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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le jeudi 5 septembre 1996 - Vol. 35 N° 14

Consultation générale sur le projet de loi n° 40 - Loi modifiant la Charte de la langue française - ainsi que sur la proposition de politique linguistique


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Table des matières

Auditions

Remarques finales


Autres intervenants
M. Jean Garon, président
M. André Gaulin, président suppléant
M. Daniel Paillé
M. David Payne
M. Geoffrey Kelley
M. Camille Laurin
Mme Marie Malavoy
M. Joseph Facal
* M. Steve Macdonell, Conseil de développement des affaires du West Island
* M. Georges Nydam, idem
* M. Faraj Nakhleh, idem
* M. Maurice Champagne, Cercle Gérald-Godin
* M. Gaston Miron, idem
* M. Pierre de Bellefeuille, idem
* M. Serge Turgeon, UDA
* M. Fabien Béchard, PQ
* Mme Nathalie Lavoie, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Garon): Comme il y a quorum, je déclare la séance ouverte. Rappelons le mandat de la commission, qui est de poursuivre la consultation générale et de tenir des audiences publiques sur le projet de loi n° 40, Loi modifiant la Charte de la langue française, ainsi que sur le document de consultation intitulé «Le français, langue commune: promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec».

M. le secrétaire, y a-t-il lieu d'annoncer des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Facal (Fabre) remplace M. Beaumier (Champlain); M. Gauvin (Montmagny-L'Islet) remplace Mme Frulla (Marguerite-Bourgeoys); et M. Laurin (Bourget) remplace M. Morin (Dubuc).

(10 h 10)

Le Président (M. Garon): Alors, je vais donner lecture de l'ordre du jour, en vue de l'adoption. À 10 heures, nous devons entendre le Conseil de développement des affaires du West Island; à 11 heures, le Cercle Gérald-Godin; à midi, le Dr Jean-Charles Claveau; à 12 h 30, M. Rodrigue Larose; suspension à 13 heures et reprise à 14 heures avec M. Michel Moisan; à 14 h 30, M. Gaston Cholette; à 15 heures, Mme Hélène Cajolet-Laganière et M. Pierre Martel; à 16 heures, l'Union des artistes; à 17 heures, le Parti québécois (permanence nationale); à 18 heures, les remarques finales du porte-parole de l'opposition officielle et de Mme la ministre; et, à 19 heures, ajournement.

Est-ce que vous êtes d'accord avec cet ordre du jour?

Des voix: Adopté.

M. Laporte: Adopté, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Êtes-vous d'accord?

Des voix: Adopté.

Des voix: Oui, oui.

Le Président (M. Garon): Il faut le dire. Je ne peux pas présumer. Il y a seulement la bonne foi qui se présume.

Des voix: ...

Le Président (M. Garon): Ha, ha, ha! Je serais méchant si je disais que ça paraissait.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Mais je ne peux pas dire ça. Ha, ha, ha!

Alors, je convie donc nos invités, le Conseil de développement des affaires du West Island, représenté, on me dit, par M. le président, M. Steve Macdonell. Alors, M. Macdonell, si vous voulez vous avancer et nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vous avez une heure, c'est-à-dire 20 minutes pour faire votre exposé, normalement; 20 minutes pour les députés ministériels; 20 minutes pour l'opposition officielle. Si vous prenez moins de temps, ils pourront se prévaloir, à l'intérieur de l'heure, du temps que vous n'aurez pas pris, si vous prenez moins de 20 minutes. Si vous en prenez plus, ils auront moins de temps pour vous questionner, de part et d'autre. Alors, à vous la parole.


Auditions


Conseil de développement des affaires du West Island

M. Macdonell (Steve): D'accord. Merci, M. le Président. Mme la ministre, MM. et Mmes les membres de la commission, je me présente, mon nom est Steve Macdonell et je suis le président du Conseil de développement de l'Ouest-de-l'Île ou, comme on est connus souvent, du West Island. Je suis accompagné de M. Georges Nydam, qui est le commissaire industriel pour le Conseil, et de M. Faraj Nakhleh, qui est un des membres de notre Conseil, qui est président de Nakhleh Alliances et également directeur exécutif de l'Association canadienne de technologie de pointe pour le Québec.

Nous sommes ici, en principe, pour parler sur trois points, et, pour en venir aux affaires immédiatement, il y a la consultation sectorielle et régionale qui, je crois, est un point; l'Office de la langue française pourrait mettre sur pied des mécanismes pour la consultation sectorielle et régionale. Nous allons discuter un petit peu plus longuement le pourquoi de ça. Deuxièmement, évidemment, nous sommes un secteur de haute technologie et nous voulons également parler de flexibilité vis-à-vis l'utilisation du logiciel en français. Et, troisièmement, les gens d'affaires nous parlent de plus en plus des familles, les familles des employés, qui affectent, évidemment, l'actif de la plupart des compagnies dans notre secteur, qui est un actif qui n'est pas sur les bilans, mais qui est l'actif humain, et ce sont les employés et les familles des employés. Alors, ceci dit, ça affecte évidemment les conjoints et les enfants. Alors, c'est la question de l'école pour les enfants et le travail pour les conjoints.

Avant de passer la parole à M. Nydam, qui va revoir vitement la présentation, j'aimerais vous faire une mise en situation de notre communauté, l'ouest de l'île de Montréal, ou le West Island. Nous avons maintenant une population de 243 000 personnes. Nous avons une croissance annuelle d'à peu près 2,5 %. Nous avons maintenant 86 000 et quelque familles. Nous avons au-delà de 100 000 emplois dans la communauté. Nous avons des revenus familiaux de 5 100 000 000 $ qui sont payés par nos compagnies, et ça, j'exclus le secteur de détail, car nous représentons le secteur industriel et les compagnies manufacturières. Ceci se traduit par un paiement annuel d'impôt provincial d'à peu près 1 000 000 000 $.

Nous avons une communauté dont la perception est qu'on est un ghetto anglophone. Nous avons 75 % de notre population qui est bilingue. Nous avons au-delà de 65 % de notre population qui a un niveau de scolarité de secondaire, collégial, universitaire. Nous avons une concentration d'industries qui sont dans la recherche et le développement, le «R and D», l'aéronautique, le pharmaceutique et la haute technologie. Nous avons très peu de fabrication. Nous n'avons pas de fabrication lourde dans notre secteur.

On a déjà parlé des grappes économiques; je crois que nous avons une représentation des grappes économiques dans notre communauté. Au niveau de l'électronique et des télécommunications, nous avons 5 300 emplois; le pharmaceutique et le médical, 4 800 emplois; l'équipement de transport, 2 900; et les autres, dans les manufactures du secteur, 7 300. Nous avons 21 400 emplois ou de jobs dans ce secteur-là. L'année passée, nous avons créé 2 600 et quelque nouveaux emplois, nous en avons perdu 800, pour un gain net d'à peu près 1 800.

L'ouest de l'île de Montréal est un secteur qui contribue à la CUM. Nous sommes des contribuants très élevés pour l'île de Montréal, nous sommes fiers de le faire et voulons continuer de le faire.

Les propriétaires de nos sociétés. 62 % de nos sociétés sont détenues par des entrepreneurs ou des gens locaux et 38 % sont détenues par des compagnies ou des gens de l'extérieur, et je parle de l'extérieur du Québec, que ce soit le reste du Canada, mais surtout aux États-Unis. Évidemment, avec beaucoup de pharmaceutique, etc., ce sont ou des Américains ou des Européens qui sont les maisons mères. Le 40 % ou le 38 % des compagnies qui sont détenues par l'extérieur représentent 60 % de nos emplois.

Alors, ceci dit, nous avons une mise en situation. J'aimerais passer la parole à Georges Nydam, qui est le commissaire industriel. Nous sommes un organisme qui représente les 13 municipalités de l'Ouest-de-l'Île. Nous sommes un organisme à but non lucratif. Nous sommes financés par les municipalités de l'Ouest-de-l'Île et également par le gouvernement provincial. Nous n'avons aucune commission. Le mandat est de donner de l'assistance aux industries, d'essayer d'amener de nouvelles industries dans notre région, puis, ces jours-ci, des fois c'est de garder des industries dans nos régions, c'est de les aider à prendre de l'expansion, et M. Nydam, c'est son emploi permanent. Moi, je suis banquier commercial et je suis également l'ancien président de la Chambre de commerce de l'Ouest-de-l'Île.

Alors, sans plus tarder, je passe la parole à M. Nydam. Merci.

M. Nydam (Georges): Merci. Thanks, Steve. M. le Président, Mme la ministre, mesdames, messieurs de la commission. Je résumerai très brièvement les points qu'on a faits dans le mémoire qu'on vous a présenté. En parlant avec certains membres, je constate avec satisfaction que vous en avez pris connaissance.

Le premier point qu'on souhaite faire, c'est qu'il y a eu des changements majeurs à la loi 101 en 1993 et ces changements ont transformé un petit peu l'attitude de l'Office et le principe par rapport à la francisation des entreprises. Par ceci, je veux dire qu'elle rend le processus d'une façon dynamique, compte tenu qu'on a maintenant des nouvelles modalités d'application, de suivi, de progression au niveau de la francisation. Dans les contacts qu'on avait avec nos entreprises, on a remarqué que cette dimension est relativement peu connue et peu comprise par les entreprises.

(10 h 20)

Les entreprises, dans notre territoire, acceptent toutes les objectifs de la loi 101. Le degré d'acceptation est très fort parce que, effectivement, à l'intérieur de la loi 101, on reconnaît que dans certains contextes il faut donner à l'entreprise un droit d'opérer dans une langue autre que le français, et ça, c'est par l'article 144.

Les entreprises trouvent que les conditions décrivant leurs opérations par la réglementation sont satisfaisantes et permettent effectivement leurs opérations sur un marché mondial, voire global. Elles ont fait certains commentaires par rapport à l'opérationalisation de la loi, et le premier point soulevé fut un manque de continuité dans le personnel d'accompagnement de l'Office. Les contacts sont de nature irrégulière, on le comprend, mais souvent les personnes qui interviennent changent d'année en année, avec des priorités qui changent aussi avec les personnes. Et ceci met l'entreprise dans une position défensive, et il est donc difficile de travailler en partenariat avec l'Office.

Le deuxième point dont les entreprises nous ont fait part en discutant le document qui accompagnait le Bill 40, c'était le traitement ou l'emphase mise sur l'utilisation de logiciels. Les entreprises s'inquiètent de cette mesure-là ou voient des craintes pour trois raisons, comme on dit. Il y a le coût, mais pas juste le coût de l'acquisition. La majeure partie du coût d'installation d'un système, c'est les frais physiques d'installation et, ensuite, les coûts de formation. La deuxième, c'est que les entreprises s'inquiètent: Qu'est-ce que je fais quand j'ai un système corporatif de la maison mère qui est en anglais? Les responsables de l'Office, souvent, disent: Mais il faut que vous le changiez en français. L'entreprise ne sait pas trop comment réagir face à ça. Et le dernier élément, c'est toujours les habitudes personnelles. Les gens ont pris l'habitude, dans certains cas, de travailler avec certains logiciels. Et, même si on met des versions françaises à côté, ils ne les utilisent pas.

Le point principal dont les entreprises ont fait état touche une petite dimension de la langue d'enseignement. Le document de consultation fait état d'une sensibilité de la part du gouvernement à cet effet-là. Dans ce document, vous proposez de prolonger l'exemption de la fréquentation de l'école française pour des séjours temporaires quand les séjours, quand les durées excèdent six ans. En parlant avec nos entreprises, elles nous informent que cette solution ne répond pas vraiment à leurs besoins. Comme on dit dans le mémoire, le permis temporaire est la solution la moins attrayante pour quelqu'un qui fait appel au recrutement international. Les coûts sont très élevés. Recruter quelqu'un à l'international coûte en moyenne de 50 000 $ à 100 000 $. Les personnes sont souvent appelées à travailler dans des positions stratégiques clés à l'intérieur desquelles on veut avoir une continuité. Donc, on veut que la personne s'intègre à l'entreprise et on veut lui donner une certaine permanence. Et, donc, il y a une préférence pour que les personnes recrutées viennent en tant qu'immigrants. Et les futurs employés aussi, il faut le dire, sont souvent attirés par la possibilité d'un emploi au Canada et d'une résidence permanente au Canada. La seule raison pour laquelle on a tendance, au Québec, à préférer les permis temporaires, c'est parce que ces gens sont souvent anglophones ou non-Canadiens et qu'ils ont une préférence pour l'éducation en anglais.

Nous trouvons la solution de l'extension d'exemption au permis temporaire aussi un petit peu contradictoire comme option parce que, effectivement, ce n'est pas le Québec qui a le pouvoir de statuer sur l'extension des permis de séjour temporaires. Ce pouvoir-là est actuellement au gouvernement fédéral, qui a la mainmise dessus. Et, bien que le gouvernement fédéral affiche une certaine flexibilité aujourd'hui qui était inexistante il y a certaines années, rares sont les cas d'exception où le gouvernement a permis des extensions au-dessus de six, sept ans.

Mais le dernier point, et c'est celui-là qui devient le plus critique actuellement, c'est: si quelqu'un vient au Québec avec un permis de travail temporaire, ceci impose des contraintes aux possibilités économiques du conjoint. Quand on vient avec un permis de travail temporaire, le conjoint et les membres de la famille ne peuvent pas accéder au marché du travail. Or, aujourd'hui, les ménages où les deux personnes ont des objectifs de carrière sont de plus en plus nombreux, et, dans ce contexte, nos mesures actuellement sont discriminatoires un petit peu. Elles empêchent les conjoints d'intégrer le marché aussi librement qu'ils pouvaient. Et, comme les conjoints sont souvent des épouses, les femmes sont ainsi impliquées. Et, donc, la position concurrentielle du Québec dans le domaine du recrutement international est ainsi affectée. Les gens ont un choix: Si j'ai une nouvelle entreprise à établir avec la facilité de recherche, est-ce que je m'implante au Québec ou si je m'implante en Ontario, où je n'ai pas les mêmes contraintes?

Pour cette raison-là, dans les recommandations qu'on fait au Conseil, à l'Office et dans la loi, on veut soulever deux points: la francisation des entreprises et, ensuite, peut-être que l'Office mette sur pied des mécanismes sectoriels et régionaux de consultation pour qu'il puisse y avoir un dialogue et pour qu'on puisse établir des plans d'action régionaux pour agir. Nous demandons un petit peu de flexibilité de l'Office dans le domaine des logiciels pour que les entreprises puissent, avec le temps, réagir. Dans le domaine de la langue de l'enseignement, nous demandons peut-être un petit amendement dans la loi ou dans la réglementation qui aurait pour effet, peut-être en ajoutant à l'article 73 que les enfants dont le père et la mère venant de l'extérieur du Québec et occupant des postes stratégiques au sein de sièges sociaux ou de centres de recherche tels que définis par l'article 144, que ces personnes-là pourraient demander l'autorisation de fréquenter l'école anglaise. Ce dernier point est important pour nous parce qu'il dégage une nouvelle ouverture du Québec face au positionnement global et mondial du Québec comme milieu d'accueil pour les entreprises. Et, donc, c'est une des principales demandes qu'on demande à la commission d'étudier. Merci.

M. Macdonell (Steve): Maintenant, je vais passer la parole à M. Faraj Nakhleh.

M. Nakhleh (Faraj): Nous reconnaissons que l'incidence des mesures que nous suggérons dans le cadre de la francisation des entreprises est limitée. Les entreprises seront mieux impliquées dans le processus et les résultats seront plus concrets. Il en va autrement avec notre recommandation sur la langue de l'enseignement.

Le Québec s'est distingué en matière d'innovation en fiscalité au cours des décennies qui viennent de s'écouler, et des années. On peut citer Desjardins, la Caisse de dépôt, le Fonds de solidarité, la SGF, et ainsi de suite. On peut citer les incitatifs à la R & D, les crédits d'impôt. Nous autres, aujourd'hui, on a 46 % des capitaux disponibles au Canada en matière de capital de risque. Nous avons au-delà de 40 % dans tous les fonds générés, donc 6 000 000 000 $; le Québec en a 2 600 000 000 $. Nous avons effectué plus que 40 % des investissements en capital de risque au Canada l'année dernière, en nombre et en dollars, et le total était de 669 000 000 $. Le Québec a eu un petit peu moins que 300 000 000 $. Alors, ce qu'on veut, c'est, en plus de ceci, vraiment créer un environnement qui est favorable à la famille. On a bien fait pour l'industrie; on veut bien faire pour la famille.

Si Montréal et le Québec veulent continuer à jouir d'une vocation internationale, cet allégement rehaussera notre réputation comme milieu ouvert à l'accueil. C'est une mesure complémentaire à d'autres, telles que les politiques fiscales favorisant la R & D et le visa d'impôt provincial pour les chercheurs étrangers. Elle ne s'appliquerait que dans les cas exceptionnels pour des individus dont la venue aura une forte incidence sur la compétitivité de l'entreprise et, par conséquent, sur la création d'emplois.

Dans plusieurs entreprises, dont Spar, CAE, Astra, Erickson, Pratt & Whitney, Harris Farinon, et autres, toutes entreprises multinationales, certaines québécoises, certaines étrangères, qui ont des mandats mondiaux, la création d'un nouvel emploi scientifique crée d'autres emplois locaux dans la même entreprise. C'est un transfert de connaissances, d'expertises. C'est des emplois de marketing, «product management», «international sales marketing», et ainsi de suite. Et, en plus de ceci, ça crée des emplois dans les secteurs des services que tout le monde connaît, donc les gens qui achètent une auto, les gens qui s'en vont se faire financer à la banque, la TPS, la TVQ, et ainsi de suite.

(10 h 30)

Nous ne demandons pas l'accès à l'école anglaise pour tout immigrant. Nous reconnaissons l'importance de l'intégration des enfants d'immigrants à l'école française, qui est aujourd'hui à presque 80 %, alors qu'elle était, avant 1976 – la loi 101 – à presque 15 %. Mais le milieu scolaire anglais a beaucoup évolué et est plus en mesure d'assurer une certaine intégration au fait français. Sur l'ensemble de la programmation au niveau primaire, 50 % des cours sont maintenant donnés en français. Ces petites mesures atténueraient beaucoup d'irritants, placeraient les entreprises québécoises sur le même pied d'égalité que celles ailleurs au Canada et aux États-Unis dans le domaine du recrutement international. Elles permettraient à nos agents économiques de mettre pleinement en valeur notre potentiel international. Donc, on revient encore une fois, on dit: C'est pour les mesures qui aideraient la famille et qui aideraient la création d'emplois. Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. le Président, merci. Bonjour, M. Macdonell, M. Nakhleh, M. Nydam. C'est intéressant, et d'ailleurs je dois dire que le ton de votre rapport est très mesuré et très positif, donc je vous en félicite. J'aimerais quand même vous poser une question, vous imaginez bien, sur cette dernière question que vous avez abordée, M. Nakhleh, à propos de l'ouverture, en quelque sorte, de l'école anglaise à certains travailleurs ou à certaines familles. Vous préconisez, en effet, une exemption, dans le fond, dans les cas où les travailleurs sont recrutés au niveau international, et vous imaginez bien, quand même, quel genre de questions on peut se poser: Pourquoi pour eux et non pas, je ne sais pas, moi, pour les réfugiés, pour ceux qui fuient leur pays, qui sont accueillis comme réfugiés? Je veux dire, toute la question, c'est effectivement de savoir quel est le degré de discrimination d'une catégorie d'immigrants par rapport à l'autre, pourquoi ceux-ci, pourquoi pas ceux-là, donc une question d'équité, au bout de la ligne.

Parce que vous dites bien, en effet: «Nous ne demandons pas l'accès à l'école anglaise pour tout immigrant. Nous reconnaissons l'importance de l'intégration des enfants d'immigrants à l'école française.» On peut diverger un peu d'opinion sur l'intégration en français qu'assure le secteur anglophone, on peut toujours en discuter, mais c'est plutôt sur cette question d'équité. Ça ne vous pose pas de problème, vous autres? J'entendais bien... Vous dites, par exemple: C'est formidable, et c'est vrai, il y a beaucoup de capital de risque au Québec, la recherche et le développement, les crédits d'impôt, enfin, tout ça est assez favorable comme environnement économique et environnement pour les entreprises à cet égard. Mais, pas ailleurs, vous dites: On devrait rajouter un «incentive» à venir au Québec pour rendre le Québec plus compétitif en permettant cette exemption. Disons qu'en vous écoutant je trouvais déjà que c'était formidable, ce qu'il y avait. Je me disais: Pourquoi rajouter quoi que ce soit? Mais, dans le fond, en termes d'équité, je voudrais vous entendre là-dessus. Par rapport à d'autres catégories d'immigrants, comment vous justifiez, de façon plus précise, cette exemption pour cette catégorie de travailleurs?

M. Nakhleh (Faraj): Je commence par répondre en disant que le gouvernement du Québec a reconnu il y a quelques années que certaines entreprises qui ont un mandat international, un mandat mondial, ont besoin d'opérer en anglais. Et le gouvernement a reconnu ceci dans certains articles de la loi. Je pense que c'est le 553 – en tout cas, vous connaissez sûrement l'article – ou le 144 qui leur donnait le droit de pouvoir opérer dans d'autres langues s'ils avaient un centre international. Ce qu'on veut, c'est juste de pouvoir élargir cette latitude, si vous voulez, à ce qu'elle aille vers la famille et les enfants.

Pourquoi ne pas extensionner ces règles aux réfugiés? Pour commencer, on ne peut pas accepter tous les réfugiés qui viennent chez nous. C'est déjà un autre problème que nous avons. Et, deuxièmement, si on commence à donner d'autres exceptions, on pourrait n'en plus finir. On est ici, des gens d'affaires qui parlons de création d'emplois et qui parlons d'ouverture qui est déjà faite par le Québec sur les marchés internationaux. Alors, ce que nous voulons, c'est juste que ce soit une décision d'affaires. Et on ne peut pas vraiment adresser tous les autres sujets pour voir le pour et le contre. Nous pouvons faire de quoi pour les réfugiés, mais je peux vous dire déjà: Si vous commencez à regarder les réfugiés, pourquoi pas les autres catégories? Il y a toutes sortes de catégories qui pourraient vraiment être là. Alors, on parle juste d'équité envers le Québec, envers l'économie du Québec, et de création d'emplois.

Mme Beaudoin: Mais... Oui? Pardon.

M. Nydam (Georges): Mme la ministre, si vous me permettez de compléter, le Québec fait déjà une certaine distinction, comme vous êtes au courant, pour favoriser la venue d'une catégorie spécifique de scientifiques. Le Québec leur accorde déjà un crédit d'impôt pour le Revenu provincial. Vous faites déjà cette distinction-là pour cette catégorie d'individus. Nous disons: On ne veut pas créer une distinction entre catégories, on veut juste faire reconnaître... On a tous les attraits qu'on offre aux entreprises, mais là on leur présente, avec ce petit irritant... et c'est un petit irritant, O.K. C'est un irritant qui s'applique peut-être dans 50 cas par année, 75. Ça ne s'applique même pas dans le cas d'une personne qui vient, qui a des enfants de quatre, cinq ans.

Malheureusement, dans les catégories d'individus qu'on recrute, ce sont des individus dans la quarantaine. Ces gens-là ont des enfants qui ont l'âge de 12, 14 ans. Ces personnes-là ont aussi des épouses qui ont des visions de carrière. Oui, vous leur permettez de venir en tant que résidents temporaires. Vous obligez l'épouse à rester sur une tablette, à faire du bénévolat. Vous empêchez les enfants d'être intégrés ici. Donc, uniquement dans ce contexte-là, on se dit: On fait déjà un traitement spécial pour une certaine catégorie de gens, on le fait ici. Le Québec fait aussi un traitement spécial pour tout immigrant qui veut venir, un immigrant d'affaires qui dépose 250 000 $. On a des principes reconnus que certaines gens ont certains privilèges à cause des bénéfices économiques que nous espérons en tirer. Et je juge que dans ce domaine-là, ici, les entreprises jugent que cette petite restriction mérite d'être retenue.

Et on ne demande pas que ce soit ouvert à d'autres immigrants, on ne demande pas que ce soit ouvert aux immigrants investisseurs, on ne demande pas d'autres choses, on dit juste: Les gens que les entreprises recrutent pour travailler au sein – et même pas dans n'importe quelle fonction – des sièges sociaux et des laboratoires de recherche qui sont reconnus par l'Office dans le cadre de l'article 144, que ces gens-là puissent avoir le droit de demander de fréquenter l'école anglaise.

Mme Beaudoin: Merci, M. Nydam.

Le Président (M. Garon): M. le député de Prévost.

M. Paillé: Oui. Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de vous revoir, ayant déjà été chez vous au cours de la dernière année. Vous avez, dans le ton du mémoire, un certain nombre de termes que j'ai remarqués, qui parlent de climat d'affaires, qui parlent de mobilité, qui parlent de capacité et de recrutement, qui parlent de flexibilité et d'humanité, de discrétion. Bon. Vous semblez vouloir... Dans le fond, c'est ma question d'essayer de voir... Vous dites: Il faut des règles fermes, bien établies. Vous êtes d'ailleurs à l'image du Conseil du patronat d'hier, vous dites: Les entreprises affichent une grande volonté à vouloir respecter les énoncés des lois. Je pense que vous êtes des citoyens corporatifs de premier ordre. Mais, dans le fond, est-ce que je comprends bien en disant que vous dites: Mettez des mesures fermes, correctes, connues, mais c'est dans l'intégration, c'est dans la capacité de bien les appliquer avec le temps, de bien les connaître... C'est un peu ce qu'on a fait en augmentant les périodes d'intégration pour la formation professionnelle, pour l'équité en emploi, pour... Bon.

Est-ce que, au niveau de la langue... Vous dites: Ça fait 19 ans. Là, on est toujours dans ce débat. Vous parlez de petits irritants. Dans le fond, vous êtes assez... Je trouve juste un terme que vous avez utilisé, vous dites que c'est malheureux de recruter des gens dans la quarantaine. Je ne trouve pas ça malheureux de recruter des gens dans la quarantaine, mais...

(10 h 40)

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Nydam (Georges): Je voulais dire: C'est magnifique.

M. Paillé: Mais, dans le fond, ce que vous nous dites, c'est: Il faut une grande flexibilité. Et vous voulez que l'on vous crée un climat, que l'on puisse continuer à créer un climat, j'allais dire libéral, oui, qui fait en sorte qu'on laisse l'entrepreneur entreprendre. Et, moi, je suis très sensible aux remarques que vous faites concernant les emmerdes administratives du Conseil, ou de l'Office, ou d'autres organismes. Je pense que, ça, c'est bien entendu.

Donc, j'aimerais ça être certain que ce que vous nous dites, c'est qu'on a fait énormément d'efforts. Puis, ça, peut-être que vous pourriez le dire plus fort, d'ailleurs, au niveau de la fiscalité, au niveau de la réglementation, au niveau des programmes qu'on a diminués beaucoup, au niveau de la langue, où on n'a pas l'air trop, trop Tupamaros. Ça, je pense que vous devriez peut-être nous aider à augmenter l'investissement au Québec, mais je voudrais être certain, là, que, pour vous, c'est vivable et que c'est bien intéressant.

Une question plus pointue que je voudrais vous poser tout de suite parce que je veux céder la parole, après, au député de Vachon, c'est: Vous nous dites d'entrée de jeu, au deuxième paragraphe, que tout votre mémoire est à la suite de consultations avec les entreprises de votre milieu. J'aimerais ça, savoir quand vous avez fait cette consultation-là et qui a été consulté, quel a été le degré de réponse, juste pour que je puisse me faire une idée de... «C'est-u» trois plans de programmes de démarrage ou si c'est toute la gang qu'on connaît chez vous?

M. Macdonell (Steve): O.K. Merci. Votre premier point, de faire savoir un petit peu plus les avantages extraordinaires de faire affaire ici, au Québec, et plus particulièrement dans le West Island qu'on représente, nous avons eu récemment un colloque avec quelque 330 sociétés qui sont venues se joindre à nous pour une journée. M. Ménard était l'un de nos conférenciers à cette présentation-là, qui était au mois d'avril, je crois, mai... C'est très malheureux, on avait 330 compagnies qui étaient là, qui travaillaient – en anglais, on dit des «work-shops» – pour ressortir les avantages de faire affaire à Montréal ou de faire affaire au Québec. C'est extraordinaire, les avantages qu'on a. Le numéro un qui ressort un peu partout, c'est la main-d'oeuvre, la loyauté de la main-d'oeuvre. Nous sommes une des seules villes en Amérique du Nord où il y a quatre universités, à Montréal. Je peux tous les réciter. Ceci dit, les médias n'ont pas ramassé beaucoup. Malheureusement, on n'est pas les seuls qui ont, des fois, des problèmes avec les médias. Alors, on partage avec vous cette situation-là.

Pour la consultation, c'est un processus qu'on a commencé à l'automne. Nous avons visité... M. Kelley, qui est ici, qui est notre député, s'est joint à nous pour plusieurs de ces visites-là. Il y a eu différentes manières. Ils ont visité 153 compagnies, individuellement, pour consulter avec elles. C'étaient des consultations qu'on a faites avec les trois paliers de gouvernement, c'est-à-dire qu'on a pris les maires locaux qui s'appliquaient, le monde provincial et le fédéral, et évidemment nous, pour discuter de situations où on pouvait les aider. Alors, M. Kelley peut témoigner de ces visites-là, il était avec nous. Avantage Montréal était un regroupement, avec 330 compagnies qui sont venues, qui ont passé une demi-journée, et encore... Le but de l'exercice, c'était de ressortir les avantages. Pour ressortir des avantages, il faut, des fois, reconnaître des désavantages; on met ça sur une balance et, évidemment, on essaie de vendre.

Quand on parle aux chefs d'entreprise, leur compétition, eux autres... De plus en plus, on s'en va vers des mandats mondiaux, les sociétés. Leur compétition, c'est leurs confrères ou consoeurs qui sont chefs de file en Irlande, ou en Caroline du Sud, en Amérique du Sud, et eux également veulent le même mandat. Alors, c'est un débat qui se fait à l'intérieur de leur société, où les présidents des pays différents de cette société-là doivent s'asseoir devant leur conseil et expliquer pourquoi cette société-là devrait investir au Québec, ou en Irlande, ou en Caroline du Sud, etc., et quels sont les avantages. Tout le monde, évidemment, sort ses avantages. Il faut dire qu'on en a beaucoup, d'avantages, et l'expression anglaise «the proof is in the pudding»... on en a beaucoup de sociétés qui sont ici, et ce n'est pas pour rien. On a un climat très favorable pour elles et on a une qualité de vie qui est extraordinaire.

Alors, là, on arrive à un point qui ressort maintenant, c'est le recrutement à l'international. Les compagnies, premièrement, c'est la dernière place où elles vont chercher. On a parlé tout à l'heure d'environ 100 000 $ qui sont dépensés pour recruter ailleurs quand on peut... On a cinq universités, ici. La main-d'oeuvre, normalement, pour la majorité de leurs besoins, est ici. Mais, ceci dit, le recrutement à l'extérieur, où il y a des grosses dépenses, va chercher une dépense importante au niveau de la compagnie, et c'est quelqu'un qui ne rentre pas à un niveau inférieur. C'est quelqu'un, normalement, qui rentre à un niveau assez haut placé et, comme on dit, qui crée un nucléus d'emplois. Sans cette personne-là qui peut gérer le projet, il n'en existe pas de projet de recherche pour ce qu'elle recherche. Alors, la compagnie est prête à investir de l'argent pour la personne, elle est prête à donner de l'argent pour l'investissement du projet même, mais on a besoin de quelqu'un qui a la capacité de le faire et on entoure cette personne-là avec une équipe. Et c'est évident qu'après ces investissements-là on veut garder ces personnes-là ici, au sein du Québec.

M. Paillé: Je suis content de voir que votre sondage est légèrement supérieur à ce que le Conseil du patronat a fait pour tout le Québec. Je vous en félicite. Mon cher collègue.

M. Payne: Il reste combien de temps?

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon, il reste cinq minutes.

M. Payne: Merci. Ma question concerne la formation et la relève, la formation de notre main-d'oeuvre ici, au Québec. Parce que, si on regarde... vous avez soulevé... les industries en aérospatiale... Je me souviens de Pratt & Whitney, il y a 20 ans, ici, en commission parlementaire, des prétentions à l'effet que c'était presque impossible d'avoir une main-d'oeuvre suffisamment qualifiée ici, au Québec, et peut-être que c'était avec raison. Ils avaient raison. Je les ai rencontrés souvent, le Dr Laurin souvent également. Et ce qu'on voit maintenant, c'est qu'il y a une radicalisation incroyable. J'en sais quelque chose parce que je suis député dans un endroit où la compagnie Pratt & Whitney se trouve et massivement ils recrutent au Québec maintenant. CAE vient de créer 500 nouveaux emplois en haute technologie, avec une construction à ville Saint-Laurent pour à peu près 15 000 000 $.

Vous dites que le climat est très favorable pour les affaires. Pouvez-vous aller un peu plus loin là-dedans? Vous dites également que le français est là pour rester. Vous appuyez la force du bill 101. Ce n'est pas le témoignage du milieu anglophone que nous entendons souvent. Je voudrais que vous puissiez élargir un peu sur... Qu'est-ce qu'il y a qui fait en sorte qu'il y a un climat d'affaires favorable? Et peut-être surtout mettre l'accent sur la façon – si vous la croyez vraie – dont vous considérez que le français peut être un atout au climat au Québec.

M. Macdonell (Steve): Oui, merci. On pourrait en discuter longuement. Comme je l'ai dit, il y a beaucoup de points. Étant natif et résident du Québec, j'aimerais commencer peut-être avec la joie de vivre. Ceci dit, quelqu'un qui est à l'extérieur du Québec ne la connaît pas, puisqu'il ne vit pas ici.

Ce qui ressort primordialement, c'est la qualité de l'employé, c'est la fidélité de l'employé. Je vous donne une cotation d'un chiffre. Il y a à peu près cinq ou six ans, la mode était d'aller en Caroline du Sud ou au Mexique. On avait M. Perot, aux États-Unis, qui se présentait pour la présidence et qui disait que les jobs étaient pour être sucées au Mexique si le libre-échange se faisait. Une compagnie s'est levée devant un de nos regroupements d'Avantage-Montréal avec nos chefs de file et a dit: Nous, nous venons de fermer une entreprise en Caroline du Sud et l'autre au Mexique et nous avons regroupé les deux à Drummondville. Tout le monde arrêtait là, c'était contraire à ce que les médias disaient. Il a dit: C'est très simple, notre «turnover» pour les employés au Québec est de 3 %. Aux États-Unis, le «turnover» est de 15 % et, au Mexique, il est de 15 % par mois. L'investissement dans un employé, eux, c'est à peu près 18 mois pour qu'un employé devienne endoctriné dans les façons de cette compagnie-là. Pour eux, le Québec représentait un endroit où la fidélité de l'employé était très importante, et la preuve était là.

(10 h 50)

De plus en plus, dans l'industrie, la main-d'oeuvre n'est pas une composante énorme. Avec la haute technologie, avec les robots, la mécanisation, le pourcentage de dépenses en main-d'oeuvre devient de moins en moins important sur le bilan ou l'actif de revenus et de dépenses. Alors, c'est important que les employés qui sont là aient une fidélité et, même si on paie un petit peu plus cher ici qu'ailleurs, ce n'est pas une composante critique pour eux.

Alors, ça, c'est un point où il est question de fiscalité, il est question de qualité de vie, il est question de l'international. Les compagnies européennes qui veulent venir ici pour une porte en Amérique du Nord... Nous sommes métriques. On l'oublie, mais on est métriques, ici. Les compagnies européennes qui veulent s'implanter en Amérique du Nord, si elles vont aux États-Unis, l'équipement, les manuels, etc., doivent être traduits: ils ne comprennent pas le métrique. Alors, voilà un autre avantage que, nous, on ne voit pas. Évidemment, les investissements ici, le terrain, la construction, etc., ce sont des prix qui sont raisonnables si on se compare à d'autres villes internationales.

Et ça me ferait plaisir de vous envoyer une copie ou un résumé de tous les avantages. On se sert, nous autres, de ça comme cheval de bataille. Nous, notre job, c'est de promouvoir des emplois et c'est de promouvoir des emplois dans l'Ouest-de-l'Île, dans le Québec. On est des vendeurs du Québec. Nous autres, on essaie de détourner le négativisme.

M. Payne: C'est remarquable. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Merci. Maintenant, le temps dévolu au parti ministériel est écoulé. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. M. Macdonell, M. Nakhleh et M. Nydam, j'ai trouvé que votre présentation était excellente, et il y a deux questions sur lesquelles j'aimerais revenir.

La première. Écoutez, j'ai une expérience de 25 ans dans l'aménagement du statut du français au Québec. La ministre le sait, M. le Président, elle me l'a fait savoir à plusieurs reprises, elle me l'a rappelé à plusieurs reprises, souvent dans des termes qui n'étaient pas toujours des termes affectueux, n'est-ce pas, mais enfin, on n'est pas du même côté de la clôture. Et depuis que je me suis engagé dans cette tâche, je n'ai cessé d'entendre, année après année... faut-il dire «décade après décade»? Je pense qu'il y a un petit problème avec «décade» versus une autre catégorie qu'utilise le Canada. Non, ce n'est pas «décennie», c'est quelque chose de plus... c'est plus spécifique que ça.

Une voix: ...

M. Laporte: Non. On entend toujours, M. le Président, cette même demande, cette même expression, ce même souhait, cette même expression de difficulté, et qu'on a entendue ici. On nous dit... Et, moi, je suis très sensible à cette demande-là – je ne sais pas exactement quelle est la façon d'y répondre encore – sur ce que vous nous avez dit au sujet des séjours temporaires, des conséquences que ça peut avoir sur les parents, des conséquences que ça peut avoir sur des enfants qui sont, à cause de leur âge, placés dans des conditions de ce qu'on pourrait bien appeler une discontinuité de la socialisation scolaire. Ce n'est pas facile, ce n'est pas facile d'arriver ici avec une fille de 12 ans et de devoir lui faire subir cette discontinuité.

Les couples à deux carrières... Écoutez, moi, ce que je... Et j'entends la réaction de la ministre, M. le Président, c'est toujours la même réaction. Il y a des problèmes d'équité. J'en conviens, les décisions gouvernementales sont toujours basées sur des «trade-offs», sur des marchandages. Mais faut-il vraiment marchander? Si on le fait pour les spécialistes, qu'allons-nous faire pour les réfugiés? Bon. Ce n'est pas nouveau, j'entends ça depuis 25 ans. Je ne me lève pas à tous les matins avec cette question-là, évidemment, mais disons que j'y ai pensé beaucoup.

Il me semble que, ce qui nous aiderait beaucoup, MM. du Conseil de développement des affaires du West Island, c'est que vous tentiez, au cours des mois qui viennent, d'illustrer ces situations difficiles par des cas, par des études de cas pour éclairer le gouvernement là-dessus. Je ne sais pas si on en arrivera à une décision qui vous conviendra. Le Conseil du patronat nous a dit hier qu'il était satisfait de l'ajustement qu'on vient de faire sur les cinq ans en passant aux six ans, et ainsi de suite. J'ai vu ces ajustements. On est parti de trois ans, je pense, à l'époque où le Parti québécois a passé la loi... C'est peut-être quatre ans. Je me rappelle d'une conférence de Bernard Landry aux HEC, où on avait discuté de cette question-là. Bon.

Je pense que vous devriez tenter d'illustrer les difficultés à la fois professionnelles, humaines, pédagogiques que peuvent éprouver les parents dont vous parlez parce que... Et un autre argument qu'on va nous ramener et qui n'est pas un argument sans valeur, c'est que les gens vont vous dire: Écoutez, c'est tout un avantage de pouvoir exposer son fils ou sa fille à une nouvelle langue, à une nouvelle culture compte tenu de ce qu'on sait sur la performance cognitive des enfants bilingues. Et lisez les études de Wallace Lambert, ils performent mieux cognitivement que les enfants unilingues, toutes conditions étant égales. Par ailleurs, donc, il y a des avantages. Mais, d'un autre côté, il y a ces problèmes humains sur lesquels on revient continuellement et auxquels, moi, je suis sensible. On ne peut pas entendre dire des choses comme ça 25 ans de temps en présumant que les gens qui les disent sont complètement sans rapport avec la réalité. Ça n'aurait pas de sens, quoi.

Évidemment, il y a une suggestion sur laquelle je voudrais réagir et ça, c'est, à mon avis, un des problèmes fondamentaux de la loi 101. J'en ai souffert, M. le Président, vous ne savez pas jusqu'à quel point. C'est que la loi 101 est une loi fermée qui ne donne pas aux dirigeants administratifs de plus haut niveau, en plus qu'au gouvernement, un pouvoir de discrétion qui lui permettrait, dans l'intérêt public, disons, de favoriser des exemptions. C'est une loi qui est très, très fermée. C'est Joshua Fishman qui a déjà dit ça dans un article. C'est une loi qui est... «It is a closed law because it is an ideological law.» Je pourrais vous donner la référence, M. le Président. Je ne sais pas si ça serait ça, la solution, mais j'aimerais que nos invités réagissent, parce que je les ai entendus, j'ai beaucoup entendu répéter ce qu'ils ont dit par d'autres et il me semble que...

Ce que je leur demande, c'est: Est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de... Je ne demande pas qu'ils le fassent maintenant, mais d'illustrer ces situations humaines difficiles et professionnelles difficiles et conjugales difficiles, M. le Président, parce que la fréquence, la prévalence des couples à deux carrières augmente d'une façon fulgurante à l'échelle du monde occidental et même dans les économies émergentes. Donc, est-ce que ça serait possible qu'à un moment donné vous illustriez cette problématique dans le but d'établir avec nous un rapport pédagogique là-dessus? Parce que c'est complexe, et je me demandais si c'était une suggestion qui était recevable.

M. Macdonell (Steve): Oui, c'est très recevable. Comme j'avais dit au début, nous avons fait quelque 150 visites, et auxquelles M. Kelley a assisté avec nous. Il l'a entendu, comme on dit en anglais, «from the horse's mouth». C'est évident qu'il y a des sociétés et des individus dans la société, il y en a beaucoup, qui ne veulent pas commencer de guerre. M. Kelley était là, présent, témoin, et une compagnie nous a dit qu'elle avait 65 ouvertures d'emplois et qu'elle ne pouvait pas trouver des gens pour ces emplois-là. C'était dans un niveau de recherche assez spécifique. La compagnie avait dépensé au-delà de quelques centaines de milliers de dollars en recrutement ou en essai de recrutement, et c'étaient des postes qui étaient libres ici. Et la décision se faisait si elle devait continuer son expansion ou si le temps était venu de peut-être regarder pour ouvrir quelque chose ailleurs. Alors, oui, on a des cas qu'on peut documenter, et on va s'efforcer de vous fournir ces informations-là.

(11 heures)

M. Laporte: Mais, M. le Président, si vous le permettez, je ne suis pas en train de faire du théâtre, là, je ne suis pas en train d'essayer d'être sentimental. Quand je dis que j'ai souffert là-dessus, M. le Président, j'ai souffert là-dessus. J'ai eu un jour une visite à mon bureau d'un spécialiste d'un grand hôpital montréalais; c'était un Chinois, venu de Pékin, qui était le plus grand spécialiste au monde en matière de prothèses de hanche. Il m'a dit, dans son français tout à fait compréhensible mais peu grammatical, n'est-ce pas: M. le président, si vous n'arrêtez pas de me faire passer les tests de l'Office de la langue française, tests de français écrit, je vais quitter le Québec. Je n'arrive pas à me qualifier sur cette norme, M. le président. Je n'y arrive pas. J'ai dit: Dr Chan, je vais essayer de voir s'il y a moyen de faire quelque chose. J'ai regardé la loi, on ne pouvait rien faire là-dessus, pas d'exemption, pas d'exception. Je suis revenu chez moi le soir, j'étais profondément déprimé. Trois mois après, j'ai appelé l'hôpital en question et je leur ai demandé: Puis-je parler au Dr Chan? – qui donnait, entre autres, 150 communications par année à l'échelle mondiale. On m'a répondu: On regrette, mais le Dr Chan, il a quitté il y a trois semaines. Là, j'étais déprimé parce que j'ai des parents, moi, qui ont besoin de prothèses de la hanche, et, lui, c'était le meilleur pour leur en fournir. Et, à ma connaissance, il est rendu en Georgie. Donc, je ne dramatise pas, là: il y a un problème, M. le Président.

Mais je voudrais poser une autre question à nos invités sur cette question des logiciels, sur l'article 52.1. Cet article est inspiré par les meilleures intentions, je l'ai dit, je le répète et je le répéterai, mais ça pose un certain nombre de petits problèmes mineurs que vous avez bien signalés dans votre texte. J'en mentionnerai deux. Comme vous l'avez mentionné, dans le cas des entreprises dont les centres de décision sont hautement centralisés et qui achètent du matériel informatique à l'échelle mondiale – les décisions sont prises à Tokyo, les décisions sont prises à Séoul, les décisions sont prises à Oklahoma, les décisions sont prises à Houston, elles ne sont pas prises à Montréal – il va falloir une décentralisation. La commission Gendron en avait parlé, de cette question-là. Il va falloir décentraliser la structure de décision administrative pour qu'on puisse en arriver, en ce qui concerne les systèmes d'exploitation, à appliquer l'article. Parce que vous vous imaginez, je comprends bien, en autant qu'il en existe une version... J'ai compris tout ça, je l'ai lu 45 fois, votre article, M. le Président, au moins, mais il va falloir que ces entreprises-là se lancent dans une quête d'information qui n'est pas une quête d'information habituelle. À Séoul, se mettre à fouiller les systèmes d'exploitation pour savoir s'il y a des versions qui existent en français, ce n'est pas tous les jours qu'on fait ça. Donc, il y a un problème.

Il y a aussi un autre problème que vous signalez très bien. Vous dites dans votre texte: Ces habitudes sont difficiles à changer. Mais je vous rappelle, messieurs, que nous sommes devant un gouvernement qui aime faire ce que William Sumner appelait «breaking the cake of customs». Ils sont assez bons là-dedans d'ailleurs – avec un certain nombre d'effets qui parfois sont un petit peu, comme on dit, douloureux pour les gâteaux qu'on brise – ils sont assez habiles là-dedans, M. le Président.

Et la question que je me pose, et c'est sur ça que je veux vous entendre... Moi, je pense que cet article-là peut être applicable, disons, à des coûts, à un prix raisonnable. Si l'Office de la langue française devait adopter – et ça, on ne le retrouve pas dans le document de consultation, j'en reparlerai ultérieurement – une stratégie qui reconnaisse ces complexités des nouveaux systèmes de production, qui privilégie une communication intensive avec les clientèles et qui soit suffisamment disponible pour se déployer à l'échelle mondiale, là où il faut vraiment faire comprendre aux décideurs pourquoi le Québec agit comme il agit... La question que je vous pose, c'est: Si l'Office avait une stratégie, disons, de proaction superintelligente là-dessus, si vraiment il était géré par un superlogiciel, en français évidemment, est-ce que vous ne pensez pas qu'on pourrait y arriver, comme je le disais tantôt, à moindre coût? Je ne dis pas qu'il n'y aurait pas de difficultés, mais que ça serait, disons, viable. Est-ce que vous avez compris ma question?

Mme Macdonell (Steve): Oui, j'ai compris votre question. La question des logiciels, c'est une question de logique, c'est un question de bon sens. La plupart des sociétés ont les logiciels de tablette, de détail, le Lotus, le WordPerfect, qui sont, évidemment, disponibles dans les deux langues. On parle de logiciels spécialisés, on parle de logiciels très spécifiques, et il y a des logiciels qui ont été créés par la compagnie ou par la société même. C'est ces logiciels-là qui sont utilisés sur un système mondial. On croit que la loi le couvre parce qu'il n'est pas disponible en français, il a été créé dans une langue. Il y a des questions de compétitivité, surtout dans le biomédical, où on peut faire des recherches pour des compagnies.

Ici encore, je reviens peut-être aux pharmaceutiques qui doivent passer pour l'approbation canadienne et qui doivent avoir également l'approbation de la FDA. Le Canada est une des meilleures places au monde pour faire ce genre de recherche là, les recherches de phase I, II, III et IV. Et faire de la traduction, ça devient non compétitif pour faire les travaux ici. Là encore, c'est une question de logique, et on parle des logiciels très spécifiques. Et, à ce qu'on me dit, dans le logiciel, c'est un problème qui va probablement disparaître de lui-même d'ici quelques années. On parle d'avoir des logiciels qui vont faire la traduction de tout langage en n'importe quelle autre langue, parce que ce n'est pas une question d'anglais et français, c'est une question de communiquer. Toutes les compagnies veulent communiquer avec leurs clients, point final, sur une base mondiale. Alors, la technologie, on n'y est pas rendu, on y arrive, et on espère y arriver d'ici une dizaine d'années.

M. Laporte: Mais, M. le Président, je voudrais avoir leur opinion là-dessus. Pensez-vous que le maître d'ouvrage, là, l'Office de la langue française, pourrait, là-dessus, adopter un comportement de gestion de la complexité qui ferait que, finalement, on pourrait s'en tirer à assez bon compte?

Mme Macdonell (Steve): Oui, on croit que c'est très possible et on...

M. Nydam (Georges): Si vous permettez, effectivement, nos entreprises, dans l'ouest, ont été inquiètes quand elles ont entendu parler des positions du bill 40. À cet effet-là, comme on l'a fait dans d'autres mesures de ce gouvernement, comme, par exemple, le bill 90, comme on le fait actuellement avec la loi sur l'égalité salariale, nous, on prend toujours les moyens préventifs. On a rencontré les gens de l'Office pour nous faire expliquer le concept du bill, les mesures, les modalités. Et effectivement dans les rapports que les entreprises ont eus avec l'Office, il n'y a jamais vraiment eu, dans le passé, une confrontation. Il y a eu des difficultés, mais l'Office a, dans le passé, fait preuve d'une certaine diplomatie, plus ou moins à certains égards, mais on ne s'attend pas à ce qu'il y ait des confrontations là. L'Office a utilisé beaucoup de discrétion dans ses mesures, et, comme nous en faisons état dans le mémoire, le gouvernement a dit: Ils vont s'impliquer pour que les logiciels puissent être disponibles et puissent se traduire. Tout ce qu'on demande, c'est que, dans ce contexte-là, l'Office soit patient et qu'il suive l'évolution technologique. Est-ce que ça doit se faire par une réglementation ou un article de loi? C'est vous qui en êtes juges, pas nous.

M. Laporte: Merci. M. le Président, il nous reste combien de temps?

Le Président (M. Garon): Trois minutes. M. le député de Jacques-Cartier.

(11 h 10)

M. Kelley: Je n'ai pas vraiment besoin de poser beaucoup de questions, parce que j'ai des contacts très fréquents avec ces gens, mais je veux souligner une couple de choses sur le travail que le Conseil de développement des affaires de l'Ouest-de-l'Île a fait et continue de faire. C'est un groupe bénévole et, je pense, je veux souligner ça, M. Macdonell est trop modeste, mais il n'est pas seulement président du Conseil, il est également président de notre hôpital local, il est vice-président de notre cégep, alors c'est quelqu'un qui fait énormément de contributions à sa communauté, et tous les membres du Conseil sont les mêmes gens. M. Nakhleh et moi, notre prochain rendez-vous, c'est sur le terrain de soccer samedi matin parce que les équipes de nos fils vont se confronter. Alors, M. Nakhleh est également impliqué dans les activités sportives de l'Ouest-de-l'Île. Alors, l'engagement que ces personnes ont...

Le colloque qu'ils ont tenu à Dorval, le 8 mai, de mémoire, sur les avantages de Montréal, était formidable. Et, moi, j'ai été très déçu que la seule personne qui n'ait pas parlé des avantages de Montréal ait été le ministre de la Métropole, qui est venu discuter de la Constitution, ce que j'ai trouvé un drôle de choix parce que c'était vraiment un événement et c'était...

Chapeau! surtout à M. Macdonell, qui est un grand optimiste. Au mois de janvier, quand le Conseil a convenu d'organiser ce colloque, c'était dans la période postréférendaire, et il y avait des personnes un petit peu plus pessimistes, mais M. Macdonell a toujours jugé que c'était très important de continuer le travail de vendre Montréal. Le colloque était formidable, et je veux juste publiquement saluer le Conseil pour cette journée excellente, et tous les avantages étaient là.

Je veux juste souligner en terminant que, dans la tournée que nous avons faite, effectivement, le recrutement demeure un problème. J'ai visité un autre endroit, où il y avait 25 emplois, mais d'autres technologies. C'était dans un centre de recherche minier. Il y a 25 postes à combler faute de... Ils ont fait les efforts, ils ont mis des annonces dans les journaux à travers l'Amérique du Nord pour trouver le monde pour venir ici, mais ce sont des chercheurs dans la quarantaine qui ont des enfants qui sont des adolescents, et la question de l'école joue dans tout ça. Alors, je ne sais pas si le modèle proposé par le Conseil ou autre peut régler le problème. Je peux constater que ce n'est pas une crise majeure, mais, quand même, ça complique la vie des personnes, surtout dans les centres de recherche. Il y en a plusieurs dans mon comté qui font des choses extraordinaires et, je pense, un transfert de connaissances vers le Québec très intéressant. Et, s'il y a moyen de trouver une solution à ça, je pense que, comme Québécois, on a tout intérêt à le faire.

Alors, je veux juste, en terminant, remercier mes voisins, encore une fois, pour leur présentation, et on va continuer de travailler ensemble sur les dossiers qui touchent la région de l'Ouest-de-l'Île. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Je remercie les porte-parole du Conseil de développement des affaires du West Island... Oui?

M. Nakhleh (Faraj): Est-ce que je peux me permettre, M. le Président, de faire deux petits commentaires très vite?

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Nakhleh (Faraj): On est un petit peu victimes de notre propre succès. Nonobstant le taux de chômage qui est à 12 % au Québec, le taux de chômage dans l'industrie où la recherche est très importante – technologies de pointe, aérospatiale, télécommunications, biotechnologies – est très bas. Nos universités, nos centres de recherche, tout ce qui est des incitatifs fiscaux ont aidé là-dedans. Notre problème maintenant, c'est la pénurie entre l'offre et la demande. On a plus de postes disponibles que de personnes disponibles pour occuper ces postes. Donc, il faut aller piger à l'extérieur. C'est vraiment là une conséquence directe ou indirecte de notre réussite.

Alors, c'est pour ça qu'on est ici, c'est pour ça qu'on regarde... M. Paillé a mentionné qu'il faut le dire plus souvent. M. Kelley a parlé d'Avantage Montréal. Vous savez bien que je gagne ma vie en essayant de promouvoir les investissements au Québec. D'ailleurs, on s'est rencontrés avec M. Landry lors d'un projet de 40 000 000 $ qui a été mis sur pied à cause du Fonds de développement technologique du Québec. Mais le problème que nous avons, c'est qu'il faut aller piger ailleurs. Pour aller piger ailleurs, il faut avoir... il faut être un peu... je ne veux pas dire plus ouvert, mais il faut être un peu plus flexible en ce qui concerne ce secteur qui est vraiment le secteur qui a le plus de croissance au Québec depuis plusieurs années. Et je dois vous dire que 80 % de nos entreprises technologiques exportent plus que 80 % de leur chiffre d'affaires. Donc, notre marché est à l'extérieur, et c'est là où on peut avoir la croissance. Merci.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie de votre contribution à cette consultation, et je demande maintenant aux porte-parole du Cercle Gérald-Godin de s'approcher de la table des délibérations.

M. Macdonell (Steve): Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Merci. Alors, M. Champagne, qui est porte-parole du groupe, si vous voulez présenter les gens qui vous accompagnent. Vous disposez d'une heure, c'est-à-dire que, normalement, vous prenez 20 minutes, les députés ministériels auront 20 minutes et les députés de l'opposition auront 20 minutes. Vous pouvez prendre moins de temps; à ce moment-là, nous disposons de plus de temps pour vous interroger. Ou, si vous en prenez plus, ils auront moins de temps pour vous interroger. Alors, à vous la parole.


Cercle Gérald-Godin

M. Champagne (Maurice): M. le Président, Mme la ministre, Dr Laurin – nous n'oublions pas qu'une partie du Québec qui s'est développé depuis 1977 est un peu et beaucoup votre enfant grâce à la loi 101 – Mmes, MM. les députés de l'Assemblée nationale, je voudrais d'abord vous remercier de nous entendre et profiter de l'occasion pour souligner aussi que ces commissions parlementaires sont une institution extraordinaire de la démocratie québécoise. On n'en parle peut-être pas assez souvent. Je suis accompagné dans cette présentation de Gaston Miron, à ma droite, le poète de la «Marche à l'amour», comme on le présente souvent; et de Pierre de Bellefeuille, journaliste et ancien député, disons, de franche critique et aussi d'autocritique. Denis Bouthillier ne peut être avec nous – c'est un des membres les plus actifs du Cercle – de même que Denis Monière, qui est en Europe.

Nous avons tous une assez longue et intense expérience des droits linguistiques. Je me rappelle, entre autres, avoir été ici en 1974, quand nous avions fait le fameux regroupement contre la loi 22, loi qui, quand même, affirmait que le français devait être la langue officielle du Québec. Mais les temps ont bien changé. À ce moment-là, dans le regroupement, il y avait même les évêques qui étaient avec nous et un certain Michel Robert.

Le Cercle Godin est un groupe qui a été formé il y a un an et demi pour témoigner, à l'image de Gérald, de la pensée, de la parole et de la souveraineté. Nous ne lui sommes pas serviles; il ne nous le pardonnerait pas, c'était un homme et une personne politique trop libre. J'ajoute que, Miron et moi, nous sommes deux écrivains. C'est important, par les temps qui courent, de préciser que nous sommes écrivains. Nous ne sommes pas membres de l'Union des artistes et nous ne sommes tributaires d'aucun pouvoir subventionnaire. Je ne lirai pas notre mémoire, que vous avez sans doute lu plus d'une fois, et je suis très mauvais pour lire des choses.

J'ajoute que nous avons clairement indiqué, Mme la ministre, avec tout le respect que nous portons à votre fonction, et au gouvernement, et à l'Assemblée nationale, que nous ne commenterons pas comme tel le projet de loi n° 40, notamment parce que nous croyons que ce qu'on a appelé... ce qui est devenu la police de la langue, c'est un piège trop facile, qui comporte une certaine indignité finalement et qui déjà se retourne contre nous et contre vous.

Nous sommes ici pour parler au gouvernement et aussi parler à l'Assemblée nationale parce que nous croyons que les propos que nous tenons et la substance de notre mémoire comportent des questions fondamentales non partisanes. Nous sommes ici pour parler du fond du problème et de la solution linguistique. Nous sommes ici pour parler de questions de légitimité linguistique et de souveraineté linguistique. Et je signale tout de suite que, sur le plan des questions de légitimité et de droit, le Québec nous paraît très faible depuis longtemps. D'ailleurs, c'est la Cour suprême elle-même qui nous a reproché, en 1988, dans le fameux jugement, de ne pas savoir affirmer et protéger nos droits.

(11 h 20)

D'abord quelques remarques sur le fond du fond, je dirais, le rapport légitimité et légalité. C'est une question essentielle au Québec en ce moment, même avant le fondement même de la question linguistique. À cet égard, si nous pouvons ouvrir une parenthèse pour féliciter le gouvernement de la décision qu'il a prise hier dans l'affaire Bertrand... Le rapport légitimité et légalité est fondamental. Ça suppose qu'au Québec on distingue les droits au pluriel du droit au singulier. Notre système juridique, depuis des années, vit d'une confusion, de la confusion héritée de la greffe des Chartes sur notre système de droit. Nous avons sacralisé, à cause des Chartes et de bien d'autres éléments, les droits individuels au mépris des droits collectifs. La langue, c'est un droit collectif fondamental comme l'information, comme la communication. Et, quand nous entendons des gens se plaindre dans leurs droits individuels, il faudrait aussi rappeler que, si l'exercice des droits individuels est possible dans une société, c'est parce qu'il y a des droits collectifs qui les supportent, n'est-ce pas.

Et, de ce point de vue là, nous notons dans notre mémoire une incohérence, j'en parle tout de suite, fondamentale, qu'il faudrait corriger. C'est que notre Charte des droits et libertés, qui est notre loi suprême à nous, ne contient pas les principes fondamentaux de la loi 101. Ça, c'est une question majeure. Il faut absolument trouver le moyen de corriger la Charte des droits – ça nous paraît être une recommandation majeure de notre mémoire – pour y inscrire les droits collectifs de façon beaucoup plus explicite, pour y inscrire les droits linguistiques de la majorité et des minorités. Nous avons des affirmations sur ces droits-là dans la loi 101, mais nous ne les avons pas. Alors, il ne faut pas s'étonner que les tribunaux nous reprochent de n'être même pas cohérents vis-à-vis de notre Charte à nous, qui est la loi suprême du Québec.

Et les droits dont nous parlons, ils appartiennent au peuple. Ils n'appartiennent pas aux Nations unies. Je pense que nous n'avons pas à avoir peur, le peuple québécois, de définir nos droits, de les déterminer. Et il faudrait que le gouvernement, comme la collectivité, comme nos leaders, dise: C'est assez, le slogan canadien qui nous rappelle la primauté du droit. Oui, dans le sens où on le rappelle, dans le sens où M. Rock, entre autres, le rappelle. Oui, la primauté du droit s'il s'agit d'affirmer la primauté du droit contre la force, et ça, nous en sommes, et combien, et comment!

Mais, s'il s'agit d'affirmer la primauté du droit dans le sens de la primauté de la légalité contre celle de la légitimité, non. Et nous demandons au gouvernement, à l'Assemblée nationale, à nos leaders de savoir porter la légitimité québécoise au-dessus de la légalité canadienne et de ses tribunaux. Et ce n'est pas n'importe qui, d'ailleurs, qui nous rappelle que les droits de l'homme... C'est la citation de Gregory Baum, théologien anglophone, juif allemand converti, venu dans notre culture, qui nous rappelle – et je pourrais citer pendant des heures des gens d'éthique, de morale, de philosophie – très concrètement que les droits de l'homme ne reposent pas sur des concepts juridiques, mais d'abord sur des principes d'éthique. Et c'est ce que nous voulons essayer de défendre devant vous aujourd'hui.

La légitimité québécoise linguistique, elle est multiple et elle est riche. C'est la légitimité, d'abord, de notre statut de peuple. Il faut ne jamais cesser de le redire: la langue et notre statut de peuple sont indissolubles dans les fondements de la légitimité québécoise. La loi 101 est légitime, elle est parfaitement légitime. Et, je le répète, une des faiblesses du Québec, c'est de n'avoir pas su suffisamment affirmer la justification éthique de cette loi 101. C'est Gregory Baum qui l'affirme, et combien d'autres: le premier caractère de la loi 101, et nous ne l'avons pas assez dit, c'est d'être un programme d'accès à l'égalité, c'est d'être un «affirmative action program» qui doit découler, justement, des principes fondamentaux qu'on doit inscrire dans une charte.

La majorité québécoise a cette caractéristique particulière d'être une majorité minoritaire. Il faut le rappeler aux Nations unies. Nous ne sommes pas du tout impressionnés par les décisions du comité des Nations unies qui nous a traités comme une minorité, et on sait pourquoi. Nous sommes une majorité, mais minoritaire sur ce continent, minoritaire dans un rapport sociolinguistique de 1 à 50. Les individus le vivent, ce rapport-là, on le vit partout dans un rapport à l'anglais, non seulement à l'anglais sur ce continent, mais à l'anglais comme langue d'une culture moderne de masse, de technologie. Même nos bibliographies de collèges sont remplies d'ouvrages anglais. Nous sommes dans un rapport de David à Goliath, et ça fonde pleinement le droit de David de s'affirmer d'une façon particulière. Et c'est pourquoi nous disons dans notre mémoire: Oui, qu'il y ait des bilans sur l'état de santé périodique. Qu'on nous fasse aussi, à l'occasion, un peu de chantage sur l'exode de gens qui quittent le Québec, mais nous pensons que la légitimité de la langue française au Québec est telle que la protection exceptionnelle que nous lui avons donnée avec la loi 101 et qu'il faudra toujours maintenir, cette protection doit être permanente, Mme la ministre. Permanente. Surtout si nous voulons que ce peuple se développe et s'affirme. Le peuple québécois, c'est une civilisation.

Et nous pensons aussi, quand nous sommes devant vous, ici, et que nous vous demandons ces choses, à l'économie québécoise. Si la civilisation québécoise doit s'affirmer dans le monde, et c'est un des éléments majeurs de la souveraineté, elle doit le faire dans une langue et dans une langue qui facilite aussi clairement la situation économique. Nous pensons que rien n'est plus dangereux actuellement, justement, pour l'économie que l'incertitude linguistique qui vient s'ajouter à l'incertitude politique et constitutionnelle. Nous distinguons les deux. Nous sommes pour que le Québec se développe sur le plan économique, et il faudrait d'ailleurs peut-être investir là-dessus. Entre parenthèses, il faudrait peut-être aussi investir pour aller faire des démarches auprès des Nations unies. Les peuples qui veulent être souverains font beaucoup de démarches, avant d'accéder à leur indépendance, auprès des Nations unies. Ce serait peut-être plus rentable d'investir là que d'investir dans la surveillance d'une politique linguistique qui est devenue malheureusement trop délabrée avec une loi 101 que nous appelons, hélas, «La Charcutée».

Légitimité de la loi 101, légitimité du peuple québécois, légitimité de l'affichage. Ce qu'est l'affichage, nous le disons clairement en page 4 de notre mémoire. Ce n'est pas un symbole. Nos adversaires sont souvent très subtils. Baum le souligne, d'ailleurs. Ce n'est pas un symbole, l'affichage. C'est un conditionnement quotidien, collectif, à l'exercice des droits individuels, c'est une stimulation permanente à l'exercice des droits individuels, c'est l'environnement linguistique quotidien, c'est l'extériorisation de l'identité qu'on porte en soi depuis des siècles. Et l'affichage bilingue a quelque chose, je dirais, de ridicule, d'humiliant et de contradictoire pour les immigrants que nous voulons intégrer au peuple québécois, pour qu'eux-mêmes d'ailleurs aient une promotion sociale plus grande. C'est le grand argument de Marco Micone, la promotion sociale des immigrants via la loi 101.

C'est un message contradictoire, l'affichage bilingue, c'est un double message. Nous le disons, je n'insiste pas, mais il est contradictoire pour les immigrants. Nous voulons qu'ils s'intègrent à la majorité et nous leur donnons deux stimuli, et nous rappelons que ces deux stimuli sont eux-mêmes contradictoires. C'est le stimulus de la langue de David et de la langue de Goliath. Et, pour que David ne choisisse pas Goliath et pour que David soit lui-même avec sa langue, il lui faut sa souveraineté, il lui faut son statut de peuple.

(11 h 30)

Et c'est pourquoi, Mme la ministre, M. le Président, les députés des deux côtés de la Chambre, notre recommandation principale – elle est dans notre conclusion... Nous ne sommes pas les seuls, d'ailleurs. Vous avez dû entendre, au Point , Me Henri Brun qui a parlé d'un référendum sur la légitimité québécoise, notre statut de peuple. Nous recommandons, pour clarifier les choses, pour sortir du bourbier linguistique, un référendum urgent sur les fondements de la souveraineté que sont notre statut de peuple, notre identité et la pleine maîtrise de nos droits linguistiques, la pleine compétence de décider de la langue sur le territoire québécois.

Nous ne demandons pas un référendum sur le choix d'un régime politique. C'est malheureusement une distinction qu'on n'a pas assez faite dans l'histoire du Québec depuis plusieurs années. Il y a les fondements de notre droit à l'autodétermination, c'est notre statut de peuple. Et le droit à l'autodétermination, ça ne se confond pas avec l'indépendance. C'est le droit de choisir de changer de statut politique, ce n'est pas le choix de ce statut politique. Et nous pensons que ça redonnerait de l'espoir aux Québécois s'il y avait un référendum, dont on sait, par plein de sondages, qu'il serait gagnant et qui aurait comme avantage énorme, et tous les juristes vont vous le dire... Peut-être qu'ici, bien sûr, notre système de droit... On connaît les rapports entre le droit positif et le droit international, il y a des écoles de pensée là-dessus, mais les principales écoles nous disent que le droit positif, le droit interne prime sur le droit international. Sauf que, sur cette question, si nous avions un référendum et s'il était gagnant, le lendemain la communauté nationale nous reconnaîtrait. Nous serions forts en droit international. Nous ne serions plus la minorité sur laquelle les Nations unies veulent travailler, nous serions reconnus comme majorité, comme peuple. C'est notre recommandation principale.

Quelques mots, avant de conclure et de revenir aux autres recommandations, sur quelque chose qui est très délicat, dont il est délicat de parler. Vous en avez reconnu le problème, Mme la ministre, en écoutant les gens à cette commission parlementaire, c'est le problème des rapports entre la minorité anglophone et la majorité francophone. Ce n'est pas un Québécois anarchiste, extrémiste qui écrit ce qui suit: «À cause du caractère asymétrique de la Confédération canadienne, d'un mépris et d'une hostilité héréditaires et du fait qu'ils n'ont jamais eu besoin d'institutions pour protéger leur langue, les anglophones du Canada, même les mieux intentionnés, sont généralement incapables de comprendre la situation du Québec et l'importance de la Charte de la langue française. S'ils devaient se laisser culpabiliser par cette attitude négative, les Québécois feraient preuve d'une irrationalité qui pourrait compromettre l'avenir de leur culture...» C'est Gregory Baum, théologien-éthicien de l'Université McGill, qui nous parle.

Nous avons entendu à cette commission des choses incroyables au sujet d'une minorité qui se dit victime dans ses droits, alors qu'elle est la plus protégée au monde non seulement par des droits, mais par des privilèges, alors que nos propres minorités francophones hors Québec sont en voie d'assimilation. J'ai assez voyagé au Canada, j'ai assez parlé au Canada pour savoir et pour connaître la situation de ces minorités.

On nous parle d'ethnocentrisme au Québec. Parlons-nous franchement: ce n'est pas la majorité qui souffre d'ethnocentrisme. Et il faudrait qu'on établisse la distinction une fois pour toutes entre l'ethnicité, qui est une chose normale – la réalité québécoise, elle est multiethnique – et l'ethnocentrisme, qui est une attitude, justement. Il y a de l'ethnocentrisme dans l'attitude des gens de la minorité, ou de quelque minorité que ce soit, qui voudraient que la majorité cesse d'exister comme telle et qu'on ne puisse pas, même pas en parler.

Mme la ministre, Dr Laurin, mesdames et messieurs, on a l'impression depuis le 30 octobre que la majorité est seule, qu'elle ne peut même plus affirmer son identité. On est gênés d'être nous-mêmes. Être nous-mêmes, ça veut dire qu'on est contre les autres. Mais ce n'est pas ça, au contraire. Je pense qu'il en va d'une société comme d'un individu. Un individu est ouvert aux autres dans la mesure où il peut être lui-même, dans la mesure où il peut dire qui il est. Est-ce qu'on peut le dire, qui nous sommes? que nous sommes une majorité? que nous sommes le coeur du peuple québécois? Ça ne nous empêche pas d'être ouverts, au contraire.

Je relis ce qui est à la page 7. Si on parle de légitimité, il faut parler des devoirs. Il n'y a pas que la majorité qui a des devoirs, la minorité anglophone en a aussi. Nous disons que, si nous considérons strictement la légitimité du peuple québécois et du Québec français, encore une fois au-dessus des options partisanes qu'implique le choix d'un nouveau régime politique pour le Québec, il faut dire les choses telles qu'elles se présentent et depuis trop longtemps déjà: il est temps que dans la minorité anglophone on cesse de se comporter comme le fer de lance d'un Canada anglais hostile et méprisant pour le Québec; il est temps que dans la minorité anglophone on accepte démocratiquement que la majorité québécoise se comporte comme une majorité – qu'on cesse de nous culpabiliser, comme le dit Baum, et bien d'autres; il est temps que dans la minorité anglophone on cesse d'édifier un mur entre la majorité, les autres minorités et les immigrants, en combattant par la résistance ou le mépris l'intégration au Québec français. Il est temps qu'on cesse de se servir des immigrants comme des otages.

Et il y a une règle éthique: Si le peuple québécois inclut tous les gens de quelque origine, de quelque culture que ce soit, ça suppose que, de l'autre côté, on soit solidaire ou, à tout le moins, qu'on accepte. Inclusion-solidarité, c'est une règle éthique fondamentale, ou inclusion-acceptation réciproque.

Ce serait si simple, des fois. Nous nous le disions hier en venant ici. Il y a des fois des gens qui parlent d'amour. Ce serait si simple si les gens de la minorité anglophone nous donnaient la main, un jour, en disant: Nous acceptons que le Québec soit français, nous acceptons de faire des efforts pour vivre dans le Québec français. Est-ce que nous en avons, des droits? Nous avons nos institutions, nous avons notre culture, et nous leur dirions davantage d'ailleurs que leur culture fait partie de la nôtre. Je pense qu'on n'est pas mesquin là-dedans, je pense qu'on est ouvert. C'est le problème de fond, c'est un problème d'attitude et c'est un problème éthique.

Nous en sommes, il y a quelque chose qui, sur le plan éthique et sur le plan des droits, est plus important encore que le rapport entre l'individu et la collectivité, entre majorité et minorité, c'est ce que nous appelons la relation entre les droits individuels et collectifs. C'est le «nous» relationnel, le «nous» québécois pour lequel M. Bouchard, notre premier ministre, se bat avec tellement de vigueur, et de conviction, et d'éthique. Ce «nous» relationnel, nous savons très bien que nous sommes prêts à le faire triompher et à le développer. Nous sommes là pour ça aujourd'hui, c'est ce que nous vous demandons. Quand il n'y aura plus de problème pour notre affirmation ou pour notre sécurité et quand, de l'autre côté, on nous acceptera, on pourra enfin passer à autre chose et peut-être développer un Québec économique et politique prospère.

(11 h 40)

Notre conclusion et les recommandations, rapidement, qui sont à la page 9 de notre mémoire. J'ai déjà dit... Miron me fait penser à quelque chose de fondamental sur lequel on pourra revenir dans la période de questions. Une des raisons pour lesquelles il est important de modifier la Charte des droits et, d'ailleurs, pour que le gouvernement ait l'occasion d'amener le Canada et les tribunaux à confronter la Charte canadienne et la Charte québécoise, c'est notamment à cause du rapport langue et liberté d'expression. Il est quand même invraisemblable qu'une cour suprême décide, par le biais du «commercial speech»... Incidemment, je vous rappelle que 92 %... les moyens des anglophones de faire leur commerce sont bien au-delà des règles de l'affichage. Quand une cour suprême, au nom du «commercial speech» qui protège des individus plutôt que des collectivités, nous dit que la liberté d'expression vient avant la langue, je m'excuse, c'est un sophisme quelque part. Il faut une langue. Il faut pouvoir s'exprimer pour choisir, pour exercer la liberté d'expression. Et le droit individuel à la liberté d'expression des Québécois, il sera grand, il sera possible dans la mesure... comme pour les minorités. D'ailleurs, c'est un autre sophisme de poser les droits des minorités et les droits de la majorité en termes de droits individuels et de droits collectifs. Une minorité, ça existe comme une majorité, à partir de ses droits collectifs. Bon, je ferme la parenthèse là-dessus.

Notre conclusion, Mme la ministre, M. le Président: Le Québec sera français ou il ne sera plus. Il faut voir les choses telles qu'elles sont. Il faut voir les choses dans la situation de Montréal, où, hélas, des gens autorisés commencent même à parler de deux majorités. C'est urgent, c'est urgent, le référendum, pour assurer notre légitimité et notre statut de peuple et nos droits linguistiques.

On présente la question linguistique actuellement au Québec comme si on était déjà dans un Québec coupé en deux. Il est déjà assez coupé en deux sur le plan social, sur le plan économique; est-ce qu'on va le couper en deux sur le plan de la question linguistique, sur le plan de nos droits fondamentaux? Nous vous demandons ce référendum encore une fois pas sur le choix d'un régime politique, mais sur notre statut de peuple et sur la pleine compétence, et nous savons que ce référendum serait gagnant, vous le savez vous-mêmes par des sondages. Il redonnerait espoir et nous donnerait des pouvoirs devant la communauté internationale. Les avantages en sont énormes. Ça coûtera moins que tout ce que nous sommes obligés de vivre en coûts sociaux, en coûts économiques sur d'autres plans. Vous savez, il y a quelqu'un qui a dit ici, et nous en sommes: Vaut mieux administrer une loi claire et ferme qu'une loi trouée, où on est obligé de recourir à toutes sortes d'expédients.

Les autres recommandations de notre mémoire sont à la page 10. Nous vous demandons humblement – je pense que nous ne sommes pas les seuls – de retirer le projet de loi n° 40, de modifier en profondeur la Charte des droits et libertés de la personne, notamment pour qu'il soit clairement inscrit tous les principes qui font de la loi 101... et ça vous sera une occasion, n'est-ce pas, au gouvernement, d'amener la Cour suprême – au besoin, d'amener d'autres tribunaux – à comparer les deux chartes. Surtout, ça donnera une cohérence, et on ne pourra plus nous reprocher, les tribunaux, que le Québec viole sa propre Charte avec la loi 101.

Et il est possible, dans des choses très précises, Mme la ministre – nous sommes là pour travailler, si vous le voulez, avec vous là-dessus, sur ce plan, des jours et des nuits, bénévolement... Il est très possible, entre autres, de modifier l'article 9.1, qui est un des articles majeurs de la Charte des droits, pour y préciser le rapport langue et liberté d'expression en fonction du rapport droits individuels et droits collectifs.

Nous demandons une révision en profondeur de la loi 101. Nous ne nous attardons pas aux détails, pour revenir à l'essentiel, avec toutes les protections qu'il faut donner aux minorités, aux exceptions que nous sommes capables de faire et qui étaient déjà, et qui sont déjà, et qui pourraient être renforcées. Mais nous demandons surtout d'éliminer de la loi 101 cette opération très habile qui a été faite, cette opération d'infiltration par la loi 86, qui, sous le couvert de l'affichage, est venue modifier pas moins de 85 dispositions de la loi 101. Toutes ces modifications peuvent être faites rapidement, nous disons même d'ici à décembre 1996, sans gaspillage de fonds publics et dans la transparence.

Nous vous remercions de nous avoir écoutés. Nous sommes à votre disposition.

Le Président (M. Garon): Comme vous avez pris 31 minutes, il nous reste 29 minutes à partager entre les deux partis. Dr Laurin. Mme Beaudoin.

Mme Beaudoin: Oui. Tout simplement pour vous saluer, avant de céder la parole au Dr Laurin, M. Champagne, M. de Bellefeuille et M. Miron, et vous remercier. Vous avez vu qu'on était très attentifs à ce que vous avez dit. Je vais, en effet, laisser la parole à deux de mes collègues qui aimeraient plus particulièrement discuter avec vous, compte tenu justement du peu de temps – 15 minutes qu'il y a de chaque côté – à consacrer à ce débat.

M. Champagne (Maurice): On s'excuse d'avoir dépassé un peu le temps, mais le président nous y avait autorisés au départ, si j'ai bien compris.

M. Laurin: MM. Champagne, de Bellefeuille, Miron, je vous salue avec amitié et affection. J'ai beaucoup apprécié la lecture de votre mémoire qu'effectivement j'ai lu un certain nombre de fois, et j'ai encore plus apprécié l'exposé oral avec l'éloquence et les digressions toujours bienvenues que vous avez su y mettre.

C'est un mémoire qui ne ressemble pas beaucoup à ceux que nous avons entendus parce que c'est un mémoire qui revient aux fondements mêmes d'une politique linguistique. On retrouvait d'ailleurs ces fondements dans l'énoncé de politique du gouvernement, mais il en a été très peu question lors de cette commission. J'ai été heureux, pour ma part, que vous y reveniez avec autant de force et avec autant d'éloquence. Et je dirais même que vous y avez ajouté une dimension que notre exposé ne contenait pas, c'est-à-dire la dimension éthique. C'est non seulement des principes que vous avez rappelés, mais vous avez fondé ces principes sur une réflexion éthique que, pour ma part, j'ai trouvé extrêmement intéressante, d'autant plus qu'elle était confirmée par ce grand théologien, Gregory Baum, dont l'appui à la loi 101 date déjà de 1993, mais qui était fondé, justement, sur des considérations éthiques.

Incidemment, je me réjouis que, par le biais de votre mémoire et de votre présentation, vous ayez ramené les feux des projecteurs sur cette position du professeur et théologien Baum que, pour ma part, j'ai trouvée peut-être la plus belle illustration de la défense et de la légitimité de la loi 101. Elle nous est venue de quelqu'un d'autre qu'un francophone, et je l'apprécie d'autant plus. Et je pense qu'on devrait la ressortir de l'ombre des trois dernières années et la faire relire à un grand nombre de députés et de citoyens à l'aube de ce débat sur la loi n° 40, car je pense qu'on y trouverait l'occasion et le moyen de corriger certaines des vues qui nous ont été présentées aussi bien dans les journaux qu'à la commission parlementaire.

(11 h 50)

En ce qui concerne ces fondements, je suis tout à fait d'accord avec vous que la primauté du droit, c'est la primauté du droit sur la force, mais que cela ne veut pas dire du tout la primauté de la légalité sur la primauté de la légitimité. Je suis tout à fait d'accord avec vous que la légitimité doit primer sur la légalité et que cette légitimité, en ce qui concerne le Québec, elle est fondée sur son statut de peuple. Nous l'avons répété plusieurs fois durant le référendum, mais ça ne s'applique pas seulement à la souveraineté politique: le statut de peuple fonde la légitimité de la souveraineté linguistique, souveraineté linguistique, évidemment, que nous n'avons pas dans le régime confédéral actuel, puisque l'article 133 y contrevient, puisque les nouveaux articles 23 avec ses paragraphes y contreviennent également et puisque le jugement de la Cour suprême de 1988 y contrevient également. Mais je suis quand même d'accord pour affirmer, dans ses fondements mêmes, que la loi 101 et les lois linguistiques sont fondées sur la légitimité que nous confère un statut de peuple, dont le coeur, comme vous l'avez dit, est le caractère français, bien sûr dessiné depuis ses origines, mais qui demeure quand même aujourd'hui le coeur du peuple québécois.

Vous parlez aussi d'une question qui est très difficile et qui n'a pas encore reçu ses conclusions, je dirais, juridiques ou constitutionnelles, c'est-à-dire la relation entre les droits individuels et les droits collectifs. Les droits collectifs existent, nous les reconnaissons, mais, comme vous le dites, ils ne sont pas reconnus actuellement dans la Charte des droits et libertés de la personne. Le temps est-il arrivé, même si le débat entre... La relation entre droits individuels et collectifs n'est pas encore éclairée d'une façon consensuelle. Le temps est-il venu d'inclure dans la Charte des droits et libertés des additions qui concernent justement ces droits collectifs du peuple québécois?

Ça n'a pas été fait jusqu'ici probablement parce que – du moins c'est ce que j'ai entendu depuis les 15 années que je suis dans le domaine politique – c'est plus clair de faire une charte sur les droits individuels que sur les droits individuels et collectifs en même temps. C'est plus clair et plus facile, plus accepté. Et ce que j'ai entendu à ce sujet, c'était que la place pour parler et inclure les droits collectifs d'une façon solennelle autant que ce que nous faisons dans la Charte des droits, c'est plutôt dans un projet constitutionnel. Il a été quelquefois question au Québec d'écrire une constitution du Québec, qui existe déjà dans les faits, mais qui n'a pas été rassemblée – d'un Québec non encore souverain, j'entends – et ce projet n'a pas encore vu le jour. Mais, quand il en a été question, du moins il y a 10 ans, quand j'étais au gouvernement, il était accepté que les principes qui fondent la loi 101 en particulier et tous les autres qui découlent de son statut de peuple seraient inclus dans la constitution du Québec. Mais nous avons quitté le gouvernement il y a une dizaine d'années et le projet n'a pas été repris. Et je pose la question parce que, dans le projet de Charlottetown, où il était question de droits collectifs aussi, c'est dans un projet de loi constitutionnel qu'on avait inclus ces clauses de droits collectifs.

Donc, ma question, c'est: Est-ce que vous pensez vraiment, étant donné que la Charte mentionne spécifiquement «droits et libertés de la personne», qu'il faudrait changer le titre de la Charte, qu'il faudrait élargir cette Charte, ou qu'on pourrait le faire à l'intérieur même d'une charte des droits et libertés de la personne?

M. Champagne (Maurice): Je vais essayer de répondre très rapidement. Nous avons mis en annexe des extraits du projet de charte de la Ligue des droits, que nous avions distribué à l'époque, c'était en 1973, à 500 000 exemplaires, qui est incidemment traduite aussi. Il faut lire ce projet pour voir comment, quand on traite une charte des droits, on peut la traiter en juriste étroit. Je m'excuse, je ne vise personne, là, mais il y a une conception, qu'est-ce que vous voulez, hein. Quand nous faisions la promotion d'une charte des droits dans les années soixante-dix, les premières objections nous venaient des facultés de droit. Bon. Qu'est-ce que vous voulez? Parce qu'ils disaient: C'est trop compliqué. Vous allez brouiller notre droit. Effectivement, c'est un peu ce qui s'est passé. Il y a une façon de rédiger une charte. Et notre projet, dont l'essentiel a été, je dirais, transposé dans la Charte qui a été adoptée en 1975, gardait des choses, mais a laissé tomber, justement, toute cette question, toute cette économie des rapports entre les droits collectifs et les droits individuels.

Je suis obligé de vous dire, qu'est-ce que vous voulez, je ne veux pas faire de philosophie devant vous, mais la question des droits collectifs et individuels, elle repose – nous sommes un groupe qui travaillons sur le plan de la pensée – sur l'intelligence des rapports personnes-société. O.K.? Il faudrait cesser de mettre nos peurs idéologiques là-dessus, dire: Les droits collectifs, c'est synonyme de ceci, c'est synonyme de socialisme, de communisme, de ci, de ça; les droits individuels, c'est synonyme de ceci, etc. Le rapport personnes-société, c'est quelque chose de fondamental. Nous naissons individus, nous devenons personnes; nous naissons collectivité, nous devenons société. Dans la mesure où un individu, justement, peut profiter d'un rapport équilibré entre l'individuel et le collectif, dans la mesure où il peut se retrouver dans une société généreuse, ouverte, démocratique... Qu'est-ce que vous voulez qu'un individu fasse dans une société où le droit collectif, fondamental, que sont l'information et l'éducation, par exemple, comme les droits linguistiques, ne figure pas? Qu'est-ce que ça veut dire, ces droits individuels? Ça ne veut rien dire. Un grand nombre de peuples de la terre actuellement, d'ailleurs, n'ont pas de droits individuels parce qu'ils sont dominés par des dictatures où, n'est-ce pas, il y a un rapport faussé sur le plan de l'individuel et du collectif. Alors, il faut repenser cette question-là et il faut changer le langage de la Charte, l'économie de la Charte sur certains plans, et ça ne pourra que profiter à tout le monde. Pourquoi on ne l'a pas fait? C'est une autre question.

Mais, pour revenir à la question de la constitution, je comprends que... Nous rêvons aussi de la constitution du Québec souverain, mais la Charte est là depuis 1974, adoptée en 1975, et tout. Ça fait 20 ans. Il ne faudrait pas se servir d'une fin noble pour justifier des moyens qui créent le faux et qui sont anti-éthiques et qui nous posent à nous-mêmes un problème d'incohérence. Et je dirais même que, sur le plan de la stratégie, je l'ai souligné tantôt, si on avait une charte plus forte, plus musclée, plus claire sur le plan des rapports individuels et collectifs, ça forcerait la Charte canadienne, ça forcerait les juges à confronter les deux. C'est comme si nous étions indigents devant le fédéral sur ce plan-là.

Trudeau a fait sa Charte clairement avec les droits individuels, vous le savez, d'ailleurs. L'objectif non avoué peut-être publiquement, mais fondamental de cette Charte, c'est de mater le pouvoir collectif du Québec, c'est de mater le pouvoir politique, c'est de vous livrer, ici, Assemblée nationale, au pouvoir des juges. C'est ça, l'objectif de la Charte de Trudeau, de cette constitution illégitime – nous disons «illégitime», d'ailleurs – qui n'a jamais été soumise à la population ni canadienne ni du Québec. Alors, notre Charte, qui est notre loi suprême à nous, modifions-la, n'attendons pas, d'autant plus que l'attente semble, depuis le 30 octobre, devenir très longue.

(12 heures)

M. Laurin: Merci.

Le Président (M. Garon): Il reste des secondes, là. Est-ce qu'il y a quelqu'un qui a demandé... M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président...

M. Champagne (Maurice): Non, je suis juste porte-parole.

M. Laporte: ...messieurs...

M. Champagne (Maurice): Ah! Excusez-moi. Excusez-moi, je pensais que vous vous adressiez à moi.

M. Laporte: ...du Cercle Gérald-Godin, M. Champagne a mentionné tantôt qu'il présumait que nous avions lu son mémoire à plusieurs reprises. Moi, je l'ai lu plusieurs fois, mais, M. Champagne, M. Miron, M. de Bellefeuille, je dois vous dire que, en plus d'être radicalement en désaccord avec vous, vous ne m'avez pas convaincu. Évidemment, pour discuter de votre texte, il faudrait un colloque, et on a 20 minutes.

M. Champagne (Maurice): Merci.

Une voix: Quinze.

M. Laporte: Quinze minutes. Disons que vous proposez de retirer le projet de loi n° 40. Nous, évidemment, on ne peut pas être d'accord avec ça, mais regardons ça, ce texte, du point de vue intellectuel, parce que, finalement, ce qu'on a devant nous, ce sont des gens qui s'adressent à nous d'une hauteur intellectuelle certaine.

Messieurs du Cercle Gérald-Godin, je ne veux pas examiner votre texte dans son entier parce que, comme je vous le dis, il faudrait un colloque pour le faire, mais je voudrais vous dire que l'argumentaire, et sur lequel est revenu tantôt le député de Bourget, concernant ce que vous appelez la justification éthique de la loi 101, l'argumentaire que vous empruntez au professeur Gregory Baum ne me convainc pas. Alasdair MacIntyre, dans un livre qui s'appelle «After Virtue», a fait une critique dévastatrice de l'utilitarisme éthique, et c'est bien ce dont il s'agit dans l'argumentation, dans l'argument du professeur, du père Gregory Baum. C'est un utilitarisme éthique dont il s'agit, et je vais vous le montrer.

Le professeur Baum dit bien, en parlant des lois qui visent à renforcer les droits collectifs aux dépens des droits individuels: Elles n'imposent que des restrictions minimales, c'est-à-dire sans conséquences graves. Alasdair MacIntyre a bien montré que c'est là la faiblesse profonde de l'argumentaire éthique, parce que la question qui se pose, c'est: De quel point de vue, «minimales»? De quel point de vue? Du point de vue de Dieu? Du point de vue du Cercle Gérald-Godin? Du point de vue du député de Bourget? Du point de vue du sujet historique? MacIntyre a très bien montré que, tant et aussi longtemps qu'il y avait ce grand consensus au sein de la chrétienté sur toutes ces fonctions d'utilité, nous n'avions pas de problème. Mais ce consensus est mort depuis d'ailleurs déjà plusieurs siècles. Donc, un argument utilitaire – et c'est bien ce dont il s'agit maintenant – ne peut pas nous fournir une base satisfaisante et convaincante à la justification éthique d'une décision politique.

Un autre aspect, évidemment, de l'argument du professeur Baum, qui est encore tout à fait non convaincant, c'est lorsqu'il écrit, en parlant des mêmes lois: Elles se fondent sur des raisons valables et urgentes. Mais je vous répète ceci: Du point de vue de qui? De Dieu? De vous? Du sujet historique? De la ministre? Du président? Du député de Bourget? Du point de vue de qui? Encore là, la faillite épistémologique de l'argument utilitariste est totale.

Ce que MacIntyre montre bien – et ça, je voudrais qu'on se comprenne bien là-dessus, là, je vais essayer de vous le dire calmement – c'est qu'on peut par ailleurs arriver à une justification éthique de la décision politique, mais pas par référence à un argument utilitaire, mais par référence à des valeurs, à une affirmation de valeurs et par l'affirmation de ce qu'il appelle une conception de la bonne société. Or, quelle est-elle, cette bonne société? Encore ici, je ne veux pas ouvrir un colloque, M. le Président...

Une voix: S'il vous plaît, M. le Président...

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont, c'est son temps.

M. Laporte: ...mais je vais vous dire de quel point de vue, M. le député de Vachon. De mon point de vue, une bonne société, c'est une société qui, dans son fonctionnement, sait accorder une reconnaissance, une place raisonnable aux besoins de reconnaissance des individus et des groupes qui la composent. Voici une affirmation qui porte sur une valeur. Vous pourrez lire le texte de Charles Taylor, «The politics of recognition», qui est une illustration absolument géniale de ce que je viens d'affirmer. Charles Taylor est beaucoup mieux capable de faire ces choses que moi-même. Je n'ai pas de prétention philosophique plus que, disons, celle du penseur ordinaire.

Donc, l'argumentation de Gregory Baum, M. le Président...

Le Président (M. Garon): Oui, monsieur...

M. Gaulin: On perd beaucoup du discours. C'est pour ça que c'est difficile à suivre, on entend mal. Est-ce que le député...

Une voix: On entend très bien.

M. Gaulin: Non, je regrette, moi, je suis ici et j'entends mal.

M. Laporte: Je vais essayer de m'exprimer... Ce n'est pas parce que je ne m'exprime pas en bon français, tout de même.

M. Gaulin: Vous parlez en bon français. Parlez dans le micro, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Donc, l'argumentation de Gregory Baum, messieurs du Cercle Gérald-Godin, n'est pas convaincante touchant la justification éthique de la loi 101 dans sa version originelle. Mais c'est là que vous allez trouver que je fais un virage avec lequel, évidemment, je ne m'attends pas à vous trouver dans la voiture, n'est-ce pas. M. le Président, s'il faut chercher un fondement éthique à la Charte de la langue française, il faut le chercher ailleurs – et là je vais commettre une hérésie épouvantable pour le Cercle Gérald-Godin, et peut-être bien pour mes amis d'en face – eh bien, il faut le chercher dans son extension qu'on retrouve dans la loi 86. Je l'ai dit, je le répète et je ne peux pas comprendre l'ambivalence du gouvernement à l'égard de cette loi, la loi 86 satisfait ce que j'ai appelé tantôt un besoin de reconnaissance légale, formelle, officielle et publique de la communauté anglophone qui nous demandait d'attribuer à son visage, à son identité une place dans l'espace public québécois, ce que nous avons fait, le Parti libéral, à travers la loi 86.

Question: Le Cercle Gérald-Godin est-il toujours confiant que son argumentation éthique peut passer le test de la critique réflexive? Vous ai-je ébranlés? Deuxième question: Le Cercle Gérald-Godin est-il toujours d'avis avec moi que, du point de vue éthique, la loi 101 adaptée à la manière de la loi 86 constitue un progrès sur lequel il ne serait pas opportun de revenir?

Voilà mes deux questions, M. le Président. Elles ne sont peut-être pas exprimées aussi clairement qu'on le souhaite, mais il me semble que c'est clair. Vous ralliez-vous toujours à l'utilitarisme? Et, en second lieu, n'êtes-vous pas d'avis que, finalement, la loi 86 nous a fait faire un petit bout de chemin sur la route de l'éthique et qu'il ne serait pas, à mon avis, opportun de revenir en arrière? Merci, M. le Président.

(12 h 10)

M. Champagne (Maurice): Très, très, très rapidement, M. le Président. D'abord, je remercie le député Pierre-Étienne Laporte de nous avoir dit qu'il faudrait un colloque pour débattre de notre mémoire. Ça nous fait tout à fait honneur.

Pour répondre aux questions et à l'argumentation, oui, nous maintenons tout à fait notre conviction éthique. Je voudrais souligner des choses là-dessus. Quant à la loi 86, quand on voit ce qu'elle provoque aujourd'hui, je pense que les personnes politiques doivent être conscientes des risques qu'elles prennent quand elles font certaines législations. La loi 86, elle nous paraît une provocation. Elle nous paraît ne rien avoir d'éthique. Elle représente un risque politique.

Sur Gregory Baum, je devrais faire remarquer d'ailleurs que nous ne nous reposons pas sur des autorités. Nous avons cité Baum, point. C'est dangereux de se reposer toujours sur des autorités, etc. Nous nous reposons sur des faits et sur des principes. D'ailleurs, ce que Baum souligne dans son texte, vous avez parlé seulement... c'est une des premières choses sur le plan éthique, vous avez parlé des raisons valables et urgentes. Vous avez omis peut-être de dire aussi qu'il y avait un principe éthique fondamental que Baum soulignait à propos de la loi 101 et de la politique linguistique du gouvernement du Québec, le gouvernement actuel et le gouvernement qui a été au pouvoir à d'autres moments, c'est qu'il faut des raisons valables et urgentes. Nous en avons fait la démonstration, c'est la majorité minoritaire, c'est notre histoire même, c'est notre situation de David sur ce continent, etc. Je ne reviendrai pas là-dessus. Il faut des raisons valables et urgentes et que ces raisons valables et urgentes n'imposent que des restrictions minimales aux minorités, et c'est le cas.

On pourrait donner plein de chiffres là, mais le chiffre, entre autres, par rapport à l'affichage, dit que 92 % des moyens des anglophones d'exercer leur liberté d'expression se trouvent en dehors de l'affichage. Tous les moyens qu'ils ont, je pense que c'est fondamental. Baum est très clair là-dessus, il y a plein de gens qui sont d'accord avec cette position: nous avons imposé des restrictions minimales à la communauté anglophone.

Principes éthiques, vous en voulez d'autres? Nous en avons souligné dans notre mémoire, n'est-ce pas. Tout État, toute société, toute collectivité a droit de recourir – c'est un principe reconnu dans plein de textes des Nations unies – à des inégalités de droit pour corriger des inégalités de fait. C'est ça, l'argumentation de la légitimité.

Le droit international, qui est trituré comme on ne le sait pas au Québec, qui est trituré même par nos gens qui vont aux Nations unies, nous l'avons cité à la page 8, c'est un principe fondamental qui est dans la convention des Nations unies sur l'éducation. Je le lis: «En matière d'éducation, y compris la gestion d'écoles, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue, le droit des minorités nationales peut s'exercer, à condition toutefois que ce ne soit pas d'une manière qui empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la langue – de comprendre la culture et la langue – de l'ensemble de la collectivité et de prendre part à ses activités, ou qui compromette la souveraineté nationale.» Ce n'est pas un petit expert ou une autorité en particulier qui dit ça, c'est la convention des Nations unies. On ne cite pas ces textes-là, n'est-ce pas, et c'est notre tort de ne pas les citer assez souvent au Québec, à mon avis. Alors, on pourrait continuer pendant longtemps sur ces...

La loi 101 est une loi de justice distributive, n'est-ce pas. Nous savons ce que c'est, le principe de la justice distributive: donner moins à ceux qui ont plus ou donner plus à ceux qui ont moins. Ça vaut sur tous les plans du développement d'un être humain et d'une collectivité. Voilà. Je pense qu'on pourrait en ajouter et en ajouter sur le plan éthique.

Oui? Gaston, si vous permettez...

M. Miron (Gaston): Si vous permettez, M. le Président...

Le Président (M. Garon): Il ne reste plus beaucoup de temps.

M. Miron (Gaston): Pardon?

Le Président (M. Garon): Il ne reste pas beaucoup de temps.

M. Miron (Gaston): M. Laporte a dit que la loi 101 était adaptée à la sauce 86, ou quelque chose comme ça...

M. Laporte: Non, pas tout à fait.

M. Miron (Gaston): ...a été adaptée par la loi... que la loi 86 avait adapté la loi 101. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Laporte: J'ai dit que la loi 86 était une mesure d'adaptation, oui...

M. Miron (Gaston): Bon.

M. Laporte: ...de la loi 101.

M. Miron (Gaston): Donc, est-ce qu'il y a eu plus... Vous étiez là, à l'époque. Combien y a-t-il eu de modifications à la loi 101 en 1993? Parce que l'astuce du gouvernement de l'époque, ça a été de nous faire penser que c'était seulement sur l'affichage. Il y en a eu, je crois, près de 200, m'a-t-on dit. Alors donc, la loi 86 a absorbé la loi 101. Elle a absorbé la loi 101. C'est une belle adaptation, n'est-ce pas? Et toutes ces adaptations-là ont été faites non pas au regard de la légitimité québécoise, elles ont été faites en fonction de tous les jugements que la Cour suprême du Canada avait émis depuis le début: c'est extraordinaire! Donc, ce n'est plus la loi 101 du peuple québécois, c'est la loi 101 de la Cour suprême du Canada.

Le Président (M. Garon): Alors, je vous remercie, les porte-parole du Cercle Gérald-Godin.

M. de Bellefeuille (Pierre): Me permettriez-vous de dire un mot en réponse à M. Laporte? Je voudrais tout simplement, à ce concert, à cet échange de citations, lui recommander instamment la lecture de l'éditorial de Mme Bissonnette dans Le Devoir de ce matin. Elle y parle avec beaucoup d'éloquence du phénomène des colonialistes et des colonisés. Merci.

M. Miron (Gaston): Un...

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les porte-parole...

M. Miron (Gaston): Un dernier petit mot...

M. Laporte: Je vais vous dire franchement que je l'avais mentionné dans mon texte, mais je ne l'ai pas dit. Écoutez, il faudrait tout de même qu'on cesse de nous rebattre les oreilles avec cette question de colonialisme et... Écoutez, là, tout de même...

M. Miron (Gaston): Mais on est encore pas mal colonisés, monsieur.

M. Laporte: Une société...

Le Président (M. Garon): Alors...

M. Laporte: Qu'on en finisse avec ça.

Le Président (M. Garon): ...le temps est écoulé.

M. Miron (Gaston): Est-ce que je peux juste porter à votre attention que le Congrès américain, se basant sur les expériences canadiennes et pour ne pas que ça se reproduise chez eux, les bilinguismes, les ci, les ça... que le projet de loi faisant de l'anglais la langue officielle des États-Unis et du fonctionnement de l'État à la grandeur des États-Unis a été adopté par 250 voix contre 169, le 2 août passé? Alors, je me demande si ces gens-là sont des extrémistes, n'est-ce pas. La plus grande puissance au monde ressent le besoin de protéger sa langue. Alors, sont-ce des extrémistes? Je vous pose la question. Réfléchissez à ça.

Le Président (M. Garon): Je remercie les porte-parole du Cercle Gérald-Godin de leur contribution à la consultation générale demandée par le gouvernement.

M. Champagne (Maurice): Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Et j'invite le Dr Jean-Charles Claveau à s'approcher de la table des témoins.

Dr Claveau, vous pouvez vous approcher de la table des témoins. Vous avez 30 minutes, c'est-à-dire 10 minutes, normalement, pour faire votre exposé, 10 minutes pour le ministériel, 10 minutes pour l'opposition officielle. Et, si vous en prenez moins, ils en auront plus; si vous en prenez plus, ils en auront moins. Avez-vous remarqué, quand l'interlocuteur prend trop de temps, bien souvent, ou plus de temps, que les députés en manquent après dans le cours du débat?


M. Jean-Charles Claveau

M. Claveau (Jean-Charles): Si j'ai bien compris, M. le Président, est-ce que je dois lire mon mémoire, ou si vous l'avez déjà lu?

Le Président (M. Garon): Les députés, ça, je ne sais pas. Je ne suis pas dans les bureaux des députés, mais ils l'ont reçu depuis un certain temps et...

(12 h 20)

M. Claveau (Jean-Charles): Parce que je peux le lire, si vous voulez.

Le Président (M. Garon): Bien, c'est vous qui décidez. C'est parce que...

M. Claveau (Jean-Charles): Il n'est pas très long, et peut-être que ça me permettra, en cours de route, de répondre à certaines questions.

Le Président (M. Garon): Alors, vous pouvez le lire.

M. Claveau (Jean-Charles): Bien, je voulais vous présenter aussi mon collègue, le Dr Pierre Dupuis, qui est un chirurgien à la retraite, comme moi je suis un médecin à la retraite.

Mémoire à la commission de la culture. M. le Président, mesdames, messieurs, le but de ce mémoire est de faire en sorte que le français, la langue officielle du Québec, soit vraiment la langue commune des Québécois. Le Québec est le bastion de la vie française en Amérique. Depuis 1608, le français est parlé dans ce qui était la Nouvelle-France des bords du Saint-Laurent d'autrefois et qui est devenue la province de Québec du Canada contemporain. Malgré tout, les quelques 6 000 000 de Québécois francophones ne sont qu'un îlot représentant à peine 2 % de la population de la mer anglophone nord-américaine. Le Canada de nos ancêtres, où nous formions presque 100 % de la population en 1763, est devenu un pays de langue anglaise dont moins de 25 % sont des citoyens francophones concentrés à plus de 92 % au Québec même.

Dans le contexte fédéral actuel, le peuple québécois n'a pas tous les pouvoirs pour agir en matière de langue, d'économie, d'immigration, bref, pour agir sur sa vie collective nationale comme il l'entend et selon ses priorités. En réalité, le peuple québécois n'a pas la maîtrise de son destin et ne contrôle pas la Constitution qui le régit. La Révolution tranquille en marche depuis plus de 35 ans n'a pas encore donné tous ses fruits, mais, en attendant, il faut continuer à progresser.

Recommandations. Attendu que le peuple québécois constitue une petite minorité isolée et cernée de toutes parts par l'Amérique du Nord anglophone, tous les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour sauvegarder sa langue officielle, élément essentiel de son identité nationale propre. Il est recommandé que le gouvernement du Québec ait le contrôle absolu des politiques linguistiques concernant sa population. À cet égard, comme en Suisse, pays fédéral, et même en Belgique, devenue également une fédération, un régime linguistique basé sur le principe de territorialité – cujus regio, ejus lingua – serait plus approprié et plus efficace. L'unilinguisme territorial qui prévaut au plan de l'administration, de l'école et du travail est la meilleure des solutions.

Attendu que la situation du Québec dans le contexte anglophone du Canada et des États-Unis ne rend pas facile l'intégration des immigrants à la vie française du peuple québécois, il est recommandé que le gouvernement du Québec ait tous les pouvoirs en matière d'immigration. Montréal étant la plaque tournante de l'immigration au Québec, il est impérieux que les immigrants sachent, même avant d'aborder nos rives, que le Québec n'est pas une province comme les autres, mais la patrie d'un peuple de langue française qui lutte farouchement pour demeurer lui-même dans ce coin de pays qui est le sien depuis près de 400 ans. À ce point de vue, la région métropolitaine doit être exemplaire, car c'est là que se joue notre destin.

Attendu que plus de 40 % des anglophones et plus de 50 % des allophones ainsi que la majorité des Amérindiens et des Inuit ne parlent pas le français, la langue officielle, la langue nationale et la langue commune du peuple québécois, ce qui ne favorise pas l'intégration à la société dans laquelle ils vivent, il est recommandé que le gouvernement du Québec établisse une politique d'apprentissage linguistique pour permettre à tous les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique, d'apprendre la langue commune de la société qui est la leur. Le résultat de cet apprentissage rendra le Québec aussi français que l'Ontario est anglais. Comme le disait l'ancien premier ministre, Daniel Johnson père, les anglophones de l'ouest de Montréal se sentiront moins isolés dans leur retranchement du West Island.

Attendu, enfin, que l'école est le lieu par excellence pour l'intégration des jeunes, comme le milieu de travail l'est pour les adultes, il est recommandé que le réseau scolaire anglais à tous les niveaux, primaire, secondaire et universitaire, devienne bilingue. Rendus parfaitement bilingues, les Anglo-Québécois se sentiront plus à l'aise dans la société et seront moins tentés d'émigrer sous prétexte qu'ils ne maîtrisent pas bien la langue commune du Québec en marche.

Voilà, M. le Président, ce court mémoire que j'ai voulu présenter ce matin et qui, au fond, est contenu largement dans un livre que je vous ai remis, qui s'appelle: «Ma terre, Québec...», où, depuis une trentaine d'années, j'observe la question du Québec, qui me tient à coeur, comme, sans doute, elle vous tient à coeur, et j'ai simplement résumé quelques-unes de ces réflexions à la lumière de la commission qui siège actuellement.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Merci, M. le Président. Dr Claveau, Dr Dupuis, je voudrais d'abord signaler que, tous les deux, vous êtes médecins, et signaler peut-être le rôle important qu'ont joué plusieurs médecins au Québec dans la défense de la conscience nationale et dans l'illustration de l'écriture aussi. Vous êtes écrivains. On a vu tout à l'heure trois écrivains qui étaient là. Il n'y avait pas beaucoup de journalistes pour les entendre, mais, en tout cas, ce sont des écrivains.

On a vu ce matin, par ailleurs, que, justement, l'étude de la littérature québécoise a baissé de moitié à la suite de la décision du précédent gouvernement qui a réformé l'enseignement du français dans les cégeps. Alors, je pense en particulier au Dr Ferron, qui a été un de ceux qui a le plus illustré nos lettres, une oeuvre tout à fait admirable et qui pourrait fort bien, si nous étions un pays... qui aurait pu fort bien recevoir un Nobel, parce que son oeuvre est puissante, profonde, comme l'est d'ailleurs celle de Gaston Miron, qu'on a vu tout à l'heure, et auquel on se réfère souvent au Québec en parlant de la langue française que nous parlons comme étant la langue de Molière et de Miron.

Alors, voilà, ceci étant dit, je voulais vous poser peut-être quelques questions sur votre mémoire. On a entendu tout à l'heure le député Laporte nous dire qu'il en avait marre d'entendre dire que nous étions des colonisés. Bien sûr, nous ne le ferons pas de la même manière que nous le faisions dans les années soixante, quand on parlait de la libération des nations d'Afrique, mais je prends à témoin votre mémoire pour dire que, finalement, ce qui fait qu'on est colonisé ou qu'on ne l'est pas, c'est le fait qu'on a obtenu l'égalité ou qu'on ne l'a pas obtenue. Et vous venez de nous dire, au fond, dans votre mémoire, que nous ne sommes pas ici, dans le Canada, c'est-à-dire ce pays que nous avons fait, à qui nous avons donné le nom, à qui nous avons donné son hymne national, à qui nous avons donné son drapeau, que nous ne sommes pas reconnus comme un peuple égalitaire.

Alors, vous venez de nous dire en particulier, au fond, que, sur notre territoire national, nous avons toujours à lutter contre la diglossie, contre la puissance d'une autre langue, qui est une langue qu'on estime, qui est la langue de l'autre, mais qui nous aliène et nous altère, c'est-à-dire nous gomme, en quelque sorte, constamment. On en a parlé tout à l'heure dans la question de l'affichage.

Vous avez signalé également le fait qu'on n'est pas égalitaires parce que nous n'avons pas le contrôle de notre immigration et que c'est une chose essentielle pour n'importe quel peuple de la terre de contrôler son immigration. Alors, je pense que vous demandiez tous les pouvoirs en immigration.

(12 h 30)

Et enfin je pense que vous avez rappelé qu'on établisse une politique d'apprentissage linguistique pour permettre à tout le monde d'apprendre le français. Nous en sommes toujours là. Je l'ai signalé à satiété pendant cette commission, qu'il y a toujours, au moment où on se parle, à Montréal, 350 000 personnes qui n'ont pas la connaissance d'usage du français, et je le rappelle – il faut le rappeler constamment – c'est quelque chose qui donne d'autant plus de poids à l'affichage bilingue, chaque fois, comme disait René Lévesque, qu'on lit une affiche bilingue, on dit que l'anglais est une langue tout aussi officielle que ne l'est le français.

Maintenant, au niveau pratique, ma question est la suivante: Puisque vous suggérez un certain nombre de choses qui relèvent de l'ordre constitutionnel, est-ce que vous proposez qu'on reprenne des négociations constitutionnelles pour aller chercher la pleine possession des pouvoirs en immigration, pour qu'on reconnaisse l'asymétrisme politique, à savoir qu'il y a ici un territoire qui est essentiellement français et que la langue qu'on y parle, c'est la langue française? Je sais que le député d'Outremont a aussi invoqué des exemples dans le monde. Il a cité, au début de cette commission, la Suisse et la Belgique, par exemple. Il faut rappeler justement qu'en Suisse et en Belgique la langue est territoriale; on a une langue dans les différents cantons. Même chose pour la communauté française de Belgique et pour la communauté flamande. Il n'y a que Bruxelles qui pose un problème. On n'a pas lieu d'en traiter ici. Alors, voilà ma question, Dr Claveau.

Le Président (M. Garon): Dr Claveau.

M. Claveau (Jean-Charles): M. le Président, M. le député Gaulin, je crois que, dans le contexte actuel, nous sommes en réflexion, après le référendum, mais le problème demeure toujours le même depuis 1759: cohabitation de peuples différents dans le même État. C'est une source de problèmes, qu'on aime ça ou pas. C'est pour ça que je crois que... La solution que je propose actuellement, c'est que, sans sortir du contexte politique actuel, nous fassions ce qui se fait dans des pays fédérés, comme la Suisse et actuellement aussi la Belgique, pays chez qui on note également un sens de la démocratie avancé, comme chez nous, et également pays où il y a cohabitation de deux ou de plusieurs peuples. Certains diront «communautés»; enfin, disons que, pour moi, ce sont des peuples qui ont une langue, qui ont une culture différente et parfois aussi une religion.

J'ai souligné cette proposition parce que le problème ici, en ce pays, c'est qu'on n'accepte pas, malheureusement, qu'il y ait deux peuples: «one nation» – je le dis en anglais parce que c'est probablement comme ça que c'est perçu à travers le monde. Je regardais les Jeux olympiques: il y a une absence totale du Québec. Le Québec n'existe pas. Il existe pour consommation locale, mais, sur le plan international, les Québécois sont des «Canadians». Je crois qu'aujourd'hui il faut être réaliste: un Canadien, c'est d'abord un anglophone. Ayant étudié à Paris il y a déjà plus de 40 ans, j'ai été très surpris de me faire répondre dans une ambassade du Canada que je devais parler anglais, en 1952.

Écoutez, je suis pour qu'on révise. La loi 101 est une loi qui m'apparaît excellente, il y a des changements qui sont en cours, que j'approuve essentiellement, mais je me demande si on ne devrait pas au départ tenter, même s'il est couramment actuel, couramment présent depuis toujours, de faire accepter que nous sommes un peuple. Voilà le problème au Canada. Il y a deux peuples dans ce pays, et là je ne veux pas sous-estimer les nations amérindiennes qui existent aussi et auxquelles il faudra accorder plus d'importance qu'on le fait actuellement. Je crois que le point de départ dans toute question politique et culturelle, c'est l'acceptation des faits. Il y a deux peuples en ce pays, puis je sais que le Canada anglais ne veut pas accepter ça parce que ceci entraîne des conséquences politiques, culturelles et autres. Alors, il faut pour ça revenir à ce qui existe dans d'autres fédérations, où on ne reconnaît pas le peuple roman, on ne reconnaît pas le peuple tessinois, on ne reconnaît pas le peuple wallon en Belgique, par exemple. Mais on a décidé que la cohabitation des peuples se faisait mieux quand ils étaient séparés, séparés même dans le même pays. Voilà.

Alors, je prône l'unilinguisme territorial avec des accommodements en tenant compte de certaines circonstances. Ainsi, je vois le canton de Fribourg, qui est un canton francophone largement, mais qui accorde à sa minorité germanique, dans la partie basse de Fribourg et dans l'est, de l'autre côté de la Seine, des droits à une minorité qui, au fond, est l'extension d'une majorité outre-frontières. Alors, le sens de ma démarche, c'est de peut-être inviter nos gens à réfléchir sur cette façon de cohabiter, de faire cohabiter des peuples, parce que je vois mal que le gouvernement central, sous la domination – disons les choses telles qu'elles sont – sous le contrôle d'une majorité anglophone, puisse venir dire à un autre peuple comment il doit régir ses propres lois linguistiques.

Alors, le modèle suisse m'apparaît... C'est un pays évolué, la Suisse, je crois, c'est un pays démocratique, c'est une fédération. Nous sommes encore, dans le contexte actuel, dans une fédération. Je crois que le modèle suisse devrait être une source d'inspiration pour nous. C'est un modèle qui existe depuis très longtemps et qui, je crois, nous enseigne beaucoup de choses. En Suisse, c'est le principe de la majorité dans un lieu donné qui doit exprimer sa réalité d'être dans sa langue, sa culture, etc. Alors, les minorités en Suisse... Vous avez à Genève, par exemple, une situation assez spéciale où il y a 30 % de minoritaires, surtout germanophones et italophones. Il n'y a pas d'écoles italiennes ou allemandes à Genève, il n'y a que des écoles françaises. En somme, c'est le principe des majorités dans un milieu donné, des peuples majoritaires dans un milieu donné qui s'expriment avec ce qu'ils sont dans l'administration, à l'école et dans le travail, et les minorités doivent s'intégrer naturellement. Elles le font d'ailleurs très, très bien en Suisse, parce que les règles sont claires. Alors, tant que les règles ne seront pas claires en ce pays, nous aurons beaucoup de problèmes, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, Dr Claveau. Le temps des ministériels étant épuisé, je passe la parole maintenant au député d'Outremont.

M. Laporte: Dr Claveau, merci pour cet excellent mémoire et aussi pour les propos éclairants que vous venez de tenir sur les situations et les réglementations linguistiques à l'échelle internationale. Vous êtes de toute évidence un partisan du territorialisme en matière d'aménagement des langues, mais je dois vous dire que j'ai un peu de difficulté à réconcilier cette adhésion au territorialisme avec votre quatrième recommandation, qui veut que...

D'abord, j'aimerais vous demander de préciser ce que vous entendez par «devienne bilingue»: «que le réseau scolaire anglais, à tous les niveaux, primaire, secondaire et universitaire, devienne bilingue». C'est-à-dire, si on est territorialiste, bien, il faut l'être, comme on dit – ha, ha, ha! – jusqu'au bout. Évidemment, pour les territorialistes, par opposition aux personnalistes, que ce soient les Belges – la Belgique est un bel exemple – ou les Finlandais ou même les Suisses, quoique le cas de la Suisse soit un cas tellement spécial, le problème qui se pose toujours, c'est celui de l'application du principe dans les grandes agglomérations linguistiquement hétérogènes, à Bruxelles par exemple.

En Belgique, on a à toutes fins pratiques réussi à suspendre la concurrence linguistique dans les régions linguistiquement homogènes de la Belgique. Mais, à Bruxelles, ce n'est évidemment pas ce que j'ai constaté lors de mes nombreux voyages – ha, ha, ha! – soit chez IBM, soit chez Ford ou dans la ville de Bruxelles comme telle ou chez la compagnie des Moteurs généraux, chez General Motors. Bon. Alors donc, la situation de Bruxelles demeure une situation de concurrence linguistique et de concurrence linguistique, je dirais, assez énervée par moments, n'est-ce pas?

(12 h 40)

Donc, je vous pose ma question. La première question, c'est vraiment une clarification, c'est-à-dire que j'aimerais que vous clarifiiez pour moi ce que vous entendez par le devenir bilingue du réseau scolaire anglais à tous les niveaux: primaire, secondaire, universitaire. Je ne porte pas de jugement de valeur là-dessus, je vous dis que j'aimerais vous voir clarifier ce propos, cette recommandation. Deuxièmement, je me demande comment vous vous y prenez pour concilier votre adhésion au territorialisme comme mode d'action sur les langues – pas sur la langue, mais sur les langues, c'est-à-dire sur le statut des langues – et la recommandation 4, qui me semble, à mon avis, faire une assez large place au personnalisme.

M. Claveau (Jean-Charles): Écoutez, d'abord, je dis que le Québec est fondamentalement un territoire de langue et de culture françaises depuis 1608. Deuxièmement, je dis qu'avec l'évolution des choses – ça se fait à l'extérieur du Québec comme ça se fait dans tous les pays du monde – les minorités s'intègrent. Je viens du Saguenay, de Chicoutimi, j'ai du sang écossais par deux ancêtres et j'ai du sang montagnais par un autre ancêtre, en plus du sang français. L'intégration, contrairement à ce qu'a déjà dit Mme Gretta Chambers, se fait très facilement de l'un à l'autre. Elle a déjà écrit dans Le Devoir : «C'est impossible pour un Anglais de devenir un Français et pour un Australien de devenir un Québécois.» Je pense que Mme la chancelière n'a pas bien vu la réalité des choses, quand on connaît les Johnson, les Wilson, les Murdoch, les Blackburn, etc.

L'ensemble du Québec est un territoire de langue et de culture françaises. Au Québec, il existe également des minorités indiennes, inuit. J'en sais quelque chose: j'ai moi-même du sang amérindien. Mais, moi, je me considère intégré totalement. Je n'ai pas fait d'efforts, c'est mon arrière-grand-mère, M. Laporte. Mais, là où les Inuit existent et sont majoritaires, je pense que ce territoire-là devrait être considéré comme une zone particulière où le français, langue officielle, aurait droit de cité et où également la langue inuit aurait droit de cité comme la langue du peuple.

Par ailleurs, depuis 1759, un autre peuple est venu parmi nous. J'en sais quelque chose: un de mes ancêtres, Duncan McNicoll, était dans le régiment des Highlanders et s'est battu contre mon autre ancêtre français, Pierre Claveau. Alors, je suis un descendant, donc, des conquérants britanniques et des colons français. Je suis fier de mes deux allégeances, mais il reste que, dans les choses de la vie courante, deux peuples ne peuvent pas coexister dans le même espace territorial. L'un absorbe l'autre à plus ou moins long terme, comme des individus se font absorber, deviennent des anglophones ou des francophones. Ça fait partie de la vie aussi, et je ne vois pas de drame là. Quand on regarde l'histoire des peuples, on voit ça partout, et personne ne proteste. Alors, Mme Chambers, sa mère, je crois, est une Beaubien. Elle a opté pour le côté anglophone. C'est son droit, et je la respecte. C'est une personne de qualité aussi, comme M. Taylor, son frère.

Ce que je voulais dire, c'est que Montréal est un cas particulier, comme Bruxelles, mais vous savez sûrement plus que moi que Bruxelles était autrefois une ville flamande. Jusqu'en 1880, c'était une ville majoritairement flamande. Mais, comme le français était la langue de l'État depuis 1830 et que la France jouissait, et la langue française encore, à travers le monde, d'un grand prestige, la langue flamande a été délaissée, et c'est le français qui dominait à Bruxelles. Finalement, les Bruxellois... «Bruxelles» est un mot d'origine flamande, d'ailleurs. Bruxelles est devenue une ville francophone à 85 % parce que les Flamands se sont francisés. Ayant fréquenté Bruxelles à plusieurs reprises, j'ai été très surpris de voir beaucoup de Flamands francisés, de Smedt Gossens, qui étaient très, très anti-flamands parce qu'ils étaient devenus français. Vous voyez qu'il faut faire bien attention pour ne pas passer d'un extrême à l'autre dans ce genre de choses. Bruxelles, donc, est devenue française aujourd'hui largement parce que Bruxelles est en train d'intégrer les villes voisines dans ce qui était la périphérie bruxelloise. Je pense que cette situation ne durera pas – je vous donne mon opinion – parce que deux langues ne peuvent pas persister sur le même territoire durant des millénaires et des décennies. Il y en a une qui cède le pas à l'autre. J'ai comme exemple Québec qui était à 35 % anglophone en 1880 et qui aujourd'hui... Je compare même avec le temps où j'étais étudiant en médecine en 1946 à Québec et où on parlait beaucoup l'anglais. Ces anglais se sont intégrés ou sont partis, parce que c'est la loi de la vie qui veut ça. On s'en va dans le West Island, on s'en va à Kingston, on s'en va à Toronto.

J'ai vu la population anglophone d'Arvida disparaître pour la même raison. À partir du moment où le français devenait la langue de travail... Nous avons travaillé pour ça beaucoup il y a une trentaine d'années – comme chez Price Brothers, etc. – nous avons beaucoup travaillé pour que l'ouvrier puisse travailler dans sa langue. Ce n'est pas parce que l'argent parle anglais qu'il doit nous imposer une langue étrangère. Alors, on voit aujourd'hui à Arvida, où j'ai travaillé durant la guerre en 1942-1943 comme étudiant... Mon patron, Oliarchuck, qui était un bon Canadien, «just a good Canadian from West Canada», il me parlait anglais – je l'ai appris peut-être avec lui – et il parlait ukrainien, mais pas français. Je lui ai demandé pourquoi: Bien, il dit, c'est parce que je viens du Canada. Mais j'ai dit: Moi aussi. Alors, vous savez, je me suis rendu compte qu'il y avait deux solitudes même à Arvida. Aujourd'hui, à Arvida, on parle plutôt français, les anglophones sont devenus bilingues. C'est par la force des choses. On ne peut pas échapper à ça, de même que les Irlandais de Québec – et j'ai épousé une Irlandaise – sont francisés aujourd'hui ou sont bilingues. On apprend une deuxième langue et puis, si le milieu est largement homogène, on subit l'influence de ce milieu et on parle la langue du milieu tout simplement sans se poser de questions.

Montréal, c'est le talon d'Achille du Québec, mais ce n'est pas un problème. Nous avons beaucoup progressé à Montréal depuis le temps où j'y ai étudié dans les années cinquante. Mais la partie n'est pas gagnée, n'est pas jouée, parce que la minorité anglophone de l'ouest de Montréal s'appuie sur une majorité anglophone toute puissante, pour laquelle j'ai du respect parce que la langue anglaise est une langue de grande culture et de grande importance. Mais il ne faut pas, parce qu'une langue est importante, qu'elle brime sa propre langue. Alors, moi, je considère que Montréal doit être une ville de langue française, comme elle l'était en 1642, comme elle l'était en 1759, comme elle l'est redevenue majoritairement en 1880 après avoir été à 60 %, 65 % de langue anglaise à cause de l'immigration – que nous n'avions pas demandée – anglaise qui a anglicisé pour plusieurs générations une bonne partie de la ville de Montréal.

(12 h 50)

Donc, en conclusion, ce que je veux dire, c'est que, dans notre unilinguisme territorial, il y aura le respect de certaines zones où la langue est la langue anglaise: à Kirkland, j'imagine, à Hampstead ou dans d'autres localités de l'ouest de Montréal. L'anglais sera également une langue officielle dans cette région-là, comme dans Pontiac où il y a une population anglophone d'à peu près 50 %, et dans d'autres régions, si vous voulez, périphériques ou frontalières. On voit la même chose en Belgique ou moins et plus en Suisse. Dans le Valais, vous avez une partie du canton de Valais qui est germanique et l'autre qui est française. Vous avez Fribourg, que j'ai mentionnée tout à l'heure, où l'est du canton est germanique et l'ouest est français. Vous avez d'autres cantons un peu comme ça.

Alors donc, ce qui arriverait, ce serait ceci: le Québec est un État de langue et de culture françaises qui tient compte d'un contexte nord-américain de langue anglaise et qui respecte sa minorité anglophone là où elle existe, et le français demeure toujours la langue officielle pour l'ensemble du Québec, et l'anglais également une langue officielle dans ces régions particulières, à condition que le français soit toujours la langue officielle prédominante. Je dis le mot «prédominante» parce que nous avons un rapport de force qui nous oblige à être fermes.

Le Président (M. Garon): Merci, Dr Claveau. Le temps est écoulé.

M. Laporte: M. le Président, «for the record»...

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Laporte: ...mon amie la chancelière Gretta Chambers m'en voudrait peut-être de ne pas avoir signalé que, si elle était Beaubien de sa mère, elle était Taylor de son père. Je voudrais que...

Le Président (M. Garon): Alors, ces remarques généalogiques étant faites, je remercie nos deux médecins, le Dr Dupuis et le Dr Claveau, d'être venus nous rencontrer et d'avoir participé à la consultation générale qui a été demandée par le gouvernement.

Alors, j'invite immédiatement M. Rodrigue Larose à s'approcher de la table des témoins, en vous disant que vous avez une demi-heure: normalement, 10 minutes pour faire votre exposé, 10 minutes pour le gouvernement, 10 minutes pour l'opposition. Et ce que vous prendrez en moins, ils pourront l'utiliser pour poser des questions, ce que vous prendrez en plus leur sera soustrait. M. Larose.


M. Rodrigue Larose

M. Larose (Rodrigue): Bonjour. Je veux d'abord remercier les gens de la commission parlementaire de bien vouloir m'entendre. C'est sans doute l'originalité du mémoire qui me vaut l'invitation, car je doute que beaucoup d'autorités scolaires ou de praticiens de l'école se soient présentés ici pour réclamer des dispositions nouvelles dans la Charte de la langue française afin de les contraindre elles-mêmes, ces autorités, à promouvoir le français dans le quotidien des écoles, tant sa présence dans diverses activités que le respect de la qualité du français parlé. Mon mémoire abordera très peu le français écrit. Vous entendrez donc un type de la base scolaire, un homme de terrain.

Dans le document qui est soumis à notre critique, il y a d'importants éléments de solution. En général, il décrit bien les nombreux problèmes vécus par le français au Québec dans le commerce et les entreprises, au travail et dans l'affichage, dans l'administration publique, etc. Il contient d'importants éléments de solution destinés à revitaliser la langue française. Cependant, probablement parce que l'enseignement du français lui-même sollicite à lui seul beaucoup d'attention, on y circonscrit moins bien les problèmes du français vécus dans le quotidien des écoles primaires, secondaires, collégiales et universitaires, problèmes souvent vécus dans l'indifférence du personnel enseignant ou administratif. Et parfois le système scolaire lui-même donne son accord au ravalement du français. En formation professionnelle, par exemple, entre les années 1985 et 1990, lors de l'implantation du logiciel AutoCAD en dessin technique, version anglaise plutôt que française, un petit peu plus d'anglais au travail s'est imposé au Québec par les bons soins de l'école francophone.

Je passe aux cinq chapitres qui m'inspirent chacun une réflexion globale. Le chapitre I, Bilan de la situation, omet pudiquement de décrire les lâchetés linguistiques quotidiennes des écoles primaires jusqu'à universitaires. Exemple: rien sur l'absence de pièces francophones dans la plupart des activités à caractère musical encadrées par les écoles. Le répertoire est souvent 100 % anglo-étasunien. Rien sur le joual, qui est de plus en plus la langue du jeune personnel et même des autorités scolaires dans leurs relations avec les élèves.

Chapitre II. Il fait peu appel à nos écoles francophones pour qu'elles s'approprient ces principes axés sur une langue commune. Chapitre III. Il n'envisage malheureusement pas de nouvelles dispositions garantissant la présence et la qualité du français, des dispositions efficaces, j'entends. Et l'actuelle Charte de la langue française ne contraint en rien les écoles sous ce rapport. Je regarde ici le chapitre VIII, on demande que l'enseignement se fasse en français, dans l'article 72, et tous les autres articles donnent, après ça, la façon qu'ont les nouveaux arrivants de se soustraire à l'enseignement en français. Par ailleurs, on ne dit rien de l'environnement scolaire lui-même dans lequel doit baigner l'élève qui arrive dans l'école.

Le chapitre IV, malgré qu'il contienne beaucoup d'appels au monde scolaire, aurait avantage à comporter un sous-chapitre intitulé explicitement Faire jouer aux écoles – primaires jusqu'à universitaires – un rôle exemplaire et moteur quand il s'agit de choix administratifs et d'activités encadrées. Le chapitre V, en plus de la politique générale de la langue, devrait faire connaître nos diverses stratégies pour valoriser le français à l'école.

Je passe à la deuxième partie, Le français quotidien à l'école: le dernier des soucis. Il faut être conscient que, dans la plupart des maisons d'enseignement, au vu et au su de tous, l'anglais règne dans les activités à caractère musical. Même les cours de musique inscrits dans la grille horaire sont basés sur l'étude de pièces anglo-étasuniennes, en général. Il y a quelques pièces françaises, quand même. L'anglais gère les réseaux informatiques, l'anglais dépare les affiches souvent en donnant des noms anglais à des activités sociales, l'anglais scintille sur les écrans numériques et les tableaux de commande de nombreux appareils de bureautique ou ludiques, l'anglais s'impose comme terminologie en formation professionnelle, l'anglais colore de nombreux calques dans la langue parlée par les intervenants eux-mêmes. Il y a des impropriétés, des anglicismes. J'en donne quelques-uns ici, comme «show business», «joke», «job». Ce sont des mots courants, ça, dans le langage usuel des gens de l'école.

Les structures anglaises et même la prononciation anglaise d'abréviations et d'acronymes français – BERT, REER – prospèrent dangereusement aux dépens du français. Des directions d'école et autres membres du personnel ne se gênent guère pour joualiser devant les élèves. Bien plus, le vocabulaire de l'éducation dans le discours et les textes officiels glisse vers l'anglais. Chez nous, ce n'est plus des cours qui se donnent, ce sont des périodes, on accorde des crédits plutôt que des unités, on est dans des classes régulières plutôt que des classes ordinaires, ce sont des étudiants plutôt que des élèves, on parle d'académique plutôt que de scolaire, on parle de bris d'horaire pour parler de suspension des cours, etc. Dans les circulaires internes et sur les babillards, c'est l'anarchie quant aux normes du français pour indiquer l'heure, les nombres au-delà de 1 000 et quant à l'usage des majuscules, etc. En résumé, très peu de gens du milieu se soucient de la piètre qualité du français affiché et véhiculé quotidiennement.

Je passe aux propositions législatives formelles. Un: que la Charte de la langue française comporte un chapitre jouant le rôle de charte scolaire du français, chapitre intitulé La présence et la qualité du français dans les écoles primaires jusqu'à universitaires, où seraient pris en considération le français dans les activités à caractère musical, le français en informatique et en bureautique, le français véhiculé par les affiches et dans les circulaires, le français au travail dans les ateliers scolaires, professionnels, techniques et d'ingénierie et le français comme langue parlée par le personnel.

(13 heures)

Deuxième recommandation: comme esquissé dans le document de consultation, que la Charte de la langue française contraigne les organismes administratifs et satellites des ministères gouvernementaux, entre autres du ministère de l'Éducation, soit les conseils scolaires, les écoles et les collèges publics ou privés, les universités, à créer des comités de francisation ou de promotion du français à l'exemple des entreprises; que ces comités linguistiques soient tenus de doter les établissements scolaires d'une politique institutionnelle du français.

Troisièmement, que la Charte de la langue française fasse un devoir aux universités chargées de la formation des enseignants d'intégrer à tous les cours des objectifs visant à assurer la qualité du français oral exempt d'anglicismes, de joual, d'incorrections structurales, d'impropriétés, ce qui ne se fait pas actuellement, et aussi à assurer la présence du français partout dans l'environnement physique des futurs enseignants en musique, en informatique, en bureautique ainsi que dans les activités encadrées. Il est notoire que la jeune relève privilégie souvent les produits culturels anglo-étatsuniens, que les anglicismes fusent de plus en plus dans son discours et qu'elle pratique souvent un joual de plus en plus fringant.

Quatrième recommandation. Que la Charte de la langue française comporte des dispositions pour que la qualité de la langue parlée autant qu'écrite soit considérée dans la délivrance des diplômes ou lors de l'engagement de ceux et celles qui se destinent à l'enseignement primaire, secondaire, collégial et universitaire.

Cinquième recommandation. Sur le modèle du suivi qu'on désire exercer dans les entreprises après certification, que la Charte de la langue française prévoie un suivi régulier de la place et de la qualité du français véhiculé dans le quotidien des écoles primaires, secondaires, collégiales et universitaires et qu'on mette au point un indicateur de la présence du français et de sa qualité dans ces domaines énumérés précédemment.

Sixième recommandation. Attentif au rôle linguistique primordial des écoles et à partir des incorrections quotidiennes les plus criantes recensées dans le milieu, que le Conseil de la langue française soit actif dans la promotion de la terminologie française appropriée – et je donne des exemples ici. Quand un mot étranger apparaît dans le paysage verbal ou visuel, avant qu'il ne s'incruste, que le Conseil de la langue française intervienne proactivement et propose un terme exact qui respecte le génie de la langue. Donc, on demande que le Conseil conseille.

Septième recommandation. Comme prévu dans le document de consultation, que la Charte de la langue française oblige les entreprises qui veulent devenir fournisseurs du secteur scolaire ou public à livrer le français avec et sur leur produit. Il faut dire que nos écoles ne se préoccupent pas, disons, de cet aspect-là quand elles demandent un produit; bien souvent, c'est l'anglais qui est fourni, c'est l'anglais qui est affiché, et il faut intervenir de façon radicale pour que les choses soient modifiées par l'acheteur de la commission scolaire.

Huitième recommandation. Que la Charte de la langue française prévoie la nomination d'un commissaire de la langue spécialement chargé de veiller à l'usage et à la qualité du français dans chacune des grandes institutions scolaires.

Neuvième recommandation. C'est une politique culturelle globale qui est demandée, là.

Je passe à la dixième. Que la Charte de la langue française, en matière d'activités à caractère musical, établisse un taux minimal de 65 % de pièces francophones à l'intention des écoles et des organismes de diffusion publique, un peu comme le CRTC.

Ce sont là quelques recommandations précises destinées à remplacer une certaine pensée magique qui traverse le document de consultation soumis à notre étude.

Il y a d'autres pratiques aux incidences linguistiques négatives, comme ces subventions aux universités anglophones qui dépassent de beaucoup le pourcentage de la population reconnue de langue anglaise et qui, par le principe des vases communicants, privent les universités francophones de ressources correspondant au poids démographique des Québécois francophones. C'est peut-être aller à l'encontre de la rectitude politique, mais il faut se dire ces choses.

D'autres exemples: l'anglicisation par les collèges anglophones d'une forte population d'élèves immigrants à qui on devrait étendre les règles d'admissibilité à l'école anglaise; l'aide financière aux écoles privées ethniques, non protégées par la Loi constitutionnelle du Canada, qui perpétuent la diversité culturelle et qui finissent par s'opposer à la culture de l'État-hôte; le fait aberrant que les francophones confient aux anglophones du Protestant School Board of Greater Montréal la francisation d'une bonne partie des jeunes immigrants; le financement par les francophones des écoles amérindiennes et inuit où la deuxième langue est la langue anglaise; l'entretien, à coups de millions de dollars, de deux réseaux scolaires complets, que ce soit confessionnel ou linguistique, sur le même territoire.

Onzième recommandation. C'est la recommandation qui s'ensuit: qu'on analyse et révise toutes les anormalités énumérées ci-dessus, inexistantes dans les pays non colonisés.

Maintenant, une recommandation, la recommandation 12, qui se lit ainsi: Au sujet des cours intensifs d'anglais, qui se répandent comme un feu de brousse à l'heure actuelle, que le gouvernement abolisse d'autorité cette pratique contre-productive sur le plan usage et qualité du français à l'école primaire, avec répercussions au secondaire, au collégial et à l'université. Pour appuyer, disons, cette recommandation-là, quand le document nous dit que l'enseignement de l'anglais langue seconde doit se faire sur la base d'une bonne connaissance du français écrit et parlé, je ne crois pas qu'en quatrième, cinquième ou sixième année les élèves aient cette bonne connaissance du français écrit et parlé. C'est évident: les élèves distinguent à peine le sujet du verbe ou du complément, ils ne connaissent pas la nature de ces derniers et à peine savent-ils les rudiments de la grammaire.

Et il y a une mode à l'heure actuelle qui fait qu'on prive par des cours intensifs d'anglais... on coupe le français pendant une demi-journée, disons... pendant une demi-année des élèves qui non seulement vont apprendre l'anglais, mais on les entraîne à vivre en anglais. Je pourrai peut-être en reparler de cette chose-là ici. À l'école Jacques-Labrie, de Saint-Eustache, ce n'est pas seulement les élèves qui suivent les cours intensifs d'anglais qui sont invités à parler anglais, c'est toute l'école. Donc, vous avez là, disons, une école qui se veut bilingue, et je ne crois pas que ce soit bénéfique pour l'apprentissage du français au Québec. Maintenant, c'est un instrument, disons, de déculturation, ces écoles qui tablent sur des cours intensifs d'anglais, et ces cours intensifs d'anglais ont été instaurés sans aucune étude préalable nouvelle.

En terminant, les écoles primaires, secondaires, collégiales et universitaires sont des véhicules essentiels à la pérennité du français, pas seulement du français écrit, au Québec. Les écoles ne bougeront pas en matière de présence et de qualité du français quotidien tant qu'on ne les y forcera pas: la pensée magique a ses limites. La Charte de la langue française doit contenir des dispositions explicites et efficaces contraignant les écoles de tous ordres à promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec. Merci.

Le Président (M. Garon): M. Larose a pris 15 minutes et demie. Alors, Mme Malavoy.

Mme Malavoy: Ça veut dire qu'il me reste à peu près sept minutes, mettons.

M. Larose (Rodrigue): Ce n'est pas 15 minutes?

Le Président (M. Garon): À peu près, oui.

Mme Malavoy: À peu près sept minutes. Bonjour, M. Larose, et merci de votre présentation. Je tiens à vous dire d'abord que c'est magnifique de voir que des gens de la base, comme vous dites, mais de la vraie base, les gens qui défendent et font la promotion du français tous les jours à l'école, prennent la peine de travailler un mémoire comme le vôtre et de venir nous le rendre avec beaucoup de vigueur et de précision. Alors, je tiens d'abord à vous remercier et souligner en passant, vous me permettrez, M. le Président, que M. Larose vient du comté de Sherbrooke. Alors, ça me fait plaisir, en plus, de l'accueillir ici.

Je suis consciente que votre mémoire est assez touffu et qu'on n'aura pas le temps de tout revoir, mais je vais essayer de vous poser quelques questions pour qu'on puisse peut-être profiter de votre présence pour aller un petit peu plus loin dans vos propos.

Vous parlez – et ça m'intrigue un peu – de mesures précises, et je pense à deux mesures sur lesquelles j'aimerais vous entendre parler un peu plus. Les comités de francisation, qui sont dans votre proposition 2, je crois. J'aimerais savoir comment vous les pensez, comment ils seraient structurés, quel genre de partenaires en feraient partie. Vous avez rapidement glissé là-dessus dans votre document, mais parlez-m'en un peu plus.

(13 h 10)

J'aimerais vous entendre parler aussi – c'est la proposition 8 – de cette question de commissaire de la langue officielle dans les grandes institutions scolaires. Là encore, j'aimerais comprendre mieux le rôle de ce commissaire, savoir ce qu'il aurait à faire concrètement, au nom de quoi et dans quelle circonstance on ferait appel à ses services.

M. Larose (Rodrigue): Concernant les comités de francisation, c'est peut-être un terme... j'ai utilisé, disons, une terminologie connue qui pourrait s'appeler... c'est peut-être comité de valorisation du français dans la bâtisse, dans l'établissement. Par expérience, chez moi, il y en avait un de ces comités-là, qui n'était pas nécessairement bien vu de la part des autorités, mais je crois que nous avons été efficaces et qu'il y a des choses qui ont changé parce que nous étions attentifs à la vie en français dans notre école.

Mme Malavoy: Est-ce que vous pourriez m'illustrer, à même votre expérience, ce que ça a donné, ce comité dans votre école?

M. Larose (Rodrigue): Quand nous sommes entrés en action, il y avait peut-être, je ne sais pas, 10 % de musique francophone, du répertoire francophone, à la radio scolaire et ces dernières années, c'était 65 %. On était obligés, disons, la direction, de se battre contre les élèves qui faisaient partie du comité de la radio. Mais, quand même, l'école avait une préoccupation pour que la musique, pour que les spectacles à caractère musical, comme la danse créatrice, comme les galas de fin d'année, comportent une proportion de 65 % de musique française, de musique, disons, d'origine française, francophone.

Maintenant, la même chose, disons, pour des ordinateurs qui nous sont arrivés à l'école avec des claviers anglais, il y a deux ans. Nous avons été la seule école où la direction a pris l'initiative de retourner les claviers pour avoir des claviers français, qui existaient sur le marché. Les trois autres écoles secondaires de Sherbrooke, sans dire un mot, ont installé les ordinateurs dans leurs laboratoires, claviers anglais, «Caps Lock», «Backspace», etc. Personne n'a dit un mot. Donc, c'est dans ce sens-là qu'il faudrait avoir dans nos écoles des gens qui sont d'office aux aguets et qui regardent ce qui se passe, et la direction pourrait faire partie de ce comité-là, des professeurs, des gens du personnel de soutien également. C'est comme ça que je vois ça.

Mme Malavoy: Et le commissaire de la langue?

M. Larose (Rodrigue): Le commissaire. À quel niveau? Je ne l'ai pas indiqué ici. Il faut absolument avoir quelqu'un à qui on réfère... à qui on peut... que l'on peut rejoindre pour porter telle et telle plainte, qui n'aboutit pas. Même dans votre milieu, à l'occasion, il y a des choses qui ne changent pas. Comme recevoir un appareil téléphonique, vous allez me dire: On n'a pas besoin d'être capable de lire ce qu'il y a dessus pour l'utiliser. Mais le tableau de commande est anglais. Vous faites des récriminations, vous leur dites: Je veux avoir des instructions en français, qui n'existent pas, elles sont en anglais. Là, on vous dit: Coudon, là, un téléphone, tu sais utiliser ça; l'interphone, c'est dans l'école, tu sais l'utiliser.

Donc, à qui peut-on, disons, se plaindre qu'il y a là un accroc, dans tous les départements, à la langue française? Dans une école française, les téléphones, les tableaux de commande des téléphones sont anglais, tout comme les claviers d'ordinateurs. Et ce commissaire à la langue, ce commissaire de la langue, ça pourrait être un cadre du conseil scolaire à qui on fait part de notre non-satisfaction devant telle et telle chose.

D'ailleurs, quand on parle de commissaire de la langue, j'apprenais hier qu'à Sherbrooke, à l'occasion du virage ambulatoire et du remaniement des services de la santé, le CUSE de Sherbrooke a nommé quelqu'un le protecteur de la langue anglaise, c'est-à-dire afin que des anglophones, les 9 %, 10 % d'anglophones de la région de l'Estrie, soient assurés que, quand ils arrivent dans une institution, ils puissent avoir affaire à des gens qui parlent leur langue. Donc, on a, dans nos services de santé à Sherbrooke, un protecteur de la langue anglaise.

Pourquoi est-ce que, dans nos écoles, il ne pourrait pas y avoir un commissaire, un protecteur ou un vérificateur, nommons-le comme on veut, pour regarder ce qui se passe dans le quotidien de cette école et dans le quotidien du conseil scolaire? Parce que le commissaire, je considère qu'il ne serait pas nécessairement dans chacune des écoles. Il n'y aurait pas nécessairement un commissaire au conseil scolaire, un à l'université, un au collège de Sherbrooke. Il pourrait y avoir un commissaire. Il faut avoir un répondant quelque part.

Mme Malavoy: Est-ce que je comprends que, dans vos propositions, vous souhaitez que des choses soient formalisées, des comités, des commissaires, et, en même temps, que votre expérience vous dicte, si j'ai bien compris, qu'il y a aussi des gains qui sont faits parce que des gens y mettent du coeur et le souhaitent? Votre comité de francisation avant l'heure, peut-être, dans votre école, c'est ça qu'il a fait.

Je dis ça parce qu'il y a un endroit dans votre texte où ça m'a un peu inquiétée, quand vous dites, je crois, en page 4, que le monde scolaire ne fera la promotion du français que s'il y est contraint. On sait fort bien que, dans ce domaine-là, la contrainte peut peut-être apporter certains changements, mais c'est sûrement au niveau des attitudes et du travail sur les comportements qu'on peut avoir des gains qui soient véritablement enracinés et intéressants.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie...

M. Larose (Rodrigue): Si l'on veut que quelque chose...

Mme Malavoy: Bien, je peux avoir la réponse, tout de même?

Le Président (M. Garon): Oui, mais c'est parce que c'est...

M. Larose (Rodrigue): Si l'on veut...

Le Président (M. Garon): La réponse fait partie du temps.

Mme Malavoy: Bien oui, mais...

M. Larose (Rodrigue): Si l'on veut que quelque chose change dans nos écoles, il faut absolument avoir des instruments formels qui vont faire qu'il va y avoir des gens, disons, qui vont se préoccuper de cette chose-là de par leurs fonctions. Au conseil scolaire de Sherbrooke, ça a pris cinq ans avant d'avoir une politique linguistique, et nous l'avons eue par l'usure, parce que nous sommes revenus constamment, donc...

Le Président (M. Garon): Je vous remercie.

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Garon): Maintenant, au tour de l'opposition officielle. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. M. Larose, vous vous rappelez peut-être que, lors d'une soirée fort agréable et fort amicale au moment où j'étais président du Conseil de la langue française, nous avions discuté, vous et moi, mais aussi avec vos collègues de Sherbrooke, de beaucoup des questions que vous abordez dans ce mémoire. Je pense qu'à ce moment-là et toujours aujourd'hui il y a entre nous un accord sur un besoin, je dirais, urgent d'une animation linguistique déterminée d'un certain nombre des milieux dont vous avez parlé.

Par ailleurs, j'ai toujours des réserves évidemment sur – mais ça, c'est le gouvernement qui décidera des modalités, n'est-ce pas – l'encadrement législatif sur lequel il faudrait asseoir cette animation. Et je pense, M. le Président, que les commentaires, les questions de notre collègue, la députée de Sherbrooke, rejoignent ce genre de préoccupation. Mais je souscris tout à fait à votre analyse qui nous montre que, dans la vie quotidienne des écoles où l'enseignement se fait en français, à Sherbrooke, évidemment, il y a un gros travail à faire pour assurer que le français devienne une langue d'usage actif et qu'on fasse – je n'hésite pas à employer le mot parce que c'est un mot qui est employé dans les milieux respectés – un travail, disons, de purification linguistique, puisque, on le constate, dans un certain nombre de domaines l'emprunt est très répandu et que ça a certainement pour effet, comme vous le dites, de produire beaucoup d'interférences sur le français parlé et le français écrit.

Donc, j'ai trouvé votre mémoire tout à fait éclairant. L'opposition vous remercie d'avoir bien voulu nous le présenter.

Il y a peut-être un petit correctif que je vous suggérerais, mais je le fais sans aucune intention, disons, maligne, là. À la page 3, dans la partie du mémoire qui traite de la promotion active par le Conseil de la langue française, vous dites: «Attentif au rôle linguistique primordial des écoles et à partir des incorrections quotidiennes les plus criantes recensées dans le milieu, que le Conseil de la langue française soit actif dans la promotion de la terminologie française appropriée. Balayeur optique pour scanner; DOC pour cd-rom, REER pour rir», et ainsi de suite. Évidemment, vous conviendrez peut-être avec moi que cette tâche-là, en vertu de la loi 101, elle a été confiée à l'Office de la langue française plutôt qu'au Conseil, mais le gouvernement pourrait évidemment décider que le Conseil pourrait jouer un rôle là-dedans.

(13 h 20)

Mais je pense que, encore ici, sur le besoin que vous exprimez, écoutez, on est entièrement d'accord avec vous, c'est-à-dire qu'on continue à parler de «basketball» plutôt que de «ballon-panier»... Dans le cas du «gaminet» pour «T-shirt», je dois vous avouer que c'est une... J'ai regardé ce problème-là, cette question-là assez attentivement quand j'étais à l'Office, mais, disons, la décision a été prise avant moi. Dans le cas du «gaminet», disons que le travail néologique n'a pas très bien réussi, pour des raisons qu'on avait examinées à ce moment-là. L'équivalent «gaminet» pour «T-shirt» n'est pas très bien passé dans les moeurs. C'est peut-être parce qu'il y a des «gaminets» et des «gaminettes» qui portent des T-shirts. Mais il y a quelque chose là.

C'est peut-être que la ministre voudra, M. le Président, si vous me le permettez, demander à l'Office de la langue française de revoir, de revenir, de réfléchir un peu plus sur ces stratégies d'implantation terminologique. Parce que l'enjeu dont parle M. Larose est un enjeu fondamental et un enjeu important. Moi, je n'ai pas d'objection à ce qu'on utilise le mot «gaminet». Ça n'a pas très bien passé, mais par ailleurs il y a certains mots qui ont très bien passé, dans le cas de «logiciel», de «progiciel», de «matériel» pour désigner ce qu'on appelait anciennement du «hardware», ou dans le cas, par exemple, de «chiffrier» pour désigner ce qu'anciennement on appelait, à l'aide d'un terme moins approprié, dans le domaine de la comptabilité... Je pense que, là, il y a vraiment un travail de création, d'invention néologique, et d'invention néologique dans la perspective d'un succès d'adoption des termes par le locuteur.

M. Larose (Rodrigue): Est-ce que je peux réagir, s'il vous plaît?

M. Laporte: Oui, oui, si vous voulez. Enfin, j'ai terminé. Je veux vous dire que, sur cette question-là – vous avez amplement le temps – je trouve que, sur cette question-là, vous avez... Moi, je suis très, très, très content que vous ayez fait ces commentaires.

M. Larose (Rodrigue): Ce sont des exemples, ça, ici. Je ne ferai pas une crise d'urticaire parce que tel mot est passé dans le langage plutôt que tel autre. Mais tout ce qu'on demande, c'est que... Vous me dites que l'Office de la langue française devrait avoir une stratégie de mise en marché de son vocabulaire nouveau, ce qu'elle n'a pas. Je pense aujourd'hui à des instruments qui existent, à des télécopieurs. Ça peut être aussi un petit encart publicitaire, pas nécessairement enrobé dans un long texte. Un peu comme on vend le Pepsi ou le Coke, dire: On va vendre tel mot. C'est comme «balayeur optique», qui a de la difficulté à s'implanter. Je l'ai vu dans de la publicité, mais c'est «scanner» qui semble vouloir s'implanter.

Mais, si chacune des écoles, à un moment donné, recevait, je ne sais pas, par télécopieur: Voici ce qu'en pense, pour telle chose, l'Office de la langue française, et le publiait dans l'école à l'occasion de la publication hebdomadaire ou bimensuelle qui est répandue dans l'école, ou dans un mot de la direction... Ce sont des choses comme ça, disons, qu'il faudrait mettre... C'est-à-dire ce sont des mots nouveaux, il faudrait trouver une mise en marché, parce qu'à l'heure actuelle, si ce n'est pas l'Office de la langue française qui en fait la promotion, c'est le chroniqueur d'Internet à tel endroit, c'est le chroniqueur de sports, c'est le chroniqueur de musique qui imposent la terminologie. Alors, que l'Office de la langue française également se fasse valoir.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Larose. Comme...

M. Laporte: M. le Président, si vous me permettez, juste...

Le Président (M. Garon): Bien, là, on est 25 minutes en retard.

M. Laporte: Juste en terminant, M. le Président. Juste en terminant, M. le Président, parce que les propos de M. Larose sont très importants là-dessus. Dans ce document-ci – la ministre ne nous écoute pas, M. le Président, malheureusement...

Le Président (M. Garon): Oui, mais là il est 13 h 25. Il faut ajourner.

M. Laporte: Dans ce document-ci... Juste un point. Juste un moment. Dans ce document-ci...

Le Président (M. Garon): Il faut suspendre.

M. Laporte: ...il manque...

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont, on est 25 minutes en retard.

M. Laporte: M. le Président...

Le Président (M. Garon): On a des groupes qui vont venir à 14 heures cet après-midi. Alors, si on ne veut pas tout bousiller notre journée, il faut, à un moment donné, arrêter.

M. Laporte: L'autorité, c'est vous, alors...

Le Président (M. Garon): Oui. Et je veux vous proposer ceci, par exemple, parce que j'ai peur que les gens n'aient pas le temps de dîner en 35 minutes. Peut-être qu'on pourrait suspendre jusqu'à 14 h 15. Est-ce que ça vous convient ou...

M. Laporte: Jusqu'à 14 h 15, non?

Le Président (M. Garon): 14 h 15, oui. Alors, si ça vous convient. Parce que, autrement, on va avoir des gens qui vont se dépêcher pour arriver à temps pour attendre les autres. Alors, les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 14 h 15.

(Suspension de la séance à 13 h 26)

(Reprise à 14 h 28)

Le Président (M. Garon): Je constate que nous avons quorum. Donc, la commission reprend ses travaux, et j'invite immédiatement M. Michel Moisan à venir à la table des témoins. Je m'excuse pour les gens qui n'étaient pas ici cet avant-midi, c'est parce qu'on a fini il était près de 13 h 30, et ça a été le temps du dîner. Il y avait beaucoup de gens au Parlementaire, alors c'est un peu pour ça qu'on est en retard, on pensait commencer à 14 h 15.

M. Moisan, vous avez une demi-heure; normalement, 10 minutes pour votre exposé, 10 minutes pour les députés ministériels et 10 minutes pour l'opposition. Si vous prenez plus de temps, bien, ils pourront moins vous poser de questions.

M. Moisan (Michel): D'accord.

Le Président (M. Garon): Et si vous en prenez moins, bien, le temps, ils pourront le prendre pour poser des questions.

Maintenant, je vais être assez strict, parce qu'on m'a demandé que ça finisse le plus possible à l'heure parce qu'il y a des entrevues pour des médias suite à la commission. Alors, je dois appliquer strictement... c'est pour ça que je vous demanderais, si c'est possible, de ne pas faire un grand préambule à votre question et, à la fin de votre temps, poser une question; il n'y aura pas de réponse, parce que le temps de la réponse compte dans le temps des députés. Tant la question que la réponse comptent dans le temps, alors...

Une voix: ...

Le Président (M. Garon): Ah! ça dépend, ça dépend. Depuis hier après-midi, j'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de monde qui avait été vacciné avec une aiguille de gramophone. Ha, ha, ha!

M. Moisan, à vous la parole.


M. Michel Moisan

M. Moisan (Michel): Merci, M. le Président. Ma présentation vise principalement à dénoncer le bilinguisme institutionnel, particulièrement en milieu universitaire, parce que je pense que ce bilinguisme institutionnel sonne le glas du français au Québec, compte tenu de notre environnement anglophone en Amérique du Nord.

Tout d'abord, je voudrais donner quelques indications sur ma personne, parce que je ne suis pas en sciences politiques, mais je suis professeur de physique expérimentale. Je dirige une équipe de recherche qui a été classée première sur 83 équipes au dernier concours FCAR, et surtout je voudrais signaler que j'ai environ 250 articles de communication à des conférences et que j'ai même écrit un livre en anglais. Donc, si vous voulez, plus de 90 % de mes publications sont en anglais. Le but de ma présentation n'est pas de dénoncer les publications en anglais, mais vraiment de considérer ce qui se passe à l'université intra muros.

Le texte que je vous ai remis, donc, contient une analyse de la situation linguistique de l'Université de Montréal. Pour essayer d'avoir une approche la plus objective possible, j'ai utilisé la grille d'analyse de l'Office de la langue française pour la délivrance du certificat de francisation. Il est bien évident que l'Université de Montréal n'est pas une entreprise, même si certains voient nos étudiants comme des clients, les diplômes comme des produits et le financement de l'université comme étant le chiffre d'affaires.

Alors, dans le texte que je vous ai remis, j'ai considéré, donc, sept des neuf critères de l'Office de la langue française, et, sur ces sept critères, si on regarde attentivement, vous verrez que l'Université de Montréal ne passe pas le test de ces sept critères. Ce qu'on peut en conclure, c'est que l'Université de Montréal ne fonctionne pas en conformité avec l'esprit de la Charte de la langue française. Donc, c'est une façon de comprendre la situation à l'Université de Montréal.

Je dois dire que cette situation, à ce que me disent mes collègues de Québec, est à peu près équivalente, à peu près la même à Québec, et peut-être même un peu plus délicate à Sherbrooke, où le recteur avait annoncé, dans son projet pour l'avenir, d'utiliser à la fois l'anglais et le français pour l'enseignement à Sherbrooke.

Alors, dans mon texte, vous avez vu que j'attirais l'attention sur la qualité du français du corps professoral, qui était insuffisante. Nous avons eu, encore très récemment, des réunions de comité de promotion à l'université et, dans un cas, par exemple, pour la partie évaluation de l'enseignement, en étudiant les textes, on s'est rendu compte que certains des professeurs avaient complètement fait disparaître les accents, et l'assemblée départementale de physique, par exemple, a trouvé tout à fait ridicule le fait de vouloir signaler que les professeurs écrivaient sans les accents maintenant. Évidemment dans le texte je souligne aussi qu'on fait passer des tests de français aux étudiants, mais que bon nombre de professeurs ne pourraient pas réussir ces mêmes examens.

Donc, ce qui se dégage de cette analyse, c'est que l'image qui est projetée, donc ce qui est perçu par nos étudiants et par le corps professoral, c'est que le français à l'Université de Montréal, ce n'est pas important. J'en vois comme manifestation, par exemple, le fait que mes collègues allophones ne sont absolument pas intégrés à la langue française à l'université. Ils enseignent en français, mais, dans leur vie civile, ils communiquent avec l'extérieur en anglais. Il suffit, pour cela, d'appeler certains de mes collègues à domicile pour voir qu'ils ont des répondeurs uniquement, enfin un texte, un message en anglais. Donc, c'est l'essentiel du résultat de l'analyse.

Si je vais vers la section 2.5, je voudrais regarder les raisons de ce glissement vers le bilinguisme, un bilinguisme d'abord fonctionnel, mais qui tend à devenir institutionnel, puisque l'université, par exemple, tente, de plus en plus, d'avoir du personnel bilingue, au point où ceci entre en conflit avec la Charte de la langue française, puisqu'il y a eu plusieurs contestations à ce sujet auprès de l'Office. Et, dans 75 % des cas, donc, les griefs ont été accordés aux syndiqués et l'université a été déboutée dans ses prétentions.

Donc, les raisons que je vois à ce glissement pour le bilinguisme, la première, c'est un laisser-aller général, une certaine démission des professeurs. Je pense qu'on retrouve ça aussi dans notre société de façon générale. Je vous ai signalé, il y a quelques instants, le fait que le comité de promotion trouvait que ce n'était pas nécessaire d'examiner la qualité des textes que les professeurs rédigeaient et que, si on trouvait des fautes d'orthographe, des impropriétés de syntaxe, bon, en fait, ce n'était pas très important. Ce qui comptait, c'était le fond de ce qui était enseigné.

Le deuxième point est assez délicat comme raison du glissement vers le bilinguisme, c'est le clientélisme. Je vous ai dit tout à l'heure que, bien sûr, l'université n'était pas une entreprise, mais, quand même, nos dirigeants, notre administration fonctionne comme si nous étions une entreprise, dans le sens qu'il faut maintenir une clientèle la plus élevée possible dans l'université pour pouvoir avoir les budgets correspondants.

Donc, si nous voulions faire respecter le français de façon plus stricte à l'université, ceci amènerait une diminution de notre clientèle, clientèle qui, selon toute vraisemblance, est tout à fait disposée à aller dans les universités anglophones. Je vous le signale – sans doute le savez-vous – 28 % des effectifs universitaires au Québec sont dans les universités anglophones, alors que la population de langue maternelle anglophone est de 8,8 %, d'après le recensement de 1991. Donc, ils auraient un effectif universitaire de 28 %. C'est sans doute partiellement justifié, de notre direction, de s'inquiéter de ce transfert vers les universités anglophones.

Le troisième point qui est responsable du glissement vers le bilinguisme, c'est le fait que la langue de communication des résultats de la recherche soit l'anglais. Je vous ai dit en commençant que j'avais publié plus de 90 % de mes articles en anglais, mais je veux dire très fortement que je pense que ceci n'est pas un empêchement au fait de pouvoir travailler dans les laboratoires, de faire vivre des laboratoires à l'université en français. Ce n'est manifestement pas le cas à l'heure actuelle et, dans mon texte, j'ai signalé des exemples concrets de ceci, même des méthodes de fonctionnement qui sont contre les normes de la CSST, puisque les indications de sécurité, dans certains cas, n'étaient affichées qu'en anglais. Il a fallu faire des représentations auprès de différents directeurs de départements pour que la situation soit corrigée.

L'autre raison aussi qui est liée à cette langue de publication, c'est que les professeurs font leurs demandes de subvention auprès du gouvernement fédéral, CRSNG et Conseil de recherches médicales, à 46 % en anglais. Donc, c'est une très mauvaise image pour nos étudiants et, en même temps aussi, ça crée un glissement supplémentaire vers l'anglais.

Et le dernier point qui est peut-être plus contestable, c'est que le français à l'université devient une langue de communication entre Québécois francophones. C'est un peu, je dirais, un phénomène de louisianisation, jusqu'à un certain point, qui se manifeste. Je ne dis pas que c'est le cas au premier cycle, mais je parle surtout, à ce niveau-ci, de ce qui se passe aux niveaux maîtrise, doctorat, où il y a des équipes de recherche qui fonctionnent. J'ai apporté des exemples ici de convocations – je n'ai pas fait le tour de l'université, mais ne serait-ce qu'en mon seul département de physique – à des réunions d'astronomie où le texte est en anglais. Bon, ce qui, je pense, peut être un peu surprenant à l'université.

Donc, je vais directement aux recommandations. J'ai ici les trois premières recommandations, je pense, qui touchent peut-être plus le ministère de l'Éducation lui-même, quoique la dernière recommandation est de nature à rendre la première plus forte, c'est-à-dire il s'agit d'affirmer, il faut faire en sorte qu'on puisse affirmer la valeur et l'importance de la qualité du français à l'université d'abord en exigeant que les étudiants et les professeurs s'expriment et écrivent correctement, et justifier ceci par la nécessité d'une pensée claire et rigoureuse surtout au point de vue scientifique. Donc, c'est quand même une nécessité que de s'exprimer clairement pour bien se faire comprendre.

Le deuxième point, c'est de faire passer des examens de français pour les professeurs qu'on embauche et quand il s'agit des promotions aussi auxquelles ils font appel. Et, troisièmement, de rendre la poursuite des études conditionnelle à la réussite de l'examen de français.

(14 h 40)

Et je pense que le point le plus important qui pourrait vous intéresser, c'est de voir, dans ce glissement vers le bilinguisme, quelque chose qui existait dans les entreprises, parce que les entreprises ont une rationalité de fonctionnement qui fait que c'est le profit qui les dirige. Donc, s'il y a un peu de clientèle anglophone ou une façon plus facile de fonctionner en anglais, elles tendent vers l'anglais. Alors, pour réagir à ceci, la Charte a obligé les entreprises à obtenir des certificats de francisation.

Alors, ma suggestion, donc, au niveau des universités, c'est que les universités soient également soumises à la délivrance d'un certificat de conformité à la Charte de la langue française, qui serait une obligation... enfin, qu'on puisse s'assurer qu'il y ait en place les mécanismes nécessaires pour que le français ait la place qu'il doit occuper, et que ce soit un français de qualité, qu'il y ait donc une vision d'avenir pour le français dans les universités, ce qui n'est pas le cas.

Ma dernière recommandation peut paraître mineure, mais, dans la partie de fonctionnement en laboratoire, elle est très importante, c'est-à-dire qu'il faudrait que les universités adoptent une politique d'achat qui soit comparable à celle des différents ministères du gouvernement du Québec, à savoir la possibilité d'exiger qu'un certain nombre de choses soient en français: que les manuels de fonctionnement, les notices de fonctionnement soient en français; que l'étiquetage sur les appareils soit en français aussi parce que, après, il ne faut pas s'étonner que les étudiants n'emploient pas une terminologie correcte en français si, chaque jour, ils ont devant eux des appareils dont toutes les indications sont en anglais. Et je pense que le poids des sommes dépensées annuellement par les différentes universités du Québec pourrait influencer les vendeurs de biens et d'équipements.

Et une toute dernière remarque, qui est à la page 8 de mon texte, qui est tout à fait en marge de ma présentation, c'est une note qui m'est venue de l'examen de la loi française sur la protection de la langue, qui dit que peuvent poursuivre devant les tribunaux non seulement la Chancellerie, mais aussi les associations accréditées. Et c'est une suggestion que je fais, que l'on reprenne, dans la modification à la loi sur le français, cette disposition qui enlève, comme je l'ai écrit, l'odieux au gouvernement et au Procureur général d'intenter des poursuites. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Merci, M. le Président. Merci, professeur Moisan, de venir témoigner devant cette commission. Je dois signaler votre... J'allais dire «votre détermination», j'ai failli dire «courage», comme si c'était courageux de venir devant une commission parlementaire. J'ai signalé, hier, que j'aurais aimé voir davantage des recteurs et des doyens venir témoigner à notre table, étant donné ce qui se passe dans les universités. Là où le français doit être la langue d'enseignement, on en est rendu, de manière analogique, à utiliser une grille qu'on a pour la reconnaissance du français comme langue de travail dans des usines ou des compagnies, le certificat de francisation aux entreprises, pour l'appliquer à l'université qui, somme toute, est une des vieilles universités françaises du Québec.

J'ai signalé, hier, étant un ancien universitaire de Laval moi-même, que la Faculté des lettres de l'Université Laval exige maintenant, pour faire une maîtrise en littérature française ou québécoise, la connaissance de l'anglais. Elle sanctionne la connaissance de l'anglais – c'est assez aberrant – sous prétexte que les grilles théoriques sont en anglais. C'est sûr qu'il y a des grilles théoriques qui sont en anglais, mais elles sont beaucoup en allemand aussi. Je ne pense pas qu'Althusser soit ni anglais ni français; pourtant ça a été un théoricien qui a été beaucoup fréquenté. Alors, je pense qu'il y a une sorte de syndrome de l'anglais, là, qui se manifeste dans la vie de l'enseignement universitaire.

Vous avez signalé des choses qui nous ramènent au début de cette commission. Ça fait déjà plusieurs séances que nous avons, et des gens sont venus nous signaler, par exemple, qu'ils avaient, dans certaines sections de Montréal, chez l'épicier, à utiliser pour se comprendre un papier pour savoir quel prix ça coûte, combien on les facture, combien ça coûte, un petit peu comme si on était dans un pays étranger. Alors, j'avais signalé Aragon: Un étrange pays dans mon pays lui-même. Comme le disait Miron, qui était là ce matin: Je ne suis pas étrange, je suis étranger.

Et, pendant qu'on nous décrit des choses comme vous nous décrivez, par ailleurs, on a des gens qui prétendent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Que, par exemple, sur la côte Sainte-Marie ou Sainte-Catherine, on utilise couramment le français, les gens utilisent couramment le français, etc. Alors, il se passe des choses qui font qu'il y aurait des éléments pourris dans le royaume du Danemark, pour reprendre une expression connue.

Vous avez décrit un certain nombre d'éléments. Peut-être que je pourrais, en particulier, vous poser des questions sur les causes de ce glissement vers le bilinguisme. Vous en avez identifié quelques-unes. Par exemple, vous avez identifié le laisser-faire, le clientélisme, la langue de communication des résultats de la recherche, peut-être aussi, relié à ça, une certaine anglophobie qui se pratique même à l'institut Pasteur – comme si le français n'était pas une langue internationale – et ceux qui nous font croire que, finalement, l'anglais comme langue internationale est plus valable, valide mieux les théories que le français comme langue internationale. Alors, je pense que c'est assez important.

Dans vos recommandations, par exemple, vous dites, dans la recommandation 3: «Rendre la réussite de l'examen de français obligatoire pour poursuivre des études à l'université.» Bon. J'aimerais savoir ce que ça veut dire exactement. Si j'ai bien compris, c'est de la part du ministère de l'Éducation que vous demandez ça, ou si c'est de la part de l'université elle-même?

M. Moisan (Michel): Ah! Il ne faut rien attendre de l'université, je pense qu'il ne se passera rien à ce sujet. Je pense que c'est le ministère. Par exemple, j'ai un étudiant qui est brésilien, donc de langue portugaise. Bon, il n'a pas subi d'examen pour rentrer à l'université, et, quand il s'est agi d'écrire sa thèse, eh bien, disons que j'ai collaboré très fortement à l'écriture de sa thèse. Est-ce que ça aurait été un gros empêchement pour lui? De combien de temps ça l'aurait retardé d'avoir suivi des cours plus importants en français? C'est une question qu'on peut se poser. Mais, de la part de l'université, elle ne fera pas appliquer cette règle parce que nos recteurs comptent combien il y a d'étudiants qui entrent chaque année. C'est la hantise de savoir si le budget va monter – mais enfin, on a l'ancien ministre de l'Éducation qui est ici – de combien il va descendre, suivant la clientèle. S'il y a une baisse de 0,5 %, nos dirigeants commencent à s'arracher les cheveux; si c'est 1 %, c'est la catastrophe. Et puis, bon, enfin...

M. Gaulin: Alors, si je comprends bien, le jeu concurrentiel est plus fort à Montréal qu'il ne l'est à Québec, où il y a une université, peut-être deux, si on compte l'Université du Québec.

M. Moisan (Michel): Oui. Vous avez tout à fait raison. Donc, il y a McGill, qui est une excellente université, comme chacun le sait, et qui ne demande pas mieux que d'accueillir des francophones. Mais enfin, ce que je reproche à McGill, à l'heure actuelle, c'est d'avoir une clientèle, qu'on appelle hors Québec, qui est beaucoup trop grande: il y a près de 40 % d'étudiants, à l'Université McGill, qui ne sont pas québécois. Et quand je dis non québécois, sont compris les immigrants qui ont un statut d'immigrant reçu. Autrement dit, il y a 40 % de gens qui viennent hors du Québec, y compris les États-Unis. Alors, cette université est donc tout à fait disposée à accueillir tous les étudiants francophones de Montréal qui voudront bien se présenter et à avoir une façade bilingue aussi. Enfin, ils répondent au téléphone en français et en anglais, et puis, bon, on peut arriver à trouver quelques services en français et en anglais, à McGill. Mais tout ceci, c'est au détriment des universités francophones et surtout, je dirais, de l'Université de Montréal.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. le Président, merci. Tout simplement pour saluer M. Moisan – j'ai dû malheureusement m'absenter quelques instants – et lui dire... Il y a très, très longtemps que l'on se connaît, puisqu'on a étudié en France au même moment, il y a déjà longtemps, malheureusement – ça fait 25 ans – et on a été dans les mêmes organismes étudiants, à cette époque-là. Je sais que ça fait des années que vous vous occupez et que vous vous préoccupez de cette question-là et je pense que vous en êtes devenu un vrai spécialiste, à l'heure qu'il est. Alors, je veux vous remercier d'être venu et vous en féliciter.

Le Président (M. Garon): Il nous reste 30 secondes.

M. Gaulin: Très bien. Alors, merci, M. le professeur. J'aurais eu beaucoup de questions...

(14 h 50)

Le Président (M. Garon): Un commentaire?

M. Paillé: Je voudrais juste savoir si ce phénomène-là, de l'utilisation de la langue anglaise dans les universités francophones, c'est un cycle. Parce que, bon, je me souviens, dans le début des années soixante-dix, à l'École des hautes études commerciales, par exemple, l'ensemble des manuels, que ce soit d'économique ou de management, étaient de langue anglaise. Et ça s'est tranquillement... Il y a eu beaucoup d'utilisation de volumes de langue française, parce qu'ils ont été écrits par des Québécois ou des profs de langue... On parlait toujours de «net present value», puis, bon... Moi, j'avais l'impression que ça s'améliorait. Là, vous, vous arrivez avec un phénomène. Est-ce qu'il est nouveau, ou est-ce que c'est une tendance lourde depuis trop longtemps?

M. Moisan (Michel): Bon. Je suis entré à l'université en 1961, et, l'année où je suis entré, ça a été la dernière année où il y a eu des cours en anglais en physique. Donc, il y a eu une amélioration, vous avez raison. Et puis nous sommes revenus en arrière sur le plan de la langue parlée et de la langue écrite, même si plusieurs de mes collègues tentent de pallier la difficulté en écrivant leurs notes de cours pour avoir des notes de cours en français. Mais la petite nuance, c'est que les notes de cours ne sont pas toujours bien écrites en français, donc ce n'est pas un bon exemple non plus pour les étudiants. C'est sans doute mieux que d'avoir des textes en anglais, mais...

M. Paillé: En fait, depuis...

M. Moisan (Michel): Pour répondre à votre question plus directement, il y a une baisse de la qualité du français, et on retourne probablement dans le cycle inverse, que vous avez connu.

Le Président (M. Garon): Au fond, ce serait très simple, quand les partis partagent le temps, s'ils donnaient autant de temps aux individus qu'aux groupes. On se rend compte que les témoignages des personnes individuelles sont aussi bons que ceux des groupes. Je vous fais la remarque. Les partis ont tendance à dire: c'est un individu, donc une demi-heure; puis les groupes, une heure. Moi, je suis obligé d'administrer la règle que vous avez fixée au point de départ. Mais je vous le fais remarquer pour la cohérence tant parlementaire qu'universitaire. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Professeur Moisan, j'avais quelques commentaires à faire sur votre exposé, qui témoigne bien sûr d'une situation, à l'Université de Montréal ou ailleurs au Québec, qui peut être jugée comme requérant des améliorations. Sur ça, je pense qu'on est entièrement d'accord avec vous, mais il y a tout de même, comment dirais-je, deux nuances que j'aimerais faire ici. La première, c'est que... Je pense que je vais commencer par la seconde.

La seconde, c'est que je ne conteste pas vos observations à l'effet qu'à l'Université de Montréal l'anglais est une langue instrumentale d'un usage étendu et que vous soyez, par ailleurs, tout à fait justifié qu'on en contextualise davantage l'emploi. Pour ce qui est, disons, de l'étiquetage, de la dénomination des lieux, des places, des laboratoires, évidemment, des outils, de la technologie, je pense que vous avez parfaitement raison, mais, sur ça, je pense que j'ai établi clairement ma position au cours de ces audiences, ce n'est pas ça que j'appelle du bilinguisme institutionnel.

Le bilinguisme institutionnel, à mon avis, c'est une notion que nos amis d'en face galvaudent à tout bout de champ, là. Ce n'est pas ça, le bilinguisme institutionnel, à mon avis. Le bilinguisme institutionnel, c'est vraiment un état de choix, un choix que fait une institution d'utiliser d'une façon systématique deux langues ou plusieurs langues à des fins de fonctionnement.

Ce qu'on trouve ici, c'est que l'emploi de l'anglais comme langue instrumentale occupe une place importante à l'Université de Montréal, mais ce n'est pas consacré par des sanctions légales, ni des sanctions officielles, ni des prononcements publics. Je n'ai jamais entendu mes amis recteurs de l'Université de Montréal afficher, affirmer que l'Université de Montréal avait eu cette politique linguistique. Mais, je reviens là-dessus, je suis tout à fait conscient, avec vous – j'y vais à l'Université de Montréal – que le rôle de l'anglais comme langue instrumentale n'est pas un rôle secondaire et que ce rôle s'est probablement aussi accru avec le temps, avec, disons, l'élargissement de la vocation internationale de l'Université de Montréal.

Je prends des exemples. Je ne sais pas comment on peut éviter... Je prends des exemples que je connais très bien, le Département d'économique, à l'Université de Montréal. Il est de notoriété publique que le Département d'économique s'est donné comme mission d'établir une notoriété et une compétence à peu près comparable à celle du Département d'économique de Harvard. Alors, à ce moment-là, évidemment, ça a des implications du point de vue des décisions de recrutement. Donc, j'aimerais que vous m'éclairiez un peu plus sur ce que vous entendez par du bilinguisme institutionnel. On n'arrivera pas à se mettre d'accord, mais enfin, je voulais tout de même vous dire que nous n'en avons pas la même compréhension.

Deuxièmement – mais, ça, c'est plutôt une remarque secondaire, M. le Président, ça n'est pas pour justifier l'état de fait que nous décrit le professeur Moisan – j'ai fait un bref séjour à l'université de Jérusalem, à l'université hébraïque à Jérusalem, à l'époque où on pouvait encore faire des séjours brefs mais utiles dans ces universités-là tout en étant un fonctionnaire dédié. Ce qui m'a étonné, à l'université hébraïque, qui contient autant de prix Nobel qu'à Berkeley, où j'ai fait une partie de mes études universitaires, c'est que des instituts de physique de la plus haute renommée mondiale, comme l'institut Weizmann par exemple, fonctionnent exclusivement en anglais. Il est même prévu, dans la charte de l'institut Weizmann, que tout séminaire, tout cours, tout enseignement de cet institut se donne en anglais plutôt que de se donner en hébreu. À ma connaissance non plus l'université hébraïque de Jérusalem, où vraiment la promotion de l'hébreu est, en Israël, un cas classique de succès phénoménal, n'a jamais songé à exiger que les savants qui la fréquentent, soit d'une façon permanente ou autrement, soient assujettis à des exigences linguistiques quelconques.

Donc, ce qu'on trouve à l'Université de Montréal, c'est peut-être insatisfaisant, mais ça n'est pas exceptionnel, ça existe dans des environnements universitaires comparables. On pourra m'accuser justement – on va le faire, je le sais – de résignation, d'à-plat-ventrisme, de tout ce qu'on voudra, mais, moi, je ne dirais pas qu'on me crucifie. Tout ce que je vous dis, c'est que c'est ce que j'ai vu. Voilà.

Donc, je partage grandement vos préoccupations. D'abord, je... Oui, on y peut beaucoup de choses. Beaucoup de choses. On a fait beaucoup de choses dans le domaine de la francisation du Québec. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses. Puis on peut faire encore beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses. Ça, vous le savez comme moi puis, de ce point de vue, vous n'avez rien à me reprocher, M. le Président.

Donc, j'aimerais vous entendre sur deux choses: Qu'est-ce que vous entendez exactement par le bilinguisme institutionnel? Et, deuxièmement, même s'il y a place pour de l'amélioration – il y a place pour de l'amélioration et pour beaucoup d'amélioration – est-ce qu'il n'y a pas néanmoins des situations comparables, qu'on trouve ailleurs, qui ne justifient pas ce qu'on trouve à l'Université de Montréal, mais qui peuvent nous aider à comprendre pourquoi, à l'Université de Montréal, on peut faire des observations comme celles que vous avez faites? Je vous remercie, M. le Président.

(15 heures)

M. Moisan (Michel): Je vais commencer par la deuxième question, si vous voulez bien. D'abord, il y a quand même beaucoup de séminaires qui se donnent en anglais à l'Université de Montréal et, dans mon texte, j'ai bien fait remarquer que je ne m'y opposais pas, dans la mesure où c'étaient des étrangers, des invités qui venaient à l'université. J'ai dit aussi que les stagiaires postdoctoraux, qui demeurent au maximum deux ans à l'université, je ne vois pas la nécessité qu'ils aient une connaissance absolue et parfaite du français. Mais, quand même, il ne faut pas que ceci soit au point où tout le laboratoire doive fonctionner en anglais parce qu'aux réunions les gens n'ont pas une connaissance suffisante du français.

Vous avez raison sur la question de certains pays. Bon. Vous vous êtes qualifié vous-même sur votre acceptation de la situation, je ne le reprendrai pas. Par exemple, aux Pays-Bas, plusieurs laboratoires et facultés ont abandonné, à toutes fins pratiques, l'usage du néerlandais. Les thèses sont publiées entièrement en anglais et même, dans plusieurs cas, soutenues en anglais. C'est un choix de la société néerlandaise. Je ne suis pas sûr qu'au Québec nous ayons, comme le dit le préambule de la Charte, les mêmes ambitions.

Pour la question de ce que vous appelez le bilinguisme institutionnel, écoutez, moi, je pense que ce n'est pas nécessaire que l'autorité en place ait affirmé haut et fort que l'institution, que l'établissement était bilingue pour que la situation soit telle. Surtout, je pense qu'il serait très mal venu de la part de notre recteur de dire une telle chose dans la situation linguistique actuelle. Donc, tout ce qu'il peut faire, c'est ne rien faire pour empêcher que cette situation de bilinguisme fonctionnel s'instaure. Et je pense que c'est comme ça qu'il faut voir la situation.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Moisan. Comme le temps imparti aux députés des deux côtés, l'aile parlementaire ou ministérielle et celle de l'opposition, est écoulé, je vous remercie pour votre contribution aux travaux de cette commission.

J'invite maintenant M. Gaston Cholette à venir à la table des témoins pour une période d'une demi-heure, encore une fois où, normalement, c'est une dizaine de minutes pour l'exposé, une dizaine de minutes pour les ministériels, une dizaine de minutes pour les libéraux, c'est-à-dire pour le parti de l'opposition officielle.


M. Gaston Cholette

M. Cholette (Gaston): M. le Président, Mme la ministre, M. le père de la Charte de la langue française, mesdames, messieurs les députés et l'opposition. Mon mémoire s'inspire en grande partie de l'expérience que j'ai vécue à la tête de la Commission de protection de la langue française. J'ai constaté à cette occasion-là que les droits linguistiques fondamentaux, en particulier celui du consommateur d'être informé et servi en français, celui du travailleur de pouvoir exercer son activité en français, avaient eu un effet d'entraînement considérable, mais que, lorsque des infractions étaient constatées, il était à toutes fins utiles impossible de faire respecter la loi et de sanctionner les présumés contrevenants. C'est pour ça que la plus grande partie de mon mémoire est consacrée aux droits linguistiques fondamentaux et aux moyens de les faire respecter.

Il y a eu trois décisions judiciaires dévastatrices à ce sujet-là. La première que je mentionne, c'est à propos de l'affaire du Dr Carl Sutton Jr, où le juge a décidé qu'il fallait demander un document en français au médecin si on voulait l'obtenir, et qu'il fallait le demander dès le départ.

Ensuite, il y a eu un jugement sur l'affaire des baux, une dame, qui avait signé un bail en anglais parce qu'il n'y avait pas de formule française de bail, avait répondu à un avis du propriétaire en français, alors qu'elle aurait dû, d'après le Code civil, répondre en anglais. Le juge a décidé que sa réponse n'était pas conforme et elle a perdu. Pour lui, on renonce même implicitement au droit d'être informé, servi et de passer des contrats en français.

Le troisième jugement, celui du Centre d'accueil Miriam, c'est le pire des trois parce que, ici, il s'agit de la Cour d'appel. Et la Cour d'appel a décidé que, pour qu'un ouvrier puisse recevoir les communications en français, il faut qu'il le demande, il faut qu'il le demande dès le départ puis d'une façon expresse. Alors, c'est absolument ahurissant. À une époque où les problèmes de chômage sont considérables, il faudrait qu'un chômeur qui veut obtenir un emploi demande, avant même d'être employé, que l'employeur communique avec lui en français. Bien sûr, ça ne veut pas dire que, s'il ne le demande pas, on ne communiquera pas avec lui en français, mais, s'il y a un problème qui se pose, c'est foutu si on va devant les tribunaux avec ça.

Alors, je propose trois mesures d'ordre général pour corriger la situation. Une première mesure, c'est que le législateur crée une présomption en faveur du français, une présomption voulant que le plaignant veuille être traité en français, faisant ainsi reposer sur le présumé contrevenant la charge de prouver que son interlocuteur a exigé expressément d'être traité dans une autre langue. Pendant un certain nombre d'années, j'avais préconisé que la Charte de la langue française soit déclarée d'ordre public. Je préfère maintenant suggérer que l'on crée une présomption en faveur du plaignant francophone. Autrement, ça aurait été trop compliqué, la nullité des contrats... il aurait fallu prévoir une série d'exceptions qui, finalement, auraient fait en sorte que la notion d'ordre public aurait été réduite à néant. Mais je crois que ce que je suggère ici aurait à peu près le même effet.

Il faudrait aussi créer des obligations, ne pas simplement affirmer le droit de tout le monde d'être servi en français et de travailler en français, mais créer des obligations pour ceux qui doivent respecter ce droit-là, parce que, en droit pénal, si on ne crée pas une obligation précise légale à l'égard de quelqu'un bien identifié, il n'y a pas de contrevenant et il y a présomption d'innocence de la part de celui qui est considéré comme contrevenant. Donc, à mon avis, en ce qui concerne les professionnels, les organismes et les individus qui vendent des produits ou qui rendent des services à des clients, il faudrait prévoir qu'ils doivent le faire en français. J'ajoute tout de suite que la loi ne devrait pas interdire que ça puisse se faire aussi dans une autre langue, mais, en cas de contestation, le présumé contrevenant, c'est lui qui aura le fardeau de la preuve, c'est lui qui devra prouver qu'on a exigé expressément que ce soit dans une autre langue que le français.

Une autre mesure d'ordre général, ce serait de traiter les droits linguistiques fondamentaux de la Charte de la langue française sur le même pied que les droits fondamentaux prévus dans la Charte des droits et libertés de la personne. À l'article 49 de la Charte des droits et libertés, on lit ceci: «Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.» Si on introduisait une disposition comme celle-là, la Charte de la langue française cesserait d'être une loi exclusivement pénale. Elle deviendrait une loi qui ouvre la voie à des recours de nature civile, donc à des dommages, et à des dommages exemplaires dans certains cas.

Maintenant, quelques mesures ponctuelles aussi qui pourraient être adoptées. Quand on dit, dans la Charte de la langue française, qu'on doit faire en sorte que les services soient disponibles en français, on arrive à une situation où, finalement, pour les tribunaux, ça ne veut rien dire. Dans un jugement, dans l'affaire du Dr Carl Sutton, Jr., le juge a dit, à toutes fins utiles: Un professionnel remplit son obligation de rendre ses services disponibles en français s'il dit au client qui se présente à lui: Moi, je ne vous sers pas en français, allez vous trouver un médecin de langue française.

(15 h 10)

Voici exactement le texte du jugement: «Si une requête pour l'obtention d'une expertise française avait été formulée au moment de la demande de services, le refus de l'intimé de fournir quelque expertise aurait pu être tout aussi excusable que l'attitude bien articulée du Dr Giroux qui, on s'en souviendra, n'a pas voulu qu'on l'en chargeât.» Le Dr Giroux avait dit: Si vous voulez une expertise dans un document écrit, allez voir un autre médecin.

Maintenant, en ce qui concerne le service à la clientèle, la loi devrait prévoir que l'employeur soit tenu d'exiger d'un employé susceptible d'entrer en contact avec le public une connaissance pratique du français et de lui donner comme instruction d'utiliser effectivement cette langue. Dans l'éventualité d'une condamnation par le tribunal, le paiement d'une amende ou de dommages ne devrait pas, cependant, être imposé à l'employé, mais plutôt à l'employeur.

Je signale à certains qui pourraient trouver cette attitude un peu forte que la commission Gendron, en 1972, dans sa recommandation n° 51, disait: «...que le gouvernement prenne les mesures qui s'imposent pour que tout employé du secteur privé qui, de par ses fonctions, est susceptible d'entrer en contact avec un client ait une connaissance d'usage de la langue française». Et la même commission faisait une recommandation semblable, la recommandation n° 69, en ce qui concerne les employés des organismes de services publics et parapublics.

M. Jean Lesage, à l'époque du débat parlementaire sur le projet de loi 63, le 19 novembre 1969, dit ceci: «Il est tout à fait normal, M. le Président – et nous l'avons, de ce côté-ci de la Chambre, tous répété, chacun à notre tour, à plusieurs reprises et souvent avec force – que tout Québécois d'expression française puisse toujours s'adresser dans sa langue à tout autre Québécois et s'attendre que ce dernier le comprenne et lui réponde en français. C'est non seulement normal, c'est le gros bon sens.» Ça, c'est en 1969 que... ça fait pas mal longtemps que ça a été dit.

En ce qui concerne les contrats d'adhésion, particulièrement les baux, ce que je suggère, c'est que, si un bail était conclu dans une autre langue que le français, pour toutes sortes de raisons, souvent parce qu'on dit qu'il n'y a pas de formule en français... Et puis, ça, ce n'est pas une hypothèse farfelue, ça m'est arrivé à moi-même quand j'ai déménagé à Montréal. Une des plus grosses maisons à appartements dans le quartier Côte-des-Neiges où j'étais allé – évidemment, je n'ai pas loué à cet endroit-là – me dit: Bien, nous, on n'a que des formules en anglais, des formules de bail en anglais. Bon. Alors, pour les gens qui ne sont pas trop, trop combatifs en ce qui concerne le respect du français, bien... Ensuite, ils ont des problèmes de toutes sortes avec l'anglais et le français, ils acceptent. Mais, en fait, ils subissent, ils se résignent. Il faudrait qu'ils puissent sortir de cette situation-là après coup et que le Code civil soit corrigé en conséquence. Il faudrait que, de toute manière, n'importe quel avis au sujet d'un bail rédigé en français soit valide, peu importent les circonstances.

Maintenant, en ce qui concerne l'article 30.1, suite à l'affaire du Dr Carl Sutton, je ne suis pas entièrement d'accord avec ce que le gouvernement propose dans le projet de loi n° 40. Étant donné les recommandations que j'ai faites plus haut, à mon avis, cet article devrait se lire ainsi: «Les membres des ordres professionnels doivent fournir en français et sans frais de traduction, à toute personne qui fait appel à leurs services, tout avis, opinion, rapport, expertise ou autre document la concernant.» La Charte de la langue française ne devrait plus obliger qui que ce soit à demander, à exiger d'être servi en français.

En ce qui concerne les biens, l'étiquetage des produits, je suis content que le gouvernement propose, dans son projet de loi, des mesures efficaces. Les remarques que je vais faire s'adressent plutôt à la future Commission de protection de la langue française, qui sera chargée de faire des enquêtes. Il ne faudrait pas, à mon avis, que la Commission se limite, comme elle l'a fait longtemps, à répondre à des petites demandes ponctuelles. Un client est allé dans un petit magasin, le produit n'était pas étiqueté conformément à la loi, il fait une requête à la Commission, la Commission fait une enquête là. Bon. Qu'est-ce que ce pauvre petit dépanneur, ce petit commerçant au détail peut faire pour corriger une telle situation? Il peut retirer le produit, le mettre dans le hangar. Une fois que l'inspecteur est passé puis a constaté que le produit avait été retiré, la Commission ferme le dossier. Le produit revient sur les tablettes. Et puis, chez les concurrents, il n'y a pas de changement, chez les fabricants non plus.

Il faudrait que la Commission, sans négliger ces enquêtes qui viennent de demandes de plaignants, fasse elle-même, de sa propre initiative, des enquêtes sectorielles, comme ça a été fait, par exemple, dans le cas des modèles réduits il y a quelques années. Je recommande d'ailleurs à ceux qui seraient intéressés à en savoir davantage là-dessus de lire le rapport de la Commission de protection de la langue française pour 1983-1984. Et j'en parle aussi dans un livre que j'ai écrit, là, qui est intitulé «Au service du Québec». Ce sont deux enquêtes sectorielles que la Commission de protection de la langue française a faites et qui ont donné des résultats qui ont fait corriger le mal à la source chez deux fabricants japonais, deux fabricants américains, deux parmi les plus gros. Autrement, on avait tout essayé avant et rien n'avait réussi.

Maintenant, j'en arrive au droit du travail. L'article 41, qui a fait l'objet d'une décision de la Cour d'appel, à mon avis, devrait être rédigé ainsi: «L'employeur doit rédiger dans la langue officielle les communications qu'il adresse à l'ensemble de son personnel, à une partie de son personnel, à un employé, à un particulier ou à une association de salariés représentant son personnel ou une partie de son personnel.»

Il y aurait lieu aussi que l'article 49 soit complété en disant que les statuts et règlements d'une association de salariés doivent être rédigés dans la langue officielle.

J'en arrive maintenant aux articles 45 et 46, qui, à mon avis, sont les plus importants dans le chapitre qui porte sur la langue du travail, des articles qui traitent des personnes qui pourraient être congédiées, ou qui ne seraient pas promues, ou qui seraient rétrogradées parce qu'elles n'ont pas une connaissance suffisante d'une autre langue que le français.

Et je parle aussi des conditions d'accès à un emploi, qui est l'article 46. Là-dessus, c'est un problème extrêmement complexe. Je ne peux pas développer ici les recommandations que je pourrais faire. Je suggère aux membres de la commission qui s'y intéresseraient de se reporter au rapport annuel de la Commission de protection de la langue française, 1983-1984 surtout, 1983-1984, je crois, où j'avais fait un rapport moral, comme président de la Commission, qui portait uniquement sur cette question-là: comment les articles 45 et 46 étaient traités; comment, dans la pratique, les travailleurs qui étaient pris avec des problèmes de ce genre-là arrivaient toujours dans un cul-de-sac.

Alors, il faudrait viser à ce que le droit du travailleur au français soit aussi bien défini et aussi bien protégé que le droit au salaire minimum. En règle générale, sous réserve des articles 142 et 144, les seules situations qui justifieraient, dans certains cas, mais pas automatiquement, l'usage d'une autre langue que le français seraient les relations avec l'extérieur du Québec et, dans une certaine mesure, avec le public. Cette règle devrait être inscrite dans la loi elle-même. Les actions qui se situent dans le cadre de la relation avec l'extérieur du Québec sont les suivantes: lire un document venant de l'extérieur, écrire un document destiné à l'extérieur, parler à un non-Québécois. L'Office de la langue française pourrait, par règlement, indiquer les exceptions à cette règle générale et aurait, comme à l'heure actuelle, compétence pour trancher tout litige à cet égard. Cependant, le législateur – le législateur – devrait disposer que l'on ne peut en aucune circonstance exiger d'un ouvrier la connaissance d'une autre langue que le français.

Et, dans la refonte de ces articles-là, le cas échéant, il faudrait que le législateur accorde au plaignant une aide juridique appropriée. Il faudrait que le plaignant soit accompagné par les pouvoirs publics. Je ne parle pas ici des travailleurs qui sont syndiqués ou qui travaillent dans une entreprise où il y a un programme de francisation. On peut dire qu'eux, étant donné que le chapitre sur la langue du travail fait partie de la convention collective, ils peuvent se débrouiller, enfin normalement ils devraient pouvoir se débrouiller. Mais, dans les entreprises qui n'ont pas de programme de francisation et qui ne sont pas syndiquées, là où le travailleur est seul, tout seul, démuni, on ne peut pas le laisser aller tout seul devant les tribunaux pour plaider sa cause. Dans le rapport annuel dont j'ai parlé tout à l'heure, on voit comment ça se passe dans ce temps-là, lorsque cette situation-là se présente.

(15 h 20)

Et il faudrait, dans le cas aussi de l'article 46, que la Commission de protection de la langue française ait le pouvoir, par le pouvoir d'enquête qui lui serait confié, de faire des enquêtes en ce qui concerne cet article 46. Parce que, là, les plaignants, vraiment, ils ne peuvent pas beaucoup se plaindre. Et il faudrait aussi que la Commission puisse soumettre directement à l'Office des situations où l'Office aurait à trancher pour savoir si on a raison d'exiger la connaissance d'une autre langue que le français. Alors, on évite au petit travailleur qui se cherche un emploi de faire toutes sortes de démarches devant des tribunaux, devant différentes instances parajudiciaires, et c'est le gouvernement qui fait une grande partie de la démarche lui-même. Parce qu'il faut que le droit au français soit aussi bien protégé que le droit au salaire minimum.

Le Président (M. Gaulin): Vous êtes rendu à 18 minutes, M. Cholette.

M. Cholette (Gaston): Ah!

Le Président (M. Gaulin): Non, non, mais vous pouvez... Je vous le signale.

M. Cholette (Gaston): Bon, je vais prendre encore une minute.

Le Président (M. Gaulin): D'accord.

M. Cholette (Gaston): Pour ce qui est de la francisation des entreprises, je crois qu'il n'y aurait pas lieu d'appliquer le même régime aux petites entreprises de moins de 50 employés que celui qui existe actuellement pour les plus grandes. L'Office, à mon avis, a assez d'expérience maintenant – à peu près 20 ans de négociation de programmes de francisation – pour trouver un dénominateur commun dans les engagements qui ont été pris par les entreprises en négociation avec l'Office. Et ça, ce commun dénominateur là, il devrait devenir quelque chose qui s'impose à toutes les entreprises. Alors, pas besoin de négocier des milliers de nouvelles conventions, de programmes de francisation avec des petites entreprises.

Pour ce qui est de l'affichage public, je trouve absolument scandaleux que les tribunaux, la Cour suprême, aient élevé le droit d'expression dans le domaine commercial au même niveau que les libertés vraiment fondamentales, vraiment essentielles, vraiment importantes comme la liberté de pratiquer sa religion, la liberté d'avoir des opinions politiques. On reconnaît à Coca-Cola, qui pollue les Jeux olympiques d'Atlanta, le même degré d'importance fondamentale que le droit de pratiquer sa religion. Il y a toujours une limite!

Alors, je pense que le gouvernement devrait abolir la loi 86, rétablir les règles qui existaient avant. Et, si le gouvernement ne veut pas aller jusque-là, au moins dans la ligne de la décision de la Cour suprême, il devrait réserver aux personnes physiques le droit d'afficher en d'autres langues que le français. Merci.

Le Président (M. Gaulin): Merci, M. Cholette. La parole... Il reste à peine 10 minutes, c'est cinq minutes de chaque côté. M. le député de Bourget.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier M. Cholette pour le soin qu'il a pris, le temps qu'il a pris à préparer un mémoire qui non seulement est de très haute qualité, mais est très pertinent parce qu'il surgit tout droit de son expérience de promoteur enthousiaste, convaincu et constant de la francisation au Québec depuis plus de 25 ans. En effet, M. Cholette était aux toutes premières heures de la création du Conseil de la langue française, appelé à ce poste par M. Lesage. Il a aussi contribué de très près à l'élaboration de la loi 101. Ensuite, il a toujours été un praticien de l'application de la loi dans l'un ou l'autre des organismes qui avaient été créés. Il s'est toujours fait connaître par la rigueur de sa pensée et, encore une fois, par le souci de correspondre de très près à ce qu'impliquaient la loi et son application non seulement littérale, mais également dans son esprit. Et je voudrais, à l'occasion de cette commission parlementaire, lui rendre un hommage particulièrement senti, non pas à un superbureaucrate, ce qu'il pourrait prétendre être, comme d'autres, mais surtout comme promoteur de la défense, de la protection et de l'illustration du français dans notre société.

Évidemment, dans le peu de temps qui nous est imparti, je n'ai pas le temps de passer à travers toutes les recommandations très ponctuelles qu'il nous fait et qui touchent à l'un ou l'autre des articles où son expérience lui montre qu'il y a eu des difficultés d'application. Je voudrais m'en tenir à une seule question. Il est revenu souvent sur ce sujet-là dans ses écrits, dans ses rapports. Les premiers articles qui traitent des droits fondamentaux lui ont toujours paru déclaratoires, c'est-à-dire difficiles à appliquer en raison du droit britannique dans lequel nos lois sont inscrites, et il a toujours préconisé qu'on ajoute à ces articles de loi un complément. Il en parle encore aujourd'hui quand il parle d'obligations ou de sanctions. C'est ce qu'il appelait faire de ces articles fondamentaux des articles d'intérêt public afin que la preuve soit non plus le fait de celui qui est lésé, mais de celui qui a lésé ses droits fondamentaux. Et je vois aujourd'hui, dans son mémoire, qu'il module un peu ce qu'il a dit dans le passé sur la nécessité de faire de ces articles-là des articles d'intérêt public, en s'orientant plutôt vers deux autres voies, c'est-à-dire faire de la présomption du français un préalable et, deuxièmement, en ajoutant à la loi qui traite de ces articles fondamentaux des obligations et, ce qui est nouveau, en ajoutant des possibilités de poursuites pour dommages pour fins civiles.

J'aimerais savoir de M. Cholette si, selon lui, ces nouvelles orientations, mais toujours à partir d'un même principe, sont applicables et possibles dans un bref avenir?

Le Président (M. Gaulin): Il vous reste une minute pour répondre.

M. Cholette (Gaston): Oui. Je crois qu'elles sont possibles. En ce qui concerne la Charte des droits et libertés de la personne, le texte est déjà là, donc je pense que le problème de la sécurité juridique est bien contrôlé.

Le Président (M. Gaulin): Alors, merci. M. le porte-parole de l'opposition officielle en matière linguistique.

M. Laporte: M. le Président, M. Cholette, je vous remercie de cet excellent exposé, que nous avons lu avec beaucoup d'attention. M. le Président, je m'adresse à vous autant qu'à M. Cholette, mais surtout à vous. Si le gouvernement accepte de s'engager à faire du français, dans des délais raisonnables mais néanmoins prévisibles et précisés, une langue universelle de connaissance au Québec, y consacre toutes les ressources financières requises et met en oeuvre à cette fin des programmes et mesures capables de rejoindre l'ensemble des citoyennes et citoyens du Québec, et en particulier celles et ceux qui sont encore privés d'une maîtrise adéquate du français, indépendamment des facteurs d'âge, de lieu de résidence et d'occupation, à ces conditions, M. le Président, l'opposition officielle appuie les suggestions et recommandations de M. Cholette, d'autant plus que, dans ces conditions, l'opposition officielle juge entièrement inopportun de songer à ajouter quoi que ce soit aux dispositifs actuels de coercition légale prévus dans la version actuelle de la loi 101. Merci, M. le Président. C'est la fin de mes commentaires.

Le Président (M. Gaulin): Alors, M. Cholette, vous avez la parole.

(15 h 30)

M. Cholette (Gaston): Moi, je pense que, quand un gouvernement, une Assemblée nationale adopte une loi, elle est sérieuse ou elle ne l'est pas. Si elle est sérieuse, elle veut que la loi soit appliquée. Et, pour qu'elle soit appliquée, il faut des gens qui voient à ce qu'elle le soit. Ça prend un organisme comme la Commission de protection de la langue française pour que la loi soit respectée. Et, en dépit de l'image fausse que souvent on a répandue, particulièrement dans les médias anglophones, au sujet de la Commission de protection de la langue française, moi, j'ai toujours soutenu, je soutiens toujours que c'est un bon samaritain. La Commission de protection de la langue française, elle joue un rôle de bon samaritain parce qu'elle prend la défense de ceux qui sont les plus fragiles dans notre société, les francophones. Ce sont les francophones en Amérique du Nord qui sont fragilisés, et la Commission est là pour aider ceux qui ont des plaintes à formuler et qui ne peuvent pas par eux-mêmes, comme individus, aller jusqu'au bout de leur défense. Ça prend un organisme gouvernemental pour les aider à aller jusqu'au bout. C'est un rôle de bon samaritain, ce n'est pas un rôle de police, comme on a toujours cherché à le dire dans des campagnes d'intoxication, qui continuent d'ailleurs aujourd'hui.

M. Laporte: M. le Président, il me reste encore un commentaire.

Le Président (M. Gaulin): Oui, il vous reste du temps. Allez-y.

M. Laporte: Ayant été, tout comme M. Cholette, président de la Commission de protection de la langue française et ayant eu l'occasion et le privilège de rencontrer un grand nombre de ces contrevenants de tous âges, de tous milieux et de toutes occupations, à mon avis la question n'est pas de savoir si la Commission de protection est un bon samaritain ou pas, et vous allez noter, M. le Président – vous pourrez relire les transcriptions là-dessus page après page – que je n'ai jamais utilisé ces expressions dérogatoires de police de la langue ou de tout ce qu'on voudra, ça ne fait pas partie de mon vocabulaire. Je respecte les institutions dont j'ai assumé la présidence et je répète, évidemment, là-dessus que l'institution que vous êtes en train de créer n'est pas celle que j'ai présidée.

Mais mon expérience m'a appris que, dans la très grande majorité des cas – dans la très grande majorité des cas – les contrevenants sont des gens de bonne volonté, mais qui, pour des raisons d'accident personnel et pour des raisons de manque de ressources et de manque de moyens, n'ont pas pu acquérir, comme je le mentionnais tantôt, une connaissance adéquate de la langue française. Je répète, si le gouvernement est prêt à prendre l'engagement de s'assurer dorénavant, dans des délais raisonnables, prévisibles et précisés, que le français deviendra une langue de connaissance universelle au Québec, du côté de l'opposition, nous n'avons aucune espèce de réserve sur les excellentes recommandations que nous a faites M. Cholette. Mais je continue à mentionner que, une fois que le gouvernement aura pris cet engagement, les choses pourront se passer avec un minimum de coercition légale.

Le Président (M. Gaulin): Alors, le temps est échu. Je prends note de ce qu'a dit le député d'Outremont. Je ferai remarquer que je suis le président; je ne suis pas la partie gouvernementale, c'est la ministre qui représente. Mais ça a été inscrit.

Alors, je vous remercie, M. Cholette, d'avoir voulu témoigner devant nous. J'inviterais Mme Hélène Cajolet-Laganière et M. Pierre Martel à se présenter pour la prochaine partie de la séance.

Je voudrais remercier les deux prochains intervenants d'avoir accepté de venir cet après-midi plutôt que ce soir pour accommoder notre commission. Alors, je les remercie et pour le parti gouvernemental et pour le parti de l'opposition. Alors, je vous laisse la parole.


Mme Hélène Cajolet-Laganière et M. Pierre Martel

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): Merci. M. le Président de la commission, Mme la ministre de la Culture, Mmes, MM. les membres de la commission, Mme la députée de Sherbrooke, notre députée, nous tenons d'abord à vous remercier de nous donner l'occasion aujourd'hui d'exposer notre point de vue.

Nous avons écrit ce mémoire pour deux raisons principales. La première, c'est que nous voulons exprimer notre satisfaction quant à l'initiative du gouvernement d'intégrer à sa proposition de politique linguistique un volet consacré à la qualité de la langue, et je cite la proposition, page 67: «La préoccupation de la qualité de la langue, si elle a toujours été présente tant dans l'énoncé de la Charte [...] que dans l'action des organismes, a souvent été supplantée par l'autre volet du dossier, le statut et l'usage de la langue...» Je continue: «Les progrès significatifs réalisés à l'égard de l'usage du français et l'évolution des mentalités quant à la norme de référence laissent entrevoir qu'il faudra dorénavant chercher davantage à articuler promotion de l'usage et qualité de la langue.» Alors, vous voyez venir notre deuxième raison: nous souhaitons que le gouvernement se dote d'outils et de moyens afin de donner des suites concrètes et immédiates à ce volet de l'aménagement de la langue, et c'est essentiellement à cet aspect de la question linguistique, soit la qualité et l'aménagement, que nous consacrons ce mémoire.

Nous nous présentons ici à titre de spécialistes qui ont consacré l'essentiel de leur carrière à l'étude, à l'enseignement et à la promotion du français québécois. Plus particulièrement au cours des trois dernières années, nous avons préparé pour l'Institut québécois de recherche sur la culture, actuellement rattaché à l'INRS-Culture et Société, deux ouvrages parus dans la collection Diagnostic intitulés «La qualité de la langue au Québec», publié l'an dernier, et «Le français québécois: usages, standard et aménagement», qui ont été publiés cette semaine et qui seront en librairie sinon cette semaine, la semaine prochaine.

Ces deux ouvrages ont été faits à partir d'une vaste documentation: d'abord, l'analyse de quelque 60 ouvrages tirés de la «Bibliographie linguistique du Canada français», de Gaston Dulong, de 1691 à 1960. Ensuite, nous avons dépouillé la parution quotidienne du journal La Presse pendant 33 ans et relevé et analysé tous les articles qui touchaient la qualité de la langue. Nous avons aussi analysé deux sondages, l'un mené en 1970 et l'autre en 1993, dans le but de recueillir l'opinion de la population sur la qualité de la langue au Québec. Nous avons aussi dépouillé l'ensemble des ouvrages lexicographiques québécois, les glossaires, les répertoires, les dictionnaires, les corpus sociolinguistiques. Nous avons été étonnés de l'ampleur de ces travaux: plus de 1 000 ouvrages et articles en quelque 250 ans.

Enfin, nous avons étudié, analysé toutes les études ou l'essentiel des études publiées par les spécialistes, les linguistes, les aménagistes, les enseignants, les responsables d'organismes de la langue et nous avons constaté que la réflexion sur la qualité et l'aménagement de la langue a fait l'objet au Québec d'une intense activité, mais que, malheureusement, le fruit des études des spécialistes de la langue n'a pas été diffusé dans le grand public, qui ignore encore presque tout des études portant sur le français québécois et sur ses composantes. Ce qu'on a retrouvé dans La Presse était que, les Québécois – ça, ils le savent – on leur dit qu'ils font des fautes, qu'ils écrivent mal ou qu'ils s'expriment mal. Mais des recherches sur la langue elle-même ont été très peu diffusées au sein de la population. Pour ma part, je me propose de tirer les principales conclusions, ou les éléments clés, ou les constats faits à partir de ces deux bilans, et, dans un deuxième temps, mon collègue, Pierre Martel, présentera un plan d'aménagement de la langue.

Premier constat: en ce qui a trait à la qualité de la langue, malgré un certain nombre de points positifs, une amélioration s'impose chez les principaux acteurs sociaux, c'est-à-dire l'administration publique, la presse écrite, électronique, les publicitaires, les entreprises et les institutions scolaires. On connaît par ailleurs l'influence de ces diffuseurs sur la langue de la population. Ce qu'on déplore, eh bien, c'est une formation linguistique insuffisante chez la majorité des travailleurs ou les élèves. On sait par ailleurs que cette piètre performance linguistique représente un coût économique considérable. On sait aussi que, suite au développement des nouvelles technologies, maintenant, même pour les emplois subalternes, les employés doivent maîtriser des habiletés minimales de lecture, d'écriture et d'expression orale. Aussi, cet état de fait est difficilement tolérable à la fin du XXe siècle, où le réseau des communications et la mondialisation placent les Québécois en contact et surtout en concurrence avec les autres francophones.

Deuxième constat: le français québécois a toujours été dévalorisé sous un double point de vue, d'abord par son statut par rapport à l'anglais, puis par sa qualité par rapport au français de Paris auquel il est constamment comparé et dont tout écart est systématiquement stigmatisé. Cela a engendré chez nous un fort sentiment d'insécurité linguistique.

Troisième constat: nos analyses nous ont montré que des efforts ont été faits par les Québécois pour sortir de cette insécurité linguistique et pour aménager notre langue. Nous regrouperons en trois blocs ces efforts.

Premier bloc, la publication de nombreux ouvrages lexicographiques de type correctif. Le but visé était d'épurer le français d'ici. Mais malheureusement la publication de cette multitude de recueils, de répertoires, de manuels, de glossaires, de dictionnaires correctifs visant à épurer la langue n'a pas eu l'effet escompté. Nous n'avons absolument pas atteint l'objectif de qualité de la langue.

Le deuxième bloc: nous regroupons les organismes de la Charte qui ont investi leurs efforts essentiellement du côté du statut de la langue et de la terminologie. Mais ils n'ont pas tenté de définir une véritable politique d'aménagement de la langue commune au Québec, c'est-à-dire une politique qui viserait à hiérarchiser les divers usages du français québécois.

(15 h 40)

Le troisième bloc est le débat des spécialistes, parce que, en contrepartie, depuis quelques décennies, autour des années soixante-dix, grâce aux débats des spécialistes de la langue, un progrès sur les questions de normes et d'aménagement de la langue a été extrêmement important. On est arrivé à un véritable renouvellement de perspectives. Il y a eu bon nombre de publications, de colloques, de rencontres diverses, et nous constatons aujourd'hui avec satisfaction que, sur le plan des idées, un consensus a pris forme sur bon nombre de points, notamment sur une nouvelle conception de la langue française: le français n'est plus simplement la langue des Français, mais celle de tous les francophones. Également, la définition d'un français québécois dans ce nouvel ensemble est devenue plus claire: le français québécois est une variété nationale de français, c'est-à-dire qu'il a acquis une autonomie légitime et que, de surplus, il est rattaché fortement au français dit international auquel il appartient de plein droit.

Autre idée commune qui ressort du débat des spécialistes: l'intercompréhension avec les autres francophones demeure un élément essentiel à notre survie en tant que francophones de l'Amérique du Nord, et cette obligation est conciliable avec celle de garder nos particularités langagières propres, car ce sont elles qui définissent le peuple québécois comme formant une société distincte. Les Québécois ont droit à la différence et, en raison de ce caractère distinct, ils se doivent de maintenir leur patrimoine linguistique qui, loin d'être une honte, représente au contraire un enrichissement pour tous les francophones.

Alors, qu'il s'agisse du modèle linguistique à suivre, de l'urgence de rédiger un dictionnaire, de la vision commune d'une norme, eh bien, sur le plan des idées, les participants sont arrivés à un point de convergence. Cet aménagement théorique de la langue au Québec malheureusement n'a pas eu de suites réelles. Même si tout a été dit en théorie, bien, ce qui a été pensé n'a malheureusement pas été fait, ce qui fait que le travail reste entier.

Quatrième constat: le français au Québec a évolué et s'est modifié. Pourquoi ce besoin d'affirmation ou d'innovation en matière de langue? Bien, le français s'est adapté au monde nouveau que constitue le Québec par rapport à la France. Notre société a évolué intellectuellement, socialement, politiquement et culturellement. Au moment de la Nouvelle-France, la langue parlée prédominait et l'élite intellectuelle était minoritaire et pas suffisamment forte pour imposer un modèle. C'est ce qui explique que notre modèle linguistique a toujours été celui de Paris. Mais aujourd'hui la situation a changé. Notre société a atteint une maturité, et les Québécois maîtrisent maintenant la totalité de leur langue, du niveau familier au niveau soutenu. On retrouve actuellement des Québécois et Québécoises parmi les meilleurs au monde dans toutes les sphères d'activité – économique, scientifique, politique, culturelle, sportive – et ces gens ont dû adapter le français à cette nouvelle réalité.

Cinquième constat: on retrouve dans tous les textes québécois soignés – et je ne parle pas de la langue familière ou populaire, je parle bien des textes soignés – des marques, des manifestations d'affirmation linguistique. Nous avons analysé bon nombre de textes de niveau soutenu et même de textes officiels, notamment les 2 000 avis de la Commission de terminologie du Québec et des autres commissions des différents ministères, les divers guides et manuels publiés par l'Office de la langue française, les chroniques linguistiques, on a dépouillé les bons textes des journaux – La Presse , Le Devoir , Le Soleil – des magazines québécois comme L'actualité , et, dans tous les cas, il n'y a aucun texte qui est neutre. Dans tous les textes, on retrouve des marques linguistiques qui révèlent que l'auteur est québécois ou québécoise.

Quelles sont ces marques? Eh bien, on pourrait dire, d'une part, la structure même de la langue. Règle générale, pour ce qui est de la structure même de la langue, le français utilisé au Québec se conforme aux règles traditionnelles de l'orthographe, de la grammaire et de la syntaxe, quoiqu'on relève bon nombre de particularités. Je donne quelques exemples: l'orthographe, par exemple, de certains mots. «Baseball» s'écrit au Québec généralement en un mot, mais en France est couramment écrit en deux mots; «supporteur», e-u-r ici, e-r en France; «canoé», accent aigu ici, «canoë» avec des trémas en France; «tofou» au Québec, «tofu» en France; et je pourrais continuer une liste de particularités. Un mot, par exemple, comme centre-ville est noté dans «Le Nouveau Petit Robert» comme étant une forme abusive et critiquée, alors que la Commission de toponymie et l'Office de la langue française reconnaissent en ce mot une particularité parce qu'il connote une réalité topographique unique.

En ce qui a trait au code typographique, l'emploi des majuscules, des sigles, des abréviations fait usage de règles très différentes de celles qui sont utilisées en France. De même, l'ensemble de la typographie toponymique – les noms de lieux – encore une fois renferment de nombreuses particularités québécoises qui sont approuvées et diffusées par l'Office de la langue française, la Commission de toponymie et autres. Et, quand ces avis sont publiés, ils deviennent obligatoires dans les textes publics québécois. Donc, nous avons déjà aménagé jusqu'à un certain point bon nombre d'éléments de type linguistique.

On s'est amusés, mon collègue et moi, à regarder simplement l'avis de convocation que vous nous avez envoyé pour cette commission, et toutes ces particularités d'ordres typographique, toponymique et autres sont couramment dans les textes. On a voulu aussi faire venir les résumés des mémoires présentés pour faire ce même exercice, mais il y avait un embargo jusqu'à fin de la commission. Mais on aurait trouvé de la même façon ces marques d'affirmation linguistique. Donc, pour la structure même de la langue, les écarts sont relativement limités.

Pour le lexique, au contraire, les écarts sont extrêmement importants, et c'est dans tous les domaines de la vie courante professionnelle que l'on retrouve des écarts entre le français québécois et le français de référence, c'est-à-dire le français tel qu'il est décrit dans les dictionnaires faits en France. C'est de tous les niveaux: des mots nouveaux, des sens nouveaux, des référents nouveaux, des associations, des groupements de mots nouveaux. Et pourquoi? Simplement parce qu'on doit s'adapter au contexte québécois ou tout simplement au contexte nord-américain.

Dans notre mémoire... Simplement l'avis de convocation, si un lecteur – un immigrant, ou un anglophone, ou un autre Québécois, ou des enseignants – avait voulu utiliser cet avis-là et essayer de le décortiquer, bien, pour un bon nombre de mots, il aurait laissé perplexes et ignorants les lecteurs et les lectrices qui auraient voulu en avoir la signification: «ministre», par exemple, au féminin, «qualité de la langue» qui est une expression québécoise, «comité interministériel», «allophone», «majorité francophone», etc. Et on trouverait le même constat si on dépouillait bon nombre de textes québécois.

Cet exemple dans le domaine sociopolitique n'est pas un cas isolé. En fait, c'est toute la vie politique québécoise qui est absente des dictionnaires, et on trouverait la même chose dans les autres domaines de la vie québécoise: la faune, la flore, l'alimentation, la culture, la vie sociale, l'éducation. Et on donne, dans le deuxième volume sur le français québécois, bon nombre d'exemples dans chacun de ces domaines.

Un autre trait où on a aménagé notre langue, eh bien, c'est la féminisation. Au cours des dernières années, on a assisté à l'établissement d'un consensus quant à la reconnaissance du principe de la féminisation et de la désexisation. Une fois que ce consensus a été accepté, on s'est doté du féminin des différents titres de fonctions, on s'est doté de règles de féminisation des textes, et, couramment maintenant, la féminisation fait partie de notre usage, de notre bon usage québécois, contrairement à ce qui se fait en France actuellement.

Un dernier trait spécifique du français québécois standard: notre attitude face aux anglicismes. L'utilisation des anglicismes et des calques est un autre exemple de manifestation d'une norme de comportement linguistique qui est propre au Québec. Alors qu'on trouve abondamment dans les textes les plus corrects de France des mots comme «ferry-boat», «bowling», «sponsor», «stick», «escalator», «light», etc., au Québec on utilise «traversier», on utilise «salle de quilles», «commanditaire», «bâton désodorisant», «escalier mobile», etc.: les Québécois ont fait des choix, les Français en ont fait d'autres. Il importe donc de fournir aux Québécois et Québécoises des renseignements précis sur ces emplois corrects et critiqués de ces formes; cela fait partie, on l'a dit, de l'établissement d'une norme québécoise et d'une hiérarchisation de nos usages. Ces données sont essentielles aux enseignants et enseignantes, essentielles aux rédacteurs, rédactrices de tout genre, aux élèves de tout niveau de même qu'à quiconque utilise la langue en situation de communication formelle.

Sixième constat: on remarque une inadéquation entre la norme ou le modèle tel qu'il est décrit dans les ouvrages de référence habituellement utilisés au Québec et la réalité langagière québécoise.

Un septième et dernier constat: les Québécois et Québécoises n'ont pas accès à la description de ce français québécois soutenu ou standard et à la hiérarchisation des usages autour de ce français québécois standard. Par ailleurs, les Québécois ont un besoin urgent de cette description.

(15 h 50)

Et, pour terminer, je citerai à nouveau un extrait de la politique: «Une langue de qualité s'illustre dans la pratique quotidienne de la langue. Elle repose sur une connaissance réelle, spontanée de la norme de référence de la langue standard. Elle suppose enfin que celui ou celle qui doute ou hésite puisse disposer d'une description de cette norme et d'ouvrages de référence fiables où trouver réponse à ses questions.» Mais ces outils font cruellement défaut à l'heure actuelle. Et la proposition continue: «Définir un plan d'action en matière de qualité de la langue est difficile.» Mon collègue et moi avons fait l'exercice, et je lui laisse maintenant le soin de vous le présenter.

Le Président (M. Gaulin): M. Martel.

M. Martel (Pierre): Rapidement, je vais vous proposer maintenant notre proposition de plan d'aménagement de la langue tel qu'il est décrit dans le dernier chapitre de notre volume qui vient de paraître. L'aménagement de la langue passe d'abord par la prise en compte et la hiérarchisation des usages autour d'un français québécois standard, c'est-à-dire du bon usage du français au Québec. Nous croyons que, au niveau de la langue orale, il existe un modèle, et ce modèle est reconnu, il est décrit, il est accepté officiellement. Généralement, les Québécois s'entendent pour dire que c'est le français tel que le véhiculent les annonceurs de Radio-Canada. Eh bien, c'est le français que j'entends depuis que je suis ici cet après-midi, et, ce français, il est différent de ce que j'entendrais si j'étais à Paris ou ailleurs en France. Donc, ce modèle à l'oral existe, il est reconnu, il est accepté et il est même décrit dans différents volumes.

Par ailleurs, la norme à l'écrit existe aussi, mais elle n'est pas encore décrite. C'est le cas notamment en ce qui a trait au vocabulaire. Le lexique, on le sait, joue un rôle puissant d'identification collective. C'est par le vocabulaire que les membres acquièrent et transmettent leurs valeurs sociales, leur vision du monde. Le peuple québécois a édifié ici une culture qui lui est maintenant spécifique et qui se reflète très bien dans son vocabulaire. En somme, on peut dire qu'il y a une manière québécoise d'utiliser la langue française. Autrement dit, si nous parlons la même langue que les Français, nous n'utilisons pas toujours les mêmes mots et nous donnons à des mêmes mots souvent des sens différents. La description, donc, de la norme du français québécois, c'est-à-dire du modèle qui est valorisé ici, au Québec, par l'ensemble des Québécois, c'est l'assise, c'est le fondement de tout plan d'aménagement de la langue au Québec.

Le français québécois standard correspond à l'expression des Québécois et des Québécoises quand ils écrivent bien. Il s'agit de Québécois scolarisés jouissant d'un certain prestige et qui, aux yeux de l'ensemble des Québécois, utilisent correctement le français d'ici. L'explicitation du bon usage se retrouve donc dans les textes de ces Québécois qui écrivent bien. Quels sont ces textes? Ce sont les textes littéraires, un certain nombre du moins, la langue parlée soignée, hein, de l'école, de la radio, il y a des textes à la télévision, il y a des émissions de langue soignée, à la radio, la même chose, de la presse écrite également. On mentionne souvent le magazine L'actualité comme étant un modèle au Québec; certains textes de l'administration publique; certains textes des milieux scientifique, technique et aussi, je dirais, politique; des manuels scolaires, des monographies de toutes sortes. Ces textes et discours doivent être cependant exempts de particularismes familiers et critiqués, notamment d'anglicismes et de calques. On pourra y revenir si vous le désirez.

La réalisation de cette autre étape du plan d'aménagement de la langue nécessite la mise sur pied d'une banque de données textuelles, c'est-à-dire un corpus de textes québécois regroupant dans un seul lieu, dans un seul ensemble... C'est les textes que je viens de mentionner. Les exploitations de ces textes pourraient être nombreuses. Je pense, par exemple, à la mise en disponibilité de ces textes sur l'inforoute. L'inforoute, ce n'est pas juste une technique, il faut qu'il y ait un contenu, il faut qu'il y ait un contenu francophone, il faut qu'il y ait un contenu québécois sur l'inforoute. Donc, cette banque de données textuelles devrait être représentative de la langue québécoise soignée. Seule la constitution d'un tel corpus permettra une description complète et exacte du français québécois. En effet, de tous ces textes de langue écrite, on extraira le français québécois standard et les autres éléments nécessaires à la description de ce français québécois standard.

Par ailleurs, nous avions déploré, dans notre premier volume paru l'année dernière, «La qualité de la langue au Québec», l'absence de données objectives et récurrentes sur la qualité de la langue. On entend très souvent – trop souvent à mon goût – parler de français détérioré, du français relâché, on parle mal, on écrit mal, etc. Je crois que les organismes de la Charte ont créé divers indicateurs pour évaluer l'évolution du français. Plus récemment, dans la proposition de politique linguistique, on suggère un nouvel indicateur. Eh bien, nous, nous croyons qu'il est possible et même essentiel de mettre au point des indicateurs d'ordre qualitatif, enfin qualitatif, pour mesurer l'évolution de la qualité de la langue, pour cesser des évaluations subjectives. Selon nous, il est possible et nécessaire de procéder à une évaluation objective de la qualité de la langue au Québec, et justement la mise sur pied d'une banque de données textuelles, d'un corpus de textes québécois incluant des textes de français québécois standard, constituera un corpus idéal pour établir ces mesures objectives et établir des indicateurs en ce qui a trait à la qualité de la langue au Québec.

Pour arriver à décrire de façon adéquate ce français québécois et surtout ce bon usage, ce bon modèle de la langue au Québec, nous voyons comme premier moyen la rédaction d'un dictionnaire. C'est le seul ouvrage de base où les usages linguistiques du Québec peuvent être hiérarchisés et le français québécois standard explicité. L'existence de ce français québécois standard justifie et appelle la rédaction d'un dictionnaire complet.

La lecture de toutes les critiques formulées à l'égard du dernier dictionnaire paru en 1993, le dictionnaire du français québécois qui s'intitule «Dictionnaire québécois d'aujourd'hui», et les résultats que nous avons menés à ce sujet en 1994 montrent que le public québécois désire essentiellement un dictionnaire de type normatif. Les Québécois et les Québécoises veulent être informés sur le bon usage ou sur l'usage dominant au Québec de telle sorte que leur expression soit adéquate et juste, et ils veulent situer, en outre, leurs propres usages par rapport à ceux de la francophonie. Ce dictionnaire du français québécois de type général et normatif deviendra l'ouvrage de convergence nécessaire à tous les Québécois et Québécoises.

La fabrication d'instruments langagiers de qualité explicitant la norme du français au Québec est le principal moyen d'intervenir en matière de qualité de la langue. Nous ne croyons pas à une approche législative en ce domaine. Un dictionnaire qui indiquera clairement les usages critiqués, ce qui permettra aux rédacteurs, à tout rédacteur, d'éviter anglicismes, calques, etc., et qui véhiculera en même temps les usages recommandés, que ce soit par l'Office de la langue française ou par tout autre organisme comme Radio-Canada et d'autres organismes, constitue pour nous l'ouvrage de référence de base et essentiel. Le dictionnaire, croyons-nous, est le seul ouvrage de référence commun et intégrateur qui existe dans une communauté linguistique.

En outre, il sera un puissant outil d'intégration à la culture québécoise pour les immigrants et les anglophones qui acquièrent le français comme langue seconde. Ces derniers pourront trouver dans ce dictionnaire des explications, des citations correspondant vraiment à ce qu'ils lisent dans les journaux, dans les revues, dans les livres d'ici tout en étant à même de faire le lien avec le français utilisé par les autres francophones, car il va de soi, et c'est important de le noter, que la description du français québécois standard, du français québécois, comprend le français de référence tel qu'il est décrit dans les dictionnaires fabriqués ou rédigés en France.

Tous les mots français, y compris les mots de France, doivent être accessibles aux Québécois. Le monde moderne, qui a multiplié les moyens de communication et qui les a rendus faciles, rapides, généralisés, a rapproché les différentes communautés linguistiques, et ce rapprochement des variétés de français continuera de s'accentuer. Par contre, ces variétés de français ne se confondront jamais autour d'un seul usage; à preuve, la variété de linguistique en France même.

(16 heures)

Une fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme, c'est-à-dire de la pratique quotidienne d'un français de qualité. Dans la conclusion de notre livre sur la qualité de la langue, nous avons ciblé les acteurs sociaux devant jouer un rôle public à l'égard de la diffusion d'une langue de qualité: l'État et l'administration publique, le personnel des médias et des agences de publicité, les enseignants de tous les ordres et le milieu des entreprises. Voilà les acteurs sociaux qui doivent jouer un rôle à l'égard de la qualité de la langue au Québec.

Nous avons aussi indiqué le rôle que chacun devait jouer pour promouvoir ce français de qualité. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement actuel s'inscrit dans cette ligne d'action et qu'il considère lui aussi que l'État se doit d'exercer, et je cite, «un rôle exemplaire et moteur», donc d'utiliser lui-même un français de qualité. Nous insistons sur le rôle de cet acteur, car lui seul peut rompre le cercle vicieux actuel d'une langue qui est trop souvent relâchée. L'exigence d'une langue de qualité doit constituer le message véhiculé d'abord par l'État. Il revient à ce dernier d'en être l'initiateur. Les enseignants, quant à eux, ont le devoir de diffuser cette langue de qualité: «L'école, de la maternelle à l'université, a la responsabilité d'assurer la diffusion et la connaissance de la forme standard de la langue, écrite et parlée, en langue générale et en langue de spécialité.» Je cite la proposition de la politique linguistique.

Mais, pour que ces intervenants puissent tendre vers le même but de qualité de la langue, ils doivent avoir tous en main les mêmes instruments adéquats. Il leur faut des ouvrages de référence de qualité et fiables dans lesquels la hiérarchisation des usages sera clairement établie et le français québécois standard écrit parfaitement décrit. Si l'ouvrage par excellence demeure le dictionnaire, d'autres instruments et d'autres outils sont tout aussi nécessaires. Nous pensons, par exemple, aux logiciels d'aide à la rédaction, notamment à un logiciel d'anglicismes et de calques, dont la nécessité nous paraît évidente; aux dictionnaires électroniques de toutes sortes, qui seraient incorporés dans les traitements de textes; aux manuels scolaires et pédagogiques; aux ouvrages de vulgarisation scientifique; bref, à un ensemble d'instruments favorisant, diffusant la qualité de la langue. Il faudrait aussi penser à des sessions de formation linguistique adaptées aux besoins des différents intervenants. Mais ces outils font cruellement défaut à l'heure actuelle.

Enfin, nous prenons note avec une vive satisfaction de la volonté du gouvernement, récemment exprimée dans le document de consultation «Le français, langue commune», de redonner à la langue et à sa qualité toute son importance, comme nous l'invitions à le faire dans notre premier volume sur la qualité de la langue. En effet, la promotion du français ne peut se limiter à des moyens d'ordre législatif. Une approche sociale de la langue doit en être le relais nécessaire. Il s'agit de créer un environnement dynamique et attrayant pour les citoyens et citoyennes. Pour cela, il faut reconnaître que la langue française est au coeur de l'identité québécoise et qu'elle est aussi le fondement de la cohésion de la société québécoise. Il faut souligner avec force l'importance de cette reconnaissance pour les immigrants et pour les minorités. Dans ce contexte, la langue n'est plus simplement un outil de communication, mais un facteur d'intégration sociale et un accès à toute une culture. L'apprentissage du français, langue commune, est donc aussi la voie de l'appropriation de la réalité québécoise, de son histoire et de son devenir.

Si nous valorisons un usage de qualité dans les communications publiques et institutionnelles, nous pourrons enfin mettre fin à l'insécurité linguistique qui caractérise depuis trop longtemps le peuple québécois. À l'instar d'autres communautés linguistiques, les Québécois et les Québécoises doivent posséder une langue de qualité, mais ils doivent être surtout fiers de leur langue. Cela devrait guider tout plan d'aménagement de la langue au Québec.

Le plan d'aménagement de la langue que nous proposons doit s'articuler à celui du statut du français au Québec, l'un et l'autre se renforçant réciproquement. Si l'on est intimement convaincu de cette affirmation, le dossier de la langue au Québec ne peut être limité au seul volet du statut, il ne peut être réduit à des questions relevant de la place du français dans différents domaines, même si nous reconnaissons que ces dernières ont aussi toute leur importance. Comme il est...

Une voix: ...

M. Martel (Pierre): Je termine. J'ai quelques phrases.

Comme il est d'ailleurs souligné dans la proposition de politique linguistique, nous croyons qu'il est grand temps d'articuler la promotion de la qualité de la langue au Québec à celle du statut. C'est pourquoi nous appuyons sans réserve toutes les mesures proposées par le gouvernement pour renforcer la qualité de la langue française au Québec.

Pour nous, il est clair que les Québécois et les Québécoises ont droit à une langue de qualité et que, pour y arriver, un plan d'aménagement de la langue doit être mis en route dès maintenant, car les changements linguistiques prennent beaucoup de temps avant de s'effectuer. Cela est particulièrement vrai en matière de qualité de la langue. Si nous voulons promouvoir un français de qualité au Québec, nous devons agir dès maintenant. Merci.

Le Président (M. Gaulin): Merci, M. le professeur de l'Université de Sherbrooke, M. Martel. Merci, madame, aussi. Vous venez de dire que statut et qualité se renforcent: effectivement, puisque «qualité» veut dire aussi «qualis», «laquelle». Alors, il y a un choix, là. Je pense que Mme la députée de Sherbrooke a demandé la parole.

Mme Malavoy: S'il vous plaît, pourriez-vous m'indiquer le temps qu'il nous reste?

Le Président (M. Gaulin): Il nous reste, oui, 14 minutes de chaque côté.

Mme Malavoy: Je vous remercie. Je vais prendre une toute petite minute, quand même, pour saluer mes collègues de l'Université de Sherbrooke, qui sont aussi citoyens de mon comté, j'en suis fort heureuse, et j'aimerais également saluer en M. Martel l'ancien président du Conseil de la langue française.

Je remarque, à vous entendre et de même qu'à entendre d'autres personnes qui vous ont précédés, juste avant vous M. Cholette, que des gens qui ont mis une partie de leur expérience et de leur goût du français au service, justement, de l'État se retrouvent aujourd'hui à nous faire part non seulement de leurs connaissances, mais, je dirais, de leurs vibrations par rapport à cette question aussi cruciale que celle de la langue française, et je vous en remercie parce que je pense qu'on a besoin de l'éclairage que vous apportez, mais on a besoin aussi de sentir à quel point ça vous tient à coeur, et ça fait plaisir à entendre.

J'ai certainement plus de questions à poser que de temps, mais je vais commencer à vous poser des questions dans un ordre très simple, des questions un peu comme, je crois, d'autres personnes se les poseraient. D'abord, vous avez commencé par dire, Mme Cajolet-Laganière, qu'il y avait un consensus qui s'était dégagé au cours des années, que maintenant on s'entendait sur un certain nombre de choses. J'en suis fort heureuse. Mais j'aimerais peut-être que vous me situiez d'abord si c'est un phénomène que vous qualifiez de récent et si ça a donné lieu à toutes sortes de discussions pour en arriver à une convergence. Autrement dit, est-ce que c'est le résultat d'une longue négociation entre spécialistes que d'arriver à un consensus sur ce que doit être le français québécois, ou est-ce que c'est quelque chose qui s'est fait relativement simplement, pour comprendre où on en est arrivé?

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): Je commence et tu continueras.

Une voix: Oui.

(16 h 10)

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): Dans le deuxième ouvrage qu'on va vous laisser aujourd'hui, «Le français québécois», on a détaillé toute cette partie et on a essayé, nous, d'y aller d'une manière absolument objective. Alors, on a ramassé la documentation qui était les rapports de colloques, les articles scientifiques que les linguistes avaient rédigés, que les spécialistes avaient rédigés, et on a suivi leur évolution. Par exemple, M. Corbeil, qui est ici aujourd'hui, on a suivi l'évolution de sa pensée, quand il parlait de français québécois, de français national, etc. On a fait de même avec Claude Poirier, on a fait de même avec la majorité des gens qui se sont exprimés et on a ciblé un certain nombre d'éléments, notamment la notion de français québécois, de français standard, la notion de qualité, la notion de normes, etc., puis on a dépouillé le tout pour se rendre compte à la fin qu'il y avait un consensus entre toutes ces personnes. Alors, c'est pour ça que je l'ai présenté un peu sous forme de constat parce que, en suivant la pensée, en suivant la rédaction, en suivant au fil des années, tranquillement on en est arrivé à rétrécir un petit peu la pyramide puis à arriver à un consensus.

C'est un constat qu'on a fait. Évidemment, on est très heureux de le dire, de la même manière qu'on était moins heureux de constater que, quand on a dépouillé la presse pendant 33 ans sur 1 200 articles qui touchaient la qualité de la langue, 99 % ou presque étaient des commentaires négatifs, à savoir: les gens parlent mal, les gens écrivent mal, etc., mais que très peu d'espace ou très peu de temps était consacré pour dire aussi aux gens qu'on a réfléchi sur leur langue, de montrer que ça fait à peine 33 ans qu'on s'occupe de notre langue au Québec et que, dans ces 33 ans-là, on a fait beaucoup de pas en avant.

Alors, c'est dommage de laisser une image comme quoi notre langue n'est qu'un tissu d'erreurs et qu'on devrait coller à un modèle qui n'est pas le nôtre. Mais c'est dommage de voir qu'on n'a pas pris le temps aussi de faire part de toute cette réflexion théorique et très constructive de la part de nos spécialistes. On a essayé de le présenter d'une manière très objective dans notre ouvrage.

Mme Malavoy: Si je comprends bien, autant il y a une compréhension théorique maintenant qui converge de ce qu'il y a à faire, autant il n'y a pas encore de convergence d'un plan d'action, c'est-à-dire qu'on a maintenant à passer à l'étape de l'application, à l'étape de choisir des moyens. Vous indiquez un certain nombre de moyens qui peuvent, qui pourraient éventuellement convenir.

Vous parlez beaucoup de la question de l'établissement de la norme du français québécois, puis vous avez différents moyens qui sont proposés. J'aimerais savoir d'abord: Comment pensez-vous que les différents acteurs, parce que vous parlez des acteurs sociaux, comment les acteurs sociaux vont-ils accepter de se conformer à une norme? Ou peut-être plus globalement, comment accepte-t-on de se conformer à une norme? Parce que la norme, ça a quelque chose obligatoirement de rigide, de fixe. Or, le langage, c'est quelque chose de fluide. Puis, s'il y a bien une des caractéristiques du français québécois, c'est qu'il a pris toutes sortes de couleurs au cours de son histoire, précisément d'autant plus qu'il y avait moins de normes. Il a été peut-être plus créatif parce qu'il y avait moins de normes. Alors, comment arrive-t-on à concilier ça, la norme et puis l'aspect plus de créativité de la langue qui fait sa richesse?

M. Martel (Pierre): La façon dont vous posez votre question est intéressante, comme si la norme était à l'extérieur, on impose la norme. Nous, on fait le phénomène inverse. On dégage la norme...

Mme Malavoy: Oui, O.K.

M. Martel (Pierre): ...de l'usage des Québécois quand ils écrivent bien. Et nous constatons, par exemple, que, moi, je vous appelle ici, comme tout le monde, «Mme la députée». Si Mme la ministre avait été ici, j'aurais dit «Mme la ministre». Je constate qu'il y a M. le sous-ministre ici. Et je constate que j'entends et que je lis ces emplois. Et c'est une norme qui est différente de celle de la France. Donc, je dégage cette norme de l'emploi, de l'usage, du bon usage qui est fait du français au Québec. Et je constate que ce bon usage diffère du bon usage en France. Donc, ce n'est pas quelque chose qui est extérieur, et c'est justement ce qui... Et c'est le phénomène qui a existé jusqu'à présent: La norme est à l'extérieur, ce sont les Français qui imposent la norme et, nous, on l'importe. Le jugement qu'ils portent sur leur langue, on doit le faire nôtre, alors qu'on en a un autre face aux anglicismes, par exemple. Eux acceptent les anglicismes, ils sont dans un contexte différent du nôtre...

Mme Malavoy: On est plus critique.

M. Martel (Pierre): ...un contexte démographique, social, historique, politique différent, alors que, nous, on les rejette pour des raisons de marque de domination, parce qu'on se sent vulnérables. Donc, on n'emploie pas les anglicismes que ma collègue vous citait tout à l'heure. Ils sont courants en France. Donc, on n'impose pas une norme, on la dégage du bon usage qui en est fait par les Québécois.

Mme Malavoy: Mais une fois qu'elle est dégagée – vous la dégagez pour la construire – une fois qu'elle est dégagée, vous demandez ensuite que les acteurs sociaux l'utilisent, l'appliquent. Donc, là, ça devient un point de repère. Ça devient quelque chose qui est considéré comme étant l'idéal ou, en tout cas, ce dont on doit se rapprocher le plus.

M. Martel (Pierre): Ça devient un élément d'identification. On se retrouve.

Mme Malavoy: Et, dans la mesure où on se retrouve, on y adhère, c'est...

M. Martel (Pierre): Eh oui! spontanément.

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): Et je voudrais ajouter peut-être, je suis contente d'avoir l'occasion de le faire, sur la notion de norme, qui n'est pas prescription, la norme. Pour nous, quand on parle de dictionnaire général et normatif ou quand on parle de norme, c'est de donner le droit à tous les Québécois à la qualité, ce qui fait que, quand le Québécois consulte un ouvrage, il y a une description qui est là, où j'ai cité pour lui un usage qui est valorisé, c'est-à-dire un usage qui est reconnu comme étant correct, comme étant standard, et je lui ai montré une hiérarchisation. Des mots, par exemple, en concurrence, qui sont d'un niveau de langue qui est plus familier ou qui est vulgaire, ou un mot en concurrence en France ou dans un autre pays de la francophonie. Alors, je lui donne le droit à la qualité. Il peut avoir une explicitation de l'ensemble des usages. Alors, ce n'est pas une prescription du type «dites» ou «ne dites pas». C'est une somme.

Un peu comme en prononciation, il y a un ouvrage qui est très bien fait, qui a été publié il y a quelques années, où on va donner tous les traits de prononciation typiquement québécois et on va montrer les différences avec l'usage français et, dans certains cas, on va dire: C'est différent, mais c'est de l'usage tout à fait courant ici. Mais, si vous allez à l'extérieur, il y a des formes en concurrence et vous allez entendre une manière différente de faire. Donc, c'est une sécurité, c'est une somme d'informations qui est accessible à la population.

Comme, nous, on a un programme en rédaction-communication et les communicateurs veulent le savoir... S'ils utilisent, par exemple, le mot «identifier» dans leur texte, ou le mot «spécifique», ou les mots «x», «y» ou «z», ils veulent savoir. Ils veulent savoir si quelqu'un qui lit leur texte peut porter un jugement sur leur texte. Donc, c'est une somme d'informations.

Mme Malavoy: Oui, je comprends.

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): La norme devient une description des usages avec une certaine hiérarchisation, toujours dans le but de sécuriser les Québécois, une fois pour toutes, et non pas, parce que tel mot n'est pas dans le dictionnaire, bien, c'est incorrect. Puis on montre à l'évidence qu'il y a des milliers et des milliers de mots qui ne sont pas dans les dictionnaires – et la pire chose pour un mot, c'est de ne pas être dans un dictionnaire.

Mme Malavoy: C'est comme s'il n'avait pas le droit d'exister.

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): C'est comme s'il n'existait pas. Alors, si, à l'école, on travaille et un «préfet de la MRC», ce n'est pas là, le «préfet de la MRC» n'existe pas, il n'est pas décrit dans les dictionnaires. Et la somme des mots... On en a relevé 20 uniquement dans le petit avis, alors imaginez si on se met à dépouiller les textes.

Mme Malavoy: Je n'ai pas de difficultés à vous comprendre parce que moi-même, qui suis d'origine française, à chaque fois que je retourne dans ma famille, je me fais dire régulièrement: Que veux-tu dire par tel mot? Parce que, moi, je ne le sais pas que c'est un mot québécois. Je l'ai appris comme ça, j'ai toujours dit comme ça. Peut-être avec un accent un peu différent, mais, pour moi, ce mot-là, il fait partie de l'existence de la langue française. Ça, c'est le côté donc, je dirais, normatif, mais pas au sens d'une prescription, comme vous dites.

Dans les différentes mesures qui sont proposées dans la loi n° 40, il y a une mesure qui fait discuter beaucoup – mais je me permets quand même de vous poser la question – qui est celle de la Commission de protection de la langue. Je sais, M. Martel, que vous comprenez certainement bien de quoi il s'agit, parce que vous avez été assez proche, donc, des différents organismes concernant la langue. Est-ce que vous croyez que, pour promouvoir et défendre une langue, il faut aussi avoir des mesures de cet ordre? Aussi. Je comprends bien que, vous, ce qui vous intéresse le plus et ce qui est votre talent et votre volonté, c'est de travailler à l'élaboration d'un dictionnaire comme celui dont on parle. Mais pensez-vous que nous ayons besoin aussi de mesures législatives de cet ordre?

M. Martel (Pierre): Je vous ai dit l'importance que j'accordais à la qualité de la langue. C'est le volet que nous avons développé ici. Le statut est également très important. Mais j'ai travaillé, j'ai déjà donc oeuvré pour renforcer aussi le statut, comme président du Conseil. Vous me posez la question de la Commission de protection. Moi, je vous répondrai que ce qui est important, c'est de faire en sorte que la loi soit respectée, comme toute loi d'ailleurs, autrement elle n'a pas de sens. C'est ça qui est l'essentiel. C'est sa crédibilité, son essence même, autrement c'est futile. Donc, il est essentiel, il est fondamental de s'assurer que la loi soit respectée. Et donc, pour ça, il s'agit de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures, des agents, et, bon, il y a toute une procédure, une façon de faire. Donc, ça me paraît essentiel d'entreprendre des démarches pour faire en sorte que la loi soit respectée.

(16 h 20)

Maintenant, c'est ça qui est fondamental, c'est ça qui est essentiel. À savoir si ces agents, cette façon doit prendre place à l'intérieur d'un organisme déjà existant ou d'en recréer un autre à côté, pour moi, c'est de l'ordre des modalités. Je vous dis: L'essentiel, c'est de s'assurer que la loi soit respectée.

Mme Malavoy: Votre «essentiel»... Pardon.

M. Martel (Pierre): L'essentiel, c'est là. Le reste est de l'ordre des modalités. Et ce n'est plus tellement de l'ordre de la langue elle-même. C'est une question de visibilité, c'est une question sociale, c'est une question qui est autre, c'est une question qui est politique.

Mme Malavoy: Mais, quand vous dites que la loi soit...

M. Martel (Pierre): Donc, à ce moment-là, je vous dis: C'est au gouvernement de faire son choix sur cette question de modalités. Moi, je vous dis: Il est essentiel de faire respecter la loi.

Mme Malavoy: Donc, qu'on ait aussi les ressources pour le faire. Vous incluez ça dans la nécessité d'appliquer la loi.

M. Martel (Pierre): Que ce soit à l'intérieur d'un organisme existant ou dans un nouvel organisme, il faut des ressources.

Mme Malavoy: Bien. Est-ce que j'ai...

Le Président (M. Gaulin): Bien. Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons.

Mme Malavoy: C'est dommage. J'avais encore des bonnes questions, mais ce sera pour une autre fois.

Le Président (M. Gaulin): Ah! je n'en doute pas, Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Merci beaucoup.

Le Président (M. Gaulin): Il reste 14 minutes ici, 14 minutes de l'autre côté. La parole est au porte-parole de l'opposition officielle en matière linguistique.

M. Laporte: Merci, M. le Président. Mme Laganière, M. Martel, il faut vous remercier pour cet excellent mémoire de même que pour cet excellent article que vous avez publié il y a quelque temps dans Interface , qui est la revue de l'ACFAS, et dont le mémoire, si ma mémoire est bonne, s'inspire largement.

Sur l'ensemble de vos propos, l'opposition officielle ne saurait qu'être en parfait désaccord avec ce que vous nous dites. Mais nous avons tout de même une réserve. Et, évidemment, puisque la question est complexe et que le problème est technique, on se sent un peu embarrassés de l'aborder d'une façon digne de le faire, n'est-ce pas, dans un contexte comme celui-ci. Mais il faudrait bien qu'on se comprenne. Ce n'est pas sur l'opportunité de construire une norme, ou un standard, ou ce que certains sociolinguistes appellent «d'inventer un bon usage» que nous divergeons d'avis. Je pense que toute communauté linguistique tôt ou tard traverse cette épreuve, s'engage dans ce travail. Donc, ce n'est pas sur l'opportunité d'établir une norme que nous divergeons d'avis avec vous, mais sur le besoin d'affirmer l'exigence de prudence dans la décision que peut prendre l'État de faire de cette norme le référent d'une communauté linguistique globale. Je m'explique.

Vous êtes tout à fait dans la tradition épistémologique de la linguistique d'où vous avez été formés, à savoir dans la bonne grande tradition épistémologique de la linguistique française, en particulier de celle de Strasbourg. Vous faites largement état, sans que le texte le dise d'une façon explicite, mais on le sent, de cette notion de niveaux de langue. Vous parlez, par exemple, du besoin de hiérarchiser les divers usages du français québécois. Sauf que, Mme Laganière et M. Martel, je ne pense pas, nous ne pensons pas que cette notion de niveaux de langue suffise parce qu'il faut bien voir qu'il y a au Québec plus que des niveaux de langue, mais des variétés de français qui sont tout aussi légitimes les unes que les autres. Évidemment, ma réflexion ici s'appuie très fortement sur les travaux de Bill Labov et des sociolinguistes français comme Pierre Encrevé et Françoise Gadet, qui a écrit dernièrement ce petit ouvrage absolument remarquable, un petit «Que sais-je?» qui s'intitule «Le français populaire».

Ce que nos amis sociolinguistes français qui sont inspirés de la tradition labovienne, et dont les travaux sur le «black English» ont littéralement révolutionné la linguistique moderne, ont conçu, ont perçu, c'est la prudence dont il faut faire preuve, en particulier dans le domaine pédagogique, pour qu'une fois qu'une variété linguistique est reconnue comme la variété légitime on évite de créer de l'exclusion sociale, le fossé entre ceux qui la maîtrisent et ceux qui en maîtrisent d'autres tout aussi légitimes mais moins reconnues comme normales par l'État. Bon, l'article de Bourdieu sur la langue normale, là-dessus, est vraiment un texte... un coup de tonnerre extraordinaire dans le champ de la linguistique moderne. Et je trouve que, dans votre texte – évidemment, vous n'êtes pas des politiciens, et on ne peut pas vous reprocher de ne pas l'être – il n'y a pas suffisamment d'allusions à cette prudence dont il faut bien se munir pour pouvoir, dans la pratique, mettre en application cette norme, tout en donnant à ceux qui pratiquent d'autres variétés tout autant légitimes la capacité de pouvoir y arriver et de l'utiliser, d'en faire un emploi contextualisé.

Donc, je reviens là-dessus, et j'espère que je me fais comprendre: Pour nous qui sommes des politiciens, pour la partie gouvernementale – M. le Président, dont vous ne faites pas partie maintenant, mais dont vous faites partie dans la réalité quotidienne – il faut, à partir d'un texte comme le vôtre, qui est un excellent texte, faire une réflexion sur le devoir de prudence dont il faut se munir dans le but de prévenir qu'une fois le choix de la norme fait nous n'aboutissions pas à la création d'exclusions sociales et de ce que Françoise Gaudet appelle un fossé linguistique.

Vous n'êtes pas sans savoir, par exemple, et vous l'avez bien mentionné, qu'au niveau lexical il y a une variation considérable et que, si on s'appuie, par exemple, sur les travaux que Claire Lefebvre a faits pour l'Office de la langue française – Claire Lefebvre qui est une très éminente grammairienne, sociogrammairienne – il n'existe pas une seule grammaire au Québec, mais des grammaires. Donc, c'est là que, entre nous et vous, il y a, disons, un désaccord qui tient au besoin que nous ressentons d'être d'autant plus prudents qu'ayant réussi à nous libérer de certaines exclusions que d'autres avaient voulues pour nous, nous ne nous retrouvions pas à nous exclure nous-mêmes ou à exclure par nous-mêmes certains de nos concitoyens qui ne se placent pas seulement à différents niveaux d'une échelle de niveaux de langue, mais qui parlent un français québécois populaire, comme certains de nos amis français ont bien mis en évidence qu'en France il se parle – s'écrit, c'est autre chose – un français populaire. Donc, je...

M. Paillé: ...

M. Laporte: C'est sérieux, ça, M. Paillé, ce que je dis là, ce n'est pas de la balloune. Mais ces gens-là vont sûrement me comprendre, je veux avoir leur avis là-dessus. Ma question, c'est...

M. Paillé: On vous comprend aussi.

Une voix: Lève la main si tu veux parler.

M. Paillé: Non, il m'a interpellé.

M. Laporte: Ma question, c'est: Sur cette question, madame, monsieur, iriez-vous jusqu'à dire que j'ai raison de nous conseiller à nous, les politiciens, de faire preuve de la plus grande prudence en vue de prévenir les dégâts qui pourraient résulter d'un choix de bon usage qui, tout en étant bien intentionné, aurait néanmoins pour conséquence de générer de l'exclusion sociale? Et la question que je vous pose, c'est: Si vous le pensez, comment nous suggérez-vous de nous y prendre pour aller dans le sens que vous suggérez, et qui nous paraît être un sens tout à fait souhaitable, tout en nous prémunissant, tout en nous défendant contre ce danger que je viens d'invoquer? Merci beaucoup. Merci, M. Paillé.

Le Président (M. Gaulin): Il vous reste quatre minutes pour répondre.

M. Martel (Pierre): Quatre minutes, alors on va essayer...

Le Président (M. Gaulin): M. Martel.

(16 h 30)

M. Martel (Pierre): ...de se partager le temps. Rapidement. Donc, prudence, oui. Oui, la plus grande prudence en matière de langue, vous le savez et moi aussi. Tous les volets de la langue dans le dossier, tout ce qui appartient au dossier linguistique demande la plus grande prudence. Je pense que je vois deux aspects à votre question, M. le député, et ce qu'on a mis en exergue de notre mémoire, je veux vous citer juste une phrase: «Parce que la langue est le vecteur de l'information et du savoir, il est juste d'en offrir la maîtrise aux citoyens.» La langue, c'est d'abord le fondement de la démocratie, et donner accès à une langue de qualité, c'est assurer la démocratie d'une société. Et cet accès, pour que ce soit réel, il faut que ce soit à l'ensemble de la population. Donc, il faut que l'ensemble des Québécois et des Québécoises aient accès à une langue de qualité, et c'est dans ce sens-là que nous travaillons. Première chose.

La deuxième chose, c'est que nous ne croyons pas qu'il existe plusieurs langues françaises. Nous le répétons dans notre volume, nous tentons de l'expliquer au mieux, il n'existe qu'une seule langue française, il n'y en a pas deux. Il n'y en a pas une en France et une au Québec, il y a une seule langue. Donc, c'est pour ça que nous privilégions l'approche globale et non la langue des Français et la langue des Québécois. Il n'y a qu'une seule langue française, avec des variétés internes, et il s'agit de les hiérarchiser. C'est ça, notre solution. Il existe donc un français standard soutenu au Québec et il existe un français populaire au Québec, vous avez raison. Et il ne faut pas exclure l'un, il faut simplement les mettre en rapport et dire: Bon, bien, dans un certain contexte au Québec, quand vous êtes dans un certain milieu, vous écrivez dans une telle revue, c'est ce niveau qui est utilisé, c'est ce standard qui est utilisé. Il ne s'agit pas d'interdire ou de stigmatiser des usages populaires, loin de nous. Si c'est le cas, nous nous élevons contre cette approche.

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): Une minute?

Le Président (M. Gaulin): Oui, Mme Laganière.

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): Bon. Alors, moi, je suis d'accord avec vous, M. Laporte, il faut être extrêmement prudent pour éviter l'exclusion, mais, pour le moment, moi, je me sens déjà exclue. Quand je consulte les dictionnaires et que je veux la féminisation d'un titre ou d'une fonction, je n'y suis pas; quand je cherche plein de choses, je n'y suis pas. Et, pour ce qui est de la prudence, vous avez raison, mais la prudence... on est prudent dans les moyens qu'on se donne, et on s'est donné comme moyen de ramasser les textes québécois représentatifs en tous les domaines. On a actuellement, on n'a pas le temps d'en parler, des corpus de textes qui vont du scientifique, technique, sociopolitique, administratif, on a des textes littéraires, on a des textes oraux, on a une variété de textes, et de ces textes-là on veut extraire une nomenclature, donc les mots dont on a besoin, nous, au Québec, parce qu'on les trouve dans nos journaux, parce qu'on les lit dans nos magazines, parce qu'on les entend à la radio, à la télévision, et on veut décrire l'ensemble de ces informations-là.

Et la hiérarchisation, comme je le disais à Marie Malavoy, ce n'est pas une prescription, mais ça nous permet de nuancer, ça nous permet de donner l'information. Donc, la prudence est dans les moyens, et je pense qu'on essaie... On prend bonne note du volet politique. Vous avez raison de le dire, on est des chercheurs, on est des scientifiques, mais on prend bonne note de vos commentaires. Je vous remercie.

M. Laporte: M. le Président, puis-je remercier nos invités d'avoir bien voulu nous donner ces avis sages et remarquables, et surtout à très bon marché. Merci beaucoup.

Mme Cajolet-Laganière (Hélène): Je vous en prie.

Le Président (M. Gaulin): Merci. Alors, je remercie les professeurs chercheurs de l'Université de Sherbrooke d'avoir témoigné devant notre commission.

J'invite maintenant l'Union des artistes et son président, M. Serge Turgeon, à s'approcher de la table et à nous présenter celles et ceux qui l'accompagnent. Nous aurons une heure d'audition: 20 minutes, en principe, pour le témoignage et deux fois 20 minutes pour les échanges.

M. le président Turgeon, vous avez la parole, nous sommes tout ouïe, tout oreilles.


Union des artistes (UDA)

M. Turgeon (Serge): Je vous remercie, M. le Président. M'accompagne pour cette présentation le directeur général de l'Union des artistes, M. Jean-Robert Choquet.

M. le Président, Mmes et MM. les commissaires, on a lu, on a entendu beaucoup de choses depuis quelques jours, depuis quelques semaines, à la faveur de cette commission parlementaire. Et, comme le débat est très politisé ou se veut très politisé par certains, il y a toutes sortes de récupérations qui sont tentées. Ce que je veux dire, d'emblée et d'entrée de jeu, c'est que le mémoire de l'Union des artistes que nous présentons aujourd'hui, sur la langue – et la langue, ça nous concerne beaucoup parce que c'est aussi notre premier outil de travail à nous, les artistes interprètes, les acteurs, les chanteurs, les autres – nous l'avons écrit au-delà de toute considération politique partisane, à la lumière et à la seule lumière de ce que nous voyons, de ce que nous entendons et de ce que nous vivons. Nous avons insisté et nous insisterons sur le concept du français langue commune, considérant qu'une langue commune doit être une affaire de sens commun. Une langue commune, c'est une langue qui doit rassembler, c'est une langue, donc, qui doit aussi être partagée.

Cela dit, nous constatons que des progrès ont été accomplis depuis 20 ans au Québec sur le plan linguistique, que ces progrès doivent être consolidés et que les moyens qu'il faut prendre pour les consolider doivent être adaptés à la réalité actuelle du Québec. Et la réalité actuelle du Québec, pour nous, c'est que le Québec est une société plus mûre, plus sûre d'elle, prête à assumer davantage de responsabilités et à s'ouvrir toujours plus sur le monde. C'est donc dans cet esprit que nous disons que la législation linguistique québécoise doit être le reflet d'un consensus large, qu'elle doit être claire et stable et doit être appliquée avec constance et fermeté.

L'Union des artistes aussi se sent très concernée par l'appel qu'a lancé le gouvernement à la responsabilité civique à l'égard de la langue commune. Elle entend d'ailleurs relayer cet appel auprès de ses partenaires naturels afin de contribuer, ensemble, à l'enrichissement de la culture et à la progression de la qualité et de la vitalité du français dont on a beaucoup parlé cet après-midi, et elle invitera aussi les partenaires, les entreprises en général, à en faire autant dans tous les lieux de travail au Québec.

Au-delà de tous les constats, de toutes les analyses qu'on peut faire, il importe de reconnaître que le contexte politique du Québec a évolué. Alors qu'il y a 20 ans à peine il apparaissait légitime de vouloir redresser vigoureusement des tendances dont nous pouvions craindre qu'elles nous mènent tout droit à l'assimilation linguistique et culturelle, depuis ce temps, notre confiance en nos capacités s'est affermie. Nos réalisations dans les domaines des affaires, de la culture, de la science, des sports se sont multipliées. Notre désir d'assumer plus de pouvoirs et de responsabilités politiques s'est aussi accru et s'est intensifié. Et cette évolution suggère pour nous l'application d'une politique linguistique qui soit compatible avec la maturité que nous avons acquise et que nous désirons continuer de développer.

Elle suggère donc une évolution correspondante dans l'attitude à adopter à l'égard de notre langue, moins défensive mais plus affirmative, et certainement plus responsable. Évidemment, il y a de quoi se poser des questions quand on voit certains anglophones jouer littéralement les agents provocateurs et prendre sans vergogne tous les moyens, y compris les menaces et le chantage, pour créer de toutes pièces une nouvelle crise linguistique qui ne réjouirait que les adversaires du Québec. Mais ce n'est pas parce qu'on nous tend un piège que nous sommes obligés de tomber dedans. Nous ne devons être ni intolérants ni naïfs, mais nous devons tout simplement nous comporter comme une majorité responsable de ses choix. Certains parmi ceux-là, certains de nos amis, et je dirais de nos amis intimes, seront tentés de vouloir revenir à la situation qui existait avant 1993. C'est leur choix.

(16 h 40)

Nous faisons, nous, partie de ceux qui ont durement combattu le projet de loi 86 à l'époque, souvenez-vous. C'est un projet de loi qui a tout de même été adopté démocratiquement par l'Assemblée nationale. J'ai moi-même été sur le front de cette bataille en 1993, comme je l'ai été quelques années plus tôt contre la loi 178. Aujourd'hui, c'est le même président de l'Union des artistes et c'est la même Union des artistes qui vient ici, et vous pouvez vous poser la question: Mais alors, qu'est-ce qui s'est passé à l'Union des artistes? Il ne s'est rien passé de particulier à l'Union des artistes, mais, depuis 1993, il s'est écoulé trois ans. Et aujourd'hui, trois ans plus tard, nous croyons que le Québec a un grand besoin d'une législation linguistique stable qui soit le reflet d'un consensus très large dans notre société, mais du même souffle, nous disons que cette législation linguistique – et c'est particulièrement vrai en ce qui concerne la question de l'affichage – a aussi besoin d'être grandement appliquée.

Nous ne faisons pas une fixation sur la question de l'affichage. C'est l'un des éléments du dossier linguistique, ce n'est pas nécessairement pour nous l'élément central, comme voudraient nous le faire croire certains déstabilisateurs. Il est infiniment regrettable pour nous que le gouvernement libéral, en faisant disparaître la commission de surveillance, ait réduit du même coup le nombre d'inspecteurs au point de remettre en cause la fonction même de surveillance de l'application de la loi. Mais une loi, c'est une loi, et il n'y a pas plus de honte à surveiller l'application de la législation sur la langue que celle sur l'aide sociale ou sur le Code de la sécurité routière. Bien sûr, ça doit se faire avec tout le discernement et tout le doigté possible, mais aussi avec toute la fermeté qui s'impose, comme pour n'importe quelle loi.

Cela dit, nous pensons que dans le contexte budgétaire actuel le gouvernement aurait sans doute mieux à faire que de consacrer le peu d'argent disponible au rétablissement d'une structure administrative propre à la Commission. Il n'y a personne encore qui nous a démontré que l'Office de la langue française n'était pas en mesure d'exercer adéquatement cette fonction de surveillance, pour peu évidemment qu'on lui accorde les effectifs suffisants.

Et puis, malgré toute l'importance qu'il faut continuer d'accorder au contenu et à l'application de la Charte de la langue française, il faut bien dire que la Charte ne peut constituer à elle seule la totalité de la politique linguistique. Et nous pensons que l'évolution majeure qui doit marquer aujourd'hui cette politique est la plus large responsabilisation, si vous me permettez l'expression, des citoyens, des entreprises et des organismes représentatifs dans la pratique et dans l'affirmation de la langue commune. Il y va de l'avenir de notre langue comme, plus généralement, aussi de celui de notre société. Et, s'il revient au gouvernement d'exercer sa responsabilité propre à cet égard, ça ne peut pas être de lui seul que dépend cet avenir, mais de nous tous, Québécois et Québécoises.

Et c'est dans cette perspective que l'Union des artistes invite ses partenaires et ses interlocuteurs des milieux culturels d'abord, puis du monde de l'enseignement et également du monde des affaires, à s'impliquer, chacun à sa façon et selon ses moyens, en faveur d'un français parlé et écrit de qualité et dans toutes les sphères d'activité de notre société. C'est vrai, ce que dit le gouvernement: que la qualité de la langue n'est pas un dossier étranger à la législation linguistique, même si on ne peut légiférer en matière de qualité. Convenons donc que la qualité de la langue est l'un des grands champs d'action où doit s'exercer la responsabilité civique des citoyens, des entreprises, des organismes et notamment des personnes qui font de la langue un usage professionnel. Ça, ça nous concerne nous, du monde culturel, mais ça concerne aussi le monde de l'enseignement, des médias, de la publicité ou de l'édition.

Les artistes interprètes sont bien conscients du rôle crucial qui leur échoit à cet égard parce que ce sont eux qui incarnent au cinéma, à la télévision, dans les téléromans, les mini-séries, dans les émissions destinées à l'enfance et à la jeunesse, sur scène, sur disque, dans les messages publicitaires, ce sont eux qui incarnent les valeurs auxquelles le public s'identifie et qu'il prend souvent pour modèle, notamment sur le plan linguistique. Alors, comme organisme qui regroupe les artistes interprètes francophones, il est bien évident que l'Union des artistes est concernée et préoccupée par le français parlé au point de vouloir en faire l'un de ses champs d'action pour les années à venir. Comprenons-nous bien, la langue que nous parlons ici est la langue française du Québec, ce n'est pas la langue française de France. C'est une langue belle, c'est la nôtre, elle est et elle doit être de qualité. Pour nous, la qualité du français ne saurait se confondre avec la valeur quelque peu surannée de l'époque du «bon parler français», on s'entend bien.

Mais l'Union des artistes y va aussi d'une mise en garde devant le fait de faire porter l'affirmation de la langue commune sur le seul respect de la norme. Il y a des dangers, selon nous. Danger d'appauvrir la langue en rejetant toute différence, en excluant toute manifestation d'innovation ou de dynamisme et en marginalisant ceux et celles qui font preuve de créativité, alors que, précisément, pour survivre aujourd'hui, une langue doit être souple, elle doit être ouverte afin d'intégrer les changements technologiques et les nouveaux apports culturels à mesure qu'ils se manifestent.

Il y a le danger aussi de momifier la langue en la dissociant des contenus qu'elle véhicule et de la dépouiller, finalement, de tout attrait pour ceux et celles qui, souhaitant avant tout exprimer des idées et des émotions, sont plus soucieux des contenus que de la forme. Nos pratiques à nous, artistes interprètes, nous amènent à croire que la qualité de la langue exige à la fois un plus grand recours aux ressources de cette langue et un enrichissement des contenus véhiculés par cette langue. On peut parler de diversifier son vocabulaire, de travailler sa syntaxe, de s'exprimer. Tout ça nous aide, finalement, à communiquer plus aisément ce que l'on est, ce que l'on veut, ce que l'on pense, ce que l'on ressent. Et c'est là une démarche qui relève de l'éducation par la famille, par l'école, par les médias. Une bonne connaissance de la langue orale et écrite, une diversification des contenus auxquels nous exposent le livre, le disque, la radio, la télévision, la scène, tous les autres véhicules de la langue, les contenus littéraires et artistiques, bien sûr, mais aussi les contenus techniques et scientifiques, économiques, politiques et philosophiques, tout ça peut et doit concourir à ce nécessaire enrichissement de la culture.

Donc, nous pensons que, pour améliorer la qualité de la langue, il faut faire porter l'effort à la fois sur la culture au sens large, mais sur l'éducation aussi, et de façon très pointue. Voilà pourquoi nous interpellons nos partenaires naturels, si je puis dire, du monde de la culture, de l'éducation et des communications dont la sensibilité est déjà éveillée à l'importance de la qualité de la langue. Nous les invitons à explorer avec nous les possibilités d'agir conjointement.

Nous croyons aussi que la recherche de la qualité du français ne doit pas se restreindre aux seuls milieux de la culture et de l'éducation, mais que ça doit s'étendre à l'ensemble des sphères d'activité de notre société, notamment au monde du travail, où, en dépit des progrès sensibles accomplis depuis 20 ans, il reste beaucoup à faire parce que plusieurs entrepreneurs, plusieurs gestionnaires justifient toujours leur intérêt mitigé pour l'usage et, à plus forte raison, pour la qualité du français par leur préoccupation première qui consiste, disent-ils, à assurer la survie de leur entreprise, les bénéfices de leurs actionnaires, l'emploi de leurs travailleurs dans un environnement fortement compétitif, où bon nombre de fournisseurs et de clients de l'extérieur du Québec communiquent avec eux en anglais. Nous trouvons cet argument un peu court.

Le Québec a cette chance que bien d'autres sociétés n'ont pas: d'avoir pour langue commune le français, une langue dont l'usage n'est pas limité à son seul territoire et qui permet de communiquer avec nombre d'autres pays, mais en même temps qui a naturellement pour langue seconde l'anglais, langue dominante des échanges internationaux. Et, dans ce contexte doublement favorable qui est le nôtre, les contraintes économiques, si fortes soient-elles, ne peuvent être invoquées pour justifier des comportements d'insouciance, de négligence, voire même d'abandon face à une langue commune qui comporte de formidables avantages économiques et commerciaux aussi.

(16 h 50)

Et, dans cette perspective, nous lançons également à tous les chefs d'entreprise un appel à faire preuve eux aussi de responsabilité civique à l'égard de la langue commune du Québec où ils font des affaires. Nous invitons donc les gens d'affaires à s'engager publiquement à faire de leurs entreprises autant de lieux où il est non seulement possible mais normal et même valorisé et valorisant de parler français entre employés et avec la direction, d'écrire et de lire en français, que ce soit les manuels techniques, les formulaires administratifs ou les politiques de gestion, mais, bien sûr, tout en n'interdisant d'aucune façon d'utiliser l'anglais où c'est nécessaire, notamment dans les relations avec les régions et les pays non francophones.

Alors, voilà, M. le Président, mesdames et messieurs les commissaires, l'essentiel de notre mémoire. Nous misons et nous croyons en la maturité du peuple québécois. Nous croyons que ce peuple a besoin de stabilité. Mais stabilité ne veut pas dire immobilisme, on s'entend bien. Nous pensons que, vis-à-vis de la langue, nous pouvons avoir une attitude moins défensive mais, je le répète, plus affirmative et certainement plus responsable. Je vous remercie.

Le Président (M. Garon): Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. le Président, merci. M. Turgeon, M. Choquet, bonjour. Alors, il est clair en lisant votre mémoire que, je dirais à 80 %, 90 %, vous êtes en accord avec l'énoncé de politique. Vous mettez l'accent sur un certain nombre de choses plutôt que d'autres. Alors, ça me réjouit, parce que je crois en effet que cet énoncé de politique est un bon énoncé de politique et puis que l'on y a travaillé énormément depuis un certain nombre de mois, et je crois qu'il est fort valable. Vous me le prouvez avec ce que vous venez de dire sur la qualité de la langue, bien sûr – c'est un nouveau chantier que, nous aussi, nous avons voulu ouvrir – mais sur un ensemble d'autres mesures.

Évidemment, j'aimerais vous parler de deux, trois choses. La première concernerait justement la langue de l'affichage. Moi non plus, je n'en fais pas une fixation et une obsession, mais j'aimerais... Vous l'avez dit très franchement, M. Turgeon, en 1993, vous étiez au front dans cette coalition antiloi 86 et vous l'avez donc combattue. Je vous rappellerai tout simplement ce que le Conseil de la langue française nous a donné comme avis, et qui me semble, personnellement, très sage comme avis.

Le Conseil de la langue française nous a dit hier que, pour l'instant, le Conseil nous recommandait de ne pas bouger, de laisser la loi 86 telle quelle, mais d'observer – et c'est son rôle, ainsi que celui de l'Office de la langue française – attentivement l'évolution et que, si nécessaire, donc s'il y avait détérioration constatée par des données, par des faits, parce que l'on connaît maintenant le portrait assez juste qui se retrouve dans le bilan qui a été déposé en mars dernier, donc si la situation du français dans l'affichage se détériorait, s'il y avait une réelle et globale bilinguisation du visage de Montréal, que, là, le Conseil recommanderait au gouvernement d'agir et d'intervenir.

J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus. En d'autres termes, est-ce que, vous, vous l'appuyez, je dirais, conditionnellement, ou vous dites: En tout état de cause, étant donné que l'affichage, ce n'est pas ce qu'il y a de plus important, eh bien, la loi 86, pour des raisons de stabilité, par exemple, que vous avez évoquées, bien, n'y touchons pas, dans aucune hypothèse...

M. Turgeon (Serge): Oui.

Mme Beaudoin: ...pour un certain nombre d'années? Ou enfin, j'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

M. Turgeon (Serge): Bien, écoutez, si les choses devaient changer, et il faudrait qu'elles changent, mais vraiment radicalement, à ce moment-là, ce n'est pas que vous qui auriez des problèmes, c'est toute la société qui en aurait. Le Parti libéral en aurait aussi. Tout le monde en aurait, la population aurait des problèmes. Et, à ce moment-là, vous seriez forcés d'intervenir selon ce qui semblerait, à ce moment-là... ce qui est à faire.

Mais, ce que nous disons: Nous n'avons jamais prétendu et nous ne prétendons pas que la loi 86 est une loi parfaite, mais il y a une chose pour nous qui a prévalu sur toute autre considération, et c'est ça que nous avons ressenti et que nous voyons depuis trois ans, c'est la volonté profonde de la majorité des Québécois de toutes origines de vivre dans l'harmonie et dans le respect mutuel. On n'est pas les seuls à dire ça. On a écrit notre mémoire il y a plusieurs semaines. Il y a deux jours seulement, un sondage est apparu, ça a été publié dans Le Devoir : il dit exactement la même chose. Et, si j'avais eu à écrire le mémoire à la suite de la publication de ce sondage, j'aurais écrit exactement le mémoire que nous vous avons présenté.

Donc, c'est la volonté de tous les Québécois qui vivent au Québec et qui veulent vivre au Québec qui fait que la règle de prédominance du français dans l'affichage est respectée dans la plupart des commerces. Mais il est évident que, si vous posez des questions à chacune des différentes communautés culturelles, vous allez avoir des réponses bien différentes. Et c'est pour ça que nous disons que s'impose la recherche d'un consensus, et d'un consensus assez large, au Québec. C'est ça qu'on appelle dans notre mémoire se conduire comme une majorité responsable de ses choix, se conduire comme une majorité, mais avec tous les égards dus à sa minorité qu'elle respecte et qui la respecte.

Mme Beaudoin: Alors, M. Turgeon, si je vous comprends bien... Excusez, M. le Président. Si je vous comprends bien, vous dites: Il faudrait vraiment que ça change radicalement parce que la situation, telle que vous l'évaluez ou vous la constatez, n'a pas changé vraiment radicalement en tout cas...

M. Turgeon (Serge): Elle n'a pas changé radicalement, puis on va faire abstraction de la campagne, de ces agresseurs déstabilisateurs. Je pense que ce n'est pas ça qui doit nous influencer dans une décision que nous avons à prendre. Si, effectivement, une telle campagne devait amener une modification totale du visage linguistique du Québec, je vous dis, c'est toute la société, à ce moment-là, qui va certainement réagir. Il y a même des anglophones aussi, vous l'avez vu ces derniers jours, qui vont aussi réagir dans ce sens-là.

Mme Beaudoin: Pour vous...

M. Turgeon (Serge): Moi, je vis dans le West Island...

Mme Beaudoin: Oui.

M. Turgeon (Serge): ...Mme la ministre. Je suis allé me promener, je vais me promener au Centre Rockland et ailleurs. J'ai vu une affiche en anglais par ci par là. Je ne ferai pas d'urticaire pour ça et je n'en ferai pas dans les agglomérations où il y a 99,8 % de la population qui est soi-disant anglophone.

Mme Beaudoin: Très bien. J'aimerais vous poser deux autres questions. Bien sûr, une question sur la Commission de protection de la langue française, puisque je pense qu'on peut dire, en gros – je ne sais pas si vous allez être d'accord – que c'est notre seul point de divergence...

M. Turgeon (Serge): Quant à la revalorisation ou à ramener la Commission comme telle...

Mme Beaudoin: Oui, c'est ça. C'est notre point de divergence.

M. Turgeon (Serge): ...et non pas quant aux objectifs.

Mme Beaudoin: Ah non! D'accord. Je comprends très bien. Donc, on s'entend très bien. Vous avez bien expliqué en effet que cette loi, comme toutes les autres lois adoptées démocratiquement par l'Assemblée nationale, devait être appliquée, puis que vous regrettiez que, justement, il y a trois ans, ça n'ait pas été le cas, puis que l'Office de la langue française n'en ait pas eu, à ce moment-là, les moyens, puisqu'on a transféré, je crois, trois inspecteurs sur les 33 qui étaient à la Commission de protection de la langue française.

Je voudrais quand même faire un commentaire, puis ensuite vous poser une question. Le commentaire est le suivant. Quand vous dites... Justement, ça n'est pas une question de principe, bien sûr, sur l'application ou non de la loi. Ça, c'est très clair dans mon esprit et dans le vôtre, on est d'accord là-dessus, il faut appliquer la loi. Mais vous dites: On a mieux à faire, bon, compte tenu de la situation budgétaire. Je voudrais quand même vous faire remarquer, M. Turgeon, qu'à partir du moment où on donnerait les moyens, que ce soit à un ou l'autre organisme... On peut discuter longuement, en effet.

Est-ce qu'il y a un organisme qui doit avoir le mandat exclusif, comme la Commission de protection de la langue française, ou un mandat double, comme l'Office de la langue française, mais à qui il faut donner, de toute façon, des moyens supplémentaires? Et il est bien écrit dans l'énoncé de politique, sinon dans la loi elle-même d'ailleurs, que ce qu'on appelle les services centraux, que ce soit l'administration, les communications, enfin tous ces services, pourraient être fusionnés. Alors, en fait, ce seraient les mêmes services centraux pour l'un et l'autre organisme. Donc, je ne pense pas, ce que je veux vous dire, qu'on fasse de grandes économies.

(17 heures)

Puis il faut faire très attention. Vous savez que le 5 000 000 $ que le gouvernement du Québec a annoncé, ce n'est pas un 5 000 000 $ qui va à la Commission de protection de la langue française. Il y a déjà des conseillers en francisation qui ont été ajoutés à l'Office de la langue française. Mais, pour franciser les entreprises, de ce 5 000 000 $ là, il y a peut-être 2 000 000 $ en tout et partout, donc, qui se retrouveraient pour... Que ce soit à l'Office d'ailleurs ou, comme je vous dis, à la Commission de protection de la langue française, je ne pense pas qu'il y ait de grandes économies à cet égard. Donc, 2 000 000 $ sur les 5 000 000 $, et les trois autres millions vont aller très franchement vers d'autres objectifs de l'énoncé de politique, pour mettre en oeuvre, que ce soit l'intégration des immigrants, que ce soit à l'éducation, que ce soit la francisation des entreprises: c'est très peu d'argent. D'ailleurs, vous savez très bien que Mme Copps a mis un 23 000 000 $ pour se draper dans le drapeau et tous les Canadiens qui sont en mesure de se draper dans le drapeau – 23 000 000 $ de nos taxes, d'ailleurs – aussi. Alors, je trouve que ce n'est pas beaucoup d'argent.

Et, quand vous dites que, dans le fond, on a mieux à faire, je vous pose la question, en fait, double: En effet, est-ce que vous trouvez que ça coûte trop cher pour appliquer la loi, ou encore est-ce que vous pensez que c'est en créant un organisme, comme je vous dis, qui aurait un mandat exclusif, mais donc qui partagerait un certain nombre de services de toutes les manières avec l'Office...

M. Turgeon (Serge): Je reçois bien votre message, Mme la ministre. Notre souci là-dessus, nous, a été économique. Et je vous rappellerais, si j'entends bien le discours de notre premier ministre, si j'entends bien le discours du ministre des Finances et des autres ténors de l'économie, qu'actuellement, avec ce que nous vivons au Québec, avec ce que nous appréhendons comme coupures, notamment peut-être dans le secteur culturel, qu'il n'y a pas de petites économies. Notre réflexion se base essentiellement là-dessus. Et nous l'avons dit, rien ne nous a prouvé que l'Office de la langue ne pouvait pas, si on lui en donne les moyens, remplir ce rôle-là. Pourquoi une nouvelle structure? Pourquoi? Pourquoi? Alors, faisons donc au plus simple, mais assurons-nous, au plus simple, que la loi soit respectée comme toute autre loi.

Mme Beaudoin: Mais ce que je veux savoir, c'est si c'est une objection de principe ou une objection de coût? Si je vous démontre justement que ça ne coûte pas plus cher dans un cas que dans l'autre, est-ce que c'est une question de coût ou une question de principe sur le rétablissement de la Commission de protection de la langue française? C'est ça, ma question. Parce que je prétends que ça va coûter aussi cher dans un cas que dans l'autre, c'est-à-dire très peu. Très peu cher dans un cas comme dans l'autre.

M. Turgeon (Serge): On verra, Mme la ministre, ce que vous allez nous démontrer. Mais, nous, on se dit que, si déjà il y a un président de moins, il y a un bureau de moins et tout le personnel qui va avec, il y a déjà une économie d'échelle. Mais on va attendre votre démonstration.

Mme Beaudoin: Très bien. Alors, ce n'est pas une objection de principe?

M. Turgeon (Serge): C'est une question purement économique.

Mme Beaudoin: Purement économique. Bon, très bien, c'était ça que je voulais entendre. Une dernière petite question, avant de passer la parole à mes collègues, qui est assez complexe, comme vous savez. Vous savez qu'on peut diverger là-dessus. Ce n'est absolument pas dans l'énoncé de politique ou dans le projet de loi, mais vous avez parlé tout à l'heure de qualité de la langue. Qu'est-ce que vous pensez de notre difficulté à pénétrer le marché français au cinéma et à la télévision? Est-ce dû à la langue québécoise ou est-ce dû à d'autres phénomènes? Puisque je prétends que, pour les Américains, à partir du moment où c'est doublé ou c'est sous-titré, que ce soit dans n'importe quelle autre langue, donc, que le français, la pénétration, d'après ce qu'on peut en constater en tout cas... Donc, notre difficulté à nous, elle est réelle, elle est là, elle est extrêmement préoccupante: on n'a pas le choix que de pénétrer le marché français avec nos productions culturelles, avec nos oeuvres culturelles. Je ne parle pas du Cirque du Soleil ou de Charles Dutoit, je parle de ceux qui sont dans le cinéma, dans la télévision, dans des secteurs où la langue, justement, est au coeur de la production ou de l'oeuvre elle-même.

M. Turgeon (Serge): Vous m'ouvrez la porte, Mme la ministre, alors je vais mettre le pied dedans, et plus que le pied. Quant à moi, nous parlons et nous pouvons parler, au Québec, un français compris par tous les francophones de la planète, y compris par ceux de France. Pour moi, la question n'est absolument pas là, c'est une question purement économique. Les Français ont un marché et sont très fermés à la pénétration d'un marché étranger. Et, si vous le permettez, je vais vous raconter une petite anecdote qui va tout vous expliquer, parce qu'on nous ramène fréquemment cet argument: Mais on ne vous comprend pas, mais on ne vous entend pas, donc ce n'est pas diffusable.

Il y a quelques années, nous avons, ici, doublé – nous avons fait un pilote – une production américaine de 30 minutes avec, comme comédiens, ici, uniquement des camarades français qui pratiquent leur métier ici, au Québec – à l'époque, les Léo Ilial et autres. Ça ne peut pas être plus français dans l'accent. Nous avons fait ce montage-là, nous l'avons envoyé aux Français, et ils nous ont répondu: Oui, mais votre accent... Je ne marche pas, Mme la ministre, dans ce genre d'argument.

Mme Beaudoin: Alors, qu'est-ce qu'on fait?

M. Turgeon (Serge): Eh bien, qu'est-ce qu'on fait? Il faudra négocier ça comme se négocie n'importe quel autre marché. C'est ça. On fait des affaires. Alors, il va falloir faire des affaires avec la France, comme on peut en faire avec l'Allemagne puis avec l'Espagne, même au niveau culturel.

Mme Beaudoin: C'est un débat que l'on va continuer ailleurs, en effet; je vais laisser la parole à mes collègues. Mais on devrait d'abord négocier avec les Américains, à vous entendre, à ce moment-là, parce qu'il y a 85 % des films qui sont des films américains sur nos écrans, puis il n'y a pas un film québécois...

M. Turgeon (Serge): Absolument.

Mme Beaudoin: Bien oui, bien oui!

M. Turgeon (Serge): Absolument. Et le contraire est vrai: aux États-Unis, il y a une très faible pénétration du marché étranger.

Mme Beaudoin: Ah!

M. Turgeon (Serge): Alors, quand une nation considère que c'est elle qui est tout, bien, c'est ce qui arrive. Il faut négocier.

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon. Il reste cinq minutes.

M. Payne: M. Turgeon, M. Choquet, on arrive vers la fin de nos consultations, et quelques certitudes, à mon avis, ont été un peu ébranlées depuis quelques jours, jusqu'au point où nous avons des discussions ici au sujet du français langue commune. Peu de témoins anglophones, avec une seule exception, étaient prêts à assumer le fait que le français était vraiment la langue commune, c'est-à-dire avec des conséquences. Il y avait un «lip service» à ça, mais, plus que cela, il n'y en avait pas. Premièrement.

Deuxièmement, quand on parle du sondage, il y en a beaucoup qui voudraient maintenir le projet de loi 86. J'ai lu aussi une autre affirmation, dans le sondage, par les répondants: aux alentours de 80 % des répondants souhaiteraient toutefois que les dispositions législatives soient renforcées si l'anglais prend plus d'ascendant à Montréal.

Nous avons vu une tendance politique depuis un certain temps. Je vis dans le milieu anglophone et je constate un certain recul. Alliance Québec, parmi d'autres affirmations, est revenue en arrière de 20 ans pour affirmer l'exigence du libre-choix. Comment vous conciliez ces constats-là avec votre confiance et le consensus qui peut exister à ce moment-ci quant aux objectifs de la Charte de la langue française?

M. Turgeon (Serge): Écoutez, moi, je pense que nous avons une période plutôt difficile à passer. On est encore au lendemain d'un référendum où certains ont reçu un message très précis; je pense qu'il faut comprendre ça. Et je ne répondrais pas, quant à moi, et je ne répondrai pas à l'agitation politique qui vise à déstabiliser un gouvernement et une société. Ça, c'est grave, et je pense qu'il ne faut pas donner dans le panneau.

Le Président (M. Garon): M. le député de Prévost.

M. Paillé: Non, Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Est-ce qu'il me reste...

Une voix: Il ne reste pas grand temps.

Mme Malavoy: M. le député de Prévost me laisse...

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: ...les quelques secondes peut-être qu'il reste. Bonjour, M. Turgeon; bonjour, messieurs. Vous parlez de la question de niveaux de langage, et donc de la qualité de la langue, et je pense que vous êtes dans un secteur qui est absolument vital, qui est un véhicule majeur de la langue française. Je suis tout à fait confiante dans ce que vous représentez.

En même temps, on reçoit souvent des plaintes concernant les messages publicitaires qui sont très, très fréquents et qui sont variables – je n'emploierai pas le mot «qualité» – en termes de niveau de langage. Est-ce que vous pensez qu'il y a quelque chose à faire par rapport à ça, ou est-ce que la cohabitation très largement répandue de niveaux de langage très différents ne pose pas de problème et qu'on devrait tout simplement laisser la liberté s'exprimer à cet égard?

(17 h 10)

M. Turgeon (Serge): Bien, c'est certain qu'il y a une liberté qui doit s'exprimer, mais ce que nous disons là-dedans, c'est qu'il n'est absolument pas question que l'Union des artistes se pose en juge d'une certaine orthodoxie à ce niveau-là. Ce que nous disons, c'est qu'il y va quand même d'une responsabilité, au sens général, de ceux dont c'est le métier de paraître, d'être, d'être gens de parole, à la télévision, à la radio ou ailleurs, et c'est en ce sens-là que nous avons lancé un appel à tous nos partenaires du milieu culturel à venir réfléchir avec nous à l'état de la situation et à voir ce que nous pouvons faire pour améliorer la qualité de la langue.

Et, quand on parle d'améliorer la qualité de la langue, il faut bien s'entendre. Il n'est pas question de juger des auteurs, il n'est pas question d'indiquer à des auteurs tel ou tel niveau de langage, c'est une question de sens commun avec nous. Il y a eu, juste avant nous, un très bel exposé sur la qualité de la langue et je dois vous dire que, quant à nous, à l'Union des artistes, nous souscrivons totalement à ce qui a été dit tout à l'heure là-dessus. La langue française du Québec est une belle langue, c'est une langue qui peut être comprise partout sur la planète, sans aucun problème, encore suffit-il qu'on y mette aussi l'effort qu'impose toute langue, qui doit avoir une qualité à son niveau.

Et c'est vrai pour toutes les langues. C'est vrai pour l'anglais, c'est vrai pour le français de France, c'est vrai pour nous. Il y a des films français, pour reprendre un peu le débat qu'a ouvert Mme la ministre, qui nous arrivent ici et que, au premier abord, nous avons de la difficulté à comprendre. Quand j'ai assisté, moi, à la première représentation de Jean de Florette , il y avait même des Français de France, derrière moi, qui disaient: On ne comprend rien, on ne comprend rien. Ça a duré comme ça pendant cinq ou dix minutes, et ils s'y sont fait. Si nos oreilles à nous peuvent s'y faire, les oreilles des autres peuvent s'y faire aussi.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, je n'ai pas de question à poser à l'Union, au président de l'Union des artistes, mais j'aimerais néanmoins lui dire ceci, M. le Président: M. le président Turgeon, un vent de fraîcheur circule maintenant dans cette chambre. M. Turgeon, vous nous apportez une nouvelle vision, une vision nouvelle. M. le président, nous sommes parfaitement d'accord, l'opposition officielle est parfaitement d'accord avec le contenu de votre mémoire. Et je veux que vous nous entendiez bien, ici, M. le président, et nous prenons même très au sérieux les reproches peu tendres que vous nous faites par moments. Donc, je vais le répéter, nous sommes ici depuis six jours ou sept jours, eh bien, ça valait grandement la peine de venir ici pour vous entendre. C'est un vent de fraîcheur que vous nous apportez, et, je le répète, nous prenons au sérieux, et très au sérieux, les reproches que vous nous faites dans votre texte.

Je le dis non pas en politicien, M. le président, mais en politique. Je vous remercie grandement pour vos propos, et je termine là-dessus. Je suis un peu ému, et je vous remercie encore une fois très, très grandement, en mon nom, au nom de l'opposition officielle et au nom de mes collègues. Merci, M. le Président.

M. Turgeon (Serge): M. Laporte, je vous remercie, et je suis ravi que, des deux côtés de la Chambre, si on peut dire, on puisse trouver qu'il y a une certaine sagesse, disons, dans ce rapport. Pour nous, c'est évident que les cinq principes de la politique linguistique sont fondamentaux, et je pense que, si on en recherche des consensus, on peut dire qu'il y en aura certainement autour de ça. Ils ne sont pas compliqués, ces principes-là: la langue française est au coeur de l'identité québécoise; elle est le fondement de la cohésion de la société québécoise; les apports de toutes les minorités à la société québécoise sont une richesse et un avantage; la connaissance d'autres langues est un enrichissement personnel et social; l'approche législative doit être complétée par une approche sociale et une approche de concertation internationale. Bien sûr que les choses ne sont pas faciles, et je retiens dans ce que vous avez dit, M. Laporte, et dans ce qu'a dit Mme la ministre que nous ne devons pas, comme société, être porteurs d'équivoques.

Et je voudrais, si vous me permettez, vous rappeler ces mots d'un de nos membres célèbres, que vous aimez bien, Gilles Vigneault. Je prends ça dans une récente entrevue qu'il a accordée au Devoir . Il ne parlait pas de la langue comme telle, il parlait des choses de la vie, et vous serez d'accord pour dire que la question linguistique est une des belles choses de notre vie. Il dit ceci: «Quand on ramène tout à noir et à blanc, tout est faussé, parce que la vie, c'est jamais du noir et blanc. Il y a du gris et diverses sortes de gris: du gris foncé, du gris plus pâle, du blanc plus pâle, du blanc foncé. Rien n'est simple.» Effectivement, rien n'est simple, et je vous invite à réfléchir là-dessus, Mme la ministre.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. le porte-parole de l'Union des artistes, de votre contribution à la consultation que nous avons le mandat de mener ici, et j'invite immédiatement le prochain groupe, le Parti québécois (permanence nationale) à s'approcher de la table des témoins.

MM. les représentants du Parti québécois (permanence nationale), êtes-vous là? Vous avez une heure, c'est-à-dire normalement 20 minutes pour faire votre exposé, 20 minutes pour le parti ministériel et 20 minutes pour l'opposition officielle. Ce que vous prendrez en moins pourra être utilisé par les députés s'ils le souhaitent; ce que vous prendrez en plus leur sera soustrait.

Alors, M. Béchard, je pense, est le porte-parole. Si vous voulez nous présenter également les gens qui vous accompagnent.


Parti québécois (permanence nationale) (PQ)

M. Béchard (Fabien): Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés du gouvernement, Mmes, MM. les députés de l'opposition, je voudrais d'abord vous présenter les personnes qui m'accompagnent: à ma droite, Mme Nathalie Lavoie, qui est la présidente du Comité des relations ethnoculturelles du Parti québécois; et, à ma gauche, Mme Martine Ouellet, qui est conseillère à l'exécutif national du parti.

Je remercie la commission de nous fournir l'occasion de nous entendre sur cette question importante pour l'avenir du Québec. Depuis toujours, parler de la question linguistique au Québec, c'est parler de la survie d'un peuple d'expression majoritairement française qui se bat pour conserver sa langue et sa culture. Il ne s'agit donc pas d'un sujet parmi d'autres, il est question ici de l'existence ou de la mort d'un peuple qui lutte depuis la Conquête pour que ce coin d'Amérique qui est le sien ne soit pas emporté par l'unilinguisme anglais qui prévaut en Amérique tant dans les sphères économiques, sociales que politiques.

Parler de la question linguistique, c'est aussi regarder les choses en face, froidement, en accord avec le passé, mais tourné vers un avenir où l'espoir et la détermination se conjuguent en français dans le respect des minorités qui habitent le Québec.

(17 h 20)

Pour commencer, j'aimerais attirer l'attention des membres de la commission sur les différents aspects qui contribuent à maintenir le français dans un état précaire. D'abord, la sélection par le Québec de seulement 40 % des nouveaux arrivants; la bilinguisation de l'affichage et le non-respect de la loi en matière d'affichage; la décapitation de la Charte de la langue française par les tribunaux, c'est-à-dire imposition du bilinguisme des lois et de l'appareil judiciaire, imposition de la clause Canada, affichage bilingue; le manque de volonté politique de faire respecter la Charte de la langue française; le non-respect fréquent par les organismes et l'administration du Québec de l'esprit de la Charte, c'est-à-dire pas de plan de francisation, bilinguisme institutionnel; l'intégration relative d'une majorité des immigrants; l'anglicisation massive des enfants d'allophones nés au Québec; l'attraction constante de l'anglais; la domination de l'anglais dans les technologies de pointe au travail; la stagnation du système de certificat de francisation des entreprises; la qualité déficiente de notre langue à l'école, dans les médias; l'abolition de la Commission de protection de la langue française; le départ de nombreux francophones de l'île de Montréal; la concentration sur l'île de Montréal de 88 % des immigrants. Ce sont tous des facteurs qui sont à considérer quand on examine la situation du français.

C'est donc des facteurs qui contribuent à la précarité du français au Québec. Le gouvernement du Québec peut et doit agir sur la plupart de ces facteurs. Des mesures importantes et nécessaires doivent être prises pour assurer la pérennité du fait français au Québec. Procéder autrement mettrait en péril la chance de vivre en français pour les générations à venir.

Avant de traiter plus spécifiquement des mesures à prendre, le Parti québécois tient à rappeler que les efforts du gouvernement du Québec pour faire du français la langue de la société québécoise se sont heurtés à une offensive majeure du gouvernement fédéral au plan constitutionnel, légal et judiciaire pour bilinguiser le Québec. Tour à tour, la Loi sur les langues officielles prônant le bilinguisme, la politique de multiculturalisme qui instaurait la notion d'égalité entre toutes les cultures, et l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 sont venues atténuer ou carrément neutraliser de nombreux articles de la Charte de la langue française.

Depuis l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, la Charte de la langue française est assujettie à cette loi. Le gouvernement du Québec n'est pas maître de sa politique linguistique, car il doit respecter les critères fixés par le Canada. Cette situation est inacceptable aux yeux du Parti québécois, puisqu'elle empêche un gouvernement démocratiquement élu de choisir tous les outils nécessaires pour assurer non seulement la sauvegarde de la langue française, mais aussi en étendre l'utilisation à tous les domaines de la vie collective.

Cette offensive fédérale est venue maintenir la confusion chez plusieurs et accentuer la promotion de la langue anglaise, qui n'avait pas besoin d'un tel support au Québec pour continuer à fleurir vu le contexte nord-américain. Pire, on peut prétendre que cette politique de bilinguisme d'Ottawa favorise plutôt le maintien de l'anglais comme langue de travail et d'intégration. Par cette politique, bon nombre de Québécois se sentent légitimés de parler uniquement anglais. Nous croyons, au Parti québécois, que ces lois et la politique de multiculturalisme non seulement sont un frein à la francisation du Québec, mais qu'elles favorisent l'épanouissement de l'anglais plutôt que du français, langue que l'on voudrait voir normale et commune pour tous les Québécois.

Devant cette réalité et compte tenu du cul-de-sac constitutionnel dans lequel nous nous trouvons, le Parti québécois croit plus que jamais que le meilleur amendement à la loi 101, c'est la souveraineté du Québec. Qu'on ne se trompe pas, l'anglais se porte très bien au Québec. Nulle part au Québec la langue anglaise n'est en situation de précarité. Par contre, la population du Québec est et sera toujours confrontée à un environnement économique, politique, social et culturel massivement anglophone qui favorise l'épanouissement de la langue anglaise. Les anglophones, et c'est très bien ainsi, ont leurs écoles, leurs cégeps, leurs universités, leurs médias, et j'en passe. Plusieurs francophones hors Québec aimeraient bien avoir tous ces services, mais cela reste trop souvent du domaine du rêve.

D'ici la souveraineté, le gouvernement doit utiliser tous les outils dont il dispose pour franciser davantage le Québec. Les pressions sociales et politiques qui s'exercent à l'encontre de la francisation du Québec sont d'une force telle que la situation, en 1996, exige que le gouvernement aille plus loin avec son projet de loi. Le débat politique sur la place du français situe, au premier plan, la question de l'affichage commercial, mais, pour le Parti québécois, la question du fait français ne se limite pas qu'à cette facette. Nous devons considérer le français comme le pivot central du tissu québécois. Le français doit jouer un rôle rassembleur au sein de la société québécoise.

Voilà pourquoi nous trouvons essentiel le rôle que le gouvernement veut donner à la Commission de protection de la langue française. La volonté du gouvernement de faire du français la langue commune de tous les Québécois passe par la réinstauration de la Commission de protection de la langue française, instrument essentiel de la politique de francisation. Elle est la seule qui puisse assurer que la politique de relance du français sera suivie par tous les secteurs touchés par le projet de loi et l'énoncé.

Certains groupes aimeraient réduire le rôle de cette Commission à vérifier la conformité des affiches dans les commerces; ce rôle n'est pas à négliger, mais le projet de loi lui donne le mandat de faire respecter la Charte de la langue française dans son entier, ce qui ne se résume pas à des articles sur l'affichage, faut-il le rappeler. La Commission devra s'assurer du respect de la Charte dans des secteurs importants comme le gouvernement, l'administration publique, les sociétés parapubliques, les sociétés d'État, les principaux organismes du gouvernement, les entreprises et l'affichage.

La Commission de protection aura un gros travail à faire au sein de l'administration québécoise, qui ne prêche pas par l'exemple pour faire du français la langue normale et habituelle du travail. Même si on sait maintenant que les choses vont changer, nous dénonçons cette politique de laisser-faire, et le Parti québécois insiste pour que des mesures musclées soient prises afin que la langue française devienne la langue normale de tout l'appareil de l'État.

Au sujet de l'affichage, le Parti québécois n'a jamais accepté la loi 86. Le Parti québécois est d'avis que le gouvernement doit clairement chercher à améliorer le visage français du Québec et non le laisser se bilinguiser. L'affichage bilingue qui s'impose de plus en plus est contraire à l'esprit de la loi et à la volonté des Québécoises et des Québécois.

Nous voudrions aussi attirer l'attention de la ministre sur la prolifération des raisons sociales en anglais depuis quelques années. Ces raisons sociales unilingues anglaises recomposent petit à petit un visage unilingue anglais sur la façade de nombreux commerces. Nous croyons que le générique des commerces devrait être à tout le moins de la même taille que les raisons sociales pour que le français retrouve sa place.

Si les dispositions actuelles sur l'affichage ne peuvent être applicables et permettent à certains d'exercer un chantage linguistique qui aurait comme finalité de donner un visage bilingue à Montréal, il faudra aller plus loin que l'énoncé de politique. Pour ce faire, le Parti québécois demande au gouvernement de n'exclure aucune option.

La qualité du français doit devenir une des préoccupations majeures du gouvernement. Parler et écrire un français de qualité est aussi garant de la pérennité du français au Québec. Dans les circonstances, il faut que tout le système d'éducation se dote d'une politique institutionnelle du français qui mette l'accent sur la diffusion et la qualité du français dans les institutions scolaires. Parler et écrire un français de qualité doit devenir un objectif pour les Québécois. Le gouvernement doit également prendre les mesures nécessaires pour s'assurer de la qualité du français dans tous les domaines, plus particulièrement dans les médias et la publicité. Ces mesures seraient établies suite à une concertation entre l'Office de la langue française et les médias.

Maintenant, au chapitre de la langue d'enseignement. L'obligation de fréquenter l'école en français est considérée comme un moyen privilégié pour franciser tous les enfants du Québec et les intégrer à la société francophone. L'énoncé de politique nous apprend que l'obligation de fréquenter l'école française pour bon nombre de Québécois a permis à 79 % des enfants d'immigrants d'aller à l'école en français, contre 15 % en 1971. De plus, 70 % des élèves allophones qui ont fréquenté les commissions scolaires françaises vont au cégep en français. C'est des progrès importants, significatifs. Mais seulement 38 % des élèves allophones qui ont fréquenté les écoles protestantes françaises vont au cégep français. Cette situation laisse le Parti québécois perplexe, puisque nous souhaitons que les élèves allophones fréquentent le cégep en français.

La décision d'instaurer des structures scolaires linguistiques pourrait à la longue devenir un moyen privilégié pour favoriser la fréquentation des cégeps francophones par les élèves allophones. C'est pourquoi nous insistons à nouveau sur la nécessité pour le Québec de se doter de structures scolaires linguistiques. Nous sommes d'avis que le gouvernement du Québec doit prendre tous les moyens pour établir un réseau scolaire crédible et capable d'une réelle intégration.

Le Parti québécois estime que l'intégration complète des enfants d'allophones arrivés depuis les 20 dernières années est loin d'être acquise. En effet, seulement 22 % d'entre eux, au total, ont choisi de vivre en français. Enfin, le taux d'anglicisation des allophones de 24 ans et moins nés au Québec nous convainc que le gouvernement est justifié de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour augmenter de façon significative le nombre d'élocuteurs de langue française.

Enfin, le gouvernement doit s'assurer que la prolongation du temps de fréquentation de l'école anglaise pour les enfants qui séjournent au Québec de façon temporaire et que le passage dans une école privée non subventionnée ne servent à contourner l'obligation d'aller à l'école française.

(17 h 30)

À l'heure de la globalisation des marchés, le monde se rétrécit, les échanges s'intensifient et les nations s'enrichissent d'immigrants venus des quatre coins de la planète. Le Québec est une terre d'accueil prisée par de nombreux arrivants. La société québécoise accueille depuis plus d'un siècle des immigrants qui appartiennent à plus de 90 communautés. La sensibilité de toutes ces gens enrichit notre culture et participe à son développement, mais, pour profiter pleinement de cette sensibilité, l'usage d'une langue commune constitue un outil privilégié. Voilà pourquoi l'apprentissage du français, qui doit devenir la langue commune de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, est un enjeu majeur pour l'avenir de notre société.

Pour y parvenir, la société d'accueil et l'immigrant doivent assumer avec détermination la responsabilité d'une intégration réussie. Le gouvernement du Québec doit par conséquent améliorer sans cesse les conditions d'intégration pour permettre à l'immigrant de contribuer pleinement au développement du Québec. En retour, la population du Québec s'attend à ce que les nouveaux arrivants fassent des efforts pour apprendre le français et acquièrent ainsi graduellement un sentiment d'engagement à l'égard de son développement, en plus de découvrir et de respecter les valeurs fondamentales de la société québécoise. L'apprentissage du français comme langue commune dans le domaine public est un moyen privilégié pour que les immigrants et leurs descendants acquièrent graduellement un sentiment d'engagement à l'égard du développement du Québec. Si le français devient ainsi la langue commune utilisée dans toutes les communications publiques, il aura alors de meilleures chances d'être également adopté comme langue d'usage à la maison, comme cela arrive couramment pour l'anglais dans le reste du Canada.

Nous pouvons nous réjouir qu'une majorité d'immigrants dise connaître assez le français pour soutenir une conversation. Mais seulement 20 % des allophones arrivés depuis 1976 choisissent le français comme langue d'usage. Phénomène préoccupant, l'attrait du français chez les allophones nés au Québec a diminué entre 1971 et 1991. À ce rythme, il sera impossible de maintenir le poids des francophones et d'assurer la pérennité du français au Québec. Il est urgent que le gouvernement dote le Québec d'une politique intégrée d'immigration, d'intégration sociale et linguistique et de développement économique qui tienne compte de l'accroissement rapide du poids des allophones dans la population. Plus que jamais, le gouvernement doit avoir une politique d'intégration solide, une politique efficace de régionalisation de l'immigration.

Enfin, l'entente sur l'immigration de 1977, dite Cullen-Couture, est insuffisante. Elle permet au Québec de sélectionner seulement 40 % de tous les immigrants. Le gouvernement du Québec doit avoir entière juridiction en matière d'immigration. D'ici là, il est impératif que le gouvernement signe une entente avec le gouvernement fédéral pour exiger que chaque nouvel immigrant qui obtient sa citoyenneté canadienne et élit domicile au Québec connaisse le français. L'émancipation économique des Québécois francophones s'est développée parallèlement à l'épanouissement de la langue française. Cette langue est précieuse, elle façonne notre culture, notre sensibilité, nous amène à sentir les choses, à entrevoir l'avenir politique, social et culturel d'une autre façon que le reste du continent. Pour le Parti québécois, la langue française n'est pas un frein à l'économie du Québec: elle doit être son fort, sa rampe de lancement.

Au sujet de la francisation des entreprises, nous considérons que la proposition mise de l'avant par le gouvernement est trop timide. Nous sommes convaincus qu'un processus de francisation pour les entreprises de plus de 10 employés devrait être examiné sans pour autant minimiser le travail qui reste à faire pour les 142 000 employés travaillant dans des grandes et moyennes entreprises qui n'ont pas encore obtenu leur certificat de francisation.

Depuis 20 ans, le français a progressé dans certains domaines, mais la situation du français au Québec reste encore fragile. Pour toutes les raisons que nous venons d'énoncer et bien d'autres contenues dans notre mémoire, il est impossible que le gouvernement se contente de légiférer en matière d'étiquetage et de logiciels et de rétablir la Commission de protection de la langue française. Pourtant certains porte-parole de la communauté anglophone estiment que la Charte de la langue française est encore trop contraignante, et ce, malgré les nombreuses modifications qui en ont réduit considérablement la portée. La communauté anglophone laisse ainsi entendre qu'elle n'a jamais accepté la loi 101 ni même les lois 22 et 86, contrairement à ce que certains prétendent.

À l'heure des bilans, le gouvernement du Québec doit être fier de prendre les mesures nécessaires pour assurer la pérennité du français. Procéder autrement mettrait en péril pour les générations futures leurs chances de vivre en français. Leur jugement serait impitoyable, car nous aurions agi en toute connaissance de cause. Mais nous sommes confiants que notre gouvernement saura donner l'élan qui s'impose pour permettre au français de rassembler toutes les Québécoises et tous les Québécois. En somme, Mme la ministre, c'est plus de français que nous voulons, c'est un français de meilleure qualité et dans le respect des minorités. Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, Mme la ministre.

Mme Beaudoin: M. Béchard, Martine Ouellet, Mme Lavoie, bonjour. Je dois vous dire que votre mémoire est imposant en termes et de quantité et de qualité et que, le lisant, j'étais très fière d'être membre de ce parti depuis longtemps et de lire, en sorte, votre analyse et puis vos conclusions, vos recommandations. Et, même dès le départ, je pense que c'est fort intéressant, ce que vous dites à propos de la loi des langues officielles, à propos de la loi de 1982, à propos des jugements aussi des différentes cours canadiennes – qui nous démontrent, en effet, qu'il y a là des limites à notre action très, très réelles. Et même ce que vous dites à propos du secrétariat aux langues officielles aussi – ça va bien au-delà de la simple bilinguisation des institutions fédérales, leurs objectifs sont beaucoup plus larges que ça – et à propos de cette confrontation perpétuelle, finalement, entre ce que nous voulons faire ici, l'intégration versus le multiculturalisme canadien qui a été, en effet, et vous le remarquez, dénoncé de la manière la plus pertinente et la plus intelligente qui soit par Neil Bissoondath – ça s'appelait «Selling Illusions», en tout cas en anglais, et c'est un document extrêmement intéressant. Donc, quand on lit tout ça, on comprend en effet pourquoi – moi, j'étais déjà convaincue, vous me direz, mais enfin... – il faut faire la souveraineté du Québec. Il y a là de très bonnes raisons.

Je voudrais vous poser quelques questions, la première en citant une partie de votre mémoire concernant la langue d'affichage. Vous dites: «Si les dispositions actuelles sur l'affichage permettent à certains d'exercer un chantage linguistique qui aurait comme finalité de donner un visage bilingue à Montréal, il faudra aller plus loin que l'énoncé de politique. Nous demandons au gouvernement du Québec de n'exclure aucune option.» Alors, j'aimerais ça que vous commentiez un peu plus cette observation puis que vous me disiez à quels signes vous reconnaîtriez ça. On a eu cette discussion – je pense que vous étiez là tout à l'heure – avec les représentants de l'Union des artistes. En quelque sorte, à partir de quel moment, à quels signes, quand est-ce que vous pensez qu'il faudrait intervenir et réagir, selon ce que vous connaissez de la situation actuelle, de ce qui se passe depuis quelques mois à Montréal? Quels sont vos commentaires là-dessus?

M. Béchard (Fabien): Écoutez, je voudrais d'abord, peut-être avant de répondre à cette question-là, signaler une petite correction au document, parce qu'il y a une proposition qui n'est pas correcte à la page 56. La proposition n° 44, à la page 56, je pense que c'est important de régler ça tout de suite...

Mme Beaudoin: Ah! Oui. Bien oui!

M. Béchard (Fabien): ...pour ne pas que des gens... À la proposition 44, on dit: «Retirer de l'énoncé de politique le projet de secrétariat à la politique linguistique.» Ça, il faut barrer ça. C'est: «Retirer de l'énoncé de politique le Bureau d'information et d'aide.» Alors, c'est une chose qui avait été...

Mme Beaudoin: Ha, ha, ha! D'accord.

M. Béchard (Fabien): Bon. Maintenant, je reviens à la question que vous avez posée. À quels signes? Écoutez, une des premières choses qu'il faut se dire, c'est: Est-ce qu'il a été constaté... Le bilan fait état de 42 % de commerces qui sont en infraction à Montréal. Est-ce que c'est possible de faire en sorte que cette situation-là pour ces commerces-là se réalise? Déjà, si on n'est pas capable de faire appliquer la loi actuelle, si les dispositions actuelles sur l'affichage deviennent inapplicables, ne sont pas applicables, qu'on n'est pas en mesure de les faire appliquer, il y a là un problème puis il faut aller plus loin. Ça veut dire qu'on ne peut pas faire respecter les dispositions actuelles au niveau de l'affichage et ça veut donc dire qu'on ne peut pas établir un visage davantage français.

Il y a une autre dimension aussi. Si, même en faisant respecter ceux qui ne respectent pas la loi actuellement, les démarches portent fruit à l'effet que, suite à des pressions, l'affichage bilingue se fait dans l'ensemble des commerces, bien, là, il y a un danger énorme, parce que l'objectif de la loi, c'est de faire en sorte de faire plus de place au français. Si, dans la loi, les dispositions actuelles ont pour effet de faire moins de place au français, mais de plus en plus de place au bilinguisme et d'étendre le bilinguisme... Et je me souviens, M. Laporte, même en 1993, dans La Presse ou Le Devoir , déclarait que c'était le danger de la loi 86, la bilinguisation puis le... Alors, si, effectivement, avec cette disposition-là, on constate qu'il y a un élargissement, bien, il faudra aussi aller plus loin et modifier les dispositions actuelles en ce qui concerne l'affichage.

(17 h 40)

Mme Beaudoin: Dans cette hypothèse – je pense que vous êtes au courant, et vous l'évoquez vous-même – en 1993, justement, le Conseil de la langue française n'avait pas recommandé ce qui est devenu la loi 86; le Conseil de la langue française avait recommandé au ministre de l'époque de faire une distinction entre personne physique et personne morale et avait étayé sa recommandation d'ailleurs, en argumentant assez longuement dans ce sens-là, avec un avis juridique signé par M. Woehrling. Et le Conseil de la langue française est venu nous dire: Si vous deviez intervenir – suite à ce que vous venez de décrire – le Conseil recommanderait cette hypothèse. En d'autres termes, il persistait et signait parce que cette hypothèse lui semblait encore probablement la meilleure et que José Woehrling a resigné, en quelque sorte, le même avis juridique. Qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce que vous y avez réfléchi un peu plus attentivement? Et comment ça vous frappe, tout ça?

M. Béchard (Fabien): Le Parti québécois a indiqué au gouvernement d'évaluer la situation actuelle et de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte d'améliorer la place du français au niveau de l'affichage. Alors, c'est une mesure qui ferait en sorte de réduire l'usage du bilinguisme, de réduire, finalement, le nombre de commerces qui pourraient afficher dans les deux langues. En ce sens-là, ça aurait pour effet de donner un visage davantage français au Québec, et c'est une mesure qui n'est pas exclue. Comme on vous dit, toutes les options sont sur la table, et on pourrait examiner ce serait quoi, l'impact et l'effet de cette mesure-là, et, à l'évaluation de cette mesure-là, on pourrait par la suite réévaluer la situation.

Mme Beaudoin: Très bien. Une dernière question avant de passer la parole à mon collègue. Vous dites – d'ailleurs, les statistiques du rapport qui a été déposé cette année par le Conseil et l'Office nous le démontraient – qu'en effet les jeunes allophones qui étudiaient au primaire et au secondaire dans des écoles à la CECM, étant donné la confessionnalité du système, dans une commission catholique, donc francophone, essentiellement, d'environnement et globalement davantage francophone, avaient plus tendance à aller aux cégeps de langue française que ceux qui se retrouvent au Protestant School Board où, je pense, c'est à peu près à 38 % ou quelque chose comme ça. Vous le signalez, d'ailleurs. Nous, on n'a rien dit à ce sujet dans l'énoncé de politique, croyant qu'en effet ce qui s'est passé depuis 20 ans, c'est-à-dire ce renversement à peu près total qui s'est produit au primaire et au secondaire, c'est-à-dire, je ne sais pas, moi, au-dessus de 70 % des allophones qui étudient maintenant au primaire-secondaire, alors qu'il y en avait peut-être 10 %, 15 % avant la loi 101, c'est un des grands succès, en effet, de la loi 101... Et, en passant, ce n'est pas une mesure incitative, ça, hein, ça a pris une mesure législative. Donc, dans certains cas, il faut être très clair, et on l'a dit, on l'a répété, que la législation demeure au coeur de notre action et de notre aménagement linguistique, mais que ça ne peut pas se réduire, bien sûr. On est d'accord et on a une approche sociale, une approche aussi de concertation internationale qui vient compléter l'approche législative.

Mais vous dites, dans le fond, qu'il faudrait encourager par des mesures appropriées, justement, l'inscription d'étudiants allophones dans les cégeps francophones. À quoi vous pensez exactement, au-delà de la coercition, je dirais?

M. Béchard (Fabien): Comme vous venez de le noter, on ne parle pas de coercition dans le mémoire qu'on présente. Et, si on a parlé de mesures appropriées, c'est peut-être qu'on n'avait pas trouvé les mesures précises qui permettraient d'y aller par encouragement à prendre cette voie-là. Mais on voulait mettre l'accent sur le problème. Il y a là un problème, parce que c'est 38 % des allophones qui étudient dans des commissions scolaires protestantes, donc dans un environnement plus anglophone, qui vont au cégep francophone. L'autre aspect, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui arrivent à l'âge de 15 ans, 16 ans, donc qui ne passent pas par le système primaire, et qui y ont accès aussi. Alors donc, le nombre de gens qui ont accès au cégep en anglais est quand même relativement élevé.

Comment on peut faire? Il y a une suggestion mise de l'avant dans l'énoncé de politique et qu'on a toujours appuyée comme parti, c'est se doter de structures scolaires linguistiques. Sauf qu'on sait très bien que ce n'est pas simple, que ce n'est pas facile. Même si dans deux ans on avait des structures scolaires linguistiques, quand est-ce que ces structures-là auront un effet par rapport à la finalité recherchée? Ce serait long. En attendant, qu'est-ce qu'on peut faire? Quelles sont les mesures qu'on pourrait prendre? Alors, on dit au gouvernement: On ne le sait pas, on n'a pas eu le temps d'arrêter des mesures qui seraient susceptibles d'inciter davantage les gens à aller vers le cégep francophone. Mais on vous demande, on demande au gouvernement d'explorer s'il n'y aurait pas des avenues qui permettraient, sous forme d'encouragement, d'y aller.

Mme Beaudoin: Très bien. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Fabre.

M. Facal: Merci, M. le Président. Comme vous et moi sommes de la même formation politique, je serais taxé de complaisance et de flagornerie si je couvrais votre mémoire des éloges qu'il mériterait pourtant bien. Je constate simplement, en le déplorant, et je le dis avec un brin d'humour, que le Parti libéral n'a pas cru bon de nous démontrer qu'il a une vie intellectuelle autonome, indépendante de son aile parlementaire. J'aurais aussi aimé savoir ce que leurs militants pensent de cette question-là.

Cela étant dit, je veux être bien sûr de vous avoir compris, parce que j'ai appris à ne jamais présumer de ce que sera le comportement de mon propre parti.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Facal: En matière d'affichage, votre position, si je comprends bien la page 11, c'est de dire: Nous sommes sceptiques face à la loi 86, mais donnons la chance au coureur en l'appliquant réellement, notamment au moyen de la Commission de protection et nous verrons dans un certain temps quelle est la situation. Est-ce que ça traduit bien votre position?

(17 h 50)

M. Béchard (Fabien): C'est la position, au fond... On ne pouvait pas prendre... On a pris comme enlignement pour le mémoire la décision du Conseil national, c'est-à-dire qu'on est un parti démocratique, qu'on a une instance, pas qui a mis de côté le programme, qui a dit au gouvernement: Avant d'appliquer maintenant le programme, essayez les dispositions actuelles, parce que les craintes d'une bilinguisation massive, en tout cas actuellement, ne se sont pas manifestées puis surtout que peut-être que, si on corrigeait la situation... Alors, on réévaluera après. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on a élaboré le mémoire. Et c'est pour ça qu'on dit au gouvernement aussi: L'objectif, c'est plus de français. L'objectif puis le moyen, c'est deux choses, mais il faut absolument atteindre l'objectif. Donc, utilisez les options, les options, les options, toutes les options. On n'exclut aucune option pour le gouvernement.

M. Facal: Très bien.

M. Béchard (Fabien): Toutes les options sont ouvertes.

M. Facal: J'aurais trois très courtes questions.

M. Béchard (Fabien): Oui.

M. Facal: J'aimerais que vous me précisiez plus le sens de la recommandation 23 à la page 39, où vous écrivez, et je vous cite: «S'assurer que la préservation ou la révocation du statut bilingue de certains organismes municipaux et scolaires et de certains établissements de santé et de services sociaux repose sur le critère suivant – et là vous ouvrez des guillemets – "fournir des services à des personnes en majorité de langue anglaise".» Pouvez-vous m'expliquer ça mieux? Je ne suis pas sûr d'avoir saisi.

M. Béchard (Fabien): O.K. C'est parce qu'on se dit que, pour qu'un organisme obtienne un statut, il y a un critère, puis, quand c'est le temps... Puis c'est un des aspects que la loi 86 avait aussi modifiés. Pour un organisme, obtenir le statut de bilingue, ça reposait sur un critère. Alors, servir une majorité d'une autre langue, c'était ça, le critère. Mais, quand c'était le temps de perdre le statut, là ce n'était plus ça, c'était autre chose puis il fallait qu'il y ait une demande. Alors, il n'y avait pas de règle comme telle.

On dit: Si la règle pour obtenir un statut, hein... La règle pour obtenir un statut, on doit utiliser la même règle pour la révocation d'un statut. En toute équité puis en toute justice, on dit: Si, pour obtenir ce statut-là, tu respectais tel critère, à partir du moment où le critère n'est plus respecté, c'est normal que tu perdes ce statut-là. Alors, c'est dans ce sens-là, donc. Le principe, c'est de dire: Il faut que ce soit le même critère qui joue.

D'autre part, on demande que le critère soit... Parce qu'on disait comme critère: servir une clientèle dans une autre langue, une clientèle majoritairement d'une autre langue. Alors, on se dit: Au fond, ce qui était visé, c'était une clientèle... Si tu as une majorité, si un organisme ou une municipalité dessert une clientèle majoritairement anglophone, alors c'est: oui, elle a son statut bilingue, ou l'organisme a son statut bilingue. Si elle ne dessert plus une majorité anglophone, bien, non, elle n'a plus son statut bilingue, il n'a plus son statut bilingue. C'est le sens de la résolution qui est là. Donc, au lieu d'utiliser l'expression «autre langue», on veut que ce soit «langue anglaise» et que ce soit le même critère.

M. Facal: O.K. À la page 48, proposition 33, vous écrivez, et je vous cite: «Réactiver les programmes d'accès à l'égalité en emploi dans la fonction publique, ce qui favoriserait du même coup la régionalisation de l'immigration.» Je vous rejoins entièrement sur la nécessité de régionaliser l'immigration, mais je ne suis pas sûr de bien comprendre le moyen que vous privilégiez. Réactiver les programmes d'accès à l'égalité en emploi dans la fonction publique, est-ce que cela veut dire se donner, par exemple, un pourcentage précis d'embauche de gens dont la langue maternelle est autre que le français? Et, si c'est le cas, je vous avoue que, dans un contexte de dégraissage des fonctions publiques et de concurrence très accrue pour le peu d'emplois qui restent, ça me semble délicat, si c'est ça, le moyen que vous proposez pour atteindre ce but sur lequel on s'entend parfaitement.

M. Béchard (Fabien): Alors, sur cette question-là, je vais demander à Nathalie Lavoie de donner les informations.

Mme Lavoie (Nathalie): Alors, quand on parle de réactiver les programmes d'accès à l'égalité en emploi, c'est que, d'une part, nous avons fait un petit groupe de travail à l'intérieur du parti, composé d'experts dans le champ, et il y a plusieurs études aussi qui nous démontrent que, effectivement, actuellement, les programmes d'accès à l'égalité en emploi pour les groupes de citoyens qui ont été historiquement discriminés, c'est un échec total et entier. Donc, on a des données là-dessus; je ne reviendrai pas là-dessus.

L'idée, c'est de dire qu'au fond il nous faut trouver des solutions pour réactiver les programmes d'accès à l'égalité en emploi. Dans certains groupes de citoyens, la situation est dramatique. Je donne un simple exemple: on voyait, par exemple, il y a deux ou trois semaines, en première page dans le journal, que c'était mentionné: Le Québec est aux prises avec un taux de chômage de 12,9 %, et c'était titré: «Un désastre». Dans certains groupes de citoyens, il y a des taux de chômage et des taux d'inactivité qui varient entre 50 % et 80 %.

Donc, pour répondre à votre question, c'est que, au fond, effectivement, la fonction publique est aux prises avec de graves problèmes de contraintes budgétaires, mais, quand on parle de réactiver les programmes d'accès à l'égalité, c'est aussi de les ajuster en fonction du contexte économique. On sait qu'actuellement les programmes d'accès à l'égalité en emploi ne touchent, par exemple, que les postes permanents. Alors, on se dit: Il faudrait peut-être élargir ça à des postes occasionnels.

Qu'est-ce que cela vient faire avec l'intégration linguistique? Le lien direct, c'est qu'on parle de réactiver des programmes d'accès à l'égalité en emploi à l'échelle nationale. Donc, ça se trouve, finalement. S'il y a de l'emploi en région à partir de ces programmes d'accès à l'égalité là, ces mêmes citoyens seront en mesure de vivre et de côtoyer un milieu francophone. Donc, on se trouvait un peu à faire d'une pierre deux coups, c'est-à-dire régler certains problèmes d'inactivité chronique dans certains groupes de citoyens puis favoriser une intégration linguistique en milieu francophone.

M. Facal: Merci.

M. Béchard (Fabien): Puis, si je peux ajouter aussi...

M. Facal: Oui.

M. Béchard (Fabien): ...c'est intéressant, les deux formations politiques étaient aussi favorables à ces programmes d'accès à l'égalité en emploi. Je me demande si ça n'avait pas été initié, même, à l'époque, par le gouvernement libéral.

M. Facal: Moi, ça va.

Le Président (M. Garon): Vous aviez pris votre temps, de toute façon.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Alors, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, nous en avons entendu assez, suffisamment; nous n'avons pas de question. Merci.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Alors, je veux remercier les porte-parole du Parti québécois (permanence nationale) de leur contribution aux travaux de la commission, et nous en arrivons à l'étape finale. Mais, avant les remarques finales, j'aimerais faire le dépôt officiellement des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus.

M. Béchard (Fabien): Alors, je voudrais vous remercier, M. le Président, d'avoir accepté de nous entendre et de débattre avec nous cet après-midi – pour une partie de la salle. Merci.

M. Laurin: Les remerciements sont réciproques.

Le Président (M. Garon): Alors, je fais le dépôt officiel des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus par la commission, soit la Conférence nationale des conseils régionaux de la culture du Québec, le Mouvement de libération nationale du Québec, section de la capitale nationale, le mémoire du Mouvement indépendantiste démocratique interquébécois (MIDI), le mémoire du Dr Bruno Riendeau, Ph.D., le mémoire de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec.


Mémoires déposés

Maintenant, nous en sommes à la dernière étape, les remarques finales. Nous sommes revenus exactement dans l'horaire – ha, ha, ha! – avec la contribution de l'opposition, il faut le dire.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Maintenant, comme vous avez convenu au tout début qu'il y aurait une heure de remarques finales, donc 30 minutes chacun, M. le porte-parole de l'opposition, à vous la parole pour le premier 30 minutes.


Remarques finales


M. Pierre-Étienne Laporte

M. Laporte: M. le Président, les mémoires que nous avons entendus lors de cette commission ont affermi plus fortement que jamais la conviction que nous avons besoin d'une stratégie générale de promotion du français au Québec. Sur cet objectif, il y a un consensus, je dirais même une unanimité, au Québec. L'opposition officielle est d'autant plus satisfaite qu'il en soit ainsi qu'elle est pleinement consciente du rôle primordial que devrait jouer ce consensus au moment d'amorcer ce qu'à plusieurs reprises au cours des nos audiences nous avons qualifié de seconde étape de la mise en oeuvre de la Charte de la langue française.

Nous sommes donc en présence, M. le Président, d'un fait de société qui non seulement devrait nous rendre optimistes, mais nous convaincre que la tâche d'assurer la sécurité du français au Québec, sa vitalité, son avenir est un objectif que partagent toutes nos concitoyennes et tous nos concitoyens. Donc, la promotion du français est maintenant et pour l'avenir un objectif que toutes les Québécoises et tous les Québécois partagent, quelles que soient leur langue maternelle, leur langue d'usage, leur communauté linguistique d'appartenance et j'irais même jusqu'à affirmer leur famille politique et idéologique. Nous avons vu cette unanimité, un consensus s'est affirmé tout au long des audiences de cette commission. Donc, je le répète, il s'agit d'un fait social de la plus haute importance et dont la signification est énorme, tant du point de vue des succès à venir de la mise en oeuvre de la grande loi qu'est la Charte de la langue française que de l'avenir de la langue française elle-même au Québec, du français québécois.

(18 heures)

M. le Président, un seuil a été franchi, un seuil d'adhésion, d'engagement, de loyauté, et ce seuil doit être un seuil de non-retour. Le gouvernement doit en être pleinement conscient, il doit se sentir pleinement responsable de s'assurer qu'il n'y ait pas de retour en arrière, que ses décisions en matière de politique linguistique n'aient pas pour effet de casser le seuil qui a été franchi. Notre prospérité, la qualité de notre vie civique et nationale en dépendent.

M. le Président, nous l'avons maintes fois affirmé au cours de cette commission parlementaire, ce n'est pas sur l'objectif ultime que l'opposition officielle se démarque du gouvernement, mais sur les moyens de l'atteindre, et je le répète, non pas sur tous les moyens, parce que la proposition de politique linguistique du gouvernement témoigne, à maints égards, de perspectives et d'initiatives qui nous sont entièrement acceptables. Mais, sur certains moyens, nous croyons toujours que le gouvernement fait fausse route et que le prix de ses erreurs pourrait être élevé compte tenu des fractures qu'il pourrait nous faire subir et du fossé qu'il pourrait creuser entre les composantes de la société québécoise qui sont maintenant réconciliées.

M. le Président, je ne reviendrai pas longuement sur les réserves que j'ai exprimées durant cette commission concernant la façon dont le gouvernement a choisi de concevoir de façon opérationnelle le dessein de promouvoir la langue française en cette terre d'Amérique. Le français langue commune, M. le Président, est une conception du résultat de la politique linguistique qui doit être clarifiée, précisée, je dirais, mieux caractérisée si l'on veut qu'elle devienne le critère à l'aide duquel évaluer la politique, et un symbole capable d'y rallier à la fois les esprits et les coeurs. Les malentendus sur ce terrain de la mise en oeuvre de l'intention gouvernementale pourraient avoir, M. le Président, des conséquences fatales. Nous pensons donc qu'il était de notre devoir en tant qu'opposition officielle responsable de le dire et qu'il est de notre devoir de le répéter.

Sur l'un des moyens choisis par le gouvernement, M. le Président, nous avons exprimé et nous exprimons une dissidence totale. La décision annoncée dans le projet de loi n° 40 de rétablir la Commission de protection de la langue française est, ainsi que nous l'avons affirmé dans nos remarques d'ouverture de la commission, inopportune, injustifiée, donc une mauvaise décision. Des personnes compétentes, raisonnables et dont la fidélité à l'esprit et à la lettre de la Charte est indiscutable sont venues témoigner devant nous de leur opposition à la décision annoncée dans le projet de loi n° 40.

Si, après avoir entendu ces personnes, ces représentantes et représentants de vastes secteurs de l'opinion publique québécoise, le gouvernement s'entête à maintenir sa décision, il aura réussi à confirmer ce que nous avons affirmé, à savoir que le motif qui explique son choix relève d'un autre ordre de considération que celui de la responsabilité politique, que ce motif est de l'ordre des expédients auxquels recourt un parti politique afin de se tirer d'embarras. De plus, M. le Président, et nous devons être formels là-dessus, l'opposition officielle s'objecte non seulement au rétablissement de la Commission de protection de la langue française, mais encore aux modalités légales visant à renforcer le dispositif de contrôle et de surveillance prévu dans le projet de loi n° 40.

M. le Président, il est faux de prétendre, ainsi que l'a fait la ministre de la Culture et des Communications, que l'appareillage de coercition légale prévu dans la loi n° 40 est l'équivalent de ce qui était prévu sous l'ancienne Commission de protection de la langue française. La loi n° 40, en ce qui concerne la Commission de protection de la langue française, n'accomplit pas un travail de clonage. Ce qu'on nous offre, ce n'est pas une copie de l'ancienne Commission, mais une contrefaçon, un faux, un appareillage de coercition légale renforcé, auquel on a décidé d'ajouter du muscle. Et pourquoi, M. le Président? Eh bien, ça demeure la grande interrogation, la grande inconnue de tout cet ouvrage de révision, parce que rien dans les déclarations de la ministre avant le 3 avril nous aurait laissé prévoir ce qui allait surgir le 10 juin, jour du dépôt du projet de loi. Quelque chose s'est passé, M. le Président, qui nous a valu cette invention.

Donc, M. le Président, l'opposition officielle ne dit pas à la ministre: Vous avez choisi la mauvaise niche pour votre appareillage de contrôle et de surveillance. Ce que l'opposition officielle dit, c'est que l'appareillage est mauvais. Point final. Le dispositif est mauvais et, puisqu'il en faut un parce qu'une loi doit être appliquée, qu'on trouve un moyen efficient, c'est-à-dire, tout en garantissant que la loi soit appliquée, que ce moyen prévienne le risque d'une surdose de coercition légale qui entraînerait l'érosion de l'unanimité dont j'ai déjà parlé plus tôt concernant l'objectif ultime de la Charte de la langue française: une promotion soutenue par la volonté de la très grande majorité des gens du Québec auxquels il faut faire confiance et qui ne demandent pas mieux que de se conformer à la loi si on accepte de les informer, de les aider et de reconnaître leurs efforts. Pour la petite minorité de récalcitrants, qu'un dispositif soit prévu dont les pouvoirs de coercition soient proportionnés.

Je le répète, M. le Président, sur ce que contient le projet de loi n° 40 en matière d'inspection et d'enquête, la réaction de l'opposition officielle, c'est non. Est-ce clair, M. le Président? Notre position est une opposition de principe, de philosophie politique. Et, sur la question des coûts, M. le Président, nous pensons qu'en ces temps de frugalité dans la dépense il faut y penser deux fois avant de dépenser et de dépenser plus.

Sur les autres moyens, mesures législatives et actions prévues par le gouvernement, nous avons déjà dit que nous les jugions souvent opportuns. Nous souhaitons cependant attirer l'attention de la ministre sur quelques questions.

L'article 52.1 du projet de loi n° 40. D'excellentes suggestions ont été faites, lors de nos audiences, sur des améliorations qui pourraient être apportées à cet article. Je ne veux pas les reprendre, sauf que nous souhaitons qu'elles soient examinées sérieusement, très sérieusement. Nous demeurons convaincus, M. le Président, que cet article est applicable, mais que son application devra reposer, pour réussir, sur une reconnaissance explicite des complexités du domaine et du besoin d'une stratégie de gestion adaptée de la part de l'Office de la langue française, une stratégie imaginative, proactive et ouverte sur des alliances mondiales.

La francisation des entreprises. J'ai mentionné, lors des audiences, que ce que prévoit la politique linguistique en matière de francisation des entreprises manque lamentablement d'inspiration. Reprenant la distinction entre certification et francisation, le document nous propose un virage, le passage d'une stratégie de rattrapage à une stratégie de consolidation de l'usage normal du français comme langue de travail. D'une part, il est à noter, M. le Président, que rien dans le projet de loi n° 40 nous laisse entrevoir ce que pourraient être les modalités législatives qui encadreraient ce virage. La ministre nous réserve-t-elle des surprises? D'autre part, alors qu'une stratégie de consolidation pourrait être opportune, qu'en est-il de la stratégie pour les 26,5 % des grandes entreprises qui n'ont toujours pas leur certificat de francisation 18 années après l'adoption de la Charte? Dans le cas de ces entreprises, M. le Président, il ne s'agit pas de consolider le français, il s'agit d'appliquer la politique linguistique.

(18 h 10)

S'il y a un problème dans ces cas-ci, ce ne peut être une affaire de consolidation, puisque ces entreprises ne sont toujours pas certifiées. Ce n'est pas d'un virage dont il faut parler ici, mais d'un dépannage. Il est clair qu'en ce qui concerne beaucoup d'entreprises, on pense en particulier à celles du secteur de la haute technologie, un travail de réflexion stratégique s'impose. Nous sommes en présence de systèmes de production dont la complexité constitue un défi, je dirais, un défi de lisibilité majeur pour un maître d'ouvrage tel que l'Office de la langue française, dont les expériences pratiques et les savoir-faire ont été acquis, le plus souvent, au contact d'entreprises plus traditionnelles.

La ministre se soucie grandement de la francisation des entreprises de moins de 50 employés, ce qui n'est pas une mauvaise chose, mais la ministre pourrait tout autant se préoccuper des grandes entreprises à forte densité technologique, de ces systèmes de production archicomplexes qui préfigurent l'organisation industrielle des prochaines décennies et qui, s'il faut se fier aux indicateurs linguistiques du Conseil de la langue française, éprouvent de sérieux problèmes de certification, de francisation. Ces entreprises ont un sérieux besoin d'aide. On a beau, M. le Président, lire et relire le document de consultation, en particulier ce qu'on nous y déclare sur le besoin de redynamiser le processus de francisation des entreprises, on en arrive à se convaincre que ses rédacteurs n'avaient pas la moindre idée de ce qui nous attend dans les années 2000. Au chapitre de la francisation des entreprises, M. le Président, la proposition de politique linguistique de la ministre manque de vision.

La qualité de la langue. La proposition de politique linguistique, M. le Président, affirme l'importance de la qualité de la langue. On y déclare fort justement qu'il faudra dorénavant chercher davantage à articuler promotion de l'usage et qualité de la langue. On y définit tout un programme visant à élucider la norme de l'usage standard, à en assurer les particularités et à instrumenter les usagers du français québécois afin qu'ils puissent devenir des locuteurs conscients, confiants et compétents. Nous ne pouvons que souscrire à ce programme, M. le Président, puisqu'il est nécessaire et que tant de personnalités québécoises éclairées le réclament depuis si longtemps, sauf qu'ainsi que nos propos lors des audiences l'ont laissé entendre il faut, dans ce domaine, allier la prudence à l'enthousiasme.

Nos amis français, M. le Président – lesquels, en matière de normalisation linguistique, d'action sur la langue plutôt que sur son seul statut n'ont de leçons à recevoir de personne – ont fait depuis quelques années un virage, un vrai virage, cette fois, en ce qui concerne en particulier l'enseignement du français. Comment, se sont demandé nos amis français, enseigner le français à des élèves qui, dans la vie quotidienne, en parlent une version personnelle, parce que c'est ce qu'on parle chez soi, à la maison ou avec les copains? En d'autres mots, comment enseigner le français, et le français standard, sans pour autant créer des fractures sociales, fractures de classes et fractures de générations? Nos amis français, nos amis sociolinguistes français s'inspirant d'ailleurs en cette matière des travaux de leurs collègues américains, en particulier de ceux de William Labov, dont les travaux sur le «black English» ont littéralement révolutionné la linguistique moderne, en sont arrivés à la conclusion que, sans pour autant abandonner l'enseignement du standard, il ne fallait surtout pas stigmatiser le français populaire.

En France, dans les milieux pédagogiques, la stratégie qui fait de plus en plus l'unanimité est celle du bidialectalisme et parfois même du multidialectalisme. Les mots disent bien de quoi il s'agit: la stratégie consiste à rendre l'élève conscient de la variété des répertoires et capable de les maîtriser suffisamment afin de pouvoir y recourir contextuellement compte tenu des situations de communication, des interlocuteurs et des sujets de conversation, et cela, sans être placé dans un état de langue qui cause des jugements normatifs portés qui dévalorisent le locuteur et fait naître chez lui un sentiment d'exclusion, trop souvent générateur d'une exclusion sociale de fait.

Nous avons, M. le Président, lors de ces audiences, invité le gouvernement à faire preuve de prudence dans ses actions sur la langue, et c'est ce que nous avons voulu répéter maintenant à la lumière des propos que nous avons tenus.

Je le répète, la politique gouvernementale contient des perspectives nouvelles sur la problématique d'un français de qualité et sur son enseignement. En particulier, M. le Président, je m'adresse à travers vous à la ministre responsable de l'application de la Charte pour qu'elle s'assure que la traduction des bonnes intentions de sa proposition de politique linguistique en matière de qualité de la langue, que la traduction en actions bien concrètes, bien pratiques et bien ordinaires sur le terrain des activités quotidiennes, que la traduction de ses intentions en programmes, en actions et en mesures n'ait pas pour conséquence de produire des fractures sociales, de l'exclusion sociale dont j'ai parlé plus haut.

Il ne faudrait pas, M. le Président, qu'après nous être libérés des formes traditionnelles d'exclusions liées à notre ancien statut de majorité minoritaire – j'ai bien dit notre ancien statut de majorité minoritaire – nous en venions à pratiquer sur nous-mêmes, au nom d'une quête d'authenticité et de distinction linguistique, de nouvelles formes d'exclusions, que nous réinventions maintenant pour nous-mêmes des barrières sociales qu'anciennement d'autres avaient cru possible d'ériger contre nous. J'espère que je me suis fait bien comprendre, M. le Président, et qu'on n'osera surtout pas questionner mon engagement personnel et celui du parti politique que je représente ici et dont je suis le porte-parole en matière de promotion d'un français de qualité.

En terminant, M. le Président, je ne peux m'empêcher de faire état de notre perplexité. Pourquoi a-t-il fallu, M. le Président, que le gouvernement, dont c'est parfaitement la mission de convoquer les citoyennes et les citoyens à une réflexion sur la politique québécoise de la langue française, pourquoi, avant de le faire, le gouvernement a-t-il senti le besoin d'inventer de toutes pièces une crise linguistique? Il n'y a pas de crise du statut et de l'usage du français au Québec et encore moins une crise du français québécois, une langue bien vivante. Nous venons d'entendre là-dessus le témoignage éloquent de l'Union des artistes.

Le français, tant au chapitre de son statut, de son usage que de sa qualité, M. le Président, a réalisé des progrès énormes depuis 25 ans et largement sous l'impulsion bénéfique de la loi 101, même si, bien sûr, pas exclusivement. Et je repose la question à la ministre, M. le Président, celle que je lui ai posée le 28 août dernier et à laquelle elle n'a toujours pas répondu: Que s'est-il passé entre mars dernier, alors qu'un comité interministériel désigné par le gouvernement déposait un rapport dans lequel on établissait, et je cite, «que le français a fait des gains importants dans presque tous les domaines», alors que, par la suite, le Conseil des ministres estimait qu'à la lumière des constats du comité interministériel il ne semblait pas nécessaire d'introduire des modifications législatives à la loi 101, ce que soutenait la ministre d'ailleurs dans un communiqué de presse en avril dernier, et puis le 10 juin, alors que nous étions saisis du projet de loi n° 40? Que s'est-il passé? La question demeure, je l'ai posée à quelques reprises et je demeure toujours sans réponse.

M. le Président, nous ne nous attendons pas à ce que la ministre nous livre ses secrets et que nous puissions finalement sortir de notre perplexité. Mais enfin, on peut toujours souhaiter deux choses. D'abord, que le gouvernement mette fin à son ambivalence à l'égard de la loi 86, qu'il cesse de nous annoncer des intentions contradictoires sur l'avenir de cette loi. Le gouvernement doit agir de façon responsable et donner à nos concitoyennes et à nos concitoyens un message clair ou bien il continuera de façon irresponsable à nous faire payer collectivement le prix de son ambivalence. La loi 86, M. le Président, est une loi juste, plus juste que toutes celles qui l'ont précédée en matière d'affichage commercial, et, pour cette raison, nous souhaitons vivement qu'elle soit maintenue et que le gouvernement prenne un engagement clair là-dessus.

(18 h 20)

Ensuite, M. le Président, que ce gouvernement qui est entraîné, par sa conception romantique de l'État-nation, à nous parler d'abondance de cohésion nationale, que ce gouvernement, M. le Président, cesse une fois pour toutes de recourir, en matière de politique linguistique, à un expédient – je n'ai pas besoin de le nommer – dont on sait qu'il aura pour effet de nous diviser, de nous lier les uns contre les autres et de détruire l'unanimité, le consensus face à l'objectif fondamental de la Charte dont le français a tant besoin.

J'entendais hier soir, à la télévision, le ministre Ménard déclarer que c'est la position du gouvernement et qu'on ne doit pas se payer, et je cite, «le luxe d'une lutte linguistique à Montréal». M. Ménard ajoutait: «C'est la position du gouvernement.» C'est aussi la nôtre. Mais, M. le Président, que le gouvernement cesse enfin de nous faire payer le prix d'une lutte linguistique dont il dit ne pas vouloir. Et j'ajoute que, si le gouvernement parle vrai à travers son ministre Ménard, il va falloir que le gouvernement songe sérieusement à faire marche arrière sur des aspects centraux de sa proposition de politique et du projet de loi n° 40.

Devrions-nous en venir à ces deux résultats que nos travaux n'auront pas été en vain. M. le Président, je vous remercie.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. le député d'Outremont. Mme la ministre, pour vos remarques finales, vous avez 30 minutes.


Mme Louise Beaudoin

Mme Beaudoin: Oui, M. le Président. La consultation du gouvernement portait sur deux points très liés l'un à l'autre: la proposition de politique linguistique intitulée «Le français, langue commune: promouvoir l'usage et la qualité du français, langue officielle et langue commune du Québec» et le projet de loi n° 40, qui propose des modifications à la Charte de la langue française dans sa rédaction actuelle.

La proposition de politique linguistique du gouvernement est très globale. Elle explicite clairement les principes sur lesquels le gouvernement fonde sa politique, notamment en affirmant que la langue française est au coeur de l'identité québécoise et que son usage assure la cohésion du Québec dans le respect des droits de la minorité anglophone et des nations autochtones. Elle propose une intervention selon trois approches, dont le gouvernement est fermement décidé à maintenir la cohérence et la complémentarité: une approche législative revitalisée dont le projet de loi n° 40 explicite l'essentiel et dont il a été beaucoup question durant la commission; une approche sociale globale dont les mesures proposées ont reçu un bon accueil de la part des participants à cette commission; une approche d'information et de concertation internationale dont la pertinence est apparue évidente, notamment pour les actions du gouvernement dans les domaines de l'informatique et de l'autoroute de l'information.

Beaucoup de personnes et d'organismes ont estimé qu'il était important de donner leur avis sur les propositions du gouvernement sous forme de mémoire et de venir ensuite rencontrer les membres de la commission pour en discuter avec eux. Nous avons pris connaissance de chacun de ces mémoires et nous avons écouté très attentivement les points de vue de chacun. Nous nous réjouissons, bien sûr, lorsque les opinions exprimées coïncident avec les nôtres, mais nous sommes aussi sensibles aux objections et aux propositions des uns et des autres – celles de l'opposition incluses – dont nous avons l'intention de tenir compte pour améliorer la politique linguistique du Québec. C'est l'objectif premier d'une commission parlementaire.

Nous avons noté de nombreux points sur lesquels il y a consensus. Beaucoup reconnaissent que l'usage du français au Québec, en effet, a effectué de grands progrès, et ce, grâce essentiellement à la Charte de la langue française et au sérieux coup de barre qu'a été la loi 101 en 1977. Dans les mesures d'approche sociale proposées par le gouvernement, on est généralement d'accord pour renforcer les tendances d'intégration des immigrants à la société québécoise. Même s'il est important de faire remarquer que cette intégration dépasse de beaucoup la simple connaissance du français, le gouvernement est fermement résolu à favoriser l'intégration linguistique des immigrants. Les mesures les plus significatives de cette volonté qui sont décrites dans le document de consultation seront traduites concrètement par des actions précises dans chacun des ministères concernés.

On est également généralement d'accord sur le fait que l'administration publique doit servir d'exemple et jouer un rôle moteur en matière d'affirmation et d'usage du français. Un sérieux examen des pratiques actuelles de l'administration publique s'impose, notamment pour contrer la tendance au bilinguisme institutionnel qui s'y est glissé ces dernières années. Le Comité interministériel, remis en activité par le gouvernement, examine déjà cette question et assurera la convergence des politiques et décisions de l'administration par rapport aux objectifs de la politique de la langue française.

La majorité des intervenants sont également d'accord pour juger importantes les mesures proposées par le gouvernement pour assurer la diffusion en français des logiciels et des ludiciels quand la version française existe. Sur ce point précis, il est opportun de préciser la position du gouvernement. Les dispositions du projet de loi n° 40 visent à modifier une tendance commerciale à ne pas tenir en magasin des logiciels et des ludiciels qui existent en français. Il ne s'agit en rien de priver les francophones et les anglophones de logiciels en version anglaise lorsqu'ils ne sont disponibles que dans cette langue. Notons également que ces dispositions sont complétées par les mesures du ministère de la Culture et des Communications dans le domaine de l'inforoute, par exemple par le Fonds de l'autoroute de l'information. Notons enfin que l'action du Québec en faveur de l'usage du français dans tous les domaines de l'informatique sera nettement confirmée par la concertation décidée avec nos partenaires francophones, la France en tout premier lieu, comme il en a été convenu dans des ententes en juin dernier entre les premiers ministres Juppé et Bouchard.

Tous s'accordent également pour considérer que le moment est venu d'inclure explicitement la qualité de la langue dans la politique de la langue française. Le document de consultation trace les grandes lignes de la stratégie du gouvernement en la matière, et nous avons pris bonne note des excellents mémoires qui en ont traité.

Enfin, en matière d'affichage public, beaucoup craignent que les dispositions actuelles de la loi 86 – une loi si juste que, lorsque le député de l'opposition, le député d'Outremont, était président du Conseil de la langue française, ce n'était pas ce qu'il recommandait au gouvernement précédent – favorisent la généralisation de l'affichage bilingue, français-anglais, sur l'ensemble du territoire québécois. Nous partageons cette inquiétude. Nous suivrons donc l'avis du Conseil de la langue française en observant attentivement l'évolution de la situation et en intervenant éventuellement si cette situation se détériore.

Il a été beaucoup question de la francisation des entreprises durant la commission. Les mémoires qui en ont traité s'accordent sur trois points: la francisation est prioritaire; il s'agit de faire du français la langue de la réussite professionnelle et économique des Québécois; il y a eu beaucoup de progrès, mais aujourd'hui la francisation, particulièrement à Montréal, stagne.

Les objectifs de la francisation des entreprises formulés par la Charte sont toujours valables, et la négociation des programmes de francisation permet toujours d'adapter la stratégie de francisation à la situation de chaque entreprise indépendamment de la complexité des opérations ou qu'il s'agisse d'entreprises à haute densité technologique. Ce qu'il faut d'abord et avant tout, le premier ingrédient, et qui a manqué depuis 10 ans, c'est la volonté politique, parce qu'il ne faut pas, en effet, confondre les objectifs avec la procédure de francisation des entreprises.

Cependant, il semble nécessaire aujourd'hui, en effet, de relancer l'action des comités de francisation. On a entendu là-dessus l'opinion des centrales syndicales et l'opinion du Conseil du patronat. Nous ne pouvons écarter, sans examen, la proposition qu'ils deviennent des comités paritaires, comme c'est le cas dans d'autres secteurs, en soupesant avec soin cependant les avantages et les inconvénients de cette formule qui fonctionne bien, en effet, dans d'autres champs, dans d'autres lois touchant le monde du travail.

De même, beaucoup jugent normal, nécessaire, opportun que la loi sur la langue française soit appliquée avec fermeté, comme toute loi doit l'être, et qu'un organisme reçoive le mandat d'en vérifier l'application. Le projet de loi n° 40 propose de rétablir la Commission de protection de la langue française. Les uns sont favorables, notamment tous ceux et celles qui ont demandé un retour au texte initial de la Charte de la langue française, de même que certaines centrales syndicales. Les autres s'y opposent, entre autres le Conseil du patronat, à cause, dit-il, de la mauvaise réputation de la Commission, et les groupes anglophones, à cause de l'interprétation qu'ils donnent aux pouvoirs qui lui sont accordés. Sur ce point précis, je tiens à préciser pour tout le monde, et aussi pour le porte-parole de l'opposition, qui a été président de la Commission de protection de si mauvaise réputation, deux choses importantes dont il a été longuement discuté et qui ont permis, donc, au porte-parole de l'opposition des envolées vertueuses en faveur du droit des personnes, envolées malheureusement sans fondement.

(18 h 30)

Première chose. La Commission a toujours eu le pouvoir de faire des inspections, M. le Président, ou des vérifications de sa propre initiative. Cette disposition existait dans la Charte de 1977, à l'article 171. Cet article existait toujours dans le texte de 1984, article 171. Il existe encore dans la loi 86 du gouvernement libéral: article 118.2. Le projet de loi n° 40 le maintient également aux articles 166 et 167. Il est surprenant qu'une disposition aussi stable au travers des multiples modifications au texte initial de la Charte ait échappé à l'opposition.

Deuxième chose. Les pouvoirs qui sont accordés à la Commission par le projet de loi n° 40 sont en tous points identiques à ceux accordés à des organismes analogues par d'autres lois, entre autres la loi de protection du consommateur, que le porte-parole de l'opposition a évoquée sans avoir manifestement lu le texte. Pour l'information des membres de la commission, je joins aux présentes remarques les deux textes, celui de la loi de protection du consommateur, articles 305, 306, 306.1 et 306.2, d'une part, et, d'autre part, le texte de notre projet de loi, articles 171, 174 et 175.

Dernière observation sur cette question. Le gouvernement veut, M. le Président, surtout s'assurer que la loi soit appliquée et que les plaintes des citoyens québécois qui en doutent puissent être entendues et examinées au mérite. Ce mandat doit être donné à un organisme doté des pouvoirs adéquats. Ce qui doit être maintenu, qui n'est pas négociable, c'est la mission de voir au respect des dispositions de la Charte de la langue française. Ce rôle à l'égard de l'application de la loi doit s'exercer, bien sûr, avec souplesse et doigté. À titre d'exemple, je rappellerai qu'il y a une entente récente qui a été signée entre l'Office de la langue française et le Congrès juif canadien, entente qui a apporté une solution à un problème que le Parti libéral et le gouvernement précédent, pendant 10 ans, n'étaient pas arrivés à régler.

Enfin, je conclurai ces remarques finales en précisant la notion de langue commune dont il a été abondamment question tout au long de cette commission et qui a été l'obsession de certains groupes. Rappelons d'abord que cette notion n'est pas nouvelle. Je le rappelle, je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, mais il me semble important de le rappeler. Elle a été lancée par la commission Gendron, ce n'est pas d'hier, et je cite le texte de la commission, page 153: «Le français langue commune des Québécois [...] une langue que tous connaissent et sont capables d'utiliser, de telle sorte qu'elle puisse servir naturellement sur le territoire du Québec de moyen de communication entre Québécois de toutes langues et de toutes origines.» Fin de la citation.

Elle a été reprise, M. le Président, et réactualisée par le gouvernement libéral comme fondement de son énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, et je recite: «Depuis le début de la Révolution tranquille, l'action en matière linguistique des gouvernements qui se sont succédé au Québec se fonde sur le principe suivant: faire du français la langue commune de la vie publique grâce à laquelle les Québécois de toutes origines pourront communiquer entre eux et participer au développement de la société québécoise.» Fin de la citation.

Le gouvernement du Parti québécois en fait la base de la cohésion de la société québécoise. Le français, langue commune, M. le Président, remplit alors trois fonctions: il sert de moyen de communication publique, étant entendu bien évidemment que le choix de la langue des communications entre personnes relève de la liberté des interlocuteurs; il sert de moyen de communication lorsque les interlocuteurs ne sont pas de la même langue maternelle, rôle que joue souvent l'anglais; enfin il sert à inclure tous les Québécois dans la même société par le partage d'une même culture de convergence.

Je me permets d'insister sur ce dernier rôle de la langue commune. Nous y voyons le moyen d'inclure tous les Québécois de toutes langues et de toutes origines à la société québécoise, à y vivre en harmonie, y participer en tant que citoyens à l'évolution d'un projet collectif fondé sur le respect mutuel et sur un pacte social véritable, ce qui suppose que les gens se parlent dans une langue comprise et admise par tous.

Le porte-parole de l'opposition a vu, dans une de nos phrases de l'énoncé de politique, une marque d'ethnocentrisme et une intention d'exclusion des non-francophones de la société québécoise – c'est faux – contrairement aux représentants de Forum Québec, dont je veux saluer la pertinence du mémoire et espérer sincèrement qu'ils représentent, ces jeunes anglophones québécois, l'avenir de nos relations avec leur communauté.

Par ailleurs, nous avons été effectivement, malheureusement, surpris, je l'ai dit, et même touchés par les interprétations que certains intervenants anglophones ont faites de cette notion de communication publique incluse dans le premier alinéa de la définition de la langue commune. Nous attirons l'attention de nos concitoyens sur le fait que la proposition de politique linguistique garantit l'existence et le maintien d'espaces d'usage public de l'anglais, en page 37 du document, dans plusieurs domaines: le système d'enseignement, les services sociaux et de santé, les médias d'information, l'administration municipale dans les villes à statut bilingue, les institutions culturelles, religieuses, sociales. Nous ajoutons à cette liste l'administration de la justice.

En somme, en matière de politique linguistique, le gouvernement cherche, à travers l'aménagement optimal, en déterminant les mesures les meilleures et les plus efficaces pour assurer l'usage et l'avenir de la langue française dans une société en mutation rapide tout en protégeant les droits de la minorité anglophone et des autochtones... Et justement, dans le rapport de Forum Québec, on disait de façon très explicite et très juste que tout cela pouvait se faire de façon concomitante, ce qui peut donc s'accomplir simultanément, comme nous le faisons d'ailleurs, je le pense, au Québec, depuis les tout débuts de la politique linguistique.

Je rappelle en terminant que, dès le 11 avril, dans un article paru dans La Presse signé par la ministre de l'Éducation et moi-même, nous disions en toutes lettres qu'il faudrait peut-être, si nécessaire, amender la Charte de la langue française et non seulement procéder de manière incitative ou via un énoncé de politique. Dès le 11 avril, dans La Presse , et dans Le Devoir d'ailleurs, dans cet article qui s'intitulait «Vivre en français au Québec», signé par Pauline Marois et moi-même, nous le disions qu'il le faudrait probablement et que, si c'était nécessaire, nous le ferions.

M. le Président, en terminant, les délibérations de cette commission nous ont beaucoup aidés, et j'ai trouvé personnellement – c'est ma deuxième commission parlementaire – fort instructif, fort intéressant et fort... toutes les délibérations ont été courtoises, ont été empreintes, je dirais, de sérénité, de part et d'autre – et je remercie tous ceux et toutes celles qui y ont participé – dans le respect de la tradition démocratique du Québec. Merci.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, Mme la ministre. Alors, il me reste également à remercier tous les gens de la commission pour m'avoir rendu la tâche facile. La commission ayant accompli son mandat, j'ajourne la commission de la culture sine die.

(Fin de la séance à 18 h 40)


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