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(Quinze heures trente-huit minutes)
Le Président (M. Houde): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Messieurs, je déclare ouverte la commission de la culture, cet
après-midi.
Charte de la langue française
Je rappelle le mandat de la commission. La commission de la culture est
réunie afin de procéder à l'étude des
crédits budgétaires du ministère des Affaires culturelles,
volet "Charte de la langue française", programme 5, pour l'année
financière 1988-1989.
Je vais donner les heures: de 15 h 30 à 18 heures; en
soirée, de 20 heures à 22 h 30. Donc, une durée de cinq
heures.
Est-ce qu'il y a des changements qui sont apportés, est-ce qu'il
y a des remplaçants?
La Secrétaire: Oui, il y a M. Hétu de Labelle qui
remplace M. Audet de Beauce-Nord; M. Houde de Berthier qui remplace M. Hamel de
Sherbrooke; M. Filion de Taillon qui remplace Mme Harel de Maisonneuve; M.
Cusano de Viau qui remplace Mme Pelchat de Vachon; M. Baril de
Rouyn-Noranda-Témiscamingue qui remplace M. Trudel de Bourget.
Le Président (M. Houde): C'est exact, merci beaucoup.
J'invite le ministre, maintenant, s'il a des remarques
préliminaires à faire. M. le ministre.
Remarques préliminaires M. Guy Rivard
M. Rivard: Nous voici réunis afin d'étudier les
crédits des organismes que la Charte de la langue française a mis
en place pour promouvoir et protéger le français.
Ces organismes constituent en quelque sorte mon ministère, et je
dois dire que j'y retrouve toute l'expertise, la compétence et
l'expérience nécessaires à la poursuite de cet objectif
inscrit au plus profond de cette société distincte qu'est le
Québec, l'objectif de l'épanouissement du français.
Permettez-moi de reprendre, dans les mêmes termes, ce que j'affirmais il
y a quelques jours à l'Assemblée nationale, lors de
l'interpellation du vendredi 29 avril dernier, et je cite: "Cette
volonté de favoriser l'épanouissement du français est un
engagement de société qui se manifeste dans toutes nos
institutions, autant publiques que privées. C'est cette même
volonté qui mène l'actuel gouvernement du Québec à
réaffirmer publiquement et de façon solennelle cet engagement.
Quatre principes guident le gouvernement à cet égard: Au
Québec, le fran- çais est la langue normale et habituelle du
travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Le
territoire québécois doit conserver un visage français.
L'évolution démographique du Québec et, en particulier,
les équilibres démographiques entre les groupes linguistiques,
doivent être assurés par des politiques d'immigration et
d'intégration appropriées. La société
québécoise reconnaît les droits et les institutions de sa
minorité linguistique, la communauté anglophone. "
Et je poursuivais, face aux inpidents qui marquent trop souvent la
question linguistique et nous distraient de l'essentiel: "Notre
société doit apprendre à discuter des questions
linguistiques de façon sereine. La dualité sociolinguisti-que du
Québec est permanente, et il nous faut en arriver rapidement à
vivre cette réalité sans affrontements stériles. "Il faut
donc sonner le glas des querelles linguistiques. Non seulement ne
mènent-elles nulle part, mais encore risquent-elles de troubler la
confiance en eux-mêmes que les Québécois ont acquise au fil
des ans, une confiance dont un des fleurons est la prospérité
économique que connaît présentement le Québec. Bref,
un climat de confiance et de respect mutuels doit à tout prix
présider aux relations entre les deux groupes linguistiques. "C'est pour
cette raison que je conçois, M. le Président, le rôle du
ministre responsable de l'application de la Charte de la langue
française comme celui d'un rassembleur, celui d'un interprète
auprès des uns des sentiments et des volontés des autres".
Je me présente donc devant cette commission pour défendre
pour la première fois mes crédits, à un moment crucial du
dossier. Un moment où, en dépit des incidents, le ton a quand
même tendance à baisser, parce que, de plus en plus, des
Québécois se lèvent un peu partout et s'expriment
davantage avec leur raison qu'avec leur émotivité. La loi 101
n'est pas arrivée dans un désert. Elle avait été
précédée par la loi 22, dont René Lévesque a
dit qu'elle ne s'éloignait pas tant que cela de notre propre
façon de voir les choses. Vous trouverez cette citation en page 358 de
son livre "Attendez que je me rappelle... ".
Cet exercice, à travers lequel nous allons passer aujourd'hui,
devrait contribuer à une meilleure appréciation des efforts
accomplis et des projets réalisés dans le domaine linguistique.
Beaucoup a été accompli et je me sers pour, d'une certaine
façon, le résumer, d'une citation qui est contenue dans le livre
très récemment paru de Michel Plourde "La politique linguistique
du Québec". Soit dit en passant, Michel Plourde a été
président du Conseil de la langue française. Alors, il parle de
ces acquis que nous avons comme société, et je cite ceci en page
95 de son
livre: "Le français est devenu la langue officielle et la langue
de l'État. Les immigrants fréquentent désormais
l'école française. Les francophones ont conquis leur place dans
l'économie québécoise. Les Québécois
réussissent de plus en plus à travailler et à se faire
servir en français. Ces affirmations, qui ne peuvent être
absolues, dit-il, sont pourtant vraies. Par-dessus tout, la Charte de la
langue française a eu un effet d'entraînement considérable
pour changer les situations et les attitudes linguistiques. Mais la
francisation est loin d'être terminée et les effets de la
francisation ne sont pas irréversibles. "
Qui plus est, au-delà des lois ou précédant ces
lois, d'autres changements s'étaient produits au Québec, avant
même l'arrivée du précédent gouvernement, le
gouvernement du Parti québécois. Et je cite de nouveau Michel
Plourde en page 40 de son livre, récemment paru: "Entre 1961 et 1977,
sous la poussée de la Révolution tranquille, les francophones
avaient entrepris de se scolariser davantage et nos universités avaient
déjà commencé à déverser sur le
marché du travail, en nombre accru, des diplômés fort
compétents en commerce et en administration des affaires. Parmi les 15 %
de travailleurs se situant au haut de l'échelle de revenus, la
proportion des francophones était déjà passée de 44
% à 70 %. " Vous vous rappelez la période dont il parle, entre
1961 et 1977. Je poursuis la citation: "Mais il est clair que la loi 101, en
donnant à la langue française un statut indiscutable, au plus
haut niveau de l'entreprise, est venue accroître et raffermir la
présence et le rôle des francophones dans l'économie du
Québec, stimuler l'ambition et la confiance des jeunes
diplômés, rehausser le prestige social de la langue
française et démentir la croyance traditionnelle qui voulait que
l'anglais soit la seule langue des affaires. "
À l'heure actuelle il existe, M. le Président, au
Québec, aussi bien dans le monde des affaires que dans les autres
secteurs d'activité, quantité de gens qui se sentent bien dans
leur peau de Québécois et qui veulent faire partager à
tous les Québécois les avantages et la fierté d'appartenir
à cette société québécoise. Tous ces
Québécois vivent de plus en plus en français, même
s'il ne s'agit pas toujours de leur langue maternelle.
M. le Président, j'entends, avec l'appui concerté de mes
collègues du Conseil des ministres, m'employer assidûment à
ce que se poursuive et s'intensifie la francisation des entreprises et
l'utilisation de la langue française comme langue des communications, du
commerce et des affaires. Ce sont là des sujets fort importants. Les
autres dossiers feront aussi l'objet de mon attention. Appuyé de
façon admirable par les organismes de la charte dont les
présidents sont ici présents, et je les présenterai aux
députés des deux formations politiques un peu plus tard, je ne
ménagerai pas mes efforts pour que se continue, avec efficacité
et enthousiasme, l'assistance qu'il convient d'offrir aux divers groupes et
individus du Québec qui expriment des besoins réels en
matière de corrections et d'enrichissement de la langue française
parlée et écrite.
Le Québec a développé, au cours des 25
dernières années, une expérience enviable et enviée
par bon nombre de partenaires du monde de la francophonie aussi
préoccupés que nous le sommes par un aménagement
linguistique équilibré, équitable et fonctionnel.
Permettez-moi maintenant, M. le Président, de survoler avec vous
l'ensemble du travail formidable effectué par chacun des organismes de
la charte. Je commence avec l'Office de la langue française, dont le
président, M. Pierre-Étienne Laporte, est à ma droite
immédiate.
Depuis plus de dix ans maintenant, l'Office de la langue
française oeuvre à la réalisation du double mandat que le
législateur lui confiait en 1977. Comme vous pouvez le constater,
messieurs les membres de l'Assemblée nationale et madame, dans les
documents qui vous ont été remis, l'office poursuit
inlassablement son travail d'implantation d'un français de
qualité par la recherche et la création en matière de
terminologie et par la certification des entreprises soumises aux obligations
de la charte. Par son programme d'animation langagière, par ses nombreux
autres programmes de diffusion du français et plus
particulièrement par les nombreux services et produits qu'il met
à la disposition des Québécois, l'office vise toujours ce
double objectif de francisation du Québec et d'amélioration de la
qualité de la langue parlée et écrite des
Québécois.
Plus de 50 % des grandes entreprises possèdent aujourd'hui leur
certificat de francisation, de même que 60 % des petites et moyennes
entreprises. Mais la francisation du Québec déborde largement le
processus administratif de la certification. Le Québec devra toujours se
préoccuper de francisation, même quand il aura terminé la
certification des entreprises. Le Québec aura en effet toujours besoin
de terminologie française pour s'approprier les nouvelles technologies
dans tous les secteurs de l'activité économique. Je
m'arrête ici en ce qui concerne la francisation des entreprises, M. le
Président, car je compte sur les questions de tous les
députés des deux formations politiques pour permettre au
président de l'office de brosser le tableau le plus complet qui soit. Ce
gouvernement n'a rien à cacher. Pour les années qui viennent,
l'office entend consacrer une grande partie de ses énergies à la
plus grande satisfaction de ses clientèles.
Pour ce faire, il s'est fixé comme grandes orientations
d'améliorer ses produits grand public et de faire renaître au sein
des comités de francisation des grandes entreprises l'ardeur
nécessaire à la relance de la francisation dans le monde du
travail, du commerce et des affaires.
Ainsi, l'office consacrera des ressources
importantes à l'optimisation de sa banque de terminologie, de
façon à en faire un instrument plus efficace, mieux adapté
aux besoins des clients et plus simple à utiliser. Il entreprendra
également - je parle toujours de l'office - l'optimisation de son
service d'assistance linguistique par la création d'un
téléphone linguistique qui répondra,
éventuellement, à une très forte proportion des 100 000
demandes acheminées chaque année à l'office. Les
consultations linguistiques représentent aujourd'hui 65 % de ces
demandes. Ce sont des questions qui portent sur la grammaire, l'orthographe,
les règles typographiques, la phraséologie, etc.
Pour soutenir ce programme d'optimisation de son service d'assistance
linguistique, l'office offrira, au cours du prochain exercice, plus de 200
séances de perfectionnement en français aux agentes de
secrétariat qui constituent le principal groupe utilisateur de ces
consultations, soit 37 %. Une plus grande autonomie linguistique constituera un
atout majeur pour tous ceux et celles qui utilisent la langue comme instrument
de travail et, finalement, pour l'ensemble de la population.
Le champ d'action de l'Office de la langue française est donc
d'une grande ampleur: travailler à l'implantation de la langue, viser
à sa correction et contribuer à son enrichissement, voilà
ce que fait l'Office de la langue française et il le fait bien.
Passons maintenant à la Commission de toponymie dont le
président, M. Henri Dorion, est à l'extrême droite de cette
table. Organisme méconnu du grand public, la Commission de toponymie a,
durant la dernière année, poursuivi son travail d'inventaire, de
normalisation et d'officialisation des noms géographiques du
Québec au même niveau de production - plus de 8000 nouveaux noms
de lieux - avec le même souci du respect des usages locaux et de la
précision géographique et terminologique. L'équilibre
linguistique a aussi été maintenu avec rigueur et on s'est
préoccupé tout particulièrement des noms de lieux
autochtones du Québec.
Un mot là-dessus. Dans des régions habitées ou
fréquentées par les populations autochtones, la Commission de
toponymie privilégie les toponymes amérindiens ou inuit, dans la
dénomination des lieux, pour autant qu'il y a accord avec ses autres
critères de choix. Grâce à une concertation avec les
nations autochtones pour l'inventaire et le traitement de cette toponymie
spécifique, la commission maintient une image positive dans le milieu,
ce qui facilite la réalisation de projets conjoints. Les
autorités fédérales ont reconnu la pertinence de cette
politique en invitant la commission à présenter sa position lors
de colloques nationaux et internationaux.
Il me plaît de souligner ici que par la qualité de son
travail s'appuyant sur une méthodologie scientifiquement
éprouvée, encore une fois méconnue du grand public, la
Commission de toponymie s'est acquise une réputation enviable sur le
plan international. Plusieurs pays étrangers, comme d'ailleurs des
organismes internationaux, font maintenant appel à son expertise pour
consolider leurs structures et leurs programmes d'activité en
matière de gestion toponymique, de formation et de développement
des systèmes de pointe. Son président actuel est d'ailleurs
président du groupe d'experts des Nations Unies sur la normalisation des
noms géographiques. C'est tout à son honneur et à
l'honneur du Québec.
Le Conseil de la langue française maintenant, dont le
président, M. Pierre Martel, est assis immédiatement
derrière moi. Le mandat confié par la Charte de la langue
française au Conseil de la langue française est de conseiller le
ministre sur l'ensemble des questions linguistiques. Les recommandations, avis,
rapports ou commentaires du conseil au ministre responsable de l'application de
la charte doivent porter, notamment, sur la politique québécoise
de la langue française, sur l'interprétation et l'application de
la loi et sur la situation de la langue française au Québec.
C'est pourquoi le Conseil a l'obligation de suivre de près et d'analyser
l'évolution de la situation linguistique au Québec quant au
statut de la langue française et à sa qualité. Il le fait,
notamment, par des études et des recherches et en se tenant à
l'écoute de la population.
La composition du conseil, par la réunion des
représentants de divers segments de notre société, en fait
un organisme dont l'éclairage apporte au ministre des
éléments de réflexion indispensables. Pour que son action
ait la portée voulue par le législateur, il faut que le Conseil
de la langue française jouisse d'une autonomie de bon aloi. En
contrepartie, le conseil au premier chef, la société
québécoise au second, doivent s'attendre qu'à l'occasion
le ministre responsable ne soit pas nécessairement d'accord, en tout ou
en partie, avec le contenu d'un avis. Les règles du jeu le veulent
ainsi.
Quelques commentaires, en terminant ce chapitre, sur l'intention qu'a le
Conseil de procéder à une enquête sur la langue de service
et d'accueil dans les commerces de Montréal. D'une part je souscris, M.
le Président, à l'approbation de principe accordée par ma
prédécesseure. Cependant, et le président du conseil et
moi-même sommes du même avis, cet accord n'entraîne pas
l'approbation automatique par moi d'une méthodologie qui serait
préjudiciable à qui que ce soit. J'ai bonne confiance en la
sagesse et en l'expertise du comité en cette matière. Notons en
passant que, dans l'ensemble du dossier linguistique, nous avons un bon bout de
chemin à faire pour inventer les instruments, les jauges servant
à mesurer les progrès du français au Québec. La
liste des tâches qui attendent les membres du Conseil de la langue
française est impressionnante.
Maintenant, la Commission de protection de la langue française
dirigée de façon fort habile
par Mme Ludmila De Fougerolles qui est assise derrière moi et qui
en est la présidente. Il m'apparaît utile de rappeler ici que la
mission fondamentale de la Commission de protection de la langue
française est de faire en sorte que soient corrigées les
situations dérogatoires dont elle est saisie par des plaintes venant de
citoyens ou de groupes. Corriger plutôt que de punir, créer une
ambiance de respect de la charte plutôt que de se poser en censeur ou en
accusateur, voilà une façon d'aborder l'application de la loi qui
m'apparaît tout à fait justifiée. D'ailleurs, le taux
élevé de solutions des dossiers et la fermeture des dossiers
à la suite des interventions de la commission devraient tous nous
réjouir. Nous reviendrons abondamment là-dessus si vous le
désirez.
Pour le prochain exercice financier, la Commission de protection de la
langue française s'est fixé comme principal objectif de traiter
un plus grand nombre de demandes d'enquête - et de cela, j'en suis
certain, le critique de l'Opposition sera tout à fait satisfait - et ce
dans des délais plus courts. Avec des ajouts au plan des
équipements informatiques et des ajouts également au plan du
personnel, d'un niveau actuel de traitement quotidien de 135 dossiers, la
Commission de protection de la langue française pourra passer assez
rapidement à 220 dossiers par jour.
Ce survol des activités des organismes de la charte
m'amène à exprimer de nouveau ma satisfaction à
l'égard du travail remarquable qui s'est fait dans chacun de ces
organismes et du travail qui s'y fait actuellement et qui continuera de s'y
faire. Tout à l'heure, les membres de la commission de la culture
procéderont à l'étude du programme 5 dont les
crédits totaux ont été établis, pour l'exercice
financier 1988-1989, à quelque 22 000 000 $, soit une augmentation
générale de l'ordre de 5 % par rapport à l'an
passé.
Ils pourront aller dans le détail des choses en se rappelant que
l'intérêt supérieur veut que nous n'utilisions pas la
question linguistique à des fins partisanes, que nous n'exploitions pas
les moindres incidents, que nous baissions le ton afin d'entendre les uns et
les autres ce que nous avons à nous dire.
En terminant, M. le Président, permettez-moi de revenir à
ce texte fondamental que j'ai livré aux Québécois vendredi
dernier. Aux Québécois d'expression française, j'ai dit
que la langue française est vivante au Québec, bien vivante.
À l'usine, au bureau, à l'école, à la maison, dans
la rue, partout et plus que jamais au Québec, nous vivons en
français. Le visage français du Québec doit continuer
à s'affirmer: il n'est pas question d'accepter un recul sur ce plan. Il
n'est pas question non plus de remettre en cause la Charte de la langue
française dont le préambule et l'affirmation des droits
linguistiques fondamentaux constituent un pacte conclu entre l'Assemblée
nationale et la société québécoise. Mais il
convient néanmoins de garder à l'esprit que le français au
Québec n'a pas, n'a jamais été et ne sera jamais l'affaire
d'une seule loi. La langue française, notre langue, est le mode
d'expression d'une collectivité, une manifestation de notre façon
de vivre et de notre culture. La langue ne saurait se laisser emprisonner dans
une seule loi.
Aux Québécois d'expression anglaise, j'ai dit: "Les
francophones du Québec sont convaincus d'avoir toujours respecté
les institutions de votre communauté. La vitalité même de
vos institutions en témoigne. Si de temps à autre des incidents
ont pu soulever des inquiétudes chez certains, on ne peut imaginer que
la société québécoise pourrait soudainement renier
200 ans de tradition et abandonner cet esprit de justice et d'ouverture qui
caractérise l'ensemble de ses institutions. Notre défi collectif
est d'harmoniser les impératifs de la promotion du caractère
français du Québec avec l'exercice des libertés
individuelles de tous les Québécois. "
À ces Québécois issus des diverses
communautés culturelles, j'ai dit et je répète
aujourd'hui: "Vous avez été jusqu'à maintenant
pratiquement absents du débat et je le déplore. De tout temps,
vous êtes venus chez nous parce qu'il fait bon y vivre et vous y avez
trouvé votre place, vous avez un rôle à jouer et aussi un
mot à dire pour promouvoir le caractère français du
Québec. "
Je conclus aujourd'hui, M. le Président, comme j'ai conclu alors:
"C'est dans un esprit d'ouverture vers l'avenir que je souhaite poursuivre mon
mandat. Lorsque je rencontre un Québécois ou une
Québécoise, ce qui m'intéresse, ce n'est pas de lui
demander: D'où viens-tu, mais bien plutôt: Où allons-nous
ensemble? Nos richesses culturelles sont inestimables. Notre défi de
société est d'en vivre pleinement et harmonieusement. "
Je vous remercie, M. le Président. (16 heures)
Le Président (M. Laporte): Merci, M. le ministre. M. le
député de Taillon.
M. Claude Filion
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Dans un
premier temps, je voudrais bien sûr souhaiter la bienvenue au nouveau
ministre - j'ai déjà eu l'occasion de le faire vendredi dernier -
et souhaiter également la bienvenue à Mme la présidente et
à MM. les présidents, ainsi qu'à toutes les personnes qui
les accompagnent dans le cadre de cette étude des crédits des
organismes responsables de l'application de la Charte de la langue
française. Ce n'est évidemment pas une mince tâche pour un
jeune ministre de défendre les crédits d'un dossier où le
gouvernement ne s'est certes pas mérité beaucoup de
médailles depuis plus de deux ans. Dans mon esprit, cette rencontre sera
plus que déterminante puisque nous serons en mesure, espérons-le,
de constater la véritable marge de
manoeuvre que possède le ministre, et surtout la véritable
volonté politique, s'il y en a une, du gouvernement libéral en
matière linguistique. J'ose espérer enfin que la vilaine
impression qui se dégage, voulant que sa nomination par le premier
ministre ne soit qu'un prétexte pour gagner du temps, pourra se dissiper
après ces cinq heures que nous allons passer ensemble.
M. le Président, je voudrais, à ce stade, faire une
citation d'une magnifique revue, Découvrir le Québec, qui
est éditée par Les Publications Québec français. La
citation se lit comme suit: "Les attaques, par le biais des tribunaux, ont
limité l'emprise de la loi 101. Menées au nom des droits de
l'individu, elles ont aussi ébranlé la légitimité
de cette loi. Mais, tant que le parti qui l'avait votée restait au
pouvoir, les coups qui l'atteignirent paraissaient venir de l'extérieur.
Mais il en va différemment aujourd'hui que le Parti libéral est
au pouvoir, depuis décembre 1985. Par son discours, par son
comportement, plus encore par ses projets de loi, aussi bien ceux qu'il a
d'ores et déjà fait adopter: amnistie des enfants
illégalement introduits dans les écoles de langue anglaise,
reconnaissance de droits nouveaux en matière sociale et de santé,
que ceux qu'il prépare en conformité avec l'engagement
électoral irresponsable du Parti libéral portant sur l'affichage,
ce parti se comporte comme si la loi 101 n'avait été qu'une
parenthèse dans une longue tradition d'égalité formelle et
de supériorité réelle de l'anglais. "
Cette citation, M. le Président, est extraite, comme je l'ai dit,
de cette belle revue, Découvrir le Québec, mais aura valu
à son auteur la censure du gouvernement libéral le gouvernement
ayant décidé de limiter la distribution des 7000 exemplaires
commandés par le ministère des Communications, au coût de
28 000 $. Toute vérité n'est pas bonne à dire,
semble-t-il. Pourtant, l'auteur était loin d'exagérer. Au
contraire, il aurait pu mentionner de multiples autres exemples du peu
d'empressement et du peu de volonté politique du gouvernement
libéral dans le dossier de la Charte de la langue française, en
commençant par l'attitude du premier ministre lui-même. Un premier
ministre qui, devant l'opposition à son projet de ramener l'affichage
bilingue, cherche à gagner du temps. Un premier ministre qui cherche
à brouiller les pistes en multipliant les déclarations
contradictoires ou les ballons d'essai. Devant pareille confusion, bien heureux
celui qui peut prédire la décision du premier ministre,
décision qui serait déjà prise, rappelons-le, mais dont le
principal intéressé refuse d'en faire connaître la
teneur.
Mais, en attendant ce grand jour de la révélation du
secret de Fatima, le premier ministre invoque la paix sociale. Or, tout a
commencé par une promesse électorale irréfléchie et
s'est poursuivi par le double langage et les déclarations
contradictoires que nous connaissons. Dans un dossier où les positions
claires sont essentielles, c'est le gouvernement libéral et le premier
ministre qui sont responsables du climat qui prévaut aujourd'hui et non
ceux qui, légitimement, à la suite d'une position ambiguë,
cherchent de part et d'autre à faire valoir les revendications issues
d'expectatives légitimes. L'argument de la paix sociale est donc bien
trompeur, car ce sont maintenant les deux communautés, francophone et
anglophone, qui sont actuellement dans l'insécurité. Il est
grandement temps que la politique linguistique du gouvernement s'affiche
clairement et sans ambages.
Combinés à cette confusion destructrice, le Parti
libéral a multiplié les gestes contribuant au recul du fait
français au Québec. Ainsi, en 1986, le Procureur
général du Québec refusait d'entamer des poursuites
lorsque les contrevenants en cause avaient des affiches bilingues. Pourtant,
malgré l'appel devant la Cour d'appel du Québec, la loi demeurait
en vigueur et son devoir exigeait de lui qu'il inscrive à tout le moins
des actions devant les tribunaux. De plus, le Procureur général a
contribué à accentuer le flot de désobéissance
civile lorsqu'il a, à deux ou trois reprises, déclaré en
public que l'article 58 de la Charte de la langue française était
voué à être modifié.
Imaginons-nous un peu le travail du commissaire-enquêteur
chargé de convaincre un commerçant de changer son affiche. Le
dernier exemple jusqu'à maintenant, dans La Presse d'aujourd'hui,
on lisait à l'occasion des graffiti qui ont été
posés sur les vitrines de certains commerçants
montréalais, on lisait M. Samir Chaar qui est cité ici, dans le
journal La Presse du 3 mai, dans un article de Gilles Saint-Jean. Alors,
M. Samir Chaar s'exprime. Le journaliste écrit: "La première
fois, on avait barbouillé la partie anglaise de son affiche; l'autre
fois, c'était la partie française, raconte M. Chaar, qui
s'exprime très bien en français aussi et en anglais,
souligne-t-i|. " Là, M. Chaar nous dit: "II faudrait bien que le
gouvernement se branche au sujet de l'affichage: si on me dit d'afficher en
français, j'afficherai en français; si on me dit d'afficher en
anglais, j'afficherai en anglais; si on me dit d'afficher en chinois,
j'afficherai en chinois. " C'est un commerçant qui s'exprime. "Mais,
qu'on se branche! Dans le temps du Parti québécois, on avait
masqué la partie anglaise de l'affiche; on s'était
conformé à la loi. Maintenant on a le droit d'afficher dans les
deux langues. " Ce n'est pas moi qui parle, c'est le commerçant. "Mais
même le bilinguisme ne satisfait personne non plus!" Or, ce
commerçant avait l'impression qu'actuellement on vivait dans la
confusion. Ce commerçant demande au gouvernement de se brancher.
Que dit le nouveau ministre responsable de la Charte de la langue
française? Au bulletin de nouvelles de ce matin j'en ai entendu un bout
et j'ai fait sortir le texte: 'Tout en déplorant les actes de vandalisme
commis contre des com-
merces de Montréal qui affichent en anglais, M. Rivard estime que
les commerçants doivent porter une partie du blâme, leur affichage
représentant un geste de provocation. " Je ne sais pas si le ministre
est bien cité. J'en ai entendu des bouts, mais j'ai fait sortir le texte
même de la revue de presse électronique. Or, je tiendrais à
signaler immédiatement au ministre que les commerçants vivent
actuellement dans la confusion et qu'énormément de
commerçants ne savent pas à quoi s'en tenir. Ces
commerçants doivent porter une partie du blâme, il y en a
sûrement une autre partie qui doit aller au camp gouvernemental et
clairement, d'autant plus qu'on voit l'expression de l'insécurité
et de l'angoisse, finalement, des commerçants qui ne savent plus
à quoi s'en tenir. Qui pourrait les en blâmer? Peut-être que
ce même commerçant était présent dans une
assemblée, dans l'ouest de l'île de Montréal, lorsque le
ministre de la Justice leur a dit qu'on allait changer la loi 101.
De plus, ce même Procureur général a
décidé, à la surprise de toute la population
québécoise, et plus particulièrement de la
communauté juridique, de financer les procureurs d'Alliance
Québec avant même que la Cour suprême n'ordonne le paiement
des honoraires extra-judiciaires. Du jamais vu dans les annales judiciaires. Se
cantonnant derrière des réponses ambiguës du style: "On a
suivi la pratique régulière", le Procureur général
n'a jamais pu de son siège affirmer qu'il n'était pas au courant
des tractations qui avaient eu cours au sein de son ministère. Le
Barreau du Québec a qualifié le geste de peu coutumier et de non
conforme à la pratique. Enfin, aucun des précédents
évoqués par le Procureur général n'est concluant et
une analyse juridique de ceux-ci tend plutôt à soutenir une
position contraire à celle du Procureur général. En tout
état de cause, nous sommes bien loin d'une pratique abondamment
suivie.
À cette attitude du Procureur général du
Québec se greffe celle du gouvernement libéral qui a
décidé de sabrer dans les budgets et les effectifs des organismes
chargés de promouvoir et de protéger la langue française.
Ainsi, alors qu'on nous annonce une hausse de 7, 3 % des crédits de
1988-1989 par rapport aux dépenses de 1987-1988, une analyse plus
globale nous révèle un tout autre portrait. Ainsi, si l'on
compare les crédits de 1988-1989 avec ceux de 1985-1986, dernière
année d'un gouvernement d'un autre parti, on constate qu'il y a eu une
baisse de 0, 08 %. Sans même calculer la dévaluation de l'argent,
on investit, dans les organismes issus de la Charte de la langue
française, moins d'argent qu'en 1985-1986. Si l'on ne compare que les
dépenses, celles anticipées pour 1987-1988 sont de 3, 4 %
inférieures à celles de 1985-1986 et ce, sans compter
l'inflation.
Les organismes chargés de défendre et de promouvoir la
langue française, leur président ou présidente, leurs
fonctionnaires et tous ceux qui gravitent autour de ces trois organismes,
auront beau faire des miracles, si le gouvernement ne consent pas à leur
confier plus de ressources, il est impossible d'imaginer que leurs efforts
pourront rejoindre le niveau d'efficacité et de productivité que
commande la situation actuelle.
Le ministre nous parlait du téléphone linguistique, je
croyais que cela existait déjà. Tantôt, je vais lui poser
quelques questions en ce qui concerne le téléphone linguistique,
auquel nos secrétaires font souvent appel et j'espère aussi que
beaucoup d'autres personnes y font appel. Le personnel de l'office a
été diminué de 323 à 307. Encore une fois, il y a
une limite à la rationalisation et au miracle. De plus, alors que le
gouvernement libéral tient de beaux discours sur le français au
travail, discours contradictoires, mentionnons-le, les budgets accordés
aux syndicats pour l'animation des comités de francisation au sein des
usines sont coupés, passant de 197 000 $, sous la dernière
année du Parti québécois, à 150 000 $, sous un
gouvernement libéral. Pourtant, dans un avis de 1986, le Conseil de la
langue française avait affirmé que la relance du processus de
francisation passait nécessairement par un accroissement du rôle
des syndicats et des travailleurs. Évidemment, sous un gouvernement
libéral, l'influence du conseil semble vouloir être
réduite.
Ce peu de considération pour le conseil est, d'ailleurs,
symptomatique de l'attitude du gouvernement pour la loi 101. Cinq autres
exemples peuvent illustrer nos propos. Le 28 février 1986, le Conseil de
la langue française émettait un avis sur la
nécessité de préciser les intentions gouvernementales en
matière linguistique. Le conseil écrivait notamment à
l'époque, et je cite: "Faire comme si la loi n'existait pas, soit parce
qu'elle est contestée devant les tribunaux, soit parce que le
législateur semble s'apprêter à la modifier, n'engendre que
confusion et illégalité. " C'était au début du
mandat du nouveau gouvernement.
Il est dangereux de laisser une loi s'effriter en négligeant de
la réaffirmer ou de l'adapter, surtout quand ses objectifs fondamentaux
rallient toute une population, à tel point, d'ailleurs, que le ministre
cite le préambule de la charte, vendredi, et nous cite encore
aujourd'hui le préambule de la charte. Nous l'avons écrit, ce
préambule. "Le Conseil de la langue française est d'avis que le
vide juridique et l'ambiguïté sur la volonté d'appliquer une
loi portent atteinte à ses objectifs fondamentaux. " Ce n'est pas un
parti politique qui parle, c'est l'avis du conseil, au début du mandat
du présent gouvernement. Eh bien, deux ans après cet avis, il
conserve toute sa justesse; la situation n'a toujours pas été
éclairée et le danger que percevait alors le conseil pointe
toujours à l'horizon. Subséquemment, le Conseil de la langue
française rendait un avis sur l'impact de la libéralisation des
échanges économiques sur le droit linguistique.
Inquiet des conséquences d'un éventuel traité de
libre-échange, le conseil recommandait alors au gouvernement du
Québec de faire valoir auprès d'Ottawa la nécessité
d'une clause de sauvegarde linguistique. J'insiste particulièrement
là-dessus: l'actuel accord n'en contient aucune. Bien que le ministre
MacDonald ait donné, en Chambre, l'assurance que l'accord n'aurait aucun
impact, de nombreuses interrogations demeurent, notamment en ce qui a trait
à l'avenir ou à l'adoption de futures dispositions linguistiques,
c'est-à-dire, dispositions linguistiques qui ne sont pas contenues dans
les lois actuelles. Était-il vraiment impossible pour le Québec
de négocier son adhésion en échange d'une clause de
sauvegarde linguistique qui aurait dissipé tous les doutes? (16 h
15)
Un troisième exemple du peu d'égards du gouvernement pour
le conseil est l'épisode de l'étude de la langue de service.
Alors que le conseil se proposait d'étudier en profondeur la perception
qu'ont de plus en plus de Québécois et de
Québécoises concernant la langue dans laquelle ils se font
aborder, la ministre, alors responsable, désavouait
sévèrement la méthode choisie par le conseil, en sachant
bien qu'il s'agissait peut-être là de la seule méthode
sérieuse. Du même coup, elle annihilait pour l'instant toute
possibilité d'analyser le phénomène en profondeur. Ce. peu
d'égards pour le conseil se retrouve également dans la propension
du gouvernement libéral à vouloir assurer la survie du fait
français au Québec uniquement par ce qu'il convient d'appeler le
scénario de la francophonie créatrice. Ce scénario fut
développé abondamment par la prédécesseure de
l'actuel ministre et l'on en retrouvait quelques traces dans le discours du
nouveau ministre lors de l'interpellation. Pourtant, le conseil a, dans un avis
et dans un passage absolument remarquable, rejeté l'idée de ne
faire reposer la survie de notre collectivité qu'uniquement sur ce
scénario. Dans son dernier rapport annuel le conseil a tenu à
rappeler au gouvernement que la protection de notre langue par une
législation vigoureuse et juste est un élément
nécessaire, puisque la seule incitation a fait maintes fois la preuve de
son inefficacité.
Compte tenu de notre contexte sociogéogra-phique, où le
Québec devra toujours défendre et promouvoir la langue
française, que ce soit maintenant, dans vingt-cinq ans ou dans cinquante
ans, compte tenu donc, de notre contexte sociogéographique, les lois
sont et seront toujours nécessaires. C'est pourquoi le droit
linguistique doit s'élever au-dessus de la partisanerie et l'actuel
gouvernement ne pouvait promettre de modifier la loi 101 pour s'attirer
quelques votes, peut-être, et surtout, le droit linguistique doit
s'élever au-dessus de la partisanerie et la Charte de la langue
française, telle qu'elle est en vigueur maintenant, doit être
vigoureusement appliquée et respectée.
Le dernier exemple illustrant que l'avis du
Conseil de la langue française ne pèse pas lourd pour un
tel gouvernement est tout récent. Il s'agit, bien entendu, de l'avis
touchant le projet de loi fédéral C-72, relatif au statut et
à l'usage des langues officielles au Canada.
Le projet de loi C-72 soulève une grave menace pour le
Québec, la pire probablement depuis l'accord constitutionnel de 1982 et
possiblement depuis l'accord du lac Meech. Cette loi C-72 est connue du
gouvernement, en même temps que de la population canadienne depuis le 17
juin 1987, alors que le projet a été déposé
à la Chambre des communes. Je comprends que le nouveau ministre
n'était pas en poste à ce moment-là, mais le gouvernement,
lui, était censé gouverner et prendre connaissance de ce projet
de loi C-72. Nous y reviendrons, de toute façon, un petit plus tard.
L'article 42 qui découle directement du double mandat issu des
accords constitutionnels Meech-Langevin permettra au gouvernement d'intervenir
auprès des organismes syndicaux, patronaux ou bénévoles
dans le but de promouvoir les services dans les deux langues, contrevenant
ainsi directement aux objectifs de la loi 101. L'action fédérale
se ferait donc désormais dans les champs de compétence
provinciale exclusive par le biais de son pouvoir de dépenser.
Les objectifs des projets de loi C-72 et de la loi 101 sont tout a fait
irréconciliables, note le Conseil de la langue française. En
conséquence, celui-ci indiquait qu'il était impérieux que
le Québec fasse savoir au Parlement fédéral qu'au Canada
seul le français est menacé et qu'on ne saurait envisager une
promotion symétrique des langues officielles. Mais voilà que dix
mois et demi se sont écoulés depuis le dépôt du
projet de loi C-72 et, à ce jour, le gouvernement n'a absolument rien
fait.
Devant l'imminence du danger, le gouvernement se serait dit inquiet et
aurait commandé des avis juridiques supplémentaires, comme si les
juristes du conseil n'étaient pas compétents en matière
linguistique et comme si l'article 42 n'était pas suffisamment clair et,
j'allais ajouter, comme si le gouvernement n'avait pas pu faire travailler ses
services juridiques avant, il y a trois semaines.
J'aurais voulu lire l'article 42. On le fera un petit peu plus tard, M.
le Président, étant donné que vous m'indiquez qu'il me
reste peu de temps.
On comprend, néanmoins, les hésitations du gouvernement
puisque le Conseil de la langue française estime que la loi C-72 est une
conséquence du lac Meech. Point de vue que semblent d'ailleurs partager
les juristes à Ottawa qui ont souligné que le projet de loi C-72
était en tout point conforme à l'accord Meech. Si l'on veut que
les avertissements du conseil n'aient pas été vains, comme pour
le premier avis sur la nécessité de préciser les
intentions du gouvernement, il devient urgent que le gouvernement
réagisse
au plus vite. D'ailleurs, on s'étonne que les opinions
juridiques, si elles sont nécessaires, ne soient pas déjà
prêtes puisque, comme je l'ai dit, le projet de loi fut
déposé le 25 juin 1987 et que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de
l'énoncer ce projet de loi lors d'une conférence de presse.
Puisque nous évoquons l'avis du lac Meech, j'aimerais à
nouveau souligner le retard inexpliqué de l'avis du conseil portant
précisément sur la portée linguistique de l'accord du lac
Meech. À la lumière de la réflexion sur le projet de loi
C-72, le retard peut paraître compréhensible. Puisque ce projet de
loi découle de l'accord du lac Meech, n'y a-t-il pas fort à
parier que l'avis ira dans le sens de l'opinion de tous les spécialistes
ou de la plupart des spécialistes, devrais-je dire, entendus à la
commission parlementaire, à savoir que la clause de la
société distincte n'offre aucune garantie valable pour le fait
français au Québec, qu'au contraire le Québec devra
promouvoir sa communauté anglophone minoritaire, que lui confère
son statut distinct au sein de la Confédération? Aussi aberrant
que cet énoncé puisse paraître, ce fut la conclusion du
rapport du comité mixte des Communes et du Sénat.
Ces quelques exemples illustrent à souhait le peu d'égards
du gouvernement pour le conseil, organisme autonome et représentatif de
la collectivité québécoise.
En terminant, M. le Président, j'aimerais évoquer
rapidement une certaine dégradation de la situation. On a parié
vendredi de l'affichage. Le ministre a évoqué le cas de la rue
Sainte-Catherine pour nous souligner que tout n'allait pas pour le pire.
J'espère qu'il n'espère pas nous convaincre. Si oui, je
demanderais au ministre de faire des études un peu plus globales. Le
résultat est si parcellaire qu'on peut s'interroger sur son
sérieux et je dirais au ministre que, si la situation s'est
améliorée sur la rue Sainte-Catherine de 11 % à 9 %, elle
s'est sûrement détériorée ailleurs puisque les
chiffres globaux démontrent une détérioration de la
situation de 120 %. Si l'on compare: dans les années 1983, 1984 et 1985,
une moyenne de 1578 dossiers d'enquête ouverts; dans les années
1986 et 1987, une moyenne de 3492, soit une augmentation de 120 %. Or, le
ministre voudrait qu'on se réjouisse de ce fait. Je lui signale que la
pomme, à certains endroits, est en train de pourrir et il voudrait que
nous nous réjouissions de ce que la queue sort intacte, parce qu'enfin
j'ai également regardé dans les documents qui nous ont
été si gentiment fournis par le ministre, lors de l'étude
des crédits, et j'ai été très
préoccupé par le fait que dans la région du
Bas-Saint-Laurent-Gaspésie, le nombre de dossiers d'enquêtes a
passé de 13 à 158, soit 12 fois plus. J'ai également
été préoccupé par le fait que, dans la
région de Québec, ici, la capitale nationale, le nombre de
dossiers ouverts est passé de 139 à 305, un peu plus que le
double. En Estrie, le nombre de dossiers ouverts à la commission est
passé de 46 à 74, soit une augmentation de 65 %.
Le Président (M. Laporte): M. le député, en
conclusion, s'il vous plaît.
M. Filion: Je termine, oui.
Le Président (M. Laporte): On a légèrement
dépassé le temps.
M. Filion: En conclusion, je signale au ministre que tantôt
je voudrais aborder avec lui la question des soins de santé et des soins
hospitaliers pour les francophones qui voudraient se faire soigner en
français. Nous aurons donc des questions à poser au ministre sur
le changement de critères. J'annonce maintenant ma question sur le
changement de critères en ce qui concerne la disponibilité de
services en français dans les hôpitaux. Les documents
révèlent en effet que, le 12 juin 1987, il y eut des
modifications aux règles et procédures.
Donc, en terminant, M. le Président, je voudrais signaler bien
simplement que, depuis deux ans, avec le gouvernement actuel, on est
passé de discours contradictoires à ballons d'essai, mais que les
actions du gouvernement sont à peu près toutes allées dans
un même sens: l'amnistie des élèves illégaux, la loi
142, le projet de loi 140, le refus de poursuivre en 1986, les coupures dans le
budget, le financement des avocats d'Alliance Québec. Il est grandement
temps d'agir, M. le Président - et je termine là-dessus - il est
grandement temps d'agir, pour s'assurer que les immigrants puissent
s'intégrer à la communauté francophone alors que les
dernières statistiques nous révèlent que 70 % des
allophones parlent anglais à la maison. Il est grandement temps d'agir
pour s'assurer que l'on puisse se faire soigner en français. Il est
grandement temps d'agir pour que l'on puisse s'assurer de pouvoir se faire
servir en français. Il est grandement temps d'agir pour que l'on puisse
être assuré de pouvoir travailler en français au
Québec. Je vous remercie de votre patience, M. le
Président...
Le Président (M. Laporte): Toute la latitude vous est
accordée, M. le député.
M. Filion:... sachant que j'ai dépassé de quelques
minutes cette période de vingt minutes.
Mais je dois vous signaler qu'à votre place la semaine
dernière j'ai eu l'occasion d'assister à un dépassement de
plus de vingt minutes d'un membre du Conseil exécutif. Alors, vous ne
m'en voudrez peut-être pas d'avoir pris cinq minutes de plus.
Le Président (M. Laporte): Sûrement pas, M. le
député. Comme je le disais, toute latitude vous est
accordée dans la mesure du possible.
M. le ministre?
M. Rivard: M. le Président, je dispose de combien de
temps?
Le Président (M. Laporte): Plutôt, il n'y a pas de
temps imparti habituellement et c'est l'usage d'avoir un peu la réaction
du ministre à la suite du discours et la même chose est
accordée au député de l'Opposition et au critique
officiel.
M. Filion: Ou à, et...
Le Président (M. Laporte): Voilà. Ou au chapitre
officiel.
M. Filion: M. le Président, je suis prêt à
passer aux questions précises. C'est évident que si..
Le Président (M. Laporte): On pourrait, M. le
député...
M. Filion: Sinon, cela deviendrait un dialogue que ne finirait
plus et on ne pourrait pas passer a nos questions.
M. Rivard: Oui, mais je peux, M. le Président...
Le Président (M. Laporte): M. le député,
très brièvement et avec la même latitude qu'on vous a
accordée, si vous pouviez laisser l'opportunité au ministre, pour
les deux ou trois prochaines minutes, d'être en réaction. On
espère effectivement pouvoir passer le plus rapidement possible aux
questions.
M. Rivard: Votre générosité, M. le
Président, est proverbiale. En me donnant deux ou trois minutes pour
réagir, vous me donnez exactement le nombre de minutes que le
député de Taillon a utilisé pour dépasser son
propre temps. Je remercie le député de Taillon...
M. Filion: On aura l'occasion d'échanger pendant, en fait,
quatre heures...
M. Rivard: Je constate que le député de Taillon ne
parle plus de cinq heures, mais de quatre heures.
M. Filion: Bien, c'est parce que la première heure est
entamée.
M. Rivard: M. le Président, d'abord, je remercie le
député de Taillon de me souhaiter la bienvenue. Il a
utilisé pour le faire le terme "jeune ministre". Pour un membre de
l'Assemblée nationale qui a atteint déjà le
demi-siècle, c'est flatteur. Je vous remercie.
M. Filion: Nouveau, peut-être. Nouveau.
M. Rivard: Je voudrais apporter deux ou trois précisions,
non pas sur les derniers commentaires du député, mais sur les
premiers. Il a fait des remarques à propos de l'accord du lac Meech,
à propos du libre-échange, à propos de C-72, etc. Le
député de Taillon, M. le Président, connaît mieux
que moi les limites de ma juridiction en tant que ministre. En somme, ma
juridiction s'arrête là où commencent les juridictions de
mes collègues ministres et dans le cas de C-72, on parle du ministre de
la Justice. Ce qui a été demandé actuellement au
ministère de la Justice, dans C-72 c'est de vérifier la
validité constitutionnelle de ce projet de loi et la
compatibilité de ce projet de loi avec la loi 101, avec notre Charte de
la langue française. (16 h 30)
Cette demande, et je l'ai dit plusieurs fois en Chambre, a
été acheminée avec la précision suivante: II faut,
de toute évidence, procéder avec la plus grande
célérité possible dans l'examen de cette question. Je
souligne ici qu'il est nécessaire d'obtenir un avis du jurisconsulte
dans ce dossier afin de prendre, par la suite, une position du gouvernement. Je
ne diminue pas et je ne souhaite pas diminuer par mes commentaires la valeur de
l'avis qui a été fourni par le Conseil de la langue
française. Le Conseil de la langue française, par son
président, m'informe qu'il s'agit bien là de commentaires
à l'égard de C-72 et non pas d'un avis juridique.
Très gentiment, j'aimerais souligner, M. le Président, au
député de Taillon qui nous reproche de ne pas avoir
travaillé avec la plus grande célérité dans ce
dossier, que l'Opposition, en Chambre, de toute évidence, ne s'est
éveillée sur C-72 qu'avec l'avis du conseil. Peut-être que
j'erre; le député de Taillon me fait signe que oui. Alors, si par
hasard le député de Taillon est capable de me prouver, à
ma satisfaction - j'accepterai ce qu'il me dira, je vais accepter sa parole -
qu'effectivement l'Opposition s'est manifestée auparavant dans ce
dossier, j'accepterai et je me rétracterai.
Une information importante concernant l'avis à venir sur l'accord
du lac Meech, loi 101. J'aimerais vous dire, de façon aussi exacte que
possible, ce que le Conseil de la langue française est en train de
faire. L'avis portera sur les horizons que les nouvelles dispositions
constitutionnelles permettent d'envisager en termes de protection et de
promotion de la langue française au Québec. C'est ce sur quoi
l'avis du Conseil de la langue française portera.
Le député de Taillon a fait toutes sortes d'affirmations,
comme il le fait d'habitude, sans démontrer, à ma satisfaction,
sur quelles bases il appuyait ses affirmations. Par exemple, en Chambre, je
l'ai souvent entendu dire que le français reculait sur tous les fronts
au Québec. Aujourd'hui, il a parlé de la dégradation.
J'invite le député de Taillon, et je termine là-dessus,
à profiter de la présence de mes collègues, les
présidents des organismes mis en place par la Charte de la langue
française, pour leur poser
toutes les questions qu'il veut bien parce qu'eux, comme
présidents, et aussi d'une façon tout à fait
professionnelle, ont, à mon avis, des réponses importantes et
intéressantes à lui donner, aux gens qu'il représente dans
son comté, aux gens que vous tous, membres de l'Assemblée
nationale, représentez ici, à l'Assemblée nationale.
J'invite encore une fois non seulement le député de Taillon, mais
les membres de ma propre formation politique, à poser des questions eu
égard à ce dossier fort important qui est le dossier de la
langue. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Laporte): Merci, M. le ministre. M. le
député de Taillon.
M. Filion: En trois phrases, M. le Président. D'abord, en
ce qui concerne C-72, vous comprendrez, comme simple député
d'Opposition, que je ne peux pas accepter le type de réponse où
on nous dit: Cela fait dix mois et demi que l'avis est déposé;
cela concerne une juridiction constitutionnelle et vous comprendrez que ce
n'est pas de ma juridiction. Le ministre qui est devant moi est responsable de
l'application de la Charte de la langue française, de a à z. S'il
doit convaincre quelques-uns de ses collègues de bouger, c'est sa
responsabilité, premièrement.
Deuxièmement, en ce qui concerne l'avis sur l'accord du lac
Meech, nous y reviendrons dans les questions. J'ai été un peu
surpris d'entendre quel était le mandat précis du conseil.
J'annonce ma question d'avance pour que les fonctionnaires puissent se
préparer: Est-ce qu'il y a déjà eu un autre mandat que
celui-là qui a été confié au conseil et s'il y a eu
changement quant au mandat du conseil, pourquoi ce changement est-il survenu et
dans quelles circonstances? Troisièmement, en ce qui concerne la
détérioration du français, c'est difficile d'invoquer le
sens commun et je me méfie des chiffres, sauf que j'en ai donné
un tantôt qui parlait de façon très efficace: 1983, 1984,
1985 par rapport à 1986-1987, il y a une augmentation du nombre de
dossiers d'enquête. Pas les plaintes, parce qu'avec les plaintes il peut
y avoir du dédoublement et tout cela, mais une augmentation des dossiers
d'enquête ouvertes de 120 %. Dernier commentaire pour qu'on puisse passer
aux questions.
Le Président (M. Laporte): Pour la compréhension de
celui qui vous parle, est-ce que vous entendez procéder de façon
générale ou par élément?
M. Filion: Bien, écoutez, si le ministre est d'accord,
j'aimerais procéder, pour qu'on se comprenne, avec les gens qui
l'entourent surtout. Je procéderais avec l'office, ensuite le conseil,
puis la commission de protection. Ma première question est
générale et s'attache aux crédits de l'ensemble des trois
organismes.
M. Rivard: À mon grand désarroi, je constate que
vous êtes peu intéressé par les activités de la
Commission de toponymie du Québec.
M. Filion: Non, pas du tout, dans cet ordre-là,
prioritaire. Alors, ce sont les trois organismes que nous étudierons
d'abord, si cela vous convient, et, bien sûr, par la suite...
M. Rivard: Et s'il nous reste du temps...
M. Filion: S'il nous reste du temps... On s'organisera pour qu'il
en reste.
Le Président (M. Laporte): Donc, si je comprends bien
l'entente qu'il y a actuellement, on procéderait à l'étude
de l'Office de la langue française, au Conseil de la langue
française et à la Commission de protection de la langue
française
M. Filion: Voilà.
Office de la langue française
Le Président (M. Laporte): Donc, on procède
à la période, on pourrait dire, de questions sur l'Office de la
langue française.
M. Filion: Comme je l'ai dit, ma première question porte
sur les crédits des trois organismes regroupés. Quand je dis les
trois, je veux parler de l'ensemble des quatre organismes regroupés plus
la commission d'appel, évidemment, sur la francisation des entreprises,
qui n'est quand même pas un gros...
Alors, ma question est la suivante - je la formulerai peut-être en
deux temps: D'abord, si on regarde les crédits, on constate une hausse
de 7, 3 %. La hausse résulte essentiellement, et vous me corrigerez dans
mon exposé, M. le ministre, de l'indexation des traitements ainsi que de
l'ajout des budgets reliés à la mise en oeuvre du fonds
spécial des télécommunications. Mais, plus important, si
on compare les crédits de 1988-1989 au budget de 1985-1986,
l'augmentation des sommes allouées n'est que de 3, 6 %. En fait, les
crédits de l'an dernier, 1987-1988, étaient encore
inférieurs aux dépenses de 1985-1986. Ce n'est que cette
année que l'on vient tout juste de rattraper 1985-1986. Donc, comme je
le disais tantôt dans mon exposé principal, si on compare les
crédits, les pommes avec les pommes, les oranges avec les oranges, parce
qu'il y a des dépenses probables, etc., ceux de 1988-1989 avec ceux de
1985-1986, on constate une baisse de 0, 8 %. Si on compare les dépenses
réelles avec les dépenses réelles, on se rend compte,
là aussi, qu'il y a eu diminution. Les dépenses, en 1985-1986,
étaient de 21 268 000 $ et celles anticipées pour 1987-1988 de 20
545 000 $, soit une diminution, comme je l'ai dit, de 3, 4 %. Je ne sais pas si
le ministre me saisit; si je prends 1987-1988
avec 1985-1986, j'arrive à une diminution,
premièrement.
Deuxièmement, on ne pourra pas nier que les organismes
chargés de défendre et de promouvoir la langue française
ont un travail de plus en plus énorme. Je pense qu'il y a une
sensibilité qui existe sur laquelle, le ministre et moi allons convenir
rapidement. Il y a beaucoup plus de travail; les questions posées,
notamment au conseil, sont de plus en plus complexes; à l'office, on le
sait, les mandats sont extrêmement importants, etc. Comment le ministre
peut-il justifier, cet après-midi, le fait que, d'un côté
il y ait plus de travail - même s'il n'est pas d'accord avec moi que la
situation se détériore, cela continue d'être notre point de
vue; je pense qu'il est peut-être d'accord en partie, mais, en tout cas,
oublions cette partie-là - et moins d'argent et moins d'effectifs? La
rationalisation, j'en suis et j'ai déjà eu l'occasion
d'entretenir beaucoup de personnes sur la rationalisation. Mais je pense qu'on
sait et ceux qui sont près des organismes nous disent que le temps des
miracles est révolu et qu'il faut injecter des ressources humaines et
financières au sein de ces organismes. Donc, comment justifier ce peu de
ressources, alors que la situation commanderait une intervention plus
générale? Il faut se comprendre. 22 000 000 $, ce n'est pas
énorme dans l'ensemble du budget du gouvernement du Québec. Je
pense que le ministre en conviendra aisément avec moi.
M. Rivard: M. le Président, effectivement, le
député de Taillon a raison. Lorsque je regarde mon budget, je
dois le regarder avec énormément d'humilité parce qu'il
n'est pas gros par rapport à l'ensemble du budget gouvernemental. Je
peux répondre ceci au député de Taillon: Je serai le
premier à réclamer une augmentation de ce budget ou de ces
budgets - parce que ce petit budget de 22 000 000 $ est fait d'un certain
nombre, de quatre ou cinq éléments - si j'ai la preuve, si les
présidents des organismes prouvent à ma satisfaction qu'ils ne
sont pas capables de faire leur travail avec les outils, les ressources
humaines, les sous, le budget qu'ils ont actuellement. J'ai demandé,
lorsque j'ai été nommé à ce poste, à chacun
des présidents d'organisme de regarder ce avec quoi ils travaillaient et
de me dire si oui ou non ils étaient satisfaits de cela.
Autre commentaire et je vais rapidement passer la parole à M.
Laporte, le président de l'Office de la langue française, pour
que vous constatiez comme moi, M. le Président, que, sur un budget de 22
000 000 $, 16 000 000 $ appartiennent à l'Office de la langue
française. Le député de Taillon a mentionné la
question de l'augmentation du travail. Effectivement, en particulier à
la Commission de protection de la langue française, il y a une telle
augmentation du travail. Nous reconnaissons tous les deux qu'il s'agit
là de l'exercice, par la population, d'une vigilance de bon aloi, mais
nous devrons recon- naître tous les deux, s'il veut bien me donner la
chance ou donner la chance à la présidente de la commission de
s'expliquer là-dessus, qu'une partie du travail additionnel qui a
dû être fourni cette année est venue de la production en
masse, en quantité industrielle, avec des moyens industriels de plaintes
auprès de la Commission de protection de la langue française. Mme
De Fougerolles pourra s'expliquer à loisir là-dessus si M. le
député de Taillon veut bien entendre les explications en posant
des questions ou en demandant des précisions.
Dernier commentaire avant de passer la parole à M. Laporte. Eu
égard à la situation financière, à cette
comparaison avec 1985-1988, si je me souviens bien, en avril 1985,
c'était le gouvernement du Parti québécois qui
était au pouvoir. Ma mémoire remonte au moins jusqu'à ce
temps-là. Le député de Taillon me voit venir, M. le
Président. Il sait que je vais lui dire que le 2 décembre 1985 un
nouveau parti a été choisi par la population, dans tous les coins
du Québec, sauf exception, pour former un nouveau gouvernement. Le
député de Taillon se rappellera qu'à toute vitesse le
ministre des Finances a été obligé de préparer un
document qui s'intitulait "De l'urgence de redresser la situation
financière du gouvernement". (16 h 45)
Nous avons eu, M. le Président, un lourd héritage. C'est
évident qu'une partie de cette évolution des budgets des
organismes responsables de l'application de la Charte de la langue
française peut être attribuée - je ne le sais pas, on va
écouter M. Laporte - à ce phénomène-là.
J'aimerais, M. le Président, avec votre permission,
présenter aux membres de cette commission M. Pierre-Étienne
Laporte, qui est président de l'Office de la langue française,
afin qu'il puisse se servir de l'évolution du budget de son office pour
répondre à 80 % des préoccupations du député
de Taillon.
Le Président (M. Laporte): M. Laporte.
M. Laporte (Pierre-Étienne): Merci. D'abord, il faut dire
que, du point de vue de l'évolution des effectifs à plus long
terme, sur une période qui irait du début de la mise en
application de la charte à l'exercice courant, il y a une diminution,
une décroissance des effectifs de l'office qui est tout à fait
proportionnelle à la décroissance des effectifs des
ministères et des organismes moyens du gouvernement du Québec. En
réalité, la vitesse de décroissance a été la
plus rapide entre 1980 et 1981 et la corrélation avec la crise est trop
évidente pour ne pas faire un lien de causalité avec
l'augmentation de la vitesse de décroissance des effectifs durant cette
période.
Donc, pour l'ensemble, il n'y a rien d'anormal dans la
décroissance de nos effectifs depuis les huit ou neuf dernières
années. Pour ce qui
est de l'évolution du budget, je pense qu'il faut
reconnaître qu'il y a eu effectivement une diminution qui s'est
opérée en 1986-1987 et qui a été le
résultat, encore là, d'une action prise par le Conseil du
trésor, qui n'a pas touché l'Office de la langue française
comme tel, mais qui a touché l'ensemble des organismes. Ce que je peux
dire et affirmer comme administrateur de l'office, c'est que cette diminution,
si elle est réelle, même si elle ne s'est pas maintenue dans les
années qui ont suivi parce que le budget s'est remis à la hausse
par la suite en 1987-1988 et en 1988-1989, n'a pas eu d'effets négatifs
sur la productivité de l'office, sur la qualité de nos produits
et la qualité de nos services. J'affirmerais plutôt, qu'au
contraire cette diminution, qui, soit dit en passant, n'a pas été
vécue par le personnel de l'office comme un changement facile, a
donné lieu à des adaptations qui, à mon avis, ont
été bénéfiques. Il a donc fallu avec moins de
postes permanents et moins de postes occasionnels faire autant, sinon plus.
Cela faisait partie, à ce moment-là, de la philosophie de mon
prédécesseur qui voulait qu'avec moins on puisse faire autant ou
faire plus. Je pense qu'on pourrait faire la démonstration, compte tenu,
par exemple, de l'évolution de la certification des entreprises au cours
des trois ou quatre dernières années ou compte tenu par exemple,
des efforts qu'on a pu faire et qu'on a faits avec succès pour
améliorer la productivité de nos services de consultation
terminologique et linguistique, que ces diminutions ont eu lieu, mais que leur
impact sur la performance de l'organisme, définie globalement pour y
inclure à la fois de la productivité, de la qualité de
produits et de la qualité de services, n'a pas été
négatif.
Le Président (M. Laporte): M. le député de
Taillon.
Francisation des entreprises
M. Filion: Oui. Je vais m'adresser au ministre. Toutes mes
questions s'adressent au ministre. Si le ministre veut les acheminer
autrement... Le président de l'office vient de nous dire que la
productivité des gens à l'office n'avait sûrement pas
décru ces dernières années et je n'en doute pas. Je suis
convaincu de cela et même je suis à peu près
persuadé qu'on a trouvé de nouvelles façons de multiplier
les résultats, mais ma question s'adresse au ministre. Comment le
ministre peut-il expliquer le retard, la stagnation, pour employer l'expression
de sa prédécesseure, dans le dossier de la francisation des
entreprises alors que, manifestement, l'office est tout aussi productif? Et
n'en doutons pas, mes propos ne sont nullement pour discréditer les gens
qui travaillent à cet office. Je l'ai dit tantôt et je le
répète pour la dernière fois, pour que cela soit clair:
Les gens qui sont là font tout ce qu'ils peuvent, partout, dans tous les
organismes. C'est ma conviction la plus intime, ayant été le
porte-parole de l'Opposition officielle depuis bientôt neuf mois en
matière linguistique. Alors, si les gens font ce qu'ils peuvent, comment
expliquer à ce moment-là le retard, notamment au chapitre de la
francisation des entreprises, sinon par un changement d'attitude, sinon par un
changement de degré de réceptivité des programmes de
francisation, sinon peut-être par un engouement moins prononcé de
la part des syndicats qui, on le sait... Quand on pense à la CSD - les
chiffres que je mentionnais tantôt pour les centrales syndicales - on a
coupé 20 000 $. C'est couper la moitié d'un poste. Ce n'est pas
une centrale qui est riche.
Alors, est-ce que le ministre ne convient pas que, avec ce qui vient
d'être dit, on peut attribuer le retard, notamment celui du programme de
francisation des entreprises, à peu près uniquement à un
changement de climat et d'attitude? À peine 50 % des entreprises qui
auraient dû obtenir leur certificat de francisation l'ont obtenu de fait.
C'est bien peu. Je n'ai pas besoin de citer au ministre ce que je lui citais
vendredi. Les déclarations faites par M. Guillotte, membre du Conseil de
la langue française et directeur du Centre de linguistique de
l'entreprise... Peut-être que je pourrais rafraîchir la
mémoire du ministre: II est vrai que le climat actuel incite les cadres
et les employés à renvoyer au second plan les
préoccupations linguistiques. On prétexte le climat actuel pour
ralentir. Un chiffre révélateur, depuis janvier 1988: les
inscriptions aux cours de français, que le Centre de linguistique de
l'entreprise offre à ses membres, ont chuté de 55 %. Bref, parce
que je ne veux pas prendre tout le temps là-dessus, la
productivité n'a certainement pas diminué, mais sur le terrain,
notamment en matière de francisation des entreprises, on stagne. Alors,
comment le ministre peut-il m'expliquer cela?
Le Président (M. Laporte): M. le ministre.
M. Rivard: Merci, M. le Président. Je pense que le
député de Taillon voit venir ma réponse. D'une part, je
lui dirai que, lorsqu'il parle de stagnation, comme lorsqu'il parle de
dégradation, de recul, etc., il emploie des mots qui le situent dans le
vaste domaine des perceptions. Il a sa perception des choses et je lui
reconnais le droit d'avoir sa perception des choses. Nous allons, avec l'aide
de mes collègues des organismes, essayer de saisir non pas les
perceptions mais les réalités. Je suis certain que mes
collègues auront beaucoup de faits et beaucoup de chiffres sur lesquels
ils pourront s'appuyer pour faire mieux percevoir, faire mieux apercevoir cette
réalité et mieux la décrire. De toute évidence,
étant donné que ce document vient de sortir, j'ai l'impression
que le député de Taillon l'a lu et que, par conséquent, il
a lu comme moi la page 89. Je viens de compter les 27 causes de délai,
de
difficulté ou de résistance dans la francisation des
entreprises. Que voilà, M. le Président, une liste
impressionnante! J'ai dit au député de Taillon, lors de
l'interpellation, lorsqu'il m'a parlé à peu près dans le
même sens - page 89, M. le député de Taillon - que, sans
aucun doute, au début de ce processus de francisation, il était
probable qu'on ait d'abord francisé les entreprises qui étaient
plus facilement francisables. J'ai même employé la comparaison
suivante: II est sans aucun doute, c'est une question de sens commun, plus
facile de franciser comme milieu de travail le journal La Presse que le
journal The Gazette. Et il est plus facile, probablement, de franciser
des entreprises de quelque taille qu'elles soient, si elles se situent dans des
secteurs d'activité industrielle ou manufacturière traditionnels
que de franciser des entreprises où la haute technologie est le pain
quotidien. Vous avez compris, M. le Président, que, étant
donné l'importance des questions du député de Taillon et
de la précision qu'il apporte parfois dans ces questions-là, je
vais demander au président des organismes, qui sont mes collaborateurs,
qui constituent, comme je l'ai dit, mon ministère, de répondre
dans le détail. Je souhaite que nous passions, avec l'accord du
député de Taillon, le plus de temps possible sur ce dossier
extrêmement important qui est celui de la francisation des entreprises.
Comme gouvernement, nous n'avons rien à cacher là-dessus et il
m'intéresse, comme vous, M. le Président, comme les membres de la
commission parlementaire, de saisir où nous en sommes, où nous
allons dans ce dossier. M. Laporte.
Le Président (M. Laporte): Tout en vous demandant, M.
Laporte, en vous laissant la parole, d'être dans le complément de
réponse que M. le ministre vous demande, le plus concis possible pour
éclairer le plus possible les membres de la commission
parlementaire.
M. Filion: M. le Président, est-ce que je peux...
Le Président (M. Laporte): Oui, M. le député
de Taillon.
M. Filion: Sur la question de la francisation des entreprises,
pour le ministre qui parle de perception, je voudrais citer l'avis du Conseil
de la langue française sur la nécessité de préciser
les intentions gouvernementales en matière linguistique. Quand il dit:
C'est votre perception, M. le député de Taillon, je vous l'ai dit
tantôt, le terme stagnation a été utilisé, est sorti
lors de l'interpellation des crédits que j'avais eue avec sa
prédécesseure. Mais bien plus, s'il n'est pas satisfait du terme
stagnation, je vais citer aux mots l'avis du Conseil de la langue
française sur la nécessité, en 1986, de préciser
les intentions gouvernementales en matière linguistique: "Dans d'autres
domaines, dit le conseil, moins visibles que celui de l'affichage public, le
respect de la Charte de la langue française semble s'affaiblir depuis
quelques mois - déjà, cela n'a pas pris de temps, cela faisait
quatre mois. On peut être tenté d'attribuer ce relâchement
au flottement évoqué plus haut, vous vous souviendrez du
début de l'avis du conseil de mars 1986. C'est ainsi que la
volonté d'apprentissage du français dans les entreprises a subi,
ces derniers temps, un recul significatif. Les sociétés qui
fournissent une aide et des instruments à cet apprentissage voient la
demande diminuer de façon draconnienne - ce n'est pas moi qui parle - de
la part de ceux-là même qui, hier encore, considéraient la
francisation des entreprises comme une nécessité. "
Je l'ai dit à l'étude des crédits et je le
répète, il n'y a pas de Dow Jones et on n'en aura jamais, M. le
ministre. Il faudrait quand même, à un moment donné,
pouvoir s'entendre ensemble sur certaines réalités, sinon nous
serons condamnés l'un et l'autre à une espèce de dialogue
de sourds. Je l'avoue honnêtement au ministre, il est vrai qu'il y a une
partie perception à l'ensemble du secteur linguistique, heureusement
qu'on a quelques données sur lesquelles s'appuyer. On a aussi le conseil
dont c'est la tâche, à longueur d'année, de voir à
traduire, pour le bénéfice du gouvernement, ces perceptions en
réalités, afin de nous permettre de distinguer des perceptions
qui seraient subjectives ou totalement subjectives, car cela reste toujours en
partie subjectif. Dans ce sens-là, je veux bien qu'on commence de
grandes discussions psychologiques sur la différence entre une
perception et une réalité, mais je pense que, lorsque le conseil
parle, il faudrait l'écouter.
Ma question, reposée très simplement... Il y a toujours eu
des embûches à la francisation des entreprises. Cela a toujours
existé, mais quand même la Charte de la langue existe depuis dix
ans. Ce n'est quand même pas une nouvelle loi, cela fait dix ans et on
est là à 50 % des entreprises de plus de 100 employés...
Les tableaux 2 et 3, fournis par l'office lors de l'interpellation, les
tableaux 2 et 3 pour les entreprises de plus de 100 employés et les
entreprises de 50 à 99 sont tout à fait d'actualité, bien
que des modifications doivent y être apportées et qu'elles ont
été apportées en vertu des derniers renseignements qui
nous sont fournis. (17 heures)
Bref, à quoi attribuer, au-delà des facteurs qui ont
toujours existé, le fait que la francisation des entreprises stagne,
à notre point de vue - on peut changer le mot - alors que le personnel
de l'office est tout à fait productif?
Le Président (M. Laporte): M. le ministre.
M. Rivard: Deux brefs commentaires. Premièrement, je
constate et j'espère que le député de Taillon constate
aussi que lui et moi
sommes d'accord sur le point suivant: la francisation des entreprises,
c'est extrêmement important et il faut y travailler et continuer d'y
travailler avec ardeur. Deuxièmement, le député de Taillon
me parle d'un avis du conseil émis et rendu public en mars 1986. Cela
fait deux ans de cela... Est-ce que c'est mars 1986?
M. Filion: Oui, mais juste pour vous aider, M. le ministre, on a
fait un rappel de cet avis de mars 1986 dans un des avis ultérieurs en
disant qu'il était toujours d'actualité.
M. Rivard: M. le député de Taillon est bien bon de
m'apporter ces précisions; je les apprécie. Je veux dire tout
simplement que c'est un avis qui date de quelque temps. Ne nous chicanons pas
sur les dates. Ce que je veux dire, c'est que je ne sais pas si l'actuel
conseil nous rendrait le même avis. Je cesse d'intervenir parce que je
voudrais que le président de l'Office de la langue française, M.
Pierre-Etienne Laporte, nous entretienne aussi en profondeur que possible de
cette question encore une fois fort importante qu'est la francisation des
entreprises.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Vous m'avez demandé
d'être bref, je vais être bref. Premièrement, il faut dire
qu'il y a eu une sous-estimation du défi que constitue la francisation
de l'entreprise. Qu'on constate, après dix ans d'application de la
charte, qu'on soit à 50 % de la francisation des entreprises de 100 et
plus et à 65 % ou 66 % des entreprises de 50 à 100, c'est vrai,
c'est un fait, mais, si on pensait que dix ans après on devait en
être rendu à 80 %, c'est tout simplement qu'au moment où on
a planifié l'aménagement de la francisation des entreprises, on a
sous-estimé le défi que constituait la francisation des
entreprises au Québec.
Deuxièmement, il faut aussi reconnaître que la francisation
des entreprises - et, dans le cas de l'Office de la langue française, on
parle évidemment de la certification des entreprises - que l'office dans
son travail fait face à un phénomène tout à fait
normal dans un changement qu'on appelle un phénomène de courbe de
difficulté, à savoir que les entreprises qui ont
été certifiées par l'office il y a cinq ans étaient
des entreprises moins difficiles à franciser que les entreprises qui
sont maintenant certifiées. La preuve est que, dans les entreprises
qu'on certifie maintenant, on a des entreprises qui ont de plus longs
programmes de francisation. On a, par exemple, toute la lignée des
entreprises de haute technologie. Donc, plus on avance, plus les entreprises
que l'on doit certifier sont difficiles à franciser. On peut donc
s'attendre que de ce point de vue il y ait un certain ralentissement de la
vitesse de certification qui tient au fait que la clientèle n'est pas
plus difficile parce qu'elle est plus résistante, mais plus difficile
parce que c'est plus complexe.
Troisièmement, j'ai ici des données sur la certification
des entreprises et, sauf pour l'année 1986-1987 que je n'arrive pas
à m'expliquer, la vitesse de certification est à peu près
constante de 1980 à 1988. Donc, il y a eu une année où il
y a eu une baisse du nombre de certificats attribués. Cela peut
être lié à des raisons opérationnelles que j'ignore,
mais, pour ce qui est du mouvement général, la certification se
produit à une vitesse à peu près constante d'une
année à l'autre depuis en tout cas les années
quatre-vingt.
Quatrièmement, je ne conteste pas les données qu'a rendues
publiques M. Guillotte et qui sont réapparues par la suite dans un avis
du conseil touchant la diminution des cours de français donnés
par les entreprises; s'il le dit, c'est certainement vrai. Maintenant, reste
à savoir si on peut utiliser cela comme un indicateur du fait qu'il y
aurait une stagnation dans la francisation des entreprises. Il faudrait
examiner pourquoi ce changement s'est produit. Est-ce que c'est dû au
fait qu'il y a de moins en moins de gens dans les entreprises qui ont besoin
d'en prendre, des cours de français? Il y a eu tout de même un
départ considérable d'anglophones du Québec depuis une
dizaine d'années. Il y a maintenant un retour. Cela peut expliquer que
le besoin de cours de français soit inférieur à ce qu'il
était antérieurement, mais ce serait à M. Guillotte et non
à moi de se prononcer là-dessus.
Tout ce que je peux dire en terminant, c'est que les données dont
je dispose, et ce sont, je le répète, des données de
certification, ne m'indiquent pas que la certification ait ralenti, que le
processus ait diminué de vitesse au cours des années. Je dirai
une chose en terminant, qui est assez bien connue du monde des affaires, c'est
que, si la certification des entreprises se maintient à une vitesse
constante, c'est peut-être une bonne chose qu'on ne certifie pas plus
rapidement parce que, si on certifiait plus rapidement, on se retrouverait dans
la situation d'avoir des entreprises qui ont été reconnues comme
s'étant conformées au statut de francisation que prévoit
la charte, mais sur lesquelles on n'aurait pas nécessairement un pouvoir
d'intervention. Donc, la certification d'une entreprise, c'est une arme
à deux tranchants: lorsqu'on donne des certificats, il ne faudrait pas
non plus créer l'impression que tout est fini après la
certification. Et là c'est toute la question de la problématique
de la francisation postcertification qui est en cause maintenant et dont je ne
veux pas discuter pour l'instant, mais les données que j'ai devant moi
ne m'amènent pas à conclure que la situation ait beaucoup
changé au cours des quatre ou cinq dernières années. Il y
a eu, je le répète, une petite diminution dans notre attribution
de certificats en 1986-1987; cela peut être une variation qui tienne
à des facteurs que j'ignore pour l'instant, mais cela n'est pas une
tendance, et je termine là-dessus.
Le Président (M. Laporte): Merci M. le
député.
M. Filion: M. le Président, toujours au ministre, il y a
beaucoup d'entreprises, j'ai eu l'occasion d'en visiter une dans mon
comté, qui ont obtenu leur certificat de francisation et où,
selon les travailleurs - je n'ai pas fait d'enquêtes scientifiques - il y
aurait lieu de vérifier après l'obtention du certificat de
francisation pour bien assurer le suivi des mesures, des guides et des
règles qui ont été adoptés par l'entreprise de
façon que l'on puisse travailler en français dans ces
entreprises. Ce que je soulève donc, et je pense que votre porte-parole,
M. le Président, y faisait allusion tantôt, mais ma question
s'adresse quand même au ministre, il demeure qu'une fois qu'on a obtenu
le certificat de francisation et qu'on l'accroche sur un mur, ce n'est pas
tout. L'effort de franciser une entreprise peut connaître des hauts et
des bas, mais est un effort constant dans beaucoup de cas. Alors, en ce sens,
j'aimerais savoir si le ministre calcule qu'avec un budget réduit de 0,
8 %, sans compter l'inflation depuis 1985, si l'office a les moyens et les
ressources suffisantes pour assurer ce suivi important, étroit, des
entreprises qui, on le sait, sont uniquement la moitié du total, mais
qui ont acquis leur certificat de francisation. Et pour terminer avec l'exemple
que j'évoquais, chez les travailleurs rencontrés d'une grosse
usine de la rive sud de Montréal, on était fort inquiets et on
m'a soulevé ce cas très concret à plus d'une reprise.
Alors, est-ce que le ministre croit que l'office a les ressources suffisantes
pour effectuer ce travail de suivi après l'obtention du certificat de
francisation?
M. Rivard: M. le Président, c'est évident que le
député de Taillon et moi sommes exactement sur la même
longueur d'onde dans ce dossier. La francisation - je pense l'avoir dit tout
à l'heure ou avoir pris à mon compte des paroles qui sont
utilisées par M. Plourde dans son bouquin - des entreprises, qui nous
conduit à avoir ultimement, dans chacun des milieux de travail, le
français comme langue de travail, est un objectif que le
député de Taillon et moi poursuivons. Il est évident que
je réponds avec énormément d'enthousiasme à la
préoccupation que véhicule le député de Taillon, eu
égard à la continuité du processus dans l'entreprise
même. Je salue, en passant, ces travailleurs auxquels il fait allusion et
qui, dans une entreprise - j'ai cru comprendre de son comté - exercent
une responsabilité individuelle en se disant: Nous sommes
préoccupés. Nous avons acquis ou nous avons fait tel ou tel
progrès dans l'utilisation de notre langue de travail, mais nous sommes
un peu inquiets par rapport à ce qui se passera au cours des
années à venir. Je suis très réceptif à
toute mesure, à tout plan qui pourrait être mis en place pour nous
assurer qu'une fois le certificat de francisation obtenu il y ait quelque chose
qui se passe par la suite et être bien sûrs que l'acquis, au point
de vue de l'utilisation du français comme langue de travail dans
l'entreprise, soit maintenu et même que la langue de travail s'enrichisse
et continue de s'épanouir.
Le député de Taillon a posé une question
très précise dans le sens suivant: Est-ce que l'Office de la
langue française a les sous qu'il faut, le budget qu'il faut pour faire
ce qu'il a à faire dans...
M. Filion: Les personnes aussi.
M. Rivard: Cela va de soi. Les sous servent,
Mme la Présidente - je salue votre arrivée à la
tête de cette table - à payer des gens. M. le président de
l'Office de la langue française.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Évidemment, je vous
réponds comme un administrateur public, donc comme quelqu'un qui a tout
de même des préoccupations de rationalité face au budget de
l'État. La réponse à cela, c'est: Oui, nous avons les
ressources, à la fois humaines et financières, pour faire face
à la tâche actuelle. J'ajoute - c'est une nuance importante - que
la question qui est soulevée par le député nous
préoccupe énormément et que, dernièrement, nous
avons pris deux décisions dans le but d'apporter une réponse
à la question de la stabilisation ou du maintien de la francisation
après la certification. D'une part, nous sommes en train de regarder
très sérieusement le fonctionnement des comités de
francisation des entreprises pour essayer de voir comment on pourrait leur
donner de l'aide afin de les rendre plus efficaces et plus performants. D'autre
part, dernièrement, on a entrepris, à l'office, une
opération qu'on appelle l'opération contact dont l'objectif est
de reprendre contact avec les entreprises qui sont déjà
certifiées et avec lesquelles on n'avait pas eu de contact comme on en a
eus avec les entreprises qui sont en processus de certification.
Donc, je répondrai au député qu'à la suite
de ces réflexions qui sont en train de se poursuivre chez nous il se
peut que nous décidions d'une nouvelle stratégie et que, par
conséquent, nous songions à demander des ressources
additionnelles au gouvernement, sauf qu'en l'absence de cette stratégie,
pour l'instant, je pense qu'il faut réfléchir. Il faut voir
quelle sera la stratégie et se demander s'il sera opportun dans trois ou
quatre mois, par exemple, compte tenu de la nouvelle stratégie, de
demander des ressources additionnelles. Compte tenu de ce que nous avons fait
jusqu'ici, je pense que nos ressources nous suffisent. Maintenant, compte tenu
de ce qu'on pourrait décider de faire dans l'avenir, il se pourrait que,
à ce moment-là, on ait besoin de ressources additionnelles soit
du côté du budget, soit du côté des effectifs.
La Présidente (Mme Cardinal): Merci, M. Laporte. M. le
député de Taillon.
(17 h 15)
M. Filion: Je ne voudrais pas m'éterniser
là-dessus, Mme la Présidente. Je ne voudrais surtout pas
entreprendre d'échanges trop longs avec le président. Je
comprends quand même qu'ils sont en train d'évaluer la situation.
Vous me corrigerez, le ministre me corrigera, mais, en pratique, quant au suivi
concret des entreprises qui ont mérité un certificat de
francisation, au moment où on se parle, il y a peu de choses de faites.
Vous êtes en train d'orienter vos réflexions en ce qui concerne
l'avenir. Est-ce que je respecte votre pensée quand je dis que ces
réflexions vous mèneront à la définition d'une
stratégie qui va faire en sorte qu'un suivi sera accordé à
ces entreprises?
La Présidente (Mme Cardinal): M. le ministre.
M. Rivard: M. le président de l'Office de la langue
française m'informe que l'opération contact dont il vient de
parler et qui constitue le suivi auprès des entreprises qui ont
déjà reçu leur certificat de francisation est en marche.
Ce n'est pas quelque chose à venir. Il m'informe que 300 entreprises sur
environ 900 ou 1000 ont effectivement été contactées.
C'est quelque chose d'actuel.
M. Filion: Mais c'est un contact pour prendre le pouls des
entreprises, si je comprends bien? Ce n'est pas un contact qui vise a une
action dans le champ, sur le terrain, dans l'entreprise. C'est ce que j'ai
compris des propos. Est-ce que c'est exact?
M. Laporte: II faut faire des nuances. À l'office on a
tout un appareil que je qualifierais d'administratif et de bureaucratique de
suivi de ces entreprises qui sont déjà certifiées. Il y a
des rapports qui se font. Cette clientèle n'est pas abandonnée.
Par ailleurs, on est en train d'essayer d'imaginer de nouvelles
stratégies avec ces entreprises. Donc, vous avez parfaitement raison, ce
qu'on a fait jusqu'à maintenant, au cours des quatre ou cinq derniers
mois, a été de les consulter dans le but de s'informer de leurs
besoins et de décider, dans un esprit de partenariat qui était
recommandé par le comité Lalande, de quel genre de produits et de
quel genre de services ces entreprises ont besoin pour consolider leur
francisation.
Services en français dans les hôpitaux
anglophones
M. Filion: S'il nous reste du temps un peu plus tard, je
reviendrai là-dessus. Je voudrais maintenant aborder un autre sujet avec
M. le ministre, celui de l'article 23 de la Charte de la langue
française et de la situation dans les hôpitaux. Avant juin 1987,
selon les chiffres qui nous sont fournis, il y avait onze organismes de
santé qui avaient leur plan. Depuis juin 1987, il y a 32 organismes de
santé qui ont leur plan. Il y eut - cela fait partie des documents qui
nous ont été remis officiellement et que j'ai eu l'occasion
d'étudier - le 12 juin 1987 - décidément, c'est une date
fatidique, je pense que c'est la même date que le dépôt du
projet de loi C-72 - on a changé les règles, les modalités
et les procédures en ce qui concerne les organismes de santé. Je
n'ai pas besoin d'insister longtemps sur le fond du problème. C'est
qu'il y a de plus en plus de francophones qui sont hospitalisés à
certains hôpitaux, particulièrement dans la région de
Montréal, et qui ne peuvent recevoir des soins et être
traités en français.
À mon bureau, j'ai plusieurs communications qui m'ont
été faites par des citoyens. Quand on lit ces interventions, ces
moments vécus par les citoyens et citoyennes du Québec, je dois
vous dire que cela fait mal un peu. Quand un père est obligé
d'écrire dans sa lettre qu'il ne sait pas de quoi sa fille ou son fils
ou est mort parce qu'il n'y avait personne qui était capable de lui
parler en français, cela fait mal. En dehors de ce caractère
particulièrement douloureux, il demeure que, comme majorité
francophone au Québec, on a comme un peu le droit de se faire soigner en
français dans les hôpitaux qui vivent à même l'argent
des contribuables. Et à ce sujet d'ailleurs, il est intéressant
de noter que le nombre de plaintes au CRSSS de Montréal, le CRSSS-MM -
belle abréviation! - a triplé selon la responsable des plaintes -
je ne pense pas qu'il y ait des statistiques là-dessus - Mme Toupin, qui
attribuait ce phénomène à un certain laxisme. Donc, 32
organismes de santé qui ont leur plan.
Ma question va se diviser en plusieurs volets. Le premier, c'est: Quels
changements sont survenus, comme j'y ai d'ailleurs fait allusion dans mes
propos préliminaires, quels sont les changements qui sont survenus en
juin 1987 et qui ont fait en sorte que 21 organismes ont obtenu leur plan
depuis cette date? Est-ce qu'il y aurait eu un assouplissement de certaines
règles? Quel est l'assouplissement et de quelle nature est cet
assouplissement? Alors, peut-être que ma première question va
porter sur le 12 juin 1987: Qu'est-ce qui s'est passé exactement?
M. Rivard: D'accord. Avant de laisser la parole à M.
Laporte, parce que c'est une question à caractère technique,
entre autres, qui parle aussi d'un droit fondamental, je voudrais intervenir
brièvement de la façon suivante: D'abord, encore une fois, et le
député de Taillon, on le sait, madame... M. le Président -
je vois qu'il y a un changement de personnage au bout de cette table - M. le
Président, le député de Taillon sait que j'ai passé
25 ans de ma vie dans le réseau des services de santé et des
services sociaux. Donc, le député de Taillon sait qu'il est
très facile pour moi, de la même façon qu'il reçoit
de ses commettants des informations qui sont des incidents du point de vue de
la per-
sonne qui les a vécus, le député sait que je puis
assez facilement, de mon côté, avoir des informations que je
qualifierais d'assez première main, lorsque je parle, par exemple,
à un directeur général d'hôpital puisque, ma foi, je
les connais tous à travers le Québec, compte tenu du poste que
j'ai occupé entre 1982 et 1984. Permettez-moi d'affirmer, de
façon aussi éloquente que possible, la chose suivante: Un
Québécois ou une Québécoise d'expression
française, au moment où nous nous parlons, a un droit
inaliénable de recevoir des services de santé et des services
sociaux en français.
Vous avez parlé du nombre de plaintes: Pardon, M. le
Président, le député de Taillon a parlé du nombre
de plaintes. On me fournit les chiffres suivants, qui proviennent de la
Commission de protection de la langue française puisque c'est elle qui
reçoit les plaintes, eu égard à 23 - c'est du moins ce
dont on m'informe: en 1986-1987, l'ensemble des plaintes en provenance de ce
qu'on appelle l'administration, donc les hôpitaux, les ministères,
les municipalités, 244 plaintes; en 1987-1988, 49 plaintes; les plaintes
relatives aux hôpitaux particulièrement, 10 plaintes. Que
voilà, M. le Président, des chiffres qui ramènent
peut-être la dimension du problème qui est souligné par le
député de Taillon à quelque chose de moins significatif
que ce à quoi il s'attendait! Évidemment, chacune des dix
personnes qui a porté plainte, par exemple, eu égard à la
langue d'accueil et de service dans un hôpital ou un établissement
dit anglophone, chacune de ces personnes-là a vécu une situation
qu'elle n'a pas trouvée acceptable. Je suis d'accord avec le
député de Taillon là-dessus. Ce n'est pas acceptable pour
chacune de ces personnes-là. Mais, compte tenu des chiffres que je vous
donne, l'ensemble de la situation prouve, à mon avis et démontre
que nous avons fait dans ce domaine-là des progrès
considérables au Québec aussi. Dans le dossier linguistique, M.
le Président, il faut faire beaucoup attention aux perceptions, il faut
faire beaucoup attention aux incidents, il faut faire beaucoup attention aux
événements et il faut même faire attention, et M. le
député de Taillon en convient, au ton que nous prenons pour
parier de ces choses. D'ailleurs, j'ai félicité au moins deux ou
trois fois le député de Taillon, lors de l'interpellation de
vendredi dernier, pour le ton qu'il prenait, sa façon mesurée -
il continue aujourd'hui et je l'en remercie...
M. Filion: Oui.
M. Rivard:... de poser ses questions et faire ses
commentaires.
M. Filion: Oui. Bon...
M. Rivard: M. le Président, le député de
Taillon frétille un peu et il se dit que je ne réponds pas
à la question, mais je voulais réaffirmer ce droit absolument
fondamental qu'ont les Québécois d'expression française,
encore une fois, d'être accueillis et servis en français dans les
établissements de santé. Eu égard à la question
qu'il a posée à propos de juin 1987...
M. Filion: Oui, avec votre permission, M. le Président,
l'attitude condescendante du ministre à mon égard, vous savez,
comme députés de l'Opposition, on y est habitués. Il y a
une majorité, ils sont 99 de l'autre côté, alors cela
s'ajoute uniquement aux attitudes qui peuvent exister. Vous savez, sur les
paroles - le ministre disait tantôt qu'on est sur la même longueur
d'onde - vous savez, ce n'est pas sur les paroles que les citoyens jugent ce
qui se fait au Québec en matière de français, c'est sur
les actions. Et même si nous étions d'accord, vous et moi, pendant
toute une semaine sur les paroles, ce dont je vous parie, ce sont des actions
du gouvernement dont vous faites partie depuis deux ans et demi et des actions
qui doivent être prises de façon urgente, maintenant, dans
plusieurs secteurs. Comme député d'opposition, la
démocratie a voulu que je fasse plutôt partie non pas d'un
gouvernement, mais d'une opposition. Le ministre, lui, a été
assermenté pour assumer la responsabilité de l'application d'une
loi et, à cet égard, c'est lui et son gouvernement qui disposent
des moyens d'action pour modifier une situation. En ce sens-là,
l'attitude - si le ministre aime mon ton aujourd'hui, je ne voudrais pas que
mon ton lui déplaise demain - alors, dans ce sens-là, il peut
prendre le ton qu'il veut, l'émotivité, vous savez, cela fait
partie de la langue un petit peu et l'émotivité, ce n'est pas
toujours mauvais. C'est bon d'en avoir un peu, de poser des gestes raisonnables
et sensés et de prononcer également des paroles raisonnables et
sensées. Mais d'être émotif, que je sache, ce n'est pas un
handicap dans la vie en général, pas plus qu'en politique. En ce
sens-là, ma question était précise... D'ailleurs je
confronte un petit peu le ministre et les chiffres qu'il me donne à ce
qui nous vient du CRSSS-MM. C'est vrai que je ne sais pas à quel endroit
les gens peuvent s'adresser. Dans mon cas, je dois vous le dire, même la
première fois j'ai sursauté quand on m'a dit que la commission de
protection s'occupait de ces cas-là.
Alors donc, au CRSSS, on nous indique que le nombre de plaintes faites
par des francophones qui se seraient fait soigner dans une autre langue que le
français, dans un établissement de santé, s'est
multiplié par trois. Vous savez ce que vivent les gens lorsqu'ils se
présentent dans un hôpital. Ils ont généralement mal
quelque part ou, en tout cas, cela ne va pas bien. Quand on se présente
dans un hôpital, c'est rarement pour dire au médecin, Bien,
écoutez, cela va bien. On n'est pas en Chine ici. Je comprends qu'ils
ont un excellent système de santé en Chine, le médecin est
rémunéré selon que notre santé est
excellente. Ici, quand même, on consulte le médecin ou on
va à l'hôpital généralement quand on a eu un
accident ou une maladie; somme, quand la situation n'est pas tout à fait
"jojo". (17 h 30)
Donc, quand les gens quand vont dans les hôpitaux, ils
évitent, ils ne sont pas là pour porter plainte. Ils y vont pour
se faire soigner et pour recevoir, en ce qui concerne la majorité
francophone de 5 300 000 Québécois, des soins en français.
Donc, des fois, ils n'ont pas tout à fait le choix. Ils se retrouvent
dans des circonstances différentes de celles vécus pas un
individu qui se promène et qui voit une affiche ou celle d'un individu
qui reçoit une lettre du ministère du Revenu qui est
rédigée en anglais. Encore une fois, il y a ce climat... Je ne
mets pas en doute les chiffres - d'ailleurs, j'aurai quelques questions
à poser un peu plus tard dans la journée sur la façon de
calculer les chiffres à la Commission de la protection de la langue
française - mais je pense qu'il y a là une réalité
qu'on ne peut pas nier en ce qui concerne les soins de santé qui doivent
être donnés en français. Un seul cas, pour l'individu qui
le vit, est inacceptable. J'ai quelques lettres à mon bureau à
vous faire dresser les cheveux sur la tête. En ce sens, je repose donc ma
question: Quels sont les changements survenus en juin 1987?
M. Rivard: M. le Président, avant de laisser M. Laporte
répondre à cette question, j'aurais une question à poser
au député de Taillon. Je suis certain que le député
va accepter de répondre. Le député de Taillon fait
référence à des chiffres obtenus du conseil
régional et il dit que cela a augmenté de trois fois. Est-ce que
je pourrais connaître les chiffres bruts?
M. Filion: Tantôt, je vais inviter Mme Toupin du CRSSS-MM
qui est la responsable des plaintes et qui pourra vous donner encore plus de
détails.
M. Rivard: Vous n'avez pas les chiffres à l'heure
actuelle?
M. Filion: Je vous ai indiqué que le nombre de plaintes
par des francophones s'était multiplié par trois et que cela
vient de madame - son prénom est Claude, c'est peut-être un
monsieur Toupin - qui va même beaucoup plus loin que ce que j'ai dit
tantôt. Alors, ce serait une bonne chose de vérifier parce que je
pense que vous connaissez l'existence du CRSSS, ils sont près des gens
pour ce qui est des plaintes. Les gens en général savent que le
CRSSS est un bon endroit pour adresser des plaintes. Les chiffres exacts, je ne
voudrais pas vous induire en erreur, donc, je vous invite à
vérifier avec les gens de l'office qui est un réservoir et un
centre de dépôt de plaintes important.
M. Rivard: M. le Président, le député de
Taillon n'a pas besoin de m'expliquer comment fonctionne le conseil
régional, étant donné mon passé professionnel. Ce
que je demande au député de Taillon est très simple. Je
vais vous donner un exemple d'une simplicité épouvantable et je
m'en excuse auprès du député de Taillon. S'il y a eu deux
plaintes à une époque donnée, mettons en 1986-1987, et
qu'il y en a six en 1987-1988, cela fait une augmentation par trois. C'est bien
différent de 100 multiplié par 3 où on arriverait à
300, n'est-ce pas? Vous conviendrez avec moi qu'il s'agit là d'une
situation tout à fait différente.
Ce que j'essaie de faire depuis que j'ai été
assermenté comme ministre responsable de l'application de cette loi
extrêmement importante qu'est la Charte de la langue française,
c'est de contribuer à diminuer les tensions sociales qui existent dans
le dossier linguistique en déposant sur la table les faits et les
chiffres. Je les dépose. Notre gouvernement n'a rien à cacher. Je
laisse les présidents des organismes qui constituent mon
ministère répondre d'une façon tout à fait
professionnelle aux questions qui ont été jusqu'à
maintenant posées par le député de Taillon et j'invite,
encore une fois, les députés de ma formation politique qui sont,
j'en suis certain, préoccupés par les mêmes
problèmes, par les mêmes questions, je les invite à poser
des questions et soyez assurés que nous allons essayer de faire tout
notre possible pour trouver les réponses et, si nous n'avons pas les
réponses aujourd'hui, je m'engage à les fournir à la
commission.
Dernier commentaire avant de passer la parole à M. Laporte afin
qu'il puisse répondre, à la plus grande satisfaction du
député de Taillon, à la question posée au sujet du
12 juin 1987. Le député de Taillon dit: Passez à l'action,
faites quelque chose. Je réponds au député de Taillon:
J'ai peut-être été mal élevé dans ma
profession antérieure mais, règle générale,
j'étais plus confortable quand je posais le diagnostic avant d'appliquer
le traitement. C'était une façon plus raisonnable de faire les
choses. C'est l'éducation médicale qui m'avait donné cela.
Cette façon de procéder, poser le diagnostic avant d'appliquer le
traitement, est une façon qui est fort utile pour faire de la politique
et, deuxièmement, pour s'occuper d'un dossier comme celui-ci. Je ne suis
pas intéressé - je m'aperçois que mon ton monte et il faut
que je le baisse, à mon tour - je ne suis pas intéressé
par les perceptions, même s'il faut que j'en tienne compte. Je suis
d'accord avec le député de Taillon qu'il y a de
l'émotivité dans le dossier linguistique. La langue, c'est nos
tripes. C'est mes tripes à moi aussi. J'ai le droit de vibrer quand j'en
parle. Je suis intéressé aux perceptions en ce sens que les gens
s'en servent pour véhiculer un certain nombre de messages, et il faut
que je tienne compte de ces perceptions et de ces messages. Mais je suis
intéressé aux chiffres. Pour moi, ministre responsable de
l'application de la loi 101, il est très important que je sache
quels sont les chiffres auxquels fait allusion le député de
Taillon. Il existe une énorme différence, dans l'importance de la
question posée par le député de Taillon, selon qu'un
chiffre est tel ou tel. Si le député de Taillon est maintenant
prêt à recevoir la réponse concernant le 12 juin 1987, je
suis tout a fait disposé à passer la parole à M.
Laporte.
M. Filion: Oui.
Le Président (M. Laporte): M. Laporte.
M. Filion: Non, juste avant, M. le Président.
Le Président (M. Laporte): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Je pense qu'on aura l'occasion, le ministre et moi, de
travailler ensemble dans les mois qui viennent. Il est bon qu'on se comprenne.
Le ministre me dit: Cela fait un mois que je suis là et il faut que je
regarde tout cela avant de passer à l'action. Le problème, c'est
que, lorsque le ministre a été assermenté, il n'a pas
été assermenté à partir des nues. Il a
été assermenté pour faire partie d'un gouvernement qui est
là depuis deux ans et demi. Lorsqu'il a accepté la
responsabilité du poste qu'il occupe, il succédait et donc il a
pris sous sa responsabilité ministérielle ce qui a
été fait avant, de comités en rapports d'études,
les comités des sages, etc. Cela fait deux ans et demi que les
libéraux, dont vous faites partie, ont pris démocratiquement le
pouvoir. De dire: II faut que j'étudie une autre année... Vous
savez, cela fait deux ans et demi que les gens vivent dans
l'insécurité, je l'ai dit tantôt. J'aime bien que vous
vouliez poser un diagnostic, sauf qu'il y a beaucoup de choses qui ont
été faites avant que vous arriviez en ce qui concerne les
réflexions. Sauf que le ministre faisait partie également du
comité des douze. Il était l'un des apôtres. Il occupe
maintenant un autre poste. En ce sens-là, c'est le temps de passer
à l'action. Vous dites: Vous savez, il faut que je pose un diagnostic,
alors, voulez-vous, on va se reparler dans X temps? Non. Je suis d'accord avec
lui sur une chose, un seul cas est inacceptable en cette matière.
Pour répondre un peu plus en détail à sa question,
Mme Toupin déclarait le 15 octobre 1987, comme je le disais
tantôt, que le nombre de plaintes linguistiques déposées au
CRSSS-MM par des patients francophones hospitalisés dans des centres
hospitaliers anglophones a triplé depuis un an. Cela va vous donner une
indication des chiffres qui s'en viennent. Mme Toupin indiquait que,
auparavant, ce type de plainte était très sporadique. Alors, de
deux à six, je pense qu'on peut l'écarter. Elle allait beaucoup
plus loin que cela. Elle avait trouvé des motifs à ce fait que le
nombre de plaintes augmentait. Alors, peu importent les chiffres. Revenons donc
à notre question de base. Qu'est-ce qui est survenu le 12 juin 1987?
M. Rivard: M. le Président, pas peu importent les
chiffres. La formation de juriste du député de Taillon lui
interdit de ne pas porter une attention toute particulière à un
tel élément de preuve. J'arrête là, parce que je
veux vraiment que le député de Taillon entende la réponse
de M. Laporte eu égard aux événements du 12 juin 1987.
M. Filion:... tout le monde.
Le Président (M. Laporte): M. Laporte.
M. Laporte (Pierre-Etienne): M. le Président, avant de
répondre à la question de M. le député de Taillon,
permettez-moi de vous donner trois nouveaux chiffres. Les organismes dont on
parle, les organismes de santé anglophones, sont au nombre de 92. Il y
en a, selon les données officielles de l'office, 52 sur ces 92 dont le
fonctionnement linguistique est déjà conforme aux exigences de la
charte. Donc, 64 %. Nous attendons aussi, dans les semaines qui viennent, 20
autres programmes de conformité qui devraient être
déposés par l'institut conjoint de Montréal avec lequel on
a fait des arrangements pour traiter les organismes non pas individuellement,
mais en groupe. Ce qui veut dire qu'à l'heure actuelle il y en 64 % qui
sont conformes à la charte et que, peut-être d'ici à trois
semaines ou un mois, on sera rendu à 75 %. Je pense que c'est un chiffre
important à retenir. C'est un chiffre qui tient compte du fait qu'il y a
des gens qui se sont conformés à l'époque à
l'article 20, c'est-à-dire avant l'article 23 et qu'il y a des gens qui
se conforment, encore maintenant, à l'article 23. Au total, dans les
établissements anglophones, actuellement il y a environ 65 % de la
clientèle en conformité avec les exigences de la charte.
Maintenant, pour répondre à la question de M. le
député de Taillon, je vais vous dire tout simplement que ce qui
s'est passé le 12 juin 1987, c'est que l'Office de la langue
française, et j'en assume l'entière responsabilité, a
décidé de passer un nouveau contrat de confiance avec sa
clientèle. Antérieurement, nous exigions des pièces, des
preuves de diplômes; maintenant, on se contente, on se fie à
l'engagement qui est pris par l'établissement, un engagement
écrit concernant le pourcentage, dans chacun de ses services, du nombre
d'employés pouvant offrir des services en français. La charte
prévoit par ailleurs que les gens peuvent se plaindre, la charte
prévoit par ailleurs que l'office peut vérifier ces
déclarations. Sauf que ce qui s'est produit le 12 juin, dans le but de
court-circuiter la paperasse, et je dirais même de diminuer la
"bureaucrasse", nous avons décidé de passer ce nouveau contrat de
confiance et de recevoir des établissements des preuves de
conformité plutôt
que de leur faire passer des épreuves de conformité, en se
réservant évidemment le droit d'aller vérifier sur place
le bien-fondé des déclarations qui nous ont été
faites. Donc, ce qui s'est passé le 12 juin, c'est que, compte tenu de
la progression que j'ai mentionnée tantôt, nous avons
décidé qu'il était temps de modifier un peu la
stratégie et de miser davantage sur la confiance qu'on peut faire aux
dirigeants des établissements, confiance qui nous apparaissait normale
face à un objectif de simplification de la procédure
administrative et aussi d'allégement du fardeau administratif que la
Charte de la langue française impose à ces
clientèles-là comme à d'autres clientèles. Je vous
ai mentionné tantôt qu'on faisait une opération contact
pour essayer d'estimer un peu mieux les besoins de certaines de nos
clientèles. Cela fait partie de la même stratégie, une
stratégie de rapprochement et, je l'espère, d'amélioration
de la qualité de nos produits et de nos services à nos
clients.
Le Président (M. Laporte): Sur le même sujet, M. le
député de Berthier.
M. Houde: Merci, M. le Président. J'aurais deux questions
à poser à M. le ministre. J'entendais tantôt le
député de Taillon parler d'inquiétude et
d'insécurité. L'insécurité que le
député de Taillon tente de décrire, est-ce que cela ne
viendrait pas plutôt des députés de l'Opposition?
C'était ma première question. Voici ma deuxième: Est-ce
que vous pourriez me dire, aujourd'hui, si le pourcentage de francophones au
Québec a augmenté depuis quelques mois ou un an ou deux? Est-ce
qu'il est encore à 80 % ou à 78 % comparativement à il y a
trois, quatre ou cinq ans?
Le Président (M. Laporte): M. le ministre. (17 h 45)
M. Rivard: Merci, M. le député de Berthier, pour
votre question.
Vous avez parlé d'insécurité dans la population. Je
pourrais transformer ce terme d'insécurité de la façon
suivante: il existe de toute évidence actuellement - on vit presque, je
le regrette, à chaque semaine des événements ou des
incidents - une attention sélective de la part de la population sur le
dossier linguistique et, en particulier, sur un élément fort
important, non négligeable, mais quand même intégré
avec les autres éléments du dossier, soit la question de
l'affichage commercial.
Chaque incident est pris en compte du moment qu'il survient. Ce ne sont
pas toujours des incidents, ce sont parfois des événements fort
heureux, fort louables. Je qualifie comme tout à fait normal que 25 000
citoyens à un moment donné - notre premier ministre l'a reconnu -
se soient promenés dans les rues de Montréal pour manifester,
chacun prenant sur lui de manifester ses préoccupations, de se
réunir et de parler de la langue française. D'autres incidents
sont très malheureux et ne méritent pas d'être
rapportés devant cette commission parlementaire. On en voit des exemples
depuis quelques semaines dans les journaux.
Je dois déplorer le fait que parfois, une fois que les incidents
ont été récupérés d'une certaine
façon par les militants qui se situent aux deux extrémités
du spectre des opinions, eu égard à l'ensemble du dossier
linguistique, cela constitue une nouvelle qui est prise en charge par les
médias. Les médias ont un rôle important à jouer
dans ce dossier, en ce sens qu'ils peuvent ou bien choisir d'accentuer la
nouvelle, l'importance de l'événement ou de l'incident, ou bien
choisir de la tempérer. Dans le fond, M. le Président, la
question posée par le député de Berthier m'amène
à dire ceci. Nous avons tous dans le dossier linguistique, compte tenu
de l'abondance relative des événements et des incidents, une
responsabilité individuelle et sociale. Nous avons à nous assurer
que nous regardons bien les faits, les chiffres, les incidents tels qu'ils
existent et non pas les perceptions relatives à ces faits, à ces
chiffres ou à ces incidents.
La deuxième question du député de Berthier
était très spécifique. Il y a effectivement une
augmentation d'après le dernier recensement d'un point de pourcentage:
la population francophone du Québec est passée de quelque 82 %
à 84 % d'après Statistique Canada 1986; les anglophones: 12, 3 %
et les allophones: 6 %.
Le Président (M. Laporte): M. le député de
Taillon.
M. Filion: La tentative de culpabilisation qui est
déjà vaine, qui a déjà été
amorcée en Chambre par le premier ministre, est-ce terminé du
côté du député de Berthier? Revenons donc à
nos moutons. En ce qui concerne l'article 23, est-il exact de dire que 21
organismes se sont prévalus, si l'on veut, du changement des
règles de procédure prévu par l'office pour en
bénéficier? Combien il y en avait avant juin 1987? Est-ce que mes
chiffres sont exacts? Onze organismes de santé avaient leur plan avant
1987; 32 organismes ont eu leur plan après juin 1987. Donc, cela me
donnerait 21 organismes, institutions hospitalières ou centres sociaux,
peu importe, qui ont bénéficié du changement des
règles de procédure. Est-ce que mes chiffres sont exacts?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui, oui. Il y a effectivement parmi
eux... Si vous vous référez à ce que j'ai appelé
tantôt les instituts, les hôpitaux, c'est-à-dire aux
organismes de santé qui sont regroupés autour de l'institut
conjoint, alors, vous, vous dites 21, moi, j'ai dit 20, donc vos chiffres sont
conformes.
M. Filion: Je ne parle pas des organismes qui sont en
négocation, comme vous disiez
tantôt. Je parle des organismes qui se sont prévalus d'une
modification à vos règles de procédure qui consistait, si
j'ai bien compris, à faire signer un engagement écrit
plutôt qu'à subir une sorte d'épreuve, finalement.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Écoutez, je n'ai pas la
réponse là, sur le champ, mais vous avez peut-être raison.
Je vous la fournirai lorsque je l'obtiendrai. Mais je répète les
chiffres que j'ai mentionnés tantôt. On est à 59 sur
92.
À partir du 12 juin I987, cela apparaît au rapport à
la page 45, de nouvelles règles et procédures ont
été adoptées afin de favoriser une plus grande marge de
manoeuvre administrative, permettant ainsi à 38 organismes de faire
approuver leurs critères et modalités: 12 organismes municipaux,
5 organismes scolaires et, comme vous venez de le mentionner, 21 organismes de
santé. Donc, vous avez parfaitement raison.
M. Filion: Je pose toujours ma question au ministre. L'article
23, dernier alinéa, dit ceci: "Ils - ce sont les organismes et services
reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113 et cela comprend les
hôpitaux, bien sûr - doivent élaborer les mesures
nécessaires pour que leurs services au public soient disponibles dans la
langue officielle ainsi que des critères et des modalités de
vérification de la connaissance de la langue officielle aux fins de
l'application du présent l'article. Ces mesures, critères et
modalités sont soumis à l'approbation de l'office. "
J'aimerais cela qu'on m'explique exactement en quoi consiste cet
engagement. Est-ce qu'on a des documents qui peuvent être
déposés là-dessus?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Bien sûr.
M. Filion: Est-ce qu'on pourrait les obtenir maintenant?
M. Rivard: Bien, s'ils sont disponibles, on les déposera
immédiatement.
Le Président (M. Laporte): Oui, pour les fournir à
la commission.
M. Filion: Est-ce que je comprends bien que c'est simplement un
engagement écrit?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, ce n'est pas un engagement
écrit, c'est une évaluation qui est faite par
l'établissement et que l'établissement atteste comme étant
valide et fiable. Donc, l'établissement nous remet une
évaluation, une évaluation qui correspond à ses besoins et
aussi à ses pratiques. Je vais vous donner un exemple. J'ai
dernièrement rencontré un directeur d'hôpital, dont je ne
donnerai pas le nom, et nous avons convenu avec les fonctionnaires qui
m'accompagnaient que leur approche, leur évaluation correspondait mieux
à leurs besoins que ce que nous avions prévu pour eux. On a donc
convenu qu'on devait recevoir leur information plutôt que de leur imposer
ou de leur demander de nous déposer une information standard.
Écoutez, les hôpitaux nous fournissent des données. Les
hôpitaux évaluent leur situation et, en plus, ils attestent par
écrit, compte tenu d'une signature qui est faite par le directeur et le
conseil d'administration, de la validité et de la fiabilité des
données en question.
M. Filion: D'accord.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Donc, ce n'est pas seulement une
signature ou une parole attestée par écrit.
M. Filion: D'accord.
Il y a 92 organismes qui sont concernés, il y en a 52 qui sont
déjà conformes. Parmi ces 52, vous me corrigerez, il y en a, mon
Dieu, environ 20 qui l'ont obtenu entre juin 1987 et maintenant, 21 qui l'ont
obtenu entre juin 1987 et maintenant, et les autres l'avaient obtenu avant.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui.
M. Filion: C'est cela?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui, oui.
M. Filion: Est-ce que ce serait possible de déposer les
plans des établissements avant et après le 12 juin 1987?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Bien sûr, mais dès
maintenant je vous informe que ce que vous allez avoir comme plans avant
l'article 23 qui a été revu...
M. Filion: Oui, modifié.
M. Laporte (Pierre-Etienne):... en 1985...
M. Filion: En 1983.
M. Laporte (Pierre-Etienne):... ce sont des plans qui
étaient plus exigeants que ce qu'on a maintenant. On peut vous
déposer des plans qui ont été faits en vertu de l'article
20 ou de l'article 23 et des plans qui ont été faits en vertu de
l'entente qui a été établie le 12 juin 1987. Il n'y a
aucun problème.
M. Filion: Voilà! Précisément, c'est en
plein cela. Les plans avant 1983 - et non pas 1985 - les plans entre 1983 et
1987 et les plans entre 1987 et maintenant.
M. Laporte (Pierre-Etienne): II faudrait peut-être qu'on
m'avise en ce qui concerne la confidentialité des documents.
M. Filion: Sous réserve. Je ne pense pas que la loi sur
l'accès à l'information...
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est-à-dire que ce n'est pas
la tradition à l'Office de la langue française de déposer
des programmes de francisation. On peut vous donner des données
agrégées. Maintenant, des données individuelles...
Ce serait, je pense, contrevenir à une tradition qui est la base
du rapport de confiance qu'on a avec nos clients.
M. Filion: Je pense bien que la loi sur l'accès à
l'information ne pose pas de problème. Pour la protection de
renseignements confidentiels dans la mesure où il n'y a pas de
renseignements nominatifs, je ne crois pas qu'il y ait de problèmes,
mais c'est à vérifier avec vos juristes. Si jamais il y avait
quelque problème d'ordre juridique, n'hésitez pas peut-être
à faire disparaître le nom de l'établissement. Je pense que
cette commission voudrait être informée, quant à moi,
pleinement de ce qui en est.
Maintenant, ma question...
Le Président (M. Laporte): M. le ministre. Je crois que M.
le ministre demandait la parole.
M. Rivard: Si je comprends bien, je reçois deux demandes
d'information. La première concerne cette nouvelle pratique de ce que le
président de l'office a appelé l'engagement. Je ne pense pas
qu'il y ait de problème à déposer ce plan, cette
façon de procéder. Nous convenons, eu égard au
deuxième dépôt possible de documents, qu'il y a une
vérification à faire.
M. Filion: S'il y a des problèmes d'ordre juridique,
faites disparaître le nom de l'établissement. Alors donc, il
reste...
M. Rivard: J'aurais juste un autre commentaire à faire
là-dessus, puisqu'on parle de 20 et 23. J'ai dit très clairement
en Chambre que c'est en 1983 que le gouvernement précédent a fait
disparaître le bilinguisme individuel de l'anglophone travaillant dans un
tel établissement pour le remplacer par un bilinguisme
institutionnel.
M. Filion: Vous comprendrez, M. le ministre, que c'est justement
parce qu'il y a eu cette modification en 1983 que je m'intéresse
particulièrement à cette nouvelle modification en 1987 et il y a
eu un changement en 1983. Il y en a eu un nouveau en 1987. Je pense que c'est
matière à intérêt, compte tenu de l'impact de ces
données sur l'ensemble du secteur hospitalier.
Maintenant, ma question est la suivante: il en reste donc 40 qui ne se
sont pas encore conformés à l'article 23, que ce soit à
l'ancien article 20 ou à l'article 23? Est-ce que mon calcul est
bon?
M. Laporte ((Pierre-Etienne): Je m'excuse, il en reste 33. C'est
92 moins 59.
M. Filion: 59? Je m'excuse, j'avais 52. Donc, 92 moins 59 donnent
33. En ce qui concerne ces 33 - ma question s'adresse au ministre, mais il est
libre de donner la parole à qui il veut - cela fait dix ans que la
charte est en vigueur. Je comprends qu'il y a eu la modification de 1983. Je
comprends aussi que la nouvelle procédure est beaucoup plus souple
à l'égard des établissements concernés. J'aimerais
savoir du ministre quels sont ses plans d'action, quels sont les moyens
d'action qu'il entend prendre pour faire en sorte que ces 33
établissements se conforment à l'article 23 de la Charte de la
langue française.
Le Président (M. Laporte): M. le ministre.
M. Rivard: M. le Président, il faut qu'on s'entende bien
sur les chiffres. Selon vos chiffres, en ce qui concerne la conformité,
sur les 92 établissements dont nous parlons 59 sont jugés
conformes. On s'entend bien là-dessus. Mais le président de
l'Office de la langue française a parlé de 20 autres
établissements...
M. Filion: Si on veut.
M. Rivard:... dont les programmes sont sur le point d'être
fournis à l'Office de la langue française. Donc, ce n'est plus de
33 qu'on parle, car 59 plus 20, cela fait 79. Il en reste donc treize.
M. Filion: Là, il va en rester treize. M. Rivard:
II va en rester treize. M. Filion: Possiblement. M. Rivard:
C'est 15 %. M. Filion: Oui.
M. Rivard: Alors, il y a quand même là un
progrès considérable qui a été accompli et il ne
faut vraiment pas qu'on perde cet acquis-là. Encore une fois, c'est
extrêmement important que chacun des citoyens québécois
d'expression française puisse obtenir dans sa langue à la fois
l'accueil et les services dont il a besoin dans les services de santé et
les services sociaux.
Le Président (M. Laporte): Excusez-moi. Étant
donné que nous sommes présentement arrivés à
l'heure qui nous avait été... Voulez-vous prendre le temps?
À moins d'un consentement pour reprendre les neuf minutes de retard.
M. Filion: On reprendra ce soir à 20 heures et on
terminera.
Le Président (M. Laporte): On remercie les
parlementaires et les personnes qui sont présentes. On suspend
jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 2)
(Reprise à 20 h 4)
Le Président (M. Baril): La commission reprend ses travaux
afin de procéder à l'étude des crédits
budgétaires du ministère des Affaires culturelles, volet Charte
de la langue française, le programme 5, pour l'année
financière 1988-1989.
Alors, nous pouvons reprendre les travaux où vous les avez
laissés cet après-midi.
M. le député de Taillon.
Révocation du statut bilingue de certaines
municipalités
M. Filion: Merci, M. le Président. Oui, je voudrais, en ce
début de soirée et en poursuivant nos travaux et notre mandat
qui, en fait, est de procéder à l'étude des crédits
des organismes, toujours au chapitre de l'Office de la langue française,
demander au ministre responsable quelle est sa position relativement à
la problématique soulevée par le statut bilingue de certaines
municipalités. Plus particulièrement, on sait que la
décision de l'office de révoquer le statut de ville bilingue de
Rosemère, je crois, a été contestée en cour, sauf
erreur, par les procureurs d'Alliance Québec. On sait qu'une vingtaine
d'autres municipalités sont impliquées dans la même
situation. Alors, évidemment, la problématique est la suivante.
Est-ce qu'il faudra attendre cinq ou six ans pour préciser l'intention
du législateur? Est-ce que, dans les faits, la position du ministre, la
position d'attentisme du ministre sur cette question-là va nous mener
bien loin?
Peut-être que le ministre, du même souffle, pourra
répondre à mes questions subsidiaires, à savoir pourquoi
le gouvernement a demandé un avis spécifique sur cette
question-là, à qui l'avis a été demandé,
l'avis juridique sur la révocation du statut bilingue de certaines
municipalités. Je vois le ministre qui fronce les sourcils, c'est pour
cela que je vous donne ces détails-là. Bref, j'aimerais beaucoup
savoir ce que le gouvernement entend faire dans ce dossier.
M. Rivard: M. le Président, en ce qui concerne la ville de
Rosemère, je n'apprends rien à qui que ce soit, cette cause est
devant les tribunaux et je ne ferai absolument aucun commentaire au sujet de
cette cause.
En ce qui concerne les 20 autres, il n'est pas nécessaire de
discuter longuement sur les chiffres. Je pense que M. Pierre-Etienne Laporte,
le président de l'Office de la langue française, peut
répondre au nom de son conseil d'administration sur cette question. M.
Laporte.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Je vous informe que l'office,
c'est-à-dire les membres de l'office, les cinq personnes qui sont
nommées comme étant l'office dans la loi, ont adopté lors
de la dernière réunion du conseil - cela devait être le 18
ou le 19 avril, je ne me rappelle pas - une motion à savoir que l'office
surseoirait à toute action et s'abstiendrait de toute décision
devant mettre fin à la reconnaissance accordée
préalablement à un organisme en vertu du paragraphe f de
l'article 113 de la charte jusqu'à ce que la décision du tribunal
statuant sur la juridiction de l'office en la matière soit connue. Donc,
d'un point de vue pratique, cela veut dire que nous attendrons la
décision du tribunal pour agir à la fois dans le cas de
Rosemère et de tout autre municipalité ou organisme qui tombe
dans le cadre de l'application de l'article 113, paragraphe f.
M. Filion: Ma question s'adresse au ministre, toujours. D'abord,
attendre un jugement... C'est un jugement final, bien sûr. Est-ce que
vous entendez par jugement, dans ce que vous venez de dire, jugement final, M.
le ministre?
M. Rivard: Je n'ai aucune espèce de commentaires à
faire sur le cas de Rosemère.
M. Filion: Mais je parle des 20 autres.
M. Rivard: La décision qui est rapportée par le
président de l'Office de la langue française est une
décision qui se situe dans l'exercice du mandat qui est confié a
l'office.
M. Filion: Écoutez, quand un fonctionnaire parle, en
réalité, c'est vous qui parlez. Alors, je m'adresse à
vous. J'ai entendu la décision de l'office. Je veux en comprendre le
sens. Est-ce que cela veut dire attendre un jugement final?
M. Rivard: Je pense que je vais laisser M. le président de
l'office préciser ce que veut dire "final" dans son langage à
lui.
M. Laporte (Pierre-Étienne): Dans l'esprit de mes
collègues, la motion doit être interprétée dans le
sens que nous attendrons la décision du tribunal sur Rosemère.
Donc, une fois cette décison connue, les membres de l'office verront
quelle action ils jugeront opportun d'entreprendre. Ce dont on parle, c'est du
jugement qui devra être rendu sur la décision que nous avons prise
au sujet de Rosemère.
M. Filion: Vous attendez un jugement des tribunaux ou un jugement
du tribunal que constitue la Cour supérieure?
M. Laporte (Pierre-Étienne): Non, un jugement du
tribunal.
M. Filion: Du tribunal, donc de la Cour
supérieure?
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.
M. Filion: Combien y a-t-il de municipalités qui sont
actuellement affectées par la décision de l'office?
M. Laporte (Pierre-Etienne): II y en a seulement une. C'est
seulement Rosemère.
M. Filion: Non, je ne parle pas de Rosemère, je parle des
20 autres.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Dans le cas des autres, il s'agit de
municipalités qui sont dans des situations soit comparables, soit qui se
rapprochent de celle de Rosemère. Ce sont les 20 municipalités
dont vous parlez. Mais, pour ces 20 municipalités dont vous parlez,
l'office a choisi de s'abstenir de révoquer leur statut en attendant que
l'action en nullité qui a été demandée par Alliance
Québec et par la municipalité ait été
traitée par le tribunal.
M. Filion: De combien de municipalités parle-t-on?
Desquelles en particulier?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Là, est-ce que vous souhaitez
que... Je ne peux pas vous donner la liste, je ne l'ai pas avec moi. Je
pourrais la remettre au ministre qui jugera bon de vous la transmettre, s'il le
souhaite.
M. Rivard: M. le Président, de toute façon, les
populations de ces municipalités, à mon avis, cela fait partie de
l'information publique. La répartition de la population entre les
différentes catégories ou groupes linguistiques, cela doit
être du domaine public. Je ne vois pas de problème
là-dessus.
M. Filion: Je comprends que le ministre va déposer la
liste des municipalités qui sont affectées par la décision
de l'office.
Le Président (M. Baril): M. le ministre, vous ferez
parvenir cette liste à la commission et nous la distribuerons.
Merci.
M. Rivard: Nous en prenons note.
M. Filion: J'avais posé une autre question au ministre
tantôt. Il ne s'en souvient pas. J'avais demandé à qui le
gouvernement a demandé un avis juridique sur cette question.
M. Rivard: Un avis juridique sur quelle partie de la
question?
M. Filion: Sur la question de la révocation de la
capacité ou du pouvoir ou de la compétence de l'office de
révoquer le statut bilingue de certaines municipalités.
M. Rivard: Un instant. À notre connaissance, personne
d'autre, nul autre organisme que l'Office de la langue française n'a
demandé d'avis juridique là-dessus.
M. Filion: Je vais renvoyer le ministre à la
défense de ses crédits, à deux documents. D'abord, en date
du 21 janvier 1988, ce n'est pas tellement loin: Rosemère,
Québec, demande un avis juridique. C'est un long article de La Presse
indiquant qu'un porte-parole de Mme Bacon... C'est-à-dire non,
affirmant tout simplement que votre prédécesseure avait
sollicité un avis juridique pour s'assurer qu'en retirant le statut de
ville bilingue à la municipalité de Rosemère la Charte de
la langue française était intégralement
respectée.
Deuxièmement, autre document, je vous réfère au
relevé des mandats confiés aux avocats de la pratique
privée par le ministère de la Justice ou un organisme sous sa
responsabilité entre le 1er avril 1987 et le 11 mars 1988. (20 h 15)
M. Rivard: Si vous permettez un moment, M. le Président,
je n'ai pas l'information qui me permettrait de répondre
adéquatement aux questions posées par le député de
Taillon.
De toute évidence, M. le Président, nous n'avons pas la
réponse à cette question, qui semble être importante pour
le député de Taillon.
M. Filion: Je pense que c'est important.
M. Rivard: Nous n'avons pas la réponse. Nous allons la
trouver. Je n'ai pas l'impression, cependant, qu'on l'aura ce soir. Le
député de Taillon fait allusion à quelque chose de
très précis et nous ne trouvons pas, actuellement, la
réponse à cette question.
M. Filion: Bon, alors, dès que vous la trouverez, vous la
déposerez à la commission. C'est ce que je comprends. Je
n'entends pas avoir le déroulement, mais quelles sont exactement les
parties au dossier de contestation de la capacité de l'office de
révoquer le statut de Rosemère? D'abord, est-ce qu'il y a eu une
action ou y en a-t-il eu deux? Je m'adresse au ministre.
M. Laporte (Pierre-Etienne): II y a eu deux actions en
nullité: une qui a été demandée par la
municipalité elle-même et une autre qui a été
demandée par Alliance Québec.
M. Filion: D'accord.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Mais, quand on parle d'Alliance
Québec, on parle bien entendu de personnes qui ont, sous le chapeau
d'Alliance Québec, signé une demande. C'est Alliance
Québec qui a, si on veut, parrainé la demande, mais la demande a
été souscrite par des citoyens
de Rosemère et des environs. Donc, il y en a eu deux.
M. Filion: Donc, une poursuite parrainée par Alliance
Québec et une autre parrainée par la ville de Rosemère
elle-même.
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.
M. Filion: Deux actions en nullité contre la
décision qu'avait déjà prise l'office. Vous me corrigerez
si je me trompe.
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela, oui.
M. Filion: Contre la décision qu'avait déjà
prise l'office de révoquer le statut bilingue de Rosemère.
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est exact.
M. Filion: Bon. Comment le ministre responsable de l'application
de la Charte de la langue française réagit-il au fait - il pourra
peut-être faire la distinction s'il le désire -
premièrement, que le gouvernement, par le ministère de la
Justice, ait financé les honoraires et les déboursés des
avocats qui ont contesté en Cour suprême la validité de
certaines dispositions de la loi 101? Je peux peut-être limiter ma
question à cela dans un premier volet. Dans un deuxième volet,
comment le ministre réagit-il au fait qu'Alliance Québec parraine
une deuxième action en nullité dans le cas de la décision
prise par l'office au sujet du statut bilingue de Rosemère?
M. Rivard: Je voudrais revenir, M. le Président, sur la
question qui a été posée précédemment par le
député de Taillon. J'ai ici la transcription préliminaire
de la discussion relative à l'étude des crédits
provisoires du programme 5, Charte de la langue française, intervenue le
30 mars 1988, R-704, page 1. Je cite Mme Bacon. Mme Bacon dit: "Mme la
Présidente, c'est le président de l'office qui a lui-même
demandé un avis juridique au ministère de la Justice".
M. Filion: D'accord. Bon, d'accord. C'est-à-dire que c'est
le président de l'office qui aurait demandé un avis juridique au
ministère de la Justice.
M. Rivard: C'est ce que ma prédécesseure a dit.
M. Filion: Bon. Alors, laissons mes deux questions en suspens et
revenons plutôt au bout de réponse qu'on a. Donc, c'est le
président de l'office qui s'est adressé au ministère de la
Justice pour obtenir un avis juridique du ministère de la Justice?
M. Rivard: Oui.
M. Filion: De qui? Du ministère en
général?
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est un avis qu'on demande au
jurisconsulte.
M. Filion: Pardon?
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est au jurisconsulte du
ministère.
M. Filion: Du ministère de la Justice.
M. Laporte (Pierre-Etienne): On demande au jurisconsulte de la
province de Québec de nous fournir un avis. Maintenant, qui a
préparé l'avis, je ne saurais pas vous le dire.
M. Filion: Mais vous l'avez reçu?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, on n'a pas reçu l'avis,
parce que le ministère de la Justice a décidé compte tenu
du fait que la cause était maintenant devant le tribunal, qu'il aurait
à préparer présumément - je présume - la
défense de la décision et que l'avis demandé ferait partie
de la préparation de cette défense. D'ailleurs, la cause
étant maintenant devant le tribunal, je pense que le ministère a
dû juger qu'il était opportun de s'abstenir de déposer
l'avis en question.
M. Filion: Parce que, en deux mots, l'avis serait arrivé
après les poursuites?
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.
M. Filion: La demande d'avis a été adressée
après les poursuites?
M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, non, non. Je peux vous
expliquer cela.
M. Filion: Oui, je vous en prie.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Ce qui s'est passé, c'est que
l'office, à la suite des avis qui lui avaient été
donnés par ses services internes, a décidé de
révoquer le statut de Rosemère. À la suite de cette
décision, pour nous assurer de la légalité, pour avoir une
confirmation additionnelle sur la légalité de notre
décision, nous avons jugé bon de demander au ministère de
la Justice de confirmer notre décision dans un avis. Sauf que, avant que
cet avis-là nous soit rendu, deux demandes en annulation ont
été déposées par Alliance Québec. En
d'autres mots, les choses ont évolué rapidement et ce n'est ni
moi, comme président de l'office, ni le ministère de la Justice
qui contrôlions le processus. Donc, cela peut vous paraître
inusité, mais c'est effectivement ce qui s'est passé.
M. Filion: D'accord, c'est parce que j'essaie seulement de
comprendre. L'office prend une
décision à partir de l'avis de son service
juridique...
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.
M. Filion: L'avis est contesté. Ensuite, deuxième
élément chronologique, l'avis est contesté?
M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est-à-dire qu'il faut...
Non, c'est-à-dire que, dès que l'office a pris sa
décision, l'avis a été contesté publiquement par la
municipalité.
Vous vous rappelez peut-être que le maire de Rosemère a
fait des déclarations indiquant que l'office n'avait pas
l'autorité légale pour les reconnaître et ainsi de suite.
C'est en tenant compte de cette incertitude que nous avons jugé qu'il
serait opportun, avant de passer à la mise en oeuvre de la
décision, de bien s'assurer que l'avis de nos juristes était
confirmé ou infirmé, le cas échéant, par celui du
jurisconsulte. Sauf que, à la suite de l'annonce qu'on a faite de la
décision de demander un avis au jurisconsulte, les
événements se sont précipités et Rosemère et
Alliance Québec ont décidé de faire une demande en
nullité.
Donc, à partir de ce moment-là, si vous me passez
l'expression, le train s'est arrêté.
M. Filion: Mais quel a été le rôle de la
ministre responsable de l'application de la loi 101 dans cette
décision-là?
Mes questions s'adressent toujours au ministre. C'est parce que j'essaie
de comprendre.
M. Rivard: M. le Président, moi, ce que je comprends dans
ce dossier-là... D'abord, je ne comprends pas exactement ce que cherche
le député de Taillon, d'autant plus qu'il y a des organismes qui
n'ont pas encore été entendus et qui ont des réponses -
parce que je suis toujours à la recherche de faits - extrêmement
intéressantes et importantes à donner sur une foule de questions.
J'espère bien que nous aurons effectivement le temps qu'il faut pour que
le député de Taillon puisse interroger abondamment, en
particulier, la présidente de la Commission...
M. Filion: M. le Président, mes questions sont
précises.
M. Rivard:... de protection de la langue française.
M. Filion: Mes questions au ministre sont très
précises. Si cela prend du temps pour avoir des éléments
de réponse, je ne voudrais pas que le ministre vienne blâmer les
membres de cette commission de poser des questions. Je ne pose pas des
questions qui sont longues et cela depuis le début. Alors, ma question
était très simple, quel est le rôle joué
relativement à cet avis juridique par la personne qui était
responsable de la loi 101 au sein du gouvernement?
M. Rivard: À notre connaissance, M. le Président,
il n'y en a pas eu. Ma prédécesseure, et je renvoie encore, comme
je l'ai fait tout à l'heure, le député de Taillon à
la transcription de l'étude des crédits provisoires du 30 mars
dernier... Je cite de nouveau Mme Bacon qui a dit à ce moment-là:
"C'est le président de l'office qui a lui-même demandé un
avis juridique au ministère de la Justice". C'est ce que je comprends.
D'ailleurs, M. le Président, elle poursuivait en disant que, dans ses
fonctions de président, il avait préféré demander
un avis au ministère de la Justice. Nous attendons l'avis du
ministère de la Justice.
Le président de l'Office de la langue française a
très bien expliqué ce qui s'est passé par la suite et je
ne voudrais pas, parce que j'ai le plus grand respect pour le processus
judiciaire et, j'en suis certain, le député de Taillon aussi, que
d'une façon directe ou indirecte ou de quelque façon que ce soit
nous touchions à quelque chose qui est devant la cour.
M. Filion: Est-ce que le ministre affirme que sa
prédécesseure n'a joué aucun rôle dans la demande de
cet avis juridique? Est-ce que c'est ce que je dois comprendre?
M. Rivard: J'affirme, d'après ce que je sais, au moment
où je vous parle et où j'essaie de répondre à votre
question, que ma prédécesseure, elle, n'a pas joué de
rôle.
M. Filion: D'accord. C'était cela ma question. Ce n'est
pas très compliqué. Revenons à l'autre question
maintenant, qu'est-ce que le ministre responsable de l'application de la loi
101 pense - je crois qu'il a entendu ma question, je vais la
répéter - du fait que le gouvernement auquel il appartient paie
les honoraires et déboursés des avocats chargés de
contester en Cour suprême certaines dispositions de la loi 101, les
articles 58 et 69?
M. Rivard: Dieu sait, M. le Président, que cette question
a été abondamment discutée en Chambre et, à mon
avis, toutes les réponses ont été données. C'est
une décision qui appartient au ministère de la Justice et ma
juridiction s'arrête là où commence celle du
ministère de la Justice. Je n'ai pas d'autres commentaires à
faire sur cette question.
M. Filion: Alors, le ministre me confirme qu'il ne sait pas
à qui a été demandé l'avis juridique qui
était initialement adressé au ministère de la Justice?
M. Rivard: Je n'ai pas d'autre information que celle que j'ai
donnée au député de Taillon et j'ai cité ma
prédécesseure qui, au moment où elle
parle, sait de quoi il en retourne.
M. Filion: Je parlais de l'identité de la personne qui a
fourni l'avis juridique qui n'a jamais été transmis à
l'office.
M. Rivard: Je ne la connais pas.
M. Filion: Vous ne la connaissez pas. Bon. Est-ce qu'il y a
d'autres avis par rapport à l'article 113 paragraphe f qui ont
été demandés à l'extérieur de l'office, bien
sûr, à d'autres personnes? On me parle d'un avis adressé au
ministère de la Justice. Est-ce que d'autres avis ont été
demandés?
M. Rivard: Puisque vous continuez et comme c'est normalement la
procédure, il ne faut pas m'en vouloir si, parfois, je laisse
répondre les présidents des organismes. C'est tout à fait
normal de le faire dans un dossier. Je n'ai pas connaissance actuellement
d'avis demandés. Évidemment, je n'en ai pas demandé, d'une
part, et je n'ai pas connaissance d'avis demandés par ma
prédécesseure.
M. Filion: D'accord.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui. Voulez-vous me
répéter votre...
M. Filion: Qu'est-ce qui se passe? Je ne saisis pas le sens de
nos signaux.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Vous me regardiez. Je pensais que
vous vouliez me poser une question.
M. Filion: Non, non. Je pensais que vous vouliez prendre la
parole, ajouter des choses.
M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, non, pas du tout. (20 h 30)
M. Filion: Bon. J'aimerais savoir quelle est la réaction
du ministre, s'il a une opinion, face à la demande qui a
été faite, qui a été rendue publique il y a une
quinzaine de jours, ma foi, une semaine, par Alliance Québec pour que le
français ne soit plus un critère d'embauché dans la
police. Concernant l'ensemble de la position exprimée au sujet de la
connaissance des langues pour l'embauche de policiers, j'aimerais beaucoup
savoir si le ministre a une opinion.
M. Rivard: Oui, j'ai une opinion et elle est très franche.
Je ne comprends vraiment pas qu'en 1988, compte tenu des progrès
accomplis eu égard à la place du français dans la vie de
tous les jours au Québec, on puisse imaginer ou même envisager
d'embaucher des policiers qui ne parlent pas français pour circuler et
faire toutes sortes de choses dans les rues de Montréal. application des
dispositions de l'article dont nous
M. Filion: Que voilà une bonne nouvelle!
M. Rivard: Mais, vous me citez, M. le député de
Taillon!
M. Filion: Cela vous arrive aussi. Alors, je me sens à
l'aise de relever une opinion que vous exprimez. Vous savez, de temps en temps,
cela ne fait pas mal et cela peut donner quelques lignes directrices quelque
part dans notre société. Quand on est rendu à envisager
l'embauche - je dis bien envisager - de policiers qui ne parlent pas
français, je vais vous dire que je me demande sur quelle planète
je peux vivre des fois quand je me lève le matin et que je lis le
journal. Alors, je suis heureux de voir que vous avez une opinion
là-dessus. Je suis convaincu qu'avec le temps, quand vous aurez
avancé dans votre diagnostic... Mais, le temps presse. Je l'ai dit dans
mon discours initial. Le temps presse.
M. Rivard: Vous savez, M. le Président, j'ai
travaillé beaucoup dans les unités de soins intensifs. Dans les
unités de soins intensifs, cela presse aussi. Que le
député de Taillon ne vienne pas me dire que je suis en train de
considérer le dossier de la langue française comme un patient qui
va très mal dans une unité de soins intensifs. Je veux seulement
parler d'un comportement professionnel.
Je voudrais renchérir sur la question de la langue d'usage
courant du policier, de la façon suivante. C'est que mon commentaire va
bien au delà de la loi. Je pense que, dans l'ensemble du dossier
linguistique, il faut reconnaître les choses fondamentales qui sont
inscrites dans la loi, mais il y a aussi un bon bout de chemin qui peut
être fait sans qu'on fasse constamment référence à
la loi.
Exigence du bilinguisme dans l'emploi
M. Filion: Toujours en ce qui concerne l'Office de la langue
française, un mot sur la question de l'exigence du bilinguisme dans les
emplois. Je ne sais pas si vous avez commencé à fouiller le
dossier à fond, mais encore une fois il n'y a pas de statistiques
là-dessus. Si on se fie aux études qui ont été
faites par des laïcs, je cite en particulier... Mais, mon Dieu, ce n'est
pas un laïc, c'est le directeur des communications de l'Office de la
langue française. Évidemment, c'est un échantillonnage
partiel, mais on évaluait à 55 % le nombre des annonces exigeant
le bilinguisme comme condition d'emploi. J'aimerais savoir quelle est la
réaction du ministre face à cette situation. J'aimerais savoir
quelles mesures il a l'intention de mettre de l'avant relativement à ce
problème. Je suis conscient que ce serait pas mal difficile d'ignorer le
fait que de nombreux Québécois unilingues francophones se voient
dans la situation où, à l'occasion, des postes leur sont
refusés. Bon, la mode est à l'exigence du bilinguisme. Dans ce
sens-là, je
voudrais savoir quelles mesures concrètes le ministre a
l'intention de mettre de i'avant relativement à cette tendance lourde
à l'exigence du bilinguisme dans l'emploi?
M. Rivard: Pour tenter de répondre, encore une fois, en
s'appuyant sur des faits, M. le Président, le député de
Taillon fait référence à l'article 46 de la charte et ]e
pense qu'il faut le lire, si vous me le permettez: "I! est interdit à un
employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste
la connaissance d'une langue autre que la langue officielle, à moins que
l'accomplissement de la tâche ne nécessite la connaissance de
cette autre langue". Et puis le fardeau de la preuve incombe à
l'employeur: "S! incombe à l'employeur de prouver à la personne
intéressée, à l'association de salariés
intéressée ou, le cas échéant, à l'Office de
la langue française que la connaissance de l'autre langue est
nécessaire. L'Office de la langue française a compétence
pour trancher le litige, le cas échéant."
J'imagine que, dans une intervention aussi brève que possible, le
président de l'Office de la langue française pourrait, d'une
part, nous dire si les chiffres qui sont avancés par le
député de Taillon sont...
M. Filion: Non mais, en toute honnêteté, ils
viennent comme je l'ai dit tantôt, je l'ai bien spécifié,
du directeur des communications de l'Office de la langue française.
M. Rivard: Donc, on n'aura pas de problèmes.
M. Filion: À partir d'un échantillonnage, je l'ai
dit, partiel. Je pense que c'est basé...
M. Rivard: D'accord.
M. Filion: ...sur les dossiers, sur une étude... À
moins qu'il n'y ait d'autres études? Il serait peut-être
intéressant de savoir s'il y a d'autres études qui ont
été faites, d'ailleurs, parce que cette étude-là,
bien sûr, était partielle.
M. Rivard: Je vais laisser M. Laporte répondre
là-dessus et j'écouterai attentivement ce qu'il va dire. Lorsque
vous avez mentionné le chiffre de 55 % vous portiez un jugement, vous
disiez: Ce n'est pas tout à fait correct, qu'est-ce que ie ministre
entend faire? Je ne le sais pas, moi, ce que signifient ces 55 %. Est-ce que
c'est bon ou mauvais? Je ne le sais pas. Je pense que nous devons prendre
connaissance, de la bouche même du président de l'office, de
l'attitude qui est observée par l'office dans ce dossier, de la
façon dont l'office se comporte vis-à-vis de ce
dossier-là.
M. Filion: Oui, M. le président, avant de vous laisser la
parole, je pense que, par cour- toisie et rigueur pour nos invités, je
vais citer textuellement le directeur des communications de l'office qui disait
- ouvrons les guillemets - "On vérifie périodiquement les
annonces de carrières et de professions dans les journaux. Comme
l'explique le directeur des communications de l'office, la semaine
dernière, dans environ 55 % des annonces compilées, on exigeait
encore une connaissance de l'anglais. Selon le directeur des communications de
l'office, la situation est meilleure que celle d'il y a dix ans, alors que la
totalité des offres d'emploi exigeait !e bilinguisme, mais il rappelle
que l'office n'a pas le mandat, etc."
Donc, est-ce qu'il y a des études précises
là-dessus? Deuxièmement, quelles sont les mesures
concrètes que le ministre a l'intention de mettre de l'avant?
M. Rivard: Je demande à M. Laporte de réagir
là-dessus.
M. Laporte (Pierre-Etienne): M. le Président, d'abord, je
confirme ce que vous venez de citer soit que, depuis les travaux de la
commission Gendron - cela remonte donc à 18 ans - on observe une
régression de l'exigence du bilinguisme comme condition d'emploi. Je me
rappelle qu'à l'époque de la commission Gendron on avait fait une
étude statistique là-dessus qui montrait que, à tous les
cinq ans, il y avait une diminution de !a fréquence des emplois qui
exigeaient, comme cela, la connaissance du français ou de l'anglais ou
qui - c'était le cas à l'époque - n'exigeaient, en fait,
que la connaissance de l'anglais. Par ailleurs, à l'office, à
l'aide des statistiques compilées dans le document que vous avez
cité, on a observé que, au cours des cinq dernières
années, il y a eu effectivement une diminution de cette
fréquence. On me dit que c'est passé de 80 % à 55 %. Il
faut bien ajouter qu'il s'agit d'emplois de haut niveau, puisque ce sont des
emplois qui apparaissent à la section carrières et professions
des journaux. J'ajouterai là-dessus que, compte tenu de l'esprit de la
loi 101, le fait de demander dans 55 % des cas d'emplois publiés dans
les journaux la connaissance des deux langues ne constitue pas en soi une
infraction, parce que la loi dit bien: "Il est interdit à un employeur
d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la
connaissance d'une langue autre que la langue officielle, à moins que
l'accomplissement de la tâche ne nécessite la connaissance de
cette autre langue."
Donc, il faudrait savoir quelle est la proportion de ces 55 % dont vous
parlez pour laquelle l'exigence de l'anglais n'est pas nécessaire. Le
fait qu'on exige à 55 % le bilinguisme ne constitue pas une
dérogation. Pour que cela constitue une dérogation, il faudrait
savoir lesquels de ces emplois ne requièrent pas la connaissance de
l'anglais pour l'accomplissement de la tâche. Je vous
répète très brièvement, que cela diminue.
Maintenant, le fait que c'est encore
à 55 % ne peut pas être interprété comme
signifiant que le niveau de dérogation est à 55 %. Je
répète qu'il s'agit d'emplois spécialisés. Je
répète que, si vous faisiez une comparaison... On avait, à
l'époque, fait des comparaisons avec le journal Le Monde. On
avait trouvé que les pourcentages étaient à peu
près comparables entre le niveau d'exigence du bilinguisme au
Québec et le niveau d'exigence du bilinguisme à Paris.
Finalement, il y a l'article 46 dans la charte qui donne aux syndicats
la capacité de contester une décision de l'employeur, lorsque le
syndicat juge que cette décision est illégitime ou
illégale dans les termes de la charte de la langue française.
L'office agit comme tribunal quasi administratif et administre ces demandes
d'auditions qui lui sont faites par les syndicats. Donc, c'est une question sur
laquelle il faut se prononcer avec - enfin, je parle comme président de
l'office - des nuances et j'ai essayé de les faire. J'espère que
c'est à votre satisfaction.
M. Filion: J'avais une deuxième question. Est-ce qu'il y a
des études plus scientifiques, plus formelles qui sont menées en
ce qui concerne l'exigence du bilinguisme dans l'emploi, à votre
connaissance?
M. Rivard: M. le Président, je vais laisser M. Laporte
répondre là-dessus, mais j'ai ici un tableau qui, j'imagine,
pourrait vous être distribué. Il n'y a aucune espèce de
problèmes. C'est un tableau qui porte le titre suivant: Tableau
illustrant le nombre total de cas soumis au cours de la période
1982-1987 pour...
M. Filion: Ce sont les plaintes, ce n'est pas cela ma
question.
M. Rivard: Attendez un peu. M. le Président, si le
député de Taillon me permet de continuer, je vais continuer.
M. Filion: Mais, s'il ne nous reste pas de temps à la fin,
parce que, moi, ce n'est pas sur les plaintes que je vous questionne.
M. Rivard: Ce que je veux dire... M. Filion: Allez-y,
là.
Le Président (M. Baril): Un instant, s'il vous
plaît! Je vais décider la longueur des réponses du ministre
ou de celle de vos questions. Je vous donne toute la latitude possible. M. le
ministre, s'il vous plaît!
M. Rivard: Que voilà un président sage, M. le
député de Taillon! Que voilà un président sage!
Tableau illustrant le nombre total de cas soumis au cours de la
période 1982-1987 pour considération et traitement par l'office
en application des dispositions de l'article dont nous parlons, l'article 46.
Tout ce que je veux vous dire, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de plaintes. En
l'espace de 5 ans, de 1982 à 1987, il y en a eu 432. Ce n'est pas la fin
des haricots, étant donné ce qui se passe au Québec au
point de vue industriel.
L'autre commentaire que je voulais faire, c'est que le président
de l'Office de la langue française a bien précisé qu'il
s'agissait dans la majorité des cas ou dans un nombre important de cas
d'emplois spécialisés. Il faut se rappeler comment nous sommes
construits, quelle est notre structure industrielle ici au Québec. C'est
une structure industrielle qui repose sur la petite et la moyenne entreprise.
Nous exportons. Dans cette petite et moyenne entreprise, on ne retrouve pas
seulement des entreprises traditionnelles, on retrouve de la haute technologie.
Nous exportons 40 % de notre produit intérieur brut à
l'extérieur des frontières québécoises. Il est
important de réaliser cela. Cela veut dire que, dans ces PME qui
exportent, il faut qu'on trouve forcément des gens qui sont capables de
converser avec les gens qui se trouvent dans d'autres pays et qui veulent
acheter ce que nous produisons comme biens et services.
M. le Président, si le député de Taillon est
toujours intéressé à la réponse à sa
question, je vais laisser M. Laporte lui répondre. (20 h 45)
M. Filion: Oui, mais avant... Mes questions sont courtes, M. le
Président, depuis 20 heures ce soir, en fait, depuis le début. Si
on manque de temps, je ne voudrais pas qu'à l'égard de nos
invités... Mes questions sont fort précises. Le ministre nous dit
que ce n'est pas la fin des haricots. Est-ce que quelqu'un a prétendu
que c'était la fin des haricots? On pose la question suivante: Est-ce
qu'il existe ou non une étude scientifique ou des études portant
sur l'exigence du bilinguisme dans les offres d'emploi? Je n'ai même pas
parlé de plaintes. Je n'ai pas parlé de fin des haricots, mais je
dois quand même profiter de l'intervention du ministre pour lui signaler
qu'il est très rare que quelqu'un qui se cherche un emploi se plaigne
qu'on demande le bilinguisme dans cet emploi. Le candidat à un poste, ce
qu'il veut, je vais vous le dire, il veut avoir le travail. C'est ce qu'il
veut. Que le ministre invoque le nombre de plaintes qui n'est pas
élevé... Pour une plainte qui est portée, il serait
à peu près raisonnable de penser qu'il y en a plusieurs autres
qui ne le sont pas. C'est dans ce sens que j'attire l'attention du ministre. Je
lui demande depuis tantôt: Est-ce qu'il y a des études
scientifiques faites là-dessus? Si le ministre veut dire que c'est la
fin des haricots ou que ce n'est pas la fin des haricots, c'est lui qui le
fait.
Le Président (M. Baril): Est-ce que vous aviez quelque
chose à rajouter M. le député de Viger?
M. Maciocia: Oui, je voulais seulement, M. le Président,
préciser une chose et dire au député de Taillon que, pour
la bonne conduite des travaux, si on peut dire, le côté
ministériel s'abstient de poser des questions. Vous save2 très
bien qu'on pourrait avoir 60-40 ou 50-50. Alors on vous donne toute la latitude
pour poser des questions, mais n'essayez pas d'empêcher le ministre de
donner ses réponses et ce, dans le laps de temps nécessaire. Je
voulais seulement dire cela.
M. Filion: Écoutez...
Le Président (M. Baril): M. le ministre.
M. Filion: Réponse. C'est la même question que je
pose depuis dix minutes.
M. Laporte (Pierre-Etienne): La réponse à votre
question, M. le député, c'est non. Mais je vous
répète que ce dont il faudrait... L'objet de l'étude dont
on parle, du point de vue de l'Office de la langue française, ne serait
pas les exigences du bilinguisme dans l'emploi, mais la légalité
des exigences du bilinguisme dans l'emploi. Vous conviendrez avec moi que de
décider de la légalité d'une exigence de bilinguisme dans
les offres d'emploi dans un journal, c'est complexe, cela pose un
problème de décision complexe. C'est une des raisons pour
lesquelles on s'est abstenu de faire une étude scientifique de cette
question, parce que c'est une question complexe à étudier.
Peut-être devrions-nous le faire, mais on s'est abstenu jusqu'à
maintenant pour la raison que je vous ai donnée.
Le Président (M. Baril): M. le député de
Taillon.
Francisation des entreprises (suite)
M. Filion: Oui. Je voudrais aborder - c'est presque dans le
même souffle - la question de la francisation des entreprises. Le
ministre faisait partie du comité des douze. Le rapport du comité
des douze, nous a dit le ministre, a été déposé au
Conseil des ministres en novembre. Cela fait environ six mois. Je voudrais
savoir du ministre quel est son échéancier en ce qui concerne les
recommandations de ce comité. Est-ce qu'il serait raisonnable de parler
d'une échéance prochaine? On sait que le 15 mai est la date
limite pour déposer des projets de loi à l'Assemblée
nationale, de l'autre côté. Qu'est-ce qu'il advient
concrètement, en termes d'échéancier de travail, des
propositions contenues dans le rapport du comité des douze?
M. Rivard: M. le Président, les recommandations qui sont
contenues dans ce qu'on pourrait appeler le rapport du comité Bacon sont
actuellement en dépôt au Secrétariat général
du gouvernement. Ces recommandations contiennent des éléments qui
ont alimenté, qui alimentent et alimenteront ma réflexion sur
l'ensemble du dossier linguistique.
J'ai laissé ce rapport en dépôt au
Secrétariat général du gouvernement. Je n'ai pas
d'échéancier précis, en ce sens qu'il y a dans ce rapport
des éléments qui n'ont pas besoin d'un échéancier
précis. Je vais vous donner un exemple. Nous avons discuté
beaucoup avec le président de l'Office de la langue française du
processus de francisation des entreprises. Il y a dans le rapport du
comité Bacon des phrases, des paragraphes, des chapitres qui concernent
ce processus.
Ce que nous sommes en train de faire ensemble aujourd'hui, c'est de
regarder le processus de francisation des entreprises, de faire le point. Nous
sommes en train d'apprendre un certain nombre de choses sur l'ensemble du
processus et sur son avenir. Par exemple, M. le président a
souligné une façon qu'il entrevoyait et qui pouvait être
utilisée pour veiller à ce qu'une entreprise qui a reçu
son certificat de francisation soit suivie, contactée, pour s'assurer
qu'elle continue de mettre en place tout ce qu'il faut pour que le
français soit la langue de travail.
M. Filion: Mais en termes d'échéancier?
M. Rivard: En ce qui concerne la francisation des entreprises, le
rapport du comité en question ne contient rien de plus spécial
que ce que nous avons vu aujourd'hui. La seule partie du rapport qui pourrait
faire l'objet d'un échéancier - cet échéancier, M.
le Président, est connu du député de Taillon - c'est la
question de l'affichage commercial. À cet égard, la position de
ce gouvernement est très simple et connue depuis longtemps. Nous
attendons le jugement de la Cour suprême.
M. Filion: Restons sur la francisation des entreprises. C'est le
seul point que j'ai soulevé. L'échéancier, en ce qui
concerne les autres aspects, on le devine.
Le ministre responsable de la loi 101 a entendu comme moi le discours
inaugural, en partie lu par le lieutenant-gouverneur, en partie par le premier
ministre. Ce discours inaugural contenait plus que des allusions à la
francisation des entreprises ou au français au travail, en particulier.
Est-ce que je dois comprendre, de ce que le ministre vient de me dire, qu'en ce
qui concerne le français au travail, ce à quoi on doit
s'attendre, c'est ce dont on vient de discuter avec le président de
l'Office de la langue française?
M. Rivard: Je vais donner un exemple. On n'a pas parlé
aujourd'hui, dans le chapitre de la francisation des entreprises, des petites
entreprises de 50 employés et moins. Je pense que nous
nous sommes entretenus là-dessus, d'une certaine façon,
lors de l'interpellation. Je crois avoir dit au député de Taillon
qu'à ce chapitre l'Office de la langue française procédait
à une sorte d'expérience au moyen d'un programme d'animation
terminologique. L'office a choisi pour ce faire, dans son programme de
1988-1989, un certain nombre d'entreprises qui se retrouvent dans des
catégories très spécifiques. Je me rappelle la
catégorie médias, restauration, concessionnaires automobiles,
etc.
Ce que je viens de dire signifie ceci: Je n'ai pas
d'échéancier précis en ce qui concerne la francisation des
petites et moyennes entreprises. Je suis dûment préoccupé
par le fait qu'il faut, dans cette opération, agir avec
délicatesse parce qu'elles sont nombreuses. Il y en a quelque 20 000.
Elles sont de toutes sortes de variétés. Certaines sont de nature
entreprise familiale, d'autres sont de nature haute technologie. Nous
n'excluons pas de notre champ de préoccupation, quant à la
francisation, quelque entreprise que ce soit.
Mais nous allons procéder, au chapitre des petites et moyennes
entreprises de 50 employés et moins, de la façon dont l'Office de
la langue française, à l'intérieur de son mandat, va
décider de le faire ou recommander qu'on le fasse, à la suite les
expériences qui sont en cours.
M. Filion: Vous savez que le Conseil de la langue
française a recommandé, dans un de ses avis portant sur la
relance de la francisation des entreprises, d'augmenter le rôle des
comités de travailleurs, des travailleurs, des syndicats dans l'ensemble
de l'opération francisation des entreprises. Cela va de soi, on n'a pas
besoin de s'étendre là-dessus. Or, les chiffres sont les
suivants: pour l'année 1985-1986, 196 000 $, près de 200 000 $,
pour l'année 1986-1987, 150 000 $, pour l'année 1987-1988, 150
000 $, qui ont été effectivement octroyés sur les montants
qui étaient disponibles en fonction des crédits.
Il est nécessaire, à mon point de vue, d'injecter des
sommes plus importantes dans le secteur de la francisation des entreprises, et
le ministre des Finances disait, il y a à peine trois mois, qu'on
traversait une période de vaches grasses. C'est le ministre des Finances
qui disait cela, il y a trois ou quatre mois, qu'on traversait une
période de vaches grasses, ce qui permet probablement d'aider Blue
Bonnets ou des choses comme celles-là. Est-ce que le ministre
responsable de la loi 101 a l'intention cette année d'augmenter les
fonds effectivement octroyés aux syndicats pour les aider à
s'impliquer, à s'engager dans l'opération francisation des
entreprises? C'était dans le discours inaugural, M. le ministre. Dans le
discours inaugural, on mentionne quand même des dossiers prioritaires,
sinon cela ne ferait pas partie du discours inaugural. J'ai entendu, j'ai
écouté votre réponse à ma dernière question,
je ne veux pas y revenir. Cela est quelque chose de concret, quelque chose de
pas énorme. On ne parle pas de milliards, on parle de quelques centaines
de milliers de dollars pour aider les syndicats à s'engager, à
s'impliquer dans l'opération francisation des entreprises. Compte tenu,
donc, de cette baisse de 24 % entre la dernière année du
gouvernement du Parti québécois et les deux premières
années du gouvernement du Parti libéral - quand je dis baisse, je
parle de la baisse survenue évidemment en 1986 et 1987 - est-ce que le
ministre a l'intention d'augmenter les vivres pour les travailleurs?
M. Rivard: M. le Président, le député de
Taillon sait, j'en suis certain, de quelle façon se prépare la
programmation budgétaire du gouvernement. Si la démonstration
m'était faite par l'office ou un des organismes qu'un besoin additionnel
d'argent se faisait sentir pour remplir quelques partie du mandat que ce soit,
c'est évident qu'à ce moment-là, compte tenu de ce que
j'ai dit antérieurement devant cette commission aujourd'hui, je
travaillerai très fort pour obtenir ces budgets additionnels.
J'aimerais vous donner la réponse suivante concernant la
diminution de 196 000 $ à 150 000 $ que vous avez observée entre
l'année 1985-1986 et 1986-1987. Le président de l'office
m'informe que cela a été diminué tout simplement parce
qu'en 1985-1986 les syndicats récipiendaires de cet argent n'avaient pas
été capables de l'utiliser complètement. Donc, le chiffre
de 1986-1987 est tout simplement un ajustement à la
réalité vécue l'année précédente. Je
vous donne les informations que j'ai sans y mettre quelque
émotivité que ce soit. J'ai confiance en l'expertise et en la
compétence des présidents des organismes dont je suis
responsable. (21 heures)
D'un autre côté, il faut absolument que je dise ou redise
devant cette commission que ces organismes, pour remplir leur mandat à
la mesure de ce qui a été souhaité par le
législateur de 1977, doivent de toute évidence, opérer
avec une certaine autonomie. Je ne sais pas, M. le Président, si le
député de Taillon voudrait avoir des précisions sur cette
question ou si ma réponse le satisfait. Je suis prêt à
passer la parole à M. Laporte.
M. Filion: Non, votre réponse ne me satisfait pas, M. le
ministre. Mais, comme on a d'autres sujets à traiter, je vais
réserver mes commentaires en ce qui concerne l'Office de la langue
française, compte tenu de l'heure. Tel qu'entendu, mon prochain dossier
est celui du Conseil de la langue française.
M. Rivard: Je vais donc inviter le président du Conseil de
la langue française, M. Pierre Martel.
M. Filion: Avant que M. le président et son
équipe ne nous quittent, peut-être qu'ils vont
désirer demeurer jusqu'à la fin de nos travaux, je voudrais quand
même remercier le président qui a dû prendre la parole
très souvent. Quant à moi, en tout cas, c'est la première
fois que je vois un président d'organisme avoir la chance de s'exprimer
autant. Évidemment, tout cela est bon pour aller chercher des
informations. On ne devrait jamais, cependant, faire oublier le principe -
qu'on oublie parfois dans ce gouvernement-là - de la
responsabilité ministérielle. Étant donné que le
ministre est non pas jeune mais nouveau à ce poste, on peut comprendre
qu'au cours de cette étude des crédits il ait pu se
référer davantage à l'éclairage que vous avez eu
l'amabilité de me fournir ainsi qu'aux autres membres de la
commission.
M. Rivard: M. le Président, je me sens tout à fait
à l'aise lorsque je demande à des collaborateurs d'un tel calibre
de donner le genre de réponses qui ont été fournies.
M. Filion: Pour aller plus loin, le commentaire du ministre m'y
invite, c'est que rien, finalement, ne peut remplacer, dans une
société comme la nôtre, la volonté politique d'un
gouvernement élu. Les fonctionnaires, je l'ai dit et je le
répète, qui sont avec nous ce soir sont compétents et ils
font un travail, dans certains cas même, depuis plusieurs années.
Pour ma part, cela fait à peine le temps d'un accouchement que je
m'occupe du dossier, cela fait neuf mois, quant à vous, cela fait un peu
plus qu'un mois - nous, on est jeune - mais il y a des gens en arrière
de la salle qui ont consacré toutes leurs énergies
professionnelles à défendre et à promouvoir le
français, et c'est très bien. Je les encourage,
évidemment, au nom de l'Opposition officielle, à continuer leur
bon travail, tout en sachant que rien ne remplace la volonté politique
d'un gouvernement.
M. Rivard: Merci. Je remercie à mon tour M. Pierre-Etienne
Laporte.
Le Président (M. Baril): Alors, nous sommes prêts
à continuer?
M. Rivard: Je vous en prie, M. le Président.
Le Président (M. Baril): M. le député
de-Taillon.
Conseil de la langue française
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais
d'abord souhaiter la plus cordiale des bienvenues à cette commission
à M. Martel et à son équipe. Nous avons évidemment
plusieurs questions concernant le Conseil de la langue française,
surtout en ce qui concerne les avis.
Avis demandé par Mme Bacon sur l'accord du lac
Meech
La première question porte sur l'avis concernant la portée
du lac Meech. Je voudrais que vous m'aidiez à m'y retrouver, M. le
ministre, dans cet avis-là. En date du 27 mai 1987, selon le Journal
des débats, l'ancienne ministre avait promis cet avis. Elle disait -
je n'ai pas besoin de citer, je pense que le ministre est au courant - elle
avait en tout cas demandé un avis, selon le Journal des
débats, le 27 mai. On est, ma foi, au mois de mai 1988. Cela va
faire presque un an. Alors, je voudrais savoir de façon précise,
ce qui s'est produit depuis le 27 mai 1987, quels sont les
événements, les incidents ou, en somme, quelle est la nature du
dossier. Il semblerait qu'il y a peut-être un autre avis qui aurait
été demandé. Or, j'aimerais savoir d'abord plus
précisément quel avis a été demandé, quelle
a été la question posée le 27 mai 1987, ce qui a
été fait, s'il y a eu d'autres avis de demandés. En somme,
qu'on fasse le point, M. le ministre, sur cet avis portant sur une
matière qui est loin d'être des cacahouètes. C'est un peu
comme notre cadre constitutionnel, l'entente du lac Meech. Cela a moins de
chance de le devenir de ce temps-ci, mais cela pourrait le devenir. Alors,
c'est le cadre constitutionnel dans lequel le Québec pourrait être
appelé à vivre comme société et donc, d'une
portée extrêmement importante, d'autant plus qu'on pourra parler
tantôt de l'avis portant sur le projet de loi fédéral C-72.
Je ne sais pas si ma question est claire, mais je la pose au ministre.
M. Rivard: M. le Président, la question du
député de Taillon est très claire, soit dit en passant.
Évidemment, de ce côté-ci de la table, nous sommes beaucoup
plus optimistes que le député de Taillon, eu égard au sort
qui sera réservé à l'accord qui porte le nom du lac Meech.
Je vais être très bref. Je pense avoir surpris un tant soit peu le
député de Taillon lorsque, au cours de la première heure
de notre débat aujourd'hui, je lui ai dit ceci: L'avis porterait, et je
répète, sur les horizons que les nouvelles dispositions
constitutionnelles permettent d'envisager en termes de protection et de
promotion de la langue française au Québec. Je vais laisser
maintenant M. Pierre Martel, président du conseil, faire la narration
avec les dates, le processus parce que c'est important que les gens le sachent.
Je pense que c'est ce que vous voulez savoir. M. Martel.
Le Président (M. Maciocia): M. Martel.
M. Martel (Pierre): M. le Président, le 22 mai 1987, le
Conseil de la langue française a reçu une demande d'avis de la
part de Mme Bacon, alors responsable de l'application de la Charte de la langue
française, et elle a transmis au président par intérim les
communiqués émis à
l'occasion de la conférence qui s'est tenue au lac Meech. Donc,
elle transmet aux membres les communiqués émis concernant le lac
Meech. Elle demande aux membres de prendre en considération ces
communiqués pour en faire un avis. C'est le 22 mai. Le 28 mai, elle
écrit de nouveau au président par intérim du conseil en
indiquant que, n'ayant pas pris connaissance des textes juridiques des accords
du lac Meech, elle précisera ultérieurement son intention en
demandant un avis au conseil. Donc, elle indique à ce moment-là
qu'elle précisera son intention concernant sa demande. Le 15 juin, de la
même manière, elle indique qu'elle précisera en
détail, après l'étude des textes juridiques de l'accord
constitutionnel, l'objet de sa demande. C'est le 17 septembre qu'elle transmet
au Conseil de la langue française une lettre détaillée
dans laquelle elle précise ce qu'elle demande aux membres du conseil,
c'est-à-dire les horizons qu'ouvre cet accord, les répercussions,
les mesures concrètes qu'il faudra prendre à la suite de l'accord
du lac Meech. Donc, il s'agit d'étudier les répercussions et les
mesures concrètes qui doivent être envisagées à la
suite de l'accord du lac Meech. Il ne s'agit pas d'un avis à
caractère juridique, mais d'étudier les conséquences
concrètes concernant la protection et la promotion de la langue
française consécutivement à l'accord du lac Meech. Le
conseil, bien entendu, a mis sur pied un comité ad hoc et travaille de
manière ardue pour produire cet avis.
Le Président (M. Maciocia): M. le député de
Taillon.
M. Filion: En date du 22 mai 1987, le conseil reçoit une
demande d'avis; c'est cela? En même temps que le conseil reçoit
copie des communiqués, il reçoit également une demande
d'avis.
Une voix: C'est exact.
M. Filion: Portant sur quoi, à ce moment-là, le 22
mai 1987?
M. Martel: Sans autre précision. Il s'agit de formuler des
commentaires à la suite de ces communiqués émis à
l'issue du lac Meech.
M. Rivard: II faut bien se rappeler, M. le Président, que
l'entente entre les onze premiers ministres fut, en fait, signée le 3
juin 1987.
C'est une date qui doit aller dans la narration de ce processus.
M. Filion: Les textes juridiques de l'accord ont
été publiés partout. Ici, évidemment, cela a
circulé largement. Cela a été publié un peu
partout, dans. les journaux. Est-ce que je dois comprendre, M. Martel...
Sentez-vous bien à l'aise. C'est vous qui avez vécu cette
situation, ce n'est pas moi. J'essaie de comprendre tout simplement la
chronologie des événements et le pourquoi de cette chronologie.
Bon, le 3 juin, l'accord constitutionnel est signé. Ce sont des choses
qui sont largement du domaine public. Mais, à ce moment-là, le
conseil - vous me corrigerez - ne bouge pas parce qu'il a déjà
reçu la lettre du 28 mai de la ministre responsable. Est-ce que c'est
bien cela?
M. Martel: Je ne suis pas certain et je ne pense pas que le
président du Conseil de la langue française ait dit qu'il n'avait
pas bougé.
M. Filion: Dans le sens de ce qu'il nous a dit, écoutez,
le 22 mai 1987, ils reçoivent une demande d'avis avec les
communiqués.
M. Martel: Communiqués de presse.
M. Filion: Le 28 mai 1987, ils reçoivent une lettre de Mme
la ministre responsable de la loi 101 qui dit: N'ayant pas pris connaissance
des textes juridiques, auriez-vous l'obligeance de... je ne sais pas trop quoi,
mais probablement de suspendre votre étude ou en tout cas, d'attendre?
C'est ce que je voudrais savoir. Le 28 mai 1987, que s'est-il passé
exactement?
M. Rivard: Le 28 mai 1987, d'après les informations que
j'ai, Mme Bacon écrit de nouveau au président à la suite
de sa demande d'avis du... Je ne sais plus quelle date, on dit le sept courant
ici. "Il me sera possible d'en préciser l'intention dès que
j'aurai pris connaissance des textes juridiques. "
Ma prédécesseure n'a pas les textes à ce
moment-là. Forcément, puisque les textes sont disponibles le 3
juin 1987. Vous vous rappelez que cela avait fait l'objet, une certaine nuit,
à l'édifice Langevin, de toutes sortes de
négociations.
M. Filion: Le 15 juin, douze jours après l'entente de
l'édifice Langevin, le 15 juin, qu'est-ce qui se passe exactement? Vous
avez dit, vous avez fait allusion "après l'étude des textes
juridiques". Qu'est-ce qui se passe le 15 juin? Les textes juridiques sont
connus. Ils sont maintenant publics.
M. Rivard: J'ai ici une note en date du 15 juin où Mme
Bacon aurait confirmé qu'elle serait en mesure de confirmer sa demande
d'avis, "de la préciser à la fin du mois de juin alors que
j'aurai terminé - dit-elle - l'étude des textes juridiques de
l'accord constitutionnel. "
M. Filion: Donc, elle réfère à ce
moment-là à la fin de juin.
M. Rivard: Elle réfère à la fin de juin.
M. Filion: C'est cela? Bon, est-ce qu'il s'est passé
quelque chose à la fin de juin?
M. Rivard: Je n'ai pas d'information. Quelqu'un me dit
derrière: les vacances.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Rivard: Et effectivement, pour quiconque a vécu au
gouvernement, il se passe quelque chose entre la Saint-Jean-Baptiste et le 15
août qui fait qu'il n'y a plus moyen de faire quoi que ce soit.
M. Filion: Cela devrait nous arriver à nous aussi. Cela me
ferait du bien, moi.
M. Rivard: Ou presque. (21 h 15)
M. Filion: Bref, le 3 juin, les textes juridiques sont
signés. Le 15 juin, dans la lettre, Mme fa députée de
Chomedey, la ministre des Affaires culturelles, réfère à
la fin juin et le 17 septembre seulement, le conseil obtient le feu vert pour
préparer l'avis auquel il avait déjà été
sensibilisé le 22 mai 1987. C'est bien cela?
M. Rivard: Si vous voulez répéter votre question
brièvement, s'il vous plaît, M. le député.
M. Filion: Ce n'est que le 17 septembre que le conseil a obtenu,
si on veut, quand je dis feu vert, c'est une expression, mais en tout
cas...
M. Rivard: La précision.
M. Filion:... la précision de nature à
déclencher les travaux préparant l'avis sur lequel il avait
déjà été sensibilisé le 22 mai 1987. Est-ce
que je comprends bien?
M. Rivard: Ce que je comprends de ce dossier que je n'ai pas
vécu, mais quand même, c'est que, le 17 septembre 1987, la
précision qui a été apportée par Mme Bacon est la
suivante. Elle dit au Conseil de la langue française -
j'interprète vraiment pour essayer de faire avancer le dossier - elle
semble dire au Conseil de la langue française: Ce n'est pas un avis
juridique que je vous demande sur l'accord constitutionnel, je vous demande
quel est l'effet - c'est un peu comme cela que je le traduis - de Meech sur la
protection et la promotion de la langue française au Québec.
C'est un peu comme cela que je le vois. Si ma prédécesseure a
besoin d'un avis juridique sur Meech, sur les accords constitutionnels, je
présume qu'elle ferait ce que je ferais, je demanderais un tel avis au
ministère de la Justice. Vous comprenez la nuance?
M. Filion: Je ne comprends pas. Vous allez m'expliquer cela,
quelqu'un. Une entente constitutionnelle, ce ne sont quand même pas juste
des voeux pieux. C'est un cadre légal dans lequel opèrent les
provinces, les gouvernements provinciaux et le gouvernement
fédéral. Cela fixe un cadre légal, juridique qui
définit les compétences, les pouvoirs, les droits et les
responsabilités de chacune des entités de ce beau Canada. Alors,
comment peut-on arriver à définir la portée d'un accord
constitutionnel, donc, hautement juridique et légal, sur un secteur
comme le secteur linguistique sans étudier l'aspect juridique de la
question? C'est cela que je ne comprends pas.
M. Rivard: Je ne dis pas que le Conseil de la langue
française ne doit pas avoir des avis juridiques pour répondre
à la question de ma prédécesseure. Je dis tout simplement
que la précision qui a été apportée était
que le conseil devait se pencher spécifiquement sur l'impact...
M. Filion: Dites-nous donc cela exactement, qu'on le sache. C'est
quoi, le titre de l'avis?
M. Rivard: C'est parce qu'il faut que je reprenne les termes
mêmes que j'ai employés parce que ce sont ceux-là qu'on m'a
communiqués. L'avis portera, souhaite-t-elle, sur - et je mets cela
entre guillements, si vous voulez - "les horizons que les nouvelles
dispositions constitutionnelles permettent d'envisager en termes de protection
et de promotion de la langue française au Québec".
M. Filion: Alors, ce sont uniquement des horizons qu'on peut
envisager; c'est cela? Le conseil n'a pas le mandat, si je comprends bien -
puis c'est là que cela devient bien difficile à comprendre - de
se pencher sur les horizons qui pourraient être fermés. L'avis
présume que l'entente ne fait qu'ouvrir des horizons. Est-ce que c'est
bien cela?
M. Rivard: J'ai de la misère à penser que ce que
demande ma prédécesseure va dans le sens où le dit le
député de Taillon. Fermer, ouvrir... Elle demande un avis au
Conseil de la langue française. J'ai répété au
moins trois fois aujourd'hui que j'ai insisté sur l'automomie des
organismes mis en place "par la Charte de la langue française. Il n'y a
pas, je ne perçois pas - et je ne suis pas juriste, je le confesse ou je
m'en excuse, je ne sais plus -...
M. Filion: Oh, ni l'un ni l'autre.
M. Rivard:... quoi que ce soit de limitatif dans la
précision qui est apportée.
M. Filion: Est-ce bien cela la compréhension du rôle
du conseil relativement à l'avis...
M. Rivard: Je vais permettre à M. Martel de
s'exprimer.
M. Filion: Oui, pour qu'on sache, quand il va arriver..
M. Martel: En attendant les précisions de
Mme la ministre,. le conseil a commencé l'étude juridique
durant l'été, il n'est pas resté inactif. Au mois de
septembre, le conseil a le mandat de donner son avis à la ministre sur
les questions que celle-ci lui soumet. Donc, au mois de septembre il s'est
penché sur la question que lui posait la ministre, à savoir de
réfléchir aux mesures à court et long terme que le
Québec, en sa qualité de société distincte, doit
mettre en oeuvre pour promouvoir l'usage de la langue française au
Québec.
M. Filion: Est-ce que le conseil considère de son
rôle, à l'égard uniquement de cet avis-là,
d'informer, de conseiller sur la portée de l'accord du lac Meech, sur
les droits linguistiques au Québec?
M. Rivard: Je vous en prie, M. Martel.
M. Filion: Cela a l'air bien compliqué, tout cela. Mais je
résume cela, finalement. Est-ce que vous sentez une limitation à
cet avis-là ou si cela concerne non seulement les horizons à
être ouverts également la portée légale et juridique
de l'entente du lac Meech sur l'aménagement des droits linguistiques au
Québec?
M. Rivard: Je prierais M. Martel de répondre.
M. Martel: M. le Président, il convient de distinguer deux
choses. Le conseil doit donner son avis au ministre sur les questions que
celui-ci lui soumet. Donc, d'une part, il doit répondre à la
demande de la ministre ou du ministre. Maintenant, d'autre part, le conseil est
autonome et émettra des avis, un avis s'il le juge à propos, sur
d'autres aspects et éventuellement sur l'aspect juridique des accords du
lac Meech. Mais c'est une question qui appartient aux membres du conseil, et
c'est eux qui en décideront. Alors donc, il faut distinguer d'une part
la réponse au ministre auquel il est tenu de répondre et, d'autre
part, les avis que, de lui-même, le conseil peut décider de
soumettre au ministre responsable de l'application de la Charte de la langue
française.
M. Filion: Vous devancez mon autre question qui était
évidemment le paragraphe c, de l'article 188, qui dit que le conseil
doit d'abord donner son avis au ministre sur la question qui est posée,
mais doit aussi saisir. L'article 188c dit: "saisir le ministre des questions
relatives à la langue qui, à son avis, appellent l'attention ou
l'action du gouvernement; ".
M. Rivard: M. le Président, nous sommes tout à fait
d'accord là-dessus, et d'ailleurs c'est bon de relire 186 aussi, qui
dit: Un Conseil de la langue française est institué pour
conseiller le ministre sur la politique québécoise de la langue
française et sur toute question relative à l'inter-
prétation et à l'application de la présente loi. " Et
c'est bon de relire aussi ce que j'ai dit dans mon discours préliminaire
aujourd'hui: pour que son action ait la portée voulue par le
législateur, il faut que le conseil jouisse d'une autonomie de bon
aloi.
M. Filion: D'ailleurs je note que l'article 189, qui est
l'article suivant dit bien "Le conseil peut", et je remarque qu'à
l'article 188 on dit "Le conseil doit saisir le ministre... " Alors, cela
m'amène à ma question suivante: Est-ce que le Conseil de la
langue française saisira le gouvernement de ces avis, de son opinion, de
ses commentaires sur la portée de l'entente du lac Meech, sur
l'aménagement des droits linguistiques au Québec?
Le Président (M. Laporte): M. Martel.
M. Martel: M. le Président, les membres du conseil
attendent le rapport du comité ad hoc sur cette question. Alors, quand
le rapport sera disponible, il sera transmis aux membres; il sera
étudié par les membres. À ce moment-là, la question
se posera et elle sera réglée par les membres du conseil.
M. Filion: D'accord.
M. Martel: À l'heure où nous nous parlons, les
membres n'ont pas encore eu l'occasion de prendre connaissance du rapport du
comité sur la demande de Mme Bacon.
M. Filion: C'est bien. Alors, est-ce que le ministre peut nous
dire quand cet ou ces avis, grosso modo, je ne veux pas avoir de date... Il y a
un travail important qui se fait, un travail de réflexion,
d'étude, etc. Est-ce qu'on peut avoir, grosso modo, une
échéance, si vous vous sentez à l'aise de nous en donner
une? Si vous ne vous sentez pas à l'aise de nous en donner une, M. le
ministre, dites-le-nous. Si vous vous sentez à l'aise de nous donner une
échéance, on serait heureux de la connaître vu que,
premièrement, les travaux, comme le ministre l'a mentionné
tantôt, ont commencé il y a déjà près d'un an
et, deuxièmement, compte tenu du fait qu'il s'agit, bien sûr, d'un
acte fondamental pour les droits linguistiques au Québec et pour
l'ensemble des droits constitutionnels, dont les droits linguistiques.
M. Rivard: Comme l'avis est actuellement en préparation au
conseil et que j'ai précisé au moins à deux ou trois
reprises que le conseil jouit d'une certaine autonomie, je vais laisser
répondre M. Martel aussi là-dessus.
M. Martel: M. le Président, le comité
procède à des consultations, en ce moment. Il y en a même
eu une aujourd'hui et, la semaine prochaine, le rapport sera
vraisemblablement
remis aux membres du conseil. Il sera étudié. Nous
espérons que l'avis sera prêt pour la fin de juin. C'est un
objectif que nous nous donnons. Maintenant, comme c'est une question fort
complexe et fort difficile, on ne peut pas le garantir, cependant.
M. Filion: C'est très bien. Je ne voudrais pas que vous
interprétiez ma question comme poussant dans un sens ou dans l'autre.
Évidemment, cela fait un an. Il y en a qui pourraient trouver cela long,
mais ce n'est pas une matière facile, les matières
constitutionnelles. J'ai eu l'occasion de présider une commission
parlementaire ici où j'ai entendu des gens dire des choses tout à
fait contraires sur un même texte. Par contre, le temps aidant, j'ai
l'impression que la poussière est retombée un peu sur l'accord du
lac Meech. Il y a eu le rapport du comité mixte du Sénat et de la
Chambre des communes, qui n'est quand même pas négligeable comme
document. Il y a eu un tas de constitutionnalistes qui se sont prononcés
sur ce sujet. Il n'est peut-être pas mauvais que le conseil arrive, une
fois que la poussière est retombée, et puisse éclairer
adéquatement les membres de cette Assemblée quant à la
portée d'une entente tout à fait fondamentale pour nos droits.
Alors, sur ce point, cela va, M. le Président.
Avis sur le projet de loi C-72
Je voudrais aborder l'avis sur le projet de loi C-72,
préparé par le conseil. Il y a un petit point qui m'embête,
M. le ministre, sentez-vous bien à l'aise. Dans l'avis du projet de loi
C-72, on mentionne des éléments d'étude, de
réflexion portant sur l'entente du lac Meech. Alors, je vais
peut-être avoir l'occasion de vous en citer. On parle de l'article 42 du
projet de loi C-72. Je pense que cela vaut peut-être la peine de... Je
vais lire rapidement l'article 42 de ce projet de loi fédéral:
"Le secrétaire d'État du Canada prend les mesures qu'il estime
indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de
statut et d'usage du français et de l'anglais dans la
société canadienne et, notamment, toute mesure: d) pour
encourager et aider les gouvernements provinciaux à favoriser le
développement des minorités francophones et anglophones, et
notamment à leur offrir des services provinciaux et municipaux en
français et en anglais et à leur permettre de recevoir leur
instruction dans leur propre langue; ". Également: "pour encourager - je
cite toujours l'article 42. 1 - les entreprises, les organisations patronales
et syndicales, les organismes bénévoles et autres à
fournir leurs services en français et en anglais et à favoriser
la reconnaissance et l'usage de ces deux langues. " Ce sont les alinéas
d et f de l'article 42 du projet de loi C-72. (21 h 30)
Alors, le conseil écrit dans son avis: Ce point à lui seul
donne la mesure de ce qu'entre- prend le gouvernement fédéral
avec ce projet. Il est facile de remarquer tout d'abord que le champ d'action
que se donne l'État fédéral n'est plus décrit comme
le secteur de compétence fédérale mais bien comme la
société canadienne. Ce qui est bien plus large. On retrouve la
référence à la société canadienne à
plusieurs reprises dans le projet de loi C-72. On cite les articles 2h, 40, 41.
1, 42. 2 et 51. Cela laisse prévoir que l'action fédérale
se fera même dans les champs de compétence provinciale exclusive,
non pas sous forme législative, ce qui serait anticonstitutionnel, mais
au moyen de dépenses programmées. On fait allusion ici au pouvoir
de dépenser du gouvernement fédéral. Cet avis dit bien:
Cet article découle directement d'un double mandat issu des accords
constitutionnels Meech, Langevin de 1987.
Ma question s'adresse encore une fois au ministre. Je vais la poser
d'une façon très simple. Le ministre ne croit-il pas - on a eu
l'occasion de l'interroger en Chambre sur cela - que l'action gouvernementale
risque d'arriver trop tard par rapport au projet de loi C-72 qui, encore une
fois, est en deuxième lecture au gouvernement fédéral
alors que le gouvernement du Québec, lui, n'a pas commencé encore
à faire valoir son point de vue sur ce projet de loi C-72, s'en
remettant à des études du ministère de la Justice qui
aurait dû connaître l'existence de ce projet de loi bien avant ou
encore peut-être que la prédécesseure du ministre aurait
dû connaître bien avant pour demander les études requises?
Alors, est-ce que le ministre ne craint pas de manquer le bateau en ce qui
concerne le projet de loi C-72?
M. Rivard: M. le Président, je sens que je vais
décevoir de nouveau le député de Taillon et, si le
député de Lac-Saint-Jean et whip de l'Opposition était
ici, je le décevrais aussi. Je ne sais plus combien de questions on m'a
posées en Chambre, soit directement ou indirectement à la fois
sur ce projet de loi fédéral C-72 sur les langues officielles du
Canada et sur l'avis émis par le conseil. Je n'ai rien à ajouter
à ce que j'ai dit. J'ai dit par exemple aujourd'hui en Chambre, en
réponse à la nième question, que ma
prédécesseure avait joué son rôle en demandant un
avis au Conseil de la langue française, que le Conseil de la langue
française avait joué son rôle en étudiant la
question, en rédigeant l'avis et en le rendant public. Le
président du Conseil de la langue française a joué son
rôle et continue de jouer son rôle lorsqu'en d'autres lieux que
celui-ci il explique à la population du Québec ce que le Conseil
de la langue française voit dans ce projet de loi et moi, je joue mon
rôle de ministre responsable de la loi 101 et membre de ce gouvernement
lorsque je dis. Un avis juridique a été demandé au
ministère de la Justice. Nous avons dit au ministère de la
Justice jusqu'à quel point il était urgent de recevoir son
opinion. Je suis certain, et je l'ai dit quinze fois en Cham-
bre, que le ministre de la Justice procède avec toute la
célérité voulue et, lorsque nous aurons reçu cet
avis qui doit venir du jurisconsulte nous étudierons dès sa
réception ledit avis et nous adopterons par la suite une position de
gouvernement.
Quand bien même le député de Taillon, et je le dis
d'une façon aussi posée que possible, poserait quinze questions
ce soir, soit directement ou indirectement, à la fois sur le projet de
loi ou sur l'avis émis et publié par le Conseil de la langue
française, je n'aurai pas d'autres réponses que celle que je
viens de donner. Et, malheureusement, le député de Taillon
à un moment donné s'apercevra qu'il ne dispose plus de temps pour
poser des questions fort pertinentes aux collaborateur; et présidents
d'organismes qui m'accompagnent ce soir.
M. Filion: Si je manque de temps, j'inviterai les observateurs
à faire le calcul au Journal des débats, M. le
ministre.
Mais je ne poserai plus de question au ministre, vu qu'il ne
répond pas, en ce qui concerne le projet de loi C-72. Je vais quand
même faire un commentaire. Je me demande si le gouvernement est conscient
de la gravité de la portée du projet de loi C-72 sur notre petit
coin de pays qui s'appelle le Québec. J'écoute le ministre et le
premier ministre qui nous disent à quel point ils sont satisfaits du
rôle que tout le monde a joué. Alors que la ministre responsable
de la loi 101, qui l'a précédé, a demandé son avis
en février 1988 au conseil et qu'il l'a déposé dans un
délai qui mérite des félicitations, le gouvernement du
Québec attend, semble-t-il, que le jurisconsulte du gouvernement... Et
au ministère de la Justice on attend nécessairement un avis du
Conseil de la langue française avant de déclencher des
études sur un projet de loi qui a été déposé
le 17 juin 1987. Cela fait, comme j'ai dit, plus de dix mois et demi. Est-ce
qu'on est conscient que, quelque part dans ce gouvernement, quelqu'un devra se
réveiller et se rendre compte des dangers que peut représenter
C-72 sur l'aménagement des droits linguistiques tels que définis
par la Charte de la langue française?
Le ministe nous dit: Je suis satisfait, tout le monde a joué son
rôle. Mais le gouvernement n'a pas fini d'étudier encore,
imaginez-vous! Le projet de loi C-72 est en deuxième lecture à
Ottawa.
Je demande au ministre s'il n'a pas peur de manquer le bateau. Il m'a
répondu: J'ai dit tout ce que j'avais à dire là-dessus,
cela finit là! Je vais vous dire qu'en ce qui concerne C-72 le
gouvernement a manqué à son rôle en n'étudiant pas
au ministère de la Justice, au ministère des Relations
internationales où il y a quelques cerveaux archicompétents dans
le secteur du droit comparé... Bref, si le ministre est satisfait du
rôle qu'a joué le conseil, nous aussi, nous en sommes et jamais,
d'aucune façon, nos propos n'ont visé à blâmer le
conseil pour avoir réagi d'une façon aussi rapide que cela au
projet de loi C-72 qui n'était pas facile, je le sais.
En conférence de presse, j'ai été l'un des premiers
à dénoncer la portée du projet de loi C-72 et ce
n'était pas aussi simple que cela. Bref, le conseil a fait son travail,
mais l'entité qui n'a pas fait son travail en ce qui concerne le projet
de loi C-72, ce n'est sûrement pas le gouvernement fédéral
qui, lui, fait ses affaires; ce n'est sûrement pas la Chambre des
communes à Ottawa qui, elle, fait ses affaires; c'est le gouvernement du
Québec qui, dix mois et demi plus tard, vient nous dire: Nous attendons
des études du ministère de la Justice. Je vais le dire
très simplement: Non, le gouvernement n'a pas rempli son mandat de
gouvernement responsable en ce qui concerne le projet de loi C-72.
M. Rivard: M. le Président...
M. Filion: Vous pouvez peut-être réagir, ce
n'était pas une question, mais...
Le Président (M. Baril): M. le ministre.
M. Rivard: M. le Président, je pense qu'il faut
réagir à cette opinion qui vient d'être émise par le
député de Taillon sur la façon dont le gouvernement se
comporte sur cette question.
Vous savez, M. le Président, et vous devez vous le rappeler avec
un certain plaisir parce que vous avez vécu ce moment absolument
inoubliable, lorsque nous avons été élus le 2
décembre 1985, nous avons été élus avec un certain
nombre de promesses. Parmi ces promesses, il y avait celle d'offrir à la
population du Québec une nouvelle façon de gouverner. Autre
promesse, nous avions l'intention - et nous l'avons prouvé, nous avons
prouvé que nous étions capables de le faire - de gérer
sainement les finances publiques. Et Dieu sait que l'héritage qui nous
avait été laissé par nos prédécesseurs
était lourd à porter! Nous avions aussi promis que nous ne
passerions pas notre temps à faire des déclarations à
l'emporte-pièce sur tous les sujets, à tous les moments du jour,
de la semaine, du mois ou de l'année. Évidemment, quand je
réponds de la façon que je l'ai fait 25 fois en Chambre, eu
égard aux questions posées au sujet du projet de loi C-72, il n'y
a pas beaucoup de nouvelles là-dedans et cela ne donne pas beaucoup de
prise non plus sur l'Opposition officielle, qui est là pour jouer son
rôle normal en Chambre, à l'intérieur de ce régime
parlementaire britannique qui est le nôtre. Mais il doit certainement y
avoir quelque chose de bon à ce que nous faisons parce que, je voudrais
le rappeler bien gentiment au député de Taillon, par des sondages
répétitifs, la population du Québec manifeste la plus
grande satisfaction à l'égard de notre gouvernement quant
à sa façon de gouverner et elle serait prête, si des
élections avaient lieu demain, à manifester cette satisfaction en
votant massivement pour nous. Je ne veux pas
parler de balayage. Ce n'est pas moi qui utilise ce mot-là et je
ne veux surtout pas faire de politique trop partisane avec le dossier
linguistique. Mais il n'en demeure pas moins que, quant à notre
façon de gouverner, cette façon de gouverner qui ne crée
pas beaucoup de remous et qui ne crée pas beaucoup de nouvelles, la
satisfaction de la population actuellement est très grande.
M. Filion: M. le Président, je suis un peu
déçu de voir que cela fait à peine 30 jours que le nouveau
ministre siège au sein d'un conseil exécutif déjà
divisé, mais qu'il a pris les travers du premier ministre qui, quand on
lui pose des questions en Chambre, nous répond en nous citant les
sondages. Je vais vous dire que cela me préoccupe. Ma question, mon
appréhension et mes préoccupations étaient bien
précises et on va nous répondre en termes de sondages. Je vais
vous dire: Des sondages, il y en a un à tous les quatre ans. Ce sont
ceux-là qui comptent. Les autres... 1985 comportait son message comme
les autres avant. Le prochain, qu'on y soit ou pas, va comporter
également des messages. Mais, me faire répondre en me citant que
la population est satisfaite alors que, de toute évidence, dans le
dossier du projet de loi C-72, le gouvernement du Québec a manqué
le bateau - il a manqué le bateau - je vais vous dire que cela
m'inquiète pour l'avenir. Soit dit en passant au ministre qui commence
à parler de sondage, il faudrait faire attention parce que, sur le plan
linguistique - et je n'ai pas de gros sondage dans mes poches - mon flair, mon
bureau de comté, ce que j'entends, les gens qui viennent me voir me
disent que la communauté francophone et la communauté anglophone,
pour ne pas parler des communautés culturelles... J'ai eu l'occasion de
citer au ministre ce matin un petit passage de M. Chaar, une des victimes de
peinture dans ses vitrines, qui disait: Que le gouvernement se branche! Donc,
en matière de sondage, si on commence à s'envoyer des sondages
sur le plan linguistique, je ne suis pas sûr que le gouvernement
passerait l'examen. Alors, ceci étant dit, M. le Président, ia
nature aussi étant ce qu'elle est, je vous inviterais peut-être
à suspendre, avec l'approbation de mes collègues, à moins
que quelqu'un ne veuille poser une question, pour me permettre de m'absenter
une ou deux minutes.
Le Président (M. Baril): Nous allons suspendre la
séance, M. le député, pour quelques minutes.
(Suspension de la séance à 21 h 44)
(Reprise à 21 h 50)
Le Président (M. Baril): Alors, la commission reprend ses
travaux. M. le député de Taillon.
M. Filion:... ceux qui étaient autour de la table.
Le Président (M. Baril): C'est cela, je parle du tour de
la table. La commission reprend ses travaux. M. le député de
Taillon.
Langue du commerce et des affaires
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais
aborder la question de la langue des services. Pour beaucoup de gens, la langue
des services constitue un peu une espèce de caisse de résonance
de leur identité. Dans d'autres cas, c'est une source de tensions, de
frustration. D'autre part, là comme ailleurs, n'existent pas pour le
bénéfice des économistes du gouvernement d'indices Dow
Jones, comme je me plais à le dire. Il n'existe pas d'échelle de
Richter pour nous permettre d'évaluer les secousses en plus ou en moins
pour ce qui est des répercussions de la langue de service et de ce qui
se passe.
Pour moi, la langue des services, c'est beaucoup une question de climat,
une question d'attitude, une question de volonté gouvernementale, une
question de volonté politique affichée, une question
d'affirmation de soi comme peuple. Le Conseil de la langue française
avait eu cette excellente idée de faire une enquête et de tenter
de se doter d'outils d'étude de la langue des services. Malheureusement,
il est arrivé une fuite, une fuite non pas sur l'objectif, mais une
fuite sur les méthodes. Le début de l'enquête a
été compromis, de sorte que le conseil a dû refaire ses
devoirs, j'ai l'impression - on me corrigera tantôt - pour trouver une
nouvelle façon de procéder et d'étudier la langue des
services.
Ma première préoccupation, c'est cette fuite que je trouve
particulièrement inopportune. Est-ce que le ministre est en mesure de
nous dire aujourd'hui quelle est la source de la fuite qui a occasionné
le désamorçage, si l'on veut, de cette enquête?
M. Rivard: Je dois vous avouer, M. le Président, que je
suis un peu surpris par la question. J'ai de la difficulté à voir
l'importance accordée par le député de Taillon à ce
genre de précision. Je peux faire le commentaire suivant, eu
égard à la langue du commerce. Lorsqu'un client se
présente dans un magasin et qu'il veut faire des affaires dans ce
magasin, s'il veut acheter une cravate, une pièce vestimentaire
quelconque, nous avons en face de nous une transaction ou l'ébauche
d'une transaction et non pas une confrontation. Je veux apporter cette
précision, parce que nous allons, sans aucun doute, entrer dans les
détails de l'étude, à savoir si on la fait ou on ne la
fait pas et quelle méthodologie employer. Mais il faut absolument que je
précise la façon dont je vois cette
transaction. Je dis très simplement qu'il est de la
responsabilité individuelle du client ou de la cliente qui est
d'expression française, parlant français, de demander poliment
mais fermement à ce vendeur ou à cette vendeuse qui refuse ou qui
semble refuser de s'exprimer en français, de demander fermement et
poliment d'être servi en français. Il n'y a aucune espèce
de possibilité de reculer là-dessus. C'est un droit que nous
avons ici au Québec. Je suis certain que c'est un droit qui nous est
reconnu par l'immense majorité des Québécois d'expression
anglaise.
D'un autre côté, je me tourne vers la vendeuse ou vers le
vendeur, de la même façon que l'a fait M. Don MacPherson, ce
journaliste de la tribune de la presse québécoise qui a
présenté un article dans le journal The Gazette, le 15
mars dernier. Ce qu'il dit, en résumé - je ne citerai pas
l'article car il est disponible, il est facilement retrouvable - il dit au
vendeur ou à la vendeuse qui refuse d'accéder à cette
demande normale de la part d'un Québécois francophone: Ce n'est
pas une façon de faire des affaires. "It is bad business. "
Deuxièmement, c'est impoli. "It is impolite. " Je m'arrête
là. Il n'y a pas de loi qui va régler ce genre de situation. Ce
n'est pas une situation de confrontation, c'est une situation de transaction.
Je vous remercie, M. le Président.
M. Filion: Oui. D'abord, quand le ministre dit qu'il n'y a pas de
loi, il faut faire attention parce que l'article 5 de la Charte de la langue
française est clair. L'article 5 de cette charte est un droit
déclaratoire, soit, mais le ministre cite souvent le préambule de
la charte et peut-être qu'un petit peu plus tard il va se rendre plus
loin et qu'il va citer les premiers articles de la charte. L'article 5 dit bel
et bien que les consommateurs de biens ou de services ont le droit d'être
informés et servis en français. Mais cela reste un droit
déclaratoire dans l'état actuel de la législation. Ce qui
m'intéresse et ce qui intéresse les Québécois,
c'est que ce droit puisse s'exercer. Une des façons de faire pour qu'il
puisse s'exercer, c'est d'étudier le milieu, d'étudier les
habitudes, les usages, la situation en matière commerciale.
C'était ma question.
Le ministre m'a répondu, quand je lui ai demandé
d'où venait la fuite... Je comprends que je n'aurai pas de
réponse ce soir, que cela ne l'intéresse pas... Cela ne
l'intéresse pas en plus de cela, c'est intéressant. Je trouve
intéressant que cela ne l'intéresse pas. Je vais poser une autre
question au ministre alors. Est-ce que l'enquête aura lieu? Je ne
m'intéresse pas aux méthodes. Je m'intéresse à
l'enquête, aux études qui, encore une fois, auront l'avantage de
nous apporter des données les plus précises possible dans un
secteur qui n'est pas facilement quantifiable. Est-ce que l'enquête aura
lieu? Encore une fois, les méthodes, les endroits ou
l'échantillonnage, cela ne m'intéresse pas. Ce qui
m'intéresse... Parce que les avis du conseil, et je tiens à le
spécifier, les travaux du conseil - en tout cas, j'ai commencé
à lire les avis du conseil et cela remonte bien avant 1986 - de
façon générale, ce qui vient du conseil - je le dis sans
aucune gêne et c'est la même chose d'ailleurs en ce qui concerne la
Commission de protection de la langue française et l'Office de la langue
française - ce qui vient du conseil a parfois l'avantage d'être
concis. Je dois vous dire que c'est agréable. On apporte un de ces avis
chez nous. On se garde la fin de semaine pour le lire et on s'aperçoit
qu'on l'a bien lu et qu'on l'a bien saisi en une heure. C'est donc
intéressant comme donnée. Pour nous, pour tous ceux qui ont
à coeur la défense et la promotion de l'avancement de la langue
française, ce sont des travaux qui sont généralement bien
faits. (22 heures)
Dans le domaine de la langue des services, il y a beaucoup, je l'ai dit,
de frustration, de placotage. Les lettres aux lecteurs, tous les mois à
peu près, on en voit une dans les journaux où il est dit: Je me
suis présenté à tel endroit et imaginez-vous que je me
suis fait répondre en anglais. Quand la personne à qui c'est
arrivé prend la peine d'écrire, cela veut dire qu'elle a senti
une frustration qui, eu égard à l'article 5 du chapitre II de la
Charte de la langue française, est tout à fait légitime.
M. le Président, je m'étends un peu dans mes commentaires, mais
ma question est simple: Est-ce qu'il y aura une enquête en ce qui
concerne la langue des services?
M. Rivard: J'ai dit au début de cette commission
parlementaire sur la défense de mes crédits, et je me recite,
même si je trouve le geste un peu particulier, que je souscrivais
à l'approbation de principe accordée par ma
prédécesseure. Je n'ai pas l'intention de revenir
là-dessus. Nous sommes d'accord, M. le président et moi, que
cette enquête devrait avoir lieu pour autant qu'on trouve une
méthodologie qui permette que l'enquête se fasse sans qu'elle ne
soit préjudiciable à qui que ce soit.
M. Filion: Est-ce que le ministre peut m'expliquer...
M. Rivard: Attendez. M. le Président...
M. Filion: Je vous en prie, je pensais que vous aviez
terminé.
M. Rivard:... je devrais quand même
bénéficier d'un peu de temps de réponse. Je comprends que
les questions du député de Taillon...
Le Président (M. Baril): Allez!
M. Rivard:... sont brèves, mais il devrait convenir avec
moi que, règle générale dans la vie, il est plus facile de
poser des questions que de trouver des réponses. Alors, j'ai ce devoir
ce
soir de trouver un certain nombre de réponses aux questions fort
intéressantes et pertinentes qu'il me pose. Un commentaire: je n'ai
jamais dit, M. le Président, et M. le député de Taillon
pourra relire la transcription de ce qui se passe ce soir, qu'il n'y avait pas
de loi pour couvrir ce chapitre. Je suis heureux de constater que le
député de Taillon sait; il confirme que j'ai au moins lu
l'article 5 sur les consommateurs de biens ou de services. On a le droit
d'être informés et servis en français. Ce que j'ai dit,
c'est qu'il fallait aller au-delà de la loi. Ce que le Conseil de la
langue française va faire, c'est regarder la situation, et nous avons
besoin de cela parce que je suis à la recherche de l'information
factuelle la plus précise possible. Nous avons besoin de cela. Une fois
que nous l'aurons trouvée, je pense qu'il faudra convenir, de part et
d'autre, que, même si nous mettons en place tous les mécanismes
voulus avec toute la rigidité législative et réglementaire
possible et imaginable en ce bas monde, il n'en demeure pas moins qu'à
un moment donné, dans une opération qui s'appelle une transaction
et qui n'est pas une confrontation, deux Québécois sont mis en
présence; un qui veut qu'on le serve en français et l'autre qui
ne réalise pas que, s'il ne le fait pas, "it is bad business and it is
impolite". C'est cela que je dis, point final.
M. Filion: D'une part, je souligne très modestement au
ministre qu'il m'apparaît y avoir une dimension de son analyse qui
manque. Là-dessus, cela fait trois fois que j'entends son "clip",
passez-moi l'anglicisme, mais c'est le climat.
M. Rivard: II faudrait demander à M. Pierre-Etienne
Laporte s'il n'y a pas un mot français.
M. Filion: Je suis convaincu qu'il y en a un, il
m'échappe, mais son...
M. Rivard: Je voudrais attirer l'attention du
député de Taillon sur le fait que...
M. Filion:... peu importe, son passage ou son refrain.
M. Rivard:... les journalistes m'ont beaucoup critiqué
pour avoir osé employer un terme que j'emploie depuis 25 ans, le terme
"compliance", parce que nous n'avions jamais trouvé en médecine
de meilleurs mots pour décrire l'obéissance, le respect, la
soumission et l'adhésion à un traitement.
M. Filion: Alors, cela va. On n'est quand même pas pour
faire de la linguistique ensemble.
M. Rivard: Pourquoi pas!
M. Filion: Je pense que nous ne sommes pas les personnes les plus
aptes pour faire ce genre de travail.
La dimension qui échappe au ministre sur tout l'aspect de la
transaction commerciale, et j'ai entendu son refrain là-dessus - soit
dit tout à fait gentiment sans sens péjoratif - c'est qu'il y a
une chose qui s'appelle un climat dans une société et qui est
définie en partie par une volonté politique, et cela va bien
au-delà des lois. Je le dis depuis deux ans et demi. On adopte des lois
à l'Assemblée nationale, on va en adopter d'autres, mais jamais
rien ne peut remplacer une volonté affichée, claire et sans
ambages. La même volonté, par exemple, pour tout le monde; pas une
volonté comme ci pour un groupe et une volonté comme ça
pour l'autre groupe, une volonté claire pour les deux groupes, les trois
groupes ou les quatre groupes à qui on peut parler. Rien ne peut
remplacer ce que j'appelle cette volonté politique qui se mesure
curieusement par des actions et, comme on est en politique, des actions
politiques et des gestes politiques. Là-dessus, je réfère
le ministre sans me citer à ce que j'ai dit dans mes remarques
préliminaires: des discours, des mots, ça en prend, il faut que
ce soit clair, mais ça prend aussi des actions. Cela ajoute de la
crédibilité à nos mots. Lorsqu'on ne fait que parler sans
agir, c'est difficile d'être cru.
Ceci dit, sur la langue des services, je comprends qu'une enquête
aura lieu. Ma question au ministre est la suivante: Le ministre
considère-t-il que les méthodes définies dans le premier
projet du conseil allaient à rencontre de quoi que ce soit en termes de
préjudice à qui que ce soit, à l'encontre de quelque
charte ou droit que ce soit?
M. Rivard: Très simplement, M. le Président, je
n'ai pas pris connaissance dans le détail de la méthodologie qui
avait été proposée.
M. Filion: Oui, mais vous venez de dire que vous souscriviez
à ce que votre prédécesseure avait dit.
M. Rivard: Non, je me répète, alors je vais me
citer. J'ai parlé une première fois, je me suis cité une
deuxième fois et je me cite pour la troisième fois.
M. Filion: Au complet. M. Rivard: Oui.
M. Filion: Parce que vous l'avez dit dans votre texte.
M. Rivard: Ah bien, à ce moment-là, je vais citer
tout le paragraphe.
M. Filion: Oui.
M. Rivard: Quelques commentaires en
terminant ce chapitre - j'étais dans le chapitre du Conseil de la
langue française - sur l'intention qu'a le Conseil de la langue
française de procéder à une enquête sur la langue
des services et d'accueil - c'est important aussi la langue d'accueil - dans
les commerces de Montréal, parce que c'est là qu'est le
problème. D'une part, je souscris à l'approbation de principe
accordée par ma prédécesseure, je suis d'accord pour qu'on
fasse l'enquête. Cependant, et le président et moi sommes du
même avis, et il pourra s'exprimer, cet accord. n'entraîne pas
l'approbation automatique d'une méthodologie qui serait
préjudiciable à qui que ce soit. C'est tout.
M. Filion: Alors, ma question est la suivante: Est-ce que la
méthodologie...
M. Rivard: Et je continue: J'ai bonne confiance en la sagesse et
en l'expertise du comité en cette matière. Les gens du Conseil de
la langue française me disent: Nous sommes les experts, faites-nous
confiance, M. le ministre, nous avons repris le dossier à neuf, nous
examinons la question et nous allons essayer de trouver la méthodologie
qui va nous permettre, premièrement, de réaliser l'étude,
et je suis d'accord avec eux; deuxièmement, de faire en sorte que cela
repose sur les bases les plus socialement et scientifiquement acceptables.
Est-ce que je peux aller plus loin que cela? C'est oui.
M. Filion: Oui, mais je pose une question. Une
méthodologie était prévue à la première
enquête: Est-ce que, oui ou non, vous considérez que la
méthodologie prévue à la première enquête
était préjudiciable à qui que ce soit, pour reprendre vos
termes?
M. Rivard: Réponse: Je ne me suis pas penché sur la
méthodologie préconisée lors de la première
enquête. Je dis au Conseil de la langue française, tout
simplement: Présentez-moi ce projet d'étude, regardons-le
ensemble et nous partirons de là, c'est tout. M. le Président, le
député de Taillon a mentionné à quelques occasions,
et moi de même, que nous manquions d'instruments pour mesurer le
progrès de la langue française au Québec. J'ai
l'impression encore une fois, étant donné la diversité de
ses membres, que le Conseil de la langue française, en s'appuyant sur
toutes sortes de compétences qui existent à l'intérieur de
l'organisme lui-même comme à l'extérieur, va faire au
ministre responsable une proposition acceptable.
M. Filion: Bon. Cela va. J'aimerais beaucoup entendre. Non pas
que cette étude des crédits du conseil n'est pas
intéressante, au contraire, mais il nous reste peu de temps. Le
ministre, par exemple, quand il entre en poste, prend la responsabilité
de ce qui a été fait. Cela aurait été
intéressant que le ministre se penche un peu sur ce qui a
été fait, surtout qu'on ne remonte pas aux calendes grecques,
qu'on remonte à il y a quelques mois. C'est une affaire qui a fait les
manchettes d'ailleurs. Cela aurait été intéressant de
savoir du ministre en quoi, comme sa prédécesseure l'a
affirmé, les méthodologies du conseil pour son premier projet
d'enquête sur la langue des services, je l'appelle comme cela,
était contraire aux droits de qui que ce soit. Mais le ministre m'a dit:
Je n'ai pas pris connaissance de cela. J'attends pour l'avenir. C'est une
attitude qui consiste un peu à ignorer ce qui s'est passé
très récemment. Je ne veux pas renchérir là-dessus.
Je prends la parole du ministre. Il dit qu'il n'a pas regardé cela mais
qu'à l'avenir il va regarder cela. Ce que je souhaite, vous l'aurez
compris aisément, c'est que cette enquête se fasse. Selon ce qui a
été porté à ma connaissance, la méthodologie
employée pour le premier projet ne me paraissait pas - je n'ai pas eu le
détail; j'en ai pris connaissance dans les journaux comme tout le monde
- aller à l'encontre des droits de qui que ce soit. Simplement le fait
de la fuite, par exemple, entraînait un certain nombre de
conséquences qui étaient dommageables d'où, d'ailleurs, ma
première question sur la fuite à laquelle je n'ai pas eu de
réponse. Je ne sais pas si le ministre veut ajouter quelque chose?
M. Rivard: Vous savez, M. le Président, le Conseil de la
langue française pourrait choisir, en me présentant son projet
d'étude sur la langue du commerce, de ramener dans le dossier la
méthodologie qu'il avait pensé utiliser la première fois.
Ce serait son choix s'il le faisait et, à ce moment-là, comme
ministre responsable, tout simplement, je regarderais ce projet et
j'analyserais avec des conseillers la possibilité de réagir
positivement ou non à sa présentation.
M. Filion: Juste par curiosité, M. le ministre, et vous
pouvez m'éclairer rapidement, en vertu de quoi le conseil... On vient de
parler de son autonomie; on peut en reparler longtemps, mais ce n'est pas en
vertu d'une règle de droit. C'est tout simplement en vertu d'une bonne
collaboration qu'il informe le gouvernement ou qu'il met le gouvernement dans
le pouls de ses projets d'enquête ou est-ce que c'est en vertu... Ah!
c'est cela. J'ai la réponse à ma question. Alors, je la retire.
On attire mon attention sur l'article 188b et sur l'article 189b qui semblent
un peu contradictoires. Je ne sais pas si le ministre peut... L'article 188b,
juste pour les fins du Journal des débats, dit: "Le conseil doit
surveiller l'évolution de la situation linguistique au Québec
quant au statut de la langue française et à sa qualité et
communiquer au ministre ses constatations et ses conclusions. " Cela, c'est
l'article 188b. Donc, je comprends qu'on n'a pas besoin de l'assentiment du
ministre dans ce cas-là, bien que l'article 189b, encore une fois, dit:
"Le conseil peut, avec l'assentiment du ministre,
entreprendre l'étude de questions se rattachant à la
langue et effectuer ou faire effectuer les recherches appropriées. " La
distinction semble mince, mais je comprends que c'est plutôt l'article
189b qui s'applique que l'article 188b.
M. Rivard: On m'informe en plus de cela qu'il y a une dimension
financière à la question.
M. Filion: Bon.
M. Rivard: Là, on entre dans des détails
techniques.
M. Filion: Oui, d'accord.
M. Rivard: Mais je pense qu'il faut bien... Peut-être me
suis-je mal exprimé, mais il faudrait encore que je me cite. Dans le
texte que j'ai livré aujourd'hui, j'ai dit qu'il fallait que le conseil
jouisse d'une autonomie de bon aloi. En contrepartie, le Conseil de la langue
française doit s'attendre qu'à l'occasion le ministre responsable
ne soit pas nécessairement d'accord en tout ou en partie avec le contenu
d'un avis, et j'aurais pu ajouter d'une étude ou de sa
méthodologie. Autrement dit, le Conseil de la langue française
étant muni, si vous voulez, connaissant mon accord de principe quant
à cette étude, pourrait décider de procéder avec
quelque méthodologie que ce soit, faire l'étude, rendre publics
les résultats et, par la suite, compte tenu à la fois de
l'autonomie du conseil et de la contrepartie que j'exerce, je pourrais
déclarer que la méthodologie employée par le conseil ne me
satisfait pas. À ce moment-là, à la fois le ministre et le
conseil auraient joué leur rôle. (22 h 15)
M. Filion: Avant de terminer, je voudrais dire merci, encore une
fois merci aux membres de la commission aussi. Cela a été
instructif.
Le Président (M. Baril): Vous avez terminé, M. le
député?
M. Filion: Oui, avec l'office. On va maintenant passer à
la Commission de protection de la langue française.
Le Président (M. Baril): D'accord. Nous sommes prêts
à recommencer? M. le député de Taillon.
Commission de protection de la langue
française
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais
souhaiter la bienvenue à Mme la présidente ainsi qu'aux personnes
qui l'accompagnent. Comme vous le savez, nous en sommes à cette
période annuelle où l'Opposition et les membres des commissions,
pas uniquement ceux de l'Opposition, mais tous les membres des commissions, les
députés, se réunissent pour examiner les crédits,
donc les montants d'argent dépensés par le gouvernement. C'est
là un des premiers exercices parlementaires. Nous en sommes à je
ne sais trop quelle centaine d'heures d'étude des crédits de tous
les ministères. C'est un exercice démocratique qui se fait afin
de vérifier à la base le travail, parce que, quand on regarde
l'argent, on regarde le travail aussi des organismes.
En ce qui concerne la Commission de protection de la langue
française, comme pour les autres organismes et sans aucune
réticence, je tiens à signaler que, du côté de
l'Opposition officielle, nous ne doutons en aucune façon de la
qualité et de la quantité des énergies qui sont
dépensées par toutes les personnes directement ou indirectement
impliquées dans l'administration de la commission de protection de la
langue française. C'est un organisme qui joue un rôle fort
important, pas toujours facile, parfois entre l'arbre et l'écorce, entre
la loi et la réalité. Tout ceci pour assurer les gens de la
commission de notre respect le plus total pour le travail qu'ils effectuent et
les encourager à continuer à travailler avec énergie et
dynamisme dans des circonstances qui ne sont pas toujours faciles sur le plan
politique, mais je n'insisterai pas là-dessus. Je pense que les gens
connaissent un peu ma position.
Ma première question s'adresse au ministre. Elle porte sur le
visage français de Montréal. Avec ses beaux discours, vendredi,
sur l'importance de garder le visage français de Montréal, je
voudrais demander bien simplement au ministre comment il peut concilier ses
déclarations avec la promesse électorale du parti politique
auquel il appartient de ramener l'affichage bilingue. Comment le ministre
fait-il pour concilier son discours sur le beau visage français de
Montréal et ce qui a été promis durant la campagne
électorale?
M. Rivard: M. le Président, je cherche un document que je
n'ai pas. J'aurais voulu citer exactement quelle était la
résolution d'un certain conseil général du Parti
libéral du Québec qui a eu lieu en juin 1985, si ma
mémoire est fidèle, et qui parlait de ces choses.
Un visage est fait de beaucoup de choses, vous en conviendrez avec moi,
M. le Président. Je pense que c'est simplifier beaucoup trop les choses
dans le dossier linguistique, lorsque l'on parle du visage français de
Montréal, que de le ramener, le restreindre à la seule partie de
la physionomie qui viendrait de l'affichage commercial. Le visage
français de Montréal, c'est bien plus que cela. C'est ce dont
nous venons de (discuter ensemble, la langue du commerce, la 'langue des
services, de quelle façon et en quelle langue vous vous faites
répondre lorsque vous montez dans un taxi, dans un autobus, lorsque vous
allez dans une banque, lorsque vous prenez le métro, etc. C'est aussi la
langue qui est utilisée quand vous faites un appel, quand vous
vous adressez à un service public, à un service
parapublic, à un établissement quelconque ou à une
entreprise du secteur privé. Le visage français de
Montréal, c'est tout cela et probablement plus de choses encore. C'est
la langue à l'école, la langue de l'enseignement. C'est tout
cela.
Le problème que nous avons - je mets problème entre
guillemets - avec le dossier linguistique, c'est qu'on a rapetissé,
ramené le dossier linguistique, parfois dans certains milieux, à
certains moments, au moment de certains commentaires, à la seule
question de l'affichage commercial. Mais c'est bien plus grand que cela. Vous
savez, on a employé dans la question de l'affichage dit bilingue toutes
sortes de formules. Je vais référer le député de
Taillon à une déclaration récente - je reviens à
l'afichage commercial - faite par le président du Parti
québécois, M. Parizeau. Longue déclaration, long article
dans le journal Le Devoir, le samedi 30 avril 1988. Il dit dans cela, et
je cite intégralement, il parle de la loi 101: "La clause Québec,
le français au travail, il y avait dans la loi 101 quelques piliers
centraux et l'affichage me paraissait être un de ces piliers. C'est
toujours le cas et je suis heureux d'être capable de m'associer avec
autant de gens pour réaffirmer cette nécessité. "
J'arrête là la citation. Je vais continuer en vous disant que le
président du Parti québécois emploie, pour décrire
certains aspects de la loi, le terme "pilier". Pour parler de la façon
que je vois la loi 101 dans ce qu'elle a de plus fondamental, j'ai
employé le terme "pacte" entre l'Assemblée nationale et la
société québécoise, et j'ai dit de façon non
équivoque que ce pacte devait être respecté.
Je continue avec la déclaration du président du Parti
québécois et je cite toujours l'article qui est dû à
la plume de... Ce n'est pas signé mais j'imagine que c'était de
Pierre O'Neill: Je reconnais qu'il y a eu - c'est M. Parizeau qui parle -
à un certain moment peut-être pas de gros abus, mais certains
traits un peu ridicules dans l'application de la loi. " C'est toujours M.
Parizeau qui parle: "Je me souviens d'un cas qu'on m'avait mentionné,
celui d'une église protestante des Cantons de l'Est qui faisait une
vente d'après-midi sur l'herbe, tout l'affichage doit être en
français! J'admets que ça fait un peu marrant. Je comprends que,
contrairement à ce qu'on dit, le ridicule ne tue pas, mais quand
même des fois ça fait mal. Les adaptations, ça ne me
dérange pas... " M. Parizeau parle d'adaptation et c'est
intéressant. J'ai parlé - je ne connaissais pas le mot -
d'ajustement. Il y a des ajustements qui ne me dérangent pas. Il y a des
adaptations qui ne dérangent pas le président actuel,
démocratiquement élu, du Parti québécois.
Le précédent gouvernement, après avoir
rédigé et mis en place cette loi fondamentale qu'est la loi 101,
s'est aperçu en cours de route qu'il fallait procéder à de
tels ajustements. Le député de Taillon sait mieux que moi
à quels ajustements, eu égard à l'affichage commercial et
à l'affichage bilingue, je fais allusion. J'irai plus loin, les gens ont
oublié que le précédent gouvernement, le 24 juillet 1985,
avait prépublié dans la Gazette officielle un projet de
règlement qui venait modifier toute une série de
règlements adoptés par le gouvernement du Parti
québécois eu égard à la Charte de la langue
française. Dans ces projets de règlement, en particulier dans la
section qui concerne l'affichage commercial, je peux vous donner un exemple de
la sorte d'ajustement ou d'adaptation, d'aménagement, que le Parti
québécois était prêt à faire à la loi,
et je lis - c'était un projet de règlement tout à fait
nouveau, prépublié le 24 juillet 1985: Sur un appareil
installé en permanence dans un lieu public, la notice d'utilisation - je
n'aime pas beaucoup le terme notice, mais j'imagine que c'était le mieux
qu'on pouvait trouver à l'époque; je ne sais même pas si
c'est français, probablement, de toute façon - peut être
à la fois en français et dans une autre langue. Cette exception
de fait, qui était dans les cahiers du Parti québécois au
pouvoir le 24 juillet 1985 couvre de toute évidence le mode
d'utilisation de certains appareils qui ne sont pas appelés à
être déménagés facilement ou fréquemment. Je
vais vous donner un exemple, M. !e Président, de ce que cela peut
vouloir dire. Cela pourrait vouloir dire un affichage en français - sans
doute que le Parti québécois, à l'époque, aurait
souhaité que ce soit en français prioritaire -
prédominant, prioritaire, mais aussi dans une autre langue, et cela
aurait pu se retrouver sur des pompes à essence, des ascenseurs, des
distributeurs automatiques, des machines à moudre le café dans
les marchés publics.
Alors, quand le député de Taillon me pose des questions
sur la façon dont nous pourrions envisager ou comment je réagis
sur tel ou tel engagement électoral je dis tout simplement ceci, et je
reviens au visage français du Québec: Je réaffirme
très simplement et très fermement que le visage français
du Québec doit être protégé et qu'il n'est pas
question pour notre société québécoise, que nous
soyons francophones, anglophones ou allophones, de reculer sur cela. Il y a
trop de progrès qui a été accompli depuis quelques
années pour que nous reculions là-dessus. Je dis, cependant, et
le Parti québécois lui-même, en juillet 1985, en convenait
- le président du Parti québécois actuel, M. Jacques
Parizeau, en convient aussi - qu'il y a probablement des adaptations, des
ajustements dans le respect des libertés individuelles de tous les
Québécois, quelle que soit leur origine, quelle que soit la
langue qu'ils parient dans leur famille.
M. Filion: Oui. Le problème, M. le Président, avec
le discours du ministre, c'est que cela n'a rien avoir avec le bilinguisme
optionnel, cela n'a rien à voir avec le bilinguisme condi-
tionnel, cela n'a rien à voir avec toutes les déclarations
contradictoires qui ont été faites depuis deux ans et demi, 30
mois, par le gouvernement auquel il appartient. Là, au bout de deux ans
et demi... Écoutez, c'est conciliable pour moi le visage français
avec on ne sait pas quoi. D'ailleurs, on ne sait toujours pas quoi et l'avis du
Conseil de la langue française s'applique encore plus que jamais quand
le Conseil de la langue française parle de la nécessité
d'une politique claire parce qu'on est encore à deux ans et demi du 2
décembre 1985. On est encore à l'étape des discours, des
hypothèses, des ajustements, alors que le premier ministre a
lancé combien de ballons d'essai, M. le Président, combien de
déclarations contradictoires? (22 h 30)
II parlait même de modifier la loi par le biais de
règlements. Il a parlé de bilinguisme optionnel et conditionnel.
Je pourrais vous en citer pendant quatre pages des déclarations du
gouvernement dans lequel vous êtes maintenant à part
entière, comme membre du Conseil des ministres, quatre pages et demie de
déclarations contradictoires, confuses, ambiguës qui ont
créé les attentes dont je parlais plus tôt cet
après-midi, des attentes légitimes chez les citoyens. Au bout de
deux ans et demi, le premier ministre a toujours le secret de Fatima, et le
ministre responsable de la loi 101 ne voit pas de contradiction entre le
programme du Parti libéral et le fait de garder le visage
français de Montréal. Pourtant, il y avait 25 000 personnes dans
les rues de Montréal. D'où l'extrême
nécessité, je le répète - il nous reste quelques
minutes; j'ai quelques questions précises à poser - pour un
gouvernement, quel qu'il soit, peu importe le parti qui sera au pouvoir,
d'afficher clairement ses positions en matière linguistique.
Le nouveau ministre responsable de la loi 101 ne peut pas ignorer qu'en
étant assermenté il y a 30 jours il faisait partie d'un
gouvernement qui a entretenu la confusion dans la population, qui a
créé le type de situation que nous vivons présentement.
Et, encore ce soir, on ne peut pas voir l'amorce de solutions concrètes.
Le ministre fait allusion à des projets de règlements qui ont
été prépubliés. Ils sont connus, je vais vous dire,
du parti auquel j'appartiens, étant donné que c'est ce parti qui
était au pouvoir à ce moment-là.
Il peut faire allusion à autre chose. À un autre moment,
on parle du visage français. Ce sont des beaux mots. Ce sont les actions
qui comptent pour les membres des communautés. En ce sens-là,
vous comprendrez que ces discours, cela fait deux ans et demi qu'on les entend,
et que maintenant la population veut voir le commencement du début de
l'amorce concrète de ce qu'est la politique linguistique du
gouvernement.
Le ministre des Communications, collègue du ministre responsable
de la loi 101, disait il y a à peine un an ou quelques mois à un
journaliste: Je suis en faveur de la politique linguistique du gouvernement
libéral, mais dites-moi, quelle est-elle? Imaginez-vous! Ce n'est quand
même pas sur des sujets qui sont secondaires, bien que... On n'est pas
pour revenir sur l'interpellation là-dessus. L'affichage, j'ai
déjà dit ce que j'en pensais à plusieurs reprises.
Bref, il reste quelques minutes. J'ai...
M. Rivard: M. le Président, si vous me permettez, je pense
bien qu'à la suite de cette déclaration qui suivait la mienne je
peux et dois intervenir et je le ferai de la façon suivante. Le
député de Taillon a écouté avec attention, je le
sais, la déclaration que j'ai faite vendredi. C'est une
déclaration qui est importante, qui engage le gouvernement du
Québec. Cette déclaration, même si vous dites qu'elle ne
contient que des mots, est quand même une déclaration
fondamentale.
Deuxième commentaire. Nous sommes dans une opération de
communication. La population qui nous écoute, la population qui nous
entend, soit directement lorsque nous intervenons en Chambre ou bien encore
indirectement, lorsque nos propos sont rapportés par les médias,
que ce soient les médias écrits, radiophoniques ou
télévisés, cette population, je pense, entend de plus en
plus le message que je lance depuis le 31 mars dernier, journée de mon
assermentation.
La population, c'est un récepteur. J'ai un message. Je ne peux
pas blâmer l'Opposition de ne pas avoir encore syntonisé son
message par rapport au contenu que je livre dans chacune de mes
déclarations. Je ne peux pas la blâmer. Je ne m'attends pas du
tout que le député de Taillon me dise soudainement: M. le
ministre, quelle belle nouvelle vous venez de nous annoncer! Je ne m'attends
pas à cela. Le député de Taillon a employé à
un moment donné une expression que l'on entend souvent: volonté
politique. En d'autres moments, il a parlé de laxisme. Il a parlé
de recul du français sur tous les fronts au Québec. Le
député de Taillon, et nous le savons tous, est habile. C'est un
fin plaideur. Il est habile et il est capable de faire évoluer le
discours. Il le fait très bien. Mais je voudrais lui dire que, lorsqu'il
parle de volonté politique, il traduit cela de la façon suivante:
Messieurs et Mesdames du gouvernement, faites respecter la loi.
Malheureusement, le temps presse et j'ai l'impression que Mme de Fougerolles,
présidente de la Commission de protection de la langue française,
ne pourra jamais répondre à ces questions que vous brûliez
de lui poser.
Je voudrais dire qu'en 1987-1988, la Commission de protection de la
langue française a fermé, en matière de dossiers ouverts
à la suite de plaintes qui lui avaient été
adressées - et la majorité de ces plaintes concernent l'affichage
commercial - exactement 3324 dossiers. À ces 3324 dossiers, se sont
ajoutés 64 autres qui ont été transmis au Procureur
général. Soit dit en passant, une amélioration
considérable de ce côté
puisque, en 1986-1987, le nombre comparable était de 123. C'est
donc moitié moins de dossiers. Oui, M. le député de
Taillon. Je peux vous donner les chiffres: en 1985-1986, il y a eu 249 dossiers
transmis au Procureur général, en 1986-1987, 123 et en 1987-1988,
64. Le nombre total, fermetures de dossiers et dossiers transmis au Procureur
général, est de 3388.
Savez-vous ce que représente le chiffre de 3324 par rapport au
nombre total? Cela représente 98, 1 % de réussite. Cela veut dire
qu'en utilisant la technique, l'approche humaine, sinon humaniste qui est la
sienne, la Commission de protection de la langue française éduque
les gens, les persuade, ne s'amène pas dans les commerces et
auprès des commerçants avec ses gros sabots en essayant
d'employer des mesures coercitives. Elle éduque. Elle persuade. La
Commission de protection de la langue française considère que
c'est là sa mission fondamentale et que c'est l'outil le plus
intelligent qu'elle puisse utiliser pour remplir son mandat à la plus
grande satisfaction de la population.
Je me suis promené dimanche dernier sur la rue Sainte-Catherine.
J'ai fait toute la rue Sainte-Catherine, d'Atwater jusqu'à Papineau.
J'ai vu de mes yeux jusqu'à quel point, en termes d'affichage
commercial, les enseignes, les messages et la rue Sainte-Catherine avaient une
apparence, une physionomie française. Cette apparence et cette
physionomie font partie de ce qu'on appelle le visage français de
Montréal.
M. Filion: Cela va.
Le Président (M. Baril): Est-ce que j'ai le consentement
pour continuer...
M. Maciocia: C'est une petite question apparemment sans
commentaire...
M. Filion: Oui, c'est cela. C'est une toute petite question qui
porte sur... D'abord, il faut comprendre... Il y a des plaintes qui sont
formulées par des citoyens. J'ai remarqué d'ailleurs, dans les
chiffres qui nous ont été fournis que de très nombreuses
plaintes ont fait l'objet de dédoublements, parce que plusieurs
requérants ont envoyé la même plainte. Je remarque quand
même qu'il y a plusieurs raisons à cela. Je pourrai revenir sur
les déclarations faites par la prédécesseure du ministre
actuel. Quand même, je dis tant mieux, parce qu'il y a eu un fort
dédoublement des plaintes de sorte que l'augmentation est moins
élevée, soit de 120 %. J'ai fait la comparaison cet
après-midi. Deux années, on compte trois années. Comme
moyenne annuelle, c'est une augmentation de 120 %. Ma question est la suivante:
Combien de dossiers, parmi les 3324 que vous venez de mentionner, ont
été fermés pour situation corrigée? On le sait, M.
le ministre, il y a cinq façons de fermer un dossier, et je vous renvoie
au tableau 7, notamment, du rapport annuel II y a plusieurs raisons pour fermer
un dossier. Je voudrais savoir combien de dossiers sur les 3324 ont
été fermés pour situation corrigée.
M. Rivard: Je vais laisser à ma collègue de la
Commission de protection de la langue française, Mme Ludmila de
Fougerolles, la possibilité de répondre à cette question,
elle a toutes les informations.
M. Filion: Non, mais juste avant... C'est parce que c'est
important ce que vous disiez.
M. Rivard: Elle a bien compris votre question.
M. Filion: Oui, mais juste avant... C'est important ce que vous
avez essayé de glisser tantôt. J'attire votre attention, M. le
ministre... Peut-être que vous l'avez fait sans trop le savoir, mais il y
a plusieurs motifs pour fermer un dossier...
M. Rivard: Oui.
M. Filion:... situation corrigée, demande non
fondée, demande irrecevable, consolidation, regroupement des dossiers
d'une même entreprise et autres, articles 176 et 177. C'est dans ce sens
qu'il faut toujours faire attention, je pense, pour ne pas envoyer de
perceptions qui seraient différentes de la réalité.
Déjà, le ministre est très sélectif dans ses
perceptions depuis trois jours. Il nous parle beaucoup de la rue
Sainte-Catherine et peu des trois régions du Québec que j'ai
mentionnées et peu également de l'augmentation de 120 % que j'ai
aussi mentionnée. Mais enfin, je pense qu'une sélection naturelle
s'effectue à l'occasion. Et je suis convaincu que le ministre en est
conscient. Donc, ma question bien précise: Combien de dossiers ont
été fermés pour situation corrigée?
Le Président (M. Baril): Mme de Fougerolles. Madame, si
vous voulez vous présenter, s'il vous plaît. C'est la
dernière question adressée à la commission et
j'espère que vous serez la plus brève possible.
Mme de Fougerolles (Ludmila): Ce sera très bref. Je
répondrai à M. le Président et à M. Filion que le
pourcentage de correction est de 95 %. Donc, je n'ai pas fait le compte sur les
3224 dossiers qui ont été fermés. 95 % ont
été fermés pour correction.
M. Filion: Seulement 95 %?
Mme de Fougerolles: Les 95 % ont été fermés
pour correction pour l'année 1987-1988.
M. Filion: D'accord.
Mme de Fougerolles: Voulez-vous que je
vous dise en quoi consistent les autres 5 %?
M. Filion: Non, je vais donner avis de l'une de mes questions
futures. Quelles sont les façons... On y reviendra, on aura d'autres
occasions et je reviendrai...
Le Président (M. Baril): D'accord.
M. Filion:... sur les chiffres...
Le Président (M. Baril): Merci, madame.
M. Filion:... en d'autres occasions, peut-être pas en
Chambre, ce n'est pas le bon endroit, mais à l'occasion d'un
engagement...
Le Président (M. Baril): Alors, je vous remercie.
M. Filion:... financier ou quelque chose de semblable.
Le Président (M. Baril): Le mot de la fin...
M. Filion: Mais je donne avis au ministre
immédiatement.
Le Président (M. Baril): Le mot de la fin, M. le
ministre.
M. Rivard: Le mot de la fin, M. le Président, c'est pour
remercier d'abord les membres de cette commission et remercier le
député de Taillon pour, je vais employer le terme, l'excellent
travail que nous avons accompli ensemble. Je pense que nous poursuivons le
même objectif, celui de l'épanouissement de la langue
française au Québec, mais encore une fois, dans le respect des
libertés de tous les Québécois et de toutes les
Québécoises. Je voudrais dire merci à mes collaborateurs,
à mes collègues, présidents des organismes dont vous
connaissez mieux maintenant, je pense, l'importance du mandat et, en
particulier dans le cas de l'Office de la langue française, la
compétence, l'expertise et l'expérience qui a été
acquise dans un dossier fort important qui est celui de la francisation des
entreprises.
Mon but, aujourd'hui, M. le Président, en me présentant
devant cette commission était de discuter, avec l'Opposition et avec les
collègues de ma formation politique, de l'ensemble de la question
linguistique et de ne pas ramener le débat à la seule question de
l'affichage commercial. Les acquis, en termes de progression du français
au Québec, sont réels. Voilà une constatation sur laquelle
nous pouvons bâtir. Je vous remercie de l'attention que vous avez
portée, M. le Président et chers collègues, à
l'ensemble de mes propos.
Le Président (M. Baril): Je demanderais au
député de Taillon le mot de la fin aussi, mais sans commentaires
s'il vous plaît, afin que je ne sois pas obligé de redonner la
parole au ministre.
M. Filion: Oui, très brièvement, M. le
Président. L'affichage - je l'ai dit vendredi et je le
répète - a à la fois une valeur intrinsèque et une
valeur symbolique. Aux deux niveaux, c'est un sujet extrêmement
important, peut-être pas le plus important, mais c'est un sujet
important, d'une part.
D'autre part, je voudrais remercier, bien sûr, toutes les
personnes qui ont passé une partie de leur journée à
écouter nos échanges. M. le Président, je voudrais vous
rermercier de votre patience et remercier également mes collègues
d'en face qui sont intervenus à quelques reprises, mais qui ont surtout
fait preuve d'une saine tolérance à l'égard de
l'Opposition.
Le Président (M. Baril): Merci beaucoup. Avant de
terminer, on se doit d'adopter le programme 5 de la Charte de la langue
française en ce qui concerne les crédits du ministère des
Affaires culturelles.
M. Filion: Y inclus la Commission de toponymie. J'avais des
questions pour ces gens.
Le Président (M. Baril): Adopté?
M. Filion: Ce sera pour la prochaine fois. Adopté.
Le Président (M. Baril): La commission ajourne ses travaux
sine die. Je vous remercie beaucoup.
(Fin de la séance à 22 h 46)