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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le jeudi 16 juin 1977 - Vol. 19 N° 125

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition des mémoires sur le projet de loi no 1 - Charte de la langue française au Québec


Journal des débats

 

Audition des mémoires sur

le projet de loi no 1 :

Charte de la langue française

au Québec

(Dix heures douze minutes)

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs! Je vais demander aux députés de regagner leurs fauteuils, s'il vous plaît. M. le député de Rouyn-Noranda, s'il vous plaît. M. le député de Rosemont, s'il vous plaît. Cette nouvelle séance débute. Nous ajournerons à 13 heures et reprendrons les travaux de la commission après les affaires courantes et la période des questions à l'Assemblée nationale jusqu'à 18 heures; nous suspendrons les travaux jusqu'à 20 heures et nous continuerons jusqu'à 23 heures. Je fais l'appel des membres de la commission. M. Alfred (Papineau).

M. Alfred (Papineau): Présent.

Le Président (M. Cardinal): M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie) remplacé par M. Charbonneau (Verchères); M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Belle-feuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé) remplacé par M. Biron (Lotbinière); M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier). Pas de remplacement?

Mme Lavoie-Roux: Non, il doit venir.

Le Président (M. Cardinal): M. Samson (Rouyn-Noranda). L'ordre du jour. Conformément a la décision de la commission vendredi passé, je ne fais pas d'appel formel; j'indique simplement le nom des organismes et des personnes convoqués avec le numéro des mémoires pour que les membres de la commission soient plus informés.

Nous avons la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, mémoire 6; Mme Denyse Desjardins-Lepage, à titre personnel, mémoire 169; Collectivité anglophone de l'éducation de l'Ouest du Québec, mémoire no 164; Association des démographes du Québec, mémoire no 162; Monsieur Bur-ford Charles Norman, à titre personnel, mémoire no 157; Les jeunes libéraux, région de Québec, mémoire no 114. Cela indique une journée suffisamment chargée. J'en appelle donc à la collaboration de tous pour s'en tenir à cette motion adoptée la première journée de nos travaux.

Distribution de la liste des mémoires

Le Président (M. Cardinal): Avant que ne commence l'audition des témoins, je veux poser un geste qui m'a été demandé il y a quelques jours par les membres de cette commission. Je voudrais que ceci soit très clair, il ne s'agit pas d'un dépôt de documents, il s'agit de renseignements fournis aux membres de la commission et uniquement aux membres de la commission.

A compter du moment où j'aurai remis la liste de ceux et celles qui désirent se présenter devant nous, elle sera distribuée à chacun des vingt membres de cette commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications. Alors les documents sont prêts, la liste contient plus de 260 noms et sera donc distribuée immédiatement à chacun des membres de la commission. A ce sujet, j'accorde la parole au ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: M. le Président, mes remarques seront brèves. Je voudrais simplement signaler qu'en consentant à ce geste, le gouvernement institue un précédent. Je pense que c'est à signaler que lorsque la loi 22 avait été étudiée, le gouvernement d'alors n'avait pas déposé une pareille liste, malgré la demande qui en avait été faite par l'Opposition du temps. Nous consentons à le faire, parce que nous entendons répondre ainsi à un droit légitime qu'ont manifesté les divers partis d'Opposition, aussi bien que l'opinion publique quant à l'information qu'ils doivent recevoir, le nom, la nature des mémoires qui sont déposés. Ceci répond également à la volonté du gouvernement, depuis longtemps exprimée, de gouverner dans la transparence.

Nous pensons en effet que l'information la plus complète possible doit être donnée à tous les secteurs de l'opinion, afin que l'opinion publique puisse se faire une idée plus juste des efforts effectués par les citoyens, aussi bien que les groupes, quant à leur participation aux décisions gouvernementales et a l'élaboration des politiques.

Le Président (M. Cardinal): II n'y a pas d'autres interventions? Merci, M. le ministre. J'appelle officiellement le premier organisme convoqué, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, mémoire 6, représenté par M. Gérard Turcotte. M. Turcotte, je vous prierais d'identifier votre organisme et les gens qui vous accompagnent, pour l'information de la commission et pour que ceci perdure, grâce au journal des Débats.

L'audition commence à dix heures dix-huit minutes. Vous avez vingt minutes pour présenter votre mémoire et les députés membres de la commission, de même que les autres, ont 70 minutes pour vous interroger. M. Turcotte, s'il vous plaît.

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

M. Turcotte (Gérard): Je laisse au président le soin de diriger la délégation. M. Jean-Paul Champagne, président.

M. Champagne (Jean-Paul): Voici les membres de la délégation. A ma gauche, Mme Lise Cloutier-Trochu qui est vice-présidente de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal; à ma droite, M. Guy Bouthillier, sociologue, membre du comité du statut du français; Me Yvon Groulx, ancien président de la Société Saint-Jean-Baptiste et M. Gérard Turcotte, secrétaire exécutif de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

En page trois du mémoire, préambule.

Le 1er avril 1977, jour du dépôt à l'Assemblée nationale du livre blanc sur la politique québécoise de la langue française, et le 27 avril 1977, jour de l'adoption, en première lecture, du projet de loi no 1, sous le titre de Charte de la langue française au Québec, ont été des jours de joie, de satisfaction et de fierté pour les dirigeants et les membres de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

D'entendre le porte-parole officiel du gouvernement du Québec affirmer solennellement à la face du monde que "le Québec que nous voulons construire sera essentiellement français, qu'il ne sera donc plus question d'un Québec bilingue, que la consécration du français comme langue officielle implique que cette langue est vraiment la langue commune à tous les Québécois et que le statut de la langue française au Québec est une question de justice sociale" nous démontre enfin que nous n'avons pas lutté en vain, plus particulièrement depuis les quinze dernières années, afin que le français devienne réellement la seule langue officielle du Québec et la langue indispensable pour tous les Québécois.

Nous avons maintenant l'assurance que les luttes linguistiques humiliantes que notre société a dû mener, conjointement avec d'autres grands organismes représentatifs de la population du Québec, tirent à leur fin et que les bills 85, 62, 63, 28 et 22 ne seront plus désormais, pour les Québécois, que de mauvais souvenirs.

La reconnaissance et la défense des droits du français au Québec ont été sans contredit la préoccupation primordiale de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, la raison première de son existence et l'inspiration principale de son action dans la société québécoise depuis sa fondation, il y a près d'un siècle et demi.

Notre société a, dès 1965, par une résolution de son congrès général, réclamé la proclamation du français comme seule langue officielle et son utilisation exclusive dans tous les domaines de la vie collective, de telle sorte que la connaissance et l'usage du français deviennent indispensables à tout citoyen du Québec.

Outre ses nombreuses résolutions et interventions publiques à cette fin, la société a fait notamment de cette prise de position le thème de deux mémoires majeurs qu'elle a soumis, l'un au premier ministre du Québec, en 1967, et l'autre à la Commission Gendron, en 1970. Elle a participé, au cours des dix dernières années, à tous les grands débats sur les droits du français au Québec et à toutes les luttes pour assurer le respect intégral de ces droits et empêcher la création et la reconnaissance de quelque droit que ce soit en faveur de l'anglais ou de toute autre langue. Elle s'est fait un devoir de comparaître devant toutes les commissions parlementaires qui, d'année en année, ont étudié les divers aspects de la situation linguistique au Québec et elle a suscité la mise sur pied de deux vastes fronts communs dans le but de rallier toutes les énergies québécoises dans ces luttes linguistiques: le Front du Québec français, en 1969, pour combattre la loi 63, et le Mouvement Québec français qui, depuis 1971, a fait échec tant à la loi 63 qu'à la loi 22.

Il est donc logique et normal que notre société se présente devant votre commission pour lui faire part de ses représentations sur le projet de loi no 1 qui, tant par son esprit et par les mesures qu'il propose, répond, dans son ensemble, aux réclamations et à l'attente de ses dirigeants et de ses membres, en faisant du français la seule langue officielle du Québec, la langue de l'administration à tous les paliers, la langue de la législation et de la justice, la langue du travail et la langue de l'éducation.

Ce projet de loi, première étape de la refrancisation du pays, est un minimum indiscutable qui ne doit souffrir aucune atténuation, ni aucun recul.

Il constitue, pour la première fois dans l'histoire de l'Assemblée nationale, une véritable charte du caractère français exclusif du Québec et consacre définitivement le français comme langue du peuple québécois. Cette charte de la langue française a notamment le grand mérite d'éliminer totalement la notion de langue seconde comme élément des droits linguistiques fondamentaux des Québécois. Nous en félicitons chaleureusement le gouvernement. Nous formulons le voeu que l'Assemblée nationale adopte ce projet de loi en y apportant toutefois quelques corrections que nous suggérons à la fin du présent mémoire.

M. Bouthillier (Guy): Le projet de loi no 1 remet en cause l'ordre linguistique canadien au Québec. Aussi bien l'adversaire réagit-il férocement pour défendre le statu quo. L'arme la plus pernicieuse dont il use est celle de la confusion intellectuelle qui vise à dénaturer l'action de la majorité et à paralyser le gouvernement et l'Assemblée nationale. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal estime de son devoir de dénoncer cette entreprise.

Cette confusion intellectuelle apparaît surtout dans trois arguments de l'adversaire l'argument de l'ethnocentrisme, celui du repli sur soi, et celui de la discrimination.

L'ethnocentrisme. Le Québec s'est engagé dans une action pour bâtir, ici, un pays ce langue, de culture et de mentalité françaises. Cela veut dire, en clair, que nous avons décidé de rompre l'uniforme monotonie linguistique de l'Amérique du Nord et d'y faire triompher notre différence. La signification historique de cette action n'échappe à personne. Signification pour le Québec lui-même, bien entendu, qui retrouve ainsi sa vraie personnalité. Signification aussi — et le fait mérite

d'être souligné — pour l'ensemble du continent nord-américain: dorénavant, en effet, grâce au Québec, il y aura sur ce continent des terres de langue anglaise et des terres de langue française. Voilà donc que sera enfin réalisé, à l'échelle du continent, un premier et véritable pluralisme linguistique. Il s'agit là, on le voit, d'un fait historique capital. Mais assez curieusement, c'est ce projet de pluralisme que l'adversaire s'acharne à taxer d'ethnocentrisme, qui est exactement son contraire. Cela est sans doute de bonne guerre. Mais nous ne serons pas dupes. S'il cherche ainsi à dénaturer notre action collective, c'est qu'il en a compris la puissance et la signification profonde.

L'argument, maintenant du repli sur soi. La lutte pour la langue nationale est chose ancienne ici puisqu'elle prend source dans l'annexion du Québec à l'Empire britannique réalisée au XVIIle siècle. Jusqu'à tout récemment, cependant, cette lutte était purement défensive: Nous croyions en effet qu'il suffisait de maintenir le français pour nous-mêmes, sans devoir le faire partager par les autres. Cette stratégie aboutissait à des résultats aberrants. C'est d'elle que découle, par exemple, le fait qu'on nous a si souvent rappelé avec complaisance que de nombreux enfants allopho-nes furent refusés dans nos écoles. Mais nous avons compris maintenant les limites et les dangers de cette attitude et c'est pourquoi nous avons décidé de changer de stratégie. Pour maintenir notre langue, estimons-nous maintenant, il faut la partager avec tous les habitants du Québec.

C'est ce changement fondamental que traduit le projet de loi en discussion. Il faut maintenant sortir de nous-mêmes, aller à l'autre et lui donner notre langue. Il faut lui ouvrir nos écoles, nos institutions, notre culture, bref, tout ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes. A une attitude de fermeture sur nous-mêmes, l'histoire nous permet aujourd'hui de préférer une stratégie d'ouverture sur l'autre. C'est le sens profond de notre démarche actuelle. Mais assez curieusement, c'est cette attitude d'ouverture que l'adversaire continue d'appeler repli sur soi, sans doute pour mieux la combattre.

L'argument de la discrimination. Notre projet collectif vise à amener tout ce que le Québec comporte de vie et de vitalité, à vivre et à se préparer a vivre en français. Pour cela, il faut en finir avec toutes les exclusives, tous les apartheids et tous les ghettos linguistiques. Cela suppose l'application de la loi du pays à tous les habitants du pays sans distinction aucune. C'est ce que fait le projet en discussion: Au-delà des exceptions généreuses qu'il veut bien reconnaître, notamment en matière scolaire, le législateur s'inspire ici du principe de l'égalité de tous devant la loi. Egalité de tous les conseils municipaux devant l'usage administratif du français. Egalité de tous les commerces devant l'usage publicitaire du français. Bref, égalité de tous les Québécois devant la loi de leur pays.

Ce principe d'égalité est le fondement même de votre politique, mais curieusement, c'est cette politique que l'adversaire taxe de discrimination, qui est pourtant exactement son contraire, puisque la discrimination sépare, isole et distingue là où vous rassemblez et unissez sous une même loi et dans une même communauté de langue.

Cette confusion intellectuelle que l'adversaire s'efforce d'entrenir rappelle irrésistiblement l'évocation prémonitoire que faisait George Orwell d'un monde où les mots sont pris à contresens: "War is peace, Freeedom is Slavery, Ignorance is Strength", écrivait-il, en effet, dans son roman "1984". Mais à la faveur de ces contresens, l'adversaire cultive un ensemble d'arguments contradictoires. Nous croyons qu'il est de notre devoir d'en dénoncer quelques-uns: 1. L'adversaire s'insurge contre l'utilisation de la contrainte d'Etat mise au service de la promotion du français, mais il n'en continue pas moins d'invoquer la contrainte d'économie au profit du maintien de l'anglais. La contrainte, injuste lorsqu'elle est politique, devient tout à coup normale et même naturelle lorsqu'elle est économique. Contraire aux droits de la personne lorsqu'elle est politique, elle devient tout à coup bénéfique lorsqu'elle est économique. Mais on voit bien où l'adversaire veut en venir: créer le vide politique pour mieux permettre aux dirigeants économiques d'occuper la place et d'imposer ses politiques linguistiques. Mais nous ne sommes pas dupes et, pour notre part, nous préférons l'attitude plus franche qui oppose à la contrainte du petit nombre sur le grand nombre celle plus démocratique du grand nombre sur le petit nombre. 2. L'adversaire nous prête ensuite l'intention, même contre l'évidence, de pratiquer des distinctions, mais il n'en continue pas moins d'exiger et d'imposer les siennes. C'est en effet ce qu'il fait — et sans vergogne, car personne encore ne le lui a reproché — chaque fois qu'il distingue entre les secteurs nobles de l'économie où il veut continuer d'imposer l'anglais, et les secteurs inférieurs qu'il accepterait à la rigueur d'abandonner à la langue française. Mais là non plus, nous ne sommes pas dupes et, pour notre part, nous refusons la subordination de la langue du pays à une autre langue, seule attitude conforme à la dignité. 3. L'adversaire nout dit que l'interdiction faite aux Anglo-Canadiens qui viendraient à séjourner chez nous d'envoyer leurs enfants dans les écoles anglaises d'ici serait incompatible avec la future association économique Québec-Canada. A cet argument qui, soit dit en passant, suppose chez les Canadiens anglais un étonnant degré d'imperméabilité aux autres cultures, on peut répondre deux choses.

Premièrement, que nous n'en savons rien, puisque les conditions d'hypothèse ne sont pas encore réunies. Deuxièmement, que là encore l'adversaire pratique la contradiction des deux poids deux mesures: on ne voit pas très bien en effet pourquoi une interdiction faite à quelques milliers d'Anglo-Canadiens empêcherait la réalisation d'une association qui, en tout état de cause, ne sera que purement économique, alors que la même interdiction faite non pas à quelques milliers, mais à des centaines de milliers de Cana-

diens français dans les provinces anglaises n'a pas empêché jusqu'ici le maintien d'une association séculaire beaucoup plus intime puisqu'elle est politique.

L'adversaire a toujours agi en matière de langue en fonction de ses intérêts politiques collectifs. C'est ce qu'il a fait au XIXe et au XXe siècle lorsqu'il a jugé impératif d'assurer l'hégémonie de l'anglais partout où cela était possible au Canada. Mais c'est aussi ce qu'il continue de faire aujourd'hui quand, ayant assuré son hégémonie, il accepte de faire une place chez lui au français. Bien sûr, il se donne des allures en invoquant — bien tard, ne croyez-vous pas — de supposés'droits de la personne, mais c'est encore et toujours par intérêt politique qu'il agit. Cela aussi est peut-être de bonne guerre, mais permettez-nous de ne pas être dupes. Lorsqu'il agit pour la protection du français, le gouvernement fédéral, en effet, ne fait qu'obéir à son intérêt politique supérieur qui lui commande de maintenir son emprise politique sur le Québec. C'est du reste ce qu'a clairement reconnu Pierre Elliott Trudeau devant la Chambre des communes lorsqu'il a dit: "II existe pour nous tous une obligation, une sorte de contrat politique passé avec les Canadiens de langue française, en vertu duquel ces derniers rejetteraient le séparatisme et, pour sa part, le gouvernement fédéral garantirait aux Canadiens français le droit de communiquer dans leur langue avec l'administration fédérale et d'y travailler aussi dans leur langue".

Messieurs, voilà la contradiction suprême de l'adversaire: présenter aujourd'hui comme affaire de droits de la personne ce qui n'est au fond à ses yeux qu'objet de troc politique.

En conséquence de cette partie, nous invitons les défenseurs véritables des droits de l'homme à dénoncer avec nous la confusion intellectuelle qui ne peut que desservir la noble cause des droits de l'homme.

Nous exprimons notre confiance que la commission parlementaire et l'Assemblée nationale ne prêteront pas l'oreille aux propos de la confusion intellectuelle et de l'argument contradictoire.

Nous rassurons enfin les anglophones d'ici que jamais nous ne joindrons à notre action conquérante le mépris de leur langue, que certes nous leur dirons et qu'en fait nous leur disons d'ores et déjà "Speak French" mais que jamais nous ne nous abaisserons à leur dire "Speak White".

Mme Cloutier-Trochu (Lise): L'importance du Québec pour les Québécois.

On répète aux Québécois depuis des générations qu'ils forment un îlot français au sein d'une mer anglo-saxonne en Amérique du Nord. Et on se fonde sur cette assertion pour prétendre que notre survivance est une anomalie qui ne devrait pas tarder à disparaître et qu'à toutes fins pratiques plus tôt l'assimilation aura lieu, mieux il en vaudra pour nous. Cette assertion ne tient que si l'on ne considère l'Amérique du Nord qu'à l'étendue du Canada et des Etats-Unis.

Mais les aspirations du Québec sont plus vastes et les Québécois désirent s'ouvrir au monde et déborder les cadres étroits de cette conception du nouveau monde.

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal souhaite que le nouvel Etat québécois en train de se façonner réponde au désir du plus grand nombre et que non seulement la majorité s'y sente heureuse, mais encore que son rayonnement lui attire une immigration valable, voire enrichissante. Mais comme il est impossible de plaire à tous et qu'inévitablement certains Québécois anglophones ou autres se prétendent frustrés par la nouvelle législation, il leur sera toujours loisible, moyennant un modeste déplacement, de se retrouver au sein de frères de même culture et de reconquérir le bonheur à relativement peu de frais.

Si l'on en croit les journaux (jusqu'à quel point peut-on se le permettre) plusieurs d'entre eux auraient déjà plié armes et bagages de manière préventive. Nous le regrettons, mais encore faut-il reconnaître qu'un anglophone malheureux peut trouver asile à quelques kilomètres à l'est, à l'ouest ou au sud des frontières du Québec. Mais si les Québécois devaient continuer à ne plus se sentir chez eux sur leur propre territoire, où pourraient-ils aller? La question n'est pas théorique, puisque la seule réponse qu'on puisse lui offrir est une migration sur un autre continent.

L'élément judéo-canadien de notre population devrait être sensible à cet abord du problème des francophones, puisque c'est essentiellement le même qu'évoque l'Etat d'Israël depuis sa fondation pour réclamer l'espace vital qu'il recherche. Nous avons le dos à la mer, proclame-t-il, où pourrions-nous aller, environnés que nous sommes d'Etats qui ne nous ressemblent pas? Fait curieux à noter, jamais le gouvernement fédéral canadien élu par le peuple canadien et son porte-parole en politique extérieure comme ailleurs, jamais, disons-nous, le gouvernement fédéral canadien n'a retiré son appui au gouvernement d'Israël pour avoir agi selon cette déclaration.

Une seule langue, un seul système scolaire. Depuis des années, tant au Canada qu'au Québec, le monde du commerce et de l'industrie s'est refusé à accepter une langue seconde dans le règlement de ses affaires sous prétexte qu'elle serait une source de confusion qui risquerait de compromettre le rendement et l'efficacité dans ce domaine. A en juger par la ténacité manifestée par le monde des affaires sur ce sujet, il semblerait que le principe serait fondamental et ne souffrirait peu ou pas d'accroc.

Par ailleurs, le commerce et l'industrie du Canada, au mépris de leur modestie, n'hésitent pas à se citer comme exemple de réussite non seulement chez nous, mais dans le monde entier. Peut-être y aurait-il lieu de retenir ce principe d'unilinguisme dans la conception du système scolaire que nous désirons instituer. Comme la Société Saint-Jean-Baptiste a à coeur que le Québec se dote d'un système efficace et d'un rendement sûr, pourquoi ne pas prêter l'oreille à cette leçon que le monde des affaires nous sert gratuitement depuis si longtemps et en faire notre profit

dans l'enseignement. En d'autres termes, par souci de réussite, n'allons pas nous encombrer d'un deuxième système d'éducation et concentrons nos efforts à tendre vers l'école française unique.

Parmi les leçons qu'on nous a si généreusement dispensées depuis plusieurs années, une autre pourrait être invoquée ici. Est-il nécessaire de préciser qu'elle s'applique dans le même sens que la précédente... puisqu'on nous l'a servie. Des gens hauts placés, des professionnels dans leur domaine, des juristes ont affirmé de manière péremptoire qu'une deuxième langue risquerait de compromettre sérieusement la sécurité aérienne et que dans ce domaine, entre autres, sinon comme partout ailleurs, l'unilinguisme est la clé du succès.

Le Président (M. Cardinal): Si vous le permettez, je puis vous proposer deux choses. A moins que la commission n'en décide autrement, je vous demanderais de conclure brièvement. Un instant s'il vous plaît. M. le député de Vanier.

M. Bertrand: Nous est-il possible de proposer à la présidence d'accorder dix minutes supplémentaires à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et le prendre à même le temps accordé au groupe ministériel?

Le Président (M. Cardinal): II nous est possible de le proposer.

M. Bertrand: Nous le proposons. M. Ciaccia: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, je pourrais suggérer qu'on permette à la Société Saint-Jean-Baptiste de prendre le temps nécessaire pour finir, sans nécessairement enlever le temps au parti ministériel.

Le Président (M. Cardinal): Je regrette, mais je suis lié par la motion. Vous avez déjà, à cette commission, établi un précédent — c'était le député de Jonquière qui présidait à ce moment-là — où les partis qui représentent l'Assemblée nationale à cette table, ont, d'eux-mêmes, proposé que l'on prenne cinq ou dix minutes à même leur temps. Devant cette question du député de Vanier, si la commission est d'accord, je serais prêt à accorder les dix minutes à même le temps du parti ministériel. Si je n'ai pas d'autres suggestions, c'est ce que je vais décider.

M. Grenier: A moins que...

Le Président (M. Cardinal): D'accord. La suggestion du député de Mégantic-Compton est heureuse. Je vais donc accorder le temps nécessaire pour terminer, pourvu qu'il ne dépasse pas dix minutes, et ce temps sera enlevé aux représentants du parti ministériel. Je vous en prie, vous pouvez continuer.

Mme Cloutier-Trochu: Merci. Les différents écueils du bilinguisme.

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal tient à mettre la commission en garde contre les éléments du projet de loi no 1 qui tendent à conserver, sous divers prétextes, une certaine forme de bilinguisme au Québec. En matière de bilinguisme, les Québécois en tant que peuple devraient être considérés comme les experts mondiaux.

En effet, s'il est une collectivité qui a vécu — peut-être devrait-on dire qui a subi—les problèmes du bilinguisme, c'est bien elle. Combien de frustrations avons-nous essuyées, combien d'efforts avons-nous gaspillés? Combien d'humiliations avons-nous avalées? Combien d'argent avons-nous perdu à cause du bilinguisme?

Depuis que le gouvernement fédéral a jeté son poids et notre argent dans la balance et qu'il a cherché à prix d'or à instituer le bilinguisme dans la fonction publique, certains Anglo-Canadiens auraient peut-être quelques témoignages éloquents à apporter dans le même sens.

Devant les exemples innombrables que l'on peut puiser dans notre passé, devant les événements qui se sont déroulés en Belgique, devant la meilleure connaissance que nous avons du système suisse (deux exemples qu'on nous a si souvent servis et sur lesquels on observe maintenant un prudent silence), devant l'échec retentissant du gouvernement d'Ottawa dans son programme d'imposer le bilinguisme même restreint, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal considère toute autre poursuite dans ce sens comme aberrante, illusoire et ridicule, le bilinguisme n'étant que source de confusion, de vexation et de frustration.

Objection de la sentimentalité.

Dans les échanges de vues au sujet du projet de loi no 1, les adversaires ont invoqué divers prétextes pour chercher à saper les bases mêmes sur lesquelles repose la charte. Une de leurs manoeuvres consiste à prétendre que la valorisation du français au Québec n'est qu'une manifestation de sentimentalité, ou, si l'on veut, une manière de caprice révélant un manque de maturité, et que les gens sérieux (les anglophones sans doute, puisqu'ils se prennent très au sérieux), les gens sérieux, disons-nous, ne devraient pas s'arrêter à des vétilles semblables, mais bien plutôt concentrer leurs efforts sur l'économie et les affaires.

Cette façon de noyer le poisson entre bien dans la manière de l'adversaire passé maître dans cet art. Mais si on laisse de côté cette remarque dédaigneuse pour demander aux chômeurs québécois pourquoi ils chôment, plusieurs répondront qu'ils ne peuvent être embauchés parce qu'on exige d'eux une connaissance de l'anglais supérieure à celle qu'ils possèdent. Pour celui qui doit se contenter de la part congrue de l'emploi et dont

le revenu annuel est sérieusement compromis par le chômage chronique, la possibilité de travailler en français — c'est-à-dire pour lui de travailler tout court — dépasse largement le domaine de la sentimentalité. La question devient plutôt une affaire viscérale pour lui. Les syndicats de travailleurs pourront certainement en parler avec éloquence et persuasion.

Le Président (M. Cardinal): Pardon! M. Groulx, veuillez utiliser votre micro, s'il vous plaît.

M. Groulx (Yvon): Nous l'avons dit plus haut: ce projet de loi répond dans son ensemble aux désirs des dirigeants et des membres de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Cependant, pour le rendre plus conforme aux positions que la société a déjà énoncées et surtout pour permettre à la loi d'assurer plus efficacement la protection et le développement de la langue française, nous recommandons que des modifications soient apportées aux articles 52 et 58, ainsi qu'au chapitre III, dans l'esprit suivant:

Premièrement, dans sa rédaction et par les critères qu'il établit, l'article 52 permet notamment aux francophones qui reçoivent présentement l'enseignement en anglais, ainsi qu'à leurs frères et soeurs cadets, de continuer à vivre en marge de la nation québécoise. Il importe de toute nécessité que ces enfants francophones soient rapatriés immédiatement dans les maisons d'enseignement de langue française. Aussi proposons-nous que le critère de la "langue maternelle", qui sert de fondement à l'article 52, soit remplacé par le principe de la langue de l'enfant. Pour que l'enfant puisse recevoir l'enseignement en anglais, il faudra de toute nécessité que son père et sa mère aient tous deux reçu l'enseignement primaire en anglais, de telle sorte que, lorsque l'un des deux parents n'est pas anglophone, l'enfant doive fréquenter l'école française.

Nous insistons pour que disparaisse du paragraphe b) de cet article 52 le privilège des frères et soeurs cadets de ceux qui reçoivent déjà l'enseignement en anglais. L'argument de division des familles n'a aucune valeur, selon nous.

Nous prions le gouvernement de maintenir fermement le principe de l'école française pour tous ceux qui viendront s'établir au Québec après l'adoption de la loi.

Deuxièmement, l'article 58 impose aux contribuables québécois une charge onéreuse en faveur de personnes qui ne sont que de passage au Québec ou qui n'y séjournent que pour un temps limité. Nous sommes d'avis que cet article doit être supprimé. Le Québec n'a pas à subventionner l'éducation des enfants de personnes qui ne sont que de passage et qui, de toute façon, ont les moyens financiers de soutenir des écoles privées non subventionnées, si elles refusent l'enseignement en français pour leurs enfants.

Enfin, aucun des chapitres de la loi ne traite de la langue des contrats. Nous suggérons qu'un article soit ajouté à la loi, au chapitre III Langue de la législation et de la justice ou à tout autre endroit approprié, édictant que tout contrat ayant un caractère officiel, tels que les actes notariés et tous documents déposés aux bureaux de l'administration publique et notamment aux bureaux d'enregistrement soient rédigés en français, de telle sorte que les fonctionnaires de ces bureaux, ainsi que les hommes de loi, ne soient pas obligés d'être bilingues, comme c'est le cas présentement. En terminant, nous soulignons que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal n'accepte, pour le moment, les privilèges accordés aux anglophones par la loi, notamment au chapitre de la langue d'enseignement, que comme une mesure temporaire sous réserve de révision, si ces dispositions nuisent en quoi que ce soit au développement et au rayonnement du français au Québec ou à l'intégration de la minorité anglophone à la vie communautaire du Québec.

Le Président (M. Cardinal): Pour les fins de la discussion, je rappelle au parti ministériel que, grâce à sa générosité, il reste 22 minutes. M. le ministre d'Etat.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier et féliciter chaleureusement la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour le mémoire qu'elle vient de nous présenter. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a joué un rôle majeur dans notre histoire collective. Elle a toujours été à l'avant-garde des mouvements de promotion et de défense, aussi bien de la langue française que de la nation française au Canada.

En voyant la joie qu'elle exprime ce matin, dans son mémoire. Je pense qu'elle peut y voir, en même temps qu'une récompense, le fruit de ses efforts. Elle peut aussi y voir, en même temps, la justification de toute son action passée.

Je la remercie d'autant plus que le mémoire qu'elle vient de nous présenter est sûrement, et je crois que tous les membres de la Commission seront d'accord là-dessus, le plus remarquable qu'il nous ait encore été donné d'entendre. Ce mémoire est de très haute tenue intellectuelle. Il est couché dans un langage qui fait honneur à notre langue. Il témoigne de toutes les qualités que l'on a accoutumé de lier à ce que l'on appelle le génie de notre langue. Et en même temps, il fait montre de mesure et de générosité à l'endroit de l'homme en général et de nos partenaires québécois aussi bien que canadiens. J'ai particulièrement apprécié, pour ma part, la critique serrée et rigoureuse qu'il fait des positions de ceux qui se sont opposés au projet de loi, en même temps que la justification aussi serrée et rigoureuse qu'il fait des postulats qui ont servi de base à la rédaction du projet de loi.

Je reprends à mon compte les arguments que le mémoire a opposés, par exemple, à l'ethnocentrisme dont on a accusé le gouvernement. Il voit, avec raison, que le gouvernement a plutôt tenté de proposer un pluralisme culturel qui fait cependant droit à la position, qui est un fait, de la majorité francophone au Québec. Je reprends aussi à mon compte les arguments qu'il invoque pour indiquer

que le peuple français du Québec, loin de vouloir se replier sur lui-même, veut, au contraire, faire participer tous les groupes ethniques du Québec à la langue commune, langue qui est un bien collectif et que nous voulons voir partager par tous nos associés québécois.

Je reprends également à mon compte les arguments qui lui servent à dissiper l'attaque qui est souvent lancée contre le gouvernement selon laquelle il fait montre de discrimination à l'endroit des groupes ethniques ou de certains individus. Ce que nous voulons, au contraire, et la Société Saint-Jean-Baptiste l'a bien fait remarquer, c'est mettre tous les citoyens à égalité devant la loi. Et je pense que l'on pourrait aller plus loin. Lorsque le gouvernement fait montre de discrimination, il fait montre d'une discrimination positive à l'endroit des groupes ethniques, et en particulier à l'endroit de la minorité anglaise à laquelle il continue d'accorder non seulement des droits, mais des privilèges.

Je reprends aussi à mon compte, l'opposition que le mémoire fait entre contrainte d'état et contrainte économique. Même s'il faut en parler avec pudeur, car c'est un langage qui nous est souvent reproché, il ne fait aucun doute que la contrainte économique, à laquelle vous avez fait allusion dans votre mémoire, s'est exercée d'une façon constante et puissante à l'endroit de la majorité. Au point que l'on pourrait reprendre à notre compte cet adage d'un écrivain français, c'est-à-dire que, dans notre cas, c'est souvent la liberté ou plutôt le laisser-faire qui a opprimé, et que c'est seulement la loi qui peut libérer, en ce sens que la loi se met ici au service de la justice et qu'elle vient redresser une situation inacceptable et qu'elle vient garantir aux membres de la majorité francophone des droits qu'ils n'ont pu exercer parce que les conditions économiques en entravaient l'exercice.

Je reprends aussi à mon compte les arguments qui sont parfois opposés, des arguments que l'on utilise contre le gouvernement et qui veulent signifier que le gouvernement, par son attitude au sujet de l'école, pourrait empêcher une association économique éventuelle. La Société Saint-Jean-Baptiste a bien fait remarquer que les injustices continues, flagrantes dont les francophones ont été l'objet dans les autres provinces du Canada et qui ont conduit, parfois, à leur élimination, du moins, leur élimination virtuelle, n'ont jamais empêché une association économique étroite de se maintenir dans le grand tout canadien.

Je suis surtout d'accord avec la Société Saint-Jean-Baptiste, lorsqu'elle signale l'importance extrême et dernière du Québec pour les Québécois. Il fut un temps où les Québécois se retrouvaient parfaitement chez eux d'un océan à l'autre, ou plutôt de l'Atlantique aux Rocheuses, puisqu'ils l'avaient exploré, puisqu'ils l'ont peuplé aussi, mais ce Canada, que nous avons connu, que nous avons aimé, que nous avons chanté dans nos poèmes, dans nos essais, depuis près de 200 ans, est devenu pour nous une peau de chagrin, réduite à sa portion congrue et mainte- nant au seul territoire du Québec. Ce n'est pas de gaieté de coeur que les Québécois francophones ont renoncé à ce Canada, à se sentir chez eux dans ce Canada, mais ils sont bien obligés de prendre la leçon des événements, la leçon des faits et de reconnaître que lorsqu'ils franchissent les frontières de leur pays, ils ne sont pas accueillis, ils ne sont pas acceptés avec l'hospitalité que l'on doit aux fondateurs et aux premiers occupants.

Le Québec est, pour les francophones, tout ce qui leur reste. C'est la raison pour laquelle un peuple aussi fier, aussi conscient de sa richesse, de son histoire, de ses traditions, de sa culture que le nôtre, n'y renoncera jamais. Non seulement nous le défendrons, mais nous le développerons aussi au maximum, avec toutes les ressources qui sont à notre disposition et qui sont celles d'une grande culture mondiale.

Nous n'avons peut-être pas le dos à la mer, comme les Israéliens, mais nous avons quand même ce sentiment d'être confinés dans des frontières qui nous ont été fixées par les autres et, à l'intérieur de ces frontières, nous entendons bien développer une culture solide, vigoureuse, mais, en même temps, ouverte sur le reste du monde, avec tous les instruments qui nous sont nécessaires à cet effet. Si nous le faisons, ce n'est pas simplement en vertu d'une aspiration collective, nationale, tout à fait légitime, mais également par un souci de justice à l'endroit des membres de notre collectivité. Comme la Société Saint-Jean-Baptiste l'a très bien souligné, ce n'est pas par sentimentalité que nous le faisons, mais pour accorder à tous nos citoyens le minimum de justice dont ils ont besoin pour s'épanouir pleinement sur le plan individuel, aussi bien que sur le plan collectif.

Je souscris donc en entier à l'analyse qui vient d'être faite, et je suis heureux que la Société Saint-Jean-Baptiste ait pris le temps et la peine de dénoncer, de démasquer une confusion intellectuelle qui est absolument inutile ou nocive lorsque l'on aborde des débats d'une telle importance.

Quant aux suggestion que nous fait la Société Saint-Jean-Baptiste, je remarque que c'est le quatrième ou le cinquième groupe francophone qui reproche au gouvernement de ne pas être allé assez loin et qui nous demande de resserrer nos positions.

Je comprends cette démarche qui, bien sûr, se justifie par un souci de logique tout à fait cartésien.

Je voudrais cependant dire à la Société Saint-Jean-Baptiste que si nous n'allons pas aussi loin qu'elle le voudrait, c'est par souci de réalisme politique et par souci de respect pour ces groupes ethniques, ces minorités qu'on nous accuse à l'envie, ces temps-ci, de persécuter. Nous avons voulu montrer que l'essentiel étant assuré pour nous, nous pouvions témoigner de cette hospitalité, de cet accueil pour les partenaires qui sont avec nous et leur donner toutes les chances, tous les moyens dont ils ont besoin pour maintenir leur existence et développer leur culture dans le respect des droits de la majorité.

C'est la raison pour laquelle nous avons

donné le droit à ceux qui ont déjà choisi l'école anglaise — même si logiquement, ils pourraient ne pas y avoir droit — d'y continuer leurs études, espérant toutefois qu'à partir du moment où ils réaliseront que le français est la langue du pays, qu'ils vivent dans un pays de culture française, ils choisiront d'eux-mêmes de s'y intégrer, aussi bien par intérêt personnel, puisque le français sera devenu la langue utile, rentable, indispensable, que par intérêt collectif, c'est-à-dire en vue d'une participation plus grande, moins isolée, à l'édification d'une culture proprement québécoise.

C'est la même raison pour laquelle nous avons voulu conserver aux frères et soeurs cadets de ceux qui sont actuellement inscrits à l'école anglaise, le droit d'y poursuivre également leurs études. La Société vient de nous dire qu'elle n'est pas d'accord avec le principe de la division des familles. Nous avons quand même retenu ce principe, parce que nous croyons que pour certains groupes ethniques, il s'agit là d'un élément important de leur système de valeurs. Nous avons voulu éviter ainsi tout reproche de discrimination au nom d'usages, de lois, de directives, de la part d'un autre milieu que le nôtre, le milieu fédéral, qui a édicté les lois de l'immigration et dont nous acceptons de subir les conséquences pour quelque temps encore, en espérant, toutefois, que le changement de structures qui surviendra dans notre société amène ces individus et ces groupes à ne pas se prévaloir de droits que nous leur accordons au nom d'intérêts supérieurs.

Je retiens la modification que l'on nous propose au chapitre des contrats. Nous l'étudierons, bien que je me demande de quelle façon il sera possible de l'appliquer. Je reconnais, par exemple, que dans certains pays comme la France, le droit pour deux contractants de passer un contrat dans leur langue existe et je pense que les spécialistes des droits de l'homme seront d'accord pour accepter cette exception à l'empire qu'exerce une langue officielle dans n'importe quel pays. Ceci vaut sur le plan des principes.

Sur le plan de l'application maintenant, je me demande comment une rédaction officielle en français pourrait être faite et par qui, si deux contractants de langue autre que le français décidaient de contracter entre eux. C'est un peu la question que j'adresserais à Me Groulx. Pourrait-il nous donner des suggestions à cet effet?

M. Groulx: M. le ministre, d'abord le président se chargera tout à l'heure, sans doute, de vous remercier des bonnes paroles que vous avez eues à notre égard. Je vais lui laisser cette très agréable tâche. Quant à la réponse à votre question, je crois que nous ferions ici exactement ce qui se passe ailleurs. Prenez l'exemple de l'Ontario tout simplement. A Toronto, un francophone va contracter avec un autre francophone en présence d'un avocat qui agit comme francophone, ils devront faire tout le travail en anglais et je crois que c'est ce qui se produit également dans d'autres pays. Je souligne que notre suggestion porte uniquement sur des contrats ayant un caractère officiel, donc, un contrat de vente qui doit être déposé à un bureau d'enregistrement ou les actes authentiques. Alors, il est évident que si deux personnes veulent faire entre elles-mêmes un bail, si les deux personnes sont consententes de le faire dans une autre langue, pourvu qu'il n'ait pas valeur authentique ou qu'il n'ait pas à être utilisé pour des fins officielles, nous acceptons sûrement, comme dans tous les pays du monde, cette formule. Mais je veux surtout insister sur le fait qu'au Canada, par exemple, dans aucune province du Canada, même dans celles qui se disent bilingues à certains degrés, aucun contrat ne peut être déposé dans les bureaux d'enregistrement s'il n'est pas rédigé en anglais. Je crois qu'en France, puisque vous avez fait référence à la France, aucun contrat notarié ne peut être fait dans une autre langue que le français. Je parle évidemment des actes authentiques ou des contrats qui ont un caractère officiel.

M. Laurin: Merci pour cette précision.

Le Président (M. Oussault): La parole est maintenant donnée à Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier les représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste d'être venus devant cette commission faire valoir le point de vue de leurs membres. Je veux les féliciter pour la qualité de la langue que l'on retrouve dans leur mémoire. Je pense que c'est remarquable. Ceci ne veut pas dire que je suis nécessairement d'accord avec le contenu, mais je pense que ceci mérite vraiment d'être souligné. Je voudrais, en passant, exprimer le souhait que dans les nombreuses campagnes que vous menez en faveur de la langue française, un jour vous soyez peut-être plus actifs quant à des mesures que vous mettriez de l'avant pour l'amélioration de la qualité de cette langue. On note ici, bien que ceci n'ait jamais été exprimé très clairement que de la part de personnes qui veulent ou qui voient qu'elles devront aller dans les écoles françaises, que la qualité de la langue — peut-être pas tellement celle qui est enseignée comme celle qui est apprise — les inquiète. Alors, je pense que ce serait peut-être une suggestion a retenir, un champ où vos énergies pourraient probablement se concentrer avec beaucoup d'utilité.

J'ai dit tout à l'heure que je n'étais pas d'accord, du moins, sur certains aspects du contenu de votre mémoire, parce que nous partons d'une vision différente des choses. Au nom de l'égalité pour tous devant la loi, principe que personne en soi ne peut contester, vous arrivez à déterminer des conditions de vie dans cette province qui font que finalement il n'y a plus de place pour la diversité, une diversité qui, au point de vue culturel, peut être enrichissante même pour un groupe majoritaire français qui veut, tous les jours, établir une société où les gens se sentent vraiment libres de pouvoir, non seulement vivre en français, mais que vraiment ce milieu respecte le caractère français de la majorité de cette société.

Mais, à partir de ce principe d'égalité, j'ai vraiment l'impression que vous faites fi justement de ces diversités culturelles que l'on retrouve à l'intérieur du Québec mais qui, je pense, sont des éléments importants et dynamiques pour continuer l'édification d'une société que, je sais, vous voulez française.

Je trouve que vous êtes peu tolérants, je m'excuse de vous le dire, de l'opinion des autres et que vous acceptez difficilement la contradiction. Ceci est assez éloquent quand, en page 17, vous dites: "Comme il est impossible de plaire à tous, et qu'inévitablement certains Québécois anglophones ou autres se prétendent frustrés par la nouvelle législation, il leur sera toujours loisible moyennant un modeste déplacement de se retrouver au sein de frères de culture et de reconquérir le bonheur relativement à peu de frais".

Je pense que nous sommes quand même dans une société démocratique où chacun vient ici s'exprimer devant cette Chambre de la même façon que vous le faites et qu'il leur est loisible d'exprimer les réticences qu'ils ont vis-à-vis d'un projet de loi et même, ils peuvent en contester le bien-fondé sans que la réplique qu'on puisse leur donner soit: Si vous n'êtes pas heureux, quittez donc le Québec. Nous, on n'a pas le loisir de le faire, il faudrait aller plus loin. Là-dessus, vous avez raison, soit dit en passant. Mais je pense que c'est une façon un peu cavalière de traiter les gens qui ne partagent pas notre point de vue. Je pense qu'il faudra conserver, et c'est ça la richesse d'un pays, à l'intérieur d'une société, justement ce genre de divergence d'opinion.

Je pense que, de part et d'autre, il faudra faire des ajustements qui ne compromettent pas l'objectif fondamental de l'édification de cette société française, mais je souhaiterais voir chez vous un peu plus de tolérance.

L'autre chose que je voudrais vous demander, au nom de qui vous exprimez-vous? Vous ne dites pas: II nous faut un système unilingue français, mais il y a une forte tendance vers cet objectif. Je ne voudrais pas tourner le fer dans la plaie, mais je sais que vous avez soutenu assez récemment dans une élection scolaire des gens qui partageaient ce point de vue et la population a semblé, en masse, répudier cette...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: ...position.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: Et, à partir de ce point de vue-là, il y a une seule question que je voudrais vous poser, je veux laisser quand même un peu de temps à mes collègues, quel est votre point de vue, d'une façon précise, sur l'enseignement de la langue seconde. Cela, n'est pas très clair pour moi, quand vous vous opposez à toute forme de bilinguisme, est-ce que cela peut vouloir dire que vous répudiez l'enseignement de la langue seconde et, là-dessus, je me demande si vous tenez compte, encore une fois, du sentiment général, particulièrement dans la région de Montréal, à l'égard de cette question.

J'aimerais que vous répondiez à cette question, je l'apprécierais.

M. Champagne: Voici, c'est sûr que nous voulons quand même que, dans la région métropolitaine, puisque vous en parlez, les francophones aient une connaissance d'usage, je dis bien une connaissance d'usage, à la fin du secondaire. Mais de là à faire commencer l'enseignement hâtif d'une langue seconde comme la CECM veut le faire, peut-être incessamment, au primaire, on n'y est pas du tout. Pour arriver au but, pour une connaissance d'usage de la langue seconde à la fin du secondaire, je pense qu'on peut commencer aussi au secondaire, pour l'apprendre, avec les motivations qu'il faut aussi.

Mme Lavoie-Roux: Merci, monsieur.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Lotbinière.

M. Biron: Merci, M. le Président. Je veux remercier les dirigeants de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal de leur mémoire et de nous avoir fait connaître le point de vue de la Société Saint-Jean-Baptiste.

Je ne peux, bien sûr, accepter le ton haineux et revanchard de votre mémoire et cela ne me surprend pas que le ministre l'ait accepté. C'est un ton qui est provocant et, au lieu de tendre à rechercher un consensus général de tous les Québécois, de toutes les Québécoises, sans exception...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Je m'excuse, M. le député de Lotbinière. Pourrais-je souligner à tous les députés, de quelque parti qu'ils soient, que le niveau auquel nous sommes rendus dans nos débats ne permet pas d'interrompre un intervenant?

A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Lotbinière.

M. Samson: M. le Président, sur le point de règlement que vous venez de soulever.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Même après ce que vous venez de dire, il y a eu encore des remarques de l'autre côté. Je me permettrai de vous souligner, en le soulignant à mes collègues d'en face, les provisions de l'article 26 et ils vont comprendre ce que vous venez de dire, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le député de Rouyn-Noranda. La parole est au député de Lotbinière, chef de l'Union Nationale.

M. Biron: Merci, M. le Président. J'ai l'habitude de dire exactement ce que je pense, et avec toute l'honnêteté dont je suis capable, d'autant plus que le premier ministre a reconnu qu'un Québécois — il a reconnu cela il n'y a pas tellement longtemps et je rends hommage à son ouverture d'esprit — c'était une personne qui vivait au Québec, qui travaillait au Québec, qui voulait véritablement l'épanouissement de cette province. Le premier ministre a reconnu aussi, il y a environ un mois, qu'ici, au Québec, nous avions une collectivité francophone et nous avions aussi une communauté anglophone qui avait des droits qui devaient être respectés.

A la lumière de ce que nous pensons — je rejoins le premier ministre là-dessus sur beaucoup de points — nous voulons redéfinir une société au Québec. Je veux tout simplement vous citer le paragraphe d'un texte que je lisais au début de cette commission, à propos de cette société à redéfinir. Nous ne la voulons pas fermée et méfiante, toute à la dévotion d'une ethnie, vouée à un culte passionné, mais bien ouverte, hospitalière et progressiste, où il fera bon vivre, où, sans exclusion, tous les Québécois sentiront que c'est là qu'il leur faut vivre et qu'ensemble, fièrement, ils y vivront.

Pour y arriver, il nous faudra extirper de nos fibres tout sentiment exacerbé, apaiser nos haines, atténuer nos rancoeurs et calmer nos appréhensions. Je voulais tout simplement vous dire que je me considère comme Québécois et je veux véritablement travailler, en collaboration avec le gouvernement du Québec, avec tous les autres partis politiques au Québec, avec tous les Québécois et toutes les Québécoises, à établir cette société, ce projet collectif où vous, ou moi, ou Bill Shaw, ou M. Ciaccia, ou n'importe quel autre Québécois pourra se sentir lui-même à l'intérieur de cette société.

Je me permets de vous poser quelques questions sur votre mémoire. En partant, je trouve que vous avez une hypothèse qui dit que le Québec s'est déjà séparé du reste du Canada et qu'il ne faut véritablement pas s'occuper des gens de l'extérieur. Votre mémoire est biaisé à une reprise, en particulier, où vous parlez des quelques milliers d'Anglo-Canadiens qui habitent le Québec, où vous parlez de quelques centaines de milliers de Canadiens français à l'extérieur du Québec, alors qu'on sait qu'au Québec, on a 1 400 000 anglophones et on a un million de francophones à l'extérieur du Québec.

M. Alfred: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! M. le député de Rouyn-Noranda, tantôt, a invoqué le règlement. Est-ce que je dois le lire aux députés?

M. Alfred: ... des faussetés, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Je ne le permets pas. Quand un député s'exprime, les autres doivent l'écouter. A moins de demander au président une question de règlement ou une directive.

Est-ce que vous avez une directive à demander?

M. Chevrette: J'aurais le goût de vous la demander. Est-ce qu'il est possible d'obtenir des cours... pour qu'il y ait un certain degré de compréhension des textes?

Le Président (M. Cardinal): Je pense que je n'ai pas besoin de répondre, M. le député de Joliette-Montcalm. A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Lotbinière, veuillez poursuivre.

M. Lalonde: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Est-ce que les écarts aux règlements sont permis seulement à ceux à votre droite ou si...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys, je vous en prie. Votre question laisse un sous-entendu que je n'acccepte pas. Vous pouvez remarquer que, depuis ce matin, je suis obligé de le dire, le rappel à l'ordre a été fait plus souvent pour les députés ministériels.

Par conséquent, je pense que vous n'avez aucune plainte à porter envers la présidence. M. le député de Lotbinière.

M. Biron: Merci, M. le Président. La tension monte déjà. J'ai l'impression qu'à la fin de juillet, on va être passablement énervé, mais...

Le Président (M. Cardinal): Le député de Lotbinière, s'il vous plaît! Revenez au sujet.

M. Biron: Je voudrais savoir, en partant de ces chiffres que vous nous mentionniez tout à l'heure, quelle est votre philosophie de ce que le Québec devrait faire, de ce que nous ensemble, on devrait faire pour ces Franco-Canadiens, nos frères à l'extérieur du Québec, ces francophones hors du Québec? Qu'est-ce qu'on devrait faire pour eux?

Mme Cloutier-Trochu: Si vous permettez, je pense que, de toute façon, la Société Saint-Jean-Baptiste n'est pas le gouvernement et ne peut pas parler de rapatriement ou d'option de rapatriement, si jamais il y avait un Québec indépendant, et il n'en est pas question. On est encore une province, c'est sûr, seulement une province française, et c'est justement ce que le mémoire défend. Je réponds un peu à votre première question, sans aucune agressivité, croyez-moi. Justement, le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste défend le fait français au Québec, comme autrefois elle a défendu le fait français de par le Canada. On s'est aperçu justement que le Canada, c'était trop grand, que c'était une peau de chagrin qui a rapetissé et qui nous a fait bien du mal, bien du chagrin. On s'en tient maintenant au Québec et on

veut être chez soi au Québec, pouvoir parler français le mieux possible.

Je remercie beaucoup Mme Lavoie-Roux de sa suggestion et sûrement qu'on s'attaquera à cette question de la langue française, dès qu'on aura le temps de faire autre chose que de défendre les droits normaux qu'on devrait avoir.

Je voudrais dire à M. Biron, si je peux me le permettre aussi, qui, tout à l'heure, a parlé de dirigeants, que le mémoire répond au voeu du congrès de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui regroupe je ne sais pas combien de membres, parce que je n'ai pas beaucoup l'esprit des chiffres. Je ne peux pas vous répondre sur le plan des chiffres non plus invoqués ici et qui sont réels dans le Canada. Je peux vous dire que les Québécois, les Canadiens français, vous me permettrez de les appeler comme cela, qui sont ailleurs qu'au Québec, ils sont ailleurs qu'au Québec et ils sont perdus, dans un sens. Depuis les Etats généraux, on a bien constaté qu'il y avait déjà, à ce moment-là, dans la jeune génération, une perte d'identité. S'ils avaient encore une certaine langue française au sein de leur famille, déjà ils allaient vers l'anglais et ils étaient assimilés. C'est toujours le danger de la minorité, d'une minorité dans un grand ensemble comme le Canada. Est-ce que cela peut répondre? J'aurais tellement de choses à vous dire, mais je sais que je n'aurai pas le temps.

M. Biron: Non, parce que nous n'avons simplement que dix minutes. Non, vous n'avez pas répondu ce que vous vouliez faire pour les francophones hors du Québec et je vous dis qu'eux aussi voudraient bien faire quelque chose, mais je remarque ici, dans votre mémoire, qu'à plusieurs reprises, vous employez le mot "l'adversaire". C'est qui l'adversaire? Est-ce que c'est un Canadien français comme vous ou c'est qui l'adversaire?

Mme Cloutier-Trochu: "Adversaire", vous savez, si on prend la racine latine du mot "adver-sus", cela veut dire que c'est quelqu'un qui n'est pas de votre côté, non pas dans le sens que vous faites des batailles, ce n'est pas du tout l'ennemi. L'adversaire, c'est la personne qui fait le débat. Dans le débat, vous, vous avez une option et l'autre a l'autre. C'est vraiment l'adversus, l'adversaire traduit exactement celui qui n'est pas avec vous dans une pensée quelconque. Il ne s'agit pas d'ennemi.

M. Biron: Est-ce que moi, qui veux un projet collectif où tous les Québécois vont se reconnaître, comme le premier ministre d'ailleurs, vous me considérez comme un adversaire?

Mme Cloutier-Trochu: Non, monsieur, vous avez une option politique différente, et j'ai trouvé très bien, quand vous avez parlé du premier ministre, je suis tout à fait d'accord avec vous, on est tous des frères — moi, je voudrais être la soeur de M. Ciaccia sur ce plan-là — on est tous Québécois, mais...

Une Voix: C'est correct.

Mme Cloutier-Trochu: ... pour bien traduire ce que c'est qu'un Québécois, cher M. Biron, qui venez de Lotbinière...

Une Voix: Félicitations, John! M. Ciaccia: ... adversaire.

Mme Cloutier-Trochu: ... il faut avoir une certaine identification au fait québécois. Je ne suis pas Française de France, je parle français, je suis Québécoise, et comme un Québécois peut parler anglais et être Ontarien, je veux dire se trouver du côté des Ontariens et s'en aller en Ontario...

Quand Mme Lavoie-Roux disait tout à l'heure qu'on mettait de côté tous ceux qui étaient ici et qui voulaient être Québécois, c'est justement ce que le mémoire ne dit pas et ne veut pas dire. C'est que tous ces gens qui sont ici, on veut les garder, s'ils s'identifient à cette province française, s'ils veulent être heureux ici comme il semblent l'être.

Et quand on pensait aux frères, à la division des familles, j'aimerais bien qu'on sache que quand on pense aux Anglais qui vont à l'école anglaise, ils peuvent continuer à aller à l'école anglaise parce que chez eux ils vont parler anglais aussi; mais les immigrants, qui vont à l'école anglaise, dont les petits frères arrivent, souvent ils n'ont pas encore de petits frères ou de petites soeurs, mais qui ont par exemple un grand frère qui est allé à l'école anglaise, quand il va vouloir, avec la nouvelle loi, aller à l'école, il a le droit de choisir l'école anglaise. Mais au sein de sa famille, on parle italien ou grec ou chinois. Alors cela ne lui donnera strictement rien. C'est encore une continuation d'un fait de la loi 63 qui n'est pas quelque chose d'acquis pour cet immigrant. Même pas dans la Loi de l'immigration. Mais l'anglophone peut continuer, lui, à parler anglais dans sa famille. Je sais que j'ai trop parlé, je ne parlerai plus maintenant.

Le Président (M. Cardinal): Non, madame. Le député de Lotbinière, une très rapide et dernière question.

M. Ciaccia: Je suis flatté des propos de madame, mais ce n'est pas parce que vous voulez changer de frères.

Mme Cloutier-Trochu: Cher ami, j'en ai quatre!

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Lotbinière, une dernière question.

M. Biron: En terminant, M. le Président. On parle des gens haut placés, à la page 21 de votre mémoire, des professionnels dans le domaine... Je crois que vous faites allusion à la CALPA, à la CATCA, mais pourquoi disent-ils que l'unilinguisme est la clé du succès dans les airs? Pourquoi ne voulez-vous pas prendre la version des gens de l'air qui disent que ce n'est pas plus dan-

gereux de voler en français au Québec que de voler en anglais en Ontario? Pourquoi avez-vous pris seulement une version des faits? Pourquoi ne pas vraiment dire les deux versions, des deux groupes qui ont des options différentes, mais que je reconnais à leur mérite, pour ces deux groupes? Je crois que c'est assez important de prendre les deux groupes, ne pas prendre tout simplement un côté de la médaille. Il y a toujours un autre côté. Il faut être honnête dans les faits.

Mme Cloutier-Trochu: Ce n'est tout de même pas à moi... Vous ne voulez pas que je vous réponde! Vous savez très bien... Je voudrais laisser la place à des collègues. Mais je peux bien vous dire pourquoi on a choisi... Evidemment, c'était une question... Vous savez, quand on fait un mémoire de ce genre, on peut peser le pour et le contre et les questions qui font fuser de partout, des gens qui lisent le mémoire. Mais seulement, c'est parce que c'est un fait actuellement international, cette question du débat qu'on impose au Québec face au regroupement des gens de l'air. C'est une question qui a heurté terriblement, vous le savez, qui a failli faire tomber le gouvernement, heureusement que le gouvernement était assez fort, il n'est pas tombé à cause de cela, mais c'est pour cette raison qu'on a choisi l'option qui demande que ce soit l'unilinguisme.

C'est évident que, dans tous les pays du monde, on a un certain bilinguisme, même si on reconnaît que l'anglais est devenu la langue internationale. Et sur ce plan-là, Dieu sait qu'au Québec, si on parle français en plus, croyez-moi, dans les écoles, on va aussi enseigner l'anglais et on va bien l'apprendre et on n'aura pas loin à aller pour bien le pratiquer.

Le Président (M. Cardinal): Merci, madame. Le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: M. le Président, j'aimerais m'assurer que j'ai bien saisi, tantôt, les noms des personnes qui sont devant nous. Je vais les répéter pour m'assurer que c'est bien cela. M. Gérard Turcotte...

M. Champagne: Je suis Jean-Paul Champagne, président par intérim de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

M. Samson: Jean-Paul Champagne. Alors, M. Turcotte n'est pas là.

M. Champagne: M. Turcotte est à mon extrême droite.

M. Samson: Et Mme Lise Cloutier-Trochu.

M. Champagne: Mme Lise Cloutier-Trochu et M. Guy Bouthillier.

M. Samson: Guy Gauthier.

M. Champagne: Guy Bouthillier.

M. Samson: Guy Bouthillier. Bon!

M. Champagne: Et le notaire... Me Yvon Groulx.

M. Samson: Yvon Groulx, lui, je le connais. Bon!

M. de Bellefeuille: C'est Camil Samson.

Le Président (M. Cardinal): M. le député des Deux-Montagnes, vous venez d'enfreindre le règlement. En vertu de l'article 99, vous n'avez jamais le droit de désigner un député par son nom. M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Merci, M. le Président. De toute façon, cela démontre jusqu'à quel point le Parti québécois est soucieux de bien identifier les gens. C'est peut-être dans ce contexte de transparence que je demanderai à Mme Lise Cloutier-Trochu si c'est la même dame qui était candidate péquiste en 1973 dans le comté d'Outremont.

Mme Cloutier-Trochu: Est-ce conforme au règlement?

Le Président (M. Cardinal): Vous pouvez répondre, madame.

Mme Cloutier-Trochu: Cela n'a aucun rapport, mais je peux vous dire...

M. Samson: D'accord.

Mme Cloutier-Trochu: C'était la même dame, mais qui n'a pas été élue, si vous vous souvenez, c'est M. Choquette...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Samson: M. le Président, j'invoque mon privilège de député, soit celui de pouvoir m'exprimer librement.

Le Président (M. Cardinal): L'article 26 vous le donne, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Et aussi de m'informer, parce que j'aime bien savoir à qui je parle et quels sont les engagements qui sont pris par les personnes qui se trouvent devant nous. Oui, ça va peut-être permettre à certains de mes collègues d'en face...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda, vous avez cinq minutes, je vous prierais de les employer à bon escient.

M. Samson: M. le Président, je les emploierai à ma façon, avec le grand respect que je vous dois.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Alfred: ...poser des questions.

M. Samson: Cela va permettre à mes collègues d'en face aussi de se rappeler, pour ceux qui y étaient et peut-être pour ceux qui n'étaient pas là, que c'est peut-être madame qui s'était enchaînée en 1973 à l'occasion de la loi 22. Non?

Le Président (M. Cardinal): Madame n'a pas à répondre. D'abord, je n'admets pas que l'on fasse cette...

M. Samson: Bon! D'accord. C'est parce que...

Le Président (M. Cardinal): ...allusion et, deuxièmement, c'est un...

M. Samson: C'était son droit de s'enchaîner, M. le Président.

M. Laplante: Question de règlement, M. le Président...

M. Samson: C'est parce que je veux démontrer devant cette commission...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre! A l'ordre! A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Alfred: Question de règlement, M. le Président.

M. Chevrette: J'en appelle au règlement!

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! un instant!

M. le député de Papineau, sur une question de règlement.

Une Voix: Un bon unioniste.

M. Alfred: M. le Président, je préfère ne pas parler, parce que...

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le député de...

M. Alfred: ...je trouve que...

Le Président (M. Cardinal): ...Papineau, si vous avez décidé de ne pas parler, s'il vous plaît. M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Cela concerne le député de Rouyn-Noranda. Il a fait une affirmation qui est fausse, à mon avis, et madame voudrait répondre sur cette affirmation pour...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Bourassa, si vous permettez, je voudrais clore l'incident ici. J'ai moi-même indiqué que l'affirmation n'avait pas à être faite et que, deuxièmement, elle n'était pas exacte. Par conséquent, je ne permettrai pas un débat sur cette question de règlement. Je redonne la parole au député de Rouyn-Noranda.

M. Alfred: ...pour lui.

Une Voix: C'est ça, la chrétienté.

M. Samson: Je m'excuse, M. le Président, mais si j'ai le droit de poser des questions, j'ai aussi le droit de faire des affirmations...

M. Laplante: Des bouffonneries.

M. Samson: Si ces affirmations s'avèrent fausses, à l'intérieur du débat, M. le Président, je suis prêt à retirer mes paroles...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda...

M. Samson: ...mais je vous soumets respectueusement, M. le Président, qu'en le faisant vous-même, ça vous amène à participer au débat, chose...

Le Président (M. Cardinal): Ah non!

M. Samson: ...que je sais que vous ne voulez pas faire, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda...

M. Samson: ...et à laquelle vous n'avez pas droit, d'ailleurs.

Le Président (M. Cardinal): ...je sais fort bien que je n'ai pas le droit de participer au débat...

M. Samson: Bon! Alors, ceci dit, M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Je veux indiquer clairement, cependant, que je n'ai point participé au débat. Le débat, en vertu de l'article 140 et du mandat de la commission, est d'entendre des témoins, après référence, après la première lecture, à la commission parlementaire et, par conséquent, je n'ai pas participé au débat du tout en indiquant que la question ne me paraissait pas pertinente et que, d'autre part, l'affirmation n'était pas exacte. C'est simplement une mise au point et...

M. Samson: M. le Président, vous savez qu'il y a un article dans notre règlement qui dit qu'on doit prendre la parole d'un autre collègue, et ce n'est pas à la présidence de dire qu'une affirmation n'est pas exacte, à l'intérieur du débat. Bien sûr, si c'est un point de règlement, je me soumettrai respectueusement à vos décisions. Mais en ce qui concerne ce qui est dit à l'intérieur du débat, je n'accepterai pas, ni d'un autre collègue, ni de la présidence, qu'on ne prenne pas ma parole. Mais si, comme je viens de le constater, cette personne ne s'est pas enchaînée, M. le Président, je lui en sais gré.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda, pour terminer cet incident — je

ne l'enlève même pas dans la période de votre temps de parole, comme je l'ai fait depuis le début pour tous les membres de la commission — je désire souligner que malgré ce que vous venez de dire à l'égard de la présidence, j'accepte que vous-même ayez rétabli les faits. Le président n'est pas intervenu dans le débat. Je ne voudrais absolument pas qu'il y ait la moindre allusion à ce sujet. Je désire continuer comme cela s'est fait depuis le début.

M. Samson: Par respect pour vous, je retire mon allusion à votre égard.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Charbonneau: ...retirer vos paroles aussi. Le Président (M. Cardinal): A l'ordre!

M. Samson: Bien, vous, le jeune, mêlez-vous de vos affaires, O.K.! Hein! Columbo, mêlez-vous de vos affaires.

M. Charbonneau: Vous êtes parfait! Vous êtes parfait! Vous allez faire un bon unioniste.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Verchères, à l'ordre!

M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Je peux y aller, M. le Président? Je veux exercer mon droit de parole en vertu de l'article 26 sans qu'on... Bon! D'accord!

M. Alfred: D'emblée.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le député de Papineau!

M. Samson: M. le Président, ceci dit... C'est parce que j'aime bien savoir quels sont les gens qui sont devant moi, et c'est déjà arrivé une première fois. Cela m'intéresse de savoir et nous verrons aujourd'hui que nous aurons un autre groupe qui sont des jeunes libéraux, mais ils sont parfaitement identifiés, M. le Président.

M. Alfred: Ha...

M. Samson: Ceci dit...

M. Alfred: ...

Une Voix: Les droits de l'homme...

Une Voix: ...d'association, M. le Président...

M. Laplante: Vous n'avez qu'à ne pas répondre à ses questions.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Je vous en prie!

M. Samson: Je sais que ça ne fait pas plaisir, M. le Président, mais je vais le dire quand même.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda, que ça fasse plaisir ou non, revenez au sujet, s'il vous plaît.

M. Samson: Je suis sur le sujet, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda, il vous reste deux minutes.

M. Samson: M. le Président, les questions de règlement ne doivent pas entamer mon temps.

Le Président (M. Cardinal): C'est ce qui a été fait, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Merci, M. le Président. A l'instar du chef de l'Union Nationale, je trouve que dans ce mémoire on retrouve souvent l'expression "nos adversaires". Or, les adversaires de qui? C'était une bonne question du chef de l'Union Nationale. Adversaires de qui et sous quelle forme? Je trouve que c'est peut-être là dépasser un peu cet esprit que nous avions au début de nos travaux et si aujourd'hui, on le dépasse, c'est peut-être parce qu'on l'a laissé trop dépasser, cet esprit, soit celui de la prudence et de la rationalité, et celui de tenter de s'informer davantage, le plus possible, tout en n'ayant pas pris à l'avance trop de positions rigides. C'était cet esprit qui prévalait au début de nos travaux.

Je constate que dans ce mémoire — je ne poserai pas de questions parce que mon temps est tellement limité — on fait allusion à un projet collectif. Comment peut-on en arriver à dire que c'est un projet collectif, alors qu'il est à la connaissance de tous que c'est un projet tellement controversé? Il n'y a pas eu de référendum sur la question pour nous affirmer que c'était un projet collectif. Un peu plus loin, on fait référence à un nouvel Etat québécois. Cela s'inscrit dans la ligne de pensée, peut-être du Parti québécois bien sûr, mais cela dépasse le débat qui est celui de la langue et cela nous démontre peut-être vers quelle route on s'en va, quand on écrit de telles choses et quand on parle aussi de la question de l'enseignement.

Je pense qu'il est bon qu'on porte à l'attention de la commission certains faits — ce n'est pas de la philosophie, ce sont des faits. Il y a au Canada des Canadiens français à l'extérieur du Québec et pour avoir voyagé un peu à travers le Canada, j'ai eu l'occasion de me rendre compte que ces Canadiens français, à l'extérieur du Québec, se qualifient eux-mêmes généralement de Canadiens, alors qu'ils qualifient les autres d'Anglais. Vous voyez jusqu'à quel point il y a des racines profondes du français à l'extérieur du Québec. Il y a parmi ceux-là des gens qui reviennent au Québec et j'ai un cas particulier en tête.

J'ai été témoin, tout à fait dernièrement, d'une famille de Canadiens français qui est revenue au Québec, mais dont les enfants avaient, pendant tout l'élémentaire et peut-être au début du secondaire, suivi des cours en langue anglaise. Or, il se trouve qu'il est devenu très difficile pour la famille et pour les enfants de pouvoir s'adapter dans le

système québécois. Cela rejoint ma préoccupation des libertés individuelles et du droit des parents et des enfants à un enseignement valable, compte tenu du fait — et je pense que tout le monde l'admet, tout le monde ici l'a admis, que ce soit d'un côté ou de l'autre, parce qu'on a les deux extrêmes qui se présentent devant cette commission et c'est normal d'ailleurs— compte tenu du fait qu'il est important de pouvoir posséder une langue seconde sur le continent qui est le nôtre.

Or, si on veut atteindre cela et en même temps pouvoir se renforcer économiquement, il faudrait peut-être être plus prudent quand on parle de ces questions et surtout de ne pas repousser les autres Québécois. Quant à moi, un Québécois, quelle que soit son origine... parce que nos ancêtres canadiens-français, les Français, n'étaient pas plus Québécois à cette époque, avant qu'ils n'arrivent au pays, que les Québécois qui sont arrivés plus tard, on devient Québécois quand on demeure sur la terre de la province de Québec, quelle que soit notre origine et quelle que soit notre nationalité. Un Québécois, on doit le considérer comme tel. Quant à moi, il n'y a pas de mauvais Québécois.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Rouyn-Noranda.

Le député de Joliette-Montcalm.

M. Chevrette: M. le Président, dans un premier temps...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Joliette-Montcalm, au parti ministériel, il reste huit minutes.

M. Chevrette: Je vous remercie. D'où vient cette musique? C'est vrai que la musique adoucit les moeurs, M. le Président. Je voudrais tout d'abord féliciter personnellement tous les membres de la Société Saint-Jean-Baptiste pour leur grande rigueur intellectuelle au niveau de l'analyse de leur mémoire. La composition dénote vraiment un sérieux et dénote non seulement un sérieux, mais une profondeur d'analyse également. Personnellement, je suis ravi de la façon qu'ils ont démystifié les arguments des adversaires d'une façon rationnelle, d'une façon non teintée de racisme ou encore d'esprit de vengeance. Je considère cela tout à votre honneur. Un des députés qui vous a rendu hommage, je pense que c'est le député de L'Acadie, en vous disant que vous étiez peu tolérant devant les contradictions. C'est tout à votre honneur. Cela prouve que vous êtes cohérent. Je voudrais regretter une chose cependant. C'est d'avoir été, au niveau des 45 premières minutes, à un niveau intellectuel passablement élevé, mais d'être tombé si bas dans les quelques dernières minutes. Je constate, M. le Président, que les gens qui se présentent devant nous avec un document aussi sérieux, aussi étoffé... M. le ministre d'Etat au développement social, pour ne pas déroger aux règlements...

Le Président (M. Cardinal): Culturel.

M. Chevrette: Culturel, excusez!

Le Président (M. Cardinal): Je n'interviens pas dans le débat en vous corrigeant. D'accord, M. le député. Poursuivez.

M. Chevrette: J'attendais une attaque. Je dois vous dire que les félicitations de M. Laurin ont été très explicites et j'ai été surpris de constater, très surpris, même humilié pratiquement, de constater qu'un groupe de témoins se présentent devant une commission parlementaire avec du sérieux, avec une profondeur d'analyse, avec vraiment un document étoffé... Ces gens sont en droit de s'attendre qu'un groupe de députés, autant ministériels que de l'Opposition officielle reconnue ou de l'Opposition unique, en fassent une analyse sérieuse. Je considère tout à fait anormal et même déplorable qu'on donne un si piètre spectacle. On n'est pas ici pour faire les bouffons. On est ici pour prendre connaissance de ce que les gens ont à nous dire. On est ici pour interroger, M. le Président, les gens...

Le Président (M. Cardinal): Mme le député de L'Acadie, sur une question de règlement.

Mme Lavoie-Roux: Le député de Joliette-Montcalm parle de l'Opposition unique, dit qu'on a maltraité les invités qui sont là. Je regrette, mais cela n'est pas le cas. En tout cas, identifiez vos gens et arrêtez de parler d'une façon générale.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Chevrette: M. le Président, quand on se sent visé, cela fait toujours mal.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Un instant. Je n'aime pas que l'on perde du temps, mais je suis obligé de rappeler qu'il n'y a pas de question de privilège devant la commission et que la question soulevée par Mme le député de L'Acadie n'entre pas, justement, dans le cadre d'un règlement particulier; il n'y a pas eu de langage violent ou blessant ou irrespectueux. Il n'y a pas eu d'attaque contre une personne déterminée. Les paroles vagues qui s'adressent à tous, on n'est pas obligé de les soulever. M. le député de Joliette-Montcalm, cependant, je vous prierais de faire attention pour qu'on ne fasse pas un débat autour de votre intervention. Vous avez encore la parole. A l'ordre! Oui, allez.

M. Chevrette: M. le Président, si je soulève cette question, c'est que je considère que des gens qui prennent la peine de consacrer des heures et des heures à préparer un mémoire sérieux et qui le font d'une façon aussi rationnelle que celui qui nous a été présenté... Cela mérite d'être étudié d'une façon tout aussi sérieuse. C'est ce que j'ai voulu déplorer devant cette commission. Personnellement, je considère que c'est beaucoup plus un vaudeville, la façon dont cela se passe depuis quelques minutes, qu'une commission

parlementaire qui a le devoir de légiférer sur un droit aussi fondamental et un droit aussi naturel que celui de la langue.

En juillet, la pression sera loin d'être haute, ce sera naturellement une célébration de joie et de fierté. J'ai été très surpris de voir un ancien président d'un bloc national quelconque se prononcer avec autant de légèreté sur un problème aussi fondamental que celui de la langue.

M. Samson: Sur un point de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Je voudrais avoir une directive, M. le Président. En fonction de votre grande expérience, est-ce que le fait de me voir visé directement par le député, de la façon dont il vient de le faire, a la vue de tout le monde, je dois le considérer, M. le Président, comme une attaque personnelle?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda, personnellement, je ne considère pas que l'on vous ait visé, je n'ai entendu à aucun moment, ni votre nom — à l'ordre, s'il vous plaît! — ni votre nom, ni le nom du comté que vous représentez. Par conséquent, je réponds directement à votre directive, je ne crois pas qu'il y ait eu d'attaque contre vous personnellement et je redonne la parole au député de Joliette-Montcalm.

M. Samson: Merci, M. le Président. Je sentais qu'il n'avait pas le courage de le faire directement.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. M. le député de Joliette-Montcalm.

M. Chevrette: M. le Président, la pluie de ces insultes n'atteint pas le parapluie de mon indifférence.

M. Samson: II mouille dedans?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Joliette-Montcalm, s'il vous plaît!

M. Chevrette: Contradiction. Mme le député de L'Acadie.

Donc, M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Lotbinière, sur une question de règlement.

M. Biron: II reste combien de temps pour ce débat, à l'heure actuelle?

Le Président (M. Cardinal): Présentement, il reste quatre minutes au Parti québécois, treize minutes au parti de l'Opposition officielle, il ne reste plus de temps pour d'autres participants.

M. Biron: Merci.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Joliette-Montcalm.

M. Chevrette: M. le Président, je m'aperçois que ça ne sert pas à grand-chose d'essayer de relever certaines attitudes. A l'impossible, nul n'est tenu. Je vais donc féliciter à nouveau la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et, en ce qui regarde les députés ministériels, soyez assurés que nous étudierons ce mémoire avec beaucoup d'attention. Il y a même des arguments qui, ce matin, m'ont ébranlé personnellement face à l'analyse que vous en faites et qui sont en tout cas susceptibles, dans mon cas, de m'empêcher d'avoir cette grande souplesse qu'on a toujours eue, cette grande tolérance qu'on a toujours eue et qui se soldait, bien souvent, par une faiblesse, un manque de maturité politique. Il faut de la fierté, du courage, de la maturité politique et de la confiance en soi pour en arriver à présenter une législation qui corresponde au voeu d'une majorité.

Je pense que le parti ministériel peut au moins vous assurer ces qualités de base que vous recherchez et qu'on va essayer de donner à l'ensemble de la population québécoise par une législation appropriée. Je vous en remercie et je m'excuse, au nom de notre parti, de la piètre performance, j'allais dire de nos adversaires.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Marguerite-Bourgeoys.

A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, après cette profonde analyse du mémoire par le député de Joliette, dont la rationalité était éblouissante, et n'avait d'égale que les félicitations, je vous demanderais peut-être une directive. Je ne le ferai pas. Si j'en demandais une, je vous demanderais si, comme député, on a le droit de faire autre chose que des félicitations à ceux qui viennent ici. Naturellement, elles sont méritées pour l'effort qui a été fait par la Société Saint-Jean-Baptiste et aussi, comme l'ont mentionné plusieurs députés, pour la forme, le respect de la langue que vous démontrez.

Toutefois, là, j'espère que le député de Joliette-Montcalm ne souffrira pas trop, parce que je ne suis pas tout à fait... disons que le chapitre des félicitations est terminé. J'aurais préféré qu'au lieu simplement d'affirmer, vous tentiez davantage de démontrer.

La démonstration est plus utile à la délibération que l'affirmation, et je trouve que votre mémoire pèche, par une espèce d'attitude de tentation de tomber dans l'argument ad hominem. Nous sommes tous issus du même système d'éducation, surtout celui d'autrefois, qui nous habituait à faire appel plutôt aux arguments d'autorité, comme Mgr Lartigue l'a dit, alors cela doit être vrai, et aux arguments ad hominem. Tu as tort parce que tu es de mauvaise foi, ou des choses comme cela.

Mais cela n'est pas une contribution très utile au niveau de la discussion que nous avons actuellement. Nous ne sommes pas tous d'accord sur le projet de loi, c'est évident. Notre système démo-

cratique, non seulement permet, mais encourage l'échange, mais au niveau des idées.

Malgré le ton que vous employez pour soulever le problème et sans me donner une allure en invoquant de supposés droits de la personne — et là, je réfère à la page 14 de votre mémoire — j'aimerais qu'on puisse en parler un peu plus sérieusement de cette question des droits de la personne.

Vous savez que dans une société démocratique qui reconnaît les différences et les différents, nous avons affirmé, comme toutes les sociétés démocratiques l'ont fait à des degrés divers, les droits et les libertés de la personne, dans une loi qui est entrée en vigueur il n'y a pas tellement longtemps. Dans cette loi, on dit bien, à l'article 10, que "toute personne a droit à la connaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondées sur la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue".

Quand on légifère sur la langue — et ce n'est pas la première fois qu'on le fait — on fait nécessairement la reconnaissance et la promotion des droits collectifs. Cela entre nécessairement en conflit avec la promotion des droits de la personne. Je pense que se mettre la tête dans le sable et dire que ces deux chartes se concilient, c'est ne pas faire son devoir.

Je ne sais pas si la conférence de presse qui a été convoquée par la Commission des droits et des libertés de la personne a eu lieu, elle devait avoir lieu à peu près à ce moment-ci. Je suis très heureux que la commission se soit penchée... je n'ai aucune idée du contenu de sa décision, mais je sais que cela ne peut être qu'une contribution pour faire la conciliation entre ces deux systèmes de valeur, c'est-à-dire les droits collectifs et les droits individuels. J'aurais aimé que vous traitiez, d'une façon un peu moins cavalière, cette question.

Je vais vous demander dans quelle mesure la promotion, l'affirmation des droits collectifs doivent respecter l'exercice du droit individuel, en ce qui concerne la langue.

M. Bouthillier (Guy): M. le Président, M. le député vous invoquez la notion de droits de la personne. Je me permets de souligner que vous ne définissez pas quels sont ces droits. Vous nous dites la personne humaine, l'individu, a des droits en matière linguistique...

M. Lalonde: J'ai référé à la loi, qui s'appelle la Charte des droits et libertés de la personne. Si vous voulez savoir ce que je pense de la définition de ces droits, je l'emprunte à la loi.

M. Bouthillier: Oui, mais quels sont les droits de l'individu en matière de la langue? La Charte des droits de l'homme ne le dit pas et vous ne le dites pas non plus. Je constate, en tous les cas ceci. Lorsque, dans ce débat, on invoque les droits de la personne ou les droits de l'individu, le plus souvent contre le projet de loi actuellement en discussion, ce n'est pas le droit de tous les individus. C'est le droit de certains individus que l'on invoque et que l'on défend et que l'on soutient. Si c'était purement une...

M. Lalonde: Je m'excuse de vous interrompre. Si vous répondez à ma question, je pense que vous avez tort. J'ai soulevé la question de la Charte des droits et libertés de la personne. Je ne pense à aucun individu en particulier. Je voudrais qu'on s'en tienne non pas seulement à identifier des adversaires des faux Québécois et des vrais Québécois.

M. Bouthillier: Si l'on fait de la question de la langue, une affaire de droit individuel, il faut reconnaître ce droit à tout individu sur un territoire donné, sur le territoire du Québec, en ce qui nous concerne.

Je constate que, sur ce territoire, il y a des gens de langue maternelle française, des gens de langue maternelle anglaise, mais aussi des gens de langue maternelle grecque, italienne, turque, etc. Si c'est un droit purement individuel, je dis: Tout individu a le même droit. Le Grec a certains droits en matière de langue, l'Italien a certains droits en matière de langue, le Canadien français et l'anglophone, etc., mais ce n'est pas ce que vous dites.

Quand vous invoquez les droits de la personne ici, enfin au Québec ou à l'Assemblée nationale à l'heure actuelle, c'est toujours au profit de certains individus, non pas au profit de tous.

M. Lalonde: Lesquels?

M. Bouthillier: Puisque le débat, à l'heure actuelle, porte sur le rapport de force et la place occupée par le français et l'anglais dans notre société, c'est uniquement en rapport avec ces deux langues dont il est question. Vous n'invoquez jamais le droit de l'Italien à l'italien, le droit du Grec au grec.

Or, si c'était une affaire purement individuelle, il faudrait le faire.

M. Lalonde: Quand vous dites "vous", vous ne vous adressez pas à moi?

M. Bouthillier: Si le chapeau vous fait, portez-le.

M. Lalonde: Non, ce n'est pas cela. Voulez-vous, on va garder la conversation au niveau des idées, exactement le contraire de ce que vous faites dans votre mémoire? Au niveau des idées, on a deux chartes qui font la promotion de droits qui n'appartiennent pas au même système. Voulez-vous, on va s'en tenir à cela?

M. Bouthillier: J'y viens.

M. Lalonde: Si vous n'avez pas d'autre contribution à faire, vous pouvez cesser de répondre mais, si vous en avez une, j'aimerais la savoir.

M. Bouthillier: J'y viens. On parle beaucoup de ces deux chartes et on les oppose. On les oppose, parce que l'on fait une certaine interprétation. Il y en a une autre que l'on pourrait fort bien faire, c'est la suivante:

Sans distinction de langue d'origine, de religion, de convictions politiques, si vous appliquez — je reviens un peu au texte du mémoire — la même loi à tous, vous ne faites donc pas de distinction, suivant la langue, la religion, etc. Prenez le cas des convictions politiques. Cette charte reconnaît l'égalité de tous, sans distinction de convictions politiques. Oui, mais attention! Comment allons-nous l'interpréter?

Supposons que dans un pays donné, dont il se trouve que ce pays serait une république, c'est concevable que, dans cette république, vous avez 10%, 15%, 20% de gens qui ne sont pas républicains, qui sont monarchistes. Ils ont des convictions politiques monarchistes, c'est-à-dire qu'ils sont, sur ce plan, minoritaires, dans leur république. Il y a deux façons de voir le problème.

Notamment, en ce qui concerne l'école, il y a la formule qui apparaît dans notre texte, et vous l'avez deviné, qui consiste à dire: Voilà, nous avons, dans notre pays, une école républicaine. Nous ne la fermons à personne. Tout le monde, qu'il soit républicain ou monarchiste, est invité ou doit venir dans notre école.

Il y a une autre formule et, elle, elle est discriminatoire, qui consiste à dire: L'école républicaine aux seuls républicains. Seuls pourront être édu-qués, seuls pourront être scolarisés, dans notre pays, dans nos écoles, les gens qui ont la foi républicaine. Les monarchistes sont au ban de l'école et de la nation.

Supposons une troisième formule où, dans un pays républicain comme celui que j'imagine, les monarchistes, lisant la charte dont vous parlez, se disent: Ah bon! sans distinction de convictions politiques. Nous sommes monarchistes. Nous réclamons des écoles monarchistes. Nous réclamons, à côté des écoles républicaines, des écoles minoritaires de monarchistes, pour monarchistes, où nous allons vivre du culte du souvenir, de la nostalgie de la monarchie. Voilà trois interprétations.

Nous donnons — je pense que vous vous en êtes rendu compte — l'interprétation de l'éthique, d'habitude l'interprétation d'ailleurs la plus courante dans les pays civilisés. Nous appliquons la loi à tous, sans tenir compte de la distinction des convictions politiques.

Ce qui m'amène à une autre constatation. C'est que, finalement, on parle de minorités et de majorité. J'ai l'impression à entendre certaines personnes, dans ce débats — je parle du débat à l'heure actuelle au Québec en général, et non pas uniquement ici — que certains souhaiteraient que la minorité ait exactement les mêmes droits que la majorité. Or, si on réfléchit...

M. Lalonde: Puis-je vous interrompre? Ma question n'allait pas jusque là. Je veux simplement qu'on s'en tienne à ceci: Comment concilier les deux systèmes de valeur de sorte que, comme lé- gislateur, nous puissions proposer au gouvernement ou que le gouvernement puisse proposer à l'Assemblée nationale des dispositions qui fassent la promotion des droits collectifs — je pense que, quant à l'objectif, nous sommes d'accord — de sorte que cela soit pratique, efficace et ne vienne pas en conflit avec les droits individuels.

M. Bouthillier: C'est ce que j'ai essayé de montrer par ces trois typologies ou ces trois interprétations possibles. L'interprétation dont je vous parle n'est pas contraire aux droits de la personne, aux droits de l'individu ou aux droits de certains individus. Ce qui serait contraire, ce serait d'interdire l'accès — j'allais dire à la vie collective — à ceux qui ne possèdent pas la même langue que ceux de la majorité. Ce serait, je crois, de type discriminatoire. Mais lorsque vous imposez la même loi à tous, vous pouvez trouver la loi regrettable, vous pouvez trouver la loi dure pour certains, mais en tout cas, elle n'est pas discriminatoire.

M. Lalonde: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Alors, M. le député de Jacques-Cartier, il reste trois minutes à votre parti.

M. Saint-Germain: Merci, M. le Président. Ceux qui ont fait ce mémoire ont fait des affirmations draconiennes et extrêmes, devrais-je dire. On semble affirmer d'autorité des choses qui sont peut-être plaisantes à entendre pour certaines personnes, mais qui ne me semblent pas soutenues par des études qui pourraient soutenir, si vous voulez, les conclusions qu'on lit dans le mémoire.

Si nous prenons, par exemple, au point de vue du monde des affaires. Il me semble évident qu'actuellement, au Québec, tout notre système industriel est réellement intégré dans le système nord-américain. Ceci semble absolument évident, considérant que nous exportons de la production québécoise... toutes les exportations sont dirigées en Amérique du Nord, soit aux Etats-Unis ou dans le reste du Canada. Et Dieu seul sait combien l'exportation, dans notre province, est un facteur primordial! Au point de vue financier, c'est un secret de polichinelle, que depuis un certain nombre d'années, comme actuellement, nous sommes lourdement financés par le marché américain, et que les transactions financières entre l'Amérique dans son ensemble sont encore une situation de fait extrêmement importante, si on veut obtenir le niveau de vie qu'on possède actuellement au Québec, d'ailleurs un des plus élevés au monde.

Au point de vue commercial, c'est encore évident. La majeure partie des produits de nos richesses naturelles sont livrés au marché nord-américain.

Alors, il me semble évident que, quel que soit le statut politique, il y aura toujours, dans cette province, des gens, et surtout des leaders de la communauté, qui devront être bilingues. Ceci me semble réellement coller à la réalité des faits. Au

point de vue géographique, à 40 milles au sud, à l'est ou à l'ouest, nous sommes dans des pays de langue anglaise. Les Québécois, nous sommes tous au courant que nous aimons voyager. Nous voyageons énormément aux Etats-Unis. Il s'agit d'aller à Miami en hiver pour se demander si on n'est pas dans une partie du Québec, à quelques coins de rues. Au point de vue universitaire, c'est absolument identique. On ne peut concevoir une université francophone dont les étudiants ne pourraient pas...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier, je regrette, il faudrait que vous en arriviez à une conclusion dans quelques secondes, s'il vous plaît.

M. Saint-Germain: ...que nos étudiants ne pourraient pas, par exemple, étudier aux Etats-Unis, ou nos professeurs être en contact actuellement avec le monde nord-américain. Alors, tous ces facteurs sont extrêmement importants et nous forcent, à titre de Québécois, quel que soit notre statut politique, à être bilingues ou, du moins, ceux qui veulent prendre une part active dans le développement de la société québécoise et pourtant, votre mémoire ne contient rien, aucun élément, aucun paragraphe qui pourrait nous indiquer que vous attachez une certaine importance à l'apprentissage de la langue seconde et même, je ne crois pas qu'il soit exagéré de dire que si une loi correspondante à votre mémoire était acceptée par le Parlement, il y aurait une forte tendance à l'unilinguisme.

Je crois qu'en négligeant de parler de l'importance de la langue seconde dans votre mémoire, vous négligez un élément avec lequel, constamment, les Québécois seront obligés de vivre, d'une façon éternelle.

J'aimerais aussi...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier, s'il vous plaît...

M. Saint-Germain: Pour conclure, M. le Président, je ne vois aucune étude dans votre mémoire qui pourrait nous indiquer les effets d'une législation, comme je le disais, qui correspond à vos idées, les effets que tout ceci aurait dans le domaine des affaires, dans le domaine de l'industrie, de la finance et du commerce. On a beau, comme madame disait, ingorer les chiffres...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier, s'il vous plaît...

M. Saint-Germain: Je conclus...

Le Président (M. Cardinal): Oui, s'il vous plaît, à l'ordre!

M. Saint-Germain: ...mais les chiffres viennent constamment à la surface comme la réalité des choses, d'ailleurs. Vous n'avez rien dans votre mémoire qui nous parle de ces facteurs, à mon avis, d'importance fondamentale.

Le Président (M. Cardinal): Merci M. le député de Jacques-Cartier. Est-ce que les porte-parole de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ont quelque chose à répondre?

M. Champagne (Jean-Paul): A cette question ou bien à l'ensemble?

Le Président (M. Cardinal): Oui... Non, on n'a pas terminé. A cette question.

M. Champagne: Si on est venu défendre la Charte de la langue française, c'est la seule langue officielle, je ne vois pas pourquoi on arriverait avec une étude pour montrer la rentabilité, ici, de la langue seconde. Je suis complètement indigné de me faire poser une telle question.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rosemont, il reste trois minutes.

M. Paquette: Merci, M. le Président. J'aimerais, à mon tour, remercier la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal de son mémoire extrêmement lucide, qui m'a également fait vibrer, parce que je pense qu'on y retrouve un souffle qui anime, dpuis des siècles, les Québécois qui veulent tout simplement affirmer leurs droits au Québec par cette Charte de la langue française. J'ai trouvé ce mémoire, évidemment, réjouissant. Ce n'est pas uniquement parce qu'il appuie les positions du gouvernement. Il y a eu d'autres mémoires qui l'on fait. Mais si ce mémoire est particulièrement intéressant, particulièrement lucide, c'est peut-être parce qu'il fait une analyse politique très précise des débats qui ont entouré la Charte de la langue française depuis le début.

Quand, dans votre mémoire, vous démystifiez les arguments de ceux que vous appelez les adversaires et non pas les ennemis, les adversaires, c'est-à-dire les gens qui n'ont pas la même opinion, qui ne sont pas d'accord, dans le fond, malgré tout ce qu'ils disent, avec le principe de la charte, parce qu'on a beau dire... On lit dans plusieurs mémoires, ou on entend chez les députés de l'Opposition: Nous sommes d'accord avec le fait de légiférer pour assurer les droits du français, mais on constate que dans la plupart des interventions et dans tous les amendements qu'on veut faire, on voudrait vider la loi de cette substance, comme l'était la loi 22. La loi 22 était une loi qui affirmait le français comme langue officielle et qui était passablement vide de substance.

Donc, vous vous insérez dans ce débat politique, vous parlez d'adversaires, de gens qui n'ont pas la même opinion que vous et vous démystifiez leurs arguments. En effet, je suis d'accord avec vous pour dire que la loi n'est pas ethnocentrique ou même, dans ce qu'on entend dans certains excès, fasciste ou raciste — on l'a entendu combien de fois — et jamais les députés de l'Opposition n'ont dénonoé ces excès de langage, alors qu'ils trouvent tout à fait revanchards, discriminatoires, certains de vos propos. J'ai entendu ces dires, encore une fois, tout à l'heure.

M. Ciaccia: Question de règlement. M. le Président. On a attaqué les députés parce qu'on n'a jamais dénoncé le langage excessif dont vous parlez. Je regrette, mais, hier matin, devant un groupe ici, l'Association des enseignants du Sud-Ouest du Québec, je me suis prononcé contre, et j'ai dénoncé le langage excessif qui pourrait être utilisé par ceux qui ne sont pas d'accord sur le projet de loi no 1.

M. Paquette: Je le reconnais, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): De toute façon, M. le député de Mont-Royal, je vous ai laissé poursuivre, mais je ne commenterai pas... Je demanderai au député de Rosemont de conclure, s'il vous plaît.

M. Paquette: Je le reconnais, M. le Président, mais vous admettrez que le ton de ce mémoire est pas mal plus modéré que certaines affirmations qu'on entend, du genre de celles que j'ai mentionnées, mais je reconnais votre intervention d'hier, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Je ne reconnais pas qu'il est plus modéré, mais...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Veuillez conclure, s'il vous plaît.

M. Paquette: J'aimerais simplement terminer en citant cet aspect du mémoire où vous dites: "La contrainte injuste, lorsqu'elle est politique, devient tout à coup normale et même naturelle lorsqu'elle est économique". C'est bien cela qui est en jeu. C'est de faire disparaître ces contraintes économiques qui pèsent sur le droit de travailler, de vivre en français au Québec, par une intervention politique. Je pense que, lorsqu'on emploie ces arguments de discrimination — et je termine là-dessus — jamais, jusqu'à maintenant, aucun mémoire qui parle de discrimination, d'atteinte aux droits de l'homme, ne nous a apporté l'exemple d'un seul article de la Charte du français qui soit en désaccord avec la Charte des droits de l'homme, qui soit discriminatoire, qui aille à l'en-contre des droits de l'homme.

Cela montre bien que ce terme de discrimination, cette lutte qu'on fait sur le plan des droits de l'homme, sert d'abord un but politique.

M. Lalonde: ... enlever l'article 172.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Merci, M. le député de Rosemont. J'accorderai...

Mme Lavoie-Roux: ... 52.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

Une Voix: Ce n'est pas discriminatoire, cela. Mme Lavoie-Roux: Ah oui!

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Lalonde: Bien non!!!

Le Président (M. Cardinal): Les porte-parole de l'organisme qui est devant nous pourraient, s'ils le désirent, employer quelques brèves minutes pour terminer.

M. Champagne: Oui, M. le Président. Je vous remercie. C'est simplement pour remercier le ministre d'Etat au développement culturel pour les bonnes paroles qu'il a eues à notre endroit au sujet du contenu de notre mémoire. Vous pouvez être assuré, M. le ministre, que la Société Saint-Jean-Baptiste vous appuiera énormément pour que votre projet de loi soit adopté.

Je remercie Mme le député de L'Acadie pour ses bonnes paroles et on retient aussi sa suggestion au sujet de la qualité de l'enseignement du français dans les écoles. J'ai bien aimé cette suggestion et, dans nos congrès, on vote, à tous les ans, certaines résolutions parlant de la qualité du français.

Quant aux députés de Lotbinière et de Rouyn-Noranda, je n'accepte pas les qualificatifs qu'on a donnés à notre mémoire. J'aurais peut-être aimé, de la part du député de Rouyn-Noranda, qu'il parle moins de procédure et qu'il arrive avec des questions précises sur le fond. Je vous dis que je suis moi-même natif de Montréal et je pense qu'à Sainte-Croix et à Rouyn-Noranda, il n'y a pas de danger pour la culture française.

J'ai été à l'école — ce sera court — on me disait qu'il y avait 88% de francophones à Montréal. Aujourd'hui, on entend parler de 65%. Dans ma classe, il y avait des Italiens. Aujourd'hui, 90% des immigrants s'en vont à l'école anglaise. Vous ne retrouvez peut-être pas cela chez vous.

Je suis un enseignant dans une école secondaire et, tous les ans, il y a dix professeurs qui s'en vont. Si on reprenait simplement les francophones qui sont allés à l'autre école, il manquerait de professeurs et c'est le drame que nous vivons à tous les jours.

Vous êtes en dehors de Montréal. Peut-être ne connaissez-vous pas ce qui se passe. Il faudrait peut-être venir à Montréal plutôt que d'aller voir ce qui se passe chez les francophones d'Alberta ou de Colombie-Britannique.

Il y a cinq millions de francophones en Amérique du Nord dans une mer de trois cents millions d'anglophones et je suis navré de voir des personnes, à ma droite, prendre beaucoup plus la défense de ces trois cents millions que, peut-être, prendre la défense des cinq millions qui, en fin de compte, diminuent de plus en plus.

M. le ministre, je vous remercie des bonnes paroles. M. le Président de la commission, on vous remercie de nous avoir reçus et j'espère que certains mémoires seront discutés beaucoup plus sérieusement.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Champagne. Je remercie — non pas sur le fond, parce

qu'évidemment, jamais je ne participe au débat; on le sait ce matin — les représentants, les porte-parole de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal de leur contribution à cette commission parlementaire de l'éducation, des affaires culturelles et des communications.

Merci et j'appelle le témoin suivant.

M. Samson: M. le Président, une question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: En vertu de l'article 96, M. le Président, j'ai le droit de rétablir certains faits qui sont les suivants. Contrairement à ce qui vient d'être dit, personnellement et je pense que c'est la même chose pour l'honorable député de Lotbinière, nous sommes allés ailleurs que dans les provinces qu'on a mentionnées. Nous sommes allés à Montréal souvent et nous sommes peut-être allés plus loin que certains de ceux qui viennent de parler, M. le Président. J'invoque également l'article 101, je parle du droit de réplique, M. le Président. Nous venons d'être témoins là d'un droit de réplique qui appartient...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le député de Rouyn-Noranda! Vous ne pouvez pas invoquer l'article 101. Il n'y a pas de droit de réplique, quand le temps est écoulé et même plus qu'écoulé à cette commission. Alors, nous avons une motion devant nous...

M. Samson: M. le Président, j'invoque le règlement. Si vous me laissez continuer, vous allez comprendre où je veux aller.

Le Président (M. Cardinal): Mais pas à l'article 101.

M. Samson: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Non, je regrette, je ne l'accepte pas, M. le député de Rouyn-Noranda. Je ne l'accepte pas, M. le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: M. le Président, j'invoque l'économie générale de notre règlement, dans laquelle se trouve le no 101, pour faire comprendre que nous n'avons pas de droit de réplique et que ce droit de réplique que nous n'avons pas n'appartient pas plus à des personnes qui ne sont pas membres de l'Assemblée nationale. Quand le temps est écoulé, je voudrais qu'on en tienne compte à l'avenir.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le député de Rouyn-Noranda. Merci. Alors, Mme Denise Desjardins-Lepage, mémoire 169. Mme Lepage, si vous voulez bien vous identifier davantage pour les membres de la commission.

Mme Denise Desjardins-Lepage

Mme Desjardins-Lepage (Denise): Je m'appelle Denise Desjardins-Lepage, je suis épouse et mère. J'aime à faire remarquer que je défraie moi-même les coûts que cela m'occasionne de venir ici aujourd'hui et je demande aussi à qui est volontaire...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, madame. Veuillez approcher votre micro, s'il vous plaît.

Mme Desjardins-Lepage: Plus près?

Le Président (M. Cardinal): Oui, on vous entend difficilement.

Mme Desjardins-Lepage: Denise Desjardins-Lepage, épouse et mère. Je fais remarquer que je défraie moi-même les coûts que m'occasionne ce voyage ici aujourd'hui et je demande à qui est volontaire de s'abstenir de fumer en cette assemblée pour le droit à la santé des non-fumeurs et le droit à la santé des autres. Merci.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Allez, madame.

Mme Desjardins-Lepage: Respectable assemblée. Mémoire: appui au projet de loi no 1, Charte de la langue française au Québec. Je me demandais si on avait droit à une musique...

Une Voix: De la musique de fond.

Mme Desjardins-Lepage: La nécessité d'apprendre le français et uniquement le français, pour maîtriser notre économie nationale.

Connaissant bien sa langue maternelle, il est loisible à chacun d'apprendre plusieurs langues secondes.

Le Président (M. Dussault): On s'excuse, mais on n'arrivera pas à faire cesser cette musique, alors je vous prierais, s'il vous plaît, de continuer.

Mme Desjardins-Lepage: D'accord. Le sachant...

Mme Lavoie-Roux: C'est encore plus harmonieux comme cela.

Mme Desjardins-Lepage: Merci. Connaissant bien sa langue maternelle, il est loisible à chacun d'apprendre plusieurs langues secondes, nonobstant l'apprentissage souhaitable d'une langue seconde anglaise. Un langage n'a de sens s'il se compose de phrases rigides, de formules imposées. L'expression jaillit de l'intérieur de l'être. Apprendre le français, perfectionner la connaissance de sa langue maternelle, le français, transcende la similitude d'origine, la parenté entre quelques langues, dont le français, l'anglais, l'italien, l'espagnol, devient tangible à l'étude étymo-

logique du français. Pour bien se faire comprendre, francophones du Québec, il nous faut nous sentir à l'aise et savoir tous l'exacte définition d'un même mot. En étudiant le même vocabulaire en français, nous y parviendrons.

Et ensuite, la parole jaillit de l'impondérable de la pensée créatrice, l'action succède à l'idée exprimée puisqu'elle la motive.

Il y a peu de temps, nos pères et mères, presque tous cultivateurs, dans une entreprise familiale, orientaient leur travail d'artisans, de producteurs. Ils n'attendaient pas qu'on leur trouve un travail, ils organisaient leur travail et une langue s'est transmise en construisant un pays. Combien d'emplois, actuellement, au Québec, sont postulés par des personnes bilingues, quelle proportion des offres d'emploi, dans les journaux exigent "bilingue" et ne sont donc accessibles qu'aux quelques 20% des francophones québécois bilingues. Est-on obligé d'importer de la main-d'oeuvre des autres provinces pour combler ces postes encore tellement teintés d'unilinguisme anglais?

Pour les Québécois, l'accessibilité au monde des affaires dans sa langue maternelle devient de première importance. Inutile de se tenir passivement à la remorque d'une constante traduction. Le dynamisme linguistique du français prévaut. Légiférer pour conserver sa langue ne surprend pas. Que l'on pense à l'Académie française lors de sa création. L'autodétermination de chaque personne se fonde dans son expression, son droit à l'expression dans la connaissance de son milieu, voire dans la décentralisation.

Nous vivons dans une société de consommation, est-elle un leurre? Nous préférerons la cogestion, la coopération, l'entreprise autogérée. Préservons la vitalité de notre langue, notre culture, notre essence, aucune mesure coercitive n'existe dans le projet de loi no 1, les francophones du Québec acquièrent le droit de s'exprimer, Québécois qui, depuis maintes années, se voient obligés, et non incités à résilier leur expression, leur droit individuel et collectif. Et la meilleure réalisation économique des Québécois francophones, la majorité des Québécois s'étendra en répercussion positive et enrichissante pour tout le contexte nord-américain car au lieu d'être passivement à la remorque, nous sommes motricité.

C'est la nécessité d'apprendre le français et uniquement le français pour la maîtrise de notre économie québécoise. Je peux me permettre de faire mention des quelques notes que j'ai jointes à mon étude?

Le Président (M. Dussault): Vous avez le temps, oui.

Mme Desjardins-Lepage: Merci.

J'avais noté que l'Académie française a été fondée en 1635 et c'était par Richelieu qui était un ministre d'Etat en temps de monarchie, mais quand même, c'était gouvernemental même en temps de monarchie. Il était chargé de la rédaction du dictionnaire, je pense que les gens voulaient se comprendre.

J'ai aussi noté quelques définitions d'autogestion: Gestion d'une entreprise par le personnel, direction et conseil de gestion.

La cogestion: l'administration, la gestion en commun, la coopération, l'action de participer à une oeuvre commune, apporter sa coopération à une entreprise, dans le sens de collaboration. Dans toute coopération, on est, en quelque sorte, dépendant de ses collaborateurs et solidaires avec eux. C'est dans le sens de contribution. C'est une phrase de Steinberg.

Boileau, né en 1635, je pense, a dit: Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément.

J'ai quelques autres notes. Dans Statistique Canada, 1976, je voyais les groupes ethniques: Britanniques, 44,6%; Français, 26,7%. La langue d'usage dans le Canada: anglais, 67%; français, 25,7%. Lieu de naissance en 1976, toujours: Canada 84%; Royaume-Uni, 4,3%; Etats-Unis, 7,8%. Langue officielle au Canada: anglais seulement, 67,1%; français seulement, 18%; anglais et français, 13%. Donc, la majorité des bilingues se situent au Québec, si je fais bien le calcul.

En 1971, nés à l'étranger, dans le Canada, 3,2 millions, dont près de 1 900 000 d'origine britannique. En 1970 — je me le demande, parce que je n'ai pas les sources — quelle était la répartition de la population au Canada, selon les groupes ethniques? La communication n'existait pas comme aujourd'hui, on le déplore. Tant mieux pour aujourd'hui, au contraire.

Pour ce qui est des proportions d'offres d'emploi, j'ai regardé dans la Presse du 14 mai 1977. Secteur bureau — cela me regarde peut-être un peu, on le suppose, une femme secrétaire, page H-19, 75% des offres d'emploi mentionnent bilingues; section métiers, vente et technique, 33% mentionnent bilingues. Il y a des emplois où c'est implicite. On le suppose, mais c'est inutile d'en parler puisqu'on n'a pas de papier.

Je vous remercie.

Le Président (M. Dussault): Je vous remercie, Mme Lepage. M. le ministre.

M. Laurin: Je vous remercie beaucoup, Mme Lepage, d'avoir pris la peine de préparer ce mémoire et d'être venue, à vos frais, le présenter, oomme vous l'avez souligné. Vous vous présentez comme une épouse et une mère de famille. Est-ce que je peux vous demander combien d'enfants vous avez?

Mme Desjardins-Lepage: C'est le deuxième enfant que j'attends maintenant.

M. Laurin: Est-ce que vous aviez un métier? Est-ce que vous travailliez?

Mme Desjardins-Lepage: J'étais téléphoniste. M. Laurin: Téléphoniste? Mme Desjardins-Lepage: Oui.

M. Laurin: Au tout début de votre mémoire, vous reconnaissez la nécessité de connaître sa langue maternelle, mais aussi des langues secondes, plusieurs, même, vous le mentionnez.

Mme Desjardins-Lepage: Oui.

M. Laurin: Et en particulier la langue anglaise.

Est-ce que je comprends bien votre phrase en pensant que, selon vous, il faut bien connaître sa langue maternelle, il faut qu'un enfant connaisse bien sa langue maternelle avant de se mettre à l'apprentissage d'une langue seconde?

Mme Desjardins-Lepage: C'est mon sentiment et c'est ce que je pense avec l'expérience que j'ai aujourd'hui.

M. Laurin: A partir de quelle année croyez-vous souhaitable de commencer l'apprentissage d'une langue seconde? Après quel degré? A quel moment de la scolarité?

Mme Desjardins-Lepage: Comme moi, j'ai commencé en cinquième année, tranquillement... Je trouve que cela a quand même un peu de bon sens de commencer tranquillement la connaissance d'une autre langue.

M. Laurin: Est-ce à dire que vous considérez que l'apprentissage d'une langue seconde ne devrait pas commencer avant la cinquième année?

Mme Desjardins-Lepage: C'est cela.

M. Laurin: Est-ce que vous, connaissez l'anglais vous-même?

Mme Desjardins-Lepage: Je suis bilingue, mais si demain ou la semaine prochaine, j'ai besoin d'un emploi, je ne trouverai pas d'emploi, parce que je ne suis pas assez bilingue pour ce qu'on exige dans les offres d'emploi.

M. Laurin: Oui, quel...

Mme Desjardins-Lepage: J'ai travaillé quatorze ans comme téléphoniste avant de me marier. Malgré toute ma connaissance, c'est très difficile. Je vois que c'est la même chose que dans le temps où je me cherchais un emploi dans les journaux. J'ai eu plusieurs expériences. J'ai eu quatre emplois en tout en quatorze ans.

M. Laurin: Voulez-vous me parler un peu de ces expériences?

Mme Desjardins-Lepage: Oui, Bell Canada. M. Laurin: Des difficultés que vous avez eues?

Mme Desjardins-Lepage: Des difficultés à trouver un emploi, oui. Quand j'allais postuler un emploi, j'ai dû accepter quelquefois un emploi au salaire minimum, parce que, pour l'emploi que je postulais, on me demandait un anglais plus poussé. Un employeur m'a justement dit: Si mes patrons de Vancouver ou de Toronto appellent, je ne veux pas que tu les fasses répéter. D'ailleurs, il me le disait en anglais. J'avais quand même parlé avec lui vingt minutes et il m'a dit, à cause de mon anglais: J'espère que vous trouverez un autre emploi.

M. Laurin: Quel genre d'emploi postuliez-vous? Est-ce que c'était toujours un emploi de téléphoniste?

Mme Desjardins-Lepage: C'est cela, oui.

M. Laurin: Et, toutes les fois, on a exigé que vous connaissiez l'anglais d'une façon assez poussée?

Mme Desjardins-Lepage: Tout dépend. Si on veut améliorer son emploi, on essaie d'aller à l'endroit où on va vous payer un peu plus cher qu'où vous travaillez. Je suis partie de mon travail à l'heure du dîner, au moment où je finissais ma demi-journée. Je me suis rendue sur la rue Dorchester, au Centre de la main-d'oeuvre du Canada, et j'ai demandé de suivre des cours d'anglais par les soirs de façon à être payée à peu près $30 par semaine, dans le temps, pour apprendre l'anglais.

J'ai été surprise, j'ai été assez ébahie. Un préposé m'a répondu et je ne sais pas à quel point il avait raison, je vous dis cela aujourd'hui: Les immigrants peuvent avoir ces cours, comme vous supposez, mais pas vous. Je vous dis cela de mémoire, mais cela existe certainement dans des documents que je n'ai pas ici.

M. Laurin: La compagnie, en somme, ne vous a pas payé de cours d'anglais?

Mme Desjardins-Lepage: Où je travaillais à ce moment-là?

M. Laurin: Oui.

Mme Desjardins-Lepage: Non. A ce moment-là aussi, je suis allée à la Commission scolaire de Montréal suivre des cours d'anglais, le soir à partir de 8 heures, et je me suis aperçue — à cette époque, c'était en 1970, à peu près, c'était en 1969 ou 1970 — en suivant ces cours que j'avais pris un cours avancé et, à mon niveau, je n'arrivais pas à suivre. J'ai pris le cours-intermédiaire, je savais tout. Les cours avancés étaient davantage faciles pour qui avait de l'anglais une connaissance auditive plus avancée que la mienne, mais nécessairement l'écriture pouvait être moindre.

M. Laurin: Tous ces cours, vous les avez suivis, à vos frais?

Mme Desjardins-Lepage: Mais oui. Je suis même allée à l'Université McGill une demi-année, parce que c'était très fatigant à partir de chez moi.

M. Laurin: Ils se sont poursuivis plusieurs années, ces cours?

Mme Desjardins-Lepage: A l'Université McGill, non. J'ai seulement fait la première année, en réalité la moitié de la première année. C'étaient de très bons cours, mais j'étais trop fatiguée, à cause de la distance, par exemple, du lieu où j'habitais, pour continuer ces cours — mais ces cours étaient excellents, pour apprendre l'anglais.

M. Laurin: Trouvez-vous que cette connaissance de l'anglais qu'on exigeait de vous était justifiée?

Mme Desjardins-Lepage: A cette époque, on n'arrivait pas à exprimer quelque chose comme ce que je viens d'exprimer même dans mon texte. On n'arrivait pas à l'exprimer.

M. Laurin: Et, pendant que vous avez tenu ces emplois, c'est toujours des emplois de téléphoniste que vous avez tenus?

Mme Desjardins-Lepage: Oui, réception aussi. Je pourrais énumérer les emplois, mais...

M. Laurin: Et comme réceptionniste, est-ce qu'on exigeait de vous que vous connaissiez l'anglais?

Mme Desjardins-Lepage: J'ai travaillé une fois comme réceptionniste et c'est au gouvernement du Québec. Et au gouvernement du Québec, en 1970, on m'a demandé si j'étais bilingue, si je me débrouillais ou si j'étais parfaitement bilingue. J'ai dit que je me débrouillais, et je me suis débrouillée.

M. Laurin: Dans les emplois que vous avez tenus comme téléphoniste, est-ce qu'il vous arrivait souvent d'avoir a parler anglais.

Mme Desjardins-Lepage: Oui, très souvent. M. Laurin: Où travailliez-vous? Mme Desjardins-Lepage: Où je travaillais? M. Laurin: Oui. Dans quelle ville?

Mme Desjardins-Lepage: Dans quelle ville? J'ai travaillé à Montréal, surtout à Montréal, trois emplois à Montréal. Un emploi à Saint-Jérôme. Bell Canada à Saint-Jérôme. Au début, quand j'ai commencé à travailler, on exigeait l'anglais. Mais, à l'endroit où on était, j'étais une des meilleures en anglais, donc pour la première fois j'avais à prononcer les mots en anglais pour avoir un salaire, pour avoir mon salaire. C'est peut-être pour cela qu'aujourd'hui je suis capable de parler avec qui veut bien me parler en anglais.

M. Laurin: A la page 2, de votre mémoire, vous dites: "Une langue s'est transmise en construisant un pays". Est-ce que cela veut dire que pour vous, la langue n'est pas simplement un instrument de communication, mais elle est quelque chose d'autre, de plus intime, de plus important?

Mme Desjardins-Lepage: A l'intérieur d'une famille, je me suis rendu compte qu'il y a énormément de phrases, d'expressions ou de communications entre les... qui étaient bien particulières. Cela relevait aussi du domaine de la compréhension, mais aussi du domaine de l'affection. Ces phrases-là, on les retrouve dans un vocabulaire français. A mon sens, aujourd'hui, on les oublie. On perd beaucoup de notre vocabulaire, un patrimoine, ce que j'appelle un patrimoine, un vocabulaire du terroir. Comme par exemple, j'ai cherché dernièrement l'expression dans le dictionnaire, "être en gribouille avec quelqu'un", cela se disait couramment dans ma famille, mais aujourd'hui on le perd. On le perd parce que personne n'emploie cela. Pour aujourd'hui disons que c'est peut-être trop local, mais je pense qu'aujourd'hui aussi, la plupart des gens pensent à une décentralisation pour pouvoir mieux connaître le milieu, la base — il y en a qui appellent cela la base — où on vit.

M. Laurin: Vous dites à la fin de votre mémoire que les Québécois, depuis plusieurs années, ont été, non pas incités ou invités, mais obligés à résilier leurs expressions, leurs droits individuels et collectifs. Voulez-vous dire par là, qu'en raison des conditions d'emplois, des conditions de vie auxquelles vous avez vu les Québécois soumis, cela équivalait à une sorte d'obligation de renoncer à ce droit individuel et collectif de parler sa langue, de travailler dans sa langue?

Mme Desjardins-Lepage: C'est cela. Parce que, mon cas aujourd'hui, je le cite, comme expérience de travail, mais j'en connais bien d'autres du monde ordinaire. J'arrive pour parler avec quelqu'un, je vais dire... Je vais vous parler d'une façon bien ordinaire. C'est inutile de penser que les gens ordinaires ne savent pas, au sujet de la conservation. Ils sont peut-être beaucoup trop occupés. C'est une question de disponibilité. C'est pour cela. Ce qui réfère à la charte, les conditions sociales sont à préserver. Et la condition sociale de nous, les francophones, je la trouve non pas minable, mais j'aimerais bien qu'elle s'améliore.

M. Laurin: Donc, c'est en vertu de vos convictions profondes, mais aussi de votre expérience, de votre existence, que vous en arrivez à cette conclusion, en page 2 de votre mémoire...

Mme Desjardins-Lepage: Oui, certainement, puis...

M. Laurin: ...et qu'il faut que le gouvernement procure une accessibilité au monde des affaires à chaque citoyen québécois dans sa langue maternelle.

Mme Desjardins-Lepage: Oui. Maintenant, pour énumérer d'autres cas, je pourrais en énumérer, mais on ne me le demande pas. Pour accéder au monde des affaires, on doit être capable de s'exprimer d'une façon à être à l'aise, parce que les affaires, ça peut vouloir dire aussi un emploi où il y a plus d'avantages et, justement dans ce domaine, les Québécois francophones ont été beaucoup relégués, parce qu'on a dû prendre des emplois qui étaient secondaires avec moins d'avantages pour une vie sociale, bien souvent...

M. Laurin: En somme, c'est la raison pour laquelle vous ne voulez plus être passive ou à la remorque, mais vous voulez que les francophones acquièrent un rôle moteur dans leur économie.

Mme Desjardins-Lepage: Oui, et c'est surtout les gens ordinaires qui sentent ça, d'après moi, mais ceux, par exemple, qui n'ont pas la disponibilité, parce qu'ils ont trop a coeur d'avoir le salaire pour leur famille, ils n'ont justement pas la disponibilité pour voir à leurs affaires. Ils sont pris par un certain stress qui fait qu'ils ont besoin d'argent immédiatement. Par contre, il y a a peut-être d'autres catégories, comme ceux qui ne travaillent pas présentement, mais le stress est là pour eux aussi et ce n'est pas moteur, non plus, d'être dans une situation passive.

M. Laurin: Est-ce la raison pour laquelle vous ne trouvez pas étonnant que le gouvernement en arrive à légiférer, à adopter des lois pour corriger cette situation et amener l'état de fait que vous semblez souhaiter?

Mme Desjardins-Lepage: Je me référais à la charte... Je regardais ça tantôt... Monsieur mentionnait... Après la langue, il est question de l'origine ethnique justement. Qu'est-ce qu'on voyait à part ça? Condition sociale justement. La condition sociale, ce n'est pas à délaisser comme correction dans une société.

M. Laurin: En tout cas, c'est justement en raison de ces conditions sociales dont vous parlez et en raison du type de citoyens ordinaires que vous revendiquez... Personnellement, je suis très sensible à votre témoignage et je vous remercie encore une fois d'être venue nous le présenter.

Le Président (M. Dussault): Merci, M. le ministre.

Mme le député de L'Acadie.

M. Grenier: M. le Président... l'endroit pour le dépôt de documents ici. J'aurais voulu que les députés de Joliette-Montcalm et de Taschereau nous déposent les documents qui sont certainement relatifs au mémoire qui nous est présenté ce matin, le Soleil et le Montréal-Matin.

Le Président (M. Dussault): A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: Enfin...

M. Chevrette: II y a des "funnies" et il n'y a pas de Tintin.

Le Président (M. Dussault): M. le député, à l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je voudrais remercier Mme Lepage du témoignage qu'elle vient de faire devant cette commission. Je m'incline devant son courage, parce que ce n'est vraiment pas facile. J'aurais seulement souhaité qu'il y ait plus de personnes, ici , dans cette salle pour vous entendre.

Dans le fond, ce que je retiens dans ce que vous venez de dire, c'est... Il y a plusieurs préoccupations dans vos deux pages, mais je vais peut-être quand même m'arrêter à celle qui m'apparaît, à première vue, la plus importante. Je m'excuse. C'est peut-être un peu subjectif, mais ce que vous êtes venue dire ici, c'est qu'on a quand même vécu au Québec et on le vit encore, je pense, d'une façon moindre, par exemple, le fait que pour plusieurs personnes de langue française au Québec, il était difficile de travailler dans leur langue et je pense que malheureusement — je dois le reconnaître — cela existe encore dans certains cas et c'est peut-être l'anxiété de ces personnes à pouvoir travailler dans leur langue, vivant au Québec, que vous êtes venue dire ici à la commission...

Je peux vous dire — et j'ai eu l'occasion de le dire avant — que je suis totalement d'accord avec vous. Il y a déjà eu des mesures de prises antérieurement pour assurer que non seulement un plus grand nombre, mais que tous viennent à être capables de travailler en français au Québec, surtout s'ils sont de langue française et je pense que vous avez transmis ce message bien honnêtement.

Je voudrais simplement vous poser quelques questions. Vous dites qu'encore, par exemple, demain matin, vous alliez chercher un emploi. Je n'ai pas compris si demain matin vous iriez vous-même ou si vous faisiez une hypothèse...

Mme Desjardins-Lepage: Demain matin, la semaine prochaine.

Mme Lavoie-Roux: ... que demain matin, si vous alliez pour vous trouver un emploi, vous seriez peut-être encore prise avec ce dilemme: Puis-je me trouver un emploi, parce que mon anglais n'est pas suffisamment bon?

Pouvez-vous me dire si vous avez travaillé pour Bell Canada? J'ai cru comprendre que oui. Les trois postes que vous avez occupés comme téléphoniste, était-ce à Bell Canada?

Mme Desjardins-Lepage: Non.

Mme Lavoie-Roux: Non. Alors, vous avez pu travailler à Bell Canada avec la connaissance de l'anglais que vous aviez?

Mme Desjardins-Lepage: En 1957.

Mme Lavoie-Roux: En 1957. Qu'est-ce qui vous fait croire que, demain matin, si vous vous

cherchiez un emploi, vous ne seriez pas capable d'en avoir un? Cela peut être le cas d'autres qui ne parlent pas l'anglais, il faudrait faire les vérifications nécessaires. Dans votre cas, vous ne seriez pas capable de vous trouvez un emploi parce que vous ne parlez pas l'anglais, cela m'étonne parce que je pense que les exigences pour l'anglais, à l'époque, — c'est une impression — de Bell Canada étaient assez élevées...

Vous nous dites: Demain matin, si je cherchais un emploi — par hypothèse — je ne pourrais probablement pas en trouver, parce que je n'ai pas la connaissance suffisante de l'anglais.

Croyez-vous que cela serait vraiment ce qui se passerait?

Mme Desjardins-Lepage: Evidemment, je n'ai pas postulé un emploi à Bell Canada tout récemment, et quant au fait que je ne me trouverais pas un emploi, ce n'est pas nécessairement à Bell Canada. Peut-être ne suis-je pas intéressée à aller travailler à Bell Canada, mais comme dans le journal, on voit ce qui est offert.

En réalité, je le suppose, parce qu'il y a quand même cinq ans que je ne suis pas dans le milieu du travail, mais je le suppose, vu la difficulté, justement, que j'avais de trouver un emploi et vu aussi la difficulté que j'avais à y travailler, parce que, pour être acceptée à un emploi, il me fallait me dire bilingue et j'en subissais les conséquences, d'où le stress qui s'ensuivait.

Mme Lavoie-Roux: Dans le fond, votre réflexion, elle est peut-être davantage à l'égard d'autres qui, eux, concrètement, voudraient se trouver un emploi, et il y a encore des...

Mme Desjardins-Lepage: Oui, présentement. Un cas m'a été mentionné, mais cela ne se prouve pas. Je ne peux pas parler du cas d'une personne en particulier qui aurait postulé un emploi à Bell Canada, par exemple. Je serais bien mal venue de dire cela, mais, à ma connaissance, je le sais. Le raffinement des compagnies... Est-ce qu'elles vont aller dire pourquoi elles refusent justement d'employer ces personnes? Je ne veux pas faire d'affirmation gratuite. C'est bien difficile de parler de cela, mais il semble, c'est ce que j'entends dire, qu'on ne donne justement pas la raison. Comme je vous dis, c'est quelque chose que je n'ai pas à affirmer nécessairement ici, parce que je n'ai pas l'enregistrement ou le papier correspondant à ce que je pourrais dire.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie de votre honnêteté. Dans le fond, vous ne voulez pas faire d'affirmation gratuite. Vous exposez ce qui vous semble une situation possible.

Quant à la deuxième question que je voulais vous poser, c'est que vous indiquez vos regrets et peut-être un peu votre nostalgie, bien légitime, j'en suis certaine, de la disparition dans la langue parlée au Québec de certaines expressions qui, vous le disiez, étaient plus locales, plus régionales. A quoi attribuez-vous ceci? Est-ce que vous attribuez cela au fait qu'il y a de l'anglais au Québec ou est-ce que vous attribuez cela à l'évolution, quand même, d'une société qui est beaucoup plus exposée, qui s'homogénéise à cause des moyens de communication qui sont mis à la disposition de l'ensemble de la population? Je pense à la télévision, par exemple. D'où vient votre préoccupation?

Mme Desjardins-Lepage: Comme je le mentionnais, la société de consommation nous est apparue, je pense bien, en même temps qu'est apparue l'obligation d'aller sur le marché du travail ou, du moins, la structure des emplois actuels. L'industrie, c'est bon, mais, en même temps que le phénomène de l'industrie, cela a été la société de consommation. L'autre point de vue qui se réfère à la langue, en même temps que l'industrie, c'est que le contexte bilingue nous est apparu tout de suite, la nécessité qui nous incombait d'avoir à parler une autre langue pour gagner notre vie, c'était en même temps que l'industrie.

Mme Lavoie-Roux: Là-dessus, je suis peut-être un peu moins d'accord pour conclure que ce langage local qui disparaît, ce soit dû nécessairement au bilinguisme.

Le seul autre point que je voudrais souligner, le premier paragraphe de votre mémoire exprime vraiment cette nécessité, je pense, que le français, on ne doive rien négliger pour assurer non seulement qu'on puisse l'utiliser, mais qu'il soit de la meilleure qualité possible. Parce qu'une langue bien maîtrisée, je pense qu'elle permet une façon de s'exprimer dans d'autres domaines d'une façon positive et créatrice. Je vous remercie, Mme Lepage, d'être venue nous rencontrer.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: Seulement pour dire, M. le Président, que si ce n'est pas l'intention du gouvernement, du parti ministériel, d'interroger le témoin davantage, on pourrait peut-être s'entendre pour terminer, quant à nous pour 13 heures. On n'aurait qu'une couple de questions à poser.

Le Président (M. Cardinal): De toute façon, à 13 heures, je devrai ajourner les travaux, comme tout le monde le sait. M. le député de Pointe-Claire.

Non, je vais répondre à la question, d'après les indications que j'ai, il n'y aurait que M. le député de Pointe-Claire et M. le député de Rouyn-Noranda qui, en fait, désireraient s'exprimer avant 13 heures. M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: Mme lepage, premièrement, comme mère de famille, comme quelqu'un qui a maintenant besoin de penser à l'avenir de ses enfants, pensez-vous qu'après l'adoption d'un projet de loi comme le bill 1, le caractère de la demande d'une connaissance de l'anglais va changer? Est-ce que ça va changer après l'adoption de ce bill? Comme

téléphoniste, est-ce que la demande de la connaissance de l'anglais va diminuer à cause de l'adoption du bill 1?

Mme Desjardins-Lepage: Ce qu'on espère, en réalité, ce que je peux espérer légitimement, c'est que si j'ai besoin de travailler, j'aurai accès plus facilement, que la langue ne soit justement pas un handicap, que l'anglais que j'ai soit suffisant pour un emploi ou pour la majorité des emplois. Ce qui n'est pas le cas dans les emplois offerts.

M. Shaw: Croyez-vous, madame, que pour les enfants, pour leur donner tous les avantages pour n'importe quelle position dans les affaires, à l'avenir, au Québec, s'ils sont bilingues, s'ils ont une bonne connaissance, une bonne formation dans la langue anglaise, ils sont mieux équipés pour leur avenir?

Mme Desjardins-Lepage: J'aimerais bien vous répondre. Au niveau du secondaire, à la fin du secondaire, d'après moi, les étudiants dans les écoles devraient apprendre beaucoup l'étymolo-gie. A ce moment-là, à ce niveau, un étudiant a accès à la connaissance de l'anglais. D'après moi, aussitôt qu'il va dans un contexte anglais, c'est bien facile pour lui d'en arriver à converser, à cause du niveau d'études. Si vous comparez une lecture en français et une lecture en anglais, il y a tellement de ressemblance entre toutes sortes de mots comme confortable, "comfortable"... C'est pour cela que j'ai pu lire en anglais moi-même, à cause de la ressemblance entre un texte en anglais et un texte en français, avec une connaissance bien plus théorique de la langue anglaise.

M. Shaw: D'après votre expérience personnelle, avec un manque de capacité de vous exprimer facilement en anglais, croyez-vous que ce n'est pas plus important que vos enfants soient plus bilingues, pour leur donner la chance de participer à n'importe quelle occupation dans l'avenir?

Mme Desjardins-Lepage: Mon principe est celui-ci: En connaissant bien une langue, du moment qu'on l'apprend du point de vue étymologique, l'accessibilité à plusieurs langues, à ce moment-là, est tangible. C'est une connaissance qui demande beaucoup de pratique, la connaissance d'une langue.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Pointe-Claire et M. le député de Rouyn-Noranda, je ne voudrais, en aucune façon, vous empêcher de vous exprimer à l'occasion de ce mémoire. Je vais donc demander à la commission, si elle veut continuer quelques minutes au-delà de treize heures.

Des Voix: Oui.

Le Président (M. Cardinal): Le consentement est accordé. M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: Mme Lepage, je suis conscient qu'il y a beaucoup d'occupations comme la vôtre, celle de téléphoniste, dans lesquelles la connaissance de la langue anglaise est importante.

Je suis aussi au courant de la situation qui ne changera pas vraiment, si vous voulez bien partager, dans tout le monde économique de l'Amérique du Nord qui est le voisin de notre province, pour avoir tous les avantages économiques, seulement le français ou une connaissance partielle de l'anglais ne suffit pas à nos enfants, pour leur donner tous les avantages économiques en Amérique du Nord.

Je voulais seulement vous poser la question: Si nous adoptons une loi qui va peut-être "ghet-toïser" les enfants canadiens-français, au Québec, avec un manque de connaissances en anglais, est-ce à l'avantage du peuple québécois?

Mme Desjardins-Lepage: Dans les offres d'emploi que je mentionnais, il y a aussi une page, par exemple, où seulement 33% des offres d'emploi exigent d'être bilingue, la majorité des gens n'a vraiment pas à parler une autre langue. Pour vivre d'une façon, je dirais décentralisée, pour vivre selon leur mode d'expression, à quel niveau se situe cette proportion de gens qui ont besoin d'être bilingues? J'aimerais bien le savoir.

L'entourage nord-américain, certainement, on le voit, on le sent, mais je crois quand même que la valeur d'un être s'établit par ses décisions. Moi-même, j'ai bien noté en anglais que le mot "decide" revient souvent.

Le Président (M. Cardinal): Est-ce que je donne la parole à M. le député de Rouyn-Noranda? S'il vous plaît? Cinq minutes.

M. Samson: M. le Président, je vais tenter d'y aller très rapidement pour permettre de libérer madame. Mme Desjardins-Lepage, est-ce que vous voyez une différence quelconque entre la notion pour un Québécois de pouvoir travailler en français et l'autre notion qui ferait du français la langue de travail obligatoire? Si vous voyez une différence, de quelle façon la voyez-vous?

Mme Desjardins-Lepage: Pour un Québec français, on pourrait peut-être se référer à l'éducation. Quant à la langue de travail obligatoire, la langue française, je ne vois pas qu'une aille sans l'autre si vous me posez la question.

M. Samson: Je peux peut-être vous venir un peu en aide en explicitant davantage ma pensée. Pouvoir travailler en français, pour quelqu'un uniquement d'expression française, il me semble que c'est un droit absolu que nous devons connaître. Mais, par contre, que le français soit la langue de travail obligatoire, il me semble que c'est une chose un peu différente, en ce sens que, selon le genre de travail ou d'emploi que l'on occupe, il n'est peut-être pas toujours absolument nécessaire de posséder la langue française à la perfection. Notamment, dans le domaine des travaux

manuels, ou encore un travailleur dans une manufacture qui n'a pas à parler au cours de la journée avec qui que ce soit pour faire son travail, ou quelque chose comme cela. A ce moment-là, cela n'aurait peut-être pas les mêmes exigences, en voyant cela de ces deux façons. C'est dans ce sens que je vous pose la question.

Mme Desjardins-Lepage: La scolarité souhaitable pour un étudiant serait un secondaire V. Aujourd'hui, je ne pense pas qu'un étudiant veuille aller en deça d'un secondaire V. Même pour un travail manuel.

M. Samson: Cela ne répond pas tout à fait à ma question, mais je vous rejoins quand même dans une certaine proportion. C'est peut-être un peu vrai aujourd'hui qu'on réclame une certaine scolarité pour des travaux qui n'en auraient pas spécifiquement besoin ou qui n'auraient pas de telles exigences. J'imagine que ce n'est pas tout à fait nécessaire d'avoir un secondaire V pour balayer les rues. Parce que c'est plutôt avec ses bras qu'on fait cela qu'avec les...

M. Bertrand: Cela prend plus d'intelligence que vous pensez.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

Une Voix: II faut être bilingue.

M. Samson: M. le Président, je ne voudrais pas être mal interprété. Je ne veux pas porter atteinte à l'intelligence de qui que ce soit. Il y a une différence entre intelligence et instruction.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rouyn-Noranda, ce n'est pas vous que je rappelle à l'ordre. En vertu des articles 26 et 100, tant que le député a droit de parole, aucun député ne doit l'interrompre.

M. Samson: Merci, M. le Président. Dans la première page de votre mémoire, madame, vous faites référence à votre préoccupation relativement à une meilleure connaissance de la langue maternelle et, évidemment, je suppose que c'est le français dans le cas présent. Vous soulignez aussi qu'il est loisible à chacun d'apprendre plusieurs autres langues secondes. On va parler de la langue seconde qui est l'anglais dans le cas qui nous occupe.

Est-ce que, à votre avis, le fait non seulement de permettre, mais de rendre accessible, dans les faits, l'enseignement de la langue seconde pour les Québécois d'expression française — l'enseignement de l'anglais — et l'enseignement du français pour les Québécois d'expression anglaise, est-ce que cela ne serait pas, à votre avis, un grand service à rendre à notre population?

Mme Desjardins-Lepage: C'est là que j'aimerais expliquer une des notes que je mentionne dans mon mémoire, à savoir ce fait que, pour la majorité des francophones du Québec, pour une bonne majorité de gens ordinaires, ceux qui ont à traduire constamment du français à l'anglais, perdent leur qualité d'expression pourrait-on dire. Cela pourrait être étudié, mais par qui? Vraiment, moi, ça m'apparaît comme ça. Parce qu'on doit traduire, finalement, notre phrase, ma phrase devient une traduction, même en français, et je le déplore. A quel niveau se situe cette étude?

M. Samson: Est-ce que, à ce moment-là...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le député de Rouyn-Noranda, quelques brèves secondes, s'il vous plaît.

M. Samson: Oui. Est-ce que le même phénomène ne pourrait pas, selon vous, se produire aussi à l'inverse pour les Québécois anglophones, par exemple?

Mme Desjardins-Lepage: Actuellement, la majorité des bilingues au Canada sont bien francophones, français seulement, de langue officielle, 18%. Quand on voit que les groupes ethniques, 28,7%...

M. Samson: Et si la majorité des bilingues, à l'avenir, devenaient des anglophones, est-ce que ça ne pourrait pas être là pour eux un avantage sérieux sur les francophones?

Le Président (M. Cardinal): Dernière intervention, Mme Lepage.

Mme Desjardins-Lepage: Cela n'existe pas maintenant.

M. Alfred: Parfait!

Le Président (M. Cardinal): Alors...

M. Samson: M. le Président, avec votre permission, je voudrais remercier Mme Lepage...

Le Président (M. Cardinal): Certainement.

M. Samson: ...et souligner le mérite qu'elle a de s'être présentée devant cette commission en défrayant elle-même les coûts et en venant nous faire part de son expérience personnelle.

Le Président (M. Cardinal): Mme Lepage... M. Bertrand: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Vanier.

M. Bertrand: ...étant donné que le ministre d'Etat au développement culturel a été le seul à s'exprimer au nom du gouvernement, serait-il possible, au nom de tous les députés, que nous exprimions notre reconnaissance à Mme Lepage, non seulement pour le mérite qu'elle a, mais pour l'intelligence dont elle a fait part, son bon sens et

sa capacité d'évaluer de façon très correcte des situations parfois complexes? Je pense qu'elle mérite nos félicitations les plus sincères.

Le Président (M. Cardinal): Merci M. le député de Vanier. C'est justement le genre de chose que je ne puis dire, parce qu'on pourrait toujours penser que j'en viens au débat.

Je veux quand même, au nom de la commission, simplement remercier Mme Desjardins-Lepage pour sa contribution.

Vous me permettrez, avant l'ajournement des travaux — ce n'est pas terminé, un instant — de faire quelques remarques. Tout d'abord, la liste des personnes qui ont demandé d'intervenir devant cette commission et qui a été distribuée ce matin est un document de travail. Je répète qu'elle n'a été remise qu'aux membres de la commission — uniquement — et à titre de document de travail. Elle devra être corrigée au fur et à mesure que les travaux de cette commission se poursuivront.

J'ai accordé le maximum de collaboration aux journalistes, mais je ne puis, avec ce précédent qui a été créé ce matin, aller au-delà que de remettre la liste aux membres de la commission. Je ne mentionne pas qu'il y a des erreurs dans cette liste. Bien au contraire. Cette liste a été préparée à partir des communications entre les futurs intervenants et le secrétaire de la commission.

Par conséquent, il y a toujours lieu d'y apporter des corrections. On le sait, pour avoir vécu depuis plus d'une semaine et demie avec les membres de la commission et les témoins.

Je remercie tous ceux qui ont participé à cette commission ce matin. Je rappelle que l'horloge n'est pas encore à l'heure, mais que je donnerai des directives pour qu'elle le soit au début de la séance. Les travaux de la commission sont ajournés sine die.

Mme Lavoie-Roux: Quelle heure est-il, M. le Président?

Le Président (M. Cardinal): En fait, à l'horloge, il est treize heures onze minutes, mais je pense qu'elle a plusieurs minutes d'avance et quand je dis que les travaux de la commission sont ajournés sine die, j'invite quand même la Collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec, mémoire 164, à se présenter devant nous vers 16 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 10)

Reprise de la séance à 17 h 27

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs! Comme c'est une nouvelle séance — je veux souligner que nous avons, non pas suspendu, mais ajourné vers 13 h 10 — je ferai l'appel des membres de la commission, très brièvement, M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes) remplacé par M. Charbonneau (Verchères), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé).

M. Shaw: Je le remplace, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Est remplacé par M. Shaw (Pointe-Claire). Merci. M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda). Quant à l'ordre du jour, aussi brièvement, nous avons comme "invités" la Collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec, mémoire 164; L'Association des démographes du Québec, mémoire 162; M. Burford Charles Norman, mémoire 157, et les Jeunes Libéraux de la région de Québec, mémoire 114.

Je regrette ce délai pour nos invités, mais nous ne sommes pas maîtres des délibérations de l'Assemblée nationale, ceci dit sans aucune critique de fond. C'est seulement une constatation. Au moment même où nous sommes ici, il y a un débat à l'Assemblée, je le souligne; il pourrait y avoir un vote et nous serions obligés de suspendre la séance. Ceci étant dit, j'invite la Collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec à se présenter devant nous et à bien vouloir identifier et son organisme et ses représentants.

Collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec

M. Denis (Jean): Mon nom est Jean Denis; à ma droite, M. Graham Greig. Nous sommes les porte-parole du comité représentant la collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec. M. Greig est un anglophone bilingue, père d'enfants présentement dans le système d'éducation anglophone de l'Outaouais. Quant à moi, je suis un francophone bilingue avec un enfant qui a été éduqué dans le système d'éducation francophone élémentaire pour continuer ses études dans le système anglophone secondaire.

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, comme à tous les autres témoins, je vous indique ceci. Vous avez 20 minutes pour la présentation de votre mémoire.

M. Denis: M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission parlementaire. Ce mémoire se propose d'étudier la charte de la lan-

gue française au Québec, pour en évaluer les difficultés suscitées par les articles touchant l'enseignement, portant une attention particulière à l'Ouest du Québec et aux ramifications de ces articles sur la qualité de vie de tous les Québécois.

Le comité est d'avis que l'adoption d'une politique aussi novatrice et importante qui touche directement chacun des citoyens du Québec risque d'engendrer de fortes tensions négatives. Nous demandons par conséquent que la commission parlementaire de l'Assemblée nationale veuille bien redoubler de vigilance en revoyant ces articles du projet de loi que nous considérons, toutes révérences gardées, comme contenant des éléments répressifs et gros de conséquences.

Telles qu'énoncées dans le préambule, nous jugeons dangereuses les prémisses sur lesquelles repose le projet de loi en ce qui a trait aux mesures proposées pour l'enseignement. Au premier paragraphe, il est indiqué que l'Assemblée nationale constate que la langue française est depuis toujours la langue du peuple québécois et que c'est elle qui lui permet d'exprimer son identité. Il est clair que ne sont pas reconnus comme Québécois tous ces résidents qui forment eux aussi, en quelque sorte, la toile de fond de notre société québécoise, ces résidents de descendance amérindienne, anglaise, irlandaise et écossaise, comptés parmi les premiers défricheurs du sol québécois, ou ces loyalistes de l'empire uni qui, il y a 200 ans, ont quitté les Etats-Unis pour venir s'établir librement en terre canadienne-française.

A notre grande stupéfaction, ce projet de loi se permet un sophisme dangereux. Sont vrais citoyens, seuls ceux qui composent la majorité ethnique du Québec.

M. Laplante: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît. M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Je pense que monsieur a oublié une ligne ici. J'aimerais bien qu'il...

M. Denis: J'aimerais attirer votre attention sur le fait que nous avons donné un amendement qui élimine une partie de cette phrase.

M. Laplante: Quelle phrase est éliminée, Monsieur?

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Bourassa, il est heureux...

Mme Lavoie-Roux: Cela vous ressemble. M. Laplante: ...vous, madame.

Le Président (M. Cardinal): ...que la phrase ait été éliminée, j'aurais dû intervenir et j'aimerais que l'on n'insiste pas. Il y a d'ailleurs un amendement qui va vous être distribué immédiatement et j'invite M. Denis à continuer.

M. Laplante: Un remords de conscience.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre. M. Denis.

M. Denis: Je peux expliquer, si vous voulez. Nous avons éliminé cette référence de peur qu'elle soit interprétée dans certains quartiers dans un sens peut-être un peu plus péjoratif que celui inspiré par le contexte de notre mémoire.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît. Nous commençons tellement tard que je demanderais à la députation de bien vouloir laisser aux intervenants leur plein droit de parole pendant les 20 minutes prévues par la motion. M. Denis.

M. Denis: Merci. Nous sommes attristés et craignons les implications possibles d'un projet de loi qui affirme, dans son préambule, que tous les autres citoyens, dits les minorités, ne font que participer au développement du Québec et ne peuvent appeler le Québec mon pays, ma patrie.

L'un des buts du projet de loi no 1, clairement énoncé au préambule, se lit comme suit: "Faire du français la langue de l'Etat et de la loi, aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement et des communications".

Pour en arriver à cette fin, le projet de loi propose les mesures suivantes: —Augmenter la population francophone du Québec par l'intégration obligatoire au système d'enseignement français des enfants issus de parents immigrant d'autres pays, d'autres provinces et des territoires du Canada. —Défendre aux Québécois de langue maternelle française de s'inscrire aux écoles anglaises. —Exiger que toutes les communications officielles des commissions et administrations scolaires de langue anglaise soient rédigées en français d'ici à la fin de l'année 1983. —Insister pour que toutes les écoles d'enseignement francophones utilisent et transmettent une terminologie française précise et améliorée dans les métiers, les techniques et les professions. —S'ingérer dans le libre choix de la langue de l'enseignement des peuples indigènes du Québec qui ont, depuis toujours, joui d'un statut légal et moral particulier en Amérique du Nord.

Les mesures préconisées ci-dessus, lesquelles seront chacune discutées ailleurs, sont grandement répressives et soulèvent de nombreux problèmes qui affecteront la qualité de la vie de tous les Québécois. Elles laissent de plus entrevoir des conséquences tout à fait à l'encontre du but premier du projet de loi, soit celui d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française.

Ces mesures présupposent l'insuccès de maints efforts des dix dernières années visant à encourager tous les Canadiens de langue anglaise, sans égard à leur province de résidence, à reconnaître les revendications légitimes du Canada français.

Tel n'est pas le cas. Permettez-nous de porter à l'attention de la commission parlementaire que de nombreux changements, théoriques et pratiques, ont été effectués dans le domaine de l'enseignement dans l'Ouest du Québec, tout comme à Montréal.

Tout d'abord, des cours intensifs de langue française figurent maintenant au curriculum des écoles élémentaires du Greater Hull Protestant School Board et des écoles secondaires régionales du Protestant Regional School Board of Western Quebec. Ces deux commissions scolaires sont responsables de la totalité de l'enseignement des régions 7 et 8 du Québec.

Deuxièmement, grâce à la collaboration établie entre le ministère de l'Education et les enseignants du Western Quebec Association, la Commission locale et la Commission régionale protestantes de l'Outaouais ont mis sur pied un programme facultatif d'animateurs unique en son genre au Canada. Ce programme a été créé dans le but spécifique de familiariser les écoliers du niveau élémentaire avec le milieu culturel français qui les entoure. Ce programme demeure constamment sous observation et ses résultats en confirment le bien-fondé non seulement par l'amélioration chez les élèves de leur compréhension et de leur parler de la langue française, mais aussi au niveau de l'interaction spontanée entre les deux groupes.

En outre, les commissions scolaires anglaise et française se rencontrent régulièrement pour résoudre des questions particulières touchant les besoins des étudiants. Des comités mixtes ont été formés pour assurer la coopération entre les parents et les professionnels des deux commissions.

Cette coopération mutuelle est heureuse et avantageuse aux deux systèmes d'éducation. Nous tenons à ajouter que ce même esprit de coopération existe au sein des services sociaux de la région depuis nombre d'années.

Ces attitudes positives et ces programmes, fruits d'efforts tout fait spontanés et volontaires dans l'Ouest du Québec vont en augmentant, ce qui démontre qu'il existe bien une solution meilleure que celle préconisée par le projet de loi no 1.

Le sage reconnaît la mesure d'un peuple à sa capacité d'obéir à ce qui ne peut être légiféré. On ne peut forcer la grandeur, ni l'excellence. Toute telle tentative est vouée à l'échec, car elle ne rapporte qu'une solution de vaine médiocrité finalement rejetée à cause de sa méconnaissance de la réalité humaine.

Les articles 51, 52 et 59 du projet de loi limitent sévèrement la liberté d'option de tous les parents québécois dans le choix du régime d'enseignement pour leurs enfants. Ils démontrent de plus l'indifférence du gouvernement provincial à l'égard de la loi 50, promulguée en juin 1975, la Charte des droits et libertés de la personne dont les articles particulièrement pertinents, nos 9 à 38 seront remplacés par l'article 172 du projet de loi no 1.

Le respect des droits et libertés de l'individu est le fondement de toute démocratie moderne.

Cette déclaration est universelle. Cependant, elle n'a aucun sens si elle n'est placée dans son contexte historique. Alors elle prend vie et exprime toutes les vérités de la condition humaine.

C'est dans cet esprit d'idéaux démocratiques qu'en 1861, le Québec, à cette époque le Bas-Canada, reconnaissait, par l'article 55 de la Loi de l'instruction publique, chapitre XV des statuts refondus du Bas-Canada, le droit fondamental de ses citoyens d'établir et d'assumer la responsabilité de leurs propres écoles locales, séparées ou dissidentes, par l'intermédiaire de leurs commissaires et conseillers. La langue d'enseignement n'y est pas mentionnée, parce qu'à l'époque, elle ne posait aucune difficulté. Le conseil était plus préoccupé par la garantie des libertés confessionnelles. Les commissions scolaires choisissaient la langue d'enseignement selon les besoins de la localité.

C'est dans ce même esprit que l'on a dressé l'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Ce respect des droits de l'individu est consacré plus tard, au chapitre premier, article 10 de la loi 50, la Charte des droits et libertés de la personne, adoptée en juin 1975. Ces droits, tirés de la Charte du Québec, sont aussi reconnus comme idéal universel à l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies. Nous soutenons que ces droits sont d'importance capitale pour l'avenir du Québec. Le choix qui se pose a l'homme devient de plus en plus évident. Il doit choisir entre un régime de répression pour atteindre ses buts, risquant la réaction inévitable du libre penseur ou le respect de la personne humaine, tel qu'énoncé dans la charte du Québec.

Je voudrais peut-être m'interrompre, en ce moment. Il y en a plusieurs qui ont l'air un peu de se demander ce qui se passe. Etant donné que le mémoire qui vous a été soumis était beaucoup trop long pour la période allouée, je vais seulement mentionner les points saillants. Il va falloir, à certains instants, sauter des pages.

Le Président (M. Cardinal): M. Denis, j'étais pour vous poser la question, parce que je ne vous suivais plus. Alors, merci beaucoup.

M. Denis: J'y reviens.

Le Président (M. Cardinal): Non, c'est d'accord, vous avez bien fait. Je vous en remercie.

M. Denis: Vu la longue et glorieuse histoire du Québec vis-à-vis du respect des droits de l'homme, les articles 51, 52 et 59 du projet de loi no 1 nous paraissent contredire la philosophie fondamentale de notre province. Il nous semble incroyable que le présent gouvernement puisse indiquer aussi explicitement le poids qu'il accorde à l'importante Charte québécoise des droits de la personne et qu'il puisse rejeter par le nouveau projet de loi tous les articles respectant les libertés de l'individu, c'est-à-dire ceux qui défendent la discrimination fondée sur l'origine ethnique et la langue, la divulgation de renseignements confidentiels, la discrimination dans l'embauche et la promotion et les droits de l'accusé.

L'article 172 du projet de loi prévaut sur les articles 9 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne. Il modifierait l'article 52 de la loi 50 pour faire prévaloir la charte de la langue sur celle des droits et libertés de la personne.

Le comité que nous représentons recommande donc qu'aucun projet de loi sur aucun sujet qui enfreint la charte du Québec sur les droits et libertés de la personne ne soit présenté devant l'Assemblée nationale.

L'article 59 du projet de loi n'accorde aux Amérindiens et aux Inuit que le droit particulier de recevoir l'enseignement dans leur langue, s'ils le désirent, sinon, les indigènes qui n'habitent pas les réserves seront soumis comme les autres minorités aux restrictions imposées par les articles sur la langue de l'enseignement.

Les Amérindiens du Québec ont neuf différentes langues, tandis que les Inuit se partagent différents dialectes, ce qui rend essentiel l'adoption d'une deuxième langue de communication, non seulement à l'intérieur de la province, mais partout au Canada et sur le continent nord-américain.

Ils devraient avoir l'option de choisir la deuxième langue qui leur convient. Parmi tous les groupes ethniques nord-américains, les Noirs, les moissonneurs mexicains itinérants, les Canadiens français du Québec et des autres provinves canadiennes, nul n'a été lésé autant que les peuples indigènes de ce continent.

Aucune région du Canada n'a encore totalement résolu la question des droits aborigènes et du statut particulier des peuples indigènes. Ce problème occupe tous les gouvernements, fédéral, provinciaux et territoriaux. Quel statut détient l'Indien inscrit comme tel au registre officiel et qui n'habite par la réserve? Quel est le statut de l'Indien non inscrit ou du Métis ou de l'Inuit? Quelle responsabilité de l'Homme Blanc prévaut sur tous les arguments juridiques?

Nous ne croyons pas que les auteurs du projet de loi puissent régler ces questions complexes par les 39 mots de l'article 59. Nous ne voyons pas non plus de quel droit ils peuvent s'imposer aussi catégoriquement sur une question éthique et légale aussi complexe. Encore plus, nous ignorons comment de telles restrictions vis-à-vis des peuples indigènes serviront à assurer la sauvegarde de la langue et de la culture de la majorité canadienne-française du Québec.

Si nous évaluons bien l'humanisme de nos confrères de langue française, nous sommes certains qu'ils se sentiront gênés de voir cette façon si légère de traiter les peuples indigènes de la province.

Le comité recommande donc que les peuples indigènes soient exempts de toute contrainte dans le choix de leur langue d'enseignement ou de leur langue seconde, et que tout projet de loi de l'Assemblée nationale du Québec contienne un article explicite à cet effet.

La mise en vigueur des articles sur l'enseignement énoncés dans la Charte de la langue française entraînera des répercussions très négatives dans le système scolaire anglophone de l'Ouest du Québec, et ces mêmes répercussions se feront sans doute ressentir à travers toute la province.

Le système d'enseignement anglophone se verra perdre le nombre, les talents et les avantages économiques qui lui reviendraient normalement par l'arrivée d'immigrants ou de Canadiens des autres provinces. Ces derniers ne viendront plus s'établir dans une province qui restreint aussi l'enseignement de leurs enfants. Le nombre d'enseignants et d'administrateurs scolaires diminuera et l'instabilité croissante de l'enseignement anglophone au Québec provoquera leur départ en nombre grandissant. Vu les règles du ministère de l'Education, une diminution du nombre d'élèves forcera l'abolition de certains cours et options, appauvrissant par conséquent la qualité de l'enseignement anglophone. Les communications et l'administration deviendront plus compliquées et moins efficaces. Le nombre d'élèves diminuera et certaines écoles devront par la suite fermer leur porte à cause de la diminution du taux de natalité et du processus normal de migration de la population.

L'enseignement post-secondaire anglophone sera lui aussi touché à cause du petit nombre de diplômés des écoles secondaires. Des universités comme McGill et Concordia se verront perdre leurs réputations acquises pour leur excellent enseignement aux étudiants de la province et d'ailleurs.

Le livre blanc et le projet de loi restent muets sur l'avenir du CEGEP anglophone et de l'enseignement universitaire anglophone. Serait-ce une épée de Damoclès suspendue au-dessus des communautés anglophones du Québec?

Toutes ces conséquences négatives seront le fruit naturel de la mise en vigueur du projet de loi no 1.

Nous ne voyons aucune "justice" ou "ouverture" dans la force des répercussions qui suivront la mise en oeuvre des articles sur la langue de l'enseignement; nous n'y voyons ni la protection du système d'enseignement anglophone, ni celle de ses communautés.

Nous n'avons pu non plus trouver logique l'argument que la sauvegarde de la culture d'un groupe homogène de cinq millions de Canadiens français dépende de la répression culturelle, de la réduction et de l'assimilation présupposée d'une minorité hétérogène comptant un million d'habitants.

Le comité recommande que les articles 51, 52 et 59 soient éliminés et que, pour assurer la survie de la langue et de la culture canadienne-française, l'on étudie d'autres moyens qui tiendront compte des droits et libertés de tous les individus. Il est ironique que ce projet de loi verra le jeune Québécois de langue anglaise, qu'il soit instruit en anglais ou en français, devenir couramment bilingue et capable de participer pleinement à la vie de cette province et de ce continent, tandis que le jeune Québécois de langue française se verra passablement limité par son unilinguisme. Même si nous voyons d'un oeil critique les mesures visant le système d'enseignement et la communauté anglophone du Québec, nous entrevoyons des répercussions encore plus sérieuses pour la communauté francophone et son système d'enseignement. La mise en vigueur des articles 51 à 59 du projet de loi no 1 entraînera des difficultés de longue durée dans le système d'enseignement

francophone. Le temps qui m'est disponible aujourd'hui ne me permet pas d'élaborer sur les quelques problèmes auxquels aura à faire face le système d'enseignement francophone. Les problèmes posés par ces articles sont énumérés dans le mémoire que nous vous avons soumis et que vous avez en main.

Le Président (M. Cardinal): Puis-je vous suggérer un moyen. Il vous reste trois minutes présentement. Ce qui n'est pas lu de votre mémoire pourrait être déposé quand même au journal des Débats, si vous le demandez. J'explique. Quand un organisme ne présente pas son mémoire en entier, nous pouvons, à sa demande, ajouter en annexe au journal des Débats ce qui n'a pas été donné verbalement de son mémoire.

M. Denis: Donc, nous en faisons la requête.

Le Président (M. Cardinal): Elle est acceptée, monsieur. Je vous en prie, continuez. (Voir annexe)

M. Denis: Pour l'instant, il suffit peut-être de souligner que la maîtrise de la langue anglaise comme deuxième langue ne sera pas un privilège accordé à la majorité canadienne-française du Québec. Ainsi, les jeunes Québécois anglophones seront couramment bilingues tandis que les jeunes Québécois francophones seront couramment unilingues. Nous ignorons les avantages pour les Québécois français, quoiqu'il semble y avoir un avantage théorique pour la société québécoise considérée dans sa totalité.

Nous réalisons que la première citation fut tirée du livre blanc, nous sommes d'accord avec la première locution. On ne la niera pas pourtant, car c'est une donnée incontestable que parler anglais est une nécessité pour certains Québécois francophones. Cependant, ni le livre blanc, ne les articles du projet de loi touchant l'enseignement n'ont élucidé qui seront ces privilégiés, quelles seront leurs responsabilités et dans quelles écoles ils acquerront leur compétence en anglais. Tous les Québécois devraient demander que le présent gouvernement soit plus explicite et s'assurer qu'il ne s'agit pas par inadvertance de la création d'une nouvelle classe dirigeante d'élites dans la province.

Nous voulons aussi ajouter que cette question de l'anglais comme deuxième langue présente un aspect intéressant qui n'a peut-être pas été prévu par de nombreux partisans de la charte de la langue. Il est fort possible que de nombreux immigrants francophones hésitent longuement à venir s'établir au Québec sachant que leurs enfants se verront refuser la chance d'apprendre l'anglais comme deuxième langue.

L'immigration actuelle et future du Québec pourrait en être sensiblement affectée et il y a sans doute déjà un petit ou grand nombre de francophones canadiens qui en ce moment remercient les dieux qu'ils ne demeurent pas au Québec.

Le processus de francisation. Voilà le changement important prévu pour améliorer la qualité et la richesse de la langue française du Québec. L'importance et l'universalité de ce processus sont évidents dans l'emphase des articles 66 à 119 de la charte de la langue. La mise en vigueur d'un programme aussi massif aura un effet déroutant sur l'enseignement francophone et exigera, à notre avis, des efforts très intenses de la part des administrateurs scolaires, des enseignants et des élèves.

Nous pouvons alors mieux comprendre pourquoi les administrateurs du gouvernement québécois hésitent à établir un parallèle entre le processus de francisation et l'enseignement efficace de l'anglais comme langue seconde. Nous voyons cependant tout le temps qu'il faudra avant que ce processus porte fruit dans les écoles et aussi au sein de la culture française du Québec. Les Québécois français et les étudiants pourront-ils attendre tout ce temps avant d'apprendre l'anglais, la langue seconde la plus utile à travers le monde?

Ne serait-il pas préférable de prolonger juste assez longtemps l'échéancier du processus de francisation afin de retarder son impact sur le système d'enseignement francophone pour que l'enseignement de l'anglais comme deuxième langue puisse devenir chose plus pratique.

Comme Québécois, et non seulement Québécois anglophones, nous savons...

Le Président (M. Cardinal): Présumant du consentement de la commission, jusqu'à présent, parce que, déjà, votre temps est épuisé, je vous demanderais, à moins d'une autre directive, de terminer le plus rapidement possible, s'il vous plaît.

M. Denis: Je peux avoir quelques minutes de plus? Merci.

Le Président (M. Cardinal): J'ai dit que j'avais présumé du consentement. Alors...

M. Denis: D'accord. Je pensais que c'était à venir jusqu'ici.

Comme Québécois, et non seulement Québécois anglophones, nous savons que ce qui touche nos concitoyens, majoritaires ou minoritaires, se répercutera dans la qualité de vie de cette province.

Nous avons donc le droit d'exprimer notre angoisse. Le comité recommande que l'on allège le fardeau placé sur le système d'enseignement francophone par les articles sur la langue de l'enseignement du projet de loi no 1, en redonnant aux parents le droit de choisir le système d'enseignement qu'ils désirent pour leurs enfants et en considérant un système de francisation plus modéré qui facilitera et rendra plus pratique pour ceux qui le désirent la connaissance de l'anglais comme deuxième langue.

En tant que Québécois, et non seulement Québécois anglophones, nous tenons à participer, à titre égal, à la formation et à l'évolution d'une société québécoise riche et fière. Toute tentative n'impliquant pas cette contribution collective se verra notre insuccès mutuel.

A ce moment où l'Ontario et les autres provinces canadiennes commencent à réaliser les er-

reurs commises envers leurs concitoyens francophones et où nous commençons à voir les effets positifs des innovations introduites au Québec en 1964 par la création du ministère de l'Education, le comité remarque avec regret que le gouvernement du Québec n'a aucune foi en la possibilité d'une interaction positive et enrichissante entre les Québécois anglophones et francophones, qui ont déjà bénéficié de la direction sensible et éclairée du ministère. La première nouvelle génération de techniciens, de scientifiques et d'ingénieurs est maintenant prête à participer sur un pied d'égalité avec ses pairs anglais à la vie scientifique, professionnelle et économique de la province.

Les premiers élèves anglophones, qui ont suivi des cours intensifs de français se préparent à quitter les écoles secondaires anglophones, capables de rencontrer leurs concitoyens francophones et de répondre aux défis et aux exigences de l'interaction dans une culture québécoise française épanouie, une culture dont la richesse n'a jamais été aussi évidente qu'aujourd'hui.

Après plus de dix ans d'efforts et de bon vouloir, les Québécois anglophones et francophones en sont arrivés à une compréhension et à une coopération mutuelle dynamique. Pourquoi alors tout détruire par les mesures coercitives et répressives des lois 22 et 1? Pourquoi transformer les attitudes d'acceptation et d'appréciation mutuelles en des débats amers et âcres, peut-être à un point tel qu'il sera impossible d'en cicatriser les blessures et de reprendre foi en un Québec commis à des valeurs démocratiques? Pourquoi risquer qu'à cette amertume s'ajoutent la peur et l'incertitude d'un possible déjà vu?

Nous ne critiquons pas le droit des Québécois francophones de créer une province à leur image. Nous ne critiquons pas le droit des Québécois de demander la coopération de leurs concitoyens anglophones.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Bourassa.

M. Laplante: Je ne voudrais pas que cela en vienne à un privilège ou à une coutume. C'est que, chaque fois que les intervenants n'avaient pas terminé de présenter leurs mémoires, le temps était soustrait à celui d'un parti et j'aimerais que cette coutume soit gardée, parce qu'il y a d'autres rapports qui seront présentés, entre autres, celui de la Chambre de commerce, qui a un très volumineux rapport. J'aimerais que cette politique soit adoptée immédiatement.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le député de Bourassa, j'ai mentionné tantôt, à deux reprises, que j'avais présumé le consentement de la commission parce que personne n'est intervenu. Je ferai remarquer à M. Jean Denis que, normalement, il aurait dû terminer son exposé à 17 h 48 à l'horloge qui est devant moi et derrière lui. Il est 17 h 54. A moins qu'il n'y ait consentement de la commission, je vais être obligé de demander à M. Denis de terminer.

M. Laplante: Je ne donne pas mon consentement tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas des minutes qui seront soustraites aux partis.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Mackasey: M. le Président, dans cinq minutes, la commission sera suspendue, au moins temporairement, jusqu'à 20 heures, il me semble. Il n'y a personne qui peut commencer à poser des questions aux témoins dans l'espace de cinq minutes.

Le Président (M. Cardinal): M. le député, à l'ordre, s'il vous plaît! Cependant, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, je ne veux pas me montrer trop sévère.

Si un parti est disposé à accorder de son temps, comme cela s'est fait à deux reprises, je consentirai, sans quoi n'ayant pas l'accord unanime de la commission... Oui, M. le député de Mégantic-Compton.

M. Grenier: J'ai une proposition à vous faire. A même nos dix minutes, ce serait difficile d'en sacrifier sept ou huit, mais si vous n'aviez pas d'objection à donner à l'Union Nationale les minutes réservées aux députés de Beauce-Sud et de Rouyn-Noranda, je pourrais sacrifier cinq à dix minutes.

Le Président (M. Cardinal): Je ne puis faire cela, ce n'est pas de ma juridiction. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, je crois...

Le Président (M. Cardinal): Un instant, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Question de règlement, M. le Président. A la fin du temps normal alloué au témoin, je crois que vous aviez demandé, à ce moment, s'il y avait consentement unanime afin que les témoins continuent. Le député de Bourassa, à ce moment, n'a pas refusé son consentement...

Le Président (M. Cardinal): D'accord.

M. Ciaccia: Question de règlement. Il a déjà donné son consentement. Je crois que c'est contre le règlement de revenir et de retirer son consentement.

M. Laplante: Je l'ai demandé pour cinq minutes.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Je ne permettrai pas, à cette heure, que l'on fasse un débat de procédure. J'ai mentionné tantôt que j'avais présumé le consentement de la commission et non que j'avais obtenu le consentement de la commission. J'ai informé le témoin qu'il avait seulement quelques minutes. Je vais al-

1er jusqu'au fond de la question. Il avait une feuille devant lui. Je pensais qu'en la terminant, il aurait terminé son exposé. Il en a sorti une autre. Il en a peut-être d'autres devant lui, je n'en sais rien. C'est pourquoi, s'il n'y a pas consentement de la commission, unanimement, s'il n'y a pas don généreux d'un parti de minutes de leur temps, je devrai demander au témoin de terminer. Madame le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, il reste deux minutes avant 18 heures. Je veux bien sacrifier les deux minutes, parce que, franchement, cela devient ridicule.

Le Président (M. Cardinal): Entièrement d'accord, Mme le député de L'Acadie. M. Denis, avec beaucoup de générosité de la part de la commission, c'est la première fois que cela se produit, vous venez...

M. Lalonde: ... grâce à nous autres.

Le Président (M. Cardinal): C'est la commission. Je représente la commission et non pas un parti. Vous avez deux minutes et je devrai ensuite, à 18 heures, suspendre les débats, mais en vous invitant à revenir ce soir à 20 heures.

M. Denis: D'accord. Merci beaucoup.

Le Président (M. Cardinal): Merci, monsieur.

M. Denis: Nous ne critiquons pas le droit des Québécois francophones de créer une province à leur image. Nous ne critiquons pas le droit des Québécois de demander la coopération de leurs concitoyens anglophones, mais nous critiquons un gouvernement qui réprime en légiférant. Nous critiquons la négation des droits de l'individu pour justifier une vision collective. Nous critiquons les motifs du bill 1. Nous demandons l'avantage que le Québec en retirera. Oui, nous demandons et répétons: Quel sera le prix de ce gain?

Nous recommandons donc que les mesures envisagées dans le projet de loi no 1 soient réévaluées, tenant compte des réalités québécoises et canadiennes et des principes démocratiques qui en sont le fondement.

Merci, M. le Président; merci, messieurs.

Le Président (M. Cardinal): Merci beaucoup. Si vous permettez, comme il est...

Mme Lavoie-Roux: ...une minute en fait.

Le Président (M. Cardinal): Oui, c'est une minute. Alors, si vous permettez quelques mots, nous allons suspendre.

J'invite, pour 20 heures — cette fois, je ne pense pas qu'il y ait d'incidents de procédure — la Collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec à se présenter à nouveau devant nous. Ces gens ont terminé leur exposé. Les députés auront 70 minutes pour poser des questions.

Les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 4)

Reprise de la séance à 20 h 8

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Si tous les députés veulent bien prendre leur fauteuil, nous aurons quorum et nous pourrons procéder. C'est la suite de la séance de cet après-midi. La parole est au ministre d'Etat au développement culturel.

Je rappelle, cependant, que suite à la longue période que nous avons eue cet après-midi, il y a 70 minutes d'accordées aux députés.

Le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier et féliciter les représentants de la Collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec pour le mémoire qu'ils nous ont présenté et qu'ils ont préparé avec un soin évident.

Après avoir lu et écouté avec attention votre mémoire, je ne crois pas trahir votre pensée, en affirmant que le projet de loi no 1 vous déplaît souverainement, ce qui est d'ailleurs bien votre droit.

A la fin de votre mémoire, vous remettez en question les motifs du gouvernement ou plutôt ses motivations ou la raison d'être même du projet, devrions-nous plutôt dire en français, ce qui est opposer une fin de non-recevoir absolue et intégrale à son contenu.

Quand on veut noyer un projet de loi, on dit qu'il a la gale. C'est probablement pour cette raison que votre mémoire ne mentionne aucun des éléments positifs du projet de loi et que vous demandez au gouvernement de le réévaluer dans son entier, ce qui équivaut à demander son retrait.

A l'appui de votre demande implicite, vous ne relevez que les diminutions de privilèges qu'aura, effectivement, à accepter la minorité anglophone pour qualifier aussitôt cette volonté du gouvernement d'épithètes aussi fortes qu'extrêmes.

Dès le début de votre mémoire, vous vous en prenez au préambule et vous accusez le gouvernement de ne pas considérer comme de vrais Québécois les citoyens anglophones, oubliant délibérément le traitement de faveur que lui consent le gouvernement par comparason avec les autres groupes ethniques du Québec et oubliant délibérément aussi que ce traitement est d'ores et déjà envié par les minorités francophones des autres provinces pour qui il prend déjà figure de terre promise.

Et pourtant, vous voyez dans ce respect et cette générosité du gouvernement à votre endroit un sophisme et n'eût été d'un amendement sauveur, in extremis, vous auriez osé utiliser une comparaison que je n'aurais pu m'empêcher de qualifier d'outrageante, si elle avait été maintenue.

Pour le reste du mémoire, vous vous promenez de Charybde en Scylla, accusant le gouvernement des plus noires intentions et vous fabriquant les scénarios les plus alarmistes et vitupérateurs à partir d'affirmations gratuites et de présomptions absolument controuvées. Votre mémoire ressemble ainsi à un film de science-fiction où le suspense le dispute à l'horreur. Il est heureux que ce soit une oeuvre d'imagination et surtout que nous en comprenions bien les motiva-

tions qui voudraient nier le temps, notre évolution collective et nous ramener à un statu quo que sont venues troubler la détestable loi 22 et l'odieuse Charte du français.

Mais je veux tout de suite vous rassurer. Je vous répéterai ici ce que j'ai déjà dit à un groupe anglophone qui vous a précédés à cette commission. Le peuple québécois n'est pas composé que de francophones. Il comprend une majorité qui a le droit et le devoir de faire de la langue qu'elle parle depuis toujours la langue officielle et la langue commune, mais ce peuple comprend aussi les héritiers des peuples fondateurs, Inuit et Amérindiens, et tous les groupes ethniques qui ont choisi de s'associer à notre destin. Le gouvernement voit en chacun de ces individus et de ces groupes des Québécois à part entière et entend mettre à leur disposition tous les droits et instruments dont ils ont besoin pour assurer leur développement aussi bien individuel que collectif. Je vous admire, incidemment, de vous porter à la défense des aborigènes, comme vous les appelez, mais je peux vous assurer également qu'ils n'ont pas besoin d'être défendus. Nous respecterons scrupuleusement la convention qu'a signée le précédent gouvernement. Aux termes de cet accord et des autres lois que nous respecterons également, les Inuit et Amérindiens pourront faire instruire leurs enfants dans leur langue originelle s'ils le veulent, ou en anglais ou en français, à leur choix.

Je vous remercie également de vous porter à la défense des francophones que vous craignez de voir devenir tous unilingues par les mauvais offices du gouvernement et que vous invitez à devenir tous bilingues dans leur plus grand intérêt. Nous sommes d'accord avec vous que la connaissance de l'anglais constitue pour eux un enrichissement individuel et souvent une nécessité.

Nous les encourageons à s'y employer, à cet apprentissage de l'anglais. Mais, il n'y a pas qu'à l'école anglaise qu'ils peuvent y réussir, au prix souvent d'une aliénation culturelle, voire d'une assimilation dont trop des nôtres, particulièrement dans la région de l'Outaouais, du Pontiac ou de Montréal, nous ont donné l'exemple.

L'anglais peut et doit s'apprendre à l'école française et à bien d'autres endroits d'ailleurs et par bien d'autres moyens. Le gouvernement verra à mettre à la disposition de tous ses citoyens les moyens et les fonds nécessaires pour arriver à ce but. Puisque vous invoquez surtout les droits de l'homme pour justifier ou masquer votre souhait de revenir au statu quo et de remonter le temps, parlons donc durant quelques instants des droits linguistiques. Vous n'ignorez pas, j'espère, que plusieurs pays ont inscrit dans leur constitution, ces droits linguistiques fondamentaux ou en ont fait l'objet de lois particulières et spécifiques.

Je peux mentionner par exemple, la Belgique, la Suisse, l'Allemagne, la France et ainsi de suite. Pourquoi ces pays ont-ils cru nécessaire d'inscrire dans leur constitution des droits linguistiques fondamentaux? Pour une seule et unique raison qui est toujours la même, parce que ces droits linguistiques font partie de l'héritage ou du patrimoine national, comme le disait déjà le préambule de la loi 22. Je pense qu'à ce titre, les mesures qui visent à assurer la position, la qualité, le rayonnement d'une langue qui est partie essentielle et principale de l'héritage national, ne contredisent en rien les droits fondamentaux des personnes. Je dirais même qu'elles tendent à les assurer et c'est en ce sens que la loi libère.

Ces mesures impliqueront certes des limitations ou des contraintes pour certains groupes linguistiques, mais il faut se rappeler que certaines inégalités de droits ne tendent ici qu'à corriger les inégalités de faits.

Et cela n'est pas de mon cru, puisque c'est la phrase qu'employait la cour européenne des droits de l'homme, en juillet 1968, lorsqu'elle a rendu jugement sur une affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique.

Ce jugement, très instructif, établit clairement la distinction qu'il convient d'apporter entre les droits linguistiques établis par l'Etat dans l'intérêt de la communauté et le droit à l'égalité, sans distinction, fondé sur la langue.

La cour européenne a ainsi décidé qu'il n'était pas contraire aux droits de la personne — en l'occurrence aux articles 8, qui traite de la vie privée et familiale et 14, qui traite de la distinction fondée sur la langue d'origine nationale ou l'appartenance à une minorité nationale — de prévoir, dans une région considérée par la loi comme unilingue, un régime d'enseignement unilingue.

Si l'on appliquait ce jugement au Québec, cela voudrait dire que le Québec aurait parfaitement le droit d'abolir son système scolaire anglophone, ce qu'il n'a pas fait, pour les raisons déjà exprimées dans le livre blanc et que j'ai souvent reprises depuis dans mes rencontres avec divers groupes, à la radio ou à la télévision, ou ici même, à la commission.

Dans votre plaidoyer pour le maintien du statu quo, quand vous invoquez les droits de la personne, vous faites un cas particulier de l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Comme chacun le sait, cet article 10 reconnaît à toute personne le droit à la reconnaissance, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondées sur la langue.

Mais je vous fais remarquer que l'article 20 de la même charte modifie considérablement la portée de l'article 10. L'article 20 se lit comme suit: "Une distinction, exclusion ou préférence, fondée sur les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour un emploi est réputée non discriminatoire".

Or, la connaissance de la langue officielle pour certains emplois, tombe précisément dans cette catégorie d'exigence, étant donné le contexte culturel, économique et social, et je dirais même aussi juridique, depuis la loi 22, dans lequel elle s'inscrit. C'est d'ailleurs au nom de ce même article 20 que tant de compagnies nationales ou multinationales ont pu exiger le bilinguisme à l'embauche de milliers et de milliers de leurs employés sans que jamais la Commission des droits de la personne n'ait jugé opportun d'intervenir.

II faut d'ailleurs rappeler ici que la charte des droits a été mise en vigueur en 1976, soit deux ans après l'adoption de la Loi sur la langue officielle, et que cet article 20 ne peut donc s'interpréter que de façon à reconnaître l'article de cette loi qui fait du français la langue officielle et la langue prédominante du Québec, ce qui revient à dire que l'article 10 ne peut, en aucune façon, conférer à quiconque le droit d'obtenir dans sa langue tous les services, de même que le droit de travailler dans sa langue.

Il y a donc une conciliation à effectuer entre les droits civils, politiques ou, je serais plutôt porté à dire, entre l'aspect formel des droits qui constitue un héritage de la révolution libérale du XVIIIe siècle et, d'autre part, les droits économiques, sociaux et culturels que les deux siècles qui se sont écoulés depuis nous ont forcés à considérer de façon de plus en plus urgente, étant donné les inégalités constatées et étant donné aussi qu'il n'est pas suffisant de mentionner, de déclarer, d'édicter un droit, mais qu'il est important aussi de légiférer sur ces conditions d'exercice.

Il y a donc une conciliation à effectuer entre les droits civils, les droits de la personne, et les droits économiques, sociaux et culturels qui ont davantage un aspect collectif. C'est ce que nous avons essayé de faire. Nous croyons l'avoir fait, conformément à l'esprit des diverses conventions et déclarations internationales. Même si nous ne prétendons pas être arrivés à la perfection, notre intention était quand même claire et délibérée et, d'ailleurs, si des améliorations valables, sérieuses nous sont suggérées par les organismes qui se présenteront à la commission ou par les spécialistes de la question, nous ne serons que trop heureux de nous avancer encore davantage dans ce domaine de droit nouveau où la conciliation s'avère difficile.

Dans votre mémoire, vous appuyez également vos revendications sur des arguments de nature plutôt légale et constitutionnelle. Vous faites référence, par exemple, à la loi de 1861 du Bas-Canada, à la Loi de 1964 de l'Instruction publique, à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, et, en particulier, à l'article 93. Pour répondre d'une façon plus autorisée à cet aspect de votre mémoire, je demanderais plutôt à mon collègue, le ministre de l'Education, de vous répondre sur ce point.

Le Président (M. Cardinal): M. le ministre de l'Education et député de Sauvé.

M. Morin (Sauvé): M. le Président, je serais moins intéressé à répondre qu'à poser des questions à nos visiteurs. En effet, j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt du mémoire qu'ils ont soumis à la commission, et même si j'étais absent, malheureusement, cet après-midi, retenu par d'autres tâches, j'ai pris connaissance du mémoire. Je vous avouerai ma perplexité devant certains arguments qui portent plus particulièrement sur la langue d'enseignement. Je ne sais pas si dans votre esprit, à l'égard des propos que vous tenez à la page 8 et à la page 9 de votre mémoire, il y a confusion ou mauvaise foi, mais comme nous ne devons prêter aucune mauvaise intention à quiconque, je crois qu'il y a, à tout le moins, de la confusion dans la façon dont vous utilisez l'article 93 pour tenter d'annuler du revers de la main les articles 51, 52 et 59 du projet de loi.

J'aimerais vous demander, vous avez dû faire quelques recherches pour étayer vos arguments, si vous avez consulté la jurisprudence canadienne qui explicite la portée exacte de l'article 93.

M. Denis: Je crois qu'on a expliqué assez clairement, à mon point de vue, nos pensées à ce sujet. On n'a pas mêlé la question de langue dans l'histoire de l'article 93.

Si vous lisez bien ce qui a été écrit, on affirme, enfin, ce que les gouvernements ont affirmé auparavant, que l'article 93 n'était concerné simplement qu'avec la confessionnalité des Canadiens de ce temps. Tout ce qu'on dit, un peu plus tard, c'est que par droit acquis, si on peut ainsi dire, il aurait normalement été établi que protestant signifiait automatiquement langue anglaise. Il n'y a aucune chose qui a été écrite ici qui suggère que la section 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique donne des droits à qui que ce soit sur la question de langue.

M. Morin (Sauvé): Le seul embêtement dans ce raisonnement, c'est que la jurisprudence canadienne dit le contraire de ce que vous venez d'affirmer, monsieur. Je vais vous poser une question très directe: A votre avis, l'article 93 protège-t-il la confessionnalité des écoles ou la langue qui s'y enseigne?

M. Denis: D'après nous, il protège la confessionnalité des écoles.

M. Morin (Sauvé): Vous n'avez pas lu beaucoup de jurisprudence pour, comme vous le faites dans votre mémoire, aller plus loin que la confessionnalité et laisser entendre que l'article 93 protège également la langue scolaire, parce que c'est bien ce qui résulte de votre mémoire. Or, la jurisprudence canadienne, dans l'affaire de la suppression de la langue française dans les écoles de l'Ontario, affirme que l'article 93 ne protégeait pas la langue française dans les écoles de l'Ontario. Cette jurisprudence n'a jamais été renversée depuis. Il y a même plusieurs cas, notamment l'affaire MacKay, que vous devez connaître, parce que si vous avez pris la peine d'étudier l'article 93 sérieusement, vous ne pouviez pas ignorer la jurisprudence qui interprète cet article.

M. Denis: Nous avons aussi dit dans notre mémoire que ce n'était pas notre intention d'entrer dans un débat juridique sur la question de l'article 93 de l'acte.

M. Morin (Sauvé): Oui.

M. Denis: J'attirerais votre attention sur la recommandation à la fin de ce chapitre...

M. Morin (Sauvé): Oui.

M. Denis: ...qui est très simple et qui dit simplement que le comité recommande que toute loi adoptée par l'Assemblée nationale du Québec soit encore et sujette aux lois actuelles de la fédération canadienne, telles que consacrées par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

M. Morin (Sauvé): C'est fort bien. Seulement, vous me dites que vous ne voulez pas de débat juridique et pourtant, tout votre mémoire est fondé sur un débat juridique.

Là, maintenant, alors que vous voyez que la base est quelque peu chancelante, vous me dites: Je ne veux pas débattre la chose.

M. Ciaccia: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre! Sur une question de règlement, le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Le député de Sauvé a déclaré que tout le mémoire était basé sur la question constitutionnelle, une interprétation légale. Je crois que c'est seulement un aspect, un chapitre. Je ne voudrais pas créer la fausse impression qu'il base tout...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Ciaccia: M. le Président, le député de Sauvé me permettrait-il une question?

Le Président (M. Cardinal): Un instant! Ce n'est pas une question de règlement. Si le député de Sauvé permet une question, c'est à lui de décider.

M. Morin (Sauvé): J'en permets une, M. le Président, mais je ne voudrais pas que cela contribue à diminuer le temps dont les députés ministériels disposent.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Sauvé et ministre de l'Education, je pense que tous les membres de la commission savent que, sur les questions de règlement ou les questions accessoires ou ancillaires, j'ai toujours eu beaucoup de flexibilité.

M. Morin (Sauvé): Bon!

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez la question...

M. Morin (Sauvé): Oui. Bien sûr.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Mont-Royal.

M. Morin (Sauvé): Ce n'est pas la première fois que le député de Mont-Royal et moi-même discutons de ces questions.

M. Mackasey: Pouvez-vous demander au ministre de parler dans le micro?

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Quand le ministre cite de la jurisprudence, cite-t-il de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada?

M. Morin (Sauvé): ...du Conseil privé.

M. Ciaccia: Et comment interprète-t-il l'appel que le fédéral fait de la loi du Manitoba...?

M. Charbonneau: ...depuis l'élection du Parti québécois.

M. Morin (Sauvé): M. le Président...

M. Ciaccia: Doit-il admettre que la jurisprudence... Il y a encore des différences d'opinion. C'est encore en Cour. Il y a une décision spécifique sur la loi 22 que le juge en chef Deschênes a rendue, mais qui est en appel. C'est seulement pour faire le contrepoids.

M. Morin (Sauvé): Oui, si vous voulez, mais je vous parle...

M. Ciaccia: II y a des différences d'opinions et, malheureusement, ce n'est pas l'endroit pour faire un débat juridique, mais c'est seulement pour donner l'autre côté... ceux qui ont une autre opinion.

M. Morin (Sauvé): Oui, sauf...

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez... A l'ordre, s'il vous plaît! Si vous permettez, j'ai déjà mentionné le mandat de cette commission. Il ne s'agit pas d'un débat entre les membres de la commission, mais d'une audition des témoins.

Le ministre a accepté qu'une question lui soit posée. La question a été posée. Je lui permettrai de répondre et je reprendrai le temps ensuite.

M. Morin (Sauvé): M. le Président, il n'y a aucun doute sur la jurisprudence de la Cour suprême et du Conseil privé en la matière — aucun doute — et c'est ce qui est enseigné dans toutes les écoles de droit du Québec, même les facultés de droit anglaises, à la suite de cette jurisprudence, que l'article 93 ne porte que sur la confes-sionnalité et ne protège pas la langue; bien sûr, cette jurisprudence peut peut-être changer dans l'avenir sous la pression des nouvelles réalités politiques, mais toujours est-il qu'on ne peut pas l'invoquer pour tenter d'asseoir des droits qui n'existeraient qu'au Québec et qui n'existeraient nulle part ailleurs.

Je reviens à votre mémoire. Vous dites avec raison: Si le catholique ou le protestant...

M. Shaw: M. le Président, j'ai aussi une question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Oui.

M. Shaw: Sur le même sujet. La question de l'article 93, le jugement...

Le Président (M. Cardinal): Est-ce une question de règlement?

M. Shaw: C'est... parce que...

Le Président (M. Cardinal): Un instant, s'il vous plaît!

M. Shaw: C'est une question de règlement à la situation...

Le Président (M. Cardinal): Non. Je regrette. Je regrette. M. le député, je regrette. Ce n'est pas une question de règlement en vertu de nos règlements ici. C'est une question au ministre. Il n'est pas obligé de recevoir la question. Ce n'est vraiment pas une question de règlement. Je m'excuse vraiment de vous couper la parole.

M. le ministre de l'Education.

M. Morin (Sauvé): Merci, M. le Président. Vous dites avec raison: Si le catholique ou le protestant opte pour inscrire son ou ses enfants à l'un des régimes d'enseignement catholique ou protestant du Québec, sa liberté de choix est garantie par le British North America Act. Tout à fait exact. Jusque là, c'est impeccable. Cette garantie rend donc nulles les restrictions proposées aux articles 51, 52 et 59 du projet de loi, car ces derniers, à notre avis, défendront à certains protestants de s'inscrire aux écoles protestantes anglaises. La question que je vous pose est celle-ci: Les articles 51, 52 et 59 du projet de loi vont-ils interdire à des parents d'inscrire leur enfant à l'école protestante française?

M. Denis: Non, s'il y a des écoles protestantes françaises.

M. Morin (Sauvé): Vous ne savez pas qu'il existe des écoles protestantes françaises?

M. Denis: Oui, il en existe, des écoles protestantes françaises dans notre région. Il en existe dans notre région.

M. Morin (Sauvé): Revenons au texte. Est-ce que les articles 51, 52 et 59 empêchent un protestant d'inscrire son enfant à l'école protestante?

M. Denis: Si vous arrêtez votre énoncé là, non.

M. Morin (Sauvé): Bien. C'est tout ce que je voulais savoir. Cependant votre mémoire est fondé sur l'idée que les articles 51, 52 et 59 empêchent un protestant de mettre son enfant à l'école protestante anglaise, ce qui est faux. Vous le savez comme moi. Je crois qu'il y aurait lieu de "do your research over", n'est-ce pas? Parce que ce n'est pas très précis comme mémoire et quand on veut vraiment défendre des droits de façon à être entendu et de façon à convaincre, on doit faire son "homework".

M. Denis: C'est beau de jouer sur les mots, cher M. le ministre, et vous avez amplement raison dans ce que vous venez de dire. Cependant, il y a des situations où il n'y aura pas d'école protestante française disponible, dans le cas d'un protestant français, ou l'école protestante sera trop loin, alors, qu'est-ce qui se passe dans un cas comme celui-là?

M. Morin (Sauvé): Est-ce que ce n'est pas le cas pour certains catholiques: Quand il n'y a pas de catholiques dans une région, un enfant catholique doit se déplacer, n'est-ce pas? Cela arrive à travers tout le Québec et forcément, ailleurs qu'au Québec aussi. N'est-ce pas? Et s'il y a beaucoup d'enfants protestants francophones, il faudra qu'il y ait des écoles protestantes francophones. C'est tout. Elles sont en pleine croissance à l'heure actuelle. Le nombre d'élèves a doublé depuis quelques années et cela n'est pas fini.

M. Denis: II n'y a rien dans ce que le gouvernement a proposé jusqu'ici qui suggère que vous allez faire cela. De toute façon...

M. Morin (Sauvé): En tout cas, monsieur... De toute façon, comme vous le dites...

M. Denis: De toute façon, comme vous avez dit, il n'y a aucun doute sur la jurisprudence au sujet de l'article 93 de l'AANB et j'en reviens encore à notre recommandation, donc il n'y aura aucun problème.

M. Morin (Sauvé): Alors, il n'y a pas de problème. Vous admettez donc que l'article 93 ne porte que sur la confessionnalité. Bon. Si c'est le cas, je dirai tout simplement pour conclure ce débat, parce que je ne veux pas l'éterniser, qu'il n'est pas question, dans cette Charte de la langue française, de priver des parents catholiques ou protestants du droit qui leur est accordé depuis fort longtemps par le British North America Act, soit celui d'inscrire leurs enfants à l'école confessionnelle de leur choix. Il faut que cela soit clair, et qu'on fasse une distinction très précise entre les droits confessionnels et les droits linguistiques. Cela n'est pas la même chose.

Les droits confessionnels, quant à eux, je puis vous l'affirmer — je ne sais pas si vous avez besoin d'être rassurés, mais pour le cas où vous auriez besoin de l'être — que les droits confessionnels ont été, sont et demeureront scrupuleusement respectés.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je veux remercier, premièrement au nom de l'Opposition officielle, les témoins pour leur mémoire. Ils semblent avoir pris une approche différente qui est basée sur des réalités différentes du projet de loi no 1, l'approche qui est très positive, c'est qu'il existe deux collectivités principales, linguistiques et culturelles qu'on pourrait appeler les collectivités fondatrices, au Qué-

bec et que le projet de loi no 1 n'accepte pas cette réalité. Ils reconnaissent la primauté du français et ils donnent des exemples de mesures très positives que leur commission scolaire a entreprises pour aider à la francisation et à la reconnaissance de la communication en français.

Je croyais que le ministre avait changé un peu son approche, qu'il réagissait un peu plus positivement, mais je vois qu'il a repris ses mauvaises habitudes de la semaine dernière...

Le Président (M. Cardinal): ...

M. Ciaccia: Excusez, le ministre d'Etat au développement culturel, M. le Président, de traiter le mémoire de science-fiction et de vouloir préserver le statu quo, je crois que ce n'est aucunement la réalité de ce mémoire; je crois que ce mémoire reconnaît spécifiquement premièrement que le soi-disant statu quo, ça fait longtemps que cela a changé, l'interprétation de quelques-uns sur le statu quo. Quant au ministre de l'Education, je m'arrêterai très brièvement sur son intervention.

Premièrement, je suis très heureux de voir, après une semaine et demie de discussions sur la langue d'enseignement qu'il est venu assister à la commission. Cela fait à peu près une semaine que nous demandons, M. le Président, où est le ministre de l'Education pour répondre à certains de ces mémoires, non du point de vue légal ou comme expert en droit constitutionnel, mais de répondre aux aspects...

M. Charbonneau: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Verchères.

M. Charbonneau: Je pense, M. le Président, que vous avez déjà statué que les interventions d'un côté et de l'autre de la Chambre ne devaient pas mener à des débats. Je pense qu'actuellement, le député de Mont-Royal ouvre la porte à un débat et je vous demande de le rappeler à l'ordre.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Un instant. Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: II faudrait quand même faire la différence entre des propos qui déplaisent simplement. Est-ce que le député de Verchères croit devoir faire un débat à tout propos qui ne fait pas son affaire? A ce moment-là, M. le Président...

M. Charbonneau: Vous pouvez continuer à "dé-conner", ça...

M. Lalonde: ...j'ai entendu le ministre, à plusieurs reprises, dire des choses et même à certaines reprises, presque au nom d'autres partis, qui ne faisaient pas du tout mon affaire. On l'a laissé terminer, poliment, comme le règlement l'exige.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys, je ne reprendrai pas vos paroles, parce que je participerais au débat et que j'entrerais dans un débat politique. Mais je dirais que, dans le fond, vous avez raison, et qu'il est possible, à cette commission, de discuter dans des termes polis, qui ne soient pas violents ni blessants envers ces personnes. Je redonne la parole au député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. J'aurais certainement apprécié, je suis certain qu'il y a des témoins qui auraient apprécié la présence du ministre avant ce soir pour traiter de sujets comme l'éducation plutôt que comme avocat-conseil du gouvernement.

Mais je voudrais seulement signaler un aspect de l'article 93. C'est vrai que l'article 93 traite de la confessionnalité. Mais il y a un point qui a été soulevé par plusieurs juristes et je crois que ce point est maintenant devant les tribunaux et qu'il n'y a pas de décision de la Cour suprême sur ce point spécifique où, dans l'article 93, on se réfère à tout acte ou décision d'une autorité provinciale affectant l'un quelconque des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de la reine, relativement à l'éducation.

Il y a une école qui préconise et qui est d'opinion que ces droits ou privilèges se réfèrent à certains droits linguistiques qui existaient avant 1867.

M. le Président, je ne veux pas partir un débat juridique, mais je veux seulement signaler que ces gens, ici, sont de bonne foi, parce que ce sont des avis juridiques que plusieurs commissions scolaires protestantes reçoivent de leurs conseillers juridiques. Le ministre avait soulevé cette question, s'ils sont de mauvaise foi ou s'ils ne connaissent pas la loi. Et je crois qu'avant de se prononcer, finalement, sur cet aspect particulier, on devrait laisser cet aspect, si nécessaire, aux tribunaux.

Mais je préférerais discuter... Comme la plupart des mémoires et la plus grande partie de ce mémoire-ci se réfèrent à d'autres aspects et c'est seulement un chapitre... Je crois qu'on ne devrait pas enlever, essayer d'enlever la valeur totale ou réduire complètement les aspects positifs de ce mémoire en attaquant l'aspect juridique. Je crois qu'on est tous d'accord, M. le ministre, que vous êtes meilleur juriste que les témoins.

Retournons aux aspects positifs du mémoire. MM. les témoins, vous avez dit, je crois, à la page 32 de votre mémoire, qu'après plus de dix ans d'efforts et de bon vouloir, les Québécois anglophones et francophones en sont arrivés à une compréhension et à une coopération mutuelle dynamique.

Si je comprends bien, vous voulez plutôt tenter d'unifier les deux collectivités, les deux groupes linguistiques. Est-ce que vous pourriez nous donner plus de détails sur cette approche que vous avez prise? Qu'est-ce que vous avez fait exactement?

Donnez-moi quelques exemples de la coopération ou d'efforts que vous avez faits avec la communauté francophone?

M. Denis: Pour répondre à cette question, je vais passer la parole à mon collègue, M. Greig.

M. Greig: M. le Président, je pourrais peut-être souligner trois ou quatre incidents où il y a eu un échange, une coopération positive. Je peux citer une situation où il y a toujours eu l'échange d'information concernant l'interprétation, l'application et les directives qui nous viennent du ministère de l'Education. Il y a eu aussi une coopération entre les commissions scolaires concernant les écoliers dans les régions assez éloignées, c'est-à-dire où il y avait peut-être des problèmes dans les écoles où il y avait deux ou trois enfants et qu'il y avait un problème pour une certaine commission concernant les affaires d'éducation.

Il y a eu, dans le passé, une coopération dans les problèmes de transport. Il y a toujours un échange d'information concernant les rôles de taxes. Ce sont les situations que je peux citer à ce moment-ci.

M. Ciaccia: Aux pages 4 et 5, vous parlez de programmes facultatifs d'animateurs qui, vous dites, sont uniques en leur genre au Canada. Est-ce que vous pourriez expliquer un peu ce genre de programmes auxquels vous référez?

M. Greig: Nous avons un programme dans notre système scolaire où nous avons des animatrices présentes dans la classe, qui peuvent donner certains aspects culturels aux enfants concernant leur situation dans la région, c'est-à-dire que la classe est d'abord menée en français. C'est toujours la langue française qui est parlée. Ils peuvent peut-être discuter de sujets d'intérêt aux étudiants. Je parle surtout au niveau scolaire élémentaire. On parle des enfants très jeunes, mais elles peuvent toujours discuter avec eux, les amener dans une excursion, ils peuvent même faire des voyages à l'extérieur avec l'animatrice.

M. Ciaccia: Quand vous parlez de liberté de choix, dans votre mémoire, je tiens pour acquis que sur les articles 51 et 52 vous voulez des changements qui ont une certaine restriction sur la communauté anglophone pour que cela reflète vraiment que les enfants qui auraient le droit d'aller aux écoles anglaises devraient être des membres de la communauté anglophone, non seulement des enfants de parents qui ont fréquenté les écoles élémentaires anglaises au Québec... mais quand vous parlez de la liberté de choix, tenant compte de cet aspect que vous voulez changer ou modifier, vous acceptez qu'il y a une liberté de choix pour les enfants anglophones et quand vous préconisez la liberté de choix, est-ce au niveau des principes de dire que concernant les questions d'enseignement, ce n'est pas l'Etat qui devrait prendre les décisions pour les parents? Ce n'est pas une imposition que vous voulez faire aux francophones. Vous voulez seulement souligner que, d'après ce projet de loi-ci, les enfants qui vont fréquenter les écoles anglophones auront le bénéfice des deux langues, mais que, d'après les exigences du projet de loi, les enfants qui fréquenteront les écoles francophones n'auront pas ces bénéfices. Est-ce exact?

M. Denis: II n'y a rien...

M. Laplante: ...un meilleur rédacteur.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Le député de Bourassa, à l'ordre. M. Denis.

M. Laplante: II aurait été un bon rédacteur...

M. Denis: ...dans notre mémoire...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre!

M. Denis: ...qui suggère...

Mme Lavoie-Roux: ...de toute façon.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Ne perdez pas le temps... M. Denis, s'il vous plaît.

M. Denis: ...que les anglophones...

M. Grenier: A l'ordre les gens du parti ministériel! Demeurez calmes.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Bourassa et M. le député de Mégantic-Compton, je vous prierais de laisser la parole à M. Jean Denis.

M. Denis: II n'y a rien dans notre mémoire qui suggère que les anglophones, non seulement de l'Ouest du Québec, mais de toute la province, n'ont pas le choix d'envoyer leurs enfants à l'école de leur choix. Il faut admettre, et nous admettons avec plaisir, que les anglophones établis au Québec actuellement ont le choix, et il appert qu'ils auront toujours le choix d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise ou française. Néanmoins, ce choix n'est pas transmis à tous les Québécois. C'est le point auquel nous nous opposons.

M. Ciaccia: Quand vous vous référez à la Charte des droits de l'homme, il me semble voir dans votre mémoire que vous vous opposez au fait que la possibilité de certaines décisions, même de toutes les décisions qui se rapportent au projet de loi, sera enlevée à un individu qui, par exemple, voudra avoir recours aux tribunaux. Je crois que, pour certaines décisions, que ce soient les articles 23, 36, 37 ou tous les autres articles qui pourraient affecter un individu qui se croirait lésé, c'est le gouvernement qui va prendre ces décisions et qui va prendre la décision finale. Je crois que le but de la Charte des droits de l'homme, c'était justement de donner le droit à un individu de se protéger et d'avoir un recours contre un gouvernement. De la façon que le projet de loi est rédigé, avec l'article 172, que l'arbitre de la décision finale soit la bureaucratie, que ce soit n'importe qui, dans ce domaine de la charte, dans tous les articles, tout recours à la Charte des droits de l'homme est retiré, et c'est le gouvernement qui va prendre les décisions qui pourraient affecter les individus. Ce seraient des décisions qui pourraient affecter leurs droits fondamentaux. Je crois que, quand vous soulignez cet aspect, vous n'êtes pas les seuls. Je pense que même la Commission des droits de la personne a souligné aussi certains aspects dangereux et nocifs du projet de loi 1,

notamment l'article 172. Je croirais cela encore plus important que la question de la langue d'enseignement et de ceux qui vont avoir le droit de fréquenter les écoles anglophones ou francophones, et, tenant compte de l'enseignement d'une langue seconde, je pense que l'aspect le plus dangereux et le plus nocif pour un individu, que ce soit un francophone ou un anglophone, c'est encore le fait qu'il se voit enlever le droit de recours aux tribunaux pour tous les droits qui y sont contenus ou toutes les possibilités de recours à des droits qui sont contenus dans la charte.

Je vous remercie, messieurs. Je vais céder la parole à M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: Thank you very much, Mr President. Mr Denis, first of all, I would like to congratulate you on what I consider one of the best briefs that I have seen presented to this commission. Its positiveness...

M. Charbonneau: ... l'Union Nationale?

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Shaw: Monsieur, je... As usual, we are getting that noisy guy...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre!

M. Shaw: It is this type of attitude which, I think, has made Québec the great place that it has always been to live in. We know that, in your district of Québec, the relationships between the English-speaking and the French-speaking Quebecers has always been a model for all of us to recognize. It is...

M. Charbonneau: C'est un bon petit unioniste.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Shaw: It is interesting to see how our friends, our colleagues on the other side of the table, regard the effort that you have made in presenting this brief, and the type of listening that they are giving to it.

I suggest very strongly, for example, that these is something that you have recognized in this brief, two collectivities in the Province of Québec, equally proud of their heritage and background and who are just as determined to ensure the future of their system of education as are our colleagues concerned about the preservation of the French system of education in this country. I refer, for example, to article 93 and article 133 of the British North America Act, which were placed in this act specifically not to protect the English language or the protestant religion in the Province of Québec, but to guarantee the access to the courts, to the National Assembly of the Province of Québec and the Parliament in Ottawa and a system of confessional education in French for French-Canadians in 1867. For this reason, I understand that the judgment of the Supreme Court of

Canada in the case of the testing of section 93 in Ontario, which never was subject to the application of that section of the BNA Act was reversed at the Supreme Court. That this is wrong, I agree, and I think this is explained very well in your brief, when you suggest that Ontario is making great strides to try and match what we, as English-speaking Quebecers, have known as a positive attitude towards our collectivity in this province up to date, or up to, say, 1976.

I would like to ask you a few questions concerning your brief which are of particular interest to me, because I see in so many of the briefs that I have heard in the last two days a determination to try and set this "ghettoisation" of the French-speaking community, and that is number one, access to these areas of education which you referred to including the sciences. Is it your opinion that under the present system of French education in the Province of Québec, a graduate of that system is adequately prepared to enter higher learning in the sciences and in the professions?

Vous pouvez me répondre en français, si vous voulez.

M. Denis: Oui, je vais vous répondre en français, de toute façon. Pourriez-vous préciser votre question, à savoir si elle s'applique à quelqu'un qui veut se lancer dans les études supérieures en anglais ou en français?

M. Shaw: Dans n'importe quel domaine. Croyez-vous que quelqu'un qui fait ses études dans le système français, au Québec, maintenant, est assez préparé pour faire face à n'importe quel, disons, problème, dans un système d'éducation supérieure universitaire? Je pose la question, s'il vous plaît...

Une Voix:...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le député! Un instant! Je suis obligé, malheureusement, à cette heure-ci, de rappeler que tant qu'un député a la parole — et c'est le député de Pointe-Claire — aucun député ne doit l'interrompre, si ce n'est pour lui demander la permission de lui poser une question.

M. le député de Pointe-Claire et M. Denis.

M. Denis: Merci. C'est une question qui, à prime abord, a l'air difficile à répondre, mais finalement, il faut tout de même dire que nous avons beaucoup de Canadiens français très compétents dans toutes les professions au Québec. Il a sans doute fallu, si c'est du côté scientifique, qu'ils développent une certaine facilité avec la langue anglaise, car il est tout de même reconnu que dans les sciences, que ce soit au niveau du CEGEP ou au niveau universitaire en français, la majorité des livres sont en anglais. Donc, ça demande... Il faut absolument en avoir une connaissance suffisante pour acquérir les informations nécessaires.

Je pourrais dire qu'à venir jusqu'ici, à mon avis, les Canadiens français, qui ont une connaissance adéquate de l'anglais, ont la tâche beaucoup plus facile pour réussir dans toutes professions. Mais je veux répéter qu'il faut admettre que le Canadien français...

On a formé des gens très compétents dans toutes les professions au Québec.

M. Shaw: Mais il a souvent été dit en Chambre et ici à la commission parlementaire que les positions avantageuses dans l'économie étaient toujours réservées aux anglophones. Croyez-vous que notre système d'éducation a peut-être contribué à cette situation?

M. Denis: Selon moi, le système d'éducation y a contribué, en ce sens que, pour obtenir les hauts postes — et ceci est une priorité québécoise — dans l'industrie et dans le commerce, il faut absolument être parfaitement bilingue. Quelques-uns, comme moi, grâce à des parents éclairés et aux chances que j'ai eues... J'ai eu une éducation qui m'a tout de même donné une certaine facilité dans la langue anglaise, ce qui m'a permis de faire n'importe quoi, n'importe où au Canada. Comme je le dis, c'est une réalité québécoise et, depuis longtemps, j'entends dire qu'il faut absolument...

Le Président (M. Cardinal): M. Denis, veuillez utiliser votre micro, s'il vous plaît. Nous perdons une partie de...

M. Denis: Je n'ai pas de...

Le Président (M. Cardinal): Approchez-le de vous.

M. Grenier: Ce n'est pas parce que M. Denis ne parte pas assez fort. C'est parce qu'il n'y a pas moyen d'empêcher les gens de l'Opposition de grogner.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: ... du gouvernement.

M. Grenier: ... du gouvernement, les ministériels qui grognent depuis le début.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! M. Denis, je vous en prie.

M. Grenier: On les a écoutés soigneusement tout à l'heure, même si cela ne faisait pas notre affaire.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre, M. le député de Mégantic-Compton.

M. Denis, retournez le micro vers vous et parlez plus près du micro, s'il vous plaît.

M. Alfred: Question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Papineau.

M. Alfred: Je tiens à rappeler au député de Mégantic-Compton qu'on ne grogne pas de ce côté-ci.

M. Grenier: Allez prendre l'air!

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Ce n'est pas une question de règlement. M. Denis, s'il vous plaît.

M. Denis: Pour continuer et répondre encore une fois à la question...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Denis: II n'y a pas de doute que, dans les professions et dans l'industrie, si quelqu'un a l'espoir d'obtenir les plus hauts postes, et je dirais même au sein du gouvernement québécois, il est plus qu'avantageux d'être parfaitement bilingue.

M. Shaw: Sûrement.

La dernière question que je voudrais poser est celle-ci: Croyez-vous que, même avec la séparation, même avec le bill 1, cette demande d'une forte connaissance de l'anglais va changer?

M. Denis: Encore une fois, je peux vous donner mon opinion personnelle. Comme homme d'affaires, la seule réponse que je puisse vous donner, c'est non.

M. Shaw: Merci, monsieur.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Beauce-Sud.

M. Roy: Merci, M. le Président. Je voudrais demander à M. Denis, après avoir écouté les réponses à la suite des questions qui lui ont été posées, je voudrais vérifier pour voir si j'ai bien compris.

Je pense que vous favorisez en quelque sorte un bilinguisme intégral au Québec. Ai-je bien compris?

M. Denis: Je ne veux pas forcer le bilinguisme de qui que ce soit, personnellement. Les membres de l'organisme que je représente m'ont chargé de mentionner le fait qu'ils sont tous en faveur du bilinguisme, pour autant que la collectivité anglophone de l'Ouest du Québec est concernée.

De là à forcer le bilinguisme pour tout le monde, absolument pas, mais on croit que tous ceux qui veulent devenir bilingue devraient avoir la chance, et la chance offerte par l'Etat, de le devenir.

M. Roy: En somme, vous voulez que, dans certaines régions du Québec, là où il y a des anglophones, le bilinguisme soit préservé, si j'ai bien compris votre mémoire. C'est cela?

M. Denis: Non. Je ne crois pas que cela soit ce qu'on veut dire. Quand vous parlez de certaines régions du Québec, comme on l'a mentionné, la société anglophone doit devenir bilingue. On n'a aucune objection. Donc, ipso facto, il n'est absolument pas nécessaire que les francophones dans cette région — on parle de régions éloignées — deviennent bilingues car il y aura moyen de communiquer avec efficacité entre les deux groupes.

M. Roy: Mais vous reconnaissez cependant un

des objectifs du projet de loi, à savoir que le Québec doit être et doit demeurer un territoire de culture et de tradition française, comme territoire. Est-ce que vous admettez ce principe?

M. Denis: Non seulement nous l'admettons, mais je crois que nous l'avons répété plusieurs fois dans notre mémoire. Nous l'acceptons et nous sommes fiers — quand je dis nous, je veux dire le groupe que je représente — de s'y joindre.

M. Roy: En somme, ce que vous craignez actuellement, c'est que les anglophones ne soient pas en mesure de conserver leurs écoles. Je voudrais avoir bien compris.

M. Denis: La peur principale des anglophones, telle qu'exprimée dans notre mémoire, en ce qui concerne les anglophones établis au Québec actuellement... il est évident que leurs droits linguistiques sont préservés par le projet de loi no 1.

M. Roy: Vous admettez qu'ils sont préservés par le projet de loi no 1.

M. Denis: On admet qu'ils sont préservés pour les anglophones existants au Québec. C'est évident.

M. Roy: Alors, les craintes que vous manifestez, c'est à l'endroit des nouveaux immigrants.

M. Denis: Les craintes qu'on manifeste, c'est qu'on réalise qu'avec le temps, le nombre d'anglophones va décroître forcément, par migration normale, un peu par assimilation, sans doute et le résultat sera que d'après les normes établies par le ministère de l'Education, si le nombre d'élèves dans une école décroît, automatiquement vous perdrez plusieurs privilèges, des options de certains cours, et des choses comme celles-là. Alors, la qualité de l'enseignement va aussi en souffrir. Quoique les anglophones que l'on représente sont d'accord avec plusieurs des propositions du bill 1 au point de vue de rapprochement, même une certaine intégration, ils ne veulent pas, tout de même, que ce soit au prix de la perte de la qualité de leur enseignement à laquelle on leur donne droit dans le bill no 1.

M. Roy: M. le Président, les craintes que M. Denis manifeste à la commission, nous avons entendu des craintes identiques de la part de certains mouvements francophones de certaines régions de Montréal, qui nous disent exactement la même chose. Or, les groupes francophones de la région de Montréal invoquent comme argument qu'ils font partie de la majorité française du Québec et ils demandent, pour être en mesure de garder leurs écoles et de pouvoir se développer et garder les privilèges et les services des écoles, que les nouveaux immigrants qui viennent s'établir au Québec et que les groupes ethniques s'intègrent à la communauté francophone. En somme, le problème, pose la question à savoir qui va réussir ou qui pourra se justifier d'intégrer les immigrants. Parce que je m'aperçois, M, le Président, au fur et à mesure de nos délibérations que le problème se situe au niveau des immigrants beaucoup plus que ceux qui sont établis ici au Québec. Est-ce que la solution — c'est là qu'est le fond de ma question — ne serait pas de faire en sorte d'en venir à créer un seul réseau d'écoles publiques au Québec, de façon que chacun de ces groupes ethniques, les anglophones, les Italiens, les Grecs, tous les autres groupes, puissent avoir à l'intérieur de ces écoles, de ce réseau d'écoles uniques, les services qu'ils réclament pour l'épanouissement de leurs enfants? Est-ce que vous ne croyez pas qu'il serait beaucoup plus avantageux, pour qu'on mette un terme à ce débat, qui n'est pas provincial, qui est localisé à Montréal, qui est localisé dans certaines régions métropolitaines et dans la région de l'Outaouais, mais qui n'est pas provincial quand même... ne croyez-vous pas que ce qui s'est fait ailleurs dans d'autres régions du Québec et qui a permis à des gens de vivre dans une parfaite communauté, ne serait pas justement la solution à ce problème qui constituera toujours un problème tant et aussi longtemps que les deux réseaux d'écoles publiques vont exister?

Le Président (M. Cardinal): Un instant, M. le député de Beauce-Sud j'espère que c'est votre dernière question puisque...

M. Roy: C'est ma dernière question, mais je tiendrais à avoir la réponse, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Certainement. M. Denis.

M. Denis: Nous avons déjà un système de ce genre dans l'Outaouais et, pour l'instant, nous ne voyons pas l'obligation d'en créer un autre. Peut-être que mon collègue ici pourrait mieux répondre à cette question.

M. Greig: Si je peux ajouter à ce que M. Denis vient de dire en réponse à votre question, nous avons déjà un système qui peut offrir aux immigrants, soit d'envoyer leurs enfants dans un système où ils vont avoir l'anglais comme langue d'enseignement ou de les envoyer aux écoles francophones, c'est-à-dire que nous avons déjà les deux systèmes pour recevoir les immigrants. Nous demandons seulement que ces immigrants aient toujours le privilège de choisir l'école ou la langue de l'enseignement. C'est un avantage pour eux et c'est un avantage pour nous ici au Québec, puisque nous pourrons toujours recevoir des immigrants qui peuvent apporter une contribution positive à notre province.

M. Roy: Est-ce que c'est un avantage pour la majorité francophone québécoise?

M. Greig: Oui, certainement. Elle peut toujours continuer d'accepter les enfants des différents immigrants qui choisissent la langue française comme langue d'enseignement.

M. Roy: J'avais d'autres questions, M. le Président, mais je vous regarde...

Le Président (M. Cardinal): Oui, merci de me regarder. Je cède la parole à Mme le député de

L'Acadie en soulignant que dans cette échange, et non pas ce débat, il reste cinq minutes au parti de l'Opposition officielle et une minute au parti ministériel.

Mme le député de...

Il reste à l'Union Nationale, je m'excuse si je ne l'ai pas indiqué, deux minutes.

Alors, Mme le député de L'Acadie.

M. Mackasey: Combien de temps nous reste-t-il, M. le Président?

Le Président (M. Cardinal): Cinq minutes au parti de l'Opposition officielle.

M. Mackasey: Le système est une farce, c'est de valeur à dire. Mais continuez, excusez-moi.

Le Président (M. Cardinal): Je regrette, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, mais je suis lié par une motion qui a été adoptée par les membres de cette commission.

M. Mackasey: C'est pas de votre faute, je comprends.

Le Président (M. Cardinal): Ce n'est pas ce que je veux dire, mais quand même... Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je vais être très brève pour laisser à mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce la chance de s'exprimer également. Je veux d'abord remercier les représentants de la commission scolaire anglaise de l'Ouest du Québec d'être venue présenter un mémoire. Je vais prendre les deux minutes qui suivent simplement pour poser certains points d'interrogation.

Je veux d'abord dire que je suis assez étonnée de la façon dont le ministre d'Etat au développement culturel a procédé avec ce groupe-ci. Que l'on pose des questions, que l'on tente de sensibiliser les gens qui viennent devant nous à d'autres aspects d'une situation, j'en suis. Mais que l'on nie de façon aussi totale ce que cette communauté a tenté de faire,—je vous réfère aux pages 4 et 5 de leur mémoire — que le ministre oublie que nous sommes en démocratie et que tout le monde ne peut pas venir ici faire des compliments à son projet de loi et, surtout, qu'il oublie que des gens devront vivre avec cette loi qui sera fort probablement adoptée... J'ignore, à ce moment-ci, quels amendements nous pourrons y apporter pour qu'elle soit acceptée de façon plus globale qu'elle ne semble l'être à ce moment-ci.

Des efforts devraient être davantage déployés pour essayer de comprendre les opinions qui sont exprimées devant cette commission dans le sens de produire un rapprochement et non pas faire que les gens partent d'ici avec une plus grande résistance que lorsqu'ils y sont venus. Je trouve l'attitude du ministre d'Etat au développement culturel, qui a pris je ne sais combien de minutes — c'était son droit d'ailleurs — pour caricaturer la présentation que vous avez faite tout à fait inappropriée.

Le Président (M. Cardinal): Merci, madame. M. le député de Mégantic-Compton, avec deux minutes.

M. Grenier: Très rapidement. Je dois vous dire d'abord, messieurs, que pour... c'est étrange quand on assiste... Il y a toujours un mémoire qui fait l'affaire d'un côté et un mémoire qui fait l'affaire de l'autre. J'ai hâte que quelqu'un puisse passer entre les deux. Je pense que ça ne se trouvera pas d'ici la fin.

Je voudrais vous féliciter, puisqu'il me semble que dans la réalité québécoise actuelle, c'est peut-être un mémoire très sensé. Je ne dis pas qu'il se rapproche de la position gouvernementale ou de la position ministérielle, mais il me semble qu'il est sensé, qu'il est réaliste pour le contexte actuel du Québec.

Ce qui m'intéresserait de connaître de votre côté, c'est que vous avez affirmé tout à l'heure, à une question que vous a posée le député de Pointe-Claire, que vous reconnaissiez qu'on devait faire du Québec une communauté française, en projeter une image française.

A partir de là, quels seraient les secteurs de la loi 1, où vous voyez qu'il y a possibilité pour l'élément anglophone du Québec de coopérer avec assez de facilité pour donner cette image française au Québec?

M. Denis: Je crois que nous avons démontré que, dans l'Outaouais, du moins, il y a eu un effort, depuis déjà une dizaine d'années, pour projeter cette image, si on peut dire, de francisation de la communauté anglophone.

J'ai répété plusieurs fois que le comité qu'on représente est tout à fait d'accord avec cela. Franchement, je ne vois pas ce qu'on peut ajouter de plus, en réponse à votre question. Ce processus de francisation de l'élément anglophone dans l'Ouest du Québec eixste déjà depuis quelques années et va de l'avant. Comme je l'ai expliqué, nous sommes sur le point d'avoir nos premiers diplômés des écoles secondaires anglophones qu'on peut réellement appeler vraiment bilingues, avec une appréciation de la culture française.

M. Grenier: On l'a dit à d'autres groupes qui sont passés ici. Il est probablement clair que la communauté anglophone du Québec, avant les années 1961, 1962 ou 1963, n'a peut-être pas fait les efforts qui auraient dû être faits par une minorité dans une province, comme c'est probablement le péché de nos minorités francophones dans les autres provinces pour s'intégrer à la majorité.

Mais croyez-vous que, depuis dix ou douze années, cet effort s'est accru et qu'on nous présente des résultats qui devraient être acceptables sans qu'on ait... J'ai toujours prétendu que légiférer dans un secteur comme la langue, les moeurs ou la religion, c'est toujours pénible. Est-ce que vous pensez que ce cheminement aurait pu se faire assez facilement ou pourrait continuer de se faire, sans recours à des mesures trop coercitives?

M. Denis: Oui, nous le pensons. C'est un des buts de notre mémoire. On a mentionné ce fait que nous pensons que le processus va se continuer normalement et que, en légiférant, on risque de créer une situation qui aura de la difficulté à se cicatriser plus tard.

M. Grenier: Merci.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Mégantic-Compton. M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, avec trois minutes de grâce.

M. Mackasey: M. le Président, j'ai seulement une question à poser au témoin, mais vous pourrez répondre très brièvement. Je connais bien votre localité. Combien y a-t-il de familles françaises qui ont à leur disposition l'argent pour envoyer leurs enfants à l'école privée, à Montréal peut-être, comme bien des ministres font, pour apprendre une deuxième langue? How many...

M. Greig: Si je peux répondre, monsieur. Je ne crois pas que nous ayons dans notre région beaucoup de familles qui ont les moyens financiers d'envoyer leurs enfants aux écoles privées.

M. Mackasey: Merci beaucoup.

M. le ministre de l'Education, je suis content que vous soyez ici ce soir, pour parler directement au témoin, si vous voulez. J'aurais été plus heureux si vous aviez été ici pour parrainer un projet de loi sur l'Education et, s'il y avait eu un autre ministre pour parrainer un projet de loi dans le domaine commercial. Je sais que c'est difficile de me comprendre, M. le ministre. Voulez-vous que je parle plus fort, ou moins fort?

M. Morin (Sauvé): Non, je me demandais si je n'avais pas besoin de traduction. Continuez.

M. Mackasey: C'est simplement pour vous dire qu'il y a d'autres experts que vous sur la constitution, n'est-ce pas? Par exemple, le professeur Scott, le professeur Forsey, le professeur Ramsey Cooke, aussi compétents que vous dans le domaine de la constitution. Nous ne sommes pas ici pour discuter de la constitution, pour rire des témoins qui viennent ici de bonne foi. Tant que vous avez, M. le ministre...

M. Morin (Sauvé): Ramsay Cook n'a jamais soutenu ce que vous venez de dire, M. le député. Je pense qu'il ne faut pas confondre Ramsay Cook, qui est un historien, avec Eugene Forsey, qui est un juriste.

M. Mackasay: Oui, un historien. Je pense que vous aussi, quand je vois quelques articles du bill.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre! A l'ordre, s'il vous plaît. Si vous voulez terminer brièvement, s'il vous plaît.

M. Mackasay: En tout cas, M. le Président, MM. les témoins, tant que nous aurons dans ce bill l'article 172, nous serons tous craintifs dans cette province, pas seulement les anglophones... Ce n'est pas la faute des deux ministres ici, mais j'étais ici, dans cette province, quand les "Jehovah Witnesses" dont vous vous souvenez sans doute beaucoup, quand vous étiez un peu plus radical, M. le ministre, n'avaient aucun droit individuel dans la collectivité. La première chose que vous devriez faire, c'est retirer cette clause immédiatement. Je pense que vous auriez moins de misère avec les minorités dans cette province.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, très brièvement, s'il vous plaît!

M. Mackasay: Cela va être difficile.

Le Président (M. Cardinal): II va falloir le faire.

M. Mackasay: Je peux vous dire qu'il me reste deux ou trois minutes.

Le Président (M. Cardinal): Non, il vous reste trente secondes.

M. Mackasay: Trente secondes. Je peux vous rappeler ce fait que mes amis les plus intimes dans cette ville n'ont pas été acceptés dans les collèges français, parce qu'ils étaient protestants français. Je suis d'accord avec le ministre quand il dit qu'ils avaient des droits acquis. Les Huguenots quittaient Québec. Il leur était défendu d'aller à l'école française, parce qu'ils étaient protestants. Vous avez raison quand vous dites que la constitution était basée sur la religion et non sur la langue.

Cependant, on a eu quelques défauts ici dans cette province. Je me demande quel danger posent les minorités à Montréal aux francophones si nous ne sommes pas assez protégés par le bill 22. Comment se fait-il que les francophones n'aient pas été assimilés dans la ville de Québec? J'ai passé ma jeunesse ici. J'ai été à l'école sur la rue de Salaberry avec Rodrigue Bilodeau, président de la CMA. Il y avait assez d'anglophones dans la ville de Québec pour qu'on ait un journal tous les jours ici. Maintenant on est à peine 15 000. Comment se fait-il que les anglophones sont presque complètement assimilés ici à Québec?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, je vous remercie. Il reste une minute au parti ministériel et j'accorde la parole au ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Trois brèves remarques, M. le Président. Je reconnais au député de L'Acadie le droit de me censurer. Je ne pense pas avoir caricaturé, mais j'ai quand même le droit, je crois, d'exprimer mon désaccord sur un mémoire avec autant de vivacité qu'elle a exprimé le sien sur d'autres mémoires qui ont été présentés.

Deuxième remarque. Je pense, messieurs, que c'est votre plaidoyer pour le libre choix qui vous a valu l'accord enthousiaste de certains députés. Nous, nous nous y sommes opposés, parce que le libre choix est intégrateur et assimilateur de tous les immigrants au détriment de la majorité francophone.

Je voudrais aussi vous signaler que les positions personnelles qu'ont exprimées ceux qui vous ont appuyés là-dessus sont leurs positions personnelles et vont à l'encontre de la position officielle de leur parti.

Troisième chose. Je voudrais vous demander, très brièvement, M. Denis, si vous trouvez que le projet de loi 1 est plus acceptable et moins contraignant que la loi 22?

M. Denis: Oui.

M. Laurin: Merci.

Le Président (M. Cardinal): M. Denis, est-ce que, très brièvement, parce que nous avons dépassé le temps et je l'ai fait avec beaucoup de flexibilité, vous pourriez conclure?

Je n'accorde pas le droit de réplique. Tout simplement, je vous permets de faire une brève conclusion.

M. Denis: Merci, M. le Président. Je tiens tout d'abord à remercier M. le ministre d'Etat au développement culturel qui a su quand même nous donner quelques bons mots au début de son allocution, même si au point de vue idéologique, il y a plus que la rivière Gatineau qui nous sépare. Vous pouvez être assurés — j'espère qu'on a pu vous convaincre par notre mémoire — que la collectivité anglophone de l'Outaouais a pris des actions très positives pour effectuer le rapprochement que vous souhaitez tous.

Néanmoins, il est apparent que le gouvernement actuel est en train d'élever un rideau linguistique fleurdelisé autour de la province, du milieu duquel le canadien français a beaucoup de difficulté à sortir. Par contre, nous reconnaissons, les anglophones de l'Ouest du Québec, que nous aurons toujours la capacité de nous en sortir, ainsi que d'y vivre richement et fièrement. Du moins, les anglophones auront ce choix lequel, malheureusement, vous ne jugez pas bon d'accorder à nos citoyens, à nos concitoyens québécois francophones. Sur ce, je remercie les membres de cette commission de nous avoir accordé la permission de venir ici.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Denis. Je remercie les porte-parole de la Collectivité anglophone d'éducation de l'Ouest du Québec. J'invite immédiatement l'Association des démographes du Québec, mémoire 162, à se présenter à cette table, s'il vous plaît. Ils sont censés être représentés par M. Robert Maheu. Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, avant de commencer l'étude d'un autre mémoire, j'aurais une demande à faire. Je ne la ferai pas sous la forme d'une motion, à ce stade. Cela peut dépendre de la réaction du ministre d'Etat au développement culturel.

Un journal, un quotidien, le Montreal Star, aujourd'hui, rapporte que le ministre prépare des amendements en profondeur au projet de loi que nous étudions actuellement. J'aimerais savoir tout d'abord si c'est exact, et, dans l'affirmative, je demande au ministre de faire connaître à la commission parlementaire le plus tôt possible les amendements qu'il aurait déjà décidé de proposer au gouvernement ou que le gouvernement aurait déjà acceptés. Je fais cette demande et je pense que c'est dans l'ordre, étant donné que cela touche les travaux de cette commission, parce que si des changements sont apportés aux volontés politiques du gouvernement, il est évident que ces changements auraient une influence sur les travaux de cette commission. Certains amendements pourraient rendre caducs des mémoires entiers ou, en- fin, des parties de mémoires. Cela pourrait raccourcir, en fait, éviter même à des gens de se déplacer pour venir nous voir. Alors, je ne suis pas sûr que j'aie exactement le numéro de l'article qui me permette de le faire, mais cela pourrait activer...

Le Président (M. Cardinal): Je vais vous le donner. M. le député de Marguerite-Bourgeoys, en vertu de l'article 100, vous avez certainement le droit de poser cette question. Le ministre a le droit d'y répondre ou de ne pas y répondre. Ce n'est pas à moi, mais à lui qu'il faut demander la permission, s'il désire répondre à la question.

M. Laurin: Je vais y répondre, M. le Président. Depuis le dépôt du livre blanc, je n'ai jamais fait mystère de mon ouverture d'esprit et de ma capacité d'accueil à toute suggestion valable et sérieuse qui pouvait m'être faite. J'ai d'ailleurs déjà apporté, avant même le dépôt en deuxième lecture du projet de loi, des amendements à la suite de certaines suggestions qui m'avaient été faites. Mon ouverture d'esprit reste égale et totale.

J'ai annoncé, il y a déjà plusieurs jours, que j'avais déjà institué un comité de révision chargé d'étudier toutes les représentations que je lui avais soumises et qui étudie également tous les mémoires avec nous et qui recueille mes commentaires, à la suite de ces auditions. Evidemment, quel sera le résultat de toutes ces recherches et de cette quête patiente que nous faisons, afin de travailler au rapprochement de tous les groupes ethniques, avec la majorité francophone du Québec? Il est trop tôt pour en parler, pour le moment, mais je veux simplement assurer le député de Marguerite-Bourgeoys que dès que cela sera possible, j'en saisirai la commission.

M. Lalonde: Je remercie le ministre.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Messieurs, je vous demanderais, s'il vous plaît, de vous identifier, chacun à tour de rôle, et, par la suite, rde décrire brièvement votre association et de présenter votre mémoire. Vous avez 20 minutes pour ce faire.

Association des démographes du Québec

M. Pierard (André): M. le Président, je vous remercie. Mon nom, c'est André Pierard. Je suis le président élu de l'Association des démographes du Québec. Je vous présente, à ma droite, M. Robert Maheu, qui est l'un de nos membres importants; c'est lui, entre autres, qui a été l'un des artisans du mémoire que nous vous présentons et, à ma gauche, M. Calvin Veltman, qui est également...

Une Voix: Monsieur?

M. Pierard: Veltman. V-E-L-T-M-A-N.

Une Voix: Un Américain.

Une Voix: ... s'il vous plaît.

M. Pierard: Moi, c'est Pierard. P-l-E-R-A-R-D. Une Voix: II vient de Plattsburgh.

M. Pierard: Cela, ce n'est pas tout à fait étranger.

Je voudrais vous dire que l'Association des démographes du Québec est une association qui existe depuis 1971, qui n'a que des fins professionnelles pures et simples, qui s'intéresse évidemment à la vie québécoise, bien entendu, puisque nous habitons le Québec. Nous comptons à peu près 135 membres. Nous avons présenté ce mémoire à votre attention. Je vais en faire une lecture qui ne sera pas tout à fait littérale et je m'en excuse, mais les tableaux ne se prêtent pas à une telle lecture.

Comme les démographes l'ont maintes fois souligné, la chute de la fécondité qui s'est produite depuis quinze ans a entraîné la rupture d'un équilibre séculaire. Les trois groupes linguistiques qui composent la population du Québec ont bénéficié chacun d'un facteur de croissance démographique ou, si on préfère l'expression, d'un avantage comparatif. Les francophones avaient pour eux leur forte fécondité, les allophones profitaient de l'immigration et les anglophones des transferts linguistiques.

Bien qu'il y ait des différences de mortalité entre les groupes au Québec, celle-ci n'a pas été, dans le passé, et ne devrait pas non plus constituer, dans l'avenir, un facteur différentiel important dans la croissance des groupes linguistiques au Québec. La fécondité, qui est l'autre composante du mouvement naturel des populations, aura vraisemblablement une importance nettement plus faible qu'autrefois. Depuis plusieurs années, la fécondité des francophones se situe entre celle des anglophones, qui est la plus faible, et celle des allophones, qui est la plus forte. La plupart des démographes prévoient un certain nivellement de la fécondité future, de telle sorte que les différences de fécondité s'atténueraient encore davantage. C'est donc dire que sûrement pour les francophones et peut-être pour les deux autres groupes, la fécondité ne sera pas non plus un facteur différentiel important dans la croissance des groupes linguistiques au Québec.

Dès lors que l'accroissement naturel est beaucoup plus faible que dans le passé, les autres facteurs affectant la croissance des groupes linguistiques ont un rôle proportionnellement plus important à jouer. Ces autres facteurs, que nous présenterons brièvement, sont les transferts linguistiques et les migrations.

Pour ce qui concerne les migrations, depuis 1968, les immigrants en provenance de pays étrangers ont eu approximativement la composition linguistique suivante: 20% de langue maternelle française, 30% de langue maternelle anglaise et 50% pour les autres langues maternelles. Durant cette période, comme auparavant, les anglophones et les allophones ont été surreprésentés dans la composition linguistique de l'immigration internationale.

Les anglophones constituent une fraction importante dans les échanges migratoires du Québec avec le reste du Canada.

Nous constatons, par ailleurs, que, si les anglophones sont surreprésentés parmi les entrées au

Québec, ils le sont également au sein des sorties du Québec.

Il est donc intéressant de disposer d'un bilan net des échanges migratoires du Québec avec l'extérieur pour chacun des groupes linguistiques. Il s'agit là, bien entendu, de la somme des entrées de toutes provenances soustraite des sorties vers toutes les destinations.

On observe, à cet égard, pour ce qui concerne le groupe de langue maternelle anglaise, un solde positif de 13 000 entre les années soixante et un et soixante et onze, pour la langue maternelle francophone, un solde négatif de 43 000 et, pour les personnes de langue maternelle autre, un solde positif de 40 000. Au total, on obtient un solde positif de 10 000.

Ces résultats ont été établis par une méthode indirecte et doivent donc être accueillis avec une certaine prudence.

Nous pouvons déduire que la migration a été un facteur de croissance très important pour les allophones, faible pour les anglophones et négatif pour les francophones.

Pour ce qui touche les transferts linguistiques, nous utiliserons cette expression pour désigner le cas où la langue d'une personne ne correspond pas à sa langue d'origine, lorsque la langue d'usage est différente de la langue maternelle essentiellement.

Les transferts linguistiques, de même que le choix d'une langue d'enseignement, dépendent des perceptions des réalités ou des avantages socio-économiques. Ceci est vrai non seulement pour les allophones, mais aussi pour les anglophones et les francophones. Nous avions mentionné cela il y a quelques années. Nous disposons aujourd'hui de données nouvelles qui viennent étayer ce point de vue.

Même si, à strictement parler, l'analyse des données économiques ne fait pas partie de notre science, il n'en demeure pas moins que certains processus démographiques, tels les transferts linguistiques, sont fortement influencés par la situation économique.

A partir de données inédites du recensement de 1961, J.-A. Boulet et A. Raynauld ont examiné l'importance de divers facteurs sur le revenu du travail. Ils ont conclu: "...à la lumière des faits recueillis tout au long de cette étude, il ne fait plus de doute que l'origine ethnique et la langue sont des facteurs de différentiation des travailleurs sur le marché montréalais... Les différences d'attributs entre les groupes ethniques, ou linguistiques dans les facteurs les plus conventionnels de détermination des revenus ne parviennent pas à annuler une partie substantielle des écarts observés de revenus".

Malgré certains rapprochements, la situation n'avait pas beaucoup changé au recensement de 1971 ; les anglophones demeuraient mieux rémunérés que les francophones. Selon l'étude de C. Veltman, parmi les personnes de langue maternelle française, on remarque que l'origine ethnique est faiblement reliée au revenu, puisque presque tous les groupes ethniques, y compris les Italiens nés au Canada, avaient un revenu moyen supérieur au revenu moyen des personnes d'origine française. Chez les personnes de langue maternelle anglaise, d'autre part, les écarts de revenu sont plus larges d'un groupe ethnique à l'autre et certains groupes ethniques dont les

Anglais, les Ecossais, les Irlandais et les Juifs semblent bénéficier d'un réseau privilégié d'informations sur la quantité et la qualité des postes disponibles, ce qui leur permet de mieux obtenir des postes qui correspondent, à leur formation.

Le bilinguisme en soi ne donne pas l'accès à de tels réseaux d'informations. De même, la scolarité en elle-même n'assure pas un emploi qui corresponde à la formation reçue. Dès lors, la tentation est grande de devenir, si on nous permet l'expression, de vrais anglophones, de faire partie du groupe qui bénéficie de ce réseau informel d'informations et de relations. En d'autres mots, il s'agit d'accomplir un transfert linguistique, de s'assimiler.

Les résultats sont les suivants: parmi les personnes dont la langue maternelle est autre que le français ou l'anglais, pour une qui a le français comme langue d'usage, on en trouve deux ou trois qui ont choisi l'anglais. Ceux qui ont choisi le français sont avant tout des Italiens. Mais, au sein de ce groupe, nous avons assisté à un net renversement de tendances; si leurs aînés avaient opté pour le français, les jeunes Italiens se sont carrément tournés vers l'anglais.

Les transferts linguistiques dont bénéficient les francophones et les anglophones sont reliés au niveau de revenu. Veltman écrit: "La collectivité francophone enregistre un léger accroissement à cause des transferts qu'elle reçoit aux échelons de revenu inférieurs... Non seulement la force de l'anglicisation dépasse-t-elle celle de la francisation, mais l'anglicisation s'accélère à mesure que s'accroît le revenu... Le groupe anglophone s'enrichit donc auprès de francophones et d'allophones qui réussissent, tandis que le groupe francophone recueille la plupart de ses transferts auprès des immigrants à faible revenu... L'anglicisation est un processus d'assimilation de l'élite. Le peu de francisation qui se fait constitue par ailleurs un processus de nivellement puisque la majorité des transferts au français provient d'individus à faible revenu, anglophones ou allophones".

Charles Castonguay a fait observer que la majeure partie, soit 58%, des transferts linguistiques de l'anglais comme langue maternelle au français comme langue d'usage provenait de personnes d'origine ethnique française! Dès lors, ces transferts linguistiques subis par des anglophones sont le signe, non pas d'une certaine désagrégation de la communauté anglophone, mais d'un certain flottement, voire d'un émiettement du groupe ethnique et linguistique français.

Pour conclure, disons que certaines des données de ce mémoire sont connues depuis longtemps, d'autres sont plus récentes, même très récentes dans plusieurs cas, mais elles indiquent toutes qu'il est nécessaire que le législateur agisse pour corriger la situation.

Aussi est-ce à juste titre que le livre blanc du ministre Laurin comportait dans la partie sur la situation de la langue française au Québec, une section démographique. Mais il serait possible d'utiliser encore davantage les ressources de la démographie. La loi 22 avait suscité beaucoup plus de conflits que de données quantitatives permettant d'en évaluer les effets en termes démographiques et autres. Nous souhai- tons qu'il en aille autrement avec la Charte de la langue française.

Le ministre Camille Laurin et le premier ministre René Lévesque ont déjà indiqué qu'il était possible que la Charte soit amendée dans quelques années. Nous n'aimerions pas que se répète alors la situation actuelle où il s'agit de remplacer une loi dont les effets sont peu connus, où il n'y a pas d'études sérieuses sur les effets possibles des diverses options scolaires qui s'offraient au législateur, ou si ces études existent, elles ne sont pas publiques au moment où nous écrivons ces lignes. Nous comprenons toutefois qu'il n'était peut-être pas possible d'attendre le résultat de longues études avant de prendre des décisions.

La Charte de la langue française, avons-nous dit, a des fondements démographiques certains. De même, elle aura vraisemblablement des effets sur les divers facteurs démographiques dont nous avons traité dans ce mémoire. Pour que le législateur puisse modifier la loi dans quelques années, ou constater qu'elle a exactement les effets désirés, il faudra produire des statistiques et des études montrant ou analysant l'évolution des principaux facteurs en jeu. Le législateur saura alors si les conséquences de la loi, mesurées en termes quantitatifs, correspondent à ses objectifs.

Nous recommandons de suivre particulièrement les facteurs démographiques, ou à répercussion démographique, suivants: la fécondité des groupes linguistiques, la composition linguistique des courants migratoires, l'évolution des transferts linguistiques, les inscriptions scolaires, la situation des francophones au sein des entreprises.

Pour réaliser cela, il faudra avoir recours non seulement aux sources traditionnelles, mais aussi à des enquêtes sur échantillons, à des compilations statistiques réalisées dans des fichiers administratifs, etc.

A notre avis, ces études et compilations statistiques pourraient être coordonnées par le Conseil consultatif de la langue française. Il faudrait alors modifier l'article 162 du projet de loi afin d'y ajouter après le premier paragraphe, le texte suivant: "Ce rapport doit contenir des évaluations quantitatives, démographiques et autres des effets de la présente loi".

On s'assurerait ainsi que les études nécessaires seraient réalisées et leurs principaux résultats rendus publics. Quant à nous, que ce soit en cette matière ou dans une autre, nous offrons au ministre responsable la plus entière collaboration de l'Association des démographes du Québec.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous remercie beaucoup, monsieur. Je cède la parole au ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je voudrais d'abord remercier très vivement l'Association des démographes du Québec pour le mémoire qu'elle vient de nous présenter. Je la remercie de sa collaboration actuelle et qu'elle soit assurée que nous aurons recours à elle à l'avenir également, et nous espérons pouvoir compter sur sa collaboration.

La suggestion qu'elle nous fait est très valable, très sérieuse et j'espère bien pouvoir l'incorporer à l'article 162, tel qu'on me le suggère et peut-être

même à l'article 147 également où l'on parle de recherches que nous devrons effectuer. Le mémoire que l'Association nous présente aujourd'hui est bien sûr hautement technique, mais il comporte des données, des statistiques qui sont absolument essentielles au débat en cours. C'est la raison pour laquelle nous lui accordons le plus haut intérêt et la raison pour laquelle aussi, je suis convaincu, les autres membres de la commission lui accorderont autant d'intérêt.

Evidemment, dans un court mémoire comme celui qu'on vient de nous présenter, toute la richesse, toute la science.des auteurs n'a pas pu se manifester comme elle se doit. Je le sais d'autant plus que j'ai pu parcourir individuellement les nombreuses études que l'un ou l'autre d'entre eux a pu commettre dans le passé. Leur présentation m'a donc mis en appétit et j'aimerais, sans plus, leur poser d'autres questions.

Par exemple, votre mémoire, en page 1, compare la fécondité des francophones avec celle des anglophones et du groupe allophone. Le livre blanc et le rapport de la commission Gendron font aussi le point sur la situation du groupe francophone au Québec et vous venez de le souligner dans votre mémoire. Pour sa part, M. William Johnson, dans le Globe and Mail du 6 avril, titre son texte, j'espère que vous ne vous scandaliserez pas si je vous le cite en anglais, "Quebec White Paper on language is inflammatory and based on misleading quotations from report." Dans son texte en particulier, M. Johnson écrit, vous avez peut-être lu ce texte, "The Gendron demographers made other statements contrary to general belief in Québec. The birth-rate of francophones in Québec is higher than that of anglophones or those of other mother tongues. The death rate of francophones is lower than that of the others. That, the White Paper makes no mention of this in its description of the situation of the French language in Québec." J'ai la copie ici de l'article, si vous voulez le consulter.

Je voudrais savoir si, selon vous, cette opinion est véridique?

M. Maheu (Robert): M. le ministre, j'étais un de ces Gendron demographers dont parlait le journaliste. J'ai apporté ici l'étude qui a été publiée. On peut voir, en page 133, où nous avons calculé des taux de mortalité par origine ethnique pour le Québec, et nos données s'arrêtaient en 1968, alors que le taux de mortalité du groupe français se situait à mi-chemin entre celui du groupe ethnique britannique et celui des autres origines ethniques.

Nous avions également, dans le cadre des travaux de la commission Gendron, calculé des données plus précises, à savoir l'espérance de vie à la naissance par groupe ethnique, et les résultats se trouvent en page 148. Je cite les résultats seulement pour les hommes, ce sont à peu près les mêmes pour les femmes. L'espérance de vie à la naissance des Français, pour la période qui allait de 1960 à 1962, était de 66,8 années, de 68,3 années, pour les Britanniques et de 70,3 années pour les autres. C'est donc dire que le groupe français avait le triste privilège d'avoir l'espérance de vie à la naissance la plus faible. Une étude plus récente de Laurent Roy, portant sur les années 1970 à 1972, a confirmé que la situation s'était maintenue.

En ce qui concerne l'autre phase, on trouve en page 159 de la publication un graphique et en d'autres pages des chiffres qui indiquent très clairement que la fécondité du groupe français se situait à ce moment-là et, d'après ce qu'on peut savoir, la situation n'a pas changé, à mi-chemin entre celle des Britanniques, qui était la plus faible, et celle des autres, qui était la plus élevée, de telle sorte que, lorsque le journaliste en question avait cru devoir utiliser l'expression "misleading quotations" dans son article, je pense qu'il commettait une faute beaucoup plus grave que celle qu'il croyait devoir vous reprocher.

M. Laurin: Je voudrais vous parler maintenant d'un autre article, de M. Richard Joy, qui a paru dans le Devoir du 9 juin, sous le titre "Inutile à la lumière des données récentes de la démographie, la charte du français hâtera le départ des anglophones". Je voudrais vous demander si vous croyez qu'on puisse faire de telles affirmations à la lumière des études démographiques que vous connaissez.

M. Maheu: II s'agit de savoir, somme toute, dans quelle mesure ce projet de loi était nécessaire. La plupart des études qui ont été faites, où on a fait des prévisions de population, où la population du Québec était répartie selon soit l'origine ethnique ou la langue, indiquait qu'il y avait une nette possibilité que la fraction des francophones diminue au Québec.

Je fais allusion aux études suivantes: Une étude de Charbonneau, Henripin, Légaré, parue dans le Devoir, en 1968, je crois; à l'étude que nous avions faite dans le cadre de la commission Gendron; à la thèse de maîtrise que j'ai faite et déposée au département démographique de l'Université de Montréal, en 1968; et à une étude beaucoup plus récente, celle-là, de Jacques Henripin, qui est parue en annexe au livre vert du gouvernement fédéral, sur l'immigration. Donc, toutes ces études indiquaient qu'il y avait une nette possibilité que la fraction des francophones diminue au Québec.

Je pense que c'est en partie pour répondre à cette situation et à cette préoccupation que le gouvernement précédent avait fait voter la loi 22. La question qui se pose dès lors, est de savoir dans quelle mesure la loi 22 a pu être ou aurait pu être suffisante pour régler la situation.

Comme nous l'avons dit dans le mémoire, nous disposons de fort peu de données sur les effets de la loi 22. On en a tout de même quelques-unes, en ce qui concerne l'évolution des clientèles scolaires, réseau public plus le réseau privé avec statut, qui nous disent ceci: En 1971/72, 15% de cette clientèle de niveau maternelle, élémentaire et secondaire fréquentaient des écoles de langue anglaise. En 1972-1973, cette fraction était de 15,5%. En 1973-1974, de 15,7%. En 1974-1975, de 16,1%. En 1975-1976, la loi 22 s'appliquait à ce moment-là, de 16,7%. Pour ce qui est de l'année 1976-1977, nous ne disposons pas encore de statistiques complètes.

Donc, le peu d'information que nous ayons pour évaluer les effets de la loi 22 indiquent que le gouvernement ne semblait pas en voie d'atteindre ses objec-

lifs. Pour juger d'une loi, nous semble-t-il, il y a intérêt à comparer les résultats de la loi à ceux qu'on pouvait se fixer.

Nous avons l'impression qu'il y a un certain consensus au Québec, sur les objectifs que devrait avoir une loi sur la langue. Un ministre psychiatre que nous respectons beaucoup déclarait que le Québec doit être aussi français que l'Ontario est anglais. Il s'agit du ministre François Cloutier qui faisait cette déclaration dans un discours de deuxième lecture prononcé à l'Assemblée nationale le 12 juillet 1974. Nous avons vu que les ministres psychiatres se suivent et se ressemblent, au moins, en ce qui concerne les objectifs.

Effectivement, à certains égards, la situation québécoise peut se comparer à la situation onta-rienne. A titre d'exemple, on remarque que le pourcentage des personnes d'origine ethnique britannique au Québec est à peu près le même que le pourcentage des personnes d'origine ethnique française en Ontario.

On peut observer comment se font les transferts linguistiques dans cette province voisine de l'Ontario. Selon le recensement de 1971, parmi les gens d'une langue maternelle tierce, en Ontario, qui avaient adopté comme langue d'usage, à la maison, le français ou l'anglais, on en trouvait 4000 qui avaient adopté le français et 505 000 l'anglais. La disproportion est assez énorme. Pour une de ces personnes qui avait choisi le français, on en trouvait 125 qui avaient choisi l'anglais.

On pourrait proposer, si on veut traduire cet objectif que, semble-t-il, au moins deux partis ici ont celui de voir le Québec aussi français que l'Ontario est anglais, une des façons de traduire l'objectif en termes démographiques serait de viser à ce que les transferts linguistiques au Québec se fassent à peu près à la réciproque de ce qui se fait dans la province voisine, l'Ontario.

Dans ce cadre, je dois mentionner qu'il nous apparaît évident que la loi 22 était nettement insuffisante et j'irais même jusqu'à dire qu'il est probable que la loi 1 soit également insuffisante, mais je pense que mes confrères désireraient ajouter certaines choses sur la nécessité de faire une loi.

M. Laurin: J'aurais beaucoup aimé que les députés anglophones de la commission entendent ce que vous venez de dire. Dans le même texte, messieurs, M. Joy écrit: Le Québec est devenu un pays d'émigration. M. Joy semblerait disposer, pour faire cette affirmation, de données toutes récentes qu'il semblerait avoir tiré du recensement de 1976. Je ne sais pas si vous avez ces données.

N'y a-t-il pas d'autres données, cependant, que vous pouvez posséder sur la migration nette qui présente un portrait différent de celui que présente M. Joy? Par exemple, le Bureau de la statistique du Québec aurait-il révélé que la migration nette était redevenue positive depuis 1973?

M. Maheu: Les chiffres auxquels vous faites allusion portaient sur l'ensemble de la période du 1er juin 1971 au 1er juin 1976. En réalité, cette période peut être divisée en deux parties distinctes et on a là- dessus des chiffres qui proviennent de Statistique Canada.

Le Québec a connu, en fait, depuis la dernière guerre, une migration nette positive jusqu'en 1968, si on veut être précis. On a connu ensuite une période, de 1968 à 1973, où la migration nette a effectivement été négative.

Par contre, depuis 1974, cette migration nette, donc la différence entre les entrées et les sorties, est redevenue positive. Donc, si on veut retenir les chiffres les plus récents on peut dire que, depuis trois ans, la migration nette est positive au Québec.

M. Laurin: J'aimerais poser une question à M. Veltman, car je sais qu'il a fait des études sur ce sujet. En page 6 de votre mémoire, vous indiquez que les transferts linguistiques dont bénéficient les francophones et les anglophones sont reliés au niveau de revenu. J'aimerais demander à M. Veltman en quoi les différences de scolarité seraient une explication des différences de revenu.

M. Veltman (Calvin): Excusez-moi d'abord pour la façon dont je parle français. Ce n'est pas tous les jours que j'ai le plaisir de parler français devant une commission parlementaire, mais, étant immigrant, ce n'est pas ma langue maternelle.

Dans l'étude que j'ai faite moi-même, je n'ai pas tenu compte de la scolarité. Je cite, par contre, une étude faite pas M. Jacques-André Boulet du Conseil économique du Canada. Il trouve que la profession est plus liée au revenu qu'à la scolarité et que les Anglo-Ecossais, les Irlandais et les Juifs ont un meilleur rapport entre la scolarisation et la profession. C'est une étude faite à partir de données de 1961.

Dans une étude plus récente, on observe que le revenu et la scolarité présentent une correspondance parfaite du côté linguistique, en 1961.

En 1971, elle s'estompe. En fait, au cours de cette période, la relation entre l'accroissement de la scolarité et l'accroissement des revenus est devenue tout simplement inversement proportionnelle. C'est-à-dire que, plus la scolarité moyenne s'est accrue, moins les revenus se sont accrus. Par exemple, alors que les anglophones unilingues accroissaient leur scolarité d'une année, ils ont accru leurs revenus moyens de $3200 plus ou moins et les francophones unilingues, pour une même augmentation de scolarité, ont eu un accroissement de l'ordre de $861, les francophones bilingues, de $2000 à peu près et les allophones, de $2800, les allophones anglais.

Il ne faudrait pas s'étonner, comme nous l'avons démontré dans nos recherches, que le facteur scolarité ait perdu de son pouvoir explicatif dans la détermination des revenus, passant même de 1961 à 1971, du troisième au quatrième rang derrière la profession, la durée du travail et l'âge. Même quand M. Boulet a essayé de tenir compte de la qualité de l'accroissement de l'instruction, les anglophones étant plus instruits au niveau collégial, les francophones ont acquis leur scolarité surtout à l'école secondaire. Même après cela, on a des écarts de revenus entre 1961 et 1971. Donc, M. Boulet conclut que ces groupes d'anglophones bénéficient d'un réseau d'informations supérieur à celui des francophones.

M. Laurin: Donc, si je comprends bien, même si les francophones se scolarisent de plus en plus, cela ne veut pas dire que cela va se solder nécessairement par une augmentation de revenu et surtout pas par une augmentation de revenu semblable, proportionnelle à celle que connaissent les anglophones ou ceux qui choisissent l'anglais comme langue d'usage?

M. Veltman: Selon M. Boulet, oui.

M. Laurin: Maintenant, en ce qui concerne le bilinguisme, est-ce que vous avez l'impression ou la certitude, d'après les études que vous avez pu mener là-dessus, que l'acquisition du bilinguisme mène à un revenu supérieur ou en résulte?

M. Veltman: Cela dépend des groupes. Parmi quelques groupes anglophones — et encore, je n'ai pas les données ventilées par l'éducation ou la scolarité — les Irlandais, les Anglais, les Allemands, les anglophones unilingues ont un revenu supérieur ou égal au revenu des bilingues. Parmi tous les autres groupes ethniques francophones, le revenu s'accroît actuellement avec le bilinguisme. On trouve, par exemple, chez les Canadiens français, que 50% des mâles avec un revenu inférieur, moins de $4000 en 1971, étaient bilingues, tandis que ceux qui ont eu un revenu supérieur à $16 000, 85% à peu près, éiaient bilingues. On trouve le même exemple chez les Juifs, les Juifs unilingues anglophones n'ont pas un revenu vraiment supérieur, il faut être bilingue, si on est Juif, pour avoir un bon revenu.

M. Laurin: Donc, cela se justifie pour certaines catégories intermédiaires, mais lorsqu'on arrive au sommet, l'unilinguisme anglais est suffisant ou est compatible avec un revenu très élevé.

M. Veltman: Encore une certaine précision. Les anglophones unilingues sont sous-représentés parmi les personnes à revenu élevé. Les anglophones bilingues sont aussi sous-représentés parmi les personnes à revenu élevé. Les francophones à revenu élevé sont presque tous bilingues, les anglophones aussi. M. Boulet les appelle les allophones anglais, des anglicisés.

M. Laurin: Parfait. J'ai été très frappé par la phrase que vous avez utilisée dans votre mémoire, que l'anglicisation est un processus d'assimilation des élites. Je me demande si l'un d'entre vous pourrait expliciter davantage ce point.

M. Veltman: Cela reste encore à moi. Les gains de la communauté francophone se réalisent surtout auprès des immigrants anglophones de revenu inférieur, moins de $4000. L'anglais bénéficie d'un taux d'assimilation, d'un taux d'attraction beaucoup plus élevé que le taux d'assimilation du français, évidemment. A part de cela, l'anglicisation est plus forte chez ceux qui sont les mieux rémunérés, et moins forte chez ceux qui sont les moins rémunérés. Je vais vous donner une couple d'exemples.

Parmi les Canadiens français, le taux d'anglicisa-tion chez ceux qui ont gagné moins de $4000 en 1970 était de ,4%. Chez ceux qui ont gagné $16 000 et plus, c'était 3,6% d'anglicisation. Chez les Italiens, l'anglicisation est de 30% à peu près chez les plus pauvres et de 66% chez ceux qui ont gagné $16 000 et plus. L'anglicisation est liée à un accroissement du revenu ou l'accroissement du revenu est lié à l'anglicisation, mais ils vont de pair.

M. Laurin: Est-ce qu'on pourrait en conclure que c'est la puissance économique anglophone au Québec, et a Montréal en particulier, qui est le principal facteur d'anglicisation des élites?

M. Veltman: Pour autant que le revenu s'accroisse avec l'anglicisation, c'est une conclusion, d'après moi, inévitable.

M. Laurin: Une étude a paru dans le Devoir, il y a deux mois, dans laquelle un démographe, M. La-chapelle, en se basant sur une série d'études, prédisait la disparition "tendancielle" ou, pour employer un autre terme, l'extinction de la minorité anglophone au Québec. J'aimerais demander à l'un ou à l'autre d'entre vous ou successivement à chacun d'entre vous, quelle est votre position en tant que démographes professionnels sur ce problème?

M. Pierard: Je peux peut-être commencer la ronde, si vous voulez. En premier lieu, il faut bien préciser que dans la thèse, dite de M. Lachapelle, la disparition "tendancielle", comme vous le dites, ce n'est pas la disparition pure et simple, comme d'aucuns semblent vouloir le croire. Par ailleurs, bon! c'est une opinion personnelle qu'il avait. C'est d'ailleurs un peu une spéculation, je crois. De toute façon, quelques que soient les hypothèses que l'on puisse choisir actuellement, dans le contexte québécois, même en tenant compte de l'existence d'une loi comme la loi no 1, il est absolument et totalement impensable de croire à la disparition de la minorité anglophone du Québec. On pourra peut-être réduire quelque peu son accroissement par transferts linguistiques au détriment des allophones ou des francophones, mais on ne pourra certainement pas la réduire à néant, ou, en tout cas, ça prendrait de sacrés canons.

M. Grenier: ...je n'ai pas entendu.

M. Laurin: Pourriez-vous répéter plus fort?

M. Pierard: Ce que je disais, c'est que quelles que soient les hypothèses les plus pessimistes, en restant tout de même dans les limites de la raison, d'accord? Il est absolument et totalement impensable de croire que la collectivité anglophone du Québec pourrait disparaître, n'importe quand.

M. Laurin: Sur quoi vous appuyez-vous, surtout pour avoir cette certitude?

M. Pierard: Sur la vivacité même de cette collectivité actuellement. C'est une collectivité qui est peut-être minoritaire en termes numériques, mais qui, en tant qu'élite, justement, au Québec, a certainement une diversité très importante et qu'il ne faut certainement pas négliger.

M. Laurin: Est-ce que je peux poser la même question aux deux autres?

M. Veltman: Oui, bon! D'après moi, il faut distinguer entre la baisse peut-être du pourcentage des anglophones qui fréquentent l'école anglaise, qui est une chose, et la disparition "tendancielle" de la communauté anglophone, qui est une autre chose.

Aujourd'hui, les communautés anglophones — au pluriel, parce qu'il y en a plusieurs, tenant compte des groupes ethniques — comptent tout près d'un million de membres au Québec, grâce à l'assimilation linguistique. Mais l'assimilation linguistique est liée à la langue payante, donc, liée à l'économie. Quant à moi, l'intervention de l'Etat dans l'économie est beaucoup plus nécessaire à long terme pour le salut du français au Québec qu'une intervention dans le système scolaire. C'est aussi la scène, d'après moi, la plus douteuse que l'intervention de l'Etat puisse être vraiment efficace.

L'expérience américaine, par exemple, sur l'"Affirmative Action" qui a été une politique du gouvernement américain ayant pour but de donner le droit égal, les avantages égaux, à des femmes, à des noirs, à des hispanophones et à des Amérindiens a démontré que même avec un gouvernement qui poussait assez fortement que la situation a empiré chez ces groupes, étant donné la récession aux Etats-Unis.

Alors, il se peut qu'une action de l'Etat dans le domaine de l'économie ne puisse pas être trop efficace. Donc, il est possible de croire qu'une anglicisa-tion des francophones et des allophones serait perpétuelle au Québec, les enfants apprenant l'anglais des parents des autres étudiants, des cousins, dans la rue, de part et d'autre, tout en fréquentant l'école française.

Alors, on aura un groupe d'anglophones bilingues qui pourrait participer à la vie publique du Québec, mais qui va continuer à bénéficier d'un réseau d'informations privilégié aux vrais anglophones, c'est-à-dire les gens qui parlent anglais à la maison, qui participent à la communauté anglophone.

Il y a toutes sortes d'hypothèses possibles, mais étant donné que l'économie est liée à l'assimilation linguistique, l'intervention dans le domaine de l'économie est bien importante et bien difficile.

M. Maheu: Si le ministre encourage M. Ryan au point de lire son journal tous les jours, il sait probablement que j'ai, avec quelques autres, déjà répondu dans le Devoir a cette thèse. Je ne veux pas répéter ici tous les arguments qui étaient mentionnés dans cet article, mais je peux en apporter quelques-uns supplémentaires parce que, Dieu merci, on ne manque pas d'arguments pour réfuter cette thèse.

Vous vous rappellerez peut-être qu'à l'époque où nous discutions de la loi 22, il y avait déjà un climat de crainte chez les anglophones du Québec qui leur faisait voir les pires conséquences à cette loi. Ces craintes, en fait, ont été démenties par les faits, par la suite. D'ailleurs, je disais tantôt au ministre que la migration nette était redevenue positive au Québec en 1974, année où a été, soit dit en passant, promulguée la loi 22.

On connaît d'autres minorités, entre autres, les franco-ontariens et toutes les minorités françaises des autres provinces qui ont connu, depuis très longtemps, des situations nettement plus difficiles que celles prévues par le projet de loi no 1 et, d'après ce qu'on peut voir, ces minorités existent encore.

On connaît à travers le monde un certain nombre d'exemples de minorités qui bien que ne recevant pas d'immigrants et, d'autre part, qui ont fourni des contingents d'immigrants à l'Amérique, se portent quand même assez bien. Un exemple assez célèbre est celui des Flamands qui de minoritaires sont devenus majoritaires, le tout sans recevoir d'immigrants.

En ce qui concerne la situation proprement québécoise, il nous semble évident que le Québec continuera de recevoir des immigrants anglophones. De même, il y aura encore des transferts linguistiques vers l'anglais. L'étude de Calvin Veltman est particulièrement éclairante à cet égard. Tant que ne sera pas changée la répartition du pouvoir économique au Québec, il y aura toujours des transferts linguistiques vers l'anglais, des transferts importants; de telle sorte que si on veut demeurer dans les limites du réalisme démographique, on peut prévoir vraisemblablement que le pourcentage que représentent les anglophones au Québec pourrait effectivement diminuer suite à l'application de la loi 1. Mais il nous semble tout à fait probable que le nombre d'anglophones continuera d'augmenter, de telle sorte que cette thèse d'une éventuelle disparition des anglophones pour demain, avec toutes les déformations qu'elle a subie, à mon avis, est devenue une thèse que pourrait soutenir seulement le Bonhomme Sept Heures.

M. Laurin: Une dernière question. Il y a certaines personnes que j'ai entendu ou que j'ai lu qui laissent entendre que l'évolution récente de la population au Québec, et en particulier depuis le 15 novembre, serait négative. Est-ce que vous avez entendu cette opinion et, si oui, qu'est-ce que vous en pensez comme démographe?

M. Maheu: C'est une opinion qui n'avait certainement pas été exprimée par un démographe. Les seules données dont on dispose portent sur l'automne dernier où, si on en croit les estimations de population faites sous l'autorité du statisticien en chef du Canada, la migration nette, pour la période du 1er octobre au 1 er janvier, période à l'intérieur de laquelle se situe donc le 15 novembre, aurait été d'environ 5000 ou 6000 personnes, doncundesaccroissements trimestiels les plus importants que le Québec ait connu depuis plusieurs années, de telle sorte que...

M. Raynauld: Ce n'était pas par un démographe.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Raynauld: Vous dites que ce n'était pas par un démographe...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député d'Outremont, à l'ordre, s'il vous plaît! Vous aurez la parole tout à l'heure.

M. Raynauld: II y a quand même des limites.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Raynauld: II y a des limites.

M. Maheu: Je disais donc que les individus réagissent aux événements politiques ou légaux beaucoup plus calmement que ne voudraient le faire croire certaines personnes.

M. Laurin: Est-ce qu'on pourrait en tirer la conclusion que le Québec, depuis le 15 novembre, n'est pas devenu une terre ingrate à ce point qu'elle devienne un lieu interdit à l'immigration?

M. Maheu: C'est une conclusion qui nous semble tout à fait justifiée par les faits.

M. Laurin: Merci beaucoup.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député d'Outremont.

M. Raynauld: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord, étant donné les nombreuses questions que j'ai à poser, dire que j'appuie la demande qui est faite ici d'avoir des études plus précises sur les effets des lois linguistiques qui peuvent être votées au Québec. Par conséquent, j'appuierais la principale conclusion du mémoire. Ceci dit, cette conclusion, évidemment, n'est pas basée sur ce qui précède dans le mémoire. Ce qui précède est une analyse très brève d'un certain nombre de problèmes sur lesquels je voudrais poser des questions. Mais, auparavant, je voudrais poser une question sur la nature de ce mémoire. Vous dites que c'est un mémoire qui est présenté par l'Association des démographes du Québec. Je voudrais poser la question suivante: Est-ce que ce mémoire a été soumis à l'assemblée des démographes du Québec, de votre association, pour approbation?

M. Pierard: Non. C'est sur la demande de l'assemblée générale, demande qui avait d'ailleurs été prévue par le bureau de direction de l'association, que ce mémoire a été préparé par un comité ouvert, composé d'ailleurs de plusieurs personnes. Il y en avait, à ma connaissance, au moins une douzaine. Ce mémoire n'a pas été textuellement présenté à l'assemblée générale, bien entendu, mais il représente certainement l'opinion de la très large majorité de nos membres.

M. Raynauld: Si le mémoire n'a pas été présenté à l'assemblée, comment pouvez-vous dire qu'il représente la très large majorité et comment pouvez-vous dire que c'est un mémoire de l'Association des démographes du Québec? Je pensais qu'il s'agissait d'une association professionnelle.

M. Pierard: II s'agit d'une association professionnelle.

M. Raynauld: Une association professionnelle ne présente pas de position politique, à ma connaissance.

M. Pierard: Cela dépend de la définition que l'on attache à une association professionnelle d'une part. D'autre part, pour répondre à votre autre question, c'est par consultation avec nos membres que nous savons tout de même que la très large majorité l'approuve, la consultation préalable et postérieure à la rédaction.

M. Raynauld: Vous avez dit que c'était un comité de douze personnes...

Une Voix: Je voudrais rassurer le député d'Outremont...

M. Raynauld: ...que vous avez 135 membres dans votre association et cela n'a pas été soumis à votre association.

M. Pierard: Cela n'a pas été soumis aux 135 membres effectivement.

M. Raynauld: C'est ce que je voulais savoir.

M. Pierard: Mais cela a été soumis à une large fraction de notre association.

M. Raynauld: Très bien, merci beaucoup.

Je vais maintenant passer au contenu du mémoire. En page 2, vous faites état d'immigration. Sous le titre d'immigration, vous donnez des statistiques sur les immigrants en provenance de pays étrangers. Vous dites: C'est depuis 1968... Est-ce que vous auriez les statistiques qui nous donnent ces proportions en fonction des années où il serait montré, par exemple, que ces proportions changent considérablement d'une année à l'autre?

Comme je les ai vérifiées, je vais vous donner les réponses d'ailleurs. Les immigrants en provenance de pays étrangers qui sont de langue maternelle française sont en hausse et ceux qui sont de langue maternelle anglaise sont en baisse, ceux qui sont d'autres langues sont également en baisse. Est-ce que vous êtes capable de confirmer ça?

M. Maheu: Les données les plus récentes vont dans ce sens. Ce que nous avons cité, c'est une évaluation faite à la direction de la recherche du ministère de l'Immigration, les données publiées par le ministère québécois ou fédéral de l'Immigration ne portent pas directement sur la langue maternelle des immigrants. On les connaît, soit par pays de dernière résidence, ou selon leur connaissance des langues officielles, de telle sorte que les données que vous citez sont de nature différente de celles que nous citons et elles nous semblent exactes.

M. Raynauld: Ce que je veux faire ressortir évidemment ici, c'est qu'il s'agit bien de moyennes sur une période de 1968 à 1975 ou quelque chose comme ça, mais sans indication de tendance. Est-ce que vous ne pensez pas que les tendances seraient plus importantes que les moyennes?

M. Maheu: Nous avons cité un chiffre qui nous semblait relativement récent, qui portait sur un groupe

d'années, ce qui tend à éliminer des variations aléatoires. Si M. le député d'Outremont connaît bien les chiffres, il saura que ces données que nous avons citées représentent une amélioration sur des données antérieures, de telle sorte que nous ne croyons pas avoir faussé la réalité.

M. Raynauld: Non, ce qui est indiqué, c'est que ça donne l'impression que cette proportion de 20% d'immigrants de langue maternelle française doit demeurer. C'est ça que ça donne comme impression dans le mémoire et ce n'est pas vrai.

M. Maheu: Nous ne croyons pas avoir donné cette impression, si vous l'avez eu, je pense que vous êtes responsable de vos propres impressions.

M. Raynauld: Je suis un lecteur de votre mémoire, je ne peux pas inventer autre chose que de lire le mémoire. Peut-être que ce sont des impressions personnelles, c'est bien exact.

M. Veltman: Excusez, M. le député. On a décrit la situation telle qu'elle a été jusqu'ici.

M. Raynauld: Non, non, monsieur, non, monsieur. Ce n'est pas à moi que vous allez dire une chose pareille. Vous prenez des moyennes de 1968 à 1975...

M. Veltman: Oui.

M. Raynauld: ...je pourrais vous en donner de 1970 à 1975 qui vous donneraient des impressions tout à fait différentes de celles-là. Je vous ai demandé simplement s'il n'y aurait pas eu lieu de montrer des tendances au cours des années. Je pense que c'est incontestable que les tendances auraient ajouté quelque chose à l'image qui est donnée ici. Je ne dis pas que c'est faux du tout, au contraire, je dis simplement que l'image qui est donnée est une image qui pourrait être améliorée de beaucoup.

Passons à la page 3. Vous avez des migrations interprovinciales. Vous avez un tableau entre 1966 et 1971, d'une part, et ensuite, vous en arrivez aux migrations nettes. Evidemment, entre les deux tableaux, vous dites: "II serait donc intéressant de disposer d'un bilan net des échanges migratoires du Québec avec l'extérieur pour chacun des groupes linguistiques et c'est ce que nous présentons au tableau 2."

Evidemment, il est évident que le tableau 2 se rapporte à la période 1961-1971. Le tableau no 1 se rapporte à la période 1966-1971. Je voudrais demander, étant donné que le tableau no 2 provient de l'étude de M. Maheu, qui est devant nous et qu'on peut bénéficier de son expertise, s'il ne pourrait pas nous dire si, en prenant une moyenne de 1961 à 1971, il ne pourrait pas encore, comme il l'a fait précédemment à plusieurs reprises en réponse aux questions du ministre, nous dire que si la période avait été divisée autrement, on n'aurait pas eu une image bien différente de ce tableau et, en particulier, si on avait des migrations nettes selon la langue maternelle pour après 1971, est-ce que ce ne serait pas également très différent du tableau?

M. Maheu: La question est multiple et appelle une réponse. Cette migration nette a été établie pour la période 1961 à 1971 pour des raisons techniques. Je dois expliquer comment cela a été établi, puisqu'on n'a aucune source de données directes sur cette matière. Nous connaissions la population répartie selon la langue maternelle au recensement de 1961 et 1971, et c'est en appliquant des taux de survie appropriés à la population, selon la langue maternelle de 1961 et en comparant les résultats ainsi obtenus aux résultats observés en 1971 que nous avons pu établir ce bilan.

Il était techniquement impossible d'établir un bilan complet pour une autre période.

Je continue ma réponse, puisque la question allait au-delà. Cette période de 1961 à 1971 a connu un certain nombre de variations en ce qui concerne la migration nette pour l'ensemble. Comme je l'ai dit précédemment, les dernières années de cette décennie ont connu une migration nette négative. Dans ce cadre-là, on a l'impression qu'au niveau des dernières années de cette période, de même que pour les deux années qui ont suivi les recensements de 1971, il est possible que durant cette période, la migration nette du groupe de langue maternelle anglaise ait pu, effectivement, être négative. Ce n'est pas une certitude toutefois.

En ce qui concerne les années les plus récentes, depuis 1974, la migration nette est redevenue positive et pour toutes les périodes antérieures qu'on a pu évaluer au cours desquelles la migration nette était positive, on observait généralement, pour le groupe de langue maternelle anglaise, une migration nette légèrement positive.

M. Raynauld: Evidemment, vous vous rendez compte que ces chiffres où on dit que la migration nette est positive pour des anglophones, des Anglais, suivant la langue maternelle, des anglophones je suppose et ensuite pour des Français qui seraient de moins 43 000...

Est-ce sur une base annuelle ou est-ce pour toute la période? C'est une somme pour les dix ans?

M. Maheu: C'est pour l'ensemble des dix années.

M. Raynauld: Pour l'ensemble des dix années.

M. Maheu: En d'autres mots, il y a, durant cette période, beaucoup d'anglophones qui sont entrés au Québec, mais également beaucoup qui sont partis, ce qui a laissé à ce groupe un bilan net assez faible.

M. Raynauld: Vous dites qu'il n'y avait pas d'autres méthodes et que c'est pour cette raison que vous avez pris la période 1961-1971. J'ai ici l'étude de M. Lachapelle qui donne un bilan migratoire, entre 1966 et 1971, pour les personnes qui ont entre 20 et 59 ans en 1971. Vous connaissez cette étude. Bien entendu, en nombre absolu, on a une image qui est complètement inverse, où on a, pour les migrations d'anglophones, moins 27 000 sur la période et pour les francophones, moins 8 900, ce qui change toute la situation.

Etant donné ce que vous nous avez dit tout à l'heure, qu'il n'y avait pas moyen de calculer autrement, est-ce pour cela que vous avez pris cette période? Trouvez-vous que la méthode choisie par M. Lachapelle dans ce tableau particulier, le tableau J de l'étude que vous connaissez, est une méthode fautive? Est-ce que...

M. Maheu: Si M. le député a bien regardé notre mémoire, il a dû voir que le tableau no 1 resssemblait beaucoup aux données de M. Lachapelle. Les données de M. Lachapelle, si on regarde bien ce qu'il a écrit — et je vous invite à le lire, puisque vous semblez apprécier son étude — portent sur des migrations interprovinciales seulement. Ces données proviennent de la réponse à la question du dernier recensement: Où habitiez-vous au 1er juin 1966?

Dans le cadre de données de ce type, on ne peut pas connaître les départs vers des pays autres que le Canada, de telle sorte que nos chiffres présentent un bilan de l'ensemble des mouvements migratoires, des entrées au Québec, d'où qu'elles viennent, des autres provinces ou de d'autres pays, et des départs du Québec, où qu'ils aillent, vers d'autres provinces ou vers d'autres pays, de telle sorte que les données que nous avons présentées sont plus complètes.

M. Raynauld: Pour les concilier, pour en arriver à votre tableau 2, 1961-1971, il faudrait que les francophones sortent beaucoup du pays et que les anglophones sortent très peu. Est-ce que c'est une hypothèse vraisemblable?

M. Pierard: Ou encore que les migrations anglophones soient importantes, plus importantes, que les migrations francophones. Il faut, effectivement, que les migrations francophones soient relativement importantes. Mais il y a aussi un facteur d'immigration qui entre en ligne de compte.

M. Raynauld: Si on s'en tient à votre tableau 1 alors, où on a les migrations interprovinciales seulement en 1966-1971, vos migrations nettes donnent une image un peu différente de votre tableau 2.

On aurait pu dégager des migrations nettes de votre tableau 1, en faisant la différence. Vous auriez eu moins 11 000 à peu près et vous auriez eu, pour les anglophones, moins 47 000.

M. Maheu: II devait manquer deux éléments importants, à savoir les entrées au Québec de personnes en provenance d'autres pays et les sorties du Québec vers d'autres pays qui, elles ne sont pas connues directement.

M. Raynauld: Est-ce que les migrations extérieures, internationales sont plus grandes que les migrations interprovinciales en ce qui concerne en particulier les sorties?

M. Maheu: C'est une chose qui a varié selon les périodes. En gros, on peut dire que les ordres de grandeur sont comparables. C'est une réponse qui pourrait éventuellement être nuancée, si on voulait présenter la situation pour certains groupes d'âges en particulier.

M. Raynauld: Je retiens de votre tableau 2, qu'il a pu y avoir des changements au cours de la période 1961-1971 qui donneraient une image différente de celle-ci. Est-ce que c'est exact, si je retiens également que pour la période après 1971, vous n'avez pas de méthode directe pour le calculer, que cela puisse aussi être très différent de cela? Je ne parle pas de 1975-1976 où les migrations ont été de nouveau positives, mais de la période 1968-1973 où cela a été très fortement négatif comme migration. Lorsque évidemment on mêle en 2, je ne veux pas vous faire de reproche en disant cela, s'il n'y avait pas d'autre méthode pour le calculer, mais je dis vous avez une période 1961-1971 où vous avez une forte migration positive au début des années soixante et une forte migration négative à la fin... Evidemment, cela donne de curieuses de moyennes.

M. Maheu: Nous croyons qu'en l'occurrence, le mieux est de se baser sur la situation la plus récente où la migration nette est redevenue positive. Enfin, nous avons présenté des données qui couvraient une période de dix ans, croyant ainsi présenter une espèce de moyenne. Il en existe aussi pour la période antérieure de 1951 à 1961 qui, en ce qui concerne les anglophones, allaient dans le même sens.

M. Raynauld: Quelles sont les hypothèses que vous faites pour essayer de prévoir quelles vont être les migrations à l'avenir? Sur quel facteur vous basez-vous pour établir cela, pour savoir, par exemple, s'il y a des chances que les migrations positives de 1975 à 1976 se maintiennent à l'avenir par rapport aux migrations négatives qu'il y avait avant? Avez-vous un modèle qui puisse permettre d'attacher de l'importance au fait que les migrations sont redevenues positives?

M. Maheu: Dans le cadre des projections démographiques, la migration est un des facteurs les plus difficiles à prévoir. Il arrive même que, dans ces circonstances, nous consultions des économistes. Je pense que vous avez déjà été dans ce cadre-là consulté et que vous n'avez pu donner votre opinion. Il nous semble donc très difficile de prévoir ce qui pourrait en être dans l'avenir. Si on essaie de tenir compte des effets éventuels du projet de loi 1 sur les courants migratoires, il nous semble possible qu'il y ait effectivement une migration nette négative pour le groupe anglophone et ceci ne devrait pas menacer la survie du groupe en question, à moins de faire des hypothèses absolument invraisemblables.

M. Raynauld: Alors, les facteurs économiques, pour vous, n'ont pas une très grande importance là-dessus, vous revenez tout de suite au bill 1.

M. Maheu: C'est précisément...

M. Raynauld: Vous ne mettez pas d'association, par exemple, entre le fait qu'entre 1968, 1971 et 1972, il y a eu une récession au Québec et qu'il y a eu des migrations négatives et qu'en 1973, 1974, 1975, on était dans une période d'expansion où il y a eu des migrations positives et que là, cela va beaucoup dépendre de l'hypothèse que vous faites en ce

qui concerne l'activité économique au Québec. Comment pouvez-vous dire aujourd'hui que c'est très important que ce soit redevenu positif tout à coup, si vous ne faites pas d'hypothèse sur le genre d'activités économiques qu'on va avoir?

M. Pierard: Ecoutez, il est extrêmement compliqué et même presque impossible de faire des hypothèses réalistes concernant le mouvement de migration. Je vais vous expliquer pourquoi. Parce que ces mouvements dépendent, à la fois de la situation économique du Québec et de la situation économique des pays d'accueil ou de départ pour les immigrants, selon le cas. Dans ces conditions, il est effectivement très difficile de faire des hypothèses, même des hypothèses réalistes, parce qu'on ne sait jamais comment cette situation économique mondiale va évoluer dans l'avenir.

M. Raynauld: C'est exactement ce que je voulais vous faire dire, parce que, tout à l'heure, en réponse à une question du ministre, on a dit qu'effectivement, il n'y avait pas de difficulté, qu'il n'y avait pas de problème pour l'avenir non plus, que ce n'était pas un Québec qui était fermé, etc. Alors, vous me dites que vous n'êtes pas capable de prévoir cela. Je suis d'accord avec vous.

M. Pierard: Avez-vous imaginé ce que pouvait représenter l'immigration d'un million de personnes?

M. Raynauld: Pardon?

M. Pierard: Pouvez-vous imaginer ce que représenterait l'immigration d'un million d'individus anglophones?

M. Raynauld: J'espère que cela n'arrivera jamais.

M. Pierard: Pardon?

M. Raynauld: J'espère que cela n'arrivera jamais. Je ne sais pas pourquoi vous me posez cette question.

M. Veltman: On n'a pas dit exactement cela. On a dit: Pour autant que la langue anglaise est la langue payante au Québec, on va avoir des transferts d'allo-phones vers les communautés anglophones, s'ils sont obligés d'aller à l'école française ou non. Si on garantit à ces enfants une éducation en anglais langue seconde, on s'aide.

M. Raynauld: Bon, cela va. Sur les transferts linguistiques, maintenant, je voulais justement arriver à cette question, vous avez aussi des facteurs qui déterminent les transferts linguistiques? Quels sont-ils? Qu'est-ce qui détermine les transferts linguistiques? Parce que, là aussi, vous faites des affirmations là-dessus, et j'aimerais savoir sur quoi cela repose.

M. Veltman: L'analyse des transferts linguistiques, c'est une partie de la démographie très jeune, parce que c'est seulement à partir des données du recensement de 1971 qu'on a été capable de faire ces calculs. Les données de 1971 n'ont été publiées qu'en 1974. Si le gouvernement du Québec veut vraiment suivre l'évolution des transferts linguistiques, il faut absolument avoir des moyens pour évaluer de temps en temps ce qui arrive. On sait que les transferts linguistiques s'accomplissent surtout à l'âge vers lequel les enfants quittent le ménage familial. On sait que les transferts linguistiques s'accroissent avec le revenu. On sait que quelques groupes ethniques, les Allemands, les Juifs, les Hollandais, en particulier, font des transferts linguistiques dans les générations des immigrants, tandis que d'autres groupes ethniques font des transferts linguistiques parmi les enfants nés au pays, comme les Italiens, les Portugais, les Grecs, par exemple. On sait que les catholiques font des transferts vers le français beaucoup plus que les protestants. Qu'est-ce que vous voulez que je dise? C'est une science assez jeune, maintenant.

M. Raynauld: Alors, selon tous ces facteurs, d'après vous, les transferts linguistiques vont continuer à aller beaucoup du côté anglophone comme ils l'ont été dans le passé, ou cela va changer, et même indépendamment de toute loi?

M. Veltman: Cela va changer pour autant que l'anglais diminue en importance pour avoir un bon revenu ou que les réseaux d'information qui existent dans la communauté anglophone cessent de jouer un rôle aussi capital que maintenant.

M. Raynauld: Alors, si c'est cela, du côté des revenus, vous connaissez l'étude qui a été faite, vous en avez fait état vous-même, vous savez que les écarts de revenus se sont rétrécis considérablement en 1961-1971.

M. Veltman: C'est moi qui ai dit cela. Votre collègue, M. Boulet, a trouvé que les écarts de revenus, dans certains cas, ont diminué en pourcentage, mais pas en termes absolus.

M. Raynauld: Vous dites que la situation n'avait pas beaucoup changé au recensement de 1971. C'est à la page 5. Cela n'avait pas beaucoup changé. Pour les unilingues francophones, par exemple, par rapport aux unilingues anglophones, est-ce que cela a changé, oui ou non?

M. Veltman: A ma connaissance, il n'y a pas de données de publiées sur cela. D'accord. Simplement...

M. Raynauld: Est-ce que votre étude est une étude originale qui a été basée de nouvelles données?

M. Veltman: Ce sont des données inédites du recensement du Canada.

M. Raynauld: Qui reposent sur quoi? C'est un échantillon qui s'applique à toute la province de Québec?

M. Veltman: Chaque troisième ménage.

M. Raynauld: Chaque troisième ménage, cela s'applique à toute la province de Québec?

M. Veltman: Oui.

M. Raynauld: Toute la main-d'oeuvre?

M. Veltman: Dans mon étude, je n'ai inclus que les données pour la région métropolitaine de Montréal. J'ai d'autres données, mais c'est la région de Montréal qui est la plus intéressante du côté des différents groupes ethniques.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député d'Outremont, je m'excuse. J'informe les membres de la commission qu'il est maintenant 22 h 40, que le parti ministériel a pris 32 minutes, questions et réponses comprises, que le parti de l'Opposition officielle a pris 26 minutes et, comme l'Union Nationale a également des droits ainsi que le député de Beauce-Sud, et compte tenu de l'heure, j'accorde maintenant la parole aux représentants de l'Union Nationale.

M. Grenier: M. le Président, d'abord, je veux vous remercier du dépôt de votre mémoire. Cela fait pas mal différent des autres mémoires que nous avons puisqu'on n'est pas encore habitué depuis le début du dépôt des mémoires, de recevoir des chiffres. C'est quand même une bouffée d'air frais, si vous voulez, à comparer avec les autres mémoires, depuis le début du dépôt de ces documents, depuis que la commission est commencée. Je vous remercie, au nom de l'Union Nationale d'avoir accepté de paraître devant la commission pour nous fournir ces renseignements.

Vous dites, au tout début de votre mémoire "Comme les démographes l'ont maintes fois souligné, la chute de la fécondité qui s'est produite depuis quinze ans a entraîné la rupture d'un équilibre séculaire."

Est-ce que les sociologues ont établi sur quoi c'était fondé? Est-ce que c'est un mal du siècle ou si c'est à cause d'un Québec industrialisé? Est-ce que c'est un mal qui est généralisé dans la société occidentale?

M. Pierard: II s'agit, en fait, d'un alignement de la fécondité des couples les moins favorisés sur la fécondité de l'ensemble des couples. En fait, c'est une homogénéisation de la fécondité des différents groupes qui constituent une population. C'est tout simplement ça qui se passe. Alors, on s'aligne sur une fécondité assez homogène et qui, d'ailleurs, est une fécondité assez homogène à travers toute l'Amérique du Nord, pas seulement spécifique au Québec, mais apparemment liée à l'ensemble des continents, finalement.

M. Grenier: Vous ajoutez, au bas de la première page et au début de la deuxième: "La plupart des démographes prévoient un certain nivellement de la fécondité future, de telle sorte que les différences de fécondité s'atténueraient encore davantage." Sur quoi pouvez-vous vous baser pour faire une telle affirmation?

M. Pierard: C'est justement en fonction de ce que je vous disais il y a une seconde. C'est qu'il y a une homogénéisation constante de la fécondité des différentes sous-populations au Québec, si vous voulez, et donc, on présume que, dans un avenir pas trop lointain, finalement, il n'y aura plus de différence appréciable entre les différents groupes en cause.

M. Grenier: Vous affirmez, à la page 5, que les Anglais, les Ecossais, les Irlandais et les Juifs semblent bénéficier d'un réseau privilégié d'information sur la quantité et la qualité des postes disponibles. C'est fondé, j'imagine. Ce n'est pas...

M. Veltman: C'est une conclusion d'une étude faite par M. Jacques-André Boulet du Conseil économique du Canada, tenant compte de la structure linguistique du marché, de la structure ethnique du marché et du lien entre la scolarisation et la profession dans la détermination du revenu. Ce n'est pas moi qui ai tiré cette conclusion, c'est M. Boulet.

M. Grenier: Oui, c'était tiré de renseignements que vous avez perçus.

M. Veltman: Oui.

M. Grenier: Bon! Je crois que c'est M. Maheu, celui du centre. Non?

M. Pierard: Pierard.

M. Grenier: Vous avez affirmé tout à l'heure que la disparition de la communauté anglophone est absolument impossible au Québec. J'imagine que ça, c'est basé sur des données.

C'est basé d'abord sur le texte du projet de loi qui est devant nous et vous avez tenu compte, bien sûr, de l'article 52, ce qui fait que les immigrants ne seront à peu près plus incorporés à la communauté canadienne-anglaise, ce qui fait que les parents qui sont de mariage mixte de culture — alors que le père est un anglophone, on sait que les enfants s'incorporent à la communauté canadienne-française en général et qui suivent la langue maternelle — et les difficultés qu'on va avoir en province, à l'extérieurde Montréal, à conserver au moins pour la deuxième génération, cette incorporation possible à l'école anglaise.

M. Pierard: C'est basé effectivement sur un ensemble d'hypothèses que l'on peut construire sous forme de scénario, si vous voulez, et en tenant compte également d'autres facteurs tels la vivacité dont je parlais tout à l'heure de cette minorité anglophone au Québec qui est très percutante et qui, actuellement, nous vaut quand même une force d'attraction que le français est très loin d'avoir. Je pense que les éléments auxquels vous faisiez référence dans votre question, vont peut-être tendre à atténuer cette forte attraction, mais je doute beaucoup que ces éléments disparaissent totalement.

M. Grenier: J'aimerais connaître — et vous avez peut-être des chiffres là-dessus — quelle serait la différence si les Canadiens des autres provinces avaient la liberté de choix d'incorporer l'école anglaise en venant au Québec? Y aurait-il un fait assez différent?

M. Pierard: Pourriez-vous répéter, s'il vous plaît?

M. Grenier: Si les Canadiens des autres provinces, avec la loi 1... Dans le moment... les Canadiens des autres provinces n'auront peut-être pas le choix en arrivant au Québec d'aller à une école anglaise ou française. S'ils avaient le choix de s'incorporer à la communauté canadienne-anglaise en arrivant au Québec, ce fait déséquilibre-t-il pour la peine...

M. Maheu: Quant à nous, nous ne connaissons pas, pour l'instant d'études publiques sur le sujet. Je ne peux vous donner qu'un élément de réponse. Si j'ai dit tantôt au député d'Outremont que l'immigration en provenance de l'étranger ou des autres provinces pouvait se comparer, lorsqu'on regarde le groupe d'âges visé par le projet de loi no 1, c'est-à-dire à peu près les 5-14 ans qui correspondent à peu près aux niveaux primaire et secondaire, il est certain qu'au sein de ce groupe d'âges, dans le passé — je dis bien dans le passé — les gens en provenance des autres provinces sont surreprésentés par rapport à ceux qui nous viennent de l'étranger et il s'agit à peu près des deux tiers en ce qui concerne les anglophones qui viennent d'autres provinces pour un tiers qui viennent de pays étrangers.

M. Grenier: Deux tiers pour un tiers. M. Maheu: Oui.

M. Grenier: Réalisez-vous que c'est principalement à Montréal que ces deux tiers vont...?

M. Maheu: Je pense que la région de l'Outaouais est assez célèbre aussi. Enfin, on a l'impression qu'il y a deux régions principales qui sont celles de Montréal et de l'Outaouais.

M. Grenier: A cause du milieu des fonctionnaires.

M. Maheu: C'est bien cela.

M. Grenier: Vous avez parlé tout à l'heure d'espérance de vie jusqu'en 1971 pour les différentes communautés. J'aurais aimé que vous nous donniez aussi les chiffres — si c'était possible — de 1971 à 1976 — de l'espérance de vie chez les Canadiens français.

M. Maheu: Malheureusement, nous ne pouvons pas en donner. Pour obtenir des chiffres de cette nature, il faut connaître essentiellement deux types de données.

D'abord il faut connaître la population à un recensement distribué par origine ethnique, par sexe et par groupe d'âge, et il faut également connaître la répartition des décès selon les mêmes catégories, ce qui fait que de tels calculs ne sont possibles que pour les années de recensement qui comportent une question sur l'origine ethnique en ce qui concernait le passé, puisqu'on avait aussi des données sur les décès selon l'origine ethnique. En ce qui concerne l'avenir, il semble clair qu'il faudra attendre le recensement de 1981 avant de pouvoir faire de nouveaux calculs.

M. Grenier: Vous n'êtes pas sans savoir qu'on a au ministère des Affaires sociales des indications très précises sur l'espérance de vie. Vous ne vous êtes pas servis de ces données parce qu'on sait qu'il y a un changement important de 1970, par exemple, à 1976. Est-ce que, pour vous, ce sont des données valables, ce qu'on peut avoir au ministère des Affaires sociales?

M. Maheu: Ce sont des données très valables, qui indiquent...

M. Grenier: On peut donner jusqu'en 1971 et on sait qu'il y a un changement important.

M. Maheu: Si vous connaissez bien les données du ministère des Affaires sociales que je pense connaître un peu, vous saurez que la dernière table de mortalité qui a été publiée porte sur les années qui vont de 1972 à 1974, que ces données portent sur l'ensemble de la population, donc une population qui n'est pas distribuée par origine ethnique ni par langue, qu'on a observé globalement pour les femmes une petite augmentation de l'espérance de vie à la naissance, donc de 1971 en moyenne à 1973 en moyenne, que, pour les hommes, l'augmentation était extrêmement faible et qu'elle n'était pas significative, statistiquement parlant. Mais si vous voulez connaître les tendances, je peux ajouter que les écarts d'espérance de vie, selon l'origine ethnique, ont augmenté entre 1961 et 1971.

M. Grenier: Si vous permettez, M. le Président, je garderai une minute ou deux pour le chef de l'Union Nationale, qui aurait une question à poser.

Le Président (M. Cardinal): J'accorde, disons, une minute, une minute et demie.

M. Biron: Une seule question.

Le Président (M. Cardinal): D'accord.

M. Biron: A la page 3, je vois des tableaux qui sont très intéressants, qui parlent de 1966 à 1971. Est-ce qu'il y a quelque chose qui pourrait être disponible au cours des prochains mois pour avoir les chiffres entre 1971 et 1976?

M. Maheu: Malheureusement, Statistique Canada n'a pas cru bon de retenir une question semblable pour le rensencement de 1976, ce qui fait qu'il faudra attendre que les données du recensement de 1981 soient disponibles, c'est-à-dire vers 1983 à peu près.

M. Biron: Vous n'ignorez pas qu'il y a eu des changements majeurs dans cette présentation de chiffres de 1971 à 1976, ce qui pourrait influencer grandement notre décision vis-à-vis de cette nouvelle loi.

M. Maheu: Comme j'ai tenté de l'expliquer tantôt au député d'Outremont, nous pouvons faire des évaluations pour certaines périodes en fonction des données qui sont disponibles. Cette période de 1966 à 1971 n'est pas non plus une période homogène. De

même, la période plus récente depuis 1971 n'a pas non plus été homogène. Donc, tout ce qu'on sait, c'est que, globalement, la migration nette a été à nouveau négative entre 1971 et 1976 mais qu'elle était positive pour les dernières années.

En ce qui concerne la composition linguistique de cette migration nette pour les dernières années, nous ne la connaissons pas et nous croyons qu'il serait important que le Conseil consultatif de la langue française tente de l'établir.

M. Biron: Vous croyez que ce serait véritablement important d'avoir ces chiffres précis.

M. Maheu: Dans le cadre du débat actuel, nous avons noté qu'on utilisait de part et d'autre des arguments de nature démographique et en particulier qu'on faisait explicitement ou implicitement toutes sortes d'hypothèses sur ce qui arriverait suite à l'entrée en vigueur de la loi 1. Nous disons que l'attitude la plus sage est de s'organiser pour être en mesure de mesurer effectivement ce qui se produirait.

Le Président (M. Cardinal): Merci. M. le député de Beauce-Sud.

M. Roy: Merci, M. le Président. Je pense que le mémoire qui est devant nous à la commission nous donne, par les chiffres qui sont inclus, un éclairage tout à fait important pour les membres de la commission. Je voudrais en profiter pour féliciter ceux qui l'ont préparé, qui nous l'ont présenté, de leur contribution pour faire avancer nos travaux et éclairer davantage les membres de la commission.

Dans votre tableau 1, vous parlez de l'entrée au Québec d'immigrants anglais, français ou autres et vous parlez également de sortie du Québec. Pour ce qui concerne la sortie de francophones du Québec, est-ce que vous avez des études détaillées qui peuvent nous expliquer de quelle région en particulier partent ceux qui émigrent du Québec? A quelle catégorie de travailleurs, par exemple, appartiennent-ils et quelles sont les raisons pour lesquelles les francophones quittent le Québec?

Est-ce que vous avez des données, est-ce que vous avez fait des études à ce niveau-là?

M. Maheu: Je vois que votre soif de connaissance est très grande. Malheureusement, je ne connais pas d'évaluation des mouvements intermigratoires selon la langue maternelle, selon la région très précise d'origine, mais on pourrait tenter de faire certaines évaluations, comme celles du tableau 2, pour certaines régions. Ceci est techniquement possible. A ma connaissance, cela n'a pas été fait; cela a été fait seulement pour l'ensemble du Québec.

Par contre, il y a un certain nombre d'études qui ont établi, sans caractéristiques de langue ou d'origine ethnique, la migration nette, pour diverses régions ou périmètres urbains ou municipalités, je pense en particulier à des études faites au Bureau de la statistique du Québec.

M. Roy: En somme, vous ne pouvez pas nous donner à ce moment-ci, au niveau de la commission, beaucoup plus d'éclairage que ce qui est inclus dans votre mémoire, à ce niveau?

M. Maheu: Je le regrette.

M. Roy: Est-ce que vous avez fait des études aussi — vous avez parlé beaucoup et je tiens à vous en féliciter, parce que je pense que vous êtes à peu près le premier organisme qui nous ramène à la grande réalité, la réalité économique — sur la langue et les mouvements de population?

Cela m'amène à rappeler à l'honorable ministre que l'état de l'économie québécoise, beaucoup plus que la loi 1, va contribuer à l'épanouissement culturel et social des Québécois.

Ceci ne m'empêche pas de souscrire aux objectifs fondamentaux du projet de loi. J'aimerais savoir si vous avez fait des études également sur l'influence que peuvent avoir les politiques sociales, les politiques familiales, puisque vous avez fait largement état de la fécondité au Québec. On sait très bien que, pour les familles, pour les couples, cela a une influence assez considérable, les politiques sociales, les politiques familiales. Est-ce que vous avez des études?

M. Veltman: A ma connaissance, non. Mais il faut dire aussi que c'est une commission parlementaire, pour étudier un projet de loi, qu'on nous pose des questions. On n'a pas de données pour répondre à ces questions. On n'a pas un institut de recherche qui fait des démarches dans ce domaine. On demande des choses après s'être lancé dans un processus et il faut qu'on établisse au Québec un organisme qui fasse des recherches relatives à des effets probables de telle ou telle chose.

M. Roy: Remarquez bien que je ne cherche pas à vous faire des reproches, au contraire. Etant donné que cela a des incidences directes sur la démographie, on est en droit, je pense, de demander à des démographes professionnels s'ils ont de telles données, s'ils ont des études de faites, de façon à pouvoir demander si, justement, on serait en mesure de nous faire parvenir ces études, ces mémoires, pour l'éclairage des membres de la commission.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud, justement...

M. Roy: J'ai une dernière question, M. le Président. On a permis au gouvernement de dépasser de sept minutes.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Roy: On a dépassé de trois minutes du côté de l'Opposition officielle. Juste une dernière question.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud, je n'ai pas dit que vous aviez dépassé votre temps. Je voulais simplement vous prévenir qu'il vous restait le temps d'une question. Je n'ai pas l'intention de brimer vos droits et je veux simplement demander tout de suite à la commission si on m'ac-

corde un consentement pour qu'on continue au moins jusqu'à 23 h 10. Est-ce qu'il y a consentement?

M. Roy: M. le Président, je n'ai plus de questions.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud...

M. Roy: Je savais que je n'avais qu'une question et me faire interrompre à chaque fois pour me faire dire qu'il ne me reste que le temps d'une question, c'est une chose, M. le Président, qui me déplaît souverainement.

Une Voix: Oh!

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud...

M. Roy: Je n'ai plus de questions à poser, c'est mon droit de ne plus en poser.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le député de Beauce-Sud, quand même, vous me permettrez une remarque. J'ai toujours prévenu chacun des partis qu'il restait tel temps à sa disposition, justement pour ne prendre personne par surprise.

M. Roy: M. le Président, sur le point de règlement...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député.

M. Roy: ...j'ai été parrain de la motion et je me suis accordé à moi-même cinq minutes. Je suis conscient que cinq minutes, c'est très court. Me faire couper la parole après quatre minutes, cela me déplaît souverainement, je tiens à vous le dire.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Beauce-Sud. Y a-t-il consentement pour continuer pendant cinq minutes?

Une Voix: Oui.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Dans les circonstances, vu qu'il n'y a plus de questions à poser, je vais remercier les représentants, les porte-parole de l'Association des démographes du Québec au nom de la commission et je vais inviter immédiatement, avant l'ajournement, M. Burford Charles Norman. Merci!

M. Norman, je vous prierais de vous identifier. Vous comprenez bien qu'à cette heure-ci...

Une Voix: Oui.

Le Président (M. Cardinal): ...vous n'aurez pas le temps de présenter votre mémoire. Je vous permets cependant de dire quelques mots et je devrai ensuite ajourner la séance. Je vous demande tout de suite si vous êtes disposé à venir avec nous demain matin à la reprise des travaux.

M. Norman (Burford Charles): Certainement, M. le Président. Exactement.

Le Président (M. Cardinal): M. Norman, si vous voulez vous identifier, s'il vous plaît.

M. Norman: Oui.

Le Président (M. Cardinal): Parlez devant le micro, s'il vous plaît. Oui.

M. Norman: Mon nom, c'est M. Norman. M. le Président, voulez-vous que je lise le mémoire maintenant ou demain matin?

Le Président (M. Cardinal): Je préférerais demain matin, parce qu'il est vraiment passé 23 heures.

M. Norman: Demain matin, c'est parfait pour moi.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Sur ce, je déclare que les travaux de cette commission parlementaire sont ajournés sine die, c'est-à-dire qu'ils reprendront demain après les affaires courantes de l'Assemblée nationale, Merci, monsieur.

(Fin de la séance à 23 h 1)

ANNEXE

L'IMPACT SUR L'ENSEIGNEMENT DU PROJET DE LOI NO 1 VISANT PLUS PARTICULIEREMENT LA REGION DE L'OUEST DU QUEBEC

MEMOIRE PRESENTE A LA COMMISSION PARLEMENTAIRE DE L'ASSEMBLEE NATIONALE DU QUEBEC

PAR LA COLLECTIVITE ANGLOPHONE D'EDUCATION DE L'OUEST DU QUEBEC

JUIN 1977 RESUME

Ce Mémoire analyse, dans les contextes historique et actuel, les implications des Articles 51, 52 et 59 sur la langue de l'enseignement vis-à-vis l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Il étudie les ramifications du Projet de loi no 1 sur les peuples indigènes et sur l'enseignement et la communauté anglophones, et conclut que les répercussions de ce Projet de loi seront ressenties encore plus vivement dans le système d'enseignement francophone et chez le peuple canadien-français majoritaire au Québec, risquant d'engendrer des résultats imprévus très sérieux.

Le Mémoire conclut que deux erreurs politiques fondamentales se sont glissées dans les mesures proposées par le Projet de loi no 1 pour en arriver à son but légitime de protéger la société québécoise. La première est celle de postuler que la contrainte législative, sans égard aux aspirations des citoyens impliqués, est justifiable en soi. La deuxième est celle de prétendre que l'on peut rejeter ou neutraliser, avec impunité, au moyen d'une nouvelle loi, des droits acquis et des lois depuis longtemps admises et respectées.

Le Mémoire recommande que les mesures proposées dans le Projet de loi no 1 soient révisées pour tenir compte de la réalité québécoise et canadienne et des principes démocratiques qui en sont la pierre angulaire.

Le Mémoire propose et soutient qu'à titre de Québécois — et non seulement d'anglophones québécois — nous tenons tous à participer, en tant qu'égaux, à la formation et à l'évolution d'une société québécoise riche et fière. Le succès ou l'insuccès de ce projet se mesurera au degré de participation de tous les citoyens de la Province.

AVANT-PROPOS

Ce MEMOIRE se propose d'étudier la Charte de la langue française au Québec, Projet de loi no 1 de la Trente et Unième Législature, pour en évaluer les difficultés suscitées par les Articles touchant l'enseignement, portant une attention particulière à l'Ouest du Québec et aux ramifications de ces Articles sur la "qualité de la vie" de tous les Québécois.

Le Comité est d'avis que l'adoption d'une politique aussi novatrice et importante, qui touche directement chacun des citoyens du Québec, risque d'engendrer de fortes tensions négatives. Si l'on regarde la loi 22, adoptée par la Trentième Législature de l'Assemblée nationale du Québec, sans égard aux inquiétudes de ses citoyens, l'on se rappellera que cette loi n'est demeurée en vigueur que 840 jours; de plus, notre société québécoise en ressent encore aujourd'hui les ruptures et les torts.

Nous demandons par conséquent que la Commission parlementaire de l'Assemblée nationale veuille bien redoubler de vigilance en revoyant ces articles du Projet de loi que nous considérons, toutes révérences gardées, comme contenant des éléments répressifs et gros de conséquences.

CHAPITRE PREMIER Commentaires sur le préambule du projet de loi no 1

Telles qu'énoncées dans le Préambule, nous jugeons dangereuses les prémisses sur lesquelles repose le Projet de loi en ce qui a trait aux mesures proposées pour l'enseignement.

Au premier paragraphe, il est indiqué que l'Assemblée nationale "constate que la langue française est, depuis toujours, la langue du peuple québécois et que c'est elle qui lui permet d'exprimer son identité."

II est clair que ne sont pas reconnus comme "Québécois" tous ces résidents qui forment eux aussi en quelque sorte la "toile de fonds" de notre société québécoise, ces résidents de descendance amérindienne, anglaise, irlandaise et écossaise comptés parmi les premiers défricheurs du sol québécois, ou ces Loyalistes de l'Empire Uni qui, il y a 200 ans, ont quitté les Etats-Unis pour venir s'établir librement en terre canadienne-française.

A notre grande stupéfaction, ce Projet de loi se permet un sophisme dangereux. Sont vrais citoyens seuls ceux qui composent la majorité ethnique du Québec. Nous sommes attristés et craignons les implications possibles d'un Projet de loi qui affirme dans son Préambule que tous les autres citoyens, dits "les minorités", ne font que participer "...au développement du Québec" et ne peuvent appeler le Québec "mon pays", ma patrie.

CHAPITRE II Réflexions générales sur les articles touchant l'enseignement 1. L'un des buts du Projet de loi no 1, clairement énoncé au Préambule, se lit comme suit: "... faire du français la langue de l'Etat et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement et des communications." 2. Pour en arriver à cette fin, le Projet de loi propose les mesures suivantes: — augmenter la population francophone du Québec par l'intégration obligatoire au système d'enseignement français des enfants issus de parents immigrant d'autres pays, d'autres provinces et des territoires du Canada, — défendre aux Québécois de langue maternelle française de s'inscrire aux écoles anglaises, — exiger que toutes les communications officielles des commissions et administrations scolaires de langue anglaise soient rédigées en français d'ici à la fin de l'année 1983, — insister que toutes les écoles d'enseignement francophones utilisent et transmettent une terminologie française précise et améliorée dans les métiers, les techniques et les professions, — s'ingérer dans le libre choix de la langue d'enseignement des peuples indigènes du Québec, qui ont depuis toujours joui d'un statut légal et moral particulier en Amérique du Nord. 3. Les mesures préconisées ci-dessus, lesquelles seront chacune discutées ailleurs, sont grandement répressives et soulèvent de nombreux problèmes qui affecteront la qualité de la vie de tous les Québécois. Elles laissent de plus entrevoir des conséquences tout à fait à l'encontre du but premier du Projet de loi, soit celui "... d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française...". 4. Ces mesures présupposent l'insuccès des maints efforts des derniers dix ans visant à encourager tous les Canadiens de langue anglaise, sans égard à leur province de résidence, à reconnaître les revendications légitimes du Canada français

Tel n'est pas le cas. Permettez-nous de porter à l'attention de la Commission parlementaire que de nombreux changements, théoriques et pratiques, ont été effectués dans le domaine de l'enseignement dans l'Ouest du Québec, tout comme à Montréal.

Tout d'abord, des cours intensifs de langue française figurent maintenant au curriculum des écoles élémentaires de la Commission scolaire régionale de l'Outaouais et de l'école secondaire régionale du Protestant Regional School Board of Western Quebec; ces deux commissions scolaires sont responsables de la totalité de l'enseignement des Régions 7 et 8 du Québec. Deuxièmement, grâce à la collaboration établie entre le ministère de l'Education et les enseignants du Western Quebec Association, la Commission régionale de l'Outaouais a mis sur pied un programme facultatif d'animateur unique en son genre au Canada. Ce programme a été créé dans le but spécifique de familiariser les écoliers du niveau élémentaire avec le milieu culturelfrançais qui les entoure. Ce programme demeure constamment sous observation, et ses résultats en confirment le bien-fondé, non seulement par l'amélioration chez les élèves de leur compréhension et de leur parler de la langue française, mais aussi au niveau de l'interaction spontanée entre les deux groupes.

En outre, les commissions scolaires anglaise et française se rencontrent régulièrement pour solutionner des questions particulières touchant les besoins des étudiants. Des comités mixtes ont été formés pour assurer la coopération entre les parents et les professionnels des deux commissions en ce qui a trait à l'enfance en difficulté d'adaptation et d'apprentissage, au programme bilingue d'échanges étudiants, et aux moins fortunés.

Cette coopération mutuelle est heureuse et avantageuse aux deux systèmes d'éducation. Nous tenons à ajouter que ce même esprit de coopération existe au sein des services sociaux de la région depuis nombre d'années.

Ces attitudes positives et ces programmes, fruits d'efforts tout à fait spontanés et volontaires dans l'Ouest du Québec, vont en augmentant, ce qui démontre qu'il existe bien une solution meilleure que celle préconisée par le Projet de loi no 1.

Le sage reconnaît la mesure d'un peuple à sa capacité d'obéir à ce qui ne peut être légiféré. On ne peut forcer la grandeur et l'excellence. Toute telle tentative est vouée à l'échec car elle ne rapporte qu'une solution de vaine médiocrité finalement rejetée à cause de sa méconnaissance de la réalité humaine.

CHAPITRE III L'importance des articles régissant les deux systèmes d'enseignement

LES ARTICLES 51, 52 et 59

Les Articles 51, 52 et 59, Chapitre VIII du Projet de loi limitent sévèrement la liberté d'option de tous les parents québécois dans le choix du régime d'enseignement pour leurs enfants. Ils démontrent de plus l'indifférence du gouvernement provincial à l'égard de la loi 50 promulguée en juin 1975,,La Charte des droits et libertés de la personne, dont les articles particulièrement pertinents, nos 1 à 38, seront remplacés par l'Article 172 du Projet de loi no 1. Le Comité discute de la loi 50 au 3e article du présent chapitre. 51. L'enseignement se donne en français dans les écoles maternelles, primaires et secondaires, sous réserve des exceptions prévues au présent chapitre.

Cette disposition vaut pour les écoles régies par la Loi de l'instruction publique (Statuts refondus, 1964, chapitre 235) et pour les organismes scolaires régis par la Loi de l'enseignement privé (1968, chapitre 67) et déclarés d'intérêt public ou reconnus admissibles à des subventions en vertu de cette dernière loi. 52. Par dérogation à l'article 51, peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur mère: a) les enfants dont le père ou la mère a reçu, au Québec, l'enseignement primaire en anglais; b) les enfants qui, à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, sont domiciliés au Québec, et i) qui reçoivent déjà au Québec, l'enseignement en anglais à l'école maternelle, primaire ou secondaire, le même droit s'étendant à leurs frères et soeurs cadets; ii) dont le père ou la mère est, à ladite date, domicilié au Québec et a reçu, hors du

Québec, l'enseignement primaire en anglais.

Lorsqu'un enfant est à la charge d'un seul de ses parents, la demande prévue au présent article doit être faite par ce dernier. 59. Sous réserve des dispositions spéciales de la Loi de l'instruction publique qui les concernent, les Amérindiens et les Inuit peuvent recevoir l'enseignement dans leur langue s'ils le désirent; sinon, les dispositions de la présente loi s'appliquent. Les réserves ne sont pas soumises à la présente loi. 2. L'ACTE DE L'AMÉRIQUE DU NORD BRITANNIQUE

Les auteurs du Livre Blanc, sur lequel repose le Projet de loi, prétendent que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ne garantit que la confession des deux régimes d'enseignement et non la langue d'enseignement. Cette prétention ne justifie aucunement les mesures préconisées aux Articles 52 et 59 du Projet de loi.

L'A.A.N.B. assure aux systèmes d'enseignement le droit de maintenir leur confession dans l'enseignement. Le gouvernement doit accepter, et de fait, accepte cet article.

L'A.A.N.B. est encore plus explicite sur la question des droits confessionnels des individus, viz. l'Article 93, sections, 1, 2 et 3: 93. Dans chaque province et pour chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation, sous réserve et en conformité des dispositions suivantes: 1. Rien dans cette législation ne devra préjudicier à un droit ou privilège conféré par la loi, lors de l'Union, à quelque classe particulière de personnes dans la province relativement aux écoles confessionnelles; 2. Tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés ou imposés par la loi dans le Haut-Canada, lors de l'Union, aux écoles séparées et aux syndics d'écoles des sujets catholiques romains de la Reine, seront et sont par les présentes étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la province de Québec;

3. Dans toute province où un système d'écoles séparées ou dissidentes existe en vertu de la loi, lors de l'Union, ou sera subséquemment établi par la Législature de la province, il pourra être interjeté appel au gouverneur général en conseil de tout acte ou décision d'une autorité provinciale affectant l'un quelconque des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de la Reine relativement à l'éducation.

Si le Catholique ou le Protestant opte d'inscrire son ou ses enfants à l'un des régimes d'enseignement, catholique ou protestant, du Québec, sa liberté de choix est garantie par l'A.A.N.B. Cette garantie rend donc nulles les restrictions proposées aux Articles 51, 52 et 59 du Projet de loi, car ces derniers, à notre avis, défendront à certains Protestants de s'inscrire aux écoles protestantes anglaises. Peu importe l'interprétation accordée à l'Article 93 de l'A.A.N.B., il est juste de proposer qu'historiquement, la grande majorité des Protestants au Québec a été de langue anglaise. L'Assemblée nationale du Québec reconnaît la nature confessionnelle des deux régimes d'enseignement à l'Article 22 de la Loi du Conseil supérieur sur l'enseignement de 1964. Cette loi est toujours en vigueur.

Nous ne nous attaquerions pas aux articles du Projet de loi touchant l'enseignement si la province de Québec était un état souverain, indépendant de la constitution canadienne écrite et sous-entendue. Mais cette souveraineté et cette indépendance des lois du Canada ne sont pas réalité. Pour citer l'axiome anglais, "Don't put the cart before the horse", ou français, "II ne faut pas vendre la peau avant de tuer l'ours".

RECOMMANDATION

Le Comité recommande que toute loi adoptée par l'Assemblée nationale du Québec soit en accord et sujette aux lois actuelles de la fédération canadienne, telles que consacrées par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. 3. LES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE

Le respect des droits et libertés de l'individu est le fondement de toute démocratie moderne. Cette déclaration est universelle. Cependant, elle n'a aucun sens si elle n'est placée dans son contexte historique; alors elle prend vie et exprime toutes les vérités de la condition humaine. C'est dans cet esprit d'idéaux démocratiques qu'en 1861 le Québec — à cette époque le Bas-Canada — reconnaissait par l'Article 55 de la Loi de l'instruction publique (Chapitre 15 des Statuts refondus du Bas-Canada), le droit fondamental de ses citoyens d'établir et d'assumer la responsabilité de leurs propres écoles locales, séparées ou dissidentes, par l'intermédiaire de leurs Commissaires et Conseillers. La langue d'enseignement n'y est pas mentionnée parce qu'à l'époque elle ne posait aucune difficulté; le Conseil était plus préoccupé par la garantie des libertés confessionnelles. Les commissions scolaires choisissaient la langue d'enseignement selon les besoins de la localité.

C'est dans ce même esprit que l'on a dressé l'Article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Nous n'avons nullement l'intention de prendre part au débat juridique entourant l'interprétation de l'Article 93 de l'A.A.N.B., mais nous tenons à rappeler que le Québec depuis longtemps a admirablement bien reconnu et respecté les libertés confessionnelles et linguistiques de ses citoyens. A preuve la Préambule de la loi du ministère de l'Education de 1964 qui débute — ATTENDU que tout enfant a le droit de bénéficier d'un système d'éducation qui favorise le plein épanouissement de sa personnalité;

ATTENDU que les parents ont le droit de choisir les institutions qui, selon leur conviction, assurent le mieux le respect des droits de leurs enfants;

Ce respect des droits de l'individu est consacré plus tard au Chapitre Premier, Article 10, de la loi 50, La Charte des droits et libertés de la personne, adoptée en juin 1975;

Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale ou la condition sociale.

Les droits précités, tirés de la Charte du Québec, sont reconnus comme idéal universel à l'Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies:

Toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion: ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.

Nous soutenons que ces droits, reconnus à l'Article 10 de la Charte du Québec, et réitérés à l'Article 18 de la Déclaration universelle des Nations Unies, sont d'importance capitale pour l'avenir du Québec. Le choix qui se pose à l'homme devient de plus en plus évident — il doit choisir

entre un régime de répression pour atteindre ses buts (risquant la réaction inévitable du libre penseur), ou le respect de la personne humaine, telle qu'énoncée dans la Charte du Québec. Vu la longue et glorieuse histoire du Québec vis-à-vis le respect des droits de l'homme, les Articles 51, 52 et 59 du Projet de loi no 1 nous paraissent contredire la philosophie fondamentale de notre province. Il nous semble incroyable que le présent gouvernement puisse indiquer aussi explicitement le poids qu'il accorde à l'importante Charte québécoise des droits de la personne, qu'il puisse rejeter par le nouveau projet de loi tous les articles respectant les libertés de l'individu, i.e., ceux défendant la discrimination fondée sur l'origine ethnique et la langue, la divulgation de renseignements confidentiels, la discrimination dans l'embauche et la promotion, et les droits de l'accusé. L'Article 172 du projet de loi prévaut sur les Articles 9 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne: il modifierait l'Article 52 de la loi 50 ainsi:

Les Articles 9 à 38 prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure qui leur serait contraire, à moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la Charte, OU A MOINS QU'IL NE S'AGISSE DE LA CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBEC.

RECOMMANDATION

Le Comité recommande qu'aucun projet de loi sur aucun sujet qui enfreint la Charte du Québec sur les droits et libertés de la personne ne soit présenté devant l'Assemblée nationale.

CHAPITRE IV Les ramifications pour la société québécoise 1 LES PEUPLES INDIGÈNES

L'Article 59 du Projet de loi n'accorde aux Amérindiens et aux Inuits que le droit particulier de recevoir l'enseignement dans leur langue, s'ils le désirent: sinon, les indigènes qui n'habitent pas les réserves seront soumis, comme les autres "minorités", aux restrictions imposées par les articles sur la langue de l'enseignement.

Les Amérindiens du Québec ont neuf différentes langues — l'iroquois, l'algonquin, le micmac, l'ojibwa, le cri, etc., tandis que les Inuits se partagent différents dialectes, ce qui rend essentielle l'adoption d'une deuxième langue de communication non seulement à l'intérieur de la province, mais partout au Canada et sur le continent nordaméricain. Ils devraient avoir l'option de choisir la deuxième langue qui leur convient.

Parmi tous les groupes ethniques nordaméricains — les Noirs, les moissonneurs mexicains itinérants, les Canadien français du Québec et des autres provinces canadiennes — nul n'a été lésé autant que les peuples indigènes de ce continent.

Aucune région du Canada n'a encore totalement résolu la question des droits aborigènes et du statut particulier des peuples indigènes. Ce problème occupe tous les gouvernements, fédéral, provinciaux et territoriaux. Quel statut détient l'Indien inscrit comme tel au registre officiel et qui n'habite pas la réserve? Quel est le statut de l'Indien non-inscrit ou du Métis ou de l'Inuit? Quelle responsabilité de l'Homme Blanc prévaut sur tous les arguments juridiques? Nous ne croyons pas que les auteurs du Projet de loi puissent régler ces questions complexes par les 39 mots de l'article 59; nous ne voyons pas non plus de quel droit ils peuvent s'imposer aussi catégoriquement sur une question ethnique et légale aussi complexe. Encore plus, nous ignorons comment de telles restrictions vis-à-vis les peuples indigènes serviront à assurer la sauvegarde de la langue et de la culture de la majorité canadienne-française du Québec.

Si nous évaluons bien l'humanisme de nos confrères de langue française, nous sommes certains qu'ils se sentiront gênés de voir cette façon si légère de traiter les peuples indigènes de la province.

RECOMMANDATION

Le Comité recommande donc que les peuples indigènes soient exempts de toute contrainte dans le choix de leur langue d'enseignement ou de leur langue seconde, et que tout projet de loi de l'Assemblée nationale du Québec contienne un article explicite à cet effet. 2. LA COMMUNAUTÉ ET LE SYSTÈME D'ENSEIGNEMENT ANGLOPHONES

La mise en vigueur des articles sur l'enseignement énoncés dans la Charte de la langue française entraînera des répercussions très négatives dans le système scolaire anglophone de l'Ouest du Québec, et ces mêmes répercussions se feront sans doute ressentir à travers toute la province:

— le système d'enseignement anglophone se verra perdre le nombre, les talents et les avantages économiques qui lui reviendraient normalement par l'arrivée d'immigrants ou de Canadiens des autres provinces; ces derniers ne viendront plus s'établir dans une province qui restreint ainsi l'enseignement de leurs enfants, — le nombre d'enseignants et d'administrateurs scolaires diminuera, et l'instabilité croissante de l'enseignement anglophone au Québec provoquera leur départ en nombres grandissants, — vu les règles du Ministère de l'Education, une diminution du nombre d'élèves forcera l'abolition de certains cours et options, appauvrissant par conséquent la qualité de l'enseignement anglophone, — les communications et l'administration deviendront plus compliquées et moins efficaces une fois la mise en vigueur des articles touchant la langue de l'administration (Chapitre IV). Les coûts de traduction et de cours de français seront élevés. — le nombre d'élèves diminuera et certaines écoles devront par la suite fermer leurs portes à cause de la diminution du taux de natalité et du processus normal de migration de la population, — l'enseignement post-secondaire anglophone sera lui aussi touché à cause du petit nombre de diplômés des écoles secondaires. Des universités comme McGill et Concordia se verront perdre leurs réputations acquises pour leur excellent enseignement aux étudiants de la province et d'ailleurs.

Un grand nombre d'élèves poursuivent leurs études après l'obtention du certificat de fin d'études secondaires; le Libre Blanc et le Projet de loi restent muets sur l'avenir du CEGEP anglophone et de l'enseignement universitaire anglophone. Serait-ce une "épée de Damoclès" suspendue au-dessus des communautés anglophones du Québec?

Toutes ces conséquences négatives seront le fruit naturel de la mise en vigueur du Projet de loi no 1.

Le gouvernement actuel a indiqué dans son Préambule, troisième paragraphe, qu'il "entend poursuivre (son) objectif dans un climat de justice et d'ouverture à l'égard des minorités qui participent au développement du Québec."

Nous ne voyons aucune "justice ou ouverture" dans la force des répercussions qui suivront la mise en oeuvre des articles sur la langue de l'enseignement; nous n'y voyons ni la protection du système d'enseignement anglophone ni celle de ses communautés.

Nous n'avons pu non plus trouver de logique dans l'argument que la sauvegarde de la culture d'un groupe homogène de cinq millions de Canadiens français dépende de la répression culturelle, de la réduction et de l'assimilation présupposée d'une minorité hétérogène comptant un million d'habitants.

RECOMMANDATION

Le Comité recommande que les Articles 51, 52 et 59 soient éliminés et que, pour assurer la survie de la langue et de la culture canadienne-française, l'on étudie d'autres moyens qui tiendront compte des droits et libertés de tous les individus.

Il est ironique que ce projet de loi verra le jeune Québécois de langue anglaise — qu'il soit instruit en anglais ou en français — couramment bilingue et capable de participer pleinement à la vie de cette province et de ce continent, tandis que le jeune Québécois de langue française se verra passablement limité par son unilinguisme.

Même si nous voyons d'un oeil critique les mesures visant le système d'enseignement et la communauté anglophone du Québec, nous entrevoyons des répercussions encore plus sérieuses pour la communauté francophone et son système d'enseignement. Nous en discutons au prochain article. 3. LA COMMUNAUTÉ ET LE SYSTÈME D'ENSEIGNEMENT FRANCOPHONES

La mise en vigueur des Articles 51 à 59 du Projet de loi no 1 entraînera des difficultés de longue durée dans le système d'enseignement francophone.

Nous énumérons ci-dessous quelques problèmes posés par ces articles. 1. Cours intensifs spéciaux à l'intention des immigrants

Les enfants et les adolescents arrivant dans la province seront de cultures et langues maternelles diverses. Très peu d'entre eux seront en mesure de communiquer aisément en français.

Ces jeunes gens devront s'inscrire à différents niveaux scolaires, à partir de la maternelle jusqu'aux classes plus avancées des écoles secondaires. La loi sur l'enseignement leur

donne droit à un enseignement de qualité, mais les articles sur l'enseignement du projet de loi no 1 disent qu'ils doivent être instruits en français.

Comment prévoit-on enseigner une matière quelconque à un élève qui ne connaît pas ou que très peu le français?

Il n'y aura pas de difficulté au niveau de la maternelle, mais la situation est autre lorsqu'il s'agit d'adolescents inscrits à l'école secondaire.

Logiquement, le système d'enseignement francophone devra donner des cours intensifs de français spéciaux sur une base massive. Dans les grands centres urbains, des écoles spéciales devront être mises de côté pour pourvoir à l'enseignement principal requis par les étudiants et en même temps rencontrer leur niveau de connaissance de la langue française. On peut y arriver. Le système d'enseignement protestant le fait depuis plusieurs années. Cependant, les difficultés et le coût en seront beaucoup plus élevés pour le système francophone, car la majorité des nouveaux arrivés d'outre-mer, des Etats-Unis ou d'autres provinces canadiennes ont une meilleure connaissance de l'anglais.

La nécessité de cours intensifs de langue française et d'écoles spéciales demeurera toujours. 2 Certificats de fin d'études secondaires

L'Article 57 du Projet de loi stipule qu'aucun certificat de fin d'études secondaires ne peut être remis à un élève qui n'a pas la connaissance requise du français parlé et écrit. Même si cet article semble toucher particulièrement l'élève anglophone de l'école anglaise, il doit aussi s'appliquer aux écoliers francophones et aux autres élèves des écoles françaises. Encore ici, il n'y a aucune difficulté pour l'enfant à la maternelle ou l'élève des premières classes élémentaires; mais nous parlons d'autre chose lorsqu'il s'agit des élèves arrivant au niveau secondaire.

Les élèves inscrits à l'école secondaire et dont la langue maternelle n'est pas le français ont peu de chance de rencontrer la connaissance exigée du français — il est déjà assez difficile de maîtriser sa propre langue même après 15 années d'études.

Sans certificat de fin d'études secondaires, aucun étudiant ne peut s'inscrire au CEGEP, et par conséquent ne peut aspirer à des études plus avancées au Québec. Evidemment, les parents non-Québécois dont les enfants ne sont pas francophones et en sont à un des derniers niveaux de l'école primaire ou arrivés à celui de l'école secondaire choisiront d'élire domicile ailleurs qu'au Québec, enrichissant ainsi toutes les autres provinces à l'exception du Québec. 3. Le multilinguisme

Les écoles francophones subiront l'impact d'élèves de langues et de cultures différentes; elles en connaîtront par conséquent l'influence et deviendront "pluralisées" tout comme les écoles anglophones présentement. Ce "pluralisme" préservera-t-il la richesse et la pureté de la langue française?, ou est-ce cette dernière qui adoptera de nouvelles expressions tout comme la langue anglaise aujourd'hui?

L'Ouest du Québec connaît bien la réalité de l'échange linguistique et culturel. En 1971, peu après l'ouverture du CEGEP de Hull (aujourd'hui le CEGEP de l'Outaouais), la population étudiante comptait environ 1400 francophones et 240 anglophones. Les anglophones suivaient certains cours en français et d'autres en anglais.

On remarqua rapidement qu'une fois l'intercommunication établie entre les élèves la population étudiante était devenue bilingue, parlant anglais dans les passages et salles de jeu du collège — à tel point que l'Administration CEGEP a décidé que les élèves anglophones étudieraient sur un autre campus pour réduire les difficultés culturelles et pédagogiques: "Compte tenu des problèmes et dangers qui semblent inhérents au concept de la cohabitation, le CEGEP de Hull estime qu'il n'est pas sain de regrouper dans un même édifice les deux composantes linguistiques de sa population étudiante." (Page 8, Commission du 7 décembre, approuvée le 7 mars 1972.)

En incorporant tous les immigrants au Québec dans le système d'enseignement francophone, les difficultés citées plus haut se multiplieront. Pour ce qui est de l'Ouest du Québec, l'on se demande si le nombre d'élèves immigrants justifiera la formation de classes spéciales. 4. Le multiculturalisme

Le Livre Blanc sur la politique québécoise de la langue française voit juste lorsqu'il dit que "la langue française est au Québec davantage qu'un mode épisodique d'expression; elle est une institution, une façon de vivre et de concevoir l'existence." Il s'agit là d'une vérité qui s'applique à toutes les cultures.

Nous comprenons que langue et culture font un, mais nous ne devons pas errer en croyant que la connaissance d'une deuxième ou d'une troisième langue détruira la culture première.

Nous expliquons. Il serait ridicule de croire que les enfants de parents nés hors du Québec — aussi bien ceux d'autres pays que les Canadiens anglais — qui seront contraints à l'enseignement français deviendront par le fait même Français.

Des immigrants de culture anglaise, arabique, orientale ou de quelque autre grande culture européenne, garderont leurs rites et leurs grandes institutions, peu importe la langue d'enseignement ou du travail. L'assimilation culturelle totale est possible, mais ce n'est qu'après plusieurs générations, et par conséquent il est inutile d'apporter une solution trop rapide à un problème qui ne se rencontrera pas avant plusieurs décennies encore. 5. Le problème des écoles catholiques anglophones

Le ministère de l'Education a-t-il songé au dilemme posé par l'existence d'écoles catholiques anglophones présentement administrées par les commissions scolaires catholiques essentiellement françaises?

Nous comptons plusieurs écoles catholiques anglophones parmi les nombreuses régions scolaires du Québec.

Les parents des enfants inscrits à ces écoles nous ont déjà indiqué que leurs enfants ne feraient jamais partie de la clientèle étudiante protestante. Le refus est catégorique. Le nouveau système d'enseignement francophone a deux options, chacune présentant ses propres difficultés: soit qu'il devienne responsable de cette importante clientèle étudiante catholique anglophone, soit qu'il remette la responsabilité des élèves et des écoles catholiques anglophones entre les mains du système d'éducation anglophone qui devra considérer ces écoles comme des écoles séparées administrées par les commissions scolaires protestantes.

Malgré la gravité de ces problèmes, nous voyons dans certains énoncés du Livre Blanc et du bill 1 des conséquences encore plus sérieuses pour les parents et les élèves francophones du Québec.

Les répercussions qui sont prévues au sein de notre système d'enseignement et de nos communautés ne sont pas négligibles, mais nous estimons que celles ressenties chez nos collègues francophones sont encore plus sérieuses. Ci-dessous, deux de ces répercussions — 1. La remise à une période indéfinie du droit d'apprendre l'anglais comme deuxième langue, et 2. L'effet de la "francisation" de la culture actuelle des Canadiens français du Québec. Les deux sont étroitement reliées.

L'anglais comme langue seconde

Les Articles 51 et 52 du Projet de loi obligent clairement tous les enfants de parents francophones à s'inscrire au système d'enseignement francophone. Cependant, comme l'indique le Livre Blanc, la chance d'apprendre l'anglais comme deuxième langue sera remise indéfiniment.

Nous citons les extraits pertinents du texte: "... on ne niera pas pourtant, car c'est une autre donnée incontestable, que parler anglais est une nécessité pour certains Québécois francophones. A deux conditions principales: que cela ne soit pas imposé trop tôt au détriment d'une formation de base, culturelle et technique, qui doit demeurer en n'importe quel pays la préoccupation d'un humaniste fondamental; que l'apprentissage d'une autre langue ne contredise pas le besoin d'une appartenance plus foncière à la culture première."

Ailleurs, "C'est d'ailleurs dans la mesure où la survie de la langue française sera assurée ici que les programmes d'enseignement d'une deuxième langue pourront être envisagés dans leur juste perspective et devenir réellement efficaces."

Pourtant, la maîtrise du français comme deuxième langue est assurée au système d'enseignement anglophone par l'Article 57: 57. Aucun certificat de fin d'études secondaires ne peut être délivré à l'élève qui n'a du français, parlé et écrit, la connaissance exigée par les programmes du ministère de l'Education.

La maîtrise de la langue anglaise comme deuxième langue ne sera pas un privilège accordé à la majorité canadienne-française du Québec.

Ainsi, les jeunes Québécois anglophones seront couramment bilingues, tandis que les jeunes Québécois francophones seront couramment unilingues. Nous ignorons les avantages pour les Québécois français quoiqu'il semble y avoir un avantage théorique pour la société québécoise considérée dans sa totalité.

Si nous relisons la première citation ci-dessus tirée du Livre Blanc, nous sommes d'accord avec la première locution: "... on ne niera pas pourtant, car c'est une autre donnée incontestable, que parler anglais est une nécessité pour certains Québécois francophones".

Cependant, ni le Livre Blanc ni les articles du Projet de loi touchant l'enseignement n'ont élucidé qui seront ces privilégiés, quelles seront leurs responsabilités, et dans quelles écoles ils acquerront leur compétence en anglais. Tous les Québécois devraient demander que le présent gouvernement soit plus explicite et s'assurer qu'il ne s'agit pas par inadvertance de la création d'une nouvelle classe dirigeante d'élite dans la province.

Le Livre Blanc relate ailleurs: "Si l'anglais est d'usage dans de larges cercles de l'économie ou de la science nordaméricaines, on conviendra néanmoins qu'il n'est pas nécessaire ni pour la science ni pour l'économie que tout le monde le pratique dans sa vie quotidienne."

Nous ignorons comment les francophones uni lingues étudiant les sciences ou l'économie peuvent compter tenir des postes clés dans des domaines aussi importants et partout en cours d'évolution.

Nous pouvons nous répéter pour ce qui est des autres professions e.g., la médecine, l'art dentaire ou l'architecture, sciences constamment en évolution et en état de perfectionnement, aidées par les échanges internationaux.

Pour ce qui est de l'Ouest du Québec, il est évident que les possibilités de travail pour les jeunes et les moins jeunes, sont bien fixées dans un contexte bilingue.

Tout le monde sait que tous les résidents de l'Ouest du Québec, enfin ceux de toute la région de la capitale nationale, anglophones et francophones, doivent être compétents dans les deux langues.

Nous regrettons que les auteurs de la loi no 1 n'aient pas tenu compte d'un tel état de fait. Les jeunes élèves appartenant au système d'éducation francophone et qui envisagent de se lancer dans des domaines professionnels, scientifiques, économiques ou au sein de la fonction publique se trouvent en quelque sorte punis par des premières priorités du gouvernement québécois.

Nous voulons ajouter que cette question de l'anglais comme deuxième langue présente un aspect intéressant qui n'a peut-être pas été prévu par les nombreux partisans de la Charte de la langue.

Il est fort possible que de nombreux immigrants francophones hésitent longuement à venir s'établir au Québec sachant que leurs enfants se verront refuser la chance d'apprendre l'anglais comme deuxième langue. L'immigration actuelle et future du Québec pourra en être sensiblement affectée. Et il y a sans doute déjà un petit ou un grand nombre de francophones canadiens qui en ce moment remercient les cieux qu'ils ne demeurent pas au Québec.

Le processus de francisation

Lorsque nous parlions plus haut de "l'une des premières priorités", nous pensions au processus de francisation. Voilà le changement important prévu pour améliorer la qualité et la richesse de la langue française du Québec.

L'importance et l'universalité de ce processus sont évidents dans l'emphase des Articles 66 à 119 de la Charte de la langue.

La mise en vigueur d'un programme aussi massif aura un effet déroutant sur l'enseignement francophone et exigera, à notre avis, des efforts très intenses de la part des administrateurs scolaires, des enseignants et des élèves.

Nous pouvons alors mieux comprendre pourquoi les administrateurs du gouvernement québécois hésitent à établir un parallèle entre le processus de francisation et l'enseignement efficace de l'anglais comme langue seconde.

Nous voyons cependant tout le temps qu'il faudra avant que ce processus porte fruit dans les écoles et au sein de la culture française du Québec.

Les Québécois français et les étudiants pourront-ils attendre tout ce temps avant d'apprendre l'anglais, la langue seconde la plus utile à travers le monde? Et la francisation des termes techniques et professionnels risque-t-elle d'ériger un mur artificiel entre eux et la poursuite de carrières dans ces domaines ailleurs qu'au Québec?

Ne serait-il pas préférable de prolonger juste assez longtemps l'échéancier du processus de francisation afin de retarder son impact sur le système d'enseignement francophone pour que l'enseignement de l'anglais comme deuxième langue puisse devenir chose plus pratique?

Un tel délai pourrait aussi bénéficier de façon plus profonde un autre aspect de la vie québécoise — la culture vivante des Québécois français.

Voici notre raisonnement:

Tous sont d'accord que "langue et culture font un", et il s'ensuit naturellement que si le caractère de la langue actuelle doit changer, il en va de même pour la culture actuelle.

Historiquement, des changements aussi profonds se sont opérés naturellement, parfois au cours de siècles, permettant ainsi aux nations de s'y adapter sans difficulté.

Nous soulevons les questions suivantes: Comment un changement aussi fondamental peut-il être soumis à une date limite? Peut-il être légiféré? Le peuple y consent-il?

Nous respectons l'intention du gouvernement sur cet aspect, mais nous suggérons qu'il ne s'accorde pas assez de temps pour une tâche aussi importante. Ce programme de francisation laisse la voie ouverte à tous les aspects prévus du "choc du futur".

Comme Québécois, et non seulement Québécois anglophones, nous savons que ce qui touche nos concitoyens — majoritaires ou minoritaires — se répercutera dans la qualité de vie de cette province. Nous avons le droit d'exprimer notre angoisse.

RECOMMANDATION

Le Comité recommande que l'on allège le fardeau placé sur le système d'enseignement francophone par les articles sur la langue de l'enseignement du Projet de loi no 1 en redonnant aux parents le

droit de choisir le système d'enseignement qu'ils désirent pour leurs enfants et en considérant un système de francisation plus modéré qui facilitera et rendra plus pratique pour ceux qui le désirent la connaissance de l'anglais comme deuxième langue.

CONCLUSION

La méthodologie proposée par le bill no 1 pour en arriver à ses aspirations légitimes pour la société québécoise contient deux erreurs politiques fondamentales.

La première est celle de postuler que la contrainte législative peut tout régler et que l'apport des citoyens n'est pas requis.

La seconde est celle de prétendre que des lois admises et respectées et des droits acquis peuvent être rejetés ou neutralisés, sans égard, par l'adoption d'une nouvelle loi.

RECOMMANDATION

Nous recommandons que les mesures envisagées dans le Projet de loi no 1 soient réévaluées, tenant compte des réalités québécoise et canadienne et des principes démocratiques qui en sont le fondement.

PROPOSITION

En tant que Québécois — et non seulement Québécois anglophones — nous tenons à participer, à titre égal, à la formation et à l'évolution d'une société québécoise riche et fière. Toute tentative n'impliquant pas cette contribution collective se verra notre insuccès mutuel.

A ce moment où l'Ontario et les autres provinces canadiennes commencent à réaliser les erreurs commises envers leurs concitoyens francophones, et où nous commençons à voir les effets positifs des innovations introduites au Québec en 1964 par la création du Ministère de l'Education, le Comité remarque avec regret que le gouvernement du Québec n'a aucune foi en la possibilité d'une interaction positive et enrichissante entre les Québécois anglophones et francophones, qui ont déjà bénéficié de la direction sensible et éclairée du Ministère. La première nouvelle génération de techniciens, de scientifiques et d'ingénieurs est maintenant prête à participer sur un pied d'égalité avec ses pairs anglais à la vie scientifique, professionnelle et économique de la province. Les premiers élèves anglophones qui ont suivi des cours intensifs de français se préparent à quitter les écoles secondaires anglophones, capables de rencontrer leurs concitoyens francophones, et de répondre aux défis et aux exigences de l'interaction dans une culture québécoise française épanouie, une culture dont la richesse n'a jamais été aussi évidente qu'aujourd'hui.

Après plus de dix ans d'efforts et de bon vouloir, les Québécois, anglophones et francophones, en sont arrivés à une compréhension et à une coopération mutuelle dynamique. Pourquoi alors tout détruire par les mesures coercitives et répressives des lois 22 et 1? Pourquoi transformer des attitudes d'acceptation et d'appréciation mutuelles en des débats amers et âcres, peut-être à un point tel qu'il sera impossible d'en cicatriser les blessures et de reprendre foi en un Québec commis à des valeurs démocratiques? Pourquoi risquer qu'à cette amertume s'ajoutent la peur et l'incertitude d'un possible déjà vu?

Nous ne critiquons pas le droit des Québécois francophones de créer une province à leur image. Nous ne critiquons pas le droit des Québécois de demander la coopération de leurs concitoyens anglophones. Mais nous critiquons un gouvernement qui réprime en légiférant. Et nous critiquons la négation du droit de l'individu de participer à une vision collective. Nous critiquons les motifs du bill 1. Nous demandons l'avantage que le Québec en tirera. Et oui, nous demandons, et répétons, quel sera le prix de ce gain?

RÉSUMÉ DE L'ARGUMENT DU MÉMOIRE SUR LE PROJET DE LOI NO 1

par

Le Comité sur l'éducation anglophone de l'Ouest du Québec

OBJET:LES ARTICLES SUR L'ENSEIGNEMENT

Le Projet de loi se fonde sur une dangereuse prémisse raciste qui veut que la langue et la culture de la majorité ethnique priment sur les droits traditionnels et acquis des minorités québécoises.

2.Les Articles 51, 52 et 59 proposent et affirment que les intérêts de cette majorité invalident tous les droits de la personne assurés par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, Articles 9 à 38, y compris la non-discrimination fondée sur la langue et l'origine ethnique.

3.Le gouvernement québécois soutient que l'Article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ne s'applique pas à la liberté du choix de la langue d'enseignement mais se limite au seul droit de l'enseignement confessionnel, passant outre le fait que cette question est toujours devant les tribunaux, et oubliant qu'historiquement "protestant" et "anglophone" vont de pair au Québec. Ces deux faits mettent en doute le droit du gouvernement québécois de sanctionner les Articles 51, 52, et 59.

4.Le Projet de loi no 1 aura par ailleurs l'effet de restreindre encore plus les droits et libertés des peuples indigènes sur le continent nord-américain, une mesure que nous estimons inutile pour la survie de la langue et de la culture française.

5.La minorité anglophone québécoise perdra accès au renouvellement de ses ressources linguistiques et culturelles (autre que par les naissances), ce qui entraînera graduellement sa réduction et la disparition du système d'enseignement anglophone.

6.La majorité francophone en ressentira aussi des répercussions sérieuses. Le Projet de loi défend la liberté de choisir la langue d'enseignement, donc limite le choix à des carrières ou professions unilingues, et par conséquent, particulièrement chez les francophones, les échanges aux niveaux national et international. Le Projet de loi remet de plus l'enseignement de l'anglais comme deuxième langue dans les écoles francophones jusqu'à ce que la francisation du langage de la technologie, des manuels et des catalogues soit terminée, ce qui restreindra et retardera sérieusement la mobilité économique des francophones sur notre continent. De plus, les problèmes de l'intégration de groupes multiculturels, multiraciaux et multilingues aux écoles françaises engendrera de nouveaux problèmes et retardera sans doute encore plus le processus de francisation.

La Conclusion, les Recommandations générales et la Proposition du Comité se retrouvent à la fin du Mémoire.

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