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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le mardi 3 mai 1988 - Vol. 30 N° 9

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Ministère des Affaires culturelles


Journal des débats

 

(Quinze heures trente-huit minutes)

Le Président (M. Houde): À l'ordre, s'il vous plaît!

Messieurs, je déclare ouverte la commission de la culture, cet après-midi.

Charte de la langue française

Je rappelle le mandat de la commission. La commission de la culture est réunie afin de procéder à l'étude des crédits budgétaires du ministère des Affaires culturelles, volet "Charte de la langue française", programme 5, pour l'année financière 1988-1989.

Je vais donner les heures: de 15 h 30 à 18 heures; en soirée, de 20 heures à 22 h 30. Donc, une durée de cinq heures.

Est-ce qu'il y a des changements qui sont apportés, est-ce qu'il y a des remplaçants?

La Secrétaire: Oui, il y a M. Hétu de Labelle qui remplace M. Audet de Beauce-Nord; M. Houde de Berthier qui remplace M. Hamel de Sherbrooke; M. Filion de Taillon qui remplace Mme Harel de Maisonneuve; M. Cusano de Viau qui remplace Mme Pelchat de Vachon; M. Baril de Rouyn-Noranda-Témiscamingue qui remplace M. Trudel de Bourget.

Le Président (M. Houde): C'est exact, merci beaucoup.

J'invite le ministre, maintenant, s'il a des remarques préliminaires à faire. M. le ministre.

Remarques préliminaires M. Guy Rivard

M. Rivard: Nous voici réunis afin d'étudier les crédits des organismes que la Charte de la langue française a mis en place pour promouvoir et protéger le français.

Ces organismes constituent en quelque sorte mon ministère, et je dois dire que j'y retrouve toute l'expertise, la compétence et l'expérience nécessaires à la poursuite de cet objectif inscrit au plus profond de cette société distincte qu'est le Québec, l'objectif de l'épanouissement du français. Permettez-moi de reprendre, dans les mêmes termes, ce que j'affirmais il y a quelques jours à l'Assemblée nationale, lors de l'interpellation du vendredi 29 avril dernier, et je cite: "Cette volonté de favoriser l'épanouissement du français est un engagement de société qui se manifeste dans toutes nos institutions, autant publiques que privées. C'est cette même volonté qui mène l'actuel gouvernement du Québec à réaffirmer publiquement et de façon solennelle cet engagement. Quatre principes guident le gouvernement à cet égard: Au Québec, le fran- çais est la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Le territoire québécois doit conserver un visage français. L'évolution démographique du Québec et, en particulier, les équilibres démographiques entre les groupes linguistiques, doivent être assurés par des politiques d'immigration et d'intégration appropriées. La société québécoise reconnaît les droits et les institutions de sa minorité linguistique, la communauté anglophone. "

Et je poursuivais, face aux inpidents qui marquent trop souvent la question linguistique et nous distraient de l'essentiel: "Notre société doit apprendre à discuter des questions linguistiques de façon sereine. La dualité sociolinguisti-que du Québec est permanente, et il nous faut en arriver rapidement à vivre cette réalité sans affrontements stériles. "Il faut donc sonner le glas des querelles linguistiques. Non seulement ne mènent-elles nulle part, mais encore risquent-elles de troubler la confiance en eux-mêmes que les Québécois ont acquise au fil des ans, une confiance dont un des fleurons est la prospérité économique que connaît présentement le Québec. Bref, un climat de confiance et de respect mutuels doit à tout prix présider aux relations entre les deux groupes linguistiques. "C'est pour cette raison que je conçois, M. le Président, le rôle du ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française comme celui d'un rassembleur, celui d'un interprète auprès des uns des sentiments et des volontés des autres".

Je me présente donc devant cette commission pour défendre pour la première fois mes crédits, à un moment crucial du dossier. Un moment où, en dépit des incidents, le ton a quand même tendance à baisser, parce que, de plus en plus, des Québécois se lèvent un peu partout et s'expriment davantage avec leur raison qu'avec leur émotivité. La loi 101 n'est pas arrivée dans un désert. Elle avait été précédée par la loi 22, dont René Lévesque a dit qu'elle ne s'éloignait pas tant que cela de notre propre façon de voir les choses. Vous trouverez cette citation en page 358 de son livre "Attendez que je me rappelle... ".

Cet exercice, à travers lequel nous allons passer aujourd'hui, devrait contribuer à une meilleure appréciation des efforts accomplis et des projets réalisés dans le domaine linguistique. Beaucoup a été accompli et je me sers pour, d'une certaine façon, le résumer, d'une citation qui est contenue dans le livre très récemment paru de Michel Plourde "La politique linguistique du Québec". Soit dit en passant, Michel Plourde a été président du Conseil de la langue française. Alors, il parle de ces acquis que nous avons comme société, et je cite ceci en page 95 de son

livre: "Le français est devenu la langue officielle et la langue de l'État. Les immigrants fréquentent désormais l'école française. Les francophones ont conquis leur place dans l'économie québécoise. Les Québécois réussissent de plus en plus à travailler et à se faire servir en français. Ces affirmations, qui ne peuvent être absolues, dit-il, sont pourtant vraies. Par-dessus tout, la Charte de la langue française a eu un effet d'entraînement considérable pour changer les situations et les attitudes linguistiques. Mais la francisation est loin d'être terminée et les effets de la francisation ne sont pas irréversibles. "

Qui plus est, au-delà des lois ou précédant ces lois, d'autres changements s'étaient produits au Québec, avant même l'arrivée du précédent gouvernement, le gouvernement du Parti québécois. Et je cite de nouveau Michel Plourde en page 40 de son livre, récemment paru: "Entre 1961 et 1977, sous la poussée de la Révolution tranquille, les francophones avaient entrepris de se scolariser davantage et nos universités avaient déjà commencé à déverser sur le marché du travail, en nombre accru, des diplômés fort compétents en commerce et en administration des affaires. Parmi les 15 % de travailleurs se situant au haut de l'échelle de revenus, la proportion des francophones était déjà passée de 44 % à 70 %. " Vous vous rappelez la période dont il parle, entre 1961 et 1977. Je poursuis la citation: "Mais il est clair que la loi 101, en donnant à la langue française un statut indiscutable, au plus haut niveau de l'entreprise, est venue accroître et raffermir la présence et le rôle des francophones dans l'économie du Québec, stimuler l'ambition et la confiance des jeunes diplômés, rehausser le prestige social de la langue française et démentir la croyance traditionnelle qui voulait que l'anglais soit la seule langue des affaires. "

À l'heure actuelle il existe, M. le Président, au Québec, aussi bien dans le monde des affaires que dans les autres secteurs d'activité, quantité de gens qui se sentent bien dans leur peau de Québécois et qui veulent faire partager à tous les Québécois les avantages et la fierté d'appartenir à cette société québécoise. Tous ces Québécois vivent de plus en plus en français, même s'il ne s'agit pas toujours de leur langue maternelle.

M. le Président, j'entends, avec l'appui concerté de mes collègues du Conseil des ministres, m'employer assidûment à ce que se poursuive et s'intensifie la francisation des entreprises et l'utilisation de la langue française comme langue des communications, du commerce et des affaires. Ce sont là des sujets fort importants. Les autres dossiers feront aussi l'objet de mon attention. Appuyé de façon admirable par les organismes de la charte dont les présidents sont ici présents, et je les présenterai aux députés des deux formations politiques un peu plus tard, je ne ménagerai pas mes efforts pour que se continue, avec efficacité et enthousiasme, l'assistance qu'il convient d'offrir aux divers groupes et individus du Québec qui expriment des besoins réels en matière de corrections et d'enrichissement de la langue française parlée et écrite.

Le Québec a développé, au cours des 25 dernières années, une expérience enviable et enviée par bon nombre de partenaires du monde de la francophonie aussi préoccupés que nous le sommes par un aménagement linguistique équilibré, équitable et fonctionnel.

Permettez-moi maintenant, M. le Président, de survoler avec vous l'ensemble du travail formidable effectué par chacun des organismes de la charte. Je commence avec l'Office de la langue française, dont le président, M. Pierre-Étienne Laporte, est à ma droite immédiate.

Depuis plus de dix ans maintenant, l'Office de la langue française oeuvre à la réalisation du double mandat que le législateur lui confiait en 1977. Comme vous pouvez le constater, messieurs les membres de l'Assemblée nationale et madame, dans les documents qui vous ont été remis, l'office poursuit inlassablement son travail d'implantation d'un français de qualité par la recherche et la création en matière de terminologie et par la certification des entreprises soumises aux obligations de la charte. Par son programme d'animation langagière, par ses nombreux autres programmes de diffusion du français et plus particulièrement par les nombreux services et produits qu'il met à la disposition des Québécois, l'office vise toujours ce double objectif de francisation du Québec et d'amélioration de la qualité de la langue parlée et écrite des Québécois.

Plus de 50 % des grandes entreprises possèdent aujourd'hui leur certificat de francisation, de même que 60 % des petites et moyennes entreprises. Mais la francisation du Québec déborde largement le processus administratif de la certification. Le Québec devra toujours se préoccuper de francisation, même quand il aura terminé la certification des entreprises. Le Québec aura en effet toujours besoin de terminologie française pour s'approprier les nouvelles technologies dans tous les secteurs de l'activité économique. Je m'arrête ici en ce qui concerne la francisation des entreprises, M. le Président, car je compte sur les questions de tous les députés des deux formations politiques pour permettre au président de l'office de brosser le tableau le plus complet qui soit. Ce gouvernement n'a rien à cacher. Pour les années qui viennent, l'office entend consacrer une grande partie de ses énergies à la plus grande satisfaction de ses clientèles.

Pour ce faire, il s'est fixé comme grandes orientations d'améliorer ses produits grand public et de faire renaître au sein des comités de francisation des grandes entreprises l'ardeur nécessaire à la relance de la francisation dans le monde du travail, du commerce et des affaires.

Ainsi, l'office consacrera des ressources

importantes à l'optimisation de sa banque de terminologie, de façon à en faire un instrument plus efficace, mieux adapté aux besoins des clients et plus simple à utiliser. Il entreprendra également - je parle toujours de l'office - l'optimisation de son service d'assistance linguistique par la création d'un téléphone linguistique qui répondra, éventuellement, à une très forte proportion des 100 000 demandes acheminées chaque année à l'office. Les consultations linguistiques représentent aujourd'hui 65 % de ces demandes. Ce sont des questions qui portent sur la grammaire, l'orthographe, les règles typographiques, la phraséologie, etc.

Pour soutenir ce programme d'optimisation de son service d'assistance linguistique, l'office offrira, au cours du prochain exercice, plus de 200 séances de perfectionnement en français aux agentes de secrétariat qui constituent le principal groupe utilisateur de ces consultations, soit 37 %. Une plus grande autonomie linguistique constituera un atout majeur pour tous ceux et celles qui utilisent la langue comme instrument de travail et, finalement, pour l'ensemble de la population.

Le champ d'action de l'Office de la langue française est donc d'une grande ampleur: travailler à l'implantation de la langue, viser à sa correction et contribuer à son enrichissement, voilà ce que fait l'Office de la langue française et il le fait bien.

Passons maintenant à la Commission de toponymie dont le président, M. Henri Dorion, est à l'extrême droite de cette table. Organisme méconnu du grand public, la Commission de toponymie a, durant la dernière année, poursuivi son travail d'inventaire, de normalisation et d'officialisation des noms géographiques du Québec au même niveau de production - plus de 8000 nouveaux noms de lieux - avec le même souci du respect des usages locaux et de la précision géographique et terminologique. L'équilibre linguistique a aussi été maintenu avec rigueur et on s'est préoccupé tout particulièrement des noms de lieux autochtones du Québec.

Un mot là-dessus. Dans des régions habitées ou fréquentées par les populations autochtones, la Commission de toponymie privilégie les toponymes amérindiens ou inuit, dans la dénomination des lieux, pour autant qu'il y a accord avec ses autres critères de choix. Grâce à une concertation avec les nations autochtones pour l'inventaire et le traitement de cette toponymie spécifique, la commission maintient une image positive dans le milieu, ce qui facilite la réalisation de projets conjoints. Les autorités fédérales ont reconnu la pertinence de cette politique en invitant la commission à présenter sa position lors de colloques nationaux et internationaux.

Il me plaît de souligner ici que par la qualité de son travail s'appuyant sur une méthodologie scientifiquement éprouvée, encore une fois méconnue du grand public, la Commission de toponymie s'est acquise une réputation enviable sur le plan international. Plusieurs pays étrangers, comme d'ailleurs des organismes internationaux, font maintenant appel à son expertise pour consolider leurs structures et leurs programmes d'activité en matière de gestion toponymique, de formation et de développement des systèmes de pointe. Son président actuel est d'ailleurs président du groupe d'experts des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques. C'est tout à son honneur et à l'honneur du Québec.

Le Conseil de la langue française maintenant, dont le président, M. Pierre Martel, est assis immédiatement derrière moi. Le mandat confié par la Charte de la langue française au Conseil de la langue française est de conseiller le ministre sur l'ensemble des questions linguistiques. Les recommandations, avis, rapports ou commentaires du conseil au ministre responsable de l'application de la charte doivent porter, notamment, sur la politique québécoise de la langue française, sur l'interprétation et l'application de la loi et sur la situation de la langue française au Québec. C'est pourquoi le Conseil a l'obligation de suivre de près et d'analyser l'évolution de la situation linguistique au Québec quant au statut de la langue française et à sa qualité. Il le fait, notamment, par des études et des recherches et en se tenant à l'écoute de la population.

La composition du conseil, par la réunion des représentants de divers segments de notre société, en fait un organisme dont l'éclairage apporte au ministre des éléments de réflexion indispensables. Pour que son action ait la portée voulue par le législateur, il faut que le Conseil de la langue française jouisse d'une autonomie de bon aloi. En contrepartie, le conseil au premier chef, la société québécoise au second, doivent s'attendre qu'à l'occasion le ministre responsable ne soit pas nécessairement d'accord, en tout ou en partie, avec le contenu d'un avis. Les règles du jeu le veulent ainsi.

Quelques commentaires, en terminant ce chapitre, sur l'intention qu'a le Conseil de procéder à une enquête sur la langue de service et d'accueil dans les commerces de Montréal. D'une part je souscris, M. le Président, à l'approbation de principe accordée par ma prédécesseure. Cependant, et le président du conseil et moi-même sommes du même avis, cet accord n'entraîne pas l'approbation automatique par moi d'une méthodologie qui serait préjudiciable à qui que ce soit. J'ai bonne confiance en la sagesse et en l'expertise du comité en cette matière. Notons en passant que, dans l'ensemble du dossier linguistique, nous avons un bon bout de chemin à faire pour inventer les instruments, les jauges servant à mesurer les progrès du français au Québec. La liste des tâches qui attendent les membres du Conseil de la langue française est impressionnante.

Maintenant, la Commission de protection de la langue française dirigée de façon fort habile

par Mme Ludmila De Fougerolles qui est assise derrière moi et qui en est la présidente. Il m'apparaît utile de rappeler ici que la mission fondamentale de la Commission de protection de la langue française est de faire en sorte que soient corrigées les situations dérogatoires dont elle est saisie par des plaintes venant de citoyens ou de groupes. Corriger plutôt que de punir, créer une ambiance de respect de la charte plutôt que de se poser en censeur ou en accusateur, voilà une façon d'aborder l'application de la loi qui m'apparaît tout à fait justifiée. D'ailleurs, le taux élevé de solutions des dossiers et la fermeture des dossiers à la suite des interventions de la commission devraient tous nous réjouir. Nous reviendrons abondamment là-dessus si vous le désirez.

Pour le prochain exercice financier, la Commission de protection de la langue française s'est fixé comme principal objectif de traiter un plus grand nombre de demandes d'enquête - et de cela, j'en suis certain, le critique de l'Opposition sera tout à fait satisfait - et ce dans des délais plus courts. Avec des ajouts au plan des équipements informatiques et des ajouts également au plan du personnel, d'un niveau actuel de traitement quotidien de 135 dossiers, la Commission de protection de la langue française pourra passer assez rapidement à 220 dossiers par jour.

Ce survol des activités des organismes de la charte m'amène à exprimer de nouveau ma satisfaction à l'égard du travail remarquable qui s'est fait dans chacun de ces organismes et du travail qui s'y fait actuellement et qui continuera de s'y faire. Tout à l'heure, les membres de la commission de la culture procéderont à l'étude du programme 5 dont les crédits totaux ont été établis, pour l'exercice financier 1988-1989, à quelque 22 000 000 $, soit une augmentation générale de l'ordre de 5 % par rapport à l'an passé.

Ils pourront aller dans le détail des choses en se rappelant que l'intérêt supérieur veut que nous n'utilisions pas la question linguistique à des fins partisanes, que nous n'exploitions pas les moindres incidents, que nous baissions le ton afin d'entendre les uns et les autres ce que nous avons à nous dire.

En terminant, M. le Président, permettez-moi de revenir à ce texte fondamental que j'ai livré aux Québécois vendredi dernier. Aux Québécois d'expression française, j'ai dit que la langue française est vivante au Québec, bien vivante. À l'usine, au bureau, à l'école, à la maison, dans la rue, partout et plus que jamais au Québec, nous vivons en français. Le visage français du Québec doit continuer à s'affirmer: il n'est pas question d'accepter un recul sur ce plan. Il n'est pas question non plus de remettre en cause la Charte de la langue française dont le préambule et l'affirmation des droits linguistiques fondamentaux constituent un pacte conclu entre l'Assemblée nationale et la société québécoise. Mais il convient néanmoins de garder à l'esprit que le français au Québec n'a pas, n'a jamais été et ne sera jamais l'affaire d'une seule loi. La langue française, notre langue, est le mode d'expression d'une collectivité, une manifestation de notre façon de vivre et de notre culture. La langue ne saurait se laisser emprisonner dans une seule loi.

Aux Québécois d'expression anglaise, j'ai dit: "Les francophones du Québec sont convaincus d'avoir toujours respecté les institutions de votre communauté. La vitalité même de vos institutions en témoigne. Si de temps à autre des incidents ont pu soulever des inquiétudes chez certains, on ne peut imaginer que la société québécoise pourrait soudainement renier 200 ans de tradition et abandonner cet esprit de justice et d'ouverture qui caractérise l'ensemble de ses institutions. Notre défi collectif est d'harmoniser les impératifs de la promotion du caractère français du Québec avec l'exercice des libertés individuelles de tous les Québécois. "

À ces Québécois issus des diverses communautés culturelles, j'ai dit et je répète aujourd'hui: "Vous avez été jusqu'à maintenant pratiquement absents du débat et je le déplore. De tout temps, vous êtes venus chez nous parce qu'il fait bon y vivre et vous y avez trouvé votre place, vous avez un rôle à jouer et aussi un mot à dire pour promouvoir le caractère français du Québec. "

Je conclus aujourd'hui, M. le Président, comme j'ai conclu alors: "C'est dans un esprit d'ouverture vers l'avenir que je souhaite poursuivre mon mandat. Lorsque je rencontre un Québécois ou une Québécoise, ce qui m'intéresse, ce n'est pas de lui demander: D'où viens-tu, mais bien plutôt: Où allons-nous ensemble? Nos richesses culturelles sont inestimables. Notre défi de société est d'en vivre pleinement et harmonieusement. "

Je vous remercie, M. le Président. (16 heures)

Le Président (M. Laporte): Merci, M. le ministre. M. le député de Taillon.

M. Claude Filion

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Dans un premier temps, je voudrais bien sûr souhaiter la bienvenue au nouveau ministre - j'ai déjà eu l'occasion de le faire vendredi dernier - et souhaiter également la bienvenue à Mme la présidente et à MM. les présidents, ainsi qu'à toutes les personnes qui les accompagnent dans le cadre de cette étude des crédits des organismes responsables de l'application de la Charte de la langue française. Ce n'est évidemment pas une mince tâche pour un jeune ministre de défendre les crédits d'un dossier où le gouvernement ne s'est certes pas mérité beaucoup de médailles depuis plus de deux ans. Dans mon esprit, cette rencontre sera plus que déterminante puisque nous serons en mesure, espérons-le, de constater la véritable marge de

manoeuvre que possède le ministre, et surtout la véritable volonté politique, s'il y en a une, du gouvernement libéral en matière linguistique. J'ose espérer enfin que la vilaine impression qui se dégage, voulant que sa nomination par le premier ministre ne soit qu'un prétexte pour gagner du temps, pourra se dissiper après ces cinq heures que nous allons passer ensemble.

M. le Président, je voudrais, à ce stade, faire une citation d'une magnifique revue, Découvrir le Québec, qui est éditée par Les Publications Québec français. La citation se lit comme suit: "Les attaques, par le biais des tribunaux, ont limité l'emprise de la loi 101. Menées au nom des droits de l'individu, elles ont aussi ébranlé la légitimité de cette loi. Mais, tant que le parti qui l'avait votée restait au pouvoir, les coups qui l'atteignirent paraissaient venir de l'extérieur. Mais il en va différemment aujourd'hui que le Parti libéral est au pouvoir, depuis décembre 1985. Par son discours, par son comportement, plus encore par ses projets de loi, aussi bien ceux qu'il a d'ores et déjà fait adopter: amnistie des enfants illégalement introduits dans les écoles de langue anglaise, reconnaissance de droits nouveaux en matière sociale et de santé, que ceux qu'il prépare en conformité avec l'engagement électoral irresponsable du Parti libéral portant sur l'affichage, ce parti se comporte comme si la loi 101 n'avait été qu'une parenthèse dans une longue tradition d'égalité formelle et de supériorité réelle de l'anglais. "

Cette citation, M. le Président, est extraite, comme je l'ai dit, de cette belle revue, Découvrir le Québec, mais aura valu à son auteur la censure du gouvernement libéral le gouvernement ayant décidé de limiter la distribution des 7000 exemplaires commandés par le ministère des Communications, au coût de 28 000 $. Toute vérité n'est pas bonne à dire, semble-t-il. Pourtant, l'auteur était loin d'exagérer. Au contraire, il aurait pu mentionner de multiples autres exemples du peu d'empressement et du peu de volonté politique du gouvernement libéral dans le dossier de la Charte de la langue française, en commençant par l'attitude du premier ministre lui-même. Un premier ministre qui, devant l'opposition à son projet de ramener l'affichage bilingue, cherche à gagner du temps. Un premier ministre qui cherche à brouiller les pistes en multipliant les déclarations contradictoires ou les ballons d'essai. Devant pareille confusion, bien heureux celui qui peut prédire la décision du premier ministre, décision qui serait déjà prise, rappelons-le, mais dont le principal intéressé refuse d'en faire connaître la teneur.

Mais, en attendant ce grand jour de la révélation du secret de Fatima, le premier ministre invoque la paix sociale. Or, tout a commencé par une promesse électorale irréfléchie et s'est poursuivi par le double langage et les déclarations contradictoires que nous connaissons. Dans un dossier où les positions claires sont essentielles, c'est le gouvernement libéral et le premier ministre qui sont responsables du climat qui prévaut aujourd'hui et non ceux qui, légitimement, à la suite d'une position ambiguë, cherchent de part et d'autre à faire valoir les revendications issues d'expectatives légitimes. L'argument de la paix sociale est donc bien trompeur, car ce sont maintenant les deux communautés, francophone et anglophone, qui sont actuellement dans l'insécurité. Il est grandement temps que la politique linguistique du gouvernement s'affiche clairement et sans ambages.

Combinés à cette confusion destructrice, le Parti libéral a multiplié les gestes contribuant au recul du fait français au Québec. Ainsi, en 1986, le Procureur général du Québec refusait d'entamer des poursuites lorsque les contrevenants en cause avaient des affiches bilingues. Pourtant, malgré l'appel devant la Cour d'appel du Québec, la loi demeurait en vigueur et son devoir exigeait de lui qu'il inscrive à tout le moins des actions devant les tribunaux. De plus, le Procureur général a contribué à accentuer le flot de désobéissance civile lorsqu'il a, à deux ou trois reprises, déclaré en public que l'article 58 de la Charte de la langue française était voué à être modifié.

Imaginons-nous un peu le travail du commissaire-enquêteur chargé de convaincre un commerçant de changer son affiche. Le dernier exemple jusqu'à maintenant, dans La Presse d'aujourd'hui, on lisait à l'occasion des graffiti qui ont été posés sur les vitrines de certains commerçants montréalais, on lisait M. Samir Chaar qui est cité ici, dans le journal La Presse du 3 mai, dans un article de Gilles Saint-Jean. Alors, M. Samir Chaar s'exprime. Le journaliste écrit: "La première fois, on avait barbouillé la partie anglaise de son affiche; l'autre fois, c'était la partie française, raconte M. Chaar, qui s'exprime très bien en français aussi et en anglais, souligne-t-i|. " Là, M. Chaar nous dit: "II faudrait bien que le gouvernement se branche au sujet de l'affichage: si on me dit d'afficher en français, j'afficherai en français; si on me dit d'afficher en anglais, j'afficherai en anglais; si on me dit d'afficher en chinois, j'afficherai en chinois. " C'est un commerçant qui s'exprime. "Mais, qu'on se branche! Dans le temps du Parti québécois, on avait masqué la partie anglaise de l'affiche; on s'était conformé à la loi. Maintenant on a le droit d'afficher dans les deux langues. " Ce n'est pas moi qui parle, c'est le commerçant. "Mais même le bilinguisme ne satisfait personne non plus!" Or, ce commerçant avait l'impression qu'actuellement on vivait dans la confusion. Ce commerçant demande au gouvernement de se brancher.

Que dit le nouveau ministre responsable de la Charte de la langue française? Au bulletin de nouvelles de ce matin j'en ai entendu un bout et j'ai fait sortir le texte: 'Tout en déplorant les actes de vandalisme commis contre des com-

merces de Montréal qui affichent en anglais, M. Rivard estime que les commerçants doivent porter une partie du blâme, leur affichage représentant un geste de provocation. " Je ne sais pas si le ministre est bien cité. J'en ai entendu des bouts, mais j'ai fait sortir le texte même de la revue de presse électronique. Or, je tiendrais à signaler immédiatement au ministre que les commerçants vivent actuellement dans la confusion et qu'énormément de commerçants ne savent pas à quoi s'en tenir. Ces commerçants doivent porter une partie du blâme, il y en a sûrement une autre partie qui doit aller au camp gouvernemental et clairement, d'autant plus qu'on voit l'expression de l'insécurité et de l'angoisse, finalement, des commerçants qui ne savent plus à quoi s'en tenir. Qui pourrait les en blâmer? Peut-être que ce même commerçant était présent dans une assemblée, dans l'ouest de l'île de Montréal, lorsque le ministre de la Justice leur a dit qu'on allait changer la loi 101.

De plus, ce même Procureur général a décidé, à la surprise de toute la population québécoise, et plus particulièrement de la communauté juridique, de financer les procureurs d'Alliance Québec avant même que la Cour suprême n'ordonne le paiement des honoraires extra-judiciaires. Du jamais vu dans les annales judiciaires. Se cantonnant derrière des réponses ambiguës du style: "On a suivi la pratique régulière", le Procureur général n'a jamais pu de son siège affirmer qu'il n'était pas au courant des tractations qui avaient eu cours au sein de son ministère. Le Barreau du Québec a qualifié le geste de peu coutumier et de non conforme à la pratique. Enfin, aucun des précédents évoqués par le Procureur général n'est concluant et une analyse juridique de ceux-ci tend plutôt à soutenir une position contraire à celle du Procureur général. En tout état de cause, nous sommes bien loin d'une pratique abondamment suivie.

À cette attitude du Procureur général du Québec se greffe celle du gouvernement libéral qui a décidé de sabrer dans les budgets et les effectifs des organismes chargés de promouvoir et de protéger la langue française. Ainsi, alors qu'on nous annonce une hausse de 7, 3 % des crédits de 1988-1989 par rapport aux dépenses de 1987-1988, une analyse plus globale nous révèle un tout autre portrait. Ainsi, si l'on compare les crédits de 1988-1989 avec ceux de 1985-1986, dernière année d'un gouvernement d'un autre parti, on constate qu'il y a eu une baisse de 0, 08 %. Sans même calculer la dévaluation de l'argent, on investit, dans les organismes issus de la Charte de la langue française, moins d'argent qu'en 1985-1986. Si l'on ne compare que les dépenses, celles anticipées pour 1987-1988 sont de 3, 4 % inférieures à celles de 1985-1986 et ce, sans compter l'inflation.

Les organismes chargés de défendre et de promouvoir la langue française, leur président ou présidente, leurs fonctionnaires et tous ceux qui gravitent autour de ces trois organismes, auront beau faire des miracles, si le gouvernement ne consent pas à leur confier plus de ressources, il est impossible d'imaginer que leurs efforts pourront rejoindre le niveau d'efficacité et de productivité que commande la situation actuelle.

Le ministre nous parlait du téléphone linguistique, je croyais que cela existait déjà. Tantôt, je vais lui poser quelques questions en ce qui concerne le téléphone linguistique, auquel nos secrétaires font souvent appel et j'espère aussi que beaucoup d'autres personnes y font appel. Le personnel de l'office a été diminué de 323 à 307. Encore une fois, il y a une limite à la rationalisation et au miracle. De plus, alors que le gouvernement libéral tient de beaux discours sur le français au travail, discours contradictoires, mentionnons-le, les budgets accordés aux syndicats pour l'animation des comités de francisation au sein des usines sont coupés, passant de 197 000 $, sous la dernière année du Parti québécois, à 150 000 $, sous un gouvernement libéral. Pourtant, dans un avis de 1986, le Conseil de la langue française avait affirmé que la relance du processus de francisation passait nécessairement par un accroissement du rôle des syndicats et des travailleurs. Évidemment, sous un gouvernement libéral, l'influence du conseil semble vouloir être réduite.

Ce peu de considération pour le conseil est, d'ailleurs, symptomatique de l'attitude du gouvernement pour la loi 101. Cinq autres exemples peuvent illustrer nos propos. Le 28 février 1986, le Conseil de la langue française émettait un avis sur la nécessité de préciser les intentions gouvernementales en matière linguistique. Le conseil écrivait notamment à l'époque, et je cite: "Faire comme si la loi n'existait pas, soit parce qu'elle est contestée devant les tribunaux, soit parce que le législateur semble s'apprêter à la modifier, n'engendre que confusion et illégalité. " C'était au début du mandat du nouveau gouvernement.

Il est dangereux de laisser une loi s'effriter en négligeant de la réaffirmer ou de l'adapter, surtout quand ses objectifs fondamentaux rallient toute une population, à tel point, d'ailleurs, que le ministre cite le préambule de la charte, vendredi, et nous cite encore aujourd'hui le préambule de la charte. Nous l'avons écrit, ce préambule. "Le Conseil de la langue française est d'avis que le vide juridique et l'ambiguïté sur la volonté d'appliquer une loi portent atteinte à ses objectifs fondamentaux. " Ce n'est pas un parti politique qui parle, c'est l'avis du conseil, au début du mandat du présent gouvernement. Eh bien, deux ans après cet avis, il conserve toute sa justesse; la situation n'a toujours pas été éclairée et le danger que percevait alors le conseil pointe toujours à l'horizon. Subséquemment, le Conseil de la langue française rendait un avis sur l'impact de la libéralisation des échanges économiques sur le droit linguistique.

Inquiet des conséquences d'un éventuel traité de libre-échange, le conseil recommandait alors au gouvernement du Québec de faire valoir auprès d'Ottawa la nécessité d'une clause de sauvegarde linguistique. J'insiste particulièrement là-dessus: l'actuel accord n'en contient aucune. Bien que le ministre MacDonald ait donné, en Chambre, l'assurance que l'accord n'aurait aucun impact, de nombreuses interrogations demeurent, notamment en ce qui a trait à l'avenir ou à l'adoption de futures dispositions linguistiques, c'est-à-dire, dispositions linguistiques qui ne sont pas contenues dans les lois actuelles. Était-il vraiment impossible pour le Québec de négocier son adhésion en échange d'une clause de sauvegarde linguistique qui aurait dissipé tous les doutes? (16 h 15)

Un troisième exemple du peu d'égards du gouvernement pour le conseil est l'épisode de l'étude de la langue de service. Alors que le conseil se proposait d'étudier en profondeur la perception qu'ont de plus en plus de Québécois et de Québécoises concernant la langue dans laquelle ils se font aborder, la ministre, alors responsable, désavouait sévèrement la méthode choisie par le conseil, en sachant bien qu'il s'agissait peut-être là de la seule méthode sérieuse. Du même coup, elle annihilait pour l'instant toute possibilité d'analyser le phénomène en profondeur. Ce. peu d'égards pour le conseil se retrouve également dans la propension du gouvernement libéral à vouloir assurer la survie du fait français au Québec uniquement par ce qu'il convient d'appeler le scénario de la francophonie créatrice. Ce scénario fut développé abondamment par la prédécesseure de l'actuel ministre et l'on en retrouvait quelques traces dans le discours du nouveau ministre lors de l'interpellation. Pourtant, le conseil a, dans un avis et dans un passage absolument remarquable, rejeté l'idée de ne faire reposer la survie de notre collectivité qu'uniquement sur ce scénario. Dans son dernier rapport annuel le conseil a tenu à rappeler au gouvernement que la protection de notre langue par une législation vigoureuse et juste est un élément nécessaire, puisque la seule incitation a fait maintes fois la preuve de son inefficacité.

Compte tenu de notre contexte sociogéogra-phique, où le Québec devra toujours défendre et promouvoir la langue française, que ce soit maintenant, dans vingt-cinq ans ou dans cinquante ans, compte tenu donc, de notre contexte sociogéographique, les lois sont et seront toujours nécessaires. C'est pourquoi le droit linguistique doit s'élever au-dessus de la partisanerie et l'actuel gouvernement ne pouvait promettre de modifier la loi 101 pour s'attirer quelques votes, peut-être, et surtout, le droit linguistique doit s'élever au-dessus de la partisanerie et la Charte de la langue française, telle qu'elle est en vigueur maintenant, doit être vigoureusement appliquée et respectée.

Le dernier exemple illustrant que l'avis du

Conseil de la langue française ne pèse pas lourd pour un tel gouvernement est tout récent. Il s'agit, bien entendu, de l'avis touchant le projet de loi fédéral C-72, relatif au statut et à l'usage des langues officielles au Canada.

Le projet de loi C-72 soulève une grave menace pour le Québec, la pire probablement depuis l'accord constitutionnel de 1982 et possiblement depuis l'accord du lac Meech. Cette loi C-72 est connue du gouvernement, en même temps que de la population canadienne depuis le 17 juin 1987, alors que le projet a été déposé à la Chambre des communes. Je comprends que le nouveau ministre n'était pas en poste à ce moment-là, mais le gouvernement, lui, était censé gouverner et prendre connaissance de ce projet de loi C-72. Nous y reviendrons, de toute façon, un petit plus tard.

L'article 42 qui découle directement du double mandat issu des accords constitutionnels Meech-Langevin permettra au gouvernement d'intervenir auprès des organismes syndicaux, patronaux ou bénévoles dans le but de promouvoir les services dans les deux langues, contrevenant ainsi directement aux objectifs de la loi 101. L'action fédérale se ferait donc désormais dans les champs de compétence provinciale exclusive par le biais de son pouvoir de dépenser.

Les objectifs des projets de loi C-72 et de la loi 101 sont tout a fait irréconciliables, note le Conseil de la langue française. En conséquence, celui-ci indiquait qu'il était impérieux que le Québec fasse savoir au Parlement fédéral qu'au Canada seul le français est menacé et qu'on ne saurait envisager une promotion symétrique des langues officielles. Mais voilà que dix mois et demi se sont écoulés depuis le dépôt du projet de loi C-72 et, à ce jour, le gouvernement n'a absolument rien fait.

Devant l'imminence du danger, le gouvernement se serait dit inquiet et aurait commandé des avis juridiques supplémentaires, comme si les juristes du conseil n'étaient pas compétents en matière linguistique et comme si l'article 42 n'était pas suffisamment clair et, j'allais ajouter, comme si le gouvernement n'avait pas pu faire travailler ses services juridiques avant, il y a trois semaines.

J'aurais voulu lire l'article 42. On le fera un petit peu plus tard, M. le Président, étant donné que vous m'indiquez qu'il me reste peu de temps.

On comprend, néanmoins, les hésitations du gouvernement puisque le Conseil de la langue française estime que la loi C-72 est une conséquence du lac Meech. Point de vue que semblent d'ailleurs partager les juristes à Ottawa qui ont souligné que le projet de loi C-72 était en tout point conforme à l'accord Meech. Si l'on veut que les avertissements du conseil n'aient pas été vains, comme pour le premier avis sur la nécessité de préciser les intentions du gouvernement, il devient urgent que le gouvernement réagisse

au plus vite. D'ailleurs, on s'étonne que les opinions juridiques, si elles sont nécessaires, ne soient pas déjà prêtes puisque, comme je l'ai dit, le projet de loi fut déposé le 25 juin 1987 et que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de l'énoncer ce projet de loi lors d'une conférence de presse.

Puisque nous évoquons l'avis du lac Meech, j'aimerais à nouveau souligner le retard inexpliqué de l'avis du conseil portant précisément sur la portée linguistique de l'accord du lac Meech. À la lumière de la réflexion sur le projet de loi C-72, le retard peut paraître compréhensible. Puisque ce projet de loi découle de l'accord du lac Meech, n'y a-t-il pas fort à parier que l'avis ira dans le sens de l'opinion de tous les spécialistes ou de la plupart des spécialistes, devrais-je dire, entendus à la commission parlementaire, à savoir que la clause de la société distincte n'offre aucune garantie valable pour le fait français au Québec, qu'au contraire le Québec devra promouvoir sa communauté anglophone minoritaire, que lui confère son statut distinct au sein de la Confédération? Aussi aberrant que cet énoncé puisse paraître, ce fut la conclusion du rapport du comité mixte des Communes et du Sénat.

Ces quelques exemples illustrent à souhait le peu d'égards du gouvernement pour le conseil, organisme autonome et représentatif de la collectivité québécoise.

En terminant, M. le Président, j'aimerais évoquer rapidement une certaine dégradation de la situation. On a parié vendredi de l'affichage. Le ministre a évoqué le cas de la rue Sainte-Catherine pour nous souligner que tout n'allait pas pour le pire. J'espère qu'il n'espère pas nous convaincre. Si oui, je demanderais au ministre de faire des études un peu plus globales. Le résultat est si parcellaire qu'on peut s'interroger sur son sérieux et je dirais au ministre que, si la situation s'est améliorée sur la rue Sainte-Catherine de 11 % à 9 %, elle s'est sûrement détériorée ailleurs puisque les chiffres globaux démontrent une détérioration de la situation de 120 %. Si l'on compare: dans les années 1983, 1984 et 1985, une moyenne de 1578 dossiers d'enquête ouverts; dans les années 1986 et 1987, une moyenne de 3492, soit une augmentation de 120 %. Or, le ministre voudrait qu'on se réjouisse de ce fait. Je lui signale que la pomme, à certains endroits, est en train de pourrir et il voudrait que nous nous réjouissions de ce que la queue sort intacte, parce qu'enfin j'ai également regardé dans les documents qui nous ont été si gentiment fournis par le ministre, lors de l'étude des crédits, et j'ai été très préoccupé par le fait que dans la région du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie, le nombre de dossiers d'enquêtes a passé de 13 à 158, soit 12 fois plus. J'ai également été préoccupé par le fait que, dans la région de Québec, ici, la capitale nationale, le nombre de dossiers ouverts est passé de 139 à 305, un peu plus que le double. En Estrie, le nombre de dossiers ouverts à la commission est passé de 46 à 74, soit une augmentation de 65 %.

Le Président (M. Laporte): M. le député, en conclusion, s'il vous plaît.

M. Filion: Je termine, oui.

Le Président (M. Laporte): On a légèrement dépassé le temps.

M. Filion: En conclusion, je signale au ministre que tantôt je voudrais aborder avec lui la question des soins de santé et des soins hospitaliers pour les francophones qui voudraient se faire soigner en français. Nous aurons donc des questions à poser au ministre sur le changement de critères. J'annonce maintenant ma question sur le changement de critères en ce qui concerne la disponibilité de services en français dans les hôpitaux. Les documents révèlent en effet que, le 12 juin 1987, il y eut des modifications aux règles et procédures.

Donc, en terminant, M. le Président, je voudrais signaler bien simplement que, depuis deux ans, avec le gouvernement actuel, on est passé de discours contradictoires à ballons d'essai, mais que les actions du gouvernement sont à peu près toutes allées dans un même sens: l'amnistie des élèves illégaux, la loi 142, le projet de loi 140, le refus de poursuivre en 1986, les coupures dans le budget, le financement des avocats d'Alliance Québec. Il est grandement temps d'agir, M. le Président - et je termine là-dessus - il est grandement temps d'agir, pour s'assurer que les immigrants puissent s'intégrer à la communauté francophone alors que les dernières statistiques nous révèlent que 70 % des allophones parlent anglais à la maison. Il est grandement temps d'agir pour s'assurer que l'on puisse se faire soigner en français. Il est grandement temps d'agir pour que l'on puisse s'assurer de pouvoir se faire servir en français. Il est grandement temps d'agir pour que l'on puisse être assuré de pouvoir travailler en français au Québec. Je vous remercie de votre patience, M. le Président...

Le Président (M. Laporte): Toute la latitude vous est accordée, M. le député.

M. Filion:... sachant que j'ai dépassé de quelques minutes cette période de vingt minutes.

Mais je dois vous signaler qu'à votre place la semaine dernière j'ai eu l'occasion d'assister à un dépassement de plus de vingt minutes d'un membre du Conseil exécutif. Alors, vous ne m'en voudrez peut-être pas d'avoir pris cinq minutes de plus.

Le Président (M. Laporte): Sûrement pas, M. le député. Comme je le disais, toute latitude vous est accordée dans la mesure du possible.

M. le ministre?

M. Rivard: M. le Président, je dispose de combien de temps?

Le Président (M. Laporte): Plutôt, il n'y a pas de temps imparti habituellement et c'est l'usage d'avoir un peu la réaction du ministre à la suite du discours et la même chose est accordée au député de l'Opposition et au critique officiel.

M. Filion: Ou à, et...

Le Président (M. Laporte): Voilà. Ou au chapitre officiel.

M. Filion: M. le Président, je suis prêt à passer aux questions précises. C'est évident que si..

Le Président (M. Laporte): On pourrait, M. le député...

M. Filion: Sinon, cela deviendrait un dialogue que ne finirait plus et on ne pourrait pas passer a nos questions.

M. Rivard: Oui, mais je peux, M. le Président...

Le Président (M. Laporte): M. le député, très brièvement et avec la même latitude qu'on vous a accordée, si vous pouviez laisser l'opportunité au ministre, pour les deux ou trois prochaines minutes, d'être en réaction. On espère effectivement pouvoir passer le plus rapidement possible aux questions.

M. Rivard: Votre générosité, M. le Président, est proverbiale. En me donnant deux ou trois minutes pour réagir, vous me donnez exactement le nombre de minutes que le député de Taillon a utilisé pour dépasser son propre temps. Je remercie le député de Taillon...

M. Filion: On aura l'occasion d'échanger pendant, en fait, quatre heures...

M. Rivard: Je constate que le député de Taillon ne parle plus de cinq heures, mais de quatre heures.

M. Filion: Bien, c'est parce que la première heure est entamée.

M. Rivard: M. le Président, d'abord, je remercie le député de Taillon de me souhaiter la bienvenue. Il a utilisé pour le faire le terme "jeune ministre". Pour un membre de l'Assemblée nationale qui a atteint déjà le demi-siècle, c'est flatteur. Je vous remercie.

M. Filion: Nouveau, peut-être. Nouveau.

M. Rivard: Je voudrais apporter deux ou trois précisions, non pas sur les derniers commentaires du député, mais sur les premiers. Il a fait des remarques à propos de l'accord du lac Meech, à propos du libre-échange, à propos de C-72, etc. Le député de Taillon, M. le Président, connaît mieux que moi les limites de ma juridiction en tant que ministre. En somme, ma juridiction s'arrête là où commencent les juridictions de mes collègues ministres et dans le cas de C-72, on parle du ministre de la Justice. Ce qui a été demandé actuellement au ministère de la Justice, dans C-72 c'est de vérifier la validité constitutionnelle de ce projet de loi et la compatibilité de ce projet de loi avec la loi 101, avec notre Charte de la langue française. (16 h 30)

Cette demande, et je l'ai dit plusieurs fois en Chambre, a été acheminée avec la précision suivante: II faut, de toute évidence, procéder avec la plus grande célérité possible dans l'examen de cette question. Je souligne ici qu'il est nécessaire d'obtenir un avis du jurisconsulte dans ce dossier afin de prendre, par la suite, une position du gouvernement. Je ne diminue pas et je ne souhaite pas diminuer par mes commentaires la valeur de l'avis qui a été fourni par le Conseil de la langue française. Le Conseil de la langue française, par son président, m'informe qu'il s'agit bien là de commentaires à l'égard de C-72 et non pas d'un avis juridique.

Très gentiment, j'aimerais souligner, M. le Président, au député de Taillon qui nous reproche de ne pas avoir travaillé avec la plus grande célérité dans ce dossier, que l'Opposition, en Chambre, de toute évidence, ne s'est éveillée sur C-72 qu'avec l'avis du conseil. Peut-être que j'erre; le député de Taillon me fait signe que oui. Alors, si par hasard le député de Taillon est capable de me prouver, à ma satisfaction - j'accepterai ce qu'il me dira, je vais accepter sa parole - qu'effectivement l'Opposition s'est manifestée auparavant dans ce dossier, j'accepterai et je me rétracterai.

Une information importante concernant l'avis à venir sur l'accord du lac Meech, loi 101. J'aimerais vous dire, de façon aussi exacte que possible, ce que le Conseil de la langue française est en train de faire. L'avis portera sur les horizons que les nouvelles dispositions constitutionnelles permettent d'envisager en termes de protection et de promotion de la langue française au Québec. C'est ce sur quoi l'avis du Conseil de la langue française portera.

Le député de Taillon a fait toutes sortes d'affirmations, comme il le fait d'habitude, sans démontrer, à ma satisfaction, sur quelles bases il appuyait ses affirmations. Par exemple, en Chambre, je l'ai souvent entendu dire que le français reculait sur tous les fronts au Québec. Aujourd'hui, il a parlé de la dégradation. J'invite le député de Taillon, et je termine là-dessus, à profiter de la présence de mes collègues, les présidents des organismes mis en place par la Charte de la langue française, pour leur poser

toutes les questions qu'il veut bien parce qu'eux, comme présidents, et aussi d'une façon tout à fait professionnelle, ont, à mon avis, des réponses importantes et intéressantes à lui donner, aux gens qu'il représente dans son comté, aux gens que vous tous, membres de l'Assemblée nationale, représentez ici, à l'Assemblée nationale. J'invite encore une fois non seulement le député de Taillon, mais les membres de ma propre formation politique, à poser des questions eu égard à ce dossier fort important qui est le dossier de la langue. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Laporte): Merci, M. le ministre. M. le député de Taillon.

M. Filion: En trois phrases, M. le Président. D'abord, en ce qui concerne C-72, vous comprendrez, comme simple député d'Opposition, que je ne peux pas accepter le type de réponse où on nous dit: Cela fait dix mois et demi que l'avis est déposé; cela concerne une juridiction constitutionnelle et vous comprendrez que ce n'est pas de ma juridiction. Le ministre qui est devant moi est responsable de l'application de la Charte de la langue française, de a à z. S'il doit convaincre quelques-uns de ses collègues de bouger, c'est sa responsabilité, premièrement.

Deuxièmement, en ce qui concerne l'avis sur l'accord du lac Meech, nous y reviendrons dans les questions. J'ai été un peu surpris d'entendre quel était le mandat précis du conseil. J'annonce ma question d'avance pour que les fonctionnaires puissent se préparer: Est-ce qu'il y a déjà eu un autre mandat que celui-là qui a été confié au conseil et s'il y a eu changement quant au mandat du conseil, pourquoi ce changement est-il survenu et dans quelles circonstances? Troisièmement, en ce qui concerne la détérioration du français, c'est difficile d'invoquer le sens commun et je me méfie des chiffres, sauf que j'en ai donné un tantôt qui parlait de façon très efficace: 1983, 1984, 1985 par rapport à 1986-1987, il y a une augmentation du nombre de dossiers d'enquête. Pas les plaintes, parce qu'avec les plaintes il peut y avoir du dédoublement et tout cela, mais une augmentation des dossiers d'enquête ouvertes de 120 %. Dernier commentaire pour qu'on puisse passer aux questions.

Le Président (M. Laporte): Pour la compréhension de celui qui vous parle, est-ce que vous entendez procéder de façon générale ou par élément?

M. Filion: Bien, écoutez, si le ministre est d'accord, j'aimerais procéder, pour qu'on se comprenne, avec les gens qui l'entourent surtout. Je procéderais avec l'office, ensuite le conseil, puis la commission de protection. Ma première question est générale et s'attache aux crédits de l'ensemble des trois organismes.

M. Rivard: À mon grand désarroi, je constate que vous êtes peu intéressé par les activités de la Commission de toponymie du Québec.

M. Filion: Non, pas du tout, dans cet ordre-là, prioritaire. Alors, ce sont les trois organismes que nous étudierons d'abord, si cela vous convient, et, bien sûr, par la suite...

M. Rivard: Et s'il nous reste du temps...

M. Filion: S'il nous reste du temps... On s'organisera pour qu'il en reste.

Le Président (M. Laporte): Donc, si je comprends bien l'entente qu'il y a actuellement, on procéderait à l'étude de l'Office de la langue française, au Conseil de la langue française et à la Commission de protection de la langue française

M. Filion: Voilà.

Office de la langue française

Le Président (M. Laporte): Donc, on procède à la période, on pourrait dire, de questions sur l'Office de la langue française.

M. Filion: Comme je l'ai dit, ma première question porte sur les crédits des trois organismes regroupés. Quand je dis les trois, je veux parler de l'ensemble des quatre organismes regroupés plus la commission d'appel, évidemment, sur la francisation des entreprises, qui n'est quand même pas un gros...

Alors, ma question est la suivante - je la formulerai peut-être en deux temps: D'abord, si on regarde les crédits, on constate une hausse de 7, 3 %. La hausse résulte essentiellement, et vous me corrigerez dans mon exposé, M. le ministre, de l'indexation des traitements ainsi que de l'ajout des budgets reliés à la mise en oeuvre du fonds spécial des télécommunications. Mais, plus important, si on compare les crédits de 1988-1989 au budget de 1985-1986, l'augmentation des sommes allouées n'est que de 3, 6 %. En fait, les crédits de l'an dernier, 1987-1988, étaient encore inférieurs aux dépenses de 1985-1986. Ce n'est que cette année que l'on vient tout juste de rattraper 1985-1986. Donc, comme je le disais tantôt dans mon exposé principal, si on compare les crédits, les pommes avec les pommes, les oranges avec les oranges, parce qu'il y a des dépenses probables, etc., ceux de 1988-1989 avec ceux de 1985-1986, on constate une baisse de 0, 8 %. Si on compare les dépenses réelles avec les dépenses réelles, on se rend compte, là aussi, qu'il y a eu diminution. Les dépenses, en 1985-1986, étaient de 21 268 000 $ et celles anticipées pour 1987-1988 de 20 545 000 $, soit une diminution, comme je l'ai dit, de 3, 4 %. Je ne sais pas si le ministre me saisit; si je prends 1987-1988

avec 1985-1986, j'arrive à une diminution, premièrement.

Deuxièmement, on ne pourra pas nier que les organismes chargés de défendre et de promouvoir la langue française ont un travail de plus en plus énorme. Je pense qu'il y a une sensibilité qui existe sur laquelle, le ministre et moi allons convenir rapidement. Il y a beaucoup plus de travail; les questions posées, notamment au conseil, sont de plus en plus complexes; à l'office, on le sait, les mandats sont extrêmement importants, etc. Comment le ministre peut-il justifier, cet après-midi, le fait que, d'un côté il y ait plus de travail - même s'il n'est pas d'accord avec moi que la situation se détériore, cela continue d'être notre point de vue; je pense qu'il est peut-être d'accord en partie, mais, en tout cas, oublions cette partie-là - et moins d'argent et moins d'effectifs? La rationalisation, j'en suis et j'ai déjà eu l'occasion d'entretenir beaucoup de personnes sur la rationalisation. Mais je pense qu'on sait et ceux qui sont près des organismes nous disent que le temps des miracles est révolu et qu'il faut injecter des ressources humaines et financières au sein de ces organismes. Donc, comment justifier ce peu de ressources, alors que la situation commanderait une intervention plus générale? Il faut se comprendre. 22 000 000 $, ce n'est pas énorme dans l'ensemble du budget du gouvernement du Québec. Je pense que le ministre en conviendra aisément avec moi.

M. Rivard: M. le Président, effectivement, le député de Taillon a raison. Lorsque je regarde mon budget, je dois le regarder avec énormément d'humilité parce qu'il n'est pas gros par rapport à l'ensemble du budget gouvernemental. Je peux répondre ceci au député de Taillon: Je serai le premier à réclamer une augmentation de ce budget ou de ces budgets - parce que ce petit budget de 22 000 000 $ est fait d'un certain nombre, de quatre ou cinq éléments - si j'ai la preuve, si les présidents des organismes prouvent à ma satisfaction qu'ils ne sont pas capables de faire leur travail avec les outils, les ressources humaines, les sous, le budget qu'ils ont actuellement. J'ai demandé, lorsque j'ai été nommé à ce poste, à chacun des présidents d'organisme de regarder ce avec quoi ils travaillaient et de me dire si oui ou non ils étaient satisfaits de cela.

Autre commentaire et je vais rapidement passer la parole à M. Laporte, le président de l'Office de la langue française, pour que vous constatiez comme moi, M. le Président, que, sur un budget de 22 000 000 $, 16 000 000 $ appartiennent à l'Office de la langue française. Le député de Taillon a mentionné la question de l'augmentation du travail. Effectivement, en particulier à la Commission de protection de la langue française, il y a une telle augmentation du travail. Nous reconnaissons tous les deux qu'il s'agit là de l'exercice, par la population, d'une vigilance de bon aloi, mais nous devrons recon- naître tous les deux, s'il veut bien me donner la chance ou donner la chance à la présidente de la commission de s'expliquer là-dessus, qu'une partie du travail additionnel qui a dû être fourni cette année est venue de la production en masse, en quantité industrielle, avec des moyens industriels de plaintes auprès de la Commission de protection de la langue française. Mme De Fougerolles pourra s'expliquer à loisir là-dessus si M. le député de Taillon veut bien entendre les explications en posant des questions ou en demandant des précisions.

Dernier commentaire avant de passer la parole à M. Laporte. Eu égard à la situation financière, à cette comparaison avec 1985-1988, si je me souviens bien, en avril 1985, c'était le gouvernement du Parti québécois qui était au pouvoir. Ma mémoire remonte au moins jusqu'à ce temps-là. Le député de Taillon me voit venir, M. le Président. Il sait que je vais lui dire que le 2 décembre 1985 un nouveau parti a été choisi par la population, dans tous les coins du Québec, sauf exception, pour former un nouveau gouvernement. Le député de Taillon se rappellera qu'à toute vitesse le ministre des Finances a été obligé de préparer un document qui s'intitulait "De l'urgence de redresser la situation financière du gouvernement". (16 h 45)

Nous avons eu, M. le Président, un lourd héritage. C'est évident qu'une partie de cette évolution des budgets des organismes responsables de l'application de la Charte de la langue française peut être attribuée - je ne le sais pas, on va écouter M. Laporte - à ce phénomène-là.

J'aimerais, M. le Président, avec votre permission, présenter aux membres de cette commission M. Pierre-Étienne Laporte, qui est président de l'Office de la langue française, afin qu'il puisse se servir de l'évolution du budget de son office pour répondre à 80 % des préoccupations du député de Taillon.

Le Président (M. Laporte): M. Laporte.

M. Laporte (Pierre-Étienne): Merci. D'abord, il faut dire que, du point de vue de l'évolution des effectifs à plus long terme, sur une période qui irait du début de la mise en application de la charte à l'exercice courant, il y a une diminution, une décroissance des effectifs de l'office qui est tout à fait proportionnelle à la décroissance des effectifs des ministères et des organismes moyens du gouvernement du Québec. En réalité, la vitesse de décroissance a été la plus rapide entre 1980 et 1981 et la corrélation avec la crise est trop évidente pour ne pas faire un lien de causalité avec l'augmentation de la vitesse de décroissance des effectifs durant cette période.

Donc, pour l'ensemble, il n'y a rien d'anormal dans la décroissance de nos effectifs depuis les huit ou neuf dernières années. Pour ce qui

est de l'évolution du budget, je pense qu'il faut reconnaître qu'il y a eu effectivement une diminution qui s'est opérée en 1986-1987 et qui a été le résultat, encore là, d'une action prise par le Conseil du trésor, qui n'a pas touché l'Office de la langue française comme tel, mais qui a touché l'ensemble des organismes. Ce que je peux dire et affirmer comme administrateur de l'office, c'est que cette diminution, si elle est réelle, même si elle ne s'est pas maintenue dans les années qui ont suivi parce que le budget s'est remis à la hausse par la suite en 1987-1988 et en 1988-1989, n'a pas eu d'effets négatifs sur la productivité de l'office, sur la qualité de nos produits et la qualité de nos services. J'affirmerais plutôt, qu'au contraire cette diminution, qui, soit dit en passant, n'a pas été vécue par le personnel de l'office comme un changement facile, a donné lieu à des adaptations qui, à mon avis, ont été bénéfiques. Il a donc fallu avec moins de postes permanents et moins de postes occasionnels faire autant, sinon plus. Cela faisait partie, à ce moment-là, de la philosophie de mon prédécesseur qui voulait qu'avec moins on puisse faire autant ou faire plus. Je pense qu'on pourrait faire la démonstration, compte tenu, par exemple, de l'évolution de la certification des entreprises au cours des trois ou quatre dernières années ou compte tenu par exemple, des efforts qu'on a pu faire et qu'on a faits avec succès pour améliorer la productivité de nos services de consultation terminologique et linguistique, que ces diminutions ont eu lieu, mais que leur impact sur la performance de l'organisme, définie globalement pour y inclure à la fois de la productivité, de la qualité de produits et de la qualité de services, n'a pas été négatif.

Le Président (M. Laporte): M. le député de Taillon.

Francisation des entreprises

M. Filion: Oui. Je vais m'adresser au ministre. Toutes mes questions s'adressent au ministre. Si le ministre veut les acheminer autrement... Le président de l'office vient de nous dire que la productivité des gens à l'office n'avait sûrement pas décru ces dernières années et je n'en doute pas. Je suis convaincu de cela et même je suis à peu près persuadé qu'on a trouvé de nouvelles façons de multiplier les résultats, mais ma question s'adresse au ministre. Comment le ministre peut-il expliquer le retard, la stagnation, pour employer l'expression de sa prédécesseure, dans le dossier de la francisation des entreprises alors que, manifestement, l'office est tout aussi productif? Et n'en doutons pas, mes propos ne sont nullement pour discréditer les gens qui travaillent à cet office. Je l'ai dit tantôt et je le répète pour la dernière fois, pour que cela soit clair: Les gens qui sont là font tout ce qu'ils peuvent, partout, dans tous les organismes. C'est ma conviction la plus intime, ayant été le porte-parole de l'Opposition officielle depuis bientôt neuf mois en matière linguistique. Alors, si les gens font ce qu'ils peuvent, comment expliquer à ce moment-là le retard, notamment au chapitre de la francisation des entreprises, sinon par un changement d'attitude, sinon par un changement de degré de réceptivité des programmes de francisation, sinon peut-être par un engouement moins prononcé de la part des syndicats qui, on le sait... Quand on pense à la CSD - les chiffres que je mentionnais tantôt pour les centrales syndicales - on a coupé 20 000 $. C'est couper la moitié d'un poste. Ce n'est pas une centrale qui est riche.

Alors, est-ce que le ministre ne convient pas que, avec ce qui vient d'être dit, on peut attribuer le retard, notamment celui du programme de francisation des entreprises, à peu près uniquement à un changement de climat et d'attitude? À peine 50 % des entreprises qui auraient dû obtenir leur certificat de francisation l'ont obtenu de fait. C'est bien peu. Je n'ai pas besoin de citer au ministre ce que je lui citais vendredi. Les déclarations faites par M. Guillotte, membre du Conseil de la langue française et directeur du Centre de linguistique de l'entreprise... Peut-être que je pourrais rafraîchir la mémoire du ministre: II est vrai que le climat actuel incite les cadres et les employés à renvoyer au second plan les préoccupations linguistiques. On prétexte le climat actuel pour ralentir. Un chiffre révélateur, depuis janvier 1988: les inscriptions aux cours de français, que le Centre de linguistique de l'entreprise offre à ses membres, ont chuté de 55 %. Bref, parce que je ne veux pas prendre tout le temps là-dessus, la productivité n'a certainement pas diminué, mais sur le terrain, notamment en matière de francisation des entreprises, on stagne. Alors, comment le ministre peut-il m'expliquer cela?

Le Président (M. Laporte): M. le ministre.

M. Rivard: Merci, M. le Président. Je pense que le député de Taillon voit venir ma réponse. D'une part, je lui dirai que, lorsqu'il parle de stagnation, comme lorsqu'il parle de dégradation, de recul, etc., il emploie des mots qui le situent dans le vaste domaine des perceptions. Il a sa perception des choses et je lui reconnais le droit d'avoir sa perception des choses. Nous allons, avec l'aide de mes collègues des organismes, essayer de saisir non pas les perceptions mais les réalités. Je suis certain que mes collègues auront beaucoup de faits et beaucoup de chiffres sur lesquels ils pourront s'appuyer pour faire mieux percevoir, faire mieux apercevoir cette réalité et mieux la décrire. De toute évidence, étant donné que ce document vient de sortir, j'ai l'impression que le député de Taillon l'a lu et que, par conséquent, il a lu comme moi la page 89. Je viens de compter les 27 causes de délai, de

difficulté ou de résistance dans la francisation des entreprises. Que voilà, M. le Président, une liste impressionnante! J'ai dit au député de Taillon, lors de l'interpellation, lorsqu'il m'a parlé à peu près dans le même sens - page 89, M. le député de Taillon - que, sans aucun doute, au début de ce processus de francisation, il était probable qu'on ait d'abord francisé les entreprises qui étaient plus facilement francisables. J'ai même employé la comparaison suivante: II est sans aucun doute, c'est une question de sens commun, plus facile de franciser comme milieu de travail le journal La Presse que le journal The Gazette. Et il est plus facile, probablement, de franciser des entreprises de quelque taille qu'elles soient, si elles se situent dans des secteurs d'activité industrielle ou manufacturière traditionnels que de franciser des entreprises où la haute technologie est le pain quotidien. Vous avez compris, M. le Président, que, étant donné l'importance des questions du député de Taillon et de la précision qu'il apporte parfois dans ces questions-là, je vais demander au président des organismes, qui sont mes collaborateurs, qui constituent, comme je l'ai dit, mon ministère, de répondre dans le détail. Je souhaite que nous passions, avec l'accord du député de Taillon, le plus de temps possible sur ce dossier extrêmement important qui est celui de la francisation des entreprises. Comme gouvernement, nous n'avons rien à cacher là-dessus et il m'intéresse, comme vous, M. le Président, comme les membres de la commission parlementaire, de saisir où nous en sommes, où nous allons dans ce dossier. M. Laporte.

Le Président (M. Laporte): Tout en vous demandant, M. Laporte, en vous laissant la parole, d'être dans le complément de réponse que M. le ministre vous demande, le plus concis possible pour éclairer le plus possible les membres de la commission parlementaire.

M. Filion: M. le Président, est-ce que je peux...

Le Président (M. Laporte): Oui, M. le député de Taillon.

M. Filion: Sur la question de la francisation des entreprises, pour le ministre qui parle de perception, je voudrais citer l'avis du Conseil de la langue française sur la nécessité de préciser les intentions gouvernementales en matière linguistique. Quand il dit: C'est votre perception, M. le député de Taillon, je vous l'ai dit tantôt, le terme stagnation a été utilisé, est sorti lors de l'interpellation des crédits que j'avais eue avec sa prédécesseure. Mais bien plus, s'il n'est pas satisfait du terme stagnation, je vais citer aux mots l'avis du Conseil de la langue française sur la nécessité, en 1986, de préciser les intentions gouvernementales en matière linguistique: "Dans d'autres domaines, dit le conseil, moins visibles que celui de l'affichage public, le respect de la Charte de la langue française semble s'affaiblir depuis quelques mois - déjà, cela n'a pas pris de temps, cela faisait quatre mois. On peut être tenté d'attribuer ce relâchement au flottement évoqué plus haut, vous vous souviendrez du début de l'avis du conseil de mars 1986. C'est ainsi que la volonté d'apprentissage du français dans les entreprises a subi, ces derniers temps, un recul significatif. Les sociétés qui fournissent une aide et des instruments à cet apprentissage voient la demande diminuer de façon draconnienne - ce n'est pas moi qui parle - de la part de ceux-là même qui, hier encore, considéraient la francisation des entreprises comme une nécessité. "

Je l'ai dit à l'étude des crédits et je le répète, il n'y a pas de Dow Jones et on n'en aura jamais, M. le ministre. Il faudrait quand même, à un moment donné, pouvoir s'entendre ensemble sur certaines réalités, sinon nous serons condamnés l'un et l'autre à une espèce de dialogue de sourds. Je l'avoue honnêtement au ministre, il est vrai qu'il y a une partie perception à l'ensemble du secteur linguistique, heureusement qu'on a quelques données sur lesquelles s'appuyer. On a aussi le conseil dont c'est la tâche, à longueur d'année, de voir à traduire, pour le bénéfice du gouvernement, ces perceptions en réalités, afin de nous permettre de distinguer des perceptions qui seraient subjectives ou totalement subjectives, car cela reste toujours en partie subjectif. Dans ce sens-là, je veux bien qu'on commence de grandes discussions psychologiques sur la différence entre une perception et une réalité, mais je pense que, lorsque le conseil parle, il faudrait l'écouter.

Ma question, reposée très simplement... Il y a toujours eu des embûches à la francisation des entreprises. Cela a toujours existé, mais quand même la Charte de la langue existe depuis dix ans. Ce n'est quand même pas une nouvelle loi, cela fait dix ans et on est là à 50 % des entreprises de plus de 100 employés... Les tableaux 2 et 3, fournis par l'office lors de l'interpellation, les tableaux 2 et 3 pour les entreprises de plus de 100 employés et les entreprises de 50 à 99 sont tout à fait d'actualité, bien que des modifications doivent y être apportées et qu'elles ont été apportées en vertu des derniers renseignements qui nous sont fournis. (17 heures)

Bref, à quoi attribuer, au-delà des facteurs qui ont toujours existé, le fait que la francisation des entreprises stagne, à notre point de vue - on peut changer le mot - alors que le personnel de l'office est tout à fait productif?

Le Président (M. Laporte): M. le ministre.

M. Rivard: Deux brefs commentaires. Premièrement, je constate et j'espère que le député de Taillon constate aussi que lui et moi

sommes d'accord sur le point suivant: la francisation des entreprises, c'est extrêmement important et il faut y travailler et continuer d'y travailler avec ardeur. Deuxièmement, le député de Taillon me parle d'un avis du conseil émis et rendu public en mars 1986. Cela fait deux ans de cela... Est-ce que c'est mars 1986?

M. Filion: Oui, mais juste pour vous aider, M. le ministre, on a fait un rappel de cet avis de mars 1986 dans un des avis ultérieurs en disant qu'il était toujours d'actualité.

M. Rivard: M. le député de Taillon est bien bon de m'apporter ces précisions; je les apprécie. Je veux dire tout simplement que c'est un avis qui date de quelque temps. Ne nous chicanons pas sur les dates. Ce que je veux dire, c'est que je ne sais pas si l'actuel conseil nous rendrait le même avis. Je cesse d'intervenir parce que je voudrais que le président de l'Office de la langue française, M. Pierre-Etienne Laporte, nous entretienne aussi en profondeur que possible de cette question encore une fois fort importante qu'est la francisation des entreprises.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Vous m'avez demandé d'être bref, je vais être bref. Premièrement, il faut dire qu'il y a eu une sous-estimation du défi que constitue la francisation de l'entreprise. Qu'on constate, après dix ans d'application de la charte, qu'on soit à 50 % de la francisation des entreprises de 100 et plus et à 65 % ou 66 % des entreprises de 50 à 100, c'est vrai, c'est un fait, mais, si on pensait que dix ans après on devait en être rendu à 80 %, c'est tout simplement qu'au moment où on a planifié l'aménagement de la francisation des entreprises, on a sous-estimé le défi que constituait la francisation des entreprises au Québec.

Deuxièmement, il faut aussi reconnaître que la francisation des entreprises - et, dans le cas de l'Office de la langue française, on parle évidemment de la certification des entreprises - que l'office dans son travail fait face à un phénomène tout à fait normal dans un changement qu'on appelle un phénomène de courbe de difficulté, à savoir que les entreprises qui ont été certifiées par l'office il y a cinq ans étaient des entreprises moins difficiles à franciser que les entreprises qui sont maintenant certifiées. La preuve est que, dans les entreprises qu'on certifie maintenant, on a des entreprises qui ont de plus longs programmes de francisation. On a, par exemple, toute la lignée des entreprises de haute technologie. Donc, plus on avance, plus les entreprises que l'on doit certifier sont difficiles à franciser. On peut donc s'attendre que de ce point de vue il y ait un certain ralentissement de la vitesse de certification qui tient au fait que la clientèle n'est pas plus difficile parce qu'elle est plus résistante, mais plus difficile parce que c'est plus complexe.

Troisièmement, j'ai ici des données sur la certification des entreprises et, sauf pour l'année 1986-1987 que je n'arrive pas à m'expliquer, la vitesse de certification est à peu près constante de 1980 à 1988. Donc, il y a eu une année où il y a eu une baisse du nombre de certificats attribués. Cela peut être lié à des raisons opérationnelles que j'ignore, mais, pour ce qui est du mouvement général, la certification se produit à une vitesse à peu près constante d'une année à l'autre depuis en tout cas les années quatre-vingt.

Quatrièmement, je ne conteste pas les données qu'a rendues publiques M. Guillotte et qui sont réapparues par la suite dans un avis du conseil touchant la diminution des cours de français donnés par les entreprises; s'il le dit, c'est certainement vrai. Maintenant, reste à savoir si on peut utiliser cela comme un indicateur du fait qu'il y aurait une stagnation dans la francisation des entreprises. Il faudrait examiner pourquoi ce changement s'est produit. Est-ce que c'est dû au fait qu'il y a de moins en moins de gens dans les entreprises qui ont besoin d'en prendre, des cours de français? Il y a eu tout de même un départ considérable d'anglophones du Québec depuis une dizaine d'années. Il y a maintenant un retour. Cela peut expliquer que le besoin de cours de français soit inférieur à ce qu'il était antérieurement, mais ce serait à M. Guillotte et non à moi de se prononcer là-dessus.

Tout ce que je peux dire en terminant, c'est que les données dont je dispose, et ce sont, je le répète, des données de certification, ne m'indiquent pas que la certification ait ralenti, que le processus ait diminué de vitesse au cours des années. Je dirai une chose en terminant, qui est assez bien connue du monde des affaires, c'est que, si la certification des entreprises se maintient à une vitesse constante, c'est peut-être une bonne chose qu'on ne certifie pas plus rapidement parce que, si on certifiait plus rapidement, on se retrouverait dans la situation d'avoir des entreprises qui ont été reconnues comme s'étant conformées au statut de francisation que prévoit la charte, mais sur lesquelles on n'aurait pas nécessairement un pouvoir d'intervention. Donc, la certification d'une entreprise, c'est une arme à deux tranchants: lorsqu'on donne des certificats, il ne faudrait pas non plus créer l'impression que tout est fini après la certification. Et là c'est toute la question de la problématique de la francisation postcertification qui est en cause maintenant et dont je ne veux pas discuter pour l'instant, mais les données que j'ai devant moi ne m'amènent pas à conclure que la situation ait beaucoup changé au cours des quatre ou cinq dernières années. Il y a eu, je le répète, une petite diminution dans notre attribution de certificats en 1986-1987; cela peut être une variation qui tienne à des facteurs que j'ignore pour l'instant, mais cela n'est pas une tendance, et je termine là-dessus.

Le Président (M. Laporte): Merci M. le

député.

M. Filion: M. le Président, toujours au ministre, il y a beaucoup d'entreprises, j'ai eu l'occasion d'en visiter une dans mon comté, qui ont obtenu leur certificat de francisation et où, selon les travailleurs - je n'ai pas fait d'enquêtes scientifiques - il y aurait lieu de vérifier après l'obtention du certificat de francisation pour bien assurer le suivi des mesures, des guides et des règles qui ont été adoptés par l'entreprise de façon que l'on puisse travailler en français dans ces entreprises. Ce que je soulève donc, et je pense que votre porte-parole, M. le Président, y faisait allusion tantôt, mais ma question s'adresse quand même au ministre, il demeure qu'une fois qu'on a obtenu le certificat de francisation et qu'on l'accroche sur un mur, ce n'est pas tout. L'effort de franciser une entreprise peut connaître des hauts et des bas, mais est un effort constant dans beaucoup de cas. Alors, en ce sens, j'aimerais savoir si le ministre calcule qu'avec un budget réduit de 0, 8 %, sans compter l'inflation depuis 1985, si l'office a les moyens et les ressources suffisantes pour assurer ce suivi important, étroit, des entreprises qui, on le sait, sont uniquement la moitié du total, mais qui ont acquis leur certificat de francisation. Et pour terminer avec l'exemple que j'évoquais, chez les travailleurs rencontrés d'une grosse usine de la rive sud de Montréal, on était fort inquiets et on m'a soulevé ce cas très concret à plus d'une reprise. Alors, est-ce que le ministre croit que l'office a les ressources suffisantes pour effectuer ce travail de suivi après l'obtention du certificat de francisation?

M. Rivard: M. le Président, c'est évident que le député de Taillon et moi sommes exactement sur la même longueur d'onde dans ce dossier. La francisation - je pense l'avoir dit tout à l'heure ou avoir pris à mon compte des paroles qui sont utilisées par M. Plourde dans son bouquin - des entreprises, qui nous conduit à avoir ultimement, dans chacun des milieux de travail, le français comme langue de travail, est un objectif que le député de Taillon et moi poursuivons. Il est évident que je réponds avec énormément d'enthousiasme à la préoccupation que véhicule le député de Taillon, eu égard à la continuité du processus dans l'entreprise même. Je salue, en passant, ces travailleurs auxquels il fait allusion et qui, dans une entreprise - j'ai cru comprendre de son comté - exercent une responsabilité individuelle en se disant: Nous sommes préoccupés. Nous avons acquis ou nous avons fait tel ou tel progrès dans l'utilisation de notre langue de travail, mais nous sommes un peu inquiets par rapport à ce qui se passera au cours des années à venir. Je suis très réceptif à toute mesure, à tout plan qui pourrait être mis en place pour nous assurer qu'une fois le certificat de francisation obtenu il y ait quelque chose qui se passe par la suite et être bien sûrs que l'acquis, au point de vue de l'utilisation du français comme langue de travail dans l'entreprise, soit maintenu et même que la langue de travail s'enrichisse et continue de s'épanouir.

Le député de Taillon a posé une question très précise dans le sens suivant: Est-ce que l'Office de la langue française a les sous qu'il faut, le budget qu'il faut pour faire ce qu'il a à faire dans...

M. Filion: Les personnes aussi.

M. Rivard: Cela va de soi. Les sous servent,

Mme la Présidente - je salue votre arrivée à la tête de cette table - à payer des gens. M. le président de l'Office de la langue française.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Évidemment, je vous réponds comme un administrateur public, donc comme quelqu'un qui a tout de même des préoccupations de rationalité face au budget de l'État. La réponse à cela, c'est: Oui, nous avons les ressources, à la fois humaines et financières, pour faire face à la tâche actuelle. J'ajoute - c'est une nuance importante - que la question qui est soulevée par le député nous préoccupe énormément et que, dernièrement, nous avons pris deux décisions dans le but d'apporter une réponse à la question de la stabilisation ou du maintien de la francisation après la certification. D'une part, nous sommes en train de regarder très sérieusement le fonctionnement des comités de francisation des entreprises pour essayer de voir comment on pourrait leur donner de l'aide afin de les rendre plus efficaces et plus performants. D'autre part, dernièrement, on a entrepris, à l'office, une opération qu'on appelle l'opération contact dont l'objectif est de reprendre contact avec les entreprises qui sont déjà certifiées et avec lesquelles on n'avait pas eu de contact comme on en a eus avec les entreprises qui sont en processus de certification.

Donc, je répondrai au député qu'à la suite de ces réflexions qui sont en train de se poursuivre chez nous il se peut que nous décidions d'une nouvelle stratégie et que, par conséquent, nous songions à demander des ressources additionnelles au gouvernement, sauf qu'en l'absence de cette stratégie, pour l'instant, je pense qu'il faut réfléchir. Il faut voir quelle sera la stratégie et se demander s'il sera opportun dans trois ou quatre mois, par exemple, compte tenu de la nouvelle stratégie, de demander des ressources additionnelles. Compte tenu de ce que nous avons fait jusqu'ici, je pense que nos ressources nous suffisent. Maintenant, compte tenu de ce qu'on pourrait décider de faire dans l'avenir, il se pourrait que, à ce moment-là, on ait besoin de ressources additionnelles soit du côté du budget, soit du côté des effectifs.

La Présidente (Mme Cardinal): Merci, M. Laporte. M. le député de Taillon.

(17 h 15)

M. Filion: Je ne voudrais pas m'éterniser là-dessus, Mme la Présidente. Je ne voudrais surtout pas entreprendre d'échanges trop longs avec le président. Je comprends quand même qu'ils sont en train d'évaluer la situation. Vous me corrigerez, le ministre me corrigera, mais, en pratique, quant au suivi concret des entreprises qui ont mérité un certificat de francisation, au moment où on se parle, il y a peu de choses de faites. Vous êtes en train d'orienter vos réflexions en ce qui concerne l'avenir. Est-ce que je respecte votre pensée quand je dis que ces réflexions vous mèneront à la définition d'une stratégie qui va faire en sorte qu'un suivi sera accordé à ces entreprises?

La Présidente (Mme Cardinal): M. le ministre.

M. Rivard: M. le président de l'Office de la langue française m'informe que l'opération contact dont il vient de parler et qui constitue le suivi auprès des entreprises qui ont déjà reçu leur certificat de francisation est en marche. Ce n'est pas quelque chose à venir. Il m'informe que 300 entreprises sur environ 900 ou 1000 ont effectivement été contactées. C'est quelque chose d'actuel.

M. Filion: Mais c'est un contact pour prendre le pouls des entreprises, si je comprends bien? Ce n'est pas un contact qui vise a une action dans le champ, sur le terrain, dans l'entreprise. C'est ce que j'ai compris des propos. Est-ce que c'est exact?

M. Laporte: II faut faire des nuances. À l'office on a tout un appareil que je qualifierais d'administratif et de bureaucratique de suivi de ces entreprises qui sont déjà certifiées. Il y a des rapports qui se font. Cette clientèle n'est pas abandonnée. Par ailleurs, on est en train d'essayer d'imaginer de nouvelles stratégies avec ces entreprises. Donc, vous avez parfaitement raison, ce qu'on a fait jusqu'à maintenant, au cours des quatre ou cinq derniers mois, a été de les consulter dans le but de s'informer de leurs besoins et de décider, dans un esprit de partenariat qui était recommandé par le comité Lalande, de quel genre de produits et de quel genre de services ces entreprises ont besoin pour consolider leur francisation.

Services en français dans les hôpitaux anglophones

M. Filion: S'il nous reste du temps un peu plus tard, je reviendrai là-dessus. Je voudrais maintenant aborder un autre sujet avec M. le ministre, celui de l'article 23 de la Charte de la langue française et de la situation dans les hôpitaux. Avant juin 1987, selon les chiffres qui nous sont fournis, il y avait onze organismes de santé qui avaient leur plan. Depuis juin 1987, il y a 32 organismes de santé qui ont leur plan. Il y eut - cela fait partie des documents qui nous ont été remis officiellement et que j'ai eu l'occasion d'étudier - le 12 juin 1987 - décidément, c'est une date fatidique, je pense que c'est la même date que le dépôt du projet de loi C-72 - on a changé les règles, les modalités et les procédures en ce qui concerne les organismes de santé. Je n'ai pas besoin d'insister longtemps sur le fond du problème. C'est qu'il y a de plus en plus de francophones qui sont hospitalisés à certains hôpitaux, particulièrement dans la région de Montréal, et qui ne peuvent recevoir des soins et être traités en français.

À mon bureau, j'ai plusieurs communications qui m'ont été faites par des citoyens. Quand on lit ces interventions, ces moments vécus par les citoyens et citoyennes du Québec, je dois vous dire que cela fait mal un peu. Quand un père est obligé d'écrire dans sa lettre qu'il ne sait pas de quoi sa fille ou son fils ou est mort parce qu'il n'y avait personne qui était capable de lui parler en français, cela fait mal. En dehors de ce caractère particulièrement douloureux, il demeure que, comme majorité francophone au Québec, on a comme un peu le droit de se faire soigner en français dans les hôpitaux qui vivent à même l'argent des contribuables. Et à ce sujet d'ailleurs, il est intéressant de noter que le nombre de plaintes au CRSSS de Montréal, le CRSSS-MM - belle abréviation! - a triplé selon la responsable des plaintes - je ne pense pas qu'il y ait des statistiques là-dessus - Mme Toupin, qui attribuait ce phénomène à un certain laxisme. Donc, 32 organismes de santé qui ont leur plan.

Ma question va se diviser en plusieurs volets. Le premier, c'est: Quels changements sont survenus, comme j'y ai d'ailleurs fait allusion dans mes propos préliminaires, quels sont les changements qui sont survenus en juin 1987 et qui ont fait en sorte que 21 organismes ont obtenu leur plan depuis cette date? Est-ce qu'il y aurait eu un assouplissement de certaines règles? Quel est l'assouplissement et de quelle nature est cet assouplissement? Alors, peut-être que ma première question va porter sur le 12 juin 1987: Qu'est-ce qui s'est passé exactement?

M. Rivard: D'accord. Avant de laisser la parole à M. Laporte, parce que c'est une question à caractère technique, entre autres, qui parle aussi d'un droit fondamental, je voudrais intervenir brièvement de la façon suivante: D'abord, encore une fois, et le député de Taillon, on le sait, madame... M. le Président - je vois qu'il y a un changement de personnage au bout de cette table - M. le Président, le député de Taillon sait que j'ai passé 25 ans de ma vie dans le réseau des services de santé et des services sociaux. Donc, le député de Taillon sait qu'il est très facile pour moi, de la même façon qu'il reçoit de ses commettants des informations qui sont des incidents du point de vue de la per-

sonne qui les a vécus, le député sait que je puis assez facilement, de mon côté, avoir des informations que je qualifierais d'assez première main, lorsque je parle, par exemple, à un directeur général d'hôpital puisque, ma foi, je les connais tous à travers le Québec, compte tenu du poste que j'ai occupé entre 1982 et 1984. Permettez-moi d'affirmer, de façon aussi éloquente que possible, la chose suivante: Un Québécois ou une Québécoise d'expression française, au moment où nous nous parlons, a un droit inaliénable de recevoir des services de santé et des services sociaux en français.

Vous avez parlé du nombre de plaintes: Pardon, M. le Président, le député de Taillon a parlé du nombre de plaintes. On me fournit les chiffres suivants, qui proviennent de la Commission de protection de la langue française puisque c'est elle qui reçoit les plaintes, eu égard à 23 - c'est du moins ce dont on m'informe: en 1986-1987, l'ensemble des plaintes en provenance de ce qu'on appelle l'administration, donc les hôpitaux, les ministères, les municipalités, 244 plaintes; en 1987-1988, 49 plaintes; les plaintes relatives aux hôpitaux particulièrement, 10 plaintes. Que voilà, M. le Président, des chiffres qui ramènent peut-être la dimension du problème qui est souligné par le député de Taillon à quelque chose de moins significatif que ce à quoi il s'attendait! Évidemment, chacune des dix personnes qui a porté plainte, par exemple, eu égard à la langue d'accueil et de service dans un hôpital ou un établissement dit anglophone, chacune de ces personnes-là a vécu une situation qu'elle n'a pas trouvée acceptable. Je suis d'accord avec le député de Taillon là-dessus. Ce n'est pas acceptable pour chacune de ces personnes-là. Mais, compte tenu des chiffres que je vous donne, l'ensemble de la situation prouve, à mon avis et démontre que nous avons fait dans ce domaine-là des progrès considérables au Québec aussi. Dans le dossier linguistique, M. le Président, il faut faire beaucoup attention aux perceptions, il faut faire beaucoup attention aux incidents, il faut faire beaucoup attention aux événements et il faut même faire attention, et M. le député de Taillon en convient, au ton que nous prenons pour parier de ces choses. D'ailleurs, j'ai félicité au moins deux ou trois fois le député de Taillon, lors de l'interpellation de vendredi dernier, pour le ton qu'il prenait, sa façon mesurée - il continue aujourd'hui et je l'en remercie...

M. Filion: Oui.

M. Rivard:... de poser ses questions et faire ses commentaires.

M. Filion: Oui. Bon...

M. Rivard: M. le Président, le député de Taillon frétille un peu et il se dit que je ne réponds pas à la question, mais je voulais réaffirmer ce droit absolument fondamental qu'ont les Québécois d'expression française, encore une fois, d'être accueillis et servis en français dans les établissements de santé. Eu égard à la question qu'il a posée à propos de juin 1987...

M. Filion: Oui, avec votre permission, M. le Président, l'attitude condescendante du ministre à mon égard, vous savez, comme députés de l'Opposition, on y est habitués. Il y a une majorité, ils sont 99 de l'autre côté, alors cela s'ajoute uniquement aux attitudes qui peuvent exister. Vous savez, sur les paroles - le ministre disait tantôt qu'on est sur la même longueur d'onde - vous savez, ce n'est pas sur les paroles que les citoyens jugent ce qui se fait au Québec en matière de français, c'est sur les actions. Et même si nous étions d'accord, vous et moi, pendant toute une semaine sur les paroles, ce dont je vous parie, ce sont des actions du gouvernement dont vous faites partie depuis deux ans et demi et des actions qui doivent être prises de façon urgente, maintenant, dans plusieurs secteurs. Comme député d'opposition, la démocratie a voulu que je fasse plutôt partie non pas d'un gouvernement, mais d'une opposition. Le ministre, lui, a été assermenté pour assumer la responsabilité de l'application d'une loi et, à cet égard, c'est lui et son gouvernement qui disposent des moyens d'action pour modifier une situation. En ce sens-là, l'attitude - si le ministre aime mon ton aujourd'hui, je ne voudrais pas que mon ton lui déplaise demain - alors, dans ce sens-là, il peut prendre le ton qu'il veut, l'émotivité, vous savez, cela fait partie de la langue un petit peu et l'émotivité, ce n'est pas toujours mauvais. C'est bon d'en avoir un peu, de poser des gestes raisonnables et sensés et de prononcer également des paroles raisonnables et sensées. Mais d'être émotif, que je sache, ce n'est pas un handicap dans la vie en général, pas plus qu'en politique. En ce sens-là, ma question était précise... D'ailleurs je confronte un petit peu le ministre et les chiffres qu'il me donne à ce qui nous vient du CRSSS-MM. C'est vrai que je ne sais pas à quel endroit les gens peuvent s'adresser. Dans mon cas, je dois vous le dire, même la première fois j'ai sursauté quand on m'a dit que la commission de protection s'occupait de ces cas-là.

Alors donc, au CRSSS, on nous indique que le nombre de plaintes faites par des francophones qui se seraient fait soigner dans une autre langue que le français, dans un établissement de santé, s'est multiplié par trois. Vous savez ce que vivent les gens lorsqu'ils se présentent dans un hôpital. Ils ont généralement mal quelque part ou, en tout cas, cela ne va pas bien. Quand on se présente dans un hôpital, c'est rarement pour dire au médecin, Bien, écoutez, cela va bien. On n'est pas en Chine ici. Je comprends qu'ils ont un excellent système de santé en Chine, le médecin est rémunéré selon que notre santé est

excellente. Ici, quand même, on consulte le médecin ou on va à l'hôpital généralement quand on a eu un accident ou une maladie; somme, quand la situation n'est pas tout à fait "jojo". (17 h 30)

Donc, quand les gens quand vont dans les hôpitaux, ils évitent, ils ne sont pas là pour porter plainte. Ils y vont pour se faire soigner et pour recevoir, en ce qui concerne la majorité francophone de 5 300 000 Québécois, des soins en français. Donc, des fois, ils n'ont pas tout à fait le choix. Ils se retrouvent dans des circonstances différentes de celles vécus pas un individu qui se promène et qui voit une affiche ou celle d'un individu qui reçoit une lettre du ministère du Revenu qui est rédigée en anglais. Encore une fois, il y a ce climat... Je ne mets pas en doute les chiffres - d'ailleurs, j'aurai quelques questions à poser un peu plus tard dans la journée sur la façon de calculer les chiffres à la Commission de la protection de la langue française - mais je pense qu'il y a là une réalité qu'on ne peut pas nier en ce qui concerne les soins de santé qui doivent être donnés en français. Un seul cas, pour l'individu qui le vit, est inacceptable. J'ai quelques lettres à mon bureau à vous faire dresser les cheveux sur la tête. En ce sens, je repose donc ma question: Quels sont les changements survenus en juin 1987?

M. Rivard: M. le Président, avant de laisser M. Laporte répondre à cette question, j'aurais une question à poser au député de Taillon. Je suis certain que le député va accepter de répondre. Le député de Taillon fait référence à des chiffres obtenus du conseil régional et il dit que cela a augmenté de trois fois. Est-ce que je pourrais connaître les chiffres bruts?

M. Filion: Tantôt, je vais inviter Mme Toupin du CRSSS-MM qui est la responsable des plaintes et qui pourra vous donner encore plus de détails.

M. Rivard: Vous n'avez pas les chiffres à l'heure actuelle?

M. Filion: Je vous ai indiqué que le nombre de plaintes par des francophones s'était multiplié par trois et que cela vient de madame - son prénom est Claude, c'est peut-être un monsieur Toupin - qui va même beaucoup plus loin que ce que j'ai dit tantôt. Alors, ce serait une bonne chose de vérifier parce que je pense que vous connaissez l'existence du CRSSS, ils sont près des gens pour ce qui est des plaintes. Les gens en général savent que le CRSSS est un bon endroit pour adresser des plaintes. Les chiffres exacts, je ne voudrais pas vous induire en erreur, donc, je vous invite à vérifier avec les gens de l'office qui est un réservoir et un centre de dépôt de plaintes important.

M. Rivard: M. le Président, le député de Taillon n'a pas besoin de m'expliquer comment fonctionne le conseil régional, étant donné mon passé professionnel. Ce que je demande au député de Taillon est très simple. Je vais vous donner un exemple d'une simplicité épouvantable et je m'en excuse auprès du député de Taillon. S'il y a eu deux plaintes à une époque donnée, mettons en 1986-1987, et qu'il y en a six en 1987-1988, cela fait une augmentation par trois. C'est bien différent de 100 multiplié par 3 où on arriverait à 300, n'est-ce pas? Vous conviendrez avec moi qu'il s'agit là d'une situation tout à fait différente.

Ce que j'essaie de faire depuis que j'ai été assermenté comme ministre responsable de l'application de cette loi extrêmement importante qu'est la Charte de la langue française, c'est de contribuer à diminuer les tensions sociales qui existent dans le dossier linguistique en déposant sur la table les faits et les chiffres. Je les dépose. Notre gouvernement n'a rien à cacher. Je laisse les présidents des organismes qui constituent mon ministère répondre d'une façon tout à fait professionnelle aux questions qui ont été jusqu'à maintenant posées par le député de Taillon et j'invite, encore une fois, les députés de ma formation politique qui sont, j'en suis certain, préoccupés par les mêmes problèmes, par les mêmes questions, je les invite à poser des questions et soyez assurés que nous allons essayer de faire tout notre possible pour trouver les réponses et, si nous n'avons pas les réponses aujourd'hui, je m'engage à les fournir à la commission.

Dernier commentaire avant de passer la parole à M. Laporte afin qu'il puisse répondre, à la plus grande satisfaction du député de Taillon, à la question posée au sujet du 12 juin 1987. Le député de Taillon dit: Passez à l'action, faites quelque chose. Je réponds au député de Taillon: J'ai peut-être été mal élevé dans ma profession antérieure mais, règle générale, j'étais plus confortable quand je posais le diagnostic avant d'appliquer le traitement. C'était une façon plus raisonnable de faire les choses. C'est l'éducation médicale qui m'avait donné cela. Cette façon de procéder, poser le diagnostic avant d'appliquer le traitement, est une façon qui est fort utile pour faire de la politique et, deuxièmement, pour s'occuper d'un dossier comme celui-ci. Je ne suis pas intéressé - je m'aperçois que mon ton monte et il faut que je le baisse, à mon tour - je ne suis pas intéressé par les perceptions, même s'il faut que j'en tienne compte. Je suis d'accord avec le député de Taillon qu'il y a de l'émotivité dans le dossier linguistique. La langue, c'est nos tripes. C'est mes tripes à moi aussi. J'ai le droit de vibrer quand j'en parle. Je suis intéressé aux perceptions en ce sens que les gens s'en servent pour véhiculer un certain nombre de messages, et il faut que je tienne compte de ces perceptions et de ces messages. Mais je suis intéressé aux chiffres. Pour moi, ministre responsable de

l'application de la loi 101, il est très important que je sache quels sont les chiffres auxquels fait allusion le député de Taillon. Il existe une énorme différence, dans l'importance de la question posée par le député de Taillon, selon qu'un chiffre est tel ou tel. Si le député de Taillon est maintenant prêt à recevoir la réponse concernant le 12 juin 1987, je suis tout a fait disposé à passer la parole à M. Laporte.

M. Filion: Oui.

Le Président (M. Laporte): M. Laporte.

M. Filion: Non, juste avant, M. le Président.

Le Président (M. Laporte): M. le député de Taillon.

M. Filion: Je pense qu'on aura l'occasion, le ministre et moi, de travailler ensemble dans les mois qui viennent. Il est bon qu'on se comprenne. Le ministre me dit: Cela fait un mois que je suis là et il faut que je regarde tout cela avant de passer à l'action. Le problème, c'est que, lorsque le ministre a été assermenté, il n'a pas été assermenté à partir des nues. Il a été assermenté pour faire partie d'un gouvernement qui est là depuis deux ans et demi. Lorsqu'il a accepté la responsabilité du poste qu'il occupe, il succédait et donc il a pris sous sa responsabilité ministérielle ce qui a été fait avant, de comités en rapports d'études, les comités des sages, etc. Cela fait deux ans et demi que les libéraux, dont vous faites partie, ont pris démocratiquement le pouvoir. De dire: II faut que j'étudie une autre année... Vous savez, cela fait deux ans et demi que les gens vivent dans l'insécurité, je l'ai dit tantôt. J'aime bien que vous vouliez poser un diagnostic, sauf qu'il y a beaucoup de choses qui ont été faites avant que vous arriviez en ce qui concerne les réflexions. Sauf que le ministre faisait partie également du comité des douze. Il était l'un des apôtres. Il occupe maintenant un autre poste. En ce sens-là, c'est le temps de passer à l'action. Vous dites: Vous savez, il faut que je pose un diagnostic, alors, voulez-vous, on va se reparler dans X temps? Non. Je suis d'accord avec lui sur une chose, un seul cas est inacceptable en cette matière.

Pour répondre un peu plus en détail à sa question, Mme Toupin déclarait le 15 octobre 1987, comme je le disais tantôt, que le nombre de plaintes linguistiques déposées au CRSSS-MM par des patients francophones hospitalisés dans des centres hospitaliers anglophones a triplé depuis un an. Cela va vous donner une indication des chiffres qui s'en viennent. Mme Toupin indiquait que, auparavant, ce type de plainte était très sporadique. Alors, de deux à six, je pense qu'on peut l'écarter. Elle allait beaucoup plus loin que cela. Elle avait trouvé des motifs à ce fait que le nombre de plaintes augmentait. Alors, peu importent les chiffres. Revenons donc à notre question de base. Qu'est-ce qui est survenu le 12 juin 1987?

M. Rivard: M. le Président, pas peu importent les chiffres. La formation de juriste du député de Taillon lui interdit de ne pas porter une attention toute particulière à un tel élément de preuve. J'arrête là, parce que je veux vraiment que le député de Taillon entende la réponse de M. Laporte eu égard aux événements du 12 juin 1987.

M. Filion:... tout le monde.

Le Président (M. Laporte): M. Laporte.

M. Laporte (Pierre-Etienne): M. le Président, avant de répondre à la question de M. le député de Taillon, permettez-moi de vous donner trois nouveaux chiffres. Les organismes dont on parle, les organismes de santé anglophones, sont au nombre de 92. Il y en a, selon les données officielles de l'office, 52 sur ces 92 dont le fonctionnement linguistique est déjà conforme aux exigences de la charte. Donc, 64 %. Nous attendons aussi, dans les semaines qui viennent, 20 autres programmes de conformité qui devraient être déposés par l'institut conjoint de Montréal avec lequel on a fait des arrangements pour traiter les organismes non pas individuellement, mais en groupe. Ce qui veut dire qu'à l'heure actuelle il y en 64 % qui sont conformes à la charte et que, peut-être d'ici à trois semaines ou un mois, on sera rendu à 75 %. Je pense que c'est un chiffre important à retenir. C'est un chiffre qui tient compte du fait qu'il y a des gens qui se sont conformés à l'époque à l'article 20, c'est-à-dire avant l'article 23 et qu'il y a des gens qui se conforment, encore maintenant, à l'article 23. Au total, dans les établissements anglophones, actuellement il y a environ 65 % de la clientèle en conformité avec les exigences de la charte.

Maintenant, pour répondre à la question de M. le député de Taillon, je vais vous dire tout simplement que ce qui s'est passé le 12 juin 1987, c'est que l'Office de la langue française, et j'en assume l'entière responsabilité, a décidé de passer un nouveau contrat de confiance avec sa clientèle. Antérieurement, nous exigions des pièces, des preuves de diplômes; maintenant, on se contente, on se fie à l'engagement qui est pris par l'établissement, un engagement écrit concernant le pourcentage, dans chacun de ses services, du nombre d'employés pouvant offrir des services en français. La charte prévoit par ailleurs que les gens peuvent se plaindre, la charte prévoit par ailleurs que l'office peut vérifier ces déclarations. Sauf que ce qui s'est produit le 12 juin, dans le but de court-circuiter la paperasse, et je dirais même de diminuer la "bureaucrasse", nous avons décidé de passer ce nouveau contrat de confiance et de recevoir des établissements des preuves de conformité plutôt

que de leur faire passer des épreuves de conformité, en se réservant évidemment le droit d'aller vérifier sur place le bien-fondé des déclarations qui nous ont été faites. Donc, ce qui s'est passé le 12 juin, c'est que, compte tenu de la progression que j'ai mentionnée tantôt, nous avons décidé qu'il était temps de modifier un peu la stratégie et de miser davantage sur la confiance qu'on peut faire aux dirigeants des établissements, confiance qui nous apparaissait normale face à un objectif de simplification de la procédure administrative et aussi d'allégement du fardeau administratif que la Charte de la langue française impose à ces clientèles-là comme à d'autres clientèles. Je vous ai mentionné tantôt qu'on faisait une opération contact pour essayer d'estimer un peu mieux les besoins de certaines de nos clientèles. Cela fait partie de la même stratégie, une stratégie de rapprochement et, je l'espère, d'amélioration de la qualité de nos produits et de nos services à nos clients.

Le Président (M. Laporte): Sur le même sujet, M. le député de Berthier.

M. Houde: Merci, M. le Président. J'aurais deux questions à poser à M. le ministre. J'entendais tantôt le député de Taillon parler d'inquiétude et d'insécurité. L'insécurité que le député de Taillon tente de décrire, est-ce que cela ne viendrait pas plutôt des députés de l'Opposition? C'était ma première question. Voici ma deuxième: Est-ce que vous pourriez me dire, aujourd'hui, si le pourcentage de francophones au Québec a augmenté depuis quelques mois ou un an ou deux? Est-ce qu'il est encore à 80 % ou à 78 % comparativement à il y a trois, quatre ou cinq ans?

Le Président (M. Laporte): M. le ministre. (17 h 45)

M. Rivard: Merci, M. le député de Berthier, pour votre question.

Vous avez parlé d'insécurité dans la population. Je pourrais transformer ce terme d'insécurité de la façon suivante: il existe de toute évidence actuellement - on vit presque, je le regrette, à chaque semaine des événements ou des incidents - une attention sélective de la part de la population sur le dossier linguistique et, en particulier, sur un élément fort important, non négligeable, mais quand même intégré avec les autres éléments du dossier, soit la question de l'affichage commercial.

Chaque incident est pris en compte du moment qu'il survient. Ce ne sont pas toujours des incidents, ce sont parfois des événements fort heureux, fort louables. Je qualifie comme tout à fait normal que 25 000 citoyens à un moment donné - notre premier ministre l'a reconnu - se soient promenés dans les rues de Montréal pour manifester, chacun prenant sur lui de manifester ses préoccupations, de se réunir et de parler de la langue française. D'autres incidents sont très malheureux et ne méritent pas d'être rapportés devant cette commission parlementaire. On en voit des exemples depuis quelques semaines dans les journaux.

Je dois déplorer le fait que parfois, une fois que les incidents ont été récupérés d'une certaine façon par les militants qui se situent aux deux extrémités du spectre des opinions, eu égard à l'ensemble du dossier linguistique, cela constitue une nouvelle qui est prise en charge par les médias. Les médias ont un rôle important à jouer dans ce dossier, en ce sens qu'ils peuvent ou bien choisir d'accentuer la nouvelle, l'importance de l'événement ou de l'incident, ou bien choisir de la tempérer. Dans le fond, M. le Président, la question posée par le député de Berthier m'amène à dire ceci. Nous avons tous dans le dossier linguistique, compte tenu de l'abondance relative des événements et des incidents, une responsabilité individuelle et sociale. Nous avons à nous assurer que nous regardons bien les faits, les chiffres, les incidents tels qu'ils existent et non pas les perceptions relatives à ces faits, à ces chiffres ou à ces incidents.

La deuxième question du député de Berthier était très spécifique. Il y a effectivement une augmentation d'après le dernier recensement d'un point de pourcentage: la population francophone du Québec est passée de quelque 82 % à 84 % d'après Statistique Canada 1986; les anglophones: 12, 3 % et les allophones: 6 %.

Le Président (M. Laporte): M. le député de Taillon.

M. Filion: La tentative de culpabilisation qui est déjà vaine, qui a déjà été amorcée en Chambre par le premier ministre, est-ce terminé du côté du député de Berthier? Revenons donc à nos moutons. En ce qui concerne l'article 23, est-il exact de dire que 21 organismes se sont prévalus, si l'on veut, du changement des règles de procédure prévu par l'office pour en bénéficier? Combien il y en avait avant juin 1987? Est-ce que mes chiffres sont exacts? Onze organismes de santé avaient leur plan avant 1987; 32 organismes ont eu leur plan après juin 1987. Donc, cela me donnerait 21 organismes, institutions hospitalières ou centres sociaux, peu importe, qui ont bénéficié du changement des règles de procédure. Est-ce que mes chiffres sont exacts?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui, oui. Il y a effectivement parmi eux... Si vous vous référez à ce que j'ai appelé tantôt les instituts, les hôpitaux, c'est-à-dire aux organismes de santé qui sont regroupés autour de l'institut conjoint, alors, vous, vous dites 21, moi, j'ai dit 20, donc vos chiffres sont conformes.

M. Filion: Je ne parle pas des organismes qui sont en négocation, comme vous disiez

tantôt. Je parle des organismes qui se sont prévalus d'une modification à vos règles de procédure qui consistait, si j'ai bien compris, à faire signer un engagement écrit plutôt qu'à subir une sorte d'épreuve, finalement.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Écoutez, je n'ai pas la réponse là, sur le champ, mais vous avez peut-être raison. Je vous la fournirai lorsque je l'obtiendrai. Mais je répète les chiffres que j'ai mentionnés tantôt. On est à 59 sur 92.

À partir du 12 juin I987, cela apparaît au rapport à la page 45, de nouvelles règles et procédures ont été adoptées afin de favoriser une plus grande marge de manoeuvre administrative, permettant ainsi à 38 organismes de faire approuver leurs critères et modalités: 12 organismes municipaux, 5 organismes scolaires et, comme vous venez de le mentionner, 21 organismes de santé. Donc, vous avez parfaitement raison.

M. Filion: Je pose toujours ma question au ministre. L'article 23, dernier alinéa, dit ceci: "Ils - ce sont les organismes et services reconnus en vertu du paragraphe f de l'article 113 et cela comprend les hôpitaux, bien sûr - doivent élaborer les mesures nécessaires pour que leurs services au public soient disponibles dans la langue officielle ainsi que des critères et des modalités de vérification de la connaissance de la langue officielle aux fins de l'application du présent l'article. Ces mesures, critères et modalités sont soumis à l'approbation de l'office. "

J'aimerais cela qu'on m'explique exactement en quoi consiste cet engagement. Est-ce qu'on a des documents qui peuvent être déposés là-dessus?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Bien sûr.

M. Filion: Est-ce qu'on pourrait les obtenir maintenant?

M. Rivard: Bien, s'ils sont disponibles, on les déposera immédiatement.

Le Président (M. Laporte): Oui, pour les fournir à la commission.

M. Filion: Est-ce que je comprends bien que c'est simplement un engagement écrit?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, ce n'est pas un engagement écrit, c'est une évaluation qui est faite par l'établissement et que l'établissement atteste comme étant valide et fiable. Donc, l'établissement nous remet une évaluation, une évaluation qui correspond à ses besoins et aussi à ses pratiques. Je vais vous donner un exemple. J'ai dernièrement rencontré un directeur d'hôpital, dont je ne donnerai pas le nom, et nous avons convenu avec les fonctionnaires qui m'accompagnaient que leur approche, leur évaluation correspondait mieux à leurs besoins que ce que nous avions prévu pour eux. On a donc convenu qu'on devait recevoir leur information plutôt que de leur imposer ou de leur demander de nous déposer une information standard. Écoutez, les hôpitaux nous fournissent des données. Les hôpitaux évaluent leur situation et, en plus, ils attestent par écrit, compte tenu d'une signature qui est faite par le directeur et le conseil d'administration, de la validité et de la fiabilité des données en question.

M. Filion: D'accord.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Donc, ce n'est pas seulement une signature ou une parole attestée par écrit.

M. Filion: D'accord.

Il y a 92 organismes qui sont concernés, il y en a 52 qui sont déjà conformes. Parmi ces 52, vous me corrigerez, il y en a, mon Dieu, environ 20 qui l'ont obtenu entre juin 1987 et maintenant, 21 qui l'ont obtenu entre juin 1987 et maintenant, et les autres l'avaient obtenu avant.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui.

M. Filion: C'est cela?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui, oui.

M. Filion: Est-ce que ce serait possible de déposer les plans des établissements avant et après le 12 juin 1987?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Bien sûr, mais dès maintenant je vous informe que ce que vous allez avoir comme plans avant l'article 23 qui a été revu...

M. Filion: Oui, modifié.

M. Laporte (Pierre-Etienne):... en 1985...

M. Filion: En 1983.

M. Laporte (Pierre-Etienne):... ce sont des plans qui étaient plus exigeants que ce qu'on a maintenant. On peut vous déposer des plans qui ont été faits en vertu de l'article 20 ou de l'article 23 et des plans qui ont été faits en vertu de l'entente qui a été établie le 12 juin 1987. Il n'y a aucun problème.

M. Filion: Voilà! Précisément, c'est en plein cela. Les plans avant 1983 - et non pas 1985 - les plans entre 1983 et 1987 et les plans entre 1987 et maintenant.

M. Laporte (Pierre-Etienne): II faudrait peut-être qu'on m'avise en ce qui concerne la confidentialité des documents.

M. Filion: Sous réserve. Je ne pense pas que la loi sur l'accès à l'information...

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est-à-dire que ce n'est pas la tradition à l'Office de la langue française de déposer des programmes de francisation. On peut vous donner des données agrégées. Maintenant, des données individuelles...

Ce serait, je pense, contrevenir à une tradition qui est la base du rapport de confiance qu'on a avec nos clients.

M. Filion: Je pense bien que la loi sur l'accès à l'information ne pose pas de problème. Pour la protection de renseignements confidentiels dans la mesure où il n'y a pas de renseignements nominatifs, je ne crois pas qu'il y ait de problèmes, mais c'est à vérifier avec vos juristes. Si jamais il y avait quelque problème d'ordre juridique, n'hésitez pas peut-être à faire disparaître le nom de l'établissement. Je pense que cette commission voudrait être informée, quant à moi, pleinement de ce qui en est.

Maintenant, ma question...

Le Président (M. Laporte): M. le ministre. Je crois que M. le ministre demandait la parole.

M. Rivard: Si je comprends bien, je reçois deux demandes d'information. La première concerne cette nouvelle pratique de ce que le président de l'office a appelé l'engagement. Je ne pense pas qu'il y ait de problème à déposer ce plan, cette façon de procéder. Nous convenons, eu égard au deuxième dépôt possible de documents, qu'il y a une vérification à faire.

M. Filion: S'il y a des problèmes d'ordre juridique, faites disparaître le nom de l'établissement. Alors donc, il reste...

M. Rivard: J'aurais juste un autre commentaire à faire là-dessus, puisqu'on parle de 20 et 23. J'ai dit très clairement en Chambre que c'est en 1983 que le gouvernement précédent a fait disparaître le bilinguisme individuel de l'anglophone travaillant dans un tel établissement pour le remplacer par un bilinguisme institutionnel.

M. Filion: Vous comprendrez, M. le ministre, que c'est justement parce qu'il y a eu cette modification en 1983 que je m'intéresse particulièrement à cette nouvelle modification en 1987 et il y a eu un changement en 1983. Il y en a eu un nouveau en 1987. Je pense que c'est matière à intérêt, compte tenu de l'impact de ces données sur l'ensemble du secteur hospitalier.

Maintenant, ma question est la suivante: il en reste donc 40 qui ne se sont pas encore conformés à l'article 23, que ce soit à l'ancien article 20 ou à l'article 23? Est-ce que mon calcul est bon?

M. Laporte ((Pierre-Etienne): Je m'excuse, il en reste 33. C'est 92 moins 59.

M. Filion: 59? Je m'excuse, j'avais 52. Donc, 92 moins 59 donnent 33. En ce qui concerne ces 33 - ma question s'adresse au ministre, mais il est libre de donner la parole à qui il veut - cela fait dix ans que la charte est en vigueur. Je comprends qu'il y a eu la modification de 1983. Je comprends aussi que la nouvelle procédure est beaucoup plus souple à l'égard des établissements concernés. J'aimerais savoir du ministre quels sont ses plans d'action, quels sont les moyens d'action qu'il entend prendre pour faire en sorte que ces 33 établissements se conforment à l'article 23 de la Charte de la langue française.

Le Président (M. Laporte): M. le ministre.

M. Rivard: M. le Président, il faut qu'on s'entende bien sur les chiffres. Selon vos chiffres, en ce qui concerne la conformité, sur les 92 établissements dont nous parlons 59 sont jugés conformes. On s'entend bien là-dessus. Mais le président de l'Office de la langue française a parlé de 20 autres établissements...

M. Filion: Si on veut.

M. Rivard:... dont les programmes sont sur le point d'être fournis à l'Office de la langue française. Donc, ce n'est plus de 33 qu'on parle, car 59 plus 20, cela fait 79. Il en reste donc treize.

M. Filion: Là, il va en rester treize. M. Rivard: II va en rester treize. M. Filion: Possiblement. M. Rivard: C'est 15 %. M. Filion: Oui.

M. Rivard: Alors, il y a quand même là un progrès considérable qui a été accompli et il ne faut vraiment pas qu'on perde cet acquis-là. Encore une fois, c'est extrêmement important que chacun des citoyens québécois d'expression française puisse obtenir dans sa langue à la fois l'accueil et les services dont il a besoin dans les services de santé et les services sociaux.

Le Président (M. Laporte): Excusez-moi. Étant donné que nous sommes présentement arrivés à l'heure qui nous avait été... Voulez-vous prendre le temps? À moins d'un consentement pour reprendre les neuf minutes de retard.

M. Filion: On reprendra ce soir à 20 heures et on terminera.

Le Président (M. Laporte): On remercie les

parlementaires et les personnes qui sont présentes. On suspend jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 2)

(Reprise à 20 h 4)

Le Président (M. Baril): La commission reprend ses travaux afin de procéder à l'étude des crédits budgétaires du ministère des Affaires culturelles, volet Charte de la langue française, le programme 5, pour l'année financière 1988-1989.

Alors, nous pouvons reprendre les travaux où vous les avez laissés cet après-midi.

M. le député de Taillon.

Révocation du statut bilingue de certaines municipalités

M. Filion: Merci, M. le Président. Oui, je voudrais, en ce début de soirée et en poursuivant nos travaux et notre mandat qui, en fait, est de procéder à l'étude des crédits des organismes, toujours au chapitre de l'Office de la langue française, demander au ministre responsable quelle est sa position relativement à la problématique soulevée par le statut bilingue de certaines municipalités. Plus particulièrement, on sait que la décision de l'office de révoquer le statut de ville bilingue de Rosemère, je crois, a été contestée en cour, sauf erreur, par les procureurs d'Alliance Québec. On sait qu'une vingtaine d'autres municipalités sont impliquées dans la même situation. Alors, évidemment, la problématique est la suivante. Est-ce qu'il faudra attendre cinq ou six ans pour préciser l'intention du législateur? Est-ce que, dans les faits, la position du ministre, la position d'attentisme du ministre sur cette question-là va nous mener bien loin?

Peut-être que le ministre, du même souffle, pourra répondre à mes questions subsidiaires, à savoir pourquoi le gouvernement a demandé un avis spécifique sur cette question-là, à qui l'avis a été demandé, l'avis juridique sur la révocation du statut bilingue de certaines municipalités. Je vois le ministre qui fronce les sourcils, c'est pour cela que je vous donne ces détails-là. Bref, j'aimerais beaucoup savoir ce que le gouvernement entend faire dans ce dossier.

M. Rivard: M. le Président, en ce qui concerne la ville de Rosemère, je n'apprends rien à qui que ce soit, cette cause est devant les tribunaux et je ne ferai absolument aucun commentaire au sujet de cette cause.

En ce qui concerne les 20 autres, il n'est pas nécessaire de discuter longuement sur les chiffres. Je pense que M. Pierre-Etienne Laporte, le président de l'Office de la langue française, peut répondre au nom de son conseil d'administration sur cette question. M. Laporte.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Je vous informe que l'office, c'est-à-dire les membres de l'office, les cinq personnes qui sont nommées comme étant l'office dans la loi, ont adopté lors de la dernière réunion du conseil - cela devait être le 18 ou le 19 avril, je ne me rappelle pas - une motion à savoir que l'office surseoirait à toute action et s'abstiendrait de toute décision devant mettre fin à la reconnaissance accordée préalablement à un organisme en vertu du paragraphe f de l'article 113 de la charte jusqu'à ce que la décision du tribunal statuant sur la juridiction de l'office en la matière soit connue. Donc, d'un point de vue pratique, cela veut dire que nous attendrons la décision du tribunal pour agir à la fois dans le cas de Rosemère et de tout autre municipalité ou organisme qui tombe dans le cadre de l'application de l'article 113, paragraphe f.

M. Filion: Ma question s'adresse au ministre, toujours. D'abord, attendre un jugement... C'est un jugement final, bien sûr. Est-ce que vous entendez par jugement, dans ce que vous venez de dire, jugement final, M. le ministre?

M. Rivard: Je n'ai aucune espèce de commentaires à faire sur le cas de Rosemère.

M. Filion: Mais je parle des 20 autres.

M. Rivard: La décision qui est rapportée par le président de l'Office de la langue française est une décision qui se situe dans l'exercice du mandat qui est confié a l'office.

M. Filion: Écoutez, quand un fonctionnaire parle, en réalité, c'est vous qui parlez. Alors, je m'adresse à vous. J'ai entendu la décision de l'office. Je veux en comprendre le sens. Est-ce que cela veut dire attendre un jugement final?

M. Rivard: Je pense que je vais laisser M. le président de l'office préciser ce que veut dire "final" dans son langage à lui.

M. Laporte (Pierre-Étienne): Dans l'esprit de mes collègues, la motion doit être interprétée dans le sens que nous attendrons la décision du tribunal sur Rosemère. Donc, une fois cette décison connue, les membres de l'office verront quelle action ils jugeront opportun d'entreprendre. Ce dont on parle, c'est du jugement qui devra être rendu sur la décision que nous avons prise au sujet de Rosemère.

M. Filion: Vous attendez un jugement des tribunaux ou un jugement du tribunal que constitue la Cour supérieure?

M. Laporte (Pierre-Étienne): Non, un jugement du tribunal.

M. Filion: Du tribunal, donc de la Cour

supérieure?

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.

M. Filion: Combien y a-t-il de municipalités qui sont actuellement affectées par la décision de l'office?

M. Laporte (Pierre-Etienne): II y en a seulement une. C'est seulement Rosemère.

M. Filion: Non, je ne parle pas de Rosemère, je parle des 20 autres.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Dans le cas des autres, il s'agit de municipalités qui sont dans des situations soit comparables, soit qui se rapprochent de celle de Rosemère. Ce sont les 20 municipalités dont vous parlez. Mais, pour ces 20 municipalités dont vous parlez, l'office a choisi de s'abstenir de révoquer leur statut en attendant que l'action en nullité qui a été demandée par Alliance Québec et par la municipalité ait été traitée par le tribunal.

M. Filion: De combien de municipalités parle-t-on? Desquelles en particulier?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Là, est-ce que vous souhaitez que... Je ne peux pas vous donner la liste, je ne l'ai pas avec moi. Je pourrais la remettre au ministre qui jugera bon de vous la transmettre, s'il le souhaite.

M. Rivard: M. le Président, de toute façon, les populations de ces municipalités, à mon avis, cela fait partie de l'information publique. La répartition de la population entre les différentes catégories ou groupes linguistiques, cela doit être du domaine public. Je ne vois pas de problème là-dessus.

M. Filion: Je comprends que le ministre va déposer la liste des municipalités qui sont affectées par la décision de l'office.

Le Président (M. Baril): M. le ministre, vous ferez parvenir cette liste à la commission et nous la distribuerons. Merci.

M. Rivard: Nous en prenons note.

M. Filion: J'avais posé une autre question au ministre tantôt. Il ne s'en souvient pas. J'avais demandé à qui le gouvernement a demandé un avis juridique sur cette question.

M. Rivard: Un avis juridique sur quelle partie de la question?

M. Filion: Sur la question de la révocation de la capacité ou du pouvoir ou de la compétence de l'office de révoquer le statut bilingue de certaines municipalités.

M. Rivard: Un instant. À notre connaissance, personne d'autre, nul autre organisme que l'Office de la langue française n'a demandé d'avis juridique là-dessus.

M. Filion: Je vais renvoyer le ministre à la défense de ses crédits, à deux documents. D'abord, en date du 21 janvier 1988, ce n'est pas tellement loin: Rosemère, Québec, demande un avis juridique. C'est un long article de La Presse indiquant qu'un porte-parole de Mme Bacon... C'est-à-dire non, affirmant tout simplement que votre prédécesseure avait sollicité un avis juridique pour s'assurer qu'en retirant le statut de ville bilingue à la municipalité de Rosemère la Charte de la langue française était intégralement respectée.

Deuxièmement, autre document, je vous réfère au relevé des mandats confiés aux avocats de la pratique privée par le ministère de la Justice ou un organisme sous sa responsabilité entre le 1er avril 1987 et le 11 mars 1988. (20 h 15)

M. Rivard: Si vous permettez un moment, M. le Président, je n'ai pas l'information qui me permettrait de répondre adéquatement aux questions posées par le député de Taillon.

De toute évidence, M. le Président, nous n'avons pas la réponse à cette question, qui semble être importante pour le député de Taillon.

M. Filion: Je pense que c'est important.

M. Rivard: Nous n'avons pas la réponse. Nous allons la trouver. Je n'ai pas l'impression, cependant, qu'on l'aura ce soir. Le député de Taillon fait allusion à quelque chose de très précis et nous ne trouvons pas, actuellement, la réponse à cette question.

M. Filion: Bon, alors, dès que vous la trouverez, vous la déposerez à la commission. C'est ce que je comprends. Je n'entends pas avoir le déroulement, mais quelles sont exactement les parties au dossier de contestation de la capacité de l'office de révoquer le statut de Rosemère? D'abord, est-ce qu'il y a eu une action ou y en a-t-il eu deux? Je m'adresse au ministre.

M. Laporte (Pierre-Etienne): II y a eu deux actions en nullité: une qui a été demandée par la municipalité elle-même et une autre qui a été demandée par Alliance Québec.

M. Filion: D'accord.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Mais, quand on parle d'Alliance Québec, on parle bien entendu de personnes qui ont, sous le chapeau d'Alliance Québec, signé une demande. C'est Alliance Québec qui a, si on veut, parrainé la demande, mais la demande a été souscrite par des citoyens

de Rosemère et des environs. Donc, il y en a eu deux.

M. Filion: Donc, une poursuite parrainée par Alliance Québec et une autre parrainée par la ville de Rosemère elle-même.

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.

M. Filion: Deux actions en nullité contre la décision qu'avait déjà prise l'office. Vous me corrigerez si je me trompe.

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela, oui.

M. Filion: Contre la décision qu'avait déjà prise l'office de révoquer le statut bilingue de Rosemère.

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est exact.

M. Filion: Bon. Comment le ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française réagit-il au fait - il pourra peut-être faire la distinction s'il le désire - premièrement, que le gouvernement, par le ministère de la Justice, ait financé les honoraires et les déboursés des avocats qui ont contesté en Cour suprême la validité de certaines dispositions de la loi 101? Je peux peut-être limiter ma question à cela dans un premier volet. Dans un deuxième volet, comment le ministre réagit-il au fait qu'Alliance Québec parraine une deuxième action en nullité dans le cas de la décision prise par l'office au sujet du statut bilingue de Rosemère?

M. Rivard: Je voudrais revenir, M. le Président, sur la question qui a été posée précédemment par le député de Taillon. J'ai ici la transcription préliminaire de la discussion relative à l'étude des crédits provisoires du programme 5, Charte de la langue française, intervenue le 30 mars 1988, R-704, page 1. Je cite Mme Bacon. Mme Bacon dit: "Mme la Présidente, c'est le président de l'office qui a lui-même demandé un avis juridique au ministère de la Justice".

M. Filion: D'accord. Bon, d'accord. C'est-à-dire que c'est le président de l'office qui aurait demandé un avis juridique au ministère de la Justice.

M. Rivard: C'est ce que ma prédécesseure a dit.

M. Filion: Bon. Alors, laissons mes deux questions en suspens et revenons plutôt au bout de réponse qu'on a. Donc, c'est le président de l'office qui s'est adressé au ministère de la Justice pour obtenir un avis juridique du ministère de la Justice?

M. Rivard: Oui.

M. Filion: De qui? Du ministère en général?

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est un avis qu'on demande au jurisconsulte.

M. Filion: Pardon?

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est au jurisconsulte du ministère.

M. Filion: Du ministère de la Justice.

M. Laporte (Pierre-Etienne): On demande au jurisconsulte de la province de Québec de nous fournir un avis. Maintenant, qui a préparé l'avis, je ne saurais pas vous le dire.

M. Filion: Mais vous l'avez reçu?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, on n'a pas reçu l'avis, parce que le ministère de la Justice a décidé compte tenu du fait que la cause était maintenant devant le tribunal, qu'il aurait à préparer présumément - je présume - la défense de la décision et que l'avis demandé ferait partie de la préparation de cette défense. D'ailleurs, la cause étant maintenant devant le tribunal, je pense que le ministère a dû juger qu'il était opportun de s'abstenir de déposer l'avis en question.

M. Filion: Parce que, en deux mots, l'avis serait arrivé après les poursuites?

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.

M. Filion: La demande d'avis a été adressée après les poursuites?

M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, non, non. Je peux vous expliquer cela.

M. Filion: Oui, je vous en prie.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Ce qui s'est passé, c'est que l'office, à la suite des avis qui lui avaient été donnés par ses services internes, a décidé de révoquer le statut de Rosemère. À la suite de cette décision, pour nous assurer de la légalité, pour avoir une confirmation additionnelle sur la légalité de notre décision, nous avons jugé bon de demander au ministère de la Justice de confirmer notre décision dans un avis. Sauf que, avant que cet avis-là nous soit rendu, deux demandes en annulation ont été déposées par Alliance Québec. En d'autres mots, les choses ont évolué rapidement et ce n'est ni moi, comme président de l'office, ni le ministère de la Justice qui contrôlions le processus. Donc, cela peut vous paraître inusité, mais c'est effectivement ce qui s'est passé.

M. Filion: D'accord, c'est parce que j'essaie seulement de comprendre. L'office prend une

décision à partir de l'avis de son service juridique...

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est cela.

M. Filion: L'avis est contesté. Ensuite, deuxième élément chronologique, l'avis est contesté?

M. Laporte (Pierre-Etienne): C'est-à-dire qu'il faut... Non, c'est-à-dire que, dès que l'office a pris sa décision, l'avis a été contesté publiquement par la municipalité.

Vous vous rappelez peut-être que le maire de Rosemère a fait des déclarations indiquant que l'office n'avait pas l'autorité légale pour les reconnaître et ainsi de suite. C'est en tenant compte de cette incertitude que nous avons jugé qu'il serait opportun, avant de passer à la mise en oeuvre de la décision, de bien s'assurer que l'avis de nos juristes était confirmé ou infirmé, le cas échéant, par celui du jurisconsulte. Sauf que, à la suite de l'annonce qu'on a faite de la décision de demander un avis au jurisconsulte, les événements se sont précipités et Rosemère et Alliance Québec ont décidé de faire une demande en nullité.

Donc, à partir de ce moment-là, si vous me passez l'expression, le train s'est arrêté.

M. Filion: Mais quel a été le rôle de la ministre responsable de l'application de la loi 101 dans cette décision-là?

Mes questions s'adressent toujours au ministre. C'est parce que j'essaie de comprendre.

M. Rivard: M. le Président, moi, ce que je comprends dans ce dossier-là... D'abord, je ne comprends pas exactement ce que cherche le député de Taillon, d'autant plus qu'il y a des organismes qui n'ont pas encore été entendus et qui ont des réponses - parce que je suis toujours à la recherche de faits - extrêmement intéressantes et importantes à donner sur une foule de questions. J'espère bien que nous aurons effectivement le temps qu'il faut pour que le député de Taillon puisse interroger abondamment, en particulier, la présidente de la Commission...

M. Filion: M. le Président, mes questions sont précises.

M. Rivard:... de protection de la langue française.

M. Filion: Mes questions au ministre sont très précises. Si cela prend du temps pour avoir des éléments de réponse, je ne voudrais pas que le ministre vienne blâmer les membres de cette commission de poser des questions. Je ne pose pas des questions qui sont longues et cela depuis le début. Alors, ma question était très simple, quel est le rôle joué relativement à cet avis juridique par la personne qui était responsable de la loi 101 au sein du gouvernement?

M. Rivard: À notre connaissance, M. le Président, il n'y en a pas eu. Ma prédécesseure, et je renvoie encore, comme je l'ai fait tout à l'heure, le député de Taillon à la transcription de l'étude des crédits provisoires du 30 mars dernier... Je cite de nouveau Mme Bacon qui a dit à ce moment-là: "C'est le président de l'office qui a lui-même demandé un avis juridique au ministère de la Justice". C'est ce que je comprends. D'ailleurs, M. le Président, elle poursuivait en disant que, dans ses fonctions de président, il avait préféré demander un avis au ministère de la Justice. Nous attendons l'avis du ministère de la Justice.

Le président de l'Office de la langue française a très bien expliqué ce qui s'est passé par la suite et je ne voudrais pas, parce que j'ai le plus grand respect pour le processus judiciaire et, j'en suis certain, le député de Taillon aussi, que d'une façon directe ou indirecte ou de quelque façon que ce soit nous touchions à quelque chose qui est devant la cour.

M. Filion: Est-ce que le ministre affirme que sa prédécesseure n'a joué aucun rôle dans la demande de cet avis juridique? Est-ce que c'est ce que je dois comprendre?

M. Rivard: J'affirme, d'après ce que je sais, au moment où je vous parle et où j'essaie de répondre à votre question, que ma prédécesseure, elle, n'a pas joué de rôle.

M. Filion: D'accord. C'était cela ma question. Ce n'est pas très compliqué. Revenons à l'autre question maintenant, qu'est-ce que le ministre responsable de l'application de la loi 101 pense - je crois qu'il a entendu ma question, je vais la répéter - du fait que le gouvernement auquel il appartient paie les honoraires et déboursés des avocats chargés de contester en Cour suprême certaines dispositions de la loi 101, les articles 58 et 69?

M. Rivard: Dieu sait, M. le Président, que cette question a été abondamment discutée en Chambre et, à mon avis, toutes les réponses ont été données. C'est une décision qui appartient au ministère de la Justice et ma juridiction s'arrête là où commence celle du ministère de la Justice. Je n'ai pas d'autres commentaires à faire sur cette question.

M. Filion: Alors, le ministre me confirme qu'il ne sait pas à qui a été demandé l'avis juridique qui était initialement adressé au ministère de la Justice?

M. Rivard: Je n'ai pas d'autre information que celle que j'ai donnée au député de Taillon et j'ai cité ma prédécesseure qui, au moment où elle

parle, sait de quoi il en retourne.

M. Filion: Je parlais de l'identité de la personne qui a fourni l'avis juridique qui n'a jamais été transmis à l'office.

M. Rivard: Je ne la connais pas.

M. Filion: Vous ne la connaissez pas. Bon. Est-ce qu'il y a d'autres avis par rapport à l'article 113 paragraphe f qui ont été demandés à l'extérieur de l'office, bien sûr, à d'autres personnes? On me parle d'un avis adressé au ministère de la Justice. Est-ce que d'autres avis ont été demandés?

M. Rivard: Puisque vous continuez et comme c'est normalement la procédure, il ne faut pas m'en vouloir si, parfois, je laisse répondre les présidents des organismes. C'est tout à fait normal de le faire dans un dossier. Je n'ai pas connaissance actuellement d'avis demandés. Évidemment, je n'en ai pas demandé, d'une part, et je n'ai pas connaissance d'avis demandés par ma prédécesseure.

M. Filion: D'accord.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Oui. Voulez-vous me répéter votre...

M. Filion: Qu'est-ce qui se passe? Je ne saisis pas le sens de nos signaux.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Vous me regardiez. Je pensais que vous vouliez me poser une question.

M. Filion: Non, non. Je pensais que vous vouliez prendre la parole, ajouter des choses.

M. Laporte (Pierre-Etienne): Non, non, pas du tout. (20 h 30)

M. Filion: Bon. J'aimerais savoir quelle est la réaction du ministre, s'il a une opinion, face à la demande qui a été faite, qui a été rendue publique il y a une quinzaine de jours, ma foi, une semaine, par Alliance Québec pour que le français ne soit plus un critère d'embauché dans la police. Concernant l'ensemble de la position exprimée au sujet de la connaissance des langues pour l'embauche de policiers, j'aimerais beaucoup savoir si le ministre a une opinion.

M. Rivard: Oui, j'ai une opinion et elle est très franche. Je ne comprends vraiment pas qu'en 1988, compte tenu des progrès accomplis eu égard à la place du français dans la vie de tous les jours au Québec, on puisse imaginer ou même envisager d'embaucher des policiers qui ne parlent pas français pour circuler et faire toutes sortes de choses dans les rues de Montréal. application des dispositions de l'article dont nous

M. Filion: Que voilà une bonne nouvelle!

M. Rivard: Mais, vous me citez, M. le député de Taillon!

M. Filion: Cela vous arrive aussi. Alors, je me sens à l'aise de relever une opinion que vous exprimez. Vous savez, de temps en temps, cela ne fait pas mal et cela peut donner quelques lignes directrices quelque part dans notre société. Quand on est rendu à envisager l'embauche - je dis bien envisager - de policiers qui ne parlent pas français, je vais vous dire que je me demande sur quelle planète je peux vivre des fois quand je me lève le matin et que je lis le journal. Alors, je suis heureux de voir que vous avez une opinion là-dessus. Je suis convaincu qu'avec le temps, quand vous aurez avancé dans votre diagnostic... Mais, le temps presse. Je l'ai dit dans mon discours initial. Le temps presse.

M. Rivard: Vous savez, M. le Président, j'ai travaillé beaucoup dans les unités de soins intensifs. Dans les unités de soins intensifs, cela presse aussi. Que le député de Taillon ne vienne pas me dire que je suis en train de considérer le dossier de la langue française comme un patient qui va très mal dans une unité de soins intensifs. Je veux seulement parler d'un comportement professionnel.

Je voudrais renchérir sur la question de la langue d'usage courant du policier, de la façon suivante. C'est que mon commentaire va bien au delà de la loi. Je pense que, dans l'ensemble du dossier linguistique, il faut reconnaître les choses fondamentales qui sont inscrites dans la loi, mais il y a aussi un bon bout de chemin qui peut être fait sans qu'on fasse constamment référence à la loi.

Exigence du bilinguisme dans l'emploi

M. Filion: Toujours en ce qui concerne l'Office de la langue française, un mot sur la question de l'exigence du bilinguisme dans les emplois. Je ne sais pas si vous avez commencé à fouiller le dossier à fond, mais encore une fois il n'y a pas de statistiques là-dessus. Si on se fie aux études qui ont été faites par des laïcs, je cite en particulier... Mais, mon Dieu, ce n'est pas un laïc, c'est le directeur des communications de l'Office de la langue française. Évidemment, c'est un échantillonnage partiel, mais on évaluait à 55 % le nombre des annonces exigeant le bilinguisme comme condition d'emploi. J'aimerais savoir quelle est la réaction du ministre face à cette situation. J'aimerais savoir quelles mesures il a l'intention de mettre de l'avant relativement à ce problème. Je suis conscient que ce serait pas mal difficile d'ignorer le fait que de nombreux Québécois unilingues francophones se voient dans la situation où, à l'occasion, des postes leur sont refusés. Bon, la mode est à l'exigence du bilinguisme. Dans ce sens-là, je

voudrais savoir quelles mesures concrètes le ministre a l'intention de mettre de i'avant relativement à cette tendance lourde à l'exigence du bilinguisme dans l'emploi?

M. Rivard: Pour tenter de répondre, encore une fois, en s'appuyant sur des faits, M. le Président, le député de Taillon fait référence à l'article 46 de la charte et ]e pense qu'il faut le lire, si vous me le permettez: "I! est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite la connaissance de cette autre langue". Et puis le fardeau de la preuve incombe à l'employeur: "S! incombe à l'employeur de prouver à la personne intéressée, à l'association de salariés intéressée ou, le cas échéant, à l'Office de la langue française que la connaissance de l'autre langue est nécessaire. L'Office de la langue française a compétence pour trancher le litige, le cas échéant."

J'imagine que, dans une intervention aussi brève que possible, le président de l'Office de la langue française pourrait, d'une part, nous dire si les chiffres qui sont avancés par le député de Taillon sont...

M. Filion: Non mais, en toute honnêteté, ils viennent comme je l'ai dit tantôt, je l'ai bien spécifié, du directeur des communications de l'Office de la langue française.

M. Rivard: Donc, on n'aura pas de problèmes.

M. Filion: À partir d'un échantillonnage, je l'ai dit, partiel. Je pense que c'est basé...

M. Rivard: D'accord.

M. Filion: ...sur les dossiers, sur une étude... À moins qu'il n'y ait d'autres études? Il serait peut-être intéressant de savoir s'il y a d'autres études qui ont été faites, d'ailleurs, parce que cette étude-là, bien sûr, était partielle.

M. Rivard: Je vais laisser M. Laporte répondre là-dessus et j'écouterai attentivement ce qu'il va dire. Lorsque vous avez mentionné le chiffre de 55 % vous portiez un jugement, vous disiez: Ce n'est pas tout à fait correct, qu'est-ce que ie ministre entend faire? Je ne le sais pas, moi, ce que signifient ces 55 %. Est-ce que c'est bon ou mauvais? Je ne le sais pas. Je pense que nous devons prendre connaissance, de la bouche même du président de l'office, de l'attitude qui est observée par l'office dans ce dossier, de la façon dont l'office se comporte vis-à-vis de ce dossier-là.

M. Filion: Oui, M. le président, avant de vous laisser la parole, je pense que, par cour- toisie et rigueur pour nos invités, je vais citer textuellement le directeur des communications de l'office qui disait - ouvrons les guillemets - "On vérifie périodiquement les annonces de carrières et de professions dans les journaux. Comme l'explique le directeur des communications de l'office, la semaine dernière, dans environ 55 % des annonces compilées, on exigeait encore une connaissance de l'anglais. Selon le directeur des communications de l'office, la situation est meilleure que celle d'il y a dix ans, alors que la totalité des offres d'emploi exigeait !e bilinguisme, mais il rappelle que l'office n'a pas le mandat, etc."

Donc, est-ce qu'il y a des études précises là-dessus? Deuxièmement, quelles sont les mesures concrètes que le ministre a l'intention de mettre de l'avant?

M. Rivard: Je demande à M. Laporte de réagir là-dessus.

M. Laporte (Pierre-Etienne): M. le Président, d'abord, je confirme ce que vous venez de citer soit que, depuis les travaux de la commission Gendron - cela remonte donc à 18 ans - on observe une régression de l'exigence du bilinguisme comme condition d'emploi. Je me rappelle qu'à l'époque de la commission Gendron on avait fait une étude statistique là-dessus qui montrait que, à tous les cinq ans, il y avait une diminution de !a fréquence des emplois qui exigeaient, comme cela, la connaissance du français ou de l'anglais ou qui - c'était le cas à l'époque - n'exigeaient, en fait, que la connaissance de l'anglais. Par ailleurs, à l'office, à l'aide des statistiques compilées dans le document que vous avez cité, on a observé que, au cours des cinq dernières années, il y a eu effectivement une diminution de cette fréquence. On me dit que c'est passé de 80 % à 55 %. Il faut bien ajouter qu'il s'agit d'emplois de haut niveau, puisque ce sont des emplois qui apparaissent à la section carrières et professions des journaux. J'ajouterai là-dessus que, compte tenu de l'esprit de la loi 101, le fait de demander dans 55 % des cas d'emplois publiés dans les journaux la connaissance des deux langues ne constitue pas en soi une infraction, parce que la loi dit bien: "Il est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite la connaissance de cette autre langue."

Donc, il faudrait savoir quelle est la proportion de ces 55 % dont vous parlez pour laquelle l'exigence de l'anglais n'est pas nécessaire. Le fait qu'on exige à 55 % le bilinguisme ne constitue pas une dérogation. Pour que cela constitue une dérogation, il faudrait savoir lesquels de ces emplois ne requièrent pas la connaissance de l'anglais pour l'accomplissement de la tâche. Je vous répète très brièvement, que cela diminue. Maintenant, le fait que c'est encore

à 55 % ne peut pas être interprété comme signifiant que le niveau de dérogation est à 55 %. Je répète qu'il s'agit d'emplois spécialisés. Je répète que, si vous faisiez une comparaison... On avait, à l'époque, fait des comparaisons avec le journal Le Monde. On avait trouvé que les pourcentages étaient à peu près comparables entre le niveau d'exigence du bilinguisme au Québec et le niveau d'exigence du bilinguisme à Paris.

Finalement, il y a l'article 46 dans la charte qui donne aux syndicats la capacité de contester une décision de l'employeur, lorsque le syndicat juge que cette décision est illégitime ou illégale dans les termes de la charte de la langue française. L'office agit comme tribunal quasi administratif et administre ces demandes d'auditions qui lui sont faites par les syndicats. Donc, c'est une question sur laquelle il faut se prononcer avec - enfin, je parle comme président de l'office - des nuances et j'ai essayé de les faire. J'espère que c'est à votre satisfaction.

M. Filion: J'avais une deuxième question. Est-ce qu'il y a des études plus scientifiques, plus formelles qui sont menées en ce qui concerne l'exigence du bilinguisme dans l'emploi, à votre connaissance?

M. Rivard: M. le Président, je vais laisser M. Laporte répondre là-dessus, mais j'ai ici un tableau qui, j'imagine, pourrait vous être distribué. Il n'y a aucune espèce de problèmes. C'est un tableau qui porte le titre suivant: Tableau illustrant le nombre total de cas soumis au cours de la période 1982-1987 pour...

M. Filion: Ce sont les plaintes, ce n'est pas cela ma question.

M. Rivard: Attendez un peu. M. le Président, si le député de Taillon me permet de continuer, je vais continuer.

M. Filion: Mais, s'il ne nous reste pas de temps à la fin, parce que, moi, ce n'est pas sur les plaintes que je vous questionne.

M. Rivard: Ce que je veux dire... M. Filion: Allez-y, là.

Le Président (M. Baril): Un instant, s'il vous plaît! Je vais décider la longueur des réponses du ministre ou de celle de vos questions. Je vous donne toute la latitude possible. M. le ministre, s'il vous plaît!

M. Rivard: Que voilà un président sage, M. le député de Taillon! Que voilà un président sage!

Tableau illustrant le nombre total de cas soumis au cours de la période 1982-1987 pour considération et traitement par l'office en application des dispositions de l'article dont nous parlons, l'article 46. Tout ce que je veux vous dire, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de plaintes. En l'espace de 5 ans, de 1982 à 1987, il y en a eu 432. Ce n'est pas la fin des haricots, étant donné ce qui se passe au Québec au point de vue industriel.

L'autre commentaire que je voulais faire, c'est que le président de l'Office de la langue française a bien précisé qu'il s'agissait dans la majorité des cas ou dans un nombre important de cas d'emplois spécialisés. Il faut se rappeler comment nous sommes construits, quelle est notre structure industrielle ici au Québec. C'est une structure industrielle qui repose sur la petite et la moyenne entreprise. Nous exportons. Dans cette petite et moyenne entreprise, on ne retrouve pas seulement des entreprises traditionnelles, on retrouve de la haute technologie. Nous exportons 40 % de notre produit intérieur brut à l'extérieur des frontières québécoises. Il est important de réaliser cela. Cela veut dire que, dans ces PME qui exportent, il faut qu'on trouve forcément des gens qui sont capables de converser avec les gens qui se trouvent dans d'autres pays et qui veulent acheter ce que nous produisons comme biens et services.

M. le Président, si le député de Taillon est toujours intéressé à la réponse à sa question, je vais laisser M. Laporte lui répondre. (20 h 45)

M. Filion: Oui, mais avant... Mes questions sont courtes, M. le Président, depuis 20 heures ce soir, en fait, depuis le début. Si on manque de temps, je ne voudrais pas qu'à l'égard de nos invités... Mes questions sont fort précises. Le ministre nous dit que ce n'est pas la fin des haricots. Est-ce que quelqu'un a prétendu que c'était la fin des haricots? On pose la question suivante: Est-ce qu'il existe ou non une étude scientifique ou des études portant sur l'exigence du bilinguisme dans les offres d'emploi? Je n'ai même pas parlé de plaintes. Je n'ai pas parlé de fin des haricots, mais je dois quand même profiter de l'intervention du ministre pour lui signaler qu'il est très rare que quelqu'un qui se cherche un emploi se plaigne qu'on demande le bilinguisme dans cet emploi. Le candidat à un poste, ce qu'il veut, je vais vous le dire, il veut avoir le travail. C'est ce qu'il veut. Que le ministre invoque le nombre de plaintes qui n'est pas élevé... Pour une plainte qui est portée, il serait à peu près raisonnable de penser qu'il y en a plusieurs autres qui ne le sont pas. C'est dans ce sens que j'attire l'attention du ministre. Je lui demande depuis tantôt: Est-ce qu'il y a des études scientifiques faites là-dessus? Si le ministre veut dire que c'est la fin des haricots ou que ce n'est pas la fin des haricots, c'est lui qui le fait.

Le Président (M. Baril): Est-ce que vous aviez quelque chose à rajouter M. le député de Viger?

M. Maciocia: Oui, je voulais seulement, M. le Président, préciser une chose et dire au député de Taillon que, pour la bonne conduite des travaux, si on peut dire, le côté ministériel s'abstient de poser des questions. Vous save2 très bien qu'on pourrait avoir 60-40 ou 50-50. Alors on vous donne toute la latitude pour poser des questions, mais n'essayez pas d'empêcher le ministre de donner ses réponses et ce, dans le laps de temps nécessaire. Je voulais seulement dire cela.

M. Filion: Écoutez...

Le Président (M. Baril): M. le ministre.

M. Filion: Réponse. C'est la même question que je pose depuis dix minutes.

M. Laporte (Pierre-Etienne): La réponse à votre question, M. le député, c'est non. Mais je vous répète que ce dont il faudrait... L'objet de l'étude dont on parle, du point de vue de l'Office de la langue française, ne serait pas les exigences du bilinguisme dans l'emploi, mais la légalité des exigences du bilinguisme dans l'emploi. Vous conviendrez avec moi que de décider de la légalité d'une exigence de bilinguisme dans les offres d'emploi dans un journal, c'est complexe, cela pose un problème de décision complexe. C'est une des raisons pour lesquelles on s'est abstenu de faire une étude scientifique de cette question, parce que c'est une question complexe à étudier. Peut-être devrions-nous le faire, mais on s'est abstenu jusqu'à maintenant pour la raison que je vous ai donnée.

Le Président (M. Baril): M. le député de Taillon.

Francisation des entreprises (suite)

M. Filion: Oui. Je voudrais aborder - c'est presque dans le même souffle - la question de la francisation des entreprises. Le ministre faisait partie du comité des douze. Le rapport du comité des douze, nous a dit le ministre, a été déposé au Conseil des ministres en novembre. Cela fait environ six mois. Je voudrais savoir du ministre quel est son échéancier en ce qui concerne les recommandations de ce comité. Est-ce qu'il serait raisonnable de parler d'une échéance prochaine? On sait que le 15 mai est la date limite pour déposer des projets de loi à l'Assemblée nationale, de l'autre côté. Qu'est-ce qu'il advient concrètement, en termes d'échéancier de travail, des propositions contenues dans le rapport du comité des douze?

M. Rivard: M. le Président, les recommandations qui sont contenues dans ce qu'on pourrait appeler le rapport du comité Bacon sont actuellement en dépôt au Secrétariat général du gouvernement. Ces recommandations contiennent des éléments qui ont alimenté, qui alimentent et alimenteront ma réflexion sur l'ensemble du dossier linguistique.

J'ai laissé ce rapport en dépôt au Secrétariat général du gouvernement. Je n'ai pas d'échéancier précis, en ce sens qu'il y a dans ce rapport des éléments qui n'ont pas besoin d'un échéancier précis. Je vais vous donner un exemple. Nous avons discuté beaucoup avec le président de l'Office de la langue française du processus de francisation des entreprises. Il y a dans le rapport du comité Bacon des phrases, des paragraphes, des chapitres qui concernent ce processus.

Ce que nous sommes en train de faire ensemble aujourd'hui, c'est de regarder le processus de francisation des entreprises, de faire le point. Nous sommes en train d'apprendre un certain nombre de choses sur l'ensemble du processus et sur son avenir. Par exemple, M. le président a souligné une façon qu'il entrevoyait et qui pouvait être utilisée pour veiller à ce qu'une entreprise qui a reçu son certificat de francisation soit suivie, contactée, pour s'assurer qu'elle continue de mettre en place tout ce qu'il faut pour que le français soit la langue de travail.

M. Filion: Mais en termes d'échéancier?

M. Rivard: En ce qui concerne la francisation des entreprises, le rapport du comité en question ne contient rien de plus spécial que ce que nous avons vu aujourd'hui. La seule partie du rapport qui pourrait faire l'objet d'un échéancier - cet échéancier, M. le Président, est connu du député de Taillon - c'est la question de l'affichage commercial. À cet égard, la position de ce gouvernement est très simple et connue depuis longtemps. Nous attendons le jugement de la Cour suprême.

M. Filion: Restons sur la francisation des entreprises. C'est le seul point que j'ai soulevé. L'échéancier, en ce qui concerne les autres aspects, on le devine.

Le ministre responsable de la loi 101 a entendu comme moi le discours inaugural, en partie lu par le lieutenant-gouverneur, en partie par le premier ministre. Ce discours inaugural contenait plus que des allusions à la francisation des entreprises ou au français au travail, en particulier. Est-ce que je dois comprendre, de ce que le ministre vient de me dire, qu'en ce qui concerne le français au travail, ce à quoi on doit s'attendre, c'est ce dont on vient de discuter avec le président de l'Office de la langue française?

M. Rivard: Je vais donner un exemple. On n'a pas parlé aujourd'hui, dans le chapitre de la francisation des entreprises, des petites entreprises de 50 employés et moins. Je pense que nous

nous sommes entretenus là-dessus, d'une certaine façon, lors de l'interpellation. Je crois avoir dit au député de Taillon qu'à ce chapitre l'Office de la langue française procédait à une sorte d'expérience au moyen d'un programme d'animation terminologique. L'office a choisi pour ce faire, dans son programme de 1988-1989, un certain nombre d'entreprises qui se retrouvent dans des catégories très spécifiques. Je me rappelle la catégorie médias, restauration, concessionnaires automobiles, etc.

Ce que je viens de dire signifie ceci: Je n'ai pas d'échéancier précis en ce qui concerne la francisation des petites et moyennes entreprises. Je suis dûment préoccupé par le fait qu'il faut, dans cette opération, agir avec délicatesse parce qu'elles sont nombreuses. Il y en a quelque 20 000. Elles sont de toutes sortes de variétés. Certaines sont de nature entreprise familiale, d'autres sont de nature haute technologie. Nous n'excluons pas de notre champ de préoccupation, quant à la francisation, quelque entreprise que ce soit.

Mais nous allons procéder, au chapitre des petites et moyennes entreprises de 50 employés et moins, de la façon dont l'Office de la langue française, à l'intérieur de son mandat, va décider de le faire ou recommander qu'on le fasse, à la suite les expériences qui sont en cours.

M. Filion: Vous savez que le Conseil de la langue française a recommandé, dans un de ses avis portant sur la relance de la francisation des entreprises, d'augmenter le rôle des comités de travailleurs, des travailleurs, des syndicats dans l'ensemble de l'opération francisation des entreprises. Cela va de soi, on n'a pas besoin de s'étendre là-dessus. Or, les chiffres sont les suivants: pour l'année 1985-1986, 196 000 $, près de 200 000 $, pour l'année 1986-1987, 150 000 $, pour l'année 1987-1988, 150 000 $, qui ont été effectivement octroyés sur les montants qui étaient disponibles en fonction des crédits.

Il est nécessaire, à mon point de vue, d'injecter des sommes plus importantes dans le secteur de la francisation des entreprises, et le ministre des Finances disait, il y a à peine trois mois, qu'on traversait une période de vaches grasses. C'est le ministre des Finances qui disait cela, il y a trois ou quatre mois, qu'on traversait une période de vaches grasses, ce qui permet probablement d'aider Blue Bonnets ou des choses comme celles-là. Est-ce que le ministre responsable de la loi 101 a l'intention cette année d'augmenter les fonds effectivement octroyés aux syndicats pour les aider à s'impliquer, à s'engager dans l'opération francisation des entreprises? C'était dans le discours inaugural, M. le ministre. Dans le discours inaugural, on mentionne quand même des dossiers prioritaires, sinon cela ne ferait pas partie du discours inaugural. J'ai entendu, j'ai écouté votre réponse à ma dernière question, je ne veux pas y revenir. Cela est quelque chose de concret, quelque chose de pas énorme. On ne parle pas de milliards, on parle de quelques centaines de milliers de dollars pour aider les syndicats à s'engager, à s'impliquer dans l'opération francisation des entreprises. Compte tenu, donc, de cette baisse de 24 % entre la dernière année du gouvernement du Parti québécois et les deux premières années du gouvernement du Parti libéral - quand je dis baisse, je parle de la baisse survenue évidemment en 1986 et 1987 - est-ce que le ministre a l'intention d'augmenter les vivres pour les travailleurs?

M. Rivard: M. le Président, le député de Taillon sait, j'en suis certain, de quelle façon se prépare la programmation budgétaire du gouvernement. Si la démonstration m'était faite par l'office ou un des organismes qu'un besoin additionnel d'argent se faisait sentir pour remplir quelques partie du mandat que ce soit, c'est évident qu'à ce moment-là, compte tenu de ce que j'ai dit antérieurement devant cette commission aujourd'hui, je travaillerai très fort pour obtenir ces budgets additionnels.

J'aimerais vous donner la réponse suivante concernant la diminution de 196 000 $ à 150 000 $ que vous avez observée entre l'année 1985-1986 et 1986-1987. Le président de l'office m'informe que cela a été diminué tout simplement parce qu'en 1985-1986 les syndicats récipiendaires de cet argent n'avaient pas été capables de l'utiliser complètement. Donc, le chiffre de 1986-1987 est tout simplement un ajustement à la réalité vécue l'année précédente. Je vous donne les informations que j'ai sans y mettre quelque émotivité que ce soit. J'ai confiance en l'expertise et en la compétence des présidents des organismes dont je suis responsable. (21 heures)

D'un autre côté, il faut absolument que je dise ou redise devant cette commission que ces organismes, pour remplir leur mandat à la mesure de ce qui a été souhaité par le législateur de 1977, doivent de toute évidence, opérer avec une certaine autonomie. Je ne sais pas, M. le Président, si le député de Taillon voudrait avoir des précisions sur cette question ou si ma réponse le satisfait. Je suis prêt à passer la parole à M. Laporte.

M. Filion: Non, votre réponse ne me satisfait pas, M. le ministre. Mais, comme on a d'autres sujets à traiter, je vais réserver mes commentaires en ce qui concerne l'Office de la langue française, compte tenu de l'heure. Tel qu'entendu, mon prochain dossier est celui du Conseil de la langue française.

M. Rivard: Je vais donc inviter le président du Conseil de la langue française, M. Pierre Martel.

M. Filion: Avant que M. le président et son

équipe ne nous quittent, peut-être qu'ils vont désirer demeurer jusqu'à la fin de nos travaux, je voudrais quand même remercier le président qui a dû prendre la parole très souvent. Quant à moi, en tout cas, c'est la première fois que je vois un président d'organisme avoir la chance de s'exprimer autant. Évidemment, tout cela est bon pour aller chercher des informations. On ne devrait jamais, cependant, faire oublier le principe - qu'on oublie parfois dans ce gouvernement-là - de la responsabilité ministérielle. Étant donné que le ministre est non pas jeune mais nouveau à ce poste, on peut comprendre qu'au cours de cette étude des crédits il ait pu se référer davantage à l'éclairage que vous avez eu l'amabilité de me fournir ainsi qu'aux autres membres de la commission.

M. Rivard: M. le Président, je me sens tout à fait à l'aise lorsque je demande à des collaborateurs d'un tel calibre de donner le genre de réponses qui ont été fournies.

M. Filion: Pour aller plus loin, le commentaire du ministre m'y invite, c'est que rien, finalement, ne peut remplacer, dans une société comme la nôtre, la volonté politique d'un gouvernement élu. Les fonctionnaires, je l'ai dit et je le répète, qui sont avec nous ce soir sont compétents et ils font un travail, dans certains cas même, depuis plusieurs années. Pour ma part, cela fait à peine le temps d'un accouchement que je m'occupe du dossier, cela fait neuf mois, quant à vous, cela fait un peu plus qu'un mois - nous, on est jeune - mais il y a des gens en arrière de la salle qui ont consacré toutes leurs énergies professionnelles à défendre et à promouvoir le français, et c'est très bien. Je les encourage, évidemment, au nom de l'Opposition officielle, à continuer leur bon travail, tout en sachant que rien ne remplace la volonté politique d'un gouvernement.

M. Rivard: Merci. Je remercie à mon tour M. Pierre-Etienne Laporte.

Le Président (M. Baril): Alors, nous sommes prêts à continuer?

M. Rivard: Je vous en prie, M. le Président.

Le Président (M. Baril): M. le député de-Taillon.

Conseil de la langue française

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais d'abord souhaiter la plus cordiale des bienvenues à cette commission à M. Martel et à son équipe. Nous avons évidemment plusieurs questions concernant le Conseil de la langue française, surtout en ce qui concerne les avis.

Avis demandé par Mme Bacon sur l'accord du lac Meech

La première question porte sur l'avis concernant la portée du lac Meech. Je voudrais que vous m'aidiez à m'y retrouver, M. le ministre, dans cet avis-là. En date du 27 mai 1987, selon le Journal des débats, l'ancienne ministre avait promis cet avis. Elle disait - je n'ai pas besoin de citer, je pense que le ministre est au courant - elle avait en tout cas demandé un avis, selon le Journal des débats, le 27 mai. On est, ma foi, au mois de mai 1988. Cela va faire presque un an. Alors, je voudrais savoir de façon précise, ce qui s'est produit depuis le 27 mai 1987, quels sont les événements, les incidents ou, en somme, quelle est la nature du dossier. Il semblerait qu'il y a peut-être un autre avis qui aurait été demandé. Or, j'aimerais savoir d'abord plus précisément quel avis a été demandé, quelle a été la question posée le 27 mai 1987, ce qui a été fait, s'il y a eu d'autres avis de demandés. En somme, qu'on fasse le point, M. le ministre, sur cet avis portant sur une matière qui est loin d'être des cacahouètes. C'est un peu comme notre cadre constitutionnel, l'entente du lac Meech. Cela a moins de chance de le devenir de ce temps-ci, mais cela pourrait le devenir. Alors, c'est le cadre constitutionnel dans lequel le Québec pourrait être appelé à vivre comme société et donc, d'une portée extrêmement importante, d'autant plus qu'on pourra parler tantôt de l'avis portant sur le projet de loi fédéral C-72. Je ne sais pas si ma question est claire, mais je la pose au ministre.

M. Rivard: M. le Président, la question du député de Taillon est très claire, soit dit en passant. Évidemment, de ce côté-ci de la table, nous sommes beaucoup plus optimistes que le député de Taillon, eu égard au sort qui sera réservé à l'accord qui porte le nom du lac Meech. Je vais être très bref. Je pense avoir surpris un tant soit peu le député de Taillon lorsque, au cours de la première heure de notre débat aujourd'hui, je lui ai dit ceci: L'avis porterait, et je répète, sur les horizons que les nouvelles dispositions constitutionnelles permettent d'envisager en termes de protection et de promotion de la langue française au Québec. Je vais laisser maintenant M. Pierre Martel, président du conseil, faire la narration avec les dates, le processus parce que c'est important que les gens le sachent. Je pense que c'est ce que vous voulez savoir. M. Martel.

Le Président (M. Maciocia): M. Martel.

M. Martel (Pierre): M. le Président, le 22 mai 1987, le Conseil de la langue française a reçu une demande d'avis de la part de Mme Bacon, alors responsable de l'application de la Charte de la langue française, et elle a transmis au président par intérim les communiqués émis à

l'occasion de la conférence qui s'est tenue au lac Meech. Donc, elle transmet aux membres les communiqués émis concernant le lac Meech. Elle demande aux membres de prendre en considération ces communiqués pour en faire un avis. C'est le 22 mai. Le 28 mai, elle écrit de nouveau au président par intérim du conseil en indiquant que, n'ayant pas pris connaissance des textes juridiques des accords du lac Meech, elle précisera ultérieurement son intention en demandant un avis au conseil. Donc, elle indique à ce moment-là qu'elle précisera son intention concernant sa demande. Le 15 juin, de la même manière, elle indique qu'elle précisera en détail, après l'étude des textes juridiques de l'accord constitutionnel, l'objet de sa demande. C'est le 17 septembre qu'elle transmet au Conseil de la langue française une lettre détaillée dans laquelle elle précise ce qu'elle demande aux membres du conseil, c'est-à-dire les horizons qu'ouvre cet accord, les répercussions, les mesures concrètes qu'il faudra prendre à la suite de l'accord du lac Meech. Donc, il s'agit d'étudier les répercussions et les mesures concrètes qui doivent être envisagées à la suite de l'accord du lac Meech. Il ne s'agit pas d'un avis à caractère juridique, mais d'étudier les conséquences concrètes concernant la protection et la promotion de la langue française consécutivement à l'accord du lac Meech. Le conseil, bien entendu, a mis sur pied un comité ad hoc et travaille de manière ardue pour produire cet avis.

Le Président (M. Maciocia): M. le député de Taillon.

M. Filion: En date du 22 mai 1987, le conseil reçoit une demande d'avis; c'est cela? En même temps que le conseil reçoit copie des communiqués, il reçoit également une demande d'avis.

Une voix: C'est exact.

M. Filion: Portant sur quoi, à ce moment-là, le 22 mai 1987?

M. Martel: Sans autre précision. Il s'agit de formuler des commentaires à la suite de ces communiqués émis à l'issue du lac Meech.

M. Rivard: II faut bien se rappeler, M. le Président, que l'entente entre les onze premiers ministres fut, en fait, signée le 3 juin 1987.

C'est une date qui doit aller dans la narration de ce processus.

M. Filion: Les textes juridiques de l'accord ont été publiés partout. Ici, évidemment, cela a circulé largement. Cela a été publié un peu partout, dans. les journaux. Est-ce que je dois comprendre, M. Martel... Sentez-vous bien à l'aise. C'est vous qui avez vécu cette situation, ce n'est pas moi. J'essaie de comprendre tout simplement la chronologie des événements et le pourquoi de cette chronologie. Bon, le 3 juin, l'accord constitutionnel est signé. Ce sont des choses qui sont largement du domaine public. Mais, à ce moment-là, le conseil - vous me corrigerez - ne bouge pas parce qu'il a déjà reçu la lettre du 28 mai de la ministre responsable. Est-ce que c'est bien cela?

M. Martel: Je ne suis pas certain et je ne pense pas que le président du Conseil de la langue française ait dit qu'il n'avait pas bougé.

M. Filion: Dans le sens de ce qu'il nous a dit, écoutez, le 22 mai 1987, ils reçoivent une demande d'avis avec les communiqués.

M. Martel: Communiqués de presse.

M. Filion: Le 28 mai 1987, ils reçoivent une lettre de Mme la ministre responsable de la loi 101 qui dit: N'ayant pas pris connaissance des textes juridiques, auriez-vous l'obligeance de... je ne sais pas trop quoi, mais probablement de suspendre votre étude ou en tout cas, d'attendre? C'est ce que je voudrais savoir. Le 28 mai 1987, que s'est-il passé exactement?

M. Rivard: Le 28 mai 1987, d'après les informations que j'ai, Mme Bacon écrit de nouveau au président à la suite de sa demande d'avis du... Je ne sais plus quelle date, on dit le sept courant ici. "Il me sera possible d'en préciser l'intention dès que j'aurai pris connaissance des textes juridiques. "

Ma prédécesseure n'a pas les textes à ce moment-là. Forcément, puisque les textes sont disponibles le 3 juin 1987. Vous vous rappelez que cela avait fait l'objet, une certaine nuit, à l'édifice Langevin, de toutes sortes de négociations.

M. Filion: Le 15 juin, douze jours après l'entente de l'édifice Langevin, le 15 juin, qu'est-ce qui se passe exactement? Vous avez dit, vous avez fait allusion "après l'étude des textes juridiques". Qu'est-ce qui se passe le 15 juin? Les textes juridiques sont connus. Ils sont maintenant publics.

M. Rivard: J'ai ici une note en date du 15 juin où Mme Bacon aurait confirmé qu'elle serait en mesure de confirmer sa demande d'avis, "de la préciser à la fin du mois de juin alors que j'aurai terminé - dit-elle - l'étude des textes juridiques de l'accord constitutionnel. "

M. Filion: Donc, elle réfère à ce moment-là à la fin de juin.

M. Rivard: Elle réfère à la fin de juin.

M. Filion: C'est cela? Bon, est-ce qu'il s'est passé quelque chose à la fin de juin?

M. Rivard: Je n'ai pas d'information. Quelqu'un me dit derrière: les vacances.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rivard: Et effectivement, pour quiconque a vécu au gouvernement, il se passe quelque chose entre la Saint-Jean-Baptiste et le 15 août qui fait qu'il n'y a plus moyen de faire quoi que ce soit.

M. Filion: Cela devrait nous arriver à nous aussi. Cela me ferait du bien, moi.

M. Rivard: Ou presque. (21 h 15)

M. Filion: Bref, le 3 juin, les textes juridiques sont signés. Le 15 juin, dans la lettre, Mme fa députée de Chomedey, la ministre des Affaires culturelles, réfère à la fin juin et le 17 septembre seulement, le conseil obtient le feu vert pour préparer l'avis auquel il avait déjà été sensibilisé le 22 mai 1987. C'est bien cela?

M. Rivard: Si vous voulez répéter votre question brièvement, s'il vous plaît, M. le député.

M. Filion: Ce n'est que le 17 septembre que le conseil a obtenu, si on veut, quand je dis feu vert, c'est une expression, mais en tout cas...

M. Rivard: La précision.

M. Filion:... la précision de nature à déclencher les travaux préparant l'avis sur lequel il avait déjà été sensibilisé le 22 mai 1987. Est-ce que je comprends bien?

M. Rivard: Ce que je comprends de ce dossier que je n'ai pas vécu, mais quand même, c'est que, le 17 septembre 1987, la précision qui a été apportée par Mme Bacon est la suivante. Elle dit au Conseil de la langue française - j'interprète vraiment pour essayer de faire avancer le dossier - elle semble dire au Conseil de la langue française: Ce n'est pas un avis juridique que je vous demande sur l'accord constitutionnel, je vous demande quel est l'effet - c'est un peu comme cela que je le traduis - de Meech sur la protection et la promotion de la langue française au Québec. C'est un peu comme cela que je le vois. Si ma prédécesseure a besoin d'un avis juridique sur Meech, sur les accords constitutionnels, je présume qu'elle ferait ce que je ferais, je demanderais un tel avis au ministère de la Justice. Vous comprenez la nuance?

M. Filion: Je ne comprends pas. Vous allez m'expliquer cela, quelqu'un. Une entente constitutionnelle, ce ne sont quand même pas juste des voeux pieux. C'est un cadre légal dans lequel opèrent les provinces, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Cela fixe un cadre légal, juridique qui définit les compétences, les pouvoirs, les droits et les responsabilités de chacune des entités de ce beau Canada. Alors, comment peut-on arriver à définir la portée d'un accord constitutionnel, donc, hautement juridique et légal, sur un secteur comme le secteur linguistique sans étudier l'aspect juridique de la question? C'est cela que je ne comprends pas.

M. Rivard: Je ne dis pas que le Conseil de la langue française ne doit pas avoir des avis juridiques pour répondre à la question de ma prédécesseure. Je dis tout simplement que la précision qui a été apportée était que le conseil devait se pencher spécifiquement sur l'impact...

M. Filion: Dites-nous donc cela exactement, qu'on le sache. C'est quoi, le titre de l'avis?

M. Rivard: C'est parce qu'il faut que je reprenne les termes mêmes que j'ai employés parce que ce sont ceux-là qu'on m'a communiqués. L'avis portera, souhaite-t-elle, sur - et je mets cela entre guillements, si vous voulez - "les horizons que les nouvelles dispositions constitutionnelles permettent d'envisager en termes de protection et de promotion de la langue française au Québec".

M. Filion: Alors, ce sont uniquement des horizons qu'on peut envisager; c'est cela? Le conseil n'a pas le mandat, si je comprends bien - puis c'est là que cela devient bien difficile à comprendre - de se pencher sur les horizons qui pourraient être fermés. L'avis présume que l'entente ne fait qu'ouvrir des horizons. Est-ce que c'est bien cela?

M. Rivard: J'ai de la misère à penser que ce que demande ma prédécesseure va dans le sens où le dit le député de Taillon. Fermer, ouvrir... Elle demande un avis au Conseil de la langue française. J'ai répété au moins trois fois aujourd'hui que j'ai insisté sur l'automomie des organismes mis en place "par la Charte de la langue française. Il n'y a pas, je ne perçois pas - et je ne suis pas juriste, je le confesse ou je m'en excuse, je ne sais plus -...

M. Filion: Oh, ni l'un ni l'autre.

M. Rivard:... quoi que ce soit de limitatif dans la précision qui est apportée.

M. Filion: Est-ce bien cela la compréhension du rôle du conseil relativement à l'avis...

M. Rivard: Je vais permettre à M. Martel de s'exprimer.

M. Filion: Oui, pour qu'on sache, quand il va arriver..

M. Martel: En attendant les précisions de

Mme la ministre,. le conseil a commencé l'étude juridique durant l'été, il n'est pas resté inactif. Au mois de septembre, le conseil a le mandat de donner son avis à la ministre sur les questions que celle-ci lui soumet. Donc, au mois de septembre il s'est penché sur la question que lui posait la ministre, à savoir de réfléchir aux mesures à court et long terme que le Québec, en sa qualité de société distincte, doit mettre en oeuvre pour promouvoir l'usage de la langue française au Québec.

M. Filion: Est-ce que le conseil considère de son rôle, à l'égard uniquement de cet avis-là, d'informer, de conseiller sur la portée de l'accord du lac Meech, sur les droits linguistiques au Québec?

M. Rivard: Je vous en prie, M. Martel.

M. Filion: Cela a l'air bien compliqué, tout cela. Mais je résume cela, finalement. Est-ce que vous sentez une limitation à cet avis-là ou si cela concerne non seulement les horizons à être ouverts également la portée légale et juridique de l'entente du lac Meech sur l'aménagement des droits linguistiques au Québec?

M. Rivard: Je prierais M. Martel de répondre.

M. Martel: M. le Président, il convient de distinguer deux choses. Le conseil doit donner son avis au ministre sur les questions que celui-ci lui soumet. Donc, d'une part, il doit répondre à la demande de la ministre ou du ministre. Maintenant, d'autre part, le conseil est autonome et émettra des avis, un avis s'il le juge à propos, sur d'autres aspects et éventuellement sur l'aspect juridique des accords du lac Meech. Mais c'est une question qui appartient aux membres du conseil, et c'est eux qui en décideront. Alors donc, il faut distinguer d'une part la réponse au ministre auquel il est tenu de répondre et, d'autre part, les avis que, de lui-même, le conseil peut décider de soumettre au ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française.

M. Filion: Vous devancez mon autre question qui était évidemment le paragraphe c, de l'article 188, qui dit que le conseil doit d'abord donner son avis au ministre sur la question qui est posée, mais doit aussi saisir. L'article 188c dit: "saisir le ministre des questions relatives à la langue qui, à son avis, appellent l'attention ou l'action du gouvernement; ".

M. Rivard: M. le Président, nous sommes tout à fait d'accord là-dessus, et d'ailleurs c'est bon de relire 186 aussi, qui dit: Un Conseil de la langue française est institué pour conseiller le ministre sur la politique québécoise de la langue française et sur toute question relative à l'inter- prétation et à l'application de la présente loi. " Et c'est bon de relire aussi ce que j'ai dit dans mon discours préliminaire aujourd'hui: pour que son action ait la portée voulue par le législateur, il faut que le conseil jouisse d'une autonomie de bon aloi.

M. Filion: D'ailleurs je note que l'article 189, qui est l'article suivant dit bien "Le conseil peut", et je remarque qu'à l'article 188 on dit "Le conseil doit saisir le ministre... " Alors, cela m'amène à ma question suivante: Est-ce que le Conseil de la langue française saisira le gouvernement de ces avis, de son opinion, de ses commentaires sur la portée de l'entente du lac Meech, sur l'aménagement des droits linguistiques au Québec?

Le Président (M. Laporte): M. Martel.

M. Martel: M. le Président, les membres du conseil attendent le rapport du comité ad hoc sur cette question. Alors, quand le rapport sera disponible, il sera transmis aux membres; il sera étudié par les membres. À ce moment-là, la question se posera et elle sera réglée par les membres du conseil.

M. Filion: D'accord.

M. Martel: À l'heure où nous nous parlons, les membres n'ont pas encore eu l'occasion de prendre connaissance du rapport du comité sur la demande de Mme Bacon.

M. Filion: C'est bien. Alors, est-ce que le ministre peut nous dire quand cet ou ces avis, grosso modo, je ne veux pas avoir de date... Il y a un travail important qui se fait, un travail de réflexion, d'étude, etc. Est-ce qu'on peut avoir, grosso modo, une échéance, si vous vous sentez à l'aise de nous en donner une? Si vous ne vous sentez pas à l'aise de nous en donner une, M. le ministre, dites-le-nous. Si vous vous sentez à l'aise de nous donner une échéance, on serait heureux de la connaître vu que, premièrement, les travaux, comme le ministre l'a mentionné tantôt, ont commencé il y a déjà près d'un an et, deuxièmement, compte tenu du fait qu'il s'agit, bien sûr, d'un acte fondamental pour les droits linguistiques au Québec et pour l'ensemble des droits constitutionnels, dont les droits linguistiques.

M. Rivard: Comme l'avis est actuellement en préparation au conseil et que j'ai précisé au moins à deux ou trois reprises que le conseil jouit d'une certaine autonomie, je vais laisser répondre M. Martel aussi là-dessus.

M. Martel: M. le Président, le comité procède à des consultations, en ce moment. Il y en a même eu une aujourd'hui et, la semaine prochaine, le rapport sera vraisemblablement

remis aux membres du conseil. Il sera étudié. Nous espérons que l'avis sera prêt pour la fin de juin. C'est un objectif que nous nous donnons. Maintenant, comme c'est une question fort complexe et fort difficile, on ne peut pas le garantir, cependant.

M. Filion: C'est très bien. Je ne voudrais pas que vous interprétiez ma question comme poussant dans un sens ou dans l'autre. Évidemment, cela fait un an. Il y en a qui pourraient trouver cela long, mais ce n'est pas une matière facile, les matières constitutionnelles. J'ai eu l'occasion de présider une commission parlementaire ici où j'ai entendu des gens dire des choses tout à fait contraires sur un même texte. Par contre, le temps aidant, j'ai l'impression que la poussière est retombée un peu sur l'accord du lac Meech. Il y a eu le rapport du comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, qui n'est quand même pas négligeable comme document. Il y a eu un tas de constitutionnalistes qui se sont prononcés sur ce sujet. Il n'est peut-être pas mauvais que le conseil arrive, une fois que la poussière est retombée, et puisse éclairer adéquatement les membres de cette Assemblée quant à la portée d'une entente tout à fait fondamentale pour nos droits. Alors, sur ce point, cela va, M. le Président.

Avis sur le projet de loi C-72

Je voudrais aborder l'avis sur le projet de loi C-72, préparé par le conseil. Il y a un petit point qui m'embête, M. le ministre, sentez-vous bien à l'aise. Dans l'avis du projet de loi C-72, on mentionne des éléments d'étude, de réflexion portant sur l'entente du lac Meech. Alors, je vais peut-être avoir l'occasion de vous en citer. On parle de l'article 42 du projet de loi C-72. Je pense que cela vaut peut-être la peine de... Je vais lire rapidement l'article 42 de ce projet de loi fédéral: "Le secrétaire d'État du Canada prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne et, notamment, toute mesure: d) pour encourager et aider les gouvernements provinciaux à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones, et notamment à leur offrir des services provinciaux et municipaux en français et en anglais et à leur permettre de recevoir leur instruction dans leur propre langue; ". Également: "pour encourager - je cite toujours l'article 42. 1 - les entreprises, les organisations patronales et syndicales, les organismes bénévoles et autres à fournir leurs services en français et en anglais et à favoriser la reconnaissance et l'usage de ces deux langues. " Ce sont les alinéas d et f de l'article 42 du projet de loi C-72. (21 h 30)

Alors, le conseil écrit dans son avis: Ce point à lui seul donne la mesure de ce qu'entre- prend le gouvernement fédéral avec ce projet. Il est facile de remarquer tout d'abord que le champ d'action que se donne l'État fédéral n'est plus décrit comme le secteur de compétence fédérale mais bien comme la société canadienne. Ce qui est bien plus large. On retrouve la référence à la société canadienne à plusieurs reprises dans le projet de loi C-72. On cite les articles 2h, 40, 41. 1, 42. 2 et 51. Cela laisse prévoir que l'action fédérale se fera même dans les champs de compétence provinciale exclusive, non pas sous forme législative, ce qui serait anticonstitutionnel, mais au moyen de dépenses programmées. On fait allusion ici au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Cet avis dit bien: Cet article découle directement d'un double mandat issu des accords constitutionnels Meech, Langevin de 1987.

Ma question s'adresse encore une fois au ministre. Je vais la poser d'une façon très simple. Le ministre ne croit-il pas - on a eu l'occasion de l'interroger en Chambre sur cela - que l'action gouvernementale risque d'arriver trop tard par rapport au projet de loi C-72 qui, encore une fois, est en deuxième lecture au gouvernement fédéral alors que le gouvernement du Québec, lui, n'a pas commencé encore à faire valoir son point de vue sur ce projet de loi C-72, s'en remettant à des études du ministère de la Justice qui aurait dû connaître l'existence de ce projet de loi bien avant ou encore peut-être que la prédécesseure du ministre aurait dû connaître bien avant pour demander les études requises? Alors, est-ce que le ministre ne craint pas de manquer le bateau en ce qui concerne le projet de loi C-72?

M. Rivard: M. le Président, je sens que je vais décevoir de nouveau le député de Taillon et, si le député de Lac-Saint-Jean et whip de l'Opposition était ici, je le décevrais aussi. Je ne sais plus combien de questions on m'a posées en Chambre, soit directement ou indirectement à la fois sur ce projet de loi fédéral C-72 sur les langues officielles du Canada et sur l'avis émis par le conseil. Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit. J'ai dit par exemple aujourd'hui en Chambre, en réponse à la nième question, que ma prédécesseure avait joué son rôle en demandant un avis au Conseil de la langue française, que le Conseil de la langue française avait joué son rôle en étudiant la question, en rédigeant l'avis et en le rendant public. Le président du Conseil de la langue française a joué son rôle et continue de jouer son rôle lorsqu'en d'autres lieux que celui-ci il explique à la population du Québec ce que le Conseil de la langue française voit dans ce projet de loi et moi, je joue mon rôle de ministre responsable de la loi 101 et membre de ce gouvernement lorsque je dis. Un avis juridique a été demandé au ministère de la Justice. Nous avons dit au ministère de la Justice jusqu'à quel point il était urgent de recevoir son opinion. Je suis certain, et je l'ai dit quinze fois en Cham-

bre, que le ministre de la Justice procède avec toute la célérité voulue et, lorsque nous aurons reçu cet avis qui doit venir du jurisconsulte nous étudierons dès sa réception ledit avis et nous adopterons par la suite une position de gouvernement.

Quand bien même le député de Taillon, et je le dis d'une façon aussi posée que possible, poserait quinze questions ce soir, soit directement ou indirectement, à la fois sur le projet de loi ou sur l'avis émis et publié par le Conseil de la langue française, je n'aurai pas d'autres réponses que celle que je viens de donner. Et, malheureusement, le député de Taillon à un moment donné s'apercevra qu'il ne dispose plus de temps pour poser des questions fort pertinentes aux collaborateur; et présidents d'organismes qui m'accompagnent ce soir.

M. Filion: Si je manque de temps, j'inviterai les observateurs à faire le calcul au Journal des débats, M. le ministre.

Mais je ne poserai plus de question au ministre, vu qu'il ne répond pas, en ce qui concerne le projet de loi C-72. Je vais quand même faire un commentaire. Je me demande si le gouvernement est conscient de la gravité de la portée du projet de loi C-72 sur notre petit coin de pays qui s'appelle le Québec. J'écoute le ministre et le premier ministre qui nous disent à quel point ils sont satisfaits du rôle que tout le monde a joué. Alors que la ministre responsable de la loi 101, qui l'a précédé, a demandé son avis en février 1988 au conseil et qu'il l'a déposé dans un délai qui mérite des félicitations, le gouvernement du Québec attend, semble-t-il, que le jurisconsulte du gouvernement... Et au ministère de la Justice on attend nécessairement un avis du Conseil de la langue française avant de déclencher des études sur un projet de loi qui a été déposé le 17 juin 1987. Cela fait, comme j'ai dit, plus de dix mois et demi. Est-ce qu'on est conscient que, quelque part dans ce gouvernement, quelqu'un devra se réveiller et se rendre compte des dangers que peut représenter C-72 sur l'aménagement des droits linguistiques tels que définis par la Charte de la langue française?

Le ministe nous dit: Je suis satisfait, tout le monde a joué son rôle. Mais le gouvernement n'a pas fini d'étudier encore, imaginez-vous! Le projet de loi C-72 est en deuxième lecture à Ottawa.

Je demande au ministre s'il n'a pas peur de manquer le bateau. Il m'a répondu: J'ai dit tout ce que j'avais à dire là-dessus, cela finit là! Je vais vous dire qu'en ce qui concerne C-72 le gouvernement a manqué à son rôle en n'étudiant pas au ministère de la Justice, au ministère des Relations internationales où il y a quelques cerveaux archicompétents dans le secteur du droit comparé... Bref, si le ministre est satisfait du rôle qu'a joué le conseil, nous aussi, nous en sommes et jamais, d'aucune façon, nos propos n'ont visé à blâmer le conseil pour avoir réagi d'une façon aussi rapide que cela au projet de loi C-72 qui n'était pas facile, je le sais.

En conférence de presse, j'ai été l'un des premiers à dénoncer la portée du projet de loi C-72 et ce n'était pas aussi simple que cela. Bref, le conseil a fait son travail, mais l'entité qui n'a pas fait son travail en ce qui concerne le projet de loi C-72, ce n'est sûrement pas le gouvernement fédéral qui, lui, fait ses affaires; ce n'est sûrement pas la Chambre des communes à Ottawa qui, elle, fait ses affaires; c'est le gouvernement du Québec qui, dix mois et demi plus tard, vient nous dire: Nous attendons des études du ministère de la Justice. Je vais le dire très simplement: Non, le gouvernement n'a pas rempli son mandat de gouvernement responsable en ce qui concerne le projet de loi C-72.

M. Rivard: M. le Président...

M. Filion: Vous pouvez peut-être réagir, ce n'était pas une question, mais...

Le Président (M. Baril): M. le ministre.

M. Rivard: M. le Président, je pense qu'il faut réagir à cette opinion qui vient d'être émise par le député de Taillon sur la façon dont le gouvernement se comporte sur cette question.

Vous savez, M. le Président, et vous devez vous le rappeler avec un certain plaisir parce que vous avez vécu ce moment absolument inoubliable, lorsque nous avons été élus le 2 décembre 1985, nous avons été élus avec un certain nombre de promesses. Parmi ces promesses, il y avait celle d'offrir à la population du Québec une nouvelle façon de gouverner. Autre promesse, nous avions l'intention - et nous l'avons prouvé, nous avons prouvé que nous étions capables de le faire - de gérer sainement les finances publiques. Et Dieu sait que l'héritage qui nous avait été laissé par nos prédécesseurs était lourd à porter! Nous avions aussi promis que nous ne passerions pas notre temps à faire des déclarations à l'emporte-pièce sur tous les sujets, à tous les moments du jour, de la semaine, du mois ou de l'année. Évidemment, quand je réponds de la façon que je l'ai fait 25 fois en Chambre, eu égard aux questions posées au sujet du projet de loi C-72, il n'y a pas beaucoup de nouvelles là-dedans et cela ne donne pas beaucoup de prise non plus sur l'Opposition officielle, qui est là pour jouer son rôle normal en Chambre, à l'intérieur de ce régime parlementaire britannique qui est le nôtre. Mais il doit certainement y avoir quelque chose de bon à ce que nous faisons parce que, je voudrais le rappeler bien gentiment au député de Taillon, par des sondages répétitifs, la population du Québec manifeste la plus grande satisfaction à l'égard de notre gouvernement quant à sa façon de gouverner et elle serait prête, si des élections avaient lieu demain, à manifester cette satisfaction en votant massivement pour nous. Je ne veux pas

parler de balayage. Ce n'est pas moi qui utilise ce mot-là et je ne veux surtout pas faire de politique trop partisane avec le dossier linguistique. Mais il n'en demeure pas moins que, quant à notre façon de gouverner, cette façon de gouverner qui ne crée pas beaucoup de remous et qui ne crée pas beaucoup de nouvelles, la satisfaction de la population actuellement est très grande.

M. Filion: M. le Président, je suis un peu déçu de voir que cela fait à peine 30 jours que le nouveau ministre siège au sein d'un conseil exécutif déjà divisé, mais qu'il a pris les travers du premier ministre qui, quand on lui pose des questions en Chambre, nous répond en nous citant les sondages. Je vais vous dire que cela me préoccupe. Ma question, mon appréhension et mes préoccupations étaient bien précises et on va nous répondre en termes de sondages. Je vais vous dire: Des sondages, il y en a un à tous les quatre ans. Ce sont ceux-là qui comptent. Les autres... 1985 comportait son message comme les autres avant. Le prochain, qu'on y soit ou pas, va comporter également des messages. Mais, me faire répondre en me citant que la population est satisfaite alors que, de toute évidence, dans le dossier du projet de loi C-72, le gouvernement du Québec a manqué le bateau - il a manqué le bateau - je vais vous dire que cela m'inquiète pour l'avenir. Soit dit en passant au ministre qui commence à parler de sondage, il faudrait faire attention parce que, sur le plan linguistique - et je n'ai pas de gros sondage dans mes poches - mon flair, mon bureau de comté, ce que j'entends, les gens qui viennent me voir me disent que la communauté francophone et la communauté anglophone, pour ne pas parler des communautés culturelles... J'ai eu l'occasion de citer au ministre ce matin un petit passage de M. Chaar, une des victimes de peinture dans ses vitrines, qui disait: Que le gouvernement se branche! Donc, en matière de sondage, si on commence à s'envoyer des sondages sur le plan linguistique, je ne suis pas sûr que le gouvernement passerait l'examen. Alors, ceci étant dit, M. le Président, ia nature aussi étant ce qu'elle est, je vous inviterais peut-être à suspendre, avec l'approbation de mes collègues, à moins que quelqu'un ne veuille poser une question, pour me permettre de m'absenter une ou deux minutes.

Le Président (M. Baril): Nous allons suspendre la séance, M. le député, pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 21 h 44)

(Reprise à 21 h 50)

Le Président (M. Baril): Alors, la commission reprend ses travaux. M. le député de Taillon.

M. Filion:... ceux qui étaient autour de la table.

Le Président (M. Baril): C'est cela, je parle du tour de la table. La commission reprend ses travaux. M. le député de Taillon.

Langue du commerce et des affaires

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais aborder la question de la langue des services. Pour beaucoup de gens, la langue des services constitue un peu une espèce de caisse de résonance de leur identité. Dans d'autres cas, c'est une source de tensions, de frustration. D'autre part, là comme ailleurs, n'existent pas pour le bénéfice des économistes du gouvernement d'indices Dow Jones, comme je me plais à le dire. Il n'existe pas d'échelle de Richter pour nous permettre d'évaluer les secousses en plus ou en moins pour ce qui est des répercussions de la langue de service et de ce qui se passe.

Pour moi, la langue des services, c'est beaucoup une question de climat, une question d'attitude, une question de volonté gouvernementale, une question de volonté politique affichée, une question d'affirmation de soi comme peuple. Le Conseil de la langue française avait eu cette excellente idée de faire une enquête et de tenter de se doter d'outils d'étude de la langue des services. Malheureusement, il est arrivé une fuite, une fuite non pas sur l'objectif, mais une fuite sur les méthodes. Le début de l'enquête a été compromis, de sorte que le conseil a dû refaire ses devoirs, j'ai l'impression - on me corrigera tantôt - pour trouver une nouvelle façon de procéder et d'étudier la langue des services.

Ma première préoccupation, c'est cette fuite que je trouve particulièrement inopportune. Est-ce que le ministre est en mesure de nous dire aujourd'hui quelle est la source de la fuite qui a occasionné le désamorçage, si l'on veut, de cette enquête?

M. Rivard: Je dois vous avouer, M. le Président, que je suis un peu surpris par la question. J'ai de la difficulté à voir l'importance accordée par le député de Taillon à ce genre de précision. Je peux faire le commentaire suivant, eu égard à la langue du commerce. Lorsqu'un client se présente dans un magasin et qu'il veut faire des affaires dans ce magasin, s'il veut acheter une cravate, une pièce vestimentaire quelconque, nous avons en face de nous une transaction ou l'ébauche d'une transaction et non pas une confrontation. Je veux apporter cette précision, parce que nous allons, sans aucun doute, entrer dans les détails de l'étude, à savoir si on la fait ou on ne la fait pas et quelle méthodologie employer. Mais il faut absolument que je précise la façon dont je vois cette

transaction. Je dis très simplement qu'il est de la responsabilité individuelle du client ou de la cliente qui est d'expression française, parlant français, de demander poliment mais fermement à ce vendeur ou à cette vendeuse qui refuse ou qui semble refuser de s'exprimer en français, de demander fermement et poliment d'être servi en français. Il n'y a aucune espèce de possibilité de reculer là-dessus. C'est un droit que nous avons ici au Québec. Je suis certain que c'est un droit qui nous est reconnu par l'immense majorité des Québécois d'expression anglaise.

D'un autre côté, je me tourne vers la vendeuse ou vers le vendeur, de la même façon que l'a fait M. Don MacPherson, ce journaliste de la tribune de la presse québécoise qui a présenté un article dans le journal The Gazette, le 15 mars dernier. Ce qu'il dit, en résumé - je ne citerai pas l'article car il est disponible, il est facilement retrouvable - il dit au vendeur ou à la vendeuse qui refuse d'accéder à cette demande normale de la part d'un Québécois francophone: Ce n'est pas une façon de faire des affaires. "It is bad business. " Deuxièmement, c'est impoli. "It is impolite. " Je m'arrête là. Il n'y a pas de loi qui va régler ce genre de situation. Ce n'est pas une situation de confrontation, c'est une situation de transaction. Je vous remercie, M. le Président.

M. Filion: Oui. D'abord, quand le ministre dit qu'il n'y a pas de loi, il faut faire attention parce que l'article 5 de la Charte de la langue française est clair. L'article 5 de cette charte est un droit déclaratoire, soit, mais le ministre cite souvent le préambule de la charte et peut-être qu'un petit peu plus tard il va se rendre plus loin et qu'il va citer les premiers articles de la charte. L'article 5 dit bel et bien que les consommateurs de biens ou de services ont le droit d'être informés et servis en français. Mais cela reste un droit déclaratoire dans l'état actuel de la législation. Ce qui m'intéresse et ce qui intéresse les Québécois, c'est que ce droit puisse s'exercer. Une des façons de faire pour qu'il puisse s'exercer, c'est d'étudier le milieu, d'étudier les habitudes, les usages, la situation en matière commerciale. C'était ma question.

Le ministre m'a répondu, quand je lui ai demandé d'où venait la fuite... Je comprends que je n'aurai pas de réponse ce soir, que cela ne l'intéresse pas... Cela ne l'intéresse pas en plus de cela, c'est intéressant. Je trouve intéressant que cela ne l'intéresse pas. Je vais poser une autre question au ministre alors. Est-ce que l'enquête aura lieu? Je ne m'intéresse pas aux méthodes. Je m'intéresse à l'enquête, aux études qui, encore une fois, auront l'avantage de nous apporter des données les plus précises possible dans un secteur qui n'est pas facilement quantifiable. Est-ce que l'enquête aura lieu? Encore une fois, les méthodes, les endroits ou l'échantillonnage, cela ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse... Parce que les avis du conseil, et je tiens à le spécifier, les travaux du conseil - en tout cas, j'ai commencé à lire les avis du conseil et cela remonte bien avant 1986 - de façon générale, ce qui vient du conseil - je le dis sans aucune gêne et c'est la même chose d'ailleurs en ce qui concerne la Commission de protection de la langue française et l'Office de la langue française - ce qui vient du conseil a parfois l'avantage d'être concis. Je dois vous dire que c'est agréable. On apporte un de ces avis chez nous. On se garde la fin de semaine pour le lire et on s'aperçoit qu'on l'a bien lu et qu'on l'a bien saisi en une heure. C'est donc intéressant comme donnée. Pour nous, pour tous ceux qui ont à coeur la défense et la promotion de l'avancement de la langue française, ce sont des travaux qui sont généralement bien faits. (22 heures)

Dans le domaine de la langue des services, il y a beaucoup, je l'ai dit, de frustration, de placotage. Les lettres aux lecteurs, tous les mois à peu près, on en voit une dans les journaux où il est dit: Je me suis présenté à tel endroit et imaginez-vous que je me suis fait répondre en anglais. Quand la personne à qui c'est arrivé prend la peine d'écrire, cela veut dire qu'elle a senti une frustration qui, eu égard à l'article 5 du chapitre II de la Charte de la langue française, est tout à fait légitime. M. le Président, je m'étends un peu dans mes commentaires, mais ma question est simple: Est-ce qu'il y aura une enquête en ce qui concerne la langue des services?

M. Rivard: J'ai dit au début de cette commission parlementaire sur la défense de mes crédits, et je me recite, même si je trouve le geste un peu particulier, que je souscrivais à l'approbation de principe accordée par ma prédécesseure. Je n'ai pas l'intention de revenir là-dessus. Nous sommes d'accord, M. le président et moi, que cette enquête devrait avoir lieu pour autant qu'on trouve une méthodologie qui permette que l'enquête se fasse sans qu'elle ne soit préjudiciable à qui que ce soit.

M. Filion: Est-ce que le ministre peut m'expliquer...

M. Rivard: Attendez. M. le Président...

M. Filion: Je vous en prie, je pensais que vous aviez terminé.

M. Rivard:... je devrais quand même bénéficier d'un peu de temps de réponse. Je comprends que les questions du député de Taillon...

Le Président (M. Baril): Allez!

M. Rivard:... sont brèves, mais il devrait convenir avec moi que, règle générale dans la vie, il est plus facile de poser des questions que de trouver des réponses. Alors, j'ai ce devoir ce

soir de trouver un certain nombre de réponses aux questions fort intéressantes et pertinentes qu'il me pose. Un commentaire: je n'ai jamais dit, M. le Président, et M. le député de Taillon pourra relire la transcription de ce qui se passe ce soir, qu'il n'y avait pas de loi pour couvrir ce chapitre. Je suis heureux de constater que le député de Taillon sait; il confirme que j'ai au moins lu l'article 5 sur les consommateurs de biens ou de services. On a le droit d'être informés et servis en français. Ce que j'ai dit, c'est qu'il fallait aller au-delà de la loi. Ce que le Conseil de la langue française va faire, c'est regarder la situation, et nous avons besoin de cela parce que je suis à la recherche de l'information factuelle la plus précise possible. Nous avons besoin de cela. Une fois que nous l'aurons trouvée, je pense qu'il faudra convenir, de part et d'autre, que, même si nous mettons en place tous les mécanismes voulus avec toute la rigidité législative et réglementaire possible et imaginable en ce bas monde, il n'en demeure pas moins qu'à un moment donné, dans une opération qui s'appelle une transaction et qui n'est pas une confrontation, deux Québécois sont mis en présence; un qui veut qu'on le serve en français et l'autre qui ne réalise pas que, s'il ne le fait pas, "it is bad business and it is impolite". C'est cela que je dis, point final.

M. Filion: D'une part, je souligne très modestement au ministre qu'il m'apparaît y avoir une dimension de son analyse qui manque. Là-dessus, cela fait trois fois que j'entends son "clip", passez-moi l'anglicisme, mais c'est le climat.

M. Rivard: II faudrait demander à M. Pierre-Etienne Laporte s'il n'y a pas un mot français.

M. Filion: Je suis convaincu qu'il y en a un, il m'échappe, mais son...

M. Rivard: Je voudrais attirer l'attention du député de Taillon sur le fait que...

M. Filion:... peu importe, son passage ou son refrain.

M. Rivard:... les journalistes m'ont beaucoup critiqué pour avoir osé employer un terme que j'emploie depuis 25 ans, le terme "compliance", parce que nous n'avions jamais trouvé en médecine de meilleurs mots pour décrire l'obéissance, le respect, la soumission et l'adhésion à un traitement.

M. Filion: Alors, cela va. On n'est quand même pas pour faire de la linguistique ensemble.

M. Rivard: Pourquoi pas!

M. Filion: Je pense que nous ne sommes pas les personnes les plus aptes pour faire ce genre de travail.

La dimension qui échappe au ministre sur tout l'aspect de la transaction commerciale, et j'ai entendu son refrain là-dessus - soit dit tout à fait gentiment sans sens péjoratif - c'est qu'il y a une chose qui s'appelle un climat dans une société et qui est définie en partie par une volonté politique, et cela va bien au-delà des lois. Je le dis depuis deux ans et demi. On adopte des lois à l'Assemblée nationale, on va en adopter d'autres, mais jamais rien ne peut remplacer une volonté affichée, claire et sans ambages. La même volonté, par exemple, pour tout le monde; pas une volonté comme ci pour un groupe et une volonté comme ça pour l'autre groupe, une volonté claire pour les deux groupes, les trois groupes ou les quatre groupes à qui on peut parler. Rien ne peut remplacer ce que j'appelle cette volonté politique qui se mesure curieusement par des actions et, comme on est en politique, des actions politiques et des gestes politiques. Là-dessus, je réfère le ministre sans me citer à ce que j'ai dit dans mes remarques préliminaires: des discours, des mots, ça en prend, il faut que ce soit clair, mais ça prend aussi des actions. Cela ajoute de la crédibilité à nos mots. Lorsqu'on ne fait que parler sans agir, c'est difficile d'être cru.

Ceci dit, sur la langue des services, je comprends qu'une enquête aura lieu. Ma question au ministre est la suivante: Le ministre considère-t-il que les méthodes définies dans le premier projet du conseil allaient à rencontre de quoi que ce soit en termes de préjudice à qui que ce soit, à l'encontre de quelque charte ou droit que ce soit?

M. Rivard: Très simplement, M. le Président, je n'ai pas pris connaissance dans le détail de la méthodologie qui avait été proposée.

M. Filion: Oui, mais vous venez de dire que vous souscriviez à ce que votre prédécesseure avait dit.

M. Rivard: Non, je me répète, alors je vais me citer. J'ai parlé une première fois, je me suis cité une deuxième fois et je me cite pour la troisième fois.

M. Filion: Au complet. M. Rivard: Oui.

M. Filion: Parce que vous l'avez dit dans votre texte.

M. Rivard: Ah bien, à ce moment-là, je vais citer tout le paragraphe.

M. Filion: Oui.

M. Rivard: Quelques commentaires en

terminant ce chapitre - j'étais dans le chapitre du Conseil de la langue française - sur l'intention qu'a le Conseil de la langue française de procéder à une enquête sur la langue des services et d'accueil - c'est important aussi la langue d'accueil - dans les commerces de Montréal, parce que c'est là qu'est le problème. D'une part, je souscris à l'approbation de principe accordée par ma prédécesseure, je suis d'accord pour qu'on fasse l'enquête. Cependant, et le président et moi sommes du même avis, et il pourra s'exprimer, cet accord. n'entraîne pas l'approbation automatique d'une méthodologie qui serait préjudiciable à qui que ce soit. C'est tout.

M. Filion: Alors, ma question est la suivante: Est-ce que la méthodologie...

M. Rivard: Et je continue: J'ai bonne confiance en la sagesse et en l'expertise du comité en cette matière. Les gens du Conseil de la langue française me disent: Nous sommes les experts, faites-nous confiance, M. le ministre, nous avons repris le dossier à neuf, nous examinons la question et nous allons essayer de trouver la méthodologie qui va nous permettre, premièrement, de réaliser l'étude, et je suis d'accord avec eux; deuxièmement, de faire en sorte que cela repose sur les bases les plus socialement et scientifiquement acceptables. Est-ce que je peux aller plus loin que cela? C'est oui.

M. Filion: Oui, mais je pose une question. Une méthodologie était prévue à la première enquête: Est-ce que, oui ou non, vous considérez que la méthodologie prévue à la première enquête était préjudiciable à qui que ce soit, pour reprendre vos termes?

M. Rivard: Réponse: Je ne me suis pas penché sur la méthodologie préconisée lors de la première enquête. Je dis au Conseil de la langue française, tout simplement: Présentez-moi ce projet d'étude, regardons-le ensemble et nous partirons de là, c'est tout. M. le Président, le député de Taillon a mentionné à quelques occasions, et moi de même, que nous manquions d'instruments pour mesurer le progrès de la langue française au Québec. J'ai l'impression encore une fois, étant donné la diversité de ses membres, que le Conseil de la langue française, en s'appuyant sur toutes sortes de compétences qui existent à l'intérieur de l'organisme lui-même comme à l'extérieur, va faire au ministre responsable une proposition acceptable.

M. Filion: Bon. Cela va. J'aimerais beaucoup entendre. Non pas que cette étude des crédits du conseil n'est pas intéressante, au contraire, mais il nous reste peu de temps. Le ministre, par exemple, quand il entre en poste, prend la responsabilité de ce qui a été fait. Cela aurait été intéressant que le ministre se penche un peu sur ce qui a été fait, surtout qu'on ne remonte pas aux calendes grecques, qu'on remonte à il y a quelques mois. C'est une affaire qui a fait les manchettes d'ailleurs. Cela aurait été intéressant de savoir du ministre en quoi, comme sa prédécesseure l'a affirmé, les méthodologies du conseil pour son premier projet d'enquête sur la langue des services, je l'appelle comme cela, était contraire aux droits de qui que ce soit. Mais le ministre m'a dit: Je n'ai pas pris connaissance de cela. J'attends pour l'avenir. C'est une attitude qui consiste un peu à ignorer ce qui s'est passé très récemment. Je ne veux pas renchérir là-dessus. Je prends la parole du ministre. Il dit qu'il n'a pas regardé cela mais qu'à l'avenir il va regarder cela. Ce que je souhaite, vous l'aurez compris aisément, c'est que cette enquête se fasse. Selon ce qui a été porté à ma connaissance, la méthodologie employée pour le premier projet ne me paraissait pas - je n'ai pas eu le détail; j'en ai pris connaissance dans les journaux comme tout le monde - aller à l'encontre des droits de qui que ce soit. Simplement le fait de la fuite, par exemple, entraînait un certain nombre de conséquences qui étaient dommageables d'où, d'ailleurs, ma première question sur la fuite à laquelle je n'ai pas eu de réponse. Je ne sais pas si le ministre veut ajouter quelque chose?

M. Rivard: Vous savez, M. le Président, le Conseil de la langue française pourrait choisir, en me présentant son projet d'étude sur la langue du commerce, de ramener dans le dossier la méthodologie qu'il avait pensé utiliser la première fois. Ce serait son choix s'il le faisait et, à ce moment-là, comme ministre responsable, tout simplement, je regarderais ce projet et j'analyserais avec des conseillers la possibilité de réagir positivement ou non à sa présentation.

M. Filion: Juste par curiosité, M. le ministre, et vous pouvez m'éclairer rapidement, en vertu de quoi le conseil... On vient de parler de son autonomie; on peut en reparler longtemps, mais ce n'est pas en vertu d'une règle de droit. C'est tout simplement en vertu d'une bonne collaboration qu'il informe le gouvernement ou qu'il met le gouvernement dans le pouls de ses projets d'enquête ou est-ce que c'est en vertu... Ah! c'est cela. J'ai la réponse à ma question. Alors, je la retire. On attire mon attention sur l'article 188b et sur l'article 189b qui semblent un peu contradictoires. Je ne sais pas si le ministre peut... L'article 188b, juste pour les fins du Journal des débats, dit: "Le conseil doit surveiller l'évolution de la situation linguistique au Québec quant au statut de la langue française et à sa qualité et communiquer au ministre ses constatations et ses conclusions. " Cela, c'est l'article 188b. Donc, je comprends qu'on n'a pas besoin de l'assentiment du ministre dans ce cas-là, bien que l'article 189b, encore une fois, dit: "Le conseil peut, avec l'assentiment du ministre,

entreprendre l'étude de questions se rattachant à la langue et effectuer ou faire effectuer les recherches appropriées. " La distinction semble mince, mais je comprends que c'est plutôt l'article 189b qui s'applique que l'article 188b.

M. Rivard: On m'informe en plus de cela qu'il y a une dimension financière à la question.

M. Filion: Bon.

M. Rivard: Là, on entre dans des détails techniques.

M. Filion: Oui, d'accord.

M. Rivard: Mais je pense qu'il faut bien... Peut-être me suis-je mal exprimé, mais il faudrait encore que je me cite. Dans le texte que j'ai livré aujourd'hui, j'ai dit qu'il fallait que le conseil jouisse d'une autonomie de bon aloi. En contrepartie, le Conseil de la langue française doit s'attendre qu'à l'occasion le ministre responsable ne soit pas nécessairement d'accord en tout ou en partie avec le contenu d'un avis, et j'aurais pu ajouter d'une étude ou de sa méthodologie. Autrement dit, le Conseil de la langue française étant muni, si vous voulez, connaissant mon accord de principe quant à cette étude, pourrait décider de procéder avec quelque méthodologie que ce soit, faire l'étude, rendre publics les résultats et, par la suite, compte tenu à la fois de l'autonomie du conseil et de la contrepartie que j'exerce, je pourrais déclarer que la méthodologie employée par le conseil ne me satisfait pas. À ce moment-là, à la fois le ministre et le conseil auraient joué leur rôle. (22 h 15)

M. Filion: Avant de terminer, je voudrais dire merci, encore une fois merci aux membres de la commission aussi. Cela a été instructif.

Le Président (M. Baril): Vous avez terminé, M. le député?

M. Filion: Oui, avec l'office. On va maintenant passer à la Commission de protection de la langue française.

Le Président (M. Baril): D'accord. Nous sommes prêts à recommencer? M. le député de Taillon.

Commission de protection de la langue française

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je voudrais souhaiter la bienvenue à Mme la présidente ainsi qu'aux personnes qui l'accompagnent. Comme vous le savez, nous en sommes à cette période annuelle où l'Opposition et les membres des commissions, pas uniquement ceux de l'Opposition, mais tous les membres des commissions, les députés, se réunissent pour examiner les crédits, donc les montants d'argent dépensés par le gouvernement. C'est là un des premiers exercices parlementaires. Nous en sommes à je ne sais trop quelle centaine d'heures d'étude des crédits de tous les ministères. C'est un exercice démocratique qui se fait afin de vérifier à la base le travail, parce que, quand on regarde l'argent, on regarde le travail aussi des organismes.

En ce qui concerne la Commission de protection de la langue française, comme pour les autres organismes et sans aucune réticence, je tiens à signaler que, du côté de l'Opposition officielle, nous ne doutons en aucune façon de la qualité et de la quantité des énergies qui sont dépensées par toutes les personnes directement ou indirectement impliquées dans l'administration de la commission de protection de la langue française. C'est un organisme qui joue un rôle fort important, pas toujours facile, parfois entre l'arbre et l'écorce, entre la loi et la réalité. Tout ceci pour assurer les gens de la commission de notre respect le plus total pour le travail qu'ils effectuent et les encourager à continuer à travailler avec énergie et dynamisme dans des circonstances qui ne sont pas toujours faciles sur le plan politique, mais je n'insisterai pas là-dessus. Je pense que les gens connaissent un peu ma position.

Ma première question s'adresse au ministre. Elle porte sur le visage français de Montréal. Avec ses beaux discours, vendredi, sur l'importance de garder le visage français de Montréal, je voudrais demander bien simplement au ministre comment il peut concilier ses déclarations avec la promesse électorale du parti politique auquel il appartient de ramener l'affichage bilingue. Comment le ministre fait-il pour concilier son discours sur le beau visage français de Montréal et ce qui a été promis durant la campagne électorale?

M. Rivard: M. le Président, je cherche un document que je n'ai pas. J'aurais voulu citer exactement quelle était la résolution d'un certain conseil général du Parti libéral du Québec qui a eu lieu en juin 1985, si ma mémoire est fidèle, et qui parlait de ces choses.

Un visage est fait de beaucoup de choses, vous en conviendrez avec moi, M. le Président. Je pense que c'est simplifier beaucoup trop les choses dans le dossier linguistique, lorsque l'on parle du visage français de Montréal, que de le ramener, le restreindre à la seule partie de la physionomie qui viendrait de l'affichage commercial. Le visage français de Montréal, c'est bien plus que cela. C'est ce dont nous venons de (discuter ensemble, la langue du commerce, la 'langue des services, de quelle façon et en quelle langue vous vous faites répondre lorsque vous montez dans un taxi, dans un autobus, lorsque vous allez dans une banque, lorsque vous prenez le métro, etc. C'est aussi la langue qui est utilisée quand vous faites un appel, quand vous

vous adressez à un service public, à un service parapublic, à un établissement quelconque ou à une entreprise du secteur privé. Le visage français de Montréal, c'est tout cela et probablement plus de choses encore. C'est la langue à l'école, la langue de l'enseignement. C'est tout cela.

Le problème que nous avons - je mets problème entre guillemets - avec le dossier linguistique, c'est qu'on a rapetissé, ramené le dossier linguistique, parfois dans certains milieux, à certains moments, au moment de certains commentaires, à la seule question de l'affichage commercial. Mais c'est bien plus grand que cela. Vous savez, on a employé dans la question de l'affichage dit bilingue toutes sortes de formules. Je vais référer le député de Taillon à une déclaration récente - je reviens à l'afichage commercial - faite par le président du Parti québécois, M. Parizeau. Longue déclaration, long article dans le journal Le Devoir, le samedi 30 avril 1988. Il dit dans cela, et je cite intégralement, il parle de la loi 101: "La clause Québec, le français au travail, il y avait dans la loi 101 quelques piliers centraux et l'affichage me paraissait être un de ces piliers. C'est toujours le cas et je suis heureux d'être capable de m'associer avec autant de gens pour réaffirmer cette nécessité. " J'arrête là la citation. Je vais continuer en vous disant que le président du Parti québécois emploie, pour décrire certains aspects de la loi, le terme "pilier". Pour parler de la façon que je vois la loi 101 dans ce qu'elle a de plus fondamental, j'ai employé le terme "pacte" entre l'Assemblée nationale et la société québécoise, et j'ai dit de façon non équivoque que ce pacte devait être respecté.

Je continue avec la déclaration du président du Parti québécois et je cite toujours l'article qui est dû à la plume de... Ce n'est pas signé mais j'imagine que c'était de Pierre O'Neill: Je reconnais qu'il y a eu - c'est M. Parizeau qui parle - à un certain moment peut-être pas de gros abus, mais certains traits un peu ridicules dans l'application de la loi. " C'est toujours M. Parizeau qui parle: "Je me souviens d'un cas qu'on m'avait mentionné, celui d'une église protestante des Cantons de l'Est qui faisait une vente d'après-midi sur l'herbe, tout l'affichage doit être en français! J'admets que ça fait un peu marrant. Je comprends que, contrairement à ce qu'on dit, le ridicule ne tue pas, mais quand même des fois ça fait mal. Les adaptations, ça ne me dérange pas... " M. Parizeau parle d'adaptation et c'est intéressant. J'ai parlé - je ne connaissais pas le mot - d'ajustement. Il y a des ajustements qui ne me dérangent pas. Il y a des adaptations qui ne dérangent pas le président actuel, démocratiquement élu, du Parti québécois.

Le précédent gouvernement, après avoir rédigé et mis en place cette loi fondamentale qu'est la loi 101, s'est aperçu en cours de route qu'il fallait procéder à de tels ajustements. Le député de Taillon sait mieux que moi à quels ajustements, eu égard à l'affichage commercial et à l'affichage bilingue, je fais allusion. J'irai plus loin, les gens ont oublié que le précédent gouvernement, le 24 juillet 1985, avait prépublié dans la Gazette officielle un projet de règlement qui venait modifier toute une série de règlements adoptés par le gouvernement du Parti québécois eu égard à la Charte de la langue française. Dans ces projets de règlement, en particulier dans la section qui concerne l'affichage commercial, je peux vous donner un exemple de la sorte d'ajustement ou d'adaptation, d'aménagement, que le Parti québécois était prêt à faire à la loi, et je lis - c'était un projet de règlement tout à fait nouveau, prépublié le 24 juillet 1985: Sur un appareil installé en permanence dans un lieu public, la notice d'utilisation - je n'aime pas beaucoup le terme notice, mais j'imagine que c'était le mieux qu'on pouvait trouver à l'époque; je ne sais même pas si c'est français, probablement, de toute façon - peut être à la fois en français et dans une autre langue. Cette exception de fait, qui était dans les cahiers du Parti québécois au pouvoir le 24 juillet 1985 couvre de toute évidence le mode d'utilisation de certains appareils qui ne sont pas appelés à être déménagés facilement ou fréquemment. Je vais vous donner un exemple, M. !e Président, de ce que cela peut vouloir dire. Cela pourrait vouloir dire un affichage en français - sans doute que le Parti québécois, à l'époque, aurait souhaité que ce soit en français prioritaire - prédominant, prioritaire, mais aussi dans une autre langue, et cela aurait pu se retrouver sur des pompes à essence, des ascenseurs, des distributeurs automatiques, des machines à moudre le café dans les marchés publics.

Alors, quand le député de Taillon me pose des questions sur la façon dont nous pourrions envisager ou comment je réagis sur tel ou tel engagement électoral je dis tout simplement ceci, et je reviens au visage français du Québec: Je réaffirme très simplement et très fermement que le visage français du Québec doit être protégé et qu'il n'est pas question pour notre société québécoise, que nous soyons francophones, anglophones ou allophones, de reculer sur cela. Il y a trop de progrès qui a été accompli depuis quelques années pour que nous reculions là-dessus. Je dis, cependant, et le Parti québécois lui-même, en juillet 1985, en convenait - le président du Parti québécois actuel, M. Jacques Parizeau, en convient aussi - qu'il y a probablement des adaptations, des ajustements dans le respect des libertés individuelles de tous les Québécois, quelle que soit leur origine, quelle que soit la langue qu'ils parient dans leur famille.

M. Filion: Oui. Le problème, M. le Président, avec le discours du ministre, c'est que cela n'a rien avoir avec le bilinguisme optionnel, cela n'a rien à voir avec le bilinguisme condi-

tionnel, cela n'a rien à voir avec toutes les déclarations contradictoires qui ont été faites depuis deux ans et demi, 30 mois, par le gouvernement auquel il appartient. Là, au bout de deux ans et demi... Écoutez, c'est conciliable pour moi le visage français avec on ne sait pas quoi. D'ailleurs, on ne sait toujours pas quoi et l'avis du Conseil de la langue française s'applique encore plus que jamais quand le Conseil de la langue française parle de la nécessité d'une politique claire parce qu'on est encore à deux ans et demi du 2 décembre 1985. On est encore à l'étape des discours, des hypothèses, des ajustements, alors que le premier ministre a lancé combien de ballons d'essai, M. le Président, combien de déclarations contradictoires? (22 h 30)

II parlait même de modifier la loi par le biais de règlements. Il a parlé de bilinguisme optionnel et conditionnel. Je pourrais vous en citer pendant quatre pages des déclarations du gouvernement dans lequel vous êtes maintenant à part entière, comme membre du Conseil des ministres, quatre pages et demie de déclarations contradictoires, confuses, ambiguës qui ont créé les attentes dont je parlais plus tôt cet après-midi, des attentes légitimes chez les citoyens. Au bout de deux ans et demi, le premier ministre a toujours le secret de Fatima, et le ministre responsable de la loi 101 ne voit pas de contradiction entre le programme du Parti libéral et le fait de garder le visage français de Montréal. Pourtant, il y avait 25 000 personnes dans les rues de Montréal. D'où l'extrême nécessité, je le répète - il nous reste quelques minutes; j'ai quelques questions précises à poser - pour un gouvernement, quel qu'il soit, peu importe le parti qui sera au pouvoir, d'afficher clairement ses positions en matière linguistique.

Le nouveau ministre responsable de la loi 101 ne peut pas ignorer qu'en étant assermenté il y a 30 jours il faisait partie d'un gouvernement qui a entretenu la confusion dans la population, qui a créé le type de situation que nous vivons présentement. Et, encore ce soir, on ne peut pas voir l'amorce de solutions concrètes. Le ministre fait allusion à des projets de règlements qui ont été prépubliés. Ils sont connus, je vais vous dire, du parti auquel j'appartiens, étant donné que c'est ce parti qui était au pouvoir à ce moment-là.

Il peut faire allusion à autre chose. À un autre moment, on parle du visage français. Ce sont des beaux mots. Ce sont les actions qui comptent pour les membres des communautés. En ce sens-là, vous comprendrez que ces discours, cela fait deux ans et demi qu'on les entend, et que maintenant la population veut voir le commencement du début de l'amorce concrète de ce qu'est la politique linguistique du gouvernement.

Le ministre des Communications, collègue du ministre responsable de la loi 101, disait il y a à peine un an ou quelques mois à un journaliste: Je suis en faveur de la politique linguistique du gouvernement libéral, mais dites-moi, quelle est-elle? Imaginez-vous! Ce n'est quand même pas sur des sujets qui sont secondaires, bien que... On n'est pas pour revenir sur l'interpellation là-dessus. L'affichage, j'ai déjà dit ce que j'en pensais à plusieurs reprises.

Bref, il reste quelques minutes. J'ai...

M. Rivard: M. le Président, si vous me permettez, je pense bien qu'à la suite de cette déclaration qui suivait la mienne je peux et dois intervenir et je le ferai de la façon suivante. Le député de Taillon a écouté avec attention, je le sais, la déclaration que j'ai faite vendredi. C'est une déclaration qui est importante, qui engage le gouvernement du Québec. Cette déclaration, même si vous dites qu'elle ne contient que des mots, est quand même une déclaration fondamentale.

Deuxième commentaire. Nous sommes dans une opération de communication. La population qui nous écoute, la population qui nous entend, soit directement lorsque nous intervenons en Chambre ou bien encore indirectement, lorsque nos propos sont rapportés par les médias, que ce soient les médias écrits, radiophoniques ou télévisés, cette population, je pense, entend de plus en plus le message que je lance depuis le 31 mars dernier, journée de mon assermentation.

La population, c'est un récepteur. J'ai un message. Je ne peux pas blâmer l'Opposition de ne pas avoir encore syntonisé son message par rapport au contenu que je livre dans chacune de mes déclarations. Je ne peux pas la blâmer. Je ne m'attends pas du tout que le député de Taillon me dise soudainement: M. le ministre, quelle belle nouvelle vous venez de nous annoncer! Je ne m'attends pas à cela. Le député de Taillon a employé à un moment donné une expression que l'on entend souvent: volonté politique. En d'autres moments, il a parlé de laxisme. Il a parlé de recul du français sur tous les fronts au Québec. Le député de Taillon, et nous le savons tous, est habile. C'est un fin plaideur. Il est habile et il est capable de faire évoluer le discours. Il le fait très bien. Mais je voudrais lui dire que, lorsqu'il parle de volonté politique, il traduit cela de la façon suivante: Messieurs et Mesdames du gouvernement, faites respecter la loi. Malheureusement, le temps presse et j'ai l'impression que Mme de Fougerolles, présidente de la Commission de protection de la langue française, ne pourra jamais répondre à ces questions que vous brûliez de lui poser.

Je voudrais dire qu'en 1987-1988, la Commission de protection de la langue française a fermé, en matière de dossiers ouverts à la suite de plaintes qui lui avaient été adressées - et la majorité de ces plaintes concernent l'affichage commercial - exactement 3324 dossiers. À ces 3324 dossiers, se sont ajoutés 64 autres qui ont été transmis au Procureur général. Soit dit en passant, une amélioration considérable de ce côté

puisque, en 1986-1987, le nombre comparable était de 123. C'est donc moitié moins de dossiers. Oui, M. le député de Taillon. Je peux vous donner les chiffres: en 1985-1986, il y a eu 249 dossiers transmis au Procureur général, en 1986-1987, 123 et en 1987-1988, 64. Le nombre total, fermetures de dossiers et dossiers transmis au Procureur général, est de 3388.

Savez-vous ce que représente le chiffre de 3324 par rapport au nombre total? Cela représente 98, 1 % de réussite. Cela veut dire qu'en utilisant la technique, l'approche humaine, sinon humaniste qui est la sienne, la Commission de protection de la langue française éduque les gens, les persuade, ne s'amène pas dans les commerces et auprès des commerçants avec ses gros sabots en essayant d'employer des mesures coercitives. Elle éduque. Elle persuade. La Commission de protection de la langue française considère que c'est là sa mission fondamentale et que c'est l'outil le plus intelligent qu'elle puisse utiliser pour remplir son mandat à la plus grande satisfaction de la population.

Je me suis promené dimanche dernier sur la rue Sainte-Catherine. J'ai fait toute la rue Sainte-Catherine, d'Atwater jusqu'à Papineau. J'ai vu de mes yeux jusqu'à quel point, en termes d'affichage commercial, les enseignes, les messages et la rue Sainte-Catherine avaient une apparence, une physionomie française. Cette apparence et cette physionomie font partie de ce qu'on appelle le visage français de Montréal.

M. Filion: Cela va.

Le Président (M. Baril): Est-ce que j'ai le consentement pour continuer...

M. Maciocia: C'est une petite question apparemment sans commentaire...

M. Filion: Oui, c'est cela. C'est une toute petite question qui porte sur... D'abord, il faut comprendre... Il y a des plaintes qui sont formulées par des citoyens. J'ai remarqué d'ailleurs, dans les chiffres qui nous ont été fournis que de très nombreuses plaintes ont fait l'objet de dédoublements, parce que plusieurs requérants ont envoyé la même plainte. Je remarque quand même qu'il y a plusieurs raisons à cela. Je pourrai revenir sur les déclarations faites par la prédécesseure du ministre actuel. Quand même, je dis tant mieux, parce qu'il y a eu un fort dédoublement des plaintes de sorte que l'augmentation est moins élevée, soit de 120 %. J'ai fait la comparaison cet après-midi. Deux années, on compte trois années. Comme moyenne annuelle, c'est une augmentation de 120 %. Ma question est la suivante: Combien de dossiers, parmi les 3324 que vous venez de mentionner, ont été fermés pour situation corrigée? On le sait, M. le ministre, il y a cinq façons de fermer un dossier, et je vous renvoie au tableau 7, notamment, du rapport annuel II y a plusieurs raisons pour fermer un dossier. Je voudrais savoir combien de dossiers sur les 3324 ont été fermés pour situation corrigée.

M. Rivard: Je vais laisser à ma collègue de la Commission de protection de la langue française, Mme Ludmila de Fougerolles, la possibilité de répondre à cette question, elle a toutes les informations.

M. Filion: Non, mais juste avant... C'est parce que c'est important ce que vous disiez.

M. Rivard: Elle a bien compris votre question.

M. Filion: Oui, mais juste avant... C'est important ce que vous avez essayé de glisser tantôt. J'attire votre attention, M. le ministre... Peut-être que vous l'avez fait sans trop le savoir, mais il y a plusieurs motifs pour fermer un dossier...

M. Rivard: Oui.

M. Filion:... situation corrigée, demande non fondée, demande irrecevable, consolidation, regroupement des dossiers d'une même entreprise et autres, articles 176 et 177. C'est dans ce sens qu'il faut toujours faire attention, je pense, pour ne pas envoyer de perceptions qui seraient différentes de la réalité. Déjà, le ministre est très sélectif dans ses perceptions depuis trois jours. Il nous parle beaucoup de la rue Sainte-Catherine et peu des trois régions du Québec que j'ai mentionnées et peu également de l'augmentation de 120 % que j'ai aussi mentionnée. Mais enfin, je pense qu'une sélection naturelle s'effectue à l'occasion. Et je suis convaincu que le ministre en est conscient. Donc, ma question bien précise: Combien de dossiers ont été fermés pour situation corrigée?

Le Président (M. Baril): Mme de Fougerolles. Madame, si vous voulez vous présenter, s'il vous plaît. C'est la dernière question adressée à la commission et j'espère que vous serez la plus brève possible.

Mme de Fougerolles (Ludmila): Ce sera très bref. Je répondrai à M. le Président et à M. Filion que le pourcentage de correction est de 95 %. Donc, je n'ai pas fait le compte sur les 3224 dossiers qui ont été fermés. 95 % ont été fermés pour correction.

M. Filion: Seulement 95 %?

Mme de Fougerolles: Les 95 % ont été fermés pour correction pour l'année 1987-1988.

M. Filion: D'accord.

Mme de Fougerolles: Voulez-vous que je

vous dise en quoi consistent les autres 5 %?

M. Filion: Non, je vais donner avis de l'une de mes questions futures. Quelles sont les façons... On y reviendra, on aura d'autres occasions et je reviendrai...

Le Président (M. Baril): D'accord.

M. Filion:... sur les chiffres...

Le Président (M. Baril): Merci, madame.

M. Filion:... en d'autres occasions, peut-être pas en Chambre, ce n'est pas le bon endroit, mais à l'occasion d'un engagement...

Le Président (M. Baril): Alors, je vous remercie.

M. Filion:... financier ou quelque chose de semblable.

Le Président (M. Baril): Le mot de la fin...

M. Filion: Mais je donne avis au ministre immédiatement.

Le Président (M. Baril): Le mot de la fin, M. le ministre.

M. Rivard: Le mot de la fin, M. le Président, c'est pour remercier d'abord les membres de cette commission et remercier le député de Taillon pour, je vais employer le terme, l'excellent travail que nous avons accompli ensemble. Je pense que nous poursuivons le même objectif, celui de l'épanouissement de la langue française au Québec, mais encore une fois, dans le respect des libertés de tous les Québécois et de toutes les Québécoises. Je voudrais dire merci à mes collaborateurs, à mes collègues, présidents des organismes dont vous connaissez mieux maintenant, je pense, l'importance du mandat et, en particulier dans le cas de l'Office de la langue française, la compétence, l'expertise et l'expérience qui a été acquise dans un dossier fort important qui est celui de la francisation des entreprises.

Mon but, aujourd'hui, M. le Président, en me présentant devant cette commission était de discuter, avec l'Opposition et avec les collègues de ma formation politique, de l'ensemble de la question linguistique et de ne pas ramener le débat à la seule question de l'affichage commercial. Les acquis, en termes de progression du français au Québec, sont réels. Voilà une constatation sur laquelle nous pouvons bâtir. Je vous remercie de l'attention que vous avez portée, M. le Président et chers collègues, à l'ensemble de mes propos.

Le Président (M. Baril): Je demanderais au député de Taillon le mot de la fin aussi, mais sans commentaires s'il vous plaît, afin que je ne sois pas obligé de redonner la parole au ministre.

M. Filion: Oui, très brièvement, M. le Président. L'affichage - je l'ai dit vendredi et je le répète - a à la fois une valeur intrinsèque et une valeur symbolique. Aux deux niveaux, c'est un sujet extrêmement important, peut-être pas le plus important, mais c'est un sujet important, d'une part.

D'autre part, je voudrais remercier, bien sûr, toutes les personnes qui ont passé une partie de leur journée à écouter nos échanges. M. le Président, je voudrais vous rermercier de votre patience et remercier également mes collègues d'en face qui sont intervenus à quelques reprises, mais qui ont surtout fait preuve d'une saine tolérance à l'égard de l'Opposition.

Le Président (M. Baril): Merci beaucoup. Avant de terminer, on se doit d'adopter le programme 5 de la Charte de la langue française en ce qui concerne les crédits du ministère des Affaires culturelles.

M. Filion: Y inclus la Commission de toponymie. J'avais des questions pour ces gens.

Le Président (M. Baril): Adopté?

M. Filion: Ce sera pour la prochaine fois. Adopté.

Le Président (M. Baril): La commission ajourne ses travaux sine die. Je vous remercie beaucoup.

(Fin de la séance à 22 h 46)

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