L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission de la culture

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission de la culture

Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mardi 1 octobre 1996 - Vol. 35 N° 15

Consultation générale sur le document intitulé «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise»


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Organisation des travaux

Remarques préliminaires

Auditions


Autres intervenants
M. Geoffrey Kelley
Mme Solange Charest
Mme Liza Frulla
M. Yves Beaumier
*M. Jacques Meunier, bureau du Protecteur du citoyen
*Mme Micheline McNicoll, idem
*M. Jacques Dufresne, L'Agora, recherches et communications inc.
*M. Louis Berlinguet, CST
*M. Camil Guy, idem
*M. Pierre Paquette, CSN
*M. Michel Doré, idem
*Mme Anne Pineau, idem
*M. Pierre Mackay, Centre de recherche en droit, sciences et sociétés (UQAM)
*M. Michel Thiffault, idem
*M. Robert Dupuis, idem
*Mme Marie Vallée, FNACQ
*M. Jacques St-Amant, idem
*Mme Martine Gaudreault, Gaudreault, Belley inc.
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures onze minutes)

Le Président (M. Garon): Alors, comme nous avons quorum, je déclare la séance ouverte et je rappelle le mandat que s'est donné la commission, soit le mandat d'initiative suivant: procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise».

M. le secrétaire, y a-t-il lieu d'annoncer des remplacements?

Le Secrétaire: Aucun, M. le Président.

Le Président (M. Garon): De fait, normalement, il n'y a pas de remplacements dans un mandat d'initiative. Un non-membre peut prendre la parole en vertu de l'article 132 du règlement, ce qui exige toutefois le consentement unanime.

M. le secrétaire, pouvez-vous donner la lecture de l'ordre du jour?

Le Secrétaire: Non, non. C'est plutôt vous qui le donnez.

Le Président (M. Garon): Hein?

Le Secrétaire: C'est le président qui en fait la lecture.


Organisation des travaux

Le Président (M. Garon): Oui? Je peux bien le donner. Alors, ce matin, nous avons prévu dans notre ordre du jour, par consentement des partis, à 10 heures, les remarques préliminaires; à 10 h 30, nous entendrons le Protecteur du citoyen; à 11 h 30, M. Jacques Dufresne, de la revue L'Agora ; il y aura suspension à 12 h 30 jusqu'à 14 heures; à 14 heures, le Conseil de la science et de la technologie; à 15 heures, la Confédération des syndicats nationaux; à 16 heures, le Centre de recherche en droit, sciences et sociétés de l'UQAM; à 17 heures, la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec; suspension à 18 heures pour reprendre à 20 heures avec Gaudreault, Belley inc.; à 20 h 30, Camille Genest; à 21 heures, Bernard Benoist; et, à 21 h 30, Royal Messier.

Une voix: Ah? C'est changé?

Le Président (M. Garon): Alors...

Le Secrétaire: C'est Pierre Cloutier, ici.

Le Président (M. Garon): Ah! c'est Pierre Cloutier. À 21 heures, Pierre Cloutier.

Le Secrétaire: À 21 h 30.

Le Président (M. Garon): À 21 h 30, pardon, M. Pierre Cloutier. J'avais deux documents qui...

Le Secrétaire: Oui.

Le Président (M. Garon): Il y en a un qui était autre chose. Et, à 22 heures, ajournement.

Alors, je voudrais rappeler les ententes qui régissent le temps de parole pour les déclarations d'ouverture. Normalement, je vais dire quelques mots au point de départ et, ensuite, il y aura répartition du temps selon l'ordre que les gens vont me demander, avec alternance. D'ailleurs, dans cette commission, je vais essayer de présider de façon moins formelle qu'habituellement, mais en respectant l'alternance et en essayant de garder à peu près un temps égal pour les deux partis, le parti ministériel et le parti de l'opposition.

Alors, est-ce qu'il y a d'autres points, à ce moment-ci, qui sont soulevés par les membres avant de commencer avec les remarques préliminaires?


Remarques préliminaires


M. Jean Garon, président

Alors, brièvement, je voudrais dire que les auditions publiques que nous tenons à compter d'aujourd'hui portent sur les enjeux du développement de l'inforoute québécoise. On se souviendra que la commission a publié, en juin dernier, un document de consultation au sein duquel elle identifiait 11 grands enjeux et plus de 100 questions adressées aux personnes et aux organismes intéressés par ce débat. Je rappelle brièvement ces enjeux: la langue, enjeu majeur pour notre société lorsqu'elle prend conscience de l'importance toujours croissante des nouvelles technologies de l'information et des communications, et lorsqu'on réalise que le français occupe une place qu'on peut qualifier de pas assez importante sur un réseau aussi grand que l'Internet; la culture et les droits d'auteur, enjeu qui interpelle particulièrement notre commission. Nous voulons notamment voir comment l'inforoute peut devenir pour les Québécois un véhicule d'expression culturelle permettant de promouvoir un sens de l'appartenance à notre société et à notre culture. Nous voudrons également voir de près les enjeux pour les artistes et débattre aussi de l'importance de la qualité des contenants par rapport aux contenus; il n'y a pas seulement les contenants, mais aussi les contenus.

Je ne veux pas décrire ici les autres enjeux, mais je rappelle que nous examinerons également les questions relatives à l'accessibilité, à l'isolement des personnes ou une plus grande solidarité humaine, à la mutation du monde du travail, à la confidentialité des données qui sont véhiculées, au contrôle des contenus et la lutte à la criminalité, à la protection du consommateur, au développement économique et technologique, à l'éducation et à la santé.

Nous avons tous été agréablement surpris de l'intérêt généré par notre document de consultation: près de 400 copies ont été acheminées aux personnes et organismes qui en ont fait la demande, et nous avons reçu 76 mémoires, certains portant sur un ou deux des enjeux que nous avons identifiés, mais plusieurs portant sur l'ensemble des enjeux. Et, si vous regardez la liste des gens qui vont venir devant cette commission, je dirais que les grandes sociétés, beaucoup d'individus qui occupent une place importante dans la société québécoise, un éventail total de la société, ont demandé d'être entendus par la commission pour exposer leur point de vue concernant les questions qui sont soulevées. Nous entendrons, au cours de ces huit ou neuf journées d'auditions publiques, la quasi-totalité de ceux qui ont pris la peine de produire un mémoire.

Nous souhaitons ainsi offrir un forum de premier plan où tenir cet important débat de société. Et ça, c'est, essentiellement, je pense, par un mandat d'initiative que la commission offre véritablement un forum aux gens qui veulent s'exprimer autant sur les inquiétudes que sur les espoirs ou les optimismes qu'elle génère. Et nous comptons bien produire, par la suite, un rapport unanime, espérons-le, qui sera déposé à l'Assemblée nationale et qui pourra devenir un guide pour les prochaines années. Évidemment, dans ces domaines-là, on ne sait pas si ça va durer longtemps, mais c'est pour faire le point, à ce moment-ci dans le temps, pour qu'on puisse dire: Au Québec, à l'automne 1996, la commission de la culture a fait le point avec l'ensemble des intervenants de la société québécoise pour produire un document qui est un document de référence.

Alors, je ne veux pas être plus long, puisque nous aurons... Et, à la fin, les membres de la commission ont parlé de faire un... Je ne sais pas si ça va être un colloque ou un débat dont la forme n'a pas encore été déterminée complètement, une fois que nous aurons entendu tous les mémoires, pour discuter assez librement ensemble de comment les gens voient ça, selon une formule originale que nous allons essayer de développer pour permettre ce débat-là. Alors, il ne s'agit pas d'une commission habituelle où le gouvernement nous soumet un projet puis on entend des gens, ou encore d'un projet de loi qui est débattu, ou d'un règlement qui est étudié. Il s'agit, essentiellement, d'une commission qui joue un rôle prospectif sur ce que devraient être les choses comme les gens les voient dans la société québécoise avec l'ensemble des gens qui ont accepté de venir discuter avec les membres de la commission de leur vision de l'avenir concernant les enjeux du développement de l'inforoute québécoise.

Et je souhaite que la presse soit présente. Des fois, on a dit: Ils sont présents 10 minutes le matin, 10 minutes en fin d'après-midi. Mais on souhaite avoir des gens qui vont nous suivre pendant tout le temps des délibérations, parce que, essentiellement, ces débats qui vont avoir lieu au cours des huit ou neuf journées vont sans doute permettre de voir comment les gens, les différents intervenants voient la question dans son ensemble et sur des points précis qui ont été soulevés.

Et je suis convaincu que la société québécoise va en sortir enrichie, et que les gens vont connaître plus ce que chacun pense et comment les choses peuvent être faites. C'est d'autant plus important que, dans quelque temps, le gouvernement doit produire un énoncé de politique, et je pense que le fait que la commission ait eu lieu, ça va permettre de faire voir à l'ensemble des intervenants du Québec comment les gens voient les choses à ce moment-ci. Et je pense que ce n'est pas mauvais pour le gouvernement de savoir comment la commission de la culture voit les choses non pas par après, mais avant. C'est rare, car, habituellement, une commission, c'est après; là, ça va être avant le gouvernement.

(10 h 20)

Il y a une collaboration que je voudrais souligner aussi: le Secrétariat de l'autoroute de l'information est ici et va suivre les débats. Il nous donne un coup de main là-dedans, sur le plan technique aussi puis sur le plan des différents mémoires qui sont présentés. L'Assemblée nationale, qui a son Service des communications, va nous offrir une collaboration. On me dit même que ça serait un peu nouveau que la section des communications de l'Assemblée nationale travaille aussi étroitement avec la commission. Puis on sait que les ministères qui sont concernés par ces débats vont suivre attentivement ce qui va se passer devant cette commission au cours de ces journées.

C'est pour ça que nous avons voulu entendre les gens le plus rapidement possible au mois d'octobre pour qu'après ça on ait le temps de faire la discussion qu'il faut pour faire un mémoire qui va rapporter puis faire une synthèse de ce qui a été présenté devant cette commission, mais dans un délai raisonnable. Alors, c'est pour ça qu'au cours des trois prochaines semaines la commission va siéger huit ou neuf pleines journées pour entendre ces différents mémoires et questionner les gens qui vont venir les présenter.

M. le député d'Outremont.


M. Pierre-Étienne Laporte

M. Laporte: Merci, M. le Président. En premier lieu, j'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les groupes qui viendront présenter leur mémoire et qui participeront aux échanges devant cette commission. Je tiens également à souligner l'intérêt qui a été soulevé par le document de consultation intitulé «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise», document qui a fait suite à un mandat d'initiative demandé par les membres de la commission de la culture, et je tiens à les remercier de leur contribution. Comme nous avons pu le constater, la réception de nombreux mémoires le démontre clairement, l'intérêt que suscite cette commission est, en fait, très élevé. Je pense qu'il faut souligner la très haute qualité des très nombreux mémoires qui nous ont été soumis et remercier de tout coeur leurs auteures et leurs auteurs avec un «s».

En effet, son développement affectera de plus en plus notre façon de vivre, puisqu'il apportera des modifications majeures au niveau des industries, du marché du travail, de l'éducation, de la santé et de notre culture. Donc, les impacts de ce changement technologique sont évidemment considérables. Cette nouvelle technologie de l'information suscite non seulement de l'enthousiasme, mais également des inquiétudes, notamment au niveau de l'enrichissement de notre langue et de notre culture, également de la confidentialité et de la protection de la vie privée. Du point de vue linguistique, dans le projet de politique linguistique qui a été déposé par la ministre Beaudoin il y a quelque temps, il y a déjà des pistes qui ont été choisies ou qui sont indiquées, et on pourra probablement s'interroger durant cette commission sur l'à-propos de ces pistes et sur le besoin d'en ajouter.

Donc, d'une part, il y a un intérêt qui est manifeste et, d'autre part, évidemment il y a des inquiétudes également au niveau des contenus. Pensons notamment à la propagande haineuse, à la pornographie, à la violence – en fait, on en a beaucoup entendu parler – donc, en général, à la protection des valeurs morales des citoyens du Québec moderne.

De nombreux mémoires soulèvent l'importance de l'accessibilité pour tous et toutes à cette nouvelle technologie à des coûts abordables afin qu'elle ne se limite pas aux diplômés universitaires ou aux experts en informatique. Comme le document de consultation le dit si bien, le Québec doit s'allier aux pays développés pour éviter qu'il y ait des inforiches et des infopauvres. De ce point de vue là, c'est clair que ce développement technologique s'inscrit dans une tendance sociohistorique de très long terme qu'on peut appeler celle de la démocratisation de la culture.

C'est clair qu'Internet en particulier, mais les inforoutes en général devraient avoir un effet considérable sur le prolongement de cette tendance et qu'il faudrait évidemment, dans toute la mesure du possible, agir d'une façon proactive pour éviter que ce changement technologique génère de nouvelles formes d'inégalité sociale. En fait, on voit apparaître actuellement à l'échelle des sociétés industrielles avancées plusieurs nouvelles formes d'inégalité sociale, et c'est sûr que ce développement technologique pourrait générer de nouvelles formes d'inégalité sociale, donc des inéquités sociales.

Je pense que la réflexion qu'on amorce sur la question devrait nous permettre d'envisager des mesures et des stratégies qui pourraient nous permettre, encore là, de prévenir que ces nouvelles inégalités sociales apparaissent. Il y a déjà pas mal de littérature qui est écrite sur ces nouvelles formes d'inégalité sociale et il en est question dans certaines parties des mémoires, mais je pense que cette question de la démocratisation de la culture et de l'impact de ces développements technologiques sur l'accès des masses à la culture, c'est un enjeu absolument fondamental sur lequel nous allons revenir à l'occasion de ces délibérations.

Je suis convaincu que le Québec doit prendre le virage de l'autoroute de l'information afin de ne pas accentuer le retard que nous avons déjà, malheureusement, accumulé dans ce domaine. Par contre, je ne peux m'empêcher de garder à l'esprit qu'au Québec il y a 1 000 000 de personnes qui ne savent pas lire et écrire. Donc, je reviens à cette question-là et sur la question de la démocratisation de la culture. Dans cette perspective, le Québec ne doit pas ménager ses efforts afin de ne pas accentuer les phénomènes de marginalisation et d'exclusion sociale. Ça, je reviens là-dessus parce que je pense que c'est important. C'est important que les journalistes s'interrogent sur les impacts, sur les effets que ces développements technologiques peuvent avoir du point de vue de la valeur d'égalitarisme, sur les phénomènes de marginalisation, d'exclusion qui sont en voie d'apparition assez rapide au sein des sociétés contemporaines.

Un autre élément majeur qui a d'ailleurs été abordé par plusieurs mémoires est l'utilisation de la langue de l'inforoute. On sait évidemment que, dans la très, très grande majorité des contenus qui sont véhiculés, la place de l'anglais est évidemment prépondérante. Mais, encore là, si on se place du point de vue de la démocratisation de la culture, je pense qu'on peut être optimiste si on décide d'en prendre les moyens, parce que je pense qu'il faut presque constater que, lorsqu'on assiste à une tendance de démocratisation de la culture, cette tendance s'accompagne habituellement d'un phénomène d'extension de l'utilisation des langues nationales.

Si, par exemple, on fait la comparaison entre l'apparition de ces inforoutes et l'apparition de l'imprimerie, il ne fait aucun doute que l'apparition de l'imprimerie a eu des effets extrêmement importants du point de vue de la transformation des fonctions sociales des langues nationales à l'époque où elle est apparue. N'eût été de ce changement technologique, les émancipations nationales qui se sont produites à cette période de l'histoire – fin du Moyen Âge, début de la Renaissance – on ne les aurait probablement pas vues apparaître ou on ne les aurait pas vues apparaître avec autant d'importance et de rapidité.

Donc, je pense qu'il faut, d'une part, être conscient de l'importance de l'enjeu linguistique, mais il faut aussi regarder l'avenir avec un certain optimisme, parce que, lorsque des changements technologiques pareils se sont produits à l'échelle humaine, ils ont habituellement servi à l'émancipation des cultures et des langues nationales. Je doute fort que, lorsque Internet ou les inforoutes se diffuseront d'une façon massive en Chine, on assiste à une anglicisation du grand public chinois. Ce sera la même chose en Inde ou ailleurs. Ces cultures ont une capacité de réaction telle que finalement ça devrait contribuer à l'élargissement des espaces de liberté qui sont potentiellement présents pour les langues nationales.

De plus, comme la langue première de l'information est l'anglais, les Québécois devront améliorer leur connaissance de cette langue afin d'avoir accès à toute l'information et à tout le savoir mondial qui sont véhiculés sur l'autoroute de l'information. De ce point de vue là, je pense que cette commission devrait peut-être nous amener à réfléchir sur cette piste-là du rôle que viendra jouer le plurilinguisme, l'enseignement des langues secondes. Les Européens me paraissent être en train de faire un cheminement là-dessus qui est intéressant parce qu'ils ont, à l'égard du bilinguisme et du multilinguisme, une attitude de neutralité affective qui me paraît être à imiter jusqu'à un certain point plutôt que de regarder ces choses d'une façon trop affective et trop émotive.

Enfin, malgré que je sois moi-même un internaute, je ne me considère pas comme un expert de l'autoroute de l'information; de ce fait, je ne peux m'attarder plus longtemps sur les enjeux du développement de l'inforoute québécoise. Je pense que c'est très important que dans ce domaine on soit proactifs, qu'on soit capables de prévenir les coups et aussi qu'on soit capables, comme on le mentionne dans un bon nombre de mémoires – et je terminerai là-dessus – de très larges alliances avec des partenaires nombreux – évidemment nos partenaires canadiens, mais aussi des partenaires d'autres espaces politiques – parce que c'est clair que plus on arrivera à faire accepter des espaces de liberté et d'opportunité linguistique pour les langues nationales sur ces grands réseaux d'information, meilleures seront les chances pour le français de s'y inscrire. Et je termine là-dessus, parce que je pense que c'est un thème dont on va débattre à plusieurs reprises au cours de cette commission. M. le Président, je vous remercie pour le droit de parole que vous m'avez accordé.

(10 h 30)

Le Président (M. Garon): Ça m'a fait plaisir, M. le député d'Outremont. Mme la députée de Sherbrooke.


Mme Marie Malavoy

Mme Malavoy: Merci, M. le Président. Je voudrais juste dire quelques mots, parce que c'est un dossier que j'ai suivi de près depuis le début, depuis que la commission de la culture, il y a maintenant plus d'un an, a commencé à s'intéresser à cette question. Je pense que les enjeux technologiques, les révolutions technologiques comme celle de l'inforoute, sont absolument énormes, avec des impacts qui sont en partie prévisibles et d'autres qui sont en partie imprévisibles, et ce sont en même temps des révélateurs des grands enjeux de la société.

On ne peut pas se poser les questions de l'inforoute sans en même temps se poser des questions de droit, des questions de protection de la langue, se poser des questions d'accessibilité. Ça nous oblige à brasser l'ensemble des valeurs de notre société parce que tout à coup on est plongés dans un monde où les choses vont extrêmement vite et où on a en pleine figure à la fois le meilleur et le pire, à la fois les ouvertures les plus extraordinaires pour ce qui est du rapprochement des personnes et des peuples, et pour ce qui est peut-être aussi de l'allégement de toutes sortes de choses qui vont avec le monde du travail, mais on a en même temps sous les yeux ce qui pourrait être le pire, ce qui pourrait permettre de faire circuler des choses pas du tout intéressantes sur l'inforoute et ce qui pourrait aussi peut-être faire craindre le pire quant à la survie de plusieurs langues et de plusieurs cultures à travers le monde.

J'aborde donc avec beaucoup d'intérêt ces auditions publiques parce que je pense qu'un gouvernement responsable doit prendre le temps de réfléchir et de bien écouter ce que l'ensemble des citoyens et des citoyennes ont à dire sur la question, et je peux vous assurer que ma préoccupation, ce sera qu'en fin de compte on sache mieux comment orienter nos politiques pour faire des gestes concrets qui nous permettent de nous approprier cet instrument extraordinaire, mais vraiment pour le meilleur avenir du Québec, particulièrement sous l'angle de sa vie linguistique et culturelle.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Alors, nous allons commencer les... M. le député de Taschereau.


M. André Gaulin

M. Gaulin: Oui, M. le Président. Je voulais juste dire quelques mots, moi aussi, comme député de Taschereau, un comté qui rêve de faire peut-être éventuellement, par la télématique, de la mise en scène à Tokyo, mais qui trime dur aussi sur le terrain du quotidien, selon les endroits où on se trouve dans ce comté-là.

Je pense que l'autoroute de l'information doit être le lieu de la solidarité. On nous parle souvent de mondialisation des marchés, de mobilité internationale; c'est bien, il faut s'ouvrir au monde, c'est une nécessité d'aujourd'hui, mais cette mondialisation-là ne doit pas être une forme de tyrannie, mais au contraire un pouvoir plus grand pour la liberté et les libertés en général. Il faut voir l'autoroute peut-être comme un lieu de démocratie aussi, un lieu de démocratisation, une place publique élargie – parce que c'est ça initialement, la démocratie – où les citoyens et citoyennes vont avoir leur mot à dire et leur technologie à apporter, leur culture à exprimer et le décodage aussi de la culture des autres.

Cet outil est également un outil de désinformation, mais on pourrait dire de l'autoroute de l'information que c'est un peu comme la langue d'Ésope: ça peut être autant le meilleur que le pire. Alors, je pense que l'homme et la femme demeurent tels qu'ils sont quand les technologies changent, et cette technologie-là dans l'histoire de l'humanité est quand même un moment important. Tout à l'heure, en conférence de presse, le président parlait, à propos de l'autoroute de l'information, du rapprochement qu'on pourrait faire avec l'invention de l'imprimerie sous Gutenberg. Alors, je pense qu'aussi ça peut être un outil de désinformation, parce qu'il y a quand même des règles de circulation, des règles de sécurité, des règles d'accès à cette autoroute-là. Il y a donc tout un aspect pédagogique qui est soulevé par cette information-là, comment apprendre à lire aux gens qui y circulent, comment apprendre à critiquer, à cribler ce qu'on lit là-dessus.

Quant à l'aspect linguistique, qui est un aspect souligné par tous les mémoires presque exclusivement, c'est un aspect important. Nous comptons, comme Assemblée nationale, en réfléchissant par un mandat d'initiative là-dessus, justement donner à la langue française, dans le plurilinguisme, dans l'importance qu'on doit accorder aux autres langues nationales, toute sa place dans la francophonie et dans le monde. Je vous remercie, M. le Président.


Auditions

Le Président (M. Garon): Alors, est-ce qu'il y a d'autres membres qui veulent faire des déclarations préliminaires? Alors, nous allons inviter immédiatement... Nous avons choisi – c'est vraiment un choix délibéré – d'avoir comme premier intervenant le Protecteur du citoyen, se disant que c'est l'organisme qui a vu peut-être plus les conséquences ou les problèmes que peuvent susciter les questions de l'autoroute du point de vue de la personne humaine, et j'ai remarqué dans son mémoire exactement qu'il l'a abordé de ce point de vue là. C'est ça qu'on a pensé, qu'il traiterait comment l'individu peut être avantagé ou désavantagé par l'autoroute. Alors, nous avons pensé, ce matin, d'entendre le Protecteur du citoyen et, ensuite, M. Jacques Dufresne, philosophe, pour poser un peu la question au tout début de ces audiences qui vont durer huit ou neuf jours.

Alors, si vous voulez, Me Meunier, présenter les gens qui vous accompagnent et exposer votre mémoire. Vous pouvez prendre à peu près, peut-être, une vingtaine de minutes, ce qui permettrait de répartir à peu près le temps également entre les deux partis pour la discussion avec vous.


Protecteur du citoyen

M. Meunier (Jacques): Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de vous présenter mes collègues, ce matin, à la table: à ma gauche, Me Micheline McNicoll, déléguée du Protecteur du citoyen, et, à ma droite, Me Patrick Robardet, directeur des affaires juridiques et de la recherche au bureau du Protecteur du citoyen.

Vous nous avez conviés à examiner les enjeux de l'implantation de l'autoroute de l'information au Québec, mieux connue aujourd'hui sous le nom d'inforoute. Comme Mme la députée de Sherbrooke l'a souligné il y a un instant, cet examen comporte naturellement une bonne part de prospective, puisque l'inforoute est encore embryonnaire et virtuelle. Ce n'est que par extrapolation à partir des expériences du passé et en y mettant un peu d'imagination que l'on peut tenter de prévoir et d'évaluer les impacts et les conséquences de l'implantation de l'inforoute et des utilisations que l'État se propose d'en faire. Il existe donc évidemment des limites à ce que l'on peut en dire de façon pertinente. C'est pourquoi le Protecteur du citoyen a abordé cet exercice à la manière d'un joueur d'échecs plutôt qu'à la manière d'un voyant muni d'une boule de cristal.

En effet, dans le déploiement de l'inforoute, c'est-à-dire dans son implantation et ses applications, un certain nombre de choix sont possibles. Quant aux conséquences de ces choix, il est illusoire d'espérer pouvoir les cerner toutes, compte tenu de l'environnement spécifique de l'inforoute, c'est-à-dire de son caractère éclaté à l'échelle de la planète, du nombre d'intervenants et de la multiplicité et de la vitesse d'évolution des technologies de l'information elles-mêmes. Par contre, il existe des règles nationales et internationales, des priorités nationales et, répétons-le, un nombre limité de choix en raison précisément de règles incontournables et des coûts inhérents à ces choix. C'est donc là que se situe l'analogie avec le jeu d'échecs: on ne peut prévoir à 100 % le comportement des joueurs, mais, compte tenu que les choix possibles sont limités, on peut tenter d'adopter la meilleure stratégie possible.

Le Protecteur du citoyen est heureux d'apporter sa contribution à cet exercice et voit dans l'inforoute de nouveaux moyens concrets pour l'État d'offrir de meilleurs services aux citoyens et citoyennes en développant des pratiques efficaces, justes et démocratiques dans le sens du pacte social qu'il proposait en décembre 1994 dans son vingt-quatrième rapport annuel à l'Assemblée nationale. Incidemment, je vous invite à examiner attentivement, si ce n'est déjà fait, ce projet de pacte social dont vous trouverez copie en annexe au mémoire présentement devant vous.

(10 h 40)

Parmi les sujets de réflexion et les questions à débattre qui lui ont été proposés dans le document de consultation de juin dernier, le Protecteur du citoyen s'est arrêté plus particulièrement à quatre enjeux: les enjeux reliés à l'accessibilité de l'inforoute, ceux qui sont reliés à l'isolement des utilisateurs, ceux qui sont reliés à la confidentialité des renseignements et les enjeux reliés au rôle de l'État comme utilisateur modèle de l'inforoute. La réflexion du Protecteur du citoyen sur ces enjeux se fonde sur son expérience des problèmes vécus par les citoyens et citoyennes dans leurs rapports avec l'administration et sur ce que cela lui révèle de leurs attentes à l'égard de l'État. Cette réflexion a également été alimentée, entre autres, par une mission d'observation du fonctionnement de l'inforoute au Nouveau-Brunswick et par l'étude du document de travail et de consultation publié en avril 1996 par le gouvernement du Québec sous le titre «Pour une stratégie de mise en oeuvre de l'autoroute de l'information au Québec».

Pour développer en plus de détails les thèmes retenus par le Protecteur du citoyen, je laisserai maintenant la parole à ma collègue, Me Micheline McNicoll, qui non seulement a eu le bonheur de faire connaissance avec l'inforoute du Nouveau-Brunswick, mais a été la principale artisane du mémoire du Protecteur du citoyen. Me McNicoll.

Mme McNicoll (Micheline): Merci. Mesdames, messieurs, je vais survoler avec vous, une page après l'autre, le mémoire en n'en faisant pas une lecture complète, puis, après ça, bien sûr, il y a la période de questions. Je me retrouve à la page 4, à l'accessibilité. Le document de consultation nous dit: «L'État doit donc assurer un accès universel et abordable à cette inforoute.» Et: «Pour l'État, cela signifie la mise en place d'un système unifié d'accès aux services gouvernementaux avec des outils de recherche simples et conviviaux.»

Dans les idées qui sont véhiculées par ces affirmations, on a, par exemple, le développement de procédures conviviales. On sait que ça veut dire, ça, accessible, facile, un peu comme lorsqu'on va au guichet automatique avec sa carte Interac ou des choses comme ça, et on pense aussi à l'utilisation massive de ces technologies. Dans la mesure donc où des services gouvernementaux seront offerts via l'inforoute, il convient de mettre au point, bien sûr, des procédures conviviales. Mais, une fois ceci dit, il faut penser en termes de clientèles particulières et faire cette transition vers des services sur l'inforoute de façon graduelle. On pense, par exemple, qu'il y a des clientèles plus aptes que d'autres à participer à des projets-pilotes. On pense à l'aide financière aux étudiants, par exemple: le Protecteur du citoyen a déjà suggéré qu'on utilise certains moyens télématiques pour faciliter certains services.

Il est essentiel, aux yeux du Protecteur du citoyen, que tous les segments de la population soient respectés – quand on parle de segments, on parle de personnes de différents âges et de différentes habiletés avec les technologies – et donc de conserver une diversité de moyens d'avoir accès aux services gouvernementaux. Le pacte social proposé par le Protecteur du citoyen offre d'ailleurs des balises. Comme vous allez le voir, c'était vraiment un instrument avant-gardiste, le pacte social, parce que le gouvernement peut y trouver plein de bonnes indications pour le guider dans sa démarche: entre autres, les services d'accueil personnalisé, l'accès à des locaux selon qu'on est en chaise roulante ou sur ses deux pattes et surtout le point 2.7 où on parle de favoriser le guichet unique et d'envisager au besoin des fusions dans les secteurs administratifs, si cette solution peut contribuer à améliorer l'offre et la qualité des services. À l'inverse, ne pas maintenir à tout prix une fonction ou une entité dont la pertinence est remise en cause.

Le déploiement de l'inforoute peut s'avérer l'occasion de mettre en oeuvre le concept de guichet unique pour les services gouvernementaux directs à la population. À ce chapitre, les solutions sont multiples également. Signalons à cet effet Services Nouveau-Brunswick que j'ai eu l'occasion... J'y suis allée en personne, j'ai pu poser des questions, j'ai pu voir comment ça se passait et je vous avoue que j'étais jalouse quand je suis partie de là. J'espérais qu'au Québec on aurait ça pour servir tous les citoyens. C'est une application simple et efficace où la technologie n'occupe pas nécessairement le premier plan, mais permet un meilleur service à la population. Suit une brève description.

En fait, quand vous arrivez chez Services Nouveau-Brunswick, c'est comme si vous arriviez dans une banque ou une caisse: il y a des comptoirs avec des personnes pour vous servir. La différence essentielle tient à ce que quasiment tout ce que vous demandez là, vous pouvez l'obtenir. Si vous parlez de services gouvernementaux, vous pouvez payer vos taxes, vous pouvez payer vos impôts, vous pouvez obtenir un permis, une licence, vous pouvez obtenir un formulaire soit du gouvernement du Nouveau-Brunswick ou même du gouvernement fédéral, vous pouvez avoir des formulaires pour un test d'eau potable. Et, si vous avez des renseignements à demander et qu'ils ne peuvent pas vous les donner immédiatement eux-mêmes, le ou la préposée à qui vous vous adressez va fouiller dans son bottin du gouvernement, va trouver un fonctionnaire pour vous répondre directement. Et la personne s'en va, après ça, à l'arrière; il y a trois, quatre téléphones Vista qui sont là, et la personne est immédiatement mise en contact avec le fonctionnaire ou la fonctionnaire qui peut répondre à ses questions.

J'avoue que j'ai été impressionnée. Ils n'avaient pas besoin de technologies extrêmement complexes, à part le fait, bien sûr, qu'il y a une inforoute électronique qui relie beaucoup de banques de données entre elles. Par exemple, si la personne vient payer une contravention quelconque, le préposé a accès à des banques de données, mais ne peut pas traiter ces données-là directement. Elle peut effectuer une transaction, la personne, elle règle son problème, et, après ça, c'est l'administration de Services Nouveau-Brunswick qui se préoccupe d'organiser le reste de la transaction avec chacun de ces organismes-là.

Vous pouvez renouveler votre permis de conduire, faire prendre une photo; en fait, en annexe, allez voir, il y a une photocopie de l'ensemble des services et renseignements que vous pouvez avoir dans ce genre de bureau. C'est à l'image, en fait, de ce dont on parle, nous autres, au Protecteur du citoyen, quand on parle de guichet unique. C'est l'administration qui assume sa propre complexité et, pour le citoyen qui vient, tout est beaucoup plus simple. En tout cas, j'y suis restée un avant-midi. Il y a peut-être certains problèmes qui se posent parfois, mais ce que j'ai vu était un bel exemple.

Donc, sur la base de l'expérience de Services Nouveau-Brunswick, le Protecteur du citoyen insiste sur le fait que la simplification des échanges et des transactions de l'État ne passe pas nécessairement par un système unifié d'accès et de repérage de la nature d'une carte multiservice ou d'une infrastructure complexe et coûteuse. D'autre part, l'État a très certainement la tâche de favoriser l'apprentissage et l'appropriation des technologies de l'information. Il doit le faire dans la perspective de rendre chacun apte à utiliser ces technologies pour son propre développement. L'État – et ça, c'est important – devra tenir compte du degré d'avancement de cet apprentissage lorsqu'il songera à offrir une grande partie de ces services via l'inforoute ou encore à offrir certains services uniquement via l'inforoute. L'accès du citoyen à la formation aux technologies de l'information et à l'utilisation gratuite est également important.

Je passe maintenant au chapitre de la confidentialité; je me retrouve à la page 10. Sous le terme «confidentialité», on retrouve, en fait, toutes les questions relatives au respect de la personne, et pas seulement la vie privée, mais il y a aussi la dignité, l'honneur, la réputation et une certaine dimension de secret des relations professionnelles que le citoyen a avec l'État également. Le fil conducteur de toutes ces valeurs qui doivent être préservées dans le déploiement de l'inforoute, c'est la possibilité donnée à chaque être humain de se développer de façon autonome et de s'épanouir tout en vivant avec les autres.

Quand on lit les articles de la Charte, c'est des mots abstraits, mais, dans le concret, ça signifie aussi la façon dont les relations entre l'État et le citoyen doivent continuer de se passer. Si une chaîne n'est pas plus forte que son maillon le plus faible, a fortiori la société dans laquelle nous vivons n'est pas plus forte ni plus libre que le moins fort et le moins libre des individus qui la composent. C'est pourquoi il faut créer un environnement propice au développement humain, et là aussi on rejoint le rôle de l'État comme utilisateur modèle, ce qu'il veut être comme promoteur de l'inforoute et comme utilisateur.

Quand on parle d'un environnement propice au respect des droits et libertés, on parle, entre autres, de respect des renseignements sur les personnes. Toutefois, l'équilibre entre la dimension collective et la dimension individuelle n'est pas facile, et c'est un peu le défi que nous devons tous relever ensemble. Les applications des technologies de l'information nous obligent à réfléchir sur notre environnement actuel, celui que nous pouvons créer et surtout celui que nous voulons créer.

(10 h 50)

À ceci, on fait référence aux orientations du gouvernement qui disent: «Le déploiement de l'autoroute de l'information doit s'effectuer en parfait respect des valeurs et des objectifs sociaux qui font consensus dans la société québécoise.» C'est pourquoi le Protecteur du citoyen se permet, au début, de dire qu'il encourage le gouvernement à aller dans le déploiement de l'inforoute. Ses intentions sont excellentes et il se donne des orientations que nous partageons.

Quels sont les éléments, concrètement, d'un environnement dans l'inforoute qui serait comme optimal pour développer toutes les technologies et en même temps respecter chaque être humain? Donc, un environnement qui donne à chaque personne le plus de contrôle possible sur le degré de transparence qu'elle désire avoir dans ses relations avec la collectivité, incluant l'État; limite le plus possible la collecte de données sur les personnes; respecte le rythme d'évolution de chaque personne tout en encourageant l'apprentissage des nouvelles habiletés; laisse place à l'expérimentation individuelle et collective; favorise l'utilisation des technologies; rend transparents les actions et les processus décisionnels de l'État – et là je fais juste un petit aparté: lorsque beaucoup de transactions, c'est-à-dire de rapports entre un citoyen et l'État, se font via l'autoroute électronique, via des cartes, via des systèmes interactifs, il y a énormément d'informations qui sont déjà contenues dans les logiciels parce que c'est là que les processus sont concentrés; rendre transparents les actions et les processus décisionnels de l'État, ça veut dire aussi rendre accessibles toutes les procédures qui se font à l'intérieur des machines, si on veut, qui sont utilisées – et permet la souplesse, l'adaptation rapide et la diversité dans les services aux citoyens.

En matière de protection des renseignements personnels, je vais résumer un petit peu nos propos. Une des tendances majeures de l'inforoute, c'est la concentration des banques de données. C'est vraiment la mise en commun des données, entre autres sur les personnes, et ensuite un partage de ces informations-là entre les différents organismes qui en ont besoin. C'est, je dirais, comme le premier rêve que les gestionnaires veulent réaliser. Cette approche-là, cette tendance-là fait en sorte que ça pourrait aller tout à fait à l'encontre d'un principe majeur dans nos lois de protection des renseignement personnels qu'on appelle la «compartimentation des renseignements», c'est-à-dire que chaque organisme a ses renseignements, les collecte, les met à jour et puis ne les passe à personne. Alors, le partage des informations puis la mise en commun, ça à l'air de mettre ça complètement de côté.

Notre réflexion puis nos observations nous démontrent que, lorsqu'il y a des mises en commun d'informations et partage dans une finalité unique comme celle, par exemple, que j'ai pu observer au Nouveau-Brunswick, de services directs à la population, sous réserve d'une enquête plus approfondie, apparemment la vie privée, le respect des citoyens, de leurs renseignements personnels n'est pas mis en jeu dans ce genre d'expérience.

Par contre, d'autres expériences – il y en a aussi au Nouveau-Brunswick, on sait qu'il y en a qui se préparent ici aussi – veulent mettre toutes sortes de fonctions et des finalités multiples dans un même projet sous un grand parapluie où, à la limite, le seul point en commun, c'est d'avoir un client commun. Évidemment, quand on est au gouvernement du Québec, on a tous les mêmes clients. Alors, à la limite, tous les renseignements vont être dans le même panier et puis le critère de nécessité en fonction de la finalité va disparaître. Et c'est là qu'il nous apparaît que le noeud de la question est, c'est là que doivent se situer la réflexion puis aussi les lumières rouges.

Donc, sans penser que c'est le critère qui va tout régler, le Protecteur du citoyen est d'avis que les renseignements personnels ne devraient être partagés que dans un contexte où tous les intervenants ont une approche ou une fonction identique et pas simplement le fait d'avoir le même client quelque part dans un processus. Ça, c'est tellement vaste qu'on va y perdre tous les critères. Cette mesure devrait contribuer à conserver le climat de confiance nécessaire à l'établissement de relations saines entre le citoyen, l'État et la collectivité. En tout cas, on pourra en rediscuter plus tard.

Concernant le développement technologique et économique – là, je suis maintenant à la page 17 – il y a certaines affirmations concernant des utilisations massives, des contraintes technologiques telles que, une fois qu'on s'est enligné dans une direction, on ne peut plus retourner. Et il y avait aussi des questions concernant une carte d'identité, une carte multiservice. Bon. Le Protecteur du citoyen estime que le débat de société que suscite l'inforoute ne doit pas se faire autour d'outils technologiques. Il faut, tout d'abord, cibler des projets de petite envergure et tester un certain nombre de paramètres. Parler plus abondamment de ces outils hors contexte pour le moment nous apparaît prématuré, surtout qu'il manque certains outils d'évaluation dans notre approche. Ces outils d'évaluation sont, par exemple, l'évaluation sociale de certaines technologies.

On sait qu'il y a eu des projets, qu'il y a eu des réalisations même au Québec, au gouvernement, où il y a eu des incidents assez déplorables. Les gens ont été les premiers à écoper. Les rapports annuels du Protecteur du citoyen en mentionnent. On pense que, au-delà, des fois, d'un certain dérapage – on n'accuse personne de mauvaise foi – il y a peut-être juste un manque d'évaluation sociale, au départ, sur le comportement des gens, sur la réceptivité de certains systèmes, sur leur convivialité, etc. Là-dessus, on ne peut pas en dire plus pour le moment, mais ce qu'on constate, c'est que des projets qui ne sont que concoctés dans des officines risquent de déraper lamentablement parce qu'ils ne sont pas adaptés aux clientèles à qui on les avait destinés. Alors, là-dessus, sans tourner le fer dans la plaie, on incite fortement le gouvernement à se doter de ce genre d'outils et à faire appel aussi aux groupes de personnes, de clientèles qui peuvent les informer là-dessus.

Donc, on dirait aussi qu'il n'y a pas, à notre avis, de déterminisme technologique tel qu'il n'y a qu'une seule façon de faire les choses, et là-dessus le Protecteur du citoyen incite le gouvernement à ne pas se ligoter à une seule technologie ni à un seul fournisseur de technologie. Il doit favoriser la diversité, l'ouverture et la concurrence afin de pouvoir assurer à la population les meilleurs services possible. Les propriétaires des infrastructures ne doivent être ni les décideurs des contenus ni les décideurs des orientations relatives au développement des services gouvernementaux sur l'inforoute.

Et, finalement – je suis à la page 19, maintenant – une des questions qui étaient posées, c'était: «L'État ne doit-il pas de manière urgente intégrer ses services informatisés, rendre toute l'information publique disponible sur l'inforoute?» Là-dessus, on se permet de dire qu'il ne nous semble pas que ce soit l'urgence nationale de mettre toutes les transactions entre l'État et les citoyens par voie électronique – il y a peut-être d'autres urgences – et que les réformes doivent être planifiées et peaufinées.

Pour dire toute la vérité, on pense aussi que ce n'est pas en mettant encore plus d'informations disponibles qu'on va nécessairement améliorer le sort des citoyens. Notre expérience à nous, elle nous démontre que ce dont le citoyen a le plus besoin – puis peut-être que l'inforoute, c'est le moment historique à saisir – c'est des moyens de communication, des voies de communication directe, rapide et imputable avec le gouvernement, avec l'administration publique. Mettre de l'information, ça veut souvent dire que c'est de l'information colligée, peut-être même les lois, les règlements, n'importe quoi.

Mais le citoyen, lui, quand il veut agir, il y a tout un paquet de choses qu'il doit savoir. Rien que pour colliger cette information-là, il faut qu'il s'engage un professionnel pour le faire. Alors que la complexité de l'administration grandit, l'inforoute, ça doit être une occasion de simplifier ça pour lui, mais avec de la communication directe et imputable, pas juste donner un numéro de téléphone puis une adresse. C'est ça qu'on veut dire par là. Donc, il y a déjà une prolifération d'informations disponibles et il faut maintenant des experts armés d'outils de recherche performants pour y avoir accès. L'État doit prioritairement utiliser les technologies pour mieux communiquer avec le citoyen dans le cadre des services qu'il offre.

Et je vais terminer là-dessus: le développement de l'inforoute doit se faire de manière à minimiser les inconvénients – ça a l'air d'être un truisme, mais je pense qu'on ne le répétera jamais assez – pour les citoyens et citoyennes. De vastes restructurations accompagnées de nouveaux systèmes utilisant les technologies de l'information ont déjà été effectuées de façon inadéquate et ont occasionné de multiples problèmes. Le Protecteur du citoyen incite l'État à se livrer à des expériences limitées, bien encadrées, où les citoyens et citoyennes seront respectés.

(11 heures)

À cet effet, le pacte social proposé par le Protecteur invite l'administration à se demander si elle respecte la dignité des citoyens. Pour l'aider à répondre oui à cette question, le Protecteur du citoyen lui propose divers moyens de traiter avec égards les personnes qui font affaire avec l'État et, dans la page suivante, vous les avez. Je ne les relis pas, mais, parmi ceux-ci, il y a de ne pas traiter le citoyen comme un code informatique ou un numéro, concevoir des systèmes de contrôle et de prévention qui soient le moins irritants possible et puis faire preuve de souplesse. Alors, nous ne sommes pas non plus des experts des technologies, mais notre sismographe, au Protecteur du citoyen, ce sont les citoyens et citoyennes qui se plaignent. Et, dans les balises que l'on émet ici, on veut être du coup, nous aussi, dans l'inforoute avec les citoyens et citoyennes. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Oui. Je voudrais revenir sur ce dernier point qui est, à mon avis, très important dans ce débat, à savoir cette question de la diversité et de la concurrence dans le but d'assurer la meilleure qualité des services aux citoyens. Je pense que, sur le principe, on est d'accord, mais j'aimerais savoir si, au Protecteur du citoyen, vous avez examiné les modalités de mise en application de ce principe-là. Moi, j'ai des idées là-dessus, mais je voudrais vous entendre me dire comment on s'y prend pour rendre ce marché de l'inforoute un marché concurrentiel et non pas un marché centré sur l'État ou sur des acteurs monopolistes.

Une voix: Oui, oui.

M. Laporte: Je pense que, ça, c'est très important étant donné, disons, le poids que ces technologies – entendre leur poids financier, économique et culturel – ont dans la société qui s'en vient.

Mme McNicoll (Micheline): Sur les modalités, je pense que ce serait aller un petit peu loin. Toutefois, on peut émettre quelques idées là-dessus. La mission d'observation au Nouveau-Brunswick justement permet de voir qu'eux non plus ne se sont pas ligotés à une seule technologie. Bon, on sait qu'ils ont déjà une infrastructure de fibre optique, c'est ce qui leur donne leur longueur d'avance, mais ils n'ont pas, par exemple, utilisé de solutions ou de technologies qui sont mur à mur.

Là-dessus, je m'explique. Par exemple, on peut être tenté par une technologie haut de gamme, la développer, permettre à des entreprises de la développer et puis dire: Bien, comme utilisateurs modèles, nous autres, le gouvernement, pour l'encourager, on va offrir des services là-dessus. Je pense, par exemple, à une carte multiservice qui serait comme une omnicarte, là, qui permettrait de voter, de retirer de l'argent, de payer des contraventions, d'avoir ses prestations de sécurité du revenu, d'avoir accès à son dossier dans les ministères. Il y a des solutions qui ont l'air des omnisolutions et qui veulent tout englober. Si on va dans ce genre d'avenue là, oui, on va se ligoter parce que, là, en fait, c'est le même principe que de mettre tous ses oeufs dans le même panier. O.K.? Ça, c'est une première balise.

La deuxième balise qui se répète souvent dans notre mémoire, c'est de dire: Allez avec des petits projets ciblés sur des clientèles particulières. D'une part, ça va respecter votre clientèle, vous allez connaître ses besoins, vous allez pouvoir faire une évaluation sociale aussi de la réception de cette technologie-là et, deuxièmement, peut-être que vous allez faire appel à des technologies différentes.

Encore une fois, je vais avoir l'air d'une personne qui est payée par le Nouveau-Brunswick pour faire de la promotion, mais ce n'est pas le cas. J'ai été impressionnée par les services interactifs. Les services interactifs, là, ça, ce n'est pas des boîtes vocales, hein? Ça se passe avec le téléphone. Par exemple, à l'aide aux étudiants, il y a un service qu'ils appellent 7-24. Ça, ça veut dire sept jours par semaine, 24 heures par jour. Vous signalez un numéro et là vous pouvez avoir accès à votre dossier.

C'est sûr que vous ne parlez pas du beau temps puis du mauvais temps puis que vous vous êtes fracturé une jambe, mais vous pouvez avoir accès à l'état de votre dossier, savoir quels documents manquent dans votre dossier, les délais de traitement, etc. Vous avez une série de sept, huit questions, et ça, d'une boîte téléphonique avec clavier, un étudiant peut avoir accès à ça. Bon. Alors, on a amélioré un service, on a rentabilisé certaines technologies. Et la technologie, par exemple, interactive via les téléphones – et je le répète, ce n'est pas des boîtes vocales, là – c'est une technologie bien intéressante et puis qui peut être utilisée de différentes façons. Je m'arrête là-dessus.

Ce que je vous dirais, c'est qu'il y a deux orientations. C'est que, si on veut éviter de se ligoter, il faut, je dirais avec humour, résister à l'attrait des solutions mur à mur pour tout le Québec, pour tout ce qui se fait au Québec et, deuxièmement, y aller avec l'expérimentation. J'ai aussi demandé à ces gens-là: Mais ça coûte cher, faire des expérimentations? Ils ont dit: Ça coûte toujours moins cher que de se tromper. Alors, là-dessus, je pense que...

Et l'environnement concurrentiel fait en sorte aussi que plusieurs technologies se développent. Il suffit de lire le journal pour savoir que ce qui coûtait bien cher, maintenant, comme un ordinateur... Tout le monde ne peut pas avoir un ordinateur et n'y est pas même intéressé, mais on sait qu'il y a des petites boîtes Oracle et d'autres boîtes maintenant qui se développent pour quelques centaines de dollars, qui vont permettre de faire certaines transactions via la télévision, via le téléphone. Bon.

On pensait que les câblodistributeurs étaient ceux qui avaient la meilleure représentation sur le territoire. Bien, je lisais, pas plus tard qu'il y a trois semaines, par exemple, qu'avec la déréglementation de la téléphonie, etc., bien, leur pénétration va diminuer puis le téléphone va offrir d'autres nouveaux services. Puis, moi, je suis juste une lectrice du journal puis des revues, mais je suis capable de voir ça. Alors, je pense que les gens qui font de la veille technologique au gouvernement du Québec – puis, ça, il y en a, je le sais – sont capables de conseiller le gouvernement sur ces choses-là puis de lui offrir de multiples solutions.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs dames. J'ai juste deux petites questions à vous poser, je vais peut-être les poser l'une après l'autre. Vous avez parlé d'une inforoute directe, rapide et imputable. J'aimerais ça comprendre ce que vous voulez dire par une inforoute imputable. Est-ce que c'est la technologie qui est imputable ou si c'est... Est-ce que le téléphone est imputable? Alors, j'aimerais ça que vous développiez davantage ce que vous voulez dire.

Mme McNicoll (Micheline): D'accord. M. le député...

M. Gaulin: Parce que ça peut avoir des conséquences très grandes pour les élus, les gens qui sont en politique.

Mme McNicoll (Micheline): ...je suis contente que vous posiez la question parce que ça me permet de rectifier. Nous n'avons pas parlé d'une inforoute imputable; nous avons parlé de moyens de communication avec l'administration publique et de communication imputable, qu'elle soit via l'inforoute ou autrement. Mais, comme c'est de l'inforoute qu'on parle, quand on parle d'une communication imputable, ça veut dire que la personne du gouvernement, le fonctionnaire préposé qui donne une information, qui communique avec le citoyen puis qui lui dit: Voici ce qu'il en est, il est responsable de l'information qu'il donne.

Actuellement – ça demande un petit développement, mais je trouve que ça vaut la peine – nous-mêmes, au Protecteur du citoyen, si quelqu'un arrive... Je vais vous donner un bel exemple. Une personne de Sainte-Foy décide de s'acheter une terre en Estrie, quelque part, puis elle veut ouvrir une table champêtre. O.K.? Alors, elle se dit: Bien, moi, je vais au ministère de l'Industrie et du Commerce, ils me disent tout quoi faire, et puis vraiment on a des personnes qui sont débrouillardes, qui vont rechercher l'information un petit peu partout.

À un moment donné, elles pensent réellement qu'elles ont toute l'information pour procéder, mais non. Mais non, ça leur aurait pris un procureur, ça leur aurait pris quelqu'un qui recherche l'information pour eux autres pour, au bout de la ligne, se rendre compte qu'effectivement elles ont négligé une chose. Et nous autres, quand ils viennent se plaindre chez nous, on leur dit: Mais, madame, monsieur, vous deviez aller, par exemple, à la Commission de protection du territoire agricole, eux autres ils vous auraient dit ce qui les concerne. Allez à la municipalité, eux autres ils vont vous dire exactement ce qu'ils doivent faire. Allez au ministère de l'Environnement... Et puis on dit à la personne: Bien, si vous n'avez pas recueilli l'information auprès de la personne qu'il fallait dans tel ministère, dans telle direction, dans telle sous-section, nous autres, on ne peut pas leur en vouloir. C'était à vous de vous informer.

Une communication imputable, ça voudrait dire, ça, que, dans une perspective de guichet unique, par exemple, ce n'est plus le citoyen qui doit faire le magasinage partout, partout, partout, partout puis passer bien du temps là-dessus sans jamais être certain, au bout de la ligne, qu'il a tout ce qu'il lui faut. Une communication imputable, ça veut dire que quelque part il y aurait un guichet, dans cette administration publique, où le citoyen pourrait poser des questions et recevoir des réponses auxquelles il pourrait se fier. C'est à peu près ça quand on parle de communication imputable. Le citoyen, il est déjà imputable. Que l'administration le soit, elle aussi, dans une perspective de simplification. Mais ce n'est pas l'inforoute qui est imputable, là, c'est ça que je voulais rectifier.

(11 h 10)

M. Gaulin: D'accord.

Mme McNicoll (Micheline): Est-ce que je réponds à votre question?

M. Gaulin: Oui, vous y répondez, mais il y aurait une longue conversation à faire là-dessus...

Mme McNicoll (Micheline): Sûrement.

M. Gaulin: ...parce que trouver la personne qui va donner la réponse, on pourrait en parler encore dans un an. Alors, si vous voulez...

Mme McNicoll (Micheline): Il y a des moyens qu'on peut prendre.

M. Gaulin: ...je voudrais savoir ce que c'est que l'imputabilité...

Mme McNicoll (Micheline): Oui.

M. Gaulin: ...mais ce n'est peut-être pas le lieu d'en parler ici.

La deuxième question que je voulais vous poser... Vous dites, et je vous cite – ce n'est pas dans le texte; c'est dans ce que vous avez dit: «Notre sismographe, ce sont les citoyens et citoyennes qui se plaignent.» Ma question est la suivante: C'est sûr que c'est votre fonction comme Protecteur du citoyen, mais est-ce que vous envisagez votre rôle plus comme passif que comme actif? Je veux dire par là que souvent, en vertu des chartes qu'on a données en particulier, les citoyens sont portés à revendiquer leurs droits de personnes. Mais, comme vous êtes le Protecteur ou la protectrice du citoyen ou de la citoyenne, est-ce qu'il n'y a pas davantage que la personne? Est-ce qu'il n'y a pas une fonction de rapport au citoyen, de conception du citoyen qui devrait être développée aussi, plutôt que tout simplement un régime actif-passif où l'un donne et l'autre se plaint s'il n'a pas reçu ou si elle n'a pas reçu?

Mme McNicoll (Micheline): Je comprends bien le sens de votre question. D'ailleurs, on s'est déjà fait demander par certaines personnes si le Protecteur du citoyen protégeait tout le monde incluant les chialeux, les gens qui ne sont jamais contents. Alors, le rôle du Protecteur du citoyen...

M. Gaulin: Je n'ai pas utilisé ces mots-là.

Mme McNicoll (Micheline): Non, non, non. Ce n'était pas mon intention de vous prêter de tels propos. Je pense qu'au Protecteur du citoyen...

Le Président (M. Garon): Ha, ha, ha! Elle n'en pensait pas moins.

Mme McNicoll (Micheline): Ha, ha, ha! Non, non, non, non. Non, non, non. Je pense qu'au Protecteur du citoyen on a une approche du citoyen qui se veut un citoyen responsable. D'abord, on lui demande toujours d'avoir fait des démarches avant de s'occuper de sa plainte et d'avoir fait tout ce qui était en son pouvoir. Je pense que le rapport que le Protecteur du citoyen entretient avec les citoyens, ce n'est pas un rapport de majeur à mineur; c'est un rapport entre adultes. Et le mot «Protecteur» fait un peu, peut-être, paternaliste, là, mais le citoyen, il a un rôle à jouer dans sa propre plainte, là. Ça, c'est la première des choses.

Deuxième des choses, ce n'est pas parce qu'un citoyen se plaint qu'on lui donne automatiquement raison. Si vous consultez nos rapports annuels, vous voyez qu'on lui donne raison dans, je ne sais pas, un tiers des cas, peut-être. Par contre, beaucoup de ces plaintes-là, même si parfois on juge que la plainte n'est pas fondée et qu'on dit: Écoutez, l'administration a agi de façon équitable à votre égard, sont des occasions de voir des choses qui marchent moins bien et de faire des interventions sur d'autres cas.

Je pense qu'on n'est pas – en tout cas, ce n'est pas ma perception de l'intérieur, mais c'est vrai que de l'extérieur chacun peut avoir la sienne – dans passif-actif. Je pense que, le citoyen, on l'incite beaucoup et même on l'oblige à être proactif dans ses démarches. Et notre mémoire dit ça aussi au gouvernement. On ne veut pas que le citoyen devienne un simple détenteur de carte, même si elle est bien intelligente, la carte. On veut que, lui aussi, il soit proactif sur l'inforoute.

D'ailleurs – c'est sûr que vous allez le relire, là – dans le pacte social, le Protecteur du citoyen propose, par exemple, au gouvernement de consulter plus souvent sa clientèle, de créer des comités d'usagers. Je pense que, dans l'inforoute, certains moyens peuvent être utilisés – ça peut être l'inforoute télévisuelle, ça peut être le courrier électronique, ça peut être un service interactif, ça peut être bien des choses – pour connaître ses opinions. Le Protecteur du citoyen ne considère pas le citoyen comme un mineur démuni, mais on lui donne nous-mêmes des outils puis on voudrait que l'inforoute lui en donne davantage.

M. Gaulin: Merci, Mme McNicoll.

Le Président (M. Garon): Moi, regardez, je voudrais dire aux membres de la commission, si vous voulez, qu'à chaque fois que vous voulez prendre la parole on va essayer de gérer ça équitablement. Des fois, il peut arriver que deux péquistes veuillent demander la parole; ça peut être deux libéraux. Je vais essayer de faire l'alternance, mais, s'il n'y a pas de demande, je vais tenir compte de ceux qui ont demandé la parole. Puis je vais commencer à chaque fois avec les témoins du côté de l'opposition une fois et, l'autre fois d'après, du côté ministériel pour essayer qu'on participe à un débat, tous ensemble, où les gens ne pensent pas qu'ils ont été brimés dans leur droit de parole. Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Merci. D'abord, je vous remercie de votre présentation. Je pense que vous touchez des questions qui sont fort importantes. Il y en a une qui m'intrigue particulièrement, c'est la question du rythme, de ce que vous appelez le rythme d'évolution des citoyens et des citoyennes, le rythme d'apprentissage. On le sait tous, d'une part, et le député d'Outremont l'a rappelé tout à l'heure, qu'il y a pas loin d'un million de personnes au Québec qui sont des analphabètes fonctionnels, donc des gens qui sont mal à l'aise pas avec l'inforoute, mais avec les instruments de communication qui, pour nous, sont des acquis depuis fort longtemps. D'autre part, on sait aussi que certaines catégories de population, sans être analphabètes – je pense aux personnes âgées particulièrement – sont réticentes par rapport aux nouvelles technologies. Il y en a quelques-unes même qui ont du mal à se débrouiller avec des téléphones à boutons et puis à écouter toutes sortes de codes pour leur expliquer comment circuler au téléphone pour trouver des informations.

J'aimerais que vous me disiez un peu comment vous voyez cette question du rythme d'évolution de chaque personne. C'est un défi qui est énorme; vous l'abordez rapidement. Vous avez manifestement été très intéressés par l'expérience du Nouveau-Brunswick, mais j'aimerais savoir si, à l'aide de cette expérience ou de votre réflexion, vous pourriez m'éclairer un peu plus sur la façon de respecter le rythme d'une population qui est très hétérogène, à première vue, quant à sa capacité d'embarquer sur l'autoroute.

Mme McNicoll (Micheline): Ce qui m'a frappée d'ailleurs le plus... Vous savez, le Nouveau-Brunswick est apparemment celui qui a le plus développé son inforoute, mais, chose certaine, c'est celui qui en a le plus parlé. O.K.? Et, quand je suis arrivée là-bas, bon, je m'attendais que tout marche sur des pitons, mais ce n'était pas le cas. Ce que j'ai constaté, c'est que justement, précisément, ils avaient conservé une diversité parmi les moyens d'accès et un développement graduel de certains services, justement pour que ça aille bien, pour que la population puisse suivre et s'adapter à certaines technologies.

Et j'ai demandé: Est-ce que ça coûte si cher que ça de pouvoir le faire? À chaque fois, entre autres chez Services Nouveau-Brunswick, ils ont dit: Bien, on s'est rendu compte que, bon, tel genre de clientèle vient au comptoir parce que ça la sécurise: ils peuvent poser des questions. D'autres n'utilisent que le téléphone, d'autres nous contactent par la poste. Et j'ai trouvé que c'était respectueux, et non seulement respectueux, mais, à la limite aussi, c'est rentable. Parce que, si vous mettez en place un système qui n'est pas adapté, qui est avant son temps pour une partie de la population, elle ne l'utilisera pas, elle va le bouder.

C'est l'expérience qu'ils ont faite et, apparemment, c'est des choses qui sont tout à fait possibles, vous savez, Mme la députée. Ça dépend par où on commence et, si on ne veut pas faire du mur-à-mur immédiatement, on dit: Bon, telle chose, pour telle clientèle ou telle transaction, il apparaît que ça se ferait bien comme ça, on l'essaie. Je pense qu'il y a la période d'essais et erreurs avec rectification, mais je vous dirais la même chose, un petit peu, que je disais tout à l'heure à votre collègue d'en face: Il y a des expériences avec évaluation des impacts. Et puis, dans ce même document de consultation, on nous dit que le gouvernement va favoriser l'appropriation des technologies. Bien, bravo! que ça se fasse. Là aussi, j'ai vu, par exemple, ce qui se fait chez nos voisins avec un organisme qui s'appelle Connect Nouveau-Brunswick Branché où vraiment, dans chaque communauté, il y a maintenant des installations qui sont là et des projets communautaires, et où les gens eux-mêmes font des choses, déjà, avec les technologies.

Alors, je ne peux pas vous en dire plus, madame, à part que de dire d'y aller par de petits projets bien ciblés, d'être proches des clientèles puis d'encourager ça aussi, là – ce n'est pas attendre que ça se fasse, bien sûr – par des utilisations conviviales. Mais ça reste un grand défi, je vous le concède. Nous autres, on vous le dit puis on vous donne cette expérience-là, mais bien sûr que la vie est complexe.

(11 h 20)

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Merci beaucoup au Protecteur du citoyen pour le mémoire. J'aimerais comprendre, aux pages 15 et 16, la différence que vous êtes en train de faire entre le SNB et les deux autres projets, le IJI et la santé, parce que ça a un lien aussi avec l'argument sur une omnicarte. C'est quoi, les avantages de SNB en comparaison avec les deux, et c'est quoi, les risques que comportent le IJI et la santé?

Mme McNicoll (Micheline): Ce qui m'apparaissait d'abord, c'est qu'il y avait dans tous ces projets-là une mise en commun de l'information, une mise en réseau de toute l'information et un partage de l'information. Dans un cas, je trouvais ça très bien puis je ne voyais pas de danger – bien, en tout cas, de prime abord, hein – puis, dans l'autre cas, là, je me sentais moins bien face à ça. Et la différence essentielle, c'est que, dans Services Nouveau-Brunswick, on a une seule finalité qui est le service direct à la population. Le citoyen se présente, il vient payer une contravention, il vient payer ses taxes, il veut demander un renseignement, il vient renouveler son permis, et derrière le comptoir la personne, elle, elle a accès à toutes les banques de données. Elle dit: Oui, madame, oui, monsieur, voici. C'est fait. Bonjour. Et, selon mes connaissances, ça s'arrête là. Ils ne font pas d'autres choses que ça avec cette information-là, alors que, dans les autres projets, par exemple, comme Justice intégrée et Télémédecine...

Et je sais qu'au Québec on a ce genre aussi de projets où on veut intégrer tout un paquet d'affaires, et le seul lien commun entre tous ces projets-là, c'est un client commun ou un potentiel client commun. C'est comme, par exemple, si on voulait mettre sécurité du revenu, puis se brancher avec l'assurance-chômage au fédéral et puis peut-être je ne sais plus quel autre travail, là, puis dire: De toute façon, on a souvent les mêmes clients, parce qu'une personne qui est sur l'assurance-chômage elle finit par être sur le bien-être social puis elle finit par devoir faire ci, puis par avoir tel programme, Logirente, là au ministère du Revenu.

Et c'est là que, en tout cas, moi, je vois une différence essentielle. C'est qu'on met trop de fonctions différentes puis de fonctions potentielles différentes, incluant de la vérification, de la surveillance, de la facturation, du contrôle de la fraude, de l'information, mettez-en, là, tout ce que vous voulez. Et le seul fil conducteur de ça, bien, c'est un citoyen du Québec puis il est susceptible un jour de faire ci, il est susceptible de faire ça, il est susceptible de frauder, il est susceptible d'avoir fait une erreur.

Là, on perd de vue le critère de nécessité qui est la base dans notre écologie, je dirais, de la protection de la vie privée au Québec, où on recueille des renseignements dont on a besoin, point. Mais évidemment, si mon parapluie, il est vaste comme le plafond ici, tous les renseignements deviennent nécessaires. Je n'en ai plus, de critères de discrimination. Et c'est ça, la différence essentielle, par exemple, entre un projet de Justice intégrée, là, où depuis quasiment l'école maternelle jusqu'au centre d'incarcération, parce que vous êtes susceptible, à un moment donné, de passer devant un tribunal ou de passer devant un système de correction, on va intégrer toute cette information-là.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de l'information qui doit être partagée entre différents intervenants, mais l'approche, là, de superintégration, bien, entre nous, quand on parle du grand frère protecteur, Big Brother, c'est à ça que ça commence à ressembler. Et, dépendamment de notre vigilance aussi puis de nos critères, je pense qu'il faut savoir un petit peu séparer les oeufs, ne pas tous les mettre dans le même panier, puis avec le parapluie trop grand ça finit que quelqu'un va être mouillé quelque part, là. Est-ce que je m'explique bien? Oui?

M. Kelley: Oui, oui. Et une distinction, si j'ai bien compris, c'est que, dans un cas, on peut faire un profil qui commence à être très intéressant sur les activités d'un citoyen...

Mme McNicoll (Micheline): C'est ça. C'est la surveillance.

M. Kelley: ...parce que, avec le permis de conduire, on dit que, ça, c'est quelqu'un qui aime, je ne sais pas, les voitures japonaises ou quelque chose comme ça. Vous regardez dans un autre permis, et c'est quelqu'un qui aime la chasse. On peut rassembler quatre ou cinq caractéristiques d'un citoyen et, tout d'un coup, pour le secteur privé, ça commence à être des profils assez intéressants. Dans le SNB on ne peut pas avoir cette capacité de rassembler...

Mme McNicoll (Micheline): À ma connaissance, non. À ma connaissance, une fois que la transaction est finie, là... Vous, par exemple, vous allez payer le renouvellement de votre permis de conduire. O.K. Vous avez votre chèque ou vous avez l'argent dans vos poches. Vous arrivez: Oui, monsieur. Tel numéro. Pa! Pa! Pa! Bonjour. C'est fini. Et vous allez demander de l'information sur autre chose, un formulaire quelconque, c'est fini. Et ce n'est même pas eux autres, les préposés, qui, dans de nombreux cas, entrent l'information. Ils l'entrent dans une autre banque de données qui est transférée dans l'organisme qui gère lui-même ces choses. En tout cas, sous réserve d'une enquête plus approfondie, ce que j'ai vu était intéressant et n'était pas liberticide au sens de mettre en danger la protection des renseignements personnels. Par contre, d'autres techniques où, là, on ramasse tout au cas où, pour faire de la prévention, etc., là, disons que j'y penserais à deux fois.

M. Kelley: Oui, parce que, en terminant, c'est une de mes craintes que, dans les projets du ministère du Revenu et dans le nouveau régime de médicaments...

Mme McNicoll (Micheline): Oui.

M. Kelley: ...on va être capable de créer des profils assez intéressants de consommation des Québécois et Québécoises, et la tentation, un jour, de rendre le système plus rentable, de partager ces profils avec le secteur privé va être énorme parce qu'il y a toujours le contexte des finances publiques et il y a toujours une crainte que les profils très intéressants de la consommation des médicaments vont être le résultat, en quelques années, de l'expérience avec le régime d'assurance. Merci, M. le Président.

Mme McNicoll (Micheline): Je voudrais juste ajouter peut-être que, sur ces questions, bien sûr, le Protecteur du citoyen fait entièrement confiance à la vigilance de la Commission d'accès à l'information et qu'eux, qui sont les spécialistes de ces questions, vont avoir un oeil extrêmement pointu pour regarder toutes ces choses-là.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, Me McNicoll, et je remercie les membres du Protecteur du citoyen de leur contribution par leur mémoire et par les propos que vous avez tenus, Mme McNicoll. Et surtout, je dois vous féliciter pour votre enthousiasme.

Mme McNicoll (Micheline): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): J'ai toujours pensé que quelqu'un qui vivait, comme un député, toujours avec des gens qui ont des problèmes... C'est rare que les gens nous appellent pour dire qu'ils sont contents...

Mme McNicoll (Micheline): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): ...vous autres aussi. Mais j'ai toujours considéré, moi, que, dans la fonction quand on reçoit des plaintes, c'est l'enthousiasme; à travers les plaintes quotidiennes, garder l'enthousiasme. Et j'ai remarqué que vous devez être très heureuse dans votre fonction, comme je le suis dans ma fonction de député, parce que, malgré toutes les difficultés, vous avez l'air très enthousiaste et...

Mme McNicoll (Micheline): C'est parce qu'on aime régler les problèmes, M. Garon.

Le Président (M. Garon): C'est ça.

Mme McNicoll (Micheline): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Alors, je vous remercie de votre contribution...

Mme McNicoll (Micheline): Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): ...à cette commission. C'est rafraîchissant de rencontrer des gens enthousiastes dans cette période de morosité.

Alors, je vais maintenant inviter M. Jacques Dufresne, de la revue L'Agora , à venir nous rejoindre à la table des délibérations. Et, en gros, M. Dufresne, vous êtes familier avec ces questions, normalement, vous prenez 20 minutes pour faire votre exposé puis les députés, de part et d'autre, ont une vingtaine de minutes également.


L'Agora, recherches et communications inc.

M. Dufresne (Jacques): Je trouve que vous êtes loin. Ça m'attriste un peu parce que...

Le Président (M. Garon): Pourquoi?

M. Dufresne (Jacques): Je trouve que vous êtes loin.

Le Président (M. Garon): Ah oui? Je voudrais vous remercier, d'abord, parce que vous êtes un peu au début de ces travaux-là, parce que je sais que les membres – je n'étais pas à la commission à ce moment-là, mais on me l'a dit – vous avaient rencontré, il y a un peu plus d'un an, pour discuter de ces questions-là avec vous, puis le cheminement s'est fait tranquillement pour arriver à cette commission; et, deuxièmement, aussi pour votre livre, que vous avez fait parvenir aux membres de la commission, «La démocratie athénienne: miroir de la nôtre», que vous avez écrit, et pour une revue L'Agora sur l'«Inforoute ou infausseroute», que vous nous avez fait parvenir en même temps que votre mémoire.

(11 h 30)

M. Dufresne (Jacques): Alors, entre parenthèses, un petit mot sur ce livre; ce petit mot peut vous intéresser en tant que membres d'une commission de la culture. J'ai voulu prouver qu'on pouvait mettre des grands textes à la disposition de tous les jeunes Québécois pour la modique somme de 1 $. Vous savez qu'en Italie, à l'heure actuelle, on peut se procurer tous les grands classiques pour 1 $ ou l'équivalent et que les éditeurs qui font ces prix-là ne sont pas subventionnés pour le faire. Alors, on a tiré ce livre à 10 000 exemplaires qui ont coûté chacun 0,55 $ à l'imprimerie. Mais le problème, c'est qu'on ne trouve pas nécessairement preneur pour la vie de Solon, même si le livre est à 1 $. Il se vend 1 $.

Ce que j'ai voulu démontrer par cet exercice, c'est que, si on avait à coeur de mettre les grands textes à la disposition de tous les jeunes Québécois par écrit ou sur Internet, peu importe, ça pourrait se faire à des coûts dérisoires. Et je vous dis que, si on avait vendu 10 000 copies de ce livre dans les écoles du Québec, on aurait pu les vendre à 1 $. Pour 1 $, tous les jeunes Québécois auraient pu avoir la vie de Solon, celui qui est à l'origine de la démocratie dans le monde. Alors, je vous remercie de votre invitation.

Le Président (M. Garon): C'était possible, autrefois. Moi, je me rappelle, quand j'étais étudiant, on avait des livres de poche simples à 0,50 $, doubles à 1 $.

M. Dufresne (Jacques): Bien, c'est ça, l'idée. La culture française étant menacée par le fait que le livre français coûte si cher, il paraissait intéressant de...

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Dufresne (Jacques): Je vous remercie de votre invitation. Effectivement, la rencontre que j'ai eue avec la commission l'an dernier a été pour moi un événement important qui m'a beaucoup fait réfléchir et qui m'a aidé dans les recherches que nous avons faites par la suite. Je vais vous demander de me permettre de consacrer cinq minutes de mon propos à des considérations philosophiques assez fondamentales parce que, lors de ma rencontre avec les députés l'an dernier, il a été beaucoup question de la distinction entre le réel et le virtuel.

Ceux qui étaient présents se souviendront que je suis passé à la commission peu après ce meurtre à Beaconsfield où un pasteur et sa femme, deux personnes âgées, avaient été tués. Et la rumeur voulait que les jeunes assassins aient été des adeptes du Nintendo ou, enfin, des adeptes de ce qu'on pourrait appeler la criminalité virtuelle. Parce que, dans le virtuel, évidemment on peut mutiler des êtres, on peut les tuer, ça n'a pas de conséquences, etc. Et il y a des députés qui faisaient état de cette rumeur, qui s'inquiétaient de ce que l'habitude de vivre dans le virtuel pouvait avoir comme impact sur le réel. Et dans la population aussi on notait que beaucoup de gens associaient ce genre de crime à un abus, chez les jeunes, du Nintendo ou des jeux que je qualifierais de virtuels.

Alors, j'ai beaucoup réfléchi, depuis ce temps, justement sur la distinction entre le réel et le virtuel pour arriver à la conclusion suivante. C'est que je crois qu'on peut donner deux sens différents au mot «virtuel». Vous savez d'abord que le mot «virtuel» signifiait à l'origine: possibilité, possible. Ce qui était virtuel, c'est ce qui était possible. Le nouveau sens du mot est tout à fait différent. Le virtuel, désormais, ce n'est pas le possible; c'est plutôt ce qui vient après le réel, après ce qui est fait. C'est la représentation numérisée du réel, sa radiographie, son fantôme, prenez les mots, les métaphores que vous voulez. Mais, au lieu d'être à l'origine du réel, d'en être la source, l'ébauche, si vous voulez, le virtuel est la représentation – donc, c'est la définition la plus stricte que je peux donner – numérisée du réel.

Mais il me semble qu'on peut tout aussi bien dire, à propos du monde réel, qu'il est virtuel dans la mesure où il perd les contrastes, les contradictions et les déterminations qui l'ont toujours caractérisé. Je dirais donc, de ce point de vue là, que le virtuel, c'est le réel dépouillé de ses contrastes et de ses contradictions, de ses déterminations. Et je distinguerais ce sens du mot «virtuel» du précédent, c'est-à-dire celui qu'on lui donne désormais: représentation numérisée du réel ou contenu des inforoutes ou de la cybersphère.

Ce que je veux mettre en relief, c'est le fait que le virtuel, défini comme étant le réel dépouillé de ses contradictions et de ses déterminations, ce n'est rien d'autre, en fait, que le but du progrès. Si vous regardez, si vous observez un peu l'histoire des sociétés depuis deux siècles, vous arriverez vite à la conclusion qu'une des grandes caractéristiques de cette histoire, d'abord, c'est le progrès, bien sûr, ce qu'on appelle le progrès. Mais ce progrès lui-même, à quoi le reconnaît-on? Au fait qu'on s'efforce autant que possible de faire disparaître de la vie quotidienne les contrastes et les contradictions, et les déterminations.

Je pourrais donner 1 000 exemples. Quand un coureur des bois partait, il partait pour le vrai. Son départ était un départ, son retour était un retour vivement ressenti. Et tout, ou presque tout, était contrasté de cette façon-là dans la vie des gens. Le jour, c'était le jour. La nuit, c'était la nuit. Maintenant, avec la lumière électrique, surtout dans les grandes villes, la distinction entre le jour et la nuit s'efface aussi. Donc, il serait facile de démontrer, en multipliant les exemples de ce genre, que le progrès, c'est ce qui consiste à faire disparaître les contrastes et les contradictions de la vie. En faisant disparaître les contradictions qui sont, en fait, des contrastes radicaux, il fait disparaître aussi la souffrance, le malheur, la peine. Et ça semble être le but du progrès.

Et une des choses qui disparaissent aussi, qui tendent à disparaître, ce sont les déterminations. Le mot peut avoir l'air savant, là, mais, par exemple, on est déterminés par nos gènes, on est déterminés par notre histoire, on est déterminés biologiquement, on est déterminés historiquement. Mais prenez, par exemple, juste un phénomène comme la chirurgie plastique, qu'on peut considérer comme un des plus parfaits symboles du progrès tel qu'on le conçoit aujourd'hui. La chirurgie plastique me permet d'effacer les conséquences de mon histoire personnelle sur mon propre visage, de me refaire un visage conforme à la représentation que je me fais de ma vie et de ce que je veux être aujourd'hui. Donc, ici, un progrès technique permet d'échapper aux conséquences de sa propre histoire. Et ça, cet exemple-là, il est typique. Mais je pourrais multiplier les exemples semblables pour montrer que le progrès permet d'échapper aux effets contraignants des déterminations. Et il accroît, par le fait même, considérablement notre possibilité de faire des choix.

Or, si vous considérez l'univers virtuel, au sens de représentation numérisée du réel, au sens de contenu des inforoutes, vous allez découvrir que toutes ces caractéristiques dont je viens de parler: érosion des contrastes, érosion des contradictions, érosion des déterminations, tout ça s'accomplit parfaitement dans le monde virtuel. Et notamment je dirais que le monde virtuel, c'est le paradis de la liberté de choix. C'est le paradis du choix.

Quand vous êtes sur l'inforoute, la première ivresse, l'ivresse que vous vivez d'abord et avant tout, c'est l'ivresse du choix. Le monde entier vous est accessible. Vous pouvez aller chercher toutes les formes de connaissance, sous toutes les présentations que vous souhaitez. Par rapport au choix que vous avez là, le choix que vous avez devant vos 400 postes de télévision en zappant est dérisoire. Je qualifierais ce monde de l'inforoute comme le paradis du choix, comme le paradis d'une liberté conçue comme consistant à pouvoir choisir.

Alors, si le glissement vers le virtuel, au sens de représentation numérisée du réel, s'opère si facilement aujourd'hui, c'est parce que le monde réel caractérisé par un progrès avancé était déjà en grande partie virtuel. C'est comme ça que j'explique le succès phénoménal des inforoutes. C'est que ce choix, cette liberté conçue comme une capacité de choisir, d'échapper à toutes les déterminations, à toutes les contraintes, à toutes les responsabilités aussi, qui est la caractéristique, qui est le but du progrès, ce choix, il atteint des possibilités infinies, illimitées à l'intérieur de l'inforoute.

(11 h 40)

Et alors, j'en suis venu à la conclusion qu'il faut avoir ces choses à l'esprit constamment si on veut que les décisions qu'on va prendre en rapport avec ce phénomène-là se rattachent à des choix tout à fait fondamentaux qu'on doit faire en tant qu'individu, ou en tant que culture, ou civilisation. Je vous dirai, pour ma part, que ce progrès, qui consiste dans une liberté de choix de plus en plus grande et qui consiste à effacer les contrastes, les déterminations historiques et génétiques, etc., ne me paraît absolument pas réjouissant, ne m'apparaît pas, à moi, personnellement, être un progrès réel. C'est, au contraire, quelque chose d'extrêmement inquiétant. Donc, j'ai toujours, pour ma part, ces considérations à l'esprit quand je réfléchis sur ce phénomène-là.

Pour dire les choses autrement, puisque le projet dont je m'occupe est un projet philosophique, je me permettrai simplement de vous ramener à la quatrième méditation de Descartes où il fait cette célèbre distinction entre la liberté d'indifférence et la liberté de perfection. La liberté de perfection, pour Descartes, c'est celle qui coïncide avec la connaissance: je suis d'autant plus libre dans cette perspective que je suis plus éclairé. Alors, j'atteins le sommet de ma liberté lorsque la démonstration parfaite d'un théorème de géométrie ravit mon intelligence. Donc, la liberté de perfection est telle que le choix n'y a pas beaucoup d'importance.

À l'autre extrémité du spectre, nous dit Descartes, il y a la liberté d'indifférence. Ce qu'il appelle la liberté d'indifférence, c'est celle qui consiste à choisir entre des choses qu'on ne connaît pas. Et, si on a l'illusion, ou l'impression de choisir, ou la conviction de choisir, c'est précisément parce qu'on ne connaît pas vraiment la valeur des choses entre lesquelles on est partagé. Alors, Descartes est d'accord en cela avec la plus grande tradition philosophique; il dit: C'est le plus bas niveau de la liberté. Cette liberté qui consiste à choisir, c'est le plus bas niveau de la liberté.

Si vous observez bien nos sociétés, les fameuses libertés individuelles qu'on est en train de transformer en absolu dans le monde anglo-saxon ne sont plus rien d'autre que cette liberté de choix qui, d'après Descartes, est le plus bas niveau de la liberté. Et le concept de liberté qui est en train de triompher dans les inforoutes, c'est ce concept de liberté d'indifférence qui exclut les déterminations et notamment les déterminations historiques. Vous verrez tout à l'heure les conséquences que ces remarques-là peuvent avoir appliquées à des situations concrètes. Donc, moi, je pense qu'on doit tendre vers la liberté de perfection.

Alors, le cours de philosophie est terminé. Mais, si j'ai pris le risque de le faire, tout en sachant qu'un cours de philosophie est toujours une chose extrêmement ennuyeuse, c'est parce que je ne crois pas qu'on puisse prendre des décisions pertinentes sur une pareille question sans remonter à ces considérations fondamentales. On ne sait pas de quoi on parle, on ne sait pas ce qu'on choisit si on ne fait pas ce trajet, une réflexion de ce type-là.

Bon, maintenant, je vais aller à des considérations plus pratiques reliées aux considérations plus fondamentales dont je viens de vous parler. Tout à l'heure, j'ai été intéressé par les craintes que le Big Brother inspire à beaucoup de Québécois, notamment en ce qui concerne la tentation que pourrait avoir le gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des gens par le biais des dossiers du ministère du Revenu.

Au moment où j'en suis, mon analyse de la situation, c'est que Big Brother, dans le monde, actuellement, c'est le gouvernement américain. Et le gouvernement américain a la National Security Agency, avec ses 40 000 employés, qui sont payés à plein temps pour naviguer dans le monde des inforoutes et des banques de données. À cause de tous les outils dont ils disposent, à cause du fait que tous les logiciels sont d'origine américaine dans le domaine, que le contrôle à la fois des logiciels et de la technique, du software et du hardware est américain, je suis absolument convaincu que le gouvernement américain, les autorités américaines en savent beaucoup plus sur chaque citoyen québécois que le gouvernement québécois n'en saura jamais.

Donc, s'il y a une crainte à avoir à l'égard de Big Brother, surtout ne surestimons pas le rôle que les petites nations peuvent jouer dans ce vaste monde où toute information est accessible à qui a les moyens d'aller la chercher. Et ceux qui ont les moyens à la fois financiers et techniques d'aller la chercher partout où ils veulent, actuellement, ce sont nos voisins américains. Et on peut se réjouir d'être leurs voisins et leurs associés, mais il faut quand même appeler les choses par leur nom.

Et je me permets, à ce propos, d'attirer votre attention sur un texte qui se trouve à la page 15 de notre cahier «Inforoute ou infausseroute», où certaines questions fondamentales sont posées. Si vous voulez, je vais vous lire un passage qui est à la page 15, à la fin de la première colonne. Remarquez l'illustration: «Per Internet Unum». Cette illustration, je l'ai trouvée dans un article du magazine américain Foreign Affairs en tant qu'illustration naïve – je dis bien «naïve», parce que leur jeu est clair, là – d'un article signé par deux importants dignitaires militaires américains, Joseph S. Nye et William Owens. Le premier, Nye, c'est l'ancien président du National Intelligence Council et l'ancien secrétaire adjoint à la Défense pour les Affaires internationales dans l'administration Clinton. Il est maintenant le doyen de la John F. Kennedy School of Government, à Harvard. Le second, l'amiral Owens, est l'ancien vice-président du Joint Chiefs of Staff dans l'administration Clinton.

Donc, ce que ces gens-là disent sur l'usage que les Américains peuvent faire des réseaux de télécommunications pour accroître leur puissance est éclairé et autorisé. Je vous rappelle, à ce propos, que, pendant les 20 premières années, jusqu'à maintenant même, le réseau Internet a été l'oeuvre du ministère américain de la Défense. Il y a des partisans, il y a des adeptes de l'Inforoute tellement fanatiques, même tellement attachés à leurs droits individuels... Parce que c'est ça, le paradoxe des inforoutes: c'est le paradis des droits individuels et, en même temps, c'est la chose la plus manipulée, la plus structurée, la moins démocratique du monde. C'est le ministère de la Défense des États-Unis qui a lancé le projet, qui a géré, supervisé toutes les premières phases de son développement. Il se trouve des gens assez naïfs pour penser qu'il a pu faire ça dans l'intérêt de l'armée russe ou chinoise. Il y a là une naïveté considérable que les deux auteurs dont je vous parle ont dissipée de façon, à mon avis, on ne peut plus claire.

Et voyez ce qu'ils disent. «En vérité, écrivent-ils, c'est le XXIe siècle qui apparaîtra un jour comme ayant été, au plus haut point, celui de la suprématie américaine[...]. La beauté de l'information comme source de puissance, c'est qu'en plus d'accroître l'efficacité des armes au sens le plus concret du terme, elle démocratise les sociétés de façon inéluctable.» Bon, il faut voir ce qu'ils entendent par «démocratiser»; ce n'est peut-être pas la même conception que la vôtre. Il y a un choix à faire, là. Mais ils sont clairs: «Nous voilà au seuil de ce qui pourrait bien se révéler être la plus extraordinaire entreprise, sinon de désinformation systématique, du moins, de mésinformation.»

(11 h 50)

Je vais illustrer mon propos par un exemple très concret pour montrer le pouvoir dont on dispose quand on contrôle ces outils-là, par un exemple très simple. Il y a eu, en juin dernier, le congrès INET à Montréal, le congrès de la Internet Society. J'ai voulu savoir ce que les Français en pensaient, de ce congrès-là et, sur les inforoutes, j'ai utilisé un outil de recherche très utilisé, Lycos, et j'ai inscrit «Radio France». Je voulais avoir l'adresse du site Internet de Radio France où on donne des émissions qu'on peut capter. Alors, premier message qu'on m'envoie, premier objet sur lequel on attire mon attention, ce n'est pas le renseignement que je cherchais, c'est un article paru dans la presse américaine six mois auparavant protestant contre une loi française pour protéger la culture française en France. Le texte était d'une habileté parfaite. Au fond, le texte revenait à dire: Voilà un gouvernement français centralisateur, fasciste, entre guillemets – le mot n'était pas là, mais on le sentait venir – qui va priver les jeunes Français de l'accès à la musique qu'ils aiment. Et quelle est la musique qu'ils aiment? La musique américaine, évidemment.

Alors, les gens qui contrôlent les outils de recherche comme Lycos – et, entre parenthèses, tous les outils de recherche à l'échelle internationale sont américains; je ne veux pas entrer dans les détails techniques, mais c'est très important, ce que je suis en train de dire là, sur le plan très concret – peuvent décider que, à la requête «Radio France», le premier élément qui apparaît comme réponse, c'est cette propagande. Et ils le font, j'en ai eu la preuve.

Promenez-vous un petit peu sur Internet, vous allez voir qu'il n'y a rien de plus facile à faire. Ils le font. Ils vont le faire de plus en plus subtilement au fur et à mesure qu'on va les critiquer, qu'on va surveiller ce qui se passe. Mais ils le font, et c'est une des raisons pour lesquelles je recommande fortement que, ou bien le Québec se dote d'un pareil outil de recherche, qui a une envergure mondiale, ou bien que l'ensemble des pays francophones mettent leurs efforts ensemble, en collaborant avec les hispanophones, s'il le faut, mais qu'il y ait au moins, progressivement, des outils de recherche internationaux puissants qui ne soient pas américains. Ils le sont tous, actuellement.

Donc, en l'occurrence, cette propagande américaine que les jeunes Français peuvent capter est une forme de déstabilisation du gouvernement français parce que, au nom des libertés individuelles, on monte les jeunes contre leur propre gouvernement. Et les gens qui font ça savent ce qu'ils font. «Démocratisation» ne signifie pas ici accès du peuple au pouvoir, mais bien plutôt rupture des liens conviviaux, des pactes sociaux et des solidarités qui constituent précisément un groupe humain comme peuple, par distinction notamment d'une masse constituée d'individus atomisés et, par là même, aisément manipulables. De la sorte, et littéralement, un réseau en détruit un autre. Notons par ailleurs que ce sont les médias eux-mêmes, pour une bonne part, et non pas seulement les contenus destinés à produire ce résultat qui contribuent à faire éclater les sociétés.

Je cite encore Owens et Nye: «On a désormais la preuve que les changements technologiques et économiques sont des forces de fragmentation induisant la formation de marchés libres plutôt que des forces répressives renforçant le pouvoir central». Il y a plus de sophismes que de mots dans une pareille phrase. C'est pourquoi j'ai pris la liberté de traduire «pluralizing forces». Ce qu'ils appellent «pluralizing forces», j'appelle ça, moi, des forces de fragmentation. Le reste de l'énoncé incite le lecteur à confondre un État-nation centralisé, comme la France, avec les dictatures, par définition centralisées, comme le furent l'Allemagne nazie ou la Russie soviétique. Bien entendu, la conception grecque de la cité, qui repose elle-même sur l'idée que l'homme est un animal naturellement social, est évacuée ici au profit de l'idée selon laquelle une société est et doit être une collection d'individus ayant des droits protégés par un État.

En termes plus directs et plus clairs, le message de Nye et Owens est le suivant: Les nouvelles techniques de communication sont un instrument puissant qui permettra de détruire tout ce qui, dans les cultures, recèle un ferment de vie communautaire authentique. Un homme qui se branche est un homme qui se déracine de ce point de vue là, ce qui, en dernière analyse, ne peut que servir l'hégémonie des États-Unis.

On peut certes préférer vivre sous un parapluie américain plutôt que sous un parapluie chinois, japonais ou européen. On peut même, à la rigueur, se réjouir à l'idée que l'avance prise par les États-Unis dans les techniques de communication puisse retarder de quelques décennies, le cas échéant, l'éventuelle hégémonie de la Chine, par exemple. Mais faut-il pour autant accepter d'être soumis à l'«agenda setting» de quelque pouvoir que ce soit? La pax americana sera-t-elle un concert de nations ou un empire mondial érigé sur la ruine des nations?

Pour moi, l'«agenda setting», c'est une notion... Les demi-gouvernements comme le gouvernement du Québec – bien oui, on est un demi-pays – ne savent peut-être pas ce que c'est, ils n'ont peut-être pas une solide expérience de l'«agenda setting» à l'échelle mondiale. Mais l'«agenda setting» – excusez l'expression anglaise, la traduction française que je connais est une longue phrase – c'est une chose extrêmement importante, c'est une opération qui consiste à fixer l'ordre du jour du contenu des médias à l'avance. Et des outils comme Internet, pour réaliser de pareils objectifs, sont d'une puissance inouïe, quand on sait les manipuler.

Il y a déjà des précédents. Il y a quelques années, il y a eu un accident d'Airbus qu'on a attribué à des défauts techniques. Dans les groupes de discussion spécialisés sur l'aviation, où les enjeux sont importants, il y avait un débat à savoir: Est-ce que Boeing n'est pas techniquement meilleur qu'Airbus, etc.? Et des gens qui ont suivi ça de près ont découvert que la compagnie Boeing, par le moyen des réseaux internationaux Internet – vous savez, il y a moyen, sans quitter Seattle, d'envoyer un message qui a l'air de venir d'Helsinki – les gens de Boeing faisaient converger, dans tous les groupes de discussion sur l'aviation, des messages qui avaient l'air de venir du monde entier et qui donnaient le sentiment que le monde entier condamnait la technologie d'Airbus, tout ça par une simple manipulation des réseaux.

C'est ça, la puissance qu'on détient par le fait même qu'on connaît les technologies et qu'on a fabriqué soi-même les logiciels pour les utiliser. Et c'est ce qui fait que les Américains peuvent dire d'eux-mêmes qu'ils ont là, sur le plan des télécommunications, une avance qui a une signification politique et militaire telle que jamais aucun pays n'en a eu une semblable. Sur le plan militaire, le contrôle de l'information a permis aux États-Unis de gagner la guerre du Golfe avec quelques centaines de morts. Ça ne s'est jamais vu dans l'histoire, une chose pareille. Et probablement que, si cette guerre avait lieu aujourd'hui, c'est trois ou quatre morts qu'il y aurait.

C'est pour ça que, dans les médias internationaux, une vie américaine paraît plus importante que des millions de vies de n'importe quel autre peuple, puisqu'ils en sont... Quand il y a un navigateur américain qui meurt en Yougoslavie, on en parle pendant un mois comme d'un événement majeur, pour une raison très simple, c'est que les Américains, à mon avis, grâce au contrôle qu'ils ont de l'information, sont de tous les peuples de l'histoire celui qui s'est rapproché le plus du pouvoir absolu. Et, d'après tout ce que je lis depuis quelques années surtout, ce pouvoir s'accroît. La marge par rapport aux autres peuples, aux autres pays, aux autres puissances s'accroît plutôt que de se réduire.

Alors, tout ceci, ce que je veux... Vous m'aviez donné 20 minutes que j'ai déjà dépassées, je m'excuse. Dans la suite de notre rencontre, je pourrai aborder les autres points qui sont dans le rapport ou dans... Mais je voulais mettre l'accent sur cet aspect fondamental: l'utilisation délibérée par les autorités américaines de ces réseaux en tant que «pluralizing forces», ce que j'appelle «forces de fragmentation».

Et permettez-moi d'ajouter une précision pour indiquer la portée précise de cet objectif. Nous savons par l'expérience, et beaucoup d'experts nous l'ont dit, que les médias comme la radio et la télévision, déjà, ont pour effet de déstabiliser des institutions telles que l'école, la famille ou les églises et les nations. Pour une raison très simple, c'est que, dans une famille, par exemple, l'autorité des parents sur les enfants, dont dépend la structure et la force de la famille, est reliée au contrôle de l'information. Quand – à l'époque de mes grands-parents, c'était comme ça, en tout cas – ce sont les parents qui enseignaient aux enfants à chanter les chants qui venaient de la tradition, les parents avaient le prestige que les vedettes de la télévision ont maintenant dans les familles.

(12 heures)

Tout ça faisait que les institutions étaient plus solides. La même chose pour les écoles. Déjà, on sait – Neil Postman, entre autres, en a parlé – que la radio, la télévision, ces médias ont eu pour effet de déstructurer les institutions en question. Alors, on peut être assuré qu'un réseau comme Internet a ce pouvoir à un degré encore plus élevé que tous les autres médias, et c'est ce qui m'amène à dire que désormais une des grandes responsabilités des parents comme des directeurs d'école, comme des responsables des cultures ou des peuples, etc., à moins qu'on décide qu'il n'y aura plus qu'une masse à l'échelle planétaire d'atomes reliés directement au grand État central américain... Ça, c'est une autre hypothèse que je refuse pour l'instant. Alors donc, il me semble qu'à tous ces niveaux une des tâches essentielles des responsables va être de filtrer l'information d'où qu'elle vienne, et je pèse mes mots.

Je prends la métaphore de la cellule, si vous voulez. Dans L'Agora , il y a un grand spécialiste, un grand biologiste québécois qui vit aux États-Unis, qui fait chaque mois un article remarquable. Il nous en a fait un il y a quelques mois sur le principe de clôture, nous rappelant que, à toutes les échelles de la vie – prenons l'exemple de la cellule – à toutes les échelles des êtres vivants, le principe de la clôture s'applique. La membrane de la cellule, c'est la clôture qui permet de protéger la chaleur accumulée, l'énergie accumulée à l'intérieur de la cellule et qui en même temps permet de filtrer l'information qui vient de l'extérieur. Donc, la membrane de la cellule joue le double rôle de filtrer l'information et de protéger l'énergie accumulée à l'intérieur. On peut étendre cette considération à l'ensemble des phénomènes culturels et sociaux. Chaque institution, comme chaque individu, a besoin de sa membrane pour conserver sa consistance et pour gérer son rapport avec le monde extérieur.

Actuellement – et c'est pour ça que ces outils-là donnent une puissance terrifiante à ceux qui les contrôlent – lorsque la famille, l'école, les nations, les peuples ne peuvent plus filtrer ce qui arrive de partout, lorsque les individus eux-mêmes ne peuvent plus exercer leur jugement, qu'est-ce qui se passe? Il se passe que c'est l'équivalent d'un bombardement. Ça déstructure, tout est déstructuré, et, au lieu d'avoir un contrôle sur leur environnement accru par l'information, ils sont, au contraire, de plus en plus impuissants.

Puisque, au fond, l'enjeu de tout ça... La responsabilité qu'on a face à ce phénomène-là, c'est de faire en sorte qu'il rende les individus et les petites collectivités plus autonomes et plus puissants plutôt que de renforcer des grandes puissances qui ont déjà un excès de puissance. Alors, ce but – renforcer la puissance des individus et des petites collectivités qui font que les sociétés se constituent un peu comme des organismes vivants – ne pourra jamais être atteint s'il n'y a pas une extrême vigilance dans toutes les institutions à l'égard de l'information qui entre. Et je pense que c'est dans cette perspective très large qu'il faut poser le problème de la censure. Je ne sais pas comment on va pouvoir faire face à ce problème-là qui est considérable.

Bon, voilà. Alors, j'ai déjà abusé de mon temps. Et les propos plus particuliers que je tiens sur l'école, tout ça, sont dans le prolongement de ce que je viens de vous dire.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: M. Dufresne, merci d'abord de votre apport en général à toute la pensée québécoise et de votre place dans L'Agora , sur la place publique, justement. Par votre préoccupation philosophique fondamentale, vous apparaissez un petit peu, ce matin, pour ceux que l'inforoute enthousiasme, comme un empêcheur de tourner en rond. Je ne sais pas si la CIA va vous donner le choix du poison, de boire la ciguë ou... Ha, ha, ha! Enfin, vous appeliez tantôt Descartes à la table, vous parliez de la liberté d'indifférence qui est au fond...

M. Dufresne (Jacques): Je suis honoré de pouvoir parler de Descartes dans les bureaux de l'Assemblée nationale d'un gouvernement nord-américain.

M. Gaulin: Très honoré de vous entendre aussi, M. Dufresne. En vous entendant citer Descartes sur la liberté d'indifférence, je pensais à une chanson de Rivard. Je pense que, si Camus avait été à Montréal, il aurait écrit la même chanson que Michel Rivard, «L'inconnu du terminus»: «Il redemande une autre bière; c'est le grand rôle de sa carrière. On est toujours inconnu au terminus de la nuit; on est une ombre que le néon poursuit.» Je pense que vous vous inscrivez d'ailleurs comme intellectuel un petit peu dans la pensée aussi de Godbout. Si on regarde son dernier film sur qui a gagné sur les plaines d'Abraham, pour lui, la réponse, c'est les États-Unis. C'est la pensée de Warren aussi, qui est un professeur de cinéma important, qui d'ailleurs a toujours, pas dénoncé – ce n'est pas le mot qui serait bon – mais indiqué l'efficacité du cinéma, du champ cinématographique états-unien en particulier qui occupe 90 % de l'espace cinématographique mondial.

C'est sûr qu'il y en a qui nous disent: Les Américains prennent beaucoup de place; prenez la vôtre et puis arrêtez de critiquer. Mais, moi, j'aimerais savoir, puisque je vous définirais peut-être un peu comme, pour reprendre encore Camus, un pessimiste constructif, comment vous voyez l'inforoute par rapport à la liberté de perfection que vous évoquiez aussi tout à l'heure. Et, si j'ai bien compris, ce serait plutôt dans le sens de la formation critique des gens, de montrer à cribler ce qui passe par l'autoroute, à regarder ce qui rentre dans l'information, à regarder ce qu'on va y communiquer, etc.

M. Dufresne (Jacques): C'est que, vous savez, moi... Je vous parlerai tout à l'heure d'un projet d'encyclopédie nationale dont je me suis fait le promoteur il y a longtemps et dont je pense qu'il est temps de le faire, puis Internet offre, de ce point de vue là, des possibilités extraordinaires qu'il faut saisir. Je me réserve ça pour la fin.

J'ai eu le bonheur d'avoir des maîtres, comme beaucoup, mais des maîtres qui m'ont passionné pour la poésie. Je suis habité par une foule de poèmes qui sont ma vie intérieure pour l'essentiel. Alors, un de mes rêves – ha, ha, ha! – c'est de faire connaître, c'est de partager cette joie que la poésie me donne avec les jeunes Québécois, entre autres. Alors, comment on fait pour faire découvrir «Le cimetière marin» de Valéry à des jeunes Québécois qui ne savent pas du tout que Valéry existe, etc.? Alors, je réfléchis à ces questions-là de façon très concrète. Comment construire une base de données pour Internet de façon à ce que les gens qui vont la fréquenter trouvent plus que ce qu'ils cherchent?

Ça suppose deux choses: que le jugement s'exerce et qu'on reconnaisse les critères, qu'on puisse repérer les critères du jugement qui s'exerce. Qu'on dise: C'est le choix d'un tel ou c'est le choix de tel groupe, hein, qu'on ne soit pas trompé, là. Mais il faut que le jugement s'exerce. Ça, à mon avis, c'est la grande, grande urgence, le grand défi à relever, parce que c'est dans la mesure où le jugement s'exercera qu'on va s'élever de la liberté d'indifférence à la liberté de perfection. C'est dans cette mesure-là aussi qu'il y a des hiérarchies qui vont apparaître et qu'on pourra donner aux jeunes en particulier qui utilisent ces outils-là encore plus que ce qu'ils y cherchent.

Ça nous a amenés, par exemple... Moi, j'ai fait une anthologie de la poésie qui va être sur Internet très bientôt, mais, quand on l'a faite, on s'est dit: On va introduire dans notre base de données une chose qu'on a appelée l'extrait significatif. Vous vous souvenez, «dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous?», bon, dans «Bérénice»? Les grands poèmes, on en retient souvent le vers le plus significatif: «Ariane, ma soeur, de quel amour blessée, vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée!»

M. Gaulin: La plus harmonieuse, souvent.

(12 h 10)

M. Dufresne (Jacques): Bon. On retient les plus beaux vers. Et, nous, on a pris les plus beaux vers de chacun des poèmes qu'on a choisis, on les a mis en extrait significatif, de sorte que celui qui va cliquer sur le mot «vie», s'il y a des poèmes qui ont rapport à la vie, celui qui va cliquer dans notre base de données sur le mot «vie», il va voir apparaître un poème de Victor Hugo, «Booz endormi», qui évoque particulièrement bien la vie. Mais il va voir apparaître aussi un extrait significatif, de sorte que, même s'il ignore tout du poème en question, il va pouvoir, par l'extrait significatif, y arriver. Alors, je dis que tous nos efforts doivent porter non seulement...

Donc, j'ai noté avec intérêt que la nouvelle vague de subventions accordées pour les inforoutes porte sur les contenus, mais il faut mettre l'accent non seulement sur les contenus en général, mais sur la qualité des contenus, sur l'exercice du jugement dans l'élaboration et la présentation des contenus. Autrement, ça demeure un univers qui s'effondre, multiforme, à l'intérieur duquel les jeunes surtout ne peuvent pas se retrouver, hein? Ils vont aller dans toutes les directions s'il n'y a rien qui les invite à une approche qui les aide à se structurer, à s'élever eux-mêmes. Et là ça nous place, ça, devant cette... Bon. Donc, jugement, jugement, jugement partout, ha, ha, ha!

Et un des problèmes évidemment que ça crée, c'est que, dans les sociétés éclatées comme la nôtre, il n'y a pas de consensus possible, sur aucune question fondamentale. C'est pour ça que je dis: C'est difficile d'imaginer un État qui supervise directement, qui contrôle directement des contenus hiérarchisés de la façon dont je parle. Alors, moi, j'ai une approche plus pluraliste. Je dis: Qu'on laisse se définir dans le paysage virtuel diverses constellations repérables aux valeurs qu'elles défendent, mais qu'à l'intérieur de ces constellations – ces métaphores intergalactiques, constellations, font partie de l'histoire d'Internet; c'est pour ça que je les emploie – il y ait des choix possibles, que le jugement s'exerce, qu'il y ait des hiérarchies. Ça, ça me paraît... Alors, est-ce que ça répond à votre question?

En pensant bien que tout conspire aujourd'hui à discréditer le jugement. Je me souviens d'un article du Time Magazine , un essai, il y a une dizaine d'années, «No judgement society». Tout conspire à discréditer le jugement. On se cache toujours derrière des statistiques ou des données prétendues scientifiques pour éviter de juger. D'ailleurs, si je me permets de m'adresser à celui qui a eu l'heureuse idée des états généraux sur l'éducation, la grande, grande question qui est au coeur de l'éducation est aussi au coeur de la chose dont on parle: c'est que le jugement ne s'enseigne pas. C'est une des grandes constatations qu'on doit à Emmanuel Kant: le jugement ne s'enseigne pas. C'est pour ça que vous pouvez avoir des théoriciens de la médecine extraordinaires ou des théoriciens de la pédagogie... Ce qu'on a oublié dans les sciences de l'éducation, c'est que le jugement ne s'enseigne pas. On a formé plein de théoriciens qui dans la pratique échouent parce que la pratique est basée sur le jugement qui ne s'enseigne pas, qui s'apprend sur place, dans l'expérience. Donc, dans Internet comme ailleurs, il faut réhabiliter le jugement en sachant qu'il ne s'enseigne pas, qu'il se pratique.

Le Président (M. Garon): Alors, je vous remercie, M. Dufresne. Je ne pensais pas que quelqu'un me parlerait du plus beau vers. Je vais vous dire que le plus beau vers, pour moi, qui m'a toujours inspiré depuis des années, c'est un vers de Baudelaire dans «Correspondances».

M. Dufresne (Jacques): Oui.

Le Président (M. Garon): Je trouve qu'il est vrai à tous les jours. C'est: «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.» Je le constatais ce matin en sortant de la maison puis en voyant les belles couleurs, la corneille qui chantait – si on peut appeler ça un chant – le parfum du matin. Et je trouvais que c'était encore vrai: c'est encore le vers de Baudelaire qui est le plus beau.

M. Dufresne (Jacques): Et, derrière ces vers de Baudelaire, il y a en filigrane la paideia grecque, l'idée de la formation de l'homme par la cité. La correspondance que Baudelaire établit entre les parfums et les sons, les Grecs l'établissaient entre l'architecture, la peinture, la rhétorique et la philosophie. Et justement, si on voulait faire une encyclopédie virtuelle qui soit une oeuvre plutôt qu'une accumulation de faits ou de connaissances, il faudrait se soucier d'établir des correspondances de type baudelairien entre les images, les sons et...

Le Président (M. Garon): Les parfums.

M. Dufresne (Jacques): ...les pensées en général. Beau défi!

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. Évidemment, M. Dufresne, comme toujours, nous convie à des réflexions d'une hauteur certaine. Vous ayant beaucoup lu, M. Dufresne, je savais que vous étiez fondamentalement un théoricien de la société de masse. Mais, là, vraiment, vous venez d'apparaître à mes yeux dans une transparence à peu près absolue de ce point de vue là, par exemple, lorsque vous mentionnez les travaux de Postman qui est aussi un théoricien de la société de masse. Il y a des intuitions fécondes chez les théoriciens de la société de masse. Je pense à votre diagnostic de départ à l'effet que la technologie ne porte pas nécessairement l'espoir de l'émancipation humaine, à l'usage que vous faites de la distinction cartésienne entre la liberté de perfection et d'indifférence. Mais, moi, je ne suis pas d'accord avec vous sur cette montée incessante de l'hégémonie américaine. Je pense que les États-Unis sont, tout au contraire, dans une situation de déclin qui pourrait... Mais enfin, ça, c'est une question très générale.

L'an passé, j'ai assisté à McGill à une conférence de peut-être la plus grande autorité mondiale dans ce domaine du software, du logiciel de toute espèce: Roger Schank qui est un professeur de l'université d'Illinois à Chicago, qui a créé cet institute of cognitive studies où toute la stratégie vise justement à trouver comment on peut – j'ai essayé de faire passer ce mot-là à l'Office de la langue française, mais sans jamais y réussir – «empouvoirer»...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: ...l'individu – ça n'a jamais passé, ça – ou les collectivités dans le but justement de les amener à se doter d'une capacité d'émancipation dans cet environnement technologique nouveau.

Mais mes questions, c'est... Je pense qu'il y a beaucoup d'aspects de votre diagnostic avec lesquels on peut être d'accord, d'autres sur lesquels on peut avoir des réserves, peu importe. Mais la question que je veux poser, c'est la suivante. D'abord, je pense que, si je vous ai bien compris... Je veux savoir si je vous ai bien compris, parce que vous avez mis l'accent – et ça, on est parfaitement d'accord là-dessus – sur l'importance primordiale des alliances stratégiques, en particulier au sein de la francophonie; mais ça pourrait être aussi des alliances stratégiques sur des ensembles linguistiques ou culturels beaucoup plus larges. Moi, je pense que ces alliances-là sont évidemment essentielles, mais je pense que ces alliances-là, elles vont se dessiner d'autant plus facilement que déjà on observe à l'échelle mondiale des manifestations d'insatisfaction active par rapport à l'expansion de la puissance américaine que vous avez mentionnée tantôt.

J'ai écrit un texte là-dessus, moi, qui s'appelle «Les défis de l'aménagement des langues à la fin du XXe siècle» et j'avais là-dedans des citations qui venaient d'un bon article du New Yorker dans lequel la journaliste montrait, par exemple, comment commencent à se manifester les résistances politiques à l'expansion de CNN en Amérique latine. O.K.? Parce que, comme vous le disiez tantôt, c'est vrai que le CNN non seulement diffuse l'information en anglais, en américain, mais il diffuse de l'information à partir de journalistes américains eux-mêmes plutôt que d'utiliser les ressources journalistiques locales. Donc, on est d'accord pour dire que les alliances stratégiques à l'échelle des ensembles linguistiques et culturels, c'est vraiment essentiel, et ça, je pense que ça devrait faire partie d'une des pistes qu'on devrait examiner dans cette commission-là.

(12 h 20)

Mais il y en a d'autres, et je voudrais vous entendre là-dessus. C'est pour ça que je reviens à ce que disait Schank. Il me semble qu'il faut aussi envisager des réformes profondes de l'enseignement pour pouvoir amener les individus à devenir des créateurs de leurs propres technologies. Par exemple, Schank montrait que toutes ces... Et, sur ce point de vue là, au Québec, actuellement, je pense qu'on est vraiment dans une fausse piste. L'idée d'acheter pour 500 000 000 $ d'ordinateurs, c'est complètement ridicule tant et aussi longtemps que vous n'avez pas appris au monde à créer du contenu pour le mettre dans les ordinateurs en question.

Je voudrais vous entendre sur les réformes du système d'enseignement qui vous apparaîtraient comme opportunes dans le but d'essayer de prévenir les tendances que vous avez mentionnées tantôt, puis je termine justement en disant simplement ceci: J'ai trouvé que votre introduction philosophique était très intéressante. Ce que vous avez dit sur le virtuel, j'ai trouvé ça très, très éclairant parce que, comme vous le disiez, le virtuel, lorsqu'on fréquente un peu l'Internet, on le voit, c'est vraiment le paradis de cette liberté d'indifférence dont vous avez parlé. Mais est-ce qu'il n'y aurait pas, par une transformation de l'enseignement... Sur quoi devrait-on mettre la priorité, par exemple? C'est ça, ma question.

M. Dufresne (Jacques): J'ai des idées assez claires là-dessus. La première conférence que j'ai donnée, il y a 15 ans peut-être, à un groupe d'informaticiens s'intitulait «Une heure d'écran, une heure de cosmos». Je n'ai pas changé d'idée sur cette question-là et, il y a deux ans, à propos du Musée des sciences du Québec, j'ai écrit un texte intitulé «Les maisons de la découverte». Je proposais un musée des sciences décentralisé, chaque élément étant relié par Internet, et certaines de ces idées-là ont été retenues dans le rapport que M. Arpin, si je ne m'abuse, a déposé à la demande de M. Parizeau.

Et chaque maison de la découverte dont je parlais dans ce document... C'étaient des maisons justement par opposition aux grands édifices qui effraient les enfants. Et je me disais: Il faudrait trouver un moyen d'attirer les enfants qui vont dans les arcades dans un lieu un peu plus structuré où ils vont apprendre quelque chose; d'où mon idée de maisons de la découverte qui pourraient se trouver dans des quartiers... Mais la grande caractéristique de ces maisons de la découverte, c'est qu'il y aurait, d'un côté, les hautes technologies, mais, de l'autre, un retour aux sciences de l'observation, parce qu'on va provoquer un déséquilibre dans les êtres humains gravissime si on ne met pas tout en oeuvre pour équilibrer le glissement vers le virtuel et vers le formalisme qui le caractérise, si on ne met pas tout en oeuvre pour remettre les jeunes en particulier en contact avec le réel.

Donc, paradoxalement, c'est beaucoup plus le rapport avec le réel, avec la nature, avec le cosmos qui contient les réserves de créativité nécessaires au développement des nouvelles technologies que les nouvelles technologies elles-mêmes. Autrement dit, vous voulez qu'un enfant devienne un grand créateur d'Internet? Faites-le passer ses vacances à ramasser des grenouilles, à courir dans les champs, à s'imprégner de la nature, de la vie, etc. C'est comme ça que vous allez féconder son imaginaire et, une fois qu'il sera fécondé... Donc, moi, je suis très, très, très sceptique quant à l'usage des inforoutes, de leur contenu et des ordinateurs pour le développement intégral des jeunes. C'est un outil comme la machine à écrire, un peu mêlé avec... mais pas plus que ça.

Récemment, je donnais une conférence à un groupe de parents. Il y a une dame qui me pose une question. Angoissée, elle me dit: Le professeur vient de dire à mes enfants que, si on n'avait pas Internet à la maison, il ne se développera pas intellectuellement correctement. Je lui ai dit: Montrez-moi ce prof que je lui casse la gueule. Comment a-t-il pu oser dire une chose pareille? D'abord, qu'est-ce qu'il en sait? Deuxièmement, cette femme-là avait le bon sens... Elle vit à la campagne. Elle a dit: Moi, j'aime mieux voir mes enfants, quand ils arrivent de l'école, aller pêcher dans le ruisseau, se réjouir à courir dans les bois plutôt que pâlir devant un écran cathodique. Bien, je crois que c'est cette femme-là qui a raison, et puis il faut interdire de parole les pédagogues qui vont culpabiliser la population parce que des enfants contemplent le soleil et la nature plutôt que d'être devant un écran cathodique. C'est quand même... On en train de confondre tout.

Les médias, le mot le dit, sont des médias, des intermédiaires. Des intermédiaires entre quoi? Entre nous et le réel. Et ils accomplissent leur destin en disparaissant. Idéalement, on ne regarde pas des films sur l'amour pour voir des films sur l'amour indéfiniment. Autant que possible, c'est dans le but d'être capables d'aimer un jour, j'espère! Autrement, on devient des otakus. Bon. Les médias ont pour finalité de disparaître pour nous laisser dans la connaissance immédiate d'où viennent toutes les béatitudes. Ha, ha, ha! Alors donc, je pense que j'ai répondu à votre question. J'y réponds d'une autre manière pour ce qui est de la place à occuper sur...

J'ai une petite demande à vous faire. On a fait des efforts pour proposer des mots français. Vous savez, le mot anglais par excellence, c'est «bit», dans le domaine de... Alors, nous, on propose «émi» pour remplacer «bit». Si vous pouvez nous aider à le diffuser... «Émi», c'est «élément minimal d'information», puis, en plus, dans le mot «émi», il y a l'idée d'émission. C'est plus subtil que «bit». Alors, il faut faire des efforts, il faut les inventer, les mots.

M. Laporte: M. le Président, un commentaire sur ce que vient de dire M. Dufresne.

Le Président (M. Garon): Oui, puis après ça je vais passer à la députée de Rimouski qui a demandé la parole.

M. Laporte: Moi, je suis bien d'accord avec vous, M. Dufresne, mais je pense qu'il faut penser ces choix en termes de complémentarité plutôt qu'en termes d'opposition. Je prends un exemple que je connais assez bien, l'enseignement de la médecine, parce que ma femme est médecin puis elle enseigne la médecine, puis c'est une profession que j'ai fréquentée. J'ai créé un département de sciences du comportement avec les médecins de l'Université de Sherbrooke, et ainsi de suite. C'est sûr que, dans l'enseignement de la médecine, si on allait vers un divorce entre le travail clinique auprès du patient...

M. Dufresne (Jacques): Oui.

M. Laporte: ...et l'utilisation du logiciel technique dans le but d'une connaissance meilleure de la maladie... Mais, en fait, ce qu'on trouve dans l'enseignement des grandes écoles de médecine, actuellement, c'est qu'on combine les deux. Vous avez des étudiants qui passent du temps à faire du «bedside manner», comme ils disent, et qui reviennent ensuite de ça à l'école ou dans une chambre pour pouvoir examiner à l'aide de logiciels de travail clinique les processus de maladie, les mécanismes de maladie. Donc, tout ça, comme vous dites, ce serait très bon si vos enfants pouvaient, d'une part, aller faire de l'observation des grenouilles puis revenir chez eux pour travailler sur la grenouille sur un logiciel.

M. Dufresne (Jacques): Bien, c'est ça. Ha, ha, ha! Je suis d'accord. Le problème, c'est qu'il y a un déséquilibre actuellement très fort en faveur du virtuel et du logiciel, et c'est ça qui m'inquiète.

La médecine, c'est un sujet que je connais un peu. Et, si vous lisez la description que Balzac fait des médecins de son époque, du sens du diagnostic qu'ils avaient, vous vous apercevez que la médecine comme art a presque complètement disparu. Alors, quand vous avez des médecins qui ne savent plus regarder des corps, hein, qui ne savent plus deviner qu'un mal de dos est lié au fait qu'une personne à l'usine fait le même geste depuis 15 ans, si vous mettez des logiciels dans les mains de ces médecins-là avant d'avoir formé leur regard dans la clinique, vous risquez d'en faire des monstres. Par exemple, vous savez très bien qu'un des problèmes des logiciels de diagnostic, c'est que tout à coup le diagnostic vous saute aux yeux, hein, puis ce n'est peut-être pas le bon. Non, mais ça cause une série de problèmes.

Moi, je suis tout à fait d'accord avec vous. Un bon logiciel de diagnostic, c'est un outil prodigieux. Personnellement, si j'étais l'objet d'un diagnostic grave d'un médecin qui n'a pas utilisé un logiciel, je le ferais contrôler par quelqu'un qui a utilisé un logiciel. Ils peuvent tenir compte d'une multitude de variables, tandis que le médecin le plus formé, qui a la meilleure mémoire est limité à une dizaine de variables. Ça, ça me paraît indiscutable.

Le problème, c'est que, dans ce domaine-là comme dans tant d'autres, il y a, surtout si on situe le développement... Parce qu'il faut bien voir... Une des choses que j'ai tenté de démontrer dans mes divers travaux sur la question, c'est que l'ordinateur est l'aboutissement de trois siècles de formalisme en Occident, dans les mentalités comme dans les sciences et les théories. Qu'est-ce que c'est que le formalisme? Le formalisme, c'est la pensée par signes purs par opposition à la pensée en interaction avec la réalité. Alors, on est tellement imprégné de formalisme que, déjà au point de départ, on est défavorisé pour ce qui est de ce que j'appelle la symbiose avec le réel et avec la vie.

(12 h 30)

Donc, le coup de barre qu'il faut donner actuellement n'est pas du côté du formalisme; il est du côté de la réinsertion dans le réel, à moins qu'on se fasse de l'homme une conception totalement différente de celle que la grande tradition, dont je me réclame, m'a apprise. Moi, je crois à la division tripartite – je ne veux pas entrer dans les détails – de l'âme humaine; je crois qu'on a un côté végétal et un côté animal qu'on doit conserver et que là ce qu'on est en train de développer, compte tenu du formalisme qui domine tout, on est en train de provoquer une hypertrophie du cortex par opposition aux zones inférieures, qui ne sont inférieures que parce que nous décidons qu'elles le sont.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Rimouski.

Mme Charest: Moi, c'est juste un commentaire. Je dois vous dire, M. Dufresne, que je trouvais, dès le départ, votre exposé rafraîchissant dans tout ce débat qui entoure l'inforoute, Internet, et j'allais dire même toute la quincaillerie. Je pense que, là-dessus, en tout cas, moi, vous me rejoignez beaucoup parce que vous posez des questions qu'on ne doit pas évincer comme ça du débat. Au contraire, je pense que ce sont des points de départ. Et rappeler le rapport du virtuel par rapport au monde réel, il me semble qu'il y a là un point fondamental qu'il faut sans cesse marteler comme question ou comme débat à faire, parce que, si on ne le fait pas, il me semble qu'il y a des risques de dérapage qui sont très présents, qu'on peut même palper au moment où on se parle là-dessus.

Je suis désolée de ne pas avoir pu participer à tout votre exposé: il a fallu que j'aille éteindre un feu dans mon comté; alors, il a fallu que je sorte. Mais ce que j'ai pris de votre exposé et ce que je lis dans votre mémoire et dans votre revue par rapport à la question, il me semble que ça ne fait que bonifier notre réflexion, et, moi, je vous en remercie, parce que c'est quand même assez rare que les philosophes, les intellectuels se penchent sur une question de la sorte. On en a besoin, de votre réflexion, et je pense que, là-dessus, on ne peut qu'en profiter.

Alors, moi, je tenais à vous remercier. C'était strictement un commentaire dans ce sens-là. Les questions viendront peut-être plus tard, mais, à ce moment-là, je prendrai la liberté de vous les soumettre autrement.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke. Allez-y, madame.

Mme Malavoy: Je vais vous tendre une perche, M. Dufresne, que vous allez prendre avec plaisir, parce que vous aviez envie de nous parler, je pense, de votre encyclopédie. Et, moi, j'avais envie de vous entendre justement sur les moyens qui vous semblent, à ce moment-ci, les plus appropriés pour éviter un certain nombre de pièges que vous avez fort bien exposés. Mais je suis intéressée, moi, à avoir des conclusions bientôt pour savoir quels sont les meilleurs instruments possible et qu'est-ce qu'un État doit faire dans ce vaste débat. Je serais intéressée à connaître vos propres pistes et, entre autres, la question de cette encyclopédie que vous avez évoquée rapidement, tout à l'heure.

M. Dufresne (Jacques): Écoutez, le réseau Internet lui-même, son contenu est une encyclopédie, une encyclopédie multiforme et soumise aux intérêts divers que j'ai évoqués tout à l'heure. Alors, pour moi, il n'y a pas l'ombre d'un doute, le Québec est à un stade de son évolution culturelle où il doit se doter d'une encyclopédie. Il aurait dû le faire par écrit, si on avait été à l'âge de l'écrit. J'ai travaillé moi-même, il y a une dizaine d'années, à un grand projet d'encyclopédie par écrit qui s'appelait «Les routes du savoir». Et on l'avait conçu, ce projet-là, déjà à la lumière de l'hypertexte, mais c'était trop tard pour l'écrit, trop tôt pour Internet.

Pour moi, il n'y a pas l'ombre d'un doute, c'est une encyclopédie. Compte tenu du fait que les connaissances évoluent, qu'elles sont critiquées, Internet est l'outil par excellence pour créer une encyclopédie cohérente. Et c'est un projet, en plus, comme le projet de musée virtuel qui est relié à ce projet d'encyclopédie, qui correspond aux moyens de notre société, actuellement. On n'est pas au début de la Révolution tranquille, on ne peut pas dire: Voici 200 000 000 $ pour créer l'encyclopédie québécoise, mais on sait que, dans toutes les universités, dans toutes les institutions, beaucoup de gens auront leur page Web à eux. On sait que, de toute façon, il y a du contenu qui sera introduit, on sait que les bases de données...

Par exemple, moi, je suis en train de découvrir, en créant ma propre base de données, que c'est moi qui vais en être le premier bénéficiaire. Parce que, quand j'ai une conférence à préparer, avant, j'étais obligé d'aller dans 50 directions différentes pour trouver des restes d'articles que j'avais écrits. Là, tout ça va être réuni. Internet va être un intermédiaire très efficace entre moi-même et moi-même. Et alors donc, les gens vont les mettre, leurs données. Les bases de données, ça va venir, ça, fatalement, parce que les gens vont découvrir l'utilité de ça. Donc, pour moi, une encyclopédie, ce n'est pas une chose qui serait créée de toutes pièces par un grand architecte. C'est une série de parcours intelligents entre des données qui sont là de toute manière et qui vont être là.

Alors, il s'agit pour moi de combiner les deux avantages d'Internet. Un des avantages, c'est la spontanéité, la liberté que défendent farouchement les utilisateurs. Ça, ça fait partie de la culture d'Internet. On aurait beaucoup de peine à faire en sorte que les gens travaillent dans un grand projet d'encyclopédie qui vient de Québec ou d'Ottawa et qui est centralisé. Ce n'est pas conforme à la culture de ce milieu-là, de cet outil-là. Par contre, si vous invitez les gens à faire en sorte qu'il y ait un minimum d'unité dans les techniques de présentation des contenus, si vous invitez les gens donc à respecter ce minimum d'unité et à respecter certains principes dans la façon de réunir entre elles les connaissances, on pourrait faire en sorte que...

Et je vais illustrer mon propos par un exemple très simple: j'ai créé un des premiers sites Internet, l'an dernier, au Québec, qui est celui de la municipalité régionale de Coaticook. Et ça a fait naître chez nous l'idée de faire l'atlas des MRC du Québec. Pourquoi pas? Toutes les MRC vont faire leur site Internet. Pourquoi ne pas faire en sorte qu'il y ait un lien entre elles? Pour une raison très simple: il se trouve que je suis un grand admirateur du fondateur de la sociologie au Québec, Léon Gérin, le seul grand homme qui a vécu dans notre région, à Coaticook. Mais Léon Gérin a fait des études sur Charlevoix, sur...

Bon. Alors, dans chaque MRC, on devrait faire état des travaux de Léon Gérin sur la région en question. Et, quand quelqu'un cliquerait dans un outil de recherche québécois qui gérerait ces contenus-là, quand quelqu'un inscrirait Léon Gérin, il y aurait un arbre, il y aurait même la photo des maisons où il a vécu. Bon. Mais ça, ça serait fait dans chaque... Chaque région y collaborerait. Bon. L'atlas des MRC pourrait... Même, si on veut des choses populaires, une des choses populaires actuellement sur Internet, ce sont les généalogies. Bon. Alors, vous pouvez être sûrs que le public québécois, le grand public s'intéresserait à ça. Le jour où, à l'intérieur de l'atlas des MRC du Québec, on cliquerait sur Laliberté, Lachance, puis on verrait tous les Lachance, ça va intéresser le monde.

Donc, je vous donne cet exemple-là pour dire que, pour moi, «encyclopédie», ça ne veut pas juste dire encyclopédie savante, là; ça veut dire ensemble de connaissances coordonnées; parcours intelligent, vivant, intéressant. Et ça, c'est un projet qui doit être dirigé. Ça doit devenir un projet national, mais pas au sens où l'État central prétendrait tout contrôler; au sens où il serait le tuteur ou celui qui indique, qui donne les balises. Ce qui n'exclurait pas du tout qu'à l'intérieur de ce vaste ensemble il y ait des encyclopédies. Par exemple, moi, je veux en faire une, de toute manière. Mais il va y avoir mes valeurs, mes jugements. Elle sera petite, mais d'autres pourront en faire. Et ça, ça pourrait être un projet enthousiasmant, à la mesure de nos moyens actuels.

Le Président (M. Garon): Alors, je vous remercie, M. Dufresne, d'être venu rencontrer les membres de la commission pour faire votre témoignage et donner votre vision des choses sur la consultation intitulée «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise».

Je suspends maintenant les travaux jusqu'à 14 heures, en rappelant aux membres de la commission que nous avions convenu d'une séance de travail au restaurant Le Parlementaire, salons Québec-Est et Québec-Centre, entre immédiatement, en tout cas, et notre retour à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 40)

(Reprise à 14 h 14)

Le Président (M. Garon): La commission reprend ses travaux. J'invite les porte-parole du Conseil de la science et de la technologie à s'approcher de la table: M. Louis Berlinguet, président, et M. Camil Guy, secrétaire. Nous allons entendre leur exposé. Comme vous avez une heure, normalement vous prenez une vingtaine de minutes, et puis les partis vont se partager chacun 20 minutes pour poser des questions concernant votre document. À vous la parole.


Conseil de la science et de la technologie (CST)

M. Berlinguet (Louis): Alors, M. le Président, Mmes et MM. les députés, je voudrais vous remercier, au nom du Conseil, d'avoir bien voulu nous inviter à exposer nos vues sur un sujet aussi brûlant et aussi important que l'inforoute au Québec. Vous savez que le Conseil de la science, dans ses rapports, a toujours mentionné qu'il était très important que tous les députés de l'Assemblée nationale soient au courant de ces développements-là parce qu'il nous semble que c'est un développement qui est fondamental pour le Québec. Et, compte tenu de l'important rôle que joue l'Assemblée nationale dans les orientations économiques et sociales du Québec, il était important que vous soyez informés de cela.

Je dois dire que le Conseil de la science et de la technologie, pour mettre tout ça en perspective, avec d'autres organismes, bien sûr, a réalisé, en 1993-1994, que l'inforoute de l'information prenait une importance considérable à travers le pays, à l'extérieur du pays aussi, de telle sorte que nous nous sommes inquiétés de voir le retard que semblait prendre le Québec dans le domaine. Alors, nous avons fait une série de documents dont la liste apparaît à la page 17 du document que nous vous avons donné. Nous avons, dans notre rapport de conjoncture de 1994, qui s'intitulait «Miser sur le savoir», tenu à avoir un volet spécial, le volet 2 sur les nouvelles technologies de l'information, dans lequel nous attirions l'attention du gouvernement sur le retard que nous avions et où nous donnions une série de conseils pour mettre en place rapidement une infrastructure qui nous permettrait de rattraper les autres pays et les provinces qui nous devançaient.

Suite à ce rapport sur l'autoroute de l'information, d'autres conseils, en particulier le Conseil de la langue française de M. Laporte, ont aussi fait un document sur les nouvelles technologies de l'information et la langue française. Le Conseil supérieur de l'éducation nous a suivis aussi avec un document. Et, suite à tous ces documents-là, il est sûr que les députés et les ministres ne sont pas restés indifférents. Le ministre Paillé et la ministre Rita Dionne-Marsolais ont demandé au cabinet des ministres de s'intéresser à la chose.

À ce moment-là, M. Parizeau, qui était premier ministre, a créé un comité mixte comprenant des gens qui sont dans la plomberie, disons, de l'inforoute et des gens qui étaient aussi dans la culture et dans le contenu. On m'en a confié la présidence, de ce comité-là, et c'est le secrétariat du Conseil de la science et de la technologie qui a assumé ce secrétariat. Donc, nous avons remis, en 1995, un rapport au gouvernement qui s'appelle «L'inforoute de l'information», que vous avez sans doute parcouru et dans lequel nous donnions non seulement une série de recommandations, mais des moyens pour atteindre les fins que nous nous donnions là-dedans.

Bon, nous avions rattrapé le Canada qui, lui, avait commencé aussi un comité du même genre, mais qui a pris un peu plus de temps que nous parce que c'était un peu plus compliqué, de telle sorte que, là, à ce moment-là, on avait devant nous une série de recommandations qui s'adressaient spécifiquement au Québec. Le ministre de la Culture et de la Communication du jour, qui était aussi le premier ministre, M. Parizeau, lors de la réception de notre rapport, a dit: Écoutez, c'est un rapport que j'endosse entièrement; toutes les recommandations qui sont dedans, je vais les faire miennes. Et il a lancé publiquement le mot en disant: Ça nous paraît très important. Et, suite à ce rapport et à la prise de position de M. Parizeau, il y a eu, bien sûr, la création du secrétariat de l'inforoute, qui, depuis ce temps-là, travaille d'arrache-pied pour insérer l'inforoute non seulement dans le gouvernement, mais dans les différents secteurs que nous avions à analyser.

Donc c'est un peu le résumé de notre rapport de 1995, qui s'appelait «Les nouvelles technologies de l'information», et les moyens que nous avions préconisés dans le rapport «Inforoute». Alors, ce que nous disons effectivement, c'est qu'il y a un certain nombre de principes qui nous ont guidés. Le premier, c'est que l'expansion de l'inforoute est un mouvement planétaire incontournable lié à la nouvelle économie du savoir. Deuxièmement, le Québec doit tirer parti au maximum de l'inforoute pour son développement économique, culturel et social. Troisièmement, le Québec doit profiter de l'inforoute pour diffuser la langue et la culture québécoises à travers le monde. Quatrièmement, les grands problèmes éthiques et juridiques liés à l'inforoute ne se posent pas seulement au Québec, et ils ne pourront pas être solutionnés localement. Cinquièmement, il vaut mieux adopter une attitude positive envers le changement, innover et expérimenter plutôt que de vouloir régler d'avance tous les problèmes.

(14 h 20)

Alors, le premier constat: l'expansion de l'inforoute est un mouvement planétaire incontournable lié à la nouvelle économie du savoir. Bien, on dit dans le document que l'inforoute n'en est qu'à ses débuts, que c'est un défi pour toute la société. Comme lorsqu'on a inventé l'imprimerie, l'automobile, l'avion ou la télévision, on ne sait pas trop exactement, on ne peut pas décrire exactement quelles seront les conséquences, mais il y aura des conséquences qui seront très importantes sur la vie de tous les jours et l'orientation des diverses nations.

L'expansion de l'inforoute est une expansion fulgurante. On calcule qu'aujourd'hui il y a environ 35 000 000 d'utilisateurs dans 134 pays. C'est un phénomène lié au développement de la culture scientifique et technique. Et j'insiste là-dessus parce que, nous du Conseil, nous avons toujours préconisé que, pour qu'un pays soit bien équilibré, bien sûr, il s'agit d'avoir un volet culturel, littéraire, historique très important, mais je pense que la civilisation actuelle – et on le voit à tous les jours, que ce soit le microphone devant nous, que ce soit la lumière, que ce soit la télévision ou n'importe quoi – je pense que tout ce qui nous entoure actuellement est dû à des innovations scientifiques et technologiques, à des découvertes que des hommes de science, des techniciens ont faites. On ne devrait pas considérer ces gens-là comme étant des gens maléfiques qui créent de nouvelles inventions pour embêter tout le monde, mais, au contraire, voir ces gens-là comme des gens qui essaient d'aider et de faciliter le travail des individus.

C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup insisté dans nos documents pour qu'au Québec la culture scientifique et technique se développe parce qu'elle nous paraît absolument essentielle pour l'an 2000, pour que nos enfants, nos petits-enfants puissent non pas devenir des hommes de science ou des femmes de science, mais puissent comprendre le rôle que la science et la technologie jouent dans notre milieu.

Donc, on dit que l'expansion de l'inforoute est un mouvement de fond à l'échelle du monde. Comme pour les réseaux routier, téléphonique ou aéroportuaire mondial, aucun pays ne peut se permettre de faire bande à part sans payer un prix très élevé pour son isolement. Ceux qui ne peuvent ou qui ne veulent pas participer à ce mouvement prennent un grand risque, celui de rester à l'écart d'un des principaux moteurs de la nouvelle économie mondiale, de demeurer ou de devenir les pays sous-développés de demain.

Deuxième chapitre: le Québec doit profiter au maximum de l'inforoute pour son développement économique, culturel et social. Ça découle de ce qu'on a dit précédemment. Il faut que les Québécois se branchent sur l'inforoute de l'information; il faut qu'ils s'ouvrent au monde; il faut qu'ils puissent faire participer les autres pays ou les autres communautés à leur savoir-faire; et il faut qu'ils fassent un effort. Et le gouvernement, à ce moment-là, a un rôle très particulier à jouer.

Nous avons toujours insisté pour dire que, dans une conjoncture comme celle de l'inforoute, il est très important que le premier ministre ou le chef de l'État donne son avis et indique à tous ses commettants qu'il s'agit là de quelque chose qui est important. Aux États-Unis, le président Clinton n'hésite jamais, jamais à faire un discours sur l'inforoute de l'information. Il a confié à son vice-président, Allan Gore, la responsabilité de mettre en marche toutes les initiatives que les Américains ont prises, sont en train de prendre et prendront dans un avenir prochain pour développer l'inforoute. On se plaint qu'ils contrôlent Internet, mais, en fait, c'est qu'ils se sont donné les instruments pour l'utiliser à fond.

Plus près de nous, la petite province du Nouveau-Brunswick, qui était une province agricole et pauvre relativement, aujourd'hui, parce que son premier ministre, M. McKenna, a pris le leadership dans ce domaine-là... Ce n'est pas lui qui fait le travail, mais il l'a confié à un de ses ministres, de telle sorte que tous les autres ministres emboîtent le pas, et il est en train d'utiliser l'inforoute pour attirer des industries chez lui pour faire finalement que sa province soit une province qui, au tournant du siècle, va avoir une longueur d'avance sur bien d'autres provinces. Je viens de voir dans les journaux que le gouvernement du Nouveau-Brunswick va donner un crédit d'impôt à tous ceux qui vont acheter un appareil de télévision dans les trois prochains mois...

M. Guy (Camil): Un ordinateur.

M. Berlinguet (Louis): Comment?

M. Guy (Camil): Un ordinateur.

M. Berlinguet (Louis): ...un ordinateur, excusez-moi, dans les trois prochains mois et que la compagnie Bell, que le gouvernement contrôle, va les brancher gratuitement pendant trois mois. Donc, c'est une affaire de leadership et il faut absolument qu'on apprenne à nos gens, à nos jeunes, à se servir de l'inforoute, que ça soit dans le domaine de l'éducation, dans le domaine du développement régional, dans le domaine de la santé.

Suite à notre rapport et à la prise en main par le gouvernement de l'inforoute, il y a eu des initiatives intéressantes. Je pense qu'on a annoncé que le ministère de l'Éducation était pour dépenser 318 000 000 $ pour acheter des ordinateurs. Le Dr Rochon, il y a quelques jours, annonçait justement l'utilisation d'une carte à puce pour faciliter les questions administratives. De notre côté, nous espérons qu'il ira plus loin un peu plus tard et qu'il pourra mettre sur la carte à puce le dossier médical des patients, avec toutes les garanties de confidentialité qui s'y rattachent. Donc, ça nous paraît fort important.

Et, pour terminer ce chapitre-là, même s'il s'est intéressé relativement tard au dossier de l'inforoute, le gouvernement du Québec doit assumer un leadership dans les domaines qui relèvent directement de sa compétence: la gestion des affaires publiques, l'éducation, la santé. En même temps, il peut aider l'industrie québécoise des technologies de l'information à se structurer et à se développer grâce aux marchés publics. Il doit aussi favoriser l'accessibilité de l'inforoute dans toutes les régions du Québec.

Le troisième chapitre: le Québec doit profiter de l'inforoute pour diffuser la langue et la culture québécoises à travers le monde. Bien sûr, la nette prédominance de la langue anglaise sur Internet est un fait bien connu. Pourquoi est-ce qu'elle est prédominante? Parce que les Américains ont pris une longueur d'avance pour développer le réseau, pour mettre sur le réseau des contenus qui sont en langue anglaise et, comme il s'agit d'un pays de 300 000 000, évidemment, actuellement, c'est eux qui contrôlent.

Mais l'Internet comme les autres routes de l'information ont un avantage, c'est-à-dire que n'y passe que ce que les gens veulent bien y mettre. Il n'y a pas de contrôle là-dessus. Même si, actuellement, on essaie de faire un peu de censure pour les questions pornographiques, etc., il n'y a pas de contrôle. C'est-à-dire que les gens mettent sur le réseau ce qu'ils veulent bien y mettre. Alors, il est sûr que c'est aux pays qui ne sont pas de langue anglaise à mettre sur le réseau des contenus dans leur langue. Et plus ils en mettront, évidemment plus il y aura un équilibre entre l'anglais et les autres.

Donc, actuellement, on dit, dans notre rapport, que le français occupe la deuxième place sur Internet et tout le monde, les observateurs, l'attribue au dynamisme de la présence québécoise bien supérieure à son poids démographique. Mais la France, qui est beaucoup plus nombreuse que nous, est en train de rattraper son retard dans ce domaine et devrait dépasser rapidement le Québec. D'autres pays francophones suivront. Donc, c'est à nous de nous prendre en main. Personne ne nous empêche d'en mettre, du contenu, et c'est la raison pour laquelle, dans notre document «Inforoute Québec», nous disons: Une fois que les infrastructures sont en place, il faut absolument qu'on se mette à l'oeuvre pour développer des contenus, que ce soit des logiciels, que ce soit des cours pour les étudiants, que ce soit des dossiers médicaux, n'importe quoi, mais il faut promouvoir les produits québécois.

Je pense que le Secrétariat de l'autoroute, avec le budget dont il dispose – qui est modeste, bien sûr, si on le compare à ce que les autres pays font – bon, peut financer des essais ou des travaux qui sont faits par les Québécois et les Québécoises pour promouvoir le français et la culture québécoise à travers le monde. Alors, plutôt que d'y voir un péril pour la langue et l'identité québécoises, il faut comprendre que l'inforoute est un moyen que toute société ou culture peut décider d'utiliser pour diffuser ses propres contenus. Le Québec a d'excellentes occasions à saisir pour faire connaître ses produits culturels à travers le monde. Le phénomène de l'usage de l'anglais comme langue de communication internationale n'est pas appelé à disparaître d'ici peu, bien sûr, mais il y a place pour toutes les langues sur l'inforoute.

Quatrième et avant-dernier chapitre: les problèmes éthiques et juridiques liés à l'inforoute ne se posent pas seulement au Québec et ne pourront pas être solutionnés localement. Rappelez-vous quand on a construit la première automobile en Angleterre, la loi obligeait un cheval à se promener en avant avec un drapeau rouge pour montrer que c'était quelque chose de très dangereux, la voiture. Bon. Aujourd'hui, on sourit quand on pense à ça. Mais, quand je lis certains articles dans les journaux et dans les revues, qui sont tellement pessimistes vis-à-vis de l'inforoute – qu'on va perdre notre âme, qu'on va perdre notre culture, qu'on va souffrir de ça – je me rappelle cet incident des Anglais avec leur drapeau rouge devant l'automobile.

Alors, je comprends qu'il y a des problèmes éthiques et juridiques. C'est clair qu'il y en a et ces problèmes-là intéressent tout le monde. Tout le monde essaie de trouver des solutions. Il y a l'institut de droit public, à l'Université de Montréal, qui fait un excellent travail là-dedans. Je suis allé à des conférences internationales et ces gens-là étaient à l'avant-garde. Donc, la protection de la propriété intellectuelle, elle se pose. C'est vrai qu'elle se pose. Des problèmes se posent et, comme on le dit dans notre texte, il est très difficile de réglementer dans ce domaine, parce que ça transcende les nations, ça transcende les lois locales. Mais il y a des gens qui travaillent là-dessus.

(14 h 30)

Ce qu'on dit: Peut-être que le Québec pourrait trouver une solution, mais actuellement il y a tellement de gens qui travaillent là-dessus dans la plupart des pays du monde; ces gens-là se rencontrent, se parlent entre eux, et je pense qu'il est très important pour le Québec que l'on suive cela de très près, qu'on y participe et qu'on adopte les solutions qui seront données.

Et, finalement, au cinquième chapitre, on dit: Il vaut mieux adopter une attitude positive envers le changement, innover et expérimenter plutôt que de vouloir régler d'avance tous les problèmes. Alors, il y a des prophéties contradictoires. Comme je viens de le dire, il y a des gens qui sont contre, violemment opposés; d'autres qui sont pour, mais avec tellement de nuances que finalement c'est quasiment rejeter cela. Nous, nous disons que, bien sûr, il y a un danger, comme il y avait un danger, quand Gutenberg a inventé l'imprimerie, de diffuser des mauvais livres, etc., et il y a eu l'Index pour nous calmer. Dans toutes ces inventions-là, il y a toujours des côtés négatifs, mais, finalement, finalement, les côtés positifs sont tellement plus importants.

Alors, on dit de faire confiance à la capacité d'adaptation des gens. Et ça, ça nous apparaît important. Face à un défi comme celui de l'autoroute, l'important est d'adopter une attitude positive. L'avenir est, par définition, incertain et les répercussions sociales de l'inforoute ne pourront se préciser que lorsque tous les secteurs de la société auront appris à l'apprivoiser.

Et ce qui m'a personnellement bien frappé quand j'ai réuni pour la première fois notre comité d'hommes d'affaires et de gens du milieu pour leur demander: Qu'est-ce qui vous paraît le plus important pour l'inforoute? eh bien, à notre grande surprise, bien sûr, comme premier chapitre, ils ont dit: On va parler du leadership gouvernemental, du leadership du premier ministre, du leadership... Parce que l'inforoute, c'est quelque chose qui traverse tous les ministères; c'est un problème ou une solution, disons, qui est horizontale, ça intéresse autant l'Agriculture que le Conseil du trésor, que la Culture, que l'Industrie, que l'Éducation et la Santé.

Une fois qu'on a traité du leadership du gouvernement dans l'inforoute, ces hommes d'affaires, qui sont des gens qui s'occupent plutôt d'économie que de social, nous ont dit: Le deuxième chapitre devrait être celui de l'éducation. C'est très facile de le comprendre, parce que c'est celui de nos enfants qui auront, dans 10 ans, dans cinq ans, dans 20 ans, à travailler avec ces questions-là. Donc, il faut absolument que notre système d'éducation, qui a été très lent, il faut le dire, au Québec, à s'adapter à ces nouvelles technologies... Il y a eu un colloque organisé par votre président sur l'inforoute de l'information, qui a réuni tous les principaux joueurs dans le domaine. Et, moi, je suis très heureux de voir que finalement les gens ont commencé à se parler pour placer au coeur de l'éducation l'inforoute, parce que c'est un instrument pédagogique fort important. Et le deuxième chapitre, c'était celui de la santé. Donc, deux ministères fort importants qui ne peuvent pas rester en dehors des perfectionnements de l'autoroute.

Alors, en conclusion, le Québec doit être présent et participer au mouvement mondial. Non seulement la société québécoise doit-elle accepter le fait de l'inforoute, mais elle doit en favoriser l'implantation et l'utilisation partout sur son territoire. Deuxième chose, enfin, si le gouvernement a la responsabilité de sensibiliser la population, de devenir un usager modèle de l'inforoute, les députés ont, eux aussi, des responsabilités vis-à-vis d'un dossier aussi crucial pour le développement du Québec. Ce sont eux qui votent les législations, qui étudient et approuvent les crédits des ministères. Ils ont un rôle à jouer pour inciter le gouvernement à prendre la bonne direction dans ce domaine. Auprès des électeurs, les députés sont des personnes-ressources dans leur comté.

Un souci que nous avons, ce serait de couper le Québec en deux, c'est-à-dire les gens qui ont des ordinateurs, qui sont riches, et les gens qui sont pauvres dans les grandes villes ou qui sont en région. Or, l'inforoute peut ramener les gens des régions. On peut être en Gaspésie, on peut être dans le Nord-Ouest du Québec et puis participer à la connaissance aussi bien que si on était au coeur de Montréal. Donc, moi, je suis très heureux personnellement, et mon collègue et les gens du Conseil étaient très heureux d'avoir été invités à participer à cette commission, et je dois dire que le document qui est ici a été approuvé à l'unanimité par les membres du Conseil à une des dernières réunions. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le président du Conseil de la science et de la technologie, merci d'être venu, et M. Guy. Peut-être que ces données-là existent dans le document que vous avez publié antérieurement, mais est-ce qu'on pourrait avoir de votre part une évaluation de ce que c'est, la taille, la mesure de cette industrie ici, au Québec?

M. Berlinguet (Louis): Bien, je pense qu'on est partis de loin au point de vue politique, mais qu'au point de vue industriel le Québec était en avant. En fait, le Québec a des institutions de taille très importante, que ce soit la compagnie Bell, que ça soit Bell-Northern, que ça soit Téléglobe. Nous avons Vidéotron qui est un leader dans l'exploitation précisément de l'inforoute avec le programme UBI. Donc, on part de très grandes compagnies qui sont dans la téléphonie depuis longtemps, dans la câblodiffusion et qui vont, sur leurs réseaux, transmettre les messages qui viennent de l'inforoute.

Par ailleurs, au Québec, on a des créateurs. Nous sommes latins, nous avons de l'imagination, nous avons des créateurs qui font des choses remarquables, enfin. On ne les connaît pas beaucoup, on en connaît quelques-uns qui ont eu la manchette. Je pense à celui qui travaillait à Softimage, Langlois, qui a créé des logiciels qui ont tellement pris au dépourvu les Américains qu'ils ont acheté la compagnie en payant 145 000 000 $US. Mais il reste que c'est un exemple entre d'autres. Il y a beaucoup de petites compagnies actuellement. La taille, je ne peux pas vous dire en chiffres exacts combien ça peut représenter de millions, mais il reste que c'est un développement économique important pour le Québec, et il faut le garder, ça.

M. Laporte: M. le Président, si vous le permettez, est-ce qu'on a des données sur les utilisateurs? Est-ce que vous avez des données là-dessus, vous autres, au Conseil?

M. Berlinguet (Louis): Pour les utilisateurs, on me dit qu'il y en a 35 000 actuellement au Québec. À la page 7... M. Guy.

M. Guy (Camil): Oui. Il y a eu une enquête du RISQ, du Réseau interordinateurs scientifique du Québec, en février 1996. On estimait le nombre de Québécois branchés entre 150 000 et 250 000. Et, en juin, une autre étude Impact Recherche estimait à 360 000 le nombre d'internautes au Québec. Donc, c'est relativement important. De ces 360 000 là, il y en avait 30 % qui étaient étudiants.

M. Laporte: De la région de Montréal. Ça va, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Je vous remercie. On vient de parler du nombre de personnes qui sont branchées, entre guillemets. Un des grands défis, ça va être que cette technologie soit accessible à la majorité des gens, à la masse des gens. Et, en regard de cette question-là, qui est quand même fort importante, si on veut justement éviter que se creuse l'écart entre des gens qui ont accès à ce nouveau savoir et ceux qui vont devenir des analphabètes de l'inforoute, si on peut prendre cette image, il faut que l'État soit au moins un des acteurs importants; vous dites même un acteur qui ait du leadership. Quels sont les gestes que vous nous recommanderiez à cet égard pour assumer ce leadership? Vous évoquez un certain nombre de choses, par exemple être des usagers modèles nous-mêmes de l'inforoute, mais j'aimerais vous entendre parler un peu plus du rôle que vous voyez à l'État pour que cette nouvelle technologie soit vraiment accessible à la masse des citoyens et des citoyennes.

M. Berlinguet (Louis): Bon. C'est une question qui mérite une longue réponse; je vais essayer d'être le plus bref possible. La première fonction de l'État, à notre avis, c'est d'assumer un leadership, c'est-à-dire d'informer la population du Québec, soit dans les discours du premier ministre ou des ministres, que l'inforoute est quelque chose d'important et de donner des précisions sur les actions qui doivent être entreprises. Par exemple, quand nous disons dans nos rapports que le gouvernement du Québec, par son pouvoir d'achat, par les appels publics, peut donner un coup de pouce énorme aux constructeurs d'ordinateurs, à ceux qui fabriquent des logiciels, on peut acheter énormément de choses qui seraient faites au Québec, donc qui donneraient un coup de pouce à l'industrie.

Deuxièmement, quand on dit que le gouvernement doit être un utilisateur modèle, il est sûr que, dans chacun des ministères, il y a énormément de relations entre, d'une part, les fonctionnaires du ministère et les citoyens qui ont besoin de renseignements, qui ont besoin de renouveler leur permis de chasse, de pêche, qui ont besoin de savoir un tas de renseignements, et ces choses-là commencent à se faire dans les autres provinces de façon automatique. Si je vais au centre d'achats le samedi soir pour aller chercher 100 $ dans le chose, il est minuit, toutes les banques sont fermées, mais j'ai mon 100 $ pareil. Mais, si je suis à Chicoutimi la fin de semaine et que je veux renouveler mon permis de chasse ou de pêche, il serait facile d'aller chercher un renouvellement de cette façon-là. Donc, chaque ministère a son rôle à jouer.

(14 h 40)

Le ministère de l'Éducation, à mon avis, a un rôle très important là-dedans parce que c'est eux qui éduquent les enfants qui auront à se servir de ça l'an prochain. Il faut que nos facultés d'éducation, qui, à notre avis, ne font pas ce qu'elles doivent faire dans ce domaine-là et sont 20 ans en arrière, puissent enseigner à leurs professeurs à se servir des choses; autrement, les étudiants qui vont sortir des facultés d'éducation demain matin, ils vont se retrouver devant des étudiants qui en savent plus qu'eux autres pour aller chercher la connaissance.

Je pense que le ministère de la Santé a fait des initiatives formidables. La carte à puce, à Rimouski, a été un grand succès. Ça a conduit progressivement le ministre Rochon à penser à avoir une carte unique dans laquelle tous les renseignements – sur l'Hôtel-Dieu ou n'importe quel – d'un patient pourraient être compilés, tout en respectant très bien la confidentialité. Il faut dire qu'au Québec on a une longueur d'avance, aussi. On a une législation qui est bonne là-dessus. Notre commission de la sûreté de l'information, de Paul-André Comeau, là, on la cite en Europe comme étant un modèle du genre. Donc, il y aurait toutes les garanties.

Le Conseil du trésor ou le ministère des Approvisionnements, les appels d'offres qui peuvent être faits par... On sauve beaucoup de papier, beaucoup de temps, et il y en a beaucoup, en fait. Dans notre rapport, on passe tous les ministères les uns après les autres puis on leur donne des conseils. Il faut mentionner qu'il y a des choses intéressantes. Il y a le CRISP qui est un groupe bona fide d'utilisateurs de l'informatique dans les différents ministères, qui se rencontrent périodiquement. Ils n'ont pas de pouvoir, ils n'ont pas d'argent, mais ils se rencontrent puis ils informent, donnent de l'information. Donc, ça, c'est un bon mouvement.

Maintenant, le gouvernement a aussi un pouvoir moral qu'il n'a pas encore beaucoup utilisé. Les municipalités puis les villes, les commissions scolaires, les hôpitaux, ce sont des gens un peu libres vis-à-vis du gouvernement, mais qui néanmoins ont des pouvoirs d'achat considérables, et ils peuvent dans leur propre milieu faire des choses que l'on demande. Par exemple, il est sûr que, dans les petits villages, les gens n'ont pas nécessairement des ordinateurs, mais, nous, on dit dans notre rapport: Si on installait un ordinateur dans la salle paroissiale ou bien donc dans la bibliothèque locale, puis que les jeunes puissent y aller au lieu de prendre un café au coin... Tu sais, ce n'est pas des solutions qui demandent des millions et des millions, mais un peu d'imagination. Les salles paroissiales sont vides aujourd'hui. Ils jouent au bingo, mais on pourrait installer des cloisons puis mettre des ordinateurs. On fait ça dans les cafés à Montréal; on pourrait le faire dans les petites villes, la même chose.

Et c'est le danger, ça, qu'il y ait deux couches de la population: ceux qui l'ont puis ceux qui ne l'ont pas. Et ça, nous, on donne une série de... Je n'ai pas le temps, là, cet après-midi, de les passer en détail, mais on a pas mal de moyens dans nos documents.

Mme Malavoy: J'ai d'autres questions, mais je vais laisser jouer l'alternance, là. Je peux attendre.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Frulla: On a beaucoup parlé de l'autoroute, hein. C'est quand même le sujet de l'heure. On se souvient d'ailleurs qu'en 1994, quand on a commencé à en parler, qu'on a mis le Fonds, etc., des gens disaient: C'est quoi, ça? On ne comprend pas. Et là évidemment c'est exponentiel.

Vous avez dit tantôt que c'est important qu'on investisse aussi dans les logiciels, etc. Pourtant, si on revient à Daniel Langlois, Daniel Langlois n'avait aucun financement. Au contraire, il était venu voir des gens du milieu pour qu'on puisse le financer à titre de 500 $, 1 000 $, etc. On peut comprendre, à l'époque, mais c'est la même chose maintenant où des gens nous approchent individuellement, là, bon, pour qu'on finance, enfin, l'initiative. Ce qui veut dire qu'on investit beaucoup dans les infrastructures, donc ce qui est très, très tangible, mais qu'on a encore un petit peu de difficulté à investir dans la matière grise. Puis des fois ça peut marcher, puis des fois ça ne peut pas marcher. Mais quand même il y a toujours une chance de succès, et je pense qu'il faut y capitaliser.

Vous, là, finalement, dans vos recherches respectives puis tout ça, est-ce que vous voyez peut-être une espèce de lumière au bout du tunnel? Parce qu'on s'aperçoit que les banques... Tout le monde en parle, mais quand c'est le temps que l'individu, là, tangiblement, va voir sa banque ou va voir un fonds quelconque, ou il n'y a plus d'argent, ou bien donc, à la banque, il n'y a pas de garanties suffisantes, puis tout ça. Alors, il y a le beau discours, hein? Il y a le beau discours, puis, effectivement, tu sais, on peut le tenir au gouvernement puis tout ça, mais il y a des actions qui sont bien, bien tangibles sur le terrain, puis il me semble, en tout cas, que ça avance moins vite que le grand discours.

M. Berlinguet (Louis): Oui, vous avez tout à fait raison, madame, mais je suis, moi, un éternel optimiste et je la vois, la lumière au bout du tunnel. Je vais vous dire pourquoi. Il est sûr que, quand vous rencontrez des banquiers – ce que j'ai fait, moi, depuis quelques années, en riant d'eux – ils misaient sur l'immobilier. Parce qu'un édifice, c'est là, c'est gros, ça ne bouge pas puis ça reste. Mais ils ont tellement perdu d'argent avec tout ce qu'ils ont fait depuis quelques années que, là, ils commencent à s'ouvrir un peu plus à la technologie et aux idées. Mais c'est ce qu'ils appellent du capital intangible. C'est-à-dire que, si quelqu'un – Langlois – a une bonne idée et qu'il se fait frapper par un autobus demain matin, bon, la banque est devant rien. Alors, c'est ça qui est le problème, de les convertir lentement.

Et, heureusement, le Québec, encore là-dedans, a innové. C'est que nos politiques ont permis de créer des organismes qui s'appellent Innovatech, qui s'appellent Biocapital, qui s'appellent, bon, des choses de ce genre-là. Biocapital, c'est pour la biotechnologie. Mais il reste qu'il y a maintenant du capital de risque, et il y a des gens de plus en plus compétents pour apprécier la valeur d'une idée. Et vendre une idée, ce n'est pas toujours facile, vous le savez, en culture, en musique, en n'importe quoi, mais, dans le domaine de la technologie, il y a des idées qui se vendent. Et on voit aux États-Unis en particulier, mais au Québec on commence à en avoir, des jeunes gens qui ont des idées pour des choses nouvelles. Langlois est un exemple. Bon. On le cite toujours, lui, mais il y en a d'autres qu'on connaît moins et qui méritent d'être connus puis, dans quatre, cinq ans, ils seront là.

Et ce qu'il faut faire, c'est qu'il faut amener la Caisse de dépôt, il faut amener les banques, il faut amener le Fonds de solidarité, qui fait de l'excellent travail, il faut amener ces gens-là à penser que, même s'ils mettent 90 % de leur capital sur des choses solides pour lesquelles ils ont confiance, s'ils mettaient 5 % ou 1 % de leur capital sur des choses intangibles, même si ça ne marchait pas, ça ne serait pas une perte. Alors, moi, je suis optimiste, je pense qu'on va s'habituer. C'est un lent processus. Et, encore une fois, c'est relié à la culture scientifique et technologique. Il faut que les banquiers, il faut que les comptables – ils ne sont pas habitués à ce genre de choses là – pensent que là-dedans il y a de l'avenir puis il y a des choses à faire.

M. Guy (Camil): Bon. J'ajouterais simplement que, dans ce domaine-là comme dans d'autres, le succès appelle le succès, hein? Et, au fur et à mesure qu'il y a des entreprises qui connaissent le succès, eh bien, le mot se passe et la culture finalement se développe. Softimage, c'est un exemple, et Montréal et Québec en ont déjà plusieurs autres succès.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke, vous voulez revenir? M. le député Laporte.

Mme Malavoy: Oui, allez-y.

Le Président (M. Garon): M. le député Laporte.

M. Laporte: Bien, enfin, je ne sais pas si vous avez remarqué ça dans vos enquêtes, mais ce que j'ai appris dernièrement, c'est qu'on n'en manque pas, de capital de risque au Québec. En fait, il y en a une abondance de capital de risque. Ce dont on manque, apparemment, ce sont des – comment dirais-je – agents qui permettraient aux entrepreneurs de développer des plans d'affaires, de préparer des projets. Avez-vous réfléchi à ce problème-là qui permettrait, pour le capital de risque, que l'offre passe au niveau de la demande?

M. Berlinguet (Louis): Oui, bien, là-dessus, encore une fois, je pense que le Québec a une infrastructure qui est assez remarquable, hein? Le reste du Canada, là, il nous regarde aller puis il trouve qu'on fait des choses pas mal intéressantes. J'arrive d'un autre congrès international au Mexique, là, dans lequel les pays donnaient leurs principaux moyens, puis je dois vous dire que, le Québec, on n'a pas à rougir de ce qu'on fait.

Ce qu'on fait au Québec actuellement, c'est que, comme vous dites, il y a beaucoup de capital de risque; ce qui manque, c'est de préparer les gens. Parce que le jeune type qui sort de l'UQAM – comme Langlois faisait ou un autre – qui a une idée, souvent, il n'est pas capable de faire un plan d'affaires, il n'est pas capable de dire: Bon, dans six mois, je serai rendu là; dans 12 mois, je serai rendu là; je vais exporter, je n'exporterai pas; mes partenaires sont les suivants...

Et alors, on a, depuis quelques années, là, des groupes qui aident les jeunes là-dedans. Il y a Mme Desmarais, à Montréal, qui a un groupe justement qui s'appelle... Je ne me rappelle pas le nom exact, mais il prend des jeunes entrepreneurs qui ont une bonne idée, mais qui ne savent pas comment faire un plan d'affaires, puis lui donne un coup de pouce. Il y a Inno-Centre qui fait ça; il y a Innovatech qui fait ça; bon, le CRIQ peut le faire à certains moments. Donc, on commence à avoir... En biotechnologie, dans le bout de Sherbrooke, on a un organisme dirigé par une jeune femme dynamique qui prend les gens de biotechnologie puis qui les amène à faire un plan d'affaires.

(14 h 50)

Donc, c'est toute une culture, ça; c'est nouveau, ça, ça ne fait pas longtemps que les gens commencent à devenir entrepreneurs. Et, pour devenir entrepreneur, bien, ça ne s'improvise pas, il faut qu'il y ait certains paradigmes qui soient respectés. Donc, oui, actuellement, on voit... mais c'est récent, quatre, cinq, six ans au plus.

M. Laporte: M. le Président, l'un des rôles de l'État là-dedans, ce serait d'informer les entrepreneurs locaux de l'existence de ces structures d'aide, en fait.

M. Berlinguet (Louis): Oui, bien, je pense que le ministère de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie essaie de diffuser les nouvelles. Il y a des colloques fréquents dans lesquels les gens apprennent; ils rencontrent des gens qui sont compétents dans ce domaine-là, on les met entre eux. Il y a la Fondation québécoise de l'entrepreneurship qui fait énormément pour ça. Donc, on a pas mal de joueurs. C'est la raison pour laquelle, moi, je dis que je suis relativement optimiste. Camil?

M. Guy (Camil): Oui. En complémentarité à cette réponse-là, j'ajouterais que ce qu'on entend souvent des entreprises, c'est que ce n'est pas qu'on manque de capital, mais qu'on manque de capital humain, c'est qu'on manque de personnes qualifiées pour travailler. Il y a un bon nombre d'entreprises de logiciels qui nous disent éprouver des difficultés à recruter du personnel formé dans les nouvelles technologies en informatique, etc. Alors, là aussi, il y a un message important d'informer les jeunes qu'il y a un marché là, qu'il y a de l'emploi, qu'il y a de l'avenir à partir de ces techniques-là.

M. Berlinguet (Louis): Le Centre de recherche informatique de Montréal, le CRIM, a organisé récemment avec nous puis d'autres un colloque sur l'orientation des jeunes dans les nouvelles technologies, et tous les hommes d'affaires qui étaient là déploraient le manque de personnel. En fait, on n'a pas les gens qui... Ils seraient prêts à embaucher beaucoup de gens dans ces domaines-là, mais nos universités, pour toutes sortes de raisons, n'ont pas réussi encore à combler ce... Puis non seulement nos universités, mais nos écoles techniques aussi qui doivent former des gens dans ces domaines-là. Donc, ce sont des domaines d'avenir, ça, et il faut absolument qu'on donne un coup de barre dans ce domaine-là.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: M. Berlinguet, il y a une question qui est interprétée de différentes façons selon les gens. Ce matin, on avait quelqu'un, M. Jacques Dufresne, le philosophe bien connu, qui nous parlait en des termes assez clairs de ce qu'on pourrait résumer comme étant le péril américain, le péril de l'invasion de la langue, puis pas seulement la langue, mais aussi la culture qui va avec. Parce qu'une langue ce n'est pas seulement des mots, c'est aussi une façon de voir le monde, c'est souvent une culture, ça peut même être des valeurs qui sont charriées à travers la langue. Donc, il y a des gens, comme Jacques Dufresne, qui en ce moment sont les tenants d'une vision plus inquiétante des choses et puis vous qui êtes plutôt du parti optimiste, vous le dites vous-même. Puis, à choisir, moi, j'aime bien vous croire, je trouve que c'est certainement une vision qui est attirante.

Cela dit, dans votre document, vous en parlez comme étant un problème qui est relativement mineur ou, en tout cas, par rapport auquel il ne faut pas s'inquiéter: la langue anglaise, ma foi, il faut en prendre son parti, c'est une langue de communication internationale et puis les autres n'ont qu'à faire des efforts pour prendre leur part du marché. J'aimerais quand même vous entendre un peu plus sur cette question-là parce que, dans l'optique de notre mandat, qui est, entre autres, de bien voir les impacts culturels et linguistiques du développement de l'inforoute, c'est sûr que la question de la présence de la langue anglaise, et particulièrement de la culture américaine, est très importante pour nous.

M. Berlinguet (Louis): Bon, là-dessus, bien sûr, je connais Jacques Dufresne depuis quelques années. On a toujours divergé d'opinions. Lui est un philosophe; moi, je suis un scientifique. Normalement, on devrait se rejoindre au sommet, mais c'est difficile.

Mme Malavoy: Ce n'est pas encore fait.

Une voix: À Montréal. Ha, ha, ha!

M. Berlinguet (Louis): Non, c'est vrai que, bon, ça prend des deux: ça prend des philosophes et ça prend des hommes de science, tu sais, pour faire l'équilibre, c'est important. Lui, son rôle, c'est de voir, bon, les dangers possibles, de nous mettre en garde, puis de façon très cérébrale, très philosophique. Bon. Je pense que c'est très bon qu'on ait des gens comme ça qui nous mettent des garde-fous un peu loin. Mais, moi, je fais confiance à l'être humain, finalement. Je me dis: Il y a quelque chose, là, qui est en train de se produire. Tu sais, l'automobile ou l'avion, bon, bien, au début, les gens disaient: Ça s'écrase, puis, bon, on meurt, etc. Mais, finalement, sur les routes, on a mis des garde-fous, on a mis des polices, on a mis des limites de vitesse, et puis il y a une certaine sagesse qui s'est établie. Là, finalement, bien, il en meurt sur les routes, mais, compte tenu du nombre de personnes qui voyagent par jour sur les autoroutes du monde, c'est minime.

Alors, je me dis: Dans toute nouvelle expérience humaine, les hommes et les femmes du globe ont une certaine sagesse et, s'ils se rendent compte que ça leur cause du mal, ou que ça leur nuit, ou que ça nuit à leur culture, bien, ils vont réagir. Mais, que ce soit par l'autoroute de l'information ou que ce soit par des voyages des gens, il est bien sûr que même les îles les plus reculées du Pacifique, là, on les visite, on les voit, on amène nos coutumes, on échange des aliments. C'est comme quand on a découvert l'Amérique: la pomme de terre est allée ici, la cigarette est allée là, tu sais. C'est inévitable, ça. Le monde devient de plus en plus petit, mais il s'agit de prendre des précautions pour qu'on ne contamine personne. Et je pense que des gens comme Dufresne jouent un rôle en disant: Attention, il y a peut-être des dangers. Mais il ne faut pas non plus que la possibilité d'un danger nous empêche d'agir. C'est ça qu'on dit.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Bien, pour reprendre un petit peu ce que disait ma collègue de Sherbrooke et ce que vous disiez vous-même tout à l'heure, M. Berlinguet, Softimage a été achetée par les Américains; ça accrédite un petit peu la version qu'on avait ce matin de Dufresne. MegaToon, DMR, ce n'est quand même pas rien. Alors, c'est peut-être parce qu'on n'y croyait pas assez ou qu'on n'avait pas le capital. Il reste qu'on est aussi une province pour le moment; alors, je pense que ça peut jouer aussi. L'information, l'ancienne ministre le sait fort bien, ne relève pas de notre juridiction; alors, ça peut jouer dans ce sens-là.

Tout à l'heure, vous évoquiez le péril pour la langue. Chaque mémoire que nous avons reçu – 76 – évoquait la langue pas nécessairement sous forme de péril, mais peut-être aussi d'une manière positive et optimiste comme la vôtre, de la prise de place que nous devons faire sur cette autoroute-là. Donc, j'aimerais ça entendre vos commentaires, peut-être.

M. Berlinguet (Louis): Bon. Sur le premier point, là, l'acquisition de firmes québécoises par des multinationales, que voulez-vous, c'est un jeu qui se joue à l'échelle globale et tous les pays font face à ces problèmes-là. On est un petit pays; notre population est de 7 000 000, nos entreprises sont de petite taille. Si elles performent très bien, il est sûr que des géants les regardent de haut et puis vont s'en saisir immédiatement. On fait un peu la même chose avec Bombardier qui va chercher de la technologie en Belgique et un peu partout. C'est un jeu planétaire, ça, et, que voulez-vous, je pense qu'il n'y a pas beaucoup de lois qui peuvent empêcher ça.

Ce qu'il faut faire, ce que Langlois a fait, c'est qu'il a négocié pour que la partie recherche, les concepteurs de ces logiciels restent à Montréal et que, même si le bureau de l'administration, le conseil d'administration est à Los Angeles, il reste la recherche. Et c'est la raison pour laquelle je me bats tellement, nous nous battons tellement pour qu'on fasse de la recherche au Québec, parce que c'est avec notre cerveau qu'on va être capables de développer des choses qui se feront peut-être acheter un peu plus tard, mais à bon prix, parce que les 145 000 000 $ qu'il a reçus, bien, ça reste au Québec, puis c'est la même chose dans le domaine pharmaceutique et dans tous les autres domaines. Alors, ça, il n'y a pas grand défense pour ça.

Deuxième point, vous avez parlé du péril de la langue. Bien, il y a deux sortes de périls dans la langue: il y a le péril que le français ait une place congrue sur l'inforoute, mais, pour ça, on n'a qu'à faire notre mea culpa. Si on ne met rien, si nos cerveaux ne sont pas capables de mettre sur des logiciels ou sur l'inforoute des choses qui peuvent être accueillies puis vues par les autres, bien, là, c'est une question de mea culpa. C'est la raison pour laquelle on insiste tellement pour que l'éducation soit bonne, qu'on forme des enfants et des têtes bien faites, qu'on facilite les créateurs, qu'on les aide pour qu'ils... Alors, en français, ils vont prendre la place.

(15 heures)

Mais il y a un autre péril aussi de la langue, et ça, ce péril-là, moi, je vois aussi... La langue française, je pense qu'il faut la protéger. Il ne faut pas oublier qu'on va vivre dans un monde international qui, dans les prochains 20 ans, va être anglophone. Passé ça, ce sera probablement chinois. Mais il faut que nos enfants apprennent l'anglais. Tu sais, il faut que nos enfants apprennent l'anglais. Ce n'est pas la question de s'angliciser. La langue, elle ne devrait pas être une question politique chez nous. Malheureusement, elle l'est; la langue anglaise, j'entends. La langue française, oui, c'est notre langue. Mais la langue anglaise... On devrait apprendre toujours une deuxième langue, que ce soit l'espagnol ou l'anglais, mais je pense que c'est inévitable.

Alors, il faut qu'on se prenne en main pour défendre la langue française, et ça, ce sont nos créateurs qui vont être capables de le faire. Ce n'est pas par des lois ou des... Quoiqu'on peut aider ces gens-là financièrement à produire en français. Les logiciels qui peuvent être produits pour nos écoles devraient être achetés s'ils sont bons. Mais, encore là, il y a toujours le même problème. Moi, je suis un chimiste. Je peux faire un cours en chimie sur un logiciel, mais, s'il y a quelqu'un qui fait un meilleur logiciel pour le cours de chimie, c'est lui qui va se vendre.

M. Gaulin: Je voulais juste dire, M. Berlinguet, que l'expression «péril pour la langue», ce n'est pas moi qui l'utilisais. Je l'ai reprise, tout à l'heure, de ce que vous disiez...

M. Berlinguet (Louis): Oui, oui.

M. Gaulin: ...de ce que vous aviez cru déceler.

M. Berlinguet (Louis): D'accord.

M. Gaulin: Cependant, moi, je dois vous dire que, personnellement, je réagis toujours quand on me dit que la langue anglaise est la langue internationale. La langue française est également une grande langue internationale. Et je pense que l'inforoute justement est un lieu pour imposer des grandes langues nationales de manière égalitaire. Je pense qu'il faut donner la place au plurilinguisme. Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il faille apprendre l'anglais au Québec, c'est bien évident. Sauf que, je vais vous dire, comme éducateur sorti du milieu de l'enseignement, je trouve anormal qu'on prenne neuf années pour enseigner une langue qu'on sait mal à l'autre bout...

M. Berlinguet (Louis): Oui.

M. Gaulin: ...et qu'on vient encore sanctionner dans les universités pour savoir si on la sait, alors que, dans des pays dits normaux comme l'Allemagne, l'Italie, on prend, pour les mêmes neuf années, le temps d'apprendre deux langues. Et c'est contre ça que je réagis, mais ça n'a rien à voir avec l'inforoute.

M. Berlinguet (Louis): Vous avez tout à fait raison. Je vous appuie 100 % là-dessus.

M. Gaulin: Je vous remercie. C'est un bon appui.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie M. Berlinguet et M. Guy, du Conseil de la science et de la technologie, de leur contribution à la consultation de la commission de la culture

Je vais inviter maintenant les représentants de la Confédération des syndicats nationaux à s'approcher de la table des délibérations, en demandant à M. Pierre Paquette, secrétaire général, de présenter les gens qui l'accompagnent, en vous disant que vous avez à peu près 20 minutes pour vous exprimer, pour laisser 20 minutes aux députés de chacun des partis pour discuter avec vous de votre mémoire.


Confédération des syndicats nationaux (CSN)

M. Paquette (Pierre): Bonjour. D'abord, on est très heureux de pouvoir vous soumettre le mémoire que vous avez déjà reçu. On pense que la commission aborde une question dont les enjeux sont lourds pour l'avenir du Québec sur les plans économique, politique et social. On va vous présenter les grandes lignes de ce mémoire et, ensuite, évidemment on aura une période d'échanges. J'ai avec moi Anne Pineau, qui est du Service juridique de la CSN, qui nous a aidés sur les aspects juridiques en particulier, et Michel Doré, qui est du Service de la recherche de la CSN. Moi-même, c'est Pierre Paquette, je suis secrétaire général.

Alors, on voudrait d'abord souligner la qualité du document de consultation qui aborde le thème du développement des inforoutes. On a retrouvé énormément de convergences dans les analyses qu'on a pu faire sur les enjeux de l'inforoute. Les questions étaient aussi toutes pertinentes. Il y en avait plus d'une centaine. Donc, évidemment, on n'a pas répondu à chacune d'elles, mais on a tenté, sur chacun des 11 thèmes que le document abordait, d'amener notre contribution.

On voudrait commencer par rappeler certaines positions de la CSN sur la question des changements technologiques, parce que évidemment, à la base du développement de l'inforoute, il y a énormément de changements technologiques en cours qui ont des conséquences en termes de mutation sociale, de changements économiques. La CSN – et le mouvement ouvrier en général – n'a jamais été contre les changements technologiques, contrairement à ce que parfois on véhicule dans l'opinion publique. Mais il est clair qu'on a toujours voulu s'assurer que les conditions de mise en place de ces changements technologiques, conditions aussi bien du point de vue social que du point de vue législatif, permettaient à ces changements de bénéficier à tous et non pas à une minorité, qu'elle soit économique ou d'un autre ordre.

Je pense aussi qu'on souligne, dans la première partie, qu'on reconnaît le caractère qualitativement différent des mutations actuelles. On mentionne, par exemple, que les connaissances, le cumul, le traitement et la diffusion des informations sont maintenant au coeur de l'avenir de la planète, du développement économique, social et culturel de chaque nation, et de la redéfinition des rapports de pouvoir, du plus global au plus local.

Pour nous, il est clair qu'il n'y a pas non plus de déterminisme pour ce qui est des effets des changements technologiques ou du développement de l'inforoute. Dans le document de consultation, vous faites référence à Big Brother. Big Brother, pour nous, peut exister, inforoute ou non. Comme d'ailleurs vous aviez commencé à l'aborder, l'inforoute peut être une occasion, au contraire, d'accroître la démocratie dans nos sociétés, comme elle peut être aussi une occasion d'isoler davantage les gens et de pervertir nos processus démocratiques. Donc, il n'y a rien de déterminé à l'avance.

C'est vrai au niveau local. Parce qu'on fait beaucoup mention des changements technologiques, du développement de l'inforoute en lien avec le développement économique. Pour nous, les nouvelles technologies ne sont pas en soi porteuses d'une plus grande productivité, d'une amélioration de la qualité des services et des biens, et de l'amélioration de la qualité de vie au travail. Ça va dépendre du type de gestion, localement, qui va être développé. Et on rappelle, dans les premières pages du mémoire, que la CSN travaille très fort, depuis maintenant une dizaine d'années, à la réorganisation du travail dans les entreprises pour faire de la personne, du travailleur et de la travailleuse véritablement le centre du développement de l'entreprise et non pas que ce soit la machine ou la technologie qui soit le centre du développement de l'entreprise. Donc, on signale que c'est un enjeu lié de façon importante.

De la même façon, au niveau, je dirais, plus global, au niveau de la société, on constate qu'il y a des paradoxes. On est envahi par une masse croissante d'informations de toute nature, de moyens de communication plus rapides et plus puissants. Et, d'autre part, on assiste à une crise des liens sociaux. On a l'impression que chacun se réfugie dans l'individualisme, qu'à force de compétitionner on s'isole et que l'on communique de moins en moins sur l'essentiel qui donne à la vie un sens et à nos rapports avec les autres aussi un sens. D'une certaine façon, nous sommes à une époque de grande confusion sur ce qui relève des moyens et sur ce qui relève des fins. Et il est clair que, dans le débat sur l'inforoute, certains aspects en particulier doivent trouver leur réponse dans un débat plus fondamental sur les objectifs que nous recherchons comme société.

Il est, pour nous, évident qu'un des dangers du développement de l'inforoute, c'est l'expansion de la marchandisation ou du marché, qui, on le sait, a pris énormément de place, y compris dans les vies domestiques, dans la vie des familles, l'expansion de la marchandisation du monde sans véritable développement social. Et, dans ce sens-là, on invite la société québécoise, la commission évidemment à regarder les changements en cours en cherchant à questionner les valeurs qui doivent porter ces changements-là. D'une certaine façon, pour nous, l'utilisation des nouveaux moyens de la technologie, en particulier au niveau des communications et de l'inforoute, ne peut pas se faire sans un renforcement de la démocratie, la revalorisation des responsabilités des citoyens, évidemment particulièrement dans un contexte d'exclusion comme on le connaît actuellement.

Donc, pour nous, énormément, je dirais, d'intérêt autour du développement de l'inforoute. Comme je l'ai mentionné, il n'y a pas de déterminisme sur les effets du développement de l'inforoute. Donc, on aborde la question avec énormément d'ouverture d'esprit, mais en étant conscients que les conditions dans lesquelles cette inforoute va se développer, en particulier au Québec, vont être extrêmement importantes, et c'est là-dessus qu'on veut attirer l'attention de la commission. Alors, Michel Doré va vous présenter le premier point qui touche la langue et les points suivants.

M. Doré (Michel): Merci. C'est évident que, dans les enjeux soulevés par la mise en place des inforoutes, la langue est un enjeu effectivement fondamental. Je pense que le document de votre commission situe bien les enjeux autour de la langue. Effectivement, la langue de l'informatique est actuellement massivement l'anglais. Une grande part des citoyens qui habitent actuellement l'autoroute Internet parlent massivement anglais. On sait même que les grandes banques de données, au niveau international et même celles produites en France, par exemple les banques de données scientifiques, sont surtout en anglais.

(15 h 10)

On pense, d'autre part, qu'à cause de l'expérience historique du Québec le Québec pourrait jouer un rôle de leadership quant à la promotion de la langue sur les inforoutes de l'information. On trouve que les mesures gouvernementales qu'on a commencé à mettre en place, notamment les objectifs du nouveau Fonds de l'autoroute de l'information et les cibles définies par le Secrétariat de l'autoroute de l'information, sont un bon point de départ. Donc, il est indispensable de mettre en place un ensemble d'outils pour faire effectivement la promotion de la langue française; d'exiger des entreprises et des institutions oeuvrant au Québec la production d'outils à contenu français; de mettre au point les instruments adéquats de traduction; d'organiser et de stimuler la recherche-développement; de faire la promotion des produits et vitrines francophones sur les réseaux en collaborant évidemment avec les autres pays. Il nous semble que la place du Québec au sein des regroupements de pays francophones devrait être aussi un lieu privilégié pour que les pays francophones se donnent une politique au niveau international.

On va revenir à une couple de reprises dans notre mémoire sur l'idée de mettre en place un organisme de veille permanente sur les changements technologiques, où seraient représentés non seulement les producteurs et les experts, mais aussi et peut-être surtout les consommateurs. On croit qu'une des fonctions principales de la mise en place de cet organisme de veille sur les changements technologiques devrait être effectivement la protection de la langue française.

Ce n'est pas seulement l'avenir de la langue qui est en question, à travers les inforoutes, mais c'est aussi évidemment l'avenir de la culture. On sait que la croissance d'après-guerre et l'extension des modes de production et des modes de consommation ont favorisé, à l'échelle de la planète, le développement de l'«American way of life». On pense que les autoroutes maintenant présentent un nouveau défi, c'est-à-dire risquent, avec évidemment les avantages et les inconvénients que ça implique, de pousser encore plus l'américanisation de la planète entière. On sait déjà que les trois quarts des programmes de télévision qui circulent dans le monde sont actuellement produits aux États-Unis.

D'autre part, la culture est devenue une industrie elle-même. Tous les besoins humains finalement, les pires et les meilleurs, peuvent donner lieu à la fabrication de nouveaux produits. Avec les inforoutes, le règne de la marchandise risque de s'étendre dans tous les aspects de la vie. Cependant, nous ne sommes pas fatalistes. On pense que rien n'est définitivement scellé d'avance. On pense que la culture du Québec a toujours été un des outils fondamentaux de survivance de notre peuple. On connaît le rôle que les artistes, les écrivains, les créateurs de toutes sortes ont joué dans la survivance du peuple québécois, dans la Révolution tranquille et encore aujourd'hui.

D'autre part, il y a un certain nombre de facteurs qui nous inquiètent aussi au Québec: l'état piteux de nos bibliothèques, la situation difficile de nos musées, la diminution du financement et le démembrement partiel d'institutions comme Radio-Québec, l'Office national du film, Radio-Canada, etc. On pense qu'il est faux de croire que les inforoutes vont se construire sur les débris de nos institutions plus traditionnelles. Au contraire, les inforoutes vont se développer dans la mesure où nos institutions plus traditionnelles vont rester vigoureuses.

Il y a toute la question des droits d'auteur aussi qui est soulevée par le développement des inforoutes. Les inforoutes risquent de créer de nouvelles formes d'exploitation internationale du travail. Avec la délocalisation de la production, avec les possibilités de télétravail, avec la possibilité de transferts transfrontières des données, les auteurs québécois risquent de plus en plus d'être exploités par les grandes entreprises. La Fédération nationale des communications, qui est une des fédérations qui regroupent une bonne part des journalistes au Québec, aura l'occasion de vous présenter un mémoire bientôt et d'insister sur cette question-là. On pense que les auteurs ont droit à leur juste rétribution, quand on vend le produit de leur travail, et que les auteurs, et les organismes et les associations qui représentent les auteurs devraient être effectivement consultés lorsqu'il y a transfert de leurs oeuvres.

L'accessibilité, c'est aussi évidemment une question fondamentale. On connaît actuellement le développement de l'exclusion entre les pays et au sein même de chacun de nos pays. Les inforoutes pourraient être un moyen soit d'accroître cette exclusion, soit, au contraire, de lutter contre cette exclusion. Mais, pour ça, il y a un certain nombre de conditions fondamentales à mettre en place. Il faut que cette technologie-là soit disponible au plus grand nombre de citoyens au Québec et dans la plupart des régions. Ce n'est pas parce que les grandes villes représentent des bassins de population intéressants pour les entreprises privées que les régions périphériques devraient être négligées. On pense que les services de base devraient être largement accessibles à des coûts très bas, sinon gratuitement. On se rappelle qu'un des succès de la généralisation du Minitel en France a été le fait précisément que le Minitel a été distribué gratuitement à la population. On pense que le réseau devrait être disponible dans tous les lieux publics du territoire pour faire en sorte finalement que les nouvelles technologies soient le plus près possible des activités quotidiennes de la population.

On parle aussi beaucoup du développement de l'économie sociale, depuis quelques mois, au Québec. On sait que ça va être un sujet important du prochain sommet socioéconomique. On pense que la construction de réseaux pour l'économie sociale au Québec pourrait être un instrument de développement pour échanger l'information, faire part des expériences menées au niveau régional et au niveau local. On pense qu'il y a lieu de s'intéresser à cette question-là dans les mois qui viennent si effectivement on pense que l'économie sociale est une des voies d'avenir dans le développement du Québec.

Évidemment, il y a toute la question de la formation. Ces technologies-là seront accessibles lorsque la formation sera aussi donnée à la population, ce qui veut dire renforcer la formation qui est donnée aux jeunes, mais aussi aux adultes.

Le mémoire soulève aussi la question des écarts internationaux qui risquent de s'accroître entre les pays riches et les pays pauvres. On pense qu'effectivement c'est une menace et que le Québec devrait, encore là, jouer un rôle important. On pense, par exemple, au renforcement et à la revalorisation du rôle des organismes internationaux. De plus en plus, va s'imposer une réglementation internationale pour gérer les nouvelles technologies. Parmi les organismes internationaux, on pense à l'UNESCO, au Programme des Nations unies pour le développement, aux clauses sociales dans les échanges commerciaux, etc.

L'isolement des personnes. Ce qu'on dit, dans cette partie-là, c'est qu'être informé de plus en plus, ce n'est pas nécessairement de plus en plus communiquer. Si les contenus qui se transigent favorisent exclusivement les intérêts commerciaux et les modes de consommation individuels, effectivement on risque de faire en sorte que les individus soient de plus en plus isolés et dépendants des nouvelles technologies. On pourrait faire face, dans l'avenir, à des problèmes graves de pollution et d'intoxication par l'information. Non seulement il faut être informé, mais il faut aussi donner à la population les instruments pour comprendre l'information et analyser l'information. De plus en plus, apprendre à apprendre est nécessaire dans le contexte de développement des inforoutes.

Finalement, avoir accès à plus d'informations, c'est aussi dans le but d'avoir accès à plus de décisions, d'accroître les pouvoirs de la société civile, d'accroître la capacité des citoyens et des citoyennes, dans une conception renouvelée de la citoyenneté, de pouvoir mieux agir sur les décisions qui les touchent quotidiennement. Alors, les inforoutes ne remplaceront jamais la démocratie. Les projets de Perot, par exemple, aux États-Unis, où on croit imaginer des formules de démocratie où les gens interviennent directement quotidiennement pour prendre des décisions risquent d'être un simulacre de la démocratie. Les inforoutes seront un outil effectivement utile dans la mesure où les institutions traditionnelles de la démocratie seront améliorées.

Les mutations dans le monde du travail. On sait que les nouvelles technologies qui se mettent en place et les inforoutes permettent maintenant une nouvelle division internationale du travail, permettent de concentrer les pouvoirs de décision et de décentraliser les tâches d'exécution. Alors, encore là, deux voies sont possibles. La première voie, c'est le renforcement du taylorisme, c'est-à-dire une division du travail qui restreint le nombre de décideurs et accroît le nombre d'exécutants, ou une organisation internationale du travail qui fait que le maximum de pays et de personnes puissent en profiter.

(15 h 20)

Alors, ces nouvelles technologies là, donc, auront des effets bénéfiques potentiels majeurs, si évidemment c'est associé à une réorganisation du travail dans les entreprises, si c'est associé à des programmes de formation. La même chose sur le plan international; le développement des nouvelles inforoutes, la délocalisation du travail vont amener nécessairement la nécessité de définir de nouvelles règles du travail au niveau international. Et on pense que l'Organisation internationale du travail aura à définir dans les années qui viennent des nouvelles conventions internationales du travail.

Finalement, on peut ajouter que les lois du travail sont, en général, actuellement complètement inadéquates compte tenu des évolutions qui sont en place dans nos sociétés depuis une dizaine, une quinzaine d'années. Vous vous souvenez que la commission Beaudry, il y a environ une douzaine d'années, avait fait plusieurs recommandations pour adapter nos lois du travail aux réalités actuelles. Cette commission-là a été sans suite, le problème reste entier.

M. Paquette (Pierre): Alors, je ne sais pas combien de temps il reste. Je voudrais au moins qu'on puisse présenter les deux points suivants sur la confidentialité et la question qui touche la protection des renseignements. Alors, Anne pourrait présenter ce bout-là.

Mme Pineau (Anne): Beaucoup de questions qui ont été posées par la commission avaient trait à l'utilisation possible d'une carte à microprocesseur santé aux fins, par exemple, d'un identifiant universel au Québec. Quand on a écrit le mémoire et même encore aujourd'hui, on n'a pas pris pour acquis que c'était quelque chose de fait. Donc, on n'a pas pris pour acquis que la carte à microprocesseur à des fins de santé était quelque chose de décidé, sur lequel on n'aurait aucunement à se prononcer comme population. Maintenant, on a appris tout récemment qu'effectivement il y aurait apparemment une carte à microprocesseur, mais à des fins administratives seulement.

Ceci étant acquis, on persiste à croire qu'il y a un débat qui doit se faire, en termes de coûts, de ce que ça représente comme coûts de mettre sur pied cette technologie-là, et aussi à quelles fins on veut mettre sur pied ce type de carte-santé-là. Nous, on a des inquiétudes par rapport à certaines visées avouées de la Régie de l'assurance-maladie du Québec à des fins de contrôle de la consommation des services et des médicaments. Ça nous inquiète, et on pense qu'il y a lieu de tenir un débat sur toute la question des cartes à microprocesseur dans le domaine de la santé.

On se rappelle qu'il n'y a pas si longtemps on a fait un gros bouleversement quand on est passé à la carte à photo et hologramme, qui s'est avérée apparemment peu utile dans la mesure où, selon ce que la RAMQ elle-même rapporte récemment dans un de ses documents de novembre 1995, les médecins n'utilisent plus la carte comme telle. Une fois entré dans le système informatique le numéro d'assurance-maladie, on n'exige plus du patient finalement qu'il exhibe sa carte et donc il y a un risque, effectivement. Donc, avant, encore une fois, de changer – et peut-être qu'il faut changer justement pour faire échec à ce type de problématique là – on pense que la population devrait être consultée.

Maintenant, il y a toute la question de l'identifiant universel. On n'est pas à même, à ce stade-ci, de répondre à cette question-là. Est-ce qu'il faut ou pas une carte? La Commission d'accès à l'information a annoncé qu'elle tiendrait une consultation sur toute cette question-là des identifiants universels, comment trouver un identifiant, comment faire en sorte qu'au Québec on puisse s'identifier. Juste à entrer ici, moi, j'ai eu à donner ma carte d'assurance-maladie; d'autres ont pu avoir à donner leur numéro de permis de conduire. Il y a des numéros qui circulent un peu partout. Normalement, la carte d'assurance-maladie ne devrait servir qu'aux seules fins de recevoir des services de santé. Il y a un problème, à l'heure actuelle, on en est conscients. On pense qu'il doit être abordé. Mais toute la question des cartes à puce, pour nous, comme le note d'ailleurs le Commissaire à la protection de la vie privée fédéral, ça peut comporter le meilleur comme le pire et ça dépend du projet qui est sur la table. Or, en l'absence de projet concret, c'est difficile pour nous de nous prononcer.

Maintenant, en ce qui concerne l'autoroute de l'information plus particulièrement, on pense qu'au Québec il y a des lois qui font en sorte que le Québec a une bonne longueur d'avance au niveau de la protection des renseignements personnels. La loi d'accès à l'information au public et, au privé, la loi de protection des renseignements personnels font en sorte qu'on est, en Amérique du Nord, je pense, l'État le plus avancé en ces matières-là.

Il nous semble que les lois privées et publiques de protection des renseignements personnels, qui devraient trouver application aussi dans le cyberespace, constituent un cadre de protection valable. Il faudrait cependant améliorer les protections lorsque les renseignements quittent le Québec. Une clause de réciprocité devrait être ajoutée à ces lois, de sorte qu'il soit interdit de transmettre des renseignements personnels protégés si le pays d'exportation ne présente pas des garanties équivalentes de protection des renseignements transmis. Comme vous le savez, c'est ce que prévoit déjà la directive européenne sur la protection des données, qui entrera en vigueur en 1998.

Une autre lacune des lois privées et publiques résulte aussi de l'absence de contrôle sur les données générées par les transactions ou pérégrinations sur l'inforoute. Au niveau du contrôle des contenus et de la lutte à la criminalité, on est conscients que les tentatives de censure sur des réseaux comme Internet sont pratiquement impossibles à réaliser. Ceci dit, il y a des difficultés qui, bien que réelles, ne justifient pas qu'on traite le cyberespace comme un Far West où les lois du monde réel n'auraient pas d'application. Ainsi, plusieurs règles relatives à la circulation d'informations existent, tant au plan criminel que civil, qui interdisent au Québec et au Canada la diffamation, la propagande haineuse, l'obscénité ou qui garantissent le droit d'auteur et la protection des renseignements personnels. On doit voir à ce que ces lois soient respectées.

Cela pourra requérir une bonne dose de coopération internationale. À cet égard, la suggestion de Pierre Trudel que soit mise sur pied une «ONU de l'électronique» est intéressante. On devrait aussi favoriser chez les fournisseurs d'accès le développement de codes d'éthique fixant des normes en matière, par exemple, de respect des droits d'auteur, en matière de diffamation. Par contre, nous doutons de la pertinence de créer des interdits spéciaux pour l'autoroute de l'information, comme le voudrait, par exemple, le Communications Decency Act américain.

Quant à savoir comment il faut faire évoluer nos textes législatifs afin qu'ils englobent l'environnement électronique, nous réitérons l'importance de mettre en place un mécanisme permanent de veille et de consultation des citoyennes et des citoyens à même de surveiller l'évolution des possibilités électroniques, des problèmes qu'elle peut engendrer et des règles ou normes à adopter pour y faire face.

M. Paquette (Pierre): Alors, peut-être pour conclure, on aborde aussi les questions d'éducation et de santé. C'est des positions qu'on a pu développer dans le cadre des états généraux sur l'éducation ou encore du débat sur la réforme de la santé. Donc, on pourra y revenir dans la discussion.

Par contre, j'aimerais attirer votre attention sur l'item 9. On insiste beaucoup sur le rôle de l'État québécois dans l'ensemble de la mise en place des infrastructures et du développement de l'inforoute. C'est vrai pour toute société, mais c'est particulièrement vrai pour une petite société comme la nôtre. On s'est inquiété d'ailleurs devant le CRTC des effets qu'aurait la concurrence, entre autres entre les industries, la téléphonie et la câblodistribution, en termes de coûts d'infrastructures parce qu'on sait qu'au bout du compte il va y avoir des perdants, donc des millions et des milliards de dollars dépensés en infrastructures, qui pourraient être davantage utilisés pour des contenus pour alimenter cette inforoute-là. Et on invitait le CRTC à réglementer la mise en place de cette inforoute. Donc, l'État a un rôle, à notre avis, important à jouer à cet égard-là.

Aussi, articuler le développement de l'inforoute avec l'ensemble de nos politiques culturelles. On ne l'a pas mentionné, mais on pourrait y revenir, qu'on pense aussi qu'on serait dus pour de bons états généraux sur la culture au Québec. Et aussi articuler, avec le développement régional et le développement sectoriel, le développement de l'autoroute. Et, sur ce point-là aussi, on rappelle qu'au niveau constitutionnel le gouvernement du Québec ne doit pas se gêner pour aller chercher tous les pouvoirs dont il a besoin pour s'assurer du bon développement de l'inforoute dans le cadre des intérêts de la société québécoise.

Alors, ça fait le tour du mémoire qu'on a déposé devant votre commission. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Garon): M. le député de Laporte.

M. Laporte: Il ne veut pas m'appeler par...

Le Président (M. Garon): Pas de Laporte, d'Outremont, excusez-moi.

M. Laporte: Je suis rendu avec trois comtés, M. le Président: Laporte, Outremont puis il y en a un autre... Tantôt, là, c'était LaFontaine.

Le Président (M. Garon): Non, non, non. C'est parce que j'ai mélangé votre nom de famille avec le nom du comté.

M. Laporte: Oui, bonjour. Merci d'abord de nous avoir présenté cet excellent mémoire. Moi, je voudrais vous poser une question qui est... Enfin, en lisant le mémoire, je n'ai pas eu de réponse à cette question-là. Je pense que vous jouez un rôle très important comme syndicalisme. D'ailleurs, le syndicalisme québécois joue toujours ce rôle qui est un rôle de réflexion sur les enjeux de société. Ça, c'est un rôle très important. Mais je me demandais quel pourrait être un autre rôle du syndicalisme, du point de vue, disons, du soutien ou de l'aide, ou du support à la pénétration de ce changement technologique. En plus de réfléchir sur les grands enjeux de société, comment pourriez-vous utiliser le pouvoir syndical pour assurer que cette innovation technologique, disons, entraîne au Québec les bénéfices qu'elle pourrait bien entraîner?

(15 h 30)

M. Paquette (Pierre): Oui, de plusieurs façons, je pense. D'abord, on le voit, si vous regardez les deux derniers chapitres qu'on n'a pas développés pour permettre qu'on puisse... Dans le domaine de l'éducation, on sait que la CSN est présente. On est majoritaire pour tout ce qui est du postsecondaire, et je pense qu'effectivement nos employés de soutien comme nos professeurs vont avoir un rôle extrêmement important dans l'implantation. Ils ont déjà un rôle important dans l'implantation de l'inforoute, mais aussi ils devraient jouer un rôle beaucoup plus, disons, proactif dans la conception même de cette implantation-là. Je pense que ça se fait déjà en partie, mais on devrait tabler davantage là-dessus. Même chose pour la santé. Je pense que les employés de la santé ont une expertise qui doit être mise à contribution quand on parle du développement, entre autres, d'une carte-santé avec puce.

Aussi, le mouvement syndical, la CSN en particulier, essaie de développer des formes d'association dans des nouveaux secteurs en développement. Par exemple, on a formé une association – en fait, c'était une association existante qui s'est affiliée à la CSN – de journalistes indépendants – ce sont des pigistes – qui sont ceux qui vont alimenter, au moins pour ce qui est de l'écrit, une bonne partie de l'inforoute. Et on a déjà des problèmes à cet égard-là quand, par exemple, des banques de données sur inforoute utilisent des documents déjà produits, les achètent, disons, de L'actualité , mais ne paient pas les droits d'auteur; que ce soit L'actualité ou la personne qui crée la banque de données, ils ne paient pas les droits d'auteur, parce que, on le sait, la loi prévoit que, pour une deuxième utilisation, 50 % des droits d'auteur doivent être payé. Actuellement, ils ne sont pas payés. C'est un phénomène qui est nouveau. C'est une association qui est petite, je pense qu'il faut le dire, mais cet effort-là de regrouper les formes de travail qui vont se développer avec l'inforoute peut être une contribution aussi de la CSN. Entre autres, dans le débat des droits d'auteur, je pense qu'on s'est déjà prononcé à l'occasion de la Journée internationale des droits d'auteur; on continuera à le faire.

On l'a fait avec des associations aussi. C'est un peu sur un autre domaine, mais je veux juste montrer que notre effort à ce niveau-là est réel. Par exemple, l'Association des professionnels de la vidéo, qu'on a organisée, a signé une entente collective avec les producteurs de la vidéo dans les suites de la loi sur le statut de l'artiste. Donc, pour le développement des nouveaux emplois, le mouvement syndical de la CSN peut jouer aussi le rôle qu'il a joué au niveau du développement de l'économie plus traditionnelle. Évidemment, je réponds à votre question un peu spontanément; peut-être que Michel ou Anne voudraient compléter.

M. Doré (Michel): Je voudrais vous rappeler qu'au début des années quatre-vingt on était face à un discours sur le développement des technologies qui était un discours évidemment, à cet époque-là, à sens unique. Ce discours-là, il était à l'effet qu'il fallait s'informatiser le plus rapidement possible; sinon, on allait périr, comme si les nouvelles technologies étaient en soi porteuses de productivité puis d'amélioration de la qualité des produits et des services. On a fait face à beaucoup d'échecs, à cette époque-là. Les employeurs achetaient des technologies parce qu'ils subissaient les pressions des vendeurs de quincaillerie. On se retrouvait avec des machines à contrôle numérique dans les milieux de travail puis souvent la machine, elle ne sortait pas de son empaquetage parce que, là, l'employeur, il se rendait compte que les travailleurs et les travailleuses n'étaient pas formés pour ça.

Alors, il y a eu toute une réflexion par la suite et, sept ou huit ans par la suite, on s'est rendu compte qu'il y avait du monde derrière les machines. Là, c'est le discours sur les ressources humaines qu'on a commencé à développer puis on s'est rendu compte que, effectivement, pour rentabiliser les technologies, il fallait que le monde soit formé, il fallait changer l'organisation du travail. Et c'est dans ces conditions-là que les technologies étaient génératrices, je dirais, d'amélioration à la fois des conditions de travail puis de la productivité et de la qualité des produits et des services.

Il ne faudrait pas faire les mêmes erreurs, je pense, avec les inforoutes. Comme mouvement syndical, on est demandeur de nouvelles technologies. Quand on fait face actuellement à des entreprises qui n'ont pas renouvelé... Dans le secteur du papier, dans les années quatre-vingt, on a réclamé pendant longtemps la modernisation des machines à papier dans les usines. Alors, on est demandeur de nouvelles technologies pour effectivement atteindre plus rapidement des objectifs d'efficacité et d'efficience, pourvu que ces technologies-là se mettent en place correctement.

Moi, je pense que le mouvement syndical joue son rôle à divers niveaux. Par exemple, on est très impliqués dans le développement régional, dans le développement local, actuellement. Les réseaux d'inforoute pourraient être un instrument de développement régional et de développement local. La CSN est actuellement sur Internet, et on diffuse le plus possible le contenu de nos documents. Alors, il y a une foule de façons – parce qu'on intervient dans une foule de milieux – dont on peut jouer ce rôle-là de promotion des nouvelles technologies, pourvu évidemment que les conditions sociales soient mises en place correctement pour qu'effectivement elles puissent se diffuser.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Frulla: Dans le même ordre d'idées, on a eu une discussion au niveau des membres de la commission justement sur la réorganisation – puis vous y avez touché – du travail, parce qu'on sait que, en bout de ligne, il va y avoir des possibilités, comme par exemple la recrudescence du travailleur autonome. Ce n'est pas évident non plus que les gens vont être obligés de travailler à la... En tout cas, dans les bureaux, c'est leur choix, mais il y en a de plus en plus qui travaillent à partir de la maison, rencontrant certains collègues, je dirais, une fois par semaine. Il y a cette possibilité-là que nous offrent les nouvelles technologies, donc toute la réorganisation du travail, la réorganisation aussi au niveau du partage du travail. À la femme qui est à la maison – femme ou homme – mais qui a une famille, donc, ça donne la possibilité de rester avec les enfants, mais d'être active au niveau du travail. Tout ça, là, toute cette réorganisation sociale, ça, c'est une chose.

D'un autre côté – un peu ce que vous disiez – quand les compagnies disaient qu'il fallait absolument s'informatiser, puis qu'elles n'étaient pas prêtes, on dirait aussi que, dans la mentalité, qu'elle soit gouvernementale ou autre, le travailleur autonome, entre autres, en tout cas, il est plus ou moins considéré quand on fait des mesures, que ce soit au niveau budgétaire, etc. On donne toujours un train de mesures au budget, et le travailleur autonome, on dirait toujours qu'il est oublié. Mais pourtant il va peut-être y avoir une recrudescence justement du travailleur autonome au niveau de l'avenir.

J'imagine, en tout cas, et je suis certaine que vous vous penchez là-dessus, sur toute cette réorganisation du travail, je dirais, cette nouvelle façon de faire qui va probablement prévaloir dans les années à venir, avec la présence du travailleur autonome, etc., puis comment aussi un syndicat peut être très actif et être le porte-parole aussi de ces gens-là, parce qu'ils n'en ont pas, de porte-parole au moment où on se parle, puis je ne pense pas que c'est une syndicalisation, je dirais, traditionnelle non plus, ce dont on parle.

M. Paquette (Pierre): Comme je vous le mentionnais tout à l'heure, on a déjà sept associations de travailleurs autonomes à la CSN: dans les médecines douces et dans les communications. Alors, évidemment, le type d'affiliation de ces associations-là n'est pas le même type qu'un syndicat traditionnel. Donc, nous, on pense que... C'est un peu comme pour les travailleurs précaires; quand on a commencé le débat sur la précarité, il y avait beaucoup de confusion dans la tête des travailleurs permanents. Le travailleur précaire était vu comme un voleur de job ou quelqu'un qui acceptait du travail à rabais au détriment du travailleur permanent qui essayait d'obtenir des conditions de travail convenables. Avec le temps, maintenant on essaie davantage de limiter la précarité et de la civiliser. Alors, ça a pu se faire parce qu'on a syndiqué des travailleurs précaires: des chargés de cours, des gens dans des secteurs qui sont eux-mêmes précaires, etc.

Alors, c'est un peu la même chose pour les travailleurs autonomes. On pense qu'il faut les organiser, quand évidemment il y a une volonté du secteur, en associations affiliées à la CSN, essayer de répondre à leurs services, et qu'eux nous amènent leurs préoccupations pour qu'on soit capables d'adapter nos services à leur réalité. Par exemple, évidemment, ils ne paient pas une cotisation du même type que les autres paient; ils n'ont pas de salaire horaire, ils paient sur la base de leurs revenus. C'est évident qu'ils ne feront jamais la grève contre eux-mêmes. Par contre, ils peuvent utiliser des moyens de pression, et la CSN peut les aider aussi à être reconnus par des associations de producteurs ou d'employeurs. Puis c'est clair aussi qu'il y a une tension à l'intérieur même des travailleurs autonomes, certains se voyant comme des petites entreprises, d'autres davantage comme des travailleurs autonomes en situation contractuelle avec une entreprise, mais ils savent très bien que ce n'est pas un jeu qui se fait d'égal à égal. Alors, on a cette préoccupation-là, et elle se vit différemment dépendant des secteurs.

Probablement qu'au fil des ans on va être en mesure de faire des suggestions plus précises pour ce qui est de l'encadrement du travail autonome, dépendant des secteurs, parce que je ne pense pas qu'il y ait une façon d'encadrer le travail autonome. Dans les communications, c'est une chose. On connaît un peu la réalité des communications. Pour le statut de l'artiste, vous êtes bien au courant que ça a pris de nombreuses années avant qu'on soit capable de cerner la réponse à cette réalité-là. Donc, ce que je veux dire, c'est que ça va se construire au fil des ans.

(15 h 40)

Et, nous, notre position, ce n'est pas d'être contre le travail autonome, mais on est contre l'utilisation du travailleur autonome pour détériorer les conditions de travail et de vie des gens qui font du travail autonome, mais il y a aussi la pression que ça exerce sur les autres travailleurs. Et, dans ce sens-là, ce qu'on rechercherait, c'est un cadre légal pour assurer un minimum de protection à ces gens-là pour qu'ils soient utilisés véritablement comme une valeur ajoutée dans la société québécoise et non pas comme une façon d'éviter de faire de la recherche et du développement, etc. Alors, c'est un peu le...

En tout cas, vous pouvez être sûrs que, du côté de la CSN, il y a énormément d'ouverture à ces nouvelles réalités là. On a investi beaucoup de ressources financières et humaines pour faire les expériences qu'on fait présentement. Il y en a qui sont plus heureuses que d'autres. Par exemple, dans le cas des acupuncteurs, c'est sûr que ça n'a rien à voir avec l'inforoute directement, mais ce sont des travailleurs autonomes. On a obtenu un certain nombre de choses avec eux. Par contre, dans d'autres médecines douces, c'est encore à l'a b c pour ce qui est de la reconnaissance. Alors, il faut de la reconnaissance par les employeurs; pour nous, une reconnaissance aussi par la société du travail que font ces gens-là, qui peut être, s'il est bien utilisé, vraiment une valeur ajoutée pour la société québécoise.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui. M. le secrétaire général, bonjour. À la page 11, vous parlez de la place de la langue sur l'inforoute. On voit que c'est une préoccupation que vous présentez à la fois sous forme de protection, mais également sous forme de promotion, et l'aspect promotion me plaît beaucoup. Vous évoquez en particulier – parce que votre préoccupation solidaire est évidente – une forme d'organisme de veille technologique. Cependant, est-ce que vous l'envisagez aussi pour la présence du français?

Je vous rappelle, par exemple, qu'au sommet de Cotonou il y a eu une entente entre la France et le Québec pour une plus grande synergie au niveau de l'inforoute. Est-ce que vous concevriez de manière ouverte, par exemple, qu'il y ait une coopération poussée d'un cran au niveau de la francophonie au sommet d'Hanoi, par exemple, entre, disons, la Communauté française de Belgique, la Suisse romande, le Québec, la France et les pays africains évidemment, ceux du centre, ceux du Maghreb? Comment vous verriez ça?

M. Paquette (Pierre): Bien, comme vous avez pu le voir, d'abord, quand on parle d'un organisme de veille, on lui a donné un certain nombre de responsabilités sur la question de la langue, de la culture, de la protection aussi d'un certain nombre de droits. Évidemment, pour ce qui est de la coopération internationale – ça aussi, ça revient à plusieurs reprises – ça pourrait être l'organisme qui assure ce lien-là avec la communauté, si on parle de la langue francophone. En fait, on ne s'est pas arrêtés sur la structure comme telle, mais il nous semble que ce genre d'organisme doit être très représentatif de la diversité des réalités sociales et des réalités économiques que représente l'inforoute, c'est-à-dire, oui, des producteurs, des gens qui possèdent les infrastructures, mais aussi des usagers puis des gens – par exemple, si on revient au développement régional – qui ont ces préoccupations-là. Alors, c'est un organisme avec un mandat large, qui pourrait avoir aussi comme responsabilité, sur les domaines qu'on a identifiés dans le cadre de notre mémoire, d'établir des liens avec d'autres pays francophones dans le cas de la langue et de la culture.

Puis, sur d'autres aspects – on parlait de la protection des consommateurs – on pourrait s'assurer que, par exemple, l'Office de la protection du consommateur prenne les ententes nécessaires avec, entre autres, les Américains, mais aussi les autres provinces canadiennes pour s'assurer de la protection des renseignements ou que la validité des contrats soit protégée. Alors, je ne sais pas, peut-être, Michel, si tu as des...

M. Doré (Michel): Non.

M. Gaulin: La deuxième question rapide que je voulais vous poser, vous parlez, aux pages 26-27, du contrôle des contenus et de la lutte à la criminalité. D'ailleurs, vous citez Jean-Claude Guédon – enfin, ça dépend quand c'est écrit aussi, là – qui semble s'en remettre un petit peu à l'inéluctable par rapport à des formes d'infractions qui pourraient être commises par le biais de l'inforoute. Vous évoquez, vous autres, la possibilité d'une coopération internationale pour justement éviter qu'il y ait une sorte de Far West de ce que vous appelez le cyberespace. Est-ce que vous pourriez développer un petit peu?

Mme Pineau (Anne): Bien, écoutez, pour nous, c'est clair qu'on ne doit pas prendre pour acquis que, par exemple, un réseau comme Internet peut fonctionner sans qu'il n'y ait aucune balise qui règne là-dessus. C'est clair que des gens, par exemple, qui seraient victimes de diffamation sur le réseau Internet, je ne vois pas de raison pour laquelle ces gens-là ne pourraient pas poursuivre au même titre que quand on fait de la diffamation dans un journal. Quand on diffuse des contenus obscènes au sens du Code criminel, je ne vois pas de raison pour laquelle la personne serait au-dessus du Code criminel dans un cas comme ça. Donc, on est tout à fait d'accord pour faire en sorte que les lois qu'on a adoptées et qu'on a cru bon d'adopter au pays s'appliquent sur un réseau, mais qu'on traite ce réseau-là de la même façon qu'on traite les autres moyens d'information, c'est-à-dire que les lois qui valent au Code criminel ou au plan civil soient applicables, mais pas plus de lois ou pas moins, qu'on applique finalement les mêmes normes pour tout le monde, peu importe le réseau.

C'est pour ça que, dans ce sens-là, une loi comme le Communications Decency Act américain nous pose un peu de problèmes dans la mesure où on vient surajouter à des obligations criminelles. Par exemple, on est d'accord pour que le Code criminel s'applique, mais là on rajouterait quelque chose qui est difficilement d'abord applicable. Toute la question de ne pas rendre disponible à des mineurs du matériel offensant pour un mineur, d'abord ça pose la question: «Offensant», qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce qu'on peut se mettre, avec une censure de ce type-là, à exclure des oeuvres d'art, des manuels d'anatomie? Donc, c'est tout un débat qu'on ouvrirait, alors qu'on pense que des outils sont plus aptes à faire en sorte que des mineurs qu'on veut protéger n'aient pas accès à ce matériel-là par des logiciels et aussi par une surveillance, à mon sens, des parents qui me semble importante, et une éducation aussi des enfants à l'utilisation de l'autoroute de l'information.

M. Paquette (Pierre): Peut-être juste ajouter là-dessus que ceux qui connaissent un peu les gens, surtout sur l'Internet, ils ont vraiment, je dirais, une philosophie spontanément de cowboys, y compris même – ça nous surprend toujours – des gens qui, sur toutes sortes d'autres domaines, nous disent que l'État doit intervenir pour encadrer le marché pour ci, pour ça. Quand ils parlent de l'Internet, là, ça devrait être le «free-for-all». Alors, il est clair que, entre le «free-for-all» et puis, disons, une surcensure ou une surlégislation, il y a un équilibre à trouver, pour nous, pour que ça reste quand même un espace de communication où la liberté de parole puisse être utilisée.

M. Gaulin: Merci.

Le Président (M. Garon): Complément d'information, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: J'aimerais poser juste une certaine question d'information, mais c'est parce que, moi, je m'intéresse de plus en plus au développement d'une localité où j'habite à peu près un mois, un mois et demi, deux mois par année, un petit village du Québec. On a là l'un des plus beaux parcours alpinistes du Québec. Si on était branché sur un site Internet pour le faire connaître, ce parcours-là, on créerait certainement un marché.

Et, tantôt, je vous entendais parler du rôle que le syndicalisme peut jouer dans le développement régional ou dans le développement local. Par rapport à ces projets de développement de localités, les syndicats, où est-ce que vous vous situez, en particulier dans une conjoncture comme celle-là où des localités ont besoin d'argent, ont besoin d'aide pour pouvoir faire des investissements dans la technologie à des fins de développement? Où est-ce que se situe le rôle du syndicat là-dedans? Où est-ce que vous êtes actifs là-dedans, vous autres?

M. Paquette (Pierre): Là, on déborde un peu l'inforoute...

M. Laporte: Oui, oui.

M. Paquette (Pierre): ...mais, moi, je n'ai pas de problème avec ça. Bon. D'abord, la CSN est présente à peu près dans toutes les régions et dans toutes les expériences de développement régional. Mme Malavoy doit connaître sûrement Janvier Cliche. Je pourrais faire le tour de nos présidents de région, et puis ils jouent un rôle actif dans le développement régional. C'est clair que, là encore, il n'y a pas de modèle; chaque région a sa propre... Mais, pour nous, c'est très clair que les régions doivent prendre en main leur développement et avoir l'aide évidemment de l'État, parce qu'une région aurait peu de moyens à sa disposition pour se développer. Donc, nous, on travaille déjà à ce que les régions prennent en main leur propre développement, mais il faut aussi s'assurer – c'est là un peu l'équilibre à rechercher – que ce développement-là se fasse harmonieusement dans l'ensemble de la société québécoise.

Par exemple, actuellement, ce n'est pas l'inforoute, mais, si on prend l'environnement, chaque région voudrait être le lieu de développement de l'industrie de l'environnement sans qu'on soit vraiment capable de définir ce que c'est. Moi, je suis de Montréal; l'est de Montréal veut avoir ça, j'ai des amis en Montérégie qui veulent aussi développer ça et je suis convaincu que, dans les Basses-Laurentides aussi, il y a du monde qui travaille là-dessus. Donc, l'État a un rôle aussi de coordination à jouer à cet égard-là.

(15 h 50)

Mais, si on prend toujours l'exemple que vous donnez, il y a une expérience au Québec, moi, qui me semble extrêmement intéressante, que je ne connaissais pas puis que le travail des chantiers en préparation du sommet socioéconomique m'a permis de connaître: c'est la Maison des régions du Québec qui utilise justement la technique de l'inforoute et puis aussi des CD-ROM pour faire la promotion des régions du Québec. Ça me semble être, disons, une réponse à un des problèmes qu'on a de mise en marché au niveau mondial. Alors, je ne sais pas si tout le monde a pris connaissance de cette expérience-là, mais ça vaut vraiment la peine d'aller voir ça. Et, s'il y a un effort à faire pour renforcer l'utilisation de l'inforoute dans la promotion du Québec et de ses régions à l'extérieur, il me semble qu'on a là un véhicule, un instrument intéressant à renforcer. Alors, c'est quelque chose qui s'est mis sur pied il y a à peine quatre ou cinq ans.

Le gouvernement, m'a-t-on dit, a été plus ou moins sceptique. Là, on commence à voir, je dirais, les possibilités qu'offrent la technologie puis cette Maison des régions du Québec. Et ce qui est intéressant, c'est que chaque région utilise ce moyen-là en y mettant ce qu'elle veut. Donc, dans une région qui fait sa promotion de façon active, la Maison des régions, elle, agit simplement comme un répartiteur de ces informations-là. Elle les traite pour les rendre accessibles, mais ce n'est pas elle qui les fait. Alors, dans ce sens-là, en tout cas, je signale à la commission que, à mon avis, c'est un des projets intéressants dans ce domaine-là et qui n'est pas suffisamment connu.

Je termine juste en racontant cette anecdote-là. À une des dernières rencontres du chantier de M. Coutu, il y a des représentants de la Banque Royale qui sont venus nous dire comment ça serait important que le Québec soit présent sur le réseau Internet au niveau mondial et puis ils avaient préparé un projet qui correspondait exactement à la Maison des régions, mais ils n'en avaient pas entendu parler. Alors, c'est pour vous dire qu'il ne faudrait pas réinventer non plus la roue puis qu'il y a déjà des initiatives extrêmement intéressantes qui sont prises.

M. Laporte: Mais vous êtes d'accord avec moi pour dire que... Moi, en tout cas, j'ai découvert ça en utilisant Internet puis en m'intéressant au développement local. Vous êtes d'accord pour dire... Je pense que ce que vous avez dit tantôt, c'est que l'inforoute ou enfin, disons, embarquer sur l'inforoute, ça peut être un outil stratégique de prise en main de son développement économique ou de son développement social par les localités.

M. Paquette (Pierre): Oui. C'est un instrument, je pense, comme il y en a d'autres. Ici, par exemple, on le sait, au Québec, on a 47 % du capital de risque canadien. On s'est développé là un instrument. Il reste encore à le fignoler, parce que vous savez comme moi qu'il n'y a pas de capital de démarrage. Donc, il me semble qu'on est quand même sur la bonne voie à cet égard-là.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: D'abord, j'aimerais vous remercier et vous féliciter pour la qualité du mémoire, parce que vraiment non seulement les idées sont intéressantes, mais c'est écrit dans une langue agréable. Et je pense qu'en plus c'est consistant. Et je trouve que ça vaut la peine de le souligner parce que je souhaiterais que les personnes qui ont contribué à ça le sachent, que c'est un document de haute qualité.

Il y a en plus des choses originales que vous faites. J'en souligne une, puis j'ai une question à vous poser sur une autre idée. Mais une chose que je trouve originale, par exemple, c'est de joindre ce que pourraient permettre l'inforoute ou les inforoutes avec tout le nouveau chantier de l'économie sociale, parce que, à première vue, on pourrait penser que ce sont des mondes opposés, hein, que l'inforoute, c'est la haute technologie, que ce sont des choses d'avant-garde puis que l'économie sociale, ce sont des emplois peut-être pas très prometteurs ou, en tout cas, un peu d'arrière-garde. Il y a des gens qui craignent cela, à ce moment-ci. On verra dans quelques mois où on en sera, mais il y a des gens qui craignent que ce soit un combat d'arrière-garde. Alors, de joindre ces deux univers, je trouve que c'est intelligent, que c'est original et que c'est peut-être faire preuve justement de la capacité de rendre l'inforoute accessible et proche des préoccupations des gens.

La question que j'ai plus particulièrement, c'est sur ce que vous appelez le débat autour de la notion de démocratie. Vous avez un passage dans votre texte qui m'a plu beaucoup et, entre autres, qui rappelle qu'on ne peut pas faire d'économie de temps quand on veut développer la démocratie. La démocratie suppose que les gens prennent le temps de réfléchir, de débattre, de faire circuler les idées, et je me demandais quel rôle vous voyiez à l'inforoute dans ce débat-là. Sachant que c'est un domaine où par nature ça va très vite, comment allier les exigences de l'inforoute, entre autres quant à la rapidité de réaction, avec les exigences d'une réflexion sur la démocratie, qui est certainement une piste fort intéressante, mais qui à première vue pourrait sembler être difficile, compte tenu du temps que ça prend, la maturité en démocratie? Je vois que vous vous demandez qui est l'heureux gagnant de la réponse.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Paquette (Pierre): Bien, c'est parce que c'est une question vaste. En tout cas, je pense qu'une chose – puis peut-être que Michel pourra revenir là-dessus – qui est très claire pour nous, c'est que la démocratie de sondage, on ne croit pas à ça; on a trop vu, nous-mêmes, dans les débats qui se sont menés, des situations où l'opinion publique était opposée à une idée et, après avoir fait le débat – donc, ça veut dire fournir l'information, évaluer cette information-là à travers les arguments amenés par les uns et les autres – l'opinion publique a changé d'idée complètement au moment de la décision. Alors, là-dessus, l'inforoute peut servir effectivement à alimenter à la fois le débat et l'information comme telle.

Une des conditions pour ça, c'est justement l'accessibilité. Une des craintes qu'on a manifestées – on l'a manifestée dans le mémoire, mais on l'a manifestée aussi devant le CRTC – c'est: comme ça va être une infrastructure qui va être extrêmement coûteuse, c'est ceux qui vont être propriétaires de cette infrastructure-là qui vont être capables de permettre ou de ne pas permettre l'utilisation de l'inforoute pour l'ensemble des points de vue qui peuvent s'exprimer dans une société démocratique. Alors, ça, ça me semble être une préoccupation que doit avoir la commission.

Nous, on avait suggéré de regarder du côté de la câblodistribution, l'utilisation, je pense, de 1 % du chiffre d'affaires – je n'ai peut-être pas le bon chiffre – pour financer les télévisions communautaires, parce que évidemment ça va demander aussi un certain investissement qui n'est pas accessible nécessairement à tout le monde. Tout le monde sait que tous les organismes veulent être sur inforoute, avoir un site, mais, pour l'alimenter, ce site-là, ça demande des ressources que plusieurs groupes, y compris même la CSN... On parlait, tout à l'heure, qu'on avait notre site Internet, mais, pour l'alimenter, je dois vous dire que c'est exigeant.

Je dois dire aussi, en passant, que j'étais allé voir celui du gouvernement du Québec, et puis le dernier communiqué datait d'à peu près trois semaines. Alors, je n'ai pas fait récemment la chose, mais... Donc, c'est des ressources pour aider l'ensemble des points de vue à s'exprimer, mais aussi à pouvoir soutenir le débat public là-dessus. Alors, ça, ça me semble être une des conditions. Je ne sais pas si Michel aurait d'autres merveilleuses idées.

M. Doré (Michel): Ha, ha, ha! Je n'ai pas d'autres merveilleuses idées, mais, à mon avis, c'est probablement la question la plus fondamentale. On pense que la démocratie, c'est abord être informé. La question, c'est de savoir qu'il y a une différence fondamentale entre être informé et comprendre – on a l'impression qu'on est de plus en plus informés, mais qu'on comprend de moins en moins – et communiquer. Informer, on pense qu'il y a le risque que l'information vienne uniquement du haut vers le bas... Alors, là, l'enjeu de la démocratie, c'est que ces nouvelles technologies là donnent aussi la parole au maximum de personnes possible; de là les questions d'accessibilité, et vous avez des questions de modes conviviaux d'expression, etc.

Deuxièmement, comprendre. Il faut de plus en plus des outils pour comprendre l'information, et ça, c'est tout le rôle, à notre avis, du système d'éducation au Québec. Plus il va y avoir d'information, plus on risque de ne pas comprendre si on ne donne pas les outils au monde pour comprendre l'information, apprendre à apprendre, etc., développer l'esprit critique et, ensuite, l'accès à la décision. Alors donc, la démocratie, c'est beaucoup plus que pitonner quand on nous pose une question.

Et ce qu'on dit, c'est que ça doit, au contraire, par exemple... L'exemple de l'économie sociale, à notre avis, est un bon exemple. Les technologies pourraient servir à régénérer le rôle de la société civile. Il n'y a pas de société politique qui tienne s'il n'y a pas une société civile qui est extrêmement active. Donc, multiplier... et il y a des possibilités avec les nouvelles technologies. Les groupes de discussion qui se créent, par exemple, ce qu'on appelle les communautés virtuelles, sont un des exemples qui seraient susceptibles de se développer pour renforcer la démocratie.

Le Président (M. Garon): Je remercie les porte-parole de la Confédération des syndicats nationaux de leur contribution à cette commission. Et, comme on m'a demandé cinq minutes d'interruption, je suspends les travaux de la commission pendant cinq minutes pour permettre à chacun de faire ce qu'il a à faire.

(Suspension de la séance à 15 h 59)

(Reprise à 16 h 8)

Le Président (M. Garon): La commission reprend ses travaux. J'invite maintenant le Centre de recherche en droit, sciences et sociétés de l'UQAM à venir nous rejoindre, et je vais demander à ceux qui sont venus au nom du Centre de se présenter et de commencer leur présentation en leur disant que, comme nous avons à peu près une heure, normalement les gens prennent 20 minutes, ce qui donne 20 minutes aussi à chacun des partis ministériels pour poser des questions à ceux qui viennent présenter leur mémoire.


Centre de recherche en droit, sciences et sociétés (UQAM)

M. Mackay (Pierre): Merci, M. le Président. Mon nom est Pierre Mackay; je suis professeur au Département des sciences juridiques de l'UQAM. Les collègues qui m'accompagnent sont, à ma gauche, le professeur Robert Dupuis, du Département d'informatique de l'UQAM, et Michel Thiffault, informaticien et chargé de cours au Département, et responsable de notre site serveur sur Internet. Donc, un praticien des choses que vous étudiez aujourd'hui.

Notre Centre, à l'origine le Groupe de recherche informatique et droit de l'UQAM, est à l'origine de plusieurs études importantes dans le domaine. Je pense d'abord à «L'identité piratée», au milieu des années 1985, une étude sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé qui fut un des éléments à l'origine de l'extension de la loi au secteur privé. Je pense aussi à «Vie privée sans frontières», une étude sur les flux transfrontières de renseignements personnels, et à d'autres études comme «Les aspects juridiques et technologiques de la carte à mémoire».

On va aborder rapidement chacun des éléments de notre mémoire qui suivent le plan du document de consultation et, dans un premier temps, sur la culture et les droits d'auteur, je passe la parole à mon collègue, Michel Thiffault.

(16 h 10)

M. Thiffault (Michel): Merci, Pierre. Sur le droit d'auteur, la partie du mémoire origine de M. René Côté, là, qui est également professeur au Département des sciences juridiques. En son absence donc, je présente les principales conclusions auxquelles il en est arrivé. Tout d'abord, René Côté mentionne qu'à l'intérieur du document d'appel des mémoires une erreur importante s'est glissée quand on mentionne qu'il n'existe pas de concepts de droit d'auteur ou de propriété intellectuelle aux États-Unis. Il faudrait tempérer un petit peu cette affirmation-là quand on sait que les États-Unis, que la culture américaine, en fait, exerce une hégémonie à peu près totale sur l'ensemble des nations un peu partout dans le monde. On sait aussi que les États-Unis sont à l'origine de l'inclusion de clauses visant à protéger davantage la propriété intellectuelle dans des traités internationaux comme ceux du GATT puis de l'ALENA.

Là où le droit d'auteur diffère, au Canada, de ce qui se fait aux États-Unis, c'est au niveau des droits moraux. Le concept de droits moraux n'existe pas aux États-Unis. Par contre, aux États-Unis, l'originalité d'une oeuvre doit être plus grande pour qu'elle bénéficie de la protection du droit d'auteur que ce qui est démontré au Canada.

Une autre différence importante évidemment, c'est le droit d'auteur de la couronne. Aux États-Unis, si vous regardez dans le mémoire à la page 4, on nous dit: «Copyright protection under this title is not available for any work of the United States Government.» Donc, les oeuvres produites par le gouvernement américain ne sont pas protégées par le droit d'auteur. Ceci comprend notamment, par exemple, dans le secteur qui nous intéresse, les lois et les arrêts de jurisprudence. Au Canada, bien, ces différents documents là tombent sous le coup du droit d'auteur de la couronne puis actuellement, bien, la diffusion en est restreinte par les diffuseurs officiels qui sont SOQUIJ et Quick Law principalement; un petit peu, depuis quelque temps aussi, l'Éditeur officiel du Québec.

En vertu du principe, du fait que la libre circulation de l'information, que l'accès le plus universel à l'information est un gage de démocratie, bien, nous préconisons que l'État devrait renoncer à son droit d'auteur de la couronne sur l'information gouvernementale. Ceci aurait comme effet d'accroître notamment la transparence des actes administratif puis éventuellement aussi de favoriser l'émergence d'une nouvelle industrie qui serait basée sur l'ajout de valeur supplémentaire, de la valeur ajoutée finalement sur cette information-là. Merci beaucoup.

M. Mackay (Pierre): Mon collègue, Robert Dupuis, va vous parler sur l'isolement des personnes et la mutation du monde du travail.

M. Dupuis (Robert): Merci. En ce qui concerne l'isolement des personnes, nous avons surtout une espèce de recommandation à faire. Nous pensons que le gouvernement, l'État, devrait favoriser autant que possible la circulation dans les deux sens, éviter que l'inforoute en question devienne une autoroute où il y a 55 voies dans une direction puis une piste cyclable dans l'autre direction. C'est ce qui pourrait causer que, par exemple, des groupes d'intérêts occupent toute la place et aient les moyens, eux, de diffuser de l'information riche, puis que des groupes plus petits ou des individus ne soient pas en mesure de répondre, ce qui est un danger à toutes sortes de points de vue, mais, entre autres, au point de vue de la démocratie, par exemple.

On pense que l'accès des individus à une bande passante riche, c'est-à-dire leur permettre de diffuser des informations larges et riches, ça peut permettre aussi aux régions puis aux localités même d'occuper une place plus importante non seulement pour faire valoir leurs richesses actuelles, mais pour offrir toutes sortes d'autres services qui peuvent provenir de n'importe où dans le monde, parce que la localité n'aurait pas d'importance. Ça pourrait permettre ça. Si, techniquement, ce n'est pas en place puis qu'il n'y a pas possibilité d'offrir des informations riches à partir de n'importe où, ça ne serait pas possible. Donc, nous croyons que c'est très important.

Je veux dire quelques mots aussi sur la mutation du monde du travail. On observe déjà ce qui s'appelle la virtualisation des entreprises, c'est-à-dire les frontières de plus en plus floues entre les entreprises et non seulement leur environnement, mais leurs propres membres. Alors, il y a toutes sortes de formules qui existent, des pigistes, toutes sortes de formules de sous-traitance, de traitement des données ou d'autres choses à l'extérieur de l'entreprise. Le déplacement même physique... Ce qui est annoncé depuis plusieurs années, le télétravail, le travail à la maison, l'inforoute rend ça de plus en plus possible, en fait, parce que le lien peut être aussi rapide avec la maison qu'avec un ordinateur qui est situé sur les lieux du travail.

Donc, de plus en plus ce lien-là entre l'organisation puis ses membres va devenir flou. On croit qu'un danger qu'il y a à ça, c'est d'isoler les individus par rapport à leur employeur. Déjà, les pigistes sont relativement démunis face aux grandes corporations qui les engagent. On pense que peut-être l'État peut essayer de favoriser le regroupement de ces individus-là. L'idée qu'on a eue, c'est l'exemple du monde de la construction où les plombiers, par exemple, sont employés par toutes sortes d'employeurs différents, selon les circonstances. Peut-être il y aurait moyen de favoriser le regroupement des gens selon ces lignes-là plutôt que selon leur employeur. Il est peut-être possible aussi de penser à une protection minimale pour ce genre de travailleurs, y compris peut-être même de tenir compte fiscalement des dépenses qu'ils doivent encourir pour s'équiper, par exemple, ou pour occuper une place supplémentaire dans leur logis, ou ce genre de choses.

Je vais remettre la parole à M. Mackay.

M. Mackay (Pierre): Merci. Deux des problèmes qui soulèvent le plus de controverses quand on parle de l'autoroute de l'information, de l'Internet, ce sont, d'une part, des problèmes de confidentialité et, d'autre part, des problèmes de liberté d'expression. On a tendance souvent à opposer confidentialité et technologies de l'information en se disant: Les informations sur les personnes circulent plus facilement, plus librement. Je pense que, dans une situation de technologies, appelons-les, primitives, de première génération, c'est probablement vrai. Cependant, on ne peut pas opposer technologies de l'information et confidentialité; ce ne sont pas deux réalités qui sont divergentes ou opposées, parce que maintenant existent des technologies qui permettent de garantir la confidentialité et probablement même une confidentialité encore plus grande que ce qui existe dans la situation des dossiers papier, des dossiers traditionnels.

Donc, il faut recourir à ces moyens-là, et je pense que l'État, dans son projet, par exemple, de carte-santé, dont on fait grand état ces jours-ci, a entre les mains un outil avec lequel il pourrait démontrer la capacité réelle de garantir une confidentialité de haut niveau à l'individu avec les capacités de chiffrement, d'encryption ou d'encryptage, pour utiliser des anglicismes, des données qui sont présentes sur la carte, avec des systèmes qu'on appelle techniquement des systèmes à double clé – une clé publique et une clé privée, la clé privée étant connue seulement du détenteur de l'information – pouvant être «accédés» ou ouverts à l'aide d'un numéro d'identification tel que ce qu'on connaît dans les banques. Je pense qu'on n'a pas à se plaindre de fuites majeures d'information dans le réseau bancaire.

Dans des cas où des situations d'urgence se présentent, des systèmes de dépôts fiduciaires dans des systèmes informatiques pourraient permettre d'accéder à l'information dans des cas où la personne est incapable de donner son consentement à l'utilisation de sa carte. On pense aux situations d'urgence: une personne qui fait un infarctus sur la rue et puis qui se retrouve dans une ambulance.

Le Québec a de nombreux acquis en matière de protection des renseignements personnels et de confidentialité, tant ceux du Code civil que ceux de la loi sur la protection des renseignements personnels. Et, malheureusement, je pense, l'appel de mémoires a tendance un peu à oublier ou à laisser de côté ces acquis importants. Le modèle québécois en matière de protection des renseignements personnels est un des modèles qui sont cités à travers le monde. Et on pense que, au lieu de revoir l'ensemble de ces lois relativement récentes et à caractère fondamental, il faudrait plutôt tenter de les adapter à ces nouvelles technologies et de les amener vers les nouvelles réalités. Je pense qu'il n'est pas utile non plus de créer de nouvelles commissions de surveillance; une commission comme la Commission d'accès à l'information possède une expertise exceptionnelle dans le domaine et devrait plutôt être investie de nouveaux moyens pour prolonger son mandat du côté de ces nouvelles technologies.

(16 h 20)

Pour ce qui est de la liberté d'expression, alors, là, tous les épouvantails circulent, particulièrement depuis la fameuse page couverture de Time Magazine de juillet 1995, «Cyberporn», où on prétendait que 80 % des images qui circulaient sur l'Internet étaient de caractère licencieux, obscène ou autre. Time Magazine a dû s'en excuser trois semaines plus tard dans son édition, ce qui n'a pas fait la page couverture. Il y a, bien sûr, sur l'Internet comme dans n'importe quel mode de publication, des objets plus ou moins acceptables, si on veut, au consommateur, plus ou moins répréhensibles, mais il ne faut surtout pas traiter l'Internet et les inforoutes comme si on voulait leur bloquer l'accès de façon absolue et complète à cause de l'existence d'un certain nombre de sites plus ou moins questionnables.

Pour ce qui est des idées, je pense qu'il faut combattre les idées par les idées. Si Ernst Zundel ou le Klu Klux Klan veulent avoir des sites sur l'Internet, il va être très difficile de les en empêcher, mais que d'autres sites et d'autres personnes se chargent de combattre ces idées-là par le débat public, ce qui est la meilleure démonstration à faire du caractère injustifiable des idées qui y sont élaborées.

Pour ce qui est de la pratique, on a souligné dans le mémoire sept ou huit principes qui, je pense, devraient nous guider, devraient guider le gouvernement du Québec et ses institutions pour traiter la liberté d'expression comme le principe fondamental et pour lequel les restrictions devraient être l'exception. Et, encore là, mettre à profit les technologies, comme par exemple les technologies du «Platform for Internet Content Selection» qui permettent de filtrer, de poser des filtres, soit dans les bibliothèques, soit dans les écoles, soit dans les maisons, sur des sites auxquels on ne veut pas que certaines clientèles aient accès, comme les jeunes, de la même façon qu'on filtre dans les clubs vidéo où on a un certain nombre de règles sur l'accès aux vidéos roses, et on a aussi des règlements municipaux sur l'affichage des revues à caractère sexuel. Il faudrait utiliser des moyens analogues sur l'Internet pour filtrer l'accès à des populations qu'on veut protéger, ne pas faire de la censure sur les autoroutes la règle, mais plutôt une exception très, très secondaire et mineure.

Il nous reste quelques minutes pour traiter des deux derniers points: le développement technologique et économique, et l'éducation. Michel.

M. Thiffault (Michel): En ce qui concerne le développement technologique et économique, on est en train d'assister à l'émergence d'une nouvelle industrie avec l'autoroute de l'information. Puis, comme à toutes les fois que ce phénomène-là se produit dans nos sociétés, bien, une nouvelle industrie qui émerge, ça attire beaucoup de convoitise de la part de tous les gens qui voudraient s'emparer de ces marchés-là. Finalement, c'est des parts de marché, tout ça, sauf qu'il faudrait bien comprendre que les parts de marché ne sont pas uniquement au niveau des technologies qui sont en cause, dans le sens que, même si Bell Canada, par exemple, pour nommer un des joueurs, arrivait à imposer mondialement le type de technologie qu'elle préconise comme infrastructure pour l'autoroute de l'information, ce n'est pas à cet endroit-là que vont se manifester le maximum de retombées économiques possible.

Pour rester dans l'analogie du téléphone, si on demandait aujourd'hui de chiffrer économiquement la valeur ajoutée des services téléphoniques, on ne se contenterait pas uniquement de regarder les montants que Bell facture à ses clients; on regarderait à quoi servent les services téléphoniques, quelles sortes d'occasions d'affaires ça peut permettre de générer ou de rendre simplement possibles. On regarderait finalement l'utilité d'un tel service, beaucoup plus qu'uniquement le prix qui est facturé.

C'est la même chose qui risque de se produire avec l'autoroute de l'information, dans le sens que ce n'est pas impossible que le Québec devienne un joueur dominant du côté de la technologie, mais ce n'est pas là qu'il faut viser, puis ce n'est pas là qu'il faut mettre nos billes. Un bon exemple de ça, on l'a vécu dans les années quatre-vingt quand on parlait de Télidon – je ne sais pas s'il y en a à qui ça rappelle des souvenirs – versus Minitel. La technologie de Télidon, à l'époque, était beaucoup plus avancée que celle de Minitel, notamment au point de vue graphique, animation, toutes ces choses-là. Mais pourtant Télidon n'a pas pris le marché. Pourquoi?

Parce qu'on ne trouvait pas, supportées directement par cette technologie-là, les applications qui auraient provoqué un engouement de la part d'une classe d'utilisateurs populaire, si on peut dire, ce qui fait que finalement ça n'a pas pris le marché, contrairement à la France où le Minitel a été supporté, dès le début, par les gouvernements qui l'ont rendu obligatoire et qui en ont fait un cheval de bataille. Donc, par décret, on a réussi, à un moment donné, à imposer une technologie même si techniquement ses mérites étaient inférieurs à ceux d'autres technologies.

Du côté de l'autoroute de l'information, bien, on ne pourra pas l'imposer, cette façon-là de voir les choses, mais on peut drôlement l'inciter. Le problème, comme on le dit dans le mémoire, c'est le problème des saucisses fumées: les gens, présentement, ne vont pas sur l'autoroute parce qu'ils n'y trouvent pas un contenu suffisant pour justifier la dépense. Par ailleurs, les producteurs éventuels ou potentiels de contenu hésitent à investir massivement dans cette production de contenu, puisqu'on ne trouve pas un bassin suffisamment grand de consommateurs qui s'y promènent, sur cette autoroute-là.

Donc, ce qu'il faut, c'est démarrer la roue, c'est partir le processus finalement, puis on pense qu'à ce niveau-là le gouvernement a un rôle à jouer. Comme il y a trois composantes majeures... En tout cas, on en identifie trois; ça dépend comment on classe les choses, évidemment. Mais, nous autres, dans notre perspective, il y a trois composantes majeures sur l'autoroute, qui sont: les infrastructures, le contenu et puis l'organisation, l'indexation, le repérage de ce contenu-là. On pense que le gouvernement a un rôle plus important à jouer au niveau du contenu – c'est là que d'abord devraient être ciblés ses efforts – puis au niveau de l'organisation et du repérage.

Les infrastructures. Même si on peut inciter, dans certains cas, par des mesures fiscales, par exemple, ou par des mesures peut-être au niveau de la réglementation... On peut donc influencer la façon dont les choses vont se dérouler, notamment au niveau de la nécessité d'avoir une bande passante suffisante un petit peu partout.

Au niveau du contenu, on peut avoir des efforts qui vont rapporter directement, c'est-à-dire qui vont produire des sites, qui vont produire de l'information utile, des services utiles pour l'ensemble des citoyens. Puis c'est par là que passe le succès de l'autoroute de l'information, c'est par là que passe aussi la présence francophone sur l'autoroute, puis on pense que c'est là que le gouvernement devrait placer ses billes.

M. Mackay (Pierre): Enfin, pour conclure, au chapitre de l'éducation, vous l'avez entendu, nous sommes tous impliqués au niveau de l'éducation, au niveau universitaire, et on est très préoccupés par l'alphabétisation de l'ensemble des jeunes du Québec à ces technologies. Le Québec offrira, d'ici cinq ans, d'ici 10 ans, des contenus complets à ses étudiants, du primaire à l'université, des contenus éducatifs faits ici. Et, s'il ne le fait pas lui-même, c'est d'autres qui le feront à sa place, parce que ces contenus-là seront développés en France.

On a vécu, dans les années quarante, dans les années cinquante, dans les années soixante, et on vit encore la situation du livre, du manuel scolaire. On a vécu cette hégémonie française dans le manuel scolaire; bien, ce n'est qu'une toute petite répétition de ce qui pourra se passer en matière de contenu formatif et éducationnel si le Québec n'est pas présent. C'est un défi de taille, mais à ce défi de taille des opportunités de même envergure correspondent parce que, si nous offrons aux Québécoises et Québécois ces contenus de formation, ces contenus éducatifs, nous pourrons les offrir tout aussi rapidement à Madagascar ou en Nouvelle-Zélande instantanément. C'est la nature des autoroutes de l'information.

Et, en ce domaine-là, on utilise des mots assez forts. On pense que c'est à une réforme de l'ampleur de celle qu'on a vécue dans les années soixante que nous sommes conviés. Ne pas faire des investissements qui s'imposent équivaudrait à nous condamner non pas à l'indépendance, non pas à l'interdépendance, mais à la dépendance culturelle pure et simple dans des délais qui seraient relativement courts à l'échelle de l'histoire. Et les rattrapages vont être difficiles si on est placés en situation de rattrapage. Heureusement, nous ne sommes pas aujourd'hui placés en situation de rattrapage.

On a souligné, dans des mémoires et à d'autres endroits, que peut-être la moitié des contenus francophones sur les autoroutes de l'information à travers le monde venait du Québec. C'est possiblement vrai. Donc, au plan de la francophonie, le Québec a possiblement une avance, une avance qu'il peut perdre très rapidement, mais, par contre, c'est à peine 3 %, 4 % ou 5 % maximum de ce qui s'y trouve sur l'ensemble qui est en français. Donc, c'est une très, très, très petite parcelle de ce que nous avons.

(16 h 30)

Alors, on connaît la situation, les défis budgétaires qui nous sont posés aujourd'hui. Qu'est-ce qu'on fait dans ces situations-là, quand des situations d'investissement d'urgence se présentent, nécessaires? Je n'ai pas de grande solution, mais on veut réitérer ici, et ça fait l'unanimité chez mes collègues, que des investissements majeurs, et certainement pas des investissements seulement en machinerie, ou en quincaillerie, ou en ordinateurs, mais des investissements en développement de logiciels et des investissements en formation: formation des maîtres au primaire, au secondaire et même à l'université, sont ici requis. Merci, M. le Président, mesdames, messieurs.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Je vous remercie, messieurs. J'aimerais commencer peut-être par quelque chose qui vous a dérangés dans notre façon de poser les problèmes et juste vous dire quelle était notre préoccupation sur la question des droits d'auteur. Peut-être que c'est mal exprimé, mais notre préoccupation était d'indiquer qu'une des difficultés que nous avons au Québec, c'est que nous sommes au confluent de deux approches: une qui est celle des droits d'auteur où les droits sont plus liés à la personne et qui est plus d'inspiration européenne, et l'autre qui est plus l'approche du copyright et dont la propriété est plus liée à l'oeuvre, et qui est plus d'inspiration américaine. Et on est parfois tiraillés entre ces deux approches-là. Vous êtes certainement beaucoup plus spécialistes que je ne puis l'être de ces questions, mais c'était ça, notre préoccupation. Alors, on ne voulait pas être hérétiques, mais nommer une réalité qui est assez complexe quand on se sent au carrefour, comme ça, de deux tendances qui sont parfois conflictuelles.

Les questions que je voudrais poser sont des questions qui nous interpellent comme gouvernement. À la fin de votre texte, vous dites qu'on doit créer un climat qui soit favorable à l'éclosion d'un certain nombre de services qui soient des services diversifiés; vous parlez d'alliance, de partenariat. Moi, j'aimerais savoir: Selon vous, avec qui, de façon prioritaire, devons-nous être partenaires et devons-nous faire alliance, et quelle est la place des citoyens et des citoyennes dans cette alliance? Parce que, à travers les questions que pose notre document, il y a cette volonté que l'autoroute devienne accessible aux personnes, et aux personnes qui, au moment où on se parle, n'y connaissent pas grand-chose. Donc, comment les inclure dans les alliances dont vous parlez?

Et une autre question que je vous dis tout de suite, c'est l'immense défi qu'on a d'investir alors qu'on est en période de restrictions à peu près partout. Je sais bien, vous me direz que c'est notre problème et pas le vôtre, mais je transformerai la question quand même en vous demandant: Quelles sont, selon vous, les priorités à ce moment-là? Parce que c'est sûr qu'on n'a pas des milliards de dollars à investir demain matin sur l'inforoute. En même temps, vous terminez votre texte en indiquant que, si on ne fait pas ça, on va être vite dépassés. Alors, je vous demanderais quand même, compte tenu des circonstances que tout le monde connaît, que l'État du Québec est dans une situation difficile et qu'il essaie plutôt d'arriver à un déficit zéro d'ici l'an 2000, qu'est-ce qu'on fait pour ne pas être complètement en retard d'ici cinq ou 10 ans par rapport aux besoins de l'autoroute de l'information.

M. Mackay (Pierre): Bon.

Mme Malavoy: Je m'arrête là pour l'instant; je pense que ça suffit pour l'instant.

M. Mackay (Pierre): Oui. Enfin, il y a déjà beaucoup de trucs sur la table. Pour ce qui est du droit d'auteur, écoutez, on ne veut pas être chicaniers sur le texte, un texte qui est un texte préliminaire, qui a provoqué chez nous une réflexion. Je pense que c'est la conclusion à laquelle on souhaite que le gouvernement arrive qui importe, peu importe le cadre, là, et qu'on s'entende sur si les Américains sont plus ou moins différents des Français, etc.

La conclusion que l'on veut apporter en bout de ligne, c'est: qu'existe juridiquement le droit d'auteur de la couronne ou qu'il n'existe pas, peu importe, nous recommandons, nous suggérons au gouvernement du Québec d'adopter le modèle américain qui, déclarant que le copyright existe, libère le copyright, le droit d'auteur, sur toutes les oeuvres du gouvernement américain. Cette situation a permis la création d'entreprises d'information majeures, fondées sur l'exploitation de la... en mettant de la plus-value sur les bases de données, en procurant...

Oui, bien sûr, certains ont déjà dit à une certaine époque, il n'y a pas très longtemps, au Québec, au ministère des Communications, dans des études qu'on a faites et auxquelles on n'était pas insensibles, nous non plus, à l'époque: L'information gouvernementale est un gisement qu'il faut exploiter pour maximiser les revenus de l'État. C'est peut-être vrai, mais je pense qu'il faut plus considérer l'information comme des parcs nationaux, comme des grands ensembles qui sont des ressources publiques, autour desquels peuvent se développer des industries de services, de valeur ajoutée, et une industrie touristique, par exemple, qui sont infiniment plus...

Si on fermait le parc du Mont-Tremblant en se disant que c'est la propriété du gouvernement et puis, bon... Au contraire, on l'ouvre et, de cette façon-là, on y attire de nombreuses entreprises périphériques. Je pense que l'information gouvernementale ne doit pas être considérée comme un gisement que le gouvernement exploite pour en tirer des revenus à courte vue, mais comme une ressource naturelle, un parc naturel auquel les gens ont accès pour lui donner de la valeur ajoutée et laisser à des entreprises de services le soin d'exploiter au maximum les richesses et la valeur qui est là.

C'est surtout là-dessus qu'on voulait insister et c'est là-dessus qu'on peut dire que les États-Unis ne reconnaissent pas le copyright, le droit d'auteur, c'est-à-dire qu'ils libèrent le droit d'auteur sur l'information gouvernementale. Et ça, c'est très, très différent, quel que soit le modèle juridique spécifique derrière lequel ça s'inscrit. Ça, je pense que c'est très, très important.

Sur la question des alliances, avec qui... Oui.

M. Thiffault (Michel): Sur la deuxième partie de votre question, bon, ce n'est pas uniquement de déterminer qui pourraient être les partenaires de ces éventuelles alliances là; je pense qu'il faut partir du problème lui-même, c'est-à-dire il faut commencer par regarder qu'est-ce qu'on y trouve présentement sur l'autoroute de l'information puis imaginer qu'est-ce qu'on pourrait y trouver d'autre. Si on se promène aujourd'hui, si on fait un petit peu de surfing, on va s'apercevoir que la composante commerciale produits et services est de plus en plus importante sur l'autoroute de l'information, mais, en même temps, on va se rendre compte que les entreprises, qui sont aux prises avec les problèmes de diffusion d'information de nature marketing ou autres, sont très bien capables de prendre soin d'elles-mêmes. On n'a pas nécessairement à les assister, de ce côté-là, parce que les fournisseurs d'accès ou des services Internet, les maisons de consultation qui existent sur le marché sont généralement ravies de traiter avec des clients comme ceux-là. Souvent, ces applications-là ne présentent pas de problèmes technologiques particuliers, c'est-à-dire des choses auxquelles on ne trouverait pas de solutions sur le marché. Donc, ce n'est peut-être pas de ce côté-là qu'on doit concentrer nos recherches au premier niveau.

Le deuxième type d'information ou le deuxième type de contenu qu'on trouve sur l'Internet présentement, sur l'autoroute de l'information telle qu'on la connaît et qu'on la vit, c'est de l'information de nature académique qui est mise de l'avant, qui est placée sur l'autoroute de l'information surtout par des universitaires, par des centres de formation, des grandes écoles, ainsi de suite. On sait que les académiques se sont emparés rapidement de l'autoroute de l'information puis qu'avant qu'il y ait une récupération commerciale, depuis un an surtout, c'était surtout ça qu'on y trouvait. Bon. Les académiques ont certains besoins qui doivent être comblés au niveau du contenu; je vais y revenir après que j'aurai parlé finalement de la troisième sorte de contenu qu'on peut trouver sur l'autoroute de l'information.

La troisième sorte de contenu finalement, c'est du contenu qui est mis en place par des organismes qui font partie de ce qu'on appelle l'économie sociale finalement, toutes les organisations de bénévoles. Je pense, par exemple, à un site qu'on héberge chez nous, chez JURiS, à l'Université du Québec, qui est le réseau juridique canadien droit et sida, qui donne toutes sortes d'informations non seulement sur la propagation de la maladie, mais sur tout ce qui concerne ou touche à peu près tous ses aspects. Il y a beaucoup d'organisations comme ça qui ont besoin d'un forum pour diffuser leur information puis qui n'en trouvent pas un facilement puis qui surtout n'en trouvent pas un facilement où ils aient accès aux connaissances techniques ou à l'expertise technique qui est nécessaire pour structurer ce genre d'information. Le gouvernement aurait peut-être un rôle à jouer à ce niveau-là.

La quatrième et dernière sorte de contenu, c'est l'information gouvernementale. On s'aperçoit qu'en peu de temps le site du gouvernement du Québec a évolué pour devenir une mine d'informations assez importante, comme le disait Pierre. Nul doute que la tendance va continuer. Le vrai défi, c'est de placer des services sur l'autoroute de l'information et non pas uniquement des communiqués de presse et puis de l'information. À partir du moment où on aura des services, bien, là, l'utilité de l'autoroute elle-même va augmenter de façon significative puis, à ce moment-là, bien, les gens vont s'en servir.

(16 h 40)

Je reviens à l'item contenu du côté académique. On regardait récemment, des collègues puis moi, le document qui a été publié par le Fonds de l'autoroute de l'information, qui représente, je présume, jusqu'à un certain point ce que le gouvernement met de l'avant en matière de critères puis ainsi de suite, puis on s'apercevait que tous ces critères-là – on ne veut pas prêter d'intentions à personne – avaient été pratiquement concoctés pour exclure des possibilités de subvention des organismes comme le Centre de recherche en droit, sciences et sociétés.

Pourquoi les exclure? On dit, d'un côté, que les organismes, les centres de recherche sont admissibles, sont éligibles à ce genre de programmes là; on dit, d'un autre côté, que les salaires du personnel des institutions d'enseignement ne sont pas admissibles. On sait comment fonctionnent les centres de recherche: on embauche des étudiants, on verse des salaires à ces étudiants-là et, comme ils sont salariés de l'université, les salaires ne sont pas admissibles. Il reste quoi d'admissible? L'électricité qu'on brûle dans le local? Les ordinateurs, très souvent, on les a déjà: on les récupère, on prend des vieilles machines, on s'organise.

On trouve qu'il n'y a pas beaucoup de possibilités, même pour des projets qui sont aussi novateurs que quelque chose qu'on cherche à mettre de l'avant présentement. On parlait tout à l'heure de structurer le contenu, de faciliter le repérage puis tout ça. Dans le secteur juridique, ce serait un système expert qui serait branché sur Internet, qui recevrait des requêtes de consommateurs, qui peuvent aussi bien être des juristes et d'autre chose que des juristes, des chercheurs, par exemple, puis qui répondrait à chacun dans son niveau de langage. Par exemple, le chercheur, on lui donnerait des cotes bibliothéconomiques qui lui permettent de transposer le résultat de sa recherche sur Internet sur les rayons d'une bibliothèque. Pour le juriste, on lui donne les citations des jugements, quand ce n'est pas le texte intégral, quand c'est possible, si le droit d'auteur ne s'y oppose pas. Pour le consommateur, on lui donne un texte qui est plus la règle à suivre ou la procédure à suivre. Tout ça tempéré évidemment par les intérêts corporatistes qui sont en cause. Ça fait que c'est bien plus dans ce genre d'aménagement qu'on s'attendrait à trouver l'expression, si on peut dire, de la volonté du gouvernement.

Le Président (M. Garon): J'aurais une petite question à poser. Comme le Vérificateur général a dit que, dans les universités au Québec, alors que ça devrait être quatre cours par professeur, c'est seulement 2,3, si on regarde à l'INRS où il y a l'exclusivité de service des professeurs, pensez-vous que, si les trous étaient comblés, il aurait en masse de temps, le professeur, pour faire plus de recherche pour qu'elle serve véritablement? Parce que, actuellement, vous savez que le Québec est celui qui fait le plus gros effort en Amérique du Nord pour les universités, en fonds publics.

M. Mackay (Pierre): Je ne contesterai pas, M. le Président, vos chiffres en matière d'éducation; je vais, avec vous et avec Mme Malavoy, convenir que les défis financiers qui nous attendent face, d'une part, à ces nouvelles technologies et, d'autre part, face à la nécessaire réduction et à l'objectif, je pense, sur lequel il y a un consensus nous amènent à devoir dire, comme la rectrice de l'UQAM l'a souligné la semaine dernière: Ce n'est pas plus avec moins qu'il faut faire maintenant; c'est qu'il faut faire autrement avec moins. Sur la définition de «comment faire autrement avec moins», je pense que les technologies de l'information, dans le domaine de la formation, sont incontournables.

Elles sont incontournables pour plusieurs raisons. Elles sont incontournables, d'une part, si on veut avoir une population qui est alphabétisée et qui est en mesure d'utiliser cette information. J'entendais les gens – Doré, de la CSN – avant moi dire: Il faut que les gens apprennent à se servir de l'information, à trouver la bonne information, à la rechercher, etc. Je pense que, dans une société où l'économie est fondée sur l'information, ce sont des habiletés fondamentales et essentielles. Donc, c'est pour ça qu'il faut faire...

Le Président (M. Garon): Des gens blâment actuellement les universités de ne pas s'être préoccupées justement, dans la formation des maîtres, de donner un volet à des nouvelles technologies importantes. Tout le monde s'entend pour dire que, dans la formation des maîtres, toutes les universités du Québec ont manqué de vision et tout le monde veut corriger ça. Sauf que l'argent a été payé par le gouvernement aux universités. Comment ça se fait qu'elles ne l'ont pas affecté à la formation des maîtres, pour ceux qui formaient des maîtres? Pourquoi ça n'a pas été fait? Avant de mettre la faute sur les autres, pourquoi, dans les universités, on ne l'a pas fait?

M. Mackay (Pierre): Dans les années quatre-vingt, il y a eu des investissements majeurs en éducation, mais on a vu des boîtes avec des ordinateurs, qui n'avaient jamais été ouvertes, ramasser de la poussière dans le fond d'une garde-robe, puis être remplacées par d'autres boîtes à l'étape suivante. Il y a eu – on a appris peut-être de façon très coûteuse – un certain nombre d'erreurs. Je suis d'accord avec vous que, dans les universités – elles ne sont certainement pas les seules en cause – il y a eu des lacunes au niveau de la formation des maîtres, et c'est un des problèmes les plus difficiles avec lesquels on vit.

Maintenant, de dire que l'argent a été payé puis que la marchandise n'a pas été livrée, est-ce que ça nous empêche de dire qu'aujourd'hui il faut penser à cette situation-là et corriger les erreurs du passé? Je veux dire, il y a un stade olympique qui nous a coûté pas mal d'argent, puis on cherche encore des solutions puis on va encore payer un autre stade juste pour le réparer. Alors, on aurait pu ne pas faire les erreurs qui ont été faites, ce qui ne nous empêche pas d'avoir à les corriger aujourd'hui et à faire autrement avec moins.

Dans ce sens-là, les technologies ont aussi un rôle à jouer précisément dans le «downsizing», éventuellement. Si les nouvelles technologies peuvent être utilisées à des fins – et là je ne parle pas au primaire ou au secondaire – de formation et de téléformation, et également à des fins d'obtenir aussi des revenus additionnels si nos formations faites ici sont bonnes et sont exportables, elles pourront amener un certain nombre de revenus. Je n'ai pas d'autre réponse à vous faire que celle-là.

M. Thiffault (Michel): J'aimerais peut-être ajouter quelque chose, si c'est possible. Je pense que tout le monde est d'accord avec ça, là, au niveau de l'utilisation moins qu'optimale des ressources qui existent dans les différentes universités québécoises; on ne peut pas faire autrement que le déplorer, mais, d'un autre côté, il ne faudrait pas non plus tomber dans l'inéquité de faire supporter par le GRID l'odieux d'une situation comme celle-là, surtout si on considère que le GRID est un organisme qui a fait plus que sa part à ce niveau-là.

Les chercheurs du GRID sont des gens qui sont chevronnés. Sous l'impulsion de ces chercheurs-là, le Département des sciences juridiques de l'UQAM est probablement le Département le plus branché à l'intérieur des universités au Québec, même davantage peut-être que le Département de l'informatique. On a seulement trois personnes du Département qui ne sont pas branchées présentement sur le courrier électronique puis sur Internet. Le Département offre une quinzaine de groupes-cours aux étudiants de sciences juridiques dont le matériel intégral se retrouve sur un serveur Internet. Donc, on fait des choses dans ce domaine-là, mais ce qu'on voudrait, c'est pouvoir avoir les ressources et les moyens de faire davantage. Il n'y a pratiquement pas de limites au nombre de projets dans lesquels on peut s'investir si on dispose des bonnes ressources.

Les structures de fonctionnement des universités puis de la recherche présentement veulent qu'on intègre des étudiants à l'intérieur des recherches qui sont en cours. C'est une bonne chose pas uniquement pour l'aspect formateur de ces activités-là pour les étudiants; c'est une bonne chose parce qu'il a été déterminé, dans d'autres études dont on a pris connaissance à un moment donné, que l'intégration des étudiants aux recherches en cours des professeurs constitue un des facteurs clés de succès de ces études-là puis du non-décrochage.

J'avais lu, par exemple, un article où on rendait compte des taux d'admission dans les universités québécoises versus les taux d'admission par tranche de 100 000 de population, donc par comparaison avec ce qui se fait en Ontario, puis on a plus de personnes qui sont admises dans des programmes universitaires au Québec en proportion, mais la proportion de décrocheurs est beaucoup plus grande. La proportion de ceux qui terminent leurs études puis qui vont jusqu'à la diplomation est plus petite au Québec qu'ailleurs, même si on part avec davantage de capital au départ.

À quoi c'est dû? Bien, une des causes qui avaient été identifiées, c'était le fait que les étudiants, ici, ne sont pas suffisamment intégrés à des recherches. Nous autres, ce qu'on propose, c'est justement de mettre de l'avant des recherches qui vont dans le sens des objectifs du gouvernement au niveau de l'autoroute de l'information, mais qui vont aussi dans le sens de favoriser la réussite des études pour les étudiants qu'on a sous notre responsabilité.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Vous avez dit... Ça, j'ai trouvé ça très bon; c'est un excellent mémoire. Sur des points techniques comme les droits d'auteur, la confidentialité, là, disons, sur les aspects juridiques et ces questions-là, c'est un des mémoires clés qu'on a reçus, là. Mais vous avez dit que le gouvernement pouvait jouer un rôle et d'ailleurs vous l'avez pris... C'est un peu une question pour avoir des précisions, là.

(16 h 50)

Vous avez dit que le gouvernement pouvait jouer un rôle au niveau du contenu soit en fournissant des informations utiles sur ses propres services – évidemment, là, on prend le cas du Nouveau-Brunswick dont on nous a parlé ce matin – ou en fournissant des informations utiles sur d'autres domaines. Tantôt, vous avez mentionné que le gouvernement pouvait jouer un rôle dans le contenu mis en place par des organismes non lucratifs, ce qu'on appelle l'économie sociale. Donc, le gouvernement jouerait son rôle là-dedans.

Parce que la question que je me pose toujours, c'est la question du financement de ça. O.K.? Et, après avoir lu les rapports puis les mémoires puis avoir écouté les gens qui sont venus en particulier ce matin, moi, je me dis toujours: C'est un peu comme dans le domaine de la santé, y «aurait-u» moyen de prévoir un mécanisme de financement qui créerait un marché intérieur pour l'utilisation d'Internet? Dans le domaine de la santé, il y a des gens qui revendiquent l'idée qu'on devrait créer des bons de santé, des «vouchers», comme les Américains ou les Anglais appellent ça. Dans le domaine de la formation, il y a des gens qui disent la même chose. C'est-à-dire que, plutôt que de tout prévoir par le dispositif d'un guichet gouvernemental, on devrait tout simplement donner aux individus des bons qu'ils peuvent utiliser pour obtenir de la formation où ils veulent et, par voie de conséquence, créer une industrie concurrentielle de la formation.

Dans ce domaine-là, moi, je trouve vos commentaires très intéressants sur les interventions de l'État, mais est-ce qu'il y a des façons de s'y prendre, tout en respectant le rôle que l'État doit jouer en matière de facilitation de la prise de décision pour ses propres services, là, qui est une question de qualité de services puis d'acceptabilité? Y «a-tu» d'autres dispositifs de financement, d'incitation qui permettraient, disons, un élargissement de l'utilisation de ces technologies-là sans qu'on se retrouve fatalement dans un modèle étatique où l'État devient un grand acteur de pourvoyance pour ça?

Comprenez-vous ma question? Est-ce que vous avez réfléchi à des mécanismes qui permettraient d'obtenir le résultat qu'on vise, à savoir que les gens soient branchés, que la technologie se diffuse, que la technologie s'implante, mais sans avoir... Évidemment, vous allez me dire que, pour ce qui est des informations commerciales, c'est ce dont on parle; pour ce qui est des informations académiques, jusqu'à un certain point, mais surtout pour les informations commerciales. Et la question que je me pose, en autant que je peux me la poser clairement maintenant, c'est: Y «a-tu» des incitatifs, des systèmes d'incitation qu'on peut imaginer, qui permettraient, d'une part, de remettre le contrôle de cette technologie-là dans la main du citoyen et aussi d'en assurer une diffusion assez large au sein de la société?

M. Thiffault (Michel): Il y a plusieurs aspects évidemment à cette question-là.

M. Laporte: Oui, beaucoup d'aspects.

M. Thiffault (Michel): En fait, ce sont les questions que tout le monde se pose; je pense que vous les avez bien cernées. L'idée générale de tout ça, c'est qu'on trouve à certains endroits, comme au gouvernement, par exemple, des concentrations importantes de ressources techniques, mais aussi des ressources d'expertise. D'un autre côté, on a des groupements de citoyens – ce qu'on a appelé, encore là, l'économie sociale – qui, eux, sont particulièrement démunis sous ces deux rapports-là. Très souvent, il peut y avoir de ces groupements-là qui ne disposent même pas d'un ordinateur ou, s'ils en ont, ils vont avoir un vieux PC ou un vieux Mac qui ne serait pas suffisant au point de vue technique pour pouvoir être branché, comme un serveur d'information sur le World Wide Web, par exemple, ou quoi que ce soit du genre.

On pourrait imaginer un modèle où certaines agences gouvernementales prendraient en charge la fourniture de services, et ce, à titre non onéreux, à des groupements de citoyens qui rencontreraient certains critères peut-être au niveau de la représentativité ou de quoi que ce soit du genre. Je pense que c'est à être élaboré, tout ça. Mais ça ne serait pas coûteux de mettre à la disposition de ces gens-là de l'espace sur un serveur gouvernemental pour que ces gens-là puissent publier leur information sur le Web après qu'on leur aurait donné une formation quelconque qui leur permettrait de prendre connaissance de la façon de procéder. Ça, ça ne serait pas très coûteux.

L'expertise n'est pas coûteuse non plus. Si on regarde, par exemple, ce qui s'est fait au fédéral, vous avez sûrement vu les bornes qui ont remplacé les panneaux d'affichage de l'assurance-chômage. Là où on affichait tous les emplois, bien, on a maintenant des sortes de terminaux interactifs que tous les gens ont appris à pitonner dans le temps de le dire ou à peu près. Quand c'est une nécessité, on n'a pas le choix, on doit le faire. On pourrait imaginer le même genre de mécanisme pour mettre à jour cette information-là, c'est-à-dire un terminal dédié qu'on trouverait à un endroit quelconque, accessible pour les citoyens, un bureau à l'intérieur d'une agence gouvernementale quelconque. Tout ça est à définir. Mais le principe même, c'est que ce n'est pas difficile à faire. Ça ne prend pas une expertise. Comme on dit: «It's not rocket science.» Ce n'est pas difficile techniquement puis ce n'est pas non plus très coûteux au point de vue ressources.

M. Laporte: O.K.

M. Thiffault (Michel): Dans ce sens-là, c'est quelque chose qui est réalisable puis ce genre d'initiative crée le fameux effet d'entraînement qui augmente l'utilité de l'autoroute de l'information, puisque les gens veulent, après ça, consulter les informations qui sont placées là.

M. Laporte: Moi, j'aurais un exemple, là. Prenons, par exemple, le ministère du tourisme. Vous, ce que vous voulez dire, c'est qu'il y aurait un site et que des localités, qui décideraient d'informer d'autres localités sur leurs ressources, pourraient le faire à travers ce site du ministère du tourisme, qui serait un site mis gracieusement à la disposition des localités pour des fins de développement.

M. Mackay (Pierre): Bien, voilà un exemple parfait d'un partenariat facile à réaliser qui a été entamé au Nouveau-Brunswick. Si vous en avez entendu parler, je ne reviendrai pas sur l'exemple. Mais j'ai fait, moi, cet été, des réservations au Nouveau-Brunswick. J'y suis passé. J'ai navigué sur l'Internet. J'ai trouvé des endroits. Il y avait les photos. J'avais des adresses. J'ai vu les sites. J'ai écrit par courrier électronique et j'ai réservé à deux endroits, et ça s'est fait extrêmement rapidement et simplement.

Quand j'ai voulu faire l'équivalent au Québec, j'ai trouvé un site qui est sous la supervision, nous dit-on, du ministère du tourisme et de l'Association des hôteliers du Québec, très belle initiative. Il y avait une interface magnifique. On pouvait cocher: excursions aux baleines, la mer. Alors, je coche entre 60 $ et 70 $, je suis optimiste, et là je reçois des réponses. La première réponse que je reçois, c'est l'Auberge des Alpes, métro Berry-UQAM, à Montréal. Alors, ça ne fonctionne pas du tout. Ça ne fonctionne pas du tout. Je ne sais pas où ce partenariat-là ne s'est pas réalisé correctement. C'est une des technologies les plus merveilleuses, parce que quelqu'un qui va être en Nouvelle-Zélande pourrait voir la photo de la chambre dans laquelle il va coucher à L'Anse-Saint-Jean demain matin. Il y a certaines auberges qui ont passé par d'autres fournisseurs, mais voilà un exemple où le gouvernement du Québec...

Le gouvernement du Québec publie des bottins papier qui coûtent des fortunes à mettre à jour, des guides touristiques, des cotes, etc. S'il avait un site avec l'ensemble de ces informations-là et des pointeurs... Ceci n'empêchera pas l'auberge de L'Anse-Saint-Jean d'être chez son serveur d'information dans sa région, mais, avec un seul petit clic, on s'y retrouve. On navigue et on revient. Voilà le genre de service que des ministères comme le tourisme peuvent fournir à des centaines d'entreprises dans toutes sortes de secteurs. Celui du tourisme est particulièrement éloquent, mais ça peut être vrai dans toutes sortes d'autres secteurs.

(17 heures)

Regardez tous les guides que le gouvernement publie dans tous les domaines et imaginez comment ces guides-là sont transposés dynamiquement sur les autoroutes de l'information, avec des liens directs dans toutes les entreprises de services, dans tous les domaines, et vous avez une grosse partie de votre réponse: Ça se paie tout seul et ça amène non seulement une fréquentation québécoise, mais une fréquentation internationale de ces sites-là, et une connaissance et des outils dont le gouvernement du Québec pourrait disposer, de petits outils, pour faire la promotion de ses sites clés, de ses ressources québécoises.

Mais, là, il y a une condition: il faut que la personne qui y accède, quand elle vient du Brésil ou du Japon, ça ne lui prenne pas 42 minutes pour charger une image. Il faut que les débits, que ce qu'on appelle la bande passante soit une bonne bande passante. Et ça, là-dessus, il y a un certain nombre d'infrastructures qui doivent être mises en place. C'est exactement comme la livraison des biens et services. Pourquoi est-ce que des grandes entreprises stratégiques viennent s'établir? Bien, les réseaux de communications, les routes, le fleuve, la navigation, les aéroports, c'est la même chose. Les débits de communication, ce sont les grandes routes dans ce domaine-là.

Et le gouvernement peut jouer un rôle en termes d'information, de catalogage, de répertoriage. Je ne sais pas combien il y en a de dizaines, voire de centaines de ces guides-là au Québec. Imaginez-les tous sur des sites bien faits et vous avez une énorme partie de votre réponse. Imaginez l'offre de formation pour les étudiants: tous les programmes du collégial facilement disponibles, tous les programmes universitaires facilement disponibles. Et là ils ne sont pas facilement disponibles seulement aux gens de Rimouski qui veulent aller en aéronautique à Jonquière; ils sont aussi disponibles à quelqu'un de Bordeaux qui veut aller en aéronautique puis qui se rend compte que Jonquière, c'est un bon lieu de formation puis qu'il y a une expertise majeure au Québec là-dessus.

Alors, ça, ce sont des outils dans lesquels il n'y a pas besoin d'investir. Ce n'est pas des sommes phénoménales en investissement. Mais, actuellement, ce n'est pas du tout comme ça que sont pensés les services gouvernementaux sur l'Internet, et je pense que ce sont des orientations qu'il faudrait adopter.

Le Président (M. Garon): Je veux remercier les représentants du Centre de recherche en droit, sciences et sociétés de l'UQAM de leur contribution aux travaux de la commission et je vais inviter maintenant les porte-parole de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec à s'approcher de la table des témoins pour nous exposer leur point de vue. Nous disposons d'une heure, c'est-à-dire que, normalement, vous devriez prendre une vingtaine de minutes pour exposer votre point de vue, et ensuite les députés ministériels et de l'opposition disposeront du même temps pour discuter avec vous de la présentation que vous aurez faite. Alors, je vois qu'il y a Mme Marie Vallée, analyste, et Me Jacques St-Amant, conseiller spécial. C'est bien ça?


Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec (FNACQ)

Mme Vallée (Marie): C'est bien nous. Alors, bonjour, M. le Président, Mmes et MM. les députés. La Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec participe avec beaucoup d'intérêt à cette consultation sur les enjeux du développement de l'inforoute, et nous vous remercions de nous avoir invités.

La Fédération et ses membres s'intéressent depuis plusieurs années évidemment à une large gamme de questions de consommation, et notamment à la problématique des télécommunications et aux questions liées à la protection des renseignements personnels. La FNACQ intervient et continue d'intervenir fréquemment devant le CRTC en rapport évidemment, depuis les dernières années, avec la restructuration de l'industrie des télécommunications. Elle a également présenté des mémoires au Comité consultatif sur l'autoroute de l'information sur les questions d'accès et de protection de la vie privée.

Quand on a reçu le mandat d'initiative, on a trouvé que les questions étaient vastes et variées. Évidemment, nous avons choisi de n'en toucher que quelques-unes. Après vous avoir décrit la perspective dans laquelle nous envisageons l'inforoute, nous examinerons dans quels domaines et de quelle manière l'État québécois nous paraît pouvoir intervenir le plus efficacement à l'égard des impacts du développement de l'inforoute sur la population québécoise.

Malgré tout ce qu'on en dit, pour nous, l'inforoute est avant tout un moyen de communication et, pourrait-on dire à première vue, rien d'autre que ça. Elle a toutefois deux caractéristiques qui lui donnent une importance particulière. D'abord, elle se développe à l'échelle mondiale. Ensuite, elle est remarquablement fluide. On peut s'y brancher presque n'importe où et il est devenu relativement facile d'y circuler. On peut donc communiquer pratiquement n'importe quoi à n'importe qui, évidemment à condition d'être branché.

Ces caractéristiques amplifient et accélèrent une vaste gamme de phénomènes sociaux, culturels, économiques et, donc, politiques. Les personnes ayant accès à l'inforoute sont, en effet, exposées à ce que produisent toutes les cultures et évidemment à certaines cultures plus qu'à d'autres. L'ordinateur à domicile facilite certaines modalités de la réorganisation du marché du travail. La multiplication des transactions commerciales réalisées sur l'inforoute facilite la constitution de profils de consommateurs par des entreprises désireuses de faire du marketing à outrance. On pourrait donner encore d'autres exemples de transformations associées à l'inforoute. Il faut cependant faire la part des choses: la majorité de ces phénomènes existaient déjà avant qu'on ne nous fasse le grand coup du miroir aux alouettes et continuent de se développer en dehors du cadre de l'inforoute. Pour y faire face cependant, l'État doit agir sur les causes et non pas seulement sur le mode de communication qui amplifie les phénomènes.

Cela dit, on ne peut pas quand même nier que l'inforoute a des grands impacts sociaux et que l'État doit agir efficacement. Entre autres, il lui appartient d'exiger le respect de certaines valeurs et la promotion d'intérêts collectifs. On pense ici, par exemple, à des valeurs reconnues par la Charte des droits et libertés de la personne comme la liberté d'expression, le droit à la vie privée, le droit à la dignité et les droits socioéconomiques comme le droit à l'éducation et le droit à l'information.

On peut examiner les paramètres de l'intervention de l'État au plan du fond et au plan de sa forme. Quant au fond, d'abord on rappellera que l'inforoute doit demeurer un espace public ou, à tout le moins, qu'une partie doit être accessible et contrôlée par les communautés locales. On soulignera qu'elle doit constituer un espace accessible et on redira qu'elle doit devenir un espace respectueux de la vie privée des gens.

Un espace public. On oublie parfois que des choix technologiques ont des impacts sociaux et politiques. Les choix entourant la structure de l'inforoute en donnent pourtant un bon exemple. Veut-on un réseau structuré comme un arbre où le maître de réseau peut communiquer facilement avec tous les abonnés, mais où ces derniers ne peuvent guère communiquer entre eux, ou un réseau en étoile où tous peuvent aisément communiquer entre eux? Le premier type de réseau, qui est celui des câblodistributeurs, se prête facilement à la réalisation d'un centre d'achats électronique où les entreprises du centre peuvent inonder les consommateurs de leur publicité et de leurs produits. Le second type de réseau, comme celui des entreprises de téléphonie, se prête beaucoup mieux aux échanges et aux discussions. Faut-il vous le dire, nous préférons de loin cette deuxième voie. L'inforoute ne doit pas devenir un simple centre commercial. Elle remplira ses promesses si elle demeure un espace public interactif, un réseau omnidirectionnel.

Certains analystes ont évoqué l'image de l'agora, place publique, place centrale des villes grecques, où on faisait des affaires, mais aussi où on discutait de politique et de philosophie, où on circulait, où on pouvait rencontrer des citoyens. Voilà le type de communauté qui rendra l'inforoute socialement utile. Voilà aussi un enjeu technologique majeur compliqué par les rivalités qui opposent et qui opposeront les entreprises qui tenteront chacune de construire ou de conserver quelques morceaux du réseau. Un réseau comme celui imaginé par le consortium UBI, par exemple, ne pourra sans doute pas devenir une agora à cause de son architecture, mais cela ne signifie pas qu'il ne puisse pas être utile. Cela veut simplement dire qu'il faudra aussi faire autre chose ou le faire différemment.

Les choix que fera l'État quant au réseau dont il encourage le développement et ceux qui l'utiliseront auront certainement un impact sur certaines des parties québécoises de l'infrastructure de l'inforoute, et on devrait garder à l'esprit l'importance de favoriser le développement d'un espace public. En effectuant ces choix, l'État devra s'assurer que tous les éléments québécois de cette infrastructure pourront être reliés les uns aux autres sans morceler l'accès et le territoire.

Un espace accessible. Il faudra aussi qu'on puisse se rendre sur la place publique. Si l'inforoute prend dans l'avenir toute l'importance qu'on lui prête, ceux qui n'y auront pas accès deviendront des citoyens de seconde zone. Les plus belles promesses rattachées aux nouvelles technologies resteront lettre morte. La question de l'accès est donc cruciale, elle est aussi complexe et délicate. Elle requiert d'abord – et ce n'est pas rien – qu'on définisse et qu'on remette à jour périodiquement ce que doit comporter le service de base qui devrait être accessible à tous.

(17 h 10)

Les barrières à l'accès prennent plusieurs formes; elles sont géographiques, économiques, technologiques et culturelles. Elles requièrent des remèdes aussi variés, alors même que l'industrie qui fournit les infrastructures se transforme totalement. La capacité de l'État québécois de régler tous les problèmes d'accès demeure limitée, mais l'État peut toutefois, et de diverses manières, contribuer à les atténuer.

On comprend facilement la nature des barrières géographiques à l'accès. Alors qu'on souhaite que toutes les régions du Québec bénéficient des services de communication de qualité, qui sont évidemment éminemment de plus en plus nécessaires au développement économique des régions, il est de plus en plus difficile de rentabiliser l'installation des infrastructures de qualité et technologiquement adéquates dans les régions où la densité de population est moins grande.

Tous pourront-ils se brancher au réseau, de Coaticook à Blanc-Sablon et à Kuujjuaq? À qui incombera l'obligation de fournir le service de base dans un environnement marqué par la concurrence dans le champ de la téléphonie locale et entre les entreprises de télécommunications, les câblodistributeurs, les services de téléphonie sans fil, les diffusions directes par satellites, etc.? Les fils, les antennes, les satellites desserviront-ils l'ensemble du territoire, et qui régira en cas contraire?

À l'obstacle géographique s'ajoutent deux barrières économiques à l'accès, très différentes l'une de l'autre. L'une touche les consommateurs, l'autre touche les fournisseurs de services. Quant au consommateur, il ne suffit pas qu'un fil de téléphone ou autre chose passe devant sa porte; il faut aussi qu'il puisse payer le service de base, et cela ne va plus de soi au Québec. Les chiffres démontrent que les personnes à faibles revenus se désabonnent de plus en plus du service téléphonique qui est la clé de l'accès à l'inforoute pour l'instant ou une des clés principales.

Les hausses récentes et à venir des tarifs de téléphone vont amplifier le phénomène. Déjà, le pourcentage des ménages, dont le revenu annuel se situe entre 10 000 $ et 15 000 $, qui sont abonnés au téléphone est passé de 97,6 %, en 1994, à 96,5 %, en 1995. Il faut se rappeler aussi que les personnes à faibles revenus utilisent beaucoup moins l'interurbain. Il faut donc faire en sorte que le prix fixé pour le service de télécommunications de base, incluant l'accès à l'inforoute, soit assez bas pour que tous puissent s'abonner au service, ou sinon mettre au point des mécanismes de rechange.

En ce sens, même si elle s'opposait à ce type de programme depuis des années, la FNACQ a proposé la mise sur pied d'une caisse d'accès universel aux télécommunications lors d'audiences tenues devant le CRTC au printemps dernier et plus récemment au mois d'août. Cette caisse permettrait aux personnes à faibles revenus et aux personnes habitant hors des grands centres d'avoir accès à une gamme de services même si elles ne peuvent pas payer les tarifs qui seront fixés sur un marché qui sera d'ici peu transformé par une concurrence qui ne bénéficiera pas également à tous les utilisateurs des réseaux. Il y a là, incidemment, un paradoxe: les hausses tarifaires réduisent le nombre d'abonnés, de sorte qu'on paie graduellement plus cher pour rejoindre moins de personnes. Un réseau de communications ne peut longtemps se développer de la sorte, ni maintenir sa valeur.

Un autre obstacle économique potentiel qui nous renvoie encore à notre chère idée d'espace public: il ne faudrait pas que les réseaux soient bâtis de telle sorte que les exploitants puissent empêcher certains groupes ou certaines entreprises de se brancher à l'inforoute. En somme, le contrôle sur les bretelles d'accès ne doit pas devenir un outil concurrentiel.

On ne dira, enfin, qu'un mot des barrières technologiques et culturelles. Le taux d'analphabétisme est encore très élevé au Québec. On n'apprend pas suffisamment aux élèves, ni aux autres d'ailleurs, à utiliser l'ordinateur ou à exploiter les ressources d'Internet. La majorité des ménages n'ont pas d'ordinateur à la maison. Il ne faut donc pas croire que du jour au lendemain toutes les Québécoises et tous les Québécois deviendront des internautes aguerris. Dans ce domaine, je pense que nos prédécesseurs vous l'ont dit, l'État peut et doit jouer un rôle très utile.

L'inforoute doit aussi être un espace respectueux de la vie privée. Il faut aussi se sentir en sécurité. À cet égard, les questions liées à la protection des renseignements personnels, à la protection de la vie privée et à la sécurité des transactions jouent un rôle fort important. Dans certains de ces domaines, le Québec détient, pour l'instant, une longueur d'avance en Amérique du Nord, puisque aucune autre juridiction n'a établi un régime général de protection des renseignements personnels utilisés par le secteur privé.

Mais cela ne suffit pas. Nous le savons maintenant, les renseignements personnels sautent facilement les frontières. La protection des intérêts des Québécois et des Québécoises requiert par conséquent que des régimes semblables se développent dans le reste du Canada et ailleurs dans le monde. Il est donc important que le gouvernement du Québec donne l'exemple et qu'il fasse la promotion des mécanismes efficaces de protection des renseignements personnels. Il faut, malheureusement, dire à cet égard que les projets de loi présentés au printemps dernier par le ministre du Revenu et le ministre des Finances donnaient un fort mauvais exemple, et que le gouvernement du Québec pourrait être davantage présent dans les forums canadiens et internationaux où on se penche sur la protection des renseignements personnels.

Le développement de nouvelles technologies remet sans cesse en cause la protection des renseignements personnels. Il faudrait par conséquent établir des mécanismes permanents d'évaluation de l'impact social des technologies de façon à éviter que des industries et les consommateurs se rendent compte après coup que des produits ou des services ont érodé gravement leur vie privée. Nous avons des exemples concrets à vous offrir.

Les questions liées à la protection des renseignements personnels sont étroitement liées à la confiance des consommateurs envers l'inforoute, mais aussi à la sécurité des transactions commerciales. À cet égard, les questions liées à l'identification, à l'authentification des transactions et à la preuve relèvent actuellement d'abord de la compétence des provinces canadiennes, et le Québec peut donc donner l'exemple. Les droits des Québécois sont pour l'instant protégés à un niveau acceptable. Il faudra maintenir ce niveau de protection au cours des prochaines années en tenant compte des développements technologiques et du fait que, de plus en plus, la protection des renseignements personnels dépendra aussi des choix technologiques effectués, des mécanismes d'autoréglementation qui se développent sous l'oeil attentif des États et de la situation internationale. Le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale devront demeurer vigilants.

Certains croient qu'il est impossible de réglementer l'inforoute à cause de son caractère transnational. Ils se trompent. Mais il faudra apprendre à réglementer autrement. Les entreprises qui font des affaires sur l'inforoute voudront imposer leurs contrats et leurs normes techniques. Les fournisseurs de services fixeront leurs règles. Les uns et les autres peuvent être régis par des droits nationaux et, par exemple, par le droit québécois. Des instruments comme des codes de pratique, des normes ou des engagements volontaires peuvent aussi être utilisés pour fixer des règles, et les États doivent participer activement, sinon être les initiateurs de ces processus.

Le gouvernement du Québec peut faire beaucoup à condition d'agir avec sagacité. Il lui faut d'abord maintenir et développer son expertise; vos travaux sont un pas dans cette direction. Il lui faut ensuite être présent là où, déjà, on prend des décisions importantes pour l'avenir de l'inforoute et, par exemple, dans les lieux où on décide des modalités de la restructuration des industries de communication et des nouvelles formes de protection de la vie privée.

Par ailleurs, le Québec peut légiférer dans les domaines de sa compétence en matière de droit international privé, de protection des consommateurs et des renseignements personnels, et de preuve, par exemple, pour protéger au moins les intérêts des gens qui sont au Québec. Il peut aussi soutenir financièrement certains des acteurs de ces changements sociaux et économiques, et orienter les processus d'autoréglementation qui se développent. Dans sa boîte à outils, le Québec peut également ajouter l'éducation où, nous le savons tous, il y a beaucoup à faire. D'autres organismes comparaîtront devant vous et vous proposeront une foule de pistes d'intervention qui excèdent notre champ d'expertise.

Nous en sommes encore aux premières années de développement de l'inforoute. Il est donc heureux que l'Assemblée nationale s'intéresse maintenant aux enjeux que soulève ce réseau des réseaux. Le gouvernement du Québec pourra jouer un rôle utile dans leur développement dans la mesure où il développera l'expertise nécessaire ou qu'il interviendra pleinement dans l'ensemble des domaines où il peut sauvegarder les intérêts du Québec.

On pourrait vous donner un exemple où le gouvernement de Colombie-Britannique a initié, il y a à peu près deux ans, plusieurs groupes de travail avec les différents partenaires sociaux, et ils en sont venus à élaborer un accord social où le gouvernement se sert du pouvoir d'achat qu'il a comme levier pour inciter les entreprises, entre autres, à fournir le service d'accès universel à prix abordable ou à offrir une gamme de services à certaines communautés plus isolées. Vous pouvez jouer un rôle important dans la définition des orientations que le gouvernement prendra. Et nous serons évidemment heureux de répondre à vos questions. Merci beaucoup.

(17 h 20)

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Je voulais juste poser une petite question, là. M. le Président, je suis en train de regarder des données qui nous ont été fournies ce matin par Jacques Dufresne, et, vous, vous mentionniez qu'il sera opportun que l'État aide, disons, à l'acquisition de la quincaillerie par le grand public. Qu'est-ce que vous avez en tête? Est-ce que ce serait la formule dont on nous a informés tantôt pour le Nouveau-Brunswick, à savoir un dégrèvement d'impôt? Parce qu'on retrouve dans les statistiques de Dufresne qu'il y a à peu près 18 %, en mai, de la population du Grand Montréal qui serait branchée sur Internet. C'est beaucoup inférieur à Vancouver, c'est sensiblement inférieur à Toronto et c'est un peu supérieur à ce qu'on trouve à Québec. Donc, comment on s'y prendrait pour... Ou bien on laisse jouer tout simplement les forces de l'intérêt personnel comme on les retrouve maintenant. Mais avez-vous quelque chose en tête d'un peu différent de ça?

Mme Vallée (Marie): Écoutez, je pense qu'il y a un problème fondamental, et probablement que je m'en suis rendu compte parce que je suis souvent à Ottawa pour les questions du CRTC. C'est que, quand la langue d'accès à l'inforoute est principalement l'anglais, pour beaucoup de Québécois, c'est une barrière. C'est aussi une question de technologie. À la maison, j'ai ce que M. Mackay décrivait comme un vieux Mac et évidemment je me fais dire par ma fille: Maman, ça presse, là, je rentre au cégep, il faut que tu changes ton ordinateur. Il y a ça qui est un problème. Est-ce que ça peut être un dégrèvement d'impôt? Est-ce que ça peut être un encouragement sous forme d'un prêt avec intérêt moindre? Ça peut prendre toutes sortes de formes, mais c'est important que les citoyens soient incités à se doter des outils.

Sauf qu'il ne faut pas perdre de vue que les outils, ce n'est pas tout. Il faut peut-être commencer par équiper décemment nos écoles et nos universités, et les librairies... les bibliothèques – pardonnez-moi l'anglicisme – d'abord et avant tout commencer par les leviers qu'on a déjà. Les citoyens, en se familiarisant dès leur plus jeune âge avec ces techniques-là, vont être incités à les acheter, et là l'État aura moins à intervenir dans les mécanismes du marché. Mais...

M. Laporte: Si vous me permettez, quand vous mentionnez la langue, là, vous la mentionnez parce que, si je comprends bien... Je voudrais savoir parce que finalement utiliser Internet en américain ou en français, ce n'est pas la fin du monde. C'est plutôt sur le contenu que sur, disons, les repères qu'on retrouve dans Netscape ou n'importe quel autre problème.

Mme Vallée (Marie): Bien, les repères dans Netscape sont principalement en anglais, en tout cas.

M. Laporte: Oui, je suis d'accord.

Mme Vallée (Marie): Avec le peu d'expérience que j'ai moi-même sur Internet, voyez-vous, si je dépasse ce qui est produit par les Québécois ou les Français, c'est de valeur, mais je n'y ai pas accès si je ne comprends pas...

M. Laporte: C'est ça.

Mme Vallée (Marie): ...minimalement l'anglais. C'est une partie du problème, mais c'est évident que plus le gouvernement du Québec va rendre disponible de l'information, plus le contenu des bibliothèques québécoises va être disponible sur le réseau et plus ça va être facilitant au niveau de l'accès par la population.

M. Laporte: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Champlain.

M. Beaumier: Oui, merci, M. le Président. Dans le mémoire, Mme Vallée, de votre association, on voit très bien les deux préoccupations qui sont de base en ce qui concerne toute la question de l'inforoute. Ça me rappelle, si vous me permettez une chose, un peu un livre que j'avais lu il y a bien longtemps, mais qui date d'encore plus longtemps – c'était de Joachim du Bellay – qui parlait de la «Défense et illustration de la langue française». Alors, il y avait toujours un côté défense et il y avait toujours un côté illustration.

Ici, avec l'informatique – moi, j'essaie de me résumer et de comprendre du mieux qu'on peut, là – il y a tout un côté défense, que vous avez souligné tantôt, en ce qui concerne l'accès aux informations, la protection des informations personnelles, etc. On craint aussi bien vaguement comment ça va s'introduire dans notre quotidienneté, dans notre famille, dans nos sociétés aussi. Il y a ce volet-là, mais il y a tout un autre volet aussi qui est attirant, qui est l'aspect que j'appellerais illustration ou utilisation qu'on pourrait faire de ces outils nouveaux.

Vous revenez quelquefois, dans votre texte, sur la notion de services de base. Probablement que ça m'a échappé, là, mais est-ce que vous pouvez me dire, vous qui êtes très près des gens, des consommateurs et des consommatrices, donc de tous nous autres, qu'est-ce que ce serait dans les temps qui viennent, pas d'ici 20 ans, là, mais au moment où on se parle, une espèce de panier de services de base qui serait absolument très utile pour...

Mme Vallée (Marie): Écoutez, je pense que...

M. Beaumier: ...nos consommateurs?

Mme Vallée (Marie): ...ça fait longtemps que je n'ai pas ouvert le mémoire. Ha, ha, ha! Il y a déjà, dans le mémoire, à la page 11, une liste qui vous décrit ce que, nous, on a demandé d'inclure dans le service téléphonique de base. Si on s'en va vers le service de l'inforoute de base, on va rajouter à ça l'accès à de l'information. Par exemple, aux canaux de nouvelles, on va rajouter l'accès aux divertissements. On peut rajouter, dans le fond, ce qui est considéré généralement d'intérêt public et aussi d'intérêt général.

Nous, on a commencé par les questions de télécommunications parce que c'est là où on dit: Il faut intervenir maintenant, avant qu'on perde complètement le contrôle, parce qu'on est dans une phase de déréglementation et que la Loi sur les télécommunications canadienne nous offre une très bonne prise, comme citoyens, d'intervention. Alors, il faut d'abord, pour avoir accès à l'inforoute, avoir un branchement et, actuellement, le branchement qui est le plus facilitant, c'est le téléphone. Si les gens n'ont pas le téléphone, oubliez ça, l'inforoute, hein? Alors, si on commence par ça, il y a des coins du Québec où on n'est pas capable de brancher un modem dans le mur. Bien, pas de modem, pas d'inforoute.

Donc, on parlait tout à l'heure de réseaux qui doivent avoir une largeur de bande ou, en tout cas, une capacité technique d'offrir les services. Bien, le gouvernement peut s'asseoir avec tous les partenaires qui offrent des services. On n'a pas besoin de faire la liste innombrable des compagnies de téléphone et de câblodistribution, et des nouvelles compagnies qui vont rentrer sur le marché bientôt pour que le gouvernement puisse faire savoir ce qu'il souhaite. À défaut d'avoir tous les leviers pour les obliger à le faire, au moins il doit les convaincre qu'il est de leur intérêt de fournir tous les services de qualité partout sur le territoire.

M. Beaumier: Je me suis peut-être mal exprimé, mais le sens de ma question était le suivant. Là, ce que vous venez de me dire, c'est tout à fait exact, mais ça ne correspondait pas à la préoccupation que j'avais d'un service de base. Ça, c'est plutôt la base du service, de pouvoir avoir l'équipement technique et puis les communications...

Mme Vallée (Marie): Bien, là, vous me dites que je suis proche des citoyens.

M. Beaumier: Je vois ça.

Mme Vallée (Marie): Les citoyens, ce qu'ils veulent, c'est garder leur téléphone. C'est là qu'ils en sont.

M. Beaumier: C'est beau. Non, je comprends bien.

Mme Vallée (Marie): Ils aimeraient bien ça avoir accès à l'inforoute, ceux qui sont au courant un petit peu de comment ça marche, mais il veulent d'abord pouvoir continuer à communiquer par le biais de la téléphonie. Si vous voulez préciser, peut-être que je pourrais vous donner des exemples plus concrets, mais...

M. Beaumier: Non, non, c'est assez bien, mais...

Mme Vallée (Marie): ...ce que, moi, j'entends...

M. Beaumier: Oui.

Mme Vallée (Marie): ...c'est que les gens veulent conserver leur accès au téléphone pour, plus tard, dans un avenir plus ou moins rapproché, pouvoir bénéficier des privilèges ou des promesses de l'inforoute.

M. Beaumier: C'est parce que vous faisiez allusion aussi à un autre niveau, là, où vous mettiez en relation l'espèce, disons, d'agora que pourrait être ce nouvel outil pour tous les gens, intercommunicationnel, etc., et aussi par rapport à ce que ce soit un simple centre commercial, là, d'achats, de consommation. Vous défendez les consommateurs. Dans ce sens-là, je sais que vous y êtes bien sensible.

Mme Vallée (Marie): Oui.

M. Beaumier: Mais c'était dans ce sens-là que je me disais, en ce qui concerne les services de base: Est-ce que vous voudriez, si jamais il y avait des choses à faire sur ça, qu'on s'assure davantage que le gouvernement puisse aider à créer, à ce niveau-là, un lieu de rencontre, un lieu de communication et non pas un lieu purement de consommation, ou d'information, ou de choses quotidiennes de second ordre, là? Dans ce sens-là, est-ce que vous auriez quelque chose à dire? Sur quel côté vous penchez, là?

Mme Vallée (Marie): Bien, je pense que...

M. Beaumier: Est-ce que vous penchez vers aider les gens, les consommateurs quotidiennement, beaucoup plus pratiquement, ou à en faire un outil davantage de formation? Je pense à l'alphabétisation. Je ne sais pas comment ça peut se faire de cette façon-là, là...

Mme Vallée (Marie): Ha, ha, ha!

M. Beaumier: ...mais comment vous voyez ça?

(17 h 30)

Mme Vallée (Marie): Bien, écoutez, je pense que le gouvernement peut soutenir des initiatives comme le Libertel ou, bon, des trucs comme ça qui vont créer un espace communautaire public où les communautés vont pouvoir prendre en charge les besoins de la communauté. Alors, si, dans une région du Québec, on veut se doter d'un instrument d'alphabétisation, par exemple, pour notre communauté, bien, on va pouvoir le faire via cet espace public là, et le gouvernement peut jouer un rôle. Il y a des contenus pédagogiques qui sont développés par le ministère de l'Éducation. On peut les rendre disponibles pour les communautés sous la forme d'une banque de données qui serait accessible.

Ceci dit, il faut faire très attention. Une des grandes craintes, c'est qu'en voulant tellement encourager le développement de l'autoroute de l'information on va aller peut-être un peu trop vite et ça va devenir le seul moyen d'avoir accès à certaines informations gouvernementales ou à certains services gouvernementaux. Alors, je pense qu'il faut que le gouvernement se prépare à respecter une transition avant de dire: Oups! c'est là, le canal. Et, nous, on penche vers l'encouragement à la prise en charge par les communautés locales. Dans le fond, c'est un peu une transformation ou un élargissement de l'idée du canal communautaire qui existe déjà en câblodiffusion. On l'élargit, dans le fond, à tous les réseaux qui vont offrir les services de communication. Et le gouvernement peut soutenir, au moins au départ, la mise en place de ces réseaux-là.

M. Beaumier: Alors, sur ça, je termine, une dernière petite question, M. le Président. Je n'essaie pas de vous faire dire des choses que vous n'avez pas dites, mais, moi, je vais vous dire des choses que je pense. Si, par exemple, en termes d'accès... Vous parliez des coûts. Il faut au moins payer la communication, l'appareil. Il faut connaître aussi la façon d'y accéder. Des fois, les gens n'ont pas tous les moyens. Et, croyant, moi, et voulant – parce que le reste, ça se fait tellement par soi-même – que ce nouvel outil serve beaucoup plus dans ce que vous appelez, vous, le volet agora plutôt que centre commercial, je vous dis que je serais bien sensible au fait que les bibliothèques municipales et scolaires puissent être un lieu ou ce dont vous parliez – je retiens le terme, je l'ai marqué aussi – l'espace communautaire public où effectivement des consommateurs... Souvent, les personnes avec qui vous faites affaire sont des personnes qui ne sont pas nécessairement dans les grands secteurs, en tout cas, de richesse. Alors donc, ça serait à ce niveau-là qu'on pourrait trouver cet espace communautaire public où nos gens pourraient quotidiennement, autour de la bibliothèque municipale ou scolaire, accéder et apprendre, et se faire informer aussi sur l'utilisation de toute cette dimension.

Mme Vallée (Marie): Je pense que, dans un premier temps, le gouvernement doit encourager ça. Mais il ne faut pas oublier que beaucoup des citoyens ne vont pas aux bibliothèques. Donc, il va falloir élargir ou encourager d'autres initiatives. Par exemple, actuellement, les postiers sont en train de développer, avec la Société canadienne des postes, des projets-pilotes pour que des kiosques d'information, informatiques ou électroniques – en tout cas, on les appellera comme on voudra – soient disponibles dans les bureaux de poste. Alors, ça fait un autre lieu. Il y a beaucoup de villages ou de villes au Québec où il y a des maisons communautaires. Alors, ça peut être dans ces lieux-là aussi. Ce n'est pas éminemment dispendieux. Le pire, c'est de développer le contenu pour qu'il soit facile d'accès et les instruments de navigation pour que ça soit juste toucher l'écran ou pointer une flèche.

M. Beaumier: Mais, pour moi qui représente un comté où il y a un certain nombre de municipalités rurales, le fait qu'on se serve de l'école, et on met de plus en plus les bibliothèques même municipales à l'intérieur des écoles, peut-être que ça inciterait les gens aussi à venir à la bibliothèque. Je veux dire, ça serait un milieu de vie culturel et ce serait un élément important qui pourrait s'ajouter. Mais, je suis d'accord, je retiens que ce n'est pas le seul endroit, mais c'est un bon endroit pour...

Mme Vallée (Marie): C'est un bon début, mais il ne faut pas oublier que, entre autres, les personnes âgées, c'est des personnes qui ont des difficultés de mobilité pendant un certain nombre de mois pendant l'année, et il va falloir faire attention pour que les services ne soient pas disponibles qu'à ce guichet-là, mais qu'ils puissent encore y avoir accès autrement.

M. Beaumier: Je ne réduisais pas, j'ajoutais.

Mme Vallée (Marie): D'accord.

M. Beaumier: Merci beaucoup.

M. St-Amant (Jacques): Et ça nous renvoie justement à la fluidité de l'inforoute. Les gens qui ont minimalement des ressources, qui peuvent avoir un ordinateur chez eux peuvent se brancher à un réseau. Encore faut-il qu'il y ait sur le réseau un contenu utile intéressant. On retrouve, par exemple, actuellement, sans doute dans toutes les bibliothèques publiques du Québec, les Lois refondues du Québec. Si un citoyen veut consulter la loi québécoise, il peut le faire gratuitement s'il peut se rendre à une bibliothèque. Encore faut-il qu'il puisse se rendre à une bibliothèque. Malheureusement, sur Internet, les lois québécoises ne sont pas disponibles gratuitement, il faut payer, alors que les lois fédérales, elles, sont disponibles gratuitement. Il y a des gestes qui sont symboliques, qui pourraient être fort utiles et fort intéressants pour l'ensemble des citoyens.

M. Beaumier: Merci bien.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Je veux revenir sur la question de la protection des renseignements personnels, sur deux volets. Le premier volet, c'est au niveau public, le gouvernement. Parce que vous avez mentionné dans votre présentation les projets de loi nos 32 et 36 qui ont été adoptés ce printemps, qui vont donner le pouvoir au ministère du Revenu de, je pense, chercher la fraude. Et tout le monde est contre la fraude; alors, c'est toujours pour des fins louables qu'on adopte ces lois. Mais la tentation, à partir de ça, de commencer à bâtir les profils de consommation des Québécois et Québécoises va être énorme. Et, si j'ajoute à ça la loi n° 33 sur les médicaments, qui va donner un profil de consommation par les Québécois des médicaments, et il y a également notre nouvelle liste électorale permanente, ça va donner une grande fiche d'identité de tous les Québécois.

Est-ce que vous êtes toujours certains qu'on est assez protégés par les lois existantes ou est-ce que la tentation de créer ces genres de profils de consommation et, pas demain, mais dans cinq ans, la tentation de rendre ça disponible au secteur privé... Parce qu'il y aura le profil parfait de certaines régions du Québec pour la consommation de certains biens. Est-ce qu'il y a une crainte dans tout ça pour vous?

M. St-Amant (Jacques): Aux craintes que vous exprimez, j'ajouterais celle du débat sur les cartes d'identité qui devrait se faire cet automne. Oui, de toute évidence, il y a là des tendances qui peuvent être extrêmement inquiétantes. Les principes sur lesquels la législation québécoise est bâtie, tant dans le domaine public que dans le domaine privé, sont, je pense, généralement corrects. Ce sont des principes qui sont reconnus à l'échelle internationale. Il faut les parfaire, les améliorer, mais on a une bonne base. Il s'agit cependant de ne pas y faire tellement d'exceptions que ça devienne une passoire et de se doter des moyens d'appliquer ces dispositions-là.

D'autre part, ce qu'on constate de plus en plus – et on avait l'occasion d'en discuter, il y a une dizaine de jours, avec des gens d'un petit peu partout – c'est que les choix technologiques qui sont effectués ont une incidence importante. On se retrouve, dans certains cas, avec une technologie mise sur le marché et on se rend compte après coup que: Ah bien, tiens! ça menace les droits ou ça permet à des gens de faire des abus. Alors, il aurait peut-être fallu s'asseoir avant, consulter, faire une évaluation et s'assurer que les choses sont faites correctement. L'expérience du printemps dernier nous a – comment dire – un peu désolés. Il y a des gestes qui ont été posés pour établir un petit peu le pouvoir d'intervention de la Commission d'accès quant aux informations que le gouvernement pourra aller chercher, mais c'est une tendance qui est inquiétante.

M. Kelley: Parce que, si je peux ajouter à ça, il y avait une décision de la Commission d'accès à l'information qu'Hydro-Québec peut utiliser le numéro d'assurance sociale pour sa clientèle. Et, j'imagine – chez Vidéotron ou Bell – qu'il y a d'autres compagnies qui regardent cette décision avec beaucoup d'intérêt, qui peuvent invoquer le même genre de raisonnement qu'Hydro-Québec a utilisé, que c'est des services difficiles à couper et que le monde déménage souvent. Mais, chez Bell, j'imagine, ils peuvent essayer d'utiliser la même logique, qu'un téléphone est plus ou moins essentiel; alors, ils aimeraient avoir accès à un numéro d'assurance sociale aussi.

Mais ça m'amène au deuxième volet de ma question au niveau du secteur privé pour la protection du consommateur. On demande souvent de laisser son numéro de téléphone et, chaque fois qu'on utilise une carte de crédit, on laisse peut-être le numéro de la carte de crédit sur l'inforoute, et tout ça. C'est quoi, les principes de base qu'il faut promouvoir pour protéger les gens, comme les numéros des cartes de crédit, et tout ça? Est-ce que le consommateur est assez bien protégé en ce moment sur l'inforoute?

M. St-Amant (Jacques): Dans l'état actuel des choses, en matière de carte de crédit, la réponse est simple: Ne faites pas ça.

Mme Vallée (Marie): Je pense qu'une des premières choses qu'il faudrait faire, mais on n'est pas capable, personne n'est capable de faire ça, en tout cas, d'après ce que j'ai pu constater, c'est de l'information. Les gens ne sont pas conscients qu'ils laissent des traces et que ces traces-là peuvent être assemblées, et ensuite utilisées pour prendre des décisions qui vont affecter leur potentiel économique. Jacques, je te laisse continuer. Tu n'es pas conseiller spécial pour rien.

(17 h 40)

M. St-Amant (Jacques): Ah non! Effectivement, c'est ce que j'allais noter. À ça, s'ajoutent deux choses: toute la question de la sécurité des transactions, et il y a là des débats extrêmement importants qui sont très techniques et qui sont faits entre autres pour les institutions financières, mais qui ont aussi une incidence économique et sociale considérable. Et il y a toute la question de ce qui se passe quand les renseignements qui nous concernent, comme ça arrive de plus en plus souvent, traversent les frontières. Bon, au Québec, ça va toujours, on a un régime, on a des recours. Dès que ça traverse les frontières, ça devient beaucoup plus compliqué, en tout cas, quand ça s'en va ailleurs au Canada ou aux États-Unis. En Europe, ça va toujours, en principe.

Dans les derniers mois, le gouvernement du Canada a annoncé son intention de légiférer. Aux États-Unis, il y a toutes sortes de débats. Dans quelle mesure le Québec peut-il jouer un rôle exemplaire pour dire aux gens des autres juridictions: Voici ce qu'il faudrait faire, voici ce qu'il est utile de faire, voici ce qui est intéressant, même pour nos entreprises? Dans quelle mesure le Québec peut être un intervenant dans ce débat-là? Bien, ce sont des débats qui sont en cours actuellement. Nous y sommes.

Mme Vallée (Marie): Évidemment, ces débats-là, surtout les débats de normes technologiques, se passent à l'échelle de l'OCDE ou des choses comme ça.

M. St-Amant (Jacques): ISO.

Mme Vallée (Marie): Oui, et ISO.

M. St-Amant (Jacques): International Standard Organization.

Mme Vallée (Marie): Merci. Et je pense qu'il est important – nous, évidemment, on n'a pas les moyens, mais ce n'est pas l'intérêt qui manque – de pouvoir, sinon assister et influencer directement les débats, au moins se tenir au courant. Parce que – je pense qu'on vous l'a dit, mais je ne sais pas si on a assez insisté – beaucoup des choses se font en développant des produits et en se rendant compte après coup: Oups! il y a un problème. Et un exemple très simple de ça, c'est l'afficheur. J'y reviens tout le temps parce que je trouve ça tellement clair.

Les compagnies de téléphone ont développé l'afficheur en toute bonne foi, en disant: Voici un produit extraordinaire. Ils n'avaient juste pas pensé qu'il y avait le beau côté du produit et qu'il y avait le mauvais côté du produit. Ils ont eu la permission de le mettre en marché. Il y a eu des problèmes. On a porté plainte. Ça a pris deux ans et demi, beaucoup d'énergie, beaucoup d'argent pour qu'ils soient obligés de reconfigurer les réseaux pour permettre le blocage de l'affichage. C'est un très petit problème technologique, mais, Dieu, qu'il est illustratif de tout ce qu'il ne faut pas faire.

Donc, dans les consultations qu'on fait, il faudrait peut-être écouter ce que les citoyens ont à dire ou ce que les gens qui ont de l'expertise technique ont à dire sur telle ou telle manière de mettre une carte à puce en marché, ou de l'utiliser, comment on fait les blocages, comment on fait les identifiants technologiques de code, le décryptage, l'encryptage, enfin, toutes ces choses absolument merveilleuses dans lesquelles il y a à peu près 12 personnes sur la terre qui comprennent quelque chose, mais, bon.

M. St-Amant (Jacques): Ce qu'il faut voir aussi, c'est qu'actuellement ce dont on discute de plus en plus dans les cercles techniques, c'est de développer des modes d'identification fondés sur le corps, sur les empreintes digitales, les empreintes palmaires, les empreintes rétiniennes. Il y a des institutions financières, par exemple, aux États-Unis, qui commencent déjà à utiliser de façon systématique des empreintes digitales chaque fois que les gens font des transactions, chaque fois qu'ils déposent un chèque, par exemple.

Est-ce qu'on veut s'en aller vers une société comme ça? Est-ce qu'on veut s'en aller vers une société où, pour entrer quelque part, il y a un petit rayon laser qui vient capter votre empreinte rétinienne pour être sûr que vous êtes autorisé à entrer? Et ce n'est pas de la science-fiction. Ce sont des choses qui se discutent actuellement par des gens, hélas, fort sérieux, peut-être trop sérieux.

M. Kelley: Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: J'aimerais que vous me parliez un peu plus de votre caisse d'accès universel aux télécommunications. Par qui ce serait géré? Comment ce serait garni? Est-ce que ça viserait surtout des disparités entre des régions ou des disparités entre des citoyens, des citoyennes? Vous l'évoquez à deux reprises, je pense, dans votre document, et ça me semble une proposition assez importante de votre mémoire. J'aimerais que vous m'en parliez un peu plus.

Mme Vallée (Marie): Bien, écoutez, nous, on a développé le concept de caisse d'accès universel parce qu'on assistait évidemment au démantèlement des monopoles qui avaient permis l'interfinancement des services moins payants par une série de services plus payants et à la mise en oeuvre de la concurrence où évidemment, en théorie, les prix des services doivent se rapprocher des coûts. Et on s'est dit: Ça pose des problèmes d'équité importants en termes de personnes qui sont défavorisées économiquement, mais aussi en termes de maintien des régions et de développement régional.

Alors, notre caisse d'accès comporte deux volets, dont un volet qui s'adresse aux personnes économiquement défavorisées. On a, nous, fixé le seuil d'admissibilité au seuil de pauvreté de Statistique Canada; ça peut être d'autre chose, mais c'est ce qu'on a proposé. Et les gens se verraient offrir un tarif réduit qui serait compensé par de l'argent qui viendrait de chacun des abonnés, autant de résidences que d'affaires. Alors, sur la facture de téléphone, de câblodiffusion, bon, de qui offrira le service, il y aurait un ajout qui serait «caisse d'accès universel: tant de sous». Parce que ce n'est pas énorme, ce que ça coûte.

D'autre part, il y a un volet de la caisse d'accès universel qui s'en va au soutien pour les zones où ça coûte plus cher de servir et cette partie-là serait financée à même une redevance sur les revenus de tous les fournisseurs de services de communication. Ça serait administré par un organisme indépendant où seraient assis au conseil d'administration chaque branche de l'industrie des communications, l'organisme de réglementation, les représentants des citoyens.

On n'a pas inventé les boutons à quatre trous; c'est un modèle qui existe en Californie, qui fonctionne très bien. On a évidemment arrangé l'idée à la canadienne parce que, pour l'instant, la juridiction est totalement fédérale, mais elle peut s'ajuster à n'importe quelle juridiction. Et elle permet de remplir les objectifs sociaux, tout en respectant la nouvelle idéologie à la mode qui est: la concurrence va régler tous les problèmes. La concurrence, on le sait, il n'y a pas un marché où elle fonctionne totalement pure et parfaitement. Alors, il faut trouver des moyens; il ne faut pas attendre que ça devienne complètement invivable pour certaines régions ou certains individus.

Alors, nous, on a proposé ce mécanisme-là qui est, au niveau concurrentiel, neutre, c'est-à-dire que tout le monde paie et les compagnies qui vont servir les régions vont recevoir la différence entre ce que l'abonné va payer ou ce que la région va fournir comme revenu et ce que ça leur coûte pour fournir le service. Alors, ça peut être la compagnie qui a déjà le monopole. Ça peut être une autre compagnie qui peut les servir pour moins cher. Si les compagnies qui ont le monopole ne veulent plus servir une région, elles vont devoir aller devant l'organisme de réglementation et expliquer pourquoi. Et, à ce moment-là, l'organisme de réglementation pourra dire: Il y a cette région-là à desservir; voici ce que ça coûte, voici ce que vous pouvez aller chercher dans la caisse d'accès. Et nous, avant de permettre aux gens qui sont là de se retirer, on veut être sûrs qu'il y ait un fournisseur de services.

Mme Malavoy: Est-ce que vous avez une petite idée de ce que ça prend pour garnir cette caisse, au départ? Ça se chiffre comment, approximativement?

Mme Vallée (Marie): Bien, écoutez, je pourrais vous envoyer les mémoires. Parce que tout varie en fonction du prix qui est chargé pour l'abonnement au service de base. C'est sûr qu'actuellement l'abonnement moyen au Québec coûte à peu près 15 $. Mais on a très bien entendu les compagnies de téléphone et on a déjà entendu les compagnies de câblodiffusion dire qu'en bas de 25 $ par mois, ce n'était pas rentable. Alors, c'est sûr que, si on a un abonnement, mettons, à 18 $ – nous, on a proposé un gel des tarifs au niveau du 1er janvier 1996 – la différence entre ce que ça va coûter aux citoyens puis ce que ça va coûter à ceux qui en auront moins besoin est de 1 $ ou 2 $, ou 10 $; là, le prix varie. Mais, nous, on a estimé que, pour les premières années, c'était à peu près 0,50 $ par abonné et que plus le tarif monterait, au maximum, ce serait à peu près 1 $ par abonné.

Mme Malavoy: Est-ce que vous pourriez, de fait, nous en envoyer une copie?

Mme Vallée (Marie): Absolument, ça va me faire plaisir.

Mme Malavoy: Pour nous, ça peut être un modèle intéressant à regarder plus attentivement.

Mme Vallée (Marie): Oui, puis je pense que le gouvernement peut jouer un rôle incitatif très fort auprès de tous les fournisseurs de services.

Mme Malavoy: Merci beaucoup.

Mme Vallée (Marie): Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Garon): Alors, je veux remercier les porte-parole de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec de leur contribution aux travaux de cette commission.

Et je suspends les travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 50)

(Reprise à 20 h 5)

Le Président (M. Garon): À l'ordre! Alors, j'invite Mme Martine Gaudreault, qui est présidente de Gaudreault, Belley inc., à venir à la table des témoins. Vous avez une demi-heure. Normalement, vous devriez prendre 10 minutes pour exposer votre point de vue, pour donner 10 minutes à chacun des groupes parlementaires pour vous poser des questions. Si vous prenez plus de temps, bien, ils auront moins de temps pour vous questionner.


Gaudreault, Belley inc.

Mme Gaudreault (Martine): Pardon?

Le Président (M. Garon): Si vous prenez plus de temps, ça veut dire qu'ils auront moins de temps pour vous questionner.

Mme Gaudreault (Martine): Très bien. Je peux y aller?

Le Président (M. Garon): Oui.

Mme Gaudreault (Martine): Bonsoir. Tout d'abord, je vais vous parler un petit peu de Gaudreault, Belley inc. On est un bureau d'affaires publiques à Québec et on est particulièrement expérimentés dans le domaine des relations gouvernementales. La mission première de notre équipe de professionnels est de fournir des services en communication de qualité, basés sur une connaissance éprouvée du contenu et des faits. Ce défi nous amène, entre autres, à saisir toutes les informations du gouvernement qui ont un impact pour nos clients et aussi à être constamment en contact avec des intervenants de nombreux ministères et organismes. C'est pourquoi nous croyons bien connaître les structures du gouvernement ainsi que les principes politiques et les contraintes administratives qui sont à la base de nombreuses décisions. Ce n'est pas en tant qu'experts de l'inforoute que nous participons à la consultation, mais bien en tant que spécialistes en communication qui, de surcroît, échangent et travaillent régulièrement avec le gouvernement.

Notre utilisation de l'inforoute au bureau nous classe comme des internautes moyens qui naviguent de quatre à cinq heures par semaine. Je vais vous résumer l'utilisation qu'on en fait de façon pratico-pratique. Premièrement, on utilise le courrier électronique, c'est-à-dire qu'on échange des dossiers avec les clients ou avec d'autres professionnels et on travaille conjointement les dossiers sur ordinateur en se transférant les données. On utilise aussi beaucoup l'inforoute pour la recherche. On monte des dossiers très régulièrement et nous naviguons sur l'inforoute pour nous documenter. Et on tente d'utiliser, pour être au fait de ce qui se passe au gouvernement... Et, depuis que le serveur est CNW, on peut dire qu'on a les informations ou, du moins, tous les communiqués la journée même. C'est très intéressant depuis que c'est sur CNW.

Un peu plus près de la consultation elle-même, le document de consultation de la commission de la culture traduit une attitude empreinte de réserves face au développement de l'inforoute. Cependant, force est de constater que rien ne peut arrêter le développement de l'inforoute, qui va de l'avant avec ou sans le Québec. Même s'il est très difficile, à ce stade-ci, de répondre à la plupart des questions que soulève le document, nous sommes convaincus que notre attitude face aux changements qu'implique l'inforoute doit être positive, car c'est cette attitude qui fera en sorte que le Québec participera ou non à l'épanouissement de l'individu et de la collectivité par le nouvel environnement électronique. Donc, ça veut dire qu'on est en accord avec ce que Jacques Parizeau affirmait le 29 juin, et je le cite: «Que nous le voulions ou non, le maintien de notre identité, l'affirmation responsable de notre spécificité culturelle, l'excellence de notre contribution à l'essor de la francophonie passent par l'inforoute.»

L'important pour ceux qui croient que l'inforoute peut devenir un réseau exceptionnel d'informations et d'échanges, tels que nous, c'est bel et bien de s'engager activement dans son développement. C'est la seule façon de faire de cet essor technologique ce que l'on veut vraiment qu'il soit. C'est pourquoi nous recommandons que le gouvernement conserve et augmente ses programmes favorisant la création au Québec de contenus francophones à caractère culturel, éducatif et scientifique à être diffusés par l'inforoute.

Le profil des utilisateurs de l'inforoute. On imagine qu'il va y avoir beaucoup de données qui vont être transmises ici, dans le cadre de la commission de la culture. Nous avons parcouru deux études de façon plus spécifique, soit une étude faite par Nielsen Media Research en Amérique du Nord – États-Unis et Canada – et un autre sondage qui a été fait par la Société des relationnistes du Québec.

(20 h 10)

Je vais sortir les grandes tendances qui sont sorties de ces recherches-là. Premièrement, ils ont conclu que l'inforoute attire principalement les gens des classes élevées. Ça, c'est une vérité de La Palice. Et, d'autre part, dans le sondage de la Société des relationnistes – je ne sais pas si vous connaissez cet organisme-là: c'est une société qui regroupe des professionnels de la communication; donc, ils ont fait le sondage auprès de ces mêmes professionnels qui sont les membres – on apprend que les personnes en communication utilisent davantage l'inforoute au travail que la moyenne de la population américaine. Dans les professionnels de la communication, c'était 39,5 %, alors que la moyenne de la population nord-américaine est de 24 %. On voit un pourcentage assez important, plus élevé. D'autre part, la comparaison entre hommes et femmes est éloquente, car, chez les hommes, près de cinq répondants sur 10 utilisent l'Internet au travail, comparativement à moins de trois sur 10 chez les femmes.

Les trois principaux obstacles à l'utilisation de l'Internet qui sont le plus souvent cités, c'est le temps d'attente pour accéder à un site, la méconnaissance en technologie – la peur de la machine – et le «junk info»; ça veut dire le fouillis d'information, on ne sait pas trop comment on peut trouver dans cet amoncellement d'informations.

On a deux recommandations qui se rapprochent de ça. Premièrement il faut que le gouvernement arrive à démocratiser l'utilisation de l'inforoute pour toutes les classes de la population, notamment par les écoles secondaires et les niveaux supérieurs ainsi que par les bibliothèques publiques et les musées. C'est l'inforoute et l'ordinateur, les deux; les études démontraient qu'il y a une corrélation très nette entre l'utilisation de l'ordinateur et l'utilisation de l'inforoute. Et, pour ce qui est de l'accès aux femmes, que le gouvernement favorise l'accessibilité des femmes à l'inforoute en favorisant une percée dans les métiers dits traditionnellement féminins. Il ne faut pas que les femmes passent à côté de cette ressource qui est une richesse d'information et d'accès pour les biens et services. Si on a amené cette recommandation-là, c'est bien parce que les sondages démontrent que les femmes utilisent beaucoup moins l'ordinateur et l'inforoute.

Lorsque la commission de la culture a été annoncée, on a été un petit peu surpris du timing, entre guillemets, parce qu'il nous semble... non seulement il nous semble, mais les ministères ont déjà pour la plupart des fenêtres et ils avancent beaucoup dans ce domaine-là. Le questionnement de la commission face à ça nous a un petit peu surpris. Et on sait que des semaines de réflexion dans ce domaine-là, ça représente des années-lumière dans d'autres secteurs. Si je dis ça, c'est qu'il faut que la commission mène à quelque chose de concret, à des résolutions très pratiques face à l'inforoute. Ce serait bien dommage qu'on perde du temps, justement le temps allant très, très vite dans ce domaine-là.

Le rôle des professionnels de la communication. Si j'ai parlé du sondage la Société des relationnistes tout à l'heure, c'est qu'on voit – le bureau Gaudreault, Belley – une opportunité pour les professionnels de la communication qui sont dans les ministères et les organismes gouvernementaux d'assurer un leadership dans ce domaine-là. Les directions des communications doivent être partie prenante à toutes les décisions et applications de l'inforoute dans les ministères et organismes au niveau de l'implantation, du contenu, de la diffusion, de la formation, de l'Intranet et de tout ce qui touche...

Selon les données de CROP, 57 % de la population est ouverte au changement et seulement 9 % des personnes ont beaucoup d'appétit face aux nouvelles technologies. Cette réalité sociale et humaine occasionne des clivages sociaux. Donc, il faut qu'il y ait des gens à l'intérieur des organisations pour niveler tout ça, puisque la connaissance ne s'acquiert pas pour tous au même niveau. Un défi majeur que pose l'inforoute dans le domaine du travail en est un d'apprentissage et de connaissance. Il faut pouvoir sélectionner les informations et traiter la rétroaction de façon efficace; sinon, il y a beaucoup de perte de temps et on saisit de l'information qui ne nous sert pas à grand-chose.

Juste un petit mot sur l'Intranet qui est une partie très importante de l'inforoute. L'Intranet étant un Web interne pour une entreprise, ça a une portée importante pour les communications organisationnelles, tant pour les multinationales; qu'elles soient sur le même continent ou pas, elles peuvent échanger de la même façon. Pour ce qui est des organismes gouvernementaux, il y a beaucoup d'ouvertures de ce côté-là aussi. L'Intranet, on va en parler de plus en plus, et c'est un outil de travail important.

Le rayonnement du gouvernement. La diffusion d'informations par l'inforoute va devenir un véritable mode de travail et non une façon accessoire d'exécuter les tâches. C'était un clin d'oeil sur les sites du gouvernement. Nous sommes tous en train d'apprendre. En fait, on apprend tous ensemble à se servir de l'inforoute. Et il y a eu beaucoup de sites qui ont été exploités de la même façon que les autres médias. C'est-à-dire que les sites peut-être un peu plus particulièrement des ministères ressemblent souvent à un dépliant, ou à une brochure, ou à ce qu'on connaît dans les autres médias, alors que c'est un nouveau média. On en fait tous l'apprentissage. Il y a plus de création, il y a plus d'interactivité à être mises en compte dans l'inforoute. C'est ça, les sites sont en évolution. Il y a eu une façon statique, il me semble, de la part du gouvernement, de concevoir les sites et de les diffuser.

Évidemment, il y a deux secteurs où l'inforoute devient très importante pour ce qui est de la diffusion et de la pénétration dans toutes les classes de la société. D'abord, c'est par l'éducation. Il y a des professionnels en éducation qui vont venir vous en parler, qui vont être mieux placés que nous pour le faire. Mais c'est certainement en mesure d'apporter des modifications importantes dans la façon d'enseigner. Et, au niveau de la santé, avec les cartes à puce, les expériences, là aussi, il y a des changements majeurs. Alors, nous, on recommande que des efforts particuliers sur l'inforoute soient consentis dans les domaines de la santé et de l'éducation pour que la population puisse bénéficier de tous les avantages des échanges rapides d'informations dans ce secteur. Et, surtout, ce sont des secteurs à dominance féminine; ça rejoint notre autre recommandation.

Au niveau de la propriété intellectuelle, on sait que l'étendue de ce problème est immense. Selon les avocats qui s'intéressent aux aspect légaux de l'inforoute et des questions qu'elle soulève au niveau de la propriété intellectuelle et des droits d'auteur, l'inforoute n'est rien de moins qu'une gigantesque machine à copier. Tout d'abord, le fait que les copies soient d'aussi bonne qualité que les originaux rend le contrôle infiniment compliqué. De plus, la distribution tous azimuts rejoint sans frontière de nombreuses personnes qui ne sont pas connues des destinataires.

Et la question de base, c'est: Est-ce que c'est de la reproduction ou de la distribution? Un étudiant qui a un livre et qui en prend une copie, c'est permis. Il prend son livre, il l'utilise durant une session, il le vend à la fin de la session, c'est permis aussi. Mais ce n'est pas permis d'en faire 20 copies et de vendre ces copies-là. Et c'est cette question de base là que ça soulève.

En général, les producteurs et les exportateurs qui participent à ces groupes prennent une tendance théorique rigide, au niveau de la propriété intellectuelle, j'entends bien, en tentant d'étendre la protection du droit d'auteur à la mise en place d'un nouveau cadre pour redéfinir la propriété intellectuelle. On n'a pas de base. Il faut réinventer ça aussi.

Voilà, lorsque nous abordons l'aspect diffusion culturelle et propriété intellectuelle, nous concluons que, pour le moment, l'ère électronique soulève beaucoup plus de questions que de réponses. Et, devant cette réalité, nous recommandons que le gouvernement du Québec se dote d'un comité d'experts qui devraient bien connaître et bien comprendre les tendances et les développements internationaux en ce qui concerne la propriété intellectuelle de l'autoroute électronique.

L'aspect de la taxation. Je ne sais pas, ce n'était pas couvert dans le document de consultation. Ça nous est apparu un point important. Ça représente rapidement beaucoup d'argent. C'est un marché... Aux États-Unis, par exemple, on s'attend à ce que le marché sur l'inforoute atteigne 6 000 000 000 $ en l'an 2000. Ça représente beaucoup de taxes, beaucoup d'argent qui doit être collecté par l'État, et le système n'est pas évident. Alors, on recommande que des experts en fiscalité soient mandatés pour analyser tous les aspects de taxation de l'inforoute qui touchent le gouvernement du Québec et que des mesures concrètes soient appliquées pour éviter les fraudes fiscales.

En conclusion, Gaudreault, Belley est convaincue que le Québec doit s'engager activement dans le développement de l'inforoute afin, d'une part, d'assurer la diffusion d'informations et de contenus essentiellement québécois et, d'autre part, de profiter de tous les avantages qu'offre l'autoroute électronique. Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire, c'est l'attitude avec laquelle nous aborderons ce changement qui fera en sorte que le Québec, à l'heure de la mondialisation, saura demeurer à la fine pointe des développements. Cela ne veut absolument pas dire qu'il ne sert à rien de se questionner sur les enjeux de l'autoroute électronique et de vouloir établir des règles et des orientations, mais cela signifie qu'il ne faut pas attendre d'avoir répondu à tous les questionnements qu'entraîne l'inforoute avant d'agir.

(20 h 20)

Depuis la nuit des temps, chaque nation agit en tant que protecteur de son identité culturelle, et ce n'est pas l'inforoute qui changera ce rôle des gouvernements. Mais, peut-être, pour une fois, la problématique ne se retrouve ni à l'intérieur ni à l'extérieur des frontières connues et nécessite une nouvelle compréhension politique du mouvement. L'inforoute va même jusqu'à modifier notre notion des espaces et du temps ainsi que l'imaginaire qui les habite. Merci.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Alors, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Oui. Bonsoir, madame.

Mme Gaudreault (Martine): Bonsoir.

M. Laporte: Vous êtes la seule, jusqu'ici, puis, je pense, dans l'ensemble des mémoires que j'ai lus, à traiter de cette question de la taxation. Je trouve ça très intéressant, parce que j'apprends une chose que j'ignorais, c'est-à-dire que, si, par exemple, vous faites des transactions boursières sur Internet, c'est la même chose que si vous utilisiez un courtier à escompte ou un courtier dans une maison de courtage, c'est-à-dire que les transactions sont surveillées par le même environnement réglementaire. Si vous achetez des bananes ou si vous faites votre marché sur Internet, il n'y a pas de taxe de vente là-dessus?

Mme Gaudreault (Martine): Non, la question que je soulevais, c'est plus à l'exemple des États-Unis. Par exemple, un État, le Wisconsin, met des produits en vente sur le réseau et, pour les gens du Maine, par exemple, qui achètent du Wisconsin, ce n'est pas le système de taxation du Maine qui est appliqué, mais c'est le Wisconsin qui collecte les taxes. Alors, ça, c'est un problème. Est-ce que ce sont les taxes du Maine qui doivent être appliquées, à ce moment-là? S'il y a, par exemple, 6 000 000 000 $ qui se transigent en l'an 2000, ça commence à représenter beaucoup d'argent.

Et chaque gouvernement a à régler ce problème-là. Pour les ventes par catalogue, par exemple, ou les ventes sur les lignes 1-800, il y a eu des règles qui ont été établies avec ça. L'inforoute apporte quelque chose de nouveau, une nouvelle liberté dans le marché face à ça. Est-ce que ce sont les règles où on achète? Par exemple, comment définir un site commercial? Est-ce que c'est tout simplement d'avoir un représentant? Est-ce que c'est le fait d'avoir un site qui est accessible dans cette région-là, qui fait que, bon... C'est tout ça. C'est toute la définition de ce qui donne le droit à un État d'imposer ses règles fiscales.

M. Laporte: Est-ce qu'il y a d'autres questions chez vous?

Le Président (M. Garon): M. le député de Champlain.

M. Beaumier: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Beaumier: Merci.

Le Président (M. Garon): J'avais l'impression que vous m'aviez demandé la parole, tout à l'heure.

M. Beaumier: Oui, je devais intervenir, c'est beau. Madame, dans le volet de votre mémoire où vous parlez plus particulièrement du domaine de la santé, vous disiez que, par exemple – vous donnez un exemple – «la Régie de l'assurance-maladie du Québec pourrait bénéficier de l'utilisation de l'autoroute électronique tant au niveau du contrôle des patients que des facturations des médecins. Cette autoroute électronique, qui relierait les bureaux des médecins, permettrait d'assurer un meilleur suivi des patients et entraînerait des économies considérables.» Est-ce que vous pourriez élaborer un petit peu sur ça? Parce que vous voyez toute la dimension...

Mme Gaudreault (Martine): Oui.

M. Beaumier: Il y a une dimension financière, mais surtout il y a une dimension aussi de confidentialité et de...

Mme Gaudreault (Martine): De confidentialité. C'est sûr que ce n'est pas la panacée à tous nos problèmes. Je ne peux pas élaborer beaucoup parce que je ne suis pas une experte dans ce domaine, sauf que, si, par l'inforoute, on a un moyen de justement offrir un meilleur service – parce que c'est ça qui est important et c'est toujours ça qu'on vise – par une meilleure circulation d'informations et que l'individu qui ne connaît pas... Bon, on a tous suivi un peu l'expérience de la carte à puce dans la région de Rimouski.

Comme patient, on ne comprend pas toujours le service qui nous est donné, le nom de la maladie exacte qu'on a et tout ce qu'on doit répéter au spécialiste. Et, une fois qu'on a ces informations-là – c'est sûr qu'il faut qu'elles soient bien protégées au niveau de la protection de l'individu – ça peut faciliter et ça peut certainement éviter des coûts. Bien, c'est dans ce sens-là qu'on recommande que, oui, le ministère de la Santé continue à explorer beaucoup cette avenue-là parce que le citoyen, le patient peut en ressortir gagnant. C'est dans ce sens-là. Mais je ne peux pas élaborer, je ne suis pas une spécialiste en santé. Il y a certainement des gens qui vont venir expliquer davantage.

M. Beaumier: Oui, mais c'est intéressant quand même. Merci bien.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Bonsoir, Mme Gaudreault. Juste une question. En page 6, on parle de l'écart entre le nombre d'hommes et le nombre de femmes qui utilisent l'Internet, l'inforoute, en ce moment. Et, dans l'étude Nielsen que vous avez citée, est-ce qu'on donne une raison pourquoi il y a un écart aussi important? Surtout quand on parle des micro-ordinateurs à la maison, semble-t-il que les femmes auraient le même accès que les hommes. Est-ce qu'ils ont essayé d'expliquer pourquoi l'écart était si important?

Mme Gaudreault (Martine): Je n'ai rien lu sur les motifs comme tels. Non, c'est ça. Sans chercher les raisons, en tout cas, il y a probablement un ensemble de facteurs sociaux qui font que c'est comme ça. On peut bien tâcher de comprendre, mais, moi, ce que je prône, c'est: agissons. Si les femmes ont des réserves, poussons-les vers ça. C'est vers l'ordinateur et vers l'électronique que la société se développe; alors, donnons les outils, faisons en sorte qu'on s'en aille vers ça aussi. Ça peut être des choses culturelles. Peut-être qu'on a tous des filles et des garçons à la maison. Le petit garçon est sur le Nintendo, il joue sur l'ordinateur, et la petite fille est encore avec ses princes charmants. Je ne sais pas. Ce n'est pas comme ça chez moi. Mais c'est peut-être quelque chose de culturel qui fait que l'électronique attire moins les filles. Mais il faut agir, il faut ouvrir la porte. Ma réaction, c'est ça.

M. Kelley: Et c'est peut-être aussi le temps libre qu'on a. Parce que toutes les études démontrent qu'effectivement, à la maison, c'est les femmes plutôt que les hommes qui s'occupent de préparer...

Mme Gaudreault (Martine): Ha, ha, ha!

M. Kelley: ...les sandwichs pour le lendemain, pour l'école, et tout ça. En tout cas, merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: J'avais une question exactement dans le même sens; alors, ça va aller vite. Mais j'aimerais que vous poussiez un petit peu plus sur ce que vous suggérez que nous fassions pour attirer plus les femmes. Parce que j'avais la même question. Vous êtes une des seules aujourd'hui à avoir abordé cette question-là, et elle n'est pas négligeable compte tenu du fait que les femmes sont 52 % de la population. Alors, si les femmes ne prennent pas le virage de l'inforoute, elles vont faire partie des gens exclus ou, en tout cas, qui n'auront pas accès à ce savoir-là. Est-ce que vous avez réfléchi à des moyens de pousser, comme vous dites, les femmes?

Mme Gaudreault (Martine): Moi, je suggère, dans un premier temps, d'utiliser beaucoup le secteur des communications. Les communications sont beaucoup occupées par les femmes, dans un premier temps. Il y a aussi la santé et l'éducation. Les femmes enseignent à nos enfants, elles sont professeures, elles sont dans les directions d'école. C'est important aussi qu'il y ait une pénétration, non pas que les ordinateurs ou l'inforoute soient dans les écoles, mais qu'il y ait une attention particulière pour que les professeurs, que les femmes soient partie intégrante de l'implantation de l'ordinateur.

(20 h 30)

C'est comme la santé. Bon, la santé, il y a beaucoup de femmes qui sont là. C'est sûr que je parle du marché du travail. Au niveau des étudiantes et des étudiants, je ne sais pas si on retrouve le même clivage. Parce que les études, c'était surtout dans les champs professionnels. Alors, est-ce qu'au niveau des étudiants on retrouve une majorité plus masculine que féminine? J'ai bien peur que oui. Quand j'étais à l'université, il me semble que c'était une dominance masculine, encore une fois, les étudiants en informatique, les programmeurs. Il faut commencer tôt, il faut très certainement inciter les filles à s'intéresser aux ordinateurs, leur en parler dès le jeune âge et s'assurer en même temps de l'intégration dans les marchés du travail à dominance féminine. Il faut comme tout couvrir le terrain en même temps.

Le Président (M. Garon): Merci, Mme Gaudreault, de votre contribution aux travaux de cette commission. Et j'invite maintenant M. Camille Genest à s'approcher de la table des témoins. Alors, M. Genest, nous avons une demi-heure avec vous. Normalement, les témoins prennent une dizaine de minutes quand ils ont une demi-heure, laissant 10 minutes à chacun des partis, en gros, pour discuter avec vous de ce que vous avez dit et de votre mémoire. La parole est à vous.


M. Camille Genest

M. Genest (Camille): M. le Président, membres de la commission, je vous soumets respectueusement quelques idées concernant les enjeux de l'autoroute de l'information. J'ai chronométré la lecture de mon mémoire, ça donne à peu près 10 minutes.

L'humanité est entrée dans l'ère de l'information. Les sociétés civiles sont devenues des sociétés de l'information. Les technologies de l'information en général, et l'autoroute de l'information en particulier, changent toutes les façons de faire. Elles changent les façons de traiter les affaires, de travailler, d'étudier, d'éduquer les enfants, de nous divertir, de gouverner, de faire de la politique et de rendre les services publics. Des enjeux stratégiques sont en cause.

Enjeux économiques. L'inforoute ignore les barrières et rejette tout protectionnisme. Elle constitue un accord tacite de libre-échange à la grandeur de la planète. Les idées, produits et services y circulent déjà librement. Les entreprises virtuelles naissent à chaque jour. Les industries de la société de l'information, soit les télécommunications, l'informatique et l'audiovisuel, offrent un potentiel de création de millions d'emplois pour peu que les gouvernements adoptent une politique de déréglementation et d'aide à la concurrence équitable. L'inforoute est souvent un déclencheur de la transformation des organisations. Elle amène à revoir en profondeur les processus de production des biens et des services pour mieux satisfaire la clientèle, réduire les coûts et les délais. Elle aplatit la structure, horizontalise les communications et libère l'énergie phénoménale que peut générer l'information partagée.

Le Québec possède des avantages concurrentiels. Il marque une avance dans les industries de la langue: informatique documentaire, génie linguistique, traduction, enseignement, terminographie, traitement automatique de la parole, ingénierie cognitive. La proximité des États-Unis, la langue française et la présence d'un noyau de chercheurs et d'entrepreneurs sont des atouts précieux. Le Québec est à la recherche de petites niches du marché mondial. De petits pays peuvent bâtir de grandes entreprises. Le secteur des industries de la société de l'information a besoin que soient créées de nouvelles entreprises à valeur ajoutée. Toutefois, l'État a un rôle de chef d'orchestre et de catalyseur à jouer pour mettre à profit la cohésion et la solidarité des agents économiques. Dans le respect des règles de l'économie de marché, le poids de l'État, mis dans la balance, prévient le développement anarchique et favorise une certaine équité.

Enjeux culturels. En tant que foyer francophone en Amérique du Nord, le Québec est confronté au défi d'avoir prise sur les contenus des produits qui circulent sur l'inforoute. Autrement, il sera noyé dans les projets canadiens. L'identité culturelle québécoise pourrait être menacée par le flot de produits étrangers. C'est que ce sont les biens de l'esprit qui voyagent sur les réseaux. L'inforoute pourrait contribuer à annihiler notre individualité et notre culture si elle ne contient que des perspectives et des services étrangers. Le gouvernement a la responsabilité de privilégier les contenus de sorte que soit diffusée l'image culturelle française du Québec. Ces contenus touchent à de nombreux domaines: muséologie, bibliothèques, banques de données scientifiques, production artistique, environnement, loisirs, voyages, etc.

La France a développé le Minitel. Elle est en quelque sorte limitée par cette technologie. Le jour où la masse de consommateurs français sera branchée à Internet, des services en français seront recherchés. Les entreprises québécoises qui auront mis au point ces services seront en avance sur leurs concurrents d'outre-Atlantique. Le marché des entreprises québécoises offrant des services en français, c'est l'ensemble des pays francophones. La coopération avec les pays francophones pourrait connaître un nouvel élan grâce aux projets technologiques et culturels induits par l'inforoute. Des réseaux en langue française pourraient être établis. Ils pourraient être nourris d'informations, d'idées et de projets. Une francophonie virtuelle pourrait être imaginée, soit un espace francophone électronique d'échanges et de partage.

Enjeux politiques. Un journaliste a demandé un jour au président-directeur général de Microsoft, Bill Gates, à quel usage il rêvait quand il pensait à l'inforoute. Il a répondu: Créer la Grèce virtuelle. L'inforoute permet la communication non seulement dans les deux sens, mais dans tous les sens. C'est l'agora électronique. Elle permet de faire connaître les institutions et les systèmes politiques, mais surtout elle permet de développer une véritable vie citoyenne et démocratique. Elle donne aux citoyens la possibilité de débattre sur la place publique et d'exprimer leurs réalités, leurs rêves et leurs besoins. Si tant est que la démocratie, c'est le peuple assemblé, l'inforoute assemble et donne droit à la parole. Le cycle démocratique est alors possible: écoute, explication, débat, argumentation pour convaincre, décision, action, évaluation.

Par les fonctions dites de télédémocratie et de scrutin électronique, l'inforoute permet de tester des hypothèses, de valider des idées, de vérifier les prétentions d'efficacité d'une réforme envisagée. Elle oblige les gouvernements à se rapprocher de leurs clients citoyens et de leurs besoins. Elle rend possibles des référendums à petite dose de sorte que s'établissent des tendances et des consensus sur les choix politiques de l'heure. Cet exercice peut devenir contributif à l'élaboration du projet de société. En effet, la prise de conscience du droit de parole et du pouvoir d'influence est mobilisatrice. Elle crée un mouvement de solidarité et de convivialité propice à favoriser la référence aux valeurs démocratiques: respect des droits de l'homme, liberté, justice, égalité, tolérance, foi dans la nation.

En tant que recherche d'une direction et d'une volonté collective, le projet de société peut devenir, grâce à la technologie, un projet partagé de société. Le projet dégage la vision qui seule permet d'éclairer et d'alimenter les indispensables évolutions. Cette vision fournit un langage commun et un discours cohérent. Elle donne du souffle, de l'énergie, de la perspective et de l'élan. Elle libère l'initiative. Elle invite à penser autrement. Elle permet d'attaquer les crises de façon différente, voire même de les transformer en occasions de progrès.

Selon Marshall McLuhan, le médium est le message. C'est particulièrement juste concernant les technologies soutenant l'inforoute. Le fait d'y avoir recours reflète un esprit d'ouverture, de flexibilité, d'oxygène. Or, en politique, le symbole est crucial. Les usagers d'Internet sont en général enthousiastes. Ils s'émerveillent devant les trésors d'information auxquels ils ont accès. Ils sont enchantés de pouvoir communiquer avec le monde entier. Cette mentalité est le contraire du pessimisme généralisé et du cynisme qui ont trop souvent remplacé la confiance et la fierté nationale. Par son environnement technique et par la stimulation intellectuelle qu'elle provoque, l'inforoute parle le langage de l'avenir, de la jeunesse, de l'enthousiasme communicatif. Elle peut faire en sorte qu'un sentiment d'optimisme naisse et perdure.

Enjeux éthiques. Le phénomène de l'inforoute pose un certain nombre de questions éthiques. Des responsabilités individuelles et collectives sont en cause. Les codes de valeurs actuels sont bousculés. L'approche américaine repose sur de strictes valeurs de marché. Certains pays européens, notamment la Belgique avec le Groupe Titan, se réclament d'une approche globale qui tient compte des besoins de la personne en matière d'accès à l'information. Sur Internet, une présence commerciale acceptable par les usagers doit être fondée sur le principe de l'échange. Ces derniers s'attendent à trouver de l'information utile et de consultation agréable. L'exploitation commerciale sans retour d'information ne serait pas correcte, entre guillemets, sur le réseau.

Le développement anarchique, voire même sauvage, des technologies de la société d'information risque que ne soit creusé encore davantage le fossé séparant les pauvres des riches. Les impératifs de la démocratie amènent à être attentif aux dangers d'une nouvelle forme de pauvreté: la pauvreté culturelle. Cette pauvreté met en évidence la césure entre ceux qui parlent et ceux dont on parle, sans qu'ils aient eux-mêmes droit à la parole. Cette pauvreté culturelle est un problème de fond. Elle freine une société dans le règlement de ses problèmes importants. Elle met en évidence un besoin de sagesse, une aptitude à refaçonner nos philosophies de la vie et à recréer notre capacité de réinterpréter les parcours de vie et d'histoire. Car on ne peut foncer dans l'histoire, comme peuple ou comme personne, sans personnalité forte, sans appartenance profonde, sans foi résolue, sans liberté entreprenante, sans générosité soutenue, en référence à Fernand Dumont, dans «Raisons communes».

(20 h 40)

La réflexion éthique relative à l'inforoute devrait porter sur le respect de la diversité culturelle, sur le respect de la confidentialité, sur le danger de creuser davantage le fossé riches-pauvres, sur les risques de perte d'emplois consécutifs au déploiement de la technologie, sur l'accès des personnes à de l'information conforme à leurs besoins sans égard à leur lieu de vie ou à leur rang social. Également, les questions relatives à la piraterie de l'information devraient être à l'ordre du jour, de même que celles concernant la pornographie, la propriété intellectuelle, les messages haineux et racistes malheureusement présents sur les réseaux inforoutiers.

Enjeux sociaux. Les usages sociaux de l'inforoute ne sont pas connus. Les changements dans la société causés par ce phénomène et leurs conséquences sur la population, les groupes et les médias n'ont pas encore été étudiés. Les impacts du télétravail, de la télémédecine, du téléenseignement ne sont pas explorés. Dans l'avenir, l'éducation et le travail risquent d'être intimement liés. Les entreprises en technologie de pointe seront des lieux d'apprentissage autant que les écoles et les universités. Les organisations apprenantes naîtront. Les établissements scolaires devront s'adapter aux réseaux électroniques et accepter de perdre l'exclusivité de la transmission des connaissances. Du coup, la centralisation en éducation et l'uniformité auront fait leur temps. La flexibilité et l'adaptation aux besoins diversifiés seront incontournables.

Les entreprises qui transmettent et commercialisent le savoir peuvent être localisées n'importe où dans le monde. Dans un univers de réseaux interreliés à grande vitesse, chaque endroit peut devenir le centre du monde. Les travailleurs de ces entreprises peuvent également être délocalisés. Ainsi, l'ouverture de l'inforoute devient un moyen d'améliorer la qualité des services en région. L'accroissement de l'expertise technologique et la réceptivité des populations à de nouvelles approches sont sources de perspectives de développement des régions. La localisation des entreprises, des services publics et des ménages peut désormais répondre à des critères de besoins individuels, de préférence, de beauté des paysages, de qualité de l'environnement, de richesse du milieu humain. L'inforoute est peut-être le salut des régions.

Enjeux gouvernementaux. L'inforoute change les façons de rendre les services publics. Elle va transformer les relations entre le gouvernement et les citoyens. Les ministères et organismes devront changer de paradigmes. La technologie va les forcer à requestionner en profondeur leur raison d'être, leur mission, leurs processus de production des biens et des services; interactivité avec la clientèle et instantanéité des communications obligent. Ces impératifs vont bousculer la culture de l'administration publique. Les citoyens auront désormais une prise sur l'appareil administratif dont ils sont propriétaires par les impôts qu'ils paient. Les changements seront radicaux et rapides.

Grâce à des terminaux placés dans des centres commerciaux, des centres de services ou à domicile, il est actuellement techniquement possible d'obtenir des renseignements complets sur les services publics et de faire des transactions comme renouveler son permis de conduire, changer son adresse, faire une demande d'indemnité, demander une bourse, un passeport, etc. La paperasserie peut d'ores et déjà être remplacée par des formulaires électroniques abrégés et simplifiés. Les validations et vérifications peuvent être automatisées. Les délais peuvent être réduits à quelques minutes et la satisfaction du service reçu, évaluée sur-le-champ.

La mise en réseau des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques et autres établissements publics permettra de décupler la contribution des ressources de ces établissements. Le recours à la mentalité de réseau fournit la perspective du «redesign» de l'administration publique et de ses mécanismes de distribution des services. À terme, chaque point de services du réseau pourra offrir l'ensemble des produits du système public. Cette réingénierie mettra le réseau et ses fonctionnaires au service des clients citoyens. Déjà, la technologie le permet. L'état des finances publiques et le niveau de conscience des administrateurs de l'État dicteront le rythme des changements et l'audace des modifications de l'organisation du travail et de la mise à jour des compétences des personnes.

En conclusion, l'inforoute confronte la société et les individus à des enjeux stratégiques qui bouleversent tout: valeurs, rapports humains, façons de faire, façons de communiquer. À l'ère de l'information et dans la société de l'information, les réseaux sont les nouveaux maîtres du monde. Un projet de société ne peut ignorer ces enjeux. Par ce qu'elle représente, l'inforoute est un formidable levier dans la construction d'un projet de société. Elle représente l'idée de communication, la mentalité de réseau, l'esprit d'égalité et l'esprit d'ouverture aux idées des autres. Par sa puissance et par l'intérêt qu'elle suscite, l'inforoute est un outil qui amène ses usagers à être producteurs et participants, et non seulement consommateurs. C'est un instrument de partage qui peut utilement être exploité pour un projet partagé de société. L'enjeu ultime est une société meilleure, plus juste et plus humaine. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: M. Genest, merci... j'allais dire de votre témoignage, parce que je trouve que c'est presque un poème dithyrambique qui fait l'éloge de l'inforoute. Et j'allais dire: De la part d'un jeune qui découvre cet univers-là, on s'y attendrait; venant de vous, ça soulève l'enthousiasme. Vous indiquez des possibilités assez exceptionnelles de l'inforoute, un changement d'univers, un changement de monde, une brisure du rythme du temps aussi, parce que vous dites, par exemple: «Les délais peuvent être réduits à quelques minutes et la satisfaction du service reçu, évaluée sur-le-champ», en page 6, là. On se demande qu'est-ce qu'on va faire du temps qu'il nous reste. Et vous évoquez les impacts du télétravail, de la télémédecine, du téléenseignement qui sont à explorer; et vous avez raison, c'est des potentiels assez extraordinaires que nous donne la télématique, l'inforoute.

Cependant, en vous écoutant, je pensais – et ce n'est pas pour être pessimiste, mais c'est peut-être pour essayer d'avoir une ponction de pondération, de mon côté à moi – au texte de Louis Amade que chantait Bécaud, à l'époque: «Les beaux cantiques de l'église, malgré tout ce qu'ils disent, me font perdre la foi.» Alors, j'ai l'impression que je voudrais avoir votre enthousiasme et votre foi à l'endroit de certaines potentialités de l'autoroute, et je ne suis pas capable. Je vous admire d'autant.

Ce que je voudrais savoir, peut-être, et c'est le sens de ma question, c'est: Quand vous parlez des enjeux politiques en particulier – ce matin, on entendait M. Dufresne, justement de la revue L'Agora – vous parlez de l'agora électronique, en page 3. Alors, vous soulevez un potentiel assez exceptionnel au plan démocratique. Là ou certains voient de la désinformation, un danger pour la démocratie, etc., vous voyez au contraire un potentiel de développement de la vie démocratique, de sondages rapides, etc. Est-ce que vous pourriez développer ça pour raffermir ma foi, si vous voulez, en l'inforoute?

M. Genest (Camille): Je vous remercie de vos commentaires sur ma jeunesse, si j'ai bien compris, d'esprit uniquement.

M. Gaulin: Eh oui... Non, non, pas uniquement. Vous me faites dire des choses. Ha, ha, ha! Absolument pas.

M. Genest (Camille): L'idée des commentaires sur les enjeux politiques, c'est la possibilité qu'offre cette technologie de l'interaction et du fait que les citoyens puissent participer en temps direct, puissent donner leur opinion, participer à des forums, participer à des «newsgroups» en temps direct. Et, si la technologie est utilisée de façon judicieuse, elle peut permettre d'évaluer des hypothèses rapidement et peut-être de corriger des trajectoires ou de réorienter des projets de réforme.

Vous parlez de mon enthousiasme, mais par ailleurs je dois vous dire que, dans les documents d'orientation du gouvernement, notamment celui qui a été préparé par le Secrétariat de l'autoroute de l'information, il y a, à mon avis, beaucoup trop d'objectifs et de principes. C'est ce que j'appelle un spaghetti d'objectifs et de principes non hiérarchisés et non priorisés. Et je crois que, dans cette perspective-là, l'initiative de la commission de la culture tombe à point.

(20 h 50)

Je crois qu'il y a un besoin urgent au gouvernement de dépasser l'enthousiasme. Vous avez vu dans mon texte un enthousiasme que vous avez qualifié d'adhésion par la foi, je pense, mais il y a, du point de vue du gouvernement, le besoin de dépasser la foi pour identifier des solutions qui peuvent être des moyens de rendre des services publics plus rapides, à meilleur coût et d'une façon plus efficace. Et, dans ce sens-là, je pense qu'une politique gouvernementale devrait contenir quelques grandes orientations indiquant les perspectives et les choix de l'État. Ces orientations-là devraient être assorties de six ou sept cibles stratégiques, lesquelles pourraient être appuyées de trois ou quatre cibles tactiques ou opérationnelles. Et chacune de ces cibles devrait être totalement mesurable par des indicateurs et des facteurs critiques de succès, de sorte qu'un tableau de bord pourrait permettre de suivre vraiment la stratégie gouvernementale, et non pas se doter d'un document qui contient tout, mais qui n'est pas ciblé.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: D'abord, je dois dire – merci, M. le Président – que, tout comme mon collègue d'en face, j'ai trouvé votre texte merveilleux. C'est dit avec simplicité, c'est bien écrit et c'est communiqué avec élégance. Mais, en vous lisant puis en écoutant tout ce qu'on a entendu ici aujourd'hui, et ce qu'on entendra demain et plus tard, il y a tout de même, disons, une prise de conscience qui se fait, et vous abordez un peu le problème dans votre texte, à la page 2. On a nettement l'impression qu'on est en train d'assister finalement à l'émergence de nouvelles formes ou d'une nouvelle forme d'inégalité sociale. Si vous regardez, par exemple, les données que nous a fournies Jacques Dufresne ce matin, il y a 18 % des gens de la région métropolitaine de Montréal qui sont des internautes. Il y a des inégalités entre les sexes. Il y a évidemment des inégalités profondes entre les niveaux d'éducation. Vous le dites dans votre texte.

Vous dites: «Dans le respect des règles de l'économie de marché, le poids de l'État, mis dans la balance, prévient les développements anarchiques – ça, je comprends ce que vous voulez dire – et favorise une certaine équité.» Pourriez-vous élaborer sur cette question du rôle que pourrait jouer l'État pour, disons, prévenir que ces inégalités sociales se construisent et deviennent trop fortement construites dans l'avenir? Est-ce que vous avez des suggestions à ce sujet à nous faire?

M. Genest (Camille): Bien, c'est sûr que c'est un domaine nouveau, et les initiatives des pays évoluent très rapidement. Il y a eu une conférence du G 7, il y a un an, un an et demi, sur ces questions-là, et c'était les mêmes questions qui étaient à l'ordre du jour et elles n'ont pas été résolues. C'est sûr que l'État doit indiquer les orientations par une politique et des stratégies. L'État doit aussi ne pas hésiter à réglementer certains aspects avec les compagnies distributrices, à réglementer l'accès, l'incidence sur les emplois, la sécurité, la confidentialité. L'État aussi doit s'impliquer, à mon avis, pour soutenir, aider, participer au FreeNet, au Libertel et assumer un leadership dans le milieu des télécommunications et des technologies de l'information. Il doit également donner l'exemple en reconcevant l'ensemble de son fonctionnement et la production des services aux citoyens à partir de l'idée de réseau, et de l'idée de flux d'informations et de services aux citoyens.

Par ailleurs, l'État ne doit pas, à mon avis, dépenser tous azimuts. Il serait très utile qu'une norme de gestion des bénéfices soit mise au point. Par exemple, cette norme pourrait statuer que seulement des investissements qui produiraient des résultats à court terme seraient acceptables, que des projets totalement maîtrisés et rigoureusement mesurés devraient être uniquement mis de l'avant, que seulement des budgets de substitution devraient être utilisés pour financer des projets, c'est-à-dire des budgets qui remplaceraient un processus manuel ou mécanique par un processus automatisé. Et il pourrait même y avoir une politique d'utilisation des gains réalisés par les investissements technologiques. Par exemple, on pourrait imaginer que, si un projet réalise 1 000 000 $ de gains, les trois quarts de ces gains-là pourraient être versés au fonds consolidé, alors que le quart de ces gains-là pourrait être consacré à l'amélioration des services aux citoyens. Finalement, l'État doit agir en concertation et dégager une vision, je dirais, culturelle de l'inforoute.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Je vous remercie de votre contribution, M. Genest, et j'ai trouvé aussi que vous aviez une vision assez optimiste des choses. Ce n'est pas une mauvaise chose, et je pense que, dans le fond, on l'est, nous aussi. On essaie de trouver des réponses à certains questionnements, à certaines inquiétudes, mais je crois qu'on est aussi relativement optimistes.

Il y a une question que vous abordez, qui est celle de la démocratie, qui est une question dont on a parlé à quelques reprises aujourd'hui, comme quoi l'inforoute peut être un instrument de développement de la démocratie. En même temps, aujourd'hui, d'autres personnes nous mettaient en garde contre le danger qu'il y ait une impression un peu artificielle de démocratie quand, par exemple, on peut sonder des opinions rapidement, mais sans analyse. Le vrai débat démocratique suppose qu'il y ait une interaction, qu'il y ait un jeu d'influences entre des personnes qui, au point de départ, pensaient peut-être une chose et qui, au terme d'un processus, vont avoir évolué parce qu'elles auront été confrontées aux idées des autres.

J'aimerais vous entendre là-dessus parce que je pense que c'est un des défis qu'on aura, de s'assurer qu'il y ait une interactivité telle qu'on ne reste pas simplement sur des positions qu'on peut, à la limite, exprimer en appuyant sur un bouton, mais qu'on entre en relation avec d'autres pour avoir un cheminement de la pensée qui aille au-delà simplement des premières idées. J'aimerais vous entendre un peu là-dessus.

M. Genest (Camille): Vous avez tout à fait raison. D'ailleurs, une des plaintes que les usagers formulent de plus en plus, c'est que les «newsgroups», les forums de discussion sont de plus en plus monopolisés par des groupes d'intérêts. Par exemple, les forums sur l'environnement sont monopolisés par des organisations comme Green Peace, et l'expression libre et l'échange spontané deviennent très difficiles. Ça devient un forum entre initiés. Et c'est évident qu'Internet en particulier a des limites; ça permet peut-être de tester des idées ou de valider des hypothèses, mais ça ne peut pas remplacer un véritable examen public d'une question ou une véritable discussion en profondeur entre citoyens, avec des formules démocratiques connues. Et, dans ce sens-là, je pense qu'il faut accepter les limites de l'outil.

Par ailleurs, la démocratie fait appel aux notions de justice et de liberté, et d'égalité, et d'échanges entre les personnes, entre les groupes, et, à ce niveau-là, peut-être que l'autoroute de l'information permet d'améliorer les communications entre les personnes et entre les groupes, donc de favoriser le développement de ces valeurs. Mais, pour ce qui est du débat lui-même, vous avez raison de dire qu'il y a des limites qui seront toujours présentes, quel que soit l'outil électronique.

Mme Malavoy: Merci.

(21 heures)

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Genest, de votre contribution à cette consultation de la commission et j'invite maintenant M. Bernard Benoist à s'avancer à la table des témoins. Alors, M. Benoist, vous avez une demi-heure, c'est-à-dire que, normalement, vous prenez une dizaine de minutes, puis les deux partis auront chacun une dizaine de minutes pour discuter avec vous de votre mémoire et de ce que vous allez dire devant la commission.


M. Bernard Benoist

M. Benoist (Bernard): M. le Président, mesdames et messieurs, membres de la commission, il est d'usage, au tout début d'une comparution devant votre commission, de s'identifier brièvement. Je souhaiterais le faire en invoquant un souvenir qui date de 40 ans. En 1956, alors que j'étais à la fois étudiant en droit à plein temps et annonceur de radio à plein temps, j'ai eu la témérité de soumettre à la commission fédérale Fowler sur la radio et la télévision un mémoire qui prônait à l'époque le contrôle provincial de la radiodiffusion éducative. À l'époque, mes propositions ne furent évidemment pas retenues et furent même évincées, mais cela provoqua chez moi une double passion qui devait orienter toute ma carrière d'avocat et de professeur: la passion de la communication et la passion du Québec, société distincte, quel que soit par ailleurs son statut politique en regard du Canada.

Parler des enjeux du développement de l'inforoute québécoise appelle certainement une volonté d'investissement en ressources humaines, matérielles et financières, mais, d'abord et avant tout, cela présuppose une juste appréciation de ce qui est en jeu. C'est à ce préalable que s'intéresse essentiellement le présent mémoire et, plus immédiatement encore, à ce qu'implique le passage de l'inforoute à la téléculture.

La communication, réalité fondamentale sur laquelle repose nécessairement toute vie en société, mais également, en regard de ce qui fait l'objet de vos travaux, une réalité dangereusement équivoque dans la mesure où elle est susceptible de confondre l'art avec la science, le contenu avec le contenant, la création avec l'instrument, le média avec la technologie. Dès lors, une distinction essentielle s'impose entre la technologie de l'inforoute et l'art médiatique de la téléculture.

À proprement parler, l'inforoute peut se définir comme la technologie qui permet d'acheminer à distance des signaux émanant de l'informatique. Dès lors, la nature de ce qu'elle transmet lui est totalement étrangère, qu'il s'agisse d'un code d'identification personnel, un NIP, qui permet d'opérer un guichet bancaire automatisé ou de la diffusion d'un téléthéâtre de Michel Tremblay. Par opposition cependant le néologisme «téléculture» peut se définir comme l'art, et non la science, de transmettre l'éducation, l'information et le divertissement par le moyen de l'inforoute. Dès lors, la téléculture se désintéresse de la technologie pour se consacrer aux éléments d'éducation, d'information et de divertissement qui composent la notion de culture.

Par voie d'analogie, l'inforoute est à la téléculture ce que l'imprimerie est au journal. Dans l'un et l'autre cas, il y a une évidente et indispensable dépendance technologique, mais il n'y a surtout pas une identité de nature. L'inforoute est indispensable à la téléculture, mais la téléculture se distingue fondamentalement de l'inforoute. Si, dans le Canada de 1964, le visionnaire Marshall McLuhan avait raison d'affirmer: «The medium is the message», il importe éminemment d'ajouter, dans le Québec de 1996: «but the technology is something.» La distinction entre l'inforoute et la téléculture n'est pas qu'une simple vue de l'esprit dénuée d'intérêt pratique, car confondre l'inforoute et la téléculture revient, par analogie toujours, à confondre Bell Canada et Télé-Québec, ou Bell Québec et Télé-Québec, ou Radio-Canada et Bell Canada.

Plus grave encore, si, dans le cadre d'un pays unitaire comme la France, toute équivoque sur la nature spécifique et distincte de l'inforoute et de la téléculture peut s'avérer sans grave conséquence politique, il en va bien différemment au Québec où toute confusion ne peut qu'aggraver, voire que parfaire la mainmise extérieure sur les médias de la culture québécoise au nom d'un contrôle ou d'une domination d'ordre technologique.

Beaucoup plus grave encore, ce qui, dans le contexte canadien, menace l'identité de la culture québécoise provient essentiellement non pas de la mauvaise foi, mais essentiellement de ce qui distingue fondamentalement le génie anglo-saxon d'instrumentalité du génie français de finalité. Par analogie, le génie anglo-saxon s'enquiert d'abord, en matière de route ordinaire, de savoir si l'autoroute de l'Estrie est en béton, alors que le génie français s'inquiète d'abord de savoir si l'autoroute de béton va en Estrie.

En regard de l'inforoute et de la téléculture, le génie anglo-saxon estime réaliste et donc opportun de lier le sort de la téléculture à celui de l'inforoute, tandis que le génie français estime inconcevable et donc inadmissible d'agir ainsi. Le raisonnement anglo-saxon repose, il faut le reconnaître, sur une remarquable logique pragmatique. Pour lui, il est sociologiquement plus aisé d'identifier un instrument qu'une culture. Il est économiquement plus fiable et plus rentable de miser sur un instrument que sur une culture. Il est juridiquement beaucoup plus facile de contrôler un instrument qu'une culture. Et, finalement, d'un point de vue politique que vous comprendrez sans doute aisément, il est plus sage de s'en prendre à un instrument qu'à une culture.

Par opposition, l'approche de finalité repose, au Québec, lorsqu'on a le courage de ses convictions, sur un sens poussé et peut-être même souvent un peu abusif et latin des valeurs. Peu importe que la distinction entre l'inforoute et la téléculture soit malaisée, onéreuse, difficile et risquée, elle s'impose et impose tous les efforts, voire tous les renoncements pour la défense d'intérêts supérieurs et inaliénables au nom de l'ordre humaniste, si ce n'est spirituel. Très beau discours.

Or, en matière de télécommunications et de télédiffusion, toute la structure constitutionnelle canadienne répond au critère du génie d'instrumentalité. C'est ainsi qu'en vertu d'une décision rendue par la Cour suprême, en 1994, les télécommunications sont, en fonction de leurs ramifications purement technologiques, de la compétence exclusive de l'État fédéral, même dans le cas d'une entreprise téléphonique qui ne dessert que 5 400 abonnés, à Sainte-Rosalie, près de Saint-Hyacinthe, qui sont tous situés en deçà des limites du Québec. C'est ainsi également que la radiodiffusion et la câblodiffusion s'avèrent de la compétence fédérale parce qu'elles reposent sur un support technologique, celui des radiocommunications, et cela, sans égard aucun à la finalité culturelle d'éducation, d'information et de divertissement qui sont des éléments essentiellement de la compétence provinciale.

Que faut-il dégager de toutes ces constatations? D'après moi, certaines considérations qui invitent à la réflexion et peut-être même à la réfutation. En voici, d'après moi, l'essentiel. Il ne saurait être question, pour une société campée au coeur même de l'aisance nord-américaine, de freiner le progrès technologique, d'ignorer la mondialisation de l'économie, de se replier sur elle-même, non plus que d'ignorer le rôle de la langue anglaise et l'influence de l'«American way of life». Toutefois, une société qui s'affirme distincte ne saurait accueillir le progrès technologique au péril de son identité culturelle. Il importe donc au plus haut point de ne pas confondre, en théorie comme en pratique, la technologie de l'inforoute et le média de la téléculture.

Dans le tracé de l'inforoute comme sur la voie de la téléculture, il importe pour le Québec d'exceller dans ses apports technologiques et culturels, tout autant que d'affirmer sa personnalité distincte. À cet effet, le gouvernement se doit d'encourager la recherche et la création, d'assurer la formation, mais aussi le travail des jeunes générations, tout en attirant des apports extérieurs par la compétence et non pas par des privilèges de toute nature.

Dans le contexte canadien actuel, la compétence constitutionnelle exclusive de l'État fédéral sur l'inforoute est une réalité de fait, sinon de droit. De plus, le véritable contrôle sur la technologie de l'informatique ou de la téléinformatique s'exerce essentiellement en dehors du Canada. Toutefois, et dans la mesure de son autorité, le Québec devrait s'assurer que cette technologie se conforme sur son territoire aux exigences essentielles de ses particularités sociales, économiques et culturelles.

(21 h 10)

En regard de la téléculture, un grave danger politico-juridique se doit d'être écarté: celui d'abandonner à l'État fédéral tout contrôle effectif sur l'essence même de l'identité québécoise en se confinant à un rôle d'exécutant en sous-ordre. Pour ce faire, l'État québécois doit se soucier au plus haut point de la façon dont s'opérera ce passage crucial et stimulant, mais, je le reconnais, imprécis et risqué d'une culture de masse largement passive – pensons à ceux qui regardent la télévision – à l'interaction personnalisée de la téléculture. Il se doit d'y consacrer des ressources humaines, matérielles et financières qui soient à la mesure de ce que la culture signifie pour la sauvegarde et le développement d'une identité québécoise qui risque autrement de se dissoudre rapidement dans le melting-pot nord-américain.

Au nombre des actions les plus précieuses de l'État québécois envers la téléculture, tout au moins en ce qui me concerne, il convient de relever d'abord la mise en place d'un cadre juridique approprié aux activités du cyberespace, tel qu'envisagé au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal qui, je crois, viendra comparaître devant vous d'ici une quinzaine de jours. Mais il importerait également, d'après moi, de constituer une véritable holothèque nationale qui, en regard de la téléculture comme de l'édition électronique, serait appelée à jouer un rôle encore plus englobant que celui de la Bibliothèque nationale à l'égard des livres et des documents graphiques.

Pour en revenir à une comparaison avec l'autoroute conventionnelle, est-ce la fin de l'inforoute à 2 km? Non. L'inforoute tourne tout autour de la terre et cela ne fait que commencer. Qu'en-est-il, pour nous, de la téléculture? Faire valoir, ici comme ailleurs, l'âme québécoise. Que cela commence et ne s'arrête pas.

Le Président (M. Gaulin): Bien. Merci, M. le professeur Benoist. M. le député de Champlain.

M. Beaumier: Oui. C'est extrêmement intéressant, mais je voudrais bien comprendre. Quand vous dites, là, qu'il faut passer de l'inforoute à la téléculture, que vous intégrez dans cette préoccupation-là un genre de génie différent, que ce soit le génie anglo-saxon ou latin, si je peux m'exprimer ainsi, et que vous y intégrez aussi le danger de la situation actuelle où la législation, dans ce domaine, est canadienne plutôt que québécoise, je comprends les distinctions de l'un à l'autre, mais j'ai beaucoup de difficultés à voir le lien. Qu'est-ce qu'il faudrait faire dans tout ça, là? Qu'est-ce qu'il faut faire? Est-ce qu'il faut être en accord avec l'apport, auquel on ne peut pas résister, de l'extérieur qui passe par-dessus le Canada puis par-dessus le Québec, comme vous le dites très bien? Donc, ça neutralise un peu la distinction qu'on pourrait avoir entre le fait du Canada puis du Québec.

Le génie. J'ai de la misère à comprendre un petit peu ça aussi, le génie; qu'on serait, nous, sur une finalité et qu'une autre culture serait plutôt sur les moyens, les outils. Expliquez-moi ça. Je trouve ça bien intéressant, mais je voudrais en savoir un petit peu plus. Je ne vois pas le fil conducteur, là, je ne vois par le fil d'Ariane dans tout ça, mais je sens que, vous, vous en voyez un.

M. Benoist (Bernard): Merci. Je dirais tout d'abord... Je prendrais l'exemple de M. Tout-le-Monde. Si on lui parle de la radio, il va immédiatement penser, lui, à ce que nous, techniquement parlant, on appellerait la radiodiffusion sonore. D'abord, ce n'est pas des radiocommunications; deuxièmement, ce n'est pas de la télévision; donc, à son point de vue, la radio, c'est de la radio au sens courant. Mais, quand on arrive à un niveau plus poussé, on est capable de comprendre la différence entre les radiocommunications et la radiodiffusion. Les radiocommunications, c'est tous les appareils que Bell met à notre disposition, les appareils cellulaires, et la radiodiffusion, c'est Radio-Québec ou Radio-Canada. Alors, je pense que la distinction va de soi. Personne ne confondrait Bell Canada ou Bell Québec avec Télé-Québec ou Radio-Canada, ça semble clair.

Le problème, avec l'arrivée de l'inforoute, c'est qu'on dit: Il y a l'inforoute, point à la ligne, et on ne voit pas que, dans ce cadre technologique, il s'inscrit une autre institution, un peu comme je parlais de l'imprimerie et du journal. Il faut faire très attention de ne pas confondre le journal et l'imprimerie. L'inforoute, elle est là. La technique est là et, vous avez parfaitement raison, la technique nous échappe. Et je serais même porté à dire: Laissons-la au fédéral. De toute façon, ce n'est pas lui qui décide; c'est Washington, c'est IBM, c'est Compaq, c'est les grandes entreprises qui vont décider si l'écran a 525 lignes ou s'il en a 2 400, qui vont décider quelle est la largeur de bande passante. Vous savez, ce n'est pas M. Chrétien qui va décider de ça. Donc, la technologie, au fond, on n'y peut rien et d'ailleurs elle n'est pas dangereuse dans la mesure où cette technologie tient compte de notre réalité.

Je vous donne un exemple. M. Parizeau, à juste titre, parlait, au moment où est arrivé le fameux Windows 95, du retard occasionné par le fait que l'Europe, etc. Bon. C'était en retard de deux mois. C'est important, mais ce n'est pas la fin du monde. Mais vous rendez-vous compte qu'il est à peu près impossible de trouver, dans les grandes chaînes que je ne nommerai pas, qui vendent des appareils, un clavier français? Bien, ça, c'est quand même fondamental d'avoir des accents aigus, puis des c cédilles en français; c'est une nécessité.

Il y a même un appareil qui a été inventé par un jeune garçon, qui est quelque part dans la région de Beloeil, qui a même eu son brevet de l'ACNOR, et qui est recommandé par l'Office de la langue française. Et on ne le trouve nulle part. C'est un clavier qui est non seulement français-anglais, mais le type a pris la peine d'ajouter les caractères pour l'allemand, pour l'espagnol et le portugais, et on ne le trouve nulle part, tu sais. Bon.

Alors, si le Québec disait: Sur notre territoire, un clavier... On ne leur demande pas de modifier tout l'appareil. On ne leur demande pas de changer les lignages. D'ailleurs, ça serait ridicule de penser qu'on a des appareils qui ne peuvent pas communiquer avec les États-Unis ou le Japon; non, pas du tout. Alors donc, la technologie, pour moi, ne représente pas un problème crucial. J'ajouterais même aussi une autre chose. Il y a des inquiétudes réelles, mais, vous savez, elles vont s'estomper, les inquiétudes technologiques, avec le temps.

Je vais vous donner un exemple. Il y a 650 000 000 d'appareils téléphoniques sur la terre actuellement. Vous avez 650 000 000 de personnes qui, chaque nuit, peuvent vous réveiller à 3 heures du matin. Combien le font? Personne. On a pris l'habitude de vivre avec le téléphone. On ne dérange pas les gens à 3 heures du matin. Bon. Les premiers temps, on peut être tenté de le faire, vous savez, mais, à un moment donné, le bon sens revient. Moi, je ne dis pas qu'il n'y a pas de problèmes technologiques. Comprenez-moi bien. D'ailleurs, dans le texte même de mon mémoire, je les souligne, les dangers. Mais je dis: On va en venir à bout.

Une autre chose également. Je dis: Faites confiance. La Banque Royale tient à ce que les comptes de banque soient confidentiels. On n'a pas besoin de leur donner des millions pour qu'ils le fassent et, si on le fait, c'est qu'on est bêtes parce qu'ils ont l'argent pour le faire et ils ont l'intérêt pour le faire. Évidemment, ils vont le demander, bien sûr. Si on laisse entendre que la Banque Royale peut venir demander de l'argent, vous pensez bien qu'ils vont venir, bon.

Alors donc, la technologie, pour moi, c'est une question réelle. Il y a des dangers, mais ils seront contrôlés et contrôlables, d'après moi, et, dans une génération, vous savez, ce sera rendu pas grand-chose.

L'autre aspect qui me touche et que vous abordez, c'est l'aspect maintenant du contenu. En radiodiffusion, on sait maintenant où on s'en va. En télévision, on sait où on s'en va, tu sais. Vous ne pouvez pas imaginer même la personne au quotient intellectuel le plus faible au Québec à qui vous dites la télévision, qui va dire: La télévision? Non, on sait ce que c'est que la télévision. Le problème, c'est qu'on ne sait pas ce que c'est, la téléculture. Quelle orientation va prendre le contenu qui sera véhiculé sur la téléinformatique, sur ce véhicule de l'inforoute? C'est ça qui importe et c'est là que le Québec doit jouer un rôle pour s'assurer que, culturellement, ça sera valable.

Dites-vous aussi une autre chose: Pour l'instant, tout le monde va vouloir jouer avec son ordinateur. D'ici 10 et 15 ans également la poussière va retomber et là ce qui sera important, c'est que la véritable culture québécoise perce sur ce qui restera. Qu'est-ce que ça sera exactement? Justement, je serais malhonnête de vous le dire, je ne le sais pas, parce que c'est en voie d'élaboration, c'est encore à ses débuts, vous savez.

C'est comme le jour où on a découvert qu'un microphone, ça pouvait servir à autre chose qu'à avertir les bateaux en mer qu'il y avait des icebergs. Et savez-vous – c'est très peu su – que le premier qui a fait de la radiodiffusion au monde, c'est un petit gars d'East Bolton, dans les Cantons-de-l'Est. Il s'appelait Reginald Fessenden et c'est le premier qui a diffusé sa soirée de Noël, avec mononcle et matante qui jouaient du violon, etc., sur les ondes pour les marins en mer. C'était la première fois qu'on voulait amuser des gens au lieu de les informer des périls, tu sais.

Alors donc, la culture s'en va vers... Quelle piste ça va prendre? Je ne le sais pas. Mais on a une chance, au Québec: c'est que, pour une fois, on pourrait intervenir avant qu'il soit trop tard. Et c'est là que je vois notre rôle et c'est là qu'il me semble important que le Québec n'abandonne pas au fédéral la culture québécoise, et va la former exactement... Il va falloir des études, il va falloir faire confiance, il va falloir que les jeunes la forment, la nouvelle orientation de la téléculture, c'est évident, mais c'est ça, d'après moi, qui doit être notre spécificité.

(21 h 20)

Je dirais également, sur la technique – j'y reviens 30 secondes – que ce qui est important, ce n'est pas de contrôler; on ne contrôlera pas – le contrôle, il est en dehors du Canada – mais on peut former des petits gars brillants, on peut avoir d'autres Softimage. On en a un, mais on peut peut-être en avoir deux, trois, quatre, cinq. Ça, c'est important: d'encourager les jeunes. Et, pour la culture, d'en être les maîtres d'oeuvre.

Je ne sais pas si j'ai répondu à toutes vos...

M. Beaumier: Vous avez répondu, parce que j'avais compris – et je termine avec ça – que vous opposiez un peu, pour des raisons de culture, etc., la question de l'inforoute ou de l'infrastructure et puis la téléculture. Alors que, là, si j'ai bien compris, c'est qu'il faut que, devant ce phénomène nouveau, ce que vous appelez, vous, la téléculture – il peut y avoir d'autres mots – elle émerge du magma de toute la quincaillerie puis de tout ce qui peut être envoyé.

M. Benoist (Bernard): Exactement.

M. Beaumier: Et ça, c'est un bon message. Merci bien.

M. Benoist (Bernard): Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. Benoist, c'est très intéressant – je vous remercie, M. le Président – votre texte. Évidemment, sur la question du génie des peuples, je lisais dernièrement l'ouvrage ancien, mais toujours agréable à lire d'André Siegfried sur l'âme des peuples. Je ne sais pas si vous avez lu cet ouvrage. Siegfried – comment dirais-je – est un peu plus positif sur le génie anglo-saxon ou sur l'âme anglo-saxonne que vous ne l'êtes dans votre texte. Je pense qu'il n'en fait pas seulement une question d'instrumentalité, mais d'ingéniosité. Il y a beaucoup de choses. Mais je pense que tout de même vous touchez là un problème ou une question qui n'a pas été abordée jusqu'ici, sauf que, ce matin, Dufresne nous en a un peu parlé, mais dans un contexte beaucoup plus global. C'est sûr que, si on prend au sérieux cette notion d'âme des peuples, eh bien, on aboutit aux commentaires que vous faites sur la téléculture. Et d'ailleurs il y a là un enjeu très important.

La question que je me pose, c'est: Qu'est-ce que vous pensez du modèle de Radio-Canada, par exemple, comme mode de gestion de cette dualité culturelle? Parce que voilà un exemple où, du point de vue technologique, comme vous le disiez si bien tantôt, disons, l'infrastructure est fédérale. Mais, du point de vue, disons, de la culture qui est transportée, qui est diffusée, l'âme québécoise est tout de même fort présente à Radio-Canada, à moins que je ne me trompe et puis que je sois comme un hurluberlu. Mais je la vois à tous les jours, quoi!

Donc, là où je veux en venir – mais je ne veux pas non plus prendre une position trop politicienne – il me semble qu'à l'intérieur même du régime canadien il existe des modes d'adaptation qui se sont avérés fructueux jusqu'ici. Est-ce que vous pensez qu'on peut aller vers ce genre de modèle, du point de vue du mode adaptatif, ou si vous pensez que c'est insuffisant, ou si vous avez autre chose en tête? Vous comprenez ma question.

M. Benoist (Bernard): Je vous remercie; vous posez une question fort intéressante. Je vais d'abord disposer du cas de Radio-Canada, puis, après ça, j'élargirai l'exposé. En ce qui a trait à Radio-Canada, il faut reconnaître que, jusqu'à maintenant, ça nous a bien servis. Je dirais peut-être – je ne veux pas faire des chicanes d'historiens – qu'il y a eu des heures plus glorieuses que d'autres dans notre histoire, des heures de repliement sur soi-même, de conservatisme et, au contraire, des heures où le Québec s'est davantage épanoui. À l'époque où Radio-Canada est née, c'était peut-être mieux que ce soit le fédéral. Peut-être, je ne le sais pas.

Mais, là où je veux en venir, c'est que, si on regarde la situation actuelle, ça été jusqu'à maintenant bénéfique. Et, là-dessus, il faut reconnaître que la distinction entre le réseau français et le réseau anglais s'est très bien faite: le réseau anglais à Toronto et le réseau français à Montréal. On a même eu, pour une fois, plus que notre part, parce que, pour le réseau français, si on considère qu'il y a un tiers de la population de langue française – à l'époque, il y en avait un tiers; on est rendus seulement à un quart – on avait 50 % du budget. C'était même très généreux.

Et on voit ce que c'est aussi que Radio-Canada. Quand on regarde le moindrement Radio-Canada, on s'aperçoit que ça représente l'âme québécoise, ça ne fait absolument aucun doute. Mais, regardez, on arrive à des heures difficiles. À l'heure actuelle, qu'est-ce qui se produit? Les 13 émissions les plus écoutées du réseau francophone au Québec – j'entre là-dedans, pour l'instant, Télé-Métropole et TQS – sont toutes des émissions québécoises. Du côté anglophone, les 12 premières émissions sont toutes américaines. Bon. Alors, ce que je veux dire: Là où il y a un contrebalancement, l'État fédéral, à un moment donné, peut être très mal à l'aise, devant une situation comme celle-là, de continuer... Qu'est-ce qu'il fait vis-à-vis...

Il faudrait en donner plus aux anglophones pour les récupérer. Est-ce que les anglophones sont récupérables? Est-ce qu'ils veulent continuer à écouter ABC, CBS, NBC? À l'heure actuelle, on le voit, c'est la grande question. On dit: On va défendre à Radio-Canada anglais de diffuser à l'avenir des émissions américaines pour quelques années, pour tâcher de récupérer la situation. Ce que je veux dire, c'est, pour employer l'expression d'un premier ministre qui est mort: Vaut peut-être mieux être maître chez soi, tu sais. C'est sûr qu'au Québec on va défendre ce qu'on est peut-être plus aisément.

Vous savez, ce n'est pas un reproche, ce n'est pas un jugement que je porte sur le Canada, loin de là! Ils ont des problèmes et, des fois, des problèmes plus graves que nous sur le plan culturel. Je pense qu'on est favorisés par rapport à eux sur l'identité culturelle. C'est plus facile, quand on a une barrière de langue, quand on a une barrière d'origine, de se garder tel qu'on est. Bon. Alors, ça, je dirais, le cas de Radio-Canada...

Sur la question du génie, là – c'est peut-être l'avocat qui parle – je ne veux pas parler des individus. Je ne veux pas dire: Les anglophones sont comme ceci, les francophones sont comme cela. Ce n'est pas de ça que je veux parler. Mais je dis: Le génie, surtout le génie juridique... Pensez, par exemple, à ceci: Nous, on parle du droit d'auteur. Quand on dit «droit d'auteur»... Tantôt, j'ai fait exprès d'élever la voix quand j'ai parlé du côté francophone. Pour faire des beaux grands discours, on est là. Alors, du côté francophone, on a le droit d'auteur. Qu'est-ce qu'on dit quand on parle de droit d'auteur? L'auteur, ce créateur, mais qui n'est pas un homme d'affaires, il faut le protéger peut-être même contre lui-même. Et je pourrais parler jusqu'à demain matin des beautés du droit d'auteur pour protéger l'auteur.

En anglais, on est très pragmatiques: copyright. Combien tu as fait de copies? Trois copies: 0,25 $. Quatre copies: 1,25 $. À qui ça va? C'est pas ton problème. Paye! Tu sais. Bon. Le côté pragmatique des choses, c'est ça que je veux dire qu'on retrouve. Mais je ne juge pas des individus. Et, surtout, vous savez, des fois, je me dis: Vaut mieux être pragmatique que faire des beaux discours et ne pas agir.

M. Laporte: Bon, bien, M. le Président, si vous me permettez, j'aimerais qu'on poursuive un peu parce que je voudrais demander à M. Benoist... Ma question, c'est: Compte tenu de l'enjeu culturel que vous mettez en évidence forte dans le texte, là, est-ce que vous envisageriez qu'on gère cet enjeu-là à partir d'un modèle comme celui de Radio-Canada ou si vous en avez un autre, modèle de gestion? Vous comprenez ma question? Vous avez l'air de dire que le modèle de gestion de Radio-Canada, ça a été, disons, non seulement bénéfique, mais ça a fort bien fonctionné, puisque vous dites que les 13 émissions les plus écoutées au Québec, ce sont toutes des émissions québécoises. Ça a mal fonctionné pour...

M. Benoist (Bernard): Le côté anglais.

M. Laporte: Ce n'est pas le modèle qui a mal fonctionné pour les anglophones, mais ce sont les anglophones qui se sont laissé attirer par le prestige de la culture américaine et qui n'ont pas généré une culture distincte. Pensez-vous, pour ce qui est de la gestion de la dualité culturelle canadienne dans le cadre du développement de l'inforoute, on va s'en aller sur un modèle comme celui-là? Sinon, vers quel modèle on va s'en aller?

M. Benoist (Bernard): Bon. D'abord, je le répète une dernière fois, il est sûr qu'on oublie, là, l'instrumentalité. Il peut être aussi bien anglais que français.

M. Laporte: Oui, oui.

M. Benoist (Bernard): Ça, c'est réglé. Sur le plan de la téléculture – c'est un peu ce que je disais tantôt – on n'est jamais si bien servi que par soi-même. Et je pense qu'à l'heure actuelle il y a une grave difficulté. C'est que justement, par le jeu de l'instrumentalité, qui se retrouve de façon flagrante non seulement dans la Constitution, mais dans les interprétations de la Cour suprême, du Conseil privé, de 1932 à 1970 et de 1970 à nos jours, on dit: Si l'instrument est d'une certaine appartenance, le contenu doit nécessairement suivre. Autrement dit, on dit: Si l'imprimerie est fédérale, le journal doit être fédéral. Moi, je m'inscris un peu en faux contre ce danger-là. Vous savez, moi, je n'aimerais pas que le maître imprimeur devienne le rédacteur en chef du journal Le Devoir . J'aime mieux savoir que c'est Mme Bissonnette plutôt que l'assistant de M. Péladeau qui dirige le journal, peu importent, là, les convictions.

Mais justement le grand danger que j'y vois... Et, remarquez, il y a une côte à remonter. Je pense qu'il y a des négociations politiques à entamer avec Ottawa, de toute façon. Bon. C'est d'en arriver à dire: Écoutez, la culture, là, est-ce qu'on ne pourrait pas reprendre un peu le contrôle de ça? De toute façon, pour vous, c'est une patate chaude, tu sais. Vous avez des difficultés, vous le voyez avec le réseau français et le réseau anglais, là.

(21 h 30)

Sur le plan de la culture, à l'heure actuelle, le fédéral contrôle indirectement la culture en contrôlant l'instrument, on le voit. La décision la plus curieuse, c'est la décision de la Cour suprême sur la câblodiffusion. Remarquez, il n'y a pas une seule entreprise de câble qui diffuse dans deux provinces; donc, on ne peut pas dire, selon l'expression de la Constitution: «It extends beyond the limits of the province.» Il n'y a pas une entreprise de câble qui navigue sur deux provinces; elles sont toutes «within the limits of the province». Mais ils ont dit: La câblodistribution ne fait que retransmettre la radiodiffusion et la radiodiffusion, ce n'est qu'un aspect des radiocommunications, l'instrument. Et, l'instrument étant fédéral, la câblodiffusion doit être fédérale.

Moi, je dis: La câblodiffusion, elle fait quoi? De l'information. L'information, c'est provincial. Elle fait quoi? De l'éducation. S'il y a quelque chose qui est provincial... À l'article 93 dans la Constitution, une des choses les plus clairement provinciales, c'est ça. Et, finalement, le divertissement. Qui contrôle le cinéma au Québec, hein? C'est le Québec qui contrôle le cinéma. Et remarquez le danger aussi: le double contrôle; vous avez une régie du cinéma puis vous avez le CRTC et, à un moment donné, si vous faites un film, pour le passer en salle, vous avez une autorité, puis, quand vous le passez à la télévision, vous avez une autre autorité.

Donc, dans le domaine de la culture, je ne l'ai pas, la solution. Il va falloir se mettre probablement à table, parce qu'à l'heure actuelle c'est également le fait que le fédéral contrôle tout le domaine de ce qui s'appelle les télés parce qu'il contrôle la technologie.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Benoist, et, puisque le temps mis à notre disposition est écoulé, j'invite immédiatement Me Pierre Cloutier à venir nous rejoindre à la table des délibérations. M. Cloutier, nous avons une demi-heure. Normalement, vous prenez une dizaine de minutes, puis il reste une dizaine de minutes à chacun des partis pour discuter avec vous tant de votre mémoire que de ce que vous allez dire devant la commission.


M. Pierre Cloutier

M. Cloutier (Pierre): Ah! Je pensais que j'avais plus de temps pour me préparer, mais je vais y aller. D'abord, je vous remercie de m'accueillir dans cette auguste enceinte. Je ne m'attendais pas du tout à ça. J'avais envoyé un texte, comme ça, que j'avais préparé l'an passé et, comme je savais que vous faisiez une commission sur l'autoroute de l'information, je me suis dit: Bien, je vais prendre une chance, je vais envoyer le texte. Finalement, mon texte a été retenu à ma grande joie et à ma grande surprise également, parce que c'est quand même un sujet qui est assez pointu et auquel vous n'êtes sans doute pas habitués, mais qui est quand même assez intéressant.

Je ne sais pas si mon texte a été distribué. Je ne me propose pas de le lire parce que, je vais vous dire une chose, il a à peu près 60 pages. Il n'y a rien de plus fastidieux et plat que de lire un texte devant des gens. D'autre part, vous comprendrez que c'est un immense effort de gymnastique intellectuelle d'essayer de vous résumer tout ce qu'il y a là-dedans, mais je vais essayer de faire mon possible.

Il faut dire, au départ, que je me suis intéressé beaucoup dans les années passées, comme juriste, comme avocat, aux questions de sécurité-renseignement. Outre ma formation au Barreau, j'ai fait une thèse de maîtrise, j'ai fait un mémoire de maîtrise à l'Université de Montréal qui portait sur les questions de sécurité-renseignement. Et, comme je suis – je ne m'en cache pas, d'ailleurs j'ai beaucoup de respect pour les collègues libéraux qui sont là – indépendantiste, j'ai toujours rêvé, moi personnellement – c'est un vieux rêve – de participer à la création pour le Québec, dans un Québec souverain et indépendant, d'une agence québécoise de renseignements.

J'ai toujours pensé que le renseignement était un outil formidable aux mains des gouvernants; j'ai toujours pensé que le Québec avait négligé cet aspect-là, qu'on avait laissé faire le gouvernement fédéral qui en a profité, comme souvent dans beaucoup de domaines, pour envahir le champ. On pense, entre autres, à la création du SCRS; on pense, entre autres, au fameux Centre de sécurité et de télécommunications du gouvernement fédéral. Bref, le gouvernement fédéral possède une expertise qui est le fruit d'une complicité naturelle avec la Grande-Bretagne suite à la guerre.

Nous, au Québec, je dois dire qu'en matière de sécurité-renseignement, à part la Sûreté du Québec, il n'y a pas grand gens qui connaissent ça et je dois dire que souvent, parmi mes amis politiciens, ceux qui ont fait de la politique ont tendance à regarder ce dossier-là avec un peu de peur. Ce n'est pas fondé, malheureusement, parce que, moi, je considère que, si, dans un Québec souverain, on peut parler de la défense du Québec souverain, on peut parler de la question des renseignements.

Bref, je me suis cassé la tête pendant des années pour essayer de trouver une façon d'intéresser les gens, mes amis, ma famille politique à ce dossier-là. J'ai eu beaucoup de difficultés, beaucoup de réticences jusqu'au jour où, à un moment donné, lors d'une réunion à Ottawa, il y a eu un colloque sur les questions de sécurité et de renseignement. J'ai eu la chance de rencontrer un Américain qui s'appelait Robert Steele, et ça a été une révélation pour moi parce que, essentiellement, ce M. Steele là apportait un discours qui était complètement nouveau et révolutionnaire dans le milieu du renseignement.

Brièvement, je vous raconte son histoire puis vous allez voir comment je vais ramener ça à l'autoroute de l'information. M. Steele, qui est un ancien agent de la CIA qui a passé 20 ans en Amérique du Sud, est devenu par la suite un haut fonctionnaire à Washington et a été chargé par le gouvernement américain de mettre sur pied le Centre de renseignement du Corps des Marines, US Marine Corps Intelligence Center. M. Steele, comme beaucoup de ses collègues, a fait à l'époque une chose tout à fait normale: il avait un budget de 20 000 000 $, il a branché ses ordinateurs sur les ordinateurs superpuissants de la NASA, de la CIA, du FBI, enfin, de toutes ces grandes agences étatiques là américaines, pour se rendre compte finalement que ça ne lui servait absolument à rien parce que, quand le Corps des Marines américains faisait une opération dans des pays du tiers-monde comme en Somalie, il n'y avait absolument rien dans les banques de données des grosses agences américaines. On avait stocké beaucoup de renseignements sur la guerre froide, mais il n'y avait absolument rien de ce qu'on appelle maintenant, aujourd'hui, les sources ouvertes d'information.

Et ça a été un peu son chemin de Damas puis une révélation pour lui, parce qu'il s'est rendu compte, finalement... Tout ce qu'il a fait, c'est qu'il s'est branché un ordinateur personnel avec une connexion au tout début d'Internet et il s'est aperçu qu'il pouvait couvrir à peu près 85 % des besoins en renseignement du US Marine Corps. Ça a été une révélation pour lui. Il a laissé le gouvernement, il a formé sa propre compagnie qui s'appelle Open Source Solution et il s'est mis à organiser des séminaires à Washington. Cette année, c'était son sixième séminaire.

Quand j'ai rencontré ce monsieur-là, je me suis dit: Ah, mon Dieu! c'est intéressant parce que, avec l'arrivée de l'ère de l'information, il y a deux paradigmes nouveaux dans ce secteur-là. Le premier paradigme, c'est qu'on assiste depuis une vingtaine d'années à une privatisation du renseignement. Les gens qui ont gagné leur vie en travaillant pour les agences étatiques de renseignements sont passés dans le secteur privé et ont commencé à appliquer les méthodes de collecte et d'analyse du renseignement pour l'entreprise privée, pour les compagnies américaines, et ça s'est transformé tranquillement en ce qu'on appelle maintenant une notion qui est moderne et qui s'appelle l'«intelligence économique».

Et ça, j'ai trouvé ça intéressant, j'ai trouvé ça nouveau, j'ai trouvé ça brillant et je me suis dit: Tiens, ça, c'est une idée qu'on pourrait retenir. Alors, j'ai fait un petit texte. D'abord, j'ai pris contact avec M. Steele; je suis allé le rencontrer à Washington et je lui ai dit: Est-ce que ça vous intéresserait de donner un coup de main au Québec? Nous autres, en matière de renseignement, vous savez, on ne connaît pas bien, bien ça, d'autant plus que le Québec n'a pas de juridiction là-dedans. Mais disons que, si on fait une réflexion pour plus tard et surtout si on dépolitise le dossier, si on ne lui donne pas une connotation politique, mais une connotation économique, c'est là que ça devient intéressant. J'ai composé ce petit texte-là en ayant ça en tête.

Et, surtout avec le branchement sur l'autoroute de l'information j'ai eu comme une révélation. Moi aussi, je me suis dit: Ah, mon Dieu! à partir du moment où les citoyens sont branchés sur l'autoroute de l'information, chaque citoyen, comme disait Ward Elcock – puis ce n'est pas moi qui l'ai dit; c'est Ward Elcock, le directeur du SCRS – a la capacité de devenir à lui seul un agent de renseignements, parce que les sources d'information sont tellement extraordinaires, sont tellement abondantes.

À vrai dire, comme je le dis dans mon texte, c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que les gens ont accès à autant d'information en quantité et en qualité. C'est un phénomène qui est nouveau parce que, jusqu'à maintenant, si vous avez lu Töffler, Töffler dit: Nous sommes en train de passer de l'ère industrielle à l'ère de l'information, et il y a des nouveaux concepts. Le «cyberspace», c'est un nouvel espace. C'est un peu comme la conquête du Far West: au début du siècle, quand les gens sont arrivés d'Europe puis qu'ils ont vu cet immense territoire-là, c'était un nouveau monde. Il faut regarder ça avec des nouvelles valeurs.

Ça me fait penser... Je regarde M. Garon qui se bidonne à l'autre bout; j'aurais aimé ça, M. Garon, parce que je sais que vous êtes un bon vivant, avoir la permission... J'ai demandé la permission d'apporter mon ordinateur portable; avec un projecteur puis un écran, on aurait pu faire un petit tour sur le cyberespace puis vous donner les sites virtuels que j'ai accumulés au fil des années, vous auriez été probablement assez impressionné. Malheureusement, M. Jolicoeur m'a dit: On a trouvé un écran géant, mais on n'a pas trouvé de projecteur, ça coûte trop cher. Alors, j'ai pensé apporter mon ordinateur portable, puis je me suis dit: Bon, on va le laisser au placard pour ce soir.

(21 h 40)

Mais il reste que ça me fait un peu drôle de discuter de l'autoroute de l'information, alors que j'ai l'impression qu'on est encore dans l'ancien monde. Personne n'est branché, personne ne sait à peu près ce que c'est, puis je suis persuadé qu'au gouvernement ce n'est pas les patrons qui sont branchés, c'est les secrétaires. Je suis allé faire un tour, à un moment donné, à la CSN, je suis allé voir mes amis de la CSN. Je suis allé à la direction générale, je suis allé saluer Gérald puis tout ce monde-là, puis j'ai dit: À quelle place sont vos ordinateurs, ici? Il m'a dit: Bien, ils sont dans les bureaux des secrétaires. Je lui ai dit: Écoutez, ce n'est pas les secrétaires qu'il faut qu'elles aient des ordinateurs – ha, ha, ha! – c'est des patrons, c'est des décideurs. C'est eux autres qu'il faut qu'ils aient les ordinateurs puis il faut qu'ils aient un petit ordinateur sur leur bureau puis qu'ils sachent c'est quoi exactement, ce que ça mange en hiver, Internet. Bon.

Alors, ce que je veux vous dire, c'est que, dans la première partie de mon texte, ça, c'est le côté romantique de la lune, en fait, cette explosion absolument sans précédent de l'information à laquelle on n'est pas habitués. Et aussi il faut lui donner un autre sens, à l'information. Quand on dit: C'est l'ère de l'information, ça ne veut pas dire que les gens vont être superinformés, par exemple, d'un accident d'avion à... Bon, ça, c'est intéressant, mais ce n'est pas ça qui m'intéresse, moi. Ce qui m'intéresse à travers ça, c'est ce qu'on peut faire avec cette information-là.

Moi, je fais le parallèle avec les années cinquante, les années soixante où, au Québec, nous autres, on avait beaucoup d'eau et on a harnaché nos rivières, on a harnaché l'eau, on a construit des barrages, on a donné de la plus-value à l'eau, puis on a produit de l'électricité qu'on a revendue par la suite. Dans l'ère de l'information, la richesse naturelle abondante et bon marché, c'est l'information. Vous comprendrez facilement qu'un pays qui va être en avance, c'est un pays qui va se donner des outils pour pouvoir harnacher l'information pour lui donner une plus-value pour la transformer en renseignement. Et, quand je parle du renseignement, qu'est-ce que c'est? C'est de l'information donnée en temps réel à une personne pour l'amener à prendre une décision concernant un sujet spécifique. C'est ça, du renseignement: c'est de l'information taillée, c'est de l'information analysée.

Moi, s'il y a un voeu que je souhaite pour le Québec, c'est de devenir un pays intelligent, intelligent dans le sens anglais du terme – je lui donne une connotation anglaise au mot «intelligent» – c'est-à-dire de devenir une organisation, une nation branchée, une nation qui reconnaît la valeur de l'information et qui prend les moyens pour harnacher cette information-là pour la transformer en renseignement utile pour les individus et pour les entreprises.

Les Américains, vous savez, ils ont des termes fascinants pour, en un mot décrire, toute une situation. Les Américains appellent ça, pour les entreprises, «corporate intelligence officer». Dans chaque entreprise, il y a un vice-président responsable de l'information. Son rôle: cueillir, analyser, donner, envoyer l'information dans l'entreprise, comprenez-vous? Faire circuler l'information de l'entreprise. Ça, c'est nouveau. On n'a pas cette culture de l'information dans nos entreprises. Pourquoi? Parce qu'on est habitués à vivre dans des anciens concepts où on est dans une forme de hiérarchie pyramidale.

Comme dit Töffler, dans une pyramide, souvent les gens ne se passent pas l'information au même niveau parce qu'ils sont en compétition les uns avec les autres pour monter à l'échelon supérieur, et l'information circule mal aussi verticalement de bas en haut parce que la personne en bas envoie ce qu'elle veut bien envoyer à son patron. Alors, on se retrouve avec des directions puis avec des décideurs qui sont atrophiés au point de vue de l'information puis du renseignement et qui prennent souvent des décisions – permettez-moi l'expression – sur la gueule ou avec des facteurs qui ne sont pas absolument pertinents, ou qui prennent des décisions avec des informations qui sont biaisées. Donc, par conséquent, le message que je veux livrer dans la première partie, c'est que je pense qu'il faut accorder de l'importance au contenu de l'autoroute de l'information et non pas au fil, aux tuyaux.

Quand je pense à l'expérience – je ne sais pas si elle est terminée, je ne suis pas un expert dans le domaine – qui, à mon avis, va s'avérer un échec d'UBI, au Lac-Saint-Jean, où finalement on a donné des millions de dollars pour permettre aux gens de se commander des pizzas grâce à la télévision, je trouve ça complètement ridicule. C'est complètement ridicule. Quand on embarque sur le réseau Internet, on s'aperçoit assez rapidement que la télévision va se faire envahir, va se faire manger par Internet, c'est évident. À partir du moment où on passe au numérique, on va être capables – je l'ai vu à Washington – d'amener dans le coin de l'ordinateur une télévision. Ça se fait puis ça va se faire de plus en plus. Ça veut dire qu'Internet va manger la télévision. Donc, ça veut dire que tout le monde va être des diffuseurs. On n'a plus un diffuseur avec des consommateurs; on a plusieurs diffuseurs, on a des milliers de diffuseurs. C'est nouveau, c'est complètement nouveau, ça va apporter des bouleversements sans précédent.

Alors, moi, je le dis dans mon texte – si ça vous intéresse, vous le lirez: De toute façon, le Québec n'a pas le choix. On n'a pas le choix, il faut suivre cette vague-là, puis ça ne donne rien... Moi, souvent, j'entends les gens: Vous savez, Me Cloutier, l'autoroute de l'information, ça va déshumaniser les gens, il n'y aura plus de contacts personnels. Écoutez, ça me fait penser aux remarques au début du siècle quand une personne qui voyait une automobile pour la première fois arriver dans un rang de village disait: Vous savez, j'aime bien mieux rester au cheval. Correct, le père, mais l'automobile va te passer sur le corps. Ça fait que ça ne donne rien de dire ça. C'est la même affaire que quand j'entends les gens rire un peu, se moquer, ou les résistances par rapport au réseau Internet. Ça ne donne strictement rien, parce que c'est une révolution sans précédent.

Dans la deuxième partie de mon texte, là, c'est la face cachée, et je vous invite à lire ça parce que c'est les côtés négatifs. Et les Américains appellent ça l'«infowar». C'est «information warfare». C'est les attaques électroniques de trois niveaux: contre la vie privée des individus, contre les corporations et contre l'État; contre les nations, contre les nations elles-mêmes. Les Américains ont peur de ça, vous savez, hein! Je lisais sur Internet justement les comptes rendus de la commission. Il y a une sous-commission du Sénat qui se passe là-dessus. Ils ont vraiment peur de ça. Et même il y a des éléments d'information qui nous laissent penser que les banques ont déjà subi des attaques électroniques, entre autres à Londres, d'assez grandes attaques, de grande envergure: une extorsion à partir d'une menace électronique. Et c'est possible. Donc, ça pose énormément de problèmes.

Il y a toute la question de la cryptologie aussi. C'est un problème très nouveau et extrêmement important, puis je vais vous expliquer pourquoi. À partir du moment où vous utilisez le courrier électronique, si vous voulez communiquer avec quelqu'un... Quand vous envoyez une lettre à quelqu'un, vous n'utilisez pas une carte postale; vous cachetez votre lettre. Alors, c'est la même affaire avec le courrier électronique. Voilà qu'à un moment donné un ingénieur américain qui s'appelle Philip Zimmerman a mis sur le marché gratuitement sur le réseau Internet un puissant logiciel d'encryption des données.

C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que de simples citoyens se retrouvent avec de puissants moyens de cryptologie. Alors, vous voyez, ça menace même le concept même d'État. Parce que vous voyez le problème d'ici? D'un côté, il faut protéger la vie privée des gens parce qu'on ne peut pas honnêtement envoyer de courrier électronique sans encrypter ses données, mais, de l'autre côté, vous voyez d'ici des bandes de criminels, malfaiteurs, avec des mauvais desseins, utiliser la cryptologie, puis personne ne peut rentrer dedans. C'est un problème énorme.

Le gouvernement américain s'est penché sur ce problème-là, a proposé une solution qui s'appelle le projet Clipper où on a demandé aux entreprises de mettre des petits chips dans leurs instruments. Mais il y a une telle résistance, parce que, aux États-Unis, les gens qui sont à la base du réseau Internet, ce sont des gens de la mode hippie qui ont été habitués avec une tradition libertaire, hein, et il y a beaucoup de résistance contre ça.

Alors, j'ai essayé, par mon humble contribution, de vous sensibiliser sur l'aspect formidable qu'amène l'autoroute de l'information, qui est celui de l'information abondante et bon marché, et du défi comme société que nous avons. Par contre, j'essaie de vous sensibiliser sur tous les dangers et les menaces qui peuvent peser dans ce nouveau monde là. Et je termine par une conclusion. La conclusion, je vous en ai préparé une quinzaine de copies; je vais les distribuer plus tard. Ce que je suggère bien humblement à cette commission-là...

Puis d'ailleurs je me suis toujours demandé, en passant, ce que l'autoroute de l'information faisait à la commission de la culture. Je comprends qu'il y a eu une décision politique, à un moment donné, qui a fait en sorte qu'on a envoyé ça à la commission de la culture, mais il me semble que c'est d'abord un dossier économique. C'est d'abord au niveau de l'économie, je pense, que ce dossier-là devrait aller parce que c'est vraiment un dossier économique, à mon avis.

Moi, humblement, la conclusion à laquelle je suis arrivé, je me suis dit: Ce qu'on pourrait faire, c'est sensibiliser les gens puis nos gouvernements au moins à adopter une stratégie nationale de l'information, au moins ça, qui tiendrait compte du postulat suivant: c'est que, dans l'ère de l'information, comme je l'ai dit précédemment, l'information est devenue la richesse naturelle abondante et bon marché, et le défi des sociétés modernes sera de trouver les moyens de harnacher cette ressource pour la transformer en renseignements utiles, je l'ai dit.

Quels sont les éléments de cette stratégie-là? J'en ai quatre que j'ai identifiés très simplement. Je me suis arrangé pour ne pas rendre ça compliqué, vous savez, hein? J'ai toujours pensé qu'on pouvait y aller avec des grandes idées très, très simples pour que le débat se fasse. Les quatre éléments d'une politique nationale de l'information: l'interconnectivité. Je ne sais pas si... Pardonnez l'expression, peut-être que ce n'est pas français. C'est le meilleur mot que j'ai trouvé pour décrire une situation.

(21 h 50)

Steele, qui est un homme brillant, suggère la création d'une société virtuelle de l'information par la mise sur pied d'un réseau, qu'on pourrait appeler, par exemple, le réseau Québec, unissant les écoles, les collèges, les universités, les bibliothèques, les médias, les entreprises privées et tous les organismes publics et parapublics. Il faut faire en sorte que l'information publique circule librement.

Je lisais que des collègues de droit sont en train de s'arracher les cheveux à propos de l'information juridique. Le gouvernement tient absolument à ses droits d'auteur. On est obligé de payer 0,50 $ pour avoir une loi, ce qui est absolument scandaleux, alors que les autres provinces sont déjà sur Internet puis qu'elles donnent déjà toute leur documentation juridique. C'est notre trésor culturel. Les décisions juridiques n'appartiennent pas au gouvernement; ça appartient aux juges qui les rendent. Que le gouvernement rende ça public le plus possible, que le gouvernement prenne les moyens pour au moins, son information publique, ne pas la donner au compte-gouttes avec des lois supercompliquées, comme on a actuellement, qui ont été faites pour une autre époque. Alors, le premier élément, c'est l'interconnectivité de tout ce beau monde là pour créer une communauté virtuelle de l'information.

Le contenu, bien, je l'ai dit: Création d'un Québec intelligent, puis en commençant par le domaine économique. C'est pour ça que je me suis dit: Dans le domaine économique, au moins les deux côtés de la Chambre vont être d'accord avec ça qu'il faut entreprendre des initiatives. Je veux dire, je ne suis pas flaillé quand je dis ça. Les Français ont mis sur pied un comité de travail sur l'intelligence économique et la stratégie des entreprises, le comité Martre. L'idée a fait du chemin, ils ont créé un comité auprès du gouvernement français au bureau du premier ministre, qui s'appelle le comité pour la compétitivité et la sécurité économique. Ils vont déposer leur rapport la semaine prochaine. J'ai eu ça comme information dans une revue qui s'appelle Le Monde du renseignement et qui est distribuée sur Internet. Donc, si les Français le font...

En passant, en lisant ce livre-là, on se rend compte que les pays qui ont le mieux réussi au point de vue économique, comme l'Allemagne et le Japon, sont ceux qui se sont dotés depuis longtemps d'un bon système d'intelligence économique. Si vous voulez avoir la référence, je vais vous la donner tout à l'heure. C'est vraiment intéressant de lire ça. Alors, le progrès économique est intimement lié à un système d'intelligence économique que les nations... La Suède est en avance. Pendant qu'on faisait notre sommet socioéconomique, les Suédois organisaient la première conférence internationale portant sur l'intelligence économique. Ils ont invité les universités, ils ont invité l'entreprise privée, ils ont invité le gouvernement: une table ronde strictement là-dessus, comment faire pour aider nos entreprises à leur fournir la meilleure information possible, comment faire pour les aider.

Troisième élément: coordination de la recherche et du développement. Quatrième élément: sécurité informatique et des télécommunications. Et les moyens que je suggère: création d'une agence d'intelligence économique pour le Québec s'alimentant à deux sources: à partir du réseau de la communauté virtuelle du renseignement qu'on pourrait créer et à partir d'un réseau d'un secteur international privé, parce qu'il existe de l'excellence dans le secteur international privé au point de vue du renseignement.

Je pense, entre autres, au consortium français-allemand Spot Image qui fournit des images de haute précision à partir de son satellite. Quand il arrive une catastrophe comme celle qui est arrivée au Lac-Saint-Jean, on pourrait avoir recours à cette imagerie-là, et pour les feux de forêt, pour plein de choses comme ça. C'est disponible à très bas prix dans le marché privé. Je pense à Oxford Analytica qui fournit des renseignements de très haut niveau au niveau de la Banque mondiale; je pense à Lexis-Nexis, la plus grosse banque de données au monde; je pense à Jane's Information Group qui est présent dans le domaine militaire, mais qui est présent aussi dans le domaine des transports; je pense à Spot Image, comme je vous l'ai dit.

Également, je suggère humblement la création d'une fondation nationale de l'information avec un petit budget dont l'objectif serait peut-être de donner des incitatifs aux centres d'excellence pour les aider à distribuer leur information pour que tout ça rentre dans le domaine public.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, M. Cloutier. Il y aurait de la place pour deux autres questions: une de chaque côté. Je vois Mme la députée de Sherbrooke qui m'a demandé la parole.

Mme Malavoy: Oui. Je suis consciente qu'il reste peu de temps, mais c'était fort passionnant, et je vous remercie...

M. Cloutier (Pierre): Je vous remercie, Mme Malavoy.

Mme Malavoy: ...d'avoir pris la peine de travailler autant cette question-là, et d'être aussi stimulant et aussi enthousiaste en en parlant. Je me permets quand même une toute petite remarque au début: C'est un mandat d'initiative de notre commission; donc, ce n'est pas une commande que nous avons reçue de qui que ce soit.

M. Cloutier (Pierre): O.K.

Mme Malavoy: Nous avons estimé que c'était dans notre mandat de nous préoccuper des enjeux culturels de l'inforoute au Québec et donc on trouvait que c'était une dimension assez importante pour que notre commission passe un certain nombre d'heures de travail là-dessus, déjà depuis à peu près un an.

M. Cloutier (Pierre): Ça va, j'ai compris.

Mme Malavoy: J'ai beaucoup aimé votre façon de résumer la face romantique et puis la face cachée de la lune; je vais retenir ça comme image. La simple question que je vous poserais, puis on pourrait en parler toute la nuit, c'est: On fait quoi, nous, dans l'immédiat? Je suis convaincue que, sur le fond, vous avez raison en faisant un tableau aussi intéressant, mais en même temps complexe de la situation. Mais d'autres personnes nous ont dit aujourd'hui: Commençons par des petits pas, faisons des choses simples, donnons accès aux citoyens et aux citoyennes à des services assez vite compréhensibles et assez visibles pour essayer d'avoir une approche la plus large possible, sachant qu'il y a très peu de gens qui peuvent suivre ce que vous venez de dire, hein? La plupart des gens ne suivent pas ce que vous venez de dire.

Alors, comment viser entre ça, qui est une politique nationale de l'information et qui est vraiment un vaste chantier qu'on ouvre à toute vapeur, et puis la nécessité de servir et d'intégrer petit à petit un bon nombre de citoyens et de citoyennes qui sont très loin de ça et dont on ne veut pas qu'ils deviennent d'ici quelques années ce qu'on appelle dans notre jargon des infopauvres?

M. Cloutier (Pierre): Oui, bien, c'est ça. C'est que, comme je dis dans mon texte, à un moment donné, on va parler de social-démocratie virtuelle. C'est sûr, c'est évident.

Il y a eu quelques initiatives intéressantes. Je ne sais pas si vous avez entendu parler du Libertel de Montréal, que le ministère a subventionné et qui commence... Ça a été tellement compliqué. J'ai rencontré le président de ça. Mon Dieu, il a maigri d'à peu près 80 livres juste à négocier avec l'État. Ça a été épouvantable pour lui. Finalement – ha, ha, ha! – il l'a eu, son argent, et le Libertel a ouvert ses portes. Le Libertel, pour faire une histoire courte, c'est l'autobus de l'Internet. Vous en avez entendu parler. Vous demandez de... C'est une façon justement de permettre à des gens qui n'ont peut-être pas les moyens, malgré que ce ne soit pas tellement cher de se brancher sur Internet: ça coûte 28,49 $ par mois, tu sais, puis même je pense que la compétition va faire en sorte que ça va être de moins en moins cher. Ça fait que...

Mme Malavoy: Ce n'est pas une question de moyens; c'est une question d'intérêt. Il y a des gens qui sont à des lieues de ça.

M. Cloutier (Pierre): Oui, c'est vrai. C'est vrai. Il y a des gens... Oui, mais, ça, écoutez... Ha, ha, ha!

Mme Malavoy: Ils vont mettre 20 $ sur une caisse de bière, mais ils ne mettront pas 20 $ pour se brancher une fois par mois sur l'Internet.

M. Cloutier (Pierre): Mais je pense qu'on n'est pas encore dans la grosse vague. À un moment donné, on a eu la vague des fax par en arrière, puis on s'est ramassé... On ne s'en est même pas rendu compte puis tout le monde avait des fax. Ce n'est pas encore arrivé, la grosse vague Internet. Ce n'est pas ça encore. Ça va être peut-être dans deux, trois ans. Mais, vous avez raison de souligner ça: on n'est pas encore là.

Mais, moi, je pense que ce que peut faire le gouvernement du Québec, c'est aider, justement à partir des idées que j'ai mises de l'avant, les gens à se brancher sur l'autoroute, donner des subventions ou je ne sais pas quoi, inciter les gens, les informer d'abord, etc. Moi, personnellement, si vous me disiez: Ça serait intéressant qu'on puisse mettre sur pied l'agence d'intelligence économique, je dirais: Ça nous prendrait seulement un budget de 1 000 000 $ par année. Ce n'est pas beaucoup. Ce n'est pas beaucoup, 1 000 000 $ par année, pour avoir une agence d'intelligence économique qui aiderait nos entreprises à conquérir les marchés internationaux. Ce n'est rien, ce n'est vraiment rien.

Alors, moi personnellement, si vous me demandez ce que j'aimerais faire, bien, ce que j'aimerais conseiller, c'est ça: Mettez sur pied le plus vite possible votre... Allez voir les libéraux, faites une entente avec eux autres. Ils vont acheter ça, je suis presque sûr qu'ils vont acheter cette idée-là parce que c'est moderne, c'est nouveau et c'est emballant. Alors, c'est ça que je ferais, moi.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.

Mme Frulla: Ouf! Mon Dieu, rapidement, on parle, bon, d'agence, on parle de l'État qui se doit d'aider. Enfin, c'est parce que, Marie le disait tantôt, on s'est donné un mandat, la commission, puis on en a beaucoup parlé dans différentes étapes, chacun dans nos vies professionnelles, et on s'est dit: Est-ce que l'État, présentement, fait les bonnes choses? On disait tantôt: Les infrastructures ou, enfin, la quincaillerie, bien, elle va se régler par elle-même. Est-ce que l'intervention jusqu'à maintenant – c'est ça, la question qu'on s'est posée aussi – dans différents domaines... Quand vous dites que ça ne doit pas être la commission de la culture, au contraire, c'est un dossier qui a toujours chevauché entre Industrie, Commerce et Culture. Mais est-ce que l'État, globalement, fait les bonnes choses quand on dit: On va développer une agence...

M. Cloutier (Pierre): D'intelligence économique.

Mme Frulla: ...d'intelligence économique, etc.? Mais où est-ce que l'État intervient vraiment, là, hein, compte tenu des possibilités ou, enfin, des limites que l'État a présentement versus le développement justement de cette...

M. Cloutier (Pierre): Bien, moi, je pense que le premier pas concret...

(22 heures)

Mme Frulla: Parce que, tu sais, l'interconnectivité, là, ce n'est pas donné, ça. Veux veux pas, si l'État subventionne ou quoi que ce soit, il y a quand même un investissement majeur. Je ne dis pas non plus qu'il n'est pas nécessaire, entendons-nous, mais ça, c'est majeur, le contenu aussi. Tu sais, en quelque part, on interpelle l'État tout le temps, mais l'État se retourne puis dit: Je suis obligé de faire des choix parce que de l'argent, je n'en ai plus.

M. Cloutier (Pierre): Oui, c'est vrai, c'est vrai, vous avez tout à fait raison. Au moins, à l'intérieur...

M. Garon, je vous vois. Ça va? Vous n'avez pas de problème?

Le Président (M. Garon): Pourquoi?

M. Cloutier (Pierre): O.K. Bien, c'est parce que je pensais que mon temps était écoulé, c'est pour ça.

Le Président (M. Garon): Oui, mais on a accepté...

M. Cloutier (Pierre): O.K. Je n'ai pas de baguette magique, vous savez, Mme Frulla, je n'ai pas de boule de cristal. J'essaie de faire mon bout de chemin, hein, puis tout le monde, c'est un peu la même chose. Moi, j'ai trouvé l'initiative du gouvernement français intelligente: d'abord, commencer par mettre un petit groupe de travail à l'intérieur du gouvernement français qui a réfléchi à l'intelligence économique puis qui a produit un rapport. Au moins, on pourrait partir de ça, parce que le travail a été déjà fait. À partir de ça, on pourrait peut-être intéresser des gens dans la fonction publique, commencer à coordonner l'information.

Parce que souvent, dans les régions, il y a beaucoup, beaucoup de services qui se dédoublent. On a l'impression que c'est toujours la même information dans le domaine économique qui revient sous différentes formes. Je pense qu'il faudrait, à un moment donné, avoir une action concertée de tout ça. C'est pour ça que l'agence d'intelligence économique pourrait faire ça, ne fût-ce que ce rôle de coordination...

Mme Frulla: De tous les efforts.

M. Cloutier (Pierre): ...de transmettre l'information aux entreprises puis aux individus, de rendre ça plus facile, pas d'être un obstacle. Parce que, sans être un expert, la loi d'accès à l'information, vous savez que c'est une loi qui a été faite... Elle est très généreuse, cette loi-là, mais elle a été faite...

Mme Frulla: Très.

M. Cloutier (Pierre): ...pour un autre contexte, et on s'aperçoit là-dedans... Je l'ai assez étudiée. Je les ai étudiés à la commission Macdonald, ces mécanismes-là. L'information au gouvernement est diffusée au compte-gouttes. C'est une bataille épouvantable. Ce n'est pas à tous les citoyens que ça tente d'aller se battre avec le gouvernement pour avoir une ligne d'un rapport quelque part dans le fond du placard, là, tu sais. Ce n'est pas ça pantoute, c'est le contraire. C'est le paradigme de l'ouverture. Il faut changer de paradigme. Avant, c'était comme le paradigme du secret, tu sais: Je vais te donner l'heure, mais à condition que tu m'envoies un retour d'ascenseur. Il y a un nouveau paradigme: c'est l'ouverture. Il faut aérer la maison, il faut que l'information devienne...

J'ai l'impression que, jusqu'à maintenant, les organisations ont fonctionné avec un coeur atrophié, avec du sang atrophié. L'information, c'est comme le sang qui circule dans un organisme, et on a toujours été habitués à fonctionner avec un organisme atrophié. Il faut pomper l'information dans les organisations. C'est ça que je pense, moi, fondamentalement. Si, au moins, on pouvait partir avec cette idée générale là...

Mme Frulla: Oui.

M. Cloutier (Pierre): ...il me semble qu'on pourrait faire un petit bout de chemin intéressant.

Mme Frulla: Oui, oui.

M. Cloutier (Pierre): Puis ça satisferait les libéraux autant que les péquistes, je suis persuadé de ça.

Le Président (M. Garon): On vous remercie, M. Cloutier...

M. Cloutier (Pierre): C'est moi qui... Ça m'a fait plaisir.

Le Président (M. Garon): ...de votre collaboration à la consultation de la commission. Étant donné que 22 heures sont arrivées, j'ajourne les travaux de la commission à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 3)


Document(s) associé(s) à la séance