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(Dix heures sept minutes)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de la culture se réunit ce matin pour
procéder à l'interpellation du député de Taillon
à la vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles
sur le sujet suivant: Le recul du français au Québec, selon
l'avis qui a été donné à l'Assemblée
nationale le 19 novembre dernier.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire: M. Filion (Taillon) remplace M. Boulerice
(Saint-Jacques); M. Charbonneau (Verchères) remplace M. Godin (Mercier)
et M. Lemieux (Vanier) remplace M. Hains (Saint-Henri).
Le Président (M. Trudel): Merci. Je pense que vous
connaissez, tous, les règles du jeu. L'interpellant a une
première période de dix minutes; Mme la ministre a dix minutes
pour la réplique. Par la suite, il y a alternance entre le parti
ministériel et l'Opposition, cinq minutes chaque fois. Si les cinq
minutes ne sont pas utilisées, elles sont perdues, non
transférables et non cumulables. Lorsqu'il ne restera que vingt minutes
avant la fin, je l'indiquerai; Mme la ministre aura alors dix minutes et
l'interpellant aura également dix minutes.
Je reconnais M. le député de Taillon.
Exposé du sujet M. Claude Filion
M. Filion: Merci, M. le Président. En 1977, le
gouvernement du Parti québécois, appuyé par un large
consensus, avait décidé que Montréal serait une ville
française et que le Québec serait un territoire français.
Articulé concrètement dans la loi 101, ce projet de
société n'aura duré que le temps d'une volonté
politique. Depuis décembre 1985, soutenue par une anémie
politique insouciante et téméraire, cette tendance lourde,
d'abord confuse, se dégage maintenant clairement. Non seulement
Montréal est-elle redevenue une ville bilingue, exerçant ainsi
une forte pression sur le reste du Québec, mais résolument,
inévitablement, le bilinguisme mène à l'unilinguisme
anglais.
L'exemple des brochures unilingues anglaises des grandes
sociétés comme The Bay, Eaton distribuées aux portes des
foyers francophones n'en constitue que le prélude, mais il y a plus. Les
245>000 lettres unilingues anglaises envoyées par ta compagnie
Zellers, le catalogue anglais de Sears à Rimouski, la correspondance que
nous recevons dans notre courrier, identifiée personnellement à
des Gagnon, Tremblay, Boucher, dont le contenu est rédigé
exclusivement en langue anglaise. Tout cela constitue des illustrations
concrètes d'une réalité pour tous les
Québécois et Québécoises, mais qui, curieusement,
n'est pas perçue par ceux qui ont la responsabilité du message de
volonté politique et d'action politique.
Le but de ta présente interpellation est justement d'ouvrir les
yeux de la vice-première ministre, responsable du dossier linguistique,
ministre des Affaires culturelles, donc triplement responsable de l'avenir de
la loi 101. Le français recule sur tous les fronts au Québec;
telle est la réalité. Ce n'est pas l'anglais qui est en danger,
mais la survie de la collectivité française pour employer les
termes du mémoire du Procureur général en Cour
suprême. Les phénomènes linguistiques sont certes une
matière difficilement quantifiable, mais heureusement la promulgation de
la loi 101 impliquait la mise sur pied de certains organismes qui ont pu
être protégés du projet de loi 142 déposé par
la ministre et qui charcutait ces organismes et en dénaturait la
dynamique.
La Commission de protection de la langue française dépose
chaque année un rapport annuel dont le dernier, en 1986-1987, contient
les statistiques irréfutables et alarmantes suivantes: augmentation des
plaintes en ce qui concerne l'affichage et les raisons sociales: en 1985-1986,
629; en 1986-1987, 1954, augmentation de 210 %; demandes d'enquêtes
globales - nous venons de voir l'affichage qui est un phénomène
symbolique, mais il y a plus -1584 en 1985-1986, 3912 en 1986-1987, une
augmentation de 147 %. Là-dessus, je signale immédiatement
à la ministre que sur ces dossiers, simplement 21 dossiers
représentaient un dédoublement sur le nombre de dossiers
fermés.
Dans le seul secteur des circulaires dont je parlais tantôt, le
rapport révèle une augmentation des plaintes du simple au triple,
soit de 120 à 360 en 1985-1986. Mais au-delà de ces chiffres il y
a une réalité, c'est le témoignage vécu par tous
ces gens que nous avons rencontrés au cours de notre récente
tournée et qui communiquent avec nous depuis un mois. Au-delà de
ces chiffres il y a la réalité d'un organisme gouvernemental
québécois qui lui-même enfreint la loi 101. Je veux parler
ici de l'état des contributions à un régime de retraite
qui fut expédié à 4000 ou 5000 employés du
gouvernement du Québec par la Commission administrative des
régimes de retraite et d'assurances qu'on appelle la CARRA. "Statement
of your contribution to a retirement
plan", envoyé à 5000 employés du gouvernement du
Québec.
Le gouvernement ne peut invoquer que son siège social est
à Toronto et qu'une erreur d'informatique est à la base de cet
envoi. Ou peut-être le gouvernement nous prépare-t-il ou
prépare-t-il à ses employés une retraite en anglais. Tout
cela n'est pas de la politique-fiction. Cela s'est passé ainsi pour des
milliers d'instituteurs, cela s'est passé ainsi pour les employés
de la Société immobilière du Québec, cela s'est
passé ainsi pour les employés de la Commission d'appel en
matière de lésions professionnelles et même, nous a-t-on
rapporté, pour certains employés du cabinet du premier ministre
du Québec.
En ce qui concerne la langue du travail, nous connaissons tous l'affaire
Glemaud où un employé fut congédié d'une firme de
Montréal pour avoir demandé simplement que son employeur
communique avec lui en français.
M. Glemaud fut réintégré à cause des
interventions de certains organismes certes, mais pour une personne
réintégrée, combien y en a-t-il qui n'osent pas faire
valoir leurs droits, combien y en a-t-il qui ne peuvent pas trouver un emploi
parce qu'à 55 % et plus l'exigence de l'anglais est devenue pratique
courante dans les offres d'emploi dans nos journaux. Il est intéressant
de noter à ce sujet que, dans près de la moitié des cas
où il y eut enquête, l'Office de la langue française a
conclu que la connaissance de l'anglais n'était pas une exigence
justifiée par l'emploi.
On peut dès lors imaginer le nombre d'emplois qui s'ouvriraient
à cette catégorie de chômeurs et chômeuses
québécois que sont les francophones qui ne savent pas parler
anglais couramment.
Toujours dans le domaine de la langue du travail, le
phénomène de la francisation des entreprises est mis en
péril. Alors qu'il faudrait se montrer agressif dans la francisation des
entreprises, le gouvernement libéral a décidé de sabrer de
25 % les budgets octroyés aux syndicats pour la mise sur pied de
comités de francisation.
La FTQ a les moyens de réagir, mais d'autres centrales syndicales
ne peuvent se permettre de continuer l'effort de francisation effectué
au sein des entreprises. Si la FTQ peut continuer à publier son bulletin
"Travailler en français", la CSD, elle, à cause des coupures
intervenues, ne peut pas continuer à le faire. Donc, des syndicats n'ont
pas Jes moyens de continuer cette opération de francisation des
entreprises.
Enfin, qu'anrive-t-il, Mme la ministre, des entreprises de moins de 50
employés qui ne sont pas couverts par la loi? On ne peut ignorer que les
entreprises de haute technologie, que les entreprises d'informatique sont des
secteurs d'avenir, mais que ces entreprises sont précisément des
entreprises de moins de 50 employés.
S'il faut devoir convaincre davantage la ministre et le gouvernement
libéral, j'ajoute à tous ces éléments la
réalité vécue par la population montréalaise. Le
poste de radio CKAC à Montréal a mené une petite
expérience au centre-ville de Montréal, c'est-à-dire sur
les commerces s'étalant du complexe Desjardins à la rue Crescent.
Je ne parle pas ici de Westmount ou de N.-D.-G. Seulement 54 % des affiches
étaient conformes à la loi 101. Mais ce qui est encore plus
intéressant, parce que nous ne possédons aucune donnée
là-dessus, le journaliste du poste de radio fut abordé en anglais
par le personnel de 54 des 150 commerces du centre ville, 36 %.
La Charte de la langue française est pourtant claire à
l'article 5: "Les consommateurs de biens et de services ont le droit
d'être informés et servis en français." Ce droit figure au
chapitre des droits linguistiques fondamentaux de la Charte de la langue
française. Si on me dit que c'est à Montréal, dans le
centre-ville, ici à Québec, un employé de
l'Assemblée nationale du Québec s'est rendu à un
restaurant bien connu à Québec, le Saint-Germain, et on lui a
remis un menu anglais pour le déjeûner. Ce n'est là qu'un
exemple. Cela se passe à des centaines d'exemplaires un peu partout au
Québec.
Par ses interventions à l'Assemblée nationale, par
l'ensemble de son inaction, le gouvernement libéral tente d'ignorer
cette réalité. La ministre des Affaires culturelles, responsable
de la loi 101, peut-elle nous expliquer pourquoi elle a censuré, en
faisant une distribution plus discrète de la revue Découvrir le
Québec publiée par les publications Québec
français? Les 7200 exemplaires commandés par le gouvernement du
Québec au coût de 28 000 $ étaient destinés à
illustrer la réalité culturelle, sociale et économique du
Québec. Son malheur était d'inclure un paragraphe qui
dénonçait une situation connue de tous, à savoir que le
Parti libéral, par son discours, par son comportement et plus encore par
son projet de loi, se comportait comme si la loi 101 n'avait été
qu'une parenthèse.
Je reviendrai un peu plus tard, tantôt. M. le Président, en
conclusion puisqu'il ne reste que 30 secondes, je voudrais vous signaler qu'il
est urgent que le gouvernement libéral procède à trois
gestes bien précis, outre d'envoyer un message clair à la
population québécoise. D'abord, la ministre doit injecter les
ressources humaines et financières nécessaires dans la Commission
de protection de la langue française. Deuxièmement, pour que
cette injection soi! efficace, elle doit nécessairement être
combinée avec un désaveu immédiat de la promesse
libérale en ce qui concerne l'affichage et, par voie de
conséquence, elle doit démanteler le comité des douze
chargé de trouver une solution qui n'existe pas.
Finalement, le gouvernement du Québec doit avant la fin de la
session appeler et voter le projet de loi 199 afin de soustraire la Charte de
la langue française à l'application de la Charte canadienne des
droits et libertés. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Taillon. Maintenant, Mme la ministre des Affaires
culturelles, vous avez une première
intervention de dix minutes.
Réponse de la ministre Mme Lise Bacon
Mme Bacon: Oui, M. le Président, merci. J'aimerais
apporter quelques précisions concernant tes points soulevés par
l'Opposition ces derniers temps. D'abord, je remarque que l'Opposition a
toujours tenu pour acquis que le fait français du Québec se
limite à la seule question de l'affichage commercial et c'est là,
à mon avis, une bien courte vue que de se limiter à une seule
partie de ce dossier. Bien que je la considère très importante
et, particulièrement en ce qui a trait au visage français du
Québec. Mais là également, la notion de
coresponsabilité doit jouer pour assumer cette cohérence du
visage français au Québec. C'est pourquoi dans le but d'en
assurer le contrôle et la surveillance, le ministre chargé de
l'application de la Charte de la langue française est appuyé par
la Commission de protection de la langue française. Le Procureur
général a aussi son rôle à jouer à partir du
moment où la Commission de protection de la langue française lui
transmet un dossier pour qu'il en fasse l'étude et intente, s'il y a
lieu, les poursuites pénales appropriées.
Pour bien s'y retrouver dans le dossier du traitement des plaintes
relatives à l'affichage commercial, on me permettra d'effectuer une mise
au point en ce qui concerne la situation actuelle. À la suite de la
réception des 10 000 plaintes ou des 10 000 demandes d'enquête
provenant de citoyens ou de groupes de citoyens, la Commission de protection de
la langue française a expédié ses demandes à
l'Office de la langue française pour être listées par
informatique de façon à faciliter leur traitement, puisque - et
je le répète l'ancien gouvernement avait oublié d'outiller
convenablement la Commission de protection de la langue française.
Cette opération a permis d'établir qu'un nombre maximum de
1774 établissements pouvaient être considérés comme
des présumés contrevenants. Le jumelage subséquent de ces
plaintes a permis de déterminer que 559 de ces 1774 dossiers
étaient déjà en traitement. En clair, cela signifie qu'une
telle opération a permis de constater qu'il y avait des
dédoublements, c'est-à-dire plusieurs plaintes sur un même
établissement. Par conséquent, de ces 10 000 demandes
d'enquête il reste une possibilité maximum de 1215 nouveaux
contrevenants. Il devient évident qu'au lieu de parler de 10 000
nouvelles demandes d'enquête, la commission fait face à 1215
nouveaux contrevenants dans te dossier; cela doit faire l'objet d'une analyse
et suivre leur cours dans le processus normal de traitement de plaintes.
Le rappel d'un rapport chiffré aussi précis s'imposait
à ce stade-ci du débat, car au fil des questions posées
par l'Opposition, la population ne pouvait qu'être confuse à force
de se voir soumettre des chiffres indûment gonflés par
l'Opposition. J'insiste ici sur le fait qu'il ne s'agit pas d'excuser tes
contrevenants de quelque façon que ce soil; au contraire, le
gouvernement du Québec entend continuer, poursuivre son rôle de
protecteur du visage français du Québec et de ce fait faire
respecter la loi.
Enfin, je rappelle que l'Opposition n'est pas en mesure de donner des
leçons au gouvernement aujourd'hui. Souvenons-nous qu'à
l'étude des crédits j'avais souligné le fait que des
milliers de plaintes avaient été laissées de
côté sous l'ancien gouvernement et par conséquent n'avaient
pas fait l'objet d'ouverture d'un dossier, encore moins l'objet d'un
traitement. Aujourd'hui, je ne veux pas accuser à mon tour l'Opposition,
mais il me faut tout de même la rappeler à l'ordre pour indiquer
qu'avant de soulever des interrogations de façon intense, comme elle le
fait depuis ces dernières semaines, il est important de soumettre
à la population le véritable portrait chiffré de la
situation.
Lorsqu'on analyse dans son ensemble l'évolution de la question
linguistique au Québec, on se rend aisément compte qu'un certain
nombre de constats, de faits objectifs doit prédominer. En premier lieu,
établissons que l'ensemble des Québécois
considèrent que la protection et la promotion du visage français
au Québec doivent constituer une priorité pour l'État,
bien sûr, mais également pour la totalité des intervenants
qui sont concernés de près ou de loin par cette question.
En deuxième lieu, réaffirmons que le rôle de
l'État doit en être un de gardien, de promoteur de la langue
française dans une société qui se définit comme
distincte au sein de la Confédération canadienne et qui demeurera
toujours vulnérable aux autres cultures qui l'entourent et même
qui l'envahissent dans certains secteurs.
En troisième lieu, cette société distincte doit se
doter de voies, de moyens susceptibles de répondre à ces
objectifs de développement tout en tenant compte d'une autre
caractéristique qui est propre au Québec, soit sa
diversité.
En quatrième lieu, la question linguistique va faire l'objet d'un
dialogue constant et ce, dans la mesure où elle transcendra les lignes
des différentes formations politiques. En effet, la langue
française n'est pas l'apanage d'un parti politique, mais elle appartient
à tous ceux qui la parlent.
En cinquième lieu, la responsabilité de la protection et
de la promotion de la langue française ne revient pas uniquement
à un gouvernement quel qu'il soit. Une part importante revient tout
naturellement aux organismes socio-économiques ou culturels de notre
société et à la limite à chacun des citoyens qui
composent ces groupes socio-économiques et culturels du
Québec.
En sixième lieu, le gouvernement du Québec a un rôle
de gardien et d'animateur en cette matière. En ce sens, je peux affirmer
clairement que notre gouvernement a assumé son rôle de catalyseur
en matière culturelle dans son ensemble et dans le domaine des questions
qui
touchent l'économie en général depuis qu'il a
été élu en décembre 1985.
Au cours de cette interpellation, nous aurons l'occasion, M. le
Président, de traiter de ce sujet qui passionne tous les
Québécois parce qu'il constitue le fondement même de notre
spécificité culturelle. Mais d'emblée, j'insiste pour dire
que le dossier linguistique n'appartient pas seulement au gouvernement du
Québec. Il n'est pas question, bien au contraire, que nous nous
défilions de nos responsabilités, mais pour atteindre des
objectifs de façon efficace, nos responsabilités doivent
être partagées, vécues et acceptées par l'ensemble
des Québécoises et des Québécois. Une charte en
cette matière, tout en étant rigoureuse et complète, ne
peut être parfaitement étanche du fait qu'elle fait appel à
de grands principes, à des notions qui sont à la fois vagues et
précises telles que la liberté d'expression, la liberté
collective ou encore la liberté individuelle.
Et d'ailleurs, pourquoi ne pas profiter de l'occasion aujourd'hui pour
ramener ce débat à son point essentiel, soit celui de la
liberté d'expression et de cette volonté de la majorité
francophone de vivre en français dans son milieu de travail comme
à la maison et dans ses loisirs.
Le point de départ de la Charte de la langue française se
trouve donc tout naturellement dans son préambule qu'il convient
peut-être de citer intégralement, M. le Président. "Langue
distincte d'un peuple majoritairement francophone, la langue française
permet au peuple québécois d'exprimer son identité.
"L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des
Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la
langue française. Elle est donc résolue à faire du
français la langue de l'État et de la loi aussi bien que la
langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications,
du commerce et des affaires. "L'Assemblée nationale entend poursuivre
cet objectif dans un esprit de justice et d'ouverture, dans le respect des
institutions de la communauté québécoise d'expression
anglaise et celui des minorités ethniques, dont elle reconnaît
l'apport précieux au développement du Québec.
"L'Assemblée nationale reconnaît aux Amérindiens et au
Inuits du Québec, descendants des premiers habitants du pays, le droit
qu'ils ont de maintenir et de développer leur langue et culture
d'origine. "Ces principes s'inscrivent" dans le mouvement universel de
revalorisation des cultures nationales qui confère à chaque
peuple l'obligation d'apporter une contribution particulière à la
communauté internationale."
Il était bon que je répète cela, M. le
Président.
Convenons d'abord que selon les interprétations de l'une ou
l'autre des formations politiques, on peut affirmer que les progrès du
français au Québec ont été réels depuis fes
vingt dernières années. En faisant une telle affirmation, je
tiens compte des efforts réalisés par les gouvernements qui se
sont succédé, lesquels ont mis en place des lois conformes aux
aspirations des
Québécois.
Certes, les modalités d'application des différentes lois
ont pu, dans un régime comme dans l'autre, faire l'objet de vifs
débats. Mais il reste que si l'on veut être honnête, on doit
convenir que la société québécoise a franchi des
pas de géant. À titre d'exemple, le volet de la loi portant sur
la francisation des entreprises mérite d'être souligné. Il
y a là toute une génération de jeunes entrepreneurs, de
jeunes cadres francophones qui ont franchi les échelons au sein des
moyennes et grandes entreprises québécoises et réussi
à inverser des mentalités qui ne cadraient pas toujours avec
cette affirmation bien présente d'une société
majoritairement francophone.
À cette fin, on me permettra de déposer un tableau avec le
consentement de l'Opposition, dans lequel sont illustrés les nets
progrès réalisés au chapitre de la francisation des
entreprises. Mais le gouvernement du Québec ne peut se satisfaire de ces
seuls résultats. Les progrès ont tout de même
caractérisé un processus marqué au sceau de la
coresponsabilité, en ce que plusieurs intervenants du milieu des
entreprises ont de nouveau, volontairement et de façon non coercitive,
modifié plusieurs attitudes et comportements pour l'amélioration
du français au sein de leur entreprise, aussi bien dans leur structure
organisationnelle que dans leur système de communications, pour ne citer
que ces lieux d'application.
Oui, M. le Président, cette même coresponsabilité
devrait pouvoir se retrouver dans tous les secteurs de la vie sociale,
culturelle et économique de notre société pour être
valable et efficace. Cette coresponsabilité doit se retrouver dans le
secteur de l'immigration.
Depuis plusieurs années, le Québec favorise
l'intégration harmonieuse des allophones et anglophones à la
société francophone. Le réseau d'accueil et d'immersion
des communautés autres que francophones fait l'objet de lois et de
politiques administratives qui nous rappellent une fois de plus que
l'État assume une responsabilité certaine en matière
linguistique.
On parle de plus en plus de ta nécessité de mettre en
place une politique familiale qui corresponde aux caractéristiques de
notre société distincte. Là encore, il existe un
défi de la coresponsabilité qui s'imposera pour l'ensemble des
intervenants, sort les gouvernements.
Enfin, je ne veux pas accuser aujourd'hui l'Opposition, mais il faut
peut-être les rappeler à l'ordre pour leur indiquer encore une
fois qu'avant de soulever des interrogations d'une façon intense, comme
elle te fait depuis ces dernières semaines, il est important de
soumettre à la population le véritable portrait de la
situation.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre.
J'accepte le dépôt du document dont vous avez parlé
tantôt. Je présume que vous en avez également quelques
copies pour les membres de l'Opposition. Je reconnais maintenant M. le
député de Lac-Saint-Jean.
Argumentation M. Jacques Brassard
M. Brassard: Merci, M. le Président. Quand on
écoute le discours de la ministre, on se prend à se poser la
question: Dans quel monde vit-elle? Puisqu'à l'écouter, tout
semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes sur le plan linguistique
au Québec. Or, il est évident, et tout le monde le
reconnaît, nous vivons dans une société où l'on
constate, en particulier depuis 1982, d'immenses dégâts
linguistiques. Tout cela provient, bien sûr, il faut le dire - je
m'étonne que la ministre ne le mentionne même pas dans son
discours - tout cela découle de l'acte constitutionnel de 1982
comportant, comme on le sait, fa Charte canadienne des droits et
libertés.
Il faut se rappeler l'intention de M. Trudeau, le père de cette
réforme constitutionnelle. M. Trudeau avait clairement indiqué
qu'il souhaitait réduire la portée de la loi 101, que
c'était là son objectif en incluant la Charte des droits et
libertés dans la constitution. C'est ce qui s'est produit depuis 1982,
il faut le dire. Le ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes le signalait, alors qu'il était
professeur d'université en 1982, en déclarant que ce sont
désormais les tribunaux qui au Canada vont faire la politique
linguistique. C'est ce qui est en train de se faire depuis 1982. (10 h 30)
Je n'ai pas besoin de vous citer toute une série de
décisions des tribunaux inférieurs et supérieurs y compris
la Cour suprême, qui ont eu pour effet de démanteler, de
démembrer de façon substantielle la portée de la loi 101.
Que ce soit au chapitre de la langue, de l'administration, de la justice, de
l'État et de la législation, où l'on nous a contraints
à revenir aux dispositions de l'article 133 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique. Que ce soit en matière
d'enseignement où l'on nous a contraints, par voie de décisions
des tribunaux, à revenir a la clause Canada, de nous en tenir à
cette clause plutôt qu'à la clause Québec. Que ce soit
même en matière de travail. Je vous signale une décision de
mars 1985 où la Cour d'appel statuait qu'un employeur n'était
obligé de communiquer en français avec ses employés que
dans la mesure où ceux-ci l'exigeaient expressément. Que ce soit
finalement en matière de langue d'affichage où l'on se rappelle
la décision de décembre 1986, jour sombre pour les francophones,
où cette cour décrète que la règle de
l'unilinguisme est contraire à la liberté d'expression en
matière d'affichage, ce qui fait que l'objectif de M. Trudeau est
atteint. Par le biais de la charte, par le biais des dispositions
constitutionnelles, les tribunaux ont contribué à
démanteler la loi 101 qui n'a plus la même portée qu'en
1977.
Il est également à signaler que l'entente du lac Meech,
cette entente soi-disant historique, ne répare en rien les
dégâts linguistiques causés par l'acte constitutionnel de
1982, ne corrige en rien la situation issue des décisions des tribunaux,
s'appuyant sur des dispositions constitutionnelles. L'entente du lac Meech,
à cet effet, est une mauvaise entente puisqu'elle ne comporte aucune
disposition permettant à l'Assemblée nationale de recouvrer ses
pouvoirs et ses droits en matière linguistique.
Si au moins le gouvernement avait recours à la clause
dérogatoire pour se soustraire en matière linguistique aux
dispositions de la charte! Même pas, le gouvernement ne semble pas
souhaiter, ne semble pas vouloir, il n'y a pas de volonté politique de
ce côté pour permettre aux dispositions de la loi 101 de
s'appliquer malgré ta charte. Pourtant dans la charte canadienne
elle-même, il y a une clause qui permet au gouvernement de
déroger, de se soustraire aux dispositions de la charte en
matière linguistique. Au moins s'il y avait cette volonté
politique.
Ce serait pourtant bien simple. Il y a un projet de loi devant cette
Assemblée nationale. Il suffirait de l'appeler. Il aété présenté à l'époque par M.
Johnson; il est maintenant parrainé par M. le député de
Taillon. Ce projet de toi est clair. Il permettrait de se soustraire aux
dispositions de la charte en matière d'affichage commercial. Ce serait
simple. Il ne comporte que deux articles. On pourrait en disposer. Il y aurait
consensus de la part de l'Opposition pour faire en sorte que cette loi soit
adoptée le plus rapidement possible pour qu'enfin, en matière
d'affichage commercial, les dispositions de la loi 101 s'appliquent
actuellement au Québec. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Lac-Saint-Jean. Je vois que votre chronomètre,
à dix secondes près, est aussi précis que celui du
président. Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Lise Bacon
Mme Bacon: M. le Président, une mise au point s'impose
concernant les dossiers des contrevenants à la loi 101.Récemment, un quotidien titrait que le gouvernement du Parti
québécois poursuivait trois fois plus que le gouvernement
libéral. On disait dans cet article: Toutes proportions gardées,
l'ancien gouvernement a intenté, durant ses deux dernières
années de pouvoir, trois fois plus de poursuites contre les
contrevenants à la loi 101 que le gouvernement libéral. Le
quotidien en question avait pris comme référence le rapport
1986-1987 de la Commission de protection de la langue française et
citait une série de statistiques pour en arriver à cette
conclusion.
J'aimerais rappeler qu'au cours de l'année 1986-1987 il y a eu
renouveau au sein de la commission de protection, année de transition
pour cet organisme. Tout d'abord, il faut noter l'arrivée d'un nouveau
président de la commission et l'implantation graduelle d'une nouvelle
approche positive, laquelle fait davantage appel à un changement de
comportement dans un esprit de coopération, lequel constitue, à
mon avis, un net progrès par rapport à la situation
antérieure.
Je rappelle enfin la conclusion du rapport de la Commission de
protection de la langue française. Cette dernière est
demeurée plus vigilante que jamais dans l'application de la charte. Elle
a également veillé à ce que sa mission soit mieux
perçue par les justiciables. En ce qui a trait au rapport statistique
présenté dans le rapport annuel ainsi que dans un quotidien,
j'aimerais souligner qu'il n'y a pas de relation directe ni nécessaire
pour une même année entre le nombre de plaintes
déposées, la transmission de dossiers et le nombre de
poursuites.
En 1985-1986, le nombre de dossiers transmis au ministre de la Justice
par la commission a doublé du fait que la CPLF a décidé
d'effectuer un déblayage de ses dossiers des trois dernières
années. Donc, par rapport aux statistiques, la courbe normale des
dossiers transmis est plus proche du nombre de 123 que de celui de 249.
En ce qui a trait aux statistiques portant sur les poursuites, il faut
se rappeler que le ministre de la Justice a décidé de donner
suite aux dossiers reçus, c'est-à-dire pour lesquels les
poursuites avaient été suspendues au début de 1986 sur la
question de l'affichage unilingue anglais à la toute fin de
l'année passée. Il n'est donc pas étonnant que les effets
de cette décision ne se soient pas reflétés dans les
statistiques.
De plus, il est important de rappeler que les poursuites entreprises par
le ministère de la Justice ne correspondent pas nécessairement au
nombre de dossiers transmis au cours d'un même exercice financier. C'est
là un point essentiel pour comprendre les données incluses dans
les différents rapports annuels. Notons au passage qu'il arrive que des
plaintes soient jugées irrecevables et de ce fait n'apparaîtront
pas dans les rapports annuels.
Notons un élément positif par rapport au renouveau
effectué à la commission ainsi que l'attitude adoptée par
cet organisme. De nombreux dossiers ont été fermés en
1986-1987, soit 1529, dont 947 avaient été ouverts au cours de ce
même exercice financier.
On doit noter là un rapport plus que positif en ce qui a trait au
traitement des dossiers et d'autre part il importe de souligner que plusieurs
présumés contrevenants ont accepté de se soumettre
à la loi à la suite justement de l'attitude de la commission
visant à amener les contrevenants à se corriger au lieu de
recourir à une quelconque attitude de menace.
M. le Président, voilà un exemple concret qui illustre
bien l'attitude - je pense que c'est l'attitude qu'on doit avoir - et
l'approche nouvelle de la commission de protection.
D'autre part, le but de l'action dans son ensemble est d'amener la
population à faire respecter la loi par choix afin qu'elle comprenne le
bien-fondé des contraintes législatives, ce qui, à moyen
et long termes, diminuera les statistiques de poursuites en cette
matière. Au cas où l'Opposition ne l'aurait pas encore
remarqué, je soulignerai que c'est là une attitude positive
d'éducation, de sensibilisation et de prévention qui a
été développée par la commission sous un
régime libéral.
On comprendra également que les effets de tels changements sont
majeurs quant à l'administration d'une loi aussi complexe et que ces
effets se feront sentir de façon plus précise dans les
années à venir. C'est tout à l'honneur de la commission
ainsi qu'à ceux et celles qui ont conçu et
concrétisé des fois linguistiques depuis une quinzaine
d'années.
À ce chapitre, j'aimerais faire mention du fait que fa
commission, ayant choisi de privilégier une relation d'aide
auprès d'entreprises non établies au Québec, par
conséquent qui ne sont pas juridiquement soumises à un programme
de francisation, a conclu avec des compagnies qui se spécialisent dans
la manufacture et la distribution de modèles réduits, une entente
à laquelle ces compagnies acceptaient de se conformer - à
l'article 51 - sans en être obligées, soit l'emballage de leurs
produits qui sont conformes aux exigences de la charte.
On conviendra en cette Chambre que les lois 22 et 101 ont
consacré la volonté de parler français au Québec.
Que l'on parle de promotion et de protection de la langue française au
Québec, que l'on parle de l'administration d'une loi en cette
matière, il demeure que le Québec est une société
distincte en raison de sa langue, de sa culture, il entend le demeurer et le
gouvernement estime vital qu'il en soit ainsi. C'est pourquoi il apparaît
très important que le français soit et demeure la langue
officielle majoritaire et surtout la langue commune à tous et toutes au
Québec.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre.
Je reconnais maintenant M le député de
Verchères.
M. Jean-Pierre Charbonneau
M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Un peu comme mon
collègue, on entend la ministre, mais on a l'impression qu'il n'y a pas
de problème. On se promène cependant dans les rues au
Québec, particulièrement dans les rues de la grande région
de Montréal et on se rend compte que les problèmes sont visibles
et qu'il y a une détérioration de la situation. Autrement, on ne
serait pas ici pour en parler, n'est-ce pas? Autrement, dans l'actualité
au cours des deux dernières années, il n'y aurait pas eu
tellement d'échos de l'action que mène actuellement l'Opposition.
Si ce qu'on dit n'était pas exact, il n'y a pas beaucoup de gens au
Québec qui porteraient intérêt à ce que l'on fait
comme débat.
La raison principale de la détérioration, c'est mes
collègues l'ont souligné - ['attitude des tribunaux qui a
contribué à donner l'impression que la loi 101 était moins
importante et moins forte qu'elle ne l'a été. D'autre part,
l'attitude du gouvernement qui est finalement une attitude d'une espèce
de valse-hésitation. Une journée, il y a un message dans un sens
et une autre journée, un message dans l'autre. Et cela s'est
poursuivi
depuis l'élection du Parti libéral, il y a maintenant deux
ans.
La ministre aime les chiffres. J'ai fait le calcul. Du nombre de
mouvements de cette espèce de valse-hésitation, j'en ai
dénombré pas moins de 17 et je vais en faire une espèce de
nomenclature rapide dans le temps qui m'est imparti.
D'abord au mois de juin 1985, avant la campagne électorale, il
n'était pas question d'affichage bilingue dans le programme du Parti
libéral. Tout à coup, c'est apparu dans la campagne
électorale alors que M. Bourassa, dans les quartiers non francophones de
Montréal, a abordé la question et en a fait un engagement
électoral, sauf que dans le cas des francophones, quand il s'adressait
à eux, c'était surtout pour leur dire que la loi 101 serait
préservée. Une fois arrivé au pouvoir, le gouvernement a
annoncé que les poursuites dans le domaine de l'affichage bilingue
seraient suspendues sous prétexte d'attendre la décision de la
Cour d'appel.
Au mois de mars 1986. M. Bourassa a laissé entendre au Devoir
qu'il pourrait bien agir sans attendre les tribunaux. Pas plus tard qu'un mois
après, le 23 avril 1986, coup de théâtre, le premier
ministre avouait à Pierre Bourgault sur les ondes d'une radio à
Québec qu'il était coincé avec la loi 101. Il faut dire
que le micro était fermé et que le premier ministre ne pensait
pas qu'éventuellement ses propos seraient rapportés.
Quelques semaines plus tard, en juin 1986, le conseil
général du Parti libéral adoptait une résolution
pour revenir à l'affichage bilingue avec priorité au
français. On a développé à ce moment le concept du
bilinguisme optionnel et conditionnel. Par la suite, M. Bourassa a
affirmé à La Presse qu'en fait la priorité du
français se résume à la nécessité d'utiliser
la langue et qu'il est possible d'amender la Charte de la langue
française sans mettre en danger la paix sociale. Au journal The Gazette,
à peu près à la même période, il soulignait
qu'il entendait ramener le bilinguisme dès l'automne 1986. Un peu plus
tard, en fait, quelques jours plus tard après cette entrevue, le premier
ministre ajoutait qu'il était possible de modifier la charte uniquement
par des voies réglementaires. Il faut dire qu'il s'est fait ramener
à l'ordre rapidement par son leader et le Procureur
général du Québec. À ce moment, la ministre
responsable de l'application de la loi 101 profitait du moment et
annonçait la fusion d'organismes créés par la loi 101 et
pour modifier les règles d'affichage.
Au mois de septembre 1986, la compagnie Zellers annonce publiquement
qu'elle entend délibérément violer la loi. La ministre,
qui est devant nous aujourd'hui, dit: Je veux la faire respecter, sauf que le
premier ministre, à ce moment-là à Toronto, la rappelle
à l'ordre.
En octobre 1986, une date importante parce qu'on remarque un tournant
dans l'attitude du gouvernement. Il y a eu un sondage CROP qui pour la
première fois contredisait ce que le gouvernement donnait comme
impression et laissait entendre à la population. En fait, le sondage
indiquait que les francophones voulaient maintenir l'affichage unilingue.
Par la suite, le premier ministre a commencé à invoquer la
question des districts bilingues. Et en décembre, il y a eu les
premières manifestations violentes à la compagnie Zellers. Il y a
eu des bombes qui ont éclaté. Puis le premier ministre a
reculé et a dit pour la première fois qu'il fallait tenir compte
de la paix sociale.
Au mois de juin de cette année, le premier ministre a
affirmé en Chambre que les amendements viendraient après la
décision de la Cour suprême, mais il ajoutait un peu plus tard
à l'Assemblée nationale qu'il ne faudrait pas exclure une loi
à l'automne. Or, on est à l'automne 1987.
Au mois d'octobre, il y a à peine quelques semaines, le caucus
libéral en est venu à la conclusion qu'il ne serait pas sage de
bouger dans le dossier linguistique. Le premier ministre a dit à ce
moment une chose que nous répétions depuis le début. C'est
qu'en ce qui concerne les nouveaux immigrants, il faut que le message soit
clair. Il faut qu'ils aient intérêt à aller et à
comprendre qu'ils ont intérêt à aller du côté
français, sinon ils vont aller du côté anglais.
C'est drôle, le Parti québécois, les
députés que nous sommes ici, disions cela depuis qu'il est
arrivé au pouvoir. Cela ne l'a pas empêché, le 28 octobre,
de réaffirmer ici à l'Assemblée nationale que son objectif
comme premier ministre et comme chef du gouvernement était de remplir sa
promesse électorale. Or, M. le Président, c'est cela le
problème. Une journée, le premier ministre dit qu'il est
préoccupé par la paix sociale et par les conséquences; une
autre journée, il nous annonce et annonce particulièrement aux
anglophones du Québec qu'il entend faire respecter la loi 101. Ce
message ambigu, cette confusion continuelle dans le vocabulaire, cette
espèce de valse-hésitation depuis deux ans, c'est ce qui fait que
les commerçants à Montréal et les nouveaux arrivants au
Québec comprennent que le gouvernement du Québec actuel n'est pas
intéressé à faire du français véritablement
la langue officielle du Québec, la langue de communication, la langue de
la vie, contrairement à ce que la ministre tente de nous laisser croire
par des propos très vertueux, ce matin. (10 h 45)
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Verchères. Avant de passer la parole au prochain
intervenant, je dois admettre que le président a fait une erreur en
cédant immédiatement la parole à M. le
député de Verchères. Afin de réparer et de donner
à tous la chance de s'exprimer, je vais, d'abord, reconnaître M.
le député de Vanier; par la suite, Mme la ministre et Mme la
députée de Vachon. Nous allons revenir à l'ordre normal
des choses. Toujours pour des interventions de cinq minutes.
M. Charbonneau:...
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Verchères. M. le député de
Vanier.
M. Jean-Guy Lemleux
M. Lemleux: Je vous remercie, M. le Président. Je m'en
voudrais de ne pas relever certains propos tenus à la fois par le
député de Lac-Saint-Jean et le député de
Verchères. D'abord, pour le député de Lac-Saint-Jean,
ayant moi-même des affinités de nature géographique avec le
député de Lac-Saint-Jean, puisqu'étant originaire d'un
tout petit village du Lac-Saint-Jean, qui s'appelle Saint-Coeur-de-Marie, je ne
voudrais surtout pas entamer avec lui une polémique de nature juridique.
Le député de Taillon qui me regarde attentivement va être
en mesure de me suivre. Vous savez, vous avez parlé de l'acte
constitutionnel de 1982. Je vous inviterais à lire ce que disait en 1981
une journaliste de La Presse, sous le nom de Lysiane Gagnon. Elle disait
que le pire recul que le Québec a connu en matière
d'identité nationale, l'année de deuil qu'on a connue et vous le
savez fort bien, c'est 1981, ce n'est pas le recul d'une langue, c'est le recul
d'un peuple. Je tiens à vous le souligner, ça va vous suivre plus
que jamais.
Il y a un autre fait que j'aimerais souligner au député de
Verchères, et je peux lui donner immédiatement le projet de loi
140. Lorsque le député de Verchères dit que dans le projet
de loi 140 on s'attaquait à l'affichage, il sait fort bien que c'est
faux. Le projet de loi 140 ne visait qu'à une restructuration
d'organismes. Je le mets tout de suite au défi de me sortir le projet de
loi 140 et je peux le lui remettre immédiatement. Dans ce projet de loi,
il n'y a aucun article, aucun paragraphe, aucun sous-paragraphe, aucun
alinéa qui ne concerne comme tel l'affichage, et il le sait fort bien.
M. le Président, sur ce, le défi du Québec en
matière de langue officielle n'a pas son pareil au Canada. Il faut quand
même tenir compte d'une réalité. Nous devons
protéger le français sur notre propre territoire. Nous devons
aussi assurer, qu'on le veuille ou non, que ça plaise ou non, le respect
des minorités anglophones et aider aussi les minorités
francophones hors pays. Tout à l'heure, le député de
Verchères nous disait que nous ne voulons pas respecter la langue
officielle au Québec. Eh bien, je vais lui rappeler, moi, je vais lui
donner quelques leçons d'histoire.
En 1974, c'est sous l'autorité de M. Robert Bourassa qu'on a fait
adopter la loi 22. C'était quoi la loi 22? C'était la loi sur les
langues officielles au Québec qui faisait du français la seule
langue officielle du Québec. Cela n'a pas été facile de
faire comprendre cela. Cela n'a pas été facile de faire saisir le
droit qu'avait la société québécoise d'affirmer
comme telle sa spécificité culturelle. On l'a fait sans bravade,
sans exclusivisme, en évitant de faire sortir des placards les
fantômes ou les spectres. Pourtant, vous savez, il y avait une province
comme le Nouveau-Brunswick qui avait 34 % de ses citoyens qui étaient de
langue française, qui a contesté la constitutionnalité de
la loi 22.
Je regardais ici des articles du 9 août 1974 où on
contestait comme tel le fait du Québec à avoir une langue
officielle en français. À cette époque aussi, il y avait
des juristes aussi compétents que le député de Taillon
dont l'un deux était un éminent juriste, le sénateur
Eugène Forsythe, qui qualilait de douteuses certaines parties de la loi
du point de vue constitutionnel. Malgré tout cela, malgré toutes
ces contestations internes ou externes, on a eu le courage, on a eu la
détermination à cette époque de faire du français
la langue officielle au Québec. Heureusement, d'ailleurs, parce que
c'est même un de vos collègues, l'ancien ministre d'État au
Développement culturel, le ministre Laurin, qui disait en septembre
1977: Sans loi 22, il n'y aurait jamais eu de loi 101. Il allait même
plus loin que cela. Il disait: Bourassa nous a aidés avec sa loi 22.
C'est lui qui a eu le courage de nous donner le premier choc.
Il y a longtemps que nous avons compris, du Parti libéral du
Québec, l'importance du fait français au Québec et sa
préservation. Je pense qu'on n'a pas de leçon d'histoire à
nous donner. Cela risque peut-être d'ennuyer le député de
Taillon, dont je reconnais la compétence et son sens de l'histoire. Je
pourrais lui dire, cependant, que dans la tradition libérale on pourrait
remonter très loin sur le fait français au Québec. On
pourrait même remonter et je l'invite à lire la vie
d'Honoré Mercier, 1887 à 1891. Il va comprendre que, pour nous
aussi du Parti libéral du Québec, le fait français
aujourd'hui a aussi une certaine importance. Je vois sourire le
député de Lac-Saint-Jean.
Effectivement, on doit se demander ce qu'il en est aujourd'hui. Il y a
des accrocs à la loi 101 en matière d'affichage. Oui, il y en a,
comme il y en a au Code de la route ou à toute autre loi de nature
statutaire, mais aussi il y a eu des progrès. Je pense qu'il est
important de le dire et ce, sans partisanerie politique. Je pense que vous
devez être conscients que le français au Québec reprend une
certaine vigueur et que sa qualité - peu importe... j'entends un peu les
paroles du député de Lac-Saint-Jean, même si cela ne fait
pas son affaire est quand même remarquable sur certains aspects.
M. le Président, vous me dites que j'ai cinq secondes. Je veux
tout simplement vous dire que je reviendrai dans un deuxième temps vous
faire état de la politique actuelle du Parti libéral du
Québec. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Vanier. Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Lise Bacon
Mme Bacon: M. le Président, j'aimerais apporter quelques
précisions concernant le volet des progrès réalisés
au chapitre de la francisation des entreprises. Ce processus constitue un
mandat important, sinon majeur, de l'Office de la langue française.
À la lumière de l'analyse des progrès
réalisés depuis la mise en place de ce programme, on a
constaté que le français a fait
des pas de géant comme langue d'usage à l'intérieur
des entreprises, mais qu'il reste encore beaucoup à faire pour qu'il
devienne la langue normale du travail et la langue des activités
économiques et professionnelles des Québécois.
Le processus de francisation des entreprises avait atteint, au 31 mars
1987, environ 50 % de son objectif, lequel visait à faire du
français la langue du travail au Québec. Au rythme actuel, il
faudra encore une quinzaine d'années pour compléter le processus
de francisation. Voilà un secteur où il revient à
l'État de coordonner les efforts des différents organismes qui
sont chargés de l'application de la langue française, en vue, si
besoin est, d'en accélérer le processus.
Pour ce qui est des entreprises employant de 50 à 99 personnes,
la situation se présente de la façon suivante. Depuis la mise en
place du programme, 70,2 % des 2263 entreprises de cette catégorie ont
obtenu un certificat permanent attestant que le français possède
le statut recherché par le programme de francisation. Enfin, en ce qui a
trait au processus de francisation des organismes de l'administration, on
constate qu'il est plus avancé que celui des entreprises: 81,6 % des
4162 organismes appartenant à cette catégorie ont obtenu un
certificat permanent attestant que le français possède le statut
recherché.
Là encore, les termes sont importants. De ces analyses il ressort
que le processus qui a cours maintenant a atteint, dans l'ensemble, 50 % de son
objectif, mais il faut faire en sorte que la francisation devienne une
opération continue et que le certificat de francisation remis à
l'entreprise ne soit pas considéré comme mettant fin au
processus. Il faut, au contraire, en arriver à la formule qui permettra
de s'assurer que l'entreprise continue à remplir les exigences que lui
ont valu l'attribution de son certificat. Nous avons l'intention de travailler
à la réalisation de cet objectif de concert avec les gens
impliqués.
C'est en ce sens qu'en dépit du fait que des pas importants ont
été franchis, beaucoup de travail reste à faire dans ce
vaste domaine de fa francisation des entreprises. Toutefois, la volonté
du gouvernement a clairement été exprimée depuis qu'il a
été élu le 2 décembre 1985. Cette volonté
vise, en termes clairs, à promouvoir, à protéger le
français partout sur le territoire québécois. Il y a tout
lieu de se réjouir des résultats atteints après quelques
années d'application de la Charte de la langue française dans le
domaine de la francisation des entreprises. Le gouvernement du Québec
n'a pas l'intention de s'arrêter là et il continuera à
inciter les entreprises, tant privées que publiques, à faire du
français la langue du travail, la langue de communication aussi bien que
celle de l'État.
S'il est un souhait personnel que je puisse formuler aujourd'hui dans le
cadre de cette interpellation, c'est qu'il faut en arriver à
accélérer le processus de francisation; il faut en arriver aussi
à consolider les acquis du passé pour mieux préparer
l'avenir du Québec français dans tous les secteurs et
particulièrement celui des entreprises, mais il ne faut pas
négliger le volet de la francisation dans l'administration publique.
C'est pourquoi, à la suite d'un avis du Conseil de la langue
française sur ce sujet, j'ai demandé au président de
l'Office de la tangue française et à la présidente de
l'Office des ressources humaines d'unir leurs efforts afin d'établir un
plan conjoint d'amélioration du français écrit dans
l'administration publique québécoise. Les deux présidents
ont déjà commencé à travailler sur ce projet.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je
reconnais, maintenant, Mme la députée de Vachon.
Mme Christiane Pelchat
Mme Pelchat: Merci, M. le Président. À mon avis, un
des plus graves problèmes que doit subir la langue française au
Québec est, sans aucun doute, l'utilisation partisane qu'en font
certaines personnes et surtout certains porte-parole du Parti
québécois. L'évolution de l'opinion publique est
très sensible à tout ce qui concerne un changement, soit-il
positif, à nos lois spécifiques sur la langue. Comme le note te
rapport annuel de la Commission de protection de la langue française,
nous pouvons remarquer un changement de perception dans l'opinion publique
selon l'intensité des débats dans l'actualité et,
évidemment, du traitement que l'on en fait dans les médias.
Je suis certaine que même certains membres de l'Opposition
partagent le sentiment que l'avancement et la protection de la langue
française doivent se faire avec plus de maturité et de
désintéressement politique de la part de tous, y compris de
l'Opposition. Le ton et les propos alarmistes et apocalyptiques de certains
membres de l'Opposition réapparaissent outranciers et hors de proportion
par rapport à la réalité.
L'Opposition devrait, à l'occasion, relire le préambule de
la charte qui stipule que la protection du français doit se faire dans
un esprit de justice et d'ouverture, dans le respect des institutions de la
communauté québécoise d'expression anglaise et celui des
minorités ethniques dont l'Assemblée nationale reconnaît
l'apport précieux au développement du Québec.
Cela dit, j'aimerais, en quelques minutes, tout simplement faire
ressortir que la francisation, entre autres chez les communautés
culturelles, est en nette progression. L'intégration des allophones
à la majorité francophone constitue une priorité du
présent gouvernement. Il n'est certes pas très facile de
pénétrer les différentes communautés culturelles et
de faire en sorte qu'elles s'intègrent à la majorité. Cela
doit se faire délicatement, mais sûrement. Ainsi, depuis dix ans,
on peut enregistrer une nette progression, engendrée certainement en
partie par les lois sur la langue française, de la fréquentation
des écoles françaises par les allophones. Ainsi, cette
année, plus de 60 000 élèves allophones
fréquentent
l'école du Québec, dont 37 000 fréquentent
l'école française. En 1976-1977, 20 % des allophones
étudiaient en français, tandis que pour 1986-1987 nous assistons
à un revirement systématique, c'est-à-dire 64 % des
allophones fréquentent présentement te secteur
français.
Comme le notent plusieurs études, fe défi de notre
société est de faire en sorte que ces enfants allophones puissent
faire l'apprentissage scolaire dans une langue autre que leur langue maternelle
sans heurt et surtout en respectant leurs limites.
La langue d'enseignement est certainement l'un des outils les plus
importants qui favorisent l'intégration des communautés ethniques
à la majorité francophone. Ce sont ces élèves
d'aujourd'hui qui garantiront le nombre de parlants français en
Amérique du Nord et évidemment ce sont ces derniers qui,
espérons-le, seront à même de témoigner de la
qualité du français au Québec.
C'est sûrement auprès des jeunes de toutes les origines que
l'État doit être vigilant et rendre le français attrayant,
puisque ces derniers sont peut-être plus influençables et
sensibles aux modes et tendances culturelles américaines. C'est la
même chose pour les jeunes francophones. Heureusement, on note que cette
influence semble être circonscrite au choix de la musique et, en ce qui a
trait aux autres activités culturelles, elles se font en
français.
Nous sommes tous conscients que l'avenir de la langue française
sera aussi assuré par l'intégration des communautés
culturelles qui, depuis plusieurs années, font preuve d'une bonne
volonté. Je crois qu'au-delà des lois nous devons adopter des
attitudes réceptives. Il faut élargir la base d'adhésion
et d'appartenance de la francophonie québécoise, comme le dit si
bien le Conseil de la langue française.
Je suis moi-même issue de grands-parents immigrants qui ont fait
le choix de s'intégrer et de vivre en français. Je crois que,
oui, la francisation des communautés culturelles va bon train et je suis
persuadée que cela ira en augmentant pour autant que les francophones
puissent les accueillir sans réticence aucune.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
députée de Vachon. Je reconnais maintenant M. le
député de Lac-Saint-Jean. (11 heures)
M. Jacques Brassard
M. Brassard: Merci, M. le Président. Je voudrais dire que
le Parti libéral utilise de façon très savante ce qu'on
pourrait appeler la technique de culpabilisation des francophones. On vient
d'en avoir un exemple avec ce que vient de nous dire la députée
de Vachon quand elle parle de l'utilisation partisane de la question
linguistique de la part du Parti québécois. Elle vient de nous
dire, en quelque sorte, que le Parti québécois, quand il parle de
langue, quand il sonne l'alerte, quand il sonne l'alarme, fait de la
partisanerie. Donc, on devrait se sentir coupables de parler de la langue et de
ne pas en parler et elle affirme par la suite qu'il faut faire preuve de
désintéressement.
Donc, pour le Parti québécois, faire preuve de
désintéressement, c'est ne plus en parler. Ne plus parler de la
langue au Québec. C'est là une technique bien connue du Parti
libéral, la culpabilisation. On inocule, on injecte dans l'esprit des
citoyens un sentiment de culpabilité. L'origine de cela nous vient
directement d'Alliance Québec, l'organisme représentatif de la
communauté anglaise dont la thèse est très claire. La
communauté anglophone au Québec est maltraitée; elle est
persécutée. Les droits individuels de ses membres sont
violés et foulés aux pieds à cause même de
l'existence et de l'application de la Charte de la langue française.
L'objectif, évidemment, c'est de faire en sorte que la
majorité francophone se sente coupable vis-à-vis de la
communauté anglaise, éprouve des remords en appliquant la Charte
de la langue française, en protégeant et en assurant la survie et
la conservation de sa langue.
Comme on sait que la communauté anglaise a une influence
déterminante au sein du Parti libéral du Québec, je pense
que ce n'est pas faire preuve... C'est une simple analyse politique. Il est
évident que la communauté anglaise du Québec est
très puissante au sein du Parti libéral. C'est son
véhicule politique depuis un bon nombre d'années.
Par conséquent, cette influence se traduit de façon
subtile, savante, par des affirmations telles que le Parti
québécois, les francophones ou les mouvements nationalistes ne
font pas preuve de tolérance, que nous sommes intolérants, que
nous ne respectons pas les droits individuels, que nous ne respectons les
droits des minorités. C'est ce que disait le député de
Vanier tout à l'heure.
Il faut quand même prendre en considération le respect du
droit des minorités. Il a sous-entendu que nous ne sommes pas sans
défauts à ce sujet. Nous pouvons avoir des remords et nous sentir
coupables. Pourtant, la réalité est tout autre. La
communauté anglaise du Québec est une des minorités les
mieux traitées au monde. Tout le monde le reconnaît. Elle dispose
de ses institutions culturelles, sociales, de communications, de son
système scolaire, universitaire. C'est une des minorités les
mieux traitées au monde.
Par conséquent, les droits des minorités au Québec
ont toujours été et sont toujours encore présentement
scrupuleusement respectés par la majorité. Le problème,
c'est que cette communauté anglaise n'a jamais approuvé, n'a
jamais appuyé la Charte de la langue française, ses principes,
ses orientations fondamentales. Les sondages sont très claires. Il y a
eu des sondages qui démontraient que les anglophones au Québec ne
sont pas d'accord avec le français comme langue de travail, qu'ils ne
sont pas d'accord très majoritairement avec le français comme
langue de communication, qu'ils ne sont pas d'accord très
majoritairement avec le français comme langue d'enseignement au
Québec.
Ils ne sont pas d'accord, ils ne l'ont jamais été et ils
ne le sont toujours pas avec les orientations fondamentales de la loi 101. On
essaie d'inoculer un sentiment de culpabilité aux francophones. Le
meilleur exemple, ce sont les déclarations de la ministre qui s'en est
prise, à plusieurs reprises, aux groupes nationalistes qui se sont
organisés pour que cesse le recul du français.
La ministre les afflige de tous les maux et à l'entendre ils
seraient responsables eux-mêmes de la détérioration du
français au Québec. Pourquoi? Parce qu'ils portent plainte, parce
qu'ils sont vigilants, parce qu'ils ouvrent les yeux et qu'ils essaient de
faire en sorte que la loi 101 soit respectée. L'attitude de la ministre,
c'est de faire en sorte qu'ils se sentent coupables et qu'ils se conduisent de
façon incorrecte.
M. le Président, je conclurai en disant que le gouvernement
aurait intérêt à relire et à apprendre par coeur
l'argumentation du Procureur général devant la Cour suprême
où l'on stipule très clairement que nous n'avons pas à
nous sentir coupables de protéger, de conserver et de promouvoir la
langue française au Québec. Nous n'avons pas à avoir de
remords, bien au contraire. Nous n'avons pas, par conséquent, je dirais,
à réduire la portée de la loi 101 au Québec.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Lac-Saint-Jean. Je vous félicite de votre
autodiscipline. Mme la ministre.
Mme Lise Bacon
Mme Bacon: M. le Président, j'ai déjà
insisté sur la nécessité d'améliorer la
qualité de la langue française au Québec. C'est un
principe qui constitue un élément important de la politique
linguistique de notre gouvernement. Ces derniers temps, on a davantage
insisté sur les volets de la législation et de la
réglementation, mais pas suffisamment sur la qualité de la
langue. Pourtant, le volet de la qualité mérite d'être
traité avec beaucoup plus de sévérité qu'on ne l'a
fait jusqu'à maintenant. Le français mérite d'être
protégé, promu, appliqué, dans la mesure où il
permettra aux Québécois de vivre le plus intensément
possible dans les dimensions sociale, culturelle et économique.
Par le biais d'une approche axée sur l'amélioration de fa
qualité du français, le gouvernement du Parti libéral a
amorcé un virage important en vue d'une valorisation réelle de
notre culture. Mais il reste que le rôle de l'État consiste
à assurer aux Québécois la protection de la langue
française contre l'envahissement culturel nord-américain. Mais
cette protection ne peut être efficace que si les Québécois
et les Québécoises font preuve de coresponsabilité et de
ce fait partagent cette volonté de fierté de parler une langue
française de qualité au Québec.
J'ai déjà rappelé également que les citoyens
et citoyennes du Québec avaient des droits, mais qu'ils avaient
également des devoirs à accomplir. Sur le plan de la
qualité de la langue française, la notion de
coresponsabilité prend son véritable sens dans la mesure
où il y a cette volonté tant collective qu'individuelle
d'améliorer notre langue.
Il faudrait bien sûr résoudre les problèmes qui sont
causés par ceux et celles qui ne respectent pas les dispositions de ta
charte. À cet égard, je mentionnais aussi tout à l'heure
que l'attitude nouvelle de la Commission de protection de la langue
française donne de l'espoir. L'espoir qu'une tendance nouvelle se
profilera au sein de notre société et incitera aussi à
plus de prudence, mais de façon positive cette fois, quant au respect de
notre langue. Au-delà des problèmes que je considère comme
normaux dans une société en mutation, il y a ce défi
toujours actuel dans notre société francophone, celui de la
survivance et du développement d'une société minoritaire
sur les plans canadien et nord-américain.
Pour relever ce défi, il est nécessaire de mobiliser
collectivement toutes les forces actives du Québec en faveur de la
qualité de la langue française. Voilà toute une
tâche en perspective. Oui, M. le Président. Mais c'est pourquoi le
gouvernement du Québec est prêt à mettre à la
disposition du Québec dans son ensemble toutes les ressources
nécessaires et efficaces en vue d'en arriver à une meilleure
promotion de la qualité de la langue française. En corollaire,
chacun et chacune des Québécois et des Québécoises
doivent faire preuve d'initiative et d'une attitude positive si on veut que la
langue française soit le miroir d'une communauté qui se
respecte.
En définitive, les Québécois pourront avoir ou
pourront se doter de toutes les lois linguistiques imaginables, rien ne vaudra
la place prépondérante des parents et autres éducateurs
pour apprendre aux enfants à bien parler leur langue, à tomber en
amour avec leur langue, s'il le faut. La première mission du
gouvernement du Québec consiste donc à conjuguer ses efforts avec
ceux des milliers de parents du Québec qui sont les véritables et
indiscutables maîtres de la sauvegarde et du développement de la
langue française. C'est ce que j'appelle être responsable de la
loi, non seulement dans la lettre, mais dans son esprit.
Je demeure persuadée que la population appuie notre
démarche marquée par l'équilibre de l'ensemble des valeurs
de notre société. Pour ma part, je me rassure à
l'idée que cette démarche est fondée sur le voeu de
l'ensemble de la population qui désire qu'elle protège le
français au Québec, tout en faisant en sorte que la Charte de la
langue française soit appliquée en fonction des
réalités vécues par les Québécois.
C'est d'ailleurs sur cette base que se poursuivra la démarche de
notre gouvernement quant à la poursuite de l'objet d'une langue de
qualité au Québec. Cette démarche consistera à
poursuivre notre réflexion et nos actions sur ce sujet pour mieux
maîtriser l'avenir de la qualité de la langue française.
Cette volonté des Québécois et des
Québécoises existera toujours pour assurer la qualité, le
rayonnement de la langue française,
laquelle doit être de plus en plus et de mieux en mieux
exprimée. Je pense que c'est de cette façon que nous devons nous
exprimer en 1987 et non reprendre les vieux discours qu'on nous a trop
longtemps servis. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je
reconnais maintenant M. le député d'Arthabaska.
M. Laurier Gardner
M. Gardner: Merci, M. le Président. Le 14 mai 1986, lors
d'un discours fait en cette Assemblée, Mme la ministre des Affaires
culturelles du Québec nous conviait à l'excellence dans
l'utilisation de la langue française. Elle nous disait que la
qualité d'une langue dépend d'abord de la façon dont elle
est parlée dans chaque famille, de la façon dont elle est
enseignée dans les écoles, de la façon dont elle est
utilisée dans les milieux de travail et dans les entreprises de
même que par l'État et les médias.
Vous me permettrez d'insister sur les deux premiers points des
remarques, toujours d'actualité, de Mme ta ministre. Ce faisant, je veux
vous rappeler que l'État seul ne peut certainement pas sauver la langue
de Molière en Amérique du Nord. Que nous le voulions ou non, nous
conservons à jamais la langue que l'on entend dès notre enfance.
Les parents ont alors le rôle le plus important dans la sauvegarde et le
développement de la langue française. C'est une
vérité de La Palice que si on cessait de parler français
à nos enfants, on vouerait à une mort certaine la langue
française au Québec.
Encore faut-il que cette langue utilisée dans les foyers
québécois qu'on qualifie de française le soit vraiment.
Dès le berceau, dès ses premiers pas, l'enfant qui entend des
marques d'affection en bon français fera un bel apprentissage dans cette
langue. S'il vit dans un milieu respectueux de la langue française,
c'est-à-dire un milieu où on possédera et utilisera des
livres de lecture, une grammaire et un dictionnaire français, il fera sa
vie en français d'abord.
De plus, l'école est te prolongement de l'apprentissage de notre
langue. Il revient aux enseignants d'assumer la sauvegarde et le
développement de la langue française. À ce titre, ils
doivent compléter le travail des parents dans tous les apprentissages
des enfants, dont celui de la langue sous toutes ses formes, parlée el
écrite. Donne-t-on vraiment ce goût de bien parler, bien lire au
sein même de nos institutions scolaires? Il y a lieu de s'interroger
sérieusement. Les réformes entreprises depuis plus de 20 ans dans
notre réseau d'éducation n'ont pas toutes donné le
résultat escompté. D'autre pan, dans un rapport de consultation
récent sur la qualité du français écrit et
parlé publié par le ministère de l'Éducation, on
peut lire: "Finalement, en ce qui concerne l'engagement des nouveaux
professeurs, on demande aux commissions scolaires de s'assurer de la
qualité de leur français parlé et écrit, et on
réclame que le ministère de l'Éducation intervienne
auprès des universités pour qu'elles fassent de la maîtrise
du français un critère essentiel pour reconnaître
l'aptitude d'une personne à l'enseignement."
Que voulez-vous? On en est rendu à demander aux commissions
scolaires et aux universités de vérifier si le futur enseignant a
un français impeccable. Pourtant il y a quelques années, ce
critère d'engagement nous semblait inhérent et ne se posait pas
avec autant d'acuité. Il est heureux qu'au gré du
relâchement de la qualité du français dans nos
écoles, on ait senti le besoin de s'assurer d'un moyen de contrôle
et de revenir aux sources. Le système dans son ensemble ne s'en portera
que mieux, M. le Président.
Aussi, j'estime qu'il revient à l'État d'inciter tous les
intervenants du secteur de l'éducation à avoir cette conscience
professionnelle nécessaire et essentielle au maintien et au
développement de la qualité du français dans la
totalité de notre réseau d'enseignement. Les programmes et
mesures annoncés ces derniers mois par le ministre de l'Éducation
sont encourageants, mais le milieu doit assurer sa part de
responsabilité.
M. le Président, en conclusion, qu'il me soit permis
d'espérer que tous les foyers du Québec possèdent des
livres de lecture, la grammaire et le dictionnaire français. Qu'il me
soit permis d'espérer que tous les parents du Québec s'efforcent
de bien donner à leurs enfants ce qu'ils ont eux-mêmes reçu
de leurs parents. Qu'il me soit permis d'espérer que toutes les
écoles du Québec jouent pleinement leur rôle de promotion
de notre belle langue française. Merci, M. le Président.
Le Président (M, Trudel): Merci, M. le
député d'Arthabaska. Je reconnais maintenant M. 'le
député de Taillon.
M. Claude Filion
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. En fait, je
pense que cela prendrait plus d'une interpellation par semaine si on voulait
convaincre le gouvernement de la réalité. Il y a plusieurs mises
au point que je ferai moi-même en conclusion, mais il y en a une que je
ne peux m'empêcher de faire immédiatement, compte tenu du discours
de celui qui m'a précédé. On parle de la qualité du
français à l'école, on parle de l'importance de
l'enseignement du français à nos enfants. Nous sommes d'accord.
Le Conseil supérieur de l'éducation est d'accord également
et tout le monde au Québec réalise qu'en l'absence d'une
volonté ferme et claire du gouvernement libéral, une
volonté exprimée dans l'action, il est impossible, parfois
très difficile au mieux, de faire pénétrer ce message de
qualité du français au Québec à nos propres
francophones. C'est cela, la réalité. (11 h 15)
Le Conseil supérieur de l'éducation, dans l'avis qu'il a
rendu public le 25 novembre et portant sur la qualité ou la
piètre qualité du
français à l'école, rappelait, avec l'Opposition,
dans sa recommandation 7, et je le cite textuellement: "Le Conseil
supérieur de l'éducation rappelle qu'il appartient au
gouvernement du Québec de créer un environnement linguistique et
culturel favorable au français et qu'il est de sa responsabilité
de garantir l'avenir collectif de la langue française au Québec
par un dispositif juridique clair, ferme et respecté." Est-ce assez
clair? Tant que le gouvernement ne fera pas respecter la loi 101, tant qu'il ne
prendra pas les actions qu'il doit prendre maintenant, que nous avons
énumérées tantôt et que nous reprendrons en
conclusion, il est impossible d'envoyer le type de message qu'on envoie
présentement, que la ministre envoie en disant à nos
écoles, à nos commerçants et à toute la population:
Agissez maintenant! Non, la responsabilité première revient
d'abord au gouvernement du Québec et là-dessus je dois vous dire
que l'avenir n'est pas rose.
On connaît déjà les dommages de l'acte
constitutionnel de 1982. On connaît l'imprécision
téméraire de l'entente sur le lac Meech et on a maintenant
à l'horizon le libre-échange. Je voudrais profiter des quelques
minutes qui me restent, M. le Président, pour en glisser un mot.
La survie de la Charte de la langue française est menacée
par la conclusion d'un accord de libre-échange, à moins, bien
entendu, comme nous l'avons dit en Chambre cette semaine, qu'il n'existe des
réserves, des clauses de sauvegarde spécifiques et suffisamment
étanches.
Le ministre du Commerce extérieur a bien voulu tenter de rassurer
les Québécois, mercredi. Le Québec ne signera l'accord que
si la loi 101 est respectée. Mais en relisant la transcription des
propos du ministre, on peut y lire que l'administration de l'entente devra
permettre la protection de la spécificité
québécoise. L'engagement est là, mais il est vague. Il
devra être respecté, car la menace, elle, est sérieuse.
Il ne suffit pas d'avoir confiance en ta capacité des
Québécois à défendre leur langue, encore faut-il
qu'ils aient un minimum de moyens pour le faire. Doit-on répéter
que les pressions des compagnies américaines seraient intenses si jamais
elles venaient à décider que la loi 101 constitue une entrave au
commerce? On a pu constater leur pouvoir de négociation dans le cas du
bois d'oeuvre. Comment pourrions-nous résister à une attaque
concertée à ce sujet? Le droit linguistique et le droit
commercial ont plusieurs points de rencontre. À cet égard bien
des dispositions de ta Charte de la langue française risquent
d'intervenir ou d'influencer directement les principes économiques
menant à la libéralisation des échanges commerciaux.
Bien sûr, l'on songe à prime abord à l'article 51 de
la loi 101 qui prescrit que toute inscription sur un produit, sur un contenant
ou sur son emballage, sur un document ou un objet accompagnant ce produit, y
compris le mode d'emploi et les certificats de garantie doivent être
rédigés en français. Certains commerçants
américains pourraient bien trouver cette obligation carrément
excessive, compte tenu que nous ne formons que 2 % de la population en
Amérique du Nord.
Pourquoi dépenseraient-ils de grosses sommes pour se plier aux
exigences québécoises, alors qu'ils ne le font pas chez eux pour
une communauté hispanophone qui est déjà beaucoup plus
nombreuse que la nôtre?
Autres dispositions qui pourraient être considérées
comme des entraves au commerce: celle affectant les services professionnels. La
question de la fréquentation scolaire risque également
d'être soulevée puisque les enfants des cadres américains
devraient fréquenter l'école française. Une mesure qui
risque d'être fort impopulaire. On pourrait penser également au
programme de francisation. Bref, la liste pourrait s'allonger.
Et vouloir confier à un tribunal issu d'un traité sur le
libre-échange la responsabilité de décider si les droits
linguistiques vont à rencontre des droits commerciaux d'un
traité, c'est placer la souveraineté linguistique du
Québec entre les mains d'un autre tribunal. On connaît
déjà la suprématie des tribunaux canadiens
là-dessus...
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Taillon, il vous reste 30 secondes.
M. Filion: ...et maintenant il faudrait y ajouter la
suprématie d'un tribunal découlant du traité du
libre-échange - je termine là-dessus, M. le Président - et
ce serait également inacceptable de la part du gouvernement
libéral, compte tenu de l'état déjà charcuté
de la loi 101. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Taillon.
Mme la ministre.
Mme Lise Bacon
Mme Bacon: J'aimerais peut-être faire un bilan des aspects
démographiques de la situation du français au Québec en
1987 qui est basé sur une des très récentes études
de Michel Paille du Conseil de la langue française. Les migrations
interprovinciales vers le Québec et hors du Québec ont eu pour
effet de contribuer à l'accroissement de l'importance relative des
francophones. C'est ainsi qu'entre 1981 et 1986, la proportion des
Québécois de langue maternelle française a augmenté
de 82,4 % à près de 83 %. On s'attend à ce que cette
proportion dépasse les 84 % en l'an 2000.
Quant à la langue d'enseignement, depuis l'adoption de la Charte
de ta langue française, la proportion des écoliers non
francophones inscrits aux secteurs d'enseignement de langue française
n'a cessé d'augmenter. En 1976-1977, les allophones n'étaient que
de 20 % étudiant en français. En 1986-1987, la situation
était sensiblement modifiée avec 64 % des allophones au secteur
français.
Si on exclut les Italiens et les Grecs qui ont
conservé des droits acquis, ce sont 80 % des allophones qui font
leurs éludes en français. Quant aux anglophones, ils
étaient 17 700 dont environ 6000 ou 7000 librement au secteur
français. Notons enfin que les francophones qui étaient 31 000
à étudier en anglais au milieu des années soixante-dix
n'étaient plus que de 9500 l'an dernier. Il ne fait aucun doute que la
connaissance du français progresse chez les jeunes des ordres primaire
et secondaire.
Quant à la connaissance du français, cela fait
également partie du progrès dans l'ensemble de la population.
Selon les recensements canadiens, la proportion des Québécois qui
ne peuvent soutenir une conversation en français a diminué de
11,6 % à 7,5 % entre 1971 et 1981. Il faut attendre la publication
complète des données de recensement de 1986 pour vérifier
si cette tendance s'est maintenue au cours de 1981 à 1986. On peut
estimer qu'il y a eu progrès, mais à un rythme un peu plus
lent.
J'en arrive maintenant aux aspects négatifs. À cet
égard, je dois faire ressortir une tendance extrêmement
préoccupante. L'avenir de la population du Québec apparaît
plutôt sombre, essentiellement à cause d'une
fécondité trop faible qui n'assure pas, et de beaucoup, le
remplacement des générations. A fortiori, l'avenir de la
majorité francophone du Québec semble compromis, à moins
que le niveau de fécondité des francophones ne croisse
substantiellement. Actuellement, l'indice de fécondité se situe
entre 1,40 et 1,45 enfant par couple, ce qui est loin d'être le seuil de
2,1 enfants qu'il faudrait pour assurer le renouvellement de la population.
Si la tendance à la baisse se poursuivait encore pour atteindre
1,35 enfant par famille, le nombre de francophones au Québec atteindrait
un maximum de 5 700 000 entre l'an 2001 et 2011 pour décliner sous les 5
000 000 entre 2031 et 2041. Un scénario moins pessimiste montre un
maximum de 6 200 000 atteint entre 2011 et 2021, suivi d'un déclin sous
les 6 000 000 après l'an 2031.
Cependant, ce scénario a été établi dans
l'hypothèse d'une fécondité à la hausse qui aurait
déjà donné un indice de 1,6 enfant depuis l'an dernier si
ce n'est pas le cas. Si les tendances actuelles se maintiennent, le nombre de
francophones en Amérique diminuera inéluctablement.
Que faisons-nous pour remédier à cet état de
choses? Comme tout le monde le sait, le gouvernement étudie en ce moment
la possibilité d'inverser le mouvement en cours par l'implantation d'une
vigoureuse politique familiale. Ce n'est pas ici le lieu de parler de ce
projet, M. le Président, mais je peux vous assurer que le gouvernement
s'est sensibilisé à ce problème et qu'il suit ce dossier
de près.
Un autre facteur négatif qu'il faut mentionner est celui-ci. De
moins en moins d'immigrants connaissent déjà le français
à leur arrivée au Québec. Entre 1981 et 1986, la
proportion des immigrants qui connaissaient déjà le
français à leur arrivée au Québec a
décliné, en passant de 31 % à 21 %, tandis que celle des
ressortissants étrangers qui pouvaient converser en anglais a
augmenté de 19 % à 31 %. C'était entre 1981 et 1986, pour
vous le rappeler.
Depuis, la majorité des allophones qui effectuent un transfert
linguistique optent majoritairement pour l'anglais, sauf quelques groupes
arrivés au Québec plus récemment. Par ailleurs, il faut
aussi reconnaître que le poids de la population québécoise
dans l'ensemble du Canada ne cesse de décroître.
Je n'ai pas à minimiser ici l'aspect négatif de ces
diverses données. Celles-ci parlent d'elles-mêmes. Faut-il encore
savoir les regarder bien en face et en tirer aussi les conclusions qui
s'imposent. L'une de ces conclusions est que le danger qui se présente
au Québec vient beaucoup moins du fait que nous sommes un îlot
francophone dans un océan anglophone que du fait que depuis quelques
années nous semblons vouloir nous condamner nous-mêmes à
une disparition certaine, à plus ou moins brève
échéance. Le temps est venu d'opposer à cette tendance de
mort une réaction de saine vitalité à l'instar de ce
qu'ont fait en ce domaine nos valeureux devanciers. M. le Président, je
pense que notre survie en dépend.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je
reconnais maintenant M. le député de Beauce-Nord.
M. Jean Audet
M. Audet: Merci, M. le Président. La première
condition pour être fiers de notre langue, c'est de nous assurer que nous
disposons d'un outil suffisamment développé et moderne pour la
véhiculer, et cela dans tous les domaines de l'activité humaine.
Si nos parents étaient fiers de parler la langue française ainsi
que l'ont proclamé nos plus éminents écrivains et
penseurs, tels Henri Bourassa et le chanoine Groulx, c'est que cette langue
était en usage dans leur vie de travail, d'abord. Notre grand
défi au Québec, c'est de faire en sorte que la langue
française s'adapte aux nouveaux secteurs de développement
économique et social. Valoriser la francisation au Québec est et
demeurera un pur discours théorique si nous, comme peuple francophone,
n'avons pas cette volonté et cette détermination de parler le
français dans nos milieux de travail respectifs.
Je pense ici particulièrement au secteur de la haute technologie
où la langue d'usage est, à l'échelle internationale,
prioritairement l'anglais. D'ailleurs, à ce sujet, d'autres pays
francophones, comme la France, par exemple, font face aux mêmes
difficultés que nous. Dans un État moderne, dans une
société où tout évolue si rapidement, il faut faire
face aux défis qui se présentent et s'inscrire en
évolution avec elle, sinon les actions entreprises par l'État
risquent d'être rapidement déphasées par rapport aux
réalités.
Notre gouvernement continuera d'agir en
fonction des intérêts de la population
québécoise et de maintenir ce climat de confiance qui a
caractérisé nos deux premières années de pouvoir.
Nous nous engageons à poursuivre nos efforts en vue d'assurer la
prospérité de l'ensemble du Québec, aussi bien sur les
plans social, économique que culturel. Nous poursuivons cet élan
entrepris depuis décembre 1985 en vue d'assurer la paix linguistique au
Québec et d'offrir à toutes tes Québécoises et tous
les Québécois une qualité de vie culturelle.
Malgré les critiques apportées par l'Opposition, notre
gouvernement maintiendra cette confiance acquise auprès de la population
en cherchant à améliorer leur qualité de vie. Cette
qualité de vie à son tour passe par l'amélioration du
climat économique, politique et social au Québec. Des pas
importants ont été franchis depuis le début de notre
mandat. D'autres défis s'offriront à nous et notre intention est
d'y faire face de façon aussi rationnelle que possible. Voilà ce
que j'appelle une orientation claire et précise afin d'assumer nos
responsabilités dans le meilleur intérêt de toute la
population québécoise.
Quant à la protection du visage français au Québec,
je me demande de plus en plus si l'ancien gouvernement a accompli tous ses
devoirs. Il a failli à la tâche à maintes reprises et il a
réussi à masquer ses failles jusqu'à la fin de son mandat.
Nous pourrions citer plusieurs cas. Je crois que la population a parfaitement
compris la ligne d'action de notre gouvernement. Elle a très bien saisi
notre volonté de maintenir et de renforcer le caractère
français au Québec. Somme foute, je suis foin d'être
sûr que l'ancien gouvernement ait assumé ses
responsabilités comme gardien de notre langue, car il y a une
différence énorme entre le fait de proclamer un grand principe,
énoncer des objectifs et tout mettre en oeuvre en vue de les faire
respecter. Plus progresse le débat, moins la sincérité de
l'Opposition me paraît évidente.
C'est dans ce contexte que doivent être saisies les intentions
exprimées par notre gouvernement, soit de vouloir rectifier le tir de la
politique linguistique du Québec et corriger les lacunes de l'ancien
gouvernement. En fin de compte, la population québécoise comprend
la portée de nos intentions et ne s'offusque pas de cet effort de
redressement et de modernisation de l'application de la Charte de la langue
française. Quant au visage français du Québec, le
gouvernement du Québec a maintes fois réitéré son
intention de le renforcer au niveau de la qualité. Mon collègue
d'Arthabaska mentionnait tantôt l'éducation. Je pense que c'est
important de le souligner.
Cependant, la protection et la promotion du français au
Québec ne sauraient être assumées uniquement par le
gouvernement, n'en déplaise au député de Taillon. Ce
dernier pourra créer les conditions favorables à
l'épanouissement du français au Québec - j'entends bien le
gouvernement - dans la mesure où les citoyennes et les citoyens
partageront, à titre individuel, cette responsabilité.
En terminant, M. le Président, je ne citerai qu'un passage
significatif d'un éditorial du quotidien La Presse lors des grands
débats sur le projet de loi 140, par exemple, dans lequel Marcel Adam
constatait: II est donc facile pour le Parti québécois
d'exploiter à son avantage ce sentiment de méfiance envers le
gouvernement en l'accusant de vouloir neutraliser la loi 101 pour mieux
bilinguiser le Québec. Quand on sait que l'ex-gouvernement
péquiste avait lui-même commencé à édenter la
loi 101 pour faire droit aux doléances justifiées des anglophones
et qu'il songeait à lui apporter des amendements -toujours dans le
contexte de la foi 140 -semblables à ceux que projette le gouvernement
libéral. On se dit que c'est de bonne guerre, mais ce n'est pas moins
hypocrite pour autant. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Beauce-Nord. Je cède maintenant la parole
à M. le député de Verchères.
M. Jean-Pierre Charbonneau
M. Charbonneau: Merci, M. le Président. J'aurais
aimé que le député de Beauce-Nord reste sur le sujet que
la ministre a abordé, parce que je pense que c'est un des
problèmes fondamentaux, le problème du défi
démographique qui confronte actuellement le Québec et qui va nous
confronter au cours des prochaines années. D'une certaine façon,
on en arrive au coeur même des raisons pour lesquelles la loi 101 a
été adoptée. C'était la capacité de faire en
sorte que les nouveaux arrivants s'intègrent au Québec
français, aux Canadiens français, aux Québécois
francophones. Quel que soit le terme qu'on utilise, c'était l'objectif
de base, de faire en sorte que les nouveaux arrivants s'intègrent avec
les francophones. (11 h 30)
La ministre nous a donné des chiffres intéressants qui
nous indiquent que maintenant, avec la loi 101, les immigrants, les nouveaux
arrivants, les allophones étudient plus dans les écoles
françaises. Je le constate aussi, mais ce que je constate - la ministre
l'a glissé rapidement dans les aspects négatifs, tantôt -
c'est que cela n'empêche pas ces nouveaux arrivants de devenir des
anglophones, lis deviennent des anglophones bilingues, mais ils deviennent
encore, malheureusement, des anglophones. Quand on regarde les données,
on se rend compte que malgré la loi 101, encore maintenant, après
presque dix ans d'application de la loi 101, les deux tiers des immigrants
choisissent encore l'anglais après leur langue maternelle comme premier
choix.
Donc, faisons attention. Dans les chiffres, on a l'impression... Cela
sécurise beaucoup les francophones et les médias que d'entendre
dire et de constater dans les données que oui, maintenant avec la loi
101, les immigrants vont à l'école française. La
réalité, c'est qu'ils vont à l'école
française de plus en plus, mais qu'ils continuent de s'intégrer
et de s'assimiler aux
anglophones. Ils deviennent, maintenant plus qu'auparavant, des
anglophones bilingues, mais ils continuent de lire La Gazette
plutôt que La Presse, ou Le Devoir ou Le Soleil.
Ils continuent d'écouter les médias électroniques en
anglais d'abord; ils continuent de participer à la culture anglo-saxonne
nord-américaine et canadienne-anglaise. C'est cela, la
réalité qui actuellement nous confronte. Le drame, d'une certaine
façon, c'est le message que le gouvernement donne à ces
gens-là.
Le premier ministre a reconnu - je l'ai indiqué tantôt dans
ma première intervention -qu'il fallait que le message soft clair. Il
l'a reconnu après s'être livré lui-même en spectacle
dans une espèce de valse-hésitation. La solution, Mme la
ministre, ce n'est pas uniquement de dire aux Canadiens-français et aux
Québécois: Faites des enfants. Comme le disait un
évêque, la semaine dernière, qui présidait la
cérémonie religieuse pour la réhabilitation des Patriotes
à l'occasion du 150e anniversaire, si on ne fait pas attention, dans 75
ans, il y aura une majorité de Québécois qui ne sera plus
d'origine canadienne-française, mais de tout autre origine. Ce n'est pas
un drame en soi que les Québécois viennent d'autres origines. Ce
qui serait un drame, c'est que ces Québécois finissent par ne
plus être des Québécois francophones.
L'objectif de la loi 101 et l'objectif qu'on avait, qu'on doit avoir, ce
n'est pas d'avoir plus de gens bilingues au Québec, plus d'anglophones
bilingues, plus d'immigrants bilingues qui sont capables de nous parler en
français et de s'adresser à nous en français, ce qu'on
veut, c'est que ces gens-là, quand ils viennent au Québec,
choisissent de s'intégrer à la communauté francophone,
qu'ils choisissent de devenir des Québécois francophones, qu'ils
choisissent de faire, comme le ministre de l'Éducation, comme l'ancien
chef du Parti québécois, comme des gens d'origine irlandaise,
comme le député qui est devant nous, d'origine irlandaise, qu'ils
choisissent de devenir francophones. C'est important, cela est fondamental.
Les faits qui ont amené l'adoption de la loi 101 existent
toujours et la situation sur le terrain n'a pas sensiblement
évolué. Cela, ce n'est pas le Parti québécois qui
le dit, ce ne sont pas les députés péquistes qui le
disent, c'est le gouvernement du Québec qui est devant nous qui le dit
dans sa présentation, dans son mémoire à la Cour
suprême. Le drame, c'est qu'une fois qu'on a dit cela, le premier
ministre continue de véhiculer aux immigrants et aux anglophones de
Montréal et de la région le fait qu'il a fait appel à la
Cour suprême, non pas pour des raisons de conviction, mais pour des
raisons techniques. Encore là, un double langage, alors que les faits
militent pour une consolidation des acquis comme la ministre l'a dit
tantôt. Le premier ministre, techniquement, nous dit: C'est vrai qu'il
faut aller à la Cour suprême, mais il n'a pas de conviction. Le
drame -les nouveaux arrivants comprennent cela - c'est que le gouvernement
n'est pas en amour avec la langue française; il n'est pas en amour avec
la francisation du Québec. Il le fait par approche d'obligation. Les
sondages l'amènent à changer son opinion. À un moment
donné, on est pour l'approche du bilinguisme et à un autre moment
donné, parce que les sondages nous indiquent que les francophones
deviennent plus conscients, on change son fusil d'épaule, et on est
obligés de naviguer entre l'opinion qu'on donne aux francophones et
celle qu'on donne aux anglophones.
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Verchères, vous avez dépassé de 30 secondes.
M. Charbonneau: C'est cela, M. le Président, que la
ministre devrait reprendre comme argumentation.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Verchères. Je reconnais maintenant Mme la
ministre des Affaires culturelles.
Mme Lise Bacon
Mme Bacon: M. le Président, j'ai déjà fait
ressortir cette tendance bien connue - on va continuer sur le même sujet
- des immigrants non francophones au Québec à s'intégrer
à la minorité anglophone, laquelle, il est vrai, fait partie de
l'immense majorité anglophone du reste du Canada et de l'Amérique
du Nord. On est quand même pas tout seul. Je ne sache pas qu'il y ait un
facteur plus susceptible de nous aider à inverser cette tendance, qu'il
faut bien qualifier de tragique pour nous, qu'un effort conscient et accru de
la part de la population francophone pour améliorer la qualité de
sa langue écrite et de sa langue parlée. J'ai eu l'occasion de
traiter de ce thème dans le passé. J'y reviens, car je le
considère de toute première importance pour la survie de notre
langue et de notre culture en cette partie du monde. Et non seulement, M. le
député - M. le Président, par votre intermédiaire -
nous sommes en amour avec le français, mais nous faisons aussi l'amour
au français.
Ce concept d'excellence, M. le Président, c'est celui d'une
langue d'usage de qualité au Québec, non dans le sens restrictif
où on en parlait il y a encore quelques années, à savoir
de tenir une langue châtiée dans les salons, mais bien une langue
française capable de traduire ce que nous ressentons, ce que nous vivons
quotidiennement au travail comme à la maison.
La première condition pour être fiers de notre langue,
c'est de nous assurer que nous disposons d'un outil suffisamment
développé et moderne, capable de véhiculer notre
pensée et cela, dans tous les domaines de l'activité humaine. Si
nos parents étaient fiers de parler la langue française ainsi que
l'ont proclamé nos plus éminents écrivains et penseurs,
tels les Henri Bourassa, Chanoine Groulx ou plus récemment les
Félix-Antoine Savard, c'est que cette langue était leur langue
d'usage dans leur vie de travail d'abord. Notre grand défi au
Québec, c'est de faire en sorte que fa langue française s'adapte
au
nouveau secteur de développement économique et social.
Valoriser la francisation au Québec est et demeurera un pur
discours théorique si nous, comme peuple francophone, n'avons pas cette
volonté et cette détermination de parler français dans nos
milieux de travail respectifs. Je pense ici plus particulièrement au
secteur de la haute technologie où la langue d'usage est, à
l'échelle internationale, prioritairement l'anglais. D'ailleurs,
à ce sujet, les autres pays francophones, dont la France, rencontrent
les mêmes difficultés que nous et ont mis en oeuvre des actions
destinées à remédier à cet état de choses.
Nous devons, nous aussi, réfléchir à ce que nous pouvons
entreprendre en ce domaine.
N'oublions pas que la langue, telle que nous la parlons et
l'écrivons, est le symptôme ou mieux encore l'indice de notre
culture, de notre niveau de culture et de civilisation. Cela peut-il nous
laisser indifférents, M. le Président? Si nous voulons que les
autres respectent notre langue, il faut d'abord que nous-mêmes,
francophones, manifestions pour elle tout le respect qui lui est dû. On
ne peut exiger des autres un respect que nous n'avons pas nous-mêmes.
Vous me permettrez à cet égard d'ajouter quelques
considérations sur la nature de notre société et le
rôle que peuvent et doivent jouer nos créateurs et artistes pour
affermir et fortifier notre identité québécoise.
Je dirai d'abord que le Québec n'est pas une
société multiculturelle où l'une ou l'autre culture, la
française et l'anglaise, ou une troisième, quatrième et
cinquième culture coexistent égalitairement. Le Québec est
de culture française et l'impact de l'immigration provoquera certes une
synthèse nouvelle, mais nécessairement à saveur
française, M. le Président, puisqu'il est raisonnable d'affirmer
que la majorité francophone continuera de former la trame de fond de ce
territoire. Voilà, M. le Président, une première
observation.
Une deuxième est que cette trame sera d'autant plus forte que nos
artistes et créateurs sauront conserver, actualiser dans leur production
les valeurs qui ont fait du Québec une société distincte
depuis ses origines. Ce sont eux qui peuvent, en bonne partie, nous donner
cette spécificité qui est le fondement même de nos
relations avec le reste du Canada et de l'Amérique du Nord. Ce sont eux
en bonne partie qui peuvent aider notre société à se poser
dans l'existence fièrement et sereinement à la fois, en nous
révélant à nous-mêmes notre propre identité,
en nous dévoilant les raisons que nous avons de croire à la
noblesse de nos origines, à la grandeur de notre destin en cette terre
d'Amérique.
Troisième observation enfin: que l'État a le rôle de
procurer aux créateurs et artistes la sécurité
nécessaire à cette expression de notre identité dans le
respect des principes d'une démocratie ouverte aux autres cultures
implantées ici par l'effet de l'immigration ou pénétrant
notre marché par effet d'accès libre aux produits culturels
étrangers.
En d'autres mots, notre culture n'est pas figée dans le temps et
dans l'espace, c'est un fleuve qui continue de couler vers cette mer de la
civilisation universelle dont parle le président Senghor et charriant
avec lui les très riches apports des diverses cultures
représentées au Québec.
Voilà, M. le Président, ce que j'entends par un
Québec francophone, certes qui le restera, mais ouvert également
sur tous les horizons culturels, généreux, accueillant, en
même temps profondément humain.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je
reconnais maintenant M. le député de Vanier.
M. Jean-Guy Lemieux
M. Lemieux: Merci, M. le Président. M. le
député de Verchères a élevé d'un certain ton
le débat lorsqu'il a fait état de la pérennité de
notre collectivité. Permettez-moi de lui dire que, si je le suis dans
ses prémisses, je ne le suis point dans ses conclusions.
Nous savons que la Charte de la langue française stipule
qu'effectivement la langue d'affichage commercial est exclusivement en
français et notre volonté là-dessus est claire. Elle est
nette et précise. C'est le respect intégral de la loi 101. C'est
le maintien de l'article 58 de la Charte de la langue française.
Sans anicroche, je tiens à le préciser, parce que vous
devez comprendre que derrière la symbolique de l'affichage, c'est la
terrible question de la pérennité de la collectivité
francophone, ici au Québec et ailleurs qui nourrit une certaine crainte
et insécurité.
De plus, on doit comprendre que la vulnérabilité
linguistique de la collectivité francophone en Amérique du Nord
impose encore au gouvernement des mesures qui risquent, il est vrai, de porter
atteinte - je vais en parler des droits de la minorité - aux droits
d'expression de la minorité anglophone du Québec dans la
minorité francophone du Canada.
Mais encore là, M. le Président, l'effet recherché
de l'article 58 de la loi 101 est de donner un visage davantage et toujours de
façon continue aux villes, à Québec et
particulièrement à Montréal. Pour nous, la
légitimité de cet objectif ne fait aucun doute et c'est dans cet
esprit que nous voulons envisager notre avenir ensemble.
Nous devons et nous devrons - je tiens à le dire au
député de Taillon et au député de Verchères
- toujours nous battre pour conserver notre spécificité
culturelle. Comment 6 000 000 de francophones baignant dans un univers
anglophone nord-américain de plus en plus dense et envahissant,
notamment avec la perspective du libre-échange économique,
survivront-ils comme entité culturelle distincte?
Pour terminer, M. le Président, j'aimerais faire cette
réflexion, à savoir qu'on peut réussir à la fois au
Québec et ailleurs en français. De plus, il me semble important
de dire, contrairement à ce
que prétendait tout à l'heure, d'une manière
très chauviniste, le député de Lac-Saint-Jean, qu'au Parti
libéral du Québec ce ne sont pas les anglophones qui sont au
pouvoir.
Voilà des remarques, à mon avis, d'une nature
extrêmement mesquine et il me semble important de dire que la
minorité anglophone ne doit surtout pas faire l'erreur de croire qu'elle
est au pouvoir au Québec - elle y participe - et d'exiger des
amendements à la loi 101 qui dépasseraient ce que la
majorité des Québécois est prête à lui
accorder.
Nous avons déjà supprimé certains de ces irritants,
grâce à la foi 142, services sociaux en anglais pour les
anglophones, et grâce au règlement de l'affaire des
élèves dits illégaux dans les écoles de langue
anglaise. Mais je crois qu'on ne peut pas assimiler la question de l'affichage
à une simple disposition irritante. Elle est fondamentale pour nous,
francophones, parce qu'elle touche au visage de Montréal et qu'il est
nécessaire de conserver à Montréal son vrai visage
français.
La langue d'affichage est plus que symbolique et le respect du fait
français demeurera toujours. Pour moi qui suis membre du Parti
libéral du Québec et pour notre parti, notre priorité est
au-delà - je tiens à le préciser - de la partisanerie
politique. Je tiens à dire aux députés de Verchères
et de Taillon qu'à l'intérieur du Parti libéral du
Québec, les Lemieux, les Audet, les Vachon, les Després, les
Poulin, les Trudel, les Tremblay, les Bacon ont tout autant d'influence, tout
autant de respect que les Ciaccia, Lincoln, Marx, Polak et Assad. Je tiens
à vous le préciser, parce que cela me paraît
extrêmement important.
J'ai aussi pris connaissance du mémoire du Procureur
général et j'en suis fier. Je suis fier que ce soit le
gouvernement du Parti libéral qui ait écrit ce mémoire
mettant ainsi en évidence l'importance du fait français au
Québec et la survie d'une collectivité. Je vous remercie, M. le
Président. (11 h 45)
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Vanier. Je reconnais maintenant M. le
député de Taillon.
M. Claude Filion
M. Filion: Seulement quelques mots pour rappeler au
député de Vanier qu'il serait peut-être intéressant
qu'il consulte les déclarations de son chef, le premier ministre, qui
disait pas plus tard que le 28 octobre 1987, en Chambre: "Le programme du Parti
libéral est bien connu, et c'est l'objectif du gouvernement. Il nous
faut trouver cette formule qui tient compte des objectifs ayant trait à
notre responsabilité vis-à-vis de la collectivité
francophone en Amérique du Nord et au principe des libertés
individuelles." Ce n'est pas exactement ce qu'il vient de dire.
Deuxièmement, la ministre responsable de la loi 101 nous fait une
belle déclaration aujourd'hui. Elle nous dit: Je fais l'amour à
la langue française. Je vais vous dire, Mme la ministre, que vous
n'êtes pas exhibitionniste. Pour le moins, on peut dire que c'est
très discret. On pourrait même dire que vous faites l'amour
à l'anglaise. Je me demande si la langue française
s'aperçoit que vous lui faites l'amour. Il serait peut-être bon,
si vous aimez la langue française au point de lui faire l'amour - on
n'en demande pas tant mais on voudrait bien que cela paraisse un petit
peu quand même, parce que c'est un peu discret.
Je voudrais aborder rapidement trois conséquences de la conduite
du gouvernement du Parti libéral dans le dossier linguistique. Ce sont
des conséquences plus discrètes mais combien plus importantes. La
première vient réfuter un argument que la ministre responsable de
la loi 101 utilise abondamment et qui pourtant ne résiste pas à
l'analyse. Lorsque la ministre soutient que la Commission de protection de la
langue française doit adopter une attitude positive, une attitude de
sensibilisation et de prévention, et non utiliser la peur comme moyen de
persuasion, elle a entièrement raison, mais dans un contexte de
volonté et d'action politiques seulement. La difficulté, à
l'heure actuelle, réside dans le fait que le travail des
commissaires-enquêteurs est affecté dès l'instant où
il plane un doute sur l'applicabilité de la loi.
À titre d'exemple, lorsque le ministre de la Justice se rend, le
dimanche soir, dans des assemblées dans le West Island, à
Westmount ou à Notre-Dame-de-Grâce, il dit: Ne vous
inquiétez pas. Le programme du Parti libéral, tel que le premier
ministre le définit et non le député de Vanier, sera
appliqué. Le programme du Parti libéral contient des mentions sur
l'affichage bilingue. Pour convaincre quelqu'un, il faut bien un minimum
d'arguments. Comment peut-on espérer qu'un commerçant, à
la suite d'une visite d'un commissaire-enquêteur de la Commission de
protection de la langue française, par exemple, modifie une affiche le
lendemain de la déclaration du ministre de la Justice? Bien sûr,
c'est un geste - celui de changer une affiche - qui lui coûterait de 10
000 $ à 15 000 $. Pour lui, la loi est un mauvais souvenir.
L'affichage a une valeur extrêmement symbolique. Lorsqu'on parle
d'affiche bilingue, pour bien des gens, c'est secondaire. Écoutez, il y
a un petit peu de français, pourquoi vous plaignez-vous? Non. Dans une
affiche bilingue, le message que l'on envoie à la population est le
suivant. D'abord, le message que l'on envoie aux immigrants, lorsque c'est
écrit "Serveuse demandée" ou "Waitress Wanted", sur une pancarte,
le message à l'immigrant, c'est: Pourquoi tu te forcerais à
apprendre le français alors que tu vis dans un contexte culturel
anglophone, celui de l'Amérique du Nord, et que de toute façon tu
vas retrouver l'anglais comme expressions possibles?
Le message qu'on envoie à la communauté anglophone, avec
une affiche bilingue, est le suivant: Pourquoi apprendre le français? Ta
langue sera sur la pancarte. Troisièmement - il y a pire - le message
qu'on envoie à la communauté francophone lorsqu'on permet, comme
le fait le
gouvernement libéral, l'affichage bilingue, c'est: Pourquoi vous
plaignez-vous? Votre petit dialecte est sur la pancarte, mais la vraie langue
du Québec et de l'Amérique du Nord est là, Nous vous
disons: Non à l'affichage unilingue, non à l'affichage bilingue.
Le message, je pense, est suffisamment pervers de la part du gouvernement
depuis deux ans pour qu'il décide immédiatement de retirer, sans
ambages, clairement, purement et simplement toute promesse qu'il aurait pu
faire pour gagner quelques heures de pouvoir, comme l'a si bien dit notre
poète national, Félix Leclerc, lorsqu'il a écrit un
poème sur la loi 101, dont je vais lire le dernier paragraphe à
Mme la ministre. J'espère qu'elle aura une capacité amoureuse
vis-à-vis de ces vers de notre grand poète. Il termine son
poème sur ta toi 101 de la façon suivante: "Est-ce que tout
serait à recommencer à cause de quelques magasiniers qui
échangent, trafiquent, vendent trois siècles d'histoire pour
quelques heures de pouvoir?" Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Taillon. Maintenant, il reste vingt minutes et je
cède la parole à Mme la ministre pour sa dernière
intervention de dix minutes.
Conclusions
Mme Lise Bacon
Mme Bacon: Merci, M. le Président. En terminant le
débat aujourd'hui, une attitude positive de ma part m'incite à
croire que l'avenir du français au Québec est plus prometteur que
jamais. Loin de déceler un recul de notre langue, je perçois
plutôt que de nets progrès ont été
réalisés dans tous les secteurs d'activité de notre
société. Pour bien saisir la portée de ce constat, il faut
faire preuve un tant soit peu d'objectivité. Il faut donc garder
à l'esprit que des dix provinces du Canada le Québec est la seule
dont la population est majoritairement francophone à plus de 80 %. Par
ailleurs, la population du Québec, soit plus de 6 000 000 de citoyens,
représente le quart de la population totale du Canada, qui est
majoritairement anglophone.
Dans un tel contexte géolinguistique, on ne se surprendra
guère des obstacles qui persisteront quant à l'avenir du
français au Québec. Je pense qu'il y aura toujours, bon
gré mal gré, des variables, des conjonctures tantôt
prévisibles, tantôt imprévisibles qui pourraient toujours
menacer le raffermissement de l'état de notre situation linguistique.
Pourtant, il n'y a pas tieu de se décourager ou de paniquer face
à cet état de tait La détermination du Québec
à promouvoir sa spécificité, à affirmer le fait
français qui le caractérise découle d'une bonne
compréhension des tendances présentes et futures qui se
profileront dans notre société et contribueront à
éclairer ceux et celles qui dirigent le gouvernement afin que des
mesures correctrices efficaces et justes soient prises à temps pour
endiguer toute menace à la survie et à la promotion de la langue
française dans notre société.
Qu'il s'agisse ici de faire un simple rappel historique - j'emprunte ici
les paroles de l'ancien président du Conseil de la langue
française - cette Amérique qui s'appelait autrefois la
Nouvelle-France et qui fut conquise par l'Angleterre en 1760 a poursuivi
pendant plus de 200 ans, à la fois à travers les mouvements
patriotiques et tes luttes parlementaires et constitutionnelles, un long et
pénible cheminement d'affirmation de soi, marqué par une
allégeance têtue à la langue et à la culture de ses
origines.
Ce n'est pas vers les années soixante, dans le maillon du
mouvement industriel, de même qu'à la faveur du mouvement de
concentration urbaine de l'après-guerre que se concrétisera peu
à peu un regroupement et une des énergies vives de la
majorité francophone. Cette affirmation bien présente dans la
société québécoise ne cessera de se poursuivre
depuis la révolution tranquille jusqu'à aujourd'hui.
Donc, des obstacles subsisteront dans la démarche d'affirmation
de la majorité francophone, mais le défi à relever ne part
pas d'aussi loin qu'autrefois. Comme nous l'avons souligné au cours de
ce débat, la situation demeurera toujours précaire par son
essence même, mais la consolidation de l'état du français
au Québec doit maintenant être axée sur la qualité.
Déjà, des efforts en ce sens sont bel et bien entrepris. Le
visage du français au Québec n'est pas menacé comme le
souhaiterait peut-être l'Opposition.
Enfin, il est incontestable que la situation du français au
Québec et plus spécialement son visage fait l'objet d'une
surveillance plus étroite en 1987 qu'au cours de la période
1977-1985. On peut y voir là une coïncidence dans le temps ou un
degré de concrétisation plus grand de la part de certains groupes
de citoyens. Le gouvernement actuel peut aisément vivre avec une telle
situation et apporter les correctifs nécessaires dans les cas où
les plaintes rapportées sont véritablement fondées.
Le visage du Québec français ne s'en portera que mieux.
Mais encore là, tout ce processus d'observation, d'enquête, de
traitement de plaintes doit être placé dans son véritable
contexte comme je le faisais ce matin en démystifiant certaines
réalités chiffrées. Et je continuerai à le faire
dans l'avenir afin de situer dans sa juste perspective l'état du
français au Québec car il ne faut rien cacher aux citoyens, il ne
faut pas les charrier non plus.
Finalement, j'estime que cette conscience linguistique devra se
perpétuer chez les jeunes du Québec. Il n'en reste pas moins que
cet engouement des jeunes pour des valeurs plus individuelles, plus proches de
leur vie personnelle, doit inclure cette volonté de maintenir une langue
de qualité au Québec. Ajoutons à cela que certaines
études ont démontré que les jeunes Québécois
s'abreuvent largement et librement à la culture anglo-américaine
par les moyens de ta musique, du cinéma et de la
télévision.
It n'est certes pas question pour l'État de réglementer de
façon outrancière cette circulation des idées et de la
culture en général, mais nous devons veiller collectivement
à ce que leur environnement familial et scolaire puisse favoriser
l'épanouissement du fait français au Québec et leur faire
sentir notre précarité comme société distincte.
Par ailleurs, l'avenir de la langue française au Québec
semble être caractérisé par certaines attitudes. Parmi
celles-ci se classe au premier rang cette conscience linguistique de la
majorité francophone à laquelle nous faisions allusion plus
tôt et qui n'est pas près de s'éteindre, heureusement.
Je citerai également en corollaire cette volonté
d'affirmer ce fait français au Québec par le biais notamment de
diverses activités culturelles. À titre d'exemple, je ne
mentionnerai que la tenue de la Semaine de ta chanson française d'ici
qui a constitué un événement culturel majeur au
Québec. Voilà une réalité bien de chez nous qui
démontre clairement le dynamisme du français au Québec
vécu dans sa quotidienneté, vécu dans divers modes
d'expression comme la chanson et cela a été fait sous le
gouvernement libéral.
Ai-je besoin de rappeler que, dans le cadre de cet
événement, les diffuseurs ont accordé une place
prédominante à la chanson d'ici dans leur programmation et que,
selon un sondage, 32 % des répondants estimaient que la tenue de la
Semaine de la chanson leur avait permis de découvrir des chansons qu'ils
ne connaissaient même pas?
Enfin, le présent gouvernement du Québec considère
comme nocif le simple réflexe de se replier sur soi en matière
linguistique et culturelle en général. C'est pourquoi il
n'hésite pas à se tourner vers les autres membres de la
francophonie pour y trouver cette source d'inspiration, d'échanges, de
concertation avec d'autres parties du monde qui ont à coeur
l'épanouissement de la langue française.
Nous pouvons affirmer sans nous tromper que la vitalité et la
bonne santé de la langue française dans un Québec ouvert
se développeront au niveau géopolitique de ta francophonie
entière.
Souvenons-nous que la langue française est parlée par au
moins 100 000 000 de personnes et qu'il existe encore 150 000 000 à 200
000 000 d'individus qui l'utilisent comme langue seconde. Nous avons là
un potentiel extraordinaire dont le Québec ne peut se passer.
Je m'en voudrais de ne pas parler de la Commission de toponymie, M. le
Président, instituée dans sa forme actuelle par la charte. Depuis
cette date, la toponymie du Québec s'est progressivement
consolidée. Elle a acquis un degré de cohérence
relativement élevé tout en conservant sa personnalité
propre faite de variété et d'originalité, qualités
fondamentales que la commission a aussi mission de protéger.
La Commission de toponymie a à son actif plusieurs publications.
Qu'il me suffise de mentionner la parution l'été dernier de trois
grands ouvrages: Guide toponymlque du Québec, Guide odonymlque du
Québec ainsi que le Répertoire toponymlque comprenant plus
de 100 000 noms géographiques officiels au Québec. En 1969, les
noms français des lieux officiels totalisaient 19 332, alors que le
nombre total aujourd'hui est de 93 573.
La Commission de toponymie du Québec a une réputation
telle qu'elle s'étend bien au-delà de nos frontières. En
effet, lors de la participation des 53 pays à la cinquième
Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms
géographiques, c'est son président, M. Henri Dorion qui a
été élu président du groupe d'experts des Nations
Unies sur les noms géographiques.
Donc, M. le Président, le français n'affiche pas un recul
comme le prétend l'Opposition. Le défi de la langue
française est universel. Il faut y répondre par des moyens
appropriés. Au Québec comme ailleurs dans le monde de la
francophonie, nous devons tendre à un meilleur aménagement
linguistique sans pour autant diviser la société et d'autres
groupes culturels et ethniques qui côtoient la majorité
francophone.
Par contre, tous et toutes doivent comprendre qu'au Québec un
mouvement sans retour s'est effectué vers le fait français,
situation consacrée par la mise en place de lois contraignantes,
à certains égards, mais non moins respectueuses de la protection
des droits et libertés des individus et groupes d'individus. Certaines
certitudes que nous avons identifiées, telles les tendances historiques,
la résistance de la majorité francophone, et cette volonté
d'affirmation viennent jusqu'à un certain point consolider le fait
français au Québec. Pour l'avenir, il serait essentiel que cette
motivation de la majorité francophone soit nourrie, soit
alimentée et relancée sans cesse en vue de l'amélioration
de la qualité du français au Québec.
M. le Président, oui, ça prendrait beaucoup plus qu'une
interpellation pour faire comprendre à l'Opposition que sa façon
d'exercer aujourd'hui son droit de parole nous rappelle drôlement des
anciennes discussions, des anciens discours que nous avons entendus dans les
années soixante-dix et qui n'ont pas leur place en 1987.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je
cède maintenant la parole à M. le député de Taillon
pour sa dernière intervention de dix minutes.
M. Claude Filion
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. C'est un peu
comme je le disais au tout début de cette interpellation. Je pense que
la ministre va finir par être la seule à croire qu'il n'y a pas de
problème au Québec. J'aurais espéré ouvrir les yeux
de la ministre, mais à écouter les termes de sa conclusion,
malheureusement, je dois baisser pavillon devant un aveuglement sans pareil. En
ce qui concerne les chiffres, 30 secondes, pas plus, on aura l'occasion d'y
revenir. La ministre nous dit: La commission a bel et bien
reçu 10 000 demandes; il y a du dédoublement, etc.; il
faudrait voir. Mais il y en a 1215, Mais elle n'a pas parlé des 2800 qui
étaient déjà inscrites à la Commission de
protection de la langue française. C'est uniquement - je tiens à
le préciser pour ceux qui nous écoutent - depuis avril 1987. Les
chiffres pour l'année précédente sont contenus dans le
rapport de la Commission de protection de la langue française, qui font
autorité dans ce domaine.
M. le Président, dans cette conclusion, je voudrais signaler
ceci. Il apparaît maintenant clair que toute l'argumentation, le
schéma de la ministre est basé sur le rapport Gamma qui avait
été commandé par le Conseil de la langue française.
Ils ont dit essentiellement: Écoutez, il faut faire confiance à
la francophonie créatrice. La ministre faisait même allusion, il y
a quelques minutes, à la francophonie internationale. Il faut laisser la
force du français jouer et on va se sentir en toute
sécurité.
J'aimerais porter à l'attention du gouvernement libéral et
à l'attention de la ministre qu'un avis subséquent du Conseil de
la langue française a démoli de A à 2 le schéma, la
prospective du rapport Gamma. Pour ne citer que le sociologue André
Bernard, dans ce rapport, page 46: Le scénario souhaitable du point de
vue des francophones francophiles, un Québec français et
prospère, ne peut être produit autrement que par la volonté
politique des législateurs québécois. Laisser l'avenir aux
forces du marché, se contenter de mesures incitatives, comme le
suggère le président de l'Institut Gamma, c'est donner libre
cours aux tendances contraires aux intérêts des francophones
d'aujourd'hui considérés collectivement. C'est l'étude de
l'Institut Gamma, ce n'est pas moi qui parle, c'est André Bernard,
professeur en sciences politiques à l'Université du
Québec.
Également, pour venir contrer cette espèce de vague de
fond chez la ministre dans ses réponses en Chambre depuis deux ans, M.
Hubert Guindon, sociologue à l'Université Concordia, ce qui
étonne dans un des chapitres du rapport Gamma et dans l'ensemble, au
diapason de la réalité, c'est qu'il servira de tremplin au
scénario privilégié par le rapport, celui de la
francophonie créatrice où principalement le français au
Québec sera sauvé par une vibrante francophonie mondiale, les
immigrants, purement incités à devenir francophones. Or, les
immigrants et les anglophones ne sont jamais devenus bilingues comme groupe,
à moins d'y avoir été contraints. On nous demande de
croire, maintenant, que les contraintes enlevées, ils le deviendront
avec enthousiasme. Je ne connais pas de tendance lourde, voire même
légère qui appuie cette prétention. Au contraire, l'auteur
admet que la loi 101 a été nécessaire pour astreindre les
immigrants à s'intégrer, par l'école française,
à la société concrète dans laquelle ils venaient
vivre.
Il serait peut-être bon que la ministre change son fusil
d'épaule et se range à l'opinion majoritaire des observateurs et
des analystes en ce qui concerne la situation linguistique au
Québec. D'abord, cela aidera peut-être à mettre un
peu de confusion dans l'ambiguïté du message libéral bien
défini par mon collègue, le député de
Lac-Saint-Jean. Ce message libéral ambigu, confus, contribue à
accélérer le mouvement d'anglicisation. En effet, qu'a fait le
gouvernement pour contrer ce mouvement d'anglicisation? Rien. D'abord, rien
pour convaincre les immigrants de s'assimiler à la communauté
francophone, comme l'a bien souligné tantôt mon collègue,
le député de Verchères, et je ne reprendrai pas son
argumentation.
Du bout des lèvres, te premier ministre explique, sans trop de
conviction, que la loi 101 demeure applicable puisque le jugement de ta Cour
d'appel est porté devant la Cour suprême. Évidemment, il se
garde bien d'avoir le mordant nécessaire pour infléchir la
tendance actuelle. On risquerait ainsi de mettre en péril la campagne de
financement où vont les différents ministres du gouvernement
libéral, notamment le ministre de la Justice lorsqu'il parlait à
un électorat anglophone de l'ouest de l'île de Montréal.
Bien entendu, on diminue, non pas de trois, mais de quatre, en proportion, le
nombre de poursuites entreprises par le Procureur général. Ne pas
faire respecter la loi 101, comme avait commencé à le souligner
tantôt un député libéral, un peu malhabilement, en
prenant l'exemple du Code la route, cela équivaudrait... Par exemple, on
poursuit les gens qui passent sur les feux rouges. Laisser passer huit
contrevenants sur un feu rouge, si une partie de la population pouvait passer
sur un feu rouge, cela n'aurait aucun sens. Actuellement, ce que fait le
gouvernement libéral en permettant le flot de
désobéissances équivaut à permettre à une
minorité de passer au feu rouge. On sait quelle sorte de circulation
cela nous donnerait.
Qu'a fait le gouvernement libéral alors que le nombre
d'enquêtes était à la hausse? De l'aveu même de la
ministre, elle a décidé de couper le budget de 3 %. De 1 372 000
$ à 1 328 000 $ en 1986-1987 et ce, même au plus fort de la crise
économique, le gouvernement du Parti québécois avait
augmenté les budgets de la Commission de protection de la langue.
Aujourd'hui, selon les dires du ministre des Finances, nous sommes en
période de vaches grasses, mais la langue, pour ce gouvernement, semble
passer après Blue Bonnets.
La situation est exactement la même pour les effectifs. Depuis que
le gouvernement libéral est au pouvoir, le personnel oeuvrant à
la commission a chuté de 10 %. En 1985-1986, 35,3 % et en 1986-1987,
31,8 %. Face à un problème sérieux de
désobéissance civile, le gouvernement continue de jouer à
l'autruche. Aujourd'hui, la ministre s'en lave les mains, demain elle accuse
les citoyens de trop porter plainte et te surlendemain elle invite les
mêmes citoyens à porter plainte.
Bref, le gouvernement semble, pour l'instant, être le seul
à ne pas savoir que chaque jour l'anglais gagne du terrain au
Québec, que chaque jour une nouvelle pancarte unilingue apparaît
sur un visage français déjà mutilé, que
chaque jour la publicité et le service au Québec
s'anglicisent. Plutôt que de s'attaquer au problème de Iront, ta
ministre se réfugie derrière un maigre prix de consolation pour
les Québécois. La Commission de protection de la langue
française sera dotée d'ordinateurs afin d'augmenter
l'efficacité et le nombre de plaintes traitées. C'est là,
comme on dit chez nous, manquer complètement le bateau.
Ce qui est important, ce que la population réclame, ce n'est pas
que la commission puisse traiter 10-000, 20 000 ou 30 000 plaintes avec le
meilleur ordinateur au Québec. Ce que la population du Québec
réclame, comme l'Opposition, c'est que le nombre de plaintes, à
la suite d'un changement radical de la part du gouvernement, revienne à
un niveau acceptable parce que la loi est respectée.
Entre nous, Mme la ministre, l'informatisation et l'utilisation de
fichiers électroniques relèvent beaucoup plus de services secrets
ou d'une police de la langue. Ce que réclame l'Opposition, au nom de la
population du Québec, c'est une volonté politique claire et nette
de voir une langue s'appliquer. Étant donné le recul, en termes
de langue de service, de langue d'affichage, de langue d'administration
gouvernementale, de langue du travail, de langue d'éducation sur tous
les fronts, il est plus qu'urgent que le gouvernement adopte dès
maintenant, avant peut-être de renforcer la loi 101, les mesures
suivantes.
Premièrement, il est impérieux que le gouvernement
libéral du Québec, s'il tient à la survie de la
collectivité française, injecte les ressources humaines et
financières au sein de tous les organismes chargés de
protéger et de promouvoir la langue française de façon
à ce que ceux-ci puissent intervenir efficacement et dans un minimum de
temps.
Deuxièmement, et plus important encore, pour que cette injection
soit efficace, elle doit nécessairement être combinée avec
un retrait pur et simple, sans ambages, de la promesse libérale de
modifier ta loi 101. Par voie de conséquence, comme je le disais
tantôt et je le répète, la ministre doit démanteler
dès maintenant le comité des douze chargé de trouver une
solution qui n'existe pas, mais qui sème la confusion et qui contribue
au recul du français.
Finalement, te projet de loi 199 déposé par l'ex-chef de
l'Opposition doit être adopté d'ici à la fin de la session.
Je signale à la ministre que la Cour suprême est maintenant saisie
du dossier de l'affichage, que le jugement de la Cour suprême peut
être rendu en n'importe quel temps, qu'en conséquence il est
important de prévoir le vide juridique que pourrait créer une
décision défavorable et qu'il est donc impérieux...
Le Président (M. Trudel): M. le député.
M. Filion: ... que le gouvernement libéral, d'ici à
la fin de la session - je termine là-dessus, M. le
Président...
Le Président (M. Trudel): Merci, monsieur.
M. Filion: ... applique cette troisième réclamation
de l'Opposition, à savoir d'adopter le projet de loi 199. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Taillon. Merci, Mme la ministre.
La commission, ayant accompli son mandat, ajoute ses travaux sine
die.
(Fin de la séance à 12 h 10)