises. Je le constate aussi, mais ce que je constate - la ministre l'a glissé rapidement dans les aspects négatifs, tantôt - c'est que cela n'empêche pas ces nouveaux arrivants de devenir des anglophones, lis deviennent des anglophones bilingues, mais ils deviennent encore, malheureusement, des anglophones. Quand on regarde les données, on se rend compte que malgré la loi 101, encore maintenant, après presque dix ans d'application de la loi 101, les deux tiers des immigrants choisissent encore l'anglais après leur langue maternelle comme premier choix.

Donc, faisons attention. Dans les chiffres, on a l'impression... Cela sécurise beaucoup les francophones et les médias que d'entendre dire et de constater dans les données que oui, maintenant avec la loi 101, les immigrants vont à l'école française. La réalité, c'est qu'ils vont à l'école française de plus en plus, mais qu'ils continuent de s'intégrer et de s'assimiler aux

anglophones. Ils deviennent, maintenant plus qu'auparavant, des anglophones bilingues, mais ils continuent de lire La Gazette plutôt que La Presse, ou Le Devoir ou Le Soleil. Ils continuent d'écouter les médias électroniques en anglais d'abord; ils continuent de participer à la culture anglo-saxonne nord-américaine et canadienne-anglaise. C'est cela, la réalité qui actuellement nous confronte. Le drame, d'une certaine façon, c'est le message que le gouvernement donne à ces gens-là.

Le premier ministre a reconnu - je l'ai indiqué tantôt dans ma première intervention -qu'il fallait que le message soft clair. Il l'a reconnu après s'être livré lui-même en spectacle dans une espèce de valse-hésitation. La solution, Mme la ministre, ce n'est pas uniquement de dire aux Canadiens-français et aux Québécois: Faites des enfants. Comme le disait un évêque, la semaine dernière, qui présidait la cérémonie religieuse pour la réhabilitation des Patriotes à l'occasion du 150e anniversaire, si on ne fait pas attention, dans 75 ans, il y aura une majorité de Québécois qui ne sera plus d'origine canadienne-française, mais de tout autre origine. Ce n'est pas un drame en soi que les Québécois viennent d'autres origines. Ce qui serait un drame, c'est que ces Québécois finissent par ne plus être des Québécois francophones.

L'objectif de la loi 101 et l'objectif qu'on avait, qu'on doit avoir, ce n'est pas d'avoir plus de gens bilingues au Québec, plus d'anglophones bilingues, plus d'immigrants bilingues qui sont capables de nous parler en français et de s'adresser à nous en français, ce qu'on veut, c'est que ces gens-là, quand ils viennent au Québec, choisissent de s'intégrer à la communauté francophone, qu'ils choisissent de devenir des Québécois francophones, qu'ils choisissent de faire, comme le ministre de l'Éducation, comme l'ancien chef du Parti québécois, comme des gens d'origine irlandaise, comme le député qui est devant nous, d'origine irlandaise, qu'ils choisissent de devenir francophones. C'est important, cela est fondamental.

Les faits qui ont amené l'adoption de la loi 101 existent toujours et la situation sur le terrain n'a pas sensiblement évolué. Cela, ce n'est pas le Parti québécois qui le dit, ce ne sont pas les députés péquistes qui le disent, c'est le gouvernement du Québec qui est devant nous qui le dit dans sa présentation, dans son mémoire à la Cour suprême. Le drame, c'est qu'une fois qu'on a dit cela, le premier ministre continue de véhiculer aux immigrants et aux anglophones de Montréal et de la région le fait qu'il a fait appel à la Cour suprême, non pas pour des raisons de conviction, mais pour des raisons techniques. Encore là, un double langage, alors que les faits militent pour une consolidation des acquis comme la ministre l'a dit tantôt. Le premier ministre, techniquement, nous dit: C'est vrai qu'il faut aller à la Cour suprême, mais il n'a pas de conviction. Le drame -les nouveaux arrivants comprennent cela - c'est que le gouvernement n'est pas en amour avec la langue française; il n'est pas en amour avec la francisation du Québec. Il le fait par approche d'obligation. Les sondages l'amènent à changer son opinion. À un moment donné, on est pour l'approche du bilinguisme et à un autre moment donné, parce que les sondages nous indiquent que les francophones deviennent plus conscients, on change son fusil d'épaule, et on est obligés de naviguer entre l'opinion qu'on donne aux francophones et celle qu'on donne aux anglophones.

Le Président (M. Trudel): M. le député de Verchères, vous avez dépassé de 30 secondes.

M. Charbonneau: C'est cela, M. le Président, que la ministre devrait reprendre comme argumentation.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Verchères. Je reconnais maintenant Mme la ministre des Affaires culturelles.

Mme Lise Bacon

Mme Bacon: M. le Président, j'ai déjà fait ressortir cette tendance bien connue - on va continuer sur le même sujet - des immigrants non francophones au Québec à s'intégrer à la minorité anglophone, laquelle, il est vrai, fait partie de l'immense majorité anglophone du reste du Canada et de l'Amérique du Nord. On est quand même pas tout seul. Je ne sache pas qu'il y ait un facteur plus susceptible de nous aider à inverser cette tendance, qu'il faut bien qualifier de tragique pour nous, qu'un effort conscient et accru de la part de la population francophone pour améliorer la qualité de sa langue écrite et de sa langue parlée. J'ai eu l'occasion de traiter de ce thème dans le passé. J'y reviens, car je le considère de toute première importance pour la survie de notre langue et de notre culture en cette partie du monde. Et non seulement, M. le député - M. le Président, par votre intermédiaire - nous sommes en amour avec le français, mais nous faisons aussi l'amour au français.

Ce concept d'excellence, M. le Président, c'est celui d'une langue d'usage de qualité au Québec, non dans le sens restrictif où on en parlait il y a encore quelques années, à savoir de tenir une langue châtiée dans les salons, mais bien une langue française capable de traduire ce que nous ressentons, ce que nous vivons quotidiennement au travail comme à la maison.

La première condition pour être fiers de notre langue, c'est de nous assurer que nous disposons d'un outil suffisamment développé et moderne, capable de véhiculer notre pensée et cela, dans tous les domaines de l'activité humaine. Si nos parents étaient fiers de parler la langue française ainsi que l'ont proclamé nos plus éminents écrivains et penseurs, tels les Henri Bourassa, Chanoine Groulx ou plus récemment les Félix-Antoine Savard, c'est que cette langue était leur langue d'usage dans leur vie de travail d'abord. Notre grand défi au Québec, c'est de faire en sorte que fa langue française s'adapte au

nouveau secteur de développement économique et social.

Valoriser la francisation au Québec est et demeurera un pur discours théorique si nous, comme peuple francophone, n'avons pas cette volonté et cette détermination de parler français dans nos milieux de travail respectifs. Je pense ici plus particulièrement au secteur de la haute technologie où la langue d'usage est, à l'échelle internationale, prioritairement l'anglais. D'ailleurs, à ce sujet, les autres pays francophones, dont la France, rencontrent les mêmes difficultés que nous et ont mis en oeuvre des actions destinées à remédier à cet état de choses. Nous devons, nous aussi, réfléchir à ce que nous pouvons entreprendre en ce domaine.

N'oublions pas que la langue, telle que nous la parlons et l'écrivons, est le symptôme ou mieux encore l'indice de notre culture, de notre niveau de culture et de civilisation. Cela peut-il nous laisser indifférents, M. le Président? Si nous voulons que les autres respectent notre langue, il faut d'abord que nous-mêmes, francophones, manifestions pour elle tout le respect qui lui est dû. On ne peut exiger des autres un respect que nous n'avons pas nous-mêmes. Vous me permettrez à cet égard d'ajouter quelques considérations sur la nature de notre société et le rôle que peuvent et doivent jouer nos créateurs et artistes pour affermir et fortifier notre identité québécoise.

Je dirai d'abord que le Québec n'est pas une société multiculturelle où l'une ou l'autre culture, la française et l'anglaise, ou une troisième, quatrième et cinquième culture coexistent égalitairement. Le Québec est de culture française et l'impact de l'immigration provoquera certes une synthèse nouvelle, mais nécessairement à saveur française, M. le Président, puisqu'il est raisonnable d'affirmer que la majorité francophone continuera de former la trame de fond de ce territoire. Voilà, M. le Président, une première observation.

Une deuxième est que cette trame sera d'autant plus forte que nos artistes et créateurs sauront conserver, actualiser dans leur production les valeurs qui ont fait du Québec une société distincte depuis ses origines. Ce sont eux qui peuvent, en bonne partie, nous donner cette spécificité qui est le fondement même de nos relations avec le reste du Canada et de l'Amérique du Nord. Ce sont eux en bonne partie qui peuvent aider notre société à se poser dans l'existence fièrement et sereinement à la fois, en nous révélant à nous-mêmes notre propre identité, en nous dévoilant les raisons que nous avons de croire à la noblesse de nos origines, à la grandeur de notre destin en cette terre d'Amérique.

Troisième observation enfin: que l'État a le rôle de procurer aux créateurs et artistes la sécurité nécessaire à cette expression de notre identité dans le respect des principes d'une démocratie ouverte aux autres cultures implantées ici par l'effet de l'immigration ou pénétrant notre marché par effet d'accès libre aux produits culturels étrangers.

En d'autres mots, notre culture n'est pas figée dans le temps et dans l'espace, c'est un fleuve qui continue de couler vers cette mer de la civilisation universelle dont parle le président Senghor et charriant avec lui les très riches apports des diverses cultures représentées au Québec.

Voilà, M. le Président, ce que j'entends par un Québec francophone, certes qui le restera, mais ouvert également sur tous les horizons culturels, généreux, accueillant, en même temps profondément humain.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je reconnais maintenant M. le député de Vanier.

M. Jean-Guy Lemieux

M. Lemieux: Merci, M. le Président. M. le député de Verchères a élevé d'un certain ton le débat lorsqu'il a fait état de la pérennité de notre collectivité. Permettez-moi de lui dire que, si je le suis dans ses prémisses, je ne le suis point dans ses conclusions.

Nous savons que la Charte de la langue française stipule qu'effectivement la langue d'affichage commercial est exclusivement en français et notre volonté là-dessus est claire. Elle est nette et précise. C'est le respect intégral de la loi 101. C'est le maintien de l'article 58 de la Charte de la langue française.

Sans anicroche, je tiens à le préciser, parce que vous devez comprendre que derrière la symbolique de l'affichage, c'est la terrible question de la pérennité de la collectivité francophone, ici au Québec et ailleurs qui nourrit une certaine crainte et insécurité.

De plus, on doit comprendre que la vulnérabilité linguistique de la collectivité francophone en Amérique du Nord impose encore au gouvernement des mesures qui risquent, il est vrai, de porter atteinte - je vais en parler des droits de la minorité - aux droits d'expression de la minorité anglophone du Québec dans la minorité francophone du Canada.

Mais encore là, M. le Président, l'effet recherché de l'article 58 de la loi 101 est de donner un visage davantage et toujours de façon continue aux villes, à Québec et particulièrement à Montréal. Pour nous, la légitimité de cet objectif ne fait aucun doute et c'est dans cet esprit que nous voulons envisager notre avenir ensemble.

Nous devons et nous devrons - je tiens à le dire au député de Taillon et au député de Verchères - toujours nous battre pour conserver notre spécificité culturelle. Comment 6 000 000 de francophones baignant dans un univers anglophone nord-américain de plus en plus dense et envahissant, notamment avec la perspective du libre-échange économique, survivront-ils comme entité culturelle distincte?

Pour terminer, M. le Président, j'aimerais faire cette réflexion, à savoir qu'on peut réussir à la fois au Québec et ailleurs en français. De plus, il me semble important de dire, contrairement à ce

que prétendait tout à l'heure, d'une manière très chauviniste, le député de Lac-Saint-Jean, qu'au Parti libéral du Québec ce ne sont pas les anglophones qui sont au pouvoir.

Voilà des remarques, à mon avis, d'une nature extrêmement mesquine et il me semble important de dire que la minorité anglophone ne doit surtout pas faire l'erreur de croire qu'elle est au pouvoir au Québec - elle y participe - et d'exiger des amendements à la loi 101 qui dépasseraient ce que la majorité des Québécois est prête à lui accorder.

Nous avons déjà supprimé certains de ces irritants, grâce à la foi 142, services sociaux en anglais pour les anglophones, et grâce au règlement de l'affaire des élèves dits illégaux dans les écoles de langue anglaise. Mais je crois qu'on ne peut pas assimiler la question de l'affichage à une simple disposition irritante. Elle est fondamentale pour nous, francophones, parce qu'elle touche au visage de Montréal et qu'il est nécessaire de conserver à Montréal son vrai visage français.

La langue d'affichage est plus que symbolique et le respect du fait français demeurera toujours. Pour moi qui suis membre du Parti libéral du Québec et pour notre parti, notre priorité est au-delà - je tiens à le préciser - de la partisanerie politique. Je tiens à dire aux députés de Verchères et de Taillon qu'à l'intérieur du Parti libéral du Québec, les Lemieux, les Audet, les Vachon, les Després, les Poulin, les Trudel, les Tremblay, les Bacon ont tout autant d'influence, tout autant de respect que les Ciaccia, Lincoln, Marx, Polak et Assad. Je tiens à vous le préciser, parce que cela me paraît extrêmement important.

J'ai aussi pris connaissance du mémoire du Procureur général et j'en suis fier. Je suis fier que ce soit le gouvernement du Parti libéral qui ait écrit ce mémoire mettant ainsi en évidence l'importance du fait français au Québec et la survie d'une collectivité. Je vous remercie, M. le Président. (11 h 45)

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Vanier. Je reconnais maintenant M. le député de Taillon.

M. Claude Filion

M. Filion: Seulement quelques mots pour rappeler au député de Vanier qu'il serait peut-être intéressant qu'il consulte les déclarations de son chef, le premier ministre, qui disait pas plus tard que le 28 octobre 1987, en Chambre: "Le programme du Parti libéral est bien connu, et c'est l'objectif du gouvernement. Il nous faut trouver cette formule qui tient compte des objectifs ayant trait à notre responsabilité vis-à-vis de la collectivité francophone en Amérique du Nord et au principe des libertés individuelles." Ce n'est pas exactement ce qu'il vient de dire.

Deuxièmement, la ministre responsable de la loi 101 nous fait une belle déclaration aujourd'hui. Elle nous dit: Je fais l'amour à la langue française. Je vais vous dire, Mme la ministre, que vous n'êtes pas exhibitionniste. Pour le moins, on peut dire que c'est très discret. On pourrait même dire que vous faites l'amour à l'anglaise. Je me demande si la langue française s'aperçoit que vous lui faites l'amour. Il serait peut-être bon, si vous aimez la langue française au point de lui faire l'amour - on n'en demande pas tant • mais on voudrait bien que cela paraisse un petit peu quand même, parce que c'est un peu discret.

Je voudrais aborder rapidement trois conséquences de la conduite du gouvernement du Parti libéral dans le dossier linguistique. Ce sont des conséquences plus discrètes mais combien plus importantes. La première vient réfuter un argument que la ministre responsable de la loi 101 utilise abondamment et qui pourtant ne résiste pas à l'analyse. Lorsque la ministre soutient que la Commission de protection de la langue française doit adopter une attitude positive, une attitude de sensibilisation et de prévention, et non utiliser la peur comme moyen de persuasion, elle a entièrement raison, mais dans un contexte de volonté et d'action politiques seulement. La difficulté, à l'heure actuelle, réside dans le fait que le travail des commissaires-enquêteurs est affecté dès l'instant où il plane un doute sur l'applicabilité de la loi.

À titre d'exemple, lorsque le ministre de la Justice se rend, le dimanche soir, dans des assemblées dans le West Island, à Westmount ou à Notre-Dame-de-Grâce, il dit: Ne vous inquiétez pas. Le programme du Parti libéral, tel que le premier ministre le définit et non le député de Vanier, sera appliqué. Le programme du Parti libéral contient des mentions sur l'affichage bilingue. Pour convaincre quelqu'un, il faut bien un minimum d'arguments. Comment peut-on espérer qu'un commerçant, à la suite d'une visite d'un commissaire-enquêteur de la Commission de protection de la langue française, par exemple, modifie une affiche le lendemain de la déclaration du ministre de la Justice? Bien sûr, c'est un geste - celui de changer une affiche - qui lui coûterait de 10 000 $ à 15 000 $. Pour lui, la loi est un mauvais souvenir.

L'affichage a une valeur extrêmement symbolique. Lorsqu'on parle d'affiche bilingue, pour bien des gens, c'est secondaire. Écoutez, il y a un petit peu de français, pourquoi vous plaignez-vous? Non. Dans une affiche bilingue, le message que l'on envoie à la population est le suivant. D'abord, le message que l'on envoie aux immigrants, lorsque c'est écrit "Serveuse demandée" ou "Waitress Wanted", sur une pancarte, le message à l'immigrant, c'est: Pourquoi tu te forcerais à apprendre le français alors que tu vis dans un contexte culturel anglophone, celui de l'Amérique du Nord, et que de toute façon tu vas retrouver l'anglais comme expressions possibles?

Le message qu'on envoie à la communauté anglophone, avec une affiche bilingue, est le suivant: Pourquoi apprendre le français? Ta langue sera sur la pancarte. Troisièmement - il y a pire - le message qu'on envoie à la communauté francophone lorsqu'on permet, comme le fait le

gouvernement libéral, l'affichage bilingue, c'est: Pourquoi vous plaignez-vous? Votre petit dialecte est sur la pancarte, mais la vraie langue du Québec et de l'Amérique du Nord est là, Nous vous disons: Non à l'affichage unilingue, non à l'affichage bilingue. Le message, je pense, est suffisamment pervers de la part du gouvernement depuis deux ans pour qu'il décide immédiatement de retirer, sans ambages, clairement, purement et simplement toute promesse qu'il aurait pu faire pour gagner quelques heures de pouvoir, comme l'a si bien dit notre poète national, Félix Leclerc, lorsqu'il a écrit un poème sur la loi 101, dont je vais lire le dernier paragraphe à Mme la ministre. J'espère qu'elle aura une capacité amoureuse vis-à-vis de ces vers de notre grand poète. Il termine son poème sur ta toi 101 de la façon suivante: "Est-ce que tout serait à recommencer à cause de quelques magasiniers qui échangent, trafiquent, vendent trois siècles d'histoire pour quelques heures de pouvoir?" Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Taillon. Maintenant, il reste vingt minutes et je cède la parole à Mme la ministre pour sa dernière intervention de dix minutes.

Conclusions Mme Lise Bacon

Mme Bacon: Merci, M. le Président. En terminant le débat aujourd'hui, une attitude positive de ma part m'incite à croire que l'avenir du français au Québec est plus prometteur que jamais. Loin de déceler un recul de notre langue, je perçois plutôt que de nets progrès ont été réalisés dans tous les secteurs d'activité de notre société. Pour bien saisir la portée de ce constat, il faut faire preuve un tant soit peu d'objectivité. Il faut donc garder à l'esprit que des dix provinces du Canada le Québec est la seule dont la population est majoritairement francophone à plus de 80 %. Par ailleurs, la population du Québec, soit plus de 6 000 000 de citoyens, représente le quart de la population totale du Canada, qui est majoritairement anglophone.

Dans un tel contexte géolinguistique, on ne se surprendra guère des obstacles qui persisteront quant à l'avenir du français au Québec. Je pense qu'il y aura toujours, bon gré mal gré, des variables, des conjonctures tantôt prévisibles, tantôt imprévisibles qui pourraient toujours menacer le raffermissement de l'état de notre situation linguistique. Pourtant, il n'y a pas tieu de se décourager ou de paniquer face à cet état de tait La détermination du Québec à promouvoir sa spécificité, à affirmer le fait français qui le caractérise découle d'une bonne compréhension des tendances présentes et futures qui se profileront dans notre société et contribueront à éclairer ceux et celles qui dirigent le gouvernement afin que des mesures correctrices efficaces et justes soient prises à temps pour endiguer toute menace à la survie et à la promotion de la langue française dans notre société.

Qu'il s'agisse ici de faire un simple rappel historique - j'emprunte ici les paroles de l'ancien président du Conseil de la langue française - cette Amérique qui s'appelait autrefois la Nouvelle-France et qui fut conquise par l'Angleterre en 1760 a poursuivi pendant plus de 200 ans, à la fois à travers les mouvements patriotiques et tes luttes parlementaires et constitutionnelles, un long et pénible cheminement d'affirmation de soi, marqué par une allégeance têtue à la langue et à la culture de ses origines.

Ce n'est pas vers les années soixante, dans le maillon du mouvement industriel, de même qu'à la faveur du mouvement de concentration urbaine de l'après-guerre que se concrétisera peu à peu un regroupement et une des énergies vives de la majorité francophone. Cette affirmation bien présente dans la société québécoise ne cessera de se poursuivre depuis la révolution tranquille jusqu'à aujourd'hui.

Donc, des obstacles subsisteront dans la démarche d'affirmation de la majorité francophone, mais le défi à relever ne part pas d'aussi loin qu'autrefois. Comme nous l'avons souligné au cours de ce débat, la situation demeurera toujours précaire par son essence même, mais la consolidation de l'état du français au Québec doit maintenant être axée sur la qualité. Déjà, des efforts en ce sens sont bel et bien entrepris. Le visage du français au Québec n'est pas menacé comme le souhaiterait peut-être l'Opposition.

Enfin, il est incontestable que la situation du français au Québec et plus spécialement son visage fait l'objet d'une surveillance plus étroite en 1987 qu'au cours de la période 1977-1985. On peut y voir là une coïncidence dans le temps ou un degré de concrétisation plus grand de la part de certains groupes de citoyens. Le gouvernement actuel peut aisément vivre avec une telle situation et apporter les correctifs nécessaires dans les cas où les plaintes rapportées sont véritablement fondées.

Le visage du Québec français ne s'en portera que mieux. Mais encore là, tout ce processus d'observation, d'enquête, de traitement de plaintes doit être placé dans son véritable contexte comme je le faisais ce matin en démystifiant certaines réalités chiffrées. Et je continuerai à le faire dans l'avenir afin de situer dans sa juste perspective l'état du français au Québec car il ne faut rien cacher aux citoyens, il ne faut pas les charrier non plus.

Finalement, j'estime que cette conscience linguistique devra se perpétuer chez les jeunes du Québec. Il n'en reste pas moins que cet engouement des jeunes pour des valeurs plus individuelles, plus proches de leur vie personnelle, doit inclure cette volonté de maintenir une langue de qualité au Québec. Ajoutons à cela que certaines études ont démontré que les jeunes Québécois s'abreuvent largement et librement à la culture anglo-américaine par les moyens de ta musique, du cinéma et de la télévision.

It n'est certes pas question pour l'État de réglementer de façon outrancière cette circulation des idées et de la culture en général, mais nous devons veiller collectivement à ce que leur environnement familial et scolaire puisse favoriser l'épanouissement du fait français au Québec et leur faire sentir notre précarité comme société distincte.

Par ailleurs, l'avenir de la langue française au Québec semble être caractérisé par certaines attitudes. Parmi celles-ci se classe au premier rang cette conscience linguistique de la majorité francophone à laquelle nous faisions allusion plus tôt et qui n'est pas près de s'éteindre, heureusement.

Je citerai également en corollaire cette volonté d'affirmer ce fait français au Québec par le biais notamment de diverses activités culturelles. À titre d'exemple, je ne mentionnerai que la tenue de la Semaine de ta chanson française d'ici qui a constitué un événement culturel majeur au Québec. Voilà une réalité bien de chez nous qui démontre clairement le dynamisme du français au Québec vécu dans sa quotidienneté, vécu dans divers modes d'expression comme la chanson et cela a été fait sous le gouvernement libéral.

Ai-je besoin de rappeler que, dans le cadre de cet événement, les diffuseurs ont accordé une place prédominante à la chanson d'ici dans leur programmation et que, selon un sondage, 32 % des répondants estimaient que la tenue de la Semaine de la chanson leur avait permis de découvrir des chansons qu'ils ne connaissaient même pas?

Enfin, le présent gouvernement du Québec considère comme nocif le simple réflexe de se replier sur soi en matière linguistique et culturelle en général. C'est pourquoi il n'hésite pas à se tourner vers les autres membres de la francophonie pour y trouver cette source d'inspiration, d'échanges, de concertation avec d'autres parties du monde qui ont à coeur l'épanouissement de la langue française.

Nous pouvons affirmer sans nous tromper que la vitalité et la bonne santé de la langue française dans un Québec ouvert se développeront au niveau géopolitique de ta francophonie entière.

Souvenons-nous que la langue française est parlée par au moins 100 000 000 de personnes et qu'il existe encore 150 000 000 à 200 000 000 d'individus qui l'utilisent comme langue seconde. Nous avons là un potentiel extraordinaire dont le Québec ne peut se passer.

Je m'en voudrais de ne pas parler de la Commission de toponymie, M. le Président, instituée dans sa forme actuelle par la charte. Depuis cette date, la toponymie du Québec s'est progressivement consolidée. Elle a acquis un degré de cohérence relativement élevé tout en conservant sa personnalité propre faite de variété et d'originalité, qualités fondamentales que la commission a aussi mission de protéger.

La Commission de toponymie a à son actif plusieurs publications. Qu'il me suffise de mentionner la parution l'été dernier de trois grands ouvrages: Guide toponymlque du Québec, Guide odonymlque du Québec ainsi que le Répertoire toponymlque comprenant plus de 100 000 noms géographiques officiels au Québec. En 1969, les noms français des lieux officiels totalisaient 19 332, alors que le nombre total aujourd'hui est de 93 573.

La Commission de toponymie du Québec a une réputation telle qu'elle s'étend bien au-delà de nos frontières. En effet, lors de la participation des 53 pays à la cinquième Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques, c'est son président, M. Henri Dorion qui a été élu président du groupe d'experts des Nations Unies sur les noms géographiques.

Donc, M. le Président, le français n'affiche pas un recul comme le prétend l'Opposition. Le défi de la langue française est universel. Il faut y répondre par des moyens appropriés. Au Québec comme ailleurs dans le monde de la francophonie, nous devons tendre à un meilleur aménagement linguistique sans pour autant diviser la société et d'autres groupes culturels et ethniques qui côtoient la majorité francophone.

Par contre, tous et toutes doivent comprendre qu'au Québec un mouvement sans retour s'est effectué vers le fait français, situation consacrée par la mise en place de lois contraignantes, à certains égards, mais non moins respectueuses de la protection des droits et libertés des individus et groupes d'individus. Certaines certitudes que nous avons identifiées, telles les tendances historiques, la résistance de la majorité francophone, et cette volonté d'affirmation viennent jusqu'à un certain point consolider le fait français au Québec. Pour l'avenir, il serait essentiel que cette motivation de la majorité francophone soit nourrie, soit alimentée et relancée sans cesse en vue de l'amélioration de la qualité du français au Québec.

M. le Président, oui, ça prendrait beaucoup plus qu'une interpellation pour faire comprendre à l'Opposition que sa façon d'exercer aujourd'hui son droit de parole nous rappelle drôlement des anciennes discussions, des anciens discours que nous avons entendus dans les années soixante-dix et qui n'ont pas leur place en 1987.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je cède maintenant la parole à M. le député de Taillon pour sa dernière intervention de dix minutes.

M. Claude Filion

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. C'est un peu comme je le disais au tout début de cette interpellation. Je pense que la ministre va finir par être la seule à croire qu'il n'y a pas de problème au Québec. J'aurais espéré ouvrir les yeux de la ministre, mais à écouter les termes de sa conclusion, malheureusement, je dois baisser pavillon devant un aveuglement sans pareil. En ce qui concerne les chiffres, 30 secondes, pas plus, on aura l'occasion d'y revenir. La ministre nous dit: La commission a bel et bien

reçu 10 000 demandes; il y a du dédoublement, etc.; il faudrait voir. Mais il y en a 1215, Mais elle n'a pas parlé des 2800 qui étaient déjà inscrites à la Commission de protection de la langue française. C'est uniquement - je tiens à le préciser pour ceux qui nous écoutent - depuis avril 1987. Les chiffres pour l'année précédente sont contenus dans le rapport de la Commission de protection de la langue française, qui font autorité dans ce domaine.

M. le Président, dans cette conclusion, je voudrais signaler ceci. Il apparaît maintenant clair que toute l'argumentation, le schéma de la ministre est basé sur le rapport Gamma qui avait été commandé par le Conseil de la langue française. Ils ont dit essentiellement: Écoutez, il faut faire confiance à la francophonie créatrice. La ministre faisait même allusion, il y a quelques minutes, à la francophonie internationale. Il faut laisser la force du français jouer et on va se sentir en toute sécurité.

J'aimerais porter à l'attention du gouvernement libéral et à l'attention de la ministre qu'un avis subséquent du Conseil de la langue française a démoli de A à 2 le schéma, la prospective du rapport Gamma. Pour ne citer que le sociologue André Bernard, dans ce rapport, page 46: Le scénario souhaitable du point de vue des francophones francophiles, un Québec français et prospère, ne peut être produit autrement que par la volonté politique des législateurs québécois. Laisser l'avenir aux forces du marché, se contenter de mesures incitatives, comme le suggère le président de l'Institut Gamma, c'est donner libre cours aux tendances contraires aux intérêts des francophones d'aujourd'hui considérés collectivement. C'est l'étude de l'Institut Gamma, ce n'est pas moi qui parle, c'est André Bernard, professeur en sciences politiques à l'Université du Québec.

Également, pour venir contrer cette espèce de vague de fond chez la ministre dans ses réponses en Chambre depuis deux ans, M. Hubert Guindon, sociologue à l'Université Concordia, ce qui étonne dans un des chapitres du rapport Gamma et dans l'ensemble, au diapason de la réalité, c'est qu'il servira de tremplin au scénario privilégié par le rapport, celui de la francophonie créatrice où principalement le français au Québec sera sauvé par une vibrante francophonie mondiale, les immigrants, purement incités à devenir francophones. Or, les immigrants et les anglophones ne sont jamais devenus bilingues comme groupe, à moins d'y avoir été contraints. On nous demande de croire, maintenant, que les contraintes enlevées, ils le deviendront avec enthousiasme. Je ne connais pas de tendance lourde, voire même légère qui appuie cette prétention. Au contraire, l'auteur admet que la loi 101 a été nécessaire pour astreindre les immigrants à s'intégrer, par l'école française, à la société concrète dans laquelle ils venaient vivre.

Il serait peut-être bon que la ministre change son fusil d'épaule et se range à l'opinion majoritaire des observateurs et des analystes en ce qui concerne la situation linguistique au

Québec. D'abord, cela aidera peut-être à mettre un peu de confusion dans l'ambiguïté du message libéral bien défini par mon collègue, le député de Lac-Saint-Jean. Ce message libéral ambigu, confus, contribue à accélérer le mouvement d'anglicisation. En effet, qu'a fait le gouvernement pour contrer ce mouvement d'anglicisation? Rien. D'abord, rien pour convaincre les immigrants de s'assimiler à la communauté francophone, comme l'a bien souligné tantôt mon collègue, le député de Verchères, et je ne reprendrai pas son argumentation.

Du bout des lèvres, te premier ministre explique, sans trop de conviction, que la loi 101 demeure applicable puisque le jugement de ta Cour d'appel est porté devant la Cour suprême. Évidemment, il se garde bien d'avoir le mordant nécessaire pour infléchir la tendance actuelle. On risquerait ainsi de mettre en péril la campagne de financement où vont les différents ministres du gouvernement libéral, notamment le ministre de la Justice lorsqu'il parlait à un électorat anglophone de l'ouest de l'île de Montréal. Bien entendu, on diminue, non pas de trois, mais de quatre, en proportion, le nombre de poursuites entreprises par le Procureur général. Ne pas faire respecter la loi 101, comme avait commencé à le souligner tantôt un député libéral, un peu malhabilement, en prenant l'exemple du Code la route, cela équivaudrait... Par exemple, on poursuit les gens qui passent sur les feux rouges. Laisser passer huit contrevenants sur un feu rouge, si une partie de la population pouvait passer sur un feu rouge, cela n'aurait aucun sens. Actuellement, ce que fait le gouvernement libéral en permettant le flot de désobéissances équivaut à permettre à une minorité de passer au feu rouge. On sait quelle sorte de circulation cela nous donnerait.

Qu'a fait le gouvernement libéral alors que le nombre d'enquêtes était à la hausse? De l'aveu même de la ministre, elle a décidé de couper le budget de 3 %. De 1 372 000 $ à 1 328 000 $ en 1986-1987 et ce, même au plus fort de la crise économique, le gouvernement du Parti québécois avait augmenté les budgets de la Commission de protection de la langue. Aujourd'hui, selon les dires du ministre des Finances, nous sommes en période de vaches grasses, mais la langue, pour ce gouvernement, semble passer après Blue Bonnets.

La situation est exactement la même pour les effectifs. Depuis que le gouvernement libéral est au pouvoir, le personnel oeuvrant à la commission a chuté de 10 %. En 1985-1986, 35,3 % et en 1986-1987, 31,8 %. Face à un problème sérieux de désobéissance civile, le gouvernement continue de jouer à l'autruche. Aujourd'hui, la ministre s'en lave les mains, demain elle accuse les citoyens de trop porter plainte et te surlendemain elle invite les mêmes citoyens à porter plainte.

Bref, le gouvernement semble, pour l'instant, être le seul à ne pas savoir que chaque jour l'anglais gagne du terrain au Québec, que chaque jour une nouvelle pancarte unilingue apparaît sur un visage français déjà mutilé, que

chaque jour la publicité et le service au Québec s'anglicisent. Plutôt que de s'attaquer au problème de Iront, ta ministre se réfugie derrière un maigre prix de consolation pour les Québécois. La Commission de protection de la langue française sera dotée d'ordinateurs afin d'augmenter l'efficacité et le nombre de plaintes traitées. C'est là, comme on dit chez nous, manquer complètement le bateau.

Ce qui est important, ce que la population réclame, ce n'est pas que la commission puisse traiter 10-000, 20 000 ou 30 000 plaintes avec le meilleur ordinateur au Québec. Ce que la population du Québec réclame, comme l'Opposition, c'est que le nombre de plaintes, à la suite d'un changement radical de la part du gouvernement, revienne à un niveau acceptable parce que la loi est respectée.

Entre nous, Mme la ministre, l'informatisation et l'utilisation de fichiers électroniques relèvent beaucoup plus de services secrets ou d'une police de la langue. Ce que réclame l'Opposition, au nom de la population du Québec, c'est une volonté politique claire et nette de voir une langue s'appliquer. Étant donné le recul, en termes de langue de service, de langue d'affichage, de langue d'administration gouvernementale, de langue du travail, de langue d'éducation sur tous les fronts, il est plus qu'urgent que le gouvernement adopte dès maintenant, avant peut-être de renforcer la loi 101, les mesures suivantes.

Premièrement, il est impérieux que le gouvernement libéral du Québec, s'il tient à la survie de la collectivité française, injecte les ressources humaines et financières au sein de tous les organismes chargés de protéger et de promouvoir la langue française de façon à ce que ceux-ci puissent intervenir efficacement et dans un minimum de temps.

Deuxièmement, et plus important encore, pour que cette injection soit efficace, elle doit nécessairement être combinée avec un retrait pur et simple, sans ambages, de la promesse libérale de modifier ta loi 101. Par voie de conséquence, comme je le disais tantôt et je le répète, la ministre doit démanteler dès maintenant le comité des douze chargé de trouver une solution qui n'existe pas, mais qui sème la confusion et qui contribue au recul du français.

Finalement, te projet de loi 199 déposé par l'ex-chef de l'Opposition doit être adopté d'ici à la fin de la session. Je signale à la ministre que la Cour suprême est maintenant saisie du dossier de l'affichage, que le jugement de la Cour suprême peut être rendu en n'importe quel temps, qu'en conséquence il est important de prévoir le vide juridique que pourrait créer une décision défavorable et qu'il est donc impérieux...

Le Président (M. Trudel): M. le député.

M. Filion: ... que le gouvernement libéral, d'ici à la fin de la session - je termine là-dessus, M. le Président...

Le Président (M. Trudel): Merci, monsieur.

M. Filion: ... applique cette troisième réclamation de l'Opposition, à savoir d'adopter le projet de loi 199. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Taillon. Merci, Mme la ministre.

La commission, ayant accompli son mandat, ajoute ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 10)

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